\>
LA TAILLE EN NORMANDIE
AU TEMPS DE COLBERT
(1661-1683)
COL'LOMMIERS
Imprimerie Paul BRODARD.
ETUDES SUR LES INSTITUTIONS FINANCIÈRES DE LA FRANCE MODERNE
LA
TAILLE EN NORMANDIE
AU TEMPS DE COLBERT
(1661-1683)
PAR
Edmond ESMONIN
Docteur es lettres.
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1913
EcPF
67 i960
* 3 -' j-f
PRÉFACE
Les questions financières ont tenu une place considérable
dans la vie de l'ancienne monarchie. Jamais l'argent n'a joué
un si grand rôle que dans ce gouvernement, parce que jamais
gouvernement n'en a autant manqué. A toutes les époques,
mais surtout depuis le xvie siècle, les rois se sont débattus
contre les embarras d'argent : à l'intérieur, des réformes fonda-
mentales, unanimement souhaitées, ne purent être accomplies,
parce que l'état du Trésor ne les permettait pas ; à l'extérieur,
des alliances avantageuses furent abandonnées, des guerres sus-
pendues ou arrêtées, faute d'un ou deux millions d'écus dont il
eût fallu pouvoir disposer en temps opportun. Tous les efforts
de ministres de talent, depuis Sully jusqu'à Necker, furent
paralysés par les difficultés financières 1 ; on peut dire que la
royauté a du sa perte en grande partie à ce qu'elle n'a pas su
instituer un système fiscal approprié à ses besoins.
Ce sont les impôts excessifs, mal répartis et mal levés, qui
suscitèrent le grand mouvement philosophique du xvme siècle :
Boisguilbert et Vauban furent les premiers critiques du régime
monarchique; les premières grandes plaintes furent motivées
par la misère et la famine. Or, de tous les impôts, aucun ne
souleva plus de mécontentement que la taille, parce qu'aucun
n'était plus visiblement injuste et plus ruineux. D'abord, c'était
1. Sur l'incapacité des ministres de l'ancien régime à modifier le système fiscal,
voir Lavisse, Histoire de France, t. IX, lre partie, p. 406-408. Le dernier d'entre
eux, Necker, a fait publiquement cette déclaration au roi : « Il n'est aucune con-
quête, il n'est aucune alliance qui puisse valoir à Votre Majesté ce qu'elle pourrra
tirer un jour du développement de ses propres forces : l'essor de l'agriculture et
de l'industrie par la bonne répartition des impôts, l'essor du crédit par la sage
administration des finances; voilà tout ce qui manque à la puissance [de votre]
royaume » (Compte rendu au Roi en janvier 1181, p. 68). C'est l'aveu implicite,
à la veille de la Révolution, que tout restait à faire dans ce domaine. Il sera
répété par Calonne à l'assemblée des Notables.
le plus important de tous (il fournissait environ la moitié (les
,,,): en outre, c'était le plus rexatoire et
le ploi m. il réparti'; enfin, il établissait une démarcation
sociale : quiconque le payait étant nécessairement rangé dans la
classe inférieure, disqualifié. C'est pourquoi il préoccupa non
seulement les financiers et tes économistes, mais tous les
réformateurs .lu t. -1111)8. Si le régime de la taille avait pu être
ohangé, uned ttes de. la Révolution n'aurait
pas subsisté. Il est pou d'institutions financières qui aient eu un
aussi grand rôle politique et social darfs notre histoire2.
Pourtant elle ne semble pas avoir été, jusqu'à maintenant,
l'objet d'une étude approfondie Sans doute, une ioule d'ou-
vrages anciens et récents en ont traité — la bibliographie que
l'on trouvera plus loin ne catalogue que les plus importants; —
m. lis dans aucun on ne trouve les précisions qui nous feraient
connaître, en toute certitude, le mécanisme de l'impôt et sa
répercussion sur la vie des contribuables et sur la marche du
:u>u\riuement. Tous les ouvrages modernes, sauf de rares
exceptions, se bornent à reprendre, et souvent pillent, ceux des
wii et xvuie siècles; nos connaissances dans ce domaine n'ont
presque pas fait de progrès depuis cent cinquante ans; on
cluiclieiait en vain un meilleur traité que les Mémoire* wmr
les- Impositions, de Moreau de Beaumont, ou la partie Finances
de Y Encyclopédie métkodÊfn*. Mais ces ouvrages anciens,
auxquels j'ai moi-même beaucoup emprunté, sont loin de nous
apprendre sur la taille tout ce que nous en désirerions savoir :
les uns, comme ceux de Bouehei <; Moreau de Beaumont,
Guyot, MAI dos traités techniques, des compilations d'ordon-
«s. qui négligent les conséquences matérielles et sociales
de l 'impôt; d'autres, tels OOUS de La Barre, Vieuille, Loisel de
Boismarc. ne sont que des manuels a l'usage des praticiens,
destinés I donner aux agents «lu fisc la solution des principales
1. Tout les osai» de réformes tentes nu cours du xvin' siècle seront infructueux.
Necker dira encore en 1781 que In taille est l'impôt • le plus à charge de tous
aux habitants des campagnes • . (Compte rendu, p. ti'i).
uvent l'exemple de la taille ;\ été invoqué dans les polémiques récentes au
sujet «le l'impôt sur le revenu : mois il semble qu'on ne doive guère en faire >:tat,
tu la grande différence des conceptions, des mœurs et de l'état social. La taille
était une forme de contribution très rudimentaire, presque barbare; on ne peut
la comparer a aucun des impôts actuels. Il ne faut pas oublier que l'impôt foncier,
tant décrié aujourd'hui, est apparu ù sa naissance comme un progrès incontestable
sur la taille. * 6
PREFACE. VII
difficultés rencontrées dans leurs fonctions. D'autres enfin, ceux
de Boisguilbert, de Vauban et de leurs innombrables disciples,
sont des ouvrages de polémique, où la passion peut avoir
déformé la vérité; pour entrer dans l'histoire, leurs réquisitoires
manquent de preuves. Nulle part on ne trouve une étude précise
et impartiale de la taille, où apparaisse la répercussion de
l'impôt sur l'histoire du gouvernement et de la société.
C'est cette étude que je voudrais commencer en ce livre.
Pour la faire, je ne pouvais pas me borner à l'analyse des
édits et règlements : de ce qu'une chose a été ordonnée, il ne
s'ensuit pas qu'elle ait été exécutée. De nos jours, beaucoup de
lois ne sont ni appliquées, ni respectées ; sous l'ancienne monar-
chie, la plupart avaient ce sort. En 1665, un conseiller d'État,
dans un rapport au roi sur la réformation de la justice, écri-
vait : « Les François ont les plus belles lois, mais jusques à
présent il n'y a point de nation qui les exécute si mal ' ». Sitôt,
en effet, qu'on arrive à saisir ce qu'était réellement la vie du
temps, on s'aperçoit qu'elle ressemble fort peu à l'idéal que
s'était formé et que prétendait établir le législateur. A quelques
lieues de Paris, les volontés du roi n'étaient même pas connues.
Des règlements tombaient en désuétude quelques mois après
leur publication. Ici, des officiers refusent d'enregistrer ou
d'appliquer une ordonnance; là, un intendant fait des règle-
ments qui la contredisent2; partout, le gouvernement, incapable
de diriger et de surveiller la conduite de ses agents, de réprimer
leurs écarts ou leurs négligences, apparaît dépourvu des moyens
nécessaires pour assurer l'exécution normale et constante des
réformes qu'il croit avoir faites. Dans ces conditions, on ne
saurait restituer le régime vrai de l'impôt, non plus que de
toute autre institution, avec des textes de lois.
Pour connaître ce régime, il n'y a d'autre méthode que l'étude
de la réalité concrète, la reconstitution de la vie elle-même..
1. Mémoire de M. de Gomont, septembre 1665, B. N. Clairamb. 613, i" 199; cf. le
mémoire de M. de Lu Marguerie. ibid. f° 275, et la lettre de Boisguilbert du
15 juin 1700, dans la' Corresp. des contrôleurs généraux, t. II, p. 524.
2. Il faut prendre garde que la plupart des textes législatifs du xvii0 siècle n'ont
pas le caractère d'universalité qu'on tend à leur donner. La plupart ne sont connus
et appliqués que dans une partie du royaume. Pour la taille notamment, beaucoup
d'ordonnances s'appliquent au ressort de la pour des aides de Paris, et non à la
Normandie, ou inversement, et leur texte ne nous en avertit pas toujours. Des
usages locaux prévalent souvent sur des textes écrits, et la pratique fait souvent
varier du' tout au tout l'application des ordonnances. On en verra des exemples
frappants au cours de ce travail.
Mil ACE.
Il (V ndre jusqu'au répartiteur <jui impose, jusqu 'au
contribuable qui paie, in receveur qui encaisse, au juge local qui
contestations; il (tut saisir dans sa complexité la
.-II.-, observer les individus, distinguer les lieux, les dates,
les eiroonstsnces, renoneer à tout*- théorie préconçue, à toute
matisation native. Dèi Ion on est obligé de consulter une
quantité énorme de documents très divers : comptes de recc-
I, rôles d'impositions, plumitifs d'audiences, correspon-
dances administratives et privées, procès-verbaux, règlements
et écrits contemporains de toutes sortes. Tous ces papiers sont
dispersés, souvent mal classés, mal inventoriés, parfois mal
écrits et difficiles a lire; pour le moindre sujet, la documenta-
tion est longue et laborieuse. Une étude d'ensemble, portant
sur une {ongue période, est, à l'heure actuelle, impossible; il
<st nécessaire de restreindre les recherches et de mener une
Série d'enquêtes partielles, méthodiquement poursuivies; leurs
résultats, coordonnés, permettront seuls de formuler les con-
elusions générales que notre intelligence désire. Toute autre voie
conduirait à des résultats discutables, sans valeur scientifique.
Parmi toutes les régions qui peuvent être l'objet d'une
enquête, aucune ne m'a paru plus intéressante que la Normandie.
D'abord, elle avait une individualité bien nette : elle possé-
dait son Parlement, sa Cour des aides, sa Chambre des comptes;
de la i Charte aux Normands ». renouvelée et confirmée à
chaque changement de règne, elle tenait des privilèges particu-
liers; des lois étaient faites spécialement pour elle; ses usages
ratâmes achevaient de lui donner une physionomie propre.
Les Normands avaient d'ailleurs le sentiment que leur province
formait un véritable État, n'ayant d'autre lien avec le reste de la
France que le commun souverain ; jaloux de leur autonomie,
ils l'ont défendue jusqu'à la veille de la Révolution contre les
entreprises du gouvernement central1.
Autre raison : cette province, plus qu'aucune autre, était
1. Cette (individualité, jointe & ce qui a été dit plus haut pour les ordonnances, doit
"•Jï!tre1 . . ? H™denU, dan9 '«• généralisations. On ne peut systématiquement
elendre à toute la 1 -rnnce Ua conclusions tirées des faits constatés en Normandie-
inversement, on ne peut sans précautions appliquer à la province ce qui est dit
a une autre partie du royaume.
PREFACE. IX
chargée d'impôts. Nous en avons la preuve non seulement dans
les doléances répétées de ses Etats *, mais encore dans des témoi-
gnages particuliers, qui ne peuvent pas être suspectés : écri-
vains, économistes, administrateurs l'ont maintes fois établi2.
A ne considérer que les chiffres, on constate que presque tous
les impôts y atteignent un taux plus élevé qu'ailleurs : dans les
ports, des droits de douanes spéciaux sont prélevés, en sus du
tarif ordinaire; les droits d'aides y sont, de l'aveu d'un inten-
dant, « considérablement plus hauts que dans toutes les autres
provinces du royaume3 »; le sel y est payé au tarif des grandes
gabelles, sauf dans une partie de la Basse-Normandie; pour la
taille enfin, alors que les trois généralités réunies n'auraient dû
payer, à proportion de leur territoire, que 10 p. 100 du total
des pays d'élections, elles en fournissent environ 15 p. 100.
Quoique la province fût fort riche, il était impossible qu'elle
ne souffrît pas d'une telle surcharge, et les vices de répartition
1. Voir la collection des Calders des Étals, publiée par Ch. de Beaurepaire pour
la Société de l'histoire de Normandie, avec l'introduction : en novembre 1567 les
Etats se plaignent de « l'inégalité de la contribution des dites tailles avec les
autres provinces de ce royaume, dont elle [la Normandie] ne fait la douzième
partie ». Même plainte en novembre 1580 (Cahiers, art. 5), novembre 1581 (art. 5),
février 1611 (art. 6), etc. A leur dernière réunion, en février 1658, les Etats rappel-
lent encore au roi que la généralité de Rouen « est la plus chargée de toutes »
(supplément aux Cahiers, règnes de Louis XIII et de Louis XIV, p. 6). Aux Etats
généraux de 14S3, les députés de Normandie protestent parce qu'on fait porter au
duché le quart de la taille, bien qu'il « ne forme guère que la huitième partie du
royaume, tant pour l'étendue du pays que pour sa richesse » (Journal de J. Masselin,
publié et traduit par Bernier, p. 423-425). La même doléance sera reprise par les
nobles révoltés en 165S, et par les cahiers de 1789.
2. Scipion de Grammont, dans son Denier royal, en 1620, déclare que la
Normandie est réputée la province « la plus chargée du royaume », et que « les
receptes de Rouen et de Caen payent quasi le quart des charges de la France »
(p. 236 et 288). L'intendant Voysin de la Noiraye, dans son mémoire sur l'état de
la généralité de Rouen en 1065, écrit que la province est, de toutes, celle « qui
porte au Trésor royal le revenu le plus considérable, et qui ne l'est pas moins
que celui que 1 Espagne tire des Indes » (Bibl. Nat. mss. Cinq cents Colbert, 274,
fol. 2; Cf. mon édition du Mémoire, p. 153). Boulainvilliers, un peu plus tard,
calcule qu'une paroisse de Normandie imposée pour la taille et la gabelle à 6 600 1.
n'en payerait que 4 300 si elle était située dans la généralité de La Rochelle
(Mémoires présentés au duc d'Orléans, 1719, t. I, p. 95-96). En 1661, Guy Patin
écrit pareillement : « Cette province n'en peut plus, tant elle est accablée d impôts
et de gabelles; pour la taille seule, elle paie tous les ans huit millions au roi,
sans le trafic qu'ils font de tant d'autres marchandises qui paient au roi des
sommes immenses. » Lettre du 17 juin 1661, éd. Réveillé-Parise, II, p. 136. Pas-
quier cite le proverbe : « Qui fit Normand, il fit truand », et l'explique par ce fait
que les Normands sont surchargés d'impôts, le mot truand étant, selon lui, dérivé
de trus = tributs, lesquels « réduisent le petit peuple à la mendicité ». (Rec/ierc/ies
de la France, éd. 1621, p. 747). Cf. encore Dumoulin, Ilisl. de Normandie, 1631,
introd., Boisguilbert, Le Détail de la France, éd. 1707, I, p. 80, De Masseville,
Hist. sommaire de Normandie, 1722, t. III, p. 156, Boulainvilliers, État de la
France, éd. 1737, in-12, t. IV, p. 2, et Legrelle, La Normandie sous la monarchie
absolue, p. 45.
3. Lettre de l'intendant de Caen, 14 déc. 1684, dans De Boislisle, Corresp. des
contr. gén., I, n° 149.
I
1(M1 v ,! r.uir m-, <-sairrme.it des consé-
raoilleoro'. Nom avons donc là an bon
,.,,.„„,, ,| , .„„ ,,uur étudier la taille et sa répercussion
sur l;i f΀ loi « ontribuablcs.
nûèrc raison a déterminé mon choix : la taille, en
Normandie, axait M l'objet «1«- llglu—llllo spéciaux, plus par-
tais qot .l.u.s la reste in royaume, l trouvera lénuméra-
ti,,n ai < "ins de 00 travail. Colbert ne manqua pas de les appre-
étendre a toute la France : c'est donc là que nous
trouverons l'origine de plusieurs réformes importantes du
w ii siècle, tels l'usage de la « comparaison de taux2 », la nomi-
nation des eolleeteurs par les « échelles5 », l'appel des taxes
œ*. Apres lui. c'est principalement en Normandie que les
réformateurs tirent hurs enquêtes et leurs expériences : Vauhan
choisit les environs de Rouen pour ses observations5, et l'élec-
tion de Lisieux fut désignée, en 1718, pour essayer la taille
proportionnelle. Enfin ne faudrait-il pas rattacher à la même
particularité ce fait remarquable que la plupart des économistes
français antérieurs à notre sieele furent des Normands, à com-
meiieer par leur ancêtre Montchresticn, et à finir par Turgot6?
Obligé de limiter chronologiquement mon étude, comme je
l'avais localisée, je l'ai restreinte au ministère de Colbert, de
' i 1G83.
J'ai été guidé d'abord pa* une raison matérielle. Avant 1661,
Ineuments d'histoire financière sont relativement rares et
Dentaires. Les fonctionnaires ayant l'habitude déconsidérer
1. La surface des cinq départements de Normandie, à peu près égale a celle
des trois généralités, est de 10 CM kilomètres carrés. Celle des pays d'élections
Ct être évaluée à 330 000 kilomètres carrés. On aurait des chiffres plus pro-
>ts encore si l'on comparait les impositions et la surface de la Normandie à
l'ensemble du royaume, puisque les pays qni n'avaient pas d'élections étaient
beaucoup moins imposés que les autres. On verra aussi, au chapitre 1", que l'im-
Ksition moyenne d un feu en Normandie était sensiblement plus élevée que dans
.ités voisines,
tire de Colbert à l'intendant de Riom, 15 avril 1G83, dans Clém. II, p. 218.
Cf. ci-dessous, chap. vi. '1' partie.
3. Ibii!., II, 11%. Cf. ci-dessous, chap. iv.
k. Edit de mars 1667 (C. d. T.. t. II, p. 1ii).
5. La Uirme roiale, éd. 1707, lo-lX, ]>. 5
6. Montchresticn est n à 1- alaise vers 1500. Boisguilbert est né à Rouen en
1646. et y passa presque toute sa vie; Boulainvilliers naquit (1658) Pt vécut à
•■n Bray; l'abbé de Saint-Pierre était des environs de BarÛeur; leprin-
: ur de Vauban pour la Dîme royale, l'abbé Ragot de Beaumont,
Xlval'_ Dupont de Nemours est de famille normande (Bull, du ProL, I908t
S Turgot avait ses principales terres en Normandie; Le Play est né près
•• Honneur. — A cette liste on pourrait ajouter d'autres grands remueurs d'idées
• 1-- I i fui .in xvm sitoh- : liayle, Fontenelle, Richard Simon, Launoy, Saint-Evre-
mond, l'abbé de Vertot, Mézeray, également originaires de la province.
PREFACE. XI
comme leur propriété les papiers de leur administration, beau-
coup de documents précieux ont été perdus. Les destructions
volontaires pratiquées par la Chambre de Justice et par les
financiers qui craignaient des poursuites, en ont fait disparaître
d'autres ; ce qui nous en reste est extrêmement dispersé, et
d'utilisation difficile. A partir de 1661, au contraire, l'ordre
une fois rétabli dans l'administration, les comptes et papiers
de toutes sortes ont été tenus avec plus de soin; des statistiques
d'ensemble ont été dressées, des enquêtes méthodiquement pour-
suivies; les documents nous sont parvenus en séries beaucoup
plus complètes, l'organisation du dépôt des Archives nationales
nous a conservé des collections assez riches; enfin la publication
des papiers de Colbert facilitait considérablement mon travail.
Un autre motif s'ajoutait à celui-là pour me faire choisir cette
période. La puissante personnalité de Colbert donne à ces vingt-
trois années un caractère et une importance exceptionnels. Le
ministre avait un plan systématique de réformes, qu'il a déve-
loppé avec clairvoyance et ténacité ; il a introduit l'ordre par-
tout, abandonné les expédients ruineux, rendu l'autorité du roi
incontestée. Après lui,' les énormes dépenses pour la cour et
pour la guerre amèneront le déficit permanent, le retour à
l'ancienne « bursalité », l'oppressio» des peuples; les attaques
contre le régime s'élèveront publiquement; au lieu de perfec-
tionner la taille, on cherchera à la remplacer, parce qu'on recon-
naîtra, avec Vauban, qu'elle est « tombée dans un tel état de
corruption que les anges du ciel ne pourroient pas venir à bout
de la corriger ' » ; douze années de tâtonnements aboutiront à
l'établissement de la capitation, puis des essais contradictoires,
tous infructueux, se multiplieront pendant un siècle, et l'œuvre
de réforme commencée par Colbert demeurera au point où il
l'a laissée à sa mort.
J'ai le projet de continuer cette étude au delà des limites géo-
graphiques et chronologiques que je lui ai fixées. Mais j'espère
que, telle quelle, elle suffira à montrer l'importance de la taille
dans l'histoire économique et sociale de l'ancienne France, et
invitera d'autres travailleurs à poursuivre avec moi l'enquête
que je ne fais que commencer ici.
1. Mémoire de Vauban sur la capitation, 169Ï, dans la Corresp. des contrôleurs
généraux, t. I, p. 565.
BIBLIOGRAPHIE
I. — SOURCES MANUSCRITES
Archives nationales.
Série G7 (fonds du contrôle général)1.
1. Minutes de lettres du contrôleur général (1677-1685).
71. Correspondance des intendants d'Alençon (1677-1683).
213. Correspondance des intendants de Caen (1678-1683).
491-492. Correspondance des. intendants de Rouen (1678-1683) 2.
551. Lettres adressées par des particuliers au contrôleur général,
1681 et années suiv.
1128-1129. Mémoires et documents sur la taille (1688-1727).
1837. Documents sur le conseil des finances.
Série K.
870-900. Documents et mémoires sur les finances, les impôts, les Tré-
soriers de France (la plupart se rapportent au xvma siècle).
910. Mémoire sur les Trésoriers de l"&pargne (1663).
Série KK.
1885°. Mémoire anonyme sur les finances (fin du xvnc siècle).
Série O ' (Secrétariat d'Etat de la Maison du Roi).
1-26. Registres des expéditions, 1661-1683. On y trouve notamment les
brevets de la taille, et les commissions pour les élections dépendant de ce
secrétariat d'Etat (celles de Normandie ne sont pas du nombre : la province
était rattachée au secrétariat des Affaires Étrangères).
Série AD (collection Rondonneau) :
293 et suiv. Lettres patentes, édits et règlements, par ordre chronolo-
gique, à partir de 1661 (la plupart imprimés).
Les lettres patentes, édits, et règlements sur les tailles qui se trouvent
dans les cartons AD ix, 470-471, se retrouvent imprimés dans les recueils
législatifs indiqués ci-dessous.
1. Pour l'histoire de ce fonds, voir l'avant-propos de M. De Boislisle dans la
Correspondance des contrôleurs généraux, t. I (Paris, 1874, in-4°), p. lii-lix.
2. Les années 1679 et 1681 sont très peu représentées. On peut y suppléer à
l'aide des papiers de Leblanc, Bibl. Nat., mss. fr. 8759-61bis, indiqués ci-dessous.
BI1LIOGBAPH1
.1 «uiv. Minutes des arrêt» du Conseil, rangés par ordre chronolo-
s. il relatifs à la recherche de la noblesse.
Lrrétl <l" Conseil relatifs aux finances.
Si h if. U.
noires sur les fonctions des élus et des receveurs des tailles.
iments sur les attributions des cours des aides.
Archives de la Seine-Inférieure.
ik C (Intendance et Bureau des finances). — Inventaire par Ch. de
Beaurep.ii
1 164-1179. Plumitifs du Bureau des finance» \ 1661-1683. Un registre par
: il manque les registres des années 1662, 67, 70, 71, 73 et 82.
1381-1391. États de distribution des finances de la généralité, années
. T."). 76, 77. (Le vol. 1381, détérioré par l'humidité, est
en partie illisible.)
1%63-1464, Portefeuilles contenant des édits, déclarations et arrêts du
conseil relatifs aux finance», Î661-t688 (collection incomplète; la plupart
des pièces sont imprimées).
1718-1108. Ponds des élections (rôles de tailles, états de département, etc.).
Quelques pièces seulement se rapportent à la période 1661-83, et concer-
nent les élections d'Arqués. IN'eufchâtel et Rouen.
2215. Mandements de l'intendant de Rouen aux paroisses, 1671-72.
2319 et 21522. Ktats au vrai des receveurs des tailles de Rouen et d'Evreux,
la liasse 2316 contient ceux de Rouen pour la période 1656-1660).
I. Correspondance du Bureau des finances, 1666 et années suiv.
27. Bordereau de voiture de deniers, 1666.
2845. Mémoire sur les fonctions des trésoriers de Prance (xvin* siècle).
2373-88. Recueil de documents « sur les matières rentrant dans la com-
étence du Bureau des Pinances », formé à la fin du xvine siècle par
avocat Lemaistre - (très peu de documents sur la taille).
6-8. Documents sur la recherche de la noblesse, 1666-68, principale-
ment dan» l'élection de Caudebec.
2464. Registre «lu greffe de l'Election de Caudebec, 1666-73.
2483-2531. Plumitif <ie l'Election de Caudebec (série complète pour la
■ le 1661-16
I. Plumitif de l'Élection de Neufchâtel.
; 2696 et 2709. Rôles de taille de l'élection de Neufchâtel, 1654-1670.
. Plumitif de l'Election de Rouen.
2736. Rôles de taille de l'Election d'Andely.
S.l;:
79-95. Mémoriaux de la Chambre des comptes: un registre pour chaque
année; il manque ceux de 1661, 16<">.>, 67, 81, 82 et 83. Un inventaire des
Mémorisas est publié dans les Mémoires de la Soc. des antiquaires de
Normandie, |« série, U VU! I
Partis non inventoi .
Archives de la Cour des aides, comprenant quatre séries principales :
i tiennent les procès-verbaux des délibérations du Bureau.
m •■ tenante : ainsi un acte du 15 mai 166.Ï est i
a In date du 22 mai (v..l. Il(i7. fol. 117 v ). et le scribe déclare en tète qu'il la
f°'1 ' «le ». Le» affaires relatives a la taille j tiennent peu de place.
roi* quelques détail» sur le personnage dans unnrt. de M. Carré, da
tioa française, t. XXM (1894), p.
!'
IHBLIOGnAPHIE. XV
1° les Mémoriaux, où sont enregistrés les actes émanant du pouvoir
central (t. XL et suiv.);
2° les Registres du conseil, contenant les règlements et arrêts de la Cour;
3° Plumitifs des audiences, souvent difficiles à déchiffrer ;
4° les Requêtes introduites devant la Cour.
Archives du Calvados.
Série C (Intendance et Bureau des finances).
Cette collection est extrêmement riche pour l'époque qui nous intéresse;
elle n'est malheureusement ni classée ni inventoriée *. Je ne peux ici en
donner un catalogue exact, de même que, dans le cours de mon ouvrage,
je n'ai pu y faire des renvois précis. Voici du moins les principales séries
de pièces qu'elle renferme :
1° Fonds du Bureau des Finances de Caen. — Collection importante de
plumitifs, formant une suite complète pour la période 1661-1683 (un
registre par année). — Collection des ordonnances enregistrées au Bureau.
Etats du roi pour la distribution des finances dans la généralité. — Etats au
vrai de receveurs généraux et particuliers. — .btats de restes. — Procès-
verbaux de chevauchées des Trésoriers de France. — Correspondance et
papiers divers.
2° Fonds des Elections. — Election de Caen : plumitifs ; ordonnances ;
correspondance. — Election de Falaise : plumitifs. — élection de Vire :
procès-verbaux d'exécutions et d'écrous. — Rôles de taille de diverses
paroisses.
3° Fonds de V Intendance. — Ordonnances de l'intendant. — Rôles de
département entre les paroisses.
Série G.
Dans le fonds de l'Abbaye de St-Etienne, terriers de Bretteville l'Orgueil-
leuse en 1666 et 1687, de E.ots et de Noroy.
Bibliothèque nationale.
1° Fonds des Mélanges Colbert.
Cette collection et les deux suivantes contiennent la majeure partie des
papiers du ministre. L'histoire en a été écrite par L. Delisle dans son
ouvrage sur Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque Nationale,
t. I, p. 439 suiv.; voir aussi De Boislisle, Correspondance des contrôleurs
généraux, t. I, p. vu, notes 2 et 3.
Les 100 premiers volumes, formant les « Mélanges » proprement dits,
ne contiennent rien sur la taille 2.
Les n03 101 à 176l,is, formant jadis une collection séparée connue sous le
nom de Volumes verts3) comprennent 112 volumes de lettres adressées à
Colbert de 1656 à 1677 4 ; elles sont classées chronologiquement, et une
double table, à la disposition des travailleurs, en facilite la consultation.
Les lettres d'intendants y sont abondantes surtout pour la période
1. Je dois des remerciements tout particuliers à M. l'archiviste Besnier, qui
m'a largement ouvert son dépôt, et maintes fois aidé dans mes recherches à
travers cette masse de documents non classés.
2. On trouve cependant, au vol. 33, fol. 286-294, le mémoire de Pescheur sur
les abus de la levée des tailles en 1665, dînt j'ai cité plusieurs passages.
3. Depping a beaucoup puisé dans cette collection pour sa Correspondance
administrative (voir ci-dessous); Jal, dans son Dictionnaire critique, a publié éga-
lement un certain nombre de ces lettres, mais l'immense majorité d entre elles
sont encore inédites.
4. On y trouve aussi quelques minutes de lettres écrites par Colbert, et des
mémoires joints aux lettres des correspondants.
xv, IIBLIOGRAPHI
; r,66 ; les volumes ai iz années 1667-1677 contiennent princi-
1. s correspondances relatives à la marine, et semblent provenir
des bureaux «I «y. . . .
no« 177 -, , -onstitucs par les brevets et commissions des
tailles, de 1661 I 1663 pour les brevets et de 1662 à 1681 pour les commis-
sions (sauf les années 1667 et 167:5, en déficit) l.
Du n° 26i m ii :U0* sont les registres de recettes et dépenses du
Trésor, de 1662 à 1G«1.
Les derniers volumes (de 311 à 'i 16; n'intéressent pas la taille.
2° Fonds des Cinq cent3 Colbert.
Vol. 256 à 260. État et évaluation des offices de judicature et de finances
du royaumc'en 1665 *.
161. Tableau des paroisses du royaume, rangées par généralités et élec-
tions, en 1677. '
17%. Mémoire de Voysin de la Noiraye sur la généralité de Rouen
en 1665 * .
3° Fonds Clairambault.
Collection formée en grande partie avec des papiers provenant de Col-
bert.
'i'i'i -î'i8. Mémoires extraits de la bibliothèque du Roi pour l'instruction
du Dauphin (1661-1683).
461-468. Copies de lettres de Colbert aux intendants, 1679-1683. La
majeure partie en a été publiée par Clément.
474. Documents sur la population du royaume au xm* siècle.
500, p. 585-596, Mémoire sur les fonctions des trésoriers généraux.
647. Papiers de Colbert.
659-660. Inventaire et extraits d'arrêts du conseil, 1661-1683.
791-797. Papiers de Colbert, lettres et analyses de lettres reçues par
le ministre, mémoires, etc., surtout pour la période 1670-1681 (complète
la collection des Volumes verts).
4° Fonds français.
ï 222. Pièces 119 à 133, sur les impositions, 1643-1661.
4 286. Mémoires sur l'état des généralités de Rouen, Caen, Alençon,
en 1698-99. Copie provenant des papiers de Letellier, archevêque de Reims.
: i. Tableau des impositions, de 1688 à 1712.
7 752. Mémoire sur les finances de la France, par Mallet.
7 771, fol. 170-202. « Observations sur la taille », par Lallemant de
Lévignen, intendant d'Alençon * : mémoire exécuté en vertu de la lettre du
contrôleur général, du 22 février 1732.
8 759 à 8 761bl». Papiers de Leblanc, intendant de Rouen. Le vol. 8 759
contient la copie des lettres adressées par Leblanc aux ministres, du
21 novembre 1675 an 7 mai 1677. Au vol. 8 761 se trouve la suite de cette
correspondance, du 1er janvier au 20 novembre 1682. (Les lettres de 1671
1. En tétc du vol. 238 est un tableau des impositions mises sur les généralités
de 1649 à 1660.
i, Les vol. ï\~ à 260 concernent les gabelles.
3. La partie concernant la généralité de Rouen est publiée dans mon édition
du Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 20."> et suiv.
'«.Je publie, en même temps que cet ouvrage, une analyse et des extraits de
moire, mais il sera nécessaire, parfois, de se reporter au manuscrit.
•">. Noir L. Duval, Lallemant de Le\ignan, intendant d'Alençon, Alençon, 1902.
BIBLIOGRAPHIE. XVII
à 1681 manquent.) Le vol. 8 760 contient les lettres reçues par Leblanc,
en original. Le vol. 8 761"''', intitulé au dos « Recueil pour la taille », ren-
ferme d'importants documents, manuscrits et imprimés, sur la taille de la
généralité de Rouen, du 14 mars 1676 au 18 décembre 1678'.
11095. Traité des tailles (Le dernier acte cité est de novembre 1692.)
Une copie s'en trouve au ms. 14 089, fol. 1-76.
11 096. « Mémoire concernant l'imposition et levée des tailles ordonnées
par S. M. être faites sur les dix-huit généralités des pays d'élections de
son royaume », rédigé pour Boucher d'Orsay, qui fut intendant de
Limoges de 1711 à 1715 (voir fol. 57 et 58). L'acte le plus récent qui y est
cité est d'avril 1690; la rédaction né doit pas être de beaucoup postérieure
à cette date ; une allusion à la capitation, faite au fol. 58, a été sans doute
introduite après coup. Ce mémoire est un véritable manuel d'intendant
pour la taille ; il donne de précieux renseignements sur la pratique de
l'imposition, spécialement en Normandie.
11 149. Recueil de deux mémoires : l'un (p. 1-63), sur. l'état des finances
en 1688; l'autre (p. 65-131), sur les finances en général. Le premier
résume les rapports des commissaires envoyés dans les provinces en 1687.
(Voir De Boislisle, Mémoire de Vintendant de Paris, p. 781-6.)
11924-11 933. Documents de la recherche de la Noblesse en Normandie.
14 089. Recueil de traités sur la taille. Aux fol. 1-76 est une copie du
ms. 11 095, indiqué ci-dessus ; aux fol. 77 à 89, un <c recueil de prononcia-
tions » sur la taille, à l'usage d'un intendant; aux fol. 113-232, « Maximes
de la cour des Aydes de Paris, année 1683 ». On y trouve d'utiles rensei-
gnements sur la pratique administrative.
16 898-16 900. Recherche de la noblesse de la généralité de Rouen, faite
en 1667 par Barin de la Galissonnière.
17 311. Papiers de Séguier relatifs à la taille.
18 479. Id. Pièces concernant les trésoriers de France, les élus et les
intendants (1649-1653).
21 419. « Règlements sur les tailles » : compilation méthodique de ces
règlements, faite en 1690 ou peu après.
21 442. « Traité des finances de France, tiré du cabinet du feu roy
Henri III, dont M. Le Vayer, substitut, a l'original. »
21 812. D'Aube, « Mémoire concernant les fonctions d'intendant », 1738.
L'auteur, neveu de Fontenelle et intendant de Caen, puis de Soissons, a
résumé dans cet ouvrage les connaissances nécessaires à un jeune homme
entrant dans l'intendance.
Il projetait d'établir à Paris « une espèce de noviciat », un séminaire,
pour recruter les intendants. Son travail résume exactement les devoirs et
les attributions de la fonction, mais il s'applique à une date postérieure
à Colbert d'un demi-siècle.
Nouvelles acquisitions du fonds français.
\11 . Etat de distribution des finances pour les trois généralités de Nor-
mandie, année 1660.
180. Id., année 1661.
184. Id., 1662.
187. Id., 1665.
189. Id., 1667.
199. Etat des recettes et dépenses du Trésor, année 1674.
207. Id., 1679.
209. Id., 1682.
200. Brevets de la taille, années 1663, 1665 et 1672.
1. Les lettres de Colbert qui se trouvent dans cette collection ont été publiées
par Clément.
LA TAILLE EN NORMANDIE. '•*
Win BIBLIOGRAPHIE.
I 3(6. Btftt ou vrai de» recettes et dépense» faites en 1678 par Cousin,
rai (le Caen.
10. Documents sur les Trésorier» généraux : recueil formé par
Fournival en vue de son ouvrage (ci-dessous, p. 17).
Collections diverses.
Bibliothèque Ste Geneviève, à Paris.
.M>. \\1. Mémoire sur la Chambre des comptes de Paris, vers 1670.
Bibliothèque municipale de Rouen.
Ms. 2 706. Traité sur la Cour des Aides de Normandie, provenant de
Jean Bigot.
Ms. 1890. Abrégé des tailles.
Ms. 3 316. Propositions de réforme de la taille.
Archives municipales de Bayeux.
llùlcs de taille des paroisses de l'élection de Bayeux, 1663-1683.
Archives municipales de Rots {Calvados').
BB ï-7. Registres de consentement des paroissiens, 1661-1681.
II. — IMPRIMÉS
SOURCES
Je ne puis donner ici tous les ouvrages utilisés au cours de ce travail.
Ceux qui n'ont été employés qu'accidentellement, pour des points particu-
liers, sont cités dans les notes aux endroits convenables.
Je renvoie aussi, pour plus de détails, aux bibliographies qui se trouvent
dans les ouvrages suivants :
Camus et Dupin, Lettres sur la profession d'avocat, et bibliothèque choisie
des livres de droit qu'il est le plus utile d'acquérir et de connaître, 5° éd.,
Paris. 18:5'*, 2 vol. in-8, au t. II (notamment, titre VII, art. 1-i, et, à l'art. 5
le paragr. 4).
Stourm, liibliographie historique des finances de la France au xvin° siè-
cle, Paris. 1895, in-8° (surtout les chap. i à vin).
Vignes, Histoire des doctrines sur l'impôt en France. — Les origines et
les destinées de la Dixme royale de Vauban, Paris, 1909 (nombreuses indi-
cations d'ouvrages peu connus, dans le texte et en notes).
A. — Recueils législatifs.
1° Recueils généraux d'ordonnances*.
Les nombreux recueils généraux d'ordonnances, règlements, arrêts du
Conseil et des cours souveraines contiennent tous des actes relatifs à la
taille: mais la plupart de ceux-ci sont publiés également dans les recueils
spéciaux mentionnés plus bas, où on les trouvera plus facilement. Je
n'indique ici que les principaux de ces recueils généraux.
1. Sur tous ces recueils, voir : Aucoc, Les collections de la législation anté-
rieure à i'H'j et leurs lacunes, dans les Séances et travaux de l'Acad. des se. mor.
et pol., 1883.
BIBLIOGRAPHIE. XIX
Guénois, La grande conférence des ordonnances et édits royaux, distri-
buée en XII livres..., 5e éd., Paris, 1678, 3 vol. in. fol.
La lre éd. est de 1596. Dans l'ouvrage, les ordonnances sont dépecées
pour faire rentrer chacun de leurs articles dans un cadre méthodique : c'est
ainsi que le titre XVI du liv. X contient ce qui concerne les tailles.
Néron et Girard, Recueil d'édits et ordonnances royaux... Nouvelle édi-
tion, par Laurière et de Ferrière, Paris, 1720, 2 vol. in-fol.
De nombreuses éditions avaient été publiées avant celle-ci, qui est la
dernière. Celle de 1666, connue sous le nom de « Petit Néron », donne les
ordonnances par ordre de matières, comme Guénois; celles qui concer-
nent les tailles sont aux p. 982 à 1002. L'édition de 1720 les donne dans
l'ordre chronologique.
Isambert, Jourdan et Decrusy, Recueil général des anciennes lois fran-
çaises, depuis Van U20 jusqu'à la révolution de 1789, Paris, 1822-27, 29 vol.
Nau, Abrégé des ordonnances royaux par ordre alphabétique... 3e éd.
Paris, 1664, in-4° (Bibl. de la Faculté de droit de Paris, n° 10709).,
Papon, Recueil d'arrests notables des cours souveraines de France, nouv.
éd., Genève, 1637, in-4°.
Le titre XI du liv. V, p. 264 et suiv., est relatif à la taille.
Brillon, Dictionnaire des arrêts, ou jurisprudence universelle des parle-
ments de France et autres tribunaux, nouv. éd., Paris, 1727, 6 vol. in-fol.
Journal des principales audiences du Parlement de Paris, par Dufresne
de la Guessière, Nupied, Duchemin, dernière éd., Paris, 1757, 7 vol. in-fol.
Froland, Recueil d'arrêts de règlement et autres arrêts notables donnés
au Parlement de Normandie, Paris, 1740, in-4°.
Recueil des édits, déclarations, lettres-patentes, arrêts et règlements du
roy registres en la cour de Parlement de Normandie, Rouen, 1755, 8 vol.
in-4° (Bibl. Nat., Inv., F 12740).
2° Recueils spéciaux sur la taille et les affaires de finances.
Nouveau code des tailles, ou recueil par ordre chronologique et complet
des ordonnances, édits, déclarations, règlements et arrêts rendus sur cette
matière..., 4e édition, Paris, 1761, 3 vol. in-16.
L'ouvrage parut pour la première fois en 1706 sous le titre : Recueil des
ordonnances, édits, déclarations, réglemens et arrests de la Cour des aydes
de Paris sur le fait des tailles depuis 1583 jusqu'à présent. 1 vol. in-12.
Des rééditions successives, avec des variantes dans le titre, parurent en •
1712, 1723 et 1740; un supplément à l'éd. de 1761 a été publié en 1783 i.
Je renvoie à cet ouvrage par l'abréviation C. d. T.
Réglemens rendus sur le fait des tailles et personnes privilégiées, aug-
mentez des édits, déclarations et arrêts , tant du Conseil que de la Cour des
comptes, aides et finances de Normandie donnez jusqu'à présent, Rouen,
1710, in-12.
Une première édition de ce recueil avait été donnée à Rouen en 1672 sous le
titre : Recueil d' édits.., concernant Vauiorité, compétence... de la cour des
aydes de Normandie; une seconde en 1692 sous le titre : Ordonnances,
1. Le Code des Tailles a été pendant tout le xviii0 siècle le manuel des prati-
ciens : voir, par exemple, une lettre du subdélégué de Sainte-Menehould, du
15 mars 1776, dans Milhac, Les subdélégucs en Champagne, p. 98, n. 2.
xx i.i i.i i«>i.r.A ru il. .
édits el déclarations rcnrrrnanl V autorité, jurisdiclion et compétence de la
c0ltr j, /,• Normandie, et une troisième en 170:5, intitulée ; Recueil
de» teilles augmenté en cette édition des édits... et arrests tant du Conseil
que dr lu r,,,ir des ardes de Normandie...
Je renvoie au recueil par l'abréviation : Règlements de Normandie ».
Edict du ro) sur le règlement général des tailles, [janvier 1634], avec les
annulations sur iceluy, Paris, 1658, in-12 (Bibl. Nat. F 42609).
Corbin, Nouveau recueil des edicts, ordonnances et arrests de l'autorité,
jurisdiclion et cognoissance des cours des ay des... Paris. 1623, in-4°.
Une lrC édition, sans nom d'auteur, avait été publiée en 1612*.
D'Escorbiac, Recueil dédits, arrests et réglemens concernant les juges
et autres officiers royaux, Paris, 1638, in-fol.
Recueil des édits... concernant la justice et les personnes qui l'admi-
nistrent, Paris, 1638, in-4°.
Ouvrage publié par ordre du Chancelier8.
Du Lys, Recueil des ordonnances, édicts, déclarations, lettres-patentes,
depuis le roy Jean de l'an 1350 jusqu'à Louis XIII à présent régnant, concer-
nant V origine, progrès, création et reslablissement des eleus particuliers,
Paris, 1635, in-12» (Bibl. Nat., F 42610).
Recueil des édits, déclarations et arrests du roy concernant la Chambre
des comptes [de Rouen], Rouen, 1702, inl4° (Arch. S. Inf., C 1463, pièce 7) *.
Recueil des édits... concernant l'Epargne, le Trésor royal et les parties
casuelles, Paris, 1732, in-4°.
La Maréchaussée de France, ou recueil des ordonnances, édits... concer-
nent la création, établissement, droits et privilèges de tous les officiers et
archers des maréchaussées, Paris, 1697, in-4°.
Fournirai, Recueil général des titres concernant les fonctions, rangs,
dignitez, séances et privilèges des charges des Présidens trésoriers de
France, généraux des finances et grands voyers de France... Paris, 1655,
in-fol. (Le privilège est daté du 4 lévrier 1651 5.)
Code des commensaux de la maison du roi, Paris (Saugrain), 1720, in-12.
1. Le recueil n'est pas complet; il y manque certains édits qui furent cependant
enregistrés à la Cour des aides de Normandie : par exemple, celui d'août 1661
sur Ta réduction du nombre des élus (voir son enregistrement dans les Mémo-
riaux de la Cour, t. XL, f" 41-44), de même les arrêts du conseil des 4 juillet 1664
(C. d. T., I, j>. 555). et 3 janvier 1665 (Arch. Calv., Registre d'ordonnances de
l'élection de Caen, 1664-1674, fM 109-114).
2. L'ouvrage de Bagereau, Leçons et décisions notables sur les ordonnances des
tailles et aydes, Paris, 1624, in-12, est insignifiant.
3. Autres éditions en 1690, 1712, 1737, toutes publiées par les soins du gouver-
nement.
4. Pour la chambre des comptes de Paris, il existe un recueil semblable, dont la
dernière édition a été donnée en 1738 par Gosset, 3 vol. in-4".
5. Sur cet ouvrage, voir ci-dessous, p. 47. Une suite en a été publiée par
Du Bourgneuf en 1745 sous le titre : Mémoires sur les privilèges et fonctions des
trésoriers de France, 2 vol. in-4°, avec une Table générale et chronologique des
ordonnances concernant les mêmes officiers.
BIBLIOGRAPHIE. XXI
B. — Documents sur les finances et les institutions
administratives '.
Argouges (d'), procès-verbal de la généralité de Moulins en 1686, publ.
par Yayssière, Moulins, 1892.
Auber, Mémoire concernant les tailles et les moyens de faire cesser les
abus qui se commettent dans son imposition, Paris, 1721, in-4°.
L'auteur était receveur des tailles de l'élection de Caudebec et commis-
saire pour l'établissement de la taille proportionnelle dans l'élection de
Beauvais. Il donne des détails utiles sur la pratique de l'imposition.
Auger, Traité sur les tailles et les tribunaux qui connaissent de cette
imposition, Paris, 1788, 4 vol. in-4°.
Les trois premiers volumes renferment les principales ordonnances sur
la taille, en vigueur à la Cour des aides de Paris à la fin du xvm8 siècle;
le quatrième contient un traité sommaire de l'impôt. L'auteur était avocat
du roi en l'élection de Paris 2.
Avis du désordre qui est à présent à V assiette des tailles et de Vordre
qu'il r faut apporter, s. 1. n. d., in-4° (un ex. Bibl. Nat., Rec. Thoisy, vol.
443, fol. 155 et suiv.).
Au même vol. de la collection Thoisy se trouvent divers autres docu-
ments imprimés sur la taille.
[Bellet-Verrier], Mémorial alphabétique des choses concernant la justice,
la police et les finances de France. 3e éd., Paris, 1713.
La première éd. est de 1697; la seconde, de 1704. Une nouvelle fut
donnée par Duchemin en 1742.
Malgré son titre, l'ouvrage ne traite que des matières concernant la taille,
et donne surtout la jurisprudence de la Cour des aides de Paris.
Boisguilbert, Le détail de la France, ou traité delà cause de la diminu-
tion de ses biens et des moyens d'y remédier, Rouen, 1695, in-12.
Id., Factum de la France, Paris, 1706.
Sur l'auteur et les diverses éditions de ses œuvres, v. les ouvrages de
Cadet et de Horn, indiqués ci-dessous. Je renvoie toujours à l'éd. de 1707,
De Boislisle, Chambre des comptes de Paris. Pièces justificatives pour
servir à l'histoire des Premiers présidents, 1506-1191, Nogent-le-Rotrou,
1873, in-4°.
Id. Correspondance des contrôleurs généraux des finances avec les
intendants, Paris, 1874 et suiv., 3 vol. in-4°.
Id., Mémoires des intendants sur Vétat des généralités dressés pour
Vinstruction du duc de Bourgogne. Tome I, mémoire de la généralité de
Paris, Paris, 1881 (coll. de doc. inéd.).
Publication importante par les notes, l'introduction et les appendices
qu'y a ajoutés l'éditeur. Voir notamment les documents sur la taille,
1. Je range dans les documents tous les ouvrages antérieurs à 1789.
2. Le même auteur a publié les remontrances de la Cour des aides de Paris,
de 1756 à 1775, sous le titre de Mémoires pour servir à l'histoire du droit public
de la France en matière d'impôts, Bruxelles, 1779, in-4°. Cet ouvrage, très impor-
tant pour l'histoire financière du xvm6 siècle, n'est guère utile pour notre sujet.
xxil ini;i.ioi;i!Ai'Hii:.
F. 865-544, < i les mémoires sur la misère en 1684-87, p. 764-786. Je désigne
ouvrage par le titi-.- abrégé : Mémoire de l'intendant de Paris.
Bouchcl, l.n Bibliothèque nu trésor du Droit français, nouv. éd. par de
h«;fer, 1667, 3 vol. in-fol.
I... I" édition est de 1629. Ce qui concerne la taille est, dans l'éd. de 1667,
au t. III, p. 618 et suiv. É
Boulainvilliers, Mémoires présentés à Mgr le duc d'Orléans, régent de
France, contenant les moyens de rendre ce royaume très puissant et
d' 'augmenter considérablement les revenus du roi et du peuple, La Haye
et Amsterdam, 1727, 2 vol. in-12.
A la fin de cet ouvrage est inséré (t. II, p. 111-226) un Extrait d'un
mémoire de Mr. de Fougerolles en il 11... pour assurer les revenus du Roi.
Id., L'État de la France, Londres, 1727, 3 vol. in-fol.
('ailiers des Etats de Normandie... publ. par Ch. de Beaurepaire (Soc.
de l'Hist. de Normandie), Rouen, 1876-87, 7 vol.
Chasles, Dictionnaire universel, chronologique et historique de justice,
police et finances, Paris, 1725, 3 vol. in-fol.
Chevillard, Le nobiliaire de Normandie, s. 1. n. d., in-fol. gravé.
De Claveret, L'écuyer, ou les faux nobles mis au billon, Paris, 1665,
in-12.
Colbert, Lettres, instructions et mémoires, publ. par P. Clément, Paris,
1861-1882, 8 tomes en 10 vol. in-4°.
Cette publication importante, qui donne environ 5 500 lettres, mémoires
ou ordonnances, est une des principales sources de ce travail. Elle ne
contient pas tous les papiers connus de Colbert (cf. l'Avertissement du
t. VII), mais elle en réunit une masse assez grande pour faire connaître
dans son ensemble l'œuvre du ministre. La table, qui forme le tome VIII,
en facilite beaucoup l'utilisation. Les documents sur la taille sont princi-
palement aux tomes II, 1" partie, IV et VII. Les lettres de Colbert sont
malheureusement trop rares pour la période 1661-69.
J. Combes, Traité des tailles et autres charges et subsides tant ordi-
naires que extraordinaires qui se lèvent en France, Paris, 1576 (B. Hat.
Lf**l); nouv. éd. Paris, 1598. C'est le premier traité spécial sur la taille.
L'auteur était avocat à Clermont.
Couchot et Du Roussaud de la Combe, Le praticien universel, ou le droit
français et la pratique de toutes les juridictions du royaume, 8° éd., Paris,
1738, 2 vol. in-4".
Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la
jurisprudence actuelle, Paris, 1757, 2 vol. in-4°; nouv. éd. par Camus et
Bavard. Paris, 1783-90, 9 vol. in-4°.
Sur cette réédition, voir . Du pin, Lettres sur la profession d'avurnt.
n° 866. Sauf indication contraire, je renvoie à l'éd. de 1783.
Depping, Correspondance administrative sous le règne dp Louis XLV,
Paris, 1850-55, 4 vol. in-4°. (Coll. de Doc. inéd.).
Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, le droit public et le Legum
delectus, nouv. éd. Paris, 1777, 2 tomes in-fol.
La !«• éd. est de 1689 (Domat est mort en 1695). Le traité du Droit
public (en tête du t. II) contient un chapitre très clair sur les finances.
BIBLIOGRAPHIE. XXIII
Du Crot, Le nouveau traité des aydes, tailles et gabelles. Paris, 1636,
in-12. La lre éd. est de 1627.
[Du Lys], Traité sommaire de l'origine et progrès des offices, tant des
trésoriers de France que des généraux des finances, fait en octobre 1618 ;
de l'union et multiplication d'iceux, Paris, 1618, in-4° *.
L. Duval, Etat de la généralité d'Alençon sous Louis XIV, [Alencon],
1890, in-4°.
Publication du mémoire de l'intendant Pomereu sur la généralité
en 1698.
Eon de Beaumont (d'), Essai historique sur les différentes situations de la-
France par rapport aux finances sous le règne de Louis XIV... Amsterdam
(Paris), 1753, in-12.
Id.,, Mémoires pour servir à l'histoire générale des finances, Londres,
1758, 2 vol. in-12. '
Essai sur la répartition de la- taille et des vingtièmes, précédé d'un
examen succinct de plusieurs systèmes sur la réforme et la conversion des
impôts, Londres et Paris, 1788, in-4° (un ex. aux Arch. Nat. ADix 470170).
L'auteur, inconnu, semble être un intendant de province : cf. p. 11.
Encyclopédie méthodique, partie Finances, publ. sous la direction de
Rousselot de Surgy, Paris, 1784, 3 vol. in-4°.
Rousselot de Surgy était intendant des finances. Quelques articles de
l'ouvrage sont empruntés à Y Encyclopédie de Diderot et Dalembert (ils
sont marqués d'un astérisque), mais la plupart sont originaux et excellents.
L'art. Taille, dû « a un ancien receveur des tailles », est très développé
(t. III, p. 637-681). Voir aussi les art. Charges publiques. Collecteur, Géné-
ralités. Impositions, Intendants, Receveurs généraux.
Farin, Histoire de la ville de Rouen, Rouen, 1668, 3 vol. in-12. Nouv.
éd., Rouen, 1731, 6 part, en 2 vol. in-4°.
De Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique contenant l'explication
des termes de droit, d'ordonnance, de coutumes et de pratique, avec les
juridictions de France, nouv. éd.. Paris, 1771, 2 vol. in-4°.
La lre éd. est de 1734; la majeure partie des additions et corrections
faites ensuite sont dues à Boucher d'Argis (Dupin, Lettres sur la profession
d'avocat, n° 1257).
Fleurv (abbé Cl.), Institution au droit français, éd. Laboulaye et
Dareste", Paris, 1858, 2 vol.
Forbonnais (Véron de), Recherches et considérations sur les finances
de France depuis l'année 1595 jusqu'à l'année 1721, Bâle, 1758, 2 vol. in-4°.
Une édition en 6 vol. in-12 a été publiée à Liège la même année; mais
je renvoie toujours à l'éd. in-4°2.
Foucault, Mémoires, publ. par Baudry, Paris, 1862 (Coll. de Doc. inéd.).
1. Sur les Trésoriers de France, une série d'ouvrages sont indiqués dans le
P. Lelong, Biblioth. hist., t. III, n°! 34 032 et suiv.
2. Sur l'auteur et l'importance de son ouvrage, voir la notice placée en tète de
ses Fragments économiques, dans la Collection des principaux économistes, t. I, et
Véron-Duverger, Etude sur Forbonnais, Paris, lOOO.L'étude critique sur les tableaux
de recettes et de dépenses des Recherches et considérations publiée par M. Bou-
tarel, dans les Séances et irai', de VAcad. des se. mor., 1904, est sans valeur.
XXIV UIBLIOCHAl'HIE.
Foucault fut intendant de Caen. En appendice de la publication sont des
- et I ault et de Colbert.
Gaultier de Biauzat, Doléances sur les surcharges que les gens du peuple
su/i/tiirlent en toute es/ièrr d'impôts, S. 1., 1788.
Gauret, Stile du conseil du Boy. Paris, 169'*, in-4°.
Guyot et Merlin, Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions,
prérogatives et privilèges annexés en Fiance à chaque dignité, office.*.
Paris, 1786-88, 4 vol. in-'i ".
[Hennequin], Le guidon général des finances, nouv. éd. par S. Hardy,
« receveur des tailles et aydes de l'eslection du Mans », Paris, 1644, in- 11'.
La première édition est de 1581; de nombreuses autres suivirent jus-
qu'à celle-ci, qui est la dernière. L'ouvrage eut une grande célébrité; en
1667, Boileau le cite encore comme le manuel courant du financier (sat.
VIII, vers 184), et même en 1727, Bouthilier de Chavigny, dans ton Dic-
tionnaire des finances, le recommande aux praticiens (p. 234).
Hoiiard, Dictionnaire analytique, historique, étymologique... de la cou-
tume de Normandie. Rouen, 1780-82, 4 vol. in-4°.
L'instruction des officiers des finances, de la Chambre des comptes, des
trésoriers de France et autres qui reçoivent et distribuent les deniers du
roy, Paris, 1662, in-'« .
La Barre, Formulaire des esleuz, auquel sont contenues et déclarées
les fonctions et devoirs des dits officiers... Rouen, 1622, in-16 (un ex. Bibl.
Nat. Inv. F 25 459).
L'auteur était président en l'élection de Mortain (voir Annuaire de la
Manche, 1848, p. 302-310). Il donne quantité de renseignements et d'ob-
servations sur les usages de Normandie. Une seconde édition, identique à
la première, est de 1627, et une troisième, très peu différente, de 1629.
Lambert (Joseph), Instructions courtes et familières sur les évangiles...
en faveur des pauvres, et particulièrement des gens de la campagne, Paris,
1721, in-12 (B. Nat. D 15 864).
Le sermon pour le 8e dimanche après la Pentecôte est tout entier con-
sacré à la taille.
Lange, La nouvelle pratique civile, criminelle et bénéficiale, ou le nou-
veau praticien français, 10° édition, Paris, 1706, in-4°.
Sur les diverses éditions de l'ouvrage, voir la bibliographie de Camus
et Dupin, n° 1174.
La Poix de Fréminville, Traité général du gouvernement des biens et
affaires des communautés d'habitans, Paris, 1760, in-4°.
Le chap. i\ (p. 228 et suiv.) est spécialement consacré à la taille.
Lebeurier (abbé), État des anoblis en Normandie, de lobo à 1661, avec
un supplément, Evreux, 1866.
Le Bret, OEuvres, nouv. éd., Paris, 1689, in-fol.
Outre le Traité de la souveraineté du Roy, paru en 1632, ce recueil
contient (p. 334-559) les plaidoyers prononcés par Le Bret comme avocat
général à la cour des Aides de 1593 à 1599, où sont traitées beaucoup de
questions relatives à la taille.
Lebrun de la Rochette, Le procès civil et criminel... Plus l'eslection ou
de la jurisdiction des esleus, Lyon, 1618, 2 vol. in-4° (Bibl. Nat. Inv.
F. 11 719).
BIBLIOGRAPHIE. XXV
Lefebvre de la Bellande, Traité général des droits d'aides, Paris, 1760,
2 parties en 1 vol. in-4°.
O. Lefèvre d'Ormesson, Journal, publ. par Chéruel, Paris, 1860, 2 vol.
in-4° (Coll. de Doc. inéd.).
Le Trosne, De l'administration provinciale et de la réforme de l'impôt,
Bâle, 1779, in-4°.
Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit des tailles, ou conférence rai-
sonnée des édits, déclarations du roi, arrêts et réglemens de la Cour des
comptes, aides et finances de Normandie... Caen, 1787, 2 vol. in-12.
L auteur était avocat à Lisieux. Cet ouvrage donne des renseignements
très précieux sur la jurisprudence et les usages de Normandie, mais ils se
rapportent surtout au xvme siècle.
Louis XIV, Mémoires pour l'instruction du Dauphin, éd. Dreyss,
Paris, 1860, 2 vol.
Loyseau, Œuvres, éd. de Lyon, 1701, in-fol.
Mallet, Comptes rendus de V administration des finances de la France
sous Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, avec des recherches sur l'origine
des impôts, Londres, 1789, in-4°.
L'auteur était premier commis du contrôle général sous Desmaretz; son
travail, précieux surtout par les tableaux d'impositions, a été fait à l'aide
de documents authentiques : cf. le ms. fr. 7 752 de la B. N. Sur l'ouvrage,
voir De Boislisle, Corresp. des contr. généraux, I, p. xvm-xix.
[De Merville], Maximes générales sur les tailles, aydes et gabelles,
tirées des ordonnances, édits, déclarations, Paris, 1725, in-12.
Mirabeau (marquis de), L'ami des hommes, ou traité de la population,
Avignon, 1756-58, 5 vol. in-12.
Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les impositions et droits en
Europe, Paris, 1768-1787, 5 vol. in-4°.
Le t. II (ou t. Ier de la seconde partie) est consacré à la taille. L'auteur,
intendant des finances, avait été officiellement chargé de la publication de
cet ouvrage très précieux pour nous.
Necker, De l'administration des finances de la France, P., 1784, 3 vol.
Id., Compte rendu au Roi au mois de janvier 1181, Paris, 1781, in-4°.
Id., Eloge de Jean-Baptiste Colhert, discours qui a remporté le prix de
V Académie française en 1773, Paris, 1773.
Ces trois ouvrages ont été réédités dans les Œuvres complètes de
.¥. Necker, publ. par le baron de Staël, Paris, 1820, 15 vol.
Pontas, Dictionnaire des cas de conscience, Paris, 1727, 3 vol. in-fol.
Rééd. dans l'Encyclopédie de Migne.
Procès-verbal des séances de l'assemblée provinciale de la généralité de
Rouen, Rouen, 1787, in-4°.
Id., de Basse-Normandie, Caen, 1788, in-4°.
Id., de la Moyenne Normandie et du' Perche, Généralité d'Alencon,
Lisieux, 1787, in-4°.
Sur les assemblées provinciales, voir Condorcet, Essai sur la consti-
tution et les fonctions des assemblées provinciales, t. II (sur les impôts),
\\V| ltlIlI.KKillAI'lli: .
«•1 De I.ih-.iv, l.rs ,i s w//i l,l,'-rs jnn^incinles sous Louis \ 17, Paris, 1871.
Rerueil (1rs mlr.s, litres rt nirmoirrs ronrrrnant les affaires du Clergé
mer, Paris et Avignon, 1768-1781, 13 vol. in-4°.
Voir la table de ce recueil, au mot Taille.
/Irprrtoirr univrrsrl rt raisonné de jurisprudence civile, criminelle, c<um-
nitjiie et briir/iiinlr, publ. sous la direction de P. G. Guyot, nouv. éd.,
P«rb, 178'»-85, 17 vol. in-4°.
De Rochas d'Aiglun, Vauban, su famille et ses écrits. Ses Oisivetés et sa
correspondance, analyse et extraits, Paris et Grenoble, 1910, 2 vol. in-4°.
Publication partielle et très fautive des écrits de Vauban : voir Bull, de
la Soc. d'il ist. moderne, juin 1912 (Xe année, p. 130-134).
Saint-Pierre (Ch. I. Castel, abbé de), Mémoire pour rétablissement de la
taille proportionnelle, s. 1., 1717.
ld., Annales poliliaues, Londres, 1758, 2 vol. in-12, nouv. éd. par
Drouet, Paris, 1912.
Cf. Goumy, Etude sur la vie et les écrits de Vabbé de Saint-Pierre,
Paris, 1859; Drouet, L'abbé de Saint-Pierre, Paris, 1912; et l'ouvrage
de Paultre, indiqué ci-dessous.
Saint-Simon, Mémoires, éd. Chéruel et Régnier, Paris, 1873, 22 vol.
in-12. — Ed. de Boislisle, Paris, 1878 et suiv. (en cours de publ.; 24 vol.
parus).
Id., Ecrits inédits, publ. par Faugère. Paris, 1880-83, 6 vol.
[Saugrain]. Le dénombrement du royaume par élections, paroisses et
feux, Paris, 1709. Nouv. éd., 1720.
Spanheim, Relation de la cour de. France en 1690, éd. Bourgeois, Paris
et Lyon, 1900.
Turgol, Œuvre*, édit. Daire, dans la Collection des économistes français
du xviiic siècle, 18'i4, 2 vol.
Vauban, Projet d'une dixme royale... s. 1., 1707, in-4°.
Sur les rééditions de cet ouvrage, les polémiques qu'il a soulevées, et
sur 1 auteur, voir le travail de Maurice Vignes, cite en tête de ce chapitre,
et les ouvrages sur Vauban indiqués ci-dessous.
Vieuille, Nouveau traité des Elections..., Paris, 1739.
L'auteur était élu à Saintes. Ses chapitres décrivent, en se référant aux
ordonnances, toutes les opérations de 1 imposition !.
Voltaire, Le siècle de Louis XIV, éd. Bourgeois, Paris, 1903, in-16.
\ ovsin de la Xoiraye. Mémoire sur la généralité de Rouen (1665). analyse
et extraits, avec notes cl appendices, publ. par Ed. Esmonin, Paris, 19*13.
1. On cite parfois, à côte de cet ouvrage, celui de De Vulson, intitulé également
Traite des élections, Paris, 1G«'J (par exemple le P. Lelong, t. III, n° 33 875), mais
u traite des « élections d'héritiers, contractuelles et testamentaires ». il n'a aucun
rapport avec la taille.
BIBLIOGRAPHIE. XXVII
OUVRAGES
1° Ouvrages généraux sur l'histoire et les institutions.
D'Arbois de Jubainville, V administration des intendants d'après les
archives de l'Aube, Paris, 1880.
Le chapitre II, sur la taille, ne fait guère que résumer l'art. Taille du
Répertoire de Guyot.
G. d'Avenel, Richelieu et la monarchie absolue, Paris, 1884-90, 5 vol.
Babeau, Le village sous V ancien régime, Paris, ,.1879, in-12.
Id., La vie rurale dans V ancienne France, Paris, 1882.
Beaucorps (Ch. de), L'administration des intendants d'Orléans de 1686
à 1713, Orléans-, 1911.
Le chap. iv (p. 52-93) traite de la taille.
Bonnemère, La France sous L,ouis XIV, Paris, 1865, 2 vol.
Id., Histoire des paysans depuis la fin du moyen âge jusqu'à nos jours,
Paris, 1874, 2 vol.
Caillet, L'administration en France sous le ministère du cardinal de
Richelieu, 2e éd., Paris, 1861, 2 vol. in-12, Voir t. I, p. 398 et suiv.
Cans, L'organisation financière du clergé de France à 'l'époque de
Louis XIV, Paris, 1910.
Chéruel, Histoire de France sous la minorité de Louis XIV, Paris, 1879-
80, 4 vol.
Id., Histoire de France sous le ministère de Mazarin, Paris, 1883, 3 vol.
Id., Mémoires sur la vie privée de Fouquet, Paris, 1864, 2 vol.
Id., Histoire de V administration monarchique en France depuis l'avène-
ment de Philippe-Auguste jusqu'à la mort de Louis XIV, Paris, 1855,
2 vol.
Dareste, Histoire de l'administration et des progrès du pouvoir royal en
France depuis le règne de Philippe-Auguste jusqu'au règne de Louis XIV,
Paris, 1848, 2 vol.
Id., Etudes sur les origines du contentieux administratif, Paris, 1855-57,
3 vol.
R. Dareste, La justice administrative en France, Paris, 1862; nouv. éd.,
Paris, 1897.
Gaillardin, Histoire du règne de Louis XIV. Récits et tableaux, Paris,
1871-76, 6 vol.
Godard, Les pouvoirs des intendants sous Louis XIV, particulièrement
dans les pays d'élections, de 1661 à 1715, Paris, 1901.
Les chapitres VII et VIII exposent le rôle des intendants dans la répar-
tition et la levée de la taille ; ils sont bourrés d'inexactitudes. Des docu-
ments utiles sont publiés à l'appendice.
Lair, Nicolas Fouquet, Paris, 1890, 2 vol.
XXVIII IIIHI.KMJIIAPHIB.
Lange, /.'/ Brutire critique des conditions et des institutions sociales,
Paris, 1909.
Lavisso, Histoire de France, des origines à 1789, Paris, 1900-1911,
9 tomes en 18 vol.
Particulièrement t. VII, lre partie, p. 188-193.
A. Leroux, Introduction de l'Inventaire sommaire des archives départe-
mentales de la Haute-Vienne, série C, Limoges, 1891, in-4°.
Levasseur, H-stoire des classes ouvrières et de l'industrie en France
avant 1789, 2e éd., Paris, 1901, 2 vol. in 4°.
11. Monin, Essai sur l'histoire administrative du Languedoc pendant
l'intendance de Basville, 1685-1719, Paris, 1884.
Taine, Les origines de la France contemporaine. L'ancien régime, 26e éd.,
Paris, 1907, 2 vol. in 12.
Warnkœnig, FranzOsiscke Staats-und lîechtsgeschichte, 2e éd., Bâle,
1875, 3 vol.
2° Ouvrages sur les finances, et en particulier sur la taille.
Bailly, Histoire financière de la France depuis Vorigine de la monarchie
jusqu'à l'année 1828, t. II, Paris, 1830.
C. Bloch, Une enquête officielle sur la taille dans la généralité d'Orléans,
article de La Révolution française, février 1898.
De Boislisle, Les intendants et la taille, dans son éd. des Mémoires de
Saint-Simon, t. III, appendice XV.
L. Bouchard, Système financier de l'ancienne monarchie, Paris, 1891,
in-12.
A. Brette, La noblesse et ses privilèges pécuniaires en 1189, dans La
Révol. française, 14 août 1906.
F. Cadet, Pierre de Boisguilbert, précurseur des économistes, Paris, 1871.
Callerv. Histoire de la taille royale aux xvnc et xvme siècles, étude des-
tinée à l Histoire des institutions financières de l'ancienne France, dans la
Rev. des Ouest, hist., 1882, et tirage à part, Bruxelles, 1882.
Etude très sommaire, où l'auteur veut réfuter les critiques adressées
habituellement à la taille; sa thèse est loin d'être démontrée.
Clamageran, Histoire de l'impôt en France, Paris, 1867-76, 3 vol.
Cossa, Histoire des doctrines économiques, trad. de l'italien, Paris, 1899.
Dessart, Traité de l'impôt foncier, Paris, 1902.
A. Dubois, Précis de l'histoire des doctrines économiques dans leurs rap-
ports avec les faits et avec les institutions. T. I (L'époque antérieure aux
Physiocrates), seul paru à ce jour, Paris, 1903.
P. Duchemin, L'impôt sur le revenu en Normandie... dans la Revue... de
la Société libre d'agriculture... de l'Eure, 1897 (Ve série, t. V).
Dupré, Mémoire sur les anciens impôts directs de la généralité d'Orléans,
dans Congrès scientifique de France, 18e session, 1851, t. II, p. 67.
BIBLIOGRAPHIE. XXIX
Fspinas, Histoire des doctrines économiques, Paris, s. d.
Esquirou de Parieu, Histoire des impôts généraux sur la propriété et le
revenu, Paris, 1856.
Id., Traité des impôts, nouv. éd., Paris, 1872, 4 vol.
Fournier de Flaix, La réforme de Vimpôt en France. Tome premier. Les
théories fiscales et les impôts en France et en Europe aux xvne et xvme siè-
cles, Paris, 1885.
L'ouvrage n"a pas été continué. C'est l'exposé le plus complet des théories
sur l'impôt avant 1789.
De Fréville, Les divisions financières de la France avant 1789, dans
Y Annuaire de la Société de V Histoire de France, 1840.
Horn, L'économie politique avant les Physiocrates, Paris, 1873.
De Jouvencel, Le contrôleur général des finances sous l'ancien régime,
Paris, 1901.
G. Lardé, La capitation dans les pays de taille personnelle, Paris, 1906.
De Luçay, Vimpôt sur le revenu et en particulier sur le revenu agricole
en France au XVIIIe siècle, dans les Comptes rendus de l'Acad. se. mor.,
t. CXLIX, 1898, et en tirage à part.
Marion, L'impôt sur le revenu au XVIIIe siècle, principalement en
Guyenne, Toulouse, 1901 (collect. de la Bibliothèque méridionale).
Id., Les impôts directs sous l'Ancien régime, principalement au
XVIIIe siècle, Paris, 1910 (Collect. de textes sur l'hist. des institutions et
des services publics de la France moderne et contemporaine, publ. sous
la direction de M. C. Bloch).
Recueil de textes, avec une bonne introduction et une bibliographie.
De Montyon, Particularités et observations sur les ministres des finances
de France les plus célèbres depuis 1660 jusqu'en 1791, Paris, 1812.
Le premier chapitre (p. 20-79) est consacré à Colbert.
Nouveau dictionnaire d'économie politique, publ. sous la direction de
L. Say et J. Chailley, Paris, 1891-1892, 2 vol.
Voir l'art. Taille.
Paultre, La « taille tarifée» de l'abbé de Saint-Pierre et V administra-
tion de la taille, Paris, 1903.
Prouhet (Dr). Contribution à l'étude des assemblées générales des commu-
nautés d'habitants, dans les Mém. soc. des Antiquaires de l'ouest, 1902.
Jos. Rambaud, Histoire des doctrines économiques, Paris, 1902.
Stourm, Les finances de l'ancien régime et de la Révolution. Paris, 1882,
2 vol.
3° Histoires locales.
Voiries bibliographies générales de :
Frère, Manuel du bibliographe normand, Rouen, 1858-60, 2 vol.
Lavalley, Catalogue des ouvrages normands de la bibliothèque munici-
pale de Caen, Caen, 1911-12, 2 vol.
XX\ HIIII.IOMIAI'IIII .
La plupart des ouvrages indiquas ci-dessous ne contiennent que de
petits renseignements sur la taille.
i;.)i. i\. Butoir* i* lu ville du Havre et de son ancien gouvernement,
Le Ha>ro. M80-88, 9 vol.
L. Charles, De i administration d'une ancienne communauté d'habi-
tants du Maine, Le Mans, 1862.
L. Delisle, Etude sur la classe agricole et Vétat de l'agriculture en Nor-
mandie au mm en âge, Paris. 1851.
Id., Des revenus publics en Normandie au XIIIe siècle, dans la Biblio-
thèque dr riîmle des Charles, 1848-49.
P. Duchemin, Histoire de Bourg- Achard, Pont-Audemer, 1890.
Id., Histoire de Bourgthéroulde, ibid., 1888.
Id., Histoire de Saint-Etienne du liouvray, Rouen, 1892.
Id., Sotleville-lès-Rouen et le faubourg Sainl-Sever. Emendreville.
Rouen, 1893.
Id., Notice historique sur Flcury-la-Forêt, Gisors, 1893.
Id., et Saint-Denis, Notices historiques et statistiques sur les communes
dr l arrondissement de Berna?, Elbeuf, 1885-90,5 vol. in-16; — de l'arron-
dissement de Pont-Audemer, 1892; — des environs d' Elbeuf', Elbeuf,
1885-90, 8 vol. in-16.
Id. et Lebreton, Notice historique sur Illeville, Pont-Audemer, 1886.
Dumaine (abbé), Les sergenteries, dans le Bull, de la Soc. hirt... de
l'Orne, t. V (1886), p. 13.
Floquet, Histoire du parlement de Normandie, Rouen, 1840-49, 7 vol.
Hù. Le baillage seigneurial de Pontlevoy... I, L'impôt, Blois, 1884.
Hunger, Histoire de Verson, Caen, 1908.
Legrelle, La Normandie sous la monarchie absolue, Rouen, 1903.
Id., Notice historique sur Pont de l'Arche, Pont-de-1'Arche, 1900.
Le Prévost (A.), Anciennes divisions territoriales de la Normandie, dans
YAnnuaire historique pour 1838, p. 231 et suiv.
A. Martin, Histoire de la ville de Saint-Romain de Colbosc (Seine-Infé-
rieure), Fécamp, 1892.
Potiquet, Tableau général de l'élection de Chaumont et Magny,
Magny, 1881.
E. Semichon, Histoire, de la ville d'Aumale, Paris, 1862, 2 vol.
Sion, Les paysans de la Normandie orientale,... Etude géographique,
Paris, 1909.
Vitet, Histoire de Dieppe, Dieppe, 1844.
LISTE DES ABRÉVIATIONS
A. U. Archives départementales (du Calvados et de la Seine-
Inférieure).
A. Mun. Archives municipales.
A. N. Archives nationales.
B. Mun. Bibliothèque municipale.
B. N. fr. Bibliothèque nationale, Département des manuscrits,
fonds français.
C. d, T. Le nouveau Code des tailles (ci-dessus, p. xix).
Clairamb. Biblioth. nationale, manuscrits, fonds Clairambault.
Clém. Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiés
par P. Clément (ci-dessus, p. xxn).
Cinq-Cents Colb. Bibliothèque nationale, manuscrits, fonds des Cinq-
Cents Colbert.
Depping, Correspondance administrative sous le règne de LouisXIV,
publiée par Depping (ci-dessus, p. xxn).
M. C. Bibliothèque nationale, manuscrits, fonds des Mélanges
Colbert.
Mém. alphab. [Bellet-Verrier], Mémorial alphabétique des choses con-
cernant la justice... (ci-dessus, p. xxi).
Néron, Recueil dédits et ordonnances royaux, par Néron et
Girard, éd. 1720 (ci-dessus, p. xix).
Règlements Règlemens rendus sur le fait des tailles... de Normandie,
de Normandie, Rouen, 1710 (ci-dessus, p. xix).
Tous les ouvrages cités dans la bibliographie ou dans les notes sont de
format in-8°, sauf indication contraire.
Les textes cités sont donnés avec l'orthographe de la source à laquelle
ils sont puisés.
Tous les actes législatifs mentionnés dans ce travail se trouvent dans les
Règlemens rendus sur le fait des tailles... de Normandie, à leur ordre
chronologique, sauf indication contraire.
LA TAILLE EN NORMANDIE
AU TEMPS DE GOLBERT
(1661-1683)
CHAPITRE PREMIER
LE BREVET DE LA TAILLE
I. LE DROIT D IMPOSER. El. L ADMINISTRATION CENTRALE.
m. l'établissement du brevet
I. — LE DROIT D'IMPOSER
La taille était l'impôt que le roi levait sur certains de ses
sujets à raison de leur fortune ou de leur revenu1.
Impôt royal, la taille se distingue des levées faites par les
seigneurs sur leurs hommes ou par les communautés sur leurs
membres. Impôt levé sur les personnes, elle se distingue des
taxes sur les marchandises vendues ou transportées, comme la
gabelle, les aides, les traites, les droits sur le tabac, etc. Enfin,
impôt proportionnel à la fortune ou au revenu, elle diffère des
impôts sur les personnes, comme certaines formes de capita-
tion, les péages, le service militaire, etc.
Le nom de taille désigna à l'origine un impôt féodal : c'était
la redevance perçue par le seigneur sur ses hommes; le roi la
leva d'abord sur ses domaines propres en qualité de seigneur;
t. Cette définitioni est à peu près celle de tous les auteurs qui ont traité du
sujet; leur énumération formerait une liste démesurée. Je me borne à signaler
une définition singulière donnée par la Cour des aides de Paris dans un arrêt du
6 mai 1775 : « La taille, le plus ancien des impôts directs, est celui qui se lève sur
les roturiers non privilégiés dans les provinces qu'on appelle pays d'élections,
c'est-à-dire dans celles qui n'ont point, d'états provinciaux » (dans Auger, Mémoires
sur le droit public de la France, p. t;59). Il y a là une grosse erreur; la taille
existait également dans les pays d'états : la Normandie eut des états jusqu'en
1657 tout en payant sa part de taille; le Languedoc, la Provence, la Bourgogne,
furent dans le môme cas. 11 est curieux que le plus haut tribunal, celui qui jugeait
en dernier ressort les affaires relatives à la taille, n'ait pas su définir exactement
cet impôt.
LA TAILLE EN NORMANDIE. I
LA TAILLE BN NORMANDIE.
il ne l'étendit qu'ensuite à ses autres sujets. L'impôt royal s'ap-
pela d'abord aide, fouage ou subside; sans changer de carac-
tère, il prit plus tard le nom de taille, qui lui est resté.
L'origine des impôts royaux est une question extrêmement
complexe '. La taille en particulier doit sa naissance aux besoins
d'argent extraordinaires des rois pour la guerre. Elle ne fai-
sait pas partie primitivement des droits régaliens, et c'est sous
divers prétextes qu'elle lut d'abord levée, toujours à titre
exceptionnel et temporaire; au bout d'un long temps seule-
ment, par habitude, on en vint à la considérer comme un devoir
régulier des sujets envers le souverain. Tantôt les rois invo-
3uèrent, au début, le principe de l'aide féodale : tel fut le cas
e Philippe-Auguste partant pour la croisade; tantôt, suivant
la théorie des légistes, ils s'appuyèrent sur la loi romaine, qui
faisait du droit d'imposer un des attributs de la puissance sou-
veraine; tantôt enfin ils firent racheter l'exemption du service
militaire, qu'ils avaient le droit d'exiger de tous.
Mais en toutes circonstances, à l'origine, un principe était
unanimement admis, c'est que le souverain hors de son
domaine n'avait pas le droit de lever des impôts à sa volonté;
il ne pouvait, comme l'a reconnu Boulainvilliers, « exiger
aucune somme des vasseaux des seigneurs si eux-mêmes n'y
avoient consenti et n'en avoient fait l'imposition* »; il deman-
dait son consentement, soit à chacun individuellement, par des
négociations privées, soit en même temps à tous les seigneurs
d'une région, d'où sont nés les Etats provinciaux, soit à tous
les seigneurs du royaume réunis, et c'est l'origine des Etats
généraux. Pour obtenir ce consentement, il devait, en général,
justifier de besoins exceptionnels. Ainsi l'impôt, a ses débuts,
fut une mesure extraordinaire, justifiée par les circonstances.
Ces circonstances se multipliant, la taille devint permanente
en fait sans l'être jamais reconnue en droit. C'est un peu arbi-
trairement qu'on fixe à l'année 1439 le début de l'impôt per-
manent.
De cette origine, il est resté plusieurs traces au xvne siècle,
dans le langage et dans les formes de l'imposition : la taille
continue à être communément qualifiée par les théoriciens
1. Sur cette question, qui dépasse le cadre de cette étude, voir, outre les
ouvrages généraux indiqués dans la bibliographie, les introductions de Pastoret
aux t. XV et XVI du Recueil de» ordonnances des rois de France; Viollet, llist. des
institutions de la France, t. III, p. 442 (avec bibliographie); Borrelli de Serres,
Recherches sut quelques services publics, 1895-1904; Vuitry, Etudes sur le régime
financier delà France, Paris, 18/8-1883; Jncqueton, Documents relatifs à l'admi-
nistration financière en France, Z443-/523, Paris, 1891 ; Flammermont, De concessu
legis et auxilii XIII" saeculo, Paris, 1883. — L'ordonnance de 1270 publiée en tête
du Code des failles a été souvent prise par les historiens anciens pour l'acte
d'établissement de la taille royale; en réalité, elle concerne uniquement la levée
de la taille dans le domaine du roi.
2. Etat de la France, éd. 1717, t. III, p. 490, Cf. Ord. des rois de Fr., I, 371.
LE DROIT D IMPOSER. 3
d'impôt extraordinaire, le nom de « revenus ordinaires » étant
réservé pour les produits du domaine. Le roi lui-même, dans
certains actes, fait cette distinction ; ainsi l'Ordonnance civile
d'août 1669 qualifie les officiers des élections de « juges extra-
ordinaires », et le commentateur Bornier explique ainsi cette
expression : « Les tailles, aydes, gabelles et autres impositions
sont matières extraordinaires dont connoissent les officiers des
élections, des greniers à sel et des autres jurisdictions extra-
ordinaires créées a l'effet d'entretenir ces nouveautez qui leur
ont donné ce nom»1. Théoriquement, la Chambre des comptes
ne connait que des revenus ordinaires, et la Cour des aides que
des revenus extraordinaires. Il n'est pas besoin d'un acte légis-
latif pour lever les droits domaniaux, tandis qu'une ordonnance
est nécessaire pour les autres impôts; c'est ainsi que, pour la
taille, le roi est obligé d'expédier chaque année des « com-
missions » en forme.
Si le consentement de l'impôt était un principe de droit public
pour l'ensemble du royaume 2, il était tout particulièrement néces-
saire en Normandie. La Charte aux Normands , de mars 1315,
en son art. 7, consacrait en effet le privilège de la province de
ne payer des impôts que dans les circonstances extraordinaires3;
en conséquence la levée de subsides ne pouvait y être faite
qu'avec l'assentiment des intéressés : d'où la convocation des
Etats. Chaque « aide » accordée était un « don » fait pour une
fois seulement, « de pure amour et grâce », sans obliger les
contribuables pour l'avenir. Il arrivait que ce don fut refusé;
ainsi en avril 1351, les députés des villes, considérant que la
province a le privilège de ne « faire aide ou subside aucun »,
n'accordèrent pas l'impôt qui leur était demandé. En avril 1458,
le roi Charles VII après avoir repris la province aux Anglais,
1. Conférence des ordonnances de Louis XIV..., édit. 1755, t. I, p. 447. Pendant
tout le xvme siècle cette distinction sera conservée (voir Auger, Principes du droit
public, p. 147; Gaultier de Biauzat, Doléances sur les surcharges... du peuple, 1788,
p. 45 et suiv. etc.). Mais dès le milieu du xvii* siècle, de nombreux auteurs font
observer que la distinction est désuète : ainsi, le géographe Davity, dans sa
Description de la France, 1626 (éd. 1660, t. II, p. 30); l'Etat de la France dès sa
première édition ; un traité sur la Chambre des comptes, contemporain de Colbert
(Bibl. Sainte Geneviève, ms. 412, f° 121), etc.
2. La doctrine est formulée avec netteté aux Etats de 1484, où les députés du
tiers déclarent que les tailles ne peuvent être levées sans le consentement du
peuple et que, « ayant été instituées à cause de la guerre, [elles] devraient être
supprimées, cette cause cessant ». Elles sont un impôt « extraordinaire » et
« inique », et c'est à tort que les gens du roi « s'appliquent à ce que les tailles,
de même que le reste des impôts, et tel qu'une redevance royale, se maintiennent
toujours et enfin s'immortalisent » (Journal de Jean Masselin, publ. par Baudry,
trad. française, p. 414 et 418 ; cf. le cahier d î commun des états, p. 679). Les Etats
du xvi" siècle et encore ceux de 1614, formulèrent toujours la même théorie, celle
du reste qui sera reprise en 1789.
3. « Dores en avant, par nous ou par nos successeurs en ladicte duchié es per-
sonnes ou es biens outre rentes, chevels et services deus à nous, tailles ou sub-
vencions ou exactions quelsconques faire ne puissions ne ne doions, se prouffit
évident ou nécessité grant ne le requiert ». Ordonnances des rois de France, t. I,
p. 552; cf. Goville, Les Etats de Normandie, Paris, 1894, p. 38.
k LA TÀ1LI.I I I \o i:\l.VNDIE.
lui avait renouvelé ses privilèges, s'engageanl notamment à ne
lever l'impôt que du consentement de ses trois états*.
h.s [a lin dn xiv" siècle, les rois l'appliquèrent à détruire cette
indépendance locale, et ils y réunirent* » plusieurs reprises;
ii partir du milieu du xvie siècle surtout, ils arrivèrent, au moyen
de subterfuges et de ménagements, à lever régulièrement la
taille en Normandie sans le consentement des Etats.
Le procédé le plus ordinaire lut de ne réunir l'assemblée
qu'après avoir donné l'ordre de lever l'impôt3. Ainsi, toute
réclamation devenait inutile : le roi se bornait à répondre que,
les commissions des tailles étant déjà expédiées, il ne pouvait
« pour cette année » examiner les doléances des députés. Vai-
nement les Etats protestèrent contre ces convocations tardives4.
Un autre subterfuge consista à créer des impôts nouveaux, en
tons points semblables h la taille, au lieu d'augmenter celle-ci :
tel lut le cas pour la crue des garnisons, le taillon, la solde des
maréchaussées; malgré les protestations des Etats, ces impôts
furent levés « au sol la livre » de la taille, sans aucun consen-
tement15.
Peu à peu l'assentiment des contribuables cessa de paraître
une condition indispensable à la levée de l'impôt, et le roi put
sans inconvénient supprimer la régularité des assemblées. A
partir de 1632 surtout, les réunions s'espacent; on voit passer
deux et trois ans sans convocation : de 1632 à 1657, en
vingt-six ans, il n'y en a que cinq6. A partir de 1657, le roi
1. « Niai per convontionem et congregationem gentium trium statuum dicti
ducatus, sicut factum fuit et consuetum temporeretrolapso. » Cf. de Beaurepaire,
Cahiers des étals... récites de Louis A /// et de Louis XII', 1. 11 1, introduction et p. 130.
2. Voir Coville, Les Etats de Normandie... p. 187.
3. C'est ainsi que, dès le xvi" siècle, on prit l'habitude de fixer la taille de la
Normandie avec celle des autres pays d'élections, alors que la Bourgogne, le
Languedoc, la Provence, le Daupluné, recevaient des commissions séparées.
4. Cf. sur ce point et sur tout ce qui suit les cahiers des états depuis le règne
de Charles IX jusqu'à 1657, publiés par De Beaurepaire dans la Collection de la
société de l'histoire de Normandie, et l'introduction du dernier volume de ces
cahiers. Voir notamment les réclamations des Etats de novembre 1581, de
décembre l.V.tf», et de décembre 1616. Ce n'est guère que pendant la minorité de
Louis XIII, avec un gouvernement très faible, que les Etats obtinrent satisfaction
sur ce point. Mais il arrivait très souvent que l'assemblée fût convoquée en jan-
vier et en février de l'année suivante. Même lorsque les Etats invoquent une
famine, comme en décembre 1623, pour obtenir un dégrèvement d'impôts, il ne
leur est rien accordé. Cf. les plaintes du président Labatre sur l'inutilité des
remontrances des Etats : Formulaire, p. 79. Le roi laisse souvent s'écouler un
délai considérable avant de répondre aux cahiers; par exemple, le cahier de
décembre 1«>34 n'a de réponse qu'en avril 1638.
5. Cf. déjà les plaintes faites aux Etats généraux de 1484 (Journal de Masselin,
p. 480-481) et aux divers Etats de Normandie au xvi* siècle, par exemple ceux de
novembre 1581 (Cahiers, règne </<• Henri III, p. 140). A peu près aucune réunion
n'a lieu au xvu« siècle sans que cette protestation s'y rencontre. Le roi répond
par exemple en 1634 qu'il « n'ordonne aucune levée de deniers qu'avec bonne
cognoissance, et Sadite Majesté les emploie utilement, pour le bien de tout son
Estât ».
6. En 1634, 1638, 1643, 1655, et 1657. La réunion de 1655 avait été datée par
erreur de 1658 dans le t. III des Cahier» des états, règnes de Louis XIII et de
Louis XIV, mais dans l'Appendice à ce volume, M. de Beaurepaire a corrigé cette
LE DROIT D IMPOSER. 5
s'abstient complètement de réunir les Etats, mais aucun acte ne
les déclare supprimés. Longtemps après 1657, on trouve trace de
leur survivance ; les fonctionnaires permanents qui agissaient au
nom de l'assemblée dans l'intervalle des sessions (commissaires,
procureur-syndic, trésorier, huissiers) sont conservés,et reçoivent
leurs appointements; jusqu'en 1664, on lève en Normandie la
« crue des Etats » à cet effet1; jusqu'en 1666, le roi s'excuse
chaque année dans les commissions des tailles de n'avoir pas
fait assembler les Etats, parce qu'il a voulu, déclare-t-il, donner
de bonne heure « les ordres nécessaires pour les impositions
de ladite année prochaine, afin que, les choses se faisant plus
à loisir, avec cognoissance, l'égalité soit mieux gardée que par
le passé ». Dans des lettres-patentes du 17 novembre 1662, il
va jusqu'à se déclarer résolu à n' « apporter aucun changement
aux affaires du pays et à l'ordre qui a esté de tout temps gardé »
relativement aux Etats 2.
Ces innovations ne furent pas sans provoquer les protesta-
tions des Etats. Ceux de novembre 1643 disaient au roi :
« Vostre peuple n'est pas criminel, et la taille qu'il doibt n'est pas un
interest de satisfaction pour faute qu'il est faite... C'est une capitation,
qui, du commencement volontairement consentie pour fournir aux
erreur et donné un cahier plus complet. Les Etats de février 1638 se plaignent
des « impositions faites d'autorité, comme en pais privez de la liberté desdits
estats », l'assemblée n'ayant pas été convoquée depuis trois ans. A quoi le roi
répond : « Il en sera usé à l'advenir comme par le passé » (Cahiers, règne de
Louis XIII, t. III, p. 38), réponse cruellement ironique, car cette l'ois le roi
attendit cinq ans pour les réunir à nouveau.
1. Cf. les lettres-patentes du 17 novembre 1662 pour la levée de la crue : il y
est dit qu'elle est destinée « au paiement des taxations des commissaires desdits
estats, attendu qu'ils s'estoient tenus prêts de se trouver en l'assemblée desdits
estats comme s'ils eussent tenu » (Mémoriaux de la chambre des comptes de
Rouen, A. D. Seine-Inférieure, 1663, f° 41). Ces personnages feignent d'exercer
leurs fonctions comme si elles avaient encore quelque raison d'être; par exemple
le 19 mars 1664, le procureur-syndic, nommé Aveline, vient déclarer au Bureau
des finances de Rouen qu'il est obligé de s'absenter, se rendant à Paris « pour
les affaires desdits estats » (A. D. S. Inf. G, 1166, f° 64). Le 24 octobre 1661, le
même Bureau enregistre les lettres de commission de la charge d'huissier des
Etats appartenant à Pierre Viard, qui succède à feu Pierre Leleu « en attendant
la première tenue desdits estats » (Ibid. G, 1164, f° 186). C'est seulement en
décembre 1666 que fut remboursée la charge de procureur-syndic (De Beaure-
paire, Cahiers,... règne de Louis XIV, t. III, p. 414).
2. Lettres patentes ordonnant la levée de la crue des Etats (A. D. S. Inf.
Mémoriaux de la Chambre des comptes, 1663, f° 48). Dans son mémoire sur l'état
de la généralité de Rouen en 1665, l'intendant Voysin décrit le fonctionnement
des Etats delà province, comme s'ils se réunissaientencore régulièrement (P. 11-12.).
La même année, l'avocat de Gomont, dans son mémoire à Golbert sur la réfor-
mation de la justice, cite la Normandie parmi les pays d'états, ajoutant toutefois
qu' « il n'y en a plus qu'une ombre » (B. N. Clairamb. 613, f° 171). Voir aussi
Mélanges de la Soc. Hist. Norm., t. V, p. 154-158, une lettre de Médavy à Mazarin.
