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Full text of "La taille en Normandie au temps de Colbert (1661-1683)"

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LA  TAILLE  EN  NORMANDIE 

AU  TEMPS  DE  COLBERT 

(1661-1683) 


COL'LOMMIERS 
Imprimerie  Paul  BRODARD. 


ETUDES   SUR    LES    INSTITUTIONS   FINANCIÈRES    DE    LA    FRANCE    MODERNE 

LA 

TAILLE  EN  NORMANDIE 

AU  TEMPS  DE  COLBERT 

(1661-1683) 


PAR 


Edmond    ESMONIN 

Docteur  es  lettres. 


PARIS 

LIBRAIRIE    HACHETTE    ET    Cie 

79,    BOULEVARD    SAINT-GERMAIN,    79 

1913 


EcPF 
67 i960 

*  3  -'  j-f 


PRÉFACE 


Les  questions  financières  ont  tenu  une  place  considérable 
dans  la  vie  de  l'ancienne  monarchie.  Jamais  l'argent  n'a  joué 
un  si  grand  rôle  que  dans  ce  gouvernement,  parce  que  jamais 
gouvernement  n'en  a  autant  manqué.  A  toutes  les  époques, 
mais  surtout  depuis  le  xvie  siècle,  les  rois  se  sont  débattus 
contre  les  embarras  d'argent  :  à  l'intérieur,  des  réformes  fonda- 
mentales, unanimement  souhaitées,  ne  purent  être  accomplies, 
parce  que  l'état  du  Trésor  ne  les  permettait  pas  ;  à  l'extérieur, 
des  alliances  avantageuses  furent  abandonnées,  des  guerres  sus- 
pendues ou  arrêtées,  faute  d'un  ou  deux  millions  d'écus  dont  il 
eût  fallu  pouvoir  disposer  en  temps  opportun.  Tous  les  efforts 
de  ministres  de  talent,  depuis  Sully  jusqu'à  Necker,  furent 
paralysés  par  les  difficultés  financières  1  ;  on  peut  dire  que  la 
royauté  a  du  sa  perte  en  grande  partie  à  ce  qu'elle  n'a  pas  su 
instituer  un  système  fiscal  approprié  à  ses  besoins. 

Ce  sont  les  impôts  excessifs,  mal  répartis  et  mal  levés,  qui 
suscitèrent  le  grand  mouvement  philosophique  du  xvme  siècle  : 
Boisguilbert  et  Vauban  furent  les  premiers  critiques  du  régime 
monarchique;  les  premières  grandes  plaintes  furent  motivées 
par  la  misère  et  la  famine.  Or,  de  tous  les  impôts,  aucun  ne 
souleva  plus  de  mécontentement  que  la  taille,  parce  qu'aucun 
n'était  plus  visiblement  injuste  et  plus  ruineux.  D'abord,  c'était 

1.  Sur  l'incapacité  des  ministres  de  l'ancien  régime  à  modifier  le  système  fiscal, 
voir  Lavisse,  Histoire  de  France,  t.  IX,  lre  partie,  p.  406-408.  Le  dernier  d'entre 
eux,  Necker,  a  fait  publiquement  cette  déclaration  au  roi  :  «  Il  n'est  aucune  con- 
quête, il  n'est  aucune  alliance  qui  puisse  valoir  à  Votre  Majesté  ce  qu'elle  pourrra 
tirer  un  jour  du  développement  de  ses  propres  forces  :  l'essor  de  l'agriculture  et 
de  l'industrie  par  la  bonne  répartition  des  impôts,  l'essor  du  crédit  par  la  sage 
administration  des  finances;  voilà  tout  ce  qui  manque  à  la  puissance  [de  votre] 
royaume  »  (Compte  rendu  au  Roi  en  janvier  1181,  p.  68).  C'est  l'aveu  implicite, 
à  la  veille  de  la  Révolution,  que  tout  restait  à  faire  dans  ce  domaine.  Il  sera 
répété  par  Calonne  à  l'assemblée  des  Notables. 


le  plus  important  de  tous  (il  fournissait  environ  la  moitié  (les 
,,,):  en  outre,  c'était  le  plus  rexatoire  et 
le  ploi  m. il  réparti';  enfin,  il  établissait  une  démarcation 
sociale  :  quiconque  le  payait  étant  nécessairement  rangé  dans  la 
classe  inférieure,  disqualifié.  C'est  pourquoi  il  préoccupa  non 
seulement  les  financiers  et  tes  économistes,  mais  tous  les 
réformateurs  .lu  t. -1111)8.  Si  le  régime  de  la  taille  avait  pu  être 
ohangé,  uned  ttes  de.  la  Révolution  n'aurait 

pas  subsisté.  Il  est  pou  d'institutions  financières  qui  aient  eu  un 
aussi  grand  rôle  politique  et  social  darfs  notre  histoire2. 

Pourtant  elle  ne  semble  pas  avoir  été,  jusqu'à  maintenant, 
l'objet  d'une  étude  approfondie  Sans  doute,  une  ioule  d'ou- 
vrages anciens  et  récents  en  ont  traité  —  la  bibliographie  que 
l'on  trouvera  plus  loin  ne  catalogue  que  les  plus  importants;  — 
m. lis  dans  aucun  on  ne  trouve  les  précisions  qui  nous  feraient 
connaître,  en  toute  certitude,  le  mécanisme  de  l'impôt  et  sa 
répercussion  sur  la  vie  des  contribuables  et  sur  la  marche  du 
:u>u\riuement.  Tous  les  ouvrages  modernes,  sauf  de  rares 
exceptions,  se  bornent  à  reprendre,  et  souvent  pillent,  ceux  des 
wii  et  xvuie  siècles;  nos  connaissances  dans  ce  domaine  n'ont 
presque  pas  fait  de  progrès  depuis  cent  cinquante  ans;  on 
cluiclieiait  en  vain  un  meilleur  traité  que  les  Mémoire*  wmr 
les-  Impositions,  de  Moreau  de  Beaumont,  ou  la  partie  Finances 
de  Y  Encyclopédie  métkodÊfn*.  Mais  ces  ouvrages  anciens, 
auxquels  j'ai  moi-même  beaucoup  emprunté,  sont  loin  de  nous 
apprendre  sur  la  taille  tout  ce  que  nous  en  désirerions  savoir  : 
les  uns,  comme  ceux  de  Bouehei  <;  Moreau  de  Beaumont, 

Guyot,  MAI  dos  traités  techniques,  des  compilations  d'ordon- 
«s.  qui  négligent  les  conséquences  matérielles  et  sociales 
de  l 'impôt;  d'autres,  tels  OOUS  de  La  Barre,  Vieuille,  Loisel  de 
Boismarc.  ne  sont  que  des  manuels  a  l'usage  des  praticiens, 
destinés  I  donner  aux  agents  «lu  fisc  la  solution  des  principales 

1.  Tout  les  osai»  de  réformes  tentes  nu  cours  du  xvin'  siècle  seront  infructueux. 
Necker  dira  encore  en  1781  que  In  taille  est  l'impôt  •  le  plus  à  charge  de  tous 
aux  habitants  des  campagnes  •  .  (Compte  rendu,  p.  ti'i). 

uvent  l'exemple  de  la  taille  ;\  été  invoqué  dans  les  polémiques  récentes  au 
sujet  «le  l'impôt  sur  le  revenu  :  mois  il  semble  qu'on  ne  doive  guère  en  faire  >:tat, 
tu  la  grande  différence  des  conceptions,  des  mœurs  et  de  l'état  social.  La  taille 
était  une  forme  de  contribution  très  rudimentaire,  presque  barbare;  on  ne  peut 
la  comparer  a  aucun  des  impôts  actuels.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  l'impôt  foncier, 
tant  décrié  aujourd'hui,  est  apparu  ù  sa  naissance  comme  un  progrès  incontestable 
sur  la  taille.  *     6 


PREFACE.  VII 

difficultés  rencontrées  dans  leurs  fonctions.  D'autres  enfin,  ceux 
de  Boisguilbert,  de  Vauban  et  de  leurs  innombrables  disciples, 
sont  des  ouvrages  de  polémique,  où  la  passion  peut  avoir 
déformé  la  vérité;  pour  entrer  dans  l'histoire,  leurs  réquisitoires 
manquent  de  preuves.  Nulle  part  on  ne  trouve  une  étude  précise 
et  impartiale  de  la  taille,  où  apparaisse  la  répercussion  de 
l'impôt  sur  l'histoire  du  gouvernement  et  de  la  société. 

C'est  cette  étude  que  je  voudrais  commencer  en  ce  livre. 

Pour  la  faire,  je  ne  pouvais  pas  me  borner  à  l'analyse  des 
édits  et  règlements  :  de  ce  qu'une  chose  a  été  ordonnée,  il  ne 
s'ensuit  pas  qu'elle  ait  été  exécutée.  De  nos  jours,  beaucoup  de 
lois  ne  sont  ni  appliquées,  ni  respectées  ;  sous  l'ancienne  monar- 
chie, la  plupart  avaient  ce  sort.  En  1665,  un  conseiller  d'État, 
dans  un  rapport  au  roi  sur  la  réformation  de  la  justice,  écri- 
vait :  «  Les  François  ont  les  plus  belles  lois,  mais  jusques  à 
présent  il  n'y  a  point  de  nation  qui  les  exécute  si  mal  '  ».  Sitôt, 
en  effet,  qu'on  arrive  à  saisir  ce  qu'était  réellement  la  vie  du 
temps,  on  s'aperçoit  qu'elle  ressemble  fort  peu  à  l'idéal  que 
s'était  formé  et  que  prétendait  établir  le  législateur.  A  quelques 
lieues  de  Paris,  les  volontés  du  roi  n'étaient  même  pas  connues. 
Des  règlements  tombaient  en  désuétude  quelques  mois  après 
leur  publication.  Ici,  des  officiers  refusent  d'enregistrer  ou 
d'appliquer  une  ordonnance;  là,  un  intendant  fait  des  règle- 
ments qui  la  contredisent2;  partout,  le  gouvernement,  incapable 
de  diriger  et  de  surveiller  la  conduite  de  ses  agents,  de  réprimer 
leurs  écarts  ou  leurs  négligences,  apparaît  dépourvu  des  moyens 
nécessaires  pour  assurer  l'exécution  normale  et  constante  des 
réformes  qu'il  croit  avoir  faites.  Dans  ces  conditions,  on  ne 
saurait  restituer  le  régime  vrai  de  l'impôt,  non  plus  que  de 
toute  autre  institution,  avec  des  textes  de  lois. 

Pour  connaître  ce  régime,  il  n'y  a  d'autre  méthode  que  l'étude 
de   la  réalité  concrète,    la  reconstitution    de  la  vie   elle-même.. 

1.  Mémoire  de  M.  de  Gomont,  septembre  1665,  B.  N.  Clairamb.  613,  i"  199;  cf.  le 
mémoire  de  M.  de  Lu  Marguerie.  ibid.  f°  275,  et  la  lettre  de  Boisguilbert  du 
15  juin  1700,  dans  la'  Corresp.  des  contrôleurs  généraux,  t.  II,  p.  524. 

2.  Il  faut  prendre  garde  que  la  plupart  des  textes  législatifs  du  xvii0  siècle  n'ont 
pas  le  caractère  d'universalité  qu'on  tend  à  leur  donner.  La  plupart  ne  sont  connus 
et  appliqués  que  dans  une  partie  du  royaume.  Pour  la  taille  notamment,  beaucoup 
d'ordonnances  s'appliquent  au  ressort  de  la  pour  des  aides  de  Paris,  et  non  à  la 
Normandie,  ou  inversement,  et  leur  texte  ne  nous  en  avertit  pas  toujours.  Des 
usages  locaux  prévalent  souvent  sur  des  textes  écrits,  et  la  pratique  fait  souvent 
varier  du'  tout  au  tout  l'application  des  ordonnances.  On  en  verra  des  exemples 
frappants  au  cours  de  ce  travail. 


Mil  ACE. 

Il    (V  ndre    jusqu'au    répartiteur    <jui    impose,    jusqu 'au 

contribuable  qui  paie,  in  receveur  qui  encaisse,  au  juge  local  qui 
contestations;  il   (tut   saisir  dans   sa  complexité  la 
.-II.-,  observer  les  individus,  distinguer  les  lieux,  les  dates, 
les  eiroonstsnces,  renoneer  à  tout*-  théorie  préconçue,  à  toute 
matisation  native.  Dèi  Ion  on  est  obligé  de  consulter  une 
quantité  énorme  de  documents  très  divers  :  comptes  de  recc- 
I,    rôles    d'impositions,    plumitifs    d'audiences,    correspon- 
dances administratives    et    privées,   procès-verbaux,    règlements 
et  écrits  contemporains  de  toutes  sortes.  Tous  ces  papiers  sont 
dispersés,    souvent  mal    classés,    mal   inventoriés,    parfois    mal 
écrits  et  difficiles  a  lire;  pour  le  moindre  sujet,  la  documenta- 
tion  est    longue  et   laborieuse.  Une  étude  d'ensemble,    portant 
sur  une  {ongue  période,  est,  à  l'heure  actuelle,   impossible;  il 
<st   nécessaire  de  restreindre  les  recherches  et  de  mener  une 
Série  d'enquêtes  partielles,  méthodiquement  poursuivies;  leurs 
résultats,  coordonnés,    permettront   seuls  de  formuler   les  con- 
elusions  générales  que  notre  intelligence  désire.  Toute  autre  voie 
conduirait  à  des  résultats  discutables,  sans  valeur  scientifique. 


Parmi  toutes  les  régions  qui  peuvent  être  l'objet  d'une 
enquête,  aucune  ne  m'a  paru  plus  intéressante  que  la  Normandie. 

D'abord,  elle  avait  une  individualité  bien  nette  :  elle  possé- 
dait son  Parlement,  sa  Cour  des  aides,  sa  Chambre  des  comptes; 
de  la  i  Charte  aux  Normands  ».  renouvelée  et  confirmée  à 
chaque  changement  de  règne,  elle  tenait  des  privilèges  particu- 
liers; des  lois  étaient  faites  spécialement  pour  elle;  ses  usages 
ratâmes  achevaient  de  lui  donner  une  physionomie  propre. 
Les  Normands  avaient  d'ailleurs  le  sentiment  que  leur  province 
formait  un  véritable  État,  n'ayant  d'autre  lien  avec  le  reste  de  la 
France  que  le  commun  souverain  ;  jaloux  de  leur  autonomie, 
ils  l'ont  défendue  jusqu'à  la  veille  de  la  Révolution  contre  les 
entreprises  du  gouvernement  central1. 

Autre    raison   :  cette    province,    plus  qu'aucune    autre,  était 

1.  Cette (individualité,  jointe  &  ce  qui  a  été  dit  plus  haut  pour  les  ordonnances,  doit 
"•Jï!tre1  .  .  ?  H™denU,  dan9  '«•  généralisations.  On  ne  peut  systématiquement 
elendre  à  toute  la  1  -rnnce  Ua  conclusions  tirées  des  faits  constatés  en  Normandie- 
inversement,  on  ne  peut  sans  précautions  appliquer  à  la  province  ce  qui  est  dit 
a  une  autre  partie  du  royaume. 


PREFACE.  IX 

chargée  d'impôts.  Nous  en  avons  la  preuve  non  seulement  dans 
les  doléances  répétées  de  ses  Etats  *,  mais  encore  dans  des  témoi- 
gnages particuliers,  qui  ne  peuvent  pas  être  suspectés  :  écri- 
vains, économistes,  administrateurs  l'ont  maintes  fois  établi2. 
A  ne  considérer  que  les  chiffres,  on  constate  que  presque  tous 
les  impôts  y  atteignent  un  taux  plus  élevé  qu'ailleurs  :  dans  les 
ports,  des  droits  de  douanes  spéciaux  sont  prélevés,  en  sus  du 
tarif  ordinaire;  les  droits  d'aides  y  sont,  de  l'aveu  d'un  inten- 
dant, «  considérablement  plus  hauts  que  dans  toutes  les  autres 
provinces  du  royaume3  »;  le  sel  y  est  payé  au  tarif  des  grandes 
gabelles,  sauf  dans  une  partie  de  la  Basse-Normandie;  pour  la 
taille  enfin,  alors  que  les  trois  généralités  réunies  n'auraient  dû 
payer,  à  proportion  de  leur  territoire,  que  10  p.  100  du  total 
des  pays  d'élections,  elles  en  fournissent  environ  15  p.  100. 
Quoique  la  province  fût  fort  riche,  il  était  impossible  qu'elle 
ne  souffrît  pas  d'une  telle  surcharge,  et  les  vices  de  répartition 

1.  Voir  la  collection  des  Calders  des  Étals,  publiée  par  Ch.  de  Beaurepaire  pour 
la  Société  de  l'histoire  de  Normandie,  avec  l'introduction  :  en  novembre  1567  les 
Etats  se  plaignent  de  «  l'inégalité  de  la  contribution  des  dites  tailles  avec  les 
autres  provinces  de  ce  royaume,  dont  elle  [la  Normandie]  ne  fait  la  douzième 
partie  ».  Même  plainte  en  novembre  1580  (Cahiers,  art.  5),  novembre  1581  (art.  5), 
février  1611  (art.  6),  etc.  A  leur  dernière  réunion,  en  février  1658,  les  Etats  rappel- 
lent encore  au  roi  que  la  généralité  de  Rouen  «  est  la  plus  chargée  de  toutes  » 
(supplément  aux  Cahiers,  règnes  de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV,  p.  6).  Aux  Etats 
généraux  de  14S3,  les  députés  de  Normandie  protestent  parce  qu'on  fait  porter  au 
duché  le  quart  de  la  taille,  bien  qu'il  «  ne  forme  guère  que  la  huitième  partie  du 
royaume,  tant  pour  l'étendue  du  pays  que  pour  sa  richesse  »  (Journal  de  J.  Masselin, 
publié  et  traduit  par  Bernier,  p.  423-425).  La  même  doléance  sera  reprise  par  les 
nobles  révoltés  en  165S,  et  par  les  cahiers  de  1789. 

2.  Scipion  de  Grammont,  dans  son  Denier  royal,  en  1620,  déclare  que  la 
Normandie  est  réputée  la  province  «  la  plus  chargée  du  royaume  »,  et  que  «  les 
receptes  de  Rouen  et  de  Caen  payent  quasi  le  quart  des  charges  de  la  France  » 
(p.  236  et  288).  L'intendant  Voysin  de  la  Noiraye,  dans  son  mémoire  sur  l'état  de 
la  généralité  de  Rouen  en  1065,  écrit  que  la  province  est,  de  toutes,  celle  «  qui 
porte  au  Trésor  royal  le  revenu  le  plus  considérable,  et  qui  ne  l'est  pas  moins 
que  celui  que  1  Espagne  tire  des  Indes  »  (Bibl.  Nat.  mss.  Cinq  cents  Colbert,  274, 
fol.  2;  Cf.  mon  édition  du  Mémoire,  p.  153).  Boulainvilliers,  un  peu  plus  tard, 
calcule  qu'une  paroisse  de  Normandie  imposée  pour  la  taille  et  la  gabelle  à  6  600  1. 
n'en  payerait  que  4  300  si  elle  était  située  dans  la  généralité  de  La  Rochelle 
(Mémoires  présentés  au  duc  d'Orléans,  1719,  t.  I,  p.  95-96).  En  1661,  Guy  Patin 
écrit  pareillement  :  «  Cette  province  n'en  peut  plus,  tant  elle  est  accablée  d  impôts 
et  de  gabelles;  pour  la  taille  seule,  elle  paie  tous  les  ans  huit  millions  au  roi, 
sans  le  trafic  qu'ils  font  de  tant  d'autres  marchandises  qui  paient  au  roi  des 
sommes  immenses.  »  Lettre  du  17  juin  1661,  éd.  Réveillé-Parise,  II,  p.  136.  Pas- 
quier  cite  le  proverbe  :  «  Qui  fit  Normand,  il  fit  truand  »,  et  l'explique  par  ce  fait 
que  les  Normands  sont  surchargés  d'impôts,  le  mot  truand  étant,  selon  lui,  dérivé 
de  trus  =  tributs,  lesquels  «  réduisent  le  petit  peuple  à  la  mendicité  ».  (Rec/ierc/ies 
de  la  France,  éd.  1621,  p.  747).  Cf.  encore  Dumoulin,  Ilisl.  de  Normandie,  1631, 
introd.,  Boisguilbert,  Le  Détail  de  la  France,  éd.  1707,  I,  p.  80,  De  Masseville, 
Hist.  sommaire  de  Normandie,  1722,  t.  III,  p.  156,  Boulainvilliers,  État  de  la 
France,  éd.  1737,  in-12,  t.  IV,  p.  2,  et  Legrelle,  La  Normandie  sous  la  monarchie 
absolue,  p.  45. 

3.  Lettre  de  l'intendant  de  Caen,  14  déc.  1684,  dans  De  Boislisle,  Corresp.  des 
contr.  gén.,  I,  n°  149. 


I 


1(M1    v    ,!  r.uir    m-,  <-sairrme.it  des    consé- 

raoilleoro'.  Nom  avons  donc  là  an  bon 

,.,,.„„,,  ,|  ,  .„„   ,,uur  étudier  la   taille  et  sa  répercussion 

sur  l;i  f΀  loi  « ontribuablcs. 

nûèrc    raison  a  déterminé   mon    choix   :   la   taille,   en 
Normandie,  axait  M  l'objet   «1«-  llglu—llllo  spéciaux,  plus  par- 
tais qot  .l.u.s  la  reste  in  royaume,  l  trouvera  lénuméra- 
ti,,n  ai  <  "ins  de  00  travail.  Colbert  ne  manqua  pas  de  les  appre- 
étendre  a  toute  la  France  :  c'est  donc  là  que  nous 
trouverons    l'origine     de     plusieurs     réformes     importantes    du 
w  ii    siècle,  tels  l'usage  de  la  «  comparaison  de  taux2  »,  la  nomi- 
nation des  eolleeteurs   par  les  «   échelles5   »,  l'appel  des  taxes 
œ*.  Apres  lui.  c'est  principalement  en  Normandie  que  les 
réformateurs  tirent  hurs  enquêtes  et  leurs  expériences  :  Vauhan 
choisit  les  environs  de  Rouen  pour  ses  observations5,  et  l'élec- 
tion de   Lisieux  fut  désignée,   en   1718,  pour  essayer  la   taille 
proportionnelle.   Enfin   ne  faudrait-il  pas   rattacher  à  la  même 
particularité  ce  fait  remarquable  que  la  plupart  des  économistes 
français  antérieurs  à  notre  sieele  furent  des  Normands,  à  com- 
meiieer  par  leur  ancêtre  Montchresticn,  et  à  finir  par  Turgot6? 
Obligé  de  limiter  chronologiquement  mon  étude,  comme  je 
l'avais  localisée,  je  l'ai  restreinte  au  ministère  de  Colbert,  de 
'  i  1G83. 
J'ai  été  guidé  d'abord  pa*   une  raison  matérielle.  Avant  1661, 
Ineuments  d'histoire  financière  sont  relativement  rares  et 
Dentaires.  Les  fonctionnaires  ayant  l'habitude  déconsidérer 

1.  La  surface  des  cinq  départements  de  Normandie,  à  peu  près  égale  a  celle 
des  trois  généralités,  est  de  10 CM  kilomètres  carrés.    Celle  des  pays  d'élections 

Ct  être  évaluée  à  330  000  kilomètres  carrés.  On  aurait  des  chiffres  plus  pro- 
>ts  encore  si  l'on  comparait  les  impositions  et  la  surface  de  la  Normandie  à 
l'ensemble  du  royaume,  puisque  les  pays  qni  n'avaient  pas  d'élections  étaient 
beaucoup  moins  imposés  que  les  autres.  On  verra  aussi,  au  chapitre  1",  que  l'im- 

Ksition  moyenne  d  un  feu  en  Normandie  était  sensiblement  plus  élevée  que  dans 
.ités  voisines, 
tire  de  Colbert  à  l'intendant  de  Riom,  15  avril  1G83,  dans  Clém.  II,  p.  218. 
Cf.  ci-dessous,  chap.  vi.  '1'  partie. 

3.  Ibii!.,  II,   11%.  Cf.   ci-dessous,  chap.   iv. 
k.  Edit  de  mars  1667  (C.  d.  T..  t.  II,  p.   1ii). 

5.  La  Uirme  roiale,  éd.  1707,  lo-lX,  ]>.  5 

6.  Montchresticn  est  n  à  1- alaise  vers  1500.  Boisguilbert  est  né  à  Rouen  en 
1646.  et  y  passa  presque    toute  sa  vie;   Boulainvilliers  naquit  (1658)  Pt  vécut  à 

•■n  Bray;  l'abbé  de  Saint-Pierre  était  des  environs  de  BarÛeur;  leprin- 

:   ur  de  Vauban  pour  la  Dîme  royale,  l'abbé  Ragot  de  Beaumont, 

Xlval'_  Dupont  de  Nemours  est  de  famille  normande  (Bull,  du  ProL,  I908t 

S  Turgot  avait  ses  principales  terres  en   Normandie;  Le  Play  est  né  près 

••  Honneur.  —  A  cette  liste  on  pourrait  ajouter  d'autres  grands  remueurs  d'idées 
•  1--  I  i  fui  .in  xvm  sitoh-  :  liayle,  Fontenelle,  Richard  Simon,  Launoy,  Saint-Evre- 
mond,  l'abbé  de  Vertot,  Mézeray,  également  originaires  de  la  province. 


PREFACE.  XI 


comme  leur  propriété  les  papiers  de  leur  administration,  beau- 
coup de  documents  précieux  ont  été  perdus.  Les  destructions 
volontaires  pratiquées  par  la  Chambre  de  Justice  et  par  les 
financiers  qui  craignaient  des  poursuites,  en  ont  fait  disparaître 
d'autres  ;  ce  qui  nous  en  reste  est  extrêmement  dispersé,  et 
d'utilisation  difficile.  A  partir  de  1661,  au  contraire,  l'ordre 
une  fois  rétabli  dans  l'administration,  les  comptes  et  papiers 
de  toutes  sortes  ont  été  tenus  avec  plus  de  soin;  des  statistiques 
d'ensemble  ont  été  dressées,  des  enquêtes  méthodiquement  pour- 
suivies; les  documents  nous  sont  parvenus  en  séries  beaucoup 
plus  complètes,  l'organisation  du  dépôt  des  Archives  nationales 
nous  a  conservé  des  collections  assez  riches;  enfin  la  publication 
des  papiers  de  Colbert  facilitait  considérablement  mon  travail. 

Un  autre  motif  s'ajoutait  à  celui-là  pour  me  faire  choisir  cette 
période.  La  puissante  personnalité  de  Colbert  donne  à  ces  vingt- 
trois  années  un  caractère  et  une  importance  exceptionnels.  Le 
ministre  avait  un  plan  systématique  de  réformes,  qu'il  a  déve- 
loppé avec  clairvoyance  et  ténacité  ;  il  a  introduit  l'ordre  par- 
tout, abandonné  les  expédients  ruineux,  rendu  l'autorité  du  roi 
incontestée.  Après  lui,' les  énormes  dépenses  pour  la  cour  et 
pour  la  guerre  amèneront  le  déficit  permanent,  le  retour  à 
l'ancienne  «  bursalité  »,  l'oppressio»  des  peuples;  les  attaques 
contre  le  régime  s'élèveront  publiquement;  au  lieu  de  perfec- 
tionner la  taille,  on  cherchera  à  la  remplacer,  parce  qu'on  recon- 
naîtra, avec  Vauban,  qu'elle  est  «  tombée  dans  un  tel  état  de 
corruption  que  les  anges  du  ciel  ne  pourroient  pas  venir  à  bout 
de  la  corriger  '  »  ;  douze  années  de  tâtonnements  aboutiront  à 
l'établissement  de  la  capitation,  puis  des  essais  contradictoires, 
tous  infructueux,  se  multiplieront  pendant  un  siècle,  et  l'œuvre 
de  réforme  commencée  par  Colbert  demeurera  au  point  où  il 
l'a  laissée  à  sa  mort. 

J'ai  le  projet  de  continuer  cette  étude  au  delà  des  limites  géo- 
graphiques et  chronologiques  que  je  lui  ai  fixées.  Mais  j'espère 
que,  telle  quelle,  elle  suffira  à  montrer  l'importance  de  la  taille 
dans  l'histoire  économique  et  sociale  de  l'ancienne  France,  et 
invitera  d'autres  travailleurs  à  poursuivre  avec  moi  l'enquête 
que  je  ne  fais  que  commencer  ici. 

1.  Mémoire  de  Vauban  sur  la  capitation,  169Ï,  dans  la  Corresp.  des  contrôleurs 
généraux,  t.  I,  p.  565. 


BIBLIOGRAPHIE 


I.  —   SOURCES   MANUSCRITES 

Archives  nationales. 

Série  G7  (fonds  du  contrôle  général)1. 
1.  Minutes  de  lettres  du  contrôleur  général  (1677-1685). 
71.  Correspondance  des  intendants  d'Alençon  (1677-1683). 
213.  Correspondance  des  intendants  de  Caen  (1678-1683). 
491-492.  Correspondance  des.  intendants  de  Rouen  (1678-1683) 2. 
551.    Lettres    adressées    par    des    particuliers   au    contrôleur    général, 
1681  et  années  suiv. 

1128-1129.  Mémoires  et  documents  sur  la  taille  (1688-1727). 
1837.  Documents  sur  le  conseil  des  finances. 

Série  K. 

870-900.  Documents  et  mémoires  sur  les  finances,   les  impôts,  les  Tré- 
soriers de  France  (la  plupart  se  rapportent  au  xvma  siècle). 
910.  Mémoire  sur  les  Trésoriers  de  l"&pargne  (1663). 

Série  KK. 

1885°.  Mémoire  anonyme  sur  les  finances  (fin  du  xvnc  siècle). 

Série  O  '  (Secrétariat  d'Etat  de  la  Maison  du  Roi). 

1-26.  Registres  des  expéditions,  1661-1683.  On  y  trouve  notamment  les 
brevets  de  la  taille,  et  les  commissions  pour  les  élections  dépendant  de  ce 
secrétariat  d'Etat  (celles  de  Normandie  ne  sont  pas  du  nombre  :  la  province 
était  rattachée  au  secrétariat  des  Affaires  Étrangères). 

Série  AD  (collection  Rondonneau)  : 

293  et  suiv.  Lettres  patentes,  édits  et  règlements,  par  ordre  chronolo- 
gique, à  partir  de  1661  (la  plupart  imprimés). 

Les  lettres  patentes,  édits,  et  règlements  sur  les  tailles  qui  se  trouvent 
dans  les  cartons  AD  ix,  470-471,  se  retrouvent  imprimés  dans  les  recueils 
législatifs  indiqués  ci-dessous. 

1.  Pour  l'histoire  de  ce  fonds,  voir  l'avant-propos  de  M.  De  Boislisle  dans  la 
Correspondance  des  contrôleurs  généraux,  t.  I  (Paris,  1874,  in-4°),  p.  lii-lix. 

2.  Les  années  1679  et  1681  sont  très  peu  représentées.  On  peut  y  suppléer  à 
l'aide  des  papiers  de  Leblanc,  Bibl.  Nat.,  mss.  fr.  8759-61bis,  indiqués  ci-dessous. 


BI1LIOGBAPH1 

.1  «uiv.  Minutes  des  arrêt»  du  Conseil,  rangés  par  ordre  chronolo- 

s.  il  relatifs  à  la  recherche  de  la  noblesse. 
Lrrétl  <l"  Conseil  relatifs  aux  finances. 

Si  h  if.  U. 

noires  sur  les  fonctions  des  élus  et  des  receveurs  des  tailles. 
iments  sur  les  attributions  des  cours  des  aides. 

Archives  de  la  Seine-Inférieure. 

ik  C  (Intendance  et  Bureau  des  finances).  —  Inventaire  par  Ch.  de 
Beaurep.ii 

1 164-1179.  Plumitifs  du  Bureau  des  finance»  \  1661-1683.  Un  registre  par 

:  il  manque  les  registres  des  années  1662,  67,  70,  71,  73  et  82. 
1381-1391.   États  de    distribution   des  finances  de  la  généralité,   années 
.  T.").  76,  77.  (Le  vol.  1381,  détérioré  par  l'humidité,  est 
en  partie  illisible.) 

1%63-1464,  Portefeuilles  contenant  des  édits,  déclarations  et  arrêts  du 
conseil  relatifs  aux  finance»,  Î661-t688  (collection  incomplète;  la  plupart 
des  pièces  sont  imprimées). 

1718-1108.  Ponds  des  élections  (rôles  de  tailles,  états  de  département,  etc.). 
Quelques  pièces  seulement  se  rapportent  à  la  période  1661-83,  et  concer- 
nent les  élections  d'Arqués.  IN'eufchâtel  et  Rouen. 

2215.  Mandements  de  l'intendant  de  Rouen  aux  paroisses,  1671-72. 
2319  et  21522.  Ktats  au  vrai  des  receveurs  des  tailles  de  Rouen  et  d'Evreux, 
la  liasse  2316  contient  ceux  de  Rouen  pour  la  période  1656-1660). 
I.  Correspondance  du  Bureau  des  finances,  1666  et  années  suiv. 
27.  Bordereau  de  voiture  de  deniers,  1666. 
2845.  Mémoire  sur  les  fonctions  des  trésoriers  de  Prance  (xvin*  siècle). 
2373-88.  Recueil  de  documents  «  sur  les  matières  rentrant  dans  la  com- 
étence    du    Bureau    des    Pinances  »,    formé  à  la  fin  du  xvine  siècle  par 
avocat  Lemaistre  -  (très  peu  de  documents  sur  la  taille). 

6-8.  Documents  sur  la  recherche  de  la  noblesse,  1666-68,  principale- 
ment dan»  l'élection  de  Caudebec. 

2464.  Registre  «lu  greffe  de  l'Election  de  Caudebec,  1666-73. 
2483-2531.    Plumitif  <ie   l'Election  de  Caudebec  (série  complète  pour  la 
■  le  1661-16 

I.  Plumitif  de  l'Élection  de  Neufchâtel. 
;  2696  et  2709.  Rôles  de  taille  de  l'élection  de  Neufchâtel,  1654-1670. 
.  Plumitif  de  l'Election  de  Rouen. 
2736.  Rôles  de  taille  de  l'Election  d'Andely. 

S.l;: 

79-95.  Mémoriaux  de  la  Chambre  des  comptes:  un  registre  pour  chaque 
année;  il  manque  ceux  de  1661,  16<">.>,  67,  81,  82  et  83.  Un  inventaire  des 
Mémorisas  est  publié  dans  les  Mémoires  de  la  Soc.  des  antiquaires  de 
Normandie,  |«  série,  U  VU!     I 

Partis  non  inventoi  . 

Archives  de  la  Cour  des  aides,  comprenant  quatre  séries  principales  : 

i tiennent  les   procès-verbaux  des  délibérations  du  Bureau. 
m  •■  tenante  :  ainsi  un  acte  du   15  mai  166.Ï  est  i 
a  In  date  du  22  mai  (v..l.    Il(i7.   fol.  117  v  ).  et  le  scribe  déclare  en  tète  qu'il  la 
f°'1  '  «le  ».  Le»  affaires  relatives  a  la  taille  j  tiennent  peu  de  place. 

roi*  quelques  détail»  sur  le  personnage  dans  unnrt.  de  M.  Carré,  da 
tioa  française,  t.  XXM  (1894),  p. 


!' 


IHBLIOGnAPHIE.  XV 

1°  les  Mémoriaux,  où  sont  enregistrés  les  actes  émanant  du  pouvoir 
central  (t.  XL  et  suiv.); 

2°  les  Registres  du  conseil,  contenant  les  règlements  et  arrêts  de  la  Cour; 
3°  Plumitifs  des  audiences,  souvent  difficiles  à  déchiffrer  ; 
4°  les  Requêtes  introduites  devant  la  Cour. 

Archives  du  Calvados. 

Série  C  (Intendance  et  Bureau  des  finances). 

Cette  collection  est  extrêmement  riche  pour  l'époque  qui  nous  intéresse; 
elle  n'est  malheureusement  ni  classée  ni  inventoriée  *.  Je  ne  peux  ici  en 
donner  un  catalogue  exact,  de  même  que,  dans  le  cours  de  mon  ouvrage, 
je  n'ai  pu  y  faire  des  renvois  précis.  Voici  du  moins  les  principales  séries 
de  pièces  qu'elle  renferme  : 

1°  Fonds  du  Bureau  des  Finances  de  Caen.  —  Collection  importante  de 
plumitifs,  formant  une  suite  complète  pour  la  période  1661-1683  (un 
registre  par  année).  —  Collection  des  ordonnances  enregistrées  au  Bureau. 
Etats  du  roi  pour  la  distribution  des  finances  dans  la  généralité.  —  Etats  au 
vrai  de  receveurs  généraux  et  particuliers.  —  .btats  de  restes.  —  Procès- 
verbaux  de  chevauchées  des  Trésoriers  de  France.  —  Correspondance  et 
papiers  divers. 

2°  Fonds  des  Elections.  —  Election  de  Caen  :  plumitifs  ;  ordonnances  ; 
correspondance.  —  Election  de  Falaise  :  plumitifs.  —  élection  de  Vire  : 
procès-verbaux  d'exécutions  et  d'écrous.  —  Rôles  de  taille  de  diverses 
paroisses. 

3°  Fonds  de  V Intendance.  —  Ordonnances  de  l'intendant.  —  Rôles  de 
département  entre  les  paroisses. 

Série  G. 

Dans  le  fonds  de  l'Abbaye  de  St-Etienne,  terriers  de  Bretteville  l'Orgueil- 
leuse en  1666  et  1687,  de  E.ots  et  de  Noroy. 

Bibliothèque    nationale. 
1°   Fonds   des   Mélanges  Colbert. 

Cette  collection  et  les  deux  suivantes  contiennent  la  majeure  partie  des 
papiers  du  ministre.  L'histoire  en  a  été  écrite  par  L.  Delisle  dans  son 
ouvrage  sur  Le  Cabinet  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  Nationale, 
t.  I,  p.  439  suiv.;  voir  aussi  De  Boislisle,  Correspondance  des  contrôleurs 
généraux,  t.  I,  p.  vu,  notes  2  et  3. 

Les  100  premiers  volumes,  formant  les  «  Mélanges  »  proprement  dits, 
ne  contiennent  rien  sur  la  taille  2. 

Les  n03  101  à  176l,is,  formant  jadis  une  collection  séparée  connue  sous  le 
nom  de  Volumes  verts3)  comprennent  112  volumes  de  lettres  adressées  à 
Colbert  de  1656  à  1677  4  ;  elles  sont  classées  chronologiquement,  et  une 
double  table,  à  la  disposition  des  travailleurs,  en  facilite  la  consultation. 
Les    lettres    d'intendants    y    sont    abondantes    surtout   pour   la     période 

1.  Je  dois  des  remerciements  tout  particuliers  à  M.  l'archiviste  Besnier,  qui 
m'a  largement  ouvert  son  dépôt,  et  maintes  fois  aidé  dans  mes  recherches  à 
travers  cette  masse  de  documents  non  classés. 

2.  On  trouve  cependant,  au  vol.  33,  fol.  286-294,  le  mémoire  de  Pescheur  sur 
les  abus  de  la  levée  des  tailles  en  1665,  dînt  j'ai  cité  plusieurs  passages. 

3.  Depping  a  beaucoup  puisé  dans  cette  collection  pour  sa  Correspondance 
administrative  (voir  ci-dessous);  Jal,  dans  son  Dictionnaire  critique,  a  publié  éga- 
lement un  certain  nombre  de  ces  lettres,  mais  l'immense  majorité  d  entre  elles 
sont  encore  inédites. 

4.  On  y  trouve  aussi  quelques  minutes  de  lettres  écrites  par  Colbert,  et  des 
mémoires  joints  aux  lettres  des  correspondants. 


xv,  IIBLIOGRAPHI 

; r,66 ;  les  volumes  ai  iz  années  1667-1677  contiennent  princi- 

1.  s  correspondances  relatives  à  la  marine,  et  semblent  provenir 

des  bureaux  «I  «y.  .     .  . 

no«  177  -,  , -onstitucs   par  les  brevets  et  commissions  des 

tailles,  de  1661  I  1663  pour  les  brevets  et  de  1662  à  1681  pour  les  commis- 
sions (sauf  les  années  1667  et  167:5,  en  déficit)  l. 

Du  n°  26i  m  ii  :U0*  sont  les  registres  de  recettes  et  dépenses  du 
Trésor,  de  1662  à  1G«1. 

Les  derniers  volumes  (de  311  à  'i  16;  n'intéressent  pas  la  taille. 

2°   Fonds    des    Cinq    cent3    Colbert. 

Vol.  256  à  260.  État  et  évaluation  des  offices  de  judicature  et  de  finances 
du  royaumc'en  1665  *. 

161.  Tableau  des  paroisses  du  royaume,  rangées  par  généralités  et  élec- 
tions, en  1677.  ' 

17%.  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye  sur  la  généralité  de  Rouen 
en  1665  *  . 

3°    Fonds    Clairambault. 

Collection  formée  en  grande  partie  avec  des  papiers  provenant  de  Col- 
bert. 

'i'i'i -î'i8.  Mémoires  extraits  de  la  bibliothèque  du  Roi  pour  l'instruction 
du  Dauphin  (1661-1683). 

461-468.  Copies  de  lettres  de  Colbert  aux  intendants,  1679-1683.  La 
majeure  partie  en  a  été  publiée  par  Clément. 

474.  Documents  sur  la  population  du  royaume  au  xm*  siècle. 

500,  p.  585-596,  Mémoire  sur  les  fonctions  des  trésoriers  généraux. 

647.  Papiers  de  Colbert. 

659-660.  Inventaire  et  extraits  d'arrêts  du  conseil,  1661-1683. 

791-797.  Papiers  de  Colbert,  lettres  et  analyses  de  lettres  reçues  par 
le  ministre,  mémoires,  etc.,  surtout  pour  la  période  1670-1681  (complète 
la  collection  des  Volumes  verts). 

4°   Fonds   français. 

ï  222.  Pièces  119  à  133,  sur  les  impositions,  1643-1661. 
4  286.    Mémoires    sur  l'état   des   généralités  de  Rouen,  Caen,  Alençon, 
en  1698-99.  Copie  provenant  des  papiers  de  Letellier,  archevêque  de  Reims. 
:  i.  Tableau  des  impositions,  de  1688  à  1712. 
7  752.   Mémoire  sur  les  finances  de  la  France,  par  Mallet. 

7  771,  fol.  170-202.  «  Observations  sur  la  taille  »,  par  Lallemant  de 
Lévignen,  intendant  d'Alençon  *  :  mémoire  exécuté  en  vertu  de  la  lettre  du 
contrôleur  général,  du  22  février  1732. 

8  759  à  8  761bl».  Papiers  de  Leblanc,  intendant  de  Rouen.  Le  vol.  8  759 
contient  la  copie  des  lettres  adressées  par  Leblanc  aux  ministres,  du 
21  novembre  1675  an  7  mai  1677.  Au  vol.  8  761  se  trouve  la  suite  de  cette 
correspondance,  du  1er  janvier  au  20  novembre  1682.  (Les  lettres  de  1671 

1.  En  tétc  du  vol.  238  est  un  tableau  des  impositions  mises  sur  les  généralités 
de  1649  à  1660. 

i,  Les  vol.  ï\~  à  260  concernent  les  gabelles. 

3.  La  partie  concernant  la  généralité  de  Rouen  est  publiée  dans  mon  édition 
du  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  20.">  et  suiv. 

'«.Je  publie,  en  même  temps  que  cet  ouvrage,  une  analyse  et  des  extraits  de 
moire,  mais  il  sera  nécessaire,  parfois,  de  se  reporter  au  manuscrit. 

•">.  Noir  L.  Duval,  Lallemant  de  Le\ignan,  intendant  d'Alençon,  Alençon,  1902. 


BIBLIOGRAPHIE.  XVII 

à  1681  manquent.)  Le  vol.  8  760  contient  les  lettres  reçues  par  Leblanc, 
en  original.  Le  vol.  8  761"''',  intitulé  au  dos  «  Recueil  pour  la  taille  »,  ren- 
ferme d'importants  documents,  manuscrits  et  imprimés,  sur  la  taille  de  la 
généralité  de  Rouen,  du  14  mars  1676  au  18  décembre  1678'. 

11095.  Traité  des  tailles  (Le  dernier  acte  cité  est  de  novembre  1692.) 
Une  copie  s'en  trouve  au  ms.  14  089,  fol.  1-76. 

11  096.  «  Mémoire  concernant  l'imposition  et  levée  des  tailles  ordonnées 
par  S.  M.  être  faites  sur  les  dix-huit  généralités  des  pays  d'élections  de 
son  royaume  »,  rédigé  pour  Boucher  d'Orsay,  qui  fut  intendant  de 
Limoges  de  1711  à  1715  (voir  fol.  57  et  58).  L'acte  le  plus  récent  qui  y  est 
cité  est  d'avril  1690;  la  rédaction  né  doit  pas  être  de  beaucoup  postérieure 
à  cette  date  ;  une  allusion  à  la  capitation,  faite  au  fol.  58,  a  été  sans  doute 
introduite  après  coup.  Ce  mémoire  est  un  véritable  manuel  d'intendant 
pour  la  taille  ;  il  donne  de  précieux  renseignements  sur  la  pratique  de 
l'imposition,  spécialement  en  Normandie. 

11  149.  Recueil  de  deux  mémoires  :  l'un  (p.  1-63),  sur.  l'état  des  finances 
en  1688;  l'autre  (p.  65-131),  sur  les  finances  en  général.  Le  premier 
résume  les  rapports  des  commissaires  envoyés  dans  les  provinces  en  1687. 
(Voir  De  Boislisle,  Mémoire  de  Vintendant  de  Paris,  p.  781-6.) 

11924-11  933.  Documents  de  la  recherche  de  la  Noblesse  en  Normandie. 

14  089.  Recueil  de  traités  sur  la  taille.  Aux  fol.  1-76  est  une  copie  du 
ms.  11  095,  indiqué  ci-dessus  ;  aux  fol.  77  à  89,  un  <c  recueil  de  prononcia- 
tions »  sur  la  taille,  à  l'usage  d'un  intendant;  aux  fol.  113-232,  «  Maximes 
de  la  cour  des  Aydes  de  Paris,  année  1683  ».  On  y  trouve  d'utiles  rensei- 
gnements sur  la  pratique  administrative. 

16  898-16  900.  Recherche  de  la  noblesse  de  la  généralité  de  Rouen,  faite 
en  1667  par  Barin  de  la  Galissonnière. 

17  311.  Papiers  de  Séguier  relatifs  à  la  taille. 

18  479.  Id.  Pièces  concernant  les  trésoriers  de  France,  les  élus  et  les 
intendants  (1649-1653). 

21  419.  «  Règlements  sur  les  tailles  »  :  compilation  méthodique  de  ces 
règlements,  faite  en  1690  ou  peu  après. 

21  442.  «  Traité  des  finances  de  France,  tiré  du  cabinet  du  feu  roy 
Henri  III,  dont  M.  Le  Vayer,  substitut,  a  l'original.  » 

21  812.  D'Aube,  «  Mémoire  concernant  les  fonctions  d'intendant  »,  1738. 
L'auteur,  neveu  de  Fontenelle  et  intendant  de  Caen,  puis  de  Soissons,  a 
résumé  dans  cet  ouvrage  les  connaissances  nécessaires  à  un  jeune  homme 
entrant  dans  l'intendance. 

Il  projetait  d'établir  à  Paris  «  une  espèce  de  noviciat  »,  un  séminaire, 
pour  recruter  les  intendants.  Son  travail  résume  exactement  les  devoirs  et 
les  attributions  de  la  fonction,  mais  il  s'applique  à  une  date  postérieure 
à  Colbert  d'un  demi-siècle. 

Nouvelles  acquisitions  du  fonds  français. 

\11 .  Etat  de  distribution  des  finances  pour  les  trois  généralités  de  Nor- 
mandie, année  1660. 
180.  Id.,  année  1661. 
184.  Id.,  1662. 
187.  Id.,  1665. 
189.  Id.,  1667. 

199.  Etat  des  recettes  et  dépenses  du  Trésor,  année  1674. 
207.  Id.,  1679. 

209.  Id.,  1682. 

200.  Brevets  de  la  taille,  années  1663,  1665  et  1672. 

1.  Les  lettres  de  Colbert  qui  se  trouvent  dans  cette  collection  ont  été  publiées 
par  Clément. 

LA    TAILLE    EN    NORMANDIE.  '•* 


Win  BIBLIOGRAPHIE. 

I  3(6.    Btftt  ou  vrai  de»  recettes  et  dépense»  faites  en  1678  par  Cousin, 
rai  (le  Caen. 
10.   Documents  sur  les  Trésorier»  généraux  :  recueil  formé  par 
Fournival  en  vue  de  son  ouvrage  (ci-dessous,  p.  17). 

Collections  diverses. 
Bibliothèque  Ste  Geneviève,  à  Paris. 
.M>.  \\1.  Mémoire  sur  la  Chambre  des  comptes  de  Paris,  vers  1670. 
Bibliothèque  municipale  de  Rouen. 

Ms.  2  706.  Traité  sur  la  Cour  des  Aides  de  Normandie,  provenant  de 
Jean  Bigot. 

Ms.  1890.  Abrégé  des  tailles. 

Ms.  3  316.  Propositions  de  réforme  de  la  taille. 

Archives  municipales  de  Bayeux. 

llùlcs  de  taille  des  paroisses  de  l'élection  de  Bayeux,  1663-1683. 

Archives  municipales  de  Rots  {Calvados'). 

BB  ï-7.  Registres  de  consentement  des  paroissiens,  1661-1681. 

II.  —  IMPRIMÉS 
SOURCES 

Je  ne  puis  donner  ici  tous  les  ouvrages  utilisés  au  cours  de  ce  travail. 
Ceux  qui  n'ont  été  employés  qu'accidentellement,  pour  des  points  particu- 
liers, sont  cités  dans  les  notes  aux  endroits  convenables. 

Je  renvoie  aussi,  pour  plus  de  détails,  aux  bibliographies  qui  se  trouvent 
dans  les  ouvrages  suivants  : 

Camus  et  Dupin,  Lettres  sur  la  profession  d'avocat,  et  bibliothèque  choisie 
des  livres  de  droit  qu'il  est  le  plus  utile  d'acquérir  et  de  connaître,  5°  éd., 
Paris.  18:5'*,  2  vol.  in-8,  au  t.  II  (notamment,  titre  VII,  art.  1-i,  et,  à  l'art.  5 
le  paragr.  4). 

Stourm,  liibliographie  historique  des  finances  de  la  France  au  xvin°  siè- 
cle, Paris.  1895,  in-8°  (surtout  les  chap.  i  à  vin). 

Vignes,  Histoire  des  doctrines  sur  l'impôt  en  France.  —  Les  origines  et 
les  destinées  de  la  Dixme  royale  de  Vauban,  Paris,  1909  (nombreuses  indi- 
cations d'ouvrages  peu  connus,  dans  le  texte  et  en  notes). 

A.  —  Recueils  législatifs. 

1°  Recueils  généraux  d'ordonnances*. 

Les  nombreux  recueils  généraux  d'ordonnances,  règlements,  arrêts  du 
Conseil  et  des  cours  souveraines  contiennent  tous  des  actes  relatifs  à  la 
taille:  mais  la  plupart  de  ceux-ci  sont  publiés  également  dans  les  recueils 
spéciaux  mentionnés  plus  bas,  où  on  les  trouvera  plus  facilement.  Je 
n'indique  ici  que  les  principaux  de  ces  recueils  généraux. 

1.  Sur  tous  ces  recueils,  voir  :  Aucoc,  Les  collections  de  la  législation  anté- 
rieure à  i'H'j  et  leurs  lacunes,  dans  les  Séances  et  travaux  de  l'Acad.  des  se.  mor. 
et  pol.,  1883. 


BIBLIOGRAPHIE.  XIX 

Guénois,  La  grande  conférence  des  ordonnances  et  édits  royaux,  distri- 
buée en  XII  livres...,  5e  éd.,  Paris,  1678,  3  vol.  in.  fol. 

La  lre  éd.  est  de  1596.  Dans  l'ouvrage,  les  ordonnances  sont  dépecées 
pour  faire  rentrer  chacun  de  leurs  articles  dans  un  cadre  méthodique  :  c'est 
ainsi  que  le  titre  XVI  du  liv.  X  contient  ce  qui  concerne  les  tailles. 

Néron  et  Girard,  Recueil  d'édits  et  ordonnances  royaux...  Nouvelle  édi- 
tion, par  Laurière  et  de  Ferrière,  Paris,  1720,  2  vol.  in-fol. 

De  nombreuses  éditions  avaient  été  publiées  avant  celle-ci,  qui  est  la 
dernière.  Celle  de  1666,  connue  sous  le  nom  de  «  Petit  Néron  »,  donne  les 
ordonnances  par  ordre  de  matières,  comme  Guénois;  celles  qui  concer- 
nent les  tailles  sont  aux  p.  982  à  1002.  L'édition  de  1720  les  donne  dans 
l'ordre  chronologique. 

Isambert,  Jourdan  et  Decrusy,  Recueil  général  des  anciennes  lois  fran- 
çaises, depuis  Van  U20  jusqu'à  la  révolution  de  1789,  Paris,  1822-27,  29  vol. 

Nau,  Abrégé  des  ordonnances  royaux  par  ordre  alphabétique...  3e  éd. 
Paris,  1664,  in-4°  (Bibl.  de  la  Faculté  de  droit  de  Paris,  n°  10709)., 

Papon,  Recueil  d'arrests  notables  des  cours  souveraines  de  France,  nouv. 
éd.,  Genève,  1637,  in-4°. 

Le  titre  XI  du  liv.  V,  p.  264  et  suiv.,  est  relatif  à  la  taille. 

Brillon,  Dictionnaire  des  arrêts,  ou  jurisprudence  universelle  des  parle- 
ments de  France  et  autres  tribunaux,  nouv.  éd.,  Paris,  1727,  6  vol.  in-fol. 

Journal  des  principales  audiences  du  Parlement  de  Paris,  par  Dufresne 
de  la  Guessière,  Nupied,  Duchemin,  dernière  éd.,  Paris,  1757,  7  vol.  in-fol. 

Froland,  Recueil  d'arrêts  de  règlement  et  autres  arrêts  notables  donnés 
au  Parlement  de  Normandie,  Paris,  1740,  in-4°. 

Recueil  des  édits,  déclarations,  lettres-patentes,  arrêts  et  règlements  du 
roy  registres  en  la  cour  de  Parlement  de  Normandie,  Rouen,  1755,  8  vol. 
in-4°  (Bibl.  Nat.,  Inv.,  F  12740). 

2°  Recueils  spéciaux  sur  la  taille  et  les  affaires  de  finances. 

Nouveau  code  des  tailles,  ou  recueil  par  ordre  chronologique  et  complet 
des  ordonnances,  édits,  déclarations,  règlements  et  arrêts  rendus  sur  cette 
matière...,  4e  édition,  Paris,  1761,  3  vol.  in-16. 

L'ouvrage  parut  pour  la  première  fois  en  1706  sous  le  titre  :  Recueil  des 
ordonnances,  édits,  déclarations,  réglemens  et  arrests  de  la  Cour  des  aydes 
de  Paris  sur  le  fait  des  tailles  depuis  1583  jusqu'à  présent.  1   vol.  in-12. 
Des  rééditions  successives,   avec   des  variantes  dans  le  titre,  parurent  en    • 
1712,  1723  et  1740;  un  supplément  à  l'éd.  de  1761  a  été  publié  en  1783  i. 

Je  renvoie  à  cet  ouvrage  par  l'abréviation  C.  d.  T. 

Réglemens  rendus  sur  le  fait  des  tailles  et  personnes  privilégiées,  aug- 
mentez des  édits,  déclarations  et  arrêts ,  tant  du  Conseil  que  de  la  Cour  des 
comptes,  aides  et  finances  de  Normandie  donnez  jusqu'à  présent,  Rouen, 
1710,  in-12. 

Une  première  édition  de  ce  recueil  avait  été  donnée  à  Rouen  en  1672  sous  le 
titre  :  Recueil  d' édits..,  concernant  Vauiorité,  compétence...  de  la  cour  des 
aydes  de  Normandie;  une  seconde  en  1692    sous   le  titre  :    Ordonnances, 

1.  Le  Code  des  Tailles  a  été  pendant  tout  le  xviii0  siècle  le  manuel  des  prati- 
ciens :  voir,  par  exemple,  une  lettre  du  subdélégué  de  Sainte-Menehould,  du 
15  mars  1776,  dans  Milhac,  Les  subdélégucs  en  Champagne,  p.  98,  n.  2. 


xx  i.i  i.i  i«>i.r.A  ru  il. . 

édits  el  déclarations  rcnrrrnanl  V autorité,  jurisdiclion  et  compétence  de  la 
c0ltr  j,  /,•  Normandie,  et  une  troisième  en  170:5,  intitulée  ;  Recueil 

de»  teilles  augmenté  en  cette  édition  des  édits...  et  arrests  tant  du  Conseil 
que  dr  lu  r,,,ir  des  ardes  de  Normandie... 

Je  renvoie  au  recueil  par  l'abréviation  :  Règlements  de  Normandie  ». 

Edict  du  ro)  sur  le  règlement  général  des  tailles,  [janvier  1634],  avec  les 
annulations  sur  iceluy,  Paris,  1658,  in-12  (Bibl.  Nat.  F  42609). 

Corbin,  Nouveau  recueil  des  edicts,  ordonnances  et  arrests  de  l'autorité, 
jurisdiclion  et  cognoissance  des  cours  des  ay des...  Paris.  1623,  in-4°. 
Une  lrC  édition,  sans  nom  d'auteur,  avait  été  publiée  en  1612*. 

D'Escorbiac,  Recueil  dédits,  arrests  et  réglemens  concernant  les  juges 
et  autres  officiers  royaux,  Paris,  1638,  in-fol. 

Recueil  des  édits...  concernant  la  justice  et  les  personnes  qui  l'admi- 
nistrent, Paris,  1638,  in-4°. 

Ouvrage  publié  par  ordre  du  Chancelier8. 

Du  Lys,  Recueil  des  ordonnances,  édicts,  déclarations,  lettres-patentes, 
depuis  le  roy  Jean  de  l'an  1350  jusqu'à  Louis  XIII  à  présent  régnant,  concer- 
nant V origine,  progrès,  création  et  reslablissement  des  eleus  particuliers, 
Paris,  1635,  in-12»  (Bibl.  Nat.,  F  42610). 

Recueil  des  édits,  déclarations  et  arrests  du  roy  concernant  la  Chambre 
des  comptes  [de  Rouen],  Rouen,  1702,  inl4°  (Arch.  S.  Inf.,  C  1463,  pièce  7)  *. 

Recueil  des  édits...  concernant  l'Epargne,  le  Trésor  royal  et  les  parties 
casuelles,  Paris,  1732,  in-4°. 

La  Maréchaussée  de  France,  ou  recueil  des  ordonnances,  édits...  concer- 
nent la  création,  établissement,  droits  et  privilèges  de  tous  les  officiers  et 
archers  des  maréchaussées,  Paris,  1697,  in-4°. 

Fournirai,  Recueil  général  des  titres  concernant  les  fonctions,  rangs, 
dignitez,  séances  et  privilèges  des  charges  des  Présidens  trésoriers  de 
France,  généraux  des  finances  et  grands  voyers  de  France...  Paris,  1655, 
in-fol.  (Le  privilège  est  daté  du  4  lévrier  1651  5.) 

Code  des  commensaux  de  la  maison  du  roi,  Paris  (Saugrain),  1720,  in-12. 

1.  Le  recueil  n'est  pas  complet;  il  y  manque  certains  édits  qui  furent  cependant 
enregistrés  à  la  Cour  des  aides  de  Normandie  :  par  exemple,  celui  d'août  1661 
sur  Ta  réduction  du  nombre  des  élus  (voir  son  enregistrement  dans  les  Mémo- 
riaux de  la  Cour,  t.  XL,  f"  41-44),  de  même  les  arrêts  du  conseil  des  4  juillet  1664 
(C.  d.  T.,  I,  j>.  555).  et  3  janvier  1665  (Arch.  Calv.,  Registre  d'ordonnances  de 
l'élection  de  Caen,  1664-1674,  fM  109-114). 

2.  L'ouvrage  de  Bagereau,  Leçons  et  décisions  notables  sur  les  ordonnances  des 
tailles  et  aydes,  Paris,  1624,  in-12,  est  insignifiant. 

3.  Autres  éditions  en  1690,  1712,  1737,  toutes  publiées  par  les  soins  du  gouver- 
nement. 

4.  Pour  la  chambre  des  comptes  de  Paris,  il  existe  un  recueil  semblable,  dont  la 
dernière  édition  a  été  donnée  en  1738  par  Gosset,  3  vol.  in-4". 

5.  Sur  cet  ouvrage,  voir  ci-dessous,  p.  47.  Une  suite  en  a  été  publiée  par 
Du  Bourgneuf  en  1745  sous  le  titre  :  Mémoires  sur  les  privilèges  et  fonctions  des 
trésoriers  de  France,  2  vol.  in-4°,  avec  une  Table  générale  et  chronologique  des 
ordonnances  concernant  les  mêmes  officiers. 


BIBLIOGRAPHIE.  XXI 


B.  —  Documents  sur  les  finances  et  les  institutions 
administratives  '. 

Argouges  (d'),  procès-verbal  de  la  généralité  de  Moulins  en  1686,  publ. 
par  Yayssière,  Moulins,  1892. 

Auber,  Mémoire  concernant  les  tailles  et  les  moyens  de  faire  cesser  les 
abus  qui  se  commettent  dans  son  imposition,  Paris,  1721,  in-4°. 

L'auteur  était  receveur  des  tailles  de  l'élection  de  Caudebec  et  commis- 
saire pour  l'établissement  de  la  taille  proportionnelle  dans  l'élection  de 
Beauvais.  Il  donne  des  détails  utiles  sur  la  pratique  de  l'imposition. 

Auger,  Traité  sur  les  tailles  et  les  tribunaux  qui  connaissent  de  cette 
imposition,  Paris,  1788,  4  vol.  in-4°. 

Les  trois  premiers  volumes  renferment  les  principales  ordonnances  sur 
la  taille,  en  vigueur  à  la  Cour  des  aides  de  Paris  à  la  fin  du  xvm8  siècle; 
le  quatrième  contient  un  traité  sommaire  de  l'impôt.  L'auteur  était  avocat 
du  roi  en  l'élection  de  Paris  2. 

Avis  du  désordre  qui  est  à  présent  à  V assiette  des  tailles  et  de  Vordre 
qu'il  r  faut  apporter,  s.  1.  n.  d.,  in-4°  (un  ex.  Bibl.  Nat.,  Rec.  Thoisy,  vol. 
443,  fol.  155  et  suiv.). 

Au  même  vol.  de  la  collection  Thoisy  se  trouvent  divers  autres  docu- 
ments imprimés  sur  la  taille. 

[Bellet-Verrier],  Mémorial  alphabétique  des  choses  concernant  la  justice, 
la  police  et  les  finances  de  France.  3e  éd.,  Paris,  1713. 

La  première  éd.  est  de  1697;  la  seconde,  de  1704.  Une  nouvelle  fut 
donnée  par  Duchemin  en  1742. 

Malgré  son  titre,  l'ouvrage  ne  traite  que  des  matières  concernant  la  taille, 
et  donne  surtout  la  jurisprudence  de  la  Cour  des  aides  de  Paris. 

Boisguilbert,  Le  détail  de  la  France,  ou  traité  delà  cause  de  la  diminu- 
tion de  ses  biens  et  des  moyens  d'y  remédier,  Rouen,  1695,  in-12. 

Id.,  Factum  de  la  France,  Paris,  1706. 

Sur  l'auteur  et  les  diverses  éditions  de  ses  œuvres,  v.  les  ouvrages  de 
Cadet  et  de  Horn,  indiqués  ci-dessous.  Je  renvoie  toujours  à  l'éd.  de  1707, 

De  Boislisle,  Chambre  des  comptes  de  Paris.  Pièces  justificatives  pour 
servir  à  l'histoire  des  Premiers  présidents,  1506-1191,  Nogent-le-Rotrou, 
1873,  in-4°. 

Id.  Correspondance  des  contrôleurs  généraux  des  finances  avec  les 
intendants,  Paris,  1874  et  suiv.,  3  vol.  in-4°. 

Id.,  Mémoires  des  intendants  sur  Vétat  des  généralités  dressés  pour 
Vinstruction  du  duc  de  Bourgogne.  Tome  I,  mémoire  de  la  généralité  de 
Paris,  Paris,  1881  (coll.  de  doc.  inéd.). 

Publication  importante  par  les  notes,  l'introduction  et  les  appendices 
qu'y  a  ajoutés    l'éditeur.   Voir  notamment   les    documents    sur   la    taille, 


1.  Je  range  dans  les  documents  tous  les  ouvrages  antérieurs  à  1789. 

2.  Le  même  auteur  a  publié  les  remontrances  de  la  Cour  des  aides  de  Paris, 
de  1756  à  1775,  sous  le  titre  de  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  du  droit  public 
de  la  France  en  matière  d'impôts,  Bruxelles,  1779,  in-4°.  Cet  ouvrage,  très  impor- 
tant pour  l'histoire  financière  du  xvm6  siècle,  n'est  guère  utile  pour  notre  sujet. 


xxil  ini;i.ioi;i!Ai'Hii:. 

F.  865-544,  <  i  les  mémoires  sur  la  misère  en  1684-87,  p.  764-786.  Je  désigne 
ouvrage  par  le  titi-.-  abrégé  :  Mémoire  de  l'intendant  de  Paris. 

Bouchcl,  l.n   Bibliothèque  nu  trésor  du  Droit  français,  nouv.  éd.  par  de 

h«;fer,  1667,  3  vol.  in-fol. 
I...   I"  édition  est  de  1629.  Ce  qui  concerne  la  taille  est,  dans  l'éd.  de  1667, 
au  t.  III,  p.  618  et  suiv.  É 

Boulainvilliers,  Mémoires  présentés  à  Mgr  le  duc  d'Orléans,  régent  de 
France,  contenant  les  moyens  de  rendre  ce  royaume  très  puissant  et 
d' 'augmenter  considérablement  les  revenus  du  roi  et  du  peuple,  La  Haye 
et  Amsterdam,  1727,  2  vol.  in-12. 

A  la  fin  de  cet  ouvrage  est  inséré  (t.  II,  p.  111-226)  un  Extrait  d'un 
mémoire  de  Mr.  de  Fougerolles  en  il  11...  pour  assurer  les  revenus  du  Roi. 

Id.,  L'État  de  la  France,  Londres,  1727,  3  vol.  in-fol. 

('ailiers  des  Etats  de  Normandie...  publ.  par  Ch.  de  Beaurepaire  (Soc. 
de  l'Hist.  de  Normandie),  Rouen,  1876-87,  7  vol. 

Chasles,  Dictionnaire  universel,  chronologique  et  historique  de  justice, 
police  et  finances,  Paris,  1725,  3  vol.  in-fol. 

Chevillard,  Le  nobiliaire  de  Normandie,  s.  1.  n.  d.,  in-fol.  gravé. 

De  Claveret,  L'écuyer,  ou  les  faux  nobles  mis  au  billon,  Paris,  1665, 
in-12. 

Colbert,  Lettres,  instructions  et  mémoires,  publ.  par  P.  Clément,  Paris, 
1861-1882,  8  tomes  en  10  vol.  in-4°. 

Cette  publication  importante,  qui  donne  environ  5  500  lettres,  mémoires 
ou  ordonnances,  est  une  des  principales  sources  de  ce  travail.  Elle  ne 
contient  pas  tous  les  papiers  connus  de  Colbert  (cf.  l'Avertissement  du 
t.  VII),  mais  elle  en  réunit  une  masse  assez  grande  pour  faire  connaître 
dans  son  ensemble  l'œuvre  du  ministre.  La  table,  qui  forme  le  tome  VIII, 
en  facilite  beaucoup  l'utilisation.  Les  documents  sur  la  taille  sont  princi- 
palement aux  tomes  II,  1"  partie,  IV  et  VII.  Les  lettres  de  Colbert  sont 
malheureusement  trop  rares  pour  la  période  1661-69. 

J.  Combes,  Traité  des  tailles  et  autres  charges  et  subsides  tant  ordi- 
naires que  extraordinaires  qui  se  lèvent  en  France,  Paris,  1576  (B.  Hat. 
Lf**l);  nouv.  éd.  Paris,  1598.  C'est  le  premier  traité  spécial  sur  la  taille. 
L'auteur  était  avocat  à  Clermont. 

Couchot  et  Du  Roussaud  de  la  Combe,  Le  praticien  universel,  ou  le  droit 
français  et  la  pratique  de  toutes  les  juridictions  du  royaume,  8°  éd.,  Paris, 
1738,  2  vol.  in-4". 

Denisart,  Collection  de  décisions  nouvelles  et  de  notions  relatives  à  la 
jurisprudence  actuelle,  Paris,  1757,  2  vol.  in-4°;  nouv.  éd.  par  Camus  et 
Bavard.  Paris,  1783-90,  9  vol.  in-4°. 

Sur  cette  réédition,  voir  .  Du  pin,  Lettres  sur  la  profession  d'avurnt. 
n°  866.  Sauf  indication  contraire,  je  renvoie  à  l'éd.  de  1783. 

Depping,  Correspondance  administrative  sous  le  règne  dp  Louis  XLV, 
Paris,  1850-55,  4  vol.  in-4°.  (Coll.  de  Doc.  inéd.). 

Domat,  Les  lois  civiles  dans  leur  ordre  naturel,  le  droit  public  et  le  Legum 
delectus,  nouv.  éd.  Paris,  1777,  2  tomes  in-fol. 

La  !«•  éd.  est  de  1689  (Domat  est  mort  en  1695).  Le  traité  du  Droit 
public  (en  tête  du  t.  II)  contient  un  chapitre  très  clair  sur  les  finances. 


BIBLIOGRAPHIE.  XXIII 

Du  Crot,  Le  nouveau  traité  des  aydes,  tailles  et  gabelles.  Paris,  1636, 
in-12.  La  lre  éd.  est  de  1627. 

[Du  Lys],  Traité  sommaire  de  l'origine  et  progrès  des  offices,  tant  des 
trésoriers  de  France  que  des  généraux  des  finances,  fait  en  octobre  1618  ; 
de  l'union  et  multiplication  d'iceux,  Paris,  1618,  in-4°  *. 

L.  Duval,  Etat  de  la  généralité  d'Alençon  sous  Louis  XIV,  [Alencon], 
1890,  in-4°. 

Publication  du  mémoire  de  l'intendant  Pomereu  sur  la  généralité 
en  1698. 

Eon  de  Beaumont  (d'),  Essai  historique  sur  les  différentes  situations  de  la- 
France  par  rapport  aux  finances  sous  le  règne  de  Louis  XIV...  Amsterdam 
(Paris),  1753,  in-12. 

Id.,,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  générale  des  finances,  Londres, 
1758,  2  vol.  in-12.  ' 

Essai  sur  la  répartition  de  la-  taille  et  des  vingtièmes,  précédé  d'un 
examen  succinct  de  plusieurs  systèmes  sur  la  réforme  et  la  conversion  des 
impôts,  Londres  et  Paris,  1788,  in-4°  (un  ex.  aux  Arch.  Nat.  ADix  470170). 

L'auteur,  inconnu,  semble  être  un  intendant  de  province  :  cf.  p.  11. 

Encyclopédie  méthodique,  partie  Finances,  publ.  sous  la  direction  de 
Rousselot  de  Surgy,  Paris,  1784,  3  vol.  in-4°. 

Rousselot  de  Surgy  était  intendant  des  finances.  Quelques  articles  de 
l'ouvrage  sont  empruntés  à  Y  Encyclopédie  de  Diderot  et  Dalembert  (ils 
sont  marqués  d'un  astérisque),  mais  la  plupart  sont  originaux  et  excellents. 
L'art.  Taille,  dû  «  a  un  ancien  receveur  des  tailles  »,  est  très  développé 
(t.  III,  p.  637-681).  Voir  aussi  les  art.  Charges  publiques.  Collecteur,  Géné- 
ralités. Impositions,  Intendants,  Receveurs  généraux. 

Farin,  Histoire  de  la  ville  de  Rouen,  Rouen,  1668,  3  vol.  in-12.  Nouv. 
éd.,  Rouen,  1731,  6  part,  en  2  vol.  in-4°. 

De  Ferrière,  Dictionnaire  de  droit  et  de  pratique  contenant  l'explication 
des  termes  de  droit,  d'ordonnance,  de  coutumes  et  de  pratique,  avec  les 
juridictions  de  France,  nouv.  éd..  Paris,  1771,  2  vol.  in-4°. 

La  lre  éd.  est  de  1734;  la  majeure  partie  des  additions  et  corrections 
faites  ensuite  sont  dues  à  Boucher  d'Argis  (Dupin,  Lettres  sur  la  profession 
d'avocat,  n°  1257). 

Fleurv  (abbé  Cl.),  Institution  au  droit  français,  éd.  Laboulaye  et 
Dareste",  Paris,  1858,  2  vol. 

Forbonnais  (Véron  de),  Recherches  et  considérations  sur  les  finances 
de  France  depuis  l'année  1595  jusqu'à  l'année  1721,  Bâle,  1758,  2  vol.  in-4°. 

Une  édition  en  6  vol.  in-12  a  été  publiée  à  Liège  la  même  année;  mais 
je  renvoie  toujours  à  l'éd.  in-4°2. 

Foucault,  Mémoires,  publ.  par  Baudry,  Paris,  1862  (Coll.  de  Doc.  inéd.). 

1.  Sur  les  Trésoriers  de  France,  une  série  d'ouvrages  sont  indiqués  dans  le 
P.  Lelong,  Biblioth.  hist.,  t.  III,  n°!  34  032  et  suiv. 

2.  Sur  l'auteur  et  l'importance  de  son  ouvrage,  voir  la  notice  placée  en  tète  de 
ses  Fragments  économiques,  dans  la  Collection  des  principaux  économistes,  t.  I,  et 
Véron-Duverger, Etude  sur  Forbonnais,  Paris,  lOOO.L'étude critique  sur  les  tableaux 
de  recettes  et  de  dépenses  des  Recherches  et  considérations  publiée  par  M.  Bou- 
tarel,  dans  les  Séances  et  irai',  de  VAcad.  des  se.  mor.,  1904,  est  sans  valeur. 


XXIV  UIBLIOCHAl'HIE. 

Foucault  fut  intendant  de  Caen.  En  appendice  de  la  publication  sont  des 
-  et  I ault  et  de  Colbert. 

Gaultier  de  Biauzat,  Doléances  sur  les  surcharges  que  les  gens  du  peuple 
su/i/tiirlent  en  toute  es/ièrr  d'impôts,  S.  1.,  1788. 

Gauret,  Stile  du  conseil  du  Boy.  Paris,  169'*,  in-4°. 

Guyot  et  Merlin,  Traité  des  droits,  fonctions,  franchises,  exemptions, 
prérogatives  et  privilèges  annexés  en  Fiance  à  chaque  dignité,  office.*. 
Paris,  1786-88,  4  vol.  in-'i  ". 

[Hennequin],  Le  guidon  général  des  finances,  nouv.  éd.  par  S.  Hardy, 
«  receveur  des  tailles  et  aydes  de  l'eslection  du  Mans  »,  Paris,  1644,  in- 11'. 

La  première  édition  est  de  1581;  de  nombreuses  autres  suivirent  jus- 
qu'à celle-ci,  qui  est  la  dernière.  L'ouvrage  eut  une  grande  célébrité;  en 
1667,  Boileau  le  cite  encore  comme  le  manuel  courant  du  financier  (sat. 
VIII,  vers  184),  et  même  en  1727,  Bouthilier  de  Chavigny,  dans  ton  Dic- 
tionnaire des  finances,  le  recommande  aux  praticiens  (p.  234). 

Hoiiard,  Dictionnaire  analytique,  historique,  étymologique...  de  la  cou- 
tume de  Normandie.  Rouen,  1780-82,  4  vol.  in-4°. 

L'instruction  des  officiers  des  finances,  de  la  Chambre  des  comptes,  des 
trésoriers  de  France  et  autres  qui  reçoivent  et  distribuent  les  deniers  du 
roy,  Paris,  1662,  in-'«  . 

La  Barre,  Formulaire  des  esleuz,  auquel  sont  contenues  et  déclarées 
les  fonctions  et  devoirs  des  dits  officiers...  Rouen,  1622,  in-16  (un  ex.  Bibl. 
Nat.  Inv.  F  25  459). 

L'auteur  était  président  en  l'élection  de  Mortain  (voir  Annuaire  de  la 
Manche,  1848,  p.  302-310).  Il  donne  quantité  de  renseignements  et  d'ob- 
servations sur  les  usages  de  Normandie.  Une  seconde  édition,  identique  à 
la  première,  est  de  1627,  et  une  troisième,  très  peu  différente,  de  1629. 

Lambert  (Joseph),  Instructions  courtes  et  familières  sur  les  évangiles... 
en  faveur  des  pauvres,  et  particulièrement  des  gens  de  la  campagne,  Paris, 
1721,  in-12  (B.  Nat.  D  15  864). 

Le  sermon  pour  le  8e  dimanche  après  la  Pentecôte  est  tout  entier  con- 
sacré à  la  taille. 

Lange,  La  nouvelle  pratique  civile,  criminelle  et  bénéficiale,  ou  le  nou- 
veau praticien  français,  10°  édition,  Paris,  1706,  in-4°. 

Sur  les  diverses  éditions  de  l'ouvrage,  voir  la  bibliographie  de  Camus 
et  Dupin,  n°  1174. 

La  Poix  de  Fréminville,  Traité  général  du  gouvernement  des  biens  et 
affaires  des  communautés  d'habitans,  Paris,  1760,  in-4°. 

Le  chap.  i\  (p.  228  et  suiv.)  est  spécialement  consacré  à  la  taille. 

Lebeurier  (abbé),  État  des  anoblis  en  Normandie,  de  lobo  à  1661,  avec 
un  supplément,  Evreux,  1866. 

Le  Bret,  OEuvres,  nouv.  éd.,  Paris,  1689,  in-fol. 

Outre  le  Traité  de  la  souveraineté  du  Roy,  paru  en  1632,  ce  recueil 
contient  (p.  334-559)  les  plaidoyers  prononcés  par  Le  Bret  comme  avocat 
général  à  la  cour  des  Aides  de  1593  à  1599,  où  sont  traitées  beaucoup  de 
questions  relatives  à  la  taille. 

Lebrun  de  la  Rochette,  Le  procès  civil  et  criminel...  Plus  l'eslection  ou 
de  la  jurisdiction  des  esleus,  Lyon,  1618,  2  vol.  in-4°  (Bibl.  Nat.  Inv. 
F.  11  719). 


BIBLIOGRAPHIE.  XXV 

Lefebvre  de  la  Bellande,  Traité  général  des  droits  d'aides,  Paris,  1760, 
2  parties  en  1  vol.  in-4°. 

O.  Lefèvre  d'Ormesson,  Journal,  publ.  par  Chéruel,  Paris,  1860,  2  vol. 
in-4°  (Coll.  de  Doc.  inéd.). 

Le  Trosne,  De  l'administration  provinciale  et  de  la  réforme  de  l'impôt, 
Bâle,  1779,  in-4°. 

Loisel  de  Boismare,  Dictionnaire  du  droit  des  tailles,  ou  conférence  rai- 
sonnée  des  édits,  déclarations  du  roi,  arrêts  et  réglemens  de  la  Cour  des 
comptes,  aides  et  finances  de  Normandie...  Caen,  1787,  2  vol.  in-12. 

L  auteur  était  avocat  à  Lisieux.  Cet  ouvrage  donne  des  renseignements 
très  précieux  sur  la  jurisprudence  et  les  usages  de  Normandie,  mais  ils  se 
rapportent  surtout  au  xvme  siècle. 

Louis  XIV,  Mémoires  pour  l'instruction  du  Dauphin,  éd.  Dreyss, 
Paris,  1860,  2  vol. 

Loyseau,  Œuvres,  éd.  de  Lyon,  1701,  in-fol. 

Mallet,  Comptes  rendus  de  V administration  des  finances  de  la  France 
sous  Henri  IV,  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  avec  des  recherches  sur  l'origine 
des  impôts,  Londres,  1789,  in-4°. 

L'auteur  était  premier  commis  du  contrôle  général  sous  Desmaretz;  son 
travail,  précieux  surtout  par  les  tableaux  d'impositions,  a  été  fait  à  l'aide 
de  documents  authentiques  :  cf.  le  ms.  fr.  7  752  de  la  B.  N.  Sur  l'ouvrage, 
voir  De  Boislisle,    Corresp.   des  contr.   généraux,   I,  p.  xvm-xix. 

[De  Merville],  Maximes  générales  sur  les  tailles,  aydes  et  gabelles, 
tirées  des  ordonnances,  édits,  déclarations,   Paris,  1725,   in-12. 

Mirabeau  (marquis  de),  L'ami  des  hommes,  ou  traité  de  la  population, 
Avignon,  1756-58,    5  vol.  in-12. 

Moreau  de  Beaumont,  Mémoires  concernant  les  impositions  et  droits  en 
Europe,  Paris,  1768-1787,  5  vol.  in-4°. 

Le  t.  II  (ou  t.  Ier  de  la  seconde  partie)  est  consacré  à  la  taille.  L'auteur, 
intendant  des  finances,  avait  été  officiellement  chargé  de  la  publication  de 
cet  ouvrage  très  précieux  pour  nous. 

Necker,  De  l'administration  des  finances  de  la  France,  P.,  1784,  3  vol. 

Id.,   Compte  rendu  au  Roi  au  mois  de  janvier  1181,  Paris,  1781,  in-4°. 

Id.,  Eloge  de  Jean-Baptiste  Colhert,  discours  qui  a  remporté  le  prix  de 
V Académie  française  en  1773,  Paris,  1773. 

Ces  trois  ouvrages  ont  été  réédités  dans  les  Œuvres  complètes  de 
.¥.  Necker,  publ.  par  le  baron  de  Staël,  Paris,  1820,  15  vol. 

Pontas,  Dictionnaire  des  cas  de  conscience,  Paris,  1727,  3  vol.  in-fol. 
Rééd.  dans  l'Encyclopédie  de  Migne. 

Procès-verbal  des  séances  de  l'assemblée  provinciale  de  la  généralité  de 
Rouen,  Rouen,  1787,  in-4°. 

Id.,  de  Basse-Normandie,  Caen,  1788,  in-4°. 

Id.,  de  la  Moyenne  Normandie  et  du' Perche,  Généralité  d'Alencon, 
Lisieux,  1787,  in-4°. 

Sur  les  assemblées  provinciales,  voir  Condorcet,  Essai  sur  la  consti- 
tution et  les  fonctions  des  assemblées  provinciales,  t.  II  (sur  les  impôts), 


\\V|  ltlIlI.KKillAI'lli:    . 

«•1    De   I.ih-.iv,   l.rs   ,i  s  w//i l,l,'-rs  jnn^incinles  sous    Louis     \  17,    Paris,   1871. 

Rerueil  (1rs   mlr.s,    litres  rt  nirmoirrs   ronrrrnant  les  affaires  du   Clergé 

mer,  Paris  et  Avignon,  1768-1781,  13  vol.  in-4°. 
Voir  la  table  de  ce  recueil,  au  mot  Taille. 

/Irprrtoirr  univrrsrl  rt  raisonné  de  jurisprudence  civile,  criminelle,  c<um- 
nitjiie  et  briir/iiinlr,  publ.  sous  la  direction  de  P.  G.  Guyot,  nouv.  éd., 
P«rb,  178'»-85,  17  vol.  in-4°. 

De  Rochas  d'Aiglun,  Vauban,  su  famille  et  ses  écrits.  Ses  Oisivetés  et  sa 
correspondance,  analyse  et  extraits,  Paris  et  Grenoble,  1910,  2  vol.  in-4°. 

Publication  partielle  et  très  fautive  des  écrits  de  Vauban  :  voir  Bull,  de 
la  Soc.  d'il ist.  moderne,  juin  1912  (Xe  année,  p.  130-134). 

Saint-Pierre  (Ch.  I.  Castel,  abbé  de),  Mémoire  pour  rétablissement  de  la 
taille  proportionnelle,  s.  1.,  1717. 

ld.,  Annales  poliliaues,  Londres,  1758,  2  vol.  in-12,  nouv.  éd.  par 
Drouet,  Paris,  1912. 

Cf.  Goumy,  Etude  sur  la  vie  et  les  écrits  de  Vabbé  de  Saint-Pierre, 
Paris,  1859;  Drouet,  L'abbé  de  Saint-Pierre,  Paris,  1912;  et  l'ouvrage 
de  Paultre,  indiqué  ci-dessous. 

Saint-Simon,  Mémoires,  éd.  Chéruel  et  Régnier,  Paris,  1873,  22  vol. 
in-12.  —  Ed.  de  Boislisle,  Paris,  1878  et  suiv.  (en  cours  de  publ.;  24  vol. 
parus). 

Id.,  Ecrits  inédits,  publ.  par  Faugère.  Paris,  1880-83,  6  vol. 

[Saugrain].  Le  dénombrement  du  royaume  par  élections,  paroisses  et 
feux,  Paris,  1709.  Nouv.  éd.,  1720. 

Spanheim,  Relation  de  la  cour  de.  France  en  1690,  éd.  Bourgeois,  Paris 
et  Lyon,  1900. 

Turgol,  Œuvre*,  édit.  Daire,  dans  la  Collection  des  économistes  français 
du  xviiic  siècle,  18'i4,  2  vol. 

Vauban,  Projet  d'une  dixme  royale...  s.  1.,  1707,  in-4°. 

Sur  les  rééditions  de  cet  ouvrage,  les  polémiques  qu'il  a  soulevées,  et 
sur  1  auteur,  voir  le  travail  de  Maurice  Vignes,  cite  en  tête  de  ce  chapitre, 
et  les  ouvrages  sur   Vauban  indiqués  ci-dessous. 

Vieuille,  Nouveau  traité  des  Elections...,  Paris,  1739. 
L'auteur  était  élu  à  Saintes.  Ses  chapitres  décrivent,  en  se  référant  aux 
ordonnances,  toutes  les  opérations  de  1  imposition  !. 

Voltaire,  Le  siècle  de  Louis  XIV,  éd.  Bourgeois,  Paris,  1903,  in-16. 

\  ovsin  de  la  Xoiraye.  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen  (1665).  analyse 
et  extraits,  avec  notes  cl  appendices,  publ.  par  Ed.  Esmonin,  Paris,  19*13. 

1.  On  cite  parfois,  à  côte  de  cet  ouvrage,  celui  de  De  Vulson,  intitulé  également 
Traite  des  élections,  Paris,  1G«'J  (par  exemple  le  P.  Lelong,  t.  III,  n°  33  875),  mais 
u  traite  des  «  élections  d'héritiers,  contractuelles  et  testamentaires  ».  il  n'a  aucun 
rapport  avec  la  taille. 


BIBLIOGRAPHIE.  XXVII 


OUVRAGES 

1°   Ouvrages   généraux    sur   l'histoire  et  les   institutions. 

D'Arbois  de  Jubainville,  V administration  des  intendants  d'après  les 
archives  de  l'Aube,  Paris,  1880. 

Le  chapitre  II,  sur  la  taille,  ne  fait  guère  que  résumer  l'art.  Taille  du 
Répertoire  de  Guyot. 

G.  d'Avenel,  Richelieu  et  la  monarchie  absolue,  Paris,  1884-90,  5  vol. 

Babeau,  Le  village  sous  V ancien  régime,  Paris,  ,.1879,  in-12. 

Id.,  La  vie  rurale  dans  V ancienne  France,  Paris,  1882. 

Beaucorps  (Ch.  de),  L'administration  des  intendants  d'Orléans  de  1686 
à  1713,  Orléans-,  1911. 

Le  chap.  iv  (p.  52-93)  traite  de  la  taille. 

Bonnemère,  La  France  sous  L,ouis  XIV,  Paris,  1865,  2  vol. 

Id.,  Histoire  des  paysans  depuis  la  fin  du  moyen  âge  jusqu'à  nos  jours, 
Paris,  1874,  2  vol. 

Caillet,  L'administration  en  France  sous  le  ministère  du  cardinal  de 
Richelieu,  2e  éd.,  Paris,  1861,  2  vol.  in-12,  Voir  t.  I,  p.  398  et  suiv. 

Cans,  L'organisation  financière  du  clergé  de  France  à  'l'époque  de 
Louis  XIV,  Paris,   1910. 

Chéruel,  Histoire  de  France  sous  la  minorité  de  Louis  XIV,  Paris,  1879- 
80,  4  vol. 

Id.,  Histoire  de  France  sous  le  ministère  de  Mazarin,  Paris,  1883,  3  vol. 

Id.,  Mémoires  sur  la  vie  privée  de  Fouquet,  Paris,  1864,  2  vol. 

Id.,  Histoire  de  V administration  monarchique  en  France  depuis  l'avène- 
ment  de   Philippe-Auguste  jusqu'à  la  mort  de    Louis  XIV,    Paris,  1855, 

2  vol. 

Dareste,  Histoire  de  l'administration  et  des  progrès  du  pouvoir  royal  en 
France  depuis  le  règne  de  Philippe-Auguste  jusqu'au  règne  de  Louis  XIV, 
Paris,  1848,  2  vol. 

Id.,  Etudes  sur  les  origines  du  contentieux  administratif,  Paris,  1855-57, 

3  vol. 

R.  Dareste,  La  justice  administrative  en  France,  Paris,  1862;  nouv.  éd., 
Paris,  1897. 

Gaillardin,  Histoire  du  règne  de  Louis  XIV.  Récits  et  tableaux,  Paris, 
1871-76,  6  vol. 

Godard,  Les  pouvoirs  des  intendants  sous  Louis  XIV,  particulièrement 
dans  les  pays  d'élections,  de  1661  à  1715,  Paris,  1901. 

Les  chapitres  VII  et  VIII  exposent  le  rôle  des  intendants  dans  la  répar- 
tition et  la  levée  de  la  taille  ;  ils  sont  bourrés  d'inexactitudes.  Des  docu- 
ments utiles  sont  publiés  à  l'appendice. 

Lair,  Nicolas  Fouquet,  Paris,  1890,  2  vol. 


XXVIII  IIIHI.KMJIIAPHIB. 

Lange,  /.'/   Brutire  critique  des  conditions  et  des  institutions  sociales, 
Paris,  1909. 

Lavisso,    Histoire    de  France,   des   origines   à    1789,    Paris,  1900-1911, 
9  tomes  en  18  vol. 

Particulièrement  t.  VII,  lre  partie,  p.  188-193. 

A.  Leroux,  Introduction  de  l'Inventaire  sommaire  des  archives  départe- 
mentales de  la  Haute-Vienne,  série  C,  Limoges,  1891,  in-4°. 

Levasseur,  H-stoire  des   classes  ouvrières  et  de   l'industrie  en  France 
avant  1789,  2e  éd.,  Paris,  1901,  2  vol.  in  4°. 

11.   Monin,  Essai   sur  l'histoire    administrative    du    Languedoc  pendant 
l'intendance  de  Basville,  1685-1719,  Paris,  1884. 

Taine,  Les  origines  de  la  France  contemporaine.  L'ancien  régime,  26e  éd., 
Paris,  1907,  2  vol.  in  12. 

Warnkœnig,  FranzOsiscke  Staats-und  lîechtsgeschichte,  2e  éd.,  Bâle, 
1875,  3  vol. 

2°  Ouvrages  sur  les  finances,  et  en  particulier  sur  la  taille. 

Bailly,  Histoire  financière  de  la  France  depuis  Vorigine  de  la  monarchie 
jusqu'à  l'année  1828,  t.  II,  Paris,  1830. 

C.  Bloch,  Une  enquête  officielle  sur  la  taille  dans  la  généralité  d'Orléans, 
article  de  La  Révolution  française,  février  1898. 

De  Boislisle,  Les  intendants  et  la  taille,  dans  son  éd.  des  Mémoires  de 
Saint-Simon,  t.  III,  appendice  XV. 

L.  Bouchard,  Système  financier  de  l'ancienne  monarchie,  Paris,  1891, 
in-12. 

A.  Brette,  La  noblesse  et  ses  privilèges  pécuniaires  en  1189,  dans  La 
Révol.  française,  14  août  1906. 

F.  Cadet,  Pierre  de  Boisguilbert,  précurseur  des  économistes,  Paris,  1871. 

Callerv.  Histoire  de  la  taille  royale  aux  xvnc  et  xvme  siècles,  étude  des- 
tinée à  l  Histoire  des  institutions  financières  de  l'ancienne  France,  dans  la 
Rev.  des  Ouest,  hist.,  1882,  et  tirage  à  part,  Bruxelles,  1882. 

Etude  très  sommaire,  où  l'auteur  veut  réfuter  les  critiques  adressées 
habituellement  à  la  taille;  sa  thèse  est  loin  d'être  démontrée. 

Clamageran,  Histoire  de  l'impôt  en  France,  Paris,  1867-76,  3  vol. 

Cossa,  Histoire  des  doctrines  économiques,  trad.  de  l'italien,  Paris,  1899. 

Dessart,  Traité  de  l'impôt  foncier,  Paris,  1902. 

A.  Dubois,  Précis  de  l'histoire  des  doctrines  économiques  dans  leurs  rap- 
ports avec  les  faits  et  avec  les  institutions.  T.  I  (L'époque  antérieure  aux 
Physiocrates),  seul  paru  à  ce  jour,  Paris,  1903. 

P.  Duchemin,  L'impôt  sur  le  revenu  en  Normandie...  dans  la  Revue...  de 
la  Société  libre  d'agriculture...  de  l'Eure,  1897  (Ve  série,  t.  V). 

Dupré,  Mémoire  sur  les  anciens  impôts  directs  de  la  généralité  d'Orléans, 
dans  Congrès  scientifique  de  France,  18e  session,  1851,  t.  II,  p.  67. 


BIBLIOGRAPHIE.  XXIX 

Fspinas,  Histoire  des  doctrines  économiques,  Paris,  s.  d. 

Esquirou  de  Parieu,  Histoire  des  impôts  généraux  sur  la  propriété  et  le 
revenu,  Paris,  1856. 

Id.,  Traité  des  impôts,  nouv.  éd.,   Paris,  1872,  4  vol. 

Fournier  de  Flaix,  La  réforme  de  Vimpôt  en  France.  Tome  premier.  Les 
théories  fiscales  et  les  impôts  en  France  et  en  Europe  aux  xvne  et  xvme  siè- 
cles, Paris,  1885. 

L'ouvrage  n"a  pas  été  continué.  C'est  l'exposé  le  plus  complet  des  théories 
sur  l'impôt  avant  1789. 

De  Fréville,  Les  divisions  financières  de  la  France  avant  1789,  dans 
Y  Annuaire  de  la  Société  de  V  Histoire  de  France,  1840. 

Horn,  L'économie  politique  avant  les  Physiocrates,  Paris,  1873. 

De  Jouvencel,  Le  contrôleur  général  des  finances  sous  l'ancien  régime, 
Paris,  1901. 

G.  Lardé,  La  capitation  dans  les  pays  de  taille  personnelle,  Paris,  1906. 

De  Luçay,  Vimpôt  sur  le  revenu  et  en  particulier  sur  le  revenu  agricole 
en  France  au  XVIIIe  siècle,  dans  les  Comptes  rendus  de  l'Acad.  se.  mor., 
t.  CXLIX,  1898,  et  en  tirage  à  part. 

Marion,  L'impôt  sur  le  revenu  au  XVIIIe  siècle,  principalement  en 
Guyenne,  Toulouse,  1901  (collect.  de  la  Bibliothèque  méridionale). 

Id.,  Les  impôts  directs  sous  l'Ancien  régime,  principalement  au 
XVIIIe  siècle,  Paris,  1910  (Collect.  de  textes  sur  l'hist.  des  institutions  et 
des  services  publics  de  la  France  moderne  et  contemporaine,  publ.  sous 
la  direction  de  M.  C.  Bloch). 

Recueil  de  textes,  avec  une  bonne  introduction  et  une  bibliographie. 

De  Montyon,  Particularités  et  observations  sur  les  ministres  des  finances 
de  France  les  plus  célèbres  depuis  1660  jusqu'en  1791,  Paris,  1812. 
Le  premier  chapitre  (p.  20-79)  est  consacré  à  Colbert. 

Nouveau    dictionnaire    d'économie  politique,  publ.  sous  la  direction  de 
L.  Say  et  J.  Chailley,  Paris,  1891-1892,  2  vol. 
Voir  l'art.  Taille. 

Paultre,  La  «  taille  tarifée»  de  l'abbé  de  Saint-Pierre  et  V administra- 
tion de  la  taille,  Paris,  1903. 

Prouhet  (Dr).  Contribution  à  l'étude  des  assemblées  générales  des  commu- 
nautés d'habitants,  dans  les  Mém.  soc.  des  Antiquaires  de  l'ouest,  1902. 

Jos.  Rambaud,  Histoire  des  doctrines  économiques,  Paris,  1902. 

Stourm,  Les  finances  de  l'ancien  régime  et  de  la  Révolution.  Paris,  1882, 
2  vol. 

3°   Histoires  locales. 

Voiries  bibliographies  générales  de  : 

Frère,  Manuel  du  bibliographe  normand,  Rouen,  1858-60,  2  vol. 
Lavalley,  Catalogue  des  ouvrages  normands  de  la  bibliothèque  munici- 
pale de  Caen,  Caen,  1911-12,  2  vol. 


XX\  HIIII.IOMIAI'IIII    . 

La  plupart  des  ouvrages  indiquas  ci-dessous  ne  contiennent  que  de 
petits  renseignements  sur  la  taille. 

i;.)i.  i\.  Butoir*  i*  lu  ville  du  Havre  et  de  son  ancien  gouvernement, 
Le  Ha>ro.  M80-88,  9  vol. 

L.  Charles,  De  i administration  d'une  ancienne  communauté  d'habi- 
tants du  Maine,  Le  Mans,  1862. 

L.  Delisle,  Etude  sur  la  classe  agricole  et  Vétat  de  l'agriculture  en  Nor- 
mandie au  mm  en  âge,   Paris.   1851. 

Id.,  Des  revenus  publics  en  Normandie  au  XIIIe  siècle,  dans  la  Biblio- 
thèque dr  riîmle  des   Charles,  1848-49. 

P.  Duchemin,  Histoire  de  Bourg- Achard,  Pont-Audemer,  1890. 

Id.,  Histoire  de  Bourgthéroulde,  ibid.,  1888. 

Id.,  Histoire  de  Saint-Etienne  du  liouvray,  Rouen,  1892. 

Id.,  Sotleville-lès-Rouen  et  le  faubourg  Sainl-Sever.  Emendreville. 
Rouen,  1893. 

Id.,  Notice  historique  sur  Flcury-la-Forêt,  Gisors,  1893. 

Id.,  et  Saint-Denis,  Notices  historiques  et  statistiques  sur  les  communes 
dr  l  arrondissement  de  Berna?,  Elbeuf,  1885-90,5  vol.  in-16;  —  de  l'arron- 
dissement de  Pont-Audemer,  1892;  —  des  environs  d' Elbeuf',  Elbeuf, 
1885-90,  8  vol.  in-16. 

Id.  et  Lebreton,  Notice  historique  sur  Illeville,  Pont-Audemer,  1886. 

Dumaine  (abbé),  Les  sergenteries,  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  hirt...  de 
l'Orne,  t.  V  (1886),  p.  13. 

Floquet,  Histoire  du  parlement  de  Normandie,  Rouen,  1840-49,  7  vol. 

Hù.  Le  baillage  seigneurial  de  Pontlevoy...  I,  L'impôt,  Blois,  1884. 

Hunger,  Histoire  de  Verson,  Caen,  1908. 

Legrelle,  La  Normandie  sous  la  monarchie  absolue,  Rouen,  1903. 

Id.,  Notice  historique  sur  Pont  de  l'Arche,  Pont-de-1'Arche,  1900. 

Le  Prévost  (A.),  Anciennes  divisions  territoriales  de  la  Normandie,  dans 
YAnnuaire  historique  pour  1838,  p.  231  et  suiv. 

A.  Martin,  Histoire  de  la  ville  de  Saint-Romain  de  Colbosc  (Seine-Infé- 
rieure), Fécamp,  1892. 

Potiquet,  Tableau  général  de  l'élection  de  Chaumont  et  Magny, 
Magny,  1881. 

E.  Semichon,  Histoire,  de  la  ville  d'Aumale,  Paris,  1862,  2  vol. 

Sion,  Les  paysans  de  la  Normandie  orientale,...  Etude  géographique, 
Paris,  1909. 

Vitet,  Histoire  de  Dieppe,  Dieppe,  1844. 


LISTE    DES    ABRÉVIATIONS 


A.  U.  Archives  départementales  (du  Calvados  et  de  la  Seine- 

Inférieure). 
A.  Mun.  Archives  municipales. 

A.  N.  Archives  nationales. 

B.  Mun.  Bibliothèque  municipale. 

B.  N.  fr.  Bibliothèque   nationale,    Département   des   manuscrits, 

fonds  français. 

C.  d,  T.  Le  nouveau  Code  des  tailles  (ci-dessus,  p.  xix). 
Clairamb.  Biblioth.  nationale,  manuscrits,  fonds  Clairambault. 
Clém.                         Lettres,  instructions   et  mémoires    de    Colbert,   publiés 

par  P.  Clément  (ci-dessus,  p.  xxn). 

Cinq-Cents  Colb.  Bibliothèque  nationale,  manuscrits,  fonds  des  Cinq- 
Cents  Colbert. 

Depping,  Correspondance  administrative  sous  le  règne  de  LouisXIV, 

publiée  par  Depping  (ci-dessus,  p.  xxn). 

M.  C.  Bibliothèque  nationale,  manuscrits,  fonds  des  Mélanges 

Colbert. 

Mém.  alphab.  [Bellet-Verrier],  Mémorial  alphabétique  des  choses  con- 

cernant la  justice...  (ci-dessus,  p.  xxi). 

Néron,  Recueil   dédits  et  ordonnances   royaux,  par  Néron   et 

Girard,  éd.  1720  (ci-dessus,  p.  xix). 

Règlements  Règlemens  rendus  sur  le  fait  des  tailles...  de  Normandie, 

de  Normandie,         Rouen,  1710  (ci-dessus,  p.  xix). 


Tous  les  ouvrages  cités  dans  la  bibliographie  ou  dans  les  notes  sont  de 
format  in-8°,  sauf  indication  contraire. 

Les  textes  cités  sont  donnés  avec  l'orthographe  de  la  source  à  laquelle 
ils  sont  puisés. 

Tous  les  actes  législatifs  mentionnés  dans  ce  travail  se  trouvent  dans  les 
Règlemens  rendus  sur  le  fait  des  tailles...  de  Normandie,  à  leur  ordre 
chronologique,  sauf  indication  contraire. 


LA  TAILLE  EN  NORMANDIE 

AU  TEMPS   DE  GOLBERT 
(1661-1683) 


CHAPITRE    PREMIER 

LE   BREVET   DE   LA  TAILLE 


I.    LE    DROIT    D  IMPOSER.    El.    L  ADMINISTRATION    CENTRALE. 

m.  l'établissement  du  brevet 


I.   —   LE    DROIT   D'IMPOSER 

La  taille  était  l'impôt  que  le  roi  levait  sur  certains  de  ses 
sujets  à  raison  de  leur  fortune  ou  de  leur  revenu1. 

Impôt  royal,  la  taille  se  distingue  des  levées  faites  par  les 
seigneurs  sur  leurs  hommes  ou  par  les  communautés  sur  leurs 
membres.  Impôt  levé  sur  les  personnes,  elle  se  distingue  des 
taxes  sur  les  marchandises  vendues  ou  transportées,  comme  la 
gabelle,  les  aides,  les  traites,  les  droits  sur  le  tabac,  etc.  Enfin, 
impôt  proportionnel  à  la  fortune  ou  au  revenu,  elle  diffère  des 
impôts  sur  les  personnes,  comme  certaines  formes  de  capita- 
tion,  les  péages,  le  service  militaire,  etc. 

Le  nom  de  taille  désigna  à  l'origine  un  impôt  féodal  :  c'était 
la  redevance  perçue  par  le  seigneur  sur  ses  hommes;  le  roi  la 
leva  d'abord  sur  ses  domaines  propres  en  qualité  de  seigneur; 

t.  Cette  définitioni  est  à  peu  près  celle  de  tous  les  auteurs  qui  ont  traité  du 
sujet;  leur  énumération  formerait  une  liste  démesurée.  Je  me  borne  à  signaler 
une  définition  singulière  donnée  par  la  Cour  des  aides  de  Paris  dans  un  arrêt  du 
6  mai  1775  :  «  La  taille,  le  plus  ancien  des  impôts  directs,  est  celui  qui  se  lève  sur 
les  roturiers  non  privilégiés  dans  les  provinces  qu'on  appelle  pays  d'élections, 
c'est-à-dire  dans  celles  qui  n'ont  point,  d'états  provinciaux  »  (dans  Auger,  Mémoires 
sur  le  droit  public  de  la  France,  p.  t;59).  Il  y  a  là  une  grosse  erreur;  la  taille 
existait  également  dans  les  pays  d'états  :  la  Normandie  eut  des  états  jusqu'en 
1657  tout  en  payant  sa  part  de  taille;  le  Languedoc,  la  Provence,  la  Bourgogne, 
furent  dans  le  môme  cas.  11  est  curieux  que  le  plus  haut  tribunal,  celui  qui  jugeait 
en  dernier  ressort  les  affaires  relatives  à  la  taille,  n'ait  pas  su  définir  exactement 
cet  impôt. 

LA    TAILLE     EN    NORMANDIE.  I 


LA    TAILLE    BN    NORMANDIE. 


il  ne  l'étendit  qu'ensuite  à  ses  autres  sujets.  L'impôt  royal  s'ap- 
pela d'abord  aide,  fouage  ou  subside;  sans  changer  de  carac- 
tère, il  prit  plus  tard  le  nom  de  taille,  qui  lui  est  resté. 

L'origine  des  impôts  royaux  est  une  question  extrêmement 
complexe  '.  La  taille  en  particulier  doit  sa  naissance  aux  besoins 
d'argent  extraordinaires  des  rois  pour  la  guerre.  Elle  ne  fai- 
sait pas  partie  primitivement  des  droits  régaliens,  et  c'est  sous 
divers  prétextes  qu'elle  lut  d'abord  levée,  toujours  à  titre 
exceptionnel  et  temporaire;  au  bout  d'un  long  temps  seule- 
ment, par  habitude,  on  en  vint  à  la  considérer  comme  un  devoir 
régulier   des  sujets   envers    le  souverain.  Tantôt  les  rois  invo- 

3uèrent,  au  début,  le  principe  de  l'aide  féodale  :  tel  fut  le  cas 
e  Philippe-Auguste  partant  pour  la  croisade;  tantôt,  suivant 
la  théorie  des  légistes,  ils  s'appuyèrent  sur  la  loi  romaine,  qui 
faisait  du  droit  d'imposer  un  des  attributs  de  la  puissance  sou- 
veraine; tantôt  enfin  ils  firent  racheter  l'exemption  du  service 
militaire,  qu'ils  avaient  le  droit  d'exiger  de  tous. 

Mais  en  toutes  circonstances,  à  l'origine,  un  principe  était 
unanimement  admis,  c'est  que  le  souverain  hors  de  son 
domaine  n'avait  pas  le  droit  de  lever  des  impôts  à  sa  volonté; 
il  ne  pouvait,  comme  l'a  reconnu  Boulainvilliers,  «  exiger 
aucune  somme  des  vasseaux  des  seigneurs  si  eux-mêmes  n'y 
avoient  consenti  et  n'en  avoient  fait  l'imposition*  »;  il  deman- 
dait son  consentement,  soit  à  chacun  individuellement,  par  des 
négociations  privées,  soit  en  même  temps  à  tous  les  seigneurs 
d'une  région,  d'où  sont  nés  les  Etats  provinciaux,  soit  à  tous 
les  seigneurs  du  royaume  réunis,  et  c'est  l'origine  des  Etats 
généraux.  Pour  obtenir  ce  consentement,  il  devait,  en  général, 
justifier  de  besoins  exceptionnels.  Ainsi  l'impôt,  a  ses  débuts, 
fut  une  mesure  extraordinaire,  justifiée  par  les  circonstances. 
Ces  circonstances  se  multipliant,  la  taille  devint  permanente 
en  fait  sans  l'être  jamais  reconnue  en  droit.  C'est  un  peu  arbi- 
trairement qu'on  fixe  à  l'année  1439  le  début  de  l'impôt  per- 
manent. 

De  cette  origine,  il  est  resté  plusieurs  traces  au  xvne  siècle, 
dans  le  langage  et  dans  les  formes  de  l'imposition  :  la  taille 
continue    à    être    communément    qualifiée    par   les   théoriciens 

1.  Sur  cette  question,  qui  dépasse  le  cadre  de  cette  étude,  voir,  outre  les 
ouvrages  généraux  indiqués  dans  la  bibliographie,  les  introductions  de  Pastoret 
aux  t.  XV  et  XVI  du  Recueil  de»  ordonnances  des  rois  de  France;  Viollet,  llist.  des 
institutions  de  la  France,  t.  III,  p.  442  (avec  bibliographie);  Borrelli  de  Serres, 
Recherches  sut  quelques  services  publics,  1895-1904;  Vuitry,  Etudes  sur  le  régime 
financier  delà  France,  Paris,  18/8-1883;  Jncqueton,  Documents  relatifs  à  l'admi- 
nistration financière  en  France,  Z443-/523,  Paris,  1891  ;  Flammermont,  De  concessu 
legis  et  auxilii  XIII"  saeculo,  Paris,  1883.  —  L'ordonnance  de  1270  publiée  en  tête 
du  Code  des  failles  a  été  souvent  prise  par  les  historiens  anciens  pour  l'acte 
d'établissement  de  la  taille  royale;  en  réalité,  elle  concerne  uniquement  la  levée 
de  la  taille  dans  le  domaine  du  roi. 

2.  Etat  de  la  France,  éd.  1717,  t.  III,  p.  490,  Cf.  Ord.  des  rois  de  Fr.,  I,  371. 


LE    DROIT    D  IMPOSER.  3 

d'impôt  extraordinaire,  le  nom  de  «  revenus  ordinaires  »  étant 
réservé  pour  les  produits  du  domaine.  Le  roi  lui-même,  dans 
certains  actes,  fait  cette  distinction  ;  ainsi  l'Ordonnance  civile 
d'août  1669  qualifie  les  officiers  des  élections  de  «  juges  extra- 
ordinaires »,  et  le  commentateur  Bornier  explique  ainsi  cette 
expression  :  «  Les  tailles,  aydes,  gabelles  et  autres  impositions 
sont  matières  extraordinaires  dont  connoissent  les  officiers  des 
élections,  des  greniers  à  sel  et  des  autres  jurisdictions  extra- 
ordinaires créées  a  l'effet  d'entretenir  ces  nouveautez  qui  leur 
ont  donné  ce  nom»1.  Théoriquement,  la  Chambre  des  comptes 
ne  connait  que  des  revenus  ordinaires,  et  la  Cour  des  aides  que 
des  revenus  extraordinaires.  Il  n'est  pas  besoin  d'un  acte  légis- 
latif pour  lever  les  droits  domaniaux,  tandis  qu'une  ordonnance 
est  nécessaire  pour  les  autres  impôts;  c'est  ainsi  que,  pour  la 
taille,  le  roi  est  obligé  d'expédier  chaque  année  des  «  com- 
missions »  en  forme. 

Si  le  consentement  de  l'impôt  était  un  principe  de  droit  public 
pour  l'ensemble  du  royaume 2,  il  était  tout  particulièrement  néces- 
saire en  Normandie.  La  Charte  aux  Normands ,  de  mars  1315, 
en  son  art.  7,  consacrait  en  effet  le  privilège  de  la  province  de 
ne  payer  des  impôts  que  dans  les  circonstances  extraordinaires3; 
en  conséquence  la  levée  de  subsides  ne  pouvait  y  être  faite 
qu'avec  l'assentiment  des  intéressés  :  d'où  la  convocation  des 
Etats.  Chaque  «  aide  »  accordée  était  un  «  don  »  fait  pour  une 
fois  seulement,  «  de  pure  amour  et  grâce  »,  sans  obliger  les 
contribuables  pour  l'avenir.  Il  arrivait  que  ce  don  fut  refusé; 
ainsi  en  avril  1351,  les  députés  des  villes,  considérant  que  la 
province  a  le  privilège  de  ne  «  faire  aide  ou  subside  aucun  », 
n'accordèrent  pas  l'impôt  qui  leur  était  demandé.  En  avril  1458, 
le  roi  Charles  VII   après  avoir  repris   la  province  aux  Anglais, 

1.  Conférence  des  ordonnances  de  Louis  XIV...,  édit.  1755,  t.  I,  p.  447.  Pendant 
tout  le  xvme  siècle  cette  distinction  sera  conservée  (voir  Auger,  Principes  du  droit 
public,  p.  147;  Gaultier  de  Biauzat,  Doléances  sur  les  surcharges...  du  peuple,  1788, 
p.  45  et  suiv.  etc.).  Mais  dès  le  milieu  du  xvii*  siècle,  de  nombreux  auteurs  font 
observer  que  la  distinction  est  désuète  :  ainsi,  le  géographe  Davity,  dans  sa 
Description  de  la  France,  1626  (éd.  1660,  t.  II,  p.  30);  l'Etat  de  la  France  dès  sa 
première  édition  ;  un  traité  sur  la  Chambre  des  comptes,  contemporain  de  Colbert 
(Bibl.  Sainte  Geneviève,  ms.  412,  f°  121),  etc. 

2.  La  doctrine  est  formulée  avec  netteté  aux  Etats  de  1484,  où  les  députés  du 
tiers  déclarent  que  les  tailles  ne  peuvent  être  levées  sans  le  consentement  du 
peuple  et  que,  «  ayant  été  instituées  à  cause  de  la  guerre,  [elles]  devraient  être 
supprimées,  cette  cause  cessant  ».  Elles  sont  un  impôt  «  extraordinaire  »  et 
«  inique  »,  et  c'est  à  tort  que  les  gens  du  roi  «  s'appliquent  à  ce  que  les  tailles, 
de  même  que  le  reste  des  impôts,  et  tel  qu'une  redevance  royale,  se  maintiennent 
toujours  et  enfin  s'immortalisent  »  (Journal  de  Jean  Masselin,  publ.  par  Baudry, 
trad.  française,  p.  414  et  418  ;  cf.  le  cahier  d  î  commun  des  états,  p.  679).  Les  Etats 
du  xvi"  siècle  et  encore  ceux  de  1614,  formulèrent  toujours  la  même  théorie,  celle 
du  reste  qui  sera  reprise  en  1789. 

3.  «  Dores  en  avant,  par  nous  ou  par  nos  successeurs  en  ladicte  duchié  es  per- 
sonnes ou  es  biens  outre  rentes,  chevels  et  services  deus  à  nous,  tailles  ou  sub- 
vencions  ou  exactions  quelsconques  faire  ne  puissions  ne  ne  doions,  se  prouffit 
évident  ou  nécessité  grant  ne  le  requiert  ».  Ordonnances  des  rois  de  France,  t.  I, 
p.  552;  cf.  Goville,  Les  Etats  de  Normandie,  Paris,  1894,  p.  38. 


k  LA    TÀ1LI.I      I  I     \o  i:\l.VNDIE. 

lui  avait  renouvelé  ses  privilèges,  s'engageanl  notamment  à  ne 
lever  l'impôt  que  du  consentement  de  ses  trois  états*. 

h.s  [a  lin  dn  xiv"  siècle,  les  rois  l'appliquèrent  à  détruire  cette 
indépendance  locale,  et  ils  y  réunirent*  »  plusieurs  reprises; 
ii  partir  du  milieu  du  xvie  siècle  surtout,  ils  arrivèrent,  au  moyen 
de  subterfuges  et  de  ménagements,  à  lever  régulièrement  la 
taille  en  Normandie  sans  le  consentement  des  Etats. 

Le  procédé  le  plus  ordinaire  lut  de  ne  réunir  l'assemblée 
qu'après  avoir  donné  l'ordre  de  lever  l'impôt3.  Ainsi,  toute 
réclamation  devenait  inutile  :  le  roi  se  bornait  à  répondre  que, 
les  commissions  des  tailles  étant  déjà  expédiées,  il  ne  pouvait 
«  pour  cette  année  »  examiner  les  doléances  des  députés.  Vai- 
nement les  Etats  protestèrent  contre  ces  convocations  tardives4. 

Un  autre  subterfuge  consista  à  créer  des  impôts  nouveaux,  en 
tons  points  semblables  h  la  taille,  au  lieu  d'augmenter  celle-ci  : 
tel  lut  le  cas  pour  la  crue  des  garnisons,  le  taillon,  la  solde  des 
maréchaussées;  malgré  les  protestations  des  Etats,  ces  impôts 
furent  levés  «  au  sol  la  livre  »  de  la  taille,  sans  aucun  consen- 
tement15. 

Peu  à  peu  l'assentiment  des  contribuables  cessa  de  paraître 
une  condition  indispensable  à  la  levée  de  l'impôt,  et  le  roi  put 
sans  inconvénient  supprimer  la  régularité  des  assemblées.  A 
partir  de  1632  surtout,  les  réunions  s'espacent;  on  voit  passer 
deux  et  trois  ans  sans  convocation  :  de  1632  à  1657,  en 
vingt-six  ans,  il  n'y  en  a  que  cinq6.  A  partir   de  1657,  le   roi 

1.  «  Niai  per  convontionem  et  congregationem  gentium  trium  statuum  dicti 
ducatus,  sicut  factum  fuit  et  consuetum  temporeretrolapso.  »  Cf.  de  Beaurepaire, 
Cahiers  des  étals...  récites  de  Louis  A  ///  et  de  Louis  XII',  1. 11 1,  introduction  et  p.  130. 

2.  Voir  Coville,  Les  Etats  de  Normandie...  p.  187. 

3.  C'est  ainsi  que,  dès  le  xvi"  siècle,  on  prit  l'habitude  de  fixer  la  taille  de  la 
Normandie  avec  celle  des  autres  pays  d'élections,  alors  que  la  Bourgogne,  le 
Languedoc,  la  Provence,  le  Daupluné,  recevaient  des  commissions  séparées. 

4.  Cf.  sur  ce  point  et  sur  tout  ce  qui  suit  les  cahiers  des  états  depuis  le  règne 
de  Charles  IX  jusqu'à  1657,  publiés  par  De  Beaurepaire  dans  la  Collection  de  la 
société  de  l'histoire  de  Normandie,  et  l'introduction  du  dernier  volume  de  ces 
cahiers.  Voir  notamment  les  réclamations  des  Etats  de  novembre  1581,  de 
décembre  l.V.tf»,  et  de  décembre  1616.  Ce  n'est  guère  que  pendant  la  minorité  de 
Louis  XIII,  avec  un  gouvernement  très  faible,  que  les  Etats  obtinrent  satisfaction 
sur  ce  point.  Mais  il  arrivait  très  souvent  que  l'assemblée  fût  convoquée  en  jan- 
vier et  en  février  de  l'année  suivante.  Même  lorsque  les  Etats  invoquent  une 
famine,  comme  en  décembre  1623,  pour  obtenir  un  dégrèvement  d'impôts,  il  ne 
leur  est  rien  accordé.  Cf.  les  plaintes  du  président  Labatre  sur  l'inutilité  des 
remontrances  des  Etats  :  Formulaire,  p.  79.  Le  roi  laisse  souvent  s'écouler  un 
délai  considérable  avant  de  répondre  aux  cahiers;  par  exemple,  le  cahier  de 
décembre  1«>34  n'a  de  réponse  qu'en  avril  1638. 

5.  Cf.  déjà  les  plaintes  faites  aux  Etats  généraux  de  1484  (Journal  de  Masselin, 
p.  480-481)  et  aux  divers  Etats  de  Normandie  au  xvi*  siècle,  par  exemple  ceux  de 
novembre  1581  (Cahiers,  règne  </<•  Henri  III,  p.  140).  A  peu  près  aucune  réunion 
n'a  lieu  au  xvu«  siècle  sans  que  cette  protestation  s'y  rencontre.  Le  roi  répond 
par  exemple  en  1634  qu'il  «  n'ordonne  aucune  levée  de  deniers  qu'avec  bonne 
cognoissance,  et  Sadite  Majesté  les  emploie  utilement,  pour  le  bien  de  tout  son 
Estât  ». 

6.  En  1634,  1638,  1643,  1655,  et  1657.  La  réunion  de  1655  avait  été  datée  par 
erreur  de  1658  dans  le  t.  III  des  Cahier»  des  états,  règnes  de  Louis  XIII  et  de 
Louis  XIV,  mais  dans  l'Appendice  à  ce  volume,  M.  de  Beaurepaire  a  corrigé  cette 


LE    DROIT    D IMPOSER.  5 

s'abstient  complètement  de  réunir  les  Etats,  mais  aucun  acte  ne 
les  déclare  supprimés.  Longtemps  après  1657,  on  trouve  trace  de 
leur  survivance  ;  les  fonctionnaires  permanents  qui  agissaient  au 
nom  de  l'assemblée  dans  l'intervalle  des  sessions  (commissaires, 
procureur-syndic,  trésorier,  huissiers)  sont  conservés,et  reçoivent 
leurs  appointements;  jusqu'en  1664,  on  lève  en  Normandie  la 
«  crue  des  Etats  »  à  cet  effet1;  jusqu'en  1666,  le  roi  s'excuse 
chaque  année  dans  les  commissions  des  tailles  de  n'avoir  pas 
fait  assembler  les  Etats,  parce  qu'il  a  voulu,  déclare-t-il,  donner 
de  bonne  heure  «  les  ordres  nécessaires  pour  les  impositions 
de  ladite  année  prochaine,  afin  que,  les  choses  se  faisant  plus 
à  loisir,  avec  cognoissance,  l'égalité  soit  mieux  gardée  que  par 
le  passé  ».  Dans  des  lettres-patentes  du  17  novembre  1662,  il 
va  jusqu'à  se  déclarer  résolu  à  n'  «  apporter  aucun  changement 
aux  affaires  du  pays  et  à  l'ordre  qui  a  esté  de  tout  temps  gardé  » 
relativement  aux  Etats  2. 

Ces  innovations  ne  furent  pas  sans  provoquer  les  protesta- 
tions des  Etats.  Ceux  de  novembre  1643  disaient  au  roi  : 

«  Vostre  peuple  n'est  pas  criminel,  et  la  taille  qu'il  doibt  n'est  pas  un 
interest  de  satisfaction  pour  faute  qu'il  est  faite...  C'est  une  capitation, 
qui,  du  commencement  volontairement  consentie  pour  fournir  aux 

erreur  et  donné  un  cahier  plus  complet.  Les  Etats  de  février  1638  se  plaignent 
des  «  impositions  faites  d'autorité,  comme  en  pais  privez  de  la  liberté  desdits 
estats  »,  l'assemblée  n'ayant  pas  été  convoquée  depuis  trois  ans.  A  quoi  le  roi 
répond  :  «  Il  en  sera  usé  à  l'advenir  comme  par  le  passé  »  (Cahiers,  règne  de 
Louis  XIII,  t.  III,  p.  38),  réponse  cruellement  ironique,  car  cette  l'ois  le  roi 
attendit  cinq  ans  pour  les  réunir  à  nouveau. 

1.  Cf.  les  lettres-patentes  du  17  novembre  1662  pour  la  levée  de  la  crue  :  il  y 
est  dit  qu'elle  est  destinée  «  au  paiement  des  taxations  des  commissaires  desdits 
estats,  attendu  qu'ils  s'estoient  tenus  prêts  de  se  trouver  en  l'assemblée  desdits 
estats  comme  s'ils  eussent  tenu  »  (Mémoriaux  de  la  chambre  des  comptes  de 
Rouen,  A.  D.  Seine-Inférieure,  1663,  f°  41).  Ces  personnages  feignent  d'exercer 
leurs  fonctions  comme  si  elles  avaient  encore  quelque  raison  d'être;  par  exemple 
le  19  mars  1664,  le  procureur-syndic,  nommé  Aveline,  vient  déclarer  au  Bureau 
des  finances  de  Rouen  qu'il  est  obligé  de  s'absenter,  se  rendant  à  Paris  «  pour 
les  affaires  desdits  estats  »  (A.  D.  S.  Inf.  G,  1166,  f°  64).  Le  24  octobre  1661,  le 
même  Bureau  enregistre  les  lettres  de  commission  de  la  charge  d'huissier  des 
Etats  appartenant  à  Pierre  Viard,  qui  succède  à  feu  Pierre  Leleu  «  en  attendant 
la  première  tenue  desdits  estats  »  (Ibid.  G,  1164,  f°  186).  C'est  seulement  en 
décembre  1666  que  fut  remboursée  la  charge  de  procureur-syndic  (De  Beaure- 
paire,  Cahiers,...  règne  de  Louis  XIV,  t.  III,  p.  414). 

2.  Lettres  patentes  ordonnant  la  levée  de  la  crue  des  Etats  (A.  D.  S.  Inf. 
Mémoriaux  de  la  Chambre  des  comptes,  1663,  f°  48).  Dans  son  mémoire  sur  l'état 
de  la  généralité  de  Rouen  en  1665,  l'intendant  Voysin  décrit  le  fonctionnement 
des  Etats  delà  province,  comme  s'ils  se  réunissaientencore  régulièrement  (P.  11-12.). 
La  même  année,  l'avocat  de  Gomont,  dans  son  mémoire  à  Golbert  sur  la  réfor- 
mation de  la  justice,  cite  la  Normandie  parmi  les  pays  d'états,  ajoutant  toutefois 
qu'  «  il  n'y  en  a  plus  qu'une  ombre  »  (B.  N.  Clairamb.  613,  f°  171).  Voir  aussi 
Mélanges  de  la  Soc.  Hist.  Norm.,  t.  V,  p.  154-158,  une  lettre  de  Médavy  à  Mazarin. 

C'est  vers  le  même  temps  que  le  roi  détruisait  le**  Etats  de  Dauphiné,  par  les 
mêmes  procédés.  L'opération  est  bien  expliquée  par  l'intendant  Saron-Champigny 
dans  un  mémoire  du  15  mai  1665  :  lorsque,  dit-il,  le  roi  a  établi  des  élections  en 
Dauphiné  (en  mars  1628)  il  n'a  «  en  façon  quelconque  parlé  de  suppression  des 
estats,  et...  s'est  contenté  de  changer  la  forme  des  impositions,  en  sorte  que, 
s'estant  auparavant  approprié  les   gabelles  et   en    ayant  faict  une  ferme,    il   ne 


6  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

despenses  des  guerres  nécessaires,  et,  par  l'utilité  de  son  usage  et 
facilité  des  subjets,  tournée  dans  la  nécessité  de  vous  la  payer  tous  les 
ans,  encor  que  parmy  nous  elle  retienne  tousjours  son  premier  nom 
d'octroy,  et  que,  pour  ce  sujet,  en  toutes  les  provinces  lesquelles  ont 
retenu  la  liberté  des  estais,  elle  n'est  demandée  que  par  la  commission 
de  leur  convocation,  dont  elle  est  le  sujet  principal1.  » 

Et  ceux  de  février  1655  : 

«  Si  le  sujet  de  nos  assemblées  est  la  communication  des  volontés  de 
V.  M.  sur  les  levées  qu'Elle  demande  pour  l'année  suivante  (ce  qui 
montre  que  toute  autre  imposition  que  celle  qui  est  envoyée  par  la 
commission  de  la  tenue  de  nos  cstats  est  illégitime,  ladite  commission 
portant  tousjours  une  clause  de  stille  ordinaire  :  Défenses  aux  Tréso- 
riers de  France,  Eleus  et  tous  autres,  à  peine  de  la  vie,  d'imposer  autre 
ny  plus  grande  somme  que  celle  qui  y  est  employée),  nous  avons  bien 
sujet  de  plainte  d'un  abus  qui  s'est  introduit  depuis  notre  dernière 
assemblée,  d'ordonner  des  levées  par  simples  arrests  du  conseil*...  » 

Mais  ces  manifestations  demeuraient  sans  résultats  :  c'est  à 
peine  si  le  roi  daignait  y  répondre,  et  les  Etats  n'avaient  aucun 
moyen  d'empêcher  la  levée. 

À  maintes  reprises,  en  dehors  des  Etats,  les  Normands  reven- 
diquèrent leurs  privilèges.  En  1620,  dans  son  Formulaire  des 
esleuz,  le  président  La  Barre  ne  manque  pas  de  soutenir  qu'en 
la  province  «  ne  se  peuvent  faire  levées  de  deniers  sans  grande 
ceremonye  et  convention  des  trois  ordres  qui  y  ont  interest  à 
donner  leur  consentement;  autrement  les  levées  seroient  exac- 
tion et  substraction  de  l'autruy,  tenues  à  restitution  a  (p.  77). 
En  1650,  un  trésorier  général  de  Rouen  est  député  par  ses  col- 
lègues à  Paris  pour  protester  contre  la  forme  des  impositions, 
et  remontrer  «  que  nous  sommes  en  pays  d'Estats,  et  que  l'an- 
cien usage  n'a  esté  perverty  que  depuis  1643  ou  44  que  le  sieur 
de  Miromesnil  a  esté  intendant  en  nostre  generalhté*  ».  Les 
mazarinades  normandes,  comme  celles  de  Paris,  soutiennent 
fréquemment  que  tout  impôt  doit  être  consenti  par  les  sujets, 
que  le  roi  est  comptable  envers  ses  peuples,  que  les  Etats  de 
la  province  n'ont  jamais  renoncé  à  leur  droit...  En  1658,  la 
noblesse  normande  insurgée  se  plaint,  entre  autres  choses, 
que  les  Etats  de  la  province,  qui  se  doivent  réunir  tous  les  ans, 
ne  «  s'étaient  tenus   qu'une  fois  depuis    un  fort  longtemps,   et 

restait  plas  aucune  affaire  qui  peust  donner  occasion  d'assembler  les  estats; 
ainsy  sans  estre  suprimés  par  aucun  édict  et  déclaration  ils  l'ont  esté  en  effect; 
les  commis  du  pays  qui  ayoyent  soing  des  affaires  générales  n'ont  pas  laissé  de 
rester  et  de  s'assembler,  mais  comme  leur  pouvoir  n'estoit  que  a'exécuter  les 
résolutions  des  estats,  ne  s'en  tenant  plus,  ilz  restent  sans  fonction  »  (M.  C. 
129»",  f>  440).  V 

t.  De  Beaurepaire,  Cahiers...  règnes  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  t.  III,  p.   109. 

2.  Ibui.  p.  130,  131. 

3.  Lettre  du  sieur  de  Ridel,  trésorier  de  France  à  Rouen,  à  ses  collègues  du 
Bureau,  G  juillet  1650,  A.  D.  S.  Inf.,  C,  2346. 


LE    DROIT    D IMPOSER.  7 

encore  n'avait-on  pas  voulu  voir   leurs   cahiers  et  faire  raison 
sur  leurs  plaintes1  ». 

Ces  protestations  se  faisaient  facilement  jour  à  la  faveur 
de  la  faiblesse  du  gouvernement,  mais  elles  n'étaient  pas  bien 
appuyées.  Les  Etats  comme  les  corps,  trésoriers  généraux,  Par- 
lements, Cours  des  aides,  Chambres  des  comptes,  ne  pouvaient 
rien;  la  noblesse  vaincue  était  aussi  impuissante.  Le  roi  put 
mettre  la  Normandie  au  rang  des  autres  pays  d'élections 2  sans 
que  personne,  après  1661,  osât  faire  entendre  une  plainte.  C'est 
seulement  à  la  fin  du  xvme  siècle  qu'on  recherchera  les  anciens 
privilèges  de  la  province,  pour  en  demander  le  rétablissement3. 

Différentes  théories  étaient  invoquées  au  xvne  siècle  pour 
légitimer  les  impôts.  Nous  les  trouvons  exposées  dans  les  écrits 
des  gouvernants  ou  des  publicistes  de  leur  entourage. 

La  plus  simple  est  celle  de  Richelieu.  Elle  justifie  l'impôt  par 
la  nécessité  de  maintenir  les  sujets  dans  l'obéissance  : 

«  La  raison,  dit-il,  ne  permet  pas  de  les  exempter  [les  sujets]  de 
toutes  charges,  parce  qu'en  perdant  en  tel  cas  la  marque  de  leur  sujé- 
tion, ils  perdroient  aussi  la  mémoire  de  leur  condition,  et  que  s'ils 
estpient  libres  de  tribut,  ils  penseroient  l'estre  de  l'obéissance  ;  il  faut 
les  comparer  au  mulet  qui,  estant  accoutumé  à  la  charge,  se  gaste 
par  un  long  repos  plus  que  par  le  travail  *,  »  e,  n     i^V^o  ^ 

D'autres  invoquent  la  raison  d'Etat  ff  le  prince,  chargé  de 
gouverner  et  d'assurer  la  prospérité  publique,  demande  à  ses 
sujets  l'argent  nécessaire.  C'est  ce  qu'explique  Domat  : 

«  La  nécessité  des  deniers  publics  pour  faire  subsister  l'Etat  en 
paix  et  en  guerre  demande  les  contributions  d'où  ces  deniers  doivent 
se  tirer.  Ainsi  le  bien  commun  rend  juste  l'imposition  et  la  levée  des 
tributs  que  les  besoins  de  l'Etat  rendent  nécessaires 5.  » 

Un  Traité  des  tailles  écrit  vers  1690  nous  dit  : 

Les  tailles  «  servent  à  nos  roys  pour  deffendre  le  royaume  et  les 
peuples  que  Dieu  leur  a  commis,  pour  punir  les  rebelles  et  récom- 
penser les  fidelles.  Les  tailles  sont  pour  ainsi  dire  les  nerfs  de  la 

1.  Legrelle,  Les  assemblées  de  la  noblesse  de  Normandie  en  1658-59,  dans  les 
Mélanges  de  la  Société  d'Histoire  de  Normandie,  1892. 
I  2.  C'est  seulement  à  partir  du  moment  où  les  Etats  de  Normandie  et  ceux  de 
l  Dauphiné  furent  supprimés  que  l'on  put  identifier  les  pays  d'élections  avec  la 
région  où  le  roi  levait  les  impôts  de  sa  seule  autorité.  Auparavant,  cette  assi- 
milation était  inexacte,  puisque  les  deux  provinces,  quoique  pourvues  d'élections, 
possédaient  des  états  particuliers. 

3.  Voir  les  documents  réunis  aux  t.  V  et  VI  de  Hippeau,  Le  gouvernement  de 
Normandie...  et  la  brochure  de  D.  Lenoir,  La  Normandie,  pays  d'états,  1789. 

4.  Testament  politique,  t.  I,  p.  225.  Il  ajoute  que  les  impôts  doivent  être  modérés, 
pour  ne  pas  accabler  les  contribuables. 

5.  Les  loix  civiles  dans  leur  ordre  naturel...,  éd.  1756,  t.  II,  p.  27.  Cf.  au 
contraire  une  lettre  de  Le  Camus  sur  un  libelle  paru  en  1665,  M.  C.  130b",  f°  1083. 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


monarchie,  les  sûretés  et  le  maintien  de  la  guerre,  et  les  ornements 
de  la  paix;  donc  elles  sont  justes  suivant  l'équité  naturelle,  puisqu'elles 
s'emploient  pour  la  conservation  générale  de  tous  les  sujets  de  ce 
royaume;  ce  sont  d'ailleurs  des  devoirs  que  les  bons  sujets  doivent 
rendre  volontairement  et  sans  contrainte  '  ». 

Le  chanoine  Claude  Joly,  à  qui  son  érudition  juridique  don- 
nait en  son  temps  de  l'autorité,  déclare  : 

«  Les  impôts  sont  non  seulement  innocens,  mais  aussi  nécessaires. 
Je  dis  plus,  c'est  que  la  contribution  est  obligatoire  et  qu'elle  doit  se 
faire  en  conscience  par  ceux  qui  peuvent  y  satisfaire...  La  raison  en 
est  que  quand  l'impôt  estestabli  comme  il  doitl'estre,  selon  les  formes 
et  les  lois  approuvées,  il  appartient  à  la  république  *  ». 

Bossuet  dira  plus  brièvement  :  «  La  raison  fait  voir  que  tout 
l'Etat  doit  contribuer  aux  nécessités  publiques  auxquelles  le 
prince  doit  pourvoir3.  » 

A  ces  arguments,  les  jurisconsultes  et  les  théologiens  ajoutent 
l'autorité  du  droit  romain  et  celle  de  l'Ecriture  sainte.  «  L'on  a 
tenu  pour  maxime,  dit  Lebret,  qu'il  n'y  a  qu'eux  [les  rois]  qui 
aient  le  pouvoir  dans  leur  royaume  de  lever  des  impositions  sur 
les  peuples  de  leur  obéissance.  En  quoi  nous  avons  imité  la  loi 
romaine,  qui  dit  en  termes  exprès...  »  et  il  cite  le  Digeste  et 
Tacite;  pour  lui,  le  roi  de  France  a  hérité  des  droits  que  possé- 
dait l'empereur*.  Les  théologiens,  comme  Bellarmin,  et  encore 
Bossuet,  invoquent  le  passage  de   Saint  Paul  :  Reddite  Caesari 

Suae  sunt  Cnesaris  :  «  Rendez  donc  à  chacun  ce  que  vous  lui 
evez,  le  tribut  à  qui  est  dû  le  tribut,  la  taille  à  qui  elle  est  due, 
la  crainte  à  qui  est  due  la  crainte5.  » 

Tous  s'accordent  sur  la  nécessité  de  modérer  les  impôts  et  de 
ne  pas  accabler  les  sujets;  mais  leur  raison  principale  est  la 
crainte  :  «  Qui  presse  trop  la  mamelle,  dit  Bossuet,  pour  en  tirer 
du  lait  en  l'échauffant  et  la  tourmentant,  tire  du  beurre.  Qui 
presse  trop  les  hommes,  excite  des  révoltes  et  des  séditions6  ». 
A  côté  de  ces  théories,  anciennes  et  souvent  reprises,  nous 
en  trouvons  une  autre  qui  ne  fut  guère  en  faveur  qu'au  temps 
de  Louis    XIV.  Elle    fait  du   roi   le    seul  propriétaire   de   tous 

1.  B.  N.  fr.  14  089,  f°  6.  Cf.  encore  le  Dictionnaire  des  cas  de  conscience,  de 
Pontns  :  «  On  ne  peut  douter  de  la  justice  de  ce  tribut,  car,  puisque  l'Etat  forme 
un  corps  dont  chaque  particulier  est  membre,  il  est  nécessaire,  afin  que  ce  corps 
subsiste,  que  chacun  contribue  selon  son  pouvoir  à  sa  conservation...  »  (Art. 
Taille). 

2.  Traite  des  restitutions  des  grands,  Paris  1665,  p.  53.  Sur  l'importance  de 
Claude  Joly,  voir  Lacour-Gayet,  l'Education  politique  de  Louis  XIV,  p.  79  et  suiv. 

3.  l'olitique  tirée  de  l'Ecriture  sainte,  VI,  II,  §  3. 

4.  De  la  souveraineté  du  roy,  liv.  III,  ch.  vu.  Œuvres,  éd.  1689,  p.  109.  —  Cf. 
également  d'Espeisses,  au  début  de  son  Traité  des  Tailles,  dans  ses  Œuvres, 
éd.  1750,  t.  III,  p.  246. 

6.  Politique  tirée  de  PEcriture  sainte,  VI,  il,  3. 
6.  Ibid.,  X,  i,  7.  ' 


LE    DROIT    D  IMPOSER.  9 

les  biens  de  son  royaume;  tout  ce  que  les  sujets  prétendent 
posséder  est  en  réalité  à  lui,  il  ne  leur  en  laisse  que  la  jouis- 
sance ;  quand  il  réclame  l'impôt,  il  ne  fait  que  prendre  une  partie 
de  son  bien;  le  sujet  n'a  pas  plus  le  droit  de  le  lui  refuser 
qu'un  fermier  ne  peut  refuser  le  fermage  à  son  propriétaire. 

Cette  doctrine  est  à  la  vérité  ancienne  ;  Gerson  l'expose  et 
la  réfute1;  on  la  trouve  dans  l'entourage  du  roi  Charles  VII 
vers  le  temps  où  la  taille  devint  permanente;  aux  Etats  de  1468, 
Juvénal  des  Ursins  prit  la  peine  de  la  combattre2;  aux  Etats 
de  1484,  les  gens  du  roi  la  reprennent,  en  faisant  toutefois 
quelques  réserves  sur  son  application  3.  Bodin  la  discute  dans 
sa  République 4 ;  l'avocat  Grimaudet  la  réfute  également5;  Lebret 
fait  un  chapitre  spécial  de  son  Traité  de  la  souveraineté  sur  la 
question  de  savoir  «  en  quels  cas  le  prince  souverain  peut  dis- 
poser des  biens  des  particuliers  contre  leur  gré6  ».  En  Angle- 
terre, Hobbes  en  fait  un  exposé  complet,  et  les  traductions  de 
Sorbières  font  connaître  son  œuvre  aux  Français  7. 

Mais  elle  prend  une  importance  particulière  au  temps  de 
Louis  XIV  parce  qu'elle  fut  adoptée  par  le  roi  lui-même,  et 
nous  devons  spécialement  nous  y  arrêter.  Vers  1642,  un  petit 
traité  anonyme  destiné  à  l'éducation  du  jeune  roi  et  dédié  à 
la  reine  sa  mère,  déclarait  :  a  Nos  vies  et  nos  biens  sont  du 
roi...  qui  nous  en  souffre  par  sa  clémence  l'usufruit8  ».  Le  con- 
fesseur d'Anne  d'Autriche,  le  P.  Faure,  dans  un  libelle  écrit  en 

1652  avec  l'approbation  du  gouvernement,  demandait  encore  : 
«  Les  lois  ne  permettent-elles  pas  aux  rois  de  faire  ce  que  bon 
leur  semble?...  Voulez-vous  soutenir  que  nos  biens,  notre  sang, 

ït  même  nos  vies,  ne  soient  sous  l'absolu  pouvoir  du  roi?  »  Et 

1.  Contra  adulatores  Principum, tŒuvres,  éd.  Dupin,  t.  IV,  p.  622. 

2.  Discours  de  Juvénal  des  Ursins  au  roi,  cité  dans  Péchenard,  Jean  Juvénal  des 
Ursins  (1876)  p.  376  :  «  Quelque  chose  qu'aucuns  disent  de  vostre  puissance 
ordinaire,  vous  ne  pouvez  pas  prendre  le  mien:  ce  qui  est  mien  n'est  point 
vostre...  Vous  avez  vostre  domaine,  et  chacun  particulier  le  sien.  » 

3.  Journal  de  J.  Masselin,  p.  420. 

4.  Liv.  I,  ch.  vin,  éd.  1578,  p.  114.  Cf.  Du  Ghalard,  Ilemarques  sur  l'article  111 
de  l'ordonnance  de  1560,  dans  Néron,  t.  I,  p.  415. 

5.  Opuscule  VII,  dans  ses  Œuvres,  éd.  1623,  p.  521. 

6.  «  Quelques  anciens,  par  une  honteuse  et  servile  flatterie,  ont  mis  en  avant 
que  les  sujets  ne  possédoient  leurs  biens  qu'à  titre  de  précaire  et  d'usufruit,  et  que 
la  propriété  en  appartenoit  au  prince  par  droit  de  souveraineté...  Les  rois,  encore 
qu  ils  aient  une  puissance  absolue  sur  leurs  sujets,  toutes  fois  il  ne  leur  est  pas 

Î>ermis  d'occuper  injustement  le  bien  d'autrui  ni  de  chasser  les  propriétaires  de 
eurs  héritages  »  (Œuvres,  éd.  16S9,  p.  C0).  Lebret  renvoie  ù  différents  textes 
sacrés.  Cf.  Boehmer,  Introduclio  in  jus  publicum,  p.  250,  qui  distingue  les  Etats 
despotiques  par  le  fait  que  le  prince  y  est  propriétaire  de  tous  les  biens  de  ses 
sujets.  Voir  aussi  Loyseau,  Traité  des  seigneuries,  ch.  m,  7,  et  Dumoulin,  Com- 
mentaire de  la  coutume  de  Paris,  tit.  Ier  (Des  fiefs)  et  Bodin,  De  la  république, 
liv.  I,  ch.  vin. 

7.  Cf.  notamment  Essais  de  morale  et  de  politique,  2e  partie,  ch.  xxi  «  Que  le 
prince  a  tout  droit  sur  le  bien  de  ses  sujets,  c'est-à-dire  qu'il  en  est  le  maître  ». 

8.  Maximes  d'éducation  et  de  direction  puérile,  Paris  s.  d.  Voir  l'indication 
d'autres  ouvrages  soutenant  ou  combattant  cette  doctrine  et  destinés  également 
à  l'éducation  du  roi,  dans  Lacour-Gayet,  Y  Education  politique  de  Louis  XIV, 
liv.  II,  chap.  vin. 


10  LA    TAILLK    IN     NoitMANDIE. 

sa  réponse,  appuyée  sur  des  textes  de  l'Ecriture  sainte,  était 
affirmative  l.  Une  mazarinade,  le  Catéchisme  des  partisans,  sou- 
tient au  contraire  la  négative  en  termes  violents  :  «  Ce  sont 
maximes  impies,  damnables  et  abominables...  qui  n'ont  esté 
inventées  que  depuis  quelques  années  par  des  sangsues  popu- 
laires, par  des  hommes  de  gourmandise,  de  luxure  et  d'avarice, 
pour  servir  de  prétexte  aux  vols  et  aux  violences  qu'ils  ont  faites 
à  l'oppression  de  tout  le  monde,  qui  sont  cause  des  troubles  et 
des  mouvemens  que  nous  voyons2.  »  La  Mothe  Le  Vayer  exprime 
les  mêmes  sentiments  dans  sa  Politique  du  prince  3,  et  Claude 
Joly  dans  son  Recueil  de  maximes  attaque  violemment  «  l'audace 
et  l'extravagance  »  des  courtisans  qui  déclarent  les  rois  maîtres 
des  biens  de  leurs  sujets  4. 

La  théorie  fut  sans  doute  inculquée  de  bonne  heure  au  jeune 
roi;  en  tout  cas,  devenu  grand,  il  la  fit  sienne  et  voulut  l'ensei- 
gner à  son  fils.  Dans  ses  Mémoires  pour  l'instruction  du  Dau- 
phin, on  lit  en  effet  : 

«  Les  rois  sont  seigneurs  absolus  et  ont  naturellement  la  disposi- 
tion pleine  et  libre  de  tous  les  biens  qui  sont  possédés  aussi  bien  par 
les  gens  d'Eglise  que  par  les  séculiers...  Les  deniers  qui  sont  dans 
leur  cassette  [des  souverains],  ceux  qui  demeurent  entre  les  mains  de 
leurs  trésoriers,  et  ceux  qu'ils  laissent  dans  le  commerce  de  leurs 
peuples,  doivent  être  par  eux  également  ménagés s.  » 

Louis  XIV,  confirmé  dans  ses  convictions  par  son  entourage, 
ne  changea  pas  d'avis  jusqu'à  la  fin  :  en  1710,  il  fit  la  con- 
fidence suivante  à  Maréchal,  qui  la  rapporta  à  Saint-Simon  : 

1.  Réponte  du  P.  Faure...  sur  la  harangue  faite  à  la  reine  par  un  R.  P.  char- 
treux, Paris,  165:!,  cilé  par  Lacour-Gayet,  Y  Education  politique  de  Loui*  XIV, 
p.  429. 

2.  Catéchisme  des  partisans,  pnr  le  P.  Pierre  de  Saint-Joseph,  feuillant,  daté  du 
19  février  1649,  dans  Moreau,  Choir  de  Mazatinades,  t.  1,  p.  279.  —  Voir  encore 
la  Lettre  d'Advis  à  Messieurs  du  parlement,  ibid.  p.  387,  390;  le  Politique  uni- 
versel, quest.  Il,  p.  15  :  «  Nul  n'a  pouvoir  de  nous  oster  ce  qu'il  ne  nous  a  pas 
donné  ».  —  Cf.  bée,  Les  Idées  politiques  à  Cépoque  de  la  Fronde,  dans  la  Kevue 
d'histoire  moderne  et  contemporaine,  1897. 

3.  La  politique  du  prince,  Paris  1655  :  «  La  puissance  des  rois  a  encore  besoin 
d'estre  expliquée  à  l'égard  de  ce  qu'on  leur  fait  parfois  entendre  indiscrètement  et 
sans  restriction  qu'ils  sont  muitres  de  la  vie  et  des  biens  de  leurs  sujets  ■. 

.  4.  Recueil  de  maximes  véritables  et  importantes  pour  l'institution  du  roi,  Paris 
1652,  ch.  xi.  Sa  conclusion  est  a  que  les  rois  n'ont  pas  le  droit  de  mettre  des 
impôts  sur  leurs  peuples  sans  leur  consentement  ».  Cf.  son  Traité  des  restitu- 
tions des  grands,  Paris  1665,  ch.  ni. 

5.   Mémoires  de   Louis  XIV  pour   l'instruction   du   Dauphin,  éd.    Dreyss,    t.    H, 

F.  230,  et  t.  I,  p.  250.  On  pourrait  objecter  que  ces  phrases  représentent  plutôt 
opinion  des  rédacteurs  des  Mémoires  que  celle  du  roi  lui-même,  puisque  la  matière 
des  Mémoires  fut  fournie  en  grande  partie  par  les  ministres,  et  la  rédaction  faite 
par  des  secrétaires,  comme  Périgny  ;  mais  une  note  de  Périgny  lui-même  détruit 
celte  allégation  :  à  la  date  du  20  février  1666,  il  écrit  :  «  Réflexion  que  S.  M.  m'a 
suggérée  qu'un  roi  ne  doit  pas  avoir  plus  de  soin  de  ce  qu'il  pourrait  posséder 
•ous  son  nom  que  de  tout  le  reste  de  ce  qui  se  trouve  dans  ses  Etats  «  (Dreyss, 
t.  I,  p.  22).  Nous  avons  ainsi  la  certitude  que  le  fond  de  l'idée  appartient  bien 
au  roi.  Du  reste  la  rédaction  définitive  fut  relue  et  approuvée  par  Louis  XIV 
(Cf.  l'introduction  de  Dreyss). 


LE    DROIT    D  IMPOSER.  il 

«  Je  suis  à  bout  de  ressources  et  je  vois  que  j'opprime  et  que  je 
ruine  mes  peuples...  J'en  ai  parlé  à  mon  confesseur,  qui  m'a  dit  que 
tous  les  biens  de  mes  sujets  m'appartenoient  et  que  ce  qu'il  leur'res- 
toit  dependoit  de  moi  et  qu'ils  ne  le  tenoient  que  de  moi.  Je  vous  avoue 
que  je  ne  l'ai  pu  croire,  et  mon  confesseur,  voyant  qu'il  ne  pouvoit 
me  rassurer,  m'a  proposé  de  le  faire  consulter  en  Sorbonne.  J'en  ai 
été  bien  aise,  et  il  m'a  rapporté  la  consultation  conforme  à  son  avis 
signée  de  douze  docteurs,  tous  des  meilleurs.  Je  vous  avoue  que  cela 
m'a  ôté  un  poids  qui  m'accabloit.  Maintenant,  je  serai  fâché  de  faire 
de  la  peine  par  les  impôts,  mais  puisqu'il  n'y  a  plus  de  scrupule  et 
que  tout  est  à  moi,  cela  m'est  bien  différent1.  » 

Il  semble  bien  que  l'opinion  du  roi  ait  été  commune  à  la  Cour. 
Suivant  un  nouvelliste  qui  paraît  bien  renseigné,  le  duc  de 
Berry  aurait  répondu  en  novembre  1710  à  une  dame  qui  se  plai- 
gnait de  l'établissement  du  dixième  «  qu'il  n'y  avoit  que  de 
mauvais  sujets  qui  pussent  y  trouver  à  redire,  et  que  le  roi  pou- 
voit prendre  encore  davantage,  puisque  tout  lui  appartient2  ». 
On  sait  la  phrase  de  La  Bruyère  :  «  Dire  qu'un  prince...  est 
maître  absolu  de  tous  les  biens  de  ses  sujets,  sans  égard,  sans 
compte  ni  distinction,  c'est  le  langage  de  la  flatterie,  c'est  l'opi- 
nion d'un  favori  qui  se  dédira  à  l'agonie  3  ».  Bossuet  avait  la 
même  pensée  lorsque,  dans  sa  Politique  tirée  de  l'Ecriture 
sainte,  il  racontait  l'histoire  d'Achab  prenant  la  vigne  de 
Naboth  et  concluait  :  «  Le  crime  que  Dieu  punit  avec  tant  de 
rigueur,  c'est  dans  Achab  et  dans  Jézabel  la  volonté  dépravée 
de  disposer  à  leur  gré,  indépendamment  de  la  loi  de  Dieu,  qui 
était  aussi  celle  du  royaume,  des  biens,  de  l'honneur,  de  la  vie 
d'un  sujet*.  » 

L'opinion  fut  également  attribuée  aux  deux  ministres  Lou- 
vois  et  Colbert  :  Sandras  de  Courtils,  dans  son  Testament  poli- 
tique du  marquis  de  Louvois,  fait  dire  par  Louvois  au  roi  : 

«  Il  est  vrai  que  tous  vos  sujets  quels  qu'ils  soient  vous  doivent 
leur  personne,  leurs  biens,  leur  sang  sans  avoir  le  droit  d'en  rien 

1.  Saint-Simon.  Additions  au  journal  de  Dangeau,  publ.  par  de  Boislisle,  en 
appendice  aux  Mémoires,  t.  XX,  p.  370.  Cf.  les  Mémoires  eux-mêmes,  t.  XX, 
p.  169-170.  Maréchal  était  l'ami  intime  de  Saint-Simon  et  le  renseignait  sur  ce 
qui  se  passait  à  la  Cour.  Le  récit  de  Saint-Simon  a  été  contesté  par  le  P.  Bliard 
dans  Les  Mémoires  de  Saint-Simon  et  le  P.  Le  Tellier,  p.  371-377.  Mais  comme  l'a 
remarqué  de  Boislisle,  (op.  cit.  p.  169),  le  P.  Bliard  n'apporte  aucun  argument 
décisif.  Il  faut  observer  toutefois  que  le  récit  de  Saint-Simon  concorde  mal  avec 
le  passage  des  Mémoires  cité  plus  haut.  Il  est  possible  que  le  dialogue  n'ait  pas 
été  rapporté  de  façon  très  fidèle  et  que  Louis  XIV  ait  été  plus  disposé  que  ne  le 
dit  Saint-Simon  à  admettre  son  droit  de  propriétaire  universel. 

2.  Nouvelles  à  la  main  de  nov.  1710,  B.  N.  Nouv.  acq.  fr.  4037  f°  11. 

3.  Caractères,  éd.  Servois,  t.  I,  p.  384-5.  Les  commentateurs  admettent  qu'ici 
La  Bruyère  fait  allusion  à  Colbert  (Cf.  notamment  Ed.  Fournier,  La  comédie  de 
La  Bruyère,  p.  101),  mais  leurs  arguments  sont  insuffisants.  Cf.  ci-dessous, 
p.  12. 

4.  Politique  tirée  de  l'Ecriture  sainte,  liv.  VIII,  n,  §  3  et  4. 


12  LA    TAILLE    EN    NOltMANDIE. 

prétendre.  En  vous  sacrifiant  tout  ce  qu'ils  ont,  ils  font  leur  devoir 
et  ne  vous  donnent  rien,  puisque  tout  est  à  vous  '.  » 

Mais  dans  cet  ouvrage,  Sandras  fait  œuvre  de  polémiste  :  il 
veut  rendre  Louvois  odieux;  il  irivente  des  faits,  déforme  la 
réalité;  nous  n'avons  aucun  indice  qui  confirme  son  assertion. 

Un  autre  pamphlet  analogue  prête  à  Colbert  la  même  théorie; 
ce  sont  les  Soupirs  de  la  France  esclave  :  dans  son  deuxième 
mémoire,  daté  du  15  septembre  1689,  l'auteur  —  que  nous  ne 
connaissons  pas  —  affirme  que  Colbert  voulait,  par  une  ordon- 
nance, déclarer  le  roi  «  propriétaire  de  tous  les  fonds  et  de 
toutes  les  terres  de  France  »  ;  à  cet  effet  il  aurait  demandé  au 
voyageur  Bernier  un  mémoire  sur  la  façon  dont  les  despotes 
mahométans,  dans  l'Inde,  administraient  leurs  Etats  dont  ils  se 
déclaraient  entièrement  propriétaires,  et  c'est  en  réponse  que 
Bernier  aurait  écrit  sa  Lettre  à  Monseigneur  Colbert,  publiée  à 
la  suite  de  ses  Voyages2.  Cette  lettre,  qui  est  bien  authentique, 
est  un  réquisitoire  en  règle  contre  la  théorie  du  roi  proprié- 
taire universel3.  Il  est  très  probable  qu'effectivement  Colbert 
l'avait  sollicitée  de  Bernier,  avec  qui  il  était  en  relations  par 
l'intermédiaire  de  Chapelain.  Mais  on  n'en  peut  pas  conclure 
que  Colbert  ait  été  lui-même  partisan  d'un  tel  régime.  Dans 
les  neuf  volumes  de  sa  correspondance,  on  ne  trouve  pas  un 
mot  qui  confirme  l'assertion  des  Soupirs,  et  les  Soupirs  à  eux 
seuls  ne  sont  pas  probants  :  c'est  une  violente  critique  du  gou- 
vernement de  Louis  XIV,  des  ministres,  et  particulièrement  de 
Colbert.  Toutefois  un  des  auxiliaires  du  ministre,  Le  Vayer  de 
Boutigny,  qu'il  fit  nommer  intendant  de  Soissons,  et  qui  tra- 
vailla à  l'Ordonnance  de  la  marine,  fut  chargé  de  rédiger,  en  1682, 
un  traité  De  l'autorité  du  roi  en  matière  de  régale  pour  soutenir 
la  thèse  du  gouvernement  dans  le  débat  :  or  dans  cet  ouvrage,  la 
théorie  est  exposée  tout  au  long  :  elle  constitue  le  principal  argu- 
ment de  l'auteur  pour  établir  que  le  roi  a  le  droit  de  régale  dans 
tous  les  évêchés  du  royaume.  Divers  autres  mémoires  manus- 
crits sur  le  droit  de  régale,  conservés  dans  les  papiers  de  Col- 
bert, contiennent  le    même  développement4.   Les   seuls   adver- 

1.  Testament  politique  du  marquis  de  Louvois,  Bruxelles  1695,  in-12,  p.  81. 

2.  Les  Soupirs  de  lu  France  esclave,  éd.  originale,  2*  mémoire,  p.  4. 

3.  La  lettre,  qui  n'est  pas  datée,  est  rééditée  dans  les  Voyages  de  Bernier, 
Paris,  1830,  t.  I,  p.  273  et  suiv.  Bernier  dit  notamment  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que 
nos  monarques  d'Europe  fussent  ainsi  propriétaires  de  toutes  les  terres  que 
possèdent  leurs  sujets.  Il  s'en  faudrait  bien  que  les  royaumes  fussent  dans  l'état 
qu'ils  sont,  si  bien  cultivés  et  si  peuplés,  si  bien  bâtis,  si  riches,  si  polis  et  si 
florissants  qu'on  les  voit.  Nos  rois...  se  trouveroient  bientôt  des  rois  de  déserts 
et  de  solitudes,  de  gueux  et  de  barbares,  tels  que  sont  ceux  que  je  viens  de  repré- 
senter... Oter  cette  propriété  des  terres  entre  les  particuliers,  ce  serait  introduire 
en  même  temps  comme  par  une  suite  infaillible,  la  tyrannie,  l'esclavage,  l'in- 
justice, la  gueuserie,  la  barbarie,  rendre  les  terres  incultes  »,  etc.  Cf.  L.  de  Lenz, 
Les  correspondants  de  François  Dernier,  Angers,  1872. 

4.  On  le  trouve  encore  exposé  par  un  intendant  :  Basville,  dans  son  mémoire 
■ur  l'état  du  Languedoc  en  1698,  écrit  que  tout  le  royaume  est  le  domaine  du  roi, 


LE    DROIT    D  IMPOSER.  13 

saires  de  la  doctrine,  après  1661,  sont  les  adversaires  du  régime, 
Bayle,  Jurieu '  et  l'auteur  des  Soupirs,  ou  des  indépendants, 
La  Bruyère,  Saint-Simon,  Sandras  de  Courtils.  Seul  parmi  les 
serviteurs  du  roi,  Bossuet  a  esquissé  une  protestation,  mais 
très  voilée. 

Aussi  Louis  XIV  n'eut-il  pas  de  scrupules  soit  à  ajouter  le 
dixième  à  tous  les  autres  impôts,  soit  à  élever  la  taille  au  chiffre 
le  plus  haut  que  le  contribuable  pût  supporter.  Il  ne  voyait 
d'autres  limites  à  son  droit  que  les  ressources  de  ses  sujets. 
Il  écrivait  dans  le  préambule  des  lettres-patentes  ordonnant 
la  levée  de  la  taille  que  le  chiffre  de  l'impôt  étai,t  déterminé 
par  les  dépenses  qu'il  était  obligé  de  faire.  Il  eût  été  plus  juste 
de  dire  qu'il  le  déterminait  d'après  ce  qu'il  comptait  pouvoir 
tirer  des  contribuables.  Il  ne  voulait  pas  réduire  ceux-ci  à  la 
misère,  parce  que  «  la  misère  des  peuples  »  lui  faisait  «  de  la 
peine  »;  mais  il  jugeait  avoir  assez  fait  quand,  au  paysan  quitte 
d'impôt,  il  laissait  de  quoi  vivre.  Faire  rendre  à  la  taille  le 
maximum  compatible  avec  l'existence  des  contribuables  et  la 
sécurité  du  gouvernement,  telle  semble  avoir  été  en  dernière 
analyse  la  formule  de  sa  politique  fiscale.  Colbert,  sans  doute, 
avait  des  vues  plus  hautes.  Il  voulait  enrichir  les  «  peuples  » 
et  leur  rendre  l'impôt  le  moins  onéreux  possible;  mais  pour 
réaliser  ses  vues,  il  lui  eût  fallu  le  pouvoir  de  limiter  les 
dépenses  du  roi.  Réduit,  en  général,  au  rôle  de  pourvoyeur 
d'argent,  il  devait  abandonner  successivement  tous  ses  projets 
de  réformes. 

Au-dessus  de  toutes  les  théories,  de  tous  les  droits  acquis, 
un  fait  domine  :  c'est  que  le  roi  est  le  maître.  La  défaite  des 
Frondeurs  a  détruit  toutes  les  résistances  locales,  l'insurrection 
de  la  noblesse  normande  a  été  durement  réprimée,  et  la  sou- 
mission aveugle  à  l'autorité  devient  générale.  Les  Etats  de  la 
province  ne  sont  plus  convoqués,  les  Cours  des  aides,  comme 
les  Parlements,  perdent  le  droit  de  remontrances2;  les  com- 
missaires du  Conseil  établis  à  demeure  dans  les  provinces  pren- 
nent la  tête  de  l'administration;  personne  ne  peut  plus  parler, 
ni  écrire  ni  agir  librement.  L'impôt  est  à  la  discrétion  du  roi  : 

c'est-à-dire  sa  propriété  (Monin,  L'intendance  de  Banville,  p.  223).  M.  Monin 
rattache  la  théorie  au  droit  féodal,  qui  fait  du  roi  le  suzerain  de  tous  les  fiefs  du 
royaume.  Cette  filiation  reste  à  démontrer. 

1.  Bayle,  Commentaire  philosophique  sur  le  compelle  intrare,  dans  ses  Œuvres, 
éd.  1738,  in-f°,  t.  II,  p.  463-464.  Cf.  aussi  Boulai nvilliers,  Mémoires  historiques, 
éd.  1727,  t.  I,  p.  182,  et  Vauban,  Œuvres,  éd.  de  Rochas,  I,  p.  98,  art.  43. 

2.  Du  vivant  de  Mazarin,  la  Cour  des  aHes  de  Paris  avait  demandé  audience 
au  roi  à  diverses  reprises  pour  lui  faire  des  remontrances  sur  le  recouvrement 
des  impôts;  le  roi  avait  toujours  refusé.  Après  la  mort  du  cardinal,  Louis  XIV 
inclina  d'abord  à  recevoir  la  Cour,  puis  il  changea  brusquement  de  résolution  : 
une  partie  des  conseillers  furent  exilés,  et  il"  n'admit  plus  jamais  les  remontrances 
(Mémoriaux  du  Conseil  de  1661,  publ.  par  J.  de  Boislisle,  t.  I,  p.  96;  118-lly;  391. 
Cf.  Mémoires  pour  l'instruction  du  Dauphin,  éd.  Dreyss,  II,  p.  399). 


14  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

on  impose,  chaque  année,  comme  dit  YEtat  de  la  France  en 
1661,  «  la  somme  qu'il  plaît  à  S.  M.  de  lever  sur  son  peuple  »; 
et  les  contribuables  doivent  payer.  L'impôt  est  un  droit  pour 
le  roi,  un  devoir  pour  les  sujets  :  les  deux  mots  «  droit  »  et 
«  devoir  »  sont  employés  indifféremment  pour  le  désigner1  : 
quiconque  refuse  de  payer  (chose  fréquente  avant  1661)  voit 
venir  le  sergent,  puis  les  dragons.  Le  roi  fait  «  ce  qui  lui  plaît  », 
il  est  «  arbitre  »  de  tout  :  cela  tient  lieu  de  toivs  les  droits. 


II.  —   L'ADMINISTRATION   CENTRALE 

L'administration  chargée  d'établir  les  impôts,  de  les  répartir 
et  de  les  lever,  a  à  sa  tète,  au-dessous  du  roi,  le  Conseil  des 
finances,  les  deux  Directions  des  finances,  le  contrôleur  général 
et  les  intendants  des  finances. 

Le  Conseil  des  finances,  dont  l'existence  était  très  ancienne, 
fut  réorganisé  dix  jours  après  l'arrestation  de  Fouquet.  Le  règle- 
ment  du  15  septembre  1661,  en  même  temps  qu'il  supprimait 
la  surintendance,  donnait  au  Conseil  la  connaissance  de  toutes 
les  affaires  financières,  et  notamment  des  brevets  de  la  taille, 
qui  devaient  être  «  signés  par  S.  M.  et  par  tous  ceux  qui  auront 
l'honneur  d'assister  audit  Conseil2.  » 

De  ce  Conseil  sont  exclus  les  grands  seigneurs  et  les  mem- 
bres de  la  famille  royale3.  On  n'y  trouve  que  des  conseillers 
d'Etat,  au  nombre  de  quatre;  l'un  d'eux  a  le  titre  de  chef  du 
Conseil.  En  outre,  le  chancelier  y  a  entrée  et  préséance  en  sa 
qualité  de  «  chef  de  tous  les  conseils  du  roi  ».  La  place  du  roi 
est  marquée  par  un  fauteuil  de  velours  violet.  Le  chef  du  Conseil 
désigné  par  le  roi  en  1661  est  le  maréchal  de  Villeroi;  les  con- 
seillers sont  de  Sève  et  d'Aligre,  ministres  d'Etat,  et  Colbert, 
intendant  des  finances.  Le  maréchal  de  Villeroi,  qui  conserva 
sa  fonction  jusqu'à  sa  mort,  en  1685,  était  un  vieux  militaire, 

1.  Le  mot  i  devoir  »  est  surtout  employé  pour  la  gabelle  :  on  dit  faire  son 
•  devoir  de  Gabelle  »,  «  le  sel  de  devoir  ».  Colbert  parle  aussi  du  •  devoir  à 
imposer  sur  les  maisons  •  (Clém.  II,  209). 

2.  Le  règlement  du  conseil  est  publié  dans  Clém.  II,  750.  Il  avait  été  souvent 
publié  auparavant,  notamment  dans  l'Etat  de  la  France  de  16C3,  dans  le  Nouveau 
recueil  de»  édits...  rendus  depuis  François  I"  jusqu'à  présent  concernant  ce  gui 
doit  estre  observe  pour  V administration  de  la  justice,  Paris  1664,  in-t2,  p.  761, 
et  dans  le  Recueil  d'Isambert,  t.  XVIII,  p.  0.  De  nombreuses  copies  s'en  trouvent 
également  dans  les  principaux  dépôts  de  manuscrits  et  aux  Archives  nationales. 

Le  développement  donné  ici  sur  le  conseil  des  finances  est  en  grande  partie  le 
résumé  de  l'étude  de  M.  De  Boislisle  publiée  en  appendice  au  t.  VI  des  Mémoires 
de  Saint-Simon,  p.  477  et  suiv.  J'y  renvoie  ici  une  fois  pour  toutes. 

3.  L'exclusion  des  membres  de  la  famille  royale  et  des  personnages  purement 
décoratifs  qui  auparavant  envahissaient  les  conseils,  a  été  depuis  longtemps 
signalée.  Le  Dauphin  lui-même  n'entra  que  très  tard  au  conseil,  en  avril  1682, 
et  il  n'eut  voix  délibéra tive  qu'en  juillet  16X8. 


L  ADMINISTRATION    CENTRALE.  15 

ancien  gouverneur  du  roi,  qui  avait  grande  confiance  en  lui.  Il 
était  sans  doute  bien  «  informé  des  affaires  du  dedans  et  du 
dehors  du  royaume l  »  ;  mais  pour  ses  contemporains  il  est  le 
courtisan  docile,  le  «  bon  valet  »  prêt  à  toutes  les  concessions 
pour  avoir  des  honneurs,  recherchant  «  les  titres  les  plus  hono- 
rables sans  en  faire  les  fonctions2  ».  Il  ne  paraît  pas  avoir  eu 
grande  influence  au  Conseil;  un  jour,  il  ne  put  arriver  à  faire 
nommer  dans  son  gouvernement  de  Lyon  un  intendant  de  son 
choix3.   Saint-Simon  dit  que  sa  charge  était  «  inutile  » 4. 

Le  chancelier  Séguier,  âgé  de  soixante-treize  ans  en  1661, 
«  ne  fait  plus  que  prêter  son  nom  à  tous  les  actes  de  son 
ministère3  ».  Après  lui,  d'Aligre  (nommé  en  1672)  et  Le  Tellier 
(nommé  en  1677)  négligeront  le  Conseil  des  finances  pour  s'oc- 
cuper surtout  de  leur  charge  de  chancelier.  Toutefois,  quand  le 
roi  est  absent,  ils  signent  à  sa  place  les  arrêts  rendus  dans  ce 
Conseil  et  président  effectivement  les  grandes  séances6.  Ils  sont 
consultés  pour  les  affaires  importantes  et  visent  la  plupart  des 
circulaires  adressées  aux  intendants. 

Les  deux  ministres  d'Etat,  MM.  de  Sève  et  d'Aligre,  qui 
seront  remplacés  le  premier  par  Poncet  de  la  Rivière  et  Bou- 
cherat  et  le  second  par  Pussort7,  touchent  de  gros  appointe- 
ments —  près  de  30000  1.  —  et,  n'ayant  pas  d'autre  fonction 
importante,  ils  peuvent  se  donner  entièrement  à  celle-là  : 
«  M.  de  Breteuil  disoit  que  ceux  qui  remplissoient  ces  deux 
places  étoient  comme  de   petits  dieux  placés   entre  le   Conseil 


1.  Mémoires  du  P.  Rapi.n,  t.  I,  p.  272. 

2.  Mémoires  de  Mme  de  Motteviilc,  éd.  Riaux,  t.  IV,  p.  310.  Cf.  Saint-Simon, 
Ecrits  inédits,  publ.  par  Faugcre,  t.  IV,  p.  437  ;  Mémoires  de  La  Porte,  p.  266,  etc. 
Choisy  rapporte  un  mot  de  La  Meilleraye  à  Villeroi  en  1661,  qui  peindrait  bien 
le  rôle  du  maréchal  :  «  Tu  seras  le  chef  des  finances,  mais  en  idée,  comme  je 
l'ai  été,  moi  qui  te  parle,  et  Golbert  en  sera  le  chef  véritable;  mais  que  t'importe, 
tu  auras   de  gros  appointements  et   n'est-ce  pas  assez?  » 

2.  Mémoires  d'Olivier  Lefèvre  d'Ormesson,  éd,  Chéruel,  t.  II,  p.  421.  Il  n'apparait 
dans  ses  fonctions  que  quand  il  signe  des  états  de  finances,  ou  assiste  à  des 
cérémonies  d'apparat,  par  exemple  lorsqu'il  va  enregistrer  à  la  Cour  des  aides  de 
Paris,  accompagné  du  prince  de  Gondé  et  de  Messieurs  de  Sève  et  d'Aligre,  des 
lettres  de  jussion  du  roi,  le  29  décembre  1663  (G.d.T.  I,  532). 

4.  Mémoires,  éd.  de  Boislisle,  t.  XX,  p.  171.  Cependant  M.  de  Beauvilliers,  qui  lui 
succédera,  pourra  jouer  un  rôle  effectif. 

5.  Kerviler,  Le  chancelier  Séguier,  2"  éd.  Paris,  1875,  p.  400. 

6.  «  Les  minutes  des  ordonnances,  édits,  déclarations  et  règlements  qui  se 
rendent  au  conseil  royal  des  finances  ne  sont  point  signées  du  roy  à  moins  que 
ce  ne  soit  une  affaire  de  grande  conséquence;  il  suffit  qu'elles  soient  signées  de 
M.  le  chancelier...  ensuite  elles  sont  signées  du  chef  du  conseil  royal  et  des  trois 
conseillers  au  dit  conseil  ».  Ensuite,  les  secrétaires  d'Etat  intéressés  «  font  faire 
des  expéditions  sur  les  minutes  sur  du  parchemin  timbré  qu'ils  signent  Louis  ou 
le  font  signer  par  le  commis  qui  l'écrit  »  (Mémoire  sur  le  règlement  du  conseil, 
un  peu  postérieur  à  1709,  B.  N.  fr.  7  496,  ms.  non  folioté).  Le  contrôleur  général 
ne  peut  donc  pas  faire  lui-même  l'expédition  d'un  arrêt  du  conseil.  Sur  le  rôle 
du  chancelier  en  l'absence  du  roi.  cf.  le  règlement  du  conseil  des  finances  du 
10  avril  1674,  B.  N.  Clair.  6'<7,  f°131. 

7.  De  Sève  meurt  en  1673;  son  successeur  Poncet  de  la  Rivière,  en  1681. 
D'Aligre,  étant  passé  chancelier  en  1672,  fut  remplacé  par  Pussort,  qui  conserva 
la  fonction  jusqu'après  1683  (B.  N.  fr.   7  654,  f°  37-43). 


LA    TAILLK     l.S    XDIIMAMUI  . 

ordinaire,  qu'il  COU) paroit  à    la  nature  humaine,  et  les  ministres, 
qu'il  regaraoit  comme  les  <lieu\  de  la  terre'  ». 

Qaanl  à  l'intendant  des  finances,  «pii  est  Colbert,  il  n'a  en 
apparence  qu'un  rôle  subalterne,  son  titre  et  son  rang  étant 
intérieurs  a  t  eux  de  ses  collègues;  mais  en  réalité,  il  est  le  véri- 
table administrateur  des  finances  royales  :  le  règlement  du 
15  septembre  1661  lui  donne  en  elîet  l'Epargne  dans  son 
département  :  il  «  tiendra  le  registre  de  toute  la  recette  et  la 
dépense  qui  sera  faite,  dont  il  ne  donnera  communication  à 
aucune  personne  sans  ordre  exprès  de  S.  M.  Toutes  les  ordon- 
nances seront  remises  entre  ses  mains  pour  estre  rapportées  à 
S.  M.  Il  fera  rendre  tous  les  comptes  des  fermes,  recettes  géné- 
rales, bois,  domaine,  et  autres  recettes  de  toute  nature.  »  Il  est 
donc  seul  au  courant  des  besoins  et  des  disponibilités  du 
Trésor,  et  seul  il  peut  suivre  complètement  les  affaires;  tenu  au 
secret,  même  envers  ses  collègues,  il  peut  demander  une  mesure 
sans  avoir  à  la  justifier.  En  outre,  il  est  accrédité  auprès  des 
intendants  de  province  et  des  trésoriers  généraux,  qui  doivent 
le  tenir  au  courant  de  toutes  les  affaires  concernant  les  finances*. 
Il  a  la  confiance  du  roi,  qui  le  consulte  particulièrement  en 
maintes  circonstances,  et  le  titre  de  contrôleur  général,  qui  lui 
sera  donné  en  1665,  achève  de  le  mettre  hors  de  pair3. 

Le  Conseil4,  qui  doit  se  réunir  «  tel  jour  qu'il  plaira  »  au  roi, 
se  tient  habituellement  deux  fois  la  semaine,  le  mardi  et  le 
samedi5.  Il  prend  connaissance  des  affaires  qui  lui  sont  trans- 
mises, juge  des  procès,  arrête  les  comptes,  rend  des  arrêts.  Son 
activité  nous  est  mal  connue  parce  qu'aucun  procès-verbal  des 
séances  n'était  tenu.  D'après  Saint-Simon,  il  n'aurait  été  qu'un 
«  mécanisme  trompeur  »%  un  «  vain  fantosme  »;  tous  ses 
membres,  à  commencer  par  vous,  dit-il  au  roi  dans  une  lettre 
anonyme,  «  ignorent  si,  pourquoi,  quand  et  comment  les  choses 
les  plus  principales  et  les  plus  légères  se  passent  en  matière 
de  finances,  qui  est  uniquement  dans  la  main  despotique  du  seul 
contrôleur  général,  qui  en  dit  en  particulier  à  Y.  M.  ce  qu'il  en 
juge  à  propos  seulement6».  Mais  Saint-Simon  est  animé  par  la 
haine  du  «  despotisme  »  ministériel,  auquel  il  voudrait  substi- 


1.  D'Agucsseau,  Œuvres,  t.  VIII,  p.  71. 

2.  Cf.  lu  circulaire  du  16  novembre  1662  écrite  de  la  main  dn  roi  et  adressée 
aux  Bureaux  des  finances  pour  accréditer  particulièrement  Colbert  auprès  d'eux 
(A.  D.  Calv.  Bureau  des  finances,  dans  une  liasse  de  pièces  de  l'année  1666).  Cette 
circulaire  ne  fut  reçue  à  Caen  que  le  7  mai  166:!. 

3.  V.  Lavisse,  Histoire  île  France,  t.  VII,  1™  part.,  p.  177  et  suiv. 

4.  Sur  le  Conseil  des  finances,  voir,  outre  le  trawiil  de  M.  de  Boislisle  mentionné 
plus  haut,  Y  Encyclopédie  méthodique,  partie  Jurisprudence,  et  Viollet,  Le  roi  et 
ses  ministres  aux  trois  derniers  siècles  de  la  monarchie,  Poris,  1912. 

.">.  Il  peut  y  avilir  des  séances  extraordinaires  :  d'Ormesson  en  cite  une  du 
jeudi  18  mars  1666  (Journal,  éd.  Baudry,  II,  p.  478).  Le  conseil  commence  à 
dix  heures,  et  peut  continuer  après  diner  si  les  affaires  l'exigent. 

6.  Lettre  anonyme  nu  roi,  avril  1712,  dans  ses  Ecrits  inédits,  t.  IV,  p.  33. 


L  ADMINISTRATION    CENTRALE.  17 

tuer  un  gouvernement  où  les  conseils  examineraient  et  décide- 
raient  toutes  les  affaires.  Le  Conseil  des  finances  fut  en  réalité 
mieux  qu'un  fantôme.  Colbert,  dans  un  mémoire  présenté  à 
Louis  XIV  en  1668,  explique  comment  «  les  articles  qui  regar- 
dent les  finances  sont  examinés,  rapportés  au  roi  en  conseil  des 
finances;  »  quand  le  roi  a  donné  ses  ordres,  «  on  s'assemble 
chez  M.  le  chancelier,  où  le  cahier  est  rapporté,  examiné  et 
répondu1  ».  Rien  d'important  n'est  décidé  par  un  ministre  seul. 
Les  fréquentes  et  longues  séances  ne  pouvaient  être  de  pure 
forme;  quelques  années  après  la  mort  de  Colbert,  l'intendant 
Basville  se  plaint  que  le  Conseil  soit  surchargé  de  besogne  et 
ne  prenne  pas  de  décisions  assez  promptes2. 

Au-dessous  du  Conseil  des  finances  se  trouvent  deux  commis- 
sions :  la  grande  et  la  petite  Direction  des  finances.  La  grande 
Direction  ne  diffère  du  Conseil  lui-même  que  par  l'absence  du 
roi  (sa  place  n'y  est  pas  marquée)  et  du  chancelier.  Elle  se  tient 
dans  la  même  salle  que  le  Conseil;  on  y  traite  des  mêmes 
affaires,  et  même  on  y  rend  des  arrêts3. 

La  petite  Direction  ne  comprend  que  les  intendants  des 
finances  (plus  tard  le  contrôleur  général),  et  les  conseillers 
d'Etat.  Les  maîtres  des  requêtes  qui  ont  à  y  rapporter  s'y 
tiennent  debout  et  découverts  (ils  sont  assis  et  couverts  à  la 
grande  Direction).  Elle  siège  chez  le  chef  du  Conseil  des 
finances,  ne  rend  jamais  d'arrêts  et  se  borne  à  faire  un  premier 

1.  Clém.  VII,  228.  La  note  est  destinée  à  protester  contre  l'indépendance  exces- 
sive de  Louvois  en  matière  de  finances  :  Louvois.  dans  les  provinces  de  son 
département,  dit  Colbert,  résout  seul  les  affaires  «  en  telle  sorte  que  l'on  n'en 
entend  point  parler  en  finances  »  et  systématiquement  il  adopte  la  solution  con- 
traire de  celle  qui  lui  est  proposée  par  son  collègue.  Même  si  l'on  fait  la  part  de 
l'exagération  dans  une -pareille  lettre,  il  faut  pourtant  en  conclure  que  Colbert 
n'avait  pas  entièrement  à  sa  disposition  les  affaires  des  finances  de  tout  le 
royaume;  les  autres  secrétaires  d'Etat  conservaient  une  certaine  autonomie. 

2.  De  Boislisle,  Correspondance,  t.  I,  n°  705.  —  L'affirmation  de  Saint-Simon 
est  presque  exactement  reproduite  dans  les  grandes  remontrances  de  la  Cour 
des  aides  de  Paris  du  10  avril  1775  :  «  Il  faut  que  V.  M.  sache  que  depuisxplus 
de  cent  ans,  ce  qu'on  appelle  son  Conseil  en  matière  de  finances  consiste  dans  le 
contrôleur  général  et  un  seul  rapporteur  :  c'est  depuis  longtemps  un  intendant 
des  finances  C'est  dans  ce  tribunal  de  deux  hommes  que  se  prononcent  toutes 
les  cassations  d'arrêts  des  cours  des  aides,  et  on  ne  doit  pas  dire  que  ce  soit 
V.  M.  elle-même  qui  rende  ces  arrêts...  On  ne  peut  pas  dire  non  plus  que  ce  soit 
le  véritable  conseil  de  V.  M.  qui  rende  de  tels  arrêts,  car  nous  avançons  un  fait 
notoire  en  disant  que  le  conseil  n'en  entend  jamais  parler  »  (Auger,  Mémoires  sur 
le  droit  public,  p.  625).  Le  6  mai  suivant,  la  Cour  dit  encore  :  le  brevet  de  la 
taille  «  s'arrête  au  conseil  des  finances  ;  mais  V.  M.  sait  qu'à  l'exception  du  contrô- 
leur général  et  d'un  intendant  des  finances,  aucun  de  ceux  qui  assistent  à  ce 
conseil  ne  peut  être  instruit  de  la  situation  des  provinces  ni  des  besoins  de  l'Etat; 
c'est  donc  le  ministre  seul  qui  fixe  tous  les  ans  la  somme  de  l'imposition...  Le 
brevet  de  la  taille  est  donc  réellement  an  acte  fait  p  :r  autorité  arbitraire.  » 
(Ibid.  p.  651.)  Mais  dans  ces  remontrances,  il  faut  aussi  faire  la  part  des  senti- 
ments de  la  cour  à  l'égnrd  des  ministres,  et  observer  que  la  personnalité  de 
Louis  XV  remplaçant  celle  de  Louis  XIV  avait  changé  bien  des  choses  dans  le 
gouvernement. 

3.  Il  existe  une  formule  spéciale  pour  ces  arrêts;  ils  débutent  par  les  mots  : 
«  Extrait  des  registres  du  conseil  du  roi  »  (Richelet,  Dictionnaire,  1680,  p.  25). 

LA    TAILLE    EN    NORMANDIE.  2- 


18  LA    TAILI.l:     I  M     \nilMAXniE. 

examen  des  projets  ou  ii  expédier  les  affaires  peu  importantes. 
C'est  plutôt  une  commission   préparatoire. 

Le  contrôleur  général  existait  depuis  très  longtemps;  il  était 
adjoint  au  Trésorier  de  l'Epargne,  pour  assurer  la  régularité  de 
ses  comptes.  Mais  l'office  avait  été  divisé  pour  rapporter  de 
l'argent  aux  Parties  casuellcs,  et  il  avait  perdu  de  son  impor- 
tance. On  avait  vu  jusqu  à  quatre  contrôleurs  généraux  au  temps 
de  Mazarîn;  en  1661,  il  en  restait  encore  deux,  MM.  Hervart  et 
Breteuil.  La  suppression  de  la  surintendance  leur  rendit  un 
certain  pouvoir;  mais  la  fonction  ne  prit  son  vrai  caractère  que 
lorsque  Colbert  en  fut  seul  pourvu,  en  décembre  1665.  Les 
lettres-patentes  qui  la  lui  conféraient  lui  donnaient  le  pouvoir 
très  général  de  vérifier  les  quittances  des  comptables,  de  «  con- 
trôler toutes  les  commissions  qui  seront  expédiées  »  pour  la 
levée  des  tailles,  et  de  «  faire  rapport  »  au  Conseil  des  finances 
«  de  toutes  les  affaires  »  qui  concernaient  le  service  du  roi*. 
Ainsi  il  parvint  à  réunir  en  sa  personne  toutes  les  attributions 
du  surintendant  et  a  devenir  le  chef  suprême  de  l'administra- 
tion financière,  n'ayant  au-dessus  de  lui  que  le  roi.  Cette  date 
de  1665  est  marquée  par  un  certain  nombre  de  changements 
notables  dans  les  services  qui  relevaient  de  lui  :  c'est  alors 
que  les  intendants  sont  établis  à  demeure  dans  les  généralités, 
et  deviennent  des  fonctionnaires  réguliers;  au  même  moment, 
le  remboursement  des  offices  supprimés,  qui  traînait  en  lon- 
gueur, est  terminé,  la  recherche  de  la  noblesse  reprise  sur  de 
nouvelles  bases  ;  le  nom  même  des  Etats  de  Normandie  cesse 
de  figurer  sur  les  actes  royaux  ;  enfin  les  grands  règlements  sur 
la  taille,  la  gabelle,  les  aides  sont  mis  h  l'étude. 

Au  temps  de  Fouquet,  il  y  avait  12  intendants  des  finances. 
Un  arrêt  du  conseil  du  12  octobre  1660  en  avait  supprimé  deux*, 
d'autres  arrêts  en  supprimèrent  encore  sept  dans  le  courant  de 
1661,  de  sorte  qu'il  ne  subsistait  plus,  en  septembre  1661,  que 
MM.  Le  Tellier,  Marin  et  Colbert.  Un  édit  de  septembre  1662 
ordonna  le  remboursement  de  la  charge  de  Le  Tellier*;  en 
1665,  quand  Colbert  ajouta  a  sa  fonction  d'intendant  celle  de 
contrôleur  général,  la  troisième  charge  fut  rétablie  au  profit 
d'Hotman,  et  le  nombre  de  trois  demeura  jusqu'après  1683. 

De  ces  intendants,  l'un,  Colbert,  a  entrée  au  Conseil,  le  second 

1.  Colbert  n'a  pas,  comme  on  le  dit  souvent,  échangé  cette  charge  avec  celle 
d'intendant  des  finances  qu'il  avait  déjà  :  les  provisions  disent  qu'il  exercera 
<  conjointement  »  les  deux  fonctions  (Clém.  VII,  403).  De  Breteuil  et  Hervart  con- 
servaient également  leurs  fonctions  jusqu'à  leur  complet  remboursement. 

2.  V.  l'arrêt  du  conseil  du  12  octobre  1660  supprimant  les  deux  charges  de 
MM.  Bordier  et  de  Bordeaux,  B.  N.  fr.  18  511,  f*  70.  La  charge  de  Bordier  valait 
600  000  1.;  elle  fut  liquidée  par  arrêt  du  conseil  du  28  février  1665;  celle  de  Bor- 
deaux en  valait  400  000  et  fut  liquidée  le  16  février  1665:  elle  ne  fut  remboursée 
effectivement  que  dans  le  deuxième  semestre  de   1666  (M.  C.  275,  f°  'J74). 

3.  B.  N.  fr.  22  643,  f  107  (Papiers  de  Dangenu).  La  charge  de  Le  Tellier  lui  fut 
remboursée  400  000  livres. 


L  ADMINISTRATION    CENTRALE.  19 

s'occupe  des  fermes,  et  le  troisième  a  spécialement  dans  son 
département  «  les  dix-huit  généralités  des  pays  d'élections,  pour 
la  taille  et  le  taillon  '  »;  c'est  lui  qui  nous  intéresse  particu- 
lièrement. La  charge  fut  remplie  successivement  par  Denis 
Marin,  qui  mourut  en  fonctions  le  27  juin  1678,  puis  par  Nicolas 
Desmaretz,  marquis  de  Maillebois  2.  Cet  intendant  des  finances 
correspondait  avec  les  commissaires  départis  et  les  trésoriers 
généraux  sur  l'état  des  récoltes,  les  recouvrements  des  imposi- 
tions, les  affaires  administratives  courantes.  Il  recevait  les  avis 
sur  le  brevet,  les  mémoires  sur  les  abus  à  supprimer  et  les 
réformes  à  faire3.  Lorsque  Colbert,  dans  sa  correspondance, 
reçoit  des  mémoires  et  des  avis  concernant  la  taille,  il  les 
remet  à  l'intendant  des  finances v,  qui  fait  ordinairement  rap- 
port au  Conseil  de  toutes  les  affaires  sur  la  matière,  dresse  des 
projets  d'arrêts,  donne  des  ordres  aux  agents  inférieurs.  Il  a 
donc  un  rôle  considérable  dans  l'administration  de  l'impôt.  Ce 
rôle  est  malheureusement  difficile  à  préciser,  parce  que  les 
archives  du  service  sont  perdues  :  de  rares  billets  à  Colbert, 
quelques  lettres  à  des  intendants  et  à  des  trésoriers  généraux 
sont  à  peu  près  les  seuls  restes  des  papiers  de  Marin  et  de 
Desmaretz  5. 


1.  Dès  1660  il  en  était  ainsi  (lettre  de  Marin  au  Bureau  des  finances  de  Caen, 
24  août  1660,  A.  D.  Galv.  Bureau  des  finances,  registre  de  commissions.  1661, 
f°  1).  Un  arrêt  du  conseil  du  27  avril  1666  (B.  N.  Glairamb.  647,  f°  119)  précisa 
les  attributions  des  deux  intendants  Marin  et  Hotman  :  Marin  avait,  outre  la 
taille,  les  rentes  sur  l'hôtel  de  ville  de  Paris,  les  octrois  des  villes,  la  Chambre 
des  comptes  et  la  Cour  des  aides  de  Paris;  Hotman  avait  le  reste  des  affaires  de 
finances.  Hotman  était  apparenté  à  Colbert  comme  Marin  et  Desmaretz. 

2.  Le  18  août  1674,  Colbert  écrit  à  son  cousin  Michel,  intendant  d'Alençon,  que, 
pour  les  affaires  relatives  aux  tailles  il  doit  consulter  «  M.  Hotman  de  Fontenay 
[l'autre  intendant  des  finances]  ou  moy  »  (Clém.  II,  348).  Mais  nous  avons  sans 
doute  ici  un  cas  exceptionnel,  car  Marin  ne  cessa  pas  de  s'occuper  des  tailles.  Il 
faut  observer  aussi  qu'Hotman  était  le  beau-frère  de  Michel  Colbert. 

3.  «  Quoyque  je  prenne  la  liberté,  écrit  de  Marie  à  Colbert,  de  vous  escrire  et 
de  vous  importuner  quelquefois  pour  les  affaires  de  Conséquence  qui  regardent 
les  tailles,  néanmoins  j'ai  coustume  d'en  escrire  pareillement  à  M.  Marin.  »  Cf.  les 
annotations  marginales  mises  par  Colbert  aux  lettres  qui  sont  restées  dans  sa 
correspondance,  comme  celle-ci  :  «  Donner  à  M.  Marin  une  copie  de  ce  qui  est 
contenu  dans  cette  lettre  concernant  la  taille  »  (M.  C.  142,  f°  26i>). 

4.  M.  C.  150,  f°  404.  Le  12  novembre  1668,  il  écrivait  déjà  :  «  J'envoie  à 
M.  Marin  un  mémoire  des  choses  que  j'ay  observé  dans  les  eslections  en  procé- 
dant au  déparlement  des  tailles  ;  je  l'ay  supplié  de  vous  en  entretenir  et  de  me 
faire  savoir  vos  intentions  »  (M.  C.  149,  f°  406).  De  même  encore  en  1676,  lorsqu'il 
propose  de  réglementer  les  changements  de  domicile  des  taillables,  il  consulte 
d'abord  Marin  (B.  N.  Clairamb.  797,  p.  35).  Déjà  au  temps  de  Fouquet,  c'était 
Marin  qui  recevait  les  avis  des  trésoriers  de  France  :  Cf.  la  circulaire  de  Marin, 
août  1660,  invitant  les  trésoriers  à  envoyer  leur  avis  sur  le  brevet  à  l'inten- 
dant des  finances  qui,  dit-il,  ,«  m'en  fera  rapport  »  (A.  D.  Calv.  bureau  des 
finances,  registre  de  commissions,  1661,  f°  1  et  2). 

5.  Les  billets  et  notes  des  deux  intendants  se  trouvent  dans  la  correspondance 
des  Mélanges  Colbert  (cf.  la  table  de  l'inventaire  à  leurs  noms).  Des  lettres  écrites 
par  eux  se  trouvent  aux  A.  D.  Calv.  Bureau  des  finances,  et  dans  la  correspon- 
dance de  Breteuil.  La  disparition  de  leurs  archives  explique  pourquoi  nous  avons 
relativement  peu  de  mémoires  d'intendants,  d'avis  sur  les  brevets,  de  lettres 
administratives  sur  la  taille  :  tout  cela  était  réuni  dans  leurs  bureaux. 

Chacun  des  personnages  indiqués  ici  a  naturellement  une  foule  de  commis  dans 


20  LA    TAILLK    EN    NOIIMANDIB. 

Sur  toute  cette  administration  domine  la  personnalité  de 
Colbcrt.  Les  pouvoirs  déjà  considérables  qu'il  ft  comme  inten- 
dant des  finances,  membre  du  Conseil  et  contrôleur  général  sont 
accrus  par  la  confiance  du  roi.  C'est  lui  qui  a  préparé  l'arresta- 
tion de  Fouquet  et  la  réorganisation  administrative  qui  s'ensuivit. 
Il  a  dressé  le  projet  de  règlement  du  conseil  des  finances  et 
même  rédigé  le  discours  du  roi  à  la  première  séance  du  conseil1. 
Tout  ce  qui  se  fait  dans  son  département  a  été  préparé  et 
ordonné  par  lui.  Il  écrit  de  sa  main  les  projets  d'ordonnance 
que  signe  le  roi;  il  donne  seul  les  instructions  nécessaires  pour 
leur  application.  Mais  il  ne  nous  est  pas  toujours  possible 
de  reconnaître  son  œuvre,  parce  que  beaucoup  de  ses  actes 
ont  un  caractère  impersonnel,  et  sont  signés  par  le  roi  seul  : 
ce  fut  un  système  chez  lui,  plus  encore  que  chez  les  autres 
ministres,  de  s'effacer  devant  le  souverain  et  de  lui  faire  croire 
qu'il  dirigeait  tout.  Louis  XIV  s'y  est  laissé  prendre;  c'est  ainsi 
qu'il  a  pu  se  vanter  d'avoir,  lui-même,  dans  le  conseil  des 
finances,  ■  travaillé  continuellement...  à  démêler  la  confusion 
qu'on  avoit  mise  »  dans  les  affaires  2.  Saint-Simon  a  bien  vu  que 
ce  n'était  là  qu'une  apparence.  Ses  ministres,  dit-il,  «  faisoient 
venir  comme  de  lui  ce  qu'ils  vouloient  eux-mêmes  et  condui- 
soient  le  Grand  selon  leurs  vues...  Ils  étoient  les  maistres  de 
tout,  et  le  roi  le  vouloit  bien  ou  ne  s'en  apercevoit  pas3.  » 

En  matière  de  finances,  incontestablement,  le  roi  ne  fit  rien 
de  sa  propre  initiative.  Il  l'avoue  par  ce  billet  adressé  à  Colbert 
un  jour  qu'ils  étaient  séparés  l'un  de  l'autre  :  «  Vous  savez  que 
sur  les  finances  j'approuve  tout  ce  que  vous  faites  et  m'en  trouve 
bien  *  ».  Quantité  de  réformes  furent  faites  sur  des  mémoires 
rédigés  par  Colbert  et  simplement  approuvés  par  Louis  XIV. 
Lorsque  le  roi  s'absenta  pour  prendre  la  tête  de  l'armée, 
en  1671,  il  fit  un  règlement  par  lequel  toutes  les  affaires  de 
finances  étaient  remises  aux  mains  du  ministre  5.  Lorsque  Col- 
bert offre  des  explications  sur  les  projets  d'ordonnances,  le  roi 

ses  bureaux.  Nous  n'en  connaissons  guère  que  les  noms.  Ainsi,  en  1<>76,  on 
trouve  auprès  de  Colbert  les  sieurs  Desmaretz  (le  futur  intendant  des  finances), 
Perrault,  Vieuville,  Bragelone,  Hosdier,  Lagnrde,  Lelez,  De  Sestre,  Le  Fouyn  ; 
le  sieur  Picon  tient  <  les  registres  de  la  surintendance  ».  Marin  a  connu  premier 
commis  François  Rozée,  etc.  (B.  N.  fr.  32  646,  f°  105;  Clairamb.  474,  f°  30.) 

1.  Sur  le  rôle,  bien  connu,  de  Colbert  dans  la  préparation  de  la  réforme,  voir 
Clém.  II,    introduction,   et,  p.  CCI,  la  note   au  roi  pour  la  formation  du  conseil; 

5.  CCII,  le  discours  du  roi  à  l'ouverture  du  conseil  d'après  la  minute  autographe 
e  Colbert;  voir  aussi  de  Boislisle,  Mémoires  de  Sainl-Simon,  t.  VI,  p.  478. 

2.  Mémoires,  éd.  Dreyss,  t.  I,  p.  108.  Il  n'est  pas  sûr  que  les  ministres  aient 
usé  de  ce  procédé  seulement  par  déférence  pour  le  roi  et  afin  de  flatter  sa  vanitr. 
Ils  désiraient  aussi  être  mieux  obéis  :  «  Ce  qu'un  roi  fait,  écrivait  Mazarin  à 
Louis  XIV  en  1650,  est  d'un  autre  poids  et  lait  un  autre  éclat  et  impression  que 
ce  que  fait  un  ministre,  quelque  autorisé  qu'il  puisse  estre  ».  (Mémoriaux  du 
Conseil  de  166t,  publ.  par  J.  de  Boislisle,  introd.). 

3.  Mémoires,  t.   XV,  p.  427. 

4.  Billet  du    19  mai  1G73,  publ.  dans    la  Revue  des  chefs-d'œuvre,  1884,  p.  499. 

5.  Règlement  sur  l'administration  des  finances  en  l'absence  du  roi,  du 
22  avril  1672  (A.  Nat.  O»,  16,  P"  240-7).  C'est  la  reine  qui,  théoriquement,  tiendra 


L  ADMINISTRATION    CENTRALE.  21 

répond  :  «  Vous  ferez  ce  que  vous  voudrez  sur  les  ordonnances  ; 
quand  je  m'y  applique,  je  vois  pourquoy  elles  sont  expédiées1.  » 
Le  9  mai  1670,  il  écrit  : 

«  Voici  le  temps  que  Vostre  Majesté  a  accoustumé  de  régler  le 
brevet  de  la  taille.  Vostre  Majesté  me  fera  sçavoir,  s'il  luy  plaist,  si 
Elle  veut  que  les  impositions  de  1671  soyent  pareilles  à  celles  de  1670, 
ou  si  Elle  voudroit  soulager  ses  peuples  d'un  million  de  livres.  » 

A  quoi  le  roi  répond  par  retour  du  courrier  :  «  Il  faut  faire  les 
impositions  et  soulager  les  peuples  d'un  million  2.  »  De  la  même 
façon  est  arrêté  le  brevet  de  la  taille  en  1673  3.  En  mai  1677, 
Colbert  demande  au  roi  à  quelle  somme  il  veut  arrêter  le  brevet 
de  la  taille,  et  le  roi  lui  répond  :  «  Je  croys  qu'il  faut  faire  le 
brevet  de  la  taille  comme  celuy  de  cette  année,  à  moins  que 
vous  ne  jugiez,  par  les  connaissances  que  vous  avez,  qu'il  y 
faille  changer  quelque  chose  *.  »  En  ces  billets  intimes, 
Louis  XIV  se  montre  à  peu  près  indifférent  aux  finances;  lui 
qui  donnait  tant  d'attention  aux  marches  des  armées,  aux  cons- 
tructions, au  cérémonial,  n'a  jamais  arrêté  son  attention  sur 
les  problèmes  économiques  ;  il  n'a  vu  en  Colbert  qu'un  appro- 
visionneur du  Trésor  ;  il  a  été  le  spectateur  beaucoup  plus  que 
l'auxiliaire  de  son  œuvre. 

Colbert  fut  le  maître  non  seulement  par  la  confiance  que  lui    f"      , 
accorda  le  roi,  mais  aussi  par  le  soin  qu'il  mit  à  s'entourer  de    j  4&*i 
collègues  et  de  subordonnés  à  sa  dévotion.  Les  deux  conseillers    \ 
des  finances  nommés   en   1661,  De   Sève  et  D'Aligre,   sont  ses 
amis  particuliers  ;  ils  seront  remplacés  l'un  par  Pussort,  qui  est 
son   oncle,    l'autre  par  Boucherat,   qui   est  son    protégé  6.  Des 
deux   intendants    des    finances   qui    eurent  la    taille   dans   leur 
département,   l'un,  Marin,  lui  doit  sa  fortune,  et  a  épousé  une  ( 
cousine  de  Colbert  6;  l'autre,  Desmaretz,  est  son  propre  neveu  : 
il  l'a  pris  dès  son  jeune  âge  dans  les  bureaux,  où  il  l'a  formé,    S 

la  place  du  roi,  mais  c'est  Colbert  qui  présentera  toutes  les  affaires  au  Conseil  et 
arrêtera  personnellement  les  registres  de  recettes  et  de  dépenses  «  attendu  que 
la  reyne  ne  pourroit  pas  escrire  les  arrestez  desdits  registres  de  sa  main  ainsi 
que  S.  M.  a  accoustumé  de  faire  ».  Ce  règlement  avait  été  préparé  par  Colbert, 
ainsi  qu'en  font  foi  ses  notes  autographes  non  publiées  par  Clément  (B.  N.  Clair. 
647,  f°  124-125).  Cf.  la  commission  donnée  à  Colbert  le  30  avril  1673  pour  signer 
les  aTrèts  du  Conseil  en  commandement  (A.  N.  O1  17,  f°  75)  et  le  règlement  du 
18  avril  1674  (Clairamb.  647,  f°  131). 

1.  Clém.,  II,  p.  CCXXXIV. 

2.  lbid.,  p.  CCXXVII. 

3.  Ibid.,  p.  CCXXXIV. 

4.  Ibid.,  p.  CCLII. 

5.  Sur  les  rapports  entre  de  Sève  et  Colbert,  voir  la  lettre  de  ce  dernier  à  de 
Sève  fils  lors  de  la  mort  du  père,  Clém.  II,  258,  n.  2.  Sur  d'Aligre,  voir  Clém.  I, 
p.  98,  100,  198.  Pussort  était  frère  de  la  mère  de  Colbert  et  servit  entièrement  le 
contrôleur  général  dans  toutes  les  circonstances.  Boucherat  devait  à  Colbert, 
notamment,  son  intendance  de  Guyenne. 

6.  Denis  Marin,  sieur  de  la  Chasteigneraye,  né  à  Auxonne  en  janvier  1601,  était 
fils  d'un  petit  marchand;  amené  à  la  cour  par  un  de  ses  parents  éloignés,  il 
avait  épousé  en  secondes  noces  Marguerite  Colbert,  de  la  branche  de  Terron.  Il 


H  LA    TAILL1      I  \     NOUMANDIE. 

poil  il  l'a  fait  nommer  inaitrr  des  requêtes1.  Ainsi  Colbert  est 
assuré  du  dévouement  et  de  l'obéissance  de  tous  ceux  qui  l'en- 
tourent :  sa  volonté  unique  dirige  toute  l'administration  des 
finances. 


III.  —  L'ÉTABLISSEMENT  DU  BREVET 

La  taille  ayant  son  origine  dans  les  besoins  financiers  extraordi- 
naires du  roi,  l'acte  initial  de  l'imposition  était  l'indication  de  la 
somme  qui  devait  faire  face  aces  besoins.  Ainsi,  par  son  principe 
même,  la  taille  est  un  impôt  de  répartition.  On  commence  par 
fixer  la  somme  totale  à  lever,  puis  on  la  répartit  entre  les  diffé- 
rentes circonscriptions.   L'opération  comprend  quatre  degrés  : 

i°  entre  les  généralités; 

2°  entre  les  élections  de  chaque  généralité; 

3°  entre  les  paroisses  de  chaque  élection; 

4°  entre  les  contribuables  de  chaque  paroisse. 

Chaque  année  le  roi  arrête  en  son  Conseil  des  finances  la 
somme  nécessaire  pendant  l'année  suivante  «  pour  l'entretene- 
ment  des  maisons  royales  et  de  ses  troupes  et  autres  dépenses 
nécessaires  »  et  pour  les  gages,  appointements,  droits  et  autres 
«  charges  »  de  chaque  recette  générale.  C'est  d'après  ce  chiffre 
que  le  montant  de  la  taille  sera  fixé;  en  d'autres  termes,  le  roi 
commence  par  dresser  son  budget  de  dépenses;  il  arrête  ensuite 
son  budget  de  recettes. 

.En  juin  1661,  alors  que  Fouquet  était  encore  surintendant, 
la  somme  fixée  pour  l'année  suivante  était  de  41534672  1. 
Mais  le  jour  même  de  l'arrestation  du  surintendant,  Sa  Majesté 
déclarait  «  qu'Elle  prétendoit  administrer  ses  finances...  avec 
une  telle  économie  et  une  si  juste  dispensation,  qu'Elle  espéroit 
dans  peu  se  mettre  en  état  de  soulager  ses  peuples  au  delà  de 
ce  qu'ils  pouvoient  espérer  2  ».  Aussi,  à  la  première  séance  du 

fut  successivement  trésorier  général  des  fermes  (1C38),  conseiller  d'Etat  (1648), 
intendant  d'armée,  enfin  intendant  des  finances  en  mai  1G50.  Lors  de  la  suppres- 
sion de  huit  charges  d'intendants  des  finances,  il  perdit  sa  fonction,  mais  reprit 
peu  de  jours  après  la  succession  d'un  des  réservés,  M.  de  Mauroy,  décédé.  De  ses 

Suatre  fils,  l'un  devint  intendant  d'Orléans  et  premier  président  au  Parlement 
'Aix;  l'autre  succéda  à  son  frère  à  l'intendance  d'Orléans;  un  troisième  servit  à 
l'armée.  Une  de  ses  filles  épousa  le  marquis  d'Oppède,  umi  de  Colbert  et  prési- 
dent au  Parlement  d'Aix  (cf.  Amanton,  Recherches  biographiques  sur  Denis  Marin, 
avec  notes  pour  faire  suite  aux  Recherches,  Dijon  1807,  B.  N.  Lnî7  10  778.  — 
Clém.  II,  p.  241,  et  B.  N.  fr.  7  654,  F  42). 

1.  La  mère  de  Desmaretz  était  Marie  Colbert,  sœur  du  ministre.  On  trouve  déjà 
le  jeune  homme  dans  les  bureaux  de  son  oncle  en  1665,  alors  qu'il  n'u  que  seize 
ans  (Clém.  VII,  345).  De  muitre  des  requêtes  il  devint  directement  intendant  des 
finances,  ce  qui  était  un  avancement  extraordinaire. 

Un  autre  intendant  des  finances,  Hotman  de  Fontenay,  est  allié  à  Colbert  :  il  a 
épousé  Marguerite  Colbert,  cousine  du  ministre. 

2.  Lettre  de  Brienne  fils  à  son  père,  5  septembre  1661  (publ.  dans  J.  de  Bois- 
lisle,  Mémoriaux  du  conseil  dt  1661,  t.  III,  p.  128). 


L  ETABLISSEMENT    DU    BREVET. 


23 


conseil  des  finances,  fut-il  résolu  que  le  brevet  de  la  taille  serait 
diminué  de  3  millions  de  livres1  :  l'imposition  de  1662  fut  donc/ 
réduite  à  38534672  1. 2.  C'était  une  mesure  de  bonne  politique, 
suggérée  sans  doute  par  Colbert,  mais  il  ne  faut  pas  en  exagérer 
la  portée  ;  depuis  longtemps  les  non-valeurs  pour  la  taille 
étaient  très  élevées,  et  le  roi  savait  qu'il  ne  recouvrerait  pas,  à 
beaucoup  près,  toute  la  somme  imposée;  il  ne  faisait  donc 
qu'abandonner  une  chose  qu'il  ne  pouvait  avoir.  Mais  il  témoi- 
gnait par  là  sa  bienveillance  pour  les  peuples,  et  leur  donnait 
un  encouragement  précieux. 

Pour  1663,  le  brevet  arrêté  en  mai  1662  monte  a  38  128269  1., 
soit  une  diminution  d'un  peu  plus  de  400  000  1.  Les  années 
suivantes  encore,  on  fit  des  réductions,  si  bien  qu'en  1665,  le 
brevet  s'élevait  seulement  à  33860  000  1.  Dans  son  mémoire 
écrit  en  1663  pour  servir  à  l'histoire  du  roi,  Colbert  disait  : 
«  Le  roy  travaille  à  enrichir  les  peuples  par  la  diminution  des 
impositions3  ».  Tel  était  bien  le  but  qu'il  se  proposait.  Il  aurait 
voulu  réduire  le  montant  de  la  taille  à  30  millions  ;  mais  dès 
1666,  il  fallut  renoncer  à  ces  réductions,  le  roi  voulant  mettre 
sur  pied  une  armée  considérable.  Le  brevet  alla  donc  de 
nouveau  en  augmentant,  pour  atteindre  35  685  000  1.  en  1669. 
Après  la  paix  de  1668,  on  reprit  les  réductions;  jusqu'en  1672, 
le  brevet  se  maintint  au-dessous  de  34  millions.  C'est  en  1672 
qu'il  fut  le  moins  élevé  de  toute  la  période  :  il  montait  à 
33306881  1.  Mais  dès  1673,  tes  besoins  de  la  guerre  obligent  ï 
Colbert  à  consentir  un  relèvement.  Chaque  année  le  chiffre 
s'élève  et  on  arrive  à  la  somme  de  40152  000  1.  en  1678,  puis 
après  la  paix,  on  redescend  aux  environs  de  34  millions.  En  1683, 
le  dernier  brevet  arrêté  par  Colbert  s'élève  à  34  447  212  1. 
Le  ministre  ne  put  donc  autant  qu'il  l'aurait  désiré  «  enrichir 
les  peuples  par  la  diminution  des  impositions  »  4. 

1.  Clém.  II,  53. 

2.  Un  édit  de  mars  1662  accorda  encore  une  réduction  d'un  million;  on  verra 
plus  loin  le  détail.  Colbert,  dans  son  Mémoire  sur  les  affaires  de  finances  en 
1663  (Glétn.  II,  58)  dit  que  la  remise  fut  faite  «  sur  les  tailles  de  l'année  sui- 
vante »,  mais  il  faut  entendre  par  là  les  tailles  de  1662;  le  texte  de  l'édit  ne 
permet  aucun  doute. 

3.  Clém.  II,  65,  n.  4. 

4.  Montant  et  date  des  brevets  pour  les  18  généralités  des  pays  d'élections,  de 
1661  à  K583  : 

1661  15  août  1660.  .  .  40  660  8051. 

1662  2  juin  1661    .  .  .  41534  672 

1663  15  mai  1662  .  .  .  38128  269 

1664  1er  mai  1663.  .  .  36  047  23;» 

1665  24  mai  1664  .  .  .  33  860  000 

1666  22  mai  1665  .  .  .  34  200  000 

1667  3  juin  1666.    .  .  .  36000000 

1668  10  mai  1667  .  .  .  36154  000 

1669  15  mai  1668  .  .  .  35  685  000 

1670  28  mai  1669  .  .  .  33  967  000 

167 1  31  mai  1670  .  .  .  33  917  400 

1672  3  juin  1671    .  .  .  33  306  881 
Les  textes  des  brevets  se  trouvent  à  leur  date  dans  les  registres  du  Secrétariat 


1673 

26  avril  1672.  . 

.  34  560  000  I 

1674 

29  avril  1673.  . 

.  36  556  000 

1675 

18  avril  1674.  . 

.  36  584  000 

1676 

27  avril  1675.  . 

.  40  206  360 

1677 

11  avril  1676.  . 

.  40166  360 

1678 

1er  juin  1677  .  . 

.  40152  000 

1679 

11  juin  1678  .  . 

.  34  353  000 

1680 

23  mai  1679  .  . 

.  34  353  000 

1681 

21  mai  1680  .  . 

.  33613  000 

1682 

20  mai  1681  .  . 

.  34  260  682 

1683 

16  mai  1682  .  . 

.  34  447  212 

■_•',  LA    TAILI.K    KN    NOHMANDIE. 

C'est  qu'il  v  avait  une  opposition  permanente  entre  les  vues 
du  roi  et  celles  de  son  ministre.  Colbcrt  faisait  de  la  taille  un 
instrument  de  gouvernement  économique;  il  voulait  la  répartir 
,  plus  justement,  la  percevoir  moins  durement  et  diminuer  non 
seulement  le  total  de  l'impôt,  mais  aussi  la  part  relative  de 
.chaque  contribuable.  Louis  XIV  voulait  se  procurer  le  plus 
d'argent  possible  pour  satisfaire  ses  goûts  de  guerre,  de  con- 
structions et  de  luxe.  «  Vous  ne  sçauriez  manquer  de  songer 
d'avoir  de  l'argent  »  :  ce  mot  écrit  à  Colbert  donne  sans  doute 
toute  la  pensée  du  roi  en  matière  de  finances.  Il  a  dit  à  diverses 
reprises  que  la  misère  des  peuples  lut  faisait  de  la  peine,  mais 
on  ne  voit  pas  qu'il  ait  fait  grand  effort  pour  la  réduire. 

La  somme  totale  à  lever,  débattue  d'abord  entre  Colbcrt  et 
le  roi,  était  arrêtée  définitivement  au  Conseil  des  finances,  puis 
on  dressait  le  «  brevet  général  de  la  taille  ».  Un  brexet  est  un 
acte  «  rédigé  en  forrne_dii-nrocès7rVprbai-pa4-  ua-seccétaire  d'Etat, 
mais  ne  portant  point  de  sceaiijitjîon  soumis  à  l'enregistrement 
déT  cours  '  »TLe  TSrevet  de  la  taille  n  était  que  le  procès- verbal 
de  la  séance  du  conseil  où  le  montant  de  l'impôt  avait  été 
arrêté.    La    formule   initiale    était  :   «  Aujourd'huy  jour 

de  mil  six  cens  ,  le  roy  estant  à  ,  traitant 

de  la  conduite  et  administration  de  ses  finances  »,  et  la  formule 
finale  :  «  Faict  les  jour  et  an  susdicts  ».  Le  roi  n'y  parlait  pas 
à  la  seconde  personne  comme  dans  les  lettres  de  cachet;  il  y 
indiquait  simplement  sa  volonté;  l'acte  était  destiné  uniquement 
aux  agents  de  l'administration,  et  ne  devait  pas  être  publié; 
c'était  une  décision  administrative  plutôt  qu'une  loi2.  En  règle 
générale,  un  brevet  n'avait  pas  besoin  d'être  signé  du  roi  pour 
être  valable,  mais  celui  de  la  taille  l'était  toujours,  au  moins 
au  temps  de  Louis  XIV,  le  roi  étant  censé  présider  le  Conseil 
des  finances.  Même  cette  signature,  contrairement  à  ce  qui  se 
passait  pour  beaucoup  d'autres  actes,  était  «  de  la  main3  ».  En 
mai  16/2,  en  effet,  alors  que  le  roi  était  à  la  tête  de  l'armée  en 
Flandre,  Colbert  prit  soin  de  lui  envoyer  l'original  du  brevet 
et  dans  le  billet  qui  accompagnait  l'envoi,  il  disait  :  «  Cette 
expédition    m'a    paru    trop   importante   pour    estre    signée   en 

d'Etat  de  la  maison  du  roi  (Arch.  Nnt.  O1)  et  dans  les  Mélanges  Colbert,  vol.  177 
et  suiv.  Des  brevets  séparés  étaient  expédiés  pour  les  pays  d'États. 

1.  Giry,  Manuel  de  diplomatique,  p.  /85. 

2.  V.  Giry,  pass.  cité,  qui  donne  des  formules  un  peu  différentes.  Cf.  Encyclo- 
pédie  méthodique,  Finances,  t.  I,  p.  142;  Guyot,  Hépertoire  de  jurisprudence,  article 
Brevet;  Cl.  de  Beaune,  TraiW  de  la  Chambre  des  Comptes  de  Paris,  Paris,  1647, 
Hv.  I,  p.  220-221.  Pour  désigner  un  acte  de  ce  genre,  on  employait  souvent 
l'expression  de  «  Résultat  du  Conseil  ». 

3.  Sur  l'imitation  de  la  signature  du  roi  au  bas  des  actes  par  un  secrétaire,  cf. 
Saint-Simon  :  «  On  n'ignore  pas  que  la  prétendue  signature  du  roi  mise  au  bas 
de  chaque  expédition  qui  sort  des  bureaux  par  le  sous-commis  qui  écrit  l'expédi- 
tion même,  n'a  de  force  et  d'autorité  que  celle  qu'elle  reçoit  de  la  signature  du 
secrétaire  d'Etat....  Cette  prétendue  signature  du  roi,  dont  personne  n'étoit  la 
dupe,  n'étoit  qu'une  prostitution  indécente.  » 


L  ETABLISSEMENT    DU    BREVET.  25 

l'absence  de  Vostre  Majesté  *.  »  On  peut  conclure  de  là  qu'ha- 
bituellement le  roi  lui-même  signait  les  brevets.  Au-dessous  de 
sa  signature  était  celle  du  contrôleur  général  ou  du  secrétaire 
d'Etat  en  quartier. 

Le  fait  que  le  brevet  n'était  pas  enregistré  par  une  cour  souve-  î 
raine  marquait  que  le  roi  l'établissait  de  sa  propre  autorité,  sans 
contrôle.  C'était  par  excellence  un  acte  d'  «  arbitraire  ».  Au 
cours  du  xvine  siècle,  les  protestations  contre  cet  usage  seront 
violentes  et  les  réformateurs  considéreront  comme  une  grande 
victoire  d'avoir  obtenu  l'enregistrement  du  brevet  à  la  Cour 
des  aides  de  Paris  2.  Mais  à  l'époque  de  Colbert,  ces  protesta- 
tions ne  se  font  pas  encore  entendre3. 

La  date  à  Laquelle  le  frrevet  devait  êtrft  %rr^*^  flVftî*  une 
gran,(îg_i,napûr-tanfiej.„ le  bon  recouvrement  de  l'impôt  en  dépen- 
dait. Si  en  effet  la  répartition  n'était  pas  terminée  avant  le 
début  de  l'année  financière,  c'est-à-dire  avant  le  1er  octobre,  la 
perception  était  retardée  d'autant,  et  comme  les  peuples  payaient 
toujojur&.^eç_jjjQJi_^^  l'année  finissait  sans  que  la 

taille  fût  complètement  acquittée;  les  exercices  chevauchaient 
l'un  sur  l'autre,  et  tout  l'ordre  de  la  perception  était  détruit. 
On  verra  qu'à  tous  les  degrés  du  répartement  on  eut  la  préoccu- 
pation de  terminer  le  travail  en  temps  utile;  ce  fut  un  des  gros  / 
soucis  de  l'administration,  et  elle  n'y  réussit  qu'imparfaitement. 
Les  chevauchées  d'intendants  duraient  un  mois  au  moins4;  le  ( 
département  entre  les  paroisses  de  chaque  élection  exigeait 
autant  de  temps5;  le  seul  transport  des  lettres  de  Paris  aux 
généralités  les  plus  éloignées,  comme  Montauban  ou  Grenoble, 
demandait  une  semaine6.  Pour  peu  qu'une  difficulté,  un  procès, 
une  rivalité  entre  différents  agents  royaux  retardât  les  travaux, 
un  délai  de  deux  mois  entre  le  brevet  et  le  commencement  de 
l'année  financière  était  insuffisant,  toutes  les  opérations  étaient 
reculées  et  le  recouvrement  compromis.  C'est  pourquoi  des 
ordonnances   avaient  prescrit  dès    le  xvie    s.    que  le  brevet  fût 

1.  Glém.,  VI,  294. 

2.  V.  par  ex.  les  remontrances  de  la  Cour  du  20  juin  1761,  dans  A.uger, 
Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  du  droit  public,  p.  132,  ou  celles  du  6  mai  1775, 
ibid.,  p.  664.  Le  sujet  est  très  souvent  traité  dans  les  écrits  du  temps. 

3.  Cependant,  à  l'époque  de  la  Fronde,  l'enregistrement  par  les  cours  souve- 
raines des  édits  relatifs  aux  impôts  était  très  demandé  (voir  Sée,  Les  idées  poli- 
tiques  à  l'époque  de  la  Fronde,  dans  la  Rev.  d'hist.  mod.,  t.  III,  p.  113  et  suiv.), 
et  le  roi  l'avait  accordé  dans  sa  déclaration  du  31  juillet  1648,  art.  3.  Mais 
cette  revendication  était  déjà  oubliée  en  1661. 

4.  Cf.  une  lettre  de  Colbert  à  l'intendant  de  Paris  du  17  juillet  1682  :  «  Visiter 
cinq  élections  en  15  jours  de  temps  ne  peut  pas  estre  d'une  satisfaction  entière 
pour  le  roi,  estant  impossible  que  vous  puissiez  satisfaire  en  si  peu  de  lemps  à 
ce  que  S.  M.  désire  »  (Clém.  II,  200).  Or  la  généralité  de  Paris  avait  22  élections. 

5.  «  Au  moins  six  semaines  dans  les  généralités  qui  ont  beaucoup  d'élections  », 
écrit  l'intendant  d'Orléans  le  31  juillet  1684  (De  Boislisle,  Correspondance,  t.  I, 
n°  97). 

6.  Le  brevet  daté  du  2  juin  1661  n'est  reçu  que  le  1er  juillet  au  Bureau  des 
finances  de  Caen  (Plumitif  du  bureau,  à  cette  date). 


Jt;  I.A    TAILLE    BU     NOHMANHIL. 


arntc  avant  la  lin  de  juillet*;  Mais  en  1661  la  règle  n'était  plus 
respectée;  ce  n'était  pas  seulement  négligence  de  l'administra- 
tion :  les  recouvrements  se  faisant  très  lentement,  on  voulait 
surtout  laisser  aux  contribuables  le  plus  longtemps  possible  pour 
I  s'acquitter.  Au  temps  de  Mazarin,  la  date  habituelle  du  brevet 
I  était  le  mois  d'août,  ou  de  septembre;  certains  brevets  furent 
I  arrêtés  en  novembre;  celui  de  1654  est  daté  du  22  décembre*. 
En  1661,  Fouquet  avait  fait  un  effort  pour  hâter  l'expédition  : 
elle  est  datée  du  2  juin. 
\  Colbcrt  se  fit  une  règle  d'expédier  le  brevet  en  mai.  Dès  1626 
il  s'y  conforma*.  Quatre  fois  seulement  (en  1666,  1671,  1677 
et  1678)  le  brevet  ne  fut  arrêté  qu'en  juin,  mais  c'est  parce 
qu'à  ces  dates  le  roi  était  à  l'armée  et  ne  pouvait  signer  l'acte 
plus  tôt.  Mais  en  1667,  Colbert  invite  le  roi  dès  le  4  mai  à 
«  résoudre  le  brevet  de  la  taille,  qui  doit  estre  envoyé  dans  les 
provinces  le  20  de  ce  mois4  »;  pendant  cinq  années,  de  1672 
à  1676  inclusivement,  le  brevet  fut  expédié  dès  le  mois  d'avril5. 
Colbert  donnait  l'exemple  à  tous  les  agents  ses  subordonnés. 
Toutefois,  une  si  grande  hâte  n'était  pas  sans  inconvénient  : 
en  mai,  il  était  impossible  de  savoir  si  les  récoltes  seraient 
bonnes  ou  mauvaises,  et  les  intendants  ne  pouvaient  donner 
en  connaissance  de  cause  leur  avis  sur  le  brevet.  On  risquait 
ainsi  de  faire  une  mauvaise  répartition. 

I  Après  avoir  fixé  le  montant  total  du  brevet,  le  conseil  devait 
arrêter  la  part  de  chaque  généralité 6.  C'était  lui  qui  faisait  la 
répartition  au  premier  degré.  Il  va  sans  dire  que  le  travail  était 

f>réparé  par  l'intendant  des  finances  chargé  des  tailles  et  par 
e  contrôleur  général. 
La  généralité  était  une  circonscription  financière  administrée 
/  par  des  trésoriers  généraux.  Au  début,  les  généraux  des  finances 
résidaient  à  Paris  et  leur  juridiction  s'étendait  sur  tous  les 
pays  d'élections.  En  1450,  le  royaume  fut  partagé  en  4  géné- 
ralités ayant  chacune  ses  généraux;  la  Normandie  en  fut  une7. 
Au  xvie  siècle,  le  besoin  d'argent  fit  multiplier  les  offices  de 
généraux  des  finances,  et  par  conséquent  les  généralités  :  en 
décembre  1542,  la  Normandie  fut  divisée  en  deux  :  Haute  et 
Basse  Normandie,  ayant  respectivement   leurs  sièges  à  Rouen 

1.  Règlement  du  19  janvier  1599,  art.  1,  publ.  dûns  la  Revue  Henri  IV,  t.  I, 
p.  189;  ordonnance  de  janvier  1629,  art.  344,  etc. 

2.  Arch.  Nat.  K  891,  pièce  6. 

3.  Cf.  les  dates  des  brevets  ci-dessus,  p.  23,  note  4. 

4.  Clém.  Il,  p.  CCLI1. 

5.  11  est  probable  que  Colbert  voulait  faire  signer  l'acte  par  le  roi  avant  son 
départ  ù  l'armée;  c'est  du  moins  le  cas  pour  1673  (Clém.  II,  p.  CCXXXIV). 

6.  11  est  bien  entendu  qu'en  cet  ouvrage  je  ne  parle  que  des  pays  d'élections. 

7.  Les  trois  autres  étaient  celles  de  Languedoil,  Languedoc  et  Outre-Seine.  Les 
documents  relatifs  à  la  formation  des  généralités  ont  été  réunis  par  Fournivol 
dans  son  Recueil  dont  il  sera  parlé  au  chapitre  n.  Cf.  Corbin,  Nouveau  recueil  des 


L  ÉTABLISSEMENT    DU    BREVET.  27 

et  à  Caen.  Enfin,  en  mai  1636,  la  généralité  d'Alençon  fut  faite 
de  parties  enlevées  aux  deux  précédentes  *.  Les  motifs  de  cette 
dernière  création,  d'après  le  préambule  même  de  l'édit,  étaient 
les  grands  besoins  d'argent  du  roi  qui  l'obligeaient  à  «  recourir 
aux  moyens  extraordinaires  »;  nous  espérons,  disait-il,  que 
l'établissement  d'un  Bureau  des  finances,  «  dont  il  nous  peut 
revenir  une  grande  et  notable  somme  de  deniers  pour  nous 
secourir  dans  l'occasion  urgente  de  nos  affaires  »  ne  sera  pas  à 
charge  au  peuple;  mais  il  n'avait  pas  le  moindre  souci  de  régu- 
lariser les  circonscriptions  ou  de  faciliter  l'administration2. 
Il  ne  faut  pas  s'étonner  si  les  généralités  étaient  bizarrement 
composées  et  très  inégales3. 

En  1661,  les  pays  d'élections,  entre  lesquels  le  montant  du 
brevet  est  partagé,  comprennent  les  18  généralités  de  :  Paris, 
Soissons,  Amiens,  Châlons,  Orléans,  Tours,  Bourges,  Moulins, 
Lyon,  Riom,  Poitiers,  Limoges,  Bordeaux,  Montauban,  Rouen, 
Caen,  Alençon  et  Grenoble. 

Les  trois  généralités  normandes  ont  une  étendue  plus  grande 
que  les  ressorts  du  Parlement  et  de  la  Chambre  des  comptes  de  ' 
Rouen  :  elles  comprennent  en  effet  —  et  dès  le  xve  siècle  il  en 
était  ainsi  —  la  châtellenie  de  Pontoise  et  la  vicomte  de  Chau- 
mont  et  Magny,  c'est-à-dire  qu'elles  vont  jusqu'à  l'Oise,  tandis 
que  le  ressort  du  Parlement,  de  la  Chambre  des  comptes,  et  du 
gouvernement  militaire    s'arrête   à  l'Epte4;    elles   comprennent 


édita...  concernant  les  cours  des  aides,  Paris  1623,  liv.  VI;  Pasquier,  Recherches, 
liv.  XVII;  Girard,  Trois  livres  des  offices  de  France,  Paris,  1638,  t.  I,  et  Jac- 
queton.  Documents  relatifs  à  l'administration  financière...  ÎUU3-1Ù23,  Paris  1891. 

1.  L'édit  de  décembre  15'i2  portait  le  nombre  des  généralités  du  royaume  à  16, 
savoir  :  Paris,  Châlons,  Amiens,  Rouen,  Caen,  Bourges,  Tours,  Poitiers,  Issoire 
(plus  tard  Riom),  Agen  (plus  tard  Bordeaux),  Toulouse,  Montpellier,  Lyon,  Aix, 
Grenoble  et  Dijon  (Fournival,  p.  159;  Fontanon,  Recueil,  t.  Il,  f°  625).  Voir  la 
liste  des  élections  comprises  dans  chaque  généralité  dans  Jacqueton,  p.  279-283. 
En  1552  fut  créée  la  généralité  de  Nantes  ;  en  septembre  1558,  celles  de  Limoges 
et  d'Orléans;  en  septembre  1587  celle  de  Moulins;  en  novembre  1595  celle  de 
Soissons;  en  janvier  1635,  celle  de  Montauban;  celle  d'Alençon  fut  la  dernière 
créée;  jusqu'en  1683,  il  n'y  aura  plus  de  créations  nouvelles. 

2.  Voir  la  liste  des  édils  bursaux  enregistrés  à  la  Chambre  des  comptes  de 
Normandie  du  16  au  19  mars  1637,  avec  celui-ci,  dans  de  Beaurepaire,  Cahiers 
des  états,  ....  règne  de  Louis  XIII,  t.  III,  p.  227-229.  V.  aussi  Forbonnais,  Recher- 
ches... éd.  in-4°,  I,  228.  Le  roi  invoque  accessoirement  comme  motif  son  désir 
de  dédommager  la  ville  de  la  suppression  de  l'échiquier  et  de  supprimer  les 
inconvénients  du  transport  des  deniers  à  Rouen,  distant  de  30  lieues.  Mais 
ce  motif  était  très  secondaire.  L'édit  d'établissement,  plusieurs  fois  imprimé  au 
xviie  siècle,  a  été  réédité  dans  Duval,  Etat  de  la  généralité  d'Alençon  sous 
Louis  A IV,  p.  363-379. 

3.  Au  temps  de  Colbert,  la  plus  grande  généralité  d'élections  est  celle  de  j 
Montauban,  avec  2194  paroisses;  ensuite  viennent  celles  de  Paris  (2046  paroisses)  \ 
et  de  Bordeaux  (2041).  Les  plus  petites  sont  celles  de  Bourges  (671  paroisses)  et 
de  Lyon  (837).  Voir  la  statistique  complète  des  généralités,  dressée  par  ordre  de 
Colbert  en  1677,  B.  N.,  Cinq-cents  Colb.,  261.  C'est  par  erreur  que  Malicorne 
déclare  la  généralité  d'Amiens  «  la  plus  petite  de  toutes  »  (Rech.  hist.  sur  l'agri- 
cult.  dans  le  pays  de  Rrai/,  II,  110). 

4.  Le  Vexin  français  fut  enlevé  à  la  généralité  d'Outre-Seine  non  pas  vers 
1474-78  comme  le  dit  Jacqueton  p.  282,  n.  9,  mais  en  1382  :  cf.  ci-dessous  p.  61-3. 


28  LA    TAILLE    EN    NOIIMANDIB. 

aussi,  au  sud,  la  châtcllenie  de  Nogent-le-Rotrou  et  la  vicomte 
du  Perche,  qui  sont  en  dehors  de  la  province  pour  la  justice  et 
le  gouvernement  militaire1.  Les  limites  de  ces  généralités,  sans 
être  aussi  vagues  que  l'a  soutenu  Brette,  n'étaient  pas  tou- 
jours très  précises;  les  enclaves  d'une  ou  de  plusieurs  paroisses 
étaient  fréquentes;  l'intendant  d'Alençon  signale  des  paroisses 
«  mixtes  »  entre  sa  généralité  et  celles  de  Tours  et  d'Orléans  *; 
pendant  longtemps  un  faubourg  de  Pontoise  dépendit  de  la 
généralité  de  Paris,  tandis  que  la  ville  dépendait  de  Rouen; 
un  faubourg  d'Alençon  était  de  la  généralité  de  Tours. 

Avant  1636,  la  généralité  de  Rouen  comprenait  21  élections 
et  celle  de  Caen,  9*.  La  généralité  d'Alençon  enleva  8  élections 
à  celle  de  Rouen  et  une  à  celle  de  Caen.  En  définitive,  les  trois 
généralités  sont  composées  au  temps  de  Colbert  de  la  façon 
suivante  :  > 

Rouen,  élections  d'Andely,  Arques,  Caudebec,  Chaumont  et 
Magny,  Évreux,  Gisors,  Lyons,  Montivilliers,  Neufchâtel,  Pont- 
Audemer,  Pont  de  l'Arche,  Pont  l'Evêque,  et  Rouen4,  soit 
13  élections,  comprenant  1  893  paroisses  taillables. 

Cabn,  élections  d'Avranches,  Bayeux,  Caen,  Carentan, 
Coutances,  Mortain,  Valognes,  Vire-et-Condé5,  soit  8  élections, 
1  233  paroises  taillables. 

Alençon,  élections  d'Alençon,  Argentan,  Bernay,  Conches, 
Domfront,  Falaise,  Lisieux,  Mortagne,  Verneuil,  soit  9  élections, 
1321  paroisses  taillables6'. 

On  voit  qu'il  y  a  une  assez  grande  inégalité  entre  les  trois 
circonscriptions,  celle  de  Rouen  ayant  moitié  plus  de  paroisses 
que  celle  de  Caen;  il  ne  semble  pas  que  le  gouvernement  ait 
jamais   rien  fait,    après    1636,    pour    corriger   ce   défaut.   Telle 


Le  rattachement  fut   fait  uniquement  au   point   de  vue  financier;  pour  tout   le 
reste,  le  pays  dépendait  de  Paris.  Cf.  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  85. 

1.  Voir  de  Beaurepaire,  Cahiers  des  riais...  règnes  de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV, 
t.  III,  p.  V.  Quelques  remaniements  de  détail  dans  ces  limites  furent  faits  à 
l'époque  de  Colbert.  Ainsi,  le  faubourg  de  l'Aumône  sur  la  rive  gauche  de  l'Oise, 
fut  rattaché  à  Pontoise  par  une  déclaration  du  27  janvier  1663,  comme  on  le 
▼erra  plus  bas.  De  même,  la  paroisse  du  Courdimanche  fut  enlevée  à  la  généra- 
lité d'Alençon. 

2.  Voir  la  liste  des  élections  en  décembre  1597,  dans  Néron,  Recueil,  t.  I, 
p.  6D0,  et  dans  C.d.T.  t.  I,  221.  Autre  liste  semblable  dans  Lescuyer,  Le  guidon 
des  secrétaires  (lli22)  p.  30. 

3.  Une  élection  avait  été  créée  à  Pontoise  par  édit  de  décembre  165'»  (C.d.T.  I, 
45ti).  Elle  fut  supprimée  en  août  1661  (ibid.  p.  495). 

4.  Lettre  au  contrôleur  général,  du  27  juillot  1682.  L'inconvénient  de  ce  par- 
tage est  de  favoriser  les  translations  de  domicile  frauduleuses.  L'intendant 
demande  à  s'entendre  avec  ses  collègues  d'Orléans  et  de  Tours  pour  •  achever 
ce  qu'on  a  desjà  proposé  plusieurs  fois,  et  mettre  toutes  ces  paroisses  mixtes 
tous  une  mesme  eslection  »  (A.  N.  G7,  71).  Nous  ne  savons  s'il  fut  ou  non  donné 
suite  à  sa  proposition. 

5.  L'élection  de  Saint- Lô  fut  supprimée  en  août  1661,  ainsi  qu'on  le  verra  plus 
loin. 

6.  Voir  ci-dessous,  p.  64,  le  tableau  des  élections  avec  le  nombre  des  paroisses 
de  chacune. 


L  ETABLISSEMENT    DU     BREVET.  29 

quelle,  la  généralité  de  Rouen  occupe,  par  le  nombre  de  ses 
paroisses,  le  cinquième  rang  dans  les  pays  d'élections;  Alençon 
vient  au  septième  rang,  et  Gaen  au  dixième. 

Pour  fixer  la  part  de  chaque  généralité,  le  gouvernement  ne 
disposait  d'aucun  élément  statistique  précis.  On  verra  qu'il  en 
était  de  même  à  tous  les  degrés  de  la  répartition  :  les  collecteurs 
n'avaient  que  leur  opinion  personnelle  pour  juger  des  facultés 
d'un  taillable,  les  intendants,  les  trésoriers  généraux,  les  élus/  ^ 
n'avaient  aucune  base  pour  évaluer  les  ressources  d'une  paroisse 
ou  d'une  élection.  La  taille  étant  un  impôt  global  sur  le  revenu 
et  comportant  des  exemptions  personnelles,  ne  pouvait  être 
exactement  tarifée;  on  n'avait  aucun  moyen  de  savoir  chaque 
année  qui  était  contribuable  en  chaque  lieu  et  à  combien  il 
devait  être  taxé.  L'arbitraire  dans  l'assiette  était  la  caractéris- 
tique essentielle  de  l'impôt.  En  pratique,  on  se  guidait  sur  les 
chiffres  d'imposition  de  l'année  précédente;  en  les  reproduisant, 
ou  à  peu  près,  on  risquait  de  ne  pas  faire  trop  d'erreurs;  mais 
on  risquait  aussi  de  perpétuer  les  inégalités;  une  circonscription 
qui  avait  été  soulagée  une  fois  avait  chance  de  l'être  toujours; 
celle  qui  au  contraire  avait  été  une  fois  surchargée  le  demeu- 
rait toujours. 

En  dehors  de  cette  base,  l'état  des  recouvrements  pouvait 
donner  des  indications  utiles  :  lorsqu'une  généralité  payait  ses 
impôts  sans  non-valeurs  et  sans  retards,  il  était  a  présumer 
qu'elle  n'était  pas  surchargée;  si  au  contraire  elle  payait  lente- 
ment et  avec  beaucoup  d'arriérés,  il  y  avait  risque  qu'elle  fût 
trop  imposée.  Mais  ici  encore,  que  valait  le  raisonnement?  Cer- 
taines circonscriptions  payaient  bien  par  habitude,  soit  qu'elles 
fussent  bien  administrées,  soit  qu'elles  eussent  connu  une 
période  passagère  de  prospérité  ;  d'autres,  où  les  peuples 
étaient  «  endurcis  »,  payaient  mal,  en  dépit  de  tous  les  dégrè- 
vements. 

Les  chances  d'erreur  dans  la  répartition  étaient  d'autant  plus 
grandes  que  le  gouvernement  ignorait  la  consistance  et  la  richesse 
relative  des  circonscriptions.  Avant  1661,  personne  ne  savait! 
combien  il  y  avait  de  paroisses,  à  plus  forte  raison  de  contri- 
buables dans  chaque  généralité;  si  l'on  s'était  parfois  préoccupé 
de  le  savoir,  on  n'avait  pas  eu  le  moyen  d'y  parvenir.  Colbert 
le  premier  comprit  l'importance  de  ces  renseignements  statis- 
tiques et  s'efforça  de  les  réunir1.  En  1664  il  demandait  aux  f 
intendants  «  le  nombre  véritable  des  villes,  bourgs  et  paroisses  » 
dont  chaque  circonscription  était  composée.  L'année  suivante, 

1.  Voir  mon  édition  du  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye  sur  la  généralité  de 
Rouen,  introduction,  p.  V-VII,  et  appendice,  p.  161-163.  Montchrestien  avait  déjà 
proposé  ces  enquêtes  dans  son  Traité  de  l'économie  politique  (1615). 


10  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

il  faisait  dresser  une  liste  des  paroisses,  élection  par  élec- 
tion avec  le  nombre  des  feux  de  chacune,  ses  impositions 
ta  1658,  1659,  1662  et  1665,  et  la  nature  de  son  terroir1. 
K ri  L671,  dans  une  nouvelle  circulaire,  il  demandait  à  ses 
subordonnés  une  «  comparaison  du  nombre  des  cotes  de  cette 
année  awe  rrluy  des  cinq  ou  six  dernières*  ».  En  1677  encore,  il 
réunissait  dans  un  registre  le  tableau  complet  de  toutes  les 
paroisses  par  élections,  avec  leur  chiffre  d  impôt.  Souvent  il 
calcula  l'imposition  moyenne  d'un  feu  dans  chaque  généralité 
pour  juger  approximativement  si  l'une  n'était  pas  surchargée 
par  rapport  à  l'autre.  Ainsi,  en  1682,  il  constatait  que  dans  les 
élections  de  Beauvais  et  de  Clermont,  de  la  généralité  d'Amiens, 
un  feu  payait  moins  que  dans  les  généralités  voisines  de 
Paris  et  de  Soissons,  et  il  invitait  l'intendant  de  Breteuil  à  y 
remédier3.  Souvent  les  intendants,  sur  son  ordre,  lui  signa- 
laient de  ces  inégalités  :  celui  d'Alençon  en  sept.  1683  lui 
apprend  que  les  contribuables  de  l'élection  de  Mortagne  font 
des  translations  de  domicile  fictives  dans  la  généralité  de  Tours, 
et  ceux  de  l'élection  de  Verneuil  dans  les  généralités  d'Orléans, 
de  Paris,  de  Rouen,  pour  payer  moins  de  taille*.  En  1672, 
'  l'intendant  de  Rouen  lui  écrit  que  des  taillables  de  l'élection  de 
Neuchâtel  se  retirent  dans  la  généralité  d'Amiens  «  parce  que 
la  taille  n'y  est  pas  si  haulte  qu'en  cette  province5  ».  Le  12  sep- 
tembre 1683,  l'intendant  Méliand,  qui  passa  successivement 
plusieurs  années  dans  chacune  des  trois  circonscriptions  nor- 
mandes, écrit  :  «  Cette  généralité  de  Rouen  est  fort  surchargée 
et  beaucoup  plus  que  les  deux  aultres  de  cette  province,  ce  que 
je  sais  pour  y  avoir  servi6  ».  Deux  mois  auparavant,  il  envoyait 
un  mémoire  où  il  montrait  les  accroissements  de  taille 
infligés   à   la    généralité    depuis    1674    :     le  chiffre  était   passé 

1.  Voir  dan»  le  Mémoire  de  Voysin,  p.  161  et  suiv.,  ce  tableau  pour  la  généralité 
de  Rouen. 

2.  Clém.  IV,  58. 

3.  Lettres  à  Breteuil  des  28  octobre  et  6  novembre  1682  (B.  Mun.  Amiens,  ms.  508, 
t.  III,  pièces  495  et  513). 

4.  Mémoire  du  1"  septembre  1683  (A.N.  G7  83).  Sur  la  répartition  traditionnelle 
de  la  taille,  cf.  Labarre,  Formulaire,  p.  77  :  il  explique  comment,  des  deux  géné- 
ralités de  Normandie,  celle  de  Caen  porte  habituellement  le  tiers  de  celle  de 
Rouen  :  «  s'il  y  a  1  803  160  1.  (pour  la  généralité  de  Rouen)  ainsi  qu'es  années  1619 
et  1620,  Caen,  marchant  au  tiers,  a  porté  634  720  1.  » 

5.  Lettre  du  30  octobre  1672  (M.  C.  169,  f°  189.  Cf.  Clairamb.  795,  p.  485).  Si 
nous  calculons  après  Colbert  l'imposition  moyenne  par  feu  dans  les  généralités 
pour  lesquelles  nous  avons  des  données,  nous  trouvons  qu'en  1665,  celle  de  Rouen 
étant  imposée  à  2  272  698  1.  pour  182  348  feux  taillables,  paie  en  moyenne  12  1.  9  s. 
3  d.  (Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye  sur  la  généralité  de  Rouen,  p.  166  et  suiv.). 
Pour  la  généralité  de  Caen,  nous  avons  un  état  des  feux  dressé  en  1668;  le  total 
est  de  135  403.  L'impôt  étant  de  1767  000  1.  on  a  une  moyenne  de  13  1.  1  s.  par 
feu  (état  recueilli  par  l'abbé  de  Dangeau,  B.  N.  fr.  22  613,  f°  142-144).  Nous  n'avons 
pas  de  liste  des  feux  pour  la  généralité  d'Alençon  à  l'époque  qui  nous  concerne. 
On  trouve  un  tableau  comparatif  de  l'imposition  moyenne  par  habitant  dans 
chaque  j^ênoralité,  vers  1784,  dans  Y  Encyclopédie  méthodique,  partie  Finances, 
t.  II,  p.  368. 

6.  A.  N.  G'  492. 


L  ETABLISSEMENT    DU    BREVET.  31 

de  2  430000  1.   à  2  515000,    sans    que    le   nombre   des   contri- 
buables ni  leur  fortune  eussent  notablement  changé1. 

Les  renseignements  de  cette  nature  étaient  les  moins  impar- 
faits  que  le  Conseil  pût  avoir  pour  fixer    la   quote-part  d'une 
généralité.  Mais  ils  étaient  loin  de  suffire.  D'abord,  on  peut  se 
demander  si  l'intendant  avait  des  éléments  d'information  suffi- 
samment exacts  et  s'il  prenait  la  peine  de  se   renseigner  avec 
précision  avant  d'écrire.  Les  chiffres  ne   doivent  pas  être  pris 
en  eux-mêmes,  il  faut  les  interpréter;  une  circonscription  payant  , 
en  moyenne  15  1.   par  feu  pouvait  n'être  pas  plus  surchargée  '<^ 
qu'une  autre  payant  10  "17,  si  la  première  était  en  pays  riche  et 
la  seconde  en  pays  stérile.  En  second  lieu,  il  fallait  tenir  compte 
des  autres    impôts,  très  inégaux  suivant  les  provinces   :  il  eût 
été    injuste   de    faire    payer   autant   de   taille   à  une   généralité 
de  grande  gabelle  et  à  une  généralité  de  petite  gabelle;  à  une 
élection  accablée  par  les  logements  de  troupes  et  à  une  élection 
exempte    de    soldats.    Enfin,   les   réclamations    des   intendants  S 
n'étaient  pas  Jtoujqurs   désintéressées   :   il  était    naturel   qu'un     i 
administrateur  cherchàtlTfàîrësouïager  s^a  çiFconscription  pour  ' 
se  faire  1^ri^vmrlîè"se^adini^^  se  vante  d'avoir 

fait  âccDrdèT^ûrTe^iminutîÔn"  de  30000  1.  de  taille  à  la  géné- 
ralité de  Caen  en  1705  et  une  nouvelle  réduction  de  40000  1. 
en  mai  1706 2.  Les  fréquentes  plaintes  de  tous  les  intendants  ; 
sur  la  surcharge  de  leur  généralité  par  rapport  aux  voisines 
doivent  nous  mettre  en  éveil 3.  En  1679,  Colbert  réprimande  ' 
l'intendant  d'Auvergne  à  ce  sujet  :  «  Je  vous  vois,  lui  dit-il, 
un  grand  penchant,  en  toutes  occasions,  pour  favoriser  la  pro- 
vince d'Auvergne,  ce  qui  ne  s'accorde  pas  du  tout  avec  le  ser- 
vice du  roy 4.  »  Nous  avons  du  reste  l'aveu  de  l'un  d'entre  eux  : 
en  1732,  Lallemant  de  Lévignen,   intendant  d'Alençon,   écrit  : 

«  Le  conseil  est  prévenu  que  lorsque  les  intendants  demandent  des 
diminutions,  c'est  dans  la  vue  de  s'attirer  la  considération  des  pro- 
vinces confiées  à  leurs  soins  5.  » 

1.  A.N.  &  492. 

2.  Mémoires  de  Foucault,  éd.  Baudry,  p.  366  et  368. 

3.  Ces  discussions  sur  la  surcharge  relative  de  telle  ou  telle  conscription  étaient 
très  anciennes.  Aux  Etats  de  148i,  les  Picards  se  déclarent  surchargés  :  «  Il  est 
aisé,  disent-ils,  d'avoir  la  preuve  de  ce  fait  dans  le  bailliage  d'Amiens  et  ses 
environs,  où  deux  cultivateurs,  l'un  étant  des  nôtres  et  l'autre  son  voisin,  quoi- 
qu'ils eussent  une  aisance  égale,  n'étaient  pas  assujettis  à  une  taille  égale,  et 
pour  3  1.  que  le  premier  payait,  le  second  en  payait  2  au  plus  »  (Journal  de  Masse- 
lin,  trad.  française,  p.  471).  Or,  les  Normands  leurs  voisins  soutiennent  pour 
leur  compte  la  même  thèse  :  «  dans  les  villages  situés  sur  les  limites  de  la 
Normandie,  disent-ils,  le  paysan  normand  paie  une  cote  deux  fois  plus  considé- 
rable qu'un  autre  paysan  son  voisin,  qui  a  les  mêmes  moyens  et  demeure  hors 
de  nos  limites  (ibid.,  p.  477). 

4.  Glém.,  II,  p.  108. 

5.  B.N.  fr.  7  771,  f°  176.  Les  intendants  et  les  ministres  trouvaient  d'ailleurs 
leur  compte  à  ces  protections.  En  1679,  les  Etats  de  Maçonnais  votent  des  gratifi- 
cations de  1000   liv.  à    Colbert,  500  1.  à  Desmaretz,  200  1.  à  Boissier,  secrétaire 


32  LA    TAILLE    EN     NOIt  M  AN  M  I   . 

f  En  définitive,  le  gouvernement  n'était  pas  en  mesure  de  faire 
I  un  répartement  exact  et  équitable  de  la  taille;  il  nous  est  d'ail- 
leurs impossible  à  nous-mêmes  aujourd'hui  de  juger  ses  opéra- 
tions :  nous  avons  bien  des  indices  que  telle  région  était  sur- 
chargée, telle  autre  soulagée1,  mais  nous  ne  pouvons  dire  de 
combien. 

Le  tableau  qui  suit  donne,  en  centièmes,  pour  quatre  années 
différentes,  la  part  relative  de  chaque  généralité;  les  quatre 
années  choisies  sont  :  1661  (brevet  arrêté  par  Fouquet)  ;  1663 
(premier  brevet  arrêté  par  Colbert);  1672  (brevet  le  plus  faible 
de  notre  période);  1683  (le  dernier  brevet  arrêté  par  Colbert). 

1661  1663  1672  1683 

Pari» 10,772  p.  100.  10,179  p.  100.  10,498  p.  100.  10,561  p.  100. 

Soissons    ....  2,766  —  2,756  —  3,033  —  2,68  •  — 

Amiens 2,188  —  2,032  —  2,436  —  2,595  — 

Chnlons 3,962  —  4,591  —  4,588  —  4,1fi6  — 

Orléans 6,418  —  6,447  —  6,005  —  5,744  — 

Tours 9,523  —  9,707  —  9,177  —  8,889  — 

Bourges 2,102  —  2,141  —  1,967  —  1,8»6  — 

Moulins 3,541  —  3,781  —  3,726  —  3,732  — 

Lyon 4,205  —  4,143  —  3,988  —  3,632  — 

Riom 7,085  —  6,396  —  6,877  —  6,911  — 

Poitiers 7,001  —  6,752  —  6,347  —  6,387  — 

Limoges    ....  5,388  —  5,894  —  5,193  —  5,511  — 

Bordeaux  ....  7,9.>9  —  7,935  —  8,580  —  8,759  — 

Montauban   .    .    .  8,650  —  8,418  —  8,394  —  9,366  — 

Rouen 6,418  —  6.504  —  6,722  —  6,6:<9  — 

Caen 4,869  —  4,834  —  4,885  —  4,588  — 

Alencon 4,094      —  4,216  —  4,257  —  4,141  — 

Grenoble  ....  3,060  —  3,272  —  3,324  —  3,829  — 

Ce  tableau  montre  combien  la  quote-part  d'une  généralité 
variait  d'une  année  à  l'autre  :  entre  1661  et  1663,  la  part  de 
Limoges  croit  de  5,3  à  5,8  p.  100,  celle  de  Paris  décroit  de 
10,7  à  10,1,  celle  de  Poitiers,  de  7  à  6,7;  il  n'est  pas  une  cir- 
conscription qui  ait  conservé  sa  même  proportion.  De  même, 
entre  la  première  et  la  dernière  année  de  Colbert,  on  trouve  des 
écarts  importants  :  Amiens,  de  2  à  2,6  p.  100;  Orléans,  de 
6,4  à  5,7,  Montauban,  de  8,4  à  9,3,  Grenoble,  de  3,2  à  3,8; 
il  serait  difficile  de  les  expliquer  par  l'accroissement  ou  la 
diminution  des  ressources  de  ces  circonscriptions;  il  faut  plutôt 
y  voir  un  effet  de  l'indécision  du  Conseil  dans  le   répartement. 

du  contrôleur  général,  500  1.  à  l'intendant  Bouchu,  attendu  •  qu'il  est  extrême- 
ment important  de  prendre  quelques  mesures  pour  se  faire  dans  les  affaires  les 
mesmes  ouvertures  que  les  autres  provinces  se  sont  acquises  par  le  moyen  de  la 
juste  reconnoissance  qu'elles  ont  envers  les  personnes  puissantes  en  crédit  qui 
veulent  bien  [leur]  donner  une  partie  de  leurs  soins  »  (Clém.,  IV,  p.  596).  La 
Normandie  paye  7  500  1.  chaque  année  a  La  Vrillière,  dans  le  département  duquel 
elle  se  trouve,  et  celui-ci  estime  cette  gratification  juste,  uttendu  qhe  ses  collègues 
«  jouissent  entièrement  de  semblables  gratifications  dans  les  provinces  de  leurs 
departemens  >  (Billet  à  Colbert,  24  avril  1666,  M.  G.,  137,  fol.  450). 
1.  Cf.  la  préface,  p.  V. 


L  ETABLISSEMENT    DU     BREVET. 


33 


Voici  maintenant  le  montant  des  brevets  pour  les  trois  géné- 
ralités normandes,  de  1661  à  1683  : 


Rouen. 

1661 2  610  000  1. 

1662 2  786  533 

1663 2  480  083 

1664 2  361083 

1665 2  288  000 

1666 2  316  000 

1667 2346000 

1668 2  356  000 

1669 2  380  000 

1670 2  251000 

1671 2  258  900 

1672 2  239  040 

1673 2  291000 

1674 2  430  000 

1675 2  430  000 

1676 2  700  000 

1677 2  700  000 

1678 2  700  000 

1679 • 2  300  000 

1680 2  300  000 

1681 2  260  000 

1682. 2  288100 

1683 1580  550 


Caen. 


Alençon. 


1980  0001. 

1  665  000 

2  068  758 

1  768  744 

1  843  059 

1  607  411 

1  733  059 

1  527  411 

1  622  000 

1  483  000 

1  650  000 

1518  000 

1  678  000 

1  538  000 

1  767  000 

1  538  000 

1  767  000 

-  1538  000 

1  647  000 

1  438  000 

1  647  000 

1  438  000 

1  627  000 

1418  000 

1  668  000 

1  448  000 

1  768  000  . 

1  537  000 

1  768  000 

1  537  000 

1  930  000 

1  700  000 

1  930  000 

1  700  000 

1  930  000 

1  700  000 

1  600  000 

1  450  000 

1  600  000 

1  450  000 

1  550  000 

1  400  000 

1  577  400 

1  429  500 

1  426  500 

1319  233 

OC 


Les  chiffres  arrêtés  pour  chaque  généralité  étaient  inscrits 
sur  l'original  du  brevet  de  la  taille.  Ce  brevet  général  se  ter- 
minait par  la  clause  suivante  : 

«  Veult  S.  M.  qu'il  soit  envoyé  aux  Presidens  trésoriers  de  France 
desdites  dix-huit  generallitez,  des  extraicts  signez  de  S.  M.  et  con- 
tresignez par  l'un -de  ses  secrétaires  d'Estat  et  de  ses  commandemens, 
contenant  les  sommes  que  chacune  desdites  generallitez  doit  porter, 
pour  en  faire  le  département  sur  les  eslections  en  dépendantes,  et 
donner  sur  ce  leurs  ad  vis  à  S.  M.  » 

On  copiait   donc  sur  ce  brevet  général   autant  de  «    brevets  \ 
particuliers  »   qu'il  y  avait  de  généralités.   Chaque  brevet  par- 
ticulier débutait  par  la  formule  suivante  :  «  Extrait  du  brevet 
contenant  les  sommes  que  le  roy,  estant  à  le  a 

résolu  estre  imposées  et  levées  en  l'année  prochaine  mil  six  cens 
».   Il  se  terminait  par  cette  autre  :  «  Collationné  sur 
l'original    signé   par   nous  ».    Chaque    brevet    particulier 

indiquait  la  somme  imposée  sur  la  généralité  à  laquelle  il  était 
adressé.  On  n'y  trouvait  pas  l'imposition  des  autres  circon- 
scriptions, de  sorte  que  les  trésoriers  généraux  et  les  intendants 
ignoraient  le  rapport  entre  l'imposition  de  leur  généralité  et 
celle  de  l'ensemble  du  royaume.  C'était  leur  interdire  de  dis- 
cuter le  chiffre  même  du  brevet  et  leur  enlever  le  moyen  de 
savoir  si  les  autres  généralités  avaient  été  comme  la  leur  aug- 

3 


LA    TAILLE    EX    NORMANDIE. 


34  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

menthes  ou  diminuées.  Les  brevets  particuliers  étaient  expédiés 
sur  parchemin  par  un  commis  du  secrétaire  d'Etat  qui  avait 
signé  le  brevet  général,  et  scellés  du  sceau  de  cire  jaune  '. 

D'après  son  libellé,  le  brevet  particulier  ne  devait  être  adressé 
qu'aux  trésoriers  généraux;  il  en  était  ainsi  avant  l'établisse- 
ment des  intendants,  mais  dès  1642,  les  intendants  avaient  reçu 
un  double  du  brevet,  et  pendant  tout  le  ministère  de  Colbert  on 
ne  cessa  pas  de  le  leur  expédier  en  même  temps  qu'aux  tréso- 
riers. Néanmoins,  la  formule  ne  fut  pas  corrigée,  soit  par  négli- 
gence, soit  pour  ne  pas  provoquer  les  réclamations  des  tréso- 
riers de  France. 

A  chaque  brevet  particulier  était  jointe  une  lettre  de  cachet 
du  roi  sur  parchemin,  adressée  aux  trésoriers  et  leur  enjoignant 
d'envoyer  leur  avis  sur  le  brevet  sans  retard.  Cette  lettre  était 
de  pure  forme  et  ne  contenait  aucune 'indication  particulière*. 
On  y  ajoutait  encore  une  lettre  de  l'intendant  des  finances 
chargé  des  tailles  et  souvent  aussi,  à  partir  de  1666,  un  billet 
du  contrôleur  général.  Ces  lettres  étaient  également  de  pure 
forme.  La  copie  adressée  à  l'intendant  était  une  simple  expé- 
dition sur  papier  non  signée  ni  scellée,  et  destinée  uniquement 
à  renseigner  ce  fonctionnaire;  elle  était  sans  valeur  authen- 
tique. Colbert  y  joignait  une  lettre  circulaire,  signée  de  lui,  où 
il  faisait  à  ses  subordonnés  toutes  les  recommandations  rela- 
tives à  la  taille,  leur  adressait  toutes  les  demandes  de  rensei- 
gnements qu'il  jugeait  utiles.  Une  partie  d'entre  elles  nous  sont 
parvenues  et  se  trouvent  dans  la  publication  de  Clément3;  nous 

1.  En  1067,  il  est  accordé  300  1.  d'indemnité  au  sieur  de  Rez,  commis  de  Guéné- 

Pud,  pour  l'expédition  du  brevet  de  la  taille  (Aff.  Etr.,  France,  mém.  et  doc.  i*22, 
75).  C'était  le  secrétaire  d'Etat  en  quartier  qui  signait  les  brevets  particuliers, 
comme  toutes  les  autres  expéditions. 

2.  Voici  par  exemple  celle  qui  fut  adressée  au  Bureau  des  finances  de  Rouen  le 
3  juin  1671  avec  le  brevet  : 

•  De  par  le  Iloy, 

«  Nos  amez  et  feaulx,  nous  tous  envoyons  l'extrait  du  brevet  de  la  taille  de 
Tannée  prochaine  1672,  signé  de  notre  main,  par  lequel  vous  connoistrez  les 
sommes  que  nous  voulons  estre  imposées  en  vostre  généralité,  et  voulant  avant 
que  de  faire  travailler  à  nos  commissions  de  ladicte  année,  avoir  vostre  départe- 
ment contenant  voslre  advis  sur  ce  que  chacune  élection  en  doit  porter,  Nous 
vous  mandons  et  ordonnons  de  nous  envoyer  vostre  dict  département  dans  la  fin 
du  mois  de  juin  prochain,  après  avoir  pris  connoissance  de  restât  des  biens  de  la 
terre,  et  à  ce  ne  faitos  faute,  enr  tel  est  notre  plaisir.  Donné  à  Tournay  le  troi- 
sième jour  de  juin  mil  six  cens  soixante  et  onze  •  (signé)  :  Loui*,  ^et  plus  bas) 
Colbekt.  (A.D.    Calv.  Bureau  des   finances,   registre   de  commissions,  16til-1672, 

D'autres  lettres  semblables  pour  les  autres  années  se  trouvent  au  même 
registre.  Des  copies  des  lettres  envoyées  chaque  année  au  bureau  des  finances  se 
trouvent  à  la  suile  des  brevets  de  la  taille  dans  les  registres  du  secrétariat 
d'Etat  de  la  maison  du  roi  (A.  N.  O*  5  à  27).  Celle  de  1681  est  publiée  dans 
Clément,  t.  II,  p.  783,  n.  2.  Le  seul  détail  à  relever  dans  ces  lettres  c'est  que  le 
roi  enjoignait  aux  trésoriers  généraux  d'envoyer  leur  uvis  le  plus  tôt  possible, 
généralement  avant  le  1"  juillet. 

3.  Voir  par  exemple  Clém.,  II,  330. 


L  ETABLISSEMENT    DU    BREVET. 


35 


aurons  souvent  à  y  recourir  pour  connaître  les  réformes  de 
Colbert.  Voici,  à  titre  d'exemple,  celle  qui  fut  expédiée  avec  le 
brevet  de  1672  : 

«  Le  roy  ayant  résolu  et  signé  le  brevet  de  la  taille  de  l'année 
prochaine  dont  je  vous  envoyé  l'extrait,  je  vous  prie  de  prendre 
connoissance  de  Testât  de  chacune  eslection  pour  bien  distribuer  la 
somme  portée  par  ledit  brevet,  en  sorte  que  l'imposition  se  fasse  sans 
non-valleurs  en  vertu  des  commissions  qui  vous  seront  envoyées  dans 
le  temps  accoustumé.  Je  ne  doutte  pas  que  vous  n'en  preniez  un  soin 
particulier,  puisqu'il  s'agit  du  service  de  Sa  Majesté,  et  de  soulager 
les  peuples  de  l'inégalité  des  impositions  qui  cause  d'ordinaire  beau- 
coup de  frais  et  de  vexations.  Je  suis —  *.  » 

Jusqu'en  1666,  des  paquets  séparés  étaient  faits  pour  le 
Bureau  des  finances  et  pour  l'intendant;  après  cette  date,  on 
ne  fit  plus  qu'un  seul  paquet,  qui  fut  adressé  à  l'intendant; 
celui-ci  faisait  parvenir  au  Bureau  l'exemplaire  du  brevet  et  les 
lettres  qui  lui  étaient  destinés. 


1.  A.  N.OU6,  f°334,  v°. 


CHAPITRE  II 


LES  COMMISSIONS  DES  TAILLES 


I.  LES  TRESORIERS  GENERAUX.  II.   LES  INTENDANTS.  III.  LES 

ÉLECTIONS.  IV.  LES  AVIS  SUR  LE  BREVET.  V.  LES  IMPOSITIONS 

DES  VILLES.  VI.  LA  FORME  DES  COMMISSIONS. 


Le  chiffre  d'impôt  attribué  à  chaque  généralité  par  le  brevet» 
doit  être  réparti  entre  les  élections.  Cette  besogne  était  à  l'ori-j 
gine   confiée   aux  généraux  des   finances !  ;   mais   ceux-ci  ayant 
abusé  de  leur  pouvoir,   le  roi  s'était   réservé  le   droit  de  pro- 
noncer lui-même  en  dernier  ressort,  ne  laissant  que  voix  con-  À 
sultative  à  ses  agents  locaux.  Nominalement,   la  répartition  au  | 
second  degré  est  donc  faite  par  le  Conseil,  mais  d'après  l'avis  j 
des    agents    locaux,    lesquels    sont    seuls    en    mesure    de    con-  f 
naître  les   ressources  et  les   capacités  contributives   de  chaque 
région. 

Leur  travail,  qui  porte  le  nom  d'  «  avis  sur  le  brevet  »,  doit 
servir  à  déterminer  : 

1°  la  part  de  chaque  élection; 

2°  l'imposition  de  certaines  villes,  qui  ont  le  privilège  d'être 
imposées  directement  par  le  Conseil; 

3°  les  impositions    annexes   qui  doivent  être  levées  avec   la 
taille. 

Ces  agents  locaux  sont,  dans  chaque  généralité,  les  trésoriers 
généraux  et  les  intendants. 


1.  Les  États  de  Normandie  avaient  eu,  au  début,  le  droit  de  faire  la  réparti- 
tion, mais  ils  l'avaient  de  très  bonne  heure  perdu.  Cf.  leurs  doléances  en 
novembre  1569,  Cahiers  des  Jitats,  règne  de  Charles  IX,  t.  I,  p.  59,  et  encore 
en  mars  1579  {ibid.,  t.  II,  p.  40)  :  à  cette  dernière  date  ils  font  valoir  l'avantage 
qui  résultera  de  la  suppression  de  ce  «  grand  nombre  d'officiers  qui  tous  ron- 
gent et  mangent  jusques  aux  oz  la  substance  [du]  peuple  ».  Mais  le  roi  avait  ses 
raisons  pour  conserver  et  même  multiplier  ces  mangeurs. 


38  I.A    TAII.LK     l\     Nult.M  ANDIi:. 


I.   —   LES  TRESORIERS  GENERAUX 

«  On  peut  dire  de  l'origine  des  trésoriers  généraux,  écrit  Four- 
nival,  qu'il  en  est  comme  du  Nil,  dont  on  n'a  jamais  pu  découvrir 
la  source;  ces  officiers  sont  si  anciens  dans  le  royaume,  qu'il  ne 
se  trouve  rien  de  leur  origine  '.  »  Leur  charge  s'était  formée  par 
la  réunion  de  deux  fonctions  différentes  :  celles  de  trésorier  de 
France  et  de  général  des  finances.  Les  trésoriers  de  France 
administraient  le  domaine  du  roi,  ils  étaient  d'institution  pure- 
ment royale;  les  généraux  des  finances  avaient  été  créés  au 
xive  siècle  pour  surveiller  la  répartition  des  impôts  nouveaux, 
à  la  demande  des  Etats  :  ainsi  les  premiers  administraient  les 
finances  ordinaires  et  les  seconds  les  finances  extraordinaires. 
A  la  fin  du  xivc  siècle,  il  y  eut  pour  tout  le  royaume  quatre  tré- 
soriers et  quatre  généraux  des  finances;  ils  avaient  chacun  une 
des  quatre  généralités  à  administrer;  lorsqu'en  décembre  1542, 
le  nombre  des  généralités  fut  porté  à  seize,  celui  des  trésoriers 
et  des  généraux  ne  fut  pas  augmenté;  ils  continuèrent  à 
demeurer  à  Paris,  et  envoyèrent  leurs  commis  surveiller  les 
receveurs  dans  les  circonscriptions  nouvelles2. 

En  janvier  1551,  le  roi  réunit  en  un  seul  les  deux  offices  de 

I  trésorier  de  France  et  de  général  des  finances  sous  le  nom  de 
trésorier  général,  et  décida  que  chacune  des  dix-sept  généra- 
lités alors  existantes  aurait  un  de  ces  nouveaux  officiers.  Ainsi, 
dit  Loyseau,  à  partir  de  ce  moment,  ils  ne  furent  plus  en  réalité 
«  ny  officiers  de  France  (j'entends  de  la  Couronne),  ny  géné- 
raux par  tout  ie  royaume;  mais  ces  beaux  titres  leur  ont  esté 
laissez  pour  mieux  vendre  leurs  offices3  ».  Après  une  division 
passagère,  les  charges  de  trésoriers  généraux  furent  définitive- 
ment constituées  et  servirent  maintes  fois  au  roi  à  battre  mon- 
naie par  des  créations  d'offices.  En  1576,  il  y  ^ayjait-déjà  quatre 
trésoriers  gé  n  é  rau  x  d  âlïschaq  u  e  généralité;  on  en  créa  un^îh- 

atrîèmêPën  juHleTI^TT^oû^-prétexte  d'avoir  un  nombre  impair 
e  délibérants,  et  leur  réunion  prit  alors  le  nom  de  BureajLjles 
finances;  c'était  un  véritable  conseil  auquel  étaient  attachés  un 
greffier  et  deux  huissiers  4.  On  créa  encore  deux  offices  de  tré- 
soriers par  généralité  en  1581,  trois  autres  en  1586,  deux  en  1621, 
deux  en  1626,  quatre  en  1627,  etc.,  et  les  offices  subalternes  se 
multiplièrent  h  proportion5.  En   1665,  leur  nombre  total  était 

1.  Recueil  des  privilèges...  des  trésoriers  de  France,  p.  2. 

2.  Edit  du  15  décembre  1542  dans  Fontanon,  Recueil,  éd.  1611,  t.  I,  f  625. 

3.  Loyseau,  Du  droit  des  offices,  1.  IV,  ch.  n,  §  46.  V.  l'édit  de  sept.  1552  sur  les 
attributions  des  nouveaux  officiers,  dans  Fontnnon,  Recueil,  t.  II,  t  63. 

4.  Edit  de  juillet  1577,  dans  Fontanon,  t.  II,  f°  86. 

5.  Un  adversaire  des  trésoriers  a  lui-nu'me  reconnu  :  «  Il  n'est  point  d'officiers 
qui  ayent  éprouvé  autant  de  vicissitudes  et  de  variations  dans  leur  état  que  les 
trésoriers  de  France;...  on  les  a  considérés  depuis  leur  dégradation,  c'est-à-dire 


LES    TRESORIERS    GENERAUX. 


39 


de  5Q2^ -celui  des  officiers  inférieurs  des  bureaux  était  de  .£21  î 
tous  ces  offices  étaient  inscrits  aux  parties  casuelles,  et  soumis 
au  droit  annuel.  Leur  valeur  totale  en  1665,  d'après  le  tableau 
qui  en  fut  dressé  par  ordre  de  Colbert,  dépasse  38  millions  '  ; 
celle  des  offices  de  trésoriers  seuls  atteint  25  millions,  soitj 
environ  17  p.  100  du  prix  de  tous  les  offices  du  royaume.  } 
Dans  les  trois  généralités  de  Normandie,  à  la  même  date2, 
les  Bureaux  des  finances  comprennent  au  total  119  offices,  dont 
la  valeur  vénale  est  de  2  603  000  livres  ;  les  gages  qui  leur  sont 
attribués  s'élèvent  à  136875  1.  En  voici  le  tableau  détaillé  : 


V. 


1.  Voici  ce  tableau,  d'après  les  registres  259  et  260  des  Cinq  cents  Colbert. 
Bureaux  des  finances  en  1665. 


NOMBRE 

DES 

TRÉSORIERS 

GÉNÉRAUX 

AUTRES  OFFICES 

AUTRES  OFFICES 

VALEUR  TOTALE 

DE  TOUS 

LES     OFFICES 

DES    FINANCES 

DES  BUREAUX 
DES   FINANCES 

DES 
FINANCES 

23 

18 

13 

1  094  200  1. 

19 

24 

12 

916  000 

23 

22 

40 

1  671  800 

Bordeaux   .... 

23 

27 

46 

1  638  400 

*3 

24 

28 

1  316  000 

Bretagne    .... 

o 
19 

2 
19 

8 
20 

376  000 
1  509  999 

23 

28 

51 

1  842  200 

24 

11 

41 

1916  600 

Grenoble    .  '.    .    . 

28 

19 

24 

1  314  700 

2i 

21 

29 

1  315100 

23 

21 

39 

2  103  400 

Metz 

2 

3 

6 

162  000 

Monlauban.  .    .    . 

19 

26 

18 

1  053  700 

Montpellier    .    .    . 

25 

28 

133 

4  168  900 

23 

10 

33 

1  447  300 

23 

16 

20 

1  680  000 

Paris 

23 

15 

47 

2  815  000 

23 

20 

36 

1  571  000 

23 

27 

24 

1  451  900 

19 

19 

43 

1  748  000 

23 

23 

24 

1  302  900 

Toulouse    .... 

23 

30 

15 

1  226  000 

23 

18 

34 

2  759  800 

502 

471 

784 

38  400  899  1. 

depuis  1551,  comme  une  ressource  toujours  subsistante  pour  les  besoins  de 
l'Etat  :  on  les  supprimoit,  on  les  rétablissoit,  on  en  multiplioit  le  nombre  sans 
autre  motif  que  celui  de  procurer  de  l'argent  au  fixe  par  la  vente  de  leurs  offices  » 
(Mémoire  de  Poitevin  de  Maissemy,  Arcli.  Nat.,  K,  888,  p.  72). 

Dans  ce  tableau  ne  sont  |>as  comptés  les  20  receveurs  des  fouages  de  Bretagne.  — 
La  dernière  colonne  indique  la  valeur  de  tous  les  offices  de  finance  de  chaque 
généralité:  dans  ce  total,  les  offices  des  Bureaux  des  finances  seuls  entrent  pour 
25  1,')6  800  1.  D'après  les  mêmes  registres,  la  valeur  totale  de  tous  les  offices  du 
royaume  s'élève  à  419  630  S42  1. 

2.  Registre  Cinq  cents  Colbert  260,  à  l'article  de  chacun  des  trois  bureaux.  La 
liste  détaillée  des  offices  du  bureau  de  Rouen  est  publiée  dans  le  Mémoire  de 
Voysin  de  la  Noiraye,  p.  208-2J9;  cf.  ibid.,  p.  243. 


40 


I.A    TÂILLB    KX     NOItMAMMF.. 


opficki 


OAjOM 

ACTUELS 

l'K 

■    Il  M    !    \ 


ÉVALUA- 
TION 


Trésoriers  généraux. 

Greffier» 

Receveur  des  épices. 

Premier  huissier-con- 
cierge     

Huissiers  des  finances. 

Huissiers  collecteurs. 

Procureurs  postu- 
lants   


Trésoriers  généraux 

Greffiers 

Premier  huissier-con 

cierge 

Autres  huissiers.  .  , 
Autres  huissiers.  .  , 
Receveur  des  épices 
Procureurs  postu- 
lants .... 


Trésoriers  généraux. 

Trésorier  garde-scel. 

Greffiers 

Maitres-clercs  desdits 
greffiers   

Premier  huissier-con- 
cierge-garde-meu- 
bles     

Autres  huissiers.   .    . 

Procureurs  postu- 
lants  


Bureau  des  finances  de  Rouen. 


Bureau  des  finances  de  Caen. 


PRIX 
COURANT 


2  5001. 

2 

32  000  1. 

5331. 

:;">n 

2 

■ 

» 

358 

1 

1000 

16 

230 

2 

1600 

26 

66 

2 

533 

8 

117 

2 

1600 

26 

» 

* 

* 

» 

19 

2  348  1. 

2 

29  333  1. 

488  1. 

3 

420 

2 

3  259 

H 

1 

180 

2 

3  600 

60 

2 

62 

2 

1066 

17 

2 

125 

2 

1066 

17 

1 

368 

2 

6  000 

100 

10 

» 

> 

. 

• 

38 

Bureau  des  finances  d'Alençon. 

18 
1 
3 

1  993  1. 

2  893 
382 

2 
2 

» 

26  666  1. 
26  666 

444  1. 
444 

» 

3 

105 

o 

» 

» 

1 

7 

100 
37 

2 
2 

B 

j 

10 

» 

» 

> 

» 

43 

45  000 

20  000 

3000 

6  000 
2000 
3  000 

500 


50  000 
20  000 

6  000 
3  000 
3  000 
3  000 

500 


30  000 
36  000 
10  000 

3000 


2  000 
1000 


400 


TOTAUX 
DF.S 
PRIX 

COURANTS 


855  000 

60  000 

3  000 

6  000 
4000 
6  000 

5  000 


939  000 


950  000 
60  000 

6  000 
6000 
6  000 
3  000 

5  000 


1  036  000 


540  000 
3'>  000 
30  000 

9  000 


2  000 
7  000 


4  000 


628  000 


Il  faut  observer  que  les  gages  de  ces  officiers  ne  représentent 
qu'une  partie  de  leurs  revenus;  on  peut  évaluer  à  .300000  1. 
au  moins,  soit  environ  6  p.  100  du  montant  de  la  taille1,  la 
somme  que  chaque  année  les  contribuables  de  Normandie  leur 


1.  Sons  compter,  bien  entendu,  les  gages  des  intendants,  des  élus,  des  huis- 
siers, de  tous  les  commis,  ni  les  remises  faites  aux  collecteurs  et  aux  rece- 
veurs.  Voici  la  liste  des  gages  effectivement  payés  aux  officiers  du  Bureau  de 


LES    TRESORIERS    GENERAUX.  41 

payaient.  Evidemment  ce  nombre  de  119  officiers  pour  faire  laf 
répartition  de  l'impôt  dans  une  seule  province  était  excessif1. 
Presque  tout  le  monde  le  pensait  alors;  on  savait  bien  que  les 
offices  n'avaient  été  créés  en  si  grand  nombre,  que  pour  pro- 
curer de  l'argent  au  roi.  Un  trésorier  de  France,  Fournival,  a 
cependant  soutenu  que  leur  nombre  n'était  pas  exagéré  :  Il  est 
logique,  dit-il  à  peu  près,  que,  le  chiffre  des  impôts  s'étant 
accru,  le  nombre  des  agents  chargés  de  le  répartir  se  soit  accru 
également.  Le  raisonnement  est  fragile. 

Les  trésoriers   généraux  avaient  des   attributions  jnultiples. 
Ils  étaient  administrateurs  du  domaine  et  des  ponts  et  chaussées  :  J 
ils  faisaient  ou  surveillaient  la  répartition  de  tous  les  impôts  : 
taille,  aides,  gabelle,   octrois   des  villes;   ils  recevaient  le  ser- 
ment des  élus  et  des  receveurs,  qu'ils  contrôlaient,  rendaient  la  . 
justice  en  toutes  ces  matières2.  Pour  la  taille  particulièrement,, 
ils  ont   à   donner  leur   avis    sur   la    répartition  entre   les   élec-i 
tions;   ils  participent  au  département  entre  les  paroisses,  sur-j 
veillent  les  receveurs  généraux  et  particuliers  et  vérifient  leurs 
comptes;   ils  jugent  les  affaires  relatives  aux  comptes   et  con- 
naissent des  lettres   de  noblesse,  qui  confèrent  exemption  de 
taille3,  jls  forment  un  corps,  un  collège;  toutes  leurs  décisions 
sont  prises,  toutes  leurs  ordonnances  rendues  en  nom  collectif. 
Ils   siègent   généralement  trois  fois   la  semaine,   mais   peuvent 
tenir  des  réunions  extraordinaires*.  Dans  les  séances,  ils  déli- 
bèrent à  la  majorité  des  membres  présents;  en  cas  d'égal  par- 
tage, la  décision  est  ajournée.  Il  ne  semble  pas  qu'un  minimum 
de  membres  présents  ait  été  exigé  pour  la  validité  des  délibéra- 
Rouen  en   1665  :  le  trésorier  garde-scel  reçoit  3  348  1.  15  s.;  le  président  2  948  1. 
15  s.;  deux  trésoriers  2  748  1.   15  s.;  douze    autres  2  498  1.  15  s.;   le  propriétaire 
des   deux    offices  de  greffier  1353  1.  15  s.;  le  premier  huissier  230  1.   12   s.:    le 
receveur  des  épices  358  1.  15  s.;  deux  huissiers  117  1.  17  s.  6  d.  et  les  deux  autres 
66  1.  12  s.  au  total  47  982  1.   1  s.  A  quoi  s'ajoutent  les  épices  et  les  autres  profits 
casuels  (état  des  gages  arrêté  au  Conseil  le  25  juillet  1664,  A.  D.  S.  Inf.,  G.  1  382, 
f°170  suiv.). 

1.  Dans  une  circulaire  du  21  sept.  1668,  Colbert  exhorte  les  trésoriers  à  bien 
surveiller  les  impositions  :  «  il  vous  est  d'autant  plus  facile  de  réussir,  dit-il, 
qu'estant  un  nombre  considérable  d'officiers  dans  vostre  Bureau,  vous  pouvez 
vous  deparlir  et  diviser  tout  le  travail  »  (A.  D.  S.  Inf.,  G,  2  330). 

2.  Sur  le  détail  de  leurs  fonctions,  voir  l'ouvrage  déjà  cité  de  Fournival, 
Recueil  des  privilèges  des  trésoriers  de  France.  Guyot,  Traité  des  Offices.  Pasquier, 
Recherches,  liv.  If,  chap.  vil  et  vin.  Jousse,  Traité  de  la  juridiction  des  trésoriers  de 
France,  Paris,  1778,  2  vol.  in-12.  L'Etat  véritable  des  trésoriers  de  F'ranec,  Amster- 
dam, 1779,  in-4.  Poitevin  de  Maissimy,  Mémoire  sur  les  trésoiiers  de  FranCe,  1780, 
Arch.  ISat.,  K,  888,  en  partie  publié  dans  Vignon,  Etudes  historiques  sur  l'admi- 
nistration des  voies  publiques,  t.  I,  doc,  p.  30-37  (ce  mémoire  est  tendancieux  : 
l'auteur  est  un  adversaire  de  trésoriers).  De  Boislisle,  Mémoire  de  Vlniendant 
de  Paris,  p.  191-194  et  676-678. 

3.  Voir  la  formule  de  leur  serment  de  réception  à  la  Chambres  des  comptes 
dans  Cl.  de  Beaune.  Traité  de  la  Chambre  des  comptes,  1647,  liv.  I,  p.  136,  et  un 
acte  de  réception  à  Rouen,  dans  Mél.  Soc.  IJist.  de  Norm.,  II,  p.  373-37Ô. 

4.  Voici  par  exemple  le  nombre  des  séances  tenues  par  le  Bureau  de  Rouen  en 
1665  :  Janvier  11,  février  11,  mars  12,  avril  8,  mai  10.  juin  13,  juillet  14,  août  12, 
septembre  4,  octobre  13,  novembre  15,  décembre  11.  Total  :  134  séances  (A.  D.  S. 
Inf.,  G,  1  167). 


42  LA    TAILLK    EN    NORMANDIE. 

lions;  il  arrive  souvent,  principalement  pendant  la  période  des 
vacances,  qu'un  seul  membre  siège  et  rende  des  ordonnances. 
Toutefois,  lorsque  la  décision  ;i  prendre  est  importante,  on 
attend  que  le  Bureau  soit  en  nombre  :  par  exemple  le  lundi 
5  octobre  1GG1,  au  Bureau  de  Rouen,  trois  membres  seulement 
étant  présents,  on  expédie  les  menues  affaires,  mais  quand  vient 
en  discussion  un  arrêt  de  la  Chambre  des  comptes  de  Rouen, 
il  est  «  différé  ii  pourvoir  jusques  à  ce  que  la  compagnie  soit 
assemblée  en  plus  grand  nombre1».  Les  délibérations  sont  ins- 
crites par  le  greffier  sur  un  registre,  le  Plumitif,  où  l'on  transcrit 
également  les  ordonnances  royales  enregistrées  au  Bureau*. 

L'assiduité  des  trésoriers  de  France  aux  séances,  que  l'on 
constate  à  l'aide  des  noms  inscrits  en  marge  des  plumitifs,  était 
des  plus  médiocres;  sur  dix-neuf  membres  de  chaque  bureau, 
on  vient  de  voir  qu'un  seul  parfois  était  présent.  Il  est  ordinaire 
de  n'en  trouver  que  quatre  ou  cinq;  il  est  tout  à  fait  exceptionnel 
que  plus  de  la  moitié  de  l'effectif  soit  réuni.  Il  arrive  même  que 
personne  ne  vienne  siéger,  ce  que  le  greffier  mentionne  sur  le 
plumitif  en  ces  termes  :  «  Il  n'y  a  eu  ledit  jour  aucun  bureau, 
pour  n'y  avoir  aucun  de  messieurs.  »  Certains  trésoriers  n'ont 
jamais  siégé,  même  sans  avoir  obtenu  de  dispense  d'assiduité. 
Beaucoup  sont  employés  à  d'autres  fonctions  :  M.  de  Mon- 
ceaux, trésorier  de  France  à  Caen,  est  envoyé  en  mission  par 
Colbert  au  Levant3.  Une  liste  des  trésoriers  généraux  de  Caen, 
dressée  le  30  mai  1670,  nous  apprend  que  l'un  d'eux,  Gueston, 
est  «  demeurant  à  Paris  et  l'un  des  directeurs  de  la  compagnie 
des  Indes  Orientales  »  ;  nous  ne  trouvons  jamais  sa  présence 
aux  séances;  un  autre,  Brice,  est  en  même  temps  receveur 
général  à  Limoges  et  ne  fait  aucune  fonction  de  sa  charge.  A 
Rouen,  un  des  deux  présidents,  M.  de  Tilly,  «  ne  fait  point  sa 
charge  et  ne  vient  point  au  Bureau'  ».  La  Bruyère  posséda  une 
charge  de  trésorier  général  à  Caen,  qu'il  n'exerça  jamais5;  il  se 
borna  à  faire  le  voyage  de  Caen,  pour  se  faire  recevoir  et  regagna 
Paris  immédiatement6.  On  achetait  ces  charges  pour  placer  ses 
capitaux  et  avoir  un  titre;  c'étaient  de  douces  sinécures. 

1.  A,  D.  S.  Inf.  C,  1167,  f°  191,  cf.  le  règlement  de  janvier  16M,  art.  42  :  Les 
paroisses  trop  peu  imposées  parles  élus  seront  taxées  par  les  trésoriers  de  France 
«  assemblez  en  leurs  bureaux  en  nombre  suffisant  >. 

2.  Les  plumitifs  des  bureaux  de  Rouen  et  de  Caen  sont  conservés  en  séries 
complètes  pour  la  période  16U1-1683  aux  archives  de  la  S.  Inf.  et  du  Calvados. 
C'est  de  ces  plumitifs  que  sont  tirés  tous  les  renseignements  ci-dessus.  Ceux 
d'Alençon  font  défaut  pour  notre  période. 

3.  Sur  cette  mission,   voir  Clément,   t.  VII,  p.  460. 

4.  Mémoire  de  l'intendant  Voysin,  p.  89. 

•">.  \  .  E.  Chatel,  Etude  c/ironologi-fue  sur  Jean  de  La  Bruyère,  trésorier  de 
France  au  bureau  des  finances  de  Caen,  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  des  Antiquaires 
de  Normandie,  1860. 

6.  Du  Cange  était  aussi  trésorier  à  Amiens,  Racine  à  Moulins;  jamais  ils  ne 
parurent  à  leurs  Bureaux  (Œuvres  de  Racine,  éd.  des  Grands  Ecrivains,  t.  I, 
p.  97  et  526  et  Vayssière,  dans  les  Archives  hist.  du  Bourbonnais,  t.  I,  1890, 
p.  10-13). 


LES    INTENDANTS.  43 


Colbert  j/oulut  remédier  à  cet  absentéisme,  :  l'arrêt  du  Con- 
seîT^u3Î~  octobre  lbTl  divisa  les~rmm7Eres  de  chaque  bureau 
en  quatre  séries,  chaque  série  devant  siéger  pendant  un  tri- 
mestre à  tour  de  rôle;  les  autres  étaient  dispensés  de  servir  pen- 
dant ce  temps1.  Mais  ce  ne  fut  là  qu'un  remède  insuffisant;  les 
trésoriers  généraux  étant  propriétaires  de  leurs  offices,  le  gou- 
vernement ne  pouvait  ni  les  casser,  ni  les  déplacer,  ni  les 
stimuler  par  l'espoir  d'un  avancement  ou  la  crainte  d'une 
rétrogradation;  il  pouvait  seulement  suspendre  le  paiement 
de  leurs  gages  et  encore  dans  des  conditions  bien  définies  ;  il 
n'avait  à  peu  près  aucune  prise  sur  eux.  En  outre,  ils  se  sen- 
taient dépossédés  de  leurs  fonctions  par  de  nouveaux  agents 
royaux  :  les  intendants. 


II.  —  LES  INTENDANTS 

Depuis  longtemps,  le  gouvernement  s'était  résigné  à  la  négli- 
gence des  trésoriers  généraux,  et  il  avait  cherché  le  moyen  d'as- 
surer sans  eux  une  bonne  répartition  de  la  taille.  A  partir  du 
milieu  du  xvie  siècle,  à  différentes  reprises,  des  commissions 
temporaires  avaient  été  envoyées  dans  les  provinces  pour  veiller 
au  «  régalement  »  de  l'impôt.  La  première  dont  nous  trouvions 
trace  en  Normandie  est  de  1567  :  elle  est  composée  du  maître 
des  requêtes  Guillaume  Postel  et  de  l'avocat  au  Parlement  de 
Paris,  Imbert  du  Lac2.  En  1578,  les  Etats  de  la  province  s'étant 
plaints  de  l'inégalité  de  l'assiette  des  tailles,  une  nouvelle  com- 
mission, composée  de  4  personnes,  vint  opérer  un  nouveau 
régalement,  qui  devait  être  valable  «  au  moins  pour  trois  ans3  ». 
En  mars  1593,  des  commissaires  royaux  sont  départis  dans  toute  i 
la  France,  avec  mission  de  corriger  toutes  les  inégalités  de  / 
répartition  et  de  révoquer  les  exemptions  illégitimes  qui  ^ 
s'étaient  multipliées  à  la  faveur  des  troubles  4.  En  1598, 
Henri  IV  envoie  encore  des  commissaires  dans  les  provinces 
pour  enquêter  sur  les  «  abus,  inégalitez,  malversations  et  exac- 
tions qui  se  commettoient  en  la  levée  et  perception  des  tailles»; 
une  longue  instruction  leur  indique  les  points  principaux  sur 
lesquels  devra  porter  leur  inspection  et  résume  la  législation 
en  vigueur.   C'est  à  l'aide  des  rapports  envoyés  par  ces  enquê- 

1.  A.  D.  S.  Inf.  C.  2  372  à  sa  date  et  A.  D.  Calvados,  Bureau  des  finances,  plu- 
mitif, à  la  date  du  24  novembre  1671.  La  déclaration  du  29  déc.  1663  avait 
astreint  les  trésoriers  à-  la  résidence,  conme  tous  les  autres  officiers  des  finances 
(Clém.,  ir,  753). 

2.  De  Beaurepaire,  Cahiers  des  états...  règne  de  Charles  IX,  t.  I,  p.  235.  Ces  deux 
personnages  furent  continués  dans  leurs  fonctions  par  les  lettres  patentes  du 
28  décembre  1570,  citées  ibid. 

3.  Ibid.,  règne  de  Henri  III,  p.  40,  123,  et  150.  Les  quatre  commissaires  étaient 
les  sieurs  Séguier,  Maigriny  (ou  Mesgrigny),  Novince,  et  Repuchon. 

4.  C.  d.  T.  I,  147,  art.  17  et  suiv. 


4%  LA    TAILLE    KN    NORMANDIE. 

teurs  que  fut  dressé  1<-  grand  (dit  de  mars  16001.  En  1617 
et  en  1618,  le  roi  s'engage  encore,  en  répondant  aux  cahiers 
des  Etats  de  Normandie,  à  envoyer  des  commissaires  du  Conseil; 
en  1623,  nous  en  voyons  fonctionner  d'autres,  avec  des  pou- 
avoirs  très  étendus*.  La  grande  ordonnance  de  janvier  1629 
•  (art.  58  et  404)  prescrit  l'envoi  de  maîtres  des  requêtes  dans 
toutes  les  provinces  pour  surveiller  l'administration  '.  L'édit 
de  janvier  1634  la  renouvelle,  et  au  mois  d'avril  suivant  on 
organise  des  commissions  extraordinaires*  «  pour  assurer  1  éga- 
lité de  la  répartition  et  faire  imposer  ceux  dont  les  privilèges 
furent  révoquez  » 5. 

»  Toutes  ces  commissions  avaient  l'inconvénient  de  connaître 
J  fort  mal  les  pays  où  elles  opéraient  et  de  ne  pouvoir  surveiller 
l'exécution  des  réformes  prescrites.  A  part  les  règlements 
qu'elles  contribuèrent  à  faire  élaborer,  il  est  douteux  qu'elles 
aient  eu  un  rôle  utile.  Elles  mécontentaient  les  pouvoirs  locaux, 
qu'elles  dépossédaient,  sans  améliorer  beaucoup  la  condition 
des   contribuables6.    On    abandonna    donc,    après    1634,    les 

(  commissions  temporaires,  pour  un  systëme "~'phig~ëffi.cace7.  Des 
mStTres   des  requêtes  étaient  déjà   établis  à  demeure  dans  les 


1.  L'instruction  aux  commissaires  du  23  août  1598,  en  forme  d'arrêt  du 
Conseil,  se  trouve  en  copie  B.  N.  fr.  17311,  f°*  27-32.  Elle  avait  été  enregistrée  à 
la  Cour  des  aides  de  Paris  avec  quelques  réserves.  Les  rapports  des  commissaires 
sont  mentionnés  dans  le  préambule  de  ledit  de  mars  1600. 

2.  Voir  lu  commission  donnée  aux  enquêteurs  en  1623,  B.  N.,  ms.  fr.  17  311, 
fol.  33-37. 

3.  Il  ne  semble  pas  que  celte  prescription  ait  été  suivie  d'effet,  du  moins  en  ce 
qui  concerne  la  taille. 

4.  Voir  l'instruction  aux  commissaires  du  2~>  mai  1034  dans  Ducrot,  Traité  des 
aydes...  éd.  1636,  p.  475  et  suiv. 

5.  Vieuille,  Traité  des  élections,  p.  10  :  Les  commissaires  désignés  pour  la 
Normandie  furent  les  sieurs  Deuiesle  de  Soisy,  Saint-Just,  conseiller  en  la  cour 
des  aides  de  Paris,  et  Repichon,  trésorier  de  France  à  Caen. 

6.  Les  protestations  des  Etats  de  Normandie  contre  les  opérations  des  commis- 
saires furent  incessantes,  et  pourtant  c'était  presque  toujours  sur  leur  demande 
que  les  commissions  étaient  instituées.  En  1570,  la  Cour  des  aides  de  Kouen 
déclare  que  les  commissaires  sont  incapables  de  connaître  le  détail,  et  que  leurs 
opérations  ont  «  apporté  dommage  de  plus  deux  foys  que  les  tailles  ne  montoient  >. 
(Cahiers  des  étals,  règne  de  Charles  IX,  I,  p.  235-238).  En  1580,  les  états  deman- 
dent que   l'on   révoque  tout  ce   qui  a  été  fait  par   les  commissaires  (ihid.,  t.   II, 

Ii.  123-125).  En  1637  encore,  les  états  réclament  contre  les  amendes  prononcées  et 
es  frais  faits,  et  concluent  :  •  Ce  régalement  prétendu  n'a  esté  que  un  vrai  des- 
reiglement  »  (Ibid.,  règne  de  Louis  XIII,  t.  III,  p.  8  et  56). 

A  la  suite  du  rapport  des  commissaires  de  1634,  un  arrêt  du  conseil  du  20  jan- 
vier 1635  réglementa  un  certain  nombre  de  points  relatifs  à  l'impôt,  notamment 
le  changement  d'octroi,  le  domicile  d'imposition  des  taillables,  la  dérogeance  des 
gentilshommes,  l'exemption  de  collecte,  les  limites  de  la  banlieue  de  Rouen,  et  la 
répartition  entre  les  paroisses  (A.  Mun.  Rouen,  183,  pièce  3).  On  verra  ces  diffé- 
rents points  à  leur  place  dans  cette  étude. 

7.  Il  est  singulier  de  voir  reprendre  l'idée  des  commissaires  temporaires 
envoyés  par  le  conseil  longtemps  après  l'établissement  des  intendants,  en  1686. 
A  cette  date  en  effet,  le  contrôleur  général  Le  Peletier  décida  «  d'envoyer  dans 
toutes  les  généralités  des  commissaires  du  conseil  choisis...  entre  ceux  qui  avoient 
servi  dans  les  intendances  »  (De  Boislisle,  Correspondance,  t.  I,  p.  556)  avec  une 
instruction  analogue  ù  celles  que  l'on  donnait  avant  16'i2.  Cf.  un  des  rapports 
dressés  par  ces  commissaires  dans  De  Boislisle,  Mémoire  de  l'intendant  de  Paris, 
p.  781,  et  &  l'appendice  du  présent  volume. 


LES    INTENDANTS.  45 


provinces,  pour  surveiller  Ja_  justice;  le  règlement.  du_J22  anrtt 
1642'afouta  à  leurs  attributions  antérieures  la  surveillance  dp»  ,  ^ 
impositions^  ainsi  les  intendants  de  justice  devinrent  inten-  ^" 
a1ïnTs~cle  ^jusilêo  ot  fînftftees1.  Avant  de  se  résoudre  à  cette 
mesure,  le  gouvernement  avait  mis  en  demeure  une  dernière 
fois  les  agents  réguliers  des  finances  de  remplir  soigneusement 
leurs  fonctions 2,  mais  il  s'était  bientôt  convaincu  de  l'inutilité 
de  ces  menaces. 

Le  règlement  nouveau  disait  :  les  commissions  «  seront 
adressées  aux  intendants  de  justice,  présidents  et  trésoriers 
de  France  de  chacune  généralité  conjointement  »  (art.  1). 
Elles  «  seront  portées  aux  Bureaux  des  finances,  où  l'intendant 
de  la  justice  de  la  généralité  se  trouvera,  et  présidera,  et  y 
aura  la  première  séance,  pour  en  sa  présence  faire  expédier  s,ur 
lesdites  commissions  les  attaches  et  ordonnances  nécessaires 
desdits  Bureaux  »  ;  elles  seront  remises  incontinent  à  l'inten- 
dant^  qui_procédera  au  département  entre  les  paroisses.- des 
élections  avec  trois_  élus  de  son  choix,  un  trésorier  deJFrance 
délègue par~Te"Bureau,  et  jejyceveur  des  tailles.. (art.  2).  Si  les 
trésoriers  de  France  font  «  dmiculte~3e  souffrir  la  présidence  et 
séance  libre  en  leurs  Bureaux  auxdits  intendants  »,  alors,  «  au 
premier  refus  ou  délay,  lesdits  intendans  expédieront  seuls 
leurs  ordonnances  sur  lesdites  commissions,  les  feront  signer  à  ? 
leurs  greffiers  »,  et  procéderont  au  département  entre  les  '( 
paroisses  sans  les  trésoriers  généraux  (art.  4).  Ce  sont  les 
intendants  qui,  avec  les  trésoriers  de  France  et  les  élus,  feront 
les  taxes  d'office  en  vertu  de  l'édit  de  novembre  1640  (art.  7); 
ils  choisiront  aussi  et  surveilleront  les  receveurs  des  tailles  t*^'' 
(art.  10  à  16) 3.  Cet  acte,  qui,  jusqu'ici.  e»t.  passé  inaperçu — »■■-*] 
unQj^rjjmjp  impnrTïïnoo;  on  y  trouve  à  pou  près  tputes  les  attri- 
butions qu'auront  dans  la  suite  les  intendants  /en  matière  de 
finances  4.  <£  **,  '  i'  Co^fc<< 

1.  Néron,  Recueil,  t.  II,  p.  673.  D'après  ce  règlement,  on  voit  clairement  qu'il 
existait  déjà  des  intendants  de  justice  dans  les  provinces  :  il  y  est  dit  qu'une 
instruction  a  été  déjà  envoyée  le  9  avril  1642  «  aux  intendants   de  justice  étant 

es  generalitez  de  ce  royaume  ».  Mais  jusque-là,  ces  fonctionnaires  n'avaient  pas  t  "> 
eu  d'attributions  financières;  ils  ne  portaient  pas  le  titre  d'intendants  de  justice!  *•  • 
et  finances,  mais  simplement  celui  d'intendants  de  justice.  • 

2.  Arrêt  du  conseil  du  27  nov.  1641,  Néron,  t.  II,  p.  663.  Sur  l'origine  des 
intendants,  voir  Dareste,  La  justice  administrative,  p.  104-107;  Hanotaux,  Ori- 
gines de  l'institution  des  intendants  des  provinces,  Paris,  1884,  et  Mafiéjol,  dans 
l'Histoire  de  France  de  La^i&sey  t.  VI,  2°  partie,  p.  406-411. 

3.  Ce  règlement  fut  confirmé  par  la  déclaration  dû  Ï8  avril  1643,  qui  se  trouve 
dans  C.  d.  T.,  1,  370-406.  Elle  n'est  pas  dans  le  Recueil  des  règlements  de  Nor- 
mandie, parce  qu'elle  ne  fut  pas  enregistrée  dans  la  province.  Voir  aux  Arch. 
Nat.,  K,  891,  pièce  4,  l'instruction  remise  aux  intendants  le  10  juillet  1643  «  sur 
le  fait  des  tailles  et  impositions  ».  Il  n'est  pas  certain  que  le  règlement  du 
22  août  164:î  ait  été  le  premier  en  ce  sens  :  v.  Mém.  Soc.  antiquaires  de  l'Ouest, 
1902,  p.  612. 

4.  Ainsi,  contrairement  à  ce  que  l'on  pense  d'ordinaire,  la  fonction  ne  fut  pas   | 
créée  en  bloc;  ce  sont  des  mesures  de  détail  qui  la  constituèrent  et  lui  donnèrent 
toute   son  importance.   Il   est    d'ailleurs   certain   qu'à  partir   de  ce  moment,  les 


46  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Les  trésoriers  généraux  étaient  partiellement  dépouillés  de 
leurs  fonctions,  mais  ils  n'étaient  pas  supprimés.  On  n'aurait  pu 
h-  (aire,  d'abord  parce  qu'ils  formaient  un  corps  très  puissant, 
bien  organisé;  les  supprimer  eût  provoqué  une  crise  parmi  eux 
et  parmi  tous  les  gens  qui  leur  étaient  attachés;  en  outre,  il  eût 
fallu  rembourser  leurs  offices,  25  ou  30  millions  que  le  gou- 
vernement n'avait  pas  et  ne  pouvait  se  procurer  par  aucun 
moyen.  On  laissa  donc  subsister  deux  administrations  concur- 
rentes pour  un  même  service. 

L'établissement  définitif  des  intendants  ne  fut  pas  sans 
difficultés  ;  il  provoqua  de  nombreuses  protestations.  En 
novembre  1643,  les  Etats  de  Normandie  dénoncent  au  roi 
«  cette  pompeuse  escorte  de  gardes  qui  accompagnait  l'inten- 
dance de  la  généralité  de  Caen  et  qui  vit  aux  despens  de  vostre 
pauvre  peuple  »  ;  qu'on  rappelle  à  Paris,  où  ils  ne  verront 
qu'abondance  d'honneurs  et  de  biens,  ajoutent-ils,  ces  grands 
seigneurs  qui  ne  sauraient  «  habiter  ces  lieux  d'horreur  et  de 
désolation  ».  Mais  le  roi,  depuis  longtemps,  ne  tenait  plus 
compte  de  telles  doléances;  il  répondit  en  confirmant  simple- 
ment les  pouvoirs  des  intendants1.  Un  peu  plus  tard,  pen- 
dant la  Fronde,  parmi  les  récriminations  les  plus  violentes 
des  mazarinades  normandes,  se  trouvent  les  plaintes  contre  les 
exactions  et  l'avarice  des  intendants;  on  leur  reproche  d'avoir 
ruiné  la  province  :  ils  sont  les  «  valets  de  la  monopole  »;  on  les 
appelle  les  «  intendants  de  l'injustice  »;  on  les  accuse  de  bri- 
gandage, de  profanation  de  temples,  de  meurtre;  on  les  rend 
responsables  de  tous  les  malheurs  du  peuple  *. 
\  La  lutte  fut  menée  avec  méthode  par  les  trésoriers  de  France. 
Ils  avaient  conservé  le  souvenir  du  temps  où  ils  résidaient  à 
Paris  et  formaient  une  cour  souveraine  analogue  à  la  Cour  des 
aides  et  à  la  Chambre  des  comptes  :  la  Chambre  du  Trésor. 
Ils   s'étaient  fait  donner  en  janvier   1586  le  droit  d'entretenir 

3uelques-uns  des  leurs  comme  députés  auprès  du  roi;  ces 
éputés  se  réunissaient  en  une  «  assem]iléc__g-é4iér.ale  »  au 
Palais,  dans  la  Chambre  du  Trésor;  les  frais  de  l'assemblée 
étaient  couverts  par  un   versement  de  100  1.,  fait  par  chaque 

;  attributions  financières  des  intendants   l'emportèrent  sur  toutes  les  autres;  c'est 
[  pourquoi  on  assigna  à  chacun  comme  département  non  pas   une  circonscription 
judiciaire  ou  militaire,  mais   une  généralité,   circonscription  uniquement  finan- 
cière. 

1.  Cahiers  des  e'imls...  règnes  de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV,  session  de 
novembre  1643,  art.  47,  et  réponse  du  roi,  t.  III,  p.  10G-114. 

2.  Voir  notamment  Y  Apologie  des  Normans  au  roi  pour  la  justification  de  leurs 
armes.  Paris,  chez  Cardin  liesogne,  1049,  avec  privilège;  et  une  mazarinade  en 
vers,  dans  Moreau,  Choix  de  mazarinades,  t.  I,  p.  7.  Cf.  Floquet,  Hist.  du  Par- 
lement, t.  V,  p.  541  et  suivantes.  Ces  plaintes  contre  les  intendants  sont  d'ail- 
leurs générales  dans  tout  le  royaume.  Il  est  probable  qu'elles  étaient  justifiées 
par  l'appui  qu'ils  donnaient  aux  exactions  des  traitants. 


LES    INTENDANTS. 


47 


trésorier  à  son  entrée  en  fonctions.  Ce  versement  avait  été 
officiellement  agréé  par  un  arrêt  du  conseil  du  26  août  1636. 
Les  Bureaux_4gs  finances  étaient  donc  une  véritable  association 
corporative  reconnue  parle  gouvernement1.  Cette  association 
entreprit  d'obtenir  la  suppression  des  intendants,  et  son  activité 
fut  surtout  grande  à  partir  de  1648  :  à  cette  date,  le  secrétaire 
de  l'assemblée  était  Simon  Fom*niyal,  dont  on  a  la  correspon- 
dance avec  les  différents  Bureaux  et  qui  a  publié  en  sa  qualité 
de  secrétaire  un  recueil  de  documents  extrêmement  précieux 
sur  les  fonctions  des  trésoriers  généraux  2.  Au  début  de  juil- 
let 1648,  les  Bureaux  dressèrent  le  cahier  de  leurs  griefs. 
Le  principal  est  que  «  les  intendants  des  provinces  prennent 
tous  les  jours  cognoissance  des  aydes,  tailles,  et  des  gabelles, 
qui  sont  la  matière  essentielle  de  nostre  establissement... 
font  à  leur  fantaisie  des  règlements  de  très  pernicieuse  con- 
séquence sur  ce  subject...  S  y  ces  dangereuses  nouveautés 
continuent  et  sont  autorisées,  il  ne  nous  reste  plus'  dé_jâo"s 
offices  qu'un  vain  nom  de  magistrats.  »  Ce  sont  d'ailleurs  les 
intendants,  est-il  ajouté,  qui  ont  été  les  instruments  des  trai- 
tants  pour  piller  le  pauvre  peuple  :  ces  gens  «  qui  ont  depuis 
longtemps  perdu  toute  intention  et  conscience  »  sont  venus  dans 
les  provinces  uniquement  pour  «  ordonner  comme  des  ennemis 
des  meurtres,  des  incendies  et  des  violemens3.  » 

Vers  la  même  date ,  les  mémoires  au  roi,  placets  et  appels 
au  peuple  contre  les  intendants,  se  multiplient  ;  on  les  appelle 
«  des  excroissances  et  des  bêtes  dans  le  corps  des  officiers 
et  de  tout  l'Estat4  ».  On  déclare  que  si  les  500  trésoriers  de 
France  sont  rétablis  dans  leur  dignité,  ils  «  seront  obligez  et 
encouragez  par  cette  protection  à  découvrir  et  donner  des 
moyens  de  mesnager  des  sommes  imenses  sur  les  despenses  de 
l'Estat5  »,  ce  qui  implique  que  jusque-là  ils  avaient  oublié  de 
ménager  les  deniers  royaux  :  singulière  déclaration  de  la  part 
d'agents  du  gouvernement.  Dans  cette  campagne,  les  Bureaux 
des  finances  furent  appuyés  par  tous  les  autres  officiers  :  le  syn- 


/ 


V 


1.  Fournival,  Recueil...,   p.  870-871. 

2.  La  correspondance  originale  des  Bureaux  des  finances  avec  leur  secrétaire 
se  trouve  au  ms.  fr.  7  686  de  la  B.  N.  Le  Recueil  des  privilèges  des  trésoriers  de 
France  n'est  pas  complet  ;  la  publication  eu  fut  retardée  par  diverses  circons- 
tances. C'est  pour  le  compléter  que  Jousse  entreprit  plus  tard  son  traité,  qui  est 
beaucoup  moins  soigné  que  le  Recueil  de  Fournival.  Les  matériaux  de  celui-ci 
forment  les  volumes  1419,  1420  des  ms.  fr.  nouv.  acq.  à  la  B.  N.  Des  papiers  du 
syndicat  des  trésoriers  généraux  se  trouvent  aussi  dans  le  ms.  fr.  18  479  (papiers 
de  Séguier). 

3.  Le  réquisitoire  est  publié  en  entier  dans  Godard,  Les  pouvoirs  des  intendants, 
p.  447-451  ;  cf.  p.  10.  Hanotaux,  Origines  des  intendants,  le  donne  comme  émanant 
de  la  cour  des  aides.  Il  serait  possible  que  la  cour  eût  repris  ces  griefs  pour  son 
compte,  mais  il  est  certain  que  l'initiative  des  plaintes  est  venue  des  trésoriers 
de  France. 

4.  B.  N.  fr.  18  479,  f°  33. 

5.  Ibid.,  f°  19. 


48  I.A    TAILLE    EN     M»i:MVNDIB. 

dicat  des  élus1  fit  cause  avec  eux  contre  l'ennemi  commun;  la 
Cour   des   aides  et   le  Parlement  prirent  l'affaire  en   mains,  et 
tous  ces   efforts    réunis    aboutirent    ii    la   révocation  des  inten- 
!  dants,  en  juillet  1648.  Le  roi,  dans  l'acte  de  révocation,  recon- 
^  naît  que  les  intendants  ont  commis  «  plusieurs  abus  »,  que  leur 
institution  est  «  contraire  à  l'intérest  notable  qu'ont  les  officiers 
ordinaires,  créez  et  instituez  à  cette  fin,  qui  se  trouvoient  par 
ce  moyen  privez  de  la  principalle  fonction  de  leur  charge  »;  si 
l'on  excepte  de  la  révocation  les  intendants  de  Languedoc,  de 
Bourgogne,  de  Provence,  de  Lyonnais,  de  Picardie  et  de  Cham- 
f  pagne,  c'est  en  spécifiant  bien  qu'ils  auront  exclusivement  des 
'  attributions  militaires  et  «  ne  pourront  se  mesler  de  l'imposi- 
tion et  de  la  levée  de  nos  deniers  ny  faire  aucune  fonction  de 
la  jurisdiction  contentieuse^». 