C'est vers le même temps que le roi détruisait le** Etats de Dauphiné, par les
mêmes procédés. L'opération est bien expliquée par l'intendant Saron-Champigny
dans un mémoire du 15 mai 1665 : lorsque, dit-il, le roi a établi des élections en
Dauphiné (en mars 1628) il n'a « en façon quelconque parlé de suppression des
estats, et... s'est contenté de changer la forme des impositions, en sorte que,
s'estant auparavant approprié les gabelles et en ayant faict une ferme, il ne
6 LA TAILLE EN NORMANDIE.
despenses des guerres nécessaires, et, par l'utilité de son usage et
facilité des subjets, tournée dans la nécessité de vous la payer tous les
ans, encor que parmy nous elle retienne tousjours son premier nom
d'octroy, et que, pour ce sujet, en toutes les provinces lesquelles ont
retenu la liberté des estais, elle n'est demandée que par la commission
de leur convocation, dont elle est le sujet principal1. »
Et ceux de février 1655 :
« Si le sujet de nos assemblées est la communication des volontés de
V. M. sur les levées qu'Elle demande pour l'année suivante (ce qui
montre que toute autre imposition que celle qui est envoyée par la
commission de la tenue de nos cstats est illégitime, ladite commission
portant tousjours une clause de stille ordinaire : Défenses aux Tréso-
riers de France, Eleus et tous autres, à peine de la vie, d'imposer autre
ny plus grande somme que celle qui y est employée), nous avons bien
sujet de plainte d'un abus qui s'est introduit depuis notre dernière
assemblée, d'ordonner des levées par simples arrests du conseil*... »
Mais ces manifestations demeuraient sans résultats : c'est à
peine si le roi daignait y répondre, et les Etats n'avaient aucun
moyen d'empêcher la levée.
À maintes reprises, en dehors des Etats, les Normands reven-
diquèrent leurs privilèges. En 1620, dans son Formulaire des
esleuz, le président La Barre ne manque pas de soutenir qu'en
la province « ne se peuvent faire levées de deniers sans grande
ceremonye et convention des trois ordres qui y ont interest à
donner leur consentement; autrement les levées seroient exac-
tion et substraction de l'autruy, tenues à restitution a (p. 77).
En 1650, un trésorier général de Rouen est député par ses col-
lègues à Paris pour protester contre la forme des impositions,
et remontrer « que nous sommes en pays d'Estats, et que l'an-
cien usage n'a esté perverty que depuis 1643 ou 44 que le sieur
de Miromesnil a esté intendant en nostre generalhté* ». Les
mazarinades normandes, comme celles de Paris, soutiennent
fréquemment que tout impôt doit être consenti par les sujets,
que le roi est comptable envers ses peuples, que les Etats de
la province n'ont jamais renoncé à leur droit... En 1658, la
noblesse normande insurgée se plaint, entre autres choses,
que les Etats de la province, qui se doivent réunir tous les ans,
ne « s'étaient tenus qu'une fois depuis un fort longtemps, et
restait plas aucune affaire qui peust donner occasion d'assembler les estats;
ainsy sans estre suprimés par aucun édict et déclaration ils l'ont esté en effect;
les commis du pays qui ayoyent soing des affaires générales n'ont pas laissé de
rester et de s'assembler, mais comme leur pouvoir n'estoit que a'exécuter les
résolutions des estats, ne s'en tenant plus, ilz restent sans fonction » (M. C.
129»", f> 440). V
t. De Beaurepaire, Cahiers... règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 109.
2. Ibui. p. 130, 131.
3. Lettre du sieur de Ridel, trésorier de France à Rouen, à ses collègues du
Bureau, G juillet 1650, A. D. S. Inf., C, 2346.
LE DROIT D IMPOSER. 7
encore n'avait-on pas voulu voir leurs cahiers et faire raison
sur leurs plaintes1 ».
Ces protestations se faisaient facilement jour à la faveur
de la faiblesse du gouvernement, mais elles n'étaient pas bien
appuyées. Les Etats comme les corps, trésoriers généraux, Par-
lements, Cours des aides, Chambres des comptes, ne pouvaient
rien; la noblesse vaincue était aussi impuissante. Le roi put
mettre la Normandie au rang des autres pays d'élections 2 sans
que personne, après 1661, osât faire entendre une plainte. C'est
seulement à la fin du xvme siècle qu'on recherchera les anciens
privilèges de la province, pour en demander le rétablissement3.
Différentes théories étaient invoquées au xvne siècle pour
légitimer les impôts. Nous les trouvons exposées dans les écrits
des gouvernants ou des publicistes de leur entourage.
La plus simple est celle de Richelieu. Elle justifie l'impôt par
la nécessité de maintenir les sujets dans l'obéissance :
« La raison, dit-il, ne permet pas de les exempter [les sujets] de
toutes charges, parce qu'en perdant en tel cas la marque de leur sujé-
tion, ils perdroient aussi la mémoire de leur condition, et que s'ils
estpient libres de tribut, ils penseroient l'estre de l'obéissance ; il faut
les comparer au mulet qui, estant accoutumé à la charge, se gaste
par un long repos plus que par le travail *, » e, n i^V^o ^
D'autres invoquent la raison d'Etat ff le prince, chargé de
gouverner et d'assurer la prospérité publique, demande à ses
sujets l'argent nécessaire. C'est ce qu'explique Domat :
« La nécessité des deniers publics pour faire subsister l'Etat en
paix et en guerre demande les contributions d'où ces deniers doivent
se tirer. Ainsi le bien commun rend juste l'imposition et la levée des
tributs que les besoins de l'Etat rendent nécessaires 5. »
Un Traité des tailles écrit vers 1690 nous dit :
Les tailles « servent à nos roys pour deffendre le royaume et les
peuples que Dieu leur a commis, pour punir les rebelles et récom-
penser les fidelles. Les tailles sont pour ainsi dire les nerfs de la
1. Legrelle, Les assemblées de la noblesse de Normandie en 1658-59, dans les
Mélanges de la Société d'Histoire de Normandie, 1892.
I 2. C'est seulement à partir du moment où les Etats de Normandie et ceux de
l Dauphiné furent supprimés que l'on put identifier les pays d'élections avec la
région où le roi levait les impôts de sa seule autorité. Auparavant, cette assi-
milation était inexacte, puisque les deux provinces, quoique pourvues d'élections,
possédaient des états particuliers.
3. Voir les documents réunis aux t. V et VI de Hippeau, Le gouvernement de
Normandie... et la brochure de D. Lenoir, La Normandie, pays d'états, 1789.
4. Testament politique, t. I, p. 225. Il ajoute que les impôts doivent être modérés,
pour ne pas accabler les contribuables.
5. Les loix civiles dans leur ordre naturel..., éd. 1756, t. II, p. 27. Cf. au
contraire une lettre de Le Camus sur un libelle paru en 1665, M. C. 130b", f° 1083.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
monarchie, les sûretés et le maintien de la guerre, et les ornements
de la paix; donc elles sont justes suivant l'équité naturelle, puisqu'elles
s'emploient pour la conservation générale de tous les sujets de ce
royaume; ce sont d'ailleurs des devoirs que les bons sujets doivent
rendre volontairement et sans contrainte ' ».
Le chanoine Claude Joly, à qui son érudition juridique don-
nait en son temps de l'autorité, déclare :
« Les impôts sont non seulement innocens, mais aussi nécessaires.
Je dis plus, c'est que la contribution est obligatoire et qu'elle doit se
faire en conscience par ceux qui peuvent y satisfaire... La raison en
est que quand l'impôt estestabli comme il doitl'estre, selon les formes
et les lois approuvées, il appartient à la république * ».
Bossuet dira plus brièvement : « La raison fait voir que tout
l'Etat doit contribuer aux nécessités publiques auxquelles le
prince doit pourvoir3. »
A ces arguments, les jurisconsultes et les théologiens ajoutent
l'autorité du droit romain et celle de l'Ecriture sainte. « L'on a
tenu pour maxime, dit Lebret, qu'il n'y a qu'eux [les rois] qui
aient le pouvoir dans leur royaume de lever des impositions sur
les peuples de leur obéissance. En quoi nous avons imité la loi
romaine, qui dit en termes exprès... » et il cite le Digeste et
Tacite; pour lui, le roi de France a hérité des droits que possé-
dait l'empereur*. Les théologiens, comme Bellarmin, et encore
Bossuet, invoquent le passage de Saint Paul : Reddite Caesari
Suae sunt Cnesaris : « Rendez donc à chacun ce que vous lui
evez, le tribut à qui est dû le tribut, la taille à qui elle est due,
la crainte à qui est due la crainte5. »
Tous s'accordent sur la nécessité de modérer les impôts et de
ne pas accabler les sujets; mais leur raison principale est la
crainte : « Qui presse trop la mamelle, dit Bossuet, pour en tirer
du lait en l'échauffant et la tourmentant, tire du beurre. Qui
presse trop les hommes, excite des révoltes et des séditions6 ».
A côté de ces théories, anciennes et souvent reprises, nous
en trouvons une autre qui ne fut guère en faveur qu'au temps
de Louis XIV. Elle fait du roi le seul propriétaire de tous
1. B. N. fr. 14 089, f° 6. Cf. encore le Dictionnaire des cas de conscience, de
Pontns : « On ne peut douter de la justice de ce tribut, car, puisque l'Etat forme
un corps dont chaque particulier est membre, il est nécessaire, afin que ce corps
subsiste, que chacun contribue selon son pouvoir à sa conservation... » (Art.
Taille).
2. Traite des restitutions des grands, Paris 1665, p. 53. Sur l'importance de
Claude Joly, voir Lacour-Gayet, l'Education politique de Louis XIV, p. 79 et suiv.
3. l'olitique tirée de l'Ecriture sainte, VI, II, § 3.
4. De la souveraineté du roy, liv. III, ch. vu. Œuvres, éd. 1689, p. 109. — Cf.
également d'Espeisses, au début de son Traité des Tailles, dans ses Œuvres,
éd. 1750, t. III, p. 246.
6. Politique tirée de PEcriture sainte, VI, il, 3.
6. Ibid., X, i, 7. '
LE DROIT D IMPOSER. 9
les biens de son royaume; tout ce que les sujets prétendent
posséder est en réalité à lui, il ne leur en laisse que la jouis-
sance ; quand il réclame l'impôt, il ne fait que prendre une partie
de son bien; le sujet n'a pas plus le droit de le lui refuser
qu'un fermier ne peut refuser le fermage à son propriétaire.
Cette doctrine est à la vérité ancienne ; Gerson l'expose et
la réfute1; on la trouve dans l'entourage du roi Charles VII
vers le temps où la taille devint permanente; aux Etats de 1468,
Juvénal des Ursins prit la peine de la combattre2; aux Etats
de 1484, les gens du roi la reprennent, en faisant toutefois
quelques réserves sur son application 3. Bodin la discute dans
sa République 4 ; l'avocat Grimaudet la réfute également5; Lebret
fait un chapitre spécial de son Traité de la souveraineté sur la
question de savoir « en quels cas le prince souverain peut dis-
poser des biens des particuliers contre leur gré6 ». En Angle-
terre, Hobbes en fait un exposé complet, et les traductions de
Sorbières font connaître son œuvre aux Français 7.
Mais elle prend une importance particulière au temps de
Louis XIV parce qu'elle fut adoptée par le roi lui-même, et
nous devons spécialement nous y arrêter. Vers 1642, un petit
traité anonyme destiné à l'éducation du jeune roi et dédié à
la reine sa mère, déclarait : a Nos vies et nos biens sont du
roi... qui nous en souffre par sa clémence l'usufruit8 ». Le con-
fesseur d'Anne d'Autriche, le P. Faure, dans un libelle écrit en
1652 avec l'approbation du gouvernement, demandait encore :
« Les lois ne permettent-elles pas aux rois de faire ce que bon
leur semble?... Voulez-vous soutenir que nos biens, notre sang,
ït même nos vies, ne soient sous l'absolu pouvoir du roi? » Et
1. Contra adulatores Principum, tŒuvres, éd. Dupin, t. IV, p. 622.
2. Discours de Juvénal des Ursins au roi, cité dans Péchenard, Jean Juvénal des
Ursins (1876) p. 376 : « Quelque chose qu'aucuns disent de vostre puissance
ordinaire, vous ne pouvez pas prendre le mien: ce qui est mien n'est point
vostre... Vous avez vostre domaine, et chacun particulier le sien. »
3. Journal de J. Masselin, p. 420.
4. Liv. I, ch. vin, éd. 1578, p. 114. Cf. Du Ghalard, Ilemarques sur l'article 111
de l'ordonnance de 1560, dans Néron, t. I, p. 415.
5. Opuscule VII, dans ses Œuvres, éd. 1623, p. 521.
6. « Quelques anciens, par une honteuse et servile flatterie, ont mis en avant
que les sujets ne possédoient leurs biens qu'à titre de précaire et d'usufruit, et que
la propriété en appartenoit au prince par droit de souveraineté... Les rois, encore
qu ils aient une puissance absolue sur leurs sujets, toutes fois il ne leur est pas
Î>ermis d'occuper injustement le bien d'autrui ni de chasser les propriétaires de
eurs héritages » (Œuvres, éd. 16S9, p. C0). Lebret renvoie ù différents textes
sacrés. Cf. Boehmer, Introduclio in jus publicum, p. 250, qui distingue les Etats
despotiques par le fait que le prince y est propriétaire de tous les biens de ses
sujets. Voir aussi Loyseau, Traité des seigneuries, ch. m, 7, et Dumoulin, Com-
mentaire de la coutume de Paris, tit. Ier (Des fiefs) et Bodin, De la république,
liv. I, ch. vin.
7. Cf. notamment Essais de morale et de politique, 2e partie, ch. xxi « Que le
prince a tout droit sur le bien de ses sujets, c'est-à-dire qu'il en est le maître ».
8. Maximes d'éducation et de direction puérile, Paris s. d. Voir l'indication
d'autres ouvrages soutenant ou combattant cette doctrine et destinés également
à l'éducation du roi, dans Lacour-Gayet, Y Education politique de Louis XIV,
liv. II, chap. vin.
10 LA TAILLK IN NoitMANDIE.
sa réponse, appuyée sur des textes de l'Ecriture sainte, était
affirmative l. Une mazarinade, le Catéchisme des partisans, sou-
tient au contraire la négative en termes violents : « Ce sont
maximes impies, damnables et abominables... qui n'ont esté
inventées que depuis quelques années par des sangsues popu-
laires, par des hommes de gourmandise, de luxure et d'avarice,
pour servir de prétexte aux vols et aux violences qu'ils ont faites
à l'oppression de tout le monde, qui sont cause des troubles et
des mouvemens que nous voyons2. » La Mothe Le Vayer exprime
les mêmes sentiments dans sa Politique du prince 3, et Claude
Joly dans son Recueil de maximes attaque violemment « l'audace
et l'extravagance » des courtisans qui déclarent les rois maîtres
des biens de leurs sujets 4.
La théorie fut sans doute inculquée de bonne heure au jeune
roi; en tout cas, devenu grand, il la fit sienne et voulut l'ensei-
gner à son fils. Dans ses Mémoires pour l'instruction du Dau-
phin, on lit en effet :
« Les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposi-
tion pleine et libre de tous les biens qui sont possédés aussi bien par
les gens d'Eglise que par les séculiers... Les deniers qui sont dans
leur cassette [des souverains], ceux qui demeurent entre les mains de
leurs trésoriers, et ceux qu'ils laissent dans le commerce de leurs
peuples, doivent être par eux également ménagés s. »
Louis XIV, confirmé dans ses convictions par son entourage,
ne changea pas d'avis jusqu'à la fin : en 1710, il fit la con-
fidence suivante à Maréchal, qui la rapporta à Saint-Simon :
1. Réponte du P. Faure... sur la harangue faite à la reine par un R. P. char-
treux, Paris, 165:!, cilé par Lacour-Gayet, Y Education politique de Loui* XIV,
p. 429.
2. Catéchisme des partisans, pnr le P. Pierre de Saint-Joseph, feuillant, daté du
19 février 1649, dans Moreau, Choir de Mazatinades, t. 1, p. 279. — Voir encore
la Lettre d'Advis à Messieurs du parlement, ibid. p. 387, 390; le Politique uni-
versel, quest. Il, p. 15 : « Nul n'a pouvoir de nous oster ce qu'il ne nous a pas
donné ». — Cf. bée, Les Idées politiques à Cépoque de la Fronde, dans la Kevue
d'histoire moderne et contemporaine, 1897.
3. La politique du prince, Paris 1655 : « La puissance des rois a encore besoin
d'estre expliquée à l'égard de ce qu'on leur fait parfois entendre indiscrètement et
sans restriction qu'ils sont muitres de la vie et des biens de leurs sujets ■.
. 4. Recueil de maximes véritables et importantes pour l'institution du roi, Paris
1652, ch. xi. Sa conclusion est a que les rois n'ont pas le droit de mettre des
impôts sur leurs peuples sans leur consentement ». Cf. son Traité des restitu-
tions des grands, Paris 1665, ch. ni.
5. Mémoires de Louis XIV pour l'instruction du Dauphin, éd. Dreyss, t. H,
F. 230, et t. I, p. 250. On pourrait objecter que ces phrases représentent plutôt
opinion des rédacteurs des Mémoires que celle du roi lui-même, puisque la matière
des Mémoires fut fournie en grande partie par les ministres, et la rédaction faite
par des secrétaires, comme Périgny ; mais une note de Périgny lui-même détruit
celte allégation : à la date du 20 février 1666, il écrit : « Réflexion que S. M. m'a
suggérée qu'un roi ne doit pas avoir plus de soin de ce qu'il pourrait posséder
•ous son nom que de tout le reste de ce qui se trouve dans ses Etats « (Dreyss,
t. I, p. 22). Nous avons ainsi la certitude que le fond de l'idée appartient bien
au roi. Du reste la rédaction définitive fut relue et approuvée par Louis XIV
(Cf. l'introduction de Dreyss).
LE DROIT D IMPOSER. il
« Je suis à bout de ressources et je vois que j'opprime et que je
ruine mes peuples... J'en ai parlé à mon confesseur, qui m'a dit que
tous les biens de mes sujets m'appartenoient et que ce qu'il leur'res-
toit dependoit de moi et qu'ils ne le tenoient que de moi. Je vous avoue
que je ne l'ai pu croire, et mon confesseur, voyant qu'il ne pouvoit
me rassurer, m'a proposé de le faire consulter en Sorbonne. J'en ai
été bien aise, et il m'a rapporté la consultation conforme à son avis
signée de douze docteurs, tous des meilleurs. Je vous avoue que cela
m'a ôté un poids qui m'accabloit. Maintenant, je serai fâché de faire
de la peine par les impôts, mais puisqu'il n'y a plus de scrupule et
que tout est à moi, cela m'est bien différent1. »
Il semble bien que l'opinion du roi ait été commune à la Cour.
Suivant un nouvelliste qui paraît bien renseigné, le duc de
Berry aurait répondu en novembre 1710 à une dame qui se plai-
gnait de l'établissement du dixième « qu'il n'y avoit que de
mauvais sujets qui pussent y trouver à redire, et que le roi pou-
voit prendre encore davantage, puisque tout lui appartient2 ».
On sait la phrase de La Bruyère : « Dire qu'un prince... est
maître absolu de tous les biens de ses sujets, sans égard, sans
compte ni distinction, c'est le langage de la flatterie, c'est l'opi-
nion d'un favori qui se dédira à l'agonie 3 ». Bossuet avait la
même pensée lorsque, dans sa Politique tirée de l'Ecriture
sainte, il racontait l'histoire d'Achab prenant la vigne de
Naboth et concluait : « Le crime que Dieu punit avec tant de
rigueur, c'est dans Achab et dans Jézabel la volonté dépravée
de disposer à leur gré, indépendamment de la loi de Dieu, qui
était aussi celle du royaume, des biens, de l'honneur, de la vie
d'un sujet*. »
L'opinion fut également attribuée aux deux ministres Lou-
vois et Colbert : Sandras de Courtils, dans son Testament poli-
tique du marquis de Louvois, fait dire par Louvois au roi :
« Il est vrai que tous vos sujets quels qu'ils soient vous doivent
leur personne, leurs biens, leur sang sans avoir le droit d'en rien
1. Saint-Simon. Additions au journal de Dangeau, publ. par de Boislisle, en
appendice aux Mémoires, t. XX, p. 370. Cf. les Mémoires eux-mêmes, t. XX,
p. 169-170. Maréchal était l'ami intime de Saint-Simon et le renseignait sur ce
qui se passait à la Cour. Le récit de Saint-Simon a été contesté par le P. Bliard
dans Les Mémoires de Saint-Simon et le P. Le Tellier, p. 371-377. Mais comme l'a
remarqué de Boislisle, (op. cit. p. 169), le P. Bliard n'apporte aucun argument
décisif. Il faut observer toutefois que le récit de Saint-Simon concorde mal avec
le passage des Mémoires cité plus haut. Il est possible que le dialogue n'ait pas
été rapporté de façon très fidèle et que Louis XIV ait été plus disposé que ne le
dit Saint-Simon à admettre son droit de propriétaire universel.
2. Nouvelles à la main de nov. 1710, B. N. Nouv. acq. fr. 4037 f° 11.
3. Caractères, éd. Servois, t. I, p. 384-5. Les commentateurs admettent qu'ici
La Bruyère fait allusion à Colbert (Cf. notamment Ed. Fournier, La comédie de
La Bruyère, p. 101), mais leurs arguments sont insuffisants. Cf. ci-dessous,
p. 12.
4. Politique tirée de l'Ecriture sainte, liv. VIII, n, § 3 et 4.
12 LA TAILLE EN NOltMANDIE.
prétendre. En vous sacrifiant tout ce qu'ils ont, ils font leur devoir
et ne vous donnent rien, puisque tout est à vous '. »
Mais dans cet ouvrage, Sandras fait œuvre de polémiste : il
veut rendre Louvois odieux; il irivente des faits, déforme la
réalité; nous n'avons aucun indice qui confirme son assertion.
Un autre pamphlet analogue prête à Colbert la même théorie;
ce sont les Soupirs de la France esclave : dans son deuxième
mémoire, daté du 15 septembre 1689, l'auteur — que nous ne
connaissons pas — affirme que Colbert voulait, par une ordon-
nance, déclarer le roi « propriétaire de tous les fonds et de
toutes les terres de France » ; à cet effet il aurait demandé au
voyageur Bernier un mémoire sur la façon dont les despotes
mahométans, dans l'Inde, administraient leurs Etats dont ils se
déclaraient entièrement propriétaires, et c'est en réponse que
Bernier aurait écrit sa Lettre à Monseigneur Colbert, publiée à
la suite de ses Voyages2. Cette lettre, qui est bien authentique,
est un réquisitoire en règle contre la théorie du roi proprié-
taire universel3. Il est très probable qu'effectivement Colbert
l'avait sollicitée de Bernier, avec qui il était en relations par
l'intermédiaire de Chapelain. Mais on n'en peut pas conclure
que Colbert ait été lui-même partisan d'un tel régime. Dans
les neuf volumes de sa correspondance, on ne trouve pas un
mot qui confirme l'assertion des Soupirs, et les Soupirs à eux
seuls ne sont pas probants : c'est une violente critique du gou-
vernement de Louis XIV, des ministres, et particulièrement de
Colbert. Toutefois un des auxiliaires du ministre, Le Vayer de
Boutigny, qu'il fit nommer intendant de Soissons, et qui tra-
vailla à l'Ordonnance de la marine, fut chargé de rédiger, en 1682,
un traité De l'autorité du roi en matière de régale pour soutenir
la thèse du gouvernement dans le débat : or dans cet ouvrage, la
théorie est exposée tout au long : elle constitue le principal argu-
ment de l'auteur pour établir que le roi a le droit de régale dans
tous les évêchés du royaume. Divers autres mémoires manus-
crits sur le droit de régale, conservés dans les papiers de Col-
bert, contiennent le même développement4. Les seuls adver-
1. Testament politique du marquis de Louvois, Bruxelles 1695, in-12, p. 81.
2. Les Soupirs de lu France esclave, éd. originale, 2* mémoire, p. 4.
3. La lettre, qui n'est pas datée, est rééditée dans les Voyages de Bernier,
Paris, 1830, t. I, p. 273 et suiv. Bernier dit notamment : « A Dieu ne plaise que
nos monarques d'Europe fussent ainsi propriétaires de toutes les terres que
possèdent leurs sujets. Il s'en faudrait bien que les royaumes fussent dans l'état
qu'ils sont, si bien cultivés et si peuplés, si bien bâtis, si riches, si polis et si
florissants qu'on les voit. Nos rois... se trouveroient bientôt des rois de déserts
et de solitudes, de gueux et de barbares, tels que sont ceux que je viens de repré-
senter... Oter cette propriété des terres entre les particuliers, ce serait introduire
en même temps comme par une suite infaillible, la tyrannie, l'esclavage, l'in-
justice, la gueuserie, la barbarie, rendre les terres incultes », etc. Cf. L. de Lenz,
Les correspondants de François Dernier, Angers, 1872.
4. On le trouve encore exposé par un intendant : Basville, dans son mémoire
■ur l'état du Languedoc en 1698, écrit que tout le royaume est le domaine du roi,
LE DROIT D IMPOSER. 13
saires de la doctrine, après 1661, sont les adversaires du régime,
Bayle, Jurieu ' et l'auteur des Soupirs, ou des indépendants,
La Bruyère, Saint-Simon, Sandras de Courtils. Seul parmi les
serviteurs du roi, Bossuet a esquissé une protestation, mais
très voilée.
Aussi Louis XIV n'eut-il pas de scrupules soit à ajouter le
dixième à tous les autres impôts, soit à élever la taille au chiffre
le plus haut que le contribuable pût supporter. Il ne voyait
d'autres limites à son droit que les ressources de ses sujets.
Il écrivait dans le préambule des lettres-patentes ordonnant
la levée de la taille que le chiffre de l'impôt étai,t déterminé
par les dépenses qu'il était obligé de faire. Il eût été plus juste
de dire qu'il le déterminait d'après ce qu'il comptait pouvoir
tirer des contribuables. Il ne voulait pas réduire ceux-ci à la
misère, parce que « la misère des peuples » lui faisait « de la
peine »; mais il jugeait avoir assez fait quand, au paysan quitte
d'impôt, il laissait de quoi vivre. Faire rendre à la taille le
maximum compatible avec l'existence des contribuables et la
sécurité du gouvernement, telle semble avoir été en dernière
analyse la formule de sa politique fiscale. Colbert, sans doute,
avait des vues plus hautes. Il voulait enrichir les « peuples »
et leur rendre l'impôt le moins onéreux possible; mais pour
réaliser ses vues, il lui eût fallu le pouvoir de limiter les
dépenses du roi. Réduit, en général, au rôle de pourvoyeur
d'argent, il devait abandonner successivement tous ses projets
de réformes.
Au-dessus de toutes les théories, de tous les droits acquis,
un fait domine : c'est que le roi est le maître. La défaite des
Frondeurs a détruit toutes les résistances locales, l'insurrection
de la noblesse normande a été durement réprimée, et la sou-
mission aveugle à l'autorité devient générale. Les Etats de la
province ne sont plus convoqués, les Cours des aides, comme
les Parlements, perdent le droit de remontrances2; les com-
missaires du Conseil établis à demeure dans les provinces pren-
nent la tête de l'administration; personne ne peut plus parler,
ni écrire ni agir librement. L'impôt est à la discrétion du roi :
c'est-à-dire sa propriété (Monin, L'intendance de Banville, p. 223). M. Monin
rattache la théorie au droit féodal, qui fait du roi le suzerain de tous les fiefs du
royaume. Cette filiation reste à démontrer.
1. Bayle, Commentaire philosophique sur le compelle intrare, dans ses Œuvres,
éd. 1738, in-f°, t. II, p. 463-464. Cf. aussi Boulai nvilliers, Mémoires historiques,
éd. 1727, t. I, p. 182, et Vauban, Œuvres, éd. de Rochas, I, p. 98, art. 43.
2. Du vivant de Mazarin, la Cour des aHes de Paris avait demandé audience
au roi à diverses reprises pour lui faire des remontrances sur le recouvrement
des impôts; le roi avait toujours refusé. Après la mort du cardinal, Louis XIV
inclina d'abord à recevoir la Cour, puis il changea brusquement de résolution :
une partie des conseillers furent exilés, et il" n'admit plus jamais les remontrances
(Mémoriaux du Conseil de 1661, publ. par J. de Boislisle, t. I, p. 96; 118-lly; 391.
Cf. Mémoires pour l'instruction du Dauphin, éd. Dreyss, II, p. 399).
14 LA TAILLE EN NORMANDIE.
on impose, chaque année, comme dit YEtat de la France en
1661, « la somme qu'il plaît à S. M. de lever sur son peuple »;
et les contribuables doivent payer. L'impôt est un droit pour
le roi, un devoir pour les sujets : les deux mots « droit » et
« devoir » sont employés indifféremment pour le désigner1 :
quiconque refuse de payer (chose fréquente avant 1661) voit
venir le sergent, puis les dragons. Le roi fait « ce qui lui plaît »,
il est « arbitre » de tout : cela tient lieu de toivs les droits.
II. — L'ADMINISTRATION CENTRALE
L'administration chargée d'établir les impôts, de les répartir
et de les lever, a à sa tète, au-dessous du roi, le Conseil des
finances, les deux Directions des finances, le contrôleur général
et les intendants des finances.
Le Conseil des finances, dont l'existence était très ancienne,
fut réorganisé dix jours après l'arrestation de Fouquet. Le règle-
ment du 15 septembre 1661, en même temps qu'il supprimait
la surintendance, donnait au Conseil la connaissance de toutes
les affaires financières, et notamment des brevets de la taille,
qui devaient être « signés par S. M. et par tous ceux qui auront
l'honneur d'assister audit Conseil2. »
De ce Conseil sont exclus les grands seigneurs et les mem-
bres de la famille royale3. On n'y trouve que des conseillers
d'Etat, au nombre de quatre; l'un d'eux a le titre de chef du
Conseil. En outre, le chancelier y a entrée et préséance en sa
qualité de « chef de tous les conseils du roi ». La place du roi
est marquée par un fauteuil de velours violet. Le chef du Conseil
désigné par le roi en 1661 est le maréchal de Villeroi; les con-
seillers sont de Sève et d'Aligre, ministres d'Etat, et Colbert,
intendant des finances. Le maréchal de Villeroi, qui conserva
sa fonction jusqu'à sa mort, en 1685, était un vieux militaire,
1. Le mot i devoir » est surtout employé pour la gabelle : on dit faire son
• devoir de Gabelle », « le sel de devoir ». Colbert parle aussi du • devoir à
imposer sur les maisons • (Clém. II, 209).
2. Le règlement du conseil est publié dans Clém. II, 750. Il avait été souvent
publié auparavant, notamment dans l'Etat de la France de 16C3, dans le Nouveau
recueil de» édits... rendus depuis François I" jusqu'à présent concernant ce gui
doit estre observe pour V administration de la justice, Paris 1664, in-t2, p. 761,
et dans le Recueil d'Isambert, t. XVIII, p. 0. De nombreuses copies s'en trouvent
également dans les principaux dépôts de manuscrits et aux Archives nationales.
Le développement donné ici sur le conseil des finances est en grande partie le
résumé de l'étude de M. De Boislisle publiée en appendice au t. VI des Mémoires
de Saint-Simon, p. 477 et suiv. J'y renvoie ici une fois pour toutes.
3. L'exclusion des membres de la famille royale et des personnages purement
décoratifs qui auparavant envahissaient les conseils, a été depuis longtemps
signalée. Le Dauphin lui-même n'entra que très tard au conseil, en avril 1682,
et il n'eut voix délibéra tive qu'en juillet 16X8.
L ADMINISTRATION CENTRALE. 15
ancien gouverneur du roi, qui avait grande confiance en lui. Il
était sans doute bien « informé des affaires du dedans et du
dehors du royaume l » ; mais pour ses contemporains il est le
courtisan docile, le « bon valet » prêt à toutes les concessions
pour avoir des honneurs, recherchant « les titres les plus hono-
rables sans en faire les fonctions2 ». Il ne paraît pas avoir eu
grande influence au Conseil; un jour, il ne put arriver à faire
nommer dans son gouvernement de Lyon un intendant de son
choix3. Saint-Simon dit que sa charge était « inutile » 4.
Le chancelier Séguier, âgé de soixante-treize ans en 1661,
« ne fait plus que prêter son nom à tous les actes de son
ministère3 ». Après lui, d'Aligre (nommé en 1672) et Le Tellier
(nommé en 1677) négligeront le Conseil des finances pour s'oc-
cuper surtout de leur charge de chancelier. Toutefois, quand le
roi est absent, ils signent à sa place les arrêts rendus dans ce
Conseil et président effectivement les grandes séances6. Ils sont
consultés pour les affaires importantes et visent la plupart des
circulaires adressées aux intendants.
Les deux ministres d'Etat, MM. de Sève et d'Aligre, qui
seront remplacés le premier par Poncet de la Rivière et Bou-
cherat et le second par Pussort7, touchent de gros appointe-
ments — près de 30000 1. — et, n'ayant pas d'autre fonction
importante, ils peuvent se donner entièrement à celle-là :
« M. de Breteuil disoit que ceux qui remplissoient ces deux
places étoient comme de petits dieux placés entre le Conseil
1. Mémoires du P. Rapi.n, t. I, p. 272.
2. Mémoires de Mme de Motteviilc, éd. Riaux, t. IV, p. 310. Cf. Saint-Simon,
Ecrits inédits, publ. par Faugcre, t. IV, p. 437 ; Mémoires de La Porte, p. 266, etc.
Choisy rapporte un mot de La Meilleraye à Villeroi en 1661, qui peindrait bien
le rôle du maréchal : « Tu seras le chef des finances, mais en idée, comme je
l'ai été, moi qui te parle, et Golbert en sera le chef véritable; mais que t'importe,
tu auras de gros appointements et n'est-ce pas assez? »
2. Mémoires d'Olivier Lefèvre d'Ormesson, éd, Chéruel, t. II, p. 421. Il n'apparait
dans ses fonctions que quand il signe des états de finances, ou assiste à des
cérémonies d'apparat, par exemple lorsqu'il va enregistrer à la Cour des aides de
Paris, accompagné du prince de Gondé et de Messieurs de Sève et d'Aligre, des
lettres de jussion du roi, le 29 décembre 1663 (G.d.T. I, 532).
4. Mémoires, éd. de Boislisle, t. XX, p. 171. Cependant M. de Beauvilliers, qui lui
succédera, pourra jouer un rôle effectif.
5. Kerviler, Le chancelier Séguier, 2" éd. Paris, 1875, p. 400.
6. « Les minutes des ordonnances, édits, déclarations et règlements qui se
rendent au conseil royal des finances ne sont point signées du roy à moins que
ce ne soit une affaire de grande conséquence; il suffit qu'elles soient signées de
M. le chancelier... ensuite elles sont signées du chef du conseil royal et des trois
conseillers au dit conseil ». Ensuite, les secrétaires d'Etat intéressés « font faire
des expéditions sur les minutes sur du parchemin timbré qu'ils signent Louis ou
le font signer par le commis qui l'écrit » (Mémoire sur le règlement du conseil,
un peu postérieur à 1709, B. N. fr. 7 496, ms. non folioté). Le contrôleur général
ne peut donc pas faire lui-même l'expédition d'un arrêt du conseil. Sur le rôle
du chancelier en l'absence du roi. cf. le règlement du conseil des finances du
10 avril 1674, B. N. Clair. 6'<7, f°131.
7. De Sève meurt en 1673; son successeur Poncet de la Rivière, en 1681.
D'Aligre, étant passé chancelier en 1672, fut remplacé par Pussort, qui conserva
la fonction jusqu'après 1683 (B. N. fr. 7 654, f° 37-43).
LA TAILLK l.S XDIIMAMUI .
ordinaire, qu'il COU) paroit à la nature humaine, et les ministres,
qu'il regaraoit comme les <lieu\ de la terre' ».
Qaanl à l'intendant des finances, «pii est Colbert, il n'a en
apparence qu'un rôle subalterne, son titre et son rang étant
intérieurs a t eux de ses collègues; mais en réalité, il est le véri-
table administrateur des finances royales : le règlement du
15 septembre 1661 lui donne en elîet l'Epargne dans son
département : il « tiendra le registre de toute la recette et la
dépense qui sera faite, dont il ne donnera communication à
aucune personne sans ordre exprès de S. M. Toutes les ordon-
nances seront remises entre ses mains pour estre rapportées à
S. M. Il fera rendre tous les comptes des fermes, recettes géné-
rales, bois, domaine, et autres recettes de toute nature. » Il est
donc seul au courant des besoins et des disponibilités du
Trésor, et seul il peut suivre complètement les affaires; tenu au
secret, même envers ses collègues, il peut demander une mesure
sans avoir à la justifier. En outre, il est accrédité auprès des
intendants de province et des trésoriers généraux, qui doivent
le tenir au courant de toutes les affaires concernant les finances*.
Il a la confiance du roi, qui le consulte particulièrement en
maintes circonstances, et le titre de contrôleur général, qui lui
sera donné en 1665, achève de le mettre hors de pair3.
Le Conseil4, qui doit se réunir « tel jour qu'il plaira » au roi,
se tient habituellement deux fois la semaine, le mardi et le
samedi5. Il prend connaissance des affaires qui lui sont trans-
mises, juge des procès, arrête les comptes, rend des arrêts. Son
activité nous est mal connue parce qu'aucun procès-verbal des
séances n'était tenu. D'après Saint-Simon, il n'aurait été qu'un
« mécanisme trompeur »% un « vain fantosme »; tous ses
membres, à commencer par vous, dit-il au roi dans une lettre
anonyme, « ignorent si, pourquoi, quand et comment les choses
les plus principales et les plus légères se passent en matière
de finances, qui est uniquement dans la main despotique du seul
contrôleur général, qui en dit en particulier à Y. M. ce qu'il en
juge à propos seulement6». Mais Saint-Simon est animé par la
haine du « despotisme » ministériel, auquel il voudrait substi-
1. D'Agucsseau, Œuvres, t. VIII, p. 71.
2. Cf. lu circulaire du 16 novembre 1662 écrite de la main dn roi et adressée
aux Bureaux des finances pour accréditer particulièrement Colbert auprès d'eux
(A. D. Calv. Bureau des finances, dans une liasse de pièces de l'année 1666). Cette
circulaire ne fut reçue à Caen que le 7 mai 166:!.
3. V. Lavisse, Histoire île France, t. VII, 1™ part., p. 177 et suiv.
4. Sur le Conseil des finances, voir, outre le trawiil de M. de Boislisle mentionné
plus haut, Y Encyclopédie méthodique, partie Jurisprudence, et Viollet, Le roi et
ses ministres aux trois derniers siècles de la monarchie, Poris, 1912.
.">. Il peut y avilir des séances extraordinaires : d'Ormesson en cite une du
jeudi 18 mars 1666 (Journal, éd. Baudry, II, p. 478). Le conseil commence à
dix heures, et peut continuer après diner si les affaires l'exigent.
6. Lettre anonyme nu roi, avril 1712, dans ses Ecrits inédits, t. IV, p. 33.
L ADMINISTRATION CENTRALE. 17
tuer un gouvernement où les conseils examineraient et décide-
raient toutes les affaires. Le Conseil des finances fut en réalité
mieux qu'un fantôme. Colbert, dans un mémoire présenté à
Louis XIV en 1668, explique comment « les articles qui regar-
dent les finances sont examinés, rapportés au roi en conseil des
finances; » quand le roi a donné ses ordres, « on s'assemble
chez M. le chancelier, où le cahier est rapporté, examiné et
répondu1 ». Rien d'important n'est décidé par un ministre seul.
Les fréquentes et longues séances ne pouvaient être de pure
forme; quelques années après la mort de Colbert, l'intendant
Basville se plaint que le Conseil soit surchargé de besogne et
ne prenne pas de décisions assez promptes2.
Au-dessous du Conseil des finances se trouvent deux commis-
sions : la grande et la petite Direction des finances. La grande
Direction ne diffère du Conseil lui-même que par l'absence du
roi (sa place n'y est pas marquée) et du chancelier. Elle se tient
dans la même salle que le Conseil; on y traite des mêmes
affaires, et même on y rend des arrêts3.
La petite Direction ne comprend que les intendants des
finances (plus tard le contrôleur général), et les conseillers
d'Etat. Les maîtres des requêtes qui ont à y rapporter s'y
tiennent debout et découverts (ils sont assis et couverts à la
grande Direction). Elle siège chez le chef du Conseil des
finances, ne rend jamais d'arrêts et se borne à faire un premier
1. Clém. VII, 228. La note est destinée à protester contre l'indépendance exces-
sive de Louvois en matière de finances : Louvois. dans les provinces de son
département, dit Colbert, résout seul les affaires « en telle sorte que l'on n'en
entend point parler en finances » et systématiquement il adopte la solution con-
traire de celle qui lui est proposée par son collègue. Même si l'on fait la part de
l'exagération dans une -pareille lettre, il faut pourtant en conclure que Colbert
n'avait pas entièrement à sa disposition les affaires des finances de tout le
royaume; les autres secrétaires d'Etat conservaient une certaine autonomie.
2. De Boislisle, Correspondance, t. I, n° 705. — L'affirmation de Saint-Simon
est presque exactement reproduite dans les grandes remontrances de la Cour
des aides de Paris du 10 avril 1775 : « Il faut que V. M. sache que depuisxplus
de cent ans, ce qu'on appelle son Conseil en matière de finances consiste dans le
contrôleur général et un seul rapporteur : c'est depuis longtemps un intendant
des finances C'est dans ce tribunal de deux hommes que se prononcent toutes
les cassations d'arrêts des cours des aides, et on ne doit pas dire que ce soit
V. M. elle-même qui rende ces arrêts... On ne peut pas dire non plus que ce soit
le véritable conseil de V. M. qui rende de tels arrêts, car nous avançons un fait
notoire en disant que le conseil n'en entend jamais parler » (Auger, Mémoires sur
le droit public, p. 625). Le 6 mai suivant, la Cour dit encore : le brevet de la
taille « s'arrête au conseil des finances ; mais V. M. sait qu'à l'exception du contrô-
leur général et d'un intendant des finances, aucun de ceux qui assistent à ce
conseil ne peut être instruit de la situation des provinces ni des besoins de l'Etat;
c'est donc le ministre seul qui fixe tous les ans la somme de l'imposition... Le
brevet de la taille est donc réellement an acte fait p :r autorité arbitraire. »
(Ibid. p. 651.) Mais dans ces remontrances, il faut aussi faire la part des senti-
ments de la cour à l'égnrd des ministres, et observer que la personnalité de
Louis XV remplaçant celle de Louis XIV avait changé bien des choses dans le
gouvernement.
3. Il existe une formule spéciale pour ces arrêts; ils débutent par les mots :
« Extrait des registres du conseil du roi » (Richelet, Dictionnaire, 1680, p. 25).
LA TAILLE EN NORMANDIE. 2-
18 LA TAILI.l: I M \nilMAXniE.
examen des projets ou ii expédier les affaires peu importantes.
C'est plutôt une commission préparatoire.
Le contrôleur général existait depuis très longtemps; il était
adjoint au Trésorier de l'Epargne, pour assurer la régularité de
ses comptes. Mais l'office avait été divisé pour rapporter de
l'argent aux Parties casuellcs, et il avait perdu de son impor-
tance. On avait vu jusqu à quatre contrôleurs généraux au temps
de Mazarîn; en 1661, il en restait encore deux, MM. Hervart et
Breteuil. La suppression de la surintendance leur rendit un
certain pouvoir; mais la fonction ne prit son vrai caractère que
lorsque Colbert en fut seul pourvu, en décembre 1665. Les
lettres-patentes qui la lui conféraient lui donnaient le pouvoir
très général de vérifier les quittances des comptables, de « con-
trôler toutes les commissions qui seront expédiées » pour la
levée des tailles, et de « faire rapport » au Conseil des finances
« de toutes les affaires » qui concernaient le service du roi*.
Ainsi il parvint à réunir en sa personne toutes les attributions
du surintendant et a devenir le chef suprême de l'administra-
tion financière, n'ayant au-dessus de lui que le roi. Cette date
de 1665 est marquée par un certain nombre de changements
notables dans les services qui relevaient de lui : c'est alors
que les intendants sont établis à demeure dans les généralités,
et deviennent des fonctionnaires réguliers; au même moment,
le remboursement des offices supprimés, qui traînait en lon-
gueur, est terminé, la recherche de la noblesse reprise sur de
nouvelles bases ; le nom même des Etats de Normandie cesse
de figurer sur les actes royaux ; enfin les grands règlements sur
la taille, la gabelle, les aides sont mis h l'étude.
Au temps de Fouquet, il y avait 12 intendants des finances.
Un arrêt du conseil du 12 octobre 1660 en avait supprimé deux*,
d'autres arrêts en supprimèrent encore sept dans le courant de
1661, de sorte qu'il ne subsistait plus, en septembre 1661, que
MM. Le Tellier, Marin et Colbert. Un édit de septembre 1662
ordonna le remboursement de la charge de Le Tellier*; en
1665, quand Colbert ajouta a sa fonction d'intendant celle de
contrôleur général, la troisième charge fut rétablie au profit
d'Hotman, et le nombre de trois demeura jusqu'après 1683.
De ces intendants, l'un, Colbert, a entrée au Conseil, le second
1. Colbert n'a pas, comme on le dit souvent, échangé cette charge avec celle
d'intendant des finances qu'il avait déjà : les provisions disent qu'il exercera
< conjointement » les deux fonctions (Clém. VII, 403). De Breteuil et Hervart con-
servaient également leurs fonctions jusqu'à leur complet remboursement.
2. V. l'arrêt du conseil du 12 octobre 1660 supprimant les deux charges de
MM. Bordier et de Bordeaux, B. N. fr. 18 511, f* 70. La charge de Bordier valait
600 000 1.; elle fut liquidée par arrêt du conseil du 28 février 1665; celle de Bor-
deaux en valait 400 000 et fut liquidée le 16 février 1665: elle ne fut remboursée
effectivement que dans le deuxième semestre de 1666 (M. C. 275, f° 'J74).
3. B. N. fr. 22 643, f 107 (Papiers de Dangenu). La charge de Le Tellier lui fut
remboursée 400 000 livres.
L ADMINISTRATION CENTRALE. 19
s'occupe des fermes, et le troisième a spécialement dans son
département « les dix-huit généralités des pays d'élections, pour
la taille et le taillon ' »; c'est lui qui nous intéresse particu-
lièrement. La charge fut remplie successivement par Denis
Marin, qui mourut en fonctions le 27 juin 1678, puis par Nicolas
Desmaretz, marquis de Maillebois 2. Cet intendant des finances
correspondait avec les commissaires départis et les trésoriers
généraux sur l'état des récoltes, les recouvrements des imposi-
tions, les affaires administratives courantes. Il recevait les avis
sur le brevet, les mémoires sur les abus à supprimer et les
réformes à faire3. Lorsque Colbert, dans sa correspondance,
reçoit des mémoires et des avis concernant la taille, il les
remet à l'intendant des finances v, qui fait ordinairement rap-
port au Conseil de toutes les affaires sur la matière, dresse des
projets d'arrêts, donne des ordres aux agents inférieurs. Il a
donc un rôle considérable dans l'administration de l'impôt. Ce
rôle est malheureusement difficile à préciser, parce que les
archives du service sont perdues : de rares billets à Colbert,
quelques lettres à des intendants et à des trésoriers généraux
sont à peu près les seuls restes des papiers de Marin et de
Desmaretz 5.
1. Dès 1660 il en était ainsi (lettre de Marin au Bureau des finances de Caen,
24 août 1660, A. D. Galv. Bureau des finances, registre de commissions. 1661,
f° 1). Un arrêt du conseil du 27 avril 1666 (B. N. Glairamb. 647, f° 119) précisa
les attributions des deux intendants Marin et Hotman : Marin avait, outre la
taille, les rentes sur l'hôtel de ville de Paris, les octrois des villes, la Chambre
des comptes et la Cour des aides de Paris; Hotman avait le reste des affaires de
finances. Hotman était apparenté à Colbert comme Marin et Desmaretz.
2. Le 18 août 1674, Colbert écrit à son cousin Michel, intendant d'Alençon, que,
pour les affaires relatives aux tailles il doit consulter « M. Hotman de Fontenay
[l'autre intendant des finances] ou moy » (Clém. II, 348). Mais nous avons sans
doute ici un cas exceptionnel, car Marin ne cessa pas de s'occuper des tailles. Il
faut observer aussi qu'Hotman était le beau-frère de Michel Colbert.
3. « Quoyque je prenne la liberté, écrit de Marie à Colbert, de vous escrire et
de vous importuner quelquefois pour les affaires de Conséquence qui regardent
les tailles, néanmoins j'ai coustume d'en escrire pareillement à M. Marin. » Cf. les
annotations marginales mises par Colbert aux lettres qui sont restées dans sa
correspondance, comme celle-ci : « Donner à M. Marin une copie de ce qui est
contenu dans cette lettre concernant la taille » (M. C. 142, f° 26i>).
4. M. C. 150, f° 404. Le 12 novembre 1668, il écrivait déjà : « J'envoie à
M. Marin un mémoire des choses que j'ay observé dans les eslections en procé-
dant au déparlement des tailles ; je l'ay supplié de vous en entretenir et de me
faire savoir vos intentions » (M. C. 149, f° 406). De même encore en 1676, lorsqu'il
propose de réglementer les changements de domicile des taillables, il consulte
d'abord Marin (B. N. Clairamb. 797, p. 35). Déjà au temps de Fouquet, c'était
Marin qui recevait les avis des trésoriers de France : Cf. la circulaire de Marin,
août 1660, invitant les trésoriers à envoyer leur avis sur le brevet à l'inten-
dant des finances qui, dit-il, ,« m'en fera rapport » (A. D. Calv. bureau des
finances, registre de commissions, 1661, f° 1 et 2).
5. Les billets et notes des deux intendants se trouvent dans la correspondance
des Mélanges Colbert (cf. la table de l'inventaire à leurs noms). Des lettres écrites
par eux se trouvent aux A. D. Calv. Bureau des finances, et dans la correspon-
dance de Breteuil. La disparition de leurs archives explique pourquoi nous avons
relativement peu de mémoires d'intendants, d'avis sur les brevets, de lettres
administratives sur la taille : tout cela était réuni dans leurs bureaux.
Chacun des personnages indiqués ici a naturellement une foule de commis dans
20 LA TAILLK EN NOIIMANDIB.
Sur toute cette administration domine la personnalité de
Colbcrt. Les pouvoirs déjà considérables qu'il ft comme inten-
dant des finances, membre du Conseil et contrôleur général sont
accrus par la confiance du roi. C'est lui qui a préparé l'arresta-
tion de Fouquet et la réorganisation administrative qui s'ensuivit.
Il a dressé le projet de règlement du conseil des finances et
même rédigé le discours du roi à la première séance du conseil1.
Tout ce qui se fait dans son département a été préparé et
ordonné par lui. Il écrit de sa main les projets d'ordonnance
que signe le roi; il donne seul les instructions nécessaires pour
leur application. Mais il ne nous est pas toujours possible
de reconnaître son œuvre, parce que beaucoup de ses actes
ont un caractère impersonnel, et sont signés par le roi seul :
ce fut un système chez lui, plus encore que chez les autres
ministres, de s'effacer devant le souverain et de lui faire croire
qu'il dirigeait tout. Louis XIV s'y est laissé prendre; c'est ainsi
qu'il a pu se vanter d'avoir, lui-même, dans le conseil des
finances, ■ travaillé continuellement... à démêler la confusion
qu'on avoit mise » dans les affaires 2. Saint-Simon a bien vu que
ce n'était là qu'une apparence. Ses ministres, dit-il, « faisoient
venir comme de lui ce qu'ils vouloient eux-mêmes et condui-
soient le Grand selon leurs vues... Ils étoient les maistres de
tout, et le roi le vouloit bien ou ne s'en apercevoit pas3. »
En matière de finances, incontestablement, le roi ne fit rien
de sa propre initiative. Il l'avoue par ce billet adressé à Colbert
un jour qu'ils étaient séparés l'un de l'autre : « Vous savez que
sur les finances j'approuve tout ce que vous faites et m'en trouve
bien * ». Quantité de réformes furent faites sur des mémoires
rédigés par Colbert et simplement approuvés par Louis XIV.
Lorsque le roi s'absenta pour prendre la tête de l'armée,
en 1671, il fit un règlement par lequel toutes les affaires de
finances étaient remises aux mains du ministre 5. Lorsque Col-
bert offre des explications sur les projets d'ordonnances, le roi
ses bureaux. Nous n'en connaissons guère que les noms. Ainsi, en 1<>76, on
trouve auprès de Colbert les sieurs Desmaretz (le futur intendant des finances),
Perrault, Vieuville, Bragelone, Hosdier, Lagnrde, Lelez, De Sestre, Le Fouyn ;
le sieur Picon tient < les registres de la surintendance ». Marin a connu premier
commis François Rozée, etc. (B. N. fr. 32 646, f° 105; Clairamb. 474, f° 30.)
1. Sur le rôle, bien connu, de Colbert dans la préparation de la réforme, voir
Clém. II, introduction, et, p. CCI, la note au roi pour la formation du conseil;
5. CCII, le discours du roi à l'ouverture du conseil d'après la minute autographe
e Colbert; voir aussi de Boislisle, Mémoires de Sainl-Simon, t. VI, p. 478.
2. Mémoires, éd. Dreyss, t. I, p. 108. Il n'est pas sûr que les ministres aient
usé de ce procédé seulement par déférence pour le roi et afin de flatter sa vanitr.
Ils désiraient aussi être mieux obéis : « Ce qu'un roi fait, écrivait Mazarin à
Louis XIV en 1650, est d'un autre poids et lait un autre éclat et impression que
ce que fait un ministre, quelque autorisé qu'il puisse estre ». (Mémoriaux du
Conseil de 166t, publ. par J. de Boislisle, introd.).
3. Mémoires, t. XV, p. 427.
4. Billet du 19 mai 1G73, publ. dans la Revue des chefs-d'œuvre, 1884, p. 499.
5. Règlement sur l'administration des finances en l'absence du roi, du
22 avril 1672 (A. Nat. O», 16, P" 240-7). C'est la reine qui, théoriquement, tiendra
L ADMINISTRATION CENTRALE. 21
répond : « Vous ferez ce que vous voudrez sur les ordonnances ;
quand je m'y applique, je vois pourquoy elles sont expédiées1. »
Le 9 mai 1670, il écrit :
« Voici le temps que Vostre Majesté a accoustumé de régler le
brevet de la taille. Vostre Majesté me fera sçavoir, s'il luy plaist, si
Elle veut que les impositions de 1671 soyent pareilles à celles de 1670,
ou si Elle voudroit soulager ses peuples d'un million de livres. »
A quoi le roi répond par retour du courrier : « Il faut faire les
impositions et soulager les peuples d'un million 2. » De la même
façon est arrêté le brevet de la taille en 1673 3. En mai 1677,
Colbert demande au roi à quelle somme il veut arrêter le brevet
de la taille, et le roi lui répond : « Je croys qu'il faut faire le
brevet de la taille comme celuy de cette année, à moins que
vous ne jugiez, par les connaissances que vous avez, qu'il y
faille changer quelque chose *. » En ces billets intimes,
Louis XIV se montre à peu près indifférent aux finances; lui
qui donnait tant d'attention aux marches des armées, aux cons-
tructions, au cérémonial, n'a jamais arrêté son attention sur
les problèmes économiques ; il n'a vu en Colbert qu'un appro-
visionneur du Trésor ; il a été le spectateur beaucoup plus que
l'auxiliaire de son œuvre.
Colbert fut le maître non seulement par la confiance que lui f" ,
accorda le roi, mais aussi par le soin qu'il mit à s'entourer de j 4&*i
collègues et de subordonnés à sa dévotion. Les deux conseillers \
des finances nommés en 1661, De Sève et D'Aligre, sont ses
amis particuliers ; ils seront remplacés l'un par Pussort, qui est
son oncle, l'autre par Boucherat, qui est son protégé 6. Des
deux intendants des finances qui eurent la taille dans leur
département, l'un, Marin, lui doit sa fortune, et a épousé une (
cousine de Colbert 6; l'autre, Desmaretz, est son propre neveu :
il l'a pris dès son jeune âge dans les bureaux, où il l'a formé, S
la place du roi, mais c'est Colbert qui présentera toutes les affaires au Conseil et
arrêtera personnellement les registres de recettes et de dépenses « attendu que
la reyne ne pourroit pas escrire les arrestez desdits registres de sa main ainsi
que S. M. a accoustumé de faire ». Ce règlement avait été préparé par Colbert,
ainsi qu'en font foi ses notes autographes non publiées par Clément (B. N. Clair.
647, f° 124-125). Cf. la commission donnée à Colbert le 30 avril 1673 pour signer
les aTrèts du Conseil en commandement (A. N. O1 17, f° 75) et le règlement du
18 avril 1674 (Clairamb. 647, f° 131).
1. Clém., II, p. CCXXXIV.
2. lbid., p. CCXXVII.
3. Ibid., p. CCXXXIV.
4. Ibid., p. CCLII.
5. Sur les rapports entre de Sève et Colbert, voir la lettre de ce dernier à de
Sève fils lors de la mort du père, Clém. II, 258, n. 2. Sur d'Aligre, voir Clém. I,
p. 98, 100, 198. Pussort était frère de la mère de Colbert et servit entièrement le
contrôleur général dans toutes les circonstances. Boucherat devait à Colbert,
notamment, son intendance de Guyenne.
6. Denis Marin, sieur de la Chasteigneraye, né à Auxonne en janvier 1601, était
fils d'un petit marchand; amené à la cour par un de ses parents éloignés, il
avait épousé en secondes noces Marguerite Colbert, de la branche de Terron. Il
H LA TAILL1 I \ NOUMANDIE.
poil il l'a fait nommer inaitrr des requêtes1. Ainsi Colbert est
assuré du dévouement et de l'obéissance de tous ceux qui l'en-
tourent : sa volonté unique dirige toute l'administration des
finances.
III. — L'ÉTABLISSEMENT DU BREVET
La taille ayant son origine dans les besoins financiers extraordi-
naires du roi, l'acte initial de l'imposition était l'indication de la
somme qui devait faire face aces besoins. Ainsi, par son principe
même, la taille est un impôt de répartition. On commence par
fixer la somme totale à lever, puis on la répartit entre les diffé-
rentes circonscriptions. L'opération comprend quatre degrés :
i° entre les généralités;
2° entre les élections de chaque généralité;
3° entre les paroisses de chaque élection;
4° entre les contribuables de chaque paroisse.
Chaque année le roi arrête en son Conseil des finances la
somme nécessaire pendant l'année suivante « pour l'entretene-
ment des maisons royales et de ses troupes et autres dépenses
nécessaires » et pour les gages, appointements, droits et autres
« charges » de chaque recette générale. C'est d'après ce chiffre
que le montant de la taille sera fixé; en d'autres termes, le roi
commence par dresser son budget de dépenses; il arrête ensuite
son budget de recettes.
.En juin 1661, alors que Fouquet était encore surintendant,
la somme fixée pour l'année suivante était de 41534672 1.
Mais le jour même de l'arrestation du surintendant, Sa Majesté
déclarait « qu'Elle prétendoit administrer ses finances... avec
une telle économie et une si juste dispensation, qu'Elle espéroit
dans peu se mettre en état de soulager ses peuples au delà de
ce qu'ils pouvoient espérer 2 ». Aussi, à la première séance du
fut successivement trésorier général des fermes (1C38), conseiller d'Etat (1648),
intendant d'armée, enfin intendant des finances en mai 1G50. Lors de la suppres-
sion de huit charges d'intendants des finances, il perdit sa fonction, mais reprit
peu de jours après la succession d'un des réservés, M. de Mauroy, décédé. De ses
Suatre fils, l'un devint intendant d'Orléans et premier président au Parlement
'Aix; l'autre succéda à son frère à l'intendance d'Orléans; un troisième servit à
l'armée. Une de ses filles épousa le marquis d'Oppède, umi de Colbert et prési-
dent au Parlement d'Aix (cf. Amanton, Recherches biographiques sur Denis Marin,
avec notes pour faire suite aux Recherches, Dijon 1807, B. N. Lnî7 10 778. —
Clém. II, p. 241, et B. N. fr. 7 654, F 42).
1. La mère de Desmaretz était Marie Colbert, sœur du ministre. On trouve déjà
le jeune homme dans les bureaux de son oncle en 1665, alors qu'il n'u que seize
ans (Clém. VII, 345). De muitre des requêtes il devint directement intendant des
finances, ce qui était un avancement extraordinaire.
Un autre intendant des finances, Hotman de Fontenay, est allié à Colbert : il a
épousé Marguerite Colbert, cousine du ministre.
2. Lettre de Brienne fils à son père, 5 septembre 1661 (publ. dans J. de Bois-
lisle, Mémoriaux du conseil dt 1661, t. III, p. 128).
L ETABLISSEMENT DU BREVET.
23
conseil des finances, fut-il résolu que le brevet de la taille serait
diminué de 3 millions de livres1 : l'imposition de 1662 fut donc/
réduite à 38534672 1. 2. C'était une mesure de bonne politique,
suggérée sans doute par Colbert, mais il ne faut pas en exagérer
la portée ; depuis longtemps les non-valeurs pour la taille
étaient très élevées, et le roi savait qu'il ne recouvrerait pas, à
beaucoup près, toute la somme imposée; il ne faisait donc
qu'abandonner une chose qu'il ne pouvait avoir. Mais il témoi-
gnait par là sa bienveillance pour les peuples, et leur donnait
un encouragement précieux.
Pour 1663, le brevet arrêté en mai 1662 monte a 38 128269 1.,
soit une diminution d'un peu plus de 400 000 1. Les années
suivantes encore, on fit des réductions, si bien qu'en 1665, le
brevet s'élevait seulement à 33860 000 1. Dans son mémoire
écrit en 1663 pour servir à l'histoire du roi, Colbert disait :
« Le roy travaille à enrichir les peuples par la diminution des
impositions3 ». Tel était bien le but qu'il se proposait. Il aurait
voulu réduire le montant de la taille à 30 millions ; mais dès
1666, il fallut renoncer à ces réductions, le roi voulant mettre
sur pied une armée considérable. Le brevet alla donc de
nouveau en augmentant, pour atteindre 35 685 000 1. en 1669.
Après la paix de 1668, on reprit les réductions; jusqu'en 1672,
le brevet se maintint au-dessous de 34 millions. C'est en 1672
qu'il fut le moins élevé de toute la période : il montait à
33306881 1. Mais dès 1673, tes besoins de la guerre obligent ï
Colbert à consentir un relèvement. Chaque année le chiffre
s'élève et on arrive à la somme de 40152 000 1. en 1678, puis
après la paix, on redescend aux environs de 34 millions. En 1683,
le dernier brevet arrêté par Colbert s'élève à 34 447 212 1.
Le ministre ne put donc autant qu'il l'aurait désiré « enrichir
les peuples par la diminution des impositions » 4.
1. Clém. II, 53.
2. Un édit de mars 1662 accorda encore une réduction d'un million; on verra
plus loin le détail. Colbert, dans son Mémoire sur les affaires de finances en
1663 (Glétn. II, 58) dit que la remise fut faite « sur les tailles de l'année sui-
vante », mais il faut entendre par là les tailles de 1662; le texte de l'édit ne
permet aucun doute.
3. Clém. II, 65, n. 4.
4. Montant et date des brevets pour les 18 généralités des pays d'élections, de
1661 à K583 :
1661 15 août 1660. . . 40 660 8051.
1662 2 juin 1661 . . . 41534 672
1663 15 mai 1662 . . . 38128 269
1664 1er mai 1663. . . 36 047 23;»
1665 24 mai 1664 . . . 33 860 000
1666 22 mai 1665 . . . 34 200 000
1667 3 juin 1666. . . . 36000000
1668 10 mai 1667 . . . 36154 000
1669 15 mai 1668 . . . 35 685 000
1670 28 mai 1669 . . . 33 967 000
167 1 31 mai 1670 . . . 33 917 400
1672 3 juin 1671 . . . 33 306 881
Les textes des brevets se trouvent à leur date dans les registres du Secrétariat
1673
26 avril 1672. .
. 34 560 000 I
1674
29 avril 1673. .
. 36 556 000
1675
18 avril 1674. .
. 36 584 000
1676
27 avril 1675. .
. 40 206 360
1677
11 avril 1676. .
. 40166 360
1678
1er juin 1677 . .
. 40152 000
1679
11 juin 1678 . .
. 34 353 000
1680
23 mai 1679 . .
. 34 353 000
1681
21 mai 1680 . .
. 33613 000
1682
20 mai 1681 . .
. 34 260 682
1683
16 mai 1682 . .
. 34 447 212
■_•', LA TAILI.K KN NOHMANDIE.
C'est qu'il v avait une opposition permanente entre les vues
du roi et celles de son ministre. Colbcrt faisait de la taille un
instrument de gouvernement économique; il voulait la répartir
, plus justement, la percevoir moins durement et diminuer non
seulement le total de l'impôt, mais aussi la part relative de
.chaque contribuable. Louis XIV voulait se procurer le plus
d'argent possible pour satisfaire ses goûts de guerre, de con-
structions et de luxe. « Vous ne sçauriez manquer de songer
d'avoir de l'argent » : ce mot écrit à Colbert donne sans doute
toute la pensée du roi en matière de finances. Il a dit à diverses
reprises que la misère des peuples lut faisait de la peine, mais
on ne voit pas qu'il ait fait grand effort pour la réduire.
La somme totale à lever, débattue d'abord entre Colbcrt et
le roi, était arrêtée définitivement au Conseil des finances, puis
on dressait le « brevet général de la taille ». Un brexet est un
acte « rédigé en forrne_dii-nrocès7rVprbai-pa4- ua-seccétaire d'Etat,
mais ne portant point de sceaiijitjîon soumis à l'enregistrement
déT cours ' »TLe TSrevet de la taille n était que le procès- verbal
de la séance du conseil où le montant de l'impôt avait été
arrêté. La formule initiale était : « Aujourd'huy jour
de mil six cens , le roy estant à , traitant
de la conduite et administration de ses finances », et la formule
finale : « Faict les jour et an susdicts ». Le roi n'y parlait pas
à la seconde personne comme dans les lettres de cachet; il y
indiquait simplement sa volonté; l'acte était destiné uniquement
aux agents de l'administration, et ne devait pas être publié;
c'était une décision administrative plutôt qu'une loi2. En règle
générale, un brevet n'avait pas besoin d'être signé du roi pour
être valable, mais celui de la taille l'était toujours, au moins
au temps de Louis XIV, le roi étant censé présider le Conseil
des finances. Même cette signature, contrairement à ce qui se
passait pour beaucoup d'autres actes, était « de la main3 ». En
mai 16/2, en effet, alors que le roi était à la tête de l'armée en
Flandre, Colbert prit soin de lui envoyer l'original du brevet
et dans le billet qui accompagnait l'envoi, il disait : « Cette
expédition m'a paru trop importante pour estre signée en
d'Etat de la maison du roi (Arch. Nnt. O1) et dans les Mélanges Colbert, vol. 177
et suiv. Des brevets séparés étaient expédiés pour les pays d'États.
1. Giry, Manuel de diplomatique, p. /85.
2. V. Giry, pass. cité, qui donne des formules un peu différentes. Cf. Encyclo-
pédie méthodique, Finances, t. I, p. 142; Guyot, Hépertoire de jurisprudence, article
Brevet; Cl. de Beaune, TraiW de la Chambre des Comptes de Paris, Paris, 1647,
Hv. I, p. 220-221. Pour désigner un acte de ce genre, on employait souvent
l'expression de « Résultat du Conseil ».
3. Sur l'imitation de la signature du roi au bas des actes par un secrétaire, cf.
Saint-Simon : « On n'ignore pas que la prétendue signature du roi mise au bas
de chaque expédition qui sort des bureaux par le sous-commis qui écrit l'expédi-
tion même, n'a de force et d'autorité que celle qu'elle reçoit de la signature du
secrétaire d'Etat.... Cette prétendue signature du roi, dont personne n'étoit la
dupe, n'étoit qu'une prostitution indécente. »
L ETABLISSEMENT DU BREVET. 25
l'absence de Vostre Majesté *. » On peut conclure de là qu'ha-
bituellement le roi lui-même signait les brevets. Au-dessous de
sa signature était celle du contrôleur général ou du secrétaire
d'Etat en quartier.
Le fait que le brevet n'était pas enregistré par une cour souve- î
raine marquait que le roi l'établissait de sa propre autorité, sans
contrôle. C'était par excellence un acte d' « arbitraire ». Au
cours du xvine siècle, les protestations contre cet usage seront
violentes et les réformateurs considéreront comme une grande
victoire d'avoir obtenu l'enregistrement du brevet à la Cour
des aides de Paris 2. Mais à l'époque de Colbert, ces protesta-
tions ne se font pas encore entendre3.
La date à Laquelle le frrevet devait êtrft %rr^*^ flVftî* une
gran,(îg_i,napûr-tanfiej.„ le bon recouvrement de l'impôt en dépen-
dait. Si en effet la répartition n'était pas terminée avant le
début de l'année financière, c'est-à-dire avant le 1er octobre, la
perception était retardée d'autant, et comme les peuples payaient
toujojur&.^eç_jjjQJi_^^ l'année finissait sans que la
taille fût complètement acquittée; les exercices chevauchaient
l'un sur l'autre, et tout l'ordre de la perception était détruit.
On verra qu'à tous les degrés du répartement on eut la préoccu-
pation de terminer le travail en temps utile; ce fut un des gros /
soucis de l'administration, et elle n'y réussit qu'imparfaitement.
Les chevauchées d'intendants duraient un mois au moins4; le (
département entre les paroisses de chaque élection exigeait
autant de temps5; le seul transport des lettres de Paris aux
généralités les plus éloignées, comme Montauban ou Grenoble,
demandait une semaine6. Pour peu qu'une difficulté, un procès,
une rivalité entre différents agents royaux retardât les travaux,
un délai de deux mois entre le brevet et le commencement de
l'année financière était insuffisant, toutes les opérations étaient
reculées et le recouvrement compromis. C'est pourquoi des
ordonnances avaient prescrit dès le xvie s. que le brevet fût
1. Glém., VI, 294.
2. V. par ex. les remontrances de la Cour du 20 juin 1761, dans A.uger,
Mémoires pour servir à l'histoire du droit public, p. 132, ou celles du 6 mai 1775,
ibid., p. 664. Le sujet est très souvent traité dans les écrits du temps.
3. Cependant, à l'époque de la Fronde, l'enregistrement par les cours souve-
raines des édits relatifs aux impôts était très demandé (voir Sée, Les idées poli-
tiques à l'époque de la Fronde, dans la Rev. d'hist. mod., t. III, p. 113 et suiv.),
et le roi l'avait accordé dans sa déclaration du 31 juillet 1648, art. 3. Mais
cette revendication était déjà oubliée en 1661.
4. Cf. une lettre de Colbert à l'intendant de Paris du 17 juillet 1682 : « Visiter
cinq élections en 15 jours de temps ne peut pas estre d'une satisfaction entière
pour le roi, estant impossible que vous puissiez satisfaire en si peu de lemps à
ce que S. M. désire » (Clém. II, 200). Or la généralité de Paris avait 22 élections.
5. « Au moins six semaines dans les généralités qui ont beaucoup d'élections »,
écrit l'intendant d'Orléans le 31 juillet 1684 (De Boislisle, Correspondance, t. I,
n° 97).
6. Le brevet daté du 2 juin 1661 n'est reçu que le 1er juillet au Bureau des
finances de Caen (Plumitif du bureau, à cette date).
Jt; I.A TAILLE BU NOHMANHIL.
arntc avant la lin de juillet*; Mais en 1661 la règle n'était plus
respectée; ce n'était pas seulement négligence de l'administra-
tion : les recouvrements se faisant très lentement, on voulait
surtout laisser aux contribuables le plus longtemps possible pour
I s'acquitter. Au temps de Mazarin, la date habituelle du brevet
I était le mois d'août, ou de septembre; certains brevets furent
I arrêtés en novembre; celui de 1654 est daté du 22 décembre*.
En 1661, Fouquet avait fait un effort pour hâter l'expédition :
elle est datée du 2 juin.
\ Colbcrt se fit une règle d'expédier le brevet en mai. Dès 1626
il s'y conforma*. Quatre fois seulement (en 1666, 1671, 1677
et 1678) le brevet ne fut arrêté qu'en juin, mais c'est parce
qu'à ces dates le roi était à l'armée et ne pouvait signer l'acte
plus tôt. Mais en 1667, Colbert invite le roi dès le 4 mai à
« résoudre le brevet de la taille, qui doit estre envoyé dans les
provinces le 20 de ce mois4 »; pendant cinq années, de 1672
à 1676 inclusivement, le brevet fut expédié dès le mois d'avril5.
Colbert donnait l'exemple à tous les agents ses subordonnés.
Toutefois, une si grande hâte n'était pas sans inconvénient :
en mai, il était impossible de savoir si les récoltes seraient
bonnes ou mauvaises, et les intendants ne pouvaient donner
en connaissance de cause leur avis sur le brevet. On risquait
ainsi de faire une mauvaise répartition.
I Après avoir fixé le montant total du brevet, le conseil devait
arrêter la part de chaque généralité 6. C'était lui qui faisait la
répartition au premier degré. Il va sans dire que le travail était
f>réparé par l'intendant des finances chargé des tailles et par
e contrôleur général.
La généralité était une circonscription financière administrée
/ par des trésoriers généraux. Au début, les généraux des finances
résidaient à Paris et leur juridiction s'étendait sur tous les
pays d'élections. En 1450, le royaume fut partagé en 4 géné-
ralités ayant chacune ses généraux; la Normandie en fut une7.
Au xvie siècle, le besoin d'argent fit multiplier les offices de
généraux des finances, et par conséquent les généralités : en
décembre 1542, la Normandie fut divisée en deux : Haute et
Basse Normandie, ayant respectivement leurs sièges à Rouen
1. Règlement du 19 janvier 1599, art. 1, publ. dûns la Revue Henri IV, t. I,
p. 189; ordonnance de janvier 1629, art. 344, etc.
2. Arch. Nat. K 891, pièce 6.
3. Cf. les dates des brevets ci-dessus, p. 23, note 4.
4. Clém. Il, p. CCLI1.
5. 11 est probable que Colbert voulait faire signer l'acte par le roi avant son
départ ù l'armée; c'est du moins le cas pour 1673 (Clém. II, p. CCXXXIV).
6. 11 est bien entendu qu'en cet ouvrage je ne parle que des pays d'élections.
7. Les trois autres étaient celles de Languedoil, Languedoc et Outre-Seine. Les
documents relatifs à la formation des généralités ont été réunis par Fournivol
dans son Recueil dont il sera parlé au chapitre n. Cf. Corbin, Nouveau recueil des
L ÉTABLISSEMENT DU BREVET. 27
et à Caen. Enfin, en mai 1636, la généralité d'Alençon fut faite
de parties enlevées aux deux précédentes *. Les motifs de cette
dernière création, d'après le préambule même de l'édit, étaient
les grands besoins d'argent du roi qui l'obligeaient à « recourir
aux moyens extraordinaires »; nous espérons, disait-il, que
l'établissement d'un Bureau des finances, « dont il nous peut
revenir une grande et notable somme de deniers pour nous
secourir dans l'occasion urgente de nos affaires » ne sera pas à
charge au peuple; mais il n'avait pas le moindre souci de régu-
lariser les circonscriptions ou de faciliter l'administration2.
Il ne faut pas s'étonner si les généralités étaient bizarrement
composées et très inégales3.
En 1661, les pays d'élections, entre lesquels le montant du
brevet est partagé, comprennent les 18 généralités de : Paris,
Soissons, Amiens, Châlons, Orléans, Tours, Bourges, Moulins,
Lyon, Riom, Poitiers, Limoges, Bordeaux, Montauban, Rouen,
Caen, Alençon et Grenoble.
Les trois généralités normandes ont une étendue plus grande
que les ressorts du Parlement et de la Chambre des comptes de '
Rouen : elles comprennent en effet — et dès le xve siècle il en
était ainsi — la châtellenie de Pontoise et la vicomte de Chau-
mont et Magny, c'est-à-dire qu'elles vont jusqu'à l'Oise, tandis
que le ressort du Parlement, de la Chambre des comptes, et du
gouvernement militaire s'arrête à l'Epte4; elles comprennent
édita... concernant les cours des aides, Paris 1623, liv. VI; Pasquier, Recherches,
liv. XVII; Girard, Trois livres des offices de France, Paris, 1638, t. I, et Jac-
queton. Documents relatifs à l'administration financière... ÎUU3-1Ù23, Paris 1891.
1. L'édit de décembre 15'i2 portait le nombre des généralités du royaume à 16,
savoir : Paris, Châlons, Amiens, Rouen, Caen, Bourges, Tours, Poitiers, Issoire
(plus tard Riom), Agen (plus tard Bordeaux), Toulouse, Montpellier, Lyon, Aix,
Grenoble et Dijon (Fournival, p. 159; Fontanon, Recueil, t. Il, f° 625). Voir la
liste des élections comprises dans chaque généralité dans Jacqueton, p. 279-283.
En 1552 fut créée la généralité de Nantes ; en septembre 1558, celles de Limoges
et d'Orléans; en septembre 1587 celle de Moulins; en novembre 1595 celle de
Soissons; en janvier 1635, celle de Montauban; celle d'Alençon fut la dernière
créée; jusqu'en 1683, il n'y aura plus de créations nouvelles.
2. Voir la liste des édils bursaux enregistrés à la Chambre des comptes de
Normandie du 16 au 19 mars 1637, avec celui-ci, dans de Beaurepaire, Cahiers
des états, .... règne de Louis XIII, t. III, p. 227-229. V. aussi Forbonnais, Recher-
ches... éd. in-4°, I, 228. Le roi invoque accessoirement comme motif son désir
de dédommager la ville de la suppression de l'échiquier et de supprimer les
inconvénients du transport des deniers à Rouen, distant de 30 lieues. Mais
ce motif était très secondaire. L'édit d'établissement, plusieurs fois imprimé au
xviie siècle, a été réédité dans Duval, Etat de la généralité d'Alençon sous
Louis A IV, p. 363-379.
3. Au temps de Colbert, la plus grande généralité d'élections est celle de j
Montauban, avec 2194 paroisses; ensuite viennent celles de Paris (2046 paroisses) \
et de Bordeaux (2041). Les plus petites sont celles de Bourges (671 paroisses) et
de Lyon (837). Voir la statistique complète des généralités, dressée par ordre de
Colbert en 1677, B. N., Cinq-cents Colb., 261. C'est par erreur que Malicorne
déclare la généralité d'Amiens « la plus petite de toutes » (Rech. hist. sur l'agri-
cult. dans le pays de Rrai/, II, 110).
4. Le Vexin français fut enlevé à la généralité d'Outre-Seine non pas vers
1474-78 comme le dit Jacqueton p. 282, n. 9, mais en 1382 : cf. ci-dessous p. 61-3.
28 LA TAILLE EN NOIIMANDIB.
aussi, au sud, la châtcllenie de Nogent-le-Rotrou et la vicomte
du Perche, qui sont en dehors de la province pour la justice et
le gouvernement militaire1. Les limites de ces généralités, sans
être aussi vagues que l'a soutenu Brette, n'étaient pas tou-
jours très précises; les enclaves d'une ou de plusieurs paroisses
étaient fréquentes; l'intendant d'Alençon signale des paroisses
« mixtes » entre sa généralité et celles de Tours et d'Orléans *;
pendant longtemps un faubourg de Pontoise dépendit de la
généralité de Paris, tandis que la ville dépendait de Rouen;
un faubourg d'Alençon était de la généralité de Tours.
Avant 1636, la généralité de Rouen comprenait 21 élections
et celle de Caen, 9*. La généralité d'Alençon enleva 8 élections
à celle de Rouen et une à celle de Caen. En définitive, les trois
généralités sont composées au temps de Colbert de la façon
suivante : >
Rouen, élections d'Andely, Arques, Caudebec, Chaumont et
Magny, Évreux, Gisors, Lyons, Montivilliers, Neufchâtel, Pont-
Audemer, Pont de l'Arche, Pont l'Evêque, et Rouen4, soit
13 élections, comprenant 1 893 paroisses taillables.
Cabn, élections d'Avranches, Bayeux, Caen, Carentan,
Coutances, Mortain, Valognes, Vire-et-Condé5, soit 8 élections,
1 233 paroises taillables.
Alençon, élections d'Alençon, Argentan, Bernay, Conches,
Domfront, Falaise, Lisieux, Mortagne, Verneuil, soit 9 élections,
1321 paroisses taillables6'.
On voit qu'il y a une assez grande inégalité entre les trois
circonscriptions, celle de Rouen ayant moitié plus de paroisses
que celle de Caen; il ne semble pas que le gouvernement ait
jamais rien fait, après 1636, pour corriger ce défaut. Telle
Le rattachement fut fait uniquement au point de vue financier; pour tout le
reste, le pays dépendait de Paris. Cf. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 85.
1. Voir de Beaurepaire, Cahiers des riais... règnes de Louis XIII et de Louis XIV,
t. III, p. V. Quelques remaniements de détail dans ces limites furent faits à
l'époque de Colbert. Ainsi, le faubourg de l'Aumône sur la rive gauche de l'Oise,
fut rattaché à Pontoise par une déclaration du 27 janvier 1663, comme on le
▼erra plus bas. De même, la paroisse du Courdimanche fut enlevée à la généra-
lité d'Alençon.
2. Voir la liste des élections en décembre 1597, dans Néron, Recueil, t. I,
p. 6D0, et dans C.d.T. t. I, 221. Autre liste semblable dans Lescuyer, Le guidon
des secrétaires (lli22) p. 30.
3. Une élection avait été créée à Pontoise par édit de décembre 165'» (C.d.T. I,
45ti). Elle fut supprimée en août 1661 (ibid. p. 495).
4. Lettre au contrôleur général, du 27 juillot 1682. L'inconvénient de ce par-
tage est de favoriser les translations de domicile frauduleuses. L'intendant
demande à s'entendre avec ses collègues d'Orléans et de Tours pour • achever
ce qu'on a desjà proposé plusieurs fois, et mettre toutes ces paroisses mixtes
tous une mesme eslection » (A. N. G7, 71). Nous ne savons s'il fut ou non donné
suite à sa proposition.
5. L'élection de Saint- Lô fut supprimée en août 1661, ainsi qu'on le verra plus
loin.
6. Voir ci-dessous, p. 64, le tableau des élections avec le nombre des paroisses
de chacune.
L ETABLISSEMENT DU BREVET. 29
quelle, la généralité de Rouen occupe, par le nombre de ses
paroisses, le cinquième rang dans les pays d'élections; Alençon
vient au septième rang, et Gaen au dixième.
Pour fixer la part de chaque généralité, le gouvernement ne
disposait d'aucun élément statistique précis. On verra qu'il en
était de même à tous les degrés de la répartition : les collecteurs
n'avaient que leur opinion personnelle pour juger des facultés
d'un taillable, les intendants, les trésoriers généraux, les élus/ ^
n'avaient aucune base pour évaluer les ressources d'une paroisse
ou d'une élection. La taille étant un impôt global sur le revenu
et comportant des exemptions personnelles, ne pouvait être
exactement tarifée; on n'avait aucun moyen de savoir chaque
année qui était contribuable en chaque lieu et à combien il
devait être taxé. L'arbitraire dans l'assiette était la caractéris-
tique essentielle de l'impôt. En pratique, on se guidait sur les
chiffres d'imposition de l'année précédente; en les reproduisant,
ou à peu près, on risquait de ne pas faire trop d'erreurs; mais
on risquait aussi de perpétuer les inégalités; une circonscription
qui avait été soulagée une fois avait chance de l'être toujours;
celle qui au contraire avait été une fois surchargée le demeu-
rait toujours.
En dehors de cette base, l'état des recouvrements pouvait
donner des indications utiles : lorsqu'une généralité payait ses
impôts sans non-valeurs et sans retards, il était a présumer
qu'elle n'était pas surchargée; si au contraire elle payait lente-
ment et avec beaucoup d'arriérés, il y avait risque qu'elle fût
trop imposée. Mais ici encore, que valait le raisonnement? Cer-
taines circonscriptions payaient bien par habitude, soit qu'elles
fussent bien administrées, soit qu'elles eussent connu une
période passagère de prospérité ; d'autres, où les peuples
étaient « endurcis », payaient mal, en dépit de tous les dégrè-
vements.
Les chances d'erreur dans la répartition étaient d'autant plus
grandes que le gouvernement ignorait la consistance et la richesse
relative des circonscriptions. Avant 1661, personne ne savait!
combien il y avait de paroisses, à plus forte raison de contri-
buables dans chaque généralité; si l'on s'était parfois préoccupé
de le savoir, on n'avait pas eu le moyen d'y parvenir. Colbert
le premier comprit l'importance de ces renseignements statis-
tiques et s'efforça de les réunir1. En 1664 il demandait aux f
intendants « le nombre véritable des villes, bourgs et paroisses »
dont chaque circonscription était composée. L'année suivante,
1. Voir mon édition du Mémoire de Voysin de la Noiraye sur la généralité de
Rouen, introduction, p. V-VII, et appendice, p. 161-163. Montchrestien avait déjà
proposé ces enquêtes dans son Traité de l'économie politique (1615).
10 LA TAILLE EN NORMANDIE.
il faisait dresser une liste des paroisses, élection par élec-
tion avec le nombre des feux de chacune, ses impositions
ta 1658, 1659, 1662 et 1665, et la nature de son terroir1.
K ri L671, dans une nouvelle circulaire, il demandait à ses
subordonnés une « comparaison du nombre des cotes de cette
année awe rrluy des cinq ou six dernières* ». En 1677 encore, il
réunissait dans un registre le tableau complet de toutes les
paroisses par élections, avec leur chiffre d impôt. Souvent il
calcula l'imposition moyenne d'un feu dans chaque généralité
pour juger approximativement si l'une n'était pas surchargée
par rapport à l'autre. Ainsi, en 1682, il constatait que dans les
élections de Beauvais et de Clermont, de la généralité d'Amiens,
un feu payait moins que dans les généralités voisines de
Paris et de Soissons, et il invitait l'intendant de Breteuil à y
remédier3. Souvent les intendants, sur son ordre, lui signa-
laient de ces inégalités : celui d'Alençon en sept. 1683 lui
apprend que les contribuables de l'élection de Mortagne font
des translations de domicile fictives dans la généralité de Tours,
et ceux de l'élection de Verneuil dans les généralités d'Orléans,
de Paris, de Rouen, pour payer moins de taille*. En 1672,
' l'intendant de Rouen lui écrit que des taillables de l'élection de
Neuchâtel se retirent dans la généralité d'Amiens « parce que
la taille n'y est pas si haulte qu'en cette province5 ». Le 12 sep-
tembre 1683, l'intendant Méliand, qui passa successivement
plusieurs années dans chacune des trois circonscriptions nor-
mandes, écrit : « Cette généralité de Rouen est fort surchargée
et beaucoup plus que les deux aultres de cette province, ce que
je sais pour y avoir servi6 ». Deux mois auparavant, il envoyait
un mémoire où il montrait les accroissements de taille
infligés à la généralité depuis 1674 : le chiffre était passé
1. Voir dan» le Mémoire de Voysin, p. 161 et suiv., ce tableau pour la généralité
de Rouen.
2. Clém. IV, 58.
3. Lettres à Breteuil des 28 octobre et 6 novembre 1682 (B. Mun. Amiens, ms. 508,
t. III, pièces 495 et 513).
4. Mémoire du 1" septembre 1683 (A.N. G7 83). Sur la répartition traditionnelle
de la taille, cf. Labarre, Formulaire, p. 77 : il explique comment, des deux géné-
ralités de Normandie, celle de Caen porte habituellement le tiers de celle de
Rouen : « s'il y a 1 803 160 1. (pour la généralité de Rouen) ainsi qu'es années 1619
et 1620, Caen, marchant au tiers, a porté 634 720 1. »
5. Lettre du 30 octobre 1672 (M. C. 169, f° 189. Cf. Clairamb. 795, p. 485). Si
nous calculons après Colbert l'imposition moyenne par feu dans les généralités
pour lesquelles nous avons des données, nous trouvons qu'en 1665, celle de Rouen
étant imposée à 2 272 698 1. pour 182 348 feux taillables, paie en moyenne 12 1. 9 s.
3 d. (Mémoire de Voysin de la Noiraye sur la généralité de Rouen, p. 166 et suiv.).
Pour la généralité de Caen, nous avons un état des feux dressé en 1668; le total
est de 135 403. L'impôt étant de 1767 000 1. on a une moyenne de 13 1. 1 s. par
feu (état recueilli par l'abbé de Dangeau, B. N. fr. 22 613, f° 142-144). Nous n'avons
pas de liste des feux pour la généralité d'Alençon à l'époque qui nous concerne.
On trouve un tableau comparatif de l'imposition moyenne par habitant dans
chaque j^ênoralité, vers 1784, dans Y Encyclopédie méthodique, partie Finances,
t. II, p. 368.
6. A. N. G' 492.
L ETABLISSEMENT DU BREVET. 31
de 2 430000 1. à 2 515000, sans que le nombre des contri-
buables ni leur fortune eussent notablement changé1.
Les renseignements de cette nature étaient les moins impar-
faits que le Conseil pût avoir pour fixer la quote-part d'une
généralité. Mais ils étaient loin de suffire. D'abord, on peut se
demander si l'intendant avait des éléments d'information suffi-
samment exacts et s'il prenait la peine de se renseigner avec
précision avant d'écrire. Les chiffres ne doivent pas être pris
en eux-mêmes, il faut les interpréter; une circonscription payant ,
en moyenne 15 1. par feu pouvait n'être pas plus surchargée '<^
qu'une autre payant 10 "17, si la première était en pays riche et
la seconde en pays stérile. En second lieu, il fallait tenir compte
des autres impôts, très inégaux suivant les provinces : il eût
été injuste de faire payer autant de taille à une généralité
de grande gabelle et à une généralité de petite gabelle; à une
élection accablée par les logements de troupes et à une élection
exempte de soldats. Enfin, les réclamations des intendants S
n'étaient pas Jtoujqurs désintéressées : il était naturel qu'un i
administrateur cherchàtlTfàîrësouïager s^a çiFconscription pour '
se faire 1^ri^vmrlîè"se^adini^^ se vante d'avoir
fait âccDrdèT^ûrTe^iminutîÔn" de 30000 1. de taille à la géné-
ralité de Caen en 1705 et une nouvelle réduction de 40000 1.
en mai 1706 2. Les fréquentes plaintes de tous les intendants ;
sur la surcharge de leur généralité par rapport aux voisines
doivent nous mettre en éveil 3. En 1679, Colbert réprimande '
l'intendant d'Auvergne à ce sujet : « Je vous vois, lui dit-il,
un grand penchant, en toutes occasions, pour favoriser la pro-
vince d'Auvergne, ce qui ne s'accorde pas du tout avec le ser-
vice du roy 4. » Nous avons du reste l'aveu de l'un d'entre eux :
en 1732, Lallemant de Lévignen, intendant d'Alençon, écrit :
« Le conseil est prévenu que lorsque les intendants demandent des
diminutions, c'est dans la vue de s'attirer la considération des pro-
vinces confiées à leurs soins 5. »
1. A.N. & 492.
2. Mémoires de Foucault, éd. Baudry, p. 366 et 368.
3. Ces discussions sur la surcharge relative de telle ou telle conscription étaient
très anciennes. Aux Etats de 148i, les Picards se déclarent surchargés : « Il est
aisé, disent-ils, d'avoir la preuve de ce fait dans le bailliage d'Amiens et ses
environs, où deux cultivateurs, l'un étant des nôtres et l'autre son voisin, quoi-
qu'ils eussent une aisance égale, n'étaient pas assujettis à une taille égale, et
pour 3 1. que le premier payait, le second en payait 2 au plus » (Journal de Masse-
lin, trad. française, p. 471). Or, les Normands leurs voisins soutiennent pour
leur compte la même thèse : « dans les villages situés sur les limites de la
Normandie, disent-ils, le paysan normand paie une cote deux fois plus considé-
rable qu'un autre paysan son voisin, qui a les mêmes moyens et demeure hors
de nos limites (ibid., p. 477).
4. Glém., II, p. 108.
5. B.N. fr. 7 771, f° 176. Les intendants et les ministres trouvaient d'ailleurs
leur compte à ces protections. En 1679, les Etats de Maçonnais votent des gratifi-
cations de 1000 liv. à Colbert, 500 1. à Desmaretz, 200 1. à Boissier, secrétaire
32 LA TAILLE EN NOIt M AN M I .
f En définitive, le gouvernement n'était pas en mesure de faire
I un répartement exact et équitable de la taille; il nous est d'ail-
leurs impossible à nous-mêmes aujourd'hui de juger ses opéra-
tions : nous avons bien des indices que telle région était sur-
chargée, telle autre soulagée1, mais nous ne pouvons dire de
combien.
Le tableau qui suit donne, en centièmes, pour quatre années
différentes, la part relative de chaque généralité; les quatre
années choisies sont : 1661 (brevet arrêté par Fouquet) ; 1663
(premier brevet arrêté par Colbert); 1672 (brevet le plus faible
de notre période); 1683 (le dernier brevet arrêté par Colbert).
1661 1663 1672 1683
Pari» 10,772 p. 100. 10,179 p. 100. 10,498 p. 100. 10,561 p. 100.
Soissons .... 2,766 — 2,756 — 3,033 — 2,68 • —
Amiens 2,188 — 2,032 — 2,436 — 2,595 —
Chnlons 3,962 — 4,591 — 4,588 — 4,1fi6 —
Orléans 6,418 — 6,447 — 6,005 — 5,744 —
Tours 9,523 — 9,707 — 9,177 — 8,889 —
Bourges 2,102 — 2,141 — 1,967 — 1,8»6 —
Moulins 3,541 — 3,781 — 3,726 — 3,732 —
Lyon 4,205 — 4,143 — 3,988 — 3,632 —
Riom 7,085 — 6,396 — 6,877 — 6,911 —
Poitiers 7,001 — 6,752 — 6,347 — 6,387 —
Limoges .... 5,388 — 5,894 — 5,193 — 5,511 —
Bordeaux .... 7,9.>9 — 7,935 — 8,580 — 8,759 —
Montauban . . . 8,650 — 8,418 — 8,394 — 9,366 —
Rouen 6,418 — 6.504 — 6,722 — 6,6:<9 —
Caen 4,869 — 4,834 — 4,885 — 4,588 —
Alencon 4,094 — 4,216 — 4,257 — 4,141 —
Grenoble .... 3,060 — 3,272 — 3,324 — 3,829 —
Ce tableau montre combien la quote-part d'une généralité
variait d'une année à l'autre : entre 1661 et 1663, la part de
Limoges croit de 5,3 à 5,8 p. 100, celle de Paris décroit de
10,7 à 10,1, celle de Poitiers, de 7 à 6,7; il n'est pas une cir-
conscription qui ait conservé sa même proportion. De même,
entre la première et la dernière année de Colbert, on trouve des
écarts importants : Amiens, de 2 à 2,6 p. 100; Orléans, de
6,4 à 5,7, Montauban, de 8,4 à 9,3, Grenoble, de 3,2 à 3,8;
il serait difficile de les expliquer par l'accroissement ou la
diminution des ressources de ces circonscriptions; il faut plutôt
y voir un effet de l'indécision du Conseil dans le répartement.
du contrôleur général, 500 1. à l'intendant Bouchu, attendu • qu'il est extrême-
ment important de prendre quelques mesures pour se faire dans les affaires les
mesmes ouvertures que les autres provinces se sont acquises par le moyen de la
juste reconnoissance qu'elles ont envers les personnes puissantes en crédit qui
veulent bien [leur] donner une partie de leurs soins » (Clém., IV, p. 596). La
Normandie paye 7 500 1. chaque année a La Vrillière, dans le département duquel
elle se trouve, et celui-ci estime cette gratification juste, uttendu qhe ses collègues
« jouissent entièrement de semblables gratifications dans les provinces de leurs
departemens > (Billet à Colbert, 24 avril 1666, M. G., 137, fol. 450).
1. Cf. la préface, p. V.
L ETABLISSEMENT DU BREVET.