Les  intendants  demeurèrent  supprimés  pendant  tout  le  temps 
.  que  les  Frondeurs  furent  les  maîtres  du  gouvernement;  mais  dès 
,  que  la  Cour  eut  repris  le  dessus,  elle  entendit  les  rétablir. 
)       Il  était   difficile   d'annuler  d'un  coup  un  engagement  solen- 
(  nellement  pris,  une  déclaration  en  forme,  vérifiée  et  enregistrée 
dans  les  cours  souveraines.  Mazarin  usa  d'adresse,  réinstallant 
sous    divers    prétextes,    subrepticement,    quelques    intendants, 
s'efforçant  d'éviter  les  protestations  bruyantes.  D'autre  part,  il 
se  trouva  que  les  trésoriers  généraux,   absorbés  par  leur  lutte 
contre  les  élus,   ne  furent  plus  capables  de  défendre  efficace- 
ment leur  cause  8.  Sous  prétexte  de  surveiller  les  logements  de 
troupes,  de  rétablir  l'ordre,  d'inspecter  des  tribunaux,  les  inten- 
dants furent  petit  à  petit  réintroduits  dans  quelques  provinces; 
les  généralités  de  Rouen  et  de  Caen  furent  des  premières  à  en 
recevoir.   En    février   1650,   Louis    Laisné  de  la  Marguerie  fut 
chargé  de  différents  pouvoirs  que  nous  ne  connaissons  pas  exac- 
tement dans  les  deux  généralités  a  la  fois4.  En  1653,  fut  nommé 
intendant   de    Caen    et  d'Alençon   Thomas    Morant,    conseiller 
'd'Etat,  fils  d'un  trésorier  de  France  à  Rouen  :  dans  ses  actes,  il 
]  prend    simplement   le   titre   de  «   commissaire  départi   par   Sa 
'  Majesté  pour  la  visite  de  la  généralité  de  Caen  »  (ou  d'Alençon)5. 

1.  Sur  ce  syndicat,  voir  ci-dessous,  p.  111   et  suiv. 

2.  Déclaration  publiée  dans  Godard,  Les  pouvoirs  dez  intendants,  p.  451-454. 
j  Cf.  les  Mémoires  d'Orner  Talon,  collection  Michaud  et  Poujoulat,  p.  1:33  et  245, 
|  et  ceux  du  cardinal  de  Retz,  éd.  Chantelauze,  t.  I.  p.  321. 

3.  Cf.  une  lettre  du  bureau  des  finances  de  Lyon  à  l'assemblée,  du  12  mai  1  « •  -r>  1  : 
il  recommande  à  tous  les  officiers  de  s'unir  contre  le  conseil,  qui  est  leur  véritable 
ennemi,  et  de  ne  pas  attendre  le  rétablissement  des  intendants.  Il  faudrait  obtenir 
un  règlement  solennel  pour  le  maintien  des  fonctions  et  des  droits  des  trésoriers 
généraux  (B.  N.  fr.  7  685,  f°  230).  Mais  cette  lettre  n'eut  pus  de  suites.  On  trouve 
encore  des  délégués  des  Bureaux  des  finances  a  Paris  en  1663;  mais  ils  ne  font 
plus  ouiune  manifestation  contre  les  intendants  (M.  C.  Il5b1*,  fol.  919). 

4.  Nous  ne  savons  pas  combien  de  temps  il  demeura  en  fonctions  D'après  Godard, 
Les  pouvoirs  des  intendants,  p.526et538,  il  serait  resté  ù  Rouen  jusqu'en  16.il  et  à  Caen 
jusqu  en  1653,  mais  les  dates  données  par  cet  ouvrage  sont  très  souvent  inexactes. 

5.  A.  D.  Calv.  Bureau  des  finances,  plumitif,  à  la  date  du  2'i  juillet  lo71,  conte- 
nant un  acte  du  29  octobre  1654. 


LES    INTENDANTS.  49 

Le  3  décembre  1657,  il  est  transféré  a  Rouen  et  remplacé  par 
Michel  d'Aligre,   auquel  succède    en    1659  Jacques    Favier   du 
Boulay.  A  partir  de  cette  date,  toutes  les  généralités  sont  pour-  1 
vues  d'intendants  ;  mais  il  reste  à  savoir  si  tous  avaient  recouvré  / 
leurs  anciennes  attributions  financières,  et  ce  point,  qui  méri- 
terait une  étude  spéciale,  n'est  pas  éclairci1.  Dans  tous  les  cas, 
il    est    c*ertain   qu'en    1661,   ils    n'étaient  pas    encore   installés! 
comme  fonctionnaires  réguliers  et  à  demeure,  avec  des  pouvoirs  I 
partout   semblables;    on   trouve    souvent   deux   et    même    trois 
généralités   surveillées    par   un    seul    intendant;    beaucoup    ne 
résident  pas  dans  leur  circonscription;  en  1658,  les  trois  inten- 
dants de  Normandie  sont  à  Paris,  et  Colbert  n'ose  pas  proposer 
à   Mazarin   d'obliger  M.  d'Aligre  à  rejoindre  son   poste   parce 
qu'il  est  «  un  grand  personnage  2  »  ;  dans  un  de  ses  mémoires 
sur  l'arrestation  île  Fouquet,  il  propose   de    faire  rentrer  dans  | 
leurs  généralités  ceux  qui  en  sont  absents.  Au .jJeJ3u_t_.de  jiotre  ' 
p é r i o de,  les^j^^jrniaji^^Qnt-jdQnc  loin  d'avoir  l'autorité-âncon- 
testée  et  régulière,  en  matière  de_finances  corn  m  e_  pour— taut-le 
reste,  qu'ils  auront  plus  tard3. 

"    C'est ColbérTc[uiétablit  définitivement  les  intendants  comme  / 
agents   réguliers    de   son    administration.   Dans  un  mémoire  à  j 
Mazarin  du  1er  octobre  1659,  où  il  énumère  toutes  les  réformes 
fiscales  à  entreprendre,  il  conclut  : 

«  Toutes  ces  choses  ne  peuvent  estre  exécutées  dans  les  provinces  \ 
que  par  le  ministère  des  intendans,  auxquels  il  faut  donner  des 
instructions  fort  amples,  observer  soigneusement  leur  conduite,  révo- 
quer ceux  qui  ne  s'acquitteront  pas  bien  de  leurs  emplois,  leur  donner 
à  chacun  autant  de  généralités  qu'ils  en  pourront  conduire  en  travail- 
lant toute  Tannée  avec  application,  et  gratifier  ceux  qui  satisferont 
Son  Eminence  et  qui  feront  payer  plus  ponctuellement  les  imposi- 
tions et  voiturer  plus  diligemment  les  deniers  à  l'Espargne  en  sorte 
que  la  preuve  de  leur  suffisance  et  de  leur  mérite  venant  de  cette 
ponctualité,  et  estant  bien  assurés  qu'ils  seroient  révoqués  s'ils  n'y 
satisfont,  il  n'y  en  a  pas  un  qui  n'y  travaille  avec  succès  *.  » 

Pour  lui,  le  rétablissement  des  intendants  doit  être  la  base 

1.  Lé  bureau  des  finances  de  Caen,  dans  une  de  ses  sentences  du  14  novembre 
1661,  qualifie  l'intendant  de  la  généralité,  Dugué,  de  «  conseiller  du  roy  en  ses 
conseils,  maistre  des  requestes  ordinaire  de  son  hostel,  et  commissaire  departy 
par  Sadite  Majesté  pour  la  visite  d'icelle  généralité  pour  la  dite  année  prochaine  » 
(A.  D.  Galv.  bureau  des  finances,  plumitif). 

2.  Clém.  I.  308. 

3.  En  1663  encore,  la  Cour  des  aides  de  Paris,  lors  de  l'enregistrement  d'une 
déclaration  du  12  février,  proteste  par  deux  fois  contre  l'ingérence  des  inten- 
dants dans  le  département  des  tailles  (Nau  Abrégé  des  ordonnances...,  p.  497-498). 
En  1667,  le  premier  président  de  la  Chambre  des  comptes  de  Rouen  critique 
aussi  cette  innovation  (Met.  Soc.  Hist.  Norm.  t.  II,  p.  343,  n.  1).  Domat  et  l'abbé. 
Fleury,  dans  leurs  ouvrages  sur  le  droit  public  de  la  France  ne  parlent  pas  des 
intendants  au  chapitre  des  impôts.  En  1725,  encore,  Ghasles,  dans  son  Diction- 
naire de  justice,  police  et  finances,  observe  le  même  silence  à  l'article  Taille. 

4.  Clém.  VII,  177. 

LA    TAILLE     EN    NORMANDIE.  i 


60  la   TAii.i.i:    SU    NOBMAMDIB. 

de  la  réforme  économique*.  11  commence  par  les  astreindre 
rigoureusement  a  la  résidence,  leur  Interdisant  de  quitter  leur 
poste  sans  autorisation.  Puis,  il  établit  avec  eux  une  eorrespon- 

Idance  régulière  contrastant  avec  la  rareté  de  ses  relations  avec 
les  trésoriers  de  France*.  Il  ne  part  guère  de  courrier  pour  une 
province  sans  une  dépêche  a  l'intendant.  Il  Leur  demande  des 
rapports,  au  moins  un  par  semaine  à  partir  de  1666,  les 
rappelle  ;i    l'ordre    quand    ils  restent  quelques  jours   sans   lui 

x  répondre,  Ici  tient  sans  cesse  en  haleine.  Les  deux  tiers 
environ  des  lettres  qui  ont  été  recueillies  par  Clément  leur 
sont  adressées,  et  ce  qui  reste  de  leur  correspondance  forme 
une  masse  considérable  dans  les  archives.  De  l'examen  de  ces 
lettres,  il  ressort  avec  évidence, que,  lps  JM?pdanH^fiirent  les 
véritables  agelîlsctu  ministre  jjan_s_jes  provinces,  les  exécuteurs 
frdèlcs"cî5"sa  vojoaté. 

Les  trésoriers  généraux  étaient  devenus  à  ce  point  inutiles, 
que  Colbert  projetait  de  les  supprimer  :  dans  le  plan  de  réor- 
ganisation des  finances  qu'il  traça  en  1661,   il  écrivait  :  «  Tra- 

I  veiller  fortement  à  la  suppression  des  trésoriers  de  France...' et 
examiner  les  moyens  de  faire  cette  suppression  avec  le  moins 
d'injustice  qu'il  se  pourra*.  »  C'est  dans  la  même  note  qu'il 
propose  de  dresser  une  instruction  générale  pour  les  intendants 
et  de  renvoyer  dans  leur  province  ceux  qui  sont  à  Paris.  Il 
semble  que  ce  projet  ait  eu  un  commencement  d'exécution4, 
mais  il  fallut  bientôt  l'abandonner  :  on  vient  de  dire  pourquoi 
la  suppression  était  difficile5.  Colbert  les  laissa  donc  subsister. 

1.  Ce  mémoire  nous  montre  les  intentions  de  Colbert  d'une  façon  précise.  On 
voit  qu'uu  début  il  songeait  ù  confier  plusieurs  gcnérnlités  ù  un  même  inten- 
dant. En  lti66,  il  établira  le  principe  qu'un  intendant  ne  doit  avoir  qu'une  géné- 
ralité. A  la  fin  de  son  ministère  il  constatera  que,  avec  le  développement  de 
leurs  attributions,  ils  ne  peuvent  convenablement  administrer  une  circonscrip- 
tion aussi  vaste;  tout  après  lui.  on  sera  obligé  de  leur  donner  des  subdélégués 
pour  les  seconder. 

2.  C'est  tout  au  plus  si,  dans  ses  papiers,  on  trouve  quelques  circulaires  à 
eux  adressées  pour  accompagner  les  brevets  ou  les  commissions  des  tailles,  les 
ordonnances  a  enregistrer,  ou  pour  demander  des  renseignements  sur  le  domaine, 
la  voirie,  les  offices  de  finances.  Encore  Colbert  leur  enleva-t-il  la  partie  tech- 
nique des  ponts  et  chaussées  pour  la  donner  aux  intendants  (Viguon.  Etudes 
sur  l'administration  des  voies  publiques,  t.  I,  p.  <>.*>).  Il  n'avait  du  reste  pus  à  se 
louer  de  leur  exactitude  :  ayant  adressé  une  lettre  au  bureau  des  finances  d'Aix  le 
23  septembre  1670,  il  ne  reçut  une  réponse  qu'un  an  après  (Clém.  IV,  4'i7).  Cf. 
les  plaintes  de  Sully  :  Economies  royales,  éd.  Michaud  et  Poujoulat,  II,  407,  557,  558. 

3.  Dans  une  circulaire  du  8  mars  1C62,  Marin,  exhortant  les  trésoriers  à  hâter 
le  remhonrsement  des  élus  supprimés,  leur  dit  :  «  ce  sera  le  moien  de  faire  voir 
la  nécessité  de  vos  fonctions  et  de  parler  plus  hardiment  pour  vostre  conserva- 
tion »  (A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances,  curresp.  de  Marin).  Dans  son  mémoire 
sur  la   réforination   de  la   Justice  en   1GG.'>,  le  conseiller  d'Etat  de  La   Marguerie 

.  insiste  également  sur  la  réduction  du  nombre  des  trésoriers  (B.  N.  Clairamb.,  013, 
fol.  308  verso). 

'..  Clém.  II.  198. 

.*>.  Sur  les  difficultés  de  ces  remboursements,  voir  au  chapitre  m  la  question 
du  remboursement  des  officiers  des  élections.  Cf.  une  lettre  du  président  Brulart 
à  Colbert,  de  Dijon,  18  juin  1664.  au  sujet  de  l'edit  de  suppression  de  certains 
procureurs  et  notaires  :  «  Je  suis  obligé  à  vous  dire  que  s'il  est  exécuté  ù  la 
rigueur,  plusieurs  familles  en  seront  ruinées,  parce  que  ces  charges  sont  leur  seul 


LES    INTENDANTS.  51 

La  déclaration  du  29  décembre  1663  les  astreignit  à  la  rési- 
dence !  ;  un  édit  de  février  1672  ordonna  en  apparence  une 
réduction  de  leur  nombre,  puisqu'il  ramenait  à  10  l'effectif  des 
trésoriers  dans  chaque  généralité  de  Normandie,  et  à  14  dans 
les  autres,  mais  ce  n'était  qu'une  opération  «  bursale  »  pour 
remplir  les  coffres  du  Trésor  :  il  était  en  effet  spécifié  que  les 
gages  des  officiers  supprimés  seraient  attribués  aux  réservés 
«  en  payant  par  eux  la  finance  à  laquelle  ils  seront  modérément 
taxés  au  conseil2  »;  puis  dans  un  arrêt  du  conseil  du  13  sep- 
tembre 1672,  le  roi,  considérant  que  la  plupart  des  officiers 
des  bureaux  de  Normandie  ont  demandé  à  être  rétablis  dans 
leurs  charges,  veut  bien  le  leur  accorder  «  en  paiant  par  chacun 
bureau  la  somme  de  120000  1.  3  ».  Enfin,  en  mars  1673,  consi- 
dérant encore  que  les  trésoriers  de  France  se  sont  «  soumis 
volontairement  à  nous  donner  un  grand  secours  pour  les 
dépenses  de  la  guerre  et  pour  estre  tous  conservez4  »,  il  les 
maintient  tous  dans  leurs  fonctions,  y  ajoutant  même  le  pri- 
vilège de— committimus   et  une  réduction   du  droit  annueîT  En 

,— >2^-r'   — | — - — . J   ^~ .  ,  ,  ,     ,  .  * 

définitive,  la  situation  des  trésoriers  généraux  se  trouvait  con- 

solidée5  par  cette  opération. 

Tout  l'effort  de  Colbert  tendit  désormais  à  les  subordonner 
aux  intendants  :  ceux-ci  fournirent  en  secret  des  notes  sur  leur 
compte  ;  ils  les  surveillèrent  dans  tous  leurs  actes  publics,  et 
prirent  le  pas  sur  eux  dans  les  cérémonies.  Il  arriva  que  des 
trésoriers  de  France  furent  placés  sous  les  ordres  d'intendants 
comme  subdélégués,  et  bientôt  ils  en  vinrent  à  considérer 
cette    désignation   comme  une  faveur6.   Pendant  les  premières 


ul  employ,  que  ceux  qui  en  sont  pourveus  ne  doivent  recevoir  par    i 
jdommagement,  et  qu'ayant  esté  nourris  toute  leur  vie  dans  ces    ' 


bien  et  leur  seu 

l'édit   aucun  dé 

professions,  ils  sont  à  présent  incapables  du  commerce  et  de  l'agriculture  »  (M.  C. 

121  bis,  f°  668). 

1.  Au  début,  les  trésoriers  firent  des  tentatives  pour  se  faire  rendre  leurs 
fonctions  usurpées  par  les  intendants,  en  promettant  de  les  exercer  à  l'avenir 
avec  «  toute  la  fidélité  et  l'exactitude  possible  »  (lettre  des  trésoriers  de  France 
d'Alençon  à  Colbert,  14  décembre  1665  (M.  G.  184  bis,  f°  477).  Cf.  lettre  des  tréso- 
riers de  Lyon  30  juin  1664  (M.  C.  121  bis,  f°  1 116,.  et  autre  lettre  ibid.,  153  bis, 
f°  704).  Mais  ces  essais  furent  infructueux. 

2.  A.  D.  S.  Inf.  G,  1463,  pièce  53. 

3.  Ibid.,  pièce  56. 

4.  Tout  le  préambule  de  l'édit  est  un  aveu  d'impuissance  de  la  part  du  roi  : 
«  Nous  avions  aussi  résolu,  y  est-il  dit,  de  réduire  les  officiers  des  Bureaux  de 
nos  Finances,  qui  jouissent  de  gages  considérables,  et  dont  le  nombre  Nous 
avoit  paru  trop  grand  pour  les  lonctions  de  leurs  charges.  Mais  les  dépenses 
extraordinaires  ausquelles  nous  avons  esté  obligez  pour  la  subsistance  des 
grandes  armées  que  Nous  avons  tenu  en  campagne  ayant  consommé  les  fonds 
que  Nous  avions  destiné  à  leur  remboursement;  et  d'ailleurs  tous  lesdits  officiers 
s'estnnt  soumis  volontairement  à  Nous  donner  un  grand  secours  pour  les  dépenses 
de  la  guerre,  et  pour  estre  tous  conservez,  Nous  avons  écouté  volontiers  leurs 
propositions...  » 

5.  Un  arrêt  du  Grand  Conseil,  du  29  mars  1678,  confirma  encore  leurs  privi- 
lèges et  droits  honorifiques  (Arch.  S.  Inf.  G,  2  372). 

6.  Cf.  par  exemple  lettre  de  Colbert  à  Pellot,  3  décembre  1662  (Glém.  II,  236); 
autre  lettre  à  Leblanc,  23  févr.  1676  (ibid.,  373).  Choisissez,  dit  le  ministre,  des 
trésoriers  «  en  qui  vous  puissiez  prendre  une  entière  confiance  ». 


52  LA    TAILLE    EN     XOHMAN  1)1 1. . 

années  de  Colbert,  les  trésoriers  de  Fiance  suppléent  l'inten- 
dant absent  ou  font  l'intérim  entre  deux  commissaires1;  mais 
dans  la  suite,  on  renonça  à  se  servir  d'eux,  même  dans  ces 
circonstances  :  un  intendant  ne  quitta  sa  généralité  qu'après 
l'arrivée  de  son  successeur.  Toutes  les  lois  qu'on  conflit  s'éleva 

I  entre  intendant  et  trésoriers  généraux,  le  Conseil  donna  raison 

I  à  l'intendant.  A  la  fin  du  ministère  de  Colbert,   les  trésoriers 

1  étaient  complètement  anéantis. 

Par  ces  mesures  de  détail,  échelonnées  sur  une  longue 
période,  les  intendants  devinrent  les  véritables  chefs  de  l'admi- 
nistration financière  dans  les  provinces.  Dépendant  uniquement 
du  Conseil,   ils  se   trouvaient  soustraits  à   toutes    les  autorités 

|  locales  et  aux  cours  supérieures;  ils  pouvaient  agir  en  véritables 
souverains.  On  s'explique  ainsi  les  plaintes  de  Saint-Simon 
contre  leur  toute-puissance  :  ces  nouveaux  fonctionnaires,  dit- 
il,  sont  «  les  maistres  de  tout  »  ;  ils  ont  «  bridé  »  les  évêques, 
«  contre-carré  »  les  parlements,  «  soumis  »  les  communautés 
urbaines;  par  la  répartition  des  impôts,  ils  sont  devenus 
«  maistres  de  l'oppression  ou  du  soulagement  des  paroisses  et 
des  particuliers  »;  bref,  en  les  instituant,  le  roi  a  trouvé  «  l'art 
d'anéantir  partout  grands,  seigneurie,  noblesse,  corps,  particu- 
liers, par  des  gens  de  rien    par   eux-mesmes,   dont   le  pouvoir 

j  énorme  ne  fust  que  précaire  et  incapable  de  porter  nul 
ombrage2  ».  Mais  SaJnt^Sjjn^iii-axjigère.  Les  intendants  n'avaient 

1  pas  en  matière  de  justice  d'autorité  ordinaire  ;  l'auteur  du  mémoire 
dressé  pour  l'intendant  Orsay  vers  1690  dit  fort  bien  qu'ils 
«  ont  une  inspection  generaîle  sur  tous  les  officiers  de  leur 
département,  de  quelque  qualité  qu'ils  soient,  mais  ne  doivent 
as  prendre  connoissance  des  matières  contentieuses,  si  elle  ne 
eur  est  attribuée  par  arrest  ou  ordre  particulier  du  Conseil  »; 
tout  au  plus  peuvent-ils,  dans  certaines  circonstances,  rendre 
des  sentences  par  provision,  et  encore  il  faut  que  les  affaires 
soient  de  peu  d'importance3.  Même  lorsque  l'intendant  rend 
des  arrêts  en  matière  administrative,  il  a  a  craindre  l'oppo- 
sition des  cours,  et  il  est  obligé  de  faire  expédier  un  arrêt  du 
Conseil  pour  confirmer  sa  décision;  pour  lui  délivrer  l'arrêt, 
le   Conseil  exige    qu'il  justifie    la  mesure   proposée*.   11   arrive 

1.  Ainsi,  les  trésoriers  de  France  ù  Alençon  suppléent  Fa  vie  r  du  Boulay 
rappelé  ù  Paris  le  10  décembre  H'.»;.">  (M.  G.  134.  f*  33  4),  jusqu'à  l'arrivée  de 
De  Marie  (ibid.,  134  bis,  f.  747).  Ceux  de  Lyon  font  l'intérim  de  l'intendance  après 
le  brusque  décès  de  Saron  Champigny  eu  1665  (ibid.,  t°  Ni),  Ceux  de  Paris  sont 
commis  pour  faire  l'imposition  des  tailles  en  l'absence  de  Charles  Colbert  (B.  N. 
Clairamb.  660,  p.  500). 

2.  Parallèle  des  trois  premier»  rois  Bourbon*,  dans  les  Ecrits  inédits,  t.  I, 
p.  285-287.  Cf.  Mémoires,  éd.  de  Boislisle,  t.  XVIII,  p.  441  et  469. 

3.  B.  N.  fr.  11096.  f  'l't. 

4.  Ainsi,  l'intendant  Barin  de  la  Galissonnière  propose  à  Colbert  des  mesures  ù 

5 rendre  pendant  l'épidémie  de  peste  qui  sévit  à  Rouen  en  1608.  Mais  il  faudra, 
it-il.    «  Pauthoriser  par   un   arrest  en  commandement,  car  si  je  rends  quelque 
ordonnance,  le  Parlement  la  cassera  et  ce  que  je  feray  ne   servira  qu'à  faire  un 


le 


LES    INTENDANTS.  53 

souvent  que  des  intendants  sont  réprimandés  parce  qu'ils 
dépassent  leurs  pouvoirs  :  Colbert  invite  celui  de  Rouen,  le 
3  février  1673,  à  «  ne  connoistre  que  des  matières  qui  peuvent 
estre  »  de  sa  «  compétence  »,  et  lui  interdit  de  s'occuper  «  de 
toutes  les  matières  concernant  les  tailles,  qui  sont  de  la  juridic- 
tion des  élus  et  de  la  Cour  des  aydes  »  ;  s'il  arrive  que  les  élus 
ou  la  Cour  jugent  mal,  l'intendant  en  informera  le  ministre,  qui 
lui  expédiera  le  pouvoir  nécessaire  pour  réformer  leurs  sen- 
tences1. «  C'est  à  vous  seulement,  lui  disait-il  le  27  janvier 
précédent,  à  tenir  la  main  à  ce  que  les  élus  et  la  Cour  des 
aydes  exécutent  ponctuellement  les  édits  sans  s'en  départir2.  » 
Les  intendants  avaient  le  désir  de  bien  administrer  leur  pro- 
vince, non  seulement  pour  satisfaire  le  contrôleur  général  et  le 
roi,  mais  aussi  pour  assurer  le  paiement  des  impôts.  Une  géné- 
ralité ruinée  aurait  été  très  vite  hors  d'état  de  payer  la  taille, 
et  l'intendant,  convaincu  de  négligence  dans  la  répartition  ou 
dans  la  surveillance  des  agents  subalternes,  aurait  été  rendu 
responsable  de  ce  mal.  Enfin,  pour  être  juste,  il  faudrait  mettre 
à  côté  de  la  diatribe  de  Saint-Simon  le  mot  de  l'abbé  Fleury  : 
«  Bon  intendant,  grand  secours  à  une  province3  ». 

Malgré  la  création  des  intendants,  les  trésoriers  généraux 
conservèrent  nominalement  le  droit  de  faire  la  répartition  de 
l'impôt  entre  les  élections.  L'article  40  du  règlement  de  jan- 
vier 1634  disait  :  «  Les  trésoriers  de  France  feront  le  départe- 
ment de  la  taille  sur  les  élections  dépendant  de  leur  généralité, 
huit  jours  après  avoir  reçu  le  brevet  que  nous  leur  envoyons 
par  chacun  an  »  ;  or  cet  article  ne  fut  ni  rapporté  ni  modifié 
pendant  tout  le  ministère  de  Colbert. 

Pour  faire   cette    répartition   en   connaissance   de   cause,   ils 
devaient  s'informer  de  l'état  de  chaque  élection,  et  pour  cela  « 
faire    des    «    chevauchées    » ,    c'est-à-dire    des    tournées    pour  j  v 
enquêter   sur  l'état  des  récoltes,   les  moyens   dont  disposaient/ 
les   peuples  et  la  facilité  plus  ou   moins  grande  des  recouvre- 
ments. A  cet  effet,  ils  se  répartissaient  chaque  année  les  élec- 
tions, de  façon  que  chacune  fût  visitée  au  moins  par  l'un  d'eux. 
Ils  devaient  se  transporter  au  chef-lieu,   interroger  les  élus  et 
les  receveurs,  examiner  la  qualité  des  récoltes,  enfin  s'occuper  de 
toutes  les  matières  qui  étaient  dans  les  attributions  du  Bureau  : 
«  Lors  de  leurs  chevauchées,  ils  sont  en  droit  de  connaître  de 

conflit  »  (M.  G.  148  bl9,  f°  626,  v°).  C'était  on  effet  au  Parlement  qu'appartenait  la 
police  en  cas  d'épidémie,  et  le  parlement  était  da  taille  à  résister  à  l'intendant. 

1.  Clém.  II,  270. 

2.  Ibid.,  p.  267. 

3.  Le  droit  public  de  la  France,  éd.  1769,  t.  II,  p.  126.  Il  faut  aussi  noter  que 
Fénelon,  dans  son  Plan  de  gouvernement  pour  le  duc  de  Bourgogne,  en  1711, 
proposait  la  suppression  des  intendants,  sans  dire  ses  motifs  (Œuvres,  éd.  de 
Saint-Sulpice,  1851,  VII,  183). 


54  Là    TAILLE    ta    NORMANDIE. 

tout  ce  qui  regarde  le  service  du  roi,  soit  à  l'égard  de  la  con- 
duite des  officiers,  soit  à  l'égard  des  fermiers  pour  en  informer 
le  conseil...  parce  que  c'est  un  de  leurs  principaux  emplois1  ». 
Le  procès-verbal  de  la  chevauchée  était  déposé  au  Bureau;  tous 
les  trésoriers  réunis  en  devaient  prendre  connaissance  avant  de 
donner  leur  avis  sur  le  brevet. 
|      La  tâche  des  trésoriers  généraux  était  compliquée  par  leur 
'conflit  avec  les  élus.  Il  arrivait  souvent  que  les  élus,  méconnais- 
sant leur  autorité,  refusaient  de  répondre  à  leur  convocation, 
I  et  de  les  renseigner  sur  l'état  des  élections9. 

D'autre  part,  les  trésoriers  ne  mettaient  aucun  empressement 
i  à  faire  leurs  chevauchées,  et  souvent  même  s'en  abstenaient 
\  complètement.  La  Chambre  des  comptes  de  Rouen  est  obligée 
de  les  rappeler  à  l'ordre,  et,  a  partir  de  1666,  elle  suspend 
le  paiement  des  gages  de  tous  ceux  qui  ne  lui  présentent  pas 
leurs  procès-verbaux  de  chevauchées  lors  de  la  vérification  des 
comptes.  Mais  les  trésoriers  font  observer  qu'il  y  a  moins  d'élec- 
tions que  de  conseillers,  et  que,  par  conséquent,  ils  ne  peuvent 
avoir  chacun  une  élection  à  visiter3.  Pour  les  satisfaire,  la 
Chambre  décidé,  par  un  règlement  du  2  juillet  1676,  qu'ils  ne 
devront  présenter  qu'  «  autant  de  procès-verbaux  de  chevau- 
chées qu'il  y  a  d'eslections  dans  chaque  généralité,  et  lesquelles 
chevauchées  seront  faites  par  les  dits  trésoriers  de  France  tour 
à  tour*  ». 

Les  procès-verbaux  qui  nous  sont  parvenus  8  sont  très  courts, 
ne  donnent  aucun  détail  intéressant,  et  contrastent  étrange- 
ment avec  ceux  des  intendants  aux  mêmes  dates.  Le  même  ques- 
tionnaire est  répété  partout;  les  réponses  des  élus,  toujours 
les  mêmes,  sont  de  véritables  formules  reproduites  d'une  élec- 
tion à  l'autre  dans  toute  la  Normandie,  et  d'une  année  à  l'autre 
pendant  toute  l'époque  qui  nous  intéresse.  On  y  voit  presque 
toujours  que  l'élection  est  surchargée  d'impôts  et  devrait  être 
diminuée,  que  les  officiers  de  finances  font  bien  leur  devoir, 
que  les  peuples  ne  s'en  plaignent  pas,  ou,  s'il  y  a  eu  des 
plaintes,  que  le  trésorier  en  a  informé  et  fait  justice;  les 
huissiers  ne  font  aucune  vexation,  les  receveurs  aucune  con- 
cussion ni  malversation;  les  greffiers  tiennent  parfaitement 
leurs  registres  :  c'est  l'optimisme  qui  dispense  d'examiner  à 
fond    les    choses.    L'intendant   d'Alençon,    dans   une   lettre   du 

1.  Mémoire  sur  les  fonctions  des  trésoriers  de  France,  1684,  publ.  par  De  Bois- 
lisle.  Mémoire  de  l'intendant  de  Paris,  p.  678.  Cf.  l'arrêt  du-xonseil  du  2  octobre 
1683  (A.  D.  S.  Inf.  C.  1464,  pièce  43)  elle  mémoire  sur  les  fonctions  dea  trésoriers 
généraux  (B.  N.  Cluiramb.  500,  p.  585). 

2.  Voir  ci-dessous,  ch.  m. 

3.  Placets  des  trésoriers  généraux  de  Rouen  a  la  ebambre  du  26  novembre  1675 
et  du  15  avril  1679  (A.  D.  S.  Inf.  C.  1463,  pièce  72,  et  C.  1464,  pièce  12). 

4.  A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances. 

5.  lbid. 


LES    INTENDANTS.  55 

8  mai  1684,  dit  nettement  que   les  trésoriers   de  France    «  ne 
font   leurs   chevauchées   que   dans    les   villes   de   résidence   des  | 
eslus,  auxquels,  pour  la  forme  seulement,  ils  demandent  Testât k 
de  leur  eslection,  à  quoy  les  officiers  des  eslections  ne  répondent 
jamais  juste1  ».   Les  trésoriers   avouent  d'ailleurs  leur  indiffé- 
rence  à    l'égard  des   chevauchées  et  ils  en  indiquent  la  cause 
lorsque   la   chambre    des   comptes    exige   leurs    procès-verbaux 
pour  leur  délivrer  leurs  gages  :  nos  chevauchées,  disent-ils,  sont 
«  assez  inutiles  et  sans  fruit  »  depuis  que  le  roi  «  a  envoyé  dans 
la   généralité    des    commissaires   départis  qui   ont   fait   presque 
tousjours  les  departemens  seuls,   au   préjudice   des  dits    sieurs 
trésoriers2  ».   Les    trésoriers  généraux   de   Moulins    écrivent   à 
Colbert  en  1663  :  «  Les  commissaires  départis  en  cette  généra- 
lité...  semblent  prendre  à  tache  de  destruire  toutes  nos  fonc- 
tions, au  grand  préjudice  des  affaires  du  roy  et  de  nos  charges3  ». 
Dans  la   suite,   c'est  de  l'établissement  des  intendants   que  les  ^ 
trésoriers  généraux  feront  dater  la  décadence  de  leur  charge.  [ 
En  1756,  l'un  d'eux  écrira  :  «  Depuis  l'establissement  des  inten- 
dants dans  les  provinces,  nos  chevauchées  sont  totalement  inu- 
tiles,  et   les  Bureaux  devroient   se    réunir   pour    demander    au 
Conseil  d'en  être  dispensés  à  l'advenir4  ».  Le  14  novembre  1788 
les  trésoriers  de  France  à  Bordeaux  déclareront  pareillement  à 
Necker  :  «  Nous  avons  vu  les  intendants  venir  nous  enlever  nos 
fonctions  par  des  attributions  subreptices5  ».  Enfin,  un  mémoire  i 
de  1780  sur  les   fonctions  des  trésoriers,  après  avoir  énuméré 
en  détail  les  empiétements  des  intendants  sur  leurs  attributions, 
conclut  : 

«  Il  résulte  de  tout  ceci  que  les  trésoriers  de  France,  comme  géné- 
raux des  finances,  n'ont  plus  qu'un  fantôme  d'autorité  quant  à  la 
répartition  des  tailles.  On  leur  adresse  bien  le  brevet,  et  ils  envoient 
au  conseil,  c'est-à-dire  à  l'intendance  des  finances,  une  espèce  de 
projet  de  répartition  entre  chaque  élection  de  la  somme  totale  qui  est 
le  montant  du  brevet  pour  la  généralité.  Ils  y  ajoutent  quelques 
réflexions  sur  l'état  de  chaque  élection  d'après  les  prétendues  chevau- 
chées, qu'ils  ne  font  presque  jamais...  Dans  le  fait,  c'est  l'avis  de 
l'intendant  seul  qui  règle  les  opérations  du  ministre  des  finances  6.  » 

Nous  savons  ^du  reste  par  les  rapports  des  intendants  que 
les  trésoriers  généraux  s'acquittaient  très  mal,  en  général,  de 

1.  Lettre  au  contrôleur  général,  A.  N.  G7  71. 

2.  Placet  de  1675  (A.  D.  S.  Inf.  G.  1463,  pièce  72).  Cf.  le  placet  de  1665  {ibid., 
pièce  21);  celui  de  1679  (C.  146i,  pièce  12). 

3.  M.  G.  115,  fo  89. 

4.  A.  D.  S.  Inf.  C.  2  345. 

5.  Cité  dans  13rette,  Les  limites  et  les  divisions  territoriales  de  la  France  en  1189, 
p.  110,  n.  1. 

6.  Mémoire  de  Poitevin  de  Maissemy,  conseiller  à  la  Cour  des  aides,  publ.  dans 
Vignon,  Etudes  sur  V administration  des  voUs  publiques,  t.  I,  pièces  justificatives, 
p.  36.  V.  aussi  deux  mémoires  des  trésoriers  de  Rouen  au  contrôleur  général, 
7  nov.  1787  et  5  avril  1788,  exposant  les  mêmes  doléances,  Arch.  Nat.  H,  1596. 


H  LA    TAILLE    BN    NORMANDIE. 

leurs  fonctions.  On  a  vu  déjà  ce  qu'en  dit  l'intendant  d'Alençon 
pour  les  chevauchées  ;  celui  de  Rouen  écrit  que  dans  les  affaires 
domaniales,  si  on  les  leur  confiait,  «  les  trésoriers  de  France, 
avant  leur  intérest  particulier,  ceux  de  leurs  familles  et  de 
leurs  amis,  ne  chercheroient  qu'à  éluder  l'exécution  des  édicts 
et  déclarations,  ce  qui  a  donné  lieu  à  casser  la  plus  grande 
partie  des  arrests  qu'ils  ont  rendus  dans  les  affaires  de  S.  M., 
dont  la  connoissance  leur  avoit  esté  renvoyée  ».  En  général, 
conclut-il,  ce  sont  gens  «  fort  inutiles,  ne  m'ayant  servy  de  rien 
dans  les  affaires  ausquelles  il  vous  a  pieu  d'en  commettre1  ». 
«  Jusqu'à  présent  »,  écrit-il  encore  le  2  janvier  1682,  «  il  a 
esté  impossible  d'obliger  un  trésorier  de  France  à  prendre 
le  moindre  soin  des  chemins  et  des  réparations  qui  sont  à  y 
faire2  ».  Lorsque  Colbert  entreprend  de  vérifier  les  dettes  des 
communautés,  l'intendant  d'Alençon,  de  Marie,  lui  déclare  que 
l'on  ne  peut  aboutir  «  à  rien  »  si  l'on  remet  le  soin  de  cette 
affaire  aux  trésoriers  de  France  et  à  la  Chambre  des  comptes,  à 
qui  elle  revient  «  dans  l'ordre  ordinaire3  »,  et  son  successeur, 
de  Bouville,  dit  plus  catégoriquement  encore  pour  la  répartition 
de  la  taille  :  «  Messieurs  les  trésoriers  de  France  n'assistent 
présentement  au  département  [entre  les  paroisses]  que  pour 
avoir  soin  de  leurs  terres  et  de  celles  de  leurs  amis*  ».  Peut- 
être  pourrait-on  suspecter  les  témoignages  de  rivaux,  mais  il 
est  certain  qu'au  fond  les  intendants  avaient  raison.  L'inertie 
des  trésoriers,  leur  indifférence  à  l'égard  des  intérêts  du  roi, 
leur  indépendance  excessive  à  l'égard  du  gouvernement,  sont 
trop  évidentes  pour  qu'on  puisse  les  contester.  Comme  l'a  dit 
Colbert,  on  ne  pouvait  entreprendre  aucune  réforme  en  matière 
fiscale  avec  leur  seul  concours. 

(Les  intendants  furent  donc  chargés  de  faire  des  chevauchées 
à  la  place  des  trésoriers.  L'obligation  n'en  était  pas  inscrite 
dans  leurs  commissions5,  mais  une  circulaire  spéciale,  renou- 
velée chaque  année,  les  leur  prescrivait.  Il  n'est  pas  sûr  que 
cet  usage  ait  existé  dès  le  début.  Colbert  parle  bien  en  1683 
des  ordres  de  visite  «  que  S.  M.  [leur]  a  donnés  tous  les  ans'  », 

1.  Lettre  à  Colbert  du  8  avril  1682,  B.  N.  fr.  8  761,  fJ  47. 

2.  Ibid.,  f  38. 

3.  Lettre  du  24  juin  1669,  M.  C.  153  bis,  f  757. 

4.  Lettre  du  8  mai  1684.  clans  de  Boislisle.  (  orretpondance,  t.  F,  n"  64. 

5.  Cf.  une  commission- type  du  temps  de  Colbert  dans  Godard,  Les  pouvoirs  des 
intendants,  p.  4Ô8-4G3.  Selon  Godard,  toutes  les  commissions  auraient  été  sem- 
blables pendant  tout  le  ministère  de  Colbert.  Ce  n'est  pas  exact.  Il  n'en  fut  ainsi 

3ue  pour  les  intendants  dépendant  du  secrétariat  d'Etat  de  la  maison  du  roi, 
ont  les  commissions  sont  transcrites  dans  les  registres  du  secrétariat;  mais 
Sour  les  intendants  qui  dépendaient  des  autres  secrétaires  d'Etat,  la  formule  était 
ifférente. 

6.  Depping.  t.  III,  p.  47.  En  1673  il  écrit  encore  que  les  ordres  pour  la  -visite 
générale  de  toutes  les  paroisses  ont  été  donnés  «  depuis  beaucoup  d'années...  à 
tons  les  commissaires  départis  »  (lettre  à  l'intendant  de  Poitiers,  17  novembre). 


LES   INTENDANTS.  57 


mais  on  ne  peut  en  conclure  qu'effectivement  dès  1662  la  visite 
était  prescrite.  La  grande  instruction  aux  maîtres  des  requêtes  j 
de   mars   1JJÔ4  '  est    souvent  considérée  comme   contenant  une 
prescription  en  ce  sens,  mais  c'est  une  interprétation  inexacte  :  t 
l'instruction   se  termine   en  effet  par  l'ordre  aux  intendants  de  ' 
faire  leur  visite  en  4  ou  5  mois  pour  que  le  roi  puisse  ensuite 
les   envoyer  dans  une   autre  province,    «  S.   M.  voulant  que... 
lesdits  maistres  des  requestes  visitent  tout  le  dedans  du  royaume 
en  l'espace  de  sept  ou  huit  années  de  temps  et  se  rendent  par 
là  capables  des  plus  grands  emplois2  ».  Il  est  clair  qu'il  s'agit  là 
non  pas  d'une  inspection  pour  la  répartition  de  l'impôt,  mais 
d'une    enquête    générale   destinée   à    faire    connaître   à   chaque  j 
intendant  l'état  exact  de  tout  le  royaume  ;  à  cette  date,  Colbert 
ne  songeait  pas  encore  à_  laisser  les  intendants  ajcfemeure  dans 
chaque  jgénjéj^gjii^et^onsidérait  leurs  {'onctions  comme  tempo- 
raires; ïl  voulait  surtout  faire  leur  apprentissage  et  les  former 
-en  vue  d'un  emploi  dans  le  gouvernement  central 3.  La  première 
circulaire  de  Colbert  qui   nous  soit  conservée  sur  les   chevau-; 
chées  des  intendants  est  de  1672 4.   Toutefois,  comme,  pour  la' 
période/antérieure,  une  grande  quantité  de  lettres  et  de  circu- 
laires de  Colbert  sont  perdues,  il  est  possible  que  les  chevau- 
chées d'intendants  aient  été  instituées  plusieurs  années  aupara- 
vant.  En   1673,  Colbert  écrit  qu'elles  sont  prescrites  «  depuis 
beaucoup  d'années  »;  dès  1666,  l'intendant  d'Orléans  parle  de 
chevauchées  qu'il   a   faites   dans  sa  province,  sans  en  préciser  i 
le  but,  il  est  vrai 5.  En  tout  cas,  nous  n'avons  aucune  trace  detf 
pareilles  inspections  dans  les  premières  années   du  ministère.] 
Les   renseignements    précis   que    nous    fournissent,   à    partir 
de  1672,  les  circulaires  de  Colbert,  montrent  quelle  importance 
le  contrôleur  général  attachait  à  cette  visite  :  il  n'y  a  rien,  dit 
le  minis.tre,  «  qui  puisse  contribuer  davantage  au  bien  [du]  ser- 
vice et  au  soulagement  des  peuples  que  ces  visites6  ».  «   Il  est 
d'une  très  grande  conséquence  que  vous  ayez  une  connoissance 
particulière,   détaillée,  de  toutes  les  élections  de  la  généralité, 
pour  vous   mettre   en    estât    de    bien  faire    le  régalement  [des 
tailles]  et  de  réformer  tous  les  abus  qui  s'y  peuvent  estre  glis- 
sés7 ».  «  Comme  c'est  un  moyen  de  procurer  du  soulagement 

1.  Sur  la  date  de  cetle  instruction,  que  Clément  dit  être  de  septembre  1663, 
voir  mon  édit.  du  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  x-xi. 

2.  Clém.  IV,  p.  42.  Cf.  ci-dessus,  p.  49. 

3.  C'est  ainsi  que  Charles  Colbert,  frère  du  ministre,  inspecta  successivement 
le  Poitou,  la  Touraine  et  la  Bretagne.  Il  n'est  du  reste  pas  sûr  que  tous  les  inten- 
dants aient  reçu  l'instruction.  Cf.  mon  introduction  au  Mémoire  de  Voysin  sur 
la  généralité  de  Rouen,  p.  xm. 

4.  Lettres  à  Michel  Colbert,  intendant  d'Alencon,  16  septembre  1672  (Clém.  II, 
252),  et  à  l'intendant  de  Riom,  15  juillet  1672  (ib'id.,  IV,  248). 

5.  M.  C.   140,  f  63. 

6.  Lettre  à  l'intendant  de  Poitiers,  27  novembre  1672  (Clém.  II,  299). 

7.  Lettre  à  l'intendant  d'Alencon,  16  septembre  1672  {ibid.,  252). 


58  LA    TAU  I  I      IN     NOIIMAXMI'.. 

aux  peuples  presque  égal  à  oelni  <|in-  1«'  roy  leur  a  accordé  par 
la  grande  diminution  qu'il  a  faite  sur  les  tailles,  S.  M.  m'a 
ordonné  de  vous  faire  icaroir  qu'Klle  veut  que  vous  fassiez  cette 
anme  une  visite  plus  exacte  de  toutes  les  eslections  et  paroisses 
de  la  dite  généralité  que  vous  n'avez  encore  fait  jusqu'à  pré- 
sent '.  » 

La  visite  est  avant  tout  destinée  à  leur  faire  connaître  leur 
généralité  et  «  faire  en  sorte  que  cette  connoissance  soit  utile 
au  soulagement  des  peuples2  ».  Il  précise  les  points  sur  les- 
quels il  devront  faire  porter  leur  attention,  les  met  en  garde 
contre  les  faux  renseignements  que  donneraient  les  élus  et 
autres  officiers  intéressés.  Il  leur  demande  des  réponses  détail- 
lées :  rendez  compte  «  article  par  article  »  de  ce  qui  vous  est 
demandé  «  parce  que  le  roy  désire  voir  l'exécution  ponctuelle 
de  ses  ordres,  S.  M.  étant  persuadée  que  c'est  le  soulagement 
le  plus  considérable  qu'Elle  puisse  donner  à  ses  peuples3  ». 
Lorsqu'un  intendant  n'apporte  pas  tout  le  soin  nécessaire  dans 
ce  travail,  il  est  sévèrement  réprimandé  :  Foucault,  dans  son 
intendance  de  Montauban,  a  expédié  trop  vite  la  besogne;  Col- 
bert  lui  écrit  le  14  juillet  1G82  :  S.  M.  veut  «  que  vous  visitiez 
avec  loisir  chacune  des  eslections  de  votre  généralité,  et  que 
vous  lui  rendiez  compte  en  détail  de  Testât  auquel  vous  l'avez 
trouvée  sur  tous  les  points  contenus  en  mes  depesches.  C'est 
l'ordre  que  Messieurs  les  intendants,  commissaires  départis, 
observent,  et  le  seul  qui  puisse  plaire  au  roy*.  »  Ceux  de  Nor- 
mandie sont  particulièrement  surveillés,  car  la  visite  est  encore 
plus  nécessaire  dans  cette  province  qu'ailleurs  :  c'est  ainsi  qu'il 
écrit  à  son  ami  Chamillart,   intendant  de  Caen  : 

«  Quoyque...  vous  vouliez  me  persuader  que  vous  y  avez  assez  donné 
de  temps  pour  la  faire  avec  grande  connoissance,  je  vous  diray  que  je 
suis  convaincu  qu'il  est  impossible  de  pouvoir  connoistre  la  véritable 
force  des  paroisses,  et  tous  les  abus  qui  se  commettent  dans  l'impo- 
sition et  la  collecte,  particulièrement  dans  la  province  de  Normandie, 
où  tous  les  esprits  sont  fort  subtils  et  où  ils  trouvent  tous  les  jours 
de  nouveaux  moyens  pour  se  procurer  du  soulagement,  sans  y 
employer  plus  de  temps  que  celuy  que  vous  y  avez  mis.  Croyez-moy, 
en  une  matière  si  importante,  il  ne  faut  pas  se  persuader  que  Ton  sçait 
tout  ce  qu'on  peut  s<;avoir5.  » 

Quand  un  intendant  a  fini  trop  tôt  sa  visite,  il  est  à  pré- 
sumer qu'il  n'a  pas  observé  par  lui-même  tout  ce  qu'il  avait  à 
voir,  mais  s'est  borné  à  interroger  quelques  officiers,  auxquels 

1.  Circulaire  aux  intendants  du  28  avril  1679  (Clcm.  II,  96). 

2.  Circulaire  du  18  mai  1683  (Deppin^,  t.  III.  p.  47).  Cf.  les  circulaires  des 
12  juin  1(180  (Clém.  II,  132)  et  2  janvier  1682  (Dcpping,  III,  43). 

3.  Lettre  à  l'intendant  de  Moulins,  4  juin  1683  (Clém.,  II,  220). 

4.  Clém.  II,  19«J. 

5.  Lettre  du  11  nov.  1672,  ibid.,  256. 


LES    INTENDANTS.  59 

il  s'en  est  rapporté  :  c'est  là  un  procédé  blâmable,  que  l'inten- 
dant de  Paris  se  voit  durement  reprocher1.  Colbert  veut  que  j 
ses  subordonnés  passent  la  plus  grande  partie  de  leur  temps  à  i 
parcourir  leur  circonscription.    Il  contrôle   leurs   déplacements  / 
par  le  nom  du  lieu  d'où  ils  expédient  leurs  lettres2.  Il  va  jusqu'à 
écrire  à  son  parent  Michel  Colbert  :  «  Vous  devez  observer  de 
ne  jamais  demeurer  dans  la  ville  d'Alençon  et  estre  toujours 
dans  toutes  les  élections3  »,  et  comme  celui-ci  persiste  dans  sa 
négligence,  il  est  disgracié4. 

La  visite  doit  commencer  de  très  bonne  heure  pour  que  la 
perception  ne  soit  pas  retardée  :  mettez-vous  en  route,  dit 
Colbert,  «  avec  diligence  »  ;  «  il  n'y  a  pas  un  moment  à  perdre... 
j'ay  mesme  lieu  de  m'étonner  que  vous  ne  l'ayez  pas  commencée, 
vu  que  je  vous  en  ay  si  souvent  escrit5  ».  Leblanc,  intendant  de 
Rouen,  commence  en  1678  dès  la  fin  d'avril6;  la  plupart  se 
mettent  en  route  dès  le  reçu  du  brevet.  Comme  leur  principal 
objet  était  de  connaître  l'état  des  récoltes1,  un  départ  trop 
hâtif  eût  été  d'ailleurs  peu  utile;  mais  d'autre  part,  comme  la 
visite  exigeait  souvent  plusieurs  mois  et  que  l'intendant  était 
surchargé  de  besogne,  il  était  bien  nécessaire  de  la  commencer 
aussi  tôt  que  possible.  Les  intendants  trouvèrent  le  moyen  de 
résoudre  cette  double  difficulté  :  ils  firent  leurs  chevauchées 
dès  les  mois  de  mai-juin,  et  gardèrent  leur  rapport  par  devers 
eux,  au  lieu  de  l'envoyer  au  Conseil;  si  une  calamité  surve- 
nait, ils  pouvaient  en  tenir  compte  et  modifier  en  conséquence 
leur  avis*. 

Souvent,  d'ailleurs,  Colbert  leur  adresse  vers  le  mois  de  juillet 
une  nouvelle  circulaire  pour  leur  demander  cet  état  des  récoltes. 
Je  vous  prie,  dit-il,  «  de  m'informer  en  détail  de  Testât  auquel 
sont  à  présent  les  biens  de  la  terre  dans  vostre  généralité,  et  si, 
suivant  les  apparences,  la  récolte  sera  bonne;  me  marquant,  s'il 
vous  plaîst,  les  endroits  du  pays  qui  auront  esté  affligés  de  la 
gresle  ou  d'autres  accidens,  et  ceux  qui  n'en  auront  rien  souf- 
fert, afin  que  j'en  puisse  rendre  compte  au  roy    »9.    Selon  son 

1.  Lettre  du  17  juillet  16S2  (Clém.  II,  201). 

2.  laid.,  132. 

3.  Lettre  du  15  janvier  1672,  ibid.,  2i6. 

4.  Ibid.,  25K. 

5.  Lettre  a  l'intendant  de  Riom,  24  juillet  1681,  ibid.,  163. 

6.  A.  K.,  Gi  '(91. 

7.  Cf.  lettre  de  Colbert  à  Foucault,  15  juin  1674,  Clém.,  Il,  343. 

8.  C'est  ce  qu'explique  l'intendant  de  Rouen  dans  une  lettre  du  29  juillet  1667  : 
J'ai  difl'éré,  dit-il,  l'envoi  de  mon  rapport,  «  jusques  a  ce  que  M.  Marin  m'ait 
mandé  qu'il  en  estoit  temps,  et  qu'il  «voit  ordre  de  travailler  aux  commissions, 
afin  de  recognoistre  tousjours  cependant  avec  plus  d'assurance  quel  seret  le 
succès  de  la  récolte  dans  chaque  élection,  et  s'il  fust  arivé  quelque  gresle  ou  autre 
disgrâce  de  cette  qualité  dans  quelques  endroits  de  la  généralité,  pour  en  faire 
considération  »  (M.  C,  122,  fol.  929). 

9.  Clém.  IV,  216.  Circul.  du  15  juillet  1663.  D'après  le  début  de  la  lettre,  celle-ci 
fut  motivée  par  des  pluies  exceptionnelles  arrivées  au  milieu  de  l'été.  Mais,  d'après 
Clément,  chaque   année   une  circulaire  analogue  fut  expédiée  (Clém.  IV,  p.  41). 


60  LA    TAILLE    EN    NOIIMANM I . 

habitude,  il  insiste  pour  avoir  des  renseignements  détaillés  et 
exacts  : 

a  Je  vous  prie  de  vous  informer  soigneusement  de  l'es  ta  t  auquel 
sont  les  bleds  dans  Testendue  de  la  généralité  de  Caen,  si  les  pluies, 
ont  esté  aussy  continuelles  qu'icy  [à  Paris],  si  elles  auront  fait  tort  à  la 
récolte  ou  non,  et  enfin  s'il  y  en  aura  abondance  ou  nécessité,  et  s'ils 
enchérissent,  comme  aussy  Testât  auquel  sont  les  autres  biens  de  la 
terre1.  » 

A  la  fin  de  son  ministère,  devant  la  misère  grandissante,  il 
devient  encore  plus  pressant;  il  voudrait  un  rapport  tous  les 
quinze  jours  :  Pour  «  que  S.  M.  puisse  régler  les  impositions 
sur  les  peuples,  il  est  nécessaire  que  vous  me  donniez  avis,  tous 
les  quinze  jours  de  l'opinion  que  les  peuples  auront  de  la  récolte 
de  toutes  sortes  de  fruits2  ».  Mais  les  intendants  ne  pouvaient 
satisfaire  de  pareilles  exigences. 


III.   —  LES   ELECTIONS 

La  taille  de  chaque  généralité  doit  être  répartie  entre  les 
élections.  L'élection  est  un  groupe  de  paroisses  administré  par 
des  élus3.  Son  origine  est  encore  mal  connue.  Il  semble  qu'en 
Normandie,  les  élections,  lorsqu'elles  furent  créées,  aient  eu 
la  même  étendue  que  les  bailliages;  mais  bientôt  des  modi- 
fications survinrent,  et  souvent  les  limites  des  deux  circonscrip- 
tions ne  coïncidèrent  plus  :  en  1484,  les  députés  de  l'élection 
de  Rouen  nous  apprennent  qu'on  a  «  détaché  du  bailliage  de 
Caux  la  vicomte  de  Gournay  »  pour  la  joindre  à  l'élection  de 
Gisors  avec  tout  le  Vexin  français.  On  multiplia  le  nombre  des 
élections,  comme  celui  des  généralités,  principalement  pour 
amener  de  l'argent  dans  les  coffres  du  roi,  par  les  ventes 
d'offices.  A  maintes  reprises,  des  élections  furent  divisées, 
réunies,  remaniées  sans  autre  raison  apparente;  l'histoire  de 
ces  remaniements  est  compliquée;  personne  ne  l'a  encore 
faite  en  détail8.  Vers  1478,  l'élection  de  Bernay  est  créée  par 
démembrement  de  celle  de  Lisieux6.  En    1525,   l'élection   de 

1.  Clém.  IV,  203,  lettre  à  l'intendant  Chamillart,  28  juillet  1673. 

2.  Circulaire  du  15  m  ni  1681,  Clém.  IV,  2"4. 

3.  Il  sera  parlé  des  élus  au  chapitre  suivant- 

4.  Journal  de  Massclin,  p.  579. 

5.  La  principale  étude  est  celle  de  Jacqueton.  Document*  relatifs  <"<  l'administra- 
tion financière  en  Fiance,  de  Charles  VII  à  François  I"  (/443-/Ô23),  Paris,  1891 
(Collection  de  textes  pour  servir  à  l'étude  et  à  renseignement  de  l'histoire).  Mais 
elle  contient  des  inexactitudes  et  beaucoup  de  lacunes.  Pour  la  Normandie,  quel- 
ques essais  sans  valeur  ont  été  faits,  comme  Cardin,  L'ancienne  élection  de  Bernay, 
Bernay  1874.  On  trouve  aussi  quelques  renseignements  dans  le  Formulaire  du 
président  Labarre,  et  dans  les  cahiers  des  états  de  Normandie  publiés  par  de 
Beau  repaire. 

6.  Jacqueton,  p.  282,  n.  8. 


LES    ELECTIONS  61 

Mortain  est  faite  de  84  paroisses  distraites  de  celle  d'Avran- 
ches,  qui  en  conserve  279 *.  En  1554,  est  créée  l'élection  de 
Carentan.  Vers  1580,  l'élection  de  Châteauneuf-en-Thime- 
rais  est  distraite  de  celle  de  Verneuil2.  Celle  de  Lyons  est 
formée  vers  le  même  temps3.  En  1572,  cinq  élections  nou- 
velles sont  établies  d'un  coup  :  Argentan  et  Domfront,  dis- 
traites d'Alençon,  Pont-Audemer  et  Pont-de-1' Arche,  distraites 
de  Lisieux,  et  Conches,  distraite  d'Evreux4.  Vers  le  même 
temps,  l'élection  de  Mortagne  ou  du  Perche  est  créée  avec 
des  paroisses  prises  à  celles  d'Alençon  et  de  Verneuil5.  En 
décembre  1597,  les  deux  généralités  de  Normandie  compre- 
naient 30  élections6;  ce  nombre  demeure  immuable  jusqu'en 
1639,  date  à  laquelle,  le  roi,  pour  faire  face  aux  dépenses  de 
la  guerre,  créa  l'élection  de  Saint-Lô7.  Elle  fut  formée  de 
100  paroisses,  dont  54  cédées  par  Bayeux,  25  par  Goutances, 
et  21  par  Carentan;  en  compensation  Bayeux  reçut  17  paroisses 
de  Caen,  2  de  Vire,  1  de  Carentan,  et  Carentan  en  reçut  15  de 
Valognes8.  En  1648  enfin,  le  Vexin  français  forma  l'élection  de 
Pontoise.  Cette  circonscription  avait  eu  des  vicissitudes  singu- 
lières :  avant  le  xive  siècle,  elle  faisait  partie,  on  l'a  vu  9,  de  la 
«  France  »  et  non  de  la  Normandie  ;  mais  en  1382,  il  fut  décidé 
«  que  ceux  dudit  païs  de  Vexin  payeroient  comme  François 
et  que  la  taille  seroit  assise  et  imposée  par  ceux  dudit  païs 
pourveu  qu'elle  fust  levée  en  la  forme  et  manière  qu'elle  se  lève 
en  la  province  de  Normandie  »  et  que  les  deniers  seraient  versés 

1.  Labarre,  Formulaire,  p.  31. 

2.  De  Beaurepaire,  Cahiers...  renne  de  Henri  III,  p.  109.  Toutefois,  d'après  le 
président  Labarre,  la  séparation  n'aurait  été  faite  que  «  pour  le  fait  des  aides  » 
(Formulaire,  p.  30).  Mais  il  est  possible  qu'il  emploie  le  mot  aides  avec  son 
ancien  sens  général  d'impôt  comme  on  le  trouve  encore  souvent  au  cours  du 
xvne  siècle. 

3.  Labarre,  Formulaire,  p.  30. 

4.  Ibid. 

5.  «  Geluy  qui  leva  le  premier  office  d'esleu  [en  cette  élection]  fit  employer  en 
ses  provisions  l'eslection  de  Mortagne.  au  lieu  de  dire  l'eslection  du  Perche,  à 
cause  qu'il  estoit  de  ladite  ville  de  Mortagne  et  neantmoins  tenoit  son  siège 
alternativement  ez  villes  de  Belesme,  Nogent,  et  dudit  Mortagne...  Jusques  à 
présent,  il  n'y  a  eu  aulcun  reiglement  qui  aye  déterminé  lequel  des  deux  sièges 
de  Belesme  ou  Mortagne,  doibt  estre  le  principal  »  (Placet  de  Germond,  prési- 
dent de  l'élection,  au  Chancelier,  en  1643,  pour  demander  que  le  siège  principal 
soit  fixé  à  Bellême  :  B.  N.  fr.  18  479,  f°  135.) 

6.  Généralité  de  Rouen  :  Alençon,  les  Andelys,  Argentan,  Arques,  Bernay, 
Gaudebec,  Chaumont  et  Magny,  Gonches  et  Breteuil,  Domfront,  Evreux,  Gisors, 
Lisieux,  Lyons,  Montivilliers,  Mortagne,  Neufchâtel,  Pontaudemer,  Pont  de 
l'Arche,  Pont  l'Evêque,'  Rouen,  Verneuil. 

Généralité  de  Caen  :  Avranche,  Bayeux,  Gaen,  Carentan,  Goutances,  Falaise, 
Mortain,  Valognes,  Vire  et  Gondé. 

7.  Edit  d'avril  1629.  Elle  avait  été  antérieurement  créée  :  on  la  trouve  dan9 
le  Formulaire  de  Labarre  en  1622  (p.  31);  elle  sera  supprimée  en  1661  et  recréée 
à  nouveau  en  mars  1691  (G.  d.  T.,  II,  354). 

8.  Voir  la  liste  nominative  des  paroisses  dans  les  commissions  des  tailles  de 
la  généralité  de  Gaen  pour  1663  (M.  G.  225,  f°  67-69)  et  A.  D.  Calvados,  Bureau 
des  finances.  Sur  le  caractère  fiscal  de  la  création,  voir  le  préambule  de  l'édit 
d'aoùl  1661  (G.  d.  T.  I,  p.  493). 

9.  Gi-dessus,  p.  27-28. 


62  LA    TAII.l.K     KN     NOIIMANIIIK. 

à  la  recette  des  tailles  de  Gisors,  «  comme  le  plus  proche  bureau 
de  recepte  '  ».  M;iis  elle  ne  cessait  pas  pour  cela  de  relever  de 
la  cour  des  aides  de  Paris,  devant  laquelle  était  interjeté  appel 
des  sentences  des  élus.  1/édit  d<-  mais  1451  autorisant  lef  élus 
ii  détacher  de  leur  siège  principal  quelques-uns  d'entre  eux 
pour  administrer  les  circonscriptions  trop  éloignées,  un  de  ces 
«  commis  »  ou  élu  particulier,  comme  on  dira  plus  tard,  fut  mis 
a  Pontoise*.  Kn  janvier  1648,  le  besoin  d'argent  fit  transformer 
cette  élection  particulière  en  élection  «  en  chef3  »,  et  elle  fut 
adjointe  ii  la  généralité  de  Paris*;  puis,  sur  les  plaintes  des 
Normands,  cet  édit  fut  rapporté,  et  le  Vexin  français  demeura 
rattaché  à    la   Normandie.  Ce   fut  alors  aux  habitants  à   n'être 

f>as  satisfaits  :  en  1054,  ils  demandèrent  à  être  «  maintenus  en 
eur  droit  et  privilège  de  l'exemption  de  la  juridiction  de  Nor- 
mandie »,  donnant  pour  motif  principal  que  si  on  les  laissait 
en  l'état,  ils  «  se  trouveraient  assujettis,  au  préjudice  de  leurs 
droietz  et  privilèges,  et  contre  leur  inclination,  à  des  juges 
estrangers,  officiers  de  Normandie,  de  la  dépendance  desquels 
ils  se  sont  toujours  exemptés  jusqu'à  présent;  et  il  est  indu- 
bitable que  dans  l'antipathie  qu'il  y  a  entre  les  uns  et  les 
autres,  il  ne  naistroit  de  ce  meslange  qu'un  continuel  trouble 
et  désordre  dans  la  justice,  une  infinité  de  procès  et  differendz  ». 
Ils  sont  appuyés  dans  leur  demande  par  fa  sœur  du  chancelier 
Séguier,  la  Mère  Jeanne,  prieure  des  Carmélites  de  Pontoise*. 
et  il  est  fait  droit  à  leur  requête.  Un  édit  de  décembre  1054 
établit  enfin  l'élection  de  Pontoise  en  la  rattachant,  comme  en 
1648,  à  la  généralité  de  Paris8.  Les  Etats  de  Normandie  ne 
manquèrent  pas  de  renouveler  leurs  protestations  en  1655  en 
donnant   pour    motif  cet   argument  singulier  que  la  généralité 


t.  Préambule  de  l'édit  de  janvier  1G48  (B.  N.  fr.  18  479,  P  144).  Cf.  Voysin, 
Mémoire  sur  la  généralité  de  Houcn,  p.  3  et  153. 

2.  Au  cours  du  xvi"  siècle,  les  élus  de  Gisors  qui,  comme  tous  les  autres  offi- 
ciers, avaient  tendance  à  multiplier  les  affaires  appelées  devant  leur  juridiction, 
avaient  attiré  ù  eux  les  procès  de  l'élection  particulière  de  Pontoise,  de  sorte  que 
la  sentence  étant  rendue  à  Gisors  et  non  plus  à  Pontoise,  l'appel  devait  être 
normalement  porté  devant  la  cour  des  uides  de  Rouen.  C'était  un  double  incon- 
vénient pour  les  contribuables  du  Vexin  français  :  d'une  part,  il  leur  fallait  por- 
courir  9  lieues  pour  aller  plaider  h  Gisors:  d'autre  pnrt,  ils  se  méfiaient  de  la 
cour  des  aides  de  Rouen,  dont  ils  craignaient  l'Iiostitité  pnree  qu'ils  ne  faisaient 
pas  partie  de  la  Normandie.  C'est  pourquoi,  «-n  1579,  ils  demandèrent  à  former 
une  élection  û  part;  les  états  de  Normandie  protestèrent  et  la  demande  n'eut  pas 
de  suites. 

3.  Faite  des  43  paroisses  composant  l'ancienne  Chatellenie  de  Pontoise, 
4  paroisses  prises  a  Ciiaumonl,  et  28  prises  aux  élections  voisines  de  la  généralité 
de  Paris  (14  à  l'élection  de  Paris,  4  à  Beauvais,  5  à  Senlis  et  5  à  Mantes),  au  total 
75  paroisses,  De  Beaurepaire,  Cahiers,  règne  de  Henri  III,  p.  67. 

4.  Voir  le  texte  de  l'édit  de  janvier  1648  (B.  N.  fr.  18  47*J,  f°  144,  papiers  de 
Séguier). 

.i.  Kerviler,  Le  chancelier  Séguier,  2"  éd.,  p.  177.  Voir  le  placet  :  B.  N.  fr.  18  479, 
f*  145. 

6.  C.  d.  T.  I,  445  et  suiv.  Cf.  ci-dessous,  p.  91  sur  les  privilèges  obtenus  par 
la  ville  à  la  même  occasion. 


LES    ELECTIONS.  63 

de  Rouen  éprouvait  de  ce  fait  une  surcharge  accablante,  comme 
si  l'on  n'avait  pas  dû  réduire  en  conséquence  son  chiffre 
d'impôt1.  L'élection  fut  donc,  pour  ces  raisons  ou  pour  d'autres, 
supprimée,  par  une  déclaration  d'août  1661 2;  l'élu  particulier, 
détaché  du  siège  de  Gisors,  y  fut  rétabli,  et  le  pays  continua  à 
dépendre  de  la  cour  des  aides  de  Paris. 

A  la  suite  de  toutes  ces  opérations,  le  nombre  des  élections 
et  '  de  leurs  officiers  était  devenu  excessif.  Après  la  paix  des 
Pyrénées,  le  gouvernement  résolut  d'en  supprimer  quelques- 
unes.  Un  édit  d'août  1661  supprima  toutes  celles  qui  avaient 
été  créées  depuis  1630,  excepté  celle  de  Mayenne.  En  Nor- 
mandie, l'élection  de  Saint  Lô  était  seule  dans  ce  cas;  les 
paroisses  dont  elle  était  composée  furent  restituées  aux  élec- 
tions dont  elles  dépendaient  avant  1639.  Mais  la  mesure  n'eut 
pas  pour  résultat  de  soulager  sensiblement  les  contribuables, 
comme  le  roi  l'annonçait,  car  le  remboursement  des  officiers 
fut  laissé  à  leur  charge;  pendant  quatre  ans,  on  leva  chaque 
année  en  sus  de  la  taille  la  somme  nécessaire  pour  y  pour-i 
voir,  soit  de  40  à  60000  1. 3. 

Cette  modification  fut  la  seule  que  Colbert  apporta  dans  les 
élections  de  la  province.  On  peut  compter  parmi  ses  grandes 
réformes,  avec  l'abandon  des  créations  d'offices,  la  stabilité 
introduite  dans  toutes  les  circonscriptions  administratives  4. 

Le  tableau  suivant  donne  le  nombre  des  paroisses  dont  chaque 
élection  était  composée  en  1"677  5  : 


1.  Sans  doute  les  élats  avaient  pour  eux  d'autres  raisons  qu'ils  n'osaient  pas 
dire,  parmi  lesquelles  la  diminution  du  ressort  de  la  cour  des  aides,  et  par 
conséquent  la  réduction  du  nombre  des  procès  appelés  devant  la  cour. 

2.  Elle  ne  reparaîtra  plus  pendant  le  ministère  de  Colbert,  mais  lorsqu'on 
battra  à  nouveau  monnaie  avec  des  ventes  d'offices,  on  la  rétablira  par  édit  de 
mars  1691  (liègl.  de  Normandie,  p.  285).  Voir  aussi  la  déclaration  du  14  avril  1691 
portant  échange  de  paroisses  entre  les  élections  de  Pontoise  et  de  Paris,  dans 
le  Hem.  alphab.  p.  520.  Les  plaintes  des  Etats  et  la  promesse  de  suppression 
du  roi  se  trouvent  dans  de  Beaurepaire,  Cahiers,  règnes  de  Louis  XIII  et  de 
Louis  XIV,  Supplément,  p.  6. 

3.  Arrêts  du  conseil  des  9  août  1663,  3  mai  1664,  7  juin  1665,  et  état  de  rem- 
boursement aux  officiers  de  l'élection  (A.  D.  Galv.  bureau  des  finances,  registres 
de  commissions  des  tailles  de  1661  à  1672,  f°  364  et  400).  L'élection  demeurera, 
supprimée  pendant  toute  l'époque  de  Colbert,  mais,  comme  celle  de  Pontoise,  elle 
sera  rétablie  en  mars  1691.  C'est  l'intendant  Foucault  qui  proposa  ce  rétablisse- 
ment (Mémoires,  p.  270).  Dans  le  préambule  de  l'édit,  le  roi  déclare  vouloir 
remédier  à  «  l'incommodité  »  que  souffraient  les  habitants  «  de  l'éloignement 
des  villes  de  Bayeux,  Coutances  et  Carentan  où  sont  les  sièges  de  leurs  élections  », 
et  céder  aux  sollicitations  des  habitants  eux-mêmes  (Règlements  de  Normandie, 
p.  580).  Mais  la  préoccupation  de  se  procurer  de  l'argent  par  les  ventes  d'offices 
ne  fut  certainement  pas  étrangère  à  ce  rétablissement. 

4.  Il  y  eut  cependant  quelques  exceptions,  mais  hors  de  Normandie.  Ainsi,  en 
1673,  il  rétablit  les  élections  de  Thiers  et  de  Salers  sur  la  proposition  de  l'in- 
tendant de  Clermont,  qui  fait  valoir  surtout  l'argent  que  rapportera  cette  «  affaire 
extraordinaire  »  (Clairamb.  795,  p.  245).  En  mars  1667,  il  supprime  l'élection  de 
Franc-alleu,  qui  était  trop  petite,  ne  comprenant  que  30  paroisses  (C.  d.  T.  H, 
22). 

5.  D'après  les  registres  déjà  cités  des  Cinq-Cents  Colbert,  259  et  260. 


(,,  LA    TAILLE    ES    NORMANDIE 

Généralité  de  Rouen  l. 


PawiMw. 


Andelys  (les) ISS 

Arques 274 

Caudebec 199 

Chaumont  et  Magny 109 

Evreux 

Gisors 100 

Lyons 60 

Montivilliers 157 

Neufchatel 121 

Pont-Audemer 158 

Pont-de-1' Arche. 76 

Pont-1'Évéque 136 

Rouen 109 


1  893 


Généralité  de  Caen  *. 

Avranches 97 

Bayeux 228 

Caen 236 

Carentan 112 

Coutances 164 

Mortain 84 

Valognes 186 

Vire  et  Condé 126 


1  233 


Généralité  d'Alençon  3. 

Alençon 126 

Argentun 170 

Bernay 130 

Conches 165 

Domfront 44 

Falaise 235 

Lisieux 147 

Mortagne 157 

Verneuil 147 


1321 


Ce  tableau  montre  qu'il  existait  une  grande  inégalité  entre 
les  élections   :   Arques   est  quatre  fois   et  demie   plus   grande 

1.  Cf.  d'autres  chiffres  de  paroisses  un  peu  différents,  dans  mon  éd.  du 
Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  129.  Dans  le  même  ouvrage  j'ai  publié  la 
liste  des  paroisses  de  chaque  élection  en  1665  (p.  164-182).  Des  listes  analogues, 
mais  se  rapportant  au  xvin*  siècle,  se  trouvent  dans  Duplessis,  Description  de 
la  Ilaute-Sormandie,  ù  l'article  de  chaque  élection.  V.  aussi  B.  N.  fr.,  14  089, 
fol.  228;  4  2K6,  fol.  26,  et  11  385,  et  l'atlas  de  La  Mothe,  1<>83  (ibid.,  cartes  géo- 
graphiques, GeUl),  2  023). 

2.  Cf.  d'autres  listes  :  B.  N.  mss.  fr.,  22  613  (état  dressé  pour  Dangeau  en  1668), 
14  089  (pour  1690).  et  11  385  (pour  1713). 

3.  Cf.  d'autres  listes  :  A.  Nat.  G?  71  (lw  sept.  1683),  B.  N.  fr.,  14  089  (pour  1690). 
et  11  385  (pour  1713). 

Les  mémoires  des  intendants  en  1698  donnent  également  de  ces  chiffres  de 
paroisses  pour  les  trois  généralités.  Voir  aussi  les  listes  de  Saugrain,  Nouveau 
dénombrement  du  royaume,  1709,  empruntées  aux  rôles  de  taille. 


LES    ELECTIONS.  65 

que  Lyon  s,  six  fois  plus  grande  que  Domfront;  un  pays  pauvre 
et  peu  peuplé  n'a  que  la  petite  élection  de  Mortain;   le  riche 
pays  de  Caux  a  par  contre  les  grandes  élections  d'Arqués  et  de 
Caudebec.  La  même  circonscription,  Caen  ou  Vire  par  exemple, 
embrasse  des  terroirs  très  différents.  Certaines  paroisses  sont 
très  éloignées  du  chef-lieu  et  communiquent  difficilement  avec 
lui,  tandis  que  d'autres  chefs-lieux  sont  plus  voisins  et  d'accès 
plus  commode.   Enfin,  les  frontières  entre  élections  sont  indé-, 
cises,   certaines  paroisses  formant  enclaves,   Colbert.  avec   son  \ 
amour  de  l'ordre,  fut  frappé  de  ces  défauts  et  voulut  y  remédier,  j 
Il  forma  le  projet  de  refondre  les  élections  et  les  greniers  à  sel, 
en  les  «  composant...  des  paroisses  plus  proches  »*. 

A  son  habitude,  il  procéda  par  enquête  préalable;  dans  sa 
grande  circulaire  de  mars  1664,  il  demanda  aux  intendants 
l'état  de  leurs  circonscriptions,  «  le  nombre  véritable  des 
villes,  bourgs  et  paroisses  dont  chacune...  est  composée2  »;  en 
août  1665,  il  leur  fit  dresser  un  tableau  des  paroisses  par 
élections,  avec  leurs  impositions3;  ce  tableau  fut  à  nouveau 
dressé  en   1677*.   Toutes   les  irrégularités  lui  sont  signalées5. 

Il  entreprit  parallèlement  un  grand  travail  cartographique, 
qui  avait  pour  premier  et  principal  objet  de  reconnaître  sur 
le  terrain  les  limites  de  ces  circonscriptions,  avant  de  les 
modifier.  Sa  circulaire  du  20  juillet  1679,  dont  le  texte  nous 
est  perdu,  donnait  la  direction  du  travail  aux  intendants;  des 
géographes  furent  mis  en  campagne  dans  toutes  les  généralités. 
Leur  besogne  était  ardue  :  aux  instruments  imparfaits,  aux 
mauvais  chemins,  à  l'inexpérience  des  graveurs,  s'ajoutait  la 
difficulté  d'avoir  des  renseignements  exacts.  L'un  d'eux,  le 
P.  Lubin,  écrit  en  1678  qu'ils  sont  souvent  trompés  «  à  des- 
sein »  par  des  gens  qui  «  ne  veulent  pas  que  leur  village  ou 
château  soit  sur  la   carte,   afin   d'éviter  les  logemens  des  gens 

1.  Glém.,  VII,  p.  265.  Ce  projet  était  très  ancien  :  l'ordonnance  d'août  1452 
prescrivait  déjà  d'établir  les  sièges  des  élections  «  de  cinq  en  cinq  lieues  près 
l'un  de  l'autre,  affin  que  nos  dits  subjects  peussent  plus  aisément  venir  et 
retourner  en  leurs  maisons  en  ung  mesme  jour  ».  Elle  avait  été  reprise  par  les 
lettres  patentes  du  8  août  1573  (De  Beaurepaire,  Cahiers,  règne  de  Charles  IX, 
p.  305-306).  Le  P.  Lubin  écrit  en  1678  dans  son  Mercure  géographique  :  «  On  nous 
promet  depuis  fort  longtemps  des,  cartes  de  la  France  divisées  par  élections  »  (p.  388). 

2.  Glém.,  IV,  p.  29. 

3.  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  161-163. 

4.  Cinq-Cents  Colbert,  vol.  261. 

5.  L'intendant  de  Châlons,  Caumartin,  lui  écrit  le  21  janvier  1667  que  les 
élections  de  sa  généralité  sont  «  meslées  les  unes  dans  les  autres  ;  par  exemple 
celle  de  Troyes  a  des  paroisses  dans  les  portes  de  Vitry,  et  d'autres  par-delà 
l'élection  de  Sézanne  ».  Il  ajoute  que  les  élus,  dans  leurs  rares  chevauchées,  «  ne 
vont  jamais  dans  les  lieux  qui  sont  les  plus  écartez,  et  n'en  connoissent  nullement 
les  forces  »  (M.  C.  133,  f°  128);  son  succe&3eur,  Miromesnil,  envoie  à  Colbert,  en 
novembre  1679,  un  projet  de  rectification  de  ces  circonscriptions  (A.  N.  G7  223). 
En  1668,  l'intendant  de  Soissons  travaille,  sur  ses  ordres,  à  refaire  les  élections 
de  son  intendance  (M.  C.  149,  f°  437).  La  même  année,  Voysin  de  la  Noiraye  pro- 
pose un  travail  analogue  en  Touraine  (ibid.,  f°  158)  ;  cf.  sa  lettre  à  Colbert  du 
18  novembre  1667,  dans  Depping,  III,  p.  159. 

LA    TAILLE    ES    NOB5IA.NDIE.  " 


>-,.;  LA    TAILLE     IX     XOIt.MANDIl  . 

de  guerre  et  la  fâcheuse  taxe  de  la  taille  »  l.  Le  travail  n'était 
Ml  terfltiné  en  1683;  il  fut  abandonné.  Le  seul  résultat  atteint 
en  Normandie  fut  l'établissement  de  «  cartes  détaillées  des 
eslections  ».  que  l'intendant  Leblanc  envoie  à  Paris  le  4  jan- 
vier 1680 J;  mais  nous  ne  savons  pas  ce  qu'elles  sont  devenues3. 
Les  élections  demeurèrent  mal  composées,  irrégulières  et 
enchevêtrées. 


IV.  —  LES   AVIS   SUR   LE   BREVET 

Le  gouvernement  recevait  simultanément,  on  l'a  vu,  deux 
projets  de  répartition  entre  les  élections,  celui  des  trésoriers 
généraux  et  celui  des  intendants. 

.  Le  projet  des  trésoriers  généraux,  très  sommaire,  ne  donne 
aucun  renseignement  à  l'appui,  aucune  indication  précise  qui 
pût  amener  le  gouvernement  à  une  répartition  plus  juste.  La 
seule  chose  qu'ils  demandent,  ce  sont  des  dégrèvements,  mais 
ils  prennent  rarement  la  peine  de  les  justifier.  Il  leur  arrive 
cependant  de  transmettre  des  réclamations  précises  :  ils 
appuient  une    requête   de   la  ville  de  Montivilliers,   qui,   acca- 

1.  Le  Mercure  géographique,  Paris,  1678,  p.  350.   «  Aller  soi-même  sur  les  lieux 

Sour  en  faire  la  carte,  ajoute-t-il,  seroit  une  entreprise  de  trop  grands  frais  et 
e  trop  longue  haleine  pour  un  particulier;  cette  retlexion  en  a  fait  perdre  l'envie 
a  tous  les  géographes  ».  Sa  conclusion  est  qu'on  ne  peut  pas  faire  de  cartes  par- 
faitement exactes. 

2.  A.  N.  G\  491. 

3.  A  moins  que  ce  soit  V Atlas  de  La  Mothc,  B.  N.  Cartes,  GeDD,  2  023;  mais  on 
peut  en  douter  :  La  Mothe  semble  avoir  travaillé  de  son  initiative  privée. 

Pour  les  autres  généralités,  nous  avons  quelques  indications  dans  la  corres- 
pondance de  Colbert.  11  écrit  à  Breteuil,  intendant  d'Amiens,  le  22  mars  1680, 
r'il  peut  utiliser  comme  géographe  le  sieur  Pasquine  (B.  Mun.  Amiens,  ms.  508, 
250)  et  le  12  décembre  suivant,  il  lui  indique  encore  le  sieur  Hinard  «  pour 
faire  la  reconnaissance  et  la  nouvelle  répartition  des  paroisses  de  chacune  élec- 
tion »  (ibid.,  pièce  368).  Le  5  décembre,  il  lui  avait  recommandé  «  de  prendre 
soin  de  faire  la  reconnoissance  de  toutes  les  paroisses  des  eslections  pour  en  faire 
une  nouvelle  division  plus  commode  aux  peuples,  ninsy  que  je  vous  l'ay  escrit  » 
(ibid.,  pièce  361)  et  le  27  mai  1681  :  «  Je  ne  doubte  pas  que  vous  ne  soyez  bientost 
en  estât  de  m'envoyer  les  cartes  que  vous  avez  fait  faire  des  eslections  de  vostre 
généralité,  en  exécution  des  ordres  du  roy  contenus  dans  ma  lettre  du  20*  juillet 
de  l'année  1679,  et  vostre  advis  pour  la  rélormation  du  ressort  desdites  eslec- 
tions. Je  vous  prie  de  me  faire  sçavoir  dans  quel  temps  vous  croyez  qu'elles 
pourront  estre  achevées,  et  mesme,  en  cas  que  vous  en  ayez  desja  quelques-unes, 
de  les  porter  dans  les  visites  que  vous  faites  des  eslections  pour  verifher  vous- 
mesme  si  elles  sont  justes  et  exactes.  Surtout,  tenez  s.  v.  p.  la  main  à  ce  que 
ce  travail  finisse  le  plus  tost  qu'il  sera  possible  »  (ibid.,  t.  II.  pièce  202).  Il 
écrit  encore  à  l'intendant  de  Bourges,  le  14  août  1683  :  <  Comme  l'un  des  princi- 
paux travaux  que  le  roy  ayt  recommande  à  MM.  les  intendants  commissaires 
départis  dans  les  provinces,  u  esté  celui  de  l'arrondissement  des  élections  pour 
le  soulagement  des  peuples...  je  vous  prie  donc  de  vous  appliquer  avec  un  très 
grand  soin  à  faire  en  sorte  que  ce  travail  soit  aussi  exuet  que  le  roy  le  désire  et 
de  bien  prendre  garde  qu'il  ne  faut  omettre  aucune  paroisse  ou  hameau  de  cha- 
cune élection  «  (Clém.  II,  224).  Foucault  parle  également  des  cartes  qu'il  fit 
dresser  en  1679  (Mémoires,  p.  426),  et  d'Argouges,  des  dépenses  qu'il  fit  pour  le 
même  objet  dans  la  généralité  de  Moulins  (Mémoire  sur  la  généralité  de  Moulins 
en  1686,  publ.  par  Vayssière,  p.  37). 


LES    AVIS    SUR    LE    BREVET. 


6? 


blée  d'impôts  en  1661,  demande  à  être  soulagée  :  requête  appa- 
remment fondée,  car  la  ville  est  dégrevée  de  800  1.  en  1662  '. 
De  même,  ils  font  dégrever  de  500  1.  en  1666  la  ville  d'Evreux 
qui  avait  été  inondée  l'année  précédente  :  dégrèvement  très 
appréciable,  puisque  la  taille  de  l'élection  était  augmentée  de 
2  000  1.  Encore  faut-il  remarquer  que  ces  interventions  devien- 
nent rares  après  1666;  désormais,  c'est  aux  intendants  que  les 
contribuables  s'adressent  de  préférence. 

Il  n'est  pas  douteux  que  les  trésoriers  eux-mêmes,  après 
l'établissement  définitif  de  leurs  rivaux,  ^considérèrent  leurs  avis 
sur  le  brevet  comme  de  simples  formalités  :  la  série  de  ces 
actes  pour  la  généralité  de  Caen,  qui  nous  est  parvenue  à  peu 
près  complète,  laisse  voir  en  effet  une  grande  différence  entre 
les  avis  antérieurs  à  1668  et  ceux  qui  suivirent  :  les  premiers 
paraissent  étudiés,  les  seconds  au  contraire  sont  la  simple 
reproduction,  soit  des  avis  de  l'année  précédente,  soit  des 
commissions  de  la  même  année 2. 

Tout  autres  sont  les  avis  des  intendants  :  à  partir  de  1666 
surtout,  ils  fournissent  des  détails  sur  les  ressources  de  chaque 
élection  et  de  chaque  ville,  sur  l'état  des  récoltes,  sur  la  facilité 
plus  ou  moins  grande  des  recouvrements.  Souvent  très  déve- 
loppés, ils  contiennent  la  notation  soigneuse  de  tous  les  abus 
à  réformer.  C'est  une  de  nos  principales  et  de  nos  meil- 
leures sources  de  renseignements  sur  l'état  économique  des 
provinces. 

Dans  ces  avis,  les  intendants  examinent  d'abord  si  la  géné- 
ralité, dans  l'ensemble,  ne  doit  pas  être  soulagée,  vu  l'état  des 


1.  A.  D.,  S.  Inf.  G  1164,  f°  143. 

2.  Je  donne,  dans  le  tableau  suivant,  la  série  des  avis  dressés  par  le  Bureau  de 
Caen  pour  les  années  1662  à  1668,  les  autres  étant  dénués  d'intérêt.  La  série  s'en 
trouve  aux  Arch.  Galv.,  fonds  du  Bureau  des  finances  : 


Bayeux.  .  .  . 

Goutances  .  . 
Garentan .  .  . 
Saint-Lô  .  .  . 
Valognes .  .  . 
Avranches  .  . 
Mortain  .  .  . 

1662 

1663 

1664 

1665 

1666  a 

1667 

1668 

215  056 
229  007 
329  000 
265  828 
165  879 
185  721 
281813 
177  454 
219  000 

202  563 
248  944 
303  693 
282  092 
173  780 

281  084 
159  484 
191  419 

189  413 
232  594 
290  043 
262  592 
162  880 

261  584 
149  634 
184  319 

159  363 
232  300 
281043 
266  600 
165  900 

260  700 
152  200 
184  928 

164  057 
237  200 
292  243 
271  600 

165  900 

263  900 
154  600 
187  500 

171930 
246297 
300  250 
273  292 
166  765 

261  455 
155  282 
192  729 

169800 
247  300 
301  300 
272  700 
167  200 

259  500 
155  300 
193  900 

2  068  758 

1  843  059 

1  733  059 

1  622  000 

1  737  000 

l  768  000 

1  767  000 

a.  Le  brevet  arrêté  le  22  mai  1665  ne  montait  qu'à  1  650  000  1.,  mais  une  impo- 
sition extraordinaire  de  87  000  1.,  destinée  à  des  travaux  de  voirie,  avait  été 
ajoutée  par  un  arrêt  du  conseil  subséquent. 


68  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

récoltes.  On  a  dit  plus  haut  que  le  brevet  était  expédié  à  une 
date  où  l'on  ne  pouvait  à  peu  près  rien  savoir  de  cet  état; 
d'ailleurs,  les  intempéries,  les  incendies,  les  logements  de 
troupes  ',  qui  pouvaient  survenir  à  tout  instant,  modifiaient  les 
ressources  du  pays;  en  conséquence,  l'intendant  avait  la  préoc- 
cupation de  renseigner  très  exactement  et  continuellement  le 
Conseil  sur  le  chiffre  d'impôt  que  pourrait  porter  sa  généralité. 
Le  brevet  n'étant  pas  publié,  il  était  très  facile  d'en  modifier  le 
chiffre,  sans  que  personne,  en  dehors  de  l'administration,  eût 
connaissance  du  changement2. 

Les  avis  des  intendants  ont  par  malheur  en  partie  disparu. 
Ils  étaient  conservés  par  Marin  et,  après  lui,  par  Desmaretz, 
dont  les  papiers  ne  nous  sont  pas  parvenus.  Néanmoins,  il  nous 
en  reste  assez  pour  suivre,  année  par  année,  avec  le  secours 
des  autres  documents  administratifs,  l'état  économique  de  la 
province. 

1662.  —  L'hiver  de  1661-1662  fut  terrible  pour  la  Normandie 
comme  pour  tout  le  centre  de  la  France.  La  famine,  conséquence 
de  trois  mauvaises  récoltes  successives,  fait  des  ravages.  Le  blé 
devient  très  cher;  les  mendiants  affluent  dans  les  villes;  la 
mortalité  est  grande.  Les  trésoriers  généraux  de  Rouen  écrivent 
à  Colbert  en  1663  que  «  l'année  dernière,  il  est  mort  dans  les 

f»aroisses   au    moins   la  tierce    partie    des   habitants  *.    »    Autre 
ettre  écrite  de  Caen  à  Colbert,  le  13  mars  1662  : 

«  Dans  toute  la  province,  les  moins  incommodés  des  villages  ne 
boivent  que  de  l'eau  et  ne  mangent  plus  qu'un  peu  de  pain  pétri  avec 
un  peu  de  lie  de  cidre,  et  les  autres  ne  soutiennent  leur  vie  qu'avec  de 
la  bouillie  d'avoine  et  de  sarrazin...  Le  boisseau  de  froment,  que  l'on 
avoit  pour  trente  sous,  se  vend  3  et  4  1.,  et  celui  d'orge,  60  sous...  Il 
y  a  des  paysans,  à  trois  ou  quatre  lieues  de  Caen,  qui  ne  se  nour- 
rissent plus  que  de  racines,  de  choux  et  de  légumes,  ce  qui  les  fait 

1.  Très  souvent  les  ordonnances  énumèrent  ces  trois  catégories  d'accidents  qui 
peuvent  faire  diminuer  la  taille  d'une  paroisse  ou  d'une  élection.  On  en  conclut 
parfois  que  le  logement  des  troupes  était  une  «  calamité  >  analogue  à  un  incendie 
ou  une  inondation;  mais  c'est  une  interprétation  abusive  :  dans  l'esprit  du  légis- 
lateur, les  logements  de  soldats  sont  une  forme  d'impôt  analogue  à  la  taille,  et 
ils  doivent  équitablement  faire  réduire  celle-ci  :  on  le  verra  au  chap.  VII. 

2.  Les  intendants  relèvent  assez  souvent  des  erreurs  dans  le  texte  des  brevets  : 
ils  les  signalent  dans  leurs  avis.  Celui  de  Rouen  fait  observer  à  Colbert  en  1665 

3u  une  omission  a  été  faite  dans  le  brevet  de  sa  généralité  :  un  arrêt  du  conseil 
u  28  février  1665  avait  en  effet  déchargé  la  ville  de  Rouen  d'une  somme  de 
20000  1.  qu'elle  payait  eiv  guise  de  taille  pour  l'ustensile  des  troupes;  cette 
décharge  lui  avait  été  accordée  parce  que  la  Compagnie  des  Indes  occidentales 
avait  obtenu  la  concession  des  droits  sur  la  cire  et  sur  le  sucre  à  l'entrée  de 
la  ville,  et  s'était  engagée  à  verser  directement  les  20  000  1.  au  trésor;  en 
d'autres  termes,  la  taxe  mise  comme  taille  sur  la  ville  était  remplacée  par  un 
impôt  indirect  sur  les  marchandises  consommées  dans  la  ville.  On  aurait  donc 
dû  diminuer  le  brevet  de  la  taille  pour  1666  de  ces  20  000  1.  L'intendant  Voysin 
écrit  à.  Colbert  le  30  juin  1665  pour  lui  signaler  cette  omission  :  et  en  effet  les 
commissions  furent  rectifiées  en  conséquence  (M.  C.  130,  f°  492). 

3.  M.  C.  116  bu,  f°  650. 


LES    AVIS    SUR    LE    BREVET.  69 

tomber  dans  une  certaine  langueur  qui  ne  les  quittte  plus  qu'à  la 
mort,  et  je  peux  vous  assurer  qu'il  y  a  des  personnes  qui  ont  passé 
quatre  jours  entiers,  dans  cette  ville,  sans  avoir  eu  autre  chose  à 
manger.  La  grande  quantité  de  pauvres  a  épuisé  la  charité  et  la  puis- 
sance de  ceux  qui  avoient  accoutumé  de  les  soulager1.  » 

Le  roi  fait  distribuer  du  blé  dans  les  provinces  pour  alimenter 
les  pauvres2.  Les  bourgeois  des  villes  se  cotisent;  des  hôpitaux 
sont  ouverts.  Mais  la  misère  n'en  reste  pas  moins  grande 
et  il  est  impossible  de  faire  rentrer  les  impôts.  Quoique  le 
brevet  général  ait  été  réduit  de  4  millions  de  livres  3  par  rap- 
port à  celui  de  1661,  les  trésoriers  généraux  et  les  intendants 
sont  unanimes  à  réclamer  une  diminution,  qui  est  accordée  par 
le  roi  :  le  brevet  arrêté  en  1661  montait  à  6  624  055  1.,  pour  les 
trois  généralités;  en  1662,  5  930  553  1.  *. 

1663.  —  En  cette  année,  la  récolte  est  encore  médiocre. 
Les  trésoriers  de  Rouen  écrivent  à  Colbert,  le  13  août,  que  la 
sécheresse  de  l'automne  précédent  a  empêché  les  semailles, 
puis  les  eaux  et  le  vent  ont  fait  périr  une  partie  des  blés;  on 
a  dû  «  réensemencer  une  partie  des  terres  emblavées,  et  le  peu 
de  blé  qui  a  esté  fait  est  presque  tout  perdu  par  de  petites  brouées 
qui  sont  survenues,  qu'on  appelle  en  Normandie  de  la  manne 
et  qui  ont  noirci  la  paille  et  l'épi,  en  sorte  qu'il  se  trouve  peu 
de  grain  dans  l'épi,  et,  dans  le  grain,  peu  ou  point  de  farine. 
Heureusement,  il  y  a  davantage  de  seigle,  d'orge  et  d'avoine5  ». 
Le  chiffre  du  brevet,  montant  à  5  621  553  1.  pour  toute  la  Nor- 
mandie, est  accru  de  72  000  1.  dans  les  commissions.  Mais 
l'année  suivante,  on  tint  compte  de  cette  mauvaise  récolte  :  le 
brevet  présentait  une  diminution  d'environ  230  000  1. 

1664.  —  La  récolte  des  blés  est  encore  mauvaise  dans  la 
Basse   Normandie.   Dans  la  généralité   de    Caen,  les  pluies  du 

1.  Publ.  dans  Bonnemère,  La  France  sous  Louis  XIV,  t.  I,  p.  268. 

2.  Clém.,  II,  53.  Mémoires  de  Louis  XIV,  éd.  Dreyss,  t.  II,  p.  548.  Journal  d'un 
bourgeois  de  Caen,  publ.  par  G.  Mancel,  p.  27-29. 

3.  Ce  dégrèvement  avait  été  annoncé  par  un  arrêt  du  conseil  du  2  avril  1661, 
où  le  roi  publiait  son  désir  de  «  donner  à  ses  peuples  des  marques  de  sa  justice 
par  son  application  au  gouvernement  »  ;  en  même  temps  il  avait  «  promis  de 
pourvoir  aux  proceds  des  surtaux,  et  d'empescber  les  vexations  du  recouvre- 
ment, sursis  les  taxes  sur  les  courtiers  et  jaugeurs  de  vin,  celles  des  francs-fiefs 
et  nouveaux-acquêts,  et  de  la  confirmation  de  leur  exemption  es  villes  franches; 
les  taxes  sur  les  recettes  des  deniers  commungs  et  d'octroys,  les  maires  et  esche- 
vins  des  villes...  révoqué  les  taxes  sur  les  hosteliers,  cabarettiers  et  marchands 
de  vin  pour  la  décharge  de  la  collecte  des  tailles  »  (A.  D.  S.  Inf.,  G.  1164,  f°  71). 
Cet  arrêt  accordait  une  diminution  de  taille  de  3  millions;  un  autre  du  27  sep- 
tembre suivant,  portait  ce  chiffre  à  4  millions  (A.  D.  Galv.,  Election  de  Caen). 
Mais  ces  diminutions,  on  l'a  déjà  vu,  ne  faisaient  qu'abandonner  des  sommes 
irrecouvrables.  «  C'est  si  peu,  dit  Guy  Patin,  que  ce  n'est  point  la  peine  d'en 
parler  (Lettre  du  5  avril  1661). 

4.  Se  reporter  au  tableau  des  brevets  annuels  des  trois  généralités,  ci-dessus, 
p.  33. 

5.  M.  C.  116  bis,  t*  650. 


70  LA    TAILLE     EN    NORMANDIE. 

mois  de  juin  ont  fait  pourrir  les  foins  coupés  et  verser  les  blés  l. 
Mais  dans  la  généralité  de  Rouen,  la  récolte  en  grains  et  en 
cidre  est  bonne2.  Le  chiffre  du  brevet  est  augmenté  dans  les 
commissions3. 

1665.  —  L'augmentation  de  l'année  précédente  est  main- 
tenue par  le  brevet;  elle  atteint  le  total  de  101  000  1.  A  Alençon, 
des  pluies  abondantes  en  juillet  ont  gêné  la  moisson;  l'inten- 
dant écrit  que  le  peuple  «  ne  se  restablit  point  depuis  la  misé- 
rable année  de  1662  »  *.  Toutefois,  on  commence  à  sentir  l'effet 
heureux  des  manufactures  établies  dans  la  province,  à  Rouen 
et  à  Caen  surtout;  on  en  fonde  de  nombreuses  dans  les  cam- 
pagnes comme  dans  les  villes,  et  le  peuple  y  trouve  une  nou- 
velle ressource  5. 

1666.  —  Le  brevet  est  augmenté  de  28  000  1.  dans  la  géné- 
ralité de  Caen,  20000  dans  celle  d'Alençon,  30000  dans 
celle  de  Rouen.  Mais  le  pays  est  en  état  de  supporter  cette 
surcharge.  La  récolte  est  bonne,  et  les  manufactures  se  déve- 
loppent, surtout  dans  la  généralité  de  Caen.  Chamillart  écrit  le 
6  juin  qu'à  Coutances  la  manufacture  de  bas  d'Angleterre  occupe 
400  ouvriers,  et  cela  «  commence  à  se  respandre  dans  la  cam- 
pagnefi  ».  Les  manufactures  de  bas  sont  installées  non  seulement 
dans  les  villes  :  Caen,  Bayeux,  Cherbourg,  Saint-Lô,  Coutances, 
Valognes,  Louviers,  mais  encore  dans  les  bourgs  et  les  vil- 
lages7. Il  écrit  le  17  novembre  : 

«  La  généralité  me  paroist  en  fort  bon  estât,  et  sans  l'extrême  sei- 
cheresse  qui  a  faict  manquer  les  bledz  en  plusieurs  endroitz,  et  le 
manquement  de  cidre,  qui  est  général,  et  la  garde  de  la  coste,  je  pou- 
rois  vous  assurer  que  les  subjectz  du  roy  commenceroient  à  jouyr  du 
bon  ordre  que  S.  M.  establit  partout8.  » 

1.  Lettre  de  Du  gué  à  Colbert,  23  juin  1664,  M.  C.  121  bis,  P  857. 

2.  Cette  même  année,  les  habitants  de  Honfleur  déclarent  qu'ils  ne  peuvent 
souscrire  a  la  Compagnie  des  Indes  «  veu  la  misère  du  public  »  (Bréard,  Les 
archives  de  la  ville  de  Honfleur,  p.  119).  Il  est  vrai  que  cette  misère  était  peut- 
être  «  affectée  »,  comme  disait  Colbert. 

3.  Cependant  le  roi  avait  fait  valoir  les  diminutions  de  taille  qu'il  ne  cessait 
d'accorder  depuis  plusieurs  années,  dans  la  déclaration  d'août  1664  (Clém.,  II,  785). 

4.  Lettre  de  Du  Boulay  Favier  à  Colbert,  Alencon,  30  mars  1665  (M.  C.  128  bis, 
f°  707). 

5.  Voir  les  lettres  écrites  à  Colbert  par  Brévedent  sur  les  manufactures  de  la 
généralité  de  Rouen  (M.  C.  130  bis,  f*  875,  et  132  bis,  f°  507);  par  Legcndre  sur 
celles  âe  Caen  (ibid.,  130,  f°  197,  130  bis,  f  863).  Ces  lettres  donnent  des  détails 
très  complets.  A  Alençon,  les  manufactures  furent  très  difficiles  à  établir.  In 
sieur  Le  Prévost  voulant  établir  une  dentellerie,  «  toutes  les  femmes,  oh  nombre 
de  plus  de  mille,  se  sont  assemblées  et  l'ont  poursuivy  en  telle  sorte  que  s'il  n'eust 
évité  leur  furie,  il  eut  esté  asseurément  en  mauvais  estât....  Cette  multitude  ne 
sera  point  en  repos  jusqu'à  ce  qu'il  ayt  pieu  au  roy  leur  donner  quelque  assurance 
qu'on  ne  leur  oslera  pas  la  liberté  de  travailler  ».  Cependant,  il  est  incontestable 
«  que  depuis  quelques  années,  la  ville  d'Alençon  a  subsisté  par  le  moyen  de  ces 

Ëetits  ouvrages  de  dentelle  que  le  menu  peuple  a  faicts  et  débités  »  (Lettre  de 
u  Boulay  Favier  à  Colbert,  30  août  1665,  M.  C.  131  bis,  f  792). 

6.  M.  C.  138,  f>  245. 

7.  M.  C.  142,  f  234. 

8.  Ibid.,  f  100. 


LES    AVIS    SUR    LE    BREVET.  71 

Les  commissions  augmentent  encore  l'imposition  de  Caen 
de  130000  1.  ;  la  somme  à  lever  s'élève  à  I  808  100  1. 

1667.  —  Le  brevet  de  la  généralité  de  Rouen  a  été  augmenté 
de  10  000  1.;  celui  de  Caen  de  90  000;  Alençon  demeure  tel  quel. 
La  généralité  de  Rouen  continue  à  prospérer  par  le  commerce 
et  les  manufactures.  Dans  celle  de  Caen,  le  nombre  des  mou- 
tons augmente,  depuis  que  l'intendant  a  interdit  de  les  saisir 
pour  la  taille  et  de  tuer  les  agneaux1.  Il  y  a  eu  en  avril  et 
mai  de  la  sécheresse  qui  a  fait  craindre  pour  la  récolte;  mais 
les  pluies  du  début  de  juin  en  ont  réparé  les  mauvais  effets, 
sauf  dans  les  élections  de  Coutances,  Vire  et  Mortain;  les 
«  menus  grains  »  sont  beaux,  mais  il  n'y  aura  pas  de  cidre 2. 
«  La  foire  franche  est  remplie  d'un  plus  grand  nombre  de 
marchandises  que  les  années  précédentes;  les  draps  façon 
d'Espagne  et  d'Hollande  de  la  fabrique  de  Caen,  les  draps  de 
Valongnes,  les  sarges  façon  de  Londres,  y  estoient  en  très 
grand  nombre;  les  finettes  et  ratines  fabriquées  à  Saint-Lô 
ont  esté  fort  estimez  des  marchands  de  Paris 3.  »  Le  seul  incon- 
vénient dont  souffre  le  commerce,  c'est  que  la  réduction  du 
taux  légal  de  l'argent,  ramené  à  5  p.  100,  a  raréfié  le  capital 
dans  la  généralité;  ce  taux  est  trop  bas.  Malgré  cette  prospérité 
relative,  Colbert  réduit  de  41  100  1.  l'imposition  de  Caen, 
«  afin,  dit-il,  que  tous  les  peuples  aient  connoissance  de  l'affec- 
tion paternelle  du  roy  pour  ses  subjects  »;  l'intendant  fait 
publier  la  lettre;  les  peuples  en  manifestent  «  une  joie 
incroiable  »*. 

1668.  —  Le  brevet  est  augmenté  de  24  000  I.  pour  la  généra- 
lité de  Rouen  seule,  où  le  commerce  prospère;  les  autres  géné- 
ralités sont  imposées  à  la  même  somme  que  l'année  précédente. 

1669.  —  La  peste  s'est  déclarée  à  Rouen  et  a  Dieppe  à  l'au- 
tomne de  1668.  Non  seulement  la  mortalité  est  grande,  mais 
tout  le  commerce  de  la  région  est  paralysé,  à  cause  de  l'inter- 
diction de  communiquer  avec  la  ville5.  Le  13  septembre  1668, 
le  président  du  Parlement,  de  Bonneval,  écrit  que  la  campagne 
«  va  tomber  dans  la  dernière  misère,  par  la  raison  que  les  foires  et 
marchés  ne  tiennent  plus,  et  sans  lesquels  il  ne  se  peutrespandre 
d'argent  parmy  les  peuples,  manque  de  traffic  et  de  commerce, 
c'est  ce  qui  les  met  présentement  dans  l'impuissance  de  payer  ce 
que  l'on  leur  demande,  soit  pour  tailles  ou  pour  fermages6».  La 
foire  de  Guibray,  en  1668,  a  été  mauvaise  7.  En  outre,  dans  la 

1.  Voir  ci-dessous,  ch.  vu.  -» 

2.  Lettre  de  Chamillart,  17  juin  1667,  M.  G.  143,  f°  437-438. 

3.  Lettre  du  2  mai  1667,  M.  G.  144,  f°  54. 

4.  Ibid.,  t°  499  et  145,  f°  53. 

5.  Sur  cette  peste,  voir  les  lettres  de  l'intendant  Barin  de  la  Galissonnière,  du 
marquis  de  Beuvron,  gouverneur,  et  du  premier  président  du  Parlement,  dans 
M.  C.  148,  148  bis  et  149. 

6.  M.  G.  148  bis,  f»  619. 

7.  Ibid.,  f°  486. 


72 


LA    TAILLE    EN    XOHMAXDIE. 


généralité  de  Caen,  la  réglementation  excessive  des  manufac- 
tures de  draps  et  de  serges  a  gêné  les  marchands;  la  fabrique 
est  en  baisse1.  A  en  juger  par  les  recettes  des  octrois,  le  com- 
merce a  notablement  diminué;  pendant  le  carême,  il  est  entré 
en  général  deux  fois  moins  de  provisions  qu'en  1667  et  1668*. 
Le  nombre  des  moutons  continue  à  augmenter;  la  moisson  est 
assez  bonne;  mais  «  les  fermiers  regorgent  de  grains  qu'ils  ne 
peuvent  vendre*.  »  Depuis  trois  ans,  il  n'y  a  presque  pas  eu 
de  cidre;  les  grains  étant  à  bon  marché,  les  fermiers  qui  avaient 
pris  leurs  baux  à  des  taux  assez  élevés  il  y  a  trois  ans,  se 
trouvent  dans  une  situation  fâcheuse4.  Dans  la  généralité  de 
Rouen,  l'épidémie  a  cessé  en  janvier  1669;  mais  on  trouve 
encore  quelques  cas  dans  l'élection  d'Arqués  au  mois  de  juin. 
Quant  aux  récoltes,  elles  ont  bon  aspect;  «  l'espérance  de  la 
moisson  est  fort  belle  et  il  y  aura  cette  année  quantité  de 
pommes  »  ;  mais  les  fermiers  sont  également   dans  l'embarras 

f>arce  qu'ils  ont  mal  vendu  leurs  récoltes;  leurs  propriétaires 
es  ont  fait  saisir,  et  si  le  blé  ne  se  vend  pas  mieux,  ils  se  trou- 
veront dans  une  situation  embarrassée  5.  Le  brevet  de  la  taille 
pour  la  généralité  d'Alençon  est  réduit  de  29  000  1.,  pour  celle 
de  Rouen  de  20000,  et  pour  celle  de  Caen  de  120000  1.  Ce 
chiffre  est  maintenu  par  les  commissions6. 


1.  Lettres  de  Chamillart,  29  mars  et  14  juin  1669,  M.  C.  150  bis,  t°  9S2  et  153, 
(•425. 

2.  Lettre  de  Chamillart.  8  avril  1669,  M.  C.  151,  f°  294. 

3.  Id.,  11  nov.  1668,  M.  C,  149,  f>  389. 

4.  Id.,  29  mars  1669,  M.  C.  150  bis,  982. 

5.  Lettre  de  Barin  delà  Galissonnière.  17  Juin  1669,  M.  C.  153  bis,  (•  513-514. 

6.  Voici  an  état  des  tissus  vendus  à  la  foire  franche  de  Caen,  de  1666  à  1669; 
il  fut  envoyé  par  l'intendant  en  juillet  1669  (M.  C.  153  bis,  f°  731-732). 


Serges  de  Caen. 

Pièces  de  45-50  aunes. 

1666 

1667 

1668 

1669 

3  257 

3  825 

2  557 

1742 

Prix 

33-34s. 

30-32  s. 

29-30  s. 

31-33  s. 

Serges  de  Saint-Lô. 

Pièces  de  40-45  aunes. 

346 

287 

173 

339 

Prix 

41.l5s.-51. 

41.8s.41. 10s. 

4  1.  2  8.-4  1.  7  s. 

4 1.5  8.-4 1.10  s. 

Drap  de  Vire. 

Pièces  de  11-13  aunes. 

677 

480 

532 

500 

Prix 

41.5s.-51. 

4-5  1. 

4-5  1. 

ont  bien  vendu 

Drnp  de  Valognes. 

Pièces  de  36-40  aunes. 

40 

30 

25 

32 

Prix 

6-71. 

5  1.-7  1.  10  s. 

4 1.15  8.-61.158. 

ont  assez  bien 
vendu 

Drap  de  Cherbourg. 
Pièces  de  36-40  aunes. 

175 

120 

135 

200  « 

Prix 

5 1.-51.108. 

41. 10  8.-5  1. 

41.  15  s.-5 1.5  s. 

4  1.  10s.-5  1. 

1.  «  Il  en  est  beaucoup  resté  que  les  marchands  ont  porté  à  Paris.  » 

LES    AVIS    SUR    LE    BREVET.  73 

1670.  —  Le  brevet  de  la  généralité  de  Rouen  est  augmenté 
de  7  9001.,  les  autres  demeurant  tels  quels.  De  l'avis  de  l'inten- 
dant de  Rouen,  il  eût  mieux  valu  le  diminuer  que  l'augmenter; 
les  élections  d'Arqués  et  de  Caudebec,  en  particulier,  sont  trop 
imposées1;  les  bestiaux  sont  à  vil  prix2.  Dans  la  généralité  de 
Caen,  l'interdiction  d'exporter  les  blés  gêne  le  recouvrement 
de  l'impôt3;  la  fabrique  de  papier  dans  l'élection  de  Bayeux 
est  en  décroissance4.  A  Alençon,  il  y  a  «  plus  de  mendiants 
qu'en  aucune  autre  ville  du  royaume  »5. 

1671.  —  Chacune  des  généralités  est  dégrevée  de  20  000  1. 
par  rapport  au  brevet  de  l'année  précédente.  En  même  temps, 
la  prospérité  de  l'agriculture  et  des  manufactures  s'accroît;  la 
situation  est  bonne  partout.  L'intendant  de  Caen  signalera,  le 
6  septembre  1671,  «  le  bon  estât  des  manufactures  de  draps,  de 
serge  et  de  toile  qui  se  font  dans  sa  généralité  »,  ajoutant  «  que 
tous  les  marchands,  d'une  commune  voix,  l'ont  asseuré  que  la 
Guibray  n'a  pas  esté  si  bonne  depuis  longtemps  que  cette 
année  6;  les  herbages  sont  chargés  de  bœufs  et  vaches  autant 
qu'ils  en  peuvent  porter7  ».  Berryer écrit  le  7  septembre  :  «  Dans 
tous  les  lieux  du  Costentin  où  je  passe,  le  comerce  des  bestiaux 
et  des  heures,  des  manufactures  du  pays,  va  très  bien.  Il  y  a 
mesmes  beaucoup  de  pomes  de  ce  costé  là8.  »  Il  signale  seule- 
ment la   rareté  de  l'argent  causée  par  la  mévente   des  blés  9, 


1.  Avis  sur  le  brevet,  4  août  1670,  Clairamb.  792,  p.  153. 

2.  Ibid.,  p.   38(5. 

3.  Lettre  de  Chamillart,  16  août,  ibid.,  p.  211. 

4.  Ibid.,  p.  319. 

5.  Lettre  de  Berryer,  3  novembre  1670,  M.  C.  155,  f°  338. 

C'est  à  cette  date  de  1670  que  l'ambassadeur  de  Hollande  signale  à  Colbert 
le  poids  excessif  des  impôts  mis  sur  le  vin  et  le  blé,  disant  que  le  roi  ruinait 
ses  sujets  pour  nuire  aux  Hollandais,  «  qu'il  falloit  aller  en  Bretagne  et  en 
Guyenne,  où  l'on  verroit  que  les  peuples  gémissoient  et  étoient  dans  la  mendicité 
parce  que  les  impositions  qu'on  avoit  mises  sur  les  vins  et  blés  qu'ils  avaient  cou- 
tume de  vendre  en  Hollande,  leur  en  empêchait  le  débit  »  (Lettres  du  marquis  de 
Saint-Maurice  sar  la  cour  de  Louis  XIV,  publ.  par  Lemoine,  t.  I,  p.  506.)  Cf.  les 
lettres  des  autres  intendants  à  cette  époque,  II.  G.,  162,  et  Clairamb.,  191-192. 
Colbert  lui-même  signale  au  roi  «  la  grande  disette  d'argent  qui  se  trouve  dans 
toutes  les  provinces  »  (Clém.  Vil,  257). 

6.  Sur  l'importance  de  cette  foire  en  ce  moment,  voir  une  lettre  de  Michel 
Colbert  au  contrôleur  général,  du  17  août  1672  :  «  Il  s'y  vend  en  gros  quantité 
de  draps,  serges  et  soyes  de  toutes  sortes  de  manufactures  du  royaume  à  des 
marchands  destaillants,  particulièrement  des  provinces  de  Normandie,  Maine, 
Poictou  et  Bretaigne;  il  s'y  vend  aussi,  Monsieur,  tant  en  gros  qu'en  destail 
toutes  sortes  de  quincailleries  et  ouvrages  de  fer,  et  de  menues  marchandises  de 
laine  ;  il  y  a,  Monsieur,  pareillement  grand  commerce  de  bœufs  et  vaches  maigres  qui 
s'acheptent  pour  les  engraisser  dans  le  pays  d'Auge...  et  ne  se  vend,  Monsieur,  en 
ladite  foire  que  très  peu  de  bestiaux  gras,  mais  seulement  pour  l'usage  du  pays, 
non  plus  que  de  moutons,  brebis  et  porcs.  Il  se  fait,  Monsieur,  encore  grand 
débit  de  cuirs  en  cette  foire  ».  (M.  C.  161,  f°  148-149). 

7.  Lettres  des  5  août  et  6  septembre  1671,  analysées  dans  Clairamb.  793,  p.  43 
et  93;  cf.  p.  25. 

8.  M.  C.  157  bis,  f°  445. 

9.  Pareille  rareté  est  signalée  dans  la  lettre  de  Berryer  du  7  septembre;  le 
Cotentin  seul  en  a  davantage,  à  cause  de  l'abondance  des  pommes  (M.  C.  157  bis, 


74  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

«  ce  qui  luy  fait  appréhender  les  recouvremens  de  l'advenir1  ». 
Mais  les  manufactures  continuent  à  progresser*. 

1672.  —  Les  préparatifs  de  guerre  contre  les  Hollandais  ont 
fait  augmenter  le  chiffre  de  l'impôt.  Pour  la  généralité  de 
Rouen,  la  somme  fixée  par  le  brevet  passe  de  2  239  000  1. 
en  1671  à  2  291000;  pour  Caen,  de  1627  000  à  1668000;  et 
pour  Alençon,  de  1418000  à  1448000;  soit,  au  total,  une 
augmentation  de  ,123  000  1.  Cette  augmentation  était  consi- 
dérable pour  la  province.  Néanmoins,  la  récolte  du  cidre 
s'annonce  bien,  les  manufactures  continuent  à  produire  beau- 
coup dans  la  généralité  de  Caen  ;  l'exportation  du  beurre 
d'Isigny  est  en  progrès  depuis  trois  ans3.  L'augmentation  sera 
donc  supportée  sans  trop  de  peine,  mais  bientôt  on  ressent 
les  effets  de  la  guerre.  Dès  le  15  octobre  1672,  l'intendant  de 
Rouen  écrit  que  le  trafic  a  cessé,  ce  qui  va  rendre  le  recou- 
vrement des  impôts  difficile4. 

1673.  —  Nouvelle  augmentation  du  brevet  :  la  généralité  de 
Rouen  se  voit  imposer  2  430  000  1.  ;  Caen,  1  768  000  1.  ;  Alençon, 
1537  000,  soit  une  augmentation  de  328000  1.  Fort  heu- 
reusement, la  récolte  est  encore  bonne.  Dans  la  généralité  de 
Caen,  les  menus  grains  (seigle,  orge,  avoine)  sont  très  beaux. 
Les  blés  seulement  ont  un  peu  versé5.  Dans  celle  d'Alençon, 
les  blés  sont  abondants;  il  faudrait  autoriser  l'exportation  à 
l'étranger,  notamment  en  Angleterre6.  Dans  celle  de  Rouen, 
l'état  reste  bon,  malgré  une  misère  locale  aux  confins  de  la 
Picardie7,  laquelle  est  sans  gravité  :  «  chacun  fait  la  misère  plus 
grande  qu'elle  n'est8  »,  dit  l'intendant.  A  la  foire  de  Guibray, 
on  a  vendu  quantité  de  draps,  de  bestiaux,  de  cuirs  et  de  quin- 
cailleries 9.  Toutefois  le  commerce  avec  l'étranger  a  presque 
complètement  cessé  dans  toute  la  province 10. 

1674.  —  Le  brevet  est  identique  à  celui  de  l'année  précé- 
dente; mais  la  misère  s'étend  dans  la  généralité  de  Rouen;  un 
long  mémoire  de  l'intendant  de  Creil  à  Colbert  signale  le  danger 
qu'il  y  aurait  à  laisser  les  impositions  à  un  taux  si  élevé  : 

«  Je  prendray  la  liberté  de  vous  dire,'en  gênerai,  que  toutes  les  eslec- 
tions  sont  extrêmement  chargées,  et  qu'il  y  en  a  quelques-unes  qui  le 
sont  tellement,  que  j'ai  veu  les  habitants  en  estât  de  tout  abandonner, 

1.  M.  C.  157  bis.  f°  605. 

2.  M.  C.  157,  f>  37. 

3.  Chamillurt  à  Colbert,  16  novembre  1672,  Clairamb.  793,  p.  796. 

4.  Analyse  de  sa  lettre,  ibid.,  p.  773. 

5.  Lettre  de  Chamillart  du  1"  août  1673  analysée  dans  Clairamb.  795,  p.  40. 

6.  Lettre  de  Michel  Colbert.  2  novembre  1673,  ibid.,  p.  121. 

7.  Lettre  de  De  Creil,  1er  juin  1673,  ibid.,  794,  p.  426. 

8.  Ibid.,  795,  p.  58. 

9.  Lettre  de  Michel  Colbert,  21  août  1693,  M.  C.  165  bis.  f>  39'i-399. 

10.  Lettre  de  Chevalier  à  Colbert,  2  février  1673,  Clairamb.  794,  p.  155;  il  vient 
d'inspecter  pour  la  gabelle  les  départements  de  Caen  et  d'Alençon. 


LES    AVIS     SUR    LE    BREVET. 


75 


sans  l'assurance  de  quelque  petite  diminution  que  je  leur  ay  fait 
espérer.  Cependant,  comme  le  brevet  de  la  taille  que  vous  m'avez  fait 
l'honneur  de  m'envoier  porte  la  mesme  somme  pour  l'année  prochaine 
que  celle  de  l'année  présente,  je  ne  puis  rien  faire  de  mieux,  pour  le 
service  du  roy,  que  d'augmenter  les  eslections  les  moins  chargées, 
pour  soulager  les  plus  pauvres,  afin  d'éviter  les  non-valleurs,  ainsi 
que  je  croy  avoir  fait  dans  mon  advis,  que  vous  trouverez  ci-joint,  et 
dont  j'envoie  pareillement  une  copie  à  M.  Marin. 

Le  grand  mal  de  toutes  les  eslections  est  la  cessation  du  commerce; 
mais  il  est  encore  à  observer  que  les  unes  ont  souffert  l'inondation  de 
plusieurs  parroisses  par  les  pluyes  du  printemps,  et  la  stérilité  entière 
des  menus  grains  par  la  sécheresse  de  l'esté.  D'autres  ont  despensé 
et  perdu  extrêmement  par  les  armes  qu'on  leur  a  fait  achepter,  et 
par  les  gardes  continuelles  sur  les  costes  et  dans  les  places,  et  par 
les  reveues  qu'ils  ont  esté  obligez  de  faire.  11  y  en  a  dont  les  parroisses 
ont  autant  paie  pour  le  tiers  et  danger '  que  pour  la  taille. 

L'on  aurait  pu  soulager  un  peu  la  campagne  en  augmentant  l'impo- 
sition des  villes;  mais,  outre  qu'elles  ont  esté  beaucoup  haussées  les 
années  dernières,  j'ai  cru  qu'il  falloit  encore  les  ménager,  à  cause  des 
taxes  que  l'on  leur  demande  pour  le  franc-alleu,  les  arts  et  mestiers,  et 
papier-terrier;  je  n'ay  pas  laissé  néanmoins  de  donner  à  la  pluspart 
quelque  petite  augmentation.  Enfin,  Monsieur,  l'on  peut  juger  que 
cette  généralité  est  plus  chargée  que  toutes  les  voisines,  puisqu'elle 
perd  tous  les  ans,  par  les  translations  de  domiciles,  grand  nombre  de 
taillables  qui  en  sortent  pour  aller  dans  lesdites  generalitez,  où  ils 
paient  moings  de  taille. 

Tous  les  receveurs  particuliers  demandent  chacun  des  diminutions 
si  grandes  pour  leur  eslection,  que  je  n'ozerois  vous  en  parler,  et  je 
leur  ay  fait  entendre  qu'il  falloit  encore  donner  courage  au  peuple  pour 
l'année  prochaine,  veu  Testât  présent  des  affaires,  dans  l'espérance 
d'un  soulagement  pour  les  suivantes.  Ils  se  plaignent  aussy  de  ce  que 
les  termes  des  paiements  sont  trop  pressez,  et  que  l'on  ne  donne  pas 
assez  de  temps  aux  collecteurs  pour  faire  leurs  levées,  ce  qui  les 
oblige  de  les  emprisonner,  ou  de  faire  discuter  les  parroisses,  qui  est 
encore  un  plus  grand  mal  que  l'emprisonnement. 

Quoyqu'il  n'y  ait  point  de  remède  à  toutes  leurs  plaintes,  j'ay  cru 
néanmoins,  Monsieur,  que  vous  trouveriez  bon  que  je  vous  en  rendisse 
compte  en  peu  de  mots,  afin  que  vous  soyez  informé  de  Testât  des 
choses  :  tout  ce  que  je  puis  de  ma  part,  est  de  partager  avec  une  juste 
proportion  sur  toutes  les  eslections  la  somme  de  2  430  000  1.  que  S.  M. 
ordonne  estre  imposée  pour  Tannée  1675,  vous  priant  de  considérer 
que  si,  par  des  interests  et  recommandations  particuliers,  on  vous 
donne  des  advis  qui  soient  contraires,  ils  ne  seront  pas  sincères  ny 
équitables,  et  produiront  assurément  de  la  vexation  et  du  désordre.  A 
mon  égard,  je  n'ay  pour  but  que  le  service  du  roy  et  le  soulagement 
des  peuples2...  » 

1.  Cette  affaire  du  tiers  et  danger  alarma  beaucoup  la  province,  et  faillit  pro- 
voquer une  révolte  de  la  noblesse  :  voir  Clém.,  II,  2(>1  et  suiv.  ;  Depping,  t.  III, 
p.  221  et  suiv.;  Floquet,  Hist.  du  parlement,  t.  V,  p.  564;  Gérard,  Défense  pour  les 
particuliers  qui  possèdent  des  bois  en  Normandie,  s.  1.  n.  d;  in-4°;  O'Reilly,  Claude 
Pellot,  liv.  XIII,  chap.  iv.  Sur  la  nature  de  ce  droit,  voir  les  ouvrages  indiqués 
dans  mon  édition  du  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen,  p.  119,  n.  4. 

2.  Glairamb.  795,  p.  485-7. 


76  LA    TAILLE    BN    NORMANDIE. 

Mais  l'intendant  savait  que  ses  remontrances  ne  seraient  pas 
écoutés  :  le  6  avril  précédent,  Colbert  lui  avait  écrit  :  «  Il  sera 
difficile  en  Testât  présent  des  affaires  de  l'Europe,  que  le  roy 
puisse  prendre  la  résolution  de  diminuer  les  impositions  des 
tailles,  vu  les  prodigieuses  dépenses  que  S.  M.  est  obligée  de 
faire,  et  nous  courons  mesme  assez  de  risques  que  le  roy  voudra 
les  augmenter  »'. 

1675.  —  Malgré  les  avertissements  reçus  l'année  précédente, 
Colbert  est  obligé  d'augmenter  le  brevet  dans  les  trois  généra- 
lités :  270000  I.  pour  Rouen,  162  000  pour  Caen,  163000  pour 
Alençon,  au  total  595000  1.,  soit  plus  de  10  p.  100  sur  l'année 
précédente.  Cette  même  année,  Bossuet  invite  le  roi  à  soulager 
ses  peuples  qui  sont  écrasés  par  la  taille,  et  les  ambassadeurs 
des  puissances  étrangères  constatent  partout  la  misère  grandis- 
sante. Nous  n'avons  pas  les  avis  des  intendants  de  Normandie 
pour  cette  année;  mais  une  lettre  de  Pellot,  du  1er  mai,  nous 
apprend  que  «  dans  le  pays  de  Caux  il  y  a  de  pauvres  paysans 
qui  vont  en  troupes  demander  l'aumosne  à  des  gens  qu'ils 
croient  accommodez2  ». 

1676.  —  Le  chiffre  du  brevet  demeure  fixé  a  la  même  somme 
que  l'année  précédente;  en  outre,  les  généralités  sont  obligées 
de  loger  les  troupes  soit  en  quartiers  d'hiver  soit  à  leur  passage; 
les  recouvrements  pour  l'année  courante  se  font  mal  et  Colbert 
est  obligé  de  presser  les  receveurs  plus  encore  que  d'ordi- 
naire, le  roi  ayant  besoin  d'argent  ,  En  envoyant  son  avis 
le  27  juin,  Leblanc  écrit  :  «  Vous  observerez,  s'il  vous  plaist, 
que  quelques  précautions  que  j'aye  pu  prendre,  toutes  les 
élections  ont  esté  fort  fatiguées  par  le  passage  et  logement 
des  gens  de  guerre,  et  qu'il  n'y  a  que  celle  de  Magny  qui  en 
ayt  esté  exempte  et  de  la  contribution  des  fourrages  *  »  ;  et 
le  4  août  suivant  :  «  Comme  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  me 
mander  que  le  roy  ne  pouvoit  faire  des  diminutions  sur  la 
taille,  j'ay  veu  exactement  dans  ma  dernière  visitte  les  lieux  sur 
lesquels  je  croyois  la  pouvoir  mettre,  mais  je  les  ay  trouvez  si 
chargez  qu'ils  auront  peyne  à  satisfaire  à  leurs  impositions... 
toutes  les  villes  avoient  esté  augmentées  les  années  précé- 
dentes, elles  ont  souffert  les  passages  et  de  longs  séjours,  et  la 
pluspart  des  quartiers  d'hiver,  ce  qui  fait  que  les  habitans 
désertent.  J'ay  creu  pour  les  obliger  d'y  demeurer  qu'il  falloit 


1.  Clém.,  II,  331. 

2.  Depping,  III,  227.  Cette  même  année  éclatait  en  Bretagne  la  révolte  du 
«  Papier  timbré  »,  qui  faillit  s'étendre  à  la  Normandie  (J.  Lemoine,  La  révolte 
du  Papier  timbré,  Paris  et  Rennes,  1898;  de  Masseville,  Ilist.  sommaire  de  .Xor- 
mandie,  t.  VI,  p.  215). 

3.  Lettre  de  Leblanc  à  Colbert  13  avril  1676  :  «  Suivant  l'ordre  que  vous  m'avez 
donné  j'ay  pressé  les  habittans...  de  porter  incessamment  aux  receptes  les  deniers 
de  la  taille,  et  aux  receveurs  de  faire  leurs  diligences  »  (B.  N.  fr.  8  759,  f  57.) 

4.  B.  N.  fr.  8  759,  f°  66. 


LES    AVIS    SUR    LE    BREVET. 


77 


leur  faire  quelque  diminution1.  »  Colbert  montrant  quelque 
scepticisme  à  l'égard  de  cette  misère,  Leblanc  dut  protester,  le 
9  août,  de  l'exactitude  de  ses  informations  :  «  Je  scay  bien 
que  je  suis  dans  un  pays  où  l'on  fait  tout  valoir  et  où  il  ne 
fault  croire  que  ce  qu'on  voit;  ainsi  faites-moi,  s'il  vous  plaist, 
la  justice  d'estre  persuadé  qu'ils  ne  m'en  font  point  accroire  2». 
Par  surcroît,  la  grêle  vint  endommager  les  récoltes  ;  le  prix 
du  setier  de  blé  passa  de  7  1.  à  8  1.  10  s. 3,  et  un  incendie 
détruisit  presque  entièrement  le  bourg  de  Bolbec. 

1677.  —  Le  chiffre  du  brevet  demeure  encore  le  même  : 
la  misère  dans  la  généralité  de  Rouen  s'aggrave;  partout  il  y  a 
des  troupes  à  loger,  la  ruine  est  complète  ;  il  est  indispensable 
de  diminuer  toutes  les  élections,  sauf  peut-être  celle  d'Arqués, 
qui  a  été  considérablement  soulagée  les  années  précédentes4; 
nous  n'avons  aucun  renseignement  pour  les  deux  autres  géné- 
ralités. 

1678.  —  Une  diminution  notable  a  été  accordée  :  par  l'arrêt 
du  Conseil  du  7  juin  1678,  le  roi  rappelle  que  la  taille  est 
tombée  de  56  millions  en  1658  à  40  millions  en  1678;  voulant 
encore  «  donner  des  marques  de  sa  bonté  paternelle  envers  ses 
peuples  »,  il  réduit  le  chiffre  de  1679  à  34  millions5;  Rouen 
est  soulagée  pour  sa  part  de  400000  1.,  Caen  de  330000  1., 
Alençon  de  250  000  1..  Dans  les  deux  généralités  de  Rouen  et 
de  Caen,  pour  lesquelles  nous  avons  des  renseignements,  la 
récolte  est  belle,  la  misère,  sans  disparaître,  ne  s'aggrave  pas6; 
à  Caen,  le  recouvrement  de  la  taille  demeure  toujours  «  très 
difficile  »7. 

1679.  —  Le  chiffre  du  brevet  est  le  même  que  l'année  précé- 
dente, mais  l'hiver  de  1678-79  a  été  rigoureux;  les  gelées  ont 
commencé  dès  la  fin  de  novembre  et  duré  jusqu'à  la  fin  de 
mars;  une  partie  des  terres  dans  la  généralité  de  Rouen  n'ont 
pu  être  ensemencées  en  blé8.  Ensuite  les  pluies  continues  ont 
empêché  de  semer  l'orge  et  l'avoine;  en  mai,  à  Bernay,  le  bois- 
seau de  blé  pesant  63  livres  vaut  6  1.  4  s.,  c'est-à-dire  le  double 
de  ce  qu'il  valait  l'année  précédente9.  Vers  le  même  temps  à 
Mortagne  le  boisseau  pesant  104  livres  vaut  11  1.;  il  est  vrai  qu'au 
15  juin  il  est  redescendu  à  7  1.  10  s.;  mais  c'est  encore  un  prix 


1.  B.  N.  fr.  8  759,  f08  68-69. 

2.  Ibid.,  f°  69. 

3.  Ibid.,  f°  72. 

4.  B.  M.  fr.  8761  bis,  f°  47-48. 

5.  A.  D.,  Galv.,  Registre  d'ordonnances  de  l'élection  de  Caen.  Cf.  la  lettre  de 
Colbert  aux  intendants,  du  15  juin,  accompagnant  cet  arrêt  :  il  leur  recommande 
de  bien  répartir  cette  diminution  sur  les  pays  qui  en  ont  besoin  (Clém.,  II,  380). 

6.  Lettres  de  Méliand  à  Colbert,  17  juin  1678,  A.  N.,  G'  213,  et  de  Leblanc,  6  mai, 
ibid.,  491. 

7.  Lettre  du  24  mars  1678,  A.  N.,  Gi  213. 

8.  L.  de  Leblanc  à  Colbert,  21  mars  1679,  A.  N.,  G?  491. 

9.  L.  de  Morangis  à  Colbert,  27  mai  1679,  A.  N.,  G"i  71. 


78 


LA    TAILLE    EX    XOIt.M  AM)I  I. . 


de  famine*.  A  la  fin  de  L'alinéa  dans  la  môme  généralité,  d'après 
un  tableau  enrayé*  par  1  intendant  le  4  décembre,  les  100  livres 
de  blé  valent  jusqu'à  G  1.  ,i  s.  dans  l'élection  de  Lisieux  2. 

Les  manufactures  établies  dans  la  généralité  d'Alençon  sont 
uniformément  en  baisse;  à  Alençon  où  l'on  fabrique  plus  de 
100  pièces  de  toile  par  semaine  valant  en  moyenne  70  livres 
chacune,  les  prix  ont  baissé  d'un  quart  depuis  six  ans,  le  fil  est 
devenu  plus  cher  parce  que  les  marchands  étrangers  viennent 
l'acheter  depuis  que  le  privilège  de  la  manufacture  des  points 
de  France  a  cessé,  les  ouvrières  se  relâchent,  et  leurs  ouvrages 
sont  moins  beaux;  or  ce  travail  faisait  vivre  non  seulement  la 
ville  d'Alençon,  mais  toute  la  campagne  environnante  :  au  total 
plus  de  10000  personnes.  Dans  l'élection  d'Argentan,  le  com- 
merce du  cuir  qui  produisait  jadis  80000  1.  par  an  est  diminué 
à  cause  des  droits  de  tarif,  de  marque,  de  contrôle,  établis 
depuis  six  ans  :  «  Il  y  avoit  60  maîtres  tanneurs,  il  n'en  a  plus 
que  40  et  il  ne  s'en  vend  que  pour  50000  1.  »;  la  ville  de  Bernay 
qui  «  estoit  riche  autrefois,  présentement  est  pauvre  et  dépeu- 
plée... elle  ne  se  maintient  que  par  le  commerce  des  chapeaux 
et  bas  de  laine  ».  L'élection  de  Conches  a  peu  de  commerce, 
«  il  n'y  a  point  d'élection  dans  la  généralité  où  le  recouvrement 
de  la  taille  me  paroisse  plus  dificile  ».  La  ville  de  Domfront 
«  est  si  peu  de  chose  qu'elle  ne  mérite  pas  qu'on  parle  de  son 
comerce  ».  L'élection  de  Lisieux,  qui  a  un  terroir  très  fertile 
et  fait  le  commerce  des  toiles  et  des  frocs,  est  appauvrie  :  la 
manufacture  de  toiles  est  gênée  par  les  procès  que  les  maîtres 
toiliers  intentent  aux  particuliers  «  qui  espousent  leurs  veuves 
et  prétendent  se  servir  de  leurs  privilèges  »;  la  ville  a  été  dépeu- 
plée par  le  passage  des  gens  de  guerre,  mais  «  elle  commence 
à  se  remettre  en  bon  estât  ».  L'élection  de  Verneuil,  quoique 
le  sol  en  soit  très  fertile  et  le  débit  des  produits  fort  aisé,  «  n'est 

1.  L.  du  même.  10  juin,  A.  R.,  G"  71. 

2.  Mémoire  du  prix  des  blés  dans  la    généralité  d'Alençon  envoyé  par  l'inten- 
dant de  Morangis  le  4  décembre  1679  (A.  N.,  G1  71)  : 


ÉLECTIONS 

POIDS 

DU 

BOISSEAU 

VALEUR 

DU 

BOISSEAU 

VALEUR 

DES 

100  LIVRES 

CE    QU'ON    PEUT 
TIRER 

de  l'élection 

32  1. 

52 

70 
90 

36  8. 
3  1. 

55  s. 
3  1.  4  s. 
53  s. 
3  1. 
55  s. 
3  1.  13  s. 
5  1. 

5  1.  8  8. 

5  1.  15  s. 

5  1.  5  s. 

6  1.  3  s. 
5  1.  2  s. 
5  1.  15  s. 
5  1.  15  s. 
5  1.  4  s. 
5  1.  12  s. 

4  000  boisseaux. 
9000         — 
4000  à  5  000          — 

10000          — 

3  000  à  4  000          — 

4  000  à  5  000          — 

5  000  à  6000          — 

rien. 

LES    AVIS    SUR    LE    BREVET.  79 

pas  en  bon  estât  »,  la  ville  est  «  dépeuplée  depuis  très  long- 
temps... Chateauneuf-en-Timerais  est  si  pauvre  et  si  ruinée  par 
les  gens  de  guerre  qu'à  peine  la  doit-on  compter  pour  une  ville  »  ; 
toutefois  «  il  s'y  faict  encor  un  assez  grand  commerce  de  bledz, 
et  si  cela  continue  on  le  peut  restablir  4  ».  Dans  l'élection  de 
Lisieux  encore 2,  l'intendant  écrit  le  20  mai  qu'il  a  trouvé  «  un 
très  grand  nombre  de  pauvres  »  ;  on  s'efforce  de  les  renfermer 
dans  un  hôpital  général,  «  mais  il  sera  impossible  présentement 
d'en  venir  à  bout3  ». 

Le  26  juin,  il  résume  ainsi  la  situation  des  campagnes  : 

«  Jamais  il  n'y  a  eu  tant  de  mendians  dans  les  villages  et  les  fau- 
bourgs des  villes...  Quoyque  les  biens  de  la  terre  fassent  espérer  une 
bonne  moisson,  je  puis  vous  assurer  que  la  misère  de  la  plus  grande 
partie  des  paroisses  est  beaucoup  au-dessus  de  ce  qu'on  peut  vous 
dire,  et  que  si  les  grâce  du  roy  avoient  à  estre  rependues  sur  quelque 
province,  il  ni  en  a  point  dans  le  royaume  qui  en  ayt  un  plus  pressant 
besoin  que  celle-cy  4.  » 

La  misère  est  la  même  dans  toute  la  province  :  le  15  mai,  le 
parlement  de  Rouen  rend  un  arrêt  «  pour  subvenir  à  l'instante 
nécessité  des  pauvres  des  villes,  bourgades  et  paroisses  de  ce 
ressort,  causée  par  le  long  hiver  et  la  rigueur  de  la  saison,  le 
prix  et  la  chèreté  des  grains  de  la  présente  année5  ».  Dans  la 
généralité  de  Rouen,  les  pommiers  sont  mangés  par  les  che- 
nilles :  il  n'y  aura  pas  de  cidre6;  toutefois  au  mois  de  juin,  les 
pluies  viennent  «  rétablir  »  les  récoltes,  et,  sauf  dans  le  pays 
de  Caux,  les  blés  sont  assez  beaux7.  La  récolte,  passable  dans 
la  Normandie  en  général,  fait  que  la  foire  de  Guibray  n'est  pas 
aussi  mauvaise  qu'on  aurait  pu  le  craindre;  «  tout  compté, 
écrit  l'intendant  de  Morangis  le  31  août,  on  peut  dire  que  le 
commerce  de  cette  foire  a  été  moindre  d'un  cinquième  que 
l'année  précédente8  ». 

C'est  en  vain  que  Colbert  avait  réduit  la  taille  à  34  millions9; 
les  effets  ne  répondaient  pas  à  son  atteinte.  Un  arrêt  du  con- 
seil  du    16  août  1679    réduisit  encore    l'impôt   de    2    millions 

1.  Tous  ces  détails  sont  contenus  dans  ]e  rapport  descriptif  de  l'élection 
d'Alencon  envoyé  par  l'intendant  de  Morangis  à  Colbert  le  17  juillet  1679,  A.  N., 
G?  71." 

2.  Dans  celle  de  Bernay,  quoique  la  récolte  s'annonce  bien  «  cependant  le 
nombre  des  mendiants  augmente,  il  est  excessif  à  l'abaie  du  Bec  où  les  pauvres 
de  ce  voisinage  reçoivent  des  aumosnes  proportionnées  à  leur  nécessité  »;  on  ne 
peut  songer  à  faire  cotiser  les  ricbes  des  paroisses  pour  secourir  les  pauvres 
car  «  cela  pourroit  apporter  du  retardement  aux  deniers  du  roy  ».  (L.  du  27  mai, 
ibid.)  Le  blé  a  partout  enchéri. 

3.  A.  N.,  G?  71. 

4.  A.,  N.  G?  71. 

5.  A.  N.,  G  7  492,  liasse  de  l'année  1685. 

6.  L.  de  Leblanc,  16  juin  1679,  G  1  491. 

7.  L.  du  même,  16  juin  et  18  juillet,  ibid. 

8.  A.  N.,  Gl  71. 

9.  Clém.,  II.  88. 


80  LA    TAILLE    KN    NORMANDIE. 

et  les  intendants  reçurent  l'ordre  de  donner  à  l'acte  une  grande 
publicité  «  Rendez  publique  cette  nouvelle  grâce,  leur 
écrit-il  le  27  septembre,  et  en  mesme  temps  faites  bien  con- 
noistre  a  tout  le  monde  combien  les  peuples  sont  heureux 
d'avoir  un  maistre  qui,  ayant  tiré  pendant  la  guerre  les  assis- 
tances nécessaires  pour  porter  la  gloire  de  l'Estat  au  plus  haut 
point  qu'elle  ayt  jamais  esté,  et  pour  estendre  ses  conquestes, 
ne  gouste  pas  de  plaisir  plus  sensible  pendant  la  paix  que  d'en 
faire  gouster  les  fruits  a  ses  peuples  par  les  décharges  et  les 
soulagemens  qu'il  leur  accorde  en  toutes  occasions  »  '.  Cette 
remise  fut  accueillie  avec  une  grande  satisfaction  :  «  La  joie  en  a 
esté  excessive  dans  cette  généralité,  écrit  l'intendant  d'Alençon 
le  31  août,  et  il  n'y  a  personne  qui  ne  redouble  ses  prières 
pour  la  conservation  d'un  si  grand  et  si  bon  maistre  » 2. 

1680.  —  La  taille  est  maintenue  au  même  chiffre  que  l'année 
précédente.  Colbert  espère  que  ces  soulagements  «  donneront 
aux  peuples  les  moyens  de  se  bien  restablir3  ».  Il  prescrit  aux 
intendants  de  faire  leurs  visites  encore  plus  minutieusement 
que  les  années  antérieures,  de  façon  à  lui  envoyer  des  rap- 
ports bien  détaillés  et  sûrs  :  celui  de  Rouen,  Leblanc,  qui 
commence  la  sienne  le  16  mai  ne  la  termine  que  le  21  juillet4; 
celui  de  Caen  ne  termine  que  le  15  août,  et  celui  d'Alençon  le 
21  juillet.  Mais  leurs  rapports  sont  très  brefs  sur  la  situation 
générale  des  contribuables  :  nous  y  voyons  seulement  que  dans 
l'ensemble  de  la  généralité  de  Rouen,  la  récolte  est  bonne,  les 
«  menus  grains  »  sont  très  beaux  partout,  mais  il  n'y  aura  ni 
pommes  ni  poires  nulle  part  et  la  récolte  de  vin  sera  mauvaise; 
le  nombre  des  bestiaux  augmente.  Dans  les  généralités  de  Caen 
et  d'Alençon,  l'état  des  récoltes  est  à  peu  près  le  même6;  dans 
celle  de  Caen  les  manufactures  «  ont  leur  cours  ».  Nous  ne 
savons  si  la  misère  continue  ou  disparaît. 

1681.  —  La  Normandie  est  augmentée,  quoique  sa  part 
dans  le  chiffre  total  des  pays  d'élections  soit  légèrement 
réduite  (15,45  p.  100  au  lieu  de  15,50  l'année  précédente).  Nous 
n'avons  de  renseignements  que  pour  la  généralité  de  Rouen  : 
le  printemps  a  été  froid  et  l'année  est  en  retard  dans  le  Vexin 
normand  ;  en  mai  «  les  bleds  sont  fort  clairs  à  cause  de  la  lon- 

1.  Clém.,  II,  386;  cf.  la  circulaire  du  17  août,  ibid.,  p.  114. 

2.  A.  N.,  G^  71. 

3.  L.  du  18  juillet,  Clém.  II,  390. 

4.  Colbert  le  félicite  pour  les  soins  qu'il  a  apportés  dans  son  travail  :  Lettre 
du  18  juillet,  Clém.  II,  390. 

5.  En  somme  il  y  a  amélioration  notable  sur  Tannée  précédente,  et  le  signe  de 
cette  amélioration  est  la  diminution  du  prix  du  blé  :  dans  la  généralité  d'Alençon, 
à  Lisieux  le  boisseau  pesant  32  livres  vaut  24  s.  au  mois  de  juillet  contre  50  s. 
Tannée  précédente;  à  Argentan  et  à  Falaise  le  boisseau  de  52  livres  vaut  35  s., 
tandis  qu'il  vnllait  le  double  Tannée  passée;  à  Conches,  même,  le  boisseau  de 
32  livres  ne  vaut  que  20  s.  A  Domfront  où  Ton  consomme  surtout  du  sarrasin, 
cette  graine  vaut  22  s.  6  d.  les  40  livres.  (De  Morangis  à  Colbert  22  juillet  1680 
A.  N.,  G'  71.) 


LES    AVIS    SUR    LE    BREVET. 


81 


gueur  de  l'hyvert  et  de  la  sécheresse  ;  les  mars  ont  peyne  à  lever, 
on  sème  encores  l'orge  et  s'il  ne  vient  de  l'eaue  la  récolte  ne 
sera  pas  bonne l  »  ;  toutefois  les  pommiers  promettent  des 
fruits,  et  l'abondance  du  cidre  facilitera  le  paiement  des  impôts; 
mais  les  symptômes  de  misère  n'ont  pas  disparu  :  à  Louviers  la 
mendicité  est  «  très  grande 2  »  ;  les  porcs  sont  «  extraordinaire- 
ment  chers  »  partout. 

1682.  —  La  généralité  de  Caen  est  augmentée  des  3000  1.  qui 
sont  retranchées  à  Alençon;  celle  de  Rouen  conserve  son  impo- 
sition à  1000  1.  près;  toutes  les  généralités  restent  encore 
au-dessous  du  chiffre  de  1679.  A  Rouen,  les  céréales  sont  très 
belles,  sauf  dans  quelques  paroisses  qui  ont  été  grêlées;  les 
pommes  sont  rares  dans  les  élections  de  Pont-1'Evêque,  Neuf- 
châtel  et  Arques3;  à  Caen,  en  juin,  les  récoltes  ont  en  général 
belle  apparence;  mais  beaucoup  d'élections  souffrent  encore  des 
logements  de  troupes  :  a  Mortain  et  à  Avranches  notamment, 
«  le  pauvre  peuple  ne  s'en  remet  pas  encore  »  ;  aussi  y  a-t-il 
très  peu  de  commerce4;  à  Alençon  on  a  en  juillet  a  toutes  les 
apparences  d'une  année  très  abondante...  le  commerce  des  bes- 
tiaux est  très  considérable...  celui  des  toiles  va  fort  bien  »;  il 
n'y  a  jamais  eu  tant  d'ouvrières  pour  la  dentelle  dans  la  ville 
d'Alençon,  mais  la  richesse  n'accompagne  pas  cette  prospérité 
apparente  :  les  grains  sont  à  très  bon  marché,  les  ouvrières 
gagnent  fort  peu,  et  il  y  a  toujours  des  mendiants  5.  Dans  les 
élections  de  Mortagne,  Verneuil  et  Conches,  il  y  a  «  beaucoup 
de  pauvreté6  ».  C'est  alors  que  Colbert  engage  l'intendant  à 
chercher  la  cause  de  cette  misère  pour  y  remédier,  soit  en 
diminuant  la  taille  de  ces  élections,  soit  en  donnant  du  travail 
aux  habitants,  «  soit  en  examinant  si  cette  pauvreté  provient 
d'une  fainéantise  naturelle,  parce  que  dans  ce  dernier  cas  ils 
ne  méritent  pas  beaucoup  de  soulagement».  Il  négligeait  la  seule 
cause  de  misère  qui  fût  cependant  la  plus  certaine  et  la  plus 
profonde  :  le  trop  grand  poids  des  impôts  pendant  les  années 
précédentes. 

1683.  —  Le  chiffre  de  la  taille  est  conservé  à  peu  près  tel 
quel  dans  les  trois  généralités;  la  récolte  s'annonce  bien  dans 
l'ensemble  de  la  province,  comme  dans  tout  le  reste  du  royaume  7. 
Mais   dans    les    villes    les    mendiants    continuent    à  affluer;   le 


1.  Lettre  de  Leblanc,  24  mai  1681,  A.  N.,  Gi  491. 

2.  Ibid. 

3.  Rapports  des  22  juin  et  2  juillet,  ibid. 

4.  L.  du  7  juin,  A.  N.,  G?  213. 

5.  Rapport  de  l'intendant  2-20  juillet  16S2,  A.  N.,  G'  71. 

6.  D'après  la  lettre  de  Colbert  à  de  Morangis,  16  octobre  1672,  Clém.  II,  208. 

7.  Colbert  écrit  à  Breteuil  le  3  juin  1683  :  «  J'espère  que  nous  aurons  une 
année  abondante  dans  tout  le  royaume  »,  (Bibl.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  IV, 
pièce  221)  ;  l'intendant  d'Alençon  rapporte  le  6  mai  :  «  Les  biens  de  la  terre  sont 
aussi  beaux  qu'on  le  peut  soubaiter,  et  il  y  a  apparence  d'une  bonne  année  pour 
les  grains...  à  l'esgard  des  pommes  je  crois  qu'il  y  en  aura  peu,  mais  il  y  a  tant 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


82  LA    TAILLK     l.N     NORMANDIE. 

28  janvier,  les  échevins  de  Honflcur  ont  interdit  de  loger  en 
ville;  les  pauvres  qui  viennent  de  la  campagne1.  Les  rapports 
des  intendants  sont  très  brefs  :  aucun  d'eux  ne  parle  de  cette 
misère.  Cette  réserve  est  inquiétante.  Elle  cesse  brusquement 
à  la  mort  de  Golbcrt. 

Les  rapports  de  1684  et  de  1685  sont  beaucoup  plus  pessi- 
mistes :  en  janvier  1684  dans  la  généralité  de  Rouen,  «  les  néces- 
sités sont  extresmes  »,  les  pauvres  de  la  ville  «  sont  réduits  à  de 
très  grandes  extrémités  »;  le  1er  octobre,  l'intendant  après  avoir 
visité  les  riches  élections  de  Gisors,  Gournay  et  Lyons,  écrit  : 
«  Je  suis  obligé  de  vous  dire  que  j'y  ai  veu  des  choses  qui 
surprennent  de  la  misère  de  cette  année  »,  et  après  avoir  par- 
couru le  pays  de  Caux  :  «  En  vérité  la  misère  y  est  grande,  et  il 
y  a  plusieurs  terres  qui  demeurent  sans  estre  cultivées,  et  cette 
province-cy  tomberoit  sy  on  ne  la  soulageoit  davantage...  Les 
biens  y  deviennent  ù  rien,  et  le  commerce  y  diminue  ».  Le 
15  mars  1685  :  «  La  misère  est  si  grande  que  tel  paysan  achetait 
un  habit  de  drap,  qui  se  passe  d'un  de  toile,  et  les  femmes  de 
la  campagne  qui  étoient  curieuses  d'un  cotillon  rouge  ou  bleu, 
n'en  portent  plus  guère;  elles  sont  fort  mal  habillées,  et  presque 
toutes  de  toile  blanche2  ».  Le  0  juillet  1685  il  écrira  encore  : 

«  Le  besoin  est  pressant  à  la  campagne  où  il  fault  garder  les  bleds 
la  nuit  de  peur  qu'on  en  vole  tout  verds  qu'ils  sont,  ceux  qui  en  ont 
à  eux  sur  pied  en  couppent  tous  les  jours  qu'ils  font  seicher  au  four 
pour  vivre..;  les  entrepreneurs  de  Honfleur  sont  obligez  de  donner 
demy-paye  les  jours  de  feste  pour  retenir  les  ouvriers  qui  iroient  aux 
villes  demander  l'aumosne  parce  qu'ils  gagnent  peu  3.  » 

Dans  la  généralité  d'Alençon  la  misère  est  identique;  le 
27  mars  1685  l'intendant  écrit  que  le  paiement  de  la  taille  est 
très  en  retard  : 

«  Je  puis  vous  assurer  que  c'est  la  seule  misère  qui  est  cause  de  ce 
retardement,  car  le  receveur  des  tailles  fait  ses  diligences,  mais  les 
huissiers  ne  trouvent  quasi  plus  rien  à  exécuter,  je  m'en  suis  fait  rap- 
porter les  procès-verbaux  et  mesme  j'ay  visité  quelques  paroisses 
sans  paroistre  que  ce  fut  à  dessein,  où  je  n'ay  point  veu  de  pain  qui 
ne  fust  d'orge  ou  d'avoine  :  le  bled  néantmoins  n'est  point  enchéry 
depuis  deux  mois,  mais  les  paysans  mangent  ce  qu'ils  ont  faute  d'ar- 
gent pour  achepter  le  bled  et  nayans  point  de  bestiaux  pour  en  faire  ; 
j'ai  marqué  au  receveur  des  tailles  qu'il  est  bon  de  mesnager  les 

de  vieux  cydre  que  ce  ne  sera  pas  un  grand  malheur  ».  Et  encore  le  19  juin  :  ■  Il 
y  a  lieu  d'espérer  que  la  récolte  sera  parfaitement  bonne  dans  toutes  les  élections, 
à  l'exception  des  lieux  où  il  est  tombé  de  la  gresle.  >  (A.  H.,  G7  71.) 

1.  Bréard,  Les  archives  de  la  ville  de  Honfleur,  p.  140. 

2.  De  Boislisle,  Corresp.,  t.  I,  n°  165. 

3.  Tous  ces  détails  se  trouvent  dons  les  lettres  de  l'intendant  de  Rouen  au  con- 
trôleur général,  A.  N.  G  ">  492. 


LES    AVIS    SUR    LE    BREVET.  83 

contribuables  et  que  supposé  que  je  visse  qu'il  en  usast  bien,  je  tasche- 
rois  d'obtenir  de  vous,  Monsieur,  quelque  prolongation  de  ses  paye- 
mens  '.  » 

Une  telle  misère  ne  peut  avoir  éclaté  brusquement  en  1684, 
alors  surtout  que  la  récolte  de  1683  était  bonne.  Si  l'on  note 
d'autre  part  que  Colbert  a  maintes  reprises  rabroua  les  inten- 
dants qui  lui  signalaient  la  ruine,  soit  en  les  accusant  de  mal 
faire  leur  devoir,  soit  en  les  invitant  à  se  tirer  d'embarras  quand 
même  et  à  faire  rentrer  les  impôts  à  tout  prix,  on  peut  se 
demander  s'ils  ne  cachèrent  pas  à  leur  chef  l'état  véritable  des 
peuples.  La  misère  signalée  en  1677  et  1678  avait  pour  cause 
principale  l'augmentation  des  impôts;  comme  ces  impôts  ont 
été  très  peu  diminués,  il  est  certain  que  la  misère  ne  dut  guère 
diminuer  non  plus.  Il  aurait  donc  fallu  réduire  les  impôts.  Col- 
bert a  fait  effort  auprès  du  roi  pour  obtenir  cette  réduction  ;  il 
a  souvent  exprimé  le  regret  de  ne  pas  aboutir  ;  toute  la  res- 
ponsabilité de  cet  état  de  choses  ne  lui  incombe  pas. 

En  somme,  pendant  les  vingt-deux  années  du  gouverne- 
ment de  Colbert,  la  situation  des  paysans  peut  se  résumer 
ainsi  : 

1°  de  1661  à  1666,  période  de  relèvement,  les  impôts  sont 
diminués,  la  vie  économique  prend  une  intensité  qu'elle  n'avait 
jamais  eue,  par  la  protection  de  l'agriculture,  le  développement 
des  manufactures  et  l'accroissement  des  bestiaux; 

2°  De  1666  à  1673,  grande  période  de  prospérité  correspon- 
dant à  des  chiffres  de  taille  plus  bas  qu'on  ne  les  avait  connus 
depuis  fort  longtemps; 

3°  De  1673  à  1683,  dix  années  de  misère  causées  par  l'ac- 
croissement des  impôts  de  toutes  sortes  pour  aboutir  à  la  ruine 
totale  des  paysans  et  des  ouvriers.- 

Après  avoir  donné  son  avis  sur  l'état  général  de  sa  circon- 
scription, l'intendant  devait  indiquer  la  somme  à  lever  dans 
chaque  élection.  Pour  cela,  il  avait  à  tenir  compte  non  seule- 
ment des  chiffres  portés  par  le  brevet,  mais  encore  d'imposi- 
tions supplémentaires,  dont  le  brevet  ne  faisait  pas  mention 
et  qui,  répondant  à  des  besoins  locaux  ou  temporaires,  ne  pou- 
vaient être  confondues  avec  la  taille  proprement  dite,  quoi- 
qu'elles fussent  levées  en  même  temps.  Voici  la  liste  de  ces 
impositions  pour  la  Normandie,  de  1661  à  1683.  On  peut  les 
ranger  en  trois  catégories  : 

A.  celles  qui  sont  levées  sur  toutes  la  province, 

B.  celles  qui  sont  spéciales  à  une  généralité. 

1.  A.  N.,  G' -71. 


S'i  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

C.  celles  qui  sont  spéciales  à  certaines  élections  ou  à  cer- 
taines paroisses. 

Sur  l'ensemble  de  la  province,  on  a  levé  : 

1°  Jusqu'en  1664,  la  gratification  des  Etats,  imposée  par 
lettres  patentes  séparées;  elle  s'élève  à  44  500  LA 

2°  Un  arrêt  du  conseil  du  31  mars  1661  impose  une  somme 
de  300  000  1.  par  an  pendant  deux  ans  pour  la  révocation  du 
droit  domanial  sur  le  fer. 

3°  En  1667  chacune  des  trois  généralités  paye  40000  1.  pour 
le  rachat  des  captifs  de  Barbarie. 

4°  Le  remboursement  des  offices  des  Élections  et  des  Bureaux 
des  finances  est  fait  au  moyen  d'impositions  sur  les  généralités 
ou  les  élections  intéressées,  de  1661  à  1668. 

5°  En  1666  (arrêt  du  conseil  du  10  novembre  1665),  en  1667 
et  1672,  on  lève  sous  le  nom  d'étapes  un  véritable  supplément 
de  taille,  sorte  de  dispense  de  logement  de  troupes. 

6°  Les  réparations  au  pont  de  Rouen  sont  payées  également 
par  imposition  annexée  à  la  taille  dans  toute  la  province  :  on 
lève  a  cet  effet  10000  1.  que  les  trois  généralités  se  partagent 
chaque  année  de  1672  à  1683*. 

Les  impositions  spéciales  à  une  généralité  sont  rares  :  en 
1680  et  1681,  on  lève  sur  la  généralité  de  Rouen  une  somme 
élevée  pour  l'entretien  du  pont  de  Pont-Audemer 3;  en  16^3,  on 
impose  37000  1.  «  pour  le  port  d'Honfleur  et  les  réparations  du 

frand  chemin  de  Paris4»;  sur  celle  de  Caen,  un  arrêt  du  conseil 
u  22  avril  1679  établit  une  imposition  de  44  000  1.  pour  les 
travaux  de  navigabilité  de  la  rivière  d'Orne5;  en  1680  et  1681, 
on  lève  encore  300  1.  pour  le  loyer  du  local  où  siège  le  Bureau 
des  finances. 

Enfin,  il  arrive  que  certaines  élections  ou  certaines  paroisses 
sont  imposées  spécialement,  pour  faire  face  à  une  dépense  qui 
les  concerne. 

Dans  l'élection  d'Arqués,  de  1667  à  1672,  on  lève  une  somme 
de  1  000  1.  pour  le  bois  et  la  chandelle  des  corps  de  garde  de 
Dieppe  et  du  Pollet,  somme  qui  est  portée  à  3  000  1.  par  arrêt 
du  Conseil  du   16  novembre   1672  et  est  levée  jusqu'en   1675  ; 

1.  M.  C.  127 b",  f°  907. 

2.  Arrêts  du  conseil  des  13  sept  1672,  19  oct.  1675,  2't  avril  1678,  mentionnés 
par  les  commissions.  Il  paraissait  un  peu  abusif  de  faire  payer  les  réparations  du 
pont  de  Rouen  à  des  pays  qui  n'en  retiraient  aucun  avantage  comme  le  Perche 
ou  le  CotiMitin  par  exemple;  mais  lu  considération  de  l'utilité  pi  >s  ou  moins 
grande  des  dépenses  faites  avec  le  produit  des  impôts  pour  ceux  qui  les  payaient 
n'entrait  guère  en  ligne  de  compte.  En  1672,  lellot,  premier  président  du  Parle- 
ment, propose  à  Colbert  comme  une  chose  naturelle  d'imposer  une  somme 
élevée  sur  les  trois  généralités  de  la  province  pour  les  dépenses  municipales  de 
Rouen  «  a6n  que  l'on  continue  à  la  policer  et  embellir  et  y  mettre  un  bon  ordre 
comme  Ion  a   fort  bien  et  heureusement  commancé  ••  (Depping,  III,  221.) 

3.  Bréard.  Les  archive*  de.  la  ville  de  Hon/leur,  p.  134. 

4.  L.  de  Leldanc,  17  février  1672,  B.  N.  fr.  8  761,  1°  4. 

5.  Commissions  des  tailles  pour  t«80. 


LES    AVIS    SUR    LE    BKEVET.  85 

l'élection  de  Gisors  paye  tous  les  ans  1  000  1.  pour  l'entretien 
d'un  commis  à  la  recette  des  tailles  à  Pontoise.  Un  arrêt  du 
Conseil  du  26  octobre  1669  ordonne  la  levée  de  140  1.  par  an 
pendant  six  ans  sur  la  paroisse  de  Sommery  (élection  de  Lyons), 
pour  dépenses  municipales  extraordinaires,  de  même  sur  la 
paroisse  de  Corneille  (élection  de  Gisors),  on  lève  340  1.  en 
chacune  des  années  1675,  76  et  77 '. 

Après  ses  observations  sur  le  total  du  brevet,  l'intendant 
devait  proposer  ce  que  chaque  élection  aurait  à  payer.  Il  avait 
à  indiquer  pour  chacune  non  pas  une  somme  globale  d'impôt, 
mais  toute  une  série  de  chiffres  partiels. 

Le  brevet  maintenait  en  effet  la  vieille  distinction  entre  le 
principal  de  la  taille,  le  taillon  et  le  fonds  des  ponts  et 
chaussées2  :  il  fallait  donc  indiquer  ce  que  l'élection  porterait 
de  chacune  de  ces  impositions.  A  cela,  s'adjoignaient  les 
impositions  accessoires,  qu'il  fallait  aussi  répartir  quand  elles 
étaient  mises  sur  toute  la  généralité  :  au  total,  le  chiffre 
d'impôt  d'une  circonscription  était  fait  de  cinq,  six,  et  même 
huit  cotes  additionnées. 

Mais  répartir  isolément  chacune  de  ces  impositions  partielles 
eût  été  impossible.  Dans  la  pratique,  l'intendant  prenait  la 
somme  globale  de  la  généralité,  la  répartissait  au  mieux  entre 
les  élections;  ensuite,  une  simple  opération  arithmétique  sub- 
divisait le  chiffre  proportionnellement  au  montant  des  impôts 
partiels;  par  exemple,  si  le  taillon  de  la  généralité  était  égal  à 
1/5  de  la  taille  totale,  on  attribuait  invariablement  à  chaque 
élection  pour  le  taillon  1/5  de  son  imposition;  quand  un  impôt 
est  spécial  à  une  élection,  on  réduit  d'autant  les  autres  chiffres 
de  cette  élection,  de  façon  que  le  total  ne  s'en  trouve  pas  accru. 
Cette  manière  de  procéder  n'avait  aucun  inconvénient,  puisque 
la  distinction  entre  taille,  taillon,  impositions  annexes,  etc., 
ne  devait  pas  être  faite  dans  le  département  entre  les  paroisses  ; 
elle  ne  servait  guère  qu'aux  receveurs,  pour  la  distribution  de 
leur  recette. 

L'évaluation  exacte  des  ressources  d'une  élection  était  impos- 
sible; on  verra  qu'on  ne  pouvait  pas  davantage  faire  exacte- 
ment celle  d'une  paroisse,  ni  celle  d'un  individu. 

«  Il  est  inûniment  difficile,  dit  Richer  d'Aube,  qu'  [un]  intendant 
puisse  proposer  son  avis  avec  une  connoissance  suffisante,  puisque 
ce  n'est  que  par  la  connoissance  détaillée  des  parties  qu'on  peut  con- 
noître  un  tout,  et  que  le  détail  des  parties  à  connoître  pour  donner  un 

1.  Arrêt  du  conseil  du  3  mai  1674. 

2.  Jusqu'en  1664,  chacune  de  ces  impositions  était  divisée  en  deux  parts  :  une 
première  payable  «  par  avance  dans  les  huit  premiers  mois  »,  et  la  seconde  payable 
ensuite.  Il  fallait  indiquer  ces  deux  parts  pour  chaque  élection. 


I 


M  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

avis  qui  mérite  d'estre  suivy  sur  la  distribution  des  impositions  par 
villes  et  élections  est  presque  infiny  '.  » 

A  l'état  des  récoltes,  l'intendant  ajoutait  les  indices  de  richesse 
ou  de  misère  les  plus  apparents  :  état  des  recouvrements,  irais 
de  contraintes,  emprisonnements  de  collecteurs,  aspect  d'ai- 
sance ou  de  pauvreté  du  pays 2.  La  méfiance  des  contribuables 
rendait  sa  documentation  difficile3.  Il  consultait  aussi  les  rece- 
veurs, qui  avaient  également  leur  intérêt*;  enfin  il  se  repor- 
tait aux  chiffres  des  précédentes  années.  Comme  à  tous  les 
degrés  de  la  répartition,  les  cotes  antérieures  et  la  plus  ou 
moins  grande  facilité  de  la  perception  étaient  les  principaux 
guides  du  répartiteur. 

Il  n'est  même  pas  certain  que  l'intendant  ait  toujours  eu  le 
souci  d'une  égalité  scrupuleuse.  Lallemant  de  Levignen  fait  à  ce 
sujet  une  déclaration  singulière.  Lorsque,  dit-il  en  résumé, 
une  élection  est  accablée,  on  pourrait  lui  retrancher  une  partie 
de  sa  taille  et  la  reporter  sur  d'autres  plus  riches;  mais  il  faut 
s'en  garder,  car  on  pourrait  ruiner  toute  la  généralité  : 

«  Il  vaut  mieux  que,  dans  un  département5,  en  attendant  qu'il  vienne 
du  secours,  il  y  ait  deux  ou  trois  élections  qui  souffrent  plus  considé- 
rablement, que  de  les  réduire  toutes  au  mesme  point;  Tinterest  du 
roy  semble  au  moins  y  estre  plus  conservé 8.  » 

On  ne  pouvait  donc  avoir  qu'une  répartition  très  imparfaite 
et  très  critiquable.  Les  intéressés  n'avaient  aucun  moyen  de  la 
faire  réformer,  la  suppression  des  Etats  leur  ayant  enlevé  leur 
dernier  recours.  Quant  au  Conseil,  il  n'avait  d'autre  ren- 
seignement que  les  rapports  de  ses  agents  ;  il  ne  connaissait 
même  pas,  dans  les  premières  années,  le  chiffre  des  imposi- 
tions antérieures7;  aussi  est-ce  toujours  à  l'avis  de  l'intendant 
qu'il  s'en  rapportait8. 

1.  Mémoire  sur  les  fonctions  d'intendant,  1738,  B.  N.  fr.  21812,  p.  49-50. 

2.  Voir  une  lettre  de  l'intendant  de  Paris,  du  21  juillet  1682,  où  il  explique  sa 
façon  de  procéder,  dans  De  Boislisle,  Mcm.  de  Vint,  de  Paris,  p.  700,  note.  Se 
reporter  ci-dessous,  p.  146  et  suiv. 

3.  D'Aubray  dOûemont,  intendant  d'Orléans,  écrit  le  2  sept.  1666  :  «  J'ay  esté 
obligé  d'explicquer  la  raison  par  laquelle  on  désiroit  scavoir  le  nombre  des  bes- 
tiaux, car  en  faisant  mes  chevauchées  j'ay  remarqué  que  la  demande  que  j'en 
faisois  estonnoit  les  paisans  qui  croioient  que  S.  M.  ne  désiroit  ce  destail  que 
pour  faire  taxer  plus  considérablement  les  lieux  qui  en  auroienl  le  plus  grand 
nombre  »  (M.  C.  140,  fol.  63). 

4.  Voir  ci-dessous,  p.  141. 

5.  Un  département  d'intendant,  c'est-à-dire  une  généralité  :  on  sait  que  les 
intendants  avaient  le  titre  de  «  commissaires  départis  ».  A  la  fin  du  xvm*  siècle 
surtout,  le  mot  fut  très  couramment  employé  en  ce  sens. 

6.  B.  N.  fr.  7771,  fol.  176,  verso. 

7.  Dans  sa  grande  instruction  de  mars  1664,  Golbert  écrit  :  «  Pour  ce  qui  con- 
cerne la  taille,  il  est  nécessaire  de  s'informer  par  le  moyen  des  commissions... 
combien  il  a  été  imposé  les  dix  dernières  années,  affin  de  connoistre  clairement 
les  augmentations  ou  diminutions  faites  par  le  roy  »  (Aff.  Étr.,  France,  Mémoires 
et  documents,  1753,  fol.  12). 

8.  Mémoire  de  Richer  d'Aube,  B.  N.  fr.  21812,  p.  49. 


LES    AVIS    SUR    LE    BREVET.  87 

J'ai  calculé,  en  partant  des  sommes  globales  imposées  sur  les 
élections1,  la  part  de  chacune  d'elles  en  centièmes  dans  sa  géné- 
ralité, pendant  les  quatre  années  1661,  1663,  1672  et  1681\ 

1661  1663  1672  1681 

Généralité  de  Rouen.  —  —  —  — 

Andelys  (les) 5,75  p.  100. 

Arques 11,97  — 

Caudebec 11,80  — 

Chaumont  et  Magny.  4,72  — 

Evreux 6,48  — 

Gisors 7,12  — 

Lyons 3,59  — 

Montivilliers 8,83  — 

Neufchâtel 4,58  — 

Pont-Audemer.    .    .    .  11,65  — 

Pont -de-1' Arche  .    .    .  4,79  — 

Pont-1'Evêque ....  6,05  — 

Rouen 12,66  — 

Généralité  de  Caen  3. 

Avranches 8,68  — 

Bayeux 11,71  — 

Caen 10,03  — 

Carentan 8,11  — 

Goutances.    .....  12,90  — 

Mortain 10,07  — 

Saint-Lô 9,46  — 

Valognes 13,50  — 

Vire  et  Confié  ....  15,51  — 

Généralité  d'Alençon. 

Alençon  4 12,56  — 

Argentan 9,69  — 

Bernay 7,40 

Conches 11,01  — 

Domfront 6,73  — 

Falaise 12,37  — 

Lisieux 8,56  — 

Mortagne 23,95  — 

Verneuil 7,76  — 

La  quote-part  d'une  élection  a  donc  varié  notablement  d'une 
année  à  l'autre  :  Neufchâtel  paye  4,5  p.  100  en  1661,  et  5,8  vingt 
ans  après;  Rouen  voit  au  contraire  tomber  son  taux  d'année  en 
année,  passant  de  12,66  à  10,08;  Vire  augmente  régulièrement 
de  15,5  à  17,7,  Lisieux  de  8,5  à  9,4.  Il  n'est  pas  une  circonscri- 
ption qui  ait  conservé  sa  part,  même  sous  Colbert,  de  1663  à 
1681.  En  général,  les  variations  ont  été  plus  grandes  dans  la 

1.  Je  prends  l'année  1681,  et  non  1683,  comme  au  chapitre  précédent,  parce 
que  je  n'ai  pu  trouver  les  trois  commissions  de  l'année  1G83. 

2.  Voir  les  tableaux  de  l'appendice.  J'utilise  les  chiffres  définitivement  arrêtés 
par  les  commissions,  et  non  ceux  des  avis  des  intendants,  parce  que  les  seconds 
sont  perdus  pour  la  plupart;  mais  noi.s  savons  que,  sauf  exception,  l'avis  des 
intendants  était  toujours  adopté. 

3.  Les  grands  écarts  de  pourcentage,  dans  la  généralité,  entre  1661  et  les 
autres  années,  sont  dus  en  partie  à  la  suppression  de  l'élection  de  Saint-Lô. 

4.  Dans  cette  élection,  le  grand  écart  de  pourcentage  entre  1661  et  1663,  d'une 
part,  1672  et  1681,  d'autre  part,  est  dû  à  l'affranchissement  de  la  ville  d'Alençon 
en  1664  (ci-dessous,  çh.  v).  _ 


5,63  p 

.  100. 

5,81  p 

.  100. 

6,14  p 

.  100. 

12.81 

— 

12,20 

— 

12,74 

— 

11,69 

— 

10,66 

— 

9,89 

— 

4,85 

— 

4,82 

— 

5,57 

— 

6,05 

— 

6,48 

— 

6,53 

— 

7,36 

— 

7,37 

— 

7,07 

— 

3,92 

— 

4,07 

— 

3,63 

— 

8,41 

— 

8,66 

— 

7,97 

— 

5,15 

— 

5,87 

— 

5,88 

— 

11,49 

— 

11,89 

— 

11,35 

— 

5,30 

— 

5,36 

— 

5,04 

— 

6,61 

— 

6,61 

— 

7,59 

— 

10,68 

— 

10,18 

— 

10,08 

— 

8,65 

8,81 

8,71 

13,50 

— 

14,09 

— 

13,56 

— 

10,98 

— 

9,33 

— 

9,27 

— 

9,43 

— 

9,64 

— 

9,94 

— 

15,30 

— 

15,33 

— 

15,94 

— 

10,38 

— 

11,16 

— 

10,55 

— 

15,25 



14,47 



14,31 



16,48 

— 

17,14 

— 

17,74 

— 

12,36 

8,39 

8,43 

9,41 

— 

10,18 

— 

11,51 

— 

8,04 

— 

8,56 

— 

9,48 

— 

10,75 

— 

11,66 

— 

11,05 

— 

6,79 

— 

7,01 

— 

6,55 

— 

12,32 

— 

12,97 

— 

13,58 

— 

•8,31 

— 

8,83 

— 

9,46 

— 

24,43 

— 

2't,61 

— 

22,26 

— 

7,60 

— 

7,77 

— 

7,64 

— 

88  LA    TAILLE    EN     NOIlMAMiII.. 


rnéralité    de    Rouen    que  dans   les  deux    autres;   l'incertitude 
es  intendants    dans    la  répartition    résultait   de   l'absence   de 
base  pour  calculer  l'impôt1. 


V.  —  LES  IMPOSITIONS  DES  VILLES 

Dans  leurs  avis,  les  trésoriers  généraux  et  l'intendant  doivent 
spécialement  s'occuper  des  impositions  des  villes. 

A  l'égard  de  la  taille,  les  villes  et  les  principaux  bourgs  ont 
une  condition  privilégiée.  On  peut  les  ranger  à  cet  égard  en 
trois  catégories  : 

1°  Les  villes  franches. 

2°  Les  villes  abonnées. 

3°  Les  villes  purement  taillables. 

Les  villes  franches  sont  exemptes  de  taille;  nous  examine- 
rons la  condition  de  leurs  habitants  au  chapitre  des  exempts2. 

Les  villes  abonnées  sont  celles  dont  la  taille  est  fixée  à  une 
somme  invariable,  quel  que  soit  le  chiffre  de  la  généralité. 

Un  grand  nombre  d'abonnements  avaient  été  vendus  aux  villes 
au  temps  de  Louis  XIII;  mais  l'édit  de  janvier  1634,  article 
premier,  en  même  temps  qu'il  révoquait  les  anoblissements  et 
exemptions  de  taille  accordés  depuis  vingt  ans,  annulait  «  tous 
abonnemens  obtenus  par  aucunes  villes  bourgs  et  villages, 
pour  quelque  cause  et  occasion  que  ce  soit  »,  ordonnant  que  les 
villes  antérieurement  abonnées  fussent  imposées  «  selon  leur 
pouvoir  et  puissance  ainsi  que  les  autres  villes  et  bourgs  tail- 

1.  Le  calcul  des  moyennes  d'imposition  par  feu,  dans  chaque  élection,  pourrait 
donner  des  renseignements  intéressants;  mais  nous  n'avons  pas  assez  de  chiffres 
de  feux  pour  faire  des  comparaisons  concluantes.  Pour  la  généralité  de  Caen,  nous 
avons  une  liste  de  1668,  recueillie  par  l'abbé  de  Dangeau  (B.  N,  fr.  22613).  La 
voici,  avec  la  moyenne  d'imposition  : 

Imposition 
Élections.  Feux.  moyenne. 

Caen 13  211  12',17- 

Bayeux 15  953  15,10 

Vire 21987  13,14 

Carentan 11666  15,3 

Coutances 20  789  13  ,2 

Valognes 20  952  12,8 

Avranches 15  900  9,15 

Mortain 14  945  12,19 

135  403 

2.  Les  villes  franches  de  la  généralité  de  Rouen  sont  :  Dieppe,  le  Havre,  Rouen 
et  Yvetot.  Quillebeuf  a  été  déclarée  franche  par  l'article  premier  de  l'édit  de 
janvier  1C34,  mais  elle  est  imposée  chaque  année  à  une  somme  variable  au  titre 
de  la  subsistance  des  troupes.  Dans  la  généralité  de  Caen  sont  franches  les  villes 
de  Cherbourg,  Granville  et  le  Mont  Saint-Michel.  Alençon  seule  de  sa  généralité 
est  franche  à  partir  de  1665,  date  à  laquelle  les  revenus  de  son  tarif  sont  annexés 
à  la  ferme  des  aides. 


LES    IMPOSITIONS    DES    VILLES.  89 

labiés  ».  Postérieurement  à  cet  édit,  le  trafic  des  abonnements 
avait  repris,  mais  en  1661,  il  ne  restait  qu'une  seule  ville 
abonnée  en  Normandie  :  Eu,  imposée  à  7  000  1.  Elle  conserva 
son  privilège  jusqu'en  1672;  à  partir  de  cette  date  elle  fut  sou- 
mise à  la  condition  des  villes  purement  taillables.  En  1664, 
un  abonnement  fut  concédé  à  la  ville  de  Caen,  le  montant  en 
était  fixé  à  28  000  l.1. 

Les  abonnements,  écrit  de  Merville,  «  s'accordent  par  le  roy 
seul  et  s'expédient  par  letres  patentes  au  grand  sceau  pour  être 
ensuite  registrées  dans  les  Chambres  des  comptes,  à  la  Cour 
des  aydes  et  partout  ailleurs  ou  sera  besoin  chacun  en  droit 
soy  ;  de  manière  qu'une  province,  ville,  bourg  ou  village  étant  une 
fois  abonné  avec  les  formalités  requises  et  nécessaires,  moyen- 
nant certaine  somme  une  fois  payée  ou  à  payer  par  chacun  an, 
il  ne  peut  plus  être  augmenté  ni  diminué  2.  » 

La  concession  d'un  abonnement  était  un  véritable  privilège; 
aussi  n'était-elle  faite  que  pour  des  motifs  graves,  et  la  révo- 
quer équivalait  à  une  punition.  Sens  avait  été  abonné  à 
1  300  1.  par  ledit  de  janvier  1625  «  pour  aucunement  récom- 
penser lesdits  supplians  des  dommages  et  préjudices  qu'ils 
reçoivent  par  l'érection  de  l'évêché  de  Paris  en  archevêché  et 
distraction  des  évêchés  d'Orléans,  Chartres  et  Meaux  dudit 
archevêché  de  Sens,  dont  la  ville  de  Paris  est  d'autant  honorée 
et  enrichie3  ».  Lorsque  la  ville  de  Sarlat  avait  abandonné  le 
parti  de  Condé  pour  celui  du  roi,  en  1652,  Mazarin  lui  avait 
fait  accorder  en  récompense  un  abonnement  de  300  1. 4.  Colbert 
fait  abonner  les  34  paroisses  du  gouvernement  de  Brouage  parce 
qu'elles  consentent  à  fournir  beaucoup  de  matelots  au  roi,  et  il 
écrit  que  si  certaines  n'en  fournissent  pas  on  leur  retirera  «  la 
grâce  dont  elles  jouissent5.  »  L'intendant  Voysin  raconte  dans 
son  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen  en  1665,  comment  la 
ville  de  Pont-Audemer  avait  obtenu  en  1635  un  abonnement 
à  8  000  1.  en  qualité  de  ville  maritime  :  «  on  la  fit  déclarer  telle 
par  les  soins  de  M.  de  Blérancourt  sous  prétexte  d'un  vaisseau 
que  l'on  y  fit  venir  par  la  rivière  de  Rille  à  force  de  cordages 
et  de  chevaux,  le  reflux  de  la  mer  n'y  venant  pas6  ».  Lorsque 
l'abonnement  fut  révoqué,  en  novembre  1640 7,  elle  fut  imposée 
jusqu'à  20  et  25  000  1.;  pendant  toute  la  période  1661  à  1683, 

1.  La  ville  de  Honfleur,  dont  l'abonnement  avait  été  révoqué  en  1640,  sera  de 
nouveau  abonnée  à  25  000  1.  pendant  15  ans,  en  vertu  de  l'arrêt  du  Conseil  du 
27  déc.  1684  (Bréard,  Les  archives  de  la  ville  de  Honfleur,  p.  44  et  152). 

2.  Maximes  générales  sur  les  tailles,  1725,  p.  2. 

3.  Recueil  des  privilèges  de  la  ville  de  Seno,  Sens,  1788,  in-4",  p.  30. 

4.  Arrêt  du  conseil  du  15  fév.  1C52  :  Boysson,  dans  la  Bévue  des  Quest.  Hist., 
janvier  1909. 

5.  Clém.  III  2,  p.  98  et  373  :  instructions  à  Seignelay,  1672. 

6.  Mémoire  de  Voysin  sur  la  généralité  de  Rouen  en  1665,  p.  147. 

7.  Edit  de  novembre  1640  rappelant  l'art.  1  de  janvier  1634  qui  n'était  pas  exé- 
cuté, dans  C.  d.  T.,  I,  365. 


90  LA    TAILLE     I  \     NON  M  AN  1)1  !'. 

elle  paya  des  sommes  variant  de  17  000  à  31  000  1.  '.  Ces  chiffres 
font  assez  voir  1  (tendue  de  La  faveur  qu'elle  avait  reçue.  On 
fera  pareille  constatation  pour  la  ville  de  Cacn  en  comparant 
le  chiffre  de  son  abonnement,  28  000  1.,  avec  ce  quelle  payait 
auparavant  :  72000  1.  en  1601,  07  000  en  1663;  aussi  lorsque 
le  roi  fit  payer  à  la  ville  en  1674  un  «  don  gratuit  »  de  50  000  1. 
en  raison  de  la  guerre,  les  habitants  se  gardèrent-ils  de  pro- 
tester2. 

Très  souvent  les  villes  sollicitèrent  des  abonnements  comme 
des  faveurs  particulières  :  en  1664  le  maire  et  les  habitants 
d'Auxerre  en  demandent  un  pour  leur  ville  afin  de  pouvoir  y 
attirer  des  ouvriers  et  établir  des  manufactures3;  la  même  année, 
la  ville  de  Fécamp  en  sollicite  un  semblable  pour  encourager 
son  commerce  :  elle  «  prétend,  dit  le  chevalier  de  Clerville,  le 
demander  avec  d'autant  plus  de  justice  qu'estant  un  port  assés 
considérable,  il  peut  aussy  considérablement  servir  au  com- 
merce, et  qu'il  importe  au  roy  qu'il  soit  pour  cela  fort  en 
monde,  comme  aussy  pour  la  conservation  du  dict  port  et  pour 
la  deffense  des  costes  qui  en  sont  voisines  »A.  En  1687  les 
habitants  d'Evreux  font  faire  des  démarches  par  leur  évêque  et 
p#ar  le  duc  de  Bouillon  à  la  même  fin  5.  Vers  le  même  temps,  les 
habitants  de  Séez  demandent  la  même  faveur  sans  l'obtenir 
et,  en  1741,  La  Martinière  écrira  à  leur  sujet  :  «  Ils  font  des 
démarches  depuis  près  de  soixante  ans  pour  [se]  faire  abonner 
à  l'égard  de  la  taille,  laquelle  fait  beaucoup  de  tort  à  leur  com- 
merce et  empêche  les  bons  ouvriers  de  s'y  établir,  car  ils  n'ont 
encore  pu  parvenir  à  obtenir  cette  grâce  quelque  juste  qu'elle 
paroisse,  ainsi  les  arts  y  languissent  et  le  peuple  n'y  est  point 
animé  au  travail  par  l'émulation0  ». 

Le  roi  accordait  difficilement  ces  abonnements,  d'abord  parce 
qu'ils  étaient  au  détriment  du  Trésor,  et  ensuite  parce  qu'ils 
étaient  une  source  de  fraudes  :  la  faible  imposition  de  la  ville 
attirait  dans   ses  murs  les  contribuables  de  la  campagne  qui, 

1.  Les  habitants  avaient  espéré  que  l'édit  de  novembre  1640  serait  rapporté, 
c'est  pourquoi  ils  avaient  demande  et  obtenu  que  leur  imposition  fût  décomposée 
en  deux  :  l'une  de  8  000  1.  montant  de  leur  abonnement,  le   reste  qualifie  d'impôt 

Sour  la  subsistance  des  gens    de   guerre.   En   1649,  lorsque  la  ville  se  rendit  au 
uc  d'Harcourt,  elle  obtint  un  arrêt  du  conseil  qui  l'abonnait  à  12  000  1.,  mais  cet 
arrêt  ne  fut  exécute  que  pendant  un  an.  (Mémoire  de  Voysin.) 

2.  A.  D.  S.  Inf.  B  90,  f°  30,  cf.  l'arrêt  du  conseil  du  16  juin  1674. 

En  1684  le  roi  essaya  d'enlever  à  la  ville  son  'privilège  par  un  subterfuge;  les 
commissions  de  celte  année  portèrent  que  l'impôt  de  Caen  serait  diminué 
à  proportion  de  l'impôt  total  de  la  généralité,  c'était  en  apparence  une  augmen- 
tation de  faveur  pour  la  ville,  mais  les  habitants  comprirent  que  s'ils  laissaient 
diminuer  leur  taille  une  année  ils  autorisaient  par  là  même  un  accroissement  une 
autre  année,  et  par  là  voyaient  disparaître  leur  privilège  ;  ils  demandèrent  donc 
au  conseil  le  retrait  de  la  faveur  qu'on  leur  accordait  et  l'obtinrent,  l'intendant 
joignant  ses  instances  aux  leurs. 

3.  L.  à  Golbert  du  l«r  juillet  1664,  M.  C.  122,  f°   80. 

4.  Mémoire  de  Voysin,  appendice,  p.  196. 

5.  De  Boislisle,  Correspondance,  t.  I,  n"  141. 

6.  Dictionnaire,  art.  SÉEZ. 


LES    IMPOSITIONS    DES    VILLES. 


91 


n'étant    plus    taxés    dans   leur   paroisse   d'origine,    faisaient  en 
définitive  perdre  au  roi  le  montant  de  leur  cote  !. 

Les  villes  purement  taillables  sont  dans  les  mêmes  conditions 
que  les  paroisses  de  la  campagne  :  leur  taille  varie  chaque 
année.  Mais  elles  ont  le  privilège  d'être  imposées  directement 
par  le  Conseil  du  roi  et  non  pas  par  la  commission  de  dépar- 
tement. Habituellement  leur  impôt  est  fixé  dans  les  commissions 
des  tailles  ;  par  exception  il  est  fixé  par  un  arrêt  du  conseil  séparé 2. 

Cette  fixation  était  très  recherchée  par  les  villes;  ainsi  Pon- 
toise  l'avait  obtenue  en  1655  en  faisant  valoir  sa  situation  parti- 
culière, prise  comme  elle  était  entre  les  ressorts  de  Paris  et  de 
Rouen;  les  habitants  avaient  acquis  la  protection  de  Séguier, 
par  l'intermédiaire  de  sa  sœur,  prieure  des  Carmélites  du  lieu, 
et  dans  l'arrêt  de  concession,  le  roi  déclarait  nettement  sa 
volonté  de  les  «  rédimer  de  l'oppression  que  leur  faisoit  souffrir 
les  trésoriers  de  France  à  Rouen  et  les  esleuz  de  Gisors  » 3. 
Une  fois  en  possession  du  privilège,  les  habitants  purent 
s'adresser  directement  au  roi  pour  se  faire  dégrever;  ainsi  en 
1658,  ils  obtinrent  une  réduction  en  invoquant  la  diminution 
de  leur  nombre  par  la  mortalité,  par  l'exode  des  taillables 
dans  le  faubourg  de  l'Aumône  situé  dans  l'élection  de  Paris  *, 
et  par  la  multiplication  des  exempts5. 

Malgré  la  modération  des  cotes  ainsi  fixées,  le  roi  y  trouvait 
son  compte,  car  il  empêchait  l'effet  des  protections  que  les  per- 
sonnages influents  de  la  ville  auraient  pu  trouver  auprès  des 
intendants  et  des  élus  :  c'est  pourquoi  toutes  les  villes  sièges 
d'élections  étaient  soumises  à  ce  régime. 

L'état  des  villes  imposées  directement  par  le  Conseil  fut  dressé 
en  1663  h  la  suite  d'une  enquête  de  Colbert  auprès  des  Bureaux 
des  finances  par  circulaire  du  21  février6.  En  voici  la  partie 
relative  à  la  Normandie  : 

Généralité  de  Rouen  :   Le   Grand  Andely,   Le  Petit  Andely, 

1.  Sur  ce  point,  voir  ci-dessous,  chap.  v. 

2.  Le  cas  se  présenta  dans  la  généralité  d'Alençon  de  1661  à  1669,  dans  la  géné- 
ralité de  Gaen  en  1662,  dans  celle  de  Rouen  en  1661  et  62;  il  est  probable  que  des 
motifs  exceptionnels  expliquaient  cette  mesure;  on  l'abandonna  dans  la  suite. 

3.  Voir  l'arrêt  B.  N.  fr  18  511,  f"  20.  Sur  la  protection  de  la  mère  Jeanne,  voir 
Kerviler,  Le  chancelier  Pierre  Séguier,  2°  éd.,  p.  177,  et  une  de  ses  lettres  de 
novembre  1643  dans  Bonnemère,  La  France  sous  Louis  XIV,  I,  p.  319. 

4.  Ce  faubourg1  sera  rattaché  à  la  ville  par  déclaration  du  27  janvier  1663  (B. 
N.  fr.  11  048,  f°  65  v°.) 

5.  Us  ajoutent  que  la  récolte  de  l'année  a  été  mauvaise,  l'inondation  a  détruit 
une  partie  du  pont;  les  collecteurs,  que  l'on  a  eu  grand'peine  à  trouver,  «  menacent 
d'abandonner  la  collecte  pour  la  misère  et  pauvreté  des  babitans  qui  leur  est 
très  connue  ».  B.  N.  fr.  18  511,  f08  20-21. 

6.  Plumitif  du  Bureau  des  finances  de  Gaen  à  la  date  du  26  février  1663.  Le 
Bureau  répond  le  28  :  cf.  son  état,  A.  D.  Galv.  Election  de  Caen,  registre  de 
commissions  f°  265,  et  les  réponses  d'autres  Bureaux  des  finances  dans  les  vol.  115 
et  116  des  M.  C.  On  voit  dans  la  circulaire  que  le  gouvernement  ignorait  quelles 
villes  étaient  imposées,  et  quelles  sommes  elles  payaient. 


92  LA    TAILLE    KN     NO  II  MANDIE. 

Arques,  Aumalc,  Caudebec,  Chaumont,  Eu  (à  partir  de  1672), 
Evreux,  Gisors,  Gournay,  Harfleur,  Honfleur,  Louviers,  Lyons, 
Magny,  Monti\  illiers,  Neufchàtel,  Pont-Audemer,  Pont-de- 
l'Arche,  Pont-1'Evèque,  Pontoise  (ville,  et,  à  partir  de  1664 
faubourg  de  l'Aumône)1,  Quillebeuf  et  Vernon. 

Généralité  de  Caen  :  Alleaume  (jusqu'en  1678)*,  Avranches, 
Baycux,  Caen  (jusqu'en  1663)',  Carentan,  y  compris  les  fau- 
bourgs de  Beaumont,  Longueval,  Pontmenanque  et  Pont- 
douvre.  Les  faubourgs  de  Cherbourg  (jusqu'en  1663),  Isigny 
(à  partir  de  1667),  Mortain  (y  compris  le  faubourg  du  Rocher), 
Pontorson,  Saint-Lô,  Saint  Sauveur-le- Vicomte  (à  partir  de 
1667),  Thorigny  (Notre-Dame)  et  Thorigny  (Saint-Laurent), 
Valognes,  Vire  avec  ses  faubourgs  dans  lesquels  rentre  la  rue 
du  Pont,  distraite  de  la  paroisse  de  Talvande  par  arrêt  du 
Conseil  du  23  mars  1658. 

Généralité  d'Alençon  :  Argentan,  y  compris  les  faubourgs 
de  Manneville  et  Colandon,  Bellême,  Bernay,  Châteauneuf-en- 
Thimerais,  Conches,  Domfront,  Falaise,  Laigle,  Lisieux,  Mor- 
tagne,  Moulins,  Nogent-le-Rotrou,  Séez,  Verneuil. 

En  dehors  de  ces  villes  qui  chaque  année  furent  taxées  par  le 
Conseil,  il  y  eut  des  paroisses  qui,  accidentellement,  obtinrent  la 
même  faveur;  c'était  lorsque  le  roi  avait  eu  à  intervenir  dans 
leurs  finances  pour  un  motif  quelconque,  par  exemple  pour 
éteindre  leur  dette,  pour  réparer  le  dommage  d'un  incendie  ou 
d'un  passage  de  troupes,  ou  pour  éviter  la  protection  d'un  puis- 
sant personnage.  Ainsi  les  commissions  de  la  généralité  d'Alençon 
pour  la  taille  de  1678  fixent  l'imposition  des  paroisses  de  Saint- 
Pierre- sur-Dive  (5  000  1.),  la  Ferté-Macé  (7  000  IX  et  Cham- 
prond-en-Perchet  (1  100  1.)  et  même  pour  celle-ci  il  est  spécifié 
que  «  le  fermier  de  la  ferme  des  Prez  portera  100  l.4».  Les 
commissions  de  1679  imposent  Saint-Pierre-sur-Dive  à  4  2001. 
et  la  Ferté-Macé  à  6500,  etc. 

Pour  imposer  ces  villes  en  connaissance  de  cause,  le  Conseil 
était  obligé  de  consulter  ses  agents  locaux;  c'est  pourquoi  les 
trésoriers  généraux  et  l'intendant  devaient  dans  leur  avis  sur  le 
brevet  indiquer  la  somme  à  leur  attribuer. 

Ce  mode  de  taxation  n'avait  pas  les  mêmes  conséquences 
fâcheuses  pour  le  fisc  que  l'abonnement  ou  la  franchise;  si  des 


1.  Une  déclaration  du  27  janvier  1663  avait  enlevé  ce  faubourg  ù  la  généralité 
de  Paris  pour  le  rattacher  à  la  ville  de  Pontoise,  c'est-à-dire  à  la  généralité  de 
Rouen,  mais  il  continua  a  être  imposé  séparément.  En  échange  la  généralité  de 
Paris  recevait  la  paroisse  de  Courdimanche.  (B.  N.  fr.  11  0'i8,  P  60  v°). 

2.  Alleaume  est  un  faubourg  de  Valognes;  après  1678,  son  imposition  est 
confondue  avec  celle  de  la  ville. 

3.  Après  1663,  Caen  fut  abonnée  (voir  ci-dessus,  p.  89),  mais  le  chiffre  de  son 
abonnement  figurait  toujours  sur  les  commissions. 

4.  M.  C.  238,  f>  38. 


LES    IMPOSITIONS    DES    VILLES.  93 

habitants  nouveaux  venaient  y  demeurer  il  était  possible  d'aug- 
menter l'impôt  à  proportion,  et  dans  le  cas  contraire  de  le 
diminuer.  Toutefois  une  perturbation  se  produisit  lors  de  la 
révocation  du  changement  d'octroi1  en  1671  :  plusieurs  habitants 
quittaient  des  villes  pour  aller  en  d'autres  dans  le  seul  but 
d'être  diminués  à  la  taille  et,  au  dire  de  l'intendant  de  Caen.  les 
taux  de  ces  villes  ne  pouvaient  être  modifiés  à  temps  «  à  cause 
qu'elles  sont  taxées  par  les  commissions  »  ;  c'est  pourquoi  un 
arrêt  du  conseil  en  1677  autorisa  les  intendants  à  modifier  l'im- 
position de  ces  villes  suivant  qu'ils  le  jugeraient  à  propos  en 
faisant  les  départements  2. 

Il  semble  aussi  que  les  villes  aient  été  plus  mal  imposées 
que  les  paroisses  de  la  campagne;  leur  étendue  empêchait  de 
connaître  exactement  l'augmentation  ou  la  diminution  du  nombre 
des  feux;  les  revenus  des  bourgeois,  provenant  de  biens  mobi- 
liers ou  de  terres  affermées  à  la  campagne,  étaient  plus  difficiles 
à  connaître  ;  l'avis  était  rédigé  et  l'imposition  fixée  avant  que  les 
délogements  fussent  enregistrés;  enfin  le  Conseil  ne  voulait  pas 
toujours  suivre  l'avis  de  l'intendant3.  Le  25  juin  1684,  l'inten- 
dant de  Caen  écrit  que  pour  l'imposition  de  la  ville  de  Mortain 
on  n'a  «  pas  diminué  les  sortans  qui  ont  esté  en  grand  nombre 
les  deux  dernières  années;  il  sera  juste,  ajoute-t-il,  d'y  remédier 
au  département  prochain4  ». 

En  dehors  des  sommes  portées  par  les  commissions,  aucune 
levée  ne  pouvait  être  faite  sur  les  contribuables5;  depuis  très 
longtemps  les  ordonnances  l'avaient  établi,  et  la  peine  de  mort 
était  encourue  par  les  contrevenants;  les  commissions  rappe- 
laient parfois  la  loi,  ainsi  celles  de  1661  portent  la  défense 
«  d'imposer  ny  souffrir  qu'il  soit  imposé  sur  lesdits  contri- 
buables de  ladite  généralité  autres  ny  plus  grandes  sommes  que 
celles  contenues  en  cesdites  présentes  durant  ladite  année  pro- 
chaine   1661,   à  peine   de  la   vie Et  en   cas   que  nonobstant 

lesdites  deffences  il  soit  imposé  autre  somme  que  celles  conte- 
nues en  cesdites  présentes,  voulons  que  le  fonds  en  soit  porté 

1.  Sur  le  «  changement  d'octroi  »,  voir  ci-dessous,  chap.  vi. 

2.  Reproduit  dans  les  commissions  des  tailles  pour  la  levée  de  l'impôt  en  1678 
et  dans  le  mandement  de  l'intendant  de  Caen  aux  paroisses  du  9  sept.  1677.v  (A. 
D.  Calv.  Elect.  de  Caen.) 

3.  Ainsi  Golbert  réduisit  parfois  l'impôt  de  villes  qu'il  voulait  encourager  aux 
manufactures,  ou  dont  il  voulait  liquider  les  dettes  :  Vernon  vit  modérer  sa 
quote-part  à  10  000  1.  pendant  6  ans  à  partir  de  1682,  pour  y  permettre  la 
levée  d'un  droit  d'octroi  supplémentaire  destiné  au  remboursement  de  ses  dettes 
(Lettre  de  Leblanc,  28  avril  1680,  A.  N.  G?  191). 

4.  A.  N.,  G?  213. 

5.  Elle  était  défendue  même  si  un  arrêt  du  conseil  l'ordonnait  :  du  moins  en  ce 
cas.  il  fallait  un  nouvel  arrêt  your  autoriser  la  dérogation  :  V.  une  lettre  de 
Menars  à  Golbert,  6  oct.  1674,  dans  Depping,  t.  III,  p.  244.  Sur  les  inconvénients 
de  ces  impositions  ordonnées  après  les  commissions,  voir  De  Boislisle,  Corres- 
pondance, t.  I,  n°  604. 


H  LA    TAILLE    EN    NOIIMAMHE. 

en  nostre  Espargne,  sans  avoir  esgard  aux  destinations  particu- 
lières. » 

Dans  ces  impositions  défendues,  il  faut  distinguer  le  cas  où 
elles  sont  levées  par  un  particulier  pour  son  profit  personnel, 
sans  apparence  d'utilité  publique,  et  celui  où  elles  sont  levées 
par  un  agent  du  gouvernement  en  vue  d'une  dépense  d'intérêt 
commun  :  dette  municipale,  frais  imputables  à  une  élection  ou 
une  généralité,  etc. 

Le  premier  cas  s'était  rencontré  fréquemment  avant  1661. 
Suivant  Forbonnais,  Mazarin  lui-même  «  se  réservoit  des  géné- 
ralités sur  lesquelles  il  surimposoit,  par  simples  lettres  de 
cachet,  contre  les  lois  et  les  ordonnances  du  royaume,  les 
sommes  dont  il  avoit  besoin2  »  pour  alimenter  sa  caisse  noire. 
Parmi  les  «  abus  de  finance  »  que  Colbert  notait  en  1661  pour 
les  soumettre  à  la  Chambre  de  justice  se  trouvaient  les  «  impo- 
sitions faites  par  les  élus  au  delà  des  commissions  du  Roy  »,  et 
«  les  impositions  faites  sur  les  peuples  par  les  gentilshommes  3  », 
mais  la  Chambre  ne  fit  pas  d'autre  exemple  que  celui  du  rece- 
veur de  Crespy4.  Elle  rendit  un  arrêt  en  1663  pour  rechercher 
les  surimpositions;  quelques  receveurs  furent»  punis,  quelques 
malheureux  collecteurs  inquiétés,  qu'il  eût  mieux  valu  laisser 
en  repos;  l'intendant  d'Orléans  écrivait  à  ce  sujet  le  29  sep- 
tembre 1663  : 

«  11  a  esté  vérifié  dans  l'élection  de  Chartres  que  la  pluspart  des  col- 
lecteurs ont  imposé  quelsques  sommes  modiques  ou  pour  les  frais  faits 
contre  les  parroisses  faulte  de  nomination  de  collecteurs  ou  pour  des 
exécutions  faulte  de  confection  des  roolJes:  on  les  a  condamnés  à  les 
payer  trois  jours  après  la  signification  qui  en  a  esté  faicte;  ainsi  les 
prisons  seront  bientost  pleines  de  ces  pauvres  gens  ou  de  leurs  veufves, 
et  par  ce  moyen  le  recouvrement  des  deniers  du  roy  arresté.  Si  cet 
arrest  s'exécute  il  n'y  a  point  de  parroisse  dans  tous  le  royaume  qui 
n'en  ait  uzé  ainsi,  et  ces  sommes  sont  si  peu  considérables  qu'on  peut 
les  laisser  aux  collecteurs  qui  perdent  assez  d'ailleurs.  J'ai  entretenu 
M.  le  lieutenant  général  qui  est  subdélégué  ",  qui  m'a  assuré  qu'ils  ne 
passoient  pas  trente  francs  dans  les  grandes  parroisses.  Vous  jugerez 
aisément,  Monsieur,  que  les  frais  qu'il  faudra  faire  pour  ce  recouvre- 
ment excéderont  le  principal  et  que  c'est  une  pratique  qui  tombera 
entre  les  mains  des  huissiers  qui  seuls  en  auront  le  profit.  Je  ne  doute 
pas,  Monsieur,  que  vous  ne  trouviez  juste  de  faire  cesser  l'exécution 
de  Tarrest  à  l'esgard  des  collecteurs  seulement  qui  n'auront  imposé 
que  des  sommes  modiques6.  » 

1.  A.  D.  Cnlv.,  El.  de  Caen,  Commissions  des  tailles  1661-72,  f*  17-18. 

2.  Recherches  et  considérations,  t.  I,  p.  267. 

3.  Clém.  VII,  196-197.  L'idée  est  reprise  dans  la  grande  instruction  aux  inten- 
dants de  mars  1(164  (ibid.,  IV,  p.  37). 

4.  Voir  Clém.,  II,  p.  cev,  et  Bonnemère,  La  France  sous  Louis  XIV,  I,  p.  298. 

5.  C'est-à-dire  chargé  des  poursuites  par  la  Chambre  de  justice.  La  subdélé- 
gation était  normalement  employée  pour  décharger  un  juge  ou  un  tribunal  des 
fonctions  qu'il  ne  pouvait  exercer  lui-même. 

6.  M.  C.  117,  f  263. 


LES    IMPOSITIONS    DES    VILLES.  95 

Vers  1662,  clans  la  généralité  de  Rouen,  un  sieur  Roquelin, 
usurpant  le  titre  de  commissaire-élu-voyer,  avec  la  complicité 
d'un  sieur  Boudet  et  de  «  beaucoup  d'autres  »,  levait  sur  plu- 
sieurs paroisses  des  contributions  à  son  profit  sous  prétexte  de 
réparations  aux  chemins.  Il  adressait  à  chacune  un  imprimé 
intitulé  «  De  par  le  Roy  et  nos  seigneurs  les  commissaires  géné- 
raux »  enjoignant  aux  habitants  «  de  s'assembler  avec  tous  leurs 
chevaux,  charrettes,  harnois,  poelles,  piquois  et  autres  instru- 
ments pour  réparer  et  amender  les  grands  chemins  royaux  et 
autres  de  cette  généralité  a.  peine  d'amende  »  ;  il  saisissait 
journellement  sous  ce  prétexte  les  bestiaux  et  les  meubles  des 
habitants  qui  étaient  «  obligés  de  composer  avec  luy  et  luy 
payer  le  prix  convenu  entr'eux1  ».  Le  Bureau  des  finances 
informa  contre  lui,  nous  ne  savons  s'il  fut  ou  non  condamné, 
toujours  est-il  qu'en  1666  nous  le  retrouvons  dans  le  comté 
d'Eu  où,  se  disant  «  élu  de  mer  »,  il  fait  payer  6  1.  à  chaque 
paroisse  sous  prétexte  d'entretenir  le  chemin  des  chasse^marées. 
Colbert  en  est  fort  heureusement  informé,  il  ordonne  une 
enquête2,  à  la  suite  de  laquelle  un  arrêt  du  29  janvier  1666 
interdit  à  Roquelin  et  à  ses  complices  de  continuer  ces  levées 
illicites  mais  il  ne  semble  pas  qu'aucune  punition  ait  été  pro- 
noncée contre  eux3. 

En  1680,  un  sieur  Maubuisson  s'est  emparé  d'un  château  fort 
dans  la  généralité  de  Rouen  où  il  «  retirait  les  voleurs  et  faisoit 
contribuer  le  pays  »  ;  il  faut  un  ordre  du  roi  à  l'intendant  pour 
le  faire  arrêter  ;  encore  le  prévôt  de  Normandie  vient-il  demander 
à  Colbert  «  le  remboursement  des  frais  extraordinaires  »  qu'il  a 
faits  en  la  circonstance4. 

Dans  la  paroisse  de  Massy,  élection  de  Neufchâtel,  les  collec- 
teurs avec  la  complicité  des  élus  lèvent  en  sus  de  la  taille,  de 
1654  à  1663,  une  somme  de  137  1.  14  s.  8  d.  La  chose  vient 
à  la  connaissance  du  Bureau  des  finances  qui,  le  7  mars  1665, 
interdit  la  levée  à  l'avenir s. 

En  1666  les  trésoriers  généraux  vérifiant  l'état  au  vrai  de  la 
recette  des  tailles  de  l'élection  de  Caudebec,  année  1662,  con- 
statent qu'on  a  perçu  dans  l'élection  en  vertu  de  simples  arrêts 
de  la  Cour  des  aides  de  Rouen  une  somme  de  6  714  1.  en  sus  de 


1.  Information  faite  par  le  Bureau  des  Finances  de  Rouen,  le  30  août  1663,  A.  D. 
S.  Inf.,  G,  1  165,  f  179,  cf.  f°s  173,  180  et  185. 

2.  M.  C.  135,  f°  551. 

3.  A.  D.  S.  Inf.,  C.,  1  363,  pièce  20,  l'arrêt  est  daté  du  20  janvier  1665,  il  semble 
bien  que  ce  soit  une  erreur  pour  1666  :  cf.  la  lettre  indiquée  ci-dessus  de  M.  C.  135, 
f°  551. 

4.  L.  de  Leblanc  à  Colbert,  8  juillet  1680,  A.  N.  G  7  491  ;  nombreuses  autres 
exactions  et  brigandages  de  ce  genre  dans  le  reste  du  royaume  :  en  Provence  1665 
{M.  G.  131,  f°  240),  en  Lorraine  1664  (Depping.  III,  p.  25),  à  Bordeaux,.  1663  (M. 
C.  117,  f°  124),  cf.  let.  de  Colbert  à  l'intendant  de  Limoges,  8  nov.  1661,  Clém.  II, 
172,  etc. 

5.  A.  D.  S.  Inf.,  G,  1  165,  f°  54. 


86  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

la  taille  pour  payer  diverses  dépenses  locales.  Colbert  en  est 
informé,  il  prescrit  une  enquête  par  l'intendant  pour  que  le 
Conseil  décide  s'il  y  a  ou  non  lieu  à  remboursement1. 

En  1673  l'intendant  d'Alençon,  Michel  Colbert,  signale  de  ces 
levées  illicites  dans  sa  généralité  '. 

Le  28  décembre  166o  les  élus  de  Mortain  ordonnent  par  sen- 
tence la  levée  d'une  somme  de  901  1.  pour  se  payer  de  salaires 
qu'ils  se  prétendent  dus,  et  pour  rembourser  certains  de  leurs 
confrères  de  sommes  auxquelles  ils  «  avoient  esté  taxez  d'office 
à  la  descharge  des  contribuables  aux  tailles  des  parroisses  où  ils 
estoient  demeurans  en  ladite  élection  ez  années  1655  et  1657 
par  les  sieurs  intendants  et  commissaires  départis  en  cette 
généralité  »  ;  ils  en  font  eux-mêmes  la  répartition  entre  les 
paroisses  et  la  font  percevoir.  L'affaire  est  découverte  par  le 
Bureau  des  finances  lorsqu'il  examine  les  comptes  du  receveur; 
l'argent  est  repris  à  ceux  qui  l'ont  touché,  et  porté  en  décompte 
sur  la  taille  de  l'élection  en  1667  ;  en  outre  le  procureur  du 
roi  et  le  président  de  l'élection  sont  assignés  à  comparaître 
au  Bureau  pour  expliquer  leur  conduite,  mais  ils  ne  semblent 
pas  avoir  été  davantage  inquiétés3. 

En  1662,  trois  habitants  de  Saint-Lô  font  percevoir  sur  les 
ta  il  la  Mrs  de  la  ville  une  somme  de  7000  1.  qu'ils  prétendent 
leur  être  due  à  la  suite  d'un  procès  relatif  à  une  taxe  de  200  1. 
induement  faite  sur  eux.  Le  Bureau  des  finances  intervient 
encore  pour  le  leur  interdire  l. 

Dans  la  deuxième  catégorie  rentraient  les  impositions  ordon- 
nées par  les  élus,  la  Cour  des  aides,  les  intendants,  pour  recou- 
vrer des  taxes,  des  frais  de  procès,  payer  des  dépenses  d'intérêt 
général;  le  but  de  ces  surimpositions  était  légitime,  mais  la 
forme  n'en  était  pas  admise  :  ledit  de  janvier  lb34,  à  l'art.  51, 
considérant  que  «  la  plus  grande  surcharge  des  habitans  des 
paroisses  provient  des  diverses  levées  qui  se  font  sur  eux  au 
courant  de  l'année  par  assiettes  particulières,  la  plupart  des- 
quelles procèdent  de  dépens  de  surtaux  »,  réglementait  la  pro- 
cédure à  suivre  pour  diminuer  ces  dépens  et  interdisait  de  les 
lever  sur  les  paroisses  en  sus  de  la  taille.  Un  arrêt  de  1673 
permettait  aux  Cours  des  aides  d'ordonner  des  réimpositions 
pour  rejets,  frais  de  procès,  dépens,  etc.,  mais  jusqu'à  concur- 
rence de  500  1.  seulement;  par  un  autre  arrêt  de  16/7  la  somme 
fut  rabaissée  à  200  1.,  puis  à  partir  de  1678  il  fut  inscrit  dans 
les  commissions  qu'aucun  tribunal,  y  compris  les  Cours  des 
aides,   ne    pourrait   faire  une   réimposition   quelconque    sans   y 

1.  Arrêt  du  conseil  du  >\  mai  166  "•,  A.  D.  S.  Inf.,  C,  l'«63,  p.  29. 

2.  L.  du  30  janvier  1643  analysée  dans  Clairamb.  794  p.  149. 

3.  D'à  >rès  l'ordonnance  du  Bureau  des  Finances  de  Caen  du  17  février  1666,  A. 
D.  Calvados,  Bureau  des  Finances,  liasse  de  papiers  de  l'année  1666. 

4.  Ordonnance  du  16  janvier  1662,  ibil.,  liasse  de  1662. 


LES    IMPOSITIONS    DES    VILLES.  97 

être  autorisé  par  un  arrêt  du  conseil  :  nouvel  exemple  des  empié- 
tements graduels  du  pouvoir  central  sur  les  autorités  locales 
à  cette  époque. 

Maintes  fois  le  Conseil  eut  à  intervenir  pour  défendre  ces 
impositions  supplémentaires  :  le  6  mai  1666,  il  casse  des 
arrêts  de  la  Cour  des  aides  de  Rouen  qui,  en  1662,  ont  ordonné 
sans  permission  la  levée  dans  l'élection  de  Caudebec  de  deux 
sommes  :  l'une  de  4  630  1.  «  pour  remboursement  d'estapes 
de  1649  à  1650  aux  habitans  de  la  paroisse  d'Hocqueville  et 
soubs  d'autres  prétextes  »  ;  la  seconde  de  1  084  1.  «  pour  un 
rejet  de  surtaux  et  frais  au  proffit  d'un  particulier  »;  le  rece- 
veur devra  se  faire  rendre  les  sommes  ainsi  perçues,  et  l'inten- 
dant fera  un  rapport  au  Conseil  pour  savoir  comment  les  con- 
tribuables en  seront  remboursés2.  Dès  1663  Colbert  ordonnait 
à  l'intendant  de  Tours  de  ne  pas  laisser  mettre  d'imposition 
extraordinaire  sans  arrêt  du  Conseil  :  «  Il  sera  bon  que  vous 
me  donniez  précisément  avis  de  toutes  les  impositions  extraor- 
dinaires qui  se  feront  dans  vostre  généralité,  afin  que,  sur  ce 
que  je  vous  feray  scavoir,  vous  ne  procédiez  qu'à  celles  que 
S.  M.  aura  ordonnées1  ».  Le  13  mai  1682,  il  écrit  à  l'intendant 
de  Soissons  : 

«  Sur  le  sujet  des  impositions  qui  sont  faites  sur  les  communautés 
taillables  de  la  généralité  de  Soissons,  non  comprises  dans  les  com- 
missions qui  vous  sont  envoyées  tous  les  ans,  je  dois  vous  dire  que 
vous  n'en  devez  souffrir  aucune  sans  un  arrest  du  conseil  qui  For- 
donne,  et  ce  pour  quelque  cause  ou  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit, 
n'y  ayant  rien  qui  soit  plus  important  que  de  restreindre  la  liberté 
que  les  communautés,  les  élus  et  la  Cour  des  aides  ont  prise  d'or- 
donner ces  impositions  3.  » 

En  1683,  comme  l'intendant  de  Dauphiné  lui  demandait  un 
arrêt  pour  imposer  extraordinairement  quelques  communautés 
de  la  province,  il  lui  répondit  :  «  Je  dois  vous  dire  que  cet  arrest 
est  contraire  aux  réglemens  et  ordonnances  du  royaume  en  ce 
qu'il  permet  des  régalemens  et  des  impositions  sans  lettre  du 
roy;  j'ay  de  la  peine  à  croire  que  S.  M.  veuille  autoriser  un 
usage  de  cette  nature  par  un  arrest  donné  de  son  règue4.  » 

1.  L.  du  3  décembre,  Clém.  II,  242. 

2.  A.  D.  S.  Inf.,  C,  1463,  pièce  29. 

3.  Clém.  II,  185.  Colbert  n'admet  pas  que  les  villes  lèvent  de  leur  autorité 
une  imposition  sur  leurs  habitants,  même  pour  leurs  dépenses  communes  :  «  elles 
doivent  s'adresser  au  roy  »,  et  celui-ci  leur  accordera  «  quelque  imposition  sur 
le  vin  par  forme  de  droit  de  courte-pinte,  ou  sur  les  autres  denrées  qui  se  con- 
somment dans  lesdites  villes  »,  plutôt  qu'une  augmentation  de  taille. 

4.  Lettre  du  17  sept.  1683,  Clém.,  VII,  277,  note. 


TAILLE     IÎN     NORMAND!!:. 


98  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


VI.   —   LA   FORME   DES  COMMISSIONS 

Dès  qu'il  avait  reçu  les  avis  des  intendants  et  des  trésoriers 
généraux,  le  Conseil  se  préoccupait  d'arrêter  le  texte  des  com- 
missions. L'acte  se  compose  de  trois  parties'  : 

1°  Un  préambule,  analogue  à  celui  d'une  ordonnance  :  le  roi 
y  expose  les  motifs  pour  lesquels  il  lève  la  somme  indiquée. 
Ces  préambules,  très  développés  au  début  de  notre  période, 
deviennent  par  la  suite  de  plus  en  plus  brefs. 

2°  Le  détail  des  sommes  qui  devront  être  imposées  sur  les 
élections,  villes  et  paroisses. 

3°  Des  prescriptions  législatives  au  sujet  de  l'imposition  : 
tantôt  le  roi  y  rappelle  des  règlements  antérieurs,  tantôt  il  en 
fait  connaître  de  nouveaux;  ainsi  la  jurisprudence  est  périodi- 
quement remise  sous  les  yeux  des  agents  royaux  et  des  contri- 
buables2. 

Les  commissions  étaient  expédiées  par  les  bureaux  du 
Conseil  en  forme  de  lettres  patentes;  elles  étaient  écrites  sur 
parchemin  et  scellées  du  grand  sceau  de  cire  verte,  signées  du 
roi  et  contre-signées  d'un  secrétaire  d'Etat;  on  marquait  ainsi 
que  l'impôt  était  levé  par  un  acte  de  la  volonté  royale3;  elles 
légitimaient  la  levée  et  permettaient  d'interdire  toute  percep- 
tion qu'elles  ne  mentionnaient  pas  ou  qui  n'était  pas  ordonnée 
par  un  acte  équivalent. 

La  falsification  en  était  difficile  et  punie  de  peines  rigou- 
reuses; toutefois,  suivant  un  mémoire  adressé  à  Colbert  le 
5  novembre  1673,  une  lacune  subsistait  dans  la  législation  à 
cet  égard  :  les  ordonnances  ne  visaient  expressément  que  les 
notaires  pour  les  faux  actes  publics;  il  n'y  était  pas  parlé  des  fal- 
sifications commises  par  de  simples  particuliers;  il  en  résultait 
une  grande  incertitude  de  la  jurisprudence,  des  peines  très 
diverses  étaient  prononcées  suivant  les  tribunaux  et  les  cir- 
constances. La  question  avait  été  discutée  dans  le  Conseil  de  jus- 
tice mais  on  n'avait  pas  jugé  une  loi  nouvelle  nécessaire,  et  l'on 
avait  continué  à  s'en  tenir  «  à  l'ancienne  ordonnance,  à  l'usage 

1.  Voir  le  texte  d'une  commission  à  l'appendice. 

2.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  les  règlements  étaient  très  mal  connus,  et  généra- 
lement inappliqués.  L'enregistrement  dans  les  cours  et  tribunaux  était  mal  fait, 
et  les  officiers  ne  se  souciaient  pus  d'étudier  les  lois  nouvelles.  Dans  une  lettre 
à  Colbert,  le  procureur  général  du  Parlement  de  Rouen  se  plaint,  le  2*2  nov.  1667, 
de  ne  pouvoir  se  procurer  <  des  imprimés  des  nouvelles  ordonnances,  pour  les 
envoier  au  reste  des  jurisdictions  de  cette  province  »  (M.  C,  146,  f°  223).  La  per- 
pétuelle répétition  des  mêmes  ordres  était  nécessaire  pour  obtenir  l'accomplisse- 
ment d'une  réforme. 

3.  Cf.  Cl.  Fleury,  Institution  au  droit  français,  éd.  Laboulaye,  t.  I,  p.  189  : 
«  Quoique  la  taille  soit  continue,  elle  recommence  tous  les  ans,  comme  si  c'étoit 
une  nouvelle  taille  tout  à  fait  distincte  de  la  précédente  ». 


LA    FORME    DES    COMMISSIONS.  99 

et  aux  préjugez  »  ;  la  peine  des  galères  était  le  plus  communé- 
ment prononcée  contre  les  faussaires  i.  Un  édit  de  mars  1680 
combla  cette  lacune  :  «  Que  tous  ceux  qui  auront  falcifié  les 
lettres  de  notre  grande  Chancellerie,  et  de  celles  qui  sont 
établies  près  de  nos  Cours  de  Parlement,  imité,  contrefait, 
appliqué  ou  supposé  nos  grands  et  petits  sceaux,  soit  qu'ils 
soient  officiers,  ministres  ou  commis  de  nosdites  chancelleries, 
ou  non,  soient  punis  de  mort2  ». 

Les  commissions  sont  signées  par  le  roi,  à  qui  le  secrétaire 
d'État  en  quartier  les  présente3;  les  membres  du  Conseil  des 
finances  signent  également.  Elles  sont  contrôlées  au  contrôle 
général  avant  d'être  expédiées.  L'expédition  en  est  faite  par 
l'intendant  des  finances  chargé  de  la  taille4.  Pour  la  Normandie 
et  le  Dauphiné  on  n'expédie  qu'une  commission  par  généralité; 
pour  les  autres  pays  d'élections,  il  y  a  une  commission  par 
élection8.  Jusque  vers  1666,  l'intendant  et  le  Bureau  des 
finances  reçoivent  séparément  chacun  un  exemplaire  des  com- 
missions; ensuite,  l'intendant  les  reçoit  tous  deux  et  se  charge 
de  remettre  au  Bureau  celui  qui  le  concerne.  Le  paquet  com- 
prend en  outre 6  : 

1°  Une  lettre  de  cachet  du  roi  adressée  aux  trésoriers  géné- 
raux dans  laquelle  il  leur  est  enjoint  d'expédier  leurs  attaches 
sans  retard  ;  voici  par  exemple  celle  de  1671  : 

«  Nos  amez  et  féaux,  nous  vous  adressons  nos  commissions  pour 
l'imposition  des  deniers  de  nos  tailles  de  l'année  prochaine  1672  afin 
d'expédier  vos  attaches  sur  icelles  incontinent  après  que  vous  les 
aurez  receues,  et  deslivreres  le  tout  au  sieur  commissaire  departy  pour 
l'exécution  de  nos  ordres  en  vostre  généralité,  à  quoy  nous  vous 
ordonnons  de  satisfaire  sans  perdre  de  temps  à  peine  de  nous  en 
respondre,  car  tel  est  nostre  plaisir.  Donné  à  Versailles  le  douziesme 
jour  de  septembre  1671 7.  » 

1.  M.  C.  166,  f°  270.  Le  mémoire  n'est  pas  signé,  il  semble  être  de  l'écriture  de 
Berryer. 

2.  C.  d.  T.  II,  146-147. 

3.  Billet  de  Lavrillière  à  Colbert,  23  août  1673  :  «  Je  vous  renvoie  vostre  cour- 
rier avec  les  expéditions  des  tailles  signées  du  roy  ».  (M.  C.  165b"  f°  417).  Ce  qui 
n'implique  pas  nécessairement  que  la  signature  était  autographe. 

4.  Cl.  de  Beaune,  Traité  de  la  Chambre  des  comptes,  liv.  I,  p.  215. 

5.  Il  semble  que  ce  soit  là  un  reste  du  temps  où  fonctionnaient  les  états  de 
la  province  :  le  môme  usage  était  encore  suivi  pour  la  Bretagne,  le  Languedoc 
et  la  Provence. 

6.  Il  ne  s'agit  ici,  bien  entendu,  que  de  la  Normandie.  L'usage  n'était  pas  uni- 
forme dans  toutes  les  généralités.  En  1674,  d'après  une  note  rédigée  dans  le» 
bureaux  du  Contrôle  général  (Clairamb.,  647,  f°  258),  les  commissions  et  pièces 
annexes  sont  envoyées  aux  trésoriers  de  France  seuls  dans  la  généralité  de 
Paris;  à  l'intendant  seul  dans  les  généralités  d'Orléans,  Tours,  Bourges,  Moulins, 
Limoges,  Poitiers,  Riom,  Bordeaux  et  Montauban  ;  à  l'intendant  et  à  un  trésorier 
de  France  nommément  désigné  dans  les  généralités  de  Soissons,  Amiens  et  Cha- 
lons  ;  à  l'intendant  et  à  deux  trésoriers  de  France  non  désignés,  en  Normandie 
et  dans  les  généralités  de  Lyon  et  de  Grenoble. 

7.  A.  D.,  Calv.,  reg.  de  commissions  des  tailles  1681-72,  f°  711. 


100  LA    TAILLE    EN     NOHMANDIE. 

2°  Une  missive  de  l'intendant  des  finances  chargé  des  tailles 
où  il  invite  également  le  Bureau  à  expédier  ses  attaches;  il  y 
joint  toutes  les  instructions  particulières  qu'il  peut  avoir  à 
donner  aux  trésoriers. 

3°  Des  instructions  de  Colbert  à  l'intendant  et  quelquefois 
aussi  aux  trésoriers  généraux  !. 

4°  Une  ou  deux  lettres  de  cachet  avec  le  nom  en  blanc 
adressées  à  un  trésorier  de  France  pour  qu'il  assiste  l'intendant 
dans  les  départements2. 

L'intendant  au  reçu  du  paquet  le  fait  porter  par  son  secré- 
taire au  greffe  du  Bureau  des  finances  :  le  Bureau  l'ouvre  en 
séance  et  expédîe  aussitôt  ses  attaches*. 

L'attache  du  Bureau  consiste  dans  un  mandement  adressé  par 
les  trésoriers  aux  élus  de  leur  ressort  pour  les  informer  de  la 
somme  imposée  sur  leur  circonscription,  et  leur  ordonner  de 
la  répartir  entre  les  paroisses.  Accessoirement,  le  Bureau  y  joint 
toutes  les  instructions  qu'il  juge  à  propos;  voici  à  titre  d'exemple 
l'attache  du  Bureau  de  Caen  pour  1661  : 

«  Les  présidens  et  trésoriers  généraux  de  France  au  Bureau  des 
finances  et  grands  voyers  en  la  générallité  de  Caen  aux  présidens, 
lieutenans,  esleus,  controlleurs-esleus,  advocat,  et  procureur  du  roy 
en  l'eslection  de...,  autres  que  les  non  receus  en  cedit  Bureau,  Salut. 

En  exécution  des  lettres  patentes  de  commission  de  S.  M.  données 
à  Paris  le  douzième  jour  d'octobre  dernier...  pour  l'imposition  et 
levée  es  eslections  de  cette  dite  généralité  de  Caen  l'année  prochaine 
1661  de  la  somme  de  1950  000  1.  scavoir...  [suit  le  détail  des  sommes 
imposées]. 

Nous  vous  mandons  et  ordonnons  et  très  expressément  enjoignons 
de  procéder  et  agir  incessamment  à  l'imposition  et  levée  de  la  somme 
de  à  laquelle  montent  et  reviennent  les  parties  contenues 
en  ladite  commission  pour  cette  dite  eslection,  scavoir...  De  tonttes 
lesquelles  impositions  à  faire  comme  il  est  dit  cy-dessus,  la  ville  et 
fauxbourgs  de...  porteront  pour  leur  part —  Et  en  outre  impo- 
serez et  ferez  lever  sur  lesdits  contribuables  auxdites  tailles  six 
deniers  pour  livre  de  touttes  les  sommes  qui  seront  receues  par  les 
collecteurs  desdites  tailles  des  paroisses  de  ladite  eslection,  lesquelz 

1.  Voir  ces  documents  pour  la  généralité  de  Caen  de  1661  à  1672,  reliés  en  un 
volume  intitulé  :  Commissions  du  roi  pour  les  tailles.  A.  D.,  Cilv.,  fonds  du 
Bureau  des  Finances.  Parfois  aussi  un  secrétaire  d'Etal  autre  que  Colbert  y  joint 
une  lettre  a  l'intendant  :  par  ex.  Le  Tellier  écrit  longuement  à  Dugué  en  1661 
(Arch.  guerre,  vol.  170,  f°  378). 

2.  Cf.  ci-dessous,  p.  137.  Dans  la  généralité  de  Rouen  il  y  avait  habituellement 
un  seul  trésorier  désigné  par  l'intendant:  dans  celles  de  Caen  et  d'Alençon  deux 
trésoriers  désignés  d'abord  par  le  Bureau  et  ensuite  par  l'intendant. 

3.  D'après  un  mémoire  sur  la  taille  rédigé  en  1<>">  I,  l'intendant  •  envoie  ordre 
au  greffier  du  Bureau  des  finances  de  le  venir  trouver  et  de  luy  faire  mettre 
lesdites  commissions  entre  les  mains  par  son  secrétaire  <jui  en  prend  ses  décharges, 
et  luy  dit  de  prendre  le  soin  de  l'attache  que  les,  lits  trésoriers  de  France  sont 
obligez  de  mettre  ».  (B.  N.  fr.  11  i»96,  f°  6.)  D'après  les  plumitifs  des  Bureaux  des 
finances  de  Rouen  et  de  Caen  le  greffier  apportait  lui-même  le  paquet  au  Bureau, 
au   moins  avant  1683. 


LA    FOIIME    DES    COMMISSIONS.  101 

ils  retiendront  par  leurs  mains  pour  leur  droict  de  collecte,  dont  ne 
sera  faict  aucun  retranchement  pour  quelque  cause  ou  occasion  que  ce 
soit;  moyennant  quoy  ils  ne  pourront  prétendre  aucune  exemption  de 
tailles  suivant  Tarrest  du  Conseil  du  19e  décembre  1639;  le  tout  con- 
formément à  la  susdite  commission.  Pour  estre  tous  lesdits  deniers 
des  tailles  et  creues  y  joinctes,  taillon  et  solde,  ponts  et  chaussées  et 
augmentation  du  droict  de  port  des  commissions,  receus  par  les  rece- 
veurs ou  commis  aux  receptes  des  tailles  des  dites  eslections  aux  termes 
susdits,  et  par  eux  paiez  et  voicturez,  scavoir... 

Contraignant  et  faisant  contraindre  tous  ceux  qu'il  appartiendra 
au  paiement  de  leurs  cottes  et  taxes  par  les  voyes  portées  par  ladite 
commission,  de  ce  vous  donnons  pouvoir  et  mandement  spécial  en 
vertu  d'icelle,  de  laquelle  extraict  est  cy-attaché  pour  ce  qui  con- 
cerne vostredicte  eslection,  vous  enjoignant  aussy  comme  ez  années 
précédentes  de  nous  envoyer  dans  quinzaine  le  double  de  vos  dépar- 
temens  et  assiettes  desdites  impositions  et  levées. 

Donné  au  Bureau  des  finances  à  Caen  le  lundy  8e  jour  de  No- 
vembre 1660  i.  » 

L'acte  était  expédié  également  sur  parchemin,  contrôlé  au 
Bureau  et  remis  soit  à  l'intendant  soit  au  receveur  général  ;  ce 
dernier  était  chargé  de  le  faire  distribuer  aux  élections. 

En  dépit  de  toutes  les  précautions  prises  et  de  toutes  les 
formalités  prescrites,  il  arrivait  très  souvent  que  des  erreurs 
fussent  glissées  dans  l'original,  notamment  dans  les  chiffres, 
parce  que  les  sommes  étaient  indiquées  en  lettres  de  compte2. 
La  longueur  du  texte  et  le  grand  nombre  des  copies  qu'il  en 
fallait  expédier  exposaient  aussi  les  scribes  à  des  omissions  et 
des  inadvertances.  Dans  la  collection  des  commissions  qui  était 
conservée  au  Contrôle  général,  et  qui  nous  est  parvenue,  le 
nombre  des  textes  faux  est  certainement  plus  grand  que  celui 
des  textes  exacts  ;  voici  quelques  exemples  pris  dans  une  seule 
commission,  celle  de  l'année  1662 3  :  on  lèvera  «  sur  ceux  de 
l'élection  de  Baveux  la  somme  de  57299  1.,  scavoir  pour  reste 
du  principal  des  tailles  et  creues  y  jointes  54151  1.,  pour  reste 
du  taillon  et  solde  1  679  1.  et  pour  les  pontz  et  chaussées  469  1.  », 
(le  total  des  trois  dernières  sommes  devrait  être  équivalent  à  la 
première,  or  il  manque  1000  1.)  Plus  bas  :  «  sur  ceux  de  l'eslec- 
tion  de  Mortain  la  somme  de  55  950  1.,  pour  reste  dudit  taillon 
et  solde  1712  1.  et  pour  les  pontz  et  chaussées  1 147  1.  »  (un 
membre  de  phrase  a  été  passé);  plus  bas  :  «  de  laquelle  somme 
de  7  400  1.  l'eslection  de  Caen  portera  1150  1.,  celle  de 
Bayeux  1  150  1.,  celles  de  Vire  et  Condé  1650  1.,  celle  de  Mor- 
tain 900  1.  »  (plusieurs  élections  ont  été  omises  avec  leur  chiffre 
de  taxe);  plus  bas  :  «  de  laquelle  somme  de  30286  1.  6  s.   8  d. 

1.  A.  D.  Galv.  Registre  de  commissions  des  tailles,  1671-72,  fos  29-31. 

2.  Sur  les  lettres  de  compte,  voir  Encyclop.  méthodique,  Finances,  art.  Chiffres. 

3.  M.  G.  22i,  P  28-29. 


102  LA    TAILLE    H     NORMANDIE. 

l'eslection  portera  3586  I.  »  (le  nom  de  l'élection  a  été  omis),  etc. 
Les  actes  sont  très  bien  calligraphiés  mais  pleins  d'inadver- 
tances de  ce  genre.  Il  est  a  penser  qu'elles  étaient  relevées  et 
que  les  fonctionnaires  qui  les  remarquaient  les  faisaient  cor- 
riger; mais  elles  pouvaient  être  un  bon  prétexte  à  des  exactions 
ou  à  des  fraudes. 

Les  Bureaux  des  finances  commettent  de  pareilles  fautes 
dans  leurs  mandements  aux  élections;  ainsi  le  14  janvier  1664 
le  procureur  du  roi  en  l'élection  de  Rouen  déclare  au  Bureau 
des  finances  que  l'on  n'a  pas  pu  lever  l'année  précédente  la 
taxe  pour  la  crue  du  gouverneur  de  la  province  «  parce  qu'il 
y  avoit  erreur  en  l'assiette  de  la  taille  mise  au  greffe  de  l'ellec- 
tion  de  297  1.  »  ;  on  avait  demandé  au  receveur  général  l'ori- 
ginal de  l'assiette,  il  a  promis  de  la  donner  «  quand  elle  aura 
esté  renvoyée  de  Paris1  ». 

1.  A.  D.  S.  Inf.,  C,  1 166,  f°  16. 


CHAPITRE  III 

LE  DÉPARTEMENT  ENTRE  LES  PAROISSES 


I.    LES     PAROISSES.     II.     LES    ELUS.     III.     LES     CHEVAUCHEES    DES 

ÉLUS.    IV.     LA     COMMISSION     DE     REPARTITION.    V.    LA    REUNION 

DE    LA    COMMISSION.    VI.     l'ÉGALITE     DANS     LE     DEPARTEMENT.    

VII.    LES    PROTECTIONS    ACCORDEES    AUX    PAROISSES. 


I.  —  LES  PAROISSES 

La  distribution  de  la  taille  entre  les  paroisses  '  de  chaque  élec- 
tion forme  le  troisième  degré  de  la  répartition.  L'opération  est 
habituellement  désignée  sous  le  nom  de  «  département  » 2.  Ce 
degré  ne  peut  pas  être  évité  :  «  Personne  ne  peut  estre  distrait 
ni  se  distraire  de  sa  paroisse  pour  payer  à  part  et  séparément  la 
taille  et  autres  charges  »,  dit  Lebret3.  C'est  pourquoi  on  employé 
communément  la  maxime  :  «  Les  tailles  suivent  les  clochers*  ». 

La  paroisse  est  bien  antérieure  à  l'établissement  des  impôts 
royaux;  c'est  une  circonscription  d'origine  ecclésiastique";  elle, 
consiste  essentiellement  dans  la  portion  de  territoire  confiée  à 
un  curé.  L'administration  royale  avait  adopté  ce  cadre,  de  même 

1.  La  paroisse  n'est  pas  simplement  un  groupe  d'habitations;  le  mot  a  un  sens 
plus  précis  :  il  y  a  des  groupes  d'habitations  (bourg,  ville)  qui  comprennent  plu- 
sieurs paroisses,  inversement  plusieurs  groupes  peuvent  ne  former  qu'uue 
paroisse.  Le  président  Labarre  distingue  formellement  les  termes  village  et 
paroisse  :  il  est  défendu  aux  élus,  dit-il,  «  de  ne  faire  leurs  assiettes  par  les 
hameaux  ou  villages,  ains  par  les  parroisses  pour  obvier  aux  fraiz  et  regarder  au 
soulagement  du  peuple  ».  (Formulaire,  p.  9.)  Elle  n'est  pas  partout  usitée  pour 
la  répartition  de  la  taille  ;  l'intendant  d'Amiens,  dans  son  mémoire  de  1698, 
observe  qu'eu  Artois  le  terme  paroisse  est  employé  uniquement  dans  le  sens 
ecclésiastique,  et  que  politiquement  on  se  sert  du  mot  de  communauté.  (Boulain- 
villiers,  Etat  de  la  France,  éd.  in-f°,  1727,  t.  I,  p.   105.) 

2.  «  Ce  qu'on  appelle  département  \st  l'acte  par  lequel  on  impose  chaque 
paroisse  ou  communauté.  »  (Remontrances  de  la  Cour  des  aides  de  Paris,  6  mai 
1775,  dans  Auger,  Mémoires  sur  le  droit  public,  p.  659.) 

3.  Dix-huitième  action,  1596,  dans  ses  Œuvres,  p.  432.  Cependant  les  taxes  d'of- 
fice, on  le  verra  plus  bas,  étaient  une  dérogation  à  cette  règle. 

4.  Labarre,  Formulaire,  p.  9,  cf.  Lebret,  I.  c. 

5.  L'autorité  judiciaire  ne  reconnaît  généralement  pas  cette  circonscription  : 
elle  ne  distingue  que  les  «  villages  »,  au  sens  féodal  du  mot. 


104  LA.   TAILLK    EX    NORMANDIE. 

que  (es  diocèses  et  les  provinces1.  Toutefois,  quand  l'Eglise 
modifiait  ses  circonscriptions,  le  gouvernement  ne  reconnaissait 
pas  toujours  ces  modifications,  parce  que  les  intérêts  des  deux 
pouvoirs  n'étaient  pas  les  mêmes. 

L'Eglise  pouvait  créer  une  nouvelle  paroisse  pour  des  raisons 
de  commodité,  ou  sur  la  simple  demande  de  personnes  qui 
s'engageaient  à  la  doter2.  Mais  si  le  gouvernement  avait  auto- 
risé toutes  les  divisions  demandées  par  des  personnes  puissantes 
ou  par  les  intéressés  eux-mêmes,  s'il  avait  admis  des  réunions 
de  paroisses  par  simple  assentiment  des  habitants,  il  aurait 
ouvert  la  porte  à  quantité  d'abus.  Aussi  les  lettres  patentes  accor- 
dant des  divisions  ou  des  réunions  de  paroisses  étaient-elles 
relativement  rares3.  La  principale  crainte  du  gouvernement 
était  que  des  contribuables  ne  parvinssent  par  ce  moyen  à  se 
faire  décharger  de  taille.  Lebret  l'a  expliqué  dans  un  de  ses 
plaidoyers  à  la  Cour  des  aides,  en  février  1596  :  «  On  a  reconnu 
que  le  plus  souvent  [ces  divisions]  étoient  recherchées  et  pour- 
suivies par  les  plus  riches,  pour  s'afranchir  du  tout  ou  de 
partie  des  tailles,  ou  par  des  seigneurs  qui  tachoient  par  ce 
moien  de  faire  décharger  leurs  sujets,  à  la  foule,  opression  et 
surcharge  des  autres  plus  foibles  et  impuissants  »,  et  après 
avoir  cité  la  loi  romaine  qui  punit  cette  pratique  d'une  amende 
de  cent  livres  d'or,  il  conclut  :  «  Que  si  nous  avions  cet  heur 
que  d'en  avoir  une  semblable  et  aussi  bien  observée,  nous  ne 
verrions  pas  tant  d'inégalité  au  département  de  la  taille,  et 
pour  une  paroisse  sauvée,  dix  autres  perdues  et  ruinées    »4. 

Le  règlement  de  janvier  1634  (art.  57),  après  beaucoup  d'autres, 
prétendait  interdire  les  divisions  faites  sans  l'autorisation  du  roi  : 

«  D'autant  qu'en  aucunes  eslections,  les  élus...  se  sont  ingérez  de 
distraire  les  hameaux  d'aucunes  paroisses  de  leur  élection...,  ce  qui 

1.  Dans  les  pays  ou  la  religion  réformée  était  permise,  c'était  la  circonscription 
desservie  par  le  pasteur  qui  était  pareillement  adoptée  par  l'administration 
financière;  la  confusion  de  l'administration  ecclésiastique  et  de  l'administration 
civile  est  une  chose  constante  dans  les  institutions  d'ancien  régime. 

2.  La  seule  condition  exigée  par  le  droit  canonique  est  que  la  nouvelle  paroisse 
comprenne  au  moins  10  maisons.  Horjon,  Décision»  qui  regardent  les  curt's,  dans 
le  Code  des  Curés,  t.  I,  p.  439- 'i0;  Févret,  Traité  de  l'Abus,  éd.  1778,  t.  I;  Durand 
de  Maillane,  Dictionnaire  de  droit  canonique,  art.  Paroisse.  V.  un  placet  adressé, 
en  1692,  à  Bossuet  par  les  hameaux  de  Jouarre,  pour  être  érigés  en  paroisse,  dans 
la  Correspondance  de  llossuet,  éd.  Urbain  et  Lévéque,  t.  V,  p.  98. 

3.  Voir  par  exemple  les  lettres  patentes  d'avril  1663  ratifiant  la  division  de  la 
paroisse  de  Norolles,  près  de  Lisicux  :  Les  sieurs  de  Paysant  et  de  Norolles  étant 

ftatrons  alternatifs  de  la  paroisse,  ont  conclu  une  transaction  le  14  juin  1651  par 
aquelle  ils  s'engagent,  pour  terminer  les  différends  mus  entre  eux,  à  ériger  en 
paroisse  la  chapelle  de  Saint-Lubin  faisant  jusque-là  partie  de  Norolles;  ils  ont 
obtenu  l'approbation  de  l'évéque  à  condition  qu'ils  dédommageraient  le  curé  de 
Norolles  pour  cette  distraction;  les  habitants  ont  également  approuvé  la  division 
et  réglé  les  limites  par  acte  du  3  décembre  1652;  le  roi  déclare  en  outre  que  la 
division  sera  valable  pour  la  taille,  et  les  officiers  des  finances  devront  faire 
dorénavant  des  mandements  séparés  pour  les  deux  paroisses.  (A.  D.  S.  Inf.,  Mém. 
de  la  Cour  des  Aides,  t.  XLII,  1°"  260-262.)  Cf.  encore  B.  N.  fr.  8761b,,l  f°  61  et  87. 

4.  Œuvres,  éd.  de  1689,  p.  483. 


LES    PAROISSES.  105 

apporte  de  grandes  incommoditez  et  frais  aux  uns  et  aux  autres,  et 
plusieurs  procès  et  diférens.  Nous  voulons  que  les  hameaux  ainsi 
distraits  par  les  élus  de  leur  autorité,  soient  réunis  avec  le  corps  de 
la  paroisse  sous  une  même  taxe...,  excepté  ceux  qui,  pour  quelques 
considérations,  ont  obtenu  nos  lettres  de  desunion  \  » 

Mais  l'abus  n'en  avait  pas  moins  continué  dans  la  plupart  des 
provinces.  En  1665,  l'intendant  de  Chalons  écrit  :  «  A  présent 
il  se  trouve  une  infinité  de  ces  collectes  séparées  dans  toutes 
les  élections  de  Champagne,  plusieurs  d'icelles  n'étant  que  de 
8,  10,  15,  20,  jusques  à  40  livres,  et  aucunes  mêmes  qui  ont 
été  ruinées  et  abandonnées  sont  toujours  comprises  dans  les 
départemens  et  assiettes  pour  un  denier  ou  pour  néant,  afin 
que,  si  elles  venoient  à  estre  habitées  et  cultivées  —  ce  qui 
arrive  souvent  — ,  elles  soient  imposées  comme  elles  l'estoient 
auparavant  leur  désertion,  par  un  mandement  séparé  ».  «  Les- 
dits  hameaux  ou  censés  n'ont  jamais  esté  séparés  qu'afin  de  les 
soulager  dans  les  impositions  plus  qu'ils  ne  l'estoient  lorsqu'ils 
dépendoient  de  la  taille  de  leurs  paroisses  ;  et  cela  s'est  fait 
par  l'autorité,  participation  et  facilités  que  lesdits  élus  y  ont 
données,  lesdits  lieux  leur  appartenant  et  à  leurs  parens  et 
amis,  ou  à  des  seigneurs  et  officiers  principaux  dont  ils  consi- 
dèrent les  intérests  2.  » 

Toutefois,  en  Normandie  l'abus  semble  avoir  été  moins 
considérable  qu'ailleurs  :  en  mars  1600,  la  Cour  des  aides  de 
Rouen  faisait  observer  au  roi  qu'  «  en  ladite  province  il  y  a  peu 
de  hameaux  qui  aient  la  taille  séparée  d'avec  leur  paroisse3  ». 
L'édit  de  mars  1667,  ordonnant  à  nouveau  de  réunir  au  corps 
des  paroisses  les  hameaux  qui  en  avaient  été  frauduleusement 
distraits,  ne  fut  pas  enregistré  en  Normandie  4,  sans  doute  parce 
qu'il  n'y  était  pas  jugé  utile. 

Les  rares  hameaux  qui  sont  imposés  à  part  se  trouvent  tous 
dans  des  conditions  exceptionnelles  :  à  Montivilliers,  les  trois 
faubourgs  de  Porte-Chef-de-Caux,  Porte-Châtel  et  Porte-Assi- 
quet,  font  «  par  rapport  au  sel  et  à  la  taille  un  rôle  séparé... 
quoique  tous  des  trois  paroisses  de  la  ville  »  ;  de  même  à 
Harfleur,  pour  les  trois  faubourgs  de  Colleville,  la  Pêcherie 
et  la  Porte  de  l'Heure,  parties  de  la  paroisse  de  Saint-Martin 

1.  Cf.  encore  édit  de  mars  1600,  arl.  9,  et  divers  arrêts  de  la  Cour  des  aides 
de  Paris,  octobre  1551,  8  mars  1563,  mentionnés  dans  Guénois,  Conférence  des 
Ordonnances,  t.  II,  p.  1455,  n.  20  et  de  février  1596  publié  dans  les  Œuvres  de 
Lebret,  p.  482-3;  autre  arrêt  d'octobre  1552,  relatif  à  la  Basse  Auvergne,  dans 
La  Barre,  Formulaire,  p.  9.  » 

2.  Cinq-Cents  Colbert,  273,  p.  76.  Le  successeur  de  l'intendant  Machault,  Cau- 
martin,  constate  également  l'inconvénient  de  ces  collectes  séparées  :  «  Les  bons 
laboureurs  s'y  retirent,  ce  sont  doubles  roolles  et  doubles  frais,  la  taille  se  paye 
plus  difficilement  ».  (L.  à  Colbert,  20  janvier  1667,  dans  Depping,  t.  III,  p.  170.) 

3.  Règlements  de  Normandie,  p.  53. 

4.  Voir  l'édit  dans  C.  d.  T.,  II,  p.  21  :  cet  édit  fut  probablement  rendu  à  la 
suite  de  la  lettre  de  Caumartin  du  20  janvier  1667,  indiquée  ci-dessus. 


KM  LA    TAILLK     l.N     NUIlMAMlli:. 

d'Harfleor  ';  il  est  probable  que  dans  les  deux  cas  le 
développement  de  la  population  de  ees  faubourgs  est  la  cause 
de  leur  isolement.  A  Pontoise,  le  faubourg  de  l'Aumône,  situé 
sur  la  rive  gauche  de  l'Oise,  est  taxé  à  part  et  directement  par 
les  commissions,  jusqu'au  moment  où  il  est  érigé  en  paroisse 
et  annexé  à  la  généralité  de  Paris,  en  1679.  A  Valognes,  le  fau- 
bourg d'Alleaume  est  également  imposé  à  part2.  Dans  l'élection 
de  Lyons,  les  fermes  a'Oustrebosc  et  La  Lande  sur  Andelle, 
appartenant  à  l'abbaye  de  Mortemer,  comptent  comme  paroisses 
pour  la  taille  3.  Les  villages  formant  deux  paroisses  pour  l'église 
et  une  seule  pour  la  taille  sont  rares*. 

Parmi  les  paroisses,  on  en  trouve  d'cxtraordinairement  petites 
et  de  très  grandes.  Dans  la  généralité  de  Rouen  en  1665,  beau- 
coup n'ont  qu'un,  deux,  ou  trois  feux,  ce  qui  n'est  d'ailleurs  pas 
toujours  signe  qu'elles  sont  négligeables,  car  elles  peuvent  porter 
des  chiffres  d'impôt  élevés  :  le  Manoir  Denise  (Election  de 
Neufchâtel)  paie  100  1.  de  taille;  les  Granges  (Châtcllenie  de 
Pontoise)  paient  250  1.;  Oustrebosc  (Election  de  Lyons)  470  1. 
pour  un  seul  feu  5. 

Les  paroisses  trop  grosses  se  rencontrent  non  seulement  dans 
les  villes  comme  Louviers,  qui  a  1337  feux  en  1665  et  Honfleur  qui 
en  a  1313,  mais  encore  dans  les  campagnes  :  Tatteville  (Election  de 
Pont-Audemer),  compte  441  feux  à  la  même  date;  Appeville,  417; 
Bourgthéroulde,  559;  Berville-en-Roumois,  551  ;  Beuzeville,  532, 
Bolbec,  1031;  Saint-Valery-en-Caux,  973;  Grainville,  882,  etc. 
La  même  inégalité  se  retrouve  dans  les  chiffres  de  taille  :  beau- 
coup ne  paient  que  20,  30,  40  1.,  tandis  que  d'autres,  même  dans 
la  campagne,  sont  imposées  à  plusieurs  milliers  de  livres6. 

La  plupart  des  paroisses  avaient  leur  territoire  fixé  et  borné 
comme  aujourd'hui.  Les  plans  de  certaines  d'entre  elles,  comme 
Bretteville  l'Orgueilleuse7,  indiquent  des  limites  de  finages  aussi 

1.  Duplessis,  Description  de  la  Haute  Normandie,  t.  I,  p.  106. 

2.  L'imposition  est  faite  directement  par  les  commissions  jusqu'en  1678  puis 
normalement  à  partir  de  cette  date.  Cf.  ci-dessus,  p.  92,  n.  2. 

3.  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  86  et  178. 

4.  En  1725  l'enquête  générale  sur  les  greniers  à  sel  nous  apprend  que  près 
d'Ecouis,  la  paroisse  du  Mcsnil  «  ne  fait  qu'un  rôle  pour  la  taille  avec  Vcrque- 
line  »  (B.  N.  fr.  23  918,  p.  160).  Il  en  est  déjà  ainsi  en  1665  (Mémoire  de  Voysin 
de  la  Noiraye,  p.  179).  Aujourd'hui,  les  deux  localités  forment  la  seule  commune 
du  Mesnil-Verclive. 

5.  Il  est  à  penser  que  ces  feux  uniques  comprenaient  une  très  grosse  exploita- 
tion faite  par  un  cultivateur  avec  beaucoup  de  domestiques,  mais  il  est  possible 
aussi  qu'ils  aient  été  le  résultat  de  divisions  intéressées.  On  trouve  aussi,  dans 
les  trois  généralités,  des  paroisses  désertes,  comme  Caumartin  en  signale  en 
Champagne,  qui  sont  maintenues  sur  les  rôles  pour  le  cas  où  elles  seraient  de 
nouveau  habitées. 

6.  Voir  le  tableau  des  paroisses  de  la  généralité  de  Rouen  en  1665,  à  l'appen- 
dice I  du  Mémoire  sur  la  généralité  de  Itouen,  et  les  états  publiés  en  1709  par 
Saugrain  sous  le  titre  de  Dénombrement  général  du  royaume  (l'auteur  lui-même 
déclare,  dans  la  préface,  que  ses  chiffres  de  feux  ne  sont  pas  sûrs). 

7.  Terrier  de  Bretteville  l'Orgueilleuse,  près  de  Caen,  1664,  A.  D.  Calv.,  Fonds 
de  l'abbaye  de  Saint-Etienne.  Voir  d'autres  terriers  aux  mêmes  archives,  et  à 
celles  de  la  Seine-Inférieure. 


LES    ELUS.  107 

nettes  que  les  limites  actuelles,  mais  la  démarcation  était  quel- 
quefois incertaine.  Il  est  vrai  qu'au  point  de  vue  de  la  taille 
cette  incertitude  n'avait  pas  grands  inconvénients,  puisque  l'on 
considérait  beaucoup  moins  les  terres  composant  le  finage  de  la 
paroisse  que  le  domicile  des  contribuables  ;  l'important  était  de 
savoir  dans  quelle  paroisse  était  située  telle  ou  telle  habitation. 
Dans  un  pays  de  population  dispersée  comme  la  majeure  partie 
de  la  Normandie  cette  question  était  parfois  difficile  à  résoudre1. 
On  trouve  des  contestations  entre  paroisses  pour  se  disputer 
des  contribuables,  et  les  inégalités  de  taux  entre  les  circon- 
scriptions contribuaient  à  entretenir  ces  procès.  Peut-être 
y  avait-il  aussi  des  paroisses  mi-parties  entre  deux  élections, 
comme  entre  deux  généralités2;  mais  aucun  document  ne  nous 
les  signale.  En  somme,  l'inégalité  et  l'incertitude  que  l'on  trouve 
dans  toutes  les  autres  divisions  territoriales  de  la  France  se 
rencontrent  ici  également 3. 


II.  —  LES  ELUS 

Primitivement  le  département  de  la  taille  entre  les  paroisses 
était  l'attribution  exclusive  des  élus.  Ceux-ci,  choisis  à  l'ori- 
gine par  les  contribuables  ou  par  les  Etats,  étaient  devenus 
simples  agents  royaux  dès  le  xive  siècle,  mais  le  nom  d'élus  leur 
était  demeuré,  «  jaçoit  qu'ils  ne  fussent  pas  élus  et  choisis  par 
le  peuple  4  ».  D'abord  chacun  opérait  dans  plusieurs  circon- 
scriptions, puis  il  reçut  une  portion  de  territoire,  qui  prit  le 
nom  d'élection  (Ordonnances  des  10  juin  1445  et  26  août  1452). 
Le  nombre  des  élus  alla  en  se  multipliant  indéfiniment  comme 

1.  Les  habitants  eux-mêmes  étaient  parfois  dans  l'embarras.  Cf.  le  procès- 
verbal  de  la  visite  de  l'archevêque  Colbert  dans  son  diocèse  en  1680  :  les  habi- 
tants des  Essarts,  près  de  Foucarmont,  au  nombre  de  200,  ne  savent  de  quelle 
paroisse  ils  dépendent;  de  même  ceux  des  Erables  (A.  D.,  S.  Inf.,  G,  726).  Il  en 
est  de  mémo  pour  certains  hameaux  des  environs  de  Lyons. 

2.  Cf.  un  Mémoire  d'un  commis  des  fermes  sur  le  grenier  à  sel  de  Doullens, 
23  novembre  1746  :  il  y  a  dans  ce  grenier  des  paroisses  qui  font  partie  moitié 
de  l'Artois  et  moitié  de  la  Picardie  ;  les  habitants  pour  frauder  le  fisc  bâtissent 
leur  maison  à  cheval  sur  la  limite,  plaçant  «  leur  cuisine  et  l'endroit  où  ils 
mangent  sui  l'Artois  afin  d'avoir  le  privilège  du  sel  et  du  tabac,  et  leurs  écuries 
sur  Picardie,  afin  de  ne  point  payer  de  morte  et  vive  herbage  sur  les  bestiaux  ». 
(Inventaire  des  Archives  départementales  de  la  Somme,  t.  III,  p.  481,  n°  1  U38). 

3.  Turgot  dans  son  mémoire  sur  les  Municipalités  considère  cependant  les 
paroisses  comme  des  divisions  acceptables,  et  il  ne  propose  pas  de  les  remanier 
comme  les  autres  :  «  la  police  ecclésiastique  a  fait  à  cet  égard  d'assez  bonnes 
divisions  de  territoire.  Les  paroisses  n'ont  pas  entre  elles  une  inégalité  fort 
notable...  on  a  été  conduit  à  ces  divisions  par  la  nécessité  de  ne  donner  aux 
paroisses  qu'une  étendue  dans  laquelle  il  ne  soit  pas  au-dessus  des  forces  d'un 
curé  de  remplir  les  fonctions  de  son  ministère,  ni  trop  pénible  aux  citoyens  de 
se  réunir  pour  un  devoir  qui  leur  est  commun.  »  (Œuvres,  éd.  Daire,  II,  p.  509.) 
Mais  peut-être  Turgot  voit-il  trop  les  choses  comme  il  faudrait  qu'elles  fussent, 
ce  n'étaient  pas  seulement  des  raisons  du  genre  de  celles  qu'il  indique  qui  avaient 
déterminé  les  circonscriptions  paroissiales. 

4.  Guy  Coquille,  Histoire...  de  Nivernois,  dans  les  Œuvres,  éd.  1665,  I,  148. 


108  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

celui  de  tous  les  autres  officiera,  à  cause  du  revenu  que  produi- 
sait au  roi  la  vente  de  leurs  charges. 

Les  élus  avaient  pour  fonction  de  répartir  la  taille  et  les  autres 
impôts  directs,  de  surveiller  les  receveurs  particuliers  et  de 
juger  toutes  les  contestations  relatives  aux  «  finances  extra- 
ordinaires ».  Le  département  de  la  taille  était,  selon  Vieuille, 
«  le  plus  ancien  et  le  plus  important  attribut  de  leur  institution 
f  et  création1  ».  Toutes  les  ordonnances  leur  faisaient  un  devoir 
d'y  travailler  et  leur  indiquaient  les  règles  à  suivre;  en  dernier 
lieu  celle  de  janvier  1634  (art.  42)  disait  expressément  :  «  Les- 
dits  élus...  feront  le  département  des  tailles  des  paroisses  de 
leur  élection  ». 

Beaucoup  de  vertus  étaient  nécessaires  à  un  élu.  Le  président 
La  Barre  en  a  fait  un  tableau  touchant  : 

«  Est  bien  requis  qu'il  soit  civilement  homme  de  réputation,  sans 
avarice  et  ambition,  qui  ne  regarde  aux  presens,  ny  preste  l'oreille 
aux  inductions  et  sollicitations  :  ains  qu'il  se  montre  rond  et  entier 
en  sa  function,  marchant  en  sa  charge  comme  Dieu,  estimant  icelle 
luy  estre  commise  et  baillée  en  édification  et  non  en  ruine,  et  pour 
servir  et  profiter  au  public,  et  non  autrement.  »  Il  ne  doit  pas  «  se 
soucier  du  tour  du  baston,  comme  font  les  autres  praticiens*  ».  Le 
département  des  tailles  sera  fait  «  en  toute  équité,  consciencieuse- 
ment »,  les  élus  devront  se  réunir  en  secret,  «  pour  éviter  aux  sollici- 
tations et  importunitez  »,  être  «  a  jeun  et  non  troublez  de  vin  ny 
d'aucune  passion  sinistre  ny  exorbitante  »,  travailler  «  de  jour  au  lieu 
de  leur  siège,  en  la  chambre  du  conseil  ou  de  la  juridiction,  et  non 
ailleurs  »,  surtout  pas  à  la  taverne,  «  lieu  suspect  de  toutes  bonnes 
affaires3  ». 

Mais  cet  élu  modèle  était  un  rare  personnage.  Dès  l'origine 
on  trouve  des  plaintes  violentes  contre  ces  fonctionnaires  : 
amour  de  l'argent,  partialité  dans  la  distribution  de  la  justice, 
négligence  à  exercer  leurs  fonctions,  sont  leurs  moindres 
défauts.  Leur  nombre  cxcessil,  depuis  le  xvie  siècle,  était  jugé 
comme  une  calamité  publique  : 

Ce  royaume,  dit  Lebret,  «  depuis  quelques  ans  est  devenu  quasi  mons- 
trueux par  le  nombre  excessif  d'oficiers  qui  y  ont  été  prodigieusement 
multipliez,  »  et  cela  est  surtout  frappant  dans  «  le  grand  nombre  d'élec- 
tions et  afluence  d'oficiers  en  icelles,  dont  les  deux  tiers  restent  du 
tout  inutiles  pour  le  peu  d'exercice  qu'il  y  a  en  ces  charges,  et  ne 
laissent  pourtant  de  tirer  de  grans  gages  et  jouir  d'une  immunité  dont 
toute  la  charge  retombant  sur  le  peuple  le  va  afligeant  et  oprimant 
jusqu'au  desespoir4  ». 

1.  Traité  des  Elections,  p.  lit. 

2.  La  Barre,  Formulaire  des  esleuz,  p.  41  et  43. 

3.  lbid.,  p.  151-153. 

4.  Quatrième  action,  mars  1593,  Œuvres,  éd.  1680,  p.  444.  Cf.  J.  Combes,  Traité 
des  tailles  (1576),  fol.  28  :  Tous  ces  élus  «  acheptent  leurs  offices  en  gros  a  pris 


LES    ELUS.  109 

Richelieu  a  porté  sur  eux  un  jugement  sévère  : 

«  Ils  sont  la  vraie  source  de  la  misère  du  peuple,  tant  à  cause  de  leur 
grand  nombre...  que  pour  leurs  malversations,  si  ordinaires,  qu'à 
peine  y  a-t-il  un  élu  qui  ne  décharge  sa  paroisse,  que  beaucoup  tirent 
[de  l'argent]  de  celles  qui  leur  sont  indifférentes,  qu'il  s'en  trouve  de  si 
abandonnées  qu'ils  ne  craignent  point  de  se  charger  de  crimes  en  en 
augmentant  à  leur  profit  les  impositions  à  la  charge  du  peuple1.  » 

Le  maréchal  Fabert,  qui  les  a  vus  à  l'œuvre  dans  les  pro- 
vinces n'est  pas  plus  indulgent  : 

«  Gomme  la  corruption  est  extrême  parmi  les  officiers  établis  pour 
les  tailles,  ils  ont  trouvé  moyen  de  continuer  leurs  vols,  donnant  des 
mémoires  faux  de  la  force  des  lieux,  prenant  argent  de  ceux  qu'ils 
ont  fait  taxer  bas,  et  cela  avec  tant  d'insolence,  qu'ils  ne  le  nient 
pas...  11  semble  nécessaire  de  prendre  une  autre  voie  que  celle  des 
élus  pour  faire  la  répartition  de  la  taille  2.  » 

Enfin  ils  furent  publiquement  flétris  dans  de  nombreuses 
ordonnances;  dans  l'arrêt  du  conseil  du  27  novembre  1641,  le 
roi  disait  : 

«  La  plus  grande  partie  des  non-valeurs  qui  se  trouvent  sur  les 
deniers  des  tailles  depuis  quelques  années  ne  procède  pas  tant  de  la 
surcharge  des  contribuables  que  de  l'inégalité  qui  se  rencontre  dans 
les  assiettes  et  départemens  des  impositions  faites  par  les  officiers  des 
élections,  esquelles  grand  nombre  des  paroisses  se  trouvent  soulagées 
et  déchargées  par  la  faveur  et  crédit  d'aucuns  officiers,  au  préjudice  et 
surchage  des  autres  paroisses  3.  » 

Ils  étaient  extrêmement  onéreux  au  roi  et  aux  contribuables  : . 
le  7  juillet   1648   le   Chancelier   faisait   déclarer    au  Parlement 
que  les  3000  officiers   des   élections,    par  leurs  gages,    absor-j 
baient   sur  les  tailles   plus    de   9600000  1.,    et    ces   gages    nel 
représentaient  qu'une  petite  partie  de  leurs  revenus,  leur  prin- 
cipale ressource  étant  les  frais  de  procès  qu'ils  s'efforçaient  de 
multiplier4.  Leur  pratique  du  ce  tour  du  bâton  »  fut  énergique- 
d'argent,  qui  leur  donne  occasion  de   se  remplumer  par  le  détail  de  la  justice 
qu'ils  administrent  sur  le  commun  populaire  ». 

1.  Testament  politique,   t.  II,  p.  169. 

2.  Mémoire  à  Mazarin,  9  déc.  1656,  dans  Bourelly,  Le  Maréchal  Fabert,  t.  II, 
p.  121. 

3.  Dans  Néron,  Recueil,  t.  II,  p.  663. 

4.  Déjà  aux  Etats  de  1483,  il  avait  été  longuement  question  de  ces  officiers 
«  car,  dit  Masselin,  ils  nuisaient  au  peuple  presque  autant  que  les  tailles  elles- 
mêmes  »,  /?  irnal  de  J.  Masselin,  trad.  française,  p.  489.  Un  mémoire  présenté  à 
François  l"  fuit  connaître  au  roi  que  ces  procès  suscités  par  eux  à  toute  occa- 
sion et  traînés  en  longueur  accablent  le  «  pauvre  peuple  »  qui  y  «  consomme 
et  deppense  en  proceddeures  tout  ce  qu'il  a  vaillant,  de  sorte  que  à  la  fin  il 
tumbe  en  mendicité  et  impuissance  de  paier  et  porter  taille  ».  B.  N.  Cinq  cents 
Colb.  491,  f°  5. 


110  LA    TAILLR    KN     NORMANDIE. 

ment  condamnée,  à  maintes  reprises,  par  les  Etats  de  Nor- 
mandie :  «  Telles  gens  n'ont  prins  leurs  offices  pour  l'utilité 
publicquc,  moins  pour  le  service  du  roy,  mais  seullement 
comme  sansues,  pour  tirer  le  pur  sang  de  ses  pauvres  vas- 
saux1; tous  rongent  et  mangent  jusques  aux  oz  la  substance 
du  peuple2;  les  taillablcs...  leur  sont  une  moisson  dorée,  où 
chascun  glane  son  espy,  de  sorte  que  les  frais  montent  ordi- 
nairement trois  fois  le  principal 3.  »  En  1578,  1579,  1593, 
.  1620,  1623,  1626,  1638,  1643,  1655,  leurs  cahiers  demandent 
f  avec  insistance  la  diminution  du  nombre  de  ces  «  sangsues  »  : 
«  Nous  ne  cesserons  jamais,  disent-ils  en  1620,  de  prier,  voire 
importuner  V.  M.  jusques  à  ce  qu'Elle  aye  exaucé  nos  si  justes 
prières  et  réduict  ce  nombre  effréné  d'esleuz  et  controolleurs  à 
un  ou  deux  pour  le  plus,  qui  vous  rendront  plus  de  services, 
plus  de  justice  à  vostre  peuple  que  la  confusion  du  nombre 
desréglé  qui  diminue  vos  finances  par  leurs  gaiges  et  exemptions 
de  taille,  et  comme  sangsues  tirent  la  substance  de  vos  sujetz*.  » 
A  chaque  fois  le  roi  fait  des  promesses  vagues  ou  bien  s'excuse 
de  la  nécessité  où  il  fut  de  créer  de  nouveaux  offices,  ou  bien 
même  invoque  la  foi  des  édits,  ce  qui  est  singulièrement  iro- 
nique 5.  Cette  «  manne  »  était  trop  tentante  pour  que  le  fisc  y 
renonçât. 

De  leur  côté  les  élus  ne  manquaient  pas  de  se  plaindre  de  ces 
incessantes  créations.  L'un  d'eux,  La  Barre,  a  maudit  cette  pra- 
tique en  termes  violents  : 

«  En  matière  de  finances,  il  y  a  tant  de  finesses,  de  subtilitez,  de 
traverses  et  d'inventions  d'attraper  et  divertir  le  liard,  que  tous  les 
ans  la  malice  d'aucuns  donne  occasion  à  nouvelles  ordonnances  et  à 
nouveaux  officiers  et  reiglemens,  qui  est  cause  d'un  grand  désordre, 
que  l'on  oste  les  uns  et  remet-on  les  autres,  qu'il  n'y  a  rien  d'asseuré 
en  telles  affaires.  Il  ne  faut  qu'un  ou  deux  de  ces  donneurs  d'advis  de 
court  avec  leur  diable  d'invention,  pour  troubler  tout  le  reste.  Contre 
eux  faudroit  procéder  criminellement,  attacher  telles  harpies  au  croq  *.  » 

En  1648,    les  élus  publièrent  un  état  des  offices   créés,  des 

1.  Cahier  de  Novembre  1578,  dans  de  Bcaurepaire,  Cahiers...  règne  de  Henri  III, 
U  III,  p.  7. 

2.  Cahier  de  mars  1579,  art.  27,  ibid.,  p.  40. 

3.  Cahier  de  décembre  1623,  ibid.,  Règne  de  Louis  XI II,  t.  II,  p.  60. 

4.  Cahier  de  1628,  art.  8,  dans  de  Beaurepnire,  Cahiers...  règne  de  Louis  XIII, 
t.  I,  p.  205.  Cf.  le  cahier  de  1614,  art.  22,  ibid.,  p.  105  :  «  Au  département  des 
tailles,  chacun  d'eulx  veult  favoriser  les  parroisses  dont  ils  sont  originaires,  ou 
leurs  biens  sont  situez  et  assis,  de  sorte  que  les  unes  sont  sans  raison,  voire 
contre  raison,  soullagées,  les  autres,  qui  n'ont  aulcune  recommandation,  injus- 
tement foullées  et  vexcées  ». 

5.  Réponse  à  l'art.  10  du  cahier  de  février  1658  :  «  S.  M.  ayant  restably  les 
éleus  dans  leur  exemption,  Elle  n'y  peut  toucher  »  (ibid.,  supplément,  p.  5),  cf. 
les  réponses  au  cahier  de  novembre  1578,  art.  12,  nov.  1593,  art.  60,  nov.  1638, 
art.  24,  nov.  1643,  art.  72,  etc. 

C.  formulaire,  p.  44. 


LES    ELUS.  111 

augmentations  de  droits  vendues,  des  privilèges  concédés  moyen- 
nant finance  dans-  les  élections  depuis  1622  :  il  ne  comprend 
pas  moins  de  77  édits  portant  atteinte  à  leur  bourse  dans  cet 
espace  de  vingt-six  ans,  soit  en  moyenne  trois  par  an.  Les  mêmes 
charges  sont  créées,  supprimées,  rétablies  indéfiniment;  on 
vend  des  droits  nouveaux,  des  augmentations  de  droits  anciens, 
des  privilèges  de  toutes  sortes,  puis,  sous  prétexte  de  soulager 
les  sujets,  on  supprime  le  tout,  et  peu  de  temps  après  le  roi 
consent  «  moyennant  une  finance  modique  »  à  rendre  les  droits 
supprimés.  Au  total,  d'après  le  calcul  des  élus,  c'est  «  plus  de 
200  millions  de  livres  que  lesdits  officiers  ont  esté  depuis  1622 

jusques  à  présent  forcez  de  payer  par  des  voyes  extraordinaires \ 

en  sorte  que  la  plupart  d'iccux  et  leurs  familles  sont  réduits  à  ( 
faire  abandonnement  de  leurs  biens  pour  ne  pouvoir  acquitter  I 
les  deniers  par  eux  empruntez  pour  le  payement  des  taxes  sus-  [ 
dites1  ». 

Pour   se  protéger,  les   élus  avaient  été  amenés  à   former  un 
«  syndicat  ». 

llTut  constitué  en  1641,  «  sous  le  bon  plaisir  de  S.  M.  »,  «  par 
plusieurs  assemblées  de  députez  des  officiers  des  eslections  du 
royaume  »  tenues  au  couvent  des  Augustins  à  Paris 2.  Pour 
subvenir  aux  dépenses  communes,  chaque  élection  dut  verser 
une  cotisation  annuelle  qui,  aux  termes  du  règlement,  était 
payable  «  par  advance  dans  le  mois  de  mars  de  chaque  année3  ». 
Comme  l'assemblée  est  trop  nombreuse,  elle  a  choisi  des  «  syn-  j 
dics  »  qui  forment  une  commission  permanente  et  reçoivent  des 
appointements  spéciaux;  l'un  d'eux,  «  l'orateur  »,  est  chargé  de  ■ 
prendre  la  parole  «  en  public  »,  c'est-a-dire  sans  doute  au  Parle- 
ment ou  à  la  Cour  des  aides;  il  est  le  personnage  le  plus  consi- 
dérable, et  reçoit  des  appointements  plus  élevés.  La  place  fut 
successivement  occupée  par  les  sieurs  Potière,  qui  mourut  en 
fonctions,  Braux,  lieutenant  criminel  en  l'élection  de  Chalons, 
et  enfin  Penot,  qui  exerce  encore  en  1655.  Un  secrétaire  reçoit 
la  correspondance,  signe  les  circulaires  adressées  aux  élections 4, 
et  probablement  tient  un  registre  des  délibérations.  Le  sieur 
Boyrot  remplira  cette   charge  pendant  toute  la  durée  du  syn- 


1.  B.  N.,  fr.  18  479,  f°*  121-124  (papiers  de  Séguier),  imprimé.  L'idée  est  reprise 
par  le  premier  président  de  la  Cour  des  aides  clans  sa  harangue  à  la  reine 
régente,  le  21  décembre  1641  :  «  Depuis  vingt  ans  le  seul  corps  des  éleuz  a 
fourny  au  roy  plus  de  200  millions,  de  compte  fait  ».  (B.  N.,  Lb3?  362.) 

2.  Circulaire  des  syndics  1650,  B.  N.,  Lf3»  12,  f°  1. 

3.  Elle  fut  d'ailleurs  versée  fort  irrégulièrement  et  les  retardataires  seront  sou- 
vent rappelés  à  l'ordre  pour  ce  motif.  Ces  détails  se  trouvent  dans  la  lettre  du 
sieur  Dorville  aux  élections  du  royaume,  14  août  1655,  Clairamb.  4^2,  p.  67. 

4.  Ces  circulaires  se  trouvent  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  nationale,  Imprimés, 
Lf38  7  à  14  et  Manuscrits  fr.  10  479  et  Clairamb.  154  et  442.  La  collection  n'en  est 
pas  complète;  ainsi  la  circulaire  du  27  avril  16i4  en  mentionne  deux  autres  des 
22  décembre  1648  et  2  avril  1649  que  je  n'ai  pu  retrouver;  s'il  y  eut  des  registres 
de  délibérations,  ils  sont  égarés  ou  perdus. 


Itî  LA    TAILLE     IN     NORMANDIE. 

dieat.  Enfin  les  élus  ont  un  avocat,  Chesneau,  et  un  procureur. 
Mauparty  '. 

»  Le  syndicat  n'avait  rien  d'irrégulier;  il  était  reconnu  par  le 
gouvernement.  «  Cet  establissement,  disent  les  syndics  en  1650, 
a  esté  confirmé  par  plusieurs  arrests  du  Conseil  d'estat  des 
16  avril  1644,  7  janvier  1645  et  27  juin  1648  rendus  pour  raison  de 
contributions  dudit  syndicat*.  »  Les  syndics  furent  à  différentes 
reprises  reçus  en  audience  par  le  roi  et  le  Conseil,  et  obtinrent 

1  des  arrêts  en  faveur  de  leurs  revendications;  ils  haranguèrent 
MM.  Servien  et  Foucquet  sur  leur  promotion  à  la  surintendance 
en  février  1653;  leur  secrétaire  avait  qualité  pour  «  collationner 

Iles  arrests  et  autres  pièces  »  les  concernant1.  Ils  étaient  en 
relations  régulières  avec  la  Cour  des  aides,  qui  les  soutenait, 
et  avait  rendu,  le  15  octobre  1649,  un  arrêt  portant  «  l'homolo- 
gation dudit  syndicat  en  ladite  Cour*  ». 

Ils  s'occupaient  de  tous  les  intérêts  collectifs  de  leurs  com- 
mettants, notamment  des  créations  ou  suppressions  d'offices, 
des  réductions  et  augmentations  de  gages  opérées  par  le  gouver- 
nement à  leurs  dépens;  ils  s^jn tarissaient  à  la^  lutte jl es  cours 
souveraines  contre  les  intejidajais^ej^s^traitan^ts,  enfin  ilsdis- 
putaient^aux trësorTers  ^d^^aiic^_J^jdj^mt^e^_,ùiire  le  départe- 
ment desYâHtes^  "Le" Secrétaire  Boyrot  travaillait  en  1648  «  à  la 
recherche  de  tous  les  édits,  arrests  et  réglemens  qui  concernent 
l'honneur  et  la  fonction  de  nos  charges,  la  jouyssance  de  nos 
âges  et  droits  et  de  nos  privilèges  »,  il  tenait  «  un  répertoire 
e  toutes  les  choses  qui  nous  pouvoient  servir  6  ».  En  1652,  il 
demandait  à  toutes  les  élections  des  «  mémoires  instructifs  et 
bien  certifiez  »  sur  «  les  contraventions  que  les  gens  d'affaires 
ont  apportées  aux  déclarations  du  roy  de  l'année  1648 7  ». 

L'activité  du  syndicat  nous  est  connue  principalement  par  ses 
circulaires;  voici  la  liste  de  celles  qui  nous  sont  connues  : 
A    Monseigneur    V Eminentissisme    Cardinal,     1646,     requête 

f>our  demander  la  conservation  de  deux   quartiers  et   demi  de 
eurs  gages,  qui  viennent  de  leur  être  enlevés  8. 
Au     roi    et    à    Nosseigneurs    de     son     Conseil,     placet     du 

1.  B.  N.,  LP«  7. 

2.  Lf>»  12,  P  1. 

5.  Lf><  7. 

4.  B.  N.,  Lf38  12,  V  1  ;  cf.  la  harangue  du  premier  président  de  la  Cour  à  la  reine 
en  faveur  des  élus  le  21  décembre  1648.  Lh3î  3<>2. 

5  En  1655,  un  élu  félicite  le  syndicat  d'avoir  obtenu  «  le  restablissement  de  nos 
privilèges  en  l'année  Ili44,  à  bonnes  conditions  et  modiques,  le  maintien  de  notre 
jurisdiclion...  et  reculement  du  retran  bernent  de  nos  droits  en  Tannée  1642  »  ; 
Glairamb.  442,  i>.  ti7. 

6.  Circulaire  de  Norville,  élu  à  V'iilefrancbe  à  ses  collègues,  14  août  1655,  Clai- 
rarub.  4'i2    p.  68. 

7.  Circulaire  du  25  mars  16S2.  B.  N.,  Ll38  14.  Son  recueil  faisait  pendant  à 
celui  que  Fouinival  composait  en  faveur  des  trésoriers  généraux,  mais  il  ne  fut 
pas  publié  et  il  est  à  craindre  qu'il  ne  soit  perdu. 

8.  M.  N.,  Lf3«  8. 


S 


LES    ELUS.  113 

3  février  1648  pour  réclamer  le  maintien  de  tous  leurs  droits  et 
privilèges  '•'. 

Estât  des  offices  créés  de  1622  au  début  de  1648,  mentionné 
ci-dessus. 

Remonstrances  très  humbles  des  officiers  des  Eslections  de 
France  à  Nosseigneurs  de  Parlement,  pour  appuyer  leur  requête 
tendant  à  «  estre  restablis  en  l'entière  jouyssance  de  leurs 
gages  et  droicts  héréditairement2  ». 

Remonstrances  très  humbles  des  syndics  des  Eslections  de  ? 
France  au  Roi  et  à  son  Conseil  pour  que  S.  M.  fasse  «  défenses/ 
aux  trésoriers  de  France  de  venir  aux  bureaux  des  Eslections] 
pour  présider  aux  départemens  des  tailles  »  a. 

Responsq  des  élus  aux  trois  mémoires  publiés  contre  eux  par 
les  trésoriers  de  France,  1650 4. 

Response  des  syndics  généraux  des  officiers  des  Eslections  du 
royaume  aux  observations  qui  ont  esté  faites  par  les  Trésoriers 
provinciaux  en  France  sur  les  remonstrances  desdits  syndics 
adressées  au  Roy  et  à  Nosseigneurs  de  son  Conseil,  qui  est 
de  1650 5  :  continuation  de  la  polémique  engagée  par  l'écrit 
précédent.  Il  y  est  fait  allusion  a  deux  «  libelles  »  des  trésoriers 
généraux,  parus  récemment. 

Discours  au  roi  à  l'occasion  de  sa  majorité  6. 

Discours  faits  par  les  syndics  des  officiers  des  Eslections  de 
France,  sur  la  promotion  de  Nosseigneurs  Servien  et  Foucquet  à 
la  Surintendance  et  de  M.  Menardeau-Champré  à  la  Direction 
des  Finances,  en  février  1653 7.  Les  élus  se  réjouissent  de  ces 
trois  nominations,   qui  leur  donnent  des  protecteurs. 

Abrégé  des  justes  et  légitimes  plaintes  des  Esleus9. 

Les  très  humbles  suplications  et  les  offres  sur  icelles  au  Roy 
et  à  Nosseigneurs  de  son  Conseil,  des  officiers  des  Eslections  de 
France 9. 

Propositions  faites  au  Roy  par  les  Elus,  et  Remontrances  au 

1.  B.  N.,  Lf38  9. 

2.  Ibid.,  10,  une  feuille  imprimée,  en  forme  d'affiche.  Cet  écrit  est,  d'après 
son  contenu,  peu  postérieur  à  la  déclaration  du  17  juillet  1648,  qui  s'y  trouve 
indiquée. 

3.  Ibid.,  11,  k  pages  in-'i°.  Est  de  l'année  1649  :  «  la  présente  année  1649  »  est-il 
dit  p.  2  et  postérieur  au  14  juillet  de  cette  année,  puisqu'un  arrêt  de  cette  date  est 
cité  p.  1.  Je  vais  revenir  sur  cet  écrit. 

4.  Ibid.,  13.  Sans  titre.  La  date  est  donnée  par  le  §  4  du  2°  mémoire  où  il  est 
dit  :  «  L'année  dernière  1649  ».  Chaque  page  est  divisée  en  deux  parties  :  d'un 
côté  les  mémoires  des  Trésoriers  de  France  in-extenso,  de  l'autre  la  réponse  des 
élus,  paragraphe  par  paragraphe. 

5.  H.  Nat.,  Lf38  12,  4  p.  in-4°,  s.  d.  La  date  de  1650  est  donnée  par  l'allusion  faite 
(p.  2)  à  la  réforme  des  commissions  des  tailles  de  cette  année,  qui  enlevait  aux 
trésoriers  de  France  le  pouvoir  de  présider  aux  départements. 

6.  Lf3»18. 

7.  Ibid.,  15.  Fouquet  et  Servien  furent  nommés  surintendants  conjointement 
le  7  février  1653. 

8.  B.  N.,  Rec.  Thoisy,  t.  413,  f0'  "222-3  et  mss  fr.  18  749  (papiers  de  Séguier) 
t"  124-5  (imprimé). 

9.  B.  N.,  fr.  18  479,  f°  127  (imprimé). 

LA    TAILLE    EN  NORMANDIE.  ™ 


11',  LA    TAILLK     EN     NOIl.MANDIB. 

Roy  et  à  Nosseigneurs  de  son  Conseil  sur  les  propositions  des 
officiers  des  Estéctions4,  1654. 

{  A  partir  de  1654,  l'activité  du  syndicat  se  ralentit,  les  circu- 
laires cessent  de  paraître2,  les  assemblées  n'ont  plus  lieu  régu- 
lièrement;   mais   les   délégués  continuent  à  venir  à   Paris.   En 

l  mars  1661,  le  roi  décide  de  prohiber  leur  réunion',  mais 
sa  défense  demeure  lettre  morte  :  il  faut  un  nouvel  arrêt,  le 
17  mai  J1662,  pour  les  renvoyer  «  dans  les  lieux  de  leur 
demeure,  a  peine  de  prison*  ».  A  cette  date  seulement,  dispa- 
rait le_syjidi£at. 

Son  activité  fut  employée  à  défendre  les  droits  des  officiers 
/contre  la  fiscalité  royale.  En  1648,  il  concourut  à  la  révocation 
'des  intendants8;  en  1652  il  obtint  le  rétablissement  des  gages 
suspendus  l'année  précédente;  en  1654  il  fit  rétablir  les  charges 
d'élus  dont  le  gouvernement  ordonnait  la  suppression 6.  Les 
doléances  qu'il  présentait  à  cette  occasion  à  la  Cour  des  Aides 
faisaient  de  leur  misère  un  tableau  impressionnant  : 

«  Depuis  trente  ans  on  a  exigé  de  nous,  par  des  voyes  extraordi- 
naires, plus  de  deux  cens  millions  de  livres.  Combien  depuis  ce  temps 

1.  Ibid.,  t"  120  et  130. 

2.  ■  Maintenant  nostre  correspondance  générale  ne  subsiste  plus  •',  écrit  l'élu 
Dorville  n  ses  collègues  le  14  août  1655  et  il  en  explique  In  cause  :  Lorsque 
Penot  eut  remplacé  Braux  comme  orateur  du  syndicat,  en  1653,  il  rencontra  une 
violente  hostilité  de  la  part  de  son  prédécesseur.  Celui-ci  forma  une  «  faction  > 
avec  plusieurs  autres  syndics  tandis  que  Penot  était  appuyé  par  le  secrétaire 
Boyrot.  La  cause  de  cette  scission,  suivant  Dorville  aurait  été  l'intervention 
des  traitants  qui  se  seraient  entendus  avec  Braux  pour  être  maîtres  du  syndicat; 
mais  il  est  du  parti  de  Penot.  Toujours  est-il  que  la  division  empêcha  désormais 
le  syndicat  d'agir.  Boyrot  démissionna  de  ses  fonctions,  et,  frappé  de  taxes  par 
les  traitants,  il  vit  vendre  ses  meubles  et  saisir  son  recueil  de  documents.  LYdit 
de  mars  de  1654  qui  supprimait,  comme  on  va  le  voir,  une  partie  des  élus,  ne 
rencontra  aucune  protestation  efficace  :  «  Quand  vous  voudrez  rechercher  la 
cause  de  ce  désastre,  écrit  Dorville  à  ses  collègues,  vous  la  trouverez  dans  vos 
divisions  et  dans  les  traverses  que  le  sieur  Boyrot  a  reçues  de  la  part  de  ses 
parties  adverses  n;  ensuite  Penot  lui-même  abandonne  ses  fonctions.  (Clairamb. 
44-2,  p.  68.) 

3.  Mémoriaux  du  Conseil  de  1661  publiés  par  J.  de  Boislisle,  t.  1,  p.  121.  Séance 
du  Conseil  du  31  mars  :  le  Surintendant  Fouquet  est  chargé  d'expédier  l'arrêt, 
qui  est  motivé  par  la  nécessité  de  «  rétablir  l'ordre  que  le   malheur  des  guerres 

Sassées  a  longtemps   interrompu  »  et. d'assurer   le  «    recouvrement   des   deniers 
estinés  aux  dépenses  de  l'Estat  >.  (A.  N.,  E  1714,  n"  62.) 

4.  A.  D.  Calv.  Plumitif  du  Bureau  des  Finances,  1662,  f°  63.  A  la  suite  de  ledit 
d'août  1661  qui  supprimait  une  grande  quantité  d'offices  des  élections,  le  syn- 
dicat fut  un  instant  ressuscité  pour  publier  le  factum  général  de»  officiers  de* 
eslections  de  France,  contenant  leurs  très  humbles  supplications  et  remonstrances 
au  Roy  leur  souverain  seigneur.  B.  N.,  Lf38  19  et  Recueil  Thoisy  413,  f*  2*JJ. 

5.  Dans  une  circulaire  de  1652  ils  disent  que  ces  déclarations  leur  «  promet- 
taient, ensemble  à  tous  les  peuples  de  France,  un  abry  pour  nous  garantir  de  tout 
orages  et  des  atteintes  des  harpies  ».  (Lf38  15.) 

6.  Édit  de  mars  1654.  Dans  le  préambule,  il  est  dit  que  les  créations  d'offices 
•  ont  tellement  multiplié  le  nombre  de  nos  officiers  que  la  meilleure  part  des 
habitans  des  villes  qui  s'occupoient  auparavant  en  diverses  professions  utiles 
au  bien  commun  de  l'Estat  ont  quitté  tous  autres  emplois  pour  s'adonner  au 
seul  exercice  des  charges...,  le  grand  nombre  des  officiers  et  particulièrement 
de  ceux  dont  la  fonction  regarde  la  distribution  des  impositions  et  la  levée  des 
deniers  de  nos  tailles  et  gabelles,  a  multiplié  les  exempts  de  taille  et  les  procès 


LES    ELUS.  H5 

avons-nous  veu  de  nouvelles  créations  d'offices  !  Tous  les  ans  l'inven- 
tion d'un  nouveau  mot  fabriqué  par  l'avidité  des  gens  d'affaires  estoit 
le  sujet  d'une  nouvelle  taxe,  tousjours  quelque  suppléement,  ou  la  con- 
firmation d'un  droict  imaginaire  qui  desjà  nous  avoit  esté  chèrement 
vendu,  servoit  de  moyen  pour  nous  oster  la  jouissance  de  nos  revenus  ; 
ensuitte  on  est  venu  à  des  retranchemens  qui  n'ont  eu  autre  prétexte 
que  celuy  de  l'ordinaire  nécessité  des  affaires  de  l'Estat;  les  gens 
d'affaires  sembloient  estre  trop  intéressez  en  la  vente  de  ces  vaines 
attributions. 

En  l'année  1640,  on  nous  a  retranché  un  quartier  de  nos  gages; 
en  l'année  1641,  on  nous  a  retranché  un  quartier  de  nos  gages 
et  droicts  ;  en  l'année  1643,  pareil  retranchement  avec  une  taxe  pour 
la  jouissance  sans  retranchement  d'un  denier  pour  livre  des  imposi- 
tions dont  le  traicté  estoit  de  trois  millions  ;  en  l'année  1644,  une  taxe 
de  douze  cens  mil  livres  pour  la  révocation  du  droict  royal,  une  autre 
de  trois  millions  pour  le  restablissement  de  nos  privilèges  auparavant 
révoquez,  avec  attribution  de  cinq  sols  pour  parroisse  sans  retranche- 
ment, et  pareil  retranchement  d'un  quartier  et  demy  de  nos  gages  et 
droicts;  en  l'année  1645,  aussi  pareil  retranchement;  en  l'année  1646, 
retranchement  de  deux  quartiers  de  nos  gages  et  retranchement  d'un 
quartier  et  demy  de  nos  droicts.  Depuis,  pour  consommer  entièrement 
le  revenu  de  nos  offices,  on  a  joint  le  prétexte  des  taxes  aux  retran- 
chemens, sous  couleur  d'une  augmentation  de  trois  cens  mil  livres  de 
gages,  d'un  restablissement  d'un  troisiesme  quartier  de  nos  gages  et 
droicts,  et  de  la  descharge  de  la  Chambre  de  Justice,  dont  nous  avons 
tousjours  esté  exemptez  par  les  arrests  de  la  Cour,  mesme  par  les 
arrests  du  Conseil  :  nous  avons  esté  retranchez  en  l'année  1647  des 
quatre  quartiers  de  nos  gages  et  de  trois  quartiers  de  nos  droicts,  et 
en  l'année  1648  de  trois  quartiers  de  nosdits  gages  et  droicts.  Retran- 
chemens procédés  de  la  seule  avidité  des  traittans  cachée  sous  les 
ombres  de  cette  augmentation  de  gages,  et  du  restablissement  d'un 
troisiesme  quartier  de  nos  gages  et  droicts  :  aussi  le  fonds  de  ces  trois 
cens  mil  livres  de  gages  ne  nous  a  point  esté  fait,  et  le  restablissement 
de  nostre  troisiesme  quartier  ne  s'en  est  point  ensuivy.  La  fidélité  de 
ceux  qui  nous  ont  vendu  ces  attributions  a  esté  telle,  que  les  droicts 
d'un  denier  pour  livre  des  impositions,  et  de  cinq  sols  pour  parroisse 
qui  nous  ont  esté  vendus  ez  années  1643  et  1644  pour  en  jouyr  sans 
aucuns  retranchemens,  ont  esté  toutes  fois  retranchez  les  années 
suivantes,  ainsi  que  les  autres  attributions. 

Depuis  encore,  pendant  l'année  dernière  1653,  pour  nouvelle  augmen- 
tation de  gages,  et  pour  nous  vendre  plusieurs  fois  un  même  néant, 
joint  avec  le  prétexte  de  la  descharge  de  la  Chambre  de  justice  à 
laquelle  les  officiers  juges  comme  nous  ne  peuvent  estre  subjets,  nous 
avons  encore  esté  retranchez  d'un  troisiesme  quartier  de  nos  gages  et 
droicts  qui  a  esté  porté  en  la  seconde  partie  de  l'Espargne.  Ainsi  on  a 
tiré  de  nous  depuis  quatorze  ans  plus  de  soixante  millions  de  livres  *.  » 

entre  les  contribuables,  a  causé  l'inégalité  dans  les  assiettes,  a  exempté  les 
plus  riches  au  préjudice  des  pauvres  et  a  donné  lieu  à  tant  de  vexations  et  de 
contraintes...  que  nos  peuples  des  campagnes  avaient  peine  à  subsister  ». 

1.  Discours  faict  par  les  scyndics  des  officiers  des  eslections  de  France,  le  sieur 
Penot  l'un  d'eux  portant  la  parole,  sur  leur  requeste  présentée  à  la  Cour  des  Aydes 
le  28  mars  1654  ;  B.  N.,  Lf3»  17,  in-4°,  8  pages.  Signé  :  «  Penot  et  Boyrot,  Syndics 


116  LA    TAILL1     !  m     NOIÎMAMMI.. 

Ces  protestations  aboutirent  à  faire  ajourner  la  réforme, 
mais  le  gouvernement  ne  l'abandonna  pas.  Un  nouvel  édit,  en 
août  1(>()1.  ordonna  la  réduction  des  élus  à  8  dans  les  élections 
I  de  plus  de  ccut  paroisses,  et  à  5  dans  les  autres.  Le  syndicat  fit 
de  nouvelles  remontrances  au  roi ',  mais  à  ce  moment  le  gou- 
vernement changeait  de  direction  ;  le  conseil  de  Colbert  com- 
mençait à  être  suivi  par  le  roi,  et  la  maxime  de  l'ordre  était 
introduite  dans  les  finances;  l'exécution  de  ledit  apparut  comme 
le  prélude  nécessaire  de  toute  réforme  fiscale.  Colbert  en  a 
expliqué  les  motifs  en  1663  dans  les  commissions  des  tailles  : 
S.  M.  a  voulu  «  soulager  ses  sujets  contribuables  aux  tailles  des 
exemptions  dont  lesdits  officiers  jouissoient,  ensemble  des  vexa- 
tions qu'ils  leur  faisoient  souffrir  par  la  protection  qu'ils  don- 
noient  à  leurs  parens  et  à  leurs  fermiers,  qui  alloit  à  la  ruine 
desdits  contribuables2.  » 

Mais  on  n'aboutit  pas  sans  difficultés.  Il  fallut  envoyer  Mon- 
sieur à  la  Cour  des  aides  pour  y  faire  enregistrer  ledit;  à  la 
Chambre  des  comptes,  le  procureur  général  dut,  pour  obtenir 
la  vérification  «  diligemment  et  sans  difficulté  »,  représenter  que 
«  c'estoit  une  affaire  que  S.  M.  avoit  fait  mûrement  examiner 
en  son  Conseil,  qu'elle  alloit  au  soulagement  de  ses  sujets  parce 

des  officiers  des  Eslections  de  France.  »  En  conclusion,  ils  demandent  à  la  Cour 
de  rétablir  leurs  charges  par  un  arrêt  cassant  l'édit  royal. 

1.  Voici  quelques-unes  des  raisons  qu'ils  donnaient  :  «  si  le  nombre  des  offi- 
ciers est  à  charge  à  l'Estat  d'un  costé,  il  est  utile  de  l'autre  estant  autant  d'otages 
qu'a  V.  M.  dans  toutes  les  villes  de  vostre  royaume  ».  Même,  on  ne  peut  dire  que 
leurs  gages  coûtent  cher  à  l'Etat,  puisque  les  taxes  qu'ils  ont  payées  depuis 
Tingt  ans  en  dépassent  le  montant.  On  leur  reproche  d'avoir  causé  les  non- 
valeurs  des  tailles;  mais,  disent-ils,  et  leur  réponse  est  singulière,  «  V.  M.  consi- 
dérera s'il  lui  plait  que  tant  qu'ils  on'  eu  la  fonction  de  leur  charge  et  que  les 
impôts  ont  esté  tant  soit  peu  réglés  et  modérés,  il  n'y  a  point  eu  de  non-valeurs 
ou  fort  peu,...  mais  depuis  qu'il  n'y  a  eu  plus  de  règle  ni  de  mesure  dans  les 
impositions,  et  qu'on  a  envoyé  des  intendants  et  des  commissaires  dans  les  pro- 
vinces pour  faire  leurs  charges,  il  y  a  eu  des  non-valeurs  et  des  restes;  »  les  inten- 
dants, «  pour  la  plupart  a  la  dévotion  des  traitons  qui  les  choisissoîent  et 
envoyoient  dans  les  provinces  >,  ont  fait  les  départements  «  selon  leurs  caprices... 
chargeant  pour  l'ordinaire  les  bonnes  paroisses  qui  payent  et  font  leur  devoir,  et 
diminuant  les  mauvaises  afin  d'assurer  les  recouvrements  qui  estoient  en  party 
sans  se  soucier  de  ceux  de  l'advenir,  tellement  qu'ils  les  ont  toutes  réduites  à  un 
mesme  point,  c'est-à-dire  hors  d'état  de  pouvoir  payer  leurs  impositions  ».  (B.  N., 
Rec.  Tlioisy,  vol.  413,  P"  222  et  suivants  (imprimé). 

En  même  temps  qu'ils  présentaient  ces  remontrances,  les  élus  offraient  de 
payer  au  roi  une  forte  somme  pour  être  maintenus.  Mais,  dit  Colbert  en  1663, 
S.  M.  a  préféré  le  soulagement  de  ses  peuples  <  aux  propositions  qui  lui  estoient 
faites  de  donner  61  millions  de  livres  en  leur  accordant  (aux  élus)  leur  conser- 
vation, et  mesme  au  payement  d'une  autre  somme  de  t»l  millions  de  livres  dont 
elle  se  chargeoit  pour  le  remboursement  de  leurs  finances.  »  (Clém.  II,  61  :  la 
seconde  partie  de  cette  phrase  est  obscure). 

2.  Il  le  dit  au  roi  dès  1659  et  revint  sur  ce  point  en  termes  plus  explicites 
en  1663  :  ■  S.  M.  considérant  qu'il  n'y  avoit  rien  qui  portait  plus  de  préjudice  à 
ses  peuples  que  la  multiplication  des  officiers  des  eslections  du  royaume  qui 
estant  jusqu'au  nombre  de  22  ou  23  en  chacune  eslection,  non  seulement  vivoient 
aux  dépens  du  peuple  par  l'exercice  de  cette  nature  d'administration,  mais  mesme 
causoient  une  infinité  de  désordres  dans  les  paroisses  par  les  décharges  et  sou- 
lagemens  qu'ils  donnoient  aux  plus  riches  par  divers  motifs  d'intérest.  » 
(Clém.  II,  60.) 


LES    ELUS.  117 

que  le  régallement  des  tailles  pourroit  estre  fait  à  l'avenir  avec 
plus  d'égalité  et  moins  de  faveur  pour  les  uns  et  surcharge  pour 
les  autres;  que  d'ailleurs  les  taxes  des  officiers  réservés  s'em- 
ployant  au  remboursement  des  suprimés,  Elle  croyoit  que  dans 
l'année  1662  le  remboursement  seroit  entièrement  achevé,  et 
qu'ainsi  cet  édit  ne  nuisoit  à  personne,  et  pouvoit  profiter  à  plu- 
sieurs l  ». 

Dans  chaque  bureau  d'élection  les  intéressés  firent  leur  possible 
pour  que  ledit  ne  fût  pas  appliqué.  En  juin  1662,  le  roi  dit  savoir 
«  tant  par  les  sieurs  commissaires  départis  en  ses  provinces  que 
par  les  trésoriers  de  France,  qu'en  la  pluspart  des  élections 
les  officiers  réservez  et  supprimez  sont  dans  une  telle  intelli- 
gence que  l'édict  du  mois  d'aoust  dernier  et  les  arrêts  du  Conseil 
donnez  en  conséquence  demeurent  inexécuttez2  ».  L'hésitation 
du  gouvernement  devant  ces  obstacles  avait  des  conséquences 
fâcheuses  pour  l'administration,  comme  le  signale  l'intendant 
Pellot  à  Colbert  le  9  novembre  1661  : 

11  faut,  dit-il,  «  donner  le  plus  promptement  que  l'on  pourra  aux 
esleus  le  coup  de  grâce,  car  l'incertitude  de  leur  suppression  ou  de 
leur  choix  peut  causer  beaucoup  de  désordres,  et  jusqu'à  ce  qu'ils 
soient  assurés  d'estre  choesis  ou  réservés,  ils  ne  pourront  point  tra- 
vailler avec  soin  et  utilité,  et  ceux  qui  auroient  bonne  intention 
seroient  empeschés  par  les  autres  3  ». 

C'est  avec  l'aide  des  trésoriers  de  France,  adversaires  irréduc- 
tibles des  élus,  que  le  remboursement  fut  opéré  :  chaque  Bureau 
reçut  l'état  des  officiers  supprimés,  fut  chargé  de  percevoir  les 
taxes  des  réservés  et  de  juger  les  procès  survenus  à  cette  occasion. 
Une  série  de  lettres  furent  adressées  par  Marin  aux  trésoriers 
pour  les  exhorter  à  ce  travail  :  «  ce  sera  le  moien  de  faire  voir 
la  nécessité  de  vos  fonctions  et  de  parler  plus  hardiment  pour 
vostre  conservation,  à  quoy  je  contribueray  de  tout  mon  cœur4  ». 
—  Faites  «  voir  que  le  roy  agit  de   bonne  foi 5,  »  et   liquidez 

1.  Extrait  des  registres  de  la  Chambre  des  Comptes,  séance  du  19  décembre  1661, 
B.  N.  fr.,  11  048,  1°  238,  v°.  De  leur  côté  les  élus,  quoique  leur  syndicat  fût  désor- 
ganisé, intriguaient  auprès  des  personnes  influentes  à  Paris,  et  entretenaient  leurs 
collègues  des  provinces  dans  l'espérance  «  qu'ils  obtiendront  leur  restablissement 
comme  par  le  passé,  ou  en  tout  cas  que  les  réservez  auront  diminution  de  leurs 
taxes,  et  les  supprimez  augmentation  de  remboursement  ».  (Préambule  de  l'arrêt 
du  Conseil  du  17  mai  1662,  A.  D.  Calv.  Plumitif  du  Bureau  des  Finances  à  sa  date). 
Mais  on  ne  trouve  plus  trace  du  syndicat  après  cette  date. 

2.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  du  Bureau  des  Finances,  1662,  f°  69.  Des  influences  de 
toutes  sortes  interviennent  :  En  Auvergne,  les  habitants  de  Thiers  se  vantent  que 
leur  «  Eslection  sera  restablie  par  le  crédit  de  Mademoiselle  d'Orléans  »  (Lebas  à 
Colbert,  21  sept.  1664,  M.  C.  123bis  f°  921);  des  gens  forment  un  projet  «  pour  le 
restablissement  de  l'eslcction  de  Salers  moyennant  600  louis  d'or  en  cas  de  succès, 
et  pour  créer  un  second  président  dans  celle  d'Aurillac  moyennant  1650  1.  ». 
(Joly  à  Colbert,  Riom  27  nov.  1663,  dans  Depping,  t.  III,  p.  59.) 

3.  Depping,  III,  p.  4. 

4.  Lettre  de  Mann  au  Bureau  des  Finances  de  Caen,  (A.  D.  Calvados,  Bureau 
des  Finances,  8  mars  1662.) 

5.  Lettre  de  Marin  au  même,  30  mai  1662,  A.  D.  Calv.,  registre  des  commissions 


118  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

l'affaire  sans  retard.  Il  leur  demande  périodiquement  l'état  de 
leur  travail.  Les  intendants,  de  leur  côté,  reçoivent  de  Colbert 
des  instructions  pressantes;  ils  doivent  activer  les  trésoriers, 
envoyer  fréquemment  des  rapports  sur  les  opérations  faites.  Le 
mauvais  vouloir  des  élus1,  et  souvent  aussi  leur  pauvreté*,  firent 
traîner  l'affaire  en  longueur  :  encore  en  1671  on  trouve  des 
arrêts  du  Conseil  relatifs  à  cette  question1;  en  1681  dans  son 
mémoire  général  sur  les  fermes,  Colbert  dit  qu'il  faut  «  fixer  les 
officiers  des  élections  suivant  la  déclaration  de  1661*»,  ce  qui 
montre  que  l'opération  avait  été  abandonnée  sans  être  terminée  8. 

Maintenir  aux  élus  le  droit  de  faire  seuls  le  département  des 

^tailles  avait  été  un  autre  but  du  syndicat.  Ce  droit  leur  avait-été 

enlevé  en   1642  par  le  même  arrêt  qui  étaLlissajtJçA^ouypirs 

des   intendants    en    matière  de   taille;   le   roi  avait  donné  ses 

motïïs  dans  le  règlement  du  'Il  novembre  1641 6,  qui  mettait  les 

élus  en  demeure,  pour  la  dernière  fois,  de  faire  le  département 

«  avec  égalité  et  sans  aucune  faveur  ni  considération...  de  faire 

porter  lesdites  impositions  aux  plus  puissants  selon  leur  facultez 

et  position  sans  avoir  égard  à  recommandation,  considération 

»  ni   affection   quelconque  »;   s'ils   n'obéissaient  pas,   ils   étaient 

i  avertis  que  le  roi  établirait  «  des  commissaires  en  chacune  élec- 

\  tion,  au   lieu    des   officiers   d'icelle  »,  et   comme  ces   menaces 

des  tailles,  1661-72,  f"  200.  Cette  lettre  et  la  précédente  semblent  être  des  circu- 
laires adressées  à  tous  les  bureaux  des  Finances  des  pays  d'Elections. 

1.  Le  6  juillet  1665  les  trésoriers  de  France  à  Caen  écrivent  à  Colbert  que  si, 
dans  leur  généralité,  le  remboursement  n'est  pas  encore  achevé,  c'est  à  cause  de 
«  la  résistance  de  plusieurs  »  à  se  laisser  rembourser.  M.  C.  130  b",  f°  632. 

2.  Le  24  mars  1664,  Claude  Bougnrd,  élu  réservé  de  Pont-1'Evèque  demande  au 
Bureau  des  finances  la  permission  de  vendre  son  office  parce  que  «  à  cause  des 
taxes  faictes  continuellement  sur  son  office  d'Elleu  il  seroit  devenu  en  impuis- 
sance de  payer  la  dernière  »,  celle  de  1661,  montant  à  2  000  1.  (A.  D.  S.  Inf.,  C, 
1166,  I°*  65-66).  Le  23  mars  16^5,  les  trésoriers  de  France  à  Rouen  déclarent  qu'ils 
ne  peuvent  assurer  le  complet  remboursement  dans  les  élections  de  Gisors, 
Magny  et  Neufchatel  «  dans  lesquelles  il  y  a  5  officiers  réservez  qui  n'ont  point 
acquitté  leurs  taxes  par  impuissance  de  paiement,  sur  lesquelles  taxes  le  fonds 
de  remboursement  des  supprimez  est  en  partie  assigné  ».  M.  C.  128,  f°  536;  cf.  une 
requête  présentée  au  même  Bureau  par  Louis  le  Boucher,  lieutenant  en  l'élection 
de  Chaumont  et  Magny,  pour  obtenir  le  complément  du  prix  de  son  office  sup- 

f trimé  :  il  devait  recevoir  3  000  1.  et  à  cette  date  il  n'a  reçu  que  2  580  1.  13  s.  6  d., 
e  Bureau  lui  fait  payer  encore  280  1.  16  s.  et  le  renvoie  à  l'année  suivante  pour 
le  paiement  du  reste.  (A.  D.  S.  Inf.,  C,  1167,  f  201.)  Le  22  février  précédent,  l'inten- 
dant Voysin  faisait  le  même  rapport  (M.  C.  127"",  fol.  1001.)  A  ces  difficultés  il 
faudrait  aussi  ajouter  le  manque  de  fonds,  les  impositions  destinées  au  rembour- 
sement étant  très  mal  payées  (Cf.  la  lettre  de  Voysin  précitée). 

3.  Mentionnés  dans  une  lettre  des  trésoriers  de  Rouen  à  Colbert,  12  octobre  1671, 
M.  C.  157  b",  f  651. 

4.  Clém.,  VII,  265. 

5.  Du  moins  Colbert  eut  le  mérite  de  n'avoir  plus  recours  à  des  créations  d'élus 

6our  se  procurer  de  l'argent:  la  proposition  lui  en  fut  faite  pendant  la  guerre  de 
ollande,  alors  qu'il  cherchait  de  l'argent,  mais  il  refusa.  Cf.  de  ces  propositions 
dans  Clairamb.  797,  p.  60  et  suiv.,  datées  de  novembre  1676  :  on  voit  entre  autres 
le  projet  de  créer  deux,  trois  ou  quatre  élus  dans  chaque  élection,  de  vendre  des 
augmentations  de  gages,  etc.,  à  l'imitation  de  ce  que  l'on  avait  fait  au  temps 
de  Louis  XIII.  Tout  fut  écarté. 

6.  Ci-dessus,  page  45. 


LES    ELUS.  119 

avaient  été  inutiles,  l'arrêt  du  Conseil  du  22    août  1642  avait  / 
ordonné  que  le  département  serait  désormais  fait  conjointement  | 
par  les  élus,  l'intendant  et  un  trésorier  de  France,  et  même  les  / 
élus   ne   pourraient  pas  tous  y  participer  :   leu^  nombre  était 
limité,  à  trois.»  choisis  par  l'intendant,  qui  se  trouvait  ainsi  le 
maître  de  l'opération".  Si   aucun  élu   n'accepte   sa  désignation, 
ajoûTaTTT'aTï'él,  lesTntendants  recourront  à  «  tels  autres  officiers 
ou   notables  des  villes  qu'ils  adviseront  »  (art.  4)1. 

Les  élus  se  trouvaient  ainsi  dépossédés  de  leur  principale  et 
plus  intéressante  fonction.  Leur  syndicat  entreprit  la  lutte  pour  / 
ce  motif  contre  les  intendants  et  contre  les  trésoriers  généraux. 
Appuyés  par  la  Cour  des  aides,  ils  dénoncèrent  [es  exactions  )  X 
des  iixtenjian.ts.,  les  accusant  d'être  complices  des  traitants  et 
d  accabler  le  peuplê~au  lieu  de  le  soulager  suivant  leur  mission2,' 
et  ils  obtinrent  satisfaction  en  juillet  1J348  :  ce  fut  une  de  leurs 
grandes  victoires.  Mais  il  restait  les  trésoriers  de  France  :  ils 
avaîènT  "êT;é""maintenus"  dans  leur  droit  de  participer"  atf  départe- 
ment  par  une  autre  déclaration  de  juillet  1648,  où  il  était  spécifié 
qu'  «  au  cas  où  il  fust  reconnu  par  ledit  trésorier  commissaire 
lorsqu'il  travaillera  à  ladite  assiette  et  département  qu'il  y  eust 
quelque  intelligence  entre  lesdits  esleus  pour  soulager  aucune 
desdites  paroisses  ou  en  surcharger  d'autres,  la  voix  du  dit  tré- 
sorier de  France  depputé  estant  suivie  de  deux  voix  des  dits 
officiers  de  l'eslection  prévaudra  ».  L'acte  ajoutait  que  les  man- 
dements aux  paroisses,  intitulés  à  la  fois  des  trésoriers  de 
France  et  des  élus,  devraient  être  expédiés  «  devant  que  ledit 
trésorier  délégué  soit  party  de  l'eslection  »  ;  enfin  si  les  élus 
refusaient  de  vérifier  les  rôles  des  collecteurs,  il  appartiendrait 
au  trésorier  de  le  faire  à  leur  place3. 

Le  syndicat  des  élus  entreprit  de  faire  abroger  cet  acte;  mais 
il  rencontra  en  face  de  lui  je  syndicat  des  trésoriers  généraux, 
et  la  lutte  s'aggrava  parce  que  chaque  grôïïpë'Tùr  s'ouTënuIpar 
une  Cour  souveraine  :  les  élus  par  la  Cour  des  aides,  les  tréso- 
riers de  France  par  la  Chambre  des  comptes*. 

1.  Le  texte  de  l'arrêt  se  trouve  dans  Néron,   t.  II,  p.  674.  L'arrêt  s'applique  à 
l'imposition  de  l'année  suivante  1643,  mais   ces  dispositions  seront  rendues  per- 
pétuelles par  la  déclarntinp  du  16.  nvrjl  Jj&W  qui,  dans  ses  grandes  lignes,  demeu- 
rera en  vigueufjusqu'au  xvm*  siècle.  Cette  déclaration  ne  fut  pas  enregistrée  en 
Normandie,  et  ne  figure  pas  dans  les  Règlements  sur  le  fait  des  Tailles...  en  Nor-  .     . 
mandie,  mais  il  est  probable  qu'elle  fut  néanmoins   appliquée  dans  la   province/  Jpfif*-' 
par  les  soins   des  intendants,  comme  partout   ailleurs;    au   Parlement  de   Paris! 
l'enregistrement  rencontra  des  difficultés  :  il  fallut  pour  l'obtenir  les  lettres  du 

16  juin  1643.  (Vieuille,  p.  95.) 

2.  Voir  notamment  les   plaintes  des  élus  de  Fontenay-le-Comte  contre  l'inten-  i 
dant  de  Poitou,  le  sieur  de  Villemontée  en  1643.  B.  N.,  fr.  17479,  f°  167-8. 

3.  B.  N.,  fr.  18  479,  f°'  23-30,  papiers  de  Séguier.  Cette  déclaration  fut  sans 
doute  rendue  à  la  suite  des  démarches  des  trésoriers  de  France  auprès  du  Gou- 
vernement :  cf.  leur  requête  au  roi,  ibid.,  f°  32. 

4.  Circulaire  des  syndics  des  élections  à  leurs  collègues,  25  mars  1652.  «  Il 
est  encore  de  nostre  devoir  de  vous  faire  expressément  scavoir  les  singulières 
obligations  que  toutes  les  compagnies  des  eslections  ont  aux  Cours  souveraines, 


120  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Les  écrits  publiés  de  part  et  d'autre  exposent  les  prétentions 
réciproques  des  deux  corps  :  les  trésoriers  soutiennent  qu'ils 
sont  les  supérieurs  des  élus  :  «  ils  ont  l'honneur  d'estre  les 
aisnez  entre  les  officiers,  et  quand  ils  ont  esté  partagez  avec  les 
généraux  des  aydes,  qui  sont  venus  d'eux,  les  roys  ont  conservé 
aux  trésoriers  généraux  de  France  le  soin  et  la  direction  du 
sacré  domaine  et  de  toutes  les  finances  ordinaires  et  extraordi- 
naires »  ;  les  Cours  des  aides  n'ont  donc  pas  le  droit  de  sou- 
tenir les  élus  dans  leur  «  rébellion  »,  et  le  roi  doit  «  faire  ren- 
trer les  esleus  dans  leur  devoir,  authorisant  sur  eux  le  pouvoir 
légitime  des  trésoriers  généraux  de  France,  en  donnant  un 
nouveau  règlement  entre  les  Bureaux  et  les  Cours  des  aides1  ». 
Les  élus  leur  «  doivent  naturellement  honneur  et  respect  par 
l'institution  de  leurs  charges,  par  quantité  d'édicts  et  déclara- 
tions, et  par  autant  d'arrests  portans  peines  et  amendes  contre 
,eux,  et  pouvoir  aux  trésoriers  de  France  de  les  mulcter,  qu'il 
leur  est  arrivé  de  fois  de  sortir  des  termes  de  leur  debvoir2  ». 
Il  faut  donc  «  faire  tenir  dans  leur  devoir  tous  ces  officiers 
qui  entreprennent  sur  la  jurisdiction  les  uns  des  autres,  et 
les  esleus  surtout,  par  un  chastiment  exemplaire,  pour  avoir 
perdu  tout  respect  envers  leurs  supérieurs  naturels  et  légi- 
times* ». 

Sur  leur  droit  à  faire  les  départements,  les  trésoriers  invo- 
quent non  seulement  les  récentes  déclarations,  mais  de  vieux 
textes  législatifs  :  un  règlement  de  1603  leur  avait  attribué  la 
réformation  des  départements  faits  par  les  élus  quand  les 
paroisses  seraient  «  tombées  en  non-valeurs  »  ;  les  édits  de 
mai  1635  et  mars  1637  qui  créaient  de  nouveaux  offices  de  tré- 
soriers de  France  leur  conféraient  expressément  le  pouvoir  de 

et  particulièrement  à  Nosseigneurs  les  Premier  Président  et  Procureur  général  de 
la  Cour  des  Aydes,  qui  en  toutes  occasions  se  portent  à  nous  donner  des  preuves 
très-constantes  de  leur  favorable  protection,  ainsi  qu'ils  ont  fait  lors  de  l'arrest 
d'icelle  Cour  du  1er  mars  dernier,  qui  est  l'arrest  le  plus  advantageux  et  le  plus 
considérable  que  nous  puissions  souhaiter  >,  et  ils  les  invitent  à  leur  adresser 
«  des  lettres  de  remerciement  *.  (Lf  38  14.)  Cf.  encore  le  mémoire  des  Trésoriers 
de  France  de  1649,  art.  3  :  «  leur  audace  [des  élus]  a  esté  fomentée  et  peul-estre 
suscitée  par  la  Cour  des  Aydes  qui  entreprend  impunément  de  favoriser  leur 
rébellion;  il  est  notoire  que  ce  n'a  esté  qu'ensuitte  des  arreats  qu'elle  a  donnez 
qu'ils  ont  eu  la  hardiesse  de  violer  les  ordres  du  Conseil  et  des  trésoriers  de 
France  ».  (Lf  3»  13.) 

1.  Troisième  mémoire  des  trésoriers  de  France,  1649,  art.  7  et  9.  (Lf  38  13.) 

2.  Premier  mémoire,  art.  2,  Lf  '*  13.  Les  trésoriers  de  France  réclament  donc 
le  droit  de  surveiller  les  élus,  de  les  corriger  et  les  réprimander  quand  ils  contre- 
viendront aux  ordonnances,  d'enregistrer  leurs  nominations,  de  juger  en  appel 
leurs  sentences,  de  régler  les  difficultés  relatives  à  leurs  gages  «  et  tout  ce  qui 
regardera  le  faict  et  direction  des  finances  »  ;  en  même  temps  ils  prennent  des 
précautions  contre  la  Cour  des  aides  en  demandant  que  leurs  sentences  ne  puis- 
sent être  frappées  d'appel  que  devant  le  Conseil;  puis  ils  cherchent  à  faire  sup- 
primer le  syndicat  des  élus  :  il  faut,  disent-ils,  leur  défendre  «  de  continuer  ce  com- 
merce par  eux  entrepris  sans  aucun  titre  ny  permission  »  ;  qu'on  renvoie  dans 
leurs  provinces  ces  «  prétendus  syndics  »  qui  s'assemblent  à  Paris  (art.  4  et  &). 

3.  Phrase  d'un  mémoire  des  trésoriers  de  France  citée  dans  la  réponse  des 
syndics  des  élections,  1650,  B.  N.,  Lf  3*  12,  f°  2. 


LES    ELUS.  121 

«  présider  »  au  département  des  tailles1.  Ces  actes  confirmés 
par  la  déclaration  du  16  avril  1643  et  celle  de  juillet  1648  consti- 
tuent pour  les  trésoriers  un  droit  à  leur  avis  incontestable. 

Les  élus  répondent  sur  le  premier  point  —  la  supériorité  hié-/ 
rarchique  des  trésoriers  de  France  —  que  ceux-ci  l'affirment', 
sans    la   prouver;   ils  rappellent  qu'à   l'origine  les  élus  étaient! 
seuls  agents  financiers  du  roi  dans  tes  provinces,  les  trésoriers 
de  <France~  ne   s'occupant^gue   du  domainër*lës~généraux   des 
finances,  à  leur  création,  n'eurent  autorité  que  sur  les  comptables 
comme  agents  de  la  Chambre  des  comptes  et.  non  sur  les  élus, 
subordonnés  à  la  Cour  des  aides  ;  la  fusion  des  deux  fonctions 
de  trésoriers   de  France  et  généraux  des  finances  ne  changea 
rien  à  leurs  attributions.  Quoi  qu'ils  en  disent,  les  Bureaux  des 
finances  ne  forment  pas  une  cour  souveraine  puisque  leurs  sen- 
tences sont  sujettes  à  l'appel2. 

Quant  au  département  des  tailles,  il  est  certain  que  les  tréso-  A 
riers  ne  l'ont  fait  qu'à  titre  exceptionnel  :  le  règlement  de  1603 
«  qui  est  leur  plus  fort  bouclier,...  n'a  point  esté  adressé  aux 
cours  souveraines,  qui  ne  l'ont  point  vérifié,  mais  a  esté  seu- 
lement adressé  aux  trésoriers,  qui  ne  sont  point  capables  de 
faire  aucune  vérification,  n'estant  point  juges  souverains;  dont 
s'ensuit  que  l'on  n'y  doit  avoir  aucun  égard,  veu  mesme  qu'il 
n'a  jamais  esté  observé,  ce  qui  fait  que  Fontanon  ne  le  rapporte 
point  dans  ses  Ordonnances 3  »  ;  les  édits  de  mai  1635  et  mars  1637 
ne  sont  que  des  édits  bursaux,  où  un  accroissement  de  pouvoir 
n'a  été  accordé  aux  trésoriers  que  pour  leur  vendre  plus  cher 
leurs  offices;  enfin  les  actes  de  1642  et  1643  étaient  «  des  com- 
missions extraordinaires,  lesquelles  ont  pendant  ce  temps  des- 

1.  Ces  textes  sont  mentionnés  dans  les  mémoires  des  trésoriers  de  France.  B. 
N.,  Lf38  11  et  12. 

2.  Sur  les  reproches  adressés  à  leur  syndicat,  les  élus  font  une  réponse  vive  : 
«  Jamais  les  syndics  des  eslections  n'ont  escrit  des  lettres  dans  les  provinces  gré- 

judiciables  aux  affaires  de  S.  Si Ce  reproche   peut   estre  fait  avec  beaucoup 

plus  de  justice  aux  adversaires,  qui  ont  esté  chastiez  pour  des  lettres  séditieuses 
par  eux  envoyées  dans  les  provinces  ».  —  «  Jamais  les  syndics  n'ont  donné  autre 
conseil  aux  officiers  des  élections  que  de  contribuer  de  tout  leur  pouvoir  pour 
l'accélération  du  recouvrement  des  tailles,  de  faire  leurs  charges  avec  honneur 
et  se  maintenir  contre  les  entreprises  des  trésoriers  généraux.  »  (Réponse  des 
élus  aux  art.  1er  et  11  du  1er  mémoire.  B.  N.,  Lf 38  13,  p.  1.  Je  n'ai  pu  trouver  les 
«  lettres  séditeuses  »  dont  il  est  parlé  ici).  Et  ils  concluent  :  «  C'est  ce  désir  insa- 
tiable d'empiéter  sur  la  juridiction  des  eslus  qui  leur  a  fait  vomir  dans  leurs 
libelles  tant  d'injures  et  de  calomnies,  pour  lesquelles  il  y  a  lieu  non  pas  de  les 
renvoyer  dans  leurs  bureaux,  car  ils  y  sont  inutiles  au  service  du  Roy  et  de 
l'Estat,  mais  de  les  punir  d'un  chastiment  digne,  sauf  correction,  de  la  fausseté 
de  leurs  accusations.  »  Les  trésoriers  de  France  qualifient  les  élus  de  «  saute- 
relles d'Egypte  qui  avoient  dévoré  la  terre  »  et  ceux-ci  répondent  que  leurs  adver- 
saires ont  parmi  eux  des  «  commis  de  partisans,  fils  de  procureurs,  roturiers  et 
de  si  basse  naissance  que  leurs  parens  sont  encore  taillables  et  cottisez  par  les 
officiers  des  Eslections  »,  et  ils  affirment  que  certains  trésoriers  sont  complices 
des  partisans,  et  ont  commis  des  «  crimes  »  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions. 
(Lf  38  12.)  Par  là  on  voit  à  quel  degré  la  polémique  était  montée. 

3.  Lf 3S  18   :  Respouse  des  syndics  généraux  des   officiers    des   Eslections...    aux 
observations  des  trésoriers  provinciaux  en  France,  1650. 


122  LA    TAILLE     EN    NORMANDIE. 

f touillé  les  officiers  du  royaume  de  la  jurisdiction  et  fonctions  de 
eurs  charges  »,  et  ont  été  révoquées  en  juillet  et  octobre  1648*. 
Par  contre,  le  droit  exclusif  des  élus  est  proclamé  par  nombre 
d'ordonnances  solennelles  et  incontestables,  comme  celles 
de  1452,  1508,  juin  1517  (art.  5  et  6),  décembre  1594,  mars  1600 
(art.  2),  janvier  1634  (art.  42). 

A  ces  arguments  de  droit,  ils  ajoutent  des  arguments  de 
fait  : 

«  Que  si  les  Trésoriers  de  France  estoient  admis  en  l'assiette  des- 
dites tailles,  le  service  du  roy  en  recevroit  un  notable  préjudice,  parce 
qu'estans  puissans  en  biens,  et  possédans  plusieurs  seigneuries  dans 
I  l'estendue  de  leur  généralité,  ils  travailleroient  à  la  descharge  et  au 
i  soulagement  de  leurs  paroisses,  et  ainsi  réduiroient  en  non-valleurs 
toutes  les  tailles  de  S.  M.  *.  » 

«  Lintérest,  disent-ils  ailleurs,  que  quelques-uns  des  trésoriers 
ont  dans  le  party  des  tailles,  —  dont  ils  demeurent  tacitement  d'accord, 
—  est  un  des  motifs  qui  les  portent  avec  tant  d'ardeur  à  vouloir 
devenir  maistres  des  impositions;  ils  ne  font  point  de  difficulté  en  ce 
rencontre  de  se  rendre  juges  de  leur  propre  faict,  d'opprimer  les 
peuples  pour  se  tirer  d'affaire...  Mais  si  en  présidant  aux  départemens 
ils  avoient  si  peu  d'authorité  que  de  ne  pouvoir  donner  une  favorable 
diminution  aux  paroisses  qui  leur  appartiennent,  comment  pour- 
roient-ils  empescher  le  soulagement  de  celles  qui  seroient,  ainsi 
qu'ils  dient,  favorisées  par  les  eleus'?  » 

/  A  la  suite  de  cette  polémique,  les  élus  obtinrent  en  partie 
gain  de  cause  :  à  la  fin  de  1648,  la  déclaration  qui  donnait  la 
présidence  des  départements  aux  trésoriers,  répétée  par  les 
commissions  des  tailles,  fut  rapportée,  et  les  élus  recouvrèrent 
leur  ancien  privilège.  Voici  comment  l'obtention  de  ce  succès 
est  racontée  par  les  syndics  a  leurs  collègues  dans  une  circu- 
laire du  27  avril  1649  *  :  «  Leurs  députez  [des  trésoriers  de 
France]  qui  sont  de  par  de  ça  avoient,  par  leur  intrigue,  fait 
insérer,  dans  les  commissions  de  l'année  présente  1649  qu'ils 
pourroient  députer  quelqu'un  d'entr'eux  pour  assister  et  pré- 
sider dans  les  bureaux  de  nos  eslections  aux  départemens  des 
tailles,  afin  de  se  rendre,  s'ils  pouvoient,  maistres  d'une  de  nos 
principales  fonctions;  nous  avons  esté  obligez,  pour  nous 
acquitter  de  notre  devoir,  de  faire  très  humbles  remonstrances 
sur  ce  sujet  à  Nosseigneurs  des  Finances,  qui  les  auroient 
trouvées  plaines  de  justice,  et  fait  dresser  lesdites  commissions 
en  la  manière  accoustumée,  etcontrooller  de  nouveau,  dont  nous 
vous  avons  pleinement  informez.  »  Les  trésoriers  n'ayant  pas 
voulu    reconnaître   ce  changement,  la   Cour  des  aides,  sur    les 

1.  B.  N.,  Lf"  11  (1649). 

2.  Ibid. 

3.  Ibid.,  12. 

4.  Ibid.,  7. 


LES    ELUS.  123 

instances  du  Procureur  général l,  a  rendu  un  arrêt  «  en  vertu 
duquel  vous  pouvez  et  devez  maintenir  l'authorité  de  vos 
charges,  non  seulement  en  ce  chef,  mais  aussi  en  tout  autre  et 
en  la  conservation  de  vos  privilèges  ».  Mais  la  Cour  n'a  rétabli 
le  privilège  des  élus  que  pour  un  an,  et  elle  y  a  mis  comme 
condition  qu'ils  emploieraient  tous  leurs  soins  «  pour  bien  faire 
payer  les  deniers  du  roy  ».  A  la  suite  de  leurs  instances,  elle 
prolonge  ce  délai  de  deux  ans,  malgré  les  protestations  des  tré- 
soriers2, mais  les  élus  ne  cessent  d'être  tracassés  par  leurs 
adversaires.  .»— , 

Le  retour  de  Mazarin  en  1653  mit  un  terme  a  cette  que-  j 
relie.  L'épreuve  avait  montré  que  ni  les  trésoriers  ni  les  élus 
n'étaient  capables  de  répartir  l'impôt  avec  zèle  et  désintéres- 
sement; un  gouvernement  fort  ne  pouvait  employer  ces  agents 
dénués  de  zèle  et  d'honnêteté.  Tandis  que  l'on  travaillait  à 
dissoudre  les  deux  syndicats  3,  les  intendants  étaient  réinstallés 
dans  les  provinces4,  et  prenaient  la  place  des  deux  adver- 
saires. "*-- 

Ce  rétablissement  des  intendants,  on    l'a  vu,  n'alla  pas  sans 

HiTfînn1tés"""IVgrlis""qiiPi  }p.fi   trésnriVj_sJ^)r..gnnJ^t.ajfintf  !<? droit 

d'intervenir  dans  la  répartition  de  la  taille  entre  les  élections, 
les  élus" voulaient  leur  enlever  le  département.  A  la  fin  de  1661, 
ifs  adressèrent  au  roi  un  long  mémoire  ou"  la  conduite  de  ces 
intrus  était  sévèrement  jugée.  Tant  que  les  impôts  ont  été  «  tant 
soit  peu  réglés  et  modérés  »,  disaient-ils,  il  n'y  a  pas  eu  de  non- 

1.  Il  faut  adresser  des  remerciements  particuliers  à  Mgr  le  Procureur  général, 
«  qui  s'estant  rencontré  en  cour  avec  nosseigneurs  des  Finances,  ausquels  les 
sieurs  trésoriers  de  France  vouloient  persuader  qu'ils  avoient  droict  d'aller  par 
les  paroisses  de  l'eslection  de  Paris  et  par  les  eslections  de  la  généralité  pour 
informer  des  dommages  et  degasts  faits  par  les  gens  de  guerre  pendant  les 
troubles  derniers  et  faire  le  régalement  de  la  somme  de  700  000  1.  dont  S.  M. 
veult  et  entend  faire  remise  aux  contribuables  des  tailles  de  ladite  eslection  de 
Paris,  et  de  la  somme  de  200  000  1.  sur  les  autres  paroisses  de  la  généralité  de 
Paris  qui  ont  pareillement  souffert  pendant  lesdits  mouvemens;  ausquelles  pré- 
tentions desdits  sieurs  trésoriers  Mgr  le  Procureur  général  se  seroit  opposé,  et 
remontré  qu'iceux  n'ayant  aucune  jurisdiction  contentieuse,  ils  ne  pouvoient 
faire  lesdites  informations  ny  procéder  audit  régalement,  que  cela  dépendoit  de 
la  fonction  des  officiers  des  Eslections...  De  quoy  nosdits  seigneurs  du  Conseil 
sont  demeurez  d'accord,  et  dont  nous  estimons  nécessaire  de  vous  donner  advis.  » 

2.  Les  trésoriers  de  France  publient  un  mémoire  à  la  fin  de  16'i9  ponr  expli- 
quer que  leur  droit  de  présider  au  département  a  été  supprimé  «  la  présente 
année  pour  quelque  motif  particulier,  sans  tirer  à  conséquence  »,  parce  qu'il  n'y 
avait  qu'à  «  suivre  celuy  [le  département]  de  l'année  passée  à  la  diminution  près 
de  1/5  de  remise  sur  chaque  paroisse,  suivant  la  déclaration  du  roy  ».  Lf3S  12; 
les  élus  répliquent  que  «  ce  qui  a  esté  trouvé  bon  en  une  année  ne  peut  estre 
vicieux  et  défectueux  l'année  prochaine  ny  les  suivantes  ».  Pendant  les  deux 
années  1650  et  51  encore,  certains  bureaux  des  finances  refusent  de  leur  délivrer 
les  commissions  des  tailles  et  les  gardent  à  leurs  greffes.  (Circulaire  des  syndics, 
25  mars  1652,  Lf38  14.) 

3.  Une  réorganisation  de  l'administration  centrale  était  également  faite  dans 
les  finances  :  Servien  et  Fouquet  étaient  nommés  surintendants  des  finances 
et  Menardeau-Champré,  directeur;  les  élus  espéraient  que  ces  nominations  leur 
seraient  favorables  :  cf,  les  harangues  flatteuses  qu'adressèrent  aux  nouveaux 
promus  leurs  syndics  (B.  N.,  Lf38  15)  mais  ils  ne  tardèrent  pas  à  être  détrompés. 

4.  Voir  ci-dessus,  p.  48. 


124  LA    TAILLK    KX     NOHMANDIE. 

valeurs;  «  mais  depuis  qu'il  n'y  a  eu  plus  de  régie  ni  de  mesure 
dans  les  impositions  et  qu'on  a  envoyé  des  intendants  et  des 
commissaires  dans  les  provinces,  il  y  a  eu  des  non-valeurs  et 
restes  ». 

Les  intendants,  «  estant  pour  la  plupart  à  la  dévotion  des  traittants 
qui  les  choisissoient  et  envoyoient  dans  les  provinces,  (ils)  ont  faict 
et  font  encore  les  départemens  et  assiettes  selon  leur  caprice,  sans 
prendre  les  suffrages  des  offleiers,  et  sans  considérer  les  forces  des 

f croisses,  chargeant  pour  l'ordinaire  les  bonnes  qui  payent  et  font 
eur  devoir,  et  diminuant  les  mauvaises,  aCn  d'assurer  les  recouvre- 
mens  qui  estoient  en  party  sans  se  soucier  de  ceux  de  l'advenir  :  telle- 
ment qu'ils  les  ont  toutes  réduites  à  un  raesrne  point,  c'est-à-dire  hors 
d'estat  de  pouvoir  payer  leur  imposition,  s'il  n'y  est  pourveu  par  V.  M., 
au  lieu  que  les  officiers  avoient  coustume  d'y  procéder  tout  d'une  autre 
manière,  faisant  droit  à  chacune  parroisse  sur  ses  pertes  et  transla- 
tions de  domicile  des  habitans,  et  visans  plustost  a  conserver  et  faire 
subsister  leur  eslection  qu'à  servir  aux  volontez  et  à  l'avarice  des 
traittans...  On  a  procédé  avec  toutes  les  rigueurs  et  violances  imagi- 
nables; on  a  traitté  vos  subjects,  Sire,  non  comme  subjects,  mais 
comme  ennemis  ou  comme  rebelles;  on  a  employé  premièrement  des 
fuzeliers  et  carrabiniers  destinez  exprès,  puis  on  a  envoyé  contre  eux 
les  trouppes  qui  estoient  dans  les  provinces,  qui  ont  vescu  à  discré- 
tion dans  les  paroisses,  pillé  et  rançonné  les  habitans,  et  n'en  sont 
sortis  qu'après  les  avoir  ruynés  de  fond  en  comble,  ayans  bien  sou- 
vent eux-mesmes  mangé  et  consommé  vos  deniers,  comme  il  se  pra- 
tique encore  à  présent  en  divers  lieux  :  au  lieu  qu'auparavant  un 
huissier  ou  deux  les  faisoient  venir  dans  vos  receptes  '.  » 

Mais  cette  opposition  fut  sans  résultats.  Les  intendants, 
appuyés  par  le  Conseil,  demeurèrent  dans  les  généralités,  avec 
le  pouvoir  de  faire  le  département  de  la  taille;  les  élus  virent 
leur  nombre  réduit  par  ledit  d'août  1661,  et  tout  rentra  dans 
l'ordre.  Trésoriers  généraux,  élus,  intendants,  durent  collaborer 
à  la  répartition  des  impôts,  et  l'intendant  devint  bientôt  leur 
chef  incontesté. 

L'hostilité  subsista  pendant  bien  des  années  entre  les  tréso- 
riers et  les  élus;  elle  se  manifestait  surtout  lors  des  chevauchées 
des  trésoriers  dans  les  élections  :  le  13  juillet  1662,  M.  du 
Boscage,  trésorier  de  France  à  Caen,  vient  faire  sa  chevauchée 
a  Valognes;  il  convoque  devant  lui  le  président  de  l'élection,  qui 
lui  fait  répondre  par  deux  fois  «  qu'il  alloit  en  conférer  à  sa 
compagnie  »  et  finalement  ne  comparaît  pas.  M.  du  Boscage 
apprend  que  les  élus  font,  dit-il,  «  raillerie  de  nos  semonces 
et  du  sujet  de  nostre  dit  voiage  »,  et  il  doit  se  retirer  sans 
rien  faire2.  Le  20  décembre  lb70,  les  élus  de  Caen  refusent 
également  de  comparaître  devant  M.  de  Fourmentin,  trésorier 

1.  B.  N„  Recueil  Thoisy,  413,  f°  222. 

2.  A.  D.  Galv.,  Bureau  des  Finances,  liasse  de  chevauchées  des  trésoriers 
généraux. 


LES    ELUS.  125 

de  France1.  Le  23  juin  1683,  les  élus  de  Mortagne  ont  déclaré 
à  M.  Farcy  du  Parc,  trésorier  général  en  chevauchée,  «  qu'ils 
ne  pouvoient  obéir  aux  ordres  du  roi,  parce  que  cela  faisoit  tort 
à  leurs  charges  et  qu'il  leur  estoit  préjudiciable  de  reconnoître 
tant  de  supérieurs  »  ;  en  outre  ils  se  «  sont  portez  à  cet  exceds 
d'hardiesse  qu'ils  ont  fait  signifier  des  actes  dudit  sieur  de 
Farcy  du  Parc  en  des  termes  dont  le  stile  et  le  discours  sortent 
du  respect  qui  est  deu  à  S.  M.  »  Même  refus  est  fait,  quelques 
jours  après,  par  les  élus  d'Alençon.  Ces  deux  dernières  affaires 
eurent  une  suite  assez  grave  :  le  Bureau  des  finances,  offensé 
par  ces  «  rébellions  »,  sans  doute  concertées,  intligea  aux 
deux  élections  des  amendes  de  50  1.  et  suspendit  les  gages 
des  officiers  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  satisfait;  mais  les  élus 
firent  appel  de  cette  sentence  devant  la  Cour  des  aides  qui 
annula  les  poursuites.  Cet  arrêt,  loin  de  régler  l'affaire,  la 
compliquait,  car  les  trésoriers  généraux  refusaient  d'admettre 
l'appel  de  leurs  sentences  devant  la  Cour  des  aides;  ils  décla- 
rèrent qu'ils  ne  devaient  «  raison  de  leurs  ordonnances  qu'à 
S.  M.  et  à  son  conseil,  ainsi  que  ladite  Cour  »,  et  il  fallut  faire 
régler  le  conflit  par  le  roi  :  à  la  poursuite  de  l'intendant,  un 
arrêt  du  conseil  du  2  octobre  1683  cassa  la  procédure  et  ordonna 
«  que  les  officiers  des  eslections  d'Alençon  et  de  Mortagne  seront 
tenus  de  recevoir  dans  leurs  bureaux  les  trésoriers  de  France 
au  Bureau  des  finances  d'Alençon  faisant  leurs  chevauchées  et 
de  conférer  avec  eux  sur  Testât  des  biens  de  la  terre  et  sur  les 
ordres  de  S.  M.  et  de  son  Conseil  qu'ils  auront  à  leur  commu- 
niquer, à  peine  d'interdiction  contre  les  officiers  qui  refuse- 
ront de  s'y  trouver.  —  Enjoint  aux  officiers  desdites  eslections 
de  porter  honneur  et  respect  auxdits  trésoriers  de  France 
d'Alençon  2  ». 

En  1663,  le  Bureau  des  finances  de  Rouen  ne  peut  obtenir 
des  élus  les  copies  des  départements  faits  par  eux  depuis  1657  ; 
ayant  rendu  à  cet  effet  une  ordonnance  au  début  de  l'année,  il 
constate  le  7  décembre  qu'aucune  élection  n'a  envoyé  ses  copies; 
le  18  avril  suivant,  les  élus  de  Rouen  n'ont  pas  encore  envoyé  la 
leur;  le  Bureau  ordonne  de  saisir  les  biens  du  greffier  de  l'élec- 
tion pour  l'obliger  à  s'exécuter3.  Mais,  comme  disait  un  con- 
seiller d'Etat  en  1665,  ces  élus  avaient 

«  des  appuys  et  supports  dans  les  Cours  des  aydes,  ce  qui  ne  doit 
estre,  et  on  ne  doute  point  que  la  Chambre  de  justice  n'aye  desjà 
donné  à  V.  M.  les  advis  nécessaires  pour  corriger  tels  abus  4  ». 

On  a  vu  que   Colbert  aurait  voulu  supprimer  complètement 

1.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  du  Bureau  des  Finances,  22  déc.  1670. 

2.  A.  D.  S.  Inf.,  G,  1464,  pièce  43. 

3.  A.  D.  S.  Inf.,  C,  1165  fos  22  et  82. 

4.  Rapport  du  conseiller  La  Marguerie,  Clairamb.  613,  f°  304. 


126  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

les  élus.  Faute  de  moyens,  il  les  conserva  pour  la  plupart  et  se 
résigna  a  les  utiliser.  Ils  demeurèrent  des  agent!  très  médiocres. 
Sur  ceux  de  Normandie,  nous  avons  des  renseignements  qui 
ne  laissent  aucun  doute.  A  maintes  reprises  les  intendants 
leur  interdisent  «  d'exiger  aucune  chose  des  collecteurs  des 
paroisses  »,  sous  prétexte  de  percevoir  directement  leurs  gages; 
de  se  faire  payer  leurs  déplacements  quand  ils  vont  constater 
les  ravages  d'une  grêle  ou  d'une  inondation  ;  de  surtaxer  leurs 
frais  de  procès1.  Ils  prononcent  des  sentences  contraires  aux 
ordonnances  et  à  l'équité,  ils  couvrent  de  leur  autorité  les 
fraudes  et  les  injustices.  Des  rapports  dressés  par  les  intendants 
entre  1682  et  1684  nous  apprennent  que  dans  la  généralité  de 
Rouen  «  il  y  a  quelques  eslections,  et  dans  les  autres  quelques 
officiers  qui  abusent  du  pouvoir  de  leurs  charges  »  ;  il  y  a  long- 
temps, ajoute  l'intendant  Leblanc,  «  que  je  les  ay  advertis  que 
s'ils  ne  changeoient  vous  en  feriez  un  exemple;  j'ay  remédié 
autant  qu'il  m'a  esté  possible  à  leur  mauvaise  conduitte2». 
A  Gisors,  le  président  et  le  lieutenant  «  sont  gens  ruinez  et  capa- 
bles de  tout  »  ;  ils  «  ont  pris  des  mesures  pour  empescher  que 
l'imposition  de  4000  1.  que  vous  avez  ordonnée  estre  faite  sur 
privilégiez  et  non  privilégiez  ne  pust  réussir,  par  les  difficultez 
et  descharge  qu'ils  donneroyent  ».  Il  a  dû  ordonner  que  la  nomi- 
nation des  collecteurs  de  la  ville  de  Gisors  fût  faite  «  à  l'hostel 
de  ville  en  présence  des  eschevins  afin  que  les  esleus  n'en 
feussertt  pas  ies  maistres  »  ;  de  même  l'adjudication  des  octrois 
est  une  source  de  voleries  pour  ces  personnages  malfaisants  *. 
Le  27  octobre  1683,  il  dénonce  au  Conseil  un  élu  de  Rouen  qui, 
prétextant  une  maladie  de  sa  femme,  s'est  absenté  du  bureau  et 
a  tenu,  seul  avec  un  clerc,  une  audience  «  pour  juger  des  affaires 
qu'il  affectionoit*  ».  Le  2  juillet  1682,  il  écrit  encore  :  «  J'excite 
depuis  longtemps  les  officiers  des  eslections  et  des  greniers  à 
sel  à  faire  leur  devoir,  une  partie  des  eslections  et  greniers  a  sel 
se  sont  réduits  et  ont  quitté  le   mauvais  usage  de  la  province, 

1.  Voir  B.  N.  ma.  fr.  8761";,  P  223:  M.  C,  239,  f>  79;  A.  D.  S.  Inf.,  C,  1166, 
f°  13:  C,  2215,  etc.  Voir  aussi  dans  Depping,  t.  III,  p.  4-3,  les  abus  commis  par 
les  élus  de  Poitiers  en  1661.  Dans  les  antres  généralités  on  trouve  fréquemment 
des  jugements  défavorables  aux  élus  :  dans  la  généralité  de  Chalons  en  1678  l'in- 
tendant écrit  que  les  désordres  de  l'élection  de  Troyes  tiennent  à  «  la  méchante 
conduite  des  élus  qui,  n'estans  capables  de  résister  aux  présens,  changent  les  col- 
lecteurs nommés  par  les  communautez  autant  qu'ils  s'en  présente,  et  donnent 
des  sentences  de  modération  sans  nombre,  passant  par-dessus  toute  formalité  ». 
(L.  du  20  juillet,  A.  N.,  G~  223.)  Dans  la  généralité  de  Bordeaux,  l'intendant  de 
Ris  écrit  le  23  juin  1684  que  les  élus  sont  presque  tous  <  indisciplinés  et  prévari- 
cateurs »  ;  le  pseudo-testament  politique  de  Colbert  attribué  à  Sandras  de  Courtils 
déclare  traduire  une  opinion  courante  en  disant  qu'  •  il  n'y  a  pas  une  élection  en 
France  qui  ne  soit  pensionnaire  des  partisans  ».  (3*  éd.  t.  II,  p.  232.) 

2.  L.  du  23  mai  1682,  B.  N.  fr.  8761,  f°  53.  Cf.  8761"",  f  59  et  63. 

3.  L.  du  13  février  1682,  ibid.,  P  42.  Cf.  lettre  de  Barin  de  la  Galissonnière  du 
2  sept.  1671  :  les  élus  de  Pont  de  l'Arche,  dit-il,  •  n'ont  ny  sens  ny  raison.  »  (M.  C. 
157,  P  410). 

4.  A.  N.,  G^  492. 


LES    ELUS.  127 

aprez  leur  avoir  dit  que  vous  ne  souffririez  point  qu'ils  abusassent 
des  fonctions  de  leurs  charges  pour  vexer  et  piller  le  peuple1  ». 
Dans  la  généralité  d'Alençon,  les  élus  de  Conches  «  sont  peu 
habiles  et  paroissent  aymer  fort  la  pratique;  il  sera  bon,  ajoute 
l'intendant,  que  j'aye  souvent  l'œil  sur  leur  conduite2  ».  A  Mor- 
tagne, 

«  les  eslus  se  taxent  de  très  fortes  espices  pour  les  soliditez  et  pour 
tous  les  procez  qu'ils  jugent;  ils  obligent  mesme  l'un  des  collecteurs 
de  prester  le  serment  afin  de  pouvoir  saisir  les  meubles  des  contri- 
buables     Enfin  on  peut  dire  que  les  eslus  du    siège   ne   perdent 

gueres  d'occasions  de  taxer  leurs  salaires  un  peu  trop  fortement  et 
pour  des  choses  desquelles  ils  ne  doivent  rien  prendre,  mais  il  y  a  un 
nouveau  procureur  du  roy  qui  est  honeste  homme  et  qui  s'aplique 
aux  fonctions  de  sa  charge,  lequel  estant  un  peu  secondé,  restablira 
un  meilleur  ordre.  » 

Leurs  abus  viennent  en  partie  de  ce  qu'ils  sont  divisés  en 
trois  sièges  :  Mortagne,  Bellême  et  Nogent3.  En  revanche  les 
élus  de  Bernay  «  sont  pour  la  plus  grande  partie  fort  habiles, 
fort  exacts  et  désintéressés4  ».  En  1684  le  même  intendant  écrira 
au  contrôleur  général  :  «  En  vérité,  Monsieur,  la  chose  la  plus 
utile  que  vous  pouviés  faire  pour  le  peuple  est  la  réforme  que 
vous  voulés  faire  dans  les  eslections  en  ostant  les  mauvais  offi- 
ciers 5.  » 

Les  élus  de  Caen,  en  1684,  sont  «  capables  et  assidus  »,  mais 
«  les  espices  sont  un  peu  fortes6  »;  ceux  de  Mortain  «  sont  fort 
ignorans,  mais  en  récompense  ils  ne  sont  pas  fripons  et  il  y  a 
peu  de  procès  dans  leur  jurisdiction  7  »  ;  le  président,  qui  possède 
sa  charge  depuis  1682,  passe  pour  un  honnête  homme,  a  de 
l'esprit  et,  détail  notable,  n'a  pas  commis  de  friponnerie  avant 
son  entrée  en  fonctions  8. 

1.  A.  N.,  G?  491. 

2.  L.  du  25  mai  1683,  A.  N.,  G?  71. 

3.  L.  du  11  septembre  1683,  ibid.  Cf.  ci-dessous,  p.  131. 

4.  L.  du  6  mai  1683,  ibid. 

5.  L.  du  10  déc.  1684,  ibid. 

6.  L.  du  30  juin  1684,  A.  N.,  G'  213. 

7.  L.  du  25  juin  1684,  ibid. 

8.  L.  du  26  janvier  1682,  ibid.  i 
Pour  la  généralité  de   Rouen,  nous  avons   des  notes  envoyées  par  l'intendant 

en  1673;  elles  concernent  seulement  les  élus  qui  avaient  été  choisis  pour  faire  les 
taxes  des  francs-fiefs,  c'est-à-dire  apparemment  ceux  qui  étaient  jugés  les  meil- 
leurs. Ces  notes  ne  sont  pas  excellentes  et  permettent  de  mal  juger  les  autres 
élus  : 

Election  de  Rouen  :  Lepage,  président  de  l'élection  est  «  honneste  homme 
mais  il  ne  peut  pas  se  transporter  dans  l'estendue  de  l'eslection  à  cause  qu'il  est 
.   trop  âgé  ». 

Pont-de-1' Arche  :  Duparc-Vallée,  lieutenant,  est  «  honneste  homme  ». 

Caudebec  :  Marpellé,  président,  est  «  honneste  homme  mais  peu  intelligent  ». 

Montivilliers  :  Lemarchand, président, est  «  intelligent  mais  malhonneste  homme; 
il  a  donné  des  mémoires  de  gens  qui  ne  sont  points  sujets  au  droit  [de  franc- 
fief]  et  a  celé  ceux  qui   le  doivent  ». 

Lyons  et  les  Andelys  :  Delatour,  lieutenant,  est  «  honneste  homme  ».  (Clairamb. 
795,  p.  313.) 


ISI  LA    TAILLE    EN    NOIIMANDIK. 

ii  mauvaise  conduite  des  élus  était  entretenue,  en  grande 
partie,  par  l'insuffisance  de  leurs  appointements  :  leurs  gages 
déjà  modiques  (ils  varient  de  160  à  500  1.  pour  des  charges  qui 
ont  coûte  de  4000  1.  à  8  000  1. '),  ne  leur  sont  payés  qu'en 
partie,  et  très  irrégulièrement;  aucun  ne  touche  plus  de  deux 
quartiers  par  an,  et  les  retards  de  plusieurs  années  dans  les 
payements  sont  chose  courante  :  en  1665,  un  élu  de  Rouen  en 
est  encore  à  réclamer  le  reste  de  ses  gages  des  années  1646 
et  1652,  montant  à  95  1.  15  s.  6  d.;  pour  les  obtenir,  il  lui  faut 
une  sentence  du  Bureau  des  Finances  dont  les  frais  s'élèvent 
à  une  douzaine  de  livres2.  En  1661,  un  élu  de  Carentan  établit 
qu'il  n'a  reçu  aucuns  gages  depuis  1653  :  le  receveur  lui  déli- 
vrait des  bons  pour  se  faire  payer  directement  par  les  collec- 
teurs de  deux  paroisses  qui  étaient  insolvables;  le  Bureau  des 
finances  de  Caen,  le  30  mai,  ordonne  le  paiement  de  la  moitié 
de  ses  gages  pour  les  années  1653  à  1658  seulement,  et  encore 
«  à  proportion  des  fonds  laissez  dans  les  estats  du  roys  ».  A  tout 
propos,  sur  les  états  de  comptabilité,  leurs  gages  sont  rayés, 
suspendus,  réduits,  et  pour  obtenir  ensuite  leur  paiement  ils 
sont  obligés  d'entamer  des  procédures  longues  et  coûteuses. 

Il  leur  était  nécessaire  de  gagner  de  l'argent  au  moyen  de 
«  la  pratique  »;  les  épices  devaient  suppléer  à  l'insuffisance  des 
appointements.  Mais  le  nombre  des  affaires  soumises  à  leur 
juridiction  allait  sans  cesse  en  diminuant  depuis  que  les  attri- 
butions des  intendants  se  multipliaient,  et  leurs  revenus  étaient 
réduits  par  la  volonté  de  Colbert  qui  leur  faisait  juger  «  som- 
mairement et  sans  frais  »  la  plupart  des  procès  relatifs  aux 
impôts.  Leur  abaissement  est  manifesté  par  la  diminution  du 
prix  de  leurs  offices  :  telle  charge  d'élu  qui  valait  5  ou  6000  1. 
en  1665  n'en  vaut  plus  que  3  ou  4000  en  1680.  En  1684,  l'inten- 
dant de  Caen  écrit  :  «  Les  officiers  des  élections  ont  si  peu  de 
pratique  pour  les  tailles  que  le  revenu  de  leurs  charges  est 
diminué  d'un  tiers  depuis  six  ans*  »;  les  élus  de  Lisieux  en  sont 
réduits  à  demander  l'autorisation  de  payer  l'annuel  en  trois 
paiements  échelonnés  chacun  à  un  an  d'intervalle  :  «  nous 
ne  jouissons,  disent-ils,  que  d'un  quartier  de  nos  gages  qui 
à  peine  pourra  suffire  pour  paier  chacun  an  les  prests  des 
trois  premières  années  et  le  droit  annuel  »  ;  ils  sont  tous 
endettés6.  En  1689,  le  contrôleur  général  sera  obligé  d'inviter 

1.  Par  exemple  dans  l'élection  de  Rouen  en  1665,  le  président,  dont  la  charge 
vaut  12  000  1.,  a  374  1.  de  gages;  le  greffier  dont  la  charge  vaut  15  000  1.  n'a  que 
254  1.  ;  dans  l'élection  d'Arqués,  le  président  reçoit  165  1.  pour  une  charge  de 
10  000  1.,  etc.  (Mémoire  de  Voysin,  p.  219-223.) 

2.  A.  D.  S.  Inf.,  C,  1167,  f°'  165-6. 

3.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  du  Bureau  des  finances,  1661,  f°  222. 

4.  L.  du  10  juillet  168'i,  A.  N.,  G?  213. 

5.  L.  du  3  février  168»,  ibid. 

Cf.    les  plaintes   des  élus  au   début   du    ministère  sur  l'avilissement  de  leurs 


LES    ELUS.  129 

les  intendants  à  laisser  aux  élus  plus  de  procès  à  juger, 
pour  que  leurs  charges  ne  s'  «  avilissent  »  pas  complètement1. 

Depuis  très  longtemps  les  ordonnances  faisaient  une  obliga- 
tion stricte  aux  élus  de  résider  au  siège  de  leur  élection  2. 
Par  là  on  voulait  non  seulement  assurer  leur  assiduité  aux 
séances,  mais  aussi  permettre  aux  agents  du  roi  qui  avaient 
besoin  d'eux  de  les  trouver  aisément.  Mais  les  élus  préféraient 
demeurer  sur  leurs  terres  ou  dans  leur  ville  d'origine,  et  la  plu- 
part ne  résidaient  pas.  La  seule  peine  édictée  en  pareille  matière, 
la  privation  de  l'office,  était  d'application  difficile,  car  elle 
entraînait  le  remboursement  de  cet  office.  Le  règlement  de 
janvier  1634  avait  atténué  la  pénalité  pour  la  rendre  plus  sen- 
sible, en  ne  stipulant  plus  que  la  privation  de  l'exemption  de 
taille3,  mais  le  désordre  de  la  période  mazarine  avait  empêché 
l'exécution  de  cet  article. 

Un  des  premiers  arrêts  rendus  par  le  Conseil  des  finances 
réorganisé  fut  pour  inviter  les  élus  à  résider.  La  suppression 
de  l'office,  de  nouveau  prononcée  en  cas  de  non-résidence, 
devenait  plus  facilement  applicable  par  la  réduction  du  nombre 
des  élus  à  laquelle  on  travaillait  depuis  le  mois  d'août  précédent  : 
les  élus  conservés  qui  ne  résideraient  pas  pouvaient  être  rem- 
placés par  des  officiers  supprimés  \  L'obligation  fut  encore 
rappelée  par  la  déclaration  du  29  décembre  1663,  visant  géné- 
ralement tous  les  officiers  des  finances,  des  maréchaussées  et 
autres  5.  Les  procureurs  du  roi  dans  les  cours  des  aides  et  les 
élections  étaient  chargés  de  l'application  :  ils  devaient  fournir 
un  certificat  de  résidence,  qui  seul  permettrait  aux  élus  de  tou- 
cher leurs  gages. 

offices;  ceux  de  Saintes  écrivent  encore  en  1665  que  leurs  charges  sont  «  depuis 
quinze  ans  hors  de  tout  commerce  par  leur  villité  et  leur  malheur  ».  (M.  G.,  130b", 
f°  6'J5). 

1.  De  Boislisle,  Correspondance,  t.  II,  n°  1076. 

2.  Par  exemple  ordonnance  de  1483,  art.  201  :  «  Les  élus  et  greffier  par  nous 
establir  sur  le  fait  de  nos  aydes  et  tailles  es  eslections  de  nostre  royaume... 
résideront  et  feront  leur  demeurance  continuelle  en  la  ville  capitale  et  principal 
siège  de  leur  Election,  sur  peine  de  privation  de  leurs  offices  »  (Guénois,  Confé- 
rence des  Ordonnances,  t.  II,  p.  1441),  cf.  édits  de  1435,  art.  268;  de  nov.  1508, 
art.  I  (ibid.);  let.  pat.  30  juin  1517,  début  (G.  d.  T.  I,  45-46),  édit  de  mars  1600, 
art.  14,  etc.  L'Assemblée  des  Notables  de  Normandie,  en  1617,  avait  demandé  que 
l'on  obligeât  à  la  résidence  les  trésoriers  de  France  et  les  élus.  (Héron,  Documents 
concernant  la  Normandie  extraits  du  Mercure  de  France,  p.  82.) 


des  bourgeois  des  villes  franches.  (Cf.  ci-dessous,  ch.  v.) 

4.  Arrêt  du  conseil  du  29  octobre  1661,  A.  D.  Galv.,  Bureau  des  Finances,  Plu- 
mitif 1662,  f°  8  v°. 

5.  Ils  devront  aller  «  résider  es  lieux  de  leur  établissement  incontinent  après  la 
publication  des  présentes,  à  faute  de  quoy  ils  seront  privez  de  leur  exemption  et 
de  leurs  gages  et  droicts,  lesquels  seront  portez  en  notre  espargne  »  ;  les  procu- 
reurs du  roi  en  chaque  siège  tiendront  registre  des  officiers  de  leur  compagnie 
en  indiquant  s'ils  résident  ou  non;  ils  en  informeront  les  intendants  et  les  bureaux 
des  Finances;  les  gages  d'un  officier  ne  pourront  lui  être  payés  que  sur  un  cer- 
tificat du  procureur  attestant  qu'il  réside  effectivement.  (C.  d.  T.,  I,  5'i7.) 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


ISO  LA    TAILLE    EX     NOIl  M  AM>1 1: . 

Les  intendants  eurent  ipéoUlem— I  mission  de  surveiller  l'exé- 
cution de  ces  ordres;  ils  les  rappelèrent  aux  intéressés  dans  leurs 
ordonnances  ou  dans  les  mandements  aux  paroisses  pour  la  levée 
de  la  taille  '.  Leur  correspondance  avec  le  contrôleur  général 
nous  fait  connaître  les  résultats  obtenus. 

Dès  1667,  la  déclaration  du  29  décembre  1663  est  méconnue 
dans  la  généralité  de  Caen;  l'intendant  doit  la  renouveler  par 
une  ordonnance  spéciale  où  il  nous  apprend  que  beaucoup  d'élus 
«  abandonnent  et  négligent  l'exercice  de  leur  charge,  qu'ils 
ne  considèrent  que  pour  l'exemption  de  la  taille,  et  résident 
aux  terres  et  fermes  qu'ils  font  valloir  en  des  paroisses  de  la 
campagne  esloignées  du  siège  de  leur  jurisdiction,  où  les 
audiences  sont  bien  souvent  abandonnées  et  tenues  par  un  seul 
officier  qui  juge  les  affaires  contre  les  réglemens,  selon  son 
caprice,  à  l'oppression  des  pauvres  taillables  qui  n'ont  le 
moyen,  et  se  consomment  bien  souvent  en  frais  pour  se  pour- 
veoir  de  ces  sortes  de  jugements  ».  Les  procureurs  du  roi  négli- 
gent d'envoyer  les  certificats  de  résidence,  et  les  receveurs 
payent  les  gages  sans  les  exiger  2. 

En  1685,  un  successeur  de  cet  intendant  écrit  encore  :  «  La 
plus  grande  partie  des  élus  de  Carentan  et  de  Mortain  n'y 
demeurent  pas  et  ne  viennent  à  la  ville  que  le  jour  de  la  juris- 
diction 3  ». 

Dans  la  généralité  de  Rouen  en  1682,  l'intendant  se  déclare 
impuissant  à  appliquer  le  règlement  et  demande  un  arrêt  du 
conseil  «  pour  obliger  les  esleus  de  Montivilliers  à  résider  au 
siège  de  l'eslection  *».  Dans  celle  d'Alençon,  l'intendant  ne  peut 
rencontrer  un  seul  élu  au  siège  de  Lisieux  en  août  1683 5. 

En  beaucoup  d'élections,  les  officiers  ont  trouvé  le  moyen 
d'exercer  sans  résider  au  chef-lieu  :  ils  ont  installé  des  «  sièges 
particuliers  »  dans  les  lieux  où  ils  demeurent,  et  ils  y  pro- 
noncent des  sentences  valables  comme  celles  du  siège  principal. 
Ils  y  ont  été  encouragés  par  les  seigneurs  des  lieux  qui  ont  vu 
là,  suivant  un  mémoire  de  1666.  un  moyen  de  «  s'authoriser  »  et 
de  «  se  rendre  maistres  »  du  pays*.  Cette  pratique,  d'après  le 
même  mémoire,  est  générale  dans  les  grandes  élections  de  Nor- 
mandie; mais  on  la  trouve  aussi  dans  les  petites  comme  Lyons7. 

1.  Principalement  dans  la  généralité  de  Caen. 

2.  Ordonnance  de  l'intendant  Chamillart,  9  septembre  1667,  A.  D.  Calv.,  élec- 
tion de  Caen,  registre  d'ordonnances.  1664-74,  f°  195. 

3.  L.  au  contrôleur  général,  27  juillet.  A.  N.,  C  213. 

4.  L.  du  2  janv.  1682,  A.  N.,  G'  491.  Il  accuse  réception  de  l'arrêt  le  8  janvier 

5.  Rapport  du  1"  sept.  1683,  A.  N.,  G7  71. 

6.  Mémoire  anonyme  adressé  à  Marin,  publ.  en  appendice  du  Mémoire  sur  la  géné- 
ralité de  Rouen,  p.  274.  Des  «  élections  particulières  •  avaient  été  instituées  autre- 
fois par  le  gouvernement  lui-même,  mais  différents  édits  les  avaient  supprimées. 

7.  L.  de  Leblanc  à  Colbert,  13  juin  1682  :  «  Quoyque  l'eslection  de  Lyons  n'ayt 
que  soixante-cinq  ou  six  parroisses  (en  réalité  60),  quelques  esleus  pour  leur 
commodité  ont  estably  une  espèce  de  siège  à  la  Ferté-en-bray  dont  ils  sont  voi- 
sins, où  ils  jugent  les  affaires  des  parroisses  circonvoisines;  dans  le  règlement 


LES    ELUS.  131 

L'élection  de  Gisors  détache  régulièrement  un  de  ses  membres 
à  la  châtellenie  de  Pontoise  ;  celle  de  Chaumont  a  un  siège  parti- 
culier à  Magny,  celle  des  Andelys  en  a  deux,  à  Gournay  et  à 
Vernon;  de  même  celle  d'Alençon  à  Séez  et  à  Moulins.  Un  élu 
de  Verneuil  siège  a  Châteauneuf,  distant  de  huit  lieues  *,  etc. 

Dans  ces  sièges  isolés,  il  arrivait  souvent  qu'un  seul  élu  pro- 
nonçât les  sentences  :  à  Séez  et  à  Moulins,  «  pour  l'ordinaire,  un 
seul  officier  juge  et  quelquefois  mesme  le  plus  ancien  advocat  ». 
L'élu  de  Châteauneuf  n'a  jamais  vu  un  collègue  à  côté  de  lui 
pour  juger.  Les  injustices  sont  ainsi  grandement  facilitées.  Si 
les  élus  de  Mortagne,  dit  l'intendant  d'Alençon,  n'avaient  des 
sièges  particuliers  à  Bellême  et  a  Nogent-le-Rotrou,  «  peut-estre, 
ne  feroient-ils  pas  bien  des  choses  qu'il  seroit  bon  d'empescher, 
et  ce  qui  me  donne  lieu  de  le  croire  c'est  que  ceux  qui  sont  à 
Bellesme  en  usent  beaucoup  mieux  que  les  autres  et  se  plaignent 
mesme  de  la  conduite  de  leurs  confrères2  ». 

Un  tribunal  d'élection  comprend,  outre  les  présidents,  lieu- 
tenant et  élus,  en  nombre  qui  a  été  dit  plus  haut,  un  procureur 
du  roi,  un  greffier,  des  huissiers  et  des  procureurs3.  Le  nombre 
total  de  ces  officiers,  pour  la  Normandie,  atteint  le  chiffre 
de  421  en  1665. 

Le  tribunal 4  siège  et  délibère  comme  les  Bureaux  des  finances  ; 
les  juges  doivent  être  présents  au  nombre  de  trois  au  moins  pour 
rendre  des  sentences  valables5;  les  sentences  doivent  être  pro- 
noncées en  l'audience  ou  en  la  chambre  du  conseil,  les  juges 
en  robe  et  en  bonnet  carré. 

Ils  connaissent  en  première  instance  de  toutes  les  affaires 
contentieuses  qui  concernent  les  aides,  les  tailles,  le  tabac,  les 
octrois  des  villes;  ils  informent  des  rébellions  produites  par  la 
levée  de  ces  droits,  enregistrent  les  baux  des  fermes,  les  titres  de 
noblesse  et  les  provisions  d'offices  portant  exemption  d'impôts. 
Leurs  jugements  sont  sans  appel  pour  toute  cause  n'excédant 
pas  30  1.;  pour  les  autres,  l'appel  a  lieu  exclusivement  à  la 
Cour  des  aides  de  la  province. 

Le  ou  les  présidents  ont  spécialement  pour  fonction  d'«  exa- 
miner les  comptes  des  collecteurs,  faire  les  enquestes  et  audi- 
tions de  tesmoins,   et   taxer  les  dépens  ».    Le    lieutenant   doit 

(jue  tous  ferez  pour  les  tailles,  il  faudra  s.  v.  p.  retrancher  ces  sortes  de  siégea 
et  les  réunir  au  bureau  de  l'eslection.  »  (B.  N.,  fr.  8761,  f°  55,  v°.) 

1.  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen,  p.  130  et  158;  rapport  de  l'intendant 
d'Alençon,  1er  septembre   1683,  A.  N.,  G"  71. 

2.  Rapport  de  l'intendant  de  Bouville,  1er  septembre  1683,  A.  N.,  G7  71. 

3.  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  130. 

4.  Je  ne  fais  que  résumer  ici  le  chap.  vi  de  Vieuille,  Traité  des  Elections,  en 
éliminant  les  règles  établies  postérieurement  à  1683. 

5.  Les  sentences  inscrites  au  plumitif  de  l'élection  de  Falaise,  en  1677,  sont  géné- 
ralement signées  par  deux  élus  seulement,  rarement  par  trois,  jamais  par  un  plus 
grand  nombre. 


132  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

«    instruire   tous    les    procès    criminels  [et]    tenir   le    sceau   de 
l'eslection  ».  Un  des  élus  est  assesseur  du  président1. 

C'est  surtout  à  la  fin  de  sa  vie  que  Colbert,  obligé  de  con- 
server les  élus,  se  préoccupa  de  les  soumettre  aux  règlements 
pour  tirer  d'eux  quelque  utilité.  Dans  sa  circulaire  aux  inten- 
dants du  14  mai  1682,  il  écrit  : 

«  Sa  Majesté  a  à  présent  une  très  grande  application  pour  régler  si 
bien  l'imposition  et  la  collecte  des  tailles,  que  ses  sujets  en  soyent 
considérablement  soulagés;...  le  principal  de  cette  fonction  consiste 
à  observer  de  près  la  conduite  des  élus,  pour  la  réduire  autant  qu'il 
sera  possible  dans  l'ordre  et  dans  les  règles,  et  les  obliger  de  rendre 
la  justice  sur  cette  matière  conformément  aux  édits,  ordonnances, 
règlements  et  arrests  de  Sa  Majesté.  Elle  veut  que  vous  vous  appli- 
quiez avec  un  très  grand  soin  à  bien  examiner  la  conduite  de  ces 
officiers,  en  examinant  mesmes  les  registres  de  leurs  greffes  pour 
voir  si  les  sentences  qu'ils  rendent  sont  conformes  à  ces  édits,  ordon- 
nances et  arrests,  et  au  cas  que  vous  trouviez  quelque  abus  considé- 
rable, soit  à  l'égard  du  corps  de  l'élection,  soit  à  l'égard  de  quelques- 
uns  des  officiers,  que  vous  l'en  informiez,  afin  qu'Elle  puisse  y  apporter 
le  remède  convenable,  soit  en  les  interdisant,  soit  en  les  obligeant  de 
se  défaire  de  leur  charge,  ou  par  tel  autre  peine  qu'Elle  estimera 
capable  de  parvenir  à  la  fin  qu'elle  se  propose 2.  » 

Quelques  jours  après,  il  envoie  a  l'intendant  d'Amiens  la 
collection  des  arrêts  rendus  depuis  deux  ou  trois  ans  contre 
les  élus  qui  ont  été  trouvés  en  faute  :  faites-les  voir  aux  officiers 
de  votre  généralité,  dit-il,  pour  les  convaincre  «  qu'avec  un 
maistre  aussy  esclairé  et  aussy  appliqué  au  bien  de  ses  sujets 
que  le  nostre,  il  n'y  a  point  d'autre  party  a  prendre  que  de  bien 
faire  son  devoir,  chacun  dans  Testât  ou  il  luy  plaist  de  nous 
mettre  '  ». 

L'année  suivante,  il  reçoit  de  l'intendant  de  Lyon  un  mémoire 
qui  lui  prouve  que  les  élus  de  la  généralité  ont  une  façon  de 
juger  à  eux,  entièrement  étrangère  aux  ordonnances  royales. 
Appliquez-vous,  lui  répond-il  le  24  février,  «  a  rendre  la  juris- 
prudence des  élus  conforme  aux  édits,  déclarations  et  règlements 
donnés  sur  le  fait  des  tailles,  et  qui  sont  enregistrés  à  la. Cour 
des  aydes  de  Paris,  et  a  empescher  que  ces  officiers  ne  conti- 
nuent dans  l'usage  de  se  faire  une  jurisprudence  particulière 
dont  la  suite  ne  peut  estre  que  très  pernicieuse  aux  sujets  du 
roy  et  avantageuse  à  ces  élus...  Le  roy  m'ordonne  donc  sur  ce 
point  de  vous  dire  que  Sa  Majesté  veut  que  vous  déclariez  aux 
élus  que  s'ils  se  départent  de  1  exécution  des   édits,  déclarations 

1.  Voir  le  tableau  des  offices  de  lu  généralité  de  Rouen  en  1605  dans  le  Mémoire 
de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  220-223;  ceux  des  autres  généralités  se  trouvent  aux 
ms.  Cinq  cents  Colbert,  259-260. 

2.  Clém.  II,  186. 

3.  Ibid.,  190. 


LES    CHEVAUCHÉES    DES    ELUS.  133 

et  règlements  donnés  par  Sa  Majesté.  Elle  n'hésitera  pas  à  les 
supprimer  tous,  pour  establir  d'autres  officiers  qui  seront  plus 
obeissans  a  ses  ordres  et  qui  scauront  mieux  exécuter  ses 
volontés  portées  par  ses  édits  et  règlements  '.  »  Mais  six 
mois  après,  Colbert  mourait,  et  ses  successeurs  abandonnaient 
l'œuvre  entreprise  par  Sa  Majesté. 


III.    —   LES    CHEVAUCHEES    DES    ELUS 

Tous  les  règlements  prescrivaient  aux  élus  de  faire  chaque 
année  des  chevauchées  dans  leur  élection,  pour  «  s'informer 
bien  particulièrement  des  moyens  et  facultez  des  habitans,  de 
l'abondance  ou  stérilité  de  l'année,  du  nombre  des  charues  et 
trafic  qui  se  fait  esdites  paroisses,  ensemble  de  toutes  les  autres 
commoditez  et  incommoditez  qui  les  peuvent  rendre  riches  ou 
pauvres,  comme  aussi  des  noms  des  exempts  et  de  la  cause  de 
leurs  exemptions,  pour  connoitre  si  aucun  d'eux  s'attribue 
induement  ladite  qualité;...  voir  s'il  y  a  de  l'inégalité  es  taxes 
des  particuliers  habitans,  soit  en  excès  ou  diminution  2.  »  Il  leur 
était  interdit  de  «  faire  leurs  chevauchées  deux  années  consécu- 
tives en  même  paroisse,  ains  seront  tenus  de  changer  de  dépar- 
tement par  chacun  an  sans  pouvoir  choisir  les  paroisses  qu'ils 
auront  une  fois  eues  en  département  qu'ils  n'ayent  été  en  toutes 
les  paroisses  de  leur  élection3  ». 

En  Normandie,  où  les  paroisses  sont  groupées  en  sergenteries, 
chaque  élu  reçoit  une  ou  plusieurs  sergenteries  pour  sa  part;  il 
doit  se  rendre  dans  chaque  localité  «  incontinent  après  la 
récolte  »,  y  interroger  les  principaux  habitants,  les  collecteurs, 
les  marguilliers  et  les  syndics,  s'informer  de  l'état  des  récoltes 
et  généralement  de  tout  ce  qui  peut  servir  de  base  à  la  répar- 
tition de  l'impôt.  Son  procès-verbal  doit  être  déposé  au  greffe 
de  l'élection4  avant  le  mois  d'octobre,  sous  peine  de  privation 
de  ses  gages5;  en  aucun  cas  les  gages  ne  peuvent  lui  être  payés 
sans  la  présentation  du  procès-verbal 6. 

Ces  prescriptions  accumulées  par  une  législation  de  plus  de 
deux  siècles  montrent  l'importance  qu'on  attachait  à  ces  che- 
vauchées. Dans  une  déclaration  de  juin  1517  le  roi  disait  que 
par  la  négligence  des  élus  à  les  faire,  il  «  est  advenu  et  jour- 

1.  Clém.'VIf,  280. 

2.  Edit  de  mars  1600,  Art.  3  et  4.  Cf.  Lubarre,  Formulaire,  et  Vieuille,  p.  84-5. 

3.  Art.  43.  Toutes  ces  règles  seront  reprises  par  l'art.  32  de  la  déclaration  du 
16  avril  1643,  mais  celle-ci  ne  sera  pas  appliquée  en  Normandie;  les  règlements 
particuliers  aux  élections  ajoutent  quelques   détails  à  cette  disposition  générale. 

4.  Cf.  les  édits  d'août  1452,  art.  16,  juin  1517,  art.  4,  février  1552,  art.  1,  jan- 
vier 1597,  art.  20,  janvier  1634,  art.  43,  avril  1643,   art.  32,  etc. 

5.  Décl.  du  16  avril  1643,  art.  32. 

6.  G.  d.  T.,  I,  p.  547. 


134  LA.  TAii.i.r.    in    \«»iim  vm.ii:. 

nellement  .uhinit  qu'en  faisant  par  eux  t'aMMtte  et  département 
de  nosdites  tailles  ils  ne  scavent  par  où  en  prendre  et  foulent 
ceux  qu'ils  devroient  soulager  et  en  ostent  où  il  en  faudrait 
mettre,  tellement  qu'égalité  n'est  gardée  esdites  assiettes1  ». 

M  fine  après  qu'aux  élus  on  eut  adjoint  l'intendant  et  les 
trésoriers  de  France,  ces  chevauchées  conservèrent  leur  impor- 
tance, car  personne  ne  pouvait  mieux  que  les  élus  prendre  une 
connaissance  détaillée  des  ressources  de  toutes  les  paroisses. 
L'intendant  d'Alençon,  de  Marie  l'a  expliqué  après  une  tournée 
dans  sa  généralité  où  il  était  récemment  arrivé  : 

«  J'ay  pris  quelques  mémoires  dans  la  province  dont  j'ay  faict  deux 
fois  le  tour,  mais  je  ne  me  flatte  pas  assez  pour  croire  qu'en  huict 
mois  j'en  puisse  avoir  appris  autant  que  tous  les  esleux  ensemble, 
dispersez  en  différentes  eslections  et  dans  différentes  paroisses,  des- 
quelles leur  bien  particulier  [leur]  donne  des  connoissances  et  des 
lumières  plus  asseurées;  je  puis  tousjours  vous  dire  que  la  pensée  de 
faire  grâce  et  de  déférer  à  la  recommandation  n'entrera  point  dans 
mon  esprit 2.  » 

La  difficulté  était  la  même  pour  les  trésoriers  généraux,  qui 
d'ailleurs  négligeaient  complètement  leurs  fonctions. 

Les  intendants  auraient  voulu  trouver  dans  les  élus  des  auxi- 
liaires utiles.  Maintes  fois  ils  les  engagèrent  à  faire  soigneuse- 
ment leurs  chevauchées  pour  les  renseigner  sur  le  détail  de 
tout;  Barin  de  la  Galissonnière  écrit  à  Colbert  le  5  juin  1664  : 
«  J'ay  dict  aux  esleus  de  ceste  eslection  d'aler  faire  leurs  visites, 
et  je  leur  donneray  une  ample  instruction,  afin  qu'au  premier 
département  on  puisse  esgaler  la  taille  avec  plus  de  justice3  ». 
Des  circulaires  leur  furent  adressées,  des  recommandations 
inscrites  dans  les  commissions  et  dans  les  règlements.  Mais  on 
ne  put  guère  obtenir  d'eux.  Beaucoup  s'abstinrent  complète- 
ment de  faire  des  chevauchées.  Pescheur  écrit  à  Colbert  en  1665 
que  «  les  esleuz  ne  font  plus  de  chevauchées  parce  que  le  quart 
aes  droitz  qui  leur  reste  n'est  pas  suffisant  pour  les  fraiz  de  leurs 
voyages*».  En  1685,  l'intendant  de  Bordeaux  écrit  que  dans  sa 
généralité  les  élus  «  se  dispensent  de  faire  leurs  chevauchées 
et  ne  veulent  marcher  et  faire  de  procès-verbaux  qu'autant  qu'ils 
sont  payés6  ».  Souvent  leurs  gages  sont  suspendus  par  les 
Bureaux  des  finances  parce  qu'ils  n'ont  pas  remis  de  procès- 
verbaux;  lorsqu'ils  font  leur  inspection,  ils  s'en  acquittent 
comme  d'une  corvée;  ils  la  considèrent  comme  une  simple  for- 
malité pour  être  payés. 

1.  C.  d.,  T.  I,  47. 

2.  L.  ù  Colbert,  Alençon,  30  sept.  1666.  M.  C.  140,  (°  512.  Il  était  arrivé  dans  la 
généralité  le  11  janvier  précédent. 

3.  M.  C,  121,  f>  208. 

4.  M.  C.  33,  F  293. 

5.  De  Boislisle,  Correspondance,  t.  I,  n°  203,  cf.  n°  561. 


LES  CHEVAUCHEES  DES  ELUS.  135 

Je  n'ai  trouvé  que  quatre  procès-verbaux  de  chevauchées  : 
deux  de  l'élection  de  Caen  datés  de  1661,  et  deux  de  Lisieux, 
datés  de  1683  et  1684.  Les  questions  posées  aux  habitants  des 
paroisses  sont  à  peu  près  les  mêmes  partout;  voici  par  exemple 
celles  de  l'élu  de  Lisieux  en  1684  : 

Qui  sont  les  seigneurs  et  patrons  d'icelles  parroisses.  Combien  il  y 
a  de  fiefs,  de  quelle  qualité  y  sont,  à  qui  ils  appartiennent  et  de  quelles 
personnes  et  fiefs  ils  relèvent1. 

Les  noms  et  surnoms  de  ceux  qui  usurpent  la  qualité  de  noble  et  qui 
autrement  s'exemptent  des  contributions  aux  tailles. 

Sy  les  gentilshommes  ne  dérogent  point,  comme  prenant  dixme  à 
ferme  soubs  leurs  noms  ou  soubz  noms  empruntez  ou  autres  vaccations 
et  arts  mécaniques. 

Les  noms  de  ceux  qui  se  font  imposer  à  des  sommes  moindres  que 
celles  qu'ils  doibvent  porter,  quels  biens  ils  possèdent  et  combien  ils 
payent. 

S'il  ne  s'est  point  levé  d'autres  deniers  que  ceux  ordonnez. 

S'ils  ont  plainte  a  faire  contre  les  receveurs  et  huissiers. 

Et  généralement  quelles  personnes  sont  décédez  depuis  le  1er  octobre 
de  l'année  dernière,  et  combien  ils  payoient  de  taille2. 

Partout  les  réponses  des  habitants  à  ces  questions  sont 
vagues;  elles  se  ramènent  en  général  à  déclarer  qu'ils  n'ont  à 
se  plaindre  de  rien  :  dans  toutes  les  paroisses  de  la  sergenterie 
d'Evrecy3,  en  1661,  les  contribuables  répondent  qu'«  il  n'y  a 
aucun  digne  de  contribution  qui  ne  soit  imposé  ny  qui  usurpe 
le  titre  de  noble,  d'exempt  ou  privilégié,  lesdits  taillables  ne 
sont  oppressez  par  aucune  personne  et  ne  se  plaignent  de 
surassis,  de  sergeant,  ny  marchant  de  namps4  »;  cependant 
nous  savons  d'autre  part  que  ces  paroisses  étaient  misérables 
parce  que  les  bourgeois  de  Caen  en  possédaient  la  plupart  des 
terres  sans  y  payer  la  taille;  elles  devaient  des  arriérés  d'impôt 
considérables  et  venaient  d'être  rançonnées  par  le  receveur 
Hallot,  dont  le  procès  était  en  instance  au  Bureau  des  Finances. 
L'optimisme  du  procès-verbal  ne  peut  donc  pas  être  pris  à  la 
lettre.  Il  est  douteux  d'ailleurs  que  les  élus  dans  leurs  chevau- 
chées se  fussent  transportés  réellement  dans  chaque  paroisse  : 
le  président  de  l'élection  de  Lisieux  déclare  même  dans  son 
procès-verbal  qu'il  s'est  tenu  «  dans  la  chambre  du  conseil  de 
l'élection  »  ;  l'élu  qui  visite  la  sergenterie  d'Evrecy  fait  son 
travail  dans  une  seule  journée  d'après  son  procès-verbal,  or 
il  lui   était  matériellement   impossible  de   se  transporter  en  si 

1.  Cette  question  est  posée  parce  que  les  élus  prétendent  avoir  connaissance  en 
première  instance  des  affaires  concernant  la  noblesse,  lesquelles  sont  jugées  par 
appel  à  la  Cour  des  Aides.  (V.  ci-dessous,  ch.  v,  la  recherche  de  la  noblesse.) 

*-i.  Procès-verbal  de  la  chevauchée  d'Antoine  Tynan,  premier  président  en 
l'Election  de  Lisieux,  du  16  sept.  168'»,  A.  D.  Galv.,  C,  Election  de  Lisieux. 

3.  Election  de  Caen. 

4.  A.  D.,  Calv.  Election  de  Caen.  Namps  désigne  les  objets  mobiliers. 


136  LA    TAILLB    EN    NOll.MAXDIE. 

peu  de  temps  dans  les  19  paroisses  de  la  circonscription. 
Non  seulement  ces  rapports  étaient  peu  soignés,  mais  ils 
étaient  encore  partiaux,  ainsi  que  le  l'ait  observer  l'intendant 
Auber  dans  son  mémoire  sur  la  taille,  écrit  en  1721  :  «  Les 
officiera  des  élections  font  annuellement  leurs  visites  dans  les 
villages  pour  en  connoitre  la  force  et  la  portée.  Mais  ces  offi- 
ciers, outre  l'intérêt  particulier  qu'ils  ont  les  uns  et  les  autres 
de  favoriser  respectivement  les  paroisses  dans  lesquelles  ils  ont 
des  fermiers,  des  parens  ou  des  amis,  afin  qu'ils  soient  aussi 
respectivement  favorisez  par  les  collecteurs  de  ces  paroisses,  et 

3ue  ces  officiers  se  trouvent  d'ailleurs  par  divers  motifs  engagez 
'avoir  de  la  complaisance  pour  les  grands  seigneurs  et  per- 
sonnes d'autorité  ayants  des  biens  et  des  fermiers  dans  ces 
paroisses,  les  receveurs  des  tailles  ont  encore  leurs  vues  parti- 
culières. Ainsi,  tous  de  concert  ils  composent  des  états  peu 
fidèles  de  la  force  et  portée  de  chacune  paroisse,  qu'ils  repré- 
sentent à  messieurs  les  intendans,  lorsqu'ils  font  le  département 
des  tailles;  et  comme  il  est  impossible  à  ces  messieurs  d'exa- 
miner si  ces  états  sont  vrays  ou  faux,  ils  ne  peuvent  mieux  faire 
que  de  s'y  conformer;  et  s'ils  y  apportent  quelque  changement, 
ce  n'est  souvent  qu'à  la  prière  et  recommandation  des  personnes 
qui  ont  leur  intérêt  personnel  de  ne  leur  pas  dire  la  vérité.  C'est 
ainsi  que  l'imposition  de  la  taille  est  faite  annuellement  sur  les 
paroisses  '.  » 

IV.   —  LA  COMMISSION  DE   RÉPARTITION 


Elus,  trésoriers  généraux,  intendant,    doivent  se  réunir,  dès 

3ue  les  attaches  sont  expédiées  aux  élections,  pour  faire  le 
épartement  de  la  taille  entre  les  paroisses;  ils  s'adjoignent 
les  receveurs,  à  titre  consultatif2.  Tous  forment  une  commis- 
sion,, où  chacun  apporte  les  renseignements  qu'il  a  recueillis 
de  son  côté. 

1.  A.  N.,  AD  470,  pièce  98,  p.  11. 

2.  C'est  par  exception  que  1  on  voit  en  1662  un  commissaire  des  guerres,  Car- 
tier, <  travailler  avec  M.  Dugué  au  département  des  tailles  de  la  généralité  de 
Caen  ».  L.  du  29  novembre  1661,  D.  G.  170,  f°  326. 

Antérieurement  à  notre  époque  on  trouve  l'intervention  de  personnages  autres 
que  les  officiers  du  roi  dans  les  départements  :  en  1616,  les  échevins  de 
Rouen  sont  autorisés  A  assister  au  département  des  tailles  de  l'élection  de  Rouen. 
(De  Beaurepaire,  Cahiers  des  états...  règne  de  Louis  XIII...  t.  I,  p.  140  et  306.)  En 
1569,  les  états  de  la  province  demandent  «  que  pour  l'avenir  les  délégués  de  cha- 
cun bailliage  soyent  appelez  nu  département  des  tailles  de  chacune  des  parroisses 
desdites  eslections,  sans  que  les  esluz  contraignent  lesdits  déléguez  desamparer 
le  conclave  »  qu'ils  y  nient  voix  délibérative  etsignent  le  département.  Le  roi  le  leur 
accorde.  (De  Beaurepaire,  Cahiers...  de  Charles  IX,  t.  I,  p.  55.)  Les  États  eux-mêmes 
avaient  l'habitude  de  déléguer  un  de  leurs  membres  au  département;  un  arrêt 
du  conseil  du  27  juillet  lftSs  le  leur  interdit.  (De  Beaurepaire,  Cahiers...  règne  de 
Louis  XIII,  t.  III,  p.  28.)  Néanmoins  en  novembre  16'j3  les  États  disent  dans  leur 
cahier  :  «  il  s'est  pratiqué  de  tous  temps  que  le  député  du  tiers  état  assiste  au 


LA    COMMISSION    DE    REPARTITION.  137 

Les  élus  font  de  droit  partie  de  cette  commission.  L'insuffisance 
de  leurs  chevauchées  réduit  leur  rôle  à  peu  de  chose  :  l'inten- 
dant Lallemant  de  Lévignen  l'explique  en  1732  dans  ses  Obser- 
vations sur  la  taille  :  «  Les  officiers  des  élections,  peu  versez  pour 
la  pluspart  dans  leurs  fonctions,  ne  contribuent  pas  à  prévenir/ 
les  inconvéniens  de  l'inégalité  de  la  répartition  de  la  taille;/ 
beaucoup  viennent  de  quitter  la  campagne  où  ils  ont  laissé  leurs  \ 
biens  et  leurs  familles,  ce  qui  leur  fait  faire  de  vives  remon- 
trances lors  des  départemens  sur  les  parroisses  qu'ils  affec- 
tionnent, dans  l'idée  qu'ils  ont  de  soulager  leurs  proches,  et  l'on 
ne  voit  ces  officiers  éloquants  qu'à  leur  occasion,  ignorant  l'état 
des  autres  parroisses,  ou  bien  s'ils  sçavent  les  facultez  de 
quelques-unes,  ils  les  cachent  lorsqu'ils  les  croyent  meilleures, 
étant  pour  la  pluspart  juges  des  seigneurs  qui  les  possèdent.  Les 
intendants,  qui  connoissent  cet  abus,  doivent  se  tenir  sur  leurs 
gardes,  et  comme  leur  voix  est  prépondérante,  et  que  leur  appli- 
cation doit  être  à  la  connoissance  des  paroisses  de  leur  dépar- 
tement ils  peuvent  prévenir  les  remontrances  peu  fidelles  qui 
leur  sont  faites1.  » 

Les  trésoriers  n'ont  pas  régulièrement  le  droit  d'assister 
au  département;  aucune  ordonnance  ne  le  leur  a  reconnu2 
après  1653,  et  les  commissions  des  tailles  se  bornent  à  leur 
prescrire  «  d'expédier  sur  icelles  leurs  attaches  »,  en  réservant 
à  l'intendant  et  aux  élus  le  soin  de  «  procéder  à  l'assiette  et 
au  département  ».  Ils  sont  convoqués  par  des  lettres  de  cachet 
spéciales,  renouvelées  chaque  année,  leur  enjoignant  de  seconder 
l'intendant  «  en  ce  qui  dépend  de  leur  charge3  ».  Le  nombre 
des  trésoriers  ainsi  désignés  était  normalement,  en  Normandie, 
de  deux  par  généralité;  par  exception,  à  Rouen,  en  1671, 
1672,  1676,  il  n'y  en  a  qu'un;  à  Caen,  en  1664,  on  en  trouve 
quatre 4. 

département  de  la  taille,  »  et  ils  demandent  que  ce  délégué  soit  appelé  à  donner 
son  avis  dans  l'opération.  (Ibid.t  t.  III,  p.  116.)  Le  greffier  des  îjtats  note  que  cet 
article  était  «  aux  fins  d'empescher  l'autorité  des  esleus  qui  taxent  quelquefois  le 
contribuable  à  telle  somme  qu'il  leur  plaist  ».   (Ibid.,  p.  300.) 

1.  B    N.,  fr.  7771,  f°  177. 

2.  Cf.  les  arrêts  du  Conseil  des  29  janvier  1660  et  28  mai  1661,  prescrivant 
que  les  mandements  aux  paroisses  pour  la  levée  de  la  taille  seraient  «  intitulez 
du  nom  du  commissaire  départi  en  la  généralité,  et  des  présidens,  lieutenans 
et  élus  »  ;  ils  ne  faisaient  pas  mention  des  trésoriers  généraux.  L'arrêt  du 
conseil  du  25  août  1663  prescrit  que  les  départements  des  tailles  soient  faits 
en  1664  et  65  par  les  intendants  et  les  élus,  il  ne  parle  pas  davantnge  des 
trésoriers  de  France.  Le  mémoire  de  l'intendant  de  Rouen  en  1699  sur  l'état  de 
la  généralité  porte  encore  que  la  taille  «  est  ordinairement  répartie  sur  chaque 
paroisse  par  l'intendant  avec  les  élus,  conformément  aux  commissions  de  S.  M.  » 
(B.  N.  fr.  4  286,  f°  26). 

3.  Au  début,  il  arriva  que  les  trésoriers  de  France  suppléaient  l'intendant 
empêché.  Voysin  de  la  Noiraye,  intendant  de  Rouen,  écrit  à  Colbert  le  7  octobre  1664  : 
«  Je  croys  que  je  les  pouray  achever  [les  départements]  sans  estre  obligé  d'en 
remettre  le  soing  pour  aucune  des  élections  a  quelques  officiers  du  Bureau, 
comme  vous  aviés  eu  la  bonté  de  me  le  permettre.  »  (M.  C,  124,  fol.  109.) 

4.  En  1684,  l'intendant  d'Alençon  ne  prend  avec  lui  qu'un  trésorier  de  France, 
sur  l'ordre  du  contrôleur  général  (L.  du  18  octobre  1684,  A.  N.   G7  71).  L'inten- 


138  Ci     TAII.I.i:     Ri     MHlMAMUi:. 

Jusqu'en  1  ( >( >T>.  les  lettres  de  cachet  en  blanc  étaient  adressées 
aux  Bureaux  des  finances1  qui  y  inscrivaient  eux-mêmes  les 
noms  de  leurs  membres  qu'ils  avaient  choisis2.  Dans  la  suite. 
elles  furent  adressées  aux  intendants.  Cette  innovation  ne  fut 
MM  sans  mécontenter  les  trésoriers  généraux  :  ceux  d'Alençon 
écrivaient  à  Colbert,  le  12  octobre  1665  :  «  Le  sieur  Chouet 
nostre  confrère  nous  a  rapporté...  que  vous  nous  avez  faict  la 
grâce  d'accorder  deux  lettres  de  cachet  à  deux  de  nous  pour 
assister  aux  départemens  des  tailles  dans  les  eslections  ainsy 
qu'il  s'est  pratiqué  par  le  passé,  et  comme  nous  espérions  les 
recevoir,  nous  avons  apris  que  M.  du  Boullay  a  envoyé  advertir 
deux  de  nos  confrères  ses  particuliers  amis  de  se  trouver  à  Ver- 
neuil  pour  assister  aux  départemens,  et  qu'il  avoit  reçu  des 
lettres  de  cachet  du  Roy  pour  ce  sujet3  ».  Mais  ils  n'osaient 
exprimer  plus  que  de  la  surprise,  et  leur  protestation  demeura 
inutile.  Néanmoins  le  changement  leur  causait  un  si  grand 
dommage  qu'un  historien  de  leurs  fonctions  a  fait  dater  de  là 
leur  «  anéantissement  »  :  «  Le  dernier  coup  porté  au  pouvoir 
des  trésoriers  généraux,  dit-il,  a  été  l'augmentation  d'autorité 

attribuée  aux  intendants,  qui, gênés  par  ce  reste  d'influence 

incommode,  ne  tardèrent  pas  à  se  débarrasser  [des  trésoriers] 
et  finirent  par  éclipser  les  uns  et  les  autres  en  les  réduisant 
à  la  simple  voix  consultative.  Ils  firent  plus  :  ils  obtinrent 
que  le  choix  des  trésoriers  assistant  passivement  aux  départe- 
mens fût  enlevé  aux  Bureaux  des  Finances,  de  sorte  que  ce 
n'est  plus  en  qualité  de  généraux  des  finances,  mais  de  simples 
commissaires  du  Conseil,  désignés  même  par  les  intendans, 
qu'on  voit  aujourd'hui  des  trésoriers  de  France  paraître  à 
l'assiette  des  impositions4  ». 

dant  de  Bourges  écrit  dans  son  Mémoire  de  1698,  que  dans  sa  généralité  «  il 
n'est  point  d'usage  qu'un  trésorier  de  France  assiste  au  département  de  la  taille  ». 
Dans  celle  de  Montauban,  il  en  est  de  même;  le  Bureau  des  Finances  écrit  à  Col- 
bert le  7  mars  16'ï3  qu'il  ignore  l'imposition  des  paroisses  de  la  généralité  parce 
que  l'intendant  n'a  fait  le  département  qu'avec  les  élus.  (M.  C.  115,  f  151.)  On  ne 
peut  pas  conclure  à  l'absence  des  trésoriers  de  France  du  fait  qu'ils  ne  sont 
pas  mentionnés  dans  les  procès  verbaux  de  département  ni  dans  les  mandements 
aux  paroisses,  puisqu'ils  n'avaient  que  voix  consultative  dans  l'opération. 

1.  Voici  une  de  ces  lettres,  adressée  à  chacun  des  sieurs  de  Banneville  et  Chasot, 
trésoriers  de  France  à  Caen  : 

«  De  par  le  Roy, 

«  Nostre  amé  et  féal,  désirant  que  vous  travailliez  aux  départemens  des  tailles 
de  la  généralité  de  Caen  pour  1  année  prochaine  1671,  avec  le  sieur  de  Chamil- 
lart,  conseiller  en  nostre  conseil,  maistre  des  requestes  ordinaires  de  nostre 
hostel,  commissaire  par  nous  departy  en  ladite  généralité,  nous  vous  ordonnons 
d'assister  audit  département  et  faire  ce  qui  dépendra  de  l'auctorité  de  vostre 
charge  pour  le  bien  de  nostre  service,  ne  faisant  rien  toutefois  que  de  concert 
avec  ledit  sieur  de  Chamillart.  A  quoy  ne  faictes  faute,  car  tel  est  nostre  plaisir. 
Donné  n  Saint-Germain-en-Laye  le  quinzième  jour  de  septembre  1670,  Louis, 
Phelypeaux.  »  (A.  D.  Calv.,  Plumitif  du  Bureau  des  Finances,  19  sept.  1670.) 

2.  Cf.  par  exemple  A.  D.  Calvados,  Plumitif  du  Bureau  des  Finances,  à  la  date 
du  31  oct.  I»ifi3. 

3.  M.  C.  132,  f°  389. 

i*.  Poittevin  de  Maissemy,  Mémoire  sur  les   fonctions   des   trésoriers  généraux 


LA    COMMISSION    DE    REPARTITION.  139 

Les  trésoriers  généraux  ainsi  désignés  recevaient  une  indem- 
nité spéciale  dont  le  montant  n'était  pas  fixe.  En  1664,  l'inten- 
dant de  Rouen  demande  «  une  bonne  gratification  »  pour  les 
deux  trésoriers  qui  l'ont  aidé  avec  zèle  au  département1.  Dans 
la  généralité  d'Alençon,  cette  indemnité  fut  ordinairement  de 
1200  t.  ;  mais  à  partir  de  1674  elle  ne  fut  plus  régulièrement 
payée;  les  trésoriers  généraux  en  réclamaient  encore  le  paie- 
ment en  1684;  nous  ne  savons  s'ils  l'obtinrent2.  Dans  cette  même 
généralité  il  était  d'usage  que  l'indemnité  fût  partagée  entre 
tous  les  membres  du  Bureau,  qu'ils  eussent  ou  non  travaillé; 
l'intendant  trouvait,  du  reste,  cet  usage  mauvais  :  «  Il  me  paroist, 
écrivait-il  en  1684,  que  le  roy  seroit  servi  avec  plus  d'exactitude 
et  mesme  qu'il  y  auroit  plus  de  justice  que  ceux  qui  font  le  ser- 
vice profitassent  de  leur  travail  que  ceux  qui  demeurent  dans 
leur  maison3  ».  Dans  les  deux  autres  généralités,  l'indemnité 
était  attribuée  à  ceux  qui  l'avaient  gagnée. 

Les  receveurs  généraux  et  particuliers  des  tailles  n'ont  aucun 
droit  à  assister  au  département,  et,  à  la  différence  des  trésoriers, 
n'y  sont  pas  convoqués  par  lettre  de  cachet;  un  simple  billet 
de  l'intendant  les  invite  à  venir  donner  leur  avis;  ils  n'ont  pas 
voix  délibérative4.  Colbert  explique  l'utilité  de  leur  avis  dans 
une  lettre  à  l'intendant  de  Bordeaux  du  5  octobre  1674  :  c'est 

«  afin  que,  ne  faisant  rien  que  de  concert  avec  eux,  ils  puissent  faire 
leurs  recouvremens  sans  non-valeurs  et  par  ce  moyen  estre  en  estât 
de  faire  leurs  payemens  au  trésor  royal,  et  mesme  les  avances  qu'il 
est  nécessaire  de  tirer  d'eux  pour  le  service  du  roy s.  » 

L'intendant  d'Aube  explique  également  : 

«  Ce  sont  eux  qui  font  le  recouvrement  et  qui,  par  conséquent,  peu- 
vent saisir  divers  moyens  de  discerner  si  l'exactitude  ou  le  retardement 
viennent  ou  de  la  charge  plus  ou  moins  forte  des  communautés  ou  de 
la  répartition  bien  ou  mal  faite  par  les  collecteurs,  ou  seulement  du 
plus  ou  moins  de  vigilance  desdits  collecteurs;  le  compte  qu'ils 
peuvent  en  rendre  peut  ou  éclairer  suffisamment  l'intendant  ou  le 
mettre  en  état  d'acquérir  par  la  suite  des  éclaircissements  complets  6.  » 

L'usage  est  de  consulter  non  seulement  les  receveurs  en 
exercice  l'année  à  venir,  mais  aussi  ceux  qui  ont  fait  la  recette 
les  années  précédentes.  En  1672,  l'intendant  d'Alençon  appelle 

(1780)  publ.  dans  Vignon,  Études  historiques  sur  les  voies  publiques,  t.  I,  pièces 
justificatives,  p.  35. 

1.  L.  du  23  décembre  1664,  M.  C.  12P  f°  577;  les  deux  intéressés  en  sont  du 
reste  encore  à  la  réclamer  le  30  décembre  1665.  (M.  C.  134bl%  f°  840.) 

2.  L.  de  l'intendant  au  contrôleur  général,. 8  mai  1684,  A.  N.  G7  71. 

3.  L.  du  18  oct.,  A.  N.  G^  71. 

4.  La  formule  des  procès  verbaux  de  département  porte  que  ces  actes  sont 
dressés  par  l'intendant  «  avec  »  les  élus  et  «  en  présence  »  du  receveur. 

5.  Glém.  II,  352,  cf.  let.  à  l'intendant  de  Tours,  2  nov.  1674,  ibid.,  p.  357. 

6.  B.  N.  fr.  21  812,  p.  57-8. 


140  LA    TAILLE    EN     NORMANDIE. 

avec  les  receveurs  des  tailles,  les  deux  receveurs  généraux  et 
leurs  commis,  et  en  outre,  pour  l'élection  de  Mortagne,  «  un 
commis  à  la  recepte  des  tailles,  nommé  Rouillon,  qui  peut  en 
avoir  cognoissance'  ».  Les  receveurs  attachaient  un  grand  prix 
à  cette  désignation,  parce  quelle  leur  permettait  de  défendre 
leurs  intérêts.  L'intendant  de  Rouen  décrit  dans  une  lettre  du 
10  septembre  1682 2  comment  il  procède  habituellement  avec 
eux  :  «  J'escrivis,  en  recevant  les  commissions  des  tailles,  aux 
receveurs  particuliers  de  faire  leurs  projets,  et  à  M.  Aubry, 
receveur  général,  de  se  rendre  icy;  il  m'a  mandé  que  dez  qu'il 
auroit  receu  vos  ordres  et  signé  son  prest,  qu'il  partirait3  ». 

L'intendant  préside  la  commission  \  Il  domine  tous  les  autres 
officiers,  par  sa  qualité  éminente,  par  l'appui  que  lui  donne 
le  Conseil,  par  les  faveurs  qu'il  dispense.  Les  élus,  qui  seuls 
ont  qualité  pour  délibérer  avec  lui,  lui  sont  expressément 
subordonnés    par   les   ordonnances  qui   lui  donnent   voix   pré- 

f>ondérante.  C'est  lui  qui  choisit  les  trésoriers,  et  fait  payer 
eur  gratification;  il  est  libre  de  consulter  ou  non  les  receveurs, 
et  n'est  tenu  de  suivre  l'avis  de  personne.  Il  est  vraiment  le 
maître. 

Cependant,  il  ne  peut  tout  faire  par  lui-même  :  il  n'a  pu, 
dans  ses  chevauchées,  visiter  toutes  les  paroisses,  à  beaucoup 
près;  personnage  étranger  au  pays,  homme  de  loi  qui,  avant 
son  entrée  en  fonctions,  n'a  guère  vécu  qu'à  Paris,  il  ne  peut 
savoir  en  détail  les  ressources  d'une  région.  Force  lui  est  de 
s'en  rapporter  à  ses  subordonnés.  Mais  ceux-ci,  mieux  en  état 
de  tout  approfondir,  travaillent  mal  et  sont  suspects;  l'inten- 
dant ne  doit  pas  les  croire  sur  parole.  Richer  d'Aube  l'explique 
clairement  au  jeune  homme  qu'il  veut  former  :  les  élus,  dit-il, 
ont  trop  «  de  crainte,  de  haine  ou  d'affection  »  et  d'  «  intérêt 
personnel  »  pour  qu'on  s'en  rapporte  à  eux;  c'est  précisément 
pour  empêcher  leurs  injustices  que  les  intendants  on  été  chargés 
de  ce  travail.  Les  trésoriers  généraux  ont  pareillement  montré 
leur  partialité  :  «  c'est  parce  qu'on  a  découvert  que,  quand  les 
trésoriers  de  France  avoient  la  principale  influence  sur  les 
départemens,  la  taille  n'étoit  pas  assez  bien  départie,  qu'on  a 
mis  au-dessus  d'eux  les  intendans,  qui,  revestus  d'une  plus 
grande  autorité,  et  plus  à  portée  d'obtenir  du  roy  tous  les 
secours  nécessaires  pour  parvenir  à  faire  d'assez  justes  dépar- 


1.  Lettre  du  31  octobre  1672,  M.  C.  162,  f°  192. 

2.  En  septembre  1672,  le  receveur  général  de  Rouen  prie  Colbert  •  de  donner 
ordre  à  M.  de  Creil  [l'intendant]  de  ne  pus  travailler  au  département  qu'il  ne  soit 
près  de  luy  .  (Clnirnmb.  793,  p.  151). 

3.  L.  à  Colbert  B.  N.,  fr.  8  761,  f°  67,  il  presse  en  conséquence  Colbert  d'envoyer 
ses  ordres  au  receveur  général. 

4.  On  a  vu  plus  haut,  p.  45,  comment  leur  pouvoir  s'était  établi.  Il  fut  con- 
firmé, en  ce  qui  concerne  le  département,  par  l'arrêt  du  Conseil  du  25  août  1663 
et  le  règlement  d'août  1664. 


LA    COMMISSION    DE    REPARTITION.  141 

/ 

temens,  sont  présumés  devoir  les  faire  mieux  qu'eux.  Les  tré- 
soriers de  France  n'ont  plus  aucun  moyen  d'acquérir  la  connois- 
sance  de  la  force  des  communautés  :  il  n'y  auroit  pas  de  justice 
à  ce  que  leurs  suffrages  pussent  balancer  ceux  des  intendans, 
faits  pour  tout  approfondir1  ».  A  l'égard  des  receveurs,  la  même 
méfiance  est  nécessaire  :  «  Il  ne  conviendroit  ny  par  raport  à 
leur  qualité  de  comptables,  ny  en  esgard  à  l'intérest  personnel, 
qui  pourroit  leur  faire  désirer  aveuglément  que  les  commu- 
nautés les  plus  exactes  à  payer  la  taille  fussent  les  plus  char- 
gées, qu'ils  eussent  influence  sur  le  département  autrement  que 
par  la  persuasion  résultant  des  représentations  bien  appuyées 
qu'ils  peuvent  faire2  ».  Conclusion  :  «  le  projet  de  distribution 
de  la  taille  que  les  officiers  assistant  à  des  départemens  pré- 
senteront ne  devra  estre  suivy  qu'autant  que  ce  qu'il  y  sera  pro- 
posé pour  chaque  communauté  se  trouvera  solidement  apuyé  3  ». 
C'est  à  la  même  conclusion  qu'un  autre  intendant,  Lallemant 
de  Levignen,  aboutit  :  «  Ce  qui  arrive  de  la  part  des  seigneurs 
et  des  officiers  des  élections  [au  département]  n'est  pas  moins 
commun  du  côté  des  receveurs  des  tailles  pour  leurs  fermiers 
ou  ceux  de  leurs  amis  par  l'espérance  que  les  collecteurs  forment 
qu'ils  leur  donneront  du  tems  et  les  épargneront  dans  les 
frais4  ».  Colbert  recommandait  lui-même  la  méfiance  aux  inten- 
dants comme  un  devoir  professionnel  :  il  ne  faut  pas,  dit-il, 
trop  «  autoriser  »  les  trésoriers  généraux;  gardez-vous  de  tou- 
jours suivre  les  avis  des  élus,  afin  de  faire  «  connoistre  aux 
peuples  qu'ils  ne  sont  pas  les  maistres  de  l'imposition5  ».  Après 
lui,  le  contrôleur  général  Le  Pelletier  conseillera  à  l'intendant 
d'Auvergne  de  se  faire  informer  «  par  quelques  personnes  sûres 
et  fidèles  »,  sans  leur  donner  une  mission  publique  :  des  agents 
d'information  secrets  et  non  contrôlés  lui  paraissent  encore 
préférables  aux  agents  réguliers  du  gouvernement.  Le  dépar- 
tement fait  par  de  tels  moyens  ne  pouvait  être  que  médiocre. 

1.  B.  N.  fr.  21  812,  p.  60-61.  Cf.  une  lettre  de  l'évêque  de  Saintes,  du  18  mai  1664  : 
les  élus  «  n'advertissent  pas  comme  ils  devroient  MM.  les  intendans  de  la  force 
des  parroisses  »  (Depping,  III,  67). 

2.  B.  N.  fr.  21812,  p.  58.  Cf.  également  sur  ce  point  le  mémoire  rédigé  pour  l'in- 
tendant Orsay  :  «  Pour  se  rendre  nécessaires  d'année  en  autre,  ils  ménagent 
beaucoup  de  changemens  dans  leurs  élections  en  sorte  que  bien  souvent  ils  deman- 
dent en  une  année  des  diminutions  considérables  pour  des  paroisses  qu'il  sup- 
pose misérables,  et  dans  l'année  suivante  il  tâche  de  les  faire  augmenter  disant 
qu'elles  sont  très  bonnes.  »  (B.  N.  fr.  11  096,  f°  33)  et  Boisguilbert,  Détail  de  la 
France  :  «  Aux  départemens  les  receveurs  sont  assez  les  maîtres  sous  prétexte 
qu'ils  sont  garants  du  recouvrement  »  (éd.  Daire,  p.  177). 

3.  Ibid.,  p.  69. 

4.  B.  N.  fr.  7  771,  f°  177.  L'intendant  de  Caen  écrivait  dans  le  même  sens,  le 
23  novembre  1688,  au  sujet  des  taxes  d'office  qui  étaient  «  très  difficiles  en  ce 
pais-cy,  et  particulièrement  faute  d'avoir  des  mémoires  bien  exacts  et  bien 
fidelles  ».  A.  N.  G1  213.  Cf.  le  mémoire  d'Auber,  ci-dessus,  p.  136. 

5.  L.  du  8  nov.  1681,  Clém.  II,  171. 


lit  LA    TAILLE    EN    XOH.MÀN  1)1 1. . 


V.    —    LA   REUNION    DE    LA   COMMISSION 

Il  appartenait  à  l'intendant  de  convoquer  la  commission,  et 
de  fixer  le  jour  de  la  réunion;  le  lieu  était  désigné  par  les 
règlements. 

Au  temps  où  les  élus  opéraient  seuls,  ce  lieu  était  obliga- 
toirement la  salle  des  séances  de  l'élection;  il  était  surtout 
défendu  aux  officiers  de  se  réunir  dans  un  domicile  privé1. 
L'arrêt  du  conseil  du  22  août  1642  laissait  aux  intendants  la 
faculté  d'assembler  la  commission  soit  en  leur  hôtel,  soit  au 
bureau  de  l'élection 2.  Cette  liberté  leur  fut  conservée  par  les 
règlements  postérieurs;  toutefois  les  commissions  des  tailles 
conservèrent  pendant  toute  l'époque  de  Colbert  la  formule 
ancienne  suivant  laquelle  le  département  devait  être  fait  au 
bureau  de  l'élection  et  non  ailleurs3,  et  Colbert  recommanda  aux 
intendants  de  se  conformer  autant  que  possible  à  cette  pres- 
cription :  «  Vous  avez  bien  fait,  écrit-il  à  celui  de  Tours  le 
2  novembre  1674,  de  faire  les  départements  à  Tours  parce  que 
vous  étiez  malade,  mais  aussitost  que  vous  serez  en  santé,  il  n'y 
a  rien  qui  soit  plus  nécessaire  que  de  vous  transporter  vous 
mesme  sur  les  lieux,  de  faire  le  département  des  tailles  dans 
ceux  où  il  n'a  pas  encore  été  fait  et  de  bien  examiner  tous  les 
désordres  qui  s'y  rencontrent;  c'est  ce  que  je  ne  puis  assez  vous 
recommander*  ».  Dans  sa  circulaire  du  1er  septembre  1670,  il 
prescrit  à  ses  subordonnés  d'aller  «  dans  toutes  les  élections 
pour  faire  les  départemens  5  ».  Ce  fut  tout  à  fait  par  exception 
que  les  intendants  de  Normandie  firent  le  département  à  leur 
domicile;  je  n'en  ai  trouvé  que  deux  cas,  tous  deux  dans  la 
généralité  de  Rouen,  en  1670  et  en  1683  6. 

Les  mêmes  raisons  qui  faisaient  presser  l'expédition  des  com- 
missions obligeaient  à  avancer  le  plus  possible  la  date  du  dépar- 
tement. Les  anciens  règlements  de  mars  1600  et  octobre  1613 
obligeaient  les  élus  à  opérer  dans  la  quinzaine  qui  suivait  la 
réception  des  commissions7;  mais  ils  étaient  tombés  en  désué- 

1.  Lnbarre,  Formulaire,  p.  43. 

2.  Art.  3,  Néron,  Recueil,  t.  II,  p.  674;  reproduit  dans  l'art.  4  de  la  déclaration 
du  16  avril  1643.  (C.  d.  T.,  I,  374.) 

3.  Cf.  Vieuille,  p.  93. 

4.  Clcm.  II,  357.  Cf.  Lettre  de  l'intendant  de  Champagne  à  Colbert  21  octobre 
166C  :  étant  tombé  malade  à  Sézanne.  il  lui  demande  lu  permission  de  faire 
venir  les  élus  près  de  lui  pour  le  département  «  uinsv  que  cella  s'est  pratiqué 
souvent  ..  (M.  C.  141bU,  F  5/4.) 

5.  Clém.  II,  72. 

6.  Lettre  de  Barin  de  la  Gulissonnière,  10  nov.  1670  :  il  opère  ainsi  «  pour 
accélérer  le  département  ».  (M.  C.  155,  P  361.)  L.  de  Méliand  des  25  et  27  octobre 
1683,  A.  N.  Gi  4<J2  :  cas  de  maladie. 

7.  Vieuille,  p.  86. 


LA    REUNION    DE    LA    COMMISSION.  143 

tude  et  à  l'époque  de  Mazarin  les  intendants  eux-mêmes  retar- 
daient le  plus  possible  la  répartition  pour  permettre  aux  trai- 
tants de  mieux  recouvrer  les  impôts  arriérés.  La  première  année 
où  Colbert  s'occupa  de  la  taille,  il  prescrivit  la  plus  grande 
diligence  possible  à  ses  subordonnés  :  la  lettre  de  cachet  du 
12  décembre  1662  faisait  observer  aux  Bureaux  des  finances 
que  les  commissions  étaient  expédiées  plus  tôt  qu'auparavant 
pour  que  l'intendant  «  puisse  avoir  le  temps  de  travailler  aux 
départemens  des  eslections  pour  connoistre  Testât  de  chacune 
parroisse  et  soulager  celles  qui  en  auront  le  plus  besoin1  ». 
Les  années  suivantes,  il  fit  souvent  la  même  recommandation 
aux  intendants,  les  blâmant  quand  ils  tardaient,  les  obligeant 
à  commencer  au  reçu  des  commissions,  et  à  terminer  dans  le 
plus  bref  délai  possible2.  Toutefois  les  intendants  ne  pouvaient 
se  mettre  au  travail  avant  le  mois  de  septembre,  car  ils  ne  pou- 
vaient connaître  plus  tôt  le  résultat  des  récoltes  et  les  transla- 
tions de  domiciles3. 

En  Normandie,  les  départements  furent  d'abord  commencés 
assez  tard  dans  l'année  :  malgré  la  lettre  de  cachet  royale,  ils 
ne  furent  faits  qu'à  la  fin  de  novembre  dans  la  généralité  de 
Caen  en  1663 4.  Mais  en  1664,  un  changement  survint  :  dès  le 
début  de  septembre,  les  trois  intendants  se  mettaient  au  travail; 
celui  de  Rouen  écrit  le  7  qu'il  attend  avec  impatience  les  attaches 
du  Bureau  des  finances,  et  le  12,  il  commence  sa  tournée5; 
celui  de  Caen  commence  le  20  septembre,  celui  d'Alençon  écrit 
le  16  août  qu'il  va  commencer  «  dans  peu  de  jours  »,  attendant 
seulement  l'impression  des  mandements  aux  paroisses  pour  la 
levée6.  L'année  suivante,  un  nouveau  retard  se  produit  :  les 
intendants  ne  commencent  qu'au  début  d'octobre.  Puis,  à  partir 
de  cette  date,  l'usage  s'établit  dans  les  trois  généralités  de  se 
mettre  en  campagne  à  la  fin  de  septembre  ou  au  début  d'octobre; 
aucun  retard  ne  se  rencontre  plus,  même  dans  les  années  de 
guerre. 

1.  A,  D.  Galv.  Bureau  des  Finances,  Registre  des  commissions  des  tailles  1661- 
72,  f°  212. 

2.  Lettres  à  l'intendant  de  Limoges,  11  nov.  1672  (Clém.  II,  257),  à  Leblanc, 
2  avril,  1677  (ibid.,  376),  à  Breteuil,  22  août  16S1  (B.  Mun.  Amiens,  ms  508,  t.  III, 
pièce  344),  4  sept,  et  7  oct.  1682  (ibid.,  pièces  419,  462),  etc. 

3.  L'intendant  de  Bourgogne  écrit  le  20  juillet  1664  qu'il  ne  pourra  procéder 
au  département  «  avant  le  moys  de  septembre.  »  (M.  G.  122,  P  672.)  Celui 
d'Orléans  estime  pareillement,  en  1684,  que  l'on  ne  peut  se  mettre  en  campagne 
avant  le  15  septembre,  il  ne  verrait  même  aucun  inconvénient  à  ce  que  les 
commissions  ne  fussent  pas  envoyées  avant  cette  date,  pour  que  l'on  pût 
auparavant  accorder  des  diminutions  aux  paroisses  qui  en  ont  besoin.  (L.  du 
31  juillet  1684,  de  Boislisle,  Correspondance  t.  I,  n°  97). 

4.  D'après  les  départements  de  l'élection  de  Mortain,  A.  D.  Calv.  Registre 
d'états  au  vrai  du  receveur  de  l'élection,  1651-69  :  en  1660,  le  département  est 
achevé  le  23  novembre,,  en  1661  le  30  novembre,  en  1662  le  20  novembre, 
en  1663  le  20  novembre  également.  Nous  n'avons  pas  de  renseignements  pour  les 
deux  autres  généralités. 

5.  M.  G.  123,  fos  735  et  880. 

6.  Ibid.,  f°  372. 


144  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

La  durée  du  département  ne  pouvait  pas  être  plus  abrégée  que 
celle  des  chevauches.  Colbert  le  rappela  souvent  à  ses  subor- 
donnés :  «  Il  est  très  important,  écrit-il  en  1670,  que  vous  y 
employiez  un  temps  suffisant  pour  bien  connoistre  la  force  des 
élections,  et  faire  l'imposition  avec  l'égalité  que  le  roy  désire1  ». 
En  apprenant  que  Chamillart,  intendant  de  Caen,  n'a  mis  que 
10  ou  12  jours  en  novembre  1672  pour  faire  son  travail,  il  lui 
écrit  :  «  Je  suis  obligé  de  vous  dire  que  le  roy  ne  peut  et  ne  veut 
pas  estre  servy  de  cette  manière  *  ». 

Dans  la  généralité  de  Rouen,  qui  est  grande,  le  département 
dure  habituellement  un  mois;  c'est  par  exception  qu'il  est  réduit 
à  trois  semaines  en  1665  et  en  1676 3.  Il  eût  été  difficile  de  par- 
courir en  moins  de  temps  les  13  élections,  alors  surtout  qu'en 
chacune  d'elles,  l'intendant  avait  à  expédier  quantité  d'autres 
affaires  de  sa  compétence*.  Toutes  les  années,  le  travail  fut 
terminé  au  début  de  novembre,  sauf  en  1671,  où  Barin  de  la 
Galissonnière  finit  après  le  15  novembre6. 

Dans  les  autres  généralités,  l'intendant  mettait  d'ordinaire 
moins  de  temps;  Chamillart  à  Caen  fut  toujours  expéditif,  quoi 
qu'on  lui  ait  dit  :  en  1670,  71  et  72,  il  a  terminé  le  15  octobre. 
Son  successeur  Méliand  finit  généralement  à  la  fin  d'octobre. 
A  Alençon,  en  1671,  le  département  est  fait  du  28  septembre  au 
19  octobre 6.  L'année  suivante,  Michel  Colbert,  nouveau-venu 
dans  la  généralité,  commence  en  octobre  et  ne  finit  que  le 
1er  décembre.  En  1679,  de  Morangis  commence  vers  le  8  octobre, 
et  le  9  novembre  il  a  terminé7. 


VI.   —   L'EGALITE    DANS    LE   DEPARTEMENT 


Le  principal  but  à  atteindre  dans  le  département  de  la  taille 
était  l'égalité.  Depuis  longtemps,  on  reconnaissait  que  l'inéga- 
lité était  la  source  des  mauvais  recouvrements  et  de  la  ruine  des 

1.  Clém.  II,  75. 

2.  Ibid.,  155.  Dans  sa  réponse,  Chamillart,  le  7  novembre,  cherche  à  se  dis- 
culper en  disant  «  qu'il  avoit  préparé  tous  ses  mémoires  auparavant  que  de  partie 
de  la  province,  et  que  d'ailleurs  il  est  plus  facile  de  faire  un  septiesme  dépar- 
tement que  le  premier.  »  (Clairamb.  793,  p.  780.) 

3.  En  1665,  Voysin  commence  le  4  octobre  et  termine  avant  la  fin  du  mois 
(M.  C.  132,  f  186  et  132b",  f°  686);  en  1676,  Leblanc  commence  vers  le  1"  octobre 
et  termine  le  20  (B.  N.  fr.  8  759,  f°  73.) 

4.  L'intendant  d'Orléans  en  1684  estime  qu'il  faut  environ  six  semaines  dans 
une  grande  généralité  (Lettre  du  31  juillet  citée  plus  haut);  Foucault  considère 
comme  exceptionnel  qu'il  ait  employé  tout  le  mois  de  novembre  à  faire  le  dépar- 
tement de  la  généralité  de  Rouen  en  1704.  (Mémoires,  p.  364.) 

5.  Lettre  à  Colbert,  12  novembre  1671  :  il  espère  finir  «  dans  la  semaine  pro- 
chaine ».  (M.  C.  157bU,  f°  746.) 

6.  Lettres  de  de  Marie,  10  octobre,  M.  C.  157w\  f  643,  et  19  octobre,  Clairamb. 
793,  p.  195. 

7.  Lettres  des  9  octobre  et  9  novembre  1679,  A.  N.  G'  71. 


LEGALITE    DANS    LE    DEPARTEMENT.  145 

contribuables;  clans  le  préambule  du  règlement  du  27  novem- 
bre 1641,  le  roi  disait  : 

«  La  plus  grande  partie  des  non-valeurs  qui  se  trouvent  sur  les 
deniers  des  tailles  depuis  quelques  années,  ne  procèdent  pas  tant  de  la 
surcharge  des  contribuables  que  de  l'inégalité  qui  se  rencontre  dans 
les  assiettes  et  départemens  des  impositions  faites  par  les  officiers  des 
eslections,  esquelles  grand  nombre  de  paroisses  se  trouvent  soulagées 
et  déchargées  par  la  faveur  et  crédit  d'aucuns  officiers,  au  préjudice  et 
surcharge  des  autres  paroisses  *.  » 

Les  grandes  non-valeurs  des  recouvrements,  disait  encore  le 
roi  en  novembre  1640,  n'arriveraient  pas  «  si  tous  les  corps  de 
nostre  Estât  portoient  selon  leurs  forces  les  charges  d'iceluy,  les- 
quelles départies  également  ne  se  trouveroient  excessives  pour 
la  grandeur  et  puissance  de  cette  monarchie2  ».  Le  roi  n'était 
pas  seul  a  en  souffrir,  les  contribuables  également  en  étaient 
accablés  :  un  intendant  écrit  en  1669  :  «  La  distribution  des 
tailles  se  faisant  avec  esgalité  et  avec  connoissance  de  cause,  le 
peuple  en  seroit  plus  soulagé,  quand  mesme  l'imposition  seroit 
plus  forte  d'un  tiers  qu'elle  n'est  présentement,  estant  très  cer- 
tain que  cette  inesgalité  est  cause  de  la  ruyne  des  parroisses  et 
de  tous  les  frais  qui  s'y  font 3  ».  Cette  inégalité  avait  été  maintes 
fois  signalée  aux  élus,  trésoriers  et  receveurs4,  avec  ordre  d'y 
remédier,  mais  on  n'avait  rien  obtenu  d'eux.  Les  commissaires 
envoyés  extraordinairement  dans  les  provinces  pour  faire  le 
régalement  des  impôts  avaient  pour  mission  de  corriger  les 
inégalités  de  répartition  qu'ils  trouveraient  dans  les  paroisses 
aussi  bien  que  dans  les  élections,  mais  leur  intervention  passa- 
gère et  trop  rapide  avait  été  peu  sensible. 

Les  intendants  reçurent  de  Colbert  l'ordre  d'établir  cette 
égalité.  Il  est  certain,  leur  écrit-il  en  mars  1664,  «  que  par  l'iné- 
galité des  charges,  c'est-à-dire  quand  le  plus  puissant  ou  le  plus 
riche,  par  des  moyens  qu'il  tire  de  Testât  où  il  se  trouve,  se  fait 
décharger  ou  soulager,  le  pauvre  ou  le  foible  se  trouve  surchargé, 
et  cette  inégalité  cause  dans  les  provinces  la  pauvreté,  la  misère, 
la  difficulté  du  recouvrement  des  deniers  du  roy,  qui  attire  les 
vexations  des  receveurs  ou  commis  aux  recettes,  des  sergens,  et 
généralement  toutes  sortes  de  maux5.  »  Le  lei*  septembre  1670, 
il  leur  écrit  encore  :  Tenez  «  soigneusement  la  main  à  ce  que 
les  impositions  soyent  faites  avec  justice  et  égalité.  Considérez 

1.  Néron,  II,  663. 

2.  G.  d.  T.,  I,  363. 

3.  Dorieu  à  Colbert,  Soissons,  30  mars  1669,  M.  G.  1501"8,  f°  1  006. 

4.  Voir  notamment  les  ordonnances  de  janvier  1560,  art  123  (cf.  dans  Néron,  le 
commentaire  de  Du  Chalard  à  cet  article);  de  nov.  1579,  (ordonnance  de  Blois), 
art.  341  (Néron,  I,  p.  650),  Janvier  1629,  art.  403  ;  les  édits  de  mars  1600,  art.  2, 
janvier  1634,  art.  42,  avril  1643,  art.  2,  etc. 

5.  Glém.  IV,  35.   Sur  la  date,  voir  le  Mémoire  de  Voysin,  p.  x. 


LA    TAILLE     EN    NORMANDIE. 


10 


IM  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

ce  travail  comme  le  plus  important  de  tous  ceux  qui  sont  confiés 
à  vos  soins,  puisqu'il  s'agit  du  recouvrement  de  la  plus  forte 
recette  pour  soutenir  les  dépenses  de  l'Estat,  et  de  rendre  la 
justice  aux  peuples  en  la  partie  qui  leur  est  plus  considérable, 
qui  est  celle  de  leurs  biens.  Prenez  donc  bien  garde...  de  rendre 
l'imposition  égale  dans  la  juste  et  véritable  proportion  de  leurs 
biens,  en  sorte  qu'il  n'y  ayt  pas  de  non-valeurs1.  » 

Le  20  août  1680  :  «  S.  M.  s'attend  qu'après  la  connaissance 
exacte  que  vous  avez  prise  par  la  visite  de  votre  généralité  en 
exécution  de  ses  ordres,  vous  ferez  cette  imposition  [des  tailles] 
avec  plus  d'exactitude  et  d'égalité  que  les  années  passées  *.  »  Le 
22  août  1681,  l'intendant  des  finances  Desmarestz  écrit  :  «  Vous 
savez  combien  il  importe  pour  le  service  de  S.  M.  et  le  bien 
des  peuples,  de  faire  le  régalement  des  impositions  avec  une 
juste  proportion  à  la  force  des  lieux  qui  les  paient,  et  je  ne 
doute  pas  que  vous  n'y  ayez  toute  l'attention  possible  en  tra- 
vaillant au  département3.  »  Il  leur  recommande  «  d'entrer  dans 
le  détail  des  facultés  de  chaque  paroisse  »,  d'examiner  «  avec 
la  dernière  exactitude  leur  force  ou  leur  faiblesse  »,  de  ne  pas 
avoir  égard  aux   recommandations,  d'empêcher  les  fraudes. 

Des  éléments  d'information  dont  les  répartiteurs  disposaient, 
le  plus  simple  et  le  plus  positif  était  les  rôles  des  années  précé- 
dentes; si  une  paroisse  avait  été  exactement  imposée  une  pre- 
mière fois,  il  était  relativement  facile  de  maintenir  ensuite  la  juste 
proportion  de  son  taux;  aussi  les  règlements  les  plus  anciens 
prescrivaient-ils  aux  élus  de  consulter  les  rôles  antérieurs  v. 

Le  projet  de  répartir  une  bonne  fois  l'impôt  entre  les 
paroisses  de  façon  à  avoir  une  base  certaine  pour  les  dépar- 
tements ultérieurs,  avait  été  fait  à  différentes  reprises;  en 
Normandie,  la  réalisation  en  semblait  plus  facile  qu'ailleurs, 
car,  avec  le  système  du  changement  d'octroi,  une  paroisse  con- 
servait les  mêmes  contribuables  pendant  une  série  d'années; 
ses  ressources  étaient  donc  moins  susceptibles  de  varier.  Les 
commissaires  au  régalement  des  tailles  avaient  été  chargés  de 
cette  besogne;  ceux  de  1634,  notamment,  avaient  mission  d'exa- 
miner «  s  il  y  avoit  moyen  pour  l'advenir  d'arrester  un  pied 
certain  de  ce  que  pourra  porter  chacune  ville  taillable  de  ce  qui 
sera  imposé  dans  l'estendue  de  l'eslection,  comme  d'un  quart 
ou  d'un  quint,  ou  autre  moindre  somme,  afin  que  sur  ce  qu'ils 

1.  Clém.  II,  72;  cf.  p.  255. 

2.  Mémoires  de  Foucault,  appendice,  p.  454. 

3.  B.  Mun.  Amiens,  ms  508,  t.  II,  pièce  345. 

4.  Par  exemple,  édit  d'avril  1459,  art.  3  :  «  voulons  et  ordonnons  qu'es  années 
ensuivant  (les  élus)  fassent  leur  assiette  ou  impost  selon  ce  qui  leur  sera  apparu 
de  la  creue  ou  diminue,  ayant  regard  ausdits  roolles  précédens,  le  tout  plus 
justement  et  également  que  faire  se  pourra  ».  (Guénois,  Conférence  des  Ordon- 
nances, II,  p.  1  45b.) 


L  EGALITE    DANS    LE    DEPARTEMENT.  147 

en  rapporteront  au  roy  à  leur  retour,  S.  M.  y  puisse  faire  un 
règlement  particulier,  eu  esgard  à  la  diversité  des  commoditez 
desdites  villes1.  »  Mais  dès  1581,  les  Etats  de  Normandie  avaient 
signalé  l'insuffisance  de  ce  procédé  :  on  ne  peut,  disaient-ils, 
se  contenter  d'un  tel  régalement,  «  estant  tout  notoire  que 
chacune  parroisse,  mesme  chacun  particulier  en  icelle,  ne 
demeure  longtemps  en  un  mesme  estât,  ains  croist  et  diminue 
en  biens  d'an  en  an2  ».  Il  était  du  reste  impossible  aux  com- 
missaires, à  cause  de  leur  petit  nombre,  de  faire  ce  départe- 
ment-type en  connaissance  de  cause  dans  les  4  400  paroisses  de 
la  province;  après  1634,  le  projet  fut  abandonné3. 

Pendant  toute  l'époque  de  Colbert,  les  répartiteurs  se  bor- 
nèrent à  consulter  les  rôles  des  années  précédentes,  quand  ils 
les  trouvaient.  Pour  toutes  les  paroisses  dont  les  ressources  à 
leur  connaissance  n'avaient  pas  varié,  ils  se  contentaient  de 
modifier  l'impôt  proportionnellement  à  celui  de  l'élection  4. 

Une  autre  base  de  répartition  était  fournie  par  l'état  des 
recouvrements  :  il  était  à  présumer  qu'une  paroisse  qui  payait 
bien  n'était  pas  surchargée,  et  inversement.  Mais  l'indice  n'était 
pas  sûr  :  on  verra  que  certaines  paroisses,  comme  certaines 
élections,  payaient  bien  par  habitude,  que  d'autres  s'obstinaient 
à  supporter  des  contraintes,  tout  en  ayant  le  moyen  de  payer. 
On  ne  pouvait  punir  les  premières  de  leur  zèle  en  les  augmen- 
tant, et  encourager  les  secondes  à  la  rébellion  en  les  diminuant5. 

Il  n'y  avait  donc  pas  d'autre  moyen  d'imposer  justement  une 
paroisse  que  d'estimer  exactement  ses  ressources  chaque  année. 
Cette  estimation  était  impossible.  La  valeur  des  récoltes, 
quand  bien  même  on  eût  pu  l'apprécier,  n'était  pas  une  donnée 
suffisante,  car  ces  récoltes  n'appartenaient  pas  toujours  toutes 
aux  contribuables  de  la  paroisse  :  des  forains  et  des  exempts 
en  avaient  une  part,  souvent  considérable;  inversement,  les 
taillables  d'une  paroisse  avaient  des  biens  hors  la  paroisse, 
pour  lesquels  il  fallait  les  imposer  au  lieu  de  leur  domicile.  Il 

1.  Dans  Ducrot,  Traité  des  Aydes,  éd.  1636,  p.  481.  Ville  =  ici  paroisse. 

2.  Cahier  de  Novembre  1581,  art.  25  dans  de  Beaurepaire,  Cahiers...  règne  de 
Charles  IX,  t.  II,  p.  150.  Malgré  cette  protestation,  le  roi  décida  que  le  départe- 
ment fixé  par  les  commissaires  serait  valable  «  au  moins  pour  trois  années,  » 
quitte  à  corriger  les  inégalités  constatées. 

3.  On  le  reprendra  avec  quelques  modifications  au  xvin'  siècle.  Voir  Marion, 
Les  impôts  directs  sous  l'ancien  régime,  p.  159  et  suiv.  L'auteur  d'un  mémoire 
anonyme  sur  les  tailles  écrit  en  1755  que  la  répartition  entre  les  paroisses 
est  facile,  «  car  pour  (la)  faire  on  suit  les  rolles  de  l'année  dernière  ou  à  peu  près, 
car  si  le  roy  augmente  les  tailles  de  quelques  millions,  on  les  augmente  dans 
chaque  généralité,  élection  ou  paroisse  au  marc  la  livre  et  pour  les  diminutions, 
lorsque  le  roy  en  ordonne  de  même  ».  (Bibl.  Sénat,  ms  1  213,  p.   59.) 

4.  L'intendant  d'Amiens,  en  1683,  se  vante  d'avoir  adopté  ce  procédé  comme  le 
meilleur  et  le  plus  efficace  (Godard,  Les  pouvoirs  des  intendants,  p.  221).  Il  est 
bien  vrai  qu'ainsi  il  évite  les  protections  irrégulières,  mais  aussi  il  perpétue  les 
inégalités.  Cf.  Œuvres  de  Turgot,  éd.  Daire,  I,  477. 

5.  Cf.  Boisguilbert,  Détail,  éd.  1707,  I,  p.  2(j  :  on  impose  la  taille  «  a  proportion 
que  l'on  voit  qu'on  en  poura  être  paie  ».  Si  les  paroisses  payent  bien,  dit-il  encore, 
«  elles  sont  assurées  d'avoir  de  la  hausse  l'année  suivante  »  (p.  29). 


148  LA    TAILLE    EN     NOItMANDIE. 

fallait  aussi  distinguer  les  récoltes  des  fermiers  et  celles  des 
propriétaires.  De  plus,  les  produits  de  la  terre  n'étaient  pas  seuls 
imposables,  la  taille  visant  tous  les  revenus,  quels  qu'ils  fussent. 

Les  intendants  se  rendirent  compte  de  cette  impossibilité. 
L'un  d'eux,  d'Aube,  a  énuméré  tout  ce  qu'il  eût  fallu  connaître 
pour  faire  un  département  équitable  basé  «  sur  des  connais- 
sances acquises  et  sur  des  faits  bien  constatés  »  ;  c'est  à  savoir  : 
«  1°  quelle  est  l'étendue  du  terrain  circonscrit  pour  chaque 
communauté;  2°  quelles  sont  les  différentes  espèces  de  cultures 
qu'on  donne  à  ce  terrain;  3°  quelle  quantité  de  terrain  est  cul- 
tivée de  chaque  façon  différente;  4°  quel  est  le  prix  commun  de 
telle  ou  telle  mesure  de  terre,  selon  la  différente  espèce  de 
culture  qu'elle  reçoit;  5°  combien  de  tout  ce  terrain  il  en  est 
exploité  par  des  propriétaires  exempts  de  taille;  6°  combien  il 
en  est  exploité  par  des  membres  des  communautés  voisines  qui 
ne  payent  de  taille  qu'à  la  décharge  desdites  communautés  voi- 
sines; 7°  combien  réciproquement  les  membres  de  la  commu- 
nauté dont  on  veut  régler  l'imposition  ne  payant  la  taille  qu'à 
sa  décharge  exploitent  de  différentes  espèces  de  terrain  dépen- 
dant des  autres  communautés  du  voisinage;  8°  combien  de 
terrain  est  exploité  par  les  propriétaires  taillables;  9°  quelles 
espèces  de  commerce  étrangères  à  l'exploitation  des  fonds  se 
font,  à  quoi  elles  s'étendent  et  combien  de  membres  de  cette 
communauté  y  sont  occupés;  10°  combien  chaque  communauté 
renferme  d'artisans  de  toutes  espèces  et  de  journaliers,  et  quel 
est  le  prix  ordinaire  de  leur  journée...  12°  quels  sont  les  dom- 
mages que  des  accidents  ordinaires  et  imprévus  ont  fait  souffrir 
à  telle  ou  telle  communauté,  quelles  sont  les  communautés  que 
le  ciel  a  favorisées  de  récoltçs  plus  abondantes,  et  quels  avan- 
tages doivent  en  résulter  pour  elles  ». 

Sa  conclusion  est  qu'il  est  «  infiniment  difficile  »  de  faire  une 
répartition  exacte  «  puisque  ce  n'est  que  par  la  connaissance 
détaillée  des  parties  qu'on  peut  connoitre  un  tout,  et  que  le  détail 
des  parties  à  connoitre  pour  donner  un  avis  qui  mérite  d'être 
suivy  sur  la  distribution  des  impositions  par  villes  et  élections 
est  presque  infini1  ».  Si  l'on  ajoute  que  l'intendant  devait  per- 
sonnellement s'informer  de  tout,  ne  pouvant  avoir  confiance  en 
aucun  de  ses  auxiliaires,  on  conclura  qu'un  département  équi- 
table était  une  chimère. 

Les  intendants  ne  le  recherchaient  même  pas,  ayant  con- 
science de  leur  impuissance.  A  Rouen,  Marillac,  après  avoir 
constaté  que  souvent  les  terres  d'une  paroisse  sont  cultivées 
par  des  taillables  étrangers  à  cette  paroisse,  ajoute  : 

«  Mais  on  n'entre  point  dans  ces  détails-là  en  faisant  les  départe- 
ments, ils  sont  trop  grands,  et  on  impose  une  parroisse  eu  égard  à  la 

1.  Godard,  Lrs  pouvoir»  de»  intendants,  p.  49.  Cf.  Mémoire  de  Voysin,  p.  86. 


L  ÉGALITÉ    DANS    LE    DEPARTEMENT.  149 

bonté  de  sa  situation  et  à  la  grandeur  de  son  territoire,  sans  entrer 
presque  dans  le  détail  des  habitans  qui  en  exploittent  les  terres  pour 
scavoir  s'ils  sont  de  la  mesme  parroisse  ou  demeurants  dans  une 
autre;  en  effet  on  voit  que  les  parroisses  portent  toujours  à  peu  près 
certaines  impositions  ;  c'est  un  fondement  trop  variable  que  d'avoir 
égard  au  domicile  des  exploiteurs,  il  est  bien  plus  à  propos  de  donner 
lieu  de  faire  le  regallement  des  tailles  sur  le  fondement  de  la  cituation 
de  la  parroisse  et  de  la  bonté  de  son  territoire,  et  il  est  juste  que  ceux 
qui  tirent  le  proffit  du  territoire  contribuent  aux  charges,  sans  cela 
les  règlements  ne  seront  point  exécutez,  ce  désordrene  cessera  pas  *.  » 

L'intendant  de  Gaen,  Méliand,  fait  le  même  aveu  : 

«  Quelque  soin  qu'on  prenne  de  pénétrer  la  force  ou  la  foiblesse 
des  parroisses,  il  est  malaisé  d'en  avoir  une  connoissance  parfaite 
pour  luy  faire  porter  son  juste  taux  lors  des  départements.  Il  s'en 
faut  presque  rapporter  à  ce  qu'en  disent  les  receveurs  des  tailles,  les 
huissiers  et  les  esleus,  qui  n'en  parlent  le  plus  souvent  que  par 
faveur,  et  il  se  trouve  qu'une  parroisse  sera  haute  à  la  taille  parce 
qu'elle  paroistra  de  grande  estendue  et  remplie  d'habitans,  et  cepen- 
dant tout  le  territoire  sera  possédé  par  les  seigneurs  et  gentilshommes, 
par  des  bourgeois  de  villes  franches,  et  par  d'autres  exempts  qui  y 
font  valoir  leurs  terres,  sans  que  les  taillables  y  possèdent  quelque- 
fois une  seul  acre  en  propre 2.  » 

L'étendue  de  terre  cultivée  dans  la  paroisse,  la  valeur 
approximative  des  récoltes,  les  apparences  de  pauvreté  ou  de 
richesse  formaient  les  seuls  éléments  d'appréciation  3  accessibles 
à  un  intendant,  si  consciencieux  qu'il  fût4.  Mais  il  ne  faut  pas 
oublier  qu'il  ne  pouvait  chaque  année  visiter  toutes  les  paroisses 
de  sa  généralité,  ni  même  la  plus  grande  partie  d'entre  elles  5. 

Cette  insuffisance  des  répartiteurs  n'aurait  pas  eu  de  graves 
inconvénients  si  les  contribuables  avaient  eu  le  moyen  de  faire 
réduire  la  cote  de  leur  paroisse  trop  imposée.  Suivant  les  théo- 
riciens, ils  pouvaient  intenter  collectivement  une  action  en  sur- 
taux6, comme  les  particuliers.  «  L'inégalité,  dit  Vieuille,  peut  se 
rencontrer  dans    l'imposition   d'une   élection  sur  les  paroisses 

1.  Mémoire  du  5  octobre  1684,  A.  N.,  G7  492. 

2.  Mémoire  du  15  août  1680.  A.  N.,  G7  213. 

3.  Il  en  fut  de  même  jusqu'à  la  fin  du  xvme  siècle.  Dans  les  cahiers  de  1789, 
beaucoup  de  paroisses  se  plaignent  d'être  imposées  simplement  à  raison  de 
l'étendue  de  leur  territoire,  même  si  les  terres  y  sont  de  mauvaise  qualité  ou 
sont  exploitées  par  des  forains  (cf.  par  ex.  Cahiers  du  bailliage  de  Cany,  publ.  par 
Romain,  p.   36).       t 

4.  V.  dans  Godard,  Les  pouvoirs  des  intendants,  p.  221,  une  lettre  de  l'intendant 
d'Amiens  en  1683,  où  il  explique  sa  façon  de  procéder  :  il  écoute  soigneusement 
les  observations  des  élus  et  receveurs,  discute  toutes  les  objections,  ne  décharge 
ou  ne  surcharge  jamais  une  paroisse  sans  «  des  raisons  très  précises  »;  ce  qui 
revient  à  dire  que,  sauf  exceptions,  il  suit  les  départements  des  années  précédentes. 

5.  Le  sieur  Arnaud,  chargé  du  département  de  la  taille  dans  la  généralité  de 
Poitiers  en  1668,  écrit  que  la  «  visite  généralle  des  parroisses  demande  plus  de 
trois  mois  pour  la  bien  faire  ».  (M.  G.  149,  f°  46.) 

6.  Voir  ci-dessous,  chap.  vi,  2e  partie. 


UO  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Îrui  la  composent;  sur  quoi  les  paroisses  surchargées  peuvent 
aire  leurs  représentations,  qui  doivent  être  fondées  sur  la  qua- 
lité et  la  différence  des  terroirs,  leurs  situations  pour  le  débit 
de  leurs  denrées,  le  nombre  et  les  facultez  de  leurs  habitans, 
et  autres  moyens  ».  Mais,  ajoute-t-il  aussitôt,  «  cela  n'arrive 
presque  point,  parce  que  lors  des  départcmens  de  la  taille, 
messieurs  les  intendans  et  les  officiers  des  élections  donnent 
leurs  attentions  pour  que  l'égalité  soit  gardée  de  paroisse  à 
paroisse,  par  la  considération  et  la  connoissance  de  leur  état, 
situation,  commoditez  ou  incommoditez  '  ».  Jamais  en  effet  on 
ne  trouve  d'instances  de  ce  genre;  aucune  procédure  régulière 
n'est  fixée,  les  habitants  n'auraient  su  à  qui  s'adresser,  outre 
que,  l'imposition  de  l'élection  étant  immuable,  toute  décharge 
accordée  à  une  paroisse  aurait  entraîné  une  recharge  pour  les 
autres,  et  par  conséquent  la  réfection  du  département.  Les 
mandements  une  fois  signés,  écrit  d'Aube,  «  il  n'y  aura  plus  de 
remède  aux  injustices...  faites,  par  ignorance  ou  autrement,  parce 
que  le  roy  a  un  interest  principal  et  essentiel  à  ce  que  la  tota- 
lité de  la  taille  dont  il  a  ordonné  l'imposition  et  la  levée  soit 
payée,  ce  qui  doit  empêcher  qu'il  ne  modère  les  impositions  des 
parroisses  mal  à  propos  surchargées,  a  moins  que  de  rejetter 
leur  surcharge  sur  les  autres  parroisses  trop  soulagées  par  pro- 
portion, et  que  d'un  autre  côté  le  roy  ne  pourroit,  sans  nuire 
trop  a  l'ordre  des  rccouvremens,  d'où  dépend  l'acquittement  des 
charges  de  l'Etat,  rejetter  de  paroisses  sur  d'autres  les  imposi- 
tions trop  fortes  ordonnées  par  cet  intendant2  ». 

La  seule  ressource  des  contribuables  était  de  solliciter  une 
décharge  l'année  suivante,  par  voie  de  placet  aux  élus  ou  à  l'in- 
tendant, mais  on  ne  voit  pas  qu'ils  aient  souvent  recouru  à  cet 
expédient. 

Somme  toute,  le  département  était  à  la  discrétion  des  répar- 
titeurs3. «  Il  est  impossible,  dira  Boulainvilliers,  d'obtenir  des 
intendans  aucune  règle  ni  méthode  pour  l'imposition  des 
paroisses  autre  que  celle  qui  dépendra  de  la  faveur  plus  ou 
moins  grande  que  les  intéressés  auront  auprès  d'eux*  ».  Par 
son  essence  même,  la  taille,  impôt  sur  le  revenu  global  des 
contribuables,  est  «  arbitraire5  ». 

1.  Traita  de»  Elections,  p.  474. 

2.  B.  N.  fr.  21  812,  p.  8-9. 

3.  Tous  les  écrits  relatifs  à  la  taille,  à  partir  de  Vauban.  reviennent  sur  ce  point. 
Leur  énumération  formerait  une  liste  démesurée.  Les  cahiers  de  1789  contiennent 
presque  tous  des  doléances  sur  ce  sujet. 

4.  Mémoires  présentes  au  duc  d'Orléans,  éd.  1727,  t.  I,  p.  96;  cf.  p.  106.  Bou- 
lainvilliers est  hostile  aux  intendants. 

5.  «  Cet  arbitraire  n'a  presque  point  d'inconvénient  »  dit  Turgot,  parce  que 
l'intendant  redoute  l'opinion  publique  [Œuvres,  éd.  Daire,  I,  p.  477).  Mais*  à  notre 
époque,  il  n'y  avait  pas  d'opinion  publique. 


LES    PROTECTIONS    ACCORDEES    AUX    PAROISSES.  151 

VII.  —  LES  PROTECTIONS  ACCORDÉES 
AUX  PAROISSES 

Les  contribuables  n'étaient  pas  seuls  intéressés  au  départe- 
ment. Tout  exempt  possédant  des  terres  dans  une  paroisse 
désirait  que  celle-ci  fût  le  moins  imposée  possible  :  il  obtenait 
^en  échange  la  protection  des  collecteurs  pour  ses  fermiers,  qui 
payaient  plus  cher  leur  ferme,  si  bien  qu'en  fin  de  compte  le 
dégrèvement  était  à  son  profit.  Quand  un  particulier  arrive 
à  faire  soulager  une  paroisse,  écrit  Boisguilbert,  il  «  a  pour  sa 
récompense  l'exemption  de  ses  fermiers  ou  receveurs,  qui  sont 
taxés  à  rien  ou  très  peu  de  chose,  mais  qui,  par  une  espèce  de 
contre-échange  lui  payent  la  taille...  et  si  les  autres  fermiers 
ou  détenteurs   de  fonds  à  louage   les  tiennent  à  8  1,  l'arpent, 

ceux  des  seigneurs  les  prennent  à  10  et  11 1 On  épargne  ou 

l'on  considère  (ce  qui  est  le  mot  en  usage),  les  fermiers  du 
seigneur  de  la  paroisse  à  proportion  que  l'on  croit  qu'il  s'est 
employé  lui-même...  pour  faire  considérer  la  paroisse1  ». 
Certains  personnages  allaient  même  plus  loin  :  ils  se  faisaient 
payer  par  les  paroisses  pour  les  protéger  :  un  mandement  de 
l'intendant  de  Caen  en  1676  dénonce  «  aucuns  gentilshommes 
et  personnes  puissantes  qui...  exigent  des  corvées  et  font  des 
levées  sous  prétexte  de  récompense  de  leur  protection,  soit 
pour  les  exempter  de  logement  des  gens  de  guerre,  diminuer 
leurs  impôts  ou  autrement2  ».  A  Pont-1'Evêque,  en  1670,  le 
marquis  de  Silly  assomme  le  receveur  des  tailles  qui  prétend 
faire  payer  ses  paroisses  \ 

Le  résultat  de  cette  pratique  était  que,  la  taille  imposée  sur 
l'élection  devant  être  payée  malgré  tout,  c'étaient  les  autres 
paroisses  qui  supportaient  la  diminution  accordée  aux  protégées  *  ; 

1.  Détail  de  la  France,  éd.  1707,  I,  p.  22-23.  Cf.  le  mémoire  d'Auber,  cité  plus 
haut,  p.  136.  Ces  faveurs  étaient  devenues  presque  régulières,  par  exemple  le 
2  février  1631,  un  sieur  de  Monferville  adresse  une  lettre  aux  Elus  de  Caen  pour 
obtenir  une  diminution  de  taille  pour  la  paroisse  de  Cabourg  qui  lui  appartient  : 
il  leur  demande  de  le  faire  par  «  considération  »  pour  lui,  et  à  cause  de  la 
misère  des  habitants  :  «  Je  vous  puis  jurer  sur  mon  honneur  qu'à  moins  d'une 
diminution  très  considérable,  ce  seroit  oflencer  Dieu  de  les  y  forcer  [à  payer 
leur  taille]  ».  (A.  D.  Calv.  Election  de  Caen,  correspondance.)  Cf.  le  Mémoire  de 
Colbert  à  Mazarin,  1659,  Clém.  VII,  177. 

2.  A.  D.,  Calv.,  Election  de  Caen. 

3.  Clém  II,  77.  Cf.  la  lettre  de  Barin  de  la  Galissonnière,  du  10  nov.  1670,  et 
son  procès-verbal,  M.  C.  155,  f08  358-361. 

4.  La  protection  ne  s'étendait  pas  seulement  aux  impôts,  mais  à  toutes  les 
affaires  du  ressort  des  élus  et  des  trésoriers  de  France.  L'accablement  venait  aux 
paroisses  non  protégées  de  toutes  les  manières  :  Barin  de  la  Galissonnière  écrit 
d'Orléans  à  Colbert  le  21  novembre  1665,  qu'il  a  trouvé  près  de  Chàteaudun  des 
paroisses  qui  étaient  ruinées  par  les  saisies  et  les  frais  de  justice,  la  raison  en 
est  que  «  les  communautez  ne  se  detfendent  jamais  et  perdent  toujours  leurs 
procès  parce  qu'elles  n'ont  point  de  protection  ».  (M.  C.  133,  f°  497.) 


152  LA    TAILLE    EN    NOHMANDIE. 

la  décharge  des  unes  entraînait  la  surcharge  des  autres,  et  par 
conséquent  leur  ruine;  les  non-valeurs  étaient  augmentées 
d'autant;  c'était  le  Trésor  qui,  finalement,  payait  les  faveurs 
ainsi  faites. 

L'«  arbitraire  »  de  la  taille  donnait  cependant  aux  répartiteurs 
la  liberté  de  les  distribuer  à  leur  gré.  Maintes  fois  avant  1661 
le  reproche  avait  été  adressé  aux  élus  et  aux  trésoriers  généraux 
de  protéger  indûment  les  paroisses  où  ils  avaient  des  biens, 
eux,  leurs  parents  et  leurs  amis.  Parmi  les  motifs  de  l'établis- 
sement des  intendants  figurait  le  désir  de  supprimer  cet  abus. 
Colbert  s'appliqua  à  réaliser  ce  programme  :  dans  de  nombreuses 
instructions  il  ordonna  aux  intendants  d'empêcher  toutes  pro- 
tections illicites,  et  de  n'écouter  eux-mêmes  les  recommanda- 
tions de  personne.  Travaillez,  leur  dit-il  en  1663,  «  sans  avoir 
esgard  aux  recommandations  de  qui  que  ce  soit,  estant  certain 
que  la  cause  des  grandes  non-valeurs  du  passé  provenoitde  l'acca- 
blement des  uns  par  la  descharge  que  l'on  donnoit  aux  autres 
qui  estoient  fortement  appuyés1  ».  «  Il  n'est  rien,  écrit-il  encore 
en  1670,  qui  soit  plus  contraire  aux  intentions  du  roi,  ni  à 
quoy  vous  deviez  donner  plus  d'application,  qu'à  empescher 
qu'aucune  paroisse  ne  soit  soulagée  à  l'oppression  des  autres2». 

Les  protections  illégitimes  des  élus,  trésoriers  généraux  et 
receveurs  disparurent  le  jour  où  l'intendant  eut  la  haute  main 
dans  le  département;  ce  fut  du  reste  une  des  causes  de  l'hosti- 
lité de  ces  officiers  contre  le  commissaire  du  roi;  cette  hosti- 
lité, très  vive  au  début,  durait  encore  en  1683 J. 

A  cette  date,  le  président  de  l'élection  de  Neufchâtel  refuse 
de  signer  le  département  en  déclarant,  dit  l'intendant,  «  qu'il 
en  usoit  ainsy  parce  que  nous  n'avions  pas  suivy  son  advis  sur 
quelques  paroisses  qu'il  vouloit  faire  augmenter  ou  diminuer  », 
et  l'intendant  demande  au  contrôleur  général  une  punition 
sévère  pour  cet  officier,  dont  la  conduite  serait  d'un  fâcheux 
exemple  aux  autres*.  Les  intendants  soutenus  par  Colbert 
étaient  de  taille  à  résister  à  ces  puissances  locales.  Celui 
d'Alençon  écrit  au  ministre  le  16  octobre  1666  :  «  Je  scais  que 
dans  les  départemens  des  tailles  j'auray  peut-estre  désobligé 
plusieurs  personnes,  mais  en  faisant  mon  debvoir  je  suis  asseuré 
de  l'honneur  de  vostre  protection  et  que  vous  aurez  la  bonté  de 

1.  Clém.  II,  13. 

2.  Lettre  du  16  octobre  1670  à  Hachette,  Trésorier  de  France  à  Paris,  chargé 
du  département  dans  la  généralité  à  la  place  de  l'intendant;  Clém.  II,  75;  cf.  la 
réponse  de  Hachette,  Clairamb.  792,  p.  333. 

3.  En  1665,  les  élus  de  Saint-Jean-a  Angely  refusent  de  signer  le  département 
parce  que,  dit  l'intendant,  «  j'ay  augmenté  de  taille  leurs  paroisses  et  celles  qu'ils 
protégeoient,  qui  ne  payoient  rien  presque,  à  comparaison  des  autres,  ses  officiers 
■'estant  donné  plus  d'authorité  que  tous  ceux  des  aultres  eslections,  et  surtout 
l'ancien  président  qui  n'a  pu  supporter  que  i'aye  augmenté  sa  paroisse  de  500  1.  » 
Lettre  de  Barentin  à  Colbert,  30  nov.  1665,  M.  C.  133,  P  730. 

4.  L.  du  25  oct.  1683,  A.  N.  G'492. 


LES    PROTECTIONS    ACCORDEES    AUX    PAROISSES.  153 

faire  connoistre  au  roy  aveq  quel  zèle  je  me  conduis  dans  toutes 
les  choses  qui  regardent  son  service1  ». 

Mais  les  intendants  n'étaient  pas  pour  cela  à  l'abri  de  toutes 
les  sollicitations  :  ils  étaient  dans  la  dépendance  de  per- 
sonnes puissantes,  grands  seigneurs,  courtisans,  ministres, 
auxquels  ils  étaient  obligés  d'accorder  satisfaction,  Celui  de 
Rouen  écrit  en  1667  à  Colbert  :  «  Ordinairement,  ceux  qui 
ont  moins  de  raison  de  se  plaindre  sont  presque  toujours  en 
possession  de  crier  plus  hault  et  de  chercher  par  des  voyes 
obliques  des  protections  qui  très  souvent  nous  désarment  et 
nous  ostent  le  courage  de  faire  nostre  devoir2  ». 

En  tête  de  ceux  qui  font  protéger  leurs  terres  et  celles 
de  leurs  parents,  se  trouve  Colbert  lui-même.  Il  est  vrai 
qu'un  jour  il  blâma  l'intendant  de  Rouen  d'avoir  exempté  dû 
quartier  d'hiver  les  terres  du  jeune  Louis  Colbert  son  fils  : 
«  Ceux  qui  ont  l'honneur  de  servir  le  roy,  disait-il,  et  qui 
approchent  de  sa  personne  aussy  près  que  nous  doivent  montrer 
l'exemple  à  tout  le  monde...  il  n'y  a  rien  de  si  important  dans 
l'État3  ».  Mais  quatre  ans  après,  il  écrivait  au  même  intendant  : 
Je  vous  adresse  «  un  remerciement  particulier  pour  tout  ce  que 
vous  voulez  bien  faire  dans  tout  ce  qui  peut  me  regarder  et  par- 
ticulièrement dans  le  soulagement  que  vous  avez  donné  aux 
terres  de  mon  fils,  auxquelles  je  vous  prie  d'ajouter  encore  celle 
de  Marais-Vernier  pour  luy  accorder  sa  part  de  diminution  que 
le  Roy  a  faite  à  la  généralité  de  Rouen  sur  les  tailles  *  ».  A  quoi 
l'intendant  répondait  en  réduisant  de  2050  1.  à  950  l'imposition 
du  Marais-Vernier5.  En  réalité  toutes  les  terres  de  Colbert,  de 
ses  parents,  amis  et  protecteurs  furent  soigneusement  ménagées 
pour  la  taille.  Ayant  acquis  la  terre  de  Chateauneuf  en  Berry,  le 
premier  soin  qu'il  prend  est  de  s'informer  auprès  de  son  homme 
d'affaires  «  de  quelle  eslection  sont  les  paroisses  qui  composent 
cette  terre  et  à  combien  elles  ont  esté  imposées  à  la  taille  depuis 
sept  ou  huit  ans6  ».  Après  avoir  acheté  sa  terre  d'Ormoy,  près 
de  Seignelay,  il  la  fait  visiter  par  une  certaine  dame  de  la 
Rivière  qui  lui  écrit  le  9  octobre  1664  :  «  J'ay  trouvé  ses  pauvres 

1.  M.  C.  141.  f°  395.  Il  écrivait  le  30  sept,  précédent  :  «  Je  puis  vous  dire  que 
la  pensée  de  faire  grâce  et  de  déférer  à  la  recommandation  n'entrera  point  dans 
mon  esprit  »  quand  je  ferai  les  départements.  (M.  G.  140,  f  512.) 

2.  L.  du  18  nov.  1667,  Depping,  t.  III,  p.  ix.  Cf.  Vauban,  Œuvres,  éd.  de  Rochas, 1,623. 

3.  L.  à  Leblanc,  29  nov.  1675  ;  Glém.  II,  371. 

4.  L.  du  19  oct.  1679,  Clém.  II,  117. 

5.  Leblanc  à  Colbert,  1er  oct.  1679  :  «  Le  Marais-Vernier  estoit  imposé  en  1679 
à  2  050  1.;  pour  luy  donner  moyen  de  se  restablir,  j'ay  creu  qu'il  estoit  à  propos 
de  luy  donner  1  100  1.  de  diminution;  pour  Blainville  j'en  auray  un  soin  parti- 
culier; je  vous  supplie  d'estre  persuadé  que  je  feray  tout  ce  qui  me  sera  possible 
pour  mériter  vos  bontez  ».  (A.  N.  G7  491).  En  1662,  le  Marais-Vernier  payait  3  553  1., 
et  en  1665,  3  513,  pour  155  feux.  La  taille  de  l'élection  était  passée  de  259  600  1. 
en  1665  à  281  900  en  1679  et  273  400  en  1680.  D'autre  part  Colbert  avait  notable- 
ment enrichi  cette  terre  en  y  faisant  dessécher  des  marais,  sous  la  direction  du 
receveur  général  de  Rouen,  Gousin  (Glém.  VII,  138  et  note). 

6.  Glém.  VII,  91. 


154  LA    TAILLE    BN    NOIIMANDIE. 

abitans  dans  la  dernière  nécessité,  qui  lest,  Monsieur,  que  je  vous 
suplie  d'avoir  la  bonté  de  les  fere  descharger  à  la  taille,  ils 
serons  tenus  de  prier  Dieu  pour  votre  conservation,  je  les  et  for 
amonesté  de  vous  randre  corne  à  leur  seigneur  toute  sorte  d'obéis- 
sance1 ».  La  même  année  un  billet  anonyme  (dont  l'auteur  est 
sans  doute  l'intendant),  apprend  à  Colbert  que  ses  deux  paroisses 
de  Contilly  et  les  Auneaux  ont  été  réduites  de  50  1.  (550  au  lieu 
de  600)  chacune,  et  l'auteur  ajoute  :  «  vous  voyés...  que  je  n'ay 
pas  accordé  grande  diminution  aux  paroisses  qui  vous  appar- 
tiennent... Si  vous  désirés  que  les  vostres  reçoivent  quelques 
grâces,  il  vous  plaira  me  le  prescrire  au  bas  de  ce  billet,  et  j'exé- 
cuterav  ponctuellement  vostre  ordre  par  le  moyen  des  15  000  1. 
qu'il  m'est  permis  de  diminuer2  ».  Dans  l'élection  de  Joigny  où 
se  trouvent  Seignelay  et  d'autres  paroisses  appartenant  à  Colbert, 
un  M.  de  Bcauchamps  est  chargé  du  département  de  la  taille, 
et  se  vante  de  diminuer  «  considérablement  »  les  paroisses  du 
ministre3.  Ces  paroisses  ne  sont  pas  ménagées  seulement  au 
département,  mais  aussi  dans  la  perception.  Le  receveur  de 
Joigny  écrit  à  Colbert  le  14  avril  1665  :  «  Le  respect  que  j'ay 
pour  tout  ce  qui  vous  regarde  m'a  empesché  de  faire  aucune 
poursuitte  à  l'encontre  des  collecteurs  des  paroisses  qui  vous 
appartiennent  dans  l'eslection  de  Joigny,  mais,  Mgr,  vous  trou- 
verez bon,  s.  v.  p.  que  je  vous  die  que  depuis  qu'elles  sont  à 
vous,  les  collecteurs  n'ont  apporté  aucuns  deniers  à  la  recepte 
des  tailles...  Je  vous  supplie  très  humblement,  Mgr,  d'avoir  la 
bonté  de  vouloir  me  faire  scavoir  vostre  volonté,  pour  l'exécuter 
avec  soubmission*  ».  Cette  protection  si  ouverte  encourageait 
même  les  paroisses  voisines  qui  n'appartenaient  pas  au  ministre 
à  solliciter  ses  faveurs  :  en  1668,  les  échevins  de  La  Charité 
viennent  le  trouver  à  Seignelay  et  obtiennent  pour  leur  ville 
une  diminution  de  1  500  1.  sur  la  simple  promesse  d'établir  des 
manufactures,  qui  ne  furent,  du  reste,  pas  établies5.  Spécialement 
en  Normandie,  Colbert  protégea  soigneusement  les  paroisses  qui 
lui  appartenaient  :  en  1672,  il  achète  Hérouville,  près  de  Caen; 
la  paroisse  avait,  jusque-là.  payé  au  moins  1500  1.  de  taille;  il  y 
introduit  des  améliorations  considérables,  il  construit  des  halles, 
une  hôtellerie,  des  routes  d'accès,  un  pont,  y  crée  une  foire, 
fait  redresser  par  Vauban  le  cours  de  l'Orne,  ce  qui  permet  de 
convertir  plus  de  1500  acres  de  marais  en  prés6;  cependant  la 

1.  M.  G.  124.  fo  156. 

2.  Ibil.,  V  SS. 

3.  Lettre  de  M.  de  Beauchamps  à  Colbert,  M.  C.  128w\  £°  869;  ce  personnage 
n'était  pas  intenlant;  ou  trouve  parmi  les  familiers  de  Colbert  un  M.  de  Beau- 
champs,  gendre  de  Marin,  qui  fut  chargé  d'élever  le  fils  de  Mlle  de  Lavallière. 
(Clém.  VI,  463).  peut-être  est-ce  de  lui  qu'il  s'agit  ici. 

4.  Levasseur  à  Colbert,  14  avril  16.55,  M.  C.  l28bu,  f°  869. 

5.  L.  de  remerciements  des  échevins  à  Colbert,  18  nov.  1665,  Depping,  I,  7  «7. 

6.  Remarques  de  Nicolas  le  Ilot,  publ.  par  G.  Vanel,  Caen,  1905,  art.  Hérouville. 
Sur  l'acquisition  de  cette  terre,  voir  Clém.  VIF,  64,  139  et  393 . 


LES    PROTECTIONS    ACCOUDEES    AUX    PAROISSES.  155 

taille  de  la  paroisse  s'abaisse  à  1  173  1.  en  1674,  1000  1.,  en 
1677,  et  600  1.  en  1679  ',  et  l'on  ne  peut  encore  pas  assurer  que 
ces  sommes  aient  jamais  été  payées,  car  le  régisseur  de  Colbert 
pour  cette  terre  est  le  sieur  Cousin,  receveur  général  de  Rouen. 
Les  terres  voisines  de  Blainville  et  Creuilly,  que  Colbert  acheta 
en  1675  et  1682,  furent  l'objet  de  faveurs  analogues. 

La  protection  du  ministre  s'étend  tout  naturellement  aux  terres 
de  ses  parents.  On  l'a  déjà  vu  pour  le  Marais-Vernier,  apparte- 
nant au  jeune  Louis  son  fils.  Lorsque  ce  même  personnage  reçut 
du  roi,  à  l'âge  de  quatorze  ans,  l'abbaye  de  Bonport,  près  de 
Pont-de-1'Arche,  l'intendant  de  Rouen  à  la  première  nouvelle 
fit  ses  offres  de  service  à  Colbert,  qui  répondit  :  «  Je  ne  refuse 
point  l'offre  que  vous  me  faites  d'en  prendre  quelque  soin  dans 
les  visites  que  vous  ferez  de  la  généralité2  ».  Trois  mois  après, 
Colbert  apprenant  que  cinq  hameaux  dépendant  de  l'abbaye  et 
composés  de  53  feux  payaient  autant  de  taille  que  les  100  feux 
du  reste  de  la  paroisse  de  Montaure,  écrivait  à  Leblanc  :  «  Je 
vous  prie  d'examiner  si  cela  est  véritable,  et  de  me  faire  scavoir 
s'il  y  a  quelque  raison  qui  ayt  pu  donner  fondement  à  cette  iné- 
galité, et  si  la  justice  qui  doit  estre  observée  dans  le  régalement 
des  tailles  désireroit  que  ces  cinq  hameaux  portassent  une 
moindre  partie  de  la  taille,  parce  qu'en  ce  cas  on  y  pourroit 
remédier3  ».  Leblanc  dut  amplement  satisfaire  son  ministre,  car 
quelque  temps  après  il  lui  adressait  une  lettre  de  remercie- 
ments en  ces  termes  :  «  Je  vous  suis  si  sensiblement  obligé  de 
l'honneur  de  vostre  protection  et  des  bontez  que  vous  avez  pour 
moy,  que  je  ne  puis  assez  vous  en  rendre  grâce;  j'ay  un  si  pro- 
fond respect  pour  les  personnes  qui  vous  appartiennent,  que  je 
souhaitterois  leur  pouvoir  tesmoigner  le  zèle  et  l'attachement 
que  j'ay  pour  leur  service4  ». 

Colbert  de  Maulevrier  possédait  dans  la  généralité  de  Tours  la 
terre  de  Maulevrier  et  un  groupe  de  paroisses  aux  environs;  en 
1670  il  obtint  de  son  frère  pour  ses  domaines  une  diminution  de 
taille  de  8  000  1.  «  Je  vous  remercie,  écrit  ensuite  le  ministre  à 
l'intendant  qui  a  réparti  cette  décharge,  du  soin  que  vous  avez 
pris  des  paroisses  qui  appartiennent  à  mon  frère5  ».  L'année 
suivante  encore,  Maulevrier  demande  une  nouvelle  diminution 
de  1  500  1.  : 

«  C'est  une  charité,  dit-il,  que  vous  ferés  à  bien  des  pauvres,  des 
vefves  et  des  orfelins,  car  ce  n'est  que  pour  ces  gens  là  que  je  vous 

1.  A.  D.  Calv.,  élection  de  Gaen,  rôles  de  département. 

2.  L.  du  9  sept.  1681,  Clém.  VII,  128. 

3.  Clém.  VII,  129,  n.  1. 

4.  L.  du  21  août  1682,  A,  N.  G?  491. 

5.  Clém.  II,  75,  note;  cf.  1.  de  Colbert  de  Maulevrier  4  sept.  1670,  M.  C.  155, 
f°  190,    lettre   de  l'intendant  Voysin,   11    oct.    1670,   Clairamb.   792,  p.  351    :    ces 

Êaroisses  avaient  été  déjà  dégrevées  les  années  précédentes  d'après  la  lettre  de 
[aulevrier  citée  plus  loin. 


156  LA    TAII.LK     KN     NORMANDIE. 

demande  cette  faveur,  quoique  celles  que  vous  m'avez  accordé  pendant 
les  années  précédentes,  bien  que  très  considérables,  n'ayent  pu  ancor 
obliger  personne  à  se  présenter  pour  afermer  ma  terre'.  » 

La  fille  de  Colbert  avait  épousé  le  duc  de  Chevreuse,  fils  du 
duc  de  Luynes  :  celui-ci  obtint  que  sa  terre  de  Luynes  fût  parti- 
culièrement recommandée  à  l'intendant2,  et  que  celle  de  Fon- 
dettes,  près  de  Tours,  eût  sa  taille  réduite  pendant  trois  ans 
à  très  peu  de  chose.  La  duchesse  douairière  de  Chevreuse 
obtint  pareille  protection  en  1668  pour  sa  paroisse  de  Houdan, 
près  de  Versailles8. 

Les  grands  seigneurs  de  la  cour  sollicitent  de  Colbert  les 
mêmes  laveurs.  Mademoiselle  de  Montpensier  lui  recommande 
sa  ville  d'Eu  en  1682;  il  donne  des  ordres  en  conséquence  à 
l'intendant,  en  ajoutant  seulement  :  «  en  quoy  toutefois  vous 
devez  une  justice  égale  à  tous  les  sujets  du  roy*  ».  La  marquise 
de  Piennes  fait  favoriser  ses  terres  de  Picardie  par  l'intendant 
d'Amiens  :  «  Soyez  persuadé,  écrit  Colbert  à  ce  dernier,  que  je 
prendrai  part  à  l'obligation  qu'elle  vous  en  aura6  ».  Le  duché  de 
Lavallière  est  spécialement  ménagé6.  Le  marquis  d'Antin,  fils  de 
Madame  de  Montespan,  adresse  des  «  sollicitations  pressantes  » 
au  ministre  pour  faire  soulager  «  les  terres  qui  lui  appartiennent 
dans  les  élections  d'Astarac  et  de  Rivière-Verdun  »;  il  est  vrai 
qu'il  n'obtient  satisfaction  qu'à  demi  :  Colbert  transmettant  sa 
requête  à  l'intendant  ajoute  :  «  Il  faut  que  vous  n'y  ayez  égard 
qu'autant  que  vous  estimerez  que  cela  pourra  s'accommoder  avec 
le  service  du  roy,  estant  bien  difficile  de  se  défendre  de  donner 
quelquefois  de  semblables  lettres,  quoyque  ce  soit  contre  mon 
sentiment  et  avec  assez  de  répugnance7  ».  Mais  Colbert  ne  tenait 
pas  toujours  ce  langage.  Le  'Il  septembre  1663,  le  comte  de 
Saint-Aignan,  dont  le  fils  devait  épouser  quelques  années  plus 
tard  la  fille  du  ministre,  lui  demande  «  de  considérer  la  misère 
des  pauvres  habitans  de  Loches,  et  de  faire  qu'ils  soient  sou- 
lagez aux  tailles  et  au  sel 8  »,  et  Colbert  écrit  en  marge  du  billet  : 
«   Un   mot    de    recommandation    dans    la    depesche    de    M.   de 

1.  M.  C.  157,  fo  398. 

2.  Clém.  Il,  392. 

3.  Note  remise  à  Colbert  par  un  de  ses  secrétaires  (sans  date,  mais  classée  avec 
les  lettres  d'oct.  1668)  :  «  S.  A.  Mme  la  duchesse  douairière  de  Chevreuse  avoit 
envoyé  pour  scavoir  Testât  de  la  santé  de  Mgr,  et  pour  luy  donner  advis  que 
M.  Hachette  est  parti  pour  taire  le  département  des  tailles  de  l'eslection  de  Mon- 
fort,  dans  laquelle  est  la  paroisse  d'Houdnn  qui  a  besoing  de  sa  protection...  ■ 
(M.  C.  148,  f"  6).  Beaucoup  de  recommandations  pareilles  durent  élre  demandées 
et  transmises  de  vive  voix  sans  qu'il  nous  en  soit  resté  trace. 

4.  L.  du  17  août  1682,  Clém.  II,  204,  note;  cf.  la  réponse  de  Leblanc,  18  août  : 
«  Je  mande  à  Mademoiselle  que  vous  m'avez  bien  donné  ordre  d'avoir  soin  de 
leurs  intérests  [des  habitants  d'Eu]  ».  (B.  N.  fr.  8  761,  f°  63). 

5.  Clém.  VII,  40,  n.  2. 

6.  Clém.  II,  254. 

7.  L.  du  13  juillet  1663,  Clém.  VII,  40.  Cf.  let.  à  Colbert  de  Terron,  I,  306. 

8.  M.  C.  117,  f°  t&. 


LES    PROTECTIONS    ACCORDEES    AUX    PAROISSES.  157 

Fontenay  ».  Celui-ci  répond  le  4  octobre  qu'il  a  déchargé  la  ville 
de  Loches  de  10001.  «  dont  j'ay  fait  connoître  aux  habitans, 
ajoute-t-il,  qu'il  vous  avoit  plu  me  donner  ordre,  sur  la  recom- 
mandation de  M.  le  comte  de  Saint-Àignan1  ». 

Ses  subordonnés  et  ses  familiers  ont  recours  à  lui  pour  faire 
«  considérer  »  leurs  domaines  :  Marin  lui  fait  adresser  une 
recommandation  à  l'intendant  de  Montauban,  qui  répond  :  «  Les 
paroisses  de  M.  Marin  sont  traittées  favorablement  dans  toutes 
les-  occasions,  entr'autres  dans  l'imposition  de  l'année  pro- 
chaine, et  il  a  toutes  sortes  de  raisons  pour  en  estre  satisfait. 
L'on  continuera  tousjours,  à  quoy  je  suis  tout  à  fait  disposé2  ». 
Il  est  probable  que  Marin,  dont  la  correspondance  est  perdue, 
adressa  directement  bien  des  recommandations  de  ce  genre  aux 
intendants,  ses  subordonnés.  M.  de  Hocqueville,  président  à  la 
Cour  des  Aides  de  Rouen,  utilise  aussi  ses  relations  avec  le 
ministre  pour  faire  soulager  le  bourg  de  Cany  en  1665 3. 
En  1683,  il  se  plaint  à  nouveau  que  le  bourg  soit  accablé  à 
cause   du   soulagement   accordé   à   la  paroisse   de  Doudeville  *. 

Les  autres  ministres  obtiennent  des  faveurs  analogues  pour 
leurs  terres  et  celles  de  leurs  parents  et  amis;  ils  semblent  même 
le  faire  avec  moins  de  gêne,  n'ayant  pas  à  se  préoccuper  des 
conséquences  pour  le  Trésor.  La  correspondance  de  Letellier 
et  de  Louvois  abonde  en  recommandations  de  cette  nature;  ainsi 
Louvois  écrit  à  son  oncle  Dugué,  intendant  de  Caen,  le  5  novem- 
bre 1661  :  «  Je  vous  suplie  très  humblement  d'avoir  la  bonté  de 
voulloir  soulager  autant  qu'il  vous  sera  possible  la  paroisse  de 
Saint-Jean  en  Coural5,  de  l'élection  de  Mortaing,  lorsque  vous 
ferez  le  département  des  tailles  de  la  généralité  de  Caen.  C'est 
une  grâce  que  je  recevray  comme  pour  moy-même  puisque 
je  vous  le  demande  à  la  prière  d'une  personne  que  j'honore 
parfaitement  et  à  qui  je  serois  trop  aise  de  pouvoir  rendre  mes 
services.  Si  les  miens  vous  pouvoyent  estre  un  peu  utiles  je  vous 
les  offrirois  de  tout  mon  cœur6  ».  Une  autre  fois  il  lui  recom- 
mande les  terres  de  Mme  de  Choisy7.  A  Leblanc  il  recommande 
les  terres   du  duc   de  La   Rocheguyon   8,    la  paroisse  de   Mer- 

1.  M.  C.  117,  f°  415.  Dans  la  même  lettre  il  s'excuse  de  n'avoir  pu  «  soulager  la 
ville  de  Loudun  que  Mgr.  l'archevêque  de  Paris  considère...  quoyque  selon  mon 
sens  elle  en  ait  plus  besoin  ». 

2.  L.  de  l'intendant  Pellot,  10  déc.  1664,  M.  G.  126,  f°  256.  Pellot  avait  épousé 
une  Madeleine  Colbert. 

3.  L.  du  14  août  1665,  M.  G.  131,  f°  371. 

4.  L.  du  28  août  1683.  Sa  plainte  paraît  d'ailleurs  inexacte  :  il  dit  que  Doude- 
ville «  a  toujours  esté  imposé  à  3  500  1.  »  tandis  que  «  depuis  quelques  années 
il  n'est  plus  qu'à  1  700  1.  »  ;  or  nous  voyo.is  d'après  les  rôles  d'imposition  de  la 
paroisse  qu'elle  payait,  1  860  1.  en  1658,  3  249  1.  en  1662  et  1665,  3  100  1.  en  1679. 

5.  Aujourd'hui  Saint-Jean  du  Corail. 

6.  D.  G.  170,  f°  131. 

7.  Ibid.,  f°  320.  Cf.  d'autres  exemples  dans  Depping,  III,  p.  5,  81,  247,  etc. 

8.  Leblanc  à  Louvois  3  décembre  1679  :  «  J'ay  eu  un  soin  particulier  au  der- 
nier département   des   terres  de  M.  le   duc  de  La  Rocheguyon  et  leur  ay  donné 


161  LA    TAILLE    EX     NOIIMANDIE. 

ville1,  les  terres  dépendant  des  commanderies  de  Saint-Lazare*. 
Il  ti.insmet  aux  intendants  des  recommandations  de  la  part  de 
son  domestique3,  ou  du  frère  d'un  de  ses  commis *.  Une  seule 
fois  dans  les  lettres  que  j'ai  lues  il  fait  des  réserves  à  sa 
recommandation,  et  c'est  lorsqu'il  transmet  à  Dugué  l'invitation 
de  la  reine-mère  à  favoriser  les  terres  des  missionnaires  établis 
à  Caen.  Bornez-vous,  lui  dit-il,  a  «  considérer  un  petit  plus  les 
terres  qui  leur  peuvent  appartenir  que  les  autres  dans  l'assiette 
des  tailles  »,  mais  il  serait  injuste  de  leur  donner  à  eux  seuls  la 
diminution  de  8  000  1.  accordée  à  toute  l'élection  :  «  Je  ne  vous 
celleray  pas,    M.    que  j'ay  esté   estrangement   surpris  de  voir 

3ue  des  gens  qui  ne  nous  preschent  que  l'excessif  accablement 
es  peuples  par  les  levées  que  l'on  fait  sur  eux,  et  la  charité 
envers  les  pauvres,  sollicitent  pour  leur  profit  particulier  la 
diminution  d'une  grâce  que  le  roy  a  accordée  a  une  eslection 
ruinée  par  la  mauvaise  récolte  de  deux  années  consécutives5  ». 
M.  de  Saint-Pouange  recommande  pareillement  à  Leblanc  la 
mère  et  le  beau-frère  d'un  de  ses  domestiques  :  a  La  veuve 
Couturier,  qui  demeure  au  village  de  Laroque,  a  un  fils  auprès 
de  moy  que  j'affectionne,  et  comme  je  souhaiterois  bien  contri- 
buer au  soulagement  de  sa  famille,  je  vous  serois  sensiblement 
obligé,  Monsieur,  si,  lorsque  l'on  renouvellera  la  taille,  vous 
vouliez  bien  la  taxer  d'office  et  faire  en  sorte  que  le  nommé 
Jean  Langlois,  son  gendre,  ait  quelque  modération.  Je  me 
flatte  que  vous  voudrez  bien  me  donner  des  marques  de  vostre 
amitié  en  ce  rencontre".  » 

Souvent  les  intendants  devancent  les  ordres  ministériels. 
Foucault  raconte  comment,  discrètement,  il  exempta  presque  une 
paroisse  de  M.  Pussort,  oncle  de  Colbert,  dans  la  généralité  de 
Poitiers  :  a  J'ai  cru,  écrit-il  à  son  père,  qu'il  étoit  plus  à  propos 
de  luy  laisser  donner  avis  de  cette  diminution  par  son  homme 
d'affaires  que  de  le  luy  donner  moi-même7  ».  Son  père  trouve 
cette  discrétion  de  bonne  politique;  «  il  est  bon,  répond-il,  que 
M.  Pussort  soit  informé  de  ce  bon  office,  mais  il  faut  que  ce 
soit  par  tout  autre  que  par  vous,  et  que  son  fermier  lui  en 
donne  avis.  »  Il  ajoute  :  «  Il  a  son  secrétaire,  M.  Hersan,  qui  est 
trésorier  de  France   au   Bureau   de  Poitiers;   il  faudroit  voir  si 

3  800  1.  de  diminution.  Je  dois  faire  dans  peu  une  imposition  de  75  000  1.  sur  la 
généralité  pour  rendre  une  rivière  naviguable  [La  Risle],  elles  profiteront  de  vostre 
protection  ».  (B.  N.  fr.  8  761,  f°  17.) 

1.  Ibid.,  f°  26,  v*  :  «  La  paroisse  de  Lamerville,  qui  est  dans  l'eslection 
d'Arqués,  m'appartenant.  je  ne  puis  m'empescher  de  vous  suplier  de  traiter 
favorablement  les  habitans  dans  l'imposition  des  tailles  que  vous  allez  faire,  et 
d'eslre  persuadé  que  je  prendrai  sur  mon  compte  le  plaisir  que  vous  leur  ferez  ». 

2.  IbCd.,  f  27. 

S.  D.  G.  212,  f«  91. 

4.  D.  G.  170,  f°  291. 

5.  L.  du  17  déc.  1661,  ibid.,  f  413. 

6.  Lettre  du  12  oct.  1680,  B.  N.  fr.  8  761,  f  57. 

7.  L.  du  3  nov.  1685  dans  ses  Mémoires,  éd.  Baudry,  p.  144. 


LES    PROTECTIONS    ACCORDEES    AUX    PAROISSES.  159 

vous  ne  pourriez  rien  pour  lui,  cela  plairoit  fort  à  son  maître  1  ». 

Il  arrive  que  des  protections  soient  refusées  par  les  ministres, 
mais  ce  n'est  pas  toujours  pour  des  motifs  d'intérêt  général. 
Colbert  et  Louvois  sont  en  lutte  au  sujet  des  terres  de  Turenne 
en  1674  :  Turenne,  ami  particulier  de  Colbert,  obtient  de  lui 
toutes  les  protections  qu'il  désire2;  mais  il  est  en  rivalité  avec 
Louvois  qui  ne  le  ménage  pas.  Or  en  décembre  1674,  des 
soldats  sont  envoyés  en  quartiers  d'hiver  dans  la  généralité  de 
Poitiers.  L'intendant  Foucault  propose  à  Louvois  d'exempter  du 
logement  la  paroisse  de  Nègrepelisse  appartenant  à  Turenne. 
Louvois  répond  :  «  L'intention  du  roi  n'est  pas  qu'aucun  village 
à  qui  que  ce  soit  qu'il  appartienne  soit  exempt  du  logement  des 
cavaliers...  il  eût  été  bien  à  propos  que  vous  ne  vous  fussiez  pas 
dispensé  de  vous  conformer  au  règlement  pour  des  considéra- 
tions pareilles  à  celles  dont  vous  me  parlez3  ».  Mais  en  même 
temps  Colbert  écrit  à  Foucault  que  «  le  roi  trouveroit  bon  »  que 
l'on  exemptât  la  terre  de  M.  de  Turenne,  «  qu'il  avoit  bien 
mérité  cette  distinction4  ».  L'intendant  sut  heureusement  trouver 
un  moyen  de  satisfaire  ses  deux  maîtres  :  «  j'ai  mis,  explique- 
t-il,  quelques  places  de  l'état  major  dans  Nègrepelisse,  mais 
c'étaient  des  places  mortes  qui  ne  coûtèrent  rien  à  la  paroisse,  et 
cette  affaire  n'eut  pas  de  suite5  ». 

Les  ministres,  par  cette  conduite,  autorisaient  les  infractions 
des  intendants;  comment  ceux-ci  eussent-ils  hésité  à  protéger 
les  paroisses  où  ils  étaient  intéressés?  Ils  se  dégrèvent  mutuel- 
lement les  terres  qu'ils  possèdent  :  du  Boulay-Favier,  inten- 
dant d'Alençon,  fait  toujours  soulager  ses  paroisses  par  ses 
collègues  6.  Toutes  les  personnes  qui  les  touchent  de  près  ou  de 
loin,  ou  dont  ils  ont  à  attendre  la  protection,  reçoivent  naturelle- 
ment leurs  faveurs,  peut-être  même  en  accordent-ils,  comme 
Saint-Simon  et  Boisguilbert  les  en  accusent,  uniquement  pour 
faire  voir  qu'ils  sont  tout-puissants.  Les  sollicitations  leur 
viennent  de  partout.  Chamillart,  intendant  de  Caen,  annonce  à 
Colbert  en  1666  comme  une  chose  extraordinaire  qu'il  n'a 
reçu  «  aucune  recommandation  avant  le  département7  ». 
«  Lorsque  la  somme  à  laquelle  une  généralité  est  arêtée  est 
venue  du  Conseil,  dit  Boisguilbert,  tout  le  monde  fait  sa  cour  à 
MM.   les  intendans  afin   que   leurs   paroisses  soient   favorable- 

1.  Ibid.,  p.  144.  Pussort  était  un  des  protecteurs  de  Foucault. 

2.  Saint-Simon  dit  même  que  ses  terres  étaient  entièrement  affranchies  d'impôt. 
(Mémoires,  éd.  Ghéruel,  t.  III,  p.  363)  ;  cf.  une  lettre  de  Dorieux  à  Colbert, 
15  août  1670  :  dans  la  généralité  de  Limoges  les  gardes  de  M.  de  Turenne  «  qui 
sont  fort  à  leurs  aises  »,  sont  néanmoins  «  fort  peu  taxez  »  (Clairamb.  792,  p.  215). 

3.  L.  du  16  déc.  1674,  Mémoires  de  Foucault,  p.  505. 

4.  Ibid.,  p.  30. 

5.  Ibid. 

6.  L.  de  Hachette  à  Colbert  24  octobre  1670  :  «  les  paroisses  de  la  généralité  de 
Paris  appartenant  à  M.  du  Boulay-Favier  ont  tousjours  esté  protégées  par 
MM.  les  maîtres  des  requestes  ses  confrères  ».  (Clairamb.  792,  p.  365). 

7.  M.  C.  141bls,  f°  849. 


160  LA    TAILLK     K.\     NOIt.M  ANDIE. 

ment  traitées,  indépendamment  du  pouvoir  où  elles  peuvent 
être  de  paier  plus  ou  moins  de  taille...  Aujourd'hui  une  des 
plus  agréables  fonctions  de  MM.  les  intendans  des  provinces 
est  cette  répartition  '  ».  Ce  passage  de  Boisguilbert  est  confirmé 
par  l'intendant  Lallemant  de  Lévignen  en  1732  :  «  le  seigneur 
sollicite  avec  vivacité  lors  des  départements  la  diminution  des 
impositions  de  sa  paroisse;  son  motif  est  de  faire  sentir  à  ses 
habitans  le  prétendu  crédit  qu'il  a  auprès  de  l'homme  chargé 
des  ordres  du  roy,  pour  s'attirer  la  considération  des  gens 
foibles  dont  il  exige  quelquesfois  pendant  le  cours  de  l'année 
des  servitudes,  ainsy  que  le  soulagement  de  ses  fermiers  à  son 
gré  »;  il  est  vrai  que  ces  sollicitations  sont,  d'après  Lévignen, 
«  sans  aucun  effet2  ».  Cependant  l'intendant  de  Poitou,  Mau- 
peou  d'Ableiges,  fait  son  département  au  gré  de  l'abbesse  de 
Thouars;  son  secrétaire  s'est  fait  donner  des  pots-de-vin  pour 
recommander  telle  ou  telle  terre*.  Duclos,  dans  ses  mémoires, 
raconte  l'histoire  d'un  intendant  qui  fut  révolté  de  ces  injus- 
tices :  «  Courtin,  intendant  de  Picardie,  ménagea  tellement  les 
terres  du  duc  de  Chaulnes,  son  ami,  qu'il  s'aperçut  enfin  qu'il 
avoit  surchargé  de  40000  1.  d'autres  paroisses;  il  les  paya  et 
demanda  son  rappel.  Sur  les  instances  qu'on  lui  fit  pour  le  faire 
rester,  il  répondit  qu'il  ne  vouloit  ni  se  ruiner  ni  passer  sa  vie 
à  faire  du  mal*  ».  Mais  combien  imitèrent  son  exemple?  Ils 
étaient  assurés  de  l'impunité,  n'étant  surveillés  que  de  très  loin 
par  les  ministres,  et  les  contribuables  n'avaient  aucun  recours 
contre  eux.  La  plupart  des  gens  trouvaient  d'ailleurs  ces  pro- 
tections naturelles  :  Mme  de  Sévigné  ne  s'étonne  nullement 
que  dans  la  répression  de  l'émeute  de  Bretagne  les  terres  de 
Mme  de  Rohan  et  de  Mme  de  Coétquen  soient  «  fort  soula- 
gées »  et  que  la  princesse  de  Tarente  recherche  pareil  soula- 
gement :  «  c'est,  dit-elle,  une  grande  justice   »5. 

En  somme,  avant  1661,  les  protections  étaient  pratiquées  par 
les  agents  locaux  :  élus,  receveurs,  trésoriers  de  France; 
après  1661  elles  le  furent  par  les  agents  du  pouvoir  central; 
ce  fut  un  grand  changement  parce  que  les  intérêts  des  premiers 
n'étaient  pas  les  mêmes  que  ceux  des  seconds;  mais  il  est  dif- 
ficile de  dire  si  les  contribuables  y  ont  gagné  ou  perdu.  La 
ruine  incontestable  du  royaume  après  vingt  années  de  ce  nou- 
veau régime  peut  néanmoins  laisser  supposer  qu'ils  y  ont  beau- 
coup perdu. 

1.  Le  détail  de  la  France,  éd.  1707,  I,  p.  22-23.  Boisguilbert  ajoute  que  les  inten- 
dants ont  au  début  essayé  d'empêcher  les  seigneurs  de  faire  exempter  leurs  fer- 
miers.  mais  ils  n'ont  pas  abouti  «  parce  que  de  très  grands  seigneurs  se  trouvant 
dans  cette  espace,  on  ne  pouvoit  pas  commencer  par  eux  comme  il  eût  été  de 
nécessité  pour  montrer  l'exemple  ». 

2.  B.  N.  fr.  7  771,  f*  176. 

8.  Foucault,   Mémoires,  p.  34». 

4.  Urmtiirrs,  éd.  Michaud  et  Poujoulat,  p.  448. 

5.  Lettre*,  él.  Monmerqué,  t.  IV,  p.  289. 


LES    PROTECTIONS    ACCORDEES    AUX    PAROISSES.  161 

Nous  n'avons  aucun  moyen  de  reconnaître,  aujourd'hui,  si 
une  paroisse  était  bien  ou  mal  imposée,  parce  que  nous  man- 
quons, plus  encore  que  les  répartiteurs  d'alors,  des  éléments 
qui  nous  feraient  estimer  ses  ressources.  Hors  les  cas  de  protec- 
tions certaines,  que  nous  venons  de  voir,  nous  ne  pouvons  être 
sûrs  que  telle  paroisse  soulagée  n'avait  pas  un  titre  à  ce  dégrè- 
vement, que  telle  autre  en  apparence  surchargée  n'était  pas 
capable  de  payer  cette  surcharge.  Néanmoins  nous  rencontrons 
des  inégalités  si  choquantes  entre  différentes  localités,  qu'il 
nous  est  difficile  de  ne  pas  y  voir  l'effet  d'un  mauvais  dépar- 
tement. Voici  des  exemples  empruntés  au  tableau  des  imposi- 
tions de  la  généralité  de  Rouen  en  1665,  dressé  par  Voysin  de 
Noiraye1. 

Dans  l'élection  d'Evreux,  les  deux  paroisses  voisines  de 
Bailleul  et  de  Jumelles,  ayant  toutes  deux  bon  fonds,  payent 
l'une  13  1.  et  l'autre  23  1.  9  s.  par  feu;  la  paroisse  de  Villers 
en  Desseuvre,  sise  en  mauvais  pays,  paye  12  1.  11  s.,  et  sa  voi- 
sine Lorey,  dont  le  fonds  est  semblable,  paye  4  1.  5  s.;  la  pre- 
mière appartient  à  un  M.  de  Bréval,  et  la  seconde  à  M.  de 
Lamoignon,  premier  président  du  Parlement  de  Paris.  Deux 
paroisses  appartenant  à  M.  de  Vendôme,  La  Futelaye  et  Breil, 
payent  la  première  4L,  et  la  seconde  2  1.  4  s.  ;  cependant  leurs 
terres  sont  de  bonne  qualité. 

Dans  l'élection  de  Pontoise,  Velly,  sise  dans  un  bon  fonds, 
bien  labouré,  paye  13  1.  12  s.,  et  Etrépagny,  avec  son  riche  ter- 
roir, paye  10  1.  7  s.  Deux  paroisses  voisines,  Sainte-Marie  et 
Vathimesnil,  de  fonds  également  bon,  payent  l'une  5  1.  19  s.  et 
l'autre  13  1.  9  s.  Douxmesnil,  appartenant  à  l'avocat  général  de 
la  cour  des  Aides,  paye  8  1.  4  s.,  sa  voisine  Villers,  11  1.  16  s. 

Le  tableau  suivant  donne  les  impositions  de  quelques  paroisses 
de  l'élection  de  Rouen  à  la  même  date;  pour  chacune  j'indique 
entre  parenthèses  le  nom  du  seigneur.  Toutes  sont  situées  en 
bon  fonds,  labouré  et  planté  de  pommiers  : 

Paroisses.  Imp.  par  feu. 

Bosc-Bérenger  (Leseigneur,  cons.  au  Pari.) 11  1.  2  s. 

Gouville  (de  Motteville,  Prés,  à  la  Gh.  des  comptes)   ....  19  15 

Glaville                                         (id.)                                         ....  21  2 

Beaumont  le  Hareng  (de  Brévedent,  lieut.  général).    ....  8  7 

Beuzeville                                    (id.)                                     7  11 

Varneville  aux  Grées  (de  Bimorel,  très,  de  France) 25  14 

Ai'Seauville  (le  prés.  Bigot) 12  14 

Montville                 (id.)              10  9 

Fresnay  (de  Fresnay,  cons.  à  la  Cour  des  Aides) 15  6 

Saint  Georges  du  Val  Martin  (Dauviraj',  cons.  au  Pari.)   .    .  1  13 

Bosc  le  Hart  (d'Arqués,  cons.  au  Pari.) 15  » 


1.  Voir  ce  tableau  entier  au  ms.  274  des  Cinq  cents  Colbert.  J'ai  donné  les  noms 
des  paroisses,  leur  imposition  et  leur  nombre  de  feux  dans  mon  éd.  du  Mémoire 
de  Voysin,  p.  164  et  suiv. 


LA    TAILLE     EN    NORMANDIE. 


11 


162  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Les  sommes  attribuées  à  chaque  paroisse  par  la  commission 
de  département  étaient  inscrites  sur  un  cahier  où  les  noms 
étaient  imprimés  d'avance.  On  avait  ainsi  le  rôle  de  départe- 
ment :  il  était  paraphé  et  signé  par  les  membres  de  la  commis- 
sion et  déposé  au  greiîe  de  l'élection;  il  est  probable  que  l'in- 
tendant en  conservait  un  double  dans  ses  bureaux.  Ensuite 
chaque  paroisse  était  informée  de  la  somme  qui  lui  était  imputée, 
par  un  acte  nommé  mandement  des  élus  et  de  l'intendant;  ce 
mandement,  que  l'intendant  avait  préparé,  contenait  toutes  les 
prescriptions  pour  la  répartition  et  la  levée  de  l'impôt;  on  y 
rappelait  les  règlements  anciens  et  on  ajoutait  les  nouveaux. 
Le  texte  en  était  imprimé  par  les  soins  de  l'intendant;  on  ne 
laissait  en  blanc  que  le  nom  de  la  paroisse  et  la  somme  qu  elle 
devait  porter;  les  exemplaires,  signés  de  l'intendant  ou  de  son 
secrétaire  et  d'un  élu,  étaient  remis  au  receveur  de  l'élection  qui 
les  faisait  porter  à  destination  par  les  sergents. 


CHAPITRE   IV 

LA  NOMINATION  DES  COLLECTEURS 


I.   LES  MANDEMENTS  POUR   LA  NOMINATION   DES   COLLECTEURS.  

II.  L'ASSEMBLÉE  PAROISSIALE.  III.  LES  EXEMPTS  DE  COLLECTE.  

IV.  LE  NOMBRE  DES  COLLECTEURS.  V.  LES  ÉCHELLES.  —  VI.  LBS 

FRAUDES  ET  LES  PROCES.  VII.  LES  COLLECTEURS  NOMMES  D'OFFICE. 


La  répartition  de  l'impôt  entre  les  contribuables  de  chaque 
paroisse  est  la  fonction  des  collecteurs.  Primitivement,  les 
collecteurs,  comme  leur  nom  l'indique,  s'occupaient  uniquement 
de  la  perception,  la  répartition  étant  assurée  par  les  «  asséeurs  », 
de  sorte  qu'à  tous  les  degrés  les  agents  de  répartition  étaient 
distincts  des  agents  de  perception  :  on  avait  d'une  part  les 
trésoriers  généraux,  les  élus  et  les  asséeurs,  d'autre  part  les 
receveurs  généraux,  les  receveurs  particuliers  et  les  collecteurs. 
C'est  à  la  même  distinction  que  correspondaient  les  attributions 
respectives  de  la  Cour  des  aides  et  de  la  Chambre  des  comptes. 
Mais  les  commissaires  envoyés  par  Henri  IV  dans  les  provinces 
en  1598  avaient  constaté  qu'une  partie  des  non-valeurs  dans  les 
tailles  provenaient  de  ce  que  les  asséeurs  n'étaient  pas  respon- 
sables du  paiement  des  cotes  qu'ils  avaient  fixées,  et  l'édit  de 
mars  1600  (art.  10),  avait  ordonné  que  les  asséeurs  seraient 
collecteurs  la  même  année  de  leur  charge;  en  d'autres  termes, 
les  deux  fonctions  étaient  réunies  en  une  seule  :  le  collecteur 
était  à  la  fois  répartiteur  et  percepteur1. 

Dès  l'origine,  asséeurs  et  collecteurs  furent  élus  par  les 
contribuables.  Dans  l'esprit  du  législateur,  chaque  paroisse 
était  une  unité  fiscale  qui  devait  fournir  au  roi  la  somme  qui 
lui  était  imposée;  ses  membres  devaient  s'arranger  entre  eux 
à  cet  effet,  le  fisc  ne  les  connaissait  pas  individuellement; 
l'administration    royale   s'arrêtait   à   la  collectivité    paroissiale, 

1.  La  séparation  des  deux  fonctions  persista  en  Bretagne,  où  l'on  distinguait 
les  «  égailleurs  »  (asséeurs)  et  les  collecteurs.  Cf.  Potier  de  la  Germondaye,  Intro- 
duction au  gouvernement  des  paroisses,  Rennes  1777 ,  p.  301  et  suiv. 


164  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

et  ne  descendait  pas  jusqu'aux  individus;  le  collecteur  était 
le  mandataire  des  contribuables,  qui  le  nommaient  «  à  leur 
péril  »,  il  n'était  pas  le  représentant  du  pouvoir1.  Différentes 
tentatives  faites  avant  1661  pour  transformer  les  collecteurs 
en  officiers  du  roi  n'avaient  pas  abouti,  parce  qu'elles  étaient 
de  simples  expédients  fiscaux  :  le  gouvernement  n'y  avait  vu 
qu'un  moyen  de  se  procurer  de  l'argent  par  la  vente  de  ces 
nouveaux  offices.  Le  principe  de  l'élection  des  collecteurs 
devait  subsister  jusqu'à  la  Révolution*. 


—   LES   MANDEMENTS    POUR    LA   NOMINATION 
DES    COLLECTEURS 


Les  habitants  de  la  paroisse  devaient  élire  leurs  collecteurs 
dans  leur  assemblée  sans  attendre  d'ordre;  il  n'était  même  pas 
nécessaire  qu'ils  eussent  reçu  le  mandement  ordonnant  la  levée 
de  la  taille.  Toutefois,  l'usage  était  d'adresser  chaque  année 
à  la  paroisse  un  ordre  spécial,  nommé  aussi  mandement,  pour 
convoquer  l'assemblée3. 

L'autorité  chargée  d'expédier  les  mandements  fut,  jus- 
qu'en 1664,  les  élus.  La  déclaration  d'août  1664  (art.  2)  donna 
également   cette  attribution   aux  intendants,   de    sorte   que   les 

1.  On  ne  s'était  jamais  arrêté  à  l'idée  de  laisser  les  habitants  répartir  eux-mêmes 
l'impôt  dans  l'assemblée  de  la  paroisse.  La  raison  en  est  donnée  par  l'inten- 
dant d'Aube  dans  son  mémoire  de  1738  :  ■  Il  est  évident  que  la  dite  réparti- 
tion seroit  presque  toujours  faite  ou  trop  difficilement  et  trop  tard,  ou  tumul- 
tuairement  et  mesme  trop  injustement  si  elle  se  fuisoit  dans  les  assemblées  des 
communautés.  Il  a  été  juste  d'en  conclure  qu'il  convenoit  donc  mieux  qu'elle  fust 
faite  par  des  membres  des  communautez  choisis  par  elles-mêmes  >.  (B.  N.  ms. 
fr.  21  812,  p   76.) 

2.  Voir  sur  les  créations  de  commissaires  des  tailles,  de  directeurs  des  tailles,  etc. 
le  Mrmorial  alphabétique,  au  mot  Commissaire.  Toutes  ces  créations  n'étaient 
qu'un  moyen  pour  le  roi  de  se  procurer  de  l'argent  par  la  vente  des  offices.  Elles 
furent  particulièrement  nombreuses*  au  temps  de  Richelieu  et  de  Mazarin  :  il  en 
restait  encore  des  traces  en  16<il.  Ainsi,  le  l'«  février  1(161,  on  met  en  adjudica- 
tion, à  la  Cour  des  aides  de  Rouen,  les  offices  de  commissaires  héréditaires  à 
faire  les  rôles  des  tailles  dans  toutes  les  paroisses  de  l'élection  de  Cnen  ;  le 
marché  est  conclu  avec  le  sieur  Pierre  Domergue,  bourgeois  de  Paris,  moyennant 
39  690  livres:  cette  adjudication  était  faite  en  vertu  d'un  édit  de  juillet  1659  (A.  D. 
Calvados,  élection  de  Caen,  registre  des  ordonnances  de  1656  à  1G63,  f"  403  et 
suiv.)  Cf.  B.  N.  fr.  18  511,  f°  72,  un  mémoire  de  t*ï60  sur  «  le  restablissement  des 
commissaires  des  tailles  »  (papiers  de  Séguier)  :  en  1657  le  roi  avait  traité  avec 
le  sieur  Mollet  pour  «  faire  valloir  à  S.  M.  la  finance  qui  proviendroit  d'un  office 
de  commissaire  des  tailles  en  chacune  paroisse  >,  moyennant  6  666  666  1.  En  1659, 
il  avait  em-ore  traité  pour  deux  autres  offices,  moyennant  5  440  000  1. 

3.  L'obligation  pour  les  contribuables  de  nommer  les  collecteurs  sans  y  être 
invités  esi  nettement  précisée  par  Gauret  (*>tile  du  conseil  du  roy,  p.  411).  Le 
mandement,  dit-il,  est  un  simple  usage;  et,  en  effet,  l'arrêt  de  la  Cour  des  aides  de 
Paris  du  28  mai  1646  (Mem.  Alphab.  p.  52)  et  le  règlement  de  1643  sont  con- 
formes n  cette  théorie.  Mais  en  Normandie,  l'usage  était  devenu  tout  à  fait  régu- 
lier et  il  ne  semble  pas  que  jamais  les  nominations  de  collecteurs  aient  été  faites 
sans  mandement  des  élus. 


LES    MANDEMENTS    POUR    LA    NOMINATION    DES    COLLECTEURS.  165 

paroisses  reçurent  souvent,  à  partir  de  cette  date,  deux  papiers 
émanés  de  ces  deux  autorités.  Enfin,  l'arrêt  du  Conseil  du 
23  septembre  1681  supprima  ce  dualisme  en  attribuant  l'expé- 
dition aux  intendants  seuls. 

L'acte,  suivant  la  déclaration  d'août  1664,  doit  enjoindre  aux 
habitants  de  s'assembler  «  au  son  de  la  cloche,  à  l'issue  de  la 
messe  du  premier  dimanche  ou  feste  du  mois  d'octobre  ensui- 
vant pour  nommer  de  bons  collecteurs  de  chacune  échelle1  ». 
Il  n'y  a  pas  de  formule  réglementaire.  Intendants  et  élus  ont 
l'habitude  d'y  insérer  toutes  les  prescriptions  qu'ils  jugent 
utiles,  soit  pour  faire  connaître  un  nouveau  règlement,  soit 
pour  en  rappeler  d'anciens,  soit  pour  ajouter  des  prescriptions 
de  détail  à  la  législation  en  vigueur.  Voici  un  mandement  très 
simple,  celui  qu'expédièrent  les-élus  de  Caen  en  1661  : 

De  par  le  Roy, 

Les  président,  lieutenant,  eslus,  controlleurs  esleus,  conseillers  du 
roi  en  l'eslection  de  Caen, 

Paroissiens  de  ,  nous  vous  mandons  vous  arrester  dimanche 

prochain,  à  l'issue  de  votre  messe  paroissiale,  afin  de  nommer  des 
collecteurs  des  trois  eschelles,  suivant  l'ordonnance,  pour  Tannée  pro- 
chaine 1662,  à  peine  de  dix  livres  d'amende,  et  d'en  raporter  aux  gens 
de  nostre  eslection  laditte  nomination  dans  huictaine. 

Donné  à  Caen,  le  dernier  jour  d'octobre  mil  six  cent  soixante  et  un*. 

En  1664,  le  mandement  des  mêmes  élus  est  beaucoup  plus 
développé;  il  résume  le  règlement  d'août  de  la  même  année  sur 
la  nomination  des  collecteurs  et  la  confection  des  rôles  3.  Celui 
de  1673  contient  de  longues  prescriptions  sur  la  nomination 
des  collecteurs  d'office  et  sur  l'action  en  décharge  de  collecte*. 

Pendant  la  période  de  1664  à  1681,  les  intendants  n'expé- 
dièrent pas  tous  les  ans  des  mandements;  quand  ils  en  expé- 
diaient, ils  y  introduisaient  la  même  variété  que  les  élus  5.  Par 
exemple,  dans  le  mandement  de  ljintendant  de  Caen  en  1678, 
on  trouve  des  prescriptions  sur  le  nombre  des  collecteurs, 
l'appel  de  leur  nomination,  les  accords  entre  collecteurs  et 
receveurs  pour  les  paiements,  les  translations  de  domicile6. 

1.  Règlements  de  Normandie,  p.  130,  repris  à  peu  près  textuellement  par  l'arrêt 
du  Conseil  du  23  septembre  1681,  art.  1  (ibid.,  p.  210.) 

2.  Imprimé.  Le  nom  de  la  paroisse  est  ajouté  à  la  main.  Au  bas  sont  les  signa- 
tures de  six  élus  (A.  D.  Calvados,  élection  de  Caen,  registre  des  ordonnances  de 
l'élection  de  1656-63,  f°  461.) 

3.  Ibid.,  registre  de  1664  à  1671,  à  sa  date. 

4.  Ibid. 

5.  On  ne  peut  pas  regarder  comme  une  formule  habituellement  employée  celle 
que  donne  Gauret  dans  son  Slile  du  conseil  du  roy,  p.  412.  —  Le  mandement  de 
l'intendant  se  distingue  par  sa  forme  de  celui  des  élus  :  c'est  une  ordonnance, 
tandis  que  celui  des  élus  est  une  sentence  (ibid.,  p.  411).  Voir  des  mandements 
aux  Arch.  Calv.,  Election  de  Caen,  et  dans  les  papiers  de  Leblanc,  B.  N.  fr.  8  761  bls. 

6.  A.  D.  Calvados,  Bureau  des  finances. 


166  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Il  arrivait  que  le  mandement  des  élus  et  celui  de  l'intendant 
fussent  en  contradiction.  Ainsi,  en  1673,  tandis  que  les  élus  de 
Caen  ordonnent  de  tenir  l'assemblée  le  premier  dimanche  d'oc- 
tobre, l'intendant  indique  le  premier  dimanche  de  septembre; 
les  élus  donnent  un  délai  d'un  mois  aux  syndics  pour  déposer 
le  procès-verbal  de  l'assemblée,  l'intendant  ne  donne  que  huit 
jours,  etc!.  Mais  ces  divergences  n'avaient  pas  de  grandes  con- 
séquences dans  la  pratique,  les  contribuables  faisant  fort  peu 
de  cas  des  règlements,  quels  qu'ils  fussent. 

Les  mandements  étaient  adressés  aux  paroisses  par  l'intermé- 
diaire du  receveur  particulier2  qui  les  faisait  porter  par  ses 
huissiers  ou  sergents  au  procureur  syndic  de  chaque  paroisse. 
Ils  devaient  être  publiés  par  le  curé  au  prone  de  la  grand'messe 
«  par  deux  dimanches  consécutifs3  ». 


II.   —   L'ASSEMBLEE    PAROISSIALE 

Le  but  principal  du  mandement  était  de  hâter  la  réunion  de 
l'assemblée  :  nommés  trop  tard,  les  collecteurs  ne  pouvaient 
dresser  leurs  rôles  de  façon  à  faire  le  premier  versement  au 
receveur  a  la  date  fixée;  toute  la  perception  s'en  trouvait  com- 

Promise,  de  la  même  façon  quelle  l'eût  été  par  un  retard  dans 
expédition  du  brevet  ou  des  commissions*. 
Avant  1664,  il  n'y  avait  aucune  date  fixée  pour  cette  réunion. 
L'art.    39   du    règlement   de   janvier   1634    spécifiait   seulement 
ju'elle  devait  avoir  lieu  «  a  jour  de  dimanche  ou  feste  5.  »  La 
nation  d'août  1664  précisa  le  «  premier  dimanche  ou  feste 


au'ell 
éclai 


Le  roi  avait 
mettait  en 


1.  Ces  divergences  s'expliquent  d'ailleurs  dans  ce  cas  particulier.  1 
publié  un  nouveau  règlement  au  mois  d'août  1673,  et  1  intendant  le 
vigueur.  Au  contraire,  les  élus  suivaient  la  législation  ancienne,  probablement 
parce  que  le  règlement  n'était  pas  venu  à  leur  connaissance,  n'étant  pas  encore 
enregistré  h  la  cour  des  aides  de  Rouen. 

2.  Lettres  patentes  d'août  1664,  art,  2;  arrêt  du  conseil  du  23  septembre  1681, 
art.  premier. 

3.  Edit.  de  janvier  1634,  art.  39,  et  arrêt  du  conseil  du  23  septembre  1681,  art.  2. 

4.  Ce  motif  est  expliqué  dans  le  préambule  de  l'arrêt  du  conseil  du  5  décem- 
bre 1657  :  «  Les  longueurs  qui  arrivent  ordinairement  procèdent  de  ce  que  les 
habitants  des  paroisses...  retardent  la  nomination  des  asséeurs  et  collecteurs  des 
tailles  jusque  après  la  réception  des  commissions  qui  leur  sont  envoyées,  ce  qui 
est  cause  le  plus  souvent  qu'il  se  fait  des  frais  excessifs  et  des  contraintes  rigou- 
reuses pour  la  solidité  des  sommes  imposées,  et  outre  que  les  collecteurs  estant 
pressés  après  leur  nomination  sont  obligés  de  faire  leurs  rolles  précipitamment 
sans  observer  aucun  ordre  niesgalité  »  (A.  D.,  Calv.).  Presque  tous  les  règlements 
sur  la  levée  des  tailles  contenaient  des  mesures  pour  obliger  les  paroisses  à 
nommer  assez  tôt  leurs  asséeurs. 

5.  Dans  son  arrêt  de  vérification,  la  cour  des  aides  de  Rouen  avait  ordonné  la 
nomination  des  collecteurs  «  dans  le  mois  d'octobre  ».  (Réglementa  de  Normandie, 

S.  111).  L'édil  d'octobre  1645  prescrivit  la  tenue  de  l'assemblée  dans  les  paroisses 
e  Normandie  immédiatement  après  la  réception  des  mandements  pour  la  levée 
de  l'impôt  (De  Bcaurepaire  Cahier»  des  états,  règne  de  Louis  XIII,  t.  III,  p.  347). 
Mais  toutes  ces  mesures  demeuraient  vagues  et  insuffisantes. 


L  ASSEMBLEE    PAROISSIALE.  167 

du  mois  d'octobre1  ».  Cette  date  fut  avancée  d'un  mois  par  la 
déclaration  du  20  août  1673 2,  mais  celle  du  23  septembre  1681 
revint  au  premier  dimanche  d'octobre  3. 

Les  paroisses  ne  mettaient  aucun  empressement  à  nommer 
leurs  collecteurs.  «  C'est,  écrit  Colbert  en  1681,  un  des  plus 
grands  défauts  que  nous  trouvons  presque  partout  dans  l'impo- 
sition de  la  taille  4.  »  Les  intendants  sont  chargés  d'observer 
«  si  les  collecteurs  sont  nommés  dans  les  temps  prescrits  par 
les  règlements  5  ».  En  leur  envoyant  le  règlement  du  23  sep- 
tembre 1681,  le  ministre  leur  écrit  :  «  Sa  Majesté  m'a  ordonné 
de  vous  l'envoyer  afin  que  vous  teniez  la  main  à  ce  qu'il  soit 
enregistré  dans  tous  les  bureaux  des  élections,  que  vous  l'expé- 
diez ponctuellement...  et  le  fassiez  observer  et  exécuter  6.   » 

Pour  punir  les  paroisses  retardataires,  une  amende  de  dix 
livres  fut  établie  par  l'édit  d'août  1673  (art.  2),  mais  si  elle  fut 
quelquefois  prononcée7,  on  y  renonça  bientôt  :  en  février  1681, 
Colbert  ayant  demandé  des  renseignements  sur  l'application  de 
la  peine,  Leblanc  lui  répondit  :  «  A  l'égard  des  condamnations 
d'amendes,  il  n'y  en  a  presque  point  eu,  elles  n'ont  point  été 
mesmes  exécutées  8  ».  Colbert  renouvela  ses  ordres.  «  Mon  sen- 
timent, écrit-il  à  l'intendant  de  Soissons  en  1682,  est  que, 
pour  obliger  les  habitants  à  être  plus  ponctuels  à  l'avenir... 
vous  fassiez  payer  cette  amende  sur  un  rôle  que  vous  arresterez 
à  30  ou  40  paroisses  dans  l'estendue  de  la  généralité  qui  auront 

1.  La  Cour  des  aides  de  Paris  avait  déjà  rendu  un  arrèl  le  27  avril  1660  ordon- 
nant la  nomination  «  avant  le  quinziesme  octobre  de  chacune  année  »  (B.  N.  fr., 
21  419,  p.  100-101);  ledit  de  mars  1667  renouvela  celui  d'août  1664,  qui  était  déjà 
tombé  en  désuétude.  (G.  d.  T.  II,  p.  19.) 

2.  Sur  ce  règlement,  l'intendant  de  Bouville  fait  observer  le  1er  septembre  1683, 
que  la  nomination  en  septembre  est  peu  utile,  puisqu'on  laisse  aux  syndics  jus- 
qu'au lor  novembre  pour  faire  enregistrer  l'acte;  il  faudrait,  dit-il,  avancer  aussi 
le  délai  d'enregistrement  au  1er  octobre;  les  intendants  pourraient  faire  les  nomi- 
nations d'office  lors  du  département,  et  au  8  novembre  tout  serait  terminé 
(A.  N.  G',  71). 

3.  Elle  fut  confirmée  sur  ce  point  par  l'art.  2  de  la  déclaration  de  1683,  mais 
une  nouvelle  déclaration  du  23  août  1685  revint  encore  à  la  date  de  septembre. 
(Mém.  alphab.,  p.  53-54).  Ces  fluctuations,  qui  n'étaient  motivées  par  rien,  sont 
un  des  nombreux  exemples  du  désordre  de  cette  législation. 

4.  Clém.  II,  p.  207. 

5.  Ibid.,  p.  132. 

6.  Circulaire  du  25  septembre  1631.  (Clém.  II,  p.  187.)  Les  intendants  exécu- 
tèrent ces  ordres  en  envoyant  de  bonne  heure  les  mandements  pour  la  nomina- 
tion et  ceux  pour  la  levée  :  en  1679  celui  de  Caen  enjoint  aux  paroisses  de  faire 
l'assemblée  «  dans  les  trois  jours  de  la  réception  du  présent  mandement  » 
(A.  D.   Calv.,  Elect.  de  Caen). 

7.  Le  8  décembre  1673,  les  habitants  Nde  Rots  délibèrent  sur  «  une  vendue  faite 
sur  les  paroissiens  en  commun  par  la  prise  de  dix  vaches  le  sixième  jour  du 
mois  dernier  pour  les  assujettir  a  establir  des  collecteurs  du  sel  et  de  la  taille 
pour  l'année  prochaine  1674  ».  (A.  Mun.  Rots,  B  B  5,  f°  49).  Il  est  probable  qu'il 
s'agissait  ici  d'une  amende  prononcée  en  vertu  de  l'édit  d'août  précédent. 

8.  A.  N.  G"1  491.  Cf.  une  ordonnance  de  Leblanc,  30  juin  1677,  motivée  par  ce 
que  «  faute  de  nomination  de  collecteurs  par  les  habitans  et  scindics  des 
paroisses,...  on  les  condamne  en  des  sommes  considérables,  dont  les  deniers 
sont  divertis,  et  pour  lesquels  on  leur  fait  des  frais  extraordinaires  »  (B.  N.  fr., 
8  761  bis,  f°  60). 


168  LA    TAILLE    EN    NOKMANDIE. 

manqué  l'année  dernière  seulement  à  faire  cette  nomination1  ». 
Mais  il  n'obtint  pas  meilleur  résultat  :  l'intendant  d'Alençon, 
de  Morangis,  écrit  le  10  juillet  1684  que  malgré  les  menaces, 
les  paroisses  s'abstiennent  de  nommer  des  collecteurs  en  temps 
voulu;  quand  on  leur  inflige  l'amende,  tous  les  habitants  se 
cotisent  pour  la  payer,  ce  qui  fait  une  somme  infime  pour 
chacun,  et  on  est  toujours  obligé  de  procéder  d'office  à  la  nomi- 
nation2. 

De  cet  échec  on  peut  juger  par  le  tableau  suivant,  qui  donne 
les  dates  de  nomination  des  collecteurs  dans  deux  paroisses 
de  l'élection  de  Caen,  Rots  et  Tracy,  pour  la  plupart  des 
années  de  1661  à  1683*  : 

kOT6 

1661 26  déc.  1660 

1662 N  janv. 1662 

1663 29  oct.  1662 

1664 30  déc.  1663 

1665 5  oct.  1664 

1666 8  nov.  1665 

1667 12  déc.  1666 

1668 25  déc.  1667 

1669 14  oct.  166S 

1670 l"déc.  1669 

1671 21  déc.  1670 

1672 24  janv.  1672 

1673 11  déc.  1672 

1674 8  déc.  1673 

1675 

T676 

1677 8  déc.  1676 

1678 19  déc.  1677 

1679 18  déc.  1678 

1680 

1681 

1682 

1683 

On  voit  que,  dans  les  deux  paroisses,  les  collecteurs  furent 
nommés  après  la  date  réglementaire  toutes  les  années,  à 
l'exception  de  deux  :  à  Rots,  la  déclaration  d'août  1664  est 
appliquée  l'année  de  sa  promulgation,  mais  dès  l'année  suivante 
on  revient  à  l'ancienne  habitude  et  on  la  conserve;  c'est  à  peine 
si  en  1668  on  fait  un  petit  effort  pour  avancer  l'assemblée  en 

1.  Clém.  II,  207.  , 

2.  A.  N.  G',  213.  Étant  à  Caen,  de  Morangis  avait  écrit  le  9  nov.  1679  qu'à  cette 
date  «  la  plus  grande  partie  des  paroisses  a  nommé  des  collecteurs  »  (A.  N.  C,  71), 
et  le  28  octobre  1682  Colbert  le  remerciait  de  lui  avoir  encore  annoncé  la  même 
nouvelle  (Clém.  II,  212).  Mais  le  1"  septembre  1683  il  déclarait  qu'  «  un  grand 
nombre  de  paroisses  »  de  sa  généralité  étaient  en  retard  pour  la  nomination 
(A.  N.  G\  71). 

3.  Ces  renseignements  sont  tirés  pour  Rots,  des  registres  paroissiaux  conservés 
aux  Arch.  mun.  (B  B  4  a  6),  et  pour  Tracy,  des  «  registres  de  consentement  » 
de  la  paroisse,  Arch.  Calv.,  élection  de  Caen. 

4.  A  l'assemblée  du  5  oct.  précédent,  les  habitants  ne  purent  procéder  à  l'élec- 
tion «  pour  le  peu  de  personnes  qu'ils  estoient  ». 


TRACY 

29  janv. 

1C62 

20  janv. 

1664 

2  nov. 

1664  ♦ 

21  déc. 

1665 

20  janv. 

1667 

'11   déc. 

16H7 

26-2 T  déc. 

1668 

22  sept. 

1669 

10  jnnv. 
6  janv. 

1671 

1672 

18  déc. 

1672 

10  déc. 

1673 

9  déc. 

1674 

5  janv. 

1676 

13  déc. 

1676 

6  janv. 

1678 

30  déc. 

1678 

17  nov. 

1680 

8  déc. 

1681 

L  ASSEMBLEE    PAROISSIALE.  169 

octobre  ;  mais  toutes  les  autres  années,  on  se  réunit  en  décembre 
et  même  en  janvier.  A  Tracy,  on  fait  également  un  essai  d'appli- 
cation du  nouveau  règlement  en  1664,  mais  l'essai  n'est  pas 
heureux,  car  l'assemblée  ne  réunit  pas  le  quorum  nécessaire; 
en  1669,  on  arrive  à  tenir  l'assemblée  en  avance  :  le  22  sep- 
tembre, mais,  comme  par  compensation,  on  a,  l'année  suivante, 
un  retard  de  trois  mois.  Nous  ne  possédons  pas  pour  d'autres 
paroisses  des  indications  aussi  complètes,  mais  quand  on  trouve 
les  dates  des  assemblées,  on  voit  qu'elles  sont  postérieures  au 
mois  d'octobre;  l'époque  habituelle  est  le  mois  de  décembre1. 
L'autorité  avait  cependant,  outre  les  amendes,  un  bon  procédé 
de  contrainte  :  la  nomination  d'office  des  collecteurs.  Mais 
devant  une  désobéissance  aussi  générale,  il  était  très  difficile 
d'appliquer  les  peines;  l'intendant  ne  pouvait  songer  chaque 
année  à  intervenir  dans  les  milliers  de  paroisses  qui  étaient  en 
défaut.  Puis,  les  élus  semblent  avoir  été  complices  de  la  déso- 
béissance, soit  par  simple  négligence,  soit  par  calcul.  L'inten- 
dant de  Caen  écrit  en  effet  en  1680  que,  si  les  collecteurs  ne 
sont  pas  élus  dans  les  délais  légaux,  «  c'est  plustost  par  la 
négligence  des  procureurs  du  roi  des  eslections,  et  des  rece- 
veurs des  tailles,  que  par  affectation  de  les  nommer  et  faire 
nommer  d'avance  ».  Son  collègue  d'Alençon,  en  1683,  accuse 
nettement  les  élus  de  favoriser  les  retards  pour  pouvoir  faire, 
comme  le  règlement  d'août  1673  les  y  autorise,  des  nominations 
de  collecteurs  d'office,  acte  qui  leur  donne  «  de  l'autorité  ».  Le 
règlement  du  23  septembre  1681  interdit  bien  aux  élus,  comme 
on  le  verra,  de  faire  ces  nominations  d'office  en  l'absence  de 
l'intendant,  mais  celui-ci  avait  trop  à  faire  pour  intervenir  dans 
tous  les  cas  :  «  La  pluspart  des  intendans,  écrit  Bouville  en  1683, 
voyant  qu'ils  ne  pouvoient  se  rendre  dans  toutes  les  eslections 
de  leurs  départemens  depuis  le  dernier  octobre  jusques  au  hui- 
tième de  novembre,  ont  mandé  aux  eslus  de  faire  lesdites  nomi- 
nations, qu'ensuite  ils  ont  signés  »  de  sorte  que  «  ces  mesmes 
abus  subsistent  aujourd'hui 2  ». 

La  réunion  de  l'assemblée  devait  se  faire  au  son  de  la  cloche 
ou  du  tambour,  suivant  l'usage  des  lieux,  à  la  sortie  de  la  messe 
ou  des  vêpres  3. 

1.  A  Honfleur,  qui  est  une  paroisse  importante,  on  trouve  une  élection  faite 
le  16  août,  en  1671  (Bréard.  Les  arch.  de  la  cille  de  Honfleur,  p.  125),  mais  voici 
les  dates  d'autres  années,  d'après  le  même  ouvrage  :  1665,  25  oct.  ;  1667,  6  nov.  ; 
1668,  18  nov.;  1673,  15  oct.;  1679,  15  décembre. 

2.  Mémoire  de  l'intendant  de  Bouville  du  1"  septembre  1683.  (A.  N.  G7,  71). 
L'intendant  de  Caen,  Méliand,  proposait  le  15  août  1680  de  rendre  les  élus  et  les 
receveurs  des  tailles  responsables  du  retard  «  à  peine  d'amandes  et  d'interdic- 
tions qui  seroient  prononcées  contre  eux  par  le  commissaire  départy  ».  (Ibid.) 
Son  projet  ne  fut  pas  pris  en  considération. 

3.  De  Merville,  Maximes  des  tailles,  art.  Collecteurs.  —  Cf.  Mém.  Alphab.,  p.  10; 
Vieuille,  Nouveau  traité  des  élections,  p.  241  :  La  Poix  de  Fréminville,  Traité... 
des  communautés  d'habitants  (1760),  p.  186  à  196.  Prouhet,  Contribution  à  Vétude 


170  LA    TAILI.l      1  H      \ollMANIMi:. 

La  règle  la  mieux  observée  fut  celle  qui  ordonnait  de  se 
réunir  un  dimanche  ou  jour  de  fête.  C'était  le  moment  où  il 
était  le  plus  facile  de  réunir  tous  les  intéressés,  dont  certains 
habitaient  des  écarts  éloignés.  Dans  les  paroisses  pour  lesquelles 
on  a  des  renseignements,  on  ne  trouve  pour  ainsi  dire  aucune 
exception  à  la  règle  :  si  à  Tracy  une  réunion  est  tenue  le  lundi 
27  décembre  1668,  c'est  parce  que  la  veille  l'assemblée  n'avait 
pu  terminer  ses  travaux.  De  même  à  Rots,  on  se  réunit  le  mardi 
8  décembre  parce  que  l'élection  faite  le  dimanche  précédent  a 
été  cassée  par  les  élus.  L'intendant  de  Caen  écrit  dans  son  rap- 
port du  15  août  1680  que  dans  sa  généralité  la  nomination  se 
fait  toujours  un  dimanche  ou  jour  de  fête,  à  la  sortie  de  la  messe 
paroissiale  '. 

Le  lieu  de  réunion  n'est  pas  le  même  partout.  Il  n'existe  pas,  en 
général,  de  maison  commune,  où  les  habitants  puissent  s'abriter; 
il  est  défendu  par  tous  les  règlements  de  se  réunir  dans  «  une 
maison  ou  lieu  privé  et  particulier2  ».  On  s'assemble  donc  soit 
sur  la  place  publique,  soit  dans  l'église  ou  à  la  porte.  Habi- 
tuellement, la  réunion  se  tient  à  la  porte  de  l'église.  A  Gisors, 
en  1681,  l'intendant  Leblanc  a  prescrit  que  la  réunion  «  se 
feroit  par  les  habitans  a  l'hostel  de  ville,  en  présence  des 
eschevins  »,  parce  que  sans  cela  les  élus  en  auraient  été  «  les 
maistres3  ». 

La  composition  de  l'assemblée  n'est  pas  réglementée  avec 
rigueur.  L'usage  était,  semble-t-il,  que  tous  les  habitants  de  la 
paroisse  contribuables  à  l'impôt  eussent  le  droit  d'y  assister. 
Mais  la  question  n'avait  pas  grande  importance;  on  ne  faisait 
jamais  de  compte  rigoureux  des  voix,  et  on  ne  trouve  pas, 
dans  les  procès-verbaux,  de  contestations  relatives  à  la  présence 
de  telle  ou  telle  personne  à  la  réunion*.  Les  agents  du  roi 
se  préoccupaient  surtout  d'écarter  les  personnes  «  d'autorité  »  qui 

des  assemblée»  générales  des  communautés  d'habitants,  dans  les  Mém.  Soc.  des 
anti'/uaires  de  l'Ouest,  1902,  p.  1-*2'J2;  Merlet,  Des  assemblées  de  communautés 
d'habitants  dans  l'ancien  comté  de  Dunois,  Chartres,  1894;  H.  Babeau,  Les  assem- 
blées générales  des  communautés  d'ha'iitants,  Paris,  189:}. 

1.  A.  N.  G"213.  Il  ne  se  tient,  en  règle  générale,  qu'une  assemblée  pour  toute  la 

Saroisse.  Toutefois,  une  exception  est  admise  pour  les  hameaux  séparés  du  centre 
e  la  paroisse,  qui  ont  le  droit,  du  moins  en  Normandie,  de  nommer  leurs  collec- 
teurs à  part,  afin,  dit  la  Cour  des  aides  dans  ses  remontrances  sur  l'art.  9  de 
Tédit  de  mars  1600,  «  que  les  habitans  desdits  hameaux  ne  soient  grevez  et 
opressez,  et  d'ailleurs  que.  iesdits  asséeurs  sont  mieux  informez  des  biens  et 
facultez  des  habitans  desdits  hameanx  >.  (Règlements  de  Normandie,  p.  63.) 

2.  Edit  de  juin  16.VJ.  art.  7.  —  Cf.  un  arrêt  de  la  cour  des  aides  de  Paris  dn 
13  mai  1659  confirmant  cet  édit,  dans  Vieuille,  p.  243. 

3.  Lettre  du  13  février  1682.  B.  N.  fr.  8  761,  fol.  42. 

4.  Les  jurisconsultes  ont  essayé  de  préciser  la  question  ;  Denisart  dit  :  «  Qui- 
conque a  In  vie  civile  est  membre  de  la  communauté  d'habitants  du  lieu  où  il  a 
son  domicile  ».  (Collection  de  décisions,  art.  Communauté  d'habitants);  Loysel  : 
«  Droit  de  bourgeoisie  s'acquiert  par  an  et  jour  ».  (Institutes,  liv.  I,  tit.  I,  règle 
21).  —  Domat.  La  Poix  de  Frémin ville,  Guyot,  etc.  traitent  également  la  question, 
mais  il  semble  bien  que  toutes  ces  règles  aient  été  très  peu  suivies  par  les 
paroisses,  qui  les  ignoraient. 


L  ASSEMBLEE    PAROISSIALE.  171 

auraient  pu  fausser  les  décisions.  Dans  son  mandement  de 
septembre  1675,  l'intendant  de  Gaen  écrit  :  et  Faisons  deffense 
à  toute  personne,  de  quelque  qualité  et  condition  qu'elle  soit, 
autre  que  les  taillables,  de  se  trouver  ausdites  nominations  de 
collecteurs,  ny  d'user  d'aucunes  violences  et  intimidations  pour 
raison  d'icelles,  à  peine  d'estre  procédé  contre  eux  suivant  la 
rigueur  des  ordonnances  et  de  demeurer  responsables  en  leurs 
propres  et  privez  noms  des  deniers  de  Sa  Majesté1.  »  Une  seule 
exception  était  admise,  c'était  la  présence  du  curé  ou  d'un  scribe 
pour  rédiger  le  procès-verbal2;  encore  n'est-il  pas  certain  qu'il 
ait  toujours  réellement  assisté  à  la  délibération3. 

Un  quorum  était  exigé  pour  la  validité  de  l'élection  et,  en 
général,  de  toutes  les  décisions  prises.  «  Il  faut  au  moins  dix 
habitants  pour  composer  la  communauté  des  habitants  dans  une 
assemblée  dûment  convoquée,  bien  entendu  si  tous  les  habitants 
excèdent  le  nombre  de  dix,  car  en  matière  de  ces  assemblées,  ce 
n'est  pas  le  cas  de  dire  que  très  faciunt  collegium  i ',  »  Dans  les 
rares  actes  d'assemblées  paroissiales  que  j'ai  rencontrés,  j'ai 
trouvé  un  cas  où  cette  règle  fut  appliquée  :  à  Tracy,  le  5  oc- 
tobre 1664,  les  paroissiens  «  n'ont  peu  procéder  à  l'eslection, 
pour  le  peu  de  personnes  qu'ils  estoient  »  ;  il  n'y  avait  que  six 
présents5.  Les  habitants  n'assistaient  pas  volontiers  aux  assem- 

1.  A.  D.  Calvados,  élection  de  Gaen.  —  Cette  défense  élait  portée  par  tous  les 
règlements.  Elle  fut  particulièrement  précisée  par  l'ordonnance  des  gabelles  en 
1680  pour  la  nomination  des  collecteurs  du  sel,  qui  était  faite  en   même  temps 

Îue  celle  des  collecteurs  de  la  taille  :  «  Nul  ne  pourra  assister  à  la  nomination 
es  collecteurs  avec  les  habitants...  excepté  le  notaire  ou  sergeant  qu'ils  voudront 
choisir  pour  rédiger  par  écrit  l'acte  de  nomination  »  (tit.  VIII,  art.  8).  Il  est 
défendu  «  à  tous  seigneurs,  gentilshommes,  juges,  officiers  et  autres  personnes, 
de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  soient,  d'intimider  ou  contraindre  les  habi- 
tants... de  faire  faire  les  nominations...  en  leur  château  et  maison,  ni  d'en 
prendre  la  communication  avant  que  l'acte  de  nomination  ait  été  remis  au  greffe 
du  grenier  »  (art.  10).  Ces  interventions  de  personnes  «  autorisées  »  devaient 
exister  en  Normandie,  puisque  les  intendants  songent  à  les  interdire,  mais  je  n'en 
ai  pas  trouvé  d'exemples. 

2.  Suivant  de  Merville  {Maximes  générales,  p.  32),  l'acte  doit  être  dressé  par 
«  un  notaire  ou  autre  personne  publique  ».  Mais  l'élu  Pescheur  affirme,  en  1665, 
que  les  paroissiens  «  n'en  trouvent  point  qui  s'en  veule  entremettre,  tous  ceux 
qui  le  peuvent  faire  estans  intimidez  par  les  juges  ordinaires  des  lieux  dont  ils 
dépendent  »,  lesquels  juges  tiennent  à  dresser  eux-mêmes  l'acte  (M.  C.  33,  f°  287). 

3.  Dans  les  sentences  des  élections  ou  de  la  Cour  des  aides  ordonnant  de  tenir 
l'assemblée  de  paroisse,  il  est  souvent  ordonné  que  la  réunion  se  fera  par-devant 
le  curé  ou  telle  autre  personne,  comme  un  notaire  ou  un  greffier  nommément 
désigné.  Dans  son  Mémoire  du  15  août  1680,  l'intendant  de  Caen  dit  que  les  nomi- 
nations de  collecteurs  se  font  «  devant  le  curé  ou  vicaire  »  (A.  N.  G7,  213).  Les 
mandements  en  portent  également  Tordre.  Mais  dans  le  registre  des  délibérations 
paroissiales  de  Tracy,  le  curé  qui  rédige  l'acte  emploie  généralement  la  formule  : 
«  lesdits  paroissiens  m'ont  dit  à  leur  retour  »,  ce  qui  laisse  supposer  que  le  curé 
était  resté  à  l'écart  de  l'assemblée. 

4.  De  Merville,  Maximes  générales  sur  les  tailles  (Paris  1725).  Cf.  Le  Pain,  Le 
praticien  françois,  éd.  1622,  p.  142;  La  Poix  de  Fréminville,  Traité...  des  commu- 
nautés d'habitants,  édit.  1760,  p.  189;  et  Loisel  de  Boismare,  Dictionnaire  du  droit 
des  tailles,  t.  I,  p.  86. 

5.  A.  D.  Calvados,  élection  de  Caen.  Le  Dr  Prouhet  cite  des  cas  où,  en  Poitou, 
les  assemblées  s'ajournèrent  faute  de  quorum  pour  la  nomination  des  collecteurs 
(ouv.  cité  p.  45). 


172  LA    TAILLB    EN    NORMANDIE. 

blées  :  ainsi  ii  Honfleur,  en  1668,  le  syndic  propose  une  amende 
contre  «  les  notables  bourgeois  »  qui  s'absentent  sans  excuse 
de  la  réunion  qui  élira  les  collecteurs;  quatre  ans  après,  l'inten- 
dant de  Rouen  ordonne  que  vingt  des  principaux  bourgeois, 
assignés  par  les  échevins,  seront  tenus  de  s'y  trouver,  à  peine 
de  30  sous  d'amende1. 

On  ne  voit  jamais  de  président  de  l'assemblée;  le  syndic  n'est 
pas  nommé  dans  les  procès-verbaux;  aucun  vote  régulier  ne 
semble  être  fait  :  il  y  a  un  simple  concert  des  habitants  entre 
eux,  et  à  la  suite  de  leur  conversation,  des  noms  sont  prononcés 
et  enregistrés  au  procès-verbal.  Les  principaux  contribuables 
ont  sans  doute  voix  prépondérante;  les  «  coqs  de  paroisse  » 
peuvent  intervenir  sans  obstacle,  et,  comme  la  désignation 
n'est  pas  faite  en  secret,  chacun  a  à  craindre  les  représailles. 
La  Barre,  dans  son  Formulaire,  prévoit  le  cas  où  «  personne 
ne  veut  dire  mot  »,  parce  qu'  «  ils  craignent  de  les  nommer, 
de  paour  qu'ils  les  haussent  a  la  taille  »  :  alors,  dit-il,  l'élu 
«  peut  commander  aux  collecteurs  presens  de  nommer  un  suc- 
cesseur, et  en  cas  de  décord  et  refus,  les  prendre  sur  le  rolle  ». 

Le  procès-verbal  est,  dans  les  paroisses  qui  ont  de  l'ordre, 
rédigé  sur  un  registre;  il  est  signé  par  les  membres  qui  savent 
écrire,  et  les  illettrés  font  un  «  merc  »,  c'est-à-dire  une  marque 
à  côté  de  laquelle  le  secrétaire  inscrit  leur  nom2. 

Voici  un  de  ces  procès-verbaux  : 

«  Le  dimanche  vingt-sixiesme  jour  de  décembre  mil  six  cens 
soixante,  issue  de  messe  paroissiale  de  Rots,  par  nous  Gille  du  Hamel 
curé  dud.  lieu  dicte  et  célébrée,  les  parroissiens  soubssignés  dont  les 
noms  ensuivent  [12  noms],  tous  assemblés  en  forme  de  commun  pour 
desliberer  de  leurs  affaires  et  spetiallement  pour  nommer  des  assiet- 
teurs  de  la  taille  en  Tannée  prochainne  venant  pour  soixante  et  un,  et 
après  avoir  desliberé  entre  eux  ils  ont  nommé  la  personne  de  Guillaume 
Dessillon  fils  Pierre,  Nicollas  Masselin  et  Jacques  du  Val  fils  Jean, 
lesquelz  feront  ladite  assiette  en  leurs  âme  et  concience  et  suivant  le 
mandement  à  eux  envoyé  pour  ce  subjet,   présence  de   Pierre  du 

1.  Bréard,  Les  Archiva  de  Honfleur,  p.  123  et  125;  cf.  p.  116.  On  voit  d'après 
cela  qu'on  attachait  plus  d'importance  à  la  présence  des  •  notables  bourgeois  * 
qu'à  celle  des  autres  habitants. 

2,  Le  registre  est  visé  et  folioté  par  un  officier  de  l'élection.  Voici  le  titre  de 
celui  de  Rots,  contenant  les  procès-verbaux  de  1641  à  1665  :  «  Registre  de  M' Gilles 
du  Hamel  prebtre  curé  de  la  paroisse  de  Rotz  contremarque  au  nombre  de  cent 
quatre-vingt-quinze  feuillets  pour  mettre  et  registrer  tous  les  certificats  et  décla- 
rations qui  seront  faictes  et  passées  devant  luy  par  la  communauté  de  lad. 
parroisse  touchant  et  qui  concerneront  les  deniers  de  la  taille  ou  la  jurisdiction 
de  l'Election  de  Caen  conformément  aux  mandements  envoyez  aux  parroisses 
d'icelle  parroisse  tant  pour  la  levée  du  principal  de  lad.  taille  taillon  que  creues 
y*  jointes  et  tous  autres  mandements  et  taxes  envoyez  pour  le  Roy  par  lad.  Elec- 
tion à  peine  de  l'amende  portée  par  les  ordonnances  nu  cas  appartenant.  Faict 
par  nous  juge  et  officier  du  Roy  de  lad.  Election  soubzsigné  auiourdhuy 

mil  six  cent  quarante  et  un  »  (A.  mun.  Rots,  BB4).  La  tenue  de  ce  registre  ne 
semble  pas  avoir  jamais  été  prescrite  par  une  ordonnance  royale,  aussi  devait-il 
manquer  en  bien  des  paroisses. 


LES    EXEMPTS    DE    COLLECTE.  173 

Hamel,  Jacques  Rocque.  »  (Suivent  7  signatures  outre  celle  du  curé,  et 
10  «  mercs1  »). 

Mais  toutes  les  paroisses  n'enregistrent  pas  leurs  nomina- 
tions ;  l'intendant  de  Caen  s'en  plaint  en  1682  :  «  Les  commu- 
nautés ne  tiennent  aucun  registre  de  ce  qu'ils  font,  surtout  dans 
les  paroisses  de  la  campagne  et  petites  villes  où  les  habitans 
agissent  et  se  conduisent  sur  l'occasion  présente  seulement,  et 
tousjours  avec  quelque  confusion,  ainsi  qu'ils  ont  accoustumé 
de  longue  main  2.  » 

L'acte  de  nomination  devait  être,  dans  le  délai  de  huit  jours, 
porté  par  les  syndics  à  l'Election,  qui  l'enregistrait3.  Le  registre 
était  clos  le  premier  novembre  ;  les  greffiers  devaient  faire 
l'enregistrement  et  en  délivrer  des  extraits  aux  intéressés  «  sans 
qu'ils  puissent  exiger  d'eux  plus  de  deux  sols,  a  peine  de  con- 
cussion » 4.  L'intendant  de  Rouen  faisait  aussi  remettre  une 
copie  de  l'acte  au  receveur  de  l'élection  5. 


III.  —  LES  EXEMPTS  DE  COLLECTE 


L'assemblée  paroissiale  ne  pouvait  porter  son  choix  sur  n'im- 
porte quel  contribuable  :  il  y  avait  des  exempts  de  collecte. 
Cette  exemption  était  particulièrement  recherchée,  parce  que 
la  collecte  était  non  seulement  onéreuse,  mais  méprisée.  Déjà 
au  début  du  xvie  siècle  le  président  Labarre  déplore  les  charges 
qui  incombent  aux  collecteurs  :  «  Ils  sont,  dit-il,  écrasés  sous 
le  faix,  à  la  mercy  des  sergeans  et  coureurs,  ruinez  de  biens, 
pourrissent  es  prisons...  O  bon  Dieu,  quel  désordre  de  ce 
malheureux  siècle!  Faut-il  que  tant  de  gens  de  bien  ne  voient 
goutte  dans  telle  affaire  6  ».  Un  mémoire  anonyme  adressé  au 
lieutenant  de  police  La  Reynie  le  19  avril  1684  explique  com- 
ment chaque  collecteur  est  presque  certain  d'être  ruiné  par 
l'exercice  de  sa  charge7.  Boisguilbert,  dans  son  langage  éner- 

1.  A.  Mun.  Rots,  B  B  4,  f°  163.  —  On  observe  des  variantes  infinies  mais  peu 
importantes  dans  les  différents  procès-verbaux.  Voir  des  actes  analogues  publiés 
dans  Hu,  Le  bailliage  seigneurial  de  Pontlevoy  (Blois,  1884),  t.  I,  p.  14;  Remondière, 
Les  charges  du  paysan  avant  la  Révolution  (Paris  189i),  p.  165,  n.  1;  Prouhet, 
Contribution  à  l'étude  des  assemblées  générales  des  communautés,  p.  161. 

2.  Lettre  de  Méliand  à  Golbert,  7  juillet  1632.  A.  N.,  G'213. 

3.  Je  n'ai  pu  me  rendre  compte  si  cette  règle  était  respectée;  je  n'ai  trouvé 
aucun  de  ces  extraits  d'acte  dans  les  papiers  des  élections,  ni  aucun  des  registres 
réglementaires  qui  devaient  contenir  ces  enregistrements. 

4.  Mandement  aux  paroisses  de  la  généralité  de  Rouen,  1677,  B*.  N.  fr.  8761bl", 
f°  52. 

5.  Ibid. 

6.  Formulaire  des  esleuz,  p.  100. 

7.  Publié  dans  De  Boislisle,  Mémoire  de  Vintendant  de  Paris,  p.  766  :  «  Le 
nombre  (des  misérables)  augmente  toutes  les  années  de  quatre  dans  chaque 
village,  étant  certain   que  les  quatre  personnes  nommées   dans  chaque  paroisse 


174  LA    TAILLB    EN    NORMANDIE. 

gique,  dira  un  peu  plus  tard  :  «  Il  n'y  a  qui  que  ce  soit,  jus- 
qu  au  plus  misérable,  qui  ne  vende  sa  chemise  pour  estre 
exempt  de  cette  servitude'.  »  Vauban  reprend,  la  même  idée, 
et  elle  sera  un  thème  commun  à  tous  les  réformateurs  du 
XVIII*   siècle.   Des   administrateurs,  comme  d'Aube  et  Vieuille, 

2 ni  avaient  vu  fonctionner  l'institution,  sont  du  même  avis  *. 
l'est  une  charge  «  très  basse  et  très  onéreuse  »,  dit  Vieuille; 
un  juge  seigneurial,  explique  le  jurisconsulte  d'Espeisses,  ne 
peut  être  nommé  collecteur,  car  «  ce  seroit  compromettre  la 
dignité  du  magistrat  :  honorent  sustinenti  munus  imponi  non 
potest  ».  Un  des  avantages  que  les  habitants  de  Niort  verront  à 
l'établissement  de  la  dime  royale  dans  leur  élection,  en  1718, 
c'est  la  suppression  de  la  collecte'.  De  nombreux  cahiers  du 
tiers  état  en  1789  demanderont  également  la  suppression  de  cette 
charge  parce  quelle  est  «  odieuse  »  et  «  accablante  ».  Quand 
un  individu  exempt  de  collecte  défend  son  privilège,  il  sou- 
tient toujours  que  l'honneur  de  sa  fonction  lui  interdit  une  telle 
charge*.  Aussi,  quoique  le  nombre  des  contribuables,  par  les 
exemptions  de  taille,  soit  considérablement  réduit,  il  ne  faut 
pas  s'étonner  de  trouver  encore  dans  ce  petit  nombre  une  foule 
d'exempts  de  collecte6. 

Les  avocats  sont  dans  ce  cas,  non  en  vertu  d'actes  royaux, 
mais  en  vertu  d'arrêts  de  cours  des  aides  ;  la  seule  condition 
exigée  est  qu'ils  plaident  et  consultent  réellement  auprès  d'un 
tribunal  royal*. 

pour  lever  les  tailles  sont  ruinées  au  bout  de  Tannée  de  leur  collecte...  Voyez 
combien  il  y  a  de  villages  en  France  et  combien  de  misérables  se  font  toutes  les 
années  par  la  collecte.  > 

1.  Le  détail  de  la  France,  éd.  1707,  t.  I,  p.  100. 

2.  Mémoire  de  d'Aube  (1738)  B.  M.  fr.  21  812,  p.  77;  Vieuille  Nouveau  traité  des 
élection*  (1739),   p.  232. 

3.  De  Saivre,  La  dîme  royale  à  Niort  et  à  La  Rochelle  en  1H8,  p.  38. 

4.  Voir  par  exemple  le  Plaidoyer  d'un  avocat  à  la  cour  des  aides  de  Paris  du 
10  février  1634  :  «  Cette  qualité  d'avocat  est  tellement  noble  et  relevée  qu'il  n'y 
a  aucune  apparence  de  vouloir  l'assujettir  à  une  cbnrge  sordide  d'asséeur  et  de 
collecteur  des  tailles  »  (dans  Bardet  et  Berroyer,  Recueil  d'arrêts  du  parlement 
de  Paris  (1690)  t.  II,  p.  220). 

5.  Voir  des  listes  d'exempts  de  collecte  dans  de  Merville.  Maximes  générales, 
p.  39-40;  Vieuille,  chap.  xiv  ;  Mém.  alp/iab.  aux  articles  des  diverses  professions; 
D'Espeisses,  Œuvres,  éd.  1750,  t.  III,  p.  344  et  suiv.  ;  La  Barre,  Formulaire, 
chap.  îv,  etc. 

6.  Voir  ces  actes  indiqués  dans  le  Mém.  alphab.  au  mot  Advocat  4*  et  les  con- 
sidérations de  Vieuille,  Nouveau  traité  des  élections,  p.  265-266.  On  trouve  cepen- 
dant des  avocats  collecteurs.  Ainsi,  Gabriel  Hainfray,  nommé  collecteur  de  la 
paroisse  de  Pointel  (élection  de  Falaise),  pour  l'année  1675,  est  avocat.  Si  sa 
nomination  est  cassée  par  les  élus,  c'est  uniquement  parce  qu'il  n'est  pas  domi- 
cilié dans  la  paroisse  et  non  en  raison  de  sa  profession  (sentence  de  l'élec- 
tion de  Falaise,  17  novembre  1674,  dans  le  Plumitif  de  l'élection,  A.  D.  Calva- 
dos). Mais  c'est  là  une  exception.  Cf.  les  considérants  d'un  arrêt  de  la  cour  des 
aides  de  Paris  du  11  juillet  1760,  qui  déclare  les  avocats  exempts  de  collecte  : 
•  Cette  jurisprudence,  qui  n'est  fondée  sur  aucune  loi  particulière,  est  dictée  aux 
magistrats  et  écrite  dans  tous  les  coeurs  de  ceux  qui  exercent  la  fonction  de  la 
magistrature  par  reconnaissance  pour  une  profession  aussi  honorable  et  aussi 
utile.  Il  seroit  indécent  qu'un  avocat  se  trouvât  obligé  de  faire,  de  maison  en 
maison,    la   collecte   des  deniers  royaux   »   (dans  Auger,  Mémoires  pour  servir  à 


LES    EXEMPTS    DE    COLLECTE.  175 

Les  médecins  sont  également  exemptés  par  des  arrêts  des 
cours  des  aides,  qui  les  considèrent  comme  «  personnes  publi- 
ques '  ».  Les  chirurgiens  et  les  apothicaires  prétendent  à  la 
même  faveur,  mais  ne  l'obtiennent  que  difficilement2. 

Les  ministres  protestants  étaient  d'abord  simplement  exemptés 
de  la  collecte  par  le  45e  article  particulier  de  ledit  de  Nantes, 
mais  ils  furent  ensuite  déclarés  entièrement  exempts  de  taille3. 

Les  commis  des  fermes,  qui  ne  sont  pas,  en  principe,  exempts 
de  taille,  sont  exempts  de  collecte4. 

La  collecte  est  également  incompatible  avec  toute  autre  charge 
publique,  en  vertu  du  principe  qu'«  un  habitant  ne  peut  être  assu- 
jetti à  deux  charges  publiques  en  même  temps8  ».  Tel  est  le  cas 
pour  les  syndics  des  paroisses  pendant  l'année  de  leur  charge, 
les  maires,  échevins  et  greffiers  des  villes  taillables,  les  mar- 
guilliers,  les  collecteurs  de  la  gabelle6.  Mais  quand  ils  ne  sont 
plus  en  fonctions,  leur  dispense  cesse  sans  délai7. 

Une  autre  classe  d'exempts  est  formée  par  les  femmes,  les 
septuagénaires  et  les  malades  incurables.  Les  femmes,  en  effet, 
suivant  une  maxime  générale,  ne  peuvent  remplir  aucune  charge 
publique8.  Les  septuagénaires  ne  peuvent  pas  être  contraints 
par  corps,  suivant  les  ordonnances9,  mais  ils  doivent,  pour 
obtenir  l'exemption,  faire  la  preuve  de  leur  âge,  ce  qui  ne  va 
pas  sans  difficultés  :  la  mauvaise  tenue  des  registres  de  baptêmes 
rend  la  preuve  par  écrit  souvent  impossible,  et  le  règlement 
d'août  1664,  à  l'art.  5,  interdit  aux  tribunaux  de  recevoir  la 
preuve  par  témoins,  à  cause  des  fraudes  qu'elle  permet;  toutelois, 
dans  la  pratique,  la  preuve  par  témoins  ne  cessa  jamais  d'être 

l'histoire  du  droit  public  de  la  France,  p.  123).  Un  avocat  «  postulant  »,  c'est-à- 
dire  exerçant  la  charge  de  procureur  en  même  temps  que  celle  d'avocat,  est  déclaré 
sujet  à  la  collecte  par  l'arrêt  du  conseil  du  22  mars  1666. 

1.  Mem.  alphab.,  p.  431-433. 

2.  Cf.  Mem.  alphab,,  p.  58,  et  Vieuille,  p.  267. 

3.  Voir  ci-dessous,  p.  234. 

4.  Règlement  de  janvier  1635,  art.  14.  Ordonnance  des  fermes  de  1681,  art.  11. 
Cf.  Mém.  alphab.  articles  Commis  et  Fermier  4e. 

5.  Vieuille,  p.  268. 

6.  Règlement  d'août  166'é,  art.  7;  ordonnance  des  gabelles  de  mai  1680,  tit.  VIII, 
art.  6.  Cf.  le  Mém.  alphab.  à  chacun  de  ces  mots.  On  songea  parfois  à  ne  nommer 
qu'un  seul  groupe  de  collecteurs  dans  chaque  paroisse  pour  la  taille  et  pour  le 
sel,  mais  la  dualité  des  deux  administrations  rendit  la  réforme  impossible.  Les 
collecteurs,  écrit  de  Montluçon  le  sieur  Coquille  à  Colbert  le  23  octobre  1666, 
ayant  affaire  à  deux  receveurs,  •■  quelque  ordre  que  l'on  pust  donner  pour  la 
concurrance,  les  pouvoirs  de  collecteur  seroient  tousjours  subjects  à  deux  diffé- 
rentes contraintes  ».  Mais  le  même  correspondant  considère  néanmoins  que  la 
réforme  serait  bonne,  car  «  les  compensations  que  les  collecteurs  de  la  taille  et 
de  l'impost  ont  accoustumé  de  faire  les  uns  avec  les  autres  font  bien  souvent 
la  plus  grande  partie  des  restes  qui  sont  de-ibs  dans  les  paroisses  »  (M.  C.  141b'% 
f°  624.) 

7.  Mandement  de  l'intendant  Leblanc  en  1677,  B.  N.  fr.  8  761bis,  f°  52. 

8.  De  Merville,  Maximes,  p.  40. 

9.  Cf.  l'ordonnance  civile  de  1667,  tit.  XXXIV,  art.  9.  Mais  si  un  septuagénaire 
accepte  la  collecte,  sa  nomination  sera  valable  et  il  pourra  être  contraint  par 
corps,  parce  que  «  le  roi  ne  donne  de  privilège  à  personne  contre  lui-même  ». 
(Mém.  alphab.,  p.  2.) 


176  LA    TAILLE    EX    XORMAXDIE. 

admise,  ainsi  que  le  montrent  les  plumitifs  d'élections  l.  Les 
inal;itles  qui  ne  peuvent  matériellement  pas  faire  l'assiette  et  la 
collecte,  les  insensés,  les  personnes  atteintes  de  «  mal  caduc  », 
sont  naturellement  exempts  :  «  C'est  une  maxime  triviale  dans 
la  cour  des  aides1  ». 

Sont  encore  exempts  les  taillables  qui  ont  été  déjà  collecteurs 
de  la  taille  ou  du  sel  dans  l'une  des  trois  années  précédentes. 
Les  charges  de  la  fonction  étaient  trop  considérables  pour  qu'un 
même  individu  pût  les  supporter  deux  années  de  suite.  En  outre, 
il  était  bon  que  chaque  taillable  fût  collecteur  à  son  tour,  pour 
éviter  des  injustices  dans  la  répartition,  «  les  collecteurs  qui 
seroient  tentés  de  faire  d'injustes  impositions  devant  craindre 

3ue  ceux  qui  en  souffriroient  ne  s'en  vengeassent  sur  eux-mêmes, 
evenus  collecteurs  à  leur  tour3  ». 
La  décharge  de  collecte  fut  en  outre  accordée  par  Colbert 
comme  une  faveur  à  certaines  professions  ou  états  qu'il  voulait 
encourager;  elle  s'ajoutait  aux  exemptions  de  taille  accordées 
dans  la  même  intention.  Pour  favoriser  la  «  peuplade  »,  l'édit 
de  novembre  1666,  qui  accordait  l'exemption  totale  d'impôt  aux 

frères  de  famille  de  douze  enfants,  accordait  l'exemption  de  col- 
ecte  à  «  tout  père  de  famille  qui  aura  dix  enfants  vivants  nés 
en  loyal  mariage,  non  prêtres,  religieux  ni  religieuses  *  ». 
Les  principaux  manufacturiers  qui  s'installèrent  dans  les 
campagnes  ou  dans  les  villes  taillables  de  Normandie  reçurent 
l'exemption  :  tel  fut  le  cas  de  huit  marchands  drapiers  d'Elbeuf 
en  1666 5;  elle  leur  fut  accordée  par  simple  décision  admi- 
nistrative   sans   aucun    acte    législatif.    Cette   mesure   arbitraire 

1.  Cf.  par  exemple  le  plumitif  de  l'élection  de  Falaise  aux  dates  des  17  octobre 
1674,  M  octobre  1677,  8  novembre  1679,  etc.  (A.  D.  Calvados,  élection  de  Falaise, 
plumitif). 

2.  Mem.  alphab.,  p.  431.  Cf.  Vieuille,  p.  264. 

3.  Mémoire  de  l'intendant  d'Aube  (1738)  B.  N.  m»,  fr.  21  812,  p.  78.  C'est  le 
règlement  d'août  1664  qui  déclara  nettement  exempts  de  collecte  les  collecteurs 
de  la  taille  et  du  sel  pendant  les  trois  année»  qui  suivaient  leur  sortie  de  charge. 
Antérieurement,  la  collecte  du  sel  ne  jouissait  pas  du  même  privilège.  L'arrêt  du 
conseil  du  '.<  décembre  16'i3  (C.  d.  T.  1,  p.  301,  n.)  ne*  leur  accordait  l'exemption 
de  collecte  des  tailles  que  pendant  un  an.  Cf.  une  sentence  de  l'élection  de  Falaise 
du  17  nov.  1674  déchargeunt  de  la  collecte  au  Mesnil  Touffroy  le  sieur  Jean  Auger 
parce  qu'il  n'y  a  pas  eu  •  trois  rooles  frangs  »  depuis  sa  dernière  nomination 
(A.  D.  Calv.,  Plumitif  de  l'élection). 

Lorsqu'un  père  de  famille  était  collecteur,  son  fils  pouvait  l'être  également  s'il 
était  taillable,  et  le  cas  se  présentait  souvent  :  on  donnait  le  fils  en  «  aide  ■  à 
son  père.  Mais  dans  ce  cas  As  ne  comptaient  tous  deux  que  pour  une  personne. 
Cf.  une  sentence  de  l'élection  de  Bayeux  du  2  décembre  1673  :  Gilles  et  Jean 
Darmilly,  père  et  fils,  ont  été  seuls  nommés  collecteurs  de  la  paroisse  de  Saint- 
Laurent  du  Rieu  ;  le  tribunal,  considérant  que  «  lesdits  Darmilly  •  ne  sont  «  censés 

u'une  seulle   personne  ■   nomme   un  autre   collecteur  à  la  place  du  fils  (A.   D. 

alvndos,  plumitif  de  l'élection  de  Bayeux). 

4.  Cli- m.  11,68,  mais  l'édit  ne  s'appliquait  pas  &  la  Normandie  :cf.  ci-dessous,  p. 262. 
Une  nouvelle  déclaration  du  30  novembre  1715  accorda  l'exemption  de  collecte 
aux  pères  de  famille  de  huit  enfants.  Ces  exemptions  n'étaient  pas  une  nouveauté  : 
le  droit  romain  exemptait  de  charges  personnelles  les  pères  de  cinq  enfants.  Cf. 
Lebrel,  cinquantième  action,  Œuvres,  p.  o58. 

5.  M.  C.  143,  f  225  et  suiv. 


S 


LES    EXEMPTS    DE    COLLECTE.  177 

souleva  des  protestations,  mais  les  bénéficiaires  défendirent 
aprement  leur  privilège.  Parmi  eux  étaient  les  sieurs  Lemon- 
nier  et  Lecointe,  qui  avaient  été  exemptés  par  une  ordonnance 
de  l'intendant  de  Rouen,  poar  tout  le  temps  qu'ils  dirigeraient 
leur  manufacture  ;  l'ordonnance  spécifiait  en  outre  que  leur  cote 
de  taille  ne  pourrait  jamais  dépasser  le  chiffre  auquel  elle 
s'élevait  en  l'année  1665,  pour  éviter  qu'ils  ne  fussent  acca- 
blés par  les  collecteurs.  Malgré  cela,  les  habitants  d'Elbeuf 
nommèrent  Lemonnier  et  Lecointe  collecteurs  pour  1667,  et 
firent  augmenter  leur  cote  de  taille  à  proportion  du  déve- 
loppement de  leur  manufacture  ;  ils  récidivèrent  en  1668, 
en  1669  et  en  1672.  Chaque  fois,  une  ordonnance  de  l'inten- 
dant cassa  la  nomination  et  réduisit  l'impôt  des  intéressés. 
En  décembre  1673,  Lemonnier  et  Lecointe  furent  encore 
nommés.  Cette  fois,  l'affaire  fut  portée  devant  le  roi  par  les 
habitants  qui,  dans  un  placet,  représentaient  le  préjudice  à  eux 
causé  par  ce  privilège,  contraire  à  «  l'article  24  de  la  déclara- 
tion de  Nancy  ».  Pour  leur  défense,  les  manufacturiers  répon- 
dirent qu'ils  ne  pouvaient  vaquer  à  la  collecte  sans  que  leur 
manufacture  en  souffrît,  et  .que  la  taxe  de  900  1.  qui  leur  était 
imposée  les  accablait.  Le  Conseil,  par  arrêt  du  17  *hiars  1674, 
confirma  les  privilèges  antérieurement  accordés.  Mais  les  habi- 
tants ne  se  découragèrent  pas.  En  octobre  suivant,  Lecointe 
fut,  pour  la  sixième  fois,  nommé  collecteur;  l'intendant,  pour 
la  sixième  fois,  le  déchargea  et  le  fit  remplacer.  Mais,  comme 
précédemment,  les  collecteurs  en  fonctions  surtaxèrent  les  deux 
manufacturiers,  qui  firent  réduire  leur  cote  par  sentence  de 
l'élection,  le  19  novembre.  Même  manège  encore  l'année  sui- 
vante. Cette  fois,  la  Cour  des  aides  de  Rouen  intervint  en  faveur 
des  habitants  :  par  trois  arrêts  des  27  février,  8  et  27  mars  1676, 
elle  condamna  Lemonnier  et  Lecointe  à  faire  la  collecte.  L'affaire 
revint  au  Conseil  qui,  par  arrêt  du  13  février  1677,  renvoya  les 
parties  devant  l'intendant.  Il  fallut  un  nouvel  arrêt  pour  clore 
la  contestation  et  imposer  silence  à  la  Cour  des  aides.  Il  est 
possible  qu'après  la 'mort  de  Colbert,  les  manufacturiers  aient 
été  encore  plusieurs  fois  inquiétés1. 

1.  Le  récit  de  l'affaire  se  trouve  dans  une  lettre  de  l'intendant  Voysin  du 
26  février  1666  (M.  C.  136,  f°  511)  et  surtout  dans  un  Mémoire  de  l'intendant 
Leblanc  de  1677  (B.  N.  fr.  8761  bis,  f°  34-38)  et  dans  une  note  du  11  décembre  1673 
rédigée  par  un  secrétaire  de  Colbert  (M.  C.  166  bis,  f°  583). 

Diverses  professions  avaient  reçu  à  certains  moments  des  exemptions  de 
collecte.  Mais  le  privilège  leur  avait  été  retiré  ou  au  moins  leur  était  contesté  à 
l'époque  de  Colbert.  Ainsi,  les  commissaires  aux  saisies  mobilières  invoquaient 
un  arrêt  de  la  cour  des  aides  de  Paris  pour  se  dispenser  de  fair»  la  collecte,  quoi- 
qu'un autre  arrêt  du  11  janvier  1676  leur  eût  retiré  la  dispense.  (B.  N.  fr.  21  419, 

>.   113).   Colbert  veilla  à  ce  qu'ils  fussent  nommés  comme  les  autres  taillables. 

Circulaire    aux  intendants    du  5    mai   1679,   Clém.   II,  p.   98.)    Cf.   une  lettre  de 
Leblanc  à  Colbert  du  12  avril  1679  (A.  N.  G7  491).  Les  taverniers   et  cabaretiers 


!« 


avaient  été  exemptés  au  début  du  siècle  par  l'édit  d'établissement  du  droit  annuel, 
mais    l'arrêt   du   conseil   du   20  janvier  1635  révoqua   leur  privilège  à  cause  du 

LA    TAILLE    EN    NORMANDIE.  12 


178  Ul.l.i.      I.\      MMl.MAXIMK. 

Il  semble  que  les  illettréfl  auraient  dû  être  déclaréf  incapables 
de  collecte,  puisque  leur  principale  fonction  «Hait  de  rédiger  les 
rôles  et  de  marquer  sur  le  «  cueilloir  »  les  sommes  perçues1. 
Mais  si  l'on  avait  suivi  cette  i«-^le,  un  trop  grand  nombre  de 
contribuables  eussenl  été  exemptés,  et  même,  dans  certaines 
paroisses,  il  eût  été  impossible  de  trouver  des  collecteurs.  C'est 
pourquoi  les  réglementa  exigeaient  seulement  que,  dans  chaque 
paroisse,  un  collecteur  au  moins  fût  instruit,  et  il  était  spécifié 
que  la  règle  ne  s'appliquait  que  «  quand,  dans  la  paroisse, 
il  se  trouve  plusieurs  personnes  qui  sçavent  lire  et  écrire*  ». 
Comme  le  cas  se  présentait  souvent,  il  est  commun  de  trouver 
tous  les  collecteurs  d'une  paroisse  illettrés3.  Un  intendant  écrit 
même  vers  1090  qu'il  «  est  rare  »  que,  parmi  les  collecteurs,  il  y 
en  ait  un  sachant  bien  écrire*. 

En  principe,  un  insolvable  ne  pouvait  être  collecteur,  car  s'il 
dilapidait  les  fonds  recueillis,  ou  si,  par  négligence,  il  ne  faisait 
pas  rentrer  l'impôt,  le  roi  n'avait  aucun  recours  contre  lui  : 
nommer  des  collecteurs  insolvables,  déclarait  la  cour  des  aides 
de  Paris  en  1596,  c'est  «  rendre  les  exécutions  et  les  contraintes 
illusoires  à  l'encontre  d'eux5  ».  L'art.  39  du  règlement  de  jan- 
vier 1634  rendait  la  paroisse  responsable  du  recouvrement  de 
l'impôt  si  elle  avait  nommé  un  collecteur  sans  fortune;  la  décla- 
ration d'août  1664,  art.  18,  fut  plus  catégorique  encore  :  le  roi 
avait  constaté  que,  très  souvent,  des  paroisses,  à  l'instigation 
de  seigneurs  et  d'autres  personnes  d'autorité,  nommaient  exprès 
des  collecteurs  insolvables,  auxquels  on  promettait  même  des 

préjudice  qu'il  portait  aux  autres  taillablcs.  (A.  Mun.  Rouen,  183,  n°  3).  —  Les 
notaires  ne  sont  pas  dispensés  de  la  collecte  parce  que,  dit  Lebret  «  la  fonction 
de  tabellion  eu  de  notaire  a  jusqu'aujourd'hui  été  tenue  pour  vile,  abjecte  et  sans 
aucun  privilège  ».  ((JHuvres,  p.  558.) 

1 .  Vieuille,  Traité  de*  élections,  p.  250. 

2.  Du  Rousscaud  de  la  Combe,  Traité  des  tailles,  dans  les  (ouvres  de  d'Es- 
peisses,  t.  III,  p.  395.  Suivant  de  Merville  (Maximes,  p.  40),  «  si  tous  les  collec- 
teurs nommez  ne  sçavoient  ni  lire  ni  écrire,  le  dernier  des  collecteurs  seroit  en 
droit  de  se  faire  décharger,  et  de  demander  qu'en  son  lieu  et  place  il  en  fût 
nommé  un  autre  qui  sçût  lire  et  écrire  »  (référence  à  un  arrêt  de  la  cour  des 
aides  de  Paris  du  14  janvier  1664). 

3.  C'est  pour  ce  motif  que  les  habitants  de  Blainville-sur-mer  avaient  fait  choix 
d'un  collecteur  «  conventionnel  >  pour  la  perception  :  cf.  ci-dessous,  cliap.  vu. 

4.  Recueil  de  l'intendant  d'Orsay  (B.  N.  fr.  11096,  f°  62,  verso).  Les  règlements 
prévoyaient  d'ailleurs  le  cas  où  tous  les  collecteurs  seraient  illettrés.  Par  exemple 
l'édit  de  16")4  (C.  d.  T.  I,  p.  455)  prescrit  de  faire  dresser  les  rôles  ou  les  quit- 
tances par  le  curé  de  la  paroisse  ou  par  un  greffier.  Mais  il  pouvait  arriver  que 
le  secrétaire  fit  des  erreurs  dans  la  rédaction  de  l'acte,  qui  néanmoins  se  trou- 
vait valable  dès  qu'il  avait  été  paraphé  à  l'élection.  Le  Mémorial  alphabétique 
(p.  654-655)  cite  un  cas  singulier  de  ce  genre  :  les  collecteurs  de  Loudun,  étant 
tous  illettrés,  avaient  fait  dresser  leur  rôle  de  taille  par  un  scribe  qui  fit  plu- 
sieurs erreurs,  omissions  et  doubles  emplois.  Les  collecteurs  l'apprenant,  deman- 
dèrent la  réformation  du  rôle  à  l'élection  ;  mais  les  élus  les  déboutèrent  et  confir- 
mèrent le  rôle.  Il  fallut  uu  arrêt  du  conseil  du  16  décembre  1702  pour  casser  la 
sentence  et  faire  refaire  le  rôle.  Cet  arrêt  était  d'ailleurs  en  contradiction  for- 
melle avec  les  règlements,  qui  interdisaient  en  tout  cas  de  changer  les  rôles  après 
la  vérification  de  l'élection. 

5.  Œuvres  de  Lebret,  p.  475. 


LES    EXEMPTS    DE    COLLECTE.  179 

indemnités  et  la  subsistance  quand  ils  seraient  emprisonnés,  de 
sorte  que  c'était  pour  eux  tout  bénéfice,  et  le  roi  n'avait  plus  de 
recours  contre  personne.  C'est  pourquoi  il  fut  prescrit  que,  si 
un  collecteur  était  resté  emprisonné  un  mois  sans  rien  payer  de 
ce  qu'il  devait  pour  la  taille,  les  élus  prononceraient  un  jugement 
de  «  solidité  »  contre  les  principaux  habitants  de  la  paroisse,  et 
ne  laisseraient  élargir  les  prisonniers  qu'après  que  le  receveur 
aurait  été  payé  au  moins  du  quart  de  ce  qui  était  dû  par  la 
communauté1.  Ces  prescriptions  furent  encore  reprises  dans 
les  règlements  de  mars  1667,  septembre  1681  et  août  1683.  On 
a  quelques  exemples  de  leur  application.  Ainsi,  l'élection  de 
Bayeux,  par  une  sentence  du  23  janvier  1674,  interdit  la  col- 
lecte dans  la  paroisse  de  Vienne  à  Michel  Bidot,  qui  a  tout 
perdu  son  bien  dans  un  incendie,  et  elle  nomme  d'office  un 
autre  collecteur  a  sa  place 2.  Mais  on  trouve  fréquemment 
des   collecteurs   insolvables  qui  traînent   dans   les   prisons.   Le 

11  novembre  1678,  l'intendant  de  Rouen  écrit  qu'à  Pont- 
l'Evêque,  une  vingtaine  de  fripons,  pour  empêcher  le  recou- 
vrement, font  systématiquement  nommer  chaque  année  des 
insolvables,  et  que  l'impôt  de  la  ville  ne  peut  être  recouvré  : 
quand  il  nomme  à  leur  place  des  collecteurs  d'office,  la  cour  des 
aides  casse  son  ordonnance;  il  est  obligé  de  solliciter  un  arrêt 
du  conseil  pour  trancher  le  conflit3. 

A  côté  des  exemptions  légales,  il  faudrait  ajouter  toutes  celles 
que  se  faisaient  octroyer  indûment  les  «  coqs  de  paroisses  ». 
Nous  n'en  savons  pas  le  nombre,  mais  il  est  probable  qu'il  fut 
grand.  On  verra  plus  loin  avec  quelle  facilité  on  pouvait  se 
faire  exempter  totalement  d'impôt;  l'exemption  de  collecte  était 
une  demi-faveur  que  bien  peu  dédaignaient. 

L'exemple  donné  par  Colbert  d'accorder  des  exemptions  de 
collecte  à  certaines  personnes  pour  les  encourager,  entraîna  ses 
successeurs  à  vendre  cette  exemption  pour  en  tirer  de  L'argent 

1.  Dans  le  début  de  cet  article,  le  roi  déclare  vouloir  «  remédier  à  l'abus  qui 
se  commet  ordinairement  dans  les  paroisses  par  les  seigneurs,  gentilshommes  et 
autres  personnes  d'autorité,  lesquels,  pour  empêcher  les  recouvrements  de  nos 
deniers,  obligent  les  habitans  de  nommer  des  collecteurs  insolvables,  auxquels 
ils  donnent  des  indemnités  et  leur  promettent  que  lorsqu'ils  seront  prisonniers, 
ils  leur  donneront  de  quoi  subsister;  et  non  contents  de  ce,  leur  font  encore 
ordonner  par  les  élus  des  provisions  de  vivres  sur  les  receveurs  des  tailles;  si 
bien  qu'au  lieu  de  recevoir  les  sommes  à  eux  dues,  ils  se  trouvent  le  plus  souvent 
obligés  de  nourrir  lesdits  collecteurs  dans  les  prisons  et  payer  leurs  gîtes  et 
garde   ».   La  déclaration  d'août  1664  reprend  en   général  les  termes   de  celle  du 

12  février  1663,  spéciale  pour  le  ressort  de  la  cour  des  aides  de  Paris  (G.  d.  T., 
I,  p.  'i<;5).  Mais  ce  dernier  article  est  beaucoup  moins  développé  dans  la  déclara- 
tion de  1663,  ce  qui  nous  autoriserait  à  conclure  que  le  mal  était  plus  grand  en 
Normandie  que  dans  le  ressort  de   Paris. 

2.  À.  D.  Calvados,  élection  de  Bayeux,  registre  de  nomination  de  collecteurs. 

3.  Lettre  de  Leblanc  à  Colbert,  Il  novembre  1679.  (A.  N.  G?  491.)  Cf.  une 
lettre  de  l'intendant  de  Châlons  du  20  novembre  1665  :  le  même  désordre  se 
trouve  dans  la  ville  de  Vitry.  (M.  C.  133,  f°  480.) 


180  LA    TAILLE    EN     NORMANDIE. 

et  on  verni  tprèl  M><S.{  le  gouvernement  créer  des  offices  dis- 
pensant de  la  collecte,  et  l'aire  de  ce  qui  n'était  qu'un  instru- 
ment de  politique  économique  un  expédient  fiscal  qui  contri- 
buera à  la  ruine  des  sujets  à  la  fin  du  règne'. 


IV.   —   LE    NOMBRE    DES    COLLECTEURS 

Les  premiers  règlements  des  tailles  n'avaient  pas  limité  le 
nombre  des  collecteurs  dans  chaque  paroisse2.  L'édit  de 
mars  1600  l'avait  fixé  à  quatre  pour  les  paroisses  payant  au 
moins  300  livres  de  taille,  et  à  deux  pour  les  autres.  Mais  la 
Cour  des  aides  de  Normandie,  lors  de  l'enregistrement,  avait  fait 
observer  au  roi  que  dans  la  province  il  était  d'usage  de  nommer 
au  moins  trois  asséeurs  par  paroisse  pour  éviter  l'égal  partage 
des  avis  lors  de  la  répartition,  et  dans  les  grandes  paroisses, 
le  nombre  variait  selon  le  chiffre  d'impôt,  pour  que  les  frais 
de  la  collecte  fussent  moins  onéreux  à  chacun  ;  en  outre,  il 
était  d'usage  de  donner  des  «  aides  »  aux  collecteurs  3.  La  décla- 
ration de  janvier  1634  (art.  38)  avait  autorisé  jusqu'à  quatre 
collecteurs  dans  les  paroisses  imposées  à  moins  de  1  500  1.  et 
huit  dans  les  autres.  Mais  elle  n'était  pas  plus  appliquée  en 
Normandie  que  celle  de  1600. 

Dans  les  premières  années  du  gouvernement  de  Colbert,  le 
nombre  des  collecteurs  est  variable  suivant  les  localités,  et, 
dans  une  même  localité,  suivant  les  années,  et  cela  indépendam- 
ment du  chiffre  d'impôt.  Voici,  à  titre  d'exemple,  le  nombre 
des  collecteurs  dans  un  groupe  de  82  paroisses  de  l'élection 
de  Bayeux  en  1663  .:  67  de  ces  paroisses  imposées  à  moins  de 
1  500  livres  ont  à  elles  toutes  415  collecteurs,  soit  en  moyenne  7 
pour  chacune;  les  15  autres,  qui  sont  imposées  à  plus  de 
1  500  livres,  en  ont  au  total  125,  soit  une  moyenne  de  8,  à 
peu  près  le  chiffre  réglementaire;  une  paroisse,  Saint-Malo  de 
Bayeux,  imposée  à  3900  1.  à  15  collecteurs;  une  autre,  Mon- 

1.  Sur  la  multiplicité  des  exemptions  de  collecte  après  1683,  voir  Vieuille, 
p.  270-27'«.  Avant  Colbert,  le  nombre  des  exempts  était  très  considérable.  Un 
arrêt  du  conseil  du  9  décembre  1  « > '« : î  l'avait  réduit;  d'autres  arrêts  de  1658  et  de 
1660  en  avaient  fait  de  même  ;  c'est  probablement  à  l'époque  de  Colbert  que  le 
nombre  fut  le  moins  élevé. 

2.  Cf.  par  exemple  l'ordonnance  de  1369,  art.  103  :  les  habitants  éliront  des 
asséeurs  «  tels  et  tant  que  bon  leur  semblera  ».  (Corbin,  Nouveau  recueil,  p.  965). 

3.  Remontrances  de  la  cour  des  aides  sur  l'art.  12  du  règlement  de  mars  1600  : 
«  Audit  pais  il  se  fait  élection  de  trois  asséeurs  jusqu'aux  moindres  paroisses, 
pour  pourvoir  a  ce  que  lesdits  asséeurs  ne  demeurent  partis  en  opinions,  et  de 
plus  grand  nombre  es  autres  paroisses,  selon  l'étendue  d'icelles  ou  qu'elles 
portent  plus  ou  moins  du  corps  de  la  taille,  et  ce  pour  supporter  les  frais  de 
ladite  assiète  et  collection,  et  faire  les  avances  qu'il  convient  faire  en  recette,  sur 
laquelle  considération  et  de  la  pauvreté  du  pais,  ladite  cour  permet  et  autorise 
que  l'on  baille  encore  quelquefois  des  aides  ausdits  collecteurs  >.  (Règlements  de 
Normandie,  p.  54).  Le  roi,  dans  sa  réponse,  accorda  satisfaction  à  la  cour. 


LE    NOMBRE    DES    COLLECTEURS.  181 

freville,  imposée  à  620  1.  en  a  8;  Saint-Symphorien,  imposée 
à  4520  1.  n'en  a  que  6;  Esmanville,  imposée  à  1  260  1.  en  a  14; 
Torteval  (1088  1.)  en  a  14  également1.  —  Dans  l'élection  de 
Neufchâtel  en  1670,  dans  un  groupe  de  81  paroisses,  66  sont 
imposées  à  moins  de  1500  1.  ;  elles  ont  au  total  208  collecteurs, 
soit  en  moyenne  3;  les  15  autres  en  ont  74,  soit  en  moyenne  5 
chacune.  On  voit  qu'ici  on  se  tient  au-dessous  des  chiffres  régle- 
mentaires. Mais  il  y  a  encore  de  singulières  anomalies  :  la 
paroisse  de  Sainte-Geneviève-en-Bray,  imposée  à  4  680  1.,  n'a 
que  5  collecteurs,  et  celle  de  Mocombe,  payant  780  1.,  en  a  6. 

D'une  année  à  l'autre,  une  même  paroisse  n'a  pas  le  même 
nombre  de  collecteurs  :  par  exemple  à  Tracy,  il  y  a  dix  collec- 
teurs y  compris  les  aides  en  1663  et  1664;  neuf  en  1666,  qua- 
torze en  1668 2.  La  paroisse  de  Rots  nomme  trois  collecteurs 
chaque  année  jusqu'en  1667,  puis  quatre  à  partir  de  cette  date3. 

Les  élections  ne  semblent  pas  s'être  fort  préoccupées  de  faire 
respecter  l'ordonnance  sur  ce  point.  On  trouve  quelques  sen- 
tences des  élus  de  Falaise  pour  rayer  des  collecteurs  en  sur- 
nombre, mais  elles  sont  assez  rares.  L'élection  de  Bayeux  fait  de 
même,  mais  il  lui  arrive  de  laisser  deux,  quatre  ou  six  collec- 
teurs, quoiqu'un  nombre  impair  soit  de  règle.  En  1673  l'inten- 
dant de  Rouen  écrit  que  l'on  trouve  jusqu'à  20  et  24  collecteurs 
dans  certaines  paroisses.  Colbert,  confondu  à  cette  nouvelle,  lui 
répond  :  «  Je  vous  avoue  que  je  n'entends  pas  ce  que  vous  dites... 
vu  que  le  nombre  qui  doit  être  pris  par  chacune  année  dans  cha- 
cune des  trois  échelles  est  porté  par  les  règlements,  et  qu'il  n'y 
a  pas  apparence  que  ces  règlements  soient  si  facilement  anéantis. 
Expliquez-moi  ce  que  vous  avez  voulu  dire  sur  ce  sujet,  afin  que 
je  puisse  en  rendre  compte  au  roi*  ».  Dans  sa  réponse,  datée  du 
6  février,  l'intendant  déclare  «  qu'il  n'y  a  aucune  règle  certaine 
pour  eslire  un  certain  nombre  de  collecteurs  dans  chacune 
paroisse,  et  c'est,  ajoute-t-il,  ce  qui  a  causé  la  nomination  d'un 
si  grand  nombre  de  collecteurs  d'office  et  a  donné  lieu  à  une 
infinité  de  procès5  ».  Colbert  demanda  alors  par  circulaire  à  tous 
les  intendants  ce  que  l'on  pourrait  faire  pour  y  remédier;  les 
mémoires  qu'il  reçut  sont  malheureusement  perdus;  ils  lui  ser- 
virent sans  doute  à  introduire  dans  le  règlement  d'août  1673 
les  prescriptions  que  l'on  a  vues  plus  haut  sur  le  nombre  des 
collecteurs.  Ce  règlement,    rappelé   dans    les   mandements  aux 

1.  D'après  les  rôles  des  paroisses  dé  l'élection  de  Bayeux  pour  1663  aux  Arch. 
mun.  de  Bayeux. 

2.  Registres  paroissiaux  de  Tracy,  A.  D.  Calvados,  élection  de  Caen. 

3.  Registres  paroissiaux,  A.  mun.  B  B  4  et  suiv. 

4.  Lettre  à  de  Greil,  3  février  1673,  dans  Clém.  II,  270  :  la  lettre  de  l'intendant 
n'existe  plus  que  dans  l'analyse  de  Glairambault,  794,  p.  149.  —  Le  texte  de  la 
lettre  de  Colbert,  publiée  par  Clément,  porte  «  élections  »  au  lieu  d'  «  échelles  »  : 
c'est  une  faute  évidente. 

5.  B.  N.  Clairambault,  794,  p.  156  (analyse). 


1  hj  LA    TAII.I.F.    KN     NOKMAM'II 

paroisses,  lit  supprimer  le  droit  de  prendre  des  aides  «  il  peine 
de  punitions  corporelles  »,  et  les  élections  lurent  invit. 
l'appliquer  soigneusement:  mais  on  ne  voit  pas  qu'il  ait  changé 
grand'ehose.  En  1685  encore,  l'intendant  de  Rouen  écrit  que  le 
nombre  des  collecteurs  est  trop  grand1  et  en  1713  le  Mémorial 
alphabétique  observe  que  «  les  règlements  sur  la  quantité  des 
collecteurs  ne  sont  nullement  suivis  et  les  habitants  en  nomment 
tel  nombre  qu'il  leur  plaît,  suivant  l'usage  des  lieux2  ». 


V.  —  LES  ÉCHELLES 


Le  mode  de  nomination  des  collecteurs  n'est  pas  le  même  en 
Normandie  que  dans  le  reste  du  royaume  :  on  use  du  procédé 
des  «  échelles  »,  qui  consiste  à  ranger  les  habitants  sujets  à  la 
collecte  en  trois  groupes  égaux,  suivant  leur  fortune,  les  plus 
riches  étant  dans  le  premier';  du  dernier  groupe  sont  exclus  les 
insolvables,  et  même,  dans  les  grosses  paroisses,  ceux  qui  paient 
moins  de  5  1.  de  taille;  chaque  groupe  s'appelle  une  échelle  ou 
classe.  Si  la  paroisse  ne  doit  avoir  que  trois  collecteurs,  on  en 
prend  un  dans  chaque  échelle;  si  elle  en  a  5,  ou  7,  ou  plus,  on 
en  prend  généralement  un  de  la  première  échelle*  et  deux  ou 
trois  de  chacune  des  autres.  Le  collecteur  de  la  première  échelle 
a  le  titre  de  principal  collecteur,  de  «  haut-assis  »,  ou  de  «  porte- 
bourse  »  (c'est  lui  qui  tiendra  la  caisse  lors  de  la  perception)*. 
A  l'intérieur  de  chaque  échelle  est  suivi  un  roulement,  de  façon 
qu'un  contribuable  ne  repasse  pas  à  la  collecte  avant  que  tous 
les  autres  n'y  soient  passés.  Les  nouveaux  arrivants  dans  la 
paroisse  prennent   rang  à  la  suite  de   la  liste6.   On  trouve  de 

1.  De  Boislisle.  Correspondance,  t.  I,  n°  184. 

2.  Mém.  alphab.,  p.  109. 

3.  Les  Echelles  étaient  usitées  dans  quelques  autres  régions  :  v.  p.  ex.  une 
ordonnance  des  élus  de  Nevers  du  23  août  1667,  A.  N.,  AD1*,  470,  pièce  21. 

4.  La  règle  est  de  n'en  jamais  nommer  plus  d'un  :  une  sentence  de  l'élection  de 
Falaise  du  0  octobre  1677  casse  la  nomination  faite  de  deux  collecteurs  de  haute 
échelle  dans  la  paroisse  du  Breuil  (A.  D.  Calv.,  Election  de  Falaise,  plumitif). 

5.  Le  système  est  longuement  décrit  dans  un  mémoire  de  l'intendant  Méliand 
du  15  août  1680  (A.  N.  G7  213).  Le  type  général  donné  ici  comporte  naturelle- 
ment des  exceptions  en  nombre  infini;  par  exemple,  dans  certaines  grandes 
paroisses,  ou  nomme  deux  porte-bourse,  ou  bien  on  met  moins  de  noms  dans  la 
première  échelle  que  dans  les  autres,  pour  éviter  d'avoir  comme  porte-bourse  des 
gens  trop  pauvres.  Souvent,  il  n'existe  même  pas  d'échelles  du  tout,  et  les  collec- 
teurs sont  nommés  suivant  l'usage  de  la  cour  des  aides  de  Paris.  On  verra  aussi 
d'autres  cas  exceptionnels  au  chapitre  de  la  perception.  Dans  l'élection  de  Pon- 
toise,  qui  dépend  de  la  cour  des  aides  de  Paris,  l'usage  des  échelles  et  des  collec- 
teurs porte-bourse  est  inconnu.  Le  mandement  de  l'intendant  de  Rouen  pour  la 
levée  de  la  taille  porte  en  général  des  prescriptions  détaillées  pour  cette  élection 
(A.  D.  S.  Inf.  C.  2  215). 

6.  Très  souvent  des  taillables  nouvellement  arrivés  dans  la  paroisse  sont 
nommés  avant  leur  tour  pour  faire  la  collecte  parce  qu'ils  ne  sont  pas  défendus, 
mais  lorsqu'ils  intentent  un  procès  aux  paroissiens  pour  ce  fait  devant  l'élection, 


LES    ÉCHELLES.  183 

nombreuses  sentences  d'élections  pour  appliquer  cette  règle 
que  «  l'aîné  en  imposition  »  doit  marcher  avant  le  cadet.  De 
nombreux  procès  en  résultent,  dont  les  élus  font  leur  profit1. 
Mais  des  accords  amiables  sont  possibles  entre  collecteurs, 
et  on  en  rencontre  beaucoup  :  le  curé  ou  le  notaire  en  dresse 
généralement  un  acte,  que  l'élection  enregistre  sans  difficulté, 
parce  que  les  droits  du  roi  n'y  sont  pas  lésés;  par  exemple 
en  1677,  l'élection  de  Falaise  autorise  la  substitution  de 
Jacques  Salles  à  Michel  Roger  pour  faire  la  collecte  dans  la 
paroisse  de  Magny  près  la  Ferté  en  167$,  Michel  Roger  étant 
appelé  par  l'échelle  à  faire  la  collecte  en  cette  année.  Le  curé 
a  dressé  de  leur  convention  un  certificat  que  les  élus  se  bornent 
à  enregistrer  2. 

Malgré  les  procès  nombreux  qu'il  entraînait,  le  système  pré- 
sentait de  grands  avantages  :  il  réduisait  la  liberté  des  assem- 
blées de  paroisse  dans  le  choix  des  collecteurs  et  assurait  que 
l'un  de  ceux-ci  au  moins  aurait  une  fortune  suffisante  pour 
répondre  du  recouvrement.  C'est  pourquoi  Colbert  projeta  de 
l'étendre  à  l'ensemble  du  royaume,  sans  toutefois  vouloir 
l'imposer  de  force3.  L'art.  3  du  règlement  de  mars  1673,  qui 
concernait  uniquement  le  ressort  de  la  cour  des  aides  de  Paris, 
autorisa  les  paroisses  à  «  établir  si  bon  leur  semble  deux  classes 
ou  échelles,  composées,  l'une,  des  plus  riches  habitants,  et 
l'autre  des  médiocres,  afin  que  chacun  contribuable  vienne  à 
son  tour  à  la  dite  charge  de  collecteur4  ».  Les  paroisses  ne 
semblent  d'ailleurs  pas  avoir  eu  grand  enthousiasme  pour  cette 
innovation.  Colbert  revint  à  son  projet  et  en  recommanda  l'appli- 
cation aux  intendants  par  des  circulaires  de  juin  1680  et 
novembre  1681 5  : 

«  Voyez  avec  un  très  grand  soin,  disait-il,  si  rétablissement  des 
échelles  ainsi  qu'il  se  pratique  en  Normandie  ne  remédieroit  pas  à 
une  partie  de  ces  abus,  d'autant  plus  que  nous  les  voyons  tous  retran- 
chés en  Normandie,  afin  que  si  vous  estimez  que  cet  establissement 

ils  obtiennent  généralement  satisfaction.  C'est  une  des  sources  de  procès  que  l'on 
rencontre  le  plus  communément  en  Normandie. 

1.  Exemple  :  le  16  octobre  1677,  l'élection  de  Falaise  condamne  Jean  Marie  à 
faire  la  collecte  de  Coupesarte,  à  la  place  de  Jacques  Provost  qui  est  son  cadet 
en  imposition.  Le  24  novembre  1674,  François  Salles,  nommé  collecteur  de  Cou- 
terne,  se  fait  décharger  de  sa  fonction  sur  Julien  Durand,  en  présentant  le  rôle 
de  taille  de  1662,  où  Durand,  seul  des  deux,  figure  (Plumitif  de  l'élection  de 
Falaise,  A.  D.  Calvados). 

2.  A.  D.  Calvados,  Plumitif  de  l'élection  de  Falaise. 

3.  Il  semble  toutefois  s'être  trompé  sur  le  mode  de  désignation  des  collecteurs 
dans  les  échelles.  Il  dit  que  l'on  nomme  les  contribuables  qui  sont  compris  dans 
chaque  tableau  «  alternativement...  sans  nomination  »  (Clém.  II,  134)  c'est-à-dire 
qu'il  n'y  aurait  pas  d'assemblée  de  paroisse.  On  a  vu  plus  haut  qu'il  n'en  était 
rien.  L'intendant  Méliand  lui  écrivit  en  1682  que  la  formalité  de  l'assemblée  était 
régulièrement  respectée  et  qu'elle  n'était  «  pas  inutile  ». 

4.  C.  D.  T.  II,  p.  104. 

5.  Il  fut  adopté  définitivement  par  l'ordonnance  de  mai  1680  (tit.  VIII,  art.  4) 
pour  la  nomination  des  collecteurs  du  sel. 


184  LA    TAILLE    EN     NOHMANDIK. 

soit  bon.  Sa  Majesté  le  puisse  comprendre  dans  l'ordonnance  pour  le 
règlement  des  tailles,  à  laquelle  Elle  fait  travailler  '.  » 

Les  intendants,  dans  leurs  réponses,  émirent  des  avis  divers 
sur  les  avantages  et  les  inconvénients  du  nouveau  système. 
Celui  de  Berry  déclare  qu'à  l'essai  il  a  vu  que  «  les  plus  forts 
et  ceux  qui  ont  de  la  protection  se  font  mettre  les  derniers 
dans  la  colonne,  et  ainsi  sont  pendant  douze  à  quinze  ans  à 
couvert  de  la  collecte,  et  quand  leur  tour  approche,  ils  quittent 
la  parroisse,  souvent  mesme  de  concert  avec  leur  maître,  pour 
revenir  quelque  temps  après  avoir  éludé  leur  tour  »;  en 
outre,  comme  par  le  passé,  «  les  collecteurs  s'accommodent 
pour  se  soulager  et  leurs  parens  »  ;  enfin  «  quelques-uns  sont 
assez  adroits  pour  empescher  que  leur  nom  ne  soit  mis  sur 
la  colonne  *  ».  Celui  d'Alençon,  qui  avait  l'expérience  des 
échelles,  dit  également  qu'elles  causent  un  «  grand  désordre  », 
parce  que  les  collecteurs  porte-bourse  étant  pris  exclusivement 
parmi  les  plus  fort  imposés,  «  ceux  qui  ont  du  crédit  ne  sont 
jamais  porte-bourse,  parce  qu'ils  ne  paient  pas  ce  qu'ils 
devroient  payer,  et  ainsi  les  misérables  sont  les  plus  chargés 
et  le  recouvrement  est  retardé8  ».  Mais  la  seule  modification 
qu'il  propose  pour  corriger  ce  défaut  est  de  faire  établir  les 
échelles  par  les  intendants.  Celui  de  Châlons  voit  dans  le 
système  un  avantage  incontestable  :  il  diminuerait  beaucoup 
les  nominations  d'office  de  collecteurs;  par  contre,  «  il  y  auroit 
lieu  de  craindre  que  ce  nouvel  establissement  ne  causast  des 
procès  »,  et  il  s'en  rapporte  à  Colbert  pour  l'adoption  ou  le 
rejet  définitif4. 

Colbert  ne  dressa  pas  le  règlement  général,  mais  après  lui 
beaucoup  penseront  qu'il  eût  été  utile.  L'établissement  des 
échelles,  dit  l'auteur  du  Mémorial  alphabétique  en  1713, 
«  seroit  à  souhaiter  »  car  il  éviterait  «  les  brigues,  monopoles 
et  abus  qui  se  commettent  dans  la  nomination  des  collecteurs, 
soit  pour  exempter  les  uns  de  faire  la  charge,  soit  pour  accabler 
les  autres  qui  y  ont  déjà  passé;  et  qui  voudroit  s'étendre  sur 
cette  matière  trouveroit  cent  choses  à  dire  qui  ne  sont  pas  de 
peu  d'importance  pour  le  repos  et  la  tranquilité  de  tout  le  peuple 

1.  Circulaire  du  6  novembre  1681,  dans  les  Papiers  de  Breteuil  (B.  Mun.  Amiens, 
ms.  508,  t.  II,  p.  442.)  Clément  (II,  170)  donne  cette  circulaire,  mais  avec  des 
lacunes.  Ainsi,  le  membre  de  phrase  «  d'autant  plus  que  nous  les  voyons  tous 
retranchés  en  Normandie  >  manque.  Il  a  emprunté  son  texte  à  une  copie  défec- 
tueuse.  Celui  qui   se   trouve  dans  les  papiers  de  Breteuil  doit  évidemment  être 

S  référé.  Cf.  aussi  la  circulaire  du  1er  juin  1680  (Clém.  II,  133)  et  les  lettres  à 
reteuil  des  9  et  24  octobre  1680,  B.  mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  I,  pièces  2(18  et  303. 
Il  y  eut  une  autre  circulaire  du  12  avril  1681,  qui  est  mentionnée  dans  celle 
du  6  novembre  suivant,  mais  nous  ne  la  possédons  pas. 

2.  Mémoire  du  6  août  1682,  analyse  (A.  N.  G1  12'.). 

3.  Lettre  de  l'intendant  de  Douville,  du  22  août  1684,  dans  de  Boislisle,  Corres- 
pondance, t.  I,  n°  103. 

4.  Lettre  du  22  juillet  1680  (A.  N.  G?  223). 


LES  FRAUDES  ET  LES  PROCES.  185 

taillable1.  »  Après  une  nouvelle  expérience,  les  échelles  seront 
rendues  obligatoires  dans  toutes  les  paroisses  par  la  déclaration 
du  1er  août  1716.  La  réforme  sera  définitive  et  subsistera  autant 
que  l'impôt  lui-même.  L'intendant  d'Aube,  en  1738,  la  trouve 
excellente  et  s'étonne  même  qu'elle  n'ait  pas  été  adoptée 
plus  tôt2. 


VI.  —  LES  FRAUDES  ET  LES  PROCES 

Les  charges  qui  pesaient  sur  la  fonction  de  collecteur  et  la 
liberté  qu'avaient  ceux  qui  étaient  nommés  de  faire  les  rôles  à 
leur  guise,  incitaient  les  fraudes  dans  les  nominations,  et  l'es- 
prit processif  des  Normands,  joint  au  désir  qu'avaient  les  juges 
de  multiplier  la  «  pratique  »,  amenait  des  procès  en  très  grand 
nombre. 

Pescheur,  élu  de  Saint-Florentin,  a  longuement  insisté  sur 
ces  abus  dans  son  mémoire  adressé  à  Colbert  en  1665  :  d'après 
lui,  aucune  nomination  de  collecteur  n'est  faite  sans  calcul;  le 
plus  généralement,  une  cabale  est  constituée  dans  la  paroisse 
pour  faire  nommer  ceux  désignés  d'avance  par  des  accords 
secrets;  dans  certaines  paroisses,  on  a  l'habitude  de  donner  des 
pots-de-vin  aux  collecteurs  pour  être  soulagé  :  alors  la  charge  y 
est  très  recherchée  :  «  Il  n'y  entre  pas  qui  veut,  mais  qui  peut, 
à  la  faveur  des  beuvettes  et  argent  que  ceux  qui  sont  dans  le 
dessein  d'y  parvenir  pour  le  pillage  donnent  à  des  coquins  de 
la  paroisse  pour  aller  à  l'assemblée  les  y  nommer,  et  lorsque 
les  monopoleurs  se  trouvent  au  nombre  de  huict  ou  dix,  ils 
conviennent  entre  eux  de  ceux  de  leurs  compagnons  qu'ils 
désirent  faire  entrer  les  premiers  esdictes  charges,  auxquelles 
ils  ne  manquent  pas  de  les  aller  eslire  à  la  prochaine  occasion, 
aux  conditions  de  les  soulager  tous  aux  tailles  et  de  les  nommer 
l'année  suivante  pour  faire  le  semblable.  Ce  qui  est  de  telle 
conséquence  qu'on  a  veu  des  gens  affairez  et  nécessiteux  mis 
esdictes  charges  par  cette  voye  oblique  qui  en  sont  sortis 
dégagez  de  leur  debtes  et  aucunement  accommodez.  »  Il  est 
impossible  de  faire  la  preuve  de  ces  concussions,  qui  sont 
faites  sans  témoins.  Dans  les  autres  paroisses,  où  cette  pratique 
n'existe  pas,  continue  Pescheur,  c'est  en  vain  que  l'on  convoque 
l'assemblée,  «  chacun  fuyant  la  rencontre,  dans  l'appréhension 
que  leurs  voix  ayent  effect  et  qu'ensuitte  ceux  qu'ils  auront 
esleuz  augmentent  leurs  cottes  par  vindicte  »  ;  et  si  on  les  con- 
traint de  faire  la  nomination,  ils  ne  choisissent  que  des  insol- 

1.  Mcm.  alphab.,  p.  107-108. 

2.  Voir  la  déclaration  du  1"  août  1716,  dans  C.  d.  T.  III,  p.  108  et  le  Mémoire 
de  d'Aube  (B.  N.  fr.  21  812,  p.  80). 


18«  LA    TAJ1  i  1    i  n    NoitM  (Mm:. 

râbles  «m  bien  ■  font  des  concurrences  telles  que,  de  du  <mi  vingt 

(jui  auront  esté  esleuZ,  cliacim  n'aura  qu'une  voix  ».  Si  par  hasard 

«»ii  voii  drs  volontaires  ss  présenter  aux  suffrages  de  la  paroisses 

«  il  de  faut  point  dooter  <[ii«-  M  sont  gens  louez  il  prix  laict  par 
des  meschans  pour  leurs  donner  leurs  \oix  aux  fins  <i-devant 
déclarez,  ou  eslire  des  malheureux  il  la  sollicitation  des  riches 
qui  appréhendent  le  choc  ».  «  Cela  se  sait,  conclut  Pescheur, 
publie  et  ne  se  preuve  pas,  tous  ceux  qui  en  peuvent  déposer 
sainement  estant  du  monopole,  bien  repeuz  et  payez  pour  m 
taire  !.  » 

Il  est  à  peu  près  certain  que  dans  la  majorité  des  paroisses 
le  choix  des  habitants  n'était  pas  entièrement  libre  :  les  «  coqs  », 
qui  avaient  souvent  assez  de  pouvoir  pour  se  faire  exempter 
d'impôt,  trouvaient,  à  plus  forte  raison,  le  moyen  de  ne  pas 
se  faire  élire,  non  seulement  eux-mêmes  mais  aussi  leurs 
parents  et  leurs  fermiers.  L'intendant  de  Berry  écrit  à  Colbert 
le  6  août  1682  qu'en  général  les  habitants  «  n'ozent  pas  nommer 
ceux  qui  sont  accommodez,  à  cause  de  leur  autorité  dans  les 
paroisses,  se  faisant  mesme  descharger  [de  collecte]  quand  ils 
sont  nommez2  ».  Pareil  abus  est  signalé  dans  le  Recueil  de  l'in- 
tendant Orsay  :  Dans  les  paroisses,  dit-il,  «  les  seigneurs  et  les 
curés  empêchent  par  leur  crédit  que  la  communauté  ne  nomme 
leurs  parents,  leurs  procureurs,  receveurs  ou  fermiers  collecteurs 
dans  leurs  rangs  et  degrés,  et  même  les  principaux  habitans 
ménagent  entre  eux  par  brigues  des  nominations  de  manière 
qu'il  se  trouve  un  ou  deux  de  leurs  plus  proches  parents  et  amis 
du  nombre  des  collecteurs  de  chacune  année  pour  conserver 
leur  intérêt,  à  la  charge  d'en  faire  autant  à  leur  tour  3  ».  Spécia- 
lement en  Normandie,  l'intendant  Lallemant  de  Lévignen 
signale  en  1732  des  fraudes  commises  à  la  faveur  des  échelles  : 
non  seulement  certains  contribuables  arrivent  à  se  faire  effacer 
des  listes  ou  à  faire  reculer  leur  tour  de  nomination,  mais  encore 
des  collecteurs  exigent  des  pots-de-vin  des  contribuables;  le 
porte-bourse  fait  des  brigues  pour  que  l'assemblée  lui  désigne 
des  compagnons  à  sa  convenance,  et  si  elle  s'y  refuse,  il  intente 
un  procès  devant  l'élection,  ce  qui  est  une  autre  source  de 
ruine  *. 

Les  élus  aiment  à  intervenir  dans  les  nominations  de  collec- 
teurs. Parmi  les  «  abus  de  finances  »  relevés  par  Colbert  en  1661 
figurent  «  les  vexations  des  élus  par  la  décharge  des  plus  riches 
pour  collecteurs  et  nomination  des  plus  pauvres  moyennant 
présens6  ».   Dans  un  mémoire  sur  la  réformation  de  la  justice. 

1.  M.  C.  33.  f  287. 

2.  A.  N.  G"   12'.. 

3.  B.  N.  fi.  11  096,  f°  35. 

k.  Observation»  sur  la  taille,  B.  N.  fr.  7  771,  f«  179-180. 
5.  (Jlém.  VII,  196. 


LES  FRAUDES  ET  LES  PROCES.  18T 

le  conseiller  d'Etat  de  La  Marguerie  écrit  en  septembre  1665  : 
«  Les  élus  font  les  souverains  au  choix  des  collecteurs,  et  sou- 
vent ils  y  en  mettent  d'insolvables1  ».  L'intendant  Leblanc  est 
obligé  d'ordonner  que  la  nomination  des  collecteurs  de  Gisors, 
en  1682,  soit  faite  par  les  habitants  à  l'hôtel  de  ville  en  présence 
des  échevins  «  afin  que  les  esleus  n'en  fussent  pas  les  maîtres2  ». 
Enfin,  les  cabales  d'habitants  apparaissent  lors  des  procès 
intentés  devant  les  élections  par  les  collecteurs  irrégulièrement 
nommés.  Mais  le  nombre  de  ces  procès  ne  nous  découvre  pas 
toute  l'étendue  de  la  fraude,  car  toutes  les  cabales  ne  donnaient 
pas  lieu  à  des  actions  en  justice.  Quand  les  droits  du  Trésor 
étaient  seuls  lésés,  personne  n'intervenait  et  l'entente  demeurait 
cachée3. 

En  dehors  des  fraudes,  les  formalités  de  la  nomination  étaient 
une  source  de  procès  fréquents.  Toutes  les  fois  qu'un  collec- 
teur trouvait  un  prétexte  pour  se  faire  décharger,  il  ne  man- 
quait pas  de  le  saisir.  Régulièrement,  il  devait  intenter  son 
action  en  première  instance  devant  les  élus,  et  en  appel  devant 
la  cour  des  aides4;  l'intendant  n'étant  pas  juge  ordinaire  ne 
devait  pas  régulièrement  connaître  de  ces  procès. 

Les  règlements  avaient  minutieusement  fixé  les  conditions 
dans  lesquelles  une  instance  en  «  décharge  de  collecte  »  pou- 
vait être  introduite.  Ils  tendaient  principalement  à  abréger  les 
délais,  en  sorte  que  les  paroisses  eussent  des  collecteurs  défi- 
nitifs dès  le  début  de  l'année  financière,  et  qu'il  n'y  eût  aucun 
retard  dans  les  recouvrements.  Le  règlement  de  janvier  1634, 
art.  39,  donnait  comme  terme  aux  élus  le  1er  janvier  de  chaque 
année,  mais  il  ne  fixait  pas  de  délai  à  la  cour  des  aides  en  cas 
d'appel  :  cette  clause  avait  paru  inutile,  parce  que  le  collecteur 
condamné  par  les  élus  devait  faire  l'assiette  et  la  collecte  par 
provision,  sans  préjudice  de  son  appel.  La  cour  des  aides  de 
Rouen,  en  enregistrant  cet  article,  y  ajouta  que  les  collecteurs 
auraient  pour  tout  délai  huit  jours  à  partir  de  leur  élection 
pour  intenter  leur  action  en  décharge  de  collecte  devant  les 
élus*.  De  plus,  elle  ajouta  que  si  le  procès  n'était  pas  terminé 

1.  B.  N.  Clairamb.  613,  f°  304. 

2.  Lettre  du  13  février  1682  (A.  N.  C  491).  C'est  dans  cette  même  lettre  qu'il  dit 
que  le  président  et  le  lieutenant  de  l'élection  «  sont  gens  ruinez  et  capables  de 
tout  ». 

3.  Cf.  les  plumitifs  des  élections  de  Falaise  et  de  Bayeux,  aux  Archives  du  Cal- 
vados; par  exemple  le  17  octobre  1674,  Charles  Morin  se  plaint  d'avoir  été  nommé 
collecteur  de  la  paroisse  de  Percy  «  contre  les  règlements  et  par  caballe  de  quel- 
ques-uns des  habitants  de  ladite  paroisse  à  son  préjudice  ».  L'élection  de  Falaise 
reconnaît  le  bien-fondé  de  sa  plainte,  '^asse  son  élection,  et  ordonne  une  nouvelle 
assemblée  d'habitants  pour  procéder  régulièrement  à  la  nomination  de  collec- 
teurs pris  dans  les  différentes  échelles. 

4.  Cf.  le  règlement  du  20  août  1673,  art.  18,  interdisant  de  se  pourvoir  en  pre- 
mière instance  à  la  cour  des  aides. 

5.  Règlements  de  Normandie,  p.  111.  Ce  délai  ne  courra  qu  à  partir  du  jour  où 
la  nomination  aura  été  signifiée  aux  collecteurs  s'ils  sont  absents  lors  de  leur 
nomination. 


188  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

au  moment  <»ù  la  paroisse  recevait  l<-  mandement  pour  la  levée 
de  la  taille,  on  procéderait  à  l'adjudication  de  la  collecte,  suivant 
1rs  formes  que  nous  verrons  au  chapitre  VII. 

Cette  réglementation  fut  reprise  par  Colbert  dans  les  lettres 
patentes  d  août  1664,  qui  accordaient  aux  collecteurs  un  délai 
de  huit  jours  après  leur  nomination  pour  intenter  le  procès, 
et  en  outre  ordonnaient  aux  élus  de  juger  l'affaire  «  sommaire- 
ment et  sans  frais,  dans  l'audience,  en  sorte  que  dans  le  dernier 
novembre  de  chacune  année  qui  précédera  l'imposition,  il  ne 
reste  aucune  cause  de  cette  qualité  à  juger  par  lesdits  élus  »;  le 
délai  pour  interjeter  appel  de  la  sentence  de  l'élection  était 
fixé  au  15  janvier  suivant1.  La  déclaration  du  20  août  1673, 
art.  3,  abrégea  ces  délais  :  les  élus  devaient  avoir  jugé  avant  le 
1er  décembre,  et  la  cour  des  aides  avant  le  l"  janvier;  mais 
«  dans  l'exécution  »  on  reconnut  que  ce  changement  était 
fâcheux,  et  le  22  août  de  l'année  suivante,  on  rétablit  les  dates 
antérieures.  Il  fut  toujours  de  règle  que,  pendant  l'appel,  les 
collecteurs  devaient  procéder  à  la  confection  des  rôles  et  à  la 
collecte  par  provision. 

Ces  dispositions  législatives  n'empêchèrent  pas  les  procès  de 
traîner  devant  les  élections  et  devant  les  cours  des  aides.  L'inten- 
dant de  Bourges  écrit  le  9  août  1680  que  la  principale  cause  de 
retard  dans  le  paiement  des  impôts  n'est  k  pas  l'impuissance  des 
peuples  »,  puisque  dans  une  année  ils  arrivent  à  payer  une  partie 
de  l'année  courante  et  le  reste  de  l'année  précédente,  mais  bien 
les  contestations  des  collecteurs  «  qui  pendant  trois  et  quatre 
mois  entiers  cherchent  les  moiens  auprès  des  esleus  de  se  faire 
décharger  de  la  collecte;  dans  cette  espérance,  ils  négligent  de 
faire  leurs  roolles,  et,  par  une  suite  nécessaire,  ne  lèvent  point 
la  taille2».  Quant  à  faire  dresser  les  rôles  par  provision  aux  col- 
lecteurs qui  prétendent  être  déchargés,  il  ne  faut  y  songer,  dit 
Leblanc,  en  raison  des  abus  que  cela  autorise  :  «  Ils  font  des 
rejets  considérables  et  ruinent  les  particuliers  qui  sont  obligez 
de  soustenir  les  procès,  et  ceux  contre  lesquels  on  s'est  cotté, 
en  attendant  l'événement  du  procès,  ne  font  point  la  collecte'.  » 
Le  même  intendant  jugeait  les  délais  trop  longs  :  si  l'on  veut 
faire  payer  l'impôt  en  «  treize  ou  quatorze  mois  »,  disait-il,  il 
faut  que  toutes  les  contestations  soient  terminées  avant  le 
15  décembre*.  Il  entreprit  d'appliquer  cette  règle  dans  la  géné- 

1.  Art.  4  des  lettres  patentes  d'août  1661;  cette  disposition  avait  été  déjà  adoptée 

Sour  le  ressort  de  Paris  dans  la  déclaration  de  février  166/;  sur  l'usage  antérieur 
ans  ce  ressort,  voir  Mém.  alphab.,  p.  55-56. 

2.  Lettre  à  Colbert  du  9  août  1680,  A.  N.  G'  124. 

3.  Lettre  du  2  janvier  1679,  A.  N.  G7  491.  Cependant,  Leblanc  prescrivait  dans 
ses  mandements  «  pour  obliger  [les  collecteurs]  de  fuire  les  rôles  avec  justice 
en  leur  ame  et  conscience  »,  qu'ils  demeureraient  «  garants  et  responsables  des 
augmentations  par  eux  données  à  gens  insolvables,  encore  que  par  la  suite  ils 
fussent  déchargez  de  la  collection  ».  (B.  N.  fr.  8761  bis,  f°  52). 

4.  Lettre  à  Colbert,  22  avril  1  182,  B.  N,  fr.  8761,  f°  4Î6. 


LES  FRAUDES  ET  LES  PROCES.  189 

ralité  de  Rouen,  sans  attendre  une  ordonnance  pour  l'autoriser  : 
en  décembre  1678  il  écrit  que,  dans  sa  chevauchée,  il  a  «  enjoint 
aux  eslus  de  terminer  les  procès  pour  la  nomination  des  col- 
lecteurs et  autres  semblables  dans  vingt-quatre  heures1  ». 

Une  procédure  particulière  était  usitée  en  Normandie  pour 
obtenir  la  décharge  de  collecte,  c'était  l'action  en  «  préférence 
de  collecte  »  :  le  collecteur  devait  se  pourvoir  non  pas  contre  la 
communauté  qui  l'avait  nommé,  mais  contre  un  autre  habitant 
qu'il  déclarait  devoir  faire  la  collecte  à  sa  place  :  il  se  «  cotait  » 
sur  lui,  selon  l'expression  consacrée2.  Elle  était  expéditive  et 
épargnait  à  la  collectivité  paroissiale  des  procès  ruineux,  mais 
elle  avait  aussi  des  inconvénients,  que  l'intendant  Leblanc  expose 
en  1680  :  bien  que,  dit-il,  le  règlement  d'août  1664  ait,  par  son 
art.  4,  interdit  à  un  collecteur  d'intenter  une  action  en  préfé- 
rence de  collecte  à  plus  de  deux  personnes,  il  arrive  fréquem- 
ment qu'il  se  cote  successivement  sur  trois  ou  quatre,. de  sorte 
que  les  frais  de  procès  sont  très  élevés;  celui  qui  succombe 
«  paie  des  premiers  deniers  qu'il  reçoit  les  frais  du  procès  qui 
lui  a  esté  fait;  le  receveur,  faute  de  paiement,  fait  des  frais  qui 
se  prennent  sur  les  deniers  les  plus  clairs  et  ensuite  fait  empri- 
sonner les  collecteurs  et  obtient  une  contrainte  solidaire  contre 
la  paroisse3  ».  Sa  conclusion  est  qu'il  faut  «  abolir  ce  mauvais 
usage  »  et  revenir  au  système  de  la  cour  des  aides  de  Paris, 
c'est-à-dire  au  pourvoi  du  collecteur  contre  la  communauté 
représentée  par  son  syndic  i. 

Sur  le  nombre  de  tous  ces  procès,  nous  avons  quelques  indi- 
cations permettant  d'affirmer  qu'il  était  très  grand.  A  Tracy, 
tous  les  ans  ou  à  peu  près,  il  y  a  un  procès  relatif  à  la  collecte5. 
Les  plumitifs  d'élections  que  nous  possédons  et  ceux  des  cours 
dès  aides  en  contiennent  des  quantités  considérables.  L'inten- 
dant Leblanc  écrit  le  1er  mai  1682  que,  dans  l'élection  de  Pont- 
de-1'Arche,  les  deux  principales  sources  de  procès  sont  les 
affaires  des  aides  «  et  les  particuliers  qui  se  sont  cottez  pour  la 
décharge  de  collecte6  ». 

Colbert  se  préoccupa  de  diminuer  ce  nombre  excessif;  il 
invita  les  intendants,  par  sa  circulaire  du  1er  juin  1680,  à  lui 
fournir  des  renseignements  et  à  lui  marquer  «  ce  que  vous  esti- 
meriez à  propos  de  faire  pour  en  empescher  la  suite7  ».  Mais 

1.  B.  N.  fr.  8759,  fol.  46. 

2.  C'était  une  procédure  semblable  à  celle  qui  était  employée  pour  obtenir  la 
réduction  de  l'impôt  d'un  contribuable  et  que  nous  verrons  plus  bas. 

3.  Lettre  à  Colbert  du  4  janvier  1680,  A.  N.  G?  491. 

4.  Cf.  l'art.  7  de  l'arrêt  du  conseil  du  2;>  septembre  1681  :  dans  tous  les  procès 
en  décharge  de  collecte,  le  procureur-syndic  de  la  paroisse  devra  être  appelé,  les 
élus  devront  siéger  au  moins  au  nombre  de  trois,  et  signeront  la  minute  du 
jugement. 