33
Voici maintenant le montant des brevets pour les trois géné-
ralités normandes, de 1661 à 1683 :
Rouen.
1661 2 610 000 1.
1662 2 786 533
1663 2 480 083
1664 2 361083
1665 2 288 000
1666 2 316 000
1667 2346000
1668 2 356 000
1669 2 380 000
1670 2 251000
1671 2 258 900
1672 2 239 040
1673 2 291000
1674 2 430 000
1675 2 430 000
1676 2 700 000
1677 2 700 000
1678 2 700 000
1679 • 2 300 000
1680 2 300 000
1681 2 260 000
1682. 2 288100
1683 1580 550
Caen.
Alençon.
1980 0001.
1 665 000
2 068 758
1 768 744
1 843 059
1 607 411
1 733 059
1 527 411
1 622 000
1 483 000
1 650 000
1518 000
1 678 000
1 538 000
1 767 000
1 538 000
1 767 000
- 1538 000
1 647 000
1 438 000
1 647 000
1 438 000
1 627 000
1418 000
1 668 000
1 448 000
1 768 000 .
1 537 000
1 768 000
1 537 000
1 930 000
1 700 000
1 930 000
1 700 000
1 930 000
1 700 000
1 600 000
1 450 000
1 600 000
1 450 000
1 550 000
1 400 000
1 577 400
1 429 500
1 426 500
1319 233
OC
Les chiffres arrêtés pour chaque généralité étaient inscrits
sur l'original du brevet de la taille. Ce brevet général se ter-
minait par la clause suivante :
« Veult S. M. qu'il soit envoyé aux Presidens trésoriers de France
desdites dix-huit generallitez, des extraicts signez de S. M. et con-
tresignez par l'un -de ses secrétaires d'Estat et de ses commandemens,
contenant les sommes que chacune desdites generallitez doit porter,
pour en faire le département sur les eslections en dépendantes, et
donner sur ce leurs ad vis à S. M. »
On copiait donc sur ce brevet général autant de « brevets \
particuliers » qu'il y avait de généralités. Chaque brevet par-
ticulier débutait par la formule suivante : « Extrait du brevet
contenant les sommes que le roy, estant à le a
résolu estre imposées et levées en l'année prochaine mil six cens
». Il se terminait par cette autre : « Collationné sur
l'original signé par nous ». Chaque brevet particulier
indiquait la somme imposée sur la généralité à laquelle il était
adressé. On n'y trouvait pas l'imposition des autres circon-
scriptions, de sorte que les trésoriers généraux et les intendants
ignoraient le rapport entre l'imposition de leur généralité et
celle de l'ensemble du royaume. C'était leur interdire de dis-
cuter le chiffre même du brevet et leur enlever le moyen de
savoir si les autres généralités avaient été comme la leur aug-
3
LA TAILLE EX NORMANDIE.
34 LA TAILLE EN NORMANDIE.
menthes ou diminuées. Les brevets particuliers étaient expédiés
sur parchemin par un commis du secrétaire d'Etat qui avait
signé le brevet général, et scellés du sceau de cire jaune '.
D'après son libellé, le brevet particulier ne devait être adressé
qu'aux trésoriers généraux; il en était ainsi avant l'établisse-
ment des intendants, mais dès 1642, les intendants avaient reçu
un double du brevet, et pendant tout le ministère de Colbert on
ne cessa pas de le leur expédier en même temps qu'aux tréso-
riers. Néanmoins, la formule ne fut pas corrigée, soit par négli-
gence, soit pour ne pas provoquer les réclamations des tréso-
riers de France.
A chaque brevet particulier était jointe une lettre de cachet
du roi sur parchemin, adressée aux trésoriers et leur enjoignant
d'envoyer leur avis sur le brevet sans retard. Cette lettre était
de pure forme et ne contenait aucune 'indication particulière*.
On y ajoutait encore une lettre de l'intendant des finances
chargé des tailles et souvent aussi, à partir de 1666, un billet
du contrôleur général. Ces lettres étaient également de pure
forme. La copie adressée à l'intendant était une simple expé-
dition sur papier non signée ni scellée, et destinée uniquement
à renseigner ce fonctionnaire; elle était sans valeur authen-
tique. Colbert y joignait une lettre circulaire, signée de lui, où
il faisait à ses subordonnés toutes les recommandations rela-
tives à la taille, leur adressait toutes les demandes de rensei-
gnements qu'il jugeait utiles. Une partie d'entre elles nous sont
parvenues et se trouvent dans la publication de Clément3; nous
1. En 1067, il est accordé 300 1. d'indemnité au sieur de Rez, commis de Guéné-
Pud, pour l'expédition du brevet de la taille (Aff. Etr., France, mém. et doc. i*22,
75). C'était le secrétaire d'Etat en quartier qui signait les brevets particuliers,
comme toutes les autres expéditions.
2. Voici par exemple celle qui fut adressée au Bureau des finances de Rouen le
3 juin 1671 avec le brevet :
• De par le Iloy,
« Nos amez et feaulx, nous tous envoyons l'extrait du brevet de la taille de
Tannée prochaine 1672, signé de notre main, par lequel vous connoistrez les
sommes que nous voulons estre imposées en vostre généralité, et voulant avant
que de faire travailler à nos commissions de ladicte année, avoir vostre départe-
ment contenant voslre advis sur ce que chacune élection en doit porter, Nous
vous mandons et ordonnons de nous envoyer vostre dict département dans la fin
du mois de juin prochain, après avoir pris connoissance de restât des biens de la
terre, et à ce ne faitos faute, enr tel est notre plaisir. Donné à Tournay le troi-
sième jour de juin mil six cens soixante et onze • (signé) : Loui*, ^et plus bas)
Colbekt. (A.D. Calv. Bureau des finances, registre de commissions, 16til-1672,
D'autres lettres semblables pour les autres années se trouvent au même
registre. Des copies des lettres envoyées chaque année au bureau des finances se
trouvent à la suile des brevets de la taille dans les registres du secrétariat
d'Etat de la maison du roi (A. N. O* 5 à 27). Celle de 1681 est publiée dans
Clément, t. II, p. 783, n. 2. Le seul détail à relever dans ces lettres c'est que le
roi enjoignait aux trésoriers généraux d'envoyer leur uvis le plus tôt possible,
généralement avant le 1" juillet.
3. Voir par exemple Clém., II, 330.
L ETABLISSEMENT DU BREVET.
35
aurons souvent à y recourir pour connaître les réformes de
Colbert. Voici, à titre d'exemple, celle qui fut expédiée avec le
brevet de 1672 :
« Le roy ayant résolu et signé le brevet de la taille de l'année
prochaine dont je vous envoyé l'extrait, je vous prie de prendre
connoissance de Testât de chacune eslection pour bien distribuer la
somme portée par ledit brevet, en sorte que l'imposition se fasse sans
non-valleurs en vertu des commissions qui vous seront envoyées dans
le temps accoustumé. Je ne doutte pas que vous n'en preniez un soin
particulier, puisqu'il s'agit du service de Sa Majesté, et de soulager
les peuples de l'inégalité des impositions qui cause d'ordinaire beau-
coup de frais et de vexations. Je suis — *. »
Jusqu'en 1666, des paquets séparés étaient faits pour le
Bureau des finances et pour l'intendant; après cette date, on
ne fit plus qu'un seul paquet, qui fut adressé à l'intendant;
celui-ci faisait parvenir au Bureau l'exemplaire du brevet et les
lettres qui lui étaient destinés.
1. A. N.OU6, f°334, v°.
CHAPITRE II
LES COMMISSIONS DES TAILLES
I. LES TRESORIERS GENERAUX. II. LES INTENDANTS. III. LES
ÉLECTIONS. IV. LES AVIS SUR LE BREVET. V. LES IMPOSITIONS
DES VILLES. VI. LA FORME DES COMMISSIONS.
Le chiffre d'impôt attribué à chaque généralité par le brevet»
doit être réparti entre les élections. Cette besogne était à l'ori-j
gine confiée aux généraux des finances ! ; mais ceux-ci ayant
abusé de leur pouvoir, le roi s'était réservé le droit de pro-
noncer lui-même en dernier ressort, ne laissant que voix con- À
sultative à ses agents locaux. Nominalement, la répartition au |
second degré est donc faite par le Conseil, mais d'après l'avis j
des agents locaux, lesquels sont seuls en mesure de con- f
naître les ressources et les capacités contributives de chaque
région.
Leur travail, qui porte le nom d' « avis sur le brevet », doit
servir à déterminer :
1° la part de chaque élection;
2° l'imposition de certaines villes, qui ont le privilège d'être
imposées directement par le Conseil;
3° les impositions annexes qui doivent être levées avec la
taille.
Ces agents locaux sont, dans chaque généralité, les trésoriers
généraux et les intendants.
1. Les États de Normandie avaient eu, au début, le droit de faire la réparti-
tion, mais ils l'avaient de très bonne heure perdu. Cf. leurs doléances en
novembre 1569, Cahiers des Jitats, règne de Charles IX, t. I, p. 59, et encore
en mars 1579 {ibid., t. II, p. 40) : à cette dernière date ils font valoir l'avantage
qui résultera de la suppression de ce « grand nombre d'officiers qui tous ron-
gent et mangent jusques aux oz la substance [du] peuple ». Mais le roi avait ses
raisons pour conserver et même multiplier ces mangeurs.
38 I.A TAII.LK l\ Nult.M ANDIi:.
I. — LES TRESORIERS GENERAUX
« On peut dire de l'origine des trésoriers généraux, écrit Four-
nival, qu'il en est comme du Nil, dont on n'a jamais pu découvrir
la source; ces officiers sont si anciens dans le royaume, qu'il ne
se trouve rien de leur origine '. » Leur charge s'était formée par
la réunion de deux fonctions différentes : celles de trésorier de
France et de général des finances. Les trésoriers de France
administraient le domaine du roi, ils étaient d'institution pure-
ment royale; les généraux des finances avaient été créés au
xive siècle pour surveiller la répartition des impôts nouveaux,
à la demande des Etats : ainsi les premiers administraient les
finances ordinaires et les seconds les finances extraordinaires.
A la fin du xivc siècle, il y eut pour tout le royaume quatre tré-
soriers et quatre généraux des finances; ils avaient chacun une
des quatre généralités à administrer; lorsqu'en décembre 1542,
le nombre des généralités fut porté à seize, celui des trésoriers
et des généraux ne fut pas augmenté; ils continuèrent à
demeurer à Paris, et envoyèrent leurs commis surveiller les
receveurs dans les circonscriptions nouvelles2.
En janvier 1551, le roi réunit en un seul les deux offices de
I trésorier de France et de général des finances sous le nom de
trésorier général, et décida que chacune des dix-sept généra-
lités alors existantes aurait un de ces nouveaux officiers. Ainsi,
dit Loyseau, à partir de ce moment, ils ne furent plus en réalité
« ny officiers de France (j'entends de la Couronne), ny géné-
raux par tout ie royaume; mais ces beaux titres leur ont esté
laissez pour mieux vendre leurs offices3 ». Après une division
passagère, les charges de trésoriers généraux furent définitive-
ment constituées et servirent maintes fois au roi à battre mon-
naie par des créations d'offices. En 1576, il y ^ayjait-déjà quatre
trésoriers gé n é rau x d âlïschaq u e généralité; on en créa un^îh-
atrîèmêPën juHleTI^TT^oû^-prétexte d'avoir un nombre impair
e délibérants, et leur réunion prit alors le nom de BureajLjles
finances; c'était un véritable conseil auquel étaient attachés un
greffier et deux huissiers 4. On créa encore deux offices de tré-
soriers par généralité en 1581, trois autres en 1586, deux en 1621,
deux en 1626, quatre en 1627, etc., et les offices subalternes se
multiplièrent h proportion5. En 1665, leur nombre total était
1. Recueil des privilèges... des trésoriers de France, p. 2.
2. Edit du 15 décembre 1542 dans Fontanon, Recueil, éd. 1611, t. I, f 625.
3. Loyseau, Du droit des offices, 1. IV, ch. n, § 46. V. l'édit de sept. 1552 sur les
attributions des nouveaux officiers, dans Fontnnon, Recueil, t. II, t 63.
4. Edit de juillet 1577, dans Fontanon, t. II, f° 86.
5. Un adversaire des trésoriers a lui-nu'me reconnu : « Il n'est point d'officiers
qui ayent éprouvé autant de vicissitudes et de variations dans leur état que les
trésoriers de France;... on les a considérés depuis leur dégradation, c'est-à-dire
LES TRESORIERS GENERAUX.
39
de 5Q2^ -celui des officiers inférieurs des bureaux était de .£21 î
tous ces offices étaient inscrits aux parties casuelles, et soumis
au droit annuel. Leur valeur totale en 1665, d'après le tableau
qui en fut dressé par ordre de Colbert, dépasse 38 millions ' ;
celle des offices de trésoriers seuls atteint 25 millions, soitj
environ 17 p. 100 du prix de tous les offices du royaume. }
Dans les trois généralités de Normandie, à la même date2,
les Bureaux des finances comprennent au total 119 offices, dont
la valeur vénale est de 2 603 000 livres ; les gages qui leur sont
attribués s'élèvent à 136875 1. En voici le tableau détaillé :
V.
1. Voici ce tableau, d'après les registres 259 et 260 des Cinq cents Colbert.
Bureaux des finances en 1665.
NOMBRE
DES
TRÉSORIERS
GÉNÉRAUX
AUTRES OFFICES
AUTRES OFFICES
VALEUR TOTALE
DE TOUS
LES OFFICES
DES FINANCES
DES BUREAUX
DES FINANCES
DES
FINANCES
23
18
13
1 094 200 1.
19
24
12
916 000
23
22
40
1 671 800
Bordeaux ....
23
27
46
1 638 400
*3
24
28
1 316 000
Bretagne ....
o
19
2
19
8
20
376 000
1 509 999
23
28
51
1 842 200
24
11
41
1916 600
Grenoble . '. . .
28
19
24
1 314 700
2i
21
29
1 315100
23
21
39
2 103 400
Metz
2
3
6
162 000
Monlauban. . . .
19
26
18
1 053 700
Montpellier . . .
25
28
133
4 168 900
23
10
33
1 447 300
23
16
20
1 680 000
Paris
23
15
47
2 815 000
23
20
36
1 571 000
23
27
24
1 451 900
19
19
43
1 748 000
23
23
24
1 302 900
Toulouse ....
23
30
15
1 226 000
23
18
34
2 759 800
502
471
784
38 400 899 1.
depuis 1551, comme une ressource toujours subsistante pour les besoins de
l'Etat : on les supprimoit, on les rétablissoit, on en multiplioit le nombre sans
autre motif que celui de procurer de l'argent au fixe par la vente de leurs offices »
(Mémoire de Poitevin de Maissemy, Arcli. Nat., K, 888, p. 72).
Dans ce tableau ne sont |>as comptés les 20 receveurs des fouages de Bretagne. —
La dernière colonne indique la valeur de tous les offices de finance de chaque
généralité: dans ce total, les offices des Bureaux des finances seuls entrent pour
25 1,')6 800 1. D'après les mêmes registres, la valeur totale de tous les offices du
royaume s'élève à 419 630 S42 1.
2. Registre Cinq cents Colbert 260, à l'article de chacun des trois bureaux. La
liste détaillée des offices du bureau de Rouen est publiée dans le Mémoire de
Voysin de la Noiraye, p. 208-2J9; cf. ibid., p. 243.
40
I.A TÂILLB KX NOItMAMMF..
opficki
OAjOM
ACTUELS
l'K
■ Il M ! \
ÉVALUA-
TION
Trésoriers généraux.
Greffier»
Receveur des épices.
Premier huissier-con-
cierge
Huissiers des finances.
Huissiers collecteurs.
Procureurs postu-
lants
Trésoriers généraux
Greffiers
Premier huissier-con
cierge
Autres huissiers. . ,
Autres huissiers. . ,
Receveur des épices
Procureurs postu-
lants ....
Trésoriers généraux.
Trésorier garde-scel.
Greffiers
Maitres-clercs desdits
greffiers
Premier huissier-con-
cierge-garde-meu-
bles
Autres huissiers. . .
Procureurs postu-
lants
Bureau des finances de Rouen.
Bureau des finances de Caen.
PRIX
COURANT
2 5001.
2
32 000 1.
5331.
:;">n
2
■
»
358
1
1000
16
230
2
1600
26
66
2
533
8
117
2
1600
26
»
*
*
»
19
2 348 1.
2
29 333 1.
488 1.
3
420
2
3 259
H
1
180
2
3 600
60
2
62
2
1066
17
2
125
2
1066
17
1
368
2
6 000
100
10
»
>
.
•
38
Bureau des finances d'Alençon.
18
1
3
1 993 1.
2 893
382
2
2
»
26 666 1.
26 666
444 1.
444
»
3
105
o
»
»
1
7
100
37
2
2
B
j
10
»
»
>
»
43
45 000
20 000
3000
6 000
2000
3 000
500
50 000
20 000
6 000
3 000
3 000
3 000
500
30 000
36 000
10 000
3000
2 000
1000
400
TOTAUX
DF.S
PRIX
COURANTS
855 000
60 000
3 000
6 000
4000
6 000
5 000
939 000
950 000
60 000
6 000
6000
6 000
3 000
5 000
1 036 000
540 000
3'> 000
30 000
9 000
2 000
7 000
4 000
628 000
Il faut observer que les gages de ces officiers ne représentent
qu'une partie de leurs revenus; on peut évaluer à .300000 1.
au moins, soit environ 6 p. 100 du montant de la taille1, la
somme que chaque année les contribuables de Normandie leur
1. Sons compter, bien entendu, les gages des intendants, des élus, des huis-
siers, de tous les commis, ni les remises faites aux collecteurs et aux rece-
veurs. Voici la liste des gages effectivement payés aux officiers du Bureau de
LES TRESORIERS GENERAUX. 41
payaient. Evidemment ce nombre de 119 officiers pour faire laf
répartition de l'impôt dans une seule province était excessif1.
Presque tout le monde le pensait alors; on savait bien que les
offices n'avaient été créés en si grand nombre, que pour pro-
curer de l'argent au roi. Un trésorier de France, Fournival, a
cependant soutenu que leur nombre n'était pas exagéré : Il est
logique, dit-il à peu près, que, le chiffre des impôts s'étant
accru, le nombre des agents chargés de le répartir se soit accru
également. Le raisonnement est fragile.
Les trésoriers généraux avaient des attributions jnultiples.
Ils étaient administrateurs du domaine et des ponts et chaussées : J
ils faisaient ou surveillaient la répartition de tous les impôts :
taille, aides, gabelle, octrois des villes; ils recevaient le ser-
ment des élus et des receveurs, qu'ils contrôlaient, rendaient la .
justice en toutes ces matières2. Pour la taille particulièrement,,
ils ont à donner leur avis sur la répartition entre les élec-i
tions; ils participent au département entre les paroisses, sur-j
veillent les receveurs généraux et particuliers et vérifient leurs
comptes; ils jugent les affaires relatives aux comptes et con-
naissent des lettres de noblesse, qui confèrent exemption de
taille3, jls forment un corps, un collège; toutes leurs décisions
sont prises, toutes leurs ordonnances rendues en nom collectif.
Ils siègent généralement trois fois la semaine, mais peuvent
tenir des réunions extraordinaires*. Dans les séances, ils déli-
bèrent à la majorité des membres présents; en cas d'égal par-
tage, la décision est ajournée. Il ne semble pas qu'un minimum
de membres présents ait été exigé pour la validité des délibéra-
Rouen en 1665 : le trésorier garde-scel reçoit 3 348 1. 15 s.; le président 2 948 1.
15 s.; deux trésoriers 2 748 1. 15 s.; douze autres 2 498 1. 15 s.; le propriétaire
des deux offices de greffier 1353 1. 15 s.; le premier huissier 230 1. 12 s.: le
receveur des épices 358 1. 15 s.; deux huissiers 117 1. 17 s. 6 d. et les deux autres
66 1. 12 s. au total 47 982 1. 1 s. A quoi s'ajoutent les épices et les autres profits
casuels (état des gages arrêté au Conseil le 25 juillet 1664, A. D. S. Inf., G. 1 382,
f°170 suiv.).
1. Dans une circulaire du 21 sept. 1668, Colbert exhorte les trésoriers à bien
surveiller les impositions : « il vous est d'autant plus facile de réussir, dit-il,
qu'estant un nombre considérable d'officiers dans vostre Bureau, vous pouvez
vous deparlir et diviser tout le travail » (A. D. S. Inf., G, 2 330).
2. Sur le détail de leurs fonctions, voir l'ouvrage déjà cité de Fournival,
Recueil des privilèges des trésoriers de France. Guyot, Traité des Offices. Pasquier,
Recherches, liv. If, chap. vil et vin. Jousse, Traité de la juridiction des trésoriers de
France, Paris, 1778, 2 vol. in-12. L'Etat véritable des trésoriers de F'ranec, Amster-
dam, 1779, in-4. Poitevin de Maissimy, Mémoire sur les trésoiiers de FranCe, 1780,
Arch. ISat., K, 888, en partie publié dans Vignon, Etudes historiques sur l'admi-
nistration des voies publiques, t. I, doc, p. 30-37 (ce mémoire est tendancieux :
l'auteur est un adversaire de trésoriers). De Boislisle, Mémoire de Vlniendant
de Paris, p. 191-194 et 676-678.
3. Voir la formule de leur serment de réception à la Chambres des comptes
dans Cl. de Beaune. Traité de la Chambre des comptes, 1647, liv. I, p. 136, et un
acte de réception à Rouen, dans Mél. Soc. IJist. de Norm., II, p. 373-37Ô.
4. Voici par exemple le nombre des séances tenues par le Bureau de Rouen en
1665 : Janvier 11, février 11, mars 12, avril 8, mai 10. juin 13, juillet 14, août 12,
septembre 4, octobre 13, novembre 15, décembre 11. Total : 134 séances (A. D. S.
Inf., G, 1 167).
42 LA TAILLK EN NORMANDIE.
lions; il arrive souvent, principalement pendant la période des
vacances, qu'un seul membre siège et rende des ordonnances.
Toutefois, lorsque la décision ;i prendre est importante, on
attend que le Bureau soit en nombre : par exemple le lundi
5 octobre 1GG1, au Bureau de Rouen, trois membres seulement
étant présents, on expédie les menues affaires, mais quand vient
en discussion un arrêt de la Chambre des comptes de Rouen,
il est « différé ii pourvoir jusques à ce que la compagnie soit
assemblée en plus grand nombre1». Les délibérations sont ins-
crites par le greffier sur un registre, le Plumitif, où l'on transcrit
également les ordonnances royales enregistrées au Bureau*.
L'assiduité des trésoriers de France aux séances, que l'on
constate à l'aide des noms inscrits en marge des plumitifs, était
des plus médiocres; sur dix-neuf membres de chaque bureau,
on vient de voir qu'un seul parfois était présent. Il est ordinaire
de n'en trouver que quatre ou cinq; il est tout à fait exceptionnel
que plus de la moitié de l'effectif soit réuni. Il arrive même que
personne ne vienne siéger, ce que le greffier mentionne sur le
plumitif en ces termes : « Il n'y a eu ledit jour aucun bureau,
pour n'y avoir aucun de messieurs. » Certains trésoriers n'ont
jamais siégé, même sans avoir obtenu de dispense d'assiduité.
Beaucoup sont employés à d'autres fonctions : M. de Mon-
ceaux, trésorier de France à Caen, est envoyé en mission par
Colbert au Levant3. Une liste des trésoriers généraux de Caen,
dressée le 30 mai 1670, nous apprend que l'un d'eux, Gueston,
est « demeurant à Paris et l'un des directeurs de la compagnie
des Indes Orientales » ; nous ne trouvons jamais sa présence
aux séances; un autre, Brice, est en même temps receveur
général à Limoges et ne fait aucune fonction de sa charge. A
Rouen, un des deux présidents, M. de Tilly, « ne fait point sa
charge et ne vient point au Bureau' ». La Bruyère posséda une
charge de trésorier général à Caen, qu'il n'exerça jamais5; il se
borna à faire le voyage de Caen, pour se faire recevoir et regagna
Paris immédiatement6. On achetait ces charges pour placer ses
capitaux et avoir un titre; c'étaient de douces sinécures.
1. A, D. S. Inf. C, 1167, f° 191, cf. le règlement de janvier 16M, art. 42 : Les
paroisses trop peu imposées parles élus seront taxées par les trésoriers de France
« assemblez en leurs bureaux en nombre suffisant >.
2. Les plumitifs des bureaux de Rouen et de Caen sont conservés en séries
complètes pour la période 16U1-1683 aux archives de la S. Inf. et du Calvados.
C'est de ces plumitifs que sont tirés tous les renseignements ci-dessus. Ceux
d'Alençon font défaut pour notre période.
3. Sur cette mission, voir Clément, t. VII, p. 460.
4. Mémoire de l'intendant Voysin, p. 89.
•">. \ . E. Chatel, Etude c/ironologi-fue sur Jean de La Bruyère, trésorier de
France au bureau des finances de Caen, dans le Bull, de la Soc. des Antiquaires
de Normandie, 1860.
6. Du Cange était aussi trésorier à Amiens, Racine à Moulins; jamais ils ne
parurent à leurs Bureaux (Œuvres de Racine, éd. des Grands Ecrivains, t. I,
p. 97 et 526 et Vayssière, dans les Archives hist. du Bourbonnais, t. I, 1890,
p. 10-13).
LES INTENDANTS. 43
Colbert j/oulut remédier à cet absentéisme, : l'arrêt du Con-
seîT^u3Î~ octobre lbTl divisa les~rmm7Eres de chaque bureau
en quatre séries, chaque série devant siéger pendant un tri-
mestre à tour de rôle; les autres étaient dispensés de servir pen-
dant ce temps1. Mais ce ne fut là qu'un remède insuffisant; les
trésoriers généraux étant propriétaires de leurs offices, le gou-
vernement ne pouvait ni les casser, ni les déplacer, ni les
stimuler par l'espoir d'un avancement ou la crainte d'une
rétrogradation; il pouvait seulement suspendre le paiement
de leurs gages et encore dans des conditions bien définies ; il
n'avait à peu près aucune prise sur eux. En outre, ils se sen-
taient dépossédés de leurs fonctions par de nouveaux agents
royaux : les intendants.
II. — LES INTENDANTS
Depuis longtemps, le gouvernement s'était résigné à la négli-
gence des trésoriers généraux, et il avait cherché le moyen d'as-
surer sans eux une bonne répartition de la taille. A partir du
milieu du xvie siècle, à différentes reprises, des commissions
temporaires avaient été envoyées dans les provinces pour veiller
au « régalement » de l'impôt. La première dont nous trouvions
trace en Normandie est de 1567 : elle est composée du maître
des requêtes Guillaume Postel et de l'avocat au Parlement de
Paris, Imbert du Lac2. En 1578, les Etats de la province s'étant
plaints de l'inégalité de l'assiette des tailles, une nouvelle com-
mission, composée de 4 personnes, vint opérer un nouveau
régalement, qui devait être valable « au moins pour trois ans3 ».
En mars 1593, des commissaires royaux sont départis dans toute i
la France, avec mission de corriger toutes les inégalités de /
répartition et de révoquer les exemptions illégitimes qui ^
s'étaient multipliées à la faveur des troubles 4. En 1598,
Henri IV envoie encore des commissaires dans les provinces
pour enquêter sur les « abus, inégalitez, malversations et exac-
tions qui se commettoient en la levée et perception des tailles»;
une longue instruction leur indique les points principaux sur
lesquels devra porter leur inspection et résume la législation
en vigueur. C'est à l'aide des rapports envoyés par ces enquê-
1. A. D. S. Inf. C. 2 372 à sa date et A. D. Calvados, Bureau des finances, plu-
mitif, à la date du 24 novembre 1671. La déclaration du 29 déc. 1663 avait
astreint les trésoriers à- la résidence, conme tous les autres officiers des finances
(Clém., ir, 753).
2. De Beaurepaire, Cahiers des états... règne de Charles IX, t. I, p. 235. Ces deux
personnages furent continués dans leurs fonctions par les lettres patentes du
28 décembre 1570, citées ibid.
3. Ibid., règne de Henri III, p. 40, 123, et 150. Les quatre commissaires étaient
les sieurs Séguier, Maigriny (ou Mesgrigny), Novince, et Repuchon.
4. C. d. T. I, 147, art. 17 et suiv.
4% LA TAILLE KN NORMANDIE.
teurs que fut dressé 1<- grand (dit de mars 16001. En 1617
et en 1618, le roi s'engage encore, en répondant aux cahiers
des Etats de Normandie, à envoyer des commissaires du Conseil;
en 1623, nous en voyons fonctionner d'autres, avec des pou-
avoirs très étendus*. La grande ordonnance de janvier 1629
• (art. 58 et 404) prescrit l'envoi de maîtres des requêtes dans
toutes les provinces pour surveiller l'administration '. L'édit
de janvier 1634 la renouvelle, et au mois d'avril suivant on
organise des commissions extraordinaires* « pour assurer 1 éga-
lité de la répartition et faire imposer ceux dont les privilèges
furent révoquez » 5.
» Toutes ces commissions avaient l'inconvénient de connaître
J fort mal les pays où elles opéraient et de ne pouvoir surveiller
l'exécution des réformes prescrites. A part les règlements
qu'elles contribuèrent à faire élaborer, il est douteux qu'elles
aient eu un rôle utile. Elles mécontentaient les pouvoirs locaux,
qu'elles dépossédaient, sans améliorer beaucoup la condition
des contribuables6. On abandonna donc, après 1634, les
( commissions temporaires, pour un systëme "~'phig~ëffi.cace7. Des
mStTres des requêtes étaient déjà établis à demeure dans les
1. L'instruction aux commissaires du 23 août 1598, en forme d'arrêt du
Conseil, se trouve en copie B. N. fr. 17311, f°* 27-32. Elle avait été enregistrée à
la Cour des aides de Paris avec quelques réserves. Les rapports des commissaires
sont mentionnés dans le préambule de ledit de mars 1600.
2. Voir lu commission donnée aux enquêteurs en 1623, B. N., ms. fr. 17 311,
fol. 33-37.
3. Il ne semble pas que celte prescription ait été suivie d'effet, du moins en ce
qui concerne la taille.
4. Voir l'instruction aux commissaires du 2~> mai 1034 dans Ducrot, Traité des
aydes... éd. 1636, p. 475 et suiv.
5. Vieuille, Traité des élections, p. 10 : Les commissaires désignés pour la
Normandie furent les sieurs Deuiesle de Soisy, Saint-Just, conseiller en la cour
des aides de Paris, et Repichon, trésorier de France à Caen.
6. Les protestations des Etats de Normandie contre les opérations des commis-
saires furent incessantes, et pourtant c'était presque toujours sur leur demande
que les commissions étaient instituées. En 1570, la Cour des aides de Kouen
déclare que les commissaires sont incapables de connaître le détail, et que leurs
opérations ont « apporté dommage de plus deux foys que les tailles ne montoient >.
(Cahiers des étals, règne de Charles IX, I, p. 235-238). En 1580, les états deman-
dent que l'on révoque tout ce qui a été fait par les commissaires (ihid., t. II,
Ii. 123-125). En 1637 encore, les états réclament contre les amendes prononcées et
es frais faits, et concluent : • Ce régalement prétendu n'a esté que un vrai des-
reiglement » (Ibid., règne de Louis XIII, t. III, p. 8 et 56).
A la suite du rapport des commissaires de 1634, un arrêt du conseil du 20 jan-
vier 1635 réglementa un certain nombre de points relatifs à l'impôt, notamment
le changement d'octroi, le domicile d'imposition des taillables, la dérogeance des
gentilshommes, l'exemption de collecte, les limites de la banlieue de Rouen, et la
répartition entre les paroisses (A. Mun. Rouen, 183, pièce 3). On verra ces diffé-
rents points à leur place dans cette étude.
7. Il est singulier de voir reprendre l'idée des commissaires temporaires
envoyés par le conseil longtemps après l'établissement des intendants, en 1686.
A cette date en effet, le contrôleur général Le Peletier décida « d'envoyer dans
toutes les généralités des commissaires du conseil choisis... entre ceux qui avoient
servi dans les intendances » (De Boislisle, Correspondance, t. I, p. 556) avec une
instruction analogue ù celles que l'on donnait avant 16'i2. Cf. un des rapports
dressés par ces commissaires dans De Boislisle, Mémoire de l'intendant de Paris,
p. 781, et & l'appendice du présent volume.
LES INTENDANTS. 45
provinces, pour surveiller Ja_ justice; le règlement. du_J22 anrtt
1642'afouta à leurs attributions antérieures la surveillance dp» , ^
impositions^ ainsi les intendants de justice devinrent inten- ^"
a1ïnTs~cle ^jusilêo ot fînftftees1. Avant de se résoudre à cette
mesure, le gouvernement avait mis en demeure une dernière
fois les agents réguliers des finances de remplir soigneusement
leurs fonctions 2, mais il s'était bientôt convaincu de l'inutilité
de ces menaces.
Le règlement nouveau disait : les commissions « seront
adressées aux intendants de justice, présidents et trésoriers
de France de chacune généralité conjointement » (art. 1).
Elles « seront portées aux Bureaux des finances, où l'intendant
de la justice de la généralité se trouvera, et présidera, et y
aura la première séance, pour en sa présence faire expédier s,ur
lesdites commissions les attaches et ordonnances nécessaires
desdits Bureaux » ; elles seront remises incontinent à l'inten-
dant^ qui_procédera au département entre les paroisses.- des
élections avec trois_ élus de son choix, un trésorier deJFrance
délègue par~Te"Bureau, et jejyceveur des tailles.. (art. 2). Si les
trésoriers de France font « dmiculte~3e souffrir la présidence et
séance libre en leurs Bureaux auxdits intendants », alors, « au
premier refus ou délay, lesdits intendans expédieront seuls
leurs ordonnances sur lesdites commissions, les feront signer à ?
leurs greffiers », et procéderont au département entre les '(
paroisses sans les trésoriers généraux (art. 4). Ce sont les
intendants qui, avec les trésoriers de France et les élus, feront
les taxes d'office en vertu de l'édit de novembre 1640 (art. 7);
ils choisiront aussi et surveilleront les receveurs des tailles t*^''
(art. 10 à 16) 3. Cet acte, qui, jusqu'ici. e»t. passé inaperçu — »■■-*]
unQj^rjjmjp impnrTïïnoo; on y trouve à pou près tputes les attri-
butions qu'auront dans la suite les intendants /en matière de
finances 4. <£ **, ' i' Co^fc<<
1. Néron, Recueil, t. II, p. 673. D'après ce règlement, on voit clairement qu'il
existait déjà des intendants de justice dans les provinces : il y est dit qu'une
instruction a été déjà envoyée le 9 avril 1642 « aux intendants de justice étant
es generalitez de ce royaume ». Mais jusque-là, ces fonctionnaires n'avaient pas t ">
eu d'attributions financières; ils ne portaient pas le titre d'intendants de justice! *• •
et finances, mais simplement celui d'intendants de justice. •
2. Arrêt du conseil du 27 nov. 1641, Néron, t. II, p. 663. Sur l'origine des
intendants, voir Dareste, La justice administrative, p. 104-107; Hanotaux, Ori-
gines de l'institution des intendants des provinces, Paris, 1884, et Mafiéjol, dans
l'Histoire de France de La^i&sey t. VI, 2° partie, p. 406-411.
3. Ce règlement fut confirmé par la déclaration dû Ï8 avril 1643, qui se trouve
dans C. d. T., 1, 370-406. Elle n'est pas dans le Recueil des règlements de Nor-
mandie, parce qu'elle ne fut pas enregistrée dans la province. Voir aux Arch.
Nat., K, 891, pièce 4, l'instruction remise aux intendants le 10 juillet 1643 « sur
le fait des tailles et impositions ». Il n'est pas certain que le règlement du
22 août 164:î ait été le premier en ce sens : v. Mém. Soc. antiquaires de l'Ouest,
1902, p. 612.
4. Ainsi, contrairement à ce que l'on pense d'ordinaire, la fonction ne fut pas |
créée en bloc; ce sont des mesures de détail qui la constituèrent et lui donnèrent
toute son importance. Il est d'ailleurs certain qu'à partir de ce moment, les
46 LA TAILLE EN NORMANDIE.
Les trésoriers généraux étaient partiellement dépouillés de
leurs fonctions, mais ils n'étaient pas supprimés. On n'aurait pu
h- (aire, d'abord parce qu'ils formaient un corps très puissant,
bien organisé; les supprimer eût provoqué une crise parmi eux
et parmi tous les gens qui leur étaient attachés; en outre, il eût
fallu rembourser leurs offices, 25 ou 30 millions que le gou-
vernement n'avait pas et ne pouvait se procurer par aucun
moyen. On laissa donc subsister deux administrations concur-
rentes pour un même service.
L'établissement définitif des intendants ne fut pas sans
difficultés ; il provoqua de nombreuses protestations. En
novembre 1643, les Etats de Normandie dénoncent au roi
« cette pompeuse escorte de gardes qui accompagnait l'inten-
dance de la généralité de Caen et qui vit aux despens de vostre
pauvre peuple » ; qu'on rappelle à Paris, où ils ne verront
qu'abondance d'honneurs et de biens, ajoutent-ils, ces grands
seigneurs qui ne sauraient « habiter ces lieux d'horreur et de
désolation ». Mais le roi, depuis longtemps, ne tenait plus
compte de telles doléances; il répondit en confirmant simple-
ment les pouvoirs des intendants1. Un peu plus tard, pen-
dant la Fronde, parmi les récriminations les plus violentes
des mazarinades normandes, se trouvent les plaintes contre les
exactions et l'avarice des intendants; on leur reproche d'avoir
ruiné la province : ils sont les « valets de la monopole »; on les
appelle les « intendants de l'injustice »; on les accuse de bri-
gandage, de profanation de temples, de meurtre; on les rend
responsables de tous les malheurs du peuple *.
\ La lutte fut menée avec méthode par les trésoriers de France.
Ils avaient conservé le souvenir du temps où ils résidaient à
Paris et formaient une cour souveraine analogue à la Cour des
aides et à la Chambre des comptes : la Chambre du Trésor.
Ils s'étaient fait donner en janvier 1586 le droit d'entretenir
3uelques-uns des leurs comme députés auprès du roi; ces
éputés se réunissaient en une « assem]iléc__g-é4iér.ale » au
Palais, dans la Chambre du Trésor; les frais de l'assemblée
étaient couverts par un versement de 100 1., fait par chaque
; attributions financières des intendants l'emportèrent sur toutes les autres; c'est
[ pourquoi on assigna à chacun comme département non pas une circonscription
judiciaire ou militaire, mais une généralité, circonscription uniquement finan-
cière.
1. Cahiers des e'imls... règnes de Louis XIII et de Louis XIV, session de
novembre 1643, art. 47, et réponse du roi, t. III, p. 10G-114.
2. Voir notamment Y Apologie des Normans au roi pour la justification de leurs
armes. Paris, chez Cardin liesogne, 1049, avec privilège; et une mazarinade en
vers, dans Moreau, Choix de mazarinades, t. I, p. 7. Cf. Floquet, Hist. du Par-
lement, t. V, p. 541 et suivantes. Ces plaintes contre les intendants sont d'ail-
leurs générales dans tout le royaume. Il est probable qu'elles étaient justifiées
par l'appui qu'ils donnaient aux exactions des traitants.
LES INTENDANTS.
47
trésorier à son entrée en fonctions. Ce versement avait été
officiellement agréé par un arrêt du conseil du 26 août 1636.
Les Bureaux_4gs finances étaient donc une véritable association
corporative reconnue parle gouvernement1. Cette association
entreprit d'obtenir la suppression des intendants, et son activité
fut surtout grande à partir de 1648 : à cette date, le secrétaire
de l'assemblée était Simon Fom*niyal, dont on a la correspon-
dance avec les différents Bureaux et qui a publié en sa qualité
de secrétaire un recueil de documents extrêmement précieux
sur les fonctions des trésoriers généraux 2. Au début de juil-
let 1648, les Bureaux dressèrent le cahier de leurs griefs.
Le principal est que « les intendants des provinces prennent
tous les jours cognoissance des aydes, tailles, et des gabelles,
qui sont la matière essentielle de nostre establissement...
font à leur fantaisie des règlements de très pernicieuse con-
séquence sur ce subject... S y ces dangereuses nouveautés
continuent et sont autorisées, il ne nous reste plus' dé_jâo"s
offices qu'un vain nom de magistrats. » Ce sont d'ailleurs les
intendants, est-il ajouté, qui ont été les instruments des trai-
tants pour piller le pauvre peuple : ces gens « qui ont depuis
longtemps perdu toute intention et conscience » sont venus dans
les provinces uniquement pour « ordonner comme des ennemis
des meurtres, des incendies et des violemens3. »
Vers la même date , les mémoires au roi, placets et appels
au peuple contre les intendants, se multiplient ; on les appelle
« des excroissances et des bêtes dans le corps des officiers
et de tout l'Estat4 ». On déclare que si les 500 trésoriers de
France sont rétablis dans leur dignité, ils « seront obligez et
encouragez par cette protection à découvrir et donner des
moyens de mesnager des sommes imenses sur les despenses de
l'Estat5 », ce qui implique que jusque-là ils avaient oublié de
ménager les deniers royaux : singulière déclaration de la part
d'agents du gouvernement. Dans cette campagne, les Bureaux
des finances furent appuyés par tous les autres officiers : le syn-
/
V
1. Fournival, Recueil..., p. 870-871.
2. La correspondance originale des Bureaux des finances avec leur secrétaire
se trouve au ms. fr. 7 686 de la B. N. Le Recueil des privilèges des trésoriers de
France n'est pas complet ; la publication eu fut retardée par diverses circons-
tances. C'est pour le compléter que Jousse entreprit plus tard son traité, qui est
beaucoup moins soigné que le Recueil de Fournival. Les matériaux de celui-ci
forment les volumes 1419, 1420 des ms. fr. nouv. acq. à la B. N. Des papiers du
syndicat des trésoriers généraux se trouvent aussi dans le ms. fr. 18 479 (papiers
de Séguier).
3. Le réquisitoire est publié en entier dans Godard, Les pouvoirs des intendants,
p. 447-451 ; cf. p. 10. Hanotaux, Origines des intendants, le donne comme émanant
de la cour des aides. Il serait possible que la cour eût repris ces griefs pour son
compte, mais il est certain que l'initiative des plaintes est venue des trésoriers
de France.
4. B. N. fr. 18 479, f° 33.
5. Ibid., f° 19.
48 I.A TAILLE EN M»i:MVNDIB.
dicat des élus1 fit cause avec eux contre l'ennemi commun; la
Cour des aides et le Parlement prirent l'affaire en mains, et
tous ces efforts réunis aboutirent ii la révocation des inten-
! dants, en juillet 1648. Le roi, dans l'acte de révocation, recon-
^ naît que les intendants ont commis « plusieurs abus », que leur
institution est « contraire à l'intérest notable qu'ont les officiers
ordinaires, créez et instituez à cette fin, qui se trouvoient par
ce moyen privez de la principalle fonction de leur charge »; si
l'on excepte de la révocation les intendants de Languedoc, de
Bourgogne, de Provence, de Lyonnais, de Picardie et de Cham-
f pagne, c'est en spécifiant bien qu'ils auront exclusivement des
' attributions militaires et « ne pourront se mesler de l'imposi-
tion et de la levée de nos deniers ny faire aucune fonction de
la jurisdiction contentieuse^».
Les intendants demeurèrent supprimés pendant tout le temps
. que les Frondeurs furent les maîtres du gouvernement; mais dès
, que la Cour eut repris le dessus, elle entendit les rétablir.
) Il était difficile d'annuler d'un coup un engagement solen-
( nellement pris, une déclaration en forme, vérifiée et enregistrée
dans les cours souveraines. Mazarin usa d'adresse, réinstallant
sous divers prétextes, subrepticement, quelques intendants,
s'efforçant d'éviter les protestations bruyantes. D'autre part, il
se trouva que les trésoriers généraux, absorbés par leur lutte
contre les élus, ne furent plus capables de défendre efficace-
ment leur cause 8. Sous prétexte de surveiller les logements de
troupes, de rétablir l'ordre, d'inspecter des tribunaux, les inten-
dants furent petit à petit réintroduits dans quelques provinces;
les généralités de Rouen et de Caen furent des premières à en
recevoir. En février 1650, Louis Laisné de la Marguerie fut
chargé de différents pouvoirs que nous ne connaissons pas exac-
tement dans les deux généralités a la fois4. En 1653, fut nommé
intendant de Caen et d'Alençon Thomas Morant, conseiller
'd'Etat, fils d'un trésorier de France à Rouen : dans ses actes, il
] prend simplement le titre de « commissaire départi par Sa
' Majesté pour la visite de la généralité de Caen » (ou d'Alençon)5.
1. Sur ce syndicat, voir ci-dessous, p. 111 et suiv.
2. Déclaration publiée dans Godard, Les pouvoirs dez intendants, p. 451-454.
j Cf. les Mémoires d'Orner Talon, collection Michaud et Poujoulat, p. 1:33 et 245,
| et ceux du cardinal de Retz, éd. Chantelauze, t. I. p. 321.
3. Cf. une lettre du bureau des finances de Lyon à l'assemblée, du 12 mai 1 « • -r> 1 :
il recommande à tous les officiers de s'unir contre le conseil, qui est leur véritable
ennemi, et de ne pas attendre le rétablissement des intendants. Il faudrait obtenir
un règlement solennel pour le maintien des fonctions et des droits des trésoriers
généraux (B. N. fr. 7 685, f° 230). Mais cette lettre n'eut pus de suites. On trouve
encore des délégués des Bureaux des finances a Paris en 1663; mais ils ne font
plus ouiune manifestation contre les intendants (M. C. Il5b1*, fol. 919).
4. Nous ne savons pas combien de temps il demeura en fonctions D'après Godard,
Les pouvoirs des intendants, p.526et538, il serait resté ù Rouen jusqu'en 16.il et à Caen
jusqu en 1653, mais les dates données par cet ouvrage sont très souvent inexactes.
5. A. D. Calv. Bureau des finances, plumitif, à la date du 2'i juillet lo71, conte-
nant un acte du 29 octobre 1654.
LES INTENDANTS. 49
Le 3 décembre 1657, il est transféré a Rouen et remplacé par
Michel d'Aligre, auquel succède en 1659 Jacques Favier du
Boulay. A partir de cette date, toutes les généralités sont pour- 1
vues d'intendants ; mais il reste à savoir si tous avaient recouvré /
leurs anciennes attributions financières, et ce point, qui méri-
terait une étude spéciale, n'est pas éclairci1. Dans tous les cas,
il est c*ertain qu'en 1661, ils n'étaient pas encore installés!
comme fonctionnaires réguliers et à demeure, avec des pouvoirs I
partout semblables; on trouve souvent deux et même trois
généralités surveillées par un seul intendant; beaucoup ne
résident pas dans leur circonscription; en 1658, les trois inten-
dants de Normandie sont à Paris, et Colbert n'ose pas proposer
à Mazarin d'obliger M. d'Aligre à rejoindre son poste parce
qu'il est « un grand personnage 2 » ; dans un de ses mémoires
sur l'arrestation île Fouquet, il propose de faire rentrer dans |
leurs généralités ceux qui en sont absents. Au .jJeJ3u_t_.de jiotre '
p é r i o de, les^j^^jrniaji^^Qnt-jdQnc loin d'avoir l'autorité-âncon-
testée et régulière, en matière de_finances corn m e_ pour— taut-le
reste, qu'ils auront plus tard3.
" C'est ColbérTc[uiétablit définitivement les intendants comme /
agents réguliers de son administration. Dans un mémoire à j
Mazarin du 1er octobre 1659, où il énumère toutes les réformes
fiscales à entreprendre, il conclut :
« Toutes ces choses ne peuvent estre exécutées dans les provinces \
que par le ministère des intendans, auxquels il faut donner des
instructions fort amples, observer soigneusement leur conduite, révo-
quer ceux qui ne s'acquitteront pas bien de leurs emplois, leur donner
à chacun autant de généralités qu'ils en pourront conduire en travail-
lant toute Tannée avec application, et gratifier ceux qui satisferont
Son Eminence et qui feront payer plus ponctuellement les imposi-
tions et voiturer plus diligemment les deniers à l'Espargne en sorte
que la preuve de leur suffisance et de leur mérite venant de cette
ponctualité, et estant bien assurés qu'ils seroient révoqués s'ils n'y
satisfont, il n'y en a pas un qui n'y travaille avec succès *. »
Pour lui, le rétablissement des intendants doit être la base
1. Lé bureau des finances de Caen, dans une de ses sentences du 14 novembre
1661, qualifie l'intendant de la généralité, Dugué, de « conseiller du roy en ses
conseils, maistre des requestes ordinaire de son hostel, et commissaire departy
par Sadite Majesté pour la visite d'icelle généralité pour la dite année prochaine »
(A. D. Galv. bureau des finances, plumitif).
2. Clém. I. 308.
3. En 1663 encore, la Cour des aides de Paris, lors de l'enregistrement d'une
déclaration du 12 février, proteste par deux fois contre l'ingérence des inten-
dants dans le département des tailles (Nau Abrégé des ordonnances..., p. 497-498).
En 1667, le premier président de la Chambre des comptes de Rouen critique
aussi cette innovation (Met. Soc. Hist. Norm. t. II, p. 343, n. 1). Domat et l'abbé.
Fleury, dans leurs ouvrages sur le droit public de la France ne parlent pas des
intendants au chapitre des impôts. En 1725, encore, Ghasles, dans son Diction-
naire de justice, police et finances, observe le même silence à l'article Taille.
4. Clém. VII, 177.
LA TAILLE EN NORMANDIE. i
60 la TAii.i.i: SU NOBMAMDIB.
de la réforme économique*. 11 commence par les astreindre
rigoureusement a la résidence, leur Interdisant de quitter leur
poste sans autorisation. Puis, il établit avec eux une eorrespon-
Idance régulière contrastant avec la rareté de ses relations avec
les trésoriers de France*. Il ne part guère de courrier pour une
province sans une dépêche a l'intendant. Il Leur demande des
rapports, au moins un par semaine à partir de 1666, les
rappelle ;i l'ordre quand ils restent quelques jours sans lui
x répondre, Ici tient sans cesse en haleine. Les deux tiers
environ des lettres qui ont été recueillies par Clément leur
sont adressées, et ce qui reste de leur correspondance forme
une masse considérable dans les archives. De l'examen de ces
lettres, il ressort avec évidence, que, lps JM?pdanH^fiirent les
véritables agelîlsctu ministre jjan_s_jes provinces, les exécuteurs
frdèlcs"cî5"sa vojoaté.
Les trésoriers généraux étaient devenus à ce point inutiles,
que Colbert projetait de les supprimer : dans le plan de réor-
ganisation des finances qu'il traça en 1661, il écrivait : « Tra-
I veiller fortement à la suppression des trésoriers de France...' et
examiner les moyens de faire cette suppression avec le moins
d'injustice qu'il se pourra*. » C'est dans la même note qu'il
propose de dresser une instruction générale pour les intendants
et de renvoyer dans leur province ceux qui sont à Paris. Il
semble que ce projet ait eu un commencement d'exécution4,
mais il fallut bientôt l'abandonner : on vient de dire pourquoi
la suppression était difficile5. Colbert les laissa donc subsister.
1. Ce mémoire nous montre les intentions de Colbert d'une façon précise. On
voit qu'uu début il songeait ù confier plusieurs gcnérnlités ù un même inten-
dant. En lti66, il établira le principe qu'un intendant ne doit avoir qu'une géné-
ralité. A la fin de son ministère il constatera que, avec le développement de
leurs attributions, ils ne peuvent convenablement administrer une circonscrip-
tion aussi vaste; tout après lui. on sera obligé de leur donner des subdélégués
pour les seconder.
2. C'est tout au plus si, dans ses papiers, on trouve quelques circulaires à
eux adressées pour accompagner les brevets ou les commissions des tailles, les
ordonnances a enregistrer, ou pour demander des renseignements sur le domaine,
la voirie, les offices de finances. Encore Colbert leur enleva-t-il la partie tech-
nique des ponts et chaussées pour la donner aux intendants (Viguon. Etudes
sur l'administration des voies publiques, t. I, p. <>.*>). Il n'avait du reste pus à se
louer de leur exactitude : ayant adressé une lettre au bureau des finances d'Aix le
23 septembre 1670, il ne reçut une réponse qu'un an après (Clém. IV, 4'i7). Cf.
les plaintes de Sully : Economies royales, éd. Michaud et Poujoulat, II, 407, 557, 558.
3. Dans une circulaire du 8 mars 1C62, Marin, exhortant les trésoriers à hâter
le remhonrsement des élus supprimés, leur dit : « ce sera le moien de faire voir
la nécessité de vos fonctions et de parler plus hardiment pour vostre conserva-
tion » (A. D. Calv., Bureau des finances, curresp. de Marin). Dans son mémoire
sur la réforination de la Justice en 1GG.'>, le conseiller d'Etat de La Marguerie
. insiste également sur la réduction du nombre des trésoriers (B. N. Clairamb., 013,
fol. 308 verso).
'.. Clém. II. 198.
.*>. Sur les difficultés de ces remboursements, voir au chapitre m la question
du remboursement des officiers des élections. Cf. une lettre du président Brulart
à Colbert, de Dijon, 18 juin 1664. au sujet de l'edit de suppression de certains
procureurs et notaires : « Je suis obligé à vous dire que s'il est exécuté ù la
rigueur, plusieurs familles en seront ruinées, parce que ces charges sont leur seul
LES INTENDANTS. 51
La déclaration du 29 décembre 1663 les astreignit à la rési-
dence ! ; un édit de février 1672 ordonna en apparence une
réduction de leur nombre, puisqu'il ramenait à 10 l'effectif des
trésoriers dans chaque généralité de Normandie, et à 14 dans
les autres, mais ce n'était qu'une opération « bursale » pour
remplir les coffres du Trésor : il était en effet spécifié que les
gages des officiers supprimés seraient attribués aux réservés
« en payant par eux la finance à laquelle ils seront modérément
taxés au conseil2 »; puis dans un arrêt du conseil du 13 sep-
tembre 1672, le roi, considérant que la plupart des officiers
des bureaux de Normandie ont demandé à être rétablis dans
leurs charges, veut bien le leur accorder « en paiant par chacun
bureau la somme de 120000 1. 3 ». Enfin, en mars 1673, consi-
dérant encore que les trésoriers de France se sont « soumis
volontairement à nous donner un grand secours pour les
dépenses de la guerre et pour estre tous conservez4 », il les
maintient tous dans leurs fonctions, y ajoutant même le pri-
vilège de— committimus et une réduction du droit annueîT En
,— >2^-r' — | — - — . J ^~ . , , , , . *
définitive, la situation des trésoriers généraux se trouvait con-
solidée5 par cette opération.
Tout l'effort de Colbert tendit désormais à les subordonner
aux intendants : ceux-ci fournirent en secret des notes sur leur
compte ; ils les surveillèrent dans tous leurs actes publics, et
prirent le pas sur eux dans les cérémonies. Il arriva que des
trésoriers de France furent placés sous les ordres d'intendants
comme subdélégués, et bientôt ils en vinrent à considérer
cette désignation comme une faveur6. Pendant les premières
ul employ, que ceux qui en sont pourveus ne doivent recevoir par i
jdommagement, et qu'ayant esté nourris toute leur vie dans ces '
bien et leur seu
l'édit aucun dé
professions, ils sont à présent incapables du commerce et de l'agriculture » (M. C.
121 bis, f° 668).
1. Au début, les trésoriers firent des tentatives pour se faire rendre leurs
fonctions usurpées par les intendants, en promettant de les exercer à l'avenir
avec « toute la fidélité et l'exactitude possible » (lettre des trésoriers de France
d'Alençon à Colbert, 14 décembre 1665 (M. G. 184 bis, f° 477). Cf. lettre des tréso-
riers de Lyon 30 juin 1664 (M. C. 121 bis, f° 1 116,. et autre lettre ibid., 153 bis,
f° 704). Mais ces essais furent infructueux.
2. A. D. S. Inf. G, 1463, pièce 53.
3. Ibid., pièce 56.
4. Tout le préambule de l'édit est un aveu d'impuissance de la part du roi :
« Nous avions aussi résolu, y est-il dit, de réduire les officiers des Bureaux de
nos Finances, qui jouissent de gages considérables, et dont le nombre Nous
avoit paru trop grand pour les lonctions de leurs charges. Mais les dépenses
extraordinaires ausquelles nous avons esté obligez pour la subsistance des
grandes armées que Nous avons tenu en campagne ayant consommé les fonds
que Nous avions destiné à leur remboursement; et d'ailleurs tous lesdits officiers
s'estnnt soumis volontairement à Nous donner un grand secours pour les dépenses
de la guerre, et pour estre tous conservez, Nous avons écouté volontiers leurs
propositions... »
5. Un arrêt du Grand Conseil, du 29 mars 1678, confirma encore leurs privi-
lèges et droits honorifiques (Arch. S. Inf. G, 2 372).
6. Cf. par exemple lettre de Colbert à Pellot, 3 décembre 1662 (Glém. II, 236);
autre lettre à Leblanc, 23 févr. 1676 (ibid., 373). Choisissez, dit le ministre, des
trésoriers « en qui vous puissiez prendre une entière confiance ».
52 LA TAILLE EN XOHMAN 1)1 1. .
années de Colbert, les trésoriers de Fiance suppléent l'inten-
dant absent ou font l'intérim entre deux commissaires1; mais
dans la suite, on renonça à se servir d'eux, même dans ces
circonstances : un intendant ne quitta sa généralité qu'après
l'arrivée de son successeur. Toutes les lois qu'on conflit s'éleva
I entre intendant et trésoriers généraux, le Conseil donna raison
I à l'intendant. A la fin du ministère de Colbert, les trésoriers
1 étaient complètement anéantis.
Par ces mesures de détail, échelonnées sur une longue
période, les intendants devinrent les véritables chefs de l'admi-
nistration financière dans les provinces. Dépendant uniquement
du Conseil, ils se trouvaient soustraits à toutes les autorités
| locales et aux cours supérieures; ils pouvaient agir en véritables
souverains. On s'explique ainsi les plaintes de Saint-Simon
contre leur toute-puissance : ces nouveaux fonctionnaires, dit-
il, sont « les maistres de tout » ; ils ont « bridé » les évêques,
« contre-carré » les parlements, « soumis » les communautés
urbaines; par la répartition des impôts, ils sont devenus
« maistres de l'oppression ou du soulagement des paroisses et
des particuliers »; bref, en les instituant, le roi a trouvé « l'art
d'anéantir partout grands, seigneurie, noblesse, corps, particu-
liers, par des gens de rien par eux-mesmes, dont le pouvoir
j énorme ne fust que précaire et incapable de porter nul
ombrage2 ». Mais SaJnt^Sjjn^iii-axjigère. Les intendants n'avaient
1 pas en matière de justice d'autorité ordinaire ; l'auteur du mémoire
dressé pour l'intendant Orsay vers 1690 dit fort bien qu'ils
« ont une inspection generaîle sur tous les officiers de leur
département, de quelque qualité qu'ils soient, mais ne doivent
as prendre connoissance des matières contentieuses, si elle ne
eur est attribuée par arrest ou ordre particulier du Conseil »;
tout au plus peuvent-ils, dans certaines circonstances, rendre
des sentences par provision, et encore il faut que les affaires
soient de peu d'importance3. Même lorsque l'intendant rend
des arrêts en matière administrative, il a a craindre l'oppo-
sition des cours, et il est obligé de faire expédier un arrêt du
Conseil pour confirmer sa décision; pour lui délivrer l'arrêt,
le Conseil exige qu'il justifie la mesure proposée*. 11 arrive
1. Ainsi, les trésoriers de France ù Alençon suppléent Fa vie r du Boulay
rappelé ù Paris le 10 décembre H'.»;."> (M. G. 134. f* 33 4), jusqu'à l'arrivée de
De Marie (ibid., 134 bis, f. 747). Ceux de Lyon font l'intérim de l'intendance après
le brusque décès de Saron Champigny eu 1665 (ibid., t° Ni), Ceux de Paris sont
commis pour faire l'imposition des tailles en l'absence de Charles Colbert (B. N.
Clairamb. 660, p. 500).
2. Parallèle des trois premier» rois Bourbon*, dans les Ecrits inédits, t. I,
p. 285-287. Cf. Mémoires, éd. de Boislisle, t. XVIII, p. 441 et 469.
3. B. N. fr. 11096. f 'l't.
4. Ainsi, l'intendant Barin de la Galissonnière propose à Colbert des mesures ù
5 rendre pendant l'épidémie de peste qui sévit à Rouen en 1608. Mais il faudra,
it-il. « Pauthoriser par un arrest en commandement, car si je rends quelque
ordonnance, le Parlement la cassera et ce que je feray ne servira qu'à faire un
le
LES INTENDANTS. 53
souvent que des intendants sont réprimandés parce qu'ils
dépassent leurs pouvoirs : Colbert invite celui de Rouen, le
3 février 1673, à « ne connoistre que des matières qui peuvent
estre » de sa « compétence », et lui interdit de s'occuper « de
toutes les matières concernant les tailles, qui sont de la juridic-
tion des élus et de la Cour des aydes » ; s'il arrive que les élus
ou la Cour jugent mal, l'intendant en informera le ministre, qui
lui expédiera le pouvoir nécessaire pour réformer leurs sen-
tences1. « C'est à vous seulement, lui disait-il le 27 janvier
précédent, à tenir la main à ce que les élus et la Cour des
aydes exécutent ponctuellement les édits sans s'en départir2. »
Les intendants avaient le désir de bien administrer leur pro-
vince, non seulement pour satisfaire le contrôleur général et le
roi, mais aussi pour assurer le paiement des impôts. Une géné-
ralité ruinée aurait été très vite hors d'état de payer la taille,
et l'intendant, convaincu de négligence dans la répartition ou
dans la surveillance des agents subalternes, aurait été rendu
responsable de ce mal. Enfin, pour être juste, il faudrait mettre
à côté de la diatribe de Saint-Simon le mot de l'abbé Fleury :
« Bon intendant, grand secours à une province3 ».
Malgré la création des intendants, les trésoriers généraux
conservèrent nominalement le droit de faire la répartition de
l'impôt entre les élections. L'article 40 du règlement de jan-
vier 1634 disait : « Les trésoriers de France feront le départe-
ment de la taille sur les élections dépendant de leur généralité,
huit jours après avoir reçu le brevet que nous leur envoyons
par chacun an » ; or cet article ne fut ni rapporté ni modifié
pendant tout le ministère de Colbert.
Pour faire cette répartition en connaissance de cause, ils
devaient s'informer de l'état de chaque élection, et pour cela «
faire des « chevauchées » , c'est-à-dire des tournées pour j v
enquêter sur l'état des récoltes, les moyens dont disposaient/
les peuples et la facilité plus ou moins grande des recouvre-
ments. A cet effet, ils se répartissaient chaque année les élec-
tions, de façon que chacune fût visitée au moins par l'un d'eux.
Ils devaient se transporter au chef-lieu, interroger les élus et
les receveurs, examiner la qualité des récoltes, enfin s'occuper de
toutes les matières qui étaient dans les attributions du Bureau :
« Lors de leurs chevauchées, ils sont en droit de connaître de
conflit » (M. G. 148 bl9, f° 626, v°). C'était on effet au Parlement qu'appartenait la
police en cas d'épidémie, et le parlement était da taille à résister à l'intendant.
1. Clém. II, 270.
2. Ibid., p. 267.
3. Le droit public de la France, éd. 1769, t. II, p. 126. Il faut aussi noter que
Fénelon, dans son Plan de gouvernement pour le duc de Bourgogne, en 1711,
proposait la suppression des intendants, sans dire ses motifs (Œuvres, éd. de
Saint-Sulpice, 1851, VII, 183).
54 Là TAILLE ta NORMANDIE.
tout ce qui regarde le service du roi, soit à l'égard de la con-
duite des officiers, soit à l'égard des fermiers pour en informer
le conseil... parce que c'est un de leurs principaux emplois1 ».
Le procès-verbal de la chevauchée était déposé au Bureau; tous
les trésoriers réunis en devaient prendre connaissance avant de
donner leur avis sur le brevet.
| La tâche des trésoriers généraux était compliquée par leur
'conflit avec les élus. Il arrivait souvent que les élus, méconnais-
sant leur autorité, refusaient de répondre à leur convocation,
I et de les renseigner sur l'état des élections9.
D'autre part, les trésoriers ne mettaient aucun empressement
i à faire leurs chevauchées, et souvent même s'en abstenaient
\ complètement. La Chambre des comptes de Rouen est obligée
de les rappeler à l'ordre, et, a partir de 1666, elle suspend
le paiement des gages de tous ceux qui ne lui présentent pas
leurs procès-verbaux de chevauchées lors de la vérification des
comptes. Mais les trésoriers font observer qu'il y a moins d'élec-
tions que de conseillers, et que, par conséquent, ils ne peuvent
avoir chacun une élection à visiter3. Pour les satisfaire, la
Chambre décidé, par un règlement du 2 juillet 1676, qu'ils ne
devront présenter qu' « autant de procès-verbaux de chevau-
chées qu'il y a d'eslections dans chaque généralité, et lesquelles
chevauchées seront faites par les dits trésoriers de France tour
à tour* ».
Les procès-verbaux qui nous sont parvenus 8 sont très courts,
ne donnent aucun détail intéressant, et contrastent étrange-
ment avec ceux des intendants aux mêmes dates. Le même ques-
tionnaire est répété partout; les réponses des élus, toujours
les mêmes, sont de véritables formules reproduites d'une élec-
tion à l'autre dans toute la Normandie, et d'une année à l'autre
pendant toute l'époque qui nous intéresse. On y voit presque
toujours que l'élection est surchargée d'impôts et devrait être
diminuée, que les officiers de finances font bien leur devoir,
que les peuples ne s'en plaignent pas, ou, s'il y a eu des
plaintes, que le trésorier en a informé et fait justice; les
huissiers ne font aucune vexation, les receveurs aucune con-
cussion ni malversation; les greffiers tiennent parfaitement
leurs registres : c'est l'optimisme qui dispense d'examiner à
fond les choses. L'intendant d'Alençon, dans une lettre du
1. Mémoire sur les fonctions des trésoriers de France, 1684, publ. par De Bois-
lisle. Mémoire de l'intendant de Paris, p. 678. Cf. l'arrêt du-xonseil du 2 octobre
1683 (A. D. S. Inf. C. 1464, pièce 43) elle mémoire sur les fonctions dea trésoriers
généraux (B. N. Cluiramb. 500, p. 585).
2. Voir ci-dessous, ch. m.
3. Placets des trésoriers généraux de Rouen a la ebambre du 26 novembre 1675
et du 15 avril 1679 (A. D. S. Inf. C. 1463, pièce 72, et C. 1464, pièce 12).
4. A. D. Calv., Bureau des finances.
5. lbid.
LES INTENDANTS. 55
8 mai 1684, dit nettement que les trésoriers de France « ne
font leurs chevauchées que dans les villes de résidence des |
eslus, auxquels, pour la forme seulement, ils demandent Testât k
de leur eslection, à quoy les officiers des eslections ne répondent
jamais juste1 ». Les trésoriers avouent d'ailleurs leur indiffé-
rence à l'égard des chevauchées et ils en indiquent la cause
lorsque la chambre des comptes exige leurs procès-verbaux
pour leur délivrer leurs gages : nos chevauchées, disent-ils, sont
« assez inutiles et sans fruit » depuis que le roi « a envoyé dans
la généralité des commissaires départis qui ont fait presque
tousjours les departemens seuls, au préjudice des dits sieurs
trésoriers2 ». Les trésoriers généraux de Moulins écrivent à
Colbert en 1663 : « Les commissaires départis en cette généra-
lité... semblent prendre à tache de destruire toutes nos fonc-
tions, au grand préjudice des affaires du roy et de nos charges3 ».
Dans la suite, c'est de l'établissement des intendants que les ^
trésoriers généraux feront dater la décadence de leur charge. [
En 1756, l'un d'eux écrira : « Depuis l'establissement des inten-
dants dans les provinces, nos chevauchées sont totalement inu-
tiles, et les Bureaux devroient se réunir pour demander au
Conseil d'en être dispensés à l'advenir4 ». Le 14 novembre 1788
les trésoriers de France à Bordeaux déclareront pareillement à
Necker : « Nous avons vu les intendants venir nous enlever nos
fonctions par des attributions subreptices5 ». Enfin, un mémoire i
de 1780 sur les fonctions des trésoriers, après avoir énuméré
en détail les empiétements des intendants sur leurs attributions,
conclut :
« Il résulte de tout ceci que les trésoriers de France, comme géné-
raux des finances, n'ont plus qu'un fantôme d'autorité quant à la
répartition des tailles. On leur adresse bien le brevet, et ils envoient
au conseil, c'est-à-dire à l'intendance des finances, une espèce de
projet de répartition entre chaque élection de la somme totale qui est
le montant du brevet pour la généralité. Ils y ajoutent quelques
réflexions sur l'état de chaque élection d'après les prétendues chevau-
chées, qu'ils ne font presque jamais... Dans le fait, c'est l'avis de
l'intendant seul qui règle les opérations du ministre des finances 6. »
Nous savons ^du reste par les rapports des intendants que
les trésoriers généraux s'acquittaient très mal, en général, de
1. Lettre au contrôleur général, A. N. G7 71.
2. Placet de 1675 (A. D. S. Inf. G. 1463, pièce 72). Cf. le placet de 1665 {ibid.,
pièce 21); celui de 1679 (C. 146i, pièce 12).
3. M. G. 115, fo 89.
4. A. D. S. Inf. C. 2 345.
5. Cité dans 13rette, Les limites et les divisions territoriales de la France en 1189,
p. 110, n. 1.
6. Mémoire de Poitevin de Maissemy, conseiller à la Cour des aides, publ. dans
Vignon, Etudes sur V administration des voUs publiques, t. I, pièces justificatives,
p. 36. V. aussi deux mémoires des trésoriers de Rouen au contrôleur général,
7 nov. 1787 et 5 avril 1788, exposant les mêmes doléances, Arch. Nat. H, 1596.
H LA TAILLE BN NORMANDIE.
leurs fonctions. On a vu déjà ce qu'en dit l'intendant d'Alençon
pour les chevauchées ; celui de Rouen écrit que dans les affaires
domaniales, si on les leur confiait, « les trésoriers de France,
avant leur intérest particulier, ceux de leurs familles et de
leurs amis, ne chercheroient qu'à éluder l'exécution des édicts
et déclarations, ce qui a donné lieu à casser la plus grande
partie des arrests qu'ils ont rendus dans les affaires de S. M.,
dont la connoissance leur avoit esté renvoyée ». En général,
conclut-il, ce sont gens « fort inutiles, ne m'ayant servy de rien
dans les affaires ausquelles il vous a pieu d'en commettre1 ».
« Jusqu'à présent », écrit-il encore le 2 janvier 1682, « il a
esté impossible d'obliger un trésorier de France à prendre
le moindre soin des chemins et des réparations qui sont à y
faire2 ». Lorsque Colbert entreprend de vérifier les dettes des
communautés, l'intendant d'Alençon, de Marie, lui déclare que
l'on ne peut aboutir « à rien » si l'on remet le soin de cette
affaire aux trésoriers de France et à la Chambre des comptes, à
qui elle revient « dans l'ordre ordinaire3 », et son successeur,
de Bouville, dit plus catégoriquement encore pour la répartition
de la taille : « Messieurs les trésoriers de France n'assistent
présentement au département [entre les paroisses] que pour
avoir soin de leurs terres et de celles de leurs amis* ». Peut-
être pourrait-on suspecter les témoignages de rivaux, mais il
est certain qu'au fond les intendants avaient raison. L'inertie
des trésoriers, leur indifférence à l'égard des intérêts du roi,
leur indépendance excessive à l'égard du gouvernement, sont
trop évidentes pour qu'on puisse les contester. Comme l'a dit
Colbert, on ne pouvait entreprendre aucune réforme en matière
fiscale avec leur seul concours.
(Les intendants furent donc chargés de faire des chevauchées
à la place des trésoriers. L'obligation n'en était pas inscrite
dans leurs commissions5, mais une circulaire spéciale, renou-
velée chaque année, les leur prescrivait. Il n'est pas sûr que
cet usage ait existé dès le début. Colbert parle bien en 1683
des ordres de visite « que S. M. [leur] a donnés tous les ans' »,
1. Lettre à Colbert du 8 avril 1682, B. N. fr. 8 761, fJ 47.
2. Ibid., f 38.
3. Lettre du 24 juin 1669, M. C. 153 bis, f 757.
4. Lettre du 8 mai 1684. clans de Boislisle. ( orretpondance, t. F, n" 64.
5. Cf. une commission- type du temps de Colbert dans Godard, Les pouvoirs des
intendants, p. 4Ô8-4G3. Selon Godard, toutes les commissions auraient été sem-
blables pendant tout le ministère de Colbert. Ce n'est pas exact. Il n'en fut ainsi
3ue pour les intendants dépendant du secrétariat d'Etat de la maison du roi,
ont les commissions sont transcrites dans les registres du secrétariat; mais
Sour les intendants qui dépendaient des autres secrétaires d'Etat, la formule était
ifférente.
6. Depping. t. III, p. 47. En 1673 il écrit encore que les ordres pour la -visite
générale de toutes les paroisses ont été donnés « depuis beaucoup d'années... à
tons les commissaires départis » (lettre à l'intendant de Poitiers, 17 novembre).
LES INTENDANTS. 57
mais on ne peut en conclure qu'effectivement dès 1662 la visite
était prescrite. La grande instruction aux maîtres des requêtes j
de mars 1JJÔ4 ' est souvent considérée comme contenant une
prescription en ce sens, mais c'est une interprétation inexacte : t
l'instruction se termine en effet par l'ordre aux intendants de '
faire leur visite en 4 ou 5 mois pour que le roi puisse ensuite
les envoyer dans une autre province, « S. M. voulant que...
lesdits maistres des requestes visitent tout le dedans du royaume
en l'espace de sept ou huit années de temps et se rendent par
là capables des plus grands emplois2 ». Il est clair qu'il s'agit là
non pas d'une inspection pour la répartition de l'impôt, mais
d'une enquête générale destinée à faire connaître à chaque j
intendant l'état exact de tout le royaume ; à cette date, Colbert
ne songeait pas encore à_ laisser les intendants ajcfemeure dans
chaque jgénjéj^gjii^et^onsidérait leurs {'onctions comme tempo-
raires; ïl voulait surtout faire leur apprentissage et les former
-en vue d'un emploi dans le gouvernement central 3. La première
circulaire de Colbert qui nous soit conservée sur les chevau-;
chées des intendants est de 1672 4. Toutefois, comme, pour la'
période/antérieure, une grande quantité de lettres et de circu-
laires de Colbert sont perdues, il est possible que les chevau-
chées d'intendants aient été instituées plusieurs années aupara-
vant. En 1673, Colbert écrit qu'elles sont prescrites « depuis
beaucoup d'années »; dès 1666, l'intendant d'Orléans parle de
chevauchées qu'il a faites dans sa province, sans en préciser i
le but, il est vrai 5. En tout cas, nous n'avons aucune trace detf
pareilles inspections dans les premières années du ministère.]
Les renseignements précis que nous fournissent, à partir
de 1672, les circulaires de Colbert, montrent quelle importance
le contrôleur général attachait à cette visite : il n'y a rien, dit
le minis.tre, « qui puisse contribuer davantage au bien [du] ser-
vice et au soulagement des peuples que ces visites6 ». « Il est
d'une très grande conséquence que vous ayez une connoissance
particulière, détaillée, de toutes les élections de la généralité,
pour vous mettre en estât de bien faire le régalement [des
tailles] et de réformer tous les abus qui s'y peuvent estre glis-
sés7 ». « Comme c'est un moyen de procurer du soulagement
1. Sur la date de cetle instruction, que Clément dit être de septembre 1663,
voir mon édit. du Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. x-xi.
2. Clém. IV, p. 42. Cf. ci-dessus, p. 49.
3. C'est ainsi que Charles Colbert, frère du ministre, inspecta successivement
le Poitou, la Touraine et la Bretagne. Il n'est du reste pas sûr que tous les inten-
dants aient reçu l'instruction. Cf. mon introduction au Mémoire de Voysin sur
la généralité de Rouen, p. xm.
4. Lettres à Michel Colbert, intendant d'Alencon, 16 septembre 1672 (Clém. II,
252), et à l'intendant de Riom, 15 juillet 1672 (ib'id., IV, 248).
5. M. C. 140, f 63.
6. Lettre à l'intendant de Poitiers, 27 novembre 1672 (Clém. II, 299).
7. Lettre à l'intendant d'Alencon, 16 septembre 1672 {ibid., 252).
58 LA TAU I I IN NOIIMAXMI'..
aux peuples presque égal à oelni <|in- 1«' roy leur a accordé par
la grande diminution qu'il a faite sur les tailles, S. M. m'a
ordonné de vous faire icaroir qu'Klle veut que vous fassiez cette
anme une visite plus exacte de toutes les eslections et paroisses
de la dite généralité que vous n'avez encore fait jusqu'à pré-
sent '. »
La visite est avant tout destinée à leur faire connaître leur
généralité et « faire en sorte que cette connoissance soit utile
au soulagement des peuples2 ». Il précise les points sur les-
quels il devront faire porter leur attention, les met en garde
contre les faux renseignements que donneraient les élus et
autres officiers intéressés. Il leur demande des réponses détail-
lées : rendez compte « article par article » de ce qui vous est
demandé « parce que le roy désire voir l'exécution ponctuelle
de ses ordres, S. M. étant persuadée que c'est le soulagement
le plus considérable qu'Elle puisse donner à ses peuples3 ».
Lorsqu'un intendant n'apporte pas tout le soin nécessaire dans
ce travail, il est sévèrement réprimandé : Foucault, dans son
intendance de Montauban, a expédié trop vite la besogne; Col-
bert lui écrit le 14 juillet 1G82 : S. M. veut « que vous visitiez
avec loisir chacune des eslections de votre généralité, et que
vous lui rendiez compte en détail de Testât auquel vous l'avez
trouvée sur tous les points contenus en mes depesches. C'est
l'ordre que Messieurs les intendants, commissaires départis,
observent, et le seul qui puisse plaire au roy*. » Ceux de Nor-
mandie sont particulièrement surveillés, car la visite est encore
plus nécessaire dans cette province qu'ailleurs : c'est ainsi qu'il
écrit à son ami Chamillart, intendant de Caen :
« Quoyque... vous vouliez me persuader que vous y avez assez donné
de temps pour la faire avec grande connoissance, je vous diray que je
suis convaincu qu'il est impossible de pouvoir connoistre la véritable
force des paroisses, et tous les abus qui se commettent dans l'impo-
sition et la collecte, particulièrement dans la province de Normandie,
où tous les esprits sont fort subtils et où ils trouvent tous les jours
de nouveaux moyens pour se procurer du soulagement, sans y
employer plus de temps que celuy que vous y avez mis. Croyez-moy,
en une matière si importante, il ne faut pas se persuader que Ton sçait
tout ce qu'on peut s<;avoir5. »
Quand un intendant a fini trop tôt sa visite, il est à pré-
sumer qu'il n'a pas observé par lui-même tout ce qu'il avait à
voir, mais s'est borné à interroger quelques officiers, auxquels
1. Circulaire aux intendants du 28 avril 1679 (Clcm. II, 96).
2. Circulaire du 18 mai 1683 (Deppin^, t. III. p. 47). Cf. les circulaires des
12 juin 1(180 (Clém. II, 132) et 2 janvier 1682 (Dcpping, III, 43).
3. Lettre à l'intendant de Moulins, 4 juin 1683 (Clém., II, 220).
4. Clém. II, 19«J.
5. Lettre du 11 nov. 1672, ibid., 256.
LES INTENDANTS. 59
il s'en est rapporté : c'est là un procédé blâmable, que l'inten-
dant de Paris se voit durement reprocher1. Colbert veut que j
ses subordonnés passent la plus grande partie de leur temps à i
parcourir leur circonscription. Il contrôle leurs déplacements /
par le nom du lieu d'où ils expédient leurs lettres2. Il va jusqu'à
écrire à son parent Michel Colbert : « Vous devez observer de
ne jamais demeurer dans la ville d'Alençon et estre toujours
dans toutes les élections3 », et comme celui-ci persiste dans sa
négligence, il est disgracié4.
La visite doit commencer de très bonne heure pour que la
perception ne soit pas retardée : mettez-vous en route, dit
Colbert, « avec diligence » ; « il n'y a pas un moment à perdre...
j'ay mesme lieu de m'étonner que vous ne l'ayez pas commencée,
vu que je vous en ay si souvent escrit5 ». Leblanc, intendant de
Rouen, commence en 1678 dès la fin d'avril6; la plupart se
mettent en route dès le reçu du brevet. Comme leur principal
objet était de connaître l'état des récoltes1, un départ trop
hâtif eût été d'ailleurs peu utile; mais d'autre part, comme la
visite exigeait souvent plusieurs mois et que l'intendant était
surchargé de besogne, il était bien nécessaire de la commencer
aussi tôt que possible. Les intendants trouvèrent le moyen de
résoudre cette double difficulté : ils firent leurs chevauchées
dès les mois de mai-juin, et gardèrent leur rapport par devers
eux, au lieu de l'envoyer au Conseil; si une calamité surve-
nait, ils pouvaient en tenir compte et modifier en conséquence
leur avis*.
Souvent, d'ailleurs, Colbert leur adresse vers le mois de juillet
une nouvelle circulaire pour leur demander cet état des récoltes.
Je vous prie, dit-il, « de m'informer en détail de Testât auquel
sont à présent les biens de la terre dans vostre généralité, et si,
suivant les apparences, la récolte sera bonne; me marquant, s'il
vous plaîst, les endroits du pays qui auront esté affligés de la
gresle ou d'autres accidens, et ceux qui n'en auront rien souf-
fert, afin que j'en puisse rendre compte au roy »9. Selon son
1. Lettre du 17 juillet 16S2 (Clém. II, 201).
2. laid., 132.
3. Lettre du 15 janvier 1672, ibid., 2i6.
4. Ibid., 25K.
5. Lettre a l'intendant de Riom, 24 juillet 1681, ibid., 163.
6. A. K., Gi '(91.
7. Cf. lettre de Colbert à Foucault, 15 juin 1674, Clém., Il, 343.
8. C'est ce qu'explique l'intendant de Rouen dans une lettre du 29 juillet 1667 :
J'ai difl'éré, dit-il, l'envoi de mon rapport, « jusques a ce que M. Marin m'ait
mandé qu'il en estoit temps, et qu'il «voit ordre de travailler aux commissions,
afin de recognoistre tousjours cependant avec plus d'assurance quel seret le
succès de la récolte dans chaque élection, et s'il fust arivé quelque gresle ou autre
disgrâce de cette qualité dans quelques endroits de la généralité, pour en faire
considération » (M. C, 122, fol. 929).
9. Clém. IV, 216. Circul. du 15 juillet 1663. D'après le début de la lettre, celle-ci
fut motivée par des pluies exceptionnelles arrivées au milieu de l'été. Mais, d'après
Clément, chaque année une circulaire analogue fut expédiée (Clém. IV, p. 41).
60 LA TAILLE EN NOIIMANM I .
habitude, il insiste pour avoir des renseignements détaillés et
exacts :
a Je vous prie de vous informer soigneusement de l'es ta t auquel
sont les bleds dans Testendue de la généralité de Caen, si les pluies,
ont esté aussy continuelles qu'icy [à Paris], si elles auront fait tort à la
récolte ou non, et enfin s'il y en aura abondance ou nécessité, et s'ils
enchérissent, comme aussy Testât auquel sont les autres biens de la
terre1. »
A la fin de son ministère, devant la misère grandissante, il
devient encore plus pressant; il voudrait un rapport tous les
quinze jours : Pour « que S. M. puisse régler les impositions
sur les peuples, il est nécessaire que vous me donniez avis, tous
les quinze jours de l'opinion que les peuples auront de la récolte
de toutes sortes de fruits2 ». Mais les intendants ne pouvaient
satisfaire de pareilles exigences.
III. — LES ELECTIONS
La taille de chaque généralité doit être répartie entre les
élections. L'élection est un groupe de paroisses administré par
des élus3. Son origine est encore mal connue. Il semble qu'en
Normandie, les élections, lorsqu'elles furent créées, aient eu
la même étendue que les bailliages; mais bientôt des modi-
fications survinrent, et souvent les limites des deux circonscrip-
tions ne coïncidèrent plus : en 1484, les députés de l'élection
de Rouen nous apprennent qu'on a « détaché du bailliage de
Caux la vicomte de Gournay » pour la joindre à l'élection de
Gisors avec tout le Vexin français. On multiplia le nombre des
élections, comme celui des généralités, principalement pour
amener de l'argent dans les coffres du roi, par les ventes
d'offices. A maintes reprises, des élections furent divisées,
réunies, remaniées sans autre raison apparente; l'histoire de
ces remaniements est compliquée; personne ne l'a encore
faite en détail8. Vers 1478, l'élection de Bernay est créée par
démembrement de celle de Lisieux6. En 1525, l'élection de
1. Clém. IV, 203, lettre à l'intendant Chamillart, 28 juillet 1673.
2. Circulaire du 15 m ni 1681, Clém. IV, 2"4.
3. Il sera parlé des élus au chapitre suivant-
4. Journal de Massclin, p. 579.
5. La principale étude est celle de Jacqueton. Document* relatifs <"< l'administra-
tion financière en Fiance, de Charles VII à François I" (/443-/Ô23), Paris, 1891
(Collection de textes pour servir à l'étude et à renseignement de l'histoire). Mais
elle contient des inexactitudes et beaucoup de lacunes. Pour la Normandie, quel-
ques essais sans valeur ont été faits, comme Cardin, L'ancienne élection de Bernay,
Bernay 1874. On trouve aussi quelques renseignements dans le Formulaire du
président Labarre, et dans les cahiers des états de Normandie publiés par de
Beau repaire.
6. Jacqueton, p. 282, n. 8.
LES ELECTIONS 61
Mortain est faite de 84 paroisses distraites de celle d'Avran-
ches, qui en conserve 279 *. En 1554, est créée l'élection de
Carentan. Vers 1580, l'élection de Châteauneuf-en-Thime-
rais est distraite de celle de Verneuil2. Celle de Lyons est
formée vers le même temps3. En 1572, cinq élections nou-
velles sont établies d'un coup : Argentan et Domfront, dis-
traites d'Alençon, Pont-Audemer et Pont-de-1' Arche, distraites
de Lisieux, et Conches, distraite d'Evreux4. Vers le même
temps, l'élection de Mortagne ou du Perche est créée avec
des paroisses prises à celles d'Alençon et de Verneuil5. En
décembre 1597, les deux généralités de Normandie compre-
naient 30 élections6; ce nombre demeure immuable jusqu'en
1639, date à laquelle, le roi, pour faire face aux dépenses de
la guerre, créa l'élection de Saint-Lô7. Elle fut formée de
100 paroisses, dont 54 cédées par Bayeux, 25 par Goutances,
et 21 par Carentan; en compensation Bayeux reçut 17 paroisses
de Caen, 2 de Vire, 1 de Carentan, et Carentan en reçut 15 de
Valognes8. En 1648 enfin, le Vexin français forma l'élection de
Pontoise. Cette circonscription avait eu des vicissitudes singu-
lières : avant le xive siècle, elle faisait partie, on l'a vu 9, de la
« France » et non de la Normandie ; mais en 1382, il fut décidé
« que ceux dudit païs de Vexin payeroient comme François
et que la taille seroit assise et imposée par ceux dudit païs
pourveu qu'elle fust levée en la forme et manière qu'elle se lève
en la province de Normandie » et que les deniers seraient versés
1. Labarre, Formulaire, p. 31.
2. De Beaurepaire, Cahiers... renne de Henri III, p. 109. Toutefois, d'après le
président Labarre, la séparation n'aurait été faite que « pour le fait des aides »
(Formulaire, p. 30). Mais il est possible qu'il emploie le mot aides avec son
ancien sens général d'impôt comme on le trouve encore souvent au cours du
xvne siècle.
3. Labarre, Formulaire, p. 30.
4. Ibid.
5. « Geluy qui leva le premier office d'esleu [en cette élection] fit employer en
ses provisions l'eslection de Mortagne. au lieu de dire l'eslection du Perche, à
cause qu'il estoit de ladite ville de Mortagne et neantmoins tenoit son siège
alternativement ez villes de Belesme, Nogent, et dudit Mortagne... Jusques à
présent, il n'y a eu aulcun reiglement qui aye déterminé lequel des deux sièges
de Belesme ou Mortagne, doibt estre le principal » (Placet de Germond, prési-
dent de l'élection, au Chancelier, en 1643, pour demander que le siège principal
soit fixé à Bellême : B. N. fr. 18 479, f° 135.)
6. Généralité de Rouen : Alençon, les Andelys, Argentan, Arques, Bernay,
Gaudebec, Chaumont et Magny, Gonches et Breteuil, Domfront, Evreux, Gisors,
Lisieux, Lyons, Montivilliers, Mortagne, Neufchâtel, Pontaudemer, Pont de
l'Arche, Pont l'Evêque,' Rouen, Verneuil.
Généralité de Caen : Avranche, Bayeux, Gaen, Carentan, Goutances, Falaise,
Mortain, Valognes, Vire et Gondé.
7. Edit d'avril 1629. Elle avait été antérieurement créée : on la trouve dan9
le Formulaire de Labarre en 1622 (p. 31); elle sera supprimée en 1661 et recréée
à nouveau en mars 1691 (G. d. T., II, 354).
8. Voir la liste nominative des paroisses dans les commissions des tailles de
la généralité de Gaen pour 1663 (M. G. 225, f° 67-69) et A. D. Calvados, Bureau
des finances. Sur le caractère fiscal de la création, voir le préambule de l'édit
d'aoùl 1661 (G. d. T. I, p. 493).
9. Gi-dessus, p. 27-28.
62 LA TAII.l.K KN NOIIMANIIIK.
à la recette des tailles de Gisors, « comme le plus proche bureau
de recepte ' ». M;iis elle ne cessait pas pour cela de relever de
la cour des aides de Paris, devant laquelle était interjeté appel
des sentences des élus. 1/édit d<- mais 1451 autorisant lef élus
ii détacher de leur siège principal quelques-uns d'entre eux
pour administrer les circonscriptions trop éloignées, un de ces
« commis » ou élu particulier, comme on dira plus tard, fut mis
a Pontoise*. Kn janvier 1648, le besoin d'argent fit transformer
cette élection particulière en élection « en chef3 », et elle fut
adjointe ii la généralité de Paris*; puis, sur les plaintes des
Normands, cet édit fut rapporté, et le Vexin français demeura
rattaché à la Normandie. Ce fut alors aux habitants à n'être
f>as satisfaits : en 1054, ils demandèrent à être « maintenus en
eur droit et privilège de l'exemption de la juridiction de Nor-
mandie », donnant pour motif principal que si on les laissait
en l'état, ils « se trouveraient assujettis, au préjudice de leurs
droietz et privilèges, et contre leur inclination, à des juges
estrangers, officiers de Normandie, de la dépendance desquels
ils se sont toujours exemptés jusqu'à présent; et il est indu-
bitable que dans l'antipathie qu'il y a entre les uns et les
autres, il ne naistroit de ce meslange qu'un continuel trouble
et désordre dans la justice, une infinité de procès et differendz ».
Ils sont appuyés dans leur demande par fa sœur du chancelier
Séguier, la Mère Jeanne, prieure des Carmélites de Pontoise*.
et il est fait droit à leur requête. Un édit de décembre 1054
établit enfin l'élection de Pontoise en la rattachant, comme en
1648, à la généralité de Paris8. Les Etats de Normandie ne
manquèrent pas de renouveler leurs protestations en 1655 en
donnant pour motif cet argument singulier que la généralité
t. Préambule de l'édit de janvier 1G48 (B. N. fr. 18 479, P 144). Cf. Voysin,
Mémoire sur la généralité de Houcn, p. 3 et 153.
2. Au cours du xvi" siècle, les élus de Gisors qui, comme tous les autres offi-
ciers, avaient tendance à multiplier les affaires appelées devant leur juridiction,
avaient attiré ù eux les procès de l'élection particulière de Pontoise, de sorte que
la sentence étant rendue à Gisors et non plus à Pontoise, l'appel devait être
normalement porté devant la cour des uides de Rouen. C'était un double incon-
vénient pour les contribuables du Vexin français : d'une part, il leur fallait por-
courir 9 lieues pour aller plaider h Gisors: d'autre pnrt, ils se méfiaient de la
cour des aides de Rouen, dont ils craignaient l'Iiostitité pnree qu'ils ne faisaient
pas partie de la Normandie. C'est pourquoi, «-n 1579, ils demandèrent à former
une élection û part; les états de Normandie protestèrent et la demande n'eut pas
de suites.
3. Faite des 43 paroisses composant l'ancienne Chatellenie de Pontoise,
4 paroisses prises a Ciiaumonl, et 28 prises aux élections voisines de la généralité
de Paris (14 à l'élection de Paris, 4 à Beauvais, 5 à Senlis et 5 à Mantes), au total
75 paroisses, De Beaurepaire, Cahiers, règne de Henri III, p. 67.
4. Voir le texte de l'édit de janvier 1648 (B. N. fr. 18 47*J, f° 144, papiers de
Séguier).
.i. Kerviler, Le chancelier Séguier, 2" éd., p. 177. Voir le placet : B. N. fr. 18 479,
f* 145.
6. C. d. T. I, 445 et suiv. Cf. ci-dessous, p. 91 sur les privilèges obtenus par
la ville à la même occasion.
LES ELECTIONS. 63
de Rouen éprouvait de ce fait une surcharge accablante, comme
si l'on n'avait pas dû réduire en conséquence son chiffre
d'impôt1. L'élection fut donc, pour ces raisons ou pour d'autres,
supprimée, par une déclaration d'août 1661 2; l'élu particulier,
détaché du siège de Gisors, y fut rétabli, et le pays continua à
dépendre de la cour des aides de Paris.
A la suite de toutes ces opérations, le nombre des élections
et ' de leurs officiers était devenu excessif. Après la paix des
Pyrénées, le gouvernement résolut d'en supprimer quelques-
unes. Un édit d'août 1661 supprima toutes celles qui avaient
été créées depuis 1630, excepté celle de Mayenne. En Nor-
mandie, l'élection de Saint Lô était seule dans ce cas; les
paroisses dont elle était composée furent restituées aux élec-
tions dont elles dépendaient avant 1639. Mais la mesure n'eut
pas pour résultat de soulager sensiblement les contribuables,
comme le roi l'annonçait, car le remboursement des officiers
fut laissé à leur charge; pendant quatre ans, on leva chaque
année en sus de la taille la somme nécessaire pour y pour-i
voir, soit de 40 à 60000 1. 3.
Cette modification fut la seule que Colbert apporta dans les
élections de la province. On peut compter parmi ses grandes
réformes, avec l'abandon des créations d'offices, la stabilité
introduite dans toutes les circonscriptions administratives 4.
Le tableau suivant donne le nombre des paroisses dont chaque
élection était composée en 1"677 5 :
1. Sans doute les élats avaient pour eux d'autres raisons qu'ils n'osaient pas
dire, parmi lesquelles la diminution du ressort de la cour des aides, et par
conséquent la réduction du nombre des procès appelés devant la cour.
2. Elle ne reparaîtra plus pendant le ministère de Colbert, mais lorsqu'on
battra à nouveau monnaie avec des ventes d'offices, on la rétablira par édit de
mars 1691 (liègl. de Normandie, p. 285). Voir aussi la déclaration du 14 avril 1691
portant échange de paroisses entre les élections de Pontoise et de Paris, dans
le Hem. alphab. p. 520. Les plaintes des Etats et la promesse de suppression
du roi se trouvent dans de Beaurepaire, Cahiers, règnes de Louis XIII et de
Louis XIV, Supplément, p. 6.
3. Arrêts du conseil des 9 août 1663, 3 mai 1664, 7 juin 1665, et état de rem-
boursement aux officiers de l'élection (A. D. Galv. bureau des finances, registres
de commissions des tailles de 1661 à 1672, f° 364 et 400). L'élection demeurera,
supprimée pendant toute l'époque de Colbert, mais, comme celle de Pontoise, elle
sera rétablie en mars 1691. C'est l'intendant Foucault qui proposa ce rétablisse-
ment (Mémoires, p. 270). Dans le préambule de l'édit, le roi déclare vouloir
remédier à « l'incommodité » que souffraient les habitants « de l'éloignement
des villes de Bayeux, Coutances et Carentan où sont les sièges de leurs élections »,
et céder aux sollicitations des habitants eux-mêmes (Règlements de Normandie,
p. 580). Mais la préoccupation de se procurer de l'argent par les ventes d'offices
ne fut certainement pas étrangère à ce rétablissement.
4. Il y eut cependant quelques exceptions, mais hors de Normandie. Ainsi, en
1673, il rétablit les élections de Thiers et de Salers sur la proposition de l'in-
tendant de Clermont, qui fait valoir surtout l'argent que rapportera cette « affaire
extraordinaire » (Clairamb. 795, p. 245). En mars 1667, il supprime l'élection de
Franc-alleu, qui était trop petite, ne comprenant que 30 paroisses (C. d. T. H,
22).
5. D'après les registres déjà cités des Cinq-Cents Colbert, 259 et 260.
(,, LA TAILLE ES NORMANDIE
Généralité de Rouen l.
PawiMw.
Andelys (les) ISS
Arques 274
Caudebec 199
Chaumont et Magny 109
Evreux
Gisors 100
Lyons 60
Montivilliers 157
Neufchatel 121
Pont-Audemer 158
Pont-de-1' Arche. 76
Pont-1'Évéque 136
Rouen 109
1 893
Généralité de Caen *.
Avranches 97
Bayeux 228
Caen 236
Carentan 112
Coutances 164
Mortain 84
Valognes 186
Vire et Condé 126
1 233
Généralité d'Alençon 3.
Alençon 126
Argentun 170
Bernay 130
Conches 165
Domfront 44
Falaise 235
Lisieux 147
Mortagne 157
Verneuil 147
1321
Ce tableau montre qu'il existait une grande inégalité entre
les élections : Arques est quatre fois et demie plus grande
1. Cf. d'autres chiffres de paroisses un peu différents, dans mon éd. du
Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 129. Dans le même ouvrage j'ai publié la
liste des paroisses de chaque élection en 1665 (p. 164-182). Des listes analogues,
mais se rapportant au xvin* siècle, se trouvent dans Duplessis, Description de
la Ilaute-Sormandie, ù l'article de chaque élection. V. aussi B. N. fr., 14 089,
fol. 228; 4 2K6, fol. 26, et 11 385, et l'atlas de La Mothe, 1<>83 (ibid., cartes géo-
graphiques, GeUl), 2 023).
2. Cf. d'autres listes : B. N. mss. fr., 22 613 (état dressé pour Dangeau en 1668),
14 089 (pour 1690). et 11 385 (pour 1713).
3. Cf. d'autres listes : A. Nat. G? 71 (lw sept. 1683), B. N. fr., 14 089 (pour 1690).
et 11 385 (pour 1713).
Les mémoires des intendants en 1698 donnent également de ces chiffres de
paroisses pour les trois généralités. Voir aussi les listes de Saugrain, Nouveau
dénombrement du royaume, 1709, empruntées aux rôles de taille.
LES ELECTIONS. 65
que Lyon s, six fois plus grande que Domfront; un pays pauvre
et peu peuplé n'a que la petite élection de Mortain; le riche
pays de Caux a par contre les grandes élections d'Arqués et de
Caudebec. La même circonscription, Caen ou Vire par exemple,
embrasse des terroirs très différents. Certaines paroisses sont
très éloignées du chef-lieu et communiquent difficilement avec
lui, tandis que d'autres chefs-lieux sont plus voisins et d'accès
plus commode. Enfin, les frontières entre élections sont indé-,
cises, certaines paroisses formant enclaves, Colbert. avec son \
amour de l'ordre, fut frappé de ces défauts et voulut y remédier, j
Il forma le projet de refondre les élections et les greniers à sel,
en les « composant... des paroisses plus proches »*.
A son habitude, il procéda par enquête préalable; dans sa
grande circulaire de mars 1664, il demanda aux intendants
l'état de leurs circonscriptions, « le nombre véritable des
villes, bourgs et paroisses dont chacune... est composée2 »; en
août 1665, il leur fit dresser un tableau des paroisses par
élections, avec leurs impositions3; ce tableau fut à nouveau
dressé en 1677*. Toutes les irrégularités lui sont signalées5.
Il entreprit parallèlement un grand travail cartographique,
qui avait pour premier et principal objet de reconnaître sur
le terrain les limites de ces circonscriptions, avant de les
modifier. Sa circulaire du 20 juillet 1679, dont le texte nous
est perdu, donnait la direction du travail aux intendants; des
géographes furent mis en campagne dans toutes les généralités.
Leur besogne était ardue : aux instruments imparfaits, aux
mauvais chemins, à l'inexpérience des graveurs, s'ajoutait la
difficulté d'avoir des renseignements exacts. L'un d'eux, le
P. Lubin, écrit en 1678 qu'ils sont souvent trompés « à des-
sein » par des gens qui « ne veulent pas que leur village ou
château soit sur la carte, afin d'éviter les logemens des gens
1. Glém., VII, p. 265. Ce projet était très ancien : l'ordonnance d'août 1452
prescrivait déjà d'établir les sièges des élections « de cinq en cinq lieues près
l'un de l'autre, affin que nos dits subjects peussent plus aisément venir et
retourner en leurs maisons en ung mesme jour ». Elle avait été reprise par les
lettres patentes du 8 août 1573 (De Beaurepaire, Cahiers, règne de Charles IX,
p. 305-306). Le P. Lubin écrit en 1678 dans son Mercure géographique : « On nous
promet depuis fort longtemps des, cartes de la France divisées par élections » (p. 388).
2. Glém., IV, p. 29.
3. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 161-163.
4. Cinq-Cents Colbert, vol. 261.
5. L'intendant de Châlons, Caumartin, lui écrit le 21 janvier 1667 que les
élections de sa généralité sont « meslées les unes dans les autres ; par exemple
celle de Troyes a des paroisses dans les portes de Vitry, et d'autres par-delà
l'élection de Sézanne ». Il ajoute que les élus, dans leurs rares chevauchées, « ne
vont jamais dans les lieux qui sont les plus écartez, et n'en connoissent nullement
les forces » (M. C. 133, f° 128); son succe&3eur, Miromesnil, envoie à Colbert, en
novembre 1679, un projet de rectification de ces circonscriptions (A. N. G7 223).
En 1668, l'intendant de Soissons travaille, sur ses ordres, à refaire les élections
de son intendance (M. C. 149, f° 437). La même année, Voysin de la Noiraye pro-
pose un travail analogue en Touraine (ibid., f° 158) ; cf. sa lettre à Colbert du
18 novembre 1667, dans Depping, III, p. 159.
LA TAILLE ES NOB5IA.NDIE. "
>-,.; LA TAILLE IX XOIt.MANDIl .
de guerre et la fâcheuse taxe de la taille » l. Le travail n'était
Ml terfltiné en 1683; il fut abandonné. Le seul résultat atteint
en Normandie fut l'établissement de « cartes détaillées des
eslections ». que l'intendant Leblanc envoie à Paris le 4 jan-
vier 1680 J; mais nous ne savons pas ce qu'elles sont devenues3.
Les élections demeurèrent mal composées, irrégulières et
enchevêtrées.
IV. — LES AVIS SUR LE BREVET
Le gouvernement recevait simultanément, on l'a vu, deux
projets de répartition entre les élections, celui des trésoriers
généraux et celui des intendants.
. Le projet des trésoriers généraux, très sommaire, ne donne
aucun renseignement à l'appui, aucune indication précise qui
pût amener le gouvernement à une répartition plus juste. La
seule chose qu'ils demandent, ce sont des dégrèvements, mais
ils prennent rarement la peine de les justifier. Il leur arrive
cependant de transmettre des réclamations précises : ils
appuient une requête de la ville de Montivilliers, qui, acca-
1. Le Mercure géographique, Paris, 1678, p. 350. « Aller soi-même sur les lieux
Sour en faire la carte, ajoute-t-il, seroit une entreprise de trop grands frais et
e trop longue haleine pour un particulier; cette retlexion en a fait perdre l'envie
a tous les géographes ». Sa conclusion est qu'on ne peut pas faire de cartes par-
faitement exactes.
2. A. N. G\ 491.
3. A moins que ce soit V Atlas de La Mothc, B. N. Cartes, GeDD, 2 023; mais on
peut en douter : La Mothe semble avoir travaillé de son initiative privée.
Pour les autres généralités, nous avons quelques indications dans la corres-
pondance de Colbert. 11 écrit à Breteuil, intendant d'Amiens, le 22 mars 1680,
r'il peut utiliser comme géographe le sieur Pasquine (B. Mun. Amiens, ms. 508,
250) et le 12 décembre suivant, il lui indique encore le sieur Hinard « pour
faire la reconnaissance et la nouvelle répartition des paroisses de chacune élec-
tion » (ibid., pièce 368). Le 5 décembre, il lui avait recommandé « de prendre
soin de faire la reconnoissance de toutes les paroisses des eslections pour en faire
une nouvelle division plus commode aux peuples, ninsy que je vous l'ay escrit »
(ibid., pièce 361) et le 27 mai 1681 : « Je ne doubte pas que vous ne soyez bientost
en estât de m'envoyer les cartes que vous avez fait faire des eslections de vostre
généralité, en exécution des ordres du roy contenus dans ma lettre du 20* juillet
de l'année 1679, et vostre advis pour la rélormation du ressort desdites eslec-
tions. Je vous prie de me faire sçavoir dans quel temps vous croyez qu'elles
pourront estre achevées, et mesme, en cas que vous en ayez desja quelques-unes,
de les porter dans les visites que vous faites des eslections pour verifher vous-
mesme si elles sont justes et exactes. Surtout, tenez s. v. p. la main à ce que
ce travail finisse le plus tost qu'il sera possible » (ibid., t. II. pièce 202). Il
écrit encore à l'intendant de Bourges, le 14 août 1683 : < Comme l'un des princi-
paux travaux que le roy ayt recommande à MM. les intendants commissaires
départis dans les provinces, u esté celui de l'arrondissement des élections pour
le soulagement des peuples... je vous prie donc de vous appliquer avec un très
grand soin à faire en sorte que ce travail soit aussi exuet que le roy le désire et
de bien prendre garde qu'il ne faut omettre aucune paroisse ou hameau de cha-
cune élection « (Clém. II, 224). Foucault parle également des cartes qu'il fit
dresser en 1679 (Mémoires, p. 426), et d'Argouges, des dépenses qu'il fit pour le
même objet dans la généralité de Moulins (Mémoire sur la généralité de Moulins
en 1686, publ. par Vayssière, p. 37).
LES AVIS SUR LE BREVET.
6?
blée d'impôts en 1661, demande à être soulagée : requête appa-
remment fondée, car la ville est dégrevée de 800 1. en 1662 '.
De même, ils font dégrever de 500 1. en 1666 la ville d'Evreux
qui avait été inondée l'année précédente : dégrèvement très
appréciable, puisque la taille de l'élection était augmentée de
2 000 1. Encore faut-il remarquer que ces interventions devien-
nent rares après 1666; désormais, c'est aux intendants que les
contribuables s'adressent de préférence.
Il n'est pas douteux que les trésoriers eux-mêmes, après
l'établissement définitif de leurs rivaux, ^considérèrent leurs avis
sur le brevet comme de simples formalités : la série de ces
actes pour la généralité de Caen, qui nous est parvenue à peu
près complète, laisse voir en effet une grande différence entre
les avis antérieurs à 1668 et ceux qui suivirent : les premiers
paraissent étudiés, les seconds au contraire sont la simple
reproduction, soit des avis de l'année précédente, soit des
commissions de la même année 2.
Tout autres sont les avis des intendants : à partir de 1666
surtout, ils fournissent des détails sur les ressources de chaque
élection et de chaque ville, sur l'état des récoltes, sur la facilité
plus ou moins grande des recouvrements. Souvent très déve-
loppés, ils contiennent la notation soigneuse de tous les abus
à réformer. C'est une de nos principales et de nos meil-
leures sources de renseignements sur l'état économique des
provinces.
Dans ces avis, les intendants examinent d'abord si la géné-
ralité, dans l'ensemble, ne doit pas être soulagée, vu l'état des
1. A. D., S. Inf. G 1164, f° 143.
2. Je donne, dans le tableau suivant, la série des avis dressés par le Bureau de
Caen pour les années 1662 à 1668, les autres étant dénués d'intérêt. La série s'en
trouve aux Arch. Galv., fonds du Bureau des finances :
Bayeux. . . .
Goutances . .
Garentan . . .
Saint-Lô . . .
Valognes . . .
Avranches . .
Mortain . . .
1662
1663
1664
1665
1666 a
1667
1668
215 056
229 007
329 000
265 828
165 879
185 721
281813
177 454
219 000
202 563
248 944
303 693
282 092
173 780
281 084
159 484
191 419
189 413
232 594
290 043
262 592
162 880
261 584
149 634
184 319
159 363
232 300
281043
266 600
165 900
260 700
152 200
184 928
164 057
237 200
292 243
271 600
165 900
263 900
154 600
187 500
171930
246297
300 250
273 292
166 765
261 455
155 282
192 729
169800
247 300
301 300
272 700
167 200
259 500
155 300
193 900
2 068 758
1 843 059
1 733 059
1 622 000
1 737 000
l 768 000
1 767 000
a. Le brevet arrêté le 22 mai 1665 ne montait qu'à 1 650 000 1., mais une impo-
sition extraordinaire de 87 000 1., destinée à des travaux de voirie, avait été
ajoutée par un arrêt du conseil subséquent.
68 LA TAILLE EN NORMANDIE.
récoltes. On a dit plus haut que le brevet était expédié à une
date où l'on ne pouvait à peu près rien savoir de cet état;
d'ailleurs, les intempéries, les incendies, les logements de
troupes ', qui pouvaient survenir à tout instant, modifiaient les
ressources du pays; en conséquence, l'intendant avait la préoc-
cupation de renseigner très exactement et continuellement le
Conseil sur le chiffre d'impôt que pourrait porter sa généralité.
Le brevet n'étant pas publié, il était très facile d'en modifier le
chiffre, sans que personne, en dehors de l'administration, eût
connaissance du changement2.
Les avis des intendants ont par malheur en partie disparu.
Ils étaient conservés par Marin et, après lui, par Desmaretz,
dont les papiers ne nous sont pas parvenus. Néanmoins, il nous
en reste assez pour suivre, année par année, avec le secours
des autres documents administratifs, l'état économique de la
province.
1662. — L'hiver de 1661-1662 fut terrible pour la Normandie
comme pour tout le centre de la France. La famine, conséquence
de trois mauvaises récoltes successives, fait des ravages. Le blé
devient très cher; les mendiants affluent dans les villes; la
mortalité est grande. Les trésoriers généraux de Rouen écrivent
à Colbert en 1663 que « l'année dernière, il est mort dans les
f»aroisses au moins la tierce partie des habitants *. » Autre
ettre écrite de Caen à Colbert, le 13 mars 1662 :
« Dans toute la province, les moins incommodés des villages ne
boivent que de l'eau et ne mangent plus qu'un peu de pain pétri avec
un peu de lie de cidre, et les autres ne soutiennent leur vie qu'avec de
la bouillie d'avoine et de sarrazin... Le boisseau de froment, que l'on
avoit pour trente sous, se vend 3 et 4 1., et celui d'orge, 60 sous... Il
y a des paysans, à trois ou quatre lieues de Caen, qui ne se nour-
rissent plus que de racines, de choux et de légumes, ce qui les fait
1. Très souvent les ordonnances énumèrent ces trois catégories d'accidents qui
peuvent faire diminuer la taille d'une paroisse ou d'une élection. On en conclut
parfois que le logement des troupes était une « calamité > analogue à un incendie
ou une inondation; mais c'est une interprétation abusive : dans l'esprit du légis-
lateur, les logements de soldats sont une forme d'impôt analogue à la taille, et
ils doivent équitablement faire réduire celle-ci : on le verra au chap. VII.
2. Les intendants relèvent assez souvent des erreurs dans le texte des brevets :
ils les signalent dans leurs avis. Celui de Rouen fait observer à Colbert en 1665
3u une omission a été faite dans le brevet de sa généralité : un arrêt du conseil
u 28 février 1665 avait en effet déchargé la ville de Rouen d'une somme de
20000 1. qu'elle payait eiv guise de taille pour l'ustensile des troupes; cette
décharge lui avait été accordée parce que la Compagnie des Indes occidentales
avait obtenu la concession des droits sur la cire et sur le sucre à l'entrée de
la ville, et s'était engagée à verser directement les 20 000 1. au trésor; en
d'autres termes, la taxe mise comme taille sur la ville était remplacée par un
impôt indirect sur les marchandises consommées dans la ville. On aurait donc
dû diminuer le brevet de la taille pour 1666 de ces 20 000 1. L'intendant Voysin
écrit à. Colbert le 30 juin 1665 pour lui signaler cette omission : et en effet les
commissions furent rectifiées en conséquence (M. C. 130, f° 492).
3. M. C. 116 bu, f° 650.
LES AVIS SUR LE BREVET. 69
tomber dans une certaine langueur qui ne les quittte plus qu'à la
mort, et je peux vous assurer qu'il y a des personnes qui ont passé
quatre jours entiers, dans cette ville, sans avoir eu autre chose à
manger. La grande quantité de pauvres a épuisé la charité et la puis-
sance de ceux qui avoient accoutumé de les soulager1. »
Le roi fait distribuer du blé dans les provinces pour alimenter
les pauvres2. Les bourgeois des villes se cotisent; des hôpitaux
sont ouverts. Mais la misère n'en reste pas moins grande
et il est impossible de faire rentrer les impôts. Quoique le
brevet général ait été réduit de 4 millions de livres 3 par rap-
port à celui de 1661, les trésoriers généraux et les intendants
sont unanimes à réclamer une diminution, qui est accordée par
le roi : le brevet arrêté en 1661 montait à 6 624 055 1., pour les
trois généralités; en 1662, 5 930 553 1. *.
1663. — En cette année, la récolte est encore médiocre.
Les trésoriers de Rouen écrivent à Colbert, le 13 août, que la
sécheresse de l'automne précédent a empêché les semailles,
puis les eaux et le vent ont fait périr une partie des blés; on
a dû « réensemencer une partie des terres emblavées, et le peu
de blé qui a esté fait est presque tout perdu par de petites brouées
qui sont survenues, qu'on appelle en Normandie de la manne
et qui ont noirci la paille et l'épi, en sorte qu'il se trouve peu
de grain dans l'épi, et, dans le grain, peu ou point de farine.
Heureusement, il y a davantage de seigle, d'orge et d'avoine5 ».
Le chiffre du brevet, montant à 5 621 553 1. pour toute la Nor-
mandie, est accru de 72 000 1. dans les commissions. Mais
l'année suivante, on tint compte de cette mauvaise récolte : le
brevet présentait une diminution d'environ 230 000 1.
1664. — La récolte des blés est encore mauvaise dans la
Basse Normandie. Dans la généralité de Caen, les pluies du
1. Publ. dans Bonnemère, La France sous Louis XIV, t. I, p. 268.
2. Clém., II, 53. Mémoires de Louis XIV, éd. Dreyss, t. II, p. 548. Journal d'un
bourgeois de Caen, publ. par G. Mancel, p. 27-29.
3. Ce dégrèvement avait été annoncé par un arrêt du conseil du 2 avril 1661,
où le roi publiait son désir de « donner à ses peuples des marques de sa justice
par son application au gouvernement » ; en même temps il avait « promis de
pourvoir aux proceds des surtaux, et d'empescber les vexations du recouvre-
ment, sursis les taxes sur les courtiers et jaugeurs de vin, celles des francs-fiefs
et nouveaux-acquêts, et de la confirmation de leur exemption es villes franches;
les taxes sur les recettes des deniers commungs et d'octroys, les maires et esche-
vins des villes... révoqué les taxes sur les hosteliers, cabarettiers et marchands
de vin pour la décharge de la collecte des tailles » (A. D. S. Inf., G. 1164, f° 71).
Cet arrêt accordait une diminution de taille de 3 millions; un autre du 27 sep-
tembre suivant, portait ce chiffre à 4 millions (A. D. Galv., Election de Caen).
Mais ces diminutions, on l'a déjà vu, ne faisaient qu'abandonner des sommes
irrecouvrables. « C'est si peu, dit Guy Patin, que ce n'est point la peine d'en
parler (Lettre du 5 avril 1661).
4. Se reporter au tableau des brevets annuels des trois généralités, ci-dessus,
p. 33.
5. M. C. 116 bis, t* 650.
70 LA TAILLE EN NORMANDIE.
mois de juin ont fait pourrir les foins coupés et verser les blés l.
Mais dans la généralité de Rouen, la récolte en grains et en
cidre est bonne2. Le chiffre du brevet est augmenté dans les
commissions3.
1665. — L'augmentation de l'année précédente est main-
tenue par le brevet; elle atteint le total de 101 000 1. A Alençon,
des pluies abondantes en juillet ont gêné la moisson; l'inten-
dant écrit que le peuple « ne se restablit point depuis la misé-
rable année de 1662 » *. Toutefois, on commence à sentir l'effet
heureux des manufactures établies dans la province, à Rouen
et à Caen surtout; on en fonde de nombreuses dans les cam-
pagnes comme dans les villes, et le peuple y trouve une nou-
velle ressource 5.
1666. — Le brevet est augmenté de 28 000 1. dans la géné-
ralité de Caen, 20000 dans celle d'Alençon, 30000 dans
celle de Rouen. Mais le pays est en état de supporter cette
surcharge. La récolte est bonne, et les manufactures se déve-
loppent, surtout dans la généralité de Caen. Chamillart écrit le
6 juin qu'à Coutances la manufacture de bas d'Angleterre occupe
400 ouvriers, et cela « commence à se respandre dans la cam-
pagnefi ». Les manufactures de bas sont installées non seulement
dans les villes : Caen, Bayeux, Cherbourg, Saint-Lô, Coutances,
Valognes, Louviers, mais encore dans les bourgs et les vil-
lages7. Il écrit le 17 novembre :
« La généralité me paroist en fort bon estât, et sans l'extrême sei-
cheresse qui a faict manquer les bledz en plusieurs endroitz, et le
manquement de cidre, qui est général, et la garde de la coste, je pou-
rois vous assurer que les subjectz du roy commenceroient à jouyr du
bon ordre que S. M. establit partout8. »
1. Lettre de Du gué à Colbert, 23 juin 1664, M. C. 121 bis, P 857.
2. Cette même année, les habitants de Honfleur déclarent qu'ils ne peuvent
souscrire a la Compagnie des Indes « veu la misère du public » (Bréard, Les
archives de la ville de Honfleur, p. 119). Il est vrai que cette misère était peut-
être « affectée », comme disait Colbert.
3. Cependant le roi avait fait valoir les diminutions de taille qu'il ne cessait
d'accorder depuis plusieurs années, dans la déclaration d'août 1664 (Clém., II, 785).
4. Lettre de Du Boulay Favier à Colbert, Alencon, 30 mars 1665 (M. C. 128 bis,
f° 707).
5. Voir les lettres écrites à Colbert par Brévedent sur les manufactures de la
généralité de Rouen (M. C. 130 bis, f* 875, et 132 bis, f° 507); par Legcndre sur
celles âe Caen (ibid., 130, f° 197, 130 bis, f 863). Ces lettres donnent des détails
très complets. A Alençon, les manufactures furent très difficiles à établir. In
sieur Le Prévost voulant établir une dentellerie, « toutes les femmes, oh nombre
de plus de mille, se sont assemblées et l'ont poursuivy en telle sorte que s'il n'eust
évité leur furie, il eut esté asseurément en mauvais estât.... Cette multitude ne
sera point en repos jusqu'à ce qu'il ayt pieu au roy leur donner quelque assurance
qu'on ne leur oslera pas la liberté de travailler ». Cependant, il est incontestable
« que depuis quelques années, la ville d'Alençon a subsisté par le moyen de ces
Ëetits ouvrages de dentelle que le menu peuple a faicts et débités » (Lettre de
u Boulay Favier à Colbert, 30 août 1665, M. C. 131 bis, f 792).
6. M. C. 138, f> 245.
7. M. C. 142, f 234.
8. Ibid., f 100.
LES AVIS SUR LE BREVET. 71
Les commissions augmentent encore l'imposition de Caen
de 130000 1. ; la somme à lever s'élève à I 808 100 1.
1667. — Le brevet de la généralité de Rouen a été augmenté
de 10 000 1.; celui de Caen de 90 000; Alençon demeure tel quel.
La généralité de Rouen continue à prospérer par le commerce
et les manufactures. Dans celle de Caen, le nombre des mou-
tons augmente, depuis que l'intendant a interdit de les saisir
pour la taille et de tuer les agneaux1. Il y a eu en avril et
mai de la sécheresse qui a fait craindre pour la récolte; mais
les pluies du début de juin en ont réparé les mauvais effets,
sauf dans les élections de Coutances, Vire et Mortain; les
« menus grains » sont beaux, mais il n'y aura pas de cidre 2.
« La foire franche est remplie d'un plus grand nombre de
marchandises que les années précédentes; les draps façon
d'Espagne et d'Hollande de la fabrique de Caen, les draps de
Valongnes, les sarges façon de Londres, y estoient en très
grand nombre; les finettes et ratines fabriquées à Saint-Lô
ont esté fort estimez des marchands de Paris 3. » Le seul incon-
vénient dont souffre le commerce, c'est que la réduction du
taux légal de l'argent, ramené à 5 p. 100, a raréfié le capital
dans la généralité; ce taux est trop bas. Malgré cette prospérité
relative, Colbert réduit de 41 100 1. l'imposition de Caen,
« afin, dit-il, que tous les peuples aient connoissance de l'affec-
tion paternelle du roy pour ses subjects »; l'intendant fait
publier la lettre; les peuples en manifestent « une joie
incroiable »*.
1668. — Le brevet est augmenté de 24 000 I. pour la généra-
lité de Rouen seule, où le commerce prospère; les autres géné-
ralités sont imposées à la même somme que l'année précédente.
1669. — La peste s'est déclarée à Rouen et a Dieppe à l'au-
tomne de 1668. Non seulement la mortalité est grande, mais
tout le commerce de la région est paralysé, à cause de l'inter-
diction de communiquer avec la ville5. Le 13 septembre 1668,
le président du Parlement, de Bonneval, écrit que la campagne
« va tomber dans la dernière misère, par la raison que les foires et
marchés ne tiennent plus, et sans lesquels il ne se peutrespandre
d'argent parmy les peuples, manque de traffic et de commerce,
c'est ce qui les met présentement dans l'impuissance de payer ce
que l'on leur demande, soit pour tailles ou pour fermages6». La
foire de Guibray, en 1668, a été mauvaise 7. En outre, dans la
1. Voir ci-dessous, ch. vu. -»
2. Lettre de Chamillart, 17 juin 1667, M. G. 143, f° 437-438.
3. Lettre du 2 mai 1667, M. G. 144, f° 54.
4. Ibid., t° 499 et 145, f° 53.
5. Sur cette peste, voir les lettres de l'intendant Barin de la Galissonnière, du
marquis de Beuvron, gouverneur, et du premier président du Parlement, dans
M. C. 148, 148 bis et 149.
6. M. G. 148 bis, f» 619.
7. Ibid., f° 486.
72
LA TAILLE EN XOHMAXDIE.
généralité de Caen, la réglementation excessive des manufac-
tures de draps et de serges a gêné les marchands; la fabrique
est en baisse1. A en juger par les recettes des octrois, le com-
merce a notablement diminué; pendant le carême, il est entré
en général deux fois moins de provisions qu'en 1667 et 1668*.
Le nombre des moutons continue à augmenter; la moisson est
assez bonne; mais « les fermiers regorgent de grains qu'ils ne
peuvent vendre*. » Depuis trois ans, il n'y a presque pas eu
de cidre; les grains étant à bon marché, les fermiers qui avaient
pris leurs baux à des taux assez élevés il y a trois ans, se
trouvent dans une situation fâcheuse4. Dans la généralité de
Rouen, l'épidémie a cessé en janvier 1669; mais on trouve
encore quelques cas dans l'élection d'Arqués au mois de juin.
Quant aux récoltes, elles ont bon aspect; « l'espérance de la
moisson est fort belle et il y aura cette année quantité de
pommes » ; mais les fermiers sont également dans l'embarras
f>arce qu'ils ont mal vendu leurs récoltes; leurs propriétaires
es ont fait saisir, et si le blé ne se vend pas mieux, ils se trou-
veront dans une situation embarrassée 5. Le brevet de la taille
pour la généralité d'Alençon est réduit de 29 000 1., pour celle
de Rouen de 20000, et pour celle de Caen de 120000 1. Ce
chiffre est maintenu par les commissions6.
1. Lettres de Chamillart, 29 mars et 14 juin 1669, M. C. 150 bis, t° 9S2 et 153,
(•425.
2. Lettre de Chamillart. 8 avril 1669, M. C. 151, f° 294.
3. Id., 11 nov. 1668, M. C, 149, f> 389.
4. Id., 29 mars 1669, M. C. 150 bis, 982.
5. Lettre de Barin delà Galissonnière. 17 Juin 1669, M. C. 153 bis, (• 513-514.
6. Voici an état des tissus vendus à la foire franche de Caen, de 1666 à 1669;
il fut envoyé par l'intendant en juillet 1669 (M. C. 153 bis, f° 731-732).
Serges de Caen.
Pièces de 45-50 aunes.
1666
1667
1668
1669
3 257
3 825
2 557
1742
Prix
33-34s.
30-32 s.
29-30 s.
31-33 s.
Serges de Saint-Lô.
Pièces de 40-45 aunes.
346
287
173
339
Prix
41.l5s.-51.
41.8s.41. 10s.
4 1. 2 8.-4 1. 7 s.
4 1.5 8.-4 1.10 s.
Drap de Vire.
Pièces de 11-13 aunes.
677
480
532
500
Prix
41.5s.-51.
4-5 1.
4-5 1.
ont bien vendu
Drnp de Valognes.
Pièces de 36-40 aunes.
40
30
25
32
Prix
6-71.
5 1.-7 1. 10 s.
4 1.15 8.-61.158.
ont assez bien
vendu
Drap de Cherbourg.
Pièces de 36-40 aunes.
175
120
135
200 «
Prix
5 1.-51.108.
41. 10 8.-5 1.
41. 15 s.-5 1.5 s.
4 1. 10s.-5 1.
1. « Il en est beaucoup resté que les marchands ont porté à Paris. »
LES AVIS SUR LE BREVET. 73
1670. — Le brevet de la généralité de Rouen est augmenté
de 7 9001., les autres demeurant tels quels. De l'avis de l'inten-
dant de Rouen, il eût mieux valu le diminuer que l'augmenter;
les élections d'Arqués et de Caudebec, en particulier, sont trop
imposées1; les bestiaux sont à vil prix2. Dans la généralité de
Caen, l'interdiction d'exporter les blés gêne le recouvrement
de l'impôt3; la fabrique de papier dans l'élection de Bayeux
est en décroissance4. A Alençon, il y a « plus de mendiants
qu'en aucune autre ville du royaume »5.
1671. — Chacune des généralités est dégrevée de 20 000 1.
par rapport au brevet de l'année précédente. En même temps,
la prospérité de l'agriculture et des manufactures s'accroît; la
situation est bonne partout. L'intendant de Caen signalera, le
6 septembre 1671, « le bon estât des manufactures de draps, de
serge et de toile qui se font dans sa généralité », ajoutant « que
tous les marchands, d'une commune voix, l'ont asseuré que la
Guibray n'a pas esté si bonne depuis longtemps que cette
année 6; les herbages sont chargés de bœufs et vaches autant
qu'ils en peuvent porter7 ». Berryer écrit le 7 septembre : « Dans
tous les lieux du Costentin où je passe, le comerce des bestiaux
et des heures, des manufactures du pays, va très bien. Il y a
mesmes beaucoup de pomes de ce costé là8. » Il signale seule-
ment la rareté de l'argent causée par la mévente des blés 9,
1. Avis sur le brevet, 4 août 1670, Clairamb. 792, p. 153.
2. Ibid., p. 38(5.
3. Lettre de Chamillart, 16 août, ibid., p. 211.
4. Ibid., p. 319.
5. Lettre de Berryer, 3 novembre 1670, M. C. 155, f° 338.
C'est à cette date de 1670 que l'ambassadeur de Hollande signale à Colbert
le poids excessif des impôts mis sur le vin et le blé, disant que le roi ruinait
ses sujets pour nuire aux Hollandais, « qu'il falloit aller en Bretagne et en
Guyenne, où l'on verroit que les peuples gémissoient et étoient dans la mendicité
parce que les impositions qu'on avoit mises sur les vins et blés qu'ils avaient cou-
tume de vendre en Hollande, leur en empêchait le débit » (Lettres du marquis de
Saint-Maurice sar la cour de Louis XIV, publ. par Lemoine, t. I, p. 506.) Cf. les
lettres des autres intendants à cette époque, II. G., 162, et Clairamb., 191-192.
Colbert lui-même signale au roi « la grande disette d'argent qui se trouve dans
toutes les provinces » (Clém. Vil, 257).
6. Sur l'importance de cette foire en ce moment, voir une lettre de Michel
Colbert au contrôleur général, du 17 août 1672 : « Il s'y vend en gros quantité
de draps, serges et soyes de toutes sortes de manufactures du royaume à des
marchands destaillants, particulièrement des provinces de Normandie, Maine,
Poictou et Bretaigne; il s'y vend aussi, Monsieur, tant en gros qu'en destail
toutes sortes de quincailleries et ouvrages de fer, et de menues marchandises de
laine ; il y a, Monsieur, pareillement grand commerce de bœufs et vaches maigres qui
s'acheptent pour les engraisser dans le pays d'Auge... et ne se vend, Monsieur, en
ladite foire que très peu de bestiaux gras, mais seulement pour l'usage du pays,
non plus que de moutons, brebis et porcs. Il se fait, Monsieur, encore grand
débit de cuirs en cette foire ». (M. C. 161, f° 148-149).
7. Lettres des 5 août et 6 septembre 1671, analysées dans Clairamb. 793, p. 43
et 93; cf. p. 25.
8. M. C. 157 bis, f° 445.
9. Pareille rareté est signalée dans la lettre de Berryer du 7 septembre; le
Cotentin seul en a davantage, à cause de l'abondance des pommes (M. C. 157 bis,
74 LA TAILLE EN NORMANDIE.
« ce qui luy fait appréhender les recouvremens de l'advenir1 ».
Mais les manufactures continuent à progresser*.
1672. — Les préparatifs de guerre contre les Hollandais ont
fait augmenter le chiffre de l'impôt. Pour la généralité de
Rouen, la somme fixée par le brevet passe de 2 239 000 1.
en 1671 à 2 291000; pour Caen, de 1627 000 à 1668000; et
pour Alençon, de 1418000 à 1448000; soit, au total, une
augmentation de ,123 000 1. Cette augmentation était consi-
dérable pour la province. Néanmoins, la récolte du cidre
s'annonce bien, les manufactures continuent à produire beau-
coup dans la généralité de Caen ; l'exportation du beurre
d'Isigny est en progrès depuis trois ans3. L'augmentation sera
donc supportée sans trop de peine, mais bientôt on ressent
les effets de la guerre. Dès le 15 octobre 1672, l'intendant de
Rouen écrit que le trafic a cessé, ce qui va rendre le recou-
vrement des impôts difficile4.
1673. — Nouvelle augmentation du brevet : la généralité de
Rouen se voit imposer 2 430 000 1. ; Caen, 1 768 000 1. ; Alençon,
1537 000, soit une augmentation de 328000 1. Fort heu-
reusement, la récolte est encore bonne. Dans la généralité de
Caen, les menus grains (seigle, orge, avoine) sont très beaux.
Les blés seulement ont un peu versé5. Dans celle d'Alençon,
les blés sont abondants; il faudrait autoriser l'exportation à
l'étranger, notamment en Angleterre6. Dans celle de Rouen,
l'état reste bon, malgré une misère locale aux confins de la
Picardie7, laquelle est sans gravité : « chacun fait la misère plus
grande qu'elle n'est8 », dit l'intendant. A la foire de Guibray,
on a vendu quantité de draps, de bestiaux, de cuirs et de quin-
cailleries 9. Toutefois le commerce avec l'étranger a presque
complètement cessé dans toute la province 10.
1674. — Le brevet est identique à celui de l'année précé-
dente; mais la misère s'étend dans la généralité de Rouen; un
long mémoire de l'intendant de Creil à Colbert signale le danger
qu'il y aurait à laisser les impositions à un taux si élevé :
« Je prendray la liberté de vous dire,'en gênerai, que toutes les eslec-
tions sont extrêmement chargées, et qu'il y en a quelques-unes qui le
sont tellement, que j'ai veu les habitants en estât de tout abandonner,
1. M. C. 157 bis. f° 605.
2. M. C. 157, f> 37.
3. Chamillurt à Colbert, 16 novembre 1672, Clairamb. 793, p. 796.
4. Analyse de sa lettre, ibid., p. 773.
5. Lettre de Chamillart du 1" août 1673 analysée dans Clairamb. 795, p. 40.
6. Lettre de Michel Colbert. 2 novembre 1673, ibid., p. 121.
7. Lettre de De Creil, 1er juin 1673, ibid., 794, p. 426.
8. Ibid., 795, p. 58.
9. Lettre de Michel Colbert, 21 août 1693, M. C. 165 bis. f> 39'i-399.
10. Lettre de Chevalier à Colbert, 2 février 1673, Clairamb. 794, p. 155; il vient
d'inspecter pour la gabelle les départements de Caen et d'Alençon.
LES AVIS SUR LE BREVET.
75
sans l'assurance de quelque petite diminution que je leur ay fait
espérer. Cependant, comme le brevet de la taille que vous m'avez fait
l'honneur de m'envoier porte la mesme somme pour l'année prochaine
que celle de l'année présente, je ne puis rien faire de mieux, pour le
service du roy, que d'augmenter les eslections les moins chargées,
pour soulager les plus pauvres, afin d'éviter les non-valleurs, ainsi
que je croy avoir fait dans mon advis, que vous trouverez ci-joint, et
dont j'envoie pareillement une copie à M. Marin.
Le grand mal de toutes les eslections est la cessation du commerce;
mais il est encore à observer que les unes ont souffert l'inondation de
plusieurs parroisses par les pluyes du printemps, et la stérilité entière
des menus grains par la sécheresse de l'esté. D'autres ont despensé
et perdu extrêmement par les armes qu'on leur a fait achepter, et
par les gardes continuelles sur les costes et dans les places, et par
les reveues qu'ils ont esté obligez de faire. 11 y en a dont les parroisses
ont autant paie pour le tiers et danger ' que pour la taille.
L'on aurait pu soulager un peu la campagne en augmentant l'impo-
sition des villes; mais, outre qu'elles ont esté beaucoup haussées les
années dernières, j'ai cru qu'il falloit encore les ménager, à cause des
taxes que l'on leur demande pour le franc-alleu, les arts et mestiers, et
papier-terrier; je n'ay pas laissé néanmoins de donner à la pluspart
quelque petite augmentation. Enfin, Monsieur, l'on peut juger que
cette généralité est plus chargée que toutes les voisines, puisqu'elle
perd tous les ans, par les translations de domiciles, grand nombre de
taillables qui en sortent pour aller dans lesdites generalitez, où ils
paient moings de taille.
Tous les receveurs particuliers demandent chacun des diminutions
si grandes pour leur eslection, que je n'ozerois vous en parler, et je
leur ay fait entendre qu'il falloit encore donner courage au peuple pour
l'année prochaine, veu Testât présent des affaires, dans l'espérance
d'un soulagement pour les suivantes. Ils se plaignent aussy de ce que
les termes des paiements sont trop pressez, et que l'on ne donne pas
assez de temps aux collecteurs pour faire leurs levées, ce qui les
oblige de les emprisonner, ou de faire discuter les parroisses, qui est
encore un plus grand mal que l'emprisonnement.
Quoyqu'il n'y ait point de remède à toutes leurs plaintes, j'ay cru
néanmoins, Monsieur, que vous trouveriez bon que je vous en rendisse
compte en peu de mots, afin que vous soyez informé de Testât des
choses : tout ce que je puis de ma part, est de partager avec une juste
proportion sur toutes les eslections la somme de 2 430 000 1. que S. M.
ordonne estre imposée pour Tannée 1675, vous priant de considérer
que si, par des interests et recommandations particuliers, on vous
donne des advis qui soient contraires, ils ne seront pas sincères ny
équitables, et produiront assurément de la vexation et du désordre. A
mon égard, je n'ay pour but que le service du roy et le soulagement
des peuples2... »
1. Cette affaire du tiers et danger alarma beaucoup la province, et faillit pro-
voquer une révolte de la noblesse : voir Clém., II, 2(>1 et suiv. ; Depping, t. III,
p. 221 et suiv.; Floquet, Hist. du parlement, t. V, p. 564; Gérard, Défense pour les
particuliers qui possèdent des bois en Normandie, s. 1. n. d; in-4°; O'Reilly, Claude
Pellot, liv. XIII, chap. iv. Sur la nature de ce droit, voir les ouvrages indiqués
dans mon édition du Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 119, n. 4.
2. Glairamb. 795, p. 485-7.
76 LA TAILLE BN NORMANDIE.
Mais l'intendant savait que ses remontrances ne seraient pas
écoutés : le 6 avril précédent, Colbert lui avait écrit : « Il sera
difficile en Testât présent des affaires de l'Europe, que le roy
puisse prendre la résolution de diminuer les impositions des
tailles, vu les prodigieuses dépenses que S. M. est obligée de
faire, et nous courons mesme assez de risques que le roy voudra
les augmenter »'.
1675. — Malgré les avertissements reçus l'année précédente,
Colbert est obligé d'augmenter le brevet dans les trois généra-
lités : 270000 I. pour Rouen, 162 000 pour Caen, 163000 pour
Alençon, au total 595000 1., soit plus de 10 p. 100 sur l'année
précédente. Cette même année, Bossuet invite le roi à soulager
ses peuples qui sont écrasés par la taille, et les ambassadeurs
des puissances étrangères constatent partout la misère grandis-
sante. Nous n'avons pas les avis des intendants de Normandie
pour cette année; mais une lettre de Pellot, du 1er mai, nous
apprend que « dans le pays de Caux il y a de pauvres paysans
qui vont en troupes demander l'aumosne à des gens qu'ils
croient accommodez2 ».
1676. — Le chiffre du brevet demeure fixé a la même somme
que l'année précédente; en outre, les généralités sont obligées
de loger les troupes soit en quartiers d'hiver soit à leur passage;
les recouvrements pour l'année courante se font mal et Colbert
est obligé de presser les receveurs plus encore que d'ordi-
naire, le roi ayant besoin d'argent , En envoyant son avis
le 27 juin, Leblanc écrit : « Vous observerez, s'il vous plaist,
que quelques précautions que j'aye pu prendre, toutes les
élections ont esté fort fatiguées par le passage et logement
des gens de guerre, et qu'il n'y a que celle de Magny qui en
ayt esté exempte et de la contribution des fourrages * » ; et
le 4 août suivant : « Comme vous m'avez fait l'honneur de me
mander que le roy ne pouvoit faire des diminutions sur la
taille, j'ay veu exactement dans ma dernière visitte les lieux sur
lesquels je croyois la pouvoir mettre, mais je les ay trouvez si
chargez qu'ils auront peyne à satisfaire à leurs impositions...
toutes les villes avoient esté augmentées les années précé-
dentes, elles ont souffert les passages et de longs séjours, et la
pluspart des quartiers d'hiver, ce qui fait que les habitans
désertent. J'ay creu pour les obliger d'y demeurer qu'il falloit
1. Clém., II, 331.
2. Depping, III, 227. Cette même année éclatait en Bretagne la révolte du
« Papier timbré », qui faillit s'étendre à la Normandie (J. Lemoine, La révolte
du Papier timbré, Paris et Rennes, 1898; de Masseville, Ilist. sommaire de .Xor-
mandie, t. VI, p. 215).
3. Lettre de Leblanc à Colbert 13 avril 1676 : « Suivant l'ordre que vous m'avez
donné j'ay pressé les habittans... de porter incessamment aux receptes les deniers
de la taille, et aux receveurs de faire leurs diligences » (B. N. fr. 8 759, f 57.)
4. B. N. fr. 8 759, f° 66.
LES AVIS SUR LE BREVET.
77
leur faire quelque diminution1. » Colbert montrant quelque
scepticisme à l'égard de cette misère, Leblanc dut protester, le
9 août, de l'exactitude de ses informations : « Je scay bien
que je suis dans un pays où l'on fait tout valoir et où il ne
fault croire que ce qu'on voit; ainsi faites-moi, s'il vous plaist,
la justice d'estre persuadé qu'ils ne m'en font point accroire 2».
Par surcroît, la grêle vint endommager les récoltes ; le prix
du setier de blé passa de 7 1. à 8 1. 10 s. 3, et un incendie
détruisit presque entièrement le bourg de Bolbec.
1677. — Le chiffre du brevet demeure encore le même :
la misère dans la généralité de Rouen s'aggrave; partout il y a
des troupes à loger, la ruine est complète ; il est indispensable
de diminuer toutes les élections, sauf peut-être celle d'Arqués,
qui a été considérablement soulagée les années précédentes4;
nous n'avons aucun renseignement pour les deux autres géné-
ralités.
1678. — Une diminution notable a été accordée : par l'arrêt
du Conseil du 7 juin 1678, le roi rappelle que la taille est
tombée de 56 millions en 1658 à 40 millions en 1678; voulant
encore « donner des marques de sa bonté paternelle envers ses
peuples », il réduit le chiffre de 1679 à 34 millions5; Rouen
est soulagée pour sa part de 400000 1., Caen de 330000 1.,
Alençon de 250 000 1.. Dans les deux généralités de Rouen et
de Caen, pour lesquelles nous avons des renseignements, la
récolte est belle, la misère, sans disparaître, ne s'aggrave pas6;
à Caen, le recouvrement de la taille demeure toujours « très
difficile »7.
1679. — Le chiffre du brevet est le même que l'année précé-
dente, mais l'hiver de 1678-79 a été rigoureux; les gelées ont
commencé dès la fin de novembre et duré jusqu'à la fin de
mars; une partie des terres dans la généralité de Rouen n'ont
pu être ensemencées en blé8. Ensuite les pluies continues ont
empêché de semer l'orge et l'avoine; en mai, à Bernay, le bois-
seau de blé pesant 63 livres vaut 6 1. 4 s., c'est-à-dire le double
de ce qu'il valait l'année précédente9. Vers le même temps à
Mortagne le boisseau pesant 104 livres vaut 11 1.; il est vrai qu'au
15 juin il est redescendu à 7 1. 10 s.; mais c'est encore un prix
1. B. N. fr. 8 759, f08 68-69.
2. Ibid., f° 69.
3. Ibid., f° 72.
4. B. M. fr. 8761 bis, f° 47-48.
5. A. D., Galv., Registre d'ordonnances de l'élection de Caen. Cf. la lettre de
Colbert aux intendants, du 15 juin, accompagnant cet arrêt : il leur recommande
de bien répartir cette diminution sur les pays qui en ont besoin (Clém., II, 380).
6. Lettres de Méliand à Colbert, 17 juin 1678, A. N., G' 213, et de Leblanc, 6 mai,
ibid., 491.
7. Lettre du 24 mars 1678, A. N., Gi 213.
8. L. de Leblanc à Colbert, 21 mars 1679, A. N., G? 491.
9. L. de Morangis à Colbert, 27 mai 1679, A. N., G"i 71.
78
LA TAILLE EX XOIt.M AM)I I. .
de famine*. A la fin de L'alinéa dans la môme généralité, d'après
un tableau enrayé* par 1 intendant le 4 décembre, les 100 livres
de blé valent jusqu'à G 1. ,i s. dans l'élection de Lisieux 2.
Les manufactures établies dans la généralité d'Alençon sont
uniformément en baisse; à Alençon où l'on fabrique plus de
100 pièces de toile par semaine valant en moyenne 70 livres
chacune, les prix ont baissé d'un quart depuis six ans, le fil est
devenu plus cher parce que les marchands étrangers viennent
l'acheter depuis que le privilège de la manufacture des points
de France a cessé, les ouvrières se relâchent, et leurs ouvrages
sont moins beaux; or ce travail faisait vivre non seulement la
ville d'Alençon, mais toute la campagne environnante : au total
plus de 10000 personnes. Dans l'élection d'Argentan, le com-
merce du cuir qui produisait jadis 80000 1. par an est diminué
à cause des droits de tarif, de marque, de contrôle, établis
depuis six ans : « Il y avoit 60 maîtres tanneurs, il n'en a plus
que 40 et il ne s'en vend que pour 50000 1. »; la ville de Bernay
qui « estoit riche autrefois, présentement est pauvre et dépeu-
plée... elle ne se maintient que par le commerce des chapeaux
et bas de laine ». L'élection de Conches a peu de commerce,
« il n'y a point d'élection dans la généralité où le recouvrement
de la taille me paroisse plus dificile ». La ville de Domfront
« est si peu de chose qu'elle ne mérite pas qu'on parle de son
comerce ». L'élection de Lisieux, qui a un terroir très fertile
et fait le commerce des toiles et des frocs, est appauvrie : la
manufacture de toiles est gênée par les procès que les maîtres
toiliers intentent aux particuliers « qui espousent leurs veuves
et prétendent se servir de leurs privilèges »; la ville a été dépeu-
plée par le passage des gens de guerre, mais « elle commence
à se remettre en bon estât ». L'élection de Verneuil, quoique
le sol en soit très fertile et le débit des produits fort aisé, « n'est
1. L. du même. 10 juin, A. R., G" 71.
2. Mémoire du prix des blés dans la généralité d'Alençon envoyé par l'inten-
dant de Morangis le 4 décembre 1679 (A. N., G1 71) :
ÉLECTIONS
POIDS
DU
BOISSEAU
VALEUR
DU
BOISSEAU
VALEUR
DES
100 LIVRES
CE QU'ON PEUT
TIRER
de l'élection
32 1.
52
70
90
36 8.
3 1.
55 s.
3 1. 4 s.
53 s.
3 1.
55 s.
3 1. 13 s.
5 1.
5 1. 8 8.
5 1. 15 s.
5 1. 5 s.
6 1. 3 s.
5 1. 2 s.
5 1. 15 s.
5 1. 15 s.
5 1. 4 s.
5 1. 12 s.
4 000 boisseaux.
9000 —
4000 à 5 000 —
10000 —
3 000 à 4 000 —
4 000 à 5 000 —
5 000 à 6000 —
rien.
LES AVIS SUR LE BREVET. 79
pas en bon estât », la ville est « dépeuplée depuis très long-
temps... Chateauneuf-en-Timerais est si pauvre et si ruinée par
les gens de guerre qu'à peine la doit-on compter pour une ville » ;
toutefois « il s'y faict encor un assez grand commerce de bledz,
et si cela continue on le peut restablir 4 ». Dans l'élection de
Lisieux encore 2, l'intendant écrit le 20 mai qu'il a trouvé « un
très grand nombre de pauvres » ; on s'efforce de les renfermer
dans un hôpital général, « mais il sera impossible présentement
d'en venir à bout3 ».
Le 26 juin, il résume ainsi la situation des campagnes :
« Jamais il n'y a eu tant de mendians dans les villages et les fau-
bourgs des villes... Quoyque les biens de la terre fassent espérer une
bonne moisson, je puis vous assurer que la misère de la plus grande
partie des paroisses est beaucoup au-dessus de ce qu'on peut vous
dire, et que si les grâce du roy avoient à estre rependues sur quelque
province, il ni en a point dans le royaume qui en ayt un plus pressant
besoin que celle-cy 4. »
La misère est la même dans toute la province : le 15 mai, le
parlement de Rouen rend un arrêt « pour subvenir à l'instante
nécessité des pauvres des villes, bourgades et paroisses de ce
ressort, causée par le long hiver et la rigueur de la saison, le
prix et la chèreté des grains de la présente année5 ». Dans la
généralité de Rouen, les pommiers sont mangés par les che-
nilles : il n'y aura pas de cidre6; toutefois au mois de juin, les
pluies viennent « rétablir » les récoltes, et, sauf dans le pays
de Caux, les blés sont assez beaux7. La récolte, passable dans
la Normandie en général, fait que la foire de Guibray n'est pas
aussi mauvaise qu'on aurait pu le craindre; « tout compté,
écrit l'intendant de Morangis le 31 août, on peut dire que le
commerce de cette foire a été moindre d'un cinquième que
l'année précédente8 ».
C'est en vain que Colbert avait réduit la taille à 34 millions9;
les effets ne répondaient pas à son atteinte. Un arrêt du con-
seil du 16 août 1679 réduisit encore l'impôt de 2 millions
1. Tous ces détails sont contenus dans ]e rapport descriptif de l'élection
d'Alencon envoyé par l'intendant de Morangis à Colbert le 17 juillet 1679, A. N.,
G? 71."
2. Dans celle de Bernay, quoique la récolte s'annonce bien « cependant le
nombre des mendiants augmente, il est excessif à l'abaie du Bec où les pauvres
de ce voisinage reçoivent des aumosnes proportionnées à leur nécessité »; on ne
peut songer à faire cotiser les ricbes des paroisses pour secourir les pauvres
car « cela pourroit apporter du retardement aux deniers du roy ». (L. du 27 mai,
ibid.) Le blé a partout enchéri.
3. A. N., G? 71.
4. A., N. G? 71.
5. A. N., G 7 492, liasse de l'année 1685.
6. L. de Leblanc, 16 juin 1679, G 1 491.
7. L. du même, 16 juin et 18 juillet, ibid.
8. A. N., Gl 71.
9. Clém., II. 88.
80 LA TAILLE KN NORMANDIE.
et les intendants reçurent l'ordre de donner à l'acte une grande
publicité « Rendez publique cette nouvelle grâce, leur
écrit-il le 27 septembre, et en mesme temps faites bien con-
noistre a tout le monde combien les peuples sont heureux
d'avoir un maistre qui, ayant tiré pendant la guerre les assis-
tances nécessaires pour porter la gloire de l'Estat au plus haut
point qu'elle ayt jamais esté, et pour estendre ses conquestes,
ne gouste pas de plaisir plus sensible pendant la paix que d'en
faire gouster les fruits a ses peuples par les décharges et les
soulagemens qu'il leur accorde en toutes occasions » '. Cette
remise fut accueillie avec une grande satisfaction : « La joie en a
esté excessive dans cette généralité, écrit l'intendant d'Alençon
le 31 août, et il n'y a personne qui ne redouble ses prières
pour la conservation d'un si grand et si bon maistre » 2.
1680. — La taille est maintenue au même chiffre que l'année
précédente. Colbert espère que ces soulagements « donneront
aux peuples les moyens de se bien restablir3 ». Il prescrit aux
intendants de faire leurs visites encore plus minutieusement
que les années antérieures, de façon à lui envoyer des rap-
ports bien détaillés et sûrs : celui de Rouen, Leblanc, qui
commence la sienne le 16 mai ne la termine que le 21 juillet4;
celui de Caen ne termine que le 15 août, et celui d'Alençon le
21 juillet. Mais leurs rapports sont très brefs sur la situation
générale des contribuables : nous y voyons seulement que dans
l'ensemble de la généralité de Rouen, la récolte est bonne, les
« menus grains » sont très beaux partout, mais il n'y aura ni
pommes ni poires nulle part et la récolte de vin sera mauvaise;
le nombre des bestiaux augmente. Dans les généralités de Caen
et d'Alençon, l'état des récoltes est à peu près le même6; dans
celle de Caen les manufactures « ont leur cours ». Nous ne
savons si la misère continue ou disparaît.
1681. — La Normandie est augmentée, quoique sa part
dans le chiffre total des pays d'élections soit légèrement
réduite (15,45 p. 100 au lieu de 15,50 l'année précédente). Nous
n'avons de renseignements que pour la généralité de Rouen :
le printemps a été froid et l'année est en retard dans le Vexin
normand ; en mai « les bleds sont fort clairs à cause de la lon-
1. Clém., II, 386; cf. la circulaire du 17 août, ibid., p. 114.
2. A. N., G^ 71.
3. L. du 18 juillet, Clém. II, 390.
4. Colbert le félicite pour les soins qu'il a apportés dans son travail : Lettre
du 18 juillet, Clém. II, 390.
5. En somme il y a amélioration notable sur Tannée précédente, et le signe de
cette amélioration est la diminution du prix du blé : dans la généralité d'Alençon,
à Lisieux le boisseau pesant 32 livres vaut 24 s. au mois de juillet contre 50 s.
Tannée précédente; à Argentan et à Falaise le boisseau de 52 livres vaut 35 s.,
tandis qu'il vnllait le double Tannée passée; à Conches, même, le boisseau de
32 livres ne vaut que 20 s. A Domfront où Ton consomme surtout du sarrasin,
cette graine vaut 22 s. 6 d. les 40 livres. (De Morangis à Colbert 22 juillet 1680
A. N., G' 71.)
LES AVIS SUR LE BREVET.
81
gueur de l'hyvert et de la sécheresse ; les mars ont peyne à lever,
on sème encores l'orge et s'il ne vient de l'eaue la récolte ne
sera pas bonne l » ; toutefois les pommiers promettent des
fruits, et l'abondance du cidre facilitera le paiement des impôts;
mais les symptômes de misère n'ont pas disparu : à Louviers la
mendicité est « très grande 2 » ; les porcs sont « extraordinaire-
ment chers » partout.
1682. — La généralité de Caen est augmentée des 3000 1. qui
sont retranchées à Alençon; celle de Rouen conserve son impo-
sition à 1000 1. près; toutes les généralités restent encore
au-dessous du chiffre de 1679. A Rouen, les céréales sont très
belles, sauf dans quelques paroisses qui ont été grêlées; les
pommes sont rares dans les élections de Pont-1'Evêque, Neuf-
châtel et Arques3; à Caen, en juin, les récoltes ont en général
belle apparence; mais beaucoup d'élections souffrent encore des
logements de troupes : a Mortain et à Avranches notamment,
« le pauvre peuple ne s'en remet pas encore » ; aussi y a-t-il
très peu de commerce4; à Alençon on a en juillet a toutes les
apparences d'une année très abondante... le commerce des bes-
tiaux est très considérable... celui des toiles va fort bien »; il
n'y a jamais eu tant d'ouvrières pour la dentelle dans la ville
d'Alençon, mais la richesse n'accompagne pas cette prospérité
apparente : les grains sont à très bon marché, les ouvrières
gagnent fort peu, et il y a toujours des mendiants 5. Dans les
élections de Mortagne, Verneuil et Conches, il y a « beaucoup
de pauvreté6 ». C'est alors que Colbert engage l'intendant à
chercher la cause de cette misère pour y remédier, soit en
diminuant la taille de ces élections, soit en donnant du travail
aux habitants, « soit en examinant si cette pauvreté provient
d'une fainéantise naturelle, parce que dans ce dernier cas ils
ne méritent pas beaucoup de soulagement». Il négligeait la seule
cause de misère qui fût cependant la plus certaine et la plus
profonde : le trop grand poids des impôts pendant les années
précédentes.
1683. — Le chiffre de la taille est conservé à peu près tel
quel dans les trois généralités; la récolte s'annonce bien dans
l'ensemble de la province, comme dans tout le reste du royaume 7.
Mais dans les villes les mendiants continuent à affluer; le
1. Lettre de Leblanc, 24 mai 1681, A. N., Gi 491.
2. Ibid.
3. Rapports des 22 juin et 2 juillet, ibid.
4. L. du 7 juin, A. N., G? 213.
5. Rapport de l'intendant 2-20 juillet 16S2, A. N., G' 71.
6. D'après la lettre de Colbert à de Morangis, 16 octobre 1672, Clém. II, 208.
7. Colbert écrit à Breteuil le 3 juin 1683 : « J'espère que nous aurons une
année abondante dans tout le royaume », (Bibl. Mun. Amiens, ms. 508, t. IV,
pièce 221) ; l'intendant d'Alençon rapporte le 6 mai : « Les biens de la terre sont
aussi beaux qu'on le peut soubaiter, et il y a apparence d'une bonne année pour
les grains... à l'esgard des pommes je crois qu'il y en aura peu, mais il y a tant
LA TAILLE EN NORMANDIE.
82 LA TAILLK l.N NORMANDIE.
28 janvier, les échevins de Honflcur ont interdit de loger en
ville; les pauvres qui viennent de la campagne1. Les rapports
des intendants sont très brefs : aucun d'eux ne parle de cette
misère. Cette réserve est inquiétante. Elle cesse brusquement
à la mort de Golbcrt.
Les rapports de 1684 et de 1685 sont beaucoup plus pessi-
mistes : en janvier 1684 dans la généralité de Rouen, « les néces-
sités sont extresmes », les pauvres de la ville « sont réduits à de
très grandes extrémités »; le 1er octobre, l'intendant après avoir
visité les riches élections de Gisors, Gournay et Lyons, écrit :
« Je suis obligé de vous dire que j'y ai veu des choses qui
surprennent de la misère de cette année », et après avoir par-
couru le pays de Caux : « En vérité la misère y est grande, et il
y a plusieurs terres qui demeurent sans estre cultivées, et cette
province-cy tomberoit sy on ne la soulageoit davantage... Les
biens y deviennent ù rien, et le commerce y diminue ». Le
15 mars 1685 : « La misère est si grande que tel paysan achetait
un habit de drap, qui se passe d'un de toile, et les femmes de
la campagne qui étoient curieuses d'un cotillon rouge ou bleu,
n'en portent plus guère; elles sont fort mal habillées, et presque
toutes de toile blanche2 ». Le 0 juillet 1685 il écrira encore :
« Le besoin est pressant à la campagne où il fault garder les bleds
la nuit de peur qu'on en vole tout verds qu'ils sont, ceux qui en ont
à eux sur pied en couppent tous les jours qu'ils font seicher au four
pour vivre..; les entrepreneurs de Honfleur sont obligez de donner
demy-paye les jours de feste pour retenir les ouvriers qui iroient aux
villes demander l'aumosne parce qu'ils gagnent peu 3. »
Dans la généralité d'Alençon la misère est identique; le
27 mars 1685 l'intendant écrit que le paiement de la taille est
très en retard :
« Je puis vous assurer que c'est la seule misère qui est cause de ce
retardement, car le receveur des tailles fait ses diligences, mais les
huissiers ne trouvent quasi plus rien à exécuter, je m'en suis fait rap-
porter les procès-verbaux et mesme j'ay visité quelques paroisses
sans paroistre que ce fut à dessein, où je n'ay point veu de pain qui
ne fust d'orge ou d'avoine : le bled néantmoins n'est point enchéry
depuis deux mois, mais les paysans mangent ce qu'ils ont faute d'ar-
gent pour achepter le bled et nayans point de bestiaux pour en faire ;
j'ai marqué au receveur des tailles qu'il est bon de mesnager les
de vieux cydre que ce ne sera pas un grand malheur ». Et encore le 19 juin : ■ Il
y a lieu d'espérer que la récolte sera parfaitement bonne dans toutes les élections,
à l'exception des lieux où il est tombé de la gresle. > (A. H., G7 71.)
1. Bréard, Les archives de la ville de Honfleur, p. 140.
2. De Boislisle, Corresp., t. I, n° 165.
3. Tous ces détails se trouvent dons les lettres de l'intendant de Rouen au con-
trôleur général, A. N. G "> 492.
LES AVIS SUR LE BREVET. 83
contribuables et que supposé que je visse qu'il en usast bien, je tasche-
rois d'obtenir de vous, Monsieur, quelque prolongation de ses paye-
mens '. »
Une telle misère ne peut avoir éclaté brusquement en 1684,
alors surtout que la récolte de 1683 était bonne. Si l'on note
d'autre part que Colbert a maintes reprises rabroua les inten-
dants qui lui signalaient la ruine, soit en les accusant de mal
faire leur devoir, soit en les invitant à se tirer d'embarras quand
même et à faire rentrer les impôts à tout prix, on peut se
demander s'ils ne cachèrent pas à leur chef l'état véritable des
peuples. La misère signalée en 1677 et 1678 avait pour cause
principale l'augmentation des impôts; comme ces impôts ont
été très peu diminués, il est certain que la misère ne dut guère
diminuer non plus. Il aurait donc fallu réduire les impôts. Col-
bert a fait effort auprès du roi pour obtenir cette réduction ; il
a souvent exprimé le regret de ne pas aboutir ; toute la res-
ponsabilité de cet état de choses ne lui incombe pas.
En somme, pendant les vingt-deux années du gouverne-
ment de Colbert, la situation des paysans peut se résumer
ainsi :
1° de 1661 à 1666, période de relèvement, les impôts sont
diminués, la vie économique prend une intensité qu'elle n'avait
jamais eue, par la protection de l'agriculture, le développement
des manufactures et l'accroissement des bestiaux;
2° De 1666 à 1673, grande période de prospérité correspon-
dant à des chiffres de taille plus bas qu'on ne les avait connus
depuis fort longtemps;
3° De 1673 à 1683, dix années de misère causées par l'ac-
croissement des impôts de toutes sortes pour aboutir à la ruine
totale des paysans et des ouvriers.-
Après avoir donné son avis sur l'état général de sa circon-
scription, l'intendant devait indiquer la somme à lever dans
chaque élection. Pour cela, il avait à tenir compte non seule-
ment des chiffres portés par le brevet, mais encore d'imposi-
tions supplémentaires, dont le brevet ne faisait pas mention
et qui, répondant à des besoins locaux ou temporaires, ne pou-
vaient être confondues avec la taille proprement dite, quoi-
qu'elles fussent levées en même temps. Voici la liste de ces
impositions pour la Normandie, de 1661 à 1683. On peut les
ranger en trois catégories :
A. celles qui sont levées sur toutes la province,
B. celles qui sont spéciales à une généralité.
1. A. N., G' -71.
S'i LA TAILLE EN NORMANDIE.
C. celles qui sont spéciales à certaines élections ou à cer-
taines paroisses.
Sur l'ensemble de la province, on a levé :
1° Jusqu'en 1664, la gratification des Etats, imposée par
lettres patentes séparées; elle s'élève à 44 500 LA
2° Un arrêt du conseil du 31 mars 1661 impose une somme
de 300 000 1. par an pendant deux ans pour la révocation du
droit domanial sur le fer.
3° En 1667 chacune des trois généralités paye 40000 1. pour
le rachat des captifs de Barbarie.
4° Le remboursement des offices des Élections et des Bureaux
des finances est fait au moyen d'impositions sur les généralités
ou les élections intéressées, de 1661 à 1668.
5° En 1666 (arrêt du conseil du 10 novembre 1665), en 1667
et 1672, on lève sous le nom d'étapes un véritable supplément
de taille, sorte de dispense de logement de troupes.
6° Les réparations au pont de Rouen sont payées également
par imposition annexée à la taille dans toute la province : on
lève a cet effet 10000 1. que les trois généralités se partagent
chaque année de 1672 à 1683*.
Les impositions spéciales à une généralité sont rares : en
1680 et 1681, on lève sur la généralité de Rouen une somme
élevée pour l'entretien du pont de Pont-Audemer 3; en 16^3, on
impose 37000 1. « pour le port d'Honfleur et les réparations du
frand chemin de Paris4»; sur celle de Caen, un arrêt du conseil
u 22 avril 1679 établit une imposition de 44 000 1. pour les
travaux de navigabilité de la rivière d'Orne5; en 1680 et 1681,
on lève encore 300 1. pour le loyer du local où siège le Bureau
des finances.
Enfin, il arrive que certaines élections ou certaines paroisses
sont imposées spécialement, pour faire face à une dépense qui
les concerne.
Dans l'élection d'Arqués, de 1667 à 1672, on lève une somme
de 1 000 1. pour le bois et la chandelle des corps de garde de
Dieppe et du Pollet, somme qui est portée à 3 000 1. par arrêt
du Conseil du 16 novembre 1672 et est levée jusqu'en 1675 ;
1. M. C. 127 b", f° 907.
2. Arrêts du conseil des 13 sept 1672, 19 oct. 1675, 2't avril 1678, mentionnés
par les commissions. Il paraissait un peu abusif de faire payer les réparations du
pont de Rouen à des pays qui n'en retiraient aucun avantage comme le Perche
ou le CotiMitin par exemple; mais lu considération de l'utilité pi >s ou moins
grande des dépenses faites avec le produit des impôts pour ceux qui les payaient
n'entrait guère en ligne de compte. En 1672, lellot, premier président du Parle-
ment, propose à Colbert comme une chose naturelle d'imposer une somme
élevée sur les trois généralités de la province pour les dépenses municipales de
Rouen « a6n que l'on continue à la policer et embellir et y mettre un bon ordre
comme Ion a fort bien et heureusement commancé •• (Depping, III, 221.)
3. Bréard. Les archive* de. la ville de Hon/leur, p. 134.
4. L. de Leldanc, 17 février 1672, B. N. fr. 8 761, 1° 4.
5. Commissions des tailles pour t«80.
LES AVIS SUR LE BKEVET. 85
l'élection de Gisors paye tous les ans 1 000 1. pour l'entretien
d'un commis à la recette des tailles à Pontoise. Un arrêt du
Conseil du 26 octobre 1669 ordonne la levée de 140 1. par an
pendant six ans sur la paroisse de Sommery (élection de Lyons),
pour dépenses municipales extraordinaires, de même sur la
paroisse de Corneille (élection de Gisors), on lève 340 1. en
chacune des années 1675, 76 et 77 '.
Après ses observations sur le total du brevet, l'intendant
devait proposer ce que chaque élection aurait à payer. Il avait
à indiquer pour chacune non pas une somme globale d'impôt,
mais toute une série de chiffres partiels.
Le brevet maintenait en effet la vieille distinction entre le
principal de la taille, le taillon et le fonds des ponts et
chaussées2 : il fallait donc indiquer ce que l'élection porterait
de chacune de ces impositions. A cela, s'adjoignaient les
impositions accessoires, qu'il fallait aussi répartir quand elles
étaient mises sur toute la généralité : au total, le chiffre
d'impôt d'une circonscription était fait de cinq, six, et même
huit cotes additionnées.
Mais répartir isolément chacune de ces impositions partielles
eût été impossible. Dans la pratique, l'intendant prenait la
somme globale de la généralité, la répartissait au mieux entre
les élections; ensuite, une simple opération arithmétique sub-
divisait le chiffre proportionnellement au montant des impôts
partiels; par exemple, si le taillon de la généralité était égal à
1/5 de la taille totale, on attribuait invariablement à chaque
élection pour le taillon 1/5 de son imposition; quand un impôt
est spécial à une élection, on réduit d'autant les autres chiffres
de cette élection, de façon que le total ne s'en trouve pas accru.
Cette manière de procéder n'avait aucun inconvénient, puisque
la distinction entre taille, taillon, impositions annexes, etc.,
ne devait pas être faite dans le département entre les paroisses ;
elle ne servait guère qu'aux receveurs, pour la distribution de
leur recette.
L'évaluation exacte des ressources d'une élection était impos-
sible; on verra qu'on ne pouvait pas davantage faire exacte-
ment celle d'une paroisse, ni celle d'un individu.
« Il est inûniment difficile, dit Richer d'Aube, qu' [un] intendant
puisse proposer son avis avec une connoissance suffisante, puisque
ce n'est que par la connoissance détaillée des parties qu'on peut con-
noître un tout, et que le détail des parties à connoître pour donner un
1. Arrêt du conseil du 3 mai 1674.
2. Jusqu'en 1664, chacune de ces impositions était divisée en deux parts : une
première payable « par avance dans les huit premiers mois », et la seconde payable
ensuite. Il fallait indiquer ces deux parts pour chaque élection.
I
M LA TAILLE EN NORMANDIE.
avis qui mérite d'estre suivy sur la distribution des impositions par
villes et élections est presque infiny '. »
A l'état des récoltes, l'intendant ajoutait les indices de richesse
ou de misère les plus apparents : état des recouvrements, irais
de contraintes, emprisonnements de collecteurs, aspect d'ai-
sance ou de pauvreté du pays 2. La méfiance des contribuables
rendait sa documentation difficile3. Il consultait aussi les rece-
veurs, qui avaient également leur intérêt*; enfin il se repor-
tait aux chiffres des précédentes années. Comme à tous les
degrés de la répartition, les cotes antérieures et la plus ou
moins grande facilité de la perception étaient les principaux
guides du répartiteur.
Il n'est même pas certain que l'intendant ait toujours eu le
souci d'une égalité scrupuleuse. Lallemant de Levignen fait à ce
sujet une déclaration singulière. Lorsque, dit-il en résumé,
une élection est accablée, on pourrait lui retrancher une partie
de sa taille et la reporter sur d'autres plus riches; mais il faut
s'en garder, car on pourrait ruiner toute la généralité :
« Il vaut mieux que, dans un département5, en attendant qu'il vienne
du secours, il y ait deux ou trois élections qui souffrent plus considé-
rablement, que de les réduire toutes au mesme point; Tinterest du
roy semble au moins y estre plus conservé 8. »
On ne pouvait donc avoir qu'une répartition très imparfaite
et très critiquable. Les intéressés n'avaient aucun moyen de la
faire réformer, la suppression des Etats leur ayant enlevé leur
dernier recours. Quant au Conseil, il n'avait d'autre ren-
seignement que les rapports de ses agents ; il ne connaissait
même pas, dans les premières années, le chiffre des imposi-
tions antérieures7; aussi est-ce toujours à l'avis de l'intendant
qu'il s'en rapportait8.
1. Mémoire sur les fonctions d'intendant, 1738, B. N. fr. 21812, p. 49-50.
2. Voir une lettre de l'intendant de Paris, du 21 juillet 1682, où il explique sa
façon de procéder, dans De Boislisle, Mcm. de Vint, de Paris, p. 700, note. Se
reporter ci-dessous, p. 146 et suiv.
3. D'Aubray dOûemont, intendant d'Orléans, écrit le 2 sept. 1666 : « J'ay esté
obligé d'explicquer la raison par laquelle on désiroit scavoir le nombre des bes-
tiaux, car en faisant mes chevauchées j'ay remarqué que la demande que j'en
faisois estonnoit les paisans qui croioient que S. M. ne désiroit ce destail que
pour faire taxer plus considérablement les lieux qui en auroienl le plus grand
nombre » (M. C. 140, fol. 63).
4. Voir ci-dessous, p. 141.
5. Un département d'intendant, c'est-à-dire une généralité : on sait que les
intendants avaient le titre de « commissaires départis ». A la fin du xvm* siècle
surtout, le mot fut très couramment employé en ce sens.
6. B. N. fr. 7771, fol. 176, verso.
7. Dans sa grande instruction de mars 1664, Golbert écrit : « Pour ce qui con-
cerne la taille, il est nécessaire de s'informer par le moyen des commissions...
combien il a été imposé les dix dernières années, affin de connoistre clairement
les augmentations ou diminutions faites par le roy » (Aff. Étr., France, Mémoires
et documents, 1753, fol. 12).
8. Mémoire de Richer d'Aube, B. N. fr. 21812, p. 49.
LES AVIS SUR LE BREVET. 87
J'ai calculé, en partant des sommes globales imposées sur les
élections1, la part de chacune d'elles en centièmes dans sa géné-
ralité, pendant les quatre années 1661, 1663, 1672 et 1681\
1661 1663 1672 1681
Généralité de Rouen. — — — —
Andelys (les) 5,75 p. 100.
Arques 11,97 —
Caudebec 11,80 —
Chaumont et Magny. 4,72 —
Evreux 6,48 —
Gisors 7,12 —
Lyons 3,59 —
Montivilliers 8,83 —
Neufchâtel 4,58 —
Pont-Audemer. . . . 11,65 —
Pont -de-1' Arche . . . 4,79 —
Pont-1'Evêque .... 6,05 —
Rouen 12,66 —
Généralité de Caen 3.
Avranches 8,68 —
Bayeux 11,71 —
Caen 10,03 —
Carentan 8,11 —
Goutances. ..... 12,90 —
Mortain 10,07 —
Saint-Lô 9,46 —
Valognes 13,50 —
Vire et Confié .... 15,51 —
Généralité d'Alençon.
Alençon 4 12,56 —
Argentan 9,69 —
Bernay 7,40
Conches 11,01 —
Domfront 6,73 —
Falaise 12,37 —
Lisieux 8,56 —
Mortagne 23,95 —
Verneuil 7,76 —
La quote-part d'une élection a donc varié notablement d'une
année à l'autre : Neufchâtel paye 4,5 p. 100 en 1661, et 5,8 vingt
ans après; Rouen voit au contraire tomber son taux d'année en
année, passant de 12,66 à 10,08; Vire augmente régulièrement
de 15,5 à 17,7, Lisieux de 8,5 à 9,4. Il n'est pas une circonscri-
ption qui ait conservé sa part, même sous Colbert, de 1663 à
1681. En général, les variations ont été plus grandes dans la
1. Je prends l'année 1681, et non 1683, comme au chapitre précédent, parce
que je n'ai pu trouver les trois commissions de l'année 1G83.
2. Voir les tableaux de l'appendice. J'utilise les chiffres définitivement arrêtés
par les commissions, et non ceux des avis des intendants, parce que les seconds
sont perdus pour la plupart; mais noi.s savons que, sauf exception, l'avis des
intendants était toujours adopté.
3. Les grands écarts de pourcentage, dans la généralité, entre 1661 et les
autres années, sont dus en partie à la suppression de l'élection de Saint-Lô.
4. Dans cette élection, le grand écart de pourcentage entre 1661 et 1663, d'une
part, 1672 et 1681, d'autre part, est dû à l'affranchissement de la ville d'Alençon
en 1664 (ci-dessous, çh. v). _
5,63 p
. 100.
5,81 p
. 100.
6,14 p
. 100.
12.81
—
12,20
—
12,74
—
11,69
—
10,66
—
9,89
—
4,85
—
4,82
—
5,57
—
6,05
—
6,48
—
6,53
—
7,36
—
7,37
—
7,07
—
3,92
—
4,07
—
3,63
—
8,41
—
8,66
—
7,97
—
5,15
—
5,87
—
5,88
—
11,49
—
11,89
—
11,35
—
5,30
—
5,36
—
5,04
—
6,61
—
6,61
—
7,59
—
10,68
—
10,18
—
10,08
—
8,65
8,81
8,71
13,50
—
14,09
—
13,56
—
10,98
—
9,33
—
9,27
—
9,43
—
9,64
—
9,94
—
15,30
—
15,33
—
15,94
—
10,38
—
11,16
—
10,55
—
15,25
14,47
14,31
16,48
—
17,14
—
17,74
—
12,36
8,39
8,43
9,41
—
10,18
—
11,51
—
8,04
—
8,56
—
9,48
—
10,75
—
11,66
—
11,05
—
6,79
—
7,01
—
6,55
—
12,32
—
12,97
—
13,58
—
•8,31
—
8,83
—
9,46
—
24,43
—
2't,61
—
22,26
—
7,60
—
7,77
—
7,64
—
88 LA TAILLE EN NOIlMAMiII..
rnéralité de Rouen que dans les deux autres; l'incertitude
es intendants dans la répartition résultait de l'absence de
base pour calculer l'impôt1.
V. — LES IMPOSITIONS DES VILLES
Dans leurs avis, les trésoriers généraux et l'intendant doivent
spécialement s'occuper des impositions des villes.
A l'égard de la taille, les villes et les principaux bourgs ont
une condition privilégiée. On peut les ranger à cet égard en
trois catégories :
1° Les villes franches.
2° Les villes abonnées.
3° Les villes purement taillables.
Les villes franches sont exemptes de taille; nous examine-
rons la condition de leurs habitants au chapitre des exempts2.
Les villes abonnées sont celles dont la taille est fixée à une
somme invariable, quel que soit le chiffre de la généralité.
Un grand nombre d'abonnements avaient été vendus aux villes
au temps de Louis XIII; mais l'édit de janvier 1634, article
premier, en même temps qu'il révoquait les anoblissements et
exemptions de taille accordés depuis vingt ans, annulait « tous
abonnemens obtenus par aucunes villes bourgs et villages,
pour quelque cause et occasion que ce soit », ordonnant que les
villes antérieurement abonnées fussent imposées « selon leur
pouvoir et puissance ainsi que les autres villes et bourgs tail-
1. Le calcul des moyennes d'imposition par feu, dans chaque élection, pourrait
donner des renseignements intéressants; mais nous n'avons pas assez de chiffres
de feux pour faire des comparaisons concluantes. Pour la généralité de Caen, nous
avons une liste de 1668, recueillie par l'abbé de Dangeau (B. N, fr. 22613). La
voici, avec la moyenne d'imposition :
Imposition
Élections. Feux. moyenne.
Caen 13 211 12',17-
Bayeux 15 953 15,10
Vire 21987 13,14
Carentan 11666 15,3
Coutances 20 789 13 ,2
Valognes 20 952 12,8
Avranches 15 900 9,15
Mortain 14 945 12,19
135 403
2. Les villes franches de la généralité de Rouen sont : Dieppe, le Havre, Rouen
et Yvetot. Quillebeuf a été déclarée franche par l'article premier de l'édit de
janvier 1C34, mais elle est imposée chaque année à une somme variable au titre
de la subsistance des troupes. Dans la généralité de Caen sont franches les villes
de Cherbourg, Granville et le Mont Saint-Michel. Alençon seule de sa généralité
est franche à partir de 1665, date à laquelle les revenus de son tarif sont annexés
à la ferme des aides.
LES IMPOSITIONS DES VILLES. 89
labiés ». Postérieurement à cet édit, le trafic des abonnements
avait repris, mais en 1661, il ne restait qu'une seule ville
abonnée en Normandie : Eu, imposée à 7 000 1. Elle conserva
son privilège jusqu'en 1672; à partir de cette date elle fut sou-
mise à la condition des villes purement taillables. En 1664,
un abonnement fut concédé à la ville de Caen, le montant en
était fixé à 28 000 l.1.
Les abonnements, écrit de Merville, « s'accordent par le roy
seul et s'expédient par letres patentes au grand sceau pour être
ensuite registrées dans les Chambres des comptes, à la Cour
des aydes et partout ailleurs ou sera besoin chacun en droit
soy ; de manière qu'une province, ville, bourg ou village étant une
fois abonné avec les formalités requises et nécessaires, moyen-
nant certaine somme une fois payée ou à payer par chacun an,
il ne peut plus être augmenté ni diminué 2. »
La concession d'un abonnement était un véritable privilège;
aussi n'était-elle faite que pour des motifs graves, et la révo-
quer équivalait à une punition. Sens avait été abonné à
1 300 1. par ledit de janvier 1625 « pour aucunement récom-
penser lesdits supplians des dommages et préjudices qu'ils
reçoivent par l'érection de l'évêché de Paris en archevêché et
distraction des évêchés d'Orléans, Chartres et Meaux dudit
archevêché de Sens, dont la ville de Paris est d'autant honorée
et enrichie3 ». Lorsque la ville de Sarlat avait abandonné le
parti de Condé pour celui du roi, en 1652, Mazarin lui avait
fait accorder en récompense un abonnement de 300 1. 4. Colbert
fait abonner les 34 paroisses du gouvernement de Brouage parce
qu'elles consentent à fournir beaucoup de matelots au roi, et il
écrit que si certaines n'en fournissent pas on leur retirera « la
grâce dont elles jouissent5. » L'intendant Voysin raconte dans
son Mémoire sur la généralité de Rouen en 1665, comment la
ville de Pont-Audemer avait obtenu en 1635 un abonnement
à 8 000 1. en qualité de ville maritime : « on la fit déclarer telle
par les soins de M. de Blérancourt sous prétexte d'un vaisseau
que l'on y fit venir par la rivière de Rille à force de cordages
et de chevaux, le reflux de la mer n'y venant pas6 ». Lorsque
l'abonnement fut révoqué, en novembre 1640 7, elle fut imposée
jusqu'à 20 et 25 000 1.; pendant toute la période 1661 à 1683,
1. La ville de Honfleur, dont l'abonnement avait été révoqué en 1640, sera de
nouveau abonnée à 25 000 1. pendant 15 ans, en vertu de l'arrêt du Conseil du
27 déc. 1684 (Bréard, Les archives de la ville de Honfleur, p. 44 et 152).
2. Maximes générales sur les tailles, 1725, p. 2.
3. Recueil des privilèges de la ville de Seno, Sens, 1788, in-4", p. 30.
4. Arrêt du conseil du 15 fév. 1C52 : Boysson, dans la Bévue des Quest. Hist.,
janvier 1909.
5. Clém. III 2, p. 98 et 373 : instructions à Seignelay, 1672.
6. Mémoire de Voysin sur la généralité de Rouen en 1665, p. 147.
7. Edit de novembre 1640 rappelant l'art. 1 de janvier 1634 qui n'était pas exé-
cuté, dans C. d. T., I, 365.
90 LA TAILLE I \ NON M AN 1)1 !'.
elle paya des sommes variant de 17 000 à 31 000 1. '. Ces chiffres
font assez voir 1 (tendue de La faveur qu'elle avait reçue. On
fera pareille constatation pour la ville de Cacn en comparant
le chiffre de son abonnement, 28 000 1., avec ce quelle payait
auparavant : 72000 1. en 1601, 07 000 en 1663; aussi lorsque
le roi fit payer à la ville en 1674 un « don gratuit » de 50 000 1.
en raison de la guerre, les habitants se gardèrent-ils de pro-
tester2.
Très souvent les villes sollicitèrent des abonnements comme
des faveurs particulières : en 1664 le maire et les habitants
d'Auxerre en demandent un pour leur ville afin de pouvoir y
attirer des ouvriers et établir des manufactures3; la même année,
la ville de Fécamp en sollicite un semblable pour encourager
son commerce : elle « prétend, dit le chevalier de Clerville, le
demander avec d'autant plus de justice qu'estant un port assés
considérable, il peut aussy considérablement servir au com-
merce, et qu'il importe au roy qu'il soit pour cela fort en
monde, comme aussy pour la conservation du dict port et pour
la deffense des costes qui en sont voisines »A. En 1687 les
habitants d'Evreux font faire des démarches par leur évêque et
p#ar le duc de Bouillon à la même fin 5. Vers le même temps, les
habitants de Séez demandent la même faveur sans l'obtenir
et, en 1741, La Martinière écrira à leur sujet : « Ils font des
démarches depuis près de soixante ans pour [se] faire abonner
à l'égard de la taille, laquelle fait beaucoup de tort à leur com-
merce et empêche les bons ouvriers de s'y établir, car ils n'ont
encore pu parvenir à obtenir cette grâce quelque juste qu'elle
paroisse, ainsi les arts y languissent et le peuple n'y est point
animé au travail par l'émulation0 ».
Le roi accordait difficilement ces abonnements, d'abord parce
qu'ils étaient au détriment du Trésor, et ensuite parce qu'ils
étaient une source de fraudes : la faible imposition de la ville
attirait dans ses murs les contribuables de la campagne qui,
1. Les habitants avaient espéré que l'édit de novembre 1640 serait rapporté,
c'est pourquoi ils avaient demande et obtenu que leur imposition fût décomposée
en deux : l'une de 8 000 1. montant de leur abonnement, le reste qualifie d'impôt
Sour la subsistance des gens de guerre. En 1649, lorsque la ville se rendit au
uc d'Harcourt, elle obtint un arrêt du conseil qui l'abonnait à 12 000 1., mais cet
arrêt ne fut exécute que pendant un an. (Mémoire de Voysin.)
2. A. D. S. Inf. B 90, f° 30, cf. l'arrêt du conseil du 16 juin 1674.
En 1684 le roi essaya d'enlever à la ville son 'privilège par un subterfuge; les
commissions de celte année portèrent que l'impôt de Caen serait diminué
à proportion de l'impôt total de la généralité, c'était en apparence une augmen-
tation de faveur pour la ville, mais les habitants comprirent que s'ils laissaient
diminuer leur taille une année ils autorisaient par là même un accroissement une
autre année, et par là voyaient disparaître leur privilège ; ils demandèrent donc
au conseil le retrait de la faveur qu'on leur accordait et l'obtinrent, l'intendant
joignant ses instances aux leurs.
3. L. à Golbert du l«r juillet 1664, M. C. 122, f° 80.
4. Mémoire de Voysin, appendice, p. 196.
5. De Boislisle, Correspondance, t. I, n" 141.
6. Dictionnaire, art. SÉEZ.
LES IMPOSITIONS DES VILLES.
91
n'étant plus taxés dans leur paroisse d'origine, faisaient en
définitive perdre au roi le montant de leur cote !.
Les villes purement taillables sont dans les mêmes conditions
que les paroisses de la campagne : leur taille varie chaque
année. Mais elles ont le privilège d'être imposées directement
par le Conseil du roi et non pas par la commission de dépar-
tement. Habituellement leur impôt est fixé dans les commissions
des tailles ; par exception il est fixé par un arrêt du conseil séparé 2.
Cette fixation était très recherchée par les villes; ainsi Pon-
toise l'avait obtenue en 1655 en faisant valoir sa situation parti-
culière, prise comme elle était entre les ressorts de Paris et de
Rouen; les habitants avaient acquis la protection de Séguier,
par l'intermédiaire de sa sœur, prieure des Carmélites du lieu,
et dans l'arrêt de concession, le roi déclarait nettement sa
volonté de les « rédimer de l'oppression que leur faisoit souffrir
les trésoriers de France à Rouen et les esleuz de Gisors » 3.
Une fois en possession du privilège, les habitants purent
s'adresser directement au roi pour se faire dégrever; ainsi en
1658, ils obtinrent une réduction en invoquant la diminution
de leur nombre par la mortalité, par l'exode des taillables
dans le faubourg de l'Aumône situé dans l'élection de Paris *,
et par la multiplication des exempts5.
Malgré la modération des cotes ainsi fixées, le roi y trouvait
son compte, car il empêchait l'effet des protections que les per-
sonnages influents de la ville auraient pu trouver auprès des
intendants et des élus : c'est pourquoi toutes les villes sièges
d'élections étaient soumises à ce régime.
L'état des villes imposées directement par le Conseil fut dressé
en 1663 h la suite d'une enquête de Colbert auprès des Bureaux
des finances par circulaire du 21 février6. En voici la partie
relative à la Normandie :
Généralité de Rouen : Le Grand Andely, Le Petit Andely,
1. Sur ce point, voir ci-dessous, chap. v.
2. Le cas se présenta dans la généralité d'Alençon de 1661 à 1669, dans la géné-
ralité de Gaen en 1662, dans celle de Rouen en 1661 et 62; il est probable que des
motifs exceptionnels expliquaient cette mesure; on l'abandonna dans la suite.
3. Voir l'arrêt B. N. fr 18 511, f" 20. Sur la protection de la mère Jeanne, voir
Kerviler, Le chancelier Pierre Séguier, 2° éd., p. 177, et une de ses lettres de
novembre 1643 dans Bonnemère, La France sous Louis XIV, I, p. 319.
4. Ce faubourg1 sera rattaché à la ville par déclaration du 27 janvier 1663 (B.
N. fr. 11 048, f° 65 v°.)
5. Us ajoutent que la récolte de l'année a été mauvaise, l'inondation a détruit
une partie du pont; les collecteurs, que l'on a eu grand'peine à trouver, « menacent
d'abandonner la collecte pour la misère et pauvreté des babitans qui leur est
très connue ». B. N. fr. 18 511, f08 20-21.
6. Plumitif du Bureau des finances de Gaen à la date du 26 février 1663. Le
Bureau répond le 28 : cf. son état, A. D. Galv. Election de Caen, registre de
commissions f° 265, et les réponses d'autres Bureaux des finances dans les vol. 115
et 116 des M. C. On voit dans la circulaire que le gouvernement ignorait quelles
villes étaient imposées, et quelles sommes elles payaient.
92 LA TAILLE KN NO II MANDIE.
Arques, Aumalc, Caudebec, Chaumont, Eu (à partir de 1672),
Evreux, Gisors, Gournay, Harfleur, Honfleur, Louviers, Lyons,
Magny, Monti\ illiers, Neufchàtel, Pont-Audemer, Pont-de-
l'Arche, Pont-1'Evèque, Pontoise (ville, et, à partir de 1664
faubourg de l'Aumône)1, Quillebeuf et Vernon.
Généralité de Caen : Alleaume (jusqu'en 1678)*, Avranches,
Baycux, Caen (jusqu'en 1663)', Carentan, y compris les fau-
bourgs de Beaumont, Longueval, Pontmenanque et Pont-
douvre. Les faubourgs de Cherbourg (jusqu'en 1663), Isigny
(à partir de 1667), Mortain (y compris le faubourg du Rocher),
Pontorson, Saint-Lô, Saint Sauveur-le- Vicomte (à partir de
1667), Thorigny (Notre-Dame) et Thorigny (Saint-Laurent),
Valognes, Vire avec ses faubourgs dans lesquels rentre la rue
du Pont, distraite de la paroisse de Talvande par arrêt du
Conseil du 23 mars 1658.
Généralité d'Alençon : Argentan, y compris les faubourgs
de Manneville et Colandon, Bellême, Bernay, Châteauneuf-en-
Thimerais, Conches, Domfront, Falaise, Laigle, Lisieux, Mor-
tagne, Moulins, Nogent-le-Rotrou, Séez, Verneuil.
En dehors de ces villes qui chaque année furent taxées par le
Conseil, il y eut des paroisses qui, accidentellement, obtinrent la
même faveur; c'était lorsque le roi avait eu à intervenir dans
leurs finances pour un motif quelconque, par exemple pour
éteindre leur dette, pour réparer le dommage d'un incendie ou
d'un passage de troupes, ou pour éviter la protection d'un puis-
sant personnage. Ainsi les commissions de la généralité d'Alençon
pour la taille de 1678 fixent l'imposition des paroisses de Saint-
Pierre- sur-Dive (5 000 1.), la Ferté-Macé (7 000 IX et Cham-
prond-en-Perchet (1 100 1.) et même pour celle-ci il est spécifié
que « le fermier de la ferme des Prez portera 100 l.4». Les
commissions de 1679 imposent Saint-Pierre-sur-Dive à 4 2001.
et la Ferté-Macé à 6500, etc.
Pour imposer ces villes en connaissance de cause, le Conseil
était obligé de consulter ses agents locaux; c'est pourquoi les
trésoriers généraux et l'intendant devaient dans leur avis sur le
brevet indiquer la somme à leur attribuer.
Ce mode de taxation n'avait pas les mêmes conséquences
fâcheuses pour le fisc que l'abonnement ou la franchise; si des
1. Une déclaration du 27 janvier 1663 avait enlevé ce faubourg ù la généralité
de Paris pour le rattacher à la ville de Pontoise, c'est-à-dire à la généralité de
Rouen, mais il continua a être imposé séparément. En échange la généralité de
Paris recevait la paroisse de Courdimanche. (B. N. fr. 11 0'i8, P 60 v°).
2. Alleaume est un faubourg de Valognes; après 1678, son imposition est
confondue avec celle de la ville.