5.  A.  D.  Calv.  Election  de  Falaise.  De  même  à  Rots,  d'après  les  registres. 

6.  B.  N.  fr.  8  761,  f»  51. 

7.  Clém.  II,  132. 


MO  IV       I   VII. 1   I       IN      NtiKM  AMHI .. 

rien   ne   lût    l'ait,   et  il  y  a  lieu  de  penser  que  le  désordre  <on 
tinua.  ici  comme  ailleurs. 


VII.  —   LES    COLLECTEURS    NOMMES    D'OFFICE 


Lorsqu'une  paroisse  ne  nommait  pas  de  bons  collecteuri  dans 
les  formes  et  les  délais  voulus,  il  était  nécessaire  d'y  pourvoir. 
la  perception  de  la  taille  devant  être  assurée  à  tout  prix.  C'est 
pourquoi  les  règlements  ordonnaient  en  ce  cas  que  les  collec- 
teurs fussent  nommés  d'office  par  les  agents  royaux.  Cette  mesure 
n'était  pas  ancienne.  Primitivement,  les  syndics  des  paroisses 
étaient  responsables  de  l'assiette  et  de  la  levée;  pour  la  pre- 
mière fois,  semble-t-il,  l'arrêt  du  conseil  du  27  novembre  1641 
introduisit  les  nominations  d'office  :  par  son  art.  11,  il  ordon- 
nait aux  élus  de  nommer  des  collecteurs  de  leur  propre  autorité 
dans  toutes  les  paroisses  qui  n'auraient  pas  procédé  à  l'élection 
huit  jours  après  le  reçu  des  commissions,  et  ces  collecteurs  ne 
pourraient  en  aucun  cas  appeler  de  leur  désignation  '.  Un  autre 
acte  du  22  août  1642  reprit  cette  innovation  en  la  précisant  :  la 
nomination  d'office  était  prescrite  en  deux  circonstances  :  1°  si 
le  collecteur  nommé  par  les  habitants  était  déchargé  de  ses 
fonctions  par  sentence  des  élus;  2°  s'il  était  reconnu  que  les 
collecteurs  fussent  «  gens  de  néant  et  insolvables2  ».  Mais  la 
mise  en  pratique  de  cette  disposition  ne  put  être  obtenue  des 
tribunaux  :  la  cour  des  aides  de  Paris  fit  des  difficultés  pour 
enregistrer  le  règlement  en  ordonnant  qu'il  n'aurait  lieu  que 
pendant  la  guerre,  et  celle  de  Normandie  le  refusa  purement3. 

Cependant,  en  1660,  la  cour  des  aides  de  Paris  autorisa  les 
nominations  d'office  par  un  arrêt  du  27  avril*,  mais  celle  de 
Normandie  demeura    réfractaire.    Les   nominations    d'office    ne 

1.  Dans  Néron,  Recueil,  éd.  1720,  t.  II,  p.  666. 

2.  Règlement  du  22  août  16'i2,  art.  9,  ibid.,  p.  675.  Repris  par  la  déclaration 
du  16  avril  1643,  art.  10. 

3.  La  cour  des  aides  de  Paris  rendit  même  le  28  mai  1646  un  arrêt  qui  remet- 
tait en  vigueur  l'ancienne  législation  pour  les  nominations  de  collecteurs;  ce  sont 
les  procureurs-syndics,  les  marguilliers,  et  deux  des  plus  fort  imposés  de  chaque 

f «croisse  qui  devront  faire  l'assiette  et  la  collecte,  si  l'on  n'a  pas  nommé  de  col- 
ecteurs  réguliers  en  temps  convenable  (Mcm.  alphab.,  p.  60).  Cf.  le  texte  de  la 
déclaration  du  16  avril  16'*3  et  les  remontrances  de  la  cour  des  aides  de  Paris 
dans  C.  d.  T.,  I,  p.  370-406.  Le  Mém.  alphab.  dit  à  tort  (p.  59)  que  cette  décla- 
ration du  16  avril  est  le  premier  règlement  qui  parle  des  nominations  d'office 
des  collecteurs.  L'erreur  vient  sans  doute  de  ce  que  les  arrêts  du  conseil  de  1641 
et  16'rJ  ne  figurent  pas  au  Code  des  tailles.  —  On  voit  que  le  retard  dans  l'élec- 
tion des  collecteurs  n'était  pas  un  cas  de  nomination  d'office  d'après  ces  règlements. 
k.  Il  était  surtout  destiné  à  remédier  au  retard  dans  les  nominations.  Si  les 
collecteurs  n'étaient  pas  élus  au  15  octobre  de  chaque  année,  les  officiers  des 
élections  devaient  en  nommer  d'office,  «  sommation  préalablement  faite  à  l'issue 
de  messe  paroissiale  aux  habitons  et  paroissiens  de  satisfaire  au  présent  arrêt  » 
(B.  N.  fr.  2141<J,  p.  101). 


LES    COLLECTEURS    NOMMES    D  OFFICE.  191 

furent  véritablement  instituées  que  par  l'art.  6  des  lettres 
patentes  d'août  1664  :  si  les  collecteurs,  y  était-il  dit,  ne  sont 
pas  nommés  à  la  date  du  30  novembre,  il  en  sera  désigné  par 
l'intendant,  ou,  en  son  absence,  par  les  élus1.  La  même  dispo- 
sition fut  reprise  par  l'art.  2  de  la  déclaration  du  20  août  1673, 
avec  cette  modification  que  le  délai  était  ramené  au  1er  novembre  ; 
en  outre,  les  intendants  et  les  élus  n'avaient  que  huit  jours 
pour  faire  leurs  nominations2. 

Le  partage  du  droit  de  nomination  entre  les  intendants  et 
les  élus  eut  pour  résultat  de  laisser  très  souvent  les  élus  exercer 
seuls  ce  droit3,  parce  que  les  intendants  n'avaient  pas  le  loisir 
de  s'occuper  de  ces  détails.  Or,  les  élus  n'étaient  pas  désin- 
téressés dans  ces  affaires  :  quand  ils  ne  se  faisaient  pas  donner 
des  pots-de-vin  pour  la  nomination,  ils  en  profitaient  du  moins 
pour  choisir  des  hommes  qui  imposaient  à  leur  gré  leurs  fer- 
miers, ou  pour  décharger  de  la  collecte  leurs  parents,  amis  ou 
serviteurs.  L'intendant  de  Bourges  écrit  en  1679  :  «  Quand  les 
nominations  d'office  sont  faites  par  les  élus,  elles  tombent 
rarement  sur  les  plus  forts,  qui  sont  pour  l'ordinaire  parens  ou 
amis  de  ces  officiers4.  »  A  diverses  reprises,  les  intendants  de 
Normandie  durent  interdire  aux  élus  de  prendre  aucun  droit 
pour  ces  nominations,  ou  de  les  faire  avant  que  les  délais  régle- 
mentaires fussent  expirés  5.  En   1679,  à   la  suite  d'une  enquête 

1.  «  Pour  cet  effet,  ajoute  le  règlement,  lesdits  élus  se  feront  représenter  les 
rôles  des  trois  années  précédentes,  par  les  grefiers  des  élections,  ou  autres  qui 
les  auront  en  leur  possession,  et  prendront  garde  qu'il  ne  soit  nommé  pour  col- 
lecteurs aucuns  de  ceux  qui  l'auront  été  les  trois  années  précédentes,  sinon  en 
cas  qu'il  ne  s'en  trouvât  point  d'autres  »  (Règlements  de  Normandie,  p.  132).  Les 
élus  doivent  juger  l'affaire  «  en  l'audience,  sommairement  et  sans  frais  ».  Une 
disposition  semblable  était  prescrite  pour  le  ressort  de  la  cour  des  aides  de  Paris 
par  la  déclaration  du  12  février  1663  (G.  d.  T.,  I,  503).  La  cour,  dans  son  arrêt 
de  vérification,  avait  ramené  au  31  octobre  la  date  d'expiration  du  délai  accordé 
aux  babitants  (ibid.,  p.  509). 

2.  Dans  l'intervalle,  l'édit  de  mars  1667  avait  prolongé  le  délai  pour  les  nomi- 
nations d'office  jusqu'au  15  décembre  (G.  d.  T.,  II,  p.  19). 

3.  Dans  ce  cas,  «  le  receveur  des  tailles  donne  un  mémoire  des  plus  considé- 
rables habitants  pour  estre  choisis  par  les  esleus  qui,  pour  l'ordinaire  nomment 
les  mesmes  que  le  receveur  »  (Lettre  de  Morangis;  intendant  d'Alençon,  à  Colbert, 
9  octobre  1679,  A.  N.  G7  71).  Il  appartenait  en  effet  au  receveur  de  faire  diligence 
devant  les  élus  pour  obtenir  la  nomination,  et  c'était  pareillement  lui  qui  taisait 
signifier  l'acte,  sans  frais,  aux  intéressés  (Mandement  de  l'intendant  de  Gaen 
aux  paroisses,  1678,  A.  D.  Calv.,  élection  de  Gaen). 

On  trouve  un  grand  nombre  de  nominations  de  collecteurs  d'office  dans  les  sen- 
tences des  élections.  Elles  viennent  souvent  à  la  suite  d'un  procès  en  décharge 
de  collecte  intenté  par  un  contribuable.  Par  exemple,  l'élection  de  Falaise,  le 
17  novembre  1674,  après  avoir  déchargé  de  la  collecte  de  la  paroisse  de  Pointel 
Gabriel  Hainfray,  l'élection  ordonne  qu'  «  au  lever  de  nostre  audience  il  en  sera 
par  nous  nommé  d'office;  à  laquelle  heure  et  après  nous  estre  fait  représenter  les 
roolles  des  trois  dernières  années,  avons  uommé  de  nostre  office  la  personne  de 
Charles  Léchier,  auquel  il  est  enjoint  de  faire  ledit  service  »  (A.  D.  Calv.,  plu- 
mitif de  l'élection  de  Falaise). 

4.  A.  N.  G7,  124.  Il  est  vrai,  ajoute-t-il,  que  ces  «  forts  »  ne  sont  pas  davan- 
tage choisis  par  les  habitants.  Il  propose  comme  solution  de  confier  toutes  les 
nominations  d'office  aux  intendants.  En  marge,  Colbert  a  écrit  :  «  Bon  ». 

5.  A.  D.  S.  Inf.  C,  2  215. 


192  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

auprès  des  intendants,  Colbert  dit,  dans  une  circulaire  du 
6  octobre,  qu'en  «  beaucoup  de  généralités,  les  collecte!  des 
tailles  se  font  rarement  par  les  habitants  des  paroisses  confor- 
mément aux  règlemeos,  et  <jue  presque  toujours  elles  sont  faites 
d'office  par  les  élus  ».  Comme  c'est  «  un  désordre  fort  considé- 
rable et  qui  remet  presque  l'imposition  des  tailles  entre  les 
mains  des  élus  »,  il  ordonne  à  ses  subordonnés  d'«  approfondir  » 
la  question  et  de  recourir  au  besoin  à  des  arrêts  du  Conseil  pour 
réprimer  les  fautes  des  officiers1.  Enfin,  un  règlement  du 
23  septembre  1681  enleva  aux  élus  le  droit  de  nommer  des  collec- 
teurs d'office  en  l'absence  des  intendants.  C'est  encore  un  cas  de 
dépouillement  des  élus  au  profit  des  intendants2.  Les  commis- 
saires départis  s'appliquèrent  surtout  à  réduire  les  nominations 
d'office.  Pour  y  parvenir,  celui  de  Rouen,  Leblanc,  en  vint  à 
méconnaître  les  règlements.  Le  15  février  1681  il  écrivait  en 
effet  :  «  Les  officiers  des  eslections  ne  font  des  nominations 
d'office  que  dans  les  parroisses  qui  ne  veullent  point  imposer 
ou  qui  ne  nomment  des  collecteurs  qu'à  l'extrémité;  l'eslection 
des  habitans  prévault  toujours,  quoyque  postérieure8».  Ainsi, 
le  principal  cas  qui  était  prévu  par  les  règlements,  c'est-à-dire  le 
retard  mis  dans  l'élection  par  les  paroisses,  n'était  plus  un 
motif  de  nomination  d'office. 

Sur  le  nombre  de  ces  nominations  en  Normandie,  nous 
n'avons  de  chiffres  que  pour  la  fin  de  notre  période.  Dans  la 
généralité  d'Alençon,  au  début  de  novembre  1679,  «  la  plus 
grande  partie  des  paroisses  a  nommé  des  collecteurs  »;  seules, 
les  élections  de  Domfront  et  de  Mortagne  l'ont  négligé  et  ont 
des  collecteurs  d'office;  dans  celle  de  Domfront,  huit  paroisses 
ont  «  l'habitude  »  de  laisser  désigner  ainsi  chaque  année  leurs 
collecteurs;  5  ou  6  paroisses  de  l'élection  d'Alençon  se  trouvent 
dans  le  même  cas4.  L'année  suivante,  l'intendant  trouve  les 
mêmes  nominations  d'office  dans  l'élection  de  Domfront;  «  il  y 
a,  dit-il,  la  sixiesme  partie  des  paroisses  qui  les  laissent  nommer 
d'office5  ». 

Dans  la  généralité  de  Cacn,  l'intendant  s'est  efforcé,  à  la  suite 

1.  Clém.  II,  118. 

2.  Les  élus  cherchèrent  cependant  à  conserver  malgré  tout  leur  pouvoir.  Vieuille, 
commentant  cet  arrêt  du  conseil  de  septembre  1681  et  une  déclaration  de  1685  qui 
en  reprenait  les  termes,  soutient  que  l'interdiction  •  doit  s'entendre  lorsque 
Messieurs  les  intendants  sont  présents,  car  en  leur  absence  les  élus  peuvent 
nommer  suivant  le  règlement  d'avril  16'j3,  de  février  1663  et  de  1667,  auxquels  il 
n'a  point  été  dérogé  pour  ce  regard  »  et  il  invoque  l'intérêt  public  (Nouveau 
traité  des  élections,  p.  247). 

3.  A.  N.  G"  4 '.il.  Sur  les  précautions  que  doit  prendre  un  intendant  pour  ces 
nominations,  voir  le  mémoire  de  Richer  d'Aube.  B.  N.  fr.  21  812,  p.  87  et  suiv. 

4.  Lettres  de  l'intendant,  9  oct.  et  9  nov.  1679,  A.  N.  G7  71.  En  dehors  de  ces 
deux  élections,  dit-il,  il  n'a  •  pas  eu  subjet  d'ordonner  aucunes  peines  >  contre 
les  paroisses. 

5.  Lettre  du  22  juillet  1680,  A.  N.  G7  71.  Il  ajoute  :  •  J'ai  fait  plusieurs  ordon- 
nances pour  empescher  cet  abus;  je  les  ferai  exécuter  rigoureusement  aussitost 
que  la  taille  sera  imposée  >. 


LES    COLLECTEURS    NOMMES    D  OFFICE. 


193 


des  circulaires  de  1679  et  de  1681,  de  réduire  le  nombre  des 
collecteurs  d'office  ;  néanmoins  il  écrit  le  23  novembre  1683 
qu'il  a  dû  en  nommer  «  en  beaucoup  de  parroisses  de  la  géné- 
ralité *  »,  et  le  16  juin  suivant,  il  précise  que  dans  la  seule  élec- 
tion de  Coutances,  16  paroisses  en  ont  eu2.  En  1674,  l'élection 
de  Bayeux,  composée  de  228  paroisses,  avait  des  collecteurs 
d'office  dans  46  d'entre  elles3. 

Dans  la  généralité  de  Rouen,  la  statistique  suivante,  portant 
sur  les  années  1680  et  1681  fut  dressée  par  l'intendant  Leblanc  : 


ÉLECTipNS 

NOMBRE    DE    PAROISSES 

Total. 

Ayant  des  collecteurs  d'office. 

1680 

1681 

129 

274 
197 
109 
177 
100 

60 
157 
121 
158 

76 
136 
199 

1 
0 
2 

10 
0 
8 
8 
5 
4 

26 
0 
2 
0 

6 

2 
3 

15 
0 
7 
7 

19 
1 

26 
1 
3 
0 

Neufchàtel 

Total 

1893 

66 

90 

D'après  ce  tableau,  les  nominations  d'office  n'étaient  pas 
nombreuses  :  elles  ne  touchaient  que  3,5  paroisses  sur  100 
en  1680  et  un  peu  moins  de  5  en  1681.  Mais  il  ne  faut  pas 
oublier  que  depuis  trois  ans  Leblanc  s'efforçait  de  réduire  les 
nominations,  même  au  prix  d'illégalités  flagrantes  ;  ces  chiffres 
sont  donc  probablement  un  minimum  au-dessous  duquel  on 
n'était  pas  descendu  auparavant.  On  peut  aussi  constater  que 
pour  une  même  élection,  les  nombres  n'ont  pas  beaucoup  varié 
d'une  année  à  l'autre.  C'étaient  toujours  les  mêmes  paroisses, 
en  effet,  qui  avaient  des  collecteurs  d'office.  L'intendant  de 
Morangis,  qui  exerça  successivement  dans  les  deux  généralités 


1.  A.  N.,  G?  isl3. 

2.  Ibid.  Il  est  vrai  que  le  17  novembre  1684,  il  écrit  que  ses  efforts  ont  eu  des 
résultats,  le  nombre  des  nominations  d'office  étant  «  beaucoup  moindre  »  que 
celui  des  années  précédentes  :  il  a  porté  sur  40  paroisses  des  1  234  qui  composent 
la  généralité. 

3.  Ces  46  nominations  se  décomposent  ainsi  :  32  faute  d'avoir  nommé  des  collec- 
teurs à  la  date  prescrite;  11  parce  que  le  nombre  des  collecteurs  dépasse  les 
chiffres  réglementaires;  3  à  la  suite  de  décharges  de  collecte  accordées.  (Arch. 
mun.  Bayeux,  rôles  de  taille.) 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


13 


|§4  LA    TAII.I.K     F.N     NORMANDIE. 

d'Alençon  et  de  Caen,  nous  explique  qu'en  certaines  Localité*, 
«  les  habitants  craignent  de  nommer  un  collecteur  qui  les  peut 
hausser,  et  ils  aiment  mieux  s'en.raporter  au  receveur  des 
tailles  »  qui  désigne  aux  élus  celui  qu'il  faut  nommer1.  «  Il  est 
difficile,  dit-il  encore,  d'engager  les  paroisses  à  en  nommer 
quand  une  fois  elles  ont  pris  l'habitude  d'en  laisser  nommer 
d'office2.  » 

1.  Lettre  du  9  octobre  1679,  A.  N.  G7  71.  Sur  le  rôle  du  receveur,  cf.  ci-dessus, 
p.  141  et  la  note  2. 

2.  Lettre  du  16  juin  1684  (A.  N.  C  213).  Le  23  novembre  1681,  il  écrivait  déjà 
la  même  chose;  à  son  avis  d'ailleurs,  les  nominations  d'office  faites  par  les  rece- 
veurs seraient  beaucoup  moins  préjudiciables  aux  paroisses,  parce  qu  ils  sont  inté- 
ressés surtout  à  bien  faire  asseoir  la  taille,  tandis  que  laisser  nommer  les  collec- 
teurs par  les  élus,  c'est  rendre  ceux-ci  «  maistres  du  détail  de  l'imposition  ». 


CHAPITRE    V 

LES   EXEMPTS 


I.  LES  NOBLES.  II.  LES  EXEMPTS  PAR  LA  FONCTION. 

III.  LES  EXEMPTS  PAR  LE  DOMICILE. 


L'idée  de  faire  payer  l'impôt  à  tous  les  habitants  du  royaume 
sans  distinction  ne  se  présentait  guère  à  l'esprit  des  hommes  du 
xvne  siècle;  tous  admettaient  que  certaines  personnes  en  fussent 
exemptes;  on  discutait  pour  savoir  lesquelles,  mais  le  principe 
lui-même  était  généralement  incontesté.  Quelques  esprits  hardis, 
à  la  fin  du  xvic  siècle,  l'avaient  cependant  mis  en  discussion  : 
«  Si  la  nécessité,  disait  Bodin,  contraint  de  lever  quelque  impôt 
extraordinaire,  il  est  besoin  qu'il  soit  tel  que  chacun  en  porte 
sa  part1  »,  et  l'auteur  du  premier  traité  sur  les  tailles,  Jean 
Combes,  qualifiait  l'exemption  d'  «  odieuse  »  et  «  contraire  à  la 
dévotion  publique  »  ;  il  n'est  pas  licite,  disait-il,  de  «  s'exempter 
de  telles  charges  regardans  l'autorité  publique2  ».  Mais  nous  ne 
savons  pas  quelle  importance  ces  auteurs  eux-mêmes  attachaient 
à  leur  idée,  et  nous  devons  bien  constater  qu'ils  ne  furent  pas 
suivis.  A  notre  époque,  Domat  proclame  à  la  vérité  «  le  devoir 
de  tous  ceux  qui  composent  un  Etat  de  contribuer  aux  dépenses 
que  le  bien  commun  y  rend  nécessaires  »,  mais  tout  après  il 
fait  «  la  réserve  des  exemptions  et  des  privilèges  »  que  le  sou- 
verain accorde3.  C'est  seulement  au  xvme  sècle  que  l'idée  se 
répandra  et  se  fera  accepter  par  tous. 

L'inégalité  devant  l'impôt  était  aussi  vieille  que  la  société 
française  ;  elle  trouvait  son  fondement  dans  la  loi  romaine, 
qui  accordait  des  immunités  aux  fonctionnaires,  aux  citoyens 
romains,  aux  nobles;  dans  la  tradition  ecclésiastique,  qui  libé- 

1.  La  République,  éd.  1580,  liv.  VI,  p.  618. 

2.  Traité  des  tailles  (1576),  f°  68.  «  Ces  exemptions,  dil-il  encore,  sont  aujour- 
d'huy  si  fréquentes  en  France  qu'elle  n'apporteront  à  la  fin  qu'une  ruine  entière 
du  pauvre  commun  populaire  ».  Cf.  Loyseau,  Des  ordres,  Œuvres,  éd.  1701,  p.  29; 
Coquille,  Œuvres,  éd.  1646,  I,  p.  132,  etc. 

3.  Le  droit  public,  dans  ses  Œuvres,  éd.  1746,  t.  II,  p.  25-26. 


V 


196  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

rait  les  prêtres  de  toutes  charges  publiques;  dans  la  coutume 
féodale,  qui  non  seulement  dispensait  d'impôts  l'homme  de  con- 
dition supérieure,  mais  encore  l'autorisait  à  en  lever. 

Chaque  catégorie  d'exempts  avait  ses  titres  pour  justifier  son 
privilège,  nous  le  verrons,  mais  au-dessus  de  tous  ces  titres  il 
faut  placer  une  idée  commune,  qui  autorisait  et  légitimait  à 
tous  les  yeux  l'exemption,  c'est  que  l'impôt  était  considéré 
comme  une  honte,  et  l'exemption  comme  une  marque  de  dignité  : 
rien  dans  l'ancienne  société  ne  marquait  plus  nettement  la  sépa- 
ration entre  les  deux  classes,  supérieure  et  inférieure,  que  le 
paiement  ou  le  non-paiement  de  l'impôt  :  chaque  année  le  collec- 
teur rappelait  aux  uns  qu'ils  étaient  des  privilégiés,  aux  autres 
qu'ils  étaient  gens  du  commun.  Soumettre  quelqu'un  à  la  taille 
n'était  pas  seulement  lui  enlever  une  part  de  son  bien,  c'était 
aussi  le  dégrader. 

Quand  les  nobles  se  plaignent  de  leur  privilège  fiscal  violé, 
c'est  au  nom  de  leur  dignité  offensée  :  aux  Etats  de  Normandie 
en  1616  «  la  noblesse  déplore  que,  par  le  moyen  de  plusieurs 
levées  qui  se  font  indifféremment  sur  toutes  personnes,  on  la 
dépouille  de  ses  prérogatives,  et  la  rend-on  par  telles  voyes 
oblicques  honteusement  contribuable  à  des  charges  indignes  de 
sa   condition1   ».    Pareillement,    l'année    suivante,    elle   déclare 

Qu'elle  ne  veut  pas  être  «  flestrie  d'aucune  imposition  extraor- 
inaire  »  ;  en  1658,  elle  proteste  contre  le  bail  des  aides  qui 
autorise  les  nobles  à  participer  à  la  ferme  sans  déroger  :  «  la 
générosité  d'un  gentilhomme  ne  se  peut  abaisser  jusqu'au  point 
de  tendre  la  main  à  la  perception  des  tributs,  de  la  prestation 
desquels  il  se  tiendroit  deshonoré2  ».  En  mars  1660,  un  officier 
du  Bureau  des  finances  de  Caen  demande  à  être  rayé  du  rôle 
de  sa  paroisse  parce  que,  dit-il,  l'y  maintenir  serait  «  luy  faire 
une  injure  et  un  notable  préjudice3  ».  De  même  le  clergé 
déclare  aux  Etats  de  Normandie  de  décembre  1634  (art.  2  du 
cahier  2),  «  que  là  plus  signalée  marque  d'honneur  que  l'Eglise 
aye  en  cette  province  par-dessus  le  commun  du  peuple,  est 
l'exemption  des  tailles  qui  lui  est  commune  avec  la  noblesse4;  » 
la  même  année  ses  agents  généraux  protestent  contre  la  mise 
à  la  taille  de  certains  ecclésiastiques  parce  que,  disent-ils,  cela 
est  «  au  mépris  de  leur  dignité5  ». 

1.  De  Beaurepaire,  Cahiers  règne»  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  I,  124.  Cf. 
Ragueau,  Glossaire  du  droit  français,  art.  Taille  :  «  Est  capitalis  illatio;  adscrip- 
ticii  sive  tributarii  ngricolœ  prœstant  capitis  censum  sive  capitationem,  et  quasi 
servi  sunt  ». 

2.  De  Beaurepaire,  III,  p.  152. 

3.  Requête  de  Jacques  rrénrd.  contrôleur  au  bureau  des  finances  de  Caen,  à 
son  propre  bureau  le  23  mars  1660.  (A.  D.  Galv.,  Plumitif  du  bureau  des 
finances  à  sa  date). 

4.  De  Beaurepaire,  Cahiers,  règne  de  Louis  XIII,  t.  III,  p.  4. 

5.  Dans  Néron,  t.  II,  p.  622.  L.  du  subdélégué  de  Sainte-Menehould  à  l'inten- 
dant de  Chalons,  1753  :  «  H.  de  Sailly  n'a  pas  fait  attention  qu'ayant  l'honneur 


LES    EXEMPTS.  197 

Les  privilégiés  ne  sont  d'ailleurs  pas  seuls  de  cet  avis  :  ils 
ont  pour  eux  des  théoriciens  comme  Lebret,  qui  traite  toujours 
l'exemption  comme  un  «  honneur  »  accordé  à  celui  qui  en  jouit, 
et  même  cherche  à  la  légitimer  :  «  il  est  juste  et  convenable  que 
le  prince  souverain  ait  en  sa  puissance  non  seulement  les  peines 
et  les  supplices  pour  punir  les  médians,  mais  encore  les 
faveurs  et  les  récompenses  pour  reconnoitre  la  vertu  et  le 
mérite  des  hommes  vertueux1  »,  et  dans  un  de  ses  plaidoyers 
à  la  Cour  des  Aides  en  1593,  il  justifie  ainsi  l'exemption  des 
membres  des  cours  souveraines  :  «  Eût-ce  pas  été  avilir  leur 
dignité,  et  quasi  capite  minuere,  que  de  les  assujétir  aux  tributs, 
aux  charges  et  aux  servitudes  populaires?  Car  encore  que  les 
tributs  soient  utiles,  et  même  nécessaires  à  un  état,  si  est-ce 
toutefois  que  ce  sont  charges  roturières,  plébéiennes  et  indignes 
des  grandes  dignitez  ».  Et  il  cite  Tertullien  :  «  Ut  agri  tributo 
onusti  viliores  sunt,  sic  hominum  capita  stipendio  census  ignobi- 
liora  sunt*.  » 

Le  roi  lui-même  est  de  cet  avis;  un  grand  nombre  d'édits  con- 
tiennent des  mentions  comme  celle-ci  :  «  sous  peine  d'être- 
déchus  du  titre  de  noblesse  et  d'être  imposés  à  la  taille  ».  La 
déclaration  de  juillet  1702  qui  vend  des  exemptions  à  certains 
officiers,  donne  cette  raison  que  «  le  bien  de  la  justice  exige 
qu'ils  [ces  officiers]  soient  exempts  de  toutes  charges  pour  être 
en  état  de  remplir  leurs  fonctions  avec  plus  de  dignité  et  de 
désintéressement3  ». 

Il  faut  bien  noter  aussi  que  cette  marque  infamante  était 
attachée  spécialement  à  la  taille  :  Gentil,  dans  un  mémoire  de 
1747  sur  la  capitation,  écrit  :  «  Un  gentilhomme,  un  officier  de 
justice  ou  autre  privilégié  paie  tranquillement  la  capitation, 
pendant  qu'il  se  croirait  déshonoré  et  confondu  avec  la  popu- 
lace, si  on  voulait  lui  faire  payer  la  taille*.  » 

Le   président   La   Barre,   après   avoir   expliqué  comment   les 

d'être  votre  subdélégué,  je  devais  jouir  de  l'exemption  de  la  taille;  ....  qu'il  était 
indécent  qu'une  personne  à  qui  vous  voulez  bien  confier  une  portion  de  votre 
autorité  fût  imposée  à  la  taille  »,  dans  Milhac,  Les  subdélégués  en  Champagne... 
p.  25  (1911). 

1.  Traité  de  la  souveraineté  du  roi,  livre  III,  chap.  vm,  éd.  1689,  p.  113. 

'2.  Jbid.,  p.  447. 

3.  C.  d.  T.,  t.  II,  p.  540. 

4.  Cité  par  Lardé,  La  Capitation,  p.  27.  Cette  défaveur  de  la  taille  subsistera 
dans  tout  le  cours  du  xvin*  siècle;  encore  en  1784  Necker  écrira  :  «  L'un  des 
motifs  qui  font  tenir  avec  tant  d'ardeur  aux  exemptions,  c'est  la  tacbe  imprimée 
sur  certaines  impositions,  telles,  par  exemple,  que  la  taille,  la  corvée,  le  loge- 
ment des  gens  de  guerre,  et  d'autres  encore;  ce  seroit  une  folle  entreprise  que  de 
prétendre  déranger  ces  idées,  et  de  vouloir  assimiler  indistinctement  à  de  pareilles 
charges  tous  les  ordres  de  citoyens.  »  De  l'Administration  des  finances,  t.  III, 
p.  153.  La  noblesse  du  bailliage  de  Blois,  dans  son  cahier  aux  Etats  Généraux 
de  1789,  déclare  qu'elle  renonce  à  ses  exemptions  et  «  offre  de  supporter  les 
contributions  publiques  dans  la  même  proportion  que  les  autres  citoyens,  à  la 
condition  que  les  noms  de  taille  et  de  corvée  seront  supprimés  et  que  toutes  les 
impositions  directes  seront  réunies  en  un  seul  impôt  territorial  en  argent.  » 
{Œuvres  de  Lavoisier,  t.  VI,  p.  339.) 


IM  la  tailm:    IN    mikmandie. 

privilèges  sont  «  naturels  »,  ajoute  :  «  Or,  il  y  a  deux  sortes  de 

f>rivilèges  :  les  uns  sont  personnels,  qui  suivent  et  accompagnent 
es  personnes  quelque  part  qu'ils  aillent,  et  les  autres  locaux, 
qui  sont  attachés  es  lieux1  ».  Il  fait  ici  une  distinction  fonda- 
mentale que  nous  pouvons  adopter.  Dans  la  première  «  sorte  », 
le  privilège  dépend  de  la  condition  de  la  personne;  dans  la 
seconde,  il  dépend  du  lieu  où  cette  personne  habite,  quelles 
que  soient  ses  occupations  et  sa  condition  sociale.  Les  privi- 
légiés de  la  première  catégorie  peuvent  être  subdivisés  en  deux 
groupes  :  d'une  part  les  nobles,  d'autre  part  ceux  qui  exercent 
certaines  fonctions  publiques  plus  relevées  que  les  autres. 


I.  —  LES    NOBLES 

À.    —    LA    QUALITÉ    DE    NOBLE 

Les  motifs  de  l'exemption  des  nobles  ont  été  souvent  recher- 
chés par  les  auteurs  anciens  désireux  de  prouver  que  le  privi- 
lège était  fondé  en  droit;  parmi  leurs  théories,  la  plus  répandue 
est  celle  qui,  assimilant  les  nobles  aux  gens  de  guerre,  les  recon- 
naît exempts  parce  que  la  taille  est  une  taxe  en  remplacement 
du  service  militaire,  «  estant  raisonnable,  dit  Loyseau,  que  ceux 

3ui  contribuent  leur  vie  pour  la  défense  de  l'Estat  soient  exempts 
'y  contribuer  de  leurs  biens2  ».  Guy    Coquille   l'a  nettement 
formulée  : 

«  En  France,  tous  héritages,  eu  9ont  tenus  noblement  pour  faire 
service  de  sa  personne  en  la  guerre,  ou  sont  tenus  roturièrement  pour 
en  payer  prestation  annuelle  au  Roy  ou  aux  seigneurs  qui  tiennent  en 
fief  du  Roy  :  car  par  règle  générale,  chacun  doit  contribuer  aux  guerres 
et  charges  publiques,  ou  de  sa  personne,  ou  de  ses  biens3.  » 

D'autres  ont  invoqué  purement  les  textes  du  droit  romain, 
qui  exempte  d'impôt  les  citoyens  et  ne  soumet  à  la  capitation 
que  les  peuples  conquis;  de  là  à  assimiler  les  nobles  de  France 
aux  premiers,  et  les  roturiers  aux  seconds,  il  n'y  a  qu'un  pas. 

D'autres  encore  ont  voulu  voir  dans  l'exemption  une  faveur 
accordée  aux  gens  de  guerre,  à  cause  de  l'utilité  de  leurs  ser- 

1.  Formulaire,  p.  178. 

2.  Traité  des  ordres,  éd.  1701,  p.  29. 

3.  Commentaire  sur  la  coutume  de  Nivernois,  VII,  art.  I  (éd.  1646,  t.  I,  p.  132). 
Cf.  aussi  Bodin,  République,  livre  I,  ch.  vi  ;  Duret,  commentaire  sur  l'art.  256  de 
l'ordonnance  de  mai  1579,  dans  Néron,  Recueil,  t.  I,  p.  624,  etc.  Souvent  cette 
explication  est  reprise  par  les  auteurs  modernes,  ainsi  M.  de  Luçay  dit  que  la  taille 
fnt  instituée  «  pour  subvenir  à  l'entretien  des  troupes  réglées,  ce  qui  explique  et 
justifie  l'exemption  reconnue  aux  nobles,  alors  tenus  au  service  personnel  ». 
{Séances  et  trac.  Acad.  se.  morales,  t.  CXLIX,  p.  IM.) 


LES    NOBLES.  199 

vices.    Lebret,   par   exemple,  écrit   dans   un    de  ses    plaidoyers 
à  la  Cour  des  Aides  : 

«  De  toutes  les  professions  qu'il  importe  le  plus  au  bien  public,  la 
militaire  semble  mériter  un  des  premiers  rangs...;  c'est  pourquoi  les 
hommes  de  cette  profession  militaire  ont  de  tout  tems  mérité  d'être 
honorez  entre  tous  les  autres  de  plusieurs  beaux  et  signalez  privi- 
lèges, signanment  de  l'exemtion  et  immunité  de  tous  tributs  et  autres 
charges,  ainsi  qu'il  se  reconnoit  en  plusieurs  endroits  de  nos  livres; 
comme  à  la  vérité  ils  paient  a  la  république  un  assez  grand  tribut  que 
de  lui  consacrer  leur  sang  et  leur  vie  pour  son  service,  étant  tous  les 
jours  exposez  à  l'extrémité  des  hazars  et  des  périls...  si  bien  que  de 
les  assujettir  avec  toutes  ces  peines  et  ces  incommoditez  aux  charges 
et  contributions,  certes  outres  que  ce  seroit  deshonorer  le  mérite  de 
cette  vacation,  ce  seroit  encore  leur  ôter  le  courage  de  l'afection  de  bien 
servir  le  public  *.  » 

Nous  savons  aujourd'hui  qu'en  dehors  de  ces  motifs,  la  taille 
par  son  origine  était  un  impôt  roturier;  elle  ne  pouvait  être 
imposée  sur  les  nobles,  puisqu'ils  avaient  eux-mêmes  le  droit  de 
la  lever,  et  qu'ils  traitaient  d'égal  à  égal  avec  le  roi  pour  la  laisser 
percevoir  sur  leurs  fiefs;  nous  n'ignorons  pas  qu'à  côté  de  cette 
noblesse  «  d'origine  »,  il  y  avait  une  noblesse  concédée  par  le 
roi  ou  acquise  avec  certaines  fonctions,  et  que  l'exemption  lui 
avait  été  conférée  lors  de  la  concession;  enfin  d'autres  avaient 
usurpé  le  titre  de  nobles,  eux  ou  leurs  ancêtres,  et  l'immunité 
leur  avait  été  reconnue  en  même  temps.  En  définitive,  l'exemp- 
tion de  taille  était,  dans  l'esprit  de  tous,  inhérente  à  la  noblesse  : 
sans  discussion  ni  doctrine  on  réunissait  les  deux  qualités  :  un 
noble  payant  la  taille  n'était  plus  un  noble. 

Les  honneurs  et  privilèges  attachés  à  la  noblesse  en  avaient 
fait  rechercher  le  titre  en  tout  temps  par  ceux  qui  ne  le  possé- 
daient pas.  Trois  moyens  principaux  étaient  à  leur  disposition 
pour  l'acquérir  :  1°  l'acheter  du  roi  ;  2°  le  prendre  à  la  faveur 
de  certains  emplois;  3°  l'usurper. 

Le  roi  avait  le  pouvoir  de  conférer  la  noblesse  à  qui  bon  lui 
semblait.  Des  services  rendus  étaient  ainsi  récompensés  :  tel  fut 
le  cas  pour  les  parents  de  Jeanne  d'Arc.  Mais  depuis  long- 
temps, on  en  avait  fait  un  procédé  pour  alimenter  le  trésor  royal 
toujours  vide.  Pendant  le  xvie  et  le  xvne  siècles,  les  ventes  de 
lettres  avaient  été  couramment  pratiquées,  et  leur  révocation 
avait  été  un  autre  moyen  d'obtenir  de  l'argent  en  faisant  financer 
les  supprimés  pour  être  maintenus  :  Louis  XIII  avait  à  maintes 
reprises,  et  surtout  à  la  fin  de  son  règne,  pendant  la  guerre, 
multiplié  ces  ventes   et  ces  révocations  2.   En  dernier  lieu,   la 

1.  Œuvres,  éd.  de  1689,  p.  484. 

2.  Voir  la  série  des  Ordonnances  relatives  à  cette  matière  dans  Ghérin,  Abrégé 
chronologique  d'édits,   déclarations,  règlements,  arrêts  et  lettres  patentes   des  Bois 


180  LA    TAILLE    EN     Nui:  m  \  MU!   . 

déclaration  du  16  avril  1643  avait  révoqué  tous  les  anoblis- 
sements accordés  depuis  l'année  1600,  date  à  laquelle  une  autre 
révocation  avait  été  opérée  par  Henri  IV.  Sous  le  règne  de 
Louis  XIV,  ces  pratiques  seront  continuées.  Dès  la  première 
année  sont  mis  en  vente  deux  titres  de  noblesse  par  généralité. 
En  octobte  1645,  on  crée  50  nobles  dans  chaque  ville  franche 
de  Normandie;  en  octobre  1650,  on  confirme  les  anoblisse- 
ments accordés  en  Normandie  depuis  1606,  malgré  l'édit  de 
1643.  Le  8  janvier  1653,  nouvelle  confirmation  des  titres  de 
noblesse  révoqués  depuis  1606'.  En  janvier  1660,  à  l'occasion 
de  la  Paix  des  Pyrénées,  nouvelle  mise  en  vente  de  deux  titres 
de  noblesse  par  généralité.  Quiconque  avait  de  l'argent  pou- 
vait faire  l'emplette,  sans  remplir  aucune  autre  condition.  Depuis 
longtemps  on  l'avait  observé  :  les  Etats  de  Normandie,  en 
février  1658,  déclaraient  :  Le  titre  «  s'est  vendu  à  qui  en  a 
voulu,  sans  enqueste  d'autre  mérite  que  du  moyen  d'en  payer 
la  finance,  qui  souvent  s'est  vue  au-dessous  de  celle  d'une  lettre 
de  bulle  de  quelque  métier2.  » 

Outre  les  ventes  de  titres,  le  roi  pratiquait  aussi  les  ventes 
d'offices  conférant  la  noblesse  :  charges  de  sa  maison,  fonctions 
militaires,  offices  supérieurs  de  la  justice  et  des  finances.  Cet 
honneur,  ajouté  à  toutes  les  autres  prérogatives  de  ces  charges 
les  faisait  rechercher  davantage  et  augmentait  le  profit  tiré  de 
la  vente.  On  verra  plus  bas  combien  ces  ventes  furent  nom- 
breuses en  tous  les  temps. 

Un  troisième  moyen  d'acquérir  la  noblesse,  le  plus  simple  et 

f>eut-être  le  plus  employé,  était  de  l'usurper.  L'attrait  du  privi- 
ège,  les  avantages  matériels  et  moraux  qu'il  entraînait,  l'absence 
de  contrôle  effectif  de  la  part  du  pouvoir,  et  même  la  compli- 
cité de  celui-ci,  facilitaient  cette  fraude.  Certains,  ayant  porté  les 
armes  dans  les  temps  de  troubles,  avaient  pris  et  gardé  l'habi- 
tude d'avoir  une  épée  au  côté  et  de  se  dire  nobles  pour  ce  motif. 
«  La  licence  et  corruption  du  temps,  disait  le  roi  dans  l'édit  de 
mars  1600,  a  été  cause  que  plusieurs,  sous  prétexte  de  ce  qu'ils 
ont  porté  les  armes  durant  les  troubles,  ont  usurpé  le  nom  de 
gentilhomme,  pour  s'exempter  induement  de  la  contribution  aux 
tailles 3.  »  La  Fronde  avait  ramené  cette  pratique  :  «  Dans  ce 


de  France  de  la  3*  race  concernant  le  fait  de  noblesse,  Paris,   1788,  in-8°,   réim- 

Îrimé  dans  la  Nouvelle  encyclopédie  théologique  de  M  igné,  t.  XIII,  col.  836-1122. 
e  renvoie  une  fois  pour  toutes  à  cet  ouvrage,  qui  donne  l'indication  des  princi- 
paux actes  concernant  la  noblesse  et  cite  les  plus  importants. 

1.  D'après  l'arrêt  du  Conseil  du  18  juin  1653  (cité  dans  Chérin,  p.  118-119),  le 
recouvrement  des  taxes  était  confié  au  célèbre  traitant  Béchameil;  chaque  main- 
tenue coûtait  1500  1. 

2.  Article  42  du  cnhier  des  Etats  dans  de  Beaurepaire,  Cahiers,  règnes  de 
Louis  XIII  et  Louis  XIV,  t.  III,  p.  150.  Cf.  le  récit  de  Loyseau  au  sujet  d'un  mar- 
chand de  boeufs  du  pays  d'Auge  qui  avait  acheté  sa  noblesse  et  portait  l'épée  : 
Traité  des  ordres,  chap.  v. 

3.  Edit  de  mars  1600,  art.  25.  Cf.  Loyseau,  ibid. 


LES    NOBLES.  201 

temps,  dit  la  Cour  des  aides  de  Paris  en  1653,  la  plupart  de 
ceux  qui  portent  les  armes  prennent  hardiment  la  qualité  d'écuyer, 
quoique  eux  et  leurs  prédécesseurs  ayent  été  imposez  es  rôles 
des  tailles  l.  » 

D'autres  usurpaient  la  noblesse  en  cessant  de  payer  la  taille; 
par  la  connivence  des  collecteurs  ou  des  élus,  ils  se  faisaient 
attribuer  sur  les  rôles  la  qualité  de  nobles,  et,  avec  le  temps,  le 
titre  leur  demeurait  incontesté.  Des  officiers  n'avaient  pas  de 
peine  à  se  qualifier  gentilshommes,  et  à  faire  accepter  leur  titre 
par  tous  :  «  De  présent,  dit  La  Barre  en  1620,  les  moindres  offi- 
ciers jusques  aux  enquesteurs  ne  font  difficulté  de  prendre  le 
titre  d'escuyer. ..  ;  que  si  avec  le  temps  on  les  veut  enroller,  les 
collecteurs  sont  le  plus  souvent,  faute  de  moyen,  contraints 
tout  quitter  et  acquiescer  plutost  que  de  plaider;  et  alors  voila 
des  gentilshommes  d'acquiescement  et  sans  cause2  ». 

En  Normandie,  plus  peut-être  qu'ailleurs,  les  usurpations 
étaient  fréquentes.  Le  président  La  Barre  assure  que,  dans  la 
province, 

«  sur  tous  autres  endroits  de  la  France  se  recherchent  tous  les  moyens 
d'usurpation  de  noblesse  plus  que  ailleurs,  ny  autre  part  que  je  scache, 
pour  esviter  aux  charges  populaires,  tailles  et  subsides,  et  affin  de 
s'affranchir  des  imposts  et  autres  contributions  dont  ceste  contrée  et 
pauvre  province  est  surchargée  entre  toutes  autres.  »  Les  Normands, 
«  pour  la  plupart  sont  fort  friands  de  noblesse,  ce  qui  leur  procède 
d'une  gentillesse  de  nature,  cerchans  tousjours  de  s'avantager...  et 
s'affranchir  des  tailles  et  subsides  dont  ils  sont  fort  grevez3.  » 

Le  Roi  déclarait  aussi  en  1583  : 

«  Nous  avons  connu  par  le  rapport  et  avertissement  qui  fait  nous  a 
esté  par  plusieurs  nos  araez  et  féaux  conseillers  et  commissaires  aiant 
été  sur  les  lieux  en  notre  Pais  de  Normandie  que  le  principal  désordre 
et  préjudice  qui  s'y  fait  provient  notamment  de  ce  que  depuis  quel- 
ques années  les  hommes  taillables  riches  et  opulens  ont  prétendu 
s'exemter  de  contribuer  à  nosdites  tailles,  sous  prétexte  qu'ils  se 
disent  privilégiez,  les  uns  comme  bourgeois  de  nos  villes  franches, 
les  autres  se  disant  pourvus  en  charges  et  places  qui  les  exemtent,  et 
la  plupart  par  usurpation  du  privilège  de  noblesse  4.  » 

Suivant  une  déclaration  de  la  Cour  des  aides  de  Rouen 
en  1660,  si  «  les  moyens  d'usurpation  de  noblesse  sont  plus 
recherchés  audit  païs  qu'ailleurs  »,  c'est  «  à  cause  des  tailles  et 
charges  qui  y  sont  grandes 5.  » 

1.  Préambule  de  l'arrêt  du  17  mai  1653  dans  Néron,  t.  II,  p.  741;  cette  pratique 
est  à  rapprocher  de  l'usage  qui  accordait  l'exemption  de  taille  aux  vétérans 
ayant  servi  dans  les  armées  du  roi  pendant  25  ans  (Edit  de  janvier  1634,  art.  17). 

2.  Formulaire,  p.  70-71. 

3.  Ibid.,  p.  60  et  68. 

4.  Règlements  de  Normandie,  p.  9-10. 

5.  Ibid.,  p.  55. 


Ml  LA    TAILLE    KN     NORMANDIE. 


B.  —  LA  RECHERCHE  DE  LA  NOBLESSE 

La  revision  des  titres  de  noblesse  avait  été  pratiquée  très 
anciennement  par  les  rois  :  en  1463,  elle  avait  été  opérée  par 
les  soins  de  M.  de  Montfaut  dans  toute  la  Normandie'.  Dans 
le  cours  du  xvi"  siècle,  on  l'avait  reprise  plusieurs  fois;  en  1598- 
1600,  notamment,  des  commissaires  royaux  avaient  méthodique- 
ment poursuivi  leur  enquête  non  seulement  dans  la  province, 
mais  dans  tout  le  royaume.  A  la  suite  du  règlement  des  tailles 
de  janvier  1634,  les  trésoriers  de  France  et  même  les  élus 
avaient  encore  reçu  mission  de  vérifier  les  lettres  de  noblesse2; 
l'opération  avait  été  menée  avec  tant  de  rigueur  qu'elle  avait 
provoqué  la  protestation  des  Etats  de  Normandie,  et  avait  con- 
tribué à  l'insurrection  des  Nus-pieds  en  1639*. 

Le  premier  objet  de  ces  recherches  avait  été  sans  doute  de 
supprimer  les  faux  nobles  et  de  les  remettre  à  la  taille;  en  cela 
le  roi  répondait  aux  désirs  des  nobles  authentiques  qui  ne  vou- 
laient pas  d'intrus  parmi  eux,  et  à  ceux  des  contribuables  qui 
souffraient  de  voir  les  plus  riches  soustraits  à  l'impôt.  Mais  le 
roi  avait  eu  aussi  et  surtout  une  préoccupation  fiscale  :  l'opéra- 
tion lui  rapportait  en  effet  beaucoup  d'argent,  soit  par  les 
amendes  infligées  à  ceux  qui  étaient  reconnus  usurpateurs,  soit 
par  les  ventes  de  a  maintenues  de  noblesse  ».  Il  pratiquait 
ici  la  même  politique  qu'à  l'égard  des  offices;  c'est  d'ailleurs 
aux  époques  où  les  créations  d'offices  sont  le  plus  nombreuses 
que  les  recherches  de  noblesse  se  multiplient.  Le  roi  avoue  du 
reste  son  intention  dans  une  déclaration  du  15  mars  1655  :  après 
avoir  déploré  dans  le  préambule  «  les  grands  désordres  »  qui 
se  commettent  dans  les  impositions  et  le  trop  grand  nombre 
d'exempts,  en  sorte,  dit-il,  qu'  «  il  ne  s'est  trouvé  dans  les 
paroisses  que  les  plus  pauvres  pour  payer  nos  tailles  ».  il  ajoute 
qu'il  est  disposé  à  confirmer  les  anoblissements  accordés  depuis 
1606  moyennant  «  une  honnête  finance*  ».   Par  là  il    informe 

1.  Le  procès-verbal  de  la  recherche  a  été  publié  par  Labbey  de  Laroque  : 
Recherche  de  la  Noblesse  de  Normandie  sous  Louis  XI,  par  H.  de  M  tint  faut,  Caen, 
181M824,  2  vol.,  voir  le  ma.  de  la  Recherche,  B.  N.  fr.  2  7*2-3  et  1 1  930-33.  Sur 
les  diverses  recherches  faites  en  Normandie  uvant  1(196,  voir  le  Cabinet  historique, 
t.  VI,  p.  215  et  suiv.  Les  différentes  commissions  pour  le  légalement  des  tailles, 
dont  il  a  été  parlé  au  chap.  ni,  avaient  également  poursuivi  les  faux  nobles. 

2.  Un  ms.  de  cette  recherche  pour  la  généralité  d'Alençon  est  signalé  par 
le  P.  Lelong,  Bibliothèque  Historique,  n°  40  745.  Dans  la  généralité  de  Caen,  1  in- 
tendant d'Aligre  s  était  montré  particulièrement  sévère.  Les  élus  furent  dessaisis 
de  la  recherche  dès  le  26  juillet  1634,  parce  qu'ils  voulaient  «  a  leur  discrétion 
conserver  [les  nobles]  dans  leurs  privilèges  ou  leur  en  ôter  la  jouissance,  selon 
qu'ils  seroient  plus  ou  moins  reconnus  de  leurs  salaires  »  (Chérin,  p.  100). 

3.  Cahier  des  Etats  de  Normandie  en  décembre  1634  dans  de  Beaurepaire, 
Cahiers,  t.  III,  p.  7  et  Bigot  de  Monville,  Mémoires,  publiés  par  d'Estaintot,  p.  4. 

4.  Texte  de  la  déclaration  dans  de  Beaurepaire,  Cahiers,  règne  de  Louis  XIII, 
t.  III,  p.  388-9. 


LES    NOBLES.  203 

les  individus  inquiétés  par  les  enquêteurs  qu'ils  pourront  con- 
server leur  titre  et  même  le  consolider  en  payant.  Les  com- 
missaires chargés  de  la  recherche  sont  beaucoup  plus  des  pour- 
voyeurs d'argent  que  des  censeurs  occupés  à  dresser  la  liste 
des  nobles  authentiques. 

En  1661,  la  recherche  se  poursuivait  en  Normandie  depuis 
six  ans1.  La  déclaration  du  15  mars  1655,  dont  on  vient  de 
parler,  ordonnait  à  tous  les  nobles  de  présenter  leurs  titres  à 
des  commissaires  royaux  qui  les  vérifieraient,  et  remettraient  à 
la  taille  les  usurpateurs2;  les  lettres-patentes  du  15  juillet  sui- 
vant3 désignaient  comme  commissaires  des  officiers  de  la  cour 
des  aides  de  Rouen;  deux  autres  déclarations  des  30  décembre 
1656  et  14  juin  1659  *  fixèrent  les  détails  de  la  procédure  à 
suivre.  Par  ces  divers  actes,  il  était  infligé  une  amende  de 
2  200  1.  (2  000  1.  et  2  s.  pour  livre)  à  quiconque  aurait  usurpé  le 
titre  de  chevalier  ou  d'écuyer  et  se  serait  ainsi  indûment 
exempté  de  taille,  sans  préjudice  des  dommages-intérêts  envers 
la  paroisse  qui  avait  pàti  de  cette  exemption  frauduleuse  :  tous 
ceux  qui  possédaient  des  lettres  de  noblesse  régulières,  mais 
postérieures  à  1606,  devaient  les  faire  confirmer  dans  le  délai 
d'un  mois,  et  ce,  moyennant  1  650  1.  (1  500  1.  et  2  s.  pour  livre). 
Les  commissaires  formaient  un  tribunal  extraordinaire,  ayant 
même  ressort  que  la  Cour  des  aides.  Ils  jugeaient  en  dernier 
ressort,  sauf  recours  au  Conseil  du  roi. 

Ils  n'avaient  pas  l'initiative  des  poursuites;  elle  appartenait  à 
Me  Thomas  Bousseau  «  que  nous  avons  chargé,  dit  le  roi,  de 
l'exécution  de  nostre  présente  déclaration  et  du  recouvrement 
des  sommes  qui  nous  appartiendront  ».  Ce  personnage,  gros 
financier,  avait  conclu  avec  le  roi  un  traité  par  lequel  il  s'enga- 
geait à  faire  produire  à  la  recherche  une  somme  déterminée  qu'il 
avait  versée  d'avance  dans  les  coffres  du  Trésor  :  en  échange, 
le  roi  lui  donnait  le  droit  de  faire  toutes  poursuites  utiles  devant 
la  commission  de  la  recherche. 

L'opération,  qui.  par  diverses  déclarations  du  même  temps, 
avait  été  étendue  à  tout  le  royaume,  engageait  de  gros  intérêts 
financiers  :  c'est  pourquoi  Bousseau  avait  formé  une  société  sem- 
blable à  celles  qui,  en  même  temps,  exploitaient  les  autres  affaires 
extraordinaires.  Il  était  autorisé  à  remettre  ses   pouvoirs  pour 

1.  Il  ne  faut  donc  pas,  comme  on  le. fait  souvent,  en  attribuer  l'initiative  à 
Colbert  :  celui-ci  ne  fit  que  changer  le  caractère  de  l'opération. 

2.  La  déclaration  est  résumée  dans  Ghérin  à  cette  date;  voir  le  texte  entier 
avec  les  instructions  aux  commissaires  de  la  recherche  et  la  liste  de  ceux-ci  dans 
le  ms.  Glairambault,  442,  p.  387-401. 

3.  Voir  ces  lettres-patentes  aux  A.  D.  Seine-Inférieure,  Mémoriaux  de  la  Cour 
des  Aides,  t.  XL,  f°  27-28;  cf.  ibid.,  autres  lettres  du  16  août  1660  complétant  la 
commission. 

4.  Publié  dans  de  Beaurepaire,  Cahiers,  t.  III,  p.  390-392. 


204  LA    TAII.LB    EN    NORMANDIB. 

telle  ou  telle  province  à  des  sous-traitants  ses  associés.  Pour  la 
Normandie,  le  sous-traitant  fut  Louis  Béchameil,  gros  partisan 

3ui  avait  le  titre  de  secrétaire  du  conseil,  et  devint  un  des  hommes 
'affaires  de  Colbert;  à  côté  de  lui  on  trouve  un  receveur  géné- 
ral des  finances,  Gilles  Jajollet,  et  un  autre  financier,  Jacques 
Lecharpentier  *. 

Le  président  de  la  Commission  est  M.  de  Hocqueville,  pre- 
mier président  de  la  Cour  des  aides,  qui  n'a  pas  grande  répu- 
tation d'honnêteté  :  les  notes  secrètes  de  1663  Te  qualifient 
d'  «  homme  capable,  interressé,  et  [de]  nulle  probité'  ».  A  côté 
de  lui,  il  a  son  collègue  Jubert  de  Bouville,  «  homme  de  pro- 
bité, de  capacité  suffisante',  »  et  quatre  autres  conseillers;  le 
procureur  général  de  la  Cour  est  le  procureur  de  la  Commis- 
sion. La  déclaration  du  15  mars  1655  fixait  de  la  façon  suivante 
le  but  et  la  portée  de  la  recherche  : 

«  Tous  ceux  qui,  depuis  l'année  1606,  se  trouveront,  sans  être  nobles 
et  sans  titre  valable,  avoir  induement  pris  la  qualité  de  chevalier  ou 
d'écuyer  avec  armes  timbrées,  et  usurpé  le  titre  de  noblesse  ou 
exemption  des  tailles,  soit  de  leur  autorité,  force  et  violence,  tant  en 
vertu  des  sentences  et  jugements  donnés  par  les  commissaires  députés 
pour  le  régalement  des  tailles  ou  des  francs-fiefs,  que  des  sentences  des 
élus  et  autres  juges  qui  se  trouveront  avoir  été  donnés  par  collusion 
et  sous  faux  donné  à  entendre,  seront  imposés  aux  rôles  des  tailles  des 
paroisses  où  ils  sont  demeurants,  eu  égard  aux  biens  et  facultés  qu'ils 
possèdent  nonobstant  lesdites  sentences  et  jugements,  et  pour  l'indue 
usurpation  par  eux  faite,  seront  tenus  de  payer,  conformément  au 
règlement  des  tailles  de  1634,  la  somme  de  2  000  1.  et  les  2  sous  pour 
livre  sur  les  rôles  qui  seront  arrêtés  au  conseil.  »  Us  devront  «  repré- 
senter leurs  titres  en  originaux  aux  premiers  commandements  qui 
leur  seront  faits  à  la  requête  de  son  procureur  général  en  la  Cour 
des  Aides,  pour  être  jugé  souverainement  et  en  dernier  ressort  de 
la  noblesse  ou  usurpation  de  ceux  qui  seront  assignés  ». 

L'arrivée  de  Colbert  aux  affaires,  sans  changer  la  procédure 
de  la  recherche,  y  introduisit  une  innovation  importante  :  un 
arrêt  du  conseil  du  2  octobre  1661  fit  «  défense  à  tous  huissiers 
et  sergeans  d'exécuter  aucune  contrainte  pour  raison  des  taxes 
faictes  ou  à  faire  sur  les  usurpateurs  de  noblesse  qu'elles  ne 
soient  visées  par  les  sieurs  commissaires  départys  par  S.  M. 
dans  les  provinces,  à  peine  de  3  000  1.  d'amende*  ».  Ainsi  les 
intendants  étaient  chargés  de  contrôler  la  recherche,  et  par  eux 
le  ministre  pouvait  intervenir  dans  les  opérations.  Or  le  prin- 
cipal but  qu'il  poursuivait  n'était  plus  de  recouvrer  des  taxes 

1.  Mentionnés  dans  l'arrêt  du  Conseil  du  13  novembre  1663,  (B.  N.,  ms.  Clai- 
rambault,  659,  p.  22:?). 

2.  Mémoire  de  Vovsin,  p.  242. 

3.  Ibid. 

4.  Plumitif  du  Bureau  des  Finances  de  Caen,  17  octobre  1661. 


LES    NOBLES.  205 

mais  de  supprimer  des  faux  nobles  :  «  L'une  des  plus  grandes 
surcharges  que  les  contribuables  aux  impositions  souffrent, 
disail-il  en  mars  1664,  provient  de  la  quantité  de  faux  nobles 
qui  se  trouvent  dans  les  provinces,  lesquels  ont  été  faits,  partie 
par  lettres  du  roi,  et  partie  par  simples  arrêts  de  la  Cour  des 
aides;  il  est  fort  important  de  chercher  les  remèdes  conve- 
nables à...  ces  maux1  ». 

Un  avocat  de  Rouen,  le  sieur  de  Bertheaume,  qui  semble  avoir 
rempli  le  rôle  de  substitut  du  procureur,  suivait  les  instructions 
de  l'intendant  de  Rouen,  Voysin  de  la  Noiraye,  et  rendait  compte 
périodiquement  à  Colbert  du  travail  de  la  commission  :  «  Comme 
je  ne  me  vante  pas,  lui  écrit-il  en  juin  1664,  de  scavoir  exacte- 
ment tous  les  désordres  de  cette  grande  province,  ny  de  cognoistre 
précisément  tous  les  usurpateurs  et  tyranneaux  qui  s'y  rencon- 
trent, j'ai  creu  qu'il  étoit  à  propos  pour  mettre  plus  au  jour  les 
cognoissances  qu'un  travail  de  vingt-cinq  ans  m'a  acquis,  de 
faire  publier  d'avance  dans  toutes  les  paroisses  l'ordonnance  ou 
mandement  dont  vous  verrez  ici  s'il  vous  plaist  le  modelle2,  afin 
d'y  ajouster  ou  retrancher  ce  que  vous  jugerez  à  propos  :  j'en 
ay  donné  l'idée  à  mondit  sieur  de  la  Norraye,  et  ce  moyen  très 
doux  me  semble  absolument  nécessaire  pour  arriver  à  bonne  fin. 
Il  n'en  coustera  pas  un  quart  de  sou  auxtaillables,  et  les  peuples, 
qui  ne  sont  pas  grues,  voyant  que  la  curiosité  de  ces  recherches 
va  entièrement  à  leur  descharge,  et  est  un  moyen  infaillible  pour 
les  libérer  d'une  infinité  de  fléaux  dont  ils  sont  journellement 
accablés,  en  donneront  volontiers  (au  moings  pour  la  plupart) 
des  certificats  et  déclarations  véritables3».  Bertheaume  vint 
même  à  Paris  prendre  les  instructions  de  Colbert  et  activa  les 
poursuites  :  Je  fais  faire  présentement,  écrit-il  dans  la  même 
lettre  du  10  juin  1664,  «  deux  ou  trois  cens  assignations  par- 
devant  MM.  les  commissaires  de  la  Cour  des  Aydes,  à  la  plu- 
part desquels  j'ay  faict  cognoistre  à  mon  retour  l'application  de 
S.  M.  et  la  justice  et  sainteté  de  ses  intentions  en  cette  recherche 
pour  les  obliger  à  travailler  mieux  à  l'advenir  qu'ils  n'ont  faict 
par  le  passé,  afin  que  S.  M.  ayt  lieu  de  se  satisffaire  d'eux4  ». 
Mais  cet  agent  n'était  pas  d'une  probité  incontestable  :  dénoncé 
le  28  juin  1664,  il  demandait  à  Colbert  de  ne  pas  écouter  les  dires 
de  ceux  qu'il  avait  fait  condamner  :  ne  souffrez  pas,  disait-il, 
«  que,  pour  avoir  bien  faict,  je  sois  sacrifie  à  la  collère  de  gens 
qui  ne  pardonnent  point  »  ;  cependant  en  1666,  il  reconnaît  avoir 
été  lui-même  taxé  à  10  000  1.  d'amende  comme  faux  noble  et 
c'est  seulement  grâce  à  la  protection  de  Colbert  qu'il  est  dis- 


1.  Glém.,  IV,  p.  33. 

2.  Ce  modèle  n'est  pas  annexé  à  la  lettre. 

3.  M.  G.,  121,  f°  377. 

4.  Ibid.,  f°  378. 


MM  LA    TAILLE    EX     NOHMANDIE. 

peMé  de  payer*.  H  lut  dépossédé  de  ses  fonctions  vers  la  fin  de 
l'aimée  1»>(>4. 

Mais  la  commission  des  membres  de  la  Cour  des  Aides  faisait 
de  grandes  injustices;  le  procureur  d'Hébervîlle,  dans  ses  lettres 
à  Colbert,  se  plaint  ouvertement  de  ses  collègues.  Parce  que, 
dit-il,  «  je  m'attache  aux  règles  et  aux  ordres,  [ils]  cherchent  le 
moyen  de  me  faire  insulte  en  toute  occasion  »,  ne  jugent  pas  à 
l'audience  «  les  procès  appointés  au  conseil  où  le  roi  a  inthérest, 
lesquels  ils  jugent  entr'eux  sans  que  j'en  sache  rien  »  ou  bien 
contre  ses  conclusions  «  ne  laissent  pas...  de  procéder  h  l'enre- 
gistrement de  toutes  lettres  de  noblesse  ou  confirmation  de 
noblesse  ».  A  son  habitude  Colbert  répéta  ses  instructions, 
insista  :  au  début  de  juin  1664,  il  représentait  aux  trois  inten- 
dants de  Normandie  la  nécessité  de  «  retrancher  un  nombre 
presque  infini  de  nobles  que  le  désordre  des  temps  et  des 
guerres  estrangères  et  intestines  ont  introduit2  ».  Une  décla- 
ration du  22  du  même  mois  précisa  les  procédures  à  suivre  et 
les  formalités  à  remplir  :  les  poursuivis  devront  «  produire  les 
grosses  originales  ou  minutes  des  titres  justificatifs  de  leur 
noblesse    la   quinzaine    après    leur    comparution»;    toutes    les 

fnèces  déposées  après  ce  délai  seront  considérées  comme  nulles; 
es  procès  devront  être  jugés  «  par  absolution  ou  par  condam- 
nation »  ;  enfin  tous  les  nobles  qui  ne  voudront  pas  payer  la 
taxe  des  nouveaux  anoblis  devront  justifier  de  la  noblesse  de 
leur  famille  au  moins  depuis  1550*.  Mais  Colbert  acquit,  par 
les  rapports  des  intendants,  la  conviction  que  les  membres  de 
la  Cour  des  aides  servaient  mal  les  intérêts  du  roi.  Il  songea  à 
les  remplacer  par  des  agents  dont  il  fût  plus  sûr.  Dès  ce  mois 
de  juin  1664,  les  commissaires,  menacés  de  dépossession,  font 
défendre  leur  cause  devant  le  ministre  par  leur  président  :  cette 
«  competance,  disent-il,  nous  a  tousjours  esté  attribuée  par  les 
ordonnances  »;  les  intéressés  «  ne  se  peuvent  pas  plaindre  de 
nos  jugemens  »,  et  nous  n'avons  «  faict  les  choses  que  dans 
l'ordre*  ».  Mais  le  22  avril  suivant,  l'intendant  de  Rouen  adres- 
sait à  Colbert  un  mémoire  circonstancié  qui  ne  pouvait  plus 
laisser  aucun  doute  :  malgré,  dit-il,  «  la  difficulté  qu'il  y  a 
d'avoir  un  esclaircissement  certain  »,  je  puis  vous  rapporter 
quelques  «  faits   précis   »   :   Un  certain    Marc,   sieur  de  Lespa- 

1.  Lettre  de  Colbert  du  7  mai  1656  :  «  La  vengeance  (si  je  ne  me  trompe)  do 
sieur  Le  Noble  commis  de  M.  Ranchin  à  Rouen,  lequel  fut  condamné  en  3  000  1. 
d'amende  et  restitution  envers  le  Roy  à  mon  rapport  et  par  jugement  que  j'ay 
en  main  pour  délits  de  forests,  m'avoit  fait  taxer  injustement  et  sans  prétexte 
à  10  000  1.  duns  le  roolle  des  omis  en  ceste  généralité,  et  vostre  protection,  Mgr, 
m'en  a  tiré  avec  justice.  »  (M.  C,  137b'\  f°  588). 

2.  D'après  la  lettre  de  Du  Gué  à  Colbert,  9  juin  166'»,  M.  C,  121,  f°  349,  cf. 
lettre  de  Voisin  à  Colbert,  10  juin  1664,  ibid.,  C  404,  et  l'arrêt  du  conseil  du 
5  juillet  1664. 

3.  Dans  Chérin,  Abrège,  p.  139-140. 

4.  De  Hocqueville  à  Colbert.  13  juin  1664,  M.  C,  121  "*•,  F  865. 


LES    NOBLES.  207 

lière,  parent  du  président  de  Hocqueville,  fut  assigné  par  les 
traitants,  mais  «  son  affaire  n'a  point  esté  instruitte  ny  jugée, 
et...  le  traittant  a  donné  son  désistement  en  bas  de  l'exploit, 
auquel  on  dit  que  le  procureur  général  de  la  commission  a 
aussi  signé  ».  On  dit  même  que,  pour  cette  complaisance,  Les- 
palière  aurait  payé  200  louis  d'or  au  traitant1.  Un  conseiller 
au  Parlement  de  Rouen,  adjoint  à  la  commission,  M.  Sallet,  a 
dit  en  parlant  de  trois  frères  qui  venaient  d'être  déclarés  nobles 
authentiques,  «  qu'il  venoit  de  faire  trois  gentilshommes,  et 
qu'il  n'avet  cousté  que  50  pistoles  pour  leur  composition  ». 
L'avocat  du  traitant  a  déclaré  à  l'intendant  lui-même  «  avoir 
donné  un  liste  de  mil  ou  douze  cens  personnes  a  assigner,  et 
qu'il  y  en  a  bien  la  moitié  dont  il  n'a  esté  fait  aucune  pour- 
suitte  »,  et  il  lui  a  remis  un  mémoire  «  d'un  très  grand  nombre, 
jugés  seulement  depuis  trois  mois,  qu'il  prétend  n'avoir  aucun 
titre  valable  »,  et  qui  sont  maintenus  nobles.  Puis  l'intendant 
ajoute  : 

«  Il  n'y  a  pas  grand  subject  de  doubter  que  le  traittant,  si  les  commis- 
saires n'y  tiennent  la  main,  et  ne  l'erupeschent  d'en  abuser,  ne  s'aplique 
beaucoup  plus  a  tirer  de  l'argent  de  quelque  façon  que  ce  puisse  estre, 
qu'au  retranchement  des  faux  nobles  ;  mais  ce  qui  est  fort  considérable 
en  cette  affaire,  c'est  qu'on  prêtent  que  tout  l'abus  ne  vient  pas  seule- 
ment de  ce  costé  là,  mais  qu'il  y  en  a  aussi  beaucoup  de  la  part  des 
commissaires,  et  soit  par  faveur,  a  cause  de  la  liaison  qui  est  entre  les 
officiers  des  cours  souveraines  qui  s'intéressent  et  sollicitent  pour  les 
inquiétés  en  leur  noblesse,  ou  par  d'autres  raisons  d'interest  que  l'on 
a  peine  a  croire  de  personnes  de  condition,  il  se  donne  beaucoup 
d'arrests  qui  maintiennent  des  faux  nobles  dans  les  privilèges  de 
noblesse —  Outre  la  considération  de  l'union  qui  est  entre  les  officiers 
de  la  province,  qui  peut  donner  lieu  de  maintenir  quelquefois  des  faux 
nobles,  on  prêtent  qu'il  s'en  conserve  encore  plusieurs  a  cause  qu'ils 
sont  fondés  sur  des  arrests  obtenus  en  la  cour  des  aydes  quoyque  sans 
titres  suffisans,  et  que  les  commissaires  ne  veulent  pas  destruire  ce 
qui  a  esté  fait  par  leur  compagnie.  » 

II  conclut  que  la  chose  «  la  plus  essentielle  »  c'est  «  d'estre 
fort  asseuré  de  la  fermette  et  du  désintéressement  parfait  de 
celui  qui  préside  à  la  commission  et  de  celuy  qui  y  fait  les  fonc- 
tions de  procureur  gênerai2  »,  ce  qui  laisse  supposer  que  l'in- 
tendant, pour  sa  part,  n'est  pas  très  sûr  du  président  et  du  pro- 
cureur actuels. 

A  la  suite  de  ce  rapport,  Colbert  fit  expédier  l'arrêt  du  conseil 

1.  Dans  une  lettre  à  Colbert  du  même  jour,  De  Hocqueville  affirme  que  cette 
accusation  est  mal  fondée  :  «  11  est  vray  que  ledit  sieur  Marc  ayant  esté  des- 
chargé de  la  présente  commission  il  y  a  quatre  ou  cinq  ans,  je  prié  le  sieur  de 
Laporte  de  consentir  au  bas  de  l'exploit  sa  descharge,  veu  que  c'estoit  par  l'ani- 
mosité  d'un  de  ses  ennemis.  Je  me  réserve  a  vous  en  rendre  compte  dans  dix 
jours,  que  j'esperes  estre  a  Paris  »  (M.  C,  128  "",  f  1019). 

2.  Ibid.,  128  bi%  f°  1006. 


208  LA    TAILLE     IN     NORMANDIB. 

du  l,r  juin  1665  qui  suspendait  la  recherche  en  Normandie1. 
Dans  le  préambule,  la  conduite  des  commissaires  et  trai- 
tants était  publiquement  condamnée  :  «  Nos  ordres  ont  été 
si  mal  exécutés,  que  souvent  les  traitants  ou  leurs  commis  ont 
inquiété  de  véritables  genthilshommes,  lesquels  après  avoir 
justifié  de  leurs  titres,  ont  été  renvoyés  avec  condamnation 
contre  lesdits  traitants.  Et  à  l'égard  des  usurpateurs  il  a  été 
fait  des  compositions  avec  aucuns  moyennant  lesquelles  les 
exploits  d'assignations  ont  été  supprimés,  et  d'autres  sur  des 
titres  faux  ou  fort  faibles,  ont  été  reconnus  nobles  par  la  con- 
nivence desdits  traitants.  »  L'arrêt  ordonne  en  conséquence 
aux  traitants  de.  cesser  immédiatement  leurs  poursuites,  et 
d'adresser  leurs  comptes  au  Conseil,  dans  le  délai  d'un  mois, 
pour  les  faire  apurer2.  Au  reste,  le  roi  se  réserve  «  de  faire 
procéder  à  ladite  recherche  par  les  voies  et  au  temps  qu'(il)  le 
jugera  a  propos3  ». 

Un  arrêt  du  conseil  du  31  décembre  1665  ordonna  la  reprise 
de  la  recherche  en  Normandie4,  mais  avec  un  personnel  nou- 
veau :  les  intendants  et  leurs  subdélégués  remplaçaient  les  con- 
seillers antérieurement  en  fonctions;  seuls  les  traitants  étaient 
conservés. 

Aux  intendants  sont  adjoints  des  «  aides  »,  nommés  par  le 
Conseil,  soit  pour  les  seconder,  soit  pour  les  suppléer.  Ainsi 
une  commission  est  délivrée,  le  13  janvier  1667,  au  sieur  du 
Perron  de  Béveville,  conseiller  à  la  Cour  des  Aides  de  Rouen 
pour  «  travailler  à  l'instruction  des  affaires  concernant  lesdites 
recherches  »,  conjointement  avec  l'intendant  de  Rouen,  Barin 
de  la  Galissonnière,  lequel  n'a  pas  le  loisir  de  s'occuper  person- 
nellement de  l'affaire  «  avec  la  diligence  que  la  chose  requiert,... 
à  cause  des  différends  employs  que  nous  luy  donnons  journel- 
lement6 ».  Toutefois,  les  procès  devaient  être  jugés  par  les 
intendants  en  personne  et  l'appel  de  leurs  sentences  ne  pouvait 
être  fait  que  devant  le  Conseil,  ainsi  que  l'ordonna  le  règle- 
ment du  6  mai  1669 6.  Le  Conseil  remit  d'ailleurs  ses  pou- 
voirs, le  14  octobre  1666,  à  une  commission  spéciale  pour  juger 

1.  Le  16  mai  1665,  le  président  de  Hocqueville  écrit  à  Colbert  pour  se  plaindre 
que  Ton  ait  adressé  à  l'intendant  «  l'arrêt  du  conseil  dont  je  m'estois  donné 
1  honneur  de  tous  parler  a  Saint-Germain  >  ;  il  lui  renouvelle  ses  protestations 
d'impartialité,  et  s'offre  à  lui  envoyer  chaque  mois  le  compte  rendu  de  leur  tra- 
vail, mais,  dit-il,  «  il  me  seroit  fascheux  de  voir  nostre  competance  partagée.  » 
(M.  C,  129"'*,  f  459).  Chérin  cite  une  déclaration  du  10  mars  1665  qui  attribuait 
déjà  la  connaissance  de  l'affaire  aux  intendants,  mais  on  ne  trouve  pas  trace  de 
son  application  en  Normandie  :  elle  était  sans  doute  spéciale  à  la  Cour  des  Aides 
de  Paris. 

2.  La  vérification  sera  faite  par  une  commission  composée  de  MM.  d'Aligre,  de 
Sève,  Pussort,  Breteuil,  Marin  et  Colbert. 

3.  Dans  Chérin,  Abrégé  chronologique,  p.  146. 

4.  Mentionné  dans  la  lettre  de  Colbert  du  12  janvier  1666,  ci-dessous. 

5.  Mémoriaux  de  la  Cour  de»  Aides  de  Rouen,  t.  XLI,  p.  132,  v°. 


;».  Mémoriaux  ae  la  Cour  aes  Aides  de  Houen,  t.  ALI,  p, 
6.  Archives  des  Affaires  étrangères,  France,  vol.  922,  F 


10. 


LES    NOBLES.  209 

ces  appels;  elle  fut  composée  des  sieurs  Machaut,  Boucherat, 
Hervart,  La  Reynie,  et  Dorieu1. 

Des  instructions  détaillées  furent  adressées  par  Colbert  aux 
intendants2.  Les  usurpateurs  présumés  seront  traduits  devant 
eux  par  les  traitants;  dès  qu'ils  seront  saisis  d'une  affaire,  ils 
devront  se  faire  produire  les  pièces  de  l'inculpé,  en  rédiger  un 
inventaire  sommaire,  recevoir  la  déclaration  de  ses  armoiries  et 
blasons  «  qu'on  change  assez  souvent  pour  les  conformer  à  celles 
d'autres  familles  plus  illustres,  d'un  nom  équivoque  ou  syno- 
nyme »,  dresser  les  généalogies,  faire  comparaître  devant  eux, 
sans  attendre  les  poursuites  des  traitants,  tous  ceux  qui  se  disent 
exempts  de  taille  ou  qui,  dans  les  villes  franches,  prennent  la 
qualité  de  noble  dans  des  actes.  Ils  verront  à  ne  pas  froisser  les 
gentilshommes  d'illustres  maisons  par  des  poursuites  outra- 
geantes; enfin  si,  à  l'occasion,  ils  peuvent  se  faire  ouvrir  les 
archives  des  abbayes  et  les  chartriers  privés,  ils  ne  manqueront 
pas  d'y  faire  copier  les  cartulaires  intéressants  pour  l'histoire, 
qu'ils  adresseront  à  la  bibliothèque  du  roi. 

Le  12  janvier  précédent  il  leur  avait  écrit  : 

«  Gomme  vous  estes  assez  informés  que  cette  affaire  est  une  des 
plus  importantes  qui  puissent  passer  par  vos  mains,  et  en  laquelle 
vous  avez  le  plus  besoin  de  vos  lumières  et  d'une  soigneuse  précau- 
tion pour  descouvrir  la  faulseté  des  tiltres  qui  seront  représentez  par 
lesdits  usurpateurs  et  la  vexation  qui  pourroit  estre  faicte  a  ceux  dont 
la  noblesse  a  esté  bien  establie,  je  ne  scaurois  trop  vous  recommander 
de  donner  une  application  sérieuse  et  continuelle,  en  sorte  que  le  Roy 
et  le  public  puissent  receuillir  le  fruict  qu'ils  s'en  sont  promis3.  » 

Les  formalités  pour  reconnaître  un  véritable  gentilhomme 
étaient  longues  et  compliquées,  et  le  résultat  en  était  souvent 
incertain*. 

Le  seul  signe  distinctif  de  la  noblesse  reconnu  par  les  ordon- 
nances était  le  titre  d'écuyer5  et  le  port  d'armoiries  timbrées. 

1.  Clairamb.,  659,  p.  272. 

2.  Circulaire  du  30  avril  1666,  dans  Glém.,  t.  VI,  p.  22;  cf.  la  commission  qui 
l'accompagne  dans  l'édition  de  la  Recherche  de  la  noblesse  de  la  généralité  de 
Caen  par  Chamillart  (publ.  par  Du  Buisson  de  Gourson),  p.  3-4. 

3.  M.  G.  135,  f°  694,  minute  de  Colbert;  non  publié  dans  Clément. 

4.  Voir  pour  tout  ce  qui  concerne  la  procédure  de  la  recherche,  l'ouvrage  de 
Belleguise,  Traité  de  la  Noblesse  et  de  son  origine  suivant  les  préjugés  rendus  par 
les  commissaires  députés  pour  la  vérification  des  titres  de  noblesse,  Paris, 
J.  Morel,  1700.  B.  N.  Lf2  80.  Cet  ouvrage  qui  est  la  réédition  d'un  autre  relatif 
à  la  recherche  en  Provence  et  publié  en  1664  in-8°,  est  un  véritable  manuel  à 
l'usage  des  commissaires  à  la  recherche  et  donne  une  foule  de  renseignements  pra- 
tiques. Voir  aussi  Lenglet  du  Fresnoy,  Méthode  historique,  éd.  in-4°,  t.  IV,  p.  425  ; 
Gauret,  Stile  du  conseil  du  Roy,  p.  435-'' 61,  et  le  Mémorial  alphab.,  p.  44V-456; 
Guyot,  Répertoire  de  jurisprudence,  art.  Noblesse;  Houard,  Dictionnaire  analy- 
tique de  la  coutume  de  Normandie,  même  article;  H.  Beaune,  Droit  coutumier 
français  (Paris  et  Lyon,  1882),  p.  97  et  suiv.  Au  reste  tous  les  ouvrages  relatifs 
à  la  noblesse  traitent  plus  ou  moins  longuement  la  question. 

5.  Une  opinion  communément  répandue  aujourd'hui  est  que  la  particule  de 
placée  devant  un  nom  est  un  signe  de  noblesse,  mais  c'est  une  erreur  grossière  : 


LA   TAILLE    EN   NORMANDIE. 


14 


210  la   taili.k    in    NOM  \m»ii:. 

ledit  de  janvier  1629  (art.  189)  à  la  suite  de  beaucoup  d'autres 
défendait  «  ii  tous  non  nobles  d'en  prendre  la  qualité  ni  porter 
armoiries  timbrées1  ».  Toutefois,  en  Normandie  la  jurispru- 
dence de  la  Cour  des  aides  admettait  que  le  titre  de  «  noble 
homme  »  fût  aussi  une  marque  de  noblesse,  sauf  quand  il  était 
pris  par  un  bourgeois  de  ville  franche;  on  en  avait  fait  état  lors 
des  recherches  de  1598  et  de  16242.  Mais  un  arrêt  du  Cnoseil 
du  4  juillet  1668  déclara  que  ce  qualificatif  ne  pourrait  être 
retenu  dans  la  recherche*.  Les  intendants  devaient  donc 
poursuivre  tous  ceux  qui,  dans  des  actes,  avaient  pris  le  titre 
d'écuyer  et  les  inviter  à  justifier  qu'ils  avaient  bien  le  droit  de 
le  porter;  mais  en  outre,  la  recherche  étant  destinée  surtout  à 
supprimer  les  exemptions  de  taille  indues,  on  se  préoccupa  de 
rechercher  tous  ceux  qui,  dans  les  rôles  de  taille,  s'étaient 
déclarés  exempts  comme  gentilshommes,  même  s'ils  n'y  avaient 
pas  pris  le  titre  d'écuyer;  c'était  une  extension  indispensable 
de  la  recherche. 

Une  autre  règle  était  qu'il  appartenait  au  noble  poursuivi  de 
faire  la  preuve  de  son  titre,  et  cela  non  par  simples  témoins, 
mais  à  la  fois  par  actes  écrits  et  par  témoins  *.  Les  titres  étaient 
naturellement  la  chose  esssentielle;  or,  suivant  la  jurisprudence, 
en  aucun  cas  on  ne  devait  ajouter  foi  aux  copies,  même  si  elles 
étaient  collationnées  et  certifiées  par  un  officier  public;  seuls 
les  originaux  étaient  valables.  La  dispense  de  preuve  n'était 
accordée  qu'aux  familles  de  très  ancienne  noblesse  :  pour  elles 
la  poursuite  eût  été  vexatoire,  d'autant  plus  que  si,  par  suite 
des  temps,  elles  avaient  perdu  leurs  parchemins,  il  eût  été  très 
injuste  de  prononcer  pour  cela  leur  déchéance. 

Dans  le  ressort  de  Paris,  toute  famille  qui  arrivait  à  établir 
par  actes  et  par  témoins  l'authenticité  de  son  titre  pendant  les 
trois  générations  précédentes  était  réputée  noble;  mais  dans 
celui  de  Rouen,  il  fallait  faire  preuve  de  quatre  degrés  : 

a  En  Normandie,  déclare  la  Cour  des  Aides,  le  titre  n'a  jamais 
eu  lieu  qu'au  quatrième  [degré],  aiant  été  besoin  à  ceux  qui  se  sont 
prétendus  nohles  qu'ils  aient  justifié  par  lettres  autentiques  que 
leur  père,  aïeul  et  bisaïeul  aient  toujours  vécu  noblement  sans  avoir 

quantité  de  roturiers  avaient  des  noms  avec  la  particule,  quantité  de  nobles  très 
authentiques  n'avaient  pas  la  particule.  L'erreur  existait  déjà  à  la  tin  du  xvi*  siècle; 
Loysenu  la  dénonce  en  son  Traité  des  ordres  (ch.  v). 

1.  La  même  ordonnance  enjoint  aux  gentilshommes  «  de  signer  du  nom  de 
leur  famille  et  non  de  celui  de  leur  seigneurie  en  tous  uctes  et  contrats  qu'ils 
feront  »,  parce  que  la  seigneurie  peut  se  transmettre  et  être  possédée  indifférem- 
ment par  un  noble  ou  par  un  roturier. 

2.  Houard,  Dictionnaire  analytique,  art.  Noblesse. 

3.  Belleguise,  p.  7U-80. 

4.  Cf.  le  plaidoyer  de  Lebret  à  la  Cour  des  Aides  en  1599,  dans  ses  Œuvres, 
éd.  de  1G8(J,  p.  525-27  :  «  par  les  règles  et  maximes  de  tout  tems  observées  en 
cette  Cour,  dit-il,  les  faits  de  Généalogie  et  de  Noblesse  doivent  être  vérifiés 
tant  par  lettre  que  par  témoins.  » 


' 


LES    NOBLES.  211 

exercé  actes  vils  et  mécaniques  ni  contribué  aux  tailles  et  autres  sub- 
sides ;  et  ledit  usage  [a  été]  confirmé  par  lettres  patentes  du  8  mai  1583, 
et  ce  pour  retrancher  les  moyens  d'usurpation  de  noblesse  '  ». 

La  vérification  des  titres  était  encore  singulièrement  com- 
pliquée par  le  trafic  des  anoblissements  auquel  on  s'était  livré 
jusque-là;  les  différentes  recherches,  les  confirmations  accor- 
dées par  arrêts  du  conseil,  les  ventes  et  révocations  innom- 
brables avaient  accumulé  dans  les  chartriers  des  quantités 
d'actes  qu'il  fallait  vérifier  avec  soin;  seuls  en  étaient  capables 
des  hommes  au  courant  non  seulement  des  généalogies  et  de 
la  loi,  mais  encore  des  différentes  opérations  fiscales  antérieures. 
Les  exigences  relatives  aux  preuves,  la  facilité  avec  laquelle  les 
fausses  pièces  et  les  faux  témoins  étaient  produits,  rendaient 
l'opération  extrêmement  difficile,  et  la  chicane  pouvait  s'y 
donner  carrière.  «  Je  serois  assez  hardy,  écrit  l'intendant 
d'Alençon  en  1666,  pour  vous  asseurer  qu'il  n'en  passeroit  pas 
un  seul  injustement,  si  je  n'apprehendois  d'estre  surpris  par 
des  pièces  faulses,  sur  quoy  je  vous  advoue  que  je  n'ay  aucune 
connoissance2.  » 

La  liste  des  personnes  à  poursuivre  «tait  dressée  par  l'inten- 
dant de  concert  avec  les  traitants.  On  recourut  pour  cela  aux 
actes  publics  et  particulièrement  aux  rôles  de  taille,  où  l'on 
releva  ceux  qui  avaient  pris  la  qualité  d'écuyer3.  Réunir  ces 
actes  n'était  pas  chose  facile.  Déjà  en  1658,  le  roi  constatait 
dans  un  édit  du  mois  d'août  que  «  les  rolles  de  nos  tailles 
ne  se  trouvent  point  aux  greffes  des  Elections  »,  parce  que 
les  élus  ou  les   collecteurs  les   retiennent  par  devers  eux4.  Le 

1.  Règlements  de  Normandie,  éd.  de  1710,  p.  55,  cf.  La  Barre,  Formulaire  des 
Esleuz,  p.  65  et  le  Mémoire  de  Voysin  sur  la  Généralité  de  Rouen  en  1665,  p.  88 
avec  la  note  3.  La  déclaration  du  8  niai  1583  se  trouve  dans  les  Règlements  de 
Normandie,  p.  9.  Basnage  {Commentaires  sur  la  coutume  de  Normandie,  t.  I, 
p.  208-210)  discute  longuement  cette  question  des  quatre  degrés  de  noblesse.  Il 
cite  un  arrêt  du  Conseil  du  16  nov.  1672  autorisant  la  preuve  par  trois  degrés 
seulement;  mais  cet  arrêt  n'eut  pas  de  suites  (Houard,  Dict.  analyt.,  art.  Noblesse). 
Quoique  l'on  fût  plus  sévère  en  Normandie  que  dans  le  reste  du  royaume  sur  la 
preuve  de  noblesse,  l'intendant  d'Alençon,  de  Marie,  estime  pourtant  que  cette 
sévérité  est  encore  insuffisante  :  si  l'on  observe  cette  règle  écrit-il  en  1666  à 
Colbert,  on  «  anoblira  quantité  d'usurpateurs  »  ;  des  avocats,  vicomtes  ou  baillis 
ont  pu,  par  l'autorité  de  leurs  charges,  prendre  la  qualité  d'écuyer,  s'exempter 
de  la  taille,  et  leui'9  descendants  seraient  considérés  comme  véritables  nobles 
à  la  4*  génération;  cela  est  impossible,  il  faudrait  au  moins  exiger  5  degrés 
de  noblesse  pour  réduire  un  peu  le  nombre  de  ces  usurpateurs  (lettres  du 
24  mai  1666,  dans  M.  G.,  137  bl",  f°  918)  :  mais  son  avis  ne  fut  pas  écouté,  et  la 
règle  demeura. 

-2.  De  Marie  à  Colbert,  19  avril  1666,  M.  C,  137,  f°  347. 

3.  Un  arrêt  du  conseil  du  22  mars  1666,  exemptait  de  poursuites,  «  ceux  qui 
n'ont  pris  la  qualité  d'écuyer  qu'une  fois  dans  des  actes  signés  d'eux  comme 
partie  contractante  »  (mentionné  dans  (A.  G.,  142  bl',  f°  640)  cependant  un  autre 
arrêt  du  13  janvier  1667,  ajoute  que  si  la  qualité  d'écuyer  a  été  prise  même  une 
seule  fois  en  justice  ou  devant  notaire,  l'intéressé  sera  soumis  aux  poursuites 
(publié  dans  Clément,  t.  II,  p.  760).  De  même,  ceux  qui  sont  dans  les  armées  du 
roi  ne  seront  pas  poursuivis  tant  qu'ils  serviront  (arrêts  du  conseil  des  10  mai 
et  13  octobre  1667,  mentionnés  dans  ms.   Clairambault,  659,  p.  287  et  293). 

4.  Clairamb.,  442,  p.  853. 


212  LA    TAILLE    EN    NOItMANDIE. 

2  décembre  1660,  la  Cour  des  Aides  de  Normandie  avait 
«  enjoint  à  ses  substituts  des  Eslections  de  cette  province  de  luy 
envoyer  dans  la  quinzaine,  à  peine  de  500  1.  d'amende,  un 
extrait  signé  et  certifié  d'eux,  des  rolles  des  tailles  de  chaque 
paroisse,  des  trois  années  dernières  en  tant  qu'est  du  chapitre 
des  ecclésiastiques,  nobles  et  exempts  avec  la  cause  de  leurs 
exemptions  »,  mais  le  19  mai  suivant  elle  constatait  que  «  plu- 
sieurs de  ces  substituts  ont  négligé  »  d'envoyer  les  états  et  que 
«  la  plus  grande  partie  »  des  rôles  de  taille  ne  se  trouvaient  pas 
dans  les  greffes1;  elle  en  avait  été  réduite  à  s'adresser  directe- 
ment aux  paroisses,  pour  leur  faire  dresser  l'état  des  nobles 
dérogeant  ou  indûment  exempts2. 

Un  arrêt  du  Conseil  du  16  août  1666  constate 

«  que  nonobstant  plusieurs  règlements  et  arrests,  aucun  des  officiers 
des  eslections,  abusans  du  pouvoir  de  leurs  charges,  retiennent  les 
doubles  des  rooles  des  tailles  qui  leur  sont  portez  lors  de  la  vériûca- 
tion  d'iceux,  au  lieu  de  les  remettre  aux  greffes  où  ils  devroint  estre 
soigneusement  gardez  et  mis  en  ordre  pour  y  avoir  recours  aux  occa- 
sions, comme  il  seroit  nécessaire  dans  la  recherche  qui  se  fait  présen- 
tement des  usurpateurs  du  tiltre  de  noblesse,  lesquels  et  leurs  prédé- 
cesseurs ont  artificieusement  supprimé  les  rooles  ou  ils  ont  esté  com- 
pris au  nombre  des  taillables  '.  » 

L'arrêt  sera  répété  le  28  juillet  1667,  ce  qui  prouve  son  inexé- 
cution. 

Un  nouvel  arrêt  du  Conseil,  du  20  janvier  1667,  donna  l'ordre 
aux  greffiers  des  Elections  d'envoyer  aux  intendants  des  extraits 
signés  d'eux,  contenant  les  noms,  surnoms  et  qualités  de  ceux 
qui  sont  compris  au  chapitre  des  exempts  dans  les  rôles  de  taille 
des  trois  dernières  années.  De  même  il  fut  enjoint  aux  notaires 
de  relever  dans  leurs  actes  et  d'indiquer  aux  intendants  tous 
ceux  qui  y  avaient  pris  la  qualité  de  chevalier  ou  d'écuyer.  Pour 
exciter  le  zèle  des  uns  et  des  autres,  le  roi  ajoutait  :  «  Et  afin  que 
ladite  recherche  ne  soit  pas  inutile  par  l'artifice  des  usurpateurs 
et  la  connivence  des  commis  et  préposés  à  icelle,  S.  M.  accorde 

1.  Arrêt  de  la  Cour  du  19  mai  1661,  A.  D.  Calvados,  registre  d'ordonnances  de 
l'Election  de  Caen,  1656-63,  f°  395. 

2.  A.  D.  Calvados  Election  de  Caen,  registre  des  délibérations  de  la  paroisse 
de  Tracy,  8  janvier  1662.  Sur  la  mauvaise  conservation  des  rôles  de  tailles,  cf. 
encore  le  rapport  de  Charles  Colbert  sur  l'Anjou  en  1664  :  il  a  cherché  dans  les 
greffes  des  élections  les  rôles  antérieurs  à  1656,  <  mais...  les  désordres  de 
partie  des  greffes  est  cause  que  nous  n'avons  pu  avoir  cet  éclaircissement  tout 
entier  »  (Archives  d'Anjou,  t.  I,  p.  153). 

3.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen,  Registre  d'ordonnances,  1664-74,  f  158.  Les 
registres  paroissiaux  étaient  à  peu  près  inutiles  :  certaines  paroisses  n'en  avaient 
pas  (Ibid.,  Election  de  Lisieux.  procès  verbal  de  chevauchées,  16  sept.  1684);  le 
conseiller  d'Etat  de  Villayer  écrit  en  1665  que  •  beaucoup  de  faucetez  et  de  procez 
naissent  de  l'altération  et  suppression  de  ces  registres  »  (M.  C.  33,  P  49).  Un 
autre  mémoire  de  la  même  date  affirme  que,  parmi  les  notaires,  <  la  pluspart, 
par  nécessité  ou  autrement,  ex  turpi  causa,  supriment  et  recèlent  ou  bruslent  la 
pluspart  de  leurs  minuties  pour  de  l'argent,  a  ce  requis  par  plusieurs  inté- 
ressez »  (ibid.,  f°  540). 


LES    NOBLES.  213 

le  tiers  des  amendes  qui  pourront  être  adjugées  à  ceux  qui  four- 
niront auxdits  sieurs  commissaires  [départis]  des  actes  de  déro- 
geance,  des  preuves  et  pièces  justificatives  de  la  fausseté  des 
titres  produits  par  lesdits  usurpateurs  et  dont  lesdits  préposés 
n'auront  donné  connaissance  auxdits  sieurs  commissaires1.  » 
Mais  bien  des  pièces  manquèrent  malgré  cela.  L'intendant 
d'Alençon  se  vante  comme  d'un  tour  de  force  d'avoir  pu  trouver 
des  rôles  et  des  documents  :  «  Je  ne  suis  pas  fasché,  écrit-il  à 
Colbert  le  25  novembre  1666,  que  plusieurs  ayent  du  chagrin  de 
ce  que  j'ait  faict  mes  diligences  pour  trouver  plusieurs  roolles 
et  plusieurs  papiers  sans  lesquels  il  estoit  inutile  de  travailler  à 
la  recherche  des  usurpateurs2»;  il  a  fait  venir  de  Paris  «  plu- 
sieurs rolles  de  tailles,  partye  de  la  ville  de  Dompfront,  partye 
des  paroisses  circonvoisines  »,  qui  avaient  été  produits  en  1662 
dans  un  procès  aux  requêtes  de  l'Hôtel  et  y  étaient  restés 3. 

Mais  même  si  l'on  avait  pu  se  procurer  tous  les  rôles,  on 
n'aurait  pas  possédé  de  documents  suffisants  pour  reconnaître 
les  usurpateurs  ;  il  s'en  fallait  de  beaucoup,  en  effet,  quoique  les 
règlements  le  prescrivissent,  que  tous  les  exempts  fussent  ins- 
crits au  bas  des  rôles  avec  le  motif  de  leur  exemption.  Le  pro- 
cureur   d'Héberville    écrivait    à    Colbert   le   21    février   1666    : 

«  Encore  que  ce  dust  estre  l'usage  d'employer  dans  les  rosles  les 
noms  de  tous  ceux  qui  se  prétendent  exempts  et  privilégiés,  néanmoins 
à  cause  que  ça  esté  une  chose  négligée  pour  le  passé,  il  semble  aujour- 
d'hui que  ce  soit  une  nouveauté  et  beaucoup  de  collecteurs  n'y  satis- 
font. J'ay  esté  adverti  que  cela  vient  de  la  violence  de  certains  gentils- 
hommes et  puissants  dans  la  campaigne,  lesquels  intimident  lesdits 
collecteurs  et  les  empeschenl  d'employer  dans  lesdites  rosles  les  noms 
de  ceux  qu'ils  protègent  fin  d'obvier  à  la  recherche.  »  Heureusement, 
ajoutait-il,  j'ai  «  des  personnes  qui  m'avertissent  de  tous  costés  4  ». 

Même  difficulté  pour  réunir  des  témoins;  l'intendant  de  Caen 
ayant  reçu  l'ordre  d'informer  contre  le  sieur  de  Saint-André, 
capitaine  garde-côte,  écrit  :  «  C'est  un  gentilhomme  qui  a  beau- 
coup d'amis  et  contre  lequel  il  est  presque  impossible  de 
trouver  de  personne  qui  veuille  déposer;  ceux  qui  peuvent 
parler  avec  plus  de  certitude  sont  tous  ses  voisins,  et  la  pluspart 
des  pauvres  gens,  qui  n'osent  jamais  parler  que  par  ouï-dire  et 
n'osent  jamais  nommer  personne.  »  Puis  il  ajoute  cette  phrase 
qui  en  dit  long  sur  les  mœurs  de  l'époque  :  «  La  noblesse  a  icy 
une  grande  liaison  les  uns  avec  les  autres,  et  à  la  moindre 
afaire  qui  survient  à  un  gentilhomme,  elle  monte  à  cheval5.  » 

1.  Dans  Chérin,  Abrégé  chronologique,  p.  164. 

2.  M.  C.   142,  f»  179. 

3.  Lettre  à  Colbert  du  9  octobre  1666,  M.  G.,  141,  f°  214. 

4.  M.  G.,  136,  f°  396. 

5.  M.  G.,  131,  f°  244. 


214  LA    TAILLK     l.\     H  oit  M  V  Mil  | . 

Il  <st  donc  impossible  à  un  intendant,  combattu  encore  par  la 
Cour  des  aides  et  par  le  Parlement,  de  poursuivre  à  fond  une 
enquêta  de  ce  genre. 

Celui  d'Alençon,  de  Marie,  a  exposé  dans  une  lettre  à  Colbert 
le  19  avril  1(366  la  façon  dont  il  procédait  : 

«  J'ay  un  mémoire  de  tous  les  gentilshommes  de  la  généralité,  et  à 
l'esgard  de  ceux  qui  produisent,  je  paraphe  toutes  les  pièces,  j'en 
retiens  un  extrait,  et  je  prétends  vous  dresser  un  procès-verbal  de 
toutes  les  pièces  justificatives  de  leurs  généalogies...  Ceux  qui  sont 
de  la  Maison  du  roy  et  dans  le  service  sont  expédiez  les  premiers, 
les  autres  suivent  le  rang  de  leur  produit...  Je  leur  rend  toutes  les 
civilités  que  vous  m'ordonnez,  et,  appréhendant  en  les  faisant  attendre 
de  ne  pas  suivre  vos  intentions,  je  peux  vous  dire  qu'il  y  a  des  jour- 
nées que  nous  y  avons  travaillé  quinze  heures  entières1.  » 

«  Tous  ceux  qui  m'approchent,  dit-il  encore  le  30  septembre  sui- 
vant, me  connoissent  assez  pour  n'appréhender  aucune  friponnerye; 
ayant  le  nom  de  tous  les  gentilshommes  que  je  veriffieray  encore  sur 
les  procès  verbaulx  des  esleus,  il  me  sera  aysé  d'empescher  que  pas 
un  ne  s'eschappe.  J'avois  demandé  à  M.  Marin  une  liste  des  anoblis- 
semens  verifflez  en  la  cour  des  aydes  Normandye  qui  m'est  très 
nécessaire,  vous  en  ordonnerez  ce  que  vous  jugerez  a  propos  2.  » 

L'intendant  de  Rouen,  Barin  de  la  Galissonnière,  ne  déploie 
pas  moins  de  zèle,  du  moins  suivant  son  dire  : 

«  Je  tiendray  la  main  à  ce  que  le  traictant  des  usurpateurs  du  titre 

de  noblesse  ne  donne  aucune  assignation  sans  mon  ordre Je  prens 

en  faisant  les  départemens  les  noms  de  tous  les  exempts,  affin  de  con- 
noitre  s'ils  ont  fait  assigné  tous  ceux  qui  le  doivent  estre  et  empescher 
les  abus  dont  cette  affaire  est  fort  susceptible.  —  J'ay  tousjours  retenu 
les  inventaires  des  productions  qui  ont  esté  faittes  devant  moy,  tant 
de  ceux  que  j'ay  creu  usurpateurs  que  des  autres,  auxquels  j'ay  donné 
des  advis  pour  leur  descharge.  J'observeray,  Monsieur,  ce  que  vous 
m'ordonnez,  mais  je  me  sens  obligé  en  conscience  de  vous  dire  que 
les  traictans  n'en  usent  pas  toujours  legallement,  et  fatiguent  assés 
souvent  les  vrays  nobles  par  leurs  longueurs3.  » 

1.  M.  C,  137,  f°  347-349.  Cette  lettre  est  la  réponse  à  la  circulaire  de  Colbert 
du  3  avril  1666,  publ.  dans  Clém.,  VI,  22,  avec  la  date  erronée  du  30  avril. 

2.  M.  C,  140,  f  512. 

3.  Lettres  des  17  octobre  et  20  janvier  1667,  dans  M.  C,  141,  f°  429  et  vol.  143, 
f°  118.  C'est  sans  doute  à  la  suite  de  ces  renseignements  que  Colbert  lit  rendre 
l'arrêt  du  Conseil  du  20  janvier  1667  cité  plus  haut,  et  dans  le  préambule  duquel 
on  lit  :  «  Dans  la  recherche  des  usurpateurs  du  titre  de  noblesse,  il  se  commet 
plusieurs  abus  par  les  commis  et  préposez  pour  cet  effet  qui  ne  font  assigner  que 
ceux  qui  bon  leur  semble,  supprimant  les  extraits  des  contrats,  actes  de  déro- 
geance  et  autres  pièces  servans  de  conviction  aux  faussetés  de  la  pluspart  des 
tiltres  produits,  de  sorte  que  s'il  n'y  estoit  promptement  remédié,  il  se  trouver- 
roit  qu'au  lieu  de  retrancher  le  nombre  des  usurpateurs,  on  en  feroit  beaucoup 
de  nobles,  contre  l'intention  de  S.  M.  et  l'intérest  du  public.  •  (A.  D.  Calvados 
Election  de  Cnen,  Registre  d'Ordonnances  1664-74,  f°  192).  De  la  Marguerie  à 
Colbert,  Paris,  19  déc.  1666  :  «  11  y  a  plusieurs  abus  qui  se  commettent  par  les 
soustraitans  commis  a  la  recherche  des  nobles;  ils  peuvent  mettre  un  commis 
dans  chaque  eslection  pour  y  travailler,  et  sous  ce  prétexte  ils  en  commettent 
dans  toutes   les  villes  et  bourgs,  et  moyennant  quelque  gratification    qu'ils  reti- 


LES    NOBLES.  215 

Quant  à  celui  de  Caen,  Chamillart,  il  fut  surtout  expéditif  : 

«  J'ai  achevé,  écrit-il  le  6  septembre  1666,  le  catalogue  de  la  noblesse 
des  élections  de  Vire,  Mortaing  et  Avranches  mercredy  au  soir;  j'ay 
chargé  le  traitant  de  faire  assigner  les  usurpateurs  élection  par  élec- 
tion, et  quelques-uns  d'entre  ceux  qui  avoient  produit,  que  j'ay  apris 
par  de  nouveaux  mémoires  et  par  des  recherches  que  l'on  m'a  mis  en 
main  n'estre  point  gentilshommes.  J'ay  engagé  les  plus  qualifiez  qui 
[avoient  plus]  de  créance  parmy  la  noblesse  a  se  [pourvoir]  contre  les 
usurpateurs  et  exciter  un  chacun  à  donner  des  mémoires  pour  faire 
cette  distinction,  qui  leur  est  si  avantageuse  et  si  utile  pour  le  soula- 
gement des  peuples  *.  » 

La  répugnance  des  nobles  à  présenter  leurs  titres  ne  fut  pas 
l'un  des  moindres  obstacles  à  la  recherche;  ce  n'étaient  pas  seule- 
ment ceux  qui  se  sentaient  sujets  à  caution  qui  refusaient  de  les 
présenter,  mais  aussi  les  nobles  les  plus  authentiques.  Le  carac- 
tère inquisitorial  de  l'opération  les  inquiétait,  et  l'obligation 
d'obéir  à  l'intendant  et  à  ses  commis  les  humiliait2.  Une  ordon- 
nance de  l'intendant  de  Rouen  du  18  janvier  1669  nous  apprend 
que  les  nobles  du  pays,  et  particulièrement  ceux  de  la  ville  de 
Rouen,  prétendent  se  dispenser  de  fournir  leurs  titres  «  en  con- 
sidération de  leurs  charges  ou  autrement  »,  quoique  cette  pro- 
duction soit  exigée  uniquement  pour  former  le  grand  recueil 
généalogique  de  la  noblesse  destiné  à  la  bibliothèque  du  roi 3. 
Le  4  décembre  1670,  le  même  intendant  écrit  que  certaines 
«  personnes  de  qualité  »  se  sont  «  fait  un  point  d'honneur  de 
ne  point  produire  leurs  titres  »,  et  «  les  plus  verreux  »,  par 
intelligence  avec  ceux  qui  ont  eu  cette  direction,  «  ont  empesché 
qu'on  les  ayt  poursuivis*  ». 

D'autres  recourent  à  un  subterfuge  :  ils  se  retirent  dans  les 
villes  franches  où  ils  prennent  la  qualité  de  simples  bourgeois 
et,  par  ce  moyen,  ils  prétendent  n'avoir  pas  à  produire;  il  faut 
un  arrêt  du  conseil  pour  ordonner  que  s'ils  ne  produisent  pas, 
ils  seront  imposés  d'office  par  les  intendants5,  sans  préjudice 
des  amendes  qu'ils  auront  pu  encourir. 

rent  d'eux,  ils  les  font  exempter  d'estre  collecteurs  des  tailles,  et  nous  avons  veu  un 
desdits  commis  des  plus  riches  d'une  ville,  et  en  tour  d'estre  collecteur,  se  servir  de 
cette  prétendue  commission  pour  s'en  exempter,  ce  qui  peut  tirer  a  grande  con- 
séquence, et  faire  préjudicier  a  la  levée  des  tailles  dans  tout  le  royaume.  »  Il 
se  commet  encore  d'autres  abus  dans  la  recherche  qu'il  expliquera  si  Golbert  le 
désire.  (M.  G.,  142  "",  f°  826.) 

1.  M.  C.  140,  f°177. 

2.  De  Marie,  à  Alençon,  prenait  soin- de  «  leur  faire  connoistre  que  l'intention 
du  roy  dans  ceste  recherche  [n'était]  que  pour  les  distinguer  des  usurpateurs  et 
les  honorer,  eux  et  leurs  enfans,  des  employs  qui  se  présenteront  »  (M.  G.  137, 
f°  347  :  lettre  du  19  avril  l*i66);  cf.  la  lettre  de  Chamillart  du  6  sept.,  citée 
plus  haut. 

3.  M.  G.  153  b",  f°  949. 

4.  Glairamb.  792,  p.  393-394. 

5.  Arrêt  du  conseil  du  8  novembre  1666,  A.  D.  Calvados,  Election  de  Caen, 
Registre  d'Ordonnances  1664-74,  f0'  161-164. 


216  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Mais  le  plus  grand  obstacle  à  la  recherche  vint  du  Conseil 
lui-même.  Le  président  de  Hocqueville  écrivait  à  Colbert  le 
13  mai  1665  :  «  Les  parties,  pour  éluder  une  juste  condamnation, 
se  pourvoient  au  Conseil  qui  leur  donne  arrest  de  descharges 
ou  les  renvoie  à  la  Cour  des  Aydcs  de  Paris.  Le  traittant  m'est 
venu  donner  advis  qu'il  y  a  18  instances  au  Conseil  de  prétendus 
nobles,  vrais  usurpateurs,  et  qu'ayant  voulu  faire  payer  quelques 
particuliers,  lesquels  ayant  demandé  à  estre  ouys  devant  moy,  ils 
ont  déclaré  vouloir  mettre  au  commerce1.  »  Le  13  octobre  1666, 
l'intendant  de  Caen  écrit  de  son  côté  : 

«  Je  vous  dois  donner  advis  que  les  usurpateurs  de  noblesse  que  je 
condamne  tous  les  jours  se  promettent  beaucoup  des  habitudes  qu'ils 
ont  à  Paris,  dont  j'ay  connoissance  parles  recommandations  fréquentes 
que  je  reçois  en  leur  faveur,  mesmes  de  la  part  de  quelques-uns  qui 
sont  commissaires,  ce  que  je  ne  dois  pas  vous  dissimuler,  et  il  seroit 
de  la  dernière  conséquence  d'en  admettre  aucun  dans  le  catalogue  de 
la  noblesse  sur  leurs  productions.  Un  seul  exemple  autoriseroit  une 
infinité  d'usurpateurs,  qui  n'ont  osé  paroistre,  à  produire  de  faux  litres, 
auxquels  on  travaille  aussy  hardiment  en  cette  province  que  l'on  a 
faict  autrefois  à  la  fausse  monnoie  2.  » 

Même,  à  en  croire  certaine  information,  un  véritable  trafic 
aurait  été  organisé  à  Paris  pour  vendre  les  exemptions  ou 
dispenser  des  poursuites;  le  sieur  Du  Carouge,  receveur  des 
tailles  à  Pont-1'Evêque  et  subdélégué  de  l'intendant  de  Rouen 
pour  la  recherche,  écrit  à  Colbert  le  10  décembre  1666  «  qu'il 
y  a  présentement  à  Paris  un  certain  ministre  de  Normandie, 
nouvellement  converty,  lequel  abusant  du  crédit  qu'il  a  auprès 
de  quelques  personnes  de  considération,  fait  donner  pour  trois 
ou  quatre  mille  livres  que  l'on  lui  paye  des  certifficats  pour 
Monsieur  de  Louvoy  auxdits  nouveaux  anoblis  portant  que  le 
Roy  les  confirme  dans  leur  noblesse  »  ;  il  cite  le  cas  d'un  nommé 
Brument  sieur  de  Boisflamets,  habitant  la  paroisse  de  Bautot 
près  de  Rouen,  qui  est  «  un  véritable  paysan  dont  le  père  estoit 
chapelier  en  un  village,  n'ayant  en  sa  vie  sorty  de  sa  maison  ny 
veu  que  sa  charuc  et  ses  granges  »,  et  qui  cependant  a  obtenu 
«  des  certifficats  de  service  dans  les  armées  du  roy  »;  et  beau- 
coup d'autres  sont  dans  ce  cas  '  :  L'intendant  de  Caen  dénonce 
à  Colbert  les  mêmes  manœuvres,  le  22  avril  1667  : 

«  Comme  vous  me  marquez  que  le  Roy  ne  recevra  pas  tout  l'advan- 

i.  M.  C,  129,  f  387-8. 

2.  M.  C,  141,  1»  295. 

S.  M.  C,  142  bu,  {•  508-599.  On  ne  peut  cependant  pas  ajouter  une  confiance 
aveugle  à  de  pareilles  affirmations  :  u  est  possible  que  nous  soyons  ici  en  pré- 
sence d'une  dénonciation  simple,  il  faut  ajouter  que  le  sieur  du  Carouge  fut 
quelque  temps  après  accusé  de  concussion  dans  ses  fonctions  de  receveur  et  pour- 
suivi (voir  ci-dessous,  chap.  vu),  mais  le  fait  n'étant  pas  isolé,  on  a  le  droit 
d'en   tenir  quelque  compte. 


LES    NOBLES.  217 

tage  et  le  public  tout  le  soulagement  que  Ton  s'estoit  promis  de  la 
recherche  des  usurpateurs,  je  puis  vous  assurer  que  ceux  qui  travaillent 
auprès  de  moi  ne  commettent  rien  de  contraire  à  mon  instruction, 
mais  j'aprens  de  toutes  parts  que  le  traffic  est  ouvert  à  Paris,  et  le 
prix  des  compositions  pour  lesquels  les  plus  signalés  usurpateurs 
obtiennent  des  décharges  est  public.  » 

Il  faudrait,  ajoute-t-il,  laisser  les  intendants  juger  en  dernier 
ressort,  quitte  à  les  rendre  responsables  de  leurs  jugements1. 
Pareillement,  en  août  1664,  un  sieur  de  la  Vallée-Corné  informe 
Colbert  que  «  le  sous-traittant  de  Normandie  aiant  voulu  faire 
dégrader  environ  30  usurpateurs  dans  la  ville  de  Rouen,  où  il  y 
en  a  très  grand  nombre,  et  qui  s'épendent  dans  toute  la  pro- 
vince, ils  ont  député  quelques  uns  d'entr'eux  [à  Paris]  dans  la 
créance  d'obtenir  de  Monseigneur  une  décharge  des  poursuites 
que  le  sous-traittant  fait  par-devant  les  commissaires  de  la  Cour 
des  aydes2  ». 

Colbert  lui-même  intervint  pour  faire  accorder  des  faveurs  à 
certaines  personnes  auxquelles  il  s'intéressait;  voici  un  billet 
qu'il  écrit  à  Marin,  intendant  des  finances,  le  2  novembre  1667  : 

«  Le  sieur  Geoffroy,  maistre  particulier  des  eaux  et  forests  de  Com- 
piègne  et  lieutenant  des  chasses,  estant  un  fort  bon  officier,  lequel 
sert  avec  affection  et  exactitude,  il  est  poursuivi  pour  avoir  pris  la 
qualité  d'escuyer.  Je  vous  prie  de  m'informer  par  qui  ces  poursuites 
se  font  afin  de  voir  après  ensemble  si  Ton  les  fera  cesser3.  » 

Pareillement  il  adresse,  le  19  juin  1664,  une  recommandation 
à  l'avocat  général  à  la  Cour  des  aides  de  Rouen,  en  faveur  d'un 
sieur  de  Saint-Germain  :  J'en  ai  parlé  aux  commissaires,  lui 
répond  l'avocat,  et  je  les  ai  trouvés  «  en  ce  rencontre  comme  en 
tous  autres,  entièrement  disposés  à  exécuter  vos  ordres  »  ;  en  con- 
séquence, conclut-il,  «  je  n'ay  pas  eu  grand  paine  à  faire  donner 
au  sieur  de  Saint-Germaîn  le  temps  que  vous  m'ordonnez  pour  la 
production  de  ses  tiltres4».  Le  grand  nombre  d'arrêts  du  conseil 
que  l'on  trouve  pendant  les  années  1666-1670  relatifs  à  des  con- 
firmations de  noblesse,  montre  l'importance  de  ces  recours  au 
conseil,  et  de  l'intervention  des  ministres;  il  est  bien  à  penser 
que  tous  n'étaient  pas  inspirés  uniquement  par  la  justice. 

En  définitive,  l'opération  n'aboutit  pas  aux  résultats  cher- 
chés ;  elle  était  vexatoire  pour  les  gentilshommes  et  mettait  plus 
d'argent  dans  la  bourse  des  traitants  que  dans  les  coffres  du 
roi;  enfin  elle  aboutissait  autant  à  créer  de  nouveaux  nobles 
qu'à    supprimer    des   usurpateurs;   c'est    pour   ces    motifs   que 

1.  M.  C,  143,  f°«  490-491. 

2.  Lettre  du  21  août  1664,  M.  G.,  123,  F  426. 

3.  M.  C,  146,  f°  31. 

4.  M.  C,  121  b",  f  849. 


218  LA     TAU   I  I.      IN     NOIt.M.VNDIi:. 

Colberl  déoida  de  l'Arrêter;  il  en  informa  les  intendants  par  une 
circulaire  du  1er  décembre  1070  : 

«  Le  roy  recevant  tous  les  jours  des  plaintes  des  vexations  et  abus 
qui  se  commettent  dans  la  recherche  des  usurpateurs  du  tiltre  de 
noblesse,  S.  M.  a  résolu  de  les  faire  cesser;  et  pour  cet  effet  elle  m'a 
ordonné  de  vous  faire  sçavoir  que  son  intention  est  que  vous  ne  fassiez 
plus  donner  aucunes  assignations  aux  particuliers,  ny  faire  de  pour- 
suites par  devant  vous,  pour  la  raison  de  ladite  recherche  et  que  vous 
ne  rendiez  aucun  jugemens  sans  ordre  exprès  de  S.  M.  si  ce  n'est 
pour  l'instruction  des  interlocutoires  qui  vous  ont  esté  renvoyez  par 
ordonnances  de  MM.  les  commissaires  généraux,  que  vous  parachè- 
verez incessament  pour  les  renvoyer  aussytost1.  » 

Aucun  acte  législatif  ne  fut  publié  pour  informer  le  public 
que  la  recherche  était  interrompue;  c'est  seulement  le  6  jan- 
vier 1674  qu'un  arrêt  du  conseil  révoqua  la  commission  et  fit 
défense  aux  traitants  de  faire  le  recouvrement  des  sommes  dues 
pour  les  amendes  prononcées  antérieurement2. 


C.  —  LES  RESULTATS  DE  LA  RECHERCHE 

Il  est  certain  que  le  principal  but  de  la  recherche,  la  distinc- 
tion entre  vrais  et  faux  nobles,  ne  fut  pas  atteint  :  c'est  vers  ce 
temps  que  Boileau  écrivait  dans  sa  satire  sur  la  noblesse  : 

Mais  quand  un  homme  est  riche,  il  vaut  toujours  son  prix, 
Et  1  eut-on  vu  porter  la  mandillc  a  Paris, 
N'eûl-il  de  sou  vrai  nom  ni  titre  ni  mémoire, 
D'Hozier  lui  trouvera  cent  aïeux  dans  l'histoire. 

Boursault  dans  son  Mercure  galant  faisait  dire  également  à 
un  riche  bourgeois  '  : 

1.  Clément  II,  p.  77.  La  question  delà  surséance  dans  la  recherche  fut  certainement 
discutée  au  conseil  a  la  fin  de  novembre  1670  :  on  avait  d'abord  projeté  de  donner 
un  délai  de  trois  mois  aux  commissaires  pour  terminer  leurs  opérations,  mais 
Pussort  désapprouvait  ces  projets  :  voici  le  billet  qu'un  secrétaire  de  Colbert  faisait 
parvenir  à  son  patron  le  28  novembre  1670  :  «  M.  Pussort  s'est  chargé  de  vous 
entretenir  sur  l'arrest  de  surséance  de  l'allaire  des  usurpateurs  de  noblesse,  esti- 
mant qu'il  faudrait  oster  le  temps  de  trois  mois  aussy  bien  pour  ce  qui  est  pen- 
dant au  Conseil  qu'aux  provinces.  Sur  quoy  il  y  a  à  considérer  que  ce  seroit  laisser 
uux  Cours  des  Aydes  le  jugement  des  appellations  de  Mrs.  les  Commissaires 
départis;  ce  qui  ne  se  doict  pas  soufTrir,  outre  que  fermant  la  main  dez  à  pré- 
sent aux  traictans  en  leur  ostant  le  moyen  de  remplir  leurs  forfaicts  ils  vous 
retomberoient  sur  les  bras,  de  sorte  M.,  que  ces  raisons  estons  pezées  je  ne 
fais  point  de  doutte  que  vous  accorderez  les  trois  mois  pour  juger  aux  bureaux 
de  Mrs.  Daligre  et  Pussort  ce  qui  est  présentement  en  estât  de  juger  :  pendant 
lequel  temps  ou  pourra  recouvrer  les  amandes  jugées  comme  chose  acquise  au 
Roy.  C'est  bien  assez  d'empescher  qu'il  se  donne  de  nouvelles  assignations  et 
qu'on  juge  rien  davantage  aux  provinces.  J'ai  creu,  Mr.,  vous  devoir  faire  cette 
retnonstrance.  après  quoi  je  n'ay  qu'à  obéyr.  »  (B.  N.,  Clairambault,  792, 
p.  389-390  :  lettre  non  signée). 

2.  Dans  Chérin,  Abrégé  Chronologique,  p.  191. 

3.  Acte  I,  se.  m.  Cf.  De  Claveret,  L'écuyer,  ou  les  faux  nobles  mis  au  billon,  1665: 
cette  comédie  était  d'actualité. 


LES    NOBLES.  219 

....  J'ai  fait  chercher  un  généalogiste, 

Qui,  pour  quelques  louis  que  je  lui  donnerai, 

Me  fera,  sur  le  champ,  venir  d'où  je  voudrai. 

Saint-Simon  a  dit  :  «  On  sait  comment  se  font  ces  recherches 
de  noblesse  :  ceux  qui  en  sont  chargés  dépêchent  la  consigne, 
leurs  secrétaires  les  défrichent  et  font  force  nobles  pour  de 
l'argent  ». 

Même  si  l'on  élimine  les  anoblissements  autorisés  par  le  roi 
—  chose  dont  la  légitimité  pouvait  être  soutenue1,  puisque  le 
roi  avait  le  droit  de  faire  des  nobles  comme  il  voulait  —  il  res- 
tait encore  un  grand  nombre  de  personnages  introduits  dans  la 
noblesse  par  les  faveurs  des  intendants,  des  traitants  et  de  leurs 
commis 2,  par  les  faux  titres  et  les  faux  témoignages  produits 
aux  procès.  Pour  quelques  usurpateurs  condamnés  à  l'amende 
comme  ce  pauvre  Lafontaine3,  pour  avoir  pris,  peut-être  sans  le 
savoir,  le  titre  d'éeuyer  dans  quelques  actes  notariés,  combien 
firent  confirmer  leurs  titres  sans  rien  payer,  qui  étaient  de  la 
plus  certaine  roture?  Au  reçu  de  la  circulaire  du  1er  décem- 
bre 1670,  l'intendant  de  Rouen  écrivait  : 

«  Il  y  a  si  longtemps  que  je  suis  persuadé  des  abus  et  vexations 
qui  se  commettent  dans  la  recherche,  et  qui  n'a  très  souvent  servy 
qu'à  tourmenter  les  véritables  gentilshommes  et  à  en  faire  de  nou- 
veaux par  la  faveur  des  traitans  et  par  la  protection  qu'ils  ont  trouvée 
par  leur  argent  et  leurs  amis,  qu'il  me  semble  que  S.  M.  ne  pourroit 
rien  faire  de  plus  digne  de  sa  justice  et  de  l'application  qu'Elle  donne 
au  gouvernement  de  son  royaume  que  de  la  faire  cesser4.  » 

Son  successeur,  de  Creil,  écrivait  également  le  21  novem- 
bre 1673  en  envoyant  l'état  des  usurpateurs  : 

«  Par  avance  je  vous  diray  que  la  pluspart  de  ceux  qui  avoient  du 
bien  se  sont  tirez  d'affaires,  soit  par  des  accommodements,  soit  par 
des  lettres  de  réhabilitation  ou  confirmation,  soit  par  des  arrests  du 
Conseil  en  commandement  que  S.  M.  a  bien  voulu  leur  accorder,  ou 


1.  Toutefois  l'intendant  de  Bourges  et  de  Moulins  écrivait  à  Golbert  le 
7  décembre  1673,  en  réponse  à  sa  lettre  du  1er  décembre  citée  ci-dessous  :  «  Quant 
à  ceux  [les  nobles]  qui  ont  esté  rétablis  au  conseil,  les  uns  l'ont  esté  de  grâce,  et 
par  des  arrests  signez  en  commandement,  a  quoy  il  n'y  a  rien  à  dire  :  et  à 
l'égard  de  ceux  qui  l'ont  esté  par  des  arrests  de  justice,  je  ne  doute  point,  Mon- 
sieur, que  ce  n'ayt  esté  avec  fondement,  mais  il  est  à  remarquer  que  l'on  a  pro- 
duit au  Conseil  beaucoup  de  pièces  dont  on  n'a  pu  relever  l'altération,  faute 
d'avoir  les  connoissances  qu'on  trouve  sur  les  lieux,  et  il  ne  s'estoit  jamais  fait 
tant  de  faussetés  qu'il  s'en  est  commis  à  l'occasion  de  cette  recherche.  »  (Clairamb., 
795,  p.  227.) 

2.  Colbert  écrit  le  1er  déc.  1673  à  l'intendant  de  Bourges  et  de  Moulins  :  «  Je 
ne  crois  pas  que...  vous  trouviez  qu'il  y  ayt  beaucoup  qui  ayant  estes  deschargés 
par  arrests  du  conseil  sans  fondement»  (Clém.  II,  304). 

3.  Voir  Œuvres  de  La  Fontaine,  éd.  des  Grands  Ecrivains,  t.  I,  p.  vi. 

4.  Lettre  du  4  décembre  1670,  B.  N.,  Clairamb.,  792,  p.  393. 


220  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

autrement,  et  qu'ainsy  il  n'y  a  eu  que  les  pauvres  et  malaisez  qui  sont 
demeurez  à  la  taille  '.  » 

La  recherche  alimenta  notablement  le  Trésor;  elle  est  restée 
surtout  célèbre  par  la  sévérité  avec  laquelle  les  amendes  furent 
prononcées  et  exigées.  Dans  la  généralité  de  Caen.  les  condam- 
nations prononcées  jusqu'en  août  1667  par  l'intendant,  et  por- 
tant sur  300  usurpateurs  seulement,  montaient  à  180  100  1. 2.  La 
même  année  Colbert  a  relevé  de  sa  propre  main  une  phrase 
d'un  mémoire  à  lui  adressé  par  le  cardinal  de  Vendôme  et 
l'intendant  d'Oppède  sur  le  Languedoc  :  «  Epuisement  de  la 
province  par  les  taxes  de  la  Chambre  de  justice  et  celles  des 
escuyers*  ».  Même  lorsque  la  recherche  fut  déclarée  close,  on  ne 
cessa  pas  de  mettre  en  vente  des  lettres  de  noblesse;  Colbert 
lui-même  y  eut  recours  quand  il  eut  besoin  d'argent  :  en  sep- 
tembre 16/3,  il  annonçait  aux  intendants  un  projet  de  rétablir, 
moyennant  finance,  une  partie  des  nobles  condamnés,  à  quoi 
l'intendant  de  Rouen  répondait  le  27  décembre  suivant  : 

«  Si  S.  M.  veut  restablir  une  partie  desdits  usurpateurs  dans  leur 
noblesse,  il  est  à  propos  de  n'accorder  cette  grâce  qu'à  ceux  qui  sont 
riches,  et  en  estât  de  bien  paier,  et  de  la  soutenir  dans  la  suitte  en 
vivant  noblement  eux  et  leurs  enfans,  estant  certain  que  si  des  gens 
peu  accomodés  font  un  effort  pour  achepter  ce  tiltre,  ils  languiront  le 
reste  de  leur  vie,  et  peupleront  la  province  de  nobles  fainéans,  qui 
n'ozeront  travailler  ny  faire  aucun  commerce  pour  gagner  leur  vie, 
de  peur  de  commettre  dérogeance,  et  ne  seroit  d'aucun  secours  pour 
l'Etat.  11  est  aussi  vray  de  dire  qu'il  y  a  des  gens  qui  donneront  plus 
volontiers  et  plus  aisément  jusques  à  20  000  1.  et  plus  que  d'autres 
n'en  pourroient  paier  1  000  ou  2  000  à  proportion  de  leur  bien*.  » 

Les  faux  nobles  se  multiplièrent  après  la  recherche  comme 

1.  B.  N.,  Clairambault,  795,  p.  lf»3-'i.  En  dehors  de  la  Normandie,  le  résultat 
ne  fut  pas  meilleur  :  Colbert  écrivait  le  t"  décembre  1673  ù  l'intendant  de 
Bourges  et  de  Moulins  :  «  J'apprends  par  votre  lettre  du  25  du  mois  passé,  que 
la  recherche  qui  a  été  faite  des  usurpateurs  du  titre  de  noblesse  dans  l'étendue 
des  deux  généralités  de  Bourges  et  de  Moulins  a  été  presque  inutile,...  soit  par 
la  raison  que  vous  dites,  que  les  plus  riches  se  sont  fait  décharger  par  arrêt  du 
Conseil,  soit  parce  que  vous  n'avez  aucune  connaissance  de  ceux  qui  ont  été  jugés 
par  M.  d'Herbigny,  soit  que  ceux  que  vous  avez  jugés  vous-même  se  soient 
maintenus  dans  l'exemption  qu'ils  avaient  usurpée  par  leur  fausse  qualité,  vous 
ne  voyez  pas  que  cette  recherche  ait  produit  aucun  soulagement  aux  sujets  du 
Roi.  •  (Clém.,  Il,  304). 

2.  Chamillart  ù  Colbert,  23  août  1067,  M.  C.  144,  f°  525. 

3.  M.  C.  145,  f"  290.  Il  est  remarquable  que  Colbert,  d'ordinaire  si  dur  à 
l'égard  des  traitants, n'ait  pas  usé  de  rigueur  à  l'égard  de  ceux  de  la  recherche; 
on  ne  trouve  qu'une  seule  mention  de  poursuites  pour  malversation  contre  deux 
sous-traitants  :  Claude  Vialet  et  René  Drouet  (arrêt  du  conseil  du  11  mai  lb73, 
Clairambault,  459,  p.  450).  Aucun  des  autres  ne  fut,  semble-t-il,  inquiété. 

4.  B.  N.",  Clairambault,  795,  p.  283.  Ces  taxes  ne  furent  peut-être  pas,  au 
demeurant,  le  moindre  résultat  de  la  recherche,  même  au  point  de  vue  des  gen- 
tilshommes. Elles  ouvrirent  la  noblesse  à  ceux  qui  étaient  riches  et  rejetèrent 
dans  la  roture  ceux  qui  étaient  pauvres.  Ainsi  fut  hâtée  l'assimilation  de  la 
noblesse  et  de  la  fortune. 


LES    NOBLES.  221 

avant  :  la  preuve  en  est  donnée  par  un  arrêt  du  conseil  du 
19  juillet  1672  défendant  à  ceux  qui  ont  été  condamnés  de 
reprendre  la  qualité  d'écuyer,  sous  peine  d'une  nouvelle 
amende  *.  Le  30  janvier  1681,  Colbert  écrit  à  l'intendant  de 
Rouen  :  -  * 

«  S.  M.  m'ordonne  de  vous  dire  qu'Elle  reçoit  beaucoup  d'avis  qu'il 
y  a  quantité  de  particuliers  dans  toute  l'estendue  de  la  province  de 
Normandie  qui  se  déchargent  du  payement  des  tailles  sous  prétexte  de 
noblesse,  encore  qu'ils  ayent  esté  condamnés  dans  la  recherche  qui  en 
a  esté  faite  depuis  quelque  temps  ;  qu'il  y  en  a  beaucoup  d'autres  qui 
se  soulagent  dans  l'imposition  par  toutes  sortes  de  moyens  qu'ils 
recherchent  avec  un  très  grand  soin  et  une  très  grande  application. 
S.  M.  m'ordonne  de  vous  dire  qu'Elle  veut  que,  dans  toutes  les  visites 
que  vous  faites  des  élections,  vous  examiniez  avec  soin  tous  les  rôles 
des  tailles*  des  paroisses  pour  voir  ceux  qui  sont  mis  au  nombre  des 
exempts  ou  ceux  qui  sont  notablement  soulagés  à  la  taille,  et  que  vous 
^entriez  en  connoissance  des  raisons  qu'il  y  a  de  l'exemption  ou  du 
soulagement,  pour  y  apporter,  par  les  taxes  d'office,  les  remèdes  que 
vous  estimerez  convenables  pour  le  soulagement  des  peuples2.  » 

Un  autre  résultat  important  de  la  recherche  fut  le  catalogue 
de  la  noblesse  dressé  par  les  intendants  et  déposé  à  la  Biblio- 
thèque du  roi.  L'idée  de  ce  catalogue  n'apparaît  guère  avant  1669. 
Il  est  probable  qu'elle  est  de  Colbert;  elle  rentre  dans  son 
grand  projet  de  statistique  sur  toutes  les  branches  de  l'admi- 
nistration ;  de  même  qu'il  voulait  savoir  le  nombre  des  paroisses 
et  des  feux  et  même  celui  des  habitants  du  royaume,  il  voulait 
aussi  que  le  roi  connût  exactement  toute  sa  noblesse.  En  même 
temps  que  l'Académie  travaillait  à  dresser  le  dictionnaire  de  la 
langue  française  pour  distinguer  les  mots  nobles  et  les  mots  bas, 
on  dressait  la  liste  des  sujets  nobles  du  roi3.  Le  catalogue  devait 
avoir  en  outre  une  utilité  pratique  ;  il  empêcherait  les  usurpa- 
tions ultérieures.  Si  l'on  prenait  soin  de  le  tenir  au  courant  — 
et  c'est  la  besogne  dont  furent  chargés  d'Hozier  et  Clajrambault 
—  il  rendrait  la  fraude  presque  impossible. 

Un  arrêt  du  conseil  du  15  mars  1669  avait  donc  ordonné  à 
tous  les  véritables  gentilshommes  de  représenter  leurs  titres  de 
noblesse  et  leurs  armoiries  aux  intendants  qui  en  dresseraient 
la  liste4.  Contrairement  à  ce  qui  se  produisit  pour  les  autres 

1.  Chérin,  Abrégé  Chronologique,  p.  189.  En  1676,  on  proposait  au  ministre, 
pour  alimenter  le  Trésor,  de  taxer  «  ceux  qui  auront  repris  le  mesme  titre  de 
noblesse  pour  lequel  ils  auront  esté  condamnez  »  (Glairamb.,  797,  p.  73). 

2.  Glém.,  II,  p.  148. 

3.  On  entrevoit  déjà  ce  projet  dans  la  grande  circulaire  de  mars  1664  : 
«  S.  M.,  dit-il  aux  intendants,  désire  estfe  particulièrement  informée  de  tout  ce 
qui  concerne  la  noblesse  scavoir  :  les  principales  maisons  de  chacune  province, 
leurs  alliances,  leurs  biens...  Pour  la  noblesse  ordinaire,  il  est  bon  d'en  scavoir 
la  quantité  et  le  nom  des  plus  accrédités  ».  Clém.,  IV,  p.  31. 

4.  Dans  Chérin,  Abrégé  Chronologique,  p,  183,  cf.  un  autre  arrêt  du  2  juin  1670, 
ibid.,  p.  188,  et  la  déclaration  du  4  septembre  1696  réordonnant  la  recherche, 
ibid.,  à  sa  date. 


222  LA    TAILLI.     IN      NoIiMANDI!:. 

entreprises  statistiques  du  même  temps,  on  aboutit  a  peu  près 
au  rcMiltat  cherché.  Les  manusciits  de  cette  recherche  sont 
parvenus  jusqu'à  nous,  au  moins  en  copies  :  ils  forment  les 
volumes  M2  264-32  291  de  la  Bibliothèque  nationale;  de  nom- 
breuses copies  sont,  eh  outre,  répandues  dans  la  plupart  des 
bibliothèques  de  Paris  et  de  province1. 

En  ce  qui  concerne  la  Normandie,  nous  avons  les  trois  listes 
complètes  :  une,  celle  de  la  généralité  de  Caen,  a  été  publiée, 
les  deux  autres  sont  restées  manuscrites*.  Le  travail  de  Chamil- 
lart  est  le  plus  considérable  des  trois;  il  donne  de  nombreux 
détails  sur  les  familles,  les  pièces  fournies,  l'origine  de  la 
noblesse  et  les  condamnations  prononcées;  celui  de  La  Galis- 
sonnière  a  été,  au  dire  d'un  auteur  anonyme  du  début  du 
xvnie  siècle,  «  le  plus  estimé  pour  cstre  le  plus  estendu,  et, 
parce  qu'il  contient  les  généalogies  de  chaque  famille,  on  l'a 
donné  pour  modèle  dans  la  recherche  qui  se  fait  présentement 
et  qui  a  commencé  en  1696 3  ».  Quant  à  la  recherche  de  la  géné^ 
ralité  d'Alençon  par  de  Marie,  elle  est  beaucoup  moins  considé- 
rable que  les  deux  autres  :  on  y  trouve  seulement  sur  trois 
colonnes  les  noms  des  personnages,  leurs  paroisses  et  le  juge- 
ment de  l'intendant;  «  on  a  regardé  son  ouvrage,  dit  le  même 
auteur,  comme  fait  avec  beaucoup  d'honneur  et  d'exactitude  : 
cependant  on  a  trouvé  qu'il  a  confondu  dans  les  illustres  familles 
des  maisons  assez  nouvelles,  anoblies  par  les  francs-fiefs,  et 
mesme  par  des  lettres  de  noblesse,  soit  qu'il  ayt  été  surpris  ou 
qu'il  l'ait  bien  voulu  faire  par  considération*  ». 

C'est  principalement  dans  le  travail  de  Chamillart  que  Ton 
voit  comment  fut  fait  le  triage  entre  nobles  et  faux  nobles, 
c'est-à-dire,  en  ce  qui  nous  concerne,  entre  exempts  de  taille 
et  taillables  :   d'après  un  mémoire  de  1668  émanant  probable- 

1.  Voir  un  catalogue  de  documents  relatifs  à  cette  recherche  dans  le  Cabinet 
Historique  1870,  partie  catalogue,  p.  1  et  38.  Le  gouvernement  projetait  de  faire 
imprimer  et  publier  toutes  les  listes,  mais  seule  celle  de  Champagne  fut  publiée; 
depuis  lors,  quelques-unes  ont  été  éditées,  mais  la  plupart  sont  fautives  et  faites 
sans  critique  :  la  publication  intégrale  des  listes  reste  encore  à  faire. 

2.  La  recherche  de  Chamillart  pour  la  généralité  de  Caen  a  été  publiée  à  Caen 
en  1887  sous  le  titre  :  Recherche  <ie  la  Noblesse  faite  par  ordre  au  Roy  en  1661 
et  années  suivantes,  publiée  intégralement  et  pour  la  première  fois  d'après  plusieurs 
copies  manuscrites  anciennes,  par  un  membre  de  la  Société  des  antiquaires  de  Nor- 
mandie, 2  vol.  in-8«.  Elle  est  à  compléter  par  les  Notes  et  documents  pour  servir 
à  C histoire  de  la  recherche  de  Chamillart  par  un  membre  du  Conseil  héraldique  de 
France,  Caen,  1890,  m-8*  :  ces  deux  publications  laissent  encore  à  désirer;  elles 
ont  utilisé  des  copies  fautives;  le  manuscrit  original  (B.  N.,  ms.  fr.  11928) 
a  échappé  aux  éditeurs  (ils  déclarent,  p.  11,  n'avoir  pu  le  trouver),  ils  n'ont  rien 
connu  des  conditions  particulières  dans  lesquelles  fut  faite  la  recherche.  Les 
documents  législatifs  publiés  sont  pleins  de  fautes,  la  préface  de  l'ouvrage  est 
composée  de  fragments  de  la  préface  de  Chérin,  Abrégé  Chronologique,  quoique 
rien  ne  nous  en  avertisse.  L'éditeur  prend  pour  base  de  sa  publication  un  manus- 
crit de  la  bibliothèque  de  Caen  qu'il  a  collationné,  dit-il,  avec  «  plusieurs  autres  » 
qu'il  n'indique   pas  autrement. 

3.  Mémoire  sur  la  recherche  en  Normandie  publié  dans  Le  Cabinet  Historique, 
t.  VI,  p.  217. 

4.  Ibid. 


LES    NOBLES.  223 


ment  de  l'intendant  lui-même,  voici  quel  fut  le  résultat  en  ce 
qui  concerne  les  nobles  maintenus  '  : 


FAMILLES  PERSONNES 


1°  Ancienne  noblesse 465  1  241 

2°  Anoblis 361  953 

3°  Nobles  qui  ont  bien  justifié 459  1117 

1285  3  311 

Quant  aux  usurpateurs  condamnés  ou  renvoyés  devant  le  con- 
seil, ils  forment  172  familles  dont  12  avaient  pris  la  qualité  de 
noble  à  l'époque  même  où  l'on  faisait  la  recherche,  entre  1661 
et  1667;  sur  ce  nombre,  39  familles  ont  été  maintenues  posté- 
rieurement à  la  recherche  par  des  arrêts  du  conseil  ou  des  sen- 
tences de  l'intendant  lui-même2. 

Parmi  ceux  qui  furent  définitivement  condamnés,  nous  en 
voyons  quelques-uns  qui  étaient  de  pauvres  diables,  peut-être 
nobles  authentiques,  mais  dérogeant,  tels  :  Jacques  de  Courta- 
lais,  qui  est  menuisier3,  les  deux  frères  Campion,  également 
menuisiers;  Jean  le_  François,  qui  est  cordier4,  les  frères  Le 
Forestier  qui  «  sont  au  service  et  pauvres  5  »  ;  Gilles  Coquet,  qui 
est  «  imposé  à  la  taille  depuis  longtemps,  est  fermier  et  déroge6  »  ; 
beaucoup  d'autres  avaient  pris  la  qualité  de  noble  sans  aucun 
titre  :  parmi  eUx,  on  trouve  des  étrangers  venus  de  loin,  comme 
Michel  et  Jacques  de  Bichot  qui  «  sont  venus  de  Chartres,  leurs 
pièces  sont  fausses  sur  le  premier  degré,  n'ont  pu  représenter 
d'actes  de  partage,  ni  de  traité  de  mariage 7  »  :  d'autres  ne 
peuvent  présenter  aucun  titre  ;  d'autres  en  très  grand  nombre 
fournissent  des  pièces  fausses.  Gilles  Bertrand,  qui  avait  été 
déjà  déclaré  usurpateur  en  1614  et  n'avait  cessé  de  payer  la  taille 
depuis  lors,  renonce  à  la  qualité  d'écuyer  qu'il  avait  prise  dans 
des  actes  et  se  voit  néanmoins  condamné  à  50  1.  d'amende; 
parmi  les  faux  anoblis,  on  trouve  beaucoup  d'officiers  de  finance 
ou  des  fils  d'officiers,  comme  Gilles  Denis,  dont  le  père  est  «  élu 
à  Valognes  où  il  est  encore  de  présent  vivant,  ce  qui  a  favorisé 

1.  Estât  abrégé  de  la  généralité  de  Gaen,  année  166S,  B.  N.,  fr.  22  162,  f°  135, 
(papiers  de  Dangeau). 

2.  Tous  les  faux  nobles  devaient  payer  une  amende,  cependant  plusieurs 
d'entre  eux  furent  simplement  déchus  de  la  noblesse  sans  rien  payer,  à  cause  de 
leur  «  pauvreté  »  ou  de  leurs  «  services  »,  un  petit  nombre  seulement  payèrent 
l'amende  légale  de  2  000  1.,  généralement  elle  variait  de  200  à  4001.  ;  les  amendes 
de  30  et  40  1.,  ne  sont  pas  rares.  Nous  avons  l'explication  de  ce  fait  dans  une 
lettre  de  Ghamillart  à  Golbert  du  23  août  1667  :  mes  condamnations,  dit-il, 
«  sont  modérées  conformément  à  l'ordre  qu'il  vous  a  plu  me  donner  ».  (M.  C, 
144,  f°  535);  c'était  donc  Colbert  lui-même  qui  avait  prescrit  de  réduire  les 
pénalités  ;  en  outre  il  est  probable  que  la  plupart  de  ces  amendes  ne  furent  pas 
payées.  Ghamillart  ajoute  dans  sa  même  leHre  :  «  je  crois  leur  avoir  rendu  jus- 
tice, encore  que  la  pluspart  ayent  obtenu  des  descharges  ». 

3.  Recherche,  p.  781. 

4.  Ibid.,  p.  786. 

5.  Ibid.,  p.  786. 

6.  Ibid.,  p.  780. 

7.  Ibid.,  p.  769. 


H|  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

son  usurpation1  »;  René  et  Arthur  d'Aigrement  dont  l'oncle 
«  qui  «i  commencé  d'usurper  estoit  élu  et  contrôleur  des  tailles 
à  Valognes*  »;  un  certain  Roger  le  Cauf,  qui  se  dit  écuyer,  est 
fils  d'un  paysan  qualifié  de  batteur  en  granges  sur  les  rôles  de 
sa  paroisse  en  1D23*.  Parmi  les  personnages  qui  furent  réta- 
blis, malgré  la  condamnation  de  Chamillart,  on  en  trouve  qui 
n'avaient  guère  de  titre  à  cette  faveur,  tels,  par  exemple,  ces 
frères  de  Bichot,  venus  de  Chartres,  le  sieur  Baratte  qui  a 
fourni  des  pièces  fausses  et  «  n'est  pas  de  la  famille  de  celui  qui 
est  dans  Montfault,  et  descendu  d'un  receveur  des  amendes  à 
Rouen,  qui  a  été  depuis  procureur  au  grenier  à  sel  de  Caen,  ce 
qui  a  donné  lieu  à  son  usurpation  »  ;  un  arrêt  du  conseil  du 
14  mars  1667  le  déclare  néanmoins  noble  comme  descendant 
des  collatéraux  de  Jeanne  d'Arc4;  la  famille  Gervaise,  de  Saint- 
Martin  de  Cenilly,  près  Coutances,  a  été  condamnée  successi- 
vement en  1606,  1624,  1627,  1656,  Chamillart  l'a  à  nouveau 
condamnée,  et  cependant  un  arrêt  du  conseil  du  16  janvier  1668 
lui  rend  son  titre;  la  famille  Bazire  est  anoblie  dans  les  mêmes 
conditions,  quoiqu'elle  ait  toujours  été  condamnée  depuis 
Montfault. 


D.    —    CONDITIONS    DE    L'EXEMPTION    DES    NOBLES 

Les  nobles  devaient-ils  jouir  en  tout  temps  et  sans  condition 
de  leur  exemption?  C'était  une  grosse  question  qui  fut  très  sou- 
vent débattue.  Lebret  faisait  observer  à  la  Cour  des  aides  que 
si  la  taille  a  été  accordée  en  remplacement  du  service  militaire, 
quiconque  ne  la  paye  pas  doit  le  service,  un  homme  ne  pouvant 
être  exempt  a  la  fois  de  taille  et  de  service  :  il  rappelait  une 
vieille  ordonnance  de  1395 5  «  suivie  de  plusieurs  autres  sem- 
blables »,  qui  «  dégrade  des  privilèges  de  noblesse  »  les 
nobles  qui  ne  porteront  pas  les  armes,  et  il  demande  que  cette 
loi  soit  de  nouveau  appliquée6.  Mais  ces  raisons  avaient  perdu 
leur  valeur  au  xvii*  siècle.  Depuis  longtemps  l'habitude  était 
prise  de  voir   les  nobles  écartés   de  l'armée,  et  personne,  en 

1.  Recherche,  p.  782. 
i.  lbid.,  p.  765. 

3.  Ibid.,  p.  775. 

4.  Ibid.,  p.  767-8. 

5.  Ordonnance  du  28  mars  1395  :  l'aide  sera  payée  par  tous,  «  exceptez  noble» 
extrais  de  noble  lignée,  non  marchandant  ne  tenans  fermes  et  marchées,  mais 
fréquentons  les  armes,  ou  qui  les  ont  fréquentées  ou  temps  passé,  et  de  présent 
sont  en  tel  estât  pour  bleceures,  maladies  ou  grant  aage,  que  plus  ne  les  pevent 
fréquenter  ».  (Isambert,  t.  VI,  p.  765.) 

6.  La  Cour  ordonne  par  son  arrêt  du  28  avril  1593  que  les  Elus  dans  toutes 
les  Elections  du  ressort  fassent  imposer  à  la  taille  «  tous  les  nobles  de  profession 
d'armes  qui  n'ont  servi  et  ne  servent  le  roi  en  ces  guerres  ».  (Œuvres  de  Lebret, 
p.  4i0-442.) 


LES    NOBLES.  225 

dehors  des  théoriciens  ou  de  quelques  esprits  chagrins,  ne 
songeait  à  leur  contester  l'exemption  parce  qu'ils  ne  ser- 
vaient plus. 

En  revanche,  la  culture  de  la  terre  ou  l'exercice  d'une  pro- 
fession manuelle  entraînait  toujours  la  déchéance1  :  toutes  les 
ordonnances  la  portaient,  et  l'opinion  publique  souscrivait  à 
peu  près  unanimement  à  cette  règle.  Il  y  avait  à  cela  deux 
raisons  :  d'abord,  la  culture  de  la  terre  était  considérée  comme 
un  travail  vil  réservé  aux  roturiers,  aux  descendants  des  anciens 
serfs;  l'idée  persistait  très  vivace  au  xvne  siècle,  pure  conven- 
tion sociale,  mais  qui  avait  sa  force  :  un  noble  obligé  de  tra- 
vailler par  sa  pauvreté  était  unanimement  méprisé2.  En  outre, 
les  rois  avaient  leur  raison  à  eux  pour  interdire  rigoureusement 
aux  nobles  la  culture  ou  le  commerce  :  tout  noble,  en  effet,  qui 
cultivait  lui-même  ses  terres  en  soustrayait  le  revenu  à  l'impôt  : 
si  un  noble  avait  cultivé  tout  le  territoire  d'une  paroisse  à  l'aide 
des  habitants  comme  domestiques,  cette  paroisse  aurait  été 
entièrement  soustraite  à  la  taille.  «  Vivre  en  gentilhomme,  [donc] 
sans  rien  faire  »,  comme  dit  La  Fontaine,  n'était  pas  seule- 
ment le  résultat  d'un  préjugé  social,  mais  aussi  la  conséquence 
de  l'exemption  même.  L'obligation  s'étendait  d'ailleurs  à  tous 
les  exempts  de  taille. 

«  Défendons  à  tous  gentilshommes  et  officiers  de  justice,  dit 
l'ordonnance  de  janvier  1560,  le  fait  et  trafic  de  marchandise  et 
de  prendre  ou  tenir  fermes  par  eux  ou  personnes  interposées, 
à  peine  auxdits  gentilshommes  d'estre  privez  des  privilèges  de 
noblesse  et  imposez  à  la  taille... 3  ».  Le  règlement  de  janvier  1634, 
article  33,  apportait  un  tempérament  à  cette  règle  :  Les  privi- 
légiés «  pourront  faire  valoir  par  leurs  mains  une  de  leurs 
terres  et  maisons,  et  celles  qui  sont  adjacentes  et  contiguës  en 
dépendans.  Et  pour  les  autres  terres  et  métairies  qu'ils  feront 
valoir  par  receveurs  ou  serviteurs,  lesdits  receveurs  ou  servi- 
teurs seront  taxez  tout  ainsi  que  pourroient  être  taxez  leurs  fer- 
miers desdites  terres  et  métairies4.  »  L'application  de  cet  article 
avec  quelque  rigueur  par  les  commissaires  au  régalement  des 

1.  Dérogeance.  Défin.  de  l'abbé  Fleury  :  Institution  au  droit  français,  t.  I,  p.  218 
(écrit  en  1665)  :  «  On  appelle  acte  dérogeant  tout  exercice  d'un  métier,  excepté 
la  verrerie,  tout  trafic,  toute  ferme  pour  autrui,  même  les  moindres  charges  de 
judicature,  comme  de  sergent,  de  greffier,  de  procureur.  L'acte  le  plus  dérogeant 
pour  une  femme  noble  est  le  mariage  avec  un  roturier  ».  Cf.  encore  la  défini- 
tion donnée  par  la  déclaration  du  8  février  1661  (Recherche  de  la  noblesse)  dans 
Chérin,  Abrégé  chronol.,  à  sa  date. 

2.  Cf.  P.  de  Vayssière,  Gentilshommes  campagnards  de  Vancienne  France,  Paris, 
1903,  p.  332  :  il  cite  des  gentilshommes  cultivant,  mais  à  l'aide  de  métayers.  Ils 
surveillent  l'exploitation,  mais  ne  travaillent  pas  eux-mêmes. 

3.  Art.  109.  Cf.  aussi  les  arrêts  de  la  Cour  des  Aides  de  Normandie  des  28  jan- 
vier 1619  et  4  décembre  1627  dans  Règlements  de  Normandie,  p.  73-75. 

4.  Dans  l'enregistrement  de  cet  article  la  Cour  des  Aides  de  Normandie  avait 
arrêté  «  que  les  nobles  chevaliers  de  Malte  et  officiers  privilégies  jouiront  de 
leurs  héritages  comme  ils  ont  ci-devant  fait  ».  {Règlements  de  Normandie,  p.  110.) 

I.A    TAILLE    EN    NORMANDIE.  *■" 


226  LA    TÀILI.I.     IN     NORMANDIE. 

tailles  '  et  les  traitants  avait  provoqué  les  doléances  des  Etats 
de  la  province  en  1643*.  L'expression  «  une  de  leurs  terres  » 
était  trop  vague  :  on  pouvait  toujours  soutenir  que  tous  les  biens 
cultivés  par  un  noble  ne  formaient  qu'une  terre.  Le  règlement 
d'août  1664,  en  son  article  20,  apporta  une  première  précision. 
Considérant,  y  est-il  dit,  que  «  la  permission  accordée  aux  ecclé- 
siastiques, nobles  et  officiers  privilégiez  par  le  règlement  des 
tailles  du  mois  de  janvier  1634,  article  33,  de  faire  valoir  par 
leurs  mains  une  de  leurs  fermes  »,  leur  sert  «  de  prétexe  pour 
couvrir  les  abus  qu'ils  commettent  »,  le  roi  permet  aux  privi- 
légiés autres  que  les  ecclésiastiques  de  «  tenir  une  de  leurs 
fermes  par  leurs  mains,  et  en  cas  qu'ils  en  occupent  davantage 
dans  une  même  paroisse,  ils  les  pourront  joindre  et  n'en  faire 
qu'une,  et  pour  les  autres  fermes  hors  ladite  paroisse,  seront 
tenus  dans  un  an  de  fournir  un  fermier  qui  portera  sa  part  de  la 
taille  à  proportion  du  gain  qu'il  fera  en  ladite  ferme,  sinon,  et 
après  ledit  temps  d'un  an  passé,  les  fruits  des  héritages  qui 
n'auront  été  atermez  demeureront  afectez  au  paiement  des 
sommes  auxquelles  ils  seront  imposez  ».  Dans  son  arrêt  d'enre- 
gistrement la  Cour  des  Aides  de  Rouen  pria  le  roi  de  «  vouloir 
modérer  »  cette  clause,  mais  elle  n'obtint  pas  satisfaction. 

D'après  cet  article,  il  suffisait,  semblait-il,  que  les  bâtiments 
d'une  ferme  fussent  placés  dans  la  paroisse  pour  que  toutes  les 
terres  en  dépendant,  même  si  elles  étaient  situées  hors  du  terri- 
toire, fussent  exemptes.  En  1670,  le  receveur  des  tailles  de 
Rouen,  Aubry,  écrit  à  Colbert  que  plusieurs  gentilshommes 
«  faisant  valoir  l'une  de  leurs  terres  en  conséquence  du  règle- 
ment de  1664,  réunissent  plusieurs  fermes  ou  métairies  »  autour 
de  l'exploitation  principale,  et  prétendent  ainsi  conserver 
l'exemption.  Il  «  seroit  nécessaire  de  les  réduire  ù  une  ferme 
de  100  ou  120  acres  de  terre3  ».  L'intendant  de  Rouen  écrit 
également  le  8  octobre  1672  qu'il  est  arrêté  par  la  difficulté  «  de 
scavoir  quelle  quantité  de  terre  les  nobles  exempts  ou  privi- 
légiez peuvent  labourer  ou  faire  valoir  par  leurs  mains,  d'autant 
qu'ils  réunissent  trois  ou  quatre  fermes  ensemble  et  achètent 
les  maisons  des  paysans  et  les  abattent*  ».  Enfin  l'intendant 
d'Alençon,  Michel  Colbert,  en  1673,  avoue  le  même  embarras 
pour  appliquer  le  règlement5. 

La  solution  de  la  difficulté  était  indiquée  le  19  octobre  1664 
par  l'intendant  d'Orléans,  Barin  de  la  Galissonnière  :  il  pensait 
qu'il  était  nécessaire  de  fixer  le  nombre  de  charrues  qui  serait 

1.  Cf.  l'arrêt  du  Conseil  du  20  janvier  1635.  A.  Mun.  Rouen,  183,  pièce  3. 

2.  Art.  38  du  Cahier  dans  de  Beaurepaire,  Cahiers...  sous  Louis  XIII  et  Louis  XIV, 
t.  III,  p.  106  :  le  roi  répondit  vaguement  que  l'on  observerait  <  les  édita  et 
règlements  sur  ce  faits  ». 

3.  Analyse  de  sa  lettre  du  15  octobre  1670,  dans  Clairamb.,  792,  p.  353. 
k.  Ibid.,  p.  765. 

5.  Analyse  de  sa  lettre  du  6  mars  1673,  dans  Clairamb.,  793,  p.  222. 


LES    NOBLES.  227 


permis  à  chacun.  L'idée  était  ingénieuse;  dans  les  rôles  de 
taille,  lorsqu'on  voulait  indiquer  la  quantité  de  terre  cultivée 
par  un  individu,  l'usage  était  d'indiquer,  non  pas  la  superficie 
de  ses  terres,  mais  la  quantité  de  «  charrues  »  qu'il  exploitait  : 
sans  doute  l'expression  était  encore  vague,  puisqu'elle  dési- 
gnait simplement  la  quantité  de  terre  que  l'on  pouvait  labourer 
avec  une  charrue  et  son  attelage1,  mais  elle  avait  l'avantage 
de  rendre  le  contrôle  très  commode,  étant  facile  de  savoir 
combien  d'attelages  étaient  possédés  par  un  cultivateur;  ce 
procédé  n'était  du  reste  pas  plus  rudimentaire  que  tout  le  reste 
du  système.  Le  règlement  d'août  1673,  en  son  article  21,  fit 
donc  savoir  que  les  exempts  de  taille  pourraient  désormais 
«  exploiter  par  leurs  mains  et  leurs  domestiques  une  seule 
ferme  dans  une  même  paroisse  jusqu'à  la  valeur  de  trois 
charrues  au  plus  de  terres  labourables,  prez  et  bois  à  pro- 
portion, sans  payer  taille  et  sans  que  l'on  puisse  joindre 
plusieurs  fermes  en  une,  nonobstant  la  faculté  apportée  par  le 
règlement  du  mois  d'août  1664 2  ».  À  partir  de  cette  date,  les 
intendants  veillèrent  avec  grand  soin  à  ce  que  les  nobles  culti- 
vant plus  de  4  charrues  fussent  imposés;  dans  presque  tous 
leurs  mandements  aux  paroisses,  ils  le  prescrivirent  aux  collec- 
teurs. «  D'autant  que  plusieurs  seigneurs  des  paroisses,  dit  celui 
de  Caen  en  1679,  ont  depuis  quelques  années  tenu  en  appa- 
rence leurs  terres  par  leurs  mains,  soutenant  que  leurs  fermiers 
estoient  leurs  domestiques,  afin  de  les  exempter  de  la  taille,  au 
préjudice  des  pauvres,  S.  M.,  pour  éviter  aux  fraudes,  veut  et 
entend  que  lesdits  seigneurs  n'en  puissent  tenir  qu'une3...  » 
Mais  l'intendant  d'Alençon  écrivait  au  sujet  d'un  noble  qui 
«  embouchait  »   des   bestiaux,   que   «  ce   commerce,   bien   loin 


1.  Le  vague  de  l'expression  est  relevé  dans  le  mémoire  de  Thouret  à  l'assemblée 
provinciale  de  Haute-Normandie  en  1787  :  «  Etait-ce  l'étendue  de  terrain  que  trois 
charrues  peuvent  labourer,  sans  considérer  la  bonne  ou  la  mauvaise  qualité  de 
ce  terrain?  Etait-ce  le  revenu  de  ces  trois  charrues,  et  ce  revenu  était-il  appré- 
ciable en  argent?  »  La  question  soulevait,  encore  à  la  fin  du  ïviii'  siècle,  des 
procès  interminables.  (Procès-verbal  de  V assemblée,  p.  352.)  Suivant  Gauret, 
quatre  charrues  valent  «  à  peu  près  400  arpens  de  terres  labourables,  outre  les 

f>rez,  bois,  estangs  et  vignes.  »  (Stile  du  Conseil,  p.  408).  Suivant  Y  Encyclopédie , 
a  valeur  «  dépend  de  l'usage  et  de  la  mesure  des  terres  dans  chaque  généralité  »  : 
120  arpents  (grande  ou  petite  mesure,  on  ne  sait)  dans  celle  de  Paris,  90  arpents 
dans  celle  d'Orléans  (Art.  Charrue).  Leblanc,  intendant  de  Rouen,  écrit  le 
22  mars  1681  que  175  acres  ne  forment  pas  trois  charrues  (A.  N.  G7  491).  Sur  le 
rôle  de  Londinières  en  1670  on  trouve  un  taillable  «  faisant  une  chareue  de  viron 
60  acre  de  terre  labourable  »,  et  un  autre  «  une  chareue  de  52  accre  de  terre 
labourable  »  (A.  D.,  S.  Inf.,  G  2682).  Cf.  Lavoisier,  La  richesse  territoriale  de  la 
France,  éd.  Grimaux,  p.  155. 

2.  Cette  disposition  avait  été  prise  dès  le  mois  de  mars  1667  pour  le  ressort  de 
la  Cour  des  Aides  de  Paris,  mais  la  quantité  de  terre  permise  était  de  4  charrues 
au  lieu  de  3.  (C.  d.  T.,  t.  II,  p.  18).  On  voit  que  seules  les  terres  labourables 
entraient  en  ligne  de  compte;  la  quantité  de  prés  permise  restait  incertaine;  c'est 
pourquoi  beaucoup  de  gentilshommes  se  mirent  à  faire  de  l'élevage. 

3.  A.  D.  Calv.  Election  de  Caen.  Même  mandement  de  l'intendant  de  Rouen  1673, 
A.  D.,  S.  Inf.,  C  2215. 


228  LA    TAILLE    EX    NOItMAXDIE. 

d'estre  detlendu,  est  permis  a  tous  les  gentilshommes  et  fait  la 
richesse  de  tout  ce  pays1  ». 

L'importance  des  cultures  que  les  nobles  exploitaient  rux- 
mêmes  nous  est  connue  pour  quelques  paroisses  grâce  aux  rôles 
de  taille  de  l'élection  de  Neufchâtel  pour  l'année  1670,  lesquels 
donnent  généralement  la  quantité  de  terre  possédée  par  chacun 
de  ceux  qui  y  sont  inscrits,  soit  comme  taillables,  soit  comme 
exempts  : 

Dans  la  paroisse  de  Clais,  les  70  taillables  cultivent  115  acres 
et  12  vergées  et  les  5  exempts  comme  nobles,  propriétaires  de 
510  acres,  en  cultivent  eux-mêmes  375 2.  A  Baillolet,  Claude  Lan- 
lois,  sieur  de  Duranville,  exempt,  possède  20  acres  de  terre, 
5  d'herbage,  6  chevaux,  10  vaches  et  10  porcs  :  c'est  de  beau- 
coup le  plus  gros  cultivateur  du  village3.  A  Baillly  en  Campagne, 
Louis  de  Crevy,  écuyer,  possède  et  cultive  environ  120  acres  de 
terres  labourables  avec  2  charrues,  tient  8  vaches  et  une  dizaine 
de  cochons*.  A  Bailleul,  Pierre  de  Masquerel,  marquis  du 
Boscfroy,  seigneur  de  la  paroisse,  et  son  fils,  possèdent  74  acres 
de  terres  labourables,  14  acres  de  prés,  tiennent  4  chevaux  et 
6  vaches B.  A  Fréauville,  qui  renferme  61  taillables  dont  5  pauvres, 
il  y  a  4  nobles  exempts,  dont  l'un,  exploite  46  acres  et  possède 
3  vaches  et  15  brebis  ;  le  second  30  acres  avec  une  cavale, 
2  vaches  et  5  brebis;  le  troisième  une  acre  avec  une  cavale  : 
seul  le  quatrième  afferme  ses  terres  en  ne  se  réservant  que 
trois  acres,  soit  une  demi-charrue6.  A  Saint-Riquier-en-Rivière, 
François  de  Morin,  sieur  de  Pardeillant,  occupe  «  tant  par  luy 
que  par  ses  serviteurs,  viron  120  acres  de  terres  qu'il  fait 
labourer  de  deux  charues  en  propre7.  »  A  Mouchy-le-Preux, 
(aujourd'hui  hameau  de  Campeneuseville),  il  y  a  6  taillables 
imposés  seulement  h  25  1.  parce  que  a  M.  de  la  Haye  seigneur 
dudict  lieu  occupe  la  terre  dudict  Mouchy  8  ». 

Il  semble  que  dans  le  reste  de  la  généralité  une  bonne  partie  de 
la  terre  était  possédée  et  cultivée  par  des  nobles;  l'intendant  de 
Creil  l'écrit  à  propos  de  l'élection  d'Arqués,  le  30  octobre  1672  : 
«  Le  malheur  de  cette  eslection  dans  la  campagne  est  que  la 
plupart  des  villages  sont  remplis  d'officiers,  gentilshommes  ou 
privilégiez  qui  labourent  leurs  terres,  en  sorte  qu'il  n'y  a 
presque  plus  que  des  gens  de  journée  qui  payent  la  taille,  ce 
qui  est  commun  à  toute  la  généralité9  ».  On  ne  voit  pas  que  le 
règlement  d'août  1673  ait  changé  grand'chose  à  cette  situation. 

1.  Lettre  à  Colbert,  14  juillet  1678,  A.  N.  G7  71. 

2.  A.  D.  S.-Inf.,  C  2  676, 

3.  A.  D.  S.-Inf.,  C  2  673. 

4.  Ibid. 

5.  Ibid. 

K.  Ibid.  C  2  679. 

7.  Ibid.,  G  2  691. 

8.  Ibid.,  C  2  682. 

9.  M.  C.  162,  f>  188. 


LES    NOBLES.  229 

Une  difficulté  particulière  se  produisait  quand  un  noble  pre- 
nait a  ferme  des  dîmes  ecclésiastiques.  Comme  il  était  permis 
aux  clercs  de  prendre  à  ferme  les  dîmes  dépendant  de  leurs 
bénéfices,  tout  en  restant  exempts1,  on  pouvait  en  conclure  que 
prendre  des  dîmes  à  ferme  ne  constituait  pas  une  dérogeance. 
La  question  avait  été  posée  par  les  commissaires  au  régalement 
des  tailles  en  1634;  le  roi  leur  avait  répondu  par  l'art.  4  de 
l'arrêt  du  conseil  du  20  janvier  1635  : 

«  Sadite  Majesté  veult  et  ordonne  que  les  gentilshommes  qui  seront 
trouvez  tenir  dixmes  à  ferme  en  leur  nom  ou  soubs  le  nom  d'autres 
seront  mis  à  la  taille,  comme  pareillement  les  ecclésiastiques  s'ils 
tiennent  à  ferme  des  dixmes  qui  ne  soyent  deppendans  de  leurs  béné- 
fices, sans  néanmoins  en  ce  comprendre  les  curés  et  vicaires  perpé- 
tuels, lesquels  ne  jouissent  que  d'une  partie  des  dixmes  deppendans  de 
leurs  cures,  tiennent  à  ferme  le  surplus  desdites  dixmes.  Veult  en 
outre  Sa  Majesté  que  le  manoir  desdites  fermes  soit  réputé  estre  au 
lieu  ou  est  la  grange  dixmeresse  à  l'exemple  de  ceux  qui  tiennent 
péages  sur  les  chemins  et  rivières,  dont  le  principal  manoir  est  réputé 
estre  au  bureau  ou  lesdits  droicts  sont  paiez  2.  » 

En  septembre  1663,  un  arrêt  du  Conseil  rendu  sans  doute  sur 
les  observations  de  l'intendant  de  Rouen  ordonne  à  celui-ci 
«  d'informer  contre  les  gentilshommes  et  autres  personnes 
d'autorité  qui  prennent  des  dîmes  à  ferme  3  ».  Mais  son  instruc- 
tion ne  semble  guère  avoir  eu  d'effet  :  Leblanc  la  rappelle  en 
1676  comme  si  elle  était  ignorée,  et  néanmoins,  par  sentence 
du  3  février  1677,  l'élection  de  Falaise  exempte  de  taille  Jean 
Michel,  sieur  du  Val,  qui  avait  été  imposé  comme  «  dérogeant 
et  faisant  valloir  la  dixme  de  la  paroisse  de  Sassy4  ». 

Le  commerce  et  l'industrie  n'étaient  pas  moins  interdits  aux 
nobles  que  la  culture  :  le  gentilhomme  qui  fait  «  estât  ordi- 
naire »  de  marchandise  «  ne  mérite  pas  d'avoir  le  beau  et 
excellent  titre  de  noblesse,  qui  se  doit  tenir  et  garder  chère- 
ment sur  toute  chose  du  monde  ».  Ainsi  s'exprime  un  commen- 
tateur de  l'ordonnance  de  janvier  1561 5.  Le  Code  Michaud 
défend  pareillement  à  tous  gentilshommes  «  de  s'entremettre, 
ou  par  eux  ou  par  autres,  d'aucun  trafic,  marchandise  ni  banque, 
à  peine  de  déchéance  de  noblesse,  privation  de  leurs  charges  et 
autres  peines  des  ordonnances  6  ».  «  En  France,  dit  Belleguise, 

1.  Voir  ci-dessous,  p.  236. 

2.  A.  Mun.  Rouen,  183.  Depuis  longtemps  cette  défense  avait  été  faite  aux  gen- 
tilshommes notamment  par  l'édit  du  4  avril  15'i0,  l'ordonnance  d'Orléans  de 
janvier  1561,  art.  17,  l'ordonnance  de  Blois  de  mai  1579,  art.  48,  l'édit  d'Amboise 
de  janvier  1582,  art.  8.  L'interdiction  était  répétée  par  le  règlement  de  1643  (art.  28) 
et  par  un  arrêt  du  conseil  du  18  juillet  1646,  mais  ni  l'un  ni  l'autre  n'étaient 
appliqués  en  Normandie. 

3.  Arrêt  du  conseil  du  10  septembre  1663,  mentionné  dans  Glairambault  659, 
p.  227. 

4.  A.  D.  Calvados,  Election  de  Falaise,  Plumitif. 

5.  Sur  l'art.  109.  Néron,  t.  I,  p.  413;  cf.  p.  417. 

6.  Art.  198.  Néron,  t.  I,  p.  81/. 


230  LA    TAILLE    EN     NOH.MAN  M  I! . 

le  commerce  ne  déroge  pas  seulement,  mais  il  a  quelque  chose 
de  bas  et  de  vil  '.  » 

Toutefois  deux  exceptions  furent  faites  à  cette  règle  générale, 
1°  pour  les  verriers,  2°  pour  le  commerce  de  mer. 

Henri  IV,  voulant  encourager  la  verrerie,  avait,  par  édit  de 
1603,  ordonné  que  l'entreprise  de  verrerie  pourrait  être  faite  par 
les  nobles  sans  dérogeance;  le  privilège  fut  maintenu  par  les 
règlements  de  juin  1614  (art.  8)  et  de  janvier  1634  (art.  13) 2. 

Colbert  déplorait  cette  interdiction  faite  aux  nobles  de  con- 
tribuer a  la  prospérité  économique  du  royaume.  Lorsqu'il  fonda 
les  deux  grandes  compagnies  des  Indes  Orientales  et  des  Indes 
Occidentales,  il  autorisa  toute  personne  de  quelque  qualité  et 
condition  qu'elle  fût  à  entrer  dans  les  compagnies  et  à  y  parti- 
ciper sans  déroger',  puis,  par  un  édit  d'août  {669,  il  proclama 
que  le  commerce  de  mer,  en  général,  n'entraînerait  pas  la  déro- 

f'eance*.  Le  préambule  faisait  l'éloge  du  commerce  :  «  comme 
e  commerce,  et  particulièrement  celui  qui  se  fait  par  mer,  est 
la  source  féconde  qui  apporte  l'abondance  dans  les  Etats  et  la 
répand  sur  les  sujets  à  proportion  de  leur  industrie  et  de  leur 
travail,  et  qu'il  n'y  a  point  de  moyen  pour  acquérir  du  bien 
qui  soit  plus  innocent  et  plus  légitime,  aussi  a-t-il  toujours  esté 
en  grande  considération  parmi  les  nations  les  mieux  policées  et 
universellement  bien  receu,  comme  une  des  plus  honnestes  occu- 
pations de  la  vie  civile II  importe  au  bien  de  nos  sujets  et  à 

notre  propre  satisfaction,  d'effacer  les  restes  d'une  opinion  qui 
s'est  universellement  répandue  que  le  commerce  maritime  est 
incompatible  avec  la  noblesse  et  qu'il  en  détruit  les  privilèges  »  ; 
en  conséquence,  «  désirant  ne  rien  obmettre  de  ce  qui  peut 
davantage  exciter  nos  sujets  a  s'engager  dans  ce  commerce, 
et  le  rendre  plus  florissant,  tous  gentilshommes  [pourront]  par 
eux,  ou  par  personnes  interposées,  entrer  en  société,  et  prendre 
part  dans  les  vaisseaux  marchands,  denrées  et  marchandises 
d'iceux,  sans  que  pour  raison  de  ce,  ils  soient  censez  ni  réputez 
déroger  à  noblesse,  pourvu  toutesfois  qu'ils  ne  vendent  point 
en  détail5  ». 


1.  Traité  de  la  noblesse,  p.  85.  ■ 

2.  On  avait  conclu  du  privilège  accordé  aux  verriers,  que  la  verrerie  entraînait 
exemption  de  taille,  mais  l'art.  13  de  Janvier  1634  déclare  formellement  le  con- 
traire. Voir  Lebret,  38"  action  à  la  Cour  des  Aides,  dans  ses  Œuvres,  p.  531,  et, 
sur  les  verreries  de  la  Normandie,  Levaillant  de  la  Fieffé,  Les  verreries  de  la  Xor- 
mandie,  Rouen,  1873. 

3.  Edits  de  mai  et  août  1664. 

4.  La  prescription  se  trouve  déjà  avant  Colbert  :  elle  forme  un  des  articles  du 
Code  Micbaud.  L'édit  d'octobre  1(45  qui  mettait  en  vente  50  lettres  de  noblesse 
dans  les  villes  de  Normandie  autorisait  les  acheteurs  à  «  continuer  leur  trafic 
pendant  leur  vie,  sans  que  le  fait  de  marchandise  leur  pût  estre  imputé  a  déro- 
geance •  ,  sauf  ù  répondre  à  la  convocation  de  l'urrière-ban  (Dans  (Jhérin,  à  sa 
date). 

5.  Sur  cet  édit,  bien  des  fois  commenté,  voir  Forbonnais,  Recherches  et  considé- 
rations, éd.  in-4°,  t.  I,  p.  436-38,  et  Clément,  introd.  du  t.  II,  p.  clxxx. 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  231 

En  général  tous  les  offices  inférieurs  étaient  également 
interdits  aux  nobles;  ils  ne  pouvaient  être  avocats,  procureurs, 
huissiers  '  ;  une  seule  exception  existait  en  Normandie,  c'était 
pour  les  sergenteries  :  elles  ne  pouvaient  être  possédées  que 
par  des  nobles  et  n'entraînaient  pas  la  dérogeance;  un  édit  de 
mars  1664  confirma  cette  règle2. 

Lorsqu'un  noble  avait  dérogé,  il  ne  perdait  pas  pour  autant 
le  droit  de  revenir  à  la  noblesse  :  «  la  noblesse  ne  se  perd 
pas  aisément,  dit  l'abbé  Fleury,  car  encore  qu'un  homme  ait 
fait  acte  dérogeant,  il  ne  laisse  pas  d'être  noble  :  seulement  il 
perd  les  privilèges  tant  que  l'acte  dure,  et  s'il  prend  des  lettres 
de  réhabilitation,  c'est  seulement  pour  avoir  un  témoignage 
public  qu'il  a  cessé  de  déroger  »  :  il  faut  que,  dans  une  même 
famille  six  générations  successives  aient  dérogé,  pour  que  la 
noblesse  soit  perdue  complètement  et  qu'un  nouvel  anoblisse- 
ment soit  nécessaire3.  Le  dérogeant  n'a  besoin  que  de  prendre 
des  lettres  de  relief;  toutefois  il  semble  que,  d'après  la  décla- 
ration du  8  février  1661  relative  à  la  recherche,  une  amende 
ait  été  encourue  par  lui  de  ce  fait;  en  tous  cas  c'est  là  unique- 
ment une  question  de  droits  à  payer  qui  ne  change  rien  au 
principe  général4. 


II.  —  LES  EXEMPTS  PAR  LA  FONCTION 


Des  privilèges  sont  attachés  à  un  certain  nombre  de  fonctions, 
soit  pour  les  honorer,  soit  pour  assurer  un  avantage  pécuniaire 
à  ceux  qui  les  exercent.  Ainsi  le  roi  exempte  de  taille  les  gens 
qui  le  servent  pour  rehausser  leur  condition  ;  il  vend  à  qui  veut 
les  acheter  des  exemptions  de  taille,  une  telle  vente  n'étant  au 
fond  qu'une  sorte  d'emprunt  dont  l'impôt  remis  représente  les 
arrérages  ;  il  attache  le  privilège  à  une  profession  pour  l'encou- 
rager. C'est  pour  tous  ces  motifs  que  nous  trouvons  une  foule 
de  fonctions  conférant  l'exemption  :  on  peut  les  ranger  en 
quatre  catégories  :  ecclésiastiques,  commensaux,  militaires  et 
officiers;  agriculteurs  ou  manufacturiers. 

1.  Cependant  les  commissaires  de  1696  admirent  que  les  professions  de  juge, 
médecin  et  avocat  n'entraînaient  pas  la  dérogeance  (Belleguise,  p.  81-83). 

2.  Cf.  Voysin  de  la  Noiraye,  Mémoire  sur  la  Généralité  de  Rouen  en  1665, 
p.  90,  Loisel  de  Boismare,  Dictionnaire  du  droit  des  tailles  au  mot  Sergent, 
Houard,  Dictionnaire  analytique  au  même  mot,  Sandret,  dans  la  Revue  historique 
nobiliaire,  t.  XVI,  p.  485,  et  l'abbé  Dumaine  dans  le  Bull,  de  la  soc.  hist.  et 
archéol.  de  VOrne,  t.  V,  p.  13. 

3.  Institution  au  droit  français  ,  éd.  Laboulaye,  t.  I,  p.  218. 

4.  Un  cas  particulier  est  constitué  par  les  enfants  nés  avant  la  déchéance  de 
leurs  pères  ;  en  ce  cas  ils  ne  sont  pas  considérés  eux-mêmes  comme  dérogeant 
s'ils  n'ont  fait  aucun  acte  contraire  et  ils  n'ont  pas  à  obtenir  des  lettres  de  réha- 
bilitation (arrêt  du  conseil  du  10  octobre  1668,  mentionné  dans  La  Poix  de  Fré- 
minville,  Traité  des  Communautés  d'Habitants,  p.  243). 


232  LA    TAILLE    EN    NOHMANDIE. 

A.    —    L'EXEMPTION    DU    CLERGÉ 

Les  ecclésiastiques  forment  «  le  premier  ordre  du  royaume  »,  et 
leur  droit  au  privilège  est,  de  tous,  le  plus  incontesté1.  Cepen- 
dant, il  n'y  a  pas  accord  sur  les  fondements  de  ce  droit  :  la 
thèse  des  clercs  est  que,  leurs  biens  ne  leur  appartenant  pas, 
ils  ne  peuvent  être  imposés  à  cause  de  ces  biens  ;  la  vieille  théorie 
de  l'immunité  ecclésiastique  est  toujours  invoquée  par  les  cano- 
nistes.  Pour  les  juristes,  le  clergé,  que  la  loi  romaine  et  la  loi 
de  Moïse  exemptaient  déjà,  mérite  cette  faveur  pour  les  services 
éminents  qu'il  rend  à  l'Etat2.  Seuls  quelques  «  politiques  » 
soutiennent  que  les  ecclésiastiques  comme  les  autres  doivent 
contribuer  aux  charges  publiques  à  proportion  de  leur  revenu  3. 
Mais,  si  même  on  admettait  qu'ils  devaient  être  imposés,  il  ne 
s'ensuivait  pas  qu'ils  dussent  payer  la  taille  :  les  y  soumettre 
eût  été  en  effet  les  dégrader;  en  1641  le  roi  reconnaissait 
qu' «  assujettir»  les  ecclésiastiques  à  la  taille  eût  été  déroger 
«  notablement  à  la  dignité  de  l'Eglise,  à  l'honneur  de  leur 
caractère  et  au  rang  que  tiennent  les  ecclésiastiques  dans  ce 
royaume  dont  ils  composent  le  premier  ordre  »  ;  son  devoir  de 
fils  aîné  de  l'Eglise  est  de  «  maintenir  tous  les  droits  et  hon- 
neurs qui  lui  appartiennent  »,  et  la  conserver  «  en  sa  splendeur 
et  dignité  *.  » 

On  sait  d'ailleurs  que  l'Eglise  payait  une  contribution  spé- 
ciale :  par  un  contrat  renouvelé  périodiquement  depuis  1561,  le 
clergé  s'engageait  à  verser  au  roi  chaque  année  un  «  don  gra- 
tuit »,  en  échange  duquel  le  roi  s'engageait  à  n'établir  sur  lui 
aucun  autre  impôt  : 

1.  Louis  XIV,  pour  légitimer  sa  prétention  a  imposer  les  clercs,  est  amené  à 
invoquer  son  droit  de  propriété  universelle  (Mémoires,  éd.  Dreyss,  t.  II,  p.  80 
et  230).  M.  Marion  énonce  une  autre  théorie  dont  je  n'ai  pas  trouvé  la  trace  au 
xvu*  siècle  :  le  Clergé  aurait  été  dispensé  de  la  taille,  impôt  essentiellement  mili- 
taire, parce  que  sa  «  fonction  sociale  »  était  de  ne  prendre  aucune  part  à  la  guerre. 
(Les  impôts  directs,  p.  2.)  La  thèse  parait  au  reste  difficile  à  soutenir. 

2.  Mais  Domat  proclame  nettement  que  «  les  revenus  des  biens  temporels  des 
bénéfices  doivent  contribuer  au  bien  de  l'Etat  »  (Le  droit  public,  dans  ses  Œuvres, 
éd.  1757,  t.  II,  p.  26).  V.  aussi  Lebret,  Œuvres,  éd.  1689,  p.  43S>. 

3.  Sur  cette  question  des  exemptions  du  clergé  et  des  droits  de  l'Etat,  voir  la 
première  partie  de  l'ouvrage  de  Cans,  L'organisation  financière  du  Clergé  de 
France  à  l'époque  de  Louis  XIV  (1910),  auquel  je  renvoie  pour  tout  le  détail.  Voir 
aussi  Du  Rousseaud  de  la  Combe,  Recueil  de  jurisprudence  canonique  et  bénéfi- 
ciale,  art.  Privilège,  Durand  de  Maillane,  Dictionnaire  de  droit  canonique,  même 
art.  ;  Mariéjol,  dans  l'Histoire  de  France,  t.  VI,  2e  part.,  p.  384  et  suiv. 

Sur  la  nécessité  pour  le  roi  de  respecter  les  immunités  de  l'Eglise,  voici  une 
remarquable  lettre  de  Médavv,  évéque  de  Séez,  à  Mazarin,  du  7  janv.  1658  :  «  L'on 
doit  remarquer  que  la  monarchie  n'a  de  fondement  certain  que  sur  la  religion, 
qui  establit  le  droit  divin,  et  ne  se  fonde  point  dessus  le  droit  de  nature,  qui 
favorise  les  estats  populaires...  La  religion  chrestienne  nous  oblige  d'obéir  aux  rois 

auand  mesmes  ils  sortiroient  hors  des  règles...  c'est  cette  vérité  que  les  prestres 
oivent  insinuer  fortement  dans  les  esprits  des  peuples  pour  les  entretenir  dans 
une  exacte  obéissance  »  (Mélanges publ.  par  la  Soc.  de  l'Hist.  de  Norm.,  t.  V,  p.  157). 

4.  Déclaration  du  10  avril  1641,  dans  Néron,  t.  II,  p.  14. 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  233 

«  Sadite  Majesté  ne  prendra  décime,  ne  mettra  aucun  subside  ordi- 
naire ou  extraordinaire  ou  emprunts  particuliers  sur  ladite  Eglise  et 
personnes  ecclésiastiques  et  ne  seront  contribuables  ni  compris  à 
aucune  imposition  faite  ou  à  faire  sur  le  bled,  vin  et  autre  denrée 
quelconque  ni  pareillement  à  la  taille,  soit  à  cause  du  domaine  de 
ladite  église  ou  de  leur  patrimoine,  acquêts  ou  autres  biens  '.  » 

Un  véritable  marché  était  donc  conclu  entre  le  roi  et  son 
clergé  :  tant  que  le  clergé  paierait  le  don  gratuit  on  ne  pourrait 
lui  faire  payer  la  taille;  il  y  avait  théoriquement  équivalence 
des  deux  impôts2;  mais  s'il  cessait  de  payer  le  don  gratuit,  c'est- 
à-dire  si  le  contrat  n'était  pas  renouvelé,  la  question  demeurait 
entière.  C'est  ce  qui  arriva  en  1634  :  le  contrat  du  clergé  expi- 
rant à  la  fin  de  cette  année,  le  roi  inséra  dans  le  règlement  des 
tailles  de  janvier  1634,  l'art.  32  dans  lequel  il  est  dit  que  «  les 
ecclésiastiques  jouiront  des  privilèges  et  exemptions  à  eux 
accordés  par  nos  lettres  de  patente  et  contrats  faits  avec  eux 
jusqu'à  la  présente  année  selon  et  ainsi  qu'ils  en  ont  bien  et 
duement  joui  par  le  passé,  dans  lequel  se  retirans  par  devers 
nous  et  rapportans  lesdites  lettres  et  contrats  leur  sera  pourvu 
pour  l'année  ainsi  que  de  raison  ».  Le  contrat  ayant  été  renou- 
velé quelques  jours  après  cet  édit,  les  privilèges  du  clergé 
furent  également  renouvelés  par  l'arrêt  du  conseil  du  26  jan- 
vier. Les  contrats  ultérieurs  conclus  en  1646,  1657,  1666  et  1675 
confirmèrent  toujours  cette  exemption3. 

La  jouissance  de  l'exemption  donnait  lieu  à  quelques  diffi- 
cultés. Il  y  en  avait  deux  principales  :  1°  qui  devait-on  com- 
prendre sous  le  nom  d'ecclésiastiques?  2°  l'exemption  de  taille 
devait-elle  être  concédée  sans  limites  pour  tous  les  biens  qu'il 
plairait  aux  bénéficiaires  d'exploiter,  ou  au  contraire  conve- 
nait-il de  la  limiter,  comme  pour  les  nobtes? 

Les  clercs  à  simple  tonsure,  les  bedeaux  des  églises,  les  che- 
valiers de  Malte,  les  religieux  mendiants  n'étaient  pas  consi- 
dérés comme  pleinement  ecclésiastiques.  La  question  de  leur 
exemption  donnait  lieu  à  des  règlements  spéciaux  pour  chacune 
de  ces  catégories.  Les  clercs  à  simple  tonsure,  qui  étaient  extrê- 
mement nombreux,  tenaient  l'exemption  de  leur  qualité  d'étu- 
diants; ils  devaient  produire  un  certificat  du  recteur  et  des 
régents  attestant  qu'ils  avaient  étudié  à  l'université  pendant  six 

1.  Art.  15  du  contrat  de  Poissy,  Mémoires  du  Clergé,  t.  IX,  col.  18. 

2.  Cf.  le  discours  de  l'archevêque  de  Rouen  aux  Etats  de  Normandie  de  1655, 
Mélanges  de  la  Soc.  de  Vllist.  de  Norm.,  t.  V,  p.  149. 

3.  Voir  ces  contrats  dans  les  Mémoires  du  Clergé,  t.  IX  à  leur  date  avec  les 
arrêts  du  conseil  des  31  mars  et  23  juillet  1638,  18  septembre  1640,  19  janvier 
1641,  la  déclaration  du  10  avril  1646,  etc.  Dans  cette  dernière,  le  roi  reconnaît 
«  que  pour  l'exaction  desdites  tailles  il  se  commet  plusieurs  violences  contre  les 
bénéficiers  et  curez,  que  l'on  procède  par  contraintes  de  déclarer  par  eux  les 
biens  de  leurs  paroissiens,  saisies  de  leurs  meubles,  garnison  dans  les  presby- 
tères, et  autres  indues  vexations  ». 


234  LA    TAILLI    KN     NOKMANDIE. 

mois  consécutifs*.  Les  bedeaux  des  églises  étaient  expressément 
déclarés  taillables  par  l'art.  25  du  règlement  de  janvier  1634 
et  la  déclaration  du  20  mai  1645 2.  Les  chevaliers  de  Malte, 
quoique  faisant  partie  du  clergé,  étaient  souvent  mis  à  part  des 
ecclésiastiques3,  mais  ils  étaient  nobles,  et  leur  exemption  de 
taille  ne  pouvait  pas  faire  contestation  :  une  série  d'arrêts  du 
conseil  et  des  cours  des  aides  le  reconnaissaient*.  Les  religieux 
mendiants  étaient  reconnus  exempts  par  privilège  de  clergie 
et  en  outre  à  cause  du  caractère  de  leur  fonction6. 

Aux  membres  de  l'église  catholique  on  peut  ajouter  les 
ministres  protestants.  Ledit  de  Nantes  les  exemptait  seulement 
de  collecte;  mais  un  arrêt  du  Conseil  du  17  juillet  1624  les 
avait  dispensés  de  taille  «  pour  leurs  meubles,  pensions  et 
gages  »;  puis,  «  par  un  usage  abusif  »,  ils  en  étaient  venus  à  ne 
rien  payer  non  plus  pour  leurs  immeubles.  Ils  seront,  en  fait, 
exempts  jusqu'à  ledit  de  Révocation,  qui  promet  même  de  con- 
tinuer l'exemption  à  ceux  des  ministres  qui  se  convertiront6. 

La  question  des  terres  cultivées  par  les  ecclésiastiques  ne  se 
posait  pas  de   la  même   façon   que  pour  les  nobles  :  le  clergé 

f>ayant  un  impôt  en  remplacement  de  la  taille,  il  eût  semblé 
ogique  de  le  laisser  jouir  de  tous  les  biens  qu'il  voudrait  sans 
le  soumettre  à  cette  dernière  :  il  aurait  suffi  de  régler  le  chiffre 
du  don  gratuit  proportionnellement  au  revenu  que  les  ecclésias- 
tiques tiraient  de  leurs  biens.  Mais  un  ecclésiastique  exploitant 
des  terres  dans  une  paroisse  les  soustrayait  à  la  taille  de  cette 

f>aroisse;  comment  les  défalquer  au  département?  D'autre  part, 
e  contrat  était  conclu  pour  dix  ans  :  tous  les  accroissements  de 
biens  survenus  au  clergé  dans  ces  dix  ans  échappaient  à  la  taxe, 
et  même  au  renouvellement  du  contrat  pouvait-on  les  calculer 
pour  fixer  exactement  le  chiffre  du  don  gratuit?  Très  certaine- 
ment la  liberté  laissée  aux  ecclésiastiques  d'exploiter  autant  de 
terres  qu'ils  voudraient  eût  entraîné  des  abus  considérables. 
Depuis  longtemps  les  lois  du  royaume  avaient  prévenu  cet  abus 
en  limitant  la  quantité  de  terres  qu'il  leur  était  permis  de  cul- 
tiver par  eux-mêmes. 

Le  règlement  de  janvier  1634  fixait  pour  les  ecclésiastiques 
comme  pour  les  nobles  à  «  une  de  leurs  terres  et  maisons  »  la 
quantité  de  biens  qu'ils   pouvaient  faire  valoir  en   franchise7. 

1.  Mémorial  alphabétique  au  mot  Clercs. 

2.  Ibid.  au  mot  Appariteurs. 

S.  Par  exemple  l'édit  de  Janvier  1634,  art.  33  dit  :  <  les  nobles  ecclésiastiques 
chevaliers  de  Malte,  officiers  privilégiés  ». 

4.  Cf.  Descluseaux,  Recueil  des  privilèges  de  Fordre  de  Saint  Jean-de-Jérusalem, 
1700,  p.  838  et  suivantes,  et  Vieuille,  ch.  xxm. 

5.  Lebret,  25«  et  26*  actions,  Œuvres,  p.  497-501. 

»i.  Mr'm.  alphab.,  art.  Ministres;  arrêt  du  Conseil  du  8  ianv.  1685,  et  ms.  7463, 
f°  111  de  la  Bibl.  de  l'Arsenal. 

7.  La  déclaration  de  mars  1635  spécifia  que  le  roi  n'entendait  pas  comprendre 
dans  cette  réglementation  les  terres  dépendant  des  bénéfices  ecclésiastiques. 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  .         235 

Mais  l'assemblée  du.  clergé  réunie  en  1641  représenta  au  roi 
que  si  l'on  imposait  les  fermiers  des  ecclésiastiques,  ceux-ci 
(<  se  trouvcroient  doublement  surchargés  en  ce  qu'ils  paient  les 
décimes  pour  les  biens  qu'ils  possèdent  et  qui  sont  tenus  par 
leurs  fermiers  et  receveurs,  lesquels  prétendoient  diminution 
du  prix  de  leurs  baux,  s'ils  estoient  encore  obligés  de  payer  la 
taille  pour  les  mesmes  biens  et  à  cause  du  profit  qu'ils  y  font  »  : 
la  déclaration  du  24  juillet  1641  exempta  donc  les  receveurs  et 
fermiers  des  ecclésiastiques,  à  la  condition  que  les  terres  qu'ils 
cultivaient  fussent  dépendantes  des  bénéfices1.  Mais  le  règle- 
ment d'avril  1643  (art.  28)  revint  à  la  législation  de  1634; 
nouvelles  plaintes  de  l'assemblée  du  clergé  en  1646,  nouvelle 
concession  par  la  déclaration  du  10  avril  1646 2,  qui  exempta 
tout  prêtre,  curé,  religieux  et  tous  autres  bénéficiers  même  s'ils 
faisaient  valoir  leurs  biens  par  leurs  mains. 

Mais  le  roi  constata,  en  août  1664,  que  cette  déclaration  de 
1646  avait  «  introduit  un  abus  manifeste,  en  conséquence  duquel 
les  ecclésiastiques...  prétendent  que  leurs  fermiers  ne  doivent 
point  être  imposés  aux  tailles  à  cause  des  fermes  qu'ils  tiennent 
d'eux,  s'imaginant  que  c'est  leur  faire  payer  indirectement  la 
taille,  d'où  il  s'ensuit  un  désordre  sans  exemple,  qui  cause  la 
ruine  et  l'oppression  des  pauvres  taillables,  et  donne  lieu  auxdits 
ecclésiastiques. . .  d'augmenter  extraordinairement  le  prix  de  leurs 
fermes,  sous  prétexte  de  cette  prétendue  exemption  ».  En  con- 
séquence il  fut  ordonné  que  :  1°  les  fermiers  des  ecclésiastiques 
seraient  imposés  à  la  taille  comme  les  autres  fermiers  (art.  27); 
2°  les  ecclésiastiques  ne  pourraient  faire  valoir  par  leurs  mains 
plus  d'une  de  leurs  terres,  et  les  baux  frauduleux  seraient  nuls 
(art.  28);  3°  ceux  qui  prendraient  à  ferme  des  terres  d'autrui 
seraient  imposés  à  la  taille  et  leur  cote  serait  égale  «  au  quart 
de  la  valeur  du  revenu  »  de  ces  fermes  (art.  30) 3. 

Mais  l'assemblée  du  clergé  renouvela  ses  remontrances, 
en  1666,  et  un  arrêt  du  conseil  du  18  mars  rendit  l'exemption  aux 
fermiers  des  ecclésiastiques4.  Cette  faveur  exceptionnelle  sou- 
leva encore  des  protestations  et  l'année  suivante  le  roi  restrei- 
gnit à  nouveau  le  privilège  ;  l'édit  de  mars  1667  par  son  article  28 
non  seulement  réduisit  la  quantité  de  terre  laissée  en  franchise 
aux  ecclésiastiques  à  une  seule  ferme  comme  le  faisaient  les 
déclarations  de  1634  et  1664,  mais  encore  précisa,  comme  pour 


1.  A.  N.  AD'",  470. 

2.  Dans  Néron,  t.  II,  p.  14. 

3.  La  Cour  des  Aides  de  Paris  n'avait  pas  attendu  ce  règlement  pour  limiter  le 
privilège  des  ecclésiastiques  :  un  de  ses  arrêts  du  5  septembre  1662  condamnait 
un  curé  à  payer  la  taille  pour  des  biens  qu'il  possédait  et  cultivait,  l'exemption 
n'étant  valable,  dit  la  Cour,  que  «  pour  leurs  biens  ecclésiastiques,  leur  patri- 
moine presbytéral  et  pour  ce  qui  leur  écberroit  par  succession  directe  »  (cité  dans 
le  Mémorial  alphabétique,  p.  248-241). 

4.  Mémorial  de  la  Cour  des  Aides  de  Rouen,  A.  D.  Seine-Inf.  t.  XLIII,  f  11. 


23f.  LA    TAILI.K    KX    XOHMAXD1B. 

les  nobles,  que  cette  ferme  ne  devrait  pas  dépasser  «  quatre  char- 
rues »  ni  s'étendre  sur  plus  d'une  paroisse1.  Puis  les  assemblées 
du  clergé  en  1670  et  en  1675  reprirent  leurs  éternelles  récla- 
mations, et  des  arrêts  du  conseil  rendirent  l'exemption  aux  fer- 
miers'. Seule  demeura  invariable  la  règle  que  les  ecclésias- 
tiques non  nobles  ne  pouvaient  exploiter  eux-mêmes  leurs  biens 
patrimoniaux  ou  d'acquêt,  ni  y  employer  leurs  valets  3. 

Les  dîmes  n'étaient  pas  considérées  comme  biens  sujets  à 
l'impôt  si  les  ecclésiastiques  les  percevaient  eux-mêmes.  La 
déclaration  d'avril  1643  en  son  article  28  le  spécifiait  expres- 
sément, et  les  assemblées  du  clergé  de  1666,  1670  et  1675  eurent 
soin  de  faire  reconnaître  ce  principe  par  le  roi*;  mais  si  les 
ecclésiastiques  les  affermaient  à  des  taillables,  ceux-ci  devaient 
être  imposés  pour  le  profit  qu'ils  en  tiraient;  tous  les  règle- 
ments cités  plus  haut  le  prescrivaient. 

Ces  variations  incessantes  et  ces  incohérences  de  la  législa- 
tion embarrassaient  fort  les  agents  du  gouvernement;  les  ecclé- 
siastiques s'en  prévalaient  pour  étendre  le  plus  possible  leurs 
privilèges.  Le  1er  mai  1676,  l'intendant  de  Rouen  écrit  à  Colbert 
qu'ils  s'autorisent  de  l'arrêt  du  conseil  du  9  septembre  1675 
pour  faire  exempter  leurs  fermiers  de  la  taille,  et  que  les  élec- 
tions leur  font  droit5.  L'intendant  de  Caen  dans  son  mandement 
aux  paroisses  du  1er  octobre  1680  constate  «  que  plusieurs  par- 
ticuliers tenans  les  dixmes  des  parroisses  s'exemptent  indûment 
de  la  taille  par  crédit  ou  sous  prétexte  de  procurations  frau- 
duleuses »,  et  il  prescrit  aux  collecteurs  d'inscrire  sur  leurs 
rôles  ceux  qui  afferment  les  dîmes  de  leur  paroisse  pour  les 
imposer  s'ils  n'ont  un  cas  d'exemption  valable6. 

L'influence  personnelle  qu'avaient  les  ecclésiastiques  et  le 
rôle  qu'ils  jouaient  dans  les  assemblées  des  paroisses  leur 
donnaient  aussi  le  moyen  d'avoir  les  exemptions  qu'ils  dési- 
raient. D'ailleurs,  ils  savaient  trouver  des  protections  en  haut 
lieu.  En  1661,  les  Pères  de  la  Mission  établis  à  Caen  se  font 
recommander  à  l'intendant  Dugué  par  son  parent  Le  Tellier; 

1.  Il  aurait  pu  se  présenter  le  cas  où  un  ecclésiastique,  possédant  moins  de 
4  charrues,  eût  affermé  des  terres  de  façon  à  compléter  cette  quantité  :  l'auteur 
du  Mémorial  alphabétique  pose  la  question  de  savoir  s'il  doit  être  imposé  pour 
ces  dernières.  S'appuyant  sur  un  arrêt  de  la  Cour  des  aides  de  Paris  du  22  mai 
1680,  il  conclut  :  ■  On  ne  peut  pas  disconvenir  que  la  maxime  de  faire  payer  la 
taille  aux  ecclésiastiques  pour  les  occupations  qu'ils  font  valoir  a  toujours  pré- 
valu à  la  maxime  contraire  introduite  par  la  déclaration  de  1646  »  (p.  243); 
mais  on  n'a  aucun  renseignement  relatif  à  la  jurisprudence  de  la  Cour  des  Aides 
de  Normandie  sur  ce  point. 

2.  Arrêts  des  30  octobre  1670  et  9  septembre  1675,  A.  D.  S.  Inf.  Mémoriaux  de  la 
Cour  des  Aides,  t.  XLIII,  f°  11. 

3.  Décl.  d'août  1664,  art.  30.  Cf.  cependant  au  contraire  la  protestation  de 
l'évêque  de  Séez  en  1658,  Mél.  Soc.  flist.  de  Norm.  V,  p.  154. 

4.  Arrêts  du  conseil  des  18  mars  1666,  30  octobre  et  9  septembre  1675;  voir  ce 
dernier  dans  Néron,  t.  II,  p.  774. 

5.  B.  N.  fr.  8  759,  f°  60. 

6.  A.  D.  Calvados,  Bureau  des  Finances  de  Caen. 


LES    EXEMPTS    PAR    LA.    FONCTION.  237 

l'intendant,  non  seulement  les  exempte  de  tout  impôt  pour  leurs 
biens,  mais  encore  lève  sur  l'élection  une  somme  de  8000  1. 
à  eux  destinée;  il  faut  que  Le  Tellier  le  réprimande  pour  excès 
de  zèle  :  «  Je  ne  puis,  Monsieur,  vous  cacher,  que  j'ay  esté  fort 
surpris  d'aprendre  que  des  gens  qui  ne  nous  preschent  que 
l'excessif  accablement  des  peuples  par  les  levées  que  l'on  faict 
sur  eux,  et  la  charité  envers  les  pauvres,  sollicitent  pour  leur 
proffict  particulier  la  diminution  d'une  grâce  que  le  Roy  a 
accordée  à  une  eslection  ruinée  par  la  mauvaise  récolte  de  deux 
années  consécutives1  ».  Après  la  mort  de  l'abbé  de  Conches, 
en  1669,  la  veuve  Gersant,  qui  faisait  la  recette  de  l'élection, 
écrivait  à  Colbert  que  «  les  fermiers  de  l'abaye  dudit  Conches 
ont  faict  leurs  déclarations  au  greffe  qu'ils  ne  prétandent  plus 
tenir  leurs  fermes  au  pris  qu'ils  les  ont  tenue  jusques  icy2  », 
parce  qu'ils  ne  se  sentent  plus  protégés. 

En  1669,  les  fermiers  des  dîmes  dans  la  paroisse  de  Rots 
avaient  été  taxés  par  les  collecteurs  a  50  1.,  mais  les  habitants 
réunis  en  assemblée  le  2  février,  décidèrent,  nous  ne  savons 
sous  quelle  influence,  de  modérer  cet  impôt  h  30  1.  et  de  se 
recharger  eux-mêmes  de  la  différence3;  en  1671,  l'assemblée 
réduit  pareillement  leur  cote  à  40  1.*,  et  en  1672,  elle  la  fixe  à 
60  l5.  Toutes  ces  modérations  de  taux  ne  peuvent  guère  être 
considérées   que   comme  des    faveurs    accordées  aux  dimeurs 6. 

L'importance  du  privilège  accordé  aux  ecclésiastiques  ne 
pourrait  être  mesurée  que  si  l'on  connaissait  exactement,  non 
seulement  le  nombre  des  personnes  qui  en  bénéficiaient,  —  ce 
qui  est  très  difficile,  —  mais  encore  la  quantité  de  biens  dont 
chacune  jouissait,  ce  qui  est  impossible7.  Mais  il  semble  bien 
que  les  ecclésiastiques  étaient  très  nombreux  et  très  riches  en 
Normandie 8  et  la  médiocre  somme  qu'ils  payaient  au  roi  pour 

1.  Arch.  des  Aff.  Etr.,  Mém.  et  doc.  915,  f°  4.  Les  8  000  1.  avaient  été  remises 
par  le  roi  à  l'élection,  et  Dugué  voulait  quand  même  les  percevoir  pour  les 
missionnaires. 

2.  Lettre  du  4  juin  1669,  M.  C.  153,  f°  136. 

3.  A.  Mun.  Rots,  BB.  4,  1°  165. 

4.  Ibid.  5,  f°  35. 

5.  Ibid. 

6.  On  reconnaît  la  tendance  des  ecclésiastiques  à  étendre  leurs  privilèges  dans 
les  prétentions  qu'avaient  les  communautés  régulières  d'exploiter  en  franchise 
autant  de  fermes  que  ces  communautés  avaient  de  membres.  La  jurisprudence 
en  matière  civile  était  cependant  formelle  :  une  communauté  religieuse  ne 
comptait  que  pour  une  personne  (Gauret,  Stiledu  Conseil  du  roy,p.  408).  En  1680, 
les  carmélites  de  Maçon  prétendent  au  privilège  pour  chacune  de  leurs  religieuses  ; 
la  Cour  des  Aides  de  Paris  les  condamne  par  un  arrêt  du  22  mai. 

7.  Vauban  estime  à  75  millions  de  livres  au  moins  le  revenu  annuel  du  clergé 
du  royaume  en  1694;  c'est  une  somme  relativement  élevée  (Corresp.  des  conlr. 
généraux,  t.  I,  p.  562).  Un  M.  d'Orgeval,  dans  un  mémoire  présenté  à  Colbert 
en  1665  affirme  que  les  couvents  possèdent  «  plus  du  tiers  de  tout  le  revenu  du 
royaume  »  (M.  C.  33,  f°  366). 

8.  Leur  nombre  apparaît  sur  les  rôles  de  taille,  où  ils  n'avaient  pas  les  mêmes 
raisons  que  les  nobles  de  se  cacher;  le  mémoire  de  Voysin  sur  la  généralité  de 
Rouen  en  1665  catalogue  un  grand  nombre  de  communautés  régulières,  la  plupart 
riches,  et  les  revenus  des  cures  s'élèvent  à  une  somme  considérable. 


238  LA    TAII.LK    EN    NO  II  M  A  NOM-. 

le  don  gratuit  de  leur  province1  ne  compensait  pas  leur  privi- 
lège :  chaque  paroisse  a  son  curé,  et  généralement  un  vicaire. 
«n  taiiiis,  même  à  la  campagne,  ont  trois  et  quatre  vicaires;  une 
quantité  considérable  de  clercs  figurent  a  la  fin  des  rôles  où 
sont  portés  les  exempts;  presque  toujours  le  nombre  des  ecclé- 
siastiques dans  ces  listes  est  plus  fort  que  celui  de  tous  les 
autres  exempts  réunis.  Par  exemple,  à  Montivilliers  en  1661,  il 
y  a  15  ecclésiastiques  pour  4  nobles;  à  Saint-Saens  (élection  de 
Neufchâtel),  14  ecclésiastiques  sur  22  exempts;  à  Neufchâtel, 
sur  43  exempts,  31  ecclésiastiques;  dans  les  rôles  de  l'élection 
de  Bayeux2,  le  nombre  des  ecclésiastiques  est  en  moyenne  2  fois 
plus  élevé  que  celui  des  nobles;  dans  l'élection  de  Neufchâtel3 
sur  une  série  de  80  rôles  de  l'année  1670,  on  a  171  ecclésias- 
tiques pour  un  total  de  293  exempts  (les  communautés  reli- 
gieuses n'étant  comptées  que  pour  une  unité). 

Quant  aux  possessions  exemptées  de  taille  par  ce  nombreux 
personnel,  même  si  elles  étaient  limitées  aux  4  charrues  régle- 
mentaires, elles  avaient  une  étendue  considérable,  et  les  pro- 
tections qu'ils  se  faisaient  accorder  ou  qu'ils  demandaient  pour 
leurs  fermiers  l'accroissaient  encore.  Les  grandes  abbayes 
comme  le  Bcc-Hélouin,  Saint-Etienne  de  Caen,  Jumièges,  Saint- 
Ouen  de  Rouen,  avaient  des  terres  immenses  qui  n'étaient  pas 
imposées.  D'après  l'arpentage  de  la  paroisse  de  Bretteviîle- 
l'Orgueilleuse  fait  en  1687,  on  voit  que  sur  un  territoire  de 
1071  acres  les  biens  ecclésiastiques  exempts  occupent  190  acres 
sans  compter  le  terroir  de  la  dîme  qui  est  de  49  acres  et  pour 
lequel  nous  ne  savons  s'il  était  ou  non  imposé*. 

De  nombreuses  plaintes  sont  adressées  de  toutes  parts  au  gou- 
vernement contre  le  trop  grand  nombre  de  clercs.  La  collection 
des  mémoires  envoyés  à  Colbert  en  1665  pour  la  réformation 
de  la  justice   en  contient  beaucoup  et   presque  toujours  parmi 

1.  Ce  qui  ne  signifie  pas,  du  reste,  que  la  part  de  chacun  était  toujours  faible. 
Le  don  gratuit  était  souvent  mal  réparti.  Cf.  les  Soupirs  de  la  France  esclave, 
Premier  mémoire,  p.  10  :  «  Il  faut  regarder  le  triste  état  et  la  situation  abjecte 
où  sont  tous  les  bas  ecclésiastiques  :  le  roi  lève  des  tailles  sous  le  nom  de  Don 
gratuit  sur  le  clergé,  qui  l'assèchent  et  qui  le  rendent  misérable.  Il  est  vrai  que 
les  évèques  et  tous  ceux  qui  tiennent  les  grands  bénéfices  trouvent  des  moyens 
de  se  tirer  de  dessous  ce  fardeau,  mais  il  n'en  devient  que  plus  pesant  au  bas 
clergé.  Les  curés  portent  le  faix....  Ce  qui  fait  que  les  cures  sont  pauvres,  et 
misérables,  et  méprisés.  •  Voir  aussi  Cans,  ouv.  cit.,  p.  179  et  suiv.  et  le 
«  Mémoire  de  M.  de  Fougerolle  »  publié  par  Boulainvilliers  (Mémoires  présentés  au 
duc  d'Orléans,  1727,  t.  II,  p.  125),  sur  la  «  pauvreté  extrême  »  de  certains  curés. 

2.  Aux  Arch.  mun.  de  Baveux. 

3.  A.  D.  Seine-Inf.  C  2  673  et  suivants. 

4.  Il  y  a  cependant  lieu  de  conjecturer  qu'il  ne  l'était  pas,  puisque  le  rôle  de 
taille  de  la  paroisse  pour  l'année  1691  qui  se  trouve  dans  le  fonds  de  l'élection  de 
Caen  et  qui  donne  avec  beaucoup  de  détail  les  occupations  de  chaque  contri- 
buable ne  porte  pas  les  fermiers  de  la  dime.  L'abbaye  de  Saint-Etienne-de-Caen 

{►ossède  102  acres,  l'abbaye  d'Ardaine,  1  acre,  le  trésor  de  Bretteville,  6  acres, 
e  curé  de  l'abbaye  de  Bretteville,  21  acres,  les  obits  du  même  lieu  14  acres, 
un  ancien  curé  de  la  paroisse  3  acres,  un  curé  d'une  paroisse  voisine,  1  acre 
et  un  vicaire  4  acres. 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  239 

les  inconvénients  de  cette  multiplication  excessive  des  prêtres  et 
des  moines,  on  signale  les  exemptions  qu'ils  font  accorder  aux 
terres  en  leur  possession  *',  A  Dieppe,  les  Carmes  déchaussés 
sont  établis  par  le  duc  de  Longueville  malgré  la  «  répugnance  » 
de  la  population2.  Les  habitants  de  Bargemont  n'autorisent  les 
Augustins  à  s'établir  dans  leur  village  que  sur  l'engagement  pris 
par  les  religieux  de  payer  la  taille  pour  les  biens  qu'ils  feraient 
valoir3.  A  Gisors,  en  1682,  les  habitants  résolvent  d'imposer 
les  communautés  religieuses  pour  acquitter  les  dettes  de  la  ville, 
et  Colbert,  consulté,  les  y  autorise,  quoique  les  autres  exempts 
ne  soient  pas  taxés  *•. 

Le  procureur  du  roi  à  Vernon  écrit  à  Colbert  le  17  avril  1666  : 

«  Le  devoir  de  ma  charge  m'oblige  de  vous  donner  advis  que  contre 
l'intention  du  roy  et  au  préjudice  de  sa  desclaration  qui  deffend  tous 
establissements  de  maisons  religieuses  depuis  1640,  l'on  aye  voullu 
entreprandre  d'en  faire;  vous  scaurez,  s'il  vous  plaît,  Monseigneur, 
qu'il  y  a  huict  jours  que  le  grand  vicaire  de  Mgr  l'Evesque  d'Evreux, 
par  son  ordre,  vint  avecque  madame  l'abbesse  de  Saint-Jean  d'Andely 
et  trois  autres  religieuses  en  un  petit  village  distant  d'un  quart  de 
lieue  de  Vernon,  lesquels  plantèrent  une  croix  sur  la  porte  d'une  maison 
appartenante  à  M.  de  Brécourt  pour  y  establir  trois  filles  qui  estoient 
avec  elle  ;  et  comme  j'ay  seu  que  tel  establissement  estoit  contraire  aux 
vollontez  du  Roy  s'ils  n'estoit  appuyé  sur  ses  lettres  patentes,  je  m'y 
suis  opposé;  elles  n'ont  pas  pour  cela  laissé  de  se  mettre  en  posses- 
sion, et  c'est  ce  qui  me  donne  subjet  de  vous  importuner  pour  vous 
informer  de  l'importance  d'un  tel  establissement,  en  un  pauvre  petit 
village  de  cents  feux  au  plus,  chargé  de  deux  mille  livres  de  taille, 
lesquelles  vont  présentement  en  occuper  la  plus  belle  et  saine  partie, 
sans  ce  qu'elles  feront  à  l'advenir,  c'est  là  un  véritable  moyen  de 
rendre  ce  lieu  inutille  puisqu'il  sera  entièrement  desnué  d'habitants 
et  qu'il  n'y  aura  que  ceux  qui  y  resteront  qui  en  seront  les  plus  mal- 
heureux. Ils  implorent  votre  protection  par  ma  bouche 3.  » 


B.    —    L'EXEMPTION    DES    COMMENSAUX 

Les  personnes   attachées   au   service    du  roi  et  de  la  famille 
royale  sont  désignées  par  la  qualification  de  «  commensaux  », 

1.  Voir  ces  mémoires  dans  le  vol.  33  de  Mél.  Colb.  et  au  Toi.  Clairamb.,  463. 

2.  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen,  p.  143. 

3.  De  Merville,  Maximes  générales,  p.  88.  Du  Rousseaud  de  la  Combe  dislingue 
1'  «  exemption  simple  »  s'appliquant  à  la  personne  seulement,  et  le  «  privilège  » 
s'étendant  aux  terres  exploitées  par  un  clerc.  {Recueil  de  jurisprudence,  art.  Pri- 
vilège). Cf.  Durand  de  Maillane.  Dictionnaire,  art.  Taille. 

4.  Leblanc  à  Colbert,  5  avril  1682  :  les-  couvents  de  l'Annonciade,  des  Carmé- 
lites et  des  Ursulines  occupent  «  plus  du  tiers  »  de  la  ville;  «  ils  sont  establis  au 
lieu  ou  estoient  scituées  les  tanneries,  qui  estoit  le  seul  commerce  et  ou  il  y  avoit 
plusieurs  tanneurs  qui  payoient  chacun  sept  a  huit  cens  livres  de  taille;  un  de 
ces  couvents  a  obtenu  depuis  peu  des  lettres  pour  enclore  plusieurs  maisons  et 
fermer  une  rue,  ce  qui  fait  que  le  peuple  ne  les  aime  pas  »  (A.  N.,  G7  491;  cf. 
B.  N.  fr.  8761  f°  75).  Voir  la  réponse  de  Colbert  dans  Clém.,  IV,  154. 

5.  M.  C.  137,  f°  315-316.  Publié  dans  Depping,  t.  IV,  p.  86-87. 


240  LA    TAILLE    EN    NOIIMAXDIE. 

c'cst-ii-dire  f^'ns  «  qui  ont  des  chargea  ayant  bouche  à  la  Cour 
avec  g;ii,r<'s  oonchez  sur  l'état  de  la  maison  du  roi,  princes,  fils 
et  filles  <lr  France,  serrans  actuellement  près  de  leur  personne1». 

Une  partie  d'entre  eux  sont  nobles  et  tiennent  leur  exemption 
de  cette  qualité,  mais  beaucoup  d'autres  sont  roturiers  et  ne 
doivent  leur  privilège  qu'à  leur  emploi. 

Le  droit  du  roi  à  exempter  d'impôts  les  gens  qui  le  servaient 
n'était  pas  contesté;  le  souverain  avait  en  effet  la  libre  dispo- 
sition de  ses  finances,  et  remettre  à  un  particulier  le  paiement 
d'une  somme  qu'il  lui  devait  était  considéré  comme  son  droit 
strict;  du  reste  l'exemption  paraissait  une  chose  naturelle  pour 
tous  ceux  qui  touchaient  à  la  personne  du  roi  et  qui,  par  là 
même,  étaient  élevés  au-dessus  du  commun. 

On  rangeait  d'ordinaire  les  commensaux  en  deux  groupes  : 
les  gardes  du  roi,  et  les  sept  offices  de  sa  Maison  2.  Les  gardes 
du  roi,  c'est-à-dire  sa  Maison  militaire,  étaient  tous  exempts  ; 
les  officiers  étaient  nobles  et  ne  nous  intéressent  pas  ici.  Le 
règlement  de  janvier  1634,  art.  11,  n'accordait  l'exemption  aux 
ardes  que  s'ils  servaient  actuellement,  ne  faisaient  pas  trafic 
e  marchandise  et  ne  tenaient  pas  de  fermes  d'autrui.  L'édit 
de  novembre  1640,  qui  révoquait  tous  les  privilèges,  n'excepta 
pas  la  Maison  du  roi,  mais  l'édit  de  novembre  1643  rapporta 
cette  mesure  qui  n'était  qu'un  expédient  fiscal;  le  privilège  de 
la  Maison  militaire  demeura  ensuite  incontesté*. 

Les  sept  offices  de  la  Maison  du  roi  :  Panneterie,  Echanson- 
nerie,  Cuisine  de  la  Bouche  et  du  Commun,  Fruiterie  et  Four- 
rière confèrent  également  l'exemption  de  taille  à  ceux  de  leurs 
titulaires  qui  ne  l'ont  pas  à  un  autre  titre. 

En  outre  de  la  Maison  du  Roi,  la  Maison  de  la  Reine  exempte 
tous  ses  officiers,  et  après  la  mort  de  cette  princesse  ils  con- 
servent leur  privilège  pour  leur  vie  durant4.  La  Maison  de 
Monsieur  avec  ses  121  gardes  du  corps,  la  Maison  de  Madame, 
les  Maisons  des  Enfants  de  France  constituées  dès  la  naissance 
de  chacun  d'eux,  enfin  la  Maison  du  Prince  de  Condé  ont  les 
mêmes  faveurs 5. 

1.  Vieuille,  Traité  des  Elections,  p.  409. 

2.  Sur  les  commensaux,  voir  : 

Code  des  privilèges,  ou  Recueil  des  Edits,  ordonnances...  intervenus  sur  les 
privilèges  des  officiers  domestiques  et  commensaux  du  roi,  de  la  Heine,  des  enfans 
de  France  et  autres,  depuis  l'an  1318  jusqu'en  1646;  avec  des  notes  et  observa- 
tions de  Louis  de  Vrevin,  président  et  lieutenant  général  à  Chauny,  Paris, 
Rocolet,  1646;  Code  des  Commensaux  de  la  maison  du  Roi,  Paris,  V™  Saugrain,  1720 
(12°)  J.  Pinsson  de  la  Martinière,  Privilèges  des  officiers  de  la  maison  du  roi 
Paris  1645.  Le  même  a  publié  des  Etats  des  officiers  domestiques  et  commensaux 
des  maisons  du  roi,  de  la  reine  régente  ..  16VJ,  1650,  et  1652.  Autres  états  1649 
à  1660.  B.  N.  LC2S,  92-93,  Les  diverses  éditions  de  VEiat  de  la  France  donnent 
des  états  semblables  pour  la  période  1661-83. 

3.  Voir  pour  tout  ce  qui  concerne  les  gardes  du  roi  et  le  détail  de  leurs  privi- 
lèges, Vieuille,  Traité  des  Elections,  p.  440-449. 

4.  Déclaration  du  3  novembre  1683,  citée  dans  Vieuille,  p.  413. 

5.  Les    121   gardes    du  corps    de  Monsieur   sont  exempts  spécialement  par  la 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  241 

Un  certain  nombre  d'offices  subalternes  de  la  Cour  confèrent 
également  l'exemption  :  les  concierges,  les  portiers  et  les  jar- 
diniers des  Maisons  royales  ont  eu  leur  privilège  confirmé  par 
l'arrêt  du  Conseil  du  30  janvier  1644 '.  Les  conseillers-secré- 
taires du  roi  ont  le  titre  de  noblesse  attaché  à  leurs  charges  ; 
leurs  fonctions  sont  d'ailleurs  à  peu  près  nulles,  n'étant  pas 
tenus  de  résider  à  la  Cour,  et  leur  titre  n'est  guère  autre  chose 
qu'un  moyen  d'échapper  à  la  taille2.  Enfin  les  offices  de  la 
grande  et  petite  Écurie,  y  compris  les  14  chevaucheurs  ordi- 
naires créés  par  la  déclaration  du  7  septembre  1634,  jouissent 
de  tous  les  privilèges  des  commensaux3. 

Au-dessous  de  ces  offices  subalternes  viennent  encore  les 
officiers  des  Chasses  royales;  l'édit  de  janvier  1634  (art.  20),  en 
limitant  leur  nombre  leur  accorde  seulement  une  diminution  de 
5  1.  sur  leur  cote  de  taille;  les  archers  des  Toiles  bénéficient 
d'une  réduction  de  10  1. 4. 

Les  commensaux  devaient  remplir  un  certain  nombre  de 
conditions  pour  pouvoir  jouir  de  leur  privilège.  Il  fallait  que 
leurs  provisions  fussent  enregistrées  à  la  Cour  des  aides  d'où 
ressortissait  leur  domicile5;  ils  devaient  figurer  sur  les  états 
dressés  par  le  roi  et  enregistrés  chaque   année  à  la  Cour  des 


déclaration  du  13  février  1674  (Règlements  de  Normandie,  p.  185,  cf.  Mém. 
Alphab.  à  l'art.  Gardes  du  corps);  la  maison  de  la  Dauphine,  constituée  par 
la  déclaration  du  20  juillet  1680,  comprend  418  officiers  (Vieuille,  p.  412).  Sur 
l'immunité  des  gens  des  maisons  des  Enfants  de  France,  voir  la  21e  action  de 
Lebret  dans  ses  Œuvres,  éd.  16S9,  p.  489-490  :  «  Il  est  notoire  par  les  édits  et 
les  ordonnances  que  les  Enfants  de  la  Maison  de  France  et  notamment  les  plus 
propres  à  succéder  au  roiaume  ont  ce  privilège  que  tous  leurs  officiers  et  servi- 
teurs domestiques  sont  exempts  de  toutes  tailles  et  contributions  comme  ceux 
de  la  propre  Maison  du  Roi.  Cette  prérogative  est  fondée  principalement  sur 
l'bonneur  et  la  révérence  qui  est  due  au  sacré  sang  de  cette  famille  auguste  en 
laquelle  consiste  la  principale  force  de  l'Etat.   » 

1.  Mém.  Alphab,  p.  155. 

2.  Un  grand  nombre  d'ordonnances  concernant  les  secrétaires  du  roi  ont  été 
rendues  à  toutes  les  époques,  on  en  trouve  l'énumération  dans  le  Code  des 
Commensaux.  V.  aussi  le  Recueil  de  Lemaistre,  A.  D.  S.-Inf.  C.  2  388,  art.  Tailles. 

3.  Mém.  Alphab.  art.   Ghevaucbeurs  et  G.  d.  T.  t.  I,  p.  290. 

4.  Voir  l'énumération  des  officiers  des  chasses  royales  en  1713  dans  le  Mém. 
Alphab.  p.  497,  leur  total  est  de  234;  les  offices  de  la  Vénerie,  de  la  Louveterie  et 
de  la  Fauconnerie  ne  sont  pas  compris  parmi  eux,  ils  font  partie  de  la  Maison 
du  roi  proprement  dite  et,  à  ce  titre,  confèrent  l'exemption  complète.  Les  archers 
des  Toiles  furent  déclarés  pleinement  taillables  par  les  commissions  des  tailles 
pour  1659,  mais  un  arrêt  de  la  Cour  des  Aides  de  Paris  du  22  février  1659  cassa 
cette  disposition  et  remit  en  vigueur  l'édit  de  1634;  la  déclaration  de  1684  leur 
donnera  d'ailleurs  l'exemption  totale.  (Mém.  Alphab.  art.  Archers  des  Toiles.) 

5.  Déclaration  du  26  janvier  1663  reprise  par  celle  d'août  1673,  art.  12;  un 
arrêt  du  conseil  du  19  décembre  1663  cité  dans  le  Mém.  Alphab.  p.  121  spécifiait 
que  l'enregistrement  devait  être  fait  uniquement  à  la  Cour  des  Aides  de  Paris, 
mais  un  autre  arrêt  du  21  février  suivant  ordonna  l'enregistrement  des  provisions 
à  la  Cour  des  Aides  de  Rouen  pour  tous  les  commensaux  demeurant  dans  le 
ressort  de  la  Cour  en  fixant  le  droit  d'enregistrement  à  20  1.  ;  il  spécifiait  en  outre 
que  tous  les  procès  relatifs  à  leur  privilège  seraient  réglés  par  la  Cour  de  Rouen. 
(Clairamb.  659,  p.  234).  La  prescription  fut  reprise  par  l'art.  34  du  règlement 
d'août  1664. 

LA     TAILLE     EN    NORMANDIE.  16 


LA    TAILLE    EN     NOHMANDI K . 

aides  de  Paris*.  La  Cour  de  Rouen  ayant  fait  des  objections 
sur  ce  dernier  article,  parce  qu'elle  voulait  aussi  enregistrer 
l'état*,  l'édit  de  mars  1654  lui  donna  satisfaction. 

Les  commensaux  sont  tenus  d'exercer  personnellement  leur 
charge.  Un  grand  nombre  dédits  constatant  que  certains  d'entre 
eux  «  ne  font  aucune  fonction  de  leur  charge  »,  leur  rappellent 
cette  obligation3;  mais  si  tous  ces  officiers  avaient  réellement 
exercé,  on  ne  sait,  tant  ils  étaient  nombreux,  à  quelle  besogne 
ils  auraient  été  employés4.  «  Tous  les  règlements,  dit  un  juriste 
en  1670,  exigent  que  ces  officiers  ayent  service  actuel néan- 
moins, la  Cour  des  aydes  les  répute  tous  exempts  de  la  taille 
lorsqu'ils  sont  sur  son  état6  »;  une  déclaration  du  13  février  1674 
exempte  même  expressément  de  tout  service  les  gardes  du 
corps  de  Monsieur. 

L'édit  d'août  1664  leur  avait  imposé  une  série  de  forma- 
lités dans  le  but  de  les  astreindre  à  exercer  leur  charge  ou  à 
renoncer  à  leur  privilège  :  d'abord  ils  devaient  faire  signifier 
aux  habitants  de  la  paroisse  où  ils  demeuraient  le  quartier  pen- 
dant lequel  ils  devaient  servir,  et  annoncer  leur  départ;  à  leur 
arrivée  à  la  Cour  ils  devaient  obtenir  d'un  notaire  l'attestation 
qu'ils  étaient  venus  «  exprès  pour  servir  leur  quartier  »,  et  de 
même  à  leur  départ;  ils  y  joignaient  la  quittance  de  leurs  gages 
et  présentaient  le  tout  à  leur  paroisse;  les  habitants  avaient  le 
droit  de  contester  devant  les  tribunaux  la  validité  des  certificats 
«  sans  être  tenus  de  former  aucune  inscription  de  faux  ».  Le 
seul  cas  de  dispense  admis  était  la  maladie  (art.  36).  Il  faut  que 
les  gages  annuels  attribués  à  leur  office  montent  au  moins  à 
60  1..  sauf  s'il  s'agit  d'un  des  sept  offices  de  la  Maison  du  roi  : 
en  conséquence  le  commensal  doit  fournir  à  sa  paroisse  un  cer- 
tificat attestant  que  ses  gages  sont  au  moins  de  60  l. 6.  Ils  ne 
doivent  faire  aucun  acte  dérogeant,  c'est-à-dire  n'exercer  aucune 
fonction  «  répugnante  à  la  qualité  en  laquelle  ils  feront  ser- 
vice7 »  comme  celles  de  bailli,  sénéchal,  conseiller,  procureur, 
avocat,  huissier,  notaire8.  Enfin  une  condition  spéciale  est  exigée 
des  commensaux  qui  résident  dans  le  ressort  de  la  Cour  des 
aides  de  Rouen  :  il  faut  qu'ils  n'aient  pas  été  imposés  au  moment 
où  ils  ont  acquis  leur  charge,  sinon  ils  ne  bénéficient  que  d'une 

1.  Déclaration  de  janvier  1634,  art.  8. 

2.  Remontrances  sur  l'art,  précédent  dans  Règlements  de  Normandie,  p.  109. 

3.  Edits  de  janvier  1629,  art.  408,  et  mars  1654. 

4.  On  trouve  même  un  arrêt  de  la  Cour  des  aides  de  Paris  du  26  janvier  1661 
qui  maintient  dans  leur  exemption  deux  maitres  des  requêtes  de  la  Maison  de  Mon- 
sieur et  deux  secrétaires  de  la  Maison  de  Mademoiselle,  quoiqu'ils  ne  fassent  aucun 
service  actuel.  (Cité  dans  Dufresne,  Journal  des  principales  audiences  du  Parle- 
ment, t.  II,  p.  313). 

5.  Lange,  La  nouvelle  pratique  civile,  5"  éd.,  p.  118. 

6.  Déclaration  de  janvier  1634,  art.  10  et  du  20  août  1673  art.  12. 

7.  Edit  de  juin  1614,  art.  23. 

8.  Déclaration  du  23  octobre  1680,  rappelant  la  législation  antérieure. 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  243 

réduction  de  10  1.  sur  leur  cote  calculée  «  sur  le  plus  haut  taux 
des  trois  années  précédant  la  date  de  leurs  lettres  de  retenue, 
sans  toutefois  qu'ils  puissent  estre  augmentez  à  l'avenir  pour 
quelque  cause  et  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit1.  »  La  décla- 
ration d'août  1673  leur  donne  le  droit  de  faire  valoir  par  leurs 
mains  une  charrue  de  terres  leur  appartenant 2. 

On  ne  peut  exactement  savoir  dans  quelle  mesure  toutes  ces 
prescriptions    minutieuses    et    compliquées    étaient    obéies;    il 
semble  bien  d'après  les  règlements   eux-mêmes   que  beaucoup 
d'abus  étaient  commis  par  les  commensaux;  en  outre  les  inten- 
dants   ne    cessent    de    rappeler    dans    leurs    mandements    aux 
paroisses  les  prescriptions  réglementaires,  et  ils  se  plaignent  à 
Colbert  de  la  difficulté  de  poursuivre  les  contrevenants  :  ceux-ci 
sont  appuyés  par  les  tribunaux,  dont  les  juges  sont  naturelle- 
ment portés  à  soutenir  des  privilégiés  comme   eux.    En   1672, 
l'intendant  de  Rouen  écrit  que   les   officiers  de  feus  Monsieur 
et  Madame    se   font   exempter  de  taille  par  la  Cour  des  aides 
malgré  la  révocation  de  leur  exemption;  à  Chaumont-en-Vexin 
un  chirurgien  est  exempt  parce  qu'il  prétend  «  avoir  esté  bar- 
bier des  pages  de  feu  Madame  3  »  ;  le  même  intendant  se  plaint 
que  l'on  ne  peut  faire  présenter  par  les  commensaux  l'extrait 
de  la  Cour  des  aides  où  ils  sont  employés,  et  il  faut  que  Colbert 
lui  donne   l'ordre   de  les  mettre   à   la  taille4;  dans  la  ville  de 
Pontoise,  où  les  irrégularités  en  matière  de  taille  sont  un  mal 
invétéré,  il  y  a  38  «  des  principaux  habitans  qui  prétendent  à 
l'exemption  complète  de  taille  comme  officiers  de  Maison  royale 
quoiqu'ils    eussent    été    taillables    avant    l'acquisition    de    leur 
charge;  leur  exemple  encourage  les  autres  habitants  à  prendre 
de  pareils   offices   ou,   du  moins,  ils    menacent   les  collecteurs 
d'en  prendre  s'ils  ne  sont  imposés  à  la  somme  qu'ils  désirent  », 
ce  qui  cause  «  la  désertion  de   plusieurs  habitans  et  la   ruine 
entière   de    ladite    ville 5    »  ;    il    faut    un    arrêt    du    conseil    du 


1.  Déclaration  du  26  janvier  1663  :  antérieurement  à  cette  déclaration  la  règle 
était  en  usage  dans  la  province  mais  n'avait  pas  été  codifiée  par  un  acte  royal; 
il  en  résultait  des  procès  intentés  aux  collecteurs  par  les  commensaux  devant  la 
Cour  des  aides  de  Paris,  ce  qui  créait  des  conflits  de  juridiction  avec  la  Cour 
de  Rouen,  et  les  parties  se  ruinaient  souvent  en  frais.  On  trouve  par  exemple 
un  procès  intenté  par  un  huissier  de  la  cuisine  du  duc  d'Anjou  à  la  paroisse  de 
Saint-Hilaire  de  Nogent-le-Rotrou  en  1658;  ayant  été  taillable  avant  l'acquisition 
de  6on  office,  il  avait  été  imposé  par  les  paroissiens  et  l'élection  l'avait  condamné 
à  payer,  mais  il  avait  fait  appel  devant  la  Cour  de  Paris  qui  lui  avait  donné  gain 
de  cause;  aussitôt  la  Cour  de  Normandie  s'opposait  à  l'exécution  de  l'arrêt  de  Paris 
le  2  juillet  1661.  (A.  D.  Seine-Inf.  Cour  des  Aides,  Registre  du  Conseil,  à  sa  date). 
La  déclaration  de  1663  ajoute  que  si  au  moment  de  la  réception  en  charge  les 
commensaux  ont  moins  de  vingt  ans  ou  payent  moins  de  10  1.  de  taille,  ils  seront 
exempts.  Ses  dispositions  sont  reprises  par  l'art.  33  du  règlement  général 
d'août  1664. 

2.  Déclaration  d'août  1673,  art.  22. 

3.  Clairamb.  793,  p.  765  et  795. 

4.  Ibid.,  p.  107. 

5.  Lettre  de  Leblanc  à  Colbert,  1677,  B.  N.  fr.  8  761b",  f°  40. 


Ji'i  LA    TAIM.i:     i:.\     Noll.MANDIE. 

12  avril  ll>77  pour  limiter  à  8  le  nombre  des  officiers  des  mai- 
sons royales  qui  pourront  avoir  l'exemption  à  PontoÎM.  Mais 
le  23  octobre  suivant,  un  autre  arrêt  du  conseil  accorde  l'exemp- 
tion à  un  huissier  de  salle  de  la  Maison  du  roi  habitant  à  Pon- 
toise,  quoiqu'il  soit  en  sus  du  nombre  fixé1. 

Un  grand  nombre  d'autres  arrêts  déchargent  de  taille  des 
officiers  de  maisons  royales;  il  est  bien  à  penser  qu'une  partie 
au  moins  d'entre  eux,  sont  dus  uniquement  à  la  faveur;  en 
1682,  Colbert  recommande  à  l'intendant  de  Rouen  un  valet  de 
chambre  de  la  reine  et  un  officier  de  la  Fauconnerie  royale 
demeurant  à  Gisors;  Leblanc  lui  répond  que  le  premier  étant 
imposé  à  8  1.  il  lui  fera  rembourser  cette  somme  par  la  paroisse 
et  empêchera  qu'à  l'avenir  il  ne  soit  imposé,  puis  il  ajoute  :  «  Je 
vous  supplie  de  ne  lui  point  donner  d'arrest,  à  cause  de  la  con- 
séquence »;  quant  au  second,  dit-il,  il  a  n'est  point  gentilhomme 
et  n'a  jamais  servy  ny  fait  signifier  de  certificat  de  service2  ». 

Les  agents  royaux  ne  savaient  pas  exactement  quels  étaient 
les  commensaux  exempts  de  taille  dans  leurs  circonscriptions; 
les  listes  des  exempts  inscrits  à  la  fin  des  rôles  de  taille  étaient 
mal  tenues  et  il  était  facile  à  un  personnage  influent  dans  sa 
paroisse  d'obtenir  de  n'y  pas  figurer;  et  quand  bien  même  ils 
eussent  été  inscrits,  comment  enquêter  sur  chacun  deux? 
L'intendant  de  Rouen  écrit  à  Colbert  le  31  juillet  1673  que  dans 
sa  tournée  pour  faire  le  département  de  la  taille  il  va  relever 
«  tous  ceux  qui  se  prétendent  commensaux  affin  de  voir  ceux 
qui  seront  employés  »  sur  les  états  d'exempts,  mais  on  ne  voit 
pas  que  son  enquête  ait  eu  une  suite  '.  Les  paroisses  seules 
auraient  pu  faire  des  poursuites,  mais  on  n'en  trouve  que  de 
rares  exemples. 

Le  principal  effet  des  prescriptions  minutieuses  relatives  aux 
commensaux  fut  de  multiplier  les  procès;  les  registres  des 
élections  et  de  la  Cour  des  Aides  en  sont  pleins;  entre  les 
nombreuses  causes  de  chicane  à  propos  de  l'impôt,  celle-ci 
doit  être  mise  sans  doute  au  premier  rang.  Comme  d'ailleurs 
les  commensaux  étaient  des  personnages  puissants  et  riches,  il 
leur  était  facile  d'intenter  des  procès  où  les  paroisses  étaient 
ruinées  en  frais.  Un  huissier  de  salle  du  prince  de  Condé  imposé 
à  8  sous  dans  sa  paroisse  intenta  un  procès  à  celle-ci  pour  être 
reconnu  exempt;  on  plaida  d'abord  devant  l'élection  et  ensuite 
devant  la  Cour  des  aides  qui  donna  gain  de  cause  à  l'huissier 
et  condamna  la  paroisse  aux  dépens,  lesquels  durent  s'élever  à 
plusieurs  centaines  de  livres*. 

1.  Clairarab.  660,  p.  118.  Sur  les  désordres  de  Pontoise  voir  ci-dessous,  chap  vi  ; 
le  nombre  maximum  de  8  privilégiés  par  paroisse  avait  été  déjà  fixé  par  le  règle- 
ment de  1634,  art.  13. 

2.  Lettre  du  10  avril  1682,  B.  N.  fr.  8  761,  f°  47. 

3.  Clairamb.  795,  p.  37. 

4.  A.  D.  Seine-Inf.  Cour  des  Aides,  registre  du  Conseil,  4  février  1662. 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  245 

Les  offices  des  Maisons  royales  étaient  en  nombre  indéfini. 
Les  différents  Etats  de  la  France  ne  donnent  que  les  principaux 
d'entre  eux  ;  tous  les  offices  subalternes  y  sont  omis.  L'état  de  1653 
énumère  entre  autres  319  maîtres  d'hôtel  du  roi,  50  médecins 
et  chirurgiens,  50  portiers,  310  peintres  et  gens  de  métiers, 
77  valets  de  chambre1...  Et  à  cette  date  la  Cour  n'est  pas 
encore  à  Versailles!  La  plupart  de  ces  offices  avaient  été  vendus 
par  le  roi  pour  en  tirer  de  l'argent  et  ne  correspondaient  à 
aucune  fonction  réelle,  le  roi  le  reconnaît  lui-même  dans  le 
préambule  de  la  déclaration  d'octobre  1680  :  les  offices  de 
notre  Maison  et  autres  maisons  royales,  dit-il,  ont  été  pris  «  non 
pas  tant  pour  y  servir  que  pour  s'acquérir  un  titre  d'exemp- 
tion 2  ».  L'intendant  de  Caen  signale,  en  1680,  des  officiers  de 
judicature  qui  ont  acheté  à  vil  prix  des  charges  chez  le  roi 
pour  avoir  le  privilège  que  leur  office  ne  leur  confère  pas  :  ils 
s'absentent  trois  mois  par  an  pour  exercer  la  charge  et  sont 
ainsi  dispensés  d'impôt3.  Les  diverses  suppressions  et  rétablis- 
sements accordés  moyennant  finance  à  différentes  époques  ne 
permettaient  pas  la  discussion  des  titres  de  chacun.  «  Si  tous 
ceux,  dit  Lebret,  qui  aportent  des  lettres  de  provision  d'office 
des  maisons  des  princes  estoient  rendu  francs  et  exempts,  on 
ne  verroit  autre  chose,  vu  qu'il  n'y  a  rien  qui  s'obtient  plus 
aisément,  et  d'où  proviendroit  l'entière  perte  et  ruine  des  tailles 
et  des  aides  du  roy\  »  On  se  demande  alors  comment  on 
pouvait  reconnaître  le  droit  de  ces  officiers  à  l'exemption  si 
leurs  titres  ne  prouvaient  rien.  Enfin  le  grand  développement 
pris  par  la  Cour  à  Versailles  amena  la  multiplication  des  com- 
mensaux; on  s'en  rend  aisément  compte  en  comparant  entre 
eux  les  Etats  de  la  France  successifs. 

Colbert  travailla  à  réduire  le  nombre  de  ces  officiers  ;  dans  le 
préambule  d'une  déclaration  du  30  mai  1664,  le  roi  reconnaît 
que  «  parmi  les  abus  et  les  désordres  qui  se  sont  glissés  pen- 
dant la  guerre  et  les  troubles  de  cet  Etat,  l'augmentation  des 
officiers  inutils  et  supernuméraires  employez  dans  nos  états  et 
ceux  des  Maisons  royales  n'a  pas  été  le  moindre  pour  la  sur- 
charge que  cela  a  causé  tant  à  nos  finances  qu'à  nos  sujets  con- 
tribuables aux  tailles  qui  s'en  sont  trouvés  d'autant  plus  foulez 5  ». 
En  conséquence,  il  se  déclare  résolu  à  réduire  leur  nombre 
à  ceux  qui  font  un  service  effectif,  «  afin  que  le  nombre  des 
contribuables  étant  par  ce  moyen  augmenté,  les  pauvres  en 
puissent  estre  soulagez  »,  mais  il  se  borne  à  rappeler  les  pres- 
criptions anciennes,  ce  qui  prouve  simplement  qu'elles  n'étaient 

1.  B.  N.  Lc25,  93. 

2.  Règlements  de  Normandie,  p.  207. 

3.  Lettre  du  15  août  1680,  A.  N.,  G^  213. 

4.  21e  action,  mai  1596,  Œuvres,  p.  490. 

5.  Néron,  t.  II,  p.  76. 


Ml  LA    TAILLE    IN     \<  >1:  M  VNDIE. 

pas  respectées.  Le  seul  moyen  de  réaliser  la  réduction  eût  été 
de  rembourser  la  plus  grande  partie  des  offices,  et  le  roi  n'en 
eut  jamais  le  moyen. 

En  ce  qui  concerne  la  Normandie,  il  est  difficile  de  savoir 
au  juste  combien  de  ces  privilégiés  y  demeuraient;  mais  ils 
semblent  y  avoir  été  très  nombreux.  Ils  pouvaient  sans  inconvé- 
nients habiter  loin  de  la  Cour,  puisqu'ils  n'étaient  tenus 
presque  à  aucun  service.  On  trouve  dans  mainte  paroisse  des 
gendarmes  de  la  reine,  des  huissiers  de  bouche  de  la  Maison  de 
Monsieur,  des  gentilshommes  de  la  Fauconnerie  du  roi,  des 
gardes  du  corps  du  roi,  des  cavalcadours  de  Mademoiselle,  de 
nombreux  secrétaires  du  roi...;  dans  la  plus  petite  paroisse  on 
rencontre  quelqu'un  d'entre  eux1. 


C.    —    EXEMPTIONS    A    L'ARMÉE 
ET    A    CERTAINS    OFFICES 

La  taille  étant  un  impôt  d'origine  militaire,  il  semblait 
naturel  que  ceux  qui  servaient  le  roi  dans  les  troupes  et  sur  la 
flotte  en  fussent  exempts;  en  outre,  la  profession  des  armes, 
particulièrement  honorable,  était  considérée  comme  incompa- 
tible avec  cette  charge  dégradante  : 

«  De  toutes  les  professions  qui  importent  le  plus  au  bien  public, 
dit  Lebret,  la  militaire  semble  mériter  un  des  premiers  rangs...  C'est 
elle  qui  défend  et  maintient  le  repos  et  l'état  de  toutes  choses....  Non 
seulement  elle  conserve  les  autres  vertus,  elle  maintient  la  liberté  et 
les  lois  du  païs,  elle  défend  et  garde  les  citoiens  et  même  les  rois; 
mais  encore  elle  fait  que  par  son  moien  Ton  peut  aisément  ravir  et 
enlever  tout  ce  que  possèdent  nos  ennemis,  c'est  pourquoi  les  hommes 
de  cette  profession  militaire  ont  de  tout  temps  mérité  d'estre  honorez 
entre  tous  les  autres  de  plusieurs  beaux  et  signalez  privilèges 
signamment  de  l'exemption  et  immunité  de  tous  tributs  et  autres 
charges...  comme  à  la  vérité  ils  paient  à  la  république  un  assez  grand 
tribut,  que  de  lui  conserver  leur  sang  et  leur  vie  pour  son  service  *.  » 

Cette  dernière  considération  l'avait  même  emporté  sur  la  pre- 
mière, et  on  ne  concédait  l'exemption  qu'aux  titulaires  des 
grades  d'officiers;  les  soldats  et  les  sous-officiers  ne  l'avaient 
pas;  si  en  fait  ils  ne  payaient  presque  jamais  de  taille,  c'est 
qu'ils  étaient  considérés  comme  n'ayant  aucun  bien,  mais  en 
principe  ils  demeuraient  taillables.  Parmi  les  officiers,  la  très 

1.  Les  états  des  commensaux  qui  devaient  être  envoyés  à  la  Cour  des  Aides  de 
Rouen  ne  nous  sont  pas  parvenus,  mais  on  peut  juger  approximativement  du 
nombre  des  commensaux  par  les  indications  inscrites  sur  les  rôles  de  taille. 

2.  Plaidoyer  de  février  1596,  à  la  Cour  des  Aides,  dans  ses  Œuvres,  p.  484. 


LES    EXEMPTS    PAU    LA    FONCTION.  247 

frande  majorité  étaient  nobles  et,  par  conséquent,  exemptés 
e  taille  par  leur  titre,  c'était  uniquement  pour  les  roturiers 
et  dans  des  cas  très  spéciaux  qu'une  exemption  était  accordée 
aux  officiers  des  troupes  royales. 

Les  commissaires  des  guerres,  qui  avaient  une  fonction  à 
demi  civile,  pouvaient  être  roturiers,  mais  l'édit  de  janvier  1634 
leur  accordait  l'exemption  «  a  cause,  disait  le  roi,  du  service 
actuel  qu'ils  sont  obligés  de  nous  rendre  en  nos  armées  '  »  ;  leur 
nombre  fut  réduit  à  40  par  l'édit  de  mars  1667,  et  leur  exemp- 
tion confirmée2.  Il  en  fut  de  même  des  contrôleurs  des  guerres, 
réduits  aussi  à  pareil  nombre3. 

Les  officiers  de  l'artillerie  royale  qui  avaient  été  exemptés  par 
l'édit  de  janvier  1634  (art.  9)  furent  remis  à  la  taille  en 
novembre  1640 4,  mais  il  est  probable  que  leur  incorporation 
dans  l'armée  régulière  leur  donna  ultérieurement  l'exemption. 
Les  officiers  des  places  fortes  ne  sont  pas  exempts,  non  plus 
que  leurs  soldats  connus  sous  le  nom  de  «  mortes-payes5  ». 

Les  soldats,  ai-je  dit,  sont  considérés  comme  taillables;  tou- 
tefois, quand  ils  ont  servi  vingt-cinq  ans,  ils  peuvent  recevoir 
à  leur  sortie  des  «  lettres  de  vétérance  »  qui  leur  confèrent 
l'exemption6. 

Les  officiers  de  l'Amirauté  et  ceux  de  la  Marine  du  Levant  et 
du  Ponant  sont  exempts  s'ils  servent  actuellement  sur  les 
navires  du  roi. 

Une  foule  d'autres  officiers  des  armées  du  roi  avaient,  à  cer- 
taines dates,  obtenu  des  exemptions  de  taille,  mais  elles  avaient 
été  révoquées  par  la  déclaration  de  janvier  1634  et  par  plusieurs 
autres  postérieures,  c'étaient  notamment  :  les  contrôleurs  des 
montres,  les  contrôleurs  des  guerres,  les  trésoriers  des  régiments 
et  des  compagnies,  les  trésoriers  provinciaux  de  l'Extraordinaire 
des  guerres,   les  officiers  de  la  Connétablie. 

L'exemption  de  taille  allait  de_spj^^ur_les^igmt^ires  de  la 
justice  et  ■  des ^uaTU5Sfj~quant  aux  offices  inférieurs,  oriTSvàit 
jugé  à  propos  d'y  attacher  l'exemption  pour  pouvoir  les  vendre 
plus   cher;   l'honneur  que  conférait  cette  distinction  la  faisait 

1.  Art.  18. 

2.  Les  commissions  des  tailles  pour  1659  déclaraient  taillables  les  commis- 
saires et  contrôleurs  des  guerres,  mais  la  Cour  des  Aides  de  Paris  rétablit  leur 
privilège.  C'est  seulement  en  1689  qu'une  déclaration  du  mois  d'octobre  révo- 
quera leur  privilège.  (Mém.  Alphab.  art.  Commissaires  des  guerres.) 

3.  Art.  9. 

4.  C-.  d.  T.,  1. 1,  p.  283. 

5.  Colbert  écrit  que  «  l'exemption  de  taille  des  officiers  servant  au  chasteau  de 
Saumur  »  est  «  un  abus  »  (Clément,  t.  II,  p.  243);  les  mortes-payes  sont  décla- 
rés taillables  par  l'édit  de  1634,  art.  13  et  suivants,  et  par  l'arrêt  du  15  sep- 
tembre 1662.  Les  intendants  de  Normandie  prennent  soin  de  le  rappeler  dans 
la  plupart  de  leurs  mandements,  ce  qui  prouve  que  des  fraudes  étaient  possibles 
sur  ce  point  dans  la  province. 

6.  Déclaration  de  janvier  1634,  art.  17. 


248  LA    TAILLE     EN    NORMANDIE. 

rechercher)  et  le  roi  en  retirait  une  somme  bien  supérieure  au 
capital  de  la  rente  représenté  par  la  taille  ainsi  rachetée'. 
En  tête  des  officiers  on  plaçait  habituellement  les  membres 

y  des  cours  souveraines  :  Parlements,  Cours  des  aides  et  Chambres 
des  comptes  ;  ils  étaient  exempts  «  parce  que  la  dignité  de  leur 
charge,  dont  les  fonctions  sont  toutes  nobles,  les  fait  participants 
des  privilèges  de  la  noblesse  2».  Toute  une  série  d'actes  légis- 
latifs leur  conféraient  le  privilège*. 

Les  offices  inférieurs  n'étaient  pas  mentionnés  dans  la  décla- 
ration de  janvier  1634,  mais  la  Cour  des  Aides  de  Paris,  natu- 
rellement portée  à  favoriser  toute  la  caste,  avait,  en  vérifiant 
l'édit,  arrêté  «  que  les  greffiers  et  maîtres-clercs,  substituts 
des  procureurs  généraux  et  autres  officiers  des  Cours  souve- 
raines jouiront  de  l'exemption  ainsi  qu'ils  en  ont  ci-devant  bien 
et  dûment  joui*  ».  Pareillement  la  Cour  des  Aides  de  Normandie 
arrêta  «  que  tous  les  officiers  des  Cours  souveraines  et  les  autres 
auxquels  par  ce  présent  article  était  attribuée  l'exemption,  en 
jouiront  suivant  les  arrêts  de  la  Cour,  réservé  ceux  lesquels  n'y 
ont  vérifié  leurs  privilèges5  »;  le  roi  n'ayant  fait  aucune  objec- 
tion à  ces  arrêts,  le  privilège  fut  conservé  et  passa  dans  la 
jurisprudence.  Un  édit  d'août  1669,  qui  réglait  les  exemptions 
de  taille,  révoqua  celles  «  des  bas-officiers  des  compagnies 
supérieures  qui  ne  résideront  actuellement  au  moins  7  mois  de 
chacune  année  es  ville  de  leur  établissement  »  et  il  énumérait 
ces  bas-officiers  :  «  les  receveurs,  payeurs  et  contrôleurs  des 
gages,  les  receveurs  des  épices,  receveurs  et  contrôleurs  des 
consignations,  les  officiers  des  petites  chancelleries,  les  sub- 
stituts de  nos  procureurs  généraux,  les  greffiers  et  huissiers 
desdites  compagnies6  ».  Par  conséquent,  hors  ce  cas  de 
déchéance  pour  non  résidence,  tous  étaient  exempts.  En  Nor- 
mandie du  reste,  il  leur  eût  suffi  d'habiter  Rouen;  leur  domi- 
cile les  eût  dispensés  de  payer  la  taille7. 

Jusqu'en  1674,  les  juges  des  tribunaux  inférieurs  ne  furent  pas 
reconnus   exempts,    mais   ils   trouvaient  néanmoins  un  moyen 


1.  Voysin,  dans  son  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen,  explique  que  les  offices 
des  greniers  à  sel  sont  peu  recherchés  parce  qu'ils  «  ne  jouissent  d'aucune  exemp- 
tion de  taille  »  (p.  132).  Cf.  Le  Vayer,  Mémoire  sur  la  généralité  de  Moulins,  éd. 
Flament,  p.  153. 

2.  Cahier  des  Etats  de  Normandie  de  1643,  dans  de  Beaurepaire.  t.  III,  p.  81. 

3.  Toutefois    les   officiers  des   Cours    souveraines    prétendaient    être   exempts, 

Sarce  que  leur  fonction  leur  conférait  la  noblesse,  et  c'était  une  grave  discussion 
e  savoir  s'ils  étaient  nobles  ou  non.  L'édit  d'août  1669  révoqua  tous  les  titres 
de  noblesse  conférés  depuis  1644  à  ces  offices.  (C.  d.  T.,  t.  II,  p.  35),  mais  il  leur 
laissa  leurs  autres  exemptions  et  privilèges  :  c'est  seulement  en  novembre  1690, 
que  l'on  revendra  à  nouveau  des  offices  de  cours  souveraines  conférant  la 
noblesse. 

4.  C.  d.  T.,  t.  I,  p.  326. 

5.  Règlements  de  Normandie,   p.  109-110. 

6.  C.  d.  T.,  t.  II,  p.  50. 

7.  Voir  ci-dessous,  p.  266  et  suiv. 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  249 

de  ne  rien  payer1  :  l'intendant  de  Caen  l'explique  à  Colbert 
dans  une  lettre  du  31  décembre  1677,  où  il  envoie  une  liste  des 
juges  de  sa  généralité  :  «  Je  n'ay  point,  dit-il,  cotté  les  sommes 
ausquelles  ils  sont  imposez  à  la  taille,  parce  que  dans  cette 
généralité  les  villes  principalles  comme  Caen,  Vire,  Coutances, 
Saint-Lô,  et  Avranches  payans  leur  taille  par  tarif  depuis  un 
long  temps,  il  ne  s'y  fait  plus  de  rolle...;  à  l'esgard  des  autres 
villes,  les  ayant  trouvez  ou  obmis,  ou  imposez  à  des  sommes  si 
modiques  comme  à  cinq  sols,  j'ay  cru  qu'il  estoit  inutile  d'en 
faire  mention,  à  l'exeption  de  quelques-uns  que  j'ay  trouvé 
imposez  considérablement2  ». 

En  février  1674,  le  roi  consacra  l'exemption  des  juges;  voici 
les  raisons  qu'il  invoquait  : 

«  Gomme  l'expérience  journalière  nous  apprend,  disait-il,  qu'il  n'y 
a  rien  de  plus  capable  d'imprimer  de  la  crainte  dans  l'esprit  des  juges 
et  de  les  empescher  par  ce  moyen  de  tenir  la  balance  égale  entre  toutes 
les  parties  dans  la  distribution  de  la  justice,  que  la  contribution  de 
nos  tailles  et  autres  impositions  dont  ils  ne  sont  pas  exempts,  les  par- 
ticuliers prenans  de  là  souvent  occasion  de  les  imposer  à  des  sommes 
excessives  en  haine  de  ce  qu'ils  n'ont  pas  jugé  en  leur  faveur,  ou  de 
leurs  parens  et  amis,  pendant  que  de  l'autre  côté  ceux  qui  sont  auto- 
risés par  leurs  charges  se  font  imposer  à  des  sommes  si  modiques  que 
le  peuple  n'en  reçoit  aucun  soulagement,  et  que  d'ailleurs  il  est  raison- 
nable que  ceux  qui  sont  établis  au  dessus  des  autres  pour  être  arbitre 
de  leurs  vies  et  de  leurs  fortunes  aient  des  privilèges  au-dessus  du 
commun.  » 

Mais  ces  beaux  motifs  n'étaient  que  des  prétextes,  et  l'inten- 
tion véritable  apparaît  à  la  fin  de  l'acte  : 

«  Pour  jouir  des  grâces  accordées  par  le  présent  édit  seront  tenus 
tous  lesdits  officiers  de  payer  les  sommes  auxquelles  ils  seront  pour 
ce  modérément  taxés  en  notre  conseil  sur  les  quittances  du  trésorier 
de  nos  revenus  casuels  3.  » 

La  taxation  était  d'ailleurs  difficile  :  l'intendant  de  Caen  ne 
voyait  d'autre  moyen  que  de  «  faire  convenir  les  compagnies 
de  ce  que  chacune  d'elles  devra  porter  »  par  l'intermédiaire  du 
premier  président  du  Parlement,  en  «  leur  faisant  connoistre  la 
bonté  que  S.  M.  veut  bien  avoir  pour  eux  en  cette  occasion  en 
mesnageant  les  frais  d'un  recouvrement  qui  tomberoit  sur  eux, 
et  ne  voulant  point  mettre  cette  affaire  en  traitté  ». 

1.  Cf.  Papon,  Recueil  d'arrests  notables,  éd.  1621,  p.  275  :  «  Procureurs,  prati- 
ciens es  cours  tant  souveraines  qu'autres  ne  se  peuvent  ayder  de  leur  noblesse 
pour  la  taille  qu'ils  sont  tenus  de  payer,  car  tel  office  est  vil  ». 

2.  A.  N.  G7,  213.  La  lettre  fait  allusion  aux  impositions  des  juges  antérieure- 
ment à  l'édit  de  1674,  dont  il  sera  parlé  plus  bas. 

3.  Cf.  d'ailleurs  la  circulaire  de  Colbert  aux  intendants,  22  nov.  1673,  pour 
préparer  l'édit  :  c'est  une  des  «  affaires  extraordinaires  que  le  Roy  examine  tous 
les  jours  pour  pouvoir  fournir  aux  prodigieuses  dépenses  que  S.  M,  est  obligée 
de  faire  ».  (Glém.,  II,  301.) 


;i 


y 


250  Là   TAILLA    BU    NOlt.MANDii:. 

I. Y-dit  visait  spécialement  «  les  officiers  des  sièges  présidiaux, 
bailliages,  sénéchaussées,  prévôtés,  vicomtes,  vigueries,  eaux  et 
forêts,  traittes  foraines,  élections,  greniers  à  sel  et  toutes  les 
autres  justices  et  juridictions  royales  dans  toute  l'étendue  de 
notre  royaume  *  ».  La  plupart  de  ces  officiers,  qui  avaient  été 
déjà  tant  de  fois  exploités  avant  1661  firent  des  difficultés  pour 
se  soumettre  à  la  clause  finale  de  ledit  :  comme  ils  m-  Bayaient 
déjà  guère  auparavant,  l'exemption  n'était  pas  en  lait  lin"  privi- 
lège  nouveau  pour  eux.  Les  intendants  furent  cKârgés  de  les 
contraindre;  ils  reçurent  de  Colbert  l'ordre  de  les  taxer  d'office 
pour  l'année  1675;  celui  de  Caen  publia  en  conséquence  une 
ordonnance  enjoignant  aux  procureurs  des  élections  de  lui 
envoyer  la  liste  des  juges  de  leur  ressort,  S.  M.  voulant,  dit-il, 
supprimer  la  surcharge  des  autres  contribuables  et  imposer 
davantage  «  particulièrement  les  officiers  royaux,  lesquels  par 
l'autorité  de  leur  charge  se  font  exempter  de  la  contribution 
u'ils  doivent,  ou  se  font  employer  dans  les  rolles  des  tailles  à 
es  sommes  si  modiques  que  les  autres  contribuables  en  souffrent 
toute  la  surcharge  et  oppression2  »;  les  taxes  d'office  eurent 
raison  des  récalcitrants3. 

Les  offices  de  finance  conféraient  tout  naturellement  l'exemp- 
tion :  ceux  qui  maniaient  l'argent  du  roi  étant  juges  des  contes- 
tations en  matière  d'impôt,  n'auraient  pu  sans  inconvénients, 
pensait-on,  être  en  même  temps  contribuables. 

Les  trésoriers  de  France  étaient  déclarés  exempts  par  une 
foule  d'ordonnances,  et  en  dernier  lieu  par  la  déclaration  de  jan- 
vier 1634,  art.  14;  Loyseau  disait  qu'ils  tenaient  leur  exemption 
de  leur  qualité  de  commensaux*.  Ils  n'étaient  pourtant  pas 
nobles  :  en  1675  ils  seront  dispensés  de  la  taxe  de  l'arrière- 
ban  5.  L'exemption  de  certains  offices  des  Bureaux  des  finances 
pouvait  fournir  matière  à  des  contestations;  mais  l'usage  et  les 
règlements  s'accordaient  pour  la  conférer  à  tous  indistinctement, 
même  aux  avocats,  greffiers  et  huissiers.  En  1661,  un  contrôleur 
général  des  finances  du  Bureau  de  Caen  ayant  été  mis  à  la  taille 
par  les  habitants  de  la  paroisse  de  Saint-Loup-sur-Bayeux,  et 

1.  C.  d.  T.,  II,  p.  112-116.  L'édit  ne  se  trouve  pas  dans  les  Règlement»  de  Nor- 
mandie; cependant  il  est  certain  qu'il  fut  appliqué  dans  la  province;  on  va  le 
voir  plus  loin. 

2.  A.  N„  G  7  213. 

3.  Après  Colbert,  ces  offices  des  justices  inférieures  seront  recherchés  unique- 
ment pour  l'exemption  de  taille  qu'ils  confèrent;  voir  Saint-Simon  :  u  Coigny 
était  petit-fils  d'un  de  ces  petits  juges  de  Basse-Normandie,  qui  s'appelait  Guillot, 
et  qui,  fils  d'un  manant,  avoit  pris  une  de  ces  petites  charges  pour  se  délivrer 
de  la  taille,  après  s'être  fort  enrichi.  »  (éd.  Chéruel,   t.  VIII,  p.  120). 

k.  Traité  des  Offices,  livre  IV,  chap.  n,  et  Vieuille,  p.  439.  La  série  des 
ordonnances  conférant  le  privilège  se  trouve  dans  le  Répertoire  de  l'avocat 
Lemaistre,  A.  D.  Seine  Inf.  C,  2  388,  au  mot  Tailles,  et  dans  Fournival,  Recueil 
général  des  Titre*  concernant  les  fonctions,  rangs  et  charges  des  présidents  tré- 
soriers de  France,  Paris,  1665,  in-f». 

5.  Arrêt  du  conseil  du  24  avril  1675,  A.  D.  S.-Inf.  C,  2372. 


LES    EXEMPTS    PAU    LA    FONCTION.  251 

poursuivi  pour  non-paiement,  il  assigna  aussitôt  la  paroisse 
devant  l'Election  pour  être  rayé  des  rôles  «  à  cause  des  privi- 
lèges et  exemptions  attribuez  à  son  office  duquel  il  faict  exer- 
cice »;  il  fut  déchargé  des  poursuites,  mais  maintenu  sur  les 
rôles;  il  reporta  alors  le  procès  devant  son  propre  bureau  des 
finances  :  procédure  irrégulière,  car  l'appel  d'une  sentence 
d'Election  devait  être  fait  à  la  Cour  des  aides;  néanmoins  le 
Bureau  admit  sa  requête,  le  14  mars  1661,  et  séance  tenante 
ordonna  la  surséance  des  poursuites  engagées;  huit  jours  après, 
le  Bureau,  considérant  que  l'imposer  était  «  luy  faire  une  injure 
et  un  notable  préjudice  »,  le  déclara  exempt  avec  défense 
de  l'imposer  à  l'avenir  «  à  peine  de  telle  amende  qu'il  nous 
plaira1  »,  ce  qui  était  encore  une  irrégularité,  car  l'amende  en 
ces  matières  était  fixée  par  les  règlements.  Nous  avons  là  un 
exemple  de  l'appui  que  se  prêtaient  mutuellement  les  officiers 
pour  soutenir  leurs  privilèges. 

Les  élus  avaient  été  déclarés  exempts  de  taille  dès  l'ori- 
gine; tous  les  règlements  postérieurs  leur  avaient  confirmé  ce 
privilège;  le  motif  donné  par  le  roi  était  presque  toujours  le 
même  :  «  leur  donner  plus  de  dignité  et  de  moyens  d'exercer 
leur  charge  avec  honneur  et  distinction2  ».  L'édit  de  février  1674 
mettait  les  élus  au  nombre  des  officiers  qui  devaient  racheter 
leur  exemption  de  taille,  mais  un  arrêt  du  Conseil  du  16  avril 
suivant  leur  rendit  le  privilège  sans  rachat3.  Pour  pouvoir 
jouir  de  leur  exemption,  ils  devaient  être  domiciliés  et  résider 
dans  la  ville  où  leur  siège  était  établi;  cette  obligation  est 
rappelée  très  fréquemment  dans  les  mandements  des  inten- 
dants, et  on  a  vu  combien  elle  était  utile.  Mais  en  fait  les  habi- 
tants n'imposaient  jamais  les  élus,  dont  ils  dépendaient  entiè- 
rement; seul  l'intendant  pouvait  le  faire  par  une  taxe  d'office. 

Lorsqu'un  élu  mourait,  sa  veuve  conservait  l'exemption4.  Si 
un  élu  résignait  son  office,  il  ne  pouvait  conserver  le  privilège, 
mais  il  trouvait  le  moyen  de  rendre  cette  règle  inopérante  : 
certains,  par  exemple,  se  faisaient  accorder  des  lettres  de  vété- 
rance,  conférant  l'exemption.  Colbert  signale  cet  abus  dans 
une  circulaire  aux  intendants  du  26  mars  1682,  où  il  déclare 
que  le  roi  veut  «  révoquer  ces  exemptions  en  cas  qu'il  y  en  ayt 
un  nombre  qui  mérite  cette  révocation  générale5  ».  Les  receveurs 

1.  A.  D.  Calvados,  Plumitif  du  Bureau  des  finances,  14  et  23  mars  1661. 

2.  Voir  ces  édits  dans  Vieuille,  Traité  des  Elections,  p.  84  et  146.  Les  élus 
avaient  été  compris  dans  la  révocation  des  privilèges  de  novembre  1640,  mais 
ils  s'étaient  fait  ensuite  rétablir.  Une  difficc'té  se  posait  à  propos  des  privilèges 
des  élus  particuliers  qui  furent  alternativement  exempts  et  non  exempts,  mais 
ils  étaient  confondus  avec  les  élus  en  titre  à  l'époque  où  nous  sommes. 

3.  Mentionné  dans  Glairamb.,  660,  p.  489. 

4.  Vieuille,  Traité  des  Elections  p.  I'i4  et  suivantes. 

5.  B.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  III,  pièce  86.  Il  ne  semble  pas  que  Colbert  ait 
donné  suite  à  cette  idée.  Du  reste  une  lettre  de  l'intendant  de  Rouen  du  5  avril  1682 
nous  apprend  qu'il  n'y  avait  pas  de  ces  vétérans  dans  sa  généralité.  (B.  N  . 
fr.  8  761,  P47.)  * 


1! 


LA    TAILLE    EN    NOItMANIHK. 

des  tailles  sont  du  corps  des  élections  et  ont  l'exemption  de 
taille,  mais  les  officiers  subalternes  :  greffiers,  maîtres-clercs, 
huissiers,  sont  taillables;  les  receveurs  du  taillon  ont  été 
déclarés  exempts  «  jusqu'à  ce  que  le  roi  en  ait  autrement 
ordonné  »,  par  arrêt  du  conseil  du  20  janvier  1635  f. 

Les  autres  officiers  des  finances  sont  soumis  à  la  taille;  un 
gTanlî~"hombr&'Tle  sunleiiCëB  couflflrf1"'"1*  °  pay*»*  1'impAfw.nT 
qui  cherchent  ;i  s'v  soustraire  :  par  exemple  le  recerenï  des 
deniers  communs  de  la  ville  de  Honfleur  est  mis  à  la  taille  par 
arrêt  du  conseil  du  2  février  1682 2.  Les  officiers  des  monnaies, 
ui  ont  été  à  diverses  reprises  exemptés  de  taille  moyennant 
înance,  sont  déclarés  taillables  par  le  règlement  de  1634 
(art.  13)  et  la  déclaration  du  20  mai  1645*.  Les  juges  des  sièges 
particuliers  des  Eaux  et  Forêts,  les  huissiers,  les  receveurs  des 
consignations,  les  receveurs  des  décimes  du  clergé  sont  égale- 
ment taillables.  Dans  les  Ponts  et  Chaussées,  seuls  les  trésoriers 
et  contrôleurs  sont  exempts.  Mais  la  plupart  de  ces  officiers 
eurent  la  faculté  d'acheter  les  exemptions  mises  en  vente  en 
février  1674,  de  sorte  qu'en  fait  tous  les  officiers  de  finance 
quelque  peu  aisés  se  trouvèrent  francs  de  taille. 

Tous  ces  privilégiés  au  titre  de  leur  fonction  eurent,  en  vertu 
du  règlement  d'août  1673,  la  liberté  de  cultiver  leurs  terres 
jusqu'à  concurrence  d'une  charrue;  ils  devaient  affermer  le 
surplus  à  des  taillables. 

Les  commis  des  fermes  du  roi  n'étaient  pas  des  officiers;  ils  ne 
recevaient  même  pas  leur  salaire  du  Trésor;  c'étaient  de  simples 
employés  au  service  de  particuliers,  pourtant  ils  prétendaient 
à  des  privilèges  spéciaux  *  :  ils  faisaient  valoir  que  leur  fonction 
les  exposait  à  être  surtaxés  par  vengeance  par  les  habitants 
des  paroisses.  L'ordonnance  des  fermes  de  juillet  1681  (art.  2) 
déclara  qu'ils  ne  pourraient  être  imposés  dans  leurs  paroisses  à 
une  somme  plus  élevée  que  celle  qu'ils  avaient  au  moment  de 
leur   entrée   en    fonctions,   sauf  s'ils   acquéraient   de   nouveaux 

1.  A.  Mun.  Rouen,  183.  n°  3. 

2.  Les  receveurs  des  deniers  communs  des  villes  étaient  nommément  déclarés 
taillables  par  l'art.  14  de  la  déclaration  de  janvier  1634,  néanmoins  ce  receveur 
nommé  Valu  avait  assigné  les  habitants  de  Honfleur  devant  l'élection,  puis  devant 
la  Cour  des  Aides  en  soutenant  que  sa  charge  l'exemptait  de  taille;  la  Cour  des 
Aides,  par  arrêt  du  8  août  1681,  n'avait  pas  voulu  se  prononcer  et  avait  renvoyé 
les  parties  devant  le  conseil  du  roi;  l'intendant  Leblanc  écrit  à  Desmnretz  que 
si  l'affaire  continue,  la  ville  sera  ruinée  par  les  frais;  c'est  pourquoi  fut  rendu 
sans  forme  de  procès  l'arrêt  du  2  février  1682  qui  condamnait  Vola  à  payer. 
(B.  N.  fr.  8  761,  f>  39). 

3.  Mém.  Alphab.,  p.  510.  Cependant  il  semble  que  les  officiers  des  monnaies 
de  Rouen  aient  eu  le  privilège.  Cf.  les  lettres  patentes  de  février  1663  leur 
confirmant  leurs  privilèges  et  exemptions,  enregistrées  à  la  Cour  des  Aides  de 
Rouen  le  23  juin  1663  (Mémoriaux,  t.  XL,  f°  194)  et  le  Plumitif  du  bureau  des 
finances.  A.  D.  S.-Inf.  C.  1  165,  f  161. 

4.  Le  règlement  de  janvier  1634  les  exempte  de  collecte  et  uniquement  pendant 
la  durée  de  leur  emploi,  mais  non  de  taille;  l'ordonnance  des  fermes  de  juil- 
let 1681  (titre  commun,  art.  2)  répète  la  même  prescription.  Leurs  privilèges 
étaient  fixés  par  le  bail  des  fermes. 


LES    EXEMPTS    PAU    LA    FONCTION.  253 

immeubles  ou  entreprenaient  un  trafic  particulier.  Mais  on 
trouve  des  arrêts  du  conseil  exemptant  complètement  de  taille 
certains  d'entre  eux1.  Colbert  se  plaignait  «  du  trop  grand 
nombre  d'exempts  de  taille  et  de  collecte  qui  se  trouvent  dans 
les  paroisses  de  chaque  généralité  sous  prétexte  des  commis 
d'aides,  papiers  timbrés,  contrôles  des  exploits  et  autres  de 
toute  nature2  ».  Sa  circulaire  du  21  novembre  1681  invita  les 
intendants  à  remettre  à  la  taille  ces  fraudeurs,  et  un  arrêt  du 
conseil  du  14  juillet  1682  défendit  aux  collecteurs  de  les  dimi- 
nuer pendant  l'année  qui  précédait  leur  entrée  en  fonctions3,  ce 
qui  fait  connaître  un  des  procédés  par  lesquels  ils  se  faisaient 
soulager  à  l'impôt.  Sur  aucun  des  rôles  que  j'ai  rencontrés  et 
où  les  professions  sont  indiquées,  je  n'ai  trouvé  parmi  les  tail- 
lables  le  nom  d'un  commis  des  fermes. 

La  déclaration  de  janvier  1634  (art.  19)  accordait  l'exemption 
de  taille  aux  prévôts  des  maréchaux,  aux  chevaliers  du  guet,  à 
leurs  lieutenants,  exempts  et  archers,  (c  comme  estant  du  corps 
de  la  gendarmerie,  et  perpétuellement  dans  le  service  »,  mais 
elle  la  refusait  aux  lieutenants  de  robe  courte  établis  depuis 
moins  de  vingt-cinq  ans  dans  les  petites  villes  et  bailliages, 
«  desquelles  charges  ils  se  sont  fait  pourvoir  plutôt  pour  acquérir 
l'exemption  de  taille  que  pour  servir  au  public4  »;  les  archers 
du  prévôt  de  Normandie  avaient  une  diminution  de  5  1.  sur  leur 
taux,  qui  ne  pouvait  être  augmenté  qu'à  proportion  de  celui 
de  leur  paroisse5.  Après  1634  de  nombreuses  créations  d'offices 
avec  exemption  totale  ou  partielle  de  taille  avaient  été  faites  dans 
la  maréchaussée,  «  pour  en  tirer  du  secours  »;  Colbert  voulut 
réduire  le   nombre  de  ces  officiers  qui,    dit-il,  «  se  prévallans 

1.  Par  exemple  un  arrêt  du  11  janvier  1663  qui,  se  référant  à  l'art.  48  du  bail 
général  des  aides  de  1661,  exempte  de  taille  Denis  Possot,  commis  à  la  recette 
des  aides  de  l'élection  de  Sézanne  à  la  condition  qu'il  ne  fera  aucun  acte  déro- 
geant. (A.  N.  AD*  47018).  Si  on  les  avait  imposés  comme  les  autres  taillables 
au  lieu  où  ils  étaient  domiciliés,  il  eût  été  presque  impossible  de  le  faire  en  con- 
naissance de  cause,  attendu  que  leurs  biens  étaient  généralement  situés  au  lieu 
où  ils  résidaient  avant  d'entrer  dans  les  fermes;  mais  les  intendants  avaient 
rendu  des  ordonnances  dérogeant  au  règlement  général  et  prescrivant  de  les 
imposer  au  lieu  où  ils  résidaient  avant  leur  commission  (mandements  de  l'inten- 
dant de  Rouen,  1672,  1677,  etc.;  de  l'intendant  de  Gaen;  cf.  le  mandement  de 
l'intendant  de  Paris  en  1683  dans  de  Boislisle,  Mémoire  sur  la  Généralité  de  Paris, 
p.  513.) 

2.  B.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  II,  pièce  460. 

3.  Ibid.,  pièce  305,  cf.  B.  N.  fr.  8  761  f°  03. 

4.  Les  ordonnances  relatives  au  privilège  de  la  maréchaussée  sont  réunies 
dans  :  La  Maréchaussée  de  France  ou  Recueil  des  Ordonnances,  édits...  concer- 
nant la  création,  établissement,  droits  et  privilèges  de  tous  les  officiers  et  archers 
des  maréchaussées,  Paris  (Saugrain)  1697.  (B.  N.,  Lf32,  13.) 

5.  Mais  ce  privilège  était  illusoire;  le  roi  reconnaît,  par  sa  déclaration  du 
16  mars  1639,  que  «  par  la  trop  grande  subtilité  ou  malice  des  asséeurs  et  col- 
lecteurs de  nos  tailles,  ils  ont  toujours  été  imposez  à  cent  sols  plus  qu'ils  ne 
dévoient  porter  raisonnablement...  et  ainsi  leur  exemtion  leur  demeure  inutile 
et  infructueuse,  étant  par  ce  moien  contraints  de  paier  leur  taxe  entière  effective- 
ment »  en  conséquence  il  défend  «  d'augmenter  les  cottes  et  impositions  desdits 
archers,  depuis  qu'ils  seront  entrés  en  l'exercice  et  fonction  de  leurs  charges, 
pour  quelque  cause  et  ocasion  que  ce  soit.  »  (Règlements  de  Normandie,  p.  112-114). 


254  LA    TAILLE    L'N     NOIt.MANDIE. 

de  leur  ministère,  intimident  si  fort  les  pauvres  contribuables 
que  les  collecteurs  non  seulement  n'osent  les  taxer  aux  sommes 
qu'ils  peuvent  légitimement  porter  et  auxquelles  ils  estoient 
taxez  avant  qu'ils  fussent  pourvus  desdites  charges,  conformé- 
ment au  règlement,  mais  mesme  ont  esté  obligez  à  les  modérer 
à  des  sommes  moindres  que  celles  dont  ils  doivent  avoir 
l'exemption,  quoiqu'il  soit  notoire  que  lesdits  exempts  et 
archers  pour  la  pluspart  font  trafic,  tiennent  des  fermes  et 
hostelleries,  et  dérogent  entièrement  à  leurs  privilèges  »;  il 
fit  dresser  par  les  intendants  et  les  prévôts  des  maréchaux 
l'état  de  leurs  officiers  et  archers  avec  l'indication  de  la  date 
de  création  de  chaque  office1,  puis  une  déclaration  du  15  sep- 
tembre 1662  révoqua  toutes  les  exemptions  accordées  aux  offi- 
ciers des  maréchaussées  de  Normandie  créés  en  mai  1635, 
août  1647  et  juin  1650;  les  noms  de  ceux  qui  jouissaient  de 
ces  exemptions  devaient  être  publiés  dans  les  paroisses.  Le 
1er  février  1666  un  arrêt  du  conseil,  dans  les  mêmes  termes,  est 
à  nouveau  expédié;  en  le  recevant  l'intendant  de  Caen  écrit  à 
Colbert  :  «  il  ne  se  peut  rien  de  plus  utile  pour  le  service  du  roy 
et  le  soulagement  de  ses  sujetz  2»;  mais  le  27  février  1669 
l'intendant  de  Rouen  écrit  qu'il  est  nécessaire  de  «  réduire  le 
nombre  »  des  archers  de  la  maréchaussée  dans  sa  généralité 
«  car  la  pluspart  ne  prennent  ces  places  que  pour  estre  exempts 
de  taille  et  estre  des  laboureurs  de  bonne  foy3  ».  Son  successeur 
écrira  encore  le  24  sept.  1681  que  les  archers  du  prévôt  de  Pon- 
toise  «  sont  des  paysans  qui  n'ont  pris  ces  charges  que  pour 
l'exemption  de  la  taille,  et  quoyque  j'en  aye  taxé  la  pluspart 
d'office,  ils  n'en  font  pas  mieux  leur  devoir*  ». 

Dans  tous  les  mandements  des  intendants,  les  prescriptions 
relatives  à  l'exemption  de  la  maréchaussée  sont  rappelées  avec 
beaucoup  de  détails.  Par  exemple,  celui  de  l'intendant  de  Caen 
en  1675  rappelle  que  les  prévôts  des  maréchaux  et  leurs  lieute- 
nants ont  l'exemption  complète  de  taille,  leurs  exempts  et 
greffiers  n'ont  qu'une  réduction  de  30  1.,  les  archers  de  15  1.; 
tous  doivent  servir  actuellement,  ne  tenir  aucune  ferme  ni  hôtel- 
lerie et  ne  faire  aucun  acte  dérogeant;  les  lieutenants  de  robe 
courte  et  tous  les  officiers  et  archers  du  guet  créés  depuis  le 
1er  janvier  1635,  les  officiers  et  archers  du  guet  créés  en  mai  1633, 
les  assesseurs,  avocats  et  procureurs  du  roi  des  maréchaussées 
doivent  être  imposés5.  Mais  il  était  difficile  d'obtenir  des  paroisses 

1.  Arrêt  du  conseil  du  23  février  1662,  A.  D.  Calvados,  Election  de  Caen, 
Registre  d'Ordonnances  1656-63,  f  477. 

2.  Lettre  du  3  décembre  16fi6,  M.  C.  142,  P  391.  A  la  suite  de  cet  arrêt  les  inten- 
dants devaient  à  nouveau  envoyer  l'état  des  gens  de  la  maréchaussée,  Chamillart 
envoie  celui  de  Caen  le  6  décembre  1666.  (Ibid.,  P  474.) 

3.  M.  C.  150bl\  P  648. 

4.  Lettre  à  Louvoie,  B.  N.  fr.  8  761,  f°  26. 

5.  Les  archers  du  guet  avaient  été  déclarés  exempts  par  l'art.  19  du  règlement 
de   janvier    1634,   mais    en    enregistrant   ce    règlement   la    Cour    des    Aides    de 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  255 

l'exécution  de  ces  ordres.  Les  taxes  d'office  des  intendants  ne 
sont  pas  toujours  maintenues,  parce  que  la  Cour  des  Aides 
est  souvent  favorable  aux  officiers  de  la  maréchaussée;  en  1662 
elle  lève  par  un  arrêt  la  taxe  d'office  mise  par  l'intendant  de 
Rouen  sur  deux  archers  du  prévôt  de  Normandie  demeurant  en 
la  paroisse  de  Rougemontiers,  élection  de  Pont-Audemer1;  la 
même  année  elle  fait  rayer  des  rôles  de  la  taille  d'Evreux  un 
greffier  de  la  prévôté  de  Normandie2;  en  1675  elle  confirme 
l'exemption  des  archers  de  la  compagnie  du  grand  prévôt  de 
Normandie,  même  ceux  qui  ont  été  créés  après  1631,  quoique 
l'éditde  1634  ne  leur  donne  que  5  livres  de  diminution3  ;  en  1682 
elle  décharge  de  sa  taxe  d'office  un  sieur  Lemarié,  archer  du 
grand  prévôt,  qui,  avec  sa  femme,  possède  plus  de  4000  1.  de 
rentes  et  fait  valoir  plusieurs  fermes  :  l'intendant  de  Rouen  est 
obligé  d'insister  auprès  de  Colbert  pour  obtenir  un  arrêt  du 
conseil  cassant  celui  de  la  Cour;  sans  cela,  dit-il,  la  paroisse 
de  Lemarié  sera  consumée  en  frais4.  Le  conseil  lui-même  ne  res- 
pecte pas  toujours  le  règlement  :  en  1671,  par  un  arrêt,  il  annule 
la  taxe  d'office  mise  par  l'intendant  de  Caen  sur  un  archer  de  la 
maréchaussée  en  défendant  «  de  le  cotiser  à  l'avenir  tant  et  si 
longtemps  qu'il  possèderoit  ladite  charge  et  ne  commettroit 
dérogeance5  ». 

Les  gouverneurs  des  provinces  avaient  auprès  d'eux  des 
gardes  que  l'on  peut  rattacher  à  la  maréchaussée;  ces  gardes 
étaient  exempts  de  taille,  mais  un  arrêt  du  conseil  du  5  février  1663 
rendu  sur  le  rapport  de  Colbert  défendit  aux  gouverneurs  de 
prendre  pour  gardes  des  taillables6;  mais  ce  fut  apparemment 
sans  résultat,  car  un  autre  arrêt  du  17  mars  1670  ordonna  aux 
gouverneurs  des  provinces  de  fournir  les  états  de  leurs  gardes 
«  pour  estre  mis  es  mains  des  intendans  des  provinces  avec  leurs 
titres  pour  justifier  leur  prétendue  exemption  de  taille  et  de 
collecte,  pour  estre  ensuitte  ordonné  par  S.  M.  ce  qu'elle  avisera 
bon  estre7  ». 

Les  villes  avaient  chacune  leur  police  particulière,  mais  dont 
les  agents  tenaient  leurs  offices  du  roi.  La  déclaration  de  jan- 
vier  1634  (art.  33)  spécifiait  que  tous  seraient  taillables;   une 

Normandie  avait  arrêté  que  «  les  exempts  et  archers  du  guet  ne  jouiront  d'au- 
cune exemption  non  plus  que  les  autres  exempts  et  archers  mentionnés  audit 
article  »  ;  en  revanche  elle  admettait  que  les  7  lieutenants  de  robe  courte  fussent 
exempts.  L'édit  de  mars  1667  révoqua  l'exemption  des  officiers  et  archers  du  guet. 
(Mém.  Alphab.,  art.  Chevaliers  du  Guet). 

1.  Registre  du  conseil  de  la  Cour  des  Aides,  24  janvier  1662,  1°  51;  il  est  curieux 
de  voir  que  la  Cour  trouve  des  textes  de  lois  pour  autoriser  son  arrêt,  quoique 
la  déclaration  citée  plus  haut  soit  formelle. 

2.  Ibid.,  f"  111,  6  février  1662. 

3.  Arrêt  du  26  février  1675,  Règlements  de  Normandie,  p.  191. 

4.  Leblanc  à  Colbert,  12  septembre  1682,  B.  N.  fr.  8  761  f°  26. 

5.  Règlements  de  Normandie,  p.  192. 

6.  A.  D.  Calvados,  élection  de  Caen,  Registre  d'ordonnances. 

7.  Clairamb.,  659,  p.  346,  à  sa  date. 


256  I.A    TAILLE    EN     NORMANDIE. 


seule  exception  était  faite  pour  la  poliee  de  la  ville  de  Rouen  : 
la  compagnie  de  la  Cinquantaine  et  celle  des  104  arquebusiers 
avaient,  de  toute  ancienneté,  non  seulement  l'exemption  de 
taille  avec  permission  de  cultiver  leurs  terres  pendant  un  an 
comme  tous  les  bourgeois  de  la  ville,  mais  en  outre  celle  de 
faire  valoir  eux-mêmes  tous  leurs  biens  de  la  campagne  sans 
être  imposés1.  Lorsque  le  privilège  des  bourgeois  de  Rouen 
en  ce  qui  concerne  la  culture  de  leurs  terres  fut  limité,  en 
août  16/3,  ii  l'étendue  de  l'élection  de  Rouen2,  la  même  limite 
lut  fixée  à  l'exemption  des  cinquanteniers  et  arquebusiers  : 
l'édit  ajoutait  qu'ils  devaient  encore  être  nés  dans  la  ville  et 
justifier  de  leurs  titres  et  fonctions  devant  la  Cour  des  Aides 
de  Rouen  (art.  23) 3. 


D.  —  EXEMPTIONS  POUR  ENCOURAGER 
CERTAINS  ACTES  OU  CERTAINES  PROFESSIONS 

L'opposition  de  Colbert  aux  exemptions  de  taille  n'allait  pas 
jusqu'à  en  désapprouver  le  principe  :  il  tâcha  d'en  réduire  le 
nombre,  de  supprimer  celles  qui  étaient  injustes,  mais  on  ne 
voit  nulle  part  chez  lui  une  intention  d'abolir  tout  privilège 
fiscal;  lui  prêter  des  théories  égalitaires  serait  une  erreur. 
Il  usa  même  régulièrement  des  exemptions  pour  favoriser  tel 
mode  d'activité  auquel  il  s'intéressait  :  commerce,  industrie, 
haras,  peuplade,  conversion  des  protestants.  Cet  usage  était 
d'ailleurs  bien  antérieur  à  lui  :  on  avait  déjà  privilégié  les  maîtres 
de  poste,  les  salpètriers,  les  ouvriers  en  soie,  les  verriers  *. 

Les  maîtres  de  poste  avaient  obtenu,  par  le  règlement  de 
mars  1600  (art.  22)  une  diminution  de  taille  de  20  1.,  mais  l'édit 
de  janvier  1634  (art.  20)  avait  supprimé  ce  privilège,  puis,  une 
déclaration  du  20  décembre  1635  leur  avait  accordé  l'exemption 
totale  moyennant  finance;  enfin  l'exemption  avait  été  révoquée 
par  un  arrêt  du  conseil  de  1646  qui  leur  permettait  seulement 
de  cultiver  en  franchise  50  arpents  de  terre. 

Colbert  voulut  favoriser  cette  profession  qui  devenait  de  plus 
en  plus  utile  à  l'administration  royale.  Par  une  déclaration  du 

.  1.  Mémoire  de  Voysin  sur  la  Généralité  de  Rouen  en  1665,  p.  141. 

2.  Voir  ci-dessous,  p.  272. 

3.  Cette  restriction  des  privilèges  de  la  police  rouennaise  amena  les  protesta- 
tions du  parlement  de  Rouen  :  le  président  Pellol  écrit  à  Colbert  le  17  novem- 
bre 1673  pour  plaider  la  cause  de  ces  personnages  qui  ne  touchent  aucun  gage 
et  rendent  de  grands  services  à  la  ville;  néanmoins  Colbert  ne  revient  pas  sur 
sa  décision.  Il  est  vrai  que  les  privilèges  des  cinquanteniers  et  arquebusiers 
demeuraient  encore  considérables.  Voir  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen,  p.  141. 

4.  Cf.  édits  de  mars  1600,  art.  32,  janvier  1634,  art.  13,  etc.  L'exemption  des 
salpètriers  avait  été  définitivement  révoquée  par  le  règlement  de  janvier  163i, 
art.  1  ô.  Celle  des  verriers  qui  n'étaient  pas  nobles  l'avait  été  en  1614  (art.  8). 


LES    EXEMPTS    PAU    LA    FONCTION.  257 

15  mai  1668,  il  leur  accorda  une  réduction  de  taille  de  30  1., 
puis,  par  un  édit  de  janvier  1669,  il  les  exempta  entièrement 
d'impôt  en  leur  donnant  la  qualité  de  commensaux  des  Maisons 
royales,  et  fixa  la  quantité  de  terre  qu'ils  avaient  le  droit  de 
cultiver  sans  perdre  leur  privilège  à  60  arpents  *.  Mais  cet 
édit  fut  l'objet  de  vives  remontrances  de  la  part  de  la  Cour  des 
aides  de  Rouen.  Son  procureur  général,  d'Héberville-Toustain, 
écrit  à  Colbert  le  25  février  1669  que,  si  le  roi  persiste  dans  sa 
résolution,  «  les  enfans  des  plus  riches  taillables  se  fairont 
pourvoir  de  lettres  de  maîtres  des  postes,  et  ainsi  il  ni  aura 
personne  dans  les  paroisses  solvables  sur  lesquels  les  recepveurs 
puissent  mettre  à  exécution  leur  condamnation  solidaire  »  ;  il 
est  à  prévoir  que  le  nombre  des  maîtres  de  poste  va  s'accroître, 
et  le  nombre  des  privilégiés,  déjà  trop  grand  dans  la  province, 
deviendra  excessif;  enfin  les  maîtres  de  poste  se  trouvent  par 
l'édit  plus  avantagés  que  les  commensaux,  qui  ne  peuvent  cul- 
tiver en  franchise  que  2  charrues  de  terres2.  Ces  remontrances 
eurent  pour  effet  de  faire  rapporter  l'édit,  qui  ne  semble  pas 
avoir  été  enregistré  dans  la  province 3. 

Malgré  ce  retrait  de  l'édit  il  ne  semble  pas  que  les  maîtres 
de  poste  aient  été  imposés;  les  intendants  reçurent  des  ordres 
particuliers  pour  les  protéger  et  leur  faire  accorder  l'exemp- 
tion. Le  principal  effet  des  remontrances  de  la  Cour  des  aides 
fut  de  provoquer  des  contestations  entre  les  habitants  de  plu- 
sieurs paroisses  et  les  postiers.  Le  24  avril  1681,  Leblanc  écrit 
à  Louvois  que  celui  de  Bourgthéroulde,  «  nonobstant  les  ordon- 
nances de  Messieurs  de  la  Galissonnière  et  de  Creil,  a  esté 
si  fatigué  par  les  habitans  que,  voulant  quitté  et  le  sieur  Pajot 
qui  a  îcy  la  direction  de  la  poste  n'en  pouvant  trouver  d'autres 
dans  l'appréantion  d'estre  maltraitez  »,  il  a  dû  rendre  lui-même 
plusieurs  ordonnances  pour  lui  accorder  l'exemption,  mais  les 
collecteurs  se  sont  aussitôt  pourvus  à  la  Cour  des  aides  qui  va 
condamner  les  maîtres  de  postes  ;  Leblanc  demande  un  arrêt  du 
conseil  pour  terminer  l'affaire  en  confirmant  sa  sentence;  il 
l'obtient  le  6  mai  suivant 4.  Une  déclaration  du  30  juin  1681 
leur  accorda  l'exemption  totale  en  portant  à  100  arpents  la 
quantité  de  terre  qu'ils  pourraient  tenir  à  ferme  en  fran- 
chise 5,  en  sus  de  leurs  biens  propres  ;  puis  une  autre  déclara- 


1.  Il  est  à  remarquer  que  cette  quantité  est  fixée  en  arpents  alors  que  pour  les 
autres  privilégiés  elle  l'est  en  charrues. 

2.  M.  G.  150bis,  f°  604. 

3.  D'après  la  lettre  de  d'Héberville,  1er  avril  1669,  M.  G.  151,  f°  79.  L'édit  ne  se 
trouve  pas  dans  les  Règlements  de  Normandie  :  le  voir  dans  G.  d.  T  à  sa  date. 

4.  B.  N.  fr.  8  761,  f°s  11  et  26. 

5.  S'ils  tenaient  une  hôtellerie  publique,  cette  quantité  était  réduite  à  50  arpents. 
Ceux  qui  demeuraient  dans  une  ville  franche  eurent,  «  pour  leur  tenir  heu  de 
l'exemption  »,  une  augmentation  de  gages  de  100 1.  (let.  de  Desmaretz,  1er  juillet  1681, 
B.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  II,  pièce  275). 


LA.    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


17 


258  LA    TAII.I.E    EN    NORMANDIE. 

tion   du   21    novembre   1683  éleva   ce  chiffre   à   150  arpents  '. 

L'exemption  de  taille  fut  un  des  moyens  que  Colbert  employa 
pour  favoriser  l'établissement  des  manufactures  dans  les  bourgs; 
il  n'avait  pas  plus  de  scrupules  à  l'accorder  qu'à  modifier  les 
tarifs  douaniers  en  faveur  des  produits  de  ces  manufactures. 
Elle  figure  parmi  les  privilèges  accordés  au  sieur  Hinard  et  à 
ses  associés  pour  la  manufacture  royale  de  Béarnais  2.  De  même 
le  sieur  Cossart  et  tous  ceux  qu'il  emploiera.  Français  ou  étran- 
gers, dans  la  manufacture  de  draps  qu'il  établit  à  Fecamp,  seront 
«  exempts  de  toutes  tailles,  subsistances  et  autres  impositions 
tant  ordinaires  qu'extraordinaires...,  logement  de  gens  de  guerre 
et  généralement  de  toutes  autres  charges  et  contributions  de 
quelque  qualité  qu'elles  puissent  estre,  et  ce  tant  et  sy  longue- 
ment qu'ils  seront  employez  au  faict  de  ladite  fabrique  et  manu- 
facture desdits  draps,  et  qu'ils  se  trouveront  comprins  dans  le 
rolle  et  estât  des  ouvriers  qui  sera  arresté  et  signé  par  le  (dit) 
sieur  intendant  des  bastimens,  arts  et  manufactures,  sur  le 
mémoire  qui  luy  en  sera  annuellement  envoyé3  ».  Les  entrepre- 
neurs de  la  manufacture  de  fer  blanc  d'Orléans  sont  exemptés*; 
lorsqu'on  projette  de  fonder  des  blanchisseries  à  Alençon,  l'in- 
tendant demande  pour  les  entrepreneurs  la  même  faveur. 

A  côté  des  exemptions  totales,  Colbert  accorda  aux  manufac- 
turiers des  diminutions  de  taille.  Le  procédé  était  d'une  appli- 
cation difficile,  en  raison  de  la  mauvaise  volonté  des  collecteurs  : 
il  lui  fallut  recourir  aux  taxes  d'office,  quoique  les  règlements 
les  eussent  interdites  pour  diminuer  un  contribuable 5.  C'est  ainsi 
qu'il  invite  l'intendant  de  Rouen  à  taxer  modérément  et  à 
exempter  de  la  collecte  les  nommés  Lemonnier,  marchands  de 
drap  à  Elbeuf,  «  en  faveur  de  leur  travail  et  application  aux 
manufactures  6.  »  L'intendant  de  Caen  en  1666  réduit  l'imposi- 
tion des  marchands  qui  travaillent  aux  manufactures  de  draps  et 
de  coton,  récemment  établies  à  Bayeux  7.  La  même  année,  Col- 
bert prescrivait  de  son  autorité  propre,  sans  arrêt  du  conseil  ni 
lettres  patentes,  que  la  taille  de  huit  marchands  d'Elbeuf,  asso- 
ciés de  Lemonnier,  serait  fixée  une  fois  pour  toutes  au  chiffre 
Î[u'elle  atteignait  en  1665  tant  qu'ils  conserveraient  leur  manu- 
acture.  Leurs  concitoyens,  dans  un  placet,  faisaient  observer 
que,  outre  l'injustice  qu'il  y  avait  à  fixer  à   un  taux  très   bas 

1.  Mém.  Alphab.,  p.  424-427.  L'exemption  des  maîtres  de  poste  suscitera  beau- 
coup de  plaintes  dans  la  suite,  notamment  à  l'assemblée  provinciale  de  Haute- 
Normandie  (Procès-verbal  de  l'assemblée,  p.  360). 

2.  Lettres  patentes  d'août  1664,  Clément,  t.  II,  p.  787. 

3.  Lettres  patentes  du  15  septembre  1665,  A.  D.  S.-Inf.,  Mémoriaux  de  la  Cour 
des  Aides,  t.  XLI,  f  140. 

4.  Lettre  de  Daubray  à  Colbert,  4  septembre  1666,  M.  C.  140,  f°  129. 

5.  Voir  ci-dessous,  chap.  vi,  2*  partie. 

6.  M.  C,  136,  f°  511,  26  février  1666.  Cf.  ci-dessus,  p.  177,  l'affaire  de  leur 
exemption  de  collecte. 

7.  Lettre  à  Colbert  du  29  novembre  1666,  M.  C,  142,  f°  236. 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  239 

l'imposition  de  marchands  qui  gagnaient  plus  de  10  000  1.  par 
an,  il  était  à  craindre  que  ceux-ci  ne  s'autorisent  de  leur  privi- 
lège pour  acquérir  beaucoup  de  biens  taillables  et  les  soustraire 
ainsi  à  l'impôt;  deux  d'entre  eux,  disaient-ils,  vont  hériter  de 
leur  beau-père  qui  est  imposé  à  120  I.,  et  ce  sera  autant  de  taille 
qui  retombera  à  la  charge  des  autres  habitants  l.  Colbert  main- 
tint néanmoins  cette  faveur. 

L'agriculture  fut  également  aidée  par  de  semblables  modéra- 
tions de  taille.  Afin  d'indemniser  les  éleveurs  d'étalons  «  des 
soins  qu'ils  prendront  pour  faire  réussir  le  dessein  de  Sa  Majesté 
pour  le  bien  de  son  service  et  le  public,  »  un  arrêt  du  conseil 
du  17  octobre  1665  les  exempta  de  tutelle,  curatelle,  logement 
de  gens  de  guerre,  guet  et  collecte  des  tailles,  et  en  outre,  il 
leur  accorda  sur  leur  impôt  une  réduction  de  30  1.,  laquelle  serait 
calculée  «  sur  le  pied  de  leurs  taux  de  la  présente  année,  sans 
qu'ils  puissent  estre  augmentés,  sinon  en  cas  d'augmentation 
de  biens  et  au  sol  la  livre  des  impositions  qui  pourront  estre 
faites  et  ce,  durant  le  temps  qu'ils  se  trouveront  chargés  des- 
dits estalons2  ». 

Ici  encore,  il  y  eut  opposition  et  réclamations  des  non-privi- 
légiés :  un  propriétaire  demeurant  à  Carentan  était  imposé 
à  62  livres  lorsqu'il  prit  un  étalon  en  1681  :  l'année  suivante 
il  fut,  contrairement  au  règlement  de  1665,  imposé  par  les 
collecteurs  à  96  1.,  sous  prétexte  que  son  cheval  «  estoit  vieux 
et  ne  pouvoit  plus  servir  »  ;  il  en  acheta  un  autre  au  prix 
de  500  1.,  et  se  fit  taxer  d'office  par  l'intendant  à  80  1.,  mais 
les  collecteurs  l'imposèrent  pour  1663  à  610  1.  :  c'est,  écrivit 
l'intendant,  «  un  taux  exhorbitant,  non  seulement  pour  ses 
biens,  qui  sont  médiocres,  estant  un  marchand  d'une  petite  ville, 
qui  assure  ne  pas  avoir  plus  de  six  à  sept  cens  livres  de  rente, 
mais  mesme  est  au-dessus  de  tout  ce  qu'il  y  a  dans  la  généralité, 
où  il  s'en  trouve  très  peu  qui  aille  à  plus  de  300  l.3  ». 

Des  renseignements  analogues  lui  étant  parvenus  des  autres 
généralités,  Colbert  fit  rendre  l'arrêt  du  conseil  du  28  octobre 
1683  :  désormais  les  propriétaires  d'étalons  auraient  leur  taille 
réduite  de  1/3  «  sur  le  pied  de  ce  à  quoi  ils  sont  taxez  et 
imposez  en  ladite  année  1683  4  ».  L'application  de  cet  arrêt  sort 
des  limites  de  notre  étude,  mais  on  peut  dire  que  les  difficultés 
continuèrent  :  il  faudra  supprimer  le  privilège,  par  une  déclara- 
tion du  29  octobre  1689. 

Les  exemptions  furent  également  employées  pour  encourager 
le    commerce   de    mer   et   l'engagement   des    matelots    sur    les 

1.  Placet  du  25  janvier  1667,  M.  C,  143,  f°  223-27. 

2.  Clément,  t.  IV,  p.  569-70.  Cf.  un  arrêt  analogue  du  29  septembre  1668  men- 
tionné dans  le  Mém.  Alphab.,  art.  Haras. 

3.  Lettre  de  l'intendant  de  Caen,  9  novembre  1682,  A.  N.  G7  213,  en  réponse  à 
une  circulaire  de  Colbert  du  28  octobre. 

4.  Mém.  Alphab.,  art.  Haras. 


260  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

navires  du  roi.  Le  7  décembre  1661,  le  commandeur  de  Neu- 
ohèce  avait  déjà  proposé  à  Colbert  d'exempter  de  taille  tous 
les  gens  de  mer  pendant  la  durée  de  leur  service,  à  quoi  le 
ministre  répondait  :  «  La  proposition  est  trop  étendue  :  il  faut 
la  resserrer  parmi  les  officiers  et  ceux  des  matelots  qui  se 
signaleront  dans  les  occasions  les  plus  hasardeuses;  et  cepen- 
dant l'on  prendra  soin  de  faire  le  département  desdites  tailles 
avec  tant  d'équité  que  l'imposition  ne  sera  que  légère*  ». 
Colbert  reprit  le  projet  dès  qu'il  eut  le  secrétariat  d'Etat  de  la 
marine  :  en  novembre  1666  il  consultait  les  intendants  de  Nor- 
mandie pour  savoir  s'il  ne  conviendrait  pas  d'accorder  l'exemp- 
tion aux  matelots  qu'on  allait  lever  dans  la  province.  L'inten- 
dant de  Caen  répondit  :  «  Le  grand  nombre  de  ceux  qui 
s'engageront  dans  le  matelotage  diminuant  celuy  des  taillables 
pouroit  accabler  ceux  qui  resteroient  dans  les  parroisses  »  ;  il 
conviendrait  mieux  de  réserver  l'exemption  à  ceux  qui  s'enrô- 
leront avant  l'âge  de  vingt  ans  (on  n'était  taillable  qu'à  partir 
de  cet  âge)  en  interdisant  d'augmenter  la  taille  des  autres  pen- 
dant leur  service  et  de  saisir  leurs  biens  pour  les  impôts;  on 
pourrait  en  outre  exempter  leurs  veuves  et  ceux  qui  auraient 
trente  années  de  service4.  Ces  objections  empêchèrent  Colbert 
de  prendre  une  mesure  générale;  il  chargea  les  intendants 
d'exempter  par  décision  particulière  ceux  qui  s'enrôleraient 
dans  la  flotte  royale,  sans  qu'aucun  droit  ne  fût  reconnu  par 
une  ordonnance3.  En  166/  l'intendant  de  Caen  exempta 
43  matelots  de  sa  généralité;  d'après  l'état  fourni  à  Colbert, 
la  taille  de  ces  hommes  pour  l'année  1666  s'élevait  au  total  à 
319  1.  3  s.*. 

Préoccupé  de  favoriser  la  «  peuplade  »,  Colbert  demanda  à 
ses  conseillers  quel  moyen  pratique  on  pourrait  employer  pour 
«  faciliter  les  mariages  et  rendre  plus  difficiles  les  vœux  de  reli- 
gion »  ;  parmi  les  moyens  il  citait  :  mettre  à  la  taille  tous  les 
garçons  à  l'âge  de  vingt  ans,  exempter  de  taille  jusqu'à  vingt- 
trois  ans  tous  ceux  qui  se  marieraient  à  vingt  ans  et  au- 
dessous,  exempter  aussi  tous  les  cotisés  qui  auraient  10  enfants 
vivants,  etc. 5. 

1.  Publié  dans  Jal,  Abraham  Duquesne,  t.  I,  p.  244. 

2.  Lettre  de  Chamillnrt  à  Colbert  du  22  novembre  1666,  M.  C,  142,  f  143-4.  — 
Cf.  la  lettre  de  Colbert  à  Colbert  de  Terron  pour  recruter  des  matelots  en  Aunis, 
Cl. -m.  III,  1"  partie,  p.  87. 

3.  Cf.  une  lettre  du  roi  à  l'intendant  de  Guyenne,  9  août  1668,  Clém.,  t.  III, 
1"  part.,  p.  87,  note. 

4.  M.  C.  14."),  f°  266-9,  lettre  du  10  août  1667;  ces  matelots  étaient  exemptés  par 
la  simple  autorité  de  l'intendant;  toutefois,  dans  une  note  placée  au  dos  de  l'état 
ci-dessus  indiqué,  Marin  fait  observer  que  «  pour  faire  passer  les  reprises  (dans 
les  comptes  des  receveurs),  il  fault  un  arrest  du  conseil  »  ;  d'autres  fois  le  privi- 
lège fut  accordé  par  un  acte  législatif,  mais  particulier  à  une  région  ou  à  une 
époque  déterminée;  cf.  l'édit  de  mai  1670  pour  la  levée  des  matelots  en  Provence 
dans  Clément,  t.  III,  2'  part.,  p.  663-5. 