3. Après 1663, Caen fut abonnée (voir ci-dessus, p. 89), mais le chiffre de son
abonnement figurait toujours sur les commissions.
4. M. C. 238, f> 38.
LES IMPOSITIONS DES VILLES. 93
habitants nouveaux venaient y demeurer il était possible d'aug-
menter l'impôt à proportion, et dans le cas contraire de le
diminuer. Toutefois une perturbation se produisit lors de la
révocation du changement d'octroi1 en 1671 : plusieurs habitants
quittaient des villes pour aller en d'autres dans le seul but
d'être diminués à la taille et, au dire de l'intendant de Caen. les
taux de ces villes ne pouvaient être modifiés à temps « à cause
qu'elles sont taxées par les commissions » ; c'est pourquoi un
arrêt du conseil en 1677 autorisa les intendants à modifier l'im-
position de ces villes suivant qu'ils le jugeraient à propos en
faisant les départements 2.
Il semble aussi que les villes aient été plus mal imposées
que les paroisses de la campagne; leur étendue empêchait de
connaître exactement l'augmentation ou la diminution du nombre
des feux; les revenus des bourgeois, provenant de biens mobi-
liers ou de terres affermées à la campagne, étaient plus difficiles
à connaître ; l'avis était rédigé et l'imposition fixée avant que les
délogements fussent enregistrés; enfin le Conseil ne voulait pas
toujours suivre l'avis de l'intendant3. Le 25 juin 1684, l'inten-
dant de Caen écrit que pour l'imposition de la ville de Mortain
on n'a « pas diminué les sortans qui ont esté en grand nombre
les deux dernières années; il sera juste, ajoute-t-il, d'y remédier
au département prochain4 ».
En dehors des sommes portées par les commissions, aucune
levée ne pouvait être faite sur les contribuables5; depuis très
longtemps les ordonnances l'avaient établi, et la peine de mort
était encourue par les contrevenants; les commissions rappe-
laient parfois la loi, ainsi celles de 1661 portent la défense
« d'imposer ny souffrir qu'il soit imposé sur lesdits contri-
buables de ladite généralité autres ny plus grandes sommes que
celles contenues en cesdites présentes durant ladite année pro-
chaine 1661, à peine de la vie Et en cas que nonobstant
lesdites deffences il soit imposé autre somme que celles conte-
nues en cesdites présentes, voulons que le fonds en soit porté
1. Sur le « changement d'octroi », voir ci-dessous, chap. vi.
2. Reproduit dans les commissions des tailles pour la levée de l'impôt en 1678
et dans le mandement de l'intendant de Caen aux paroisses du 9 sept. 1677.v (A.
D. Calv. Elect. de Caen.)
3. Ainsi Golbert réduisit parfois l'impôt de villes qu'il voulait encourager aux
manufactures, ou dont il voulait liquider les dettes : Vernon vit modérer sa
quote-part à 10 000 1. pendant 6 ans à partir de 1682, pour y permettre la
levée d'un droit d'octroi supplémentaire destiné au remboursement de ses dettes
(Lettre de Leblanc, 28 avril 1680, A. N. G? 191).
4. A. N., G? 213.
5. Elle était défendue même si un arrêt du conseil l'ordonnait : du moins en ce
cas. il fallait un nouvel arrêt your autoriser la dérogation : V. une lettre de
Menars à Golbert, 6 oct. 1674, dans Depping, t. III, p. 244. Sur les inconvénients
de ces impositions ordonnées après les commissions, voir De Boislisle, Corres-
pondance, t. I, n° 604.
H LA TAILLE EN NOIIMAMHE.
en nostre Espargne, sans avoir esgard aux destinations particu-
lières. »
Dans ces impositions défendues, il faut distinguer le cas où
elles sont levées par un particulier pour son profit personnel,
sans apparence d'utilité publique, et celui où elles sont levées
par un agent du gouvernement en vue d'une dépense d'intérêt
commun : dette municipale, frais imputables à une élection ou
une généralité, etc.
Le premier cas s'était rencontré fréquemment avant 1661.
Suivant Forbonnais, Mazarin lui-même « se réservoit des géné-
ralités sur lesquelles il surimposoit, par simples lettres de
cachet, contre les lois et les ordonnances du royaume, les
sommes dont il avoit besoin2 » pour alimenter sa caisse noire.
Parmi les « abus de finance » que Colbert notait en 1661 pour
les soumettre à la Chambre de justice se trouvaient les « impo-
sitions faites par les élus au delà des commissions du Roy », et
« les impositions faites sur les peuples par les gentilshommes 3 »,
mais la Chambre ne fit pas d'autre exemple que celui du rece-
veur de Crespy4. Elle rendit un arrêt en 1663 pour rechercher
les surimpositions; quelques receveurs furent» punis, quelques
malheureux collecteurs inquiétés, qu'il eût mieux valu laisser
en repos; l'intendant d'Orléans écrivait à ce sujet le 29 sep-
tembre 1663 :
« 11 a esté vérifié dans l'élection de Chartres que la pluspart des col-
lecteurs ont imposé quelsques sommes modiques ou pour les frais faits
contre les parroisses faulte de nomination de collecteurs ou pour des
exécutions faulte de confection des roolJes: on les a condamnés à les
payer trois jours après la signification qui en a esté faicte; ainsi les
prisons seront bientost pleines de ces pauvres gens ou de leurs veufves,
et par ce moyen le recouvrement des deniers du roy arresté. Si cet
arrest s'exécute il n'y a point de parroisse dans tous le royaume qui
n'en ait uzé ainsi, et ces sommes sont si peu considérables qu'on peut
les laisser aux collecteurs qui perdent assez d'ailleurs. J'ai entretenu
M. le lieutenant général qui est subdélégué ", qui m'a assuré qu'ils ne
passoient pas trente francs dans les grandes parroisses. Vous jugerez
aisément, Monsieur, que les frais qu'il faudra faire pour ce recouvre-
ment excéderont le principal et que c'est une pratique qui tombera
entre les mains des huissiers qui seuls en auront le profit. Je ne doute
pas, Monsieur, que vous ne trouviez juste de faire cesser l'exécution
de Tarrest à l'esgard des collecteurs seulement qui n'auront imposé
que des sommes modiques6. »
1. A. D. Cnlv., El. de Caen, Commissions des tailles 1661-72, f* 17-18.
2. Recherches et considérations, t. I, p. 267.
3. Clém. VII, 196-197. L'idée est reprise dans la grande instruction aux inten-
dants de mars 1(164 (ibid., IV, p. 37).
4. Voir Clém., II, p. cev, et Bonnemère, La France sous Louis XIV, I, p. 298.
5. C'est-à-dire chargé des poursuites par la Chambre de justice. La subdélé-
gation était normalement employée pour décharger un juge ou un tribunal des
fonctions qu'il ne pouvait exercer lui-même.
6. M. C. 117, f 263.
LES IMPOSITIONS DES VILLES. 95
Vers 1662, clans la généralité de Rouen, un sieur Roquelin,
usurpant le titre de commissaire-élu-voyer, avec la complicité
d'un sieur Boudet et de « beaucoup d'autres », levait sur plu-
sieurs paroisses des contributions à son profit sous prétexte de
réparations aux chemins. Il adressait à chacune un imprimé
intitulé « De par le Roy et nos seigneurs les commissaires géné-
raux » enjoignant aux habitants « de s'assembler avec tous leurs
chevaux, charrettes, harnois, poelles, piquois et autres instru-
ments pour réparer et amender les grands chemins royaux et
autres de cette généralité a. peine d'amende » ; il saisissait
journellement sous ce prétexte les bestiaux et les meubles des
habitants qui étaient « obligés de composer avec luy et luy
payer le prix convenu entr'eux1 ». Le Bureau des finances
informa contre lui, nous ne savons s'il fut ou non condamné,
toujours est-il qu'en 1666 nous le retrouvons dans le comté
d'Eu où, se disant « élu de mer », il fait payer 6 1. à chaque
paroisse sous prétexte d'entretenir le chemin des chasse^marées.
Colbert en est fort heureusement informé, il ordonne une
enquête2, à la suite de laquelle un arrêt du 29 janvier 1666
interdit à Roquelin et à ses complices de continuer ces levées
illicites mais il ne semble pas qu'aucune punition ait été pro-
noncée contre eux3.
En 1680, un sieur Maubuisson s'est emparé d'un château fort
dans la généralité de Rouen où il « retirait les voleurs et faisoit
contribuer le pays » ; il faut un ordre du roi à l'intendant pour
le faire arrêter ; encore le prévôt de Normandie vient-il demander
à Colbert « le remboursement des frais extraordinaires » qu'il a
faits en la circonstance4.
Dans la paroisse de Massy, élection de Neufchâtel, les collec-
teurs avec la complicité des élus lèvent en sus de la taille, de
1654 à 1663, une somme de 137 1. 14 s. 8 d. La chose vient
à la connaissance du Bureau des finances qui, le 7 mars 1665,
interdit la levée à l'avenir s.
En 1666 les trésoriers généraux vérifiant l'état au vrai de la
recette des tailles de l'élection de Caudebec, année 1662, con-
statent qu'on a perçu dans l'élection en vertu de simples arrêts
de la Cour des aides de Rouen une somme de 6 714 1. en sus de
1. Information faite par le Bureau des Finances de Rouen, le 30 août 1663, A. D.
S. Inf., G, 1 165, f 179, cf. f°s 173, 180 et 185.
2. M. C. 135, f° 551.
3. A. D. S. Inf., C., 1 363, pièce 20, l'arrêt est daté du 20 janvier 1665, il semble
bien que ce soit une erreur pour 1666 : cf. la lettre indiquée ci-dessus de M. C. 135,
f° 551.
4. L. de Leblanc à Colbert, 8 juillet 1680, A. N. G 7 491 ; nombreuses autres
exactions et brigandages de ce genre dans le reste du royaume : en Provence 1665
{M. G. 131, f° 240), en Lorraine 1664 (Depping. III, p. 25), à Bordeaux,. 1663 (M.
C. 117, f° 124), cf. let. de Colbert à l'intendant de Limoges, 8 nov. 1661, Clém. II,
172, etc.
5. A. D. S. Inf., G, 1 165, f° 54.
86 LA TAILLE EN NORMANDIE.
la taille pour payer diverses dépenses locales. Colbert en est
informé, il prescrit une enquête par l'intendant pour que le
Conseil décide s'il y a ou non lieu à remboursement1.
En 1673 l'intendant d'Alençon, Michel Colbert, signale de ces
levées illicites dans sa généralité '.
Le 28 décembre 166o les élus de Mortain ordonnent par sen-
tence la levée d'une somme de 901 1. pour se payer de salaires
qu'ils se prétendent dus, et pour rembourser certains de leurs
confrères de sommes auxquelles ils « avoient esté taxez d'office
à la descharge des contribuables aux tailles des parroisses où ils
estoient demeurans en ladite élection ez années 1655 et 1657
par les sieurs intendants et commissaires départis en cette
généralité » ; ils en font eux-mêmes la répartition entre les
paroisses et la font percevoir. L'affaire est découverte par le
Bureau des finances lorsqu'il examine les comptes du receveur;
l'argent est repris à ceux qui l'ont touché, et porté en décompte
sur la taille de l'élection en 1667 ; en outre le procureur du
roi et le président de l'élection sont assignés à comparaître
au Bureau pour expliquer leur conduite, mais ils ne semblent
pas avoir été davantage inquiétés3.
En 1662, trois habitants de Saint-Lô font percevoir sur les
ta il la Mrs de la ville une somme de 7000 1. qu'ils prétendent
leur être due à la suite d'un procès relatif à une taxe de 200 1.
induement faite sur eux. Le Bureau des finances intervient
encore pour le leur interdire l.
Dans la deuxième catégorie rentraient les impositions ordon-
nées par les élus, la Cour des aides, les intendants, pour recou-
vrer des taxes, des frais de procès, payer des dépenses d'intérêt
général; le but de ces surimpositions était légitime, mais la
forme n'en était pas admise : ledit de janvier lb34, à l'art. 51,
considérant que « la plus grande surcharge des habitans des
paroisses provient des diverses levées qui se font sur eux au
courant de l'année par assiettes particulières, la plupart des-
quelles procèdent de dépens de surtaux », réglementait la pro-
cédure à suivre pour diminuer ces dépens et interdisait de les
lever sur les paroisses en sus de la taille. Un arrêt de 1673
permettait aux Cours des aides d'ordonner des réimpositions
pour rejets, frais de procès, dépens, etc., mais jusqu'à concur-
rence de 500 1. seulement; par un autre arrêt de 16/7 la somme
fut rabaissée à 200 1., puis à partir de 1678 il fut inscrit dans
les commissions qu'aucun tribunal, y compris les Cours des
aides, ne pourrait faire une réimposition quelconque sans y
1. Arrêt du conseil du >\ mai 166 "•, A. D. S. Inf., C, l'«63, p. 29.
2. L. du 30 janvier 1643 analysée dans Clairamb. 794 p. 149.
3. D'à >rès l'ordonnance du Bureau des Finances de Caen du 17 février 1666, A.
D. Calvados, Bureau des Finances, liasse de papiers de l'année 1666.
4. Ordonnance du 16 janvier 1662, ibil., liasse de 1662.
LES IMPOSITIONS DES VILLES. 97
être autorisé par un arrêt du conseil : nouvel exemple des empié-
tements graduels du pouvoir central sur les autorités locales
à cette époque.
Maintes fois le Conseil eut à intervenir pour défendre ces
impositions supplémentaires : le 6 mai 1666, il casse des
arrêts de la Cour des aides de Rouen qui, en 1662, ont ordonné
sans permission la levée dans l'élection de Caudebec de deux
sommes : l'une de 4 630 1. « pour remboursement d'estapes
de 1649 à 1650 aux habitans de la paroisse d'Hocqueville et
soubs d'autres prétextes » ; la seconde de 1 084 1. « pour un
rejet de surtaux et frais au proffit d'un particulier »; le rece-
veur devra se faire rendre les sommes ainsi perçues, et l'inten-
dant fera un rapport au Conseil pour savoir comment les con-
tribuables en seront remboursés2. Dès 1663 Colbert ordonnait
à l'intendant de Tours de ne pas laisser mettre d'imposition
extraordinaire sans arrêt du Conseil : « Il sera bon que vous
me donniez précisément avis de toutes les impositions extraor-
dinaires qui se feront dans vostre généralité, afin que, sur ce
que je vous feray scavoir, vous ne procédiez qu'à celles que
S. M. aura ordonnées1 ». Le 13 mai 1682, il écrit à l'intendant
de Soissons :
« Sur le sujet des impositions qui sont faites sur les communautés
taillables de la généralité de Soissons, non comprises dans les com-
missions qui vous sont envoyées tous les ans, je dois vous dire que
vous n'en devez souffrir aucune sans un arrest du conseil qui For-
donne, et ce pour quelque cause ou sous quelque prétexte que ce soit,
n'y ayant rien qui soit plus important que de restreindre la liberté
que les communautés, les élus et la Cour des aides ont prise d'or-
donner ces impositions 3. »
En 1683, comme l'intendant de Dauphiné lui demandait un
arrêt pour imposer extraordinairement quelques communautés
de la province, il lui répondit : « Je dois vous dire que cet arrest
est contraire aux réglemens et ordonnances du royaume en ce
qu'il permet des régalemens et des impositions sans lettre du
roy; j'ay de la peine à croire que S. M. veuille autoriser un
usage de cette nature par un arrest donné de son règue4. »
1. L. du 3 décembre, Clém. II, 242.
2. A. D. S. Inf., C, 1463, pièce 29.
3. Clém. II, 185. Colbert n'admet pas que les villes lèvent de leur autorité
une imposition sur leurs habitants, même pour leurs dépenses communes : « elles
doivent s'adresser au roy », et celui-ci leur accordera « quelque imposition sur
le vin par forme de droit de courte-pinte, ou sur les autres denrées qui se con-
somment dans lesdites villes », plutôt qu'une augmentation de taille.
4. Lettre du 17 sept. 1683, Clém., VII, 277, note.
TAILLE IÎN NORMAND!!:.
98 LA TAILLE EN NORMANDIE.
VI. — LA FORME DES COMMISSIONS
Dès qu'il avait reçu les avis des intendants et des trésoriers
généraux, le Conseil se préoccupait d'arrêter le texte des com-
missions. L'acte se compose de trois parties' :
1° Un préambule, analogue à celui d'une ordonnance : le roi
y expose les motifs pour lesquels il lève la somme indiquée.
Ces préambules, très développés au début de notre période,
deviennent par la suite de plus en plus brefs.
2° Le détail des sommes qui devront être imposées sur les
élections, villes et paroisses.
3° Des prescriptions législatives au sujet de l'imposition :
tantôt le roi y rappelle des règlements antérieurs, tantôt il en
fait connaître de nouveaux; ainsi la jurisprudence est périodi-
quement remise sous les yeux des agents royaux et des contri-
buables2.
Les commissions étaient expédiées par les bureaux du
Conseil en forme de lettres patentes; elles étaient écrites sur
parchemin et scellées du grand sceau de cire verte, signées du
roi et contre-signées d'un secrétaire d'Etat; on marquait ainsi
que l'impôt était levé par un acte de la volonté royale3; elles
légitimaient la levée et permettaient d'interdire toute percep-
tion qu'elles ne mentionnaient pas ou qui n'était pas ordonnée
par un acte équivalent.
La falsification en était difficile et punie de peines rigou-
reuses; toutefois, suivant un mémoire adressé à Colbert le
5 novembre 1673, une lacune subsistait dans la législation à
cet égard : les ordonnances ne visaient expressément que les
notaires pour les faux actes publics; il n'y était pas parlé des fal-
sifications commises par de simples particuliers; il en résultait
une grande incertitude de la jurisprudence, des peines très
diverses étaient prononcées suivant les tribunaux et les cir-
constances. La question avait été discutée dans le Conseil de jus-
tice mais on n'avait pas jugé une loi nouvelle nécessaire, et l'on
avait continué à s'en tenir « à l'ancienne ordonnance, à l'usage
1. Voir le texte d'une commission à l'appendice.
2. Il ne faut pas oublier que les règlements étaient très mal connus, et généra-
lement inappliqués. L'enregistrement dans les cours et tribunaux était mal fait,
et les officiers ne se souciaient pus d'étudier les lois nouvelles. Dans une lettre
à Colbert, le procureur général du Parlement de Rouen se plaint, le 2*2 nov. 1667,
de ne pouvoir se procurer < des imprimés des nouvelles ordonnances, pour les
envoier au reste des jurisdictions de cette province » (M. C, 146, f° 223). La per-
pétuelle répétition des mêmes ordres était nécessaire pour obtenir l'accomplisse-
ment d'une réforme.
3. Cf. Cl. Fleury, Institution au droit français, éd. Laboulaye, t. I, p. 189 :
« Quoique la taille soit continue, elle recommence tous les ans, comme si c'étoit
une nouvelle taille tout à fait distincte de la précédente ».
LA FORME DES COMMISSIONS. 99
et aux préjugez » ; la peine des galères était le plus communé-
ment prononcée contre les faussaires i. Un édit de mars 1680
combla cette lacune : « Que tous ceux qui auront falcifié les
lettres de notre grande Chancellerie, et de celles qui sont
établies près de nos Cours de Parlement, imité, contrefait,
appliqué ou supposé nos grands et petits sceaux, soit qu'ils
soient officiers, ministres ou commis de nosdites chancelleries,
ou non, soient punis de mort2 ».
Les commissions sont signées par le roi, à qui le secrétaire
d'État en quartier les présente3; les membres du Conseil des
finances signent également. Elles sont contrôlées au contrôle
général avant d'être expédiées. L'expédition en est faite par
l'intendant des finances chargé de la taille4. Pour la Normandie
et le Dauphiné on n'expédie qu'une commission par généralité;
pour les autres pays d'élections, il y a une commission par
élection8. Jusque vers 1666, l'intendant et le Bureau des
finances reçoivent séparément chacun un exemplaire des com-
missions; ensuite, l'intendant les reçoit tous deux et se charge
de remettre au Bureau celui qui le concerne. Le paquet com-
prend en outre 6 :
1° Une lettre de cachet du roi adressée aux trésoriers géné-
raux dans laquelle il leur est enjoint d'expédier leurs attaches
sans retard ; voici par exemple celle de 1671 :
« Nos amez et féaux, nous vous adressons nos commissions pour
l'imposition des deniers de nos tailles de l'année prochaine 1672 afin
d'expédier vos attaches sur icelles incontinent après que vous les
aurez receues, et deslivreres le tout au sieur commissaire departy pour
l'exécution de nos ordres en vostre généralité, à quoy nous vous
ordonnons de satisfaire sans perdre de temps à peine de nous en
respondre, car tel est nostre plaisir. Donné à Versailles le douziesme
jour de septembre 1671 7. »
1. M. C. 166, f° 270. Le mémoire n'est pas signé, il semble être de l'écriture de
Berryer.
2. C. d. T. II, 146-147.
3. Billet de Lavrillière à Colbert, 23 août 1673 : « Je vous renvoie vostre cour-
rier avec les expéditions des tailles signées du roy ». (M. C. 165b" f° 417). Ce qui
n'implique pas nécessairement que la signature était autographe.
4. Cl. de Beaune, Traité de la Chambre des comptes, liv. I, p. 215.
5. Il semble que ce soit là un reste du temps où fonctionnaient les états de
la province : le môme usage était encore suivi pour la Bretagne, le Languedoc
et la Provence.
6. Il ne s'agit ici, bien entendu, que de la Normandie. L'usage n'était pas uni-
forme dans toutes les généralités. En 1674, d'après une note rédigée dans le»
bureaux du Contrôle général (Clairamb., 647, f° 258), les commissions et pièces
annexes sont envoyées aux trésoriers de France seuls dans la généralité de
Paris; à l'intendant seul dans les généralités d'Orléans, Tours, Bourges, Moulins,
Limoges, Poitiers, Riom, Bordeaux et Montauban ; à l'intendant et à un trésorier
de France nommément désigné dans les généralités de Soissons, Amiens et Cha-
lons ; à l'intendant et à deux trésoriers de France non désignés, en Normandie
et dans les généralités de Lyon et de Grenoble.
7. A. D., Calv., reg. de commissions des tailles 1681-72, f° 711.
100 LA TAILLE EN NOHMANDIE.
2° Une missive de l'intendant des finances chargé des tailles
où il invite également le Bureau à expédier ses attaches; il y
joint toutes les instructions particulières qu'il peut avoir à
donner aux trésoriers.
3° Des instructions de Colbert à l'intendant et quelquefois
aussi aux trésoriers généraux !.
4° Une ou deux lettres de cachet avec le nom en blanc
adressées à un trésorier de France pour qu'il assiste l'intendant
dans les départements2.
L'intendant au reçu du paquet le fait porter par son secré-
taire au greffe du Bureau des finances : le Bureau l'ouvre en
séance et expédîe aussitôt ses attaches*.
L'attache du Bureau consiste dans un mandement adressé par
les trésoriers aux élus de leur ressort pour les informer de la
somme imposée sur leur circonscription, et leur ordonner de
la répartir entre les paroisses. Accessoirement, le Bureau y joint
toutes les instructions qu'il juge à propos; voici à titre d'exemple
l'attache du Bureau de Caen pour 1661 :
« Les présidens et trésoriers généraux de France au Bureau des
finances et grands voyers en la générallité de Caen aux présidens,
lieutenans, esleus, controlleurs-esleus, advocat, et procureur du roy
en l'eslection de..., autres que les non receus en cedit Bureau, Salut.
En exécution des lettres patentes de commission de S. M. données
à Paris le douzième jour d'octobre dernier... pour l'imposition et
levée es eslections de cette dite généralité de Caen l'année prochaine
1661 de la somme de 1950 000 1. scavoir... [suit le détail des sommes
imposées].
Nous vous mandons et ordonnons et très expressément enjoignons
de procéder et agir incessamment à l'imposition et levée de la somme
de à laquelle montent et reviennent les parties contenues
en ladite commission pour cette dite eslection, scavoir... De tonttes
lesquelles impositions à faire comme il est dit cy-dessus, la ville et
fauxbourgs de... porteront pour leur part — Et en outre impo-
serez et ferez lever sur lesdits contribuables auxdites tailles six
deniers pour livre de touttes les sommes qui seront receues par les
collecteurs desdites tailles des paroisses de ladite eslection, lesquelz
1. Voir ces documents pour la généralité de Caen de 1661 à 1672, reliés en un
volume intitulé : Commissions du roi pour les tailles. A. D., Cilv., fonds du
Bureau des Finances. Parfois aussi un secrétaire d'Etal autre que Colbert y joint
une lettre a l'intendant : par ex. Le Tellier écrit longuement à Dugué en 1661
(Arch. guerre, vol. 170, f° 378).
2. Cf. ci-dessous, p. 137. Dans la généralité de Rouen il y avait habituellement
un seul trésorier désigné par l'intendant: dans celles de Caen et d'Alençon deux
trésoriers désignés d'abord par le Bureau et ensuite par l'intendant.
3. D'après un mémoire sur la taille rédigé en 1<>"> I, l'intendant • envoie ordre
au greffier du Bureau des finances de le venir trouver et de luy faire mettre
lesdites commissions entre les mains par son secrétaire <jui en prend ses décharges,
et luy dit de prendre le soin de l'attache que les, lits trésoriers de France sont
obligez de mettre ». (B. N. fr. 11 i»96, f° 6.) D'après les plumitifs des Bureaux des
finances de Rouen et de Caen le greffier apportait lui-même le paquet au Bureau,
au moins avant 1683.
LA FOIIME DES COMMISSIONS. 101
ils retiendront par leurs mains pour leur droict de collecte, dont ne
sera faict aucun retranchement pour quelque cause ou occasion que ce
soit; moyennant quoy ils ne pourront prétendre aucune exemption de
tailles suivant Tarrest du Conseil du 19e décembre 1639; le tout con-
formément à la susdite commission. Pour estre tous lesdits deniers
des tailles et creues y joinctes, taillon et solde, ponts et chaussées et
augmentation du droict de port des commissions, receus par les rece-
veurs ou commis aux receptes des tailles des dites eslections aux termes
susdits, et par eux paiez et voicturez, scavoir...
Contraignant et faisant contraindre tous ceux qu'il appartiendra
au paiement de leurs cottes et taxes par les voyes portées par ladite
commission, de ce vous donnons pouvoir et mandement spécial en
vertu d'icelle, de laquelle extraict est cy-attaché pour ce qui con-
cerne vostredicte eslection, vous enjoignant aussy comme ez années
précédentes de nous envoyer dans quinzaine le double de vos dépar-
temens et assiettes desdites impositions et levées.
Donné au Bureau des finances à Caen le lundy 8e jour de No-
vembre 1660 i. »
L'acte était expédié également sur parchemin, contrôlé au
Bureau et remis soit à l'intendant soit au receveur général ; ce
dernier était chargé de le faire distribuer aux élections.
En dépit de toutes les précautions prises et de toutes les
formalités prescrites, il arrivait très souvent que des erreurs
fussent glissées dans l'original, notamment dans les chiffres,
parce que les sommes étaient indiquées en lettres de compte2.
La longueur du texte et le grand nombre des copies qu'il en
fallait expédier exposaient aussi les scribes à des omissions et
des inadvertances. Dans la collection des commissions qui était
conservée au Contrôle général, et qui nous est parvenue, le
nombre des textes faux est certainement plus grand que celui
des textes exacts ; voici quelques exemples pris dans une seule
commission, celle de l'année 1662 3 : on lèvera « sur ceux de
l'élection de Baveux la somme de 57299 1., scavoir pour reste
du principal des tailles et creues y jointes 54151 1., pour reste
du taillon et solde 1 679 1. et pour les pontz et chaussées 469 1. »,
(le total des trois dernières sommes devrait être équivalent à la
première, or il manque 1000 1.) Plus bas : « sur ceux de l'eslec-
tion de Mortain la somme de 55 950 1., pour reste dudit taillon
et solde 1712 1. et pour les pontz et chaussées 1 147 1. » (un
membre de phrase a été passé); plus bas : « de laquelle somme
de 7 400 1. l'eslection de Caen portera 1150 1., celle de
Bayeux 1 150 1., celles de Vire et Condé 1650 1., celle de Mor-
tain 900 1. » (plusieurs élections ont été omises avec leur chiffre
de taxe); plus bas : « de laquelle somme de 30286 1. 6 s. 8 d.
1. A. D. Galv. Registre de commissions des tailles, 1671-72, fos 29-31.
2. Sur les lettres de compte, voir Encyclop. méthodique, Finances, art. Chiffres.
3. M. G. 22i, P 28-29.
102 LA TAILLE H NORMANDIE.
l'eslection portera 3586 I. » (le nom de l'élection a été omis), etc.
Les actes sont très bien calligraphiés mais pleins d'inadver-
tances de ce genre. Il est a penser qu'elles étaient relevées et
que les fonctionnaires qui les remarquaient les faisaient cor-
riger; mais elles pouvaient être un bon prétexte à des exactions
ou à des fraudes.
Les Bureaux des finances commettent de pareilles fautes
dans leurs mandements aux élections; ainsi le 14 janvier 1664
le procureur du roi en l'élection de Rouen déclare au Bureau
des finances que l'on n'a pas pu lever l'année précédente la
taxe pour la crue du gouverneur de la province « parce qu'il
y avoit erreur en l'assiette de la taille mise au greffe de l'ellec-
tion de 297 1. » ; on avait demandé au receveur général l'ori-
ginal de l'assiette, il a promis de la donner « quand elle aura
esté renvoyée de Paris1 ».
1. A. D. S. Inf., C, 1 166, f° 16.
CHAPITRE III
LE DÉPARTEMENT ENTRE LES PAROISSES
I. LES PAROISSES. II. LES ELUS. III. LES CHEVAUCHEES DES
ÉLUS. IV. LA COMMISSION DE REPARTITION. V. LA REUNION
DE LA COMMISSION. VI. l'ÉGALITE DANS LE DEPARTEMENT.
VII. LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES.
I. — LES PAROISSES
La distribution de la taille entre les paroisses ' de chaque élec-
tion forme le troisième degré de la répartition. L'opération est
habituellement désignée sous le nom de « département » 2. Ce
degré ne peut pas être évité : « Personne ne peut estre distrait
ni se distraire de sa paroisse pour payer à part et séparément la
taille et autres charges », dit Lebret3. C'est pourquoi on employé
communément la maxime : « Les tailles suivent les clochers* ».
La paroisse est bien antérieure à l'établissement des impôts
royaux; c'est une circonscription d'origine ecclésiastique"; elle,
consiste essentiellement dans la portion de territoire confiée à
un curé. L'administration royale avait adopté ce cadre, de même
1. La paroisse n'est pas simplement un groupe d'habitations; le mot a un sens
plus précis : il y a des groupes d'habitations (bourg, ville) qui comprennent plu-
sieurs paroisses, inversement plusieurs groupes peuvent ne former qu'uue
paroisse. Le président Labarre distingue formellement les termes village et
paroisse : il est défendu aux élus, dit-il, « de ne faire leurs assiettes par les
hameaux ou villages, ains par les parroisses pour obvier aux fraiz et regarder au
soulagement du peuple ». (Formulaire, p. 9.) Elle n'est pas partout usitée pour
la répartition de la taille ; l'intendant d'Amiens, dans son mémoire de 1698,
observe qu'eu Artois le terme paroisse est employé uniquement dans le sens
ecclésiastique, et que politiquement on se sert du mot de communauté. (Boulain-
villiers, Etat de la France, éd. in-f°, 1727, t. I, p. 105.)
2. « Ce qu'on appelle département \st l'acte par lequel on impose chaque
paroisse ou communauté. » (Remontrances de la Cour des aides de Paris, 6 mai
1775, dans Auger, Mémoires sur le droit public, p. 659.)
3. Dix-huitième action, 1596, dans ses Œuvres, p. 432. Cependant les taxes d'of-
fice, on le verra plus bas, étaient une dérogation à cette règle.
4. Labarre, Formulaire, p. 9, cf. Lebret, I. c.
5. L'autorité judiciaire ne reconnaît généralement pas cette circonscription :
elle ne distingue que les « villages », au sens féodal du mot.
104 LA. TAILLK EX NORMANDIE.
que (es diocèses et les provinces1. Toutefois, quand l'Eglise
modifiait ses circonscriptions, le gouvernement ne reconnaissait
pas toujours ces modifications, parce que les intérêts des deux
pouvoirs n'étaient pas les mêmes.
L'Eglise pouvait créer une nouvelle paroisse pour des raisons
de commodité, ou sur la simple demande de personnes qui
s'engageaient à la doter2. Mais si le gouvernement avait auto-
risé toutes les divisions demandées par des personnes puissantes
ou par les intéressés eux-mêmes, s'il avait admis des réunions
de paroisses par simple assentiment des habitants, il aurait
ouvert la porte à quantité d'abus. Aussi les lettres patentes accor-
dant des divisions ou des réunions de paroisses étaient-elles
relativement rares3. La principale crainte du gouvernement
était que des contribuables ne parvinssent par ce moyen à se
faire décharger de taille. Lebret l'a expliqué dans un de ses
plaidoyers à la Cour des aides, en février 1596 : « On a reconnu
que le plus souvent [ces divisions] étoient recherchées et pour-
suivies par les plus riches, pour s'afranchir du tout ou de
partie des tailles, ou par des seigneurs qui tachoient par ce
moien de faire décharger leurs sujets, à la foule, opression et
surcharge des autres plus foibles et impuissants », et après
avoir cité la loi romaine qui punit cette pratique d'une amende
de cent livres d'or, il conclut : « Que si nous avions cet heur
que d'en avoir une semblable et aussi bien observée, nous ne
verrions pas tant d'inégalité au département de la taille, et
pour une paroisse sauvée, dix autres perdues et ruinées »4.
Le règlement de janvier 1634 (art. 57), après beaucoup d'autres,
prétendait interdire les divisions faites sans l'autorisation du roi :
« D'autant qu'en aucunes eslections, les élus... se sont ingérez de
distraire les hameaux d'aucunes paroisses de leur élection..., ce qui
1. Dans les pays ou la religion réformée était permise, c'était la circonscription
desservie par le pasteur qui était pareillement adoptée par l'administration
financière; la confusion de l'administration ecclésiastique et de l'administration
civile est une chose constante dans les institutions d'ancien régime.
2. La seule condition exigée par le droit canonique est que la nouvelle paroisse
comprenne au moins 10 maisons. Horjon, Décision» qui regardent les curt's, dans
le Code des Curés, t. I, p. 439- 'i0; Févret, Traité de l'Abus, éd. 1778, t. I; Durand
de Maillane, Dictionnaire de droit canonique, art. Paroisse. V. un placet adressé,
en 1692, à Bossuet par les hameaux de Jouarre, pour être érigés en paroisse, dans
la Correspondance de llossuet, éd. Urbain et Lévéque, t. V, p. 98.
3. Voir par exemple les lettres patentes d'avril 1663 ratifiant la division de la
paroisse de Norolles, près de Lisicux : Les sieurs de Paysant et de Norolles étant
ftatrons alternatifs de la paroisse, ont conclu une transaction le 14 juin 1651 par
aquelle ils s'engagent, pour terminer les différends mus entre eux, à ériger en
paroisse la chapelle de Saint-Lubin faisant jusque-là partie de Norolles; ils ont
obtenu l'approbation de l'évéque à condition qu'ils dédommageraient le curé de
Norolles pour cette distraction; les habitants ont également approuvé la division
et réglé les limites par acte du 3 décembre 1652; le roi déclare en outre que la
division sera valable pour la taille, et les officiers des finances devront faire
dorénavant des mandements séparés pour les deux paroisses. (A. D. S. Inf., Mém.
de la Cour des Aides, t. XLII, 1°" 260-262.) Cf. encore B. N. fr. 8761b,,l f° 61 et 87.
4. Œuvres, éd. de 1689, p. 483.
LES PAROISSES. 105
apporte de grandes incommoditez et frais aux uns et aux autres, et
plusieurs procès et diférens. Nous voulons que les hameaux ainsi
distraits par les élus de leur autorité, soient réunis avec le corps de
la paroisse sous une même taxe..., excepté ceux qui, pour quelques
considérations, ont obtenu nos lettres de desunion \ »
Mais l'abus n'en avait pas moins continué dans la plupart des
provinces. En 1665, l'intendant de Chalons écrit : « A présent
il se trouve une infinité de ces collectes séparées dans toutes
les élections de Champagne, plusieurs d'icelles n'étant que de
8, 10, 15, 20, jusques à 40 livres, et aucunes mêmes qui ont
été ruinées et abandonnées sont toujours comprises dans les
départemens et assiettes pour un denier ou pour néant, afin
que, si elles venoient à estre habitées et cultivées — ce qui
arrive souvent — , elles soient imposées comme elles l'estoient
auparavant leur désertion, par un mandement séparé ». « Les-
dits hameaux ou censés n'ont jamais esté séparés qu'afin de les
soulager dans les impositions plus qu'ils ne l'estoient lorsqu'ils
dépendoient de la taille de leurs paroisses ; et cela s'est fait
par l'autorité, participation et facilités que lesdits élus y ont
données, lesdits lieux leur appartenant et à leurs parens et
amis, ou à des seigneurs et officiers principaux dont ils consi-
dèrent les intérests 2. »
Toutefois, en Normandie l'abus semble avoir été moins
considérable qu'ailleurs : en mars 1600, la Cour des aides de
Rouen faisait observer au roi qu' « en ladite province il y a peu
de hameaux qui aient la taille séparée d'avec leur paroisse3 ».
L'édit de mars 1667, ordonnant à nouveau de réunir au corps
des paroisses les hameaux qui en avaient été frauduleusement
distraits, ne fut pas enregistré en Normandie 4, sans doute parce
qu'il n'y était pas jugé utile.
Les rares hameaux qui sont imposés à part se trouvent tous
dans des conditions exceptionnelles : à Montivilliers, les trois
faubourgs de Porte-Chef-de-Caux, Porte-Châtel et Porte-Assi-
quet, font « par rapport au sel et à la taille un rôle séparé...
quoique tous des trois paroisses de la ville » ; de même à
Harfleur, pour les trois faubourgs de Colleville, la Pêcherie
et la Porte de l'Heure, parties de la paroisse de Saint-Martin
1. Cf. encore édit de mars 1600, arl. 9, et divers arrêts de la Cour des aides
de Paris, octobre 1551, 8 mars 1563, mentionnés dans Guénois, Conférence des
Ordonnances, t. II, p. 1455, n. 20 et de février 1596 publié dans les Œuvres de
Lebret, p. 482-3; autre arrêt d'octobre 1552, relatif à la Basse Auvergne, dans
La Barre, Formulaire, p. 9. »
2. Cinq-Cents Colbert, 273, p. 76. Le successeur de l'intendant Machault, Cau-
martin, constate également l'inconvénient de ces collectes séparées : « Les bons
laboureurs s'y retirent, ce sont doubles roolles et doubles frais, la taille se paye
plus difficilement ». (L. à Colbert, 20 janvier 1667, dans Depping, t. III, p. 170.)
3. Règlements de Normandie, p. 53.
4. Voir l'édit dans C. d. T., II, p. 21 : cet édit fut probablement rendu à la
suite de la lettre de Caumartin du 20 janvier 1667, indiquée ci-dessus.
KM LA TAILLK l.N NUIlMAMlli:.
d'Harfleor '; il est probable que dans les deux cas le
développement de la population de ees faubourgs est la cause
de leur isolement. A Pontoise, le faubourg de l'Aumône, situé
sur la rive gauche de l'Oise, est taxé à part et directement par
les commissions, jusqu'au moment où il est érigé en paroisse
et annexé à la généralité de Paris, en 1679. A Valognes, le fau-
bourg d'Alleaume est également imposé à part2. Dans l'élection
de Lyons, les fermes a'Oustrebosc et La Lande sur Andelle,
appartenant à l'abbaye de Mortemer, comptent comme paroisses
pour la taille 3. Les villages formant deux paroisses pour l'église
et une seule pour la taille sont rares*.
Parmi les paroisses, on en trouve d'cxtraordinairement petites
et de très grandes. Dans la généralité de Rouen en 1665, beau-
coup n'ont qu'un, deux, ou trois feux, ce qui n'est d'ailleurs pas
toujours signe qu'elles sont négligeables, car elles peuvent porter
des chiffres d'impôt élevés : le Manoir Denise (Election de
Neufchâtel) paie 100 1. de taille; les Granges (Châtcllenie de
Pontoise) paient 250 1.; Oustrebosc (Election de Lyons) 470 1.
pour un seul feu 5.
Les paroisses trop grosses se rencontrent non seulement dans
les villes comme Louviers, qui a 1337 feux en 1665 et Honfleur qui
en a 1313, mais encore dans les campagnes : Tatteville (Election de
Pont-Audemer), compte 441 feux à la même date; Appeville, 417;
Bourgthéroulde, 559; Berville-en-Roumois, 551 ; Beuzeville, 532,
Bolbec, 1031; Saint-Valery-en-Caux, 973; Grainville, 882, etc.
La même inégalité se retrouve dans les chiffres de taille : beau-
coup ne paient que 20, 30, 40 1., tandis que d'autres, même dans
la campagne, sont imposées à plusieurs milliers de livres6.
La plupart des paroisses avaient leur territoire fixé et borné
comme aujourd'hui. Les plans de certaines d'entre elles, comme
Bretteville l'Orgueilleuse7, indiquent des limites de finages aussi
1. Duplessis, Description de la Haute Normandie, t. I, p. 106.
2. L'imposition est faite directement par les commissions jusqu'en 1678 puis
normalement à partir de cette date. Cf. ci-dessus, p. 92, n. 2.
3. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 86 et 178.
4. En 1725 l'enquête générale sur les greniers à sel nous apprend que près
d'Ecouis, la paroisse du Mcsnil « ne fait qu'un rôle pour la taille avec Vcrque-
line » (B. N. fr. 23 918, p. 160). Il en est déjà ainsi en 1665 (Mémoire de Voysin
de la Noiraye, p. 179). Aujourd'hui, les deux localités forment la seule commune
du Mesnil-Verclive.
5. Il est à penser que ces feux uniques comprenaient une très grosse exploita-
tion faite par un cultivateur avec beaucoup de domestiques, mais il est possible
aussi qu'ils aient été le résultat de divisions intéressées. On trouve aussi, dans
les trois généralités, des paroisses désertes, comme Caumartin en signale en
Champagne, qui sont maintenues sur les rôles pour le cas où elles seraient de
nouveau habitées.
6. Voir le tableau des paroisses de la généralité de Rouen en 1665, à l'appen-
dice I du Mémoire sur la généralité de Itouen, et les états publiés en 1709 par
Saugrain sous le titre de Dénombrement général du royaume (l'auteur lui-même
déclare, dans la préface, que ses chiffres de feux ne sont pas sûrs).
7. Terrier de Bretteville l'Orgueilleuse, près de Caen, 1664, A. D. Calv., Fonds
de l'abbaye de Saint-Etienne. Voir d'autres terriers aux mêmes archives, et à
celles de la Seine-Inférieure.
LES ELUS. 107
nettes que les limites actuelles, mais la démarcation était quel-
quefois incertaine. Il est vrai qu'au point de vue de la taille
cette incertitude n'avait pas grands inconvénients, puisque l'on
considérait beaucoup moins les terres composant le finage de la
paroisse que le domicile des contribuables ; l'important était de
savoir dans quelle paroisse était située telle ou telle habitation.
Dans un pays de population dispersée comme la majeure partie
de la Normandie cette question était parfois difficile à résoudre1.
On trouve des contestations entre paroisses pour se disputer
des contribuables, et les inégalités de taux entre les circon-
scriptions contribuaient à entretenir ces procès. Peut-être
y avait-il aussi des paroisses mi-parties entre deux élections,
comme entre deux généralités2; mais aucun document ne nous
les signale. En somme, l'inégalité et l'incertitude que l'on trouve
dans toutes les autres divisions territoriales de la France se
rencontrent ici également 3.
II. — LES ELUS
Primitivement le département de la taille entre les paroisses
était l'attribution exclusive des élus. Ceux-ci, choisis à l'ori-
gine par les contribuables ou par les Etats, étaient devenus
simples agents royaux dès le xive siècle, mais le nom d'élus leur
était demeuré, « jaçoit qu'ils ne fussent pas élus et choisis par
le peuple 4 ». D'abord chacun opérait dans plusieurs circon-
scriptions, puis il reçut une portion de territoire, qui prit le
nom d'élection (Ordonnances des 10 juin 1445 et 26 août 1452).
Le nombre des élus alla en se multipliant indéfiniment comme
1. Les habitants eux-mêmes étaient parfois dans l'embarras. Cf. le procès-
verbal de la visite de l'archevêque Colbert dans son diocèse en 1680 : les habi-
tants des Essarts, près de Foucarmont, au nombre de 200, ne savent de quelle
paroisse ils dépendent; de même ceux des Erables (A. D., S. Inf., G, 726). Il en
est de mémo pour certains hameaux des environs de Lyons.
2. Cf. un Mémoire d'un commis des fermes sur le grenier à sel de Doullens,
23 novembre 1746 : il y a dans ce grenier des paroisses qui font partie moitié
de l'Artois et moitié de la Picardie ; les habitants pour frauder le fisc bâtissent
leur maison à cheval sur la limite, plaçant « leur cuisine et l'endroit où ils
mangent sui l'Artois afin d'avoir le privilège du sel et du tabac, et leurs écuries
sur Picardie, afin de ne point payer de morte et vive herbage sur les bestiaux ».
(Inventaire des Archives départementales de la Somme, t. III, p. 481, n° 1 U38).
3. Turgot dans son mémoire sur les Municipalités considère cependant les
paroisses comme des divisions acceptables, et il ne propose pas de les remanier
comme les autres : « la police ecclésiastique a fait à cet égard d'assez bonnes
divisions de territoire. Les paroisses n'ont pas entre elles une inégalité fort
notable... on a été conduit à ces divisions par la nécessité de ne donner aux
paroisses qu'une étendue dans laquelle il ne soit pas au-dessus des forces d'un
curé de remplir les fonctions de son ministère, ni trop pénible aux citoyens de
se réunir pour un devoir qui leur est commun. » (Œuvres, éd. Daire, II, p. 509.)
Mais peut-être Turgot voit-il trop les choses comme il faudrait qu'elles fussent,
ce n'étaient pas seulement des raisons du genre de celles qu'il indique qui avaient
déterminé les circonscriptions paroissiales.
4. Guy Coquille, Histoire... de Nivernois, dans les Œuvres, éd. 1665, I, 148.
108 LA TAILLE EN NORMANDIE.
celui de tous les autres officiera, à cause du revenu que produi-
sait au roi la vente de leurs charges.
Les élus avaient pour fonction de répartir la taille et les autres
impôts directs, de surveiller les receveurs particuliers et de
juger toutes les contestations relatives aux « finances extra-
ordinaires ». Le département de la taille était, selon Vieuille,
« le plus ancien et le plus important attribut de leur institution
f et création1 ». Toutes les ordonnances leur faisaient un devoir
d'y travailler et leur indiquaient les règles à suivre; en dernier
lieu celle de janvier 1634 (art. 42) disait expressément : « Les-
dits élus... feront le département des tailles des paroisses de
leur élection ».
Beaucoup de vertus étaient nécessaires à un élu. Le président
La Barre en a fait un tableau touchant :
« Est bien requis qu'il soit civilement homme de réputation, sans
avarice et ambition, qui ne regarde aux presens, ny preste l'oreille
aux inductions et sollicitations : ains qu'il se montre rond et entier
en sa function, marchant en sa charge comme Dieu, estimant icelle
luy estre commise et baillée en édification et non en ruine, et pour
servir et profiter au public, et non autrement. » Il ne doit pas « se
soucier du tour du baston, comme font les autres praticiens* ». Le
département des tailles sera fait « en toute équité, consciencieuse-
ment », les élus devront se réunir en secret, « pour éviter aux sollici-
tations et importunitez », être « a jeun et non troublez de vin ny
d'aucune passion sinistre ny exorbitante », travailler « de jour au lieu
de leur siège, en la chambre du conseil ou de la juridiction, et non
ailleurs », surtout pas à la taverne, « lieu suspect de toutes bonnes
affaires3 ».
Mais cet élu modèle était un rare personnage. Dès l'origine
on trouve des plaintes violentes contre ces fonctionnaires :
amour de l'argent, partialité dans la distribution de la justice,
négligence à exercer leurs fonctions, sont leurs moindres
défauts. Leur nombre cxcessil, depuis le xvie siècle, était jugé
comme une calamité publique :
Ce royaume, dit Lebret, « depuis quelques ans est devenu quasi mons-
trueux par le nombre excessif d'oficiers qui y ont été prodigieusement
multipliez, » et cela est surtout frappant dans « le grand nombre d'élec-
tions et afluence d'oficiers en icelles, dont les deux tiers restent du
tout inutiles pour le peu d'exercice qu'il y a en ces charges, et ne
laissent pourtant de tirer de grans gages et jouir d'une immunité dont
toute la charge retombant sur le peuple le va afligeant et oprimant
jusqu'au desespoir4 ».
1. Traité des Elections, p. lit.
2. La Barre, Formulaire des esleuz, p. 41 et 43.
3. lbid., p. 151-153.
4. Quatrième action, mars 1593, Œuvres, éd. 1680, p. 444. Cf. J. Combes, Traité
des tailles (1576), fol. 28 : Tous ces élus « acheptent leurs offices en gros a pris
LES ELUS. 109
Richelieu a porté sur eux un jugement sévère :
« Ils sont la vraie source de la misère du peuple, tant à cause de leur
grand nombre... que pour leurs malversations, si ordinaires, qu'à
peine y a-t-il un élu qui ne décharge sa paroisse, que beaucoup tirent
[de l'argent] de celles qui leur sont indifférentes, qu'il s'en trouve de si
abandonnées qu'ils ne craignent point de se charger de crimes en en
augmentant à leur profit les impositions à la charge du peuple1. »
Le maréchal Fabert, qui les a vus à l'œuvre dans les pro-
vinces n'est pas plus indulgent :
« Gomme la corruption est extrême parmi les officiers établis pour
les tailles, ils ont trouvé moyen de continuer leurs vols, donnant des
mémoires faux de la force des lieux, prenant argent de ceux qu'ils
ont fait taxer bas, et cela avec tant d'insolence, qu'ils ne le nient
pas... 11 semble nécessaire de prendre une autre voie que celle des
élus pour faire la répartition de la taille 2. »
Enfin ils furent publiquement flétris dans de nombreuses
ordonnances; dans l'arrêt du conseil du 27 novembre 1641, le
roi disait :
« La plus grande partie des non-valeurs qui se trouvent sur les
deniers des tailles depuis quelques années ne procède pas tant de la
surcharge des contribuables que de l'inégalité qui se rencontre dans
les assiettes et départemens des impositions faites par les officiers des
élections, esquelles grand nombre des paroisses se trouvent soulagées
et déchargées par la faveur et crédit d'aucuns officiers, au préjudice et
surchage des autres paroisses 3. »
Ils étaient extrêmement onéreux au roi et aux contribuables : .
le 7 juillet 1648 le Chancelier faisait déclarer au Parlement
que les 3000 officiers des élections, par leurs gages, absor-j
baient sur les tailles plus de 9600000 1., et ces gages nel
représentaient qu'une petite partie de leurs revenus, leur prin-
cipale ressource étant les frais de procès qu'ils s'efforçaient de
multiplier4. Leur pratique du ce tour du bâton » fut énergique-
d'argent, qui leur donne occasion de se remplumer par le détail de la justice
qu'ils administrent sur le commun populaire ».
1. Testament politique, t. II, p. 169.
2. Mémoire à Mazarin, 9 déc. 1656, dans Bourelly, Le Maréchal Fabert, t. II,
p. 121.
3. Dans Néron, Recueil, t. II, p. 663.
4. Déjà aux Etats de 1483, il avait été longuement question de ces officiers
« car, dit Masselin, ils nuisaient au peuple presque autant que les tailles elles-
mêmes », /? irnal de J. Masselin, trad. française, p. 489. Un mémoire présenté à
François l" fuit connaître au roi que ces procès suscités par eux à toute occa-
sion et traînés en longueur accablent le « pauvre peuple » qui y « consomme
et deppense en proceddeures tout ce qu'il a vaillant, de sorte que à la fin il
tumbe en mendicité et impuissance de paier et porter taille ». B. N. Cinq cents
Colb. 491, f° 5.
110 LA TAILLR KN NORMANDIE.
ment condamnée, à maintes reprises, par les Etats de Nor-
mandie : « Telles gens n'ont prins leurs offices pour l'utilité
publicquc, moins pour le service du roy, mais seullement
comme sansues, pour tirer le pur sang de ses pauvres vas-
saux1; tous rongent et mangent jusques aux oz la substance
du peuple2; les taillablcs... leur sont une moisson dorée, où
chascun glane son espy, de sorte que les frais montent ordi-
nairement trois fois le principal 3. » En 1578, 1579, 1593,
. 1620, 1623, 1626, 1638, 1643, 1655, leurs cahiers demandent
f avec insistance la diminution du nombre de ces « sangsues » :
« Nous ne cesserons jamais, disent-ils en 1620, de prier, voire
importuner V. M. jusques à ce qu'Elle aye exaucé nos si justes
prières et réduict ce nombre effréné d'esleuz et controolleurs à
un ou deux pour le plus, qui vous rendront plus de services,
plus de justice à vostre peuple que la confusion du nombre
desréglé qui diminue vos finances par leurs gaiges et exemptions
de taille, et comme sangsues tirent la substance de vos sujetz*. »
A chaque fois le roi fait des promesses vagues ou bien s'excuse
de la nécessité où il fut de créer de nouveaux offices, ou bien
même invoque la foi des édits, ce qui est singulièrement iro-
nique 5. Cette « manne » était trop tentante pour que le fisc y
renonçât.
De leur côté les élus ne manquaient pas de se plaindre de ces
incessantes créations. L'un d'eux, La Barre, a maudit cette pra-
tique en termes violents :
« En matière de finances, il y a tant de finesses, de subtilitez, de
traverses et d'inventions d'attraper et divertir le liard, que tous les
ans la malice d'aucuns donne occasion à nouvelles ordonnances et à
nouveaux officiers et reiglemens, qui est cause d'un grand désordre,
que l'on oste les uns et remet-on les autres, qu'il n'y a rien d'asseuré
en telles affaires. Il ne faut qu'un ou deux de ces donneurs d'advis de
court avec leur diable d'invention, pour troubler tout le reste. Contre
eux faudroit procéder criminellement, attacher telles harpies au croq *. »
En 1648, les élus publièrent un état des offices créés, des
1. Cahier de Novembre 1578, dans de Bcaurepaire, Cahiers... règne de Henri III,
U III, p. 7.
2. Cahier de mars 1579, art. 27, ibid., p. 40.
3. Cahier de décembre 1623, ibid., Règne de Louis XI II, t. II, p. 60.
4. Cahier de 1628, art. 8, dans de Beaurepnire, Cahiers... règne de Louis XIII,
t. I, p. 205. Cf. le cahier de 1614, art. 22, ibid., p. 105 : « Au département des
tailles, chacun d'eulx veult favoriser les parroisses dont ils sont originaires, ou
leurs biens sont situez et assis, de sorte que les unes sont sans raison, voire
contre raison, soullagées, les autres, qui n'ont aulcune recommandation, injus-
tement foullées et vexcées ».
5. Réponse à l'art. 10 du cahier de février 1658 : « S. M. ayant restably les
éleus dans leur exemption, Elle n'y peut toucher » (ibid., supplément, p. 5), cf.
les réponses au cahier de novembre 1578, art. 12, nov. 1593, art. 60, nov. 1638,
art. 24, nov. 1643, art. 72, etc.
C. formulaire, p. 44.
LES ELUS. 111
augmentations de droits vendues, des privilèges concédés moyen-
nant finance dans- les élections depuis 1622 : il ne comprend
pas moins de 77 édits portant atteinte à leur bourse dans cet
espace de vingt-six ans, soit en moyenne trois par an. Les mêmes
charges sont créées, supprimées, rétablies indéfiniment; on
vend des droits nouveaux, des augmentations de droits anciens,
des privilèges de toutes sortes, puis, sous prétexte de soulager
les sujets, on supprime le tout, et peu de temps après le roi
consent « moyennant une finance modique » à rendre les droits
supprimés. Au total, d'après le calcul des élus, c'est « plus de
200 millions de livres que lesdits officiers ont esté depuis 1622
jusques à présent forcez de payer par des voyes extraordinaires \
en sorte que la plupart d'iccux et leurs familles sont réduits à (
faire abandonnement de leurs biens pour ne pouvoir acquitter I
les deniers par eux empruntez pour le payement des taxes sus- [
dites1 ».
Pour se protéger, les élus avaient été amenés à former un
« syndicat ».
llTut constitué en 1641, « sous le bon plaisir de S. M. », « par
plusieurs assemblées de députez des officiers des eslections du
royaume » tenues au couvent des Augustins à Paris 2. Pour
subvenir aux dépenses communes, chaque élection dut verser
une cotisation annuelle qui, aux termes du règlement, était
payable « par advance dans le mois de mars de chaque année3 ».
Comme l'assemblée est trop nombreuse, elle a choisi des « syn- j
dics » qui forment une commission permanente et reçoivent des
appointements spéciaux; l'un d'eux, « l'orateur », est chargé de ■
prendre la parole « en public », c'est-a-dire sans doute au Parle-
ment ou à la Cour des aides; il est le personnage le plus consi-
dérable, et reçoit des appointements plus élevés. La place fut
successivement occupée par les sieurs Potière, qui mourut en
fonctions, Braux, lieutenant criminel en l'élection de Chalons,
et enfin Penot, qui exerce encore en 1655. Un secrétaire reçoit
la correspondance, signe les circulaires adressées aux élections 4,
et probablement tient un registre des délibérations. Le sieur
Boyrot remplira cette charge pendant toute la durée du syn-
1. B. N., fr. 18 479, f°* 121-124 (papiers de Séguier), imprimé. L'idée est reprise
par le premier président de la Cour des aides clans sa harangue à la reine
régente, le 21 décembre 1641 : « Depuis vingt ans le seul corps des éleuz a
fourny au roy plus de 200 millions, de compte fait ». (B. N., Lb3? 362.)
2. Circulaire des syndics 1650, B. N., Lf3» 12, f° 1.
3. Elle fut d'ailleurs versée fort irrégulièrement et les retardataires seront sou-
vent rappelés à l'ordre pour ce motif. Ces détails se trouvent dans la lettre du
sieur Dorville aux élections du royaume, 14 août 1655, Clairamb. 4^2, p. 67.
4. Ces circulaires se trouvent aujourd'hui à la Bibliothèque nationale, Imprimés,
Lf38 7 à 14 et Manuscrits fr. 10 479 et Clairamb. 154 et 442. La collection n'en est
pas complète; ainsi la circulaire du 27 avril 16i4 en mentionne deux autres des
22 décembre 1648 et 2 avril 1649 que je n'ai pu retrouver; s'il y eut des registres
de délibérations, ils sont égarés ou perdus.
Itî LA TAILLE IN NORMANDIE.
dieat. Enfin les élus ont un avocat, Chesneau, et un procureur.
Mauparty '.
» Le syndicat n'avait rien d'irrégulier; il était reconnu par le
gouvernement. « Cet establissement, disent les syndics en 1650,
a esté confirmé par plusieurs arrests du Conseil d'estat des
16 avril 1644, 7 janvier 1645 et 27 juin 1648 rendus pour raison de
contributions dudit syndicat*. » Les syndics furent à différentes
reprises reçus en audience par le roi et le Conseil, et obtinrent
1 des arrêts en faveur de leurs revendications; ils haranguèrent
MM. Servien et Foucquet sur leur promotion à la surintendance
en février 1653; leur secrétaire avait qualité pour « collationner
Iles arrests et autres pièces » les concernant1. Ils étaient en
relations régulières avec la Cour des aides, qui les soutenait,
et avait rendu, le 15 octobre 1649, un arrêt portant « l'homolo-
gation dudit syndicat en ladite Cour* ».
Ils s'occupaient de tous les intérêts collectifs de leurs com-
mettants, notamment des créations ou suppressions d'offices,
des réductions et augmentations de gages opérées par le gouver-
nement à leurs dépens; ils s^jn tarissaient à la^ lutte jl es cours
souveraines contre les intejidajais^ej^s^traitan^ts, enfin ilsdis-
putaient^aux trësorTers ^d^^aiic^_J^jdj^mt^e^_,ùiire le départe-
ment desYâHtes^ "Le" Secrétaire Boyrot travaillait en 1648 « à la
recherche de tous les édits, arrests et réglemens qui concernent
l'honneur et la fonction de nos charges, la jouyssance de nos
âges et droits et de nos privilèges », il tenait « un répertoire
e toutes les choses qui nous pouvoient servir 6 ». En 1652, il
demandait à toutes les élections des « mémoires instructifs et
bien certifiez » sur « les contraventions que les gens d'affaires
ont apportées aux déclarations du roy de l'année 1648 7 ».
L'activité du syndicat nous est connue principalement par ses
circulaires; voici la liste de celles qui nous sont connues :
A Monseigneur V Eminentissisme Cardinal, 1646, requête
f>our demander la conservation de deux quartiers et demi de
eurs gages, qui viennent de leur être enlevés 8.
Au roi et à Nosseigneurs de son Conseil, placet du
1. B. N., LP« 7.
2. Lf>» 12, P 1.
5. Lf>< 7.
4. B. N., Lf38 12, V 1 ; cf. la harangue du premier président de la Cour à la reine
en faveur des élus le 21 décembre 1648. Lh3î 3<>2.
5 En 1655, un élu félicite le syndicat d'avoir obtenu « le restablissement de nos
privilèges en l'année Ili44, à bonnes conditions et modiques, le maintien de notre
jurisdiclion... et reculement du retran bernent de nos droits en Tannée 1642 » ;
Glairamb. 442, i>. ti7.
6. Circulaire de Norville, élu à V'iilefrancbe à ses collègues, 14 août 1655, Clai-
rarub. 4'i2 p. 68.
7. Circulaire du 25 mars 16S2. B. N., Ll38 14. Son recueil faisait pendant à
celui que Fouinival composait en faveur des trésoriers généraux, mais il ne fut
pas publié et il est à craindre qu'il ne soit perdu.
8. M. N., Lf3« 8.
S
LES ELUS. 113
3 février 1648 pour réclamer le maintien de tous leurs droits et
privilèges '•'.
Estât des offices créés de 1622 au début de 1648, mentionné
ci-dessus.
Remonstrances très humbles des officiers des Eslections de
France à Nosseigneurs de Parlement, pour appuyer leur requête
tendant à « estre restablis en l'entière jouyssance de leurs
gages et droicts héréditairement2 ».
Remonstrances très humbles des syndics des Eslections de ?
France au Roi et à son Conseil pour que S. M. fasse « défenses/
aux trésoriers de France de venir aux bureaux des Eslections]
pour présider aux départemens des tailles » a.
Responsq des élus aux trois mémoires publiés contre eux par
les trésoriers de France, 1650 4.
Response des syndics généraux des officiers des Eslections du
royaume aux observations qui ont esté faites par les Trésoriers
provinciaux en France sur les remonstrances desdits syndics
adressées au Roy et à Nosseigneurs de son Conseil, qui est
de 1650 5 : continuation de la polémique engagée par l'écrit
précédent. Il y est fait allusion a deux « libelles » des trésoriers
généraux, parus récemment.
Discours au roi à l'occasion de sa majorité 6.
Discours faits par les syndics des officiers des Eslections de
France, sur la promotion de Nosseigneurs Servien et Foucquet à
la Surintendance et de M. Menardeau-Champré à la Direction
des Finances, en février 1653 7. Les élus se réjouissent de ces
trois nominations, qui leur donnent des protecteurs.
Abrégé des justes et légitimes plaintes des Esleus9.
Les très humbles suplications et les offres sur icelles au Roy
et à Nosseigneurs de son Conseil, des officiers des Eslections de
France 9.
Propositions faites au Roy par les Elus, et Remontrances au
1. B. N., Lf38 9.
2. Ibid., 10, une feuille imprimée, en forme d'affiche. Cet écrit est, d'après
son contenu, peu postérieur à la déclaration du 17 juillet 1648, qui s'y trouve
indiquée.
3. Ibid., 11, k pages in-'i°. Est de l'année 1649 : « la présente année 1649 » est-il
dit p. 2 et postérieur au 14 juillet de cette année, puisqu'un arrêt de cette date est
cité p. 1. Je vais revenir sur cet écrit.
4. Ibid., 13. Sans titre. La date est donnée par le § 4 du 2° mémoire où il est
dit : « L'année dernière 1649 ». Chaque page est divisée en deux parties : d'un
côté les mémoires des Trésoriers de France in-extenso, de l'autre la réponse des
élus, paragraphe par paragraphe.
5. H. Nat., Lf38 12, 4 p. in-4°, s. d. La date de 1650 est donnée par l'allusion faite
(p. 2) à la réforme des commissions des tailles de cette année, qui enlevait aux
trésoriers de France le pouvoir de présider aux départements.
6. Lf3»18.
7. Ibid., 15. Fouquet et Servien furent nommés surintendants conjointement
le 7 février 1653.
8. B. N., Rec. Thoisy, t. 413, f0' "222-3 et mss fr. 18 749 (papiers de Séguier)
t" 124-5 (imprimé).
9. B. N., fr. 18 479, f° 127 (imprimé).
LA TAILLE EN NORMANDIE. ™
11', LA TAILLK EN NOIl.MANDIB.
Roy et à Nosseigneurs de son Conseil sur les propositions des
officiers des Estéctions4, 1654.
{ A partir de 1654, l'activité du syndicat se ralentit, les circu-
laires cessent de paraître2, les assemblées n'ont plus lieu régu-
lièrement; mais les délégués continuent à venir à Paris. En
l mars 1661, le roi décide de prohiber leur réunion', mais
sa défense demeure lettre morte : il faut un nouvel arrêt, le
17 mai J1662, pour les renvoyer « dans les lieux de leur
demeure, a peine de prison* ». A cette date seulement, dispa-
rait le_syjidi£at.
Son activité fut employée à défendre les droits des officiers
/contre la fiscalité royale. En 1648, il concourut à la révocation
'des intendants8; en 1652 il obtint le rétablissement des gages
suspendus l'année précédente; en 1654 il fit rétablir les charges
d'élus dont le gouvernement ordonnait la suppression 6. Les
doléances qu'il présentait à cette occasion à la Cour des Aides
faisaient de leur misère un tableau impressionnant :
« Depuis trente ans on a exigé de nous, par des voyes extraordi-
naires, plus de deux cens millions de livres. Combien depuis ce temps
1. Ibid., t" 120 et 130.
2. ■ Maintenant nostre correspondance générale ne subsiste plus •', écrit l'élu
Dorville n ses collègues le 14 août 1655 et il en explique In cause : Lorsque
Penot eut remplacé Braux comme orateur du syndicat, en 1653, il rencontra une
violente hostilité de la part de son prédécesseur. Celui-ci forma une « faction >
avec plusieurs autres syndics tandis que Penot était appuyé par le secrétaire
Boyrot. La cause de cette scission, suivant Dorville aurait été l'intervention
des traitants qui se seraient entendus avec Braux pour être maîtres du syndicat;
mais il est du parti de Penot. Toujours est-il que la division empêcha désormais
le syndicat d'agir. Boyrot démissionna de ses fonctions, et, frappé de taxes par
les traitants, il vit vendre ses meubles et saisir son recueil de documents. LYdit
de mars de 1654 qui supprimait, comme on va le voir, une partie des élus, ne
rencontra aucune protestation efficace : « Quand vous voudrez rechercher la
cause de ce désastre, écrit Dorville à ses collègues, vous la trouverez dans vos
divisions et dans les traverses que le sieur Boyrot a reçues de la part de ses
parties adverses n; ensuite Penot lui-même abandonne ses fonctions. (Clairamb.
44-2, p. 68.)
3. Mémoriaux du Conseil de 1661 publiés par J. de Boislisle, t. 1, p. 121. Séance
du Conseil du 31 mars : le Surintendant Fouquet est chargé d'expédier l'arrêt,
qui est motivé par la nécessité de « rétablir l'ordre que le malheur des guerres
Sassées a longtemps interrompu » et. d'assurer le « recouvrement des deniers
estinés aux dépenses de l'Estat >. (A. N., E 1714, n" 62.)
4. A. D. Calv. Plumitif du Bureau des Finances, 1662, f° 63. A la suite de ledit
d'août 1661 qui supprimait une grande quantité d'offices des élections, le syn-
dicat fut un instant ressuscité pour publier le factum général de» officiers de*
eslections de France, contenant leurs très humbles supplications et remonstrances
au Roy leur souverain seigneur. B. N., Lf38 19 et Recueil Thoisy 413, f* 2*JJ.
5. Dans une circulaire de 1652 ils disent que ces déclarations leur « promet-
taient, ensemble à tous les peuples de France, un abry pour nous garantir de tout
orages et des atteintes des harpies ». (Lf38 15.)
6. Édit de mars 1654. Dans le préambule, il est dit que les créations d'offices
• ont tellement multiplié le nombre de nos officiers que la meilleure part des
habitans des villes qui s'occupoient auparavant en diverses professions utiles
au bien commun de l'Estat ont quitté tous autres emplois pour s'adonner au
seul exercice des charges..., le grand nombre des officiers et particulièrement
de ceux dont la fonction regarde la distribution des impositions et la levée des
deniers de nos tailles et gabelles, a multiplié les exempts de taille et les procès
LES ELUS. H5
avons-nous veu de nouvelles créations d'offices ! Tous les ans l'inven-
tion d'un nouveau mot fabriqué par l'avidité des gens d'affaires estoit
le sujet d'une nouvelle taxe, tousjours quelque suppléement, ou la con-
firmation d'un droict imaginaire qui desjà nous avoit esté chèrement
vendu, servoit de moyen pour nous oster la jouissance de nos revenus ;
ensuitte on est venu à des retranchemens qui n'ont eu autre prétexte
que celuy de l'ordinaire nécessité des affaires de l'Estat; les gens
d'affaires sembloient estre trop intéressez en la vente de ces vaines
attributions.
En l'année 1640, on nous a retranché un quartier de nos gages;
en l'année 1641, on nous a retranché un quartier de nos gages
et droicts ; en l'année 1643, pareil retranchement avec une taxe pour
la jouissance sans retranchement d'un denier pour livre des imposi-
tions dont le traicté estoit de trois millions ; en l'année 1644, une taxe
de douze cens mil livres pour la révocation du droict royal, une autre
de trois millions pour le restablissement de nos privilèges auparavant
révoquez, avec attribution de cinq sols pour parroisse sans retranche-
ment, et pareil retranchement d'un quartier et demy de nos gages et
droicts; en l'année 1645, aussi pareil retranchement; en l'année 1646,
retranchement de deux quartiers de nos gages et retranchement d'un
quartier et demy de nos droicts. Depuis, pour consommer entièrement
le revenu de nos offices, on a joint le prétexte des taxes aux retran-
chemens, sous couleur d'une augmentation de trois cens mil livres de
gages, d'un restablissement d'un troisiesme quartier de nos gages et
droicts, et de la descharge de la Chambre de Justice, dont nous avons
tousjours esté exemptez par les arrests de la Cour, mesme par les
arrests du Conseil : nous avons esté retranchez en l'année 1647 des
quatre quartiers de nos gages et de trois quartiers de nos droicts, et
en l'année 1648 de trois quartiers de nosdits gages et droicts. Retran-
chemens procédés de la seule avidité des traittans cachée sous les
ombres de cette augmentation de gages, et du restablissement d'un
troisiesme quartier de nos gages et droicts : aussi le fonds de ces trois
cens mil livres de gages ne nous a point esté fait, et le restablissement
de nostre troisiesme quartier ne s'en est point ensuivy. La fidélité de
ceux qui nous ont vendu ces attributions a esté telle, que les droicts
d'un denier pour livre des impositions, et de cinq sols pour parroisse
qui nous ont esté vendus ez années 1643 et 1644 pour en jouyr sans
aucuns retranchemens, ont esté toutes fois retranchez les années
suivantes, ainsi que les autres attributions.
Depuis encore, pendant l'année dernière 1653, pour nouvelle augmen-
tation de gages, et pour nous vendre plusieurs fois un même néant,
joint avec le prétexte de la descharge de la Chambre de justice à
laquelle les officiers juges comme nous ne peuvent estre subjets, nous
avons encore esté retranchez d'un troisiesme quartier de nos gages et
droicts qui a esté porté en la seconde partie de l'Espargne. Ainsi on a
tiré de nous depuis quatorze ans plus de soixante millions de livres *. »
entre les contribuables, a causé l'inégalité dans les assiettes, a exempté les
plus riches au préjudice des pauvres et a donné lieu à tant de vexations et de
contraintes... que nos peuples des campagnes avaient peine à subsister ».
1. Discours faict par les scyndics des officiers des eslections de France, le sieur
Penot l'un d'eux portant la parole, sur leur requeste présentée à la Cour des Aydes
le 28 mars 1654 ; B. N., Lf3» 17, in-4°, 8 pages. Signé : « Penot et Boyrot, Syndics
116 LA TAILL1 ! m NOIÎMAMMI..
Ces protestations aboutirent à faire ajourner la réforme,
mais le gouvernement ne l'abandonna pas. Un nouvel édit, en
août 1(>()1. ordonna la réduction des élus à 8 dans les élections
I de plus de ccut paroisses, et à 5 dans les autres. Le syndicat fit
de nouvelles remontrances au roi ', mais à ce moment le gou-
vernement changeait de direction ; le conseil de Colbert com-
mençait à être suivi par le roi, et la maxime de l'ordre était
introduite dans les finances; l'exécution de ledit apparut comme
le prélude nécessaire de toute réforme fiscale. Colbert en a
expliqué les motifs en 1663 dans les commissions des tailles :
S. M. a voulu « soulager ses sujets contribuables aux tailles des
exemptions dont lesdits officiers jouissoient, ensemble des vexa-
tions qu'ils leur faisoient souffrir par la protection qu'ils don-
noient à leurs parens et à leurs fermiers, qui alloit à la ruine
desdits contribuables2. »
Mais on n'aboutit pas sans difficultés. Il fallut envoyer Mon-
sieur à la Cour des aides pour y faire enregistrer ledit; à la
Chambre des comptes, le procureur général dut, pour obtenir
la vérification « diligemment et sans difficulté », représenter que
« c'estoit une affaire que S. M. avoit fait mûrement examiner
en son Conseil, qu'elle alloit au soulagement de ses sujets parce
des officiers des Eslections de France. » En conclusion, ils demandent à la Cour
de rétablir leurs charges par un arrêt cassant l'édit royal.
1. Voici quelques-unes des raisons qu'ils donnaient : « si le nombre des offi-
ciers est à charge à l'Estat d'un costé, il est utile de l'autre estant autant d'otages
qu'a V. M. dans toutes les villes de vostre royaume ». Même, on ne peut dire que
leurs gages coûtent cher à l'Etat, puisque les taxes qu'ils ont payées depuis
Tingt ans en dépassent le montant. On leur reproche d'avoir causé les non-
valeurs des tailles; mais, disent-ils, et leur réponse est singulière, « V. M. consi-
dérera s'il lui plait que tant qu'ils on' eu la fonction de leur charge et que les
impôts ont esté tant soit peu réglés et modérés, il n'y a point eu de non-valeurs
ou fort peu,... mais depuis qu'il n'y a eu plus de règle ni de mesure dans les
impositions, et qu'on a envoyé des intendants et des commissaires dans les pro-
vinces pour faire leurs charges, il y a eu des non-valeurs et des restes; » les inten-
dants, « pour la plupart a la dévotion des traitons qui les choisissoîent et
envoyoient dans les provinces >, ont fait les départements « selon leurs caprices...
chargeant pour l'ordinaire les bonnes paroisses qui payent et font leur devoir, et
diminuant les mauvaises afin d'assurer les recouvrements qui estoient en party
sans se soucier de ceux de l'advenir, tellement qu'ils les ont toutes réduites à un
mesme point, c'est-à-dire hors d'état de pouvoir payer leurs impositions ». (B. N.,
Rec. Tlioisy, vol. 413, P" 222 et suivants (imprimé).
En même temps qu'ils présentaient ces remontrances, les élus offraient de
payer au roi une forte somme pour être maintenus. Mais, dit Colbert en 1663,
S. M. a préféré le soulagement de ses peuples < aux propositions qui lui estoient
faites de donner 61 millions de livres en leur accordant (aux élus) leur conser-
vation, et mesme au payement d'une autre somme de t»l millions de livres dont
elle se chargeoit pour le remboursement de leurs finances. » (Clém. II, 61 : la
seconde partie de cette phrase est obscure).
2. Il le dit au roi dès 1659 et revint sur ce point en termes plus explicites
en 1663 : ■ S. M. considérant qu'il n'y avoit rien qui portait plus de préjudice à
ses peuples que la multiplication des officiers des eslections du royaume qui
estant jusqu'au nombre de 22 ou 23 en chacune eslection, non seulement vivoient
aux dépens du peuple par l'exercice de cette nature d'administration, mais mesme
causoient une infinité de désordres dans les paroisses par les décharges et sou-
lagemens qu'ils donnoient aux plus riches par divers motifs d'intérest. »
(Clém. II, 60.)
LES ELUS. 117
que le régallement des tailles pourroit estre fait à l'avenir avec
plus d'égalité et moins de faveur pour les uns et surcharge pour
les autres; que d'ailleurs les taxes des officiers réservés s'em-
ployant au remboursement des suprimés, Elle croyoit que dans
l'année 1662 le remboursement seroit entièrement achevé, et
qu'ainsi cet édit ne nuisoit à personne, et pouvoit profiter à plu-
sieurs l ».
Dans chaque bureau d'élection les intéressés firent leur possible
pour que ledit ne fût pas appliqué. En juin 1662, le roi dit savoir
« tant par les sieurs commissaires départis en ses provinces que
par les trésoriers de France, qu'en la pluspart des élections
les officiers réservez et supprimez sont dans une telle intelli-
gence que l'édict du mois d'aoust dernier et les arrêts du Conseil
donnez en conséquence demeurent inexécuttez2 ». L'hésitation
du gouvernement devant ces obstacles avait des conséquences
fâcheuses pour l'administration, comme le signale l'intendant
Pellot à Colbert le 9 novembre 1661 :
11 faut, dit-il, « donner le plus promptement que l'on pourra aux
esleus le coup de grâce, car l'incertitude de leur suppression ou de
leur choix peut causer beaucoup de désordres, et jusqu'à ce qu'ils
soient assurés d'estre choesis ou réservés, ils ne pourront point tra-
vailler avec soin et utilité, et ceux qui auroient bonne intention
seroient empeschés par les autres 3 ».
C'est avec l'aide des trésoriers de France, adversaires irréduc-
tibles des élus, que le remboursement fut opéré : chaque Bureau
reçut l'état des officiers supprimés, fut chargé de percevoir les
taxes des réservés et de juger les procès survenus à cette occasion.
Une série de lettres furent adressées par Marin aux trésoriers
pour les exhorter à ce travail : « ce sera le moien de faire voir
la nécessité de vos fonctions et de parler plus hardiment pour
vostre conservation, à quoy je contribueray de tout mon cœur4 ».
— Faites « voir que le roy agit de bonne foi 5, » et liquidez
1. Extrait des registres de la Chambre des Comptes, séance du 19 décembre 1661,
B. N. fr., 11 048, 1° 238, v°. De leur côté les élus, quoique leur syndicat fût désor-
ganisé, intriguaient auprès des personnes influentes à Paris, et entretenaient leurs
collègues des provinces dans l'espérance « qu'ils obtiendront leur restablissement
comme par le passé, ou en tout cas que les réservez auront diminution de leurs
taxes, et les supprimez augmentation de remboursement ». (Préambule de l'arrêt
du Conseil du 17 mai 1662, A. D. Calv. Plumitif du Bureau des Finances à sa date).
Mais on ne trouve plus trace du syndicat après cette date.
2. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des Finances, 1662, f° 69. Des influences de
toutes sortes interviennent : En Auvergne, les habitants de Thiers se vantent que
leur « Eslection sera restablie par le crédit de Mademoiselle d'Orléans » (Lebas à
Colbert, 21 sept. 1664, M. C. 123bis f° 921); des gens forment un projet « pour le
restablissement de l'eslcction de Salers moyennant 600 louis d'or en cas de succès,
et pour créer un second président dans celle d'Aurillac moyennant 1650 1. ».
(Joly à Colbert, Riom 27 nov. 1663, dans Depping, t. III, p. 59.)
3. Depping, III, p. 4.
4. Lettre de Mann au Bureau des Finances de Caen, (A. D. Calvados, Bureau
des Finances, 8 mars 1662.)
5. Lettre de Marin au même, 30 mai 1662, A. D. Calv., registre des commissions
118 LA TAILLE EN NORMANDIE.
l'affaire sans retard. Il leur demande périodiquement l'état de
leur travail. Les intendants, de leur côté, reçoivent de Colbert
des instructions pressantes; ils doivent activer les trésoriers,
envoyer fréquemment des rapports sur les opérations faites. Le
mauvais vouloir des élus1, et souvent aussi leur pauvreté*, firent
traîner l'affaire en longueur : encore en 1671 on trouve des
arrêts du Conseil relatifs à cette question1; en 1681 dans son
mémoire général sur les fermes, Colbert dit qu'il faut « fixer les
officiers des élections suivant la déclaration de 1661*», ce qui
montre que l'opération avait été abandonnée sans être terminée 8.
Maintenir aux élus le droit de faire seuls le département des
^tailles avait été un autre but du syndicat. Ce droit leur avait-été
enlevé en 1642 par le même arrêt qui étaLlissajtJçA^ouypirs
des intendants en matière de taille; le roi avait donné ses
motïïs dans le règlement du 'Il novembre 1641 6, qui mettait les
élus en demeure, pour la dernière fois, de faire le département
« avec égalité et sans aucune faveur ni considération... de faire
porter lesdites impositions aux plus puissants selon leur facultez
et position sans avoir égard à recommandation, considération
» ni affection quelconque »; s'ils n'obéissaient pas, ils étaient
i avertis que le roi établirait « des commissaires en chacune élec-
\ tion, au lieu des officiers d'icelle », et comme ces menaces
des tailles, 1661-72, f" 200. Cette lettre et la précédente semblent être des circu-
laires adressées à tous les bureaux des Finances des pays d'Elections.
1. Le 6 juillet 1665 les trésoriers de France à Caen écrivent à Colbert que si,
dans leur généralité, le remboursement n'est pas encore achevé, c'est à cause de
« la résistance de plusieurs » à se laisser rembourser. M. C. 130 b", f° 632.
2. Le 24 mars 1664, Claude Bougnrd, élu réservé de Pont-1'Evèque demande au
Bureau des finances la permission de vendre son office parce que « à cause des
taxes faictes continuellement sur son office d'Elleu il seroit devenu en impuis-
sance de payer la dernière », celle de 1661, montant à 2 000 1. (A. D. S. Inf., C,
1166, I°* 65-66). Le 23 mars 16^5, les trésoriers de France à Rouen déclarent qu'ils
ne peuvent assurer le complet remboursement dans les élections de Gisors,
Magny et Neufchatel « dans lesquelles il y a 5 officiers réservez qui n'ont point
acquitté leurs taxes par impuissance de paiement, sur lesquelles taxes le fonds
de remboursement des supprimez est en partie assigné ». M. C. 128, f° 536; cf. une
requête présentée au même Bureau par Louis le Boucher, lieutenant en l'élection
de Chaumont et Magny, pour obtenir le complément du prix de son office sup-
f trimé : il devait recevoir 3 000 1. et à cette date il n'a reçu que 2 580 1. 13 s. 6 d.,
e Bureau lui fait payer encore 280 1. 16 s. et le renvoie à l'année suivante pour
le paiement du reste. (A. D. S. Inf., C, 1167, f 201.) Le 22 février précédent, l'inten-
dant Voysin faisait le même rapport (M. C. 127"", fol. 1001.) A ces difficultés il
faudrait aussi ajouter le manque de fonds, les impositions destinées au rembour-
sement étant très mal payées (Cf. la lettre de Voysin précitée).
3. Mentionnés dans une lettre des trésoriers de Rouen à Colbert, 12 octobre 1671,
M. C. 157 b", f 651.
4. Clém., VII, 265.
5. Du moins Colbert eut le mérite de n'avoir plus recours à des créations d'élus
6our se procurer de l'argent: la proposition lui en fut faite pendant la guerre de
ollande, alors qu'il cherchait de l'argent, mais il refusa. Cf. de ces propositions
dans Clairamb. 797, p. 60 et suiv., datées de novembre 1676 : on voit entre autres
le projet de créer deux, trois ou quatre élus dans chaque élection, de vendre des
augmentations de gages, etc., à l'imitation de ce que l'on avait fait au temps
de Louis XIII. Tout fut écarté.
6. Ci-dessus, page 45.
LES ELUS. 119
avaient été inutiles, l'arrêt du Conseil du 22 août 1642 avait /
ordonné que le département serait désormais fait conjointement |
par les élus, l'intendant et un trésorier de France, et même les /
élus ne pourraient pas tous y participer : leu^ nombre était
limité, à trois.» choisis par l'intendant, qui se trouvait ainsi le
maître de l'opération". Si aucun élu n'accepte sa désignation,
ajoûTaTTT'aTï'él, lesTntendants recourront à « tels autres officiers
ou notables des villes qu'ils adviseront » (art. 4)1.
Les élus se trouvaient ainsi dépossédés de leur principale et
plus intéressante fonction. Leur syndicat entreprit la lutte pour /
ce motif contre les intendants et contre les trésoriers généraux.
Appuyés par la Cour des aides, ils dénoncèrent [es exactions ) X
des iixtenjian.ts., les accusant d'être complices des traitants et
d accabler le peuplê~au lieu de le soulager suivant leur mission2,'
et ils obtinrent satisfaction en juillet 1J348 : ce fut une de leurs
grandes victoires. Mais il restait les trésoriers de France : ils
avaîènT "êT;é""maintenus" dans leur droit de participer" atf départe-
ment par une autre déclaration de juillet 1648, où il était spécifié
qu' « au cas où il fust reconnu par ledit trésorier commissaire
lorsqu'il travaillera à ladite assiette et département qu'il y eust
quelque intelligence entre lesdits esleus pour soulager aucune
desdites paroisses ou en surcharger d'autres, la voix du dit tré-
sorier de France depputé estant suivie de deux voix des dits
officiers de l'eslection prévaudra ». L'acte ajoutait que les man-
dements aux paroisses, intitulés à la fois des trésoriers de
France et des élus, devraient être expédiés « devant que ledit
trésorier délégué soit party de l'eslection » ; enfin si les élus
refusaient de vérifier les rôles des collecteurs, il appartiendrait
au trésorier de le faire à leur place3.
Le syndicat des élus entreprit de faire abroger cet acte; mais
il rencontra en face de lui je syndicat des trésoriers généraux,
et la lutte s'aggrava parce que chaque grôïïpë'Tùr s'ouTënuIpar
une Cour souveraine : les élus par la Cour des aides, les tréso-
riers de France par la Chambre des comptes*.
1. Le texte de l'arrêt se trouve dans Néron, t. II, p. 674. L'arrêt s'applique à
l'imposition de l'année suivante 1643, mais ces dispositions seront rendues per-
pétuelles par la déclarntinp du 16. nvrjl Jj&W qui, dans ses grandes lignes, demeu-
rera en vigueufjusqu'au xvm* siècle. Cette déclaration ne fut pas enregistrée en
Normandie, et ne figure pas dans les Règlements sur le fait des Tailles... en Nor- . .
mandie, mais il est probable qu'elle fut néanmoins appliquée dans la province/ Jpfif*-'
par les soins des intendants, comme partout ailleurs; au Parlement de Paris!
l'enregistrement rencontra des difficultés : il fallut pour l'obtenir les lettres du
16 juin 1643. (Vieuille, p. 95.)
2. Voir notamment les plaintes des élus de Fontenay-le-Comte contre l'inten- i
dant de Poitou, le sieur de Villemontée en 1643. B. N., fr. 17479, f° 167-8.
3. B. N., fr. 18 479, f°' 23-30, papiers de Séguier. Cette déclaration fut sans
doute rendue à la suite des démarches des trésoriers de France auprès du Gou-
vernement : cf. leur requête au roi, ibid., f° 32.
4. Circulaire des syndics des élections à leurs collègues, 25 mars 1652. « Il
est encore de nostre devoir de vous faire expressément scavoir les singulières
obligations que toutes les compagnies des eslections ont aux Cours souveraines,
120 LA TAILLE EN NORMANDIE.
Les écrits publiés de part et d'autre exposent les prétentions
réciproques des deux corps : les trésoriers soutiennent qu'ils
sont les supérieurs des élus : « ils ont l'honneur d'estre les
aisnez entre les officiers, et quand ils ont esté partagez avec les
généraux des aydes, qui sont venus d'eux, les roys ont conservé
aux trésoriers généraux de France le soin et la direction du
sacré domaine et de toutes les finances ordinaires et extraordi-
naires » ; les Cours des aides n'ont donc pas le droit de sou-
tenir les élus dans leur « rébellion », et le roi doit « faire ren-
trer les esleus dans leur devoir, authorisant sur eux le pouvoir
légitime des trésoriers généraux de France, en donnant un
nouveau règlement entre les Bureaux et les Cours des aides1 ».
Les élus leur « doivent naturellement honneur et respect par
l'institution de leurs charges, par quantité d'édicts et déclara-
tions, et par autant d'arrests portans peines et amendes contre
,eux, et pouvoir aux trésoriers de France de les mulcter, qu'il
leur est arrivé de fois de sortir des termes de leur debvoir2 ».
Il faut donc « faire tenir dans leur devoir tous ces officiers
qui entreprennent sur la jurisdiction les uns des autres, et
les esleus surtout, par un chastiment exemplaire, pour avoir
perdu tout respect envers leurs supérieurs naturels et légi-
times* ».
Sur leur droit à faire les départements, les trésoriers invo-
quent non seulement les récentes déclarations, mais de vieux
textes législatifs : un règlement de 1603 leur avait attribué la
réformation des départements faits par les élus quand les
paroisses seraient « tombées en non-valeurs » ; les édits de
mai 1635 et mars 1637 qui créaient de nouveaux offices de tré-
soriers de France leur conféraient expressément le pouvoir de
et particulièrement à Nosseigneurs les Premier Président et Procureur général de
la Cour des Aydes, qui en toutes occasions se portent à nous donner des preuves
très-constantes de leur favorable protection, ainsi qu'ils ont fait lors de l'arrest
d'icelle Cour du 1er mars dernier, qui est l'arrest le plus advantageux et le plus
considérable que nous puissions souhaiter >, et ils les invitent à leur adresser
« des lettres de remerciement *. (Lf 38 14.) Cf. encore le mémoire des Trésoriers
de France de 1649, art. 3 : « leur audace [des élus] a esté fomentée et peul-estre
suscitée par la Cour des Aydes qui entreprend impunément de favoriser leur
rébellion; il est notoire que ce n'a esté qu'ensuitte des arreats qu'elle a donnez
qu'ils ont eu la hardiesse de violer les ordres du Conseil et des trésoriers de
France ». (Lf 3» 13.)
1. Troisième mémoire des trésoriers de France, 1649, art. 7 et 9. (Lf 38 13.)
2. Premier mémoire, art. 2, Lf '* 13. Les trésoriers de France réclament donc
le droit de surveiller les élus, de les corriger et les réprimander quand ils contre-
viendront aux ordonnances, d'enregistrer leurs nominations, de juger en appel
leurs sentences, de régler les difficultés relatives à leurs gages « et tout ce qui
regardera le faict et direction des finances » ; en même temps ils prennent des
précautions contre la Cour des aides en demandant que leurs sentences ne puis-
sent être frappées d'appel que devant le Conseil; puis ils cherchent à faire sup-
primer le syndicat des élus : il faut, disent-ils, leur défendre « de continuer ce com-
merce par eux entrepris sans aucun titre ny permission » ; qu'on renvoie dans
leurs provinces ces « prétendus syndics » qui s'assemblent à Paris (art. 4 et &).
3. Phrase d'un mémoire des trésoriers de France citée dans la réponse des
syndics des élections, 1650, B. N., Lf 3* 12, f° 2.
LES ELUS. 121
« présider » au département des tailles1. Ces actes confirmés
par la déclaration du 16 avril 1643 et celle de juillet 1648 consti-
tuent pour les trésoriers un droit à leur avis incontestable.
Les élus répondent sur le premier point — la supériorité hié-/
rarchique des trésoriers de France — que ceux-ci l'affirment',
sans la prouver; ils rappellent qu'à l'origine les élus étaient!
seuls agents financiers du roi dans tes provinces, les trésoriers
de <France~ ne s'occupant^gue du domainër*lës~généraux des
finances, à leur création, n'eurent autorité que sur les comptables
comme agents de la Chambre des comptes et. non sur les élus,
subordonnés à la Cour des aides ; la fusion des deux fonctions
de trésoriers de France et généraux des finances ne changea
rien à leurs attributions. Quoi qu'ils en disent, les Bureaux des
finances ne forment pas une cour souveraine puisque leurs sen-
tences sont sujettes à l'appel2.
Quant au département des tailles, il est certain que les tréso- A
riers ne l'ont fait qu'à titre exceptionnel : le règlement de 1603
« qui est leur plus fort bouclier,... n'a point esté adressé aux
cours souveraines, qui ne l'ont point vérifié, mais a esté seu-
lement adressé aux trésoriers, qui ne sont point capables de
faire aucune vérification, n'estant point juges souverains; dont
s'ensuit que l'on n'y doit avoir aucun égard, veu mesme qu'il
n'a jamais esté observé, ce qui fait que Fontanon ne le rapporte
point dans ses Ordonnances 3 » ; les édits de mai 1635 et mars 1637
ne sont que des édits bursaux, où un accroissement de pouvoir
n'a été accordé aux trésoriers que pour leur vendre plus cher
leurs offices; enfin les actes de 1642 et 1643 étaient « des com-
missions extraordinaires, lesquelles ont pendant ce temps des-
1. Ces textes sont mentionnés dans les mémoires des trésoriers de France. B.
N., Lf38 11 et 12.
2. Sur les reproches adressés à leur syndicat, les élus font une réponse vive :
« Jamais les syndics des eslections n'ont escrit des lettres dans les provinces gré-
judiciables aux affaires de S. Si Ce reproche peut estre fait avec beaucoup
plus de justice aux adversaires, qui ont esté chastiez pour des lettres séditieuses
par eux envoyées dans les provinces ». — « Jamais les syndics n'ont donné autre
conseil aux officiers des élections que de contribuer de tout leur pouvoir pour
l'accélération du recouvrement des tailles, de faire leurs charges avec honneur
et se maintenir contre les entreprises des trésoriers généraux. » (Réponse des
élus aux art. 1er et 11 du 1er mémoire. B. N., Lf 38 13, p. 1. Je n'ai pu trouver les
« lettres séditeuses » dont il est parlé ici). Et ils concluent : « C'est ce désir insa-
tiable d'empiéter sur la juridiction des eslus qui leur a fait vomir dans leurs
libelles tant d'injures et de calomnies, pour lesquelles il y a lieu non pas de les
renvoyer dans leurs bureaux, car ils y sont inutiles au service du Roy et de
l'Estat, mais de les punir d'un chastiment digne, sauf correction, de la fausseté
de leurs accusations. » Les trésoriers de France qualifient les élus de « saute-
relles d'Egypte qui avoient dévoré la terre » et ceux-ci répondent que leurs adver-
saires ont parmi eux des « commis de partisans, fils de procureurs, roturiers et
de si basse naissance que leurs parens sont encore taillables et cottisez par les
officiers des Eslections », et ils affirment que certains trésoriers sont complices
des partisans, et ont commis des « crimes » dans l'exercice de leurs fonctions.
(Lf 38 12.) Par là on voit à quel degré la polémique était montée.
3. Lf 3S 18 : Respouse des syndics généraux des officiers des Eslections... aux
observations des trésoriers provinciaux en France, 1650.
122 LA TAILLE EN NORMANDIE.
f touillé les officiers du royaume de la jurisdiction et fonctions de
eurs charges », et ont été révoquées en juillet et octobre 1648*.
Par contre, le droit exclusif des élus est proclamé par nombre
d'ordonnances solennelles et incontestables, comme celles
de 1452, 1508, juin 1517 (art. 5 et 6), décembre 1594, mars 1600
(art. 2), janvier 1634 (art. 42).
A ces arguments de droit, ils ajoutent des arguments de
fait :
« Que si les Trésoriers de France estoient admis en l'assiette des-
dites tailles, le service du roy en recevroit un notable préjudice, parce
qu'estans puissans en biens, et possédans plusieurs seigneuries dans
I l'estendue de leur généralité, ils travailleroient à la descharge et au
i soulagement de leurs paroisses, et ainsi réduiroient en non-valleurs
toutes les tailles de S. M. *. »
« Lintérest, disent-ils ailleurs, que quelques-uns des trésoriers
ont dans le party des tailles, — dont ils demeurent tacitement d'accord,
— est un des motifs qui les portent avec tant d'ardeur à vouloir
devenir maistres des impositions; ils ne font point de difficulté en ce
rencontre de se rendre juges de leur propre faict, d'opprimer les
peuples pour se tirer d'affaire... Mais si en présidant aux départemens
ils avoient si peu d'authorité que de ne pouvoir donner une favorable
diminution aux paroisses qui leur appartiennent, comment pour-
roient-ils empescher le soulagement de celles qui seroient, ainsi
qu'ils dient, favorisées par les eleus'? »
/ A la suite de cette polémique, les élus obtinrent en partie
gain de cause : à la fin de 1648, la déclaration qui donnait la
présidence des départements aux trésoriers, répétée par les
commissions des tailles, fut rapportée, et les élus recouvrèrent
leur ancien privilège. Voici comment l'obtention de ce succès
est racontée par les syndics a leurs collègues dans une circu-
laire du 27 avril 1649 * : « Leurs députez [des trésoriers de
France] qui sont de par de ça avoient, par leur intrigue, fait
insérer, dans les commissions de l'année présente 1649 qu'ils
pourroient députer quelqu'un d'entr'eux pour assister et pré-
sider dans les bureaux de nos eslections aux départemens des
tailles, afin de se rendre, s'ils pouvoient, maistres d'une de nos
principales fonctions; nous avons esté obligez, pour nous
acquitter de notre devoir, de faire très humbles remonstrances
sur ce sujet à Nosseigneurs des Finances, qui les auroient
trouvées plaines de justice, et fait dresser lesdites commissions
en la manière accoustumée, etcontrooller de nouveau, dont nous
vous avons pleinement informez. » Les trésoriers n'ayant pas
voulu reconnaître ce changement, la Cour des aides, sur les
1. B. N., Lf" 11 (1649).
2. Ibid.
3. Ibid., 12.
4. Ibid., 7.
LES ELUS. 123
instances du Procureur général l, a rendu un arrêt « en vertu
duquel vous pouvez et devez maintenir l'authorité de vos
charges, non seulement en ce chef, mais aussi en tout autre et
en la conservation de vos privilèges ». Mais la Cour n'a rétabli
le privilège des élus que pour un an, et elle y a mis comme
condition qu'ils emploieraient tous leurs soins « pour bien faire
payer les deniers du roy ». A la suite de leurs instances, elle
prolonge ce délai de deux ans, malgré les protestations des tré-
soriers2, mais les élus ne cessent d'être tracassés par leurs
adversaires. .»— ,
Le retour de Mazarin en 1653 mit un terme a cette que- j
relie. L'épreuve avait montré que ni les trésoriers ni les élus
n'étaient capables de répartir l'impôt avec zèle et désintéres-
sement; un gouvernement fort ne pouvait employer ces agents
dénués de zèle et d'honnêteté. Tandis que l'on travaillait à
dissoudre les deux syndicats 3, les intendants étaient réinstallés
dans les provinces4, et prenaient la place des deux adver-
saires. "*--
Ce rétablissement des intendants, on l'a vu, n'alla pas sans
HiTfînn1tés"""IVgrlis""qiiPi }p.fi trésnriVj_sJ^)r..gnnJ^t.ajfintf !<? droit
d'intervenir dans la répartition de la taille entre les élections,
les élus" voulaient leur enlever le département. A la fin de 1661,
ifs adressèrent au roi un long mémoire ou" la conduite de ces
intrus était sévèrement jugée. Tant que les impôts ont été « tant
soit peu réglés et modérés », disaient-ils, il n'y a pas eu de non-
1. Il faut adresser des remerciements particuliers à Mgr le Procureur général,
« qui s'estant rencontré en cour avec nosseigneurs des Finances, ausquels les
sieurs trésoriers de France vouloient persuader qu'ils avoient droict d'aller par
les paroisses de l'eslection de Paris et par les eslections de la généralité pour
informer des dommages et degasts faits par les gens de guerre pendant les
troubles derniers et faire le régalement de la somme de 700 000 1. dont S. M.
veult et entend faire remise aux contribuables des tailles de ladite eslection de
Paris, et de la somme de 200 000 1. sur les autres paroisses de la généralité de
Paris qui ont pareillement souffert pendant lesdits mouvemens; ausquelles pré-
tentions desdits sieurs trésoriers Mgr le Procureur général se seroit opposé, et
remontré qu'iceux n'ayant aucune jurisdiction contentieuse, ils ne pouvoient
faire lesdites informations ny procéder audit régalement, que cela dépendoit de
la fonction des officiers des Eslections... De quoy nosdits seigneurs du Conseil
sont demeurez d'accord, et dont nous estimons nécessaire de vous donner advis. »
2. Les trésoriers de France publient un mémoire à la fin de 16'i9 ponr expli-
quer que leur droit de présider au département a été supprimé « la présente
année pour quelque motif particulier, sans tirer à conséquence », parce qu'il n'y
avait qu'à « suivre celuy [le département] de l'année passée à la diminution près
de 1/5 de remise sur chaque paroisse, suivant la déclaration du roy ». Lf3S 12;
les élus répliquent que « ce qui a esté trouvé bon en une année ne peut estre
vicieux et défectueux l'année prochaine ny les suivantes ». Pendant les deux
années 1650 et 51 encore, certains bureaux des finances refusent de leur délivrer
les commissions des tailles et les gardent à leurs greffes. (Circulaire des syndics,
25 mars 1652, Lf38 14.)
3. Une réorganisation de l'administration centrale était également faite dans
les finances : Servien et Fouquet étaient nommés surintendants des finances
et Menardeau-Champré, directeur; les élus espéraient que ces nominations leur
seraient favorables : cf, les harangues flatteuses qu'adressèrent aux nouveaux
promus leurs syndics (B. N., Lf38 15) mais ils ne tardèrent pas à être détrompés.
4. Voir ci-dessus, p. 48.
124 LA TAILLK KX NOHMANDIE.
valeurs; « mais depuis qu'il n'y a eu plus de régie ni de mesure
dans les impositions et qu'on a envoyé des intendants et des
commissaires dans les provinces, il y a eu des non-valeurs et
restes ».
Les intendants, « estant pour la plupart à la dévotion des traittants
qui les choisissoient et envoyoient dans les provinces, (ils) ont faict
et font encore les départemens et assiettes selon leur caprice, sans
prendre les suffrages des offleiers, et sans considérer les forces des
f croisses, chargeant pour l'ordinaire les bonnes qui payent et font
eur devoir, et diminuant les mauvaises, aCn d'assurer les recouvre-
mens qui estoient en party sans se soucier de ceux de l'advenir : telle-
ment qu'ils les ont toutes réduites à un raesrne point, c'est-à-dire hors
d'estat de pouvoir payer leur imposition, s'il n'y est pourveu par V. M.,
au lieu que les officiers avoient coustume d'y procéder tout d'une autre
manière, faisant droit à chacune parroisse sur ses pertes et transla-
tions de domicile des habitans, et visans plustost a conserver et faire
subsister leur eslection qu'à servir aux volontez et à l'avarice des
traittans... On a procédé avec toutes les rigueurs et violances imagi-
nables; on a traitté vos subjects, Sire, non comme subjects, mais
comme ennemis ou comme rebelles; on a employé premièrement des
fuzeliers et carrabiniers destinez exprès, puis on a envoyé contre eux
les trouppes qui estoient dans les provinces, qui ont vescu à discré-
tion dans les paroisses, pillé et rançonné les habitans, et n'en sont
sortis qu'après les avoir ruynés de fond en comble, ayans bien sou-
vent eux-mesmes mangé et consommé vos deniers, comme il se pra-
tique encore à présent en divers lieux : au lieu qu'auparavant un
huissier ou deux les faisoient venir dans vos receptes '. »
Mais cette opposition fut sans résultats. Les intendants,
appuyés par le Conseil, demeurèrent dans les généralités, avec
le pouvoir de faire le département de la taille; les élus virent
leur nombre réduit par ledit d'août 1661, et tout rentra dans
l'ordre. Trésoriers généraux, élus, intendants, durent collaborer
à la répartition des impôts, et l'intendant devint bientôt leur
chef incontesté.
L'hostilité subsista pendant bien des années entre les tréso-
riers et les élus; elle se manifestait surtout lors des chevauchées
des trésoriers dans les élections : le 13 juillet 1662, M. du
Boscage, trésorier de France à Caen, vient faire sa chevauchée
a Valognes; il convoque devant lui le président de l'élection, qui
lui fait répondre par deux fois « qu'il alloit en conférer à sa
compagnie » et finalement ne comparaît pas. M. du Boscage
apprend que les élus font, dit-il, « raillerie de nos semonces
et du sujet de nostre dit voiage », et il doit se retirer sans
rien faire2. Le 20 décembre lb70, les élus de Caen refusent
également de comparaître devant M. de Fourmentin, trésorier
1. B. N„ Recueil Thoisy, 413, f° 222.
2. A. D. Galv., Bureau des Finances, liasse de chevauchées des trésoriers
généraux.
LES ELUS. 125
de France1. Le 23 juin 1683, les élus de Mortagne ont déclaré
à M. Farcy du Parc, trésorier général en chevauchée, « qu'ils
ne pouvoient obéir aux ordres du roi, parce que cela faisoit tort
à leurs charges et qu'il leur estoit préjudiciable de reconnoître
tant de supérieurs » ; en outre ils se « sont portez à cet exceds
d'hardiesse qu'ils ont fait signifier des actes dudit sieur de
Farcy du Parc en des termes dont le stile et le discours sortent
du respect qui est deu à S. M. » Même refus est fait, quelques
jours après, par les élus d'Alençon. Ces deux dernières affaires
eurent une suite assez grave : le Bureau des finances, offensé
par ces « rébellions », sans doute concertées, intligea aux
deux élections des amendes de 50 1. et suspendit les gages
des officiers jusqu'à ce qu'ils eussent satisfait; mais les élus
firent appel de cette sentence devant la Cour des aides qui
annula les poursuites. Cet arrêt, loin de régler l'affaire, la
compliquait, car les trésoriers généraux refusaient d'admettre
l'appel de leurs sentences devant la Cour des aides; ils décla-
rèrent qu'ils ne devaient « raison de leurs ordonnances qu'à
S. M. et à son conseil, ainsi que ladite Cour », et il fallut faire
régler le conflit par le roi : à la poursuite de l'intendant, un
arrêt du conseil du 2 octobre 1683 cassa la procédure et ordonna
« que les officiers des eslections d'Alençon et de Mortagne seront
tenus de recevoir dans leurs bureaux les trésoriers de France
au Bureau des finances d'Alençon faisant leurs chevauchées et
de conférer avec eux sur Testât des biens de la terre et sur les
ordres de S. M. et de son Conseil qu'ils auront à leur commu-
niquer, à peine d'interdiction contre les officiers qui refuse-
ront de s'y trouver. — Enjoint aux officiers desdites eslections
de porter honneur et respect auxdits trésoriers de France
d'Alençon 2 ».
En 1663, le Bureau des finances de Rouen ne peut obtenir
des élus les copies des départements faits par eux depuis 1657 ;
ayant rendu à cet effet une ordonnance au début de l'année, il
constate le 7 décembre qu'aucune élection n'a envoyé ses copies;
le 18 avril suivant, les élus de Rouen n'ont pas encore envoyé la
leur; le Bureau ordonne de saisir les biens du greffier de l'élec-
tion pour l'obliger à s'exécuter3. Mais, comme disait un con-
seiller d'Etat en 1665, ces élus avaient
« des appuys et supports dans les Cours des aydes, ce qui ne doit
estre, et on ne doute point que la Chambre de justice n'aye desjà
donné à V. M. les advis nécessaires pour corriger tels abus 4 ».
On a vu que Colbert aurait voulu supprimer complètement
1. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des Finances, 22 déc. 1670.
2. A. D. S. Inf., G, 1464, pièce 43.
3. A. D. S. Inf., C, 1165 fos 22 et 82.
4. Rapport du conseiller La Marguerie, Clairamb. 613, f° 304.
126 LA TAILLE EN NORMANDIE.
les élus. Faute de moyens, il les conserva pour la plupart et se
résigna a les utiliser. Ils demeurèrent des agent! très médiocres.
Sur ceux de Normandie, nous avons des renseignements qui
ne laissent aucun doute. A maintes reprises les intendants
leur interdisent « d'exiger aucune chose des collecteurs des
paroisses », sous prétexte de percevoir directement leurs gages;
de se faire payer leurs déplacements quand ils vont constater
les ravages d'une grêle ou d'une inondation ; de surtaxer leurs
frais de procès1. Ils prononcent des sentences contraires aux
ordonnances et à l'équité, ils couvrent de leur autorité les
fraudes et les injustices. Des rapports dressés par les intendants
entre 1682 et 1684 nous apprennent que dans la généralité de
Rouen « il y a quelques eslections, et dans les autres quelques
officiers qui abusent du pouvoir de leurs charges » ; il y a long-
temps, ajoute l'intendant Leblanc, « que je les ay advertis que
s'ils ne changeoient vous en feriez un exemple; j'ay remédié
autant qu'il m'a esté possible à leur mauvaise conduitte2».
A Gisors, le président et le lieutenant « sont gens ruinez et capa-
bles de tout » ; ils « ont pris des mesures pour empescher que
l'imposition de 4000 1. que vous avez ordonnée estre faite sur
privilégiez et non privilégiez ne pust réussir, par les difficultez
et descharge qu'ils donneroyent ». Il a dû ordonner que la nomi-
nation des collecteurs de la ville de Gisors fût faite « à l'hostel
de ville en présence des eschevins afin que les esleus n'en
feussertt pas ies maistres » ; de même l'adjudication des octrois
est une source de voleries pour ces personnages malfaisants *.
Le 27 octobre 1683, il dénonce au Conseil un élu de Rouen qui,
prétextant une maladie de sa femme, s'est absenté du bureau et
a tenu, seul avec un clerc, une audience « pour juger des affaires
qu'il affectionoit* ». Le 2 juillet 1682, il écrit encore : « J'excite
depuis longtemps les officiers des eslections et des greniers à
sel à faire leur devoir, une partie des eslections et greniers a sel
se sont réduits et ont quitté le mauvais usage de la province,
1. Voir B. N. ma. fr. 8761";, P 223: M. C, 239, f> 79; A. D. S. Inf., C, 1166,
f° 13: C, 2215, etc. Voir aussi dans Depping, t. III, p. 4-3, les abus commis par
les élus de Poitiers en 1661. Dans les antres généralités on trouve fréquemment
des jugements défavorables aux élus : dans la généralité de Chalons en 1678 l'in-
tendant écrit que les désordres de l'élection de Troyes tiennent à « la méchante
conduite des élus qui, n'estans capables de résister aux présens, changent les col-
lecteurs nommés par les communautez autant qu'ils s'en présente, et donnent
des sentences de modération sans nombre, passant par-dessus toute formalité ».
(L. du 20 juillet, A. N., G~ 223.) Dans la généralité de Bordeaux, l'intendant de
Ris écrit le 23 juin 1684 que les élus sont presque tous < indisciplinés et prévari-
cateurs » ; le pseudo-testament politique de Colbert attribué à Sandras de Courtils
déclare traduire une opinion courante en disant qu' • il n'y a pas une élection en
France qui ne soit pensionnaire des partisans ». (3* éd. t. II, p. 232.)
2. L. du 23 mai 1682, B. N. fr. 8761, f° 53. Cf. 8761"", f 59 et 63.
3. L. du 13 février 1682, ibid., P 42. Cf. lettre de Barin de la Galissonnière du
2 sept. 1671 : les élus de Pont de l'Arche, dit-il, • n'ont ny sens ny raison. » (M. C.
157, P 410).
4. A. N., G^ 492.
LES ELUS. 127
aprez leur avoir dit que vous ne souffririez point qu'ils abusassent
des fonctions de leurs charges pour vexer et piller le peuple1 ».
Dans la généralité d'Alençon, les élus de Conches « sont peu
habiles et paroissent aymer fort la pratique; il sera bon, ajoute
l'intendant, que j'aye souvent l'œil sur leur conduite2 ». A Mor-
tagne,
« les eslus se taxent de très fortes espices pour les soliditez et pour
tous les procez qu'ils jugent; ils obligent mesme l'un des collecteurs
de prester le serment afin de pouvoir saisir les meubles des contri-
buables Enfin on peut dire que les eslus du siège ne perdent
gueres d'occasions de taxer leurs salaires un peu trop fortement et
pour des choses desquelles ils ne doivent rien prendre, mais il y a un
nouveau procureur du roy qui est honeste homme et qui s'aplique
aux fonctions de sa charge, lequel estant un peu secondé, restablira
un meilleur ordre. »
Leurs abus viennent en partie de ce qu'ils sont divisés en
trois sièges : Mortagne, Bellême et Nogent3. En revanche les
élus de Bernay « sont pour la plus grande partie fort habiles,
fort exacts et désintéressés4 ». En 1684 le même intendant écrira
au contrôleur général : « En vérité, Monsieur, la chose la plus
utile que vous pouviés faire pour le peuple est la réforme que
vous voulés faire dans les eslections en ostant les mauvais offi-
ciers 5. »
Les élus de Caen, en 1684, sont « capables et assidus », mais
« les espices sont un peu fortes6 »; ceux de Mortain « sont fort
ignorans, mais en récompense ils ne sont pas fripons et il y a
peu de procès dans leur jurisdiction 7 » ; le président, qui possède
sa charge depuis 1682, passe pour un honnête homme, a de
l'esprit et, détail notable, n'a pas commis de friponnerie avant
son entrée en fonctions 8.
1. A. N., G? 491.
2. L. du 25 mai 1683, A. N., G? 71.
3. L. du 11 septembre 1683, ibid. Cf. ci-dessous, p. 131.
4. L. du 6 mai 1683, ibid.
5. L. du 10 déc. 1684, ibid.
6. L. du 30 juin 1684, A. N., G' 213.
7. L. du 25 juin 1684, ibid.
8. L. du 26 janvier 1682, ibid. i
Pour la généralité de Rouen, nous avons des notes envoyées par l'intendant
en 1673; elles concernent seulement les élus qui avaient été choisis pour faire les
taxes des francs-fiefs, c'est-à-dire apparemment ceux qui étaient jugés les meil-
leurs. Ces notes ne sont pas excellentes et permettent de mal juger les autres
élus :
Election de Rouen : Lepage, président de l'élection est « honneste homme
mais il ne peut pas se transporter dans l'estendue de l'eslection à cause qu'il est
. trop âgé ».
Pont-de-1' Arche : Duparc-Vallée, lieutenant, est « honneste homme ».
Caudebec : Marpellé, président, est « honneste homme mais peu intelligent ».
Montivilliers : Lemarchand, président, est « intelligent mais malhonneste homme;
il a donné des mémoires de gens qui ne sont points sujets au droit [de franc-
fief] et a celé ceux qui le doivent ».
Lyons et les Andelys : Delatour, lieutenant, est « honneste homme ». (Clairamb.
795, p. 313.)
ISI LA TAILLE EN NOIIMANDIK.
ii mauvaise conduite des élus était entretenue, en grande
partie, par l'insuffisance de leurs appointements : leurs gages
déjà modiques (ils varient de 160 à 500 1. pour des charges qui
ont coûte de 4000 1. à 8 000 1. '), ne leur sont payés qu'en
partie, et très irrégulièrement; aucun ne touche plus de deux
quartiers par an, et les retards de plusieurs années dans les
payements sont chose courante : en 1665, un élu de Rouen en
est encore à réclamer le reste de ses gages des années 1646
et 1652, montant à 95 1. 15 s. 6 d.; pour les obtenir, il lui faut
une sentence du Bureau des Finances dont les frais s'élèvent
à une douzaine de livres2. En 1661, un élu de Carentan établit
qu'il n'a reçu aucuns gages depuis 1653 : le receveur lui déli-
vrait des bons pour se faire payer directement par les collec-
teurs de deux paroisses qui étaient insolvables; le Bureau des
finances de Caen, le 30 mai, ordonne le paiement de la moitié
de ses gages pour les années 1653 à 1658 seulement, et encore
« à proportion des fonds laissez dans les estats du roys ». A tout
propos, sur les états de comptabilité, leurs gages sont rayés,
suspendus, réduits, et pour obtenir ensuite leur paiement ils
sont obligés d'entamer des procédures longues et coûteuses.
Il leur était nécessaire de gagner de l'argent au moyen de
« la pratique »; les épices devaient suppléer à l'insuffisance des
appointements. Mais le nombre des affaires soumises à leur
juridiction allait sans cesse en diminuant depuis que les attri-
butions des intendants se multipliaient, et leurs revenus étaient
réduits par la volonté de Colbert qui leur faisait juger « som-
mairement et sans frais » la plupart des procès relatifs aux
impôts. Leur abaissement est manifesté par la diminution du
prix de leurs offices : telle charge d'élu qui valait 5 ou 6000 1.
en 1665 n'en vaut plus que 3 ou 4000 en 1680. En 1684, l'inten-
dant de Caen écrit : « Les officiers des élections ont si peu de
pratique pour les tailles que le revenu de leurs charges est
diminué d'un tiers depuis six ans* »; les élus de Lisieux en sont
réduits à demander l'autorisation de payer l'annuel en trois
paiements échelonnés chacun à un an d'intervalle : « nous
ne jouissons, disent-ils, que d'un quartier de nos gages qui
à peine pourra suffire pour paier chacun an les prests des
trois premières années et le droit annuel » ; ils sont tous
endettés6. En 1689, le contrôleur général sera obligé d'inviter
1. Par exemple dans l'élection de Rouen en 1665, le président, dont la charge
vaut 12 000 1., a 374 1. de gages; le greffier dont la charge vaut 15 000 1. n'a que
254 1. ; dans l'élection d'Arqués, le président reçoit 165 1. pour une charge de
10 000 1., etc. (Mémoire de Voysin, p. 219-223.)
2. A. D. S. Inf., C, 1167, f°' 165-6.
3. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des finances, 1661, f° 222.
4. L. du 10 juillet 168'i, A. N., G? 213.
5. L. du 3 février 168», ibid.
Cf. les plaintes des élus au début du ministère sur l'avilissement de leurs
LES ELUS. 129
les intendants à laisser aux élus plus de procès à juger,
pour que leurs charges ne s' « avilissent » pas complètement1.
Depuis très longtemps les ordonnances faisaient une obliga-
tion stricte aux élus de résider au siège de leur élection 2.
Par là on voulait non seulement assurer leur assiduité aux
séances, mais aussi permettre aux agents du roi qui avaient
besoin d'eux de les trouver aisément. Mais les élus préféraient
demeurer sur leurs terres ou dans leur ville d'origine, et la plu-
part ne résidaient pas. La seule peine édictée en pareille matière,
la privation de l'office, était d'application difficile, car elle
entraînait le remboursement de cet office. Le règlement de
janvier 1634 avait atténué la pénalité pour la rendre plus sen-
sible, en ne stipulant plus que la privation de l'exemption de
taille3, mais le désordre de la période mazarine avait empêché
l'exécution de cet article.
Un des premiers arrêts rendus par le Conseil des finances
réorganisé fut pour inviter les élus à résider. La suppression
de l'office, de nouveau prononcée en cas de non-résidence,
devenait plus facilement applicable par la réduction du nombre
des élus à laquelle on travaillait depuis le mois d'août précédent :
les élus conservés qui ne résideraient pas pouvaient être rem-
placés par des officiers supprimés \ L'obligation fut encore
rappelée par la déclaration du 29 décembre 1663, visant géné-
ralement tous les officiers des finances, des maréchaussées et
autres 5. Les procureurs du roi dans les cours des aides et les
élections étaient chargés de l'application : ils devaient fournir
un certificat de résidence, qui seul permettrait aux élus de tou-
cher leurs gages.
offices; ceux de Saintes écrivent encore en 1665 que leurs charges sont « depuis
quinze ans hors de tout commerce par leur villité et leur malheur ». (M. G., 130b",
f° 6'J5).
1. De Boislisle, Correspondance, t. II, n° 1076.
2. Par exemple ordonnance de 1483, art. 201 : « Les élus et greffier par nous
establir sur le fait de nos aydes et tailles es eslections de nostre royaume...
résideront et feront leur demeurance continuelle en la ville capitale et principal
siège de leur Election, sur peine de privation de leurs offices » (Guénois, Confé-
rence des Ordonnances, t. II, p. 1441), cf. édits de 1435, art. 268; de nov. 1508,
art. I (ibid.); let. pat. 30 juin 1517, début (G. d. T. I, 45-46), édit de mars 1600,
art. 14, etc. L'Assemblée des Notables de Normandie, en 1617, avait demandé que
l'on obligeât à la résidence les trésoriers de France et les élus. (Héron, Documents
concernant la Normandie extraits du Mercure de France, p. 82.)
des bourgeois des villes franches. (Cf. ci-dessous, ch. v.)
4. Arrêt du conseil du 29 octobre 1661, A. D. Galv., Bureau des Finances, Plu-
mitif 1662, f° 8 v°.
5. Ils devront aller « résider es lieux de leur établissement incontinent après la
publication des présentes, à faute de quoy ils seront privez de leur exemption et
de leurs gages et droicts, lesquels seront portez en notre espargne » ; les procu-
reurs du roi en chaque siège tiendront registre des officiers de leur compagnie
en indiquant s'ils résident ou non; ils en informeront les intendants et les bureaux
des Finances; les gages d'un officier ne pourront lui être payés que sur un cer-
tificat du procureur attestant qu'il réside effectivement. (C. d. T., I, 5'i7.)
LA TAILLE EN NORMANDIE.
ISO LA TAILLE EX NOIl M AM>1 1: .
Les intendants eurent ipéoUlem— I mission de surveiller l'exé-
cution de ces ordres; ils les rappelèrent aux intéressés dans leurs
ordonnances ou dans les mandements aux paroisses pour la levée
de la taille '. Leur correspondance avec le contrôleur général
nous fait connaître les résultats obtenus.
Dès 1667, la déclaration du 29 décembre 1663 est méconnue
dans la généralité de Caen; l'intendant doit la renouveler par
une ordonnance spéciale où il nous apprend que beaucoup d'élus
« abandonnent et négligent l'exercice de leur charge, qu'ils
ne considèrent que pour l'exemption de la taille, et résident
aux terres et fermes qu'ils font valloir en des paroisses de la
campagne esloignées du siège de leur jurisdiction, où les
audiences sont bien souvent abandonnées et tenues par un seul
officier qui juge les affaires contre les réglemens, selon son
caprice, à l'oppression des pauvres taillables qui n'ont le
moyen, et se consomment bien souvent en frais pour se pour-
veoir de ces sortes de jugements ». Les procureurs du roi négli-
gent d'envoyer les certificats de résidence, et les receveurs
payent les gages sans les exiger 2.
En 1685, un successeur de cet intendant écrit encore : « La
plus grande partie des élus de Carentan et de Mortain n'y
demeurent pas et ne viennent à la ville que le jour de la juris-
diction 3 ».
Dans la généralité de Rouen en 1682, l'intendant se déclare
impuissant à appliquer le règlement et demande un arrêt du
conseil « pour obliger les esleus de Montivilliers à résider au
siège de l'eslection *». Dans celle d'Alençon, l'intendant ne peut
rencontrer un seul élu au siège de Lisieux en août 1683 5.
En beaucoup d'élections, les officiers ont trouvé le moyen
d'exercer sans résider au chef-lieu : ils ont installé des « sièges
particuliers » dans les lieux où ils demeurent, et ils y pro-
noncent des sentences valables comme celles du siège principal.
Ils y ont été encouragés par les seigneurs des lieux qui ont vu
là, suivant un mémoire de 1666. un moyen de « s'authoriser » et
de « se rendre maistres » du pays*. Cette pratique, d'après le
même mémoire, est générale dans les grandes élections de Nor-
mandie; mais on la trouve aussi dans les petites comme Lyons7.
1. Principalement dans la généralité de Caen.
2. Ordonnance de l'intendant Chamillart, 9 septembre 1667, A. D. Calv., élec-
tion de Caen, registre d'ordonnances. 1664-74, f° 195.
3. L. au contrôleur général, 27 juillet. A. N., C 213.
4. L. du 2 janv. 1682, A. N., G' 491. Il accuse réception de l'arrêt le 8 janvier
5. Rapport du 1" sept. 1683, A. N., G7 71.
6. Mémoire anonyme adressé à Marin, publ. en appendice du Mémoire sur la géné-
ralité de Rouen, p. 274. Des « élections particulières • avaient été instituées autre-
fois par le gouvernement lui-même, mais différents édits les avaient supprimées.
7. L. de Leblanc à Colbert, 13 juin 1682 : « Quoyque l'eslection de Lyons n'ayt
que soixante-cinq ou six parroisses (en réalité 60), quelques esleus pour leur
commodité ont estably une espèce de siège à la Ferté-en-bray dont ils sont voi-
sins, où ils jugent les affaires des parroisses circonvoisines; dans le règlement
LES ELUS. 131
L'élection de Gisors détache régulièrement un de ses membres
à la châtellenie de Pontoise ; celle de Chaumont a un siège parti-
culier à Magny, celle des Andelys en a deux, à Gournay et à
Vernon; de même celle d'Alençon à Séez et à Moulins. Un élu
de Verneuil siège a Châteauneuf, distant de huit lieues *, etc.
Dans ces sièges isolés, il arrivait souvent qu'un seul élu pro-
nonçât les sentences : à Séez et à Moulins, « pour l'ordinaire, un
seul officier juge et quelquefois mesme le plus ancien advocat ».
L'élu de Châteauneuf n'a jamais vu un collègue à côté de lui
pour juger. Les injustices sont ainsi grandement facilitées. Si
les élus de Mortagne, dit l'intendant d'Alençon, n'avaient des
sièges particuliers à Bellême et a Nogent-le-Rotrou, « peut-estre,
ne feroient-ils pas bien des choses qu'il seroit bon d'empescher,
et ce qui me donne lieu de le croire c'est que ceux qui sont à
Bellesme en usent beaucoup mieux que les autres et se plaignent
mesme de la conduite de leurs confrères2 ».
Un tribunal d'élection comprend, outre les présidents, lieu-
tenant et élus, en nombre qui a été dit plus haut, un procureur
du roi, un greffier, des huissiers et des procureurs3. Le nombre
total de ces officiers, pour la Normandie, atteint le chiffre
de 421 en 1665.
Le tribunal 4 siège et délibère comme les Bureaux des finances ;
les juges doivent être présents au nombre de trois au moins pour
rendre des sentences valables5; les sentences doivent être pro-
noncées en l'audience ou en la chambre du conseil, les juges
en robe et en bonnet carré.
Ils connaissent en première instance de toutes les affaires
contentieuses qui concernent les aides, les tailles, le tabac, les
octrois des villes; ils informent des rébellions produites par la
levée de ces droits, enregistrent les baux des fermes, les titres de
noblesse et les provisions d'offices portant exemption d'impôts.
Leurs jugements sont sans appel pour toute cause n'excédant
pas 30 1.; pour les autres, l'appel a lieu exclusivement à la
Cour des aides de la province.
Le ou les présidents ont spécialement pour fonction d'« exa-
miner les comptes des collecteurs, faire les enquestes et audi-
tions de tesmoins, et taxer les dépens ». Le lieutenant doit
(jue tous ferez pour les tailles, il faudra s. v. p. retrancher ces sortes de siégea
et les réunir au bureau de l'eslection. » (B. N., fr. 8761, f° 55, v°.)
1. Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 130 et 158; rapport de l'intendant
d'Alençon, 1er septembre 1683, A. N., G" 71.
2. Rapport de l'intendant de Bouville, 1er septembre 1683, A. N., G7 71.
3. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 130.
4. Je ne fais que résumer ici le chap. vi de Vieuille, Traité des Elections, en
éliminant les règles établies postérieurement à 1683.
5. Les sentences inscrites au plumitif de l'élection de Falaise, en 1677, sont géné-
ralement signées par deux élus seulement, rarement par trois, jamais par un plus
grand nombre.
132 LA TAILLE EN NORMANDIE.
« instruire tous les procès criminels [et] tenir le sceau de
l'eslection ». Un des élus est assesseur du président1.
C'est surtout à la fin de sa vie que Colbert, obligé de con-
server les élus, se préoccupa de les soumettre aux règlements
pour tirer d'eux quelque utilité. Dans sa circulaire aux inten-
dants du 14 mai 1682, il écrit :
« Sa Majesté a à présent une très grande application pour régler si
bien l'imposition et la collecte des tailles, que ses sujets en soyent
considérablement soulagés;... le principal de cette fonction consiste
à observer de près la conduite des élus, pour la réduire autant qu'il
sera possible dans l'ordre et dans les règles, et les obliger de rendre
la justice sur cette matière conformément aux édits, ordonnances,
règlements et arrests de Sa Majesté. Elle veut que vous vous appli-
quiez avec un très grand soin à bien examiner la conduite de ces
officiers, en examinant mesmes les registres de leurs greffes pour
voir si les sentences qu'ils rendent sont conformes à ces édits, ordon-
nances et arrests, et au cas que vous trouviez quelque abus considé-
rable, soit à l'égard du corps de l'élection, soit à l'égard de quelques-
uns des officiers, que vous l'en informiez, afin qu'Elle puisse y apporter
le remède convenable, soit en les interdisant, soit en les obligeant de
se défaire de leur charge, ou par tel autre peine qu'Elle estimera
capable de parvenir à la fin qu'elle se propose 2. »
Quelques jours après, il envoie a l'intendant d'Amiens la
collection des arrêts rendus depuis deux ou trois ans contre
les élus qui ont été trouvés en faute : faites-les voir aux officiers
de votre généralité, dit-il, pour les convaincre « qu'avec un
maistre aussy esclairé et aussy appliqué au bien de ses sujets
que le nostre, il n'y a point d'autre party a prendre que de bien
faire son devoir, chacun dans Testât ou il luy plaist de nous
mettre ' ».
L'année suivante, il reçoit de l'intendant de Lyon un mémoire
qui lui prouve que les élus de la généralité ont une façon de
juger à eux, entièrement étrangère aux ordonnances royales.
Appliquez-vous, lui répond-il le 24 février, « a rendre la juris-
prudence des élus conforme aux édits, déclarations et règlements
donnés sur le fait des tailles, et qui sont enregistrés à la. Cour
des aydes de Paris, et a empescher que ces officiers ne conti-
nuent dans l'usage de se faire une jurisprudence particulière
dont la suite ne peut estre que très pernicieuse aux sujets du
roy et avantageuse à ces élus... Le roy m'ordonne donc sur ce
point de vous dire que Sa Majesté veut que vous déclariez aux
élus que s'ils se départent de 1 exécution des édits, déclarations
1. Voir le tableau des offices de lu généralité de Rouen en 1605 dans le Mémoire
de Voysin de la Noiraye, p. 220-223; ceux des autres généralités se trouvent aux
ms. Cinq cents Colbert, 259-260.
2. Clém. II, 186.
3. Ibid., 190.
LES CHEVAUCHÉES DES ELUS. 133
et règlements donnés par Sa Majesté. Elle n'hésitera pas à les
supprimer tous, pour establir d'autres officiers qui seront plus
obeissans a ses ordres et qui scauront mieux exécuter ses
volontés portées par ses édits et règlements '. » Mais six
mois après, Colbert mourait, et ses successeurs abandonnaient
l'œuvre entreprise par Sa Majesté.
III. — LES CHEVAUCHEES DES ELUS
Tous les règlements prescrivaient aux élus de faire chaque
année des chevauchées dans leur élection, pour « s'informer
bien particulièrement des moyens et facultez des habitans, de
l'abondance ou stérilité de l'année, du nombre des charues et
trafic qui se fait esdites paroisses, ensemble de toutes les autres
commoditez et incommoditez qui les peuvent rendre riches ou
pauvres, comme aussi des noms des exempts et de la cause de
leurs exemptions, pour connoitre si aucun d'eux s'attribue
induement ladite qualité;... voir s'il y a de l'inégalité es taxes
des particuliers habitans, soit en excès ou diminution 2. » Il leur
était interdit de « faire leurs chevauchées deux années consécu-
tives en même paroisse, ains seront tenus de changer de dépar-
tement par chacun an sans pouvoir choisir les paroisses qu'ils
auront une fois eues en département qu'ils n'ayent été en toutes
les paroisses de leur élection3 ».
En Normandie, où les paroisses sont groupées en sergenteries,
chaque élu reçoit une ou plusieurs sergenteries pour sa part; il
doit se rendre dans chaque localité « incontinent après la
récolte », y interroger les principaux habitants, les collecteurs,
les marguilliers et les syndics, s'informer de l'état des récoltes
et généralement de tout ce qui peut servir de base à la répar-
tition de l'impôt. Son procès-verbal doit être déposé au greffe
de l'élection4 avant le mois d'octobre, sous peine de privation
de ses gages5; en aucun cas les gages ne peuvent lui être payés
sans la présentation du procès-verbal 6.
Ces prescriptions accumulées par une législation de plus de
deux siècles montrent l'importance qu'on attachait à ces che-
vauchées. Dans une déclaration de juin 1517 le roi disait que
par la négligence des élus à les faire, il « est advenu et jour-
1. Clém.'VIf, 280.
2. Edit de mars 1600, Art. 3 et 4. Cf. Lubarre, Formulaire, et Vieuille, p. 84-5.
3. Art. 43. Toutes ces règles seront reprises par l'art. 32 de la déclaration du
16 avril 1643, mais celle-ci ne sera pas appliquée en Normandie; les règlements
particuliers aux élections ajoutent quelques détails à cette disposition générale.
4. Cf. les édits d'août 1452, art. 16, juin 1517, art. 4, février 1552, art. 1, jan-
vier 1597, art. 20, janvier 1634, art. 43, avril 1643, art. 32, etc.
5. Décl. du 16 avril 1643, art. 32.
6. G. d. T., I, p. 547.
134 LA. TAii.i.r. in \«»iim vm.ii:.
nellement .uhinit qu'en faisant par eux t'aMMtte et département
de nosdites tailles ils ne scavent par où en prendre et foulent
ceux qu'ils devroient soulager et en ostent où il en faudrait
mettre, tellement qu'égalité n'est gardée esdites assiettes1 ».
M fine après qu'aux élus on eut adjoint l'intendant et les
trésoriers de France, ces chevauchées conservèrent leur impor-
tance, car personne ne pouvait mieux que les élus prendre une
connaissance détaillée des ressources de toutes les paroisses.
L'intendant d'Alençon, de Marie l'a expliqué après une tournée
dans sa généralité où il était récemment arrivé :
« J'ay pris quelques mémoires dans la province dont j'ay faict deux
fois le tour, mais je ne me flatte pas assez pour croire qu'en huict
mois j'en puisse avoir appris autant que tous les esleux ensemble,
dispersez en différentes eslections et dans différentes paroisses, des-
quelles leur bien particulier [leur] donne des connoissances et des
lumières plus asseurées; je puis tousjours vous dire que la pensée de
faire grâce et de déférer à la recommandation n'entrera point dans
mon esprit 2. »
La difficulté était la même pour les trésoriers généraux, qui
d'ailleurs négligeaient complètement leurs fonctions.
Les intendants auraient voulu trouver dans les élus des auxi-
liaires utiles. Maintes fois ils les engagèrent à faire soigneuse-
ment leurs chevauchées pour les renseigner sur le détail de
tout; Barin de la Galissonnière écrit à Colbert le 5 juin 1664 :
« J'ay dict aux esleus de ceste eslection d'aler faire leurs visites,
et je leur donneray une ample instruction, afin qu'au premier
département on puisse esgaler la taille avec plus de justice3 ».
Des circulaires leur furent adressées, des recommandations
inscrites dans les commissions et dans les règlements. Mais on
ne put guère obtenir d'eux. Beaucoup s'abstinrent complète-
ment de faire des chevauchées. Pescheur écrit à Colbert en 1665
que « les esleuz ne font plus de chevauchées parce que le quart
aes droitz qui leur reste n'est pas suffisant pour les fraiz de leurs
voyages*». En 1685, l'intendant de Bordeaux écrit que dans sa
généralité les élus « se dispensent de faire leurs chevauchées
et ne veulent marcher et faire de procès-verbaux qu'autant qu'ils
sont payés6 ». Souvent leurs gages sont suspendus par les
Bureaux des finances parce qu'ils n'ont pas remis de procès-
verbaux; lorsqu'ils font leur inspection, ils s'en acquittent
comme d'une corvée; ils la considèrent comme une simple for-
malité pour être payés.
1. C. d., T. I, 47.
2. L. ù Colbert, Alençon, 30 sept. 1666. M. C. 140, (° 512. Il était arrivé dans la
généralité le 11 janvier précédent.
3. M. C, 121, f> 208.
4. M. C. 33, F 293.
5. De Boislisle, Correspondance, t. I, n° 203, cf. n° 561.
LES CHEVAUCHEES DES ELUS. 135
Je n'ai trouvé que quatre procès-verbaux de chevauchées :
deux de l'élection de Caen datés de 1661, et deux de Lisieux,
datés de 1683 et 1684. Les questions posées aux habitants des
paroisses sont à peu près les mêmes partout; voici par exemple
celles de l'élu de Lisieux en 1684 :
Qui sont les seigneurs et patrons d'icelles parroisses. Combien il y
a de fiefs, de quelle qualité y sont, à qui ils appartiennent et de quelles
personnes et fiefs ils relèvent1.
Les noms et surnoms de ceux qui usurpent la qualité de noble et qui
autrement s'exemptent des contributions aux tailles.
Sy les gentilshommes ne dérogent point, comme prenant dixme à
ferme soubs leurs noms ou soubz noms empruntez ou autres vaccations
et arts mécaniques.
Les noms de ceux qui se font imposer à des sommes moindres que
celles qu'ils doibvent porter, quels biens ils possèdent et combien ils
payent.
S'il ne s'est point levé d'autres deniers que ceux ordonnez.
S'ils ont plainte a faire contre les receveurs et huissiers.
Et généralement quelles personnes sont décédez depuis le 1er octobre
de l'année dernière, et combien ils payoient de taille2.
Partout les réponses des habitants à ces questions sont
vagues; elles se ramènent en général à déclarer qu'ils n'ont à
se plaindre de rien : dans toutes les paroisses de la sergenterie
d'Evrecy3, en 1661, les contribuables répondent qu'« il n'y a
aucun digne de contribution qui ne soit imposé ny qui usurpe
le titre de noble, d'exempt ou privilégié, lesdits taillables ne
sont oppressez par aucune personne et ne se plaignent de
surassis, de sergeant, ny marchant de namps4 »; cependant
nous savons d'autre part que ces paroisses étaient misérables
parce que les bourgeois de Caen en possédaient la plupart des
terres sans y payer la taille; elles devaient des arriérés d'impôt
considérables et venaient d'être rançonnées par le receveur
Hallot, dont le procès était en instance au Bureau des Finances.
L'optimisme du procès-verbal ne peut donc pas être pris à la
lettre. Il est douteux d'ailleurs que les élus dans leurs chevau-
chées se fussent transportés réellement dans chaque paroisse :
le président de l'élection de Lisieux déclare même dans son
procès-verbal qu'il s'est tenu « dans la chambre du conseil de
l'élection » ; l'élu qui visite la sergenterie d'Evrecy fait son
travail dans une seule journée d'après son procès-verbal, or
il lui était matériellement impossible de se transporter en si
1. Cette question est posée parce que les élus prétendent avoir connaissance en
première instance des affaires concernant la noblesse, lesquelles sont jugées par
appel à la Cour des Aides. (V. ci-dessous, ch. v, la recherche de la noblesse.)
*-i. Procès-verbal de la chevauchée d'Antoine Tynan, premier président en
l'Election de Lisieux, du 16 sept. 168'», A. D. Galv., C, Election de Lisieux.
3. Election de Caen.
4. A. D., Calv. Election de Caen. Namps désigne les objets mobiliers.
136 LA TAILLB EN NOll.MAXDIE.
peu de temps dans les 19 paroisses de la circonscription.
Non seulement ces rapports étaient peu soignés, mais ils
étaient encore partiaux, ainsi que le l'ait observer l'intendant
Auber dans son mémoire sur la taille, écrit en 1721 : « Les
officiera des élections font annuellement leurs visites dans les
villages pour en connoitre la force et la portée. Mais ces offi-
ciers, outre l'intérêt particulier qu'ils ont les uns et les autres
de favoriser respectivement les paroisses dans lesquelles ils ont
des fermiers, des parens ou des amis, afin qu'ils soient aussi
respectivement favorisez par les collecteurs de ces paroisses, et
3ue ces officiers se trouvent d'ailleurs par divers motifs engagez
'avoir de la complaisance pour les grands seigneurs et per-
sonnes d'autorité ayants des biens et des fermiers dans ces
paroisses, les receveurs des tailles ont encore leurs vues parti-
culières. Ainsi, tous de concert ils composent des états peu
fidèles de la force et portée de chacune paroisse, qu'ils repré-
sentent à messieurs les intendans, lorsqu'ils font le département
des tailles; et comme il est impossible à ces messieurs d'exa-
miner si ces états sont vrays ou faux, ils ne peuvent mieux faire
que de s'y conformer; et s'ils y apportent quelque changement,
ce n'est souvent qu'à la prière et recommandation des personnes
qui ont leur intérêt personnel de ne leur pas dire la vérité. C'est
ainsi que l'imposition de la taille est faite annuellement sur les
paroisses '. »
IV. — LA COMMISSION DE RÉPARTITION
Elus, trésoriers généraux, intendant, doivent se réunir, dès
3ue les attaches sont expédiées aux élections, pour faire le
épartement de la taille entre les paroisses; ils s'adjoignent
les receveurs, à titre consultatif2. Tous forment une commis-
sion,, où chacun apporte les renseignements qu'il a recueillis
de son côté.
1. A. N., AD 470, pièce 98, p. 11.
2. C'est par exception que 1 on voit en 1662 un commissaire des guerres, Car-
tier, < travailler avec M. Dugué au département des tailles de la généralité de
Caen ». L. du 29 novembre 1661, D. G. 170, f° 326.
Antérieurement à notre époque on trouve l'intervention de personnages autres
que les officiers du roi dans les départements : en 1616, les échevins de
Rouen sont autorisés A assister au département des tailles de l'élection de Rouen.
(De Beaurepaire, Cahiers des états... règne de Louis XIII... t. I, p. 140 et 306.) En
1569, les états de la province demandent « que pour l'avenir les délégués de cha-
cun bailliage soyent appelez nu département des tailles de chacune des parroisses
desdites eslections, sans que les esluz contraignent lesdits déléguez desamparer
le conclave » qu'ils y nient voix délibérative etsignent le département. Le roi le leur
accorde. (De Beaurepaire, Cahiers... de Charles IX, t. I, p. 55.) Les États eux-mêmes
avaient l'habitude de déléguer un de leurs membres au département; un arrêt
du conseil du 27 juillet lftSs le leur interdit. (De Beaurepaire, Cahiers... règne de
Louis XIII, t. III, p. 28.) Néanmoins en novembre 16'j3 les États disent dans leur
cahier : « il s'est pratiqué de tous temps que le député du tiers état assiste au
LA COMMISSION DE REPARTITION. 137
Les élus font de droit partie de cette commission. L'insuffisance
de leurs chevauchées réduit leur rôle à peu de chose : l'inten-
dant Lallemant de Lévignen l'explique en 1732 dans ses Obser-
vations sur la taille : « Les officiers des élections, peu versez pour
la pluspart dans leurs fonctions, ne contribuent pas à prévenir/
les inconvéniens de l'inégalité de la répartition de la taille;/
beaucoup viennent de quitter la campagne où ils ont laissé leurs \
biens et leurs familles, ce qui leur fait faire de vives remon-
trances lors des départemens sur les parroisses qu'ils affec-
tionnent, dans l'idée qu'ils ont de soulager leurs proches, et l'on
ne voit ces officiers éloquants qu'à leur occasion, ignorant l'état
des autres parroisses, ou bien s'ils sçavent les facultez de
quelques-unes, ils les cachent lorsqu'ils les croyent meilleures,
étant pour la pluspart juges des seigneurs qui les possèdent. Les
intendants, qui connoissent cet abus, doivent se tenir sur leurs
gardes, et comme leur voix est prépondérante, et que leur appli-
cation doit être à la connoissance des paroisses de leur dépar-
tement ils peuvent prévenir les remontrances peu fidelles qui
leur sont faites1. »
Les trésoriers n'ont pas régulièrement le droit d'assister
au département; aucune ordonnance ne le leur a reconnu2
après 1653, et les commissions des tailles se bornent à leur
prescrire « d'expédier sur icelles leurs attaches », en réservant
à l'intendant et aux élus le soin de « procéder à l'assiette et
au département ». Ils sont convoqués par des lettres de cachet
spéciales, renouvelées chaque année, leur enjoignant de seconder
l'intendant « en ce qui dépend de leur charge3 ». Le nombre
des trésoriers ainsi désignés était normalement, en Normandie,
de deux par généralité; par exception, à Rouen, en 1671,
1672, 1676, il n'y en a qu'un; à Caen, en 1664, on en trouve
quatre 4.
département de la taille, » et ils demandent que ce délégué soit appelé à donner
son avis dans l'opération. (Ibid.t t. III, p. 116.) Le greffier des îjtats note que cet
article était « aux fins d'empescher l'autorité des esleus qui taxent quelquefois le
contribuable à telle somme qu'il leur plaist ». (Ibid., p. 300.)
1. B N., fr. 7771, f° 177.
2. Cf. les arrêts du Conseil des 29 janvier 1660 et 28 mai 1661, prescrivant
que les mandements aux paroisses pour la levée de la taille seraient « intitulez
du nom du commissaire départi en la généralité, et des présidens, lieutenans
et élus » ; ils ne faisaient pas mention des trésoriers généraux. L'arrêt du
conseil du 25 août 1663 prescrit que les départements des tailles soient faits
en 1664 et 65 par les intendants et les élus, il ne parle pas davantnge des
trésoriers de France. Le mémoire de l'intendant de Rouen en 1699 sur l'état de
la généralité porte encore que la taille « est ordinairement répartie sur chaque
paroisse par l'intendant avec les élus, conformément aux commissions de S. M. »
(B. N. fr. 4 286, f° 26).
3. Au début, il arriva que les trésoriers de France suppléaient l'intendant
empêché. Voysin de la Noiraye, intendant de Rouen, écrit à Colbert le 7 octobre 1664 :
« Je croys que je les pouray achever [les départements] sans estre obligé d'en
remettre le soing pour aucune des élections a quelques officiers du Bureau,
comme vous aviés eu la bonté de me le permettre. » (M. C, 124, fol. 109.)
4. En 1684, l'intendant d'Alençon ne prend avec lui qu'un trésorier de France,
sur l'ordre du contrôleur général (L. du 18 octobre 1684, A. N. G7 71). L'inten-
138 Ci TAII.I.i: Ri MHlMAMUi:.
Jusqu'en 1 ( >( >T>. les lettres de cachet en blanc étaient adressées
aux Bureaux des finances1 qui y inscrivaient eux-mêmes les
noms de leurs membres qu'ils avaient choisis2. Dans la suite.
elles furent adressées aux intendants. Cette innovation ne fut
MM sans mécontenter les trésoriers généraux : ceux d'Alençon
écrivaient à Colbert, le 12 octobre 1665 : « Le sieur Chouet
nostre confrère nous a rapporté... que vous nous avez faict la
grâce d'accorder deux lettres de cachet à deux de nous pour
assister aux départemens des tailles dans les eslections ainsy
qu'il s'est pratiqué par le passé, et comme nous espérions les
recevoir, nous avons apris que M. du Boullay a envoyé advertir
deux de nos confrères ses particuliers amis de se trouver à Ver-
neuil pour assister aux départemens, et qu'il avoit reçu des
lettres de cachet du Roy pour ce sujet3 ». Mais ils n'osaient
exprimer plus que de la surprise, et leur protestation demeura
inutile. Néanmoins le changement leur causait un si grand
dommage qu'un historien de leurs fonctions a fait dater de là
leur « anéantissement » : « Le dernier coup porté au pouvoir
des trésoriers généraux, dit-il, a été l'augmentation d'autorité
attribuée aux intendants, qui, gênés par ce reste d'influence
incommode, ne tardèrent pas à se débarrasser [des trésoriers]
et finirent par éclipser les uns et les autres en les réduisant
à la simple voix consultative. Ils firent plus : ils obtinrent
que le choix des trésoriers assistant passivement aux départe-
mens fût enlevé aux Bureaux des Finances, de sorte que ce
n'est plus en qualité de généraux des finances, mais de simples
commissaires du Conseil, désignés même par les intendans,
qu'on voit aujourd'hui des trésoriers de France paraître à
l'assiette des impositions4 ».
dant de Bourges écrit dans son Mémoire de 1698, que dans sa généralité « il
n'est point d'usage qu'un trésorier de France assiste au département de la taille ».
Dans celle de Montauban, il en est de même; le Bureau des Finances écrit à Col-
bert le 7 mars 16'ï3 qu'il ignore l'imposition des paroisses de la généralité parce
que l'intendant n'a fait le département qu'avec les élus. (M. C. 115, f 151.) On ne
peut pas conclure à l'absence des trésoriers de France du fait qu'ils ne sont
pas mentionnés dans les procès verbaux de département ni dans les mandements
aux paroisses, puisqu'ils n'avaient que voix consultative dans l'opération.
1. Voici une de ces lettres, adressée à chacun des sieurs de Banneville et Chasot,
trésoriers de France à Caen :
« De par le Roy,
« Nostre amé et féal, désirant que vous travailliez aux départemens des tailles
de la généralité de Caen pour 1 année prochaine 1671, avec le sieur de Chamil-
lart, conseiller en nostre conseil, maistre des requestes ordinaires de nostre
hostel, commissaire par nous departy en ladite généralité, nous vous ordonnons
d'assister audit département et faire ce qui dépendra de l'auctorité de vostre
charge pour le bien de nostre service, ne faisant rien toutefois que de concert
avec ledit sieur de Chamillart. A quoy ne faictes faute, car tel est nostre plaisir.
Donné n Saint-Germain-en-Laye le quinzième jour de septembre 1670, Louis,
Phelypeaux. » (A. D. Calv., Plumitif du Bureau des Finances, 19 sept. 1670.)
2. Cf. par exemple A. D. Calvados, Plumitif du Bureau des Finances, à la date
du 31 oct. I»ifi3.
3. M. C. 132, f° 389.
i*. Poittevin de Maissemy, Mémoire sur les fonctions des trésoriers généraux
LA COMMISSION DE REPARTITION. 139
Les trésoriers généraux ainsi désignés recevaient une indem-
nité spéciale dont le montant n'était pas fixe. En 1664, l'inten-
dant de Rouen demande « une bonne gratification » pour les
deux trésoriers qui l'ont aidé avec zèle au département1. Dans
la généralité d'Alençon, cette indemnité fut ordinairement de
1200 t. ; mais à partir de 1674 elle ne fut plus régulièrement
payée; les trésoriers généraux en réclamaient encore le paie-
ment en 1684; nous ne savons s'ils l'obtinrent2. Dans cette même
généralité il était d'usage que l'indemnité fût partagée entre
tous les membres du Bureau, qu'ils eussent ou non travaillé;
l'intendant trouvait, du reste, cet usage mauvais : « Il me paroist,
écrivait-il en 1684, que le roy seroit servi avec plus d'exactitude
et mesme qu'il y auroit plus de justice que ceux qui font le ser-
vice profitassent de leur travail que ceux qui demeurent dans
leur maison3 ». Dans les deux autres généralités, l'indemnité
était attribuée à ceux qui l'avaient gagnée.
Les receveurs généraux et particuliers des tailles n'ont aucun
droit à assister au département, et, à la différence des trésoriers,
n'y sont pas convoqués par lettre de cachet; un simple billet
de l'intendant les invite à venir donner leur avis; ils n'ont pas
voix délibérative4. Colbert explique l'utilité de leur avis dans
une lettre à l'intendant de Bordeaux du 5 octobre 1674 : c'est
« afin que, ne faisant rien que de concert avec eux, ils puissent faire
leurs recouvremens sans non-valeurs et par ce moyen estre en estât
de faire leurs payemens au trésor royal, et mesme les avances qu'il
est nécessaire de tirer d'eux pour le service du roy s. »
L'intendant d'Aube explique également :
« Ce sont eux qui font le recouvrement et qui, par conséquent, peu-
vent saisir divers moyens de discerner si l'exactitude ou le retardement
viennent ou de la charge plus ou moins forte des communautés ou de
la répartition bien ou mal faite par les collecteurs, ou seulement du
plus ou moins de vigilance desdits collecteurs; le compte qu'ils
peuvent en rendre peut ou éclairer suffisamment l'intendant ou le
mettre en état d'acquérir par la suite des éclaircissements complets 6. »
L'usage est de consulter non seulement les receveurs en
exercice l'année à venir, mais aussi ceux qui ont fait la recette
les années précédentes. En 1672, l'intendant d'Alençon appelle
(1780) publ. dans Vignon, Études historiques sur les voies publiques, t. I, pièces
justificatives, p. 35.
1. L. du 23 décembre 1664, M. C. 12P f° 577; les deux intéressés en sont du
reste encore à la réclamer le 30 décembre 1665. (M. C. 134bl% f° 840.)
2. L. de l'intendant au contrôleur général,. 8 mai 1684, A. N. G7 71.
3. L. du 18 oct., A. N. G^ 71.
4. La formule des procès verbaux de département porte que ces actes sont
dressés par l'intendant « avec » les élus et « en présence » du receveur.
5. Glém. II, 352, cf. let. à l'intendant de Tours, 2 nov. 1674, ibid., p. 357.
6. B. N. fr. 21 812, p. 57-8.
140 LA TAILLE EN NORMANDIE.
avec les receveurs des tailles, les deux receveurs généraux et
leurs commis, et en outre, pour l'élection de Mortagne, « un
commis à la recepte des tailles, nommé Rouillon, qui peut en
avoir cognoissance' ». Les receveurs attachaient un grand prix
à cette désignation, parce quelle leur permettait de défendre
leurs intérêts. L'intendant de Rouen décrit dans une lettre du
10 septembre 1682 2 comment il procède habituellement avec
eux : « J'escrivis, en recevant les commissions des tailles, aux
receveurs particuliers de faire leurs projets, et à M. Aubry,
receveur général, de se rendre icy; il m'a mandé que dez qu'il
auroit receu vos ordres et signé son prest, qu'il partirait3 ».
L'intendant préside la commission \ Il domine tous les autres
officiers, par sa qualité éminente, par l'appui que lui donne
le Conseil, par les faveurs qu'il dispense. Les élus, qui seuls
ont qualité pour délibérer avec lui, lui sont expressément
subordonnés par les ordonnances qui lui donnent voix pré-
f>ondérante. C'est lui qui choisit les trésoriers, et fait payer
eur gratification; il est libre de consulter ou non les receveurs,
et n'est tenu de suivre l'avis de personne. Il est vraiment le
maître.
Cependant, il ne peut tout faire par lui-même : il n'a pu,
dans ses chevauchées, visiter toutes les paroisses, à beaucoup
près; personnage étranger au pays, homme de loi qui, avant
son entrée en fonctions, n'a guère vécu qu'à Paris, il ne peut
savoir en détail les ressources d'une région. Force lui est de
s'en rapporter à ses subordonnés. Mais ceux-ci, mieux en état
de tout approfondir, travaillent mal et sont suspects; l'inten-
dant ne doit pas les croire sur parole. Richer d'Aube l'explique
clairement au jeune homme qu'il veut former : les élus, dit-il,
ont trop « de crainte, de haine ou d'affection » et d' « intérêt
personnel » pour qu'on s'en rapporte à eux; c'est précisément
pour empêcher leurs injustices que les intendants on été chargés
de ce travail. Les trésoriers généraux ont pareillement montré
leur partialité : « c'est parce qu'on a découvert que, quand les
trésoriers de France avoient la principale influence sur les
départemens, la taille n'étoit pas assez bien départie, qu'on a
mis au-dessus d'eux les intendans, qui, revestus d'une plus
grande autorité, et plus à portée d'obtenir du roy tous les
secours nécessaires pour parvenir à faire d'assez justes dépar-
1. Lettre du 31 octobre 1672, M. C. 162, f° 192.
2. En septembre 1672, le receveur général de Rouen prie Colbert • de donner
ordre à M. de Creil [l'intendant] de ne pus travailler au département qu'il ne soit
près de luy . (Clnirnmb. 793, p. 151).
3. L. à Colbert B. N., fr. 8 761, f° 67, il presse en conséquence Colbert d'envoyer
ses ordres au receveur général.
4. On a vu plus haut, p. 45, comment leur pouvoir s'était établi. Il fut con-
firmé, en ce qui concerne le département, par l'arrêt du Conseil du 25 août 1663
et le règlement d'août 1664.
LA COMMISSION DE REPARTITION. 141
/
temens, sont présumés devoir les faire mieux qu'eux. Les tré-
soriers de France n'ont plus aucun moyen d'acquérir la connois-
sance de la force des communautés : il n'y auroit pas de justice
à ce que leurs suffrages pussent balancer ceux des intendans,
faits pour tout approfondir1 ». A l'égard des receveurs, la même
méfiance est nécessaire : « Il ne conviendroit ny par raport à
leur qualité de comptables, ny en esgard à l'intérest personnel,
qui pourroit leur faire désirer aveuglément que les commu-
nautés les plus exactes à payer la taille fussent les plus char-
gées, qu'ils eussent influence sur le département autrement que
par la persuasion résultant des représentations bien appuyées
qu'ils peuvent faire2 ». Conclusion : « le projet de distribution
de la taille que les officiers assistant à des départemens pré-
senteront ne devra estre suivy qu'autant que ce qu'il y sera pro-
posé pour chaque communauté se trouvera solidement apuyé 3 ».
C'est à la même conclusion qu'un autre intendant, Lallemant
de Levignen, aboutit : « Ce qui arrive de la part des seigneurs
et des officiers des élections [au département] n'est pas moins
commun du côté des receveurs des tailles pour leurs fermiers
ou ceux de leurs amis par l'espérance que les collecteurs forment
qu'ils leur donneront du tems et les épargneront dans les
frais4 ». Colbert recommandait lui-même la méfiance aux inten-
dants comme un devoir professionnel : il ne faut pas, dit-il,
trop « autoriser » les trésoriers généraux; gardez-vous de tou-
jours suivre les avis des élus, afin de faire « connoistre aux
peuples qu'ils ne sont pas les maistres de l'imposition5 ». Après
lui, le contrôleur général Le Pelletier conseillera à l'intendant
d'Auvergne de se faire informer « par quelques personnes sûres
et fidèles », sans leur donner une mission publique : des agents
d'information secrets et non contrôlés lui paraissent encore
préférables aux agents réguliers du gouvernement. Le dépar-
tement fait par de tels moyens ne pouvait être que médiocre.
1. B. N. fr. 21 812, p. 60-61. Cf. une lettre de l'évêque de Saintes, du 18 mai 1664 :
les élus « n'advertissent pas comme ils devroient MM. les intendans de la force
des parroisses » (Depping, III, 67).
2. B. N. fr. 21812, p. 58. Cf. également sur ce point le mémoire rédigé pour l'in-
tendant Orsay : « Pour se rendre nécessaires d'année en autre, ils ménagent
beaucoup de changemens dans leurs élections en sorte que bien souvent ils deman-
dent en une année des diminutions considérables pour des paroisses qu'il sup-
pose misérables, et dans l'année suivante il tâche de les faire augmenter disant
qu'elles sont très bonnes. » (B. N. fr. 11 096, f° 33) et Boisguilbert, Détail de la
France : « Aux départemens les receveurs sont assez les maîtres sous prétexte
qu'ils sont garants du recouvrement » (éd. Daire, p. 177).
3. Ibid., p. 69.
4. B. N. fr. 7 771, f° 177. L'intendant de Caen écrivait dans le même sens, le
23 novembre 1688, au sujet des taxes d'office qui étaient « très difficiles en ce
pais-cy, et particulièrement faute d'avoir des mémoires bien exacts et bien
fidelles ». A. N. G1 213. Cf. le mémoire d'Auber, ci-dessus, p. 136.
5. L. du 8 nov. 1681, Clém. II, 171.
lit LA TAILLE EN XOH.MÀN 1)1 1. .
V. — LA REUNION DE LA COMMISSION
Il appartenait à l'intendant de convoquer la commission, et
de fixer le jour de la réunion; le lieu était désigné par les
règlements.
Au temps où les élus opéraient seuls, ce lieu était obliga-
toirement la salle des séances de l'élection; il était surtout
défendu aux officiers de se réunir dans un domicile privé1.
L'arrêt du conseil du 22 août 1642 laissait aux intendants la
faculté d'assembler la commission soit en leur hôtel, soit au
bureau de l'élection 2. Cette liberté leur fut conservée par les
règlements postérieurs; toutefois les commissions des tailles
conservèrent pendant toute l'époque de Colbert la formule
ancienne suivant laquelle le département devait être fait au
bureau de l'élection et non ailleurs3, et Colbert recommanda aux
intendants de se conformer autant que possible à cette pres-
cription : « Vous avez bien fait, écrit-il à celui de Tours le
2 novembre 1674, de faire les départements à Tours parce que
vous étiez malade, mais aussitost que vous serez en santé, il n'y
a rien qui soit plus nécessaire que de vous transporter vous
mesme sur les lieux, de faire le département des tailles dans
ceux où il n'a pas encore été fait et de bien examiner tous les
désordres qui s'y rencontrent; c'est ce que je ne puis assez vous
recommander* ». Dans sa circulaire du 1er septembre 1670, il
prescrit à ses subordonnés d'aller « dans toutes les élections
pour faire les départemens 5 ». Ce fut tout à fait par exception
que les intendants de Normandie firent le département à leur
domicile; je n'en ai trouvé que deux cas, tous deux dans la
généralité de Rouen, en 1670 et en 1683 6.
Les mêmes raisons qui faisaient presser l'expédition des com-
missions obligeaient à avancer le plus possible la date du dépar-
tement. Les anciens règlements de mars 1600 et octobre 1613
obligeaient les élus à opérer dans la quinzaine qui suivait la
réception des commissions7; mais ils étaient tombés en désué-
1. Lnbarre, Formulaire, p. 43.
2. Art. 3, Néron, Recueil, t. II, p. 674; reproduit dans l'art. 4 de la déclaration
du 16 avril 1643. (C. d. T., I, 374.)
3. Cf. Vieuille, p. 93.
4. Clcm. II, 357. Cf. Lettre de l'intendant de Champagne à Colbert 21 octobre
166C : étant tombé malade à Sézanne. il lui demande lu permission de faire
venir les élus près de lui pour le département « uinsv que cella s'est pratiqué
souvent .. (M. C. 141bU, F 5/4.)
5. Clém. II, 72.
6. Lettre de Barin de la Gulissonnière, 10 nov. 1670 : il opère ainsi « pour
accélérer le département ». (M. C. 155, P 361.) L. de Méliand des 25 et 27 octobre
1683, A. N. Gi 4<J2 : cas de maladie.
7. Vieuille, p. 86.
LA REUNION DE LA COMMISSION. 143
tude et à l'époque de Mazarin les intendants eux-mêmes retar-
daient le plus possible la répartition pour permettre aux trai-
tants de mieux recouvrer les impôts arriérés. La première année
où Colbert s'occupa de la taille, il prescrivit la plus grande
diligence possible à ses subordonnés : la lettre de cachet du
12 décembre 1662 faisait observer aux Bureaux des finances
que les commissions étaient expédiées plus tôt qu'auparavant
pour que l'intendant « puisse avoir le temps de travailler aux
départemens des eslections pour connoistre Testât de chacune
parroisse et soulager celles qui en auront le plus besoin1 ».
Les années suivantes, il fit souvent la même recommandation
aux intendants, les blâmant quand ils tardaient, les obligeant
à commencer au reçu des commissions, et à terminer dans le
plus bref délai possible2. Toutefois les intendants ne pouvaient
se mettre au travail avant le mois de septembre, car ils ne pou-
vaient connaître plus tôt le résultat des récoltes et les transla-
tions de domiciles3.
En Normandie, les départements furent d'abord commencés
assez tard dans l'année : malgré la lettre de cachet royale, ils
ne furent faits qu'à la fin de novembre dans la généralité de
Caen en 1663 4. Mais en 1664, un changement survint : dès le
début de septembre, les trois intendants se mettaient au travail;
celui de Rouen écrit le 7 qu'il attend avec impatience les attaches
du Bureau des finances, et le 12, il commence sa tournée5;
celui de Caen commence le 20 septembre, celui d'Alençon écrit
le 16 août qu'il va commencer « dans peu de jours », attendant
seulement l'impression des mandements aux paroisses pour la
levée6. L'année suivante, un nouveau retard se produit : les
intendants ne commencent qu'au début d'octobre. Puis, à partir
de cette date, l'usage s'établit dans les trois généralités de se
mettre en campagne à la fin de septembre ou au début d'octobre;
aucun retard ne se rencontre plus, même dans les années de
guerre.
1. A, D. Galv. Bureau des Finances, Registre des commissions des tailles 1661-
72, f° 212.
2. Lettres à l'intendant de Limoges, 11 nov. 1672 (Clém. II, 257), à Leblanc,
2 avril, 1677 (ibid., 376), à Breteuil, 22 août 16S1 (B. Mun. Amiens, ms 508, t. III,
pièce 344), 4 sept, et 7 oct. 1682 (ibid., pièces 419, 462), etc.
3. L'intendant de Bourgogne écrit le 20 juillet 1664 qu'il ne pourra procéder
au département « avant le moys de septembre. » (M. G. 122, P 672.) Celui
d'Orléans estime pareillement, en 1684, que l'on ne peut se mettre en campagne
avant le 15 septembre, il ne verrait même aucun inconvénient à ce que les
commissions ne fussent pas envoyées avant cette date, pour que l'on pût
auparavant accorder des diminutions aux paroisses qui en ont besoin. (L. du
31 juillet 1684, de Boislisle, Correspondance t. I, n° 97).
4. D'après les départements de l'élection de Mortain, A. D. Calv. Registre
d'états au vrai du receveur de l'élection, 1651-69 : en 1660, le département est
achevé le 23 novembre,, en 1661 le 30 novembre, en 1662 le 20 novembre,
en 1663 le 20 novembre également. Nous n'avons pas de renseignements pour les
deux autres généralités.
5. M. G. 123, fos 735 et 880.
6. Ibid., f° 372.
144 LA TAILLE EN NORMANDIE.
La durée du département ne pouvait pas être plus abrégée que
celle des chevauches. Colbert le rappela souvent à ses subor-
donnés : « Il est très important, écrit-il en 1670, que vous y
employiez un temps suffisant pour bien connoistre la force des
élections, et faire l'imposition avec l'égalité que le roy désire1 ».
En apprenant que Chamillart, intendant de Caen, n'a mis que
10 ou 12 jours en novembre 1672 pour faire son travail, il lui
écrit : « Je suis obligé de vous dire que le roy ne peut et ne veut
pas estre servy de cette manière * ».
Dans la généralité de Rouen, qui est grande, le département
dure habituellement un mois; c'est par exception qu'il est réduit
à trois semaines en 1665 et en 1676 3. Il eût été difficile de par-
courir en moins de temps les 13 élections, alors surtout qu'en
chacune d'elles, l'intendant avait à expédier quantité d'autres
affaires de sa compétence*. Toutes les années, le travail fut
terminé au début de novembre, sauf en 1671, où Barin de la
Galissonnière finit après le 15 novembre6.
Dans les autres généralités, l'intendant mettait d'ordinaire
moins de temps; Chamillart à Caen fut toujours expéditif, quoi
qu'on lui ait dit : en 1670, 71 et 72, il a terminé le 15 octobre.
Son successeur Méliand finit généralement à la fin d'octobre.
A Alençon, en 1671, le département est fait du 28 septembre au
19 octobre 6. L'année suivante, Michel Colbert, nouveau-venu
dans la généralité, commence en octobre et ne finit que le
1er décembre. En 1679, de Morangis commence vers le 8 octobre,
et le 9 novembre il a terminé7.
VI. — L'EGALITE DANS LE DEPARTEMENT
Le principal but à atteindre dans le département de la taille
était l'égalité. Depuis longtemps, on reconnaissait que l'inéga-
lité était la source des mauvais recouvrements et de la ruine des
1. Clém. II, 75.
2. Ibid., 155. Dans sa réponse, Chamillart, le 7 novembre, cherche à se dis-
culper en disant « qu'il avoit préparé tous ses mémoires auparavant que de partie
de la province, et que d'ailleurs il est plus facile de faire un septiesme dépar-
tement que le premier. » (Clairamb. 793, p. 780.)
3. En 1665, Voysin commence le 4 octobre et termine avant la fin du mois
(M. C. 132, f 186 et 132b", f° 686); en 1676, Leblanc commence vers le 1" octobre
et termine le 20 (B. N. fr. 8 759, f° 73.)
4. L'intendant d'Orléans en 1684 estime qu'il faut environ six semaines dans
une grande généralité (Lettre du 31 juillet citée plus haut); Foucault considère
comme exceptionnel qu'il ait employé tout le mois de novembre à faire le dépar-
tement de la généralité de Rouen en 1704. (Mémoires, p. 364.)
5. Lettre à Colbert, 12 novembre 1671 : il espère finir « dans la semaine pro-
chaine ». (M. C. 157bU, f° 746.)
6. Lettres de de Marie, 10 octobre, M. C. 157w\ f 643, et 19 octobre, Clairamb.
793, p. 195.
7. Lettres des 9 octobre et 9 novembre 1679, A. N. G' 71.
LEGALITE DANS LE DEPARTEMENT. 145
contribuables; clans le préambule du règlement du 27 novem-
bre 1641, le roi disait :
« La plus grande partie des non-valeurs qui se trouvent sur les
deniers des tailles depuis quelques années, ne procèdent pas tant de la
surcharge des contribuables que de l'inégalité qui se rencontre dans
les assiettes et départemens des impositions faites par les officiers des
eslections, esquelles grand nombre de paroisses se trouvent soulagées
et déchargées par la faveur et crédit d'aucuns officiers, au préjudice et
surcharge des autres paroisses *. »
Les grandes non-valeurs des recouvrements, disait encore le
roi en novembre 1640, n'arriveraient pas « si tous les corps de
nostre Estât portoient selon leurs forces les charges d'iceluy, les-
quelles départies également ne se trouveroient excessives pour
la grandeur et puissance de cette monarchie2 ». Le roi n'était
pas seul a en souffrir, les contribuables également en étaient
accablés : un intendant écrit en 1669 : « La distribution des
tailles se faisant avec esgalité et avec connoissance de cause, le
peuple en seroit plus soulagé, quand mesme l'imposition seroit
plus forte d'un tiers qu'elle n'est présentement, estant très cer-
tain que cette inesgalité est cause de la ruyne des parroisses et
de tous les frais qui s'y font 3 ». Cette inégalité avait été maintes
fois signalée aux élus, trésoriers et receveurs4, avec ordre d'y
remédier, mais on n'avait rien obtenu d'eux. Les commissaires
envoyés extraordinairement dans les provinces pour faire le
régalement des impôts avaient pour mission de corriger les
inégalités de répartition qu'ils trouveraient dans les paroisses
aussi bien que dans les élections, mais leur intervention passa-
gère et trop rapide avait été peu sensible.
Les intendants reçurent de Colbert l'ordre d'établir cette
égalité. Il est certain, leur écrit-il en mars 1664, « que par l'iné-
galité des charges, c'est-à-dire quand le plus puissant ou le plus
riche, par des moyens qu'il tire de Testât où il se trouve, se fait
décharger ou soulager, le pauvre ou le foible se trouve surchargé,
et cette inégalité cause dans les provinces la pauvreté, la misère,
la difficulté du recouvrement des deniers du roy, qui attire les
vexations des receveurs ou commis aux recettes, des sergens, et
généralement toutes sortes de maux5. » Le lei* septembre 1670,
il leur écrit encore : Tenez « soigneusement la main à ce que
les impositions soyent faites avec justice et égalité. Considérez
1. Néron, II, 663.
2. G. d. T., I, 363.
3. Dorieu à Colbert, Soissons, 30 mars 1669, M. G. 1501"8, f° 1 006.
4. Voir notamment les ordonnances de janvier 1560, art 123 (cf. dans Néron, le
commentaire de Du Chalard à cet article); de nov. 1579, (ordonnance de Blois),
art. 341 (Néron, I, p. 650), Janvier 1629, art. 403 ; les édits de mars 1600, art. 2,
janvier 1634, art. 42, avril 1643, art. 2, etc.
5. Glém. IV, 35. Sur la date, voir le Mémoire de Voysin, p. x.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
10
IM LA TAILLE EN NORMANDIE.
ce travail comme le plus important de tous ceux qui sont confiés
à vos soins, puisqu'il s'agit du recouvrement de la plus forte
recette pour soutenir les dépenses de l'Estat, et de rendre la
justice aux peuples en la partie qui leur est plus considérable,
qui est celle de leurs biens. Prenez donc bien garde... de rendre
l'imposition égale dans la juste et véritable proportion de leurs
biens, en sorte qu'il n'y ayt pas de non-valeurs1. »
Le 20 août 1680 : « S. M. s'attend qu'après la connaissance
exacte que vous avez prise par la visite de votre généralité en
exécution de ses ordres, vous ferez cette imposition [des tailles]
avec plus d'exactitude et d'égalité que les années passées *. » Le
22 août 1681, l'intendant des finances Desmarestz écrit : « Vous
savez combien il importe pour le service de S. M. et le bien
des peuples, de faire le régalement des impositions avec une
juste proportion à la force des lieux qui les paient, et je ne
doute pas que vous n'y ayez toute l'attention possible en tra-
vaillant au département3. » Il leur recommande « d'entrer dans
le détail des facultés de chaque paroisse », d'examiner « avec
la dernière exactitude leur force ou leur faiblesse », de ne pas
avoir égard aux recommandations, d'empêcher les fraudes.
Des éléments d'information dont les répartiteurs disposaient,
le plus simple et le plus positif était les rôles des années précé-
dentes; si une paroisse avait été exactement imposée une pre-
mière fois, il était relativement facile de maintenir ensuite la juste
proportion de son taux; aussi les règlements les plus anciens
prescrivaient-ils aux élus de consulter les rôles antérieurs v.
Le projet de répartir une bonne fois l'impôt entre les
paroisses de façon à avoir une base certaine pour les dépar-
tements ultérieurs, avait été fait à différentes reprises; en
Normandie, la réalisation en semblait plus facile qu'ailleurs,
car, avec le système du changement d'octroi, une paroisse con-
servait les mêmes contribuables pendant une série d'années;
ses ressources étaient donc moins susceptibles de varier. Les
commissaires au régalement des tailles avaient été chargés de
cette besogne; ceux de 1634, notamment, avaient mission d'exa-
miner « s il y avoit moyen pour l'advenir d'arrester un pied
certain de ce que pourra porter chacune ville taillable de ce qui
sera imposé dans l'estendue de l'eslection, comme d'un quart
ou d'un quint, ou autre moindre somme, afin que sur ce qu'ils
1. Clém. II, 72; cf. p. 255.
2. Mémoires de Foucault, appendice, p. 454.
3. B. Mun. Amiens, ms 508, t. II, pièce 345.
4. Par exemple, édit d'avril 1459, art. 3 : « voulons et ordonnons qu'es années
ensuivant (les élus) fassent leur assiette ou impost selon ce qui leur sera apparu
de la creue ou diminue, ayant regard ausdits roolles précédens, le tout plus
justement et également que faire se pourra ». (Guénois, Conférence des Ordon-
nances, II, p. 1 45b.)
L EGALITE DANS LE DEPARTEMENT. 147
en rapporteront au roy à leur retour, S. M. y puisse faire un
règlement particulier, eu esgard à la diversité des commoditez
desdites villes1. » Mais dès 1581, les Etats de Normandie avaient
signalé l'insuffisance de ce procédé : on ne peut, disaient-ils,
se contenter d'un tel régalement, « estant tout notoire que
chacune parroisse, mesme chacun particulier en icelle, ne
demeure longtemps en un mesme estât, ains croist et diminue
en biens d'an en an2 ». Il était du reste impossible aux com-
missaires, à cause de leur petit nombre, de faire ce départe-
ment-type en connaissance de cause dans les 4 400 paroisses de
la province; après 1634, le projet fut abandonné3.
Pendant toute l'époque de Colbert, les répartiteurs se bor-
nèrent à consulter les rôles des années précédentes, quand ils
les trouvaient. Pour toutes les paroisses dont les ressources à
leur connaissance n'avaient pas varié, ils se contentaient de
modifier l'impôt proportionnellement à celui de l'élection 4.
Une autre base de répartition était fournie par l'état des
recouvrements : il était à présumer qu'une paroisse qui payait
bien n'était pas surchargée, et inversement. Mais l'indice n'était
pas sûr : on verra que certaines paroisses, comme certaines
élections, payaient bien par habitude, que d'autres s'obstinaient
à supporter des contraintes, tout en ayant le moyen de payer.
On ne pouvait punir les premières de leur zèle en les augmen-
tant, et encourager les secondes à la rébellion en les diminuant5.
Il n'y avait donc pas d'autre moyen d'imposer justement une
paroisse que d'estimer exactement ses ressources chaque année.
Cette estimation était impossible. La valeur des récoltes,
quand bien même on eût pu l'apprécier, n'était pas une donnée
suffisante, car ces récoltes n'appartenaient pas toujours toutes
aux contribuables de la paroisse : des forains et des exempts
en avaient une part, souvent considérable; inversement, les
taillables d'une paroisse avaient des biens hors la paroisse,
pour lesquels il fallait les imposer au lieu de leur domicile. Il
1. Dans Ducrot, Traité des Aydes, éd. 1636, p. 481. Ville = ici paroisse.
2. Cahier de Novembre 1581, art. 25 dans de Beaurepaire, Cahiers... règne de
Charles IX, t. II, p. 150. Malgré cette protestation, le roi décida que le départe-
ment fixé par les commissaires serait valable « au moins pour trois années, »
quitte à corriger les inégalités constatées.
3. On le reprendra avec quelques modifications au xvin' siècle. Voir Marion,
Les impôts directs sous l'ancien régime, p. 159 et suiv. L'auteur d'un mémoire
anonyme sur les tailles écrit en 1755 que la répartition entre les paroisses
est facile, « car pour (la) faire on suit les rolles de l'année dernière ou à peu près,
car si le roy augmente les tailles de quelques millions, on les augmente dans
chaque généralité, élection ou paroisse au marc la livre et pour les diminutions,
lorsque le roy en ordonne de même ». (Bibl. Sénat, ms 1 213, p. 59.)
4. L'intendant d'Amiens, en 1683, se vante d'avoir adopté ce procédé comme le
meilleur et le plus efficace (Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 221). Il est
bien vrai qu'ainsi il évite les protections irrégulières, mais aussi il perpétue les
inégalités. Cf. Œuvres de Turgot, éd. Daire, I, 477.
5. Cf. Boisguilbert, Détail, éd. 1707, I, p. 2(j : on impose la taille « a proportion
que l'on voit qu'on en poura être paie ». Si les paroisses payent bien, dit-il encore,
« elles sont assurées d'avoir de la hausse l'année suivante » (p. 29).
148 LA TAILLE EN NOItMANDIE.
fallait aussi distinguer les récoltes des fermiers et celles des
propriétaires. De plus, les produits de la terre n'étaient pas seuls
imposables, la taille visant tous les revenus, quels qu'ils fussent.
Les intendants se rendirent compte de cette impossibilité.
L'un d'eux, d'Aube, a énuméré tout ce qu'il eût fallu connaître
pour faire un département équitable basé « sur des connais-
sances acquises et sur des faits bien constatés » ; c'est à savoir :
« 1° quelle est l'étendue du terrain circonscrit pour chaque
communauté; 2° quelles sont les différentes espèces de cultures
qu'on donne à ce terrain; 3° quelle quantité de terrain est cul-
tivée de chaque façon différente; 4° quel est le prix commun de
telle ou telle mesure de terre, selon la différente espèce de
culture qu'elle reçoit; 5° combien de tout ce terrain il en est
exploité par des propriétaires exempts de taille; 6° combien il
en est exploité par des membres des communautés voisines qui
ne payent de taille qu'à la décharge desdites communautés voi-
sines; 7° combien réciproquement les membres de la commu-
nauté dont on veut régler l'imposition ne payant la taille qu'à
sa décharge exploitent de différentes espèces de terrain dépen-
dant des autres communautés du voisinage; 8° combien de
terrain est exploité par les propriétaires taillables; 9° quelles
espèces de commerce étrangères à l'exploitation des fonds se
font, à quoi elles s'étendent et combien de membres de cette
communauté y sont occupés; 10° combien chaque communauté
renferme d'artisans de toutes espèces et de journaliers, et quel
est le prix ordinaire de leur journée... 12° quels sont les dom-
mages que des accidents ordinaires et imprévus ont fait souffrir
à telle ou telle communauté, quelles sont les communautés que
le ciel a favorisées de récoltçs plus abondantes, et quels avan-
tages doivent en résulter pour elles ».
Sa conclusion est qu'il est « infiniment difficile » de faire une
répartition exacte « puisque ce n'est que par la connaissance
détaillée des parties qu'on peut connoitre un tout, et que le détail
des parties à connoitre pour donner un avis qui mérite d'être
suivy sur la distribution des impositions par villes et élections
est presque infini1 ». Si l'on ajoute que l'intendant devait per-
sonnellement s'informer de tout, ne pouvant avoir confiance en
aucun de ses auxiliaires, on conclura qu'un département équi-
table était une chimère.
Les intendants ne le recherchaient même pas, ayant con-
science de leur impuissance. A Rouen, Marillac, après avoir
constaté que souvent les terres d'une paroisse sont cultivées
par des taillables étrangers à cette paroisse, ajoute :
« Mais on n'entre point dans ces détails-là en faisant les départe-
ments, ils sont trop grands, et on impose une parroisse eu égard à la
1. Godard, Lrs pouvoir» de» intendants, p. 49. Cf. Mémoire de Voysin, p. 86.
L ÉGALITÉ DANS LE DEPARTEMENT. 149
bonté de sa situation et à la grandeur de son territoire, sans entrer
presque dans le détail des habitans qui en exploittent les terres pour
scavoir s'ils sont de la mesme parroisse ou demeurants dans une
autre; en effet on voit que les parroisses portent toujours à peu près
certaines impositions ; c'est un fondement trop variable que d'avoir
égard au domicile des exploiteurs, il est bien plus à propos de donner
lieu de faire le regallement des tailles sur le fondement de la cituation
de la parroisse et de la bonté de son territoire, et il est juste que ceux
qui tirent le proffit du territoire contribuent aux charges, sans cela
les règlements ne seront point exécutez, ce désordrene cessera pas *. »
L'intendant de Gaen, Méliand, fait le même aveu :
« Quelque soin qu'on prenne de pénétrer la force ou la foiblesse
des parroisses, il est malaisé d'en avoir une connoissance parfaite
pour luy faire porter son juste taux lors des départements. Il s'en
faut presque rapporter à ce qu'en disent les receveurs des tailles, les
huissiers et les esleus, qui n'en parlent le plus souvent que par
faveur, et il se trouve qu'une parroisse sera haute à la taille parce
qu'elle paroistra de grande estendue et remplie d'habitans, et cepen-
dant tout le territoire sera possédé par les seigneurs et gentilshommes,
par des bourgeois de villes franches, et par d'autres exempts qui y
font valoir leurs terres, sans que les taillables y possèdent quelque-
fois une seul acre en propre 2. »
L'étendue de terre cultivée dans la paroisse, la valeur
approximative des récoltes, les apparences de pauvreté ou de
richesse formaient les seuls éléments d'appréciation 3 accessibles
à un intendant, si consciencieux qu'il fût4. Mais il ne faut pas
oublier qu'il ne pouvait chaque année visiter toutes les paroisses
de sa généralité, ni même la plus grande partie d'entre elles 5.
Cette insuffisance des répartiteurs n'aurait pas eu de graves
inconvénients si les contribuables avaient eu le moyen de faire
réduire la cote de leur paroisse trop imposée. Suivant les théo-
riciens, ils pouvaient intenter collectivement une action en sur-
taux6, comme les particuliers. « L'inégalité, dit Vieuille, peut se
rencontrer dans l'imposition d'une élection sur les paroisses
1. Mémoire du 5 octobre 1684, A. N., G7 492.
2. Mémoire du 15 août 1680. A. N., G7 213.
3. Il en fut de même jusqu'à la fin du xvme siècle. Dans les cahiers de 1789,
beaucoup de paroisses se plaignent d'être imposées simplement à raison de
l'étendue de leur territoire, même si les terres y sont de mauvaise qualité ou
sont exploitées par des forains (cf. par ex. Cahiers du bailliage de Cany, publ. par
Romain, p. 36). t
4. V. dans Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 221, une lettre de l'intendant
d'Amiens en 1683, où il explique sa façon de procéder : il écoute soigneusement
les observations des élus et receveurs, discute toutes les objections, ne décharge
ou ne surcharge jamais une paroisse sans « des raisons très précises »; ce qui
revient à dire que, sauf exceptions, il suit les départements des années précédentes.
5. Le sieur Arnaud, chargé du département de la taille dans la généralité de
Poitiers en 1668, écrit que la « visite généralle des parroisses demande plus de
trois mois pour la bien faire ». (M. G. 149, f° 46.)
6. Voir ci-dessous, chap. vi, 2e partie.
UO LA TAILLE EN NORMANDIE.
Îrui la composent; sur quoi les paroisses surchargées peuvent
aire leurs représentations, qui doivent être fondées sur la qua-
lité et la différence des terroirs, leurs situations pour le débit
de leurs denrées, le nombre et les facultez de leurs habitans,
et autres moyens ». Mais, ajoute-t-il aussitôt, « cela n'arrive
presque point, parce que lors des départcmens de la taille,
messieurs les intendans et les officiers des élections donnent
leurs attentions pour que l'égalité soit gardée de paroisse à
paroisse, par la considération et la connoissance de leur état,
situation, commoditez ou incommoditez ' ». Jamais en effet on
ne trouve d'instances de ce genre; aucune procédure régulière
n'est fixée, les habitants n'auraient su à qui s'adresser, outre
que, l'imposition de l'élection étant immuable, toute décharge
accordée à une paroisse aurait entraîné une recharge pour les
autres, et par conséquent la réfection du département. Les
mandements une fois signés, écrit d'Aube, « il n'y aura plus de
remède aux injustices... faites, par ignorance ou autrement, parce
que le roy a un interest principal et essentiel à ce que la tota-
lité de la taille dont il a ordonné l'imposition et la levée soit
payée, ce qui doit empêcher qu'il ne modère les impositions des
parroisses mal à propos surchargées, a moins que de rejetter
leur surcharge sur les autres parroisses trop soulagées par pro-
portion, et que d'un autre côté le roy ne pourroit, sans nuire
trop a l'ordre des rccouvremens, d'où dépend l'acquittement des
charges de l'Etat, rejetter de paroisses sur d'autres les imposi-
tions trop fortes ordonnées par cet intendant2 ».
La seule ressource des contribuables était de solliciter une
décharge l'année suivante, par voie de placet aux élus ou à l'in-
tendant, mais on ne voit pas qu'ils aient souvent recouru à cet
expédient.
Somme toute, le département était à la discrétion des répar-
titeurs3. « Il est impossible, dira Boulainvilliers, d'obtenir des
intendans aucune règle ni méthode pour l'imposition des
paroisses autre que celle qui dépendra de la faveur plus ou
moins grande que les intéressés auront auprès d'eux* ». Par
son essence même, la taille, impôt sur le revenu global des
contribuables, est « arbitraire5 ».
1. Traita de» Elections, p. 474.
2. B. N. fr. 21 812, p. 8-9.
3. Tous les écrits relatifs à la taille, à partir de Vauban. reviennent sur ce point.
Leur énumération formerait une liste démesurée. Les cahiers de 1789 contiennent
presque tous des doléances sur ce sujet.
4. Mémoires présentes au duc d'Orléans, éd. 1727, t. I, p. 96; cf. p. 106. Bou-
lainvilliers est hostile aux intendants.
5. « Cet arbitraire n'a presque point d'inconvénient » dit Turgot, parce que
l'intendant redoute l'opinion publique [Œuvres, éd. Daire, I, p. 477). Mais* à notre
époque, il n'y avait pas d'opinion publique.
LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 151
VII. — LES PROTECTIONS ACCORDÉES
AUX PAROISSES
Les contribuables n'étaient pas seuls intéressés au départe-
ment. Tout exempt possédant des terres dans une paroisse
désirait que celle-ci fût le moins imposée possible : il obtenait
^en échange la protection des collecteurs pour ses fermiers, qui
payaient plus cher leur ferme, si bien qu'en fin de compte le
dégrèvement était à son profit. Quand un particulier arrive
à faire soulager une paroisse, écrit Boisguilbert, il « a pour sa
récompense l'exemption de ses fermiers ou receveurs, qui sont
taxés à rien ou très peu de chose, mais qui, par une espèce de
contre-échange lui payent la taille... et si les autres fermiers
ou détenteurs de fonds à louage les tiennent à 8 1, l'arpent,
ceux des seigneurs les prennent à 10 et 11 1 On épargne ou
l'on considère (ce qui est le mot en usage), les fermiers du
seigneur de la paroisse à proportion que l'on croit qu'il s'est
employé lui-même... pour faire considérer la paroisse1 ».
Certains personnages allaient même plus loin : ils se faisaient
payer par les paroisses pour les protéger : un mandement de
l'intendant de Caen en 1676 dénonce « aucuns gentilshommes
et personnes puissantes qui... exigent des corvées et font des
levées sous prétexte de récompense de leur protection, soit
pour les exempter de logement des gens de guerre, diminuer
leurs impôts ou autrement2 ». A Pont-1'Evêque, en 1670, le
marquis de Silly assomme le receveur des tailles qui prétend
faire payer ses paroisses \
Le résultat de cette pratique était que, la taille imposée sur
l'élection devant être payée malgré tout, c'étaient les autres
paroisses qui supportaient la diminution accordée aux protégées * ;
1. Détail de la France, éd. 1707, I, p. 22-23. Cf. le mémoire d'Auber, cité plus
haut, p. 136. Ces faveurs étaient devenues presque régulières, par exemple le
2 février 1631, un sieur de Monferville adresse une lettre aux Elus de Caen pour
obtenir une diminution de taille pour la paroisse de Cabourg qui lui appartient :
il leur demande de le faire par « considération » pour lui, et à cause de la
misère des habitants : « Je vous puis jurer sur mon honneur qu'à moins d'une
diminution très considérable, ce seroit oflencer Dieu de les y forcer [à payer
leur taille] ». (A. D. Calv. Election de Caen, correspondance.) Cf. le Mémoire de
Colbert à Mazarin, 1659, Clém. VII, 177.