5.  Mémoire  de  Colbert,  Clém.,  t.  VI,  p.  12-13.  Ce  mémoire  n'était  pas  adressé 
seulement  à  de  Gomont,  qui  était  son  parent,  mais  aussi  à  divers  autres  juris- 


LES    EXEMPTS    PAR    LA    FONCTION.  261 

Aux  intendants,  Colbert  soumit  un  projet  un  peu  différent  :  on 
exemptera  de  taille  jusqu'à  vingt-cinq  ans  tous  ceux  qui  se  marie- 
ront avant  vingt  et  un  ans;  tout  garçon  non  marié  à  vingt  ans 
payera  la  taille  i;  tout  père  de  famille  ayant  10  enfants  légitimes 
vivants  et  non  religieux  sera  exempt  de  collecte;  s'il  en  a  12,  il 
sera  exempt  de  taille.  Les  réponses  à  ce  questionnaire  nous  ont 
été  conservées  par  Clairambault2  :  Les  intendants  de  Normandie 
font  observer  que  dans  la  province  l'usage  est  que  tout  homme 
marié  ou  non  paye  la  taille  à  vingt  ans,  tandis  que  dans  le 
ressort  de  la  Cour  des  aides  de  Paris  un  garçon  non  marié  ne 
paye  rien  et  un  homme  marié  est  imposé  quel  que  soit  son 
âge;  l'effet  de  la  législation  projetée  ne  sera  donc  pas  le  même 
dans  les  deux  régions;  il  est  à  prévoir  qu'en  Normandie  le  roi 
perdra  beaucoup  car,  suivant  l'intendant  d'Alençon,  certaines 
gens  trouveront  ainsi  le  moyen  de  s'exempter  toute  leur  vie  : 

«  En  cette  province,  dès  le  moment  qu'un  homme  a  un  peu  de 
bien,  il  songe  à  prendre  une  charge  dans  les  maisons  royalles  ;  mais 
ce  desseing,  s'il  n'y  avoit  point  d'abus,  n'auroit  pas  souvent  son  effect 
par  la  précotion  que  l'article  33  du  règlement  de  1664  y  a  apporté, 
estant  nécessaire  qu'ils  prennent  des  charges  avant  vingt  ans  ;  autre- 
ment ayant  esté  imposés  à  la  taille,  ils  ne  peuvent  plus  avoir  exemp- 
tion que  de  10  1.  Et  sy  ces  articles  estoient  receus  en  Normandie, 
acheptans  des  charges  à  vingt-quatre  ans  ils  ne  seroient  plus  subjets 
à  la  taille,  comme  n'y  ayant  jamais  esté  imposez  3  ;  » 

quant  à  l'exemption  de  collecte  aux  pères  de  10  enfants,  si  l'on 
ne  veut  pas  qu'elle  soit  au  détriment  de  ceux  à  qui  on  l'accor- 
dera, il  faut  ajouter  qu'ils  ne  pourront  être  augmentés  à  la  taille 
que  proportionnellement  à  l'accroissement  de  leurs  biens  et  de 
l'imposition  de  la  paroisse;  sinon  «  cette  faveur  leur  deviendra 
inutile  parce  que,  n'estans  plus  collecteurs,  on  les  ruineroit 
d'ailleurs  à  la  taille*  ».  Le  même  intendant  propose  d'imposer 
les  filles  non  mariées  qui  auront  plus  de  vingt  ans,  car,  sui- 
vant l'usage  du  pays,  elles  ne  sont  pas  imposables  avant  leur 
mariage,  même  si  elles  font  du  commerce.  L'intendant  de  Caen 
désapprouve  nettement  l'intention  de  pousser  les  jetines  gens  au 
mariage  :  «  cela  les  detourneroit  d'aller  à  la  guerre  et  de 
s'adonner  à  la  navigation,  l'une  et  l'autre  profession  aiant  pour 
fondement  le  libertinage  qui  convient  plustost  aux  garçons  qu'aux 
hommes  mariez  »  ;  en  outre,  selon  lui,  il  ne  faut  pas  laisser  enten- 
dre qu'on  veut  favoriser  les  nombreuses  familles  «  en  haine  de 

consultes.  Voir  les  réponses  de  ceux-ci  dans  le  vol.  Glairamb.  463.  Le  Camus 
communique  à  Colbert  le  3  août  1666  un  arrêt  du  conseil  «  par  lequel  il  paroist 
que  l'usage  de  la  province  de  Bourgoigne  a  toujours  esté  de  donner  l'exemption 
de  taille  à  ceux  qui  auroient  12  enfants.  »  (M.  C.  139,  f°  35). 

1.  Clém.  II,  p.  68;  ce  projet  est  du  mois  de  novembre  1666. 

2.  Clairamb.  791. 

3.  Ibid.,  p.  92-3. 

4.  Ibid.,  p.  94,  même  lettre. 


262  LA    TAILLE    EN    NORMAND!  I . 

la  condition  des  prestres,  religieux  et  religieuses  »;  il  propose 
d'exempter  de  taille  tout  le  monde  indistinctement  jusqu'à  l'âge 
de  vingt-rinq  ans,  et  d'imposer  tout  le  monde  au  delà1. 

Malgré  ces  objections,  Colbert  publia  la  déclaration  de  novem- 
bre 1666  :  contrairement  à  ce  qu  on  dit  habituellement,  elle  ne 
s'appliquait  pas  à  l'ensemble  du  royaume,  mais  seulement, 
semble-t-il,  au  ressort  de  Paris8.  En  Normandie  du  moins  elle  ne 
fut  ni  enregistrée  ni  appliquée  :  un  édit  spécial  à  la  province  fut 
expédié  en  juillet  16o7,  qui  n'accordait  aucune  exemption  de 
taille  ni  de  collecte,  se  bornant  à  promettre  des  pensions  aux 
habitants  des  villes  franches  et  aux  gentilshommes  qui  auraient 
beaucoup  d'enfants 3.  L'usage  de  la  province  tel  qu'il  est  indiqué 
plus  haut  fut  donc  maintenu;  d'ailleurs  dans  le  ressort  de  la 
Cour  des  Aides  de  Paris  la  déclaration  de  1666  fut  rapportée 
en  janvier  1683  en  raison  des  abus  que  l'on  avait  constatés  dans 
l'application  *.  L'édit  de  juillet  166/  ne  fut  peut-être  pas  davan- 
tage appliqué  :  le  16  septembre  1670  l'intendant  de  Rouen 
demandait  à  Colbert  «  si  l'intention  de  Sa  Majesté  est  toujours 
que  ceux  qui  ne  sont  point  gentilshommes  jouissent  des  privi- 
lèges qui  leur  sont  accordés  par  ses  déclarations,  n'en  ayant 
pas  fait  quand  à  présent  estât  pour  ne  pas  diminuer  le  nombre 
des  taillables,  outre  qu'il  s'en  est  peu  présenté  »;  et  il  envoyait 
une  liste  de  cinq  gentilshommes  ayant  plus  de  10  enfants8. 

En  dehors  des  cas  réglés  d'exemptions  il  arrivait  que  les 
ministres  fussent  amenés  à  en  accorder  à  des  individus  par 
simple  faveur,  comme  ils  en  accordaient  à  certaines  paroisses. 
Par  exemple  Colbert  écrit  ;>  l'intendant  de  Rouen  le  20  juil- 
let 1674  :  «  Le  sieur  de  Roberval,  l'un  des  professeurs  de  l'aca- 
démie royale  des  sciences,  m'ayant  donné  le  mémoire  cy-joint 

1.  B.  N.  Clairamb.,  791,  p.  103  bis;  le  mémoire  n'est  pas  signé,  mais  il  est  de 
l'écriture   de   l'intendant  Chamillart.  La  grande  majorité  des  intendants   furent 

E a reillement  hostiles  ù  la  concession  de  nouvelles  exemptions  ;  ainsi  pour  celui  de 
anguedoc  la  réforme  «  emporterait  la  moitié  des  paroisses  »,  car  on  se  marie  fort 
jeune  dans  le  midi  et  c'est  «  une  chose  très  commune  d'avoir  10  ou  12  enfants  ». 
(Clair.,  791,  p.  30).  Ponr  celui  d'Auvergne,  l'impôt  des  hommes  non  mariés,  dans 
le  ressort  de  la  Cour  des  Aides  de  Clermont,  forme  <  plus  du  septiesme  de  la 
taille.  >  Il  ajoute  que  si  l'on  exempte  ceux  qui  se  marient  de  bonne  heure,  ils  ne 
s'engageront  plus  dans  les  armées  du  roi,  et  cela  fera  trop  de  bras  dans  les  vil- 
lages; il  y  a  une  quantité  d'enfants  mendiants  dans  la  province,  elle  est  <  si 
peuplée  que,  quand  les  maladies  populaires  emportent  beaucoup  d'enfans,  l'on 
yeoid  les  pères  s'en  consoller  aisément.  »  (Ibid.,  p.  109-117).  Pour  celui  de  Bourges 
il  faut  craindre  que  les  parents  ne  fassent  des  donations  fictives  de  leurs  biens 
à  leurs  enfants  pour  ne  pas  payer  l'impôt  (Ibid.,  p.  105-107),  etc. 
X.  Et  encore  avec  quelques  restrictions,  voir  C.  d.  T.,  t.  II,  p.  12-14. 

3.  A.  D.  S.  Inf.  B  84,  P8. 

4.  Clément,  t.  II,  p.  119,  n.  2;  des  1677,  on  songeait  à  suspendre  l'application 
de  la  réforme  et  peut-être  fut-elle  réellement  suspendue  à  cette  date.  Voir  un 
projet  d'arrêt  du  conseil  dans  Clair.,  797,  p.  143,  suspendant  l'exécution  de  la 
déclaration  de  novembre  1666  jusqu'à  la  paix;  il  n'est  pas  sûr  qu'il  ait  été  réelle- 
ment expédié. 

5.  Clairamb.,  792,  p.  301. 


LES    EXEMPTS    PAU    LA    FONCTION.  263 

je  vous  prie  de  faire  en  sorte  que  ses  neveux  ne  payent  point 
de  taille  pendant  une  année  ou  deux,  jusqu'à  ce  qu'il  ayt  trouvé 
des  fermiers  pour  ses  biens  *.  »  Mais  ces  faveurs  étaient  relati- 
vement rares. 

•  Le  règlement  de  janvier  1634  disait  :  «  Nul  ne  poura  être 
exemt  des  tailles  par  le  simple  consentement  des  habitans  des 
paroisses,  ni  abonné  par  eux  à  certaines  sommes  pour  toutes 
tailles  au  préjudice  des  autres,  ains  chacun  habitant  sera  taxé 
selon  ses  facultez  »  (art.  35).  La  même  prescription  est  reprise 
dans  le  règlement  de  1643  (art.  30)  et  dans  un  arrêt  du  conseil  du 
19  avril  1663,  qui  annule  tous  les  abonnements  de  ce  genre  et 
interdit  aux  maires,  syndics  et  échevins  d'y  avoir  égard,  quand 
même  ils  seraient  homologués  par  des  sentences  ou  des 
arrêts2.  Mais  malgré  cette  défense  les  paroisses  avaient  l'habi- 
tude d'accorder  des  exemptions  et  des  réductions  de  taille; 
comme  d'ailleurs  les  habitants  étaient  collectivement  respon- 
sables de  l'impôt  mis  sur  leur  paroisse,  l'exemption  accordée  à 
un  des  leurs  ne  portait  préjudice  qu'à  eux-mêmes;  le  gouverne- 
ment tolérait  donc  les  dérogations  à  l'édit  de  1634. 

En  1665  les  habitants  de  Bayeux,  par  une  délibération  du 
4  février,  font  venir  de  Rouen  en  leur  ville  un  apothicaire  «  pour 
la  nécessité  quis  en  avoient  en  icelle  ville  de  Bayeux  »  en  lui 
promettant  «  pour  luy  tenir  lieu  de  gaiges  et  récompense,  qu'il 
ne  seroit  travaillé  ny  surchargé  des  tailles  et  impositions  de 
ladite  ville  »,  et  ils  fixent  «  sa  taille  et  son  taux  pour  autant  qu'il 
y  demeure roit...  à  10  1.  par  chacun  an  pour  toutes  contributions 
aux  tailles  et  autres  levées  de  ladite  ville  ».  C'était  donc  un  véri- 
table abonnement  à  la  taille;  il  fut  confirmé  par  un  arrêt  du 
conseil,  et  en  1665  un  collecteur  de  Bayeux  ayant  voulu  malgré 
ce  contrat  imposer  l'apothicaire  à  plus  de  10  1.,  il  en  résulta 
un  procès  qui  alla  jusqu'au  conseil  d'Etat  :  l'arrêt  du  19  jan- 
vier 1666  confirma  le  contrat  et  cassa  la  cote  fixée  par  les  col- 
lecteurs 3. 

Un  contrat  semblable  est  conclu  en  1678  par  les  paroissiens 
de  Rots  avec  le  sieur  Jean  Dessillons,  chirurgien  de  Caen,  qui 
s'engage  à  venir  résider  dans  la  paroisse  «  pour  aider  et  assister 
les  malades  »  ;  en  échange  il  pourra  «  faire  valoir  les  héritages 

1.  Clément,  t.  V,  486  n.  2. 

2.  La  Poix  de  Fréminville,  Traité  général  des  Communauté»  d'habitants,  p.  240. 
—  Cf.  Lebret,  22e  action  :  «  Nous  ne  'oyons  point  qu'en  ce  royaume  les  méde- 
cins aient  jamais  joui  de  ce  privilège  d'immunité  attribué  à  leur  ordre  par  l'an- 
cien droit  de  Rome,  car  ils  ne  jouissent  d'aucune  exemption  sinon  de  quelques 
charges  personnelles,  comme  de  l'assiette  et  collecte  de  taille,  étant  au  reste 
asservis  et  sujets  au  paiement  d'icelles  ni  plus  ni  moins  que  tous  les  autres  rotu- 
riers et  taillables,  et  dont  seulement  sont  exceptés  les  médecins  du  roi,  non  encore 

fiour  estre  médecins,  mais  comme  serviteurs  domestiques  de  la  maison  royale.  » 
Œuvres,  p.  492). 

3.  A.  D.  S.  Inf.,  Mémoriaux  de  la  Cour  des  Aides,  t.  XLI,  f°  45-6. 


Ml  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

qu'il  v  peut  avoir  »  sans  ii  l'avenir  «  estre  aucunement  inquiété 
ny  pour  la  taille  ny  sel,  soit  dans  aucun  rosle,  ny  en  ayde,  ny 
autrement1  ».  Pareillement,  les  habitants  de  Honfleur,  le 
23  octobre  1680,  s'engagent  à  ne  pas  imposer  à  plus  de  20  ou 
30  sous  le  médecin  Jean  Barbel,  «  en  considération  de  ce  que 
ledit  Barbel  donne  gratuitement  ses  soins  aux  pauvres  »,  et  cet 
abonnement  est  homologué  par  le  Conseil*. 

Les  contrats  de  ce  genre,  assez  fréquents3,  sont  parfaitement 
admis  dans  la  pratique.  Les  intendants  accordent  eux-mêmes 
des  diminutions  de  taille  à  des  médecins  et  chirurgiens,  par  le 
moyen  des  taxes  d'office  :  par  exemple  a  Bayeux,  en  1683,  trois 
médecins  sont  taxés  respectivement  à  1  1.,  3  1.  et  16  1.  10  s.*. 
Le  jurisconsulte  La  Poix  de  Fréminville  écrit,  après  avoir  noté 
les  articles  de  règlements  interdisant  l'abonnement  :  «  Il  y  a 
cependant  des  cas  où  il  convient  d'abonner  et  fixer  la  cote  de 

2uelques  particuliers  tels  qu'un  horloger  ou  serrurier  habitans 
une  ville...  sans  lequel  abonnement  il  en  coûteroit  à  la  ville 
une  somme  qu'il  faudroit  imposer  sur  le  général  des  habitants  : 
il  en  est  de  même  d'un  tambour  de  ville  ».  La  seule  condition 
qu'il  réclame  pour  la  validité  du  contrat  est  qu'il  soit  approuvé 
par  l'assemblée  des  habitants  et  homologué  par  l'intendant,  «  et 
pour  lors,  dit-il,  les  collecteurs  et  les  officiers  sont  en  règle5  ». 


III.  —   LES    EXEMPTS   PAR    LE    DOMICILE 

Un  groupe  considérable  d'exempts  est  formé  par  les  habitants 
de  certains  lieux  privilégiés  :  c'est  leur  domicile  qui  leur  confère 
l'exemption.  On  peut  diviser  ces  lieux  en  deux  catégories  :  les 
pays  exempts  de  taille,  et  les  villes  franches. 

Il  existe  en  Normandie  un  pays  exempt  de  taille,  c'est  la  prin- 
cipauté d'Yvetot.  Jamais  cette  ancienne  seigneurie  ne  paya 
d'impôts  au  roi.  Ses  privilèges  avaient  été  consacrés  par  les 
lettres-patentes  du  14  juillet  1450,  délivrées  après  l'expulsion 
des  Anglais;  tous  les  souverains,  dans  la  suite,  les  avaient  con- 
firmées. Une  enquête  ordonnée  par  Louis  XI  en  1462,  notam- 
ment, avait  établi  que  «   toutes  fois  qu'il  a  pieu  au  roy  nostre 

1.  Délibération  des  habitants,  18  janvier  1678,  A.  Mun.  BB.  7. 

2.  Bréard,  Les  archives  de  la  ville  de  Honfleur,  p.  135;  Clairamb.,  659,  p.  260. 

3.  Nous  n'avons  pas  toujours  le  texte  des  contrats,  mais  on  en  trouve  la  trace 
dans  les  râles,  où  les  chirurgiens,  apothicaires,  maîtres  d'école,  etc.  sont  taxés  à 
de  très  faibles  sommes  :  ainsi  à  Saint-Lucien  de  Barq,  élection  de  Neufchàtel, 
en  1670,  Jacques  de  Fontaine,  chirurgien,  est  imposé  à  1  sou  (A.  D.   S.-Inf.,  C,  2673). 

4.  Rôle  des  taxes  d'office  de  la  généralité  de  Caen,  A.  N.  G?  213. 

5.  Traite  général  de*  Communautés  d'habitants,  p.  241.  Voir  encore  un  contrat 
passé  par  les  habitants  de  Cloyes  (Eure-et-Loire)  le  21  décembre  1687  avec  un 
horloger  pour  entretenir  l'horloge  communale  moyennant  l'exemption  de  tout 
impôt,  dans  A.  Mater,  Le  socialisme  conservateur,  p.  280;  cf.  aussi  Viollet,  Histoire 
des  Institutions  de  la  France,  t.  III,  p.  58,  n.  5. 


LES    EXEMPTS    PAR    LE    DOMICILE.  265 

seigneur  imposer  aucune  ayde  ou  taille  en  son  royaume,  sei- 
gneurie et  territoire,  ils  n'ont  eu  aucun  cours  en  icelle  terre  et 
seigneurie  d'Yvetot,  mais  en  a  esté  tousjours  exempte  J  ».  Lorsque 
le  taillon  fut  institué,  en  1557,  le  roi  déclara  expressément  que 
la  principauté  n'y  contribuerait  pas;  les  révocations  générales 
de  privilèges  prononcées  en  1600  et  1640  avaient  fait  exception 
pour  Yvetot;  de  très  nombreux  arrêts  du  Conseil  et  de  la  Cour 
des  aides,  des  sentences  du  Bureau  des  finances  et  de  l'Election 
de  Caudebec  avaient  conservé  intactes,  jusqu'à  l'époque  de 
Colbert,  les  franchises  du  pays2;  en  dernier  lieu  une  sentence 
du  Bureau  des  finances  l'avait  déchargé,  en  1664,  de  la  Subsis- 
tance que  le  roi  voulait  y  imposer3.  Mais  si  la  politique  royale 
n'était  pas  parvenue  à  supprimer  ces  franchises,  elle  avait  du 
moins  réussi  à  réduire  l'étendue  où  elles  s'exerçaient  :  de  toutes 
les  paroisses  relevant  du  fief  primitif,  deux  seulement,  Saint- 
Clair-sur-les-Monts  et  Sainte-Marie-des-Champs,  avaient  conservé 
l'exemption  au  xvne  siècle,  en  dehors  du  bourg  d'Yvetot4.  Ces 
privilèges  attiraient  la  population  dans  le  pays s  ;  toutefois  ils 
étaient  en  partie  compensés  par  les  droits  assez  élevés  que  le 
seigneur  y  percevait. 

Sur  les  confins  de  la  Normandie  existaient  deux  pays  exempts 
de  taille,  la  Bretagne  et  le  Boulonnais.  Ils  avaient  une  influence 
sur  l'impôt  de  la  province,  parce  qu'ils  servaient  de  refuge  à  des 
contribuables  qui  voulaient  échapper  au  fisc  :  les  taillables 
des  régions  limitrophes  allaient  y  demeurer —  ou  y  faisaient  des 
translations  de  domicile  fictives  —  tout  en  conservant  et  exploi- 
tant leurs  terres  en  Normandie.  Comme  la  qualité  de  tail- 
lable  était  attachée  au  domicile  c,  ces  fugitifs  devenaient  exempts, 
et  les  paroisses  normandes  où  leurs  biens  étaient  placés  s'en 
trouvaient  accablées.  Cette  situation  avait  été  signalée  au  roi  par 
les  commissaires  au  régalement  des  tailles  en  1634,  et  l'arrêt 
du  conseil  du  27  novembre  1641,  pour  y  remédier,  avait  ordonné 
«  que  tous  ceux  qui  feroient  valoir  terres  ou  fermes  assises  au 
dedans  des  paroisses  taillables  payeront  la  taille  à  proportion 
des  autres  taillables  d'icelle  paroisse,  eu  égard  aux  terres  et 
héritages  dont  ils  dépouilleront  les  fruits;  lesquels  fruits  ils  ne 
pourront  enlever  desdites  paroisses  taillables,  sinon  en  payant 
au  préalable  les  sommes  auxquelles  ils  auront  été  cottisés  esdites 

1.  Beaucousin,  Hist.  de  la  principauté  d'Yvetot,  ses  rois,  ses  seigneurs,  Rouen  et 
Yvetot,  1884,  p.  297  et  suiv.  Voir  ibid.rp.  292  les  let.  pat.  de  1450.  Cf.  Duplessis, 
Description...,  t.  I,  p.  187;  De  MasseviUe,  Etat  géographique  de  la  province  de 
Normandie,  Rouen,  1722,  t.  I,  p.  331  ;  Voysin  de  la  Noiraye,  Mémoire  sur  la  géné- 
ralité de  Rouen,  p.  150. 

2.  En  voir  l'énumération  dans  Duplessis,  Description...,  t.  I,  p.  187. 

3.  Arch.  S.  Inf.  C,  1167,  fol.  39,  Voysin  de  la  Noiraye,  Mémoire...,  p.  150. 

4.  De  MasseviUe,  Etat  géographique,  t.  I,  p.  331.  Au  xviii"  siècle,  ces  deux 
paroisses  perdirent  même  leurs  franchises  (Duplessis,  Description...,  I,  p.  187). 

5.  Duplessis,  ouv.  cit.  p.  189, 

6.  Voir  ci-dessous,  chap.  vr,  lre  partie. 


■2Ct\  |.A    TAII.I.K     I.N     MMIMAMUL 

paroisses,  en  donnant  caution  valable1  ».  Cette  disposition, 
reprise  par  le  règlement  du  16  avril  1643*,  était  une  dérogation 
grave  au  principe  de  la  taille  personnelle,  car  elle  transformait 
l'impôt  en  une  taxe  sur  le  revenu  foncier,  comme  dans  la  taille 
réelle,  mais  elle  eut  l'avantage  de  supprimer  les  fuites  de  contri- 
buables :  du  moins  on  ne  trouve  aucune  plainte  à  ce  sujet  au 
temps  de  Colbert. 

Certaines  villes  avaient  aussi  le  privilège  de  ne  pas  payer  la 
taille.  Les  juristes  le  justifiaient  en  rappelant  que  la  ville  de 
Rome  l'avait  possédé,  et  que  les  grandes  villes  avaient  toujours 
été  jugées  dignes  de  faveurs  spéciales3.  En  réalité,  elles  devaient 
leur  exemption  à  des  circonstances  très  diverses.  Les  unes 
avaient  toujours  échappé  à  l'impôt,  à  cause  de  leur  importance  : 
Paris,  Lyon,  Rouen,  étaient  dans  ce  cas;  d'autres  avaient  obtenu 
cette  faveur  en  échange  de  leur  soumission  au  roi,  ou  en  vertu 
d'un  traité  conclu  lors  de  leur  annexion  au  royaume;  d'autres  la 
devaient  à  une  protection  spéciale  :  par  exemple  la  ville  de 
Richelieu,  lors  de  sa  fondation  par  le  Cardinal4;  d'autres  encore 
supportaient  des  charges  ou  payaient  des  droits  équivalents  à  la 
taille;  d'autres  enfin  avaient  acheté  leur  franchise  à  prix  d'argent. 
Le  roi  avait  spéculé  sur  ces  privilèges  comme  sur  tous  les  autres; 
un  édit  de  novembre  1640  avait  révoqué  en  bloc  les  exemptions 
de  toutes  les  villes  sauf  Paris,  Rouen,  Le  Havre  et  Quillebeuf, 
mais  il  voulait  uniquement  les  forcer  à  racheter  leurs  fran- 
chises, et  toutes  celles  qui  l'avaient  pu  s'étaient  exécutées 5. 
Voici  les  villes  de  Normandie  qui  étaient  franches  : 
Rouen  avait  été  exempte  de  taille  dès  l'origine.  Son  privilège 
avait  été  reconnu  par  une  ordonnance  de  mars  1351,  et  l'éait 
de  janvier  1634,  après  beaucoup  d'autres,  l'avait  confirmé.  La 
franchise  s'étendait  non  seulement  à  la  ville,  mais  encore  à  une 
vaste  banlieue,  dont  les  limites  provoquaient  des  contestations. 
Dès  le  xne  siècle,  la  règle  était  établie  que  la  banlieue  s'étendait 
jusqu'à  1000  perches  des  murailles  de  la  ville6,  mais  les  chan- 
gements de  l'enceinte  et  la  difficulté  de  faire  des  mesures  exactes 
avaient  rendu  ces  limites  incertaines.  De  nombreux  procès  furent 
soutenus  à  la  Cour  des  aides  par  diverses  paroisses  pour  obtenir 

1.  Art.  8  (Néron,  Recueil,  t.  II,  p.  665). 

2.  Art.  20  (C.  d.   T.,  t.  I.  p.  388). 

3.  «  Nous  apprenons  de  nos  livres,  dit  Lebret,  qae  de  tons  tems  les  villes  les 
pins  célèbres  ont  été  honorées  de  plusieurs  grans  privilèges...  et,  à  vrai  dire, 
si  entre  les  personnes  privez  on  répute  ceux-là  dignes  de  quelque  privilège  spécial 
qui  ont  une  vertu  éminente  et  qui  s'emploient  au  service  de  la  chose  publique, 
pourquoi  ne  seroit-il  plus  séant  et  plus  raisonnable  d'en  honorer  les  villes  capi- 
tales, vu  qu'elles  sont  les  principale»  colonnes  ou  fondemens  d'un  Etat....  Rome 
de  tout  temps,  pour  la  révérence  de  sa  grandeur  fut  rendue  exempte  de  tous 
tributs.  »  ((Miuvret,  éd.  1689,  p.  486).  Cf.  Ragueau,  Glossaire,  au  mot  Taille. 

4.  Let.  pat.  du  11  janvier  1635  (Mém.  alphab.,  p.  363-364). 

5.  V.  la  formule  d  une  concession  de  franchise  de  taille  vers  cette  époque  dans 
les  papiers  de  Le  Tellier,  B.  N.  ms.  fr.  4266,  fol.  14-16. 

6.  L.  Delisle,  Condition  de  la  classe  agricole,  p.  10. 


LES    EXEMPTS    PAR    LE    DOMICILE.  267 

leur  annexion  à  la  zone,  ce  qu'elles  considéraient  comme  un 
grand  privilège1.  Au  temps  de  Colbert,  la  liste  de  ces  paroisses 
privilégiées  fut  définitivement  arrêtée  :  elles  étaient  au  nombre 
de  29 2;  d'après  le  tableau  dressé  en  1709  par  Saugrain,  elles 
comprenaient  4  020  feux,  soit  de  15  à  20  000  habitants. 

Dieppe  n'a  «  jamais  contribué  au  fardeau  des  tailles  3»;  par 
les  lettres  patentes  du  26  septembre  1463,  le  roi  s'était  engagé  à 
ne  jamais  y  lever  «  tailles,  impositions,  gabelles,  quatriesmes, 
et  autres  subsides  quelsconques  »,  en  considération  de  la  bonne 
conduite  des  habitants  pendant  la  guerre,  et  aussi  pour  les 
engager  à  bien  entretenir  leurs  fortifications  *.  Louis  XIV  à  son 
avènement  avait  confirmé  cette  exemption,  en  raison,  disait-il, 
«  du  bon  et  fidelle  devoir  que  lesdits  habitans  et  bourgeois  ont 
tousjours  fait,  comme  encore  ils  continuent,  à  la  conservation  de 
ladite  ville  sous  notre  obéissance5  ».  Le  faubourg  du  Pollet  avait 
été  longtemps  distinct  de  la  ville,  et  encore  au  xvme  siècle  il 
dépendait,  pour  le  spirituel,  de  la  paroisse  de  Neuville;  mais 
Henri  IV,  en  le  faisant  fortifier,  lui  avait  accordé  tous  les  privi- 
lèges de  la  ville,  en  1589;  cette  concession  avait  été  confirmée 
malgré  l'opposition  de  l'archevêque  de  Rouen,  seigneur  de 
Dieppe6,  et  les  habitants  jouissaient  paisiblement  de  leurs 
franchises  au  temps  de  Louis  XIV. 

Le  Havre  avait  été  déclarée  exempte  dès  sa  fondation,  pour 
développer  son  commerce,  et  l'édit  de  novembre  1640  l'avait 
exceptée  de  la  révocation  générale  7. 

Granville  était  privilégiée  parce  qu'elle  était  une  place  forte 
importante.  Charles  VII  lui  avait  accordé  la  franchise,  et  tous 
ses  successeurs  l'avaient  confirmée;  en  dernier  lieu  l'arrêt  du 
conseil  du  18  août  1674  imposait  en  échange  aux  bourgeois  de 


1.  Y.  P.  Duchemin,  Histoire  de  St-Eiienne-du-Rouvray,  Rouen,  1892,  p.  33  et 
suiv.,  comment  cette  paroisse  parvint,  en  1571,  à  se  faire  annexer.  En  1634,  les 
commissaires  au  régalement  des  tailles  avaient  mission  de  réduire  la  banlieue  à 
ses  limites  fixées  par  la  coutume.  (Arch.  mun.,  Rouen,  liasse  183,  pièce  3).  En 
1635,  un  arrêt  de  la  Cour  des  aides  déclare  comprises  dans  la  zone  «  les  maisons 
qui  sont  dans  les  bornes  de  l'ancienne  mairie,  et  le  reste  du  bourg  de  Dernetal  » 
(Règlements  de  Normandie,  p.  108).  D'autres  arrêts  des  14  août  1653  et  28  jan- 
vier 1662  incorporent  également  Isneauville  et  Quièvreville-la-Milon  (Mémoriaux 
de  la  Cour,  à  leur  date).  Cf.  De  Beaurepaire,  Cahiers  des  Etats...  t.  I,  p.  249-255. 

2.  V.  cette  liste  dans  Saugrain,  Nouveau  dénombrement  du  royaume...,  éd.  1735, 
2°  part.,  p.  2,  dans  Duplessis,  Description...,  t.  II,  p.  769,  et  la  carte  de  l'élection 
de  Rouen,  dressée  en  1683  par  Lamotte  (B.  N.  cartes,  Ge  DD  2023).  Sur  les  avan- 
tages de  ces  paroisses,  v.  Vauban,  Dixme  royale,  p.  59-61. 

3.  Journal  de  J.  Masselin,  éd.  Bernier,  trad.   fr.,  p.  547. 

4.  Voir  ces  lettres  patentes  et  les  au  1res  actes  relatifs  aux  franchises  de  la 
ville  dans  le  Recueil  général  des  édits...  donnés  en  faveur  des  habitants  de  la  ville 
Dieppe,  concernant  les  privilèges,  franchises  et  exemptions  de  ladite  ville,  Dieppe, 
1700,  in-fol.  Cf.  Desmarquets,  Mémoires  chronologiques  pour  servir  à  l'histoire  de 
Dieppe,  Paris,  1785,  2  vol.  in-12. 

5.  L.  pat.  d'août  1643,  dans  le  Recueil  général...  des  privilèges,  à  leur  date. 

6.  Duplessis,  Description...,  t.  I,  p.  129. 

7.  Mémoire  de  Yoysin  de  la  Noiraye,  p.  144.  Cf.  Bourély,  Hist.  de  la  ville  du 
Havre,  t.  I,  p.  480.  Lefebvre  de  la  Bellande,  ouv.  cité,  1"  part.,  p.  290-292. 


Ml  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

se  tenir  en  tout  temps  armés  et  «  munitionnés  »;  ils  devaient 
entretenir  leurs  murailles  à  leurs  irais1. 

Chehuourg  et  le  Mont  Saint-Michel  étaient  dans  le  même  cas. 

Alençon  avait  été  franche  jusqu'en  1640,  mais  ledit  général  de 
révocation  des  privilèges  l'avait  remise  à  la  taille  :  elle  n'avait 
obtenu  que  l'avantage  de  lever  sa  contribution  par  un  «  tarif*  ». 
Un  arrêt  du  conseil  du  13  mai  1665  réunit  ces  droits  à  la  ferme 
des  aides,  de  sorte  que,  nominalement,  la  ville  se  trouva  exempte 
de  taille,  tout  en  payant  la  même  imposition  au  Trésor  3:  les 
contribuables  n'étaient  pas  soulagés  d'un  sou  \ 

Malgré  ces  concessions  et  confirmations  solennelles  de  privi- 
lèges, les  rois  n'avaient  pas  renoncé  à  tirer  de  l'argent  des 
villes  franches  :  ils  y  percevaient  d'autres  impôts  qui  équiva- 
laient largement  à  la  taille.  On  vient  de  voir  ce  qui  se  passa 
pour  Alençon;  il  en  avait  été  de  même  pour  toutes  les  autres 
villes;  elles  avaient  été  soumises  à  des  taxes  extraordinaires 
sous   le   nom  d'«  ustensile  »  ou  de  «  subsistance  des  gens  de 

guerre  »  :  ainsi  Rouen  paya  jusqu'à  120  000  1.  chaque  année, 
•ieppe  jusqu'à  50000  1.,  le  Havre,  12  000 5,  etc.  Seules,  Yvetot, 
Granville  et  le  Mont  Saint-Michel  ne  payèrent  jamais  rien.  Ces 
taxes  furent  levées  jusqu'en  1665;  à  cette  date  —  vers  le  même 
temps  que  l'on  modifiait  le  régime  d' Alençon  —  on  cessa  de  les 
percevoir,  mais  pour  lever  à  la  place  des  droits  sur  les  mar- 
chandises :  on  ne  faisait  que  remplacer  un  impôt  direct  par 
un  impôt  indirect,  sans  réduire  les  revenus  royaux.  L'édit  de 
décembre  1663  avait  attribué  au  roi  la  moitié  de  tous  les  droits 
d'octroi  levés  dans  les  villes6;  en  outre  dans  chacune  d'elles,  les 
tarifs  furent  remaniés  à  l'avantage  du  Trésor  :  à  Rouen,  les 
droits  sur  l'entrée  des  cires  et  sucres  furent  enlevés  à  la  ville 
en  1665 7,  le  tarif  de  l'octroi  revisé  en  1667  8,  et  les  droits 
d'aides  considérablement  accrus  par  l'ordonnance  de  juin  16809; 

1.  Arch.  S.  Inf.,  Mémoriaux  de  la  Cour  des  Aides,  t.  XLIII,  fol.  146. 

2.  Etabli  par  arrêt  du  Conseil  du  1"  juin  1658  (Encycl.  méthod.,  t.  III.  p.  703), 
Sur  les  «  tarifs  »,  voir  ci-dessous,  chap.  vu.  Les  droits  du  tarif  d'Alençon  se 
trouvent  dans  Lefebvre  de  la  Bellande,  puv.  cit.,  1"  part.,  p.  292-.93. 

3.  A  partir  de  1666,  il  est  spécifié  dans  la  commission  des  tailles  que  la  ville  est 
«  déenargée  de  la  taille..,  au  moyen  de  ce  que  les  droits  du  tarif  establis  en 
ladite  ville  pour  le  payement  de  ladite  taille  ont  esté  joints  a  la  ferme  générale 
des  aydes  ». 

4.  En  plus  de  cette  liste,  on  a  des  villes  exemptes  de  taille,  mais  qui  payent 
tous  les  ans  la  •  subsistance  des  gens  de  guerre  »  ;  ce  sont  :  Honfleur,  Quiilebeuf, 
et  Argentan.  Comme  cette  somme  était  imposée  avec  la  taille  et  levée  de  la  même 
façon,  elle  peut  être  considérée  comme  une  véritable  taille. 

5.  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  137-144.  Cf.  les  plaintes  des  babitants 
de  Houen  en  1643,  dans  De  Beaurepaire,  Cahiers...,  règne*  de  Louis  XIII  et 
Louis  .XIV,  t.  III,  p.  287,  et  dans  Félix,  Comptes  rendus  des  échevins  de  Rouen, 
t.  II,  p.  152,  170,  177,  191,  etc. 

6.  Lefebvre  de  la  Bellande,  ouv.  cité,  1™  part.,  p.  282. 

7.  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  137. 

8.  V.  ce  tarif,  dans  les  Mémoriaux  de  la  Cour  des  Aides,  t.  XLII,  f"  118-121. 

9.  V.  cette  ordonnance  dans  le  Recueil  des  ordonnances...  sur  le  fait  des  aides  de 


LES    EXEMPTS    PAR    LE    DOMICILE.  269 

en  1672  Pellot  estime  qu'à  Rouen  le  roi  retire  de  tous  ces  droits 
«  plus  de  deux  millions  de  livres  »  *,  A  Dieppe,  les  droits 
d'aides  et  d'octroi  furent  également  accrus  2,  bien  que  Colbert 
voulût  favoriser  la  ville  pour  développer  son  commerce  3.  Au 
Havre,  les  droits  sur  les  boissons  atteignent  un  taux  considé- 
rable. A  Alençon,  les  droits  du  tarif  vont  en  augmentant  avec 
les  années.  En  définitive,  la  condition  des  villes  franches  est 
très  voisine  de  celle  des  villes  «  tarifées  »,  que  nous  étudierons 
plus  bas. 

Malgré  ces  aggravations  de  charges,  les  villes  s'estimèrent 
heureuses  du  changement.  Sans  doute,  elles  auraient  préféré  ne 
rien  payer,  et  elles  ne  manquaient  pas  de  réclamer  des  dégrè- 
vements, mais  les  taxes  sur  les  marchandises  leur  paraissaient 
infiniment  moins  onéreuses  que  la  taille.  Rien  n'était  plus 
détesté  des  contribuables  que  les  «  capitations  »,  c'est-à-dire  les 
impôts  directs,  on  le  verra  plus  loin*;  aussi,  la  population 
affluait-elle  dans  les  villes  franches;  le  chevalier  de  Glerville 
l'observe  en  1664  :  «  La  charge  des  tailles  qui  se  payoient  cy- 
devant  en  Normandie  a  attiré  dans  Dieppe  et  dans  les  villes 
franches  ou  abonnées  une  si  grande  quantité  du  peuple  de 
la  campagne,  qu'il  n'y  a  que  le  commerce  desdites  villes,  et 
principalement  des  ports,  qui  le  puisse  nourrir  5  ».  Cette  déser- 
tion des  campagnes  avait  le  grave  inconvénient  de  réduire  le 
produit  de  la  taille,  aussi  Colbert  avait-il  projeté,  avant  son 
arrivée  au  gouvernement,  de  «  faire  une  révocation  générale  de 
tous  les  anranchissemens  donnés  aux  villes,  avec  ordre  aux 
maîtres  des  requestes,  etc.,  de  tenir  la  main  à  ce  qu'elles  soyent 
imposées  selon  leurs  forces  6  »  ;  mais  il  changea  d'avis  par  la 
suite,  en  y  établissant  des  impôts  sur  les  consommations  :  en 
laissant  aux  bourgeois  l'exemption  de  taille,  il  leur  épargnait 
les  vexations  de  la  levée,  et  relevait  leur  condition  sociale.  En 
cela,  sa  politique  fut  bienfaisante,  quoiqu'elle  perpétuât  des 
injustices  et  entraînât  des  aggravations  de  charges  pour  les 
contribuables. 

Les  mêmes  difficultés  qui  se  présentaient  pour  les  pays 
exempts  se  rencontraient  dans  les  villes   franches  :  elles   pou- 

Normandie,  Rouen,  1717,  in-12,  p.  11-16.  Cf.   Lefebvre  de  la  Bellande,  ouv.  cité, 
1"  part.  p.  136  et  403. 

1.  Depping,  t.  III,  p.  220. 

2.  Lefebvre  de  la  Bellande,  ouv.  cité,  p.  287-290. 

3.  Cf.  une  lettre  du  duc  de  Montausier  à  Colbert,  7  juin  1665,  où  il  rend  compte 
de  ses  conférences  avec  les  représentant!  de  la  ville  sur  les  moyens  d'y  déve- 
lopper le  commerce  :  les  habitants  se  bornent,  dit-il,  à  demander  «  force 
descharge  d'impositions  »,  et  il  conclut  :  «  Il  n'y  a  rien  à  faire  avec  eux  ».  (M. 
G.  130,  fol.  114).  En  1672,  Colbert  s'indigne  que  les  habitants  sollicitent  des 
diminutions  d'impôts  au  lieu  d'armer  des  vaisseaux,  et  il  les  menace  du  logement 
des  gens  de   guerre  (Clém.,  II,  428,  note). 

4.  Ci-dessous,  chap.  Vil  ;  cf.  Mémoire  de  Voysin,  p.  137. 

5.  Mélanges  publics  par  la  Société  d'histoire  de  Normandie,  t.  I,  p.  263. 

6.  Clém.,  t.  II,  p.  198. 


LA    TAILLB    EN    NORMANDIE. 

vaient  servir  de  refuge  à  des  taillablcs  de  la  campagne  qui  vou- 
laient se  soustraire  à  l'impôt.  C'est  pourquoi  le  règlement  de 
janvier  1634,  à  l'art.  60,  n'accordait  la  franchise  à  ces  contri- 
buables qu'après  dix  ans  de  résidence  dans  la  ville  :  pendant 
les  dix  années,  ils  demeuraient  taillables  dans  leur  paroisse 
d'origine,  où  ils  ne  pouvaient  être  taxés  à  plus  forte  somme  que 
l'année  de  leur  départ  '.  Pareillement,  lorsque  le  fils  d'un 
taillable  venait  résider  dans  une  ville  franche  avant  sa  majo- 
rité, il  ne  devenait  exempt  que  dix  ans  après  2.  Lorsque  la  veuve 
d'un  taillable  se  retirait  dans  une  ville  franche  dans  les  quarante 
jours  qui  suivaient  la  mort  de  son  mari,  elle  devenait  exempte 
sans  délai,  si  elle  ne  cultivait  pas  elle-même  des  terres  à  la  cam- 
pagne3. Enfin,  quand  un  bourgeois  de  ville  «  tarifée  »  passait 
dans  une  ville  exempte,  l'usage  était  de  lui  accorder  l'exemption 
sans  délai4. 

Les  violations  de  ces  règlements  étaient  fréquentes.  Beaucoup 
de  gens  acquéraient  un  domicile  en  ville,  et  demeuraient  «  la 
plupart  de  l'année  aux  champs  »;  ils  n'étaient  bourgeois  «  qu'aux 
bonnes  festes  seulement  6  »,  et  la  Cour  des  aides  par  ses  arrêts 
leur  reconnaissait  volontiers  la  qualité  de  bourgeois.  On  les 
désignait  communément  sous  le  nom  de  «  bissaquiers 6  ».  En 
1662,  l'intendant  de  Rouen  écrit  : 

«  Les  paysans  riches  envoyent  leurs  enfants  dans  ces  villes  [franches] 
pour  y  acquérir  leur  aage  de  majorité,  lesquels  louent  une  chambre 
et  se  rendent  a  Noël  et  a  Pasques  dans  lesdites  villes  pour  faire  co- 
gnoistre  qu'ils  y  sont  bourgeois,  et  le  reste  du  temps  demeurent  à  la 
campagne,  et  quoyqu'ils  afferment  leurs  terres  par  intelligence,  ils  les 
donnent  a  des  gens  de  néant  ou  a  des  habitants  enroolles  hors  les 
paroisses  ou  leurs  terres  sont  scituées,  se  servant  seulement  de  leurs 
noms,  eux  estant  les  véritables  laboureurs.  » 

Cela,  ajoute  l'intendant,  «  ruine  beaucoup  les  taillables  de  la 

1.  Ceci  pour  éviter  les  vexations  des  collecteurs  contre  des  absents  qui  ne  pou- 
vaient ni  se  défendre  ni  devenir  collecteurs  à  leur  tour.  Un  habitant  de  Vatteville 
ayant  quitté  sa  paroisse  pour  aller  demeurer  au  Havre  avait  vu  sa  cote  passer  de 
19  1.  2  s.  à  64  1.  :  un  arrêt  de  la  Cour  des  aides  réduisit  son  impôt  à  19  1.  2  s.  le 
18  janvier  1662  (A.  D.  S.-Inf.,  Registres  du  Conseil  de  la  Cour,  à  sa  date). 

2.  Let.  pat.  d'août  1664,  art.  25. 

3.  Même  règlement,  art.  26. 

4.  De  Boislisle,  Corresp.  des  contr.  généraux,  t.  I,  n"  369  (au   sujet  d'Alençon). 

5.  Parce  qu'ils  justifiaient  de  leur  qualité  de  bourgeois  par  des  certificats  des 
curés  attestant  qu  ils  avaient  communié  en  ville  les  jours  de  grandes  fêtes. 

6.  Moisant  de  Brieux.  Les  origines  de  coutumes  anciennes,  Caeu,  1672,  réédité 
par  de  Beaurepaire  et  Garnier,  Caen,  1874,  p.  206  :  «  Pour  le  mot  de  bissaquier, 
nous  nous  en  servons  icy  a  designer  les  faux  bourgeois,  autrement,  les  bourgeois 
du  samedy;  ces  gens  qui,  le  bissac  plein  de  provisions  pour  un  jour  ou  deux,  se 
rendent  ù  la  ville  le  samedy,  ou  la  veille  de  quelque  feste,  afin  d'assister  au 
sermon,  communier,  se  montrer  un  peu  le  nez  sur  la  Bourse,  et  tâcher  par  là  de 
conserver  ou  d'acquérir  le  privilège,  dont  jouissent  les  véritables  citoyens.  Privi- 
lège si  rare  et  singulier,  qu'il  fait  de  tous  nos  bourgeois  autant  de  gentils-hommes, 
qui  peuvent  labourer  leurs  terres  sans  payer  la  taille  ;  mais  autant  de  gentils- 
hommes exempts  de  l'arrière-ban,  des  équipages  et  de  la  dépense  à  laquelle  la 
noblesse  est  sujéte.  ■ 


LES    EXEMPTS    PAR    LE    DOMICILE.  271 

campagne  »,  et  il  n'y  voit  d'autre  remède  que  de  «  restraindre 
les  privilèges  aux  seuls  bourgeois  qui  seroient  nez  dans  lesdites 
villes  »  ;  tous  les  autres  «  seroient  imposés  aux  tailles  à  com- 
mencer l'année  prochaine1  ».  Colbert,  de  son  côté,  détestait  ces 
fraudeurs  :  «  il  n'y  a  point  de  voye,  écrit-il  à  l'intendant  de 
Bordeaux,  dont  ne  se  soyent  servis  ceux  qui  se  sont  faits  bour- 
geois en  fraude  pour  se  maintenir...  Je  ne  saurois  m'empescher 
de  vous  répliquer  encore  que  difficilement  trouverez-vous  une 
occasion  plus  adventageuse  dans  le  cours  de  vostre  emploi  pour 
faire  connoistre  le  zèle  que  vous  avez  pour  le  service  du  Roy, 
auquel  il  faut  s'il  vous  plaist  que  vous  rendiez  justice  en  ce 
rencontre  avec  quelque  sévérité  2.  »  Malgré  les  règlements 
d'août  1664  (art.  22)  et  de  mars  1671,  qui  ordonnaient  de 
remettre  à  la  taille  ces  bourgeois  fictifs,  les  abus  continuèrent. 
Le  règlement  du  20  août  1673  précisa  que,  pour  être  réputé 
bourgeois  de  Rouen,  Dieppe,  ou  Le  Havre,  un  contribuable 
devrait  y  résider  au  moins  sept  mois  par  an,  et  y  payer  la  taxe 
des  pauvres  et  celle  des  boues3.  Mais  les  fraudes  ne  devaient 
jamais  cesser.  Le  22  juillet  1680,  l'intendant  écrit  que  l'élection 
d'Alençon,  quoiqu'ayant  un  terroir  fertile,  est  ruinée  parce  que 
«  les  villes  tirent  toute  la  richesse  du  plat  pays,  et  les  bons 
habitans  de  la  campagne  envoient  leurs  enfans  acquérir  leurs 
ans  de  majorité  dans  Alençon  ou  dans  Argentan  où  l'on  ne  paie 
point  de  taille*».  La  déclaration  du  19  mars  1747  relèvera 
encore  les  mêmes  abus,  dans  les  mêmes  termes. 

Les  villes  franches  se  prêtaient  encore  à  une  autre  sorte  de 
fraude  :  elles  servaient,  on  l'a  vu,  de  refuge  aux  usurpateurs  de 
noblesse  qui  voulaient  échapper  à  la  recherche  :  celle-ci,  en 
effet,  laissait  de  côté  les  habitants  des  villes  franches  parce 
qu'ils  n'étaient  pas  taillables.  Ils  furent  signalés  à  Colbert  qui  fit 
rendre  au  Conseil  l'arrêt  du  5  novembre  1666,  suivant  lequel 
tous  ceux  qui  étaient  l'objet  de  poursuites  pour  usurpation  de 
noblesse  et  s'étaient  retirés  dans  les  villes  franches  de  Norman- 
die depuis  le  mois  de  février  1661,  prétendant  ainsi  «  éluder 
l'avantage  que  les  contribuables  ausdites  tailles  devroient  rece- 
voir de  la  réformation  des  abus  que  causoient  les  indues  exemp- 
tions dont  jouissoient  lesdits  usurpateurs  »,  seraient  imposés 
d'office  à  la  taille  pendant  dix  ans  à  dater  de  leur  translation 
de  domicile 5. 

De  même  que  pour  les  autres  exempts,  la  question  se  posait  de 

1.  Depping,  t.  III,  p.  10. 

2.  Ibid.,  p.  27.  (Lettre  du  23  sept.  1663). 

3.  Art.  14  du  règlement,  se  référant  à  la  déclaration  d'avril  1643,   art.  15  (G.  d. 
T.,  II,  108). 

4.  A.   N.,   G1,   71.   Argentan   n'était  pas   franche,     comme    Alençon,    mais  elle 
payait  sa  taille  par  tarif,  ce  qui  revenait  au  même  à  cet  égard. 

5.  A.  D.,  Galv.,   G,  Registre   d'ordonnances  de  l'élection  de  Gaen,  1664-74,  fol. 
161-167. 


I.A    TAU. 1.1.     i.N     NullMANIHK. 

savoir  s'il  serait  ou  non  permis  aux  bourgeois  des  villes  fran- 
ches, de  cultiver  des  terres  a  la  campagne  sans  payer  la  taillo. 
Tous  les  règlements  le  leur  avaient  interdit  absolument  :  ils  ne 
pouvaient  faire  valoir  la  moindre  quantité  de  terre,  ni  par  eux- 
mêmes,  ni  par  leurs  domestiques,  ni  comme  propriétaires  ni 
comme  fermiers  '.  Toutefois,  l'usage  de  Normandie  admettait 
une  exception  :  lorsqu'un  bourgeois  ne  trouvait  pas  de  fermier 
pour  ses  terres,  il  pouvait  les  exploiter  directement  pendant  un 
an;  l'arrêt  du  7  juillet  1661  précisa  que,  passé  ce  délai,  il  serait 
imposé  à  la  taille  dans  la  paroisse  où  ces  biens  étaient  situés,  et 
«  a  proportion  du  profit  que  feroit  un  fermier  2  ».  Ce  dernier 
point  soulevait  quelques  difficultés  :  les  collecteurs  des  paroisses 
avaient  le  défaut,  ainsi  que  le  faisaient  observer  les  Etats  de  Nor- 
mandie en  1655,  «  d'estimer  la  terre  des  bourgeois  a  beaucoup 
plus  qu'elle  ne  vaut...,  pour  soulager  la  paroisse3»,  n'ayant  rien 
ii  craindre  de  ces  contribuables  qui  n'étaient  jamais  collecteurs; 
aussi  l'usage  s'était-il  établi  dans  la  province  de  calculer  l'impôt 
«  au  quart  de  la  valeur  du  revenu  des  héritages  »  ainsi  exploités*. 
La  Cour  des  aides  tendait  à  accroître  ce  privilège  en 
exemptant  de  taille  plusieurs  années  les  bourgeois  qui  justi- 
fiaient ne  pouvoir  trouver  de  fermier8.  Au  contraire  Colbert 
aurait  voulu  le  réduire  :  par  le  règlement  d'août  1673  (art.  13), 
les  bourgeois  de  Rouen,  Dieppe  et  Le  Havre  se  voyaient  interdire 
la  culture  de  leurs  terres,  même  pendant  un  an,  si  elles  étaient 
situées  hors  de  leur  élection  6.  Mais  la  cour  et  les  élus  protes- 
tèrent en  invoquant  les  usages  de  la  province,  et  l'arrêt  du 
conseil  du  26  février  suivant  rapporta  cet  article.  La  règle 
demeura  donc  que  tout  bourgeois  pouvait,  faute  de  fermier, 
cultiver  ses  terres  pendant  un  an  pourvu  qu'elles  fussent  situées 
en  Normandie  7.  Il  pouvait  ensuite  payer  la  taille  pour  ces  biens 
pendant  cinq  ans  sans  perdre  ses  privilèges  de  bourgeois.  Les 
intendants  s'efforcèrent  d'empêcher  les  abus,  que  favorisait  la 
Cour  des  aides8,  mais  sans  réussir.  Méliandécritle  1er  août  1682 

t.  Règl.  de  janvier  1634,  art.  33,  juillet  1635  [Mtm.  alp/iab.  p.  365),  juillet  1643 
ort.  21;  août  1664,  art.  23;  déclaration  du  3  mars  1671,  etc.  Voir  La  Poix  de  Fre- 
minville,  Communautés  d'habitants,  p.  279,  et  Gauret,  Stile  du  Conseil,  p.  410. 

2.  Cf.  notamment  le  règlement  de  janvier  1634,  art.  33,  et  la  déclaration 
d'août  1664,  art.  21. 

3.  De  Beaurepaire,  Cahiers...  rïgnes  de  Louis  Al/I  et  Louis  XIV,  t.  III,  p.  134. 

4.  Mémoiie  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  137.  Les  mandements  des  intendants  aux 
paroisses  rappellent  généralement  cet  usage. 

5.  Par  ex.  le  26  janvier  1662  elle  exempte  de  taille  pendant  trois  ans  Jacques  Pinchel, 
bourgeois  de  Rouen,  pour  16  acres  de  terres  qu  il  cultive  directement  à  Illerville 
sur  M  ont  fort,  faute  de  trouver  fermier  (Registre  du  conseil  de  In  Cour,  1662,  fol.  68). 

6.  Dans  le  ressort  de  Paris,  le  privilège  des  bourgeois,  même  des  Parisiens, 
était  limité  à  l'étendue  de  la  généralité  (Clém.,  II,  p.  322;  Lebret,  Œuvres,  éd. 
1689,  p.  486-388). 

7.  A.  Nat.  G'  213. 

8.  Cf.  par  ex.  le  mandement  de  l'intendant  de  Rouen  aux  paroisses  en  1672  : 
les  bourgeois  seront  imposés  dans  les  paroisses  où  ils  cultivent  des  terres 
«  nonobstant  tous  arrests  de  ladite  Cour  des  aides,  et  sans  s'arrester  aux  certi- 
ficats des  curés...  ■ 


LES    EXEMPTS    PAU    LE    DOMICILE.  273 

que  l'exemption  des  bourgeois  pour  les  terres  qu'ils  cultivent 
est  «  une  affaire  de  conséquence  »  qu'il  faudrait  réglementer  *, 
et  Marillac,  le  5  octobre  1684,  dit  que  cet  usage  entraine  des 
«  abus  considérables  ». 

L'usage  avait  aussi  de  graves  inconvénients  économiques, 
signalés  par  Desmaretz  en  1687  : 

«  Les  bourgeois  des  villes,  propriétaires  d'héritages  à  la  campagne, 
ne  pouvant  pas  les  faire  valoir  par  eux-mêmes,  sont  obligés  de  se 
servir  de  métayers  et  de  laboureurs  :  or,  ces  métayers  et  ces  labou- 
reurs sont  si  misérables,  qu'il  faut  les  nourrir,  payer  la  taille  pour 
eux,  leur  fournir  des  bestiaux.  Des  gens  en  cet  état  cultivent  mal  les 
terres  et  font  préjudice  en  une  infinité  de  choses  à  leurs  maîtres  par 
leur  négligence  ou  par  leurs  friponneries  *.  » 

1.  En  1676,  parmi  les  projets  présentés  à  Colbert  pour  se  procurer  de  l'argent 
figure  la  proposition  d'autoriser  les  habitants  des  villes  franches  à  cultiver  leurs 
terres  pendant  12  ans  moyennant  une  redevance  de  300  1.  (Clairamb.,  797,  p.  96). 
Colbert  n'y  donna  pas  suite. 

2.  De  Boislisle,  Mém.  de  St-Simon,  t.  VII,  p.  569. 


LA   TAILLE    EN    NORMANDIE.  |g 


CHAPITRE    VI 
PREMIÈRE    PARTIE 

LES  TAILLABLES 

I.     LA    TAILLE    PERSONNELLE.    II.     LES    FEUX.    CONDITIONS    d'aGE    ET 

DE    SEXE.  III.    LE    DOMICILE.  IV.    LE    CHANGEMENT    d'oCTROI.    

V.    LA    DATE    DES    ROLES.    VI.    L? ASSEMBLEE    DES    COLLECTEURS. 

Tous  les  sujets  du  roi  qui  ne  rentrent  pas  dans  les  catégories 
énumérées  au  chapitre  précédent  sont  astreints  à  payer  la  taille  : 
ils  doivent  être  inscrits  par  les  collecteurs  sur  un  rôle  dressé 
chaque  année  et  spécial  à  la  paroisse.  Nous  avons  à  examiner 
deux  questions  :  1°  qui  est  inscrit  sur  le  rôle;  2°  quelle  somme 
est  fixée  pour  l'impôt  de  chacun. 

I.  —  LA  TAILLE  PERSONNELLE 

Les  collecteurs  avaient  pour  tâche  d'établir  l'assiette  de 
l'impôt.  Celle-ci  variait  suivant  les  pa^s. 

On  distingue  habituellement  trois  sortes  de  taille,  différant 
entre  elles  par  la  nature  des  biens  imposés  :  la  taille  person- 
nelle, la  taille  réelle  et  la  taille  mixte1.  Mais  les  auteurs  ne 
s'accordent  pas  sur  le  sens  de  ces  expressions  ni  sur  les  régions 
où  chaque  sorte  est  en  vigueur.  Nous  avons  là  un  bon  exemple  de 
l'incertitude  et  de  l'obscurité  des  notions  relatives  à  la  taille 
chez  ceux  qui  ont  traité  le  sujet  jusqu'ici2. 

1.  Les  trois  sortes  d'impositions  sont  assez  bien  définies  par  Du  Chalard, 
à  propos  des  contributions  féodales  :  «  Il  y  a  beaucoup  d'espèces  de  tributs, 
collectes,  tailles  imposts  et  charges  publiques  :  il  y  en  a  de  personnelles,  qui 
consistent  en  service  actuel  et  personnel,  comme  de  faucher  les  prez  ou  de  scier 
les  bleds  du  seigneur;  les  autres  sont  réelles,  qu'on  impose  sur  la  chose  et  qui 
suivent  le  possesseur  d'icelle  :  comme  sont  les  héritages,  maisons,  sur  lesquels 
est  imposée  rente  ou  servitude;  les  autres  sont  mixtes,  c'est-à-dire  personnelles 
et  réelles  qui  consistent  es  labeurs  personnels,  et  sont  attachées  et  inhérentes  aux 
choses.  »  (Commentaire  de  l'ordonnance  de  1560,  art.  121,  dans  Néron,  t.  I,  p.  416.) 

2.  Voir,  pour  plus  de  détails,  mon  article  du  Bulletin  de  la  Société  d'histoire 
moderne,  11e  année,  p.  176  (29  déc.  1912). 


H8  LA    TA1LLK     KN     XCHi.M  AMM  I. . 

La  taille  réelle,  de  l'avis  de  tous,  est  un  impôt  portant  uni- 
quement sur  les  biens,  indépendamment  du  propriétaire;  il 
tient  compte  de  la  nature  et  de  la  qualité  de  ces  biens,  et  n'a 
pas  égard  à  la  condition  de  leur  propriétaire.  Mais  quand  il 
s'agit  de  préciser  si  elle  porte  uniquement  sur  les  biens  immeu- 
bles ou  si  elle  s'applique  à  la  fois  aux  meubles  et  aux  immeubles, 
il  n'y  a  plus  d'accord.  Tandis  que  d'Espeisses  l'ait  un  long  cha- 

fntre  pour  expliquer  comment  les  meubles  doivent  être  imposés, 
a  majorité  des  autres  auteurs  anciens  soutiennent  que  seules 
les  terres  sont  sujettes  à  contribution,  et  la  plupart  des  modernes 
se  rangent  à  leur  avis  '.  Il  est  cependant  indiscutable,  et  Moreau 
de  Beaumont  l'a  bien  éclairci,  que  la  taille  réelle,  comme  la  per- 
sonnelle, portait  sur  toutes  les  natures  de  revenus;  elle  visait 
aussi  bien  «  l'industrie  »,  les  revenus  mobiliers,  les  «  cabaux  », 
comme  on  disait  en  Languedoc,  que  les  produits  du  sol2. 

Même  incertitude  sur  les  régions  où  elle  était  appliquée  : 
pour  La  Barre,  l'auteur  du  Guidon  des  Finances,  Lange,  les  seuls 
pays  de  taille  réelle  sont  le  Languedoc  et  la  Provence*.  Pour 
de  Merville,  «  il  n'y  a  que  dans  Te  Languedoc  où  la  taille  est 
purement  réelle*;  »  pour  Vieuille,  la  taille  réelle  existe  «  en  Pro- 
vence, Languedoc  et  autres  pais  d'estats5;  »  pour  d'Espeisses, 
qui  fit  un  traité  de  la  taille  réelle,  celle-ci  se  rencontre  «  en  tout 
le  ressort  de  la  Cour  des  Aides  de  Montpellier  6  ».  II  n'y  a  guère 
que  Lebret,  Moreau  de  Beaumont  et  Guyot  parmi  les  auteurs 
anciens  qui  sachent  que  la  taille  était  réelle  dans  les  deux 
élections  d'Agen   et  de  Condom  7. 

En  ce  qui  concerne  le  Dauphiné,  la  grande  majorité  croient 
que  la  taille  y  est  personnelle  ou  mixte,  soit  qu'ils  l'affirment 
nettement  comme  Lebret8,  soit  qu'ils  le  laissent  entendre  comme 


1.  Cf.  Etat  de  la  France  de  1657,  p.  224  :  •  en  Languedoc  et  Provence...  les 
terres  et  meubles  seulement  sont  taillables  >  Clément,  t.  II,  p.  864  :  la  taille  réelle 
est  <  assise  sur  l'immeuble  »,  etc. 

2.  Voir  une  bonne  définition  de  Domat,  Lois  civiles...,  éd.  1756,  II,  p.  26  et 
Marion,  Les  impôt*  directs  sous  Yancien  régime,  p.  18-20. 

3.  La  Barre,  Formulaire  des  Esleuz,  p.  98;  Le  Guidon  des  Finances  (1664),  p.  170. 
Lebret,  Œuvres,  éd.  1689,  p.  537;  voir  encore  le  Traite'  des  Finances  de  France, 
(Epoque  de  Henri  III),  B.  N.  fr.  21  442,  f°  163;  Lange,  La  nouvelle  pratique  civile 
et  criminelle,  \0*  éd.,  t.  I,  p.  117,  etc. 

4.  Maximes  générales  sur  les  Tailles,  1725,  p.  94. 

5.  Traités  des  Elections,  1739,  p.  14.  L'identité  entre  pays  d'Etats  et  pays  de 
taille  réelle  est  également  admise  par  de  Lu  ça  y  dans  Séances  et  travaux  de  l'Aca- 
démie des  Sciences  morales  et  politiques,  t.  149,  p.  494;  de  même  M.  Marion  admet 
cette  identité  avec   certaines  exceptions  (L'Impôt  sur  le  revenu   au  .XVIII*  siècle 

E.  4  n.  2  et  Les  impôts  directs  sous  l'ancien  régime,  p.  5  et  18,  n.  1);  il  n'est  pas 
esoin  de  faire  longuement  remarquer  l'erreur  de  ces  auteurs;  la  Normandie  qui 
fut  pays  d'Etats  jusqu'au  xvn*  siècle,  n'était  pas  pays  de  taille  réelle  pour  autant, 
non  plus  que  la    Bourgogne,   qui  demeura  pays  d'Etats  jusqu'en  1789. 

6.  Traité  des  Tailles,  dans  ses  (JE livres  complètes,  t.  III,  p.  333. 

7.  Lebret  fit  un  plaidoyer  a  la  Cour  des  Aides  pour  traiter  cette  question. 
(39*  action,  dans  ses  Œuvres,  éd.  1689,  p.  536).  Guyot,  Répertoire  de  jurisprudence, 
art.  Taille,  section  II. 

8.  Œuvres,  p.  536. 


LA    TAILLE    PERSONNELLE.  277 

d'Espeisscs  '.  Seuls  Gauret  et  l'auteur  de  Y  Encyclopédie  métho- 
dique savent  qu'elle  y  est  réelle2.  Ducrot  ouvre  une  longue  dis- 
cussion sur  cette  question,  mais  c'est  pour  ne  se  prononcer  ni 
dans  un  sens  ni  dans  l'autre3.  L'embarras  des  théoriciens  est 
d'ailleurs  excusable,  car  dans  ce  pays  la  taille,  répartie  au 
moyen  d'un  cadastre  comme  en  Languedoc,  comportait  des 
exemptions  personnelles.  Mais  pour  nous,  la  question  est  tran- 
chée par  les  actes  législatifs  :  le  roi  déclare  en  effet,  en  tête  du 
règlement  du  24  octobre  1639  :  «  En  notre  province  de  Dau- 
phiné,  les  tailles  sont  purement  réelles  et  prédiales  \  » 

Quant  à  la  taille  personnelle  et  à  la  taille  mixte,  elles  sont 
l'objet  de  confusions  déconcertantes  dans  les  traités  techniques. 
Y,' Encyclopédie  de  Diderot  et  d'Alembert  en  donne  des  défini- 
tions presque  identiques  :  «  Taille  personnelle  est  celle  qui  s'im- 
pose sur  les  personnes  à  proportion  de  leurs  facultés...  Taille 
mixte  est  celle  qui  est  due  par  les  personnes  à  proportion  de 
leurs  biens5.  »  D'autres  font  des  distinctions  inintelligibles  :  par 
exemple  le  célèbre  Guidon  des  Finances,  édition  de  1644  :  «  Les 
personnelles  s'entendent  de  la  personne  roturière  et  taillable..., 
les  mixtes  sont  celles  que  nous  payons  aujourd'hui,  lesquelles 
sont  imposées  au  lieu  du  domicile,  ayant  esgard  à  tous  les  biens 
du  taillable  en  quelque  part  qu'ils  soient  situez  et  assis 6.  »  Le 
Dictionnaire  des  Finances  de  1727  (art.  Taille)  dit  :  «  La  mixte 
est  celle  qui  est  imposée  au  domicile  par  rapport  aux  moyens 
de  celui  sur  qui  on  l'impose,  et  la  personnelle  se  lève  sur  tous 
les  roturiers  non  exempts  pour  quelques  charges  ».  L Encyclo- 
pédie méthodique,  dont  l'article  Taille  est  dû  «  à  un  ancien  rece- 
veur des  tailles  qui  a  joint  à  une  grande  instruction  théorique 
de  la  matière  les  leçons  d'une  longue  expérience  »,  n'est  pas 
plus  claire  :  «  La  taille  personnelle  est  celle  qui  porte  capitale- 
ment  sur  les  personnes  à  raison  de  leurs  facultés  connues,  de 
leur  commerce  et  de  leur  industrie.  La  taille  mixte...  est  tout  à 
la  fois  réelle  et  personnelle  en  ce  qu'elle  a  lieu  non  seulement 
sur  les  fonds  mais  encore  sur  les  facultés,  sur  le  commerce  et 
sur  l'industrie7.  » 

1.  «  En  Dauphiné,  l'habitant  contribue  au  lieu  de  son  domicile  pour  tous  les 
biens  qu'il  possède,  même  situés  en  dehors  du  territoire  de  la  parroisse.  »(Œuvres, 
t.  III,  p.  335.) 

2.  Gauret,  Stile  du  Conseil  du  Roy,  p.  107:  Encyclopédie  méthodique,  Finances, 
t.  III,  p.  643. 

3.  Traité  des  Tailles,  éd.  1636,  p.  354-355. 

4.  Ghérin,  Abrégé  chronologique...,  p.  103.  Voir  encore  les  arrêts  du  Conseil  des 
31  mai  1634,  9  janvier  1636,  23  mai  163/,  et  6  avril  1639,  et  Guy  Pape,  Jurispru- 
dence ou  décisions.,.,  traduites  avec  des  remarques  de  Ckorier,  2e  éd.,  1769,  Déci- 
sion 87.  Guéiin,  Stile  de  la  Cour  des  Aides  et  Finances  de  Dauphiné,  Vienne,  1640, 
in-12.  Phillipi,  Recueil...  des  Edits  concernant  la  Généi  alité  et  en  partie  la  province 
de  Dauphiné,  1720.  A.  Lacroix,  Claude  de  Brosse  et  les  tailles,  dans  Bull.  Soc. 
Archéot.  Drame,  1899,  et  le  Mémoire  manuscrit  de  B.  N.  fr.  18  511,  f°  93. 

5.  Ed.  in-f,  t.  XV,  p.  844. 

6.  P.  170.  Sur  la  vogue  de  cet  ouvrage,  voir  la  bibliographie  en  tête  de  ce  volume. 

7.  T.  III,  p.  643. 


278  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Un  certain  nombre  identifient  taille  personnelle  et  taille  mixte  ; 
par  exemple  dcMerville  :  «  La  taille  est  personnelle,  ou  du  moins 
mixte,  presque  dans  tout  le  royaume J  ».  Moreau  de  Beaumont  :  «  Il 
est  vrai  que  dans  les  pays  d'élections,  la  taille  est  considérée 
comme  un  impôt  personnel,  mais  elle  s'impose  et  se  départit 
sur  le  pied  et  à  proportion  des  biens,  facultés,  et  industrie,  ce 
qui  la  rend  mixte,  c'est-à-dire  partie  réelle  et  partie  person- 
nelle *.  »  Guénois  :  «  En  Languedoc  les  tailles  sont  réelles,  mais 
en  France  elles  sont  mixtes,  ou  bien  selon  l'avis  d'aucuns  per- 
sonnelles '.  » 

La  majorité  des  auteurs  qui  distinguent  la  taille  personnelle 
de  la  taille  mixte  sont  fort  embarrassés  pour  préciser  dans 
quelles  régions  de  la  France  elles  existent.  Seul  un  Traité  des 
matières  de  la  Chambre  des  Comptes,  contemporain  de  Colbert, 
est  catégorique  :  Nous  distinguons,  dit-il,  en  fait  de  tailles, 
«  une  réelle  qui  se  lève  en  quelques  provinces  sur  les  héritages 
roturiers,  l'autre  personnelle  qui  se  lève  dans  le  pais  et  pro- 
vinces voisines  sur  les  personnes  taillables,  et  l'autre  mixte  qui 
se  lève  en  quelques  provinces  selon  la  profession  des  particu- 
liers et  sur  les  personnes  taillables*  ».  Mais  les  autres,  moins 
hardis,  s'abstiennent  de  nommer  les  pays  où  la  taille  serait 
purement  personnelle.  Aussi  se  bornent-ils,  en  général,  à  ne 
mentionner  que  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  espèces,  tel  Ducange 
dans  son  Glossaire  (art.  Tailles)  :  «  talliarum  prœterea  alix 
sunt  reaies,  alise  personales  ».  Ducrot  admet  la  triple  distinc- 
tion des  tailles  personnelle,  réelle  et  mixte,  mais,  ajoute-t-il, 
«  en  France  elles  sont  toutes  personnelles5  ».  Ragueau  ne 
définit  que  la  taille  personnelle  et  la  taille  réelle6;  au  contraire 
La  Barre,  Gauret,  d'Espeisses  ne  distinguent  que  la  taille  réelle 
et  la  taille  mixte7.  L'abbé  Fleury  n'admet  également  que  la 
taille  personnelle,  mais  il  est  gêné  par  le  mot  et  éprouve  le 
besoin  d'en  corriger  le  sens  habituel.  Il  en  est  de  même  de 
Corbin 8.   Loisel   de   Boismare,   sans   se    préoccuper   de   ce   qui 

1.  Maximes  générales  sur  les  tailles,  p.  94. 

2.  Mémoires  sur  les  impositions,  t.  II,  p.  9. 

3.  Conférence  des  ordonnances,  t.  II,  p.  1138,  n.   marginale. 

4.  Bibl.  Sainte  Geneviève,  ms.  412,  f"  124.  Le  jurisconsulte  Duret.  au  xvi'  siècle, 
dit  cependant  :  «  Quand  la  taille  a  égard  aux  personnes  elle  est  départie  selon 
les  testes,  de  là  les  leveurs  estoient  appeliez  perequateurs,  parce  qu'ils  prenoient 
également  d'un  chacun,  mais  cela  n'est  guère  observé  en  France.  Charles  IX 
voulut  que  la  taxe  fut  faite  le  fort  portant  le  faible.  >  (Dans  Néron,  I,  650.) 

5.  Nouveau  traité  des  aydes,  tailles  et  Gabelles,  éd.  1636,  p.  352.  Par  France  il 
n'entend  évidemment  que  les  pays  de  langue  d'oïl. 

6.  Glossaire,  éd.  Favre,  art.  Tailles. 

7.  La  Barre,  Formulaire  des  Esleuz,  p.  98,  Gauret.  Stile  du  Conseil  du  Boy,  1700, 
p.  407,  d'Espeisses,  Œuvres,  t.  III,  p.  333. 

8.  Cl.  Fleury,  Institution  au  droit  français  :  «  La  taille  communément  est  per- 
sonnelle puisque  ceux  mêmes  qui  n'ont  point  d'immeubles  y  sont  imposés  et 
qu'elle  suit  le  principal  domicile,  et  néanmoins  a  quelque  chose  de  réel  en  ce 
qu'on  a  égard  au  patrimoine  et  par  conséquent  à  la  valeur  des  héritages.  On  n'y 
impose  pas  aussi  chaque  personne,  mais  seulement  les  chefs  de  famille;  il  y  a 
quelques  pays  où  elle  est  tout  à  fait  réelle.  •  (Ecrit  en  1665,  édité  par  Laboulaye 


LA    TAILLE    PERSONNELLE.  279 

concerne  l'ensemble  du  royaume,  dit  qu'en  Normandie  «  la 
taille   est  mixte1  ». 

En  dehors  des  traités  techniques,  dans  le  langage  courant,  la 
confusion  des  deux  expressions  est  perpétuelle  :  la  correspon- 
dance de  Colbert  et  des  intendants  en  offrent  maints  exemples2; 
Necker  a  écrit  :  «  Dans  les  généralités  où  la  taille  est  person- 
nelle, il  est  peut-être  bien  difficile  de  distinguer  d'une  manière 
précise  dans  cette  imposition  mixte  la  portion  purement  per- 
sonnelle et  celle  qui,  portant  sur  l'exploitation,  a  le  caractère 
d'une  réalité3.  » 

La  plupart  des  auteurs  modernes  se  sont  bornés  à  reprendre 
les  définitions  des  anciens,  sans  en  démêler  les  obscurités  ou 
les  contradictions,  ou,  quand  ils  ont  voulu  y  mettre  de  la  clarté, 
ils  nont  fait  qu'y  ajouter  des  erreurs*.  Il  s'est  même  trouvé 
un  historien  pour  déclarer  que  la  taille  réelle,  sous  l'ancien 
régine,  non  seulement  n'existait  pas,  mais  ne  pouvait  pas 
exister  :  «  La  taille,  la  capitation,  les  dixièmes  ou  vingtièmes 
étaient  des  impôts  personnels...,  l'impôt  réel  était  bien  impos- 
sibh  alors,  à  cause  de  la  difficulté  d'estimer  ce  que  chacun 
possédait5.  » 

Ce  chaos  de  définitions,  dont  on  s'est  contenté  jusqu'ici,  est 
facile  à  débrouiller  en  étudiant  les  faits  eux-mêmes. 

Nous  trouvons  en  France  des  provinces  entièrement  exemptes 
d«  taille;  d'autres  paient  un  impôt  équivalent  à  la  taille,  sous 
un  autre   nom;  d'autres  enfin  sont  purement  taillables.   Dans 


en  1858,  t.  I,  p.  188.)  Corbin,  Recueil  (1623),  p.  963  :  «  Combien  que  nous  tenions 
noz  tailles  estre  personnelles,  d'autant  est-ce  qu'elles  sentent  quelque  cbose  de  la 
réalité  parce  que  lesdites  tailles  doivent  estre  imposées  sur  les  personnes  eu 
égard  à  leurs  biens,  terres  et  facultés.  » 

1.  Dictionnaire,  t.  II,  p.  488. 

2.  Clément,  t.  II,  p.  101,  119,  258,  106,  etc.  L'expression  «  taille  personnelle  » 
est  plus  fréquente  que  celle  de  «  taille  mixte  ». 

3.  Publié  par  M.  C.  Bloch,  dans  La  révolution  française,  t.  XXXIV,  p.  109. 

4.  Clément,  t.  II,  p.  99,  fait  la  distinction  entre  les  trois  espèces  de  tailles  :  il 
définit  la  taille  personnelle  «  celle  qui  portait  capitalement  sur  les  personnes  à 
raison  de  leurs  facultés  connues,  de  leur  commerce  et  de  leur  industrie  »,  et  la 
taille  mixte  celle  qui  se  lève  «  non  seulement  sur  les  fonds  mais  encore  sur  les 
facultés,  le  commerce  et  l'industrie  »;  c'est  la  définition  obscure  de  Y  Encyclopédie 
méthodique.  M.  Esmein  ne  distingue  que  la  taille  personnelle  et  la  taille  réelle 
(Cours  élémentaire  d'histoire  du  droit  français,  p.  533),  mais  pour  lui  la  taille 
réelle  ne  porte  que  sur  le  revenu  foncier;  Courcelle-Seneuil,  dans  le  Dictionnaire 
d'économie  politique  publié  sous  la  direction  de  Coquelin  et  Guillaumin,  distingue 
seulement  taille  personnelle  et  taille  réelle  en  ajoutant  :  «  les  écrivains  ont  aussi 
parlé  quelquefois  de  la  taille  mixte,  mais  ce  n'était  que  la  réunion  sur  la  tète 
du  même  contribuable  de  la  taille  réelle  et  de  la  taille  personnelle  »,  ce  qui  n'est 
pas  très  clair.  Caillet  (L'administration  de  la  France  sous  Richelieu,  2e  éd.,  II, 
p.  399)  dit  :  «  La  taille  personnelle  s'entendait  de  la  personne  roturière  et  taillable, 

mais  était  peu  usitée la  taille  mixte  était  levée  dans  la  plus  grande  partie  de  la 

France  ».  Callery  semble  admettre  la  co-existence  des  trois  systèmes  :  après  avoir 
déclaré  qu'il  n'étudiera  que  la  taille  personnelle,  il  dit  :  «  Les  systèmes  de  taille 
très  peu  employés,  connus  sous  le  nom  de  taille  réelle  ou  taille  mixte  et  qui 
étaient  des  exceptions  en  quelque  sorte  seront  ailleurs  l'objet  d'études  distinctes.  » 
(La  Taille  royale  au  XVIP  et  au  XVIII'  siècles,  p.  5,  n.  1.) 

5.  Dimier,  Les  préjugés  ennemis  de  ^histoire  de  Franee,  t.  II,  p.  114. 


280  LA    TAILLE    EN    NOHMANIMK. 

celles-ci  —  les  seules  qui  nous  intéressent  —  l'impôt  est  tou- 
jours levé  sur  l'ensemble  des  revenus  du  contribuable;  nulle 
part  la  taille  n'est  uniquement  mise  sur  les  immeubles.  Mais 
quant  à  l'assiette,  il  faut  distinguer  : 

1°  Les  pays  où  l'impôt  est  mis  sur  les  biens,  sans  égard  à  leur 
possesseur  :  ce  sont  le  Languedoc,  la  Provence,  le  Daup^iné, 
et  les  élections  d'Agen  et  de  Condom. 

2°  Les  pays  où  il  est  mis  sur  les  personnes  en  considération 
de  leurs  biens;  tel  est  le  cas  des  ressorts  des  Cours  des  aides 
de  Paris,  Clermont,  Dijon  et  Rouen.  Nulle  part  n'existe  une 
taille  levée  uniquement  sur  les  personnes. 

Dans  les  premiers,  la  taille  est  réelle,  dans  les  secondt  elle 
peut  être  appelée  à  volonté  personnelle  ou  mixte  :  les  deux 
mots  désignent  la  même  chose;  il  n'a  jamais  existé  concurrem- 
ment une  taille  personnelle  et  une  taille  mixte. 

Il  est  d'ailleurs  possible  d'expliquer  comment  on  a  créé  les 
deux  épithètes  pour  désigner  une  seule  espèce  de  taille  :  dais  le 
droit  romain,  les  juristes  trouvaient  la  grande  distinction  entre 
personne  et  res;  entre  l'imposition  sur  les  personnes  :  capitdio, 
census personarum,  et  l'imposition  sur  les  biens  :  census  agrorim  ; 
par  analogie  ils  créèrent  les  expressions  taille  personnelle  et  talle 
réelle;  mais  en  étudiant  de  plus  près  la  taille  dite  personnelle, Us 
reconnurent   qu'elle  n'était  pas  exactement  une  imposition  sir 
les  personnes,  puisqu'elle  tenait  compte  des  biens  possédés  ptr 
chacun;   ils  imaginèrent  donc  l'expression  plus  exacte  de  taille 
mixte,  mais  pour  désigner  toujours  le  même  impôt.  C'est  la  dua- 
lité des  expressions  qui  fut  la  source  de  toutes  les  confusions. 
En   Normandie,   la  taille   est  personnelle  **.  Nous  allons  voir 
comment  elle  est  répartie  entre  les  contribuables,  et  d'abord  qui 
on  entend  par  contribuables. 


II.  —   LES   FEUX.  CONDITIONS  D'AGE  ET  DE   SEXE 

L'unité  imposable  en  matière  de  taille  est  le  feu 2.  «  Les 
contributions  personnelles,  dit  Domat,  s'imposent  en  chaque 
ville  et  en  chaque  lieu  non  sur  chaque  personne  singulièrement, 
mais  sur  chaque  chef  de  famille3.  » 

On  a  souvent  dit  que  ce  mot  de  feu  était  une  expression  vague, 


1.  L'intendant  Voysin,  dans  son  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen,  mentionne 

dans  l'élection  de  Lyons,  où 
me  si  le  fait  était  prouvé,  on 


deux  fermes   appartenant  à  l'abbaye  de  Mortemer,  dans  l'élection  de  Lyons,  où 
l'on  prétend  que  la  taille  est  réelle  •  (p.  130).  Mé 


ne  pourrait  le  considérer  que  comme  une  anomalie. 

2.  Cet  usage  de  compter  par  feux,  qui  est  du  reste  conforme  à  la  nature  des 
choses,  puisqu'on  impose  le  revenu  et  que  l'on  compte  ensemble  tous  les  indi- 
vidus qui  font  bourse  commune,  se  trouve  dès  l'origine  de  l'impôt;  toujours 
l'aide  du  début  fut  répartie  par  feux,  d'où  le  nom  de  fouage. 

3.  Le»  îoix  civiles,  éd.  1756,  II,  p.  29,  col.  2. 


LES    FEUX.     CONDITIONS    D  AGE    ET    DE    SEXE.  281 

variable  suivant  les  auteurs  et  les  pays  :  ce  fait,  s'il  était  exact, 
serait  grave,  car  une  pareille  incertitude  non  seulement  empê- 
cherait de  faire  une  étude  plus  approfondie  de  la  répartition  de 
l'impôt,  mais  encore  aurait  entaché  d'un  vice  irrémédiable  cette 
répartition  elle-même1. 

On  ne  peut  soutenir  sans  doute  que  le  mot  feu  ait  eu  dans 
toute  la  France,  en  toutes  circonstances,  la  même  signification  : 
suivant  les  régions  il  désigne  telle  ou  telle  unité  d'imposition  2, 
mais  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner;  dans  tout  le  régime 
administratif  de  l'ancienne  France,  il  existait  des  variétés  locales 
semblables.  Il  s'agit  seulement  de  savoir  si,  pour  une  région 
déterminée,  le  mot  a  ou  non  un  sens  précis. 

Pour  la  Normandie,  il  est  incontestable  qu'on  trouve,  au 
xvnc  siècle,  une  définition  très  précise  du  feu.  Il  n'en  avait  toute- 
fois pas  toujours  été  ainsi.  Aux  Etats  généraux  de  1483,  une 
discussion  curieuse  s'était  élevée  entre  les  députés  de  la  pro- 
vince :  ceux  du  Cotentin  se  plaignaient  que  leur  pays  fût  imposé 
en  moyenne  à  6  1.  par  feu  tanais  que  le  bailliage  de  Rouen  ne 
payait  que  60  s.  tournois;  mais  les  députés  de  Rouen  répon- 
dirent, en  s'adressant  aux  députés  de  la  noblesse  pris  pour 
arbitres  du  débat  : 

«  Vous  savez  parfaitement,  très  vénérables  juges,  que  partout  chez 
eux  les  familles  s'arrangent  ainsi  :  auprès  du  même  foyer  et  du  même 
lit3  demeurent  ensemble  le  père  et  la  mère,  les  fils  et  leurs  femmes, 
les  filles  et  leurs  maris  avec  toute  leur  progéniture,  et  ils  vivent,  du 
moins  en  apparence,  à  une  seule  table  et  en  communauté  de  biens;  là 
il  n'est  pas  rare  de  trouver  un  aïeul  ayant  quatre  fils  et  brus,  autant 

1.  Voir  par  exemple  Bridrey,  Cahiers  du  Bailliage  de  Cotentin,  t.  I,  p.  83,  n.  1  : 
«  Il  est  fort  délicat  de  préciser  ce  qu'il  convient  d'entendre  en  1789  par  ce  mot 
de  feu...;  le  terme  suivant  les  régions  paraît  avoir  revêtu  des  significations  très 
différentes.  »  D'après  lui,  en  Cotentin,  le  mot  aurait  désigné  «  quelque  chose  de 
tout  matériel,  une  maison  d'habitation,  plus  précisément  peut-être  la  maison 
d'habitation  d'une  famille  »,  et  il  cite  une  phrase  du  lieutenant-général  de  Mor- 
tain  qui  ne  paraît  nuUement  probante;  il  serait  bien  surprenant  que  les  rédac- 
teurs des  procès-verbaux  d'assemblées  primaires  n'eussent  pas  pris  le  chiffre 
des  feux  sur  les  rôles  de  taille,  de  capitation  ou  de  gabelle.  Voir  aussi  Brette, 
Recueil  de  documents  relatifs  à  la  convocation  des  Etats  Généraux,  t.  I,  p.  242. 

2.  En  Languedoc  et  en  Provence,  où  la  taille  est  réelle,  il  désigne  une  base 
d'imposition,  sans  rapport  avec  l'étendue  des  terres  ou  le  montant  des  revenus 
de  la  circonscription.  En  Bourgogne  il  désigne  «  une  somme  numérique  com- 
posée d'une  quotité  fixe  de  livres  tournois.  Ainsi...  si  chaque  feu  est  évalué  à  72  1., 
un  village  composé  de  100  habitants  imposé  à  35  feux  paiera  pour  son  imposi- 
tion 2  520  1.  La  valeur  des  feux  varie  dans  cette  province  à  raison  de  la  quotité 
annuelle  des  impôts  à  répartir.  »  (Encyclopédie  Méthodique,  Finances,  au  mot  : 
Feu).  En  Bretagne,  «  la  dénomination  de  feu  n'emporte  aucune  idée  précise, 
quoique  autrefois  le  mot  feu  paraisse  a/oir  signifié  une  portion  de  terre  d'une 
valeur  et  d'une  étendue  déterminées,  puisqu'on  voit  qu'en  1392,  la  Bretagne 
renfermait  98  447  feux  assujettis  aux  tailles,  qu'on  appelle  fouages  en  cette  pro- 
vince. »  (Ibid).  En  Nivernais  enfin,  dans  les  communautés  taisibles,  où  plusieurs 
familles  ne  forment  qu'un  seul  ménage,  la  communauté  ne  compte  que  pour 
un  feu  :  «  le  maistre  de  communauté...  seul  est  nommé  es  roolles  de  tailles  el 
autres  subsides.  »  (Guy  Coquille,  Questions  et  réponses  sur  les  articles  des  cou- 
tumes, question  58.) 

3.  Var.  toît  (lecto-tecto). 


IM  LA    TAILLE    EN    NOHMÀNDIK. 

de  filles  et  de  gendres;  souvent  aussi  les  belles-mères,  les  petits 
enfants,  logent  ensemble.  Et  s'il  faut  parler  de  moi,  étant  à  Chue, 
bourg  du  bailliage  de  Gaen,  j'ai  vu  une  maison  tellement  remplie, 
qu'elle  renfermait  dix  couples  et  soixante  et  dix  âmes.  Extrêmement 
surpris  de  cet  entassement,  j'en  demandai  la  raison  :  ils  me  répon- 
dirent qu'ils  se  logeaient  souvent  de  cette  manière,  parce  qu'ils  crai- 
gnaient les  tailles,  car  si  chaque  personne  mariée  tenait,  comme  on 
dit  communément,  un  ménage  particulier,  ils  seraient  bientôt  forcés  à 
payer  une  plus  forte  taille....  Le  fait  que  nous  alléguons,  nous  nous 
engageons  du  reste  à  le  prouver  par  une  enquête  faite  de  bonne  foi1.  » 

Mais  il  est  clair  que  nous  sommes  ici  en  présence  de  commu- 
nautés taisibles,  semblables  à  celles  qui  subsistèrent  en  Niver- 
nais jusqu'au  milieu  du  xixe  siècle  :  c'était  un  cas  très  particulier 
qui  ne  se  rencontre  plus  au  xvne  siècle  en  Normandie,  du  moins 
on  n'en  trouve  aucune  trace  dans  les  documents  connus. 

On  ne  peut  douter  que  le  mot  feu  désignait  en  Normandie, 
comme  dans  le  ressort  de  la  Cour  des  aides  de  Paris,  «  une 
famille  composée  du  père,  de  la  mère,  ou  de  celui  qui  survit  à 
l'autre,  et  des  enfants  vivant  avec  eux  2»,  c'est-à-dire  l'ensemble 
des  gens  vivant  sous  le  même  toît,  à  la  même  table,  autour  du 
même  foyer.  Le  mot  du  reste  a  persisté  aujourd'hui  dans  le 
langage  administratif  :  lorsqu'il  s'agit  par  exemple  de  partager 
des  biens  communaux  (bois  ou  pâturages)  on  compte  par  feux, 
et  les  juristes  en  ont  donné  une  définition  précise3. 

On  ne  peut  identifier  les  mots  feu  et  maison4;  dans  une  ville, 
une  maison  comprend  généralement  plusieurs  feux  :  c'est  ce 
qu'explique  l'intendant  de  Rouen  en  1713  dans  un  état  des  feux 
de  sa  généralité  :  «  Les  feux  dans  Dieppe,  Rouen  et  Le  Havre 
sont  difficiles  à  prendre  autrement  que  par  maisons,  quoiqu'une 
maison  soit  souvent  occupée  par  plusieurs  ménages  qui  sont 
autant  de  feux5.  »  Inversement,  il  se  peut  que  plusieurs  maisons 
ne  forment  qu'un  feu  :  par  exemple  un  couvent,  si  grand  qu'il 
soit,  un  château  avec  ses  dépendances  et  les  logements  des 
domestiques6. 

Une  foule  de  cas  particuliers  relatifs  à  l'âge,  au  domicile,  à  la 

1.  Journal  de  Jean  Masselln,  p.  585. 

2.  Encyclopédie  Méthodique,  Finances,  nu  mot  (eu.  Voir  encore  les  définitions 
de  Guyot,  Répertoire  de  Jurisprudence,  Loisel  de  Boismnre,  Dictionnaire  du  droit 
des  Tailles,  Houard,  Dictionnaire  de  droit  normand,  au  même  mot. 

3.  Cf.  notre  Gode  forestier,  art.  105,  1°. 

4.  La  définition  donnée  par  Richelet  dans  son  Dictionnaire  en  1680,  Feu  =  maison 
est  inexacte.  Boisguilbert  identifie  plus  justement  les  feux  avec  les  cheminées 
(Détail  de  la  France,  éd.  de  1697,  p.  195).  Cf.  aussi  Dict.  de  V Académie,  1694  : 
«  Feu  signifie  aussi  un  mesnage,  une  famille  logée  dans  une  mesme  maison  : 
U  y  a  cent  feux  dans  ce  village  »  ;  Borrelli  de  Serres,  Recherches  sur  divers  ser- 
vices publics,  t.  III.  p.  392  (avec  les  autres  études  auxquelles  il  renvoie). 

5.  B.  N.  fr.  11  385,  P  1. 

6.  Voir,  par  exemple,  le  Dénombrement  par  feux  de  la  population  de  Coutances 
en  1689  dans  Quenault,  Recherches  archéologiques  sur  Coutances,  2*  éd.,  p.  45  : 
les  couvents,  le  palais  épiscopal  avec  ses  vingt  domestiques  ne  sont  comptés 
chacun  que  pour  un  feu. 


LES    FEUX.     CONDITIONS    D  AGE    ET    DE    SEXE.  283 

qualité  et  condition  des  personnes  ont  été  du  reste  soulevés  à 
propos  de  la  confection  des  rôles  de  tailles  pour  savoir  si  tel 
ou  tel  devait  être  compté  ou  non  pour  un  feu  :  on  est  ainsi  par- 
venu à  régler  un  certain  nombre  de  points  qui  vont  nous  donner 
une  définition  encore  plus  étroite  du  mot1. 

Un  feu  comprend  un  ménage,  mais  le  chef  du  ménage  seul  est 
inscrit  sur  les  rôles;  sa  femme,  ses  enfants,  ses  parents,  ses 
serviteurs  n'y  figurent  pas.  Dans  quelles  conditions  un  individu 
devrait-il  être  considéré  comme  chef  de  ménage,  et  d'abord  à 
partir  de  quel  âge? 

En  général  l'âge  où  un  individu  est  considéré  comme  faisant 
un  feu  est  celui  de  sa  majorité  :  mais  cet  âge  varie  suivant  les 
pays;  tandis  que  dans  le  ressort  de  la  Cour  des  aides  de  Paris, 
il  est  de  vingt-cinq  ans,  en  Lyonnais  il  est  de  dix-huit  ans,  et 
en  Normandie  de  vingt  ans.  En  ce  pays,  écrit  l'intendant 
d'Alençon  le  15  novembre  1666,  «  les  hommes  mariez  ou  non 
mariez  payent  la  taille  à  l'aage  de  vingt  ans  accomplis  et  non 
auparavant,  parce  que  l'on  est  majeur  en  Normandie  à  vingt 
ans2  ». 

La  preuve  de  l'âge  est  faite  par  un  extrait  du  baptistère 
délivré  par  le  curé 3.  A  défaut  de  cet  extrait,  la  preuve  par 
témoins  est  admise,  et  le  cas  se  présente  très  souvent*. 

Il  y  a  toutefois  des  cas  où  un  mineur  peut  être  considéré 
comme  chef  de  famille.  D'abord,  dans  le  ressort  de  Paris,  lors- 

\*  Je  ne  pose  pas  ici  la  question  si  un  feu  correspondait  à  un  nombre  déter- 
miné d'habitants;  c'est  ce  qui  a  préoccupé  la  plupart  de  ceux  qui  ont  cherché  la 
définition  du  mot,  comme  M.  Bridrey  dans  son  ouvr.  cité  plus  haut.  Mais  ce  point 
n'intéresse  pas  la  répartition  de  l'impôt.  Nous  avons  même  la  preuve  qu'un  feu 
ne  désignait  pas  un  nombre  fixe  d'individus  :  par  exemple,  Charles  Colbert 
écrit  de  Baugé  le  15  novembre  1664,  qu'à  la  suite  de  la  famine  des  années  précé- 
dentes beaucoup  de  gens  sont  morts,  et,  ajoute-t-il,  «  quoyque  le  nombre  des 
feux  ne  soit  pas  diminué,  celuy  des  personnes  l'est  beaucoup  »  (M.  C.  125,  f°  406). 
Cf.  le  mémoire  de  l'intendant  de  Bourges  en  1698,  Aff.  étr.,  France,  Mém.  et  doc, 
1753,  f°  254  :  le  nombre  des  personnes  par  feu  varie  de  3,8  à  5,1  suivant  les 
élections.  On  verra  ci-dessous  au  §  du  Domicile  que  certains  individus  sont 
comptés  comme  taillables  dans  une  paroisse  quoiqu'ils  n'y  habitent  pas,  ou 
inversement.  La  comparaison  des  rôles  de  taille  avec  les  rôles  de  gabelle,  où  les 
contribuables  sont  comptés  par  tête,  fournirait  des  faits  très  caractéristiques  à 
cet  égard  :  personne  jusqu'ici,  à  ma  connaissance,  ne  l'a  tentée.  Voir  les  dénom- 
brements d'individus  faits  en  1725  par  les  Fermiers  des  gabelles,  B.  N.  fr.  23  918. 
Les  chiffres  de  feux  donnés  dans  le  Dénombrement  du  royaume  de  Saugrain  (1709) 
sont  incertains  ;  l'auteur  le  déclare  lui-même  dans  son  Avertissement. 

2.  Lettre  à  Colbert,  Clairamb.,  791,  p.  92.  —  Mém.  alphabétique,  aux  mots  Aage 
et  Mineur  6°.  Voir  aussi  Lebret,  41e  action  dans  ses  Œuvres,  éd.  1689,  p.  541. 
En  Auvergne,  il  y  a  des  régions  où  «  le  bien  des  mineurs  paye  la  taille  »  (lettre 
de  l'intendant  à  Colbert  en  1666,  B.  N.  Clairamb.,  791,  p.  109).  L'âge  de  la  majo- 
rité en  Lyonnais  est  fixé  par  la  déclaration  du  6  août  1669  (C.  D.  T.,  t.  II,  p.  55). 
L'âge  de  la  majorité  en  Normandie  est  fixé  à  vingt  ans  par  la  coutume.  Voir 
Houard,  Dictionnaire  du  droit  normand;  Basnage,  La  coutume  réformée  du  païs 
et  duché  de  Normandie,  éd.  1694,  t.  II,  p.  212;  une  lettre  de  Barin  de  la  Galis- 
sonnière  à  Colbert,  14  novembre  1666,  Clairamb.,  791,  p.  89. 

3.  Voir  par  exemple  l'extrait  produit  par  Guillaume  le  Vavasseur  à  l'Election 
de  Falaise  le  22  mai  1677  (A.  D.  Calvados,  Election  de  Falaise,  Plumitif,  à  cette 
date.) 

4.  Cf.  ci-dessus,  p.  175,  Basnage,  pass.  cité  ci-dessus,  n.  2. 


M)  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

qu'il'  se  marie  :  on  l'a  vu  à  propos  de  l'édit  sur  les  mariages*. 
Ensuite,  s'il  l'ait  valoir  des  terres  pour  son  compte  :  Guillaume 
le  Bourgeois  est  impose  sur  les  rôles  de  Saint-Omer,  élection 
de  Falaise,  pour  l'année  1675,  quoiqu'il  n'ait  que  dix-neuf  ans 
(oui me  «  faisant  valoir  des  terres  qu  il  tient  à  ferme  dans  ladite 
paroisse  »;  il  intente  un  procès  à  la  communauté  devant  l'Elec- 
tion, mais  il  est  débouté  de  sa  demande  en  décharge  par  une 
sentence  du  12  décembre  1674;  le  tribunal  se  borne  à  réduire  sa 
cote  à  60  sous  (3  1.)*.  Mais  si  le  mineur  ne  fait  pas  valoir  par  ses 
mains  les  biens  qu'il  possède  en  propre,  il  n'est  pas  imposable. 
Tel  est  le  cas  de  celui  qui,  ayant  perdu  ses  parents,  est  en 
tutelle  :  le  tuteur  fait  valoir  ses  biens,  qui  ne  sont  pas  impo- 
sables, du  moins  l'auteur  du  Mémorial  alphabétique  déclare  que 
c'est  là  une  «  maxime  certaine'  ». 

Il  n'y  a  pas  d'âge  au  delà  duquel  on  cesse  d'être  taillable. 
«  Cette  maxime,  dit  le  Mémorial  alphabétique,  est  si  certaine  et 
si  triviale,  qu'il  n'y  a  que  ceux  qui  n'ont  aucune  teinture  de 
cette  matière  qui  puissent  l'ignorer*.  » 

Un  homme  marié  forme  toujours  un  feu  séparé,  même  s'il 
habite  avec  ses  parents  ou  ses  beaux-parents  5. 

Une  femme  qui  exploite  elle-même  ses  biens  n'est  pas  consi- 
dérée, en  principe,  comme  imposable  :  «  Les  filles,  écrit  l'in- 
tendant d'Alençon,  ne  payent  jamais  de  taille  jusque»  à  ce 
qu'elles  soient  mariées,  l'infirmité  du  sexe  qui  ne  se  peut 
défendre  des  oppressions  qu'on  leur  pourroit  faire  leur  a  rendu 
la  loy  favorable  en  cette  occasion.  »  Mais  en  même  temps  il 
désapprouve  cette  règle,  «  l'expérience  nous  faisant  connoistre 
que  quelqu'unes  par  leurs  commerces  sont  en  estât  de  payer  la 
taille,  et  principallement  S.  M.  souhaittant  engager  ses  subjets 
au  mariage  et  ordonner  que  les  filles  à  l'aage  de  vingt  ans 
payroient  la  taille  à   proportion  de  leurs  facultez8  ».  Tant  que 

1.  Cf.  ci-dessus,  p.  261-2.  Sur  l'usage  de  Paris  avant  16fi6  (et  après  1C83),  voir 
Ducrot,  Traité  des  Aydes,  Tailles  et  Gabelles,  p.  406,  avec  l'indication  d'un  arrêt 
de  la  Cour  des  aides  de  Paris  du  1"  décembre  1602. 

2.  À.  D.  Calvados,  Plumitif  de  l'Election  de  Falaise  à  cette  date. 

3.  «  Un  tuteur,  dit-il,  qui  fait  valoir  le  bien  de  ses  mineurs  n'est  pas  imposable 
parce  qu'il  doit  rendre  compte  à  ses  mineurs  et  dans  ce  compte  porter  en  recette 
tous  les  produits  du  bien  sur  quoi  la  dépense  doit  être  allouée.  En  sorte  que  le 
tuteur  ne  doit  faire  aucun  profit  sur  les  revenus  de  ses  mineurs  et  par  conséquent 
on  ne  le  peut  imposer  par  considération  de  ces  biens  dont  il  ne  jouit  que  comme 
simple  mandataire  ».  L'imposer  «  seroit  faire  porter  indirectement  la  taille  à  des 
mineurs  qui  n'en  doivent  point  »  ;  mais  il  cite  un  plaidoyer  de  l'avocat  général 
Dubois  en  sens  contraire  (Mémorial  alphabétique,  nu  mot  Tuteur)  ;  cf.  La  Poix  de 
Fréminville,  Traité  des  communautés  d'habitants,  p.  265. 

4.  Cependant  nous  voyons  Lemnistre  plaider  devant  la  Cour  des  Aides  de 
Paris  le  23  février  1635  pour  obtenir  la  décharge  de  taille  de  Jacques  Notet, 
vigneron  de  Saint-Martin-sur-Oreuse.  parce  qu'il  est  âgé  de  soixante-douze  ans. 
Il  est  vrai  qu'à  l'appui  de  sa  thèse  il  n'apporte  que  des  textes  du  Digeste  (Plai- 
doyers de  M.  Lemaistre,  2*  éd.,  1657,  p.  699-720). 

5.  Mem.  alphab.  p.  317.  Caumartin  relève  en  Champagne  l'usage  contraire, 
mais  il  le  considère  comme  irrégulier  (Depping,  III,  p.  171). 

6.  Lettre  à  Colbert  du  15  novembre  1666,  Clairamb.,  791,  p.  92. 


LE    DOMICILE.  285 

la  femme  est  mariée,  elle  ne  peut  être  comptée  comme  un  feu 
séparé;  c'est  son  mari  qui  est  imposé  pour  elle,  même  si  elle 
fait  valoir  des  biens  personnellement.  Quand  elle  est  séparée 
de  corps  et  de  biens  d'avec  son  mari,  elle  est  imposable,  du 
moins  en  Normandie  ;  mais  l'auteur  du  Mémorial  alphabétique 
soutient  le  contraire  pour  le  ressort  de  Paris  :  «  étant  en  puis- 
sance de  mari,  dit-il,  elle  n'est  point  sujette  aux  charges  de  la 
famille,  lesquelles  doivent  être  portées  par  le  mari  qui  en  est 
le  chef;...  dans  le  rôle  de  la  taille  et  du  sel  on  ne  doit  com- 
prendre que  ceux  qui  sont  sui  juris,  usans  et  jouissans  de  leurs 
droits  sans  dépendance  d'autrui1». 

Quand  une  femme  est  veuve,  elle  est  considérée  comme  chef 
de  famille  et  par  conséquent  comme  taillable  ;  mais  si  elle  se 
marie  en  secondes  noces,  elle  cesse  de  l'être. 

En  aucun  cas  plusieurs  contribuables  ne  peuvent  être  inscrits 
sous  une  même  cote  :  il  doit  y  avoir  autant  de  «  lignes  »  au 
rôle  que  de  feux2. 


III.   —   LE    DOMICILE 


En  Normandie,  le  contribuable  est  imposé  à  raison  de  ses 
biens  dans  la  paroisse  où  il  habite;  mais  lorsqu'il  a  des  terres 
en  différentes  paroisses,  doit-il  être  imposé  dans  chacune  de 
ces  paroisses,  ou,  au  contraire,  le  sera-t-il  uniquement  dans  celle 
de  son  domicile  pour  tous  ses  biens,  en  quelque  lieu  qu'ils 
soient  situés? 

Les  théoriciens  n'hésitaient  pas  sur  le  principe  :  le  contri- 
buable ne  devait  être  imposé  que  dans  la  paroisse  où  il  demeu- 
rait3. Les  tailles,  dit  Vieuille,  «  s'imposent  dans  les  paroisses 
sur  les  personnes  au  lieu  du  domicile  du  cottisé,  par  la  raison 
que  le  domicile  emporte  avec  soi  la  qualité  de  contribuable,  et 

1.  Mémorial  alphabétique,  art.  Femme  séparée  de  corps  et  de  biens.  L'auteur 
cite  différents  arrêts  de  la  Cour  des  Aides  de  1676  et  1683;  il  admet  toutefois  que 
si  la  séparation  est  frauduleuse,  destinée  à  éluder  le  paiement  de  la  taille  du 
mari,  on  peut  saisir  pour  le  paiement  de  la  taille  les  biens  que  la  femme  s'est 
appropriés.  Mais  plus  tard  la  jurisprudence  changera  (Déclaration  du  17  fé- 
vrier 1728;  cf.  Lapoix  de  Fréminvillc,  p.  267  et  Domat,  Œuvres,  éd.  1680,  II,  p.  29). 

2.  D'  Espeisses,  Œuvres,  éd.  1750,  t.  III,  p.  397,  cite  les  arrêts  sur  lesquels  est 
fondée  cette  jurisprudence. 

3.  Papon  écrit  :  «  Tailles  sont  estimées  plus  personnelles  que  réelles,  estans  les 
personnes  taillables  seulement  es  lieux  où  ils  ont  domicile  »  (Recueil,  éd.  1637, 
p.  265).  De  Merville  :  «  Ce  n'est  que  dans  la  parroisse  du  domicile  qu'un  habi- 
tant est  taillable  quoyqu'il  fasse  valoir  du  bien  en  plusieurs  et  différentes  par- 
roisses,  puisque  parmy  nous  les  tailles  sont  personnelles  quoyque  dues  ratione 
rei.  »  (Maximes  générales  sur  les  Tailles,  p.  5'*.)  Bacquet  écrit  pareillement 
qu'  «  en  France  »  on  n'est  «  tenu  payer  la  taille  qu'en  une  seule  paroisse,  encore 
qu'on  ait  plusieurs  biens  et  héritages  en  diverses  paroisses,  parce  que  les  tailles 
ne  sont  pas  pures  réelles  comme  au  païs  de  Languedoc,  mais  sont  mixtes  et  cen- 
sées plûtost  personnelles  que  réelles  ».  (Traité  des  droits  de  justice,  chap.  VIII, 
§  15,  dans  ses  Œuvres,  éd.  de  Ferrière,  t.  I,  p.  30.) 


286  LA    TAILLE     EN     NORMANDIE. 

■M  la  taille  étant  mixte,  la  |x trfOÎUM  comme  le  plus  noble  doit 
remporter  sur  la  situation  des  biens1  ».  La  Cour  des  Aides  de 
Paris  a  même  reconnu  ce  principe  dans  plusieurs  de  ses  arrêts* 
ainsi  le  15  juillet  1573,  elle  disait  que  l'on  ne  devait  «  asseoir  plus 
les  biens  à  cause  des  personnes,  ains  les  personnes  à  cause  des 
bif  g"  »  et  le  9  juillet  1678  :  «  La  taille  a  été  personnelle  dans 
sun  origine,  elle  n'a  point  cessé  de  l'être...  c'est  de  Va  que  dérive 
le  droit  qu'ont  toujours  eu  et  qu'ont  toujours  les  contribuables 
de  n'être  imposés  que  dans  le  lieu  de  leur  domicile'  ». 

Mais  l'application  de  ce  principe  était  difficile  :  d'abord  les 
asséeurs  ne  pouvaient  aisément  connaître  la  consistance  et  la 
valeur  des  biens  possédés  par  un  contribuable  loin  de  leur 
paroisse;  en  outre,  une  paroisse  était  taxée,  au  département, 
suivant  ses  ressources  apparentes  :  étendue  du  territoire,  valeur 
des  récoltes,  etc.  ;  si  son  impôt  n'était  pas  levé  sur  ces  revenus, 
la  répartition  devenait  profondément  injuste,  une  paroisse  dont 
les  terres  étaient  exploitées  par  des  forains  se  trouvait  écrasée, 
une  autre  dont  les  habitants  avaient  leurs  exploitations  au 
dehors  était  trop  peu  imposée.  Aussi  l'usage  s'était-il  introduit, 
dès  le  xvie  siècle,  dans  les  ressorts  de  Paris  et  de  Clermont, 
d'imposer  un  contribuable  dans  chacune  des  paroisses  où  il 
avait  des  biens*. 

En  Normandie,  on  avait  pendant  longtemps  respecté  la  règle 
de  la  contribution  en  un  seul  lieu  :  le  président  du  Parlement  de 
Rouen  l'expliquait  aux  Etats  de  la  province  le  17  novembre  1572  : 

«  S.  M.  veut  que  les  habitants  de  la  province  contribuables  à  la  taille 
étant  cottisez  en  la  paroisse  où  ils  font  leur  demeure,  ne  pourront 

1.  Traité  des  Elections,  p.  15.  Cf.  Domat,  Œuvres,  éd.  1756,  II,  p.  30. 

2.  Dans  Guénois,  Conférence  des  ordonnances,  t.  II,  p.  1  455,  n. 

3.  Cité  dans  Moreau  de  Beaumont,  t.  Il,  p.  17. 

4.  Dans  le  ressort  de  la  Cour  des  Aides  de  Paris,  on  admettait  qu'un  contri- 
buable fût  imposé  au  lieu  de  son  domicile  uniquement  pour  les  biens  qu'il  culti- 
vait dans  la  paroisse,  et  en  outre  dans  la  paroisse  où  il  exploitait  des  fermes  à 
raison  du  revenu  de  ces  fermes;  il  pouvait  ainsi  se  produire  qu'un  même  individu 
fût  cotisé  en  2,  3,  4  paroisses  et  même  davantage.  Dans  le  ressort  de  la  Cour  des 
Aides  de  Clermont,  «  la  maxime  est  que  les  cottisables  qui  demeurent  dans  un 
lieu  taillable  et  qui  font  valoir  dans  une  autre  des  héritages  qui  font  corps  de 
domaine,  payent  la  taille  au  lieu  de  leur  domicile  et  encore  au  lieu  où  ils  font 
valoir  ces  héritages  ù  proportion  du  profit  qu'y  pourroit  faire  un  fermier  ». 
(Mémoire  de  l'intendant  de  Marie  à  Colbert,  9  septembre  1676,  Clairambault, 
797,  p.  29).  Il  ajoute  que  dans  la  province  on  n'avait  pas  de  définition  exacte  de 
l'expression  «  corps  de  domaine  »  :  «  Messieurs  de  la  Cour  des  Aydes  n'y  ont  jamais 
voulu  establir  des  reigles  certaines,  préférans  en  cela  l'autorité  de  leurs  charges 
au  bien  et  au  soulagement  des  peuples.  »  Chaque  élection  s'était  fait  un  usage  à 
elle  ;  dans  celle  de  Riom  on  entendait  par  là  une  maison  et  20  séterées  de  terre,  dans 
celle  de  Clermont  50  séterées,  dans  celle  de  Brioude  10  séterées,  dans  celle  d'Au- 
rillac  une  maison  et  des  terres  valant,  toutes  charges  déduites,  50  1.  de  revenu,  etc., 
c'est  là,  dit-il,  une  source  d'embarras  pour  les  collecteurs  qui  souvent  ne  savent 
s'ils  doivent  imposer  les  taillables  uniquement  «  sur  le  pied  des  terres  qu'ils 
font  valoir  dans  la  parroisse  de  leur  domicile  ou  s'ils  doivent  faire  réflexion  et 
considération  sur  les  terres  qu'ils  font  valoir  dans  les  paroisses  voisines  et  con- 
tigties  ■  ;  enfin  les  privilégiés  en  profitaient  pour  exploiter  en  franchise  plus  de 
terre  que  ne  leur  permettait  le  règlement. 


LE    DOMICILE.  287 

estre  cottisez  hors  lesdites  paroisses,  quelques  fermes  qu'ils  tiennent 
ailleurs  audit  pays,  n'ayant  S.  M.  entendu  que  la  commission  de 
Tannée  passée  ait  lieu,  sinon  pour  les  horsains  prenant  fermes  à  la 
province  et  pour  les  habitants  des  villes  franches  et  pour  les  exempts, 
lesquels  seront  mis  à  la  taille  pour  le  regard  desdites  fermes1.  » 

Mais  cet  usage  avait  été  troublé  par  le  règlement  des  tailles 
de  janvier  1634,  qui  étendait  à  la  Normandie  l'usage  de  Paris; 
par  son  art.  37,  il  prescrivait  en  effet  que  «  les  habitans 
demeurans  es  villes  et  lieux  taillables,  qui  auront  pris  à  ferme 
quelques  terres  et  métairies  hors  le  détroit  de  la  paroisse  de 
leur  résidence,...  [fussent]  imposés  en  la  paroisse  de  la  situation 
d'icelle,  outre  la  taille  qu'ils  doivent  au  lieu  de  leur  demeure 
pour  le  surplus  de  leurs  biens  et  facultez  ».  La  Cour  des  aides 
de  la  province,  en  vérifiant  l'édit,  crut  devoir  rétablir  l'usage 
local  :  «  Les  naturels  taillables  »  ne  pourront  être  «  imposez 
qu'en  une  seule  paroisse,  conformément  à  l'usage  de  la  pro- 
vince2 »,  et  au  mois  de  décembre  suivant  les  Etats  appuyèrent 
de  leurs  vœux  cette  demande3. 

Lorsque  les  commissaires  au  régalement  des  tailles  institués 
par  l'édit  vinrent  en  Normandie,  ils  appliquèrent  à  la  lettre 
l'art.  37,  tandis  que  la  Cour  des  aides  continuait  de  suivre 
sa  jurisprudence;  il  en  résulta  un  conflit  dont  les  commissaires 
demandèrent  la  solution  au  roi  :  l'arrêt  du  conseil  du  20  jan- 
vier 1635  ordonna  l'exécution  de  l'édit  «  sans  s'arrester  aux 
arrests  de  la  Cour  des  Aides  qui  seroient  contraires  à  iceluy4  ». 
Mais  en  même  temps  dans  sa  réponse  au  cahier  des  États, 
le  roi  disait  qu'il  entendait  maintenir  sur  ce  point  l'usage  de 
la  province.  On  se  trouvait  donc  en  présence  de  deux  règles 
contradictoires.  Il  semble  cependant  que  le  règlement  de  1634 
fut  plus  généralement  suivi,  car  en  novembre  1643  les  Etats  se 
plaignent  à  nouveau  de  ce  que  l'on  impose  les  contribuables 
«  en  autant  de  roolles  et  de  lieux  comme  ils  y  ont  de  biens, 
soit  à  ferme,  ou  en  propriété,  contre  l'usage  de  la  province  qui 
ne  veut  qu'un  particulier  soit  taxé  en  diverses  paroisses,  mais 
seulement  au  lieu  de  son  domicile,  lequel  se  règle  par  le  chan- 
gement de  l'octroy  ».  Mais  cette  fois  il  leur  est  répondu  que 
les  intendants  sont  chargés  de  pourvoir  à  la  difficulté  signalée 
«  conformément  au  dernier  règlement  des  tailles5  ». 

1.  Dans  de  Beaurepaire,  Cahiers,.,  règne  de  Charles  IX,  t.  I,  p.  272.  Voir  aussi 
Labarre,  Formulaire  des  Esleuz,  chap.  v*. 

2.  Règlements  de  Normandie,  p.  111.  a.- 

3.  Cahiers,  art.  33  dans  de  Beaurepaire,  t,  III,  p.  27. 

4.  Mémoire  des  Commissaires  au  régalement  et  arrêt  du  conseil  du  20  jan- 
vier 1635,  art.  2.  (A.  mun.  Rouen,  183,  pièce  3.) 

5.  De  Beaurepaire,  Cahiers,  règnes  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  t.  III,  p.  108. 
Dans  le  ressort  de  la  Cour  de  Paris,  on  relève  de  pareilles  contradictions  dans  les 
divers  règlements  promulgués  à  cette  époque  :  deux  arrêts  du  conseil  des  14  juil- 
let 1643  et  26  septembre  1644  ordonnent  que  dans  ce   ressort  les   contribuables 


LA    TAILLE    EN    XOHMANDIE. 

En  1660  dans  la  déclaration  qui  ordonnait  le  changement 
d'octroi',  le  roi  décida  de  revenir  à  l'usage  local  : 

«  Kt  d'autant  que,  suivant  l'usage  de  la  province,  les  contribuables 
aux  tailles  ont  toujours  esté  imposés  en  la  paroisse  où  ils  sont  natu- 
rels taillables,  [pour  leurs  biens]  tant  de  leur  propre  que  d'acquisition, 
mesme  hors  leur  paroisse,  élection  ou  généralité....  Nous  voulons 
qu'ils  ne  puissent  estre  imposés  à  l'avenir  qu'en  un  seul  et  même  lieu, 
à  raison  de  tout  leur  bien,  en  quelque  lieu  qu'il  soit  assis  et  situé  en 
ladite  province2.  » 

Ce  régime  fut  suivi  en  Normandie  aussi  longtemps  que  per- 
sista le  système  du  changement  d'octroi,  avec  lequel  il  s'accor- 
dait; mais  lorsqu'on  eut  renoncé  a  l'octroi,  on  l'ut  graduelle- 
ment amené   à  introduire    l'usage  de  Paris. 

En  premier  lieu  la  déclaration  du  3  mars  1671  ordonna  que 
«  ceux  qui  après  avoir  transféré  leur  domicile  d'une  paroisse 
en  une  autre  ne  délaisseront  de  faire  valoir,  cultiver  et  exploiter 
les  terres,  fermes  et  héritages  qu'ils  auront  quittez...  seront 
imposez  et  taxez  en  chacune  desdites  paroisses  à  raison  du 
profit  qui  se  peut  faire  sur  lesdites  fermes  et  héritages,  dont 
les  fruits  d'iceux  seront  tenus3  ».  Puis  la  déclaration  du 
20  août  1673  prescrivit  (art.  26)  que  «  ceux  qui  exploiteront  des 
héritages  dans  deux  élections  et  généralitez  différentes,  paieront 
la  taille  en  l'une  et  en  l'autre  s  ils  sont  de  condition  taillable, 
à  proportion  des  impositions  et  de  leurs  occupations*».  Enfin 
l'arrêt  du  conseil  du  24  février  1674  spécifia  que  le  double 
domicile  serait  admis  même  si  les  deux  élections  n'apparte- 
naient pas  à  des  généralités  différentes5.  Ainsi,  à  partir  de  1674, 
la  pluralité  de  domiciles  d'imposition  fut  admise  en  Normandie 
lorsqu'il  s'agissait  de  biens  possédés  dans  plusieurs  élections, 
mais  à  l'intérieur  d'une  même  élection,  l'unité  de  domicile  était 
conservée. 

seront  imposés  uniquement  an  lien  de  leur  domicile  pour  tous  leurs  biens  et 
facultés  (  li.  N.  fr.  21  419,  p.  159).  C'est  un  des  nombreux  exemples  de  désordre 
dans  le  gouvernement  d'alors. 

1.  Voir  ci-dessous,  p.  294. 

2.  A.  D.  Calvados  C,  Bureau  des  finances. 

3.  Règlements  de  Normandie,  p.  175.  L'application  de  cette  nouvelle  règle  sou- 
leva des  difficultés,  signalées  en  1672  par  l'intendant  de  Rouen  (Clairamb.,  793, 
p.  665). 

4.  Règlement*  de  Normandie,  p.  182. 

5.  Les  taillables  ne  seront  <  imposez  qu'es  lieux  de  leurs  demeures  encore  qu'ils 
exploitent  des  héritages  h  la  campagne,  soit  de  leur  propre  ou  à  ferme  d'autrui, 
à  la  charge  que  dans  les  rooles  lesdits  habituns  y  seront  compris,  tant  à  cause  de 
leur  industrie  et  commerce  que  du  profit  qu'ils  pourront  faire  sur  les  héritages 
qu'ils  exploiteront  dans  le  lieu  de  leur  demeure  et  autres  paroisses,  pourvu  que 
ce  soit  en  même  eslection  ».  Cet  article  est  à  rapprocher  de  l'arrêt  du  conseil  du 
5  janvier  1665  qui  spécifie  pour  la  Cour  des  Aides  de  Taris,  que  «  les  taillables 
qui  sortiront  d'une  élection  pour  aller  dans  une  autre  voisine  payeront  la  taille 
es  parroisses  d'où  ils  seront  sortis,  et  dans  lesquelles  ils  continueront  d'exploiter 
les  fruits  des  héritages  qu'ils  faisoient  valoir  lors  de  leur  délogement  >  suivant 
l'art.  56  du  règlement  des  tailles  de  1634.  (Clairamb.,  659,  p.  244.) 


LE    DOMICILE.  289 

Cette  réglementation  souleva  des  difficultés  graves  que  l'inten- 
dant de  Rouen,  de  Marillac,  expose  au  contrôleur  général  le 
5  octobre  1684  *  :  «  Il  n'y  a  rien  de  si  commun  dans  la  géné- 
ralité de  Rouen,  dit-il,  que  de  voir  des  habitans  d'une  ville 
ou  d'une  parroisse  prendre  des  fermes  et  faire  des  terres  dans 
une  autre  parroisse,  ou  prendre  les  dixmes  d'une  parroisse 
voisine  de  celle  de  sa  demeure,  et  ordinairement  les  bourgeois 
des  villes  prennent  à  ferme  des  pasturages  voisins  ou  font  valoir 
les  héritages  qu'ils  ont  en  propre  dans  la  campagne  »  ;  or  les 
ordonnances  de  1671  et  1673,  qui  devraient  être  appliquées  en 
ce  cas,  sont  contrariées  par  un  arrêt  du  conseil  du  30  août  1674 
qui  prescrit  de  mentionner  dans  les  rôles  les  exploitants  forains 
imposés  dans  la  paroisse;  certaines  Elections  s'en  autorisent 
pour  faire  imposer  chaque  taillable  dans  tous  les  lieux  où  il 
cultive  des  terres,  «  en  sorte  que  la  jurisprudence  sur  ce  point 
a  esté  fort  incertaine  ».  En  outre,  on  est  fort  embarrassé  avec 
la  pluralité  de  domiciles  pour  fixer  le  chiffre  de  .chaque  paroisse  : 
il  est  à  peu  près  impossible  à  un  intendant  de  tenir  compte,  au 
département,  des  exploitants  non  domiciliés  :  «  on  n'entre  point 
dans  ces  détails-là,...  ils  sont  trop  grands  »;  il  faudrait  donc 
«  que  chacun  [fût]  imposé  dans  la  paroisse  où  il  exploite  », 
même  à  l'intérieur  d'une  seule  élection.  «  On  scait  bien,  ajoute 
Marillac,  que  cela  est  contraire  aux  règlements,  mais  aussy  il 
y  a  ces  tempéraments-cy  à  y  apporter  »  ;  sans  doute  la  règle 
posée  par  les  édits  a  du  bon  ;  on  ne  voulait  «  pas  exposer 
un  taillable  à  estre  imposé  en  deux  endroits,  parce  que  les 
•habitans  de  la  parroisse  où  il  exploite  et  où  il  ne  fait  pas  sa 
demeure  n'estans  pas  retenus  par  les  considérations  qu'ilz  ont 
pour  ceux  qui  passent  dans  la  collecte,  chargeroient 
excessivement  ces  exploiteurs-là  qui  seroient  réduits  à  n'oser 
exploitter  de  terres  hors  la  parroisse  de  leur  demeure,  ce  qui 
seroit  de  grande  conséquence  pour  la  valeur  des  fonds  de  terre 
qui  diminuroient  si  les  seuls  habitants  de  la  parroisse  pouvoient 
les  affermer,  et  si  la  crainte  d'une  taille  excessive  en  détournoit 
tous  les  autres  laboureurs  et  habitants  du  pays  »  ;  mais  ces 
avantages  sont  compensés   et  au  delà  par  les    abus    constatés. 

Pour  éviter  que  le  contribuable  fût  surtaxé  là  où  il  ne  demeure 
pas,  il  faudrait  établir  un  rapport  fixe,  par  exemple  2  s.  par  livre, 
entre  sa  cote  de  taille  et  le  prix  du  fermage  ou  le  revenu  des 
terres  qu'il  possède  en  propre.  Il  y  a  urgence,  ajoute  l'inten- 
dant, à  prendre  des  mesures  sur  ce  point,  car  de  grands  abus 
sont  commis  actuellement  : 

«  Presques  dans  toutes  les  parroisses  il  y  a  des  exploitants  ou  occu- 
pans  (comme  ilz  parlent  en  Normandie),  dont  le  domicile  est  en 
d'autres  parroisses,  et  tous  ces  occupans  ont  esté  cy-devant  employez 


1.  A.  N.  G?  492. 

LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


19 


Hl  LA    TAILLE    EN    NOUMAN  DI  K  . 

dans  les  roolles  des  deux  parroisses  de  leur  domicile  et  de  la  parroisse 
où  ilz  occupent  :  et  il  est  de  la  connoissance  particullière  que  M.  de 
Marillac  a  prise,  que  la  pluspart  des  parroisses  ne  pouroient  payer 
leur  taille  si  on  les  empesche  de  comprendre  dans  leurs  rolles  les 
exploiteurs  domiciliiez  en  d'autres  parroisses.  II  est  d'une  nécessité 
absolue  de  souffrir  que  les  parroisses  qui  les  ont  imposez  les  années 
dernières  en  tirent  du  secours....  Jusques  icy  on  n'a  pas  taxé  en  la 
parroi3se  du  domicilie  les  exploitans  en  d'autres  parroisses  comme  ilz 
auroient  deu  l'estre  à  raison  de  leurs  exploitations;  ilz  ont  esté 
ménagez  parce  qu'on  les  voyoit  taxez  excessivement  dans  les  par- 
roisses où  ils  occupent,  et  il  est  certain  que  ce  règlement  proposé 
n'aportera  pas  une  si  considérable  diminution  dans  les  parroisses  du 
domicilie  où  ils  payeront  leur  taille  ordinaire,  que  la  deffense  absolue 
de  les  imposer  dans  la  parroisse  où  ils  exploitent  y  aporteroit  de 
déchet  et  de  perte.  » 

On  ferait  toutefois  exception  pour  les  terres  «  égrenées  », 
c'est-à-dire  celles  «  qui  dépendent  d'une  ferme  dont  le  manoir 
est  clans  une  autre  parroisse,  ou  bien  des  terres  dépendantes 
d'un  marché  sans  manoir  dont  la  principale  quantité  est  dans 
une  parroisse  »  ;  celles-là  ne  payeraient  rien  dans  la  paroisse  où 
elles  sont  situées,  à  condition  que  leur  étendue  ne  dépassât  pas 
12  acres.  D'ailleurs,  dit-il,  «  il  n'y  en  a  pas  quantité  dans  les 
parroisses1  ». 

L'intendant  de  Caen  juge  également  cette  réforme  nécessaire, 
au  moins  dans  un  cas  particulier  qu'il  expose  au  contrôleur 
général  le  8  juin  1685 8  :  dans  la  paroisse  de  Varaville,  sise  à  trois 
lieues  de  Caen,  presque  toutes  les  terres  sont  possédées  par  des 
bourgeois  de  Caen  qui,  depuis  quelques  années,  les  ont  affer- 
mées, non  à  des  habitants  de  Varaville,  mais  à  des  taillables  des 
paroisses  voisines,  parce  que  les  collecteurs  de  Varaville  avaient 
«  imposé  à  des  sommes  excessives  les  bourgeois  de  Caen  qui 
faisoient  valoir  leurs  héritages  ».  Les  fermiers  ayant  obtenu  de 
n'être  pas  imposés  à  Varaville,  conformément  au  règlement,  il 
en  est  résulté  que  les  habitants  du  lieu  ont  été  accablés  par 
leurs  impôts;  tandis  qu'antérieurement  ils  payaient  aisément 
1800  1.  de  taille,  actuellement  ils  ne  sont  imposés  qu'à  1218  1., 
et  néanmoins  comme  ils  «  ne  sont  qu'au  nombre  de  45  et  pres- 
que tous  pauvres,  ils  ne  peuvent  porter  cette  somme  ».  La  dif- 
ficulté se  complique  du  fait  que  les  terres  affermées  étant  des 
herbages,  les  fermiers  changent  presque  tous  les  ans,  et  souvent 
les  baux  ne  sont  pas  encore  faits  au  moment  où  le  rôle  devra 
être  terminé.  Il  conviendrait  donc  que  l'on  renonçât  à  appliquer 
le  règlement,  sinon  dans  toute  la  généralité,  du  moins  à  Vara- 
ville. Tous  les  intéressés  d'ailleurs  «  conviennent  de  contribuer 

1.  On  voit  que  de  Marillac  propose  le  système  du  «  corps  de  domaine  »  usité 
en  Auvergne  (cf.  ci-dessus,  p.  286,  n.  4). 

2.  A.  N.  G'  213. 


LE    CHANGEMENT    D  OCTROI.  291 

sur  un  certain  pied  à  l'imposition  de  cette  parroisse,  scavoir 
les  bourgeois  de  Caen  sur  le  pied  de  2  s.  pour  livre  de  la  valeur 
de  leurs  exploitations,  et  ceux  des  autres  parroisses  à  raison  de 
1  s.  6  d.  ». 

A  la  mort  de  Colbert  la  question  n'était  donc  pas  réglée,  et 
elle  ne  le  fut  jamais  par  la  suite  :  il  y  eut  toujours  des  diffi- 
cultés sur  la  question  des  contribuables  exploitant  des  terres 
hors  de  leur  paroisse. 


IV.   —  LE    CHANGEMENT   D'OCTROI 

Quand  un  contribuable  changeait  de  domicile,  devait-il  être 
imposé  dès  la  première  année  dans  la  paroisse  où  il  venait 
s'établir?  Il  en  était  ainsi  dans  le  ressort  de  la  Cour  de  Paris, 
mais  en  Normandie  il  en  était  tout  autrement  :  on  y  pratiquait 
le  système  du  changement  d'octroi,  qui  a  été  bien  défini  par  la 
Cour  des  Aides  de  Rouen  en  1600  : 

Dans  ce  pays,  dit-elle,  «  les  personnes  sorties  d'une  paroisse  pour 
demeurer  en  autre  dans  ladite  province,  sont  continuez  en  leur  assis 
es  lieux  où  ils  ont  été  premièrement  imposez,  jusques  à  ce  que  par 
V.  M.,  par  ses  lettres  de  commission  pour  la  tenue  des  Etats,  il  soit 
ordonné  du  changement  de  contribution  à  raison  du  domicile  changé  : 
ce  que  l'on  appelle  audit  pais  changement  d'octroi,  et  n'avient  quelques 
fois  de  10  ans  en  10  ans,  combien  que  lesdits  Etats  [se]  tiennent  et 
assemblent  chacun  an,  car  quant  à  ceux  qui  sortent  de  ladite  province, 
ils  y  demeurent  néanmoins  contribuables,  quelques  demeures  qu'ils 
puissent  faire  hors  icelle,  et  par  quelque  temps  que  ce  soit,  et  comme 
il  est  porté  par  lettres  patentes  du  roi  François  Ier,  données  à  Pigni  le 
23  décembre  1535 *.  » 

Ainsi,  un  contribuable  était  imposé  dans  la  paroisse  où  il  se 
trouvait  à  une  certaine  date  ou  bien  lorsqu'il  avait  commencé 
à  être  taillable;  et  cela  durait,  même  s'il  changeait  de  domi- 
cile, jusqu'à  ce  qu'un  autre  changement  d'octroi  fût  ordonné 
par  le  roi. 

D'après  le  président  La  Barre,  on  pouvait  faire  porter  le  chan- 
gement soit  sur  une  seule  élection,  soit  sur  une  seule  généralité, 
soit  sur  toute   la  province;    mais   en   réalité   tous   les   change- 

1.  Règlements  de  Normandie,  p.  55.  —  Voir  une  autre  définition  semblable 
dans  le  Mémoire  de  l'intendant  Voysin  en  1665,  p.  85  et  dans  le  Formulaire  des 
Esleuz,  de  La  Barre,  p.  223  et  suiv.  ;  ce  dernier  donne  l'explication  de  l'expression 
«  changement  d'octroi  »  :  Les  impôts,  dit-il,  «  sont  consentis  par  les  Etats  de 
la  province  et  le  roi  octroyé  de  les  lever  »,  c'est  pourquoi  «  on  les  nomme  d'oc- 
troy,  du  consentement  réciproque  ».  Voysin  dit  aussi  et  plus  simplement  que  ce 
système  est  appelé  ainsi  parce  que  «  la  taille  et  autres  impositions  s'appelloient 
autrefois  l'octroi  ».  La  taille  avait  encore  conservé  ce  nom  d'«  octroi  »  en  Languedoc 
au  xvme  siècle  (Moreau  de  Beaumont,  Mém.  sur  les  impositions,  II,  p.  121). 


LA   TAILLE    EN    xoit.M wun:. 

menti  ordonnés  portèrent,  semble-t-il,  sur  la  province  entière'. 

Comme  l'usage  était  spécial  à  la  Normandie,  il  était  impoi 
sible  d'opérer  le  changement  avec  les  provinces  voisines,  de 
BOrtfl  que,  comme  le  dit  la  Cour  des  aides,  tout  contribuable 
imposé  une  lois  en  Normandie,  le  demeurait  toujours.  L'ititen- 
dant  Voysin  cite  l'exemple  curieux  d'un  nommé  Le  Tellier  qui, 
établi  comme  capitaine  major  à  l'île  Saint-Christophe,  ne  cessait 
pas  néanmoins  d'être  imposé  dans  l'élection  de  Pont-1'Evèque, 
«  quoique  le  bien  qu'il  y  possède  soit  tenu  a  ferme  par  sa  sœur 
qui  est  imposée  pour  raison  de  ce  aussi  de  son  chef2  ».  Cette 
pratique  était  particulièrement  indispensable  dans  le  voisinage 
de  la  Bretagne,  où,  comme  on  l'a  vu,  beaucoup  de  contribuables 
étaient  tentés  d'aller  se  réfugier  pour  se  soustraire  à  l'impôt;  en 
ce  cas  La  Barre  explique  comment  la  règle  était  avantageuse  à  la 
Normandie,  car  «  à  toutes  occasions  [les  taillables]  se  jettent  en 
Bretagne  à  l'abry,  cuidans  par  ce  moyen  évader  aux  tailles... 
mais  on  ne  les  desrolle  jamais,  ains  les  fait-on  payer  leur  taux 
toute  leur  vie  si  on  trouve  de  quoy  exécuter3  ».  Aussi  dès  le 
début,  dans  les  lettres  patentes  de  1535,  avait-il  été  spécifié 
que  les  contribuables  qui  sortiraient  de  Normandie  y  demeure- 
raient néanmoins  toujours  imposés*. 

Le  procédé  de  laisser  un  taillable  domicilié  toute  sa  vie  au 
même  lieu  quelle  que  fût  sa  résidence  effective,  aurait  eu  de 
grands  avantages  au  point  de  vue  fiscal6;  chaque  changement 
d'octroi  était  en  effet  l'occasion  de  fraudes  :  certains  contri- 
buables transféraient  leur  domicile  dans  des  villes  franches  ou 
abonnées6,  d'autres  se  faisaient  dérôler  de  leur  paroisse  sans 
se  faire  enrôler  dans  une  autre,  d'autres  encore  s'arrangeaient 
pour  obtenir  de  leurs  concitoyens,  par  la  menace  d'un  délogc- 
ment,  une  faible  imposition  : 

«  Lorsqu'on  s'imagine  qu'il  doit  arriver  un  changement  d'octroy,  écrit 
l'intendant  Voysin  de  la  Noiraye,  les  taillables  font  des  changemens  de 

1.  La  Barre  dit  que  le  changement  à  l'intérieur  de  chaque  élection  seulement  Tut 
ordonné  en  1599  après  les  troubles;  un  changement  à  l'intérieur  de  chaque  généra- 
lité aurait  été  fait  en  1611  ;  enfin,  dit-il,  des  changements  importants  sur  toute  la  pro- 
vince ne  se  font  pas  «  pour  le  peu  de  personnes  qui  vont  et  passent  de  généralité 
en  généralité  »,  mais  en  tout  ceci  La  Barre  semble  bien  commettre  des  erreurs; 
tous  les  changements  que  nous  connaissons  portent  sur  l'ensemble  de  la  province. 

2.  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  86. 

3.  Cependant,  quelques  lignes  plus  haut,  La  Barre  estime  que  la  franchise  des 
Bretons  n'est  pas  si  considérable  qu'on  pourrait  le  croire,  car,  dit-il,  «  on  leur 
fait  boire  en  récompense  le  vin  de  France  qui  y  est  conduit  bien  chèrement  >; 
malgré  cela  l'abondance  des  translations  de  domiciles  en  Bretagne  et  les  mesures 

Î irises  pour  en  éviter  les  effets  prouvent  que  la  Bretagne  était  réellement  privi- 
égiée  (cf.  ci-dessus,  p.  265). 

4.  Voir  les  lettres  patentes  du  23  décembre  1535,  A.  N.  AD'  18. 

5.  Les  inconvénients  apparaissent  aussi  clairement  :  les  collecteurs  ne  pouvaient 
aHer  percevoir  l'impôt  sur  des  contribuables  domiciliés  au  loin  ;  ceux-ci  ne  passaient 
jamais  à  la  collecte  dans  la  paroisse  où  ils  étaient  imposés,  et  par  contre  ils  assis- 
taient à  des  assemblées  où  ils  n'avaient  pas  d'intérêt.  Enfin,  les  saisies  et  exécu- 
tions, les  procès  étaient  beaucoup  plus  difficiles  et  plus  coûteux. 

6.  Voir  ci-dessus,  p.  270. 


LE    CHANGEMENT    d'oCTROI.  293 

demeure  et  se  retirent  assez  souvent  d'une  grande  parroisse  en  laquelle 
ils  tiennent  des  fermes  et  vont  dans  une  plus  petite  qui  porte  moins 
de  taille  et  qui  est  protégée  pour  tascher  de  se  faire  soullager  ;  ils  y 
portent,  lorsqu'ils  y  deviennent  taillables,  la  somme  à  laquelle  ils 
estoient  imposez  en  la  parroisse  qu'ils  quittent,  laquelle  on  descharge 
de  pareille  somme  lorsqu'on  règle  le  changement  d'octroy;  cela  faict 
qu'un  particulier  qui  devient  taillable  lorsqu'il  devient  majeur  (ce  qui 
arrive  en  Normandie  à  l'aage  de  20  ans)  prend  soing  et  affecte  de 
demeurer  lorsqu'il  acquiert  ses  ans  de  majorité  dans  une  petite  par- 
roisse de  laquelle  il  se  rend  contribuable,  et  ensuite  prend  sa  demeure 
et  de  grandes  fermes  dans  une  autre  parroisse  où  on  ne  peut  l'impo- 
ser. Cet  usage  faict  qu  il  est  beaucoup  plus  dificile  que  dans  les 
autres  provinces  de  faire  le  département  des  tailles  avec  toute  la  jus- 
tice et  l'égalité  qu'on  peut  désirer1.  » 

En  outre,  chaque  changement  fait  naître  une  multitude  de 
procès;  les  collecteurs  ont  peine  à  recouvrer  les  sommes  dues 
par  les  contribuables  domiciliés  loin  de  leur  paroisse;  avant  le 
changement,  on  surcharge  les  particuliers  qui  vont  être  rayés 
du  rôle,  pour  que  la  paroisse  soit  plus  fortement  diminuée  ;  des 
mineurs  vont  acquérir  leur  majorité  en  de  petites  paroisses 
pour  être  moins  imposés;  enfin  la  répartition  des  indemnités 
en  cas  de  grêle,  incendie  ou  logement  de  gens  de  guerre  est  très 
difficile  2. 

L'intérêt  du  roi  serait  donc  de  ne  jamais  autoriser  le  change- 
ment. Mais  l'intérêt  des  contribuables  est  tout  opposé;  c'est 
pourquoi  les  demandes  de  changement  étaient  toujours  faites  par 
les  Etats  de  la  province.  Ainsi  en  février  1638,  ils  représentaient 
au  roi  que 

«  le  changement  d'octroy  est  un  remède  nécessaire  aux  difficultez 
que  ressentent  les  collecteurs  des  tailles  à  se  faire  payer  de  ceulz  dont 
les  domiciles  sont  transferez  non  seulement  de  parroisse  en  autre, 
mais  d'eslection  en  eslection,  et  à  la  ruine  des  contribuables  qui 
sentent  leur  faix  aggravé  par  les  courses  des  huissiers  et  voyages 
pour  le  payement  de  ce  qu'ils  bailleroient  sans  frais,  s'ils  le  mettoient 
en  la  recepte  de  la  parroisse  où  ils  font  leur  demeure  3  ». 

Le  roi  se  faisait  beaucoup  prier  avant  de  céder  à  ces  demandes  ; 
un   changement  prononcé  par  lettres  patentes    du  30  septem- 

1.  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen,  p.  86-87. 

2.  Voysin  signale,  en  compensation,  der.x  avantages  :  la  province  conserve 
toujours  ses  contribuables,  et  les  gentilshommes  ont  moins  de  facilités  à  faire 
soulager  leurs  fermiers  par  les  collecteurs;  mais  ces  avantages  sont  bien  maigres, 
et  ils  pourraient  être  obtenus  d'autre  façon. 

3.  Dans  de  Beaurepaire,  Cahiers,  règnes  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  t.  III, 
p.  69-70,  cf.  le  Cahier  de  février  1658,  art.  14  :  <■  Pour  délivrer  les  pauvres  col- 
lecteurs des  peines  et  des  frais  qu'ils  font  à  courir  après  leurs  taillables  en 
diverses  paroisses,  et  quelques  fois  fort  éloignées,  ensemble  pour  faciliter  l'accé- 
lération des  deniers  de  vos  tailles,  nous  demandons  le  changement  d'octroy...  » 
(ibid.,  Supplément,  p.  8.) 


294  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

bre  1638  avait  été  ajourné  à  1640  *;  un  autre  fut  autorisé  par 
déclaration  du  10  août  1647  2.  Dans  le  règlement  des  tailles  du 
16  avril  1643,  le  roi  avait  décidé  qu'à  l'avenir  en  Normandie  il 
serait  procédé  au  changement  d'octroi  «  de  trois  en  trois  ans*  ». 
mais  le  règlement  n'avait  pas  été  reçu  dans  la  province,  et  les 
choses-  étaient  demeurées  en  l'état.  C'est  seulement  en  1660 
qu'un  nouveau  changement  fut  prescrit;  il  devait  être  le  dernier. 
La  déclaration  du  24  février  1660  qui  l'ordonna  fait  connaître 
les  motifs  pour  lesquels  le  roi  l'autorisait  et  réglemente  en 
détail  la  façon  dont  il  devait  être  effectué4.  Le  point  essentiel 
est  que  l'opération  enregistrera  le  domicile  réel  des  contrit 
buables  au  31  décembre  1659,  en  d'autres  termes  que  tout 
contribuable  sera  considéré  jusqu'au  prochain  changement 
comme  domicilié  là  où  il  était  le  31  décembre  1659.  (Le  choix 
d'une  date  antérieure  à  la  déclaration  était  fait  pour  empêcher 
les  fraudes.)  Les  habitants  de  chaque  paroisse  se  réuniront  en 
assemblée  et  dresseront  la  liste  des  contribuables  sortis  de  leur 
paroisse,  avec  le  chiffre  d'impôt  payé  par  chacun  en  1660 5. 
Cette  liste  sera  envoyée  aux  élus  qui  résumeront  dans  un  tableau 
tous  les  changements  survenus  dans  leur  élection  6.  Mais,  à  la 
différence  de  ce  qui  s'était  passé  pour  les  changements  précé- 
dents, les  élus  seront  contrôlés  par  l'intendant,  qui  revisera  leur 
tableau  et  s'en  servira  pour  faire  le  département  des  tailles.  Si 

1.  Hunger,  Histoire  de  Verton,  p.  272; 

2.  Indiquée  dans  C.  d.  T.,  t.  I,  p.  319;  cf.  un  arrêt  du  conseil  du  15  décembre  1649 
et  un  arrêt  de  la  Cour  des  aides  de  Normandie  du  4  février  1630  avec  un  état  des 
translations  de  domicile  faites  dans  l'élection  de  Gaen,  dressé  le  19  décembre  1650, 
A.  D.  Calvados,  élection  de  Caen. 

3.  Art.  i'6  dans  C.  d.  T.,  I,  p.  392.  —  Par  le  même  article  le  roi  déclarait  qu'il 
maintenait  le  système  du  changement  d'octroi  dans  la  province;  il  revenait  ainsi 
sur  l'art,  du  règlement  de  janvier  1634  par  lequel  l'usage  du  ressort  de  Paris 
était  consacré  et  établi  dans  tous  les  pays  de  taille  personnelle,  mais  les  com- 
missaires au  régalement  des  tailles  envoyés  en  Normandie  à  la  suite  de  ce 
règlement  avaient  demandé  au  roi  s'il  entendait  bien  déroger  à  l'usage  de  la 
province,  et  par  l'arrêt  du  conseil  du  20  janvier  1635,  le  roi  déclarait  «  que  son 
intention  n'a  point  esté  d'abroger  par  ledit  Ecdict  ce  qui  a  esté  en  nos  regards 
observé  de  tout  temps  et  jusque»  à  présent  en  ladite  province  de  Normandye  » 
(art.  I",  A.  Mun.  Rouen  183,  pièce  3). 

4.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen. 

5.  Voici,  par  exemple,  le  procès-verbal  de  l'assemblée  des  habitants  de  Rots 
dans  l'élection  de  Caen,  du  17  juillet  1661  ;  il  y  est  dit  que  l'assemblée  a  été  con- 
voquée «  pour  nommer  les  occupons  et  labourans  les  héritages  de  la  parroisse 
de  Rots,  et  premièrement  les  parroissiens  de  Saint-Manvieu,  Bretteville-l'Orguel- 
lieuze,  les  parroissiens  de  Lacour-Royel,  Saint-Louet  et  Authie,  Franqueville, 
lesquels  labourent  les  deux  tiers  dudit  terroir,  et  les  bourgeois  qui  labourent 
leurs  héritages  (suivent  6  noms)  et  mesme  de  ceux  qui  dérogent  (2  noms)  suivant 
le  mandement  à  nous  envoyé  par  Messieurs  les  présidents  et  lieutenants  généraux 
de  lu  Cour  des  Aides  du  Parlement  de  Rouen.  »  (A.  Mun.  Rots  BB  4,  f°  169.)  — 
On  voit  que  l'assemblée  n'eut  lieu  qu'un  an  et  demi  après  la  déclaration  du  chan- 
gement d'octroi  :  c'est  un  exemple  de  la  négligence  apportée  par  l'administration 
à  exécuter  les  ordres  du  gouvernement. 

6.  Je  n'ai  trouvé  aucun  des  états  dressés  dans  les  élections  en  1660,  mais  il  en 
existe  un  de  l'élection  de  Caen  dressé  à  la  suite  du  changement  de  1648;  cet  état, 
daté  du  19  décembre  1650,  porte  seulement  les  contribuables  que  perd  l'élection; 
il  contient  au  total  186  noms  dont  l'imposition  était  de  2  016  1.  19  s.  6  d.  (A.  D. 
Calvados,  Election  de  Caen.) 


LE    CHANGEMENT    D  OCTROI.  29  5 

dans  les  déclarations  faites  par  les  paroisses  il  y  a  eu  des  fraudes 
délogements  fictifs,  omissions,  falsifications  de  cotes,  etc.,  les 
intendants  seuls  en  connaîtront  et  y  remédieront  lors  du  dépar- 
tement. Les  contestations  entre  particuliers  ou  entre  paroisses 
seront  jugées  par  les  Elections,  mais  en  appel  les  contribuables 
ne  pourront  se  pourvoir  que  devant  l'intendant  de  la  généralité, 
«  afin  d'estre  icelles  contestations  et  differens  terminés  sommai- 
rement et  en  dernier  ressort  et  sans  frais  ». 

La  Cour  des  aides,  dépossédée,  ne  manqua  pas  de  protester 
contre  cette  «  commission  souveraine  »  donnée  aux  intendants  ; 
elle  envoya  au  roi  une  délégation  pour  demander  «  que  les  com- 
missaires départis  dans  les  généralitez  ne  pourront  entreprendre 
ni  connoître  d'aucune  matière  concernant  la  juridiction  con- 
tentieuse  de  ladite  cour1  »,  et  elle  obtint  une  demi-satisfac- 
tion par  l'arrêt  du  Conseil  du  28  mai  1661  qui  limitait  au 
31  mars  1662  la  durée  de  la  commission  des  intendants,  les 
parties  devant,  après  cette  date,  «  se  pourvoir  en  première  ins- 
tance par-devant  les  élus  et  par  apel  en  ladite  Cour  des  Aides, 
sans  qu'elle  puisse  ordonner  aucune  chose  contre  les  jugemens 
rendus  par  lesdits  sieurs  commissaires  ».  Mais  ce  délai  donné 
aux  intendants  était  suffisant  pour  terminer  le  plus  grand 
nombre  des  affaires,  et  ils  firent  diligence  pour  y  parvenir  : 
celui  de  Caen,  par  un  mandement  du  18  février  1662,  ordonna 
à  toutes  les  paroisses  de  la  généralité  d'avoir  à  se  pourvoir 
par-devant  lui  avant  le  31  mars  suivant2. 

Ces  procès  furent  très  nombreux;  ils  entraînaient  les  paroisses 
à  des  dépenses  considérables.  La  plupart  étaient  causés,  sui- 
vant l'intendant  de  Caen,  par  les  «  envois  mal  faits,  changemens 
de  noms,  erreurs  et  obmissions  trouvées  dans  les  qualitez  et 
demeures  desdits  contribuables  envoyez  d'élection  en  élection  et 
de  parroisse  en  autre  »  ;  les  élus  ayant  condamné  de  nombreuses 
paroisses  à  restituer  à  d'autres  les  impôts  des  tàillables  mal 
dérôlés,  le  recouvrement  de  ces  sommes  cause  «  des  frais 
extraordinaires  dans  lesdites  parroisses,  tellement  éloignées  les 
unes  des  autres,  que  les  collecteurs  d'icelles  sont  souvent  obligez 
de  faire  jusques  à  dix  et  quinze  lieues  de  leurs  demeures,  plus 
ou  moins,  pour  recevoir  les  impôts  desdits  contribuables,  ce  qui 
les  consomme  en  frais  et  apporte  du  retardement  au  recouvre- 
ment des  deniers  de  S.  M.  et  mesme  la  perte  d'iceux3...  » 

1.  Règlements  de  Normandie,  p.  122. 

2.  A.  D.  Calvados,  Election  de  Caen,  Registre  d'Ordonnances  de  1656-1663, 
f°  466,  imprimé.  Il  semble  que  l'arrêt  du  28  mai  1661  n'ait  pas  été  appliqué  exac- 
tement :  nous  trouvons  encore  une  ordonnance  de  l'intendant  de  Caen,  datée  du 
29  décembre  1662,  relative  aux  procès  soulevés  par  le  changement  d'octroi  :  il 
ordonne  aux  paroisses  d'envoyer  à  ses  bureaux  la  liste  des  jugements  qu'il  a 
antérieurement  rendus  sur  la  matière  «  pour  en  estre  par  nous  dressé  des  estats 
et  pourveu  sur  les  charges  et  décharges  desdites  paroisses  au  prochain  départe- 
ment. »  (Ibid.) 

3.  Mandement  du  18  février  1662,  cité  plus  haut. 


pM  LA    TAILLE    BN    NORMANDIE. 

Ces  procès,  comme  tous  les  autres,  furent  interminables.  A  la 
lin  de  [665,  l'intendant  de  Rouen  écrit  qu'ils  ne  sont  pas  encore 
réglés  «  après  deux  années  de  procédures  devant  l'intendant  et 
deux  autres  en  la  Cour  des  aydes  '  »  ;  en  1669,  les  commissions 
des  tailles  de  la  même  généralité  portent  encore  que  la  paroisse 
de  Morainville,  de  l'élection  de  Conches,  sera  augmentée  de 
183  1.  au  profit  de  celle  de  Droizy  «  pour  le  taux  du  nommé 
Léonnard  Foucault,  envoyé  en  ladite  paroisse  de  Drouesy  par 
les  habitant  dudit  Morainville  lors  du  dernier  changement 
d'octroy  ». 

Les  intendants  de  Normandie,  après  l'expérience  de  1660, 
s'accordèrent  à  condamner  le  système.  On  a  déjà  vu  les  raisons 
données  par  Voysin  de  la  Noiraye  en  1665.  Le  27  juin  1669, 
son  collègue  de  Caen,  Chamillart,  écrivait  à  Colbert  : 

«  Dans  l'examen  que  je  fais  avec  les  collecteurs  de  Testât  de  chacune 
parroisse,  je  trouve  que  le  plus  grand  abus  procède  du  changement 
d'octroy,  et  comme  vous  m'avez  faict  l'honneur  de  me  demander  mon 
advis  sur  ce  sujet  dès  l'année  dernière,  et  qu'aprez  avoir  conféré  avec 
MM.  les  trésoriers  de  France  et  eleus,  et  avec  les  receveurs  généraux 
et  particulliers,  j'ay  trouvé  que  tous  d'une  voix  blâment  cet  establis- 
sement  et  sont  d'advis  que  l'usage  de  la  Cour  des  Aydes  de  Paris  est 
beaucoup  meilleur,  lequel  se  practique  en  cette  généralité  pour  l'impo- 
sition du  sel,  je  vous  l'ay  envoie  suivant  vostre  ordre.  Je  crois  que 
vous  trouverez  à  propos  de  faire  reflection  sur  cet  article,  comme 
très  important  pour  le  recouvrement  des  deniers  de  la  taille  2.  » 

Son  collègue  d'AIençon  partageait  cette  opinion;  mais  le 
système  trouva  aussi  des  défenseurs  :  nous  en  avons  l'indice 
par  la  note  suivante,  écrite  par  Marin  en  marge  de  la  lettre 
de  Chamillart  :  «  Monsieur  le  Contrôleur  général  est  convenu 
de  surceoir  cette  résolution  sur  les  difTérendz  advis;  la  chose 
mérite  bien  d'y  penser.  »  Enfin  le  changement  d'octroi  fut  con- 
damné, et  la  déclaration  du  3  mars  1671  étendit  l'usage  de 
Paris  à  la  Normandie.  Dans  le  préambule,  le  roi  explique  les 
motifs  de  cette  détermination  : 

«  Aiant  fait  examiner  en  nôtre  Conseil  les  diférens  réglemens  faits 
pour  les  tailles  de  notre  province  de  Normandie  en  ce  qui  touche  les 
changemens  d'octrois...,  étant  à  craindre  que  la  continuation  de  cet 
usage  ne  les  fît  augmenter  par  la  multiplication  des  procès  qui  s'in- 
tentent fréquemment,  à  cause  des  charges  et  décharges  qu'il  faut 
faire  des  paroisses  lors  de  l'imposition  de  nos  tailles,  selon  qu'elles 
ont  perdu  ou  gagné  d'habitans,  par  les  renvois  qui  se  font  des  taux  et 
cottes  de  ceux  qui  sont  sortis  d'une  paroisse  pour  aller  demeurer  en 

1.  M.  C.  131,  f>  76. 

2.  M.  G.,  153"4*,  f°  831.  Encore  le  15   octobre  1670,  il  insistait  pour  faire  aup- 

{>rimer  le  changement  d'octroi  «  et  establir  le  mesme  ordre  pour  le  payement  de 
a  taille  que  celui  qui  s'observe  dans  le  ressort  de  la  Cour  des  Aydes  de  Paris  ». 
(Clairamb.  792,  p.  353,  analyse  de  sa  lettre.) 


LE    CHANGEMENT    D  OCTROI  297 

une  autre  dans  les  temps  portés  par  nos  lettres  patentes  de  change- 
ment d'octroi;  et  d'ailleurs,  dans  la  suite  du  temps,  la  plupart  des 
habitants  des  paroisses  ne  se  trouvant  plus  imposez  au  lieu  de  leur 
domicile,  et  s'établissans  en  différentes  paroisses  écartées,  il  est  impos- 
sible aux  collecteurs  de  les  suivre  pour  faire  la  collecte  de  nos  deniers, 
sans  faire  des  frais  excessifs  qui  excédent  souvent  les  taux  des  particu- 
liers, comme  étant  obligez  pour  s'en  faire  paier  de  soutenir  plusieurs 
procès  en  diverses  élections  qui  leur  sont  faits  par  la  malice  des  contri- 
buables aux  tailles,  espérans  par  ce  moien,  comme  il  arrive  ordinai- 
rement, faire  perdre  ausdits  collecteurs  le  courage  de  faire  de  plus 
grandes  poursuites,  et  les  obliger  par  ces  longueurs  et  chicanes  de 
paier  leurs  taux  en  pure  perte  et  de  leurs  deniers,  dont  ordinaire- 
ment s'ensuit  non  seulement  la  ruine  entière  desdits  collecteurs,  mais 
aussi  la  surcharge  de  nos  pauvres  taillables  par  l'inégalité  en  la  cotte 
des  particuliers  éloignez  de  la  demeure  des  collecteurs  pour  n'avoir 
une  connoissance  entière  des  biens  et  facultez  des  taillables,  ni  de 
leur  trafic  et  industrie,  lesquels  abus  retardent  non  seulement  le 
recouvrement  de  nos  deniers,  mais  encore  causent  la  ruine  entière 
de  nosdits  sujets...  » 

En  conséquence,  l'usage  du  changement  d'octroi  est  sup- 
primé; à  l'avenir  les  taillables  payeront  leurs  impôts  «  aux  lieux, 
paroisses  et  élections  où  ils  seront  domiciliez  »  ;  pour  1672,  ils 
payeront  dans  les  paroisses  où  ils  demeuraient  à  la  date  du 
31  décembre  1670;  ceux  qui  changeront  de  domicile  seront 
tenus  de  suivre  les  prescriptions  appliquées  dans  le  ressort  de 
la  Cour  des  aides  de  Paris  :  ils  devront  faire  publier  leur  chan- 
gement dans  la  paroisse  qu'ils  quittent  avant  le  1er  septembre  de 
chaque  année,  et  déclarer  à  l'élection  dans  laquelle  ils  entrent 
«  qu'ils  partent  d'une  telle  paroisse;  combien  ils  y  paioient  de 
taille;  quelle  vacation  ils  y  professoient;  si  laboureurs,  à  com- 
bien de  charues  et  à  qui  elles  apartenoient;  »  ensuite  de  quoi, 
ils  auront  acquis  leur  domicile  dans  la  nouvelle  paroisse  au  bout 
d'un  an  et  un  jour  s'ils  sont  laboureurs,  de  deux  ans  s'ils  sont 
artisans  ou  manouvriers. 

Ces  prescriptions  furent  complétées  par  les  articles  9  et  10  du 
règlement  du  20  août  1673  :  les  déclarations  faites  par  les  con- 
tribuables dans  la  paroisse  qu'ils  auront  quittée  devront  être 
inscrites  le  15  septembre  au  plus  tard  sur  un  registre  paraphé, 
déposé  au  greffe  de  l'Election;  les  procès  intentés  pour  ce  motif 
devront  être  jugés  avant  le  31  décembre,  sinon  les  intéressés 
payeront  leur  impôt  dans  les  deux  paroisses  à  la  fois;  même 
pénalité  si  la  déclaration  n'est  pas  faite  avant  le  1er  septembre 
(art.  27).  Une  modification  à  ce  règlement  fut  faite  par  l'ordon- 
nance du  22  août  1674,  qui  prolongeait  jusqu'au  1er  octobre  le 
délai  de  publication  du  délogement. 

Un  contribuable  nouveau-venu  dans  une  paroisse  étant  exposé 
à  être  surchargé,  soit  parce  que  les  collecteurs  connaissaient 
mal  ses  ressources,  soit  simplement  parce  qu'il  était  étranger  à 


298  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

la  localité,  le  même  règlement  du  20  août  1G73  fît  défense  de 
l'imposer  la  première  année  à  une  somme  plus  élevée  que  celle 
qu'il  payait  dans  son  ancien  domicile,  «  sinon  a  proportion  »t 
au  sol  la  livre  de  l'augmentation,  sauf  aux  habitans  en  cas  de 
fraude  de  donner  leurs  mémoires  pour  [le]  faire  taxer  d'office 
raisonnablement  »  (art.  28). 

L'introduction  de  ce  nouvel  usage  dans  la  province  bouleversa 
le  département  de  la  taille  '.  Les  intendants  des  trois  généralités 
et  le  procureur  général  de  la  Cour  des  Aides  se  réunirent  en 
conférence  pour  arrêter  les  mesures  à  prendre  dans  l'application 
de  la  réforme  2.  Le  règlement  des  difficultés  soulevées  par  tous 
les  cas  particuliers  coûta  beaucoup  de  peine;  Barin  de  la  Galis- 
sonnière  écrit  le  2  septembre  1671  :  «  En  vérité  ce  travail  est 
extraordinairement  long,  et  particulièrement  dans  les  grandes 
eslections,  ce  que  je  n'aurois  pas  creu  si  je  n'en  avois  esté  con- 
vaincu par  ce  qui  se  fait  dans  l'eslection  de  Rouen  et  dans  celle 
d'Arqués.  »  Néanmoins,  à  cette  date,  son  travail  est  très  avancé  : 

«  Il  ne  nous  manque  plus,  dit-il,  que  le  Pont-de-1'Arche,  dont  les 
officiers  n'ont  ny  sens  ny  raison  ;  ils  m'ont  néanmoins  fait  espérer  que 
samedy  ils  me  remettroient  entre  les  mains  Testât  des  changemens 
arrivez  dans  leur  département.  Il  y  a  aussy  quelque  chose  qui  manque 
pour  Andely,  et  ce  qui  est  de  plus  embarrassant,  est  que  le  plus 
intelligent  des  receveurs  des  tailles  est  mort  depuis  deux  jours. 
J'espère  envoyer  vers  le  8  ou  le  9  de  ce  mois  l'état  des  changements 
arrivés  dans  toute  la  généralité  à  M.  Marin  3.  » 

Mais  le  lendemain  il  écrit  que  le  travail  durera  plus  long- 
temps qu'il  ne  pensait  :  c'est  seulement  le  27  septembre  qu'il 
envoie  l'état  annoncé*.  Pareillement  l'intendant  d'Alençon  écrit 
le  18  janvier  1672  que  «  l'affaire  qui  lui  donne  à  présent  le  plus 
d'occupation  dans  sa  généralité  est  l'exécution  de  la  déclaration 
concernant  la  révocation  du  changement  d'octroi3  ». 

Les  translations  de  domicile  étaient  en  effet  partout  extrème- 

1.  Cf.  le  tableau  des  «  entrons  et  sortons  »  de  la  paroisse  d'Acquigny  (élection 
de  Pont  de  l'Arche)  à  la  suite  de  la  révocation  du  changement  d'octroi  :  sur 
environ  180  feux  (185  en  1G65  :  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  166),  il  y  a 
15  sortants,  imposés  ù  174  1.,  et  19  entrants,  imposés  à  212  1.  :  le  mouvement 
porte  donc  sur  le  cinquième  environ  des  contribuables  (A.  D.,  S.-Inf.,  C,  2  215). 

2.  Le  13  avril  1671,  l'intendant  d'Alençon,  de  Marie,  écrit  à  Colbert  qu'il  vient 
de  conférer  avec  son  collègue  de  Rouen  (Clairambault,  792,  p.  628),  et  le  7  sep- 
tembre suivant  il  envoie  à  Colbert  «  un  projet  de  règlement  sur  le  sujet  de  la 
translation  de  domicile  avec  les  observations  de  MM.  de  la  Galissonnière,  Cha- 
millart  et  Le  Camus,  procureur  général  »  (Ibid.,  793,  p.  93);  dès  le  15  juin  1671, 
l'intendant  de  Caen  avait  rendu  une  ordonnance  séparée  pour  sa  généralité  (men- 
tion en  est  fuite  dans  le  mandement  aux  paroisses  du  4  octobre  1673),  l'intendant 
de  Rouen,  La  Galissonnière,  envoie  également  ù  Marin,  le  27  septembre  1671,  son 
projet  de  règlement  pour  les  mutations  d'élection  à  élection  (Clairamb.,  793,  p.  99). 

3.  M.  C.  157,  f  410. 

4.  M.  C.  157"*,  f  563  et  570.  L'état  manque. 

5.  Analyse  de  sa  lettre  dans  Clairambault,  793,  p.  320. 


LE     CHANGEMENT    D  OCTROI.  299 

ment  nombreuses,  les  contribuables  y  trouvant  un  moyen  pour 
frauder  le  fisc  :  il  faudrait,  écrit  La  Galissonnière  le  27  sep- 
tembre 1671,  «  oster  à  ces  sortes  de  gens  l'esprit  de  changer,  ce 
qu'ils  font  très  souvent  par  une  pure  ignorance  et  dans  la 
pensée  de  se  soulager,  et  ce  qui  les  consomme  en  frais  et  en 
procédure1  ».  Les  changements,  d'ailleurs,  intéressaient  non  seu- 
lement le  département  entre  les  paroisses  et  les  élections,  mais 
aussi  celui  des  généralités,  normandes  ou  non,  et  il  entraînait 
un  remaniement  dans  les  chiffres  portés  par  les  commissions  des 
tailles.  Pour  y  remédier,  La  Galissonnière  proposait,  le  26  sep- 
tembre 1671,  de  rendre  un  arrêt  du  Conseil  pour  dégrever  les 
élections  qui  perdaient  de  l'impôt,  sinon  cette  année  même,  du 
moins  les  années  suivantes2. 

Une  autre  difficulté  résultait  de  la  perpétuelle  rivalité  entre 
la  Cour  des  aides  et  les  intendants.  Un  arrêt  du  conseil  du 
22  avril  1671  avait  enjoint  à  ces  derniers  «  de  juger  sommai- 
rement en  dernier  ressort  et  sans  frais  pendant  l'année  présente 
et  la  prochaine  seulement  les  contestations  et  différens  qui 
pouroient  naistre  au  sujet  des  domiciles  des  taillables3;  »  à  la 
suite  de  cet  arrêt,  l'intendant  de  Rouen  avait  ordonné  aux 
contribuables  d'introduire  leurs  instances  devant  lui,  ou,  en  son 
absence,  devant  le  sieur  Duchemin,  son  subdélégué4;  ses  deux 
collègues  de  Normandie  en  avaient  fait  de  même  ;  mais  la  Cour 
des  Aides  avait  élevé  d'énergiques  protestations  contre  cette 
«  usurpation  »,  et  une  fois  passé  le  délai  fixé  par  l'arrêt  du 
22  avril  1671,  elle  ordonna  que  les  procès  relatifs  aux  transla- 
tions de  domicile  qui  n'avaient  «  point  été  jugez  par  lesdits 
commissaires  départis  ou  leurs  subdéléguez  auparavant  ledit 
jour  dernier  mars  an  présent  »,  et  ceux  qui  naîtraient  à  l'avenir 
devraient  être  poursuivis  en  première  instance  aux  Elections  et 
en  appel  devant  elle5.  Toutefois,  l'intendant  de  Caen  prétendit, 
malgré  les  ordonnances,  conserver  après  1673  le  jugement  de 
ces  procès.  Dans  son  mandement  aux  paroisses  du  1er  août  1678, 
il  écrit  : 

«  Parce  que  les  translations  de  domicile  causent  une  infinité  de  procès, 
qui  consomment  les  communautés  en  frais,  nous  avons,  pour  les  éviter, 
résolu  de  juger  lesdites  translations  avec  les  officiers  des  eslections  au 
temps  du  département,  afin  de  comprendre  au  bas  des  mandements 
qui  vous  seront  envoyés,  ceux  qui  seront  à  enroller  ou  déroller.  C'est 
pourquoy  nous  vous  enjoignons  de  vous  trouver  et  faire  trouver  le 

1.  M.  G.  157  bis,  f°  570. 

2.  Ibid.,  f°  563. 

3.  Mandement  de  l'intendant  de  Rouen  aux  paroisses  pour  la  taille  de  1672, 
préambule;  cf.  une  lettre  de  Michel  Colbert  du  1er février  1672,  Clairambault,  793, 
p.  334. 

4.  A.  D.  Seine-Inférieure,  G  2  215. 

5.  Arrêt  du  19  mai  1673.  A.  D.  Calvados,  Élection  de  Caen,  Registre  d'Ordon- 
nances, à  sa  date. 


300  LA    TAILLB    EN     XOHMANDIE. 

sieur  curé  de  votre  paroisse,  lors  de  la  visite  et  chevauchée  que  feront 
le9  officiers  de  votre  eslection,  pour  rendre  raison  des  entrans  et 
sortans  de  votre  parroisse,  afin  que  lesdits  officiers  nous  en  informent 
lors  du  département  prochain,  et  qu'il  y  soit  par  nous  pourvu1.  » 

Son  zèle  n'eut  d'ailleurs  pas  grands  résultats  :  quatre  ans 
après,  il  déplorait  encore  la  multiplicité  des  procès  et  le  peu  de 
zèle  mis  par  les  élus  à  les  terminer  : 

«  Par  la  déclaration  de  1673,  art.  9,  il  est  porté  qu'à  faute  par  les 
particuliers  qui  voudront  transférer  leur  domicile  d'avoir  exécuté  et 
jugé  contradictoirement  leur  translation  dans  le  temps  porté  par  les 
précédens  réglemens,  ils  payeront  leurs  taux  es  deux  parroisses  où 
ils  se  trouveront  taxez.  Le  peu  d'aplication  que  les  officiers  des 
eslections  et  notamment  les  présidens  et  procureurs  du  roy  ont  eu  à 
faire  exécuter  cet  article  a  causé  une  infinité  de  procez  et  de  confusion 
dans  les  translations  de  domicile,  parce  que  la  plus  grande  partie  des 
particuliers  ne  font  leur  déclaration  de  vouloir  changer  de  domicilie 
que  pour  se  prévaloir  des  deffenses  portées  par  la  mesme  déclaration 
art.  28  de  hausser  ceux  qui  ont  fait  signiffier  leursdites  déclarations, 
en  sorte  qu'après  la  confection  du  roolle  lesdits  particuliers  n'ont  tenu 
compte  de  faire  juger  lesdites  translations*.  » 

L'intendant  d'Alençon  ne  fut  pas  plus  heureux.  Il  écrit  le 
1er  septembre  1683  qu'il  y  a  «  une  infinité  »  de  procès  sur  cette 
matière  :  comme  «  depuis  la  révocation  de  l'octroy  les  contri- 
buables ont  cru  que  cette  facilité  de  changer  de  domicile  leur 
procureroit  quelque  soulagement  dans  leurs  impositions,  on  a 
veu  une  sy  grande  quantité  d'actes  de  translations  de  domicilies 
enregistrez  aux  greffes  des  eslections,  qu'il  a  esté  nécessaire 
d'obliger  les  greffiers  d'en  envoyer  des  estats  dans  le  mois  de 
juillet,  afin  de  n'avoir  pas  cet  examen  à  faire  lors  du  départe- 
ment, qui  en  auroit  esté  retardé  considérablement  »;  mais  alors 
les  greffiers,  «  voyans  que  les  estats  qu'ils  envoyoient  estaient 
crus,  et  qu'ils  n'estoient  pas  examinez,  n'ont  pas  pris  soin  tju  ilz 
fussent  fort  exatz,  et  peut-estre  ne  l'ont-ils  pas  voulu  »  ;  il  en 
est  résulté  des  procès,  et  les  paroisses  ont  fait  faire  des  transla- 
tions de  domicile  «  faintes  »  pour  des  gens  taxés  à  de  gros  taux, 
dont  elles  se  sont  fait  décharger,  «  et  par  conséquent  d'autres 
ont  esté  accablées1».  Plus  que  jamais  les  élections  furent 
encombrées  de  procès  relatifs  à  cette  question  et  les  plaintes 
des  intendants  sur  les  abus  commis  sont  continuelles.  En 
juin  1676,  Le  Blanc  constate  que  les  plus  riches  contribuables  de 
la  paroisse  de  Bonneville  la  Louvette  veulent  «  s'exempter  du 
payement  de  la  taille  et  autres  contributions,  et  empescher  l'exé- 
cution des  roolles  par  des  publications  de  translations  de  domi- 

1.  A.  D.  Calvados,  C,  Élection  de  Caen. 

2.  Lettre  du  11  mai  1682,  A.  N.,  G'  213. 

3.  A.  N.,  G'  71. 


LE    CHANGEMENT    D  OCTROI.  301 

cile  frauduleuses  »,  tout  en  continuant  à  demeurer  et  à  faire 
valoir  leurs  biens  dans  la  paroisse.  Il  doit  ordonner,  quoique 
l'affaire  semble  plutôt  ressortir  de  la  Cour  des  aides,  que  le  rôle 
des  tailles  de  la  paroisse  sera  exécuté  tel  qu'il  est,  sans  tenir 
compte  des  changements  de  domicile  frauduleux1. 

Des  précautions  avaient  cependant  été  prises  par  les  intendants 
pour  compléter  les  prescriptions  des  règlements  royaux;, ils  les 
inséraient  dans  leurs  mandements  annuels  ou  les  faisaient  insérer 
par  le  Conseil  dans  les  commissions  des  tailles. 

Par  le  mandement  aux  paroisses  de  la  généralité  de  Caen 
du  4  octobre  1673,  il  est  prescrit  que  les  procès  relatifs  aux 
changements  de  domicile  devront  être  «  sommairement  réglez  » 
par  les  officiers  des  Elections,  avec  défense  aux  intéressés  de  se 
pourvoir  sous  aucun  prétexte  contre  les  jugements  rendus  après 
le  31  décembre  : 

«  faute  de  quoy  faire  dans  ledit  temps  et  iceluy  passé,  lesdits  parti- 
culiers payeront  es  deux  parroisses  où  ils  se  trouveront  cottisez,  sans 
néanmoins  que  les  communautez  puissent  intenter  aucune  action  en 
garantie,  à  cause  des  charges  et  décharges  faites  de  parroisse  en  par- 
roisse,  en  conséquence  des  translations  de  domiciles,  attendu  que 
nous  y  avons  pourveu  et  fait  considération  en  procédant  au  départe- 
ment des  tailles  de  chacune  élection,  et  à  cet  effet  faisons  deffènses 
ausdits  eleus  de  juger  aucune  recharge,  rejet  ny  décharge  pour  raison 
de  ce,  sur  les  peines  au  cas  appartenant2.  » 

En  1679,  l'intendant  de  Caen  défend  encore  aux  greffiers  des 
élections  «  de  recevoir  ny  registrer  aucune  déclaration  de  trans- 
lation de  domicile,  si  le  nom,  surnom,  qualité  de  laboureur  ou 
autres  exploitant  terre  ou  simple  manouvrier  ou  journalier  non 
exploitant  terre  ne  sont  précisément  employés,  ainsi  que  le  véri- 
table taux,  dans  l'acte  de  publication  qui  en  aura  esté  faite  par 
le  curé  au  prône  de  la  paroisse  conformément  à  ladite  trans- 
lation de  domicile,  ...  à  peine  d'interdiction  contre  le  greffier3  ». 

Dans  la  généralité  de  Rouen,  l'intendant  Le  Blanc  sévit,  le 
6  octobre  1677,  contre  les  translations  de  domicile  fictives  :  les 
particuliers,  dit-il,  font  souvent  des  déclarations  de  changement 
que  la  plupart  n'exécutent  point, 

«  feignans  seulement  d'aller  demeurer,  aux  lieux  où  ils  déclarent,  dans 
des  petites  maisons  et  fours  sans  aucunes  terres  de  labeur,  lesquelles 
petites  maisons  et  fours  ils  tiennent  à  ferme  les  uns  par  soixante 
sols,  les  autres  par  six  livres  et  les  plus  hautes  à  dix  livres,  ce  qu'ils 
font  pour  empescher  l'augmentation  de  leurs  impositions  qui  sont 
depuis  quatre  cent  livres  jusques  à  la  plus  basse  somme,  ce  qui  est 

1.  Sentence  du  18  juin  1676,  B.  N.  fr.  8  761bls,  f°  10. 

2.  A.  D.  Calvados,  Bureau  des  finances.  La  prescription  est  répétée  dans  les 
mandements  des  années  suivantes. 

3.  A.  D.  Calvados,  Election  de  Caen. 


LA    TAII.I.i:    BU    NOHMANDIE. 

contraire  aux  réglemens  des  tailles,  et  à  quoy  estant  nécessaire  de 
pourvoir,  Nous  Intendant  susdit  ordonnons  que  les  particuliers 
exploitans  des  héritages  depuis  cinquante  cinq  livres  jusqu'à  soixante 
livres  et  au-dessus  qui  ont  faict  leurs  déclarations  auparavant  le 
1er  jour  d'octobre  167(3  de  sortir  et  entrer  aux  paroisses  de  ladite 
eslection,  seront  renvoyez  et  receus  en  icelle  pour  Tannée  prochaine, 
et  au  regard  des  autres  et  des  artisans,  gens  de  journée  et  sans  vacation, 

3u'ils  contribueront  encor  pour  ladite  année  prochaine  aux  lieux  où 
s  sont  taillables  sauf  à  les  renvoyer  aux  paroisses  où  ils  ont  déclaré 
vouloir  contribuer  en  Tannée  16791.  » 

Encore  le  8  juin  1680,  il  fait  aux  paroisses  des  prescriptions 
minutieuses  rappelant  que  les  déclarations  doivent  être  faites 
avant  le  1er  octobre  de  chaque  année,  qu'elles  doivent  contenir 
les  noms  des  paroisses  et  des  élections,  «  les  noms,  surnoms, 
qualités  et  vacations  des  particuliers,  ce  qu'ils  possèdent  en 
propre  et  tiennent  à  ferme,  de  qui  et  pour  quels  prix,  et  géné- 
ralement toutes  les  occupations  qu'ils  font  et  celles  qu'ils  vont 
entreprendre  »;  si  le  changement  se  fait  pour  aller  dans  une 
élection  différente,  la  déclaration  sera  faite  aux  deux  élections, 
elle  devra  être  signée  «  du  curé  ou  vicaire  et  de  quatre  des  prin- 
cipaux habitans  de  la  paroisse  de  laquelle  ils  sont  sortis,  con- 
tenant le  jour  de  leur  sprtie  effective,  et  un  autre  certificat  signé 
du  curé  ou  vicaire  de  la  nouvelle  paroisse,  contenant  le  jour 
qu'ils  y  ont  actuellement  étably  leur  domicile  ».  Les  greffiers 
ont  un  droit  de  2  s.  par  extrait  du  rôle  délivré  aux  parties;  ils 
ne  peuvent  prendre  davantage  «  quand  même  il  leur  seroit  offert 
volontairement  »,  —  ce  qui  prouve  que  cela  devait  arriver,  —  à 
peine  de  100  1.  d'amende,  applicable  la  moitié  au  dénonciateur, 
et  de  dommages-intérêts.  L'intendant  ne  craint  même  pas  de 
modifier  de  sa  propre  autorité  les  règlements  royaux  :  il  pres- 
crit en  effet  que  les  taillables  changeant  de  domicile  seront 
imposés  dans  leur  nouvelle  paroisse  au  bout  d'un  an  s'ils  tiennent 
des  fermes  de  plus  de  100  1.,  et  de  deux  ans  dans  le  cas  con- 
traire. Les  curés  et  vicaires  commettent  également  des  abus  à 
propos  des  actes  de  translation  :  «  Sur  ce  que  nous  avons  été 
averti  qu'aucuns  curez  et  vicaires  des  paroisses  exigent  quinze 
et  vingt  sols  pour  les  publications  des  actes  de  translations  de 
domicile,  nous  leur  faisons  deffenses  de  prendre  plus  de  2  s. 
6  d.,  tant  pour  la  publication  que  pour  la  certification  de  chacun 
acte  de  translation  de  domicile,  à  peine  de  restitution  et  de  10  1. 
d'amende*.  »  Malgré  cela,  Le  Blanc  reconnaît  le  20  novem- 
bre 1680  que  parmi  ces  translations  de  domicile  «  presque 
toutes,  excepté  celles  des  fermiers  qui  vont  prendre  des  fermes 
dans  d'autres  paroisses  ou  eslections,  sont  fausses  3». 

1.  B.  N.  fr.  8  761bU,  f»  101. 

2.  Ordonnance  du  8  juin  1680,  envoyée  à  Colbert  le  20  novembre  suivant,  A.N.. 
G7  491,  imprimée. 

3.  A.  N..  G'  491. 


LE    CHANGEMENT    D  OCTROI.  303 

Pour  contrôler  les  translations  de  domicile,  les  intendants  se 
firent  adresser  directement  par  les  collecteurs  les  états  des 
changements,  sans  passer  par  l'intermédiaire  des  élus  :  à  la  fin 
des  mandements  aux  paroisses  pour  la  levée  de  la  taille,  ils 
laissèrent  deux  colonnes  en  blanc  dans  lesquelles  les  habitants 
devaient  insérer  ceux  qui  entraient  dans  leur  paroisse  et  ceux 
qui  en  sortaient1. 

Enfin,  vers  1680,  il  parut  aux  intendants  que  les  choses  ne 
pouvaient  pas  rester  en  l'état,  et  qu'une  nouvelle  réglementation 
était  nécessaire;  Méliand  envoya  de  Caen  à  Colbert  un  long 
mémoire  où  il  expliquait  en  détail  les  défauts  du  système  ;  c'est 
là,  disait-il  l'abus  «  le  plus  considérable  »  de  la  généralité  : 

«  Pour  s'exempter  de  la  taille;  un  particulier  déclare  qu'il  s'en  va 
hors  généralité  ;  il  sort  de  la  parroisse,  et,  au  lieu  d'effectuer  sa  trans- 
lation, il  s'en  va  dans  une  ville  franche  comme  Caen,  Granville,  ou 
Cherbourg,  ou  dans  une  ville  qui  paye  sa  taille  par  tarif2,  et  après 
avoir  payé  un  an  ou  deux  ans  la  taille  en  la  parroisse  qu'il  a  quitté, 
suivant  les  règlements,  en  estant  dérollé,  il  se  trouve  exempt  de  taille 
pour  l'advenir.  Pour  s'exempter  de  la  collecte,  un  particulier  dont  le 
tour  approche  d'estre  collecteur  d'une  grosse  parroisse  la  quitte,  et 
transfère  son  domicile  en  une  petite  de  2  ou  300  1.  pour  y  consommer 
son  tour.  Une  veuve  transfère  son  domicile  dans  une  parroisse  où  elle 
ne  va  point,  et  au  lieu  de  ce  elle  va  dans  une  ville  franche  ou  abonnée; 
un  fils  de  famille  fait  la  mesme  chose  pour  acquérir  ses  ans  de  majorité, 
et  déclare  qu'il  transfère  en  quelque  parroisse  de  la  mesme  eslection 
avec  un  denier  de  taille  sans  l'effectuer,  et  son  père  venant  à  décéder, 
il  fait  valoir  le  bien  qui  luy  est  escheu  dans  la  parroisse  qu'il  a  quitté, 
et  paye  la  taille  dans  celle  où  il  a  acquis  ses  ans  de  majorité  par  la 
liberté  qui  est  donnée  par  les  règlements  de  faire  valoir  en  diverses 
parroisses  de  mesme  eslection,  et  fait  perdre  à  la  parroisse  où  son 
père  est  mort  le  taux  qu'il  y  portoit.  D'autres  qui  sont  sur  les  extré- 
mités des  eslections  ou  généralité  transfèrent  leur  domicilie  dans  des 
parroisses  voisines  d'où,  par  des  baux  supposés,  ils  font  valoir  leurs 
biens  dans  les  parroisses  qu'ils  ont  quitté  sans  y  payer  la  taille.  La 
pluspart,  prévoyants  que  les  collecteurs  qui  seront  nommés  l'année 
suivante  les  pourront  hausser,  déclarent  transférer  leur  domicile,  et 
cela  parce  que  par  les  règlements  il  est  deffendu  de  hausser  ceux  qui 
ont  fait  cette  déclaration,  laquelle  ensuitte  ils  révoquent  après  que  le 
rolle  est  fait,  d'où  il  naist  des  procès.  Il  y  en  a  qui,  dans  un  greffe 
d'eslection  déclarent  qu'ils  sont  laboureurs  pour  estre  dérollés  un  an 

1.  Voir,  par  exemple,  les  mandements  de  la  généralité  de  Caen  à  partir  de  1679 
(A.  D.  Calvados,  élection  de  Caen).  La  première  colonne  est  intitulée  «  sortans  : 
noms  des  particuliers  que  vous  aves  à  desroUer  »,  et  la  seconde  «  entrans  :  noms 
des  particuliers  que  vous  aves  à  enroller  ».  L'état  devait  être  retourné  à  l'inten- 
dant par  l'intermédiaire  du  receveur  des  tailles.  Dans  la  généralité  de  Rouen, 
l'intendant  Le  Blanc  en  1676  avait  pris  une  mesure  un  peu  différente;  il  enjoignait 
aux  collecteurs  de  faire  «  un  chapitre  séparé  dans  leur  rôle  des  nouveaux  entrans 
dans  votre  paroisse  et  qui  commenceront  d'y  estre  taillables  pour  l'année  pro- 
chaine 1677  »  (B.  N.  fr.  8  761b",  f°  27),  mais  il  adopte  la  même  année  le  système 
des  colonnes  ajoutées  aux  mandements  (ibid.,  f°  98). 

2.  Sur  les  villes  «  tarifées  »,  voir  ci-dessous,  chap.  vu. 


KM  LA    TAILLE    LN     XOII M  ANDI  B  . 

après  dans  la  parroisse  qu'ils  quittent  aux  termes  des  règlements,  e1 
dans  une  autre  eslection  ils  se  déclarent  journaliers  pour  n'y  estre 
imposés  qu'après  deux  ans  suivant  les  mesmes  règlements  :  ainsy, 
ils  sont  un  an  exempts  de  taille.  Tous  ces  procès  consomment  les 
taillables  et  collecteurs  en  frais.  » 

Voici  maintenant  les  remèdes  qu'il  propose  :  Il  ne  faudrait 
faire  «  aucunne  différence  de  qualité  tant  de  laboureurs  que  de 
journaliers,  non  plus  que  de  changements  d'eslection  ou  de 
généralité  »,  et  pareillement  fixer  uniformément  à  un  an  le  délai 
au  bout  duquel  on  deviendrait  imposable  dans  la  nouvelle  paroisse. 
Pour  s'assurer  que  la  translation  est  bien  effectuée,  on  ferait 
produire  à  l'intéressé  un  certificat  signé  du  curé  de  sa  nouvelle 
paroisse  ainsi  que  du  collecteur  porte-bourse  et  des  trois  plus 
fort  imposés  ;  il  faut  aussi  ordonner  aux  élus  de  «  vider  sommai- 
rement à  l'audience  et  sans  frais  »  les  procès  relatifs  à  la  matière; 
enfin  il  faut  révoquer  l'interdiction  faite  de  hausser  les  contri- 
buables dans  la  paroisse  qu'ils  viennent  de  quitter  et  où  ils  sont 
encore  imposés,  la  première  année,  en  permettant  aux  collec- 
teurs «  de  les  imposer  en  leur  âme  et  conscience  comme  ils 
auroient  pu  faire  si  ladite  déclaration  et  translation  de  domicile 
n'avoit  point  esté  faite,  avec  deffense  néantmoins  audit  collecteur 
de  les  surhausser  mal  à  propos  en  haine  de  ladite  déclaration1  ». 

A  la  suite  de  ce  mémoire,  Méliand  alla  conférer  à  Paris  avec 
Berryer  qui  reconnut  également  la  nécessité  d'un  nouveau 
règlement*.  C'est  à  la  suite  de  ces  études  préliminaires  que 
Colbert  rendit  l'arrêt  du  conseil  du  23  septembre  1681,  qui,  tout 
en  maintenant  le  système  général  des  translations  de  domicile, 
apportait,  dans  ses  art.  lô  et  20,  les  modifications  souhaitées 
par  les  intendants.  En  premier  lieu  ce  sont  les  contribuables 
eux-mêmes  qui  iront  faire  leurs  déclarations  au  greffe  de  l'élec- 
tion où  est  située  la  paroisse  qu'ils  quittent;  ils  indiqueront  leur 
chiffre  d'imposition,  leur  profession,  «  combien  de  charues  [ils 
cultivent]  et  à  qui  elles  appartiennent  »,  la  paroisse  où  ils  vont 
demeurer,  la  profession  qu'ils  y  exerceront,  la  quantité  de  terre 
qu'ils  y  feront  valoir;  à  cette  condition  seulement  ils  pourront 
être  déchargés  dans  la  paroisse  qu'ils  quittent  (art.  13);  tous 
les  procès  relatifs  à  la  matière  devront  être  jugés  avant  le  1er  jan- 
vier «  à  peine  de  nullité  et  d'estre  imposés  en  deux  paroisses  » 
(art.  14).  Le  temps  pendant  lequel  un  contribuable  demeurera 
imposé  dans  sa  paroisse  après  l'avoir  quittée,  est  fixé  unifor- 
mément   à   deux    ans   (art.    16);    l'exception    introduite   par   la 

1.  Mémoire  du  15  août  1680,  A.  N.,  G"  213.  Un  mémoire  semblable  avait  été 
envoyé  par  l'intendant  d'Alençon  en  1679  (Lettre  à  Colbert  du  9  novembre  1679, 
A.  N.,  G7  71).  On  voit  d'après  cette  lettre  que  Colbert  avait  donné  ordre  aux 
trois  intendants  de  Normandie  de  chercher  «  le  meilleur  remède  qu'on  pouvoit 
apporter  »  sur  la  matière;  il  est  probable  que  l'ordonnance  de  Le  Blanc  du 
8  juin  1680,  citée  plus  haut,  avait  été  rendue  à  la  suite  de  ces  conférences. 

2.  Méliand  à  Colbert,  24  octobre  1680.  A.  N.  G?  213. 


LE    CHANGEMENT    D  OCTROI.  305 

déclaration  du  3  mars  1671  au  sujet  de  ceux  qui  continueront  à 
faire  encore  valoir  des  biens  dans  la  paroisse  qu'ils  ont  quittée 
est  maintenue  :  ils  seront  imposés  à  la  fois  dans  les  deux 
paroisses1. 

L'arrêt  fut  repris  sans  changement  par  la  déclaration  du 
16  août  1683. 

Cette  nouvelle  réglementation  ne  mit  pas  fin  à  toutes  les 
difficultés  ;  l'intendant  de  Caen  écrit  au  contrôleur  général  le 
23  novembre  1683  que  l'arrêt  du  23  septembre  «  n'a  presque 
été  connu  que  dans  les  greffes  des  élections 2  »  ;  il  est  resté 
ignoré  des  contribuables  qui  n'ont  pu  se  faire  décharger  à 
temps,  «  ce  qui  a  donné  lieu  à  quantité  de  procès  que  les  eslus 
ont  jugés  à  la  rigueur,  et  obligé  les  particuliers  à  faire  de  nou- 
velles déclarations  »  ;  il  se  propose  donc  de  le  faire  connaître 
par  la  voie  des  mandements  ;  en  outre  les  translations  de  domi- 
cile fictives  ne  sont  pas  supprimées  :  «  comme  par  le  mesme 
règlement  les  particuliers  qui  ont  déclaré  devoir  transférer  leur 
domicile  ne  sont  obligez  de  faire  juger  leur  translation  qu'avec 
la  parroisse  d'où  ils  sortent,  il  arrive  souvent  que  sans  en  sortir 
et  d'intelligence  avec  les  habitans  ils  font  déclarer  leur  transla- 
tion bonne  et  dans  la  suitte  cette  parroisse  se  trouve  déchargée 
d'un  gros  taux  et  d'un  meschant  taillable,  qu'une  autre  parroisse 
est  obligée  de  recevoir  sans  demeure  préalable  contre  le  règle- 
ment, et  souvent  sans  le  connoitre  aucunement  ».  Certains  pro- 
cureurs des  élections  ayant  fait  appeler  aussi  devant  eux  les  habi- 
tants de  la  paroisse  où  le  domicile  était  transféré,  «  on  a 
presque  toujours  trouvé  qu'il  y  avoit  de  l'intelligence  et  de  la 
friponnerie,  et  que  les  particuliers  n'estoient  point  délogés3  ». 

Dans  la  généralité  d'Alençon,  mêmes  difficultés  :  toutefois  le 
3  août  1682,   l'intendant  de  Morangis  se  félicite  du  succès  de 

1.  Le  texte  imprimé  dans  les  Règlements  de  Normandie,  p.  213,  porte  ensuite  : 
«  encore  que  les  paroisses  soient  situées  dans  une  même  élection,  ce  qui  aura 
lieu  lorsqu'elles  seront  de  différentes  élections  »  ;  la  phrase  est  inintelligible,  il 
semble  qu'il  y  a  ici  une  faute  d'impression  et  qu'il  faille  lire  :  «  ce  qui  aura  lieu 
également  si  les  paroisses  sont  situées  dans  différentes  élections  ».  L'art.  18  du 
règlement  est  obscur  et  semble  en  contradiction  avec  l'art.  16  ;  il  porte  en  effet  : 
«  Ceux  qui  transféreront  leurs  domiciles  dans  une  paroisse  pour  y  faire  valoir 
quelques  fermes  et  qui  cesseront  de  travailler  à  la  culture  des  héritages  de  la 
paroisse  d'où  ils  seront  sortis,  seront  imposez  une  année  seulement  dans  la 
même  paroisse,  après  laquelle  ils  seront  taxez  dans  celle  de  leur  nouvel  éta- 
blissement »  ;  tandis  que  l'art.  16  dit  :  «  Ceux  qui  auront  satisfait  aux  formes 
prescrites  par  le  présent  règlement  seront  taxez  pendant  deux  années  en  la 
paroisse  qu'ils  auront  quitée,  après  laquelle  ils  seront  imposez  dans  la  paroisse 
où  ils  auront  transféré  leur  domicile  au  moins  à  la  même  somme  qu'ils  paioient 
dans  la  paroisse  d'où  ils   seront  sortis.  * 

2.  Il  écrivait  déjà  le  11  mai  1682  qu'il  avait  fait  publier  et  enregistrer  l'arrêt 
dans  les  élections,  mais  presque  aucun  des  intéressés  n'avait  fait  juger  son  trans- 
fert; ils  prétendaient,  qu'ils  n'y  étaient  pas  tenus  quand  leur  paroisse  n'y  faisait 
pas  opposition.  Méliand  demandait  un  nouvel  arrêt  .pour  déclarer  nulles  les 
translations  de  domicile  qui  n'auraient  pas  été  jugées  contradictoirement  avec 
les  communautés  intéressées  avant  le  premier  septembre  de  chaque  année.  (A.  N.. 
G?  213.) 

3.  A.  N.,  G^  213. 


LA    TAILLE    ES    NORMANDIE. 


20 


|06  LA    TAILLE    KX    NOIIMANDIE. 

la  nouvelle  législation  :  «  A  l'égard  des  translations  de  domi- 
cile, les  règlements  du  conseil  et  principalement  celuy  du 
23  septembre  dernier  y  ont  apporté  beaucoup  de  remèdes,  et 
la  sévérité  avec  laquelle  on  punit  les  translations  de  domicile 
frauduleuses  les  a  diminuées  considérablement  »;  dans  toutes 
les  élections,  dit-il,  j'ai  usé  des  taxes  d'office  contre  ceux  qui 
étaient  convaincus  Je  telles  fraudes.  Le  22  octobre  suivant 
il  renouvelle  les  assurances  de  sa  satisfaction,  et  Colbert  l'en 
félicite  :  «  j'apprends...  que  vous  avez  trouvé  beaucoup  moins 
de  translations  de  domicile  et  fort  peu  de  frauduleuses.  Vous 
pouvez  juger  facilement  par  là,  qu?en  tenant  la  main  soi- 
gneusement à  l'exécution  de  l'arrest  du  conseil  du  mois  de 
septembre  de  l'année  dernière,  vous  remédierez  assurément  à 
ce  désordre,  qui  est  très  grand  et  très  considérable1.  »  Mais 
le  1er  septembre  1683,  son  successeur,  de  Bouville,  signalait 
dans  la  généralité  les  mêmes  abus  qu'ailleurs  :  les  élus  ne 
savent  pas  à  quoi  s'en  tenir  sur  l'arrêt  du  conseil  du  23  septembre, 
les  uns  «  prétendant  qu'il  suffit  que  la  translation  de  domicile 
soit  exécutée  avant  le  1er  janvier,  et  les  autres  voulant  qu'elle 
soit  aussy  jugée  dans  le  mesme  temps,  afin  de  se  faire  autant  de 
proccz  assurez  qu'il  y  aura  de  translations   de   domicile  enre- 

fistrées  à  leur  greffe  ».  Il  a  consulté  sur  cette  difficulté  la  Cour 
es  aides  qui,  par  un  arrêt,  a  décidé  que  les  translations 
devraient  être  «  exécutées  et  jugées  »  avant  le  1er  janvier.  De 
cette  jurisprudence  il  est  résulté  une  foule  de  procès,  et,  comme 
dans  la  généralité  de  Caen,  des  translations  frauduleuses;  car, 
dit-il,  quand  le  contribuable  a  obtenu  un  jugement  de  l'Election, 
il  peut  revenir  dans  sa  paroisse  et  être  exempt  valablement  en 
présentant  le  jugement  de  translation  qui  lui  servira  de  preuve  ; 
ce  mal  est  particulièrement  grand  dans  l'élection  de  Mortagne, 
«  parce  que  ayant  tousjours  esté  surchargée  et  dans  le  voisinage 
des  généralitez  de  Tours  et  d'Orléans,  grand  nombre  de  parti- 
culiers des  plus  riches  habitans  des  parroisses  ont  fait  des  trans- 
lations de  domicile  en  fraude  »  ;  il  en  est  de  même  dans  l'élec- 
tion de  Verneuil,  voisine  des  généralités  d'Orléans,  de  Paris  et 
de  Rouen.  Les  collecteurs  se  sont  mépris  sur  l'art.  17  :  ils  ont  cru 
qu'  «  il  leur  estoit  permis  d'imposer  tous  les  particuliers  qui  fai- 
soient  valoir  quelques  héritages  dans  leurs  parroisses,  de  sorte 
que,  par  les  descharges  qui  ont  esté  obtenues,  il  a  esté  ordonné 
une  infinité  de  rejetz,  dont  la  plus  grande  partie  n'est  pas  encore 
acquittée2  ». 

Ce  rapport  circonstancié  nous  autorise  à  suspecter  l'optimisme 
témoigné  l'année  précédente  par  de  Morangis  et  celui  qu'il 
témoigna  l'année  suivante  à  propos  de  la  généralité  de  Caen,  où 

1.  Clém..  II,  p.  212. 

2.  Mémoire  du  1"  septembre  1683,  A.  N.  G'  71. 


LA    DATE    DES    ROLES.  307 

il  était  passé  au  début  de  1683  :  «  Les  translations  de  domicile 
avoient  fait  un  grand  désordre  il  y  a  quatre  ans,  mais  les  pré- 
cautions qu'on  a  prises  et  le  soin  que  j'ai  eu  de  taxer  d'office 
ceux  qui  en  avoient  fait  de  frauduleuses  a  diminué  considéra- 
blement les  translations  qui  se  faisoient1.  »  En  définitive  on  peut 
dire  que,  à  la  mort  de  Colbert,  la  réglementation  des  change- 
ments de  domicile  n'était  pas  au  point,  et  était  une  source 
importante  de  fraudes  et  d'abus;  il  en  sera  encore  pendant 
longtemps  ainsi*. 


V.    —   LA   DATE    DES    ROLES 


On  a  vu  à  propos  de  chacun  des  degrés  de  la  répartition  com- 
bien il  importait  que  tout  fût  terminé  à  temps.  L'établissement 
des  rôles  avant  le  commencement  de  l'année  financière  résul- 
tait des  mêmes  nécessités  :  tout  retard  dans  l'opération  eût 
anéanti  les  efforts  précédemment  faits.  Le  règlement  de  jan- 
vier 1634  (art.  45)  prescrivait  aux  élus  de  convoquer  les  collec- 
teurs «  à  jour  certain  et  préfix  »,  au  siège  de  l'élection,  pour  y 
taire  leur  travail;  mais,  pour  des  raisons  que  l'on  verra  plus 
loin,  cet  article  ne  fut  pas  exécuté,  et  dès  l'année  suivante,  les 
collecteurs  furent  laissés. libres  de  rédiger  le  rôle  dans  la  paroisse 
même3;  les  élus  n'avaient  plus  à  les  convoquer,  ni  à  fixer  la  date 
de  leur  réunion.  Un  arrêt  du  conseil  du  28  novembre  1646  donna 
aux  collecteurs  un  délai  de  huit  jours  à  partir  de  la  réception  du 
mandement  pour  dresser  leurs  rôles,  enjoignant  aux  intendants 
de  <.<  faire  le  procès  souverainement  à  ceux  qui  y  contrevien- 
dront4 »;  mais,  en  décembre  1654,  le  roi  déclarait  dans  le 
préambule  d'un  édit  :  «  Quelque  soin  que  nous  prenions  pour 
la  levée  de  nos  deniers,  nous  ne  pouvons  faire  faire  le  recou- 
vrement d'iceux  dans  le  tems  et  ainsi  que  nous  l'ordonnons,  à 
cause  des  longueurs  qu'apportent  les  collecteurs  des  tailles  pour 
la  confection  de  leurs  rolles,  qu'ils  ne  peuvent  mettre  ensuite 

1.  Lettre  au  contrôleur  général,  10  juillet  1684,  A.  N.  G?  213.  Il  écrivait  déjà 
dans  le  même  sens  le  29  mai  précédent. 

2.  Voir  par  exemple  dans  Lallemnnt  de  Levignen,  Observations  sur  la  taille 
(1732),  différentes  fraudes  commises  à  la  faveur  de  cette  réglementation,  notam- 
ment celle-ci  :  les  habitants  d'une  paroisse  imposent  à  une  somme  élevée  un 
particulier  sans  ressources,  qu'ils  engagent  ensuite  à  transférer  son  domicile 
dans  une  autre  paroisse;  «  comme,  aux  termes  des  réglemens,  il  doit  emporter 
avec  luy  la  somme  à  laquelle  il  étoit  imposé  lors  de  sa  translation,  ces  habitans 
et  collecteurs  trouvent  par  cette  manœuvre  le  moyen  de  diminuer  leur  parroisse 
et  d'augmenter  les  impositions  d'une  antre,  sans  avoir  recours  aux  intendans  », 
qui  sont  en  effet  tenus  de  transférer  automatiquement  la  cote  du  contribuable 
d'une  paroisse  à  l'autre  (B.  N.  fr.  7  771,  f°  184). 

3.  Déclaration  du  16  juin  1635,  dans  Néron,  t.  I,  p.  867. 

4.  G.  d.  T.,  t.  I,  p.  203. 


308  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

à  exécution,  qu'au  préalable  ils  ne  soient  vérifiez  par  un  de  nos 
officiert  de  nos  élections1.  »  Lorsqu'en  effet  on  examine  les 
rôles  de  taille  eux-mêmes,  on  voit  qu'avant  1661,  ils  étaient 
rédigés  avec  des  retards  considérables,  souvent  de  six  mois  et 
même  d'un  an;  certaines  paroisses  s'en  autorisaient  même  pour 
ne  faire  aucun  rôle  et  ne  pas  payer  d'impôts. 

Colbert  se  proposa  d'y  mettre  ordre  par  le  règlement 
d'août  1664.  L'article  2,  renouvelant  l'ordre  aux  collecteurs  de 
dresser  leurs  rôles  «  huit  jours  après  la  réception  du  mandement 
des  tailles  »,  prononça  aes  pénalités  contre  les  paroisses  qui 
seraient  en  retard  :  si  les  rôles  n'étaient  pas  définitivement  rédigés 
et  toutes  les  contestations  réglées  au  31  janvier,  six  des  prin- 
cipaux contribuables,  choisis  par  le  receveur  des  tailles  et  les 
élus,  seraient  pris  par  contrainte  solidaire  pour  payer  sur  un 
simple  commandement  les  impositions  de  la  paroisse  (art.  9)2. 

Les  intendants  s'appliquèrent  à  l'exécution  de  ce  nouveau 
règlement;  dans  tous  leurs  mandements  aux  paroisses  ils  le 
rappelèrent,  en  y  ajoutant  même  parfois  des  rigueurs  qu'il  ne 
prescrivait  pas;  ainsi  en  1672,  l'intendant  de  Rouen  menace  les 
paroisses  de  leur  infliger  une  amende  si  elles  n'ont  pas  achevé 
leurs  rôles  dans  les  huit  jours  qui  suivent  la  nomination  des 
collecteurs3;  en  1678,  celui  de  Caen  menace  les  collecteurs  eux- 
mêmes  d'une  amende  de  100  1.  et  de  rigueurs  extraordinaires 
si  leurs  rôles  ne  sont  pas  faits  dans  la  huitaine  de  leur  nomi- 
nation *.  L'intendant  Foucault  raconte  que  dans  la  généralité  de 
Montauban,  il  avait  ordonné  aux  collecteurs  de  terminer  leurs 
rôles  avant  le  15  décembre6. 

Mais  il  était  très  difficile  d'obtenir  l'obéissance  à  ces  pres- 
criptions, parce  que  les  collecteurs  avaient  intérêt  à  ces  retards. 
Quand  ils  sont  nommés,  dit  Pescheur,  «  il  n'y  en  a  guères, 
ou  point  du  tout,  qui  n'employent  le  temps  qui  s'escoule  depuis 
qu'ils  sont  arrestez,  jusqu'à  ce  que  le  roolle  de  la  taille  soit 
faict  et  veriffié,  a  concussionner  de  toute  leur  industrie,  sans 
désemparer  ny  jour  ny  nuict  les  cabarets,  où  ils  sont  entretenuz 
et  leurs  complices  aux  despens  du  tiers  et  du  quart  »  ;  c'est 
pourquoi  ils   inventent   tous   les   subterfuges    possibles  «  pour 

1.  C.  d.  T.,  t.  I,  p.  453.  L'édit  dont  il  s'agit  portait  création  d'un  directeur  des 
tailles  chargé  de  faire  établir  les  rôles  dans  chaque  paroisse;  c'est  uniquement 
un  édit  bursal  comme  il  y  en  eut  tant  à  la  même  époque;  les  motifs  que  le  roi 
donne  pour  la  création  de  ces  offices  ne  sont  que  des  prétextes,  mais  ils  ne 
sont  pas  moins  à  retenir  sur  le  point  qui  nous  occupe  :  le  roi  formulait  cette 
plainte  parce  qu'il  pensait  qu'elle  ne  serait  pas  contestée  par  les  contribuables. 

2.  Le  règlement  de  février  1663,  spécial  au  ressort  de  Paris,  contenait  des  dis- 
positions analogues,  mais  le  délai  extrême  accordé  pour  la  confection  des  rôles 
était  le  dernier  jour  de  février  au  lieu  du  31  janvier.  (G.  d.  T.,  t.  I,  p.  503.) 

3.  Mandement  du  8  novembre,  A.  D.,  S.  Inf.,  C  2  215. 

4.  A.  D.  Calvados,  C.  Election  de  Caen. 

5.  Lettre  à  Colbert  du  21  août  1680,  dans  Godard,  Les  pouvoirs  des  Intendants, 
p.  218,  n.  2.  On  voit  quelles  libertés  les  intendants  prenaient  avec  les  ordon- 
nances royales. 


LA    DATE    DES    ROLES.  309 

tirer  de  long  »  :  convocation  des  habitants  devant  les  juges  du 
lieu  pour  leur  demander  avis  sur  l'imposition  à  faire,  assigna- 
tions et  requêtes  de  «  particuliers  de  leur  caballe  »  et  «  mille 
autres  propositions  ridicules  qu'ils  font  de  jour  en  jour...1  ». 
L'intendant  de  Caen  dit  pareillement  dans  son  mandement 
aux  paroisses,  en  1678,  qu'il  est  informé  que  les  collecteurs 
tardent  longtemps  à  faire  leurs  rôles  «  pour  avoir  le  moyen 
pendant  ce  temps  de  se  faire  faire  des  présents  et  donner  lieu 
aux  brigues  et  monopoles  et  autres  dépenses  de  tavernes  et  de 
cabarets  2  ». 

Dans  la  réalité,  nous  observons  les  mêmes  retards  pour  la 
confection  des  rôles  que  pour  la  nomination  des  collecteurs; 
ainsi  dans  les  rôles  de  l'élection  de  Neufchâtel 3  dont  la  série  est 
à  peu  près  complète  pour  l'année  1670,  le  premier  en  date, 
celui  de  Forges-les-Eaux,  est  du  29  octobre,  alors  que  le  man- 
dement pour  la  levée  de  la  taille  est  du  6  octobre,  soit  un  retard 
de  15  jours;  la  plupart  des- autres  sont  datés  du  courant  de 
décembre;  au  31  janvier  1670,  date  extrême  qu'admettent  les 
règlements,  il  en  reste  encore  plus  d'un  cinquième  à  dresser; 
ils  le  seront  en  février  et  en  mars;  l'un  est  du  26  mai  1670,  un 
autre  même,  celui  du  Candeau,  porte  la  date  du  3  décembre  1670*. 
Dans  l'élection  de  Bayeux,  en  1663,  année  pour  laquelle  nous 
avons  une  collection  de  rôles  également  complète5,  les  retards 
sont  encore  plus  considérables  :  les  rôles  dressés  avant  le 
31  décembre  1662  sont  très  rares,  une  partie  sont  datés  de  jan- 
vier et  février  1663,  la  plupart  d'entre  avril  et  juillet  de  la  même 
année;  on  en  trouve  du  21  octobre  1663  et  même  du  9  décem- 
bre 1664  (Englesqueville).  De  pareils  retards  sont  visibles  dans 
toutes  les  collections  de  rôles  que  nous  possédons.  Il  faut  d'ail- 
leurs observer  que  les  dates  données  ici  sont  celles  qui  figurent 
sur  les  actes,  et  nous  ignorons  si  elles  n'ont  pas  été  corrigées 
pour  masquer  des  retards  plus  grands  encore,  et  pour  éviter  des 
difficultés  à  l'élection  ou  à  l'intendance6. 

A  la  fin  de  sa  vie,  Colbert  voulut  réglementer  à  nouveau  cette 
matière;  par  l'arrêt  du  conseil  du  23  septembre  1681,  il  sup- 
prima (art.  9)  le  délai  du  31  janvier  accordé  jusque-là  aux 
paroisses  et  ne  leur  donna  plus  que  les  15  jours  suivant  la  récep- 
tion du  mandement.  En  outre,  une  amende  de  20  1.  s'appliquait 
à  ceux  qui  seraient  «  convaincus  d'avoir  exigé  ou  composé  pour 

1.  M.  C.  33,  £°  288. 

2.  A.  D.  Calvados,  Election  de  Caen,  mandement  de  1678,  cf.  également  les 
mandements  de  l'intendant  de  Rouen  en  1672  et  1677,  déjà  mentionnés. 

3.  A.  D.  S.  Inf.,  G.  2  673  et  suivants. 

4.  Pour  ce  dernier  toutefois,  il  serait  possible  qu'il  y  eût  une  erreur  matérielle, 
1670  étant  pour  1669;  mais  on  trouve  dans  d'autres  paroisses  des  rôles  rédigés 
avec  une  année  de  retard. 

5.  A.  Mun.  Bayeux. 

6.  Dans  la  plupart  des  rôles  de  l'élection  de  Bayeux,  1663,  la  date  a  été  ajoutée 
après  la  rédaction  du  texte. 


310  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

diminuer  les  taux  des  contribuables1  ».  Mais  ce  règlement  eut 
le  sort  des  précédents  :  les  rôles  de  l'élection  de  Lisieux  con- 
servés aux  Archives  du  Calvados  pour  l'année  1683  sont  souvent 
datés  de  février  et  de  mars  168,3  ;  l'un  même,  celui  de  Fonte- 
nelle,  est  du  29  février  1684;  la  plupart  sont  des  mois  de  no- 
vembre et  décembre,  alors  que  le  mandement  pour  la  levée  de 
l'impôt  est  daté  du  13  octobre. 

Quant  aux  «  compositions  »  faites  par  les  collecteurs  avec  les 
contribuables  à  la  faveur  de  ces  retards,  on  les  retrouve  à  la  fin 
du  ministère  de  Colbert  comme  au  début;  le  13  juin  1682  l'in- 
tendant de  Rouen  écrit  : 

«  Lorsque  les  collecteurs  sont  nommez  ou  qu'on  leur  a  envoyé  les 
mandemens,  ils  retardent  la  confection  des  rolles  pour  tirer  de  l'argent 
des  particuliers;  ce  mal  est  général  dans  les  eslections,  et  presqu'im- 
possible  d'y  "remédier,  ceux  qui  en  pourroient  déposer  y  ayant 
mterest;  j'ay  donné  ordre  à  des  gens  d'en  avoir  des  lumières,  et  de 
m'en  advertir,  les  officiers  de  l'eslection  ne  s'en  donnant  pas  la  peine*.  » 

Il  était  d'ailleurs  des  cas  particuliers  où  le  retard  dans  la 
confection  des  rôles  était  avantageux  pour  le  fisc  :  l'intendant 
de  Rouen  en  signale  un  dans  un  mémoire  du  5  octobre  1684;  les 
prés  d'embouche  qui  sont  communs  dans  les  élections  d'Evreux. 
Andely,  Pont-Audemer  et  Pont-1'Evêque  sont  ordinairement 
loués  a  tant  par  bête,  à  des  marchands  de  bœufs  pour  quelques 
mois  ou  pour  un  an  au  plus,  mais  le  bail  n'est  conclu  qu'en  jan- 
vier; ainsi  on  ne  peut  imposer  les  fermiers  la  première  année 
«  car  le  roolle  se  trouve  fait  au  mois  de  janvier,  et  si  on  les 
impose  au  mois  d'octobre  suivant,  c'est  inutilement,  car  les  col- 
lecteurs ne  peuvent  se  faire  payer  parce  que  le  maître  élude  les 
exécutions  en  faisant  faire  une  vente  de  bestiaux  au  mois  de 
septembre  pour  l'année  du  bail  qui  est  privilégiée  et  il  se  les 
fait  adjuger,  et  après  cela  on  ne  revoit  plus  ces  fermiers  ».  Ainsi 
ces  terres  qui  se  louent  jusqu'à  40  1.  l'acre  par  an,  ce  qui  est  un 
prix  élevé,  échappent  à  l'impôt.  Mais  autoriser  régulièrement 
les  paroisses  à  faire  leurs  rôles  après  le  1er  janvier  paraît  impos- 
sible h  l'intendant  ;  il  prélère  proposer  pour  ces  terres  une  véri- 
table taille  réelle  comptée  à  raison  de  tant  par  acre  «  de  mesme 
que  l'on  fait  en  Poitou  des  marais  déseichez  que  l'on  taxe  par 

1.  Repris  par  la  déclaration  du  16  août  1G83. 

2.  B.  N.  fr.  8761,  f*  55  :  les  irrégularités  signalées  sur  ce  point  en  Normandie 
semblent  avoir  été  générales  dans  tout  le  royaume  :  on  lit  dans  le  Recueil 
d'Orsay,  rédigé  en  1690,  que  «  la  plus  grande  partie  des  collecteurs  n'ont  pas 
encore  fait  leurs  rolles  au  commencement  de  décembre  et  que  les  brigues  et  com- 
positions sont  tout  à  fait  ordinaires  ».  (B.  N.  fr.  11  096,  f°  15.)  Ces  difficultés 
contribuèrent  beaucoup  à  faire  adopter  dans  toute  la  France  le  système  des 
échelles  pour  la  nomination  automatique  des  collecteurs.  Ainsi  on  espérait  que 
les  collecteurs  seraient  désignés  dès  le  mois  de  juillet  pour  faire  leurs  rôles  assez 
tôt  et  sans  brigues,  mais  au  dire  Je  Lallemant  de  Lérignen,  cette  mesure  fut 
encore  insuffisante.  (B.  N.  fr.  7771,  f  179.) 


L  ASSEMBLÉE    DES    COLLECTEURS.  311 

arpen,  »  quitte  il  excepter  les  exploitations  des  privilégiés;  cette 
solution  ne  fut  du  reste  pas  adoptée  *. 


VI.  —  L'ASSEMBLEE  DES  COLLECTEURS 

Les  collecteurs  assemblés  pour  dresser  les  rôles  forment  un 
«  collège  »,  une  commission,  qui  représente  l'assemblée  de  la 
paroisse.  Ils  prêtent  serment  devant  le  curé  de  faire  leur  devoir 
en  conscience,  à  en  croire  du  moins  la  formule  de  certains 
rôles  2. 

La  présence  de  tous  les  collecteurs  à  la  réunion  n'est  pas 
nécessaire,  mais  nul  ne  peut  faire  défaut  sans  motif3.  Les 
absents  sont  mentionnés  sur  le  rôle,  et  quand  leur  absence  est 
due  à  leur  refus,  ce  motif  est  toujours  consigné.  Ainsi  à  Bricque- 
ville  (él.  de  Bayeux)  en  1663,  6  seulement  des  11  collecteurs 
étant  présents,  il  est  écrit  que  les  six  «  ont  procédé  à  ladite 
assiette  néantmoins  l'absence  de  André  Regnauld,  Estienne 
Convenant,  Gabriel  Le  Nepveu,  Pierre  Mat,  et  Gratian  de  la 
Lande,  autres  collecteurs,  qui  ont  reffusé  comparoir  et  procéder 
à  ladite  assiette,  et  dont  il  ne  se  pourront  prévaloir  de  leur 
absence  4  ».  Cette  dernière  mention  que  les  absents  «  ne  se 
pourront  prévaloir  de  leur  absence  »  est  toujours  soigneuse- 
ment ajoutée  en  pareil  cas.  —  Parfois,  les  absents  présentent 
un  certificat  pour  s'excuser  :  aussi  le  curé  de  Neuilly  (él.  de 
Bayeux)  atteste,  le  11  mai  1663,  que  deux  des  collecteurs  sont 
malades,  et  n'ont  pu  travailler  au  rôle,  qui  a  été  signé  en  sa 
présence  5. 

Mais  les  collecteurs  présents  peuvent  contraindre  les  absents 
à  se  joindre  à  eux  :  en  ce  cas  ils  leur  intentent  un  procès  devant 
l'élection.  Ainsi  deux  collecteurs  de  Saint-Jores  assignent  leur 
collègue,  qui  est  porte-bourse,  devant  l'élection  de  Bayeux,  le 
22  novembre  1674,  pour  «  parachever  avec  eux  l'assiette  de 
taille  dudit  lieu,  encommansée  le  jour  d'hier  pardevant  M.  Jac- 
ques Ellie,  suivant  qu'il  y  a  esté  nommé  pour  ce  faire  par  les- 
dits  paroissiens  dudit  lieu,  et  dire  la  cause  de  refus  6.  » 

Les  présents  délibèrent  à  la  majorité.   Souvent  les  protesta- 

1.  A.  N.,  G?  492. 

2.  Rôle  de  Fauguernon  (él.  de  Lisieux),  1661  :  les  collecteurs  «  ayant  esté  jurez 
par  le  curé  de  ladite  parroisse  de  bien  et  fidellement  procedder  a  ladite  assiette 
en  leur  ame  et  conscience  ».  (A.  D.  Calvados,  él.  de  Lisieux,  rôles.)  —  Rôle  de 
Saint-Loup-hors  (él.  de  Bayeux),  1663  :  «...  A  laquelle  assiette  il  a  esté  procédé 
par  lesdits  collecteurs,  après  avoir  esté  deuement  jurez  ».  (A.  mun.  Bayeux,  liasses 
de  rôles.)  Les  mentions  de  ce  genre  sont  exceptionnelles. 

3.  Les  «  légitimes  empeschemens  »  sont  seuls  admis  par  le  règlement  de 
janvier  163i,  art.  45  in  fine. 

4.  A.  Mun.  Bayeux. 

5.  Certificat  joint  au  rôle  de  la  paroisse,  A.  mun.  Bayeux. 

6.  A.  D.  Calvados,  Elect.  de  Bayeux,  Plumitif. 


312  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

tions  de  la  minorité  sont  inscrites  à  la  fin  des  rôles;  en  voici 
quelques  exemples  pris  dans  les  rôles  de  l'élection  de  Bayeux 
pour  l'année  1663. 

A  Saint-Loup-sur,  Jean  Larchon,  collecteur,  proteste  contre 
l'augmentation  de  taille  qui  lui  est  infligée  ainsi  qu'à  son  fils 
(14  1.  2  s.);  ses  collègues  ripostent  «  que  le  fils  dudit  Larchon 
est  marié  depuis  six  mois  et  retire  tous  les  biens  de  son  père 
en  sa  maison,  contre  lequel  ils  prétendent  l'obliger  de  repondre 
pour  sondit  père,  dont  lettre  a  esté  accordée  ausdits  collec- 
teurs ».  A  Cardonville,  les  «  collecteurs  bas-assis  »  protestent 
contre  la  diminution  que  s'est  octroyée  le  porte-bourse,  et  l'en 
laissent  responsable  «  sy  aucun  procès  en  est  meu  »  ;  l'un  d'eux 
proteste  également  «  sur  la  ligne  dudit  Houllet  comme  le  préten- 
dant surhaussé;  les  protestations  des  autres  collecteurs  au 
contraire  ».  A  Deux-Jumeaux,  «  a  ledit  Vaultier  [collecteur] 
protesté  que  la  présente  assiette  ne  le  pourra  prejudicier  à  sa 
descharge  et  delfence  ainsy  qu'il  voudra  bien;  les  autres  collec- 
teurs ont  faict  semblable  protestation,  dont  lettre  ».  A  Saint- 
Vigor-le-Petit,  deux  des  collecteurs  s'opposent  h  «  la  somme 
de  la  veuve  Guillaume  Le  Vasnier  comme  trop  surchargée 
[90  1.],  et  que  la  creue  qui  luy  a  esté  donnée  Ta  esté  contre  leur 
advis  ».  A  Nonnant,  Jean  Laisné  proteste  contre  la  diminution 
de  14  1.,  accordée  à  son  collègue  Raphaël  Leduc  (16  1.,  au  lieu 
de  30  l'année  précédente),  et  contre  l'augmentation  de  plusieurs 
autres  cotes,  déclarant  qu'  «  il  entend  en  faire  respondre  ses- 
dits  consorts  en  cas  de  non  payement  ». 

La  plupart  de  ces  protestations,  comme  on  peut  en  juger  par 
ces  exemples,  sont  faites  par  des  collecteurs  au  sujet  de  leurs 
propres  cotes. 

L'usage  ancien  voulait  que  la  réunion  des  collecteurs  se 
tînt  dans  la  paroisse,  mais  l'art.  45  du  règlement  de  1634 
l'avait  modifié  :  ils  devaient  se  rendre  au  bureau  de  l'élection 
pour  dresser  leurs  rôles  en  présence  de  l'élu  qui  avait  fait  ses 
chevauchées  dans  leur  village;  pour  l'année  1634  tous  les  col- 
lecteurs devaient  être  présents,  et  les  années  suivantes  la  moitié 
d'entre  eux  seulement  en  seraient  tenus  (art.  46).  Cette  mesure, 
destinée  à  éviter  les  brigues  et  les  influences  étrangères,  était 
fort  gênante  pour  les  collecteurs;  la  Cour  des  Aides  de  Rouen, 
lorsqu'elle  enregistra  le  règlement,  demanda  qu'elle  fût  appli- 
quée «  pour  cette  année  seulement,  et  qu'à  l'avenir  l'usage  de 
la  province,  arrests  et  règlements  de  la  Cour  »  fussent  suivis; 
la  déclaration  du  16  juin  1635  *  lui  donna  satisfaction,  mais  les 
motifs  qui  l'inspiraient  n'étaient  pas,  semble-t-il,  ceux  de  la  Cour  : 

Nous  avons  reconnu,  disait  le  roi,  «  que  plusieurs  officiers  desdites 
eslections,...    abusans   du  pouvoir   à    eux    donné   par  ledit  article, 

t.  Dans  Néron,  t.  I,  p.  867. 


L  ASSEMBLEE    DES    COLLECTEURS.  313 

retiennent  les  rolles  des  tailles  en  leurs  maisons,  et  sans  prendre  ny 
suivre  les  avis  des  asséeurs  collecteurs,  déchargent  les  riches  et 
surchargent  les  pauvres  à  leur  volonté  :  ce  qui  cause  des  non-va- 
leurs, dont  lesdits  asséeurs  collecteurs  estans  obligez  d'advancer  les 
deniers,  et  ne  s'en  pouvant  faire  payer,  sont  pour  la  plupart  ruinez.  » 

Les  collecteurs  demeurèrent  donc  libres  dans  leur  réunion, 
et  aucune  autorité  n'y  fut  plus  tolérée  par  les  règlements  '. 

Dans  les  paroisses  où  il  n'y  a  pas  de  maison  commune,  et 
c'est  le  cas  du  plus  grand  nombre,  les  collecteurs  se  réunissent 
où  bon  leur  semble;  les  règlements  leur  prescrivent  seulement 
de  choisir  «  un  lieu  libre  »,  où  ils  seront  à  l'abri  des  sollicita- 
tions et  des  influences  étrangères2.  D'après  Boisguilbert,  qui 
parle  surtout  de  ce  qu'il  a  vu  en  Normandie,  les  assemblées 
«  ne  se  font  d'ordinaire  qu'au  cabaret3  ».  Mais  souvent  aussi 
le  rôle  est  dressé  chez  le  scribe  chargé  de  l'écrire  :  Lallemant 
de  Lévignen,  intendant  d'Alençon,  écrit  en  1732  que  les  collec- 
teurs se  transportent  ordinairement  «  dans  la  ville  où  est  le 
siège  de  l'élection  et  s'adressent  à  un  procureur  ou  à  un  clerc 
entendu  auquel  tous  ensemble  ils  déclarent  leur  intention*  ». 
et  cet  usage  existait  déjà  à  notre  époque,  car  certains  rôles 
sont  datés  de  la  ville  chef-lieu  de  l'élection;  par  exemple  celui 
de  La  Cressonnière  a  été  «  faict  et  arresté  par  lesdits  collecteurs 
devant  nommez,  à  Lisieux,  le  2  décembre  1682  5  ». 

Exceptionnellement,  on  trouve  des  rôles  dressés  chez  un  des 
collecteurs  malades,  chez  le  curé  ou  chez  un  particulier.  Les 
règlements  interdisaient  surtout  de  les  faire  chez  «  les  seigneurs, 
les  curez,  les  officiers  ny  autres  personnes  d'autorité  ou  de 
crédit6  ».  Nous  ne  savons  pas  dans  quelle  mesure  cette  règle 
était  respectée  en  Normandie,  mais  Colbert,  dans  une  circu- 
laire du  28  mai  1681,  écrit  que  S.  M.  a  reçu  l'avis  «  de  toutes 
les  provinces  que  presque  tous  ou  au  moins  un  nombre  consi- 
dérable de  gentilshommes,  officiers  et  personnes  puissantes  fai- 
soient  faire  les  rôles  des  tailles  dans  leurs  chasteaux  et  maisons, 
ou  par  leurs  ordres  7  ».  Les  interventions  assez  fréquentes  de  ces 
personnages  dans  l'assiette,  qui  seront  signalées  plus  loin,  nous 
autorisent  à  supposer  que  les  collecteurs  normands  n'étaient  pas 

1.  Vieuille  déplore  ce  règlement,  auquel  il  fait  remonter  tous  les  vices  constatés 
ensuite  dans  l'assiette  :  «  De  la  liberté  donnée  aux  collecteurs  par  la  déclaration 
de  1635,  dit-il,  a  commencé  la  mauvaise  répartition  qui  a  suivi,  et  qui  fait 
qu'aujourd'hui  les  collecteurs  n'étans  pas  assujettis  commettent  plusieurs  abus 
et  des  inegalitez  étonnantes  dans  la  répartition  ».  Mais  il  ne  faut  pas  oublier 
que  c'est  un  élu  qui  parle.  (Traité  des  Elections,  p.  91-92.) 

2.  Clém.,  Il,  154. 

3.  Détail  de  la  France,  éd.  Daire,  p.  175. 

4.  B.  N.  fr.  7  771,  f°  182. 

5.  A.  D.  Calvados,  G.  Election  de  Lisieux.  11  est  certain  que  ce  rôle  fut  rédigé 
par  un  scribe,  les  trois  collecteurs  étant  illettrés. 

6.  Recueil  d'Orsay,  B.  N.  fr.  11096,  f°  14. 

7.  Clém.,  II,  154. 


m;  la  taille  ex  nohmandie. 

plus  libres  de  choisir  leur  lieu  de  réunion  que  de  taxer  en 
conscience  les  contribuables. 

Tous  les  règlements  depuis  l'origine  interdisaient  également 
à  ces  «  personnes  puissantes  »  d'assister  à  la  réunion  des  col- 
lecteurs, où  qu'elle  se  tint.  Celui  de  1G34  reprenait  cette  défense  : 
«  Nul  ne  pourra  assister  à  l'assiette  avec  lesdits  asséeurs-collec- 
teurs,  excepté  le  premier  notaire,  sergent  ou  autre  personne 
qu'ils  voudront  choisir  pour  écrire  lesdites  taxes  x  »,  que  ce  soit 
le  greffier  de  l'Election,  le  seigneur  de  la  paroisse,  ou  un  «  juge, 
officier  et  autre  personne  de  quelque  qualité  ou  condition 
qu'ils  soient  »;  les  gentilshommes  qui  enfreignent  cette  règle 
encourent  la  «  privation  de  leur  fief  et  droit  de  haute-justice  », 
outre  l'obligation  de  payer  «  en  leurs  propres  et  privez  noms 
les  coteparts  de  ceux  qu'ils  auront  fait  décharger  ou  modérer2». 
Mais  en  novembre  1643  les  Etats  de  Normandie  se  plaignent  que 
les  commis  des  traitants  interviennent  dans  l'assiette  des 
paroisses  «  pour  charger  ou  décharger  plus  ou  moins  ceux  que 
bon  leur  semble3  »,  et  le  roi  ne  leur  donne  qu'une  réponse  éva- 
sive,  promettant  d'appliquer  la  règle. 

Dans  tous  leurs  mandement  aux  paroisses  les  intendant  rap- 
pellent cette  défense,  preuve  qu'ils  la  jugent  nécessaire,  mais 
les  exemples  de  ces  ingérences  étrangères  sont  fréquents.  Par- 
fois même  elles  sont  devenues  régulières  :  à  Honfleur,  en  1669, 
les  habitants  assemblés  se  plaignent  que  les  collecteurs  font 
l'assiette  «  de  leur  chef  et  en  l'absence  des  eschevins,  contre  la 
manière  accoustumée  »,  et  ils  décident  que  les  rôles  seront 
dressés  «  en  la  présence  desdits  eschevins  et  de  quelques  bour- 
geois notables*  ». 

Un  cas  curieux  de  ce  genre  est  exposé  par  l'intendant  d'Alençon 
à  Colbcrt  le  7  novembre  1679.  Dans  la  paroisse  de  Tourouvre, 
élection  de  Mortagne,  le  curé  de  la  paroisse,  nommé  Griset, 

«  s'immisse  et  s'ingère  de  l'assiette  des  tailles  et  prend  prétexte 
contre  tous  les  collecteurs  qui  ont  faict  l'assiette  des  tailles  de  les 
refuser  à  confesse,  et  les  faict  refuser  par  les  prêtres  habitués  en  sa 
parroisse  auparavant  que  lesdits  collecteurs  aient  esté  entendus  en 
confession,  si  bien  que  depuis  cinq  années  ou  environ  tous  les  collec- 
teurs nommés  ont  esté  refusés  et  n'ont  point  esté  à  confesse  sans 
sçavoir  pour  quel  subjet,  sinon  que  la  plus  part  d'entr'eux  ayant  esté 
sollicités  par  ledit  Griset  de  modérer  ses  parents  et  amis  et  de  les 
descharger  de  leurs  imposts,  lesdits  collecteurs  n'ayant  point  adhéré 
à  la  prière  dudit  Griset,  ne  la  croyant  pas  juste  ny  raisonnable,  il  a 
pris  ce  prétexte  de  les  refuser  et  de  les  faire  refuser  par  les  prestres 

1.  La  présence  de  ces  secrétaires  était  officiellement  tolérée  :  les  mandements 
portent  souvent,  ù  propos  de  la  cotisation  des  taillables,  la  mention  :  les  collec- 
teurs et  ceux  qui  feront  leur  rolle  »  (par  exemple  celui  de  Caen,  en  1678,  A.  D., 
Calv.). 

2.  Art.  47. 

3.  Cahier,  art.  51. 

'i.  Bréard,  Let  archives  de  Honfleur,  p.  124. 


L  ASSEMBLEE    DES    COLLECTEURS.  315 

de  la  paroisse,  disant  qu'ils  n'avoient  point  faict  ladite  assiette  en 
leurs  âmes  et  consciences,  et  le  nommé  M.  Hubert  Ygou  père  dudit 
constituant,  qui  de  son  vivant  faisoit  la  fonction  de  procureur  au  bail- 
liage dudit  Tourouvre,  ayant  esté  nommé  collecteur  avec  le  nommé 
Jean  Ghastiou  et  autres,  ses  consors  pour  Tannée  1676,  le  nommé 
Bouchigny  un  des  particuliers  contribuables  de  ladite  paroisse  de 
Tourouvre  et  amy  particulier  dudit  sieur  Griset  s'estant  trouvé  haussé 
de  huict  ou  neuf  francs,  ledit  sieur  Griset  obligea  ledit  deffurit  Ygou 
de  lui  mettre  entre  les  mains  une  promesse  de  pareille  somme  pour 
estre  rendue  audit  Bouchigny,  et  par  ce  moyen  reçut  l'absolution  dudit 
sieur  Griset.  Mais  ledit  deffunt  Ygou  ne  l'ayant  point  payée  et  s'estant 
trouvé  malade,  de  laquelle  il  est  décédé  au  mois  de  febvrier  dernier, 
ledit  Griset  refusa  de  l'aller  visiter  dans  sa  maladie  pour  luy  admi- 
nistrer les  saints  sacrements,  disant  qu'il  fist  ce  qu'il  luy  avoit  promis, 
disant  qu'il  l'avait  attrappé  une  façon  mais  qu'il  ne  l'attrapperoit  pas 
l'autre  ;  et  en  effet  ledit  Ygou  estant  décédé,  ledit  sieur  curé  refusa  de 
luy  donner  la  sépulture  en  terre  sainte...  et  les  curés  circonvoisins  de 
ladite  paroisse  de  Tourouvre  s'estant  offerts  de  le  faire  enterrer  en 
leurs  églises  ou  dans  les  cimetières  de  leurs  parroisses,  ledit  sieur 
Griset  les  refusa  au  vu  et  scu  des  frères  servans  de  la  Charité  de  Vil- 
liers,  ce  qui  causa  un  très  grand  scandale  au  public  et  fut  le  consti- 
tuant obligé  de  faire  enterrer  le  corps  de  son  deffunt  père  ailleurs... 
Toutes  lesquelles  façons  d'agir  causent  un  très  grand  désordre  dans 
ladite  paroisse  de  Tourouvre  et  aux  environs,  et  apportent  un  notable 
retardement  aux  deniers  du  Boy,  d'autant  que  les  habitants  refusent 
de  faire  la  fonction  de  collecteurs,  voyant  le  mauvais  traitement  qui 
leur  est  fait  par  ledit  sieur  curé  en  les  refusant  de  leur  administrer  les 
saints  sacrements  *.  » 

Pour  éviter  les  fraudes  commises  dans  la  rédaction  des  rôles, 
certains  intendants  eurent  l'intention  d'assister  eux-mêmes  ou 
de  déléguer  un  homme  sûr  à  la  réunion.  Le  Blanc  écrit  en  1680 
que  «  dans  les  lieux  suspects  »  il  l'ait  dresser  les  rôles  «  en  [sa] 
présence  ou  d'un  officier2  »;  son  ordonnance  du  6  oct.  1676 
prescrivait  que,  dans  les  paroisses  dégrevées  à  cause  de  la  grêle, 
les  rôles  seraient  faits  «  en  présence  d'un  officier  de  l'élection 
et  du  receveur  des  tailles,  sans  frais3».  Cette  intention  était 
louable,  mais  elle  était  désapprouvée  par  Colbert.  Il  écrit  à 
l'intendant  de  Tours,  le  4  février  1683  :  «  J'apprends  par  votre 
lettre  du  30  du  passé...  que  vous  avez  esté  obligé  de  faire  faire 
[un  rôle]  en  vostre  présence,  mais  comme  cette  matière  est  fort 
délicate  et  que  tous  les  règlements  veulent  que  ce  soyent  les 
collecteurs  qui  fassent  ces  rôles...,  vous  devez  tenir  la  main  à 
ce  qu'ils  soyent  ponctuellement  exécutés...  Faire  faire  ces  rôles 
en  vostre  présence  est  entièrement  contraire  à  l'esprit  des  ordon- 
nances, auxquelles  vous  devez  toujours  vous  conformer  4.  » 

1.  A.  N.,  G^71. 

2.  Lettre  du  22  juin  1680,  A.  N.,  G?  491.  Cf.  ses  ordonnances  de  1678,  B.  N.  fr.  8761b,\ 
f°  191  et  suiv.  Il  prescrit  même  que  le  rôle  de  Gournay  sera  dressé  devant  lui-même. 

3.  Godard,  Les  pouvoirs  des  intendants,  p.  241. 

4.  Glém.,  t.  II,  p.  215;  cf.  p.  212  et  Godard,  Les  pouvoirs  des  intendants,  p.  230. 


CHAPITRE    VII 
DEUXIÈME    PARTIE 

L'ASSIETTE 


I.    L  ESTIMATION    DES    FACULTES    DES    TAILLABLES.    —   II.    LA    COTE    DES 

COLLECTEURS.   III.    LA    COMPARAISON    DE    TAUX.    IV.    LES    TAXES 

D'OFFICE.    V.     LES     REJETS.     VI.     L'INEGALITE     DES     COTES.     

VII.    LA    RÉDACTION    DES    ROLES.  VIII.  LA    VERIFICATION.   IX.  LES 

PAROISSES    REFUSANT   DE   FAIRE    LEURS    RÔLES. 


I.   —   L'ESTIMATION    DES    FACULTES 
DES    TAILLABLES 

Toutes  les  opérations  décrites  jusqu'ici  n'étaient  que  le  préli- 
minaire de  la  répartition  entre  les  contribuables,  ou,  comme  on 
disait,  de  1'  «assiette  ».  Suivant  que  celle-ci  était  plus  ou  moins 
bien  faite,  l'impôt  était  plus  ou  moins  onéreux  aux  taillables, 
plus  ou  moins  productif  pour  le  Trésor1. 

Chacun  doit  être  taxé  «  suivant  ses  biens  et  facultez  »  :  tel  est 
le  principe   posé  par  toutes  les   ordonnances2.  Le  sens  en  est 

1.  «  Le  principal  de  l'assiette  des  tailles  n'est  pas  que  Messieurs  les  trésoriers 
de  France  dient  :  l'eslection  de  Paris  portera  tant,  et  que  les  esleuz  de  Paris 
dient  :  La  paroisse  de  Lagny  portera  tant,  mais  le  principal  de  l'assiette  des 
tailles  est  en  cette  paroisse  de  Lagny  et  en  toutes  les  autres  esquelles  se  com- 
mettent les  inégalitez  et  surtaux,  de  garder  esgallité,  de  sorte  que  le  pauvre  soit 
soulagé,  car  en  ce  faisant  on  couppe  la  racine  de  tout  le  mal,  qui  ne  se  peut 
éviter  autrement.  »  (Adcis  du  désordre  qui  est  à  présent  à  l'assiette  des  tailles, 
écrit  vers  1614,  B.  N.  Rec.  Thoisy,  443,  f°  157.) 

2.  L'idée  d'un  impôt  progressif  sur  le  revenu  n'existait  pas  à  cette  époque;  on 
admettait  la  même  proportion  entre  l'impôt  et  le  revenu  quelle  que  fût  la  gran- 
deur de  ce  dernier;  la  tendance  aurait  même  été  de  faire  l'impôt  dégressif,  c'est- 
à-dire  qu'un  gros  revenu  aurait  proportionnellement  moins  payé  de  taille  qu'un 
petit,  c'est  par  exemple  ce  que  proposent  les  intendants  lorsqu'ils  demandent  de 
fixer  la  taille  d'après  le  prix  des  fermages  :  tandis  qu'ils  proposent  pour  les 
petits  fermages  un  taux  de  2  s.  pour  1.,  ils  sont  d'avis  de  ne  mettre  que  1  s.  ou 
même  moins  pour  les  fermages  supérieurs  à  cinq  cents  ou  six  cents  livres.  Ainsi 
de  Marillac  écrit  le  5  oct.  1684  que,  quand  on  a  affaire  à  des  baux  élevés,  les  2  s. 
pour  livre  qu'il  propose  pour  les  baux  ordinaires  «  seroient  trop  forts  »  ;  les  offi- 


318  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

clair  .  l'impôt  doit  porter  sur  toutes  les  «  facilitez  du  contri- 
buable, quelque  part  qu'elles  soient,  meubles  ou  immeubles, 
héritages  nobles  ou  roturiers,  trafic  ou  industrie1  ».  Mais  la 
difficulté  était  d'apprécier  ce  revenu  global.  Les  collecteurs  ne 
disposaient  pas  d'éléments  comparables  à  ce  qu'est  aujourd'hui 
notre  cadastre  :  comment  savoir  la  fortune  d'un  commerçant, 
le  revenu  d'un  rentier,  le  gain  d'un  artisan  ou  d'un  journalier? 
Comment  en  enregistrer  les  perpétuelles  variations?  Le  pro- 
blème, très  gros  aujourd'hui,  était  insoluble  alors.  Il  existait  à 
la  vérité  un  certain  nombre  de  documents  qui  auraient  pu  servir 
à  cet  effet  :  tels  les  livres  de  commerce,  les  actes  de  vente,  les 
baux  des  fermes,  les  inventaires  après  décès,  les»  testaments, 
mais  la  législation  n'autorisait  pas  les  collecteurs  à  en  prendre 
connaissance;  les  tribunaux  ne  pouvaient  pas  en  exiger  la  pro- 
duction dans  les  procès  relatifs  à  la  taille,  et  l'esprit  du  temps 
était  généralement  hostile  à  la  divulgation  de  ces  secrets 2. 

En  1570,  les  commissaires  au  légalement  des  tailles  envoyés 
en  Normandie  ayant  entrepris  un  dénombrement  des  facultés 
de  certains  contribuables,  la  Cour  des  aides  protesta  contre 
l'opération  en  ces  termes  :  «  prétendre  faire  une  générale  des- 
cription des  biens  et  facultés  de  tous  les  habitants  d  icelluy  pays, 
[est]  chose  non  jamais  advenue  en  ce  royaume  et  qui  est  au  pré- 
judice du  bien  public3  ». 

En  1664,  un  procès  fut  appelé  devant  la  Cour  des  aides  de 
Paris  pour  savoir  «  si  les  collecteurs  estoient  recevables  à  faire 
compulser  chez  un  notaire  la  minute  d'un  inventaire  et  autres 
pièces  par  lesquelles  ils  prétendoient  justifier  des  facultez  d'un 
particulier  qu'ils  a  voient  mis  et  imposé  au  rolle  des  tailles  »; 
l'avocat  général  soutint  et  la  Cour  admit  dans  son  arrêt 

ciers  des  élections  pensent  comme  lui  •  qu'il  faudroit  que  les  baux  au-dessus  de 
600  1.  ne  payassent  que  18  d.  pour  liv.  et  que  ceux  au-dessous  et  jusques  a  600  1. 
payassent  les  2  s.  pour  liv  >.  (A.  N.,  G7  492.)  Ainsi  l'on  admet  même  en  principe 
que  les  riches  payent  moins  que  les  pauvres. 

1.  Décl.  de  mars  1600,  art.  20;  cf.  l'art.  35  de  celle  de  janvier  1634,  qui  est 
moins  explicite,  mais  conçu  dans  le  même  esprit.  Lorsque  Colbert  et  d'autres 
songeaient  à  étendre  à  tout  le  royaume  l'usage  du  cadastre,  on  ne  sait  s'ils 
voulaient  imposer  les  seuls  revenus  fonciers,  ou  taxer  en  même  temps  les  revenus 
d'industrie  comme  dans  la  taille  réelle.  Dans  le  premier  cas,  la  diminution  de 
matière  imposable  aurait  eu  sans  doute  des  conséquences  fâcheuses  pour  le 
Trésor;  dans  le  second,  l'encndastrement  des  revenus  mobiliers  avec  toutes  leurs 
variations  eût  été  un  gros  problème.  Dans  son  ouvrage,  Vetlection  ou  de  la  Juris- 
diclion  des  esleus,  1618,  Lebrun  de  la  Rochette  discute  la  question  si  les  revenus 
mobiliers  peuvent  être  imposés;  il  conclut  négativement,  <  parce  que  bien  souvent 
le  marchand  au  lieu  de  gaigner  perd,  que  si  bien  il  a  quelque  fonds  de  marchan- 
dise en  évidence,  l'on  ne  void  pas  les  debtes  dont  il  est  par  contre  débiteur...  • 
(p.  41).  Mais  cette  opinion  est  exceptionnelle. 

2.  Cependant  Bodin  se  déclare  nettement  favorable  à  l'évaluation  des  fortunes 
mobilières  :  «  Il  n'y  a  que  les  trompeurs,  les  pipeurs,  et  ceux  qui  abusent  des 
autres  qui  ne  veulent  pas  qu'on  descouvre  leur  jeu,  qu'on  entende  leurs  actions, 
qu'on  sçache  leur  vie;   mais   les  gens  de  bien,  qui   ne  craignent  pas  la  lumière, 

?  «rendront  toujours  plaisir  qu'on  cognoisse  leur  estât,  leur  qualité,  leur  bien,  leur 
açon  de  vivre.  »  (République,  liv.  VI,  ch.  i.) 

3.  De  Beaurepaire,  Cahiers,...  règne  de  Charles  IX,  t.  I,  p.  235. 


L  ESTIMATION    DES    FACULTES.  319 

«  qu'à  la  vérité  les  hommes  dévoient  estre  taxez  selon  leurs  biens 
et  facultez,  mais  qu'on  ne  peut  admettre  cette  voye  extraordinaire  pour 
en  avoir  connoissances,  permettre  de  pénétrer  dans  le  secret  des 
familles,  et  de  faire  de  telles  perquisitions,  que  cela  estoit  contre  la 
liberté  publique  des  François,  que  l'ordonnance  n'ayant  point  receu 
d'autre  moyen  pour  juger  des  facultez  des  hommes  que  la  commune 
renommée,  le  dire  d'experts  et  de  ceux  qui  peuvent  avoir  quelque 
connoissance  de  leurs  biens  par  leur  réputation,  on  ne  devoit  point 
autoriser  par  des  exemples  qu'un  notaire  pûst  estre  tenu  de  rapporter 
et  représenter  des  actes  qui  lui  ont  esté  confiez  et  déposez  dans  l'asseu- 
rance  du  secret1  ». 

Le  rédacteur  du  Code  de  Commerce  en  1673  obéissait  au 
même  sentiment  lorsqu'il  interdisait  la  production  des  livres  de 
commerce  :  «  La  représentation  ou  communication  des  livres- 
journaux,  registres  ou  inventaires  ne  pourra  estre  requise  ni 
ordonnée  en  justice,  sinon  pour  succession,  communauté  et  par- 
tage de  société  en  cas  de  faillite2.  » 

Les  juristes  qui  ont  commenté  cet  article  citent  des  textes  du 
droit  romain3,  et  invoquent  la  répugnance  commune  des  parti- 
culiers à  dévoiler  leur  fortune  :  «  Par  ce  moyen,  dit  Bornier, 
on  découvre  non  seulement  le  secret  et  l'état  des  affaires  des 
marchands  et  négociants  qui  ne  subsistent  que  par  la  bonne  ou 
mauvaise  opinion  qu'on  en  a,  mais  encore  celui  des  autres 
familles  par  la  liaison  que  les  affaires  des  marchands  ont  avec 
elles4  ». 

Cette  répugnance  à  l'inquisition  de  la  fortune  privée  est  éga- 
lement signalée  par  l'intendant  Basville  dans  une  lettre  au  con- 
trôleur général  du  2  octobre  1705  où  il  donne  son  avis  sur  un  projet 
d'impôt  sur  le  revenu  :  «  L'on  ne  doit  pas  croire  que  l'on  n'ait 
pas  une  extrême  répugnance  à  déclarer  son  bien  et  à  révéler  le 
secret  de  sa  famille.  C'est  la  dernière  des  extrémités,  et  si  con- 
traire au  génie  de  la  nation,  qu'il  ne  peut  lui  arriver  rien  de 
plus  insupportable.  Ainsi  l'on  doit  s'attendre  à  des  déclarations 
qui  ne  seront  point  sincères.  Comment  obliger  un  marchand, 
un  homme  d'affaires,  un  usurier,  à  déclarer  ce  qu'il  a  d'argent? 
S'il  faut  faire  sur  cela  une  inquisition  pour  les  condamner  au 
quadruple,  elle  sera  d'une  longueur  infinie  ;  et  vouloir  présumer 
que  l'on  déclarera  de  bonne  foi  et  sincèrement  ce  qu'on  possède 
c'est  présumer  que  les  hommes  seront  justes  et  raisonnables 

1.  Arrêt  de  la  Cour  des  aides  de  Paris,  22  janvier  1664,  dans  Dufresne,  Journal 
des  principales  audiences  du  parlement,  éd.  1678,  t.  II,  p.  584.  Cf.  De  Merville, 
Maximes,  p.  59-60. 

2.  Ordonnance  de  mars  1673,  tit.  III,  art.  9;  cet  article  est  devenu  l'art.  14  de 
notre  Gode  de  Commerce  actuel. 

3.  Quid  enim  tam  durum  tamque  inhumanum  est  quam  publicatione  pompaque 
rerum   familiarum  et  paupertatis  detegi  vilitatem  et  invidiae  exponere  divitias? 

4.  Bornier,  Conférence  des  Ordonnances  de  Louis  XIV,  éd.  1755,  t.  II,  p.  462, 
cf.  Jousse  Commentaire  sur  V Ordonnance  du  Commerce,  éd.  1755,  in-12,  p.  321. 


320  Là    TAILLE    EX    NORMANDIE. 

dans  leur  propre  intérêt  :  ce  que  l'on  ne  doit  pas  attendre  de 
la  plupart1.  » 

A.  défaut  de  tels  documents,  les  lois  cherchaient  a  saisir  la 
fortune  d'un  contribuable  par  les  signes  extérieurs.  Le  règlement 
de  1634  prescrivait  aux  collecteurs,  pour  faire  c  reconnoitre  par 
la  lecture  dudit  rolle  si  la  taille  aura  été  bien  assise  »,  d'y 
inscrire  «  la  condition  des  cottisez,  comme  de  juge,  notaire, 
greffier,  sergent,  procureur  de  seigneurie,  marchand,  artisan, 
fermier  de  gentilhomme,  des  oficiers  des  élections,  ou  laboureur, 
et  si  le  laboureur  travaille  pour  lui  ou  pour  autrui,  et  à  combien 
de  charues  »  (art.  45). 

Mais  il  n'était  pas  aisé  d'obtenir  l'inscription  de  ces  rensei- 
gnements sur  les  rôles  avec  exactitude.  Dans  certaines  paroisses, 
on  respectait  le  règlement,  et  nous  avons  des  rôles  où  ces 
détails  sont  minutieusement  consignés2.  Plusieurs  avaient  même 
adopté  un  usage  qui  complétait  fort  heureusement  l'ordon- 
nance :  c'était  la  publication  des  mutations  de  propriétés3.  Mais 
ce  sont-là  des  exceptions.  En  général,  l'inscription  était  très 
mal  faite;  nulle  part  elle  n'était  contrôlée.  Elle  était  d'ailleurs 
très  insuffisante  pour  déterminer  automatiquement  la  cote  d'un 
contribuable  :  le  terme  de  «  charrue  »  était  vague;  il  ne  tenait  pas 
compte  des  différences  de  fertilité  des  terres,  ni  des  diverses 
cultures;  quant  aux  revenus  mobiliers,  ils  n'étaient  précisés  par 
aucune  indication.  Pescheur  l'a  bien  expliqué  :  «  L'inégalité, 
dit-il,  ne  se  peut  descouvrir  sans  scavoir  au  vray  le  bien  de 
chaque  particulier,  et  sa  juste  valeur,  pour  en  faire  le  sol  et  marc 
la  livre,  ce  qui  est  moralement  impossible;  et  quand  il  [ne]  le 
seroit,  ne  suffiroit  pas,  parce  que  les  tailles  estans  personnelles 

1.  De  Boislisle,  Correspondance,  t.  H,  n°  891.  Il  faut  cependant  observer  que 
l'investigation  de  la  fortune  privée  était  admise  dans  les  pays  de  taille  réelle  ; 
ainsi  pour  dresser  le  compois  cabaliste,  <  il  est  requis  que  ceux  qu'on  veut  cotiser 
pour  les  cabaux,  meubles  lucratifs,  ou  deniers  à  intérêts,  à  rente  ou  à  pension, 
soient  appelés  par  exploit  devants  lesdits  prud'hommes  et  contrôleur  de  cabaux 
avec  son  commis  pour  jurer  sur  la  vérité  et  valeur  de  leurs  cabaux  et  obliga- 
tions »  ;  ils  font  leur  déclaration  sous  la  foi  du  serment,  et  les  prud'hommes 
peuvent  «  se  transporter  es  maisons,  boutiques  et  métairies  desdits  marchands 
et  cabalistcs,  et  se  faire  exhiber  leurs  marchandises,  cabaux  et  livres  de  raison 
à  quoi  ils  sont  contraints,  comme  pareillement  tous  notaires  sont  contraints  à 
exhiber  leurs  registres  pour  être  faite  vérification  des  obligations  et  deniers 
prêtés,  et  ainsi  se  juge  tous  les  jours  lesdits  chefs  en  ladite  Cour  des  Comptes, 
Aides  et  Finances  de  Montpellier  ».  (D'Espeisses,  Traité  des  tailles,  dans  ses 
Œuvres  complètes,  éd.  de  1750,  t.  III,  p.  341.) 

2.  Cf.  ci-dessous,  p.  373  et  suiv. 

3.  A  Rots  par  exemple,  on  trouve  nombre  d'actes  enregistrant  les  mutations  de 
terres,  achats  de  bestiaux  ou  contrats  de  cheptel  ;  en  voici  un  à  titre  d'exemple  : 
«  Le  dimanche  septiesme  jour  d'août  mil  six  cents  soixante  et  un,  audience  d'un 
contract  passé  devant  de  Rozière  et  Caumont  thabellions  à  Cheux  le  deuxiesme 
jour  de  juillet  scellé  et  controllé  le  dix-huitième  jour  par  lequel  Jean  Deblé  vend 
à  Pierre  Droard  trois  vergées  de  terre  à  Rots,  délie  de  Champ  Dolent  jouste  Guil- 
laume Le  Maigre  d'une  part  et  butte  d'un  bout  le  sieur  du  Marcalet,  par  le  prix 
et  somme  de  deux  cents  cinquante  livres  de  principal  et  cent  soûls  de  vin  payé 
comptant  parce  que  ledit  acquéreur  soutrira  le  bail  à  Tassin  Blouet  en  pavant 
le  fermage.  »  (A.  Mun.  Rots,  BB  4,  f°  169.) 


L  ESTIMATION    DES    FACULTES    DES    TAILLABLES.  321 

en  ces  lieux,  elles  s'imposent  non  seulement  en  égard  aux  biens, 
mais  encore  à  l'industrie,  qui  faict  bien  souvent  un  revenu  plus 
considérable  que  les  fonds,  de  manière  que  les  asseeurs  n'estans 
pas  obligez  à  faire  des  discussions  si  difficiles  en  travaillant  à 
ï'impost  des  tailles,  mais  a  les  distribuer  de  bonne  foy  à  ceux 
qu'ilz  croyent  les  devoir  porter,  et  en  ayans  ainsi  usé  sincère- 
ment, il  n'y  a  pas  d'apparance  de  les  rendre  garandz  du  plus  et 
du  moins  4.  » 

Bien  des  tentatives  seront  faites  pour  obtenir  une  désigna- 
tion plus  précise  des  facultés  des  contribuables;  on  n'aboutira 
jamais.  En  1680,  l'intendant  de  Caen  demande  qu'on  oblige  les 
collecteurs  à  indiquer  «  combien  [chacun]  auroit  de  bien  en 
propre,  combien  a  ferme,  pour  qui,  si  dans  la  paroisse,  si  dans 
une  autre,  ou  si  c'est  pour  son  industrie  »,  mais  pour  que 
leurs  indications  fussent  contrôlables,  il  faudrait,  dit-il,  dresser 

«  un  procès  verbal  fîdel  de  Testât  de  chaque  paroisse,  qui  contien- 
droit  de  combien  d'acres  de  terre  elle  est  composée,  combien  il  en 
appartient  aux  seigneurs,  ecclésiastiques  et  exempts,  combien  en 
commune,  herbages,  labeur,  bois,  lande,  marais  et  autre  nature,  et 
particulièrement  combien  il  en  appartient  aux  taillables  ■  ». 

C'est  l'établissement  d'un  vrai  cadastre  qu'il  propose;  mais 
il  ose  à  peine  en  croire  la  réalisation  possible. 

«  Il  est  constant,  écrit  Lallemant  de  Lévignen  en  1732,  que  si  la  taille 
étoit  repartie  avec  égalité,  le  fardeau  en  seroit  beaucoup  plus  léger; 
toutte  la  difficulté  est  de  trouver  les  moiens  d'y  parvenir.  Il  y  a 
longtemps  qu'ils  ont  été  cherchés,  et  que  l'on  a  fait  différentes  tenta- 
tives sans  aucun  succès,  par  des  raisons  bien  sensibles  que  tous  les 
peuples  qui  composent  l'Etat  étants  sujets  a  la  contribution  des 
deniers  royaux,  travaillent  chacun  en  particulier  a  s'en  soustraire, 
sinon  pour  la  totalité,  au  moins  pour  une  grande  partie,  que  tous  les 
fonds  sont  d'une  différente  qualité  et  valleur,  l'industrie  de  chaques 
particulliers  différente,  et  le  commerce  sujet  a  des  vicissitudes  conti- 
nuelles3. » 

Et  Vieuille,  en  1739  : 

«  Les  assujettir  [les  collecteurs]  à  faire  mention  de  la  quantité  des 
terres  que  chaque  habitant  possède  en  son  propre  ou  à  titre  de  ferme, 
et  les  habitans  du  dehors,  en  fixer  le  revenu,  approfondir  et  estimer 
le  produit  de  l'industrie,   c'est  les   réduire  à  l'impossible   par  les 

1.  M.  G.  33,  f°  292.  Cf.  ci-dessous,  p.  382. 

2.  Mémoire  du  15  août  1680,  A.  N.,  G7  913.  Le  projet  d'établir  un  cadastre, 
que  Colbert  étudia  sérieusement,  était  ancien  :  Richelieu  l'avait  eu  (V.  le  mémoire 
de  Fabert,  publ.  dans  Bourelly,  Le  maréchal  Fabert,  II,  p.  123).  On  avait  fait  un 
essai  en  Champagne  en  1657  :  V.  E.  de  Barthélémy,  Statistique  des  élections  de 
Reims,  Rethel  et  Sainte-Ménehoulde...  par  le  sieur  de  Terruel,  dans  les  Trav.  de 
VAcad.  de  Reims,  t.  70,  et  Bourelly,  1.  c. 

3.  Observations  sur  la  taille,  B.  N.  fr.  7  771,  f°  170.  Marillac  avait  déjà  exprimé 
cette  idée  dans  son  mémoire  du  5  octobre  1684,  A.  N.  G7  492. 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


21 


323  LA    TAILLE    EN    NOIIMANDIE. 


difficullez  de  distinguer  la  qualité,  la  nature  et  le  produit  des  fonds,  si 
inégaux  dans  chaque  paroisse,  d'approfondir  une  industrie  dans  la 
recherche  de  laquelle  il  y  auroit  des  écueils  et  des  injustices  infinies 
contre  l'intérêt  que  l'on  a  de  ménager  le  commerce,  de  ne  blesser  ni 
arrêter  les  talens  naturels  des  particuliers,  qu'il  faut  regarder  comme 
les  serviteurs  domestiques  de  l'Etat.  Rendre  sur  tout  cela  les  collec- 
teurs les  maîtres,  c'est  toujours  la  taille  arbitraire  comme  elle  est,  et 
on  tomberoit  dans  de  plus  grands  inconvéniens,  rien  n'étant  si  trom- 
peur que  le  commerce1.  » 

Il  y  avait  cependant  un  cas  particulier  où  les  collecteurs  pou- 
vaient fixer  mathématiquement  la  cote  d'un  contribuable,  c'était 
quand  il  s'agissait  d'un  fermier  :  le  prix  de  son  bail  —  si  du 
moins  il  n'avait  pas  d'autres  ressources  que  sa  ferme  —  était 
un  indice  de  ses  facultés.  Sans  doute,  il  y  avait  des  nuances  à 
observer  :  Lallemant  de  Lévignen  fait  judicieusement  remarquer 
qu'un  fermier  de  bonnes  terres,  comme  celles  du  pays  d'Auge,  ne 
sera  relativement  pas  plus  chargé  d'impôt  au  taux  de  50  p.  100 
du  prix  de  son  bail,  qu'un  fermier  de  mauvais  pays,  par  exemple 
dans  le  Perche,  au  taux  de  25  p.  100 2.  Mais  en  gros,  on  pouvait 
proportionner  la  taille  au  fermage  sans  grande  chance  d'erreur. 

La  Cour  des  aides  de  Rouen,  par  ses  arrêts  des  28  janvier  1619 
et  4  décembre  1627,  avait  décidé  que  les  privilégiés  prenant 
des  biens  à  ferme  en  sus  de  la  quantité  qui  leur  était  accordée 
en  franchise  seraient  imposés  sur  le  pied  de  25  pour  100  du 
prix  de  leur  bail3.  Pareillement,  le  règlement  d'août  1664, 
art.  30,  statuait  que  «  les  ecclésiastiques  dérogeant  et  prenant 
des  terres  à  ferme,  lesquels  font  valoir  leurs  biens  de  patri- 
moine et  d'acquêts,  seront  imposez  au  rôle  des  tailles  au  quart 
de  la  valeur  du  revenu  des  fermes  qu'ils  tiendront*  ».  Les  inten- 
dants, en  certains  cas  particuliers,  taxent  ou  font  taxer  les  fer- 
miers d'après  leurs  baux  :  Voysin  impose  au  quart  du  revenu 
de  leurs  fermes  les  bourgeois  de  Rouen  qui  cultivent  des  biens  à 
la  campagne  5.  En  1677  son  collègue  de  Caen  voulant  exactement 
taxer  d'office  les  officiers  royaux  non  exempts  dit  qu'il  fait  lui- 
même  une  évaluation  de  leur  revenu  foncier,  pour  les  imposer 
au  dixième,  mais  il  reconnaît  que  si  c'est  là  «  le  pied  commun 
sur  lequel  la  taille  peut  s'estimer  estre  imposée  en  cette  pro- 
vince dans  les  villes  »  où  habitent  ces  officiers,  la  proportion  est 
beaucoup  plus  forte  à  la  campagne s.  En  1684,  Marillac,  embar- 

1.  Traité  des  élections,  p.  297-298. 

2.  Obsero.  sur  la  taille,  B.  N.  fr.  7  771,  f°  172. 

3.  Le  premier  de  ces  arrêts  est  mentionné  dans  le  règlement  d'août  166),  art.  30. 
Le  second  se  trouve  dans  le  Recueil  d'édité  sur  la  taille,  A.  N.  AD™  471,  p.  17. 

4.  Il  est  à  noter  que  le  règlement  était  spécial  à  la  Normandie;  dans  le  ressort 
de  la  Cour  des  Aides  de  Paris,  la  déclaration  du  12  février  1663  prescrivait  sim- 

{ dément  que   les  ecclésiastiques   dérogeant  fussent   imposés   «  en  égard  a  leurs 
acultez  ». 

5.  Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen  en  1665,  p.  137. 

6.  Lettre  à  Colbert,  31  décembre  1677,  A.  N.  G7  213. 


,. 


L  ESTIMATION  DES  FACULTES  DES  TAILLABLES.         323 

rassé  pour  imposer  les  contribuables  exploitant  des  terres  hors 
de  leur  paroisse,  propose  de  leur  faire  payer  10  p.  100  du  prix 
de  leurs  baux  s'ils  sont  fermiers  à  moins  de  600  1.  et  7,5  p.  100 
au-dessus  de  600  l.1;  son  avis  ne  sera  du  reste  pas  suivi.  Bou- 
lainvilliers  déclare  que  «  communément  »  en  Normandie  la  taille 
monte  à  3  s.  pour  livre  du  fermage  :  une  ferme  de  500  1.  est 
imposée  75  1.  .  M.  de  Fougerolles  assure  aussi  que,  en  diverses 
paroisses  du  Vexin,  on  impose  la  taille  «  a  raison  de  trois  ou 
quatre  sols  du  fermage3  ».  Les  différences  énormes  entre  ces 
tarifs  (ils  varient  de  25  à  7,5  p.  100),  montrent  l'incertitude  des 
répartiteurs  dans  l'utilisation  de  ce  procédé. 

La  nécessité  d'une  base  de  taxation  apparaissait  surtout  lors- 
qu'un contribuable  intentait  un  procès  pour  être  dégrevé.  En 
ce  cas  les  règlements  prescrivaient  l'enquête  par  témoins  ou 
par  experts4.  Les  commissaires  au  régalement  des  tailles,  en  1634, 
avaient  cherché  à  établir  une  procédure  certaine  :  les  experts, 
d'après  leur  Instruction,  devaient  être  choisis  au  nombre  de 
«  quatre  ou  cinq  des  plus  gens  de  bien  de  la  parroisse,  dont 
l'un  sera  le  curé  ou  le  vicaire  d'icelle  »,  prêter  serment  et 
déclarer  «  les  moyens,  facultez  et  vacations  »  des  intéressés5. 
Peut-être  aurait-on  pu,  en  développant  ce  système,  arriver  à  des 
résultats  heureux;  mais  après  la  disparition  des  commissaires, 
il  fut  abandonné.  La  Cour  des  aides  tendait  de  plus  en  plus  par 
sa  jurisprudence  à  éliminer  les  preuves  matérielles  pour  s'en 
rapporter  à  la  «  commune  renommée  ».  Sa  doctrine  a  été  résu- 
mée en  1778  par  l'avocat  général  dans  un  plaidoyer  relatif  a 
une  comparaison  de  taux 6  : 

«  Les  règles  sont  que,  pour  prononcer  sur  les  impositions  du  deman- 
deur et  du  défendeur  en  cotte,  les  experts  ne  doivent  prendre 
d'autres  instructions  que  de  la  commune  renommée  :  ces  instructions 

1.  Cf.  ci-dessus,  p.  317,  note  2. 

2.  Mémoires  présentés  au  duc  d'Orléans,  t.  I,  p.  100.  L'arrêt  du  Conseil  du 
15  mars  1720  établissant  la  taille  proportionnelle  dans  l'élection  de  Bernay  fixe 
le  taux  d'imposition  à  2  s.  pour  Ht.  du  revenu  des  terres. 

3.  Ibid.,  II,  p.  149.  Mémoire  de  1711. 

4.  Edit  de  mars  1600,  art.  4  et  6.  Cette  procédure  est  déjà  prescrite  par  une 
ordonnance  de  1302  :  «  Len  s'enfourmera  par  loial  gent  qui  plus  doivent  savoir 
l'estimation  des  héritages  et  des  biens  de  chascun  et  ainsinc  ensuivre  resonable- 
ment  la  renomme  de  sa  richece   ».  (Ordonnances  des  rois  de  France,  t.  I,  p.  371). 

5.  Règlement  des  Commissaires,  du  16  mai  1634,  art.  10,  dans  Ducrot,  Traité 
des  Aydes,  Tailles  et  Gabelles,  p.  483.  Cette  procédure  est  indiquée  spécialement 
pour  taxer  les  faux  exempts.  Cf.  le  règlement  de  1597,  art.  17  :  pour  supprimer 
«  l'inégalité  dont  usent  lesdits  assiéteurs  des  paroisses  au  fait  de  leurs  rôles  et 
assiette  »,  il  est  prescrit  aux  asséeurs,  en  cas  de  contestations,  de  «  dresser  procès- 
verbal  des  biens  meubles  qui  se  trouvent  es  maisons  tant  du  complaignant  que 
de  celui  sur  lequel  on  se  plaindra,  interroger  les  parties  sur  leur  position  et 
héritages,  avec  serment  de  n'en  receler  aucune,  et  outre  ce  prendre  pour  rétablir 
les  impôts  dont  sera  question  l'avis  de  trois  notables  paroissiens  des  paroisses 
circonvoisines  non  suspects  aux  parties  qui  en  leur  présence  prêteront  serment 
par  devant  lesdits  élus  ». 

6.  Sur  la  comparaison  de  taux,  voir  ci-dessous,  p.  332  et  suiv. 


3J4  LA    TAILLE    EN    NOItMANDIE. 

suffisent  parce  que  les  impositions  du  fait  des  collecteurs  sont  censées 
avoir  été  faites,  et  l'ont  en  effet  été,  d'après  les  connaissances  que  la 
commune  renommée  leur  a  données  des  biens  et  des  facultés  de 
chacun  des  taillables  qu'ils  ont  imposé  en  leur  âme  et  conscience  : 
qu'ainsi  lorsqu'il  s'agit  de  confirmer  ou  réformer  leur  ouvrage,  il  est 
raisonnable  de  suivre  la  même  marche  que  celle  qu'ils  ont  prise  eux- 
mêmes.  Ce  seroit  renverser  tout  l'ordre  du  droit  des  tailles  que 
d'introduire  l'usage  que  des  parties  instruisent  leurs  experts  par  des 
déclarations  de  biens...  Si  l'on  faisoit,  ajoute-t-il,  l'estimation  d'après 
un  arpentage  des  biens  et  une  déclaration  en  règle  du  revenu  mobilier, 
il  en  résulteroit  les  plus  grands  inconvénients  de  ces  formes  de  pro- 
céder, en  ce  qu'elles  seroient  et  peu  propres  à  faire  connoitre  sûre- 
ment les  biens  et  facultés  des  parties,  et  qu'elles  seroient  ruineuses 
pour  les  parties,  car  enfin  ces  formes  de  procéder  sur  des  déclarations 
de  biens  occasionneroient  des  productions  sans  fin  et  des  écrits  sans 
nombre;  les  justifications  deviendroient  volumineuses,  et  on  ne  s'en 
contenteroit  point  encore;  on  en  viendroit  à  des  procès-verbaux 
d'arpentages,  peut-être  à  des  procès-verbaux  d'accession  de  biens  et 
de  descente  déjuge;  un  seul  procès  ruineroit  des  familles  entières.  » 

Le  jurisconsulte  Loisel  de  Boismare,  qui  rapporte  ce  plaidoyer, 
conclut  :  Les  experts  ne  peuvent  «  se  procurer  des  connaissances 
à  cet  égard  autres  que  celles  qu'ils  ont  de  leur  chef;  il  leur  est 
très  étroitement  défendu  de  se  faire  remettre  des  déclarations 
de  biens,  et  de  se  livrer  à  aucune  estimation  de  fonds;  ils 
doivent  agir  uniquement  d'après  leur  propre  connoissance  ou 
d'après  la  commune  renommée.  La  Cour  des  aides  de  cette  pro- 
vince a  consacré  ce  principe  par  plusieurs  décisions1.  » 

Une  autre  forme  de  preuve  usitée  dans  les  Élections  est  le 
serment  des  intéressés;  on  l'emploie  pour  savoir  d'un  débiteur 
ce  qu'il  doit  à  son  créancier,  et  réduire  sa  taille  en  conséquence; 
par  exemple,  le  20  avril  1661,  un  collecteur  de  Lintot  ayant 
assigné  Jean  Leclerc  devant  l'Election  de  Caudebec  pour  savoir 
«  quels  deniers  il  doib  à  Guillaume  Lucas  »,  Leclerc  déclare 
par  serment  «  tenir  pour  27  1.  de  fermage  par  an  dudit  Lucas 
et  de  Claude  Adam  de  la  Trinité  du  Mont,  payables  Pasques  et 
Saint-Michel,  et  a  commencé  la  jouissance  dudit  héritage  au  jour 
de  Saint-Michel  dernier,  et  a  payé  la  première  demi-année  par 
advance,  ne  doibvera  rien  jusques  à  la  Saint-Michel,  déclarant 
que  dudit  fermage  Isaac  Colleville  doibt  en  recevoir  la  moitié,  et 
de  l'autre  moitié  ledit  Guillaume  Lucas,  Claude  Adam,  et  Jean 
Gringoire  d'Alvimare  la  reçoivent  par  tiers  comme  à  eux  appar- 
tenant, et  doibt  de  l'antien  bail  trois  termes  sur  lesquels  il  y  a 
arrest  par  Charles  Baudry  de  Lintot,  Michel  Adam  de  Lintot, 

1.  Loisel  de  Boismare,  Dictionnaire  du  droit  des  Tailles,  t.  I,  p.  415  et  suivantes  ; 
l'auteur  renvoie  à  deux  arrêts  de  la  Cour  des  Aides  des  7  février  1757  et  3  février 
1778  :  dans  l'ensemble  du  royaume  l'usage  des  pièces  justificatives  fut  prescrit 
par  arrêt  du  Conseil  du  5  juillet  1707,  mais  cet  arrêt  ne  fut  pas  appliqué.  (Vieuille, 
Traité  det  Election»,  p.  253). 


L  ESTIMATION  DES  FACULTES  DES  TAILLABLES.  325 

Nicolas  Gouette  de  la  Trinité  du  Mont,  Jean  Guibert  de  Lintot, 
Isaac  Golleville  d'Ivetot1  ». 

Mais  tous  ces  procédés  ne  sont  pas  normalement  à  la  dispo- 
sition du  collecteur,  qui  doit  se  fier  à  sa  propre  appréciation, 
à  la  notion  plus  ou  moins  confuse  qu'il  a  des  facultés  de  ses 
concitoyens.  C'est  pourquoi  les  règlements  lui  prescrivent 
toujours  d'opérer  «  en  ses  âme  et  conscience  »,  «  le  plus  juste- 
ment qu'il  se  pourra  »,  sans  plus  de  précision.  Mais  les  obliger, 
comme  dit  Vieuille,  «  de  faire  la  répartition  en  leur  honneur  et 
conscience,  de  garder  l'égalité  entre  les  taillables,  qu'ils  doivent 
imposer  chacun  à  raison  de  leurs  facilitez,  quelque  part  qu'elles 
soient,  meubles  et  immeubles,  héritages  nobles  et  roturiers, 
trafic  et  industrie,  n'en  omettre  aucuns,  soulager  les  pauvres  et 
faire  tout  avec  justice2  »,  est  facile  à  prescrire,  mais  impossible 
à  contrôler.  La  seule  base  matérielle  sur  laquelle  on  puisse 
fonder  un  jugement  est  la  cote  de  l'année  précédente  ; 
augmenter  ou  diminuer  un  contribuable  à  proportion  de  ce  que 
la  paroisse  a  été  augmentée  ou  diminuée,  est,  au  demeurant, 
comme  à  tous  les  degrés  de  la  répartition,  le  plus  sûr  moyen  de 
ne  pas  faire  d'injustice  trop  criante.  Les  ordonnances  en  font 
une  règle  en  certains  cas  spéciaux  comme  pour  empêcher  qu'un 
collecteur  décharge  trop  ses  parents  et  amis,  ou  qu'il  soit  lui- 
même  surchargé  par  vengeance  de  ses  successeurs,  ou  pour  fixer 
l'impôt  d'un  contribuable  récemment  sorti  de  la  paroisse.  Mais 
l'insuffisance  du  procédé  est  plus  grande  encore  que  pour  la 
taxation  d'une  élection  ou  d'une  paroisse  :  il  tend  à  perpétuer 
les  injustices,  et  il  enlève  toute  souplesse  à  l'impôt;  si  le  contri- 
buable augmente  sa  fortune,  il  peut  maintenir  malgré  cela  sa 
cote;  si  au  contraire  il  s'appauvrit,  l'impôt  précipite  sa  ruine.  Un 
pareil  système  appliqué  à  la  rigueur  pendant  longtemps  détrui- 
rait l'impôt  même.  Il  faut  donc  laisser  aux  collecteurs  la  liberté 
de  modifier  les  cotes  ;  mais  alors,  et  on  en  revient  toujours  là, 
l'assiette  est  livrée  à  leur  arbitraire,  l'imposition  est  faite  non 
d'après  les  facultés  du  contribuable,  mais  d'après  l'opinion  que 
le  collecteur  a  de  ces  facultés. 

Le  gouvernement,  connaissant  ce  défaut,  avait  de  très  bonne 
heure  aperçu  la  nécessité  de  surveiller  les  collecteurs,  et  les  élus 
en  avaient  d'abord  été  chargés.  Les  règlements  leur  en  faisaient 
un  devoir  strict3;  mais  on  avait  bientôt  constaté  que  le  remède 
était  pire  que  le  mal;  voici  ce  qu'un  élu  a  publié  à  ce  sujet  : 

1.  A.  D.  Seine-Inf.,  G  2'483. 

2.  Traité  des  Elections,  p.  251. 

3.  L'Advis  au  roi  du  désordre  qui  est  a  présent  a  Vassiette  des  tailles  et  de 
Vordre  qu'il  y  faut  apporter,  rédigé  vers  1614,  propose  comme  remède  aux  inéga- 
lités constatées  dans  les  cotes  des  contribuables  de  faire  dresser  les  rôles  par 
les  élus  «  avec  l'advis  des  asseeurs-collecteurs  »,  et  sous  le  contrôle  des  tréso  - 
riers  de  France.  La  proposition  est  longuement  développée,  de  façon  à  en  pré- 
senter les  avantages;  mais  la  principale  objection,  qui  est  l'improbité  des  élus 
et  trésoriers  de  France,  n'est  pas  envisagée.  (B.  N.  Rec.  Tboisy,  443,  f°  157). 


M  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

«  S'il  estoit  loisible  a  tous  esleuz  faisans  leurs  chevauchées  de  réduire 
et  modérer  tous  taillables  a  leur  fantaisie,  il  ne  faudroit  plus  d'assiet- 
teurs,  n'y  remettre  les  assiettes  a  leur  légalité  et  conscience  :  les 
esleuz  gasteroient  tout...  11  n'y  a  celuy  entre  les  riches  d'une  parroisse 

2ui  n'ait  des  parens  et  des  amis,  ou  qui  ne  peust  faire  quelque  grati- 
cation  pour  estre  deschargé  :  par  ainsi  ne  se  trouveroient  en  fin  que 
les  pauvres  défavorisez  qui  demeureroient  accablez  sous  le  faix  de  la 
taille.  C'est  le  meilleur  de  laisser  la  taxe  et  cottization  des  contri- 
buables a  la  discrétion  et  conscience  des  collecteurs  K  » 

Ces  mots,  écrits  en  1622,  étaient  encore  plus  vrais  en  notre 
temps,  après  toutes  les  taxes  et  vexations  infligées  aux  élus. 

Mais  leur  substituer  les  intendants  pour  ce  contrôle  était 
impossible.  Un  commissaire-départi  ne  pouvait  pas  examiner 
chaque  année  tous  les  rôles  de  sa  généralité.  L'eût-il  pu.  qu'il 
n'aurait  eu  aucun  moyen  de  savoir  s'ils  étaient  bien  ou  mal 
dressés.  Il  ne  pouvait  même  pas  recevoir  toutes  les  plaintes  des 
contribuables,  ni  examiner  toutes  celles  qu'il  recevait,  ni  faire 
toujours  justice.  Il  était  incapable  de  pénétrer  dans  ces  détails, 
et  il  n'avait  personne  pour  le  seconder. 

Nous  avons  un  très  grand  nombre  d'aveux  de  cette  impuis- 
sance. Leblanc  écrit  à  Colbert  le  22  juin  1680,  au  sujet  des  col- 
lecteurs :  «  Il  est  impossible  d'empescher  qu'ils  ne  favorisent 
leurs  amis  et  qu'ils  ne  se  vengent*  »;  et  l'intendant  de  Paris 
en  1690  : 

«  J'avoue  que  ce  seroit  un  grand  bien,  si  l'on  pouvoit  fixer  dans  une 
uste  égalité  ce  que  chacun  doit  porter;  j'y  ai  souvent  fait  réflexion, 
mais  l'usage  m'apprend  que  rien  n'est  plus  difficile  à  exécuter,  parce 
qu'il  n'est  pas  aisé  d'avoir  une  entière  connaissance  des  biens  et 
facultés  des  particuliers,  et  qu'il  est  rare  que  les  cotisables  demeurent 
longtemps  avec  le  même  bien  ou  avec  les  mêmes  terres...  Je  crois 
qu'il  est  bon  de  ne  rien  changer  à  l'usage  établi3.  » 

Auber  dira  pareillement  en  1721  :  «  Il  est  très  certain  qu'il 
n'y  a  que  les  contribuables  qui  puissent,  en  travaillant  de  concert 
entr'eux,  trouver  et  établir  »  la  juste  répartition  de  l'impôt*. 
D'autre  part  le  contrôleur  général  Chamillart  écrira  en  1/05  : 
«  Il  seroit  à  désirer  que  l'on  pût  changer  la  forme  des  imposi- 
tions; le  pouvoir  absolu  que  les  collecteurs  ont  de  régler  les  taux 
de  chaque  particulier  selon  leur  passion  ou  leur  intérêt  fait  un 
désordre  inexprimable5  ».  Dans  l'arrêt  du  conseil  du  5  juillet  1707, 
le  roi  reconnaît  que  jusqu'ici  il  n'a  pu  empêcher  les  abus  des 
collecteurs  qui,  «  sans  garder  dans  la  confection  de  leurs  rolles 

1.  La  Barre,  Formulaire  des  Esleuz,  p.  47. 

2.  A.  N.,  G^  491. 

3.  Lettre  au  contrôleur  général  du  21  ayril  1690,  dans  de  Boialisle,  Mémoire 
de  rintendant  de  Paris,  p.  523-524. 

4.  A.  N.  AD«  470,  pièce  98,  p.  13. 

5.  De  Boislisle,  Corresp.  des  Conir.  généraux,  t.  II,  p.  563. 


L  ESTIMATION  DES  FACULTES  DES  TAILLABLES.         327 

une  juste  proportion  par  rapport  aux  biens  et  facultez  des  contri- 
buables, surchargent  souvent  les  plus  pauvres  et  diminuent  les 
cottes  des  plus  aisez,  les  uns  par  animosité,  les  autres  par  intérêt 
ou  par  crainte  de  l'autorité  qu'aucuns  particuliers  se  sont  acquis 
dans  leur  paroisse  »,  et  il  prescrit  de  faire  redresser  les  rôles 
jugés  mauvais  par  des  personnes  de  confiance  désignées  par 
l'intendant1.  Dans  un  autre  arrêt  du  19  décembre  1716,  le 
roi  déclare  qu'il  établit  la  taille  proportionnelle  parce  qu'en 
dépit  des  règlements  portant  «  que  la  justice  et  l'égalité  seront 
exactement  observées  dans  la  répartition  des  impositions  sur  les 
taillables  »,  «  la  plupart  des  collecteurs  et  asséeurs,  au  lieu  de 
suivre  cette  règle  et  répartir  la  taille  en  leur  âme  et  conscience, 
se  sont  injustement  arrogé  la  faculté  arbitraire  qu'ils  ont  exercée 
jusqu'à  présent  de  cottiser  les  taillables  selon  leur  passion, 
leur  caprice  ou  leurs  intérêts2  ».  Ainsi,  impossibilité  de  s'en 
rapporter  aux  collecteurs,  impossibilité  de  les  remplacer  :  telle 
est  la  conclusion  à  laquelle  on  aboutit  toujours. 

Les  citations  qui  précèdent  sont  empruntées  à  des  admi- 
nistrateurs et  à  des  actes  officiels;  j'ai  éliminé  toutes  les  cri- 
tiques de  personnages  privés  qui  pourraient  être  suspectés;  mais 
si  l'on  veut  relire  ces  critiques,  on  verra  qu'elles  n'y  ajoutent 

1.  A.  D.  Somme,  G,  1104. 

2.  A.  N.  ADIX  470,  pièce  98,  p.  69.  Dans  tout  le  cours  du  xvni*  siècle,  le  gouver- 
nement fera  des  efforts  incessants  pour  remédier  à  cette  inégalité  fondamentale, 
mais  il  n'aboutira  pas.  En  1788,  un  auteur  anonyme  bien  renseigné  écrit  :  «  Les 
collecteurs  qui  font  seuls,  le  rôle  imposent  à  leur  gré  chaque  contribuable,  et 
presque  toujours  sans  expliquer  les  motifs  qui  ont  dû  servir  de  base  à  leur  taxe  : 
j'ai  dit  presque  toujours,  et  en  effet  il  est  on  ne  peut  plus  rare  que  leurs  opéra- 
tions contiennent  les  renseignements  et  les  détails  prescrits  par  nos  loix  ».  (Essai 
sur  la  répartition  de  la  Taille,  A.  N.  AD1*  470,  pièce  170,  p.  17),  et  Moreau  de  Beau- 
mont  écrit  en  1787  :  «  Les  collecteurs,  qui  font  seuls  le  rôle,  n'ont  le  plus  souvent 
ni  les  lumières  ni  la  volonté  nécessaires  pour  bien  opérer;  le  taux  auquel  ils 
imposent  les  contribuables  n'est  fondé  sur  aucun  principe,  ni  sur  aucune  pro- 
portion; leur  opération  ne  renferme  aucun  détail  ni  motif;  les  édits  des  mois  de 
mars  1600  et  janvier  1634...  leur  enjoignent,  à  la  vérité,  d'insérer  dans  leurs  rôles 
à  chaque  cote  la  condition  du  cotisé,  ses  biens  et  exploitations,  tant  en  propre 
qu'à  loyer,  et  autres  facultés,  par  article  séparé,  afin  qu'on  puisse  reconnoitre 
par  la  lecture  du  rôle  si  la  cotte  aura  été  bien  assise,  et  si  les  cottes  de  chaque 
rôle  sont  en  proportion  les  unes  avec  les  autres  ;  mais  cette  proportion  ne  peut 
être  établie  que  par  des  évaluations  exactes  des  objets  sur  lesquels  porte  le  taux; 
comment  y  parvenir  sans  des  règles  fixes?  Gomment  éviter  l'arbitraire  dans  la 
répartition,  si  le  travail  n'est  point  fondé  sur  une  base  certaine  et  invariable  ?  » 
(Mémoires  concernant  les  impositions,  t.  II,  p.  59).  Necker  dira  de  la  taille  per- 
sonnelle dans  son  Compte  rendu  de  1781  :  «  Quelque  soin  qu'on  y  apporte,  quel- 
que modification  qu'on  adopte,  la  répartition  de  cette  espèce  de  taille  ne  pourra 
jamais  avoir  pour  base  qu'une  opinion  plus  ou  moins  éclairée;  et  il  seroit  à 
désirer  que  l'on  pût  renoncer  à  cette  espèce  d'imposition  ou  parvenir  à  la  déna- 
turer, car  il  faut  regarder  comme  contraires  à  l'ordre  et  au  bonheur  public, 
toutes  celles  dont  la  mesure  et  les  proportions  sont  arbitraires  ».  Enfin,  le  roi 
lui-même  déclarera  devant  l'Assemblée  des  notables  de  1787,  dans  cette  sorte  de 
confession  où  il  avoue  son  impuissance  à  gouverner  :  «  La  répartition  des  impôts 
n'a  aucune  base  certaine...  rien  n'a  pu  jusqu'à  présent  garantir  de  l'arbitraire, 
et  l'injustice  s'est  encore  accrue  par  le  crédit,  la  faveur,  la  protection  qui  ont 
affranchi  d'une  partie  de  la  contribution  les  riches  propriétaires,  tandis  que  la 
classe  la  moins  aisée  en  a  supporté  toute  la  rigueur  ».  (Collection  des  Mémoires 
présentés  à  l'assemblée  des  notables,  premier  Mémoire,  p.  14.) 


3M  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

guère,   et  qu'on   peut   adopter  sans  réserves   la  conclusion   de 
Vauban  : 

a  Ce  qu'on  a  toujours  trouvé  à  redire  dans  l'imposition  des  tailles, 
et  à  quoi  les  ordonnances  réitérées  de  nos  rois  n'ont  pu  remédier 
jusqu'à  présent,  est  qu'on  n'a  jamais  pu  bien  proportionner  l'imposi- 
tion au  revenu,  tant  parce  que  cette  proportion  demande  une  connois- 
sance  exacte  de  la  valeur  des  terres  en  elles-mêmes  et  par  rapport 
aux  voisines,  qu'on  n'a  point  pour  l'ordinaire,  et  qu'on  ne  se  met  pas 
en  peine  d'acquérir,  à  cause  qu'il  faudroit  employer  trop  de  temps  et 
de  peines;  que  parce  que  ceux  de  qui  dépendent  les  impositions  ont 
toujours  voulu  se  conserver  la  liberté  de  favoriser  qui  il  leur  plairoit 
dans  les  pais  où  la  taille  est  personnelle  l.  » 


II.    —    LA    COTE   DES   COLLECTEURS 

Les  collecteurs  n'étaient  pas  libres  de  se  taxer  à  leur  gré, 
eux  et  leurs  parents.  L'art.  50  de  la  déclaration  de  janvier  1634 
disait  :  «  Les  asséeurs-collecteurs  ne  se  pouront  cotiser  à  moins, 
ni  leurs  parens  et  alliez,  en  l'année  de  leurs  charges,  qu'ils 
étaient  l'année  précédente,  ou  sur  le  pied  de  leur  cotte,  au  cas  que 
la  taille  eût  été  augmentée  ou  diminuée 2  »  ;  c'est-à-dire  que  leur 
imposition  ne  pouvait  varier  qu'avec  celle  de  la  paroisse3. 
Cependant  l'ordonnance  ajoute  :  Lorsque  les  collecteurs  ou 
leurs  parents  auront  «  souffert  quelque  notable  perte  en  leurs 
biens,  commoditez  et  profits  »,  ils  pourront  être  dégrevés;  mais 
en  ce  cas  il  appartient  aux  élus,  assemblés  au  nombre  de  trois 
au  moins,  de  leur  adjuger  la  diminution.  Pour  toute  contraven- 
tion, l'amende  prononcée  sera  égale  à  la  somme  dont  le  collec- 
teur se  sera  injustement  diminué. 

Ce  règlement  fut  rappelé  chaque  année  aux  contribuables  par 
les  mandements  des  intendants;  il  était  spécifié  que,  si  les  collec- 
teurs suivaient  cette  règle,  ils  ne  pourraient  être  ensuite  assi- 
gnés en  cote  et  comparaison  de  taux  par  les  contribuables, 
«  sauf  en  cas  qu'ils  ayent  commis  des  abus  dans  l'assiette  et 
confection  de  leurs  rôles4  ». 

1.  Dix  me  royale,  éd.  1707  in-12,  p.  40. 

2.  Un  arrêt  du  Conseil  du  4  sept.  1647,  analysé  dans  le  C.  d.  T.,  I,  p.  310,  auto- 
risa les  collecteurs  à  se  diminuer  de  la  moitié  de  leur  imposition,  s'ils  étaient 
cotisés  à  moins  de  100  1.  l'année  précédente;  si  leur  taxe  était  de  100  à  400  1., 
ils  pouvaient  se  diminuer  jusqu'à  100  1.  et  si  elle  dépassait  400,  ils  pouvaient  se 
donner  une  réduction  de  100  1.  sur  leur  taux.  Mais  la  Cour  des  Aides  de  Paris 
rendit,  contrairement  à  cette  disposition,  un  arrêt  du  22  février  1659  qui  réta- 
blissait le  règlement  de  1634  (La  Poix  de  Freminville,  p.  242).  L'arrêt  du  conseil 
de  1H47  était,  dit  Vieuille,  «  d'une  trop  dangereuse  conséquence,  la  liberté  des 
collecteurs  trop  étendue  pour  être  tolérée  »  {Traité  des  Elections,  p.  322-3). 

3.  Sous  le  nom  de  parents  le  législateur  englobe  tous  les  membres  de  la 
famille,  jusqu'aux  cousins  germains  inclusivement.  Vieuille,  p.  322  et  Règlements 
de  Normandie,  p.  53-54. 

4.  Mandement  de  l'int.  de  Rouen,  pour  la  taille  de  1673,  A.  D.  S.-Inf.  C,  2215. 


LA    COTE    DES    COLLECTEURS.  329 

Cependant  rien  n'était  plus  courant  que  cette  pratique  de  la 
part  des  collecteurs  ;  elle  ne  leur  semblait  même  pas  répréhen- 
sible.  Un  manuel  de  confession,  publié  en  1680,  attire  l'atten- 
tion du  prêtre  sur  les  collecteurs  des  campagnes,  «  qui  eux- 
mêmes  se  déchargeront,  et  croiront  que  cela  leur  est  licite, 
puisque  c'est  à  eux  à  faire  l'imposition,  et  que  le  rabais  de  leurs 
cottes  est  la  moindre  récompense  de  leurs  peines  à  faire  la 
collecte,  et  ils  ne  s'en  confesseroient  pas,  bien  qu'ils  fussent 
obligez  à  la  restitution  envers  ceux  qu'ils  auroient  surchargez 
pour  se  soulager  eux-mêmes  ou  leurs  parents1  ».  Les  procès 
mus  devant  les  Elections  et  la  Cour  des  aides  nous  révèlent  une 
foule  d'abus  de  ce  genre2  : 

En  1661,  Jean  Lesage,  collecteur  du  Lorey  (élection  de  Cou- 
tances)  réduit  à  200  1.  son  imposition  qui,  l'année  précédente, 
était  de  418  1.  ;  par  contre,  deux  taillables  de  sa  paroisse,  Jean  et 
Pierre  Ledo,  père  et  fils,  ont  vu  passer  leur  cote  de  46  à  247  1. 
L'affaire,  qui  était  d'importance,  va  jusque  devant  la  Cour  des 
aides,  qui,  par  arrêt  du  6  février  1662,  ordonne  «  que  ledit 
Lesage  se  rechargera  de  la  somme  de  200  1.  au  proffit  et  dimi- 
nution de  l'impost  desdits  Ledo,  dont  la  ligne  demeurera  d'au- 
tant deschargée  »  ;  en  outre  Lesage  est  condamné  à  100  1. 
d'amende  et  aux  dépens,  et  il  «  tiendra  prison  fermée  jusque 
au  plain  et  entier  payement  de  ladite  somme3  ». 

En  1662,  Nicolas  Leborgne,  «  principal  collecteur  »  de  Valli- 
querville  (élection  de  Caudebec),  a  diminué  son  impôt  de  15  1. 
par  rapport  à  l'année  précédente;  assigné  devant  l'Election  par 
un  contribuable  pour  en  répondre,  il  dit  «  que  la  diminution 
par  luy  prize  luy  a  esté  accordée  par  deslibération  de  la  genera- 
litté,  authorisée  par  sentence  »  de  l'Election;  néanmoins  il  est 
condamné  à  payer  les  15  1.,  et  le  rôle  de  la  paroisse  devra  être 
refait  en  conséquence4. 

En  1670,  à  Fouilloy  (élection  de  Neufchâtel),  un  des  collec- 
teurs, Adrien  Delamare,  imposé  l'année  précédente  à  80  1.,  a 
réduit  sa  cote  à  30  1.,  «  par  l'advis,  dit-il,  de  Frémis  Poessonnier 
et  les  autres  collecteurs,  suivant  le  pouvoir  des  habitans  et  sen- 
tence de  MM.  les  esleus  en  date  du  3  décembre  »;  mais  un  autre 
contribuable,  Noël  Delamare,  imposé  à  257  1.  10  s.,  l'attaque 
devant  l'Election  pour  cette  diminution,  puis  un  accord  inter- 
vient entre  eux,  qui  est  homologué  par  les  élus  :  Adrien  Delà- 
Cette  dernière  clause  est  inspirée  par  l'art.  37  de  la  déclaration  d'août  1664.  Cf. 
Fareillement  les  mandements  de  la  généralité  de  Gaen,  A.  D.  Calvados,  fonds  de 
Election  de  Caen;  un  mandement  de  Leblanc,  B.  N.,  fr.  8761"",  f°  32,  etc. 

1.  Les  peschez  cachez  de  chaque  chrétien  en  l'exercice  de  sa  profession....  par 
le  sieur  D.  A.  E.  P.  D.  S  ,  Paris,  1680,  in-12,  p.  111. 

2.  Sur  les  questions  de  droit  relatives  à  ces  procès  :  qui  a  droit  de  les  intenter, 
à  qui  est  attribuée  la  somme  réimposée,  à  qui  les  dépens,  etc.  Voir  Vieuille, 
p.  322-328. 

3.  A.  D.  S.-Inf.  Plumitif  des  audiences  de  la  Cour,  à  la  date  du  6  février  1662. 
.  Plumitif  de  l'Election  de  Caudebec,  du  7  février  1662  :  A.  D.  S.-Inf.  C,  2484. 


330  LA    TAILLE    EX    NOIt.MAXDIE. 

mare  s'augmente  de  20  I.,  à  la  décharge  de  Noël,  et  tout  le 
monde  se  déclare  satisfait1. 

L'Election  de  Falaise,  en  deux  audiences  seulement,  les  2  et 
I)  octobre  1G77,  juge  sept  procès  relatifs  à  des  cotes  de  collec- 
teurs :  ceux  de  Martigny  se  sont  diminués  de  18  1.  9  s.,  ceux 
de  Vouilly,  de  8  1.  ;  ceux  de  Saint-Maurice,  de  64  1.  15  s.  ;  à 
Saint-Pierrc-sur-Dive,  les  collecteurs,  leurs  cousins,  gendres  et 
fermiers,  au  total  13  contribuables,  se  sont  dégrevés  indûment 
de  37  1.  16  s.  Au  Sac  (aujourd'hui  commune  d'Angoville),  un 
seul  des  collecteurs  s'est  diminué  de  33  1.;  a  Douville,  deux 
collecteurs  se  sont  diminués  de  7  1.  3  s.  et  se  sont  abstenus 
d'inscrire  au  rôle  une  de  leurs  cousines,  etc.  En  général,  l'Élec- 
tion accorde  à  ceux  qui  ont  intenté  le  procès  la  diminution  que 
les  collecteurs  avaient  indûment  prise,  mais  aucune  amende 
n'est  prononcée.  On  trouve  d'autre  part  un  assez  grand  nombre 
de  procès  où  les  plaignants,  n'apportant  pas  de  preuves  suffi- 
santes, sont  déboutés  de  leur  requête;  l'attrait  d'un  dégrèvement 
possible  engageait  sans  doute  beaucoup  de  taillables  à  intenter 
des  procès  téméraires i. 

Les  élus  avaient  tout  intérêt  à  entretenir  cet  abus,  car  «  le 
meunier  cherche  toujours  du  grain  à  moudre  »,  comme  l'ex- 
plique l'intendant  de  Bourges  le  3  août  1680  :  «  Les  esleus  favo- 
risent beaucoup  cet  abus,  parce  qu'il  produit  des  procès  dans 
leur  jurisdiction3  ».  On  a  vu  comment  ces  procès  prenaient 
naissance  dès  la  réunion  des  collecteurs  pour  dresser  les  rôles4. 
Ils  étaient  une  grande  cause  de  haines  et  de  rivalités  sans 
fin  dans  les  paroisses.  L'auteur  du  mémoire  sur  les  fonctions 
d'intendant  pour  M.  d'Orsay,  en  1690,  jugerait  bon  «  de  per- 
mettre aux  collecteurs  de  se  diminuer,  eux  et  leurs  parens  au 
degré  prohibé,  de    10  sols   plus   ou    moins   »,    attendu,   dit-il, 


1.  Rôle  de  la  paroisse,  A.  D.  S.-Inf.  C,  2679.  A  en  juger  par  les  indications 
données  au  rôle,  il  subsistait  encore  une  grande  inégalité  entre  ces  deux  contri- 
buables :  Adrien,  qui  paye  50  1.,  possède  en  propre  <  une  maison,  masure  de 
5  acres  1/2  de  terre,  2  chevaux,  3  testes  a  lainne,  une  vache  »,  et  Noël,  imposé 
à  237  1.  10  s.,  est  <  propriétaire  d'une  maison,  masure  de  10  acres  de  terre  à  la 
solle,  faisant  une  charrue,  4  chevaux,  2  vaches  et  20  moutons  ».  Ses  biens  sont 
environ  le  double  de  ceux  d'Adrien,  et  il  paye  4  fois  1/2  plus  d'impôt.  Il  faut 
observer  que  le  rôle  semble  avoir  été  écrit  de  la  main  même  d'Adrien  Delamare, 
qui  est  le  seul  des  quatre  collecteurs  à  savoir  signer. 

2.  A.  D.  Calvados,  Election  de  Falaise,  Plumitif.  Voici  le  principal  de  la  sen- 
tence prononcée  contre  le  collecteur  du  Sac,  qui  est  dégrevé  indûment  de  33  1.  : 
le  rabais  est  «  adjugé  »  aux  trois  contribuables  qui  l'ont  poursuivi,  «  a  laquelle 
fin  lesdits  collecteurs  leur  en  feront  diminution  sur  leurs  imposts  et  creues  a 
proportion  et  au  marcq  la  livre,  suivant  les  billetz  qui  leur  en  seront  dellivrex 
par  nostre  greffier,  et  en  cas  qu'ils  ayent  payé  entièrement  leurs  imposts,  con- 
damnez a  leur  rendre  conformément  auxdits  billetz,  et  sera  ledit  collecteur 
rechargé  dudit  rabais  par  les  collecteurs  de  l'année  prochaine  ». 

3.  A.  N.  G7,  124.  Il  a  rendu  une  ordonnance  pour  y  remédier,  mais  il  la  juge 
insuffisante,  et  désirerait  voir  «  deffendre  aux  esleus  de  vérifier  les  rooles  dans 
lesquels  les  collecteurs  se  seroient  diminués,  sur  peine  d'interdiction  ». 

4.  Ci-dessus,  p.  312. 


LA    COTE    DES    COLLECTEURS.  331 

qu'il  est  impossible  d'empêcher  que  les  collecteurs  ne  le  fassent 
d'eux-mêmes  *'. 

Un  collecteur  qui  s'était  indûment  diminué  risquait  natu- 
rellement de  se  voir  surcharger  l'année  suivante.  Même  s'il 
n'avait  pas  commis  d'injustices  dans  l'assiette,  il  était  exposé 
aux  vengeances  de  ses  successeurs  :  quiconque  croyait  avoir  été 
surtaxé  pouvait,  quand  il  était  collecteur  à  son  tour,  rendre  la 
pareille  à  celui  dont  il  avait  eu  à  se  plaindre;  et  les  procès  et  les 
haines  se  perpétuaient2.  Plusieurs  intendants  avaient  essayé  de 
remédier  à  ce  mal  en  étendant  la  défense  d'augmenter  un  contri- 
buable a  l'année  qui  suivait  sa  collecte  :  Barin  de  la  Galissonnière 
l'avait  fait  à  Orléans  en  1665,  et  il  proposait  à  Colbert  de  géné- 
raliser la  mesure  :  «  Par  ce  moiens,  dit-il,  vous  remédierez  aux 
vengeances  qu'on  exerce  tous  les  jours  contre  des  pauvres  collec- 
teurs quand  ils  ont  bien  fait  leur  devoir3.  »  Lorsqu'il  fut  passé 
dans  la  généralité  de  Rouen,  il  y  introduisit  cet  usage*,  auquel 
la  déclaration  du  20  mars  1673,  article  6,  donna  force  de  loi 
dans  le  ressort  de  Paris,  et  celle  du  20  août  suivant,  art.  5,  en 
Normandie  :  «  Pour  éviter,  était-il  dit,  que  les  particuliers  qui 
se  prétendront  surtaxés  n'exercent  leur  vengeance  contre  les 
collecteurs,  nous  ordonnons  qu'ils  ne  pourront  estre  taxés  en 
l'année  suivante  qu'à  la  somme  qu'ils  portoient  l'année  avant 
leur  nomination  à  la  collecte,  avec  l'augmentation  au  sol  la 
livre,  s'il  y  en  a  sur  les  impositions;  comme  aussi  à  cause  des 
successions  qui  leur  pourront  arriver  et  des  augmentations  de 
leurs  exploitations.  » 

Toutefois,  les  vengeances  n'étaient  pas  une  conséquence 
nécessaire  de  l'arbitraire  des  collecteurs.  Les  accords  fraudu- 
leux entre  collecteurs  de  différentes  années  étaient  aussi  fré- 
quents :  ils  portaient  en  Normandie  le  nom  de  «  compensations  ». 
L'intendant  de  Caen  les  dénonce  dans  son  mandement  de  1675, 
en  ordonnant  aux  élus  de  les  empêcher  :  ordre  dont  la  ponctuelle 
exécution  n'était  pas  assurée. 

l.B.  N.,  fr.  11096,  f°  55. 

2.  Cf.  un  sermon  du  curé  Joseph  Lambert,  adressé  aux  gens  de  la  campagne; 
il  stigmatise  en  ces  termes  ce  désir  de  vengeance  :  «  Ceux  qui  payent  la  taille 
[doivent]  se  précautionner  contre  la  vengeance.  Ne  le  pensez-vous  pas,  ne  le 
dites-vous  pas,  et  ne  l'exécutez-vous  pas?  La  pensée  est  criminelle,  vos  discours 
témoignent  que  votre  cœur  s'accorde  avec  vos  pensées,  l'exécution  est  la  consom- 
mation du  péché.  Vous  vous  proposez  donc  de  vous  venger,  on  vous  entend  dire 
que  vous  aurez  votre  tour,  que  le  collecteur  tombera  sous  vos  mains  :  et  vous 
vous  tomberez  sous  les  mains  terribles  de  Dieu...  »  (Instructions  courtes  et  fami- 
lières sur  les  évangiles...  en  faveur...  des  gens  de  la  campagne,  Paris,  1721,  in-12, 
p.  503.) 

3.  Lettre  à  Colbert,  23  nov.  1665,  M.  C,  133,  f°  540.  Son  ordonnance,  rendue 
au  moment  du  département  de  cette  année,  portait  que  les  collecteurs  «  ne  pour- 
roient  point  estre  imposés  l'année  d'après  leur  collecte  a  plus  haut  taux  de  taille  (et 
de  sel)  que  celuy  qu'ils  portoient  l'année  quy  a  précédé  immédiatement  celle  de 
leur  collecte,  sy  ce  n'est  qu'en  connoissance  de  cause  ils  ne  soient  taxées  d'office 
par  le  commissaire  departy  ». 

4.  Mandement  aux  paroisses  pour  la  taille  de  1673,  A.  D.  S.-Inf.  C,  2215. 


332  LA    TAILLE    EN    NOItMANDIE. 


III.  —  LA   COMPARAISON    DE    TAUX 


Lorsqu'un  contribuable  n'est  pas  taxé  à  son  juste  chiffre,  les 
ordonnances  prévoient  la  procédure  à  suivre  pour  réformer  sa 
cote  :  s'il  se  juge  trop  imposé,  il  introduit  une  instance  devant 
l'élection,  en  recourant  à  la  «  comparaison  de  taux1  »;  si  au 
contraire  il  est  trop  peu  imposé,  les  agents  du  roi  interviennent 
pour  l'augmenter,  au  moyen  d'une  «  taxe  d'office  ». 

Réduire  la  cote  d'un  contribuable  serait  une  mince  affaire 
avec  un  impôt  de  quotité,  le  Trésor  supportant  seul  les  consé- 
quences de  la  réduction  ;  mais  la  taille  étant  un  impôt  de  répar- 
tition, il  faut  que  la  somme  imposée  sur  la  paroisse  soit  inté- 
f oralement  payée  :  tout  dégrèvement  d'un  contribuable  entraîne 
e  rechargement  des  autres  ;  une  cote  ne  peut  être  diminuée  sans 
qu'une  ou  plusieurs  autres  soient  augmentées  de  la  même 
somme.  Comment  opérer  ce  déplacement  d'impôt? 

Dans  le  ressort  de  Paris,  on  use  de  l'«  action  en  surtaux  »  : 
le  contribuable  intente  un  procès  contre  la  paroisse  entière 
devant  l'Election  :  les  échevins  ou  syndics,  représentant  la  collec- 
tivité, défendent  l'assiette  établie  par  les  collecteurs,  qui,  censés 
avoir  fait  le  rôle  «  en  leur  âme  et  conscience  »,  ne  sont  pas 
personnellement  responsables  des  cotes  inexactes.  Si  les  élus 
font  droit  à  la  requête,  la  somme  dont  le  contribuable  est 
déchargé  est  répartie  sur  tous  les  autres  et  levée  comme  leur 
taille  propre. 

En  Normandie,  une  autre  procédure  est  en  vigueur  :  elle 
porte  le  nom  de  «  comparaison  de  taux  »  ou  «  action  en  cote  et 
réduction  de  taux  ».  Elle  est  décrite  par  l'intendant  Voysin  dans 
son  Mémoire  de  1665  : 

«  Un  particulier  taxé  par  le  collecteur  ne  peut  se  faire  diminuer 
que  par  la  voie  de  cotte  et  réduction  contre  un  ou  plusieurs  parti- 
culiers qu'il  prétend  estre  soulagez  en  leurs  imposts,  et  devoir  porter 
ce  dont  il  est  surchargé.  Il  les  faict  assigner  devant  les  esleus  en 
réduction,  qui  font  convenir  les  parties  de  tesmoings  réducteurs, 
lesquels  estiment  les  facultez  des  uns  et  des  autres,  et  sur  leur  esti- 
mation les  esleus  donnent  leur  jugement 2.  » 


1.  Du  Chalard,  rem.  aur  l'art.  123  de  l'ordonnance  d'Orléans,  janvier,  1560, 
dans  Néron,  I,  p.  416  :  «  Celui  qui  se  pense  surtaxé  par  les  asseeurs  il  en  peut 
appeller,  aussi  que  les  sujets  d'un  seigneur  peuvent  recourir  au  Roy  et  sa  justice, 
si  tel  seigneur  les  oppresse  et  foule  par  trop...  » 

2.  Mémoire  de  Voysin,  p.  88.  Cf.  la  définition,  très  claire,  de  Domat,  Le  droit 
public,  dans  ses  Œuvre»,  éd.  1/56,  II,  p.  31. 


LA    COMPARAISON    DE    TAUX.  333 

La  procédure  de  la  comparaison  de  taux  est  réglementée  par 
l'article  37  de  la  déclaration  d'août  1664  : 

1°  Seuls  ont  le  droit  d'intenter  une  action  en  comparaison 
ceux  qui  sont  imposés  à  10  1.  au  moins  ';  de  la  sorte  on  supprime 
les  procès  dont  les  frais  seraient  supérieurs  au  montant  du  litige. 

2°  Avant  d'intenter  l'action,  le  contribuable  doit  payer  par 
provision  la  somme  à  laquelle  il  a  été  imposé;  ainsi  le  recou- 
vrement des  deniers  royaux  est  assuré,  et  le  contribuable  est 
détourné  d'engager  un  procès  téméraire2. 

3°  L'action  ne  peut  être  intentée  contre  les  collecteurs  pendant 
qu'ils  sont  en  fonction,  «  sauf  en  cas  qu'ils  aient  commis  des 
abus  en  l'assiette  et  confection  de  leurs  rôles,  et  [sauf  à]  se 
pourvoir  à  l'encontre  d'eux  l'année  suivante,  par  les  voies  ordi- 
naires et  accoutumées  pour  lesdits  abus  ».  L'intendant  d'Aligre 
en  1638  ayant  déchargé  de  poursuites  les  collecteurs  de  Caren- 
tan  3,  un  arrêt  du  conseil  de  juin  1657,  enregistré  dans  la  pro- 
vince, défendit  «  à  tous  particuliers  contribuables  à  la  taille 
de  se  pourvoir  en  cotte  contre  les  collecteurs  pendant  l'année 
de  leur  collection4  ».  Voici  comment  cette  règle  est  expliquée 
par  le  juriconsulte  Du  Chalard  : 

«  D'autant  que  lesdits  asseeurs  sont  élus  par  tous  les  manans  d'une 
paroisse,  ou  ceux  qui  la  représentent,  c'est-à-dire  la  plus  grande 
partie,  ils  sont  approuvez  gens  de  bien  :  et  à  ce  moyen  tous  les  parois- 
siens sont  tenus  du  fait  des  asseeurs,  autrement  il  s'en  ensuivroit  que 
outre  la  peine  qu'ils  ont  de  faire  l'assiette  ils  auroient  encore  la  charge 
de  soutenir  leurs  taux,  et  ladite  charge  (à  laquelle  ils  sont  contraints) 
les  astraindroit  au  procès  qui  en  procederoit  :  et  sic  duplici  onere 
premerentur,  quod  fieri  non  débet5.  » 

Cette  défense  de  prendre  à  partie  les  collecteurs  pour  leur 
propre  cote  ne  pouvait,  du  reste,  avoir  de  conséquences  graves, 
puisque  la  fixation  de  cette  cote  avait  été,  on  l'a  vu,  spécialement 
réglementée. 