2. A. D., Calv., Election de Caen.
3. Clém II, 77. Cf. la lettre de Barin de la Galissonnière, du 10 nov. 1670, et
son procès-verbal, M. C. 155, f08 358-361.
4. La protection ne s'étendait pas seulement aux impôts, mais à toutes les
affaires du ressort des élus et des trésoriers de France. L'accablement venait aux
paroisses non protégées de toutes les manières : Barin de la Galissonnière écrit
d'Orléans à Colbert le 21 novembre 1665, qu'il a trouvé près de Chàteaudun des
paroisses qui étaient ruinées par les saisies et les frais de justice, la raison en
est que « les communautez ne se detfendent jamais et perdent toujours leurs
procès parce qu'elles n'ont point de protection ». (M. C. 133, f° 497.)
152 LA TAILLE EN NOHMANDIE.
la décharge des unes entraînait la surcharge des autres, et par
conséquent leur ruine; les non-valeurs étaient augmentées
d'autant; c'était le Trésor qui, finalement, payait les faveurs
ainsi faites.
L'« arbitraire » de la taille donnait cependant aux répartiteurs
la liberté de les distribuer à leur gré. Maintes fois avant 1661
le reproche avait été adressé aux élus et aux trésoriers généraux
de protéger indûment les paroisses où ils avaient des biens,
eux, leurs parents et leurs amis. Parmi les motifs de l'établis-
sement des intendants figurait le désir de supprimer cet abus.
Colbert s'appliqua à réaliser ce programme : dans de nombreuses
instructions il ordonna aux intendants d'empêcher toutes pro-
tections illicites, et de n'écouter eux-mêmes les recommanda-
tions de personne. Travaillez, leur dit-il en 1663, « sans avoir
esgard aux recommandations de qui que ce soit, estant certain
que la cause des grandes non-valeurs du passé provenoitde l'acca-
blement des uns par la descharge que l'on donnoit aux autres
qui estoient fortement appuyés1 ». « Il n'est rien, écrit-il encore
en 1670, qui soit plus contraire aux intentions du roi, ni à
quoy vous deviez donner plus d'application, qu'à empescher
qu'aucune paroisse ne soit soulagée à l'oppression des autres2».
Les protections illégitimes des élus, trésoriers généraux et
receveurs disparurent le jour où l'intendant eut la haute main
dans le département; ce fut du reste une des causes de l'hosti-
lité de ces officiers contre le commissaire du roi; cette hosti-
lité, très vive au début, durait encore en 1683 J.
A cette date, le président de l'élection de Neufchâtel refuse
de signer le département en déclarant, dit l'intendant, « qu'il
en usoit ainsy parce que nous n'avions pas suivy son advis sur
quelques paroisses qu'il vouloit faire augmenter ou diminuer »,
et l'intendant demande au contrôleur général une punition
sévère pour cet officier, dont la conduite serait d'un fâcheux
exemple aux autres*. Les intendants soutenus par Colbert
étaient de taille à résister à ces puissances locales. Celui
d'Alençon écrit au ministre le 16 octobre 1666 : « Je scais que
dans les départemens des tailles j'auray peut-estre désobligé
plusieurs personnes, mais en faisant mon debvoir je suis asseuré
de l'honneur de vostre protection et que vous aurez la bonté de
1. Clém. II, 13.
2. Lettre du 16 octobre 1670 à Hachette, Trésorier de France à Paris, chargé
du département dans la généralité à la place de l'intendant; Clém. II, 75; cf. la
réponse de Hachette, Clairamb. 792, p. 333.
3. En 1665, les élus de Saint-Jean-a Angely refusent de signer le département
parce que, dit l'intendant, « j'ay augmenté de taille leurs paroisses et celles qu'ils
protégeoient, qui ne payoient rien presque, à comparaison des autres, ses officiers
■'estant donné plus d'authorité que tous ceux des aultres eslections, et surtout
l'ancien président qui n'a pu supporter que i'aye augmenté sa paroisse de 500 1. »
Lettre de Barentin à Colbert, 30 nov. 1665, M. C. 133, P 730.
4. L. du 25 oct. 1683, A. N. G'492.
LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 153
faire connoistre au roy aveq quel zèle je me conduis dans toutes
les choses qui regardent son service1 ».
Mais les intendants n'étaient pas pour cela à l'abri de toutes
les sollicitations : ils étaient dans la dépendance de per-
sonnes puissantes, grands seigneurs, courtisans, ministres,
auxquels ils étaient obligés d'accorder satisfaction, Celui de
Rouen écrit en 1667 à Colbert : « Ordinairement, ceux qui
ont moins de raison de se plaindre sont presque toujours en
possession de crier plus hault et de chercher par des voyes
obliques des protections qui très souvent nous désarment et
nous ostent le courage de faire nostre devoir2 ».
En tête de ceux qui font protéger leurs terres et celles
de leurs parents, se trouve Colbert lui-même. Il est vrai
qu'un jour il blâma l'intendant de Rouen d'avoir exempté dû
quartier d'hiver les terres du jeune Louis Colbert son fils :
« Ceux qui ont l'honneur de servir le roy, disait-il, et qui
approchent de sa personne aussy près que nous doivent montrer
l'exemple à tout le monde... il n'y a rien de si important dans
l'État3 ». Mais quatre ans après, il écrivait au même intendant :
Je vous adresse « un remerciement particulier pour tout ce que
vous voulez bien faire dans tout ce qui peut me regarder et par-
ticulièrement dans le soulagement que vous avez donné aux
terres de mon fils, auxquelles je vous prie d'ajouter encore celle
de Marais-Vernier pour luy accorder sa part de diminution que
le Roy a faite à la généralité de Rouen sur les tailles * ». A quoi
l'intendant répondait en réduisant de 2050 1. à 950 l'imposition
du Marais-Vernier5. En réalité toutes les terres de Colbert, de
ses parents, amis et protecteurs furent soigneusement ménagées
pour la taille. Ayant acquis la terre de Chateauneuf en Berry, le
premier soin qu'il prend est de s'informer auprès de son homme
d'affaires « de quelle eslection sont les paroisses qui composent
cette terre et à combien elles ont esté imposées à la taille depuis
sept ou huit ans6 ». Après avoir acheté sa terre d'Ormoy, près
de Seignelay, il la fait visiter par une certaine dame de la
Rivière qui lui écrit le 9 octobre 1664 : « J'ay trouvé ses pauvres
1. M. C. 141. f° 395. Il écrivait le 30 sept, précédent : « Je puis vous dire que
la pensée de faire grâce et de déférer à la recommandation n'entrera point dans
mon esprit » quand je ferai les départements. (M. G. 140, f 512.)
2. L. du 18 nov. 1667, Depping, t. III, p. ix. Cf. Vauban, Œuvres, éd. de Rochas, 1,623.
3. L. à Leblanc, 29 nov. 1675 ; Glém. II, 371.
4. L. du 19 oct. 1679, Clém. II, 117.
5. Leblanc à Colbert, 1er oct. 1679 : « Le Marais-Vernier estoit imposé en 1679
à 2 050 1.; pour luy donner moyen de se restablir, j'ay creu qu'il estoit à propos
de luy donner 1 100 1. de diminution; pour Blainville j'en auray un soin parti-
culier; je vous supplie d'estre persuadé que je feray tout ce qui me sera possible
pour mériter vos bontez ». (A. N. G7 491). En 1662, le Marais-Vernier payait 3 553 1.,
et en 1665, 3 513, pour 155 feux. La taille de l'élection était passée de 259 600 1.
en 1665 à 281 900 en 1679 et 273 400 en 1680. D'autre part Colbert avait notable-
ment enrichi cette terre en y faisant dessécher des marais, sous la direction du
receveur général de Rouen, Gousin (Glém. VII, 138 et note).
6. Glém. VII, 91.
154 LA TAILLE BN NOIIMANDIE.
abitans dans la dernière nécessité, qui lest, Monsieur, que je vous
suplie d'avoir la bonté de les fere descharger à la taille, ils
serons tenus de prier Dieu pour votre conservation, je les et for
amonesté de vous randre corne à leur seigneur toute sorte d'obéis-
sance1 ». La même année un billet anonyme (dont l'auteur est
sans doute l'intendant), apprend à Colbert que ses deux paroisses
de Contilly et les Auneaux ont été réduites de 50 1. (550 au lieu
de 600) chacune, et l'auteur ajoute : « vous voyés... que je n'ay
pas accordé grande diminution aux paroisses qui vous appar-
tiennent... Si vous désirés que les vostres reçoivent quelques
grâces, il vous plaira me le prescrire au bas de ce billet, et j'exé-
cuterav ponctuellement vostre ordre par le moyen des 15 000 1.
qu'il m'est permis de diminuer2 ». Dans l'élection de Joigny où
se trouvent Seignelay et d'autres paroisses appartenant à Colbert,
un M. de Bcauchamps est chargé du département de la taille,
et se vante de diminuer « considérablement » les paroisses du
ministre3. Ces paroisses ne sont pas ménagées seulement au
département, mais aussi dans la perception. Le receveur de
Joigny écrit à Colbert le 14 avril 1665 : « Le respect que j'ay
pour tout ce qui vous regarde m'a empesché de faire aucune
poursuitte à l'encontre des collecteurs des paroisses qui vous
appartiennent dans l'eslection de Joigny, mais, Mgr, vous trou-
verez bon, s. v. p. que je vous die que depuis qu'elles sont à
vous, les collecteurs n'ont apporté aucuns deniers à la recepte
des tailles... Je vous supplie très humblement, Mgr, d'avoir la
bonté de vouloir me faire scavoir vostre volonté, pour l'exécuter
avec soubmission* ». Cette protection si ouverte encourageait
même les paroisses voisines qui n'appartenaient pas au ministre
à solliciter ses faveurs : en 1668, les échevins de La Charité
viennent le trouver à Seignelay et obtiennent pour leur ville
une diminution de 1 500 1. sur la simple promesse d'établir des
manufactures, qui ne furent, du reste, pas établies5. Spécialement
en Normandie, Colbert protégea soigneusement les paroisses qui
lui appartenaient : en 1672, il achète Hérouville, près de Caen;
la paroisse avait, jusque-là. payé au moins 1500 1. de taille; il y
introduit des améliorations considérables, il construit des halles,
une hôtellerie, des routes d'accès, un pont, y crée une foire,
fait redresser par Vauban le cours de l'Orne, ce qui permet de
convertir plus de 1500 acres de marais en prés6; cependant la
1. M. G. 124. fo 156.
2. Ibil., V SS.
3. Lettre de M. de Beauchamps à Colbert, M. C. 128w\ £° 869; ce personnage
n'était pas intenlant; ou trouve parmi les familiers de Colbert un M. de Beau-
champs, gendre de Marin, qui fut chargé d'élever le fils de Mlle de Lavallière.
(Clém. VI, 463). peut-être est-ce de lui qu'il s'agit ici.
4. Levasseur à Colbert, 14 avril 16.55, M. C. l28bu, f° 869.
5. L. de remerciements des échevins à Colbert, 18 nov. 1665, Depping, I, 7 «7.
6. Remarques de Nicolas le Ilot, publ. par G. Vanel, Caen, 1905, art. Hérouville.
Sur l'acquisition de cette terre, voir Clém. VIF, 64, 139 et 393 .
LES PROTECTIONS ACCOUDEES AUX PAROISSES. 155
taille de la paroisse s'abaisse à 1 173 1. en 1674, 1000 1., en
1677, et 600 1. en 1679 ', et l'on ne peut encore pas assurer que
ces sommes aient jamais été payées, car le régisseur de Colbert
pour cette terre est le sieur Cousin, receveur général de Rouen.
Les terres voisines de Blainville et Creuilly, que Colbert acheta
en 1675 et 1682, furent l'objet de faveurs analogues.
La protection du ministre s'étend tout naturellement aux terres
de ses parents. On l'a déjà vu pour le Marais-Vernier, apparte-
nant au jeune Louis son fils. Lorsque ce même personnage reçut
du roi, à l'âge de quatorze ans, l'abbaye de Bonport, près de
Pont-de-1'Arche, l'intendant de Rouen à la première nouvelle
fit ses offres de service à Colbert, qui répondit : « Je ne refuse
point l'offre que vous me faites d'en prendre quelque soin dans
les visites que vous ferez de la généralité2 ». Trois mois après,
Colbert apprenant que cinq hameaux dépendant de l'abbaye et
composés de 53 feux payaient autant de taille que les 100 feux
du reste de la paroisse de Montaure, écrivait à Leblanc : « Je
vous prie d'examiner si cela est véritable, et de me faire scavoir
s'il y a quelque raison qui ayt pu donner fondement à cette iné-
galité, et si la justice qui doit estre observée dans le régalement
des tailles désireroit que ces cinq hameaux portassent une
moindre partie de la taille, parce qu'en ce cas on y pourroit
remédier3 ». Leblanc dut amplement satisfaire son ministre, car
quelque temps après il lui adressait une lettre de remercie-
ments en ces termes : « Je vous suis si sensiblement obligé de
l'honneur de vostre protection et des bontez que vous avez pour
moy, que je ne puis assez vous en rendre grâce; j'ay un si pro-
fond respect pour les personnes qui vous appartiennent, que je
souhaitterois leur pouvoir tesmoigner le zèle et l'attachement
que j'ay pour leur service4 ».
Colbert de Maulevrier possédait dans la généralité de Tours la
terre de Maulevrier et un groupe de paroisses aux environs; en
1670 il obtint de son frère pour ses domaines une diminution de
taille de 8 000 1. « Je vous remercie, écrit ensuite le ministre à
l'intendant qui a réparti cette décharge, du soin que vous avez
pris des paroisses qui appartiennent à mon frère5 ». L'année
suivante encore, Maulevrier demande une nouvelle diminution
de 1 500 1. :
« C'est une charité, dit-il, que vous ferés à bien des pauvres, des
vefves et des orfelins, car ce n'est que pour ces gens là que je vous
1. A. D. Calv., élection de Gaen, rôles de département.
2. L. du 9 sept. 1681, Clém. VII, 128.
3. Clém. VII, 129, n. 1.
4. L. du 21 août 1682, A, N. G? 491.
5. Clém. II, 75, note; cf. 1. de Colbert de Maulevrier 4 sept. 1670, M. C. 155,
f° 190, lettre de l'intendant Voysin, 11 oct. 1670, Clairamb. 792, p. 351 : ces
Êaroisses avaient été déjà dégrevées les années précédentes d'après la lettre de
[aulevrier citée plus loin.
156 LA TAII.LK KN NORMANDIE.
demande cette faveur, quoique celles que vous m'avez accordé pendant
les années précédentes, bien que très considérables, n'ayent pu ancor
obliger personne à se présenter pour afermer ma terre'. »
La fille de Colbert avait épousé le duc de Chevreuse, fils du
duc de Luynes : celui-ci obtint que sa terre de Luynes fût parti-
culièrement recommandée à l'intendant2, et que celle de Fon-
dettes, près de Tours, eût sa taille réduite pendant trois ans
à très peu de chose. La duchesse douairière de Chevreuse
obtint pareille protection en 1668 pour sa paroisse de Houdan,
près de Versailles8.
Les grands seigneurs de la cour sollicitent de Colbert les
mêmes laveurs. Mademoiselle de Montpensier lui recommande
sa ville d'Eu en 1682; il donne des ordres en conséquence à
l'intendant, en ajoutant seulement : « en quoy toutefois vous
devez une justice égale à tous les sujets du roy* ». La marquise
de Piennes fait favoriser ses terres de Picardie par l'intendant
d'Amiens : « Soyez persuadé, écrit Colbert à ce dernier, que je
prendrai part à l'obligation qu'elle vous en aura6 ». Le duché de
Lavallière est spécialement ménagé6. Le marquis d'Antin, fils de
Madame de Montespan, adresse des « sollicitations pressantes »
au ministre pour faire soulager « les terres qui lui appartiennent
dans les élections d'Astarac et de Rivière-Verdun »; il est vrai
qu'il n'obtient satisfaction qu'à demi : Colbert transmettant sa
requête à l'intendant ajoute : « Il faut que vous n'y ayez égard
qu'autant que vous estimerez que cela pourra s'accommoder avec
le service du roy, estant bien difficile de se défendre de donner
quelquefois de semblables lettres, quoyque ce soit contre mon
sentiment et avec assez de répugnance7 ». Mais Colbert ne tenait
pas toujours ce langage. Le 'Il septembre 1663, le comte de
Saint-Aignan, dont le fils devait épouser quelques années plus
tard la fille du ministre, lui demande « de considérer la misère
des pauvres habitans de Loches, et de faire qu'ils soient sou-
lagez aux tailles et au sel 8 », et Colbert écrit en marge du billet :
« Un mot de recommandation dans la depesche de M. de
1. M. C. 157, fo 398.
2. Clém. Il, 392.
3. Note remise à Colbert par un de ses secrétaires (sans date, mais classée avec
les lettres d'oct. 1668) : « S. A. Mme la duchesse douairière de Chevreuse avoit
envoyé pour scavoir Testât de la santé de Mgr, et pour luy donner advis que
M. Hachette est parti pour taire le département des tailles de l'eslection de Mon-
fort, dans laquelle est la paroisse d'Houdnn qui a besoing de sa protection... ■
(M. C. 148, f" 6). Beaucoup de recommandations pareilles durent élre demandées
et transmises de vive voix sans qu'il nous en soit resté trace.
4. L. du 17 août 1682, Clém. II, 204, note; cf. la réponse de Leblanc, 18 août :
« Je mande à Mademoiselle que vous m'avez bien donné ordre d'avoir soin de
leurs intérests [des habitants d'Eu] ». (B. N. fr. 8 761, f° 63).
5. Clém. VII, 40, n. 2.
6. Clém. II, 254.
7. L. du 13 juillet 1663, Clém. VII, 40. Cf. let. à Colbert de Terron, I, 306.
8. M. C. 117, f° t&.
LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 157
Fontenay ». Celui-ci répond le 4 octobre qu'il a déchargé la ville
de Loches de 10001. « dont j'ay fait connoître aux habitans,
ajoute-t-il, qu'il vous avoit plu me donner ordre, sur la recom-
mandation de M. le comte de Saint-Àignan1 ».
Ses subordonnés et ses familiers ont recours à lui pour faire
« considérer » leurs domaines : Marin lui fait adresser une
recommandation à l'intendant de Montauban, qui répond : « Les
paroisses de M. Marin sont traittées favorablement dans toutes
les- occasions, entr'autres dans l'imposition de l'année pro-
chaine, et il a toutes sortes de raisons pour en estre satisfait.
L'on continuera tousjours, à quoy je suis tout à fait disposé2 ».
Il est probable que Marin, dont la correspondance est perdue,
adressa directement bien des recommandations de ce genre aux
intendants, ses subordonnés. M. de Hocqueville, président à la
Cour des Aides de Rouen, utilise aussi ses relations avec le
ministre pour faire soulager le bourg de Cany en 1665 3.
En 1683, il se plaint à nouveau que le bourg soit accablé à
cause du soulagement accordé à la paroisse de Doudeville *.
Les autres ministres obtiennent des faveurs analogues pour
leurs terres et celles de leurs parents et amis; ils semblent même
le faire avec moins de gêne, n'ayant pas à se préoccuper des
conséquences pour le Trésor. La correspondance de Letellier
et de Louvois abonde en recommandations de cette nature; ainsi
Louvois écrit à son oncle Dugué, intendant de Caen, le 5 novem-
bre 1661 : « Je vous suplie très humblement d'avoir la bonté de
voulloir soulager autant qu'il vous sera possible la paroisse de
Saint-Jean en Coural5, de l'élection de Mortaing, lorsque vous
ferez le département des tailles de la généralité de Caen. C'est
une grâce que je recevray comme pour moy-même puisque
je vous le demande à la prière d'une personne que j'honore
parfaitement et à qui je serois trop aise de pouvoir rendre mes
services. Si les miens vous pouvoyent estre un peu utiles je vous
les offrirois de tout mon cœur6 ». Une autre fois il lui recom-
mande les terres de Mme de Choisy7. A Leblanc il recommande
les terres du duc de La Rocheguyon 8, la paroisse de Mer-
1. M. C. 117, f° 415. Dans la même lettre il s'excuse de n'avoir pu « soulager la
ville de Loudun que Mgr. l'archevêque de Paris considère... quoyque selon mon
sens elle en ait plus besoin ».
2. L. de l'intendant Pellot, 10 déc. 1664, M. G. 126, f° 256. Pellot avait épousé
une Madeleine Colbert.
3. L. du 14 août 1665, M. G. 131, f° 371.
4. L. du 28 août 1683. Sa plainte paraît d'ailleurs inexacte : il dit que Doude-
ville « a toujours esté imposé à 3 500 1. » tandis que « depuis quelques années
il n'est plus qu'à 1 700 1. » ; or nous voyo.is d'après les rôles d'imposition de la
paroisse qu'elle payait, 1 860 1. en 1658, 3 249 1. en 1662 et 1665, 3 100 1. en 1679.
5. Aujourd'hui Saint-Jean du Corail.
6. D. G. 170, f° 131.
7. Ibid., f° 320. Cf. d'autres exemples dans Depping, III, p. 5, 81, 247, etc.
8. Leblanc à Louvois 3 décembre 1679 : « J'ay eu un soin particulier au der-
nier département des terres de M. le duc de La Rocheguyon et leur ay donné
161 LA TAILLE EX NOIIMANDIE.
ville1, les terres dépendant des commanderies de Saint-Lazare*.
Il ti.insmet aux intendants des recommandations de la part de
son domestique3, ou du frère d'un de ses commis *. Une seule
fois dans les lettres que j'ai lues il fait des réserves à sa
recommandation, et c'est lorsqu'il transmet à Dugué l'invitation
de la reine-mère à favoriser les terres des missionnaires établis
à Caen. Bornez-vous, lui dit-il, a « considérer un petit plus les
terres qui leur peuvent appartenir que les autres dans l'assiette
des tailles », mais il serait injuste de leur donner à eux seuls la
diminution de 8 000 1. accordée à toute l'élection : « Je ne vous
celleray pas, M. que j'ay esté estrangement surpris de voir
3ue des gens qui ne nous preschent que l'excessif accablement
es peuples par les levées que l'on fait sur eux, et la charité
envers les pauvres, sollicitent pour leur profit particulier la
diminution d'une grâce que le roy a accordée a une eslection
ruinée par la mauvaise récolte de deux années consécutives5 ».
M. de Saint-Pouange recommande pareillement à Leblanc la
mère et le beau-frère d'un de ses domestiques : a La veuve
Couturier, qui demeure au village de Laroque, a un fils auprès
de moy que j'affectionne, et comme je souhaiterois bien contri-
buer au soulagement de sa famille, je vous serois sensiblement
obligé, Monsieur, si, lorsque l'on renouvellera la taille, vous
vouliez bien la taxer d'office et faire en sorte que le nommé
Jean Langlois, son gendre, ait quelque modération. Je me
flatte que vous voudrez bien me donner des marques de vostre
amitié en ce rencontre". »
Souvent les intendants devancent les ordres ministériels.
Foucault raconte comment, discrètement, il exempta presque une
paroisse de M. Pussort, oncle de Colbert, dans la généralité de
Poitiers : a J'ai cru, écrit-il à son père, qu'il étoit plus à propos
de luy laisser donner avis de cette diminution par son homme
d'affaires que de le luy donner moi-même7 ». Son père trouve
cette discrétion de bonne politique; « il est bon, répond-il, que
M. Pussort soit informé de ce bon office, mais il faut que ce
soit par tout autre que par vous, et que son fermier lui en
donne avis. » Il ajoute : « Il a son secrétaire, M. Hersan, qui est
trésorier de France au Bureau de Poitiers; il faudroit voir si
3 800 1. de diminution. Je dois faire dans peu une imposition de 75 000 1. sur la
généralité pour rendre une rivière naviguable [La Risle], elles profiteront de vostre
protection ». (B. N. fr. 8 761, f° 17.)
1. Ibid., f° 26, v* : « La paroisse de Lamerville, qui est dans l'eslection
d'Arqués, m'appartenant. je ne puis m'empescher de vous suplier de traiter
favorablement les habitans dans l'imposition des tailles que vous allez faire, et
d'eslre persuadé que je prendrai sur mon compte le plaisir que vous leur ferez ».
2. IbCd., f 27.
S. D. G. 212, f« 91.
4. D. G. 170, f° 291.
5. L. du 17 déc. 1661, ibid., f 413.
6. Lettre du 12 oct. 1680, B. N. fr. 8 761, f 57.
7. L. du 3 nov. 1685 dans ses Mémoires, éd. Baudry, p. 144.
LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 159
vous ne pourriez rien pour lui, cela plairoit fort à son maître 1 ».
Il arrive que des protections soient refusées par les ministres,
mais ce n'est pas toujours pour des motifs d'intérêt général.
Colbert et Louvois sont en lutte au sujet des terres de Turenne
en 1674 : Turenne, ami particulier de Colbert, obtient de lui
toutes les protections qu'il désire2; mais il est en rivalité avec
Louvois qui ne le ménage pas. Or en décembre 1674, des
soldats sont envoyés en quartiers d'hiver dans la généralité de
Poitiers. L'intendant Foucault propose à Louvois d'exempter du
logement la paroisse de Nègrepelisse appartenant à Turenne.
Louvois répond : « L'intention du roi n'est pas qu'aucun village
à qui que ce soit qu'il appartienne soit exempt du logement des
cavaliers... il eût été bien à propos que vous ne vous fussiez pas
dispensé de vous conformer au règlement pour des considéra-
tions pareilles à celles dont vous me parlez3 ». Mais en même
temps Colbert écrit à Foucault que « le roi trouveroit bon » que
l'on exemptât la terre de M. de Turenne, « qu'il avoit bien
mérité cette distinction4 ». L'intendant sut heureusement trouver
un moyen de satisfaire ses deux maîtres : « j'ai mis, explique-
t-il, quelques places de l'état major dans Nègrepelisse, mais
c'étaient des places mortes qui ne coûtèrent rien à la paroisse, et
cette affaire n'eut pas de suite5 ».
Les ministres, par cette conduite, autorisaient les infractions
des intendants; comment ceux-ci eussent-ils hésité à protéger
les paroisses où ils étaient intéressés? Ils se dégrèvent mutuel-
lement les terres qu'ils possèdent : du Boulay-Favier, inten-
dant d'Alençon, fait toujours soulager ses paroisses par ses
collègues 6. Toutes les personnes qui les touchent de près ou de
loin, ou dont ils ont à attendre la protection, reçoivent naturelle-
ment leurs faveurs, peut-être même en accordent-ils, comme
Saint-Simon et Boisguilbert les en accusent, uniquement pour
faire voir qu'ils sont tout-puissants. Les sollicitations leur
viennent de partout. Chamillart, intendant de Caen, annonce à
Colbert en 1666 comme une chose extraordinaire qu'il n'a
reçu « aucune recommandation avant le département7 ».
« Lorsque la somme à laquelle une généralité est arêtée est
venue du Conseil, dit Boisguilbert, tout le monde fait sa cour à
MM. les intendans afin que leurs paroisses soient favorable-
1. Ibid., p. 144. Pussort était un des protecteurs de Foucault.
2. Saint-Simon dit même que ses terres étaient entièrement affranchies d'impôt.
(Mémoires, éd. Ghéruel, t. III, p. 363) ; cf. une lettre de Dorieux à Colbert,
15 août 1670 : dans la généralité de Limoges les gardes de M. de Turenne « qui
sont fort à leurs aises », sont néanmoins « fort peu taxez » (Clairamb. 792, p. 215).
3. L. du 16 déc. 1674, Mémoires de Foucault, p. 505.
4. Ibid., p. 30.
5. Ibid.
6. L. de Hachette à Colbert 24 octobre 1670 : « les paroisses de la généralité de
Paris appartenant à M. du Boulay-Favier ont tousjours esté protégées par
MM. les maîtres des requestes ses confrères ». (Clairamb. 792, p. 365).
7. M. C. 141bls, f° 849.
160 LA TAILLK K.\ NOIt.M ANDIE.
ment traitées, indépendamment du pouvoir où elles peuvent
être de paier plus ou moins de taille... Aujourd'hui une des
plus agréables fonctions de MM. les intendans des provinces
est cette répartition ' ». Ce passage de Boisguilbert est confirmé
par l'intendant Lallemant de Lévignen en 1732 : « le seigneur
sollicite avec vivacité lors des départements la diminution des
impositions de sa paroisse; son motif est de faire sentir à ses
habitans le prétendu crédit qu'il a auprès de l'homme chargé
des ordres du roy, pour s'attirer la considération des gens
foibles dont il exige quelquesfois pendant le cours de l'année
des servitudes, ainsy que le soulagement de ses fermiers à son
gré »; il est vrai que ces sollicitations sont, d'après Lévignen,
« sans aucun effet2 ». Cependant l'intendant de Poitou, Mau-
peou d'Ableiges, fait son département au gré de l'abbesse de
Thouars; son secrétaire s'est fait donner des pots-de-vin pour
recommander telle ou telle terre*. Duclos, dans ses mémoires,
raconte l'histoire d'un intendant qui fut révolté de ces injus-
tices : « Courtin, intendant de Picardie, ménagea tellement les
terres du duc de Chaulnes, son ami, qu'il s'aperçut enfin qu'il
avoit surchargé de 40000 1. d'autres paroisses; il les paya et
demanda son rappel. Sur les instances qu'on lui fit pour le faire
rester, il répondit qu'il ne vouloit ni se ruiner ni passer sa vie
à faire du mal* ». Mais combien imitèrent son exemple? Ils
étaient assurés de l'impunité, n'étant surveillés que de très loin
par les ministres, et les contribuables n'avaient aucun recours
contre eux. La plupart des gens trouvaient d'ailleurs ces pro-
tections naturelles : Mme de Sévigné ne s'étonne nullement
que dans la répression de l'émeute de Bretagne les terres de
Mme de Rohan et de Mme de Coétquen soient « fort soula-
gées » et que la princesse de Tarente recherche pareil soula-
gement : « c'est, dit-elle, une grande justice »5.
En somme, avant 1661, les protections étaient pratiquées par
les agents locaux : élus, receveurs, trésoriers de France;
après 1661 elles le furent par les agents du pouvoir central;
ce fut un grand changement parce que les intérêts des premiers
n'étaient pas les mêmes que ceux des seconds; mais il est dif-
ficile de dire si les contribuables y ont gagné ou perdu. La
ruine incontestable du royaume après vingt années de ce nou-
veau régime peut néanmoins laisser supposer qu'ils y ont beau-
coup perdu.
1. Le détail de la France, éd. 1707, I, p. 22-23. Boisguilbert ajoute que les inten-
dants ont au début essayé d'empêcher les seigneurs de faire exempter leurs fer-
miers. mais ils n'ont pas abouti « parce que de très grands seigneurs se trouvant
dans cette espace, on ne pouvoit pas commencer par eux comme il eût été de
nécessité pour montrer l'exemple ».
2. B. N. fr. 7 771, f* 176.
8. Foucault, Mémoires, p. 34».
4. Urmtiirrs, éd. Michaud et Poujoulat, p. 448.
5. Lettre*, él. Monmerqué, t. IV, p. 289.
LES PROTECTIONS ACCORDEES AUX PAROISSES. 161
Nous n'avons aucun moyen de reconnaître, aujourd'hui, si
une paroisse était bien ou mal imposée, parce que nous man-
quons, plus encore que les répartiteurs d'alors, des éléments
qui nous feraient estimer ses ressources. Hors les cas de protec-
tions certaines, que nous venons de voir, nous ne pouvons être
sûrs que telle paroisse soulagée n'avait pas un titre à ce dégrè-
vement, que telle autre en apparence surchargée n'était pas
capable de payer cette surcharge. Néanmoins nous rencontrons
des inégalités si choquantes entre différentes localités, qu'il
nous est difficile de ne pas y voir l'effet d'un mauvais dépar-
tement. Voici des exemples empruntés au tableau des imposi-
tions de la généralité de Rouen en 1665, dressé par Voysin de
Noiraye1.
Dans l'élection d'Evreux, les deux paroisses voisines de
Bailleul et de Jumelles, ayant toutes deux bon fonds, payent
l'une 13 1. et l'autre 23 1. 9 s. par feu; la paroisse de Villers
en Desseuvre, sise en mauvais pays, paye 12 1. 11 s., et sa voi-
sine Lorey, dont le fonds est semblable, paye 4 1. 5 s.; la pre-
mière appartient à un M. de Bréval, et la seconde à M. de
Lamoignon, premier président du Parlement de Paris. Deux
paroisses appartenant à M. de Vendôme, La Futelaye et Breil,
payent la première 4L, et la seconde 2 1. 4 s. ; cependant leurs
terres sont de bonne qualité.
Dans l'élection de Pontoise, Velly, sise dans un bon fonds,
bien labouré, paye 13 1. 12 s., et Etrépagny, avec son riche ter-
roir, paye 10 1. 7 s. Deux paroisses voisines, Sainte-Marie et
Vathimesnil, de fonds également bon, payent l'une 5 1. 19 s. et
l'autre 13 1. 9 s. Douxmesnil, appartenant à l'avocat général de
la cour des Aides, paye 8 1. 4 s., sa voisine Villers, 11 1. 16 s.
Le tableau suivant donne les impositions de quelques paroisses
de l'élection de Rouen à la même date; pour chacune j'indique
entre parenthèses le nom du seigneur. Toutes sont situées en
bon fonds, labouré et planté de pommiers :
Paroisses. Imp. par feu.
Bosc-Bérenger (Leseigneur, cons. au Pari.) 11 1. 2 s.
Gouville (de Motteville, Prés, à la Gh. des comptes) .... 19 15
Glaville (id.) .... 21 2
Beaumont le Hareng (de Brévedent, lieut. général). .... 8 7
Beuzeville (id.) 7 11
Varneville aux Grées (de Bimorel, très, de France) 25 14
Ai'Seauville (le prés. Bigot) 12 14
Montville (id.) 10 9
Fresnay (de Fresnay, cons. à la Cour des Aides) 15 6
Saint Georges du Val Martin (Dauviraj', cons. au Pari.) . . 1 13
Bosc le Hart (d'Arqués, cons. au Pari.) 15 »
1. Voir ce tableau entier au ms. 274 des Cinq cents Colbert. J'ai donné les noms
des paroisses, leur imposition et leur nombre de feux dans mon éd. du Mémoire
de Voysin, p. 164 et suiv.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
11
162 LA TAILLE EN NORMANDIE.
Les sommes attribuées à chaque paroisse par la commission
de département étaient inscrites sur un cahier où les noms
étaient imprimés d'avance. On avait ainsi le rôle de départe-
ment : il était paraphé et signé par les membres de la commis-
sion et déposé au greiîe de l'élection; il est probable que l'in-
tendant en conservait un double dans ses bureaux. Ensuite
chaque paroisse était informée de la somme qui lui était imputée,
par un acte nommé mandement des élus et de l'intendant; ce
mandement, que l'intendant avait préparé, contenait toutes les
prescriptions pour la répartition et la levée de l'impôt; on y
rappelait les règlements anciens et on ajoutait les nouveaux.
Le texte en était imprimé par les soins de l'intendant; on ne
laissait en blanc que le nom de la paroisse et la somme qu elle
devait porter; les exemplaires, signés de l'intendant ou de son
secrétaire et d'un élu, étaient remis au receveur de l'élection qui
les faisait porter à destination par les sergents.
CHAPITRE IV
LA NOMINATION DES COLLECTEURS
I. LES MANDEMENTS POUR LA NOMINATION DES COLLECTEURS.
II. L'ASSEMBLÉE PAROISSIALE. III. LES EXEMPTS DE COLLECTE.
IV. LE NOMBRE DES COLLECTEURS. V. LES ÉCHELLES. — VI. LBS
FRAUDES ET LES PROCES. VII. LES COLLECTEURS NOMMES D'OFFICE.
La répartition de l'impôt entre les contribuables de chaque
paroisse est la fonction des collecteurs. Primitivement, les
collecteurs, comme leur nom l'indique, s'occupaient uniquement
de la perception, la répartition étant assurée par les « asséeurs »,
de sorte qu'à tous les degrés les agents de répartition étaient
distincts des agents de perception : on avait d'une part les
trésoriers généraux, les élus et les asséeurs, d'autre part les
receveurs généraux, les receveurs particuliers et les collecteurs.
C'est à la même distinction que correspondaient les attributions
respectives de la Cour des aides et de la Chambre des comptes.
Mais les commissaires envoyés par Henri IV dans les provinces
en 1598 avaient constaté qu'une partie des non-valeurs dans les
tailles provenaient de ce que les asséeurs n'étaient pas respon-
sables du paiement des cotes qu'ils avaient fixées, et l'édit de
mars 1600 (art. 10), avait ordonné que les asséeurs seraient
collecteurs la même année de leur charge; en d'autres termes,
les deux fonctions étaient réunies en une seule : le collecteur
était à la fois répartiteur et percepteur1.
Dès l'origine, asséeurs et collecteurs furent élus par les
contribuables. Dans l'esprit du législateur, chaque paroisse
était une unité fiscale qui devait fournir au roi la somme qui
lui était imposée; ses membres devaient s'arranger entre eux
à cet effet, le fisc ne les connaissait pas individuellement;
l'administration royale s'arrêtait à la collectivité paroissiale,
1. La séparation des deux fonctions persista en Bretagne, où l'on distinguait
les « égailleurs » (asséeurs) et les collecteurs. Cf. Potier de la Germondaye, Intro-
duction au gouvernement des paroisses, Rennes 1777 , p. 301 et suiv.
164 LA TAILLE EN NORMANDIE.
et ne descendait pas jusqu'aux individus; le collecteur était
le mandataire des contribuables, qui le nommaient « à leur
péril », il n'était pas le représentant du pouvoir1. Différentes
tentatives faites avant 1661 pour transformer les collecteurs
en officiers du roi n'avaient pas abouti, parce qu'elles étaient
de simples expédients fiscaux : le gouvernement n'y avait vu
qu'un moyen de se procurer de l'argent par la vente de ces
nouveaux offices. Le principe de l'élection des collecteurs
devait subsister jusqu'à la Révolution*.
— LES MANDEMENTS POUR LA NOMINATION
DES COLLECTEURS
Les habitants de la paroisse devaient élire leurs collecteurs
dans leur assemblée sans attendre d'ordre; il n'était même pas
nécessaire qu'ils eussent reçu le mandement ordonnant la levée
de la taille. Toutefois, l'usage était d'adresser chaque année
à la paroisse un ordre spécial, nommé aussi mandement, pour
convoquer l'assemblée3.
L'autorité chargée d'expédier les mandements fut, jus-
qu'en 1664, les élus. La déclaration d'août 1664 (art. 2) donna
également cette attribution aux intendants, de sorte que les
1. On ne s'était jamais arrêté à l'idée de laisser les habitants répartir eux-mêmes
l'impôt dans l'assemblée de la paroisse. La raison en est donnée par l'inten-
dant d'Aube dans son mémoire de 1738 : ■ Il est évident que la dite réparti-
tion seroit presque toujours faite ou trop difficilement et trop tard, ou tumul-
tuairement et mesme trop injustement si elle se fuisoit dans les assemblées des
communautés. Il a été juste d'en conclure qu'il convenoit donc mieux qu'elle fust
faite par des membres des communautez choisis par elles-mêmes >. (B. N. ms.
fr. 21 812, p 76.)
2. Voir sur les créations de commissaires des tailles, de directeurs des tailles, etc.
le Mrmorial alphabétique, au mot Commissaire. Toutes ces créations n'étaient
qu'un moyen pour le roi de se procurer de l'argent par la vente des offices. Elles
furent particulièrement nombreuses* au temps de Richelieu et de Mazarin : il en
restait encore des traces en 16<il. Ainsi, le l'« février 1(161, on met en adjudica-
tion, à la Cour des aides de Rouen, les offices de commissaires héréditaires à
faire les rôles des tailles dans toutes les paroisses de l'élection de Cnen ; le
marché est conclu avec le sieur Pierre Domergue, bourgeois de Paris, moyennant
39 690 livres: cette adjudication était faite en vertu d'un édit de juillet 1659 (A. D.
Calvados, élection de Caen, registre des ordonnances de 1656 à 1G63, f" 403 et
suiv.) Cf. B. N. fr. 18 511, f° 72, un mémoire de t*ï60 sur « le restablissement des
commissaires des tailles » (papiers de Séguier) : en 1657 le roi avait traité avec
le sieur Mollet pour « faire valloir à S. M. la finance qui proviendroit d'un office
de commissaire des tailles en chacune paroisse >, moyennant 6 666 666 1. En 1659,
il avait em-ore traité pour deux autres offices, moyennant 5 440 000 1.
3. L'obligation pour les contribuables de nommer les collecteurs sans y être
invités esi nettement précisée par Gauret (*>tile du conseil du roy, p. 411). Le
mandement, dit-il, est un simple usage; et, en effet, l'arrêt de la Cour des aides de
Paris du 28 mai 1646 (Mem. Alphab. p. 52) et le règlement de 1643 sont con-
formes n cette théorie. Mais en Normandie, l'usage était devenu tout à fait régu-
lier et il ne semble pas que jamais les nominations de collecteurs aient été faites
sans mandement des élus.
LES MANDEMENTS POUR LA NOMINATION DES COLLECTEURS. 165
paroisses reçurent souvent, à partir de cette date, deux papiers
émanés de ces deux autorités. Enfin, l'arrêt du Conseil du
23 septembre 1681 supprima ce dualisme en attribuant l'expé-
dition aux intendants seuls.
L'acte, suivant la déclaration d'août 1664, doit enjoindre aux
habitants de s'assembler « au son de la cloche, à l'issue de la
messe du premier dimanche ou feste du mois d'octobre ensui-
vant pour nommer de bons collecteurs de chacune échelle1 ».
Il n'y a pas de formule réglementaire. Intendants et élus ont
l'habitude d'y insérer toutes les prescriptions qu'ils jugent
utiles, soit pour faire connaître un nouveau règlement, soit
pour en rappeler d'anciens, soit pour ajouter des prescriptions
de détail à la législation en vigueur. Voici un mandement très
simple, celui qu'expédièrent les-élus de Caen en 1661 :
De par le Roy,
Les président, lieutenant, eslus, controlleurs esleus, conseillers du
roi en l'eslection de Caen,
Paroissiens de , nous vous mandons vous arrester dimanche
prochain, à l'issue de votre messe paroissiale, afin de nommer des
collecteurs des trois eschelles, suivant l'ordonnance, pour Tannée pro-
chaine 1662, à peine de dix livres d'amende, et d'en raporter aux gens
de nostre eslection laditte nomination dans huictaine.
Donné à Caen, le dernier jour d'octobre mil six cent soixante et un*.
En 1664, le mandement des mêmes élus est beaucoup plus
développé; il résume le règlement d'août de la même année sur
la nomination des collecteurs et la confection des rôles 3. Celui
de 1673 contient de longues prescriptions sur la nomination
des collecteurs d'office et sur l'action en décharge de collecte*.
Pendant la période de 1664 à 1681, les intendants n'expé-
dièrent pas tous les ans des mandements; quand ils en expé-
diaient, ils y introduisaient la même variété que les élus 5. Par
exemple, dans le mandement de ljintendant de Caen en 1678,
on trouve des prescriptions sur le nombre des collecteurs,
l'appel de leur nomination, les accords entre collecteurs et
receveurs pour les paiements, les translations de domicile6.
1. Règlements de Normandie, p. 130, repris à peu près textuellement par l'arrêt
du Conseil du 23 septembre 1681, art. 1 (ibid., p. 210.)
2. Imprimé. Le nom de la paroisse est ajouté à la main. Au bas sont les signa-
tures de six élus (A. D. Calvados, élection de Caen, registre des ordonnances de
l'élection de 1656-63, f° 461.)
3. Ibid., registre de 1664 à 1671, à sa date.
4. Ibid.
5. On ne peut pas regarder comme une formule habituellement employée celle
que donne Gauret dans son Slile du conseil du roy, p. 412. — Le mandement de
l'intendant se distingue par sa forme de celui des élus : c'est une ordonnance,
tandis que celui des élus est une sentence (ibid., p. 411). Voir des mandements
aux Arch. Calv., Election de Caen, et dans les papiers de Leblanc, B. N. fr. 8 761 bls.
6. A. D. Calvados, Bureau des finances.
166 LA TAILLE EN NORMANDIE.
Il arrivait que le mandement des élus et celui de l'intendant
fussent en contradiction. Ainsi, en 1673, tandis que les élus de
Caen ordonnent de tenir l'assemblée le premier dimanche d'oc-
tobre, l'intendant indique le premier dimanche de septembre;
les élus donnent un délai d'un mois aux syndics pour déposer
le procès-verbal de l'assemblée, l'intendant ne donne que huit
jours, etc!. Mais ces divergences n'avaient pas de grandes con-
séquences dans la pratique, les contribuables faisant fort peu
de cas des règlements, quels qu'ils fussent.
Les mandements étaient adressés aux paroisses par l'intermé-
diaire du receveur particulier2 qui les faisait porter par ses
huissiers ou sergents au procureur syndic de chaque paroisse.
Ils devaient être publiés par le curé au prone de la grand'messe
« par deux dimanches consécutifs3 ».
II. — L'ASSEMBLEE PAROISSIALE
Le but principal du mandement était de hâter la réunion de
l'assemblée : nommés trop tard, les collecteurs ne pouvaient
dresser leurs rôles de façon à faire le premier versement au
receveur a la date fixée; toute la perception s'en trouvait com-
Promise, de la même façon quelle l'eût été par un retard dans
expédition du brevet ou des commissions*.
Avant 1664, il n'y avait aucune date fixée pour cette réunion.
L'art. 39 du règlement de janvier 1634 spécifiait seulement
ju'elle devait avoir lieu « a jour de dimanche ou feste 5. » La
nation d'août 1664 précisa le « premier dimanche ou feste
au'ell
éclai
Le roi avait
mettait en
1. Ces divergences s'expliquent d'ailleurs dans ce cas particulier. 1
publié un nouveau règlement au mois d'août 1673, et 1 intendant le
vigueur. Au contraire, les élus suivaient la législation ancienne, probablement
parce que le règlement n'était pas venu à leur connaissance, n'étant pas encore
enregistré h la cour des aides de Rouen.
2. Lettres patentes d'août 1664, art, 2; arrêt du conseil du 23 septembre 1681,
art. premier.
3. Edit. de janvier 1634, art. 39, et arrêt du conseil du 23 septembre 1681, art. 2.
4. Ce motif est expliqué dans le préambule de l'arrêt du conseil du 5 décem-
bre 1657 : « Les longueurs qui arrivent ordinairement procèdent de ce que les
habitants des paroisses... retardent la nomination des asséeurs et collecteurs des
tailles jusque après la réception des commissions qui leur sont envoyées, ce qui
est cause le plus souvent qu'il se fait des frais excessifs et des contraintes rigou-
reuses pour la solidité des sommes imposées, et outre que les collecteurs estant
pressés après leur nomination sont obligés de faire leurs rolles précipitamment
sans observer aucun ordre niesgalité » (A. D., Calv.). Presque tous les règlements
sur la levée des tailles contenaient des mesures pour obliger les paroisses à
nommer assez tôt leurs asséeurs.
5. Dans son arrêt de vérification, la cour des aides de Rouen avait ordonné la
nomination des collecteurs « dans le mois d'octobre ». (Réglementa de Normandie,
S. 111). L'édil d'octobre 1645 prescrivit la tenue de l'assemblée dans les paroisses
e Normandie immédiatement après la réception des mandements pour la levée
de l'impôt (De Bcaurepaire Cahier» des états, règne de Louis XIII, t. III, p. 347).
Mais toutes ces mesures demeuraient vagues et insuffisantes.
L ASSEMBLEE PAROISSIALE. 167
du mois d'octobre1 ». Cette date fut avancée d'un mois par la
déclaration du 20 août 1673 2, mais celle du 23 septembre 1681
revint au premier dimanche d'octobre 3.
Les paroisses ne mettaient aucun empressement à nommer
leurs collecteurs. « C'est, écrit Colbert en 1681, un des plus
grands défauts que nous trouvons presque partout dans l'impo-
sition de la taille 4. » Les intendants sont chargés d'observer
« si les collecteurs sont nommés dans les temps prescrits par
les règlements 5 ». En leur envoyant le règlement du 23 sep-
tembre 1681, le ministre leur écrit : « Sa Majesté m'a ordonné
de vous l'envoyer afin que vous teniez la main à ce qu'il soit
enregistré dans tous les bureaux des élections, que vous l'expé-
diez ponctuellement... et le fassiez observer et exécuter 6. »
Pour punir les paroisses retardataires, une amende de dix
livres fut établie par l'édit d'août 1673 (art. 2), mais si elle fut
quelquefois prononcée7, on y renonça bientôt : en février 1681,
Colbert ayant demandé des renseignements sur l'application de
la peine, Leblanc lui répondit : « A l'égard des condamnations
d'amendes, il n'y en a presque point eu, elles n'ont point été
mesmes exécutées 8 ». Colbert renouvela ses ordres. « Mon sen-
timent, écrit-il à l'intendant de Soissons en 1682, est que,
pour obliger les habitants à être plus ponctuels à l'avenir...
vous fassiez payer cette amende sur un rôle que vous arresterez
à 30 ou 40 paroisses dans l'estendue de la généralité qui auront
1. La Cour des aides de Paris avait déjà rendu un arrèl le 27 avril 1660 ordon-
nant la nomination « avant le quinziesme octobre de chacune année » (B. N. fr.,
21 419, p. 100-101); ledit de mars 1667 renouvela celui d'août 1664, qui était déjà
tombé en désuétude. (G. d. T. II, p. 19.)
2. Sur ce règlement, l'intendant de Bouville fait observer le 1er septembre 1683,
que la nomination en septembre est peu utile, puisqu'on laisse aux syndics jus-
qu'au lor novembre pour faire enregistrer l'acte; il faudrait, dit-il, avancer aussi
le délai d'enregistrement au 1er octobre; les intendants pourraient faire les nomi-
nations d'office lors du département, et au 8 novembre tout serait terminé
(A. N. G', 71).
3. Elle fut confirmée sur ce point par l'art. 2 de la déclaration de 1683, mais
une nouvelle déclaration du 23 août 1685 revint encore à la date de septembre.
(Mém. alphab., p. 53-54). Ces fluctuations, qui n'étaient motivées par rien, sont
un des nombreux exemples du désordre de cette législation.
4. Clém. II, p. 207.
5. Ibid., p. 132.
6. Circulaire du 25 septembre 1631. (Clém. II, p. 187.) Les intendants exécu-
tèrent ces ordres en envoyant de bonne heure les mandements pour la nomina-
tion et ceux pour la levée : en 1679 celui de Caen enjoint aux paroisses de faire
l'assemblée « dans les trois jours de la réception du présent mandement »
(A. D. Calv., Elect. de Caen).
7. Le 8 décembre 1673, les habitants Nde Rots délibèrent sur « une vendue faite
sur les paroissiens en commun par la prise de dix vaches le sixième jour du
mois dernier pour les assujettir a establir des collecteurs du sel et de la taille
pour l'année prochaine 1674 ». (A. Mun. Rots, B B 5, f° 49). Il est probable qu'il
s'agissait ici d'une amende prononcée en vertu de l'édit d'août précédent.
8. A. N. G"1 491. Cf. une ordonnance de Leblanc, 30 juin 1677, motivée par ce
que « faute de nomination de collecteurs par les habitans et scindics des
paroisses,... on les condamne en des sommes considérables, dont les deniers
sont divertis, et pour lesquels on leur fait des frais extraordinaires » (B. N. fr.,
8 761 bis, f° 60).
168 LA TAILLE EN NOKMANDIE.
manqué l'année dernière seulement à faire cette nomination1 ».
Mais il n'obtint pas meilleur résultat : l'intendant d'Alençon,
de Morangis, écrit le 10 juillet 1684 que malgré les menaces,
les paroisses s'abstiennent de nommer des collecteurs en temps
voulu; quand on leur inflige l'amende, tous les habitants se
cotisent pour la payer, ce qui fait une somme infime pour
chacun, et on est toujours obligé de procéder d'office à la nomi-
nation2.
De cet échec on peut juger par le tableau suivant, qui donne
les dates de nomination des collecteurs dans deux paroisses
de l'élection de Caen, Rots et Tracy, pour la plupart des
années de 1661 à 1683* :
kOT6
1661 26 déc. 1660
1662 N janv. 1662
1663 29 oct. 1662
1664 30 déc. 1663
1665 5 oct. 1664
1666 8 nov. 1665
1667 12 déc. 1666
1668 25 déc. 1667
1669 14 oct. 166S
1670 l"déc. 1669
1671 21 déc. 1670
1672 24 janv. 1672
1673 11 déc. 1672
1674 8 déc. 1673
1675
T676
1677 8 déc. 1676
1678 19 déc. 1677
1679 18 déc. 1678
1680
1681
1682
1683
On voit que, dans les deux paroisses, les collecteurs furent
nommés après la date réglementaire toutes les années, à
l'exception de deux : à Rots, la déclaration d'août 1664 est
appliquée l'année de sa promulgation, mais dès l'année suivante
on revient à l'ancienne habitude et on la conserve; c'est à peine
si en 1668 on fait un petit effort pour avancer l'assemblée en
1. Clém. II, 207. ,
2. A. N. G', 213. Étant à Caen, de Morangis avait écrit le 9 nov. 1679 qu'à cette
date « la plus grande partie des paroisses a nommé des collecteurs » (A. N. C, 71),
et le 28 octobre 1682 Colbert le remerciait de lui avoir encore annoncé la même
nouvelle (Clém. II, 212). Mais le 1" septembre 1683 il déclarait qu' « un grand
nombre de paroisses » de sa généralité étaient en retard pour la nomination
(A. N. G\ 71).
3. Ces renseignements sont tirés pour Rots, des registres paroissiaux conservés
aux Arch. mun. (B B 4 a 6), et pour Tracy, des « registres de consentement »
de la paroisse, Arch. Calv., élection de Caen.
4. A l'assemblée du 5 oct. précédent, les habitants ne purent procéder à l'élec-
tion « pour le peu de personnes qu'ils estoient ».
TRACY
29 janv.
1C62
20 janv.
1664
2 nov.
1664 ♦
21 déc.
1665
20 janv.
1667
'11 déc.
16H7
26-2 T déc.
1668
22 sept.
1669
10 jnnv.
6 janv.
1671
1672
18 déc.
1672
10 déc.
1673
9 déc.
1674
5 janv.
1676
13 déc.
1676
6 janv.
1678
30 déc.
1678
17 nov.
1680
8 déc.
1681
L ASSEMBLEE PAROISSIALE. 169
octobre ; mais toutes les autres années, on se réunit en décembre
et même en janvier. A Tracy, on fait également un essai d'appli-
cation du nouveau règlement en 1664, mais l'essai n'est pas
heureux, car l'assemblée ne réunit pas le quorum nécessaire;
en 1669, on arrive à tenir l'assemblée en avance : le 22 sep-
tembre, mais, comme par compensation, on a, l'année suivante,
un retard de trois mois. Nous ne possédons pas pour d'autres
paroisses des indications aussi complètes, mais quand on trouve
les dates des assemblées, on voit qu'elles sont postérieures au
mois d'octobre; l'époque habituelle est le mois de décembre1.
L'autorité avait cependant, outre les amendes, un bon procédé
de contrainte : la nomination d'office des collecteurs. Mais
devant une désobéissance aussi générale, il était très difficile
d'appliquer les peines; l'intendant ne pouvait songer chaque
année à intervenir dans les milliers de paroisses qui étaient en
défaut. Puis, les élus semblent avoir été complices de la déso-
béissance, soit par simple négligence, soit par calcul. L'inten-
dant de Caen écrit en effet en 1680 que, si les collecteurs ne
sont pas élus dans les délais légaux, « c'est plustost par la
négligence des procureurs du roi des eslections, et des rece-
veurs des tailles, que par affectation de les nommer et faire
nommer d'avance ». Son collègue d'Alençon, en 1683, accuse
nettement les élus de favoriser les retards pour pouvoir faire,
comme le règlement d'août 1673 les y autorise, des nominations
de collecteurs d'office, acte qui leur donne « de l'autorité ». Le
règlement du 23 septembre 1681 interdit bien aux élus, comme
on le verra, de faire ces nominations d'office en l'absence de
l'intendant, mais celui-ci avait trop à faire pour intervenir dans
tous les cas : « La pluspart des intendans, écrit Bouville en 1683,
voyant qu'ils ne pouvoient se rendre dans toutes les eslections
de leurs départemens depuis le dernier octobre jusques au hui-
tième de novembre, ont mandé aux eslus de faire lesdites nomi-
nations, qu'ensuite ils ont signés » de sorte que « ces mesmes
abus subsistent aujourd'hui 2 ».
La réunion de l'assemblée devait se faire au son de la cloche
ou du tambour, suivant l'usage des lieux, à la sortie de la messe
ou des vêpres 3.
1. A Honfleur, qui est une paroisse importante, on trouve une élection faite
le 16 août, en 1671 (Bréard. Les arch. de la cille de Honfleur, p. 125), mais voici
les dates d'autres années, d'après le même ouvrage : 1665, 25 oct. ; 1667, 6 nov. ;
1668, 18 nov.; 1673, 15 oct.; 1679, 15 décembre.
2. Mémoire de l'intendant de Bouville du 1" septembre 1683. (A. N. G7, 71).
L'intendant de Caen, Méliand, proposait le 15 août 1680 de rendre les élus et les
receveurs des tailles responsables du retard « à peine d'amandes et d'interdic-
tions qui seroient prononcées contre eux par le commissaire départy ». (Ibid.)
Son projet ne fut pas pris en considération.
3. De Merville, Maximes des tailles, art. Collecteurs. — Cf. Mém. Alphab., p. 10;
Vieuille, Nouveau traité des élections, p. 241 : La Poix de Fréminville, Traité...
des communautés d'habitants (1760), p. 186 à 196. Prouhet, Contribution à Vétude
170 LA TAILI.l 1 H \ollMANIMi:.
La règle la mieux observée fut celle qui ordonnait de se
réunir un dimanche ou jour de fête. C'était le moment où il
était le plus facile de réunir tous les intéressés, dont certains
habitaient des écarts éloignés. Dans les paroisses pour lesquelles
on a des renseignements, on ne trouve pour ainsi dire aucune
exception à la règle : si à Tracy une réunion est tenue le lundi
27 décembre 1668, c'est parce que la veille l'assemblée n'avait
pu terminer ses travaux. De même à Rots, on se réunit le mardi
8 décembre parce que l'élection faite le dimanche précédent a
été cassée par les élus. L'intendant de Caen écrit dans son rap-
port du 15 août 1680 que dans sa généralité la nomination se
fait toujours un dimanche ou jour de fête, à la sortie de la messe
paroissiale '.
Le lieu de réunion n'est pas le même partout. Il n'existe pas, en
général, de maison commune, où les habitants puissent s'abriter;
il est défendu par tous les règlements de se réunir dans « une
maison ou lieu privé et particulier2 ». On s'assemble donc soit
sur la place publique, soit dans l'église ou à la porte. Habi-
tuellement, la réunion se tient à la porte de l'église. A Gisors,
en 1681, l'intendant Leblanc a prescrit que la réunion « se
feroit par les habitans a l'hostel de ville, en présence des
eschevins », parce que sans cela les élus en auraient été « les
maistres3 ».
La composition de l'assemblée n'est pas réglementée avec
rigueur. L'usage était, semble-t-il, que tous les habitants de la
paroisse contribuables à l'impôt eussent le droit d'y assister.
Mais la question n'avait pas grande importance; on ne faisait
jamais de compte rigoureux des voix, et on ne trouve pas,
dans les procès-verbaux, de contestations relatives à la présence
de telle ou telle personne à la réunion*. Les agents du roi
se préoccupaient surtout d'écarter les personnes « d'autorité » qui
des assemblée» générales des communautés d'habitants, dans les Mém. Soc. des
anti'/uaires de l'Ouest, 1902, p. 1-*2'J2; Merlet, Des assemblées de communautés
d'habitants dans l'ancien comté de Dunois, Chartres, 1894; H. Babeau, Les assem-
blées générales des communautés d'ha'iitants, Paris, 189:}.
1. A. N. G"213. Il ne se tient, en règle générale, qu'une assemblée pour toute la
Saroisse. Toutefois, une exception est admise pour les hameaux séparés du centre
e la paroisse, qui ont le droit, du moins en Normandie, de nommer leurs collec-
teurs à part, afin, dit la Cour des aides dans ses remontrances sur l'art. 9 de
Tédit de mars 1600, « que les habitans desdits hameaux ne soient grevez et
opressez, et d'ailleurs que. iesdits asséeurs sont mieux informez des biens et
facultez des habitans desdits hameanx >. (Règlements de Normandie, p. 63.)
2. Edit de juin 16.VJ. art. 7. — Cf. un arrêt de la cour des aides de Paris dn
13 mai 1659 confirmant cet édit, dans Vieuille, p. 243.
3. Lettre du 13 février 1682. B. N. fr. 8 761, fol. 42.
4. Les jurisconsultes ont essayé de préciser la question ; Denisart dit : « Qui-
conque a In vie civile est membre de la communauté d'habitants du lieu où il a
son domicile ». (Collection de décisions, art. Communauté d'habitants); Loysel :
« Droit de bourgeoisie s'acquiert par an et jour ». (Institutes, liv. I, tit. I, règle
21). — Domat. La Poix de Frémin ville, Guyot, etc. traitent également la question,
mais il semble bien que toutes ces règles aient été très peu suivies par les
paroisses, qui les ignoraient.
L ASSEMBLEE PAROISSIALE. 171
auraient pu fausser les décisions. Dans son mandement de
septembre 1675, l'intendant de Gaen écrit : et Faisons deffense
à toute personne, de quelque qualité et condition qu'elle soit,
autre que les taillables, de se trouver ausdites nominations de
collecteurs, ny d'user d'aucunes violences et intimidations pour
raison d'icelles, à peine d'estre procédé contre eux suivant la
rigueur des ordonnances et de demeurer responsables en leurs
propres et privez noms des deniers de Sa Majesté1. » Une seule
exception était admise, c'était la présence du curé ou d'un scribe
pour rédiger le procès-verbal2; encore n'est-il pas certain qu'il
ait toujours réellement assisté à la délibération3.
Un quorum était exigé pour la validité de l'élection et, en
général, de toutes les décisions prises. « Il faut au moins dix
habitants pour composer la communauté des habitants dans une
assemblée dûment convoquée, bien entendu si tous les habitants
excèdent le nombre de dix, car en matière de ces assemblées, ce
n'est pas le cas de dire que très faciunt collegium i ', » Dans les
rares actes d'assemblées paroissiales que j'ai rencontrés, j'ai
trouvé un cas où cette règle fut appliquée : à Tracy, le 5 oc-
tobre 1664, les paroissiens « n'ont peu procéder à l'eslection,
pour le peu de personnes qu'ils estoient » ; il n'y avait que six
présents5. Les habitants n'assistaient pas volontiers aux assem-
1. A. D. Calvados, élection de Gaen. — Cette défense élait portée par tous les
règlements. Elle fut particulièrement précisée par l'ordonnance des gabelles en
1680 pour la nomination des collecteurs du sel, qui était faite en même temps
Îue celle des collecteurs de la taille : « Nul ne pourra assister à la nomination
es collecteurs avec les habitants... excepté le notaire ou sergeant qu'ils voudront
choisir pour rédiger par écrit l'acte de nomination » (tit. VIII, art. 8). Il est
défendu « à tous seigneurs, gentilshommes, juges, officiers et autres personnes,
de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'intimider ou contraindre les habi-
tants... de faire faire les nominations... en leur château et maison, ni d'en
prendre la communication avant que l'acte de nomination ait été remis au greffe
du grenier » (art. 10). Ces interventions de personnes « autorisées » devaient
exister en Normandie, puisque les intendants songent à les interdire, mais je n'en
ai pas trouvé d'exemples.
2. Suivant de Merville {Maximes générales, p. 32), l'acte doit être dressé par
« un notaire ou autre personne publique ». Mais l'élu Pescheur affirme, en 1665,
que les paroissiens « n'en trouvent point qui s'en veule entremettre, tous ceux
qui le peuvent faire estans intimidez par les juges ordinaires des lieux dont ils
dépendent », lesquels juges tiennent à dresser eux-mêmes l'acte (M. C. 33, f° 287).
3. Dans les sentences des élections ou de la Cour des aides ordonnant de tenir
l'assemblée de paroisse, il est souvent ordonné que la réunion se fera par-devant
le curé ou telle autre personne, comme un notaire ou un greffier nommément
désigné. Dans son Mémoire du 15 août 1680, l'intendant de Caen dit que les nomi-
nations de collecteurs se font « devant le curé ou vicaire » (A. N. G7, 213). Les
mandements en portent également Tordre. Mais dans le registre des délibérations
paroissiales de Tracy, le curé qui rédige l'acte emploie généralement la formule :
« lesdits paroissiens m'ont dit à leur retour », ce qui laisse supposer que le curé
était resté à l'écart de l'assemblée.
4. De Merville, Maximes générales sur les tailles (Paris 1725). Cf. Le Pain, Le
praticien françois, éd. 1622, p. 142; La Poix de Fréminville, Traité... des commu-
nautés d'habitants, édit. 1760, p. 189; et Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit
des tailles, t. I, p. 86.
5. A. D. Calvados, élection de Caen. Le Dr Prouhet cite des cas où, en Poitou,
les assemblées s'ajournèrent faute de quorum pour la nomination des collecteurs
(ouv. cité p. 45).
172 LA TAILLB EN NORMANDIE.
blées : ainsi ii Honfleur, en 1668, le syndic propose une amende
contre « les notables bourgeois » qui s'absentent sans excuse
de la réunion qui élira les collecteurs; quatre ans après, l'inten-
dant de Rouen ordonne que vingt des principaux bourgeois,
assignés par les échevins, seront tenus de s'y trouver, à peine
de 30 sous d'amende1.
On ne voit jamais de président de l'assemblée; le syndic n'est
pas nommé dans les procès-verbaux; aucun vote régulier ne
semble être fait : il y a un simple concert des habitants entre
eux, et à la suite de leur conversation, des noms sont prononcés
et enregistrés au procès-verbal. Les principaux contribuables
ont sans doute voix prépondérante; les « coqs de paroisse »
peuvent intervenir sans obstacle, et, comme la désignation
n'est pas faite en secret, chacun a à craindre les représailles.
La Barre, dans son Formulaire, prévoit le cas où « personne
ne veut dire mot », parce qu' « ils craignent de les nommer,
de paour qu'ils les haussent a la taille » : alors, dit-il, l'élu
« peut commander aux collecteurs presens de nommer un suc-
cesseur, et en cas de décord et refus, les prendre sur le rolle ».
Le procès-verbal est, dans les paroisses qui ont de l'ordre,
rédigé sur un registre; il est signé par les membres qui savent
écrire, et les illettrés font un « merc », c'est-à-dire une marque
à côté de laquelle le secrétaire inscrit leur nom2.
Voici un de ces procès-verbaux :
« Le dimanche vingt-sixiesme jour de décembre mil six cens
soixante, issue de messe paroissiale de Rots, par nous Gille du Hamel
curé dud. lieu dicte et célébrée, les parroissiens soubssignés dont les
noms ensuivent [12 noms], tous assemblés en forme de commun pour
desliberer de leurs affaires et spetiallement pour nommer des assiet-
teurs de la taille en Tannée prochainne venant pour soixante et un, et
après avoir desliberé entre eux ils ont nommé la personne de Guillaume
Dessillon fils Pierre, Nicollas Masselin et Jacques du Val fils Jean,
lesquelz feront ladite assiette en leurs âme et concience et suivant le
mandement à eux envoyé pour ce subjet, présence de Pierre du
1. Bréard, Les Archiva de Honfleur, p. 123 et 125; cf. p. 116. On voit d'après
cela qu'on attachait plus d'importance à la présence des • notables bourgeois *
qu'à celle des autres habitants.
2, Le registre est visé et folioté par un officier de l'élection. Voici le titre de
celui de Rots, contenant les procès-verbaux de 1641 à 1665 : « Registre de M' Gilles
du Hamel prebtre curé de la paroisse de Rotz contremarque au nombre de cent
quatre-vingt-quinze feuillets pour mettre et registrer tous les certificats et décla-
rations qui seront faictes et passées devant luy par la communauté de lad.
parroisse touchant et qui concerneront les deniers de la taille ou la jurisdiction
de l'Election de Caen conformément aux mandements envoyez aux parroisses
d'icelle parroisse tant pour la levée du principal de lad. taille taillon que creues
y* jointes et tous autres mandements et taxes envoyez pour le Roy par lad. Elec-
tion à peine de l'amende portée par les ordonnances nu cas appartenant. Faict
par nous juge et officier du Roy de lad. Election soubzsigné auiourdhuy
mil six cent quarante et un » (A. mun. Rots, BB4). La tenue de ce registre ne
semble pas avoir jamais été prescrite par une ordonnance royale, aussi devait-il
manquer en bien des paroisses.
LES EXEMPTS DE COLLECTE. 173
Hamel, Jacques Rocque. » (Suivent 7 signatures outre celle du curé, et
10 « mercs1 »).
Mais toutes les paroisses n'enregistrent pas leurs nomina-
tions ; l'intendant de Caen s'en plaint en 1682 : « Les commu-
nautés ne tiennent aucun registre de ce qu'ils font, surtout dans
les paroisses de la campagne et petites villes où les habitans
agissent et se conduisent sur l'occasion présente seulement, et
tousjours avec quelque confusion, ainsi qu'ils ont accoustumé
de longue main 2. »
L'acte de nomination devait être, dans le délai de huit jours,
porté par les syndics à l'Election, qui l'enregistrait3. Le registre
était clos le premier novembre ; les greffiers devaient faire
l'enregistrement et en délivrer des extraits aux intéressés « sans
qu'ils puissent exiger d'eux plus de deux sols, a peine de con-
cussion » 4. L'intendant de Rouen faisait aussi remettre une
copie de l'acte au receveur de l'élection 5.
III. — LES EXEMPTS DE COLLECTE
L'assemblée paroissiale ne pouvait porter son choix sur n'im-
porte quel contribuable : il y avait des exempts de collecte.
Cette exemption était particulièrement recherchée, parce que
la collecte était non seulement onéreuse, mais méprisée. Déjà
au début du xvie siècle le président Labarre déplore les charges
qui incombent aux collecteurs : « Ils sont, dit-il, écrasés sous
le faix, à la mercy des sergeans et coureurs, ruinez de biens,
pourrissent es prisons... O bon Dieu, quel désordre de ce
malheureux siècle! Faut-il que tant de gens de bien ne voient
goutte dans telle affaire 6 ». Un mémoire anonyme adressé au
lieutenant de police La Reynie le 19 avril 1684 explique com-
ment chaque collecteur est presque certain d'être ruiné par
l'exercice de sa charge7. Boisguilbert, dans son langage éner-
1. A. Mun. Rots, B B 4, f° 163. — On observe des variantes infinies mais peu
importantes dans les différents procès-verbaux. Voir des actes analogues publiés
dans Hu, Le bailliage seigneurial de Pontlevoy (Blois, 1884), t. I, p. 14; Remondière,
Les charges du paysan avant la Révolution (Paris 189i), p. 165, n. 1; Prouhet,
Contribution à l'étude des assemblées générales des communautés, p. 161.
2. Lettre de Méliand à Golbert, 7 juillet 1632. A. N., G'213.
3. Je n'ai pu me rendre compte si cette règle était respectée; je n'ai trouvé
aucun de ces extraits d'acte dans les papiers des élections, ni aucun des registres
réglementaires qui devaient contenir ces enregistrements.
4. Mandement aux paroisses de la généralité de Rouen, 1677, B*. N. fr. 8761bl",
f° 52.
5. Ibid.
6. Formulaire des esleuz, p. 100.
7. Publié dans De Boislisle, Mémoire de Vintendant de Paris, p. 766 : « Le
nombre (des misérables) augmente toutes les années de quatre dans chaque
village, étant certain que les quatre personnes nommées dans chaque paroisse
174 LA TAILLB EN NORMANDIE.
gique, dira un peu plus tard : « Il n'y a qui que ce soit, jus-
qu au plus misérable, qui ne vende sa chemise pour estre
exempt de cette servitude'. » Vauban reprend, la même idée,
et elle sera un thème commun à tous les réformateurs du
XVIII* siècle. Des administrateurs, comme d'Aube et Vieuille,
2 ni avaient vu fonctionner l'institution, sont du même avis *.
l'est une charge « très basse et très onéreuse », dit Vieuille;
un juge seigneurial, explique le jurisconsulte d'Espeisses, ne
peut être nommé collecteur, car « ce seroit compromettre la
dignité du magistrat : honorent sustinenti munus imponi non
potest ». Un des avantages que les habitants de Niort verront à
l'établissement de la dime royale dans leur élection, en 1718,
c'est la suppression de la collecte'. De nombreux cahiers du
tiers état en 1789 demanderont également la suppression de cette
charge parce quelle est « odieuse » et « accablante ». Quand
un individu exempt de collecte défend son privilège, il sou-
tient toujours que l'honneur de sa fonction lui interdit une telle
charge*. Aussi, quoique le nombre des contribuables, par les
exemptions de taille, soit considérablement réduit, il ne faut
pas s'étonner de trouver encore dans ce petit nombre une foule
d'exempts de collecte6.
Les avocats sont dans ce cas, non en vertu d'actes royaux,
mais en vertu d'arrêts de cours des aides ; la seule condition
exigée est qu'ils plaident et consultent réellement auprès d'un
tribunal royal*.
pour lever les tailles sont ruinées au bout de Tannée de leur collecte... Voyez
combien il y a de villages en France et combien de misérables se font toutes les
années par la collecte. >
1. Le détail de la France, éd. 1707, t. I, p. 100.
2. Mémoire de d'Aube (1738) B. M. fr. 21 812, p. 77; Vieuille Nouveau traité des
élection* (1739), p. 232.
3. De Saivre, La dîme royale à Niort et à La Rochelle en 1H8, p. 38.
4. Voir par exemple le Plaidoyer d'un avocat à la cour des aides de Paris du
10 février 1634 : « Cette qualité d'avocat est tellement noble et relevée qu'il n'y
a aucune apparence de vouloir l'assujettir à une cbnrge sordide d'asséeur et de
collecteur des tailles » (dans Bardet et Berroyer, Recueil d'arrêts du parlement
de Paris (1690) t. II, p. 220).
5. Voir des listes d'exempts de collecte dans de Merville. Maximes générales,
p. 39-40; Vieuille, chap. xiv ; Mém. alp/iab. aux articles des diverses professions;
D'Espeisses, Œuvres, éd. 1750, t. III, p. 344 et suiv. ; La Barre, Formulaire,
chap. îv, etc.
6. Voir ces actes indiqués dans le Mém. alphab. au mot Advocat 4* et les con-
sidérations de Vieuille, Nouveau traité des élections, p. 265-266. On trouve cepen-
dant des avocats collecteurs. Ainsi, Gabriel Hainfray, nommé collecteur de la
paroisse de Pointel (élection de Falaise), pour l'année 1675, est avocat. Si sa
nomination est cassée par les élus, c'est uniquement parce qu'il n'est pas domi-
cilié dans la paroisse et non en raison de sa profession (sentence de l'élec-
tion de Falaise, 17 novembre 1674, dans le Plumitif de l'élection, A. D. Calva-
dos). Mais c'est là une exception. Cf. les considérants d'un arrêt de la cour des
aides de Paris du 11 juillet 1760, qui déclare les avocats exempts de collecte :
• Cette jurisprudence, qui n'est fondée sur aucune loi particulière, est dictée aux
magistrats et écrite dans tous les coeurs de ceux qui exercent la fonction de la
magistrature par reconnaissance pour une profession aussi honorable et aussi
utile. Il seroit indécent qu'un avocat se trouvât obligé de faire, de maison en
maison, la collecte des deniers royaux » (dans Auger, Mémoires pour servir à
LES EXEMPTS DE COLLECTE. 175
Les médecins sont également exemptés par des arrêts des
cours des aides, qui les considèrent comme « personnes publi-
ques ' ». Les chirurgiens et les apothicaires prétendent à la
même faveur, mais ne l'obtiennent que difficilement2.
Les ministres protestants étaient d'abord simplement exemptés
de la collecte par le 45e article particulier de ledit de Nantes,
mais ils furent ensuite déclarés entièrement exempts de taille3.
Les commis des fermes, qui ne sont pas, en principe, exempts
de taille, sont exempts de collecte4.
La collecte est également incompatible avec toute autre charge
publique, en vertu du principe qu'« un habitant ne peut être assu-
jetti à deux charges publiques en même temps8 ». Tel est le cas
pour les syndics des paroisses pendant l'année de leur charge,
les maires, échevins et greffiers des villes taillables, les mar-
guilliers, les collecteurs de la gabelle6. Mais quand ils ne sont
plus en fonctions, leur dispense cesse sans délai7.
Une autre classe d'exempts est formée par les femmes, les
septuagénaires et les malades incurables. Les femmes, en effet,
suivant une maxime générale, ne peuvent remplir aucune charge
publique8. Les septuagénaires ne peuvent pas être contraints
par corps, suivant les ordonnances9, mais ils doivent, pour
obtenir l'exemption, faire la preuve de leur âge, ce qui ne va
pas sans difficultés : la mauvaise tenue des registres de baptêmes
rend la preuve par écrit souvent impossible, et le règlement
d'août 1664, à l'art. 5, interdit aux tribunaux de recevoir la
preuve par témoins, à cause des fraudes qu'elle permet; toutelois,
dans la pratique, la preuve par témoins ne cessa jamais d'être
l'histoire du droit public de la France, p. 123). Un avocat « postulant », c'est-à-
dire exerçant la charge de procureur en même temps que celle d'avocat, est déclaré
sujet à la collecte par l'arrêt du conseil du 22 mars 1666.
1. Mem. alphab., p. 431-433.
2. Cf. Mem. alphab,, p. 58, et Vieuille, p. 267.
3. Voir ci-dessous, p. 234.
4. Règlement de janvier 1635, art. 14. Ordonnance des fermes de 1681, art. 11.
Cf. Mém. alphab. articles Commis et Fermier 4e.
5. Vieuille, p. 268.
6. Règlement d'août 166'é, art. 7; ordonnance des gabelles de mai 1680, tit. VIII,
art. 6. Cf. le Mém. alphab. à chacun de ces mots. On songea parfois à ne nommer
qu'un seul groupe de collecteurs dans chaque paroisse pour la taille et pour le
sel, mais la dualité des deux administrations rendit la réforme impossible. Les
collecteurs, écrit de Montluçon le sieur Coquille à Colbert le 23 octobre 1666,
ayant affaire à deux receveurs, •■ quelque ordre que l'on pust donner pour la
concurrance, les pouvoirs de collecteur seroient tousjours subjects à deux diffé-
rentes contraintes ». Mais le même correspondant considère néanmoins que la
réforme serait bonne, car « les compensations que les collecteurs de la taille et
de l'impost ont accoustumé de faire les uns avec les autres font bien souvent
la plus grande partie des restes qui sont de-ibs dans les paroisses » (M. C. 141b'%
f° 624.)
7. Mandement de l'intendant Leblanc en 1677, B. N. fr. 8 761bis, f° 52.
8. De Merville, Maximes, p. 40.
9. Cf. l'ordonnance civile de 1667, tit. XXXIV, art. 9. Mais si un septuagénaire
accepte la collecte, sa nomination sera valable et il pourra être contraint par
corps, parce que « le roi ne donne de privilège à personne contre lui-même ».
(Mém. alphab., p. 2.)
176 LA TAILLE EX XORMAXDIE.
admise, ainsi que le montrent les plumitifs d'élections l. Les
inal;itles qui ne peuvent matériellement pas faire l'assiette et la
collecte, les insensés, les personnes atteintes de « mal caduc »,
sont naturellement exempts : « C'est une maxime triviale dans
la cour des aides1 ».
Sont encore exempts les taillables qui ont été déjà collecteurs
de la taille ou du sel dans l'une des trois années précédentes.
Les charges de la fonction étaient trop considérables pour qu'un
même individu pût les supporter deux années de suite. En outre,
il était bon que chaque taillable fût collecteur à son tour, pour
éviter des injustices dans la répartition, « les collecteurs qui
seroient tentés de faire d'injustes impositions devant craindre
3ue ceux qui en souffriroient ne s'en vengeassent sur eux-mêmes,
evenus collecteurs à leur tour3 ».
La décharge de collecte fut en outre accordée par Colbert
comme une faveur à certaines professions ou états qu'il voulait
encourager; elle s'ajoutait aux exemptions de taille accordées
dans la même intention. Pour favoriser la « peuplade », l'édit
de novembre 1666, qui accordait l'exemption totale d'impôt aux
frères de famille de douze enfants, accordait l'exemption de col-
ecte à « tout père de famille qui aura dix enfants vivants nés
en loyal mariage, non prêtres, religieux ni religieuses * ».
Les principaux manufacturiers qui s'installèrent dans les
campagnes ou dans les villes taillables de Normandie reçurent
l'exemption : tel fut le cas de huit marchands drapiers d'Elbeuf
en 1666 5; elle leur fut accordée par simple décision admi-
nistrative sans aucun acte législatif. Cette mesure arbitraire
1. Cf. par exemple le plumitif de l'élection de Falaise aux dates des 17 octobre
1674, M octobre 1677, 8 novembre 1679, etc. (A. D. Calvados, élection de Falaise,
plumitif).
2. Mem. alphab., p. 431. Cf. Vieuille, p. 264.
3. Mémoire de l'intendant d'Aube (1738) B. N. m», fr. 21 812, p. 78. C'est le
règlement d'août 1664 qui déclara nettement exempts de collecte les collecteurs
de la taille et du sel pendant les trois année» qui suivaient leur sortie de charge.
Antérieurement, la collecte du sel ne jouissait pas du même privilège. L'arrêt du
conseil du '.< décembre 16'i3 (C. d. T. 1, p. 301, n.) ne* leur accordait l'exemption
de collecte des tailles que pendant un an. Cf. une sentence de l'élection de Falaise
du 17 nov. 1674 déchargeunt de la collecte au Mesnil Touffroy le sieur Jean Auger
parce qu'il n'y a pas eu • trois rooles frangs » depuis sa dernière nomination
(A. D. Calv., Plumitif de l'élection).
Lorsqu'un père de famille était collecteur, son fils pouvait l'être également s'il
était taillable, et le cas se présentait souvent : on donnait le fils en « aide ■ à
son père. Mais dans ce cas As ne comptaient tous deux que pour une personne.
Cf. une sentence de l'élection de Bayeux du 2 décembre 1673 : Gilles et Jean
Darmilly, père et fils, ont été seuls nommés collecteurs de la paroisse de Saint-
Laurent du Rieu ; le tribunal, considérant que « lesdits Darmilly • ne sont « censés
u'une seulle personne ■ nomme un autre collecteur à la place du fils (A. D.
alvndos, plumitif de l'élection de Bayeux).
4. Cli- m. 11,68, mais l'édit ne s'appliquait pas & la Normandie :cf. ci-dessous, p. 262.
Une nouvelle déclaration du 30 novembre 1715 accorda l'exemption de collecte
aux pères de famille de huit enfants. Ces exemptions n'étaient pas une nouveauté :
le droit romain exemptait de charges personnelles les pères de cinq enfants. Cf.
Lebrel, cinquantième action, Œuvres, p. o58.
5. M. C. 143, f 225 et suiv.
S
LES EXEMPTS DE COLLECTE. 177
souleva des protestations, mais les bénéficiaires défendirent
aprement leur privilège. Parmi eux étaient les sieurs Lemon-
nier et Lecointe, qui avaient été exemptés par une ordonnance
de l'intendant de Rouen, poar tout le temps qu'ils dirigeraient
leur manufacture ; l'ordonnance spécifiait en outre que leur cote
de taille ne pourrait jamais dépasser le chiffre auquel elle
s'élevait en l'année 1665, pour éviter qu'ils ne fussent acca-
blés par les collecteurs. Malgré cela, les habitants d'Elbeuf
nommèrent Lemonnier et Lecointe collecteurs pour 1667, et
firent augmenter leur cote de taille à proportion du déve-
loppement de leur manufacture ; ils récidivèrent en 1668,
en 1669 et en 1672. Chaque fois, une ordonnance de l'inten-
dant cassa la nomination et réduisit l'impôt des intéressés.
En décembre 1673, Lemonnier et Lecointe furent encore
nommés. Cette fois, l'affaire fut portée devant le roi par les
habitants qui, dans un placet, représentaient le préjudice à eux
causé par ce privilège, contraire à « l'article 24 de la déclara-
tion de Nancy ». Pour leur défense, les manufacturiers répon-
dirent qu'ils ne pouvaient vaquer à la collecte sans que leur
manufacture en souffrît, et .que la taxe de 900 1. qui leur était
imposée les accablait. Le Conseil, par arrêt du 17 *hiars 1674,
confirma les privilèges antérieurement accordés. Mais les habi-
tants ne se découragèrent pas. En octobre suivant, Lecointe
fut, pour la sixième fois, nommé collecteur; l'intendant, pour
la sixième fois, le déchargea et le fit remplacer. Mais, comme
précédemment, les collecteurs en fonctions surtaxèrent les deux
manufacturiers, qui firent réduire leur cote par sentence de
l'élection, le 19 novembre. Même manège encore l'année sui-
vante. Cette fois, la Cour des aides de Rouen intervint en faveur
des habitants : par trois arrêts des 27 février, 8 et 27 mars 1676,
elle condamna Lemonnier et Lecointe à faire la collecte. L'affaire
revint au Conseil qui, par arrêt du 13 février 1677, renvoya les
parties devant l'intendant. Il fallut un nouvel arrêt pour clore
la contestation et imposer silence à la Cour des aides. Il est
possible qu'après la 'mort de Colbert, les manufacturiers aient
été encore plusieurs fois inquiétés1.
1. Le récit de l'affaire se trouve dans une lettre de l'intendant Voysin du
26 février 1666 (M. C. 136, f° 511) et surtout dans un Mémoire de l'intendant
Leblanc de 1677 (B. N. fr. 8761 bis, f° 34-38) et dans une note du 11 décembre 1673
rédigée par un secrétaire de Colbert (M. C. 166 bis, f° 583).
Diverses professions avaient reçu à certains moments des exemptions de
collecte. Mais le privilège leur avait été retiré ou au moins leur était contesté à
l'époque de Colbert. Ainsi, les commissaires aux saisies mobilières invoquaient
un arrêt de la cour des aides de Paris pour se dispenser de fair» la collecte, quoi-
qu'un autre arrêt du 11 janvier 1676 leur eût retiré la dispense. (B. N. fr. 21 419,
>. 113). Colbert veilla à ce qu'ils fussent nommés comme les autres taillables.
Circulaire aux intendants du 5 mai 1679, Clém. II, p. 98.) Cf. une lettre de
Leblanc à Colbert du 12 avril 1679 (A. N. G7 491). Les taverniers et cabaretiers
!«
avaient été exemptés au début du siècle par l'édit d'établissement du droit annuel,
mais l'arrêt du conseil du 20 janvier 1635 révoqua leur privilège à cause du
LA TAILLE EN NORMANDIE. 12
178 Ul.l.i. I.\ MMl.MAXIMK.
Il semble que les illettréfl auraient dû être déclaréf incapables
de collecte, puisque leur principale fonction «Hait de rédiger les
rôles et de marquer sur le « cueilloir » les sommes perçues1.
Mais si l'on avait suivi cette i«-^le, un trop grand nombre de
contribuables eussenl été exemptés, et même, dans certaines
paroisses, il eût été impossible de trouver des collecteurs. C'est
pourquoi les réglementa exigeaient seulement que, dans chaque
paroisse, un collecteur au moins fût instruit, et il était spécifié
que la règle ne s'appliquait que « quand, dans la paroisse,
il se trouve plusieurs personnes qui sçavent lire et écrire* ».
Comme le cas se présentait souvent, il est commun de trouver
tous les collecteurs d'une paroisse illettrés3. Un intendant écrit
même vers 1090 qu'il « est rare » que, parmi les collecteurs, il y
en ait un sachant bien écrire*.
En principe, un insolvable ne pouvait être collecteur, car s'il
dilapidait les fonds recueillis, ou si, par négligence, il ne faisait
pas rentrer l'impôt, le roi n'avait aucun recours contre lui :
nommer des collecteurs insolvables, déclarait la cour des aides
de Paris en 1596, c'est « rendre les exécutions et les contraintes
illusoires à l'encontre d'eux5 ». L'art. 39 du règlement de jan-
vier 1634 rendait la paroisse responsable du recouvrement de
l'impôt si elle avait nommé un collecteur sans fortune; la décla-
ration d'août 1664, art. 18, fut plus catégorique encore : le roi
avait constaté que, très souvent, des paroisses, à l'instigation
de seigneurs et d'autres personnes d'autorité, nommaient exprès
des collecteurs insolvables, auxquels on promettait même des
préjudice qu'il portait aux autres taillablcs. (A. Mun. Rouen, 183, n° 3). — Les
notaires ne sont pas dispensés de la collecte parce que, dit Lebret « la fonction
de tabellion eu de notaire a jusqu'aujourd'hui été tenue pour vile, abjecte et sans
aucun privilège ». ((JHuvres, p. 558.)
1 . Vieuille, Traité de* élections, p. 250.
2. Du Rousscaud de la Combe, Traité des tailles, dans les (ouvres de d'Es-
peisses, t. III, p. 395. Suivant de Merville (Maximes, p. 40), « si tous les collec-
teurs nommez ne sçavoient ni lire ni écrire, le dernier des collecteurs seroit en
droit de se faire décharger, et de demander qu'en son lieu et place il en fût
nommé un autre qui sçût lire et écrire » (référence à un arrêt de la cour des
aides de Paris du 14 janvier 1664).
3. C'est pour ce motif que les habitants de Blainville-sur-mer avaient fait choix
d'un collecteur « conventionnel > pour la perception : cf. ci-dessous, cliap. vu.
4. Recueil de l'intendant d'Orsay (B. N. fr. 11096, f° 62, verso). Les règlements
prévoyaient d'ailleurs le cas où tous les collecteurs seraient illettrés. Par exemple
l'édit de 16")4 (C. d. T. I, p. 455) prescrit de faire dresser les rôles ou les quit-
tances par le curé de la paroisse ou par un greffier. Mais il pouvait arriver que
le secrétaire fit des erreurs dans la rédaction de l'acte, qui néanmoins se trou-
vait valable dès qu'il avait été paraphé à l'élection. Le Mémorial alphabétique
(p. 654-655) cite un cas singulier de ce genre : les collecteurs de Loudun, étant
tous illettrés, avaient fait dresser leur rôle de taille par un scribe qui fit plu-
sieurs erreurs, omissions et doubles emplois. Les collecteurs l'apprenant, deman-
dèrent la réformation du rôle à l'élection ; mais les élus les déboutèrent et confir-
mèrent le rôle. Il fallut uu arrêt du conseil du 16 décembre 1702 pour casser la
sentence et faire refaire le rôle. Cet arrêt était d'ailleurs en contradiction for-
melle avec les règlements, qui interdisaient en tout cas de changer les rôles après
la vérification de l'élection.
5. Œuvres de Lebret, p. 475.
LES EXEMPTS DE COLLECTE. 179
indemnités et la subsistance quand ils seraient emprisonnés, de
sorte que c'était pour eux tout bénéfice, et le roi n'avait plus de
recours contre personne. C'est pourquoi il fut prescrit que, si
un collecteur était resté emprisonné un mois sans rien payer de
ce qu'il devait pour la taille, les élus prononceraient un jugement
de « solidité » contre les principaux habitants de la paroisse, et
ne laisseraient élargir les prisonniers qu'après que le receveur
aurait été payé au moins du quart de ce qui était dû par la
communauté1. Ces prescriptions furent encore reprises dans
les règlements de mars 1667, septembre 1681 et août 1683. On
a quelques exemples de leur application. Ainsi, l'élection de
Bayeux, par une sentence du 23 janvier 1674, interdit la col-
lecte dans la paroisse de Vienne à Michel Bidot, qui a tout
perdu son bien dans un incendie, et elle nomme d'office un
autre collecteur a sa place 2. Mais on trouve fréquemment
des collecteurs insolvables qui traînent dans les prisons. Le
11 novembre 1678, l'intendant de Rouen écrit qu'à Pont-
l'Evêque, une vingtaine de fripons, pour empêcher le recou-
vrement, font systématiquement nommer chaque année des
insolvables, et que l'impôt de la ville ne peut être recouvré :
quand il nomme à leur place des collecteurs d'office, la cour des
aides casse son ordonnance; il est obligé de solliciter un arrêt
du conseil pour trancher le conflit3.
A côté des exemptions légales, il faudrait ajouter toutes celles
que se faisaient octroyer indûment les « coqs de paroisses ».
Nous n'en savons pas le nombre, mais il est probable qu'il fut
grand. On verra plus loin avec quelle facilité on pouvait se
faire exempter totalement d'impôt; l'exemption de collecte était
une demi-faveur que bien peu dédaignaient.
L'exemple donné par Colbert d'accorder des exemptions de
collecte à certaines personnes pour les encourager, entraîna ses
successeurs à vendre cette exemption pour en tirer de L'argent
1. Dans le début de cet article, le roi déclare vouloir « remédier à l'abus qui
se commet ordinairement dans les paroisses par les seigneurs, gentilshommes et
autres personnes d'autorité, lesquels, pour empêcher les recouvrements de nos
deniers, obligent les habitans de nommer des collecteurs insolvables, auxquels
ils donnent des indemnités et leur promettent que lorsqu'ils seront prisonniers,
ils leur donneront de quoi subsister; et non contents de ce, leur font encore
ordonner par les élus des provisions de vivres sur les receveurs des tailles; si
bien qu'au lieu de recevoir les sommes à eux dues, ils se trouvent le plus souvent
obligés de nourrir lesdits collecteurs dans les prisons et payer leurs gîtes et
garde ». La déclaration d'août 1664 reprend en général les termes de celle du
12 février 1663, spéciale pour le ressort de la cour des aides de Paris (G. d. T.,
I, p. 'i<;5). Mais ce dernier article est beaucoup moins développé dans la déclara-
tion de 1663, ce qui nous autoriserait à conclure que le mal était plus grand en
Normandie que dans le ressort de Paris.
2. À. D. Calvados, élection de Bayeux, registre de nomination de collecteurs.
3. Lettre de Leblanc à Colbert, Il novembre 1679. (A. N. G? 491.) Cf. une
lettre de l'intendant de Châlons du 20 novembre 1665 : le même désordre se
trouve dans la ville de Vitry. (M. C. 133, f° 480.)
180 LA TAILLE EN NORMANDIE.
et on verni tprèl M><S.{ le gouvernement créer des offices dis-
pensant de la collecte, et l'aire de ce qui n'était qu'un instru-
ment de politique économique un expédient fiscal qui contri-
buera à la ruine des sujets à la fin du règne'.