1.  Dans  le  reste  du  royaume  le  minimum  fixé  était  de  20  1.  (arrêt  du  conseil  du 
25  février  1666,  art.  9,  C.  d.  T.,  I,  597).  Mais  au-dessus  de  ce  chiffre,  on  pouvait 
engager  le  procès,  si  minime  que  fût  la  décharge  demandée.  En  1719,  les  Etats 
de  Bourgogne  sollicitèrent  une  limitation  sur  ce  dernier  point.  Le  Parlement  de 
la  province,  qui  faisait  fonction  de  Cour  des  Aides,  était  d'un  avis  contraire  : 
cf.  les  arguments  de  part  et  d'autre  dans  l'arrêt  du  Conseil  du  12  mai  1720, 
publ.  dans  La  Poix  de  Freminville,  Traité  des  communautés  cThabitans,  p.  309-314. 
Le  roi  accorda  satisfactions  aux  Etats. 

2.  L'arrêt  du  Conseil  du  19  mars  1678  renouvelle  la  défense  aux  élus  d'accorder 
aucune  décharge  sans  avoir  assuré  le  paiement  par  provision  :  il  est  fondé  sur 
la  désobéissance  des  élus  de  Caen,  qui  «  isndent  journellement  des  jugemens  par 
lesquels...  ils  accordent  des  décharges  ou  modérations  de  taux  sans  ajuger  ladite 
provision  ». 

3.  Sentence  du  2  nov.  1638,  Bibl.  Sénat,  ms.  102,  f°  449. 

4.  A.  D.  Calv.,  élection  de   Caen,  correspondance,  à  la  date  du  24  juin  1657. 

5.  Commentaire  à  l'art.  123  de  l'ordonnance  d'Orléans,  janvier  1560,  dans 
Néron,  1,  p.  416.  Du  Chalard  fait  ce  commentaire  à  propos  de  la  procédure  du 
surtaux,  mais  son  argumentation  vaut  aussi  pour  la  comparaison  de  taux. 


IM  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

La  jurisprudence  de  la  Cour  des  aides  de  Rouen  accordait 
primitivement  un  délai  de  trois  mois  à  partir  de  la  rédaction  des 
rùles  pour  intenter  le  procès,  mais  ce  délai  avait  été  accru  par 
l'usage,  et  les  tribunaux  recevaient  les  actions  en  cote  et  compa- 
raison de  taux  «  dans  l'échéance  des  trois  premiers  quartiers  de 
la  taille,  après  lequel  délai  il  y  [avait]  une  fin  de  non-recevoir 
invincible1  ».  Néanmoins,  la  Cour  des  aides  de  Rouen,  en  1618, 
constatait  «  que  les  plus  aisés  des  cottisables,  par  la  faveur 
qu'ils  ont  sur  les  asseeurs,  se  font  imposer  à  petites  et  légères 
sommes,  et  pour  éviter  que  les  autres  ne  forment  action  en  cotte 
et  surtaux  sur  eux  obtiennent  mandement  des  élus  sous  le  nom 
de  leurs  amis,  en  vertu  duquel  ils  se  font  assigner  par  lesdits 
élus  pour  procéder  sur  lesdites  actions;  rejettent  en  ce  faisant 
les  autres  taillables  surtaxés  par  fin  de  non-recevoir,  et  par 
après,  dès  le  premier  règlement  qui  se  donne  en  la  cause,  se 
portent  appellans,  lequel  appel  ils  délaissent  sans  poursuite  »; 
en  conséquence,  la  Cour  avait  arrêté  qu'à  l'avenir  les  Elections 
auraient  un  délai  de  six  semaines  pour  rendre  leur  jugement,  et 
le  délai  d'appel  était  fixé  à  trois  mois  pour  les  élections  de 
Valognes,  Avranches,  Coutances,  Carentan,  Saint-Lô  et  Mortain 
et  de  deux  mois  pour  les  autres,  qui  étaient  plus  voisines  de 
Rouen 2.  Les  élus  devaient  juger  l'affaire  «  sommairement  et 
sans  frais  »,  et  cela  non  seulement  pour  éviter  la  dépense  aux 
plaideurs,  mais  aussi  pour  empêcher  tout  retard  dans  le  payement 
de  l'impôt. 

Le  contribuable  qui  se  pourvoyait  en  comparaison  de  taux 
pouvait  agir  soit  contre  un  seul,  soit  contre  plusieurs  contri- 
buables figurant  au  même  rôle  que  lui.  Il  devait  faire  la  preuve 
qu'il  était  trop  taxé,  et  pour  cela  fournir  des  témoins  connaissant 
sa  fortune;  les  adversaires  pouvaient  en  fournir  également,  et 
même  les  deux  groupes  avaient  liberté  d'en  choisir  d'autres  d'un 
commun  accora,  pour  les  départager.  A  défaut  des  parties  les 
élus  désignaient  eux-mêmes  les  témoins. 

Ces  témoins  agissaient  comme  des  experts  :  ils  formaient  une 
commission  présidée  par  les  élus;  on  les  consultait  «  non  par 
forme  d'enqueste  pour  les  ouïr  et  examiner  séparément,  mais 
par  une  conférence  et  commune  audition  d'iceux  ouïs  ensem- 
blement,  encore  qu'ils  ne  conviennent  en  leurs  avis  et  dépo- 
sitions, à  la  mesme  forme  qu'on  prend  l'avis  des  experts3  ».  Ils 
devaient  être  pris  non  dans  la  localité,  mais  dans  une  paroisse 
voisine,  qu'elle  fût  ou  non  de  la  même  élection  :  par  là  on  s'assu- 
rait des  nommes  impartiaux,  connaissant  les  «  facultés  »  des 

1.  Loisel  de  Boismare,  Dictionnaire  du  droit  de»  tailles,  t.  I,  p.  33.  Le  délai 
d'après  cela  prenait  fin  à  la  date  du  1"  avril. 

2.  Arrêt  de  règlement  de  la  Cour  des  Aides,  11  août  1618,  cité  dans  Loisel  de 
Boismare,  Dictionnaire,  p.  33-34. 

3.  Néron,  t.  I,  p.  710,  n.  à  l'art.  6  de  l'édit  de  mars  1600.  Cf.  ci-dessus,  p.  323. 


LA    COMPARAISON    DE    TAUX.  335 

parties.  Ils  étaient  appelés  «  témoins  réducteurs  ».  Voici  par 
exemple  la  liste  des  témoins  réducteurs  remis  à  l'élection  de 
Falaise  le  6  février  1677  par  un  taillable  du  Mesnil  Bréouze  : 

«  Billet  de  cotte  que  baille  Robert  Brisson  demandeur  en  cotes 
allencontre  de  Robert  David. 

Tesmoins  réducteurs  : 

De  Bellou  :  Richard  Bisson,  Philippe  Toussaint  et  Guillaume 
Le  Boucher. 

De  Signon  :  Biaise  Jardin,  Jean  Guibout  fils  Guillaume,  Ambroise 
le  Cœur. 

De  La  Coullonche  :  René  Morel,  Nicollas  Le  Comte,  Jacques  Bernier. 

Faict  et  baillé  le  5  février  1677  '.  [Signé]  R.  Bisson.  » 

Plusieurs  procès  peuvent  se  greffer  l'un  sur  l'autre  :  par 
exemple  dans  la  même  paroisse  du  Mesnil-Bréouze,  en  1677, 
Pierre  Foucandel  assigne  Pierre  Ollivier  pour  lui  faire  porter 
la  moitié  de  sa  taille  montant  à  25  1.  ;  aussitôt  Jean  Lecoq  inter- 
vient et  «  déclare  se  cotter  tant  contre  ledit  Ollivier  que  contre 
le  dit  Foucandel,  demandant  à  convenir  de  tesmoins  réducteurs 
avec  eux  »,  ce  qui  est  accordé  par  l'Election2. 

Lorsque  les  élus  ont  prononcé  leur  sentence,  ils  se  font  pré- 
senter le  rôle  et  corrigent  les  cotes  en  marge.  Par  exemple  dans 
la  paroisse  de  Morville,  année  1670,  Pierre  Gamard,  imposé  à 
33  L,  a  été  déchargé  de  4  1.  10  s.  aux  dépens  de  Martin  Labite, 
maréchal,  imposé  à  24  1.  8  s.;  sur  le  rôle,  en  marge  de  son 
article,  est  écrit  :  «  Martin  Labite  chargé  de  4  1.  10  s.  à  la 
descharge  du  dit  Gamard  »  ;  pareillement  en  face  de  l'article 
de  Jean  Mauger  est  écrit  :  «  Déchargé  de  30  s.  qui  sont  reportés 
à  Martin  Labite3  ». 

A  côté  de  cette  procédure  régulière,  on  en  voit  fonctionner 
une  autre  plus  simple,  qui  consiste  a  attaquer  le  collecteur 
porte-bourse  pour  lui  faire  «  réformer  son  rôle  »  :  par  exemple 
le  17  décembre  1661,  Jean  Legros,  taillable  à  Palluel,  assigne 
devant  l'Election  de  Caudebec  le  principal  collecteur  pour  se 
faire  adjuger  à  son  profit  les  diminutions,  variant  de  2  à  8  livres, 
qui  ont  été  «  indûment  »  accordées  à  divers  autres  contribuables  ; 
en  réponse,  le  collecteur  cite  ces  derniers  et  leur  fait  recon- 
naître qu'ils  lui  avaient  demandé  ces  diminutions.  L'Election 
donne  raison  à  Legros,  et  fait  redresser  le  rôle*.  On  trouve 
aussi  de  ces  exemples  dans  les  élections  de  Neufchâtel  et  de 
Dieppe. 

Le  procédé  de  la  comparaison  de  taux  n'était  pas  sans  incon- 

1.  Arch.  Dép.  Calvados,  Plamitif  de  l'Election  de  Falaise. 

2.  Arch.  Dép,  Calvados,  élect.  de  Falaise,  plumitif,  10  fév.  1677. 

3.  Arch.  Dép.  Seine-[nf.  C,  2684. 

4.  A.  D.  S.-Inf.  C,  2484. 


336  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

vénients.  Il  avait  été  jadis  usité  dans  le  ressort  de  Paris,  mais 
la  Cour  des  aides  l'avait  interdit  en  1566,  pour  lui  substituer 
l'action  en  surtaux,  voulant,  disait-elle,  laisser  le  soin  «  aux 
syndic  et  procureur  des  inanans  et  rjabitans  de  soustenir  la 
taxe,  sans  faire  appeller  ny  surcharger  celuy  contre  qui  la  com- 
paraison est  faite1  ». 

La  comparaison  de  taux  était  également  condamnée  par 
l'intendant  Le  Blanc,  qui,  dans  un  mémoire  à  Colbert  du  4  jan- 
vier 1680,  dit  se  faire  1  interprète  des  intéressés  : 

a  Les  officiers  et  les  paysans  conviennent  que  jusqu'à  présent  cette 
action  n'a  servy  qu'à  ruiner  les  uns  et  les  autres  par  la  multitude  de 
procédures,  sans  aucune  utilité.  Pour  y  remédier,  il  fault  abolir  ce 
mauvais  usage  et  rendre  la  jurisprudence  uniforme  dans  tout  le 
royaume,  suivant  le  règlement  de  janvier  1634  et  arrests  du  Conseil 
des  25  février  1666*  et  27  octobre  1667,  faire  deffenses  de  se  plus 
cotter  ny  pourvoir  en  réduction,  mais  de  se  pourvoir  contre  les  com- 
munautés... en  surtaux*.  » 

L'auteur  du  Recueil  de  l'intendant  Orsay  affirme  pareillement 
que  la  comparaison  est  un  procédé  «  bien  triste,  pour  ne  pas 
dire  impraticable  »,  car  «  elle  engendre  des  haynes  et  des  ini- 
mitiés irréconsiliables,  et  chaque  particulier  ayme  mieux  souffrir 
la  surcharge  en  gémissant,  que  de  se  comparer  en  justice4  ». 

D'autres  motifs  furent  donnés  contre  la  comparaison  par 
l'intendant  de  Bourges,  Poncet,  sans  doute  à  la  demande  de 
Colbert.  Voici,  de  son  mémoire  du  26  août  1682,  le  résumé  fait 
dans  les  bureaux  du  Contrôle  général  : 

«  Les  instances  en  comparaison  ne  seroient  pas  plus  avantageuses 
que  celles  en  surtaux  : 

1°  Parce  que  les  esprits  de  la  province  se  gouvernant  plus  par 
jalousie,  ils  plaideroicnt  continuellement  les  uns  contre  les  autres 
sans  crainte  de  l'événement  ny  des  frais,  mais  par  la  seule  satisfaction 
de  se  fatiguer  les  uns  et  les  autres. 

2°  Cela  ne  remédieroit  point  à  la  modicité  des  taux  dont  les  chefs 
des  parroisses  jouiroient  tousjours,  estant  maîtres  des  autres  taillables. 

3°  Cela  multiplicroit  les  procès,  parce  que  le  condamné  ne  man- 

1.  Cité  par  Papon,  Recueil  d'arrêts  notables...  liv.  V,  tit.  2;  cf.  autre  arrêt  de 
la  Cour,  13  doc.  1568,  cassant  un  procès  où  la  comparaison  de  taux  avait  été 
admise,  analysé  dans  Guénois,  Conférence  des  ordonnances,  II,  p.  1443,  n.  9; 
autre  arrêt  du  3  juillet  1577  mentionné  ibid.  Cependant  Bagereau  (Leçons  et  déci- 
sions notables  sur  les  ordonnances  des  tailles  et  aydes,  1624,  p.  37-8)  cite  un  cas 
où  la  cour  admit  la  comparaison  de  taux;  Néron  (Recueil,  t.  I,  p.  519)  dit  que  la 
comparaison  «  est  une  pratique  ancienne,  laquelle  s'observe  encore  es  sièges  des 
Eslections  ».  D'après  Montyon  (Particularités  et  observations...  p.  6,  n.  2),  Sully 
aurait  introduit  la  comparaison  de  taux  dans  la  législation.  II  y  a  sans  doute 
erreur  :  le  règlement  de  mars  1600,  art.  6,  prescrit  le  surtaux. 

2.  Cet  arrêt,  important  pour  les  surtaux,  est  dans  le  C.  d.  T.,  à  sa  date. 

3.  Mémoire  du  4  janv.  1680,  A.  N.  G  *,  491. 

4.  Recueil  d'Orsay,  B.  N.  fr.  11  096,  f°  53. 


LA    COMPARAISON    DE    TAUX.  337 

queroit  jamais  d'interjetter  appel,  ainsy  il  estimeroit  plus  advantageux 
de  laisser  un  taillable  surtaxé  d'une  pistolle  en  comparaison  des 
autres,  que  de  luy  permettre  de  plaider,  à  cause  des  grands  frais. 

4°  Il  est  plus  aysé  d'obliger  les  communautez  à  faire  justice  à  un 
particulier  surtaxé,  les  contestations  se  réduisant  ordinairement 
devant  les  eleus,  ce  qui  seroit  rare  si  les  taillables  plaidoient  les  uns 
contre  les  autres,  à  cause  de  l'appel1.  » 

Mais  il  y  avait  aussi  des  avis  contraires.  Dans  un  arrêt  du 
5  janvier  1665,  rendu  au  rapport  de  MM.  Colbert  et  Marin,  et 
sur  l'avis  «  des  commissaires  départis...  et  de  plusieurs  officiers 
employez  à  l'imposition  et  levée  des  deniers  des  tailles  »,  il  est  dit 
que  le  surtaux  a  «  tellement  foulé  lesparroisses,  qu'il  s'est  trouvé 
quelquefois  qu'une  diminution  de  30  1.  du  taux  d'un  particulier  a 
cousté  plus  de  2000  1.  de  dépens  et  d'interests  a  certaines  com- 
munautez, lesquelles  estans  toujours  mal  défendues  sont  d'ordi- 
naire condamnées  aux  dépens,  et  de  la  s'ensuit  une  ruine  inévi- 
table des  parroisses  où  il  se  trouve  des  opiniastres  plaideurs2  ». 
Colbert  lui-même  jugeait  la  comparaison  de  taux  supérieure  à 
toute  autre  procédure.  Dans  sa  circulaire  du  6  novembre  1681, 
notamment,  il  explique  son  opinion  :  «  En  Normandie,  les 
imposés  à  la  taille  ne  sont  pas  reçus  à  se  pourvoir  en  surtaux, 
parce  que  cette  action  estant  dirigée  contre  la  communauté,  elle 
succombe  toujours  pour  estre  mal  défendue3  »,  tandis  qu'avec 
le  système  de  la  comparaison,  «  deux  particuliers  se  défendent, 
et  le  jugement  ne  tombe  jamais  sur  la  communauté4  ». 

Il  est  probable  qu'il  jugeait  en  connaissance  de  cause,  et  il 
est  difficile  de  ne  pas  se  ranger  à  son  avis.  Nous  avons,  du  reste, 
pour  l'appuyer,  un  long  mémoire  de  l'intendant  d'Alençon,  du 
1er  septembre  1683  : 

«  Il  est  certain  qu'on  voit  peu  de  procez  en  réduction,  et  qu'au  con- 
traire il  y  en  a  tousjours  un  grand  nombre  en  surtaux,  que  la  réduction 
ne  donne  lieu  a  aucuns  rejets,  et  que  le  surtaux  en  produit  une  infinité, 
que  les  parroisses  n'ont  aucun  interest  a  la  réduction,  et  par  consé- 
quent point  de  procez  a  soustenir,  au  lieu  qu'on  ne  juge  aucun  surtaux 
qu'avec  les  parroisses  ;  qu'en  réduction  ce  sont  deux  parties  a  peu 

1.  A.  N.  G7,  124.  Même  condamnation  est  prononcée  par  Lallemant  de  Lévignen 
(B.  N.  fr.  7771,  fol.  179). 

2.  A.  D.  Calvados,  Election  de  Gaen,  registre  d'ordonnances  1664-74,  f°  111, 
impr.  Il  est  curieux  que  cet  arrêt,  visant  uniquement  les  surtaux,  ait  été  enre- 
gistré eu  Normandie. 

3.  Cf.  le  mémoire  de  Pesclieur  (1665)  :  le  procureur  du  roi  instruit  seul  ces 

Ïtrocès  ;  comme  il  n'est  pas  «  payé  pour  prendre  tous  les  soins  nécessaires  pour 
es  deffendre  exactement,  ny  maistre  de  la  bourse  des  communautez  pour  en  tirer 
aux  occasions  de  quoy  fournir  aux  fraiz,  ne  faut  pas  s'estonner  si  le  poursuivant 
l'emporte  tousjours  ».  (M.  C.  33,  f°  292,  cf.  f  289).  Voir  aussi  une  lettre  du  sieur 
de  Robertot,  ibid.  f°  296-301,  et  ci-dessus,  p.  151,  n.  4. 

4.  Glém.  II,  171.  Cf.  semblables  recommandations  à  Lebret,  28  janv.  1682, 
{ibid.,  p.  175),  et  à  Bercy,  15  avril  1683  (p.  218). 

LA   TAILLE    EN    NORMANDIE.  22 


338  LA    TAILLE    EN     NOIt.MANDIE. 

près  esgallcs  qui  solicitent  leur  affaire,  et  en  surtaux  c'est  une  com- 
munauté toujours  mal  défendue  contre  un  particulier,  qui  par  consé- 
quent gaigne  ordinairement  son  procez,  et  mesme  les  juges  y  font 
d'autant  moins  de  difficulté  que  la  descharge  qu'on  donne  a  ce  parti- 
culier, et  qui  luy  est  considérable,  n'est  que  peu  de  chose  estant  rejetée 
sur  tous  les  contribuables  d'une  parroisse,  au  lieu  que  par  la  réduction 
on  ne  peut  descharger  l'un  que  l'on  ne  charge  l'autre  de  pareille 
somme,  ainsy  les  juges  y  prennent  garde  de  plus  près;  enfin  on  voit 
si  souvent  les  plus  riches  des  parroisses  se  pourvoir  en  surtaux  mal  a 
propos,  et  gaigner  leurs  procez,  parce  que  bien  souvent  les  parroisses 
n'osent  s'y  opposer,  qu'on  ne  peut  que  conclure  qu'il  est  très 
nécessaire  de  maintenir  la  réduction.  » 

Mais  il  faudrait  modérer  le  pouvoir  des  collecteurs  qui  souvent 
«  font  des  taxes  hors  de  raison  »,  «  et  ainsi,  pour  l'ordinaire,  soit  par 
vengence  ou  pour  la  facilité  de  leur  recouvrement,  ils  ruinent  et 
accablent  des  particuliers  qui,  s'ils  estoient  imposez  a  des  sommes 
raisonnables,  pourroient  vivre  doucement  et  payer  leur  part  des 
impositions  de  la  parroisse  »  ;  pour  cela  il  faudrait  ordonner  «  qu'au 
lieu  que  des  trois  réducteurs  le  deffendeur  en  nomme  deux,  il  n'en 
pourroit  nommer  qu'un,  et  le  demandeur  l'autre,  et  qu'ils  convien- 
droient  du  tiers  »,  ou  bien  on  les  ferait  nommer  par  les  élus. 

Il  faudrait  en  outre  «  empescher,  s'il  est  possible,  les  vengences 
outrées  des  collecteurs,  qui,  pourveu  qu'un  particulier  ait  des  meubles 
ou  bestiaux  suffisans  pour  payer  200  1.,  ne  font  nulle  difficulté  de 
l'imposer  à  cette  somme,  quoiqu'il  n'en  eût  jamais  payé  que  20  1.  au 
plus  :  on  pourroit  ce  me  semble  ordonner  aux  intendans  d'examiner 
avec  soin  sy  dans  les  taux  si  disproportionnez  d'année  a  autre  il  n'en- 
treroit  pas  de  la  vengence  des  collecteurs,  auquel  cas  après  en  avoir 
esté  suffisamment  informez  ils  pourroient  faire  charger  lesdits  collec- 
teurs d'une  partie  de  ladite  imposition,  et  sy  au  contraire  il  ne  parois- 
soit  aucun  sujet  de  vengence,  ils  renvoyeroient  a  se  pourvoir  en 
réduction  '.  » 

En  définitive,  suivant  cet  auteur,  le  surtaux  est  avantageux 
aux  particuliers,  la  réduction  l'est  plutôt  aux  paroisses  et  au 
Trésor  s.  Peut-être  cette  constatation  nous  permet-elle  de  conci- 
lier les  opinions  opposées  des  intendants  :  suivant  qu'ils  se 
plaçaient  au  point  de  vue  du  fisc  ou  à  celui  des  contribuables, 
ils  approuvaient  ou  condamnaient  le  procédé.  Il  est  certain 
d'ailleurs  que  la  véritable  solution  de  la  difficulté  eût  été  celle 
donnée  par  l'intendant  d'Alençon  :  la  suppression  de  l'arbitraire 
des  collecteurs.  Mais  on  a  vu  que  cet  arbitraire  était  inhérent  à 
la  forme  même  de  l'impôt. 

1.  A.  N.,  G1  71.  Sur  cette  dernière  pratique,  qui  consistait  à  surimposer  un 
contribuable  riche,  voir  ci-dessous,  p.  352. 

2.  Cf.  ce  que  dit  Domat  de  la  comparaison  de  taux  :  «  cette  voye  peut  bien  être 
ntile  au  public,  mais  «lie  n  «e  méchant  effet  d'être  une  occasion  de  querelles  et 
d'inimitiés  ».  (Le  droit  public,  dans  ses  Œuvres,  éd.  1756,  II,  p    31.) 


LES    TAXES    D  OFFICE.  339 


IV.  —  LES  TAXES  D'OFFICE 

Lorsqu'un  contribuable  n'est  pas  suffisamment  imposé  par 
les  collecteurs,  il  appartient  aux  agents  du  fisc  d'augmenter  sa 
cote  :  l'acte  porte  le  nom  de  «  taxe  d'office  »,  parce. qu'il  est 
fait  «  indépendamment  de  la  fonction  des  asséeurs,  et  par 
l'office  des  juges  qui  en  doivent  connoître1  ». 

Les  taxes  d'office  n'avaient  pas  toujours  existé  :  à  l'origine, 
comme  le  fait  remarquer  d  Aube,  les  collecteurs  «  avoient  seuls 
le  droit  de  fixer  les  impositions  particulières  des  membres  de 
leurs  communautés,  sauf  le  pourvoy  par  devant  les  tribunaux  des 
Elections  2  »  ;  mais  on  avait  bientôt  reconnu  la  nécessité  de  faire 
intervenir  les  agents  royaux  dans  l'assiette  pour  en  corriger  les 
imperfections,  causes  de  non-valeurs,  et  les  élus  avaient  été 
chargés  par  le  roi  de  taxer  d'office  tous  ceux  que  les  asséeurs 
ne  pouvaient  ou  ne  voulaient  pas  imposer  à  leur  taux  légitime, 
parmi  lesquels  le  règlement  de  janvier  1634,  art.  48,  désignait 
particulièrement  :  «  les  juges,  conseillers,  les  substituts  [des] 
procureurs  généraux,  oficiers  des  greniers  à  sel,  procureurs  fis- 
caux, notaires,  avocats,  gréfiers,  procureurs  postulans,  fermiers, 
métaiers  des  nobles,  des  eclésiastiques,  des  élus,  grenetiers, 
contrôleurs,  et  autres  personnes  qui  peuvent  avoir  crédit  et 
autorité  sur  les  habitans,  [et]  que  les  asséeurs  n'osent  taxer  ce 
qu'ils  peuvent  légitimement  porter,  ni  les  habitans  des  paroisses 
en  faire  plainte,  de  crainte  d'encourir  leur  inimitié3  ». 

En  1642,  lorsqu'on  avait  réformé  la  façon  de  procéder  au  dépar- 
tement, les  élus  avaient  dû  partager  le  pouvoir  de  faire  des  taxes 
avec  les  intendants  et  les  trésoriers  de  France  '*.  A  partir  d'août 
1664,  ils  le  partagèrent  avec  les  intendants  seuls.  L'art.  11  du 
règlement  était  ainsi  conçu  : 

«  Pourront,  les  commissaires  par  Nous  départis  en  ladite  province 
[de  Normandie],  et  les  oficiers  des  Elections,  taxer  d'ofice  au  bureau 
de  l'Election,  au  pié  de  leurs  mandemens,  ceux  des  taillables  lesquels 
par  intimidations  ou  par  l'autorité  de  personnes  puissantes  s'exemptent 
indûement  des  sommes  qu'ils  peuvent  et  doivent  raisonnablement 
porter  pour  leur  part  des  deniers  de  nos  tailles.  » 

L'art.  15  ajoutait  que,  comme  pour  l'imposition  des 
paroisses,    la   voix    de  l'intendant    prévaudrait    sur    celle    des 

1.  Domat,  Le  droit  public,  Œuvres,  t.  II,  p.  30,  2e  col.  Cf.  ce  qui  a  été  dit  sur  la 
nomination  d'office  des  collecteurs,  ci-dessus,  p.  190  et  suiv. 

2.  B.  N.  fr.  21  812,  p.  70. 

3.  Un  essai  avait  été  fait,  en  1603,  pour  attribuer  les  taxations  d'office  aux  tré- 
soriers généraux,  mais  il  avait  été  bientôt  abandonné  (B.  N.  fr.  21  419,  fol.  132). 

4.  Arrêt  du  Conseil  du  22  août  1642,  art.  7;  voir  ci-dessus,  p.  45  et  118. 


340  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

élus'.  Les  collecteurs  ne  pouvaient  en  aucun  cas  réduire  une 
taxe  d'office,  mais  il  leur  était  loisible  de  l'augmenter,  s'ils  le 
trouvaient  juste  «  en  leur  ame  et  conscience  »  (art.  13)*.  Le 
règlement  d'août  1673  (art.  11)  confia  aux  receveurs  le  soin  de 
signifier  les  taxes  aux  intéressés,  dans  le  délai  de  quinze  jours 
après  l'envoi  des  mandements  aux  paroisses  pour  la  levée  :  les 
collecteurs  en  avaient  donc  connaissance  avant  de  dresser  leur 
rôle,  et  même  les  appels  pouvaient  être  jugés  assez  tôt  pour  que 
l'assiette  n'en  lût  pas  troublée  3.  Le  règlement  ajoutait  que  ces 
cotes,  payables  directement  au  receveur,  devaient  lui  être  ver- 
sées par  quartiers  *. 

La  question  de  l'appel  des  taxes  ainsi  faites  par  les  inten- 
dants et  les  élus  avait  une  grande  importance.  D'abord  il  fallait 
assurer  un  recours  au  contribuable,  tout  en  empêchant  les  pro- 
tections de  se  donner  carrière.  Ensuite,  il  fallait  régler  les 
rapports  de  compétence  entre  les  pouvoirs  hétérogènes  des 
intendants,  des  élus,  de  la  Cour  des  aides,  des  Bureaux  des 
finances,  du  Conseil.  Dans  le  ressort  de  Paris,  des  solutions 
diverses  furent  adoptées  à  quelques  années  d'intervalle6;  dans 

1.  En  pratique,  les  intendants  laissèrent  très  rarement  agir  les  élus.  Ils  tenaient, 
comme  le  déclare  le  recueil  d'Orsay,  a  •  éviter  aux  inconvéniens  qui  en  pour- 
roient  arriver  en  quelques  élections;  et  pour  empêcher  en  quelque  façon  les 
officiers  d'en  faire,  M.  l'Intendant  leur  peut  dire  qu'il  n'est  réputé  absent  que 
lorsqu'il  n'est  pas  dans  l'étendue  de  sa  généralité  »  (B.  N.  fr.  11096,  fol.  10). 

2.  Cf.  la  déclaration  du  24  février  1660,  adressée  aux  intendants  :  ■  les  taxes  d'of- 
fices qui  seront  par  vous  faites  [ne  pourront]  estre  modérées  »  (A.  D.  Calv.,  Bureau 
des  finances). 

3.  Ce  délai  est  calculé,  dit  le  recueil  d'Orsay,  pour  <  que  ces  taxés  puissent  se 

fourvoie  devant  M.  l'Intendant  par  requêtes....  avant  la  confection  des  rolles,  et 
viter  par  ce  moyen  les  rejets  en  cas  de  décharge  ou  modération  •  (fol.  9). 

4.  Voici  la  formule  d'un  rôle  de  taxes  d'office  pour  une  élection;  elle  est  donnée 

ftar  le  Recueil  de  l'intendant  Orsay;  elle  n'a  évidemment  rien  d'obligatoire 
B.  N.  fr.  11  096,  fol.  8-9)  : 

■  Rolle  des  taxes  faites  d'office  par  Nous  sur  les  particuliers  taillables 

de  l'élection  de  ,  à  la  décharge  des  paroisses  dont  les  noms  ensuivent  : 

motifs  : 
Il  tient  une  ferme  dans  cette  paroisse 
une  terre  appartenant  à  ,  valeur 

3  000 1.  ;  il  n'est  imposé  qu'à  20  1. 

Il  possède  2  000  1.  de  rente,  il  n'est 
imposé  qu'a  20  s.  a  cause  de  l'autorité 
de  sa  charge. 

«  Au  payement  desquelles  sommes  et  des  6  d.  pour  livre  d'icelles  les  dénommez 
au  présent  rolle  seront  contraints  comme  pour  les  propres  deniers  et  affaires  de 
S.  M.,  à  la  diligence  du  receveur  des  tailles  en  exercice,  que  nous  avons  chargé 
du  recouvrement. 

Fait  et  arresté  par  Nous  intendant  et  commissaire  susdit,  le  .  » 

Voir  aussi  un  rôle  de  taxes  d'office  de  la  généralité  de  Paris  en  1682,  publié 
partiellement  dans  De  Boislisle,  Mém.  de  l' intendant  de  Par  h,  p.  506-510. 

5.  Le  règlement  du  16  avril  1643,  art.  8,  disait  que  l'appel  des  taxes  d'office 
faites  par  les  intendants  serait  porté  devant  les  intendants  eux-mêmes;  la  Cour 
des^  aides,  dans  sa  vérification,-  ordonna  que  les  «  oppositions  »  seraient  «  ins- 
truites en  la  manière  accoutumée  •  (C.  d.  T.,  I,  p.  403),  et  l'arrêt  du  Conseil  du 
2  sept,  suivant  donna  expressément  à  la  Cour  la  connaissance  de  cette  matière  en 
appel  (ibid.,  p.  409).  Mais  en  mars  1667,  le  roi,  constatant  que  la  Cour  usait  de 


Saint  Pierre. 
Jacques  Prudhomme,  la  somme  de 


Saint  Jean. 
Louis  Dubois,  procureur  en  la  vicomte 
de  la  somme  de 


LES    TAXES    D  OFFICE.  341 

celui  de  Rouen,  une  double  règle  fut  posée  par  les  lettres-patentes 
d'août  1664  :  1°  La  Cour  des  aides  ne  pouvait  «  connoître  direc- 
tement ou  indirectement,  et  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit, 
desdites  taxes  d'office1  »,  excepté  en  cas  d'appel  des  taxes  faites 
par  les  élus  en  l'absence  du  commissaire-départi  (article  12). 
2°  Pour  les  taxes  établies  par  les  intendants,  les  intéressés  pou- 
vaient demander  «  leurs  décharges  ou  modérations  »  aux  inten- 
dants eux-mêmes,  et  ensuite  faire  appel  devant  le  Conseil  (art.  11). 
Dans  tous  les  cas,  l'appel  n'était  pas  suspensif,  et  les  taxes 
devaient  être  payées  par  provision2. 

Au  début,  la  Cour  des  aides  se  résigna  mal  à  cette  quasi- 
dépossession  :  dans  ses  registres  figurent  assez  souvent  des 
appels  pour  des(  taxes  faites  par  les  intendants,  quoique  le  18  no- 
vembre 1667,  Barin  de  la  Galissonnière  écrive  qu'à  sa  connais- 
sance elle  ne  se  mêle  plus  de  ces  affaires3.  Le  30  octobre  1683, 
Méliand  demande  encore  au  Conseil  de  casser  un  de  ces  arrêts, 
parce  que,  dit-il,  «  il  est  d'une  très  grande  conséquence  pour  les 
taxes  d'office  de  ne  pas  souffrir  cette  entreprise  de  la  Cour  des 
aydes4  ».  Néanmoins,  l'intervention  de  la  Cour  demeura  toujours 
exceptionnelle.  Le  recours  à  l'intendant  lui-même,  par  voie  de 
placet,  devint  bientôt  habituel,  mais  l'appel  au  Conseil  fut 
toujours  rare,  en  raison  des  frais  qu'il  occasionnait.  Les  cora- 
missaires-départis  furent  donc,  en  pratique,  les  arbitres  des 
taxes  ;  comme  ils  pouvaient  d'ailleurs  les  infliger  à  qui  ils  vou- 
laient, l'impôt  des  particuliers  se  trouva,  par  la  législation  nou- 
velle, livré  à  leur  discrétion,  comme  celui  des  élections,  des 
villes  et  des  paroisses  rurales. 

Pour  utiliser  avec  justice  cette  arme  redoutable,  il  leur  eût 
fallu  connaître  exactement  la  fortune  de  ceux  qu'ils  visaient.  Or 
ils  ne  disposaient  pour  cela  d'aucun  moyen  assuré.  Moins  encore 

son  pouvoir  pour  «  ne  confirmer  aucune  »  taxe,  suspendit  l'application  de  cette 
règle  «  pour  deux  ans  seulement  »,  en  faisant  porter  les  appels  devant  le  Conseil 
(ibid.,  II,  p.  19).  Des  pourparlers  eurent  lieu  à  ce  sujet  entre  le  président  Le 
Camus  et  Marin  (M.  C,  144,  fol.  64),  et  la  Cour  recouvra  son  pouvoir  par  arrêt 
du  Conseil  du  17  nov.  1667  (Clairamb.  659,  p.  294).  Les  intendants  se  plaignirent 
fréquemment  à  Colbert  qu'elle  en  abusait  (Clém.,  II,  266  n.,  294;  Depping,  III, 
35;  Clairamb.  792,  p.  417  et  431;  B.  mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  III,  pièce  228,  etc.); 
des  arrêts,  de  la  Cour  furent  cassés  par  le  Conseil  (Clém.,  II,  178);  enfin  l'appel  au 


de  la  Cour  au  profit  du  Conseil. 

1.  Art.  11,  rappelant  des  arrêts  du  Conseil  des  6  août,  28  septembre  1656  et 
30  septembre  1660.  On  a  déjà  vu  que  la  Cour  était  «  dans  le  dernier  décri  »,  et 
commettait  de  perpétuelles  injustices;  le  roi  savait  qu'il  ne  pouvait  compter  sur 
ses  services. 

2.  Règl.  d'août  1673,  art.  30.  Rappelé  par  tous  les  mandements  des  intendants 
aux  paroisses.  Voir  des  formules  (facultatives)  de  sentence  pour  la  décharge 
d'une  taxe  d'office  dans  le  Recueil  d'Orsay,  B.  N.  fr.  11  096,  fol.  10-12. 

3.  M.  C.  146,  fol.  187.  Voir  ci-dessus,  p.  255,  des  exemples  de  taxes  cassées  par 
la  Cour  des  aides  de  Rouen. 

4.  A.  N.,  GT  492. 


LA    TAILLK    KN     NORMANDIE. 

qu'un  collecteur,  ils  étaient  capables  de  connaître  la  situation  de 
chaque  contribuable;  ils  n'avaient  même  pas  la  ressource  de  con- 
sulter les  collecteurs,  puisqu'il  s'agissait  d'empêcher  leurs  injus- 
:  les  élus  leur  inspiraient  de  la  méfiance,  car,  comme  l'écrit 
De  Marie  en  1667,  «  ce  sont  bien  souvent  des  personnes  qu'ils 
protègent1  »;  quant  aux  receveurs,  ils  fournissaient  des  mémoi- 
res, écrit  Barin  de  la  Galissonnière  la  même  année,  «  qui  ne 
sont  très  souvent  que  les  effets  de  leur  ignorance  ou  de  leur 
passion,  ou  de  celles  de  leurs  sergents2  ».  Colbert  reprochera 
avec  raison  à  certains  de  ses  subordonnés,  dans  une  circulaire 
du  4  février  1683,  d'avoir  laissé  agir  les  élus  et  les  receveurs, 
qui  sont  devenus  «  les  maistres  de  ces  taxes,  et  les  ont  faites 
suivant  leurs  passions  ou  leur  interest,  au  lieu  de  produire  l'effet 
que  S.  M.  désire,  en  egallant  l'imposition  de  la  taille'  ».  La 
méfiance  générale  à  l'égard  de  tous  les  agents  royaux  subalternes 
devait  être,  ici  comme  dans  tout  le  reste,  la  règle  de  l'intendant. 
Quant  aux  plaintes  des  contribuables  eux-mêmes  contre  les  sou- 
lagements accordés  aux  personnes  puissantes,  elles  ne  man- 
quaient pas.  «  Journellement,  écrit  l'intendant  de  Rouen,  je 
reçois  des  requestes  des  habitans  qui  se  plaignent  contre  des 
personnes  protégées  »;  mais  quel  crédit  leur  accorder?  Elles 
sont  souvent  anonymes,  ou,  quand  leurs  auteurs  se  font  connaître, 
ils  n'osent  les  maintenir  publiquement;  il  leur  arrive  même 
d'être  contraints  à  se  rétracter  :  «  J'ay  remarqué,  dit  le  même 
intendant,  que  les  taxez  obtenoient  avec  trop  de  facilité  des 
consentemens  des  habitans,  qu'ils  corrompoient...  et  dont  on 
exigeoit  les  signatures  par  de  mauvaises  voies*  ». 

Il  faut  donc  que  les  intendants  voient  tout  par  eux-mêmes. 
Vous  devez,  leur  écrit  Colbert,  «  demeurer  en  chacune  eslection 
autant  de  jours  qu'il  sera  nécessaire  pour  vous  informer  avec 
soin  des  facultez  de  tous  ceux  que  vous  taxeres  d'office,  affin  de 
n'en  taxer  aucun  qu'avec  une  exacte  connaissance  de  cause5  ». 
Ils  protestent  tous  de  leur  zèle  et  de  leur  application,  mais  ils  ne 
disposent  d'aucune  méthode  sûre  :  «  Je  suis  persuadé,  écrit  celui 
de  Caen,  que  les  plaintes  qu'on  vous  a  faites  de  quelques  généra- 
lités du  royaume  de  la  négligence  que  l'on  a  eue  aux  taxes  d'office 
en  les  laissant  à  la  discrétion  des  receveurs  des  tailles  ne  regar- 
dent pas  cette  généralité6  »;  et  celui  de  Rouen  :  «  J'ai  toujours 

1.  Let.  du  21  nov.  1667,  M.  C,  146,  fol.  211. 

2.  Let.  du  18  nov.  1667,  ibid.,  fol.  187. 

3.  B.  Mun.  Amiens,  ma.  508,  t.  IV,  pièce  79.  La  circulaire  fut  reçue  par  les 
intendants  de  Normandie,  ainsi  que  le  prouvent  leurs  lettres  des  11  février, 
7  et  9  juillet  1683  (A.  N.,  G'  71,  213  et  492). 

4.  Let.  du  18  décembre  166G,  M.  C.  142,,U,  fol.  778. 

5.  Circulaire  du  4  février  1683,  déjà  citée. 

6.  Let.  du  9  juillet  1683,  A.  N.  G*  213.  Cependant  il  écrivait  le  23  novembre 
suivant  :  Pour  faire  les  taxes  «  utilement,  il  seroit  a  propos  d'avoir  des  mémoires 
bien  exacts  et  bien  fidelles,  ce  qui  est  très  dificile  en  ce  païs  icy  particulière- 
ment •  ibid. 


LES    TAXES    D  OFFICE.  343 

pris  le  temps  de  voir  les  taxes  d'office,  que  je  fais  moy-mesme, 
entrant  autant  qu'il  m'est  possible  dans  la  connoissance  des 
mémoires  qui  me  sont  donnes  a  cet  effet  »;  jamais,  ajoute-t-il, 
une  de  mes  taxes  n'a  été  infirmée  par  le  Conseil1. 

L'intendant  d'Alençon  a  décrit  comment  il  procédait  habituel- 
lement : 

«  Pendant  mes  visites,  j'oblige  les  receveurs  des  tailles  et  les  officiers 
des  eslections  de  me  donner  les  mémoires  de  ceux  qu'ils  veulent  faire 
taxer  d'office,  dans  lesquels  ils  marquent  leurs  biens,  leurs  commerces, 
et  la  somme  a  laquelle  ils  sont  imposés  ;  après  quoy  j'ay  le  loisir 
jusques  au  département  de  m'informer  de  la  vérité  de  ces  mémoires, 
et  comme  souvent  ces  officiers  ménagent  leurs  parens  et  leurs  amis, 
qu'ils  ne  comprennent  pas  dans  leurs  mémoires,  je  fais  venir  pendant 
mes  visites  les  collecteurs  de  toutes  les  paroisses,  tant  de  l'année 
courante  que  de  la  précédente,  comme  j'ay  fait  en  Bourbonois,  et  après 
les  avoir  interrogés,  tant  sur  la  conduite  des  huissiers  que  sur  celle  des 
officiers  et  autres  gens  d'authorité  qui  ont  du  bien  dans  leurs  paroisses, 
je  me  fais  représenter  les  roolles  des  tailles,  et  par  ce  moien  je  connois 
souvent  que  des  gens  riches  sont  très  modiquement  imposés  2.  » 

Celui  de  Rouen  a  une  autre  méthode  : 

J'ai  dressé,  dit-il,  «  un  mémoire  de  ceux  qui  s'exemptoient,  et 
j'ai  taché  de  leur  faire  connoistre  qu'il  falloit  qu'ils  contribuassent  aux 
charges  comme  les  autres;  j'ai  taxé  le  sieur  de  Rouvray  3  à  30  1.  pour 
commencer  à  l'y  accoustumer,  comme  beaucoup  d'autres  de  la  même 
ville,  ce  qui  leur  a  semblé  rude  aux  uns  et  aux  autres...  J'ay  obligé 
les  taxes  qui  se  plaignent  de  faire  lire  leurs  requestes  au  prosne  de  la 
messe  parrochialle  af'fin  de  donner  par  les  habitants  a  l'yssùe  d'icelle 
leur  advis,  mêmes  Testât  des  facultez  et  occupations  desdits  taxez, 
affin  de  pouvoir  estre  plus  éclaircy  des  surprises  '*.  » 

La  diversité  même  de  ces  précautions,  —  à  supposer  qu'elles 
aient  toujours  été  prises,  —  montre  l'embarras  dans  lequel  se 
trouvaient  les  agents  du  roi. 

Leur  rôle  ne  se  bornait  pas,  d'ailleurs,  à  fixer  les  taxes  :  il 
fallait  aussi  en  assurer  le  paiement,  et  déjouer  les  ruses  des 
taxés  :  une  circulaire  de  Colbert  du  10  février  1683  nous  apprend 
que  souvent  «les  esleus  ou  les  collecteurs  des  tailles,  pour  éviter 
les  taxes  d'office  faites  par  MM.  les  intendans  et  commissaires 
départis,  imposent  dans  leurs  rolles  plus  qu'il  n'est  porté  par 
les  mandemens  des  esleus,  jusqu'à  concurrence  des  taxes  d'office 
qu'ils  ne  veulent  pas  faire  payer,  et  par  ce  moyen  deschargent 
les  taxez  d'office  ».  Il  faut,  ajoute  le  contrôleur  général,  «  que 
vous   y   preniez   garde,    et  en    cas   que    vous   trouviez  que   les 

1.  Let.  du  11  février  1683,  A.  N.  G?,  492. 

2.  De  Bouville  à  Colbert,  5  juillet  1683,  ibid.,  71. 

3.  Il  était  conseiller  au  présidial  des  Andelys. 

4.  Barin  de  la  Galissonnière  à  Colbert,  18  décembre  1666,  M.  C,  142hl%  f°  778. 


M  LA    TAILLE    EN   NORMANDIE. 

officier*  des  eslections  qui  auront  calculé  et  vériffié  ces  rolles 
ne  les  ayent  pas  réduit  à  la  somme  contenue  aux  mandemens, 
S.  M.  interdira  ces  officiers  sur  les  procès-verbaux  que  vous  en 
ferez  »'.  Les  trois  intendants  de  Normandie  assurent  en  réponse 
que  cette  pratique  n'existe  pas  dans  leurs  circonscriptions  2; 
cependant  elle  avait  été  signalée  dans  la  généralité  de  Rouen 
en  1666  :  «  Quelques-uns  des  receveurs,  écrivait  Barin  de  la 
Galissonnière,  nous  ont  proposé  lors  des  départemens  d'aug- 
menter plusieurs  de  leurs  paroisses  sous  prétexte  de  ces  taxes 
d'office,  lesquelles  ils  ont  depuis  consenty  estre  tirées  a  néant8  ». 
Au  début  de  son  ministère,  Colbert  n'attacha  pas  une  grande 
importance  aux  taxes  d'office  :  il  recommanda  plusieurs  fois 
aux  intendants  d'en  faire  «  le  moins  possible  *  »  ;  «  vous  ne 
devez  jamais  en  faire  que  lorsqu'il  vous  paroist  clairement  par 
la  modicité  des  taux  precedens,  que  les  collecteurs  n'ont  pas  eu 
la  hardiesse  de  les  faire6  ».  Veillez  à  ne  pas  troubler  l'assiette 
et  la  perception  de  la  taille;  changez  le  moins  possible  l'ordre 
régulier  de  l'imposition;  laissez  faire  les  taxes  par  les  élus  quand 
vous  le  pourrez,  tel  est  l'esprit  de  ses  instructions.  Mais  dans 
la  suite,  ses  idées  changèrent.  Souvent  les  intendants  lui  avaient 
vanté  l'excellence  du  procédé,  qui,  en  même  temps  qu'il  donnait 
de  l'extension  à  leur  pouvoir,  leur  permettait  de  mieux  sur- 
veiller la  répartition.  «  Il  n'y  a  rien  de  si  avantageux  pour  le 
recouvrement  que  les  taxes  d'office  »,  lui  écrivait  celui  d'Au- 
vergne 6.  «  J'ay  trouvé  tant  de  misères  parmy  les  peuples,  disait 
celui  de  Limousin,  que  je  me  suis  appliqué  à...  les  soulager 
sans  qu'il  en  couste  rien  au  roy[par  le  moyen]  des  taxes  d'office 
que  j'ay  faict  sur  les  coqs  de  paroisses,  qui  se  montent  dans  les 
trois  élections  a  plus  de  30000 1.  '.  »  D'autre  part,  Colbert  consta- 
tait les  mauvais  résultats  de  la  taxation  par  les  élus,  auxquels 
elle  servait  surtout  pour  exercer  leurs  protections  ou  leurs  ven- 
geances. Il  résolut  donc,  sur  la  fin  de  sa  vie,  de  multiplier  les 
taxes,  et  de  les  confier  aux  intendants  seuls.  «  S.  M.  vous  ordonne, 
écrit-il  à  ses  subordonnés  en  1681,  de  faire  beaucoup  de  taxes 
d'office...,  jugeant  qu'il  n'y  a  rien  qui  soit  plus  avantageux  a 
ses  peuples  pour  l'égalité  de  la  taille".  »  L'année  suivante  il  leur 

1.  B.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  IY,  pièce  93  (non  publiée  dans  Clém.). 

2.  Lettres  de  Bouville,  5  juillet  1683,  A.  N.  G?  71  ;  de  Morangis,  9  juillet,  ibid., 
213,  et  de  Méliand,  11  février,  ibid,  492. 

3.  Let.  du  18  décembre  1666,  M.  C.  142b",  fol.  778. 

4.  D'après  une  lettre  de  Barin  de  la  Galissonnière,  18  novembre  1667  (M.  C. 
146,  fol.  187). 

5.  Circulaire  du  27  janvier  1673,  Clém.,  II,  266. 

6.  Let.  du  3  juillet  1664,  M.  C.  122,  fol.  147. 

7.  Let.  du  23  oct.  1665,  ibid,  132w,1  fol.  566;  cf.  fol.  453. 

8.  Clém.  II,  394  (c'est  une  circulaire,  et  non  une  lettre  particulière  à  Leblanc  : 
elle  figure  dans  la  correspondance  de  Breteuil).  Le  11  juin  précédent  il  leur 
demandait  «  un  estât  de  toutes  les  taxes  d'office  que  vous  ferez  en  chacune  par- 
roisse,  divisé  par  eslections...  pour  en  rendre  compte  à  S.  M.  »  (B.  Mun.  Amiens, 
ms.  508,  t.  II,  pièce  235).  Cf.  fet.  à  Leblanc,  21  novembre  1681,  Clém.,  II,  395; 


LES    TAXES    D  OFFICE.  345 

dit  encore  :  «  Le  principal  point  que  S.  M.  désire  estre  observé 
dans  cette  imposition,  consiste  a  faire  un  nombre  considérable 
de  taxes  d'office  '  ».  Les  taxes  «  osteront  entièrement  le  trop  grand 
crédit  qu'avoient  les  élus,  et  feront  connoistre  aux  peuples  qu'ils 
ne  sont  pas  les  maistres  de  l'imposition,  et  qu'il  faut  absolu- 
ment que  les  collecteurs  fassent  justice  dans  les  rôles,  et  que 
vous  y  pouvoirez  par  [ce]  moyen2  ». 

Les  intendants  se  mirent  à  examiner  les  rôles,  et  à  taxer  tous 
les  contribuables  qui  leur  paraissaient  mal  imposés.  Celui  de 
Rouen,  en  1678,  taxa  une  centaine  de  personnes  3,  et  celui 
de  Caen,  en  1683,  en  taxa  496,  appartenant  à  333  paroisses  *. 
Dans  la  majorité  des  cas,  les  taxes  portaient  sur  des  «  personnes 
d'autorité  »  que  les  collecteurs  n'auraient  pas  assez  imposées  : 
dans  la  généralité  de  Caen,  en  1683,  on  trouve  dans  ce  cas 
18  sergents,  24  avocats,  25  fermiers  de  dîmes  ecclésiastiques, 
2  cabaretiers,  6  bourgeois  exploitant  leurs  terres,  une  dizaine 
d'officiers  divers,  4  commensaux,  2  nobles  dérogeant.  En  1677, 
Leblanc  taxe  un  médecin  d'Evreux  à  100  1.,  un  «  courier  du 
cabinet  de  M.  le  duc  d'Orléans  »  à  50  1.,  un  «  soldat  de  la 
compagnie  de  M.  de  Catinat  »  à  5  s.,  un  contribuable  d'Avrilly 
à  100  1.  «  attendu  la  revocation  de  translation  de  [son]  domicilie 
qui  estoit  à  Vert  en  France  »;  l'année  suivante,  il  porte  à  50  1. 
la  cote  d'un  contribuable  de  Canville  qui  avait  été  imposé  a 
35  1.  par  arrêt  de  la  Cour  des  aides;  il  augmente  quelques  offi- 
ciers et  des  fermiers  d'exempts. 

Mais  très  souvent  aussi  les  taxes  furent  employées  à  d'autres 
fins.  On  a  vu  comment  Colbert  lui-même  les  ordonna  pour  forcer 
les  prétendus  nobles  à  se  soumettre  à  la  recherche  5,  pour 
«  porter  plus  fortement  »  les  officiers  de  justice  «  à  payer  les 
taxes  qui  seront  faites  au  Conseil  »  pour  leur  exemption  de 
taille  6,  pour  empêcher  les  contribuables  de  se  soustraire  à-  la 
collecte.  Elles  furent  un  des  procédés  usités  pour  forcer  les 
protestants  à  se  convertir.  Le  27  juillet  1682,  De  Morangis 
signale  à  Colbert  deux  protestants  de  Bellême  qui  «  se  disent  » 
l'un  fauconnier  de  Monsieur  et  l'autre  gentilhomme  de  la  Vénerie 
du  roi,  et  sont  riches.  «  J'en  ay  pris  les  noms,  écrit-il,  pour  les 
taxer  d'office  au  prochain  département,  estant  persuadé  que  le 

let.  de  Leblanc,  24  octobre  1682,  B.  N.  fr.  8  761,  fol.  69;  etc.  Le  11  décembre  1673, 
l'intendant  d'Alencon  envoyait  à  Colbert  le  rôle  des  taxes  faites  par  lui  depuis 
1667  (Glairamb.  795,  p.  244.) 

1.  B.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  II,  piùce  419  (circulaire  du  4  sept.  1682). 

2.  Let.  à  l'intendant  de  Limoges,  8  nov.  1681,  Clém.,  II,  171. 

3.  Etat  nominatif  dressé  par  Leblanc,  B.  N.  fr.  8761"",  f0'  177-270.  Voir  ibid. 
f"  104  et  suiv.  ses  taxes  de  l'année  1677  pour  les  élections  d'Evreux,  Gisors  et 
Cbaumont. 

4.  Etat  nominatif  envoyé  au  Contrôleur  général  le  23  nov.  1683  (A.  N.  G^  213). 
V.  l'état  de  l'année  suivante,  ibid.  à  la  date  du  17  nov.  1684. 

5.  Ci-dessus,  p.  215. 

6.  Circulaire  du  22  nov.  1673,  Clém.,  II,  301  ;  cf.  ci-dessus,  p.  250. 


MB  LA    TAILLE    EN    NOnMANDIB. 

roy  ii"  souffre  plus  dans  sa  Maison  ny  dans  celle  de  Monsieur 
aucun!  officiers  de  cette  religion  '.  »  L'année  suivante,  son 
collègue  de  Caen  écrit  au  contrôleur  général  : 

«  Je  n'ay  rien  oublié  de  ce  qui  pouvoit  leur  marquer  [aux  Réformés] 
la  protection  qu'ils  auraient  s  ils  changeoient  de  religion.  J'aurais  fait 
beaucoup  plus  de  taxes  d'office  sur  ceux  de  cette  religion,  mais  les 
plus  riches  demeurent  dans  les  villes  de  Caen  et  de  Saint-Lô  qui 
paient  la  taille  par  octrois  et  tarifs,  et  je  croi  que  les  conversions  y 
seroient  plus  fréquentes  si  on  pouvoit  faire  des  taxes  d'office  sur  ceux 
qui  en  font  profession  i.  » 

De  même  qu'elles  servirent  à  surcharger  certains  contribua- 
bles, les  taxes  furent  utilisées  pour  en  décharger  d'autres.  Cette 
pratique  était  cependant  contraire  aux  ordonnances  et  au  prin- 
cipe même  des  taxes  d'office,  Colbert  l'a  reconnu  expressément 
dans  certaines  instructions  aux  intendants  :  «  Le  roy  ayant 
receu,  leur  écrit-il  le  9  octobre  1681,  des  plaintes  de  quelques 
provinces  que  MM.  les  intendans  et  commissaires-départis  fai- 
soient  souvent  des  taxes  d'office  en  diminution,  au  lieu  que  l'in- 
tention de  S.  M.  n'a  jamais  esté  par  ses  édits  et  arrests  que  de 
leur  donner  le  pouvoir  d'en  faire  en  augmentation,  pour  empes- 
cher  que  les  principaux  des  lieux  ne  se  fassent  décharger  par 
les  collecteurs,  S.  M.  m'a  ordonné  de  vous  en  écrire  pour  scavoir 
de  vous  si  en  effet  vous  en  avez  fait  de  cette  sorte,  et  pour  vous 
dire  en  ce  cas  qu'Elle  ne  veut  point  que  vous  en  fassiez  jamais 
aucune,  sous  quelque  prétexte  et  pour  quelque  raison  que  ce 
soit3  ».  Mais  le  ministre  fut  le  premier  à  violer  cette  règle. 
Quand  il  voulait  favoriser  certaines  personnes,  il  les  faisait 
«  modérément  taxer  »  par  les  commissaires  départis.  On  l'a  vu 
pour  les  maîtres  de  postes,  pour  les  éleveurs  de  chevaux,  pour 
certains  manufacturiers  *.  L'ordonnance  d'août  1669  prescrivait 
que  les  officiers  des  forêts  royales  fussent  taxés  par  les  inten- 
dants5, et  Colbert  la  rappela  à  celui  de  Caen,  le  30  mars  1672, 
en  ces  termes  : 

«  Le  Roy  ayant  reçu  plainte  que  les  gardes  de  ses  forests  de 
Testendue  de  la  généralité  de  Caen  sont  surchargés  de  tailles  dans  les 
paroisses. où  ils  font  leur  demeure  ordinaire,  contre  la  disposition 

1.  A.  N.,  Gi  71. 

2.  Let.  du  23  nov.  1683,  A.  N.  G7,  213.  Les  taxes  portaient  sur  7  religionnaires, 
et  montaient  a  525  1. 

3.  Clém.  II.  394  :  la  pièce  est  indiquée  comme  une  lettre  à  Leblanc,  mais  on  la 
trouve  aussi  dans  la  correspondance  de  Breteuil,  ce  qui  prouve  qu'elle  est  une 
circulaire.  Voir  encore  Clém.,  II,  266  (Lettre  à  De  Creil,  dont  la  réponse,  du 
31  janvier  1673.  est  dans  Clairamb.  791,  p.  149)  et  VII,  280.  Cf.  ci-dessus  p.  158, 
Saint  Pouange  demande  à  Leblanc  un  dégrèvement  par  voie  de  taxe  d'office. 

4.  Ci-dessus,  p.  256-258. 

5.  Tit.  II,  art.  13. 


LES    TAXES    D  OFFICE.  347 

expresse  de  l'ordonnance  de  Sa  Majesté  du  mois  d'aoust  1669,  par 
laquelle  il  est  ordonné  qu'ils  seront  taxés  d'office  par  les  commissaires 
départis,  Sa  Majesté  m'ordonne  de  vous  faire  sçavoir  qu'Elle  désire 
que  vous  preniez  une  connoissance  particulière  des  cotes  desdits 
gardes,  et  en  cas  qu'elles  soyent  excessives  et  qu'ils  s'en  plaignent, 
que  vous  les  taxiez  d'office,  conformément  à  la  nouvelle  ordonnance  ; 
en  quoy  vous  aurez  égard  aux  soins  qu'ils  rendent  pour  la  conserva- 
tion des  forests  de  S.  M.  1.  » 

Sur  la  fin  de  notre  période,  l'usage  était  bien  établi  d'em- 
ployer les  taxes  d'office  pour  diminuer  certains  contribuables. 
Leblanc  allait  jusqu'à  l'abus  dans  ce  sens  :  la  plupart  des  taxes 
faites  par  lui  en  1677  et  1678  étaient  «  en  diminution  »  ;  elles 
s'appliquaient  à  des  victimes  de  grêle  ou  d'incendie^  à  des 
exempts  de  collecte,  à  des  contribuables  absents  de  la  paroisse. 
Tel  est  diminué  de  10  1.  «  a  cause  du  logement  de  fdeux  cava- 
liers pendant  trois  jours  »;  tel,  nommé  collecteur  d'office,  a  son 
impôt  modéré  à  70  1.  «  sans  pouvoir  estre  augmenté  »,  tel  aufre 
est  «  fixé  à  30  1.  attendu  la  somme  de  120  1.  qu'il  a  payé  pour 
sa  taxe  d'office  en  1677  »;  François  Guibert,  demeurant  à  Cla- 
ville,  est  «  modéré  »  à  150  1.  «  pour  aucunement  l'indemniser  de 
la  surtaxe  a  luy  donnée  en  1678  »;  un  soldat  est  «  fixé  à  10  sols, 
attendu  qu'il  est  dans  le  service  »,  etc.  Plusieurs  ont  leur 
imposition  réduite,  sans  que  le  motif  en  soit  donné  2.  De  Mo- 
rangis,  dans  la  généralité  de  Caen,  taxe  également  à  bas  prix 
des  médecins,  des  procureurs,  des  nobles  dérogeant.  Dans  tous 
ces  cas,  il  était  naturellement  défendu  aux  collecteurs  et  aux 
élus  d'augmenter  les  taxes,  quoique  les  règlements  le  leur  per- 
missent. 

En  définitive,  les  taxes  d'office  furent  à  la  disposition  des 
intendants  pour  imposer  qui  ils  voulaient,  comme  ils  voulaient. 
Employées  avec  justice,  elles  pouvaient  corriger  les  vices  de  la 
répartition,  et  devenir  bienfaisantes,  mais  elles  pouvaient  être 
aussi  un  instrument  de  tyrannie,  la  plupart  des  contribuables 
étant  sans  défense  contre  des  personnages  aussi  puissants.  On 
s'explique  dès  lors  les  plaintes  qu'elles  suscitèrent.  Vauban, 
Boisguilbert,  Saint-Simon,  les  Soupirs  de  la  France  esclave 
commencent  la  série  des  protestations  qui  ne  cesseront  pas  dans 
tout  le  cours  du  xvme  siècle.  L'assemblée  provinciale  du  Poitou, 
en  1787,  dira  que  cette  pratique  «  a  servi  à  des  vues  absolument 


1.  Clém.,  IV,  254,  n.  1.  Dans  les  taxes  d'office  faites  par  l'intendant  de  Caen 
en  1683,  déjà  mentionnées,  figurent  22  gardes  des  bois  ou  des  chasses;  la  plupart 
sont  imposés  à  3  ou  5  liv.  ;   quatre  payent  20  1.  et  un,  70  1. 

Le  Conseil  lui-même  ordonnait  des  taxes  en  diminution  :  un  de  ses  arrêts,  du 
7  août  1677,  réduit  à  6501.  l'imposition  de  la  terre  de  Ghampignolles,  élection  de 
Chaumont-en-Vexin,  appartenant  aux  Feuillants  de  Paris;  en  1666,  cette  terre 
était  imposée  à  903  1.  15  s.  (B.  N.  fr.  8761"'%  f°  73). 

2.  Etats  dressés  par  Leblanc  en  1677   et  1678,  B.  N.  fr.  8761bl,,f°s  104  et  suiv. 


HI  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

contraires  a  l'esprit  qui  l'avoit  dictée,  puisque  loin  de  servir 
onicniemenl  ;i  remettre  dans  la  proportion  ceux  qui  vouloient  s'y 
soustraire,  elle  sert  souvent  de  ressource  à  ceux  qui  craignent 
une  taxe  un  peu  considérable  et  proportionnelle,  pour  solliciter 
de  l'intendant,  par  le  moyen  de  quelques  relations  avec  lui, 
d'être  taxés  d'office,  ce  qui  se  fait  alors  en  modération  considé- 
rable !  ».  Pour  peu  qu'ils  prissent  de  précautions  contre  les  récla- 
mations et  les  fraudes2,  les  intendants  étaient  évidemment 
libres  de  protéger  ou  d'accabler  à  leur  gré  par  l'impôt,  arbitraire 
lui-même  par  essence,  qui  il  leur  plaisait. 


V.    —   LES    REJETS 

Lorsqu'une  somme  a  été  régulièrement  imposée,  il  est  néces- 
saire, on  l'a  vu,  qu'elle  rentre  dans  les  coffres  du  roi,  si  remise 
n'en  a  pas  été  faite  :  il  est  de  règle  qu'  «  il  ne  doit  jamais  y  avoir 
en  lait  de  taille  de  non-valeurs  au  préjudice  du  roi3  ».  Si  donc 
un  contribuable  est  déchargé  de  tout  ou  partie  de  son  impôt 
pour  une  raison  quelconque  (par  exemple  pour  exemption 
reconnue,  insolvabilité,  erreur  des  collecteurs,  etc.),  en  dehors 
du  cas  de  comparaison  de  taux,  il  faut  recharger  d'autant  les 
autres  contribuables  de  la  paroisse;  cette  réimposition  est 
appelée  rejet*. 

La  plupart  des  rejets  sont  ordonnés  par  les  Elections  ou  la 
Cour  des  Aides,  à  la  suite  de  leurs  sentences  en  décharge  ou  en 
modération  de  taux.  Les  collecteurs  ne  peuvent,  réglementaire- 
ment, en  faire  aucun  de  leur  propre  autorité;  quand  ils  ont 
des  motifs  valables,  ils  doivent  introduire  une  instance  devant 
l'Election,  et  obtenir  une  sentence  qui  précise  les  conditions 
dans  lesquelles  sera  fait  le  rejet.  S'ils  sont  insolvables  ou  négli- 

fents,  le  receveur  des  tailles  peut  se  substituer  à  eux  pour  intro- 
uire   l'instance 8.  Voici   quelques   exemples   de    ces  différents 

1.  Rapport  du  Bureau  des  Impositions  à  l'assemblée,  Procès-verbal  de  t Assem- 
blée provinciale  de  Poitou,  p.  47. 

2.  Morangis  écrit  de  Caen,  le  23  novembre  1683,  qu'il  a  «  remarqué  par  l'expé- 
rience des  dernières  années  que  les  taxes  d'office  excessives  font  sortir  les  bons 
taillables  des  paroisses,  et  qu'il  faut  pour  les  y  retenir  et  prévenir  les  translations 
de  domicile  véritables  ou  frauduleuses  les  hausser  tous  les  ans  de  quelque  chose  » 
(A.  N.  G7,  213). 

3.  Moreau  de  Beaumont,  Mémoires  sur  les  impositions,  II,  p.  55. 

4.  Il  pourrait  y  avoir  aussi  des  rejets  ordonnés  sur  toutes  les  paroisses  d'une 
élection  dans  le  cas  où  une  de  ces  paroisses  serait  déchargée  de  tout  ou  partie  de 
son  impôt,   mais  en   pratique  le  cas  se  présentait  très  rarement.  Cf.  ci-dessus, 

5.  Le  Bureau  des  finances  de  Rouen  prétendait  connaître  aussi  des  rejets  :  le 
31  janvier  1663  il  défend  aux  élus  de  Caudebec,  à  propos  d'un  rejet  fait  par  eux 
sur^  les  paroisses  de  l'élection,  d'en  faire  à  l'avenir  sans  son  autorisation,  parce 

fu'ils   ne  doivent  ordonner  «   aucune  levée  de  deniers  sans  lettres  patentes   de 
a  Majesté  et  ordonnance  du  Bureau  sur  icelles  »,  (A.  D.  S.  Inf.,  C,  1165  p.  14- 
15.)  Mais  le  cas  est  exceptionnel. 


LES    REJETS.  349 

cas  :  l'Election  de  Caudebec,  le  4  juin  1661  ordonne  un  rejet  de 
96  1.  6  s.  dans  la  paroisse  de  Cany  sur  les  instances  du  principal 
collecteur  de  Barville,  pour  la  taille  du  sieur  Adam  Ledoux  qui 
a  été  «  renvoyé  »  de  Barville  à  Cany  '.  Un  arrêt  de  la  Cour  des 
aides  du  9  janvier  1662  ordonne  de  rejeter  sur  les  habitants  du 
Catelon,  élection  de  Pont-Audemer,  la  somme  de  173  1.  14  s., 
qui  n'a  pu  être  payée  par  la  paroisse  sur  la  taille  de  1660 
«  attendu  l'insolvabilité  notoire,  absence  du  pays,  et  demeure 
hors  province  »  de  certains  contribuables2.  Le  2  juillet  1661 
la  Cour  des  aides  autorise  le  rejet  de  1  000  1.  sur  les  contri- 
buables de  Saint-Grégoire  du  Vièvre,  élection  de  Pont-Audemer, 
à  la  requête  des  habitants,  «  pour  evitter  le  procez  prest  à 
mouvoir  entr'eux  et  les  collecteurs,  année  1657,  touchant  les 
deniers  inutiles  de  ladite  année...  mesme  empescher  l'effect  de 
la  solidité  que  le  receveur  des  tailles  avoit  faict  juger  sur  cer- 
tains nombres  des  supplians  après  discution  qu'il  avoit  dit  avoir 
faite  sur  les  collecteurs  de  ladite  année,  ce  qui  causeroit  la 
ruyne  totalle  de  ladite  communauté  par  les  recours  que  les  par- 
ticuliers auroient  poursuivis  et  obtenus  les  uns  contre  les 
autres,  mesme  que  le  principal  collecteur  d'icelle  année  a 
emporté  et  dissipé  grand  nombre  de  deniers3  ». 

Ces  rejets  étaient  une  source  de  fraudes  pour  les  collec- 
teurs, pour  les  élus,  et  pour  les  contribuables  :  ils  permettaient 
aux  collecteurs  de  faire  traîner  la  perception  pendant  plusieurs 
années,  et  de  molester  les  contribuables;  leur  procédé  le  plus 
commun  pour  cela  était  d'imposer  des  insolvables  à  de  grosses 
sommes,  lesquelles,  n'étant  pas  payées,  devaient  être  rejetées  sur 
le  reste  de  la  paroisse  ;  les  élus,  loin  de  les  décourager,  les  y 
poussaient,  «  parce  que  pour  parvenir  à  ces  rejets,  il  fault  faire 
des  contestations,  ce  qui  produit  des  vacations,  des  épices  et 
des  façons  de  rolles*  ».  Les  receveurs  ne  se  préoccupaient  guère 
de  les  empêcher  «  ne  leur  important  pas,  dit  un  intendant,  que 

1.  A.  D.  S.  Inf.  G.  2483.  Le  rejet  sera  fait,  dit  la  sentence  «  pour  cette  année 
seullement,  au  marc  la  livre  des  imposts  à  taille  des  habitans  pour,  par  lesdits 
collecteurs  de  Cany,  en  faire  payement  à  leur  descharge  auxdits  collecteurs  de 
Barville,  saouf  le  recours  de  ladite  généralité  sur  ledit  Ledoux,  et  à  faire  souffrir 
lesdits  collecteurs  et  particuliers  de  Barville  des  imposts  des  insolvables  lesquels 
ont  esté  renvoyé  en  ladite  paroisse  de  Cany.  » 

2.  A.  D.  S.  Inf.  registre  du  Conseil  de  la  Cour  des  aides,  à  sa  date;  cf.  autre 
arrêt  de  la  Cour  du  7  février  suivant  rejetant  la  somme  de  283  1.  4  s.  sur  la 
paroisse  de  Freneuse  pour  le  même  motif. 

3.  A.  D.  S.  Inf.,  Registre  de  la  Cour  des  Aides  à  sa  date.  Les  frais  de  l'arrêt, 
soit  15  1.  seront  imposés  en  sus  de  cette  somme.  —  Il  arrive  cependant,  même 
après  les  règlements  de  1664,  indiqués  plus  loin,  que  des  assemblées  d'habitants 
décident  des  rejets  de  leur  propre  initiative.  Ainsi  le  11  octobre  1665  les  contri- 
buables de  Rots  assemblés  donnent  pouvoir  à  leurs  collecteurs  de  «  rejeter  sur 
eux  au  marc  la  livre  la  somme*  de  10  1.  5  s.  scavoir  100  s.  pour  l'impost  de 
Gilles  Dessillons,  procureur-syndic,  72  s.  6  d.  pour  Jacques  Degvon  et  32  s.  6  d. 
pour  Robert  le  Danois,  qu'ils  auroist  paiée  pour  quelque  affaire  de  ladite 
parroisse.  »  (A.  Mun.  Rots,  B  B  4). 

4.  Lettre  de  l'intendant  d'Orléans,  12  juin  1CG4,  M.  G.  121,  f°  489. 


MM  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

le  peuple  fust  ruiné  et  dans  l'impuissance  de  continuer  les 
charges  de  l'Estat,  pourveu  (ju'ils  trouvassent  dans  le  courant 
de  quoy  se  satisfTaire  »;  enfin  les  plus  puissants  des  paroisses 
v  trouvaient  un  avantage  :  ils  ont,  ajoute  le  même  auteur,  «  non 
seulement  dissimulé  mais  mesme  favorisez  cet  abus  parce  que 
ces  réimpositions  ne  retomboient  jamais  sur  ceux  qu'ils  proté- 

f oient,  et  au  contraire  ces  protections  estoient  une  des  causes 
e  ces  rejects1  »;   ces  abus  en  certaines   régions  atteignaient 
des  proportions  très  élevées2. 

Golbert  se  proposa  de  les  empêcher  par  l'arrêt  du  conseil  du 
4  juillet  1664  :  il  déplorait  «  qu'au  moyen  des  fréquents  rejets 
qu'ordonnent  les  élus,  le  courant  de  la  taille  ne  peut  estre  payé, 
s'étant  rencontré  en  quelques  paroisses  que  les  rejets  ont  monté 
à  plus  que  la  moitié  de  l'imposition  principale,  lesdits  élus 
prenant  des  droits  excessifs  sous  ce  prétexte  et  alouant  aux 
collecteurs  des  frais  de  voyage  et  autres  »,  et  il  défendait  en 
conséquence  aux  élus  de  prononcer  à  l'avenir  des  rejets  pour 
quelque  motif  que  ce  fût  sans  les  faire  approuver  par  l'intendant 
de  leur  généralité  qui  en  référerait  lui-même  au  Conseil 3. 
Nouvel  exemple  des  empiétements  des  intendants  sur  les  fonc- 
tions des  élus.  Les  lettres-patentes  d'août  1664  (art.  40), 
reprirent  l'arrêt  du  4  juillet  pour  lui  donner  plus  de  force; 
elles  interdirent  en  outre  (art.  41)  aux  gentilshommes  et  curés 
des  paroisses  de  contraindre  les  habitants  à  faire  faire  le  rejet 
des  impôts  de  leurs  protégés*.  Ces  ordonnances  étant  «  diver- 
sement interprétées  »  par  les  élus  et  les  collecteurs,  un  nouvel 
arrêt,  du  5  janvier  1665,  précisa  les  conditions  dans  lesquelles 

1.  M.  C,  121,  C  490. 

2.  Ils  sont  signalés  par  exemple  dans  les  élections  de  Chaleaudun  et  de  Chartres 
en  1664  par  l'intendant  :  ces  rejets  sont  appelés  dans  le  pays  des  morts-bois  : 
dans   l'élection    de   Chartres  il   s  en  fuit   •    tous   les  ans  et  quasi  dans  toutes  les 

f>aroisses  »,  dans  celle  de  Chateaudun  il  en  est  de  môme  :  une  seule  paroisse  de 
a  ville  en  a  pour  plus  de  5  000  1.  en  l'année  1663  :  le  rejet  est  «  passé  en  usage  »  ; 
or  partout  les  inconvénients  en  sont  graves  :  •  c'est  deux  tailles  au  lieu  d'une, 
et  un  accablement  pour  ceux  qui,  avant  payé  leur  taux  du  premier  roole,  se  trou- 
vent obligés  à  payer  une  seconde  fois,  et  est  une  occasion  aux  collecteurs  de  faire 
mille  friponneries  en  mettant  au  nombre  de  ces  morts-bois,  pour  parler  leur 
langage,  leurs  parents  ou  leurs  amis,  mesmes  les  fermiers  des  gentilshommes  ». 
(M.  C.  121  f"  2V«).  Il  y  a  des  paroisses  ■  où  il  se  fait  de  ces  rejets  jusques  à  trois 
pour  une  année  et  des  sommes  considérables,  en  sorte  qu'il  y  a  des  habitants 
qui  payent  quelquefois  en  une  année  double  et  triple  taille  ».  (Ibid.  I"  337);  ils 
retombent  toujours  sur  les  plus  pauvres  :  •  an  homme  qui  est  de  bonne  volonté 
et  sans  protection  [est  entièrement  accablé],  et  il  ne  fault  pas  s'étonner  si  à 
présent  il  n'y  a  plus  quasi  de  bons  laboureurs  dans  toute  l'élection  de  Chartres  ». 
(Ibid.  f*  489);  mais  )  intendant  déclare  que  l'on  ne  peut  songera  les  supprimer 
complètement  sans  nuire  au  recouvrement. 

3.  Mim.  Alphab.,  p.  620.  Voysin  de  la  Noiraye  accuse  réception  de  l'arrêt  le 
19  juillet  :  M.  C.  122,  f  63'«.  L'intendant  d'Orléans  écrit  le  29  novembre  1664  : 
«  Il  ne  faut  pas  remettre  en  aucune  façon  l'exécution  [de  l'arrêt]  aux  esleus.  » 
(M.  C.  125,  PI 74.) 

4.  Il  est  interdit  aux  collecteurs  par  le  même  article  de  faire  ces  rejets  de  leur 
propre  autorité,  «  sur  peine  de  la  vie  »,  tel  acte  devant  être  considéré  comme 
une  exaction.  (Cf.  ci-dessus  p.  93.) 


LES    REJETS.  351 

les  rejets  pourraient  être  prononcés,  à  savoir  :  1°  Lorsque  des 
officiers  privilégiés  auraient  été  déchargés  de  leur  impôt  par  sen- 
tence des  élus  ou  de  la  Cour  des  aides;  2°  Lorsque  des  particu- 
liers auraient  obtenu  une  diminution  d'impôt  dans  un  procès  en 
surtaux;  3°  Lorsque  des  contribuables  seraient  régulièrement 
déclarés  insolvables;  4° Lorsque  des  habitants  auraient  été  taxés 
en  deux  paroisses  ;  5°  Enfin,  lorsqu'il  s'agirait  de  rembourser  aux 
contribuables  des  sommes  qu'ils  auraient  payées  pour  toute  la 
paroisse  en  vertu  d'une  sentence  de  solidité.  Dans  tous  ces  cas, 
les  élus  prononceront  les  rejets  sans  frais,  et  si  le  montant 
dépasse  500  h,  ils  devront  en  aviser  le  Conseil  par  l'entremise 
des  intendants  pour  faire  valider  leur  sentence1. 

Il  fut  bientôt  reconnu  que  la  faculté  laissée  aux  élus  de  pro- 
noncer a  eux  seuls  les  rejets  jusqu'à  500  1.  leur  permettait  de 
commettre  des  abus  ;  un  nouvel  arrêt  du  Conseil  du  14  mars  1676 
exigea  pour  tout  rejet  l'autorisation  de  l'intendant  et  du  conseil, 
et  réduisit  à  200  1.  la  somme  qu'il  était  permis  de  rejeter  en 
une  année  sur  une  paroisse.  Toutes  les  commissions  des  tailles 
à  partir  de  cette  date  renouvelèrent  la  défense  de  prononcer 
des  rejets  sans  un  arrêt  du  Conseil,  et  Colbert  veilla  soigneuse- 
ment à  l'exécution  de  ce  règlement2. 

L'application  des  intendants  semble  bien  avoir  eu,  sur  ce 
point,  des  résultats  notables.  Leblanc  dans  la  généralité  de 
Rouen  avait  l'habitude  de  dresser  chaque  année,  en  faisant  le 
département  des  tailles,  la  liste  des  rejets  qu'il  accordait,  et  nor- 
malement il  les  répartissait  sur  plusieurs  exercices,  même  pour 
des  sommes  inférieures  à  200  1.  :  ainsi  le  sieur  Michel,  contri- 

1.  Mém.  Alphab.,  p.  621.  Sur  cet  arrêt  l'intendant  de  Rouen  présenta  à  Colbert 
des  objections,  le  23  janvier  suivant  :  On  fait  bien,  dit-il,  d'autoriser  les  rejets  pour 
les  impositions  mises  à  tort  sur  les  officiers  exempts,  mais  encore  faudrait-il 
faire  cette  réserve  que  l'exemption  est  régulière  et  que  les  collecteurs  n'ont  pas 
fait  l'imposition  «  de  leur  teste,  par  malice  et  par  dessein  »,  comme  il  y  en  a 
une  infinité  d'exemples;  en  outre  on  ne  devrait  pas  autoriser  les  rejets  pour  les 
surtaux  jugés  par  les  élus,  mieux  vaudrait  en  ordonner  la  réimposition  seule- 
ment l'année  suivante,  car  les  élus  prononceront  trop  de  ces  décharges  de  sur- 
taux, ».  car  comme  l'on  dit  cela  fait  venir  l'eau  au  moulin,  et  cela  leur  donne 
des  procès  et  par  conséquent  des  présens,  estant  certains  que  presque  tous  les 
opposants  en  surtaux  gagnent  toujours  leurs  procès...  parce  que  si  les  esleus 
n  accordoient  quelque  diminution  à  ceux  qui  les  leur  demandent,  ils  chasseroient 
les  pigeons  du  colombier  »  ;  enfin  il  faudrait  apporter  des  restrictions  au  rejet 
des  taux  de  ceux  qui  sont  renvoyés  d'une  paroisse  à  une  autre,  car  il  y  a  «  des 
fuyards  qui  vont  d'une  paroisse  à  une  autre  et  qui  changent  quasy  tous  les  ans 
de  demeure  »  bref,  l'intendant  est  «  persuadé  que  tout  le  moins  de  pouvoir  qu'on 
peut  donner  [aux  élus|  c'est  le  mieux  pour  le  service  du  roy  et  le  soulagement 
des  peuples  ».  (M.  C.  127,  fos  261-26i.) 

2.  Par  exemple  lettre  à  Le  Vayer  13  mai  1682,  Depping,  III,  p.  305  :  il  n'y  a 
«  rien  qui  soit  plus  important  que  de  restreindre  la  liberté  que  les  communautés, 
les  esleus  et  la  Cour  des  aydes  ont  prise  d'ordonner  ces  impositions...,  c'est  un 
crime  capital,  mesme  de  lèse-majesté  de  faire  aucune  imposition  sur  les  peuples 
sans  commission  scellée  du  grand  sceau  ».  La  prescription  fut  généralement 
inscrite  dans  les  mandements  des  intendants  aux  paroisses  :  par  ex.  dans  ceux 
de  Leblanc  (B.  N.  fr.  8761"ls  f°  27).  Le  12  juillet  1677,  Leblanc  rend  une  ordon- 
nance pour  rappeler  aux  élus  de  sa  généralité  qu'ils  ne  doivent  ordonner  aucun 
rejet  sans  lui  faire  viser  leur  sentence  (ibid.  f°  63). 


LA    TAILLE    BN    NORMANDIE. 

buablc  à  Dives,  étant  déchargé  d'une  somme  de  140  1.,  le  rejet 
de  cette  imposition  est  réparti  sur  trois  années1. 

Mais  toutes  les  fraudes  ne  disparurent  pas  :  l'intendant 
d'Alençon  écrit  le  2  avril  1683  que  dans  la  seule  élection  de 
Lisieux  il  y  a  «  pour  plus  de  20000  1.  de  rejets  »,  et  dans  les 
autres  élections  de  la  généralité,  la  quantité  en  est  grande  éga- 
lement; la  plupart  proviennent  de  dépens  de  procès  pour  la 
taille,  où  les  paroisses  ont  succombé;  l'intendant  de  Morangis, 
avait  antérieurement  rendu  une  ordonnance  prescrivant  que  ces 
rejets  fussent  payés  «  trois  mois  après  l'imposition  »  ;  mais  ceux 
à  qui  ils  sont  dûs  soutiennent  que  l'on  a  entendu  par  là  que 
l'on  devait  payer  trois  mois  après  l'établissement  des  rôles  : 
interprétation  qui,  suivant  l'intendant,  porterait  le  plus  grand 
préjudice  au  recouvrement;  aussi  a-t-il  ordonné  la  surséance  du 
paiement  des  sommes  rejetées  «  jusques  après  l'imposition 
acquittée  ».  Ces  rejets,  ajoute-t-il,  ruinent  les  paroisses;  ils  sont 
une  occasion  pour  les  collecteurs  d'imposer  des  riches  à  de  très 
fortes  sommes,  qui  doivent  être,  suivant  l'ordonnance,  payées 
par  provision,  si  bien  que  les  collecteurs  encaissent  ces  sommes, 
avec  lesquelles  ils  s'acquittent  à  la  recette,  en  laissant  à  leurs 
successeurs  le  soin  de  percevoir  les  rejets;  les  élus  «  ne  font, 
nulle  difficulté  »  d'accorder  ces  rejets  «  quoique  les  collecteurs 
en  dussent  estre  tenus  en  leurs  privés  noms;  ce  qui  donne 
lieu  auxdits  collecteurs  d'en  user  de  cette  manière  par  l'impu- 
nité qu'ils  y  trouvent2  ». 

Même  pratique  e3t  signalée  dans  la  généralité  de  Caen  par 
de  Morangis,  le  23  novembre  1683  :  ici  encore  la  plupart  des 
rejets  proviennent  des  décharges  accordées  par  les  élus  et  la 
Cour  des  aides  à  certains  particuliers  qui  avaient  été  surimposés 
par  les  collecteurs  avec  l'autorisation  des  habitants;  autorisa- 
tion facilement  obtenue,  car  les  collecteurs  «  sont  toujours  abso- 
lument les  maistres  avant  l'imposition  »;  ainsi  dans  certaines 
paroisses  de  l'élection  de  Valognes  «  les  collecteurs  ont  mis  les 
2/3  de  la  taille  sur  des  personnes  qui  ont  esté  déchargées  »  ; 
l'argent  qui  leur  a  été  payé  par  provision  leur  a  servi  à  s'acquitter 
auprès  du  receveur,  et  leurs  successeurs  ont  eu  à  se  débrouil- 
ler pour  percevoir  les  sommes  rejetées  sur  la  paroisse;  puis 
«  quelques-uns  des  collecteurs  de  l'année  suivante  à  l'exemple 
des  précédens  ont  réimposé  pour  se  tirer  d'affaire  les  mesmes 
personnes  quoique  déchargées,  ou  d'autres  contre  lesquels  ils 
ont  eu  également  la  provision,  et  ont  accablé  par  ce  moyen  les 

1.  B.  N.  fr.  8761bU,  f°  3,  rôle  du  9  octobre  1678. 

2.  Lettre  do  2  avril  1683,  A.  N.  G^  71.  Le  9  nov.  1673,  «on  prédécesseur  écri- 
vait :  •  Les  officiers  des  eslections...  font  [des  rejets]  confusément  au-dessus  et 
au-dessoubs  de  500  1.,  soubs  différents  prétextes,  a  quoy  l'avidité  du  profit  pour 
eux  ne  les  invite  pas  peu,  et...  ils  surchargent  extrêmement  les  paroisses,  ce  qui 
faict  et  fera  dans  la  suite  un  préjudice  très  notable  audit  recouvrement  ».  (M.  C. 
166,  F  303.) 


L  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE.  353 

communautez  et  de  procez  et  de  rejets,  et  laissé  aux  collec- 
teurs des  années  suivantes  à  réimposer  les  sommes  qu'ils  avoîenl 
mal  imposées  ».  Le  remède,  à  son  avis,  serait  de  supprimer  les 
décharges  et  de  rendre  les  collecteurs  responsables  des  imposi- 
tions fixées  par  eux,  sans  recours  contre  les  habitants;  tout  rejet 
autorisé  devrait  être  perçu  par  les  collecteurs  en  charge  quand 
il  a  été  ordonné,  «  ainsi  que  cela  se  pratiquoit  autrefois  »  ;  enfin 
il  faudrait  refuser  d'accorder  le  paiement  par  provision  «  après 
la  question  jugée1  ». 

Dans  la  généralité  de  Rouen  enfin,  Leblanc  est  obligé 
d'avertir  les  collecteurs  qu'il  n'autorisera  pas  de  rejets,  s'ils 
font  «  de  mauvaises  impositions  pour  avoir  moyen  de  soulager 
qui  bon  leur  semble,  et  dans  la  suite  d'obtenir  des  rejets2  ». 


VI.  —  L'INEGALITE  DANS  L'ASSIETTE 

L'égale  répartition  de  la  taille,  tant  de  fois  rêvée  par  les 
gouvernants,  tant  de  fois  prescrite  par  les  ordonnances,  on  l'a 
vu  3,  ne  pouvait  être  mieux  atteinte  dans  l'assiette  que  dans  le 
département  entre  les  élections  et  les  paroisses.  Faute  de  base 
matérielle  pour  évaluer  la  forlmije — dp"<i  nnptribuables.  oja.  oe 
pouvafF  compter  que  ".sur  la  vertu  et  la  science  des  collecteurs, 
lesquelles  n'étaient  pas  communes.  Depuis  que  la  taille  existait, 
les  plaintes  sur  sa  mauvaise  répartition  se  faisaient  entendre, 
les  ordonnances  se  multipliaient  pour  y  remédier,  toujours  en 
vain. 

«  La  distribution  des  tailles,  écrit  à  Colbert  l'intendant  de  Cham- 
pagne en  1667,  est  si  mal  faitte  dans  les  villes  et  dans  les  villages  de 
cette  province,  et  l'injustice  en  est  si  perpétuelle  et  si  visible,  que  je 
croy,  Monsieur,  que  dans  la  reformation  de  tant  de  desordres,  vous 
trouverez  peut-estre  celuy-cy  digne  de  vos  soins,  et  qu'un  des  plus 
grands  biens  que  l'on  pourroit  faire  aux  peuples  seroit  de  travailler  a 
un  bon  regalement.  Je  scay  bien  que  le  mal  est  gênerai,  et  les  remèdes 
assez  difficiles,  mais  encor  y  a-il  quelque  chose  à  faire4  ». 

1.  A.  N.  G?  213. 

2.  Let.  à  Colbert,  4  janvier  1680,  A.  N.  G'1  491.  Il  faut,  ajoute-t-il,  que  «  ceux 
qui  auront  fait  le  rôle  [soient]  tenus  de  faire  la  levée  »  ;  un  rejet  fait  sur  l'année 
suivante  incomberait  au   contraire  à  des  collecteurs  qui  ne  l'auraient  pas  causé. 

3.  Ci-dessus,  p.  144  et  suiv.  Cf.  les  circulaires  de  Colbert  des  20  août  1680 
(Mémoires  de  Foucault,  p.  455),  24  août  et  10  sept.  1682  (B.  mun.  Amiens,  ms.  508, 
III,  pièces  397  et  434). 

4.  Let.  du  21  janvier  1667,  M.  C.  143,  f°  128.  Cf.  une  lettre  de  l'évèque  de 
Saintes  à  Colbert,  du  18  mai  1664  :  les  peuples  de  Saintonge  «  profiteront  peu  de 
la  diminution  que  S.  M.  leur  fera,  si  les  ricbes  sont  soulagés  et  les  seuls  pauvres 
accablés  de  taxes,  ce  qui  est  trop  commun...;  les  ricbes  roturiers  se  font  ayse- 
ment  descharger  et  craindre  aux  pauvres  collecteurs,  soit  par  leurs  menaces, 
soit  par  celles  de  leurs  protecteurs  ».  (Depping,  III,  p.  67).  Voir  aussi  Ducrot, 
Traité  des  aydes...,  éd.  1636,  p.  358   :  «  Que  si    toutes  personnes  payoient  indis- 

LA   TAILLE    EN   NORMANDIE.  .  *«J 


M  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Ce  qu'il  écrivait  pour  la  Champagne  était  vrai  pour  la  Nor- 
mandie, et  pour  toutes  les  provinces.  L'inégalité  venait  soit  des 
collecteurs  eux-mêmes,  soit  des  personnes  puissantes  qui  inter- 
venaient dans  l'assiette. 

En  règle  générale,  les  collecteurs,  responsables  du  paiement 
de  l'impôt,  estiment  que  l'assiette  est  livrée  à  leur  discrétion  ;  ils 
surchargent  ou  soulagent  tous  ceux  qu'ils  peuvent  :  ce  sont, 
comme  dit  Boisguilbert,  des  «  gens  qui  croient  que  la  misère 
autorise  tout J  »  ;  ils  s'abandonnent  à  leurs  passions  ou  à  leur 
intérêt,  toutes  les  fois  qu'ils  n'ont  a  craindre  ni  représailles  ni 
châtiment.  On  a  vu  les  précautions  que  les  règlements  avaient 
prescrites  pour  les  empêcher  de  diminuer  leurs  cotes  et  celles 
de  leurs  parents2.  Mais  aucune  prescription  n'existait  et  ne 
pouvait  exister  pour  les  empêcher  de  décharger  leurs  amis,  de 
surcharger  leurs  ennemis,  la  crainte  des  procès  en  cote  et  compa- 
raison de  taux  étant  insuffisante  pour  les  retenir. 

Les  accords  secrets  entre  collecteurs  et  contribuables  pour 
diminuer  le  taux  de  ceux-ci,  étaient  e'xlHïnemëHt  fréquents. 
Pescheur,  élu  de  Saint-Florentin,  assure  dans  son  mémoire 
qu'ils  existent  à  peu  près  partout,  et  il  explique  comment  les 
choses  se  passent  :  dès  que  les  collecteurs  sont  nommés,  ils 
emploient  leur  temps,  avant  d'arrêter  leur  rôle,  «  à  concussionner 
de  toute  leur  industrie,  sans  désemparer  ny  jour  ny  nuict  les 
cabarets  »,  et  ces  concussions  sont  «  si  triviales  et  fréquentes 
qu'elles  passent  aujourd'huy  en  commerce,  les  asseeurs-collec- 
teurs  ayant  des  proxénètes  qui  vont  de  maison  a  autre  inviter  les 
cottisables  à  faire  leurs  offrandes  à  ceux  qui  les  envoyent,  avec 
des  fulminations  de  peines  qui  sont  de  taxer  au  dernier  exceds 
les  réfractaires,  menaces  qui  intimident  les  plus  asseurez,  au 
poinct  de  se  soumettre  aussitost  à  la  discrétion  de  ces  brigands 
publics,  dont  les  pilleries  adjoustent  à  la  taille  plus  d'un  cin- 
quième quartier,  levé  et  empoché  auparavant  que  le  roolle  de 
l'impost  a  faire  soit  arresté  ».  C'est  pour  ce  motif  qu'ils  tardent 
le  plus  possible  à  arrêter  leur  rôle,  «  tirant  de  long  »,  soulevant 
des  procès,  provoquant  des  assemblées  d'habitants.  L'abus  est 
au  point  que  certains  y  ont  fait  fortune  :  «  on  a  veu  des  gens 
affairez  et  nécessiteux  mis  esdites  charges...  qui  en  sont  sortis 
dégagez    de    leurs    debtes    et  aucunement  soulagez   »;    par  là 

tinctement  les  tailles,  on  ne  verroit  pas  tant  de  familles  ruinées  et  vagabondes 
par  les  champs,  ou  se  traisner  mendians  par  les  rues  et  églises  de  Paris  ;  plu- 
sieurs crocheteurs  et  faineans  seroient,  sans  l'excez  des  tailles,  fermiers  ou  bons 
mestayers,  travaillans  pour  eux  et  pour  le  public.  Mais,  ô  malheur  de  la  France, 
le  laboureur  ne  peut  assez  faire  pour  payer  les  tailles,  et  faict  qu'il  abandonne 
tout;  ce  qui  n'arriveroit  pas  si  les  plus  riches  le  soulageoient.  »  Et  encore  Se.  de 
Gramont,  Le  denier  royal,  p.  288;  le  mémoire  de  Pescheur,  M.  C.  33,  f°  287,  etc. 

1.  Détail  de  la  France,  éd.  Daire,  p.  175. 

2.  Ci-dessus,  p.  328. 


L  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE.  355 

s'explique,  selon  Pescheur,  l'empressement  des  contribuables  à 
se  faire  nommer  collecteurs  en  certaines  paroisses  :  partout  où 
la  collecte  est  recherchée,  dit-il,  c'est  qu'on  y  pratique  ces 
concussions  l. 

L'intendant  Leblanc,  dans  son  mandement  aux  paroisses 
en  1672,  avait  inséré  la  prescription  suivante  : 

«  Nous  défendons  pareillement  ausdits  collecteurs  d'exiger  ny 
prendre  aucuns  deniers,  ny  se  faire  traitter  dans  les  cabarets  ou 
ailleurs,  pour  diminuer  aucuns  des  contribuables  de  leurs  parroisses 
à  la  foule  des  autres,  à  peine  de  punition  corporelle;  et  en  cas  de 
contravention,  leur  sera  leur  procez  fait  et  parfait  par  les  esleus,  à  la 
diligence  du  procureur  du  roy  en  ladite  eslection,  qui  sera  tenu  de 
nous  en  avertir 2.  » 

Mais  l'application  en  était  difficile.  D'abord,  comment  décou- 
vrir ces  conventions  secrètes?  «  Ceux  qui  ont  achepté,  dit 
Pescheur,  la  modération  de  leurs  cottes  a  beaux  deniers  contans, 
donnez  d'homme  a  homme  et  de  main  a  autre,  se  gardent  bien 
de  révéler  le  secret,  quelque  monitoire  qui  soit  obtenue  et 
publiée  à  cette  fin,  crainte  de  perdre  leur  crédit  pour  les  années 
suivantes,  et  il  n'y  a  que  ceux  ausquelz  les  asseeurs  n'ont  pas 
tenu  parole  qui  disent  ce  qui  leur  en  couste  et  ont  déboursé 
chacun  en  particulier,  sans  passer  plus  avant,  de  manière 
qu'estans  tous  des  tesmoins  singuliers,  qui  semblent  mesmes 
estre  intéressez  en  leurs  dépositions,  il  n'y  a  pas  lieu  de  fonder 
sur  icelles  un  jugement  de  condamnation3.  »  En  outre,  les  élus 
ne  sont  pas  tous  aussi  bien  intentionnés  que  Pescheur,  ni  même 
les  conseillers  à  la  Cour  des  aides  :  Barin  de  la  Galissonnière 
écrit  à  Colbert  le  14  octobre  1664  que  sur  ces  concussions  «  il 
y  a  des  procès  instruits  quasi  dans  toutes  les  eslections  [de  la 
généralité  d'Orléans],  au  moins  ils  le  doivent  estre,  car  j'en  ay 
donné  l'ordre,  mais  les  esleus  disent  que,  quand  ils  les  ont 
condamnés  a  quelque  peine  corporelle,  la  Cour  des  aides  a 
tousjours  infirmé  leurs  jugements4  ». 

«  Comme  les  collecteurs  sont  maistres  de  l'imposition,  écrit 
Leblanc  en  1680,  il  est  impossible  dempescher  qu'ils  ne  se 
vengent  »;  j'ordonne,  ajoute-t-il,  «  mais  très  rarement,  que  le 

1.  M.  G.,  33,  P»  286-8.  Cf.  ci-dessus,  p.  285.  Le  5  juillet  1661,  la  Cour  des  aides 
de  Rouen  condamne  à  150  1.  d'amende  trois  collecteurs  pour  «  menaces,  concutions 
et  malversations  »  (A.  D.  S.-Inf.,  Cour  des  aides,  registre  du  Conseil,  juillet  1661, 
f°  41).  Cf.  de  Merville,  Maximes,  p.  76  (arrêt  de  la  Cour  des  aides  de  Paris, 
4  mars  1681). 

2.  Mandement  aux  paroisses,  A.  D.  S.  Inf.,  C  2215.  Cf.  une  lettre  de  Colbert  à 
l'intendant  de  Tours,  4  février  1683  :  il  lui  ordonne  de  sévir  contre  les  collecteurs 
qui  ont  «  tiré  des  gratifications  pour  diminuer  la  cote  des  particuliers.  »  (Clém., 
II,  215). 

3.  M.  C,  33,  f°  286. 

4.  M.  C,  123,  f°  334.  Il  demande  un  arrêt  du  Conseil  pour  y  remédier. 


356  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

roi  le  sera  fait  en  présence  d'un  officier  de  l'eslection  et  du 
receveur1  »,  il  n'y  a  pas  d'autre  remède.  Dans  la  plupart  des 
cas  on  ne  peut  compter  sur  les  habitants  pour  réparer  l'injus- 
tice, car  les  «  cabales  »,  telles  que  Pescheur  les  signale l,  se 
trouvent  fréquemment.  En  voici  des  exemples  : 

A  Pontoise,  en  1680,  une  diminution  de  3  700  1.  ayant  été 
accordée  à  la  ville,  les  collecteurs  n'en  ont  fait  bénéficier  que 
<<  quelques-unes  des  personnes  plus  riches  et  plus  solvables... 
pour  des  considérations  injustes  et  des  praticques  secrettes  »; 
en  sorte  que  la  plupart  des  autres  habitants  ont  vu  augmenter 
leur  taux.  L'intendant  ordonne  que  le  rôle  sera  dressé  «  en 
présence  d'une  personne  non  suspecte 3  »  ;  mais  en  1685,  son 
successeur  retrouve  les  mêmes  désordres*. 

A  Pont-1'Evêque,  en  1681,  deux  intrigants,  les  sieurs  Fossé 
et  Bloche,  se  sont  fait  nommer  collecteurs  ; 

«  ils  ont  diminué,  quelque  chose  que  j'aye  pu  faire,  écrit  l'intendant, 
dix  ou  douze  des  principaux  qui  sont  de  leur  caballe,  et  ont  rejette 
800  1.  sur  les  veufves  et  des  misérables  qui  n'ont  pas  de  pain,  ce  qui 
fera  autant  de  non-valleurs....  C'est  une  addresse  que  les  habitans  de 
cette  eslection,  qui  sont  les  plus  chicaneurs  de  la  généralité,  ont 
trouvée  pour  diminuer  les  taux  de  ceux  qui  leur  donnent  le  plu9,  d'en 
augmenter  ceux  des  misérables  •.  » 

L'année  suivante,  les  mêmes  personnages  ont  fait  un  rôle  à 
leur  fantaisie,  où  les  insolvables  portaient  presque  toute  la 
taille;  le  collecteur  porte-bourse  n'en  était  pas  informé. 

1.  Let.  du  20  nov.  1G80,  à  Colbert  A.  N,  G?  491.  Voir  de  ces  ordonnances  de 
Leblanc  B.  N.  fr.  8761""  fol.,  104  et  suiv.,  pour  la  taille  de  la  généralité  de 
Rouen  en  1678. 

2.  Ci-dessus,  p.  185. 

3.  Lettre  de  Leblanc,  17  juillet  1680,  et  placet  de  19  habitants  de  Pontoise, 
29  octobre,  A.  N.  G7  491.  Sur  les  brigues  et  cabales  ordinaires  à  Pontoise,  voir 
ci-dessus,  p.  243.  Parmi  les  motifs  qui  ont  déterminé  le  gouvernemeut  à  faire  faire 
les  rôles  par  des  commissaires  royaux  nu  lieu  des  collecteurs,  au  début  du 
XVIIIe  siècle,  figure  celui-ci.  d'après  l'intendant  d'Aube  :  «  Quelques  intendants 
ont  trouvé  des  communautés  dont  les  membres  divisés  entr'eux  par  des  haines 
violentes  et  invétérées  formoient  des  partis  pour  se  faire  une  espèce  de  guerre 
intestine,  d'où  il  arrivoit  que  quand  il  y  avoit  plus  de  collecteurs  d'un  party 
que  de  l'autre  tout  le  party  qui  avoit  pour  lui  le  moindre  nombre  de  collecteurs 
étoit  écrasé  de  tailles.  Il  en  résultoit  une  telle  multiplicité  d'injustices  que 
l'action  en  comparaison  d'imposition  et  l'action  en  surtaux  n'étoient  plus  des 
moyens  praticables  d'y  remédier.  >  (Mémoire  sur  les  fonctions  d'intendant, 
1738,  B.  N.  fr.  21812  p.  101),  cf.  une  lettre  de  l'intendant  de  la  Rochelle, 
11  décembre  1684  :  dans  certaines  paroisses  «  les  rcligionnaires  y  étant  les  plus 
forts  surchnrgeoient  les  catholiques  pour  se  soulager  eux-mêmes  ».  (De  Boishsle, 
Corretpondance,  t.  I,  n"  137). 

4.  Let.  de  Marillac,  29  janvier,  A.  N.  G?  4'J2. 

5.  Let.  de  Leblanc,  23  février  1681,  ibid.,  491.  Voir  ci-dessus,  p.  179  et  308-310. 
Sur  les  cabales  d'habitants,  voir  encore  le  mémoire  de  Richer  d'Aube  :  «  des 
communautés  dont  les  membres  étaient  divisés  entr'eux  par  des  haines  violentes 
et  invétérées  formoient  des  partis  pour  se  faire  une  espèce  de  guerre  intestine 
d'où  il  arrivoit  que,  quand  if  y  avoit  plus  de  collecteurs  d'un  party  que  de  l'autre, 
tout  le  party  qui   avoit  pour  luy  le  moindre  nombre  de  collecteurs  étoit  écrasé 


L  INÉGALITÉ    DANS    L  ASSIETTE.  357 

«  Gomme  le  maistre  collecteur  vit  que  c'estoit  autant  de  non-valleurs 
dont  il  demeureroil  responsable,  il  fit  un  autre  rolle  et  les  eleus  en 
connaissance  de  cause  le  vérifièrent.  Fossé  s'est  pourveu  [contre  ce 
rôle]  au  Conseil  et  a  la  Cour  des  aydes;  il  demande  600  1.,  quoyque 
ceux  qui  estoient  de  sa  cabale  eussent  chacun  contribué  de  15  et  20  1. 
pour  l'obtention  dudit  arrest  *.  » 

Si  l'on  ne  décharge  pas  la  ville  du  paiement  de  ces  600  L, 
écrit  ensuite  Leblanc,  elle  sera  ruinée  par  les  procès  qui  s'en- 
suivront, et  il  n'y  aura  «  point  de  parroisses  a  qui  les  collec- 
teurs de  l'année  présente  et  des  précédentes  n'en  fassent,  car 
sur  une  prétention  mal  fondée,  on  fait  en  cette  province  des 
procez  qui  ne  finissent  jamais2  ».  Heureusement,  Colbert  fit 
expédier  un  arrêt  du  conseil  qui  terminait  l'affaire  au  gré  de 
l'intendant3. 

Des  collecteurs,  fâchés  d'avoir  été  élus,  surchargent  ceux 
qui  les  ont  fait  désigner,  à  ce  point  qu'en  certaines  paroisses 
les  habitants  ne  veulent  plus  venir  à  l'assemblée 4.  Le  type  du 
collecteur  qui  profite  de  ses  fonctions  pour  molester  son  sei- 
gneur, pauvre  hobereau  sans  influence,  a  été  décrit  plusieurs 
fois  dans  la  littérature  du  temps.  Dancourt  dans  sa  comédie,  fait 
dire  à  un  paysan  jaloux  de  son  seigneur  : 

«  Il  n'est,  Morgue,  pas  plus  gentilhomme  que  nous  ;  je  sis  collec- 
teur, moi,  Dieu  marci,  cette  année,  palsanguenne!  J'aurai  le  plaisir 
de  mettre  notre  nouviau  seigneur  à  la  taille 5.  » 

Un  des  nombreux  recueils  de  Caractères  de  l'époque  dépeint 
ainsi  le  paysan  : 

...  Collecteur  de  paroisse, 
Vrayement  il  fait  bien  d'autres  coups  : 
Comme  chacun  le  craint,  chacun  est  dans  l'angoisse, 
Et  cherche  à  le  gagner,  mais  il  se  rit  de  tous; 

da  taille;  il  en  resultoit  une  telle  multiplicité  d'injustices,  que  l'action  en  com- 

Saraison  d'imposition  et  l'action  en  surtaux  n'étoient  plus  des  moyens  praticables 
'y  remédier  »  ;  c'est  pourquoi  on  a  créé  des  commissaires  pour  dresser  les  rôles 
(B.  N.  fr.  21  812,  p.  loi).  Dans  la  généralité  de  La  Rochelle,  les  protestants  sur- 
chargent les  catholiques  dans  les  paroisses  où  ils  ont  la  majorité  (Corresp.  des 
contr.  généraux,  t.  I,  n°  137);  il  est  à  penser  que  les  catholiques  ne  manquaient 
pas  de  prendre  leur  revanche  là  où  ils  étaient  les  plus  nombreux. 

1.  Let.  du  22  juin  1682,  B.  N.  fr.  8761,  f°  57. 

2.  Let.  du  2  juillet  suivant,  ibid. 

3.  Let.  du  12  août,  ibid.,  f°  62,  verso. 

4.  Cf.  le  mémoire  de  Pescheur,  ci-dessus,  p.  185,  et  un  mandement  de  l'inten- 
dant d'Orléans,  31  août  1667  :  Plusieurs  paroisses,  y  est-il  dit,  «  ont  esté  refu- 
santes de  nommer  des  collecteurs,  attendu  que  ceux  qui  ont  esté  nommez  et 
choisis  pour  collecteurs  [les  années  précédentes]  surtaxoient  par  une  pure  hayne 
et  animosité  les  scindicqs,  juges  et  habitans  qui  ont  assisté  à  la  nomination  et 
donné  leurs  suffrages  à  des  sommes  excessives,  ce  qui  cause  la  ruine  entière  des 
dits  particuliers,  et  qui  donne  lieu  à  des  rejets  et  solidités  et  un  notable  retarde- 
ment aux  deniers  de  S.  M.  ».  Mais  l'intendant,  pour  l'empêcher,  ne  peut  que 
prononcer  une  vaine  interdiction  (M.  G.  140,  f°  68). 

5.  Œuvres  de  Dancourt,  éd.  1760,  t.  V,  p.  160  (Les  Vacances,  1696). 


3M  LA    TAILLE    EX    NORMANDIB. 

Et  par  provision  en  tire 

Autant  comme  il  en  peut  tirer, 
Argent,  labeur,  harnois  :  l'ordonnance  a  beau  dire, 

Il  n'est  pas  pour  luy  déférer. 

Enfin  il  a  l'âme  si  bonne, 
Qu'il  augmente  la  taille  à  qui  le  plus  luy  donne. 

Le  fermier,   gêné  par  la  présence  de  son  maître  au  village, 
ne  craint  pas  de  lui  dire  : 

Monsieur,  vous  faites  trop  icy  de  résidence, 
...  Vous  devez  belle  chandelle  à  Dieu 
De  n'avoir  point  été  cette  année  à  la  taille  ; 
Monsieur  nôtre  marquis  ne  l'a  pas  échapé 


La  taille  est  une  rude  charge, 
Et  dont  malaisément  le  plus  fin  se  décharge 
Vous  pouvez  prévenir  un  si  rude  soucy 

En  venant  un  peu  moins  icy  '. 


Mais  ce  type  n'est  pas  purement  imaginaire  :  on  le  trouve  à 
notre  époque  en  Normandie.  L'intendant  d'Alençon  écrit  dans 
un  rapport  du  1er  septembre  1683  : 

«  Il  est  juste  et  on  ne  peut  empescher  que  les  privilégiés  ne  jouis- 
sent des  exemptions  qui  leur  ont  esté  accordées  quoy  qu'elles  soient 
fort  à  charge  aux  parroisses,  mais  il  est  bon  de  donner  un  frein  à  la 
liberté  que  les  collecteurs  autorisés  par  les  habitans  ont  de  les  imposer 
soubs  prétexte  de  dérogeance  ou  de  défaut  de  service,  parce  que  cela 
donne  lieu  à  une  infinité  de  procès  et  à  des  rejets  considérables2  ». 

En  1681,  Leblanc  raconte  les  misères  faites  par  un  collecteur 
de  Bourneville,  nommé  Lamarre,  à  son  seigneur,  M.  de  Bro- 
tonne,  qui  «  est  sy  timide  qu'a  peine  oze-t-il  se  montrer  »  : 

«  Il  l'imposa  en  1680  à  la  somme  de  400  1.,  quoy  qu'il  ne  fist  valoir 
que  175  acres  de  terre,  qui  ne  sont  pas  les  trois  charues  que  les 
gentilshommes  peuvent  faire  valoir  par  leur  main  ;  s'estant 3  pourveu 
à  l'Eslection  et  à  la  Cour  des  aydes  par  sentence  qui  fut  confirmée  par 
arrest,  il  fut  ordonné  qu'il  seroit  rayé  du  rolle  et  la  somme  reimposée. 
Au  département,  je  luy  fis  remettre  150  1.  de  principal  et  tous  les 
dépens  et  n'ordonnay  la  reimposition  que  de  300  1.  en  deux  années; 
depuis  ce  temps,  il  n'y  a  point  d'insulte  que  Delamare  ne  lui  ayt 
faites  ;  il  a  fait  tirer  sur  ses  pigeons  par  son  fils  qui  a  esté  condamné 
en  dix  livres  de  dommages  et  intérêts,  il  a  laissé  courir  ses  porcs  dans 
ses  bleds  ;  ayant  esté  adverty  plusieurs  fois  de  les  retirer  et  ne  l'ayant 

1.  Les  vérité»  plaisantes,  ou  le  monde  au  naturel,  Rouen,  Maurry,   1702,    in-12, 
p.  121  et  sniv. 

2.  A.  N.  G"  71.  L'intendant  propose,  comme  remède,  de  faire  taxer  d'office  par 
les  commissaires  départis  tous  les  privilégiés  dérogeant. 

3.  Sous-entendu  :  le  seigneur. 


L  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE.  359 

point  fait,  un  des  valets  du  Sr  de  Brotonne  en  tua  un  qui  pouvoit  valoir 
dix  livres,  qu'il  reprit1.  » 

Le  procédé,  signalé  par  Leblanc  à  Pont-1'Evêque,  qui  con- 
sistait à  reporter  sur  des  insolvables  la  taille  de  ceux  que  pro- 
tégeaient les  collecteurs,  était  fréquemment  employé.  Comme  il 
produisait  des  non-valeurs  aux  dépens  du  Trésor2,  de  nombreux 
règlements  avaient  prétendu  l'empêcher.  Celui  du  27  novem- 
bre 1641  disait  :  «  Plusieurs  habitans  invalides  et  de  néant  sont 
compris  dans  les  rolles  pour  de  grosses  et  importantes  sommes 
dont  les  riches  et  puissans  sont  d'autant  deschargez,  et  à  la  fin 
de  l'année  rendent  les  taux  desdits  invalides  et  gens  de  néant 
pour  non-valeurs,  prétendans  avec  l'aide  et  intelligence  desdits 
officiers  [des  Elections]  en  être  déchargez  ou  de  le  faire  rejetter 
sur  les  autres  paroisses  » ,  et  il  défendait  cette  pratique  aux 
collecteurs,  «  a  peine  de  payer  en  leurs  noms  [des  insolvables] 
les  sommes  auxquelles  ils  les  auront  taxez3  ».  Les  mandements 
des  intendants  rappelèrent  presque  toujours  cette  interdiction, 
en  la  complétant.  A  Rouen,  en  1672,  il  est  défendu  aux  collec- 
teurs «  d'employer  dans  le  chapitre  des  oboles  autres  que  les 
vrais  pauvres  et  qui  sont  actuellement  mandians  ou  invalides  et 
hors  d'estat  de  gagner  leur  vie  a  cause  de  leursdites  infirmitez 
ou  de  leur  grand  aage  »  ;  et  pour  empêcher  la  fraude,  l'inten- 
dant fait  dresser  par  les  habitants,  dans  leur  assemblée,  l'état 
de  ces  mendiants  et  invalides  avec  défense  aux  collecteurs  de  le 
modifier,  à  peine  de  50  1.  d'amende  par  contravention,  au  profit 
de  la  paroisse;  tout  taillable  non  compris  dans  cet  état  devra 
être  imposé  au  minimum  à  10  sous4.  L'intendant  prend  soin 
d'avertir  aussi  les  collecteurs  «  qu'en  cas  qu'ils  imposent  des 
insolvables  a  des  sommes  considérables  pour  avoir  des  rejets  », 

1.  A.  N.  G7  481.  Pour  comble,  Lamarre  avait  adressé  au  contrôleur  général 
un  placet  pour  se  plaindre  de  M.  de  Brotonne,  qui  l'aurait  fait  battre,  lui  aurait 
enlevé  un  poulain,  aurait  sollicité  les  officiers  de  l'Élection  contre  lui.  Leblanc  a 
fait  enquêter  sur  place,  et  a  reconnu  qu'aucune  de  ces  plaintes  n'était  fondée. 

Ces  exemples  confirment  l'assertion  de  Boulainvilliers  (Mémoires  présentés  au 
duc  d'Orléans,  t.  I,  p.  79)  :  «  La  misère  a  produit  l'injustice  dans  la  répartition 
des  tailles,  et  celle-ci  les  baines  et  les  vengeances  entre  les  particuliers  :  ce  qui 
fait  que  la  taille,  imposée  d'abord  arbitrairement  par  les  intendans  et  sans 
connoissance  de  la  force  réelle  et  effective  des  villages,  mais  par  une  routine 
sans  exactitude,  et  souvent  sur  la  recommandation  des  intéressés,  se  trouve 
ensuite  repartie  par  des  paysans  animés  les  uns  contre  les  autres,  ou  passionnés 
en  faveur  de  leurs  amis;  de  sorte  qu'il  n'en  saurait  résulter  que  la  ruine  des 
villages,  les  uns  après  les  autres,  et  une  injustice  déclarée  et  indéterminable 
dans  l'imposition  particulière  ». 

2.  Les  contribuables  en  souffraient  aussi  :  le  5  mai  1669  les  habitants  de 
Honfleur  se  plaignent  que  les  collecteurs  «  commettent  de  grands  abus  en  impo- 
sant quantité  de  particuliers  non  subjects  a  des  sommes  qu'ils  ne  peuvent  paier; 
...  lesdites  sommes  sont  ensuite  rejetées  sur  le  général  de  la  communauté,  ce  qui 
cause  entièrement  sa  ruine  »  (Bréard,  Les  archives  de  Honfleur,  p.  124). 

3.  Néron,  t.  II,  p.  663.  Repris  dans  la  déclaration  du  16  avril  1643,  art.  11  (C. 
d.  T.,  I,  379). 

4.  Mandement  de  l'intendant  aux  paroisses,  A.  D.  S.-Inf.,  G  2215.  Cf.  celui 
de  1677,  B.  N.  fr.  8761blï,  f°  52,  et  Bréard,  Les  archives  de  Honfleur,  p.  133. 


360  LA    TAILLE    EN    NOKMANDIE. 

leurs  calculs  seront  déjoués1.  Mais  ces  précautions  étaient 
notoirement  insuffisantes;  il  restait,  pour  permettre  la  fraude, 
des  journaliers,  qui,  sans  être  totalement  insolvables,  n'avaient 
pas  de  meubles  suffisants  pour  répondre  d'une  forte  imposition  : 
comment  empêcher  de  les  surtaxer?  Aussi  verrons-nous  que 
cette  source  de  non-valeurs  ne  cessa  jamais  d'exister2. 

L'intendant  Leblanc  résumera  l'opinion  commune  en  écrivant 
dans  son  mémoire  du  4  janvier  1680  :  «  Il  est  presque  impos- 
sible d'empescher  les  collecteurs  de  malverser  et  de  s'accom- 
moder avec  les  particuliers  avant  la  confection  du  rolle,  dont 
on  ne  peut  avoir  de  preuve  '.'  » 

La  déclaration  du  20  août  1683  menace  de  pénalités  sévères 
les  collecteurs  «  qui  seront  convaincus  d'avoir  exigé  ou  composé 
pour  diminuer  les  taux  des  contribuables  »  (art.  9).  Mais  le 
Recueil  d'Orsay  parle  encore  des  collecteurs  qui  «  affectent  de 
faire  plusieurs  voyages  de  lieu  en  autre  et  de  s'assembler,  a 
dessein  apparent  d'y  procéder  [à  la  confection  des  rôles],  afin 
d'engager  par  ce  moyen  les  taillables  à  les  solliciter  pour  obtenir 
des  diminutions,  et  mesme  de  leur  faire  a  cette  fin  des  presens 
considérables  *  ».  D'autres  ordonnances  interviendront  encore, 
et  pourtant  en  1732  Lallemant  de  Lévignen  écrira  : 

Les  collecteurs  «  se  font  souvent  payer  des  sommes  secrètement  par 
des  particuliers  riches  et  aisés,  ausquels  ils  ne  donnent  point  les  taux 
qu'ils  pourroient  porter  eu  égard  à  leurs  facultez,  et  les  rejettent  sur 
les  autres  habitans  de  la  paroisse,  ou  même  exigent,  lorsque  ce  sont 
des  gens  de  journée,  un  travail  d'eux  pour  estre  bien  traités,  qui 
tourne  au  bénéfice  des  collecteurs,  ou  dans  d'autres  occasions  font 
labourer  leurs  terres  gratuitement5  ». 

De  son  côté,  un  curé  dit  a  ses  paroissiens  en  1721 6  : 

1.  Let.  à  Colbert,  22  juin  1680,  A.  N.  G*  491. 

2.  Dans  ces  procédés  arbitraires  des  collecteurs,  le  porte-bourse  avait  un  rôle 

Prépondérant.  Lallemant  de  Lévignen  écrit  qu'il  est  «  absolument  le  maître  de 
imposition,  sans  vouloir  consulter  ses  consorts,  sous  prétexte  qu'étans  des 
malheureux  et  sans  biens,  ils  n'ont  pas  de  quoy  répondre  des  mauvais  deniers 
qui  peuvent  se  trouver  a  la  fin  de  la  collecte...  ce  qui  donne  occasion  o  ces  collec- 
teurs d'exercer  leurs  vengeances  ou  de  diminuer  sans  raison  plusieurs  particu- 
liers; en  un  mot  ces  collecteurs  porte-bourse  font  peine  ou  plaisir  à  qui  bon  leur 
semble  .  (B.  N.  fr.  7  771,  f°  182). 

3.  A.  N.,  G7,  491.  Il  ajoute  que  le  seul  remède  qu'il  y  a  apporté  fut  «  de  ne 
point  ordonner  de  rejets  des  mauvaises  impositions  ». 

4.  B.  N.  fr.  11  096,  f  37.  Cf.  la  circulaire  du  Régent  aux  intendants,  4  oct.  1715  : 
«  Mon  intention  est...  d'empêcher  et  les  vengeances  que  les  collecteurs  exercent 
contre  ceux  dont  ils  croient  avoir  lieu  de  se  plaindre,  et  les  protections  injustes 
qu'ils  donnent  à  leurs  parens  et  à  leurs  amis  >  (Encycl.  mithod.,  III,  p.  647). 

5.  Observation*  sur  la  taille,  B.  N.,  fr.  7771,  f"  181.  C'est  exactement  ce  qu'a 
écrit  Boisguilbert  :  les  collecteurs  «  prennent  de  l'argent  des  riches  pour  leur 
vendre  leurs  suffrages,  et  la  moindre  corruption  est  d  en  recevoir  des  repas;  en 
sorte  que  ces  collecteurs,  ayant  peine  quelquefois  à  convenir,  ils  sont  des  trois 
mois  de  temps  a  s'assembler  tous  les  jours  sans  rien  déterminer  ».  (Détail  de  la 
France,  éd.  uaire,  p.  175). 

6.  J.  Lambert.  Instructions  courtes  et  familière*  sur  les  Évangiles...,  Paris,  1721, 
in-12,  p.  497  (sermon  sur  la  taille). 


L  INÉGALITÉ    DANS    L  ASSIETTE.  361 

«  C'est  une  grande  tentation  que  d'être  collecteur.  On  pouroit  faire 
beaucoup  de  bien  dans  cet  emploi,  mais  ordinairement  on  y  fait  beau- 
coup de  mal...  Les  uns  se  laissent  toucher  d'un  amour  déréglé  pour 
leurs  parens,  et  ils  les  déchargent  sans  faire  attention  au  préjudice 
qu'ils  causent  à  ceux  sur  qui  ils  rejettent  ce  que  leurs  parens  devroient 
porter.  Les  autres  sont  effraies  de  l'autorité  d'un  homme  puissant, 
qui  par  menace  et  par  crainte  les  oblige  à  suivre  ses  volontés,  quoi- 
qu'injustes1.  D'autres  sont  esclaves  de  leur  intérêt,  et  font  grâce  à 
proportion  des  presens  qu'ils  reçoivent.  Enfin  on  en  voit  qui  se 
laissent  emporter  à  leur  animosité  et  à  leur  vengeance,  et  qui  pro- 
fitent de  leur  autorité  pour  accabler  un  malheureux  qui  n'est  en 
aucune  manière  en  état  de  leur  résister.  » 

A  côté  des  inégalités  volontairement  faites  par  les  collecteurs, 
il  en  est  d'autres  qui  leur  sont  imposées  par  les  personnes 
dont  ils  dépendent,  et  notamment  par  les  élus,  trésoriers  de 
France  et  conseillers  à  la  Cour  des  aides.  Au  nombre  des 
«  abus  de  finance  »  signalés  par  Colbert>  dans  sa  grande  ins- 
truction de  mars  1664,  se  trouve  «  l'intelligence  des  trésoriers 
de  France  avec  les  élus  pour  soulager...  dans  une  paroisse  les 
officiers,  leurs  fermiers,  métayers  ou  ceux  de  leurs  amis,  et  ce 
pour  différents  intérêts8  ».  Lorsque,  dit  Pescheur  lui-même, 
les  collecteurs  sont  parvenus  k  modérer  les  cotes  de  ceux  de 
leur  cabale,  les  élus  «  y  donnent  les  mains...  sans  contredit,... 
soubz  promesse  de  pareille  gratification  :  facio  ut  facias  »  : 
«  Je  n'entends  point  par  là,  ajoute-t-il,  accuser  aucun,  mais  je 
suis  obligé  en  conscience  de  dire  que  j'ay  veu  a  telz  jugemens 
de  très  mauvaises  suittes 3  ».  L'intendant  d'Orléans  écrit  à 
Colbert  en  1664  que  les  élus  de  Clamecy  «  abusent  de  leur 
autorité,  faisant  faire  les  rooles  de  quelques  paroisses  qu'ils 
protègent  a  leur  fantaisie  »  ;  quand  on  fait  des  poursuites  devant 
eux,  ils  allèguent  «  qu'ils  n'ont  aucun  fonds  pour  faire  les  frais 
de  justice  »,  et  sa  conclusion  est  :  «  Il  est  tout  a  fait  néces- 
saire de  tenir  dans  le  devoir  les  officiers  de  ces  eslections 
esloignées  '*  ». 

La  surveillance  des  élus  fut,  on  l'a  vu  s,  une  des  charges  des 
intendants.  Ils  les  empêchèrent  le  plus  possible  d'intervenir 
dans  la  rédaction  des  rôles,  et  de  rien  y  changer  lors  de  la 
vérification.  Mais  les  officiers  des  Elections  conservaient  le 
jugement  des  surtaux  et  des  rejets,  par  où  ils  pouvaient  exercer 

1.  11  dit  encore  plus  loin  :  «  C'est  un  seigneur  qui  parle  pour  ses  fermiers, 
mais  qui  parle  avec  autorité,  et  de  manière  à  faire  entendre  qu'il  ne  veut  pas 
être  contredit.  C'est  un  autre,  d'une  puissance  égale  et  de  qui  on  a  beaucoup  à 
attendre,  et  dont  les  recommandations  sont  aussi  fortes  que  des  commandemens.  » 
(P.  498). 

2.  Clém.  IV,  37.  Cf.  ibid.  VII,  177,  le  mémoire  à  Mazarin  en  1659. 

3.  M.  C.  33,  fol.  287. 

4.  Let.  du  début  de  juin  et  du  7  oct.  1664,  M.  C.  121  fol.  337  et  124  fol.  104. 

5.  Ci-dessus,  p.  118  et  suiv. 


M  LA    TAILLE    EN    NOIIMANDIE. 

leur  influence  :  Leblanc  écrit  le  1"  mai  1682  que  ceux  de 
l'ont  de  l'Arche  refusent  de  poursuivre  les  informations  faites 
pour  malversation  dans  les  rôles  de  Louviers1.  Son  collègue 
Méliand  écrivait  quatre  ans  auparavant  : 

«  Les  officiers  des  eslections  de  la  généralité  de  Cacn  rendent  jour- 
nellement des  jugemens  par  lesquels  non  seulement  ils  accordent  des 
décharges  ou  modérations  de  taux  sans  adjuger  la  provision*,  mais 
mesme,  pour  favoriser  ceux  à  qui  ils  veulent  donner  protection,  font 
des  deflences  aux  collecteurs  de  les  comprendre  dans  leurs  rolles 
avant  qu'ils  soient  faits,  ou  les  y  rayent  lorsqu'ils  les  y  trouvent 
employez,  le  tout  a  l'oppression  des  pauvres  collecteurs,  lesquels,  aux 
termes  des  déclarations,  ne  pouvans  demander  les  rejets  de  descharges 
et  modérations  qui  ne  sont  jugées  que  l'année  suivante,  se  trouvent 
obligez  d'avancer  a  la  recepte  lesdites  descharges  et  modérations  dont 
ils  ne  peuvent  faire  le  recouvrement  que  longtemps  après,  au  moyen 
de  quoy  ils  sont  détenus  dans  les  prisons.  » 

Il  propose  de  renouveler  par  un  arrêt  du  Conseil  la  décla- 
ration d'août  1677,  qui  n'est  pas  exécutée,  mais,  dit-il,  «  ce 
f payement  par  provision  ostant  et  faisant  cesser  presque  toutes 
es  affaires  des  Elections,  les  officiers,  surtout  ceux  qui  se 
trouvent  éloignez  dans  le  fond  de  la  province,  ne  s'y  réduiront 
que  par  authorité  et  par  crainte3.  » 

Il  n'y  avait  pas  davantage  à  compter  sur  la  justice  de  la  Cour 
des  aides  :  ses  membres,  bien  connus  pour  leur  partialité,  accor- 
daient ou  confirmaient  des  réductions  de  taille  à  leurs  amis, 
parents  ou  clients,  comme  ils  l'entendaient.  En  1682,  Leblanc 
est  obligé  de  solliciter  un  arrêt  du  Conseil  pour  casser  un  arrêt 
de  la  Cour  réduisant  de  100  à  60  1.  la  cote  d'une  dame  de  Machy 
«  qui  a  plus  de  1  200  1.  de  rente  et  qui  fait  valoir  plusieurs 
occupations*  ». 

Toutes  sortes  de  gens  trouvent  le  moyen  d'obtenir  des  faveurs 
dans  l'imposition,  pour  eux  ou  pour  leurs  protégés.  En  tête 
viennent  les  seigneurs  des  paroisses,  dont  on  a  vu  la  puissance 5. 
Les  huissiers  et  sergents  vendent  a  ce  prix  leurs  bonnes  grâces  : 

1.  B.  N.  fr.  8761  fol.  51,  v°. 

2.  C'est-à-dire  sans  ordonner  que  les  cotes  primitivement  fixées  seront  payées 
par  provision  aux  collecteurs. 

3.  Let.  du  24  mars  1678,  et  projet  d'arrêt  l'accompagnant,  A.  N.  G7,  213.  Voir 
l'arrêt  dans  Règlements  de  Normandie,  p.  203. 

4.  Let.  du  5  avril  1682,  B.  N.  fr.  8761,  fol.  46.  Tous  les  juges  en  général  étaient 
partiaux  en  faveur  des  gentilshommes  :  voir  une  lettre  de  Barin  de  la  Galisson- 
nière,  écrite  de  Vernon  à  Colbert  le  3  août  1666,  il  avait  ordonné  au  lieutenant- 
général  de  Pont-Audemer  d'informer  contre  un  gentilhomme  qui  avait  usurpé  des 
communaux  et  commis  des  violences  contre  des  particuliers,  mais  au  lieu  d'infor- 
mer, le  lieutenant  a  inculpé  un  paysan  d'avoir  battu  sa  femme,  sur  la  fausse 
dénonciation  du  gentilhomme,  et  le  paysan  est  mis  en  prison.  «  Voilà,  conclut 
l'intendant,  le  caractère  des  juges  de  cette  province  »  (M.  G.  139  fol.  42). 

5.  Ci-dessus,  p.  186  et  314.  Cf.  le  commentaire  de  Duret  sur  l'art.  341  de  l'ordon- 
nance de  mai  1579,  dans  Néron,  I,  p.  650. 


L  INÉGALITÉ    DANS    L  ASSIETTE.  363 

Pescheur  est  d'avis  qu'il  ne  faut  pas  les  employer  deux  ans  de 
suite  dans  une  même  région,  «  la  continuation  les  authorisant 
d'agir  en  maistres  jusqu'à  entreprendre  des  protections  de  par- 
ticuliers, dont  ilz  font  modérer  leurs  [pour  :  les]  cottes  par  les 
asseeurs  qu'ilz  intimident  par  leurs  menaces  de  ne  leur  point 
donner  quartier,  vexation  dont  ilz  [les  collecteurs]  n'osent  se 
plaindre,  de  peur  du  retour1  ».  Les  officiers  de  justice,  tabel- 
lions, gardes  particuliers,  sont  dans  le  même  cas2.  Lallemant 
de.Lévignen  signale  aussi,  après  notre  époque,  des  «  particuliers 
plus  riches  que  les  autres  »  qui  font  des  avances  d'argent  aux 
collecteurs  pour  payer  leurs  échéances,  et  ce  «  dans  la  vue 
d'être  bien  traittés  par  les  collecteurs,  ce  qui  ne  manque  pas 
d'arriver  »  ;  mais  l'intendant  se  garde  de  désapprouver  cette 
pratique,   qui  accélère  les  recouvrements 3. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  scribes  chargés  d'écrire  les  rôles  qui 
ne  trouvent  le  moyen  de  soulager  leurs  amis  :  à  l'insu  des 
collecteurs,  souvent  illettrés,  ils  leur  attribuent  la  cote  qui 
leur  plait,  puis  se  hâtent  de  faire  vérifier  le  rôle  à  l'Election  : 
désormais  le  rôle  est  exécutoire,  il  n'y  a  plus  de  recours  que 
par  voie  de  cote  et  comparaison,  et  le  scribe  n'est  responsable 
de  rien.  La  fraude  est  signalée  par  Pescheur*,  et  reprise  par 
Lallemant  de  Lévignen  plus  de  soixante  après  :  «  Les  collec- 
teurs, dit  ce  dernier,  ...  ne  scachants  ny  lire,  ny  écrire,  ils  se 
laissent  conduire  par  des  scribes  prévenus  par  présents  ou 
autrement  en  faveur  de  certains  habitans,  leur  font  faire  l'im- 
position à  leur  gré,  quelquefois  même  les  trompent  en  mettant 
de  plus  grandes  ou  moindres  sommes  à  des  particuliers  contre 
l'intention  de  ces  mêmes  collecteurs5  ». 

D'autres  personnes  encore,  celles-là  sans  aucune  fonction 
publique  ni  autorité  reconnue,  interviennent  pour  se  faire  sou- 
lager,   elles    et    leurs    amis,    ou    pour    faire    surcharger   leurs 

1.  M.  C.  33,  fol.  291. 

2.  «  Maistre  Gabriel  Dufour,  sergeant,  propriétaire  d'une  maison  »,  est  imposé 
à  10  sous  sur  le  rôle  de  St-Saens,  pour  1670  (A.  D.  S.  Inf.  C  2692);  dans  la  même 
paroisse,  «  Maistre  Gabriel  Romard,  controlleur  au  grenier  a  sel  du  Neufchastel  » 
ne  paye  pas  davantage;  la  même  année,  au  Gandeau,  Jean  Marquet  «  garde  de 
Monseigneur  de  Sainct-Luc  »  est  imposé  à  1  sou  (ibid.  2676);  à  Saumont  la 
Poterie,  en  1673,  Arthur  Brunet,  «  garde  aux  bois  de  Son  Altesse  Longueville  », 
est  coté  pour  5  sous,  mais  il  apparaît  par  le  rôle  cueilloir  qu'il  ne  paye  rien  de 
son  imposition  (ibid.).  A  Saint-Loup-Hors,  en  1663,  Thomas  de  Bauny,  noble 
dérogeant,  est  même  taxé  à  néant  (A.  Mun.  Bayeux,  rôles  de  1663). 

3.  B.  N.  fr.  7771,  f°  181  :  «  La  paroisse,  dit-il,  évite  des  frais  qui  luy  seroient 
plus  préjudiciables  que  le  désavantage  de  faire  porter  à  ces  gens  aisés  une 
pistolle  de  plus,  ou  peut-être  deux,  dom  ils  seroient  chargés,  d'où  il  suit  que  le 
recouvrement  des  impositions  se  fait  plus  aisément  ». 

4.  «  Les  scribes  employez  à  la  confection  des  rolles  sont  sollicitez  par  beau- 
coup de  cottisables  pour  estre  soulagez  en  leur  taux,  ce  qui  leur  est  facile  de 
permettre  et  d'exécuter  impunément,  attendu  que  le  plus  souvent  les  asseeurs 
collecteurs  ne  scavent  lire  ny  escrire.  »  (M.  C.  33,  f°  288).  L'intendant  de  Rouen, 
en  1676,  défend  aux  greffiers  de  s'entremettre  dans  la  confection  des  rôles,  pour 
des  motifs  analogues  (B.  N.  fr.  8761bis,  f°  27). 

5.  B.  N.  fr.  7771,  f°  182. 


;,,,  LA    TAILLE    EN     NOHM ANUiE. 

ennemis.  On  I<-s  désigne  d'an  terme  générique,  très  fréquent  : 
ce  sont  les  coqs  de  paroisse*.  «  Dans  chaque  parroisse,  écrit  le 
conseiller  d'Etat  De  la  Marguerie  en  1665,  il  y  a  tousjours 
quelque  particulier  plus  riche,  plus  esclairé  ou  plus  capable 
d'affaires  que  les  autres  ;  ccluy-la  s'en  rend  maistre,  fait  tout 
ce  qui  luy  plaist  dans  la  communauté,  a  quelque  esleu  pour 
amy,  auquel  il  donne  annuellement  des  marques  de  sa  gratitude 
afin  qu'il  l'exempte  des  tailles  et  ses  amis  en  vérifiant  le  rolle 
et  choisissant  quelques  fois  d'office  des  collecteurs  à  sa  poste 2, 
faict  descharger  par  son  crédit  ceux  qu'il  veut  de  la  collecte  des 
tailles,  y  en  faict  mettre  comme  il  luy  plaist,  d'où  vient  l'insol- 
vabilité et  la  ruine  de  la  parroisse3.  » 

Colbert  connaissait  bien  ces  personnages,  et  attira  plusieurs 
fois  sur  eux  l'attention  de  ses  subordonnés  :  Veillez,  écrit-il  à 
De  Sève  en  1672,  «  que  les  principaux  habitans,  que  l'on 
appelle  coqs  de  paroisses,  ne  soyent  point  soulagés  aux  dépens 
des  pauvres*  ».  Et  l'année  suivante,  à  Marillac  :  «  Surtout, 
l'intention  de  Sa  Majesté  est  que  vous  donniez  une  entière 
application  à  empescher  que  les  plus  riches  et  ceux  qu'on 
appelle  coqs  de  paroisses  se  fassent  imposer  à  peu  de  chose 
pour  rejeter  toute  la  charge  sur  les  pauvres5  ».  Empêchez, 
dit-il  encore  dans  une  circulaire,  que  la  Cour  des  aides  ne 
casse  vos  taxes  d'office,  car  ces  arrêts  «  augmentent  la  hardiesse 
des  coqs  de  paroisses,  qui  se  déchargent  de  la  taille  par  toute 
sorte  de  moyens,  la  rejettent  sur  les  pauvres,  et  chargent  toutes 
les  communautés  des  frais  qu'ils  font  dans  la  poursuite  de  ces 
arrests6  ». 

Jusqu'à  la  fin  de  son  ministère,  il  se  préoccupe  de  la  ques- 
tion. Parmi  les  deux  points  «  très  importants  »  qu'il  signale 
aux  intendants  le  28  mai  1681  se  trouve  le  fait  que  «  dans 
toutes  les  paroisses  les  principaux  habitans  et  les  riches  trou- 
voient  facilement  moyen  de  se  décharger  des  tailles  et  d'en 
surcharger  les  moyens  et  les  pauvres  habitans,  et  mesme  que 

1.  «  Coq,  dit  le  Dictionnaire  de  Trévoux,  signifie  figurément  un  notable  bour- 
geois ou  habitant  d'une  paroisse  qui  s'y  est  mis  en  autorité,  qui  gouverne  tous 
les  autres  ».  (Dictionnaire  universel  François  et  Latin,  éd.  1704,  art.  Coq).  L'éd. 
de  1771  a  modifié  cette  définition  :  «  Coq  signifie  figurément  en  style  familier  un 
notable  bourgeois  ou  habitant  d'une  paroisse  qui  est  distingué  par  son  crédit,  par 
ses  richesses  >.  Le  mot  aurait-il  perdu  à  la  fin  du  xvm*  siècle  le  sens  péjoratif 
qu'il  avait  au  début?  En  Franche-Comté  le  mot  avait  un  sens  particulier,  il  dési- 
gnait les  gens  de  loi  qui  habitent  les  villages  et  se  font  protéger  par  les  juges 
locaux.  (Girardeau  de  Noseroy,  Histoire  de  dix  ans,  Besançon  1/42,  cité  par 
Beaulieu,  La  Gabelle,  p.  34,  n.  3).  L'expression  se  rencontre  même  dans  des  actes 
officiels;  un  arrêt  du  conseil  du  27  novembre  1641  vise  «  les  principaux  et  puis- 
sans  appelles  coqs  de  paroisses  ».  (Néron  t.  II,  p.  664). 

2.  C'est-à-dire  à  son  gré. 

3.  B.  N.  Clairamb.  613,  fol.  304.  De  la  Marguerie  avait  été  intendant  de  pro- 
vince. 

4.  Clém.,  II,  258. 

5.  IbU.,  300. 

6.  Ibid.,  294-295,  circulaire  aux  intendants,  du  6  octobre  1673. 


'  L  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE.  365 

ceux-cy  demeuroient  d'accord  de  la  décharge  de  ces  plus  riches, 
parce  qu'ils  les  faisoient  travailler,  et  qu'ils  trouvoient  des 
secours  par  leur  moyeu  dans  toutes  leurs  nécessités1  ».  Dans 
leurs  mandements,  les  intendants  rappelaient  aux  contribuables 
les  ordonnances2  interdisant  «  aux  ecclésiastiques,  gentils- 
hommes, officiers  et  autres  personnes  de  quelque  qualité  et 
condition  qu'ils  soient,  de  s'entremettre  de  l'assiette  des  tailles, 
directement  ou  indirectement,  ny  troubler  et  intimider  lesdits 
collecteurs,  tant  lors  de  l'assiette  que  collecte  desdits  deniers  3  ». 
Mais  l'interdiction  était  plus  facile  à  prononcer  qu'à  exécuter. 
Comment  de  pauvres  paysans,  fermiers  ou  journaliers  pour  la 
plupart,  auraient-ils  pu  échapper  à  la  domination  de  person- 
nages qui  étaient  leurs  maîtres  reconnus,  leur  rendaient  la 
justice,  tenaient  leur  existence  matérielle  à  leur  merci?  Quel 
recours  avaient-ils  contre  des  puissants  que  les  juges  appuyaient 
toujours,  qui  pouvaient  les  ruiner  en  frais  de  procès4,  et  en  face 
desquels  l'intendant  lui-même  se  déclarait  parfois  désarmé8? 

Voici  quelques  faits,  observés  en  Normandie,  qui  donnent  une 
idée  de  ces  abus  : 

A  Saint-Germain  de  la  Coudre,  élection  de  Mortagne,  le  sieur 
François  Desjardins  dit  Saint-Val  «  non  comptent  de  s'exempter 
de  la  contribution  des  tailles  quoyque  de  condition  roturière, 
[faisait]  en  outre  touttes  les  viollences  possibles  pour  empescher 
qu'il  ne  soit  imposé  ».  Les  habitants  s'étant  un  jour  réunis  en 
assemblée,  il  les  soupçonna  de  vouloir  supprimer  son  privilège  : 

«  Il  y  seroit  survenu  accompaigné  de  plusieurs  autres  personnes 
armés  de  mzils,  pistolets  et  espées,  lesquelz  s'estans  jettez  sur 
lesdits  habitans  les  auroient  maltraitez,  mesme  le  sieur  curé  de  ladite 
parroisse  présenta  ladite  deslibération  qu'ilz  auroient  traisné  par  la 
rue,  battu  et  excédé  et  deschiré  ses  habits,  auquels  par  desrision  ils 


1.  Glém.  II,  154.  Le  premier  point  «  très  important  »  concerne  l'intervention 
des  «  gentilshommes  et  autres  personnes  puissantes  »  dans  la  rédaction  des  rôles  : 
v.  ci-dessus,  p.  313.  «  S.  M.,  ajoute  Golbert,  m'ordonne  de  vous  écrire  fortement  que 
son  intention  est  que  vous  examiniez  avec  un  très  grand  soin  ces  deux  points. 

2.  Notamment  la  déclaration  de  janvier  1634,  art.  48  et  49.  L'art.  48  ordonnait 
d'inscrire  les  coqs  de  paroisse  à  part  sur  les  rôles,  pour  qu'ils  fussent  taxés 
d'office  par  les  élus,  mais  on  a  vu  que  cet  article  était  tombé  en  désuétude  :  cf. 
Nau,  Abrégé  des  ordonnances,  p.  514. 

3.  Mandement  de  l'intendant  de  Rouen,  1672,  A.  D.  S.  Inf.,  G.  2215.  (Cf.  l'ordon- 
nance de  mai  1579,  art.  341,  avec  le  commentaire  de  Duret,  dans  Néron,  I,  050, 
l'édit  de  janvier  1598,  ibld.,  p.  694,  etc.  Voir  aussi  la  lettre  de  Colbert  à  l'inten- 
dant d'Alençon,  du  15  janvier  :  «  Vous  devez...  tenir  la  main  à  ce  que  [La  taille] 
soit  imposée  également  partout,  en  sorte  que  les  principaux  habitans  des 
paroisses  ne  se  voient  point  descharger  par  aucune  recommandation  sur  les 
faibles  »  (Glém.,  II,  246)  et  sa  circulaire  du  24  avril  1676  :  S.  M.  veut  «  que  vous 
empeschiez  formellement  qu'aucun  gentilhomme,  officier  ou  principal  habitant 
ne  se  déchargent,  eux  ou  leurs  fermiers,  parens  ou  amis,  pour  charger  les  plus 
faibles   des   paroisses  »  (ibid.,  p.  374). 

4.  Cf.  La  Barre,  Formulaire,  p.  171  :  les  collecteurs  «  pour  éviter  procez,  n'osent 
asseoir  les  riches  ». 

5.  Cf.  la  lettre  de  Barin  de  la  Galissonnière  en  1667,  ci-dessus,  p.  153. 


Ma  LA    TAILLE    BN    NORMANDIE. 

auroient  mis  un  chapeau  gris  sur  la  teste  et  ensuitte  l'auroient  mené 
au  chasteau  de  la  Fresnée  où  ils  l'auroient  détenu  prisonnier  avec- 
plusieurs  indignités,  nonobstant  sa  quallité  de  prebtre.  » 

L'avocat  général  de  la  Cour  des  aides,  qui  expose  ces  faits 
en  1665,  obtient  que  la  Cour  prescrive  une  enquête;  nous  ne 
savons  pas  quelle  suite  fut  donnée  à  l'affaire1. 

A  Préaux,  élection  de  Mortagne,  en  1668,  les  deux  frères 
Hugo,  protégés  du  marquis  d'Avilly,  veulent  contraindre  les 
habitants  à  les  imposer,  malgré  leur  fortune,  l'un  à  1  sou,  l'autre 
à  60  s.;  les  habitants  font  des  difficultés  à  y  consentir,  et 
ajournent  leur  assemblée  au  11  novembre  pour  en  délibérer. 
Quand  l'assemblée  est  réunie,  suivant  le  procès-verbal  adressé 
par  l'intendant  à  Colbert, 

«  Lesdits  Hugots,  accompagnez  desdits  Launay,  La  Fontaine  et 
Saint-Martin,  serviteurs  domestiques  dudit  sieur  marquis  et  couverts 
de  ses  couleurs  et  casaques,  estoient  venus...  armez  de  fusils  et 
d'espées;  là  ou  estant  ils  avoient  demandé  qui  estoit  ceux  desdits 
parroissiens  qui  ne  vouloient  signer  ledit  consentement;  tous  lesdits 
accusez,  armez  comme  il  est  dit  cy-dessus,  avoient  pris  ledit  sieur 
Gilles  Brière,  luy  disant  qu'il  faloit  qu'il  signast  ledit  consentement, 
et  [Brière]  leur  ayant  respondu  qu'il  ne  pouvoit  faire  cela,  estant 
contre  sa  conscience  et  justice,  au  mesme  instant  l'avoient  frapé  et 
outragé  de  plusieurs  coups  de  pied  et  de  poing,  de  sorte  qu'il  estoit 
tombé  par  terre  comme  mort  sur  la  place,  et,  non  content  de  l'avoir 
mis  en  tel  estât,  luy  avoient  mis  le  pistollet  sur  la  gorge  en  jurant  et 
blasphémant  le  saint  nom  de  Dieu  que  s'il  ne  signoit  ledit  consente- 
ment, qu'ils  alloient  débander  leurs  pistollets  et  fusils  en  son  corps  ; 
pour  évitera  quoy  il  signa  ledit  consentement2.  » 

L'intendant  fut  chargé  d'informer  sur  ces  faits;  nous  ignorons 
également  ce  qu'il  en  advint. 

A  Saint-Denis  le  Thiboult,  près  de  Darnetal,  un  nommé 
Durand  qui  avait  été  «  avocat  à  la  suite  des  intendants...  sous 
le  nom  de  porteur  de  procuration  »  exploitait  une  ferme  de 
7000  1.,  appartenant  au  marquis  de  Macy.  Pendant  huit  années 
de  suite,  il  avait  prétendu  ne  pas  payer  la  taille,  et  «  tourmen- 
tait les  habitants  »  à  cet  effet.  Taxé  d'office  par  Leblanc  en  1682, 
il  avait  fait  appel  de  la  taxe  au  Conseil.  Un  procès  ruineux  pour 
la  paroisse  allait  s'engager,  lorsque  l'intendant  intervint  pour 
interdire  l'appel3.  La  même  année,  Leblanc  évite  également  des 
frais  de  procès  à  la  ville  de  Quillebeuf,  où  un  nommé  Dubuc 


t.  D'après  la  lettre  et  l'arrêt  envoyés  à  Colbert  par  l'avocat  général  le 
4  août  1665,  M.  C.  131,  fol.  155-158.  La  cour  avait  été  saisie  de  l'affaire  par 
ordre  de  Colbert,  qui  avait  reçu  une  information  du  substitut  de  Mortatrne. 

2.  M.  C.  149,  f°  584. 

3.  Let.  de  Leblanc  à  Desmarets,  5  avril  1682,  B.  N.  fr.  8761,  f°  46. 


h  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE.  367 

intimide  tous  les  habitants  par  les  procès  dont  il  les  menace1. 

A  Ver,  élection  de  Coutances,  le  seigneur  du  lieu,  nommé 
Gascoing,  fait  soulager  à  la  taille  tous  «  ceux  qui  sont  dans  sa 
dépendance  ».  Il  en  use  ainsi  pendant  vingt-cinq  ans,  faisant 
faire  les  rôles  en  sa  présence.  Comme  il  est  de  la  R.  P.  R.,  les 
élus  finissent  par  informer  contre  lui,  en  1685,  et  réunissent 
des  témoignages;  il  est  condamné  à  100  1.  d'amende,  et*  comme 
il  est  prouvé  qu'il  fait  valoir  la  dîme  de  sa  paroisse  sous  le 
couvert  d'un  de  ses  domestiques,  il  est  imposé  à  la  taille  comme 
dérogeant2. 

Dans  la  généralité  de  Rouen,  en  plusieurs  paroisses,  d'après 
un  mandement  de  Leblanc  en  1678,  les  coqs  «  pretendans  estre 
modérez,  déchargez  ou  rayez,...  s'adressent  aux  collecteurs, 
leur  font  des  procès  en  première  instance  et  par  appel,  a  la 
poursuite  desquels  ils  abandonnent  la  collecte,  consomment  les 
deniers  de  la  taille,  et  souvent  pour  une  somme  modique,  il  se 
trouve  pour  trois  ou  quatre  cens  livres  de  dépens,  ce  qui  cause 
la  discution  des  collecteurs,  la  solidité  contre  les  principaux, 
et  la  ruine  de  la  parroisse3  ».  Il  serait  plus  économique  de  les 
exempter  d'impôt. 

Ces  exemples,  malgré  leur  netteté,  ne  nous  donnent  pas 
d'indications  sur  l'étendue  exacte  du  mal.  A  en  croire  l'inten- 
dant de  Morangis  elle  n'aurait  pas  été  très  grande  en  Norman- 
die; le  10  juillet  1684  il  répondait,  de  Caen,  à  une  question  du 
contrôleur  général  :  «  Je  n'ay  point  trouvé  de  gentilshommes  ni 
d'ecclésiastiques  qui  se  meslent  de  l'imposition  de  la  taille,  et 
si  cela  se  fait  c'est  avec  tant  de  précautions  que  je  n'en  ay 
receu  aucune  plainte  ;  il  n'y  a  point  de  province  dans  le 
royaume  où  les  seigneurs  soient  moins  autorisés,  et  où  les 
paysans  soient  plus  instruits  de  leurs  droits  et  les  sachent 
mieux  maintenir4  ».  A  la  vérité,  on  ne  trouve  pas  en  Norman- 
die d'excès  en  ce  genre  aussi  considérables  que  dans  certaines 
autres  provinces  :  pas  d'exemples  de  collecteurs  tués,  de 
paroisses  pillées  ou  mises  dans  l'impossibilité  de  payer  l'impôt, 
comme  on  en  voit  en  Poitou,  en  Limousin  ou  en  Champagne5. 

1.  Lel.  de  Leblanc,  2  janvier  1682,  A.  N.  G7  491;  il  demande  des  arrêts  du  Con- 
seil pour  «  mettre  en  repos  les  habitants  ».  En  marge  est  écrit  :  «  M.  Desmaretz 
a  envoyé  ses  deux  arrêts  ». 

2.  Lettre  de  Morangis,  12  juillet  1685,  A.  N.  G'  213. 

3.  B.  N.  fr.  8761b,s,  f>  131. 

4.  De  Boislisle,  Correspondance,  I,  n°  90. 

5.  Charles  Colbert  écrit  de  Mayenne,  le  18  oct.  1664,  que  «  la  plupart  des  gen- 
tilshommes »  font  faire*  les  rôles  à  leur  fantaisie,  maltraitent  les  collecteurs  ;  le 
sieur  de  Saint-Contest  «  est  accusé  de  beaucoup  d'assassinats  et  d'avoir  maltraité 
des  collecteurs  »  (M.  C.  124  fol.  364).  Pinet  dénonce  en  Poitou,  en  1663,  le  marquis 
Desroches,  «  qui  s'est  moqué  de  toutes  les  ordonnances  qn'on  a  peu  rendre  contre 
luy  et  les  collecteurs  de  sa  paroisse,  où,  avec  toute  la  violence  imaginable,  il  a 
présentement  levé  la  moitié  de  la  taille  »  (M.  C.  115  fol.  551).  Le  prévôt  royal  de 
Bourbonne,  en  Champagne,  agit  comme  un  grand  seigneur  :  «  jamais  les  inten- 
dants  n'avaient  peu   luy  faire  payer  de  taille;  il  s'étoit  mocqué   de  toutes  les 


LA    TAILI.K    BU     XOKMAXDIE. 

Mais  si  l'abus  v  existait  ii  un  moindre  degré,  on  ne  peut  prendre 
à  la  lettre  l'affirmation  de  Morangis  et  en  nier  l'existence.  Dans 
la  même  généralité  de  Caen,  l'intendant,  en  1673,  constatait 
«  qu'aucuns  gentilshommes  et  personnes  puissantes,  abusans 
de  leur  autorité,  battent  et  excédent  les  collecteurs  des  tailles 
et  autres  sujets  de  S.  M.,  exigent  des  corvées  et  font  des  levées 
sous  prétexte  de  recompense  ae  leur  protection  *  ».  Un  intendant 
avait  quelque  intérêt  à  soutenir  que  sa  circonscription  était 
mieux  administrée  que  les  autres;  il  n'était  d'ailleurs  pas  tou- 
jours exactement  informé  de  tout2. 

Tous  les  cas  énumérés  jusqu'ici  constituaient  des  abus  fla- 
grants, que  tout  le  monde  condamnait  sans  hésitation.  Mais  il 
en  était  un  autre,  qui  se  présentait  très  souvent,  et  dont  l'illé- 
gitimité faisait  quelque  doute  :  c'était  lorsqu'un  exempt  faisait 
soulager  ses  propres  fermiers  par  les  collecteurs. 

Les  privilégiés,  on  l'a  vu,  ne  pouvaient  exploiter  eux-mêmes 
qu'une  quantité  limitée  de  terres;  tout  ce  qu'ils  possédaient  en 
plus,  devait  être  affermé.  Or  ils  faisaient  observer  que,  si  l'on 
imposait  leurs  fermiers,  leurs  terres  seraient  louées  d'autant 
moins  cher;  ils  payaient  donc  indirectement  la  taille  par  ce 
moyen,  et  leur  exemption  n'était  plus  qu'un  vain  mot.  La  thèse, 
mainte  fois  soutenue  dans  les  écrits  du  temps,  fut  exposée  à 
plusieurs  reprises  aux  Etats  de  Normandie.  Le  président  de 
Bauquemare  y  disait  en  1566  : 

«  Combien  que  des  tailles  et  autres  crues  que  le  prince  demande 
pour  sa  subvention  soit  faicte  assiette  directement  sur  ceux  du  Tiers 
Estât,  neantmoing  ceux  de  l'Eglise  et  de  la  Noblesse  en  payent  indi- 
rectement leur  part,  ce  qui  se  peult  congnoistre  par  un  exemple  fami- 
lier :  combien  il  y«a-t-il  de  laboureurs  tenant  à  fermes  les  héritages  et 
possessions  des  ecclésiastiques  et  gentilshommes  qui  payent  60  et  80 1. 
de  taille,  lesquels  sans  lesdites  charges  ne  pairoient  100  sols.  Ceste 
charge  ne  vient-elle  pas  en  diminution  de  leurs  fermages3?  » 

En  1617,   1623,    1634,    les   nobles  et  les  magistrats  avaient 

cottes  d'office,  et  exemptoit  tons  ses  parents;  il  s'adjugeoit  a  luy-mesme  la 
double  dixine  de  sa  paroisse  soubs  noms  empruntés;  il  avoit  fait  des  levées 
assez  considérables  depuis  quinze  ou  seize  ans,  dont  il  ne  rendoit  point  décompte 
a  la  communauté  »  (Depping,  t.  III,  p.  173);  autres  exemples  A  Vendôme,  1665 
(M.  C.  128""  f  1172);  en  Berry,  1682  (A.  N.  G"  124,  26  mai  et  13  juillet),  en 
Bourbonnais,  1663  (M.  C,  115  '"•  f°  660),  etc.  L'abus  continua  après  Colbert  :  v. 
par  ex.  le  préambule  de  l'édit  d'août  1692,  créant  des  maires  perpétuels  dans  les 
villes. 

1.  Mandement  du  4  oct.  1673,  A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances. 

2.  On  a  vu,  p.  140,  la  difficulté  pour  un  intendant  de  se  renseigner  exactement 
sur  ce  qui  se  passait  dans  sa  généralité.  Il  n'était  pas  toujours  facile  de  connaître 
ces  protections  clandestines  des  puissants;  Croissy,  en  ayant  découvert  des  cas 
scandaleux  en  Poitou,  ne  trouvait  pas  de  témoins  pour  en  déposer  (M.  C.  115, 
f»  364.)  _  V  l 

3.  De  Beaurepoire,  Cahiers  des  États...,  règne  de  Charles  IX,  p.  125. 


L  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE. 


369 


renouvelé  cette  déclaration i  ;  les  Mazarinades  la  reproduisirent 
plusieurs  fois2 ,  et  l'intendant  Méliand  écrivait  de  Caen  le 
15  août  1680  : 

«  C'est  une  maxime  générale  en  cette  province  que  c'est  faire  payer 
la  taille  a  la  noblesse  et  aux  exempts  indirectement  que  d'imposer 
leurs  fermiers,  de  sorte  que  les  gentilshommes,  officiers  et  autres 
exempts  de  taille  employent  toutes  sortes  de  moyens  pour  que  leurs 
fermiers  ne  soient  mis  qu'à  des  sommes  modiques  eu  égard  au  bien 
qu'ils  ont  de  leur  chef;  car  quand  ils  ne  font  que  faire  valoir,  les 
collecteurs  ne  les  employent  qu'a  de  très  petites  sommes  3.  » 

Cette  théorie  était  spécieuse,  mais  les  privilégiés  la  démen- 
taient eux-mêmes  par  leur  acharnement  à  rechercher  le  privi- 
lège, fût-ce  au  prix  de  l'imposition  de  leurs  fermiers.  Le  roi  ne 
pouvait  du  reste  l'admettre  sans  un  énorme  préjudice  :  elle 
aurait  fait  passer  rapidement  toute  la  terre  aux  mains  des 
exempts,  et  bientôt  on  n'eût  plus  rien  trouvé  à  imposer.  Aussi 
le  règlement  d'août  1664,  art.  27,  après  ceux  de  1600  et  1634, 
avait-il  formellement  ordonné  que  les  fermiers  des  exempts 
fussent  imposés  : 

«  Atendu  qu'il  s'est  introduit  un  abus  manifeste,  en  conséquence 
duquel  les  eclésiastiques,  gentilshommes  et  oficiers  privilégiez  pré- 
tendent que  leurs  fermiers  ne  doivent  point  être  imposez  aux  tailles, 
à  cause  des  fermes  qu'ils  tiennent  d'eux,  s'imaginant  que  c'est  leur 
faire  paier  indirectement  la  taille,  d'où  il  s'ensuit  un  désordre  sans 
exemple,  qui  cause  la  ruine  et  Fopression  des  pauvres  taillables,  et 
donne  lieu  ausdits  eclésiastiques,  gentilshommes  et  oficiers  d'aug- 
menter extraordinairement  le  prix  de  leurs  fermes,  sous  prétexte  de 
cette  prétendue  exemption  ;  Nous  voulons  et  entendons  que  les  fermiers 
desdits  eclésiastiques,  gentilshommes  et  oficiers,  "soient  compris  aux 
rôles  des  tailles,  tout  ainsi  que  les  autres  fermiers,  tant  à  raison  de 
leur  bien,  trafic  et  industrie,  qu'à  cause  du  profit  qu'ils  peuvent  faire 
esdites  fermes  *.  » 

Le  même   règlement  interdisait  en  outre  une  fraude  commu- 


1.  Ibid.,  règne  de  Louis  XIII,  II,  p.  52,  III,  p.  9,  etc. 

2.  Voir  notamment  :  Loppin,  Les  mines  gallicanes,  Paris,  1638,  in-4°,  p.  14; 
les  délibérations  de  la  noblesse  aux  Etats  de  1614,  B.  N.  fr.  11916;  la  maza- 
rinade  intitulée  :  Les  généreux,  conseils  d'un  gentilhomme  français;  le  discours  du 
marquis  de  Sourdis  à  l'assemblée  de  la  noblesse  du  22  février  1651  (Journal  de 
l'Assemblée  de  la  Noblesse,  p.  43),  etc.  Après  notre  époque,  le  tlième  sera  très 
souvent  repris  :  Mémoire  de  M.  de  Fougerolle  publ.  à  la  suite  des  Mémoires  pré- 
sentés au  duc  d'Orléans  par  Boulainvilliers,  1727,  t.  II,  p.  138  et  150;  la  Gourdes 
Aides  de  Paris  l'a  repris  à  son  compte:  l'auteur  de  l'art.  Taille  dans  V Encyclo- 
pédie, Sénac  de  Meilban,  Turgot  (Œuvres,  t.  IV,  p.  271),  etc.  Cf.  Marion,  L'impôt 
sur  le  revenu,  p.  12. 

3.  A.  N.  G?  213. 

4.  Règlements  de  Normandie,  p.  139  cf.  les  édits  de  mars  1600,  art.  18,  janvier 
1634,  art.  33,  avril  1643,  art.  21  et  suiv.,  etc. 


LA    T.MLLE    EX  NORMANDIE. 


24 


370  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

nément  pratiquée  :  les  exempts,  «  pour  mettre  [leurs]  fermiers 
à  couvert  et  les  empêcher  de  contribuer  aux  tailles,  leur  passant 
des  procurations  en  fraude  et  simulées,  pour  les  faire  passer 
pour  leurs  domestiques  et  préposez  »,  ils  seront  imposés  pour 
toutes  les  terres  qu'ils  feront  cultiver  sous  le  nom  de  leurs 
domestiques  en  sus  de  la  quantité  à  eux  permise  (art.  28). 

Colbert  fit,  en  1663,  un  exemple  retentissant  en  la  personne 
d'un  valet  du  marquis  de  La  Chastre-Nançay  pour  avoir  mutilé  un 
collecteur  qui  avait  imposé  à  un  écu  un  fermier  du  marquis1. 
Il  rappela  plusieurs  fois  le  règlement  dans  ses  lettres  aux  inten- 
dants :  surtout,  écrit-il  à  Saint-Dysan  en  1672,  «  il  est  néces- 
saire que  vous  vous  appliquiez  à  empescher  que  les  gentils- 
hommes... par  le  crédit  et  l'autorité  qu'ils  ont  dans  les 
paroisses...  ne  fassent  décharger  leurs  fermiers  au  préjudice  et 
à  la  foule  des  autres  habitans2  ».  Il  félicite  De  Sève  d'avoir 
taxé  d'office  en  1673  des  fermiers  de  gentilshommes  :  «  Vous 
ne  devez  pas  douter  que  ces  taxes  ne  soyent  bien  soutenues3  ». 
Il  prescrit  à  Leblanc  en  1677  de  travailler  à  «  abolir  entière- 
ment »  l'abus  des  seigneurs  qui  «  déchargent  extraordinairement 
leurs  fermiers*  ». 

Les  intendants  de  Normandie  inscrivirent  les  prescriptions 
réglementaires  dans  leurs  mandements  annuels  aux  paroisses5; 
mais  les  privilégiés  n'avaient  pas  scrupule  à  les  transgresser; 
ils  ne  pensaient  pas  mal  faire,  cette  extension  de  leur  privi- 
lège  leur  paraissant  naturelle6,   et   les    protections   accordées 

1.  Mémoire  de  l'intendant  de  Bourges  à  Colbert,  3  mars  1663,  M.  C.  115  f  85  : 
ce  valet,  avec  deux  compagnons,  avait  assailli  le  collecteur,  l'avait  roué  de  coups, 
puis  lui  avait  coupé  le  nez  et  les  oreilles,  «  et  en  prit  les  morceaux  qu'il  mit 
dans  sa  poche,  disant  qu'il  avoit  de  quoy  justifier  la  commission  qui  luy  avoit 
esté  donnée   >.  Colbert  se  vante  de  la  punition   infligée  au  valet,  qui  fut  arrêté 

•  jusque  dans  la  chambre  de  son  maistre  »,  et  remis  à  la  justice  (Mémoire  au  Roi 
sur  les  affaires  de  finance,  Clém.,  II,  67).  Colbert  écrira  encore  à  Marillac  le 
2  février  1674  qu'il  n'y  a  «  rien  de  si  important  que  de  purger  les  provinces  de 
ces  petits  tyranneaux  qui  ruinent  les  peuples  >  (Ibia.  322). 

2.  Clém.  II,  250.  Il  signalait  déjà  l'abus  à  Mazarin  le  1"  oct.  1659  (ibid.,  VII, 
177). 

3.  Ibid.  II,  295,  n.  1. 

k.  Ibid.  378.  Ces  protections  frauduleuses  sont  signalées  par  Voysin  en  1665  : 
Mémoire  sur  la  généralité  de  Rouen,  p.  87-88. 

5.  V.  par  ex.   le  mandement  de  l'intendant  de  Rouen  en  1672  :  ordre  d'imposer 

•  les  fermiers  des  seigneurs  et  gentilshommes  et  autres  de  vostre  paroisse  qui  ne 
sont  pas  compris  dans  vos  rôles,  pourveu 'qu'ils  ne  soient  pas  imposez  ailleurs, 
ou  qu'ils  le  soient  a  des  sommes  très  modiques  »  ;  les  pseudo-serviteurs  qui  font 
valoir  les  terres  des  gentilshommes  en  sus  d'une  ferme  seront  taxés  d'office  pour 
leurs  exploitations  (A.  D.  S.-Inf.  C  2215).  L'intendant  de  Caen,  en  1675,  défend 
aux  collecteurs  de  «  confondre  sous  un  mesme  article  la  taxe  du  propriétaire  et 
de  son  fermier,  a"  peine  de  100  1.  d'amende  »  (A.  D.  Calv.  Election  de  Caen). 

6.  Cf.  un  manuel  de  confession  intitulé  :  Les  péchez  cachez  de  chaque  chrétien 
en  Yexercice  de  sa  profession,  par  le  sieur  D.  A.  E.  P.  D.  S.,  Paris,  1680,  p.  86  : 

•  Un  seigneur  qui  vivra  moralement  bien  pourroit  aussi  commettre  des  crimes 
dont  il  ne  s'apercevroit  pas  :  par  exemple,  s'il  vouloit  exempter  de  la  taille  un 
de  ses  receveurs,  qui  seroit  cottisé  au  roole  a  une  plus  grande  somme  qu'il  ne 
désireroit,  et  qu'il  fit  publier  aux  prônes  qu'il  veut  exploiter  sa  terre  par  ses 
mains...  Il  arriveroit  de  cette  action  premièrement  que  toute  la  cotte  de  ce  rece- 


L  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE.  371 

par  les  ministres  eux-mêmes,  les  intendants,  les  gens  de  cour, 
autorisant  dans  une  certaine  mesure  leurs  actions1.  Ils  avaient 
du  reste  les  moyens  d'éluder  facilement  la  loi  :  l'un  d'eux,  en 
Lyonnais,  obligeait  «  les  habitans  de  sa  terre  à  donner  de 
l'argent  à  son  fermier  pour  payer  sa  taxe  d'office2  »;  d'autres, 
en  Normandie,  couvraient  leurs  receveurs  par  des  procurations 
en  forme  :  «  On  est  sy  habile  en  cette  province,  écrit  Leblanc, 
pour  s'exempter  de  la  taille,  qu'il  n'y  a  plus  présentement  de 
receveurs  ny  de  fermiers,  mais  des  gens  qui  agissent  en  vertu 
de  procurations...  Sy  les  receveurs,  sous  prétexte  qu'ils  ne  font 
rien  valloir  par  leurs  mains,  estoient  exempts  de  taille,  le  recou- 
vrement ne  se  pourroit  faire3.  »  Les  gentilshommes,  officiers  et 
bourgeois,  dit  pareillement  de  Bouville  1683,  «  veulent  obliger 
les  collecteurs  de  ne  taxer  que  médiocrement  leurs  fermiers...; 
ilz  prétendent  la  preferance  sur  les  fruitz  comme  propriétaires, 
et  mesme  comme  ayant  preste  de  quoy  ensemancer,  et  ils  justif- 
fient  que  les  bestiaux  leur  appartiennent,  ainsy  les  pauvres 
collecteurs  ne  trouvent  rien  sur  quoy  asseoir  une  exécution,  et 
par  ce  moyen  ils  se  voient  obligez  de  ne  taxer  lesdits  fermiers 
que  trez  médiocrement4  ». 

Les  intendants  eux-mêmes  ne  jugeaient  d'ailleurs  pas  tou- 
jours opportun  d'appliquer  leurs  règlements  :  «  Dans  le  dépar- 
tement, écrit  Chamillart,  de  Bayeùx,  le  29  novembre  1666,  je 
n'ay  voulu  taxer  aucun  fermier;  au  contraire  j'ay  tesmoigné 
que  l'intention  du  roy  estoit  de  les  soulager,  pour  oster  tout 
prétexte  aux  eclesiastiques  et  gentilshommes  de  faire  valoir 
leurs  terres,  ce  qui  les  destournoit  les  uns  et  les  autres  de 
s'attacher  aux  exercices  convenables  a  leur  profession,  et  rendoit 
les  taillables  inutils  et  pauvres;...  ce  qui  produit  un  si  bon 
effet,  que  tous  les  paysans  reprennent  courage,  et  les  eclesias- 
tiques et  les  gentilshommes  commencent  a  leur  donner  leur 
bien  a  ferme5  ». 

Si  l'on  ajoute  à  ces  motifs  l'influence  personnelle  des  exempts, 


veur  se  rejetteroit  sur  le  surplus  de  la  paroisse,  et  principalement  sur  les 
pauvres...  Néanmoins  ce  gentilhomme  ne  croiroit  pas  faire  un  péché,  et  qu'en 
cette  rencontre,  sauve  qui  peut,  comme  l'on  dit.  » 

1.  Ci-dessus,  p.  152  et  suiv.  Voir  encore  une  lettre  de  Louvois  à  l'évêque  de 
Mâcon,  2  août  1681,  pour  le  remercier  de  la  protection  accordée  à  un  de  ses  fer- 
miers, Arch.  de  la  guerre,  657,  f°  32. 

2.  Let.  de  Golbert.  24  février  1683,  Clein,  VII,  280. 

3.  Let.  du  31  janvier  1682,  B.  N.  fr.  8761,  f°  40,  v°. 

4.  Mémoire  du  1er  sept.  1683,  A.  N.  G'  71, 

5.  M.  G.  142,  f°  235.  J'ai  voulu,  dit-il,  «  remédier  a  un  mal  gênerai  que  j'ay 
trouvé  presque  dans  toutes  les  eslections  de  cette  généralité,  dont  les  fermiers 
avoient  este  jusques  a  présent  accablez,  ce  qui  estoit  cause  qu'il  ne  s'en  trouvoit 
plus,  que  les  terres  estoient  mal  ménagées,  et  les  paroisses  destituées  de  tailla- 
bles en  la  personne  desquels  les  deniers  du  roy  fussent  assurez  ».  Le  sieur  Pinet 
signale  pareille  surcharge  en  Poitou  :  «  les  taux  des  fermiers  et  mestayers  pas- 
sent le  prix  qu'ils  payent  a  leurs  maistres  »  (M.  G.  142,  f°  197  :  let.  du 
25  nov.  1666). 


372  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

qui  tiennent  les  paysans  dans  une  dépendance  étroite,  et  qui 
savent  obtenir  pour  les  paroisses  des  faveurs  au  département 
de  la  taille  \  on  comprendra  comment  leurs  terres  furent  tou- 
jours très  peu  imposées. 

L'aventure  qui  arriva  un  jour  au  receveur  de  Pont-1'Evêque, 
pour  avoir  voulu  imposer  un  fermier  du  marquis  de  Silly,  don- 
nait à  réfléchir  à  plus  d'un  :  en  1670,  l'intendant  de  Rouen 
avait  ordonné  que  le  rôle  des  Authieux-sur-Calonne  fût  dressé 
à  l'Election  de  Pont-1'Evêque,  en  présence  d'un  élu  et  du  rece- 
veur; là  on  découvrit  qu'un  fermier  de  M.  de  Silly,  payant  plus 
de  1500  1.  de  fermage2,  ne  payait  que  32  1.  de  taille  l'année 
précédente;  le  collecteur  porte-bourse  proposant  de  l'imposer  à 
150  1.,  le  receveur  transigea  en  fixant  sa  cote  à  50  1.  A  cette  nou- 
velle, le  marquis  adresse  d'abord  une  lettre  de  menaces  au  rece- 
veur, puis  il  vient  le  trouver  chez  le  président  de  l'Election, 
l'insulte,  lui  arrache  sa  perruque,  et,  le  saisissant  par  le  nez, 
lui  crie  :  «  Monsieur  le  receveur  des  tailles,  sy  vous  estiez 
autre  part  que  céans,  je  vous  accommoderois  comme  il  fault  ». 
Le  receveur  ayant  crié  :  «  Au  secours,  A  l'aide  du  roy!  »  fut 
délivré  à  temps  3;  il  s'en  plaignit  à  Golbert,  qui  prescrivit  une 
enquête,  «  estant  très  important  que,  dans  des  occasions 
pareilles,  tout  ce  qu'il  y  a  de  gentilshommes  dans  la  province 
soyent  persuadés  que  le  rpy  ne  peut  souffrir  des  actions  de 
cette  nature*  ».  L'intendant  déclara  que  M.  de  Silly  lui  avait 
toujours  paru  un  homme  «  fort  sage  »,  et  que  son  geste  était 
surprenant5,  et  l'affaire  en  resta  là. 

Après  Colbert  comme  avant,  les  seigneurs  trouvèrent  com- 
mode d'accroître  le  produit  do  leurs  baux  en  assurant  une  faible 
imposition  à  leurs  fermiers.  Boisguilbert,  dans  ses  lettres  au 
contrôleur  général,  donne  plusieurs  exemples  empruntés  à  son 
pays  :  les  grands  seigneurs,  dit-il,  «  afferment  avec  leurs  terres 
une  presque  exemption  de  taille...  M.  de  Villeroy  se  trouve  dans 
cette  généralité  à  la  tête  de  ceux  de  ce  genre  »  ;  Mme  de  Rothe- 
lin  a  accablé  de  lettres  l'intendant  «  pour  150  1.  de  taille  que 
son  fermier  payoit  sur  6000  1.  de  recette6  ».  Hier,  au  Neuf- 
bourg,  écrit-il  le  31  décembre  1701,  «  par  hasard  je  questionnai 
un  laboureur  d'une  paroisse  voisine,  comme  je  fais  toujours  : 
il  m'apprit  que  le  fermier  de  M.   de  Vieuxpont,  sur  2  500  1.  de 


1.  Voir  ci-de9sus,  p.  150  et  suiv. 

2.  Le  procès-verbal  porte  :  «  possédant  plus  de  1500  1.  de  rentes  ».  Mais  l'inter- 
prétation ne  paraît  pus  douteuse. 

3.  M.  C.  155  fol.  324  et  suiv. 

4.  Let.  du  15  nov.  1670,  Clém.,  II,  77. 

5.  M.  C.  155  fol.  328. 

6.  Let.  du  3  oct.  1700,  dans  De  Boislisle,  Correspondance,  t,  II,  p.  526.  Au  dos 
de  la  lettre,  le  contrôleur  général  a  écrit  :  «  Je  voudrais  qu'il  pût  persuader  ce 
qu'il  m'écrit  à  tous  les  fermiers,  mais  il  y  a  bien  peu  d'hommes  qui  se  fassent 
justice  sur  leur  intérêt  ». 


L  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE.  373 

ferme  payoit  15  1.  de  taille,  et  que  cela  ne  me  devoit  pas  sur- 
prendre, attendu  que  c'étoit  à  peu  près  de  même  partout,  à 
l'égard  des  fermiers  des  gens  de  condition1  ».  Dans  un  édit  de 
janvier  1713,  le  roi  constate  que,  malgré  tous  les  règlements 
antérieurs,  «  les  seigneurs  des  paroisses  se  sont  servis  de  leur 
autorité  pour  faire  régler  et  cottiser  leurs  fermiers  à  des  sommes 
modiques,  et  souvent  pour  faire  exploiter  leurs  terres  par  d'an- 
ciens fermiers  sous  le  titre  de  domestiques,  qui  sous  ce  prétexte 
n'ont  point  été  imposés  à  la  taille 2  »  ;  et  dans  sa  circulaire  aux 
intendants  du  4  octobre  1715,  le  Régent  dira  :  «  Vous  porterez 
toute  votre  attention  à  prévenir  et  borner  l'autorité  que  les 
officiers  des  juridictions  et  les  personnes  puissantes  exercent 
sur  les  collecteurs,  pour  se  procurer  à  eux  ou  à  leurs  fermiers 
des  cotes  médiocres,  et  faire  rejetter  sur  les  autres  habitans  la 
taille  qu'ils  devroient  supporter;  c'est  de  là  que  sont  venues 
les  non-valeurs,  la  difficulté  dans  les  recouvremens,  les  con- 
traintes pour  les  solidités,  la  ruine  enfin  de  plusieurs  tailla- 
bles  3  ». 

Les  influences  perturbatrices  qui  intervenaient  dans  la  con- 
fection des  rôles  s'ajoutant  à  celles  qui  viciaient  le  département 
entre  les  paroisses  et  entre  les  élections,  on  arrivait  à  de 
grandes  inégalités  entre  les  cotes  des  contribuables.  Pour  juger 
de  ces  inégalités,  nous  n'avons  pas,  on  l'a  vu,  d'indications  très 
précises  ni  très  sûres.  Toutefois,  les  détails  portés  sur  cer- 
tains rôles  nous  permettent  de  nous  faire  une  idée  approxima- 
tive de  la  fortune  des  contribuables,  et  nous  devons  au  moins 
relever  les  disproportions  qu'ils  font  apparaître. 

Voici  le  rôle  d'une  paroisse  protégée,  Saint-Saens  (élection 
de  Neufchâtel),  où  Mme  Colbert,  sœur  du  ministre,  est  abbesse; 
l'imposition,  3  090  livres,  en  1670,  est  répartie  entre  421  feux, 
soit  7  1.  7  s.  par  feu,  en  moyenne4.  On  y  lit  : 

1.  Ibid.,  p.  527.  Cf.  Le  Détail  de  la  France,  éd.  1707,  I,  p.  22.  Vers  le  même 
temps,  Gauret  considère  ces  protections  comme  si  ordinaires,  qu'il  donne  une 
formule  d'acte  pour  les  réprimer  (Stite  du  Conseil,  p.  363). 

2.  C.  d.  T.,  II,  727. 

3.  Encyclopédie  méthodique,  partie  Finances,  t.  III,  p.  647.  Auber  écrit  dans  son 
Mémoire,  vers  1760,  que  «  depuis  peu  d'années...  plusieurs  seigneurs  de  paroisses 
dans  la  généralité  de  Rouen  [ont]  cessé  d'accorder  leur  protection  à  leurs  fermiers 
pour  faire  modérer  leurs  cottes  »,  (A.  N.  ADix,  470,  pièce  98,  p.  2)  mais  Loisel  de 
Boismare  affirme,  en  1789,  que  le  désordre  subsiste  encore  de  son  temps  (Dict., 
I,  39).  V.  aussi  la  circulaire  d'Orry  en  1732,  dans  Marion,  L'impôt  sur  le  revenu,  p.  6. 

4.  A.  D.  S.  Inf.,  G  2692.  Il  y  a  en  outre  4  ménages  «  occupant  et  non  payant 
taille  audit  lieu  de  Saint  Saens  »,  et  22  exempts,  dont  14  ecclésiastiques, 
(l'abbaye  ne  comptant  que  pour  un  feu),  3  officiers,  un  bourgeois  de  Dieppe  et 
un  apotiquaire.  Le  seigneur  du  lieu  fait  valoir  60  acres  de  terre;  le  sieur  de 
Belleau,  «  soy  disant  noble,  [est]  propriétaire  de  la  ferme  de  Bailly,  la  faisant 
valloir  par  ses  mains,  consistant  en  masure,  bois  de  haute  fustaye,  bois  taillis 
et  terre  en  labeur  faisant  deux  charues  ».  En  1665,  la  paroisse,  comprenant 
348  taillables  (outre  77  pauvres)  est  imposée  à  2760  1.  {Mémoire  de  Voysin  de  la 
Noiraye,  p.  176). 


374  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Estienne  Le  Conte,  fermier  d'une  maison  et  viron 
30  acres  de  terre 30  1. 

Jean  Morisse,  propriétaire  de  5  acres  de  terre   ....       27  1. 

Estienne    Varengues,    propriétaire    d'une    maison    et 

masure  et  viron  3  acres  de  terre 71. 

François  Grouin,  pauvre  homme 5  s 

François  Gonfreville,  laboureur,  tenant  a  ferme  viron 
50  acres  de  terre  par  500  1.,  ayant  trois  chevaux, 
deux  vaches,  six  cochons  et  quarante  bestes  à  laine.       60  1. 

Jean  Bourgeois,  chappellier,  propriétaire  d'une  maison.  60  s. 

Laurent  Mallet,  chappellier 5  s. 

Marin  Pinel,  cordonnier,  propriétaire  d'une  maison.    .  100  s. 

René  Alexandre,  tenant  a  ferme  de  M.  de  Saint  Saens 
pour  500  1.  de  fermage  faisant  une  charue,  a  deux 
vaches  et  trente  moutons 39  1. 

Les  disproportions,  entre  ces  cotes  apparaissent  nettement, 
que  l'on  compare  soit  les  prix  de  fermage,  soit  les  propriétés, 
soit  les  professions.  Des  différences  beaucoup  plus  grandes 
peuvent  être  constatées  entre  ces  cotes  elles-mêmes  et  celles 
d'une  autre  paroisse  proportionnellement  beaucoup  plus 
imposée,  telle  Longmesnil  ',  appartenant  à  la  même  élection, 
et  payant  1  450  1.  de  taille  (26  1.  par  feu)  : 

François  Bourlay  [et]  sa  femme,  propriétaire  d'unne 
maison  et  viron  10  acres  de  terre,  masure  que  labour, 
tenant  deux  chevaux 190  1.     18  s. 

Nicollas  Lucas,  propriétaire  d'une  maison,  de  viron 
20  acres  de  terre,  masure,  erbage  et  labeur,  tenant  la 
recepte  de  messieurs  les  chanoines  de  Rouen  avec 
20  acres  de  terre  de  ladite  recepte  par  1  000  1.  par 
an  et  autres  fermages  viron  4  acres  de  terre  par  420  1. 
par  an  et  encore  3  acres  par  40  1.,  faisant  une  charue 
et  tenant  28  vaches 256  1.     10  s. 

Marin  Langlois,  marchand  beurier,  propriétaire  d'une 
maison  et  viron  15  acres  de  terre,  erbage  que  labour, 
tenant  fermage  de  Nicollas  Pinot  viron  4  acres  de 
terre  par  30  1.,  tenant  5  chevaux,  8  vaches  et 
3  génisses • 212  1. 

François  Normand  laboureur,  propriétaire  d'une  mai- 
son et  viron  8  acres  de  terre,  masure  que  labeur,  et 
fermier  du  sieur  de  Haucourt  viron  8  acres  de  terre 
erbage  et  labour  par  200  1.  avec  3  acres  d'un  bour- 
geoisde  Rouen  par 501., tenant 2  chevaux  et2  vaches.       67  1.     13  s. 

Pierre  Gauttier  le  père,  fermier  du  sieur  de  Frivelle  (?) 
conseiller  au  Parlement  de  Rouen,  demeurant  à 
Gisors,  et  viron  20  acres  de  terre  tant  masure  que 
labour,  par  450  1.  par  an,  tenant  1  cheval  et  8  vaches.       38  1.       2  s. 

Louis  Bourlay,  n'ayant  qu'une  maison  masure,  tenant 
2  vaches 25  1. 

1.  A.  D.  S.  Inf.  C,  2682. 


L  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE.  375 

Hubert  Bourlay,  propriétaire  d'une  maison  et  viron 

11  acres  déterre,  masure  que  labour,  tenant  1  vache.       43  1.     10  s. 

Nicollas  Moine,  propriétaire  d'unne  maison  de  viron 
6  acres  de  terre,  tant  erbage  que  labeur,  et  fermier 
des  religieuses  du  Gler-Ruisel  d'un  traict  de  disme 
par  100  1.  par  an,  tenant  4  vaches 48  1. 

Telle  encore  la  paroisse  du  Val  du  Roi,  toute  voisine,  où,  la 
même  année,  16  contribuables  payent  500  1.  de  taille *  (moyenne  : 
31  1.  5  s.  par  feu)  : 

François  Dubuc,  propriétaire  d'une  maison,  10  acres 

déterre 150  1. 

François  Belleguize,  propriétaire  d'une  maison  et  de 
une  acre  et  demye  de  taire  et  une  porsion  de  prerye 
et  une  vache 63  1. 

Anthoine  Doutte  ayant  une  petitte  maison  en  propre  et 
une  masure,  environ  3  acres  de  terre,  deux  chevaux, 
une  vache  a  louage ; 47  1. 

Pierre  Follenye,  mason,  ayant  une  petite  maison  en 
propre,  un  jardin,  e  deux  acres  de  terre  et  une  petit 
porsion  de  pré 41  1.     10  s. 

Robert  Fournot,  menouvrier,  et  sa  mère,  ayant  une 
petite  maison  et  jardin  en  propre  et  une  acre  de 
terre 16  1.     10  s. 

Anthoine  Fournot,  jeune  homme  a  marier,  ayant  une 
petite  maison  et  masure  et  viron  une  acre  de  terre 
en  propre 27  1.     10  s. 

La  veuve  Jacquet  Fournot,  estant  dans  la  paroisse  de 
Millebot,  ayant  charge,  environ  acre  et  demye  de 
bled 18  1. 

François  Lefebvre,  locataire  d'une  petite  maison  ...       16  1. 

La  veuve  Marin  Garbonnet,  ayant  une  chambre  a  louage 

dans  la  paroisse  de  Villié 10  1. 

En  regard  de  ces  chiffres  on  peut  mettre  les  suivants, 
empruntés  au  rôle  du  Bouillon,  élection  d'Alençon,  pour  1673  : 
la  paroisse,  comprenant  104  feux  taillables,  est  imposée  à  571  1. 
(5  1.  9  s.  par  feu)2  : 

René  Ameslant,  journalier,  ne  possède  aucun  héri- 
tage ny  bestiaux 20  s. 

Benoist  Pattier,  journalier,  possède  une  acre  de  terre 

et  une  vache  a  ferme 11  1.  13  s.  6  d. 

Jean  Vesmain  fils  de  Georges,  journalier,  possède 

demye  acre  de  terre  et  une  vache  a  ferme   ....     12  1. 

La  veuve  Aubin  Guisnet,  ne  possède  aucuns  herit- 

tages  ny  bestiaux 10  s. 

1.  Aujourd'hui  commune  de  Villy-le-Bas,  à  trois  lieues  au  sud  d'Eu.  Ibid.,  2629. 

2.  A.  D.  Orne,  Election  d'Alençon  (série  non  classée). 


37tJ  LA    TAILLE    EN    NOllMANDIE. 

Paul  Tellier,  journalier,  possède  une  acre  de  terre 

sans  bestiaux 10  1.  11  s.  6  d. 

François  Tresnel,  journalier,    ne    possède    aucuns 

héritages 34  s.  6  d. 

Nicolas  Granger  fils  de  François,  laboureur  avec  une 

charrue,  deux  bœufs,  deux  jumens  et  quatre  vaches 

et  vingt  brebis,  fermier  de  la  terre  du  Moutier 

apartenant  au  sieur  de  Giberville  Ferraoult  au  prix 

de  550  1.  par  an;  ne  cognoissent  lesdicts  collec- 
teurs la  quantité  d'acres  de  terre  en  quoy  consiste 

ladite  ferme;   possède  de    son  chef  une  acre  et 

demye  de  terre  a  luy  apartenant 14  1. 

Pierre  Granger,  laboureur  avec  une  charue,  deux 

bœufs,  deux  jumens,  deux  vaches  et  douze  brebis, 

fermier  de  la  terre  de  Mommerie  apartenant  au 

sieur  de  la  Houssaye  au  prix  de  230  1.  par  an;  ne 

cognoissent  la  quantité  d'acres  de  terre  en  quoy 

conciste  ladite  ferme;  possède  de  son  chef  une  acre 

et  demye  de  terre 15  1. 

Mathias  Jajolley,   sans  vacation,   possédant  quattre 

acres  de  terre,  une  vache  et  une  jument 26  1. 

La  paroisse  de  La  Bellière,  imposée  à  820  1.  en  1670,  ne 
comprend  que  25  contribuables  (moyenne  d'impôt  pour  chacun  : 
32  1.  16  s.).  L'un  d'eux1,  à  lui  seul,  porte  plus  du  quart  de 
l'impôt  :  215  1.;  nous  ignorons  ses  ressources,  mais  nous 
savons  qu'il  n'était  pas  domicilié  dans  la  paroisse  :  il  est 
possible  qu'il  ait  été,  pour  ce  motif,  surchargé 2.  Voici  les  cotes 
de  quelques  autres  : 

Nicolas  Purot,  propriétaire  d'une  maison,  masure, 
viron  acre  et  demie  de  terre,  fermier  pour  viron 
50  1.  de  fermage,  deux  chevaux,  deux  vaches.   .    .     39  1.  19  s.  6  d. 

François  De  la  Mare,  propriétaire  d'une  maison, 
masure,  et  une  acre  de  près  qu'il  baille  a  ferme  a 
Monsieur  Lavandier  pour  viron  50  1.  de  fermage 
et  fermier  du  sieur"  pour  500  1.  de  fer- 
mage; a  dix  vaches 25  1.  12  s.  6  d. 

Laurens  Louvet,  propriétaire  d'une  maison,  masure 
contenant  trois  acres  de  terre  ou  viron,  fermier  du 
sieur  de  Pommereux  pour  100  1.,  qu'il  a  quitté.    .     26  1.  12  s.  6  d. 

Anthoine  Roussel  et  François  son  fils,  propriétaires 

d'une  maison  contenant  viron  demye  acre  de  terre.     26  1.  13  s. 

Edouard  Maisné,  propriétaire  dune  maison,  masure 
et  deux  acres  de  labeur,  deux  vaches 26  1.  13  s. 

1.  «  Sebastien  Houel  et  Sebastien  son  fils,  demeurant  à  la  Ferté-en-Brnv,  215  1. 
16'  6d.  .  " 

2.  Rôle  de  la  paroisse,  1670,  ibid.,  2675.  Bellière  est  situé  à  une  bonne  lieue  de 
Forges-les-Eaux. 

3.  Nom  en  blanc  sur  l'original. 


L  INEGALITE    DANS    L  ASSIETTE.  377 

Nicolas  de  Bailly,  propriétaire  d'une  maison,  masure 

contenant  trois  acres,  trois  vaches 14  1.    4  s. 

La  veuve  Anthoine  Purot,  occupe  une  chambre.    .    .       5  1.    2  s.  6  d. 

Ces  exemples,  que  l'on  pourrait  multiplier1,  ne  peuvent 
assurément  pas  nous  donner  une  idée  complète  de  la  façon 
dont  l'assiette  était  faite  ;  les  rôles  où  la  fortune  de  chacun  est 
indiquée  avec  autant  de  détails  sont  d'ailleurs  en  petit  nombre. 
D'autre  part,  nous  n'avons  aucune  garantie  sur  l'exactitude  de 
ces  mentions  :  rien  n'était  plus  facile  pour  un  collecteur  que 
de  dissimuler  les  facultés  d'un  taillable  pour  le  sous-imposer, 
ou  d'amplifier  celles  d'un  ennemi  pour  le  surcharger.  Il  est 
fort  probable  que  les  inégalités  les  plus  criantes  étaient  cachées 
de  la  sorte,  pour  éviter  l'intervention  d'un  élu  bien  intentionné 
ou  de  l'intendant. 

Du  moins  on  peut  se  faire  une  idée  approximative  de  «  l'arbi- 
traire »  de  l'imposition.  La  proportionnalité  la  plus  simple, 
celle  qui  serait  calculée  d'après  le  prix  des  fermages  ou  l'étendue 
des  exploitations  n'est  pas  observée  dans  une  même  paroisse, 
ni  d'une  paroisse  a  la  voisine;  la  seule  constatation  générale  à 
peu  près  certaine  que  nous  puissions  faire,  c'est  que  partout 
les  pauvres  sont  surchargés  et  les  riches  soulagés. 

1.  Des  rôles  relatifs  à  l'élection  de  Neufchâtel  ont  été  publiés  par  Mali- 
corne,  L'agriculture  dans  le  /mus  de  Bray,  II0  part.  p.  114  et  suiv.,  avec  l'indica- 
tion des  exploitations.  On  y  voit  nettement  la  disproportion  entre  la  taille  et  les 
prix  de  fermages  :  deux  fermiers  de  M.  de  Mailly,  à  Haucourt,  payant  l'un  6001. 
et  l'autre  300  1.  de  fermage,  sont  imposés  tous  deux  à  20  1.;  ua  autre  habitant  de 
la  paroisse  paye  13  1.  2  s.  pour  un  fermage  de  150  1.  ;  un  autre  10  1.  2  s.  pour  un 
fermage  de  80  1.,  etc.  A  Mesnières,  en  1696,  on  note  les  rapports  suivants  entre 
les  fermages  et  la  taille  : 

FERMAGE  TAILLE 

Veuve  Planchon 1  000  1.  119  1. 

Antoine  Vanet 500  105 

Jean  Vanet 500                       74 

Robert  Cartier 300  57 

Henri  Lecbevalier 300  îHO 

Jean  Hébert 150  49 

Jean  Tranchepain 150  47 

Michel  Decorde   .    .    .    . 100  30 

Etienne  Fournier 100  29 

Nicolas  Boucher 100  29 

On  voit  que  la  proportion  est  beaucoup  plus  faible  pour  les  gros  fermiers  que 
pour  les  petits;  pour  tous  on  dépasse  la  proportion  de  10  p.  100  indiquée  par  les 
intendants  (ci-dessus,  p.  322).  Boisguilbert  a  relevé  cette  disproportion  :  «  Il  n'est 
point  rare,  dit-il,  de  voir  dans  une  même  paroisse  une  recette  [=  ferme]  de 
trois  à  quatre  mille  livres  de  rentes  ne  contribuer  que  pour  10  ou  12  écus  à  la 
taille,  pendant  qu'un  autre,  qui  ne  tient  que  pour  trois  ou  quatre  cens  livres  de 
fermage,  en  paiera  cent  pour  sa  part  »  {Détail  de  la  Fiance,  éd.  1707,  t.  I,  p.  19). 


378  LA    TAILLE»  EN    NORMANDIE. 


VII.    —    LA    REDACTION   DES   ROLES 

La  fréquence  des  illettrés  '  avait,  de  très  bonne  heure,  fait 
chercher  le  moyen  d'assurer  sans  les  collecteurs  la  confection 
des  rôles.  Un  édit  de  septembre  1575  avait  créé  en  chaque 
paroisse  un  greffier  des  tailles  c  pour  tenir  registre,  dresser  et 
écrire  sous  les  asséeurs  les  rôles  de  tous  les  deniers  qui  se 
lèvent  par  forme  de  taille2  ».  Mais  le  roi,  par  cette  mesure,  ne 
cherchait  pas  uniquement  le  bien  des  contribuables  :  les  nou- 
veaux emplois  étaient  érigés  en  titre  d'offices,  et  mis  en  vente 
au  profit  du  Trésor.  Une  partie  furent  rachetés  par  les  paroisses3 
et  en  1597  les  autres  furent  supprimés  «  à  cause  des  abus  que 
ces  greffiers  commettaient  dans  la  fonction  de  leur  charge, 
trompant  les  asséeurs  et  collecteurs*  ».  Mais  la  déclaration  de 
mars   1600  nous  apprend  qu'à  cette  date  la  suppression  n'est 

f>as  encore  achevée,  et  que  les  collecteurs  se  plaignent  «  que 
es  greffiers  des  tailles  ne  suivent  ce  qu'ils  ordonnent,  mais 
augmentent  ou  diminuent  les  cottes  des  habitants  comme  bon 
leur  semble,  en  quoi  il  est  aisé  de  les  tromper  a  cause  que  la 
plupart  d'entr'eux  ne  scait  lire  ni  écrire5  ».  En  novembre  1616, 
nouvelle  création  d'officiers  pour  rédiger  les  rôles,  sous  le  nom 
de  commissaires  des  tailles  6,  et  nouvelle  suppression  peu  de 
temps  après,  sur  les  plaintes  des  contribuables 7.  Au  mois 
d'août  1632  on  les  ressuscite  avec  le  titre  de  contrôleurs  des 
tailles,  jouissant  d'une  rétribution  de  1  sou  par  livre  (5  pour  100) 
du  montant  de  l'impôt8.  Ils  sont  à  nouveau  supprimés,  puis 
rétablis  en  décembre  1654  avec  le  nom  de  directeurs  des  tailles, 
ayant  charge  de  «  faire  conjointement  avec  les  collecteurs  des 
tailles  desdites  parroisses  et  de  leurs  avis  les  roolles  d'icelles, 
iceux  vérifier  incontinent  après  la  confection  »;  ils  ont  pour 
gages  un  droit  de  6  d.  par  1.  (2,5  p.  100)  sur  l'impôt,  et  l'exemp- 

1.  Cf.  ci-dcssns,  p.  178. 

2.  Mém.  Alphab.,  p.  343.  cf.  Encyclopédie  méthodique.  Finances,  art.  Greffier  des 
tailles;  B.  N.  fr.  11  04S,  f  47,  et  Hunger,  Histoire  de  Verson,  p.  272-73. 

3.  Edit  de  mars  1580,  cité  dans  Hunger,  Histoire  de  Verson,  p.  273.  n. 

4.  Mém.  Alphab.,  p.  333. 

5.  Art.  18.  Voulons,  ajoute  le  roi,  «  qu'il  soit  loisible  aux  asséeurs  de  commettre 
en  l'année  de  leur  charge  telle  personne  idoine  que  bon  leur  semblera  pour  faire 
le  dit  exercice,  moyennant  que  les  dits  greffiers  soient  payez  des  droits  qui  leur 
sont  attribuez  par  ledit  de  leur  création  ». 

6.  Mem.  Alphab.,  p.  343. 

/.  •  Nous  continuerons  incessamment  nos  plaintes,  disent  les  Etats  de  Normandie 
en  1620,  contre  les  commissaires  des  tailles  jusque  à  ce  que  ils  ayent  esté  entiè- 
rement supprimez  »,  et  le  roi  n'a  d'autre  réponse  à  leur  faire  sinon  que  ces  offices 
•  ayans  esté  vendus  pour  subvenir  à  la  nécessité  des  affaires  du  roy,  S.  M.  ne  les 
peult  supprimer  ».  Art.  8  du  Cahier  dans  de  Beaurepaire,  Cahiers  des  États, 
règnes  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  t.  II,  p.  7-8. 

8.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen,  Registre  d'ordonnances,  imprimé. 


LA  REDACTION  DES  ROLES.  379 

tion  de  taille  l.  En  avril  1658,  enfin,  nouvelle  création  d'un 
office  héréditaire  de  commissaire  à  faire  les  rôles  dans  chaque 
paroisse,  lequel  est  mis  en  adjudication  et  attribué  «  au  plus 
offrant  et  dernier  enchérisseur,  à  l'extinction  de  la  chandelle  »  ; 
l'acquéreur,  qui  était  libre  de  l'exercer  lui-même  ou  de  l'a  affer- 
mer à  personne  capable2  »,  fut,  pour  tout  le  ressort  de  la  Cour 
des  Aides  de  Rouen,  Me  Pierre  Domergues  bourgeois  de  Paris3. 

On  en  était  là  de  ces  perpétuelles  créations  et  suppressions 
d'offices,  toutes  onéreuses  aux  taillables,  lorsque  Colbert  fut 
appelé  au  Conseil  des  finances.  Il  était  résolu  à  abandonner 
cette  pratique,  et  dès  la  fin  de  1661  il  en  signalait  l'urgence  au 
roi4.  Nous  ignorons  comment  l'opération,  entreprise  sans  retard, 
fut  conduite,  mais  à  partir  de  1663  on  ne  trouve  plus  trace  de 
ces  officiers  dans  les  paroisses  normandes,  et  jusqu'à  la  fin  du 
ministère  les  collecteurs  demeureront  libres  de  faire  écrire 
leurs  rôles  par  qui  bon  leur  semblera5. 

Dans  leurs  mandements,  les  intendants  rappellent  toujours 
aux  collecteurs  qu'ils  ont  cette  liberté.  Dans  quelle  mesure  les 
collecteurs  ont-ils  pu  en  jouir?  Il  est  difficile  de  le  préciser.  Les 
personnages  puissants,  coqs  de  paroisses,  officiers  et  autres  qui 
intervenaient  dans  l'assiette  pouvaient  aisément  faire  choisir  des 
scribes  à  leur  convenance 6.  Les  rôles  qui  nous  sont  parvenus 
ont  été  pour  la  plupart  rédigés  par  des  praticiens;  on  a  vu  plus 
haut  qu'«  ordinairement  »  les  collecteurs  se  transportaient  à  cet 
effet  dans  la  ville  chef-lieu  de  l'élection  7  ;  nous  avons  même  un 


1.  C.  d.  T.,  t.  I.  p.  453-4. 

2.  A.  D.  Calvados,  élection  de  Caen,  Registre  d'ordonnances,  affiche  imprimée 
du  11  mars  1660. 

3.  Arrêt  du  Conseil  du  25  févr.  1661,  ibid.  L'édit  d'août  1661  mentionne  aussi 
les  droits  dus  aux  commissaires  des  tailles  (C.  d.  T.,  I,  p.  496). 

4.  Clém.,  t.  VII,  p.  192. 

5.  Un  édit  de  janvier  1702  créera  à  nouveau  des  commissaires  des  tailles  pour 
rédiger  les  rôles.  Cette  liberté,  du  reste,  est  conforme  au  règlement  de  janvier  1634, 
art.  47,  qui  autorise  la  présence  à  l'assemblée  du  «  premier  notaire,  sergent  ou 
autre  personne  qu'ils  [les  collecteurs]  voudront  choisir  pour  écrire  lesdites  taxes  »  ; 
le  principe  de  liberté  des  collecteurs  est  pareillement  proclamé  par  la  Cour  des 
Aides  de  Paris  dans  un  arrêt  du  7  octobre  1678;  on  a,  dit  l'arrêt,  «  toujours  laissé 
les  collecteurs  dans  la  liberté  de  prendre  qui  bon  leur  sembleroit  pour  la  confec- 
tion de  leurs  rolles,  fors  des  huissiers,  receveurs  ou  autres  préposez  à  la  réception 
des  tailles  ».  C.  d.  T.,  t.  II,  p.  142.  L'ordonnance  des  fermes  de  1680,  art.  8,  auto- 
rise pareillement  les  collecteurs  du  sel  à  faire  rédiger  leurs  rôles  par  qui  bon 
leur  semblera.  Un  arrêt  de  la  Cour  des  Aides  de  Paris  du  22  février  1687  fera 
défense  à  quiconque  d'obliger  les  collecteurs  à  se  servir  de  tel  ou  tel  scribe  contre 
leur  gré.  (B.  N.  fr.  21  419). 

6.  On  a  des  exemples  d'entraves  à  la  liberté  des  collecteurs  hors  de  Normandie. 
L'intendant  de  Bourges  écrit  à  Colbert  le  9  août  1680  :  «  J'ay  connu  que  les  offi- 
ciers de  quelques  eslections  contraignent  tous  les  collecteurs  de  faire  dresser 
leurs  roolles  par  leur  greffier,  et  ils  refusent  de  les  vérifier  lorsqu'ils  sont  dressés 
par  d'autres,...  et  la  taxe  que  ce  greffier  prend  est  plus  considérable  que  dans 
les  autres  eslections.  »  (A.  N.  G1  124).  Dans  un  mémoire  sur  la  généralité  de 
Paris  en  1684,  l'intendant  signale  comme  une  particularité  de  l'élection  de  Dreux 
que  les  huissiers  n'y  obligent  pas  les  collecteurs  à  «  se  servir  d'eux  pour  faire 
leur  rôle  ».  (de  Boislisle,  Mémoire  de  l'intendant  de  Paris,  p.  706.) 

7.  Ci-dessus,  p.  313. 


fcM  LA    TAILLE     KN    NORMANDIE. 

rôle  où  le  rédacteur  se  nomme  :  «  ce  présent  rolle  fait  par  moy, 
procureur  soussigné1  »;  mais  ce  cas  est  unique.  Il  est  extrême- 
ment rare  qu'un  rôle,  à  en  juger  du  moins  par  la  comparaison 
de  l'écriture  et  des  signatures,  soit  de  la  main  d'un  collecteur. 
Souvent  les  rôles  de  toute  une  élection  sont  écrits  de  la  même 
main,  et  pendant  plusieurs  années  de  suite  :  il  y  avait  donc  des 
scribes  attitrés  auxquels  les  collecteurs  s'adressaient  habituelle- 
ment. Etait-ce  par  nécessité  ou  par  convenance?  Il  est  difficile 
de  le  savoir. 

Les  rôles  doivent  être  dressés,  suivant  les  règlements,  en 
double  exemplaire,  l'un  étant  laissé  entre  les  mains  des  collec- 
teurs, ce  sera  le  «  cueilloir  »,  et  l'autre  déposé  au  greffe  de  l'élec- 
tion ',  Mais  en  Normandie  il  est  d'usage  de  rédiger  un  troisième 
exemplaire,  destiné  au  receveur  des  tailles.  Les  mandements  des 
intendants  le  rappellent  dans  les  trois  généralités,  et  même, 
en  1680,  l'intendant  de  Caen  exige  une  quatrième  copie  pour 
ses  propres  bureaux;  elle  devra  lui  être  adressée  dans  le  délai 
de  huit  jours  après  la  vérification,  sous  peine  de  10  1.  d'amende; 
mais  l'année  suivante  il  ne  renouvelle  pas  ses  exigences*. 

Les  rôles  sont  écrits  sur  du  papier  ordinaire;  l'ordonnance 
de  juin  1680,  établissant  le  papier  timbré,  n'oblige  pas  les 
collecteurs  à  employer  ce  papier  *. 

La  forme  des  rôles  est  a  peu  près  partout  la  même.  En  tète 
est  un  préambule  indiquant  la  somme  à  lever  sur  la  paroisse, 
l'ordonnance  en  vertu  de  laquelle  elle  est  levée  et  les  noms  des 
collecteurs.  Voici  par  exemple  le  préambule  d'un  rôle  de  1683  : 

«  Assiette  de  la  somme  de  482  1. 15  s.  6  d.  sur  les  contribuables  aux 
tailles  de  la  parroisse  de  La  Cressonnière,  eslection  de  Lisieux,  pour 
leur  part  de  ce  que  porte  ladite  eslection  année  prochaine  1683;  en 
laquelle  somme  est  comprise  celle  de  11  1.  15  s.  6  d.  pour  le  droit  de 
collecte  attribué  aux  collecteurs,  suivant  le  mandement  envoyé  ausdits 
habitans  en  datte  du  13e  octobre  dernier,  ladite  estant  faite  par  Henry 
Delamare,  Nicolas  Verrier  et  André  Launay  asséeurs  collecteurs,  ainsy 
qu'il  ensuit8...  » 

1.  Rôle  de  Troismont.  pour  1671.  Le  rôle  de  l'année  suivante  porte  la  même 
indication.  A.  D.  Calvados,  Election  de  Caen,  liasse  de  rôles. 

2.  Ordonnance  de  janvier  1629,  art.  345. 

S.  Mandement  aux  paroisses  du  1"  octobre  1680,  A.  D.  Calvados,  Election  de 
Caen.  Dans  le  ressort  de  la  Cour  des  Aides  de  Paris  on  n'exigea  jamais  plus  de 
deux  exemplaires  :  en  1677,  les  élus  de  Langres  en  ayant  exigé  un  troisième  pour 
le  commissaire  qui  vérifierait  les  rôles,  la  Cour  par  son  arrêt  du  7  octobre  1678 
cassa  la  sentence  de  l'élection  et  prescrivit  de  ne  faire  que  deux  copies  confor- 
mément aux  ordonnances  (C.  d.  T.,  t.  II,  p.  141-153). 

4.  La  tendance  des  administrateurs  était  de  faire  employer  le  plus  possible  le 

Jupier  timbré  :  De  Creil  écrit  de  Uouen  le  30  octobre  1672  que  dans  toutes  les 
lections  et  notamment  dans  celle  d'Arqués,  les  collecteurs  se  plaignent  des 
greffiers  qui  exigent  le  parchemin  pour  les  sentences  et  les  antres  actes  concer- 
nant les  tailles;  il  a  rendu  plusieurs  ordonnances  qui  sont  inefficaces,  il  demande 
un  arrêt  du  conseil  pour  toutes  les  provinces.  (M.  C,  162,  f°  185.)  Au  temps  de 
Labarre,  les  rôles  devaient  être  écrits  sur  parchemin. 

5.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Lisieux. 


LA    KEDACTION    DES    HOLES.  381 

Ensuite  vient  la  liste  des  contribuables  rangés  soit  par  ordre 
alphabétique  S  soit  simplement  suivant  un  ordre  traditionnel; 
dans  ce  dernier  cas,  on  retranche  du  rôle  de  l'année  précédente 
les  contribuables  disparus,  et  on  inscrit  les  nouveaux  à  la  suite 
des  anciens.  Tantôt  les  «  oboles  »,  c'est-à-dire  les  contribuables 
pauvres,  qui  sont  imposés  pour  mémoire  à  une  obole  ou  à  un 
denier,  sont  rangés  séparément  a  la  fin  du  rôle,  tantôt  ils  sont 
confondus  avec  les  autres.  Parfois,  les  contribuables  sont  rangés 
suivant  l'importance  de  leurs  cotes,  en  commençant  par  les  plus 
hautes.  Ensuite  viennent,  séparément,  les  exempts,  puis  une 
formule  finale  contenant  d'ordinaire  simplement  la  date  du  rôle  : 
«  Ladite  assiette  faite  et  arestée  par  lesdits  collecteurs  devant 
nomez,  à  Lisieux,  ce  2  décembre  1683  ».  Puis  viennent  les 
signatures  des  collecteurs;  ceux  qui  ne  savent  signer  font  une 
marque  (en  dialecte  normand  un  merc)  et  un  de  leurs  collègues 
plus  lettré,  ou  le  rédacteur  du  rôle,  indique  à  côté  leur  nom  : 
«  Merc  de  N.  »  A  la  suite  du  tout  est  portée  la  formule  de 
vérification  du  rôle  par  un  élu  avec  la  signature  de  celui-ci. 

Chaque  feu  tailiable  doit  être  inscrit  séparément  sous  le  nom 
du  chef  de  ménage;  il  est  défendu  d'inscrire  ensemble  sous  une 
même  cote  plusieurs  taillables,  par  exemple  un  père  et  son  fils 
faisant  valoir  des  biens  chacun  pour  son  compte. 

Avant  1662,  l'impôt  de  chaque  tailiable  était  subdivisé  en 
trois  articles  :  un  pour  le  principal  de  la  taille,  un  pour  la 
seconde  partie  de  la  taille  et  le  troisième  pour  le  taillon  et  la 
subsistance  des  gens  de  guerre.  Une  des  premières  réformes  de 
Colbert  fut  de  supprimer  cette  distinction  entre  les  trois  impôts 
qui  allongeait  et  compliquait  inutilement  les  rôles  et  permet- 
tait des  fraudes;  les  collecteurs  reçurent  l'ordre  d'imposer 
chacun  «  en  une  seule  ligne  »,  et  à  partir  de  1663  on  ne  trouve 
plus  de  rôles  où  la  cote  de  chaque  contribuable  soit  subdi- 
visée 2. 

Chaque  chef  de  famille  doit  être  inscrit  sous  ses  nom  et  pré- 
noms3. On  doit  en  outre  ajouter  sa  qualité  ou  profession,  et, 
s'il  y  a  lieu,  la  nature  et  l'étendue  de  son  exploitation.  On  a  vu 
plus  haut  l'importance  de  ces  mentions  pour  l'assiette  de  la 
taille 4.  Les  intendants  firent  des  efforts  pour  que  cette  prescrip- 
tion réglementaire  fût  observée  par   les    rédacteurs  des  rôles. 


1.  Souvent  ils  sont  rangés  suivant  l'ordre  alphabétique  des  prénoms,  usage 
assez  fréquent  au  xvii0  et  au  xvme  siècles.  Cf.  Martin,  Etrennes  financières, 
Paris,  17S9,  p.  62  :  «  le  paiement  des  rentes  [sur  l'Hôtel  de  ville]  se  fait  suivant 
l'ordre  alphabétique  du  premier  nom  de  baptême  des  rentiers  ». 

2.  Dans  le  préambule  de  tous  les  rôles  de  l'élection  de  Neufchâtel-en-Bray  pour 
1670,  il  est  mentionné  que  la  cote  du  contribuable  est  «  imposée  en  une  seule 
ligne  ».  (A.  D.  S.-Inf.  C  2694). 

3.  La  Poix  de  Fréminville,  Traité  des  Communautés  d'Habitants,  p.  233  et  sui- 
vantes, indique  les  différents  règlements. 

4.  Ci-dessus,  p.  320. 


382  LA    TAILLE    BN    NORMANDIE. 

Celui  de   Rouen  en   1672    écrivait  dans    son    mandement   aux 
paroisses  : 

«  Lesdits  collecteurs  emploieront  sommairement  les  noms,  sur- 
noms et  qualitez  des  taillables,  les  biens  qu'ils  occupent  soit  en  pro- 
priété ou  à  ferme,  le  prix  des  fermages  avec  le  nom  et  la  qualité  de 
ceux  auxquels  les  terres  appartiennent...  [Nous  faisons]  deûense  aux 
officiers  des  Eslections  de  rendre  le  rôle  exécutoire  si  le  contenu 
ci-dessus  n'y  est  spécifié,  à  peine  de  répondre  en  leurs  propres  et 
privez  noms  des  non-valeurs  des  paroisses  l,  » 

Lorsqu'on  examine  les  rôles  qui  nous  ont  été  conservés,  on 
en  trouve  quelques-uns  où  ces  prescriptions  sont  suivies;  tels 
notamment  ceux  de  l'élection  de  Neufchâtel  en  1670 2. 

Certains  rôles  portent  le  prix  des  fermages,  distinguent  les  fer- 
miers «  à  prix  d'argent  »  et  les  métayers,  les  bestiaux  possédés 
«  en  propre  »  de  ceux  tenus  à  cheptel,  etc —  Mais  il  s'en  faut 
de  beaucoup  que  cette  pratique  soit  générale.  Le  plus  fréquem- 
ment, la  profession  seule  est  indiquée  d'un  mot  vague  comme  : 
journalier,  laboureur,  cordonnier,  mendiant  ou  «  pauvre  homme  ». 
Souvent  même,  les  noms  seuls  sont  inscrits.  Les  intendants 
n'arrivèrent  pas  à  faire  respecter  complètement  leurs  ordres  sur 
ce  point.  Celui  de  Rouen  écrit  à  Colbert  le  2  novembre  1670  : 

«  Depuis  deux  ou  trois  ans,  affin  de  pouvoir  faire  lesdites  imposi- 
tions [des  tailles]  avec  plus  d'égalité,  j'avois  fait  insérer  un  article 
dans  les  mandemens  que  les  collecteurs  comprendroient  dans  la  ligne 
de  chaque  taillable  ses  occupations,  soit  en  propriété,  soit  à  titre  de 
ferme,  le  nombre  et  la  qualité  de  ses  bestiaux,  mais  cela  s'observe  si 
mal,  que  dans  la  suite  je  n'en  ay  pas  tiré  toutes  les  lumières  que  j'en 
espérois  3.  » 

Celui  de  Caen  note  dans  son  mémoire  du  15  août  1680  que 
les  collecteurs  d'ordinaire  ne  spécifient  pas  la  quantité  de  terre 
cultivée  par  les  taillables  et  n'indiquent  que  la  profession,  «  en 
sorte  que  par  l'examen  d'un  rolle  on  n'y  peut  pas  connoistre 
si  la  taille  est  bien  ou  mal  régalée  »,  et  il  n'y  voit  d'autre  remède 
que  l'établissement  d'une  sorte  de  cadastre  en  chaque  paroisse*. 

Après  1683,  différents  règlements  rappelleront  les  collecteurs 
à  leur  devoir;  ce  sera  pour  constater  chaque  fois  l'échec  des 
tentatives   antérieures5.  Dans  le   recueil   écrit  pour  l'intendant 

1.  A.  D.  S.-Inf.  C  221.. 

2.  Voir  les  citations  extraites  de  ces  rôles,  ci-dessus,  p.  374.  Il  faut  noter  que, 
pour  les  contribuables  qui  ne  sont  pas  cultivateurs,  on  ne  trouve  jamais  d'indi- 
cations relatives  à  leur  fortune. 

3.  M.  C,  155,  f°  324.  > 

4.  A.  N.,  Gi  213.  Voir  ci-dessus,  p.  321. 

5.  Cf.  notamment  l'arrêt  du  conseil  du  28  février  1688,  qui,  après  avoir  prescrit 
aux  collecteurs  d'indiquer  les  biens  cultivés  par  chacun,  leur  ordonne  d'envoyer 
aux  intendants  des   états  certifiés   et   signés  des   curés  des  paroisses,  contenant 


LA    REDACTION    DES    ROLES.  383 

Orsay  vers  1690,  on  lit  que  les  collecteurs  «  ne  marquent  pas 
le  plus  souvent  les  proffessions,  vaccations  ny  les  exploitations 
des  contribuables,  ou  autrement  ils  les  déguisent,  qualifiant  un 
laboureur  journalier  ou  manouvrier,  un  laboureur  qui  a  deux 
charrues,  ils  ne  le  marquent  que  pour  demie  charrue,  un  offi- 
cier, un  avocat,  un  procureur  qui  fait  valloir  son  bien  ils  luy 
donnent  la  qualité  de  laboureur,  et  quelques  fois  ils  ne  com- 
prennent pas  les  exempts  et  les  privilégiez  au  bas  des  rolles, 
comme  ils  y  sont  obligés1.  »  Thouret  déclarera  dans  son  rapport 
à  l'Assemblée  provinciale  de  Haute-Normandie,  le  20  novem- 
bre 1787,  qu'  «  il  n'y  a  point  de  rôle  dans  la  généralité  qui  soit 
exactement  conforme  »  aux  règles  sur  l'inscription  des  qualités 
et  occupations  de  chacun  2. 

En  outre  des  taillables,  on  doit  inscrire  tous  les  exempts 
demeurant  dans  la  paroisse  avec  le  titre  de  leur  exemption,  en 
sorte  qu'il  n'y  ait  dans  la  localité,  suivant  l'expression  d'un 
mandement  de  l'intendant  de  Caen,  «  personne,  de  quelle  que 
qualité  et  condition  qu'ils  puissent  estre,  demeurant  ou  jouis- 
sant d'héritages  en  [la]  paroisse,  qui  ne  soit  compris  dans  les 
rôles3  ».  On  a  vu,  au  chapitre  des  Exempts,  l'utilité  de  la 
mesure,  et  les  difficultés  de  son  application.  Les  mandements 
des  intendants  la  rappelaient  périodiquement,  établissaient 
même  des  amendes  à  l'encontre  des  collecteurs  fautifs  *,  mais 
sans  grands  résultats.  Il  leur  eût  fallu,  pour  aboutir,  la  colla- 
boration active  et  bienveillante  des  élus,  qui  leur  faisait  défaut3. 


VIII.  —   LA  VERIFICATION    DES    ROLES 

Lorsque   le  rôle  est  rédigé,   les   collecteurs  doivent  le   faire 
«  vérifier  »  ou  «  contrôler  »  par  l'Election  dans  le  délai  de  huit 

«  les  noms  de  tous  les  possesseurs  des  héritages  qui  composent  le  terroir  de  cha- 
cune paroisse,  soit  terres,  prey,  bois,  vignes  ou  herbages  et  montagnes,  la  quan- 
tité que  chacun  en  possède,  les  différentes  qualités  des  terres,  les  exempts  et 
privilégiés,  et  les  domicilies  en  autres  paroisses  qui  en  font  valoir  par  leurs 
mains,  combien  et  de  quelle  nature  et  qualité,  et  les  héritages  appartenans  à 
chacune  communauté,  le  tout  suivant  les  modèles  qui  leur  seront  envoyés  par 
les  intendans  ».  (B.  N.  fr.  21419,  p.  120.) 

1.  B.  N.  fr.  11  096,  f°  37. 

2.  Procès-verbal  de  l'assemblée,  p.  86. 

3.  Mandement  aux  paroisses,  1678,  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen. 

4.  Dans  leurs  mandements  annuels  les  intendants  recommandent  toujours 
d'inscrire  au  rôle  dans  un  chapitre  séparé  •  les  noms  et  qualitez  des  exempts  de 
vostre  paroisse  soit  ecclésiastiques,  gentilshommes  et  autres,  avec  mention  des 
terres  qu'ils  font  valoir  en  vostredite  paroisse  et  de  la  quantité  d'acres  dont  les- 
dites  fermes  sont  composées,  et  si  elles  sont  unies  ensemble  et  l'ont  toujours  esté  ». 
Mandement  de  l'intendant  de  Rouen  en  1672,  A.  D.  S.-Inf.  G,  2215. 

5.  Toutefois,  en  Normandie,  l'inexécution  des  règlements  sur  ce  point  n'était 
pas  aussi  fréquemment  déplorée  par  les  intendants  que  dans  le  reste  de  la  France. 
L'intendant  de  Ghâlons  écrit  à  ColbeK  le  20  janvier  1667  :  «  Généralement  parlant 
je  ne  vois  pas  que  dans  toute  la  Champagne  on  soit  fort  exact  à   faire  mention 


384  LA    TAILLE    KX     NOHMAXDIE. 

jours.  «  Cette  vérification  est  nécessaire  pour  deux  raisons  : 
la  première  parce  que  les  collecteurs  peuvent  exécuter  en  vertu 
du  rôle  seul;  ce  doit  donc  être  un  acte  judiciaire,  car  dans  les 
saisies  ordinaires  ce  n'est  qu'en  vertu  d'une  condamnation  judi- 
ciaire qu'on  peut  exécuter;  le  privilège  des  deniers  royaux  fait 
qu'on  dispense  les  collecteurs  de  cette  obligation  qui  les  entraî- 
nerait dans  de  grands  frais,  et  la  vérification  y  supplée.  Secon- 
dement, cette  vérification  se  fait  pour  connoistre  si  les  collec- 
teurs ne  lèvent  pas  sur  les  sujets  du  roy  plus  grande  somme  que 
celle  portée  sur  les  mandements1.  » 

La  vérification  est  faite  habituellement  par  l'élu  qui  a  fait 
ses  chevauchées  dans  la  paroisse 2.  Elle  est  attestée  par  l'ins- 
cription au  bas  du  rôle  d'un  visa  dont  la  formule  est  variable,  et 
dans  le  paraphement  de  chaque  feuillet1. 

Anciennement  les  élus  avaient  le  droit  de  réformer  les  rôles, 
c'est-à-dire  de  faire  modifier  les  cotes  qui  ne  leur  paraissaient 
pas  justes.  Le  règlement  de  janvier  1634  (art.  44)  le  leur  con- 
servait encore,  mais  on  reconnut  qu'ils  en  profitaient  pour 
favoriser  leurs  parents  et  amis  au  détriment  de  leurs  ennemis; 
l'aveu  en  est  fait  sans  difficultés  par  un  d'entre  eux  :  Si  l'on  fait 
vérifier  un  rôle,   dit  Labarre,  par  un  élu  «  qui,  pour  cause  de 

à  la  fin  des  roolles  des  nobles  et  des  exempts  qui  sont  dans  la  paroisse  ».  (Dep- 

Eing,  t.  III,  p.  171).  Certainement  la  Normandie  était  sur  ce  point  comme   sur 
eaucoup  d'autres  plus  soigneusement  administrée  que  les  autres  provinces. 

1.  Mémoire  anonyme  de  1688,  B.  N.  fr.  21419,  f*  185.  Cf.  les  ordonnances  de 
1459,  art.  32  (dans  Corbin,  avec  commentaire,  p.  966-7),  et  de  1504,  art.  59 
{ibid.,  p.  968)  et  J.  Combes,  Traité  de*  élection»,  f  32  :  Si  les  rôles  n'étaient 
signés  par  un  élu.  «  ils  ne  ferment  point  de  foy  et  n'emporteroient  aucune  exécu- 
tion, voire  m  es  me  s  ils  seroient  nuls,  suivant  les  ordonnances  ». 

2.  Si  les  élus  refusaient  de  vérifier  le  rôle,  les  collecteurs  s'adresseraient  à 
l'intendant,  mais  ils  ne  doivent  le  faire  que  dans  ce  cas.  Le  subdélé^ué  de  l'inten- 
dant n'a  pas  qualité  pour  faire  la  vérification,  qui  est  <  un  jugement  qui 
emporte  exécution  et  hypothèque  ».  (Vieuille,  p.  134). 

3.  Règlement  de  janvier  1634,  art.  38,  in  fine.  Le  règlement  du  16  avril  1634 
dit  que  les  rôles  seront  vérifiés  par  les  officiers  qui  auront  assisté  au  départe- 
ment et  non  par  d'autres.  (C.  d.  T.,  t.  I,  p.  307).  Cf.  l'arrêt  du  conseil  du 
du  6  novembre  1647  analysé,  ibid. 

Voici,  à  titre  d'exemple,  deux  formules  de  vérification  : 

«  Les  ans  et  jours  que  dessus,  le  rolle  du  présent  a  esté  rendu  exécutoire 
aux  périls  desdits  collecteurs  par  Nous  Jacques  Costentin,  conseiller  du  Roy, 
président  en  ladite  Election  de  Lisieux,  après  que  iceux  collecteurs  ont  affirmé 
avoir  employé  dans  le  présent  tous  les  exempts  privilégiez  estans  demeurans 
dans  leur  dite  parroisse,  et  interpelles  suivant  l'ordonnance  ».  (Rôle  de  la  paroisse 
de  Familly,  Election  de  Lisieux,  du  18  novembre  1682.  A.  D.  Calvados,  Election 
de  Lisieux.) 

«  Ce  présent,  contenant  quatorze  fœillets  de  papier  escripts,  cetuy  compris, 
ont  esté  nombres  et  paraphez  en  chacun  d'iceux  par  nous,  officier  du  Roy  en 
1  c-leclion  d'Argentan  snubsigne  le  vingt-troisiesme  jour  de  janvier  mil  six  cent 
soixante  deux  (signé)  :  Le  Molinet,  (puis  au-dessous)  :  Il  est  mandé  au  premier 
huissier  ou  sergeant  de  ladite  ellection  d'Argentan  contraindre  par  toutes  voyes 
deubes  et  raisonnables  les  redevables  au  présent  reffusans  de  payer  leur  impost, 
faire  ouverture  des  maisons,  portes,  coffres  et  autres  meubles  ferraaiis  à  clef,  et 
la  vendue  des  gros  meubles  importables  sur  les  lieux  pour  éviter  ù  fraits,  gar- 
dant les  ordonnances  :  et  en  cas  de  débat  assigner  les  parties  par  devant  nous. 
Donne  à  Argentan  le  tresiesme  jour  de  febvrier  mil  six  cent  soixante  deux, 
(signé  :)  Le  Molinet  »,  (rôle  de  Cuy,  Collection  de  M.  Bridrey). 


LA    VERIFICATION    DES    ROLES.  385 

son  particulier,  de  ses  parens  fermiers  ou  autres,  leur  aura 
quelque  interest  »,  il  «  voudra  ajouster  es  sommes,  ou  exigera 
en  sa  signature  :  chose  qu'on  voit  arriver  tout  les  jours  ».  La 
déclaration  du  16  avril  1643,  article  9,  leur  défendit  de  rien 
changer  dans  les  rôles  ni  d'en  faire  faire  de  nouveaux.  Cet  ordre 
fut  conservé  par  tous  les  règlements  postérieurs1. 

Mais  cette  défense  réitérée  ne  supprima  pas  l'abus.  En  1661, 
les  collecteurs  du  Tourneur  déclarent  au  Bureau  des  finances  de 
Caen  que  les  élus  de  Vire  n'ont  pas  voulu  vérifier  leur  rôle, 
voulant  «  soulager  et  descharger  a  leur  discrétion  les  plus 
riches  et  aisez  »,  et  le  Bureau  doit  rendre  une  ordonnance  pour 
contraindre  ces  élus  2.  Dans  un  mémoire  sur  la  réformation  de 
la  justice,  le  conseiller  d'Etat  de  la  Marguerie  écrit  en  sep- 
tembre 1665  : 

«  Les  esleus  font  leur  capital  de  la  vérification  des  rooles  des  tailles 
qu'ils  doivent  faire  suivant  les  règlemens,  les  gardent  tant  qu'il  leur 
plaist,  pour,  moyennant  quelque  sordide  récompense,  les  altérer  et 
les  changer,  ainsy  il  leur  faut  ordonner  de  les  rapporter  au  greffe  de 
l'eslection  dans  un  certain  temps,  et  qu'ils  ne  pourront  vérifier  les- 
dits  rooles  es  parroisses  ou  eux  et  leurs  parens  auront  du  bien 3.  » 

Un  autre  conseiller  d'Etat  demande  à  la  même  date  qu'on 
«  interdise  absolument  aux  eleuz  la  veriffication  des  roolles  des 
tailles,  pour  les  grands  abus  qui  se  commettent4  ». 

Un  mémoire  anonyme  sur  la  taille  dit  en  1688  que  les  élus 
«  ne  laissent  pas  dans  quelques  villes  de  s'estre  maintenus  » 
dans  le  droit  de  modifier  les  rôles  à  leur  guise 5.  Mais  ces 
abus,  qui  étaient  faciles  à  dissimuler,  ne  nous  sont  pas  connus 
par  d'autres  documents. 


1.  Cf.  Règlements  du  6  novembre  1647,  20  mars  1673,  art.  8,  23  septembre  1681, 
art.  10,  etc.,  voir  Mém.  Alphab.,  p.  652-3,  et  Vieuille,  Traité  des  élections, 
p.  133-5. 

2.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  du  Bureau,  11  mai  1661. 

3.  Glairamb.  613,  fol.  305.  Le  11  septembre  1663  Bacbelier  et  Cbertemps 
écrivent  de  Châlons  à  Colbert  :  «  Le  plus  grand  abus  que  nous  aions  remarqué 
dedans  cette  province  est  celui  de  la  veriffication  desdits  rooles  dedans  lesquels 
[les  élus]  comprennent  souvent  d'autres  sommes  que  celles  qui  sont  ordonnées 
par  la  commission  du  roi,  en  font  même  des  particuliers  et  extraordinaires  de 
leur  autorité  privée,  et  après  qu'ils  sont  exécutés  les  suppriment  pour  en  oster  la 
cognoissance,  ce  qui  fait  que  l'on  ne  peut  jamais  cognoistre  la  force  des  levées 
qui  se  font.  »  Ils  proposent  de  créer  un  contrôleur  qui  conserverait  par  devers 
lui  une  copie  du  rôle  et  tiendrait  un  registre  des  sommes  imposées  :  il  serait 
choisi  parmi  les  «  personnes  de  probité  »  et  recevrait  «  quelques  appointements 
qui  seroient  utilement  employés  »  :  toute  lé^ée  de  deniers  faite  en  dehors  du  rôle 
ainsi  contrôlé  serait  défendue  sous  peine  de  mort.  Ainsi,  disent-ils,  on  parvien- 
drait à  «  la  cognoissance  de  tout  ce  qui  se  leveroit  dedans  une  généralité  »,  ce 
qui  prouve  que  l'intendant  ne  savait  pas  les  impôts  levés  réellement  dans  sa  cir- 
conscription. (M.  G.  117,  f°  63.) 

4.  Glairamb.,  791,  p.  64. 

5.  Encore  en  1739,  Vieuille  réclame  pour  les  élus  le  droit  de  faire  dresser  les 
rôles  en  leur  présence  conformément  à  l'art.  44  de  la  déclaration  de  janvier  1634. 
{Traité  des  Elections,  p.  91.) 

LA    TAILLE    EN    NORMANDIE.  -■' 


Ml  LA    TAILLE    EN    NOHMAMUI.. 

Pour  rendre  plus  difficile  cette  inttin— tiqn  <I«s  élns.  il  leur 
était  défendu  de  garder  les  rôles  par  devers  eux  pour  les  vérifier1  : 
l'arrêt  du  Conseil  du  16  novembre  1662,  après  avoir  constaté 
«  que  plusieurs  officiers  des  élections,  pour  favoriser  leurs 
parens  et  amis  qui  s'exemptent  indeuement  de  la  taille  ou  se 
font  taxer  à  des  sommes  fort  modiques,  retiennent  le  double  des 
rôles  après  avoir  vérifié  ceux  des  collecteurs  »,  leur  défend  de 
garder  ces  rôles  chez  eux  plus  de  huit  jours  avaant  de.  les 
déposer  aux  greffes  des  Elections2.  Cet  arrêt  fut  du  reste  bientôt 
méconnu3;  Peschcur  assure  en  1665  qu'«  en  la  pluspart  des 
eslections  on  ne  controlle  plus  les  rolles  de  taille4  »,  et  l'année 
suivante  un  arrêt  du  Conseil  nous  apprend  que  «  nonobstant 
plusieurs  règlements  et  arrestz,  aucuns  officiers  des  Elections, 
abusans  du  pouvoir  de  leurs  charges,  retiennent  les  doubles 
des  rooles  des  tailles  qui  leur  sont  portez  lors  de  la  vérification 
d'iceux,  au  lieu  de  les  mettre  aux  greffes  où  ils  devroient  estre 
soigneusement  gardez  et  mis  en  ordre5  ».  Une  pénalité  est  donc 
prononcée  contre  ceux  qui  n'obéiront  pas  :  elle  est  de  500  livres 

1.  Il  est  pareillement  interdit  aux  greffiers  des  Élections  de  «  s'entremettre 
directement  ou  indirectement  »  dans  la  confection  des  rôles  lors  de  la  vérifica- 
tion, sous  peine  d'interdiction  et  de  300  1.  d'amende.  (Mandement  de  l'intendant 
Leblanc,  1676,  B.  N.  fr.  8761b,,)  f*  27). 

-.  A.  D.  Calvados,  Election  de  Caen,  liasse  d'ordonnances. 

3.  Dès  l'année  suivante,  Bachelier  et  Chertemps,  dans  leur  lettre  à  Colbert  du 
11  septembre  1663  citée,  écrivent  que  malgré  l'arrêt  qu'ils  ont  fait  publier  et 
enregistrer  dans  toute  la  généralité,  «  plusieurs  desdits  officiers  tant  réservés  que 
supprimés  n'y  satisfont  pus  »,  et  ils  sont  obligés  d'interdire  le  paiement  des 
gages  des  élus,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  déposé  les  rôles  aux  greffes.  M.  C,  117,  f*63. 

4.  M.  C.  33,  f-  293. 

5.  Les  abus  dépassaient  d'ailleurs  quelquefois  les  bornes  :  par  exemple  en 
février  1666  les  collecteurs  de  la  paroisse  de  Saint-Nicolas  des  Billanges,  près  de 
Saumur,  se  plaignent  que  lorsqu  ils  ont  présenté  leurs  rôles  à  contrôler  à  Maître 
Guérin  élu,  «  il  voulut  que  les  roolles  fussent  réformez  et  que  tous  ses  parens  et 
amis  fussent  deschargez  et  que  leur  taxe  fut  jettée  sur  les  plus  pauvres  de 
la  paroisse  >;  sur  leur  refus,  il  leur  dit  d'un  ton  menaçant  «  qu'ils 
savoient  bien  ce  qu'il  leur  avoit  dit  et  qu'ils  debvoient  passer  par  ses  mains, 
et  leur  ayant  arraché  lesdits  rolles  il  ne  les  voulut  jamais  rendre,  au  contraire 
il  les  fit  beaucoup  maltraiter  chez  luy,  fit  prendre  le  dit  Hervé  [le  plaignant]  par 
le  collet,  le  fist  traisner  dans  son  jardin,  luy  disant  :  Voicy  un  coquin  qu'il  fault 
mettre  prisonnier  parce  qu'il  veut  entrer  en  trop  grande  cognoissance  de 
cause.  Pendant  toutte  laquelle  violance  l'un  d'eux  alla  chez  Ernuult  notaire 
pour  faire  sommer  ledit  Guérin  de  controller  leurs  roolles  ou  de  les  leur 
rendre  pour  lever  la  taille  :  Ce  que  ledit  Ernault  leur  refusa  de  faire  parce 
que  comme  ledit  Guérin  est  accoustumé  de  faire  donner  beaucoup  de  taille 
à  ceux  qui  luy  desplaisent,  il  leur  dit  que  s'il  faisoit  ladite  sommation,  il  ne 
manquerait  pas  de  le  surcharger  de  taille  et  de  sel  :  et  ayant  requis  divers  autres 
notaires  et  sergens  de  faire  ladite  sommation,  pas  un  ne  voulust  s'en  charger 
par  les  raisons  cy-dessus,  dont  ledit  Guérin  s'estant  apperceu,  il  mena  luy  niesme 

—  après  et 

avoient 

de 

Saumur  parce  que  ledit  Guérin  y  est  beaucoup  craint,  et  qu'outre  ce  lesdits  col- 
lecteurs s'estaient  plaintz  qu'il  prenoit  de  l'argent  d'eux  quoy  qu'il  soit  detlendu 
par  la  commission  »...,  les  collecteurs  demandent  que  l'intendant  soit  chargé 
d'ouvrir  une  information,  car  ils  n'ont  pas  «  moyen  de  se  pourvoir  au  conseil 
pour  soustenir  une  affaire  de  cette  qualité  contre  ledit  Guérin  lequel  estant  puis- 
sant en  biens  et  en  crédit  leur  fera  abandonner  le  pays  ..  (M.  C,  136,  f°*  566-7.) 


LA    VERIFICATION    DES    ROLES.  387 

d'amende  *;  mais  le  roi  dut  répéter  sa  défense  dès  l'année  sui- 
vante 2,  et  il  lui  donna  encore  une  forme  plus  solennelle  dans  la 
déclaration  du  20  août  1673;  cette  fois,  un  double  délai  était 
donné  aux  élus  :  pour  la  vérification  du  rôle,  et  pour  le  dépôt  de 
la  copie  au  greffe. 

«  Défendons  aux  officiers  des  Elections,  disait  ce  règlement,  de 
retenir  les  rôles  faits  par  les  collecteurs  plus  d'un  jour  pour  les  calculer 
et  les  vérifier,  à  peine  de  payer  leur  séjour  et  de  demeurer  respon- 
sables du  retardement  de  nos  deniers  en  leurs  noms,  sans  que  lesdits 
officiers  puissent  changer  aucune  chose  auxdits  rôles,  sauf  à  faire  droit 
sur  les  opositions  des  particuliers,  ainsi  qu'il  est  accoutumé,  sans 
retardation  du  paiement  qui  sera  fait  par  provision.  Enjoignons  aux- 
dits officiers  des  Elections  qui  auront  vérifié  lesdits  rôles  d'en 
remettre,  trois  jours  après,  les  minutes  au  grèfe  à  peine  de  radiation 
de  leurs  gages  et  d'interdiction  de  leurs  charges  pour  trois  mois  ». 

Cette  disposition  fut  légèrement  modifiée  par  la  déclaration 
du  23  septembre  1681  (art.  10  et  11),  qui  fixait  à  «  deux  ou 
trois  jours  »  le  délai  de  vérification. 

La  répétition  des  mêmes  ordonnances  par  quatre  fois  en  vingt 
ans  montre  assez  le  cas  qui  en  était  fait4.  Il  nous  est  d'ailleurs 
difficile  de  connaître,  même  par  l'examen  des  rôles,  l'étendue 
de  cet  abus.  Ainsi  tous  les  rôles  de  l'élection  de  Lisieux  en  1682 
portent  une  formule  de  vérification  commençant  par  ces  mots  : 
«  les  an  et  jour  que  dessus  le  roolle  du  présent  a  esté  rendu 
exécuttoire...  »  ;  ce  qui  ferait  croire  que  le  contrôle  était  fait 
le  même  jour  que  le  rôle;  mais  la  formule  correspond-elle  bien 
à  la  réalité?  Nous  n'en  avons  pas  la  preuve.  Il  était  facile  soit 
aux  élus  soit  aux  rédacteurs  des  rôles  d'inscrire  des  dates 
fausses  pour  faire  disparaître  leurs  contraventions  au  règlement, 
et  rien  ne  nous  avertirait  de  cette  fraude.  Le  16  décembre  1683, 
l'intendant  de  Rouen  écrit  au  contrôleur  général  que  le  pré- 
sident et  un  élu  des  Andelys  «  ont  retenu  des  rooles  des  tailles 


1.  Arrêt  du  16  août  1666,  A.  D.  Calvados,  Élection  de  Caen,  registre  d'ordon- 
nances, 1664-7i,  f°  l'SS,  imprimé. 

2.  Arrêt  du  conseil  du  28  juillet  1667  :  «  Au  mépris  de  plusieurs  arrests  et 
règlements,  aucuns  officiers  retiennent  les  roolles  des  tailles  lorsque  les  collecteurs 
des  tailles  les  leur  portent  pour  les  vérifier,  au  lieu  de  les  mettre  aux  greffes  des 
Elections...  »  Cette  fois  il  est  donné  aux  élus  un  délai  d'un  mois  pour  faire  le 
dépôt,  et  la  peine  prononcée  est  l'interdiction  de  leurs  charges.  Çlbid.,  f°  194, 
imprimé.) 

3.  A  partir  de  cette  date,  les  intendants  rappellent  généralement  la  prescrip- 
tion dans  leurs  mandements  aux  paroisses.  Toutefois  ils  ne  suivent  pas  toujours 
les  règlements,  ainsi  en  1678,  l'intendant  de  Caen  ordonne  que  les  rôles  soient 
vérifiés  «  et  à  l'instant  mis  au  greffe  de  l'élection  »  (A.  D.  Calvados,  Election  de 
Caen),  sans  maintenir  le  délai  réglementaire  de  trois  jours. 

4.  Aux  ordonnances  il  faudrait  d'ailleurs  ajouter  les  ordres  adressés  par  Col- 
bert  aux  intendants,  par  exemple  à  l'intendant  de  Tours  les  7  novembre  1682  et 
4  février  1683,  Cléni.,  II,  p.  215. 


388  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

plus  de  huit  jours,  quoyque  l'ordonnance  ne  leur  permette  de  les 
retenir  que  trois  jours,  ne  voulant  point  les  rendre  exequtoires 
que  l'on  n'en  eust  osté  leurs  fermiers,  et  lorsque  je  les  ay 
mandés,  ajoute-t-il,  ils  n'ont  peu  me  rendre  aucune  raison  de 
leur  conduitte  »,  mais  il  s'est  contenté  de  les  forcer  à  vérifier  le 
rôle,  sans  prendre  contre  eux  aucune  mesure  disciplinaire1. 

L'édit  de  mars  1600  (art.  8)  attribuait  aux  greffiers  des  élec- 
tions un  droit  de  2  s.  6  d.  pour  la  vérification  de  chaque  rôle, 
mais  le  procureur  du  roi  à  la  Cour  des  aides  de  Rouen  avait 
fait  observer  que,  dans  le  ressort  de  la  Cour,  les  greffiers 
n'avaient  pas  l'usage  de  prendre  un  salaire  pour  ce  travail,  et 
le  roi  avait  rapporté  l'article,  en  interdisant  aux  greffiers  de 
percevoir  aucun  droit  «  à  peine  de  concussion 2.  »  Parmi  les 
expédients  fiscaux  qui  furent  imaginés  au  temps  de  Mazarin  se 
trouve  un  droit  de  10  s.  par  vérification  de  rôle  attribué  aux 
élus.  Le  Trésor  en  retira  quelque  argent  (le  nombre  des  rôles, 
c'est-à-dire  des  paroisses,  était  de  4447  pour  la  Normandie), 
mais  les  Etats  de  la  province  joignirent  leurs  protestations  à 
celles  des  élus  3,  et  le  droit  fut  aboli  en  1660.  Quoiqu'il  n'eût 
jamais  été  rétabli,  il  semble  que  partout  les  élus  continuèrent 
à  se  faire  payer  la  vérification.  L'intendant  de  Rouen  écrit  à 
Colbert  le  2  juillet  1682  que  «  dans  presque  toutes  les  eslections 
on  prend...  30  s.  pour  signature  de  rolle  »;  il  interdit  cette 
exaction,  et  demande  au  ministre  «  d'en  mettre  un  article  dans 
le  règlement  des  tailles*  »  que  l'on  prépare,  pour  donner  plus  de 
poids  à  son  ordonnance;  mais  le  règlement  du  16  février  1683 
ne  lui  donna  pas  satisfaction.  Le  z8  novembre  1683  il  écrit 
encore  que  le  greffier  de  l'élection  de  Rouen  force  les  collecteurs 
à  «  prendre  audit  greffe  un  scellé  a  chacun  de  leur  dit  rolle  de 
taille  pour  lequel  il  a  exigé  de  chacun  d'eux  cinq  sols5  ». 

Lorsque  le  rôle  est  vérifié,  il  devient  exécutoire  sans  réserves, 
et  les  collecteurs  ne  peuvent  y  introduire  aucune  modification 
pour  quelque  motif  que  ce  soit.  Si  des  erreurs  ou  omissions  ont 
été  faites,  il  faut  un  jugement  en  forme  pour  les  corriger;  les 
particuliers  qui  se  pourvoient  pour  obtenir  réduction  ou  décharge 
de  leur  impôt  doivent  payer  «  par  provision  »  la  somme  qui  leur 
a  été  d'abord  attribuée  ;  les  élus  ni  la  Cour  des  aides  ne  peuvent 


1.  A.  N.  G^  492. 

2.  Règlement»  de  Normandie,  p.  52. 

3.  Les  états  de  Normandie  de  février  1658  protestent  contre  cette  «  charge 
entièrement  extraordinaire  et  qui  n'est  establic  par  aucun  édict  ny  porte  aucune 
destination  »  ;  à  quoi  le  roi  répond  :  «  L'attribution  en  ayant  esté  faite  à  des 
officiers  des  Elections  par  édits  vérifiez,  S.  M.,  n'y  peut  toucher  ».  (Art.  7  du 
cahier  dans  de  Beaurepaire,  Cahiers,  t.  III,  p.  133).  6n  a  tu  plus  haut  (chap.  n), 
que  les  élus  protestèrent  également  contre  ce  trafic. 

4.  B.  N.  fr.  8761,  f  68. 
6.  A.  N.  G7  492. 


LA    VÉRIFICATION    DES    ROLES.  389 

défendre  d'exécuter  les  rôles  «  pour  quelque  cause  que  ce  soit, 
à  peine  de  répondre  en  leurs  propres  et  privez  noms  des 
dépens,  dommages  et  interests  des  collecteurs  *  ».  Tel  est  l'esprit 
de  tous  les  règlements  sur  la  matière.  Les  raisons  en  sont  don- 
nées par  la  déclaration  du  11  août  1677  : 

«  Les  deniers  de  nos  tailles  étant  destinés  aux  principales  dépenses 
de  notre  Etat,  il  est  nécessaire  d'en  faire  faire  l'imposition  et  la  levée 
le  plus  promptement  que  faire  se  peut,  et  a  cet  effet  de  faire  cesser  les 
differens  qui  retardent  les  paiemens,  par  les  procès  qui  arrivent  sou- 
vent, faute  d'ajuger  la  provision  aux  collecteurs,  qui  n'ont  pas  le 
moyen  de  faire  des  avances  pour  paier  aux  recettes  des  tailles  les 
sommes  auxquelles  les  paroisses  sont  taxées  2  ». 

L'application  de  cette  règle  n'allait  pas  sans  difficultés.  Si, 
dans  la  suite,  une  somme  attribuée  à  un  contribuable  lui  était 
remise  par  jugement  régulier,  il  fallait  la  réimposer  sur  la 
paroisse  par  un  nouveau  rôle,  avec  de  nouveaux  frais,  ce  qui 
entraînait  des  inconvénients  graves.  En  outre,  les  collecteurs 
pouvaient  s'en  autoriser  pour  exercer  leurs  vengeances  :  ils 
imposaient  volontairement  à  des  sommes  excessives  leurs 
ennemis,  les  paroissiens  qui  les  avaient  fait  élire,  ou  des  pro- 
priétaires forains,  et  pouvaient  les  forcer  à  payer  par  provision; 
on  en  a  vu  un  cas  à  Pont-1'Evêque 3.  Ce  dernier  abus  était  cepen- 
dant prévu  par  les  règlements  :  la  déclaration  du  11  août  1677 
portait  :  «  Nous  voulons  qu'en  cas  que  les  juges  connoissent 
que  les  collecteurs  aient  commis  malversation  dans  la  confection 
de  leur  rôle,  sans  l'aveu  des  habitans  de  leur  paroisse,  ils  soient 
condamnés  en  leurs  propres  et  privés  noms,  sans  aucun  recours 
contre  la  paroisse  ».  Mais  comment  reconnaître  l'intention  mal- 
veillante et  où  trouver  des  juges  pour  prononcer  une  punition 
équitable? 

L'exécution  des  rôles  par  provision  demeura  une  source  de 
fraudes.  En  mai  1676,  Leblanc  écrit  que  certains  contribuables 
de  la  généralité  de  Rouen,  «  sous  prétexte  d'exemptions  et 
arrests  d'enregistrement  d'icelles,  se  veullent  dispenser  de  payer 
la  taille  »  à  laquelle  ils  sont  imposés4.  L'année  suivante,  il 
répète  qu*  «  au  préjudice  des  reglemens  des  tailles,  arrests  du 
Conseil  et  nos  ordonnances,  les  officiers  de  quelques  eslections 
de  cette  généralité  donnent  des  surcéances  d'executter  les 
roolles  des  tailles,  ce  qui  retarde  le  recouvrement3  ».  Dans  les 
dernières  années  de  Colbert,  on  voulut  «  tenir  la  main  exacte- 


1.  Règlement  de  janvier  1634,  art.  52.  Cf.  la  déclaration  du  20  août  1673,  art.  19. 

2.  Repris  et  précisé  par  l'arrêt  du   Conseil  du  19  mars  1678;  les  mandements 
des  intendants  rappellent  généralement  ces  règles  avec  grand  soin. 

3.  Ci-dessus,  p.  357. 

4.  B.  N.  fr.  8  761bla,  f°  5. 

5.  Ibid.,  i"  28. 


390  LA    TAILLE    EN    NORMAND  II:. 

ment  a  ce  que  les  arrests  du  conseil  fussent  observez  »  ;  voici 
quel  en  fut  le  résultat,  au  rapport  du  successeur  de  Leblanc, 
Marillac  :  «  On  a  trouvé  en  plusieurs  endroits  des  personnes 
deschargées  par  plusieurs  jugements  rendus  consécutivement, 
d'année  en  année,  confirmez  mesme  par  des  arrestz  de  la  Cour 
des  aydes  [et  néanmoins]  encor  imposez  par  les  collecteurs  »; 
on  a  fait  rejeter  ces  sommes  sur  le  reste  de  la  paroisse,  mais  «  le 
collecteur  qui  a  fait  le  roolle  estant  payé  par  provision  est  hors 
d'affaire,  ce  n'est  pas  luy  qui  fait  la  collecte  du  rejet,  c'est  le 
collecteur  de  l'année  suivante,  de  sorte  qu'ilz  imposent  hardi- 
ment et  injustement  ».  L'  «  infinité  de  rejets  »  que  cela  produit 
«  fait  payer  une  double  taille  a  grand  nombre  de  taillables,  qui 
la  pluspart  s'en  trouvent  ruynez  »,  et  c'est  «  une  des  causes  qui 
a  produit  le  mauvais  estât  ou  se  trouve  la  généralité  de  Rouen  ». 
Pour  y  remédier,  l'intendant  a  imaginé  des  dispositions  nou- 
velles, mais  il  reconnaît  lui-même  qu'elles  sont  éludées  par  les 
collecteurs1. 

L'immutabilité  des  rôles,  même  pour  des  motifs  légitimes, 
est  surtout  nécessaire  pour  enlever  aux  collecteurs  l'intention 
de  frauder.  «  Par  sa  vérification,  dit  Vieuille,  le  rôle  devient  un 
acte  public  et  sacré  »  ;  le  falsificateur  s'expose  donc  aux  rigueurs 
de  la  loi,  comme  pour  la  falsification  des  commissions.  La 
déclaration  de  mars  1680  porte  en  ce  cas  des  peines  allant 
jusqu'à  la  mort,  suivant  la  gravité  du  crime5.  Mais  ces  menaces 
n'étaient  pas  toujours  suffisantes  pour  retenir  les  collecteurs, 
«  gens  de  néant  qui  croient  que  la  misère  autorise  tout  ». 
comme  dit  Boisguilbert.  Divers  procès  intentés  devant  les 
Elections  nous  donnent  quelques  exemples  de  l'abus  en  Nor- 
mandie; l'intendant  de  Rouen  signale,  en  1682,  un  collecteur 
de  Honfleur  qui  «  a  changé  les  feuilles  du  rolle  »  après  qu'il  a 
été  arrêté  '. 


IX.  —  LES   PAROISSES   REFUSANT  DE   FAIRE 
LEURS  ROLES 

Avant  1661,  il  arrivait  que  des  paroisses  refusaient  de  dresser 
des  rôles,  dans  l'espoir  d'échapper  à  la  taille,  de  même  que 
certaines  refusaient  de  nommer  des  collecteurs  :  une  ordonnance 
de  janvier  1597,  visant  particulièrement  des  paroisses  de  Nor- 
mandie qui  ne  voulaient  «  prendre  et  recevoir  lesdits  mande- 
ments qui  leur  sont  envoiez  ne  faire  élection  de  collecteurs  ne 
l'assis  des  sommes  contenues  esdits  mandements  »  avait  ordonné 

1.  Rapport  de  Marillac  au  Contr.  eén.,  5  oct.  16S4,  A.  N.,  G*  492. 

2.  Vieuille,  p.  330. 

3.  Let.  du  22  juin  1682,  A.  N.  G"  491. 


LES    PAROISSES    REFUSANT    DE    FAIRE    LEURS    ROLES.  391 

des  punitions  particulièrement  sévères  contre  les  habitants 
«  comme  rebelles  et  criminels  de  lèze-majesté ',  et  le  délit  était 
assez  commun  pour  que  le  président  Labarre  en  fit  un  chapitre 
particulier  de  son  Formulaire,  précisant  la  procédure  à  suivre 
dans  chaque  cas  particulier2.  Une  commission  délivrée  aux  inten- 
dants le  31  mars  1637  leur  signalait  encore  des  localités  dont  les 
habitants  «  abbusant  de  la  licence  que  la  guerre  introduit, 
n'eslisent  aucuns  asseeurs  ny  collecteurs,  et  ne  procèdent  a 
aucuns  rôles  ny  assiettes  desdites  tailles,  dont  par  ce  moien  la 
levée  ne  peut  être  faicte,  autant  par  malice  que  par  im- 
puissance 3  »  ;  ils  avaient  ordre  d'épuiser  tous  les  moyens  de 
contrainte  pour  faire  payer  ces  paroisses  tombées  «  en  régale  ». 

Le  cas,  devenu  plus  rare  après  la  paix,  se  rencontre  encore  à 
notre  époque4.  En  1677  dans  l'élection  de  Pont-de-T Arche,  les 
trois  paroisses  de  Saint-Cyr-la-Campagne,  Saint-Martin-la-Cor- 
neille  et  Saint-Ouen-du-Poncheuil  refusent  de  dresser  leurs 
rôles  «  soubs  prétexte  d'espérances  qui.  leur  sont  faictes  par 
quelque  personne  de  crédit  qu'ils  les  rendront  en  non-valleurs 
et  les  exempteront  de  la  taille,  les  retirant  mesmcs  dans  leurs 
maisons  et  recelant  leurs  meubles  ».  L'intendant  Leblanc  rend 
une  ordonnance  le  22  mars  enjoignant  à  ceux  qui  ont  quitté  ces 
paroisses  pour  éviter  les  contraintes  d'y  revenir,  et  aux  huissiers 
de  saisir  tous  les  meubles  qu'ils  trouveront,  sans  autre  forme 
de  procès,  jusqu'à  concurrence  du  montant  de  l'impôt 5. 

Dans  la  même  généralité  en  1679,  les  habitants  de  Pont- 
l'Evêque  menacent  de  ne  pas  faire  de  rôle  à  cause  des  désordres 
qui  se  produisent  chaque  année  dans  l'imposition  par  les 
intrigues  des  coqs  de  paroisse6.  La  même  année,  l'intendant 
signale  7  ou  8  paroisses  de  l'élection  de  Pont-Audemer  qu'il 
ne  peut  obliger  à  faire  des  rôles  «  quelles  que  diminutions  que 
je  leur  aye  données  »,  dit-il,  et  bien  qu'il  les  ait  autorisées 
à  «  payer  leur  taille  des  précédentes  années  des  revenans  bons 
des  fourages  7  ». 

Deux  ans  après,  Leblanc  trouve  encore  dans  les  prisons  de 
Dieppe    deux    misérables    détenus    parce    que    leurs    paroisses 


1.  Règlements  de  Normandie,  p.  28-29. 

2.  formulaire  des  Eslenz,  p.  154. 

3.  Publ.  par  Barbier,  dans  les  Me'm.  de  la  Soc.  des  Antiquaires  de  l'Ouest,  1902. 
p.  611. 

4.  Cf.  l'instruction  aux  intendants  du  10  juillet  1643  :  les  commissaires  départis 
«  se  transporteront  ou  envoyeront  leurs  subdeleguez  »  dans  les  paroisses  qui 
refusent  de  faire  les  impositions,  et  les  contraindront  au  besoin  par  la  force  à 
nommer  des  collecteurs  et  à  dresser  leurs  rôles  (A.  N.  K  891,  pièce  4). 

5.  B.  N.  fr.  8761"18,  f°  32. 

6.  Leblanc  à  Golbert,  11  novembre  1679,  A.  N.,  G?  491. 

7.  Ibid.  Leblanc  veut  dire  qu'il  avait  autorisé  ces  paroisses  à  payer  leur  taille 
avec  les  restes  d'une  imposition  levée  pour  le  fourrage  des  troupes  :  c'était  une 
de  ces  «  compensations  »  entre  différents  impôts,  qui  étaient  défendues  par  les 
ordonnances. 


191  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

«  n'ont  pas  imposé1  ».  Dans  la  généralité  de  Caen,  la  paroisse 
de  Saint-Paix,  près  de  Caen,  ne  fait  pas  de  rôle  en  1680 2.  Mais 
ce  ne  sont  plus  que  des  faits  isolés;  ils  n'ont  pas  grande 
influence  sur  le  recouvrement  de  l'impôt.  L'autorité  adminis- 
trative est  assez  forte  pour  détruire  ces  tentatives  d'insoumis- 
sion, restes  d'un  autre  âge. 

1.  Let.  du  29  mai  1681,  A.  N.  G^  491. 

2.  A.    D.   Calvados,  Bureau    des    Finances,  procès-verbal    des   chevauchées  de 
M.  de  Bernières-Gavrus,  trésorier  général. 


CHAPITRE    VII 


LA   PERCEPTION 


I.  LES  VILLES  TARIFEES.  II.  QUI  FAIT  LA  PERCEPTION  DANS  LES 

PAROISSES?  III.  LA  COLLECTE.  IV.  LES  RECEVEURS.  V.  LES 

MALVERSATIONS  ET  CONCUSSIONS   DES  RECEVEURS.  VI.  LES  CON- 
TRAINTES.    VII.  LES  FRAIS  DE  CONTRAINTES.  VIII.  L'EMPRI- 

SONNEMENT  DES  COLLECTEURS.  IX.  LA  SOLIDITE. 


[. 


LES    VILLES    TARIFEES 


Les  opérations  de  répartition  décrites  au  chapitre  précédent 
n'étaient  pas  effectuées  partout  :  certaines  villes  taillables  étaient 
soumises  à  un  régime  spécial;  la  taille  y  avait  la  forme  d'un 
impôt  indirect,  levé  sur  l'entrée  et  la  sortie  des  marchandises, 
à  la  façon  des  octrois;  on  n'y  nommait  donc  pas  de  collecteurs, 
on  ne  dressait  pas  de  rôles,  il  n'y  avait  pas  d'assiette  à  établir  ; 
la  perception  était  la  principale  opération  à  assurer;  c'est 
pourquoi  j'ai  différé  jusqu'ici  d'en  parler. 

Ces  villes  étaient  appelées  villes  «  tarifées  »,  parce  que  le 
droit  qu'on  y  percevait  portait  le  nom  de  «  tarif  ». 

Le  tarif  se  distingue  de  l'octroi  en  ce  que  les  deniers  de  l'oc- 
troi sont  affectés  aux  dépenses  municipales  *,  tandis  que  ceux 
du  tarif  sont  destinés  exclusivement  au  payement  de  la  taille2. 

1.  A  Evreux,  par  exemple,  l'octroi  est  destiné  «  au  payement  des  debtes  de  la 
ville,  réparation  des  portes,  ponts  et  murailles,  et  autres  dépences  ».  (Arrêt  du 
conseil  du  24  déc.  1663,  A.  D.  S.-Inf.,  Mémoriaux  de  la  Cour  des  Aides,  t.  XL, 
f°  268);  de  même  Garentan  (1.  pat.  5  mars  1652,  ibid.,  Mémoriaux  de  la  Chambre 
des  comptes,  1663,  f°  1),  le  Tréport  (1.  pat.  24  oct.  1660,  ibid.  Mémoriaux  de  la 
Cour  des  Aides,  t.  XL,  f°  30,  etc.)  Toutefois,  en  vertu  de  l'arrêt  du  conseil  du 
28  juin  1653  et  de  l'édit  de  décembre  1663,  le  roi  levait  à  son  profit,  avec  les 
droits  d'aides,  la  moitié  des  droits  d'octroi  (Lefebvre  de  la  Bellande,  Traité...  des 
Aides,  I,  282).  On  a  vu  plus  haut  (p.  6)  que  la  taille  avait  aussi  porté  le  nom 
d'  «  octroi  ». 

2.  Les  lettres  patentes  qui  concèdent  un  tarif  spécifient  toujours  que  les  deniers 
en  provenant  «  ne  seront  pas  d'octroi,  mais  bien  destinez  pour  le  payement  des 
tailles,  taillons,  creues,  subcistances,  ustancilles,  quartier  d'hyver,  exemption 
de  logement  de  gens  de  guerre  et  autres  impositions  ».  L.  pat.  du  23  mars  1658, 
établissant  le  tarif  de  Vire.  (A.  D.  S.-inf.  Mémoriaux  de  la  Chambre  des  comptes, 
à  la  date  du  27  mars  1670.) 


:$<,  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Des  villes  ont  un  octroi  et  n'ont  pas  de  tarif,  telles  le  Tréport, 
Evreux,  Carcntan.  Honfleur...;  celles  qui  ont  à  la  fois  tarif  et 
octroi  doivent  distinguer  les  deux  impôts  dans  leurs  comptes1, 
et  ne  peuvent  employer  les  produits  de  l'un  aux  dépenses 
imputables  sur  l'autre  ". 

Voici  la  liste  des  villes  tarifées  de  Normandie,  avec  la  date  de 
concession  du  tarif,  quand  j'ai  pu  la  connaître  : 

Généralité  de  Rouen  : 

Harfleur.  —  Louviers.  —  Pont-de-l'Arche.  —  Pontaudemer. 

Généralité  de  Caen  : 

Avranches,  28  juillet  1G67.  —  Bayeux,  1667?  —  Caen,  ancien 
(avant  1649).  —  Condé-sur-Noireau,  31  mars  1661.  —  Cou  tances.  — 
Saint-Lô,  13  août  1661.  —  Vire,  23  mars  1658. 

Généralité  d'Alencon  : 

Alençon.  1er  juin  1658 3.  —  Argentan*,  2  août  1656.  —  Falaise, 
14  juin  1656  ou  28  juin  1656.  —  Lisieux  possède  un  tarif  depuis 
«  deux  cens  années5  »,  mais  le  produit,  environ  1  200  1.,  n'en  est  pas 
suffisant  pour  payer  entièrement  la  taille  de  la  ville  :  le  surplus  est 
levé  par  «  capitation  »  sur  les  habitants. 


1.  A  Saint-Lô,  le  tarif,  en  1664,  produit  27  069  l_  et  l'octroi  87 'i  1.  (A.  D.  Calv. 
Bureau  des  finances  :   liasse  d'états  au  vrai  du  tarif  de  Saint-Lô.) 

2.  A  la  vérification  des  comptes  du  tarif  de  Saint-Lô,  année  1678,  le  Bureau  des 
finances  rejette  la  dépense  portée  pour  réparations  au  pont  de  la  ville  «  attendu 
que  les  deniers  provenans  du  tarif  sont  pour  le  payment  de  la  taille,  et  que  les 
eschevins  ont  des  octrois  pour  les  ouvrages  et  réparations  de  leur  ville  »  (ibid. 
état  au  vrai  de  1678).  Toutefois,  des  dépenses  pour  le  même  objet,  prélevées  sur 
le  tarif  de  167:)  et  1674  n'ont  pas  été  rejetées  i  états  au  vrai  de  ces  deux  années). 

3.  Voir  ci-dessus,  p.  268. 

4.  Le  tarif  s'étendait  à  deux  hameaux,  assez  éloignés  de  la  ville,  Manneville  et 
Colandon,  qui  étaient  considères  comme  faubourgs.  L'intendant  de  Marie  écrit  à 
Colbert,  le  29  juin  1671,  qu'on  ne  peut  admettre  sans  inconvénients  cette  incor- 
poration au  tarif  de  deux  localités  aussi  distantes  de  la  ville,  et  propose  d'en 
faire  deux  paroisses  parement  tnillables.  (Clair.  791,  p.  14;  cf.  autre  lettre  du 
21  sept.,  ibid.,  p.  88).  Il  en  fut  ainsi  décidé.  Dans  la  zone  soumise  au  tarif  de 
Saint-Lô  était  compris  le  Bourg-Buisson,  qui  faisait  partie  de  la  paroisse 
d'Agneaux  et,  par  conséquent  était  imposé  à  la  taille  avec  cette  paroisse.  Chaque 
année,  le  receveur  du  tarif  prélevait  sur  sa  recette  la  somme  fixée  par  le  dépar- 
tement entre  les  paroisses,  pour  l'impôt  du  Bourg.  La  situation  de  ce  hameau 
devint  très  singulière  après  la  suppression  de  l'élection  de  Saint-Lô,  en  1662  : 
tandis  que  la  ville  était  rattachée  à  l'élection  de  Carcntan,  Agneaux  —  et  partant 
le  Bourg  Buisson  —  était  rattaché  ù  l'élection  de  Coutances  :  ainsi,  le  receveur  du 
tarif  versait  l'imposition  de  la  ville  au  receveur  des  tailles  de  Carcntan,  e*  celle 
du  Bourg  au  receveur  de  Coutances.  La  conséquence  la  plus  fâcheuse  de  cette 
situation  fut  l'accroissement  démesuré  de  l'impôt  du  Bourg  :  de  340  liv.  en  1663 
il  passa  à  585  1.  13  s.  en  16S3,  soit  une  augmentation  de  72  p.  100,  tandis  que 
l'impôt  de  la  ville  n'a  augmenté  que  de  40  p.  100,  et  la  recette  totale  du  tarif  de 
15,7  p.  100.  C'est  un  des  inconvénients  des  circonscriptions  mal  établies  qu'on  a 
étudiées  plus  haut. 

5.  Let.  de  l'intendant,  oct.  1668  (M.  C,  149.  f°  7.)  L'intendant  propose  que  l'on 
affecte  ces  1  200  1.,  aux  dépenses  municipales,  et  que  la  taille  soit  levée  comme 
d,ans  les  paroisses  rurales.  Il  ne  fut  pas  donné  suite,  semble-t-il,  à  cette  propo- 
sition. 


LES    VILLES    TA1ÎIFÉES.  395 

La  concession  d'un  tarif  à  une  ville  était  considérée  comme 
une  faveur.  Les  bourgeois  avaient  en  effet  de  la  répugnance 
pour  les  «  capitations l  »,  c'est-à-dire  les  impôts  directs,  qui 
les  assimilaient  aux  paysans  et  les  exposaient  aux  vexations  de 
la  collecte.  Comme  on  projetait,  en  1668,  de  lever  une  taxe 
directe  sur  les  habitants  de  Rouen,  l'archevêque  écrivait  à 
Colbert  :  «  Les  capitations  sont  très  odieuses.  Vous  en  pénétrez 
les  suites  tout  d'une  veue,  et  les  faire  c'est  un  coup  de  maistre 
qui  ne  s'exécutera  pas  sans  de  grandes  douleurs;  ce  que  je  scay, 
c'est  qu'un  particulier  n'en  oseroit  prononcer  le  nom  sans  se 
rendre  exécrable  au  public2  ».  Lorsque  Colbert  proposa  aux 
échevins  de  Dieppe,  en  1664,  une  capitation  temporaire  pour 
payer  les  dettes  de  la  ville,  ils  lui  répondirent  que  cela  «  ne  se 
pourroit  faire  sans  faire  déserter  la  ville  et  ruiner  les  particu- 
liers 3  ».  Les  habitants  de  Baveux,  sollicitant  un  tarif  en  1667, 
assuraient  qu'ils  étaient  menacés  «  d'estre  ruinez  par  les  grandes 
impositions  et  collecte  des  tailles  par  capitation  4».  A  ces  raisons 
d'ordre  sentimental  s'en  ajoutait  une  autre  plus  positive  :  les 
plus  riches  bourgeois,  qui  étaient  les  maîtres  des  municipalités, 
étaient  beaucoup  moins  grevés  par  un  impôt  sur  les  denrées  que 
par  une  taxe  sur  le  revenu5. 

Quand  une  ville  demande  un  tarif,  elle  fait  toujours  valoir 
sa  misère,  et  l'impossibilité  pour  les  habitants  de  continuer  à 
payer  la  taille  par  Capitation.  Voici  par  exemple  les  motifs  invo- 
qués par  Argentan,  le  23  mai  1655  : 

«  Les  grandes  sommes  de  deniers  qui  ont  esté  levées  sur  eux  pour 
les  tailles,  subsistances,  emprunts,  taxes  et  autres  impositions  qu'ils 
ont  payées  depuis  quelques  années  ont  obligé  les  meilleurs  contri- 
buables de  ladite  ville  de  se  retirer  ailleurs  pour  y  chercher  les 
moyens  de  subsister  avec  leurs  familles,  de  sorte  que  ce  qui  est  resté 
d'habitans  dans  ladite  ville  les  plus  considérables  et  plus  riches  ont 
jette  leurs  enfans  dans  Tordre  de  prestrise  pour  mettre  leurs  biens  a 

1.  Il  ne  faut  donc  pas  entendre  ce  mot,  comme  le  font  par  exemple  Domat 
(Œuvres,  II,  p.  27)  et  Clément  (II,  351,  note  1)  dans  le  sens  d'  «  imposition  à 
tant  par  tête  ».  Il  ne  faut  pas  voir  non  plus  dans  celte  forme  d'impôt  un  antécé- 
dent de  la  capitation  qui,  sur  la  proposition  de  Vauban,  sera  établie  en  1695 
dans  tout  le  royaume;  de  même  le  «  tarif  »  n'a  rien  de  commun  avec  la  «  taille 
tarifée  »  de  l'abbé  de  Saint-Pierre. 

2.  Let.  du  8  octobre  1668,  M.  G.  149,  f°  103. 

3.  Depping,  I,  703.  Cf.  le  placet  des  habitants  de  Dieppe  au  sujet  de  l'amende 
à  eux  infligée  en  punition  d'une  émeute,  en  1661  :  lever  cette  amende  «  par  capi- 
tation, ce  seroit  réduire  les  plus  forts  bourgeois  en  abandonnant  la  ville  de  la 
rendre  déserte  ».  (A.  D.  S.-Inf.,  B  85,  f°  176). 

4.  Placet  de  décembre  1667,  M.  C,  146,  f°  276,  cf.  Bréard,  Les  archives  de 
Honfleur,  p.  126,  129  et  130  :  les  habitants  sollicitent  l'entremise  an  Mademoiselle 
pour  obtenir  un  tarif;  p.  l')9,  ils  ont  l'appui  de  Seignelay  en  16S4. 

5.  Sur  les  avantages  des  tarifs,  en  comparaison  des  capitations,  voir  Fleury, 
Institution  au  droit  français,  I,  191  ;  Moreau  de  Beaumont,  Mémoires  sur  les  impo- 
sitions, II,  p.  34;  Boisguilbert,  Détail  de  la  France,  éd.  1707,  I,  p.  102;  Maille, 
Recherches  sur  Elbeuf,  I,  p.  270  et  suiv. 


M6 


LA    TAILLE    EX    NORMANDIE. 


couvert  soubs  leurs  noms,  les  autres  ont  acquis  des  charges  auprès 
de  S.  M.  et  achepté  des  tiltres  de  noblesse,  au  moyen  de  quoy  lesdits 
ecclésiastiques  et  nouveaux  annoblis  qui  avoient  coustume  de  porter 
plus  de  la  moityé  desdites  tailles  et  subsistances  s'estant  exemptez  de 
payer,  le  reject  de  leur  cotte- part  s'est  imposé  sur  les  habitans  restans 
qui  sont  la  pluspart  des  artisans  pauvres  et  réduits  a  la  dernière 
nécessité,  lesquels  ne  pouvans,  a  cause  de  leur  indigence,  payer  leur 
part  des  tailles,  le  reste  des  habittans  est  contrainct  de  payer  le  triple 
de  ce  qu'ils  debvroient  contribuer,  ce  qui  va  a  la  ruine  tottalle  de  ladite 
ville,  estant  véritable  que  depuis  l'année  1649  jusques  a  présent  il  n'y 
a  point  eu  de  collecteurs  dans  ladite  ville  qui  n'ayent  esté  ruinez  pour 
la  taille  et  de  qui  on  n'ayt  vendu  le  bien,  ce  qui  augmente  tous  les  ans 
les  non-valleurs  de  7  à  8  000  1.  qu'il  fault  remploier'  sur  le  petit 
nombre  restant  de  contribuables,  sy  bien  qu'es  années  1625,  26,  et  31 
ladite  ville  qui  estoit  remplie  de  grand  nombre  d'habitans  tous  riches 
ne  payoit  pour  lors  que  3,  4  et  5  000  1.,  et  a  présent  qu'elle  est  réduite 
a  fort  petit  nombre  et  presque  tous  artisans  fort  pauvres,  paye  des 
tailles  et  subsistances  chacune  année  plus  de  30  000  1.,  ce  qui  faict  que 
ladite  ville  est  preste  de  tomber  dans  une  entière  desollation...  » 

Le  tarif,  déclarent  enfin  les  habitants,  sera  «  une  voye  plus 
facille,  plus  prompte  et  moins  ruineuse  que  celle  qui  s'est  gardée 
et  observée  jusques  à  présent2  ». 

Pareils  motifs  sont  invoqués  par  les  habitants  de  Vire  : 

«  Les  tailles  et  impositions  et  autres  levées  qui  se  sont  annuellement 
faictes  sur  les  contribuables  aux  tailles  de  ladite  ville  et  fauxbourgs  ont 
esté  sy  extraordinaireraent  augmentées  depuis  quelques  années,  qu'un 
quart  pour  le  moins  desdits  habitans  en  sont  réduits  a  l'extrémité,  un 
autre  quart  s'est  retiré  dans  les  villes  franches,  provinces  ou  parroisses 
moins  chargées,  le  troisième  quart  voyant  que  les  ecclesiasticques  qui 
exemptent  de  subsides  et  protègent  leurs  parens  sont  venus  a  un  sy 
grand  nombre  qu'il  se  trouve  quatre-vingts  prestres  dans  ladite  ville 
et  fauxbourgs  quoyque  ce  ne  soit  qu'une  seulle  parroisse,  par  lequel 
moyen  le  dernier  quartier  desdits  habitans  qui  n'est  composé  que  des 
artisans  se  trouve  sy  prodigieusement  surcharge  d'impositions  qu'ils 
se  trouvent  tous  a  présent  dans  une  misère  universelle  et  commune,  a 
laquelle  il  ne  se  trouve  autre  remède  qu'un  abonnement  a  une  somme 
modicque  de  leurs  impositions  tant  pour  ladite  ville  que  fauxbourgs, 
compris  en  iceux  la  rue  du  Pont  qui  en  faict  une  nottable  partie, 


1.  C'est-à-dire  réimposer. 

2.  Ils  fournissent  des  extraits  de  rôles  montrant  l'accroissement  considérable 
de  leur  taille.  Si  les  chiffres  sont  exacts,  ils  sont  à  la  vérité  impressionnants  : 


1625 2  7231. 

1626 2  548 

1631 3481 


1653 241671. 

1654 27  911 

1655 30  047 


Ils  ajoutent  un  extrait  du  registre  d'écrou  des  prisons  d'Argentan,  du  11  février 
1656,  établissant  que  depuis  1649  <  tous  les  collecteurs  des  tailles  de  ladite  ville 
ont  esté  emprisonnez  a  cause  des  non  valleurs  et  de  l'excès  desdites  tailles  » 
(texte  de  l'arrêt  du  conseil  du  2  août  1656,  A.  D.  S.-inf.  Mémoriaux  de  la  Chambre 
de»  comptes,  1664,  f"  42-49.) 


LES    VILLES    TARIFEES.  397 

laquelle  sera  distraicte  de  la  parroisse  de  Talvande  ou  elle  est  assize 
pendant  ledit  abonnement1.  » 

A  la  suite  de  quoi  l'arrêt  du  Conseil  du  23  mars  1658  leur 
accorde  le  tarif. 

Ceux  de  Coutances  représentent  au  roi,  en  1660,  que  leur  ville 

«  n'est  presque  composée  a  présent  que  d'eclesiasticques  et  reli- 
gieux ou  religieuses  qui  y  sont  au  nombre  de  plus  de  300  tant  en 
l'esglise  cathedralle,  aux  deux  parroisses  de  Sainct  Pierre  et  Sainct 
Nicollas  qu'aux  couvents  de  jacobins,  capucins  et  des  religieuses  hos- 
pitallieres  et  bénédictines,  le  reste  de  ladite  ville,  qui  est  de  très  petite 
estendue  ne  se  réduisant  après  cela  qu'a  un  très  petit  nombre  de 
peuple,  est  remplye  de  personnes  qui  ont  cherché  l'exemption  des 
tailles  par  l'achapt  des  charges  et  offices  ausquels  S.  M.  a  accordé 
privilèges  et  exemptions,  de  manière  qu'il  ne  reste  en  ladite  ville  que 
de  simples  et  pauvres  gens  de  mestier  comme  artisans  et  maneuvres 
qui  sont  réduits  a  la  dernière  misère  et  qui  seuls  sont  maintenant 
subjects  a  la  taxe  et  cottisation  desdites  tailles  et  autres  impositions 
et  qui  se  trouvent  redebvables  des  années  dernières  de  sommes  sy 
grandes  et  sy  nottables  qu'une  bonne  partie  des  collecteurs  ont  esté 
contraincts  de  s'enfuir  et  de  s'absenter  faute  de  n'avoir  peu  lever 
recueillir  et  payer  leurs  cottes  et  impositions,  voyans  les  autres 
collecteurs  qui  les  ont  presedez  dans  lesdites  charges  périr  misérable- 
ment dans  les  prisons  2  ». 

Ceux  de  Condé  sur  Noireau  se  plaignent  d'être  surtaxés  par  la 
malveillance  des  élus  de  Vire,  qui  «  contribuent  de  tout  leur 
pouvoir  a  leur  faire  porter  le  plus  qu'ils  peuvent  des  tailles  et 
autres  subsides  qui  s'imposent  annuellement  en  ladite  eslection  »  ; 
ainsi  «  ils  sont  accablez  et  réduits  à  la  dernière  nécessité,  qui 
les  obligera  sans  doubte  d'abandonner  le  pays  s'il  ne  leur  est 
sur  ce...  pourveu  » 3. 

Ceux  de  Saint-Lô,  à  ces  mêmes  doléances  sur  la  multiplication 
des  exempts,  la  ruine  du  commerce  et  la  désertion  des  contri- 
buables, ajoutent  que  le  rétablissement  du  privilège  des  mon- 
nayeurs  met  le  comble  à  leurs  maux  :  ces  officiers,  au  nombre 
de  vingt-six,  «  tous  les  principaux  plus  riches  et  accomodez 
de  ladite  ville,  estans  deschargez  et  les  pauvres  taillables 
demeurans  chargez  de   leurs  impositions  avec  plus  de   cinq    à 

1.  Texte  dans  les  Mémoriaux  de  la  Chambre  des  comptes,  27  mars  1670.  Cette 
dernière  date  est  celle  de  l'enregistrement  à  la  Chambre;  mais  on  n'attendit  pas 
l'enregistrement  pour  établir  le  tarif  :   il  fut  appliqué  dès  1659. 

2.  Arrêt  du  Conseil  du  21  juillet  1660,  et  let.  pat.  du  3  juillet  1662,  enregistrées 
à  la  Chambre  des  comptes  le  30  janvier  1663.  (A.  D.  S.-Inf.  Mémoriaux,  1663, 
fos  5  à  9.) 

3.  Plumitif  du  Bur.  des  fin.  de  Caen,  1661.  (A.  D.  Calv.).  Il  est  à  noter  que 
si  la  surcharge  due  à  la  malveillance  des  élus  était  la  seule  cause  des  plaintes 
des  habitants,  il  aurait  suffi,  pour  les  satisfaire,  de  les  taxer  directement  dans 
les  commissions.  —  D'après  la  même  requête  la  taille  de  la  ville  était  passée  de 
3  356  1.  en  1652  à  7  671  1.  en  1661. 


;j.is  la   taille    en   NOItMANDIE. 

six  mil  livres  de  pertes  qu'ils  ont  soufertes  par  la  mutation  de 
domicilies  de  grand  nombre  desdits  habitans  et  changement 
d'octroy  de  l'année  présente,  il  n'est  pas  possible  que  les 
deniers  des  tailles  et  autres  impositions  puissent  estre  levés 
en  la  forme  et  manière  accoustumée,  puisqu'il  ne  se  peut  plus 
trouver  de  collecteurs  solvables,  n'ayant  pu  jusques  a  présent 
en  avoir  d'asseurez  pour  l'année  présente,  le  Conseil  et  la 
Cour  des  aides  de  Normandie  estans  remplis  de  procez  en 
préférence  d'assiette  qui  causent  un  retardement  notable  aux 
deniers  de  S.  M.  et  une  misère  et  perte  inévitable  a  tous  les 
suplians  *.  » 

Peut-être  les  motifs  invoqués  dans  ces  placets  sont-ils  plus 
spécieux  que  réels;  on  trouve  en  effet  des  requêtes  qui  sont 
textuellement  copiées  les  unes  sur  les  autres  :  ainsi  celle 
d'Avranches2  est  la  reproduction  exacte  de  celle  de  Saint-Lô; 
et  les  ressemblances  entre  les  autres  ne  sont  pas  moins  inquié- 
tantes; à  la  vérité,  les  habitants  songeaient  surtout  à  obtenir 
la  faveur  tant  désirée  3;  comment  s'étonner  qu'ils  aient,  pour 
gagner  leur  cause,  exagéré  leur  misère?  Cependant  nous  avons 
parfois  des  témoignages  sérieux  qui  confirment  leurs  dires  : 
tel  est  le  cas  pour  Carentan  en  1684  :  l'intendant,  consulté 
sur  les  allégations  contenues  au  placet,  affirme  que  le  com- 
merce de  la  ville  est  ruiné  :  depuis  1650,  le  canal  qui  per- 
mettait aux  bâtiments  de  mer  de  remonter  jusqu'à  la  ville  est 
ensablé,  si  bien  qu'  «  il  n'y  a  plus  de  gros  marchands;  la 
ville  est  pauvre  et  presque  déserte,  en  sorte  qu'elle  ne  paie 
présentement  que  5  500  1.  de  taille,  quoiqu'elle  en  ait  paie 
jusques  à  18  000  *  »  ;  ces  faits  sont  d'ailleurs  confirmés  par  les 
tableaux  d'impositions  do  la  ville1. 

Généralement,  les  villes  payaient  la  concession  d'un  tarif. 
Non  seulement  elles  devaient  acheter  l'appui  d'un  personnage 
influent  qui  faisait  parvenir  leur  requête  au  Conseil,  mais  le 
roi  lui-même  mettait  des  conditions  à  ses  grâces  :  c'est  ainsi 
que  beaucoup  de  manufactures  et  de  travaux  publics  furent 
imposés    à  des    localités.    En    1667,  on    ne    promet  un  tarif  à 


1.  Arrêt  du  Conseil  du  13  août  1661,  (A.  D.  S.-inf.,  Mémoriaux  de  la  Cour  des 
Aides,  13  août  1661,  t.  XL,  f  223-22S). 

2.  Arrêt  du  conseil  du  2S  juillet  1667,  (ibid.,  t.  XL1I,  f  185-191). 

3.  En  1663,  les  habitants  de  Suint-LÔ  députent  deux  de  leurs  échevins  vers  les 
villes  de  Vire,  Condé,  Falaise  et  Gaen,  qui  ont  des  tarifs,  «  pour  s'informer  aux 
esche  vins  des  dites  villes  des  moyens  dont  ilz  s'estoient  servis  pour  l'establisse- 
ment  dudit  tarif  ».  (A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances,  liasse  des  états  au  vrai  du 
tarif  de  Saint-Lô,  1663.) 

■'«.  A.  N.  G^  213,  lettre  du  1"  juillet  1685. 

.).  Ea  1661,  elle  paye  11  'J26  liv.  de  taille  ;  en  1663,  8  000  L,  en  1683,  4  000 1.  Il  est 
vrai  qu'une  autre  cause,  non  mentionnée  par  l'intendant,  de  cette  ruine  est  le 
grand  incendie  de  167;)  qui  détruisit  environ  500  maisons  de  la  ville.  —  Cf.  une 
requête  des  habitants  au  Bureau  des  finances  de  Caen,  en  1623,  pour  demander 
une  diminution  de  taille.  (A.  D.  Calv.  Bur.  des  fin.) 


LES    VILLES    TAIUFEES.  399 

Carentan  que  si  les  habitants  s'engagent  à  aménager  leur  port 
et  à  armer  des  navires  :  «  Je  leur  ai  faict  entendre,  écrit  l'inten- 
dant à  Colbert,  que,  comme  cette  grâce  estoit  fondée  sur  les 
assurances  qu'ils  avoient  donné  de  restablir  le  commerce  dans 
leur  ville,  je  ne  consentirois  point  à  l'exécution  [de  l'arrêt  qui 
accorde  le  tarif]  jusques  a  ce  que  je  fusse  assuré  qu'ils  feroient 
construire  quatre  vaisseaux  marchands,  deux  de  70  tonneaux 
et  au-dessus,  et  deux  de  30  et  au-dessus;  j'ay  parolle  des  deux 
premiers;  je  m'y  rendrai  jeudi  pour  terminer  cette  affaire  et  les 
faire  travailler  au  nettoiement  de  leur  port1  ».  Les  travaux  ne 
sont  pas  exécutés  complètement,  et  la  concession  n'a  pas  lieu  : 
on  vient  de  voir  que,  dix-sept  ans  après,  les  habitants  renou- 
velaient leurs  instances  sur  de  nouveaux  frais.  La  même  année, 
les  habitants  de  Bayeux  ayant  demandé  la  même  faveur2,  l'in- 
tendant appuie  leur  placet  en  faisant  valoir  d'une  part,  que 
«  la  plus  grande  partie  [de  la  ville]  est  composée  d'ecclésias- 
tiques, nobles,  et  gens  de  justice,  et  les  habitans  qui  ont  quel- 
ques facultez  pour  se  mettre  a  couvert  de  la  taille,  au  lieu  de 
s'addonner  au  commerce  et  eslever  leurs  enfans  dans  le  trafic, 
les  font  instruire  pour  estre  dans  la  pratique,  ce  qui  faict 
qu'elle  est  toute  remplie  de  chicanneurs  qui  oppriment  les  pau- 
vres de  la  ville  et  de  toute  l'estendue  de  l'élection  »  ;  que  d'autre 
part,  «  ils  ont  très  heureusement  commencé  les  establissements 
de  manufactures  de  sarges,  ratines,  cottons  et  bas  d'Angle- 
terre3 ».  Ces  arguments  ne  furent  d'ailleurs  pas  jugés  suffisants 
par  le  conseil  et  le  tarif  ne  fut  pas  accordé  :  c'est  seulement  en 
juin  1704,  par  l'intervention  de  Foucault,  qu'il  sera  établi*. 

Ces  exemples  montrent  qu'il  n'était  pas  facile  d'obtenir  un 
tarif.  Les  formalités  à  remplir  étaient  nombreuses  et  coûteuses  : 
quand  le  placet  était  rédigé,  il  fallait  le  porter  au  Conseil;  un 
échevin,  quelquefois  deux,  étaient  députés  à  cet  effet;  leur  séjour, 
qui  durait  plusieurs  semaines,  était  aux  frais  de  la  ville.  L'arrêt 
obtenu,  il  fallait  le  faire  enregistrer  dans  les  cours  et  tribunaux 
intéressés  :  Cour  des  Aides,  Chambre  des  comptes,  Bureau  des 
finances 5,  Election  :  chaque  enregistrement  coûtait  plusieurs 
centaines  de  livres.  Le  bourg  de  Condé-sur-Noireau  dépensa 
1000    1.    pour  obtenir  son  tarif6;    Coutances    1127    1. 7;    Vire, 

1.  Chamillart  à  Colbert  12  sept.   1667  (M.  C.  145,  f°  109). 

2.  Le  placet,  non  daté  (M.  C.  146,  f°s  276-77)  porte  au  dos,  de  la  main  de  Colbert  : 
«  Escrire  a  M.  Chamillart  sur  ce  placet  ».  —  11  fut  apporté  à  Paris  par  un  député 
de  la  ville. 

3.  Chamillart  à  l'intendant  des  finances  M^rin,  8  août  1667.  (M.  C.  14'»,  f°  503).   . 

4.  Mémoires  de  Foucault,  p.  par  Baudry,  p.  357. 

5.  L'enregistrement  de  l'arrêt  du  3  février  1661  pour  le  tarif  de  vin,  ou  Bureau 
des  finances  de  Caen  coûta  666  1.  (Plumitif  1660,  f°  2S2  et  1662  f°  53). 

6.  Exactement  1  008  1.  3  s.  9  d.,  d'après  l'Etat  au  vrai  du  tarif  de  Condé, 
année  1662.  (A.  D.  Calv.,  Bur.  des  finances). 

7.  Exactement  1 127  1.  10  s.  10  d.  (Etat  au  vrai  du  tarif  de  Coutances,  1668, 
lbld.) 


|Q0  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

6600  l.1;  Saint-Lô,  11173  L*.  Parfois,  des  procès  étaient 
soulevés  par  l'application  du  nouveau  régime,  et  accroissaient 
grandement  les  frais. 

Les  villes  avaient  aussi  à  vaincre  l'opposition  systématique 
des  cours  et  tribunaux.  Ainsi,  à  Saint-Lô,  l'Election  formule 
contre  le  tarif  des  objections  de  toutes  sortes  à  la  Cour 
des  aides*,  qui  prescrit  une  enquête  et  n'enregistre  l'arrêt 
qu'au  bout  Je  deux  ans  et  demi,  le  3  décembre  1663;  la 
Chambre  des  comptes  en  fait  de  même  et  n'enregistre  que  le 
27  février  1663  *.  Pour  Falaise,  il  y  eut  une  véritable  lutte  entre 
la  Cour  des  aides  et  le  Conseil  :  lorsque  les  habitants  présen- 
tèrent à  la  Cour  pour  le  faire  enregistrer  l'arrêt  du  Conseil  du 
5  février  1658  qui  autorisait  la  levée  sans  limite  de  temps,  la 
Cour,  par  ses  arrêts  des  24  juillet  1658  et  24  mars  1659  n'en 
ordonna  l'application  que  pour  trois  ans;  le  Conseil  rendit 
alors,  le  24  juin  1660,  un  nouvel  arrêt  ordonnant  l'exécution 
intégrale  du  premier,  mais  la  Cour  n'en  tint  aucun  compte, 
et,  le  10  novembre  1661,  considérant  que  les  trois  années  étaient 
expirées,  elle  enjoignit  aux  habitants  de  cesser  la  levée  ou  de 
faire  renouveler  leur  privilège.  Il  fallut  pour  en  finir  une  nou- 
velle requête  de  la  ville  au  roi  et  un  nouvel  arrêt  du  conseil, 
qui,  le  3  août  1662,  ordonna  la  levée  «  jusqu'à  ce  qu'autrement 

ar  S.  M.  en  ait  esté  ordonné  »,  et  la  Cour  des  Aides  mit  encore 

ix  mois  à  l'enregistrer5. 


S 


L'arrêt  de  concession  du  tarif  spécifiait  les  marchandises 
imposables  et  le  montant  des  droits.  La  liste  ou  «  pancarte  » 
de  ces  droits  variait  avec  les  villes.  Voici,  par  exemple,  le  début 
du  tarif  de  Saint-Lô6  : 

Acier,  fer  en  barre,  costes  ou  verguillon  entrant  audit  Saint-Lô 

ou  fauxbourgs  d'icelluy,  le  cent  pesant  payera 8  s. 

Plus  ou  moing  a  proportion. 

Airain,  cloches,  clochettes,  mortiers  de  fonte,  poisserie,  foiron- 

1.  A.  D.  Calv.  Plumitif  du  Bureau  des  fin.  1662,  f°  17. 

2.  D'après  les  états  au  vrai  du  tarif  de  la  Tille,  années  1662,  1663,  1664  et  1665. 
(A.  D.  Calv.,  Bur.  des  finances.)  Voici  le  détail  de  quelques  frais  :  Voyage  du 
procureur-syndic  et  d'un  échevin  à  Paris,  2  600  1.  Autres  voyages  à  Caen,  250  1. 
Autre  voyage  ù  Rouen,  540  1.  Frais  de  procès  au  Grand  Conseil,  2  382  1.  Enquête 
sur  place  de  la  Cour  des  Aides,  1  120  1.  Epices  d'arrêts  ù  la  Cour  des  Aides, 
564  1.;  id.,  au  Bureau  des  finances  et  à  l'Election,  367.  Démarches  faites  à  Paris 
en  1675  «  pour  poursuivre  le  restablissement  dudit  tarif,  qui  avoit  esté  revocqué 
par  arrest  du  Conseil  du  19  aoust  1665  »,  2  580  1.;  etc. 

3.  A.  D.  S.-Inf.  Registres  du  conseil  de  la  Cour  des  Aides,  à  la  date  du  16  jan- 
vier 1662. 

4.  Le  Bureau  des  finances  de  Caen  tracasse  également  les  habitants  de  Saint-Lô 
en  les  sommant  à  diverses  reprises  de  présenter  les  pièces  en  vertu  desquelles 
ils  lèvent  leur  tarif,  ce  que  les  échevins  ont  peine  à  faire  (Plumitif  du  Bur.  des 
finances  de  Caen  1662,  f  14,  30,  et  59.) 

5.  Mémoriaux  de  la  Cour  des  Aides,  t.  XL,  f°*  191-192,  enregistré  le  30  mai  1663. 

6.  A.  D.  S.-Inf.  Mémoriaux  de  la  Cour  des  Aides,  t.  XL,  f°  224.  Cf.  Notices, 
mémoires  et  documents  de  la  Société  d'asriculture  de  la  Manche,  année  1889, 
p.  1-10.  ° 


LES    VILLES    TARIFEES.  401 

nerie  et  chaudronnerie  establis  es  foires  et  marchez  de  ladite 

ville,  la  charge  payera 60  s. 

Aisserie  et  solliveaux  de  bois  de  chesne,  le  cent  en  nombre  payera.  30  s. 

Aisserie  de  hestre,  le  cent  en  nombre  payera 30  s. 

Allun   de  Rome,  d'Angleterre  et  d'ailleurs,  le  cent  pesant  payera  20  s. 
plus  ou  moings  a  proportion. 

Avranches,  qui  a  copié  le  texte  de  la  requête  de  Saint-Lô, 
adopte  un  tarif  différent,  dont  voici  également  le  début1  : 

Acier,  fer  en  barre,  coste  ou  verguillon,  le  cent  pesant 10  s. 

Cloches  et  clochettes  de  fonte...,  le  cent  pesant 30  s. 

Bœufs  vivans  venans  aux  foires  et  marchez  exposez  en  vente  sur 

le  pied,  chaque  bœuf  gras  ou  maigre 3  s. 

Beurre  (rais  et  salé  au  net,  la  livre • 3  d. 

Beurre  salé  en  pot,  compris  le  port,  le  cent  pesant 15  s. 

Bois  à  brûler,  la  charge  de  cheval,  par  chaque  fagot 1  d. 

Cire  jaune,  le  cent  pesant 50  s. 

Cire  blanche,  le  cent  pesant 60  s. 

Chapeaux  fabriqués  en  ladite  ville  et  bourgeoisie  d' Avranches,  la 

douzaine 12  s. 

Et  les  marchands  ou  chappelliers  et  bourgeois  qui  apporteront 
les  sortes  de  chappeaux  cy-dessus  spéciffiez  [il  y  en  a  4  sortes] 
seront  teuuz  en  faire  leur  déclaration  au  bureau  du  nombre  et 
quantité  pour  y  aposer  la  marque  du  tarif,  a  peyne  de  confisca- 
tion, et  ne  s'en  poura  faire  aucune  vente  d'iceux  qu'ils  ne  soient 
marquez  dudit  tarif  a  peine  de  confiscation. 
Etain  ouvré,  le  cent  pesant 50    s. 

Les    étaimiers    du    lieu    devront  faire  marquer  le  leur,   parce 
qu'ils   seront  exempts  de  droits;  les  horsains  payeront  d'entrée      50   s. 
à  peine  de  confiscation. 

Petun  de  toutes  sortes,  le  cent  pesant 50    s. 

Vaches  et  genissons  exposés  en  vente,  par  pièce 18  d. 

L'aune  de  toile  entrant  ou  sortant2 6  d. 

L'aune  de  bazin,  coutil,  serinettes,  doubliers,  entrés  en  la  ville  ou 

sortant 6  d. 

La  charge  de  mercerie  [200  1.  pesant]  compris  toiles  de  Hollande, 

baptiste  de  Laval,  Bretagne  et  draperie  velours  satin  12  1.  ou 

plus  ou  moins  [ad  valorem]. 
La  pièce  de  frize,  frocquebare  de  Vire.  La  pièce  estimée  20  aulnes.     10  s.  1/2 
La  charge  de  bas  de  laine  passant  en  la  ville  et  non  débitée  .    .         2    s. 

Il  est  difficile  de  démêler  si  ces  droits  étaient  calculés  pour 
protéger  l'industrie  urbaine  ou  simplement  pour  produire  le 
plus  facilement  possible  des  revenus  au  Trésor.  Probablement 
les  deux  préoccupations  se  mêlaient.  La  taxe  de  1  s.  par  chapeau 
fabriqué  à  Avranches  ne  peut  guère  être  regardée  que  comme 
une  mesure  fiscale;  de  même  les  taxes  sur  le  beurre,  le  bois,  le 
tabac;  par  contre,  l'exemption  du  droit  de  50  s.  par  100  liv. 
pesant  sur  l'étairi,  accordée  aux  «  étaimiers  »  du  lieu  a  un 
caractère  protectionniste.  Il  était  naturel  que  Colbert  eût  la 
préoccupation  de  favoriser  par  ces  droits  les  industries  des  villes 

1.  A.  D.  S.-inf.,  Mémoriaux  de  la  Chambre  des  comptes,  1663,  f°  5.  Cf.  le  tar'""  f 
d'Elbeuf,  1708,  dans  Maille,  Recherches  sur  Elbcuf,  I,  p.  270  et  514;  celui  ^e 
Pontoise,  1707,  B.  N.  Lf8*,  11;  celui  d'Aumale  dans  Auger,  Traité  des  taille  s..., 
t.  III,  p.  2379. 

2.  Les  tisserands  «  seront  tenus...  bailler  déclaration  au  bureau  qui  sera  estably 
pour  la  recette  des  droits  dudit  tarif  du  nombre  et  quantité  desdites  toiles,  cou- 
ils...  qu'ils  fabriqueront  et  façonneront.  » 

LA     TAILLE    EN    NORKAIvDlE.  2\> 


hoi  LA    TAIt.I.K    i:N     XOHMAXf)IE. 

tœuraellei   il  accordait    !«■  airif  préôîiément  en  raison   de  leur 
application  au  oommeroa  ou  aux  manufactures. 

Lf  perception  du  tarif  était  affermée,  comme  celle  des  octrois. 
Chaque  année,  ou  tous  les  deux  ans,  quelques  jours  avant  le 
commencement  de  l'exercice1,  on  procédait  à  l'adjudication 
«  avec  les  solennités  a  ce  requises  »,  a  la  maison  de  ville,  en 
présence  des  maires  et  échevins,  et  d'un  ou  plusieurs  élus2; 
l'intendant  y  assistait  quand  il  jugeait  à  propos,  parce  qu'il 
s'agissait  des  deniers  du  roi.  Chaque  article  du  tarif  était  mis 
aux  enchères  séparément,  et  adjugé  «  au  plus  offrant  et  dernier 
enchérisseur  »  :  ainsi  il  arrivait  que  les  droits  d'une  seule  ville 
fussent  affermés  à  vingt,  trente  personnes  différentes.  Le  tarif 
de  Caen  pour  1661,  comprenant  29  articles,  est  affermé  en 
28  baux;  celui  de  Saint-Lô,  en  1662,  l'est  à  30  personnes,  en 
39  baux;  celui  de  Coutances,  en  1661  et  1662,  en  59  baux,  et 
les  années  suivantes  en  un  seul  bail.  Il  n'est  pas  rare  qu'un 
individu  prenne  séparément  un  bail  montant  à  10  ou  15  1.  Mais 
si,  après  les  adjudications  partielles,  un  particulier  offre  de 
mettre  une  «  renchère  »  sur  le  total,  il  devient  seul  adjudica- 
taire. On  devine  quelles  difficultés  devait  entraîner  cette  multi- 
plicité de  fermiers  pour  la  perception  des  droits.  Sans  doute 
ils  s'entendaient  entre  eux  pour  nommer  des  receveurs  communs, 
mais  que  devait-il  résulter  de  leur  désaccord? 

Chaque  adjudicataire  devait  fournir  caution3;  il  n'était  pas 
tenu  d'être  bourgeois  de  la  ville. 

Tout  le  produit  du  tarif  devait  être  employé  au  paiement 
de  la  taille.  Les  villes  ne  pouvaient  en  prélever  la  moindre 
partie  pour  leurs  dépenses  municipales;  elles  n'avaient  donc 
pas  intérêt  à  faire  monter  le  prix  de  l'adjudication,  aussi  les 
pots-de-vin,  les  accords  secrets,  les  tricheries  de  toute  sorte 
étaiènt-ils  impunément  pratiqués.  Seuls  les  intendants  inter- 
venaient pour  les  empêcher;  nous  en  avons  connaissance  par 
leurs  rapports.  En  1673,  Michel  Colbert  découvre  à  Falaise 
«  quelque  monopole  qui  s'est  practicqué...  pour  empescher  que 
ledict  tarif  n'allast...  à  son  prix*  ».   En    1672,    sa  présence  à 


t.  La  date  du  commencement  de  Tannée  fiscale  variait  d'une  ville  a  l'autre  :  ù 
Coutances,  à  Caen  c'était  le  1"  janvier,  mais  à  Condé-sur-Noireau  et  à  Avranches 
c'était  le  1"  octobre,  à  Vire,  le  28  janvier;  à  Saint-Lô  ce  fut  le  1"  mars  jusqu'en 
1669,  et,  à  partir  de  1670,  le  1"  janvier. 

2.  A  Saint-Lô,  bien  que  cette  condition  ne  fût  énoncée  dans  l'arrêt  d'institution  du 
tarif,  nous  voyons  qu'en  1662  l'adjudication  fut  faite  devant  le  lieutenant  civil  et 
le  lieutenant  criminel  du  bailliage  (Etat  au  vrai  du  tarif  de  la  ville,  1662.) 

3.  A  Saint-Lô,  en  1665,  le  sieur  Bossard,  adjudicataire  d'une  partie  des  droits 
moyennant  7501.,  ne  pouvant  fournir  caution,  la  ferme  lui  est  retirée,  et  «  rebannie 
à  Gilles  Goret  »,  cette  fois  moyennant  660  1.  (A.  D.  Calv.  Bur.  des  fin.,  Etat  au 
vrai  du  tarif  de  Saint-Lô,  1665.) 

'«.  Lettre  ù  Colbert,  9  oct.  1673  (M.  C.  166,  f°  68). 


LES    VILLES    TARIFEES.  403 

l'adjudication  du  tarif  d'Argentan  avait  fait  monter  les  enchères 
à  1000  1.  de  plus  que  l'année  précédente1  :  De  Marie  avait  déjà 
fait  augmenter  ce  tarif  de  8000  liv.  en  16682,  et  de  Morangis, 
en  1678,  le  fera  monter  de  2  600  1.,  jusqu'à  29200  L*.  Le 
30  juin  1684,  le  même  de  Morangis  écrira  :  Le  tarif  de  Vire 
«  n'estoit  qu'a  18  000  1.  les  années  précédentes;  mais  comme 
j'ai  suprimé  tous  les  pots-de-vin  que  les  adjudicataires  avoient 
acoutumé  de  donner,  il  a  monté  par  l'adjudication  que  je  fis  au 
mois  d'octobre  dernier  jusques  a  22  000  I.*  ».  A  l'adjudication 
du  tarif  de  Saint-Lô  pour  les  années  1669  et  1670,  faite  le 
26  février  1669,  devant  les  officiers  de  l'Election,  il  fut  «  procède 
à  la  réception  des  enchères  et  rencheres,  mesme  a  l'adjudica- 
tion d'icelles  en  particulier  »,  c'est-à-dire  en  détail,  article  par 
article;  le  total  des  enchères  montait  à  26577  1.  10  s.;  mais 
la  ferme  générale  des  Aides  de  France,  représentée  par  un 
procureur,  ayant  offert  sur  l'ensemble  une  l'enchère  de  2000  1., 
on  recommença  l'adjudication  le  lendemain,  et  les  fermiers  des 
Aides  l'obtinrent  pour  46000  1.  Leur  intervention  avait  donc 
rapporté  195001.  au  Trésor3. 

Par  ces  mesures,  et  peut-être  aussi  par  l'accroissement  de  la 
consommation  des  villes,  les  prix  d'adjudication  ne  cessèrent 
de  s'accroître,  de  1661  à  1683,  quoique  les  pancartes  des  tarifs 
n'eussent  pour  la  plupart  pas  changé.  Le  tableau  suivant  donnera 
une  idée  de  cet  accroissement  : 

Avrancbes en  1669  8175  1.  en  16S3  10  780  1. 

Saint-Lô 1663        28  532  1.  —  33  015  1. 

Goutances !  i2»    UToo  i:  i   -      l4239  L  lo  s- 

Condé  s.  Noireau.   .  1662  6  000  1.  1683  6  770  1. 

Vire 1663        16  030  1.  1684  22000  1. 

Ainsi  le  fisc  trouva,  dans  les  villes  tarifées,  un  supplément 
de  revenu  sans  aggraver  les  charges  des  contribuables.  Ce 
fut  un  des  heureux  résultats  de  l'administration  nouvelle. 

Dans  la  réglementation  du  tarif,  c'était  une  grosse  question 
de  savoir  si  les  exempts  de  taille  devaient  ou  non  payer  les 
droits.  Le  principe  ne  faisait  pas  de  doute,  ainsi  que  l'explique 
Foucault  au  contrôleur  général  le  15  décembre  1696  :  «  Il  est 
certain  que  le  tarif  n'est  qu'une  taille  commuée,  et  qu'au  lieu  de 

1.  26  600  1.   au  lieu  de  25  600  :  lettre  à  Golbert,  26  nov.  1673,   Clairamb.,  793 
p.  803. 

2.  Lettre  à  Colbert,  12  nov.  1668,  M.  G.  149,  f°  406. 

3.  Lettre  à  Golbert,  22  août  1678  (A.  Nat.,  G7,  71).  Il  avait  fait  une  adjudication 
précédente  pour  26  700  1.  (lettre  du  14  août,  ibid.) 

4.  A.  Nat.,  G?  213. 

5.  D'après  l'Etat  au  vrai  du  tarif  de  Saint-Lô,    année  1669.  (A.    D.  Calv.,  Bur. 
des  finances.) 


|0|  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

la  lever  sur  les  contribuables  d'une  ville,  on  la  perçoit  sur  les 
denrées  qui  y  entrent,  en  sorte  que  les  privilégiés  pour  la  taille 
le  sont  aussy  pour  le  tarif1  ».  Mais  en  pratique,  les  villes,  pour 
des  raisons  diverses,  n'avaient  pas  toutes  suivi  la  règle.  On 
peut  les  ranger  à  cet  égard  en  trois  groupes. 

Le  premier  comprend  les  villes  où  le  principe  est  rigoureu- 
sement appliqué.  A  Coutances,  où  cependant  la  multiplicité  des 
exempts  avait  été  le  grand  motif  invoqué  pour  obtenir  le  tarif, 
y  li  s  ecclésiastiques,  nobles  et  privilégiés  »  ne  sont  pas  «  tenus 
du  payement  dudit  tarif,  pour  la  provision  de  leur  maison  seu- 
lement, à  la  charge  qu'ils  ne  commettront  aucun  abus2  ».  — 
Pour  Vire,  où  les  let.  patentes  du  23  mars  1658  portent  que  les 
droits  seront  levés  «  sur  tous  lesdits  habitans,  privillegiez  et 
non  privillegiez  3  »,  la  Chambre  des  comptes,  dans  son  arrêt 
d'enregistrement,  a  inscrit  cette  réserve  que  les  «  privillegiez 
demeurans  dans  ladite  ville  et  fauxbourgs  de  Vire...  demeu- 
reront exempts  de  la  contribution  dudit  tarif  suivant  et  confor- 
mément à  l'usage  de  la  province4  ».  Pour  Argentan,  les  lettres 
patentes  ne  parlant  pas  des  exempts,  la  Chambre  dans  son  arrêt 
d'enregistrement  introduit  la  même  exception5.  A  Avranches, 
l'arrêt  du  Conseil  du  28  juillet  1667  stipule  que  «  les  gen- 
tilshommes, officiers  et  esleus6  [les  ecclésiastiques  sont  évidem- 
ment sous-entendus]  seront  tous  exempts  de  payer  le  tarif  pour 
les  provisions  qu'ils  feront  apporter  des  champs  et  consom- 
meront eux-mesmes  »;  ils  seront  tenus,  sous  peine  de  déchéance, 
d'en  faire  la  déclaration  au  bureau  du  tarif  «  et  sans  fraude  »7. 
A  Alençon,  jusqu'en  1665,  les  privilégiés  étaient  exonérés  des 
droits  pour  les  marchandises  de  leur  consommation  ;  mais  à 
cette  date,  les  fermiers  se  mirent  a  les  faire  payer;  les  tréso- 
riers de  France  s'en  plaignirent  à  Colbert,  demandant  le  main- 
tien des  exemptions8;  mais  à  ce  moment  —  et  peut-être  cette 
requête    n'est-elle    pas    étrangère    au   changement,  —  le    tarif 

1.  De  lioislisle,  Correspondance  des  contrôleurs  généraux,  t.  I,  n*  1579. 

2.  Arrêt  du  Conseil  du  21  juillet  1660,  (A.  D.  S.-Inf.,  Mémoriaux  de  la  Chambre 
des  comptes,  1663,  f»  9.) 

3.  La  Chambre  des  comptes  de  Normandie  déclare  que  c'est  en  effet  •  l'usage 
de  la  province  ».  (Arrêt  du  27  mars  1670,  dans  les  Mémoriaux.) 

k.  Arrêt  du  27  mars  1670. 

6.  Ibid.,  année  1664,  f>  49.  Cependant  les  ecclésiastiques  de  la  ville,  réunis  en 
assemblée  le  6  janvier  1655,  avaient  déclaré  consentir  ù  payer  les  droits,  «  attendu 
la  grande  pauvreté  de  ladite  ville  »,  mais  le  conseil  n'avait  pas  tenu  compte  de 
cet  engagement  (ibid.,  f  48). 

6.  La  Chambre  des  comptes,  lors  de  l'enregistrement,  le  19  janvier  1673,  dit  : 
«  les  ecclésiastiques,  nobles  et  officiers  des  compagnies  souveraines  et  autres 
ayans  tiltres  ».  (Mémoriaux,  à  sa  date.) 

7.  A.  D.  S.-lnf.  B  89,  F  15. 

8.  Ceci  est  an  exemple  du  peu  d'attachement  des  officiers  au  service  du  roi  :  les 
vf**°"er8  Seneraux.»  T"  80nt  chargés  de  défendre  les  intérêts  du  trésor,  devraient 

chercher  ù  multiplier  le  nombre  des  contribuables;  ils  demandent  au  contraire 
[accroissement  du  nombre  des  exempts.  (Voir  leur  placet  ù  Colbert  dans  M.  C.  129, 
f"  315-16.)  r 


LES    VILLES    TARIFÉES.  405 

de  la  ville  fut  réuni  à  la  ferme  des  aides1,  et  la  difficulté  se 
trouva  résolue  :  seuls  les  exempts  d'aides  furent  désormais 
exempts  du  tarif. 

Une  seconde  catégorie  est  formée  par  les  villes  où  personne 
n'est  exempt.  Les  lettres  patentes  du  tarif  de  Condé-sur-Noireau 
stipulent  que  l'imposition  portera  «  sur  tous,  privilégiez  et  non 
privilégiez 2  »  ;  à  Saint-Lô,  les  habitants  demandaient  l'exemp- 
tion pour  les  ecclésiastiques,  les  gentilshommes  et  les  élus,  mais 
le  roi  rejeta  cette  exception.  Il  n'est,  toutefois,  pas  sûr  que,  dans 
la  pratique,  on  ait  réellement  soumis  aux  droits  tous  les  privi- 
légiés de  ces  villes.  Ainsi  en  1663,  une  ordonnance  de  l'inten- 
dant prescrit  le  remboursement  d'une  somme  de  47  1.  5  s. 
perçue  par  le  fermier  du  tarif  de  Saint-Lô  pour  l'entrée  de  la 
viande  de  bœuf,  veau  et  mouton  «  que  Pierre  de  Maizeray 
fournit  pour  la  provision  du  sieur  de  Matignon3  ».  Pareillement, 
les  ecclésiastiques  furent  sans  doute  exonérés  des  droits  :  dans 
un  placet  à  Colbert,  les  fermiers  des  octrois  de  Rouen  font 
observer  qu'  «  en  toutes  les  villes  où  il  y  a  des  octrois,  soit 
pour  l'exemption  des  tailles  ou  autres  causes,  les  ecclésiastiques 
paient  comme  les  autres  habitans  4  ». 

Enfin  il  est  des  villes  où  la  situation  des  privilégiés  varia 
avec  les  années.  A  Caen,  en  1660,  une  sentence  du  Présidial 
ayant  exempté  du  tarif  le  sieur  Malherbe,  conseiller  audit 
Présidial,  un  arrêt  du  Conseil  intervint  non  seulement  pour 
casser  la  sentence,  mais  pour  déclarer  que  le  tarif  était  appli- 
cable à  «  toutes  sortes  de  personnes,  ecclésiastiques,  nobles  et 
autres,  exempts  et  non  exempts,  privillegiez  et  non  privillegiez, 
sans  exception5  ».  Mais  en  1665  un  nouvel  arrêt  intervient  pour 
modifier  ce  régime;  il  y  est  stipulé  que  tous  indistinctement 
seront  dispensés  de  droits  «  pour  les  cidres  provenant  des 
fruits  qui  croistront  dans  les  jardins  et  enclos  de  leurs  maisons 
de  la  ville,  sy  ce  n'est  qu'ils  les  vendent  en  détail  et  a  pot  »;  en 
outre,  certaines  maisons  religieuses  sont,  à  titre  individuel, 
plus  ou  moins  favorisées  :  les  religieux  mendiants  ne  payent 
rien;  les  religieux  de  Sainte-Croix  auront  l'exemption  pour 
4  muids  de  vin  et  30  muids  de  cidre  par  an6;  les  Capucins, 


1.  Cf.  ci-dessus,  p.  268. 

2.  Lettres  patentes  du  31  mars  1661,  citées  ci-dessus. 

3.  Etat  au  vrai  du  tarif,  année  1663. 

4.  M.  G.  165,  f°  2S8.  Cf.  une  lettre  d-  Colbert  à  Leblanc,  du  9  avril  1682  : 
«  Il  n'y  a  aucun  exemple  dans  le  royaume  que  les  ecclésiastiques  ayent  esté 
imposés  par  capitation  ».  (Clém.  IV,  154.),  et  les  Mémoires  du  Clergé,  t.  IX,  col. 
306  :  c'était  une  clause  du  contrat  du  don  gratuit. 

5.  Arrêt  du  Conseil  du  24  mars  1660,  cassant  une  sentence  du  Présidial,  du 
27  février  précédent.  (A.  D.  Calv.  Election  de  Caen  :  Extraits  des  archives  de 
Vhôtel-de-ville  de  Caen.) 

6.  Arrêt  du  Conseil  du  8  janvier  1665,  ibid.  Cet  arrêt  était  invoqué  par  les  éche- 
vins  en  1736  pour  refuser  l'exemption  aux  ecclésiastiques  de  la  ville,  qui  se  pré- 
tendaient exempts  en  vertu  des  contrats  passés  entre  le  roi  et  le  clergé  de  France. 


H|  LA    TAIM.E    EN    NORMANDIE. 

Cordelicrs,  Jacobins  et  Carmes  chacun  20  muids  de  vin,  «  ou  du 
cidre  à  proportion  »;  mais  les  religieux  de  Saint-Etienne,  les 
religieuses  de  l'Abbaye-aux-Dames  payeront  comme  de  simples 
bourgeois.  Il  est  vrai  que,  la  ville  étant  abonnée  à  une  faible 
somme1,  les  droits  y  sont  peu  onéreux. 

Ces  différences  de  régime  entre  les  villes  sont  imputables  sur- 
fout aux  tendances  opposées  du  Conseil  et  des  Cours  normandes. 
Le  Conseil  eherche  toujours  à  supprimer  les  privilèges;  les 
Cours,  au  contraire,  cherchent  à  les  maintenir,  parce  que  leurs 
membres  sont  des  privilégiés. 

Des  fonds  versés  entre  les  mains  des  échevins  par  le  ou  les 
fermiers  du  tarif,  on  retranchait  une  certaine  somme  pour  la 
«  dépense  commune  »,  c'est-à-dire  la  rénumération  de  l'échevin 
comptable  et  du  secrétaire  qui  dressait  le  compte,  et  pour  les 
épices  de  la  vérification  au  Bureau  des  finances.  (A  Saint-Lô, 
cette  dépense  était  en  moyenne  de  225  1.  par  an2;  à  Condé-sur- 
Noireau,  40  1.  jusqu'en  1667,  25  1.  les  années  suivantes;  à 
Coutances,  ordinairement  265  1.;  a  Avranches  125  l.3).  On  pré- 
levait en  outre,  quand  la  ville  n'était  pas  siège  d'élection,  les 
frais  de  déplacement  des  élus  pour  l'adjudication  et  les  frais 
de  port  des  deniers  au  receveur  des  tailles  :  à  Saint-Lô,  ces 
derniers  frais  montaient  à  la  somme  incroyable  de  200  1.  (pour 
des  sommes  variant  de  22  à  30000  1.)*;  les  frais  de  dépla- 
cement des  élus  montent  h  Saint-Lô  également  a  220  1.  environ. 
On  prenait  aussi  sur  les  recettes  des  premières  années  de  quoi 
payer  les  frais  faits  pour  obtenir  le  tarif.  Enfin,  on  acquittait 
des  rentes  constituées  (2  000  1.  a  Saint-Lô  en  1662  et  1663,  et 
1000  1.  les  années  suivantes8,  50  1.  à  Avranches);  et  des 
dépenses  accidentelles,  autorisées  par  le  Bureau  des  finances 
ou  par  l'intendant6.  Tout  le  reste  devait  revenir  au  roi. 

Ici.  une  difficulté  se  présentait  :  le  chiffre  de  la  taille  étant 
arrêté  par  les  commissions  généralement  plusieurs  mois  avant 
l'adjudication    du   tarif,  on  ne   savait  pas   si   le   produit  de  la 


1.  V.  ci-dessus,  p.  90. 

2.  D'après  les  états  au  frai  annuels,  vérifiés  au  Bureau  des  finances.  —  Elle 
est  de  225  1.  chaque  année  sauf  les  années  suivantes  :  1662  el  63  (125  L);  1671  à 
1673  (275  1.)  et  1680  à  82  (216  1.  13  s.  4  d.) 

3.  On  ne  voit  pas  la  raison  de  ces  différences  considérables.  Elles  ne  sont  pas 
en  rnPPort  avec  les  produits  des  tarifs. 

4.  C'est  qu'il  faut  transporter  l'argent  ■  de  ladite  ville  de  Snint-Lô  en  la  recette 
des  tailles  des  eslections  de  Gnrentan  et  Coustance,  distante  de  ladite  ville  de 
fsaint-Lo  de  six  lieues  du  plus  mauvais  chemin  du  pays  ». 

;».  Payées  à  M.  de  Matignon  «  pour  son  désintéressement  de  la  baronnie  de 
baint-Lo  ».  (Etat  au  vrai  du  tarif.  1671). 

6.  Le  Bureau  des  finances  n'autorise  pas,  en  1678,  le  prélèvement  d'une  somme 
pour  réparations  ou  pont  de  Saint-Lô;  mais  il  avait  accordé  l'autorisation  anté- 
rieurement, en  1673  et  1674  (montent  de  la  dépense,  de  ce  fait  :  1385  1.).  (Etats 
au  VTai  du  tarif.)  *  '    v 


LES    VILLES    TARIFEES.  407 

ferme,  déduction  faite  des  frais  imputables  à  la  recette,  égalerait 
ou  non  la  somme  demandée  par  le  roi.  A  l'établissement  des 
comptes,  il  fallait  donc  parfois  employer  un  excédent,  ou  combler 
un  déficit.  Dans  le  premier  cas,  l'excédent  était  laissé  intact;  on 
le  reportait  a  l'année  suivante,  et  la  taille  de  cette  année  était 
augmentée  en  conséquence.  Exceptionnellement,  le  roi  en  auto- 
risait l'emploi  à  quelques  dépenses  municipales  extraordinaires, 
après  avisde  l'intendant1.  Dans  le  second  cas,  tantôt  les  comp- 
tables étaient  censés  «  faire  l'avance  »  de  la  somme  nécessaire 
(c'est-à-dire  qu'en  pratique  on  la  prélevait  sur  un  des  exercices 
suivants,  le  receveur  faisant  crédit  à  la  ville  sans  difficultés); 
tantôt  on  réimposait  la  somme  manquante  par  «  capitation  », 
ce  qui  obligeait  à  nommer  des  collecteurs,  et  à  dresser  un  rôle 
comme  dans  une  paroisse  rurale.  Nous  avons  plusieurs  exemples 
de  ce  dernier  cas  à  Saint-Lô  :  ainsi  en  1675,  la  taille  de  la  ville 
et  du  Bourg-Buisson  est  fixée  à  29  916  1.  2  s.;  les  dépenses  de 
toute  sorte  à  y  ajouter  sont  de  2  171 1.2  s.;  au  total,  31 571  1.  2  s. 
Or  l'adjudication  du  tarif  n'a  produit  que  27  620  1.,  à  quoi 
s'ajoute  un  reliquat  de  746  1.  16  s.  provenant  de  l'année  précé- 
dente. Il  manquera  donc  3  204  1.  6  s.  Pour  les  payer,  l'assemblée 
de  ville  décide,  le  15  novembre  1675,  la  levée  «  par  capitation  » 
sur  les  habitants  d'une  somme  de  4  500  1.  On  procède  de  même 
les  cinq  années  suivantes,  pour  des  sommes  variant  de  2189  1. 
à  6000  1 2.  Ainsi  pouvaient  fonctionner  en  même  temps,  dans 
une  même  ville,  les  deux  modes  de  perception  de  la  taille. 

Si  les  contribuables  voyaient  leur  avantage  dans  le  tarif,  le 
roi  n'y  trouvait  pas  moins  son  compte  :  il  était  en  effet  presque 
complètement  à  l'abri  des  non-valeurs,  des  retards  dans  le 
paiement,  et  de  tous  les  inconvénients  de  la  perception  par 
capitation.  Les  fermiers,  payés  comptant  par  les  contribuables, 
n'avaient  pas  de  peine  à  verser  intégralement  le  montant  de 
leur  bail  dans  le  cours  de  l'année;  on  était  d'ailleurs  prémuni 
contre  leur  insolvabilité  par  les  cautions  qu'ils  devaient 
fournir 3.    Toutefois,    le   Trésor  n'encaissait   pas   toujours   avec 

1.  Par  exemple  au  sujet  du  tarif  de  Falaise,  l'intendant  de  Marie  écrit  ù  Golbert 
en  octobre  1668  :  «  Ayant  augmenté  l'année  passée  le  tarif  de  Falaise  de  trois 
mil  livres,  je  puis  augmenter  la  taille  de  Falaise  jusques  a  cette  somme,  et  des- 
charger d'autant  le  plat  pays,  ou  l'on  pouroit  laisser  la  ville  a  son  taux  ordinaire 
et  employer  l'exedent  du  tarif  au  paiement  d'une  partie  des  debtes  de  la  commu- 
nauté; ce  dernier  me  paroist  plus  advantageux  pour  la  ville,  et  facille  a  exécuter 
dans  une  année  ou  le  Roy  a  eu  la  bonsté  de  donner  de  la  diminution  a  ses 
peuples;  cella  me  paroist  aussy  assez  conforme  a  la  pensée  generalle  que  vous 
avez  de  donner  de  la  protection  aux  villes  qui  ont  des  manufactures  ».  (Falaise 
fabrique  des  serges  et  points  de  France).  Mél.  Golb.  149,  f°*  7-8. 

2.  En  1682,  à  Gisors,  une  imposition  supplémentaire  de  4  000  1.  est  aussi  levée 
par  capitation.  (Let.  de  Golbert  à  Leblanc,  9  avril  1682,  Glém.,  IV,  154.) 

3.  Il  est  rare  de  trouver,  dans  les  comptes,  des  sommes  impayées  par  les  fer- 
miers :  deux  fois  (1815  1.  et  10  1.)  en  vingt-trois  ans  à  Goutances;  trois  fois  en 
neuf  ans  (220  1.,  530  1.  et  132  1.)  à  Vire;  deux  fois  en  vingt-deux  ans  à  Saint-Lô; 
jamais  à  Avranches  i>i  à  Gondé. 


408  LA    TAILLE    EN    NOHMANDIE. 

autant  de  régularité  les  deniers  perçus,  car  les  fermiers,  au  lieu 
cl.  i aire  leurs  versements  directement  au  receveur  des  tailles, 
les  faisaient  aux  échevins  qui  n'étaient  pas  toujours  très 
empressés  à  se  dessaisir  des  fonds  :  ils  multipliaient  et  espa- 
çaient leurs  versements  à  la  recette  comme  les  collecteurs.  A 
Saint-Lô,  par  exemple,  les  versements  pour  l'impôt  de  1662, 
montant  à  22  200  1.,  sont  faits  en  113  fois.  (Il  y  a  113  quittances.) 
Pour  1666,  ils  sont  échelonnés  sur  26  mois,  du  22  mars  1666 
au  4  juin  1668  (15  quittances)  ;  pour  1667,  sur  15  mois 
(5  avril  1667-29  novembre  1668;  20  quittances);  pour  1668 
sur  35  mois  (9  avril  1668-17  mars  1670,  29  quittances  ').  A 
Avranches,  la  taille  de  1668  n'est  pas  entièrement  pavée  en  1673, 
celle  de  1669  est  acquittée  en  17  fois.,  du  5  janvier  1669  au 
1er  juillet  16732...  Toutefois,  à  partir  de  1670  environ,  les  paie- 
ments furent  moins  espacés,  et  se  firent  dans  l'année,  ou  à  peu 
près1  :  Ce  changement  coïncide  avec  les  instructions  données 
par  Colbert  aux  intendants  pour  accélérer  la  rentrée  des  impôts 
en  général4.  Néanmoins  on  peut  dire  qu'en  comparaison  des 
paroisses  rurales  les  villes  tarifées  payaient  sensiblement  mieux 
et  plus  sûrement  leur  taille.  Le  système  était  donc  préférable 
pour  le  fisc. 

Cependant  Colbert  renonça  à  concéder  des  tarifs  après  1667, 
malgré  les  supplications  des  municipalités.  Il  n'a  nulle  part, 
à  notre  connaissance,  exposé  ses  motifs,  mais  on  peut  les  con- 
jecturer :  d'abord,  ces  villes,  comme  les  villes  franches  ou 
abonnées,  servaient  de  refuge  à  des  contribuables  de  la  cam- 
pagne qui  voulaient  échapper  à  la  taille  et  à  la  collecte5;  ensuite 
et  surtout  les  taxes  sur  les  marchandises  étaient  un   obstacle 

1.  Etats  au  vrai  du  tarif  de  Saint-Lô. 

2.  Ici  les  retards  s'expliquent  par  l'insuffisance  des  recettes  :  tous  les  comptes 
du  tarif,  de  la  première  année  (1668)  à  1673  se  soldent  par  un  déficit  de  plus  de 
200  1.  (Etats  nu  vrai  du  tarif  d'Avranches.) 

3.  Voici  les  dates  extrêmes  et  le  nombre  de  versements  pour  Saint-Lô,  à  partir 
de  1670  (A.  D.  Calv.,  élection  de  Saint-Lô)  : 

1670.  31  déc.  1669-9  juin  1672 18  quittances. 

1671.  4  fév.  1671-  ?         1H7J 13         — 

1672.  ?  ?  ? 9         — 

1673.  7  févr.  1673-9  janv.  1674 10  — 

1674.  11  janv.  11  déc.  1674 14  — 

1675.  8  févr.  1675-6  mars  1676 16  — 

1676.  8  févr.  1676-   ?   1679 12  — 

1677.  14  fév.  1677-14  mars  1678 32  — 

1678.  31  déc.  1677-9  janv.  1679 11  _ 

1679.  7  fév.  22  déc.  1677 11  — 

1680.  3  ionv.  1680-7  janv.  168! 10 

1681.  7  mnv.  22  déc.  1681 11  _ 

1682.  6  janv.  1682-20  janv.  1653 11  — 

1683.  20  janv.  1683-17  janv.  16S4 8  — 

4.  Voir  ci-dessous,  chap.  vm. 

5.  Ci-dessus,  p.  209. 


LES    VILLES    TARIFEES.  409 

sérieux  au  commerce  et  aux  manufactures  :  les  droits  sur  les 
aliments  augmentaient  le  prix  de  la  vie  ouvrière,  ceux  sur  les 
produits  fabriqués  gênaient  les  producteurs.  Au  moment  où  le 
ministre  travaillait  à  supprimer  les  douanes  intérieures,  il  ne 
pouvait  établir,  autour  de  toutes  les  villes,  de  nouvelles  cein- 
tures douanières.  En  1665,  les  trésoriers  généraux  d'Alençon  lui 
exposent  que  les  fermiers  du  tarif,  pour  accroître  leurs  recettes, 
ayant  levé  les  droits  avec  rigueur  sur  toutes  les  denrées  vendues 
dans  la  ville,  le  commerce  en  souffre  considérablement  :  les 
fermiers,  disent-ils,  perçoivent  l'impôt  «  sur  les  bois  des  forests 
du  roy,  sur  les  marchandises  de  toilles  et  autres  qui  se  font 
aux  marchez  de  ladite  ville  d'Alençon  pour  porter  à  Paris,  sur 
les  bestiaux  qui  sont  vendus  ou  échangez  aux  marchez  de  ladite 
ville  entre  les  habitans  des  parroisses  et  qui  en  sortent  le  mesme 
jour  qu'ils  y  sont  entrez,  ce  qui  a  beaucoup  diminué  le  com- 
merce et  les  marchez  de  ladite  ville  sont  ruynez,  et  les  marchands 
et  paisans  des  parroisses  voisines  aussy  entièrement  ruisnez 
et  hors  d'estat  de  payer  ce  qu'ils  doivent  au  roy1  ». 

«  Il  n'y  a  rien,  écrit  en  1682  l'intendant  de  Caen,  qui  aporte 
tant  de  préjudice  aux  paroisses  de  la  campagne  que  ces  villes 
tarifées  ou  il  se  commet  une  infinité  d'abus...  Cette  sorte  d'éta- 
blissement ne  va  qu'à  la  charge  des  pauvres  artisans  qui  con- 
somment les  denrées  subjettes  a  ces  levées,  dont  les  officiers  et 
les  riches  se  sçavent  toujours  exempter2.  » 

Et  l'intendant  d'Alençon,  l'année  suivante  :  «  Il  seroit  bien 
plus  advantageux  de  suprimer  tous  ces  tarifz,  qui  sont  la  ruine 
des  parroisses  voisines  des  villes  auxquelles  ils  ont  esté  accordez, 
et  qui  causent  une  diminution  considérable  au  commerce  qui  se 
faisoit  dans  lesdites  villes,  lesquelles  d'ailleurs  n'en  reçoivent 
autre  utilité  que  de  n'avoir  point  a  faire  de  rolles  par  capitâtion, 
qui,  a  la  vérité,  donnent  lieu  a  bien  des  vengeances  et  des 
injustices3  ». 


1.  Placet  à  Colbert,  du  11  mai  1665.  M.  C,  129,  f°8  315-16. 

2.  Lettre  de  Méliand  à  Colbert,  1er  août  1682,  à  propos  de  démarches  faites  par 
des  bourgeois  de  Baveux  pour  obtenir  un  tarif,  qui  ne  fut  pas  accordé.  A.  N. 
G'  213. 

3.  Mémoire  de  Bouville  au  contrôleur  général,  1er  sept.  1683,  A.  N.  G7,  71. 
La  règle  de  ne  pas  accorder  des  tarifs  nouveaux  survécut  à  Colbert  :  en  1687  il 
est  refusé  à  Evreux,  en  1688  à  Valognes  et  à  Bayeux  encore.  (De  Boislisle,  Corres- 
pondance des  contrôleurs  généraux,  I,  n°  449.). 


c 


410  LA   TAILLE    EX    XOHMANDIE. 

II.  —  QUI  FAIT  LA  PERCEPTION 
DANS  LES  PAROISSES? 

Suivant  les  règlements  et  l'usage  général,  la  perception  de 
la  taille,  dans  chaque  paroisse  non  tarifée,  doit  être  laite  par 
les  collecteurs  qui  ont  dressé  les  rôles. 

Aux  termes  de  la  déclaration  de  jahvier  1634,  les  collecteurs 
doivent  faire  la  levée  «  ensemble,  par  quartiers  ou  demie  année, 
ainsi  qu'ils  demeureront  d'accord  entre  eux,  et  demeurans  toute- 
fois responsables  les  uns  des  autres  »  (art.  38).  Mais  les  usages 
locaux  prévalent  souvent  sur  l'ordonnance,  et  l'on  trouve  en 
Normandie  des  modes  de  recouvrement  assez  variés.  Tantôt 
la  perception  est  confiée  au  seul  collecteur  de  la  haute  échelle; 
tantôt  elle  est  partagée  entre  tous  ou  la  plupart  des  collecteurs, 
suivant  un  accord  amiable;  tantôt  enfin  elle  est  confiée  à  un 
articulier,  collecteur  ou  non,  par  un  contrat  conclu  avec  lui  par 
a  paroisse  '. 

L'usage  de  faire  recueillir  la  taille  par  le  collecteur  de  la 
haute  échelle  était  le  plus  fréquent.  «  Le  collecteur  de  la 
première  eschelle,  écrit  de  Bouville,  est  seul  chargé  du  rolle  et 
touche  les  deniers  du  contribuable,  c'est  pourquoi  on  l'appelle 
porte-bourse2  ».  Dans  ce  cas,  les  collecteurs  des  deuxième 
et  troisième  échelles  ne  manient  pas  d'argent,  mais  ils  doivent 
assister  leur  collègue  de  leur  présence,  et,  s'il  y  a  lieu,  lui 
avancer  des  fonds,  supporter  les  saisies,  les  exécutions,  la  prison 
avec  lui.  Le  détail  des  obligations  de  chacun  est  souvent  réglé 
par  des  accords,  dont  mention  est  faite  au  bas  des  rôles  ;  ainsi 
au  rôle  d'Asnières  pour  1663  : 

«  Sur  le  règlement  de  la  collection  d'entre  les  dits  asseurs,  ordonné 

que  le  dit  Prieur  Troppé,  collecteur  haut-assis,  portera  la  bourse  et  le 

pappier  a  l'assistance  des  autres  asseeurs  deux  jours  la  sepmaine  deux 

chacun,  pour  lesquels  contribueront  aux  advances,  fraicts  et  coustages 

a  l'égal  de  leurs  sommes  '  ». 

L'obligation  pour  les  collecteurs  de  seconde  et  de  troisième 
échelle  d'assister  le  porte-bourse  est  soigneusement  inscrite  sur 

1.  On  ne  fit  jamais  de  tentatives  sérieuses  pour  faire  percevoir  la  taille  dans 
les  paroisses  par  des  agents  royaux  au  lieu  des  collecteurs  élus.  Un  édit  de 
décembre  1  «138  créait  en  chaque  paroisse  un  receveur  particulier  des  tailles, 
jouissant  d'un  droit  de  12  d.  pour  livre;  mais  ce  n'était  qu'une  mesure  fiscale, 
les  charges  furent  rachetées  par  les  paroisses  et  n'existèrent  jamais  que  sur  le 
papier.  (A.  D.  Calvados,  élection  de  Caen,  registre  d'ordonnances  de  l'élection,  à 
s:i  d.ite,  cf.  de  Bcaurepaire,  Cahiers,  règne  de  Louis  XIII,  t.  III,  p.  269.) 

2.  Mémoire  du  1"  septembre  1683,  A.  N.  G7  71.  Le  porte-bourse  est  aussi  appelé 
■  principal  collecteur  »  ou  «  matlre-collecteur  ». 

I.  A.  Mun.  Baycux,  rôles  de  1663.  Les  autres  rôles  de  l'élection  portent  en  grand 
nombre  des  mentions  de  ce  genre,  qui  semblent  inscrites  par  l'élu  vérificateur. 


QUI    FAIT    LA    PERCEPTION    DANS    LES    PAROISSES?  411 

certains  rôles  :  à  Coullombières,  élection  de  Bayeux,  en  1663, 
les  «  petits  collecteurs  »,  au  nombre  de  neuf,  s'engagent  h  assister 
leur  collègue  «  un  jour  la  semaine,  deux  à  la  fois  »;  à  Neuilly- 
l'Evêque,  tous  devront  assister  à  la  recette;  les  défaillants 
payeront  une  amende  de  20  sous  par  absence,  «  au  bénéfice  des 
presens  »  ;  même  convention  à  Saint-Vigor-le-Petit,  où 
l'amende  est  de  10  sous;  à  Vaubadon  où  elle  est  de  15  sous,  etc. 
On  trouve  pareillement  inscrit  sur  certains  rôles  l'engagement 
pris  par  tous  de  payer  leur  part  des  frais  de  collecte  et  de  parti- 
ciper aux  exécutions  de  biens  :  à  Neuilly-l'Evêque,  en  1663,  par 
exemple,  il  est  dit  que  tous  «  assisteront  tous  les  jeudy...  de 
chaque  sepmaine  pour  conduire  et  porter  les  biens  exécutez  aux 
vendues  de  namps  à  Ysigny,  comme  aussy  lesdits  collecteurs 
payeront  ensemblement  à  l'esgal  de  leurs  lignes1  pour  la  despense 
qu'il  conviendra  faire  pour  porter  les  deniers  de  ladite  collection 
en  la  recepte  des  tailles2  ».  Une  sentence  de  l'Election  de  Gaude- 
bec,  du  28  janvier  1662,  condamne  Pierre  Forestier,  collecteur 
de  Sasseville,  à  assister  son  collègue  porte-bourse  «  iesmercredy 
de  chacune  semaine  pour  faire  les  exécutions,  et  le  jeudy  les 
vendues  a  Grainville,  a  laquelle  fin  se  trouveront  au  presbittere 
de  ladite  paroisse,  neuf  heures  du  matin3  ». 

Si  le  collecteur  de  haute  échelle  fait  difficulté  pour  se  charger 
de  la  perception,  ses  collègues  «  bas-assis  »  protestent  auprès 
des  élus  pour  lui  «  faire  porter  la  bourse  et  le  papier  *  »  ;  c'est 
encore  une  source  de  procès.  Mais  on  peut  aussi  charger  de 
la  fonction  un  autre  collecteur  :  dans  son  mandement  aux 
paroisses  d'octobre  1672,  l'intendant  de  Rouen  laisse  les  con- 
tribuables libres  de  «  choisir  pour  collecteur  porte-bourse  celuy 
[qu'ils  estimeront]  le  plus  solvable  et  pouvoir  mieux  répondre 
des  deniers  de  la  collecte,  soit  qu'il  soit  de  la  haute,  moyenne 
ou  basse  eschelle,  et  sans  distinction5.  » 

Le  système  avait  sur  la  collecte  par  tous  les  collecteurs  à 
tour  de  rôle  des  avantages  incontestables  :  il  garantissait  mieux 
les  recouvrements,  les  contribuables  étaient  plus  ménagés,  et 
les  non-valeurs  moins  élevées.  Voysin  de  la  Noiraye,  qui  l'avait 
vu  fonctionner  à  Rouen,  en  faisait  l'éloge  alors  qu'il  était  passé 
en  Touraine,  et  obtenait  de  Colbert  un  arrêt  du  Conseil  pour 
l'établir  dans  sa  nouvelle  généralité6. 


1.  C'est-à-dire  au  prorata  de  leur  propre  imposition. 

2.  Tous  ces  détails  sont   tirés   des  rôles   de  l'élection  de  Bayeux,  année  1663, 
A.  Mun.  Bayeux. 

3.  Plumitif  de  l'Election  de  Neufcliatel,  A.  D.  S.  Inf.  C,  2484.  Le  tribunal  ajourne 
sa  sentence  en  ce  qui  concerne  le  partage  des  frais. 

4.  Mentions    portées   au    bas    de  beaucoup    de  rôles  de  l'élection   de  Bayeux, 
A.  Mun.  Bayeux. 

5.  A.  D.  S.  Inf.,  C  2215. 

6.  Let.  des  16  oct.  et  7  nov.  1666,  M.  G.  141,  f°  380  et  142  f°  190;  cf.,  133,  f°  539. 
C'est  encore  un  cas  d'extension  des  usages  normands  au  reste  du  royaume. 


Itl  LA    TAILLE    EX    NOIIMANDIE. 

Assez  fréquemment,  la  collecte  est  confiée  à  plusieurs 
collecteurs  :  A  Saint-Malo-de-Bayeux,  en  1663,  on  désigne 
deux  porte-bourse;  à  Saint-Martin-des-Entrées,  le  collecteur 
principal  s'engage  à  recueillir  les  trois  premiers  quartiers 
de  la  taille,  un  de  ses  collègues  se  chargeant  du  quatrième. 
A     \  aucellcs,    l'un     des    collecteurs    demande     qu'il    luy    soit 

f>ermis  de  «  faire  pappier  pour  la  moitié  du  dernier  quartier  », 
e  reste  étant  confié  au  porte-bourse,  ce  qui  est  accepté1.  A 
Rots,  le  collecteur  haut-assis  porte  seul  la  bourse  la  plupart 
des  années,  mais  en  1668  il  est  convenu  que  les  quatre  collec- 
teurs «  racueilleront  chacun  leur  quartier  l'un  apprès  l'autre 
comme  ils  sont  nommez  et  estabhs  »;  en  1676  et  en  1677, 
on  désigne  deux  porte-bourse  chargés  chacun  de  deux  quar- 
tiers, et  il  est  spécifié  que  les  autres  collecteurs  n'auront  rien 
à  recueillir,  attendu  qu'ils  sont  «  en  quelque  façon  insol- 
vables' ». 

En  certaines  paroisses,  on  pratique  le  «  bannissement  »  de 
la  collecte*,  c'est-à-dire  que  l'on  confie,  moyennant  une  rétri- 
bution convenue,  la  perception  à  un  individu,  collecteur  ou 
non,  et  nommé  pour  cela  collecteur  «  allouant  »  ou  «  conven- 
tionnel ».  Généralement,  c'est  l'assemblée  de  paroisse  qui 
décide  l'opération;  on  traite  soit  à  l'amiable,  soit  par  adjudi- 
cation publique,  à  l'issue  de  la  messe,  «  au  moins  disant  et 
dernier  enchérisseur  ».  Le  procédé  n'a  rien  d'irrégulier;  des 
ordonnances  de  1459,  1517,  mars  1600,  etc.,  l'ont  autorisé;  le 
jurisconsulte  Guénois  affirme  en  1596  qu'il  est  «  le  plus 
souvent  »  pratiqué  *,  et  La  Barre  en  parle  comme  d'un  cas 
normal 6. 

Le  3  janvier  1661,  les  habitants  de  Tracy,  élection  de  Caen, 
décident  dans  leur  assemblée  de  «  bannir  la  collection  de  la 
taille  de  ladicte  paroisse  jusques  a  huict  ans  révolus6...  a  cause 
qu'il    ne    se    peut  trouver  de   portant    bourse    solvables   dans 

1.  Râles  de  l'élection  de  Baveux,  année  1663,  A.  Mun.  Baveux.  A  Bradais 
(élection  d'Avranches),  en  1658,  la  taille  des  trois  quartiers  de  janvier,  avril  et 
octobre  est  levée  par  trois  collecteurs  différents,  et  pour  le  quartier  de  juillet, 
deux  autres  collecteurs  s'en  chargent  par  traité  (A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances. 
Procès-verbaux  de  différentes  affaires,  1659-69,  f°  69). 

2.  A.  Mun.  Rots,  Registres  paroissiaux,  aux  dates  des  14  oct.  166S,  8  déc.  1676  et 
19  déc.  1677. 

3.  L'usage  n'est  pas  particulier  à  la  Normandie;  on  le  trouve  aussi  en  Bour- 
bonnais (let.  de  l'intendant,  10  juillet  1670,  Clairamb.  792,  p.  6  et  Procès-verbal 
de  la  généralité  de  Moulins  par  d'Argouges,  cd.  Vayssière,  p.  36);  en  Orléanais 
(Hû,  Le  bailliage  seigneurial  de  Pontlevoy,  I,  p.  19),  et  en  Languedoc  (De  Boislisle, 
Correspondance,  t.  I,  n°'  637,  769, 1880,  etc.). 

4.  La  grande  conférence  des  ordonnances,  éd.  1678,  t.  I,  2*  part.,  p.  140.  Cf. 
aussi  J.  Combes,  Traité  des  tailles,  (1576)  f°  32  verso  et  Lebrun  de  la  Rochette, 
Leslection  ou  traité  de  la  jurit diction  des  esleus,  (1618),  p.  25,  mais  ces  auteurs 
ont  en  vue  le  cas  où  l'adjudication  serait  faite  à  un  prix  inférieur  à  la  remise 
fixée  parles  règlements;  cf.  l'art.  11  de  l'ordonnance  de  1517. 

•>.  Formulaire,  p.  196. 

6.  C'est-à-dire  pour  une  période  de  huit  ans. 


QUI    FAIT    LA    PERCEPTION     DAXS    LES    PAROISSES?  413 

ladite  paroisse,  a  raison  de  la  pauvreté  desdits  habitants  ».  A 
cet  effet,  ils  prennent  la  délibération  suivante  : 

«  Pour  éviter  aux  grand  frais  que  les  collecteurs  souffrent  a  la  recol- 
lection des  deniers  de  leur  taille,  lesquels  attirent  la  totale  ruine  tant 
des  dits  collecteurs  que  du  gênerai,  pour  les  exécutions  fréquentes  qui 
se  font  pour  le  recouvrement  des  dits  deniers,  ils  consentent  et  sont 
d'avis  que  les  personnes  de  *  fassent  la  recollection  desdits 

deniers  par  ce  qu'ils  pourront  prendre  sur  eux  2  par  chaque* 

livre,  en  outre  le  taux  et  imposition  a  quoy  ils  seront  assis  et  taxés  ; 
laquelle  assiette  et  la  taxe  sera  faitte  parles  collecteurs,  lesquels  seront 
nommés  dans  leur  ordre  et  rang  chasque  an,  lesquels  seront  tenus  de 
mettre  le  roole  aux  mains  de  .  Lesquels  (ou  lequel)  par  ce  moyen 

seront  tenus  descharger  lesdits  collecteurs  et  gênerai  envers  les  rece- 
veurs et  les  garantir  de  toutes  pertes,  frais,  dommages  et  despens.  Estant 
entendu  neantmoins  que  la  ou  3  cet  ordre  cesseroit  a  l'advenir,  les  col- 
lecteurs ayant  esté  nommés  pour  faire  ladite  assiette  ne  demeureroient 
deschargés  de  leur  rang  et  ordre,  lequel  recommenceroit  comme  s'ils 
n'avoient  esté  nommés,  cessant  quoy  le  présent  certificat  n'eust  esté 
ainsi  arresté  ayant  mesme  consenty  que  le  présent  soit  emologué  par 
tous  où  il  appartiendra,  pour  l'exécution  d'icelluy,  a  quoy  les  susdits 
tant  pour  eux  que  pour  le  gênerai  ont  obligé  généralement  tous  leurs 
biens  presens  et  advenir  *.  » 

Le  procédé  est  également  adopté  par  plusieurs  paroisses  de 
l'élection  de  Vire,  parce  que  leurs  collecteurs  «  ne  savent  ny  lire 
ni  escrire,  et  ont  d'autres  occupations  ou  trafics  qui  les  empes- 
chent  de  vaquer  »  à  la  fonction  5.  A  Blainville-sur-Mer,  élection 
de  Coutances,  on  y  a  recours  parce  que  la  majorité  des  contri- 
buables, occupés  à  la  pêche  et  au  matelotage,  sont  absents  une 
partie  de  l'année;  l'adjudicataire,  qui  est  pendant  quinze  années 
de  suite  le  même  individu,  s'engage  à  «  avancer  le  paiement  de 
toute  la  taille  et  indemniser  la  paroisse  de  toutes  les  cottes  de 
matelots  qui  meurent  sur  'mer  et  demeurent  insolvables  »,  si 
bien  que  la  paroisse,  l'intendant  lui-même  le  constate,  ne  con- 
naît ni  les  procès  en  décharge  de  collecte,  ni  les  exécutions, 
ni  les  non-valeurs,  ni  les  rejets6. 

En  certains  cas,  l'adjudication  est  ordonnée  par  les  élus,  qui 
y  président  :  ainsi  un  procès  étant  survenu  en  1675  entre  deux 
collecteurs  de  Croisilles,  et  l'un  d'eux  ayant  fait  défaut,  l'iilec- 
tion  de  Gaen  ordonne  qu'il  sera  procédé  à  «  la  banie  par  rabais 

1 .  En  blanc  dans  l'original. 

2.  Id.,  le  chiffré  de  la  remise  avait  été  fixé  à  3  s.  6  d.  par  une  délibération 
antérieure  de  l'assemblée. 

3.  C'est-à-dire  au  cas  où. 

4.  A.  D.  Calv.  Election  de  Caen,  registre  de  consentements  de  Tracy.  Cf.  d'autres 
contrats  analogues,  de  1687,  1689,  1695,  publ.  dans  Hû,  Le  bailliage  seigneurial 
de  Pontlevoy,  t.  I,  p.  19-20. 

5.  Mémoire  de  l'intendant  Méliand,  18  juillet  1682,  A.  N.  G1  213. 

6.  Ibid. 


LA    TAII.I.i:     !  X     NOIl.MAXniK. 

du  service  de  la  collection  pour  une  basse  eschelle  de  la  taille 
de  Crosille  année  présente  '  »,  mais  les  autres  collecteurs 
devront  faire  le  recouvrement  de  leurs  quartiers.  En  1661,  les 
élus  de  Mortain  ordonnent  la  bannie  de  la  collecte  dans  la 
paroisse  de  Ger,  parce  qu'il  y  a  contestation  entre  les  collec- 
teurs sur  la  validité  de  leur  nomination,  et  la  sentence  est 
confirmée  par  arrêt  de  la  Cour  des  Aides,  le  7  février  1662 2. 
L'Election  de  Falaise,  le  2  octobre  1677,  autorise  Michel  Froger, 
collecteur  de  Couterne,  à  «  faire  bannir  le  service  de  la  collecte 
des  tailles,  au  lieu  et  place  de  Jacques  Froger  son  collègue'.  » 
Parfois  même,  le  contrat  est  conclu  à  l'amiable  par  un  collec- 
teur, ou  par  la  veuve  d'un  collecteur  décédé  en  cours  de  charge, 
avec  un  particulier  de  son  choix  :  pour  que  l'acte  soit  valable, 
il  suffit,  suivant  La  Barre,  qu'il  soit  «  du  moins  signé  d'un  desdits 
esleuz   »,   et  approuvé   par    les    autres    collecteurs  *.    Ainsi    le 

13  février  1677  Jean  Germain,  collecteur  de  Saint-Ouen-le- 
Brisou,  vient  déclarer  à  l'Election  de  Falaise  «  qu'il  a  alloué 
de  la  veuve  feu  Jullien  Dubois,  vivant  collecteur  des  tailles  de 
ladite  paroisse,  année  présente,  a  faire  la  collection  des  deniers 
des  tailles  et  porter  la  bourse  et  le  papier  »;  il  demande  la  con- 
firmation du  tribunal,  qui  la  lui  accorde,  et  il  vaque  régulière- 
ment à  la  perception6. 

Le  prix  de  l'adjudication  était  tantôt  une  somme  fixe,  résul- 
tant des  enchères  mises  :  ainsi  à  Ger  en  1661  elle  est  de 
150  liv.,  à  Croisilles  en  1675,  60  1.  ;  tantôt  —  et  c'est  toujours 
le  cas  quand  l'adjudication  est  faite  pour  plusieurs  années  — 
un  tant  par  livre  des  sommes  imposées  :  2  s.  6  d.  à  Blain- 
ville,  3  s.  6  d.  à  Tracy.  Toujours  le  chiffre  dépassait  les  6  d. 
réglementaires. 

Par  son  contrat,  visé  à  l'Election,  l'adjudicataire  était  investi 
de  tous  les  pouvoirs  et  obligations  des  collecteurs  :  il  exerçait 
les  contraintes  sur  les  taillables,  soutenait  les  procès,  avançait 
les  deniers  au  besoin,  était  responsable  des  paiements  envers 
le  receveur,  et  par  conséquent  était  saisi  et  emprisonné  le  cas 
échéant6. 

Quoique  l'usage,  reconnu  avantageux  pour  les  contribuables 
et   pour  le  fisc,  fût  autorisé   par  la  coutume  et  par  d'anciens 

1.  Sentences  de  l'Election  de  Caen.  des  10  et  17  juin  1675,  dans  le  plumitif  de 
l'Election,  Arch.  Galv.,  El.  de  Cnen. 

2.  Sentence  de  In  cour,  à  sa  date,  dans  le  Plumitif,  Arch.  S.-Inf. 
■i.  Plumitif  de  l'Election,  Arch.  Galv.,  El.  de  Falaise,  à  sa  date. 
k.  Fomulaire  tics  etleuz,  p.  1%. 

5.  Plumitif  de  l'Election,  ù  sa  date. 

6.  On  rencontre  un  cas  singulier  dans  la  paroisse  de  La  Coulonche,  élection 
de  Falaise,  en  167't  :  Nicolas  Chatel,  ayant  affermé  la  collecte  de  la  paroisse, 
avait  revendu  son  contrat  a  Thomas  Barré  et  Baptiste   Michel,  pour   le    prix  de 

14  livres.  Ces  derniers  ne  purent  faire  un  paiement  au  receveur  à  la  date  fixée, 
ce  fut  ChAtel  qui  fat  saisi  et  emprisonné,  malgré  la  cession  de  son  bail  (A.  D. 
Colv.,  Plumitif  de  l'El.  de  Falaise,  aux  dates  des  8  mai  et  10  nov.  1674). 


QUI    FAIT    LA    PERCEPTION*    DANS    LES    PAROISSES?  415 

règlements,  l'administration  essaya  de  l'abolir  au  temps  de 
Colbert.  À  deux  reprises,  en  1668  et  en  16751  ,  les  intendants 
de  Caen  l'interdirent  par  leurs  mandements  aux  paroisses  :  mais 
il  ne  semble  pas  que  ces  défenses  aient  eu  aucun  effet.  En  1681, 
Colbert  lui-même  intervint  :  dans  sa  circulaire  du  11  septembre, 
il  exposa  les  inconvénients  qu'il  trouvait  au  système  :  d'abord, 
disait-il,  on  exige  des  contribuables  une  remise  supérieure  aux 
6  d.  réglementaires,  et  «  comme  il  n'est  pas  permis  de  faire 
aucune  imposition  sur  les  peuples  sans  la  commission  du  roy, 
cette  imposition  de  deux,  trois  ou  quatre  sols  pour  livre  ne  peut 
estre  légitime  »  ;  en  outre,  «  quoique  cet  establissement  fut  très 
bon  dans  son  commencement,  il  a  dégénéré  en  abus,  en  ce  que 
ce  sont  pour  la  pluspart  les  receveurs  des  tailles  qui  prennent, 
sous  des  noms  supposés,  cette  collecte,  et  qui  profitent  par  ce 
moyen  des  deux,  trois  ou  quatre  sols  pour  livre2  ». 

Sur  le  premier  point,  le  ministre  n'était  du  reste  pas  intran- 
sigeant :  «  Comme  ces  collecteurs  conventionnels,  ajoutait-il, 
seroient  d'une  assez  grande  utilité  aux  paroisses  en  ce  qu'ils 
retranchent  tous  les  frais  et  les  voyages  d'huissiers3,  S.  M.  en 
autoriseroit  l'establissement  s'ils  se  contentoient  de  12  d.  pour 
livre,  sçavoir  :  des  6  d.  imposés  en  vertu  des  commissions 
pour  la  collecte  et  6  d.  d'augmentation;  donnez-moi  l'esclair- 
cissement  que  S.  M.  désire  sur  cet  article,  afin  que  je  puisse 
luy  en  rendre  compte  »  ;  mais  les  intendants,  sans  doute  pour 
faire  du  zèle,  renouvelèrent,  par  leurs  mandements,  l'inter- 
diction de  lever  plus  de  6  d.  par  livre,  et  il  en  résulta  des  diffi- 
cultés dans  les  paroisses  :  à  Blainville-sur-Mer,  deux  contri- 
buables firent  un  procès  au  collecteur  conventionnel,  Le  Couvé, 
pour  levée  illégale  de  deniers,  et  l'affaire  vint  devant  le  Conseil; 
les  habitants  soutiennent  en  majorité  Le  Couvé,  déclarant  que 
depuis  que  la  collecte  est  bannie,  ils  sont  «  exempts  de  toutes 
courses,  execusions,  emprisonnemens,  frais  et  despens,  en 
sorte  qu'il  n'y  a  que  les  huissiers  des  tailles  qui  puissent  dire 
avec  vérité  qu'ils  perdent  en  ce  rencontre  »  ;  les  élus  et  le  rece- 
veur de  Coutances  les  appuyent  et  l'intendant  ajoute  à  leur 
requête  :  «  Pour  ce  qui  est  de  l'imposition  de  2  s.  pour  livre..., 
comme  les  tailles  se  payent  maintenant  avec  plus  de  facilité 
qu'au  temps  que  cet  usage  s'est  introduit,  sy  le  Conseil  ne 
trouve  pas  a  propos  d'en  permettre  la  continuation  a  cause  de 

1.  Arch.  Calv.,  Registre  d'ordonnances  de  l'Election  de  Caen,  166*1-74,  f°  261,  et 
collection  des  mandements  aux  paroisses  de  la  même  élection,  année  1676. 

2.  Glém.  II,  393  :  la  circulaire  était  inspirée  par  «  les  mémoires  que  MM.  les 
commissaires  départis  et  intendans  des  provinces  ont  envoyés  concernant  la 
visite  qu'ils  ont  faite  de  leurs  généralités  ». 

3.  L'intendant  de  Caen  lui  écrit  le  18  juillet  1682  que  les  élus  et  surtout  les 
receveurs  des  tailles  «  trouvent  beaucoup  d'aventage  pour  leur  recouvrement  » 
dans  les  collecteurs  conventionnels  (A.  N.  G7  213).  Cf.  une  lettre  de  Colbert  à  l'in- 
tendant de  Limoges,  Clém.,  II,  893,  n.  1. 


/,16  LA    TAILLE    EN    NOItMANDIE. 

I.  \<  rdz,  on  pouroit  la  réduire  a  la  moitié...  [mais  il  n'est  pas 
probable]  qu'en  adjoustant  seulement  6  d.  comme  vous  le  pro- 
posez, il  se  trouvast  personne  qui  voulust  s'en  charger  mm 
li «il  '  »  :  pourtant  les  habitants  perdirent  leur  procès.  Le  22  juil- 
let 1682,  Colbcrt  rappelait  à  i'intendant  de  Caen  sa  circulaire 
de  l'année  précédente,  et,  le  3  août,  Méliand  l'informait  qu'il 
en  assurerait  l'exécution  à  Blainville;  nous  ne  savons  s'il  put 
ou  non  aboutir*. 

Quant  aux  personnes  d'autorité,  receveurs  et  autres,  allouant 
la  collecte  directement  ou  par  des  prête-nom,  elles  n'étaient 
pas  rares  dans  la  province  :  en  1670,  le  procureur  du  roi  au 

frrenier  à  sel  d'IIarfleur  et  son  père  ont  alloué  la  collecte  de 
a  taille  et  du  sel  dans  plusieurs  paroisses  du  voisinage8.  A  La 
Fcrté-Macé,  en  1673,  le  «  service  de  collecteur  porte-bourse  » 
est  alloué  à  un  huissier,  Bonaventure  Enguerran*.  En  1675, 
l'Election  de  Caen  adjuge  elle-même  à  un  huissier,  Guil- 
laume Baron,  la  collecte  de  la  paroisse  de  Croisilles5.  Il  est 
facile  de  se  représenter  à  quels  excès  de  tels  personnages, 
autorisés  par  leur  titre,  pouvaient  se  porter.  Mais  les  ordres  de 
Colbert  furent  impuissants  contre  eux.  Le  recueil  d'Orsay  les 
dénonce  tout  particulièrement  dans  la  généralité  de  Rouen 
vers  1690  : 

«  II  est  de  conséquence  d'empêcher  que  ces  huissiers  ou  sergens 
et  autres  gens  publics  comme  avocats,  procureurs  et  notaires  ne  s'ac- 
comodent  avec  les  collecteurs  pour  cueillir  la  taille  pour  eux,  parce 
que,  sous  ce  prétexte,  ils  exigent  des  sommes  considérables  desdits  col- 
lecteurs, et  d'ailleurs  ils  font  l'assiette  avec  eux,  leur  persuadent  qu'ils 
en  peuvent  faire  la  collecte  dans  faire  l'assiette  avec  justice,  pour 
éviter  aux  non-valeurs,  et  par  ce  moyen  se  rendent  maîtres  des  par- 
roisses  et  font  leur  compte  lors  de  ladite  assiette;  cela  se  pratique 
neantmoins  en  quelques  eslections  de  la  généralité  de  Rouen,  et  notam- 
ment vers  Lyon-en-Forest  et  Neufchastel;  il  faut  s'informer  exacte- 
ment de  cet  article  dans  la  prochaine  visitte  ou  l'on  pourra  entendre 
les  collecteurs  des  principaux  bourgs  et  lieux  de  chaque  eslection, 
tant  pour  l'année  1688 6  que  pour  l'année  suivante,  ou  plutost  pour 
l'année  1688,  parce  qVétans  quittes  en  recette,  ils  sont  plus  libres  de 
se  plaindre  et  du  receveur  et  de  l'huissier7  ». 

Le  système  des  collecteurs  «  allouants  »  se  maintiendra  pen- 

1.  Lettre  de  Méliand,  18  juillet  1682,  déjà  citée.  Le  factum  des  habitants  y  est 
joint. 

2.  Arch.  Nat.  G"  213. 

3.  Analyse  de  la  lettre  de  Barin  de  la  Galissonnière,  12  oct.  1670,  B.  N.  Clai- 
ramb.  792,  p.  348. 

fc.  Plumitif  de  l'Election  de  Falaise,  lor  déc.  167'i,  A.  D.  Calv. 

5.  Plumitif  de  l'Election  de  Caen,  10  juin  1675,  ibid.  Ci-dessus,  p.  413. 

6.  En  marge  :  «  H*  :  l'année  1683  ne  sert  que  d'exemple  •.  L'ouvrage  est  en 
effet  un  recueil  d'instructions  à  l'usage  d'un  intendant  débutant. 

7.  B.  N.,  fr.  11096,  f°  22. 


QUI    FAIT    LA    PERCEPTION    DANS    LES    PAROISSES?  417 

dant  tout  le  xvme  siècle,  et  à  la  veille  de  la  Révolution,  les 
opinions  seront  partagées  sur  ses  avantages  et  ses  inconvé- 
nients :  tandis  que  la  grande  majorité  des  paroisses  de  la  géné- 
ralité de  Caen,  consultées  en  1784,  s'en  déclareront  satisfaites1, 
l'Assemblée  provinciale  de  Haute-Normandie,  en  1787,  condam- 
nera ces  hommes  qui  «  font  une  espèce  d'agiotage  de  la  collecte 
des  impositions  de  diverses  paroisses...  [et  donnent  à  leurs] 
avances  prétendues  une  extension  qui  devient  autant  onéreuse 
au  contribuable  que  funeste  dans  ses  suites2  ». 

Lorsqu'un  collecteur,  porte-bourse  ou  autre,  décédait  en  cours 
décharge,  il  fallait  pourvoir  à  son  remplacement.  Les  règlements 
distinguaient  à  cet  égard  deux  cas  :  si  le  rôle  n'était  pas 
encore  fait,  ou  si,  du  moins,  la  collecte  n'était  pas  commencée, 
on  devait  procéder  à  une  nouvelle  élection  3.  Mais  si  la  perception 
était  en  cours,  on  ne  pouvait  en  user  de  même,  car  «  le  rôle 
est  un  acte  qui  engage  ceux  qui  l'ont  arrêté i  »  ;  les  héritiers 
devaient  donc  prendre  la  place  du  défunt,  étant  «  tenus  de  la 
part  et  portion  de  ce  collecteur  dans  les  pertes  et  non-valeurs 
des  taxes  et  du  rôle5  ».  C'est  pourquoi  nous  avons  vu  la  veuve 
d'un  collecteur  allouer  la  collecte  à  un  tiers,  dans  la  paroisse  de 
Saint-Ouen-le  Brisou.  De  même,  le  13  février  1677,  l'Election 
de  Falaise  autorise  Jean  Demay,  tuteur  des  enfants  de  son 
frère  défunt,  à  faire  la  collecte  des  restes  de  taille  dus  à  ce 
dernier  en  la  paroisse  de  Bretteville-sur-Dive,  pour  les  années 
1660,  1670  et  1675,  attendu  «  qu'en  sadite  qualité  [de  tuteur] 
il  est  obligé  de  faire  la  collection  des  deniers  deubs  aux  héri- 
tiers de  sondit  frère6  ».  Mais  on  a  des  exemples  de  réélection 
de  collecteurs  en  ce  cas  :  De  Merville,  du  reste,  les  juge  légi- 
times 7. 

1.  Voir  le  dossier  de  l'enquête  A.  D.  Galv.,  G  4391. 

2.  Procès-verbal  de  l' assemblée  provinciale  de  Haute-Normandie,  p.  359. 

3.  Vieuille,  p.  258.  C'est,  dit-il,  la  jurisprudence  de  la  Cour  des  aides  de 
Paris. 

4.  Id.,  ibid. 

5.  Id.,    ibid. 

6.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  de  l'Election  de  Falaise,  à  sa  date.  L'effet  de  la  sen- 
tence des  élus  est  d'enjoindre  «  aux  laillables  de  luy  obéir  en  cette  qualitté  de 
collecteur  ». 

7.  Maximes,  p.  38.  A  Tracy,  un  collecteur  de  l'année  1671  étant  mort,  les 
habitants  s'assemblent  le  20  septembre  «  pour  adviser  aux  moyens  de  mettre  un 
autre  collecteur  au  lieu  et  place  de  feu  Jacques  Lelarge,  suyvant  plusieurs  sen- 
tences de  Mrs  les  eleus  de  Gaen,  pour  éviter  aux  frais  et  longueur  de  procès,  et 
advancer  de  faire  sortir  les  deniers  de  ladite  taille  »,  et  ils  nomment  deux  rem- 
plaçants, qui  payeront  chacun  35  1.  au  porte-bourse  «  par  moytié,  à  deux  termes 
égaux,  scavoir  la  Saint-Michel  et  Noël  prochain  ».  A.  D.  Calv.  Registre  de  con- 
sentements de  Tracy. 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


27 


41»  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


III.    —   LA   COLLECTE 

Les  collecteurs,  réguliers  ou  conventionnels,  doivent  perce- 
voir l'impôt  de  tous  les  contribuables  de  la  paroisse,  excepte 
les  taxes  d'office,  qui,  on  l'a  vu,  sont  payables  directement  au 
receveur1.  L'année  financière  commençant  le  1er  octobre,  ils 
doivent  commencer  leurs  diligences  dès  cette  date,  ou  du  moins 
dès  que  le  rôle  est  exécutoire. 

La  taille  est  une  dette  quérable  ;  les  collecteurs  doivent  donc 
se  présenter  au  domicile  de  chacun  pour  encaisser;  il  est  ainsi 
procédé  généralement 2,  mais  souvent  aussi  les  collecteurs 
choisissent  un  lieu  et  des  jours  de  recette.  Le  lieu  est  fréquem- 
ment le  cabaret,  quoique  les  ordonnances  l'interdisent;  à  Neuilly- 
l'Evêque,  à  Saint-Vigor-le-Pctit,  à  Vaubadon,  paroisses  de 
l'élection  de  Bayeux,  à  Sasseville,  de  l'élection  de  Caudebec, 
c'est  le  presbytère;  les  collecteurs  y  attendent  les  contribuables 
un  ou  deux  jours  de  chaque  semaine3.  Ailleurs  encore,  c'est 
le  domicile  particulier  d'un  collecteur. 

Les  dates  auxquelles  les  collecteurs  doivent  faire  la  perception 
sont  déterminées  par  celles  où  ils  doivent  faire  leurs  versements 
aux  receveurs.  Ces  dernières,  suivant  les  commissions,  dont 
les  mandements  aux  paroisses  répètent  les  termes 4,  sont  :  le 
1er  décembre,  le  dernier  février,  le  dernier  avril  et  le  1er  oc- 
tobre. Mais  en  réalité  les  choses  ne  se  passent  pas  ainsi.  Les 
retards  dans  la  confection  des  rôles,  les  nombreux  procès,  la 
misère  et  la  mauvaise  volonté  des  contribuables,  les  arriérés, 
l'obligation  d'acquitter  les  autres  impôts,  empêchent  de  perce- 
voir la  taille  avec  une  telle  régularité;  les  receveurs  se  font 
payer  quand  et  comme  ils  peuvent;  il  y  a  presque  autant  de 
modes  d'encaissement  que  d'élections.  D'ailleurs  le  gouverne- 
ment, qui  a  toujours  connu  les  difficultés  de  cette  perception,  n'a 
jamais  essayé  d'appliquer  l'ordonnance,  et  s'est  simplement 
préoccupé  de  faire  rentrer  les  fonds  le  moins  mal  qu'il  était 
possible. 

On  a  fait  cependant,  à  notre  époque,  des  essais  de  réglemen- 
tation. Un  arrêt  du  conseil  du  12  novembre  1665  prescrit  d'abord 


1.  Ci-dessus,  p.  340. 

2.  Cf.  ci-dessous,  les  exemples  de  violences  contre  des  collecteurs  se  présentant 
chez  les  contribuables  pour  faire  leur  recette,  et  Boisgnilbert,  Détail,  éd.  1707, 
I,  p.  27. 

3.  Rôles  de  l'élection  de  Bayeux,  A.  Mun.  Baveux,  et  de  l'élection  deNeufchàtel, 
A.  D.  S.-lnf.,  C.  J        .  J        . 

4.  Ces  dates  ne  sont  fixées  par  ancun  autre  acte  législatif  que  les  commissions. 
La  déclaration  de  1643  (art.  6)  indiquait  le  15  des  mois  de  novembre,  janvier, 
avril,  juillet,  et  octobre,  mais  on  a  vu  qu'elle  n'était  pas  appliquée  en  Normandie. 
On  n  en  tenait  pas  compte  davantage,  sur  ce  point,  dans  le  reste  du  royaume. 


LA    COLLECTE.  419 

aux  receveurs  de  choisir  un  jour  de  recette  «  pour  la  commodité 
des  collecteurs  »,  lequel  jour  fut  habituellement  celui  du  marché1. 
Puis,  en  1670,  l'intendant  de  Rouen,  ayant  écrit  à  Colbert  «  que 
si  les  receveurs  s'abonnoient  avec  les  collecteurs  par  mois,  ce 
remède  empescheroit  bien  des  frais  de  recouvrement2  »,  il  fut 
autorisé  à  tenter  l'expérience  l'année  suivante3  : 

«  Nous  exhortons  les  collecteurs,  écrivît-il  dans  son  mandement,  de 
venir  incessamment  trouver  le  receveur  des  tailles  de  vostre  eslection, 
afin  de  convenir  des  termes  des  payemens  de  la  somme  a  laquelle  vostre 
dite  paroisse  est  imposée;  lesquels  payemens  estans  faits  dans  les 
temps  qui  seront  convenus,  ledit  receveur  ne  pourra  se  faire  payer 
aucuns  frais  pour  les  courses  de  ses  huissiers,  en  cas  qu'il  en  fist  faire 
aucune  auparavant  l'échéance  desdits  termes4.  » 

Les  résultats  obtenus  ayant  été  satisfaisants,  Colbert  étend 
le  procédé  à  la  généralité  de  Caen5,  et  en  1678  l'intendant 
déclare  «  qu'il  n'y  a  point  de  moyen  plus  convenable  pour 
empescher  [les  frais]  que  les  atermoiments6  ».  Il  a  donné  aux 
receveurs  particuliers  l'ordre  de  tenir  un  registre  où  les  con- 
ventions seront  inscrites  et  contresignées  par  les  intéressés  ; 
moyennant  quoi  il  leur  est  défendu  «  de  délivrer  aucunes  con- 
traintes aux  huissiers,  et  a  tous  huissiers  de  faire  aucunes  con- 
traintes, exécutions,  frais  ny  poursuites,  a  peine  d'interdiction, 
de  500  1.  d'amende  et  de  répétition  de  toutes  pertes,  dommages 
et  intérests  que  les  communautés  en  auroient  pu  souffrir7  ». 
Comme  les  collecteurs  pourraient,  en  «  interprétant  mal  »  cet 
article,  «  faire  difficulté  de  paier  la  taille  autrement  que  de  mois 
en  mois  en  quatorze  paiements,  et  que  mesme  les  receveurs  des 
tailles  sembleroient  n'avoir  pas  la  liberté  de  décerner  leurs 
contrainctes  en  la  manière  accoustumée  et  dans  les  temps  portez 
par  les  reglemens  a  cause  desdites  deffenses  »,  une  ordonnance 
du  12  décembre  suivant  fait  savoir  que  cette  mesure  «  n'est  que 
pour  exhorter  les  collecteurs  a  faire  les  dits  attermoyemens  pour 
evitter  les  frais  »,  et  qu'en  conséquence  il  reste  entendu  que  les 
règlements  royaux  sur  les  contraintes  demeurent  en  vigueur  et 
pourront  être  appliqués  s'il  y  échet8. 

Mais  l'application  du  nouveau  système  fut  gênée  par  la  hâte 


1.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen,  procès  de  Cairon,  et  let.  du  receveur  de  Mor- 
tain,  21  janvier  1679,  A.  N.  C  213. 

2.  Let.  du  30  septembre  1670,  Glairamb.  792,  p.  337. 

3.  Let.  du  6  juillet  1671,  ibid.,  p.  751. 

4.  Mandement  pour  la  taille  de  1673,  A.  D.  S.  Inf.,  C  2  215;  cf.  les  mandements 
postérieurs,  B.  N.  fr.  8  761b",  reproduisant  à  peu  près  cette  prescription. 

5.  Mandement  pour  la  levée  de  la  taille,  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen. 

6.  Mandement  pour  la  nomination  des  collecteurs,  1er  août  1678,  ibid. 

7.  Ibid. 

8.  A.  D.  Calv.  Elect.  de  Caen,  registre  d'ordonnances,  à  sa  date. 


,,J0  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

du  gouvernement  à  faire  rentrer  les  fonds  au  Trésor:  Le  11  jan- 
vier 1678,  Chamillart  explique;!  Colbert  que,  comme  le  receveur 
généra]  «  est  obligé  de  payer  dans  le  mois  de  febvrier  les  mois 
de  mars  et  d'avril,  il  oblige  les  receveurs  particuliers  a  faire  faire 
la  mesme  advance  aux  colecteurs,  ce  qui  interrompt  les  atterme- 
incnts  qui  leur  estoient  accordez  de  mois  en  mois,  et  causera 
beaucoup  de  frais1  ».  D'autre  part,  le  paiement  de  mois  en  mois 
n'était  pas  toujours  le  plus  commode  pour  les  collecteurs  :  il  y 
avait  des  époques  de  l'année  où  ils  ne  pouvaient  rien  encaisser; 
«  pendant  les  mois  de  may,  juin,  juillet  et  aoust,  écrit  Colbert, 
les  peuples  ne  payent  rien  dans  les  provinces,  parce  qu'ils  sont 
occupés  aux  récoltes2  ».  «  Les  meilleurs  mois  de  l'année,  et 
dans,  lesquels  les  peuples  payent  le  plus,  dit-il  encore,  sont  assu- 
rément ceux  d'octobre,  novembre  et  décembre3.  »  Aussi,  cer- 
tains administrateurs  désapprouvaient-ils  le  système.  L'inten- 
dant de  Franche-Comté  écrit  au  contrôleur  général  le  10  septem- 
bre 1684  qu'  «  il  y  a  des  mois  dans  l'année  où  le  paysan  ne  peut 
faire  d'argent,  ce  qui  fait  que  l'on  fait  des  poursuites  et  des  frais 
qui  ont  monté  à  des  sommes  excessives  »;  si  l'on  rétabli  le 
paiement  par  quartiers,  on  soulagera  «  cette  province  de  la 
valeur  du  tiers  de  l'imposition*  ».  Néanmoins,  la  pratique  des 
«  abonnements  »  fut  généralement  reconnue  bonne,  et  en  1689, 
le  contrôleur  général  recommandera  vivement  à  l'intendant 
d'Alençon  de  l'introduire  dans  sa  généralité,  où  elle  ne  semble 
pas  avoir  été  usitée  jusque-là  5,  et  l'auteur  du  Recueil  d'Orsay 
conseille  à  tous  les  intendants  de  l'adopter6. 

Les  collecteurs  ne  sont  pas  tenus  de  délivrer  un  reçu  aux 
taillables  pour  les  sommes  payées;  le  règlement  de  janvier 
1634,  art.  38,  leur  prescrit  seulement  de  «  croiser  »  sur  un 
exemplaire  du  rôle,  qu'ils  doivent  toujours  porter  avec  eux,  et 
qui  est  désigné  parfois  sous  le  nom  de  «  cueilloir  » 7,  «  les  paie- 

1.  Analyse  de  sa  lettre.  Clairamb.  794,  p.  81. 

2.  Mémoire  sur  les  affaires  de  finances,  Clém.,  II,  36.  C'est  pour  ce  motif,  dit 
Colbert,  que  l'on  ajourna  l'arrestation  de  Fouquet. 

3.  Let.  à  Mazarin,  31  août  1651»,  Clém.,  I,  360.  Cf.  le  mémoire  de  l'intendant 
d'Alençon  du  22  juillet  1680  :  les  principaux  payements  se  font  «  après  la  récolte  » 
(A.  N.  G^  71). 

4.  De  Boislisle,  Correspondance,  t.  I,  n°  111.  Il  obtient  ensuite  satisfaction,  et  se 
félicite  des  améliorations  obtenues  (ibi-l.). 

5.  Let.  du  8  janvier,  dans  De  Boislisle,  Correspondance,  t.  I,  n°  650  :  «  Le  roy 
avant  remarqué  que,  dans  beaucoup  de  généralités  du  royaume,  les  receveurs  des 
tailles  véritablement  appliqués  au  soulagement  du  peuple  ont  pris  le  parti 
d'abonner  les  paroisses  afin  d'éviter  les  frais  de  recouvrement,  S.  M.  désire  que 
vous  portiez  les  receveur»  des  tailles  de  vostre  généralité  à  en  user  de  mesme, 
particulièrement  ceux  de  Mortagne  et  de  Conches,  où  je  remarque  que  les  recou- 
vrements se  font  avec  beaucoup  plus  de  dureté  qu'ailleurs...  » 

6.  B.  N.  fr.  11  096,  f>  16. 

7.  Les  rôles-cueilloirs  sont  assez  rares  dans  les  archives  publiques,  où  l'on  a 
généralement  les  rôles  des  greffes  d'élections  ou  d'intendances.  On  en  trouve 
quelques-uns  dans  les  fonds  d'élections  des  Arch.  du  Calvados;  aux  Arcb.  de  la 
Seine-Inférieure,  se  trouve  celui  de    Saulmont  la  Poterie  (élection  des  Andelys), 


LA    COLLECTE.  421 

ments  qui  seront  faits  par  les  cotisez...  au  même  instant  que 
lesdits  paiemens  seront  faits1  ».  Un  édit  de  décembre  1654 
avait  enjoint,  à  la  vérité,  aux  collecteurs  de  «  fournir  des  quit- 
tances aux  particuliers  taillables  des  sommes  qu'ils  recevront 
d'eux,  outre  l'emploi  qu'ils  en  feront  dans  leurs  papiers  de  col- 
lecte »,  mais  ces  quittances,  frappées  d'Un  droit  de  4  deniers 
au  profit  du  Trésor,  n'étaient  qu'un  expédient  fiscal,  un  véri- 
table impôt  ajouté  à  la  taille;  les  Etats  de  Normandie,  en  1655, 
faisaient  remarquer  justement  que  «  s'il  failoit  lever  autant  de 
quittances  à  4  d.  pour  chacun  [payement],  les  frais  des  dites 
quittances  excéderoient  le  principal  de  la  taille  des  misérables 
qui  n'en  payent  qu'un  sol  ou  deux,  et  en  tous  autres  augmen- 
teroit  notablement  leur  imposition  '  »  ;  le  roi  leur  promit  d'abord 
de  réglementer  la  perception  du  droit  «  au  plus  grand  soula- 
gement du  peuple  qui  se  pourra  »,  puis,  deux  ans  après,  rap- 
porta l'édit,  et  l'on  revint  à  l'usage  ancien. 

Cet,  usage  permettait  des  abus  très  graves.  Parmi  les  motifs 
donnés  en  tète  de  l'édit  de  décembre  1654,  on  lit  : 

«  L'un  des  plus  grands  désordres  qui  se  commettent  en  la  levée  des 
deniers  de  nos  tailles  procède  de  la  malice  des  collecteurs,  qui,  abusant 
de  l'ignorance  et  foiblesse  des  particuliers  tailliables,  n'écrivent  point 
sur  leurs  rolles  ou  papiers  de  collecte  les  sommes  entières  qu'ils  reçoi- 
vent, et  ensuite  supposent  de  faux  restes  à  recouvrer,  pour  lesquels 
on  contraint  souvent  les  tailliables  à  payer  deux  fois  une  même  somme, 
ou  l'on  fait  des  rejets  sur  les  autres  contribuables,  ou  en  tous  cas  ces 
faux  restes  tombent  en  non-valleurs3.  » 

Lorsque  les  collecteurs  étaient  tous  illettrés,  ils  étaient  forcés 
de  faire  marquer  les  paiements  par  d'autres,  et  c'était  encore 
une  source  de  voleries.  «  Ces  collecteurs  ignorans,  dit  Lallemant 
de  Lévignen,  sont  obligés  de  prendre  quelqu'un  avec  eux  pour 
écrire  les  sommes  qu'ils  reçoivent,  ce  qui  leur  occasionne  des 
frais  et  d'estre  souvent  trompés,  ou  s'ils  s'en  rapportent  aux 
contribuables  mêmes  pour  écrire  ce  qu'ils  reçoivent  sur  leur 
ligne,  ils  employent  des  sommes  plus  considérables  que  celles 

pour  1673  (G  2  213).  Je  reproduis  plus  loin  une  page  de  celui  de  Cuy  (Election 
d'Argentan),  appartenant  à  M.  Bridrey,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Mont- 
pellier. 

1.  Cf.  V Abrégé  des  trois  états  du  Clergé,  de  la  Noblesse  et  du  tiers  Etat,  par  le 
sieur  D.  G.,  Paris,  1682,  p.  73  :  «  Par  le  droict  romain,  les  collecteurs  estoient 
tenus  de  donner  quittance  aux  particuliers,  mais  aujourd'hui  il  suffit  de  bastonner 
les  roolles  ». 

2.  De  Beaurepaire,  Cahiers...  règnes  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  Supplém.  p.  23. 

3.  C.  d.  T.,  I,  p.  454.  Cf.  par  contre  le  cahier  des  Etats  de  Normandie,  de 
décembre  1655,  cité  plus  haut  :  «  L'ordre  accoustumé  de  marquer  par  les  collec- 
teurs sur  leurs  rolles  les  payements  qui  leur  seront  faits  pourvoit  suffisamment 
à  la  seureté  des  taillables  de  ne  pouvoir  estre  recherchez  de  ce  qu'ils  ont  payé.  » 
Mais  les  Etats  sont  ici  sujets  à  caution  :  ils  désirent  faire  supprimer  le  droit  de 
quittance  établi  par  l'édit. 


42Î  LA    TAILLE    BN    NORMANDIE. 

«ju  ils  payent  aux  collecteurs,  ce  qui  fait  naître  des  contestations 
entr'eux  ou  cause  leur  ruine1  ». 

Souvent  aussi,  les  collecteurs  négligeaient  d'inscrire  ce  qu'ils 
recevaient,  ou  tenaient  des  rôles  en  double,  qui  ne  se  corres- 
pondaient pas.  Les  contestations,  de  ce  fait,  étaient  nombreuses, 
et  fournissaient  de  la  «  pratique  »  aux  Elections. 

Les  intendants  dénoncèrent  les  mauvais  usages  dans  leurs 
mandements  aux  paroisses.  «  Ne  pourront  lesdits  collecteurs, 
disait  celui  de  Caen  en  1676,  avoir  que  chacun  un  papier  de 
collection,  sur  lequel  ils  feront  leur  collecte,  et  croiseront  les 
taux  des  contribuables  a  l'instant  des  payemens,  sans  se  servir 
d'autres  mémoires,  à  peine  de  punition  corporelle2.  »  Ils  établi- 
rent aussi  la  vérification  de  la  recette  par  des  personnes  notables 
de  la  paroisse.  Celui  de  Rouen,  en  1673,  ordonna  aux  habi- 
tants «  de  faire  représenter  par  lesdits  collecteurs  leurs  rôles 
de  mois  en  mois,  en  présence  du  curé  de  [la]  paroisse,  du 
sindic  et  de  deux  ou  trois  des  principaux  habitans...,  pour  voir 
s'ils  y  ont  employé  les  receus  des  particuliers  contribuables*  ». 
Mais  on  ne  voit  pas  que  de  grandes  améliorations  aient  été 
obtenues.  En  1690,  l'auteur  du  Recueil  d'Orsay  écrit  que  souvent 
les  collecteurs  «  n'écrivent  point  les  payemens  qui  leurs  sont 
faits  par  les  taillables  sur  les  papiers  de  collection  a  l'instant 
qu'ils  leur  sont  faits,  et  se  contentent  de  l'écrire  quelquefois 
sur  des  feuilles  volantes*  ». 

Voici  la  reproduction  d'une  page  du  «  papier  pour  faire  le 
recepte  »  en  l'année  1662,  dans  la  paroisse  de  Cuy  (Election 
d'Argentan).  La  somme  à  lever,  447  l.  6  s.,  est  divisée  en  deux 

f>arties5  :  le  principal  de  la  taille  avec  les  crues   (188  1.),  et 
e  taillon;  elle  est  répartie  entre  51  feux  «  utiles  »  (il  y  a  en 
outre  deux  feux  cotisés  à  néant)  : 

Estienne  Le  Peltier XII1     x* 

taillon  id xvn1  mi" 

Resus  le  premie  jour  de  fufriei      xxx  s. 
plus  Resus    xx  s.  plus  Resus  lx  s. 
plus  Resus  xxx  s.  plus  Reçus  nu  1.  | 
Reçus  lx  s.  plus  R.  lvi  s. 
R.  xv  1.  xvn  s.  mi  d. 

PlBRRB  RoXVOISIN  FILS   JEAN VII1       X* 

taillon  id x1    vi»  vid 

R.  ce  vingt  neuf  de  jeanvier  trante  soubz. 

1.  B.  N.  fr.  7  771,  f»  182. 

2.  A.  D.  Calv .,  Election  de  Caen. 

3.  A.  D.  S.  Inf.  C,  2215.  Cf.  le  mandement  de  1677,  B.  N.  fr.  8  76tb1*,  f°  27. 

4.  B.  N.  fr.  11096,  f  38. 

5.  Elle»  sont  imposées  séparément,  comme  il  était  prescrit.  C'est  seulement  à 
partir  de  1663  que  les  impositions  seront  faites  en  une  seule  ligne  pour  chaque 
contribuable. 


LA    COLLECTE.  423 

plus  Resus  xl  s.  plus  Reçus  xxxv  s.  plus  Reçus  xxxv  s. 

plus  Resus  xxxv  s.  plus  Resus  xxxv  s. 

plus  Resus  xl  s.  plus  Reçus  x  s.  |  Reçus  xxxv  s. 

R.  xxv  s.  plus  Reçus  lxxii  s. 

On  voit  que  seule  la  date  du  premier  versement  est  marquée 
(elle  varie,  suivant  les  contribuables,  du  21  janvier  au  11  mai 
suivant);  les  sommes  encaissées  sont  inscrites  bout  à  bout,  en 
chiffres  de  compte,  sans  indications  d'aucune  sorte;  des  blancs 
sont  laissés,  permettant  toutes  les  intercalations  possibles.  A 
un  certain  endroit  dans  chaque  série  de  reçus  est  placée  une 
barre  verticale,  qui  marque  peut-être  la  séparation  entre  les 
sommes  perçues  par  deux  collecteurs  différents.  Chose  singu- 
lière, lorsqu'on  totalise  les  reçus,  on  arrive,  pour  la  plupart  des 
contribuables,  à  un  total  supérieur  à  leur  cote.  Ainsi  l'on  peut 
calculer  qu'Etienne  Le  Peltier,  imposé  à  29  1.  14  s.,  a  payé 
31  1.  6  s.  4  d.,  et  Pierre  Bonvoisin,  imposé  à  17  1.  16  s.  6  d.,  a 
payé  19  1.  12  s.  D'autres,  par  contre,  ne  se  sont  pas  acquittés 
complètement  :  tel  Nicolas  David,  imposé  à  33  s.  3  d.,  qui  n'a 
payé  que  30  s.  en  deux  fois,  ou  Robert  Bonvoisin,  imposé  à 
10  1.  8  s.,  qui  a  versé  un  jour  8  1.  5  s.,  puis  n'a  plus  rien  payé; 
il  en  est  même  deux,  imposés  au  total  h  19  1.  2  s.  5  d.,  qui 
n'ont  lait  aucun  versement.  Il  est  possible  que  les  sommes 
levées  en  excédent  aient  été  destinées  à  compenser  l'impayé, 
mais  en  ce  cas  il  y  eut  du  boni  pour  les  collecteurs,  car  le  total 
des  sommes  reçues  dépasse  l'imposition  de  42  1.  Peut-être  aussi 
l'excédent  était-il  destiné  à  payer  des  dépenses  supplémen- 
taires, frais  de  procès,  de  contraintes  ou  autres;  nous  en  sommes 
réduits,  sur  ce  point,  aux  conjectures. 

On  peut  aisément  constater,  sur  le  cueilloir  de  Cuy,  les  len- 
teurs et  les  difficultés  de  la  recette.  En  dehors  de  ceux  qui  n'ont 
pas  acquitté  leur  dû,  et  de  ceux  qui  étaient  imposés  à  moins  de 
15  d.  —  c'est-à-dire  à  une  somme  infime  — ,  il  n'est  que  deux 
contribuables  qui  aient  payé  en  une  seule  fois  ;  six  ont  payé  en 
deux  fois,  deux  en  trois  fois,  les  autres  en  huit,  dix  et  douze  fois. 
Julien  Bodé  paye  61.4  s.  1  d.  en  13  versements,  la  veuve  Mathieu 
Corneilles,  5  1.  7  s.  1  d.  en  14  versements,  Pierre  Bonvoisin  fils 
Macé,  20  1.  16  s.  1  d.  en  16  versements.  Les  paiements  par  2  s., 
3  s.,  5  s.,  sont  très  fréquents1. 

Ce  qui  se  passait  à  Cuy  se  retrouve  dans  la  grande  majorité 
des  paroisses.  On  verra  plus  loin  la  peine  que   les  receveurs 

1.  Cf.  Boisguilbert,  Le  Détail,  éd.  1707,  t.  I,  p.  18  :  Les  contribuables  ont  l'ha- 
bitude «  de  payer  sol  a  sol,  après  mille  contraintes  et  mille  exécutions,  soit  pour 
se  venger  des  collecteurs  de  les  avoir  imposez  a  une  somme  trop  forte,  en  retar- 
dant par  là  leur  aport  en  recette,  et  leur  faisant  soufrir  des  courses  d'huissiers, 
ou  pour  rebuter  ceux  de  l'année  suivante  de  les  mettre  en  une  pareille  somme 
par  les  difficultés  des  paiemens...  Tel  les  fait  venir  cent  fois  en  sa  maison  pour 
avoir  le  paiement  de  sa  taille,  qui  a  de  l'argent  caché  ». 


,.,  LA    TAILLE    EN    XOKMANDIE. 

avaient  de  se  faire  payer  des  collecteurs  :  elle  montre  que  les 
collecteurs  eux-mêmes  ne  faisaient  pas  facilement  leurs  recou- 
vrements. Presque  jamais  la  taille  d'une  année  n'était  payée  en 
douze  mois,  de  sorte  que  les  contribuables  avaient  affaire  à  plu- 
sieurs groupes  de  collecteurs  à  la  fois  :  on  voyait  ainsi  dans  les 
rues,  suivant  l'expression  deBoisguilbert,  «  une  espèce  d'armée  » 
battant  le  pavé  «  sans  presque  rien  recevoir  que  mille  injures 
et  mille  imprécations  ».  La  cause  de  cette  lenteur  est  souvent 
une  réelle  impuissance  des  contribuables,  mais  aussi  fréquem- 
ment ceux-ci  veulent  simplement  «  se  venger  des  collecteurs  de 
les  avoir  imposez  à  une  somme  trop  forte,  en  retardant  par  là 
leur  aport  en  recette,  et  leur  faisant  souffrir  des  courses 
d'huissiers,  ou  rebuter  ceux  de  l'année  suivante  de  les  mettre 
en  une  pareille  somme,  par  les  difficultez  des  paiements  l.  » 

Les  collecteurs  ne  manquent  pas  de  moyens  de  contrainte  envers 
les  récalcitrants.  La  vérification  du  rôle,  on  l'a  vu,  en  fait  un 
acte  authentique,  emportant  créance  sur  ceux  qui  y  sont  inscrits. 
En  conséquence,  le  collecteur  peut  «  faire  saisir  les  fruits  et  les 
effets  mobiliaires  du  cotisé  sans  autre  obligation  ni  condamna- 
tion, car  ces  sortes  de  biens  des  cotisés  sont  engagés  par  la  seule 
cotisation2  ».  Les  formalités  ordinaires  des  saisies,  fixées  par 
l'ordonnance  d'avril  1667,  ne  sont  pas  applicables  en  la  matière  : 
un  édit  de  mars  1668,  après  bien  d'autres,  en  dispense  formel- 
lement les  collecteurs.  Ils  n'ont  besoin  ni  d'huissiers,  ni  de 
sergents,  ni  de  recors  ou  témoins*.  L'intendant  Leblanc  juge 
cette  procédure  bonne,  parce  qu'elle  réduit  les  frais  de  con- 
trainte :  «  Il  est  nécessaire,  dit-il,  de  permettre  aux  collecteurs 
de  saisir  les  levées  et  de  les  vendre  eux-mesmes  a  la  porte  de 
l'église,  après  une  publication  au  prosne,  ayant  trouvé  au  Pon- 
teaudemerque  pour  une  vente  de  80  1.  il  y  avoit  eu  100  1.  de  frais 
d'huissiers*  ».  Les  élus  de  Verneuil,  en  1683,  ayant  imaginé  de 
faire  assermenter  l'un  des  collecteurs  pour  les  saisies,  l'intendant 
déclare  que  ce  procédé  «  est  tout  a  fait  incommode  aux  collec- 
teurs, car  outre  qu'il  leur  en  couste  de  l'argent,  ils  ne  peuvent 
cuillir  les  deniers  du  roy  que  celuy  qui  a  preste  le  serment  ne 
soit  avec  eux,  parce  que  les  contribuables,  le  voyant  absent, 
sçavent  que  les  autres  ne  peuvent  saiziret  retardent  ainsy  jusques 
a  un  autre  jour  qu'il  soit  avec  ses  consortz3  ». 

Toutefois,  l'intervention  des  huissiers  et  de  la  force  publique 
est  permise  quand  les  contribuables  sont  «  de  difficile  discus- 


1.  Doisguilbert,  Détail,  éd.  1707,  I,  p.  18. 

2.  Domat,  U  droit  public,  t.  II,  p.  33.   Cf.   le  recueil  d'Orsay,  B.  N.  fr.  11096, 
f°  14.  r  J 

3.  Let.  du  22  juin  1681,  A.  N.  G^  491. 

4.  Cf.  aussi  l'arrêt  du  Conseil  du  4  juillet  1664,  art.  9,  Règlements  de  Normandie, 

5.  Mémoire  du  V  septembre  1683,  A.  N.  C  71. 


LA    COLLECTE.  425 

sion  »  ;  en  ce  cas,  les  huissiers  et  sergents  ne  peuvent  se  faire 
payer  de  leur  course  sans  formalités  :  ils  doivent  se  faire  taxer 
en  l'Election,  «  sauf  a  repéter  sur  les  collecteurs,  et  par  eux 
sur  les  particuliers,  chacun  a  proportion  de  sa  part  aférente 
de  ladite  taxe1  ». 

Lorsque  les  contribuables  jugent  que  la  saisie  est  indue, 
ils  peuvent  se  pourvoir  avant  la  vente  devant  l'Election.  Il  en 
résulte  un  très  grand  nombre  de  procès,  qui  vont  en  appel  à  la 
Cour  des  Aides.  Les  motifs  invoqués  dans  ces  procès  sont 
nombreux  et  variés.  Tel  prétend  n'être  pas  propriétaire  des 
meubles  qu'on  a  saisis;  tel  autre  affirme  ne  rien  devoir;  tel  autre 
soutient  que  les  biens  ne  sont  pas  saisissables.  Les  collecteurs  de 
Saint-Pierre-de-Canivet  ayant,  en  1677,  saisi  les  fermages  dûs  à 
Charles  Dusoir,  celui-ci  soutient  que  ces  fermages  ne  lui 
reviennent  pas,  attendu  «  qu'il  a  baillé  les  héritages  dont  pro- 
viennent lesdits  deniers  a  Messire  Abraham  Dusoir,  prebtre, 
son  fils,  pour  son  tiltre,  lequel  les  [lui]  a  baillés  a  ferme2».  Pierre 
Chevalier,  sergent,  s'oppose  à  l'exécution  de  deux  vaches  que 
lui  ont  prises  les  collecteurs  de  La  Ferté-Macé  en  1674,  attendu 
qu'il  a  «  fait  plusieurs  assignations  et  dilligences  pour  lesdits 
collecteurs  jusques  a  la  somme  de  7  1.  5  s.  6  d.  »;  l'exécuter, 
dit-il,  «  ne  seroit  raisonnable  ».  Mais  les  élus  ne  lui  donnent 
pas  satisfaction,  car  «  les  deniers  de  la  taille  ne  se  compen- 
sent contre  les  sallaires  d'un  sergent3  ».  Le  2  août  1662,  la 
Cour  des  Aides  casse  la  saisie  de  deux  génisses  et  un  pou- 
lain faite  sur  la  dame  Marie  de  Cussy  par  les  collecteurs  de 
Formigny  «  en  conséquence  du  droit  de  forgage  à  elle  donné 
par  Jean  Ivel,  par  acte  passé  devant  tabellions,  de  retirer  lesdits 
bestiaux4  ».  Pierre  Dufay  veut  empêcher  les  collecteurs  de  La 
Forêt,  élection  de  Falaise,  de  saisir  pour  sa  taille  une  vache 
appartenant  à  un  de  ses  fermiers,  soutenant  que  ce  n'est  pas  en 
réalité  son  fermier,  mais  son  domestique5... 

Les  collecteurs  rencontraient  des  difficultés  particulières 
lorsqu'il  fallait  faire  payer  la  cote  de  ces  «  coqs  de  paroisses  », 
personnes  puissantes,  fermiers  de  privilégiés,  dont  on  a  vu 
l'intervention  lors  de  l'assiette.  Il  existe,  disait  La  Barre,  quan- 
tité de  «  gens  de  main  forte  dont  les  collecteurs  ne  peuvent 
venir  h  bout6  ».  Les  personnes  puissantes,  dit  aussi  Pescheur, 
c'est-à-dire  «  les  officiers  des  justices  ordinaires,  maires,  esche- 
vins,   gens   du   barreau  et  autres   »,  qui  «    ne  portent  de  taille 

fi.  Arrêt  du  Conseil  du  4  juillet  1664,   art.  9.  Pour  les  biens  saisissables,  voir 
ci-dessous,  p.  460  et  suiv. 

2.  Plumitif  de  l'Election  de  Falaise,  8  mai  1677,  A.  D.  Calv. 

3.  Ibid.,  à  la  date  du  1er  décembre  1674. 

4.  Plumitif  de  la  Cour  des  Aides,  à  la  date  du  2  août  1662. 

5.  Plumitif  de  l'Election  de  Falaise,  à  la  date  du  23  février  1674. 

6.  Formulaire,  p.  48.  Cf.    le  règlement  du  27  novembre  1641,  dans  Néron,   II, 
p.  663,  un  arrêt  du  Conseil  du  5  novembre  1G53,  A.  N.  AD  ix  470,  pièce  14,  etc. 


,v,  LA    TAILLE    EN    NOItMANDIE. 

que  ce  qui  leur  plaisl,  »  ne  payent  «  jamais  les  sommes  qu'il/. 
s«»nt  demeurez  d'accord  de  porter,  les  asseeurs  n'osant  leur  en 
faire  demande,  parce  qu'ilz  leur  font  pièce  aussi  tost»  ».  Ces 
résistances,  connues  et  interdites  depuis  longtemps,  avaient  été 
particulièrement  fréquentes  pendant  la  Fronde.  Les  subdélé- 
gués de  la  Chambre  de  justice  en  1661  avaient  mission  d'en 
informer*,  et  Colbert  jugeait  leur  action  insuffisante  :  «  Il  fau- 
drait, écrivait-il,  establir  les  chambres  des  grands-jours  dans 
toutes  les  provinces,  afin  de  punir  les  crimes  et  particulière- 
ment les  empeschemens  faits  en  la  levée  des  deniers  du  royJ  ». 
En  1664,  un  arrêt  du  Conseil  dénonça  pour  les  interdire  les 
abus  des  personnes  d'autorité  en  Normandie  :  «  Aucuns  gen- 
tilshommes et  personnes  puissantes  de  la  province  de  Nor- 
mandie, abusans  de  leur  autorité,  bâtent  et  excédent  les  collec- 
teurs des  tailles  et  autres  sujets  de  S.  M.,  et  font  des  levées 
sous  prétexte  de  recompenses  de  la  protection  qu'ils  donnent 
aux  habitans  de  leurs  paroisses,  tant  pour  les  exempter  des 
logemens  de  gens  de  guerre,  que  pour  faire  diminuer  leurs 
tailles  »,  et  S.  M.  s'y  déclara  résolue  à  «  faire  connoitre  a  ses 
sujets  qu'ils  n'ont  besoin  d'autre  protection  que  de  la  sienne, 
laquelle  Elle  veut  employer  en  toutes  occasions  pour  leur  seureté 
et  soulagement*». 

Ces  personnes  d'autorité  avaient  un  moyen  d'empêcher 
indirectement  la  levée,  en  donnant  asile  aux  biens  des  con- 
tribuables menacés  de  saisie.  Le  règlement  d'août  1664,  après 
beaucoup  d'autres,  défendait  «  a  tous  ecclésiastiques,  sei- 
gneurs, gentilshommes  et  officiers  d'apporter  aucun  empê- 
chement a  la  levée  »  de  la  taille,  en  retirant  chez  eux  les 
grains,  meubles  et  bestiaux  des  contribuables,  ou  en  s'en 
déclarant  faussement  propriétaires,  mais  la  seule  pénalité  dont 
ils  étaient  menacés  était  «  de  paier  en  leurs  propres  et  privez 
noms  les  sommes  de  deniers  qui  se  trouvent  dues5  par  les  con- 
tribuables »  (art.  32). 

Sur  l'exécution  de  cet  article  nous  savons  peu  de  chose,  étant 
réduits  a  quelques  rares  informations  ou  dénonciations;  à  Aque- 
ville  (élection  de  Caudebec),  Nicolas  de  la  Montagne,  écuyer, 
sieur  de  la  Chapelle,  est  accusé,  en  1661,  d'avoir,  «  par  intelli- 
gence... achepté  tous  les  meubles  de  Bellelle  son  fermier,  quoi- 
qu'ils excédassent  plus  de  8000  I.  plus  qu'il  ne  pouvoit  pré- 
tendre »,  et  les  habitants  «  ne  peuvent  estre  payez  de  l'impost 
dudit  Bellelle,  à  cause  de  l'autorité  dudit  sieur  de  La  Montagne, 
lequel  mesme  s'est  pourveu  devant  le  juge  de  Cany,  et  les  a  laict 

1.  M.  C.  33,  f  90. 

2.  B.  N.,  Recueil  Thoisy  380,  f»  291,  verso. 

3.  Clém.,  VII,  197. 

4.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Gaen,  registre  d'ordonnances,  1664-74,  f°  59. 

5.  Le  texte  des  Règlements  de  .Xormandie  porte  :  «  qui  se  trouveront  devoir  ». 


LA    COLLECTE.  427 

condamner  a  remettre  es  mains  dudit  sieur  de  la  Montagne  les 
biens  indiquez  et  exécutez1.  »  En  1682,  à  Eu,  un  collecteur  a 
été  si  malmené  par  le  procureur  fiscal,  qu'il  a  dû,  par  crainte, 
quitter  le  bourg  en  emportant  son  rôle;  le  procureur  de  l'Elec- 
tion prie  Colbert  d'intervenir  pour  que  le  receveur  des  tailles 
ne  délivre  pas  de  contrainte  solidaire  contre  la  paroisse,  le 
paiement  de  l'impôt  étant  arrêté  de  ce  fait2.  En  1679,  à  La 
Lacelle,  près  d'Alençon,  un  collecteur  s'étant  présenté  pour  faire 
sa  recette  chez  un  sieur  Dugué,  personnage  «  autorisé  »  dans 
la  localité,  fut  rossé  à  ce  point  qu'il  en  mourut  peu  de  jours 
après.  La  Cour  des  aides  fit  une  information,  mais  Dugué  et  son 
fils,  qui  avaient  participé  à  l'affaire,  ne  purent  être  arrêtés  :  par 
contumace  ils  furent  condamnés  l'un  aux  galères  à  perpétuité, 
l'autre  à  mort3. 

Ces  violences  n'étaient  d'ailleurs  pas  le  monopole  des  coqs 
de  paroisses.  Les  insultes  et  les  brutalités  étaient  la  monnaie 
courante  dont  on  payait  les  collecteurs  :  les  plumitifs  d'élec- 
tions nous  en  donnent  de  nombreux  exemples  :  maltôtier,  voleur, 
«  dépouille-pendu  »,  sont  des  injures  qui  accueillent  commu- 
nément le  porteur  du  rôle.  En  juillet  1677,  les  collecteurs  du 
Sac  (élection  de  Falaise)  allèrent  en  la  paroisse  de  Saint-Aubert 
pour  saisir  les  biens  de  Guillaume  Briquet  «  sur  la  ferme  et 
héritage  d'Emon.  Briquet  son  frère  »; 

Etant  arrivés  près  «  d'une  pièce  de  terre  en  herbage  appartenant 
audit  Emon  Briquet,  ils  furent  aperçus  par  ledit  Guillaume  Briquet, 
qui  s'écria  parlant  ausdits  collecteurs  :  «  Vous  estes  des  larrons,  que 
cherchez-vous?  »;  neantmoins,  sur  la  demande  que  fist  [=  firent]  les 
dits  collecteurs  au  dit  Guillaume  Briquet  de  l'impost  dudit  Emon  Bri- 
quet, son  frère,  il  leur  fist  offre  de  4  francs  ou  4  1.  10  s.  demandant 
qu'on  luy  donnast  une  partie  du  dit  impost,  et  qu'il  n'en  pairoit  que 
celle  la,  ce  qui  fut  refusé  par  les  dits  collecteurs,  lesquels  collecteurs 
dirent  au  dit  Guillaume  Briquet  :  «  Vous  avez  desjà  faict  exploitter  un 
jardin  a  pasture  de  vostre  frère  »  ;  lequel  repondit  que  ce  n'estoit  pas 
grand  chose  ».  Enfin  on  convint  de  «  s'accommoder  sur  un  pot*  ». 

Les  collecteurs  ne  sont  pas  toujours  de  composition  aussi 
facile.  Voici  le  procès-verbal  d'une  autre  scène,  qui  se  passa 
le  18  janvier  1694,  dans  la  paroisse  d'Hérouvillette,  près  de 
Caen5  :  Vers  neuf  heures  du  matin,  comme  les  trois  collecteurs 
faisaient  «  le  tour  de  la  paroisse  pour  faire  en  sorte  de  se  faire 


1.  Plumitif  de    l'Election  de  Gaudebec,  4  oct.  1661,  A.  D.  S.  Inf.,  G  2483.  La 
montagne  fait  défaut  au  procès;  la  vente  est  annulée  et  la  saisie  autorisée. 

2.  Let.  de  mai  1682,  A.  N.  G'  492. 

3.  Let.   de  l'intendant    d'Alençon,    2   mars    1679,    A.    N.  G7  71,   et   de   Leblanc, 
23  mars  1682,  B.  N.  fr.  8761,  f°  28. 

4.  Plumitif  de  l'Election  de  Falaise,  2  oct.  1677. 

5.  Dossier  d'un  procès   intenté    devant   l'Election   de  Caen  par  Anne  Boullard 
contre  les  collecteurs,  A.  D.  Galv. 


LA    TAILLE    EN    NOHMANDI K . 

payer  des  contribuables  »,  ils  entrèrent  chez  une  pauvre  veuve, 
nommée  Anne  Boullard,  imposée  à  (30  sous  ;  elle  leur  présenta 
«  quelque  somme  d'argent  parmy  lesquelles  paroissoient  des 
liards,  disant  qu'il  y  avait  dix  sols;  »  mais  un  des  collecteurs 
répondit  que  «  la  somme  ne  suifisoit  pas,  et  que  d'ailleurs  il  ne 
recevoit  pas  de  cette  monnoie,...  et  qu'il  falloit  prendre  une 
vache  ».  Sans  autre  forme  de  procès,  deux  collecteurs  entrèrent 
dans  la  maison,  le  troisième  restant  dehors  pour  garder  une 
autre  vache  saisie  chez  un  voisin.  La  veuve  et  sa  fille  les  reçurent 
à  coups  de  quenouille  et  de  pelle,  mais  elles  furent  à  demi  assom- 
mées et  traînées  jusqu'à  l'ornière  du  chemin,  et  la  vache  saisie. 
Enfin,  on  s'arrangea  :  les  femmes  offrirent  deux  sous  marqués, 
et  la  vache  fut  relâchée.  L'Election  de  Caen,  saisie  de  l'affaire, 
prononça  simplement  une  amende  de  10  1.  contre  les  collec- 
teurs, pour  payer  les  «  aliments  et  médicaments  »  aux  deux 
pauvres  femmes. 

l'ouï-  deux  ou  trois  épisodes  qui  curent  leur  dénouement 
devant  les  tribunaux  et  sont  ainsi  parvenus  à  noire  connais- 
sance, combien  s'en  est-il  déroulé  dont  les  documents  ne  nous 
ont  pas  conservé  de  traces? 


IV.   —    LES    RECEVEURS 

Les  deniers  perçus  par  les  collecteurs  doivent  être  versés  à  la 
recette  particulière,  au  chef-lieu  de  l'élection;  de  là  ils  sont 
transportés  à  la  recette  générale,  au  chef-lieu  de  la  généralité, 
pour  être  enfin  voitures  à  l'Epargne.  Pour  assurer  ce  service,  le 

f gouvernement  avait  deux  moyens  à  sa  disposition  :  la  ferme  et 
a  régie. 

L'afïermcmcnt,  ou,  comme  on  disait,  la  «  mise  en  parti  »  de 
la  taille  avait  été  employé  au  temps  de  Mazarin  '.  Les  avantages 
du  système  se  trouvent  énoncés  dans  le  bail  des  cinq  grosses 
fermes  du  21  janvier  1660  :  «  Les  frais  de  la  régie  consommoient 

1.  Forbonnnis  t.  I,  ]>.  250.  Pendant  presque  toute  la  minorité  de  Louis  XIV, 
l'affermement  fut  employé.  L'Etat  de  la  France  de  1654  dit  :  «  Le  Roy  met  les  tailles 
en  party  quand  bon  luy  semble  »,  puis  il  examine  les  avantages  et  les  inconvé- 
nients du  système  :  «  Cette  faço:i  de  les  lever  a  causé  plusieurs  fois  de  grands 
désordres,  mais  c'est  le  moyen  de  treuver  plus  promptement  de  l'argent  dans 
une  nécessité  présente.  En  ce  cas  là  les  e  y  le  us  et  trésoriers  généraux  ne  font 
plus  leur  charge,  parce  que  les  partisans  qui  ont  avancé  de  l'argent  au  Roy  font 
eux-mesmes  la  levée  et  le  recouvrement  des  tailles,  se  payans  ordinairement  des 
avances  qu'ils  ont  fait  au  Roy  à  six  pour  cent  de  bénéfice  de  levée,  outre  la  remise 
que  le  Roy  a  accoutumé  de  leur  faire.  La  pluspart  des  Tailles  du  royaume  sont 
présentement  en  party,  et  ne  se  lèvent  plus  autrement.  »  (Page  214).  Le  même 

Sassapre  est  reproduit  dans  les  Etat*  de  la  France  qui  suivent,  même  dans  celui 
e  1661  (p.  40/)  quoique  la  ferme  fût  supprimée  à  cette  date  (c'est  une  des  nom- 
breuses inexactitudes  qui  se  rencontrent  dans  les  premiers  volumes  de  ce  Recueil, 
qui  n'avait  rien  d'officiel),  cf.  L'Etat  de  la  France  comme  elle  estoit  gouvernée  en 
fait  i6ftS  el  lGtiO,  réédité  dans  Cimber  et  Danjou,  2e  série,  t.  VI,  p.  447  ;  il  ren- 
seigne plus  exactement  sur  la  question. 


LES    RECEVEURS. 


429 


la  plus  grande  partye  du  revenu  des  dictes  [impositions],  et  les 
commis  n'ayant  inthérest  à  la  conservation  de  nos  droicts, 
n'apportoient  pas  les  soins  et  dilligences  nécessaires  pour  en 
empescher  le  dépérissement  »,  tandis  que  la  ferme  promet  «  un 
revenu  certain  et  assuré1  ».  Mais  l'affermement  avait  de  graves 
inconvénients,  dont  les  contribuables  n'avaient  jamais  cessé  de 
se  plaindre  :  la  Chambre  des  comptes  de  Paris  traduisait  leurs 
sentiments  lorsqu'elle  déclarait  au  roi  le  14  octobre  1648  : 

«  On  a  transmis  a  des  particuliers  traittans  l'authorité  de  V.  M.  pour 
lever  sur  le  peuple  les  deniers  des  tailles  par  toutes  voyes  de  rigueur 
sans  aucunes  excepter,  et  non  permises  par  les  ordonnances,  ny 
jamais  usitées  dans  le  royaume,  sinon  par  les  ennemis  de  l'Etat, 
lorsque  pendant  la  guerre  ils  ont  exigé  des  contributions  sur  vos 
sujets,  d'autant  que  par  telles  rigueurs  extraordinaires,  et  exercées 
mesme  à  contretemps,  la  plupart  des  contribuables  aux  tailles  ont  esté 
ruinez  et  rendus  inutils,  et  sans  moyen  de  payer  la  taille  des  années 
subséquentes,  et  se  vérifiera  qu'en  plusieurs  lieux  les  frais  des  levées 
et  du  recouvrement  des  deniers  ont  surpassé  de  beaucoup  plus  ce  qui 
se  devoit  lever  au  profit  de  V.  M2.  » 

Colbert  renonça  à  la  ferme  et  eut  recours  à  la  régie. 

Dans  chaque  élection  existent  deux  receveurs  particuliers  «  en 
titre  »,  c'est-à-dire  propriétaires  de  leurs  offices3.  L'un  est  rece- 
veur ancien,  et  l'autre,  alternatif*.  Le  prix  de  leurs  charges 
varie  avec  l'importance  de  l'élection  :  d'après  le  tableau  dressé 
en    1665,  l'office   de   Caen  vaut  41  000  1.  ;  ceux  de  Rouen,    de 


1.  A.  D.  S.-Inf.,  Mémoriaux  de  la  Cour  des  Aides,  t.  XL,  f°  1. 

2.  Imprimé  dans  le  Recueil  de  diverses  pièces  qui  ont  paru  durant  les  mouve- 
mens  derniers  de  Vannée  1649,  in-4°  s.  1.,  1650,  p.  73  :  il  est  à  remarquer  que 
pendant  toute  cette  période,  les  intendants  furent  toujours  accusés,  notamment 
par  les  cours  des  aides,  les  trésoriers  généraux  et  les  élus,  d'être  les  complices 
des  traitants  pour  la  levée  des  impôts  ;  cf.  une  mazarinade  :  «  Depuis  qu'on  a 
lasché  la  bride  à  leurs  désirs  insatiables  [des  Partisans]  par  l'estrange  invention 
de  mettre  les  tailles  et  tous  les  subsides  en  partys,  on  ne  fait  point  dans  les 
paroisses  autre  différence  de  l'arrivée  d'un  intendant  accompagné  de  ses  satellites, 
de  ses  donneurs  d'avis,  à  celle  d'un  ennemy  vainqueur.  »  (Ibid.,  p.  347).  Dans  le 
Contrat  de  mariage  du  Parlement  avec  la  Ville  de  Paris,  il  est  convenu  «  qu'il  ne 
sera  jamais  fait  ny  souffert  aucun  party  des  deniers  de  la  taille,  taillon  et  subsis- 
tance, pour  éviter  les  désordres  et  les  maux  qui  en  sont  cy  devant  arrivez  et  en 
arriveront  cy  après,  attendu  que  toutes  les  contributions  du  peuple  sont  de  leur 
nature  et  origine  une  concession  volontaire,  plustost  qu'une  dette  d'obligation.  » 
(Ibid.,  p.  430).  Les  Elus,  dans  leur  mémoire  de  1053,  affirment  que  les  fermiers 
gardent  pour  eux  un  cinquième  des  sommes  qu'ils  lèvent  avec  tant  de  férocité  (B. 
N.  fr.  18  479,  f°  126).  Voir  aussi  les  plaintes  des  Etats  de  Normandie  en  16'-t3, 
1647  et  1658.  Les  abus  des  fermiers  nous  sont  révélés  par  l'un  d'eux,  Gourville, 
dans  ses  Mémoires  (éd.  Lecestre  :  v.  l'introduction  et  les  pièces  annexes).  Colbert 
dénonçait  également  leurs  méfaits  à  Mazarin  (Clém.  I,  360-363). 

3.  Nombre  fixé  par  l'édit  d'août  1661,  portant  réduction  des  officiers  des  Elec- 
tions; voir  ci-dessus,  p.  116. 

4.  Les  deux  offices  peuvent,  suivant  la  règle  générale,  être  possédés  par  un 
seul  individu. 

Jusqu'en  1662,  les  receveurs  des  tailles  percevaient  seulement  les  fonds  de  la 
taille  et  des  crues  ;  ceux  du  taillon  étaient  versés  au  receveur  du  taillon,  ceux  de 
la  solde  des  maréchaussées  au  trésorier  général  de  la  solde,    ceux  des  ponts  et 


||0  LA    TAILLi:     K.N     NORMANDIE. 

CandebdO,  «!<•  Valognes,  de  Mortagne,  40000;  ceux  de  Bayeux, 
d'Alcnçon,  de  Falaise.  .'{<>000,  etc.  Les  moindres  valent  12  000 
ou  15  000  1.  Ils  ne  reçoivent  régulièrement  qu'un  quartier  de 
leurs  gages,  soit  de  160  à  400  1.  environ1.  La  plupart  payent  le 
droit  annuel;  en  juillet  1680,  lorsque  Colbert  voulut  faire 
payer  le  droit  a  ceux  qui  ne  le  faisaient  pas,  on  n'en  trouva 
que  deux  dans  ce  cas  à  Rouen,  et  trois  à  Caen  *. 

L'office  était  conféré  à  un  receveur  par  des  lettres-patentes  3, 
enregistrées  à  la  Chambre  des  comptes  et  au  Bureau  des  finances, 
où  il  prêtait  serment  de  «  bien  et  fidèlement  »  remplir  sa 
charge*.  L'achat  n'était  guère  qu'une  affaire  d'argent.  Malgré 
les  formules  des  lettres  de  provision,  on  n'exigeait  aucun 
titre  ni  connaissances  particulières  des  postulants.  Une  veuve 
hérite  de  l'office  de  son  mari  et  l'exerce  plusieurs  années5;  un 
fils,  quoique  mineur,  succède  à  son  père  et  le  roi  met  comme 
seule  condition  à  son  admission  qu'il  ne  pourra  exercer 
«  qu'après  qu'il  aura  attainct  ses  ans  de  majorité6  ».  Des  rece- 
veurs sont  condamnés  a  la  prison  pour  divers  délits,  et  ne 
perdent  pas  leurs  charges  pour  autant7.  Le  cumul  des  offices 
étant  permis,  on  voit  le  receveur  général  de  Caen,  Cousin,  pos- 


chaussées  au  trésorier  général  des  ponts  et  chaussées,  enfin  ceux  des  Etats  au 
trésorier  des  Etats.  L'édit  d'août  1661  et  la  déclaration  du  29  décembre  1663 
(Clém.  II,  753),  établirent  le  principe  du  receveur  unique  pour  tous  les  fonds 
perçus  par  les  collecteurs. 

1.  Ci-dessus,  p.  .19.  Voir  la  partie  de  ce  tableau  relative  a  la  généralité  de 
Rouen  dans  le  Mémoire  de  Voysin,  p.  205  et  suiv. 

2.  Let.  de  Leblanc  a  Colbert,  28  juillet  et  22  octobre  1680;  dans  la  dernière  il 
dit  :  ■  Je  leur  ay  escrit  M  matin  d  y  entrer  [à  l'annuel],  suivant  ce  que  vous  avez 
pris  la  peine  de  me  mander.  »  (A.  N.  G7  491).  Un  arrêt  du  Conseil  du  2  juillet  1680 
défendait  l'exercice  aux  receveurs  qui  n'avaient  pas  payé  l'annuel  (Clairamb. 
660,  p.  695). 

3.  Voici  un  exemple  de  ces  lettres  :  «  Louis,  par  la  grâce  de  Dieu...  Scavoir 
faisons  que  nous,  a  plain  confians  dans  la  personne  de  notre  cher  et  bien  amé 
M.  Sanson  Mollart  et  de  ses  sens,  suffisance,  loyauté,  prudhommie,  expérience 
ou  faict  du  maniement  de  nos  finances  et  bonne  dilligence  a  iceluv...  [lui  donnons] 
l'office  de  notre  conseiller  receveur  des  tailles  alternatif  en  l'ellection  d'Evreux 
nouvellement  créé  par  notre  edict  du  mois  de  décembre  1655  pour  par  le  dit 
Mollart  avoir,  tenir  ledict  office,  l'exercer  alternativement  avec  le  receveur  anlien 
de  ladicte  eslection  réservé  par  autre  notre  edict  du  mois  de  mars  précédant,  et 
entrer  en  exercice  pour  la  recette  et  maniement  du  quartier  d'hiver  et  autres 
impositions  de  la  présente  année  165C,  aux  gages  de  6l'5  1.  et  10  s.  pour  parroisse 

r'.ir  chacun  ou  pour  droits  de  vériffication  et  signature  de  rolles...  »    (A.   D.  S.- 
nf.  B  80,  f°  2).  Il  va  de  soi  que  les  qualités  attribuées  au  personnage  ne  sont  que 
des  formules,  répétées  d'un  acte  à  l'autre. 

4.  Le  Bureau,  lors  de  sa  réception,  lui  imposait  «  de  tenir  bons  et  fidels  regis- 
tres, de  vérifier  par  estât  au  vray  en  ce  bureau  en  fin  de  chacune  année  ».  (A. 
D.  S.-Inf.  C  1165,  f6  160  :  réception  d'Etienne  Le  Camus  comme  receveur  des 
tailles  de  Chaumont  et  Magny,  7  août  1663). 

5.  Par  exemple  la  veuve  de  Bernard  Chazot,  receveur  a  Andely.  mort  en  1663. 
A  Gien  (généralité  d'Orléans),  en  1664,  le  receveur  est  «  M.  de  Raucour,  qui  est 
une  veuve,  mais  spirituelle...,  son  frère,  sous  le  nom  duquel  sont  les  charges, 
estant  encore  jeune  »  (M.  C.  12'4,  f  250). 

6.  Provisions  de  Nicolas  Hullin,  receveur  de  Caudebec,  A.  D.  S.-Inf.,  C  1166, 
f  200.  v». 

7.  Ci-dessous,  p.  437  et  447  et  suiv. 


LES    RECEVEURS.  431 

séder  en  1680  la  charge  de  receveur  particulier  ancien  de  l'élec- 
tion de  Caen,  tandis  que  celle  de  receveur  alternatif  appartient 
au  sieur  Heudine,  greffier  du  Bureau  des  finances  '  ;  Jean  Son- 
ning,  receveur  général  à  Paris,  est  aussi  receveur  particulier  à 
Rouen2;  Robert  Mouchard,  receveur  particulier  à  Neufchâtel,  est 
en  même  temps  vicomte  du  lieu3,  etc. 

Anciennement,  les  receveurs  devaient  déposer  un  cautionne- 
ment, mais  un  édit  de  juillet  1625,  prétextant  «  les  difficultés 
qu'ils  avoient  de  trouver  des  gens  qui  voulussent  être  cautions 
et  certificateurs  de  leur  maniement,  »  les  en  avait  dispensés, 
en  même  temps  qu'il  leur  conférait  le  titre  de  conseillers  du  roi, 
moyennant  un  versement  collectif  de  2  500  000  1.  au  Trésor4. 
C'était  un  édit  bursal  comme  tant  d'autres  ;  il  permit  à  des  rece- 
veurs de  dilapider  leurs  fonds  impunément,  au  temps  de  Mazarin. 
Une  déclaration  du  29  décembre  1663  nous  apprend  en  effet  que 
les  comptables  des  deniers  royaux  «  divertissent  partie  de  leur 
maniement,  dont  il  est  impossible  de  faire  le  remplacement, 
faute  d'avoir  esté  par  eux  donné  des  cautions  et  certificateurs 
bons  et  solvables,  en  ayant  esté  dispensés  en  vertu  de  déclara- 
tions et  arrests  à  eux  accordés,  moyennant  des  sommes  fort, 
légères,  par  eux  payées  pour  jouir  des  taxations  héréditaires 
qui  sont  à  présent  casuelles  ».  Aussi  le  roi,  ou  plutôt  Colbert, 
résolut-il  de  rétablir  les  cautionnements3.  Un  arrêt  du  Conseil 
du  23  octobre  1664  et  une  déclaration  du  mois  de  décembre 
suivant6  enjoignirent  à  tous  les  receveurs  de  déposer,  dans  le 
délai  de  trois  mois,  une  somme  égale  «  au  tiers  du  quart  de  leur 
maniement  »,  c'est-à-dire  au  douzième  des  fonds  qu'ils  avaient 
à  encaisser.  Ils  ne  s'y  soumirent  pas  sans  résistance.  Le  26  jan- 
vier 1665,  Marin  mandait  aux  Bureaux  des  finances  «  de  donner 
ordonnance  »  pour  appliquer  le  règlement  nouveau,  qui  était 
méconnu7;  les  trésoriers  généraUx  de  Rouen  lui  obéissaient  le 
28  janvier,  mais  quatre  mois  après,  le  procureur  du  roi  en 
l'élection    de    Pont-de-Larche    venait    leur    remontrer    que    les 


1.  Let.  de  l'intendant  de  Caen,  30  juillet  1680,  A.  N.  G?  213. 

2.  Mémoire  de  Voysin  de  la  Noiraye,  p.  129.  L'intendant  de  Chûlons  écrit  le 
31  juillet  1680  que,  dans  sa  généralité,  «  aucunes  charges  de  receveur  particulier 
appartiennent  au  receveur  général,  au  moins  pour  une  grande  partie,  suivant 
des  traités  particuliers  qui  ne  paroissent  point  ».  (A.  N.  G7  223).  Ici,  le  receveur 
général  n'est  que  le  bailleur  de  fonds,  il  n'est  pas  en  nom. 

3.  Mémoire  de  Voysin,  p.  104.  A  la  p.  129,  Voysin  dit  que  ce  personnage  se 
nomme  Boullient,  mais  il  commet  une  erreur  :  Boullient  avait  cédé  son  office  à 
Mouchard  le  28  septembre  1665  (A.  D.  S.-Inf.,  C  1165  f°  206). 

4.  Mém.  alphab.,  p.  584. 

5.  Clém.,  II,  753. 

6.  D'après  la  lettre  de  Marin,  A.  D.  S.-Inf.  C,  1167,  f°  19.  Il  semble  bien  que 
des  dispositions  analogues  avaient  été  déjà  prises  antérieurement;  j'ai  trouvé  des 
actes  de  cautionnement  de  1661  et  1662,  mais  je  n'ai  pu  connaître  les  actes  légis- 
latifs qui  les  prescrivaient. 

7.  A.  D.  S.-Inf.,  G  1167,  f°  19. 


LA    TAILLE    EX    NOnMAXIHK. 

receveurs  de  son  élection  «  ne  satisfont  pas  »  à  l'ordonnance  '; 
dautiis  sont  dans  le  même  cas;  nouvelle  ordonnance  du  Bureau, 
qui  provoque  encore  des  récriminations2,  si  bien  que  le  Conseil, 
par  un  arrêt  du  10  juin,  accorde  «  surseanec  jusqu'au  mois  de 
décembre  prochain  »  pour  l'exécution  de  ses  ordres3.  De  nou- 
veaux arrêts  interviennent  encore,  jusqu'en  décembre  1668,  et 
en  mai  1669  Colbert  en  est  encore  à  faire  dresser  l'état  des 
receveurs  qui  ont  cautionné*. 

Les  receveurs  généraux,  titulaires  d'offices  dans  les  mêmes 
conditions  que  les  receveurs  particuliers,  sont  de  gros  financiers, 
qui  traitent  avec  le  roi  de  puissance  à  puissance5.  Il  en  existe 
trois  charges  dans  chaque  généralité  :  un  ancien,  un  alternatif 
et  un  triennal.  Le  prix  de  ces  charges  est  d'environ  100000  l.6; 
leurs  gages  annuels  sont  d'environ  5  000  1.,  mais  ils  ne  cons- 
tituent que  le  moindre  de  leurs  revenus.  Les  charges  furent 
remplies,  à  Rouen,  par  MM.  Ranchin,  Etienne  de  Courcelles, 
Aubry,  Dufour7,  Cousin8;  à  Caen  par  MM.  Doublet,  Aubry, 
De  Larré;  pour  Àlençon,  je  n'ai  trouvé  qu'un  nom,  celui  du 
sieur  M  igné. 

La  possession  d'une  charge  de  receveur  général  ou  particulier 
n'implique  pas  le  droit  de  faire  effectivement  la  recette  de  la 
généralité  ou  de  l'élection  :  le  roi  a  la  liberté  de  confier  cette 
fonction  à  qui  lui  plaît,  dans  l'intérêt  du  bon  recouvrement.  Au 
commencement  de  chaque  année  il  désigne  donc  ceux  qui  feront 
les  recettes,  et  arrête  avec  eux  les  conditions  dans  lesquelles  ils 
exerceront;  s'il   choisit  un  receveur  en  titre,  celui-ci  entre  en 


1.  A.  D.  S.-Inf.,  C  1167,  f°  121. 

2.  Le  8  juin,  Etienne  de  Gomont,  receveur  de  Montivilliers,  demande  à  ne  pas 
donner  de  caution,  «  consentant  à  avoir  un  controlleur  >  (ibid.,  f°  128). 

3.  Ibid.,  f0'  13:5  et  142. 

k.  Lel.  du  20  mai,  mentionnée  dans  la  réponse  des  trésoriers  de  Caen,  M.  C. 
153,  f"  221;  cf.  la  réponse  des  trésoriers  d'Alencon  à  cette  même  lettre,  10  juin 
lGii'J,  ibid.,  f  2<J0. 

5.  Colbert  a  beaucoup  de  ménagements  pour  eux.  Cf.  ses  lettres  à  Douilly, 
3  février  et  1"  décembre  1673,  Clém.,  Ii,  264,  note,  et  à  Bnzin,  21  avril  1673, 
ibid.,  p.  283.  «  Toutes  les  fois  que  je  vous  ay  demandé  quelque  assistance  pour 
le  roy,  écrit-il  nu  dernier,  vous  l'avez  fait  de  si  bonne  grâce,  que  je  ne  puis  pas 
m'empeseber  de  vous  dire  que  si  vous  envoyez  au  Trésor  royal  100  000  1.  sur  les 
impositions  de  l'année  prochaine,  vous  ferez  en  cela  chose  qui  sera  fort  agréa- 
ble à  S.  M..  Faites-moy  scavoir  ce  que  vous  pourrez  faire  sans  trop  forcer  votre 
crédit.  ■  A  partir  de  la  guerre  de  Hollande,  le  gouvernement  est  tombé  à  la  merci 
de  ces  gros  financiers,  dont  Samuel  Bernard  est  le  type  le  plus  connu.  Cf.  chap.  vin. 

6.  En  1665,  deux  offices  de  Caen  valent  chacun  110  000  1.  et  le  troisième  100  000; 
les  trois  offices  de  Rouen  valent  100  000  1.  chacun,  et  ceux  d'Alencon  chacun 
80  000  1. 

7.  Jean  Dufour  possède,  en  1665,  deux  offices  :  l'alternatif  et  le  triennal 
(A.  D.  S.-Inf.,  C.  1382  f°  175). 

8.  Le  sieur  Cousin  est  intendant  de  Colbert  pour  ses  terres  d'Hérouville  et 
Blainville,  «  où  il  a  quelquefois  passé  des  six  mois  entiers  en  aucunes  années  » 
(Remarques  de  Xicolas  Le  Ilot  publ.  par  Vanel.  Caen,  1903,  p.  76;  cf.  p.  59).  11  a 
son  hôtel  à  Paris,  rue  du  Parc-Royal,  et  un  château  à  Colombelles,  prés  de  Caen. 
11  est  ami  de  Berryer. 


LES    RECEVEURS.  433 

fonctions  sans  formalités;  s'il  prend  un  autre  individu,  il  lui 
délivre  une  commission  pour  exercer,  d'où  le  titre  de  commis  à 
la  recette  l. 

Chaque  année,  immédiatement  après  l'envoi  des  commissions, 
le  Conseil  des  finances  fait  le  choix  des  receveurs  généraux 2,  et 
conclut  avec  chacun  un  traité  contenant  les  conditions  de  la 
perception  :  somme  à  encaisser,  délais  de  recouvrement,  nombre 
et  terme  des  versements  à  l'Epargne,  enfin  «  remise  »,  c'est-à- 
dire  rétribution  accordée  au  receveur3. 

Un  des  premiers  actes  du  Conseil  des  finances  réformé  fut  la 
«  réduction  des  remises  des  trésoriers  généraux  des  finances  à 
15  et  18  deniers  pour  livre  au  lieu  de  5  sols4  ».  Le  tarif  fut 
encore  considérablement  réduit  les  années  suivantes  :  la  recette 
générale  de  Caen  en  1663  était  concédée  îi  Nicolas  Doublet 
moyennant  6  d.  par  livre  (2,5  p.  100),  ce  qui  représentait  encore 
une  belle  rétribution  :  45  800  liv.  ;  le  paiement  à  l'Epargne 
devait  être  effectué  en  18  versements  mensuels,  à  partir  du 
1er  janvier  1663 5.  A  partir  de  1668,  la  remise  fut  réduite  à 
5  deniers,  et  les  versements  mensuels  ramenés  à  15.  En  1682, 
la  remise  était  de  7  d.,  avec  le  même  nombre  de  versements6. 
Ainsi,  jamais  l'imposition  d'une  année  ne  fut  versée  entièrement 
à  l'Epargne  dans  le  cours  de  cette  année. 

Le  receveur  général  avait,  en  vertu  du  même  traité,  toute 
latitude  pour  assurer  la  perception  dans  les  recettes  particu- 
lières, en  sorte  que  la  désignation  du  receveur  de  chaque  élec- 
tion était  à  sa  discrétion;  il  réglait  avec  lui  de  gré  à  gré,  et  sous 
sa  propre  responsabilité,  les  délais  de  versement,  le  montant  de 
la  remise  et  toutes  autres  conditions  ;  s'il  choisissait  un  autre 
que  le  receveur  en  titre,  il  était  libre  d'exiger  ou  non  une  cau- 
tion, de  même  qu'il  pouvait  prendre  toutes  les  mesures  de  con- 
trôle qu'il  jugeait  utiles.  La  seule  formalité  qui  lui  était  imposée 
était  de  présenter  la  personne  choisie  au  Bureau  des  finances 
pour  lui  faire  délivrer  des  commissions  régulières7. 

1.  Cf.  Guénois,  Conférence  des  Ordonnances,  t.  II,  p.  1441. 

2  Golbert  eut  plusieurs  fois  l'intention  de  se  passer  des  receveurs  généraux,  et 
de  traiter  directement  avec  les  receveurs  particuliers,  qui  auraient  fait  leurs  ver- 
sements à  l'Epargne  (voir  ses  lettres  à  Hotman,  30  sept,  et  3  déc.  1663,  Clém., 
II,  16  et  243).  Mais  il  ne  réalisa  jamais  ce  projet  :  cf.  sa  let.  à  Desmarets, 
8  sept.  1662,  ibid.,  p.  22'J,  note. 

3.  Voir  un  traité  avec  le  receveur  général  de  Paris,  dans  De  Boislisle,  Mém.  de 
Vlntendant  de  Paris,  p.  510. 

4.  C'est-à-dire  6,25  ou  7,50  p.  100  au  lieu  de  25  (Clém..  Il,  ccxv  et  46). 

5.  Traité  enregistré  au  Bureau  des  finances  de  Caen  le  13  septembre  1662  (Plu- 
mitif du  Bureau,  à  cette  date). 

6.  B.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  II,  pièce  4'<3. 

7.  Cf.  l'enregistrement  au  Bureau  des  finances  de  l'arrêt  du  Conseil  du  8  oct.  1664 
commettant  Etienne  de  Courcelles  à  la  recette  générale  de  Rouen  :  «  Pour  faci- 
liter et  assuier  le  recouvrement  des  deniers  qui  luy  doivent  revenir,  il  sera  à  la 
nomination  du  dit  de  Courcelles  commis  aux  recettes  particulières  les  personnes 
qui  seront  par  luy  présentées  au  Bureau  [des  finances],  S.  M.  luy  permettant 
d'establir  des  controolleurs   aux  recettes  auxquelles  il    laissera  exercer  les  rece- 


LA    T AILLE     EN    NORMANDIE. 


28 


434  LA    TAILLE    BN    NORMANDIE. 

Malgré  les  clauses  des  traités,  le  gouvernement  ne  pouvait 
.  désintéresser  entièrement  du  choix  des  receveurs.  Colbert 
constatait,  en  1661,  que  les  principaux  abus  dans  le  recouvre- 
ment de  la  taille  venaient  de  ce  qu'on  en  avait  chargé  des  individus 
insolvables,  concussionnaires  et  malversateurs;  on  leur  avait 
accordé  des  remises  excessives,  allant  jusqu'au  quart  des  sommes 
à  percevoir,  si  bien  qu'il  ne  rentrait  au  Trésor  qu'une  faible  partie 
des  sommes  levées1.  Un  arrêt  du  Conseil  du  1er  décembre  1663 
nous  apprend  qu'à  la  suite  de  la  réduction  des  remises  aux  rece- 
veurs généraux*,  une  partie  des  receveurs  particuliers  de  la  géné- 
ralité de  Caen,  «  estans  accoustumez  par  le  passé  d'exiger  de 
f 'rosses  remises  pour  payer  les  impositions  qui  ont  esté  faites  dans 
eurs  eslections  aux  termes  portez  par  les  commissions  de  S.  M , 

et  voyant  que  S.  M.  a  réduit  lesdites  remises,  négligent  les  dili- 
gences qu'ils  sont  obligez  de  faire,  et  la  pluspart  des  parroisses 
sont  en  demeure  de  payer  leurs  impositions  dans  lesquelles  les- 
dits  receveurs  ont  plusieurs  parans  ou  alliez  des  principaux  des- 
dites parroisses;  ce  qui  cause  leur  ruisne  entière,  et  qui  les 
réduira  infailliblement  dans  l'impossibilité  [de  payer]  3».  Il  était 
impossible  de  tolérer  ces  désordres,  et  d'abandonner  plus  long- 
temps à  eux-mêmes  ces  individus,  dépositaires  de  l'autorité 
royale,  et  de  la  conduite  desquels  dépendaient  les  revenus  de 
l'Etat  et  la  fortune  des  particuliers. 

Le  principal  objet  de  l'intervention  gouvernementale  fut  d'em- 
pêcher les  receveurs  généraux  de  traiter  sans  motifs  graves  avec 
des  commis,  au  lieu  des  receveurs  en  titre.  Il  était  reconnu  en 
effet  que  les  commis  ménageaient  beaucoup  moins  les  contri- 
buables, parce  qu'ils  n'avaient  à  se  préoccuper  que  de  l'année 
f)our  laquelle  ils  avaient  traité;  laisser  une  élection  ruinée 
eur  importait  peu,  pourvu  qu'ils  fissent  leur  recette.  Les  États 
de  Normandie  remontraient  au  roi,  en  novembre  1643,  que 
ces  agents  ruinaient  «  sans  espérance  de  ressource  ceux  qu'un 

f>eu  de  patience  des    receveurs   ordinaires  auroit  fait  fournir  a 
eur   impost,  et  laissez  en  estât  de  subsister  encore  pour  les 

veurs  particuliers,  lesquels  exerceront  le  dit  controolle  sans  prendre  autre  com- 
mission que  la  copie  collationnée  du  dit  arrest  par  le  greffier  de  ce  Bureau,  sans 
que  le  dit  de  Courcelles  ou  ses  commis  aux  recettes  particuliers  ny  les  controol- 
leurs  soient  tenus  de  donner  aucune  caution  de  leur  manyement  que  la  submis- 
sion que  fera  pour  eux  le  dit  de  Courcelles  »  (A.  D.  S.-Inf.,  G  1166,  f°  196).  Voir 
aussi  l'arrêt  du  Conseil  du  22  sept.  1663  commettant  René  Aubry  à  la  recette 
générale  de  Caen,  A.  D.  Cnlv.,  Elect.  de  Caen,  registre  de  commissions  1661-72, 
P*  335  et  338. 

1.  Clém.  II,  ccxv,  22,  46,  etc.  Le  2'»  juillet  1648,  le  conseiller  Pitou  déclarait 
au  Parlement  de  Paris  ■  que  MM.  des  Comptes  leur  avoient  fait  cognoistre  que 
de  cent  le  roy  perdoit  en  remise  59  et  demi  sur  les  tailles,  scavoir  premièrement 
25  pour  l'article  de  remise  pour  les  frais  de  recouvrement,  et  15  sur  les  trois 
quarts  restons,  qui  font  en  trois  ans  34  et  demi  »  (Journal  du  Parlement  de  Paris, 
1648,  p.  48).  . 

2.  Ci-dessus,  p.  433. 

3.  A.  D.  Calv.  Election  de  Caen  ;  registre  de  commissions,  1661-72,  f°*  341-2. 


LES    RECEVEURS.  435 

années  suivantes  '  ».  Dans  un  arrêt  du  29  décembre  1663,  le  Con- 
seil reconnaît  lui-même  qu'ils  «  font  des  vexations  extraordi- 
naires aux  contribuables  aux  tailles  pour  en  profiter,  et,  n'ayant 
bien  souvent  donné  aucune  caution,  ils  s'absentent,  et,  par  ce 
moyen,  les  condamnations  qui  interviennent  contre  eux 
demeurent  inutiles2  ».  En  1679,  l'intendant  d'Alençon  écrit  à 
Colbert  : 

«  J'ai  trouvé  que  partout  ou  les  receveurs  en  titre  font  leurs  charges, 
les  frais  sont  beaucoup  moindres  que  dans  les  élections  que  les  rece- 
veurs généraux  font  valoir  par  des  commis.  Mortagne  et  Conches  sont 
de  cette  dernière  espèce,  et  les  frais  montent  au  double;  je  croi  que 
cela  vient  de  la  précipitation  qu'aportent  les  commis  au  recouvrement 
de  la  taille  :  ils  mettent  en  solidité  les  parroisses  qui  retardent  tant 
soit  peu  les  paiements,  et  emplissent  les  prisons  de  collecteurs  pour 
faire  avec  plus  de  diligence  leur  recouvrement  ;  les  titulaires  ont  plus 
de  précautions  et  de  patience,  et  leurs  élections  m'ont  parut  beaucoup 
plus  mesnagées,  et  le  recouvrement  plus  avancé3.  » 

Le  roi  interdit  également  l'exercice  aux  receveurs  qui 
ne  rendaient  pas  leurs  comptes  *,  à  ceux  qui  ne  versaient  pas 
leur  cautionnenement5  ou  ne  payaient  pas  le  droit  annuel6,  à 
ceux  qui  demandaient  des  remises  trop  fortes7,  faisaient  trop 
de  frais,  ou  n'offraient  pas  de  garanties  suffisantes8. 

Lorsque  le  gouvernement  eut  entrepris  la  destruction  lu  pro- 
testantisme, on  refusa  de  confier  la  recette  à  des  hommes  de 
cette  religion.  Colbert  fut  aussi  rigoureux  sur  ce  point  que  les 
autres  ministres.  Par  une  circulaire  du  18  juillet  1680,  il  deman- 
dait aux  intendants  la  liste  des  receveurs  ou  commis  aux  recettes 
de  la  R.  P.  R.,  «  S.  M.  ne  voulant  que  quelqu'un  de  cette  reli- 

1.  De  Beaurepaire,  Cahiers...,  règnes  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  t.  III,  p.  112. 
Un  arrêt  du  Conseil  du  31  janvier  1643  avait  défendu  les  commis  dans  la  géné- 
ralité de  Caen,  mais  un  autre  arrêt,  rendu  trois  semaines  plus  tard,  les  avait 
autorisés  dans  celle  de  Rouen.  A  cette  demande  de  suppression,  le  roi  répond 
qu'il  «  ne  peut  accorder,  pour  certaines  considérations,  la  demande  mentionnée  en 
cet  article.  »  {ibid.,  p.  113). 

2.  Clém.,  II,  753. 

3.  A.  N.  G7  71.  Il  répète  son  observation  le  22  Juillet  1680  {ibid.).     . 

4.  L'arrêt  du  Conseil  du  1er  mars  1663,  cité  plus  haut,  interdisait  l'exercice  aux 
receveurs  qui  n'auraient  pas  «  compté  par  estats  au  vray  »  jusques  et  y  com- 
pris 1661. 

5.  Le  Bureau  des  finances  de  Rouen  commet  Mathieu  Delangle  à  la  recette 
d'Evreux  en  16G3,  attendu  que  le  titulaire,  Sanson  Molard,  n'a  pas  versé  son  cau- 
tionnement, montant  à  14  500  1.  (A.  D.  S.-Inf.,  C  1165,  f°  9). 

6.  Ci-dessus,  p.  430. 

7.  En  1661,  1663,  1675,  dans  la  généralité  de  Rouen,  les  receveurs  particuliers 
«  ne  peuveut  pas  se  résoudre  »  à  accepter  un  taux  de  remise  fixé  par  le  roi,  mais 
on  parvient  à  les  y  contraindre  (M.  C.  121,  f°  324;  A.  D.  S.-Inf.,  C  1164,  f  21; 
B.  N.  fr.  8759,  f°  41).  De  même  ceux  de  Caen  en  1665  (A.  D.  Calv.,  Procès  de 
Cairon),  et  ceux  d'Alençon  en  1682  (let.  du  27  juillet,  A.  N.  G7  71). 

8.  L'intendant  d'Alençon  écrit  le  15  novembre  1684  qu'on  ne  peut  confier  l'exer- 
cice au  receveur  de  Conches,  parce  qu'il  «  n'est  pas  en  estât  de  faire  aucune 
avance,...  feroit  des  frais  immenses  et  ruineroit  l'eslection  pour  soustenir  ses 
payemens.  »  (A.  N.  Gl  71). 


Vit.  l.A    TAILLE    EN    NOlt.MANDIE. 

L'ion  ne  soit  employé  au  recouvrement  de  ses  deniers1  ».  Un 
arrêt  du  Conseil  du  19  août  suivant  interdit  aux  receveurs  géné- 
raux de  traiter  a  avec  aucune  personne  de  la  R.  P.  R.8  »,  et 
le  ministre  y  joignait  des  instructions  sévères  pour  ses  subor- 
donnés :  il  faut,  leur  disait-il,  «  entièrement  exclure  »  des 
recettes  ces  individus;  «  il  n'est  pas  question  de  scavoir  si  la 
dépossession  des  receveurs  ou  employés  de  la  R.  P.  R.  retardera 
la  recette  ou  non  ;  vous  devez  seulement  tenir  la  main  à  ce  que  la 
volonté  de  S.  M.  soit  ponctuellement  exécutée3  ».  En  1681,  en 
1682,  en  1683,  il  renouvelle  les  mêmes  ordres,  impitoyables*. 

Mais  en  Normandie,  un  seul  receveur  à  notre  connaissance 
appartenait  à  la  religion  réformée,  c'était  celui  de  Pont-1'Evêque, 
Pierre  Lancement  de  Pierrefitte.  Une  lettre  anonyme  de  fé- 
vrier 1681  le  dénonçait  à  Colbert  comme  ayant  des  commis 
huguenots  et  faisant  l'exercice  de  sa  charge  «  sous  le  nom  d'un 
misérable  dont  il  se  sert  pour  faire  sa  recepte5  »;  mais  l'inten- 
dant après  enquête  reconnaît  que  cette  dénonciation,  due  «  à 
des  fripons  du  Pont-Levesque  »,  est  calomnieuse  :  «  le  sieur  de 
Pierrefitte  est  un  très  honnête  homme6,  »  ajoute-t-il.  Néanmoins 
il  reçoit  du  ministre  l'ordre  de  ne  pas  le  laisser  exercer  à  moins 
d'être  a  persuadé  que  ce  religionnaire  voulust  bientost  se  con- 
vertir7 ». 

Sur  la  fin  du  ministère,  le  plus  grand  soin  mis  à  choisir  et 
surveiller  les  receveurs  en  titre  fit  réduire  le  nombre  des 
commis.  L'intendant  d'Alençon,  en  1680,  proposait  même  de 
les  «  supprimer  complètement8  ».  Colbert,  sans  aller  aussi  loin, 
invita  les  receveurs  généraux  à  s'en  passer  le  plus  possible.  Le 
24  octobre  1680,  il  écrivait  i.  ses  subordonnés  : 

«  S.  M.  a  fait  dire  aux  receveurs  généraux  des  finances  de  toutes  les 

1.  B.  Mun.  Amiens,  ras.  508,  t.  I,  pièce  201. 

2.  Publ.  dans  Edita,  déclarations  et  arresls  concernant  la  R.  P.  R.,  1662-1751, 
oouv.  éd.  par  Pilatte,  Paris,  1885,  p.  54.  En  guise  de  motifs,  le  préambule  se 
véfèreau  règlement  des  fermes  du  il  juin  168",  portant  la  même  clause.  L'arrêt 
interdit  aussi  d'employer  uu  recouvrement  aucun  commis  ou  huissier  de  la 
R.  P.  R. 

3.  Let.  a  de  Marie,  16  sept.  1680,  Clém.  II,  91,  note;  cf.  la  circulaire  du 
13  septembre  1680,  Clém.,  IV.  p.  140  note  2.  Une  instruction  analogue  fut 
envoyée  aux  intendants  de  Normandie  le  18  octobre,  celui  de  Caen  en  accuse 
réception  le  24  (A.  N.  G7  213),  et  celui  de  Rouen  le  22  (ibid.  491). 

4.  Circuluire  du  30  mai  1631,  (B.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  II,  pièce  211);  lettre 
à  Breteuil,  1682,  ibid.,  t.  III,  pièce  330,  circulaire  du  27  mai  1683,  ibid.,  t.  IV, 
pièce  219;  tous  ces  documents  ne  figurent  pas  dans  Clément.  Voir  dans  les 
mêmes  papiers  de  Breteuil,  à  leur  date,  les  lettres  des  18  mai  1681  et  17  sep- 
tembre 1682  relatives  à  la  conversion  de  Vun  Kobuis. 

:..  A.  H,  G"  491. 

6.  Let.  de  23  février,  ibid.  Le  2  juillet  précédent  il  avait  déjà  écrit  :  «  C'est  un 
très  lionnes  te  homme,  qui  a  très  bien  ménagé  cette  eslection  ». 

7.  Let.  du  18  juin  1631,  Clém.,  IV,  p.  181,  note  1. 

8.  Let.  du  22  juillet,  A.  N.  G'  71.  Le  27  juillet  1682,  il  écrit  encore  :  •  Je  suis 
persuadé  il  y  a  longtemps  que  les  receveurs  en  titre  mesnagent  mieux  leurs 
eslections  que  les  commis  »  (ibid.). 


LES    RECEVEURS.  437 

généralités  du  royaume  qu'Elle  n'entendroit  pas  qu'ils  dépossé- 
dassent de  leurs  charges  les  receveurs  des  tailles  qui  auront  payé 
l'annuel,  qui  d'ailleurs  leur  donneront  des  asseurances  suffisantes  et  se 
contenteront  d'une  remise  pareille  à  celle  qu'ils  pourroient  donner  aux 
commis,  ou  mesme  un  peu  plus  forte,  S.  M.  voulant  que  vous  teniez 
la  main  à  ce  que  cela  s'exécute,  et  en  cas  qu'aucun  receveur  des  tailles 
soit  dépossédé,  vous  m'en  fassiez  scavoir  les  raisons  pour  en  rendre 
compte  à  S.  M. l.  » 

Dès  1678,  on  ne  trouve  plus  que  deux  commis  sur  13  élec- 
tions dans  la  généralité  de  Rouen2;  en  1680,  il  n'y  en  a  aucun. 
La  même  année,  l'intendant  de  Caen  adresse  à  Colbert  l'état 
détaillé  qui  suit,  sur  les  receveurs  et  commis  de  son  départe- 
ment : 

«  La  charge  de  receveur  particulier  de  [l'élection]  de  Caen  en  exer- 
cice cette  année  appartient  à  M.  Cousin  comme  je  croy,  qui  y  a  fait 
commettre  le  nommé  Combart;  la  charge  de  celuy  qui  entrera  en 
exercice  l'année  prochaine  appartient  au  sieur  Heudine,  greffier  du 
Bureau  des  finances,  sous  le  nom  du  sieur  Vautier,  qui  l'exerce  depuis 
longtemps. 

«  Le  sieur  Fontaine,  receveur  de  Bayeux,  qui  devoit  estre  en  exercice 
cette  année,  mourut  l'année  dernière;  le  nommé  Vautier  a  esté  commis 
a  son  exercice  a  la  caution  de  la  veuve.  Le  sieur  Aubry  est  propriétaire 
de  l'autre  charge  pour  l'exercice  de  l'année  prochaine. 

«  Vire  a  pour  receveur  le  sieur  de  Martilly,  en  exercice  cette  année, 
et  La  Baucherie  pour  l'année  qui  vient. 

«  Le  nommé  La  Croix  Bourdon  est  commis  a  l'exercice  de  celle  de 
Coustances  depuis  la  mort  de  Leveilly,  qui  estoit  titulaire  des  deux 
charges. 

«  A  Carentan,  le  sieur  de  Saint  Quentin  est  propriétaire  des  deux 
charges,  et  fait  les  exercices. 

«  A  Valognes,  le  nommé  Laprunerie  fait  l'exercice  cette  année  sous 
le  sieur  de  Saint  Cir,  titulaire,  qu'on  n'estime  pas  solvable.  Le  sieur 
Fourneyron  est  titulaire  de  l'autre  charge  pour  l'exercice  de  l'année 
prochaine. 

«  A  Avranches,  le  sieur  Piquet,  propriétaire,  fait  l'exercice  cette 
année,  et  le  sieur  de  la  Maheudière,  a  présent  prisonnier  dans  les 
prisons  de  Caen,  est  titulaire  de  l'autre  charge  pour  l'exercice  de 
l'année  prochaine.  Il  fut  dépossédé  de  celuy  de  1679  par  M.  de  Larré 
qui  fit  commettre  à  sa  place  le  nommé  Colin. 

«  Et  a  Mortain  le  sieur  Rouxel,  qui  est  titulaire  de  la  charge,  la 
fait  exercer  par  le  nommé  Desvaux;  l'autre  charge  pour  l'exercice  de 
l'année  prochaine  appartient  au  sieur  de  la  Frictière  qui  fut  dépossédé 
de  l'exercice  de  l'année  1679  par  ar^est  du  Conseil  a  cause  du  desordre 

1.  B.  Mun.  Amiens,  ins.  508,  t.  I,  pièce  303.  Cf.  sa  circulaire  du  9  octobre  1681  : 
le  roi  veut  que  les  receveurs  particuliers  «  fassent  leurs  charges,  estimant  que 
les  peuples  en  seront  mieux  mesnagez  >•  (ibid.,  t.  II,  pièce  407),  et  sa  lettre  du 
22  octobre  l'i82  :  «  Le  roy  ne  veut  pas  qu'on  dépossède  les  receveurs  particuliers, 
sauf  pour  raison  de  mauvaise  conduite   »  (ibid.,  t.  III,  pièce  479). 

2.  D'après  l'état  au  vrai  du  receveur  général,  B.  N.  fr.  Nouv.  acq.  1346. 


,:ts  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

ou  estoit  la  dite  eslection1;  le  sieur  Fourneyron,  receveur  des  tailles  à 
Valognes,  fut  commis  a  sa  place  pour  l'exercice  de  Tannée  1679 2.  » 

Voici  encore  des  notes  fournies  par  l'intendant  d'Alençon, 
M.  de  Morangis,  en  juillet  1682,  sur  les  receveurs  et  commis  de 
sa  généralité*  : 

Albnçon.  «  Cet  eslection  est  fort  ménagée  par  le  sieur  Noël,  receveur 
des  tailles  ;  il  ne  fait  presque  point  de  prisonniers,  et  les  peuples  s'en 
louent  fort;  il  a  de  l'exactitude  sans  avoir  trop  de  rigueur.  » 

Falaise.  «  Le  sieur  Hélie,  receveur  des  tailles,  a  les  deux  charges, 
et  s'en  acquitte  fort  bien.  » 

Moktagne.  La  recette  est  faite  par  un  commis;  «  la  régie  a  esté 
mieux  faitte  cette  année,  depuis  qu'on  a  osté  un  huissier  fort  soup- 
çonné de  friponneries;  j'ay  receu  moins  de  plaintes  et  les  frais  ont 
esté  plus  modérés  »,  mais  le  nombre  des  prisonniers  est  encore 
grand. 

Vbrnbuil.  «  Il  seroit  a  désirer  que  le  receveur  fist  un  peu  moins  de 
frais;  il  m'a  promis  de  retrancher  un  huissier;  les  peuples  ne  se 
plaignent  point  de  son  administration,  et  il  les  traitte  d'ailleurs  fort 
doucement.  » 

Lisieux.  La  recette  est  faite  par  un  commis;  «  on  ne  se  plaint  pas 
de  luy  »,  il  fait  peu  de  frais  et  peu  d'emprisonnements. 

Conçues.  «  Les  deux  receveurs  ont  permis  de  faire  moins  de  frais 
a  l'avenir;  cette  eslection  a  toujours  paie  avec  peine,  quoiqu'elle  soit 
une  des  meilleures  de  la  généralité 4.  » 

Bernav.  «  Le  receveur  mesnage  fort  les  peuples,  il  n'a  que  deux 
huissiers,  et  j'ai  toujours  trouvé  sa  conduite  fort  régulière...  » 

L'année  suivante,  son  successeur,  M.  de  Bouville,  envoie 
des  notes  un  peu  moins  optimistes  :  à  Alençon,  il  y  a  deux 
receveurs  particuliers  qui  «  paroissent  fort  honestes  gens  »  ;  à 
Mortagne,  les  receveurs  en  titre  n'exercent  pas  leurs  fonctions, 
ils  sont  remplacés  par  des  commis,  qui  ne  font  «  pas  à  beaucoup 
près  autant  de  frais  que  par  le  passé,...  [mais]  il  paroist 
qu'ils  en  font  trop,  sans  ceux  qu'ils  peuvent  faire  et  qui  ne  sont 

Point  connus  »;  à  Verneuil,  il  n'y  a  qu'un  seul  receveur,  et 
intendant  ne  donne  pas  de  détails  sur  lui;  à  Conches,  les 
receveurs  font  beaucoup  de  frais  et  emprisonnent  souvent  les 
collecteurs;  à  Bernay,  il  sont  «  fort  honestes;  »  à  Lisieux,  les 
receveurs  «  en  usent  de  mesmes  que  dans  les  autres  eslections 
où  il  se  fait  des  frais.  »  A  Falaise,  le  receveur  «  n'a  autre  règle 
que  celle  qu'il  veut  bien  s'establir  car  il  est  le  maistre  de  faire 
autant  de  Irais  qu'il  luy  plaît  »;  à  Argentan,  des  deux  receveurs, 


1.  Cf.  ci-dessous,  p.  472. 

2.  Rapport  du  30  juillet  1680,  A.  N.  G'  213. 

3.  Mémoire  du  8  juillet  1682,  A.  N.  G'  71. 

4.  Sur  les  receveurs  de  Conches,  voir  plus  bas,  p.  479. 


LES    RECEVEURS.  439 

l'un  est  toujours  à  Paris,  l'autre  ne  fait  pas  moins  de  frais  que 
ses  collègues;  à  Domfront,  le  receveur  se  conduit  comme  ses 
collègues  également. 

La  rétribution  accordée  par  les  receveurs  généraux  aux  rece- 
veurs particuliers  consistait  généralement  dans  une  somme  fixe, 
débattue  lors  du  traité,  et  proportionnelle  au  montant  de  la 
recette1.  Quelquefois  elle  était  fixée  par  le  Conseil,  mais  le 
plus  souvent  elle  était  débattue  librement  entre  les  receveurs 
généraux  et  particuliers.  En  ce  cas,  les  contractants  n'étaient 
pas  obligés  de  la  déclarer  à  l'administration,  et  ils  la  tenaient 
volontiers  secrète  à  ce  point  que  Colbert  avait  peine  à  s'en  faire 
informer.  C'est  ainsi  qu'il  disait  à  Leblanc  le  2  avril  1677  : 
«  Je  vous  ay  écrit  dès  le  mois  d'octobre  dernier,  que  le  roy  vou- 
loit  que  vous  vous  informassiez  des  sous-traités  que  le  receveur 
général  de  la  généralité  de  Rouen  en  exercice  la  présente  année 
1677  feroit  avec  les  receveurs  particuliers  et  commis  à  la  recette 
des  tailles  de  chacune  élection,  et  que  vous  sçussiez  certainement 
combien  il  leur  donneroit  de  remise,  le  nombre  de  leurs  paye- 
mens,  en  quels  mois  ils  commenceroient  les  avances  qu'ils 
seroient  obligés  de  faire  et  quels  intérests  il  leur  donneroit  pour 
leurs  avances2  ».  Sur  une  pareille  question  posée  en  1680, 
l'intendant  de  Caen  lui  répondait  le  30  juillet  : 

«  Des  l'année  dernière,  je  ne  pus  sçavoir  au  vray  les  remises  que 
M.  Delarré  fît  aux  receveurs  en  tiltre,  ny  les  appointements  qu'il 
donna  aux  commis 3,  et  je  ne  vois  pas  d'apparence  d'estre  mieux  ins- 
truit pour  l'année  présente  de  l'exercice  de  M.  Doublet,  parce  que  les 
uns  et  les  autres  affectent  de  cacher  lesdites  remises  et  appointements, 
les  receveurs  généraux  pour  ne  pas  faire  voirie  peu  qu'ils  en  donnent, 
et  les  particuliers  par  les  defl'enses  qu'ils  en  ont,  à  peine  d'estre 
privés  de  l'exercice  ou  commission.  On  est  persuadé  en  ce  pays  que 
tous  les  receveurs  particuliers  et  commis  ont  part  aux  frais  des  huis- 
siers ;  les  plaintes  qu'ils  font  du  peu  de  remise  et  appointements  qu'on 
leur  fait  semble  les  authoriser  a  cet  abus;  et  c'est  pourquoy,  soubs 
vostre  bon  plaisir,  Monsieur,  il  y  auroit  quelque  règlement  a  faire 

1.  Par  exception,  en  1680,  le  receveur  général  de  Rouen  charge  de  la  recette 
en  six  élections  les  receveurs  en  titre  sans  signer  de  contrat  avec  eux,  préten- 
dant «  qu'ils  n'ont  pas  executté  leurs  traictés  de  1678  »,  mais  il  leur  a  promis 
«  qu'il  leur  feroist  a  proportion  de  leur  recouvrement  la  mesme  remise  qu  a  ceux 
qui  ont  traitté,  s'ils  le  payent  ponctuellement  dans  les  mesmes  termes  ».  Mémoire 
de  Leblanc,  3  août  1680,  A.  N.  G"  491.  Les  six  élections  en  question  sont  celles  de 
Pont-de-l'Àrche,  Arques,  Neufchâtel,  Lyons,  Magny,  Andely  et  Evreux;  la  même 
année,  celui  de  Caen  n'assure  à  ses  receveurs  qu'une  remise  «  volontaire  »,  à 
payer  «  après  le  recouvrement  ».  Let.  deMéliand,  12  septembre  1680,  A.  N.  G7  213. 

2.  Glém.,  II,  297,  note  3;  cf.  ibid.  sa  lettre  à  Tubeuf,  du  20  octobre  1673;  p.  145 
sa  lettre  à  l'intendant  de  Dauphiné,  7  nov.  1680,  et,  dans  les  papiers  de  Breteuil, 
sa  lettre  du  18  juin  1681  (B.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  II,  pièce  254). 

3.  On  voit  que  l'intendant  fait  une  distinction  entre  les  rétributions  des  rece- 
veurs en  titre  (remises)  et  celles  des  commis  (appointements)  ;  mais  c'est  une  simple 
question  de  mots. 


|M  LA    TAILLE    BN    NOHMAXDIE. 

en  ce  rencontre,  en  telle  sorte  que  les  receveurs  généraux  ne  fussent 
pas  absolument  les  maistres  de  ces  remises,  ou  qu'au  moins  ils  fussent 
tenus  de  [les]  faire  connoistre  au  Conseil  et  au  commissaire  départy... 
d'où  l'on  connoistroit  si  les  receveurs  particuliers  sont  suffisamment 
recompensez  de  leur  exercice  pour  ne  pas  donner  lieu  de  prendre  des 
profficts  indirects  et  abusifs  sur  les  frais  des  buissiers1.  » 

On  trouve  une  assez  grande  variété  dans  le  montant  des 
remises,  le  nombre  et  les  délais  des  paiements  convenus  entre 
les  receveurs. 

En  1664,  le  traité  pour  l'élection  de  Caen  comporte  une  remise 
de  6  d.  pour  livre  (2,  50  p.  100)  «  de  la  partie  de  l'Espargne 
seulement  »  c'est-à-dire  que  le  chiffre  sera  calculé  uniquement 
sur  les  sommes  versées  à  la  recette  générale,  ce  qui  produira  au 
receveur  2  497  1.  10  s.,  payables  par  semestre.  Les  versements 
seront  mensuels  et  au  nombre  de  24.  les  18  premiers  étant  de 
6390  1.  chacun,  les  six  derniers,  de  6200  1. 2.  Pour  1666,  le 
traité  de  la  même  élection  porte  une  remise  fixe  de  2  000  1., 
avec  les  mêmes  délais  de  versement3.  Mais  en  1674,  le  receveur 
général  de  Caen  accorde  uniformément  à  tous  les  receveurs  des 
élections  4  d.  pour  livre  (1,  66  p.  100)  des  sommes  perçues  par 
eux,  et  exige  le  versement  en  16  mois*.  En  1677,  le  receveur 
général  de  Rouen  traite  «  sans  non-valleurs  5  en  seize  payemens 
a  commencer  au  1er  janvier,  moyennant  4  d.  obole  pour  livre 
[1,875  p.  100]  pour  toute  remise,  frais  de  recouvrement,  ports 
et  voitures,  et  a  leurs  risques,  périls  et  fortunes,  excepté  des 
charges  des  eslections 6,  pour  lesquelles  il  ne  fait  aucune 
remise7  ».  En  1679,  dans  la  même  généralité,  le  montant  de  la 
remise  varie  avec  les  élections;  le  délai  de  versement  est  de 
13  ou  14  mois  pour  les  élections  de  Rouen,  Pont-de-1' Arche, 
Andely,  Montivilliers,  et  Magny,  de  15  mois  pour  Evreux. 
Les  premiers  paiements  doivent  être  faits  le  5  décembre  1677, 
et  (tu  n'exige  de  cautionnement  que  du  receveur  de  Pont- 
l'Evèque,  qui  n'est  pas  très  sûr8.  En  1680,  le  receveur  général 
conclut  des  forfaits  avec  quatre  receveurs  particuliers  :  il 
donne  3000  1.  de  remise  à  celui  de  Caudebec,  2  500  à  celui  de 
Pont-1'Evêque,  2  400  à  celui  de  Montivilliers,  et  «  cinq  à  six 
cent  livres  »  seulement  à  celui  de  Pont-Audemer.   Aux  autres, 

1.  A.  N.  G'  213. 

2.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen,  dossier  de  Cairon. 

3.  Ibid. 

I.  Let.  de  Chamillurt,  novembre  1673,  Glnirnmb.  795,  p.  122.  En  1671,  la  remisa 
était  dans  la  même  généralité  de  6  d.  pour  livre,  et  les  versements  s'échelon- 
naient sur  18  mois  (Clairamb.  792,  p.  388). 

.">.  Certains  traités  abandonnaient  d'avance  au  receveur,  à  titre  de  non-valeurs, 
une  partie  de  l'imposition,  considérée  comme  irrecouvrable. 

6.  C'est-à-dire  que  la  remise  de  4  d.  1/2  pour  livre  sera  calculée  sur  les 
sommes  versées  ù  la  recette  générale. 

7.  Let.  de  Leblanc  ù  Colbert,  8  avril  1677,  B.  N.  fr.  8759,  f°  77. 

8.  Let.  de  Leblanc  des  13  et  19  août  1678,  A.  N.  G?  491. 


LES    RECEVEURS. 


441 


avec  qui  il  n'a  pas  signé  de  traité1,  il  promet  3  d.  1/2  par  livre 
sur  leur  recette  *. 

Colbert  se  proposa  en  1681  de  réglementer  ces  remises.  Un 
arrêt  du  Conseil  fixa  uniformément  à  7  d.  pour  livre  la  remise 
des  receveurs  généraux,  à  charge  d'en  partager  le  montant 
avec  les  receveurs  particuliers3;  les  intendants  furent  invités  à 
obliger  «  les  receveurs  généraux  de  traiter  avec  les  receveurs 
des  tailles  aux  conditions  portées  par  cet  arrest,  en  leur  donnant 
les  assurances  nécessaires  pour  le  recouvrement4  ».  Mais  l'année 
suivante,  un  nouvel  arrêt  élevait  le  tarifa  9  d.  pour  livre5,  et 
les-  receveurs  se  plaignaient  encore  qu'il  fût  trop  faible;  aussi 
l'arrêt  ne  semble-t-il  pas  avoir  été  généralement  appliqué.  Le 
tableau  suivant  montre  la  vai'iété  des  tarifs  qui  étaient  en  vigueur 
dans  la  généralité  de  Rouen  en  1684 6  : 


ÉLECTIONS 

IMPOSITION 

REMISE     AUX 
Montant. 

RECEVEURS 
P.    100. 

-255  710 
248  6C8 
199  976 
316  035 
145  970 
92  853 
144  210 
176  534 

158  070 
124  670 

159  120 
290  480 
193  512 

18  010 

11  715 

5  542 

4  964 
2  749 

2  710 

8  010 

9  774 
7  242 

3  250 
11633 

2  675 

5  704 

7,33 
4,71 
2,75 
1,57 
1,88 
2,91 
5,55 
5,53 
4,58 
2,60 
7,31 
0,92 
2,94 

Pont-1'    vêque 

2  495  808 

93  978 

3,70 

Lorsqu'un  receveur  particulier  ne  fait  pas  aux  dates  convenues 
ses  versements  au  receveur  général,  celui-ci  peut  recourir,  contre 
son  débiteur,  à  la  saisie  de  ses  biens,  y  compris  son  office,  et 
ensuite  à  l'emprisonnement.  À  cet  effet,  il  doit  se  faire  délivrer 
un  arrêt  par  le  Bureau  des  finances,  qui  reconnaît  la  dette  et 
l'insolvabilité  du  receveur.  Les  exemples  de  telles  exécutions 
ne  sont  pas  rares.  En  1661,  le  receveur  de  Pont-1'Evêque  est 


1.  Ci-dessus,  p.  439,  note  1. 

2.  Let.  de  Leblanc,  3  août  1680,  A.  N.  G?  491.  D'après  ces  chiffres,  le  tarif  des 
remises  varie  de  1,43  à  1,57  p.  100  de  la  recette. 

3.  Circulaire  du  6  nov.  1681,  B.  Mun.  Amiens,  ms.  503,  t.  II,  pièce  443. 

4.  Circulaire  du  9  octobre  1681.  donnée  à  tort  par  Clément  (II,  39'»),  comme 
une  lettre  à  Leblanc  seul  :  elle  se  trouve  aussi  dans  la  correspondance  de  llre- 
teuil. 

5.  Let.  de  Breteuil,  22  oct.  16S2,  15.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  III,  pièce  479. 

6.  Etat  dressé  par  l'intendant,  30  mars  1685,  A.  N.  C  492. 


ly  LA    TAILLE    EX    NORMANDIE. 

incarcéré  à  la  requête  du  receveur  général,  pour  50000  1.  qu'il 
lui  doit  sur  la  taille  de  1660,  et  bien  qu'il  soit  établi  que  les 

E unisses  lui  redoivent  la  plus  grande  partie  de  cette  somme1, 
a  même  année,  Sanson  Molard.  ayant  fait  la  recette  de  l'élec- 
tion d'Evreux  en  1659  à  la  place  de  son  frère,  décédé,  est  empri- 
sonne pour  un  arriéré  de  13  716  1.  *.  En  1664,  le  Bureau  des 
finances  de  Rouen  délivre  un  arrêt  de  prison  contre  Jérôme  Forez, 
commis  à  la  recette  de  Caudebec  pour  l'année  1663,  faute  d'avoir 
payé  25333 1.,  lesquelles  il  déclare  n'avoir  pu  recouvrer,  «  attendu 
qu  il  y  a  plus  de  trois  mois  que  tous  les  huissiers  employez  au 
recouvrement  des  tailles  de  la  dite  ellection  sont  absents  a  cause 
des  poursuites  faites  allencontre  d'eux  par  le  sieur  de  Bondeville, 
subdelegué  de  la  Chambre  de  Justice,  pour  malversations  par 
eux  commises,  aucuns  ayant  mesme  esté  par  luy  condanez  a 
quelques  peines,  n'ayant  ledit  Forez  peu  trouver  aucuns  autres 
huissiers3  ».  En  1669,  le  receveur  de  l'élection  de  Caen  voit 
saisir  son  office  et  ses  terres  pour  26946  1.  qu'il  doit  sur  son 
exercice  de  1666;  la  saisie  n'ayant  pas  permis  l'acquit  de  la  dette, 
il  est  emprisonné*. 

A  partir  de  1670,  toutefois,  les  emprisonnements  deviennent 
moins  fréquents,  grâce  au  soin  mis  à  choisir  les  receveurs  et 
leur  faire  déposer  un  cautionnement  :  on  n'en  trouve  plus  qu'un 
cas  en  Normandie,  à  Avranches,  en  1680 5. 

Les  receveurs  doivent  avoir  normalement  leur  bureau  au  chef- 
lieu  de  l'élection,  mais  dans  les  grandes  circonscriptions,  ils 
sont  tenus  d'établir  des  succursales,  gérées  par  des  commis 
sous  leur  responsabilité,  dans  les  lieux  nxés  par  le  roi6.  Quand 
les  collecteurs  leur  remettent  une  somme,  ils  doivent  leur  en 
délivrer  quittance,  moyennant  un  droit  de  10  deniers.  Ce  droit 
pouvant  devenir  une  charge  très  lourde  pour  les  collecteurs,  s'ils 
faisaient  un  grand  nombre  de  versements,  l'ordonnance  des 
Aides,  au  titre  du  papier  timbré,  art.  15,  limita  à  six  par  an  le 
nombre  des  quittances  soumises  au  droit7. 

Les   sommes  reçues  doivent  être  en    outre   inscrites    sur  un 


1.  Il  arrive  que  les  avances  des  receveurs  soient,  de  ce  fait,  considérables.  D'après 
un  arrêt  du  Conseil  du  27  février  1669,  René  Aubry,  receveur  général  de  Caen,  a 

gayé  au  Trésor  sur  la  taille  de  1666,46  902  1.  qu'il  n'avait  pas  reçues  (A.  D.  Calv., 
ureau  des  finances.) 

2.  Bureau  des  finances  de  Rouen,  Plumitif  à  la  date  du  19  octobre  1661,  A.  D. 
S.-Inf.,  C  1164,  f"  181  et  H*. 

3.  lbid.,  1166,  f°  139  (30  juillet  1664). 

4.  A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances,  27  février  1669. 
"-.  Let.  du  30  juillet  1680,  A.  N.  G?  213. 

'_•.  Bdit  d'août  1661,  sur  la  réduction  du  nombre  des  élus. 

'.  «  Les  collecteurs  des  tailles  seront  tenus  seulement  de  payer  les  droits  pour 
six  quittances,  du  nombre  de  celles  qui  leur  seront  délivrées  par  an  par  les  rece- 
veurs des  tailles,  le  surplus  demeurant  ù  la  charge  des  receveurs.  »  Cf.  le  com- 
mentaire de  Jacquin,  Conférence  de  COrdonnance  du  mois  de  juin  1680,  Paris,  1751, 
in-4%  sur  cet  article. 


LES    RECEVEURS.  443 

«  registre  de  bordereaux  »,  en  spécifiant  la  «  qualité  et  nombre 
des  espèces  »;  les  collecteurs  contresignent  le  registre  séance 
tenante.  Il  est  défendu  par  les  ordonnances  d'inscrire  la  recette 
«  sur  des  feuilles  volantes  et  journaux  particuliers,  ains  seule- 
ment sur  les  registres  publics,  bien  et  duement  paraphés  »  par 
les  élus1. 

La  complication  des  monnaies  et  les  variations  que  leur  fai- 
sait subir  le  roi  étaient  un  des  obstacles  au  bon  recouvrement. 

La  variété  des  espèces  en  circulation,  même  dans  les  provinces 
de  l'intérieur  du  royaume,  était  surprenante.  Ainsi  lors  d'un 
inventaire  dressé  par  le  Bureau  des  finances  de  Caen  après  le 
décès  du  receveur  général,  le  29  mars  1669,  on  trouve  dans  la 
caisse  des  louis  d'argent,  des  douzains,  des  pistoles  d'Espagne 
«  tant  doubles  que  simples  »,  des  écus  d'or  «  tant  escus  entiers 
que  demy  »  et  de  la  menue  monnaie2.  La  fausse  monnaie  était 
en  outre  courante  :  Colbert  apprend  en  1681  qu'  «  il  y  a  beau- 
coup de  faux  monnayeurs  dans  la  Basse  Normandie3  ».  Les 
rogneurs  de  monnaie,  billonneurs  et  autres  falsificateurs  sont 
extrêmement  fréquents,  et  la  monnaie  fausse  n'est  pas  toujours 
facile  à  distinguer  de  la  vraie;  les  étrangers  importent  des  pièces 
qui  ont  souvent  cours  comme  la  monnaie  française,  et  dont  la 
falsification  est  également  facile 4. 

Les  variations  dans  le  cours  des  monnaies  royales  n'étaient 
pas  moins  gênantes  pour  les  paiements;  elles  amenaient  une 
différence  entre  la  valeur  nominale  des  espèces  et  leur  cours 
ordinaire  dans  le  commerce.  Quand  la  valeur  courante  était 
supérieure  à  la  valeur  nominale,  les  receveurs  ne  les  acceptaient 
que  pour  cette  dernière  valeur,  et  dans  le  cas  contraire,  ils 
refusaient  de  les  prendre  autrement  qu'à  leur  valeur  marchande. 
Dans  les  deux  cas  c'était  le  payeur  qui  perdait5. 

La  plus  importante  de  ces  variations  fut  la  refonte  des  pièces 


1.  Mandement  de  l'intendant  de  Rouen,  1672,  A.  D.  S.-Inf.,  G  2215. 

2.  A.  D.  Calv.  Bureau  des  finances,  procès-verbal  de  différentes  affaires 
1659-69,  f°  749. 

3.  Clém.  II,  153. 

4.  Quand  un  receveur  reçoit  d'un  collecteur  des  pièces  d'or  ou  d'argent  fausses, 
il  doit  les  rompre  en  sa  présence  et  lui  rendre  les  morceaux  (Mandement  de  l'in- 
tendant de  Caen  pour  la  levée  de  la  taille  de  1676,  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen). 

5.  Les  états  de  Normandie  en  1634  disaient  dans  leur  cahier  (art.  40)  : 
«  Quelle  pitié  qu'un  pauvre  laboureur  soit  contrainct  recevoir  l'excu  d'or  a  cent 
sols  pour  le  prix  de  son  bled  et  que  pour  acquitter  la  taille  il  ne  le  puisse  mettre 
qu'à  4  1.  6  s.  en  vos  receptes  ».  (De  Beaurepaire,  Cahiers,  Règne  de  XIII,  III, 
p.  31.)  Les  élus  de  Poitou  déclarent  en  1633  «  que  si  l'on  n'apporte  quelque  règle- 
ment sur  le  fait  des  monnoyes  qui  ont  à  présent  cours,  il  sera  du  tout  impos- 
sible que  le  peuple  puisse  payer  ce  qu'il  est  obligé  de  porter  à  la  récepte  des 
tailles,  où  les  receveurs  ne  veulent  recevoir  que  monnoye  de  roy,  laquelle  est 
si  rare  et  mêlée  maintenant  que  beaucoup  sont  contraints  de  changer  l'autre  à 
celle-cy  et  de  la  suracheter  à  leur  perte.  »  (Fournival,  Recueil  des  privilèges  des 
Trésoriers  de  France,  p.  1105). 


4i',  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

de  4  sous,  en  1678 '.  La  nouvelle  monnaie,  plus  faible  que  l'an- 
cienne, n'inspira  pas  confiance  aux  receveurs,  qui  refusèrent 
d'en  prendre  pour  plus  du  quart  de  la  somme  versée;  ainsi,  dit 
l'intendant  d'Alençon  le  27  mai  1679,  «  les  collecteurs,  qui  ne 
reçoivent  la  taille  qu'en  cette  monnaie,  sont  souvent  rebutez  par 
les  receveurs  et  quelquefois  exécutez  et  emprisonnez  avec  leur 
argent;  j'en  ai  reçu  beaucoup  de  plaintes  dans  tous  les  lieux  ou 
j'ai  passé  ».  Mais  il  ne  put  décider  les  receveurs  à  prendre  plus 
de  la  moitié  en  pièces  de  4  sous  et  en  douzains2.  Celui  de  Caen 
écrit  la  même  année  que  les  difficultés  que  l'on  fait  à  recevoir  les 
nouvelles  pièces  sans  les  peser  «  deviennent  si  grandes  qu'on 
les  refuse  absolument  »;  le  receveur  de  Mortain  a  refusé  un 
jour  plus  de  la  moitié  de  l'argent  apporté  par  les  collecteurs 
parce  qu'il  était  trop  léger;  les  2/3  de  ceux  qui  étaient  venus 
faire  des  versements  n'ont  pu  s'acquitter,  il  règne  de  ce  fait 
une  «  grande  dissolution  »  dans  l'élection;  l'intendant  ajoute 
que  si  Ton  n'y  apporte  remède,  le  commerce  et  le  recouvrement 
des  impôts  vont  se  trouver  extrêmement  gênés  dans  tout  le  pays  3. 
Il  est  probable  que  ce  remaniement  contribua  à  accroître  les 
difficultés  dans  la  perception,  que  l'on  constate  à  partir  de  1679. 

Les  sommes  encaissées  par  un  receveur  ont  une  triple  destina- 
tion, qui  leur  est  assignée  chaque  année  par  un  ordre  du  roi 
nommé  Etat  de  distribution  des  finances.  Une  partie  est  affectée 
aux  dépenses  locales  :  appointements  d'officiers,  travaux  publics, 
arrérages  de  rentes,  etc.;  une  autre  est  conservée  par  le  rece- 
veur pour  ses  appointements,  remises,  et  frais  de  comptes; 
le  reste  est  transporté  à  la  caisse  dont  dépend  le  receveur  : 
recette  générale  s'il  s'agit  d'un  receveur  particulier,  Epargne, 
s'il  s'agit  d'un  receveur  général. 

Cette  dernière  opération  ou  «  voiture  »  des  deniers  était  par- 
ticulièrement délicate,  car  on  transportait  effectivement  des 
espèces,  les  procédés  de  banque  étant  tout  a  fait  exceptionnels 
à  cette  époque 4,  et  dans  ces  transports  on  devait  prendre  des 
précautions  à  la  fois  contre  l'insécurité  des  chemins  et  contre  la 
malhonnêteté  trop  commune  des  receveurs.  Au  départ,  l'expé- 
diteur doit  faire  contrôler  son  chargement  :  s'il  est  receveur 
particulier,  le  contrôle  est  fait  par  un  élu  délégué  de  ses  collè- 
gues ;  s'il  est  receveur  général,   par  un    trésorier  de  France5. 

1.  Sur  cette  opération,  voir  De  Boislisle,  appendice  à  l'cd.  des  Mémoires  de 
Saint-Simon,  t.  XIV. 

2.  Lettre  du  27  mai  1679,  A.  N.  C'  71,  cf.  ibid.,  lettre  du  13  février. 

3.  Lettre  du  M  janvier  1679,  A.  N.  G?  213. 

<i.  Ainsi,  en  décembre  1685.  l'intendant  de  Caen  se  félicite  comme  d'une  mesure 
extraordinaire  d'avoir  trouvé  le  moyen  de  faire  payer  le  receveur  général  à 
l'Epargne  par  des  lettres  de  change,  en  sorte  que  «  l'nrgcnt  demeure  dans  le  pays  »  : 
depuis  le  mois  d'avril,  dit-il,  le  receveur  n'a  fait  faire  aucun  transport  de  numé- 
raire à  Paris.  Lettre  du  3  décembre  1085,  A.  N.  G'  213. 

5.  Cf.  par  ex.  une  délibération  du  Bureau  des  finances  de  Rouen  du  13  mars  1665 
pour  déléguer  deux  trésoriers  «  pour  faire  faire  la  voiture  [des  deniers  de  la  recette 


LES    RECEVEURS.  445 

Le  contrôleur  dresse  un  bordereau  qu'il  signe,  et  il  assiste 
au  chargement;  le  receveur  muni  du  bordereau  se  met  en 
route  ' . 

Le  convoi  est  exposé  à  être  attaqué  et  pillé  «  à  cause  des 
gens  de  guerre  qui  sont  sur  les  chemins,  et  vagabonds  qui 
ne  demandent  autre  chose  que  d'attraper  les  deniers  du 
roy2  ».  Un  arrêt  du  conseil  du  17  mars  1661  doit  rappeler  aux 
archers  de  la  prévôté  qu'ils  sont  tenus  d'escorter  le  convoi  s'ils 
en  sont  requis3.  Le  voyage  doit  se  faire  «  entre  deux  soleils, 
sur  chevaux  de  charge,  chacun  portant  son  poids4  ».  Entre 
autres  motifs  donnés  par  le  roi  à  la  création  d'un  Bureau  des 
finances  à  Alençon,  en  1636,  figure  la  grande  distance  de  cette 
ville  à  Rouen,  «  d'où  seroit  advenu  plusieurs  vols  de  deniers  de 
nos  tailles  et  gabelles  ».  Pendant  la  Fronde,  le  Parlement  de 
Rouen  avait  dû  ordonner  aux  receveurs  particuliers  de  Rouen 
et  de  Caen  de  renforcer  les  gardes  de  leurs  convois,  et  à  ceux 
d' Alençon  de  garder  les  fonds  par  devers  eux  «  jusques  à  ce 
qu'autrement  en  ait  esté  ordonné  »,  à  cause  «  des  courses  et 
pilleries  qui  se  font  en  divers  lieux  de  cette  province5  ». 

Même  après  la  Fronde  et  jusqu'en  1670  on  trouve  en  Nor- 
mandie des  exemples  de  pillages  de  convois  :  le  6  août  1660, 
le  receveur  de  Coutances  a  un  chargement  de  28000  1.  volé 
«  dans  le  grand  chemin  de  Caen  »  ;  sa  veuve  ayant  avancé  les 
frais  d'enquête  pour  découvrir  les  coupables,  deux  de  ceux-ci 

généraio  à  l'Epargne],  estre  présents  au  compte  desdits  deniers  et  en  dresser  le 
bordereau  des  espèces.  »  (A.  D.  S.-Inf.,  G  1167,  £°  56). 

1.  Cf.  un  certificat  des  élus  de  Mortain  du  25  avril  1671  attestant  que  lorsque 
le  receveur  de  leur  élection  a  fait  voiturer  les  deniers  de  sa  recette  à  la  recette 
générale  «  l'un  desdits  officiers  de  ladite  élection  a  esté  présent  lorsque  ladite 
voitture  a  esté  contée  et  mise  dans  les  panniers  des  voitturiers  et  signé  une  attes- 
tation de  la  dite  voitture  et  nombre  d'argent  ».  (A.  D.  Calv,  Elect.  de  Caen,  dos- 
sier du  procès  de  Cairon);  cf.  ibid.,  un  bordereau  délivré  par  les  mêmes  élus  au 
receveur  le  28  mars  1666;  au  début  sont  énumérées  les  espèces  :  pistoles  d'Es- 
pagne, quarts,  douzains,  quarts  d'écus,  et  lys  d'or,  au  total  1712  1.  16  s.  (5d.;  le 
bordereau  se  termine  par  :  «  laquelle  somme  de  1712  1.  16  s.  6  d.  a  esté  comptée 
et  nombrée  aux  espèces  cy-dessus  par  Jean  Lair  commis  dudit  sieur  Roussel  [le 
receveur],  et  mise  en  plusieurs  saaz,  lesquelz  ont  esté  enfermé  dans  des  paniers 
et  iceux  chargés  sur  un  cheval  faict  partir  de  cette  ville  de  Mortain  pour  porter 
dans  la  recepte  générale  des  finances  ù  Caen,  à  laquelle  fin  ont  monté  à  cheval 
avec  ledit  Lair  M"  Pierre  Durocher,  Jacques  Larcher  et  autres  pour  escorter 
ladite  voiture  ». 

2.  Le  Guidon  des  finances,  1644,  p.  177,  cf.  ibid.  toutes  les  précautions  indiquées 
pour  assurer  la  sécurité  du  convoi  et  pour  obtenir  la  remise  des  deniers  lors- 
qu'ils sont  volés  en  route.  Voici  aussi  Gl.  de  Beaune,  Traité  de  la  Chambre  des 
comptes  de  Paris  (1647),  liv.  I,  p.  343  et  suiv. 

3.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  du  Bureau  des  Finances,  1661,  f°  195  v°. 

4.  Gl.  de  Beaune,  Traité  de  la  Chambre  des  comptes,  1647,  liv.  II,  p.  36.  Cf. 
Traité  des  fonctions  des  Trésoriers  généraux,  Clairamb.,  500,  p.  595.  Les  vols  sont 
normalement  prévus  ;  ainsi  dans  le  bail  conclu  à  Pierre  Armand  pour  l'exploita- 
tion des  forête  de  Normandie  en  1655  figure  une  clause  qui  dispense  Armand  de 
payer  une  seconde  fois  au  roi  les  sommes  qui  lui  auront  été  volées  dans  le  trans- 
port à  la  recette  sans  qu'il  y  ait  de  sa  faute  (M.  Prévost,  Etude  sur  la  forêt  de 
Roumare,  p.  231-325). 

5.  Arrêt  de  1er  février  1649,  publié  dans  le  Recueil  de  diverses  pièces  qui  ont 
paru  durant  les  mouvements  demie/s  de  Vannée  16b9,  s.  1.,  1650,  p.  696. 


LA    TAILLE    EN     NOItMANDIE. 


sont  arrêtés  et  pendus  à  Paris  en  1G68,  les  autres  sont  con- 
damnés par  contumace  à  la  roue1.  En  1667,  l'intendant  de 
Rouen  écrit  que  les  voleurs  «  infestent  les  grands  chemins  de 
cette  province  »,  notamment  dans  la  plaine  du  Neufbourg,  et  les 
archers  de  la  maréchaussée  «  ne  sont  pas  en  estât  de  les 
prendre  »;  par  deux  fois  il  demande  à  Louvois  de  lui  envoyer 
des  renforts  de  troupes  pour  en  purger  la  campagne2.  En  avril 
de  la  même  année,  le  courrier  de  la  poste  est  dévalisé  à  deux 
lieues  de  Paris';  en  août  1670,  il  faut  un  arrêt  du  Conseil  pour 
ordonner  aux  prévôts  de  Normandie  de  marcher  contre  les 
voleurs  qui  infestent  la  banlieue  de  Rouen*;  en  1669  pendant 
le  transport  de  6  200  1.  fait  par  le  receveur  de  Carentan,  le 
convoi  est  pillé  dans  une  embuscade  organisée  par  un  gentil- 
homme «  dune  des  plus  considérables  maisons  »  de  la  généra- 
lité qui  faisait  son  métier  de  pareils  coups  de  mains5,  il  est 
découvert,  mais,  comme  il  consent  à  restituer  la  somme  volée, 
il  n'est  pas  davantage  inquiété6. 

A  son  arrivée,  le  receveur  présente  son  bordereau  aux  tré- 
soriers de  France  (ou  au  garde  de  l'Epargne),  qui  vérifient  les 
espèces,  assistent  au  versement  et  écrivent  au  bas  du  borde- 
reau leur  attestation,  qui  sert  de  décharge  au  receveur  en  même 
temps  que  la  quittance  qui  lui  est  délivrée  d'autre  part7. 


1.  Procès- verbal  d'un  Trésorier  général  de  Caen,  23  octobre  1668,  A.  D.  Calv., 
Bureau  des  finances,  procès-verbaux  de  différentes  affaires,  1659-69,  f°  735. 

2.  M.  C.  143,  f  422. 

3.  Ibid.,  f°  450. 

4.  M.  C.  155,  f  154. 

5.  Il  «  a  jusques  à  présent  mené  une  vie  assez  conforme  à  cette  dernière 
action  »,  écrit  l'intendant. 

6.  Tous  ces  exemples  sont  antérieurs  ù  1671.  Si  le  hasard  n'a  pas  fait  dispa- 
raître  les   documents  qui  nous    en   auraient   informés,  il   faut    supposer  que   la 

Police  fut  mieux  faite  désormais,  soit  par  la  maréchaussée  réorganisée,  soit  par 
intervention  des  troupes  logées  dans  les  provinces,  et  qui  permettaient  d'escorter 
plus  fortement  les  convois.  Cf.  les  lettres  de  Chamillard  à  Colbert,  23  février  et 
4  avril  1669,  M.  C.  150>"  f°  573,  et  151,  P  177. 

7.  Voici  par  exemple  l'attestation  mise  par  deux  trésoriers  de  France  à  Caen  au 
bas  du  bordereau  de  versement  fait  par  le  receveur  de  Baveux  à  la  recette 
générale,  montant  à  25258  1.  8  s.  6  d.  :  «  Les  pièces  d'or  et  d'argent  contenues  au 
présent  bordereau  ont  esté  par  nous,  conseillers  du  roy,  trésoriers  de  France  au 
bureau  des  finances  de  Caen,  comptez,  nombrez  et  vérifiez,  et  se  sont  trouvez 
conformes  audit  bordereau  et  monter  ù  la  dite  somme  de  25258  1.  8  s.  6  d.  les- 
quelles espèces  ont  esté  mis  présentement  aux  coffres  de  la  dite  recette  générale 
entre  les  mains  de  M*  André  Delaunay.  commis  de  M.  René  Aubry,  aujourd'huy, 
2*  jour  d'avril  1666,  (signé)  Clément,  Morel  ».  (A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances.) 


LES  MALVERSATIONS  ET  CONCUSSIONS  DES  RECEVEURS.      447 


V.   —   LES    MALVERSATIONS 
ET    CONCUSSIONS    DES    RECEVEURS 

Un  proverbe  courant  au  XVIIe  siècle  assure  que  «  l'argent  du 
roy  est  sujet  à  la  pince1  ».  «  Il  est  raisonnable,  disait  Loyseau, 
que,  comme  celui  qui  manie  la  poix  en  retienne  quelque  chose 
en  ses  doigts,  aussi  ceux  qui  manient  les  finances,  en  prennent 
par  leurs  mains  leur  part  :  à  quoi  volontiers  ils  ne  s'oublient 
guères2  ».  Aux  Etats  de  1614  le  roi  répondait  aux  députés  de 
Normandie  qui  se  plaignaient  d'une  augmentation  de  trois 
deniers  par  livre  accordée  sur  la  taille  aux  receveurs  :  «  Ladite 
attribution  a  été  faicte  aux  receveurs  sur  ce  que  l'on  a  esté 
adverty  que  d'eulx-mesme  ils  la  levoient  par  abuz  3  ».  Pendant 
le  ministère  du  cardinal  Mazarin,  les  concussions  et  malversa- 
tions des  receveurs  étaient  particulièrement  nombreuses  ;  c'était 
une  des  causes  pour  lesquelles  les  impôts  ne  rentraient  pas  au 
Trésor,  quoique  les  peuples  payassent  des  sommes  considé- 
rables. En  Normandie  particulièrement,  on  en  rencontre  de 
scandaleux  exemples. 

Dans  l'élection  de  Caen,  un  commis  à  la  recette  du  taillon, 
nommé  Hallot,  avait  en  1658  perçu  presque  le  double  de  ce  qui 
lui  était  dû  :  ainsi  la  paroisse  de  dieux  imposée  à  1942  1.  lui 
avait  payé  du  26  mai  au  31  décembre  1658,  2  526  1.  15  s.  et 
Hallot  ne  la  tenait  encore  pas  pour  quitte.  Le  Bureau  des 
finances  de  Caen,  saisi  de  plusieurs  plaintes,  attendit  quatre 
ans  pour  lui  faire  son  procès  ;  on  trouvera  plus  loin  le  récit  de 
ses  méfaits  comme  huissier4. 

Dans  la  généralité  de  Rouen,  le  receveur  de  l'élection  de 
Caudebec  pour  l'année  1660  avait  dissipé  les  deniers  de  sa 
recette  et  avait  ensuite  pris  la  fuite5.  Le  receveur  de  Gisors, 
nommé  Lempereur,  avait  véritablement  mis  au  pillage  son 
élection,  depuis  l'année  1637  qu'il  exerçait,  soit  en  personne, 
soit  à  l'aide  de  son  fils  qu'il  prenait  pour  commis.  La  sœur  du 
chancelier  Séguier,  prieure  des  Carmélites  de  Pontoise,  raconte 
en  ces  termes    ses  exploits  en  1643  : 

«  Il  fait  le  petit  tyran  depuis  qu'il  sait  que  M.  de  Montaigu  n'est 
plus  ici  pour  protéger  les  pauvres;   notre  prison  de  Pontoise  est 

1.  Il  est  placé  en  épigraphe  sur  le  livre  de  Bourgoin,  La  Chasse  aux  larrons, 
Paris,  1618. 

2.  Traité  des  ordres,  ch.  VIII,  p.  34,  cf.  sur  les  lettres-patenles  du  roi 
d'avril  1596,  relatives  à  la  punition  des  receveurs,  Lebret,  XXIIIe  action,  Œuvres 
p.  495-97. 

3.  Précis  anali/tique  des  Travaux  de  V Académie  de  Rouen,  1877,  p.  179. 

4.  A.  D.  Galv.  Bureau  des  finances  (Dossier  du  procès  Hallot).  Cf.  ci-dessous,  p. 455. 

5.  A.  D.  S.-Inf.  C  1164,  f°  45. 


449  LA    TAILLE    EN     NOIIMANDIK. 

pleine  de  gens  pour  les  tailles;  il  les  consomme  en  frais  et  misères, 
et  je  ne  sais  si  le  roi  en  est  mieux  servi.  C'est  un  enGleux  de  beaux 
mot!  que  ce  Lempereur.  Il  est  devenu  extrêmement  riche  au  métier 
qu'il  fait  et  Ton  s'en  plaint  fort  dans  le  pays;  nos  collecteurs  des 
tailles  n'osent  sortir  d'ici  et  ils  ont  payé  plus  que  la  ville  ne  payait 
l'année  passée.  Il  faut  patience  et  miséricorde  car  il  est  impossible  que 
les  pauvres  gens  qui  font  leur  argent  denier  à  denier  l'aient  si  fort 
fourni  '.  » 

La  fortune  amassée  par  ce  malfaiteur  était  évaluée  à  8000001. 
La  Chambre  de  Justice  eut  connaissance  de  son  cas,  et  fit 
instruire  son  procès.  Le  dossier,  qui  a  été  en  partie  conservé1, 
nous  détaille  ses  crimes.  Tous  ses  comptes  étaient  falsifiés;  il 
avait  détruit  ses  registres  de  1637  à  1644,  vraisemblablement 
pour  cacher  ses  irrégularités;  pour  les  années  suivantes,  il  avait 
deux  comptabilités  différentes,  présentant,  pour  une  seule 
année,  un  écart  de  chiffres  de  21  000  1.  Un  seul  de  ses  livres 
était  paraphé,  et  il  l'était  par  le  sieur  Aubery,  «  son  ancien 
serviteur  domestique  et  son  sergent  »,  devenu  président  en 
l'Élection.  Il  avait  pu  ainsi  commettre  toutes  les  exactions  sans 

3u'il  en  parût  rien  sur  ses  comptes  :  une  paroisse  redevable 
e  44  I.  est  portée  comme  redevable  de  144;  une  autre  marquée 
pour  400  1.  ne  doit  que  4  1.,  une  autre,  «  en  reste  de  17  sols 
seulement  »  est  portée  en  reprise  pour  2  300  1.  10  s.  11  réclame 
56116  1.  aux  paroisses  de  son  élection  pour  leurs  restes  de  taille 
de  1637  à  1646,  alors  que,  d'un  autre  de  ses  comptes,  il 
ressort  qu'elles  redoivent  seulement  1985  1.,  lesquelles  il  a 
données  à  ses  huissiers  en  paiement  de  leurs  gages,  à  charge 
de  les  percevoir  comme  ils  l'entendraient.  Il  a  fait  emprisonner 
les  collecteurs  d'Hérouville  faute  de  paiement  de  sommes 
remises  par  le  roi;  le  Bureau  des  finances,  saisi  d'une  plainte, 
a  fait  élargir  les  prisonniers  et  ordonné  la  restitution  du  trop- 
perçu,  mais  Hallot  n'a  jamais  rien  rendu.  Maintes  fois  il  a  exigé 
des  contribuables  plus  que  leur  dû  :  «  ce  desordre  estant  si 
ordinaire  dans  sa  conduite,  il  seroit...  ennuyeux  d'en  vouloir 
rapporter  tous  les  exemples  »,  dit  l'accusation;  en  1640,  après 
avoir  exigé  de  la  paroisse  d'Ecos  1 140  1.  en  sus  de  son  impôt, 
«  il  ne  laissa  pas  encore  d'employer  la  mesme  paroisse  en 
reprise  dans  son  compte  pour  la  somme  de  678  1.  14  s.  ».  Il  a 
inventé  des  droits  pour  les  percevoir  à  son  profit,  prélevé  pour 
lui  les  6  deniers  par  livre  attribués  aux  collecteurs,  omis  d'ins- 
crire maintes  recettes  sur  ses  livres  ;  enfin  «  il  paroist  par  ses 

1.  Publ.  dons  Bonuemère,  La  France  sous  fouis  XIV,  p.  318. 

2.  Sommaire  du  procès  criminel  pendant  en  la  Chambre  de  Justice  contre  Fran- 
çois Lempereur  et  son  fil»,  B.  N.  Recueil  Thoisy.  vol.  397,  fol.  566-590,  Imprimé, 
52  p.  in-4°.  Cf.  les  factums  pour  la  défense  de  Lempereur,  imprimés,  ibid., 
fol.  505-565. 


LES    MALVERSATIONS    ET    CONCUSSIONS    DES    RECEVEURS. 


449 


registres  qu'en  quelques  années  de  ses  exercices  il  a  fait  payer 
aux  collecteurs  jusques  a  dix  et  douze  mille  livres  de  frais  ». 

Les  mêmes  charges  sont  relevées  contre  son  fils  :  registres  en 
double,  ratures,  fausses  quittances,  fausses  reprises  n'étaient 
qu'un  jeu  pour  lui.  En  1657  il  a  fait  vendre  les  meubles  de 
la  veuve  d'un  collecteur  pour  un  prétendu  arriéré  de  15  1.  6  s., 
et  il  appert  par  ses  propres  quittances  que  le  collecteur  lui 
avait  payé  91  1.  en  plus  de  son  dû.  En  1659,  il  a  pareillement 
exécuté  48  moutons  de  Louis  Féret,  collecteur  à  Chavanson, 
pour  un  prétendu  arriéré  de  100  1.,  et  Féret  s'étant  pourvu 
devant  l'intendant  a  prouvé  qu'au  contraire  Lempereur  lui  était 
redevable  de  34  1.;  M.  de  Champigny  a  donc  condamné  le 
receveur  à  restituer  les  34  1.,  mais  Lempereur  s'est  fait  donner 
une  quittance  de  la  somme  sans  rien  rembourser.  À  un  autre 
collecteur  qui  ne  lui  devait  rien,  il  a  fait  souscrire  une  obli- 
gation de  54  1.  15  s.  et  il  en  a  exigé  le  paiement.  Bref,  il 
reconnaît  lui-même  avoir  commis  des  «  surexactions  »  de  ce 
genre  «  sur  la  pluspart  de  toutes  les  paroisses  de  l'eslection  ». 
Jamais  il  n'a  soldé  ses  huissiers  autrement  qu'en  rescriptions 
sur  les  restes  de  la  taille,  les  laissant  libres  de  se  faire  payer 
comme  ils  l'entendraient... 

Pour  comble.  François  Lempereur  ayant  été  arrêté  par  ordre 
du  subdélégué  de  la  Chambre  de  justice,  ses  domestiques  étaient 
venus  le  délivrer  des  prisons  de  Gisors;  il  avait  été  condamné  à 
mort,  avec  confiscation  de  ses  biens,  mais  il  ne  craignait  pas  de 
faire  appel  de  la  sentence  devant  la  Chambre  de  Paris,  en 
arguant  que  bien  d'autres  en  avaient  fait  autant  que  lui.  Il  ne  fut 
condamné  qu'à  une  simple  amende,  par  arrêt  du  18  juin 
1665  '. 

Ces  condamnations  furent  un  salutaire  avertissement  pour  les 
receveurs;  mais  la  Chambre  de  justice  fut  très  loin  d'atteindre 
tous  les  coupables  ;  dans  beaucoup  de  pays  on  ne  pouvait  trouver 
de  témoins  contre  eux  parce  qu'on  craignait  les  représailles. 
Le  substitut  de  la  Chambre  à  Gap  termine  un  de  ses  rapports 
par  ces  mots  :  «  Ce  n'est  pas  sans  crainte  que  je  prans  la  liberté 
de  vous  faire  porter  les  plaintes  des  pauvres  subjets  de  S.  M.  ». 
L'intendant  Saron-Champigny  écrivait  le  4  mars  1663  :  «  On 
crie  bien  contre  les  vexations  et  les  exactions  des  receveurs 
en  général,  mais  quand  on  entre  au  particulier  et  qu'il  faut 
former  des  plaintes  par  escrit,  chacun  recule2».  Le  12  août  1682 
l'intendant  de  Rouen,  Leblanc,  écrira  encore  en  envoyant  un  rap- 
port sur  les  abus  des  receveurs  et  huissiers  des  tailles  :  «  Comme 
le  paysan  craint  le  receveur  et  l'huissier,  et  que  le  receveur  et 


1.  B.  N.  fr.  18  423,  f°  448. 

2.  M.  G.  115,  f°  115. 

LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


LA    TAILL1    KN    NOKMAXDIE. 

l'huissier    sont     d'intelligence,    il    est    difficile    d'en    avoir    la 
preuve  '  ». 

Colbert  rétablit  assez  prompte  ment  l'ordre  dans  ce  personnel 
en  excluant  des  recettes  les  individus  de  probité  douteuse,  et  en 
faisant  surveiller  les  autres  par  les  intendants.  Ainsi,  en  1669, 
deux  receveurs,  Legendre  et  Pinets,  ayant  été  poursuivis  et 
condamnés  pour  malversation,  Colbert  fait  publier  partout  les 
deux  jugements,  afin,  dit-il,  «  que  les  receveurs  généraux  et 
particuliers  puissent  connoistre  par  ce  moyen  la  conduite  qu  ils 
doivent  tenir  dans  le  maniement  et  la  levée  des  impôts.  Je  ne 
doubte  pas...  que  cet  exemple  ne  contribue  beaucoup  a  retran- 
cher les  abus  qui  se  pourroient  glisser  dans  toutes  Iesdites 
receptes'  ».  Il  ordonne  à  l'intendant  de  Bordeaux,  le  2  fé- 
vrier 1674,  de  faire  le  procès  au  receveur  Robey,  car,  dit-il,  il 
est  «  important  de  temps  en  temps  de  donner  des  exemples  de 
sévérité  dans  les  provinces  pour  empescher  les  exactions  et  les 
concussions  sur  les  peuples  *  ». 

Le  receveur  général  d'Alençon  est  emprisonné  pour  con- 
cussions en  166o8.  Le  receveur  particulier  de  Lisieux,  en  1668, 
voit  sa  charge  confisquée  pour  avoir  diverti  les  deniers  destinés 
au  remboursement  des  officiers  supprimés  de  l'élection6.  En 
1669  est  fait  le  procès  de  Legendre,  receveur  d'Arqués.  Suivant 
un  rapport  de  l'intendant  de  Rouen,  Legendre  avait  prémédité 
d'encaisser  une  forte  somme  et  de  disparaître  ensuite  en  l'empor- 
tant. Le  receveur  général,  M.  de  Courcelles,  en  ayant  eu  soupçon, 
avait  voulu  vérifier  la  caisse;  mais  Legendre  s'était  enfui,  le 
jour  de  Pâques,  dans  le  propre  carrosse  de  M.  d'Intraville,  con- 
seiller au  parlement,  auquel  il  avait  fait  un  transport  frauduleux 
de  tous  ses  biens.  On  trouva  ses  livres  falsifiés,  les  collecteurs 
déposèrent  qu'il  leur  donnait  de  fausses  quittances  ou  leur  faisait 
déchirer  celles  qui  étaient  justes;  enfin  on  parvint  tant  bien 
que  mal  à  le  déclarer  débiteur,  sur  sa  recette  de  1668,  de  33  000  1. 
et  sur  celle  de  1669,  de  38000  1. 7.  Jamais  les  élus  d'Arqués,  à 
qui  incombait  le  contrôle,  n'avaient  vérifié  sa  caisse  ni  signalé 
sa   mauvaise   conduite,   «  bien   qu'il  fut   de    leur    connaissance 

1.  B.  N.  fr.  8701,  f»  63. 

2.  Mémoires  de  Foucault,  p.  155. 

5.  Depping,  III,  p.  34. 

4.  Le  23  août  1879  il  écrit  à  l'intendant  de  Moulins  :  «  Je  tous  ay  fait  assez  con- 
noistre combien  il  est  important  de  réprimer  toutes  les  friponneries  de  ceux  qui 
manient  les  deniers  du  roy,  pour  croire  que  vous  y  apporterez  toute  l'application 
nécessaire.  Je  vous  dis  la  mesine  chose  pour  ce  qui  concerne  les  receveurs  des 
tailles  de  Nevers  »  (Clém.  II,  115),  et  encore  le  4  teptembre  1682  en  ordonnant 
au  même  intendant  de  faire  le  procès  à  deux  receveurs  :  il  est  très  important 
*  de  donner  des  exemples  nux  peuples  qui  leur  fussent  connoistre  que  le  Roy  veut 
qu  ils  payent  bien  ponctuellement  leurs  impositions,  mais  que  S.  M.  ne  veut  pas 
souffrir  qu'il  se  fasse  aucune  exaction.  »  (Clém.  II,  206). 

'».  M.  0.  132,  f°  390. 

6.  A.  I).  S.-Iiif.  C  1463,  n"  32. 
T.  M.  C.  i:»r  ',  I»  870  et  931. 


LES    CONTRAINTES.  451 

que  depuis  1660  ou  61  il  faisoit  sa  recepte  sur  des  feuilles 
volantes1  ».  Finalement  il  fut  arrêté  à  Avignon  et  condamné  à 
la  prison2. 

Le  receveur  de  l'élection  de  Caen,  Louis  de  Grond,  a  éga- 
lement dissipé  l'argent  de  sa  recette  en  1672;  il  est  arrêté  aussitôt 
et  emprisonné  au  For-1'Evêque;  mais  on  se  borne  à  saisir 
ses  biens  et  son  office,  il  ne  semble  pas  avoir  été  autrement 
inquiété  3.  A  partir  de  ce  moment,  on  ne  trouve  plus,  en  Nor- 
mandie, de  semblables  méfaits.  Colbert  est  donc,  sur  ce  point, 
arrivé  à  ses  fins.  L'épuration  du  personnel  des  receveurs  est  un 
des  résultats  heureux  de  son  activité  vigilante. 


VI.    —    LES    CONTRAINTES 

Lorsque  les  collecteurs  ne  se  sont  pas  acquittés  à  la  recette 
dans  les  délais  fixés  par  les  règlements  ou  les  conventions  par- 
ticulières, le  receveur  a  recours  à  des  moyens  de  contrainte 
gradués,  qui  sont  par  ordre  :  la  saisie  des  biens,  l'emprisonne- 
ment, et  la  «  solidité  ». 

Les  saisies,  faites  par  l'intermédiaire  des  huissiers  et  ser- 
gents, étaient  une  source  d'abus  maintes  fois  condamnés  depuis 
l'origine  de  l'impôt4.  Les  trois  exemples  suivants  feront  connaître 
les  pratiques  en  usage  au  temps  de  Mazarin  et  de  Foucquet. 

I.  Pierre  de  Nainville,  huissier-commissaire  des  tailles  à 
Gisors,  au  service  du  receveur  Lempereur,  dont  on  a  vu  les 
exploits,  fut  poursuivi  avec  son  patron  par  la  Chambre  de 
justice  ;  voici  les  charges  qui  étaient  relevées  contre  lui  :  sui- 
vant les  dépositions  de  plus  de  vingt  témoins,  il  avait  «  receu 
des  collecteurs  des  sommes  par  eux  deues  a  la  recepte,  pro- 
mettoit  de  faire  les  payements  et  de  leur  apporter  quittance, 
prenant  souvent  d'eux  des  muids  de  vin  et  d'autres  marchan- 
dises pour  la  moitié  de  leur  juste  valeur,  dont  il  les  assuroit 
de  payer  le  prix  a  la   recepte,  et  dont  il  n'a  depuis  donné  ny 


1.  M.  C.  153,  f  340. 

2.  Le  25  juin  1669  il  écrivait  lui-même  à  Colbert  pour  justifier  ses  opérations 
et  demander  grâce;  il  s'offrait  à  payer  en  moins  de  18  mois  ce  qu'il  redevait  au 
roi.  (M.  C.  15abl,f  f  774). 

3.  Arrêt  du  Conseil  du  20  septembre  1672. 

4.  Let.  pat.  du  16  juillet  1648  portant  établissement  d'une  Chambre  de  Jus- 
tice. Cf.  l'ordonnance  de  1388,  art.  200  (Guénois,  Conférence,  t.  II,  p.  1442); 
un  mémoire  du  temps  de  François  Ier  (B.  N.  Cinq-cents  Colbert,  491,  1°  1),  les 
remarques  de  Guy  Coquille  sur  l'ordonnance  de  Blois  (Néron,  I,  541),  le  préam- 
bule de  l'édit  de  mars  1600,  la  déclaration  du  16  mars  1595  (Néron,  I,  675), 
l'arrêt  du  Conseil  du  27  novembre  16'tl  {ibid.,  II,  663),  les  remontrances  de  la 
Chambre  des  Comptes  de  Paris  du  1»  octobre  16Ï3  (Recueil  de  diverses  pièces  qui 
ont  paru  durant  les  mouvemens  derniers  de  l'année  IG'iO,  s.  1.,  1650,  p.  73),  les 
nombreuses  doléances  des  Etats  de  Normandie  dans  leurs  cahiers,  etc. 


452  LA    TAILLE    EN    NOll.MAXIM  i: . 

quittances  ny  recepiséz,  en  sorte  que,  n'y  ayant  quelques  fois 
s.aislait  que  pour  une  partie,  lescfits  collecteurs  ont  souffert 
et  payé  des  courses  qui  souvent  ont  excédé  la  somme  dont  il 
s'estoit  chargé  de  faire  le  payement.  »  Il  traitait  avec  les  collec- 
teurs pour  percevoir  la  taille  à  leur  place,  et  a  néantmoins  ces 
collecteurs  ont  esté  emprisonnez  et  exécutez  en  leurs  meubles 
pour  restes  desdites  tailles,  faute  par  l'accusé  de  les  avoir 
payez  à  la  recepte,  quoyqu'il  soit  demeuré  d'accord  de  les  avoir 
receus  ». 

«  Plus  de  soixante  tesmoins  déposent  que  l'accusé  a  appliqué  a  son 
profit  les  meubles  et  bestiaux  exécutez  sur  les  collecteurs,  ausquels  il 
ne  laissoit  point  d'exploits,  ou  ne  comprenoit  en  iceux  qu'une  partie 
des  dits  meubles  et  bestiaux....  11  a  transporté  dans  des  lieux  esloignez 
des  bestiaux  exécutez  sur  les  collecteurs,  lesquels,  durant  des  mois 
entiers,  il  donnoit  en  garde  a  des  hosteliers  et  cabareliers  avec  les- 
quels il  a  partagé  le  gain  qu'ils  ont  fait  pour  la  garde  des  dits  bestiaux, 
dont  la  despense  souvent  a  excédé  leur  valeur,  en  sorte  qu'il  est  arrivé 
que  les  collecteurs  ont  esté  obligez  de  les  abandonner  pour  le  paye- 
ment de  la  garde Il  est  convaincu  d'avoir  fait  et  fabriqué  de  faux 

exploits  et  de  faux  procez-verbaux  de  rébellion,  de  vente  et  d'exé- 
cution. Il  a  raesme  esté  trouvé  saisi  de  cinq  faux  procez-verbaux  de 
ventes  de  bestiaux  qui  sont  signez  par  ses  recors,  dont  les  dattes  des 

jours,  des  mois,  des  années,   et  les  sommes  sont  en  blanc 11  est 

encore  chargé  d'avoir  exécuté  nuictamment  les  collecteurs  et  en  leur 
absence  les  jours  de  dimanches  et  de  festes  solennelles,  de  les  avoir 
cruellement  excédez  de  coups,  dont  la  mort  d'aucuns  s'en  est  ensuivie.  » 

Ses  exploits  ont  duré  pendant  «  plus  de  vingt  années  », 
impunément.  Il  est  condamné  aux  galères  par  la  Chambre  de 
justice1. 

II.  Le  sieur  Mochon  était  sergent  des  tailles  dans  l'élection 
d'Avranches  en  1658.  Les  habitants  de  Braffais  ayant  déposé 
une  plainte  contre  lui  entre  les  mains  de  l'intendant  d'Aligre, 
celui-ci  commit  un  élu  pour  enquêter  :  les  collecteurs  de 
Bradais,  de  1658  à  1660,  vinrent  faire  leurs  dépositions  «  en  la 
maison  presbyteralle  de  la  paroisse  ».  du  29  décembre  1660  au 
25  janvier  1661 2. 

Le  premier,  Pierre  Belin,  chargé  de  percevoir  le  premier 
quartier  de  1658,  déclare  avoir  subi  19  exécutions,  pour  les- 
quelles il  a  payé  22  1.  10  s.  de  frais,  outre  5  sous  aux  recors  à 
chaque  exécution  ;  en  plus,  il  a  dû  à  plusieurs  reprises  donner 
à  boire  au  sergent  et  à  ses  hommes,  quand  ils  passaient,  pour 
qu'ils  n'emmènent  pas   ses  bestiaux.  Un  jour  un  des  records, 

1.  Sommaire  du  procès  criminel  intenté  à  François  Lempereur,  B.  N.  Recueil 
Thoisy  397,  f  566-597.  Cf.  d'antres  renseignements*  B.  N.  fr.  18423,  f449. 

2.  Dossier  de  l'enquête,  A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances,  Registre  de  procès- 
verbaux  de  différentes  affaires,  1659-69,  f°*  69  à  92.  Braffais  étnit  une  paroisse  de 
grandeur  moyenne;  elle  est  imposée  à  1370  1.  en  1662. 


LES    CONTRAINTES.  453 

Gamax,  surnommé  Crapado,  «  venant  pour  l'exécuter  et  trou- 
vant la  porte  fermée,  rompit  icelle  a  coups  de  hache  et  blessa 
son  petit  enfant,  bien  que  les  bestiaux  dudit  déposant  estoient 
pour  lors  dans  le  jardin  ».  Après  toutes  de  ces  contraintes,  il  lui 
reste  à  verser  30  1.  au  receveur. 

Le  collecteur  du  second  quartier,  Guillaume  Haliais,  labou- 
reur, a  subi  quatre  exécutions  et  payé  13  1.  de  frais;  mais  on 
ne  lui  a  remis  de  quittances  que  pour  6  1.  ;  un  jour,  les  recors 
avaient  pris  ses  bestiaux  et  l'emmenaient  en  prison,  «  pourquoi 
éviter,  il  leur  auroit  payé  plusieurs  fois  a  boire  »  ;  une  autre 
fois,  il  fut  emprisonné  pendant  dix  jours,  «  pour  quoi  il  paya 
audit  Mochon  35  sous  ».  Pour  payer  le  receveur,  il  a  dû 
vendre  ses  terres  ;  néanmoins  il  redoit  encore  quelque  chose, 
mais  «  ne  peut  dire  combien  ».  Son  frère  Thomas,  quoique 
n'étant  pas  collecteur,  a  subi  15  courses  du  sergent;  un  jour 
notamment  Mochon  et  ses  recors  l'emmenèrent  à  l'auberge  du 
village  et  lui  firent  payer  leur  dépense,  montant  à  «  plus  de 
150  1.  »  ;  une  autre  fois,  il  fut  arrêté  au  milieu  de  la  nuit 
«  et  incarcéré  prisonnier  par  un  nommé  Pierre  Amiot  et 
Guillaume  Poret,  lesquels  en  le  menant  le  battirent  et  excé- 
dèrent, bien  qu'il  leur  déclarast  plusieurs  fois  qu'il  n'estoit 
asseeur  ni  obligé  pour  ladite  année  »;  il  paya  10  s.  pour  être 
relâché  le  même  soir. 

Le  troisième  collecteur,  Fleury  Sanson,  charpentier,  a  subi 
22  exécutions,  et  payé  en  frais  18  1.  plus,  aux  records,  11  sous 
par  course;  ses  «  namps  »  sont  actuellement  saisis;  un  des 
recors  lui  a  offert  de  les  lui  rendre  «  s'il  luy  vouloit  donner 
quelque  chose  et  payer  à  boire  »  ;  à  un  de  leur  passage,  les 
recors  voulurent  l'arrêter  :  les  ayant  vu  venir,  il  ferma  sa 
porte,  mais  les  recors  l'enfoncèrent,  Crapado  «  ayant  l'épée 
nue  en  main  »  et  menaçant  de  la  lui  passer  au  travers  du  corps. 
Heureusement  Sanson  put  se  barricader  dans  une  autre  pièce  : 
les  recors  se  retirèrent,  en  lui  emportant  un  de  ses  outils, 
qui  ne  lui  a  pas  été  rendu.  Etant  allé  verser  40  1.  au  receveur, 
il  fut  arrêté  tout  après  et  emprisonné,  «  pour  laquelle  incarcé- 
ration le  receveur  exigea  dudit  parlant  la  somme  de  35  s., 
qu'il  n'auroit  employée  dans  les  acquits  par  luy  baillez  ».  Enfin 
il  a,  à  diverses  reprises,  payé  les  dépenses  d'auberge  des 
recors.  Il  lui  reste  12  1.  à  payer. 

Le  quatrième,  Toussaint  Menard,  laboureur,  «  compagnon  de 
collecte  »  de  Sanson  pour  le  troisième  quartier,  fut  exécuté  cinq 
fois  ;  à  deux  reprises  son  cheval  lui  fut  saisi  sur  la  route 
d'Avranches,  comme  il  transportait  des  fagots;  on  lui  a  saisi 
également  une  poêle  en  cuivre  et  une  écuelle  d'étain,  que  le  ser- 
gent détient  encore,  mais  qu'il  veut  bien  lui  rendre  moyennant 
«  quelque  chose  »  :  les  frais  du  tout  se  sont  montés  à  4  1. 
10  s.  et  25  fagots. 


V*  LA    TAILLE    EN     NORMANDIE. 

Le  dernier  collecteur,  Thomas  Gauguelin,  charpentier,  jus- 
tifie de  13  exécutions,  échelonnées  du  30  avril  1659  au  18 
mars  1660,  pour  lesquelles  il  a  payé  19  1.  10  s.,  plus  5  sous  par 
exécution  aux  recors  —  quoique  ceux-ci  ne  se  lussent  déplacés 
que  trois  fois.  —  On  lui  a  saisi  une  vache,  une  pacie  et  un 
chaudron. 

Après  les  collecteurs  vient  déposer  «  l'hoste  »,  l'aubergiste 
du  village.  Il  déclare  avoir  servi  à  boire  et  à  manger  à  Mochon 
et  à  ses  hommes  «  tant  de  fois  qu'il  n'en  peut  dire  le  nombre, 
réservé  plus  de  cent  fois,  tant  de  nuict  que  de  jour  »  ;  chaque 
fois  ils  amenaient  avec  eux  les  collecteurs,  et  «  tous  ensemble 
ayans  faits  des  dépenses,  les  unes  fois  20  solz,  les  autres  30  et 

Quelquefois  plus,  les  dits  asseeurs  auroient  payé  icelles  ». 
irdinairement,  dit-il,  le  sergent  exécutait  les  quatre  collecteurs 
le  même  jour.  Il  a  vu  Gille  Hallais  payer  à  Mochon  cent  sous 
une  fois  pour  n'être  pas  emmené  en  prison,  35  sous  une  autre 
fois  pour  se  faire  rendre  son  cheval.  C'est  l'hôte  qui  avait  la 
garde  des  objets  saisis  par  le  sergent. 

L'enquêteur  entend  aussi  les  collecteurs  des  paroisses  voi- 
sines :  Jacques  Baudry,  de  la  Trinité,  a  subi  trente  exécu- 
tions et  «  vendues  »  ;  Guillaume  Poitevin,  du  Liot,  a  eu  un 
nombre  incalculable  d'exécutions,  «  au  moins  cent  »  ;  il  a  été 
«  mandé  par  les  dits  sergens  par  plus  de  trente  fois  aux  hos- 
telleries  pour  leur  payer  a  boire  ».  Julien  Maincent,  de  Tirpied, 
a  eu  14  exécutions,  Gilles  Benoist,  de  La  Chèze,  21,  en  outre 
desquelles  il  a  «  payé  telle  quantité  de  courses  qu'il  ne  les  peut 
nombrer,  réservé  qu'il  a  dit  estre  certain  en  avoir  payé  une 
par  chacune  septmainne   »  ;  son  collègue  Guillaume   Morin   a 

Fayé  six  courses;  un  jour  Mochon  «  estant  allé  chez  luy  et  ne 
ayant  trouvé,  mais  seulement  son  fils,  il  prit  son  dit  fils  qu'il 
mena  prisonnier,  encore  qu'il  eust  promis  a  quelques  per- 
sonnes de  ne  le  mettre  point  prisonnier;  a  raison  de  quoy  il 
cousta  cent  solz  que  la  femme  dudit  exposant  porta  a  Avranches 
pour  délivrer  ledit  son  fils  ».  Enfin,  Jacques  Debesne,  de 
Saint-Nicolas-des-Bois,  justifie  de  58  exécutions,  toutes  pour 
la  taille  de  1658  ;  il  a  payé  des  frais  aux  recors  «  presque 
chaque  septmaine  »,  donné  du  beurre  et  des  chapons  au  sergent, 
les  a  tous  traités  dans  les  tavernes  d'Avranches. 

Ce  sergent  avait  cependant  un  chef,  le  receveur  de  l'élection, 
qui  n'a  pu  ignorer  toutes  ces  concussions;  mais  il  n'a  rien  fait 
pour  les  empêcher;  bien  plus,  il  est  convaincu  d'avoir  contre- 
signé la  plupart  des  exploits  des  huissiers,  et  d'avoir  refusé  des 
quittances  aux  collecteurs;  pourtant  il  ne  semble  pas  avoir  été 
inquiété  :  en  tous  cas  nous  le  trouvons  à  nouveau  chargé  de  la 
recette  à  Avranches  en  1665.  Quant  à  Mochon,  on  ne  sait  quelle 
sanction  fut  prise  contre  lui  ;  mais  il  ne  fut  pas  destitué  :  on  le 
retrouve  également  en  fonctions  en  1664. 


LES    CONTRAINTES.  455 

III.  Dans  l'élection  de  Caen,  en  1658,  Jean  Hallot  était  à  la 
fois  commis  à  la  recette  du  taillon  et  sergent  des  tailles. 
Dénoncé  au  Bureau  des  finances  par  divers  collecteurs,  une 
enquête  fut  ouverte  contre  lui  le  27  janvier  1659.  Quatre-vingt- 
sept  témoins  déposèrent  au  procès.  Voici  le  résumé  de  leurs 
déclarations  : 

Philippe  Lefebvre,  collecteur  de  la  paroisse  de  Basly,  en  1658, 
dépose  que  Jean  Hallot  «  a  pris  de  luy  depuis  le  commencement 
du  mois  de  may  dernier  de  quinzaine  en  quinzaine  jusques  à 
présent  la  somme  de  12  s.  6  d.  sans  faire  exécution  ny  vendue, 
à  la  réserve  du  mois  d'aoust,  et  d'une  fois  ou  deux  qu'il  passoit 
sans  rien  prendre  ». 

Jean  Vaultier,  qui  fut  collecteur  de  Bléville  en  1651  et  1657, 
dépose  que  Hallot,  qui  avait  fait  la  recette  en  1651, 

«  a  exigé  pour  le  moing  de  luy  la  somme  de  30  1.  en  vingt  fois  sans 
faire  aucune  exécution  ny  vendue  ny  ostage,  et  que  un  appelé  Jacques 
de  la  Mare  sergeant  ayant  eu  aussy  quelque  temps  la  charge  dudit 
receveur  des  tailles  de  ladite  année  1651,  a  exigé  de  luy  en  plusieurs 
fois  la  somme  de  25  1.  et  outre,  ledit  de  la  Mare  obligea  encore  ledit 
déposant  de  luy  faire  une  promesse  de  cinq  boisseaux  de  froment, 
laquelle  il  cassa  pour  vente  dudit  bled  quoyque  ce  fust  effectivement 
pour  promesse  de  luy  donner  du  temps,  et  ledit  déposant  lui  ayant 
apporté  en  sa  maison  à  Caen  lesdits  cinq  boisseaux  de  bled,  il  les  refusa 
soubz  prétexte  que  ce  n'estoit  pas  bon  bled,  pour  lui  en  faire  paier  la 
pretie  au  prix  de  40  sols  quoyqu'il  ne  vallust  en  ce  temps  la  que  25 
ou  30  sols.  A  dit  pareillement  ledit  déposant  que  touttes  les  fois  qu'il 
portoit  de  l'argent  en  la  recepte  de  ladite  année  1G51,  le  sieur  de  la 
Londe  le  Boucher,  commis  à  ladite  recepte,  prenoit  de  luy  un  sol  pour 
chaque  quittance  soubz  prétexte  d'un  certain  droit  de  bordereau.  » 

En  1657,  un  sergent  nommé  Bertot,  «  ayant  mené  une  fois  deux  vaches 
et  un  veau  appartenant  audit  déposant  chez  un  appelé  Jean  Deblez 
marchand  de  nainps,  demeurant  à  Lyons,  il  les  y  Iessa  huit  jours  sans 
vendre,  et  ayant  fait  rencontre  dudit  Bertot  en  ce  temps  là  ledit  dépo- 
sant estant  monté  sur  son  cheval,  ledit  Bertot  le  fist  descendre  pour 
le  prendre  et  executter,  ensuite  de  quoy  il  exigea  de  luy  déposant  la 
somme  de  60  sols  et  30  sols  qu'il  luy  cousta  pour  lui  donner  à  desjeuner 
pour  en  avoir  dellivrance.  Et  a  exigé  en  outre  de  luy  ledit  Bertot  la 
somme  de  15  1.  en  douze  fois  sans  faire  aucune  ostage,  exécution  ny 
vendue.  »  Un  autre  jour,  «  ayant  porté  une  fois  sa  casaque  chez 
Robert  Quehaignes  marchand  de  namps  ordinaire  demeurant  à  Mathieu, 
iceluy  Quehaignes  exigea  de  luy  la  somme  de  30  sols  sans  lui  en  voul- 
loir  bailler  aucune  lettre,  et  de  plus  que  le  fils  dudit  Quehaignes  s'en 
servit  pour  le  moins  quinze  jours  ». 

Pierre  de  Caen,  collecteur  d'Ouistreham  pour  1657,  dépose 
que  Hallot 

«  a  pris  et  exigé  de  luy  40  s.  en  une  fois  et  30  s.  eu  une  autre,  et  une 
autre  fois  l'ayant  executté  par  la  prise  de  deux  platz,  il  les  apporta  en 


III  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

cette  ville  au  Bourg  l'Abey  chez  un  tavernier  dont  il  ne  scait  le  nom, 
qui  exigea  de  luy  la  somme  de  45  s.  pour  les  rendre,  et  outre,  le 
records  dudit  Hallot  que  on  appelle  Jacques  luy  fist  despencer  unze 
sols  en  ladite  taverne  pour  en  consentir  la  dellivrance.  »  Un  autre 
sergent,  Bertot,  «  a  exigé  de  luy  déposant  environ  10  1.  en  dix  ou 
douze  fois  et  l'a  mené  quatre  ou  cinq  fois  en  la  taverne  où  ils  faisoient 
despence  de  15  ou  20  s.  chaque  fois  ».  Un  troisième  sergent,  Favel, 
«  a  faict  sur  luy  depuis  le  premier  jour  d'octobre  trois  vendues  », 
pris  5  sous  à  chaque  fois  pour  les  recors,  plus  30  sous  pour  lui,  et  lui 
a  fait  dépenser  10  s.  à  la  taverne  du  port.  A  chaque  quittance,  le  sieur 
Leboucher,  commis  à  la  recette,  lui  faisait  payer  un  sou. 

Gilles  Guéroult,  collecteur  de  Langrune  en  1655,  dépose  que 
Rolland  Rousée,  sergent  ordinaire  de  la  sergenterie  de  Bernières, 
lui  a  fait  plusieurs  vendues  en  prélevant  chaque  fois  45  s.  de 
frais  :  de  plus  il  l'abonnait  à  20  s.  par  quinzaine  pour  ne  pas 
lui  faire  d'exécution.  Hallot,  qui  le  remplaça,  lui  a  fait  plu- 
sieurs vendues,  «  dont  il  ne  scayt  le  nombre,  » 

«  mais  scayt  bien  que  ledit  Hallot  pendant  huit  ou  neuf  mois  de  temps 
a  prins  et  exigé  de  luy  de  quinzaine  en  quinzaine  la  somme  de  25  s. 
sans  faire  aucune  exécution...  que  outre,  ledit  Hallot  prenoit  de  trois 
autres  collecteurs  la  somme  de  25  s.  chacun  le  mesme  jour  sans  faire 
aucune  exécution,  hostage  ny  vendue,  mesme  le  plus  souvent  ledit 
Hallot  n'alloit  pas  en  personne  prendre  sa  course,  mais  seullement 
envoyoit  un  appelé  Jacques  Cantrel,  son  records  ordinaire,  lequel 

exigeoit  dudit  déposant  et  autres  ladite  somme  de  25  s A  de  plus 

cognoissance  qu'il  y  eut  vendredy  ou  samedy  dernier  huit  jours  que 
ledit  Jacques  Cantrel  et  un  autre  record  ordinaire  dudit  Hallot  dont 
il  ne  scayt  le  nom  vindrent  en  ladite  paroisse  de  Langrune  menasser 
les  collecteurs  des  années  1656  et  1658  que  ledit  Hallot  et  le  commis 
de  la  recepte  des  tailles  estoient  à  la  Dellivrande,  et  qu'ils  alloient  les 
venir  lever  s'ils  ne  portoient  promptement  de  l'argent,  ce  qui  avoit 
obligé  lesdits  collecteurs  pour  fuir  et  esviter  à  cet  inconvénient  de 
bailler  chacun  la  somme  de  25  s.  ausdits  records.  » 

Gilles  Labbey,  collecteur  de  1658  au  Mesnil-Patry,  déclare 
que  Jean  Hallot  envoya  chez  lui  ses  recors  pour  «  prendre 
par  exécution  des  besteaux,  » 

«  mais  n'ayant  eu  la  patience  ny  donné  le  temps  à  la  mère  du  déposant 
d'ouvrir  la  porte  de  l'estable  ou  ils  estoient,  lesdits  records  enfon- 
cèrent la  porte  et  rompirent  la  serrure  de  ladite  estable  dans  laquelle 
ils  prindrent  une  vache  qu'ils  menèrent  devant  la  porte  d'un  nommé 
La  Vigne,  lequel  sortant  de  sa  maison  les  pria  qu'ils  n'eussent  à 
déplacer  ladite  vache  et  qu'il  leur  donneroit  le  salaire  de  leur  cource, 
pour  lequel  ils  receurent  du  sieur  Lavigne  16  s.  6  d.  » 

Un  certain  Robert  Benoist,  huissier,  lui  a  réclamé  5 1. 13  s.  pour 
un  prétendu  droit  de  4  d.  par  quittance  :  il  les  alla  demander  à 


LES    CONTRAINTES.  457 

son  fils,  qui  répondit  que  son  père  était  à  ce  moment  même 
au  Mesnil-Patry  pour  obéir  à  la  contrainte,  et  ne  voulut  rece- 
voir l'argent,  «  qui  estoit  tout  compté  sur  la  table  ». 

Louis  Adelin,  collecteur  du  Fresney  en  1658,  dépose  que 
Robert  Benoist,  chargé  de  recevoir  le  droit  de  4  d.  par  quit- 
tance, 

«  voyant  le  déposant  en  la  recepte  dudit  droit  ou  il  comptoit  son 
argent,  partit  à  raesrae  temps  pour  s'en  aller  en  la  paroisse  du  Fresné 
en  la  maison  d'iceluy  déposant,  où  il  fist  exécution  de  deux  plats 
d'estain  qu'il  emporta  en  la  parroisse  de  Secqueville  ou  la  femme  dudit 
déposant  estant  allée  pour  le  prier  de  lui  rendre  ses  biens,  luy  disant 
que  son  mary  estoit  en  recepte  pour  payer  ledit  droit,  sur  quoy 
yceluy  Benoist  luy  fist  response  que  il  le  scavoit  bien,  mais  qu'il 
falloit  que  il  ce  fist  payé  de  sa  course,  luy  disant  en  ces  termes  : 
«  Seroit-il  raisonnable  que  je  n'eusse  rien,  moy?  »  ce  qui  a  obligé  ladite 
femme  d'emprunter  à  la  servante  du  sieur  de  Camilly  30  s.  que  ledit 
Benoist  exigea  d'elle  pour  luy  rendre  ses  biens  ». 

Jean  Paisant,  collecteur  de  Boeuville  en  1658,  dépose  que 
Hallot  a  pris 

«  par  exécution  sur  luy  un  petit  costillon  de  toile  et  un  petit 
plat  d'estain  au  mois  de  novembre  dernier,  qu'il  porta  chez  un  appelé 
Jacques  Legrand,  tavernier,  demeurant  en  la  paroisse  de  Benouville, 
lequel  exigea  dudit  déposant  la  somme  de  25  s.  qu'il  dist  estre  pour  le 
sallaire  dudit  Hallot  pour  luy  rendre  lesdits  biens  exécutez  ». 

Voici  maintenant  les  témoignages  invoqués  par  les  sergents  à 
leur  décharge  :  Pierre  Agnel  l'aîné,  collecteur  de  Tracy  en  1657, 
dit  que  Laurent  le  Coq,  sergent  des  tailles,  «  ne  lui  a  faict 
depuis  ladite  année  1657  que  six  vendues,  pour  lesquelles  l'on 
luy  a  desduict  des  paiemens  qu'il  a  faict  en  recette  par  chacune 
desdites  vendues  45  s.,  et  a  entendu  dire  que  le  nommé  La  Fon- 
taine Rousselin,  sergent  à  faire  vuider  lesdits  deniers  avec 
ledit  Le  Cocq,  du  nombre  desdites  six  vendues  en  a  fait  quatre 
pour  sa  part  ».  Mais  voici  la  cause  pour  laquelle  il  fut  tant 
ménagé  :  «  il  estoit  suporté  d'une  personne  d'authorité  ». 

Jean-François  Bertaut,  collecteur  de  la  même  paroisse  en 
1656,  dépose  que  Laurent  Le  Coq,  huissier,  l'a  visité  plusieurs 
fois  «  sans  pouvoir  spécifier  la  quantité  de  fois  pour  ne  s'en 
souvenir,  mais  qu'il  ne  s'en  plainct  aucunement,  d'autant  que 
lorsqu'il  faisoit  des  vendues,  il  let,  a  tousjours  paiées  en  recepte 
et  que  le  plus  souvent  ledit  Le  Cocq  ne  prenoit  de  son  argent,  » 
mais  il  reconnaît  qu'il  a  dû  ce  traitement  privilégié  à  ce  qu'il 
«  regalloit  [Le  Coq]  à  la  taverne  ». 

Enfin  Etienne  Coltée,  collecteur  de  Mathieu  en  1655,  «  a  dict 
n'avoir  receu  que  deux  courses  d'huissier,  pour  s'estre  atermoie 
avec  le  receveur,  dont  l'une  luy  fut  faite  par  un  nommé  Lacorne, 


LA    TAILLK     KN     NOIIMAXDIE. 

huissier,  qui  fist  une  vendue  de  ses  biens,  pourquoy  il  paia  en 
receptc  45  s.,  et  l'autre  course  luy  fut  faicte  par  un  nommé 
La  Granderie  qui  le  vouloit  arrester  prisonnier,  à  qui  il  paia 
22  s.  pour  son  sallaire  ». 

Hallot,  pour  sa  défense,  se  borne  à  déclarer,  en  ce  qui 
concerne  le  droit  de  12  s.  6  d.,  qu'il  le  demandait  aux  collecteurs 
uniquement  «  par  la  compassion  qu'il  en  avoit  pour  ne  déplasser 
leurs  besteaux  qu'ils  auroient  perdus  dans  la  misère  où  l'on  a 
esté  et  qui  continue  encore  »;  son  droit  strict  aurait  été  selon 
lui  de  faire  annuellement  dans  chaque  paroisse  quatre  exécu- 
tions par  quartier,  c'est-à-dire  seize  par  an  «  sans  les  relèvemens 
et  vendues  réitérées  qu'il  pouvoit  faire  en  pareil  nombre,  faulte 
par  les  adjudicataires  d'avoir  paie  en  recette  le  prix  de  leur 
adjudication  »;  il  aurait  pu  prélever  en  conséquence  30  s.  par 
vendue  et  15  s.  par  exécution,  soit  45  s.  ;  il  ne  prenait  que  12  s. 
et  demi,  ne  devrait-on  pas  lui  en  savoir  gré? 

Le  tribunal  se  montra  pour  lui  d'une  indulgence  extrême  : 
il  ne  prononça  qu'une  amende  de  100  1.  au  profit  du  roi,  avec 
la  défense  d'exercer  à  l'avenir  aucun  office  (13  juillet  1660); 
le  châtiment  était  presque  ridicule,  d'autant  plus  qu'il  n'est  pas 
certain  que  l'interdiction  d'office  ait  été  maintenue  !. 

Ces  trois  exemples,  mis  au  jour  par  des  enquêtes  judiciaires, 
n'étaient  pas  isolés.  En  1664,  l'intendant  Barin  de  la  Galisson- 
nière  écrit  :  «  Il  est  constant  qu'il  y  a  fripponnerie  de  la  part 
de  tous  les  sergens  »;  mais,  ajoute-t-il,  il  est  malaisé  d'en 
avoir  connaissance  :  «  ou  les  paisans  parlent  avec  passion, 
ou  demeurent  dans  le  silence  par  la  crainte  du  retour  »  ;  l'in- 
tervention personnelle  du  commissaire  royal  est  utile;  il  est 
bon  de  «  battre  les  chiens  devant  le  lion  »,  mais  elle  est  insuffi- 
sante, car  «  le  mal  est  général  et  très  grand2  ». 

L'administration  de  Colbert  déploya  une  grande  activité  pour 
arrêter  ces  méfaits  en  épurant  ce  personnel  et  en  réglementant 
la  profession. 

L'édit  d'août  1661  avait  autorisé  les  receveurs  des  tailles  à 
«  emploier  tels  huissiers  et  sergens  que  bon  leur  semblera  pour 
l'exécution  de  leurs  contraintes,  à  la  charge  qu'ils  en  demeure- 
ront civilement  responsables,  et  qu'ils  tiendront  la  main  à  ce 
que  les  reglemens  faits  pour  raison  de  leurs  salaires  soient 
observez3  ».  Mais  les  receveurs  avaient  tendance  à  prendre  un 

1.  A.  D.  Calv.,  Bureau  des  fin.,  dossier  Hallot.  Voir  d'autres  documents  sur  les 
sergents,  B.  N.  fr.  18V23,  f°  320  et  suiv..  M.  C,  121,  f-*  60,  90,  550,  etc. 

2.  Lettres  de  juin  1CC4,  M.  G.,  121,  f  60,  337,  550,  et  121  ""  f°  884.  L'archevêque 
de  Toulouse  écrit  pareillement  en  1665  :  «  Nous  ne  voyons  pas  qu'ils  [les  peu- 
ples] se  plaignent  beaucoup  de  l'excez  des  irnposts.  mais  bien  des  abus  qui  se 
commettent  en  la  perception  ».  Depping.  I.  p.  176.  Cf.  t.  III,  p.  62  et  le  mémoire 
de  Colbert  à  Mnzorin  en  1659,  Clém.,  VII,  p.  177. 

3.  On  n'emploie  donc  pas  nécessairement  les  huissiers  en  titre,  qui  sont  charges 
habituellement  d'exécuter  les  sentences  de  justice.  On    n'emploie  pas  davantage 


LES    CONTRAINTES.  459 

trop  grand  nombre  de  ces  auxiliaires,  pour  multiplier  la 
«  pratique  »  au  détriment  des  contribuables1.  Un  arrêt  de  la 
Chambre  de  justice  du  11  août  1662  leur  défendit  d'employer 
plus  de  deux  sergents  dans  les  élections  de  moins  de  100  paroisses, 
et  plus  de  trois  dans  les  autres2.  Une  déclaration  du  12  février  1663 
chargea  ensuite  les  intendants  et  les  élus  «  de  régler  avec  les 
receveurs  des  tailles,  et  sur  leurs  avis,  le  nombre  [de  sergents] 
nécessaire3  »  ;  enfin  l'arrêt  du  conseil  du  4  juillet  1664  enleva 
ce  pouvoir  aux  élus  pour  le  remettre  aux  seuls  intendants.  Habi- 
tuellement, chaque  receveur  n'eut  désormais  pas  plus  de  deux 
huissiers  ou  sergents,  même  dans  les  grandes  élections.  En 
1670,  Chamillart  écrit  qu'il  a  interdit  absolument  aux  receveurs 
de  la  généralité  de  Caen  d'employer  plus  de  deux  huissiers  4. 
Toutefois,  il  subsista  des  exceptions.  Trois  ans  après  la  lettre 
de  Chamillart,  on  trouve  5  huissiers  en  exercice  dans  l'élection 
de  Vire5.  En  septembre  1683,  dans  la  généralité  d'Alençon,  on 
trouve  4  huissiers  à  Verneuil,  autant  à  Conches,  et  3  à  Alençon6. 
En  1685,  l'intendant  de  la  même  circonscription  fait  un  mérite 
au  receveur  de  Bayeux  de  n'employer  que  deux  huissiers7.  En 
revanche  on  ne  trouve  aucune  élection  dans  la  province  qui  en  ait 
eu  moins  de  deux8. 

La  qualité  des  huissiers  n'importait  pas  moins  que  leur 
nombre.  Mais  la  profession,  maigrement  rétribuée  et  fort 
méprisée,  ne  pouvait  jamais  attirer  que  des  gens  de  condition  très 
inférieure,  et  de  moralité  douteuse.  Les  ordonnances  n'exigeaient 

les  sergents  nobles  héréditaires,  qui  sont  particuliers  à  la  Normandie,  et  dont 
les  circonscriptions  étaient  suivies  dans  les  rôles  de  département  des  tailles; 
l'édit  d'octobre  1553  leur  avait  interdit  de  faire  des  exploits  pour  la  taille 
(B.  N.  fr.  11048,  f°  45,  v°),  et  La  Barre  le  trouvait  juste,  car,  disait-il,  «  ces  ser- 
gens...  ne  veulent  aller  qu'à  cheval,  et  a  grand  fraiz  »,  tandis  que  les  «  cou- 
reurs »  sont  «  de  moindre  estoffe  »,  et  contribuent  au  «  soulagement  du  pauvre 
peuple  »  (Formulaire,  p.  49). 

1.  Cf.  déjà  l'instruction  aux  généraux  des  finances,  du  11  mars  1388,  dans 
Fournival,  Recueil,  p.  00.  Divers  édits  avaient  successivement  créé  et  supprimé 
des  offices  d'huissiers  des  tailles  (G.  d.  T.  I,  126,  173,  etc.)  Les  créations  avaient 
été  nombreuses   surtout  après   1635.    Voir   aussi    le   règlement  de   janvier   1634, 

2.  B.  N.  Recueil  Thoisy,  397,  f°  361. 

3.  C.  d.  T.,  1,  507. 

4.  Analyse  de  sa  lettre  du  15  octobre  1670,  Clairamb.  792,  p.  353. 

5.  A.  D.  Galv.  Election  de  Vire.  L'un  est  huissier  royal  à  Vire,  deux  autres 
n'ont  que  le  titre  de  sergents  et  commissaires  des  tailles  de  l'élection,  un  qua- 
trième est  huissier  au  baillage,  le  dernier  est  huissier  audiencier  en  la  vicomte 
de  Vassy. 

6.  Mémoire  du  1"  septembre,  A.  N.  G7  71. 

7.  Lettre  du  *7  juillet  1685,  ibid.,  G'  213. 

8.  Golbert  invita  plusieurs  fois  les  intendants  à  réduire  le  plus  possible  le 
nombre  des  porteurs  de  contraintes,  mais  il  ajoutait,  avec  le  souci  d'assurer 
les  recouvrements  :  «  surtout  prenez  bien  garde,  s'il  vous  plaist,  que  ce  retran- 
chement ne  rende  pas  le  recouvrement  des  deniers  du  roy  ni  plus  lent,  ni  plus 
difficile.  »  (Let.  à  Bidé  de  la  Grandville,  24  févr.  1673, 'Clém.,  II,  275,  note.) 
Cf.  ses  lettres  à  Feydeau  de  Brou,  et  à  De  Sève,  ibid.,  p.  274  et  321,  sur  l'échec  de 
son  projet  de  supprimer  entièrement  les  porteurs  de  contraintes. 


Mg  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

des  candidats  à  l'emploi  que  de  «  savoir  écrire  et  signer1  »,  et 
plus  cl  un  n';ivait  pas  d'autre  mérite.  «  Encore...  qu'il  importe  de 
n'en  commettre  les  fonctions  qu'à  des  personnes  d'une  probité 
et  d'une  capacité  connues,  dit  un  règlement  d'août  1669,  néan- 
moins la  facilité  d'y  admettre  toutes  sortes  de  sujets,  mesmes 
les  moins  capables  »,  a  «  causé  de  grands  abus  ».  La  surveil- 
lance des  intendants  améliora  quelque  peu  ce  personnel,  mais  le 
recrutement  n'en  fut  guère  changé. 

La  réglementation  des  biens  que  les  huissiers  pouvaient  saisir 
pour  la  taille  était  ancienne;  Colbert  la  remit  en  vigueur  et 
introduisit  quelques  dispositions  nouvelles.  Voici  les  règles  qui 
furent  appliquées  de  son  temps. 

D'abord,  défense  de  saisir  aucun  immeuble,  car,  comme 
le  fait  observer  Domat,  la  taille  étant  une  charge  annuelle, 
on  ne  peut  prendre  pour  son  paiement  que  des  revenus 
annuels,  comme  les  récoltes  le  produit  de  l'industrie,  ou  des 
biens  remplaçables  2.  On  ne  doit  pas  notamment  «  découvrir  les 
maisons  ni  arracher  les  portes  et  fenêtres  »,  comme  cela  se  pra- 
tiquait au  temps  de  Richelieu,  et  se  pratiquera  encore  au  temps 
où  écrit  Vauban3. 

Parmi  les  meubles,  il  en  est  qui  ne  peuvent  être  saisis  en 
aucun  cas  :  ce  sont  ceux  qui  sont  indispensables  à  l'existence 
ou  au  travail,  à  savoir  les  lits,  les  habits,  le  pain,  les  outils 
et  les  chevaux  ou  bœufs  servant  au  labourage4. 

La  saisie  des  lits,  du  pain,  des  vêtements,  était  déjà  défendue 
par  le  droit  romain  ;  les  ordonnances  du  xvi*  siècle  l'avaient 
également  interdite,  et  les  arrêts  du  Conseil  des  17  septembre 
1843,  5  octobre  1664,  4  juillet  1665  l'avaient  rappelée5.  Lors  des 
conférences  pour  la  rédaction  de  l'Ordonnance  civile,  en  1667, 
le  Premier  Président  Lamoignon  disait  qu'il  était  «  absolu- 
ment inutile  »  de  reprendre  cette  défense,  «  parce  que  l'on  ne 
dépouille  pas  un  homme,  et  l'on  feroit  le  procez  a  un  huissier 
qui  auroit  exercé  cette  rigueur  »  ;  mais  Pussort  ayant  répondu 


1.  Ordonnance  d'avril  1667,  tit.  II,  art.  14.  Mêmes  exigences  pour  les  recors; 
mais  le  procureur  du  roi  au  bailliage  de  Cotentin  écrit  le  23  novembre  1667  que, 
contrairement  à  l'ordonnance,  les  juges  du  siège  admettent  des  exploits  faits 
avec   le  concours  de  recors  illettrés  (M.  C.  146,  f*  236). 

2.  Le  droit  public,  dans  ses  Œuvres,  t.  II,  p.  33.  Sur  ce  qu'on  entend  précisé- 
ment par  meubles  et  immeubles,  voir  Domat,  ouv.  cité,  p.  25  et  Lange,  La  nou- 
velle pratique,  10*  éd.,  p.  602  et  suiv.  Nous  n'avons  pas  d'exemple  d'immeubles 
saisis  pour  la  taille  en  Normandie  pendant  tout  le  ministère  de  Colbert. 

3.  Règlement  de  janvier  1634,  art.  55,  et  Vauban,  Dix  me  roiale,  éd.  1707,  in-12, 
p.  29.  On  n'a  aucun  exemple  du  fait  en  Normandie  à  notre  époque.  Cf.  p.  486. 

4.  Arrêt  du  4  juillet  1664,  art.  6.  Cf.  La  Poix  de  Freminville,  Traite'  des  com- 
munautés, p.  251.  L'intendant  do  Caen,  en  interprétation  de  cet  article,  défend 
dans  son  mandement  de  1675  la  saisie  des  couvertures  de  lits,  filets  à  pêcher  et 
tous  outils  des  artisans.  (A.  D.  Calv.  Election  de  Caen.) 

5.  La  Poix  de  Freminville,  Traité  des  Communautés  d'habitants,  p.  251. 


LES    CONTRAINTES.  461 

I«  qu'il  s'étoit  vu  des  sergents  qui  avoient  ôté  le  manteau  »,  l'ar- 
ticle avait  été  maintenu1. 
Quant  à  la  saisie  des  bestiaux,  elle  fut  l'objet  de  règlements 
nombreux  et  compliqués,  dont  l'interprétation  n'a  pas  toujours 
été  exactement  faite. 

D'abord,  quoiqu'on  en  ait  dit  souvent2,  l'idée  d'interdire  la 
saisie  n'est  pas  une  innovation  de  Colbert.  Elle  figure  dans  les 
plus  anciens  règlements,  et  Lebret  en  trouve  l'origine  dans  les 
institutions  grecques  et  la  loi  romaine;  ou  plutôt,  dit-il,  «  elle 
est  puisée  de  la  loi  propre  de  la  nature,  d'autant  que  ces  choses- 
là  [les  bestiaux  et  les  outils]  sont  les  vrais  instruments  de  la 
vie  commune  des  hommes3  ».  La  déclaration  de  janvier  1634, 
art.  55,  la  reprenait,  et  différents  arrêts  du  Conseil,  dans  les 
années  suivantes,  en  avaient  rappelé  les  termes  *. 

Mais  Colbert,  en  remettant  en  vigueur  les  anciennes  ordon- 
nances méconnues  5,  avait  des  vues  plus  systématiques  que  ses 
prédécesseurs.  Maintes  fois  il  a  écrit  que  la  conservation  et  la 
multiplication  des  bestiaux  étaient  indispensables  à  la  prospé- 
rité du  royaume  :  par  là  les  paysans  s'enrichiraient,  seraient 
plus  heureux,  payeraient  mieux  leurs  impôts,  les  manufactures 
de  draps  et  de  cuirs  trouveraient  en  France  leur  matière  pre- 
mière, la  population  se  multiplierait,  la  puissance  du  roi  serait 
accrue  :  «  Il  n'y  a  rien  qui  soit  si  avantageux  aux  peuples  et  aux 
provinces  que  d'avoir  un  grand  nombre  de  bestiaux6  ».  —  «  De 
la  conservation  des  bestiaux  dépend  le  principal  soulagement 
des  peuples,  qui,  par  ce  moyen,  se  trouvent  en  estât  de  satis- 
faire à  leurs  impositions  7.  »  —  «  C'est  un  grand  avantage  que 
les  bestiaux  augmentent  dans  la  généralité  de  Caen,  et  surtout 


1.  Procès-verbal  des  conférences...  de  l'ordonnance  civile,  éd.  de  Lille,  1697, 
p.  193-194.  L'article  est  devenu  l'art.  14  du  titre  XXXIII  de  l'Ordonnance. 

2.  Cf.  par  exemple  Necker,  Eloge  de  Colbert,  p.  24.  Clément,  préface  du  t.  Il 
p.  Xlviii  et  suiv.;  Baudry,  introd.  aux  Mémoires  de  Foucault,  p.  lxxii,  etc. 

3.  XVe  Action  à  la  Cour  des  Aides,  dans  ses  Œuvres,  p.  474.  La  loi  romaine 
défend  en  effet  la  saisie  des  animaux  de  labour  en  termes  exprès  (Cod.  Justin., 
VIII,  tit.  XVII,  1.  7.)  Cf.  Bornier,  Conférence  des  Ordonnances,  éd.  1755,  t.  I, 
p.  298,  les  Ordonnances  de  1543,  1571,  1595;  Basnage,  Coutume  de  Normandie, 
t.  I,  p.  110,  etc. 

4.  L'arrêt  du  2  novembre  1645  ajoutait  qu'on  devrait  laisser  une  vache  à  tout 
contribuable  imposé  à  moins  de  30  sous  (C.  d.  T.  I,  316).  Celui  du  11  octobre  1661 
ne  visait  que  les  bœufs  et  chevaux  servant  au  labourage  (A.  D.  Calv.  Plumitif  du 
Bureau  des  finances  à  la  date  du  17  octobre  1661.) 

5.  Sur  cette  inexécution,  voir  notamment  l'édit  de  janvier  1597,  art.  23  et  24 
(Règlements  de  Normandie,  p.  29)  :  «  A  l'instant  que  les  collecteurs  sont  élus,  les 
plus  solvables  habitans  se  retirent  hors- de  leurs  paroisses  et  n'y  laissent  que 
leurs  femmes,  serviteurs,  chevaux  et  jumens  pour  faire  leur  labeur,  de  sorte  que 
lesdits  collecteurs  ne  les  peuvent  contraindre  »,  et  le  roi  est  obligé  de  permettre 
la  saisie.  Un  arrêt  de  la  Cour  des  Aides  de  Rouen  l'avait  également  autorisée 
en  1596  (Ibid.,  p.  34).  Le  31  août  1663,  l'intendant  de  Rouen  écrit  que,  pour  de 
menues  amendes  relatives  à  des  délits  de  pâturage  dans  les  forêts  royales,  on 
saisit  «  tous  les  jours  »  des  chevaux  de  labour  dans  sa  généralité. 

6.  Let.  à  l'intendant  de  Caen,  11  août  1673,  Clém.,  IV,  263,  n.  1. 

7.  Let.  à  l'int.  de  Limoges,  19  févr.  1672,  ibid.,  p.  239,  n.  1. 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


les  bestcs  à  laine,  parce  que  les  manufactures  se  fortifieront  par 
M  moyen  '.  »  —  Il  faut  «  conserver,  autant  que  faire  se  pourra, 
les  bestiaux  pour  serrir  au  commerce  et  à  engraisser  les  terres2» 
et  «  donner  moyen  aux  pauvres  d'entretenir  leurs  familles  par 
la  nourriture  des  bestiaux3  ».  Telles  étaient  ses  idées  générales, 
qui  tendaient  à  supprimer  entièrement  les  saisies.  Mais  il  ne 
put  les  faire  passer  complètement  dans  la  législation. 

Il  distingua  les  bestiaux  servant  au  labourage  et  ceux  qui 
étaient  destinés  a  l'élevage.  —  Pour  les  premiers,  la  saisie  fut, 
par  l'Ordonnance  civile  d'avril  16G7  (tit.  xxxm,  art.  16),  inter- 
dite absolument,  en  toutes  circonstances,  même  pour  le  recou- 


. 


vrement  des  impôts;  seuls  le  privilège  du  vendeur  et  celui  du 
'égard  de  son  fermier  lurent  reconnus*. 
Pour  les  seconds,  la  saisie  fut  autorisée,  mais  pour  les  deniers 


propriétaire  à  l'égard  de  son 


royaux  seulement;  quand  il  s'agissait  de  dettes  privées,  elle  fut 
défendue.  Toutefois,  sur  ce  dernier  point,  Colbert  n'inscrivit 
aucun  principe  dans  la  législation;  il  se  borna  à  prononcer  la 
défense  pour  un  temps  limité  :  l'édit  d'avril  1667  la  prononça 
pour  quatre  années5,  et  il  fut  renouvelé  en  1671  et  en  1678 
pour  six  ans  chaque  fois6,  malgré  les  difficultés  faites  il  l'enre- 
gistrement par  le  Parlement  de  Rouen  7. 

1.  Let.  ù  Tint,  de  Cnen,  6  nov.  1670,  Cléra.,  IV,  p.  239. 

2.  Arrêt  du  Conseil  du  5  jimv.  1665. 
.t.  Let.  pat.  d'août  1664,  urt.   19. 

4.  C'est-à-dire  que  la  saisie  pour  dettes  privées  fut  autorisée  :  1°  pour  recou- 
vrer le  prix  de  vente  desdits  bestiaux;  2°  pour  avoir  paiement  du  fermage  des 
biens  a  l'exploitation  desquels  ils  sont  employés.  Cf.  la  déclaration  du  22  août  1665 
sur  les  saisies,  Néron,  II,  p.  78. 

5.  Il  est  probable  que  l'idée  d  cette  interdiction  temporaire  de  la  saisie  a  été 
suggérée  a  Colbert  par  son  frère  Croissy  qui  avait  expérimenté  le  système  en  1666 
dans  la  généralité  de  Tours  (Lettre  de  Voysin  de  la  Noiraye  à  Colbert,  4  août  1666, 
M.  C.  139,  f°  53,  avec  la  mention  des  résultats  beureux  produits  par  cette  mesure 
dans  le  puys.) 

6.  Déclarations  des  25  janvier  1671  et  31  janvier  1678,  dans  Clém.,  IV,  578.  Cf. 
l'arrêt  du  Conseil  du  30  janvier  1671  dans  Clairamb.  659,  p.  367.  L'interdiction 

1>ermaneiite  de  lu  saisie  sera  prononcée  par  déclarations  de  décembre  1680  dans 
e  ressort  de  Paris  et  du  6  novembre  1683  dans  le  ressort  de  Kouen  (Néron,  t.  II, 
p.  187).  Cf.  la  déclaration  du  10  janvier  1690,  B.  N.  fr.  21819,  p.  283. 

7.  Le  Parlement,  dont  les  membres  étaient  de  gros  propriétaires  fonciers, 
exposait  au  roi  en  1671  que  la  prorogation  allait  nuire  au  commerce  «  et  que 
d'ailleurs  la  campagne  n'est  que  trop  ebargée  de  bestiaux  »  (Lettre  de  l'intendant 
h  Colbert,  20  février  1671,  Clair.  792,  p.  577);  en  outre  «  elle  empescheroit  l'effet 
des  condamnations  de  provisions  et  a'intérests  civils,  et  de  prester  de  l'argent 
aux  paysans  *  (ibid.,  p.  585)  ou  encore  «  que  cela  oste  le  crédit  aux  paysans,  et 
que  lu  contrainte  par  corps  ayant  esté  ostée  à  la  noblesse,  les  marchands  de  la 
Guibrny  n'ont  rien  vendu  »  ;  enfin  que  le  recouvrement  de  la  taille  s'en  trouve- 
rait gêné;  mais,  en  réalité,  dit  l'intendant  qui  rapporte  ces  observations,  le 
Parlement  était  directement  intéressé  dans  l'affaire,  car  son  greffier  chargé  du 
recouvrement  des  épices  refusait  d'exécuter  son  traité  s'il  était  défendu  de  saisir 
les  bestiaux  pour  les  amendes  de  «  fol  appel  »  (ibid.,  p.  595).  Toutefois  la  Cour 
se  borna  à  demander  la  réduction  du  délai  accordé.  (Lettre  de  Pellot  à  Colbert, 
8  mars  1671.  ibil.)  Puis  à  la  fin  elle  se  décida  à  l'enregistrement  pur  et  simple, 
(Pellot  à  Colbert,  14  juin  1671,  ibid.,  p.  843.) 

Colbert  donna  fréquemment  des  instructions  aux  intendants  pour  faire  appli- 
quer cette  prohibition  :  il  leur  adressait  de  nouveaux  exemplaires  des  déclara- 
tions pour  les   leur  rappeler  et  expédiait  au  besoin  des  arrêts  du  Conseil.  (Voir 


LES    CONTRAINTES.  463 

Une  difficulté  particulière  était  soulevée  par  les  cheptels  : 
il  eût  été  équitable  d'en  interdire  la  saisie  pour  l'impôt  des 
chepteliers,  mais  il  était  si  facile  de  faire  des  baux  à  cheptel 
simulés,  que  tous  les  propriétaires  auraient  pu  soustraire  par  ce 
moyen  leurs  bestiaux  aux  exécutions  des  receveurs.  Aussi  les 
ordonnances  avaient-elles  autorisé  la  saisie  d'une  partie  des 
cheptels.  Cette  partie,  fixée  à  un  quart  de  la  valeur  des  bestiaux 
jusqu'en  1663  ',  fut  réduite  à  un  cinquième  par  la  déclaration  du 
12  février  de  cette  année2.  Un  essai  d'interdiction  complète 
tenté  en  Normandie  en  1664  n'eut  pas  de  suite  :  dès  janvier  1665, 
on  dut  revenir  à  l'usage  antérieur3.  En  beaucoup  de  paroisses 
normandes,  à  Rots  par  exemple,  les  contrats  de  cheptel  étaient 
publiés  et  inscrits  sur  les  registres  paroissiaux,  comme  les 
mutations  de  propriétés4  :  cette  mesure  rendait  plus  difficiles 
les  baux  frauduleux. 

Dans  l'application  des  ordonnances,  Colbert  s'appliqua  à 
réduire  le  plus  possible  les  saisies  de  bestiaux  pour  la  taille.  Il 
en  fit  l'objet  de  multiples  lettres  et  circulaires  aux  intendants 
et  aux  receveurs  :  «  A  présent  que  S.  M.  a  accordé  une  dimi- 
nution aussy  considérable  sur  les  tailles  que  celle  de  six  mil- 
lions, écrit-il  le  6  janvier  1679,  Elle  est  persuadée  que  les  rece- 

ses  lettres  à  Breteuil  et  ses  circulaires,  B.  Mun.,  Amiens,  508,  t.  I,  pièce  281  ;  t.  II, 
pièce  242;  t.  III.  pièce  540;  Glém.,  II,  168,  note,  et  Depping,  t.  III,  p.  43.) 

1.  Cf.  l'arrêt  de  la  Cour  des  Aides  de  Paris  du  17  mai  1596  dans  les  Œuvres  de 
Lebret,  p.  475,  les  arrêts  du  Conseil  des  9  juillet  et  5  novembre  1653,  A.  N.  AD1" 
470,  pièce  14,  et  la  déclaration  du  12  février  1063,  dans  C.  d.  T.  I,  506.  La  saisie 
n'était  permise  que  pour  deniers  royaux;  pour  les  dettes  privées,  on  ne  pouvait 
exécuter  que  le  «  croît  »  des  animaux  avant  1667,  exécution  qui  fut  elle-même 
interdite  à  partir  de  cette  date.  Sur  les  inconvénients  de  la  réglementation  de 
1663,  voir  le  mémoire  de  Pescheur  :  «  Les  mercenaires  journaliers,  qui  n'ont 
d'autre  revenu  que  celuy  que  produit  le  travail  de  leurs  bras,  ne  trouvent  plus 
personne  qui  leur  vueille  donner  aucun  bétail  à  cheptel,  pour  estre  mauvais 
garandz  dudict  recours,  et  ainsy  demeurent  privez  du  secours  qu'ils  tiroient  du 
laitage  pour  la  nourriture  de  leurs  petitz  enfans,  qui  languissent  et  meurent  de 
nécessité  à  ce  défaut;  misère  qui  implore  la  compassion  de  S.  M.  *  (M.  C.  33, 
f°  293.) 

2.  C.  d.  T.,  I,  p.  506. 

3.  Let.  pat.  d'août  1664,  art.  19  :  «  Aiant  été  informé  des  desordres  et  abus  qui 
se  commettent  dans  la  passation  des  brevets  ou  baux  de  vaches  et  bestiaux  à 
louage  dans  notre  dite  province,  où  aucuns  gentilshommes  et  autres  personnes 
ne  font  point  de  difficulté  de  prêter  leurs  noms  pour  la  passation  desdits  baux, 
afin  de  frauder  et  empêcher  le  paiement  de  nos  deniers,  Nous  ordonnons  que 
tous  baux  et  brevets  de  vaches  et  bestiaux  à  louage  demeurent  nuls...  Et  néan- 
moins... pour  donner  moien  aux  pauvres  d'entretenir  leurs  familles  par  la 
nourriture  des  bestiaux,  permettons  aux  taillables  de  notre  dite  province,  autres 
toutesfois  que  les  collecteurs,  qui  sont  imposez  à  25  1.  et  au-dessous  de  toutes 
tailles,  de  pouvoir  prendre  à  louage  une  ou  deux  vaches  au  plus  par  brevet...  [qui 
ne  pourront]  èlre  exécutées  et  vendues  en  paiant  par  lesdits  particuliers  la 
somme  de  3  1.  pour  chacune  desdites  vaches  par  chacun  an,  sur  et  en  déduction 
de  leurs  impôts  «^Abrogé  par  l'arrêt  du  Conseil  du  5  janvier  1665.  (A.  D.  Calv. 
Ordonnances  de  l'Élection  de  Caen,  1664-74,  f°  109.) 

4.  Voici  un  exemple  de  ces  actes  d'enregistrement  :  «  Le  dimanche  cinquiesme 
jour  de  febrier  mil  six  centz  soixante  et  deux,  audience  d'un  brevet  passé  à  Caen 
le  deuxième  jour  do  janvier  dernier  par  lequel  Jean  Rivière  prend  à  louage  pour 
trois  ans  de  Isabeau  de  la  Verge  une  vache  à  poiel  noier  par  quatre  livres  par 
an  et  une  livre  de  lanfaix  ».  (A.  Mun.  Piots,  BB  4,  1°   173.) 


Ml  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

veurs  ne  seront  pas  obligés  d'avoir  recours  à  la  nécessité  de 
faire  saisir  les  bestiaux;  aussy  Elle  veut  que  vous  teniez  la  main 
tout  autant  qu'il  sera  possible  à  ce  que  les  bestiaux  ne  soyent 
saisis,  mesme  pour  les  deniers  de  S.  M.  '  ».  Mais  il  n'admettait 
pas  la  possibilité  de  prononcer  cette  interdiction  par  une  ordon- 
nance, car,  disait-il,  une  telle  défense  pourrait  «  les  rendre  plus 
difficiles  au  payement  de  la  taille2  ». 

L'intendant  d'Orléans  lui  ayant  demandé  si  un  collecteur 
pouvait  «  saisir  la  vache  d'un  cotisable  aux  tailles  »,  s'attira 
une  verte  réponse  : 

a  Je  suis  étonné  que  vous  me  fassiez  la  question...,  et  je  vous  ai 
bien  dit,  par  ma  précédente,  qu'un  certain  désir 3  d'approbation 
publique  vous  emporte  souvent  au  delà  des  termes  dans  lesquels  vous 
vous  devez  contenir...  La  petite  maxime  que  vous  establissez  ne  tend 
à  autre  chose  qu'à  supprimer  et  anéantir  toutes  les  impositions  de 
l'Kstat.  Cela  n'empêche  pas  que  vous  ne  puissiez  exciter  doucement 
les  receveurs  des  tailles  de  prendre  garde  que  l'on  n'en  vienne  à  ces 
contraintes  qu'à  l'extrémité4.  » 

Il  ne  faut  pas,  écrit-il  encore  à  l'intendant  de  Rouen,  «  que 
les  peuples  sçachent  ce  que  je  viens  de  vous  dire,  pour  ne  pas 
les  endurcir  à  ne  point  payer,  mais  il  faut  qu'une  ou  deux  sai- 
sies en  chacune  eslection  les  obligent  à  payer,  par  l'appréhension 
de  tomber  dans  le  mal,  sans  la  peine  mesme5  ». 

L'application  des  intendants  à  suivre  ces  instructions  fut  très 
grande 6,  et  d'autant  plus  méritoire  qu'ils  avaient  à  lutter  contre 
les  receveurs,  préoccupés  avant  tout  de  se  faire  payer7,  contre 
les  huissiers  et  sergents  qui  tiraient  revenu  des  saisies,  contre 
les  élus,   les  officiers  du  Parlement,  de  la  Cour  des  Aides,  qui 

1.  Clém.,  II,  88;  Cf.  le  mémoire  an  roi,  1670.  ibid.  p.  242;  les  lettres  à  l'inten- 
dant de  Rouen,  12  sept,  et  2  oct.  1670,  ibid.  p.  73  et  264  note;  les  circulaires  des 
28  juin  1679  et  1"  juin  1680,  ibid.,  p.  89,  n.  1  et  133,  etc. 

2.  Let.  à  l'intendant  de  Montauban,  18  août  1673,  Clém.,  II  263;  cf.  la  let.  à 
l'intendant  de  Clermont,  14  nov.  1670,  dans  Depping,  t.   III,  p.  ix. 

3.  Clément  a  lu  «  air  »  au  lieu  de  •  désir  ». 

4.  Clém.  II,  120.  Cf.  la  let.  à  l'intendant  de  Rouen,  18  juin  1680  :  «  Vous  savez 
bien  que  le  roy  n'a  jamais  exclu  la  vente  des  bestiaux  pour  les  impositions  des 
tailles  et  les  droits  de  ses  fermes...  »  (ibid.,  p.  390);  la  let.  de  Barin  de  la  Galis- 
sonnière,  29  janvier  1669  :  «  Si  je  rendois  une  ordonnance  générale,  cela  feroit 
assurément  préjudice  au  recouvrement,  et  il  est  plus  ù  propos  pour  le  bien  des 
receptes  et  des  fermes  que  cela  se  mesnage  par  la  prudence  des  commis  ».  (M. 
C.  150,  f"  234),  et  celle  de  Leblunc,  16  juin  1679  :  «  Sy  on  ne  la  soufTroit[la  saisie], 
il  seroit  impossible  de  les  faire  payer  ».  (A.  N.  G"  491.) 

">.  Let.  du  2  octobre  1670,  Clém.,  IV,  264,  note. 

6.  Par  exemple  Barin  de  la  Gnlissonnière  écrit  ù  son  arrivée  à  Rouen  :  [Pen- 
dant que  j'étais  à  Orléans],  «  il  ne  s'estoit  fait  que  très  peu  de  saisies  et  de 
ventes  de  vaches  et  de  moutons;  ainsy,  Monsieur,  vous  pouvez  asseurer  S.  M.  que 
je  n'duray  pas  moins  de  zèle  en  Normandie  pour  l'exécution  de  ses  volontez  sur 
cet  article,  si  pleines  de  justice  et  si  nécessaires  pour  conserver  l'abondance  dans 
lajcampagne  ».  (M.  C.  139,  f°  41.) 

7.  Cf.  par  ex.  la  let.  du  receveur  général  de  Rouen  à  Colbert,  septembre  1672. 
Clairamb.  793,  p.  751. 


LES    CONTRAINTES.  465 

voyaient  lésés  leurs  intérêts  de  propriétaires  ou  de  juges1.  Ils 
eurent  recours  à  des  expédients,  comme  d'autoriser  la  saisie 
«  pour  esveiller  les  collecteurs  »,  mais  en  interdisant  la  vente2; 
ou  de  faire  conclure  des  accords  amiables  entre  les  collecteurs 
et  les  receveurs3.  Autant  qu'on  en  peut  juger  par  les  rensei- 
gnements fragmentaires  qui  nous  sont  parvenus,  ils  ont  abouti 
à  des  résultats  appréciables,  au  moins  dans  la  première  moitié 
de  notre  période. 

En  1661,  le  nombre  des  bestiaux  était  très  faible,  en  raison 
des  nombreuses  exécutions  pratiquées  antérieurement.  Dès  1663, 
les  intendants  de  Normandie  signalent  un  accroissement.  En 
1665,  celui  de  Caen  ayant  interdit  complètement  la  saisie  des 
moutons  pour  les  impôts,  voit,  dès  l'année  suivante,  sa  mesure 
«  produire  un  effect  si  admirable  que  la  campagne  paroist  de 
toutes  partz  couverte  d'un  très  grand  nombre  de  bestiaux,  qui 
augmente  tous  les  jours  *  »,  et,  chose  remarquable,  le  fisc  n'en 
souffre  pas  :  le  27  octobre  1670  l'intendant  écrit  que  l'inter- 
diction ne  porte  aucun  préjudice  au  recouvrement5.  Une 
enquête  faite  auprès  des  collecteurs  l'année  suivante  lui  apprend 
que  «  le  nombre  de  bestes  à  laine  est  augmenté  de  moitié 
depuis  cinq  ou  six  ans6  ».  Dans  la  généralité  de  Rouen,  «  par- 
tout les  bestiaux  augmentent  »  en  1670  et  1671 7.  Dans  celle 
d'Alençon,  l'intendant  constate  le  2  novembre  1673  que  la  cam- 
pagne est  «  bien  peuplée  de  bestiaux  »,  grâce  à  l'interdiction 
des  saisies  pour  dettes  privées8.  Mais  à  partir  de  1674,  le  pro- 
grès n'est  plus  signalé  9.  Le  tableau  dressé  par  l'intendant  de 

1.  Chamillart  écrit  à  Golbert  le  21  juillet  1669  que  les  huissiers  de  la  Chambre 
des  comptes  «  saisissent  les  bestiaux  au  préjudice  des  ordres  du  roy,  ne  laissent 
point  d'exploits  et  exercent  plusieurs  vexations  »  (M.  C.  154,  f°206),  et  Leblanc,  le 
21  juin  1679  :  «  Les  huissiers...  saisissent  dans  l'estandue  de  la  généralité  les  bes- 
tiaux servant  au  labour  et  autres...,  ne  laissent  aucuns  exploicts  et  pi'ocèdent  à 
la  vente  en  des  lieux  inconnus  »,  dans  le  seul  but  d'accroître  leurs  appointe- 
ments (A.  N.  G7  491),  et  l'intendant  d'Alençon,  le  2  novembre  1673  :  Dans  l'exé- 
cution des  ordonnances  sur  la  saisie,  «  on  se  relasche  tant  soit  peu  dans  les  juri- 
dictions ordinaires  »  (M.  G.  166,  f°  252).  Voir  aussi  une  lettre  de  l'intendant  de 
Glermont,  15  février  1669  :  «  Les  officiers  des  Eslections...  sont  les  premiers  à 
empescher  sous  main  l'exécution  du  dessin  si  salutaire  aux  peuples,  et  tout  cela 
fondé  sur  le  retranchement  des  espices  et  des  procès  ».  (Ibid.,  150,  f°  460.) 

2.  Let.  de  Barin  de  la  Galissonnière,  24  sept.  1670,  Clairamb.  792,  p.  327  et  348. 
Le  29  janvier  1669,  il  écrivait  :  On  pratique  «  des  ventes  imaginaires,  qui  sont 
plutost  des  compulsoires  pour  obliger  les  collecteurs  à  faire  leurs  diligences  que 
de  véritables  exécutions  ».  (M.  G.  150,  f°  234.) 

3.  Cf.  ci-dessus,  p.  4 1  '.* .  Voysin  de  la  Noiraye,  dans  une  lettre  du  24  octobre 
166G,  parle  de  ces  accords  et  juge  heureux  les  résultats  obtenus.  (M.  G.  141b", 
f°  652.) 

4.  Let.  du  17  novembre  1666.  M.  C.  142,  ro  102.  Cette  interdiction  était  prononcée 
surtout  pour  alimenter  les  manufactures  de  drap.  (Ibid.,  f°  235.) 

5.  Clairamb.  792,  p.  333. 

6.  Ibid.,  793,  p.  25. 

7.  Let.  de  l'intendant,  20  oct.  1670  (Clairamb.  792,  p.  353)  et  6  juillet  1671  (M. 
C.  157,  f°  37). 

8.  M.  C.  166,  f°  252. 

9.  Dans  une  lettre  du  23  janvier  1679,  l'intendant  d'Alençon  écrit  que  l'interdic- 
tion de  la  saisie,  récemment  prononcée  pour  une  nouvelle  période  de  six  ans,  va 

LA    TAILLE    EN    NORMANDIE.  à\) 


,...,  LA    TAILLE    EN    NOHMANDIE. 

Rouen  en  1680  fait  apparaître  une  diminution  très  nette  clans  sa 
généralité  :  clans  l'élection  de  Pont-Audemer,  les  troupeaux  ont 
été  «  vendus  pour  le  payement  des  Termes  ou  de  la  taille  ».  les 
vaches  que  l'on  rencontre  encore  sont  tenues  pour  «  la  plupart 
à  loyer  »,  bien  que  l'intendant  ait  prescrit  aux  receveurs  de  ne 
les  saisir  «  qu'à  l'extrémité1  »;  dans  l'élection  de  Dieppe,  le 
nombre  des  bestiaux  mis  à  l'engrais  dans  les  herbages  pour  la 
vente  reste  «  considérable  »,  mais  la  plupart  appartiennent  aux 
gentilshommes;  ceux  qui  servent  à  la  «  subsistance  du  peuple  » 
ont  diminué  sensiblement2.  Deux  ans  après,  Leblanc  écrira  : 
«  Si  le  nombre  des  bestiaux  estoit  aussi  grand  que  jadis  dans 
les  eslections,  elles  deviendroient  aussi  bonnes  qu'elles  sont 
misérables*  ».  Et  l'une  des  causes  de  cette  décadence  semble 
bien  avoir  été  le  relâchement  dans  l'exécution  des  ordonnances 
prohibitives  des  saisies.  Leblanc  découvre  le  8  juillet  1680  que, 
dans  l'élection  de  Caudebec,  les  fermiers  des  aides,  des  gabelles 
et  des  cinq  grosses  fermes,  s'autorisant  d'un  arrêt  du  Conseil 
du  7  décembre  1667,  font  vendre  «  les  chevaux  de  labour  et 
toutes  sortes  de  bestiaux  pour  les  droits  qu'ils  prétendent  leur 
estre  deubs,  ce  qu'ils  font  avec  la  dernière  rigueur4  ».  Mais  ce 
motif  n'était  pas  le  seul  :  «  Quoyque  je  fasse  exécuter  à  la  lettre, 
écrit-il  le  2  juillet  1682,  le  règlement  portant  deffenses  de  saisir 
les  bestiaux,  et  qu'il  ne  s'en  saisisse  que  pour  le  payement  de 
la  taille,  il  y  en  a  très  peu  a  proportion  de  ce  qu'il  y  en  devroit 
avoir5  »,  et  le  même  jour  son  collègue  d'Alençon  assure  que, 
quoique  les  ordonnances  relatives  aux  saisies  pour  dettes  pri- 
vées soient  «  ponctuellement  exécutées  »,  et  les  saisies  pour  la 
taille  «  rares  »,  la  diminution  ne  cesse  pas6.  Il  faut  sans  doute 
rattacher  cette  décadence  à  l'accroissement  général  de  la  misère, 
que  nous  avons  constaté  à  partir  de  la  guerre  de  Hollande. 

Aucun  exploit  ne  peut  être  adressé  à  un  collecteur  avant  le 
terme  fixé  pour  le  payement  au  receveur,  et  sans  commande- 
ment préalable7.    Pour  faire  la  saisie,  l'huissier  doit  se  faire 


«  restublir  cetle  province  »  et  «  y  faire  revenir  l'argent  ».  (À.  N.  G7  71.)  Il  sem- 
blerait d'après  cela  que,  dons  les  années  antérieures,  on  avait  laissé  pratiquer 
les  saisies. 

1.  Let.  du  22  juin  1680,  A.  N.  G7  401. 

2.  Let.  du  4  juillet  1680,  ibid. 

3.  Let.  du  1"  mai  1682.  B.  N.  fr.  8761,  f°  51. 

4.  A.  N.  G7  491. 

5.  B.  N.  fr.  8761.  f  57. 

fi.  A.  N,  G7  4'.'1.  Cf.  le  rapport  du  même  intendant,  22  juillet  16S0  :  dans 
l'élection  de  Mortagne  on  n'exécute  pas  les  bestiaux  pour  dettes;  dans  celle  d'Ar- 
gentan, qui  a  été  ménagée  par  le  receveur,  •  on  ne  saisit  aucuns  bestiaux  pour 
dettes  et  très  peu  pour  la  taille  ;  il  y  en  n  beaucoup  plus  que  l'année  dernière  » 
(ibid.).  Mais  son  successeur  écrira  le  1er  septembre  16S3  que,  dans  la  même  élec- 
tion, un  autre  receveur  fait  beaucoup  de  frais  «  par  les  enlèvements  de  bestiaux  » 
(ibid.).  r  ' 

7.  Arrêt  du  4  juillet  1C64,  art.  5. 


LES    CONTRAINTES.  467 

accompagner  de  recors  ou  de  témoins,  dont  un  au  moins 
signera  le  procès-verbal,  ainsi  que  les  collecteurs  intéressés;  il 
ne  peut  forcer  une  porte  fermée  sans  ordonnance  d'un  officier 
de  l'Election1.  «  Les  meubles  et  bestiaux  saisis  sur  les  collec- 
teurs seront  mis  en  garde  chez  les  plus  proches  voisins  non 
suspects,  qui  seront  tenus  de  s'en  charger  à  peine  de  30  1. 
d'amende,  pour  les  garder  durant  huit  jours,  en  leur  payant 
leurs  frais  de  garde  et  nourriture,  si  mieux  n'aiment  lesdits 
collecteurs  fournir  ladite  nourriture  »  ;  pendant  ce  délai,  les 
intéressés  peuvent  faire  «  une  collecte  de  deniers  »  pour 
obtenir  main-levée  de  la  saisie,  laquelle  ne  peut  être  accordée 
que  par  le  receveur2;  les  officiers  des  Elections  ou  de  la  Cour 
des  Aides  ne  peuvent  faire  surseoir  aux  contraintes3. 

Nul  ne  peut  être  reçu  opposant  à  l'exécution  s'il  n'a  «  paie  par 
provision  ce  qu'il  devra  desdites  tailles  ou  la  valeur  des  choses 
saisies4  ».  Comme  «  il  arrive  assez  souvent  »  que  les  proprié- 
taires dont  les  collecteurs  sont  fermiers  font  des  saisies  fictives 
sur  les  biens  de  ceux-ci,  «  encore  que  bien  souvent  il  ne  leur 
soit  rien  dû  »,  et  ce,  «  pour  empêcher  qu'ils  ne  soient  vendus 
pour  le  paiement  »  de  la  taille,  il  est  spécifié  que  la  vente  des 
biens  saisis  doit  être  faite  dans  la  quinzaine,  sous  peine  de 
nullité,  et  le  privilège  du  propriétaire  n'est  accordé  que  pour  une 
année  de  fermage5.  Quand  la  vente  est  faite,  le  collecteur  con- 
serve «  la  faculté  de  rachat  dans  huitaine,  en  rendant  le  prin- 
cipal et  les  frais  ;  »  ce  qu'on  appelle  en  Normandie  «  droit  de 
fort-gages  °  ». 

Si  les  huissiers  craignent  la  rébellion,  ils  pourront  «  se  faire 
assister  de  plus  grand  nombre  de  gens  pour  faire  obéir  les  habi- 
tans  desdites  paroisses  »,  avec  l'autorisation  de  l'Election,  et 
si  malgré  ce  renfort  ils  ne  peuvent  opérer,  ils  dresseront  un 
procès-verbal  «  qu'ils  présenteront  aux  Elus  pour  en  informer, 
et  seront  les  décrets  mis  entre  les  mains  des  vice-baillifs,  leurs 
lieutenans  et  archers,  pour  les  mettre  a  exécution,  faire  obéir  et 
paier  les  rebelles  7». 

1.  Edit  de  mars  1668:  l'édit  d'août  1G69  remplacera  les  témoins  par  le  contrôle 
des  exploits. 

2.  Arrêt  de  janvier  1664,  art.  7  et  8. 

3.  Let.  pat.  d'août  1664,  art.  16.  Cf.  l'arr.  du  Conseil  du  30  avril  1661,  prescrivant 
aux  intendants  de  «  tenir  la  main  à  ce  que  les  contraintes  des  receveurs  des 
tailles  soient  exécutées  ».  (Clairamb.  659,  p.  203.) 

4.  Ibid.  art.  38. 

5.  Ibid.,  art.  39. 

6.  Arrêt  du  4  juillet  1664,  art  7  ;  et  recueil  d'Orsay,  B.  Nat.  fr.  11096,  f°  18.  Cf 
Houard,  Dictionnaire  de  droit  normand,  à  ce  mot. 

7.  Arrêt  du  4  juillet  1664,  art.  11  et  let.  pat.  d'août  16G4,  art.  31.  Cf.  p.  391. 


.',.;«,  LA    TAILLE    KN     MM'.MAXDIE. 


VII.   —   LES   FRAIS   DE   CONTRAINTES 

De  nombreux  règlements,  avant  1661,  avaient  été  publiés 
pour  tarifer  et  contrôler  les  frais  des  huissiers.  Mais,  comme 
on  l'a  vu  par  les  exemples  de  Mochon,  de  Hallot  et  deNainville, 
ils  étaient  tombés  en  désuétude,  si  bien,  dit  Colbert  en  1661, 
«  qu'en  beaucoup  de  provinces  les  frais  ont  égalé  et  mesme 
surpassé  le  principal  de  la  taille1  ».  Un  arrêt  du  Conseil  du 
23  novembre  1662  prescrivit  aux  intendants  «  de  s'informer 
soigneusement  de  ce  qui  se  pratiquoit...  pour  les  taxes  des 
salaires  des  huissiers  et  sergens  des  tailles,  des  abus  qui  s'y 
commettoient,  et  de  donner  sur  ce  leurs  avis  pour  le  soulage- 
ment des  contribuables  »,  et  les  élus  de  leur  côté  eurent  ordre 
de  taxer  soigneusement  les  frais*.  A  la  suite  des  rapports  reçus, 
Colbert  expédia  la  déclaration  du  12  février  1663,  qui  interdisait 
aux  huissiers  de  se  faire  payer  eux-mêmes,  sans  avoir  fait  taxer 
leur  travail  par  l'intendant  ou  les  élus,  ajoutant  que  les  taxes 
devraient  être  «  raisonnables  ...  en  sorte  qu'ils  [les  huissiers] 
puissent  subsister  et  les  contribuables  être  soulagez3  »;  puis, 
sur  les  remontrances  de  la  Cour  des  Aides  de  Paris  *,  il  fut  décidé 
par  un  nouvel  arrêt  du  conseil  du  4  juillet  1664  que  les  salaires 
des  huissiers  seraient  «  réglez  au  bureau  de  l'Election,  le  pro- 
cureur du  roi  présent,  selon  le  travail  utile  desdits  huissiers5  ». 
Les  intendants  n'eurent  donc  plus  à  connaître,  régulièrement, 
de  ces  taxes6.  Mais  ils  s'autorisèrent  néanmoins  de  leur  pouvoir 
général  de  surveillance  sur  toute  l'administration  pour  inter- 
venir  en  toutes  circonstances7. 

Le  même  arrêt  du  Conseil  du  4  juillet  1664  enjoignait  aux 
receveurs  de  tenir  un  registre  «  coté  et  paraphé  parle  président 
[de  l'Election]  et  le  procureur  du  roi  »,  pour  y  inscrire  «  les 

1.  Clém.  VII,  198. 

2.  D'après  le  préambule  de  l'arrêt  du  4  juillet  166'j,  C.  d.,  T.  I,  p.  549. 

3.  Ibid.,  p.  507. 

4.  Ibid.,  p.  513. 

5.  Art.  13.  La  même  clause  fut  reprise  dans  la  déclaration  du  20  août  1673,  spé- 
ciale à  la  Normandie,  Art.  8  :  «  Les  frais  et  salaires  des  huissiers  et  sergens  des 
tailles  seront  taxez  au  bureau  de  l'Election,  sans  frais,  en  présence  du  receveur 
en  exercice,  pour  connoitre  si  les  deniers  qui  ont  dû  provenir  des  diligences 
desdits  huissiers  auront  été  portez  en  recette.  > 

6.  Pour  le  ressort  de  Paris,  le  règlement  du  20  mars  1673  disait  que  les  frais 
seraient  taxés  par  les  Elections  suivant  un  tarif  établi  par  les  intendants  et 
«  affiché  à  la  porte  du  bureau  de  l'Election  ».  Antérieurement  ù  cette  date,  le  tarif 
était  dressé  par  la  Cour  des  Aides  :  un  de  ses  arrêts,  dn  5  octobre  1665,  avait  fixé 
à  18  sous  le  prix  d'une  exécution,  30  sous  celui  d'une  vente  ou  d'un  emprisonne- 
ment. (B.  N.  fr.  11096,  f  20.) 

7.  Le  règlement  du  4  juillet  1664  remettait  du  reste  aux  intendants,  en  même 
temps  qu'aux  élus,  le  soin  «  de  tenir  la  main  à  l'exécution  du  présent  règlement  » 
et  d  aviser  le  roi  des  contraventions,  «  pour  sur  ce  y  pourvoir  selon  les  occur- 
rences, par  des  arrêts  et  réglcmens  particuliers,  selon  l'usage  de  chacune  pro- 
vince »  (Art.  20.) 


LES    FRAIS    DE    CONTRAINTES.  469 

procès-verbaux  faits  contre  chacune  paroisse  en  particulier,  les 
paiemens  faits  ausdits  huissiers  pour  leurs  salaires,  et  les  rem- 
boursemens  que  les  collecteurs  en  auront  faits  ausdits  rece- 
veurs1 ».  D'autre  part,  les  huissiers  et  sergents  devaient 
«  déclarer  au  grèfe  des  Elections  le  jour  de  leur  départ  et 
celuy  du  retour,  et  y  donner  un  état  certifié  d'eux  des  exploits 
par  eux  faits  durant  leur  voiage,  dont  ledit  gréfier  sera  tenu  de 
tenir  registre  et  de  le  représenter  chacune  semaine  au  bureau 
de  l'Election,  pour  être  paraphé  par  le  président  ou  le  plus 
ancien  oficier  qui  se  trouvera  audit  bureau,  et  par  le  procureur 
du  roi2  ».  Les  taxes  étaient  faites  d'après  ces  états;  aucune 
somme  ne  pouvait  être  payée  si  elle  n'y  était  inscrite. 

Voici,  à  titre  d'exemple,  le  début  d'un  état  remis  par  un  ser- 
gent de  l'Election  de  Vire  en  1673 3  : 

«  Ensuit  par  cy-apprais  les  escros  que  faict  et  met  en  recepte 
Anthoine  Turgis  sergent  royal  et  commissaire  des  tailles  en  élection 
a  Vire  comme  il  ensuit. 

Premièrement  : 
Bellon.  Le  26e  juillet  1673,  executtion  faite  des  biens   des 

asseeurs  de  ladite  paroisse.   Submission  à* 80  1. 

Le  7e  jour  de  septembre  1673,  emprisonnement  de  Guillaume 

Lasles. 
Le  4e  jour  de  novembre  audit  an,  emprisonnement  de  Nicolas 

Dolley. 
Le  26e  janvier  1674,  emprisonnement  de  Guillaume  Richard. 

Pont-Farcy.  Le  10e  jour  d'avril  1673,  executtion  faitte  des 

biens  des  asseeurs;  submission  de 50  1. 

Le  1er  d'àoust  audit  an,  executtion  faitte  des  biens  des  asse- 
eurs, submission 80  1. 

Le   5   septembre   audit  an,   executtion  faitte   des  biens   des 

asseeurs,  submission 100  1. 

Le  3e  novembre  audit  an,  emprisonnement  de  André  Lefebvre  s. 


L'arrêt  du  Conseil  du  4  juillet  1664  interdit  encore  aux  huis- 
siers de  surseoir  à  la  vente  des  biens  saisis,  passé  les  délais 
fixés,  leurs  salaires  ne  doivent  être  taxés  par  les  élus  «  qu'en 
justifiant  de  ladite  vente  ou  de  la  main-levée  des  receveurs,  ou 
que  lesdits  receveurs  aient  reçu  la  valeur  desdites  choses  sai- 

1.  Art.  15. 

2.  Art.  4. 

3.  A.  D.  Calv.  Election  de  Vire.  Voir,  ibld.,  huit  états  semblables,  remis  à 
l'Election  par  les  autres  huissiers. 

4.  C'est-à-dire  qu'il  s'est  trouvé  une  caution  pour  s'engager  à  payer  80  1.  au  rece- 
veur, ou  à  représenter  les  biens  saisis. 

5.  L'état  compte  au  total  55  exploits,  échelonnés  du  10  avril  1673  au  24  février  1674, 
et  portant  sur  13  paroisses.  Au  bas  est  la  taxe  des  frais  :  122  1.  17  s.  (Arch. 
Calv.,  Election  de  Vire). 


470  LA    TAILLE    EN     NCMIM  ANIME. 

sies  »  (art.  8).  Ils  ne  peuvent  «  forcer  les  collecteurs  direc- 
tement ou  indirectement  à  se  servir  d'eux  pour  la  collecte  sur 
les  particuliers  contribuables,  sinon  contre  ceux  de  difficile 
discussion  »,  (art.  9)1,  ni  «  se  faire  défraier  aux  cabarets  », 
(art.  10)  ni  «  recevoir  aucuns  deniers  des  collecteurs  sous 
prétexte  de  les  porter  en  recette  »  (art.  12)  '. 

Dans  leurs  mandements,  les  intendants  rappellent  souvent  les 
règlements  et  en  ajoutent  de  nouveaux.  Celui  de  Rouen,  en  1672, 
prescrit  aux  huissiers  de  «  jurer  »  leurs  états  «  véritables  »,  leur 
défend  de  se  pourvoir  ailleurs  qu'aux  Elections  pour  se  faire 
taxer,  «  et  en  cas  de  fausse  date  à  l'effet  de  multiplier  leurs 
salaires,  seront  punis  comme  faussaires'  ».  Voici  les  formalités 
prescrites  par  celui  de  Caen  pour  les  registres  des  greffes  des 
Elections  :  «  sur  chaque  feuille  on  y  porte  une  paroisse  comme 
sur  le  registre  sommier  de  la  recette,  et  après  que  le  receveur  a 
donné  sa  contrainte  à  l'huissier,  cet  huissier  vient  registrer  les 
diligences  qu'il  a  faites  au  feuillet  de  sa  paroisse...  et  le  rece- 
veur examine  les  contraintes  par  luy  décernées  avec  les  dilligences 
faites  par  les  huissiers,  et  les  payemens  que  leurs  dilligences 
ont  fait  procurer;  s'il  trouve  par  l'examen  exact  qu'il  en  fait 
que  les  dilligences  de  l'huissier  n'ayent  pas  produit  leur  effet, 
il  raye  sur  ledit  registre  les  dilligences  qui  se  trouvent  n'estre 
pas  utilles*  ». 

Il  est  peu  de  matières  sur  lesquelles  Colbert  ait  fait  plus  de 
recommandations  aux  intendants  que  sur  les  frais  de  contraintes. 

«  Vous  savez,  écrit-il  à  Marillac  en  1674,  qu'il  n'y  a  rien  de 
si  grande  conséquence  que  d'empescher  que  les  peuples  ne 
payent  rien  que  ce  qui  vient  directement  au  roy,  et  de  retran- 
cher par  toutes  sortes  de  moyens  tout  ce  qui  tourne  au  profit 
des  particuliers;  c'est  a  quoy  vous  devez,  s'il  vous  plaist, 
donner  une  application  tout  entière5.  »  —  Examinez  avec  soin, 
dit  une  circulaire  de  1680,  «  les  frais  qui  sont  faits  tant  a 
l'esgard  du  receveur  envers  les  collecteurs,  qu'a  l'esgard  de 
ceux-cy  envers  les  taillables.  Comme  c'est  une  matière  dans 
laquelle   il   s'est  toujours  glissé    une   infinité   de    friponneries, 


1.  L'intendant  de  Rouen,  dans  son  mandement  de  1672,  interprète  cet  article  en 
défendant  aux  huissiers  et  sergents  «  de  s'abonner  avec  les  collecteurs  pour  la 
levée  des  deniers  de  la  collecte  des  paroisses,  sauf  ausdits  collecteurs  de  se  faire 
assister  d'un  desdits  huissiers  s'il  est  jugé  nécessaire  par  les  élus,  le  procureur 
du  roy  et  le  receveur  des  tailles  appelez,  et  le  requérant  ».  (A.  D.  S.-Inf.,  C  2215.) 
_2.  Sur  le  détail  de  ces  procédures  de  saisie,  voir  Lange,  La  nouvelle  pratique 
civile  et  criminelle,  éd.  1706,  liv.  IV,  chap.  xxxVm.et  La  Poix  de  Freminville.CoTM/na- 
nautét  d'habitants,  p.  247  et  suiv.  ;  Vieuille,  p.  312  et  suiv.;  La  Barre,  Formulaire, 
liv.  I,  ch.  v,  etc. 

3.  A.  D.  S.-lnf..  C.  2215.  CI",  ibid.,  C.  2098,  le  mandement  de  1062;  B.  N.  fr. 
876P1'  f  27,  celui  de  1676,  et  ceux  de  la  généralité  de  Caen.  A.  D.  Calv.,  Election 
de  Caen. 

4.  Mémoire  sans  date  (postérieur  à  1680),  A.  N.  G7  213. 

5.  Clém.,  II,  322. 


LES    FRAIS    DE    CONTRAINTES.  471 

vous  ne  scauriez  donner  trop  d'application  pour  les  pénétrer1  ». 
—  «  Il  est  nécessaire,  écrit-il  à  Breteuil,  que  vous  ayez 
tousjours  une  esgalle  application  pour  diminuer  ces  frais,  et 
travailler  tousjours  par  tous  moyens  possibles  au  soulagement 
des  peuples2.  »  Le  10  octobre  1670,  il  écrit  à  Chamillart  : 

«  Ce  qui  m'a  surpris  a  esté  de  voir  les  frais  se  monter  à  12000  et 
tant  de  livres  en  huit  élections,  vous  pouvant  assurer  qu'il  y  a  à 
présent  plus  des  deux  tiers  des  généralités  dans  lesquelles  les  frais  ne 
montent  pas  à  3,  4  ou  500  livres  au  plus  dans  chaque  élection  :  c'est 
à  quoy  il  faut  que  vous  preniez  bien  garde,  parce  que  assurément  les 
frais  que  vous  voyez  monter  à  12  000  livres  en  produisent  une  et  deux 
fois  autant  à  la  charge  des  peuples.  Je  ne  doute  pas  qu'à  l'avenir  vostre 
application  ne  remédie  à  ce  mal,  qui  est  très  considérable 3.  » 

En  vain  les  intendants  invoquent  la  nécessité  primordiale  de 
faire  rentrer  les  impôts  :  le  ministre  n'admet  pas  cette  excuse 
à  des  frais  excessifs.  Celui  de  Rouen  lui  ayant  écrit  le  18  sep- 
tembre 1670  que  les  receveurs,  exhortés  à  ne  pas  se  servir  des 
contraintes,  s'excusaient  «  presque  tous  sur  l'impuissance  et 
mauvaise  volonté  des  peuples*  »,  s'attira  cette  réponse  : 

«  L'excuse...  n'est  pas  bonne,  vu  que  les  trois  généralités  de 
Normandie  ont  esté  autant  et  plus  soulagées  qu'aucune  autre,  et  qu'il 
me  semble  que  les  peuples  y  travaillent  davantage  et  sont  fort  ponc- 
tuels à  payer.  Je  vois  que  dans  toutes  les  autres  généralités,  lesdits 
receveurs  se  servent  fort  peu  de  contraintes,  en  sorte  que  pour  peu 
qu'ils  ayent  d'industrie  et  d'application,  et  que  l'imposition  soit  bien 
faite,  il  y  a  beaucoup  d'apparence  qu'ils  n'auront  pas  besoin  d'avoir 
recours  a  ces  rigueurs,  en  quoy  consiste  particulièrement  le  plus 
grand  soulagement  que  l'on  puisse  donner  aux  peuples.  Comme  le  roy 
n'a  rien  tant  a  cœur  que  de  leur  en  procurer,  l'intention  de  S.  M.  est 
que  vous  donniez  toute  l'application  nécessaire  pour  faire  cesser  ces 
contraintes  5.  » 

Finalement,  l'intendant  dut  reconnaître  «  que  la  cessation  des 
contrainctes  dépend  plus  de  la  conduite  des  receveurs  que  de 
tous  les  soins  que  l'on  en  peut  prendre,  et  qu'il  seroit  néces- 
saire que  tous  ceux  qui  le  sont  en  tiltre  résidassent  sur  les 
lieux,  et  que  les  receveurs  généraux  commissent  des  personnes 
de  probité  ailleurs6  »,  et  l'année  suivante,  il  se  rangea  tout  à 

1.  Cléui.,  H,  p.  133. 

2.  Lct.  à  Breteuil,  23  octobre  1681,  B.  mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  II,  pièce  422. 
Cf.  les  lettres  et  circulaires  de  Colbert  des  t>  août,  16  octobre  et  18  novembre  1682, 
ibùl.,  t.  III,  pièces  355,  468  et  529  :  «  travailler  continuellement  à  diminuer  ces 
frais  »;  «  délivrer  les  peuples  de  toutes  les  oppressions  qu'ils  souffrent  »  sont  les 
expressions  qu'il  emploie  le  plus  souvent.  Voir  aussi  Depping,  III,  p.  289. 

3.  Clém.,  II,  74. 

4.  Analyse  de  sa  lettre,  Glairamb.,  792,  p.  319. 

5.  Clém.,  II,  74,  lettre  du  26  septembre  1670. 

6.  C'est-à-dire  dans  les  élections  où  il  n'y  a  pas  de  receveur  en  titre.  (Analyse 
de  sa  lettre  du  29  septembre,  Clairamb.,  792,  p.  337). 


,-j  LA    TAILLE    EN     NORMANDIE. 

lait  ii  l'avis  du  ministre  :  «  Il  est  certain,  Monsieur,  que  la 
diminution  des  frais  et  des  emprisonnemens  des  collecteurs 
dépend  de  la  bonne  conduite  des  receveurs1  ». 

Sur  la  fin  de  sa  vie,  comme  les  recouvrements  devenaient  de 
plus  en  plus  difficiles,  Colbert  imagina  un  expédient  ingé- 
nieux pour  amener  les  receveurs  à  réduire  le  plus  possible  Tes 
frais  :  c'était  de  refuser  de  confier  la  recette  à  ceux  qui  en 
auraient  trop  fait,  et  de  distribuer  des  gratifications  à  ceux  qui 
en  auraient  fait  le  moins.  Le  1er  septembre  1680,  il  écrivit  aux 
intendants  : 

«  L'un  des  moyens  les  plus  seurs  dont  S.  M.  voudroit  se  servir 
pour  retrancher  ces  abus  seroit  d'oster  l'exercice  au  receveur  des 
tailles  qui  se  trouveroit  le  plus  coupable  de  vostre  généralité,  et 
commettre  à  son  exercice  pour  l'année  prochaine.  Cette  punition  pro- 
duiroit  asseurément  le  retranchement  de  la  plus  grande  partie  de  ces 
friponneries.  S.  M.  pourroit  bien  y  ajouter  une  gratification  au  rece- 
veur des  tailles  qui  mesnageroit  le  mieux  son  eslection  et  qui  feroit  le 
moins  de  frais  •.  » 

Les  trois  années  suivantes,  le  même  ordre  fut  renouvelé3.  Les 
intendants  devaient  envoyer  l'état  des  frais  annuels  de  chaque 
receveur  au  contrôleur  général,  qui  distribuait  les  punitions  et 
les  récompenses. 
•    «  Rien  ne  peut  estre  d'une  plus  grande  utilité  pour  le  soula- 

f rement  des  communautés,  écrit  l'intendant  de  Caen  au  reçu  de 
a  circulaire  de  1680,  que  d'empescher  ces  abus,  et  cet  expé- 
dient est  asseurément  le  meilleur  comme  le  plus  présent,  et  a 
cause  de  l'extrême  longueur  des  procès  de  cette  nature  quand 
on  y  veut  entrer  »,  et  il  signalait  le  receveur  de  Mortain,  nommé 
Caillot  de  la  Frictière,  qui  avait  été  dépossédé  de  son  exercice 
en  1678  «  pour  les  grands  abus  et  désordres  qui  se  sont  trouvés 
dans  cette  eslection  »  ;  une  douzaine  d'huissiers  employés  par 
lui  étaient  sous  le  coup  de  poursuites  judiciaires  ;  «  comme  il 
pourra  arriver,  ajoute  l'intendant,  que  vous  serés  extrêmement 
sollicité  cette  année  pour  son  restablissement  a  cause  de  son 
année  d'exercice  qui  est  en  1681,  j'ay  cru  vous  devoir  envoyer 
coppie  de  l'arrest  rendu  lors  au  Conseil,  affin  que  vous  puissiés 
connoistre  de  quelle  conséquence  il  seroit  de  le  remettre  en 
exercice4  ».  Colbert  n'hésita  pas  à  faire  un  exemple  sur  la  per- 
sonne de  ce  receveur,  en  même  temps  qu'il  accordait  une  grati- 

1.  M.  C.  157,  f  37. 

-•  Clém.,  H,  133.  Publié  aussi,  mais  avec  quelques  variantes,  dans  Depping, 
III,  p.  39.  Cf.  les  lettres  dans  le  même  sens  à  Tubeuf,  Ie'  et  15  août  1680,  Clém., 
II,  137  et  140  note. 

3.  Circulaires  des  25  sept.  1681  (Clém.,  II,  167),  16  octobre  1682  (B.  Mun. 
Amiens,  ms.  508,  t.  III,  pièce  468)  et  11  juin  1683,  Clém.,  VII,  2t8. 

4.  Let.  du  11  juin  1680,  A.  N.  G?  213.  Cf;  sa  lettre  du  15  août  suivant,  ibid. 


LES    FRAIS    DE    CONTRAINTES.  473 

fication  à  son  voisin,  de  l'élection  de  Vire.  Une  circulaire  du 
25  septembre  1681  donna  la  publicité  nécessaire  à  ces  sanc- 
tions : 

«  S.  M.  ayant  reconnu  dans  la  généralité  de  Caen  que  le  receveur 
de  Mortain  avoit  fait  plus  de  frais  qu'aucun  autre  receveur  de  cette 
généralité,  et  que  le  sieur  de  Martilly,  receveur  de  l'élection  de  Vire, 
en  avoit  fait  très  peu,  Elle  a  fait  destituer  le  premier  et  donner  400  1. 
de  gratification  au  second.  S.  M.  veut  que  vous  vous  serviez  de  cet 
exemple  pour  faire,  s'il  est  possible,  la  mesme  chose  dans  vostre 
généralité,  et  exciter,  par  ce  moyen,  les  receveurs  des  tailles  à  faire 
à  l'envy  le  moins  de  frais  qu'il  se  pourra  '.  » 

Dans  la  généralité  de  Rouen,  on  ne  trouve  aucun  receveur 
destitué  ni  gratifié.  Leblanc  écrivait  le  9  septembre  1681  que  la 
mesure  lui  paraissait  inutile,  parce  que  «  les  receveurs  en 
usoient  assez  bien  »  ;  la  menace  de  punition  était  suffisante  pour 
les  retenir2.  Dans  celle  d'Alençon,  en  juillet  1682,  De  Bouville 
proposa  pour  une  gratification  le  receveur  de  Bernay,  qui 
avait  déjà  perçu  à  cette  date,  chose  extraordinaire,  «  presque  la 
moitié  de  la  taille  »,  en  ne  faisant  que  406  1.  de  frais.  «  Il  est 
certain,  disait-il,  qu'il  ménage  fort  les  peuples;  il  n'a  que  deux 
huissiers,  et  j'ay  tousjours  trouvé  sa  conduite  fort  régulière.  » 
Mais  Colbert,  ayant  examiné  l'état  des  frais  dressé  par  le  même 
intendant,  crut  remarquer  qu'un  autre  receveur,  celui  d'Ar- 
gentan, avait  fait  encore  moins  de  frais  :  «  Vous  jugerez 
facilement,  répond-il  à  de  Bouville,  qu'il  seroit  d'une  perni- 
cieuse conséquence  de  faire  une  gratification  a  un  autre  qu'à 
celuy  qui  en  a  fait  le  moins  ;  c'est  a  quoy  il  est  bien  nécessaire 
que  vous  fassiez  reflexion,  et,  de  plus,  que  vous  observiez  avec 
soin  s'il  n'y  a  point  d'autres  frais  que  ceux  qui  sont  taxés  par 
les  officiers  de  l'Election3  ». 

1.  Glém.,  II,  168.  Cf.  la  réponse  de  l'intendant  de  Bourges  à  cette  circulaire,  le 
6  octobre  1681  :  «  Je  ne  manqueray  pas,  Monsieur,  de  faire  connoistre  aux  rece- 
veurs des  tailles  de  cette  généralité  la  justice  que  le  roy  a  fait  dans  la  généralité 
de  Caen...  pour  les  exciter  par  cet  exemple  à  faire  moins  de  frais  qu'il  se  pourra.  » 
(A.  N.  G''  124.) 

2.  A.  N.  G?  491.  Cf.  une  autre  lettre  de  Leblanc,  du  24  octobre  1682,  B.  N. 
fr.  8761,  f°  69,  v°. 

3.  Glém.,  II,  212.  Colbert  faisait  erreur  :  d'après  son  compte,  le  receveur  de 
Bernay  «  sur  60  000  1.  qu'il  a  reçues  sur  80  000  a  fait  pour  406  1.  de  frais,  et 
celuy  d'Argentan  pour  203  996  1.  n'en  a  fait  que  pour  253  1.  »  Quand  on  se  reporte 
à  l'état  dressé  par  M.  de  Bouville,  on  voit  que  le  receveur  d'Argentan,  sur  une 
imposition  de  165  230  1.  n'avait  reçu  que  61  234  1.;  la  différence,  103  996  1.  res- 
tait à  percevoir.  Colbert  avait  donc  pris  la  somme  restant  due  pour  la  somme 
perçue.  (A.  N.  G7  71.)  On  ne  trouve  pas  de  rectification  de  la  part  de  l'intendant. 

Après  Colbert,  le  système  des  récompenses  et  punitions  aux  receveurs  subsis- 
tera quelques  années.  Le  receveur  de  Bayeux  est  privé  de  son  exercice  en  1686 
pour  l'excès  des  frais  qu'il  a  faits  ;  «  c'est,  écrit  l'intendant,  le  plus  grand  soula- 
gement qu'on  puisse  procurer  aux  peuples  après  celuy  qu'ils  tiennent  de  la  bonté 
du  roy  ».  On  abandonnera  ensuite  le  système,  mais  le  Régent  le  reprendra  en 
1715  :  «  Je  me  propose,  écrit-il  aux  intendants,  d'accorder  une  récompense  cbaque 
année   à  un   ou   deux  receveurs    en    cbaque    généralité   qui   se   trouveront  avoir 


LA    TAILLE    EN     NOItM  ANDIE. 

Il  n'était  pas  facile  en  effet  de  connaître  le  montant  des  frais 
réellement  faits.   D'abord  il  n'y  avait  pas  de  tarif  uniforme  et 
tiv.  du  moins  en    .Normandie.  Le  19  septembre   1681,  Colbert 
rr« oinmandait  aux  intendants  d'examiner  avec  soin  «  les  moyens 
dont  on   peut  se  servir  pour  faire   en   sorte  que    les   frais  se 
taxent  tous  les  mois  par  les  officiers  des  Elections  [et]  qu'ils 
ayent  des  règles  certaines  pour  cela1  ».  L'intendant  de  Rouen 
lui   répondait  que  dans  son  département  «    les    receveurs   des 
tailles  mesnagent  assez  bien  leurs  eslections  et  ne  font  point  de 
frais   extraordinaires2   ».    Par  contre,   son   collègue  d'Alençon 
note,    le    1er    septembre    1683,    que   le    receveur  d'Argentan, 
«  lequel  prêtant  ne  faire  que   pour  2000  1.   de  frais   »,    opère 
sans  aucun   ordre  :    «    il   ne  fait  viser  que   sa    première  con- 
trainte, il  ne   fait  taxer  les  frais  que  de  six  en  six  mois,  il  ne 
rend  point  les  originaux  des   diligences  aux  collecteurs,  et   il 
employé  cinq  huissiers  titulaires,  qui  n'en  usent  pas  mieux  que 
ceux  des  autres  eslections3  »;  celui  de  Bernay,  noté  comme  très 
bon,  néglige  de  a  donner  aux  collecteurs  les  originaux  des  dili- 
gences taxées  par  les  eslusv  »,  de  sorte  que  les  pauvres  collec- 
teurs ignorent  s'ils  doivent  ou  non  ce  qu'on  leur  demande  pour 
frais  de  contraintes;  il  en   est   de  même   à  Conches,  à   Dom- 
front  et  a  Lisieux. 

Aux  frais  d'huissiers  proprement  dits  s'ajoutaient  d'ailleurs, 
depuis  l'édit  d'août  1669,  ceux  de  contrôle  des  exploits5,  mon- 
tant à  5  s.  par  acte6,  ceux  de  papier  timbré,  et  les  frais  arbi- 
traires de  garde  et  nourriture  des  bestiaux  saisis  7.  Il  était  dif- 
ficile de  faire   rendre  compte  du  tout8. 

apporté  plus  de  ménagement  dans  les  poursuites  »  ;  en  même  temps  il  punira  les 
élus  et  les  receveurs  qui  abuseront  de  leurs  fonctions.  (A.  N.  AD'*  470,  pièce  98, 
p.  06.) 

1.  Clém.,  VII,  269. 

2.  Let.  du  29  octobre  1681,  A.  N.  G"  492.  Le  1"  mai  suivant  il  note  que  les 
receveurs  de  Pont  de  Lirche  «  sont  d'assez  honuestes  gens  et  ne  font  que  peu  de 
frais  ».(B.  N.  fr.  8761,  f°  52.)  Déjà  le  6  juin  1671  L:i  Galissonnière  «  asseure  que 
les  frais  et  les  emprisonnemens  sont  en  moindre  nombre  que  par  le  passé  * 
(Clairamb.  793,  p.  13),  et  le  13  juin  1634  Marillac  écrira  :  «  On  se  plaint  partout 
des  frais  et  des  exercices  des  commis  des  aydes,  ceux  delà  taille  ne  me  paroissent 
pas  grands  •.  (A.  N.  G7  492).  La  généralité  de  Rouen  était  donc  relativement  bien 
réglée  pour  la  perception  de  la  taille. 

3.  A.  N.  G7  71. 

4.  Ibid. 

5.  Sur  ce  droit,  voir  Encyclo».  mèlhofi.,  Finance»,  t.  I,  p.  376. 

6.  Cf.  un  mémoire  de  l'intendant  de  Gaen,  15  août  1680:  les  huissiers  de  Caen, 
pour  épargner  les  frais,  avaient  l'habitude  de  ne  faire  qu'un  exploit  pour  la 
saisie  et   la  vente,  et  de  ne  pas  faire   de  frais  de  garde  ;  mais  les  commis  de  la 

erme  du  contrôle  ne  laissaient  pas  de  percevoir  les  droits  pour  deux  exploits. 
(A^  N.  G'  213.) 

7.  L'intendant  de  Caen,  en  1683,  estime  que  les  frais  de  papier  timbré  et  de 
contrôle  montent  à  environ  un  cinquième  des  frais  totaux.  (Mémoire  du 
23  novembre,  A.  N.  G7  213.)  Voir  une  ordonnance  de  Leblanc  punissant  de  300  1. 
d'amende  un  collecteur  qui  a  écrit  une  exécution  sur  du  papier  non  timbré. 
(B.  N.  fr.  8760,  f  39.)  Ces  amendes  étaient  encore  de  lourdes  charges  pour  les  col- 
lecteurs. 

8.  L'intendant  d'Alençon,  en  1666,  avait  imaginé  de  donner  aux  huissiers  2  liards 


LES     FRAIS    DE    CONTRAINTES. 


475 


Les  états  de  frais  que  nous  possédons  ne'  doivent  donc  pas 
être  acceptés  sans  réserves.  Même  si  l'on  suppose  que  les  rece- 
veurs et  huissiers  n'y  ont  rien  dissimulé,  il  faut  observer  que 
ces  états  ont  été  tous,  sauf  exceptions,  arrêtés  à  une  date  où 
l'imposition  n'était  pas  entièrement  recouvrée,  et  ce  qui  restait 
à  percevoir  nécessitait  de  nouvelles  contraintes,  plus  sévères 
encore  que  les  précédentes. 

Pour  ces  motifs,  nous  devons  considérer  nos  chiffres  comme 
trop  faibles  en  général.  On  va  voir  qu'ils  atteignent  cependant 
un  taux  énorme. 

Voici  d'abord  un  tableau  résumant  l'état  des  frais  réguliè- 
rement taxés  aux  cinq  huissiers  ou  sergents  de  l'élection  de 
Vire  pour  la  taille  de  1673,  entre  le  5  décembre  1672  et  le 
13  avril  1674  : 

Frais  de  l'élection  de  Vire,  pour  1673. 


NOMBRE 

MONTANT 

HUISSIERS 

DATES    DES    EXPLOITS 

DES 

DES 

EXPLOITS 

FKAIS 

Gilles  Dupont  .... 

5  déc.  1672-21  mars  1673. 

54 

106  1. 

Jacques  Leconte 

5-30  déc.  1672. 

52 

91 

— 

4  janv.-28  févr.  1673. 

38 

74         5  s. 

— 

7  mars-28  juin  1673. 

53 

99       15 

— 

5  juillet-26  oct.  1673. 

70 

127       15 

Antoine  Larozie 

5  déc.  1672-8  mars  1673. 

81 

145         5 

Jean  Lenepveu. 

5  déc.  1672-28  févr.  1673. 

66 

119 

— 

27  févr.-13  avril  1674. 

11 

11 

— 

3  mars-30  juin  1673. 

60 

110       15 

— 

1er  juillet-17  oct.  1673. 

39 

70       10 

Antoine  Turgis 

10  avril  1673-24  févr.  1674. 

55 

122       17 

Toi 

"AUX 

579 

1078  1.     2  s. 

On  voit  par  la  liste  détaillée  de  ces  exploits  qu'une  même 
paroisse  est  exécutée  cinq  et  six  fois  dans  l'année;  à  la  fin,  les 
collecteurs  sont  emprisonnés  (sur  les  579  exécutions,  on  compte 
55  emprisonnements).  Il  n'est  aucune  des  126  paroisses  de 
l'élection  qui  n'ait  vu  au  moins  une  fois  l'huissier1.  Et  ce  régime 
n'est  pas  extraordinaire  :  les  règlements  autorisent  jusqu'à  une 
exécution  par  collecteur  et  par  mois2;  en  certaines  régions  les 


pour  livre,  soit  2,50  p.  100,  des  sommes  qu'ils  feraient  «  sortir  »  (M.  C.  138, 
ï°  212),  mais  Golbert  désapprouvait  ce  procédé,  à  en  juger  du  moins  par  une  de 
ses  lettres  à  l'intendant  d'Amiens  en  1682  :  «  c'est  asseurement,  disait-il,  un  abus 
qui  ne  peut  estre  souffert  ».  (B.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  t.  II,  pièce  555.) 

1.  On  peut  calculer  que  la  moyenne  des  exploits  par  paroisse  est  de  plus  de   4. 

2.  Mandement  de  l'intendant  de  Rouen,  en  1672:  «  Défendons  aussi  très  expres- 
sément ausdits  receveurs  et  commis  d'envoyer  lesdits  huissiers  plus  d'une  fois 
le  mois  chez  un  mesme  collecteur,  ny  de  fatiguer  lesdits  collecteurs  et  contri- 
buables par  des  courses  extraordinaires,  sy  ce  n'est  pour  cause  raisonnable,  et 
de  l'ordonnance  des  esleus.  »  (A.  D.  S.-Inf.,  G  2  215.) 


'.:», 


LA    TAILLK     KX     Xolt.MAXDIE. 


peuples  se  trouveraient  heureux  si  le  nombre  réglementaire 
n'était  pas  dépassé1. 

Les  biens  saisis,  quand  ils  sont  indiqués  sur  l'état,  sont  géné- 
ralement des  vaches  ou  des  chevaux  :  on  prend  une  vache  pour 
20  ou  25  livres  d'impôt  arriéré,  en  moyenne  :  à  Saint-Sauveur 
de  Chaulieu,  le  30  août  1G73,  l'huissier  saisit  deux  vaches  pour 
30  livres;  à  Pontécoulant,  le  lendemain,  deux  vaches  pour  20  1.; 
à  Rouvron,  par  deux  fois,  les  20  et  26  octobre  1673,  on  saisit 
deux  vaches  pour  un  arriéré  de  15  1.  Des  troupeaux  de  8,  10 
et  12  bêtes  sont  parfois  saisis  d'un  coup,  sans  opposition  ni 
protestation  de  personne2. 

D'autre  part,  nous  avons  des  états  de  frais  dressés  sur  la  fin 
de  notre  période  par  les  intendants.  Voici  le  résumé  de  ceux 
que  nous  possédons  pour  les  deux  généralités  de  Rouen  et 
Alençon  : 


Généralité  de  Rouen. 


ÉLECTIONS 

1678  3 

1679* 

IMPOSITION 

SOMME   PERÇUS 

FRAIS 

IMPOSITION 

FRAIS 

Caudebec.    .    .    . 
Chaumont   .    .    . 

MontÏTilliers  .    . 
Neufchàtel   .    .    . 
Pont-Audemer.  . 
Pon t-de- Larche. 
Pont-L'Evêque   . 

Totaux.   .    . 

160  000  1. 
321  700 

275  000 

153  000 
178  000 

190  300 
98  000 

222  000 

154  000 
339  500 
141  000 

191  500 

276  000 

150  3831. 
284  031,  9  s. 
243  942,  6  s. 

(6) 

95  878,  3  s. 
216  265 
127139,18s. 
290  000 
116  807,  5  s. 
162  664,19  s. 
245  852 

3  2001. 
5  476 

4  810 
3  514 
3  600 
3  882 

890,  10  s. 
3  546 
3  202 

3  825 

2135,     5s. 
1710,  15s. 

4  560 

140  300  1. 
282100 
225  800 

133  200 
152  300 
168  500 

84  000 
182  700 

134  300 
281  900 
115  700 
171  700 
230  833 

1  250  1. 
1475 

2  033 

1157,  17s. 
1350 
1159 

560 
1532 
1132 
1360 

590,     5  s. 
1011 
1691,  18  s. 

2  700  000  1. 

44  3511.108. 

2  303  333 

16  3021. 

1.  Let.  de  Barin  de  la  Galissonnière  à  Colbert,  15  déc.  1664,  M.  C.  126,  f"  351. 

2.  A.  D.  Calv.  Election  de  Vire,  États  des  exécutions  et  écrous  faits  pour 
M.  Gilles  Turgis,  receveur  particulier.  Sur  la  passivité  des  contribuables  voir 
une  lettre  du  lieutenant  général  de  Basse-Normandie,  du  l*r  février  1695  :  En  ce 
pays,  la  soumission  des  peuples  «  est  telle,  qu'un  seul  homme  se  disant  officier 
ou  sergent  prend  tout  ce  qu'il  veut  dans  les  villages,  sans  qu'ils  osent  s'y  opposer 
et  viennent  à  moi  aux  plaintes.  »  (De  Boislisle,  Mcm.  de  C  intendant  de  Paris,  p.  457.) 

3.  Etat  arrêté  au  30  juin  1679  (A.  N.  G7  491).  Dans  les  frais  sont  compris  les 
droits  de  contrôle  d'exploits  et  de  papier  timbré. 

4.  Etat  arrêté  le  23  juillet  1679  (ibtd.).  La  somme  reçue  à  cette  date  n'est  pas 
indiquée. 

5.  Les  trois  receveurs  de  Chaumont,  Evreux  et  Gisors  faisant  leurs  versements 
à  Paris,  l'intendant  n'a  pu  savoir  combien  ils  avaient  reçu. 


LES    FRAIS    DE    CONTRAINTES. 


477 


Généralité  d'Alençon  *. 


ELECTIONS 


Alençon 
Argentan 

Bernay . 

Conches 

Domfront 
Falaise . 

Lisieux. 
Mortagne 

Verneuil  , 


IMPOSITION 


1678 
1681 

140  233  1 

118  400 

16T8 
1679 
1681 
1682 

186  400 

164  400 
161  600 

165  230 

1678 
1679 
1681 
1682 

161  300 
136  300 
132  800 
135  312 

1678 
1679 
1681 
1682 

188  900 
158  900 
153  133 
158  568 

1678 
1679 

112  200 
94  200 

1678 
1679 
1681 
1682 

226  100 
195  100 
190  600 
194  955 

1678 
1679 

156  100 
136  100 

1678 
1681 
1682 

396  800 
312  400 
314  390 

1678 
1681 
1682 

135  300 
107  300 
109  676 

SOMME    PERÇUE 


131  233  1. 

113  600 

166  400  . 

46  375 
142  057 

61  234 

150  300 
44  500 

127  230 
58  743 

180  947 

56  700 
150  483 

76  000 

101  588 
37  980 

203  500 

54  450 
177  800 

64  000 

148  479 

47  099 

288  650 
285  047 
139  768 

124  221 

101  000 

39  000 


3  038  1. 
2-000 

1  902 

332 
1  580 

253 

1424 
853 

1  946 
520 

4Q77 
789 

2  875 
1  500 

1497 
298 

1688 
387 

1  607 
558 

2  906 
595 

3  179 
2  969 

664 

2  049 

2  242 

637 


Si  l'on  calcule,  d'après  ces  tableaux,  le  rapport  entre  les 
frais  et  les  sommes  perçues,  on  arrive  aux  résultats  suivants  : 

Dans  la  généralité  de  Rouen  en  1678  (non  compris  les  trois 
élections  d'Evreux,  Chaumont  et  Gisors),  la  plus  faible  pro- 
portion se  trouve  à  Lyons  (9,28  p.  1000),  et  la  plus  forte  à 
Neufchàtel  (25,18).  L'écart  entre  ces  deux  chiffres  est  d'autant 
plus  remarquable  que  la  somme  recouvrée,  à  Lyons,  égale 
97,8  p.  100  de  l'imposition2,  tandis  qu'à  Neufchàtel  elle  ne 
monte  qu'à  82,5  p.  100. 

1.  Etats  envoyés  par  l'intendant  de  Moran^is,  A.  N.  G7  71. '■lies  états  pour  les 
deux  années  1678  et  167'J  sont  arrêtés  au  24  juin  1679,  ceux  des  années  1681 
et  1682  le  sont  à  des  dates  variant,  suivant  les  élections,  entre  le  8  juillet  et  le 
3  août  1682. 

2.  Noter  qu'en  cette  élection  sévissaient  des  huissiers  qui  violentaient  extrême- 
ment les  contribuables  (ci-dessous,  p.  482). 


/,78  LA    TAILLE    EN     NOHMANDIB. 

A  Aliiirun.  la  même  année,  les  proportions  sont  à  peu  près 
les  mêmes  :  8,3  p.  1000  pour  le  plus  bas  chiffre  (à  Falsisi 
2.Ï.1  pour  le  plus  haut  (à  Alençon),  mais  la  somme  recouvrée 
s'élève  à  90  p.  100  de  l'imposition  dans  la  première  élection, 
«■t  ii  5)3,5  dans  la  seconde.  Pour  l'année  1681,  dans  les  7  élec- 
tions dont  nous  avons  les  chiffres,  c'est  encore  Falaise  qui  a  la 
plus  faible  proportion  :  9  p.  1000  (93,2  p.  100  perçu);  la  plus 
forte  est  à  Verneuil  :  22,2  (94,  1  p.  100  perçu). 

La  proportion  moyenne,  dans  l'ensemble  de  chaque  généra- 
lité, est  la  suivante  :  Rouen  en  1678  :  17,25  p.  1000.  Alençon, 
1678,  15,13;  Alençon,  1681,  14,95. 

Lorsqu'on  considère  les  années  pour  lesquelles  une  faible 
partie  de  l'impôt  seulement  est  perçue,  comme  1679  et  1682  à 
Alençon,  on  a  des  frais  proportionnellement  moins  élevés  : 
19,7  pour  1000  à  Conches  en  1682,  quoique  moins  de  la  moitié 
de  la  taille  soit  payée,  16,3  à  Verneuil  la  même  année,  pour 
percevoir  le  tiers  environ  de  l'impôt,  tandis  qu'à  Mortagne  on 
a  4,7  p.  1000,  avec  une  recette  de  44,5  p.  100  de  l'impôt,  et  4,1 
à  Argentan  pour  37  p.  100  de  l'impôt. 

Tous  ces  chiffres  sont  très  élevés  :  aujourd'hui,  avec  des 
non-valeurs  presque  insignifiantes,  on  recouvre  tout  l'impôt 
foncier  avec  moins  de  2  p.  1000  de  frais  :  au  temps  de  Colbert, 
on  jugeait  excellente  une  perception  où  les  frais  étaient  de 
9  p.  1000,  avec  des  non-valeurs  montant  à  10  et  15  p.  100  de  la 
la  taille. 

En  général,  le  taux  des  frais  ne  varie  guère  d'une  année  à 
l'autre  dans  une  même  élection.  Dans  la  généralité  d' Alençon, 
Falaise  et  Argentan  ont  habituellement  les  chiffres  les  plus 
faibles,  Verneuil  et  Conches  les  plus  forts.  A  ce  résultat  ne  sont 
pas  étrangers  les  soins  plus  ou  moins  grands  apportés  par  les 
receveurs  au  recouvrement.  Ainsi  l'élection  de  Falaise  a  pour 
unique  receveur  le  sieur  Hélie,  sur  lequel  un  intendant  fait  le 
rapport  suivant  en  1680  :  «  Quoiqu'il  ait  235  paroisses,  dont 
la  moitié  est  en  très  meschant  pays,  il  n'y  a  aucun  receveur 
des  tailles  qui  fasse  moins  de  frais...  Il  ne  fait  aucun  prison- 
nier, si  ce  n'est  des  collecteurs  retentionnaires  des  deniers  de 
la  taille  *  »,  et  un  autre  intendant,  en  1683  : 

«  Il  n'a  d'autre  règle  que  celle  qu'il  veut  bien  s'establir,  car  il  est 
le  maistre  de  faire  autant  de  frais  qu'il  luy  plaist,  de  mesme  que  dans 
les  autres  eslections,  mais  il  prêtent  qu'il  n'en  fait  par  chacun  an  que 
pour  douze  a  quinze  cens  livres,  et  effectivement  cela  paroist  par  ses 
registres,  et  sy  cela  est,  les  quatre  huissiers  qu'il  employé,  dont  trois 
sont  titulaires,  ne  gaignent  pas  de  quoy  subsister,  néantmoins  il  y  a 
apparence  qu'il  dit  vray,  car  les  collecteurs  ne  se  plaignent  point,  et 
tout  le  monde  se  loue  fort  de  luy  2  ». 

1.  Rapport  du  22  juillet  1680,  A.  N.  G?  71. 

2.  Rapport  du  1"  septembre  1683,  ibid. 


LF.S    FItAIS    DE    CONTRAINTES.  479 

D'après  les  mêmes  rapports,  on  voit  que  la  modicité  des  frais 
à  Bernay  est  due  aux  deux  receveurs  qui  sont  «  fort  honnestes  ». 
et  particulièrement  le  sieur  Dalzac,  qui  «  ne  fait  point  de  prison- 
niers, et  ménage  fort  son  élection  ».  Au  contraire  les  receveurs 
de  Conches  «  paroissent  médiocrement  instruitz  à  la  manière  de 
faire  des  recouvremens,  et  d'ailleurs  comme  ils  n'ont  pas  la 
force  de  faire  quelques  avances,  ils  pressent  les  collecteurs  un 
peu  rigoureusement,  de  sorte  qu'ils  font  beaucoup  de  frais,  et 
qu'ils  emprisonnent  souvent  les  collecteurs,  lesquelz  ne  faignent 
pas  de  s'en  plaindre,  et  surtout  de  ce  qu'ilz  payent  pour  les 
frais  telle  somme  qu'il  plaist  aux  receveurs,  sans  scavoir  s'ils  la 
doivent1  ». 

Mais  les  frais  ne  sont  pas  toujours  en  rapport  avec  le  zèle  des 
receveurs  :  à  Alençon,  où  le  taux  est  de  23,1  pour  1000  en  1678 
et  de  17,6  en  1681,  les  deux  receveurs  «  paroissent  fort  hon- 
nestes gens2»;  à  Verneuil,  «  eslection  fort  ménagée  par  le  rece- 
veur3 »,  le  taux  est  de  16,5,  22,2,  et  16,3  pour  les  années  1678, 
1681  et  1682;  à  Mortagne,  où  les  frais  pour  1678  ne  montent 
qu'à  11,1  les  commis  à  la  recette  sont  accusés  de  mettre  leur 
élection  au  pillage4.  Golbert,  frappé  de  ces  anomalies,  craignait 
qu'elles  ne  fussent  imputables  à  des  états  de  frais  mensongers. 
C'est  pourquoi  il  attira  l'attention  des  intendants  sur  ce  point. 

Veillez,  leur  écrit-il,  à  ce  «  qu'il  ne  se  fasse  aucuns  frais 
que  ceux  qui  seront  taxez  »;  faites  «  un  exemple  »  des  receveurs 
et  huissiers  fautifs;  dites-moi  si  vous  avez,  pour  établir  vos 
chiffres,  «  seulement  examiné  les  frais  taxés  par  les  officiers  des 
Elections,  ou  si  vous  estes  entré  plus  avant  et  si  vous  avez  examiné 
les  frais  qui  se  font  au  delà  de  ces  taxes,  par  friponneries,  con- 
cussions et  autres  mauvaises  voyes,  parce  que  si  vous  n'avez 
examiné  que  les  frais  taxés  par  les  officiers  des  Elections,  il  est 
assez  difficile  de  croire  que  les  receveurs  et  les  huissiers  se 
soyent  contentés  de  ces  frais,  dans  lesquels  il  y  a  toujours 
quelque  règle5  ».  Deux  intendants,  qui  ont  suivi  cette  instruc- 
tion, ayant  trouvé  «  une  infinité  de  ces  abus  et  concussions  », 
Colbert  écrit  encore  dans  une  circulaire  : 

«  S.  M.  m'a  ordonné  de  vous  écrire  qu'Elle  désire  que  vous  donniez 
une  entière  application  à  les  découvrir  [ces  abus]  dans  l'étendue  de 
vostre  généralité,  voulant  que  l'application  que  vous  y  donnerez  soit 
telle  qu'Elle  ayt  la  satisfaction  de  délivrer  ses  peuples  de  toutes  les 
oppressions  qu'ils  souffrent.  Ne  manquez  donc  pas  de  vous  y  appliquer, 
soit  dans  le  reste  de  la  visite  que  vous  faites,  soit  lorsque  vous  ferez 

1.  Rapport  de  1633,  A.  N.  G'  71.  Cf.  ibid.  la  lettre  du  25  mai  1683,  et  ci-dessus, 
p.  438. 

2.  Ibid. 

3.  Rapport  de  1CS0. 

4.  Ibid. 

5.  Glém.,  VII,  269.  Circulaire  du  19  septembre  1681. 


480  LA    TAILLE    EX    NOKMAXDIE. 

le  département  des  tailles,  et  par  tous  les  moyens  que  vous  estimerez 
convenables  pour  découvrir  ces  désordres  '.  » 

Mais  comment  faire  ce  contrôle?  Leblanc,  à  Rouen,  assure 
qu'il  prend  lui-même  «  des  mémoires  »  lors  de  sa  visite  dans 
les  élections2;  il  compare  ses  états  avec  ceux  des  huissiers  et 
des  greffiers3,  pourvoir  s'ils  sont  tous  concordants;  il  intervient 
personnellement  auprès  des  receveurs  pour  empêcher  les  Irais 
«  extraordinaires*  ».  En  1681,  «  ayant  appréhendé  que  quelques 
estats  ne  l'eussent  pas  assez  justes  »,  il  les  a  «  renvoyez  sur  les 
lieux  a  des  personnes  seures,  pour  [s'en]  esclaircir5  ».  Ce  ne 
sont  pas  des  procédés  administratifs  bien  sûrs.  En  1682, 
de  Morangis,  intendant  d'Alençon,  affirme  qu'il  a  pris  toutes  les 
mesures  possibles  pour  assurer  l'exactitude  des  états  qu'il  envoie6  ; 
cependant  son  successeur  écrit  l'année  suivante  :  «  M.  de  Mo- 
rangis  a  pris  un  fort  grand  soin  d'empescher  les  frais  des  rece- 
veurs des  tailles,  et  je  croy  qu'il  s'en  est  peu  fait  les  années  der- 
nières, mais  néantmoins,  comme  il  a  suivi  la  mesme  méthode 
que  M.  Colbert  avoit  introduite,  dans  laquelle  il  pouvoit  y  avoir 
quelques  abus  si  les  receveurs  n'estoient  pas  honestes  gens  et 
qu'ils  voulussent  s'accommoder  avec  les  huissiers,  parce  qu'il 
seroit  difficile  de  s'en  appercevoir,  il  me  semble  qu'il  seroit  bien 
à  propos  que  je  pusse  scavoir  précisément  la  quantité  des  frais 
par  autres  que  par  eux-mesmes7.  »  Mais  de  Bouville  reconnaît 
lui-même  que  ce  contrôle  parfait  est  irréalisable.  Un  mois  plus 
tard  il  écrit  en  effet  qu'  «  il  est  impossible  de  scavoir  la  vérité 
sur  les  frais  qui  ont  esté  faits,  et  il  faut  en  croire  les  receveurs; 
mais  il  m'a  paru  qu'il  s'en  fait  beaucoup,  si  on  en  croit  les 
collecteurs,  que  j'ay  tous  entendus8  ». 

Plus  tard,  Lallemant  de  Lévignen  assurera  que,  «  faute  d'avoir 
infligé  quelques  peines  pécuniaires  a  ces  receveurs  qui  n'accuse- 


1.  Circulaire  du  6  août  16*2,  Clém.,  II,  203.  Cf.  les  lettres  de  Colbert  à  Levayer, 
ibid.,  p.  210  et  à  Breteuil,  Bibl.  Amiens,  dis.  508,  t.  III,  pièce  ô'J'J. 

2.  Let.  du  13  juillet  1676,  B.  N.  fr.  8759,  f  68. 

3.  Let.  des  28  août  et  13  septembre  1676,  ibid.,  f  71  et  72. 

4.  Let.  du  19  juillet  1678,  A.  N.  G?  491. 

5.  Let.  du  9  septembre  1681.  ibid. 

6.  Mém.  du  3  août  1682,  A.  N.  G^  71. 

7.  Let.  du  2  avril  1683.  ibid. 

8.  Let.  du  3  juin  1683,  A.  N.  G'  71.  Le  16  septembre  1686  il  écrira  :  «  Les  frais 
pour  le  recouvrement  des  tailles  paroissent  diminuer  considérablement,  et  je 
puis  vous  assurer  que  cette  année  ils  n'excéderont  pas  14  0001.,  sans  que  les  huissiers 
ni  les  receveurs  m'en  puissent  cacher  aucuns;  il  n'en  estoit  pas  de  mesme  avant 
1  ordonnance  que  j'ay  rendue  pour  cela,  car  quoyqu'en  1683  que  le  roy  ne  fit  l'hon- 
neur de  m'envoyer  dans  cette  généralité,  les  irais  paraissent  avoir  monté  a  près 
de  22  000  1.,  comme  on  ne  le  savoit  que  sur  les  registres  des  receveurs  des  tailles, 
il  est  difficile  d'assurer  qu'ils  n'ayent  pas  monté  plus  haut,  mais  doresnavant,  je 
le  scauray  avec  certitude  ».(lbid.)  De  Menais,  intendant  de  Paris,  écrit  le  30  no- 
vembre 1682  que  dans  sa  généralité  «  les  frais  sont  diminués  du  tiers  depuis 
deux  ans..  (Mcm  de  l'intendant  de  Paris,  p.  506.)  Cf.  Depping,  III,  160-161,  pour 
l'Anjou. 


LES    FRAIS    DE    CONTRAINTES.  481 

roient  pas  juste,  on  ne  peut  compter  sur  ces  états  »  de  frais  qu'ils 
remettent l. 

En  outre  des  receveurs,  il  fallait  surveiller  directement  les 
huissiers.  Pescheur,  en  1665,  assure  qu'  «  ils  reçoivent  des 
collecteurs  des  gratifications  qu'on  ne  peut  empescher2  ».  L'in- 
tendant de  Chalons  écrit  en  1673  :  «  Les  huissiers  des  tailles 
font  autant  de  faussetés  que  d'exploits3  ».  Le  principal  abus  que 
De  Marie  observe  dans  la  généralité  d'Alençon  en  1671,  ce  sont 
«  les  friponneries  des  huissiers4  ».  En  1673,  Colbert  écrit  à 
l'intendant  de  Rouen  : 

«  Dans  toutes  les  affaires  qui  nous  reviennent  des  généralités,  il 
n'y  a  point  a  présent  d'abus  qui  ayt  paru  plus  considérable  au  Conseil 
que  celuydes  sergens  domestiques  des  receveurs  des  tailles,  sous  les 
noms  desquels  ils  font  taxer  par  les  élus,  qui  sont  de  leur  intelligence, 
les  frais  de  courses  et  exécutions  qu'ils  appliquent  a  leur  profit. 
Comme  il  a  esté  donné  arrest  au  Conseil  du  4  juillet  1664,  portant 
règlement  sur  ce  désordre,  je  vous  prie  de  me  faire  sçavoir  s'il  est 
connu  et  s'il  s'exécute  dans  la  généralité  de  Rouen  5  ». 

Mais  les  huissiers  et  sergents  n'ayant  d'autre  salaire  que 
celui  de  leurs  exécutions,  tendaient  naturellement  à  multiplier 
leurs  courses  pour  gagner  davantage;  les  élus  et  receveurs 
les  surveillaient  sans  zèle  et  sans  intérêt0;  les  receveurs,  pris 
entre  la  crainte  de  la  punition  et  la  nécessité  de  faire  leurs  verse- 
ments à  temps  étaient  amenés  à  utiliser  tous  les  subterfuges  pour 
éviter  tout  dommage7.  Enfin,  et  ceci  est  le  motif  le  plus  grave, 
les  peuples  étaient  à  ce  point  accoutumés  aux  contraintes,  qu'ils 
les  considéraient  comme  un  procédé  normal  de  perception;  ils 
les  attendaient  tranquillement  pour  payer  leur  dû,  y  trouvant 
même  l'avantage  d'éviter  une  surcharge  les  années  suivantes. 
«  La  pluspart  des  collecteurs,  écrit  l'intendant  de  Rouen  en 
1670,  ne  pensent  à  payer  qu'à  la  vue  du  sergent8  »;  «  La 
crainte  des  frais,  dit  son  collègue  d'Alençon  en  1679,  est 
l'unique   moyen  pour  obliger  les   collecteurs  à   faire  les  dilli- 

1.  B.  N.  fr.  7771, P  188,  v°. 

2.  M.  C.  33,  f°291. 

3.  Glairamb.,  794,  p.  189. 

4.  Ibid.,  793,  p.  12. 

5.  Glém.,  II,  370. 

6.  La  Cour  des  Aides,  même,  contrevenait  aux  règlements  sur  les  frais.  Barin 
de  la  Galissonnière  écrit  en  septembre  1670  qu'  «  il  seroit  nécessaire  de  remédier 
aux  taxe*s  que  la  Cour  des  Aydes  fait  »  des  exploits  d'huissiers  pour  la  taille.  (Glai- 
ramb., 792,  p.  319.) 

7.  Cf.  Lallemant  de  Lévignen  :  «  La  pluspart  [des  receveurs],  pour  avoir  la 
recompense  qu'ils  n'avoient  point  dessein  de  mériter,  ont  toujours  forcé  leurs 
recouvremens  dans  les  parroisses,  et  ces  receveurs  ont  été  récompensés  des  peines 
qu'elles  ont  souffert  ».  (B.  N.  fr.  7771,  f°  188,  v°.) 

8.  Clairamb.,  792.,  p.  348.  Cf.  La  Bruyère,  Caractères,  chap.  De  l'Homme  :  «  Il 
faut  des  saisies  de  terre  et  des  enlèvements  de  meubles,  des  prisons  et  des  sup- 
plices, je  l'avoue,  mais  justice,  lois  et  besoins  à  part,  ce  m'est  une  ebose  toujours 
nouvelle  de  contempler  avec  quelle  férocité  les  hommes  traitent  d'autres  hommes  ». 

LA    TAILLE    EN    NORMANDIE.  Ol 


482  LA    TAILLE    KN    NOItMANDIE. 

gences  nécessaires  pour  serrer  les  deniers1  »  ;  l'auteur  d'un 
mémoire  sur  la  Dîme  royale  de  Yauban,  écrira  vers  1710  :  Les 
collecteurs  «  essuient...  les  frais  d'exécution  des  huissiers  qu'ils 
pourroient  éviter  s'ils  vouloient,  parce  qu'ils  s'imaginent  qu'a 
quelque  chose  que  ces  frais  puissent  aller,  ils  ne  peuvent 
jamais  égaler  l'augmentation  qu'on  pourroit  faire  a  la  cottité 
de  leur  taille  s'ils  payoient  sans  estre  contraints  et  exécutés2  ». 
Et  l'intendant  Basville  déclarera  au  président  du  Conseil  des 
finances  le  26  décembre  1715  :  «  Que  les  peuples  payent  sans 
contrainte,  c'est  une  idée  a  laquelle  on  ne  parviendra  jamais*  ». 

Aussi  les  méfaits  des  huissiers  et  sergents  ont-ils  continué 
pendant  toute  notre  période. 

En  1668,  l'intendant  de  Rouen  ayant  fait  emprisonner  un 
huissier,  le  receveur  de  Rouen  le  fait  évader,  et  continue  de 
l'employer  comme  avant,  «  bien  qu'il  m'eust  luy-meme  reconnu, 
dit  La  Galissonnière,  que  c'estoit  un  fripon*  ».  Deux  ans  après 
il  découvre  que,  dans  la  même  élection,  les  huissiers  pren- 
nent «  leurs  salaires  sans  taxe  »  ;  et  le  receveur  est  de  conni- 
vence, car  le  receveur  général  «  ne  luy  donne  ny  gages  ny 
appointemens  »,  de  sorte  que  sa  rémunération  provient  unique- 
mentdes  sommes  qu'il  se  fait  donner  par  ses  huissiers  5.  En  1680, 
Leblanc  arriva  un  jour  à  Lvons  la  Forêt  comme  un  huissier  exé- 
cutait une  contrainte  solidaire  délivrée  contre  la  paroisse  par 
la  Chambre  des  Comptes,  pour  un  arriéré  de  14  1.  J'ai  trouvé, 
rapporte-t-il.  «  la  vile  plus  en  désordre  que  s'il  y  estoit  passé 
deux  bataillons  »;  l'huissier  avait  «  touché  40  !..  et  enlevé  plu- 
sieurs bestiaux  et  meubles,  et  maltraité'  quelques  particuliers  »  ; 
il  se  hâta  d'ailleurs  de  déguerpir  à  l'approche  de  l'intendant6; 
la  Chambre  des  Comptes,  avisée  des  faits,  se  borna  à  suspendre 
l'huissier  pour  un  an7.  Dans  cette  élection,  ajoute  Leblanc, 

«  tout  le  monde  se  plaint  des  huissiers  de  l'ordinaire,  qui  y  font 
beaucoup  de  désordre;  comme  ce  sont  des  misérables,  ils  ne  se  sont 
pas  souciez  des  condamnations  d'amande  et  des  interdictions  que 
j'ay  prononcées  contre  eux;  j'ay  donné  ordre  d'en  arrester  pour  déli- 
vrer le  pays  et  pour  faire  exemple  en  les  condamnant  aux  galères  ». 
Mais  le  vice-bailli  n'a  «  jamais  eu  l'esprit  ny  ozé  les  arrester...  Ils 
alloient  dans  les  maisons  pour  choses  non  deubes  ou  acquittées, 
enlevoient  meubles,   bestiaux,   et  tout  ce  qu'ils  pouvoient  trouver, 

1.  Mémoire  de  1679,  A.  N.  G"  71.  De  Bonville  écrit  le  18  octobre  1684  :  «  Je  suis 
persuadé  que  si  les  peuples  croioint  que  les  receveurs  eussent  ordre  de  les  moins- 
presser,  ils  se  relascheroint,  et  le  recouvrement  se  trouveroit  fort  reculé.  » 
(A.  N.  G"  71). 

2.  Bibl.  Arsenal,  ms.  4067,  f°  28.  Cf.  le  Recueil  d'Orsay,  f°  61. 

3.  Publ.  par  de  Boi*lisle,  Mém.  de  l'intendant  de  Paru,  p.  487. 

4.  Let.  à  Colbert,  24  octobre  1668,  M.  G.  149,  t"  156-7. 

5.  Clairnmb.,  792,  p.  833  et  M.  C.  155,  f  359. 

6.  Let.  du  21  juillet  1680, A.  N.  G"  491. 

".  Let.  du  31  juillet,  avec  l'arrêt  de  la  Chambre,  ib'id. 


LES    FRAIS    DE    CONTRAINTES.  483 

sans  laisser  de  procez-verbaux  d'exécution,  et  pilloient  impunément, 
estans  protégez  par  quelques  officiers  de  leurs  parens,  et  ces  exac- 
tions alloient  a  un  tel  excès,  qu'un  de  ces  huissiers,  nommé  Dufour, 
qui  a  du  bien,  ayant  veu  qu'il  y  avoit  un  décret  de  prise  de  corps 
contre  luy,  a  rendu  800  1.  en  argent  et  quatre  chartées  de  meubles;  il 
y  a  encore  beaucoup  de  gens  qui  en  demandent  autant.  Les  autres 
huissiers,  pour  intimider  ceux  qui  se  plaignoient,  assassinèrent  le 
5  juin  a  minuit  un  médecin  qui  alloit  voir  un  malade,  et  une  heure 
après  un  meusnier,  croyans  que  c'estoit  des  gens  qui  me  venoient 
faire  des  plaintes.  »  Le  procureur  général  du  Parlement  s'était  offert 
pour  et  faire  un  exemple  »  contre  un  de  ces  huissiers;  «  luy  ayant 
remis  l'information  entre  les  mains,  trois  semaines  après  on  l'a 
eslargy  sans  aucune  instruction  ny  jugement,  et  il  recommençoit  a 
fatiguer  le  peuple  *.  » 

Dans  l'ensemble  de  la  généralité,  les  commissaires  aux  saisies 
se  font  payer,  pour  la  garde  et  la  nourriture  d'une  vache,  10  s. 
par  jour,  alors  que  la  taxe  réglementaire  est  de  8  d.,  et  «  les 
huissiers,  qui  sont  d'intelligence  avec  lesdits  commissaires,  ne 
trouvent  jamais  de  gardiens  solvables,  conduisent  toujours  les 
bestiaux  et  portent  les  meubles  chez  le  commissaire,  lequel  ne 
laisse  jamais  sortir  lesdits  meubles  et  bestiaux  qu'après  com- 
mandement, sentences  et  exécutions;  ce  qui  fait  que,  quelque 
nombre  de  bestiaux  qu'il  y  ayt,  il  se  trouve  consumé  par  les 
frais  de  gardes  et  procédures,  les  propriétaires  les  perdent,  et 
les  créanciers  n'en  touchent  rien2  ». 

Quelques  semaines  auparavant,  Leblanc  écrivait  à  Colbert  : 
«  Ce  n'est  pas  que,  depuis  que  j'ay  l'honneur  d'exécuter  icy  vos 
ordres,  je  n'y  aye  pourvu  [à  ces  abus],  et  que  je  n'en  aye 
arresté  le  cours,  mais  il  est  nécessaire  que  vous  y  mettiez  la 
dernière  main,  et  que  vous  délivriez  le  peuple  des  vexations,  qui 
luy  sont  plus  a  charge  que  la  taille 3  ».  Mais  un  an  après,  Colbert 
mourait,  et  la  dernière  main  n'était  pas  mise  à  la  réforme. 

Dans  la  généralité  de  Caen,  les  choses  se  passent  de  même. 
En  1679  l'intendant  instruit  un  procès  contre  les  huissiers  de 
Mortain  pour  leurs  «  désordres  et  pilleries  »  ;  il  découvre  «  la 
connivence  et  le  peu  de  vigueur  du  feu  procureur  du  roy  de 
ladite   Election,   apellé  Bourdon,...  qui   n'a  jamais,  voullu  agir 


1.  Let.  des  25  juillet  1630  (A.  N.  G"  491)  et  13  juillet  1682  (B.  N.  fr.  8761,  f  55). 
Cf.  son  autre  lettre  du  23  novembre  1676  :  «  Ayant  receu  plusieurs  plaintes  que 
Lecanteur,  huissier,  faisoit  des  concussions  et  enlevoit  les  bestiaux  des  paysans, 
sous  prétexte  qu'ils  appartenoient  a  des  particuliers  compris  au  rolle  du  tiers  et 
danger,  et  ensuitte  se  faisoit  donner  de  l'argent  pour  le  restituer,  j'ay  donné 
ordre  de  lui  faire  son  procez.  Il  a  exposé  qu'un  juge  des  lieux  en  haine  l'avoit 
fait  arre3ter;  il  a  obtenu  un  arrest  le  27  octobre  qui  ordonne  qu'il  sera  mis  hors 
des  prisons  »,  Leblanc  demande  à  Colbert  de  pousser  l'affaire,  «  estant  de  la  der- 
nière conséquence,  et  d'autant  que  sous  prétexte  de  recouvremens,  il  n'y  a  point 
de  pilleries  que  cet  huissier  n'ayt  faites  ».  (B.  N.  fr.  8759,  f°  74.) 

2.  Let.  du  15  novembre  1682,  A.  N.  G^  491. 

3.  Let.  du  30  juillet  1682,  B.  N.  fr.  8761,  f°  62. 


,s,  LA    TAILLE    EN    NOIIMANDIB. 

contre  cet  pârticulieri  :  on  prétend  qu'estant  beau-frère  du 
receveur  des  tailles,  appelé  Caillot  sieur  de  la  Frictière,  et 
cousin  de  Germain  Josset,  l'autre  receveur  des  tailles,  il  ne 
vouloit  pas  embarrasser  les  huissiers  et  recors,  crainte  d'engager 
ses  parens  »  ;  un  huissier  et  trois  recors  sont  arrêtés,  mais 
ce  sont  «  les  moins  chargés  »  ;  les  autres  prennent  la  fuite.  Il 
n'y  a  du  reste  pas  de  fonds  pour  continuer  le  procès,  et  le  rece- 
veur général  a  déclaré  «  qu'il  ne  vouloit  point  se  rendre  partie  ». 
Il  est  extraordinaire,  remarque  à  ce  propos  l'intendant,  «  que 
MM.  les  receveurs  généraux  évitent  de  fournir  aux  frais,  lorsque 
l'on  veut  empescher  le  desordre  et  la  ruine  d'une  élection  '  ». 
Toujours  est-il  que  le  roi  dut  intervenir  pour  faire  continuer 
les  poursuites  contre  ces  huissiers  de  Mortain;  nous  ne  savons 
pas  quelle  en  fut  l'issue. 

Dans  la  généralité  d'Alençon,  en  1679,  l'intendant  trouve,  à 
Lisieux,  un  huissier  «  qui  exigeoitde  l'argent  pour  ne  point  faire 
de  saisies  ni  de  vendues,  et  qui,  contre  touttes  les  ordonnances, 
recevoit  Iuy-mesme  les  frais  »  ;  il  le  fait  arrêter  et  juger,  dans 
l'espoir  que  «  cet  exemple  retiendra  un  peu  l'avidité  des  huis- 
siers ».  Mais  un  autre  rapport,  du  1er  septembre  1683,  nous  fait 
connaître  dans  la  même  région  une  infinité  de  malversations, 
de  faux  et  de  voleries,  de  la  part  de  ces  personnages  malfai- 
sants : 

Les  trois  huissiers  de  l'élection  d'Alençon  «  ne  se  transportent  que 
rarement  dans  les  parroisses,  mais  seulement  dans  les  marchez,  ou 
les  collecteurs  de  toutes  les  parroisses  voisines,  mandez  par  un 
recors,  ne  manquent  pas  de  se  trouver,  et  la  ilz  font  des  saizies  et 
ventes  de  bestiaux  simulées,  comprenans  dans  leurs  procez-verbaux 
tout  ce  qui  leur  est  marqué  par  les  collecteurs,  qui  fournissent  un 
adjudicataire,  lequel  se  charge  de  payer  dans  la  huitaine  la  somme  que 
le  collecteur  a  crû  pouvoir  payer,  et  a  laquelle  on  a  estimé  les  choses 
vendues.  Ils  ne  laissent  aucunes  copies  de  ces  procez-verbaux,  dont 
mesme  sur-le-champ  ilz  ne  font  pas  les  originaux  lorsque  les  adjudi- 
cataires ne  sçavent  pas  signer,  mais  en  quelque  temps  qu'ilz  les 
fassent,  ilz  les  escrivent  seulement  sur  leur  registre,  duquel  de  six 
en  six  mois  ils  font  un  extrait  sur  lequel  les  eslus  font  les  taxes  a  raison 
de  57  s.  pour  exécution  et  vente  de  meubles,  lesquelles  taxes  les  rece- 
veurs payent  et  les  gardent  sans  avoir  de  registre  paraphé  ainsy  qu'il 
est  prescrit 2  ».  Impossible  donc  de  savoir  le  montant  des  frais,  «  et  cela 
est  si  vray,  qu'ayant  parlé  aux  collecteurs  de  toutes  les  parroisses 

1.  Mémoire  de  Méliand,  26  janvier  1679,  A.  N.  G7  213. 

2.  Même  pratique  est  signalée  dans  le  Recueil  d'Orsay.  Habituellement  les 
huissiers  «  n'ont  qu'un  records  qui  leur  sert  ordinairement  pour  aller  advertir  les 
dits  collecteurs  des  parroisses  de  venir  trouver  l'huissier  au  lieu  marqué,  qui  bien 
souvent  est  dans  un  cabaret  ou  maison  de  quelque  coq  de  parroisse  qui  sert  de 
gardien  ordinairement  des  biens  simulez  saisis,  auquel  lieu  les  dits  collecteurs  le 
vont  trouver  pour  faire  de  concert  la  saisie  de  leurs  biens  et  même  la  vente, 
dont  ils  laissent  les  dattes  en  blanc,  pour  les  ajuster  ainsi  qu'ils  jugeront  à  pro- 
pos, en  sorte  qu'il  y  en  ait  pour  chacun  jour  ».  (B.  N.  fr.  11096,  f°  20.) 


LES    FRAIS    DE    CONTRAINTES. 


485 


de  l'eslection,  ilz  m'on  assuré  qu'ils  ne  pouvoient  me  dire  ce  qu'il  leur 
en  cousteroit,  parce  que  la  plus  grande  partie  des  diligences  n'estoient 
pas  encore  taxées,  a  ce  qu'on  leur  avoit  dit,  quoyque  quelques-unes 
des  dites  parroisses  eussent  entièrement  acquité  l'imposition,  et 
mesme  ilz  m'ont  adjousté  qu'ils  payoient  ce  qu'on  leur  demandoit, 
sans  sçavoir  seulement  si  les  diligences  avoient  esté  faites  ».  La  véri- 
fication par  les  élus  est  inutile,  car  «  comme  les  huissiers  ne  laissent 
aucune  coppie,  et  que  les  receveurs  ne  rendent  point  aux  collecteurs 
les  originaux  des  procez-verbaux  taxez,  ils  sont  maistres  de  leur  faire 
payer  ce  qu'il  leur  plaist  ». 

Dans  l'élection  de  Mortagne, 

«  il  n'y  a  pas  plus  d'ordre  pour  les  frais  que...  dans  celle  d'Alençon, 
a  l'exception  que  les  commis  a  la  recepte  ont  des  registres  de  frais 
paraphez,  mais  j'ay  connu  par  la  visite  que  j'ay  faite  dans  le  greffe 
que,  comme  les  frais  ne  sont  taxez  que  rarement,  il  en  est  deu  par 
beaucoup  de  collecteurs  qui  ont  acquitté  l'imposition,  et  que  par  les 
suites  les  commis  les  ont  donnez  en  payement  aux  quatre  huissiers  qu'ils 
employent,  de  mesme  que  quelques  restes  deubz  par  les  parroisses, 
ce  qui  a  donné  lieu  a  bien  des  vexations,  et  mesme  a  des  procez  qui 
m'en  ont  fait  avoir  la  connoissance.  Enfin  les  collecteurs,  que  j'ay 
quazy  tous  entendus,  se  plaignent  fort  des  grands  frais  qu'on  leur 
fait,  dont  ilz  ne  peuvent  justiffier.  » 

Dans  l'élection  de  Verneuil, 

«  Les  frais  sont  taxez...  comme  dans  les  autres  [eslections],  c'est- 
à-dire  fort  loin  à  loin,  par  un  seul  officier,  et  les  collecteurs  m'ont 
de  mesme  assuré  qu'ilz  payent  ce  qu'on  leur  demande,  sans  sçavoir 
s'ils  doivent  ou  non.  » 

Dans,  celle  de  Conches, 

«  les  huissiers  exécutent  sur  la  mesme  contrainte  pendant  tout  le 
recouvrement  et  ne  font  taxer  les  frais  que  rarement  par  un  des  offi- 
ciers, et  au  surplus  ils  suivent  le  mauvais  usage  des  huissiers  des 
autres  eslections1.  » 

Après  Colbert,  on  trouve  les  mêmes  pratiques.  On  lit  dans  le 
Recueil  d'Orsay  : 

«  Il  se  fait  beaucoup  de  friponneries  et  exactions  par  les  huissiers  et 
porteurs  de  contraintes  contre  les  collecteurs...  Quel  est  le  procureur 
du  roy  ou  receveur  d'une  élection  qui  fera  faire  le  procès  à  tant  de 
gens  et  qui  les  suivra  a  la  Cour  des  aydes?  Pour  une  preuve  que  ce 
n'est  pas  facile,  c'est  que  jusqu'à  présent  on  n'en  a  pas  veu  d'exemple... 
Gomme  les  taxes  des  dits  frais  se  font  differement,  et  que  même  les 
huissiers  ou  sergens  employez  au  recouvrement  des  tailles  font  leurs 
diligences  chacun  a  leur  fantaisie,  ou  plutôt  a  celle  des  receveurs,  ne 


1.  Rapport  du  1"  septembre  1683,  A.  N.  G?  71. 


486  I-A     TAU. M!     IN     NOIIMANDIB. 

s'attachant  presque  pas  aux  règlemens,  il  seroit  a  propos  de  rendre 
le  tout  uniforme1.  » 

Le  même  auteur  nous  apprend  que  les  huissiers  ne  font 
«  presque  jamais  »  leurs  déclarations  au  greffe,  «  et  mesme  la 
plupart  d'entre  eux  n'ont  point  de  registre,  et  font  leurs  exploits 
sur  des  feuilles  volantes,  afin  d'ajouter  [après  coup]  le  jour  et 
la  datte  de  leurs  exploits  a  raison  de  tant  par  jour,  et  de  faire 
régler  par  ce  moyen  leurs  frais  a  leur  fantaisie2  ». 

La  Cour  des  Aides  de  Paris,  dans  un  arrêt  du  17  novem- 
bre 1712,  rendu  à  la  requête  du  procureur  général,  défendra 
aux  huissiers  de  saisir  «  sur  les  contribuables  aux  tailles  les 
lits,  linceuls,  couvertures,  habits,  pain,  portes  et  fenêtres  de 
leurs  maisons,  chevaux,  mulets  et  bœufs  servans  au  labour  et 
culture  des  terres  »,  choses  qui  se  pratiquaient  jusqu'aux  portes 
de  Paris  3;  et  le  Régent  écrira,  dans  sa  circulaire  aux  intendants 
du  4  octobre  1715  : 

«  Je  suis  informé  que  la  liaison  qui  est  souvent  entre  les  officiers 
des  Elections  et  les  receveurs  donne  lieu  a  la  multiplicité  des  frais, 
qu'ils  regardent  comme  des  revenans-bons  de  leurs  charges...  et  que 
les  frais,  que  l'on  fait  toujours  payer  par  préférence  a  la  taille,  en 
empêchent  ou  en  retardent  le  recouvrement...  C'est  à  cet  abus  que  je 
veux  remédier*.  » 

Ces  documents  officiels  ne  font  que  répéter  et  confirmer  les 
pages  bien  connues  de  Vauban  et  de  Boisguilbert  sur  la  rigueur 
des  exécutions  :  ces  deux  auteurs  n'ont  rien  exagéré5. 

1.  B.  N.  fr.  11096,  f"'  19  et  56.  L'auteur  demande  que  l'on  interdise  particuliè- 
rement les  «  emprisonnements  simulés  »  des  collecteurs,  nommés  aussi  •  arrêts 
de  prison  avec  soumission  »,  invention  <  trouvée  par  les  huissiers  pour  multiplier 
les  frais  et  faire  ces  sortes  de  diligences  autant  de  fois  qu'ils  rencontrent  par 
hazard  les  collecteurs,  soit  dans  le  chemin,  à  la  ville,  au  marché  ou  ailleurs  ». 

2.  Ibid.,  f  20. 

3.  Cité  dans  La  Poix  de  Freminville,  Communautés  d'habitants,  p.  2.",  1-252.  Cf. 
Vieuille,  p.  313-:<14. 

4.  Encyclop.  méthodique,  t.  III,  p.  648. 

5.  Boisguilbert,  Détail  de  la  France,  éd.  1707,  t.  I,  p.  21  et  suiv.  Vauban.  Dixme 
roiale,  éd.  1707,  in-12,  p.  29  et  suiv.  Voir  aussi  le  Projet  de  capitation  de  Vauban, 
publ.  dont  De  Boislisle,  Corresp.  des  contrôleurs  généraux,  t.  I,  p.  565,  sur  les 
•  deux  cents  mille  fripons  »  qui  ruinent  les  contribuables. 


LES    EMPRISONNEMENTS.  487 


VIII.    —   LES   EMPRISONNEMENTS 

Quand  la  saisie  et  la  vente  des  biens  mobiliers  n'avaient  pas 
produit  d'effet,  le  receveur  avait  recours  à  l'emprisonnement 
du  collecteur,  de  la  même  façon  qu'un  créancier  faisait  empri- 
sonner son  débiteur  insolvable.  A  cet  effet,  il  devait  présenter 
une  requête  à  l'Election,  où  il  justifiait  des  diligences  déjà  faites 
et  de  leur  insuccès  ;  les  élus  lui  délivraient  une  ordonnance, 
dite  «  arrêt  de  prison  »,  que  les  huissiers  et  sergents  étaient 
chargés  d'exécuter.  Quoique  les  collecteurs  d'une  même 
paroisse  fussent  solidaires  et  par  conséquent  tous  également 
passibles  de  la  prison,  on  n'arrêtait  qu'un  ou  deux  d'entre  eux, 
de  façon  à  laisser  les  autres  vaquer  à  la  recette1.  L'usage 
normand  était  de  laisser  de  préférence  le  porte-bourse  en  liberté, 
et  de  ne  s'en  prendre  qu'à  ses  collègues  2. 

Les  règlements  ne  précisaient  pas  dans  quelle  prison  devaient 
être  conduits  les  collecteurs  :  les  receveurs  s'en  autorisaient  pour 
les  emmener  loin  de  leur  demeure,  ce  qui  était  une  occasion  d'en 
«  tirer  des  gratifications  »,  et  rendait  «  assez  difficile  »  le  con- 
trôle des  élus  et  des  intendants3.  Dans  son  mandement  aux 
paroisses  en  1672,  l'intendant  de  Rouen  interdit  aux  huissiers 
de  conduire  les  collecteurs  ailleurs  que  dans  les  prisons  du  siège 
de  l'élection  ;  exception  était  faite  pour  l'élection  d' Andely,  «  ou 
lesdits  collecteurs  pourront  estre  mis  dans  les  prisons  d'Andely, 
Gournay,  et  Vernon  si  elles  sont  les  plus  proches  de  leurs  domi- 
ciles, et  a  la  charge  que  lesdits  receveurs  auront  en  chacune  des 
dites  villes  un  procureur  pour  consentir  ou  empescher  l'élargis- 
sement desdits  collecteurs  »  ;  ceux  de  la  chàtellenie  de  Pontoise 
devaient  être  conduits  à  Pontoise,  et  non  à  Gisors,  ceux  de 
l'élection  de  Chaumont  et  Magny  pouvaient  être  incarcérés  dans 
l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  villes*.  Leblanc  reprit  ce  règlement 
en  1682  5,  mais  il  découvrait  aussitôt  après  que  «  monobstant  les 
deffenses  »,  les  huissiers  ne  cessaient  de  mettre  les  collecteurs 
dans  les  prisons  qu'ils  voulaient6. 

Les  prisonniers  n'étaient  pas  nourris  «  au  pain  du  roi 7  »  ;  les 


1.  De  Merville,  Maximes,  p.  39. 

2.  Mémoire  de  l'intendant  d'Alencon,  1"  septembre  1683,  A.  N.  G7  71. 

3.  Let.  de  Leblanc,  8  juillet  1682  (B.  N.  fr.  8761,  f°  62)  et  de  Bouville,  l«r  sep- 
tembre 1683  (A.  N.  G?  71). 

4.  A.  D.  S.-Inf.  G,  2215.  Si  les  huissiers  ne  pouvaient  conduire  leurs  prison- 
niers en  ces  lieux  dans  un  seul  jour,  il  leur  était  permis  de  les  mettre  pour  vingt- 
quatre  heures  dans  les  prisons  les  plus  voisines. 

5.  Let.  du  8  juillet  1682,  B.  N.  fr.  8761,  f°  60. 

6.  Ibid  ,  Il  y  avait,  du  moins  hors  de  Normandie,  des  sièges  d'élections  qui 
n'avaient  pas  de  prison,  tel  Ghâteau-du-Loir.  (Clém.,  II,  76.) 

7.  En  1633,  les  Etats  de  Normaudie  avaient  demandé  pour  les  collecteurs  le 
pain  du  roi,  mais  ils  n'avaient  pas  obtenu  satisfaction.  (De  Beaurepaire,  Cahiers..., 
règne  de  Louis  XIII,  t.  III,  p.  171.) 


488  LA    TAIL1.K     l'.N     NOIt.M  AXDIK. 

frais  de  leur  «  gîte  et  geôlage  »  incombaient  aux  paroisses  qui 
devaient  s'imposer  extraordinairement  pour  les  payer;  mais  le 
receveur  en  (levait  faire  l'avance,  sous  peine  de  voir  libérer  les 
prisonniers  ;  il  pouvait  ensuite  prendre  ses  dispositions  pour  se 
Faire  rembourser  par  les  contribuables.  (Habituellement,  il  ajou- 
tait la  somme  à  la  taille  de  la  paroisse,  et  la  percevait  avec  les 
mêmes  rigueurs1.)  L'arrêt  du  4  juillet  1664  interdit  aux  geô- 
liers de  «  retenir  les  collecteurs  pour  les  gîtes  et  geôlages,  a 
peine  de  punition  corporelle,  saut  a  eux  a  se  pourveoir  par  les 
voies  ordinaires  et  accoutumées  »  (art.  19),  ce  qui  laisse  à  penser 
qu'ils  le  faisaient  quelquefois. 

Les  frais  de  gîte  et  geôlage  n'étaient  pas  réglementés  avec 

f>récision,  du  moins  en  Normandie*.  A  Pont-Audemer,  en  1678, 
e  geôlier  prend  3  s.  4  d.  par  jour  «  pour  le  pain  et  les  frais  », 
tandis  que  dans  le  reste  de  la  généralité,  on  prend  3  s.  6  d. J. 
Dans  la  généralité  d'Alençon,  en  1683,  les  geôliers  se  font  payer 
pour  «  un  meschant  lit,  ou  il  n'y  a  qu'une  paillasse  et  un  drap, 
et  sur  lequel  couchent  deux  ou  trois  prisonniers,  4  ou  5  solz 
pour  chacun  d'eux  »  ;  l'intendant,  qui  trouve  ce  prix  excessif, 
demande  qu'on  le  réduise  à  2  s.  par  prisonnier  couchant  seul, 
et  1  s.  6  d.  s'il  partage  le  lit  avec  un  autre*.  Mais  il  ne  semble 
pas  avoir  rien  obtenu. 

Tous  les  règlements,  et  en  dernier  lieu  celui  du  4  juillet  1664, 
défendaient  aux  geôliers  «  de  laisser  divaguer  les  collecteurs 
emprisonnés  pour  la  taille,  sans  le  consentement  des  receveurs, 
ou  eux  duement  appelés5  ».  Mais  on  avait  grand'peine  à  faire 
respecter  cette  loi .  L'intendant  d'Alençon  écrit  le  15  sep- 
tembre 1670  que,  moyennant  finance,  «  dans  la  pluspart  des 
prisons  de  la  généralité,  les  geôliers  donnent  la  liberté  aux 
prisonniers  de  vacquer  a  leurs  affaires6  »,  et  treize  ans  plus  tard 


1.  C'est  ce  que  font  particulièrement  ceux  de  Pont-Audemer.  (Let.  de  Leblanc, 
8  janvier  1678,  A.  N.  G1  491.)  Le  30  septembre  1661,  le  receveur  de  Caen  présente 
une  requête  au  Bureau  des  finances  pour  obtenir  remboursement  de  324  1.  4  s. 
10  d.,  à  lui  dues  pour  gite  et  geôlage  de  collecteurs;  le  Bureau  ordonne  que 
cette  somme  sera  levée  en  sus  de  la  taille,  avec  les  restes  (A.  D.  Galv.,  Plumitif 
du  Bureau,  année  1661,  f°  256;  cf.  f°  288  une  autre  ordonnance  du  Bureau  du 
19  décembre.) 

2.  Cf.  un  arrêt  de  la  Cour  des  Aides  de  Paris  du  30  avril  1650,  pour  le  ressort 
de  cette  Cour,  dans  Néron,  II,  p.  723  :  Pour  le  gîte  :  3  s.  par  jour  si  le  prisonnier 
couche  seul,  1  s.  6  d.  s'il  couche  à  deux,  1  s.  s'il  couche  à  trois  dans  le  même 
lit,  en  changeant  les  draps  toutes  les  trois  semaines;  2  s.  s'il  couche  sur  la  paille, 
renouvelable  tous  les  huit  jours.  Les  collecteurs  peuvent  faire  venir  leur  nourri- 
ture du  dehors  ;  s'ils  la  prennent  chez  le  geôlier,  le  prix  en  sera  fixé  par  les  élus 
en  chaque  ville.  Le  geôlier  ne  peut  se  faire  payer  aucun  droit  d'entrée  ni  de 
sortie. 

3.  Let.  de  Leblanc,  8  janvier  1678  et  2  janvier  1679,  A.  N.  G?  491. 

4.  Mémoire  du  1««  septembre  1683,  A.  N.  G"  71. 

5.  Arrêt  du  Conseil  du  4  juillet  1664,  art.  -19.  Cf.  les  arrêts  de  la  Cour  des 
Aides  de  Paris  des  30  avril  1650  (Néron,  II,  723),  et  5  octobre  1665,  art.  10  (C.  d. 
T.,  1,  593). 

6.  Clairamb.,  792,  p.  307  (analyse). 


LES    EMPRISONNEMENTS.  489 

son  successeur  fait  la  même  constatation1.  En  1664,  le  lieute- 
nant au  bailliage  de  Caux  rapporte  que  le  geôlier  de  Cany  est 
«  tout  a  fait  incapable  de  garder  ladite  geolle,  commettant  jour- 
nellement des  abus,  ayant  consenti  l'évasion  de  plus  de  douze 
prisonniers  depuis  peu  de  temps,  se  laissant  emporter  par  argent 
par  les  personnes  détenues2  ».  Les  élus  ne  peuvent  pas  davan- 
tage avoir  l'initiative  de  l'élargissement,  laquelle  n  appartient 
qu'au  receveur.  Il  est  d'usage  que  celui-ci  fasse  libérer  les 
collecteurs  quand  ils  ont  payé  «  au  moins  le  quart  de  la  somme 
pour  laquelle  ils  sont  emprisonnez3.  »  Toutefois,  si  ce  quart  n'est 
pas  payé  après  un  mois  d'incarcération,  les  prisonniers  sont 
mis  en  liberté  à  la  requête  du  receveur  ou,  à  son  défaut,  des 
élus,  et  on  procède  aux  contraintes  solidaires  contre  les  habi- 
tants, comme  on  le  verra  plus  loin.  Telle  est  du  moins  la  règle, 
mais  l'intendant  de  Caen  signale,  en  1680,  des  receveurs  qui 
retiennent  leurs  prisonniers  «  des  trois  et  six  mois  »  sans  rien 
faire  pour  être  payés4. 

Le  collecteur  emprisonné  avait  un  droit  de  recours  contre  ses 
consorts  laissés  en  liberté,  qui  devaient  l'indemniser  pour  sa 
détention.  L'indemnité  n'était  pas  tarifée  et  variait  de  localité  à 
autre.  Dans  la  généralité  d'Alençon,  en  1683,  elle  montait  par- 
fois jusqu'à  «  20  s.  par  jour,  y  compris  les  droits  de  giste  et 
geolage  »,  mais  l'intendant  proposait  de  la  réduire  uniformément 
à  10  sous5.  Dans  celle  de  Rouen,  une  ordonnance  de  Leblanc, 
du  11  octobre  1678,  avait  fixé  l'indemnité  à  5  sous  par  jour 
pour  les  manouvriers  et  gens  de  journée,  et  à  10  s.  pour  les 
marchands  et  laboureurs,  outre  le  pain6.  Comme  le  porte-bourse 
n'était  pas  incarcéré,  le  paiement  de  ces  frais  lui  incombait  pour 
la  plus  grande  partie;  «  et  ainsy,  dit  l'intendant  d'Alençon,  il 
en  est  accablé,  au  lieu  que  les  autres  collecteurs  estans  sujetz 
a  estre  emprisonnez  n'en  souffrent  pas,  parce  que  pendant  le 
temps  de  leur  prison  ils  ne  dépensent  pas,  a  beaucoup  près,  ce 
qu'on  leur  adjuge  pour  leurs  dommages  et  interestz  »;  si  bien 
que  l'emprisonnement  est  souvent  un  avantage  recherché  :  «  les 
collecteurs  des  dernières  eschelles,  continue  le  même  inten- 
dant, ne  demandent  pas  mieux  que  d'estre  emprisonnez  ;  et  cela 


1.  Mémoire  du  1er  septembre  1683  :  «  Il  arrive  souvent  que  [les  collecteurs  pri- 
sonniers] s'accommodent  avec  les  geôliers  qui,  moyennant  quelque  gratification, 
les  laissent  vaguer,  ce  qui  rend  les  emprisonnements  tout  à  fait  inutiles.  »  (A.  N. 
G'  71.) 

2.  Requête  du  Bureau  des  finances  de  Rouen,  18  juillet  1664,  A.-D.  S.  Inf.. 
C  1166,  f°s  114  et  131.  Le  Bureau,  après  enquête,  prononce  la  destitution  du 
geôlier. 

3.  De  Merville,  Maximes,  p.  39.  Mém.  Alphab.,  p.  116,  cf.  p.  252-253.  L'intendant 
de  Caen,  écrit  le  15  août  1680,  que  souvent  les  receveurs  «  laissent  des  taillables 
des  trois  et  six  mois  en  prison,  contre  les  ordonnances  »,  (A.  N.  G7  213.) 

4.  A.  N.  G7  213.  Il  demande  un  règlement  pour  interdire  cet  abus. 

5.  A.  N.  G7  71. 

6.  B.  N.  fr.  8761'"%  f°  189.  Cf.  sa  lettre  du  2  janvier  1679,  A.  N.  G7  491. 


490  LA    TAILLE    EN     NORMANDIE. 

est  8v  m. iv.  qu'il  m'a  esté  présenté  diverses  requestes  par  les 
pm-tf-hourses  pour  les  obliger  de  vacquer  avec  eux  a  la  col-^ 
fecte1  ». 

Le  prisonnier,  q^ui  n'est  pas  toujours  heureux  de  son  sort, 
quoiqu'en  dise  M.  de  Bouville,  peut  avoir  recours  contre  son  ou 
ses  collègues  pour  se  faire  délivrer:  il  doit  pour  cela  obtenir  une 
sentence  de  l'Election.  On  a  conservé  de  nombreux  dossiers  de 
ces  procès,  qui  montrent  les  irrégularités  et  difficultés  de  la 
perception.  A  Saint-Aubert,  élection  de  Falaise,  deux  collecteurs 
assignent  le  porte-bourse  en  règlement  de  comptes  pour  se  faire 
délivrer  :  les  deux  prisonniers  établissent  qu'ils  ont  avancé  l'un 
28  1.,  et  l'autre  10  1.  en  sus  de  leur  impôt,  tandis  que  le  porte- 
bourse,  ayant  encaissé  896  1.,  n'en  a  versé  que  864  au  receveur2. 
Pareillement  à  Bellon,  dans  la  même  élection,  un  collecteur  est 
emprisonné  quoiqu'il  ait  payé  tout  son  impôt  et  avancé  100  1., 
tandis  que  ses  collègues,  demeurés  en  liberté,  détiennent  entre 
leurs  mains  114  1.  qu'ils  ont  reçues  et  non  versées*.  Voilà  un 

fjrave    inconvénient    de    la    responsabilité    collective    des    col- 
ecteurs. 

Ces  emprisonnements  avaient  été  une  calamité  pour  la  Nor- 
mandie, avant  1661.  En  1643,  les  Etats  disaient  :  «  Les  prisons 
regorgent  en  tous  lieux  de  gens  que  la  seule  misère,  et  non  aucun 
défaut  de  bonne  volonté,  ont  empesché  de  payer  au  roy,  non 
point  leurs  tailles,  mais  celles  de  leurs  voisins,  que  leur  chétive 
condition  a  mis  en  estât  de  ne  craindre  aucune  exécution.  Il  en 
est  mort  plus  de  cinquante  dans  la  seule  prison  de  Pontaude- 
mer4.  «Lorsqu'on  octobre  1648,  Maignart  de  Bernières  avait  fait 
une  chevauchée  dans  la  province,  il  avait  trouvé  quantité  de 
collecteurs  dans  les  prisons,  la  plupart  pour  des  motifs  illé- 
gitimes; il  avait  appris  que  les  collecteurs  n'osaient  se  rendre 
aux  marchés  des  Andelys,  de  Vernonetde  Gournay,  par  crainte 
d'y  être  arrêtés  sur  l'ordre  des  receveurs,  et  ils  envoyaient  à  leur 
place  leurs  femmes  et  leurs  enfants  porter  l'argent  à  la  recette5. 
Ces  rigueurs  étaient  du  reste  générales  dans  tout  le  royaume. 
«  On  s'est  servi,  dit  une  Mazarinade,  de  cruautés  et  de  tortures 
capables  de  tirer  de  la  mouèlle  des  os  des  malheureux  François, 
qui  eussent  esté  bien  aises  d'en  estre  quittes  pour  abandonner 
tous  leurs  biens  et  paistre  l'herbe  comme  de  pauvres  bestes, 
s'estant  veu  tout  a  la  fois  23000  prisonniers  dans  les  provinces 
du  royaume  pour  les  taxes  des  tailles  et  autres  imposts,  dont  il 

1.  Mémoire  du  1"  septembre  1683,  A.  N.  G7  71. 

2.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  de  l'Election  de  Falaise,  à  la  date  du  26  février  1677. 

3.  lbid.,  à  la  date  du  10  février  1677. 

4.  De  Beaurepaire,  Cahier»,.,  règnes  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  t.  III,  p.  115 
(art.  48).  Les  Etats  demandent  la  remise  des  restes  de  taille  de  1635  à  1642,  mais 
•  le  Roy  ne  peut  accorder  cette  demande  ». 

5.  Chevauchée  de  Maignnrd  de  Bernières,  publ.  par  Félix,  dans  le  Précis  ana- 
lytique des  travaux  de  C Académie  de  Rouen,  1877,  p.  177  et  suiv. 


LES    EMPRISONNEMENTS.  491 

en  est  mort  5  000  hommes  dans  cette  langueur,  l'an  1646,  ainsi 
qu'il  se  vérifie  par  escroùes  et  registres  des  geôliers1.  » 

Colbert  se  proposa  de  réduire  au  minimum  ces  emprisonne- 
ments. Il  n'y  a  rien,  disait-il,  «  qui  soit  si  préjudiciable  a 
l'Estat  que  l'emprisonnement  des  sujets  du  roy,..  rien  de  plus 
précieux  que  le  travail  des  hommes  »  ;  «  c'est  assurément  ce 
qui  est  le  plus  préjudiciable  aux  sujets  du  roy,  vu  que  pendant 
qu'ils  sont  en  prison,  leur  travail  est  entièrement  interrompu  »  2. 
Les  intendants  eurent  donc  pour  mission  d'  «  empêcher  l'em- 
prisonnement des  collecteurs  autant  qu'il  sera  possible3  »,  et  le 
ministre  était  convaincu  qu'on  pouvait  considérablement  réduire 
le  nombre  des  prisonniers  sans  nuire  au  recouvrement.  «  Un 
si  grand  désordre,  écrit-il  en  1670  à  l'intendant  de  Tours,  qui 
lui  signalait  la  fréquence  de  ces  emprisonnements,  sans  doute  ne 
vient  que  de  l'inégalité  dans  l'imposition  des  tailles  et  des  frais 
qui  se  font  pour  les  recouvrer4  »;  «  il  y  a  peu  d'apparence,  dit- 
il  encore,  que  ce  désordre  vienne  des  peuples,  vu  les  grandes 
diminutions  que  le  Roy  a  accordées  pour  les  tailles,  ce  qui  me 
donne  beaucoup  de  sujet  de  croire  que  cela  vient  des  rece- 
veurs5 ».  Il  faut  donc  que  les  intendants  s'informent  de  tous 
les  cas  particuliers,  et  lui  en  adressent  des  mémoires  détaillés 
pour  qu'il  en  parle  «  fortement  »  aux  receveurs  généraux6;  on 
privera,  s'il  le  faut,  quelques  receveurs  de  leur  exercice  pendant 
un  an  «  pour  servir  d'exemple7  ».  Il  félicite  celui  de  ses  subor- 
donnés qui  a  le  moins  d'emprisonnements  dans  son  départe- 
ment8; il  blâme  ceux  qui  en  ont  beaucoup,  écrivant  par  exemple 
à  deux  d'entre  eux,  à  une  semaine  de  distance  :  «  Il  n'y  a  point 
de  généralité  où  il  y  en  ayt  tant  que  dans  la  vostre9.  »  Il  exerce 
un  contrôle  permanent  en  se  faisant  adresser  régulièrement 
les  états  des  prisonniers  :  dans  les  premières  années,  il  en 
demandait  un   par  an;   en  1670,  il    en  demande   à  l'intendant 

1.  La  requesle  des  trois  estats,  présentée  à  Messieurs  du  Parlement,  Moreau, 
Bibliographie  des  Mazarinades ,  n°  236.  V amende  honorable  de  Jules  Mazarin, 
donne  25  000  prisonniers  et  6  000  morts.  11  n'est  pas  besoin  de  faire  remarquer 
longuement  l'incertitude  de  ces  chiffres. 

2.  Lettres  à  Vovsin  de  la  Noiraye.  1er  août  1670,  Clém.,  II,  71;  à  Tubeuf, 
1679,  ibid.,  105;  à'  de  Menars,  16  juillet  1681,  Depping,  t.  III.  p.  289.  Il  écrit 
encore  à  Tubeuf  le  1er  août  1680  :  «  l'emprisonnement  d'un  homme  luy  oste  le 
moyen  de  travailler  et  de  nourrir  sa  famille,  qui  tombe  indubitablement  dans  la 
mendicité;  je  vous  prie  de  vous  appliquer  tout  de  bon  a  ce  point,  qui  est  assu- 
rément le  plus  important  de  tous  ».  (Clém.  II,  137.) 

3.  Clém.,  II,  220;  cf.  p.  70-73,  131-137,  231,  etc. 

4.  Ibid.,  p.  71.  (Lettre  du  1er  septembre  1670.) 

5.  Ibid.,  p.  137.  (Lettre  du  1"  août  1680.) 

6.  Lettre  à  l'intendant  de  Rouen,  6  avril  1674,  ibid.,  p.  231. 

7.  Lettre  à  l'intendant  de  Tours,  1er  août  1680,  ibid.,  p.   137. 

8.  Lettre  à  Le  Camus,  intendant  d'Auvergne,  18  juillet  1670.,  ibid,  p.  70-71. 

9.  Lettres  à  l'intendant  d'Orléans,  25  juillet,  et  à  celui  de  Tours,  1er  août  1670. 
Clém.,  Il,  71  et  72  n.  Ces  lettres  étaient  motivées  par  les  états,  envoyés  dans  le 
courant  de  juillet  par  tous  les  intendants,  à  la  demande  de  Colbert;  ils  semblent 
perdus;  voir  l'analyse  des  lettres  qui  les  accompagnaient,  dans  le  vol.  Clairamb., 
792. 


,'J  LA    TAILLE    KN     NORMANDIE. 

d'Orléans  un  tous  les  six  mois  '  :  puis,  en  1680,  par  circulaire 
il  invite  tous  les  commissaires  à  lui  rendre  dorénavant  «  compte 
tous  les  trois  mois  sans  y  manquer  du  nombre  des  prisonniers 
qui  sontarrestés  soit  pour  le  fait  de  la  taille,  soit  pour  les  droits 
[des]  fermes*  ». 

Quelques  intendants  lui  soumirent  leurs  craintes  de  voir  tarir 
les  recettes  par  ces  mesures  :  «  Il  est  pourtant  certain,  lui  disait 
Tubeuf  en  1670,  que  la  contrainte  par  corps  est  nécessaire 
pour  la  facilité  du  recouvrement  des  deniers  de  Sa  Majesté,  non 
seulement  parce  que  les  paysans  qui  doivent  la  taille  et  le  sel 
n'ont  point  de  meubles  exploitables  dans  leurs  maisons,  mais 
encore  par  la  négligence  des  peuples,  qui  ne  payent  que  le  plus 
tard  qu  ils  peuvent'  ».  Mais  la  majorité  reconnut  la  justesse 
des  vues  du  ministre.  —  «  Il  est  certain,  écrivit  celui  d'Alençon, 
que  si  les  receveurs  vouloient,  ils  pourroient  fort  bien  faire  le 
recouvrement  sans  emprisonner,  cela  paroist  par  une  infinité 
d'eslections  qui  ne  sont  pas  meilleures  les  unes  que  les  autres, 
dans  lesquelles  les  receveurs  ne  se  servent  point  de  cette  voye*.  » 
—  «  J'ay  fait  convenir  tous  les  receveurs,  déclara  celui  de  Rouen, 
qu'il  est  presqu'inutil  d'emprisonner  les  collecteurs,  que  cela  ne 
produit  que  des  frais,  et  ne  fait  point  venir  d'argent  a  la 
recepte 5.  »  La  seule  précaution  que  prit  Colbert,  pour  éviter 
l'inconvénient  signalé  par  Tubeuf,  fut  de  ne  pas  publier  la  réso- 
lution prise  :  «  L'intention  de  Sa  Majesté,  écrivit-il,  n'est  pas 
que  vous  rendiez  cet  ordre  public,  parce  qu'Elle  sçait  bien  que 
cela  pourroit  faire  un  mauvais  effet6  »;  il  faut  «  bien  empescher 
que  la  malice  ne  s'augmente  par  l'indulgence7  ». 

Nous  n'avons  guère  d'indications  sur  le  nombre  des  collec- 
teurs prisonniers  avant  1669 8;  mais  pour  les  années  suivantes, 
un  certain  nombre  de  statistiques  nous  fournissent  des  rensei- 
gnements utiles. 

En  juillet  1670,  sur  six  élections  de  la  généralité  de  Rouen, 

1.  Clém.,  II,  72  n. 

2.  Circulaire  du  1"  juin  1680,  Clém.,  II,  133,  et  Depping,  Correspondance,  III, 
p.  30. 

3.  Tubeuf  à  Colbert,  21  février  1669.  M.  C.  150,>'^  f  537,  v°. 

4.  Mémoire  du  1"  sept.  1683,  A.  N.,  G1  71. 

5.  Lettre  de  Leblanc,  18  juil.  1679,  A.  Nat.  G7  491  ;  autre  du  même,  27  juin  1680, 
ibid.  Son  prédécesseur,  Barin  de  la  Galissonnière,  écrivait  le  29  juin  16i59  :  «  Il 
est  à  craindre  que,  n'y  ayant  point  de  cidres  sur  lesquels  on  puisse  asseoir  des 
exécutions,  et  les  bleds  estans  a  non-prix,  lesdits  receveurs  et  commis  ne  rendent 
les  emprisonnemens  plus  frequens,  ce  qui  est  encores  plus  ruineux  que  tout  le 
reste,  car  outre  les  frais  des  huissiers  et  des  geolliers,  ce  sont  gens  dont  le  tra- 
vail, qui  est  bien  souvent  toutes  leurs   richesses,  est  inutille  ».  M.  C.  150,  f°  235. 

6.  Lettre  a  l'intendant  d'Orléans,  25  juillet  1670,  Clém.,  II,  72,  note. 

7.  Lettre  du  7  juin  1679,  Clém.,  II,  lO'i-103. 

8.  Cf.  cependant  un  procès-verbal  de  visite  des  prisons  d'Alençon,  du  6  mars 
1666  :  sur  26  détenus,  il  y  en  a  8  pour  la  taille,  9  pour  amendes  de  bois  ou  faux- 
saunage,  un  pour  la  chambre  de  justice;  les  motifs  des  8  autres  ne  sont  pas  indi- 
qués. (B.  N.  fr.  llttSt,  f"  21-25.)  D'après  ces  chiffres,  la  taille  aurait  fourni  à  elle 
seule  environ  le  tiers  de  la  population  des  prisons. 


LES    EMPRISONNEMENTS.  493 

trois,  les  Andelys,  Gournay,  et  Vernon,  n'ont  pas  de  prison- 
niers1; celle  de  Rouen  en  a  deux,  mais  tous  deux  pour  avoir 
dissipé  les  deniers  de  la  taille2;  celle  d'Evreux,  trois3;  dans  celle 
de  Gisors,  les  emprisonnements  sont  «  fréquens,  les  receveurs 
s'excusant  sur  ce  que  les  collecteurs  n'ont  pas  de  meubles4  ». 
Dans  la  généralité  de  Gaen,  à  la  même  date,  il  n'y  a  pas  de  pri- 
sonniers «  présentement  »,  car  on  les  a  tous  mis  en  liberté  pour 
faire  les  travaux  de  la  moisson  ;  mais  nous  ne  savons  combien 
ont  été  ainsi  libérés5.  En  mars  1671,  le  receveur  général  de 
Rouen  déclare  que,  les  recouvrements  étant  «  de  plus  en  plus 
difficiles  »,  il  a  «  esté  obligé  depuis  deux  mois  de  faire  empri- 
sonner plus  de  cinquante  collecteurs6  ».  Dans  la  même  généra- 
lité, le  1er  avril  1674,  l'intendant  écrit  qu'il  a  trouvé  «  un  grand 
nombre  de  collecteurs  dans  les  prisons  d'Evreux7  »;  en  juil- 
let 1676,  «  il  y  a  très  peu  de  collecteurs  dans  les  prisons,  et  on 
prend  des  mesures  pour  les  mettre  en  liberté8;  »  en  janvier  1678, 
«  il  y  a  très  peu  de  prisonniers,  sy  ce  n'est  au  Ponteaudemer, 
ou  le  commis  a  la  recepte  de  1676  en  a  fait  arrester  13,  et  celuy 
de  1677,  14  »,  soit  au  total  27  9.  L'année  suivante,  les  receveurs 
s'engagent  a  n'emprisonner  que  très  peu  de  collecteurs10,  et  l'in- 
tendant, ayant  trouvé  à  Chaumont  «  beaucoup  de  collecteurs 
dans  les  prisons  »,  les  libère  conditionnellement11.  En  1680, 
Leblanc  obtient  pareillement  des  trois  receveurs  d'Evreux, 
Vernon  et  Les  Andelys,  qu'ils  ne  fassent  plus  emprisonner  de 
collecteurs  ;  à  Eu,  il  y  a  deux  prisonniers,  et  deux  également  à 
Pont-Audemer12.  En  1681,  dans  les  prisons  de  Montivilliers,  «  il 
n'y  a  qu'un  collecteur,  qui,  au  lieu  de  payer  en  recepte,  consom- 
moit  les  deniers  a  plaider13  »;  à  Dieppe,  «  il  n'y  a  que  quatre 

1.  Lettre  de  Barin  de  la  Galissonnière  à  Colbert,  4  août  1670,  B.  N.  Clairamb. 
792,  p.  153. 

2.  Lettre  du  19  juillet  1670,  ibid.,  p.   84. 

3.  Lettre  du  16  sept.  1670,  ibid.,  p.   300. 

4.  Lettre  du  6  sept.  1670,  ibid.,  p.  263.  —  Le  1er  oct.  l'intendant  envoie  la  liste 
concernant  les  huit  autres  élections  (ibid.,  p.  337),  mais  elle  est  perdue. 

5.  Chamillart  à  Colbert,  28  juillet  1670.  La  liste  des  prisonniers  libérés  accom- 
pagnait cette  lettre;  elle  est  perdue  aujourd'hui.  (Clairamb.,  792,  p.  117.).  Nous 
n'avons  pas  d'états  pour  la  généralité  d'Alençon.  L'intendant  De  Marie,  ayant  été 
malade,  n'envoya  sa  liste  que  le  15  sept.  1670  (Ibid.,  p.  85  et  307);  elle  est  aussi 
perdue. 

6.  Barin  de  la  Galissonnière  à  Colbert,  2  mars  1671  (analyse).  B.  N.  Clairamb., 
792,  p.  595.  Le  22  mars,  Barin  envoie  la  liste  complète  (ibid.,  p.  613),  qui  est 
aussi  perdue.  Le  6  juillet  suivant  il  assure  que  les  emprisonnements  sont  «  moins 
excessifs  »  que  par  le  passé.  (M.  C.  157,  f°  37.) 

7.  D'après  la  lettre  de  Colbert  à  De  CreiL,  6  avril  1674,  Clém.,  II,  231.  Colbert 
en  fait  des  reproches  à  l'intendant. 

8.  Leblanc  à  Colbert,  13  juillet  1676,  B.  N.  fr.  8759,  f°  68. 

9.  Id.,  8  janvier  1678,  A.  N.  G"  491.  Cf.  ibid.,  la  lettre  du  19  juillet. 

10.  Lettre  de  Leblanc  du  18  juillet  1679,  A.  N.  G?  491. 

11.  Lettre  du  16  juin  1679,  A.  N.  G?  491. 

12.  Lettres  des  29  juin  et  4  juillet  1680,  A.  N.  G7  491.  Des  deux  prisonniers  de 
Pont-Audemer,  l'un  a  «  mangé  les  deniers  de  la  taille  »,  et  l'autre  «  doit  600  1.  de 
reste  de  1679,  [et]  ne  veut  pas  seulement  payer  son  taux  ». 

13.  Leblanc  à  Colbert,  29  mai  1681,  A.  N.  G^  491. 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

prisonniers  pour  la  taille,  dont  deux  en  ont  mangé  les  deniers, 
et  les  autres  en  vertu  de  contrainte  solidaire,  faute  d'avoir 
imposé'  ».  Enfin,  en  juillet  1682,  sur  10  élections  pour  lesquelles 
nous  avons  des  chiffres,  deux  :  Pont-1'Evêque  et  Pont  de  Larche, 
n'ont  pas  de  prisonniers;  à  Arques,  Montivilliers,  Neufchâtel  et 
Caudebec,  il  n'y  a  «  que  cinq  ou  six  collecteurs,  retentionnaires 
des  deniers  »;  à  Evreux  et  aux  Andelys,  il  y  en  a  deux;  à  Hon- 
fleur,  un,  et  ù  Pont-Audemer,  cinq2. 

Pour  la  généralité  d'Alençon,  nous  avons  des  chiffres  pour  les 
deux  années  1078  et  1682.  Au  27  janvier  1678,  il  y  a  au  total 
139  collecteurs  prisonniers,  dont  74  pour  la  seule  élection  de 
Bernay;  seules  de  toutes,  Falaise  n'en  a  aucun9.  —  En  1682, 
les  chiffres  sont  moins  élevés  :  l'élection  qui  en  a  le  plus  est 
Mortagne,  avec  42,  ce  qui  est  «  plus...  que  dans  toutes  les 
autres  eslections  ensemble  ».  A  Conches,  il  y  en  a  3;  dans  les 
autres  élections,  il  n'y  en  a  que  très  peu,  ou  aucun  *. 

A  prendre  ces  chiffres  tels  quels,  on  serait  en  droit  de  con- 
clure que,  sauf  dans  la  généralité  d'Alençon  en  1678,  le  nombre 
des  emprisonnements  en  Normandie  n'était  pas  très  élevé.  Mais 
un  certain  nombre  de  réserves  s'imposent.  De  Morangis  écrivait 
à  Colbert,  en  1678  :  «  Je  suis  obligé  de  vous  faire  remarquer 
que  le  nombre  des  prisonniers  change  tous  les  jours,  et  qu'on 
n'en  peut  jamais  avoir  un  mémoire  assuré5  ».  Il  est  donc  pro- 
bable que  nos  statistiques  ne  sont  pas  exactes,  et  il  y  a  tout 
lieu  de  croire  qu'elles  sont  plutôt  au-dessous  qu'au-dessus  de  la 
vérité  :  geôliers  et  receveurs  avaient  intérêt  à  la  dissimuler  à 
l'intendant,  qui  lui-même  tenait  à  faire  valoir  son  administra- 
tion auprès  du  ministre.  En  outre  il  faut  remarquer  que  nos 
états  sont  tous  —  sauf  précisément  celui  d'Alençon  en  1678,  — 
du  mois  de  juillet,  époque  où  on  libérait  des  prisonniers  pour 
la  moisson.  Ils  donnent  ainsi  les  chiffres  les  plus  favorables, 
mais  ne  nous  renseignent  nullement  sur  le  total  des  emprison- 
nements dans  chaque  élection,  pendant  l'année  entière,  et  c'est 
ce  total  qu'il  importerait  de  connaître  :  peut-être  faudrait-il, 
pour  l'obtenir,  multiplier  nos  chiffres  par  10  ou  15,  et  alors 
il  deviendrait  énorme;  mais  nous  sommes,  sur  ce  point,  réduits 
aux  hypothèses. 

On  peut  cependant  tirer  de  nos  états  deux  conclusions  utiles. 


1.  Même  lettre,  A.  N.  G?  491. 

2.  Lettre»  de  Leblanc  à  Colbert,  22  juin,  2  et  8  juillet  1682,  B.  N.  fr.  8761, 
P*  58-60. 

3.  Voici  le  détail  par  élection»  :  Alençon,  8.  —  Argentan,  1.  —  Bernay,  74.  — 
Conches,  9.  —  Domfront,  5.  —  Falaise,  Ô.  —  Lisieux,  8.  —  Mortagne,  26.  —  Yer- 
neuil,  8.  (A.  Nat.  G7  71,  à  la  date  du  27  janvier  1678  :  état  envoyé  par  l'intendant 
de  Morangis.) 

<*._  Série    de  lettres  de  de   Morangis    à    Colbert,  8  juillet-3    août   1682,    A.    N. 
G*  7 1. 
5.  Lettre  du  27  janvier  1678,  ibld. 


LA    SOLIDITE.  493 

D'abord,  on  voit,  comme  pour  les  frais  d'huissiers,  qu'en  cer- 
taines élections  les  emprisonnements  étaient  plus  nombreux 
qu'en  d'autres,  soit  par  la  faute  des  receveurs,  soit  par  «■  l'en- 
durcissement »  des  contribuables.  Telles  sont  Pont-Audemer  et 
Bernay  :  «  Les  receveurs  des  tailles,  écrit  encore  de  Morangis, 
en  usent  fort  diversement  et  il  y  en  a  qui  savent  faire  payer 
sans  user  des  rigueurs  de  la  prison  ;  l'élection  de  Bernay  est 
accoustumée  a  ne  payer  qu'après  de  grandes  contraintes  par 
corps1.  »  En  outre,  à  comparer  les  chiffres  des  années  1670, 
1678  et  1682,  il  ne  semble  pas  que  Goibert  soit  arrivé,  dans 
l'intervalle,  à  réduire  les  emprisonnements  autant  qu'il  l'aurait 
voulu.  Son  grand  effort  aboutissait,  encore  sur  ce  point,  à  un 
demi-échec. 

En  définive,  les  emprisonnements  de  collecteurs  furent  une 
des  plus  tristes  conséquences  du  régime  de  la  taille.  Dans  la 
majorité  des  paroisses,  les  collecteurs  de  basse  échelle  étaient 
à  peu  près  sûrs  d'aller  faire  pendant  l'année  de  leur  charge 
un  séjour  en  prison,  à  côté  des  faux-sauniers  et  des  malfaiteurs; 
là  s'achevait  leur  ruine,  commencée  par  les  saisies  et  les  procès; 
là  se  fortifiait  leur  haine  pour  un  impôt  qui  les  réduisait  à  la 
misère  et  les  avilissait. 


IX.   —  LA  SOLIDITE 

Quand  les  collecteurs  sont  restés  un  certain  temps  en  prison 
sans  rien  payer  de  leur  dû,  on  a  recours  à  un  dernier  procédé  de 
contrainte,  le  plus  rigoureux  de  tous  :  la  solidité.  Elle  consiste  à 
saisir  les  biens  d'autres  contribuables  de  la  paroisse,  considérés 
comme  solidaires  des  collecteurs,  puisqu'ils  les  ont  nommés  2. 

Dans  la  perception  normale,  le  receveur  ne  peut  pas  faire  payer 
directement  les  contribuables  :  l'intermédiaire  des  collecteurs 
est  nécessaire,  parce  que  la  paroisse  est  considérée  comme  une 
unité  fiscale.  «  La  taille,  dit  Lebret,  est  une  déte  de  chaque 
paroisse,  et  non  des  particuliers  habitans  d'icelle  :  quod  autem 
débet  universitas ,  singuli  non  debent3  ».  Mais  le  receveur  peut 
se  substituer  aux  collecteurs,  quand  ceux-ci  sont  reconnus  inca- 
pables de  faire  la  levée,  en  vertu  de  cet  autre  principe,  non 
moins  impérieux,  que  les  sommes  imposées  doivent  être  payées, 
sauf  incapacité  notoire  ou  remise  faite  par  le  roi4.  De  plus,   le 

1.  A.  N.  G7  71.  Let.  du  22  juillet  1630.  Il  signale  les  receveurs  d'Argentan  et 
Falaise  comme  faisant  le  moins  d'emprisonnements. 

2.  Une  définition  vicieuse  est  donnée  par  Cl.  Fleury  (Institution  au  droit  fran- 
çais, t.  I,  p.  190)  :  «  Les  collecteurs  sont  obligés  de  payer  la  taille  entière  de  leur 
paroisse,  soit  qu  ils  aient  été  payés  des  particuliers  ou  non,  sauf  leur  recours, 
c'est  ce  qui  s'appelle  la  solidité  des  tailles  ».  La  solidité  s'entend  des  habitants 
à  l'égard  des  collecteurs,  et  non  des  collecteurs  à  l'égard  des  habitants. 

3.  Quinzième  action  à  la  Cour  des  Aides,  Œuvres,  p.  473. 

4.  Les  règlements  de  mars  1600,  art.  34,  janvier  1634,  art.  55,  août  1664,  art.  43, 


496  LA    TAILLE    EN     N<U!MANDIE. 

receveur  est  en  droit  de  rendre  les  habitants  responsables  de 

la  gestion  des  collecteurs  qu'ils  ont  librement  élus,  les  règle- 
ments leur  imposant  de  les  choisir  parmi  les  plus  solvables. 

Les  receveurs,  non  plus  que  les  huissiers  ni  les  sergents,  ne 
peuvent  ordonner  de  leur  chef  la  solidité  dans  une  paroisse;  des 
formalités  leur  sont  imposées,  de  crainte  qu'ils  ne  retombent 
trop  facilement  sur  les  plus  riches  contribuables,  ne  vexent  leurs 
ennemis  et  -ne  multiplient  les  frais  à  leur  profit1.  Ils  doivent 
solliciter  une  sentence  régulière  de  l'Election,  en  établis- 
sant qu'ils  ont  épuisé  les  autres  moyens  de  contrainte;  les  élus 
font  alors  procéder  à  la  «  discussion  sommaire 2  »  des  biens  de 
tous  les  collecteurs,  pour  s'assurer  qu'il  ne  reste  plus  de  biens 
c  exploitables  »,  puis  ils  délivrent  la  sentence  de  solidité3. 

Le  nombre  des  personnes  à  contraindre  avait  été,  par  le 
règlement  de  janvier  1634,  laissé  à  l'arbitraire  des  élus,  qui 
étaient  seulement  obligés  de  les  «  dénommer  par  noms,  sur- 
noms et  qualités  »,  mais  celui  d'août  1664  précisa  qu'il  serait 
de  six  contribuables  choisis  sur  une  liste  de  douze  noms  pré- 
sentée par  le  receveur  *. 

La  contrainte  pour  solidité  ne  pouvait  être  exercée  que 
par  saisie  des  biens  meubles,  dans  les  mêmes  conditions  que 
pour  les  collecteurs;  il  n'était  pas  permis  de  recourir  à  l'empri- 
sonnement :  «  De  fait,  dit  Lebret,  il  n'y  a  que  les  collecteurs 
qui  puissent  par  les  edits  être  contraints  par  corps,...  et  combien 
même  que  les  collecteurs  soient  élus  par  les  habitans,  et  a  leurs 
périls  et  fortunes,  si  est-ce  qu'un  particulier  qui  auroit  élu  le 

admettent  deux  autres  cas  de  solidité,  savoir  :  le  refus  de  nommer  des  collecteurs, 
et  la  rébellion  collective  des  contribuables.  L'établissement  de  la  nomination  d'of- 
fice des  collecteurs  supprima  le  premier  cas;  quant  aux  rébellions,  elles  étaient, 
comme  on  le  verra,  châtiées  par  des  opérations  militaires,  qui  différaient  sensi- 
blement de  la  solidité.  L'intendant  d'Alençon,  dans  son  mémoire  du  1"  septem- 
bre 1683,  distingue  un  quatrième  cas  :  «  le  divertissement  fait  par  les  collecteurs 
des  deniers  du  roy  »  ;  on  va  voir  qu'il  rentrait  dans  le  cas  général  d'insolvabilité 
qui  nous  occupe. 

1.  Cf.  le  Recueil  d'Orsay  :  les  huissiers  demandent  souvent  des  sentences  de  soli- 
dité «  afin  d'avoir  occasion  de  faire  plus  de  frais  sur  dix  ou  douze  habitans  sol- 
vables, qui  sont  ordinairement  nommez  pour  faire  l'avance  de  ce  qui  est  deu, 
qu'ils  ne  pourroient  faire  sur  deux  ou  trois  collecteurs  ».  (B.  N.  fr.   11096,  f°  17.) 

2.  La  discussion  était,  en  droit  civil,  la  forme  employée  pour  attaquer  la  cau- 
tion à  la  place  du  débiteur  :  c'est  proprement  «  la  recherche  que  l'on  fait  d'un 
débiteur  avant  de  s'adresser  à  un  autre  ".{Nouveau  dictionnaire  civil  et  canonique 
de  droit  et  de  pratique,  éd.  1707,  in-4°,  art.  Discussion.)  Dans  la  pratique,  le  rece- 
veur ne  faisait  pas  lui-même  la  discussion,  il  sommait  les  habitants  de  lui  pré- 
senter des  biens  exploitables  appartenant  aux  collecteurs;  s'ils  n'en  présentaient 
pas,  la  sentence  était  rendue.  (Voir  par  exemple  le  plumitif  de  l'Election  de  Cau- 
debec,  1"  janvier  1662,  A.  D.  Calv.) 

3.  Règlement  d'août  1664,  art.  18. 

4.  Art.  43.  L'art.  18  n'était  pas  exactement  d'accord  avec  celui-ci,  quand  il  disait 
que,  en  cas  de  collecteur  prisonnier  ne  payant  pas,  la  solidité  serait  prononcée 
par  les  élus  «  contre  tel  nombre  des  principaux  et  plus  solvables  habitans  des 
paroisses  qu'ils  jugeront  à  propos,  selon  la  force  des  paroisses  où  ils  seront 
demeurons  ».  Antérieurement,  un  arrêt  du  Conseil  du  2  avril  1661  n'ordonnait  la 
contrainte  que  «  contre  les  maires  et  eschevins,  et  non  contre  les  particuliers 
habitans  ».  (A.  D.  Somme,  C  1104,  p.  2.) 


LA    SOLIDITE.  497 

collecteur  ne  pouroit  estre  contraint  par  corps  a  païer  ce  que  le 
collecteur  devroit1  ». 

On  avait  abusé  des  solidités,  particulièrement  avant  1661.  A 
toutes  leurs  réunions,  les  Etats  de  Normandie  s'en  plaignaient, 
les  déclarant  injustes  et  tyranniques,  parce  qu'elles  forçaient 
des  contribuables  à  payer  pour  les  autres,  après  avoir  acquitté 
leur  propre  impôt,  ruinaient  des  communautés  entières  d'un 
seul  coup 2,  et  mettaient  les  peuples  a  la  discrétion  des 
receveurs  ou  des  traitants3.  La  Cour  des  Aides  appuyait  ces 
doléances,  et,  par  des  arrêts  de  1639  et  1651,  avait  interdit 
les  solidités  dans  son  ressort*.  Une  des  revendications  des 
Nus-pieds  révoltés  était  précisément  la  suppression  de  cet 
abus  5. 

Pescheur  a  expliqué  en  détail,  dans  son  mémoire  de  1665, 
comment  le  procédé  servait  les  intérêts  des  receveurs  : 

«  Les  receveurs  des  tailles...  [ne]  prennent  pas  un  si  grand  interest 
qu'on  croid  a  ce  que  les  tailles  soient  départies  et  imposées  égale- 
ment, ny  que  les  asseeurs  soient  des  plus  accommodez  habitans  de  la 
parroisse,  parce  que,  quoy  qu'il  arrive,  ils  y  trouvent  tousjours  leur 
conte,  en  ce  que  si  ceux  qui  ont  esté  mis  en  charge  sont  en  demeure 
de  payer,  après  une  légère  discussion  de  meubles,  on  leur  donne  des 
contraintes  solidaires  contre  telz  particuliers  qu'ilz  veulent  choisir, 
lesquelz,  pour  se  redimer  de  la  prison  ou  ilz  sont  reduitz  aussitost6, 
vendent  leurs  meilleurs  héritages  pour  satisfaire  a  la  recepte,  et  sou- 
vent aux  receveurs  mesmes,  ou  leur  font  des  obligations  stimulées 
pour  argent  preste  en  eschange  de  quittances  qu'ilz  leur  donnent  de 
ce  qui  leur  estoit  deub  sur  leurs  contraintes  ;  que  s'ilz  ne  le  peuvent 
appréhender  après  une  perquisition  de  meubles,  ilz  demandent  et  on 
leur  donne  encore  de  nouveaux  solidaires  jusqu'au  dernier  habitant; 
façon  d'agir  capable  de  ruiner  les  parroisses  jusqu'à  la  dernière  con- 
sommation 7.  » 


1.  Quinzième  action,  Œuvres,  p.  474.  C'est  en  ce  sens  qu'il  faut  interpréter  la 
règle  posée  par  Domat  :  «  on  ne  peut  pour  aucune  [contribution]  contraindre  les 
redevables  par  emprisonnement  de  leur  personne,  s'il  n'y  a  quelque  délit  ».  (Le 
Droit  public,  dans  ses  Œuvres,  II,  p.  35.) 

2.  Cf.  une  lettre  du  premier  président  de  la  Cour  des  Aides  de  Rouen, 
26  février  1666  :  «  les  babitans  de  la  pluspart  des  parroisses  de  ce  royaume  [ont 
été  forcés  de]  vendre  leurs  usages  et  communes  a  fort  vil  prix  pour  payer  les 
tailles  et  autres  grandes  sommes  de  deniers  qui  se  levoient  sur  eux  durant  les 
troubles  ».  (M.  G.  136,  f°  502.) 

3.  De  Beaurepaire,  Cahiers...,  règnes  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  t.  III,  p.  26,109, 
et  supplément,  p.  7.  Cf.  le  plaidoyer  de  Lebrel,  cité  plus  haut.  Les  Etats  géné- 
raux de  1483  avaient  déjà  protesté  contre  la  solidité.  (Journal  de  J.  Masselin, 
p.  675.) 

4.  Floquet,  Hist.  du  Parlement,  IV,  p.  559. 

5.  De  Beaurepaire,  Cahiers...,  III,  p.  270,  et  Bréard,  Les  archives  de  Honfleur, 
p.  109. 

6.  Cependant  on  vient  de  voir  que  la  prison  pour  solidité  était  interdite. 

7.  M.  C.  33,  f°  294.  Pescbeur  demande  qu'  «  on  arreste  les  concussions  des 
asseeurs-collecteurs,  on  oste  les  protections  et  on  taxe  sans  distinction  ny  reserve 
suivant  leurs  facultez  et  moyens  ceux  qui  n'ont  point  de  cause  légitime  de 
s'exempter  ». 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


32 


498  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Dans  les  pi  (inities  années  de  Colbert,  les  sentences  de  soli- 
dité sont  nombreuses.  Le  2  juillet  1661,  la  Cour  des  Aides 
condamne  douze  des  principaux  habitants  de  Vasteville  ii  payer 
au  receveur  des  tailles  l'arriéré  d'impôt  de  la  paroisse  pour 
1659,  montant  à  2826  1.;  l'arrêt  est  fondé  sur  ce  que  le  rece- 
veur ne  trouve  plus  chez  aucun  des  collecteurs  «  aucuns  biens 
exploitables,...  quelque  recherche  qu'il  en  aye  pu  faire1  ».  Le 
2  mars  1662,  la  même  Cour  autorise  le  commis  à  la  recette  de 
Chaumont  à  «  prendre  douze  des  plus  hauts  imposés  aux  rolles 
de  Magny  en  l'année  1659  pour  le  payement  des  sommes  par 
luy  demandées  pour  l'insolvabilité  des  collecteurs  dudit  Magny 2  ». 
En  1674,  elle  condamne  douze  des  principaux  bourgeois  de 
Honfleur  à  payer  23  0001.  de  taille  dues  par  la  ville3. 

En  octobre  1665,  Brévedent,  lieutenant  général  de  Rouen, 
chargé  de  démarches  auprès  des  paysans  pour  développer  l'éle- 
vage des  bestiaux,  écrit  à  Colbert  : 

«  Sur  ce  que  je  leur  ay  faict  veoir  qu'a  présent  les  choses  estoient 
gouvernées  d'une  autre  façon  et  avec  ung  ordre  bien  mieux  réglé,  ils 
m'ont  dit  que,  tant  que  Tarrest  de  solidité  pour  les  tailles  auroit  lieu, 
on  ne  verroit  point  faire  beaucoup  de  nourritures,  parce  que  personne 
ne  vouloit  point  estre  pris  pour  ung  autre  ny  payer  pour  son  compa- 
gnon. Je  croy  que  cette  solidité  estant  levée,  et  faisant  cognoistre 
que  ce  seroit  pour  faciliter  telles  nourritures,  beaucoup  de  personnes 
s'y  appliqueraient  *.  » 

On  a  lu  plus  haut  le  mot  de  l'intendant  de  Rouen  en  1674  : 
«  Faire  discuter  les  paroisses  »  — c'est-à-dire  les  mettre  en  soli- 
dité —  «  est  encore  un  plus  grand  mal  que  l'emprisonnement  » 
des  collecteurs6.  Enfin  l'intendant  de  Bouville  écrit  dans  son 
mémoire  du  1er  septembre  1683 6  : 

«  Les  solidités...  sont  aussy  faciles  a  empescher  qu'elles  sont  fas- 
cheuses  et  désagréables  aux  contribuables,  par  la  peine  qu'ils  ont  a 
payer  une  chose  dont  ils  se  sont  crus  quittes,  et  que  d'ailleurs  les 
frais  de  la  solidité  auxquels  ils  n'ont  pas  donné  lieu,  joints  aux  sommes 
diverties  [par  les  collecteurs]  causent  un  rejet  considérable  qui  les 
accable...  A  quoy  bon  nommer  six  solidaires  pour  lever  ce  qui  reste 
deub  par  les  contribuables,  si  ce  n'est  pour  la  facilité  des  receveurs 
qui  se  font  payer  promptement  par  lesdits  particuliers  solidaires;  ne 
vaudroit-il  pas  mieux  que  les  eslus  nommassent  seulement  deux  col- 
lecteurs, l'un  de  la  première  et  l'autre  de  la  seconde  eschelle  pour, 

1.  A.  D.  S.-Inf.,  Registre  du  Conseil  de  la  Cour,  année  1661,  f°  14. 

2.  Ibid.,  h  sa  date. 

3.  Brcard,  Les  archives  de  Honfleur,  p.  128.  En  aucun  de  ces  cas,  les  noms  des 
douze  personnes  à  contraindre  ne  sont  indiqués,  contrairement  aux  ordonnances. 

4.  M.  C.  132,  f°  66. 

5.  Ci-dessus,  p.  75. 

6.  A.  N.  G7  7Î.  Cf.  dans  le  même  sens  un  mémoire  de  Bnrin  de  la  Galisson- 
nière,  M.  C.  125,  f«  36i. 


LA    SOLIDITE.  499 

avec  les  collecteurs  discutés,  faire  le  recouvrement  de  ce  qui  resteroit 
deu?  Par  ce  moyen  les  parroisses  ne  seroient  pas  si  fatiguées..,  et  cet 
expédient  mesme  empescheroit  beaucoup  de  solidités  que  les  receveurs 
des  tailles  et  principalement  les  commis  font  juger  sur  des  procès- 
verbaux  de  discution  faits  un  peu  légèrement,  lorsque  des  collecteurs 
ne  les  payent  pas  aussy  promptement  qu'ils  souhaitent,  parce  que, 
par  ce  moyen,  ils  avancent  leur  recouvrement  sans  considérer  la  suite 
fascheuse  pour  la  parroisse.  » 

Les  intendants,  si  du  moins  on  les  croit  sur  parole,  sont 
arrivés,  sur  la  fin  du  ministère,  à  réduire  notablement  les 
solidités.  Le  29  juillet  1685,  de  Morangis  écrit  que,  dans  la 
généralité  de  Caen,  il  n'y  en  a  plus  d'exemple1.  Mais  le  pro- 
cédé restera  inscrit  dans  la  législation  2,  et  les  successeurs  de 
Colbert  le  remettront  bientôt  en  honneur3. 

Il  pouvait  arriver  que  la  solidité  fût  elle-même  insuffisante 
pour  amener  les  contribuables  à  s'acquitter.  En  ce  cas  les 
paroisses  étaient  déclarées  rebelles,  et  traitées  en  ennemies  du 
roi  :  les  troupes  venaient  les  soumettre,  et  les  faisaient  payer, 
en  argent  ou  en  nature.  Avant  Colbert,  on  avait  eu  recours  assez 
communément  à  ce  moyen  extrême,  en  Normandie.  On  lit  dans 
le  cahier  des  Etats  de  1643  : 

«  Il  y  a  cent  soldats  qui  courent  la  généralité  d'Alençon  pour  lever 
la  taille,  et  encor  de  présent,  dedans  la  vicomte  d'Orbec,  une  compa- 
gnie de  50  hommes  d'armes,  envoyée  par  le  receveur  des  tailles  de 
Lisieux,  y  fait  tel  ravage  que  chaque  soldat,  outre  sa  nourriture  qu'il 
prend  à  discrétion  chez  son  hoste,  exige  encor  de  luy  10  s.  pour 
chaque  jour;  ils  rompent  et  brûlent  les  portes  des  maisons,  desma- 
çonnent les  granges,  battent  les  bleds  qu'ils  vendent  publiquement  a 
vil  prix,  et  les  pailles  à  demy  battues  et  chargées  encore  de  partie  de 
leur  grain,  brûlent  aussi  les  charrettes  et  charuës,  et,  aux  massacres 
prés,  ne  se  pourroit  rien  faire  de  plus  horrible  par  l'ennemi 4.  » 

En  1664  encore,  une  compagnie  de  cavalerie  opère  dans  les 
villages  de  l'élection  de  Valognes  qui  refusent  de  payer  la 
taille;  le  receveur  lui-même  se  plaint  des  violences  commises, 
et  Colbert  charge  l'intendant  de  surveiller  les  soldats5.   Mais 

1.  A.  N.  G^  213. 

2.  Il  ne  sera  supprimé  que  par  un  édit  de  janvier  1775. 

3.  Cf.  De  Boislisle,  Correspondance,  t.  I,  nos  529,  774,  1106,  etc.  La  solidité  sera 
abolie  pour  les  droits  des  fermes  le  10  février  1688  (ibid.,  n"  529).  Cf.  Montesquieu, 
Esprit  des  lois,  liv.  XIII,  ch.  xvm. 

4.  Art.  44.  De  Beaurepaire,  Cahiers...,  t.  III,  p.  111.  Cf.  le  cahier  de  1593, 
art.  58  :  «  que  l'on  n'use  plus  contre  le  pcvre  peuple  des  rigueurs  de  la  guerre 
au  payement  de  ladite  taille;...  la  difficulté  du  payement  ne  procède  point  de 
mauvaise  volonté  et  refus  de  payer,  mais  de  l'impuissance  du  peuple,  qui  est  tel- 
lement grevé  et  oppressé  des  guerres  passées  qu'il  n'a  pas  la  pluspart  de  quoy  se 
nourrir  ».  (Ibid.,  règne  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  30.) 

5.  Let.  de  Dugué,  25  juillet  1664,  M.  C.  122,  f°  889.  L'intendant  écrit  en  post- 
scriptum  :  «Je  vous  supliedeme  mander  si  l'intention  de  S.  M.  est  que  les  cavaliers 
qui  sont  envoyés  dans  les  villages  qui  sont  en  demeure  de  payer  leur  taille  y  séjour- 
nent jusqu'à  ce  qu'ils  ayent  payé  ce  qu'ils  doivent  de  toutes  les  années  passées  ». 


600  LA    TAILLE    EN    KOItMANDIE. 

cet  exemple  est  unique  à  notre  époque.  L'intendant  d'Alençon 
écrit  en  1683  :  Dans  cette  province,  «  l'authorité  est  aussy  bien 
cstablie,  et  les  peuples  aussy  soubsmis  qu'ils  doivent  l'estre1  »; 
pas  n'est  besoin  de  troupes,  la  crainte  de  la  «  garnison  »  suffit  à 
retenir  les  Normands  dans  le  devoir2.  Mais  dans  plusieurs  autres 
pays  les  troupes  continuèrent  à  être  régulièrement  employées*. 

1.  Mémoire  du  1"  septembre  1683,  A.  N.  G^  71. 

12.  Let.  de  Leblanc,  i  juillet  1682,  B.  N.  fr.  8761,  f  57,  verso. 

3.  Les  recouvrements  par  logement  de  troupes  étaient  d'un  usage  courant  en 
Dauphiné,  en  Poitou,  en  Limousin,  en  Gascogne.  Dans  ces  provinces,  les  agents 
du  fisc  affirmaient  généralement  «  la  nécessité  de  maintenir  l'usage  des  fusiliers 

Eour  le  recouvrement  de  la  taille  ».  (Let.  de  l'intendant  de  Limoges,  1689,  De 
oislisle,  Corresp.,  I,  n°  706).  Sans  le  secours  des  gens  de  guerre,  «  les  affaires 
n'iroient  point  »  dans  la  généralité  de  Bordeaux,  écrit  Pellot  en  1664  (M.  C. 
113bu  f  704);  •  sans  gens  de  guerre,  on  ne  fera  jamais  rien  »  dans  l'élection  de 
Gannat,  dit  encore  Pomereu  en  1663  (M.  C.  115,  f°  265,  v°);  «  on  a  connu  par  expé- 
rience que  l'on  ne  pouvoit  faire  payer  les  cinq  eslections  de  Gascogne  sans  loge- 
ments »,  dit  un  mémoire  anonyme  de  1671  (Clairamb.,  793,  p.  123),  et  le  receveur 
général  de  Daupbiné  écrit  à  Colbert  le  8  octobre  1664  :  <  Le  régiment  catalan 
ayant  ordre  de  partir  de  cette  province,  je  va  estre  sans  troupes,  et  je  vous  jure, 
Monseigneur,  qu'elles  sont  sy  nécessaires  pour  mes  recouvremens,  que  je  ne  m'en 
puis  passer  sans  s'exposer  à  ne  recevoir  pas  un  sol.  L'apréhension  que  les  com- 
munautés en  ont  les  oblige  à  satisfaire,  et  l'exemple  des  grosses  cottes,  officiers, 
fermiers  des  nobles  et  autres,  que  l'on  fait  paier  par  cette  voie  porte  tous  les 
petis  a  paier,  au  lieu  que  lorsqu'ils  se  verront  fortifiés  par  les  cocs  de  parroisse, 
et  qu'il  n'y  aura  plus  de  troupes  pour  les  ranger,  la  recepte  tarira  tout  d'un  coup». 
(M.  C.  124,  f°  132;  cf.  une  autre  lettre  du  même  dans  Depping,  III,  p.  64,  et  un 
mémoire  de  1666,  M.  C.  140,  f"  117.)  Les  mêmes  agents  pensent  que  le  système 
est  préférable  o  celui  des  contraintes  par  huissiers  :  le  receveur  de  Dauphiné 
dit  qu'il  est  «  plus  doux  »  et  qu'il  «  couste  moins  de  frais  •  aux  contribuables; 
Pellot  est  du  même  avis  (M.  C.  127,  f°  384);  un  arrêt  du  Conseil  du  28  sept.  1662, 
ordonnant  des  garnisons  dans  la  généralité  de  Limoges,  publie  qu'il  a  été 
«  remarqué  par  experiance  que  cette  voye  fait  moins  de  frais  aux  contribuables 
et  plus  d  effet  pour  le  recouvrement  que  les  voyes  ordinaires.  »  (M.  C.  115,  f°  149.) 
Après  Colbert,  Le  Bret  vantera  le  procédé  en  demandant  qu'il  soit  étendu  à  tout 
le  royaume  (De  Boislisle,  Correspondance,  t.  I,  n°  176);  D'Aube  assurera  que 
c'est  «  le  moyen  le  plus  efficace  pour  accélérer  les  recouvremens  »,  car  «  il  s'agit 
en  pareil  cas  d'intimider  autant  qu'il  est  possible  sans  aggraver,  et  un  homme 
de  guerre  en  vient  a  bout  plus  aisément  que  les  autres  hommes  »  (B.  N.  fr.  21  812, 
.  425-6),  et  l'intendant  de  Montauban  confirme  cette  observation  en  1696  :  on  sait, 
it-il,  «  par  expérience  que  des  cavaliers  et  dragons  en  font  plus  en  huit  jours 
que  des  archers  et  autres  employés  ne  feraient  en  trois  mois  ».  (De  Boislisle, 
Correspondance,  t.  I,  n°  1580.) — Colbert,  qui  en  1658  n'avait  pas  craint  d'encou- 
rager son  cousin  de  Terron  à  recourir  au  procédé  (Clém.,1,  289-291  et  315),  ne 
l'approuva  jamais  pendant  tout  son  ministère;  à  Pellot  il  écrit  le  22  juin  1663  : 
«  si  c'est  une  nécessité  absolue,  il  faudra  s'y  résoudre,  quoyque,  a  la  vérité,  dans 
le  temps  de  calme  ou  nous  sommes,  ces  moyens  soyent  fort  odieux,  et  qu'il  est 
bon  de  ne  s'en  servir  qu'au  défaut  de  tout  autre  »  (Clém.,  II,  7);  à  Feydeau  de  Brou, 
intendant  de  Montauban,  le  21  oct.  1672  :  Il  n'y  a  «  rien  qui  m'ayt  fait  tant  de 
peine  jusqu'à  présent  dans  toute  la  conduite  des  finances  du  royaume  que  ces 
contraintes  par  logement  effectif  qui  se  pratiquent  dans  les  généralités  de  Bor- 
deaux et  Montauban.  »  (Ibid,  p.  254;  cf.  ses  letttes  à  d'autres  intendants,  dans  le 
même  sens,  p.  98,  116,  138,  177,  224,  257,  etc.)  Plusieurs  fois  il  ordonna  à  ses 
subordonnés  de  «  travailler  par  tous  les  moyens  possibles  à  retrancher  la  con- 
trainte par  logement  effectif  »  (ibid.,  p.  22'»),  mais  il  était  retenu  par  la  crainte 
de  «  préjudicier  à  la  seureté  et  facilité  du  recouvrement  »  (p.  166)  ;  il  écrivait 
à  Feydeau  de  Brou  le  15  sept.  1673  :  «  comme  il  faut,  tant  pour  les  recouvremens 
ordinaires  que  pour  les  extraordinaires,  que  tout  ce  qui  se  fait  aboutisse  à  les 
faire  payer  et  à  faire  venir  de  l'argent  au  roy,  si  vous  trouvez  que  les  contraintes 

(>ar  huissiers  ne  produisent  pas  cet  effet,  il  faut  sans  balancer  mettre  en  pratique 
es  contraintes  par  logement  »  (p.  290;  cf.  encore  p.  315).  —  V.  des  ordonnances 
pour  envoyer  des  gens  de  guerre  recouvrer  les  impôts,  M.  C.  115,  f°  149;  A.  N.  O  •  12, 
l"  146  et  508,  B.  N.  fr.  4180,  f»  200. 


I 


CHAPITRE  VIII 


LES  RECOUVREMENTS.  —  L'ÉTAT  ÉCONOMIQUE 


LA    LIQUIDATION    DU    PASSE.     II.    LA    TAILLE     DE    1661    A    1672.    

III.     LA     TAILLE    PENDANT    LA   GUERRE    DE    HOLLANDE.    IV.     LA    FIN 

DU    MINISTÈRE  (1679-1683). 


I.   —    LA   LIQUIDATION   DU    PASSE 

Nous  avons  étudié  jusqu'ici  le  régime  de  la  taille  en  Nor- 
mandie dans  toutes  ses  parties.  Il  est  maintenant  possible 
d'en  examiner  les  résultats  généraux  à  la  fois  pour  les  con- 
tribuables et  pour  le  gouvernement.  Combien  l'impôt  a  pro- 
duit chaque  année;  quelle  répercussion  il  a  eue  sur  la  vie  du 
peuple,  telles  sont  les  questions  qui  se  posent  au  terme  de 
cette  étude. 

Au  temps  d'Henri  IV,  la  taille  levée  dans  tout  le  royaume  ne 
dépassait  pas  20  millions1.  La  guerre  entreprise  contre  la 
maison  d'Autriche  avait  fait  doubler  ce  chiffre,  et  pendant  le 
ministère  de  Mazarin  on  l'avait  encore  accru,  si  bien  qu'en 
1657  les  dix-huit  généralités  des  pays  d'élections  payaient 
53  423000  1.  En  1660,  à  la  suite  de  la  paix,  ce  chiffre  avait  été 
ramené  à  44  688  000  1. 2,  ce  qui  était  encore,  par  comparaison 
avec  le  début  du  siècle,  une  somme  énorme.  Le  régime  fiscal, 
quelque  peu  amélioré  dans  le  détail  par  des  règlements  comme 
celui  de  1634,  ne  s'était  pas  perfectionné  à  proportion  de  cet 
accroissement,  de  sorte  qu'on  s'était  procuré  ce  supplément  de 
ressources  surtout  en  extorquant  de  l'argent  aux  contribuables, 
qui  en  étaient  accablés  3.  De  multiples  signes  de  misère  appa- 
raissaient dans  tout    le    royaume 4,    et    le    Trésor    n'encaissait 

/ 

1.  Forbonnais,  Recherches,  éd.  in-4°,  I,  p.  107.  Revue  Henri  IV,  t.  I  (1905),  p.  19. 

2.  Voir  les  tableaux  placés  en  tête  du  vol.  238  des  M.  G.  et  B.  N.  fr.  Nouv.  acq., 
20  207  et  20  208.  Les  différents  Etats  de  la  France  donnent  également  des  tableaux 
d'impositions. 

3.  Ci-dessus,  p.  451  et  suiv. 

4.  Cf.  Feillet,  La  misère  au  temps  de  la  Fronde,  4e  éd..  Paris,  1868,  et  le  discours 
d'Orner  Talon  du  15  janvier  1648,  dans  ses  Œuvres,  éd.  1732,  t.  IV,  p.  190. 


502  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

presque  rien.  Il  était  clair  que  cet  état  ne  pouvait  durer.  En 
décembre  1643,  les  élus  de  Caen  déclaraient  à  un  trésorier 
général  en  chevauchée 

«  que  depuis  le  long  temps  qu'ils  servent  le  roy  en  leurs  charges, 
ils  n'avoient  jamais  veu  l'eslection  du  dit  Caen  sy  abbattue  et  ruynée 
comme  elle  est  a  présent  de  tous  costez,  et  qu'il  y  a  sergenterie  ou  il 
n'y  ayt  quantité  de  paroisses  du  tout  insolvables  et  incapables  de 
pouvoir  secourir  le  roy  d'aucuns  deniers,  et  que  s'il  n'est  prompte- 
ment  pourveu  d'une  grande  diminution  des  tailles  aux  paroisses 
mesme  les  meilleures  de  ladite  eslection,  et  a  une  descharge  entière 
des  misérables,  lesquelles  ont  esté  abandonnées  et  sont  en  regale  plus 
par  misère  que  par  mauvaise  inclination,  il  n'y  a  plus  moyen  de  faire 
subsister  la  dite  eslection1  ». 

Six  ans  après,  les  mêmes  officiers  déclarent  que  partout 
«  ils  ont  remarqué  une  si  horrible  misère  qu'ilz  ne  se  peuvent 
pas  persuader  qu'il  n'advienne  de  très  grandes  non-valeurs  des 
deniers  des  deux  dernières  années,  et  qu'en  l'année  prochaine 
une  grande  partie  des  paroisses  ne  pourront  payer  leurs  dites 
tailles,  ou  très  peu*  ».  Le  24  juillet  1648,  les  trésoriers  géné- 
raux de  Rouen  écrivent  à  l'assemblée  des  Bureaux  des  finances 
à  Paris  que  les  tailles  de  la  généralité  montent  à  «  des  sommes 

3ui  l'accablent  entièrement  et  la  mettent  dans  l'impossibilité 
e  payer  à  l'advenir  la  taille  sy  elle  n'est  souslagée  d'une  dimi- 
nution nottable  pour  la  pouvoir  remettre.  Aussy  vous  pouvons- 
nous  asseurer  qu'il  y  a  tous  les  ans  un  quartier  desdites  sommes 
en  non-valleurs3.  »  Dans  l'élection  de  Carentan,  imposée  annu- 
ellement à  moins  de  200000  I.,  les  restes  au  20  janvier  1659 
ftour  les  quatre  années  antérieures  s'élevaient  à  plus  de  316  000  1.  ; 
es  contribuables  avaient  donc  à  payer,  outre  le  courant,  une 
année  et  demie  d'arriéré,  sans  compter  les  vieux  restes,  tombés 
en  non-valeurs4.  Beaucoup  d'autres  pays  étaient  dans  une  situa- 
tion pire  encore8,  due  tout  à  la  fois  à  l'impuissance  et  au  mau- 

1.  À.  D.  Calv.,  Bureau  des  Finances,  Procès-verbaux  de  chevauchées. 

2.  Ibiil.  La  misère  était  aggravée  cette  année  par  le  manqne  de  blé  et  plusieurs 
incendies  de  villages. 

3.  B.  N.  fr.  7686,  f°  11  (Correspondance  de  Fournival). 

4.  Etat  dressé  à  la  mort  du  receveur  de  l'élection,  A.  D.  Calv.,  Bureau  des 
finances,  Procès-verbaux  de  différentes  affaires,  1659-69,  f*  262-301.  Sur  l'impôt 
de  1658,  il  n'est  payé  que  39  635  1.;  11  paroisses  n'ont  encore  pas  versé  un   sou. 

5.  En  Guyenne,  en  1659,  les  terres  du  duc  d'Epernon  «  ne  payent  rien  et  n'ont 
point  fait  de  rôles  d'imposition  depuis  plus  de  sept  ou  huit  ans,  et  toutes  les  per- 
sonnes de  qualité,  dans  l'estendue  de  la  Guyenne,  suivent  cet  exemple  »  (Let.  de 
Colbert,  31  août  1659,  Clém.,  I,  360).  Dans  l'élection  d'Orléans,  en  1656  «  beaucoup 
de  paroisses  »  ne  font  point  de  rôles,  ne  nomment  pas  de  collecteurs,  les  rece- 
veurs ne  peuvent  rien  encaisser  (Arrêt  du  Conseil,  10  mai  1656,  A.  D.  Seine-et- 
Oise,  C,  89).  En  1658,  on  ne  peut  tirer  un  sou  de  l'élection  des  Sables-d'Olonne 
(Clém.,  I,  289).  Cette  situation  se  prolongera  après  1661  :  en  1662,  les  terres  du 
duc  d'Arpajon  sont  exemptées  de  taille  par  l'autorité  de  leur  seigneur  (Clém.,  II, 
226);  le  16  murs  1663  un  receveur  de  Guyenne  écrit  qu'il  n'a  «  pas  encore  reçu  un 
denier  des  impositions  de  cette  année...  les  peuples   ne  paient  rien  qu'à  force  de 


LA    LIQUIDATION    DU    PASSE.  503 

vais  vouloir  des  peuples1.  Nulle  part  on  ne  pouvait  rien  recou- 
vrer sans  violences  extrêmes,  à  tel  point  qu'en  1661,  lorsqu'on 
parla  au  Conseil  d'établir  une  Chambre  de  justice,  certains  con- 
seillers assurèrent  que,  par  cet  établissement,  «  tous  les  recou- 
vremens  cesseroient  dans  les  provinces,  parce  que  tous  les  peu- 
ples courroient  sus  aux  préposés  aux  recouvremens  et  aux  gens 
d'affaires2  ». 

La  guerre  avait,  dans  une  certaine  mesure,  justifié  les 
grandes  impositions  et  les  rigueurs  employées  à  les  lever.  Après 
la  paix,  la  nécessité  de  soulager  les  contribuables  apparut  à 
tous  les  gens  du  gouvernement.  Le  roi  disait  dans  le  préambule 
des  commissions  des  tailles,  expédiées  le  12  août  1660  : 

«  Un  des  principaux  fruicts  que  nous  attendons  de  la  paix  qu'il  a 
pieu  a  Dieu  de  donner  a  nos  Estats..,  c'est  que  nous  pourrons  désor- 
mais en  liberté  travailler  a  la  reformation  des  abus  qui  se  sont  glissez 
dans  nostre  royaume  sur  le  sujet  de  nos  impositions  pendant  le  long 
cours  des  guerres  estrangeres  et  civilles,  en  telle  sorte  que  nos  pauvres 
peuples  se  trouveront  égallement  soulagez  par  la  manière  de  lever  nos 
deniers  et  par  les  descharges  que  nous  leur  accorderons  plus  grandes 
d'une  année  à  l'autre  a  mesure  que  Testât  de  nos  affaires  et  les  engage- 
mens  ou  nous  sommes  à  cause  des  despenses  du  passé  nous  le  pour- 
ront permettre  *.  » 

Neuf  jours  auparavant,  un  arrêt  du  Conseil,  inspiré  peut-être 
par  Colbert4,  avait  accordé  aux  contribuables  la  remise  de  tout 
ce  qu'ils  devaient  pour  les  années  antérieures  à  1657,  et  ordonné 
la  surséance  des  contraintes  pour  les  années  postérieures.  «  La 
juste  impatience  ou  [S.  M.]  est  pour  le  repos  de  ses  sujets,  disait 
le  préambule,  ne  luy  [permet]  pas  de  différer  davantage  à  leur 
donner  quelques  marques  de  sa  bonté  et  à  leur  faire  connoistre 
pour  ce  commencement  ce  qu'ils  en  doivent  attendre  à  l'avenir8.  » 


contraintes. ..,  les  voies  ordinaires  sont  trop  faibles.  Il  semble  avec  cela  que  M.  de 
Saint-Luc  prenne  plaisir  à  faire  périr  mes  affaires  par  ses  longueurs  et  ses  diffi- 
cultés »  (M.  G.  115,  f°  283).  —  Forbonnais  a  justement  remarqué  que,  par  suite 
de  ces  mauvais  paiements,  «  les  tailles,  montées  à  57  400  000  1.,  ne  raportoient 
pas  même  autant  que  lorsqu'elles  étoient  à  18  et  20  millions,  comme  avant  1620  » 
(Recherches,  I,  p.  273). 

1.  Cf.  ci-dessus,  p.  48.  Le  14  août  1648,  Mazarin  écrit  à  Servien  :  «  Les  peuples 
commencent  à  gouster  les  douceurs  et  les  espérances  qu'on  leur  a  données  mali- 
cieusement de  ne  payer  presque  rien,  et  le  remède  à  ce  mal  ne  pouvant  estre  que 
la  violence,  quelquefois  bien  pire  que  le  mal  mesme,  les  bien  intentionnez  sont 
en  petit  nombre  et  ne  servent  pas  à  grand'ebose  »  (Lettres  de  Mazarin,  III, 
p.  175).  Dans  l'élection  de  Gaen,  en  décembre  1643,  12  paroisses  refusent  de  payer 
la  taille,  quoiqu'elles  soient  en  état  de  le  faire  (Procès-verbal  de  chevauchée,  cité 
plus  haut). 

2.  Mémoire  de  Colbert,  1663,  Clém.,  II,  42. 

3.  A.  D.  Calv.,  Registre  de  commissions  des  tailles,  1661-72,  f°  13.  Cf.  une  lettre 
de  Foucquet  au  Bureau  des  finances,  24  août  1660,  ibid.,  f°  2,  cl  Forbonnais, 
Recherches,  t.  I,  p.  269. 

4.  Cf.  son  mémoire  à  Mazarin  du  1er  oct.  1659,  Clém.,  Vil,  176. 

5.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen,  Registre  d'ordonnances  1656-63,  f°  322.  Cf.  les 


504  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

A  la  vérité,  cette  opération,  qui  était  une  pratique  ancienne  du 
gouvernement',  ne  causait  pas  grand  dommage  au  Trésor,  car 
personne  n'espérait  recouvrer  ces  arriérés;  le  roi,  ne  perdant 
rien  qu'une  vaine  créance,  se  montrait  généreux  à  bon  compte. 
Mais  la  mesure  avait  l'avantage  d'enlever  un  prétexte  aux  exac- 
tions des  receveurs  et  huissiers,  et  elle  témoignait  de  la  bien- 
veillance du  souverain  pour  les  contribuables. 

Pour  réaliser  ces  promesses,  on  se  heurtait  à  la  nécessité 
d'approvisionner  au  jour  le  jour  le  Trésor  toujours  vide,  avec 
une  administration  désordonnée;  aussi  dès  la  fin  de  1660,  le 
gouvernement  accordait-il  des  mainlevées  de  la  surséance  à  des 
à  des  traitants,  tels  Monnerot  et  Gourville2,  pour  percevoir  les 
arriérés  de  1657  à  1660,  et  les  soldats  étaient  réapparus  dans  les 
villages3.  Monsieur  étant  venu  à  la  Cour  des  aides  de  Paris 
pour  faire  enregistrer  ledit  supprimant  une  partie  des  élus,  le 
27  août  1661,  le  Premier  Président  le  haranguait  en  ces 
termes  : 

«  Trouvés  bon  que  nous  vous  demandions  si  la  paix  est  faite,  comme 
nous  n'en  pouvons  douter  après  les  publications  pompeuses  et  écla- 
tantes qui  ont  retenty  de  toutes  parts  dans  le  royaume;  pourquoi  n'en 
ressentons-nous  pas  les  effets?  Pourquoy  les  peuples  souffrent-ils  les 
mesmes  maux  qu'ils  souffroient  durant  la  guerre?  Pourquoi  les  mesmes 
édits,  les  mesmes  charges,  la  mesme  misère?...  Nous  souffrons  beau- 
coup plus  que  par  le  passé,  puisque  nous  souffrons  sans  gloire  et  sans 
espérance.  Quels  sentiments  auront  les  peuples  de  tous  les  feux  de 
joie  qu'ils  ont  fait  pour  la  paix?  4  » 

Il  était  réservé  à  Colbert  de  réaliser  ces  réformes,  dont  il 
n'a  sans  doute  pas  eu  seul  l'initiative.  On  a  vu  comment  il 
réduisit  progressivement  les  tailles  dès  1661 5,  et  remit  un  peu 
d'ordre  dans  toutes  les  branches  de  l'administration,  par  le 
moyen  des  intendants.  Parallèlement  à  cette  œuvre,  il  travailla, 

dernières  paroles  de  Maznrin  au  roi,  Clém.,  I,  535,  et  le  préambule  de  l'édit 
d'aoïH  1661  portant  réduction  du  nombre  des  élus. 

1.  Henri  IV  avait  fait  remise  de  tout  l'arriéré  des  impôts  à  son  avènement;  il 
l'avait  renouvelée  en  décembre  1598,  et  en  mars  1G00  il  remettait  tout  ce  qui  était 
dû  jusqu'en  l'année  1590  inclusivement.  (C.  d.  T.  I,  185).  Cf.  sur  ces  remises  un  plai- 
doyer de  Lebret  en  1600,  dans  ses  Œuvret,  p.  546.  Richelieu  en  avait  fait  de  même 
en  1627  et  1628.  En  1647,  le  roi  avait  remis  17  millions  sur  l'arriéré  des  tailles 
(Forbonnais,  I,  253).  Les  déclarations  des  13  juillet  et  23  octobre  1648  avaient 
remis  tout  l'arriéré  jusqu'en  1647  (Néron,  t.  II,  p.  18  et  20). 

2.  Clém.,  II,  8.  Cf.  les  Mémoires  de  Gourville,  publ.  par  Lecestre,  avec  l'intro- 
duction. 

3.  Cf.  la  sentence  du  Bureau  des  finances  de  Caen,  du  18  novembre  1661  :  «  Sur 
l'advis...  qu'aucuns  particuliers  traictans  prétendent  s'immisser  a  faire  paier  es 
eslections  de  cette  généralité  les  restes  deubs  des  tailles...  contre  et  au  préjudice 
de  l'arrest  du  Conseil  d'Estat  du  3e  aoust  1660,...  [Nous  défendons]  à  touttes  per- 
sonnes, de  quelques  quallités  et  conditions  qu'elles  soient  de  s'immisser  à  la 
recette  »  de  ces  restes  (A.  D.  Calv.  Plumitif  du  Bureau). 

4.  Arch.  des  Affaires  étrangères,  Mém.  et  docum.,  France,  911,  f°  150. 

5.  Ci-dessus,  p.  22-23. 


LA    LIQUIDATION    DU    PASSE.  505 

dans  les  premières  années,  à  la  liquidation  du  passé.  Le  but  à 
atteindre  était  double  :  percevoir  les  impositions  arriérées  là  où 
c'était  possible,  et  faire  remise  aux  contribuables  de  ce  qu'ils  ne 
pouvaient  payer,  de  façon  à  obtenir  chaque  année  une  situation 
nette.  Il  a  expliqué  ses  vues  à  Mazarin  dans  un  mémoire  du 
1er  octobre  1659  : 

«  Il  est  vray  que...  les  peuples  ne  payent  que  la  moitié  ou  les  deux 
tiers  de  leur  taxe  dans  le  courant  de  cette  année  [1658]  jusqu'en 
novembre  de  la  suivante  1659,  et  n'auront  achevé  de  payer  cette  impo- 
sition peut-estre  qu'au  mois  d'avril  ou  may  1660,  et  dans  le  courant 
de  cette  seconde  année,  ils  payent  moitié  de  leurs  impositions  anté- 
rieures; c'est-à-dire,  par  exemple,  que  depuis  novembre  1658  jusqu'en 
novembre  1659,  les  peuples  payent  la  moitié  de  leurs  impositions  de  la 
mesme  année  1659,  un  quart  de  la  précédente  qui  est  en  1658,  et  un 
quart  de  1657  ;  en  sorte  qu'ils  payent  toujours  une  année  entière  dans 
le  courant  de  douze  mois1  ». 

Si  donc  on  parvenait  à  n'avoir  plus  d'arriéré  à  une  certaine 
date,  on  pourrait  continuer  à  n'en  avoir  plus  jamais,  sans  exiger 
davantage  des  contribuables. 

La  question  de  la  remise  des  vieux  restes,  conformément  à 
l'arrêt  du  3  août  1660,  fut  discutée  à  la  première  réunion  du 
nouveau  Conseil  des  finances 2.  Une  simple  remise  motivée 
par  1'  «  impuissance  »  des  contribuables  avait  l'inconvénient 
d'encourager  les  mauvais  payeurs  et  de  compromettre  les  recou- 
vrements de  l'avenir.  Le  Conseil,  dit  Colbert,  représenta  au  roi 

«  Que  rien  n'avoit  esté  trouvé  jusqu'alors  si  préjudiciable  au  recou- 
vrement de  ses  deniers  que  ces  sortes  de  remises,  parce  que  ses  peu- 
ples qui  payoient  règlement  et  soigneusement  n'en  profitoient  point, 
il  n'y  avoit  que  les  malintentionnés,  et  qui  ne  payoient  que  par  la 
force,  qui,  non  seulement  se  confirmoient  dans  leur  opinastreté,  mais 
mesme  atliroient  les  autres  par  l'avantage  qu'ils  y  recevoient  ». 

On  résolut  donc  «  d'attendre  quelque  grande  occasion,  qui 
fust  de  telle  qualité  qu'elle  ne  pust  tirer  a  conséquence,  pour 
faire  cette  remise3  »,  et  cette  occasion  fut  la  naissance  du  Dau- 


1.  Glém.,  VII,  176. 

2.  Il  appartenait  au  Conseil,  d'après  le  règlement  du  15  septembre  1661,  de  tra- 
vailler à  «  diminuer  et  ôter,  s'il  se  peut,  toutes  les  causes  de  diminutions  de 
fermes  et  des  non-valeurs  des  recettes  générales  et...  tenir  soigneusement  la  main 
à  ce  que  le  recouvrement  des  dites  impositions  soit  fait  dans  les  temps  prescrits 
par  les  ordonnances,  en  sorte  que  les  dépenses  que  Sa  Majesté  assignera  sur  les 
dites  impositions  soient  ponctuellement  payées  et  acquittées  »  (Glém.,  II,  750). 

3.  Mémoire  de  Colbert  sur  les  affaires  de  finances,  1663,  Clém.,  II,  47-48.  Cf.  les 
Mémoires  de  Louis  XIV,  éd.  Dreyss,  t.  II,  p.  398.  Dans  une  lettre  du  4  mars  1663, 
les  trésoriers  de  France  à  Grenoble  signalaient  à  Colbert  les  inconvénients  de 
ces  remises  de  restes  :  «  La  plus  grande  partie  des  habitans  des  communautés 
de  cette  généralité  font  [difficulté]  de  payer  la  taille,  et  ne  la  vodront  payer  a 
l'advenir  que  par  la  force  des  gens  de  guerre,  disants  que  S.  M.  ayant  surcis  les 


506  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

phin,  arrivée  le  1er  novembre  1661.  Le  5  janvier  suivant,  un 
arrêt  du  Conseil  ordonna  la  remise.  «  Le  roy,  disait  cet  arrêt, 
ayant  résolu  de  donner  tous  les  jours  de  nouvelles  marques 
de  sa  bonté  paternelle  envers  ses  peuples  »,  et  voulant  «  par- 
tager avec  eux  la  joie  »  qu'il  avait  de  la  naissance  d'un  fils, 
reconnaissant  d'autre  part  qu'il  «  ne  pouvoit  faire  un  bien  plus 
considérable  à  ses  peuples  que  de  leur  remettre  tous  lesdits 
restes,  non  seulement  par  les  grandes  sommes  qui  sont  deues 
dans  toutes  les  généralités  du  royaume,  mais  mesme  par  la 
multiplicité  des  contraintes  qui  causent  de  grands  frais  à  ses 
peuples  »,  les  quittait  de  tout  ce  qu'ils  n'avaient  pas  payé  des 
années  antérieures  à  1657,  espérant  «  les  exciter  à  payer  le 
plus  soigneusement  qu'il  leur  sera  possible  les  impositions  qui 
seront  faites  pour  l'advenir  ».  Les  receveurs  et  collecteurs 
devaient  d'ailleurs  vider  leurs  mains  de  tous  les  deniers  qu'ils 
avaient  encaissés  jusqu'à  la  date  des  présentes1. 

L'application  de  cet  arrêt  fut  laborieuse.  Les  receveurs  étant, 
comme  on  l'a  vu,  «  en  demeure  de  compte  »  depuis  nombre 
d'années,  on  ne  pouvait  savoir  au  juste  ce  qu'ils  avaient 
encaissé  et  ce  qui  leur  était  réellement  dû  par  les  paroissses. 
Impossible  également  de  vérifier  la  recette  des  collecteurs. 
Les  Bureaux  des  finances  mirent  quatre  ans  à  apurer  ces 
comptes,  leur  rivalité  avec  les  Elections  contribuant  encore  â 
retarder  leur  travail2. 


tailles  du  pané,  qu'EUe  sursoira  les  présentes  et  celles  de  l'avenir,  n'ayant  qu'a 
se  detl'endre  des  exécutions  des  collecteurs  et  receveurs  pour  quelque  temps  pour 
s'exempter  de  la  taille.  Pareille  sursouyance  acoordée  en  l'année  1648  rendit  les 
peuples  rebelles  a  la  taille  durant  quatre  années,  pendant  lesquelles  lesdits  rece- 
veurs ny  leurs  commis  ne  pouvoietit  aller  dans  lesdictes  communautés  sans  npré- 
ention  de  leur  vie...  N'estoit  lu  permission...  accordée  par  S.  M.  de  faire  lever  la 
partie  de  l'Espargne  par  les  gens  de  guerre  qui  sont  ù  présent  dans  la  province, 
il  est  certain  que  la  taille  courante  ne  se  pourroit  lever,  parce  que  les  plus  gros 
cottisez,  qui  ont  payez  cy-devant  leurs  cottes  desdictes  tailles  volontairement, 
voyant  que  leurs  voysins,  pour  avoir  fait  quelque  résistance,  sont  a  présent 
déchargés  du  payement  de  leurs  cottes,  sans  doute  ils  feront  difficulté  de  les 
payer  a  l'advenir.  »  (M.  C.  115  f°  107).  En  1659,  dans  la  région  de  Joigny,  le  faux 
bruit  ayant  couru  que  le  roi  remettait  les  restes  de  l'année  précédente,  les  contri- 
buables s'attroupaient  pour  résister  aux  huissiers  qui  voulaient  les  contraindre  à 
payer  (Arrêt  du  Conseil  du  .S  mai  16">9,  A.  D.  Seinc-et-Oise,  C,  89). 

1.  A.  D.  Culv.,  Election  de  Cacn,  Registre  d'ordonnances  1656-63,  f°  465.  Con- 
firmé par  la  déclaration  du  6  mai  106]  (A.  D.  S.-Inf.,  C.  1463,  pièce  9).  S.  M., 
disait  encore  l'arrêt,  «  auroit  esté  longtemps  empesché  de  faire  celle  remise  par 
les  fascheuses  suites  qu'elles  ont  eues  par  le  pusse,  qui  ont  fait  voir  que  les 
peuples,  persuadez  qu'elles  leur  seroient  tousjours  fuites  de  temps  en  temps,  se 
sont  endurcis  a  payer  les  impositions  courantes  ». 

2.  Le  Bureau  de  Rouen  ayant,  le  20  juillet  1663,  commis  un  élu,  Jacques  Leva- 
vasseur,  pour  vérifier  les  quittances  des  collecteurs  et  dresser  l'état  des  restes 
antérieurs  à  1657  (Plumitif  du  Bureau.  A.  D.  S.-Inf.,  C  1105;  f°  142,  v°),  celui-ci 
mit  la  plus  mauvaise  volonté  possible  à  son  travail  :  au  bout  d'un  un,  interrogé 
sur  l'état  de  sa  vérification  il  vient  déclarer  au  Bureau  •  qu'il  n'a  travaillé  vertu 
de  l'ordonnance  du  Bureau,  dont  il  n'a  eu  connoissance,  mois  bien  vertu  d'arrest 
du  Conseil  du  mois  de  janvier  1662,  avec  commission  »  de  l'intendant  (Ibid., 
C  1166,  f°  128,  14  juillet  1664).  Quinze  jours  après,  sommé  de  présenter  un  état,  il 
répond  «  que  son  greffier  luy  a  dit  avoir  baillé  le  procès-verbal  de  la  vérification 


LA    LIQUIDATION    DU    PASSE.  507 

En  1665,  pour  en  finir,  la  Chambre  des  Comptes  décide  de 
faire  présenter  par  les  receveurs  directement  aux  Bureaux  des 
finances  leurs  états  de  restes1,  de  1638  à  1656  inclusivement. 
Pendant  plus  d'une  année  encore,  les  trésoriers  de  France  tra- 
vaillèrent à  réunir  et  à  vérifier  ces  états  sans  que  jamais  on  ne 
parvint  à  savoir  «  la  vérité  au  vrai  ».  Suivant  un  intendant,  le 
seul  moyen  d'aboutir  eût  été  d'envoyer  des  hommes  habiles 
^dans  toutes  les  paroisses  pour  «  vérifier  avec  les  collecteurs  de 
chascune  année  ce  qui  est  deub  »,  mais  c'eût  été  «  un  travail 
de  grande  discussion2  »,  qu'on  ne  pouvait  entreprendre3.  Les 
«  reprises  »  des  vieux  restes  furent  faites  dans  les  comptes  des 
receveurs  sans  contrôle  détaillé,  et  l'affaire  en  resta  là. 

Assurer  la  perception  des  arriérés  qui  n'étaient  pas  remis, 
n'était  pas  une  opération  moins  délicate  que  la  première. 
On  ne  pouvait  songer  à  la  faire  faire  par  tous  les  receveurs, 
chacun  s'occupant  de  l'année  où  il  avait  exercé  :  la  même 
paroisse  aurait  été  en  proie  à  trois  ou  quatre  receveurs,  expé- 
diant chacun  leurs  contraintes;  dans  la  généralité  de  Clermont, 
où  les  restes,  engagés  à  l'Hôtel  de  ville  de  Paris,  étaient  perçus 
par  trois  receveurs  différents,  le  pays  en  était  ravagé*.  Un 
traité  unique  fut  donc  conclu  dans  chaque  généralité  avec  un 
receveur  général 8  qui  devait  lui-même  sous-traiter  pour  la  percep- 
tion dans  chaque  élection;  mais  alors  s'imposait  la  nécessité  de 
faire  présenter  aux  receveurs  dépossédés  des  états  de  restes 
exacts. 

Un  arrêt  du  Conseil  du  30  mars  1662  leur  ordonna  de  fournir 
ces  états  «  incessamment  »  aux  Bureaux  des  finances6,  avec 
interdiction  de  rien  percevoir,  tant  qu'ils  n'auraient  pas  obéi. 


des  restes,  en  son  absence,  à  M"  Henry  Piguet,  procureur  en  la  Chambre  des 
Comptes,  pour  M8  Jean  Sonning,  receveur  des  tailles  »  (Ibid.,  f°  141,  v°, 
1er  août  1664).  Le  Bureau  ne  put  jamais  en  obtenir  davantage. 

1.  Arrêt  du  13  mai,  mentionné  au  plumitif  du  Bureau  de  Rouen,  ibid.,  C  1167, 
f  177,  v». 

2.  D'Herbigny  à  Colbert,  5  juin  1666,  M.  C.  138,  f°  213. 

3.  Le  28  septembre  1663,  un  sieur  Lefebvre-Chantereau  demande  à  Colbert  qu'on 
lui  paye  ses  gages,  comme  on  le  lui  avait  promis,  avec  les  «  deniers  recelés  par 
les  collecteurs  de  l'élection  de  Crespy  pendant  les  années  remises  »;  c'est  lui  qui 
en  a  fait  la  recherche,  en  sorte,  dit-il,  «  qu'il  n'en  couste  rien  au  roy  pour  me 
faire  cette  justice  »  (M.  C.  117,  f  249).  Mais  c'est  un  cas  isolé. 

4.  Le  t.  de  l'intendant  à  Colbert,  21  octobre  1664,  M.  C.  124,  f°  441.  Cf.,  sur  la 
désolation  du  pays,  la  lettre  des  Trésoriers  Généraux,  du  8  mai  1663,  ibid., 
115  blt,  f°  891  :  «  Il  ne  reste  dans  les  paroisses  que  ce  que  les  dernières  violences 
n'ont  pu  arracher,  ce  que  des  compagnies  entières  de  gens  de  guerre  n'ont  pu 
exiger  ny  emporter,  et  qui  ont  laissé  une  misère  et  une  désolation  générale;  elle 
est  plus  grande  que  nous  ne  pouvons  l'exprimer  ». 

5.  Il  semble  que  l'on  conclut  avec  chacun  un  forfait,  basé  sur  les  estima- 
tions des  intendants  :  je  n'en  ai  pas  trouvé  trace  pour  la  Normandie,  mais  c'est 
ainsi  qu'on  opéra  en  Auvergne  (M.  C.  124,  f°  4'il)  et  en  Poitou  (ibid.,  536). 

6.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  du  Bureau  des  finances,  année  1662,  f°  31.  Une  instruc- 
tion fut  adressée  par  Colbert  en  janvier  1663  aux  Bureaux  pour  appliquer  l'arrêt 
(ibid.,  à  la  date  du  26  janvier  1063). 


508  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

La  difficulté  d'obtenir  ces  comptes  était  la  même  que  pour  les 
restes  entièrement  remis  *  ;  mais  l'opération  fut  conduite  avec  plus 
de  diligence,  grâce  ;■  I  intervention  des  receveurs  généraux  qui 
y  étaient  intéressés.  Celui  de  Rouen  étant  venu  se  plaindre  au 
Bureau,  le  28  février  1663 2,  qu'il  n'avait  pu  obtenir  jusqu'ici 
aucun  état  des  receveurs  particuliers,  il  se  fait  délivrer  une  ordon- 
nance pour  les  contraindre  '  ;  le  11  septembre  suivant,  il  fait  expé- 
dier un  arrêt  du  Conseil,  qui  accorde  aux  receveurs  un  délai  de 
quinze  jours  pour  s'exécuter*,  et  comme,  cinq  mois  plus  tard, 
il  n'a  encore  rien  obtenu,  les  receveurs  s'étant  bornés,  dit-il,  à 
«  exciper  des  advances  ou  ils  prétendent  estre  pour  lesdites 
années  »,  quoiqu'ils  aient  «  des  deniers  en  leurs  mains  de  ceux 
deubs  à  ladite  recepte  générale,  ce  qui  faict  voir  que  leurs 
allégations  touchant  lesdites  advances  prétendues  sont  illu- 
soires »,  il  obtient  une  nouvelle  ordonnance  du  Bureau,  portant 
injonction  aux  receveurs  de  fournir  leurs  états  «  dans  huitaine  ». 
Cinq  semaines  après,  il  réitère  encore  sa  plainte,  et  fait  déli- 
vrer une  quatrième  ordonnance  de  mise  en  demeure,  qui  semble 
avoir  enfin  produit  effet.  Il  ne  fallut  pas  moins  de  ténacité,  dans 
les  autres  généralités,  pour  aboutir. 

L'intervention  des  intendants  ne  contribua  d'ailleurs  pas  fai- 
blement à  ce  succès.  Un  arrêt  du  Conseil  du  6  septembre  1663 
leur  avait  enjoint  de  se  faire  «  représenter  par  les  receveurs  ou 
commis  aux  receptes  des  tailles  les  estats  certifiez  aux  peines  de 
l'ordonnance  de  leurs  restes  depuis  et  compris  l'année  1657 
jusqu'à  présent,  avec  leurs  diligences5  ». 

A  partir  de  1666,  les  états  lurent  déposés,  non  sans  lenteur, 
du  reste.  Celui  de  l'élection  de  Bayeux  est  du  10  mai  1666 6, 
celui  d'Avranches  du  5  mars  1666,  celui  de  Caen  du  30  jan- 
vier 1666,  celui  de  Coutancês,  du  23  octobre  1668 7. 

Le  tableau  suivant  donne  le  montant  des  restes  que  j'ai  pu 
connaître'  : 


1.  Le  receveur  de  Valognes  représentait  au  Bureau  de  Caen  le  26  mai  1662 
qu'une  partie  de  ses  quittances  lui  manquaient,  et  il  demandait  un  délai  de  six 
mois  pour  s'exécuter;  et  comme  il  avait  à  payer  les  gages  de  certains  officiers,  le 
Bureau  l'autorisait  à  continuer  néanmoins  sa  perception.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  du 
Bureau  des  finances,  16U2,  f°  1.2. 

2.  A.  D.  S.-Inf.,  C  1165,  f°  46,  v°. 

3.  Ibid.,  f  203. 

4.  Ibid.,  C  1166,  f°  67.  ' 

5.  Publié  dans  Godard,  Les  pouvoir»  des  intendants,  p.  501-503. 

6.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Bayeux. 

7.  Ibid.,  fonds  de  ces  élections. 

8.  Renseignements  tirés,  pour  la  généralité  de  Caen,  de  la  série  d'états  au  vrai 
présentés  au  Bureau  des  finances;  pour  celle  de  Rouen,  du  plumitif  du  Bureau, 
année  1661  (C,  1164).  Je  néglige  les  sous  et  les  deniers.  Les  blancs  dans  les 
colonnes  indiquent  que  nous  n'avons  pas  de  chiffres  pour  l'élection  à  la  date 
considérée. 


LA    LIQUIDATION    DU    PASSE. 


509 


ÉLECTIONS 

DATE 
DE    L'ETAT 

1657 

1658 

1659 

1660 

1661 

Avranches .... 

20  juin    1661 
4  mars  1666 

2  495  1. 

néant 

10  mai    1666 

5761. 

857 

3  402  1. 

5  973  1. 

30  janv. 1666 

205  1. 

108 

1413 

Carentan    .... 

20'janv.  1659 

105  050 

Coutances  .... 

23  oct.     1668 

52 

448 

706 

558 

Evreux 

26nov.   1661 

13  716 

Montivilliers.    .    . 

7  déc.    1661 

18  000 

21 janv. 1666 

néant 

néant 

néant 

néant 

néant 

14  déc.    1661 
2  avril  1665 

20  595 

8  653 

26  mai    1662 
22  oct.    1663 

6  479 

4  302 

16  mars  1666 

375 

néant 

142 

néant 

454 

Assurer  la  perception  de  ces  restes  dans  les  paroisses  fut 
également  une  tâche  délicate.  Les  contribuables,  qui  se  flat- 
taient de  l'espérance  de  n'en  rien  payer,  n'obéissaient  qu'aux 
plus  dures  rigueurs,  et  le  gouvernement  n'osait  pas  trop  les 
presser,  par  crainte  de  compromettre  la  perception  du  courant. 

En  Normandie,  le  recouvrement  fut  particulièrement  entravé 
par  certaines  fautes,  volontaires  ou  involontaires,  de  l'adminis- 
tration. Un  monitoire  de  la  Chambre  de  justice  publié  dans  les 
paroisses  au  début  de  1662  avait  parlé  des  remises  de  restes 
«  accordées  aux  peuples...  dès  années  1656,  1657  et  1658  »; 
les  contribuables  en  prirent  texte  pour  ne  pas  payer  les  restes 
de  1657  et  1658;  il  fallut  un  arrêt  du  conseil  du  30  mars  1662 
pour  les  détromper  et  leur  rappeler  l'arrêt  du  5  janvier  1662  *. 
Vers  le  même  temps,  on  faisait  courir  de  faux  bruits  sur  «  la 
remise  des  tailles  de  l'année  courante  et  des  cinq  années  précé- 
dentes »;  le  Conseil  dut  encore  les  démentir2.  Enfin,  quelques 
mois  après,  on  mit  en  circulation  dans  les  provinces  des 
imprimés  de  la  déclaration  du  6  mai  1662,  confirmative  de  l'arrêt 
du  5  janvier,  avec  ce  titre  :  Remises  des  restes  des  tailles,  taillon, 
subsistances  et  autres,  indéfiniment;  il  fallut  un  troisième  arrêt 
du  Conseil  pour  désabuser  les  contribuables,  qui  finissaient 
par  croire  tout  de  bon  à  la  remise3.  En  août  1664,  encore, 
Colbert  écrit  aux  intendants  :  Veillez  à  ce  que  «  les  peuples  ne 
se  persuadent  pas  qu'on  veut  leur  remettre  ces  restes4  ». 


1.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  de  Bureau  des  finances,  année  1662,  f°  31. 

2.  Arrêt  du  5  avril  1662,  ibid,  f°  33. 

3.  Arrêt  du  11  janvier  1663,  ibid,  Election  de  Caen,  registre  d'ordonnances 
1656-63,  à  sa  date. 

4.  Circulaire  du  8  août  1664,  Clém.,  II,  9  (donnée  à  tort  comme  une  lettre  à  de 
Fortia,  et  datée  par  erreur  du  8  août  1663).  Cette  illusion  des  contribuables  fut 
tenace  :  encore  en  1686,  l'intendant  de  Limoges  écrit  qu'en  certaines  paroisses, 
on  fait  «  toujours  courre  le  bruit  que  [les  tailles]  sont  remises,  et  quelques 
décharges  qu'ils  ayent  tous  les  ans,  ils  sont  toujours  en  reste  »  (inventaire  des 
Archives  départementales ,  Haute-Vienne,  série  C,  p.  274). 


% 

510  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

Les  intendants  eurent  mission  de  surveiller  les  receveurs 
pour  que  l'opération  n'entravât  pas  le  paiement  du  courant  : 
aucune  contrainte  ne  pouvait  être  exécutée  sans  leur  visa;  ils 
devaient  reconnaître  «  la  cause  du  retardement,  et,  en  cas  que 
ce  soit  par  impuissance,  y  pourveoir  au  prochain  département, 
cependant  donner  les  ordres  nécessaires  auxdits  receveurs  et 
commis  pour  régler  de  gré  à  gré  des  termes  avec  les  collec- 
teurs pour  le  payement  de  ce  qu'ils  pourront  devoir  »,  enfin, 
le  cas  échéant,  faire  exécuter  par  la  maréchaussée  les  paroisses 
rebelles  '.  Cette  surveillance  était  d'ailleurs  malaisée.  L'intendant 
de  Moulins  écrit  le  5  mars  1665  :  «  Jusqu'à  présent,  il  m'a  esté 
impossible  de  n'avoir  aucune  lumière  »  touchant  ces  contraintes 2. 
Colbert  recommandait  les  ménagements  à  ses  subordonnés  : 
«  Quant  aux  restes...,  il  en  faut  prolonger  le  payement  en  sorte 
que  les  peuples  en  puissent  recevoir  quelque  soulagement  en 
leur  misère3.  »  Mais  le  besoin  d'argent  commandait,  et  il  fal- 
lait, malgré  tout,  assurer  le  recouvrement.  Le  4  mars  1666,  le 
ministre  écrivait  à  Voysin  :  «  Le  roy  ayant  tiré  des  assignations 
sur  les  restes  de  taille  deubs  de  la  généralité  de  Rouen  depuis 
l'année  1657  jusques  a  présent,  que  S.  M.  désire  de  s'acquitter, 
je  vous  escris  ces  lignes  pour  vous  dire  que  son  intention  est 
que  vous  visiez  les  contraintes  décernées  contre  les  paroisses 
redevables  par  les  receveurs  des  tailles,  en  tenant  la  main  qu'il 
ne  s'y  fasse  pas  de  vexations  \  » 

La  levée  se  fit  cependant  avec  rigueur.  Dans  les  provinces 
où  les  restes  étaient  élevés,  comme  1  Auvergne  et  la  Gascogne, 
les  receveurs  ne  pouvaient  rien  tirer  que  par  des  solidités  et 
des  logements  de  troupes5.  La  Normandie  fut  parmi  les  moins 

1.  Arrêt  du  6  septembre  1663,  dans  Godard,  Les  pouvoirs  des  intendants,  p.  502. 
Cf.  l'arrêt  du  Conseil  du  30  mars  et  la  déclaration  du  6  mai  1662,  A.  D.  Calv., 
Election  de  Caen. 

2.  M.  C.  128,  P  176. 

3.  Let.  du  8  août  166%,  Clém.,  H,  7.  Cf.  la  lettre  à  Lejay,  17  juillet  1662  :  vos 
ennemis  vous  reprochent  de  ne  pas  assez  presser  les  recouvrements,  ■  mais  j'ay 
bien  compris  que  vous  avez  de  bonnes  raisons  pour  ne  les  pas  entièrement  satis- 
faire en  cela,  particulièrement  à  cause  de  l'extrême  misère  que  la  province  a  souf- 
ferte, et  qu'il  n'estoit  pas  juste  de  presser  les  peuples  dans  une  année  si 
fascheuse  >  (ibid.,    223). 

4.  M.  C.  128,  P  176.  Minute  de  Colbert;  non  publiée  par  Clément. 

5.  En  Touraine,  en  Orléanais,  en  Poitou,  les  frais  «  sont  presque  aussy  grands 
que  le  principal.  »  Let.  de  Ch.  Colbert,  7  nov.  1665,  M.  C.  133,  £•  176.  Sur  les 
concussions  des  receveurs  en  Auvergne,  v.  les  lettres  de  Joly,  27  nov.  1663,  dans 
Depping,  III,  50.  de  Fortin,  29  août  166»,  M.  C.  123b",  P  537,  et  de  Pomereu, 
28  sept.  166  \,  ibid.,  117,  P  251.  Charles  Colbert  écrit  le  11  août  16<i4  de  Touraine  : 
«  Je  vois  bien  que  pour  remettre  ces  recettes-cy  pour  l'avenir  en  Testât  qu'elles 
doivent  estre,  il  faudra  de  nécessité  accorder  de  grandes  descharges  pour  le  passé  » 
(ibid.,  123,  P  312),  et  le  15  novembre  suivant  :  «  Les  collecteurs  et  autres  hnbi- 
tans  pris  pour  la  .solidité  ont  esté  poussés  à  ce  point  qu'il  y  a  beaucoup  de  par- 
roisscs  dont  on  n'a  rien  pu  tirer,  ny  par  logements  de  gens  de  guerre,  ny  par  des 
emprisonnemens  d'une  année  entière,  et  dans  cet  accablement  de  restes,  il  est 
impossible  qu'ils  ressentent  beaucoup  de  soulagement  des  diminutions  qu'on  leur 
accorde  pour  le  courant,  car  il  n'y  a  point  de  bons  habitans  qui  ne  soient  ou  col- 
lecteurs redevables  de  la  taille  ou  du  sel,  ou  pris  pour  la  solidité  »  (ibid.,  125,  P  406). 


LA    LIQUIDATION    DU    PASSE.  511 

accablées  par  cette  perception.  Néanmoins  il  fallut  employer, 
on  l'a  vu,  les  troupes  pour  faire  payer  certaines  paroisses1,  et 
l'opération  traîna  jusqu'aux  environs  de  1669.  Les  receveurs 
particuliers  surtout  eurent  à  souffrir  des  exigences  des  leurs 
supérieurs.  Maintes  fois  ils  furent  poursuivis  devant  les  Bureaux 
des  finances  pour  avoir  à  «  vider  leurs  mains  »  de  sommes  qu'ils 
avaient  perçues  et  non  versées,  ou  pour  activer  leurs  diligences. 
A  la  fin  de  1661,  le  receveur  général  de  Rouen  fait  emprisonner 
les  receveurs  particuliers  d'Evreux,  de  Rouen  et  du  Pont- 
l'Evêque  pour  leurs  restes;  celui  d'Evreux  doit  13  716  1.  de 
l'année  1659,  mais  il  affirme  que  les  collecteurs  lui  redoivent 
«  plus  de  20000  l.2  ».  Celui  de  Rouen  est  en  reste  de  209  681 1. 
pour  la  même  année 3.  A  celui  de  Pont-1'Evèque,  le  receveur 
général  réclame  50000  1.  pour  les  restes  de  1660;  mais  le 
Bureau  des  finances,  après  vérification  des  comptes,  réduit  le 
chiffre  à  33  133  1. 4,  «  pour  le  recouvrement  desquelles,  déclare- 
t-il,  il  a  faict  toutes  les  dilligences  possibles,  n'en  pouvant  faire 
de  plus  pressantes,  a  joindre  que  la  plupart  des  commissaires 
des  tailles  de  ladite  ellection  sont  décédez3  ».  Le  receveur  de 
Montivilliers  est  également  inquiété  pour  un  arriéré  de  18000  1. 
sur  cette  année  1659°.  Lorsque  les  receveurs  de  la  généralité  de 
Caen  présentèrent  leurs  comptes  au  Bureau  des  finances,  au 
début  de  1666,  il  leur  était  encore  dû  de  notables  sommes  pour 
les  années  1657  à  1661,  et  il  n'est  pas  sûr  qu'ils  aient  jamais  pu 
les  recouvrer  entièrement7. 

En  1664,  Colbert,  voulant  en  finir,  projetait  d'abandonner 
tous  ces  restes  à  titre  de  non-valeurs.  Il  enquêta  auprès  des 
intendants  sur  les  conséquences  éventuelles  de  cette  mesure; 
tous  furent  d'avis  qu'elles  seraient  fâcheuses  :  «  Il  ne  faut  point 
flatter  les  peuples  d'aucune  remise  pour  le  passé,  dit  celui 
d'Orléans...  Il  vault  bien  mieux  diminuer  les  impositions  cou- 

L'intendant  d'Orléans,  en  1669,  signale  «  la  misère  dont  souffrent  les  peuples,  tant 
à  cause  de  la  stérilité  des  années  dernières  que  par  le  recouvrement  des  restes  du 
passé  depuis  1657  jusqu'en  1661  »  (Glém.,  II,  9),  et  vers  le  même  temps  le  rece- 
veur d'Auch  écrit  à  Colbert  :  «  Si  l'on  n'arrête  la  violence  avec  laquelle  l'on  fait 
lever  les  restes  des  vieilles  années,  assurément  cela  retardera  et  peut-estre  appor- 
tera la  ruine  de  nos  recouvremens.  »  (Let.  du  23  avril  1663,  M.  G.  115"'%  f°  657).  A 
Montauban,  en  1663,  tout  est  dû,  ou  presque,  depuis  1657:  les  paroisses  du  comté 
de  Foix,  «  accoutumées  »  à  ne  pas  paver,  résistent  à  toutes  les  contraintes  (Let. 
de  Pellot,  17  sept.  1663,  ibid.,  107,  f°  105;, 

1.  Ci-dessus,  p.  499. 

2.  A.  D.  S.-Inf.,  C  116'»,  f°  206. 

3.  Ibid.,  f°  226.  Le  Bureau  ordonne  son  élargissement,  attendu  qu'il  a  une 
caution. 

4.  Ibid.,  f°«  199  et  203. 

5.  Ibid.,  f°  181. 

6.  Ibid.,  f°  214. 

7.  On  ne  peut  donner  des  chiffres  exacts,  parce  qu'il  manque  les  états  de  plu- 
sieurs années  en  diverses  élections.  Un  arrêt  du  Conseil  du  4  octobre  1670  défend 
à  tous  receveurs  d'exécuter  aucune  contrainte  pour  les  restes  antérieurs  à  1662, 
sans  l'autorisation  du  Conseil  {Mém.  alphab.,  p.  168),  preuve  qu'à  cette  date 
l'opération  n'était  pas  terminée  partout. 


612  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

notes,  alfin  que  les  peuples  ne  se  flattent  point  d'une  des- 
charge qui  les  rend  ordinairement  mauvais  payeurs,  surtout  les 
parroisses  qui  ont  de  l'appuv  *  ».  Celui  de  Grenoble  écrit  de 
son  côté  :  «  Il  est  assurément  de  la  dernière  conséquence  de 
faire  espérer  des  remises  de  restes  aux  peuples*  »,  et  le  receveur 
de  la  même  généralité  :  «  Cette  surséance  [projetée]  est  de  dan- 
gereuse conséquence,  et  n'apportera  d'autre  soulagement  a  la 
province  que  celle  d'authoriser  la  désobéissance  des  méchans 
payeurs,  qui  ne  sont  pour  la  pluspart  que  la  cotte  des  puissans, 
car  le  pauvre  païsan  paie  tousjours  la  taille  des  premiers,  et  ce 
qui  fait  nos  non-valeurs,  ce  sont  les  fermiers  de  nos  gentils- 
hommes et  autres  mains-fortes3  »,  et  Charles  Colbert,  en  inspec- 
tion dans  la  généralité  de  Tours  : 

«  Je  ne  treuve  point  [de  moyen]  quy  ne  tire  a  conséquence,  car  de 
remettre  les  restes  des  années  les  plus  elloignées,  comme  il  a  pieu  au 
roy  de  le  faire  cy-devant,  on  a  veu  par  expérience  que  cette  grâce  n'a 
produit  que  de  la  dureté  et  de  l'opiniastreté  parmi  les  habitans  qui  en 
ont  conçu  de  l'espérance  d'obtenir  a  l'avenir  de  semblables  descharges. 
De  reimposer  les  dits  restes,  il  y  a  selon  mon  sens  moins  d'inconvé- 
niens;...  par  là  vous  empeschcriés  les  abus  et  friponneries  que  les 
receveurs  peuvent  commettre  dans  une  remise  générale,  vous  scauriés 
aussy  au  vray  a  combien  montent  les  restes  sans  qu'il  soit  besoin 
d'une  plus  grande  veriffication,  car  les  habitans  qui  croiroient  les 
devoir  payer  par  cette  reimposition  auroient  interest  d'empescher  que 
les  receveurs  ne  leur  imputassent  de  plus  grands  restes  qu'ils  n'en 
doivent.  Le  plus  grand  inconvénient  que  j'y  treuve  est  que  cette 
grâce,  qui  coustera  beaucoup  au  roy,  se  fera  sourdement  et  sans  esclat, 
en  sorte  que  les  peuples  ne  pourront  pas  reconnoistre  ce  nouveau  tes- 
moignage  de  la  bonté  de  S.  M.  en  leur  endroit,  et  d'ailleurs  il  seroit 
bien  rude  aux  habitants  quy  ont  bien  payés  de  grand  taux  et  quy  ont 
fait  effort  pour  se  libérer,  d'esfre  a  présent  réimposés4.  » 

Colbert  abandonna  son  projet  à  la  suite  de  cette  consultation; 
mais  aucune  diligence  ne  fut  plus  faite  contre  les  receveurs,  et 
ce  qui  n'était  pas  payé  en  1668  ne  fut  jamais  exigé.  L'affaire, 
comme  celle  des  restes  antérieurs  à  1657,  fut  abandonnée. 


1.  Let.  des  19  août  et  15  décembre  1664,  M.  C.  123  f°  404,  et  126,  f*  352. 

2.  Let.  du  25  août  1664.  M.  C.  123,  t  473.  Cf.  la  lettre  des  trésoriers  généraux 
de  Grenoble  ù  Colbert,  4  mars  1663,  citée  plus  baut,  p.  505,  note  3. 

3.  Let.  du  16  mars  1664,  Depping,  III,  p.  64. 

4.  Let.  du  13  août  1664,  M.  C.  123,  f°  404. 


LA    TAILLE    I>E    1661    A    1672.  513 


II.   —    LA    TAILLE    DE    1661    A  1672 

En  même  temps  qu'on  travaillait  à  la  liquidation  du  passé,  on 
améliorait  la  perception  du  courant.  Chaque  année  de  nouvelles 
réformes  étaient  accomplies,  les  contribuables  étaient  enrichis 
et  l'impôt  diminué.  Dans  le  préambule  des  commissions  des 
tailles  pour  1664,  le  roi  disait  : 

«  La  paix  dont  par  la  grâce  de  Dieu  nous  jouissons  présentement 
nous  donnant  le  temps  de  nous  occupper  à  la  réformation  des  abus  que 
la  licence  de  la  guerre  avoit  causé  au  préjudice  de  nos  sujets,  notre 
principalle  pensée  est  de  travailler  à  leur  soulagement.  C'est  pourquoy 
après  leur  avoir  accordé  la  remise  des  restes  des  tailles  de  dix  années 
et  des  diminutions  considérables  sur  les  trois  années  dernières,  nous 
voulons  encore  leur  augmenter  nos  grâces  pour  la  prochaine,  en  telle 
sorte  que  par  cela  il  y  aura  lieu  d'espérer  que  les  contribuables  aux 
dites  tailles  ressentiront  un  soulagement  sensible,  pourvu  que  le  régal- 
lement  en  soit  fait  avec  soing  en  faveur  des  paroisses  qui  ont  été  sans 
protection.  Aussy  est-il  raisonnable  que  les  dits  contribuables  satisfas- 
sent au  payement  des  sommes  auxquelles  ils  seront  imposez  *.  » 

Colbert  commentait  ce  texte  dans  une  circulaire  aux  inten- 
dants du  20  août  1663  :  «  La  diminution  ne  vous  paroistra 
peut-être  pas  fort  considérable,  [mais]  il  sera  bon  de  remarquer 
qu'elle  a  esté  si  grande  les  années  dernières,  que  la  taille  est 
presque  diminuée  d'un  tiers,  et  que  la  partie  employée  pour  le 
remboursement  des  esleus  tournera  au  soulagement  des  peu- 
ples... de  sorte  que,  par  ces  deux  raisons,  il  y  a  lieu  d'espérer 
que  les  impositions  estans  bien  faites,  les  peuples  les  acquit- 
teront avec  facilité2  ». 

L'année  suivante,  les  commissions  des  tailles  vantent  encore 
les  réformes  entreprises,  et  les  diminutions  d'impôt  accordées  : 

«  Encore  qu'après  la  paix  nous  nous  soyons  trouvé  chargé  de  beau- 
coup de  despences,  nous  avons  néanmoins  diminué  nos  tailles  de 
notables  sommes  capables  de  soulager  les  contribuables,  mais  à  nostre 
grand  regret  ils  ne  s'en  sont  pas  ressentis  au  point  que  nous  l'aurions 
souhaité  à  cause  de  la  disette  des  bledz  et  autres  fruicts  arrivée  es 
années  1660  et  1661  et  des  maladies  qui  ont  fait  mourir  quantité  des 
dits  contribuables.  C'est  ce  qui  nous  a  fait  résoudre  d'accorder  encore 
quelques  diminucions  d'une  année  à  autre  selon  que  Testât  de  nos 
affaires  le  pourra  permettre,  désirant  avec  passion  (après  la  refforma- 
tion  des  abus  de  nos  finances)  de  rétablir  le  commerce  et  les  manufac- 
tures dans  nostre  royaume,  de  telle  sorte  que  les  marchands  et  artisans 

1.  A.  D.  Galv.,  Registre  de  commissions  1661-72,  f°  213. 

2.  Deppiriç,  III,  p.  33.  Cf.  le  mémoire  de  Colbert  sur  les  finances,  1663  :  «  Le 
roy  travaille  à  enrichir  les  peuples  par  la  diminution  des  impositions  ». 
(Clém.,  II,  65.) 

IV    TAILLE    EN    NORMANDIE.  33 


514  LA    TAU. 1.1.     I.\     NORMANDIE. 

gaignans  leurs  vies  ils  payent  plus  facilement  les  charges  de  nostre 
Estât*.  » 

En  1665  encore,  le  roi  rappelle  les  nouveaux  règlements 
qu'il  a  rendus  «  afin  de  faire  cesser  les  abus  et  les  vexations 
qui  se  font  aux  impositiorts  et  levées  de  nos  deniers  ;  »  il  a 
travaillé  à  «  résoudre  plusieurs  suppressions  d'officiers  des 
Elections  et  autres,  a  en  retrancher  d'inutiles  employez  dans 
les  estats  défi  maisons  royalles,  a  revocquer  quantité  d'ennoblis 
par  lettres  obtenues  moyennant  finance  modicque  ou  soubz  de 
faux  prétextes,  par  le  moyen  de  quoy  le  nombre  des  contri- 
buables se  trouvera  augmenté  au  soulagement  des  pauvres; 
outre  lesquels  advantages,  ajoute-t-il,  nous  faisons  estât  que  le 
commerce  et  les  manufactures  que  nous  restablissons  fortement 
en  ce  royaume  donneront  moyen  auxdits  contribuables  de 
débiter  leurs  denrées  et  gaigner  leur  vie  plus  commodément 
qu'ils  n'ont  fait  que  par  le  passé*  ».  En  août  1664,  en  effet,  avait 
été  publié  le  grand  règlement  général  des  tailles,  et  le  4  juillet 
précédent,  les  saisies,  courses  et  exécutions  des  huissiers 
avaient  été  minutieusement  réglées;  puis  l'arrêt  du  conseil  du 
5  juillet  1665  avait  interdit  les  abus  commis  dans  les  rejets 
d'impositions. 

En  1666,  les  intendants  sont  établis  à  demeure  dans  les 
généralités,  surveillent  les  élus,  trésoriers  de  France  et  rece- 
veurs; ils  commencent  à  dresser  leurs  mémoires  généraux,  dont 
Colbert  s'inspire  pour  ses  réformes3.  Cette  même  année,  la 
prospérité  des  campagnes  commence  à  réapparaître*,  et  le  roi 
continue  à  assurer  ses  sujets  de  sa  volonté  de  s'  «  appliquer 
avec  soin  et  affection  à  tout  ce  qui  regarde  [leur]  bien  et  soula- 

gement...   et  les  faire  jouir  des  fruits  de  la  paix  qu'il  a  plu  a 
ieu  [de]  donner5  ». 

Dans  cette  période  de  1661  à  1666,  un  grand  effort  a  été  fait 
pour  hâter  les  recouvrements,'  mais  les  résultats  n'en  apparais- 
sent pas,  à  cause  de  la  perception  des  restes,  faite  en  même 
temps.  La  taille  de  1661  était  payée  avec  grande  lenteur  :  au 
7  novembre  de  cette  année,  les  contribuables  de  lélection  de 
Vire  n'avaient  payé  que  40  p.  100  de  leur  impôt6;  au  27  octo- 
bre 1662,  ceux  de  Mortain  n'ont  acquitté  que  35  p.  100  de  l'année 


1.  A.  D.  Calv.,  Registre  de  commissions  de  1661  ù  1672,  F  317. 

2.  Ibid.,  P  382. 

3.  Le  premier  de  ces  mémoires  dont  nous  ayons  connaissance  est  adressé  par 
Chamillart  le  25  février  1666.  «  J'ay  travaillé  avec  aplication,  dit-il  en  l'annon- 
çant, a  reconnoistre  les  abus  qui  se  commettent  dans  l'imposition  et  le  paiement 
des  tailles.  J'espère  que  mon  travail  ne  sera  pas  inutile  ».  (M.  C.  139,  f°  453.) 

4.  Ci-dessus,    p.  70. 

5.  A.  D.  Calv.,  Registre  de  commissions,  1661-72,  P  440. 

6.  Imposition  de  l'élection  :  357  269  1.  Somme  payée  :  175  649  1.  (A.  D.  Calv., 
Bureau  des  finances,  registre  d'ordonnances  sur  différentes  affaires.) 


LA    TAILLE    DE    1661    A    1672. 


515 


courante,  et  redoivent  beaucoup  d'arriéré1.  Au  30  juillet  1665, 
ceux  de  Caudebec  redoivent  25333  1.  sur  l'année  précédente2. 
Au  17  octobre  1665,  l'arriéré  de  Montivilliers  s'élève  à  1812  1. 
pour  1660;  7  720  1.  pour  1662,  515  1.  pour  1663;  nous  n'avons 
pas  les  chiffres  de  1662  et  16643.  Au  1er  avril  de  la  même  année, 
Coutances  redoit  28  400  livres  sur  sa  taille  de  1663 4.  —  Au 
début  de  1666,  lorsqu'on  put  obtenir  enfin  des  receveurs  des 
comptes  en  règle,  on  constata  qu'en  toutes  les  élections,  ou  à 
peu  près,  il  y  avait  des  arriérés  pour  toutes  les  années  depuis 
1661.  Le  tableau  suivant,  relatif  à  la  généralité  de  Caen,  donne 
le  montant  de  ces  restes  au  début  de  1666 5  : 


ÉLECTIONS 

1661 

1662 

1663 

1664 

1665 

TOTAUX 

Avranches  (4  mars).  . 
Bayeux  (5  mai) .... 
Caen  (30  janvier)  .  .  . 
Mortain  (21  janvier).  . 
Valognes  (14  mars).  . 

140  1. 
5  973 

néant 
454 

280  1. 
3  259 
3  505 

364 
1204 

1  679  1. 

5  706 

7  727 

2  191  1. 

4  219 

8  020 
15  195 
25  261 

46  431  1. 

77  122 
107  394 

61  561  1. 

98  387 
142  040 

On  voit  que  l'élection  de  Bayeux  a  un  arriéré  égal  à  plus  du 
quart  de  son  imposition  annuelle;  Mortain  et  Valognes  redoi- 
vent chacune  plus  d'une  demi-année  d'imposition,  sans  compter 
les  restes  des  années  1657-1660.  Mais  cet  état  peut  être  consi- 
déré comme  heureux  si  on  le  compare  à  celui  de  1661. 

Dans  les  quatre  années  suivantes,  le  montant  de  la  taille  est 
encore  réduit  progressivement  :  il  passe,  pour  les  18  généralités 
d'élections,  de  36  084  610  1.  en  1666  à  33  782  210  en  1669 
et  33  795  797  1.  en  1671 6.  Les  commissions  de  1668  font  valoir 
cette  diminution,  d'autant  plus  méritoire  que  le  roi  avait  eu  à 
mettre  sur  pied  ses  armées  pour  la  guerre  de  Flandre  : 

«  Encore  que  dans  l'occasion  des  guerres  qui  surviennent  il  soit 
assez  ordinaire  d'augmenter  les  impositions  pour  subvenir  aux 
dépenses  nécessaires  pour  les  soutenir,  nous  avons  néantmoins  donné 
tel  ordre  à  nos  finances  que  nous  espérons  satisfaire  non  seulement 
aux  charges  de  nostre  Estât,  mais  aussy  à  celles  de  la  guerre  que  nous 
avons  entreprise  dans  les  Pays  bas...  sans  fouler  nos  subjects,  lesquels 


1.  Imposition  de  l'élection  en  1662  :  211  396.  Somme  payée  :  75  243  1.  L'arriéré 
de  1660  s'élève  à  7  220  1.  {ibid.). 

2.  Imposition  de  l'élection  en  1664  :  230  400  1.  (A.  D.  S.-Inf.,  G  1 164,  f°  139). 

3.  Ibid.  G.  1  167,  f°  226. 

4.  A.  D.  Galv.,  Registre  d'ordonnances  sur  différentes  affaires. 

5.  A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances.  Les  états  de  restes  avaient  été  présentés 
au  Bureau  à. la  suite  d'une  ordonnance  de  celui-ci,  du  11  janvier  1666.  Les  états 
des  élections  de  Garentan,  Coutances  et  Vire  sont  perdus.  —  Nous  n'avons  pas 
d'états  afférents  aux  années  laissées  en  blanc  dans  le  tableau.  —  Les  sous  et 
deniers  sont  négligés  dans  les  sommes  ci-dessus. 

6.  Chiffres  des  commissions  (B.  N.  fr.  6783). 


SIC  LA    TAILLE    EN    NOHMAXDIE. 

au  contraire  nous  voulons  soulager  par  une  diminution  que  nous  leur 
accordons  sur  nos  tailles  de  l'année  mil  six  cens  soixante  huit  en 
faveur  des  paroisses  qui  se  trouveront  en  avoir  le  plus  de  besoing, 
faisant  estât  d'augmenter  nos  grâces  à  nos  subjects  aussitost  qu'il  aura 
plu  à  Dieu  de  bénir  nos  armes  et  nous  donner  le  succez  que  nous  en 
attendons  de  «a  bonté  et  de  sa  justice.  Et  cependant  nous  espérons  les 
faire  jouir  des  fruicts  de  la  paix  que  nous  avons  faite  avec  les  Anglais 
par  la  liberté  du  commerce,  lequel  donnant  moyen  a  nos  ditz  subjects 
de  débiter  leurs  danrées,  ils  auront  de  l'argent  plus  abondament  pour 
satisfaire  au  payement  de  leurs  tailles  et  à  leurs  alfaires  particulières  '.  » 

Aussitôt  la  paix  faite,  le  roi  a  «  pensé  au  soulagement  de 
[ses]  subjetz  »,  et  réduit  encore  la  taille2,  la  ramenant  à  un 
chiffre  que  l'on  n'avait  pas  vu  depuis  longtemps.  En  même 
temps,  Colbert  a  multiplié  ses  recommandations  aux  intendants, 
en  visant  surtout  à  améliorer  les  recouvrements.  Il  n'y  a,  leur 
dit-il  en  1670,  «  rien  de  plus  important  pour  le  soulagement  des 
peuples  que  de  travailler  incessamment  à  ces  trois  points  :  le 
premier,  de  diminuer  les  frais  de  contrainte;  le  second,  d'em- 
pescher  l'emprisonnement  des  collecteurs,  et  le  troisième,  la 
saisie  des  bestiaux3  ».  —  «  Je  ne  doute  pas  que  vous  n'em- 
ployiez tous  les  expediens  possibles  pour  diminuer  [les  frais], 
en  déclarant  mesme  aux  receveurs  des  tailles  et  aux  commis  aux 
recettes  que,  si  ce  désordre  continue  l'année  prochaine,  S.  M. 
fera  commettre  à  leur  place4.  »  —  «  L'excuse  que  les  receveurs 
des  tailles  prennent  pour  faire  des  contraintes  sur  les  peuples 
n'est  pas  bonne,  vu  que  les  trois  généralités  de  Normandie  ont 
esté  autant  et  plus  soulagées  qu'aucune  autre,  et  qu'il  me  semble 
que  les  peuples  y  travaillent  davantage  et  sont  fort  ponctuels  à 
payer...  L'intention  de  S.  M.  est  que  vous  donniez  toute  l'appli- 
cation nécessaire  pour  faire  cesser  ces  contraintes5.  » 

Cependant,  la  misère  apparaît  a  ce  moment  même  dans  les 
provinces.  Comme  avant  1661,  les  recouvrements  deviennent 
difficiles  et  les  receveurs,  pressés  par  le  gouvernement,  multi- 
plient leurs  contraintes.  En  1669,  aucune  élection  n'a  complè- 
tement payé  sa  taille  de  1666;  pour  la  généralité  de  Caen,  cet 
arriéré  dépasse  73800  1. 6.  En  octobre   1670,  l'élection  de  la 

1.  A.  D.  Calv.,  Bureau  de9  finances,  Registre  de  Commissions,  1661-72,  f°  555. 

2.  Commissions  pour  la  taille  de  1669,  ibid.,  P  595.  Cf.  la  let.  de  Colbert  du 
24  ocl.  1670  :  «  le  soulagement  que  S.  M.  leur  accorde  [aux  peuples]  tous  les 
ans  >   (Clém.,  II,  75). 

3.  Let.  ù  l'intendant  de  Rouen,  12  septembre  1670.  Clém.,  II,  73. 

4.  Let.  a  l'intendant  de  Tours,  17  octobre  1670,  ibid.,  p.  75,  note. 

5.  Lot.  à  l'intendant  de  Rouen,  '26  septembre  1670,  ibid.,  p.  75.  Cf.  p.  73,  la 
réponse  de  Colbert  ù  Chamillart,  10  octobre  1670;  la  lettre  de  ce  dernier  est  dans 
Clairamb.,  792,  p.  337.  Voir  aussi  les  lettres  de  Colbert  à  d'autres  intendants, 
Clém.,  II,  75  et  suiv. 

6.  Arrêt  du  Conseil  du  27  février  1669  (A.  D.  Calv.,  Bureau  des  finances).  Le 
receveur  général  de  Caen  redoit  au  Trésor  pour  l'exercice  1666,  27  973  1.,  mais 


LA    TAILLE    DE    1661    A    1672.  51fl 

généralité  de  Rouen  qui  est  le  plus  en  avance  dans  ses  paie- 
ments, Caudebec,  redoit  encore  de  quinze  à  seize  cents  livres 
sur  les  années  1668  et  1669  ',  Dans  l'élection  de  Valognes,  au 
14  décembre  1671,  les  paroisses  redoivent  11  784  l.  de  leur 
taille  de  1670 2.  Les  arriérés  des  vieilles  années  démeurent 
impayés  :  en  1674  un  collecteur  de  Tournebu  exécute  encore 
des  contribuables  pour  la  taille  de  1662 3;  en  1677,  un  habitant 
de  Bretteville  sur  Dive  mourra  en  laissant  à  ses  héritiers  des 
créances  pour  la  taille  de  1660  et  1670,  années  où  il  avait  été 
collecteur  porte-bourse4. 

Voilà  un  résultat  déconcertant  des  réformes  de  Colbert  :  la 
taille  a  été  réduite,  la  répartition  et  la  levée  ont  été  améliorées, 
et  cependant  les  contribuables  sont  plus  malheureux.  Comment 
l'expliquer?  Une  première  cause  n'est  pas  douteuse  :  à  côté  de 
la  taille,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  existaient  d'autres  impôts,  qui 
pesaient  de  tout  leur  poids  sur  les  paysans;  or,  la  plupart  de 
ces  impôts  ont  été  notablement  accrus  dans  les  dernières 
années  :  les  droits  sur  les  boissons  ont  été  augmentés,  le  tarif 
douanier  de  1664  a  été  aggravé  en  1667,  le  contrôle  des  exploits 
établi,  les  droits  de  Irancs-fiefs  perçus  avec  de  nouvelles 
rigueurs  ;  si  bien  que  le  produit  des  fermes  est  passé  de  43  mil- 
lions en  1664  à  près  de  50  en  1670 3;  en  outre  la  plupart  des 
provinces  ont  eu  des  troupes  à  loger,  impôt  non  moins  lourd 
que  les  précédents. 

Mais  ce  fait  ne  peut  suffire  à  tout  expliquer  :  l'accroissement 
des  impôts  indirects  fut  supporté  surtout  par  les  fermiers  qui 
les  percevaient  et  par  les  bourgeois  des  villes,  soustraits  à  la 
taille;  il  fut  en  partie  compensé  par  les  améliorations  intro- 
duites dans  leur  régime.  Il  faut  alors  recourir  à  une  autre  expli- 
cation, que  Colbert  lui-même  a  donnée.  Dans  un  mémoire  de 
cette  même  année  1670,  il  dit  au  roi 6  : 

«  L'on  connoist  clairement  par  toutes  les  différentes  relations  qu'en 
effet  la  misère  est  très  grande  dans  les  provinces,  et  quoyqu'elle  puisse 
estre  attribuée  au  peu  de  débit  des  bleds  7,  il  a  paru  clairement  qu'il 
falloit  quelque  autre  cause  plus  puissante  qui  produisist  cette  néces- 
sité... Les  impositions  ont  esté  diminuées,  mais  la  grande  autorité  du 
roy  et  le  grand  respect  que  les  peuples  ont  pour  ses  ordres  a  fait  que, 

il  lui  est  dû  par  les  receveurs  particuliers  73  875  1.  ;  il  a  avancé,  par  conséquent, 
45  902  1.  au  Trésor.  Le  receveur  particulier  de  Caen  à  lui  seul  redoit  26  946  1., 
dont  on  ne  peut  avoir  paiement. 

1.  Let.  de  Uarin  de  la  Galissonnière  à  Colbert,  20  oct.  1670,  Clairamb.,  792, 
p.  353  (analyse). 

2.  A.  D,  Gaiv.,  Bureau  des  finances.  Etat  de  restes. 

3.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  de  l'Election  de  Falaise,  à  la  date  du  11  novembre  1674. 

4.  Ibid.,  à  la  date  du  13  février  1677.  Cf.  ci-dessus,  p.  417. 

5.  Forbonnais,  Recherches,  éd.  in-4°,  I,  p.  379  et  445. 

6.  Clém.,  VII,  233  et  suiv. 

7.  Voir  sur  ce  point,  ci-dessus,  p.  71-72. 


518  LA    TAILLE    EN     NORMANDIE. 

nonobstant  les  grandes  diminutions  qui  ont  esté  faites,  ce  qui  ne  pro- 
duisoit  auparavant  que  peu  de  revenus  en  a  produit  beaucoup,  ce  qui 
se  voit  clairement  par  les  tailles,  qui,  sur  le  pied  de  50  millions 
d'imposition  ne  produisoient  au  Trésor  public  que  10  millions,  et  a 
présent,  sur  le  pied  de  32  millions  S  elles  en  produisent  24...  Aussy 
1  on  a  vu  les  revenus  de  l'Estat  augmenter  en  mesme  temps  que  les 
grandes  décharges  que  V.  M.  accordoit  à  ses  peuples  semblaient  les 
avoir  fait  diminuer.  » 

Ainsi  Colbert  a  nettement  vu  que  les  perfectionnements  mêmes 
du  régime  de  l'impôt  avaient  rendu  cet  impôt  plus  onéreux.  Plus 
on  mettait  de  soin  à  le  percevoir  rigoureusement,  plus  ses  vices 
apparaissaient,  et  plus  les  contribuables  en  souffraient.  Et  le 
ministre  a  tiré  de  cette  constatation  toutes  les  conséquences.  H 
continue  à  parler  au  roi  en  ces  termes  : 

«  L  on  peut  et  doit  certainement  dire  que  cet  estât  est  trop  violent  et 
qu'il  ne  peut  durer  longtemps,  ce  qui  est  bien  clairement  prouvé  par 
les  difficultés  que  les  receveurs  généraux  ont  dans  les  généralités  pour 
le  recouvrement  de  la  taille,  les  retardemens  de  leurs  payemens  ordi- 
naires et  les  protestations  qu'ils  font  tous  les  jours  de  ne  pouvoir  faire 
les  prests  des  généralités  sur  le  mesme  pied  qu'ils  les  ont  faits  les 
années  dernières,  et  les  assurances  que  les  fermiers  2  donnent  que 
leurs  fermes  commencent  a  diminuer  assez  notablement.  » 

Et  sa  conclusion  est  que  l'impôt,  dans  son  régime  actuel,  n'est 
pas  capable  de  produire  autant  qu'on  lui  demande;  il  faut  dimi- 
nuer la  taille  de  4  millions,  ce  qui  sera  facile  en  réduisant  les 
dépenses  pour  les  bâtiments,  l'armée,  les  fortifications  :  si  le 
roi  veut  ramener  ses  revenus  et  dépenses  à  60  millions,  il  «  verra 
la  mesme  abondance  pendant  toute  sa  vie.  » 

Le  roi  écouta  un  instant  ces  fortes  remontrances.  Lorsqu'il 
s'agit  d'établir  le  brevet  pour  1671,  Colbert  lui  ayant  demandé 
s'il  voulait  maintenir  le  chiffre  de  l'année  précédente,  ou  au 
contraire  «  soulager  ses  peuples  d'un  million  de  livres  », 
Louis  XIV  répondit  :  «  Il  faut...  soulager  les  peuples  d'un 
million3  ».  Mais  quelques  mois  plus  tard,  le  roi  formait  son 
projet  de  guerre  contre  la  Hollande,  et  mettait  sur  pied  les 
plus  grandes  armées  que  fa  France  eût  possédées  jusque-là  : 
l'impôt  du  logement  des  troupes  venait  s'ajouter  à  la  taille  :  dès 
le  26  septembre  1671,  l'intendant'  de  Rouen  écrit  que  l'abon- 
dance des  garnisons  est  «  très  préjudiciable  au  recouvrement 
des  deniers  des  tailles  ...  Je  croy,  ajoute-t-il,  qu'il  est  bon  de 

1.  Colbert  exagère  un  peu.  Pour  arriver  au  chiffre  de  56  millions  au  temps  de 
Mazarin,  il  faut  compter  les  pays  d'états,  et  d'autre  part,  le  chiffre  le  plus  bas 
que  la  taille  des  pays  d'élections  ait  atteint  au  temps  de  Colbert,  est  de  33  782  210  1., 
en  166«J. 

2.  Il  s'agit  des  fermiers  chargés  du  recouvrement  des  impôts. 

3.  Clém.,  II,  ccxxvn  et  ccxxviu. 


LA    TAILLE    PENDANT    LA    GUEUKE    DE    HOLLANDE.  519 

la  ménager  [la  généralité],  et  surtout  de  ne  la  surcharger  point 
de  garnisons  *  ». 

Mais  les  garnisons  vont  se  multiplier,  le  trafic  cesser2,  les 
exigences  du  fisc  s'accroître,  et  les  conséquences  clairement  pré- 
dites par  Colbert  vont  apparaître  aux  yeux  de  tous. 

III.  —  LA  TAILLE  PENDANT  LA  GUERRE 
DE  HOLLANDE 

A  partir  de  1673,  en  effet,  la  situation  devient  critique.  Au 
début  de  l'année,  Colbert  est  obligé  de  faire  rentrer  des  fonds 
au  Trésor,  et  par  conséquent  d'être  plus  rigoureux  pour  les 
contraintes.  Il  écrit  à  Chamillart  le  20  janvier  : 

«  Il  est  vray  que  j'ay  pressé  les  receveurs  généraux  de  1673  de 
doubler  leurs  payemensdans  les  mois  de  janvier,  février  et  mars;  c'est 
pourquoy  vous  devez  apporter  quelque  facilité  et  les  laisser  presser  a 
proportion  les  receveurs  particuliers  des  tailles,  et  ceux-cy  les  collec- 
teurs, et  néanmoins  chercher  les  expédients  que  cela  se  puisse  faire 
sans  trop  de  frais;  c'est  à  vous  à  trouver  ce  tempérament  par  vos 
soins  et  par  vostre  application  3.  » 

Le  souci  de  trouver  de  l'argent  apparaît  dans  toutes  ses  let- 
tres. «  Je  vous  recommande  toujours,  écrit-il  à  l'intendant  de 
Rouen  le  24  février,  de  presser  le  recouvrement  des  affaires 
extraordinaires.  Comme  la  campagne  approche,  et  que  le  roy 
aura  besoin  de  sommes  immenses  pour  pouvoir  mettre  ses 
armées  en  campagne,  je  vous  conjure  de  contribuer  par  la  dili- 
gence aux  secours  qui  sont  si  nécessaires  à  Sa  Majesté4.  » 

A  celui  de  Montauban,  le  15  septembre  : 

1.  M.  G.,  157  bl%  f°  562. 

2.  Cf.  le  préambule  des  commissions  pour  1672  :  «  Les  grandes  levées  de 
troupes  que  nous  sommes  obligez  de  faire  pour  la  sûreté  de  notre  estât,  voyant 
tous  nos  voisins  puisamment  armez,  nous  auroient  pu  obliger  par  nécessité  d'aug- 
menter les  impositions  de  nos  tailles  ;  néanmoins  nous  avons  beaucoup  mieux 
aimé  travailler  avec  la  même  application  que  nous  faisons  depuis  dix  années  à 
retrancher  toutes  les  autres  dépenses,  lesquelles  quoique  nécessaires  a  la  gloire  et 
grandeur  de  nostre  royaume,  peuvent  toutesfois  recevoir  quelque  retardement, 
que  d'avoir  recours  à  un  remède  qui  auroit  peut-estre  diminué  en  quelque  façon  le 
bon  estât  auquel  nous  avons  mis  nos  peuples  par  les  grands  soulagemens  que 
nous  leur  avons  accordez  »  (A.  D.  Galv.,  Bureau  des  finances,  registre  des  com- 
missions 1661-1072,  f°  707). 

3.  Clém.,  II,  264.  Cf.  la  lettre  de  Colbert  à  Bazin,  receveur  général,  du 
21  avril  1673  déjà  citée  :  il  lui  demande  une  avance  de  100  000  1.,  le  plus  tôt  pos- 
sible, pour  la  guerre  :  «  Toutes  les  fois  que  je  vous  ay  demandé  quelque  assis- 
tance pour  le  Roy,  vous  l'avez  fait  de  si  bonne  grâce,  que  je  ne  puis  m'empescher 
de  vous  dire  que,  si  vous  envoyez  au  Trésor  royal  100  000  h,  sur  les  impositions 
de  l'année  prochaine,  vous  ferez  en  cela  chose  qui  sera  fort  agréable  à  Sa  Majesté  ». 
(ibid.,  p.  283).  Voir  aussi  les  lettres  à  Douilly,  receveur  général,  des  3  février  et 
1"  décembre  1673,  ibid.,  p.  264,  note.  Le  gouvernement,  à  partir  de  cette  date, 
retombe  à  la  discrétion  des  financiers. 

4.  Ibid.,  p.  277.  Cf.  les  lettres  à  d'autres  intendants,  sur  le  même  sujet, 
p.  278,  280,  284,  288,  289,  291,  300. 


5Î0  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

«  Les  avantages  et  la  satisfaction  du  roy,  et  le  salut  de  l'Estat,  pour 
ainsy  dire,  dépendant  particulièrement  de  [V]  application  que  vous 
donnerez  au  détail  de  toutes  les  affaires  qui  doivent  produire  de 
l'argent...,  vous  devez  considérer  que  la  conduite  doit  changer  suivant 
les  besoins  de  l'Estat;  et  d'autant  plus  que,  pendant  la  paix,  on  a  trop 
travaillé  par  tous  les  moyens  possibles  au  soulagement  des  peuples, 
d'autant  plus  ils  doivent  estre  pressés  pendant  la  guerre  de  fournir 
aux  besoins  de  l'Estat,  et  vous  devez  aussy  vous  régler  sur  ce 
pied-là1.  » 

À  Michel  Colbcrt,  intendant  d'Alençon,  le  10  octobre  :  «  Il 
est  nécessaire  que  vous  examiniez  toujours,  et  sans  attendre 
que  vous  soyez  sollicité  par  ceux  qui  sont  chargés  des  recouvre- 
mens,  ce  qui  se  peut  faire  pour  les  accélérer,  et,  au  lieux  d'estre 
pressé  par  eux,  il  faut  que  vous  les  pressiez*  ».  A  l'intendant 
de  Tours  le  20  octobre  :  «  Il  est  nécessaire  à  présent  de 
permettre  aux  receveurs  généraux  de  presser  un  peu  les  peuples, 
parce  que  le  roy  estant  chargé  d'une  grande  guerre,  et  Sa 
Majesté  n'ayant  point  augmenté  les  impositions,  il  faut  faire  en 
sorte  que  les  receveurs  généraux  puissent  donner  des  assistances 
au  roy 3  » . 

Et  pendant  six  années  consécutives,  Golbert  reviendra  sur  le 
môme  sujet  :  Nous  avons  la  guerre,  il  faut  à  tout  prix  trouver 
des  fonds  :  «  Il  sera  difficile  en  lestât  présent  des  affaires  de 
l'Europe,  que  le  roy  puisse  prendre  la  résolution  de  diminuer 
les  impositions  des  tailles,  vu  les  prodigieuses  dépenses  que 
Sa  Majesté  est  obligée  de  faire,  et  nous  courons  mesme  assez 
de  risque  que  le  roy  voudra  les  augmenter*.  »  —  «  Vous  savez 
assez  combien  il  importe  au  service  du  roy  de  trouver  les  moyens, 
dans  la  conjoncture  présente,  de  soutenir  les  dépenses  immenses 
de  la  guerre5.  »  —  «  Il  est  bien  important  que  vous  fassiez  en 
sorte,  par  vostre  application  et  par  les  visites  fréquentes  que 
vous  devez  faire  dans  les  principaux  lieux  de  vostre  départe- 
ment, que  les  recouvremens  se  fassent  sans  aucune  interruption, 
et  mesme,  s'il  est  possible,  avec  plus  de  diligence  que  les  années 
passées  afin  que  Sa  Majesté  puisse  tirer  les  secours  que  dési- 
rent les  prodigieuses  dépenses  qu'Elle  est  obligée  de  faire*.  » 
—  Vérifiez  les  registres  de  tous  les  receveurs  «  pour  connoistre 
véritablement  si  les  receveurs  généraux  des  finances  ont  payé 
au  Trésor  royal  les  mesmes  sommes  qu'ils  ont  reçues  des  rece- 
veurs des    tailles,    et  si  les  receveurs  des  tailles  ont  payé  aux 


1.  Clém.,  H,  p.  289-290. 

2.  Ibid.,  p.  296. 

3.  Ibid.,  p.  300,  note  1. 

4.  Let.  à  l'intendant  *de  Rouen,  6  nvril  1074,  Clém.,  Il,  331.  Cf.  ci-dessus,  p.  76. 
Même  lettre  à  Mnrilluc,  intendant  de  Poitiers,  le  31  août,  ibid.,  p.  359-300. 

I.  Circulaire  du  12  février  1674,  ibid.,  p.  324. 

6.  Let.  à  Leblanc,  intendant  de  Rouen,  2'J  novembre  1675,   ibid.,  p.  371. 


LA    TAILLE    PENDANT    LA    GUERRE    DE    HOLLANDE.  521 

receveurs  généraux  des  finances  les  mesmes  sommes  qu'ils  ont 
reçues  des  peuples1  ». 

C'est  à  ce  moment  qu'il  multiplie  les  recommandations  aux 
intendants  pour  la  visite  de  leurs  généralités  :  «  D'autant  plus 
ce  temps-cy  paroist  fascheux  par  les  appréhensions  de  la  guerre, 
d'autant  plus  il  est  nécessaire  que  vous  redoubliez  vostre  appli- 
cation pour  connoistre  et  pénétrer  toutes  les  parties  de  la  géné- 
ralité en  laquelle  vous  servez,  et  soutenir  les  affaires  du  roy  au 
point  où  elles  sont  à  présent  et  où  il  est  nécessaire  de  les 
maintenir  pour  le  service  de  Sa  Majesté2  ».  —  «  N'y  ayant  rien 
de  plus  important  pour  le  bien  du  service  [de  S.  M.]  et  dans 
Testât  présent  de  ses  affaires  que  de  maintenir,  autant  qu'il 
sera  possible,  les  peuples  en  estât  de  fournir  aux  grandes 
charges  que  la  guerre  ordonne  de  leur  faire  supporter, 
S.  M.  veut  que  vous  commenciez  cette  visite  aussy  tost  que  vous 
aurez  reçu. cette  lettre  »  :  Vous  examinerez  tout  «  le  plus  en 
détail  qu'il  vous  sera  possible  »  :  la  répartition  dans  les  paroisses, 
les  exemptions  et  protections  frauduleuses,  les  frais  de  con- 
trainte et  les  emprisonnements  ;  vous  favoriserez  les  manufac- 
tures et  l'accroissement  des  bestiaux,  «  pour  attirer  l'argent 
dans  les  provinces  et  les  mettre  en  estât  de  secourir  le  roy 
en  payant  bien  leurs  impositions  ».  Alors  il  est  prêt  à  aban- 
donner ses  réformes  les  plus  chères  :  examinez  «  secrètement... 
si  les  défenses  qui  ont  esté  faites  de  la  contrainte  par  corps  et 
de  la  saisie  des  bestiaux  sont  préjudiciables  au  recouvrement 
de  la  taille,  et  s'il  seroit  plus  avantageux  de  les  lever3...  »  Il 
faut  avant  tout  appuyer  les  receveurs  dans  leurs  recouvrements  : 
«  Comme  l'augmentation  que  [S.  M.]  a  esté  obligée  de  faire 
rendra  sans  doute  les  recouvremens  difficiles,  vous  devez  avoir 
encore  plus  d'égards  que  par  le  passé  aux  avis  et  aux  mémoires 
qui  vous  seront  donnés  par  les  receveurs  généraux  des  finances 
et  receveurs  particuliers  des  tailles  ou  commis  aux  recettes  en 
chacune  élection,  afin  que,  ne  faisant  rien  que  de  concert 
avec  eux,  ils  puissent  faire  leurs  recouvremens  sans  non- 
valeurs,  et  par  ce  moyen  estre  en  estât  de  faire  régulièrement 
leurs  payemens  au  Trésor  royal,  et  mesmes  les  avances 
qu'il  est  nécessaire  de  tirer  d'eux  pour  le  service  du  roy4.  »  — 
«  Surtout  vous  devez  toujours  avoir  dans  l'esprit  de  faciliter  les 
recouvremens  et  de  ne  pas  croire  facilement  ce  qui  vous  est  dit 
contre  ceux  qui  en  sont  chargés  5.  »  L'intendant  de  Caen  ayant 
fait  arrêter   le   receveur  de    Do  m  front  pour  malversations,    se 


1.  Lel.  au  même,  23  février  1676,  Clém..  p.  373. 

2.  Let.  à  Foucault,  1"  juin  1674,  ibid..  II,  3'tl. 

3.  Circulaire  du  24  avril  1G76,  ibid.,  374. 

4.  Let.  à  De  Sèvo,  5  octobre  1674.  ibid.,  352. 

5.  Let.  à  son  frère  Croissy,  18  octobre  1674,  ibid.,  p.  353. 


BU  LA    TAILLE    EN     NOIt.MANDIE. 

voit  blâmé  pour  avoir  agi  trop   précipitamment4;    maintenant 
les  financiers  sont  soutenus,  même  contre  les  intendants. 

Dans  les  commutions  des  tailles,  le  roi  s'efforçait  de  justifier 
ses  armements  et  de  promettre  chaque  année  la  paix  prochaine. 
Il  se  vantait  de  n'avoir  pas  augmenté  les  impôts,  et  d'avoir  recouru 
aux  «  affaires  extraordinaires  »  pour  se  procurer  des  fonds  : 

«  Quoyque  les  grandes  et  prodigieuses  despences  que  nous  sommes 
obligez  de  soustenir  pour  la  conservation  des  places  que  nous  avons 
conquizes  et  pour  l'entretenement  de  toutes  les  armées  que  nous 
sommes  obligez  de  tenir  sur  pied  nous  deussent  obliger  d'augmenter 
considérablement  les  impositions  sur  nos  peuples,  neanmoingt  nous 
avons  mieux  aymé  nous  servir  des  propositions  qui  nous  ont  esté 
faictes  de  quelques  moiens  extraordinaires  pour  n'imposer  que  les 
sommes  contenues  en  la  présente2». 

II  prônait  les  règlements  faits  pour  soulager  les  contri- 
buables : 

Nous  espérons  «  qu'après  les  prises  de  Dinan,  Huys  et  Limbourg, 
Dieu  bénira  nos  armes  et  nous  donnera  d'autres  avantages  dans  le 
reste  de  cette  campaigne  pour  le  soulagement  de  nos  peuples,  travail- 
lant présentement  a  faire  des  reglemens  capables  de  faire  subsister  nos 
trouppes  sans  opprimer  leurs  hostes,  a  l'observation  desquels  nous 
tiendrons  la  main3  ». 

Cependant  la  taille  était  montée  de  33  795  797  1.  en  1671  à 
40  512  666  1.  en  1678.  Les  affaires  extraordinaires,  comme 
l'impôt  du  tabac  (1674)  et  du  papier  timbré  (1675)  s'étaient 
ajoutées  aux  autres  contributions,  et  les  logements  de  troupes 
avaient  été  une  charge  écrasante  pour  toutes  les  généralités  du 
nord,  de  l'est  et  du  centre.  Aussi  partout,  on  l'a  déjà  vu*,  les 
recouvrements  étaient  devenus  très  difficiles.  Les  intendants  de 
Normandie,  dans  toutes  leurs  lettres,  écrivent  que  toutes  leurs 
diligences  sont  impuissantes  contre  la  misère  :  «  ceux  qui 
sont  chargez  du  recouvrement  des  deniers  y  trouvent  la  mesme 
facilité  que  s'il  n'y  avait  point  de  trouppes,  et  ils  ne  se  peuvent 
plaindre  que  de  la  misère  du  peuple  »  :  telle  est  la  réponse  la 

1.  Clém.,  II,  347,  ■  Le  bon  ordre  veut,  dit-il,  que,  lorsque  les  intendants 
trouvent  quelque  désordre  de  cette  qualité  dans  la  généralité  dans  laquelle  ils 
servent,  ils  m'en  donnent  avis  pour  en  rendre  compte  au  roy;  ensuite,  si  S.  M. 
estime  qu'il  y  ayt  lieu  de  taire  un  exemple,  Elle  leur  envoyé  l'orure  de  faire  arres- 
ter  celuy  qui  est  accusé,  d'informer  et  de  luy  faire  son  procès  ».  Cf.  aussi  sa  let. 
du  24  juillet,  p.  348,  note. 

2.  Commissions  pour  la  taille  de  1G74,  montant  à  36  667  404  1.  (A.  D.  Calv., 
Election  de  Caen).  Cf.  la  lettre  de  Colbert  à  De  Sève,  2G  avril  1674,  Clém.,  II,  335. 

3.  Commissions  pour  1676,  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen.  La  taille  monte  à 
40  230  350  1. 

4.  Ci-dessus,  p.  74-77.  En  1675,  dans  l'élection  de  Caen,  l'imposition  de  l'usten- 
sile, levée  en  argent,  s'élève  à  31  875  1.  (A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen, ordonnance 
du  20  novembre  1075). 


LA    TAILLE    PENDANT    LA    GUERRE    DE    HOLLANDE. 


523 


plus  optimiste  que  puisse  faire  Leblanc  aux  lettres  où  le  ministre 
met  en  doute  les  difficultés  qu'il  lui  signale1. 

Des  états  des  recouvrements  dressés  par  les  intendants  en 
juin  1679  pour  les  généralités  de  Rouen  et  Alençon  nous  ren- 
seignent sur  la  situation.  En  voici  le  résumé2  : 


Imposition  .  .  .  . 
Somme  recouvrée. 
Frais  taxés.    .    .    . 


1678 


2  700  000  1. 
2  520  484 
44  351 


1679 


2  303  333  1. 
913  872 


ALENÇON  3 

1678      1679 


1  703  333  1. 
1495  318 
21  760 


1 124  533  1 
366  944 


La  généralité  de  Rouen  redoit  donc  179  500  liv.  sur  sa  taille 
de  1678,  six  mois  après  la  fin  de  l'année,  et  celle  d'Alençon 
208  000  1.,  soit  respectivement  6,6  et  12,2  p.  100  de  leur  impo- 
sition. L'élection  la  plus  en  arrière  est  celle  de  Mortagne,  qui 
redoit  108000  1.  sur  396800,  soit  un  peu  plus  du  quart,  et  qui 
n'a  payé  qu'un  tiers  de  son  jmpôt  de  1679;  elle  a  eu  cependant 
«  beaucoup  de  frais  d'huissiers,  et  quelque  soin  que  j'aie  pris 
pour  les  empescher,  dit  l'intendant,  il  est  impossible  de  faire 
sortir  les  deniers  sans  cela4  ».  Les  élections  les  moins  mau- 
vaises redoivent  encore  2  et  demi,  3  et  4  p.  100  de  leur  taille. 
Les  frais  taxés  pour  1678  sont  en  moyenne  de  16,4  p.  1000  à 
Rouen  et  12,8  p.   1000  à  Alençon. 

Un  symptôme  grave  qui  apparaît  alors  pour  la  première  fois 
dans  notre  période  est  la  désertion  des  habitants  dans  les 
paroisses  les  plus  chargées  d'impôts;  en  mai  1673,  l'intendant 
de  Rouen  doit  se  transporter  dans  le  pays  de  Bray,  «  pour  empes- 
cher que  les  taillables  n'abandonnent  la  province5  ».  L'année 
suivante,  les  fuites  continuent6,  et  en  1676,  Leblanc  écrit  : 

«  Il  y  a  peu  de  villes  en  cette  généralité  ou  il  y  ayt  eu  des  troupes 
en  quartiers  d'hiver  ;  ce  sont  les  grands  et  fréquents  passages  qui  for- 


1.  Let.  de  Leblanc,  8  mars  1676,  B.  NM  fr.  8759,  f°  53.  Cf.  ses  autres  lettres  de  la 
même  année,  fos  50,  57  et  59.  Voir  aussi  les  lettres  de  Golbert  des  6  avril  et 
31  août  1674,  dans  Clcm.,  II,  331  et  349  :  «  Je  vous  avoue  qu'il  est  difficile  de  se 
persuader  d'aussy  grandes  difficultés  [de  recouvrement]  que  celles  que  vous  me 
dites...  » 

2.  A.  N.  G7  71  et  491,  à  la  date  de  juin  1679.  Nous  avons  ici  l'état  des  sommes 
encaissées  par  les  receveurs  particuliers,  mais  non  celles  payées  par  les  contri- 
buables aux  collecteurs. 

3.  Dans  les  chiffres  de  cette  colonne  n'est  pas  comprise  l'élection  de  Mortagne, 
l'intendant  n'ayant  pu  voir  les  livres  du  receveur. 

4.  Let.  de  Morangis,  15  juin  1679,  A.  N.  G7  71. 

5.  Let.  du  19  mai,  Glairamb.,  793,  p.  342  (analyse). 

6.  Ci-dessus,  p.  74-75. 


LA    TAILLE     BU    XOIIMANDIE. 

cent  les  bourgeois  de  les  abandonner,  j'ay  esté  obligé  cet  hyver  de 
donner  des  ordonnances  portant  deffences  aux  habitans  de  déserter,  a 
peine  d'amande  et  de  remboursement  de  nourritures  a  ceux  qui  avoient 
soulfert  les  logements  pour  eux.  Quelque  soin  que  j'aye  prins  d'em- 
pescher  les  désordres  pendant  le  passage  des  trouppes,  dont  je  crois 
que  vous  n'avez  receu  aucune  plainte,  je  ne  puis  guérir  de  l'appréhen- 
sion ceux  de  Chaumont  et  du  Pont  de  Larche,  lesquels  ont  presque 
tous  déserté;  j'ay  fait  scavoir  aux  villages  où  ils  se  veullent  retirer 
que  s'ils  les  recevoient,  on  soulageroit  les  villes  a  leur  despens  '...  » 

La  perception  de  l'ustensile,  la  même  année,  provoque  de 
nouvelles  fuites  :  malgré  toutes  les  instances  de  l'intendant 
de  Rouen,  les  receveurs  des  tailles  n'ont  pas  voulu  s'en  charger; 
les  soldats  la  font  eux-mêmes,  allant  dans  les  paroisses  où  ils 
dépensent  des  sommes  «  considérables,  soubs  prétexte  qu'on 
les  met  dans  des  cabarets,  ou  ils  font  pîiyer  leur  despense, 
oultre  les  20  s.  qui  leur  sont  accordez  par  le  règlement  du 
roya».  Les  contraintes  solidaires  sont  une  autre  cause  de  déser- 
tion :  le  20  mars  1677,  Leblanc  rend  une  nouvelle  ordonnance 
pour  obliger  à  rentrer  chez  eux  des  contribuables  de  l'élection 
du  Pont  de  Larche,  qui  ont  lui  pour  ce  motif3.  Les  terres  sont 
abandonnées,  et  le  gouvernement,  crainte  de  voir  tomber  ses 
recettes,  en  vient  a  prescrire  la  culture  par  voie  législative. 
Voici  une  ordonnance  de  Leblanc,  du  20  octobre  1677  : 

«  Sur  les  plaintes  qui  nous  ont  esté  faites  en  procédant  au  dépar- 
tement des  tailles  des  eslections  de  cette  généralité  par  les  receveurs 
d'icelles,  que  plusieurs  particuliers  ne  font  pas  labourer  et  ensemencer 
leurs  terres  et  héritages,  et  les  laissent  en  frische,  ce  qui  prejudicie 
au  recouvrement  et  ruine  les  autres  habitans  contribuables,  lesquels 
sont  chargez  de  la  taille  que  devroient  payer  les  propriétaires  ou 
fermiers  desdits  héritages.  A  quoy  estant  nécessaire  de  pourvoir,  Nous, 
intendant  susdit,  ordonnons  que  dans  le  jour  et  feste  S.  Martin  pro- 
chain, les  propriétaires  et  possesseurs  desdites  terres  et  héritages 
délaissez  en  frische  les  feront  labourer  et  ensemencer,  autrement  et  a 
faute  de  ce  faire,  permettons  aux  habitans  desdites  paroisses  de  les 
faire  valoir,  a  la  charge  de  payer  sur  les  deniers  de  la  récolte  les  taxes 
auxquels  lesdits  propriétaires  ou  fermiers  seroient  imposez4.  » 

Malgré  tout,  la  taille  rentre  mal,  et  des  dégrèvements  sont 
nécessaires;  au  milieu  de  l'année  1678,  Leblanc  est  obligé  de 
remettre  7742  1.  d'impôt  à  29  paroisses  de  sa  généralité,  qui, 
dit-il,  «  n'ont  point  assis  la  taille  par  impuissance  aux  années 
1677  et  1678,  »  ou  qui  «  estoient  hors  d'estat  de  satiffaire  »  à 
cause  des  pertes  qu'elles  avaient  subies;  en  cinq  d'entre  elles, 

1.  Let.  du  13  septembre  1676,  B.  N.  fr.  87."j9,  f°  72. 

2.  Lot.  de  Leblunc,  21  janvier  1676,  ibid.,  f°  VJ. 

3.  B.  N.  fr.  8  761b\  f"  ai. 
k.  Ibid.,  r  110. 


LA    FIX     DU    MINISTÈRE    (1679-1683).  52 

les  habitants  désertaient  pour  ne  plus  payer  l'impôt1.  Son  avis 
sur  le  brevet,  la  même  année,  n'est  qu'un  long  tableau  de 
misères  et  de  ruines 2. 


IV.    —    LA    FIN    DU    MINISTERE    (1679-1683). 

Enfin  la  guerre  cesse.  Tout  aussitôt,  sans  attendre  les  com- 
missions, le  roi  fait  savoir,  par  un  arrêt  du  Conseil  du  7  juin  1678, 
qu'il  réduit  la  taille  de  6  millions,  la  ramenant  au  chiffre  où 
elle  était  avant  la  guerre,  et  il  vante  très  haut  cette  mesure 
dans  le  préambule  des  commissions,  assurant  qu'il  a  tout 
sacrifié  au  désir  de  la  paix  : 

«  Le.  désir  continuel  que  nous  avons  eu  de  procurer  la  paix  a  nos 
peuples  nous  a  fait  rechercher  tous  les  moiens  de  parvenir  a  une  sy 
bonne  fin;  s'est  la  raison  qui  nous  a  porté  a  nous  relascher  d'une 
partye  des  grands  advantages  dont  il  a  pieu  a  Dieu  de  favoriser  la 
justice  de  nos  armes  et  a  proposer  des  conditions  advantageuses  a  nos 
ennemis  dans  le  temps  que  leur  foiblesse  nous  laissoit  en  estât  d'estendre 
nos  conquestes  et  de  faire  de  nouveaux  progrès  dans  leur  pays.  Et 
comme  les  avances  que  nous  avons  bien  voullu  faire  pour  ce  grand 
ouvrage  ont  commencé  de  produire  reflet  que  nous  nous  en  estions 
promis  par  la  conclusion  du  traicté  avec  les  estats  de  Hollande,  et 
que  nous  espérons  que  Dieu  achèvera  de  bénir  nos  bonnes  intentions 
par  une  paix  generalle,  nous  avons  résolu  de  faire  gouster  les  prémices 
de  la  paix  a  nos  peuples,  et  pour  cet  effet  de  réduire  les  impositions 
pour  Tannée  prochaine  1679  conformément  a  l'arrest  de  nostre  Conseil 
du  7  juin  dernier  pour  leur  faire  connoistre  la  satisfaction  que  nous 
avons  des  efforts  qu'ils  ont  fait  pour  le  paiement  des  sommes  dont 
nous  avons  eu  besoin  pendant  le  cours  de  cette  guerre,  et  l'envie  que 
nous  avons  de  leur  procurer  de  nouveaux  soulagemens  lorsque  la  paix 
sera  solidement  establie3.  » 

Le  recouvrement,  dans  la  pensée  de  Colbert,  devait  être  aussi 
facilité  par  la  suppression  des  affaires  extraordinaires  :  droits 
de  francs-fiefs,  de  tiers  et  danger,  taxes  sur  les  procureurs, 
notaires  et  huissiers,  sur  les  arts  et  métiers...,  et  par  la  réduction 
des  droits  sur  le  sel  et  les  boissons.  Une  remise  de  2  millions 
sur  la  taille  ayant  encore  été  faite  en  août  1679 4,  le  ministre 
espérait  voir  à  nouveau   les   écus   affluer   dans   les    caisses   des 

1.  Let.  du  5  juillet  1671,  A.  N.  G7  71.  Cette  remise,  ajoute  Leblanc,  «  a  fait  un 
très  bon  effecl,  leur  ayant  donné  courage  et  einpesché  les  contraintes  solidaires  ». 

2.  Voir  cet  avis  à  l'appendice  II,  ci-dessous,  p.  536-539.  Cf.  plus  haut,  p.  77. 

3.  A.  D.  Calv.,  Election  de  Caen,  registre  de  commissions.  Celles-ci  sont  datées 
du  30  août  1678.  Cf.  au  sujet  de  cette  diminution,  la  dépêche  de  l'ambassadeur 
vénitien  du  28  mai  1680  :  «  Ma  è  vero  altresi  che  la  maggior  parte  di  questa  fu 
trovata  inesigibile  dall'  indigenza  de'  sudditi,  e  percio  fu  giudicato  meglio 
donarla  »  (Relazioni...,  Francia,  III,  p.  321). 

4.  Ci-dessus,  p.  79. 


LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

r<< .veurs,  et  la  richesse  dans  1rs  maisons  paysanes  :  «  La 
taille  estant  a  présent  sur  un  pied  fort  bas,  le  recouvrement  ne 
doit  presque  donner  aucune  peine,  par  conséquent  ne  produire 
aucuns  Irais  ou  fort  peu1  ».  «  N'y  ayant  plus  dans  toutes  les 
provinces  du  royaume  que  le  recouvrement  des  impositions 
ordinaires,  [il  faut  que  les  peuples]  puissent  d'autant  plus  jouir 
des  fruits  de  la  paix  et  des  diminutions  considérables  que  S.  M. 
leur  a  accordées2.  » 

Il  n'omet  aucune  précaution  pour  supprimer  tout  désordre; 
il  écrit  aux  intendants  en  avril  1679  : 

«  Sa  Majesté  m'a  ordonné  de  vous  faire  sçavoir  qu'Elle  veut  que  vous 
fassiez  cette  année  une  visite  plus  exacte  de  toutes  les  élections  et 
paroisses  de  ladite  généralité  que  vous  n'avez  encore  fait  jusqu'à 
présent,  et  que  vous  commenciez  incessamment,  et  sans  aucun  retar- 
dement ». 

Et  il  leur  rappelle  les  principaux  points  à  examiner  :  confec- 
tion des  rôles,  perception  par  les  collecteurs  et  les  receveurs, 
frais  de  contraintes,  toutes  choses  où  «  il  se  passe  encore 
beaucoup  de  désordre  qui  ne  vient  pas  à  vostre  connoissance  »; 
l'état  du  commerce,  des  manufactures,  le  nombre  des  bestiaux, 
«  sources  fécondes  d'où  les  peuples  tirent  de  l'argent,  non  seule- 
ment pour  leur  subsistance,  mais  mesme  pour  payer  toutes 
leurs  impositions  ».  L'inspection  des  registres  des  receveurs 
fera  savoir  où  en  sont  les  recouvrements  et  à  combien  montent 
les  frais  ;  «  apportez  une  application  particulière  a  retrancher 
tous  les  frais  que  les  peuples  payent  et  qui  ne  tournent  pas  au 
profit  du  roy  »  ;  et  surtout  prenez  «  bien  garde  que  les  imposi- 
tions soyent  si  justement  distribuées  que  S.  M.  ne  puisse  entendre 
aucune  plainte  que  les  habitants  d'une  paroisse  soient  déchargés 
d'une  partie  de  leur  taille  pour  en  surcharger  les  autres3  ». 

Le  5  mai  suivant,  il  revient  sur  les  frais  de  contraintes  et  en 
réclame  encore  l'état*.  Le  20  juillet,  il  dresse  son  projet  de 
réforme  des  élections  et  greniers  à  sel5.  Le  1er  juin  1680, 
nouvelle  instruction  générale,  réitérant  «  pressamment  »  les 
ordres  antérieurement  donnés  pour  la  visite  des  élections; 
S.  M.  «  désire  que  vous  apportiez  encore  plus  d'application 
à  cette  visite  que  vous  n'avez  fait  les  années  dernières, 
parce  qu'Elle  veut  que  l'égalité  et  la  justice  dans  les  impositions 
et  le  retranchement  de  toutes  sortes  d'abus  et  de  frais  servent 
d'un  second  soulagement  à  ses  peuples,  outre  celuy  qu'Elle  leur 


1.  Let.  de  Colbert  à  l'intendant  de  Montauban,  17  août  1679,  Clém.,  II,  112. 

2.  Circulaire  du  1"  juin  1680,  Ibid.,  134. 

3.  Circulaire  du  28  avril  1679,  ibid.,  96-98. 
k.  Ibid.,  p.  98. 

5.  Ibid.,  p.  110. 


LA   FIN    DU    MINISTÈRE    (1679-1683).  527 

donne  par  la  diminution  des  impositions  »;  Elle  désire  «  que 
vous  vous  informiez  avec  soin  de  tout  ce  qui  se  passe,  dans  la 
réception  des  commissions,  la  nomination  des  collecteurs, 
l'imposition  et  la  recette  de  la  taille,  que  vous  en  pénétriez  tous 
les  abus,  que  vous  travailliez  à  y  remédier  par  vous-mesmes  », 
et  toutes  les  recommandations  antérieures  sur  les  procès,  les 
frais  de  contraintes,  la  saisie  des  bestiaux  reviennent1.  Et  de 
même  en  1681,  1682,  1683. 

Il  explique  aux  intendants  que  le  soulagement  des  peuples 
dépend  de  la  prospérité  économique,  plus  que  de  la  diminution 
des  impôts  :  «  La  misère  des  peuples,  des  villes  et  des  provinces 
ne  consiste  pas  aux  impositions  qu'ils  payent  au  roi,  mais 
seulement  dans  la  différence  qu'il  y  a  du  travail  des  peuples 
d'une  province  à  l'autre,  parce  qu'ils  sont  à  leur  aise  dès  lors 
qu'ils  veulent  travailler2  ».  —  «  Pour  ce  qui  concerne  l'imposi- 
tion des  tailles,...  vous  ne  pouvez  rien  faire  qui  leur  soit  plus 
utile  [aux  peuples]  que  d'apporter  un  très  grand  soin  pour 
maintenir  et  augmenter  les  manufactures  de  Fécamp  et  de 
Louviers,  et  faire  en  sorte  que  les  peuples  trouvent  de  quoy 
subsister  par  ce  moyen3  ». 

Quand  un  intendant  lui  signale  la  misère  persistante,  il 
l'invite  à  en  chercher  les  causes  ;  celui  d'Alençon  lui  ayant 
écrit  que,  dans  les  élections  de  Mortagne,  Verneuil  et  Conches, 
il  avait  trouvé  «  beaucoup  de  pauvreté  »,  il  lui  répond  : 

«  Vous  devez  examiner  avec  soin  d'où  peut  provenir  cette  pauvreté, 
pour  chercher  ensuite  les  moyens  de  la  diminuer,  soit  par  le  soula- 
gement des  tailles,  en  rejetant  sur  les  autres  élections  plus  accom- 
modées ce  que  vous  retrancheriez  sur  les  pauvres,  soit  en  procurant 
aux  peuples  les  moyens  de  gagner  leur  vie,  soit  en  examinant  si  cette 
pauvreté  provient  d'une  fainéantise  naturelle,  parce  que  dans  ce 
dernier  cas  ils  ne  méritent  pas  beaucoup  de  soulagement4  ». 

Ou  bien  il  les  reprend  vertement,  de  se  laisser  toucher  par 
des  plaintes  intéressées  : 

«  Vous  m'écrivez  que  vous  ne  pouvez  me  donner  vostre  avis  si  le 
roy  n'accorde  une  diminution  considérable  à  la  généralité  [de  Riom]. 
Vous  vous  laissez  un  peu  trop  facilement  persuader,  et  si  vous  vouliez 
bien  considérer  Testât  des  impositions  des  tailles  depuis  30  et  40  ans 
dans  vostre  généralité,  vous  trouveriez  qu'elles  n'ont  jamais  esté  aussy 
basses,  et  par  conséquent,  que  vous   pourriez  facilement  faire  con- 

1.  Glém.,  II,  131-135.  Cf.  let.  à  Leblanc,  21  nov.  1681  :  «  Appliquez-vous  toujours 
à  retrancher  tout  ce  qui  peut  estre  contraire  au  soulagement  que  le  roy  désire 
donner  à  ses  peuples  par  toutes  sortes  de  moyens  »  (ibid.  p.  395). 

2.  Let.  à  Marillac,  28  nov.    1680,  ibid.,  p.  714. 

3.  Let.  à  Leblanc,  21  nov.  1681,  ibid.,  p.  395.  Cf.  la  lettre  à  de  Marie, 
4  juillet  1681,  p.  163. 

4.  Let.  du  16  oct.  1682,  ibid,  p.  208. 


LA    TAILLE    EN    NORMAND!  K. 


noisire  aux  pettplefl  comblai)  ils  sont  obliges  aux  bontés  du  roy,  au 
«•ndre  aux  misera  affectées  qui  ne  sont  que  trop  com- 
munes dam  ta  province*.  Kn  cela  vous  voudrez  bien  que  je  vous  dise 
dislaites  pas  à  votre  devoir,  parce  qu'il  est  très  impor- 
tant au  bien  de  TKstat  de  ne  pas  souffrir  que  les  peuples  prennent  des 
impressions  de  cette  nature,  quand  il  y  a  un  si  grand  nombre  de 
raisons  qui  les  doivent  obliger  à  en  prendre  de  contraires  '.  » 

De  toute  cette  vigilance  administrative,  le  résultat  matériel 
lut  d'accélérer  notablement  le  recouvrement  de  la  taille,  et  de 
diminuer  les  non-valeurs,  du  moins  en  Normandie.  On  peut  s'en 
rendre  compte  par  les  états  que,  chaque  année,  vers  la  fin  de 
juin  ou  le  début  de  juillet,  les  intendants  lui  adressaient*. 

Dans  la  généralité  de  Caen,  au  15  août  1680.  la  taille  de  1679 
est  toute  payée  à  la  réserve  de  17  220  1.,  et  sur  la  taille  de 
l'année  courante  les  contribuables  ont  déjà  versé  720  293  liv., 
soit  47  pour  100  de  l'imposition;  l'élection  la  plus  en  retard,  Mor- 
tain,  a  payé  41  p.  100.  Dans  celle  de  Rouen,  à  la  fin  de 
juillet  1680,  le  reste  de  1679  s'élève  à  176336  1.  soit  7,6  p.  100, 
et  sur  le  courant  il  a  été  perçu  876911  1.,  soit  40,15  p.  100  de 
l'imposition.  Pour  celle  d'Alençon,  voici  le  tableau  résumé  de 
quatre  états   correspondant  aux  années  1680-1683  : 


années 

date  de  l'état 

IMPOSITION 

PAYÉ 

FRAI8 

1681 

1682 

1683 

22  juillet  1680 

8-31  juillet  1682 

id. 

30  juin   1083 

1  3'i3  333  1. 
1  403  333 
1  429  500 
1569  6'i  7 

345  202  1. 
1317  061 
723  424 
607  424 

env.    7  210  1. 
17  684 
5  338 

On  voit  que  le  paiement  du  courant,  au  milieu  de  l'année,  est 
égal  à  40,6  p.  100  de  l'imposition  en  1680  et  50,6  en  1682; 
quant  à  l'année  1683,  si  la  proportion  n'est  que  de  38,6  p.  100, 
c'est  parce  que  l'état  est  arrêté  un  mois  plus  tôt  que  les  années 
précédentes.  A  cela  il  faut  ajouter  que  les  receveurs  particuliers, 
mieux  choisis,  effectuaient  ponctuellement  leurs  versements  à  la 
recette  générale,  et  faisaient  même  des  avances  :  ainsi  à  la  fin 
de  juillet  1682,  quatre  receveurs  particuliers  de  la  généralité 
d'Alençon  avaient  payé  toute  la  taille  de  1681  au  receveur 
général,  quoiqu'il  leur  fût  dû  47651  1.  par  les   contribuables3. 

1.  Let.  ù  de  Marie,  7  août  16S0,  Clém.,  II,  p.  138.  Cf.  les  lettres  toutes  semblables 
à  de  Ménars,  21  juin  1679,  p.  106  ;  à  d'Herbigny,  13  nov.  1680,  p.  146  ;  à  de  Bezons, 
21  nov.  1681,  p.  172;  à  Nointel,  23  mai  1683,  p.  110;  à  Breteuil,  14  juin  1680, 
lî.  Mun.  Amiens,  ms.  508,  I,  p.  157. 

2.  Voir  ces  états  à  leurs  dates  aux  A.  N.  G7  71  (pour  Alencon),  213  (pour  Caen), 
491  et  492  (pour  Rouen). 

3.  Cet  état  satisfaisant  ne  semble,  du  reste,  pas  avoir  duré.  L'intendant  de  la 
même  généralité  a  dressé  un  tableau  comparatif  des  sommes  payées  par  les  trois 


LA    FIN    DU    MINISTÈRE    (1679-1683).  529 

On  peut  saisir  d'une  manière  très  frappante  les  améliorations 
introduites  dans  les  recouvrements  entre  1666  et  1683  dans  les 
comptes  des  receveurs  de  Bayeux,  qui  sont  en  grande  partie 
conservés  l.  Cette  élection  n'avait  pas  été  mieux  en  point  que 
les  autres  au  temps  de  Mazarin  :  lorsqu'on  dressa  les  états 
de  restes,  en  mai  1666,  on  reconnut  qu'elle  avait  de  l'arriéré 
sur  toutes  les  années  depuis  1658;  le  total  s'élevait  à  66396  1., 
soit  près  du  tiers  de  l'imposition  d'une  année2.  Quant  à  la 
taille  de  l'année  courante,  elle  était  également  très  en  retard  : 
48163  1.  seulement  étaient  payées  sur  237  200  environ  (soit  le 
cinquième).  Un  an  plus  tard,  en  juin  1667,  les  restes  des 
années  1658-61  sont  au  même  chiffre  :  on  ne  les  recouvrera  du 
reste  jamais;  sur  l'année  1666,  il  est  dû  36  826  1.,  c'est-à-dire 
environ  15,5  p.  100  de  l'imposition. 

Mais  au  bout  de  quelques  années,  la  situation  s'améliore  :  la 
taille  de  1671  est  entièrement  payée  en  mai  1673;  sur  celle 
de  1672,  montant  à  235  000  1.,  il  n'est  dû  que  2  705  1.  le  4  dé- 
cembre 1673.  Puis,  de  1673 à  1678,  les  difficultés  réapparaissent; 
au  10  août  1675,  les  contribuables  redoivent  encore  7  350  1. 
de  1673;  au  20  décembre  suivant,  ils  redoivent  3  492  1.  sur  1674. 
Le  receveur  en  exercice  pour  l'année  1675  n'achève  ses  paie- 
ments à  la  recette  générale  que  le  29  septembre  1678.  A  partir 
de  1679,  le  recouvrement  s'accélère  de  nouveau  :  pour  1679  il 
n'est  dû  que  7  000  1.  au  15  août  1680,  et  3  408  1.  au  22  no- 
vembre suivant.  Les  années  d'après,  tous  les  recouvrements  sont 
effectués  lorsque  les  receveurs  rendent  leurs  comptes,  environ 
un  an  après  leur  exercice  3.  La  taille  est  donc  tout  entière  payée 
en  quinze  ou  dix-huit  mois,  comme  le  désirait  Colbert. 

Mais  tous  ces  perfectionnements  ont  eu  leur  répercussion  funeste 
sur  la  fortune  des  contribuables.  Les  mendiants  se  multiplient, 
les  désertions  d'habitants  continuent.  En  1681,  la  ville  de  Gisors 
est  à  demi-déserte,  ayant  été  abandonnée  par  les  tanneurs*.  A 
Bernay,  en  1679,  il  y  a  une  multitude  de  pauvres,  et  l'intendant 
assure  que  si  l'on  mettait,  pour  les  secourir,  une  taxe  sur  les  aisés, 
«  cela  pourroit  aporter  du  retardement  aux  deniers  du  roy5  ». 

élections  de  Verneuil,  Gonches  et  Bernay  à  la  date  du  27  mars  de  chacune  des 
années  1683,  1684,  1685  :  en  1683,  Verneuil  a  payé  25,8  p.  100  de  son  imposition, 
en  1684,  23,6  et  en  1685,  13,6  seulement;  et  Bernay  en  1683,  29,5  et  en  1685, 
23,4  p.  100,  et  les  frais  pour  cette  dernière  sont  montés  de  655  1.  en  1683  à  808  1. 
en  1685.  (A.  N.  G7  71).  Dans  la  généralité  de  Rouen,  au  28  février  1680,  il  reste  à 
recouvrer  17  p.  100  de  l'année  1684  et  les  collecteurs  n'ont  versé  aux  recettes 
particulières  que  13  p.  100  du  courant  [ihld.  492). 

1.  A.  D.  Galv.,  Election  de  Bayeux,  états  au  vrai  du  receveur. 

2.  Sur  cette  somme,  le  reste  de  1665  comptait  pour  46  431  1. 

3.  Voici  les  dates  des  derniers  versements  des  receveurs  à  la  recette  générale  : 
1680  :  9  avril  1681;  —  1681  :  juin  1682.  —  1682  :  26  avril  1683.  —  1683  :  17  no- 
vembre 1684. 

4.  Leblanc  à  Colbert,  5  mai  1681,  A.  N.  G7  491. 

5.  Let.  de  Morangis,  27  mai  1679,  A.  N.  G7  71.  Leblanc  écrit  le  4  juillet  1680 
qu'à  Blangy,   «  le  fermier   des  aydes  a   fait  payer  aux  brasseurs  les  droits  sy 


L\    TAILLE    EN    NORMANDIE. 


34 


',3  i  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

On  a  déji   vu.   d'après  les  avis  des  intendants  sur  les  brevets, 
.1rs  détails  sur  cette  misère '. 

Colbert,  d'ailleurs,  quoiqu'il  en  ait  écrit  aux  intendants,  savait 
Mrs  bien  que  cette  misère  était  profonde  et  difficile  à  guérir. 
Sa  correspondance  avec  le  roi  en  ces  dernières  années  en  fait 
foi.  En  1680  il  lui  écrit  : 

«  Si  quelque  occasion  glorieuse  au  roy  se  présentoit  pour  faire  la 
guerre,  les  suites  en  deviendroient  très  fascheuses.  Les  fonds  dimi- 
nuant et  les  emprunts  augmentant,  le  crédit  s'anéantiroit,  et  il  est  à 
craindre  qu'il  ne  fallust  en  revenir  au  15  p.  100.  Mais  ce  qu'il  y  a  de 
plus  important  et  sur  quoy  il  y  a  plus  de  réflexion  à  faire,  c'est  la 
misère  très  grande  des  peuples.  Toutes  les  lettres  qui  viennent  des 
provinces  en  parlent,  soit  des  intendans,  soit  des  receveurs  généraux 
ou  autres  personnes,  mesme  des  evesques 2.  » 

Et  le  8  juin  1683,  trois  mois  avant  sa  mort  : 

«  Les  intendants  visitent  les  généralités,  et  en  rendent  compte  par 
toutes  leurs  lettres,  qui  sont  pleines  de  beaucoup  de  misère  des 
peuples  ». 

A  quoi  le  roi  répond  : 

«  La  misère  me  fait  grand  peine.  Il  faudra  faire  tout  ce  que  l'on 
pourra  pour  soulager  les  peuples;  je  souhaite  le  pouvoir  bientost3  ». 

Mais  si  Colbert  lui  propose  de  réduire  ses  dépenses,  à  quoi, 
lui  dit-il,  «  l'application  de  ceux  auxquels  V.  M.  veut  bien 
acquiescer  dans  la  conduite,  régie  et  administration  de  ses 
finances,  ne  peut  rien  *,  »  il  reçoit  cette  réponse  :  «  La  grande  des- 
pence me  fait  beaucoup  de  peine,  mais  il  y  en  a  de  nécessaires s  ». 

Le  meilleur  document  qui  puisse  nous  faire  saisir  l'étendue  de 
la  misère  dont  parlait  Colbert  est  le  résumé,  fait  dans  les  bureaux 
du  Contrôle  général,  des  rapports  des  commissaires  extraordi- 
naires envoyés  par  le  roi  dans  les  provinces,  —  et  notamment 
en  Normandie  —  en  1687 6.  En  voici  l'essentiel  : 

exactement,  qu'ils    ont  esté  obligez  de  quitter;   il  n'y   a   n    présent  que  luy  qui 
brasse,  ce  qui  a  fait  perdre  500  1.  de  taille  à  ce  bourg.  »  (ibid.  491). 

1.  Ci-dessus,  p.  78-81. 

2.  Clcm.,  Il,  141. 
•i.  Ibid.,  p.  292. 
h.  Ibid.,  p.  125. 

5.  Mémoire  du  8  juin  1683,  ibid.,  p.  321. 

6.  •  Mémoire  sur  les  finances  »,  B.  N.  fr.  11  149.  La  commission,  constituée  en 
mai  1687,  se  composait  de  5  conseillers  d'Etat  (Pomereu,  d'Aguesseau,  de  Ribeyre, 
\oysin  et  Pelletier)  doublés  chacun  d'un  maitre  des  requêtes  (Pomereu  le  fils, 
u'Ormesson,  Chamillart,  Voysin  de  la  Noiraye  et  d'Argouges).   Ils  visitèrent  les 

généralités  d'Amiens,  Soissons,  Chalons,  Bourges,  Moulins,  Poitiers,  La  Rochelle, 
rlcatis,  Tours,  Rouen,  Caen  et  Alencon.  Le  roi  leur  donna  une  longue  audience 
à  leur  retour,  le  28  octobre  1687  (Arcb.  Aff.  Etr.,  France,  Mém.  et  doc,  vol.  991, 
l"  153  et  164).  Le  mémoire  des  commissaires  de  l'Orléanais  est  publié  dans 
De  Boislisle,  Mém.  de  l'intendant  de  Paris,  p.  781-786. 


LA    FIN    DU    MINISTÈRE    (1679-1683). 


531 


«  On  voit  partout  des  maisons  en  ruine,  des  mazures  abandonnées 
dans  les  villages,  des  boutiques  fermées  dans  les  villes,  presque  point 
de  bâtimens  neufs  ;  depuis  soixante  ans  qu'il  y  a  que  la  puissance  des 
huguenots  est  abbatue,  on  n'a  pu  encore  relever  les  églises  qu'ils  ont 
ruinées;  on  ne  voit  ni  jeux  ni  divertissemens,  le  nombre  des  cabarets 
diminue  tous  les  jours,  il  y  a  beaucoup  moins  de  manufactures  qu'au- 
trefois ;  en  plusieurs  villes  elles  ont  cessez  entièrement,  et  les  ouvriers 
sont  réduits  à  la  mendicité...  Il  n'y  a  presque  plus  de  laboureurs  aisés, 
et  mesme  il  reste  peu  de  païsans  qui  ayent  des  terres  en  propre,  ce 
qui  les  rends  moins  en  estât  de  faire  valoir  celles  d'autruy,  ils  ne 

peuvent  plus  se  fournir  de  chevaux  et  de  bestiaux ,  les  maîtres 

sont  obligés  de  leur  fournir  tout,  leur  avancer  de  quoy  se  nourrir, 
payer  leur  taille  et  prendre  en  payement  une  partie  de  la  récolte  ;  ils 
sortent  des  maitairies  aussy  pauvres  qu'ils  y  sont  entrés,  les  terres 
mal  cultivées  rapportent  moins  et  dépérissent,  les  bâtimens  tombent; 
la  pluspart  des  terres  de  France  semblent  estre  en  criée,  il  n'y  en  a 
que  trop  qui  y  sont  réellement.  Ceux  qui  avoient  deux  ou  trois  mai- 
tairies en  laissent  ruiner  une  ou  deux  pour  conserver  l'autre,  et  y 
réunissent  toutes  les  terres.  Dans  les  pays  où  les  tailles  sont  réelles, 
il  y  a  quantité  de  terres  que  les  propriétaires  abandonnent  pour  la 
taille,  et  les  communautés  ne  trouvent  pas  qui  veuille  s'en  charger. 
Les  bestiaux  et  les  laines  ont  fort  diminués  de  prix,  souvent  on 
ramène  les  bestes  du  marché  faute  d'acheteurs  ;  on  tue  peu  de  bœufs 
et  de  moutons  dans  les  petites  villes;  a  la  campagne  les  plus  aisés 
mangent  rarement  de  la  viande,  les  pauvres  manquent  souvent  de 
pain,  mesme  du  plus  noir,  et  ont  esté  réduit  en  divers  lieux  depuis 
peu  a  vivre  de  racines  ou  de  glands.  La  pluspart  n'ont  plus  de  meubles 
sur  quoy  l'on  puisse  asseoir  des  exécutions;  on  les  trouve  couchés  sur 
la  paille  sans  autres  habits  que  ceux  qu'ils  portent,  et  a  demy  nuds, 
hâves,  maigres  et  languissans,  n'ayant  ni  provisions  pour  vivre  ni 
rien  de  réserve.  Tout  est  plein  de  mandians,  quoique  dans  la  pluspart 
des  bonnes  villes  on  ait  depuis  trente  ans  estably  des  hôpitaux  généraux. 

«  L'effet  le  plus  fâcheux  de  la  pauvreté  est  la  diminution  des 
familles  et  des  hommes,  que  les  commissaires  ont  trouvée  considé- 
rable en  comparant  les  rolles  de  tailles  depuis  trente  ans,  sans  compter 
ceux  qui  sont  sortis  depuis  trois  ans  sous  prétexte  de  religion...  La 
misère  extrême  des  parens  fait  qu'il  vient  moins  d'enfans  et  qu'il  en 
meurt  plus;  les  mères  se  font  nourrices  ou  travaillent  excessivement; 
quantité  de  jeunesse  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  vient  servir  dans  les 
villes  et  ne  se  marie  point;  quantité  portent  les  armes,  des  familles 
entières  s'en  vont  mendier  et  périssent  dans  les  hôpitaux... 

«  L'état  présent  de  la  France  est  donc  un  état  violent  qui  ne  peut  se 
soutenir.  Il  ne  suffit  pas  d'épargner  les  peuples  et  ne  les  pas  charger 
de  nouveau,  il  faut  les  soutenir  et  les  rétablir.  L'épuisement  des  pro- 
vinces vient  de  ce  que  l'on  en  tire  de  grandes  sommes  d'argent  et 
qu'il  y  en  retourne  peu...  Le  revenu  de  toutes  les  terres  diminue  de 
jour  en  jour,  et  le  bled  est  a  plus  bas  prix  qu'il  n'a  esté  de  mémoire 
d'homme... 

«  On  laisse  a  la  piété  du  Roy  d'examiner  sérieusement  devant  Dieu, 
a  qui  il  en  rendra  compte  un  jour,  quelles  sont  les  dépenses  abso- 
lument nécessaires  pour  la  conservation  de  son  Estât,  et  sans  lesquelles 
sa  couronne  seroit  en  péril;  ceux  qui  ne  jugent  que  par  l'extérieur  ont 


MB  LA    TAILLE    EN    NOHMANDIE. 

peine  a  croire  que  l'état  du  royaume  soit  tellement  changé  depuis 
cinquante  ans  que  l'on  doive  a  présent  dépenser  en  pleine  paix  trois 
fois  autant  que  Ton  dépensoit  alors  au  fort  de  la  guerre.  Le  roy  s'est 
acquis  trop  de  gloire  solide  pour  mettre  sa  gloire  dans  le  vain  éclat 
d'une  magnificence  extérieure  et  dans  l'attachement  a  ne  vouloir  jamais 
abandonner  aucune  entreprise  :  la  vraye  gloire  d'un  prince  est  la 
prospérité  de  ses  peuples  ;  ceux  qui  ont  fait  les  plus  grands  édifices 
ne  sont  pas  ceux  dont  la  mémoire  est  la  plus  glorieuse,  principalement 
quand  ces  travaux  ont  eu  pour  but  leur  plaisir  particulier  plutôt  que 
1  utilité  publique.  » 

Tel  est  le  navrant  tableau  de  l'état  des  peuples  qui  se  pré- 
sente à  nous  peu  après  la  mort  de  Colbert.  Il  renferme  la  plus 
sévère  condamnation  possible  du  régime  de  la  taille,  qui  a  été 
sinon  la  seule,  du  moins  la  principale  cause  d'une  semblable 
misère. 


APPENDICE 


I.   —   LE    MOT    TAILLE 

Il  y  a  quelque  incertitude  parmi  les  philologues  sur  l'origine  du 
nom  de  la  taille.  La  majorité  le  font  dériver  du  nom  de  la  règle  en 
bois  nommée  taille  qui  servait  —  et  sert  encore  —  à  certains  com- 
merçants pour  tenir  leurs  comptes  :  chaque  entaille  faite  dans  la  règle 
correspond  à  une  certaine  somme  due  ou  reçue.  Ducrot  le  dit  tout  au 
long  en  1627  : 

«  Et  dautant  que  les  leveurs  et  collecteurs  marquoient  en  ce  temps 
sur  des  tailles  de  bois  ce  que  les  particuliers  habitans  payoient  sur 
et  tant  moins  de  leur  taxe  (comme  font  encores  aujourd'huy  les  bou- 
langers le  pain  qu'ils  débitent),  par  succession  de  temps  elles  ont  été 
appelées  tailles  \  » 

Cette  explication  est  également  celle  de  Du  Cange,  qui  cite  des 
exemples  du  mot  taillia  dans  les  deux  sens  2,  de  Desmaisons  3,  de 
Couchot  4,  de  Y  Encyclopédie  5,  et  de  la  plupart  des  juristes  et  lexicolo- 
gues du  xviie  et  du  xvme  siècles  6.  Elle  a  été  reprise  par  les  modernes  : 
Littré,  Thomas,  Léopold  Delisle  "',  etc. 

Des  objections  à  cette  explication  ont  été  présentées  notamment 
par  un  auteur  du  xvm°  siècle,  peu  érudit  il  est  vrai,  Gaultier  de 
Biauzat.  C'est,  dit-il,  «  insinuer  que  la  taille  n'a  jamais  été  payée  que 
par  le  bas  peuple  illetré  au  point  de  ne  pouvoir  écrire  ni  les  rôles 
ni  les  acquits  »  ;  or  on  sait  que  les  rôles  d'imposition  romains  étaient 
écrits,  et  que  Saint-Louis,  en  1270,  ordonna  que  la  répartition  de  la 
taille  dans  les  villes  du  Roi  fût  faite  «  par  escriptures  »  ;  il  faut  donc 
plutôt  chercher  l'origine  de  ce  mot  dans  la  «  forme  »  que  dans  «  l'effet  » 
de  la  répartition  8.  C'est  pourquoi  il  adopte  une  étymologie  qui  avait 


1.  Traitté  des  Aydes,  Tailles  et  Gabelles,  p.  340.  L'expression  «  en  ce  temps  » 
se  rapporte  au  règne  de  Charles  VII. 

2.  Glossaire,  au  mot  Tallia,  8°. 

3.  Nouveau  traité  des  Aydes,  Tailles  et  Gabelles  (1666),  p.  3. 

4.  Le  Praticien  universel,  8°  éd.  (1738),  t.  I,  p.  416. 

5.  Encyclopédie  de  Diderot  et  d'Alembert,  art.  Taille,  début. 

6.  Cf.  Guyot,  Répertoire  de  jurisprudence,  art.  Taille.  Loisel  de  Boismare,  Dic- 
tionnaire du  droit  des  tailles,  t.  II,  p.  486.  —  Moreau  de  Beaumont  (Mémoires  sur 
les  impositions,  t.  II,  p.  1),  est  moins  affirmatif.  .. 

7.  Des  revenus  publics  en  Normandie...  p.  144. 

8.  Doléances  sur  les  surcharges  que  les  gens  du  peuple  supportent  en  toute  espèce 
d'impôt,  s.  1.,  1788,  in-8°,  p.  50-54. 


534  LA    TAILLE    EN    NOItMANDIE. 

été  déjà  donnée  au  wi  siècle  par  Pasquier  :  les  deniers  levés  par 
rigneurs  sur  leurs  peuples,  dit  celui-ci,  furent  appelés  Taille 
«  parce  qu'ils  estoient  levés  par  capitation  et  département,  car  le  mot 
de  tailler  signifie  entre  nous  diviser  '  »  ;  et  il  cite  à  l'appui  de  cette 
affirmation  un  mot  latin,  taleari,  qui  signifierait  couper  et,  par  exten- 
sion, diviser,  répartir.  Lebret  s'est  rangé  à  cet  avis  2;  d'Espeisses  3  et 
quelques  autres  également4.  On  pourrait  incliner  en  faveur  de  cette 
étymologie,  si  elle  ne  reposait  sur  une  erreur  de  fait  :  le  mot  taleari 
en  effet,  ne  se  trouve  que  dans  de  mauvaises  éditions  de  Pline,  et 
semble  bien  être  une  fausse  lecture;  les  latinistes  n'en  reconnaissent 
pas  l'existence. 

Un  autre  érudit,  Championnière,  a  cherché  une  autre  explication  : 
on  trouve  souvent,  dit-il,  dans  les  textes  latins  à  la  suite  d  énuméra- 
tions,  l'expression  :  «  vcl  caetera  his  talia  »  ;  l'expression  talia  seule 
aurait  fini  par  prévaloir,  «  puis  on  la  rencontre  seule  pour  désigner 
les  mêmes  objets;  enfin  les  traducteurs  praticiens  en  ont  fait  le  mot 
taille  6.  »  Il  y  a  trop  de  fantaisie  dans  cette  hypothèse  pour  qu'on 
puisse  s'y  arrêter  :  elle  n'a,  du  reste,  été  adoptée  par  personne  à  ma 
connaissance. 

Il  faut  reconnaître  que  l'explication  commune,  donnée  plus  haut,  ne 
force  pas  l'assentiment  par  son  évidence  :  on  ne  voit  pas  bien  com- 
ment l'usage  des  règles  Ae  bois  aurait  pu  suppléer  à  l'écriture  à  la  fois 
pour  la  répartition  et  pour  la  levée  de  l'impôt  seigneurial,  et  on  ne 
peut  guère  supposer  que  l'écriture  ait  été,  dans  les  seigneuries,  telle- 
ment ignorée  que  l'emploi  des  «  tailles  »  eût  été  général.  Cependant, 
on  peut  citer  quelques  exemples  précis,  même  au  xvne  et  au  xvme  siè- 
cles, de  l'emploi  de  ces  règles  pour  la  levée  de  l'impôt.  A  Cirey  (en 
Champagne),  en  1658,  le  collecteur  marque  par  des  encoches  sur  un 
bâton  les  paiements  qui  lui  sont  faits  parles  contribuables,  parce  qu'il 
est  illettré  6.  Suivant  le  jurisconsulte  Borel,  qui  écrit  au  milieu  du 
xviie  siècle,  «  il  y  a  encore  des  villages  en  Languedoc  où  l'on  garde 
de  grosses  pièces  de  bois  qu'on  appelle  des  souqs,  c'est-à-dire  des 
souches,  qui  servent  de  cadastres,  c'est-à-dire  de  règle  ou  de  pied 
pour  faire  l'assiette  de  la  taille,  et  même  on  en  rapporte  souvent  dans 
des  charettes  à  la  Chambre  des  Comptes  de  Montpellier  pour  régler 
quelques  différends  sur  les  cadastres  ou  assiètes  des  tailles  7  ».  Enfin 
1  intendant  de  Bordeaux,  dans  un  mémoire  du  30  mars  1717,  dit  qu'en 
plusieurs  paroisses  des  Landes  «  on  n'a  pu  faire  avoir  [aux  collec- 
teurs] d'autres  rôles  que  des  bâtons  sur  lesquels  ils  font  des  mar- 
ques 8  ».  Sans  doute  ces  faits,  qui  sont  exceptionnels  à  la  fin  de 
l'Ancien  Régime,  on  pu  être  fréquents  aux  siècles  antérieurs,  et  peu- 
vent autoriser  à  admettre  comme  vraisemblable,  faute  d'autre  expli- 
cation plus  certaine,  l'étymologie  communément  donnée.  Mais  il  ne 

1.  Recherches,  ch.  vu,  p.  86. 

2.  Quinzième  action,  dans  ses  Œuvres,  éd.  1689,  p.  473. 

3.  Traité  des  tailles  (1657),  dans  ses  Œuvres  compl.,  éd.  1750,  t.  III,  p.  290,  col.  2. 

4.  Notamment  Pastorel,  dans  Ord.  des  rois  de  France,  t.  XVI,  introd.,  p.  xv. 

5.  De  la  propriété  des  eaux  courantes,  (1846),  p.  4%. 
.'  '  '>i,'et'  La  misère  au  temps  de  la  Fronde,  p.  298. 

7.  Trésor  des  recherches  et  antiquités  gauloises,  1655-67,  nouv.  éd.  par  Fnvre. 
Niort,  1882,  art.  Cadastre. 

8.  Cité  dans  Marion,  L'impôt  sur  le  revenu  au  XVIW  siècle...  p.  3. 


APPENDICE.  535 

semble  pas  qu'on  doive  considérer  pour  autant  la  question  comme 
définitivement  tranchée. 

L'orthographe  même  du  mot  soulève  aussi  quelques  difficultés. 
Dans  les  textes  les  plus  corrects,  on  trouve  côte  à  côte  la  forme  du  sin- 
gulier et  celle  du  pluriel  pour  désigner  notre  impôt.  Dès  le  xve  siècle, 
les  deux  formes  sont  employées  indifféremment;  c'est  à  peine  si  une 
subtile  distinction  est  faite  par  les  députés  de  Normandie  aux  Etats 
de  1483,  dans  leurs  doléances  aux  gens  du  Roi  :  «  L'immensité  de  la 
taille,  ou  pour  mieux  dire  des  tailles...  excède  de  beaucoup  la  cote 
ordinaire1  »;  mais  dans  son  Journal  des  mêmes  Etats,  Masselin  dit 
sans  différence  apparente  tantôt  tailla,  tantôt  tallise.  Au  xvne  siècle, 
on  trouve  les  deux  formes  dans  la  même  phrase  :  ainsi,  dans  une  cir- 
culaire du  roi  aux  intendants  :  «  Outre  la  descharge  que  je  luy  faicts 
[au  peuple]  de  dix  millions  sur  les  tailles,  j'ay  encore  résolu  de  diminuer 
sur  la  taille  la  somme  à  laquelle  montera  »  (etc.)2.  Dans  la  Déclaration 
du  6  août  1669  :  ceux  qui  ont  acquis  «  les  privilèges  d'exemption  de 
tailles  pourront  (etc.)...  sans  être  tenus  de  payer  la  taille  3  ».  L'inten- 
dant de  Limoges  écrit  dans  un  mémoire  de  1686  :  «  Le  peuple  y  est 
[dans  la  paroisse  d'Escoyeuxj  extrêmement  dur  à  payer  la  taille,  faisant 
toujours  courre  des  bruits  qu'elles  sont  remises  4.  »  Pareillement  La 
Barre,  dans  son  Formulaire  des  Esleus  :  «  Tous  les  aisez  taillables 
taschent  a  se  descharger  de  la  taille,  lesquelles  néanmoins  croissent  de 
jour  en  jour5  ».  On  pourrait  multiplier  ces  exemples  6. 

Pareil  phénomène  peut,  du  reste,  être  constaté  pour  le  nom  d'autres 
impôts  :  on  dit  également  l'aide  des  aides  ;  la  gabelle  et  les  gabelles, 
le  domaine  et  les  domaines.  L'explication  de  cette  bizarrerie  ne  peut 
faire  de  doute  :  si  la  taille,  au  temps  de  Louis  XIV,  est  un  impôt  unique, 
il  n'en  était  pas  de  même,  on  l'a  vu,  à  l'époque  antérieure;  elle  se  com- 
posait alors  d'une  série  d'impôts  additionnés,  qui  formaient  chacun  une 
taille  particulière,  et  étaient  répartis  sur  les  rôles  «  par  lignes  sépa- 
rées »,  de  sorte  que  l'on  pouvait  considérer  la  taille  comme  la  réunion 
de  plusieurs  impôts,  d'où  l'emploi  du  pluriel.  C'est  ce  qu'explique  en 
1726  un  Mémoire  sur  la  taille  :  «  Sous  le  mot  taille,  on  entend  aujour- 
d'hui plusieurs  impositions  réunies,  aussi  dit-on  ordinairement  :  tailles 
et  crues  y  jointes7».  Guy  Coquille  distingue  pareillement  «  la  grande 
taille  »  des  autres  tailles  qui  y  sont  proportionnelles  8.  Ainsi  l'usage 
du  pluriel  pouvait  se  justifier. 

1.  Journal  de  J.  Masselin,  publ.  par  Raudry.  p.  483. 

2.  Circulaire  du  30  août  1643,  citée  dans  André,  Michel  Le  Tellier,  p.  4*24,  note. 

3.  G.  d.  T.  II,  54. 

4.  Cité  dans  l'Inventaire  des  Arch.  départ,  de  la  Vienne,  -série  G  (publ.  par 
Leroux),  p.  274. 

5.  Formulaire  des  Esleuz  (1622),  p.  172.  La  phrase  fut  maintenue  ainsi  dans 
toutes  les  éditions  de  l'ouvrage. 

6.  Cf.  notamment  le  Dictionnaire  de  Trévoux  (1771),  art.  Taille  :  «  Les  tailles 
furent  mises  sur  le  peuple  du  temps  du  roi  saint  Louis  qui  a  le  premier  levé  la 
taille  par  forme  de  subsides  pendant  la  guerre;  mais  les  tailles  n'estoient  d'abord 
que  des  levées  extraordinaires...  » 

7.  Dans  de  Boislisle,  Mémoire  de  l'intendant  de  Paris,  p.  487.  Noter  aussi  qu'au 
XIV0  et  au  XVe  siècle,  on  disait  :  une  taille  pour  une  levée  d'impôt. 

8.  «  La  grande  taille,  ou  le  principal  de  la  taille,  sur  le  fur  et  pied  de  laquelle 
les  autres  tailles  estoient  imposées.  »  (Questions  et  réponses  sur  les  articles  des 
coutumes,  §  V.)  Un  édit  de  1537  avait  déclaré  que  le  montant  de  la  grande  taille 
serait  immuablement  fixé  à  4  millions  de  liv. 


;,3,;  LA    TAILLK    IN     NORMANDIE. 

Toutefois,  l'emploi  du  singulier  ou  du  pluriel  n'était  pas  toujours 
absolument  arbitraire  au  xvn°  siècle.  Pour  certaines  expressions, 
l'usage  voulait  que  l'on  employât  exclusivement  l'une  des  deux  formes. 
A'm^i  on  ne  disait  jamais  receveur  de  la  taille,  mais  receveur  des 
tailles;  on  disait  toujours  le  brevet  de  la  taille,  et  par  contre  les  com- 
missions des  tailles.  On  levait  la  taille,  et  non  les  tailles,  tandis  qu'on 
payait  la  taille.  Richelet,  le  Dictionnaire  de  V Académie,  le  Dictionnaire 
des  Finances  de  1727,  le  Dictionnaire  de  Trévoux  citent  plusieurs  de 
ces  expressions  où  toujours  est  employé  soit  le  singulier,  soit  le  plu- 
riel. J  ai,  dans  ce  travail,  usé  de  ces  expressions  telles  quelles,  en 
conservant  la  liberté  d'employer  ad  libitum  le  singulier  ou  le  pluriel 
dans  les  autres  cas. 

II.   —   AVIS    D'UN    INTENDANT    SUR   LE    BREVET 

«  Advis  pour  l'imposition  de  la  taille  de  l'année  1G79  sur  les  13  eslec- 
tions  de  la  généralité  de  Rouen,  montant  a  2  300  000 1.  suivant  le  brevet 
envoyé  par  Sa  Majesté,  et  de  la  somme  de  3  333  1.  ordonnée  estre 
imposée  par  arrest  du  conseil  du  13  avril  1678  nonobstant  les  deffences 
portées  par  les  commissions  des  tailles,  pour  estre  employée  aux 
réparations  et  entreneraent  du  pont  de  la  ville  de  Rouen,  fontaines, 
édiffices,  chaussées  et  pavages  des  environs. 

Rouen.  —  Cette  eslection  a  esté  imposée  les  années  précédentes  a 
des  sommes  très  considérables,  et  en  1678  a  276  000  1.  ;  quoyque  la 
ville  de  Rouen  luy  deubst  estre  advantageuse,  neantmoins  la  franchise 
dont  jouissent  les  contribuables  qui  se  retirent  dans  la  bonne  lieue 
fait  que  les  plus  riches  s'y  establissent,  dont  les  taux  surchargent  les 
autres,  c'est  pourquoy  je  crois  qu'il  y  a  lieu  de  luy  donner,  pour  sa 
part  de  la  diminution  accordée  par  Sa  Majesté  45  500  1.  et  de  la 
réduire  a 230  500  1. 

Et  des  3  333  1.  portées  par  led.  arrest 3501. 

Pont  de  l'Arche.  —  Les  habitants  de  plusieurs  villages  de  cette 
eslection  s'appliquoient  a  cultiver  le  tabac,  qui  se  vendoit  28  et  30  1. 
le  cent;  comme  le  profict  estoit  très  considérable,  on  avoit  augmenté 
la  taille  a  proportion,  mais  depuis  qu'il  leur  a  esté  deffendu  d'en 
planter  et  de  le  vendre  a  qui  bon  leur  sembloit,  et  que  les  chardons  ne 
se  sont  presque  plus  transportez  dans  les  pays  estrangers,  il  est  néces- 
saire de  la  diminuer  de  25  500  1.  sur  141000  1.  qu'elle  portoit  en  1678 
et  de  la  réduire  a 115  5001. 

Et  des  3  333  1 150  1. 

Les  villes  du  Pont  de  l'Arche  et  Louviers  ont  beaucoup  souffert 
par  les  passages  et  garnisons,  aussy  il  y  auroit  lieu  de  diminuer  celle 
du  Pont  de  Larche  de  100  1.  et  le  réduire  a 1  400  1. 

Et  celle  de  Louviers  de  5001.  et  ne  l'imposer  qu'a.    .    .    .     12  500  1. 

Ponteaudemer.  —  Cette  eslection  estoit  une  des  plus  considérables 
de  Normandie;  il  se  vendoit  toutes  les  semaines  aux  marchez  pour 
plus  de  30  000  1.  de  toille,  le  commerce  est  sy  diminué  qu'il  ne  s'en 
débite  pas  présentement  pour  6  000  1.,  joint  qu'elle  a  esté  peu  ménagée 
par  les  commis  a  la  recepte  des  tailles,  ce  qui  a  obligé  un  grand  nombre 


APPENDICE.  537 

des  principaux  tailliables  a  faire  signifier  des  translations  de  domi- 
cilie ;  je  crois  que  pour  luy  donner  moyen  de  se  rétablir,  elle  doit 
estre  diminuée  de  58  000  1.  sur  339  500  1.  qu'elle  portoit  en  1678,  et 
réduitte  a ; 281  500  1. 

Et  des  3  333  1 350  1. 

La  ville  du  Ponteaudemer  est  beaucoup  diminuée,  il  est  de  nécessité 
de  la  réduire  de  31  000  1.  a 28  000  1. 

Le  bourg  de  Quillebeuf  a  beaucoup  souffert,  les  matelots  et  les 
pilotes  n'ayant  point  esté  en  mer  depuis  quelques  années  et  n'ayant 
conduit  que  très  peu  de  vaisseaux  le  long  de  la  rivière  de  Seine,  le 
diminuer  de  la  somme  de  600  1.  et  le  réduire  a  4  000,  cy .    .       4  000  1. 

Pont  Levesque.  —  Plusieurs  contribuables  dont  les  taux  montent 
a  6  250  1.  ont  fait  signiffier  des  translations  de  domicilie  dans  les  gene- 
ralitez  de  Caen  et  Allençon,  joint  qu'il  y  a  très  peu  de  fruits  cette 
année,  ce  qui  fait  qu'il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  la  somme  de  20000 1. 
sur  celle  de  191 500  1.  qu'elle  portoit  en  1978,  et  de  la  réduire 
a 1715001. 

Et  des  3  333  1 200  1. 

Le  bourg  de  Pontlevesque  a  eu  trois  quartiers  d'hiver  les  années  der- 
nières et  quelques  passages,  et  comme  il  y  a  très  peu  de  commerce, 
plusieurs  habitants  ont  déserté,  le  diminuer  de  1  900  1.  et  le  réduire 
a 8  0001, 

La  ville  d'Honfleur  a  souffert  par  la  perte  de  plusieurs  vaisseaux, 
la  diminuer  de  2  000  1.  a 26  000  1. 

Caudebec.  —  En  1676  il  y  eut  80  parroisses  de  cette  eslection 
greslées,  dont  la  plupart  le  furent  entièrement,  et  les  autres  moytié,  le 
bourg  de  Bollebec  qui  faisoit  subsister  plus  de  30  parroisses  par  son 
commerce,  et  qui  portoit  11  800  1.  furent  entièrement  bruslé,  dont  la 
taille  a  esté  réduitte  par  arrest  du  Conseil  a  3  000  1.  qui  est  une 
augmentation  de  8  800  1.  sur  cette  eslection  ;  en  1677  la  niesle  ou  melie, 
suivant  le  terme  du  pays,  a  gasté  presque  tous  les  grains,  et  plusieurs 
parroisses  sont  demeurées  en  reste  de  la  taille  et  de  Pustancille,  ainsy 
il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  49  500  1.  de  celle  de  275  000 1.  a  laquelle  elle 
estoit  imposée  en  1678  et  de  la  réduire  a .       225  500  1. 

Et  des  3  3331 350  1. 

La  ville  de  Caudebec  a  souffert  des  garnisons  en  1676  et  en  1678, 
ce  qui  a  fait  que  plusieurs  artisans  en  sont  sortis,  et  le  commerce  y 
estant  beaucoup  diminué,  il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  la  somme  de 
500  1.  et  la  réduire  a 5  000  1. 

Montivilliers.  —  Les  bleds  ont  esté  presque  tous  gastez  en  .1677 
et  en  1678,  les  lins  dont  le  commerce  est  très  considérable  et  les  fruits 
ont  manqué,  une  partie  des  terres  est  demeurée  en  friche;  les  fré- 
quentes gardes  que  les  habitans  out  esté  obligez  de  faire,  et  les  armes 
qu'ils  ont  achetez,  avec  l'imposition  du  sel  auxquels  ils  sont  sujets, 
ont  mis  les  paroisses  en  très  mauvais  estât,  ainsy  il  y  a  lieu  de  la  dimi- 
nuer de  39  500  1.  de  celle  de  222  000  1.  qu'elle  portoit  en  1678  et  la 
réduire  a 182  500  1. 

Et  des  33331 200  1. 

Les  villes  de  Montiviliers  et  d'Harfleur  sont  très  misérables  et  ont 


538  LA    TAILLK    U    NORMANDIE. 

besoin  d'estre  diminuées,  scavoir  Montivilliors  de  la  somme  de  1  000  1. 

et  reduitte  a 4  500  1. 

Et  Harfleur  de  600  1.  et  reduitte  a 3  000  1. 

Arques.  —  Cette  eslection  a  beaucoup  souffert,  les  bleds  aiant  esté 
greslez  de  [=  en]  1677,  ainsy  je  crois  qu'il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de 
40  000  1.  sur  celle  de  321  700  1.  a  laquelle  elle  estoit  imposée  en  1678 
et  la  réduire  a 281700  1. 

Et  des  3  333  1 400  1. 

Le  bourg  d'Arqués  est  presque  désert,  les  habitans  s'estans  retirez 
a  Dieppe;  pour  obliger  les  autres  d'y  rester,  il  y  a  lieu  de  le  diminuer 
de  800  1.  et  de  le  réduire  a 1 800  1. 

La  ville  d'Eu  de  1000  1.  et  reduitte  a 12  000  1. 

Neucbastel.  —  Plusieurs  parroisses  de  cette  eslection  ont  esté 
greslées  en  1677,  beaucoup  de  tailliables  ont  fait  signiffier  des  trans- 
lations pour  aller  demeurer  en  Picardie,  et  les  fruits  ont  presque 
manqué,  ainsy  je  crois  qu'il  y  a  lieu  de  le  diminuer  de  la  somme  de 
20  0001.  sur  celle  de  154  000  1.  qu'elle  portoit  en  1678  et  la  réduire 
a 134  000  1. 

Et  des  3  333  1 300  1. 

La  ville  de  Neuchastel  a  eu  une  compagnie  de  cavalerie  trois  mois 
et  demy  en  quartier  d'hiver  en  1678;  il  y  a  lieu  en  cette  considération 
de  la  diminuer  de  5001.  et  la  réduire  a 4  000  1. 

Et  celle  d'Aumalle  de  500  1.  et  la  réduire  a 5  700  1. 

Gizors  et  Pontoise.  —  Cette  eslection  a  esté  fort  augmentée  les 
années  précédentes,  et  les  villes  de  Gizors  et  Pontoise  ont  souffert  une 
quantité  extraordinaire  de  passages  et  de  garnisons  qui  ont  fait  déser- 
ter la  pluspart  des  habitans,  ainsi  il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  la  somme 
de  22  000  1.  sur  celle  de  190300  à  laquelle  elle  estoit  imposée  en  1678 
et  la  réduire  a 168  300  1. 

Et  des  33331 250  1. 

Diminuer  Gizors  de  400  1.  et  le  réduire  a 6  600  1. 

Pontoise  de  4  000  1.  et  le  réduire  a 20  000  1. 

Et  le  faubourg  de  l'Aumosne  de  800  et  le  réduire  a  .  3  200  1. 

Lyons.  ; —  Les  terres  de  cette  eslection  sont  légères,  la  pluspart 
desquelles  ont  esté  défrichées,  il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  14  000  1. 
sur  celle  de  98  000  qu'elle  portoit  en  1678  et  la  réduire  a        84  000  1. 

Et  des  3  333  1 33  1. 

La  ville  de  Lyons  a  souffert  un  sy  grand  nombre  de  passages,  que 
plusieurs  habitans  l'ont  abandonné,  il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  400  1. 
et  le  réduire  a 2400  l. 

Chaumont  et  Magny.  —  Cette  eslection  a  esté  imposée  a  des 
sommes  considérables  les  années  précédentes,  et  les  fruits  y  ont  man- 
qué presque  partout,  ainsy  il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  la  somme  de 
de  20  000  1.  de  celle  de  153  000  a  laquelle  elle  estoit  imposée  en  1678 
et  la  réduire  a • 133  000  1. 

Et  des  3  333  1 250  1. 

La  ville  de  Magny  a  beaucoup  souffert  les  années  dernières  par  les 


APPENDICE.  539 

grandes  eaues,  et  plusieurs  tailliables  sont  décédez  depuis  peu,  ainsy 
il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  la  somme  de  600  1.  et  la  réduire  a  5  600  1. 
Chaumont  est  le  lieu  de  toute  la  généralité  ou  il  passe  le  plus  de 
de  trouppes  qui  y  séjournent  toutes,  ce  qui  fait  que  presque  toutes  les 
maisons  sont  ruinées  ;  pour  lui  donner  moyen  de  se  restablir,  la  dimi- 
nuer de  la  somme  de  200  1.  et  la  réduire  a 1 100  1. 

Andely.  —  La  plus  grande  partie  de  cette  eslection  consiste  en 
vignes,  le  vin  n'ayant  point  eu  de  cours,  et  ne  se  vendant  que  8  ou 
10  1.  le  muid,  les  principalles  paroisses  ont  beaucoup  perdu,  joint  que 
le  Grand  et  le  Petit  Andely  ont  eu  des  quartiers  d'hiver  les  années 
précédentes,  et  les  gensdarmes  d'Orléans  cette  année,  la  ville  de  Ver- 
non  le  logement  d'une  brigade  de  gardes  du  corps,  et  plusieurs  pas- 
sages, et  celle  de  Gournay  pareillement,  ainsy  il  y  a  lieu  de  diminuer 
cette  eslection  de  20000  1.  de  160000  1.  a  laquelle  elle  estoit  imposée 
en  1678  et  la  réduire  a 140  000  1. 

Et  des  3333  1.   .    .    . 250  1. 

Le  grand  Andely  de  1  300  1.  et  le  réduire  a 4  000  1. 

Le  petit  Andely  de  500  1.  et  le  réduire  a 2  500  1. 

Vernon  de  2  800  1.  et  le  réduire  a 16000  1. 

Gournay  de  500  1.  et  le  réduire  a 6  500  1. 

Evreux.  —  Une  partie  de  cette  eslection  fut  grêlée  en  1677  et  1678, 
les  vins  ne  se  vendent  que  8  et  10  1.  le  muid.  Lapluspartdes  parroisses 
sont  en  très  mauvais  estât,  ainsy  il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  26  000  1. 
sur  celle  de  178  000 1.  qu'elle  portoit  en  1678  et  la  réduire 
a 152  000  1. 

Et  des  3  333  1 250  1. 

Il  n'y  a  point  de  commerce  dans  la  ville  d'Evreux  et  elle  a  beaucoup 
diminué  par  les  translations  de  domicilie  et  les  garnisons  des  années 
précédentes;  il  y  a  lieu  de  la  diminuer  de  la  somme  de  2000  1.  et  la 

réduire  a. 19000  1. 

Faict  le    juillet  1678  ».  » 

III.   —   COMMISSIONS   DES   TAILLES 
DE  LA  GÉNÉRALITÉ  DE  GAEN  POUR  L'ANNÉE  1678. 

«  Lettres  patentes  en  forme  de  commission  données  à  Versailles  le 
8e  aoust  1677,  signées  Louis,  et  plus  bas  par  le  Roy,  Phelypeaux, 
addressées  au  sr  Meliand  conseiller  de  Sa  Majesté  en  ses  conseils, 
maistre  des  requestes  ordinaire  de  son  hostel,  commissaire  departy 
pour  l'exécution  de  ses  ordres  en  la  généralité  de  Caen,  et  aux  prési- 
dents, lieutenans,  assesseurs  et  Eleus  sur  le  fait  des  aydes  et  tailles 
des  élections  de  ladite  généralité,  chacun  en  droict  soy. 

Auxquelz  Sa  Majesté  faict  entendre  que  les  grands  succès  dont  il  a 
pieu  a  Dieu  de  bénir  la  justice  de  ses  armes  n'ayant  peu  encores  per- 
suader ses  ennemis  de  consentir  a  une  bonne  et  solide  paix,  Elle  est 


1.  B.  N.  fr.  8  761bis,   f  132-135.   —    Au   bas    de   la  dernière  page  est  écrit,    à 
l'envers  :  «  9  juillet  1678.  Advis  pour  la  taille  de  1679  ». 


MO  LA    TAILLE    EX    XOIt.MANIM  i: . 

obligée  de  mettre  en  usage  les  moyens  que  Dieu  a  mis  en  ses  mains 

maintenir  ses  armées  et  pour  les  fortifier  et  augmenter,  afin  que, 

leur  faisant  tousjours  connoistre  la  difficulté  et  mesme  limpossibité  de 

faire  aucune  conqueste  sur  ses  estats  ny  d'arrester  le  cours  de  la  pros- 

f>erité  de  ses  armes,  Elle  puisse  enfin  les  forcer  a  donner  les  mains  a 
a  paix  qu'Elle  désire  donner  a  ses  peuples  et  a  toutte  la  chrestienté, 
mais  comme  il  est  nécessaire  de  faire  de  très  grandes  despenses  pour 
parvenir  a  une  si  bonne  fin,  Elle  est  obligée  de  continuer  les  imposi- 
tions sur  ses  peuples,  sans  toutesfois  les  augmenter,  espérant  que  par 
ses  soins  et  1  application  qu'Elle  donne  au  bon  ordre  et  a  rœconomie 
de  ses  finances,  Elle  ne  laissera  pas  de  maintenir  et  mesmes  d'augmenter 
ses  armées  avec  les  mesmes  impositions  qu'Elle  a  faites  les  années 
dernières  sans  avoir  recours  a  des  moyens  extraordinaires  qui  sont 
tousjours  a  charge  a  ses  peuples. 

A  ces  causes,  de  l'advis  de  son  Conseil,  et  de  sa  pleine  puissance  et 
authorité  royalle,  Elle  leur  mande  et  ordonne  par  lesdites  lettres 
signées  de  sa  main,  qu'ils  ayent  a  imposer  et  faire  lever  pour  l'année 
1678  sur  les  contribuables  aux  tailles  des  Elections  de  la  généralité  de 
Caen  la  somme  de  dix  huict  cents  quarante  mil  livres  pour  le  principal, 
creues  y  jointes,  et  solde  des  maréchaussées,  scavoir  :  sur  les  contri- 
buables aux  tailles  de  l'élection  de  Caen  pour  le  principal  de  la  taille  et 
creues  y  jointes  CLXIIm  IIII"  IX  1.  et  pour  la  solde  des  maréchaussées 
VIIm  VII0  XI  I.,  revenant  lesdites  deux  dernières  sommes  a  celle  de 
CLXIXm  VIII6  1.,  dont  la  ville  de  Caen  portera  XXVIII,a  1.  suivant  son 
abonnement.  Sur  ceux  de  l'élection  de  Bayeux  pour  le  principal  de 
la  taille  et  creues  y  jointes  IIe  LlXm  I IIIe  1.  dont  la  ville  et  fauxbourgs 
de  Bayeux  porteront  XXVIIm  VIIe  IIII"  1.,  Nostre-Dame  de  Thorigny 
IIIIm  CXX  1.  et  le  bourg  d'Issigny  IXe  L  1.  Sur  ceux  de  l'élection  de, 
Vire  et  Condé  pour  le  principal  de  la  taille  et  creues  y  jointes  IIIe 
XVIIm  VIe  1.  dont  la  ville  et  fauxbourgs  de  Vire  porteront  ^XIII™  IX° 
LX  1.  et  le  bourg  de  Condé  VlIIm  VIII6  LX  1.  Sur  ceux  de  l'élection 
de  Coustances,  pour  le  principal  de  la  taille  et  creues  y  jointes  IIe 
IIII"  Im  VII6  IIII"  XIIII  1.,  et  pour  la  solde  des  maréchaussées  IIIIm 
1111°  VI  1.,  revenans  lesdites  deux  dernières  sommes  a  celle  de  IIe 
IIII"  V™  II6  1.,  dont  la  ville  et  fauxbourgs  de  Coustances  porteront 
XIIII111  1.  Sur  ceux  de  l'élection  de  Carentan  pour  le  principal  de  la 
taille  et  creues  y  jointes,  CI1II"  m  IXe  1.  dont  la  ville  et  fauxbourgs  de 
Carentan  y  compris  Beaumont,  Bougeval,  Pontmenanque  et  Pont- 
doure  porteront  Xm  1.  et  celle  de  St-Lo  XXXIm  1.,  Sur  ceux  de  l'élec- 
tion de  Vallongne  pour  le  principal  de  la  taille  et  creues  y  jointes 
IIe  LXVIm  Ve  1.  dont  la  ville  et  fauxbourgs  de  Vallongnes  porteront 
IXm  VIe  1.,  le  bourg  d'AUeaume  Ilm  VII6  1.  et  le  bourg  de  St-Sau- 
veur  le  Vicomte  Vm  Ve  1.  Sur  ceux  de  l'élection  d'Avranches,  pour  le 
principal  de  la  taille  et  creues  y  jointes.  CLXIm  VIIIe  1.,  dont  la  ville  et 
fauxbourgs  d'Avranches  porteront  Xm  IXe  L  1.  et  Pontorson  IIIm 
CXXVI 1.  Et  sur  ceux  de  l'élection  de  Mortaing  pour  le  principal  de  la 
taille  et  creues  y  jointes  CIIII"  XVIIIm  VIII6  1.  dont  la  ville  de  Mor- 
taing portera  IIm  IIII"  V  1. 

Plus  ils  imposeront  et  feront  lever  sur  les  contribuables  desdites 
élections  non  compris  les  susdites  villes  la  somme  de  quatre  vingt  dix 
mil  libres,  pour  partie  du  fonds  nécessaire  pour  la  despense  des 
estapes  de  ses  trouppes,  scavoir  :  sur  l'élection  de  Caen  VIIIm  IIe  1., 


APPENDICE.  541 

sur  celle  de  Bayeux  XIIm  VI0  1.,  sur  celle  de  Vire  et  Condé,  XVm 
IIIIC  1.,  sur  celle  de  Coustances  XIIIl™  G  1.,  sur  celle  de  Carentan 
VIIIm  IX0  1.,  sur  celle  de  Valongnes  XHm  VIII0 1.,  sur  celle  d'Avran- 
ches  VIIlml.,  et  sur  celle  de  MortaingX™  1.,  revenans  lesdites  sommes 
aladitedeIIII"Xml. 

Plus  ils  imposeront  et  feront  lever  sur  les  contribuables  desdiles 
élections  la  somme  de  trois  mil  trois  cents  trente  trois  livres  pour 
partie  de  Xm  1.  ordonnez  par  arrest  de  son  conseil  du  19e  octobre  1675 
estre  imposés  sur  la  présente  généralité  et  sur  celles  de  Rouen  et 
Allençon  egallement  pendant  trois  années  dont  la  prochaine  1678  sera 
la  troisiesme  et  la  dernière  pour  les  réparations  du  pont  de  la  ville  de 
Rouen,  de  laquelle  somme  de  IIIm  IIIe  XXXIII  1.  l'élection  de  Gaen 
portera  III0  1.,  celle  de  Bayeux  V°  1.,  celle  de  Vire  et  Condé  VI0  1., 
celle  de  Coustances  V°  1.,  celle  de  Carentan  III0  1.,  celle  de  Vallongnes 
Ve  I.,  celle  d'Avranches  III0  1.,  et  celle  de  Mortain  IIIe  XXXIII  1. 

Au  département  desquelles  sommes  ils  procéderont  incessamment 
en  leurs  consciences  sur  les  villes,  bourgs  et  paroisses  des  élections 
de  ladite  généralité,  ensemble  sur  ceux  dont  les  privilèges  et  exemp- 
tions ont  esté  révoqués  et  non  restablis,  lesquels  seront  par  eux  taxés 
d'office  selon  leurs  facultés,  en  procédant  au  département  avec  les 
officiers  de  ladite  élection,  dont  sera  fait  mention  au  pied  des  mande- 
ments qui  seront  envoyés  dans  les  parroisses  suivant  les  règlements 
de  Sadite  Majesté  registres  en  ladicte  cour  des  Aydes,  lesquelles  cottes 
d'office  seront  payables  directement  ez  mains  du  receveur  ou  commis 
a  la  recepte  des  tailles  de  l'élection,  et  celles  des  autres  contribuables 
des  parroisses  aux  collecteurs  d'icelles,  pour  estre  le  tout  payé  dans 
les  termes  cy-dessus  ez  mains  du  receveur  ou  commis  a  la  recepte 
des  tailles  de  ladite  élection,  a  peine  d'y  estre  lesdits  collecteurs  con- 
traincts  comme  pour  les  propres  derniers  et  affaire  de  Sad.  Majesté, 
et  lesdits  cottisés  d'office  par  les  voyes  ordinaires  ainsy  que  les  autres 
contribuables. 

Deffend  aux  officiers  de  ladite  élection  sous  prétexte  de  leurs  gages 
et  droicts  de  s'entremettre  a  la  recepte  d'aucuns  deniers  dans  lesdites 
parroisses  en  quelque  sorte  et  manière  que  ce  soit,  a  peine  d'estre 
contraincts  solidairement  et  par  corps  à  la  restitution  de  ce  qu'ils 
auront  receu,  desquels  gages  et  droicts  Sad.  Majesté  veut  qu'ils  soient 
payés  par  ledit  receveur  ou  commis  a  la  recepte  des  tailles,  suivant 
le  fonds  qui  en  sera  laissé  dans  Testât  de  distribution  des  finances  de 
ladicte  généralité,  qui  sera  arresté  par  Sa  Majesté  pour  ladite  année 
prochaine  1678. 

Plus  ils  feront  encores  imposer  et  lever  sur  lesdits  contribuables 
VI  d.  pour  livre  de  touttes  les  sommes  qui  seront  receues  par  les 
collecteurs  des  tailles  des  parroisses  de  ladite  élection,  lesquels  ils 
retiendront  par  leurs  mains  pour  leur  droict  de  collecte,  dont  ne  sera 
cy  après  fait  aucun  retranchement,  pour  quelque  cause  que  ce  soit, 
moyennant  quoy  ils  ne  pourront  prétendre  aucune  diminution  de  leurs 
cottes. 

Et  pour  parvenir  a  l'imposition  et  recouvrement  des  sommes  con- 
tenues auxdites  lettres,  ordonne  auxdits  trésoriers  de  France  d'expé- 
dier sur  icelles  leurs  attaches  et  les  mettre  trois  jours  après  ez  mains 
dudit  sieur  Meliand  auquel  Sadite  Majesté  ordonne  de  se  transporter  a 
l'instant  au  bureau  de  ladite  élection  pour  avec  les  officiers  d'icelle 


|U  LA    TAILLE    EN    NOll.MANDIE. 

(sur  lesquels  sa  voix  prévaudra)  procéder  a  l'assiette  et  département 
des  susdites  sommes  sur  les  villes,  bourgs  et  parroisses  qui  en  dépen- 
dent le  plus  justement  et  egallement  que  faire  se  pourra,  sans  avoir 
égard  aux  abonnements  qu'elles  pourroient  avoir  obtenus,  lesquels 
Elle  a  révoqués  et  révoque  par  lesdites  lettres,  ainsy  qu'elle  a  cy- 
devant  faict. 

N'entend  estre  compris  aux  rolles  des  tailles  les  officiers  des  cours 
supérieures,  ses  conseillers  secrétaires,  les  officiers  de  sa  maison  et 
ceux  des  autres  maisons  royalles  qui  servent  actuellement,  reçoivent 
gages  au  moins  de  LX  1.,  et  qui  se  trouveront  employés  dans  les  estats 
registres  en  la  cour  des  aydes  de  Paris  depuis  sa  déclaration  du 
30e  may  1G64.  Comme  aussy  ne  seront  compris  auxdits  rolles  des 
tailles  les  officiers  de  ladite  élection  réservés,  pourveu  qu'ils  ne  déro- 
gent a  leurs  privilèges.  Leur  deffendant  de  faire  jouir  d'aucuns  privi- 
lèges ny  exemptions  les  particuliers  pourveus  d'offices  desdictes  mai- 
sons royalles  en  vertu  des  certificats  de  dispense  de  service,  si  ce  n'est 
pour  cause  de  maladie  deuement  attestée  par  les  médecins  des  lieux 
et  par  les  procureurs  de  Sa  Majesté.  N'entend  aussy  qu'ils  fassent 
jouir  desdits  privilèges  et  exemptions  ceux  desdits  officiers  qui  sont 
sans  fonction  et  qui  ne  servent  actuellement  par  chacun  an.  Veut  que 
les  commis  des  adjudicataires  de  ses  fermes  soient  cottisés  aux  rolles 
des  parroisses  ou  ils  sont  résidents  s'ils  y  estoient  domiciliés  avant 
leurs  commissions,  ou  s'ils  y  sont  depuis  mariés  et  y  ont  acquis  des 
biens  dans  lesdites  parroisses  ou  en  l'estendue  de  ladite  élection. 

Seront  cottisés  d'office  les  officiers  les  presidiaux  et  principaux 
habitans  des  villes  et  paroisses,  ensemble  les  fermiers  des  seigneurs, 
gentishommes  et  autres  qui  ne  sont  cottisés  auxdits  rolles  a  cause  de 
leur  authorité  et  pouvoir,  ou  qui  n'y  sont  compris  que  pour  des 
sommes  modiques. 

Ordonne  que  les  prevosts  des  maréchaux  de  France  et  leurs  lieu- 
tenants créés  et  establis  avant  le  premier  janvier  1635  jouissent  de 
l'exemption  entière  des  tailles,  les  greffiers  et  exempts  chacun  de 
XXX  1.  et  les  archers  de  C  s.  pourveu  qu'ils  servent  actuellement  et 
ne  fassent  aucun  trafic. 

Et  afin  qu'il  ne  soit  apporté  aucun  retardement  a  la  levée  des  deniers 
de  Sa  Majesté,  Elle  veut  que  les  procès  concernant  les  nominations  et 
décharges  de  collecteurs  soient  réglés  dans  les  temps  réglés  par 
lesdites  déclarations  des  12e  febvrier  1663,  jussion  expédiée  en  consé- 
quence et  déclarations  des  mois  de  mars  1667  et  mars  1673.  Deffend 
auxdits  eleus  de  faire  aucuns  rejets  pour  affaires  soit  de  particuliers 
soit  de  communautés  sans  sa  permission,  et  celle  dudit  sieur  Meliand 
aux  termes  de  l'arrest  du  conseil  du  14e  mars  1676;  a  peine  d'inter- 
diction. 

Et  sur  l'advis  donné  a  Sa  Majesté  que  plusieurs  seigneurs  de 
parroisses  ont  depuis  quelques  années  tenu  en  apparence  leurs  terres 
par  leurs  mains,  soustenants  que  leurs  fermiers  estoient  leurs  domes- 
tiques, afin  de  les  exempter  de  la  taille  au  préjudice  des  pauvres,  sadite 
Majesté  ordonne,  pour  éviter  a  telles  fraudes,  que  lesdits  seigneurs  ne 
puissent  tenir  qu'une  de  leurs  fermes  par  leurs  mains,  et  s'ils  en  tien- 
nent davantage,  qu'ils  fournissent  un  fermier  qui  porte  sa  part  de 
ladite  taille  a  proportion  du  gain  qu'il  pourra  faire  en  sa  ferme,  sinon 
seront  les  fruicts  des  héritages  qui  n'auront  esté  affermés   saisis   et 


APPENDICE.  543 

affectés  au  payement  des  sommes  auxquelles  les  collecteurs  les  auront 
taxées,  le  tout  suivant  les  règlements  registres  en  la  Cour  des  Aydes, 
mesme  celuy  du  mois  de  mars  1667  et  autres  suivant,  et  de  tout  ce  que 
dessus  sera  fait  mention  dans  les  commissions  qu'ils  envoyeront  dans 
lesdites  parroisses. 

Pour  estre  tous  les  deniers  des  tailles,  solde  et  autres  natures  de 
deniers  excepté  les  droicts  des  collecteurs,  receus  par  ledit  receveur 
ou  commis  a  la  recepte  des  tailles  et  par  luy  payés  suivant  Testât  de 
distribution  qui  en  sera  par  sadite  Majesté  arresté  et  envoyé  audit 
bureau  des  finances  de  Caen.  Veut  au  surplus  que  ceux  qui  seront 
taxés  d'office  et  compris  aux  rolles  des  parroisses  de  ladite  élection  au 
défaut  de  payement  dans  les  termes  expirés  y  soient  contraincts  par  les 
voyes  ordinaires  et  accoutumées,  et  si  de  partie  a  partie  il  survient 
quelque  différent  ou  opposition  (les  deniers  de  Sa  Majesté  payés  préal- 
ablement par  provision,  nonobstant  oppositions  ou  appellations  quel- 
conques), lesdits  eleus  fassent  aux  parties  bonne  et  brieve  justice,  a 
l'exception  toutesfois  des  cottes  d'office  qui  auront  esté  faites  par  ledit 
sieur  Meliand,  lesquelles  seront  aussy  exécutées  par  provision,  sauf 
l'appel  qui  ne  pourra  estre  receu  qu'après  la  justification  du  payement, 
leur  defiendant  et  a  tous  autres  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils 
soient  d'imposer  ny  souffrir  qu'il  soit  imposé  et  levé  sur  les  contri- 
buables de  ladite  élection  autre  ny  plus  grandes  sommes  que  celles 
contenues  auxdites  lettres  durant  ladite  année  prochaine  1678,  a  peine 
contre  lesdits  eleus  d'encourir  la  rigueur  des  ordonnances,  et  ce 
nonobstant  quelconques  lettres  patentes  et  arrests  intervenus  ou  qui 
pourroient  intervenir  portant  dérogation  auxdites  lettres,  a  quoy  ils 
n'auront  aucun  esgard,  et  en  cas  qu'au  préjudice  desdites  deffenses  il 
soit  imposé  autres  sommes  que  celles  contenues  en  cesdites  lettres, 
veut  que  le  fonds  en  soit  porté  en  son  Trésor  royal,  sans  avoir  esgard 
aux  destinations  particulières  qui  pourroient  en  avoir  esté  faites1.  » 

IV.   —   TRAITÉ 
POUR   UNE    RECETTE    PARTICULIÈRE,    1680. 

«  Nous  soussigné,  Pierre  Cousin,  escuyer,  seigneur  du  Val,  Con- 
seiller secrétaire  du  Roy,  maison  et  couronne  de  France,  Receveur 
général  des  Finances  à  Rouen  en  exercice  année  1680,  d'une  part,  et 
Adam  Estièvre,  conseiller  du  Roy,  receveur  des  tailles  en  l'élection 
de  Pont  l'Evesque,  sommes  convenus  et  sommes  demeurés  d'accord 
de  ce  qui  ensuit;  c'est  assavoir  que  moi  dit  Estièvre  me  suis  chargé 
à  forfaict  à  mes  risques,  périls  et  fortunes  du  recouvrement  des  tailles 
et  autres  impositions  faictes  en  ladite  eslection  du  Pont  l'Evesque 
pour  ladite  année  1680  montent  à  la  somme  de  164700  1.  sur  laquelle 
sera  déduit  par  estimation  celle  de  60351.  sy  tant  il  convient  pour  le 
payement  des  charges  de  ladite  élection  que  moi  dit  Estièvre  retiendrai 
par  mes  mains  pour  en  faire  le  payement  suivant  Testât  du  Roy  qui 
sera  expédié  pour  ladite  année;  et  le  surplus   montant  158665  1.  je 

1.  M.  G.  238,  f°  234-236.  Le  préambule  et  la  dernière  partie  (dispositions  géné- 
rales) sont  empruntés  à  la  première  commission  du  registre,  f°  9-15  (généralité 
de  Moulins). 


III  LA    TAILLE    EN    NORMANDIE. 

promets  et  m'oblige  comme  pour  deniers  royaux  les  payer  au  sieur 
Cousin  en  son  bureau  à  Rouen  ou  en  celuy  de  Paris  en  13  payemens 
égaux  et  consécutifs  de  mois  en  mois,  chacun  de  la  somme  de  12  450  1. 
et  ainsy  continuer  de  mois  en  mois  jusques  en  fin  de  payement,  au 
dernier  desquels  il  sera  déduit  audit  Ëstièvre  la  somme  de  2500  1.  qui 
lui  a  esté  accordée  de  remise  en  considération  des  avances  de  deniers, 
risques,  ports,  voitures  et  frais  de  recouvrement  généralement  quel- 
conques, de  laquelle  remise  ledit  Ëstièvre  demeurera  deschu  faute  par 
luy  de  satisfaire  ponctuellement  à  l'eschéance  de  chacun  des  payemens 
cy-dessus  esnoncés,  après  une  simple  sommation  à  personne  ou  domi- 
cile, sans  laquelle  clause  ledit  traité  n'aurait  esté  faict,  et  sans  qu'elle 
puisse  passer  pour  peyne  comminatoire;  et  qu'il  sera  pris  argent  à 
change  et  rechange  aux  risques  et  frais  dudit  Ëstièvre,  et  sans  que 
ladite  clause  puisse  empescher  l'exécution  dudit  traité  contre  ledit 
sieur  Ëstièvre,  et  m'y  suis  obligé  comme  pour  deniers  royaux,  pro- 
mettant en  outre  fournir  audit  sieur  Cousin  des  estats  des  restes  toutes 
fois  et  quantes  qu'il  le  désirera,  et  s'il  se  trouve  que  j'aye  plus  reçu 
que  le  montant  dudit  payement,  l'excédant  en  sera  par  moi  porté  et 
payé  audit  sieur  Cousin  en  son  dit  bureau  en  déduction  des  payements 
qui  resteront  à  eschoir,  et  pour  l'exécution  du  présent  traite  lesdits 
sieurs  Cousin  et  Ëstièvre  ont  esleu  leur  domicile  sçavoir  moi  dit 
Cousin  à  Rouen  au  bureau  de  la  recepte  générale,  et  ledit  Ëstièvre  en 
la  maison  et  personne  de  Me  Anlhoine  Cousture,  procureur  en  la 
Chambre  des  Comptes,  ou  tous  exploits  vaudront  comme  si  faits 
estoient  à  nos  propres  personnes.  Faict  double  au  Pont  TEvesque  le 
8e  octobre  1679  »,  signé  :  Cousin1. 

1.  A.  N.  G7  213.  Cf.  ibid.,  le  traité  conclu  par  Cousin  le  14  décembre  de  la 
même  année  avec  Bonté,  receveur  en  titre  de  l'élection  de  Gisors  :  la  somme  à 
verser  à  la  recette  générale  est  de  144282  1.  10  s.  Bonté  la  payera  en  quinze  ver- 
sements mensuels,  moyennant  un<>  remise  de  2100  1.  soit  1,45  p.  100  (1.58  dans  le 
traité  Ëstièvre).  Les  clauses  relatives  aux  états  de  restes  et  aux  trop  perçus  n'y 
figurent  pas  ;  les  deux  parties  élisent  domicile  à  Paris. 


APPENDICE. 


545 


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548  LA    TAILLB    EN    NORMANDIE. 


VI.   —  NOMINATION   D'UN    COMMIS   A   LA  RECETTE 
DES  TAILLES 

Sentence  du  Bureau  des  finances  de  Caen,  du  14  novembre  1661. 

«  Veu  la  requeste  à  nouscejourd'huy  présentée  par  Nicolas  Doublet, 
conseiller  du  roy,  receveur  général  des  finances  en  ladite  généralité 
contenant  que  par  arrest  du  conseil  du  30e  juillet  dernier  registre  en 
ce  bureau  il  aesté  commis  à  faire  l'exercice  de  la  charge  de  receveur 
général  alternatif  des  finances  en  cette  généralité  pour  l'année  pro- 
chaine 1662,  avec  faculté  de  nous  présenter  des  commis  pour  faire 
l'exercice  de  la  recepte  des  tailles  des  eslections  de  ladite  généralité. 
En  exécution  duquel  ledit  Doublet  nous  a  nommé  et  présenté  à  l'exer- 
cice de  la  charge  de  receveur  des  tailles  en  l'élection  de  Vallongne 
pour  ladite  année  prochaine  M.  Pierre  Fournayeron,  par  nous  desja 
commis  à  faire  l'exercice  de  ladite  recepte  es  année  dernière  et  précé- 
dente à  la  charge  d'en  demeurer  civilement  responsable  conformément 
audit  arrest.  A  cause  de  quoy  requeroit  qu'ils  nous  pleust  l'admettre  et 
recevoir  a  faire  l'exercice  de  ladite  recepte  pour  ladite  année  prochaine 
1662  et  luy  faire  et  déllivrer  toutes  les  expéditions  nécessaires.  Veu 
ladite  requeste,  ledit  arrest  du  conseil  et  l'ordonnance  de  ce  bureau 
d'enregistrement  d'icelluy  de  ce  jourd'huy,  scavoir  faisons  que  nous 
avons  pour  l'accélération  et  avancement  des  deniers  de  Sa  Majesté 
faict  entrer  en  notre  séance  ledit  Fournayeron  ou  il  a  faict  et  preste 
le  serment  en  tel  cas  requis  et  accoustumé,  icelluy  commis  et  commet- 
tons par  provision  à  l'exercice  de  la  charge  de  receveur  desdites 
tailles  de  ladite  ellection  de  Vallongnes  pour  ladite  année  prochaine 
1662  au  lieu  et  place  de  M.  Pierre  Morel  titulaire  et  propriétaire  des 
offices  de  receveur  desdites  tailles  d'icelle  eslection  à  la  nomination  et 
cauction  dudit  Doublet,  saoufet  sans  préjudice  à  l'opposition  faicte  par 
ledit  Morel  et  de  son  pourvoy  au  conseil  ainsy  qu'il  advisera  bien.  A  la 
charge  par  ledit  Fournayeron  de  se  comporter  bien  et  deuement  audit 
exercice,  tenir  bons  et  fidelz  registres  des  deniers  de  ladite  recepte, 
de  payer  et  faire  voicturer  iceux  deniers  de  mois  en  mois  ou  autre 
temps  convenable  à  la  recepte  générale  des  finances  de  cette  généralité 
sans  aucun  divertissement  sur  les  quittances  comptables  dudit  Doublet 
et  non  sur  ces  billetz  ou  recepissez  et  de  payer  les  charges  assignées 
sur  ladite  recepte  des  tailles  suivant  l'ordre  de  Testât  du  roy  d'icelle 
année,  nos  ordonnances  et  non  autrement,  sur  les  peynes  au  cas 
appartenant.  Et  de  laquelle  recepte  et  despence  ledit  Fournayeron 
veriffiera  en  ce  bureau  par  estats  en  abrégez  d'icelles  toutes  fois  et 
quantes  que  besoin  sera,  et  en  fin  d'année  par  estât  au  vray  pour  en 
compter  en  la  Chambre  des  Comptes  de  cette  province  ainsy  qu'il  est 
accoustumé,  pourveu  toutefois  qu'il  soit  maintenu  et  continué  à  faire 
ledit  exercice,  et  arrivant  au  contraire,  et  que  ledit  Morel  rentre  et 
soit  restably  en  la  fonction  et  exercice  de  sa  charge  ledit  Fournayeron 
luy  comptera  compte  de  clerc  à  maître  de  la  recette  et  despense 
qu'il  aura  faicte  des  deniers  des  tailles  de  ladite  année  prochaine  pour 
l'exercice  que  dessus.  Mandons  et  ordonnons  aux  officiers  de  ladite 
eslection  de  mettre  incontinent  et  sans  délay  es  mains  dudit  Four- 


APPENDICE.  549 

nayeron  les  assiettes  et  déppartements  des  impositions  de  ladite  année 
pour  en  vertu  d'iceluy  estre  par  luy  faict  ledit  recouvrement.  Leur 
enjoignant  aussy  et  a  tous  autres  de  le  souffrir  et  laisser  jouir  de 
l'effect  de  la  présente  commission  sans  luy  apporter  aucun  trouble 
ny  empeschement  en  l'exercice  d'icelle  en  leurs  propres  et  privez 
noms,  ains  luy  donner  toutte  ayde  et  assistance  en  ce  qui  les  requiera 
aux  choses  qui  concerneront  icelle,  et  a  tous  huissiers  et  sergents  royaux 
requis  faire  pour  l'exécution  de  ce  que  dessus  toutte  signification, 
sommation,  contraincte,  exécution  et  autre  acte  que  besoing  sera. 
Faict...  '  » 


1.  A.  D.  Calv.,  Plumitif  du  Bureau  des  finances,  à  sa  date. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages. 

Préface -  .  .  v 

Bibliographie XIII 

Liste  des  abréviations XXXI 

Chapitre  PREMIER.  —  LE  BREVET  DE  LA  TAILLE. 

1.  Le  droit  d'imposer 1 

2.  L'administration  centrale 14 

3.  L'établissement  du  brevet 22 

Chapitre       II.  —  LES  COMMISSIONS  DES  TAILLES. 

/         1.  Les  trésoriers  généraux 38 

2.  Les  intendants 43 

3.  Les  élections 60 

4.  Les  avis  sur  le  brevet 66 

5.  Les  impositions  des  villes 88 

6.  La  forme  des  commissions 98 

Chapitre     III.  —  LE  DÉPARTEMENT  ENTRE  LES  PAROISSES. 

1.  Les  paroisses 103 

2.  Les  élus 107 

3.  Les  chevauchées  des  élus 133 

4.  La  commission  de  répartition 136 

5.  La  réunion  de  la  commission 142 

6.  L'égalité  dans  le  département 14i 

7.  Les  protections  accordées  aux  paroisses 151 

Chapitre     IV.  —  LA  NOMINATION  DES  COLLECTEURS. 

1.  Les  mandementf-  pour  la  nomination 164 

2.  L'assemblée  paroissiale 166 

3.  Les  exempts  de  collecte , 173 

4.  Le  nombre  des  collecteurs 180 

5.  Les  échelles 182 

6.  Les  fraudes  et  les  procès 185 

7.  Les  collecteurs  nommés  d'office 190 

Chapitre      V.  —  LES  EXEMPTS. 

1.  Les  nobles 198 

A.  La  qualité  de  noble  .    .    . 198 

B.  La  recherche  de  la  noblesse 202 

C  Les  résultats  de  la  recherche 218 

D.  Conditions  de  l'exemption  des  nobles 224 

2.  Les  exempts  par  la  fonction 231 


Ml  TABLE    DES    MATIERES. 

A.  L'exemption  du  clergé.    ...   * 232 

H.   L'exemption  des  commensaux 239 

C.  Exemptions  à  l'armée  et  a  certains  offices   .    .  246 

D.  Exemptions    pour   encourager    certains    actes 

ou  certaines  professions 256 

3.  Les  exempts  par  le  domicile Ml 

Chapitre     VI.  —  Première  partie  :  LES  TAILLABLES. 

1.  La  taille  personnelle 275 

2.  Les  feux.  Conditions  d'âge  et  de  sexe 280 

3.  Le  domicile 285 

4.  Le  changement  d'octroi 291 

5.  La  date  des  rôles 307 

6.  L'assemblée  des  collecteurs 311 

Chapitre     VI.  —  Deuxième  partie  :  LA  COTE  DES  TAILLABLES* 

1.  L'estimation  des  facultés  des  taillables 317 

2.  La  cote  des  collecteurs 328 

3.  La  comparaison  de  taux 332 

4.  Les  taxes  d'office 339 

5.  Les  rejets 348 

6.  L'inégalité  dans  l'assiette 353 

7.  La  rédaction  des  rôles 378 

8.  La  vérification  des  rôles 383 

9.  Les  paroisses  refusant  de  faire  leurs  rôles 390 

Chapitre    VII.  —  LA  PERCEPTION. 

1.  Les  villes  tarifées 393 

2.  Qui  fait  la  perception  dans  les  paroisses?  ....  410 

3.  La  collecte 418 

4.  Les  receveurs 428 

5.  Les  malversations  et  concussions  des  receveurs.    .  447 

6.  Les  contraintes 451 

7.  Les  frais  de  contraintes 468 

8.  Les  emprisonnements 487 

9.  La  solidité 495 

Chapitre  VIII.  —  LES  RECOUVREMENTS.  —  L'ÉTAT  ÉCONOMIQUE. 

1.  La  liquidation  du  passé 501 

2.  La  taille  de  1661   à  1672 513 

3.  La  taille  pendant  la  guerre  de  Hollande 519 

4.  La  fin  du  ministère  (1679-1683) 525 

APPENDICE  : 

1.  Le  mot  taille 533 

2.  Avis  d'un  intendant  sur  le  brevet 536 

3.  Commissions   des  tailles   de  la    généralité  de  Caen  pour  l'an- 

née 1678 539 

4.  Traité  pour  une  recette  particulière,  1680 543 

5.  Tableaux  de  répartition  de  la  taille  entre  les  élections,  1661-83.  545 

6.  Nomination  d'un  commis  à  la  recette  des  tailles 548 


1263-12.  —  Coulommiers.  lmp.  Paul  BRODARD.  —  10-13. 


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