IV. — LE NOMBRE DES COLLECTEURS
Les premiers règlements des tailles n'avaient pas limité le
nombre des collecteurs dans chaque paroisse2. L'édit de
mars 1600 l'avait fixé à quatre pour les paroisses payant au
moins 300 livres de taille, et à deux pour les autres. Mais la
Cour des aides de Normandie, lors de l'enregistrement, avait fait
observer au roi que dans la province il était d'usage de nommer
au moins trois asséeurs par paroisse pour éviter l'égal partage
des avis lors de la répartition, et dans les grandes paroisses,
le nombre variait selon le chiffre d'impôt, pour que les frais
de la collecte fussent moins onéreux à chacun ; en outre, il
était d'usage de donner des « aides » aux collecteurs 3. La décla-
ration de janvier 1634 (art. 38) avait autorisé jusqu'à quatre
collecteurs dans les paroisses imposées à moins de 1 500 1. et
huit dans les autres. Mais elle n'était pas plus appliquée en
Normandie que celle de 1600.
Dans les premières années du gouvernement de Colbert, le
nombre des collecteurs est variable suivant les localités, et,
dans une même localité, suivant les années, et cela indépendam-
ment du chiffre d'impôt. Voici, à titre d'exemple, le nombre
des collecteurs dans un groupe de 82 paroisses de l'élection
de Bayeux en 1663 .: 67 de ces paroisses imposées à moins de
1 500 livres ont à elles toutes 415 collecteurs, soit en moyenne 7
pour chacune; les 15 autres, qui sont imposées à plus de
1 500 livres, en ont au total 125, soit une moyenne de 8, à
peu près le chiffre réglementaire; une paroisse, Saint-Malo de
Bayeux, imposée à 3900 1. à 15 collecteurs; une autre, Mon-
1. Sur la multiplicité des exemptions de collecte après 1683, voir Vieuille,
p. 270-27'«. Avant Colbert, le nombre des exempts était très considérable. Un
arrêt du conseil du 9 décembre 1 « > '« : î l'avait réduit; d'autres arrêts de 1658 et de
1660 en avaient fait de même ; c'est probablement à l'époque de Colbert que le
nombre fut le moins élevé.
2. Cf. par exemple l'ordonnance de 1369, art. 103 : les habitants éliront des
asséeurs « tels et tant que bon leur semblera ». (Corbin, Nouveau recueil, p. 965).
3. Remontrances de la cour des aides sur l'art. 12 du règlement de mars 1600 :
« Audit pais il se fait élection de trois asséeurs jusqu'aux moindres paroisses,
pour pourvoir a ce que lesdits asséeurs ne demeurent partis en opinions, et de
plus grand nombre es autres paroisses, selon l'étendue d'icelles ou qu'elles
portent plus ou moins du corps de la taille, et ce pour supporter les frais de
ladite assiète et collection, et faire les avances qu'il convient faire en recette, sur
laquelle considération et de la pauvreté du pais, ladite cour permet et autorise
que l'on baille encore quelquefois des aides ausdits collecteurs >. (Règlements de
Normandie, p. 54). Le roi, dans sa réponse, accorda satisfaction à la cour.
LE NOMBRE DES COLLECTEURS. 181
freville, imposée à 620 1. en a 8; Saint-Symphorien, imposée
à 4520 1. n'en a que 6; Esmanville, imposée à 1 260 1. en a 14;
Torteval (1088 1.) en a 14 également1. — Dans l'élection de
Neufchâtel en 1670, dans un groupe de 81 paroisses, 66 sont
imposées à moins de 1500 1. ; elles ont au total 208 collecteurs,
soit en moyenne 3; les 15 autres en ont 74, soit en moyenne 5
chacune. On voit qu'ici on se tient au-dessous des chiffres régle-
mentaires. Mais il y a encore de singulières anomalies : la
paroisse de Sainte-Geneviève-en-Bray, imposée à 4 680 1., n'a
que 5 collecteurs, et celle de Mocombe, payant 780 1., en a 6.
D'une année à l'autre, une même paroisse n'a pas le même
nombre de collecteurs : par exemple à Tracy, il y a dix collec-
teurs y compris les aides en 1663 et 1664; neuf en 1666, qua-
torze en 1668 2. La paroisse de Rots nomme trois collecteurs
chaque année jusqu'en 1667, puis quatre à partir de cette date3.
Les élections ne semblent pas s'être fort préoccupées de faire
respecter l'ordonnance sur ce point. On trouve quelques sen-
tences des élus de Falaise pour rayer des collecteurs en sur-
nombre, mais elles sont assez rares. L'élection de Bayeux fait de
même, mais il lui arrive de laisser deux, quatre ou six collec-
teurs, quoiqu'un nombre impair soit de règle. En 1673 l'inten-
dant de Rouen écrit que l'on trouve jusqu'à 20 et 24 collecteurs
dans certaines paroisses. Colbert, confondu à cette nouvelle, lui
répond : « Je vous avoue que je n'entends pas ce que vous dites...
vu que le nombre qui doit être pris par chacune année dans cha-
cune des trois échelles est porté par les règlements, et qu'il n'y
a pas apparence que ces règlements soient si facilement anéantis.
Expliquez-moi ce que vous avez voulu dire sur ce sujet, afin que
je puisse en rendre compte au roi* ». Dans sa réponse, datée du
6 février, l'intendant déclare « qu'il n'y a aucune règle certaine
pour eslire un certain nombre de collecteurs dans chacune
paroisse, et c'est, ajoute-t-il, ce qui a causé la nomination d'un
si grand nombre de collecteurs d'office et a donné lieu à une
infinité de procès5 ». Colbert demanda alors par circulaire à tous
les intendants ce que l'on pourrait faire pour y remédier; les
mémoires qu'il reçut sont malheureusement perdus; ils lui ser-
virent sans doute à introduire dans le règlement d'août 1673
les prescriptions que l'on a vues plus haut sur le nombre des
collecteurs. Ce règlement, rappelé dans les mandements aux
1. D'après les rôles des paroisses dé l'élection de Bayeux pour 1663 aux Arch.
mun. de Bayeux.
2. Registres paroissiaux de Tracy, A. D. Calvados, élection de Caen.
3. Registres paroissiaux, A. mun. B B 4 et suiv.
4. Lettre à de Greil, 3 février 1673, dans Clém. II, 270 : la lettre de l'intendant
n'existe plus que dans l'analyse de Glairambault, 794, p. 149. — Le texte de la
lettre de Colbert, publiée par Clément, porte « élections » au lieu d' « échelles » :
c'est une faute évidente.
5. B. N. Clairambault, 794, p. 156 (analyse).
1 hj LA TAII.I.F. KN NOKMAM'II
paroisses, lit supprimer le droit de prendre des aides « il peine
de punitions corporelles », et les élections lurent invit.
l'appliquer soigneusement: mais on ne voit pas qu'il ait changé
grand'ehose. En 1685 encore, l'intendant de Rouen écrit que le
nombre des collecteurs est trop grand1 et en 1713 le Mémorial
alphabétique observe que « les règlements sur la quantité des
collecteurs ne sont nullement suivis et les habitants en nomment
tel nombre qu'il leur plaît, suivant l'usage des lieux2 ».
V. — LES ÉCHELLES
Le mode de nomination des collecteurs n'est pas le même en
Normandie que dans le reste du royaume : on use du procédé
des « échelles », qui consiste à ranger les habitants sujets à la
collecte en trois groupes égaux, suivant leur fortune, les plus
riches étant dans le premier'; du dernier groupe sont exclus les
insolvables, et même, dans les grosses paroisses, ceux qui paient
moins de 5 1. de taille; chaque groupe s'appelle une échelle ou
classe. Si la paroisse ne doit avoir que trois collecteurs, on en
prend un dans chaque échelle; si elle en a 5, ou 7, ou plus, on
en prend généralement un de la première échelle* et deux ou
trois de chacune des autres. Le collecteur de la première échelle
a le titre de principal collecteur, de « haut-assis », ou de « porte-
bourse » (c'est lui qui tiendra la caisse lors de la perception)*.
A l'intérieur de chaque échelle est suivi un roulement, de façon
qu'un contribuable ne repasse pas à la collecte avant que tous
les autres n'y soient passés. Les nouveaux arrivants dans la
paroisse prennent rang à la suite de la liste6. On trouve de
1. De Boislisle. Correspondance, t. I, n° 184.
2. Mém. alphab., p. 109.
3. Les Echelles étaient usitées dans quelques autres régions : v. p. ex. une
ordonnance des élus de Nevers du 23 août 1667, A. N., AD1*, 470, pièce 21.
4. La règle est de n'en jamais nommer plus d'un : une sentence de l'élection de
Falaise du 0 octobre 1677 casse la nomination faite de deux collecteurs de haute
échelle dans la paroisse du Breuil (A. D. Calv., Election de Falaise, plumitif).
5. Le système est longuement décrit dans un mémoire de l'intendant Méliand
du 15 août 1680 (A. N. G7 213). Le type général donné ici comporte naturelle-
ment des exceptions en nombre infini; par exemple, dans certaines grandes
paroisses, ou nomme deux porte-bourse, ou bien on met moins de noms dans la
première échelle que dans les autres, pour éviter d'avoir comme porte-bourse des
gens trop pauvres. Souvent, il n'existe même pas d'échelles du tout, et les collec-
teurs sont nommés suivant l'usage de la cour des aides de Paris. On verra aussi
d'autres cas exceptionnels au chapitre de la perception. Dans l'élection de Pon-
toise, qui dépend de la cour des aides de Paris, l'usage des échelles et des collec-
teurs porte-bourse est inconnu. Le mandement de l'intendant de Rouen pour la
levée de la taille porte en général des prescriptions détaillées pour cette élection
(A. D. S. Inf. C. 2 215).
6. Très souvent des taillables nouvellement arrivés dans la paroisse sont
nommés avant leur tour pour faire la collecte parce qu'ils ne sont pas défendus,
mais lorsqu'ils intentent un procès aux paroissiens pour ce fait devant l'élection,
LES ÉCHELLES. 183
nombreuses sentences d'élections pour appliquer cette règle
que « l'aîné en imposition » doit marcher avant le cadet. De
nombreux procès en résultent, dont les élus font leur profit1.
Mais des accords amiables sont possibles entre collecteurs,
et on en rencontre beaucoup : le curé ou le notaire en dresse
généralement un acte, que l'élection enregistre sans difficulté,
parce que les droits du roi n'y sont pas lésés; par exemple
en 1677, l'élection de Falaise autorise la substitution de
Jacques Salles à Michel Roger pour faire la collecte dans la
paroisse de Magny près la Ferté en 167$, Michel Roger étant
appelé par l'échelle à faire la collecte en cette année. Le curé
a dressé de leur convention un certificat que les élus se bornent
à enregistrer 2.
Malgré les procès nombreux qu'il entraînait, le système pré-
sentait de grands avantages : il réduisait la liberté des assem-
blées de paroisse dans le choix des collecteurs et assurait que
l'un de ceux-ci au moins aurait une fortune suffisante pour
répondre du recouvrement. C'est pourquoi Colbert projeta de
l'étendre à l'ensemble du royaume, sans toutefois vouloir
l'imposer de force3. L'art. 3 du règlement de mars 1673, qui
concernait uniquement le ressort de la cour des aides de Paris,
autorisa les paroisses à « établir si bon leur semble deux classes
ou échelles, composées, l'une, des plus riches habitants, et
l'autre des médiocres, afin que chacun contribuable vienne à
son tour à la dite charge de collecteur4 ». Les paroisses ne
semblent d'ailleurs pas avoir eu grand enthousiasme pour cette
innovation. Colbert revint à son projet et en recommanda l'appli-
cation aux intendants par des circulaires de juin 1680 et
novembre 1681 5 :
« Voyez avec un très grand soin, disait-il, si rétablissement des
échelles ainsi qu'il se pratique en Normandie ne remédieroit pas à
une partie de ces abus, d'autant plus que nous les voyons tous retran-
chés en Normandie, afin que si vous estimez que cet establissement
ils obtiennent généralement satisfaction. C'est une des sources de procès que l'on
rencontre le plus communément en Normandie.
1. Exemple : le 16 octobre 1677, l'élection de Falaise condamne Jean Marie à
faire la collecte de Coupesarte, à la place de Jacques Provost qui est son cadet
en imposition. Le 24 novembre 1674, François Salles, nommé collecteur de Cou-
terne, se fait décharger de sa fonction sur Julien Durand, en présentant le rôle
de taille de 1662, où Durand, seul des deux, figure (Plumitif de l'élection de
Falaise, A. D. Calvados).
2. A. D. Calvados, Plumitif de l'élection de Falaise.
3. Il semble toutefois s'être trompé sur le mode de désignation des collecteurs
dans les échelles. Il dit que l'on nomme les contribuables qui sont compris dans
chaque tableau « alternativement... sans nomination » (Clém. II, 134) c'est-à-dire
qu'il n'y aurait pas d'assemblée de paroisse. On a vu plus haut qu'il n'en était
rien. L'intendant Méliand lui écrivit en 1682 que la formalité de l'assemblée était
régulièrement respectée et qu'elle n'était « pas inutile ».
4. C. D. T. II, p. 104.
5. Il fut adopté définitivement par l'ordonnance de mai 1680 (tit. VIII, art. 4)
pour la nomination des collecteurs du sel.
184 LA TAILLE EN NOHMANDIK.
soit bon. Sa Majesté le puisse comprendre dans l'ordonnance pour le
règlement des tailles, à laquelle Elle fait travailler '. »
Les intendants, dans leurs réponses, émirent des avis divers
sur les avantages et les inconvénients du nouveau système.
Celui de Berry déclare qu'à l'essai il a vu que « les plus forts
et ceux qui ont de la protection se font mettre les derniers
dans la colonne, et ainsi sont pendant douze à quinze ans à
couvert de la collecte, et quand leur tour approche, ils quittent
la parroisse, souvent mesme de concert avec leur maître, pour
revenir quelque temps après avoir éludé leur tour »; en
outre, comme par le passé, « les collecteurs s'accommodent
pour se soulager et leurs parens » ; enfin « quelques-uns sont
assez adroits pour empescher que leur nom ne soit mis sur
la colonne * ». Celui d'Alençon, qui avait l'expérience des
échelles, dit également qu'elles causent un « grand désordre »,
parce que les collecteurs porte-bourse étant pris exclusivement
parmi les plus fort imposés, « ceux qui ont du crédit ne sont
jamais porte-bourse, parce qu'ils ne paient pas ce qu'ils
devroient payer, et ainsi les misérables sont les plus chargés
et le recouvrement est retardé8 ». Mais la seule modification
qu'il propose pour corriger ce défaut est de faire établir les
échelles par les intendants. Celui de Châlons voit dans le
système un avantage incontestable : il diminuerait beaucoup
les nominations d'office de collecteurs; par contre, « il y auroit
lieu de craindre que ce nouvel establissement ne causast des
procès », et il s'en rapporte à Colbert pour l'adoption ou le
rejet définitif4.
Colbert ne dressa pas le règlement général, mais après lui
beaucoup penseront qu'il eût été utile. L'établissement des
échelles, dit l'auteur du Mémorial alphabétique en 1713,
« seroit à souhaiter » car il éviterait « les brigues, monopoles
et abus qui se commettent dans la nomination des collecteurs,
soit pour exempter les uns de faire la charge, soit pour accabler
les autres qui y ont déjà passé; et qui voudroit s'étendre sur
cette matière trouveroit cent choses à dire qui ne sont pas de
peu d'importance pour le repos et la tranquilité de tout le peuple
1. Circulaire du 6 novembre 1681, dans les Papiers de Breteuil (B. Mun. Amiens,
ms. 508, t. II, p. 442.) Clément (II, 170) donne cette circulaire, mais avec des
lacunes. Ainsi, le membre de phrase « d'autant plus que nous les voyons tous
retranchés en Normandie > manque. Il a emprunté son texte à une copie défec-
tueuse. Celui qui se trouve dans les papiers de Breteuil doit évidemment être
S référé. Cf. aussi la circulaire du 1er juin 1680 (Clém. II, 133) et les lettres à
reteuil des 9 et 24 octobre 1680, B. mun. Amiens, ms. 508, t. I, pièces 2(18 et 303.
Il y eut une autre circulaire du 12 avril 1681, qui est mentionnée dans celle
du 6 novembre suivant, mais nous ne la possédons pas.
2. Mémoire du 6 août 1682, analyse (A. N. G1 12'.).
3. Lettre de l'intendant de Douville, du 22 août 1684, dans de Boislisle, Corres-
pondance, t. I, n° 103.
4. Lettre du 22 juillet 1680 (A. N. G? 223).
LES FRAUDES ET LES PROCES. 185
taillable1. » Après une nouvelle expérience, les échelles seront
rendues obligatoires dans toutes les paroisses par la déclaration
du 1er août 1716. La réforme sera définitive et subsistera autant
que l'impôt lui-même. L'intendant d'Aube, en 1738, la trouve
excellente et s'étonne même qu'elle n'ait pas été adoptée
plus tôt2.
VI. — LES FRAUDES ET LES PROCES
Les charges qui pesaient sur la fonction de collecteur et la
liberté qu'avaient ceux qui étaient nommés de faire les rôles à
leur guise, incitaient les fraudes dans les nominations, et l'es-
prit processif des Normands, joint au désir qu'avaient les juges
de multiplier la « pratique », amenait des procès en très grand
nombre.
Pescheur, élu de Saint-Florentin, a longuement insisté sur
ces abus dans son mémoire adressé à Colbert en 1665 : d'après
lui, aucune nomination de collecteur n'est faite sans calcul; le
plus généralement, une cabale est constituée dans la paroisse
pour faire nommer ceux désignés d'avance par des accords
secrets; dans certaines paroisses, on a l'habitude de donner des
pots-de-vin aux collecteurs pour être soulagé : alors la charge y
est très recherchée : « Il n'y entre pas qui veut, mais qui peut,
à la faveur des beuvettes et argent que ceux qui sont dans le
dessein d'y parvenir pour le pillage donnent à des coquins de
la paroisse pour aller à l'assemblée les y nommer, et lorsque
les monopoleurs se trouvent au nombre de huict ou dix, ils
conviennent entre eux de ceux de leurs compagnons qu'ils
désirent faire entrer les premiers esdictes charges, auxquelles
ils ne manquent pas de les aller eslire à la prochaine occasion,
aux conditions de les soulager tous aux tailles et de les nommer
l'année suivante pour faire le semblable. Ce qui est de telle
conséquence qu'on a veu des gens affairez et nécessiteux mis
esdictes charges par cette voye oblique qui en sont sortis
dégagez de leur debtes et aucunement accommodez. » Il est
impossible de faire la preuve de ces concussions, qui sont
faites sans témoins. Dans les autres paroisses, où cette pratique
n'existe pas, continue Pescheur, c'est en vain que l'on convoque
l'assemblée, « chacun fuyant la rencontre, dans l'appréhension
que leurs voix ayent effect et qu'ensuitte ceux qu'ils auront
esleuz augmentent leurs cottes par vindicte » ; et si on les con-
traint de faire la nomination, ils ne choisissent que des insol-
1. Mcm. alphab., p. 107-108.
2. Voir la déclaration du 1" août 1716, dans C. d. T. III, p. 108 et le Mémoire
de d'Aube (B. N. fr. 21 812, p. 80).
18« LA TAJ1 i 1 i n NoitM (Mm:.
râbles «m bien ■ font des concurrences telles que, de du <mi vingt
(jui auront esté esleuZ, cliacim n'aura qu'une voix ». Si par hasard
«»ii voii drs volontaires ss présenter aux suffrages de la paroisses
« il de faut point dooter <[ii«- M sont gens louez il prix laict par
des meschans pour leurs donner leurs \oix aux fins <i-devant
déclarez, ou eslire des malheureux il la sollicitation des riches
qui appréhendent le choc ». « Cela se sait, conclut Pescheur,
publie et ne se preuve pas, tous ceux qui en peuvent déposer
sainement estant du monopole, bien repeuz et payez pour m
taire !. »
Il est à peu près certain que dans la majorité des paroisses
le choix des habitants n'était pas entièrement libre : les « coqs »,
qui avaient souvent assez de pouvoir pour se faire exempter
d'impôt, trouvaient, à plus forte raison, le moyen de ne pas
se faire élire, non seulement eux-mêmes mais aussi leurs
parents et leurs fermiers. L'intendant de Berry écrit à Colbert
le 6 août 1682 qu'en général les habitants « n'ozent pas nommer
ceux qui sont accommodez, à cause de leur autorité dans les
paroisses, se faisant mesme descharger [de collecte] quand ils
sont nommez2 ». Pareil abus est signalé dans le Recueil de l'in-
tendant Orsay : Dans les paroisses, dit-il, « les seigneurs et les
curés empêchent par leur crédit que la communauté ne nomme
leurs parents, leurs procureurs, receveurs ou fermiers collecteurs
dans leurs rangs et degrés, et même les principaux habitans
ménagent entre eux par brigues des nominations de manière
qu'il se trouve un ou deux de leurs plus proches parents et amis
du nombre des collecteurs de chacune année pour conserver
leur intérêt, à la charge d'en faire autant à leur tour 3 ». Spécia-
lement en Normandie, l'intendant Lallemant de Lévignen
signale en 1732 des fraudes commises à la faveur des échelles :
non seulement certains contribuables arrivent à se faire effacer
des listes ou à faire reculer leur tour de nomination, mais encore
des collecteurs exigent des pots-de-vin des contribuables; le
porte-bourse fait des brigues pour que l'assemblée lui désigne
des compagnons à sa convenance, et si elle s'y refuse, il intente
un procès devant l'élection, ce qui est une autre source de
ruine *.
Les élus aiment à intervenir dans les nominations de collec-
teurs. Parmi les « abus de finances » relevés par Colbert en 1661
figurent « les vexations des élus par la décharge des plus riches
pour collecteurs et nomination des plus pauvres moyennant
présens6 ». Dans un mémoire sur la réformation de la justice.
1. M. C. 33. f 287.
2. A. N. G" 12'..
3. B. N. fi. 11 096, f° 35.
k. Observation» sur la taille, B. N. fr. 7 771, f« 179-180.
5. (Jlém. VII, 196.
LES FRAUDES ET LES PROCES. 18T
le conseiller d'Etat de La Marguerie écrit en septembre 1665 :
« Les élus font les souverains au choix des collecteurs, et sou-
vent ils y en mettent d'insolvables1 ». L'intendant Leblanc est
obligé d'ordonner que la nomination des collecteurs de Gisors,
en 1682, soit faite par les habitants à l'hôtel de ville en présence
des échevins « afin que les esleus n'en fussent pas les maîtres2 ».
Enfin, les cabales d'habitants apparaissent lors des procès
intentés devant les élections par les collecteurs irrégulièrement
nommés. Mais le nombre de ces procès ne nous découvre pas
toute l'étendue de la fraude, car toutes les cabales ne donnaient
pas lieu à des actions en justice. Quand les droits du Trésor
étaient seuls lésés, personne n'intervenait et l'entente demeurait
cachée3.
En dehors des fraudes, les formalités de la nomination étaient
une source de procès fréquents. Toutes les fois qu'un collec-
teur trouvait un prétexte pour se faire décharger, il ne man-
quait pas de le saisir. Régulièrement, il devait intenter son
action en première instance devant les élus, et en appel devant
la cour des aides4; l'intendant n'étant pas juge ordinaire ne
devait pas régulièrement connaître de ces procès.
Les règlements avaient minutieusement fixé les conditions
dans lesquelles une instance en « décharge de collecte » pou-
vait être introduite. Ils tendaient principalement à abréger les
délais, en sorte que les paroisses eussent des collecteurs défi-
nitifs dès le début de l'année financière, et qu'il n'y eût aucun
retard dans les recouvrements. Le règlement de janvier 1634,
art. 39, donnait comme terme aux élus le 1er janvier de chaque
année, mais il ne fixait pas de délai à la cour des aides en cas
d'appel : cette clause avait paru inutile, parce que le collecteur
condamné par les élus devait faire l'assiette et la collecte par
provision, sans préjudice de son appel. La cour des aides de
Rouen, en enregistrant cet article, y ajouta que les collecteurs
auraient pour tout délai huit jours à partir de leur élection
pour intenter leur action en décharge de collecte devant les
élus*. De plus, elle ajouta que si le procès n'était pas terminé
1. B. N. Clairamb. 613, f° 304.
2. Lettre du 13 février 1682 (A. N. C 491). C'est dans cette même lettre qu'il dit
que le président et le lieutenant de l'élection « sont gens ruinez et capables de
tout ».
3. Cf. les plumitifs des élections de Falaise et de Bayeux, aux Archives du Cal-
vados; par exemple le 17 octobre 1674, Charles Morin se plaint d'avoir été nommé
collecteur de la paroisse de Percy « contre les règlements et par caballe de quel-
ques-uns des habitants de ladite paroisse à son préjudice ». L'élection de Falaise
reconnaît le bien-fondé de sa plainte, '^asse son élection, et ordonne une nouvelle
assemblée d'habitants pour procéder régulièrement à la nomination de collec-
teurs pris dans les différentes échelles.
4. Cf. le règlement du 20 août 1673, art. 18, interdisant de se pourvoir en pre-
mière instance à la cour des aides.
5. Règlements de Normandie, p. 111. Ce délai ne courra qu à partir du jour où
la nomination aura été signifiée aux collecteurs s'ils sont absents lors de leur
nomination.
188 LA TAILLE EN NORMANDIE.
au moment <»ù la paroisse recevait l<- mandement pour la levée
de la taille, on procéderait à l'adjudication de la collecte, suivant
1rs formes que nous verrons au chapitre VII.
Cette réglementation fut reprise par Colbert dans les lettres
patentes d août 1664, qui accordaient aux collecteurs un délai
de huit jours après leur nomination pour intenter le procès,
et en outre ordonnaient aux élus de juger l'affaire « sommaire-
ment et sans frais, dans l'audience, en sorte que dans le dernier
novembre de chacune année qui précédera l'imposition, il ne
reste aucune cause de cette qualité à juger par lesdits élus »; le
délai pour interjeter appel de la sentence de l'élection était
fixé au 15 janvier suivant1. La déclaration du 20 août 1673,
art. 3, abrégea ces délais : les élus devaient avoir jugé avant le
1er décembre, et la cour des aides avant le l" janvier; mais
« dans l'exécution » on reconnut que ce changement était
fâcheux, et le 22 août de l'année suivante, on rétablit les dates
antérieures. Il fut toujours de règle que, pendant l'appel, les
collecteurs devaient procéder à la confection des rôles et à la
collecte par provision.
Ces dispositions législatives n'empêchèrent pas les procès de
traîner devant les élections et devant les cours des aides. L'inten-
dant de Bourges écrit le 9 août 1680 que la principale cause de
retard dans le paiement des impôts n'est k pas l'impuissance des
peuples », puisque dans une année ils arrivent à payer une partie
de l'année courante et le reste de l'année précédente, mais bien
les contestations des collecteurs « qui pendant trois et quatre
mois entiers cherchent les moiens auprès des esleus de se faire
décharger de la collecte; dans cette espérance, ils négligent de
faire leurs roolles, et, par une suite nécessaire, ne lèvent point
la taille2». Quant à faire dresser les rôles par provision aux col-
lecteurs qui prétendent être déchargés, il ne faut y songer, dit
Leblanc, en raison des abus que cela autorise : « Ils font des
rejets considérables et ruinent les particuliers qui sont obligez
de soustenir les procès, et ceux contre lesquels on s'est cotté,
en attendant l'événement du procès, ne font point la collecte'. »
Le même intendant jugeait les délais trop longs : si l'on veut
faire payer l'impôt en « treize ou quatorze mois », disait-il, il
faut que toutes les contestations soient terminées avant le
15 décembre*. Il entreprit d'appliquer cette règle dans la géné-
1. Art. 4 des lettres patentes d'août 1661; cette disposition avait été déjà adoptée
Sour le ressort de Paris dans la déclaration de février 166/; sur l'usage antérieur
ans ce ressort, voir Mém. alphab., p. 55-56.
2. Lettre à Colbert du 9 août 1680, A. N. G' 124.
3. Lettre du 2 janvier 1679, A. N. G7 491. Cependant, Leblanc prescrivait dans
ses mandements « pour obliger [les collecteurs] de fuire les rôles avec justice
en leur ame et conscience », qu'ils demeureraient « garants et responsables des
augmentations par eux données à gens insolvables, encore que par la suite ils
fussent déchargez de la collection ». (B. N. fr. 8761 bis, f° 52).
4. Lettre à Colbert, 22 avril 1 182, B. N, fr. 8761, f° 4Î6.
LES FRAUDES ET LES PROCES. 189
ralité de Rouen, sans attendre une ordonnance pour l'autoriser :
en décembre 1678 il écrit que, dans sa chevauchée, il a « enjoint
aux eslus de terminer les procès pour la nomination des col-
lecteurs et autres semblables dans vingt-quatre heures1 ».
Une procédure particulière était usitée en Normandie pour
obtenir la décharge de collecte, c'était l'action en « préférence
de collecte » : le collecteur devait se pourvoir non pas contre la
communauté qui l'avait nommé, mais contre un autre habitant
qu'il déclarait devoir faire la collecte à sa place : il se « cotait »
sur lui, selon l'expression consacrée2. Elle était expéditive et
épargnait à la collectivité paroissiale des procès ruineux, mais
elle avait aussi des inconvénients, que l'intendant Leblanc expose
en 1680 : bien que, dit-il, le règlement d'août 1664 ait, par son
art. 4, interdit à un collecteur d'intenter une action en préfé-
rence de collecte à plus de deux personnes, il arrive fréquem-
ment qu'il se cote successivement sur trois ou quatre,. de sorte
que les frais de procès sont très élevés; celui qui succombe
« paie des premiers deniers qu'il reçoit les frais du procès qui
lui a esté fait; le receveur, faute de paiement, fait des frais qui
se prennent sur les deniers les plus clairs et ensuite fait empri-
sonner les collecteurs et obtient une contrainte solidaire contre
la paroisse3 ». Sa conclusion est qu'il faut « abolir ce mauvais
usage » et revenir au système de la cour des aides de Paris,
c'est-à-dire au pourvoi du collecteur contre la communauté
représentée par son syndic i.
Sur le nombre de tous ces procès, nous avons quelques indi-
cations permettant d'affirmer qu'il était très grand. A Tracy,
tous les ans ou à peu près, il y a un procès relatif à la collecte5.
Les plumitifs d'élections que nous possédons et ceux des cours
dès aides en contiennent des quantités considérables. L'inten-
dant Leblanc écrit le 1er mai 1682 que, dans l'élection de Pont-
de-1'Arche, les deux principales sources de procès sont les
affaires des aides « et les particuliers qui se sont cottez pour la
décharge de collecte6 ».
Colbert se préoccupa de diminuer ce nombre excessif; il
invita les intendants, par sa circulaire du 1er juin 1680, à lui
fournir des renseignements et à lui marquer « ce que vous esti-
meriez à propos de faire pour en empescher la suite7 ». Mais
1. B. N. fr. 8759, fol. 46.
2. C'était une procédure semblable à celle qui était employée pour obtenir la
réduction de l'impôt d'un contribuable et que nous verrons plus bas.
3. Lettre à Colbert du 4 janvier 1680, A. N. G? 491.
4. Cf. l'art. 7 de l'arrêt du conseil du 2;> septembre 1681 : dans tous les procès
en décharge de collecte, le procureur-syndic de la paroisse devra être appelé, les
élus devront siéger au moins au nombre de trois, et signeront la minute du
jugement.
5. A. D. Calv. Election de Falaise. De même à Rots, d'après les registres.
6. B. N. fr. 8 761, f» 51.
7. Clém. II, 132.
MO IV I VII. 1 I IN NtiKM AMHI ..
rien ne lût l'ait, et il y a lieu de penser que le désordre <on
tinua. ici comme ailleurs.
VII. — LES COLLECTEURS NOMMES D'OFFICE
Lorsqu'une paroisse ne nommait pas de bons collecteuri dans
les formes et les délais voulus, il était nécessaire d'y pourvoir.
la perception de la taille devant être assurée à tout prix. C'est
pourquoi les règlements ordonnaient en ce cas que les collec-
teurs fussent nommés d'office par les agents royaux. Cette mesure
n'était pas ancienne. Primitivement, les syndics des paroisses
étaient responsables de l'assiette et de la levée; pour la pre-
mière fois, semble-t-il, l'arrêt du conseil du 27 novembre 1641
introduisit les nominations d'office : par son art. 11, il ordon-
nait aux élus de nommer des collecteurs de leur propre autorité
dans toutes les paroisses qui n'auraient pas procédé à l'élection
huit jours après le reçu des commissions, et ces collecteurs ne
pourraient en aucun cas appeler de leur désignation '. Un autre
acte du 22 août 1642 reprit cette innovation en la précisant : la
nomination d'office était prescrite en deux circonstances : 1° si
le collecteur nommé par les habitants était déchargé de ses
fonctions par sentence des élus; 2° s'il était reconnu que les
collecteurs fussent « gens de néant et insolvables2 ». Mais la
mise en pratique de cette disposition ne put être obtenue des
tribunaux : la cour des aides de Paris fit des difficultés pour
enregistrer le règlement en ordonnant qu'il n'aurait lieu que
pendant la guerre, et celle de Normandie le refusa purement3.
Cependant, en 1660, la cour des aides de Paris autorisa les
nominations d'office par un arrêt du 27 avril*, mais celle de
Normandie demeura réfractaire. Les nominations d'office ne
1. Dans Néron, Recueil, éd. 1720, t. II, p. 666.
2. Règlement du 22 août 16'i2, art. 9, ibid., p. 675. Repris par la déclaration
du 16 avril 1643, art. 10.
3. La cour des aides de Paris rendit même le 28 mai 1646 un arrêt qui remet-
tait en vigueur l'ancienne législation pour les nominations de collecteurs; ce sont
les procureurs-syndics, les marguilliers, et deux des plus fort imposés de chaque
f «croisse qui devront faire l'assiette et la collecte, si l'on n'a pas nommé de col-
ecteurs réguliers en temps convenable (Mcm. alphab., p. 60). Cf. le texte de la
déclaration du 16 avril 16'*3 et les remontrances de la cour des aides de Paris
dans C. d. T., I, p. 370-406. Le Mém. alphab. dit à tort (p. 59) que cette décla-
ration du 16 avril est le premier règlement qui parle des nominations d'office
des collecteurs. L'erreur vient sans doute de ce que les arrêts du conseil de 1641
et 16'rJ ne figurent pas au Code des tailles. — On voit que le retard dans l'élec-
tion des collecteurs n'était pas un cas de nomination d'office d'après ces règlements.
k. Il était surtout destiné à remédier au retard dans les nominations. Si les
collecteurs n'étaient pas élus au 15 octobre de chaque année, les officiers des
élections devaient en nommer d'office, « sommation préalablement faite à l'issue
de messe paroissiale aux habitons et paroissiens de satisfaire au présent arrêt »
(B. N. fr. 2141<J, p. 101).
LES COLLECTEURS NOMMES D OFFICE. 191
furent véritablement instituées que par l'art. 6 des lettres
patentes d'août 1664 : si les collecteurs, y était-il dit, ne sont
pas nommés à la date du 30 novembre, il en sera désigné par
l'intendant, ou, en son absence, par les élus1. La même dispo-
sition fut reprise par l'art. 2 de la déclaration du 20 août 1673,
avec cette modification que le délai était ramené au 1er novembre ;
en outre, les intendants et les élus n'avaient que huit jours
pour faire leurs nominations2.
Le partage du droit de nomination entre les intendants et
les élus eut pour résultat de laisser très souvent les élus exercer
seuls ce droit3, parce que les intendants n'avaient pas le loisir
de s'occuper de ces détails. Or, les élus n'étaient pas désin-
téressés dans ces affaires : quand ils ne se faisaient pas donner
des pots-de-vin pour la nomination, ils en profitaient du moins
pour choisir des hommes qui imposaient à leur gré leurs fer-
miers, ou pour décharger de la collecte leurs parents, amis ou
serviteurs. L'intendant de Bourges écrit en 1679 : « Quand les
nominations d'office sont faites par les élus, elles tombent
rarement sur les plus forts, qui sont pour l'ordinaire parens ou
amis de ces officiers4. » A diverses reprises, les intendants de
Normandie durent interdire aux élus de prendre aucun droit
pour ces nominations, ou de les faire avant que les délais régle-
mentaires fussent expirés 5. En 1679, à la suite d'une enquête
1. « Pour cet effet, ajoute le règlement, lesdits élus se feront représenter les
rôles des trois années précédentes, par les grefiers des élections, ou autres qui
les auront en leur possession, et prendront garde qu'il ne soit nommé pour col-
lecteurs aucuns de ceux qui l'auront été les trois années précédentes, sinon en
cas qu'il ne s'en trouvât point d'autres » (Règlements de Normandie, p. 132). Les
élus doivent juger l'affaire « en l'audience, sommairement et sans frais ». Une
disposition semblable était prescrite pour le ressort de la cour des aides de Paris
par la déclaration du 12 février 1663 (G. d. T., I, 503). La cour, dans son arrêt
de vérification, avait ramené au 31 octobre la date d'expiration du délai accordé
aux babitants (ibid., p. 509).
2. Dans l'intervalle, l'édit de mars 1667 avait prolongé le délai pour les nomi-
nations d'office jusqu'au 15 décembre (G. d. T., II, p. 19).
3. Dans ce cas, « le receveur des tailles donne un mémoire des plus considé-
rables habitants pour estre choisis par les esleus qui, pour l'ordinaire nomment
les mesmes que le receveur » (Lettre de Morangis; intendant d'Alençon, à Colbert,
9 octobre 1679, A. N. G7 71). Il appartenait en effet au receveur de faire diligence
devant les élus pour obtenir la nomination, et c'était pareillement lui qui taisait
signifier l'acte, sans frais, aux intéressés (Mandement de l'intendant de Gaen
aux paroisses, 1678, A. D. Calv., élection de Gaen).
On trouve un grand nombre de nominations de collecteurs d'office dans les sen-
tences des élections. Elles viennent souvent à la suite d'un procès en décharge
de collecte intenté par un contribuable. Par exemple, l'élection de Falaise, le
17 novembre 1674, après avoir déchargé de la collecte de la paroisse de Pointel
Gabriel Hainfray, l'élection ordonne qu' « au lever de nostre audience il en sera
par nous nommé d'office; à laquelle heure et après nous estre fait représenter les
roolles des trois dernières années, avons uommé de nostre office la personne de
Charles Léchier, auquel il est enjoint de faire ledit service » (A. D. Calv., plu-
mitif de l'élection de Falaise).
4. A. N. G7, 124. Il est vrai, ajoute-t-il, que ces « forts » ne sont pas davan-
tage choisis par les habitants. Il propose comme solution de confier toutes les
nominations d'office aux intendants. En marge, Colbert a écrit : « Bon ».
5. A. D. S. Inf. C, 2 215.
192 LA TAILLE EN NORMANDIE.
auprès des intendants, Colbert dit, dans une circulaire du
6 octobre, qu'en « beaucoup de généralités, les collecte! des
tailles se font rarement par les habitants des paroisses confor-
mément aux règlemeos, et <jue presque toujours elles sont faites
d'office par les élus ». Comme c'est « un désordre fort considé-
rable et qui remet presque l'imposition des tailles entre les
mains des élus », il ordonne à ses subordonnés d'« approfondir »
la question et de recourir au besoin à des arrêts du Conseil pour
réprimer les fautes des officiers1. Enfin, un règlement du
23 septembre 1681 enleva aux élus le droit de nommer des collec-
teurs d'office en l'absence des intendants. C'est encore un cas de
dépouillement des élus au profit des intendants2. Les commis-
saires départis s'appliquèrent surtout à réduire les nominations
d'office. Pour y parvenir, celui de Rouen, Leblanc, en vint à
méconnaître les règlements. Le 15 février 1681 il écrivait en
effet : « Les officiers des eslections ne font des nominations
d'office que dans les parroisses qui ne veullent point imposer
ou qui ne nomment des collecteurs qu'à l'extrémité; l'eslection
des habitans prévault toujours, quoyque postérieure8». Ainsi,
le principal cas qui était prévu par les règlements, c'est-à-dire le
retard mis dans l'élection par les paroisses, n'était plus un
motif de nomination d'office.
Sur le nombre de ces nominations en Normandie, nous
n'avons de chiffres que pour la fin de notre période. Dans la
généralité d'Alençon, au début de novembre 1679, « la plus
grande partie des paroisses a nommé des collecteurs »; seules,
les élections de Domfront et de Mortagne l'ont négligé et ont
des collecteurs d'office; dans celle de Domfront, huit paroisses
ont « l'habitude » de laisser désigner ainsi chaque année leurs
collecteurs; 5 ou 6 paroisses de l'élection d'Alençon se trouvent
dans le même cas4. L'année suivante, l'intendant trouve les
mêmes nominations d'office dans l'élection de Domfront; « il y
a, dit-il, la sixiesme partie des paroisses qui les laissent nommer
d'office5 ».
Dans la généralité de Cacn, l'intendant s'est efforcé, à la suite
1. Clém. II, 118.
2. Les élus cherchèrent cependant à conserver malgré tout leur pouvoir. Vieuille,
commentant cet arrêt du conseil de septembre 1681 et une déclaration de 1685 qui
en reprenait les termes, soutient que l'interdiction • doit s'entendre lorsque
Messieurs les intendants sont présents, car en leur absence les élus peuvent
nommer suivant le règlement d'avril 16'j3, de février 1663 et de 1667, auxquels il
n'a point été dérogé pour ce regard » et il invoque l'intérêt public (Nouveau
traité des élections, p. 247).
3. A. N. G" 4 '.il. Sur les précautions que doit prendre un intendant pour ces
nominations, voir le mémoire de Richer d'Aube. B. N. fr. 21 812, p. 87 et suiv.
4. Lettres de l'intendant, 9 oct. et 9 nov. 1679, A. N. G7 71. En dehors de ces
deux élections, dit-il, il n'a • pas eu subjet d'ordonner aucunes peines > contre
les paroisses.
5. Lettre du 22 juillet 1680, A. N. G7 71. Il ajoute : • J'ai fait plusieurs ordon-
nances pour empescher cet abus; je les ferai exécuter rigoureusement aussitost
que la taille sera imposée >.
LES COLLECTEURS NOMMES D OFFICE.
193
des circulaires de 1679 et de 1681, de réduire le nombre des
collecteurs d'office ; néanmoins il écrit le 23 novembre 1683
qu'il a dû en nommer « en beaucoup de parroisses de la géné-
ralité * », et le 16 juin suivant, il précise que dans la seule élec-
tion de Coutances, 16 paroisses en ont eu2. En 1674, l'élection
de Bayeux, composée de 228 paroisses, avait des collecteurs
d'office dans 46 d'entre elles3.
Dans la généralité de Rouen, la statistique suivante, portant
sur les années 1680 et 1681 fut dressée par l'intendant Leblanc :
ÉLECTipNS
NOMBRE DE PAROISSES
Total.
Ayant des collecteurs d'office.
1680
1681
129
274
197
109
177
100
60
157
121
158
76
136
199
1
0
2
10
0
8
8
5
4
26
0
2
0
6
2
3
15
0
7
7
19
1
26
1
3
0
Neufchàtel
Total
1893
66
90
D'après ce tableau, les nominations d'office n'étaient pas
nombreuses : elles ne touchaient que 3,5 paroisses sur 100
en 1680 et un peu moins de 5 en 1681. Mais il ne faut pas
oublier que depuis trois ans Leblanc s'efforçait de réduire les
nominations, même au prix d'illégalités flagrantes ; ces chiffres
sont donc probablement un minimum au-dessous duquel on
n'était pas descendu auparavant. On peut aussi constater que
pour une même élection, les nombres n'ont pas beaucoup varié
d'une année à l'autre. C'étaient toujours les mêmes paroisses,
en effet, qui avaient des collecteurs d'office. L'intendant de
Morangis, qui exerça successivement dans les deux généralités
1. A. N., G? isl3.
2. Ibid. Il est vrai que le 17 novembre 1684, il écrit que ses efforts ont eu des
résultats, le nombre des nominations d'office étant « beaucoup moindre » que
celui des années précédentes : il a porté sur 40 paroisses des 1 234 qui composent
la généralité.
3. Ces 46 nominations se décomposent ainsi : 32 faute d'avoir nommé des collec-
teurs à la date prescrite; 11 parce que le nombre des collecteurs dépasse les
chiffres réglementaires; 3 à la suite de décharges de collecte accordées. (Arch.
mun. Bayeux, rôles de taille.)
LA TAILLE EN NORMANDIE.
13
|§4 LA TAII.I.K F.N NORMANDIE.
d'Alençon et de Caen, nous explique qu'en certaines Localité*,
« les habitants craignent de nommer un collecteur qui les peut
hausser, et ils aiment mieux s'en.raporter au receveur des
tailles » qui désigne aux élus celui qu'il faut nommer1. « Il est
difficile, dit-il encore, d'engager les paroisses à en nommer
quand une fois elles ont pris l'habitude d'en laisser nommer
d'office2. »
1. Lettre du 9 octobre 1679, A. N. G7 71. Sur le rôle du receveur, cf. ci-dessus,
p. 141 et la note 2.
2. Lettre du 16 juin 1684 (A. N. C 213). Le 23 novembre 1681, il écrivait déjà
la même chose; à son avis d'ailleurs, les nominations d'office faites par les rece-
veurs seraient beaucoup moins préjudiciables aux paroisses, parce qu ils sont inté-
ressés surtout à bien faire asseoir la taille, tandis que laisser nommer les collec-
teurs par les élus, c'est rendre ceux-ci « maistres du détail de l'imposition ».
CHAPITRE V
LES EXEMPTS
I. LES NOBLES. II. LES EXEMPTS PAR LA FONCTION.
III. LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE.
L'idée de faire payer l'impôt à tous les habitants du royaume
sans distinction ne se présentait guère à l'esprit des hommes du
xvne siècle; tous admettaient que certaines personnes en fussent
exemptes; on discutait pour savoir lesquelles, mais le principe
lui-même était généralement incontesté. Quelques esprits hardis,
à la fin du xvic siècle, l'avaient cependant mis en discussion :
« Si la nécessité, disait Bodin, contraint de lever quelque impôt
extraordinaire, il est besoin qu'il soit tel que chacun en porte
sa part1 », et l'auteur du premier traité sur les tailles, Jean
Combes, qualifiait l'exemption d' « odieuse » et « contraire à la
dévotion publique » ; il n'est pas licite, disait-il, de « s'exempter
de telles charges regardans l'autorité publique2 ». Mais nous ne
savons pas quelle importance ces auteurs eux-mêmes attachaient
à leur idée, et nous devons bien constater qu'ils ne furent pas
suivis. A notre époque, Domat proclame à la vérité « le devoir
de tous ceux qui composent un Etat de contribuer aux dépenses
que le bien commun y rend nécessaires », mais tout après il
fait « la réserve des exemptions et des privilèges » que le sou-
verain accorde3. C'est seulement au xvme sècle que l'idée se
répandra et se fera accepter par tous.
L'inégalité devant l'impôt était aussi vieille que la société
française ; elle trouvait son fondement dans la loi romaine,
qui accordait des immunités aux fonctionnaires, aux citoyens
romains, aux nobles; dans la tradition ecclésiastique, qui libé-
1. La République, éd. 1580, liv. VI, p. 618.
2. Traité des tailles (1576), f° 68. « Ces exemptions, dil-il encore, sont aujour-
d'huy si fréquentes en France qu'elle n'apporteront à la fin qu'une ruine entière
du pauvre commun populaire ». Cf. Loyseau, Des ordres, Œuvres, éd. 1701, p. 29;
Coquille, Œuvres, éd. 1646, I, p. 132, etc.
3. Le droit public, dans ses Œuvres, éd. 1746, t. II, p. 25-26.
V
196 LA TAILLE EN NORMANDIE.
rait les prêtres de toutes charges publiques; dans la coutume
féodale, qui non seulement dispensait d'impôts l'homme de con-
dition supérieure, mais encore l'autorisait à en lever.
Chaque catégorie d'exempts avait ses titres pour justifier son
privilège, nous le verrons, mais au-dessus de tous ces titres il
faut placer une idée commune, qui autorisait et légitimait à
tous les yeux l'exemption, c'est que l'impôt était considéré
comme une honte, et l'exemption comme une marque de dignité :
rien dans l'ancienne société ne marquait plus nettement la sépa-
ration entre les deux classes, supérieure et inférieure, que le
paiement ou le non-paiement de l'impôt : chaque année le collec-
teur rappelait aux uns qu'ils étaient des privilégiés, aux autres
qu'ils étaient gens du commun. Soumettre quelqu'un à la taille
n'était pas seulement lui enlever une part de son bien, c'était
aussi le dégrader.
Quand les nobles se plaignent de leur privilège fiscal violé,
c'est au nom de leur dignité offensée : aux Etats de Normandie
en 1616 « la noblesse déplore que, par le moyen de plusieurs
levées qui se font indifféremment sur toutes personnes, on la
dépouille de ses prérogatives, et la rend-on par telles voyes
oblicques honteusement contribuable à des charges indignes de
sa condition1 ». Pareillement, l'année suivante, elle déclare
Qu'elle ne veut pas être « flestrie d'aucune imposition extraor-
inaire » ; en 1658, elle proteste contre le bail des aides qui
autorise les nobles à participer à la ferme sans déroger : « la
générosité d'un gentilhomme ne se peut abaisser jusqu'au point
de tendre la main à la perception des tributs, de la prestation
desquels il se tiendroit deshonoré2 ». En mars 1660, un officier
du Bureau des finances de Caen demande à être rayé du rôle
de sa paroisse parce que, dit-il, l'y maintenir serait « luy faire
une injure et un notable préjudice3 ». De même le clergé
déclare aux Etats de Normandie de décembre 1634 (art. 2 du
cahier 2), « que là plus signalée marque d'honneur que l'Eglise
aye en cette province par-dessus le commun du peuple, est
l'exemption des tailles qui lui est commune avec la noblesse4; »
la même année ses agents généraux protestent contre la mise
à la taille de certains ecclésiastiques parce que, disent-ils, cela
est « au mépris de leur dignité5 ».
1. De Beaurepaire, Cahiers règne» de Louis XIII et Louis XIV, I, 124. Cf.
Ragueau, Glossaire du droit français, art. Taille : « Est capitalis illatio; adscrip-
ticii sive tributarii ngricolœ prœstant capitis censum sive capitationem, et quasi
servi sunt ».
2. De Beaurepaire, III, p. 152.
3. Requête de Jacques rrénrd. contrôleur au bureau des finances de Caen, à
son propre bureau le 23 mars 1660. (A. D. Galv., Plumitif du bureau des
finances à sa date).
4. De Beaurepaire, Cahiers, règne de Louis XIII, t. III, p. 4.
5. Dans Néron, t. II, p. 622. L. du subdélégué de Sainte-Menehould à l'inten-
dant de Chalons, 1753 : « H. de Sailly n'a pas fait attention qu'ayant l'honneur
LES EXEMPTS. 197
Les privilégiés ne sont d'ailleurs pas seuls de cet avis : ils
ont pour eux des théoriciens comme Lebret, qui traite toujours
l'exemption comme un « honneur » accordé à celui qui en jouit,
et même cherche à la légitimer : « il est juste et convenable que
le prince souverain ait en sa puissance non seulement les peines
et les supplices pour punir les médians, mais encore les
faveurs et les récompenses pour reconnoitre la vertu et le
mérite des hommes vertueux1 », et dans un de ses plaidoyers
à la Cour des Aides en 1593, il justifie ainsi l'exemption des
membres des cours souveraines : « Eût-ce pas été avilir leur
dignité, et quasi capite minuere, que de les assujétir aux tributs,
aux charges et aux servitudes populaires? Car encore que les
tributs soient utiles, et même nécessaires à un état, si est-ce
toutefois que ce sont charges roturières, plébéiennes et indignes
des grandes dignitez ». Et il cite Tertullien : « Ut agri tributo
onusti viliores sunt, sic hominum capita stipendio census ignobi-
liora sunt*. »
Le roi lui-même est de cet avis; un grand nombre d'édits con-
tiennent des mentions comme celle-ci : « sous peine d'être-
déchus du titre de noblesse et d'être imposés à la taille ». La
déclaration de juillet 1702 qui vend des exemptions à certains
officiers, donne cette raison que « le bien de la justice exige
qu'ils [ces officiers] soient exempts de toutes charges pour être
en état de remplir leurs fonctions avec plus de dignité et de
désintéressement3 ».
Il faut bien noter aussi que cette marque infamante était
attachée spécialement à la taille : Gentil, dans un mémoire de
1747 sur la capitation, écrit : « Un gentilhomme, un officier de
justice ou autre privilégié paie tranquillement la capitation,
pendant qu'il se croirait déshonoré et confondu avec la popu-
lace, si on voulait lui faire payer la taille*. »
Le président La Barre, après avoir expliqué comment les
d'être votre subdélégué, je devais jouir de l'exemption de la taille; .... qu'il était
indécent qu'une personne à qui vous voulez bien confier une portion de votre
autorité fût imposée à la taille », dans Milhac, Les subdélégués en Champagne...
p. 25 (1911).
1. Traité de la souveraineté du roi, livre III, chap. vm, éd. 1689, p. 113.
'2. Jbid., p. 447.
3. C. d. T., t. II, p. 540.
4. Cité par Lardé, La Capitation, p. 27. Cette défaveur de la taille subsistera
dans tout le cours du xvin* siècle; encore en 1784 Necker écrira : « L'un des
motifs qui font tenir avec tant d'ardeur aux exemptions, c'est la tacbe imprimée
sur certaines impositions, telles, par exemple, que la taille, la corvée, le loge-
ment des gens de guerre, et d'autres encore; ce seroit une folle entreprise que de
prétendre déranger ces idées, et de vouloir assimiler indistinctement à de pareilles
charges tous les ordres de citoyens. » De l'Administration des finances, t. III,
p. 153. La noblesse du bailliage de Blois, dans son cahier aux Etats Généraux
de 1789, déclare qu'elle renonce à ses exemptions et « offre de supporter les
contributions publiques dans la même proportion que les autres citoyens, à la
condition que les noms de taille et de corvée seront supprimés et que toutes les
impositions directes seront réunies en un seul impôt territorial en argent. »
{Œuvres de Lavoisier, t. VI, p. 339.)
IM la tailm: IN mikmandie.
privilèges sont « naturels », ajoute : « Or, il y a deux sortes de
f>rivilèges : les uns sont personnels, qui suivent et accompagnent
es personnes quelque part qu'ils aillent, et les autres locaux,
qui sont attachés es lieux1 ». Il fait ici une distinction fonda-
mentale que nous pouvons adopter. Dans la première « sorte »,
le privilège dépend de la condition de la personne; dans la
seconde, il dépend du lieu où cette personne habite, quelles
que soient ses occupations et sa condition sociale. Les privi-
légiés de la première catégorie peuvent être subdivisés en deux
groupes : d'une part les nobles, d'autre part ceux qui exercent
certaines fonctions publiques plus relevées que les autres.
I. — LES NOBLES
À. — LA QUALITÉ DE NOBLE
Les motifs de l'exemption des nobles ont été souvent recher-
chés par les auteurs anciens désireux de prouver que le privi-
lège était fondé en droit; parmi leurs théories, la plus répandue
est celle qui, assimilant les nobles aux gens de guerre, les recon-
naît exempts parce que la taille est une taxe en remplacement
du service militaire, « estant raisonnable, dit Loyseau, que ceux
3ui contribuent leur vie pour la défense de l'Estat soient exempts
'y contribuer de leurs biens2 ». Guy Coquille l'a nettement
formulée :
« En France, tous héritages, eu 9ont tenus noblement pour faire
service de sa personne en la guerre, ou sont tenus roturièrement pour
en payer prestation annuelle au Roy ou aux seigneurs qui tiennent en
fief du Roy : car par règle générale, chacun doit contribuer aux guerres
et charges publiques, ou de sa personne, ou de ses biens3. »
D'autres ont invoqué purement les textes du droit romain,
qui exempte d'impôt les citoyens et ne soumet à la capitation
que les peuples conquis; de là à assimiler les nobles de France
aux premiers, et les roturiers aux seconds, il n'y a qu'un pas.
D'autres encore ont voulu voir dans l'exemption une faveur
accordée aux gens de guerre, à cause de l'utilité de leurs ser-
1. Formulaire, p. 178.
2. Traité des ordres, éd. 1701, p. 29.
3. Commentaire sur la coutume de Nivernois, VII, art. I (éd. 1646, t. I, p. 132).
Cf. aussi Bodin, République, livre I, ch. vi ; Duret, commentaire sur l'art. 256 de
l'ordonnance de mai 1579, dans Néron, Recueil, t. I, p. 624, etc. Souvent cette
explication est reprise par les auteurs modernes, ainsi M. de Luçay dit que la taille
fnt instituée « pour subvenir à l'entretien des troupes réglées, ce qui explique et
justifie l'exemption reconnue aux nobles, alors tenus au service personnel ».
{Séances et trac. Acad. se. morales, t. CXLIX, p. IM.)
LES NOBLES. 199
vices. Lebret, par exemple, écrit dans un de ses plaidoyers
à la Cour des Aides :
« De toutes les professions qu'il importe le plus au bien public, la
militaire semble mériter un des premiers rangs...; c'est pourquoi les
hommes de cette profession militaire ont de tout tems mérité d'être
honorez entre tous les autres de plusieurs beaux et signalez privi-
lèges, signanment de l'exemtion et immunité de tous tributs et autres
charges, ainsi qu'il se reconnoit en plusieurs endroits de nos livres;
comme à la vérité ils paient a la république un assez grand tribut que
de lui consacrer leur sang et leur vie pour son service, étant tous les
jours exposez à l'extrémité des hazars et des périls... si bien que de
les assujettir avec toutes ces peines et ces incommoditez aux charges
et contributions, certes outres que ce seroit deshonorer le mérite de
cette vacation, ce seroit encore leur ôter le courage de l'afection de bien
servir le public *. »
Nous savons aujourd'hui qu'en dehors de ces motifs, la taille
par son origine était un impôt roturier; elle ne pouvait être
imposée sur les nobles, puisqu'ils avaient eux-mêmes le droit de
la lever, et qu'ils traitaient d'égal à égal avec le roi pour la laisser
percevoir sur leurs fiefs; nous n'ignorons pas qu'à côté de cette
noblesse « d'origine », il y avait une noblesse concédée par le
roi ou acquise avec certaines fonctions, et que l'exemption lui
avait été conférée lors de la concession; enfin d'autres avaient
usurpé le titre de nobles, eux ou leurs ancêtres, et l'immunité
leur avait été reconnue en même temps. En définitive, l'exemp-
tion de taille était, dans l'esprit de tous, inhérente à la noblesse :
sans discussion ni doctrine on réunissait les deux qualités : un
noble payant la taille n'était plus un noble.
Les honneurs et privilèges attachés à la noblesse en avaient
fait rechercher le titre en tout temps par ceux qui ne le possé-
daient pas. Trois moyens principaux étaient à leur disposition
pour l'acquérir : 1° l'acheter du roi ; 2° le prendre à la faveur
de certains emplois; 3° l'usurper.
Le roi avait le pouvoir de conférer la noblesse à qui bon lui
semblait. Des services rendus étaient ainsi récompensés : tel fut
le cas pour les parents de Jeanne d'Arc. Mais depuis long-
temps, on en avait fait un procédé pour alimenter le trésor royal
toujours vide. Pendant le xvie et le xvne siècles, les ventes de
lettres avaient été couramment pratiquées, et leur révocation
avait été un autre moyen d'obtenir de l'argent en faisant financer
les supprimés pour être maintenus : Louis XIII avait à maintes
reprises, et surtout à la fin de son règne, pendant la guerre,
multiplié ces ventes et ces révocations 2. En dernier lieu, la
1. Œuvres, éd. de 1689, p. 484.
2. Voir la série des Ordonnances relatives à cette matière dans Ghérin, Abrégé
chronologique d'édits, déclarations, règlements, arrêts et lettres patentes des Bois
180 LA TAILLE EN Nui: m \ MU! .
déclaration du 16 avril 1643 avait révoqué tous les anoblis-
sements accordés depuis l'année 1600, date à laquelle une autre
révocation avait été opérée par Henri IV. Sous le règne de
Louis XIV, ces pratiques seront continuées. Dès la première
année sont mis en vente deux titres de noblesse par généralité.
En octobte 1645, on crée 50 nobles dans chaque ville franche
de Normandie; en octobre 1650, on confirme les anoblisse-
ments accordés en Normandie depuis 1606, malgré l'édit de
1643. Le 8 janvier 1653, nouvelle confirmation des titres de
noblesse révoqués depuis 1606'. En janvier 1660, à l'occasion
de la Paix des Pyrénées, nouvelle mise en vente de deux titres
de noblesse par généralité. Quiconque avait de l'argent pou-
vait faire l'emplette, sans remplir aucune autre condition. Depuis
longtemps on l'avait observé : les Etats de Normandie, en
février 1658, déclaraient : Le titre « s'est vendu à qui en a
voulu, sans enqueste d'autre mérite que du moyen d'en payer
la finance, qui souvent s'est vue au-dessous de celle d'une lettre
de bulle de quelque métier2. »
Outre les ventes de titres, le roi pratiquait aussi les ventes
d'offices conférant la noblesse : charges de sa maison, fonctions
militaires, offices supérieurs de la justice et des finances. Cet
honneur, ajouté à toutes les autres prérogatives de ces charges
les faisait rechercher davantage et augmentait le profit tiré de
la vente. On verra plus bas combien ces ventes furent nom-
breuses en tous les temps.
Un troisième moyen d'acquérir la noblesse, le plus simple et
f>eut-être le plus employé, était de l'usurper. L'attrait du privi-
ège, les avantages matériels et moraux qu'il entraînait, l'absence
de contrôle effectif de la part du pouvoir, et même la compli-
cité de celui-ci, facilitaient cette fraude. Certains, ayant porté les
armes dans les temps de troubles, avaient pris et gardé l'habi-
tude d'avoir une épée au côté et de se dire nobles pour ce motif.
« La licence et corruption du temps, disait le roi dans l'édit de
mars 1600, a été cause que plusieurs, sous prétexte de ce qu'ils
ont porté les armes durant les troubles, ont usurpé le nom de
gentilhomme, pour s'exempter induement de la contribution aux
tailles 3. » La Fronde avait ramené cette pratique : « Dans ce
de France de la 3* race concernant le fait de noblesse, Paris, 1788, in-8°, réim-
Îrimé dans la Nouvelle encyclopédie théologique de M igné, t. XIII, col. 836-1122.
e renvoie une fois pour toutes à cet ouvrage, qui donne l'indication des princi-
paux actes concernant la noblesse et cite les plus importants.
1. D'après l'arrêt du Conseil du 18 juin 1653 (cité dans Chérin, p. 118-119), le
recouvrement des taxes était confié au célèbre traitant Béchameil; chaque main-
tenue coûtait 1500 1.
2. Article 42 du cnhier des Etats dans de Beaurepaire, Cahiers, règnes de
Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 150. Cf. le récit de Loyseau au sujet d'un mar-
chand de boeufs du pays d'Auge qui avait acheté sa noblesse et portait l'épée :
Traité des ordres, chap. v.
3. Edit de mars 1600, art. 25. Cf. Loyseau, ibid.
LES NOBLES. 201
temps, dit la Cour des aides de Paris en 1653, la plupart de
ceux qui portent les armes prennent hardiment la qualité d'écuyer,
quoique eux et leurs prédécesseurs ayent été imposez es rôles
des tailles l. »
D'autres usurpaient la noblesse en cessant de payer la taille;
par la connivence des collecteurs ou des élus, ils se faisaient
attribuer sur les rôles la qualité de nobles, et, avec le temps, le
titre leur demeurait incontesté. Des officiers n'avaient pas de
peine à se qualifier gentilshommes, et à faire accepter leur titre
par tous : « De présent, dit La Barre en 1620, les moindres offi-
ciers jusques aux enquesteurs ne font difficulté de prendre le
titre d'escuyer. .. ; que si avec le temps on les veut enroller, les
collecteurs sont le plus souvent, faute de moyen, contraints
tout quitter et acquiescer plutost que de plaider; et alors voila
des gentilshommes d'acquiescement et sans cause2 ».
En Normandie, plus peut-être qu'ailleurs, les usurpations
étaient fréquentes. Le président La Barre assure que, dans la
province,
« sur tous autres endroits de la France se recherchent tous les moyens
d'usurpation de noblesse plus que ailleurs, ny autre part que je scache,
pour esviter aux charges populaires, tailles et subsides, et affin de
s'affranchir des imposts et autres contributions dont ceste contrée et
pauvre province est surchargée entre toutes autres. » Les Normands,
« pour la plupart sont fort friands de noblesse, ce qui leur procède
d'une gentillesse de nature, cerchans tousjours de s'avantager... et
s'affranchir des tailles et subsides dont ils sont fort grevez3. »
Le Roi déclarait aussi en 1583 :
« Nous avons connu par le rapport et avertissement qui fait nous a
esté par plusieurs nos araez et féaux conseillers et commissaires aiant
été sur les lieux en notre Pais de Normandie que le principal désordre
et préjudice qui s'y fait provient notamment de ce que depuis quel-
ques années les hommes taillables riches et opulens ont prétendu
s'exemter de contribuer à nosdites tailles, sous prétexte qu'ils se
disent privilégiez, les uns comme bourgeois de nos villes franches,
les autres se disant pourvus en charges et places qui les exemtent, et
la plupart par usurpation du privilège de noblesse 4. »
Suivant une déclaration de la Cour des aides de Rouen
en 1660, si « les moyens d'usurpation de noblesse sont plus
recherchés audit païs qu'ailleurs », c'est « à cause des tailles et
charges qui y sont grandes 5. »
1. Préambule de l'arrêt du 17 mai 1653 dans Néron, t. II, p. 741; cette pratique
est à rapprocher de l'usage qui accordait l'exemption de taille aux vétérans
ayant servi dans les armées du roi pendant 25 ans (Edit de janvier 1634, art. 17).
2. Formulaire, p. 70-71.
3. Ibid., p. 60 et 68.
4. Règlements de Normandie, p. 9-10.
5. Ibid., p. 55.
Ml LA TAILLE KN NORMANDIE.
B. — LA RECHERCHE DE LA NOBLESSE
La revision des titres de noblesse avait été pratiquée très
anciennement par les rois : en 1463, elle avait été opérée par
les soins de M. de Montfaut dans toute la Normandie'. Dans
le cours du xvi" siècle, on l'avait reprise plusieurs fois; en 1598-
1600, notamment, des commissaires royaux avaient méthodique-
ment poursuivi leur enquête non seulement dans la province,
mais dans tout le royaume. A la suite du règlement des tailles
de janvier 1634, les trésoriers de France et même les élus
avaient encore reçu mission de vérifier les lettres de noblesse2;
l'opération avait été menée avec tant de rigueur qu'elle avait
provoqué la protestation des Etats de Normandie, et avait con-
tribué à l'insurrection des Nus-pieds en 1639*.
Le premier objet de ces recherches avait été sans doute de
supprimer les faux nobles et de les remettre à la taille; en cela
le roi répondait aux désirs des nobles authentiques qui ne vou-
laient pas d'intrus parmi eux, et à ceux des contribuables qui
souffraient de voir les plus riches soustraits à l'impôt. Mais le
roi avait eu aussi et surtout une préoccupation fiscale : l'opéra-
tion lui rapportait en effet beaucoup d'argent, soit par les
amendes infligées à ceux qui étaient reconnus usurpateurs, soit
par les ventes de a maintenues de noblesse ». Il pratiquait
ici la même politique qu'à l'égard des offices; c'est d'ailleurs
aux époques où les créations d'offices sont le plus nombreuses
que les recherches de noblesse se multiplient. Le roi avoue du
reste son intention dans une déclaration du 15 mars 1655 : après
avoir déploré dans le préambule « les grands désordres » qui
se commettent dans les impositions et le trop grand nombre
d'exempts, en sorte, dit-il, qu' « il ne s'est trouvé dans les
paroisses que les plus pauvres pour payer nos tailles ». il ajoute
qu'il est disposé à confirmer les anoblissements accordés depuis
1606 moyennant « une honnête finance* ». Par là il informe
1. Le procès-verbal de la recherche a été publié par Labbey de Laroque :
Recherche de la Noblesse de Normandie sous Louis XI, par H. de M tint faut, Caen,
181M824, 2 vol., voir le ma. de la Recherche, B. N. fr. 2 7*2-3 et 1 1 930-33. Sur
les diverses recherches faites en Normandie uvant 1(196, voir le Cabinet historique,
t. VI, p. 215 et suiv. Les différentes commissions pour le légalement des tailles,
dont il a été parlé au chap. ni, avaient également poursuivi les faux nobles.
2. Un ms. de cette recherche pour la généralité d'Alençon est signalé par
le P. Lelong, Bibliothèque Historique, n° 40 745. Dans la généralité de Caen, 1 in-
tendant d'Aligre s était montré particulièrement sévère. Les élus furent dessaisis
de la recherche dès le 26 juillet 1634, parce qu'ils voulaient « a leur discrétion
conserver [les nobles] dans leurs privilèges ou leur en ôter la jouissance, selon
qu'ils seroient plus ou moins reconnus de leurs salaires » (Chérin, p. 100).
3. Cahier des Etats de Normandie en décembre 1634 dans de Beaurepaire,
Cahiers, t. III, p. 7 et Bigot de Monville, Mémoires, publiés par d'Estaintot, p. 4.
4. Texte de la déclaration dans de Beaurepaire, Cahiers, règne de Louis XIII,
t. III, p. 388-9.
LES NOBLES. 203
les individus inquiétés par les enquêteurs qu'ils pourront con-
server leur titre et même le consolider en payant. Les com-
missaires chargés de la recherche sont beaucoup plus des pour-
voyeurs d'argent que des censeurs occupés à dresser la liste
des nobles authentiques.
En 1661, la recherche se poursuivait en Normandie depuis
six ans1. La déclaration du 15 mars 1655, dont on vient de
parler, ordonnait à tous les nobles de présenter leurs titres à
des commissaires royaux qui les vérifieraient, et remettraient à
la taille les usurpateurs2; les lettres-patentes du 15 juillet sui-
vant3 désignaient comme commissaires des officiers de la cour
des aides de Rouen; deux autres déclarations des 30 décembre
1656 et 14 juin 1659 * fixèrent les détails de la procédure à
suivre. Par ces divers actes, il était infligé une amende de
2 200 1. (2 000 1. et 2 s. pour livre) à quiconque aurait usurpé le
titre de chevalier ou d'écuyer et se serait ainsi indûment
exempté de taille, sans préjudice des dommages-intérêts envers
la paroisse qui avait pàti de cette exemption frauduleuse : tous
ceux qui possédaient des lettres de noblesse régulières, mais
postérieures à 1606, devaient les faire confirmer dans le délai
d'un mois, et ce, moyennant 1 650 1. (1 500 1. et 2 s. pour livre).
Les commissaires formaient un tribunal extraordinaire, ayant
même ressort que la Cour des aides. Ils jugeaient en dernier
ressort, sauf recours au Conseil du roi.
Ils n'avaient pas l'initiative des poursuites; elle appartenait à
Me Thomas Bousseau « que nous avons chargé, dit le roi, de
l'exécution de nostre présente déclaration et du recouvrement
des sommes qui nous appartiendront ». Ce personnage, gros
financier, avait conclu avec le roi un traité par lequel il s'enga-
geait à faire produire à la recherche une somme déterminée qu'il
avait versée d'avance dans les coffres du Trésor : en échange,
le roi lui donnait le droit de faire toutes poursuites utiles devant
la commission de la recherche.
L'opération, qui. par diverses déclarations du même temps,
avait été étendue à tout le royaume, engageait de gros intérêts
financiers : c'est pourquoi Bousseau avait formé une société sem-
blable à celles qui, en même temps, exploitaient les autres affaires
extraordinaires. Il était autorisé à remettre ses pouvoirs pour
1. Il ne faut donc pas, comme on le. fait souvent, en attribuer l'initiative à
Colbert : celui-ci ne fit que changer le caractère de l'opération.
2. La déclaration est résumée dans Ghérin à cette date; voir le texte entier
avec les instructions aux commissaires de la recherche et la liste de ceux-ci dans
le ms. Glairambault, 442, p. 387-401.
3. Voir ces lettres-patentes aux A. D. Seine-Inférieure, Mémoriaux de la Cour
des Aides, t. XL, f° 27-28; cf. ibid., autres lettres du 16 août 1660 complétant la
commission.
4. Publié dans de Beaurepaire, Cahiers, t. III, p. 390-392.
204 LA TAII.LB EN NORMANDIB.
telle ou telle province à des sous-traitants ses associés. Pour la
Normandie, le sous-traitant fut Louis Béchameil, gros partisan
3ui avait le titre de secrétaire du conseil, et devint un des hommes
'affaires de Colbert; à côté de lui on trouve un receveur géné-
ral des finances, Gilles Jajollet, et un autre financier, Jacques
Lecharpentier *.
Le président de la Commission est M. de Hocqueville, pre-
mier président de la Cour des aides, qui n'a pas grande répu-
tation d'honnêteté : les notes secrètes de 1663 Te qualifient
d' « homme capable, interressé, et [de] nulle probité' ». A côté
de lui, il a son collègue Jubert de Bouville, « homme de pro-
bité, de capacité suffisante', » et quatre autres conseillers; le
procureur général de la Cour est le procureur de la Commis-
sion. La déclaration du 15 mars 1655 fixait de la façon suivante
le but et la portée de la recherche :
« Tous ceux qui, depuis l'année 1606, se trouveront, sans être nobles
et sans titre valable, avoir induement pris la qualité de chevalier ou
d'écuyer avec armes timbrées, et usurpé le titre de noblesse ou
exemption des tailles, soit de leur autorité, force et violence, tant en
vertu des sentences et jugements donnés par les commissaires députés
pour le régalement des tailles ou des francs-fiefs, que des sentences des
élus et autres juges qui se trouveront avoir été donnés par collusion
et sous faux donné à entendre, seront imposés aux rôles des tailles des
paroisses où ils sont demeurants, eu égard aux biens et facultés qu'ils
possèdent nonobstant lesdites sentences et jugements, et pour l'indue
usurpation par eux faite, seront tenus de payer, conformément au
règlement des tailles de 1634, la somme de 2 000 1. et les 2 sous pour
livre sur les rôles qui seront arrêtés au conseil. » Us devront « repré-
senter leurs titres en originaux aux premiers commandements qui
leur seront faits à la requête de son procureur général en la Cour
des Aides, pour être jugé souverainement et en dernier ressort de
la noblesse ou usurpation de ceux qui seront assignés ».
L'arrivée de Colbert aux affaires, sans changer la procédure
de la recherche, y introduisit une innovation importante : un
arrêt du conseil du 2 octobre 1661 fit « défense à tous huissiers
et sergeans d'exécuter aucune contrainte pour raison des taxes
faictes ou à faire sur les usurpateurs de noblesse qu'elles ne
soient visées par les sieurs commissaires départys par S. M.
dans les provinces, à peine de 3 000 1. d'amende* ». Ainsi les
intendants étaient chargés de contrôler la recherche, et par eux
le ministre pouvait intervenir dans les opérations. Or le prin-
cipal but qu'il poursuivait n'était plus de recouvrer des taxes
1. Mentionnés dans l'arrêt du Conseil du 13 novembre 1663, (B. N., ms. Clai-
rambault, 659, p. 22:?).
2. Mémoire de Vovsin, p. 242.
3. Ibid.
4. Plumitif du Bureau des Finances de Caen, 17 octobre 1661.
LES NOBLES. 205
mais de supprimer des faux nobles : « L'une des plus grandes
surcharges que les contribuables aux impositions souffrent,
disail-il en mars 1664, provient de la quantité de faux nobles
qui se trouvent dans les provinces, lesquels ont été faits, partie
par lettres du roi, et partie par simples arrêts de la Cour des
aides; il est fort important de chercher les remèdes conve-
nables à... ces maux1 ».
Un avocat de Rouen, le sieur de Bertheaume, qui semble avoir
rempli le rôle de substitut du procureur, suivait les instructions
de l'intendant de Rouen, Voysin de la Noiraye, et rendait compte
périodiquement à Colbert du travail de la commission : « Comme
je ne me vante pas, lui écrit-il en juin 1664, de scavoir exacte-
ment tous les désordres de cette grande province, ny de cognoistre
précisément tous les usurpateurs et tyranneaux qui s'y rencon-
trent, j'ai creu qu'il étoit à propos pour mettre plus au jour les
cognoissances qu'un travail de vingt-cinq ans m'a acquis, de
faire publier d'avance dans toutes les paroisses l'ordonnance ou
mandement dont vous verrez ici s'il vous plaist le modelle2, afin
d'y ajouster ou retrancher ce que vous jugerez à propos : j'en
ay donné l'idée à mondit sieur de la Norraye, et ce moyen très
doux me semble absolument nécessaire pour arriver à bonne fin.
Il n'en coustera pas un quart de sou auxtaillables, et les peuples,
qui ne sont pas grues, voyant que la curiosité de ces recherches
va entièrement à leur descharge, et est un moyen infaillible pour
les libérer d'une infinité de fléaux dont ils sont journellement
accablés, en donneront volontiers (au moings pour la plupart)
des certificats et déclarations véritables3». Bertheaume vint
même à Paris prendre les instructions de Colbert et activa les
poursuites : Je fais faire présentement, écrit-il dans la même
lettre du 10 juin 1664, « deux ou trois cens assignations par-
devant MM. les commissaires de la Cour des Aydes, à la plu-
part desquels j'ay faict cognoistre à mon retour l'application de
S. M. et la justice et sainteté de ses intentions en cette recherche
pour les obliger à travailler mieux à l'advenir qu'ils n'ont faict
par le passé, afin que S. M. ayt lieu de se satisffaire d'eux4 ».
Mais cet agent n'était pas d'une probité incontestable : dénoncé
le 28 juin 1664, il demandait à Colbert de ne pas écouter les dires
de ceux qu'il avait fait condamner : ne souffrez pas, disait-il,
« que, pour avoir bien faict, je sois sacrifie à la collère de gens
qui ne pardonnent point » ; cependant en 1666, il reconnaît avoir
été lui-même taxé à 10 000 1. d'amende comme faux noble et
c'est seulement grâce à la protection de Colbert qu'il est dis-
1. Glém., IV, p. 33.
2. Ce modèle n'est pas annexé à la lettre.
3. M. G., 121, f° 377.
4. Ibid., f° 378.
MM LA TAILLE EX NOHMANDIE.
peMé de payer*. H lut dépossédé de ses fonctions vers la fin de
l'aimée 1»>(>4.
Mais la commission des membres de la Cour des Aides faisait
de grandes injustices; le procureur d'Hébervîlle, dans ses lettres
à Colbert, se plaint ouvertement de ses collègues. Parce que,
dit-il, « je m'attache aux règles et aux ordres, [ils] cherchent le
moyen de me faire insulte en toute occasion », ne jugent pas à
l'audience « les procès appointés au conseil où le roi a inthérest,
lesquels ils jugent entr'eux sans que j'en sache rien » ou bien
contre ses conclusions « ne laissent pas... de procéder h l'enre-
gistrement de toutes lettres de noblesse ou confirmation de
noblesse ». A son habitude Colbert répéta ses instructions,
insista : au début de juin 1664, il représentait aux trois inten-
dants de Normandie la nécessité de « retrancher un nombre
presque infini de nobles que le désordre des temps et des
guerres estrangères et intestines ont introduit2 ». Une décla-
ration du 22 du même mois précisa les procédures à suivre et
les formalités à remplir : les poursuivis devront « produire les
grosses originales ou minutes des titres justificatifs de leur
noblesse la quinzaine après leur comparution»; toutes les
fnèces déposées après ce délai seront considérées comme nulles;
es procès devront être jugés « par absolution ou par condam-
nation » ; enfin tous les nobles qui ne voudront pas payer la
taxe des nouveaux anoblis devront justifier de la noblesse de
leur famille au moins depuis 1550*. Mais Colbert acquit, par
les rapports des intendants, la conviction que les membres de
la Cour des aides servaient mal les intérêts du roi. Il songea à
les remplacer par des agents dont il fût plus sûr. Dès ce mois
de juin 1664, les commissaires, menacés de dépossession, font
défendre leur cause devant le ministre par leur président : cette
« competance, disent-il, nous a tousjours esté attribuée par les
ordonnances »; les intéressés « ne se peuvent pas plaindre de
nos jugemens », et nous n'avons « faict les choses que dans
l'ordre* ». Mais le 22 avril suivant, l'intendant de Rouen adres-
sait à Colbert un mémoire circonstancié qui ne pouvait plus
laisser aucun doute : malgré, dit-il, « la difficulté qu'il y a
d'avoir un esclaircissement certain », je puis vous rapporter
quelques « faits précis » : Un certain Marc, sieur de Lespa-
1. Lettre de Colbert du 7 mai 1656 : « La vengeance (si je ne me trompe) do
sieur Le Noble commis de M. Ranchin à Rouen, lequel fut condamné en 3 000 1.
d'amende et restitution envers le Roy à mon rapport et par jugement que j'ay
en main pour délits de forests, m'avoit fait taxer injustement et sans prétexte
à 10 000 1. duns le roolle des omis en ceste généralité, et vostre protection, Mgr,
m'en a tiré avec justice. » (M. C, 137b'\ f° 588).
2. D'après la lettre de Du Gué à Colbert, 9 juin 166'», M. C, 121, f° 349, cf.
lettre de Voisin à Colbert, 10 juin 1664, ibid., C 404, et l'arrêt du conseil du
5 juillet 1664.
3. Dans Chérin, Abrège, p. 139-140.
4. De Hocqueville à Colbert. 13 juin 1664, M. C, 121 "*•, F 865.
LES NOBLES. 207
lière, parent du président de Hocqueville, fut assigné par les
traitants, mais « son affaire n'a point esté instruitte ny jugée,
et... le traittant a donné son désistement en bas de l'exploit,
auquel on dit que le procureur général de la commission a
aussi signé ». On dit même que, pour cette complaisance, Les-
palière aurait payé 200 louis d'or au traitant1. Un conseiller
au Parlement de Rouen, adjoint à la commission, M. Sallet, a
dit en parlant de trois frères qui venaient d'être déclarés nobles
authentiques, « qu'il venoit de faire trois gentilshommes, et
qu'il n'avet cousté que 50 pistoles pour leur composition ».
L'avocat du traitant a déclaré à l'intendant lui-même « avoir
donné un liste de mil ou douze cens personnes a assigner, et
qu'il y en a bien la moitié dont il n'a esté fait aucune pour-
suitte », et il lui a remis un mémoire « d'un très grand nombre,
jugés seulement depuis trois mois, qu'il prétend n'avoir aucun
titre valable », et qui sont maintenus nobles. Puis l'intendant
ajoute :
« Il n'y a pas grand subject de doubter que le traittant, si les commis-
saires n'y tiennent la main, et ne l'erupeschent d'en abuser, ne s'aplique
beaucoup plus a tirer de l'argent de quelque façon que ce puisse estre,
qu'au retranchement des faux nobles ; mais ce qui est fort considérable
en cette affaire, c'est qu'on prêtent que tout l'abus ne vient pas seule-
ment de ce costé là, mais qu'il y en a aussi beaucoup de la part des
commissaires, et soit par faveur, a cause de la liaison qui est entre les
officiers des cours souveraines qui s'intéressent et sollicitent pour les
inquiétés en leur noblesse, ou par d'autres raisons d'interest que l'on
a peine a croire de personnes de condition, il se donne beaucoup
d'arrests qui maintiennent des faux nobles dans les privilèges de
noblesse — Outre la considération de l'union qui est entre les officiers
de la province, qui peut donner lieu de maintenir quelquefois des faux
nobles, on prêtent qu'il s'en conserve encore plusieurs a cause qu'ils
sont fondés sur des arrests obtenus en la cour des aydes quoyque sans
titres suffisans, et que les commissaires ne veulent pas destruire ce
qui a esté fait par leur compagnie. »
II conclut que la chose « la plus essentielle » c'est « d'estre
fort asseuré de la fermette et du désintéressement parfait de
celui qui préside à la commission et de celuy qui y fait les fonc-
tions de procureur gênerai2 », ce qui laisse supposer que l'in-
tendant, pour sa part, n'est pas très sûr du président et du pro-
cureur actuels.
A la suite de ce rapport, Colbert fit expédier l'arrêt du conseil
1. Dans une lettre à Colbert du même jour, De Hocqueville affirme que cette
accusation est mal fondée : « 11 est vray que ledit sieur Marc ayant esté des-
chargé de la présente commission il y a quatre ou cinq ans, je prié le sieur de
Laporte de consentir au bas de l'exploit sa descharge, veu que c'estoit par l'ani-
mosité d'un de ses ennemis. Je me réserve a vous en rendre compte dans dix
jours, que j'esperes estre a Paris » (M. C, 128 "", f 1019).
2. Ibid., 128 bi% f° 1006.
208 LA TAILLE IN NORMANDIB.
du l,r juin 1665 qui suspendait la recherche en Normandie1.
Dans le préambule, la conduite des commissaires et trai-
tants était publiquement condamnée : « Nos ordres ont été
si mal exécutés, que souvent les traitants ou leurs commis ont
inquiété de véritables genthilshommes, lesquels après avoir
justifié de leurs titres, ont été renvoyés avec condamnation
contre lesdits traitants. Et à l'égard des usurpateurs il a été
fait des compositions avec aucuns moyennant lesquelles les
exploits d'assignations ont été supprimés, et d'autres sur des
titres faux ou fort faibles, ont été reconnus nobles par la con-
nivence desdits traitants. » L'arrêt ordonne en conséquence
aux traitants de. cesser immédiatement leurs poursuites, et
d'adresser leurs comptes au Conseil, dans le délai d'un mois,
pour les faire apurer2. Au reste, le roi se réserve « de faire
procéder à ladite recherche par les voies et au temps qu'(il) le
jugera a propos3 ».
Un arrêt du conseil du 31 décembre 1665 ordonna la reprise
de la recherche en Normandie4, mais avec un personnel nou-
veau : les intendants et leurs subdélégués remplaçaient les con-
seillers antérieurement en fonctions; seuls les traitants étaient
conservés.
Aux intendants sont adjoints des « aides », nommés par le
Conseil, soit pour les seconder, soit pour les suppléer. Ainsi
une commission est délivrée, le 13 janvier 1667, au sieur du
Perron de Béveville, conseiller à la Cour des Aides de Rouen
pour « travailler à l'instruction des affaires concernant lesdites
recherches », conjointement avec l'intendant de Rouen, Barin
de la Galissonnière, lequel n'a pas le loisir de s'occuper person-
nellement de l'affaire « avec la diligence que la chose requiert,...
à cause des différends employs que nous luy donnons journel-
lement6 ». Toutefois, les procès devaient être jugés par les
intendants en personne et l'appel de leurs sentences ne pouvait
être fait que devant le Conseil, ainsi que l'ordonna le règle-
ment du 6 mai 1669 6. Le Conseil remit d'ailleurs ses pou-
voirs, le 14 octobre 1666, à une commission spéciale pour juger
1. Le 16 mai 1665, le président de Hocqueville écrit à Colbert pour se plaindre
que Ton ait adressé à l'intendant « l'arrêt du conseil dont je m'estois donné
1 honneur de tous parler a Saint-Germain > ; il lui renouvelle ses protestations
d'impartialité, et s'offre à lui envoyer chaque mois le compte rendu de leur tra-
vail, mais, dit-il, « il me seroit fascheux de voir nostre competance partagée. »
(M. C, 129"'*, f 459). Chérin cite une déclaration du 10 mars 1665 qui attribuait
déjà la connaissance de l'affaire aux intendants, mais on ne trouve pas trace de
son application en Normandie : elle était sans doute spéciale à la Cour des Aides
de Paris.
2. La vérification sera faite par une commission composée de MM. d'Aligre, de
Sève, Pussort, Breteuil, Marin et Colbert.
3. Dans Chérin, Abrégé chronologique, p. 146.
4. Mentionné dans la lettre de Colbert du 12 janvier 1666, ci-dessous.
5. Mémoriaux de la Cour de» Aides de Rouen, t. XLI, p. 132, v°.
;». Mémoriaux ae la Cour aes Aides de Houen, t. ALI, p,
6. Archives des Affaires étrangères, France, vol. 922, F
10.
LES NOBLES. 209
ces appels; elle fut composée des sieurs Machaut, Boucherat,
Hervart, La Reynie, et Dorieu1.
Des instructions détaillées furent adressées par Colbert aux
intendants2. Les usurpateurs présumés seront traduits devant
eux par les traitants; dès qu'ils seront saisis d'une affaire, ils
devront se faire produire les pièces de l'inculpé, en rédiger un
inventaire sommaire, recevoir la déclaration de ses armoiries et
blasons « qu'on change assez souvent pour les conformer à celles
d'autres familles plus illustres, d'un nom équivoque ou syno-
nyme », dresser les généalogies, faire comparaître devant eux,
sans attendre les poursuites des traitants, tous ceux qui se disent
exempts de taille ou qui, dans les villes franches, prennent la
qualité de noble dans des actes. Ils verront à ne pas froisser les
gentilshommes d'illustres maisons par des poursuites outra-
geantes; enfin si, à l'occasion, ils peuvent se faire ouvrir les
archives des abbayes et les chartriers privés, ils ne manqueront
pas d'y faire copier les cartulaires intéressants pour l'histoire,
qu'ils adresseront à la bibliothèque du roi.
Le 12 janvier précédent il leur avait écrit :
« Gomme vous estes assez informés que cette affaire est une des
plus importantes qui puissent passer par vos mains, et en laquelle
vous avez le plus besoin de vos lumières et d'une soigneuse précau-
tion pour descouvrir la faulseté des tiltres qui seront représentez par
lesdits usurpateurs et la vexation qui pourroit estre faicte a ceux dont
la noblesse a esté bien establie, je ne scaurois trop vous recommander
de donner une application sérieuse et continuelle, en sorte que le Roy
et le public puissent receuillir le fruict qu'ils s'en sont promis3. »
Les formalités pour reconnaître un véritable gentilhomme
étaient longues et compliquées, et le résultat en était souvent
incertain*.
Le seul signe distinctif de la noblesse reconnu par les ordon-
nances était le titre d'écuyer5 et le port d'armoiries timbrées.
1. Clairamb., 659, p. 272.
2. Circulaire du 30 avril 1666, dans Glém., t. VI, p. 22; cf. la commission qui
l'accompagne dans l'édition de la Recherche de la noblesse de la généralité de
Caen par Chamillart (publ. par Du Buisson de Gourson), p. 3-4.
3. M. G. 135, f° 694, minute de Colbert; non publié dans Clément.
4. Voir pour tout ce qui concerne la procédure de la recherche, l'ouvrage de
Belleguise, Traité de la Noblesse et de son origine suivant les préjugés rendus par
les commissaires députés pour la vérification des titres de noblesse, Paris,
J. Morel, 1700. B. N. Lf2 80. Cet ouvrage qui est la réédition d'un autre relatif
à la recherche en Provence et publié en 1664 in-8°, est un véritable manuel à
l'usage des commissaires à la recherche et donne une foule de renseignements pra-
tiques. Voir aussi Lenglet du Fresnoy, Méthode historique, éd. in-4°, t. IV, p. 425 ;
Gauret, Stile du conseil du Roy, p. 435-'' 61, et le Mémorial alphab., p. 44V-456;
Guyot, Répertoire de jurisprudence, art. Noblesse; Houard, Dictionnaire analy-
tique de la coutume de Normandie, même article; H. Beaune, Droit coutumier
français (Paris et Lyon, 1882), p. 97 et suiv. Au reste tous les ouvrages relatifs
à la noblesse traitent plus ou moins longuement la question.
5. Une opinion communément répandue aujourd'hui est que la particule de
placée devant un nom est un signe de noblesse, mais c'est une erreur grossière :
LA TAILLE EN NORMANDIE.
14
210 la taili.k in NOM \m»ii:.
ledit de janvier 1629 (art. 189) à la suite de beaucoup d'autres
défendait « ii tous non nobles d'en prendre la qualité ni porter
armoiries timbrées1 ». Toutefois, en Normandie la jurispru-
dence de la Cour des aides admettait que le titre de « noble
homme » fût aussi une marque de noblesse, sauf quand il était
pris par un bourgeois de ville franche; on en avait fait état lors
des recherches de 1598 et de 16242. Mais un arrêt du Cnoseil
du 4 juillet 1668 déclara que ce qualificatif ne pourrait être
retenu dans la recherche*. Les intendants devaient donc
poursuivre tous ceux qui, dans des actes, avaient pris le titre
d'écuyer et les inviter à justifier qu'ils avaient bien le droit de
le porter; mais en outre, la recherche étant destinée surtout à
supprimer les exemptions de taille indues, on se préoccupa de
rechercher tous ceux qui, dans les rôles de taille, s'étaient
déclarés exempts comme gentilshommes, même s'ils n'y avaient
pas pris le titre d'écuyer; c'était une extension indispensable
de la recherche.
Une autre règle était qu'il appartenait au noble poursuivi de
faire la preuve de son titre, et cela non par simples témoins,
mais à la fois par actes écrits et par témoins *. Les titres étaient
naturellement la chose esssentielle; or, suivant la jurisprudence,
en aucun cas on ne devait ajouter foi aux copies, même si elles
étaient collationnées et certifiées par un officier public; seuls
les originaux étaient valables. La dispense de preuve n'était
accordée qu'aux familles de très ancienne noblesse : pour elles
la poursuite eût été vexatoire, d'autant plus que si, par suite
des temps, elles avaient perdu leurs parchemins, il eût été très
injuste de prononcer pour cela leur déchéance.
Dans le ressort de Paris, toute famille qui arrivait à établir
par actes et par témoins l'authenticité de son titre pendant les
trois générations précédentes était réputée noble; mais dans
celui de Rouen, il fallait faire preuve de quatre degrés :
a En Normandie, déclare la Cour des Aides, le titre n'a jamais
eu lieu qu'au quatrième [degré], aiant été besoin à ceux qui se sont
prétendus nohles qu'ils aient justifié par lettres autentiques que
leur père, aïeul et bisaïeul aient toujours vécu noblement sans avoir
quantité de roturiers avaient des noms avec la particule, quantité de nobles très
authentiques n'avaient pas la particule. L'erreur existait déjà à la tin du xvi* siècle;
Loysenu la dénonce en son Traité des ordres (ch. v).
1. La même ordonnance enjoint aux gentilshommes « de signer du nom de
leur famille et non de celui de leur seigneurie en tous uctes et contrats qu'ils
feront », parce que la seigneurie peut se transmettre et être possédée indifférem-
ment par un noble ou par un roturier.
2. Houard, Dictionnaire analytique, art. Noblesse.
3. Belleguise, p. 7U-80.
4. Cf. le plaidoyer de Lebret à la Cour des Aides en 1599, dans ses Œuvres,
éd. de 1G8(J, p. 525-27 : « par les règles et maximes de tout tems observées en
cette Cour, dit-il, les faits de Généalogie et de Noblesse doivent être vérifiés
tant par lettre que par témoins. »
'
LES NOBLES. 211
exercé actes vils et mécaniques ni contribué aux tailles et autres sub-
sides ; et ledit usage [a été] confirmé par lettres patentes du 8 mai 1583,
et ce pour retrancher les moyens d'usurpation de noblesse ' ».
La vérification des titres était encore singulièrement com-
pliquée par le trafic des anoblissements auquel on s'était livré
jusque-là; les différentes recherches, les confirmations accor-
dées par arrêts du conseil, les ventes et révocations innom-
brables avaient accumulé dans les chartriers des quantités
d'actes qu'il fallait vérifier avec soin; seuls en étaient capables
des hommes au courant non seulement des généalogies et de
la loi, mais encore des différentes opérations fiscales antérieures.
Les exigences relatives aux preuves, la facilité avec laquelle les
fausses pièces et les faux témoins étaient produits, rendaient
l'opération extrêmement difficile, et la chicane pouvait s'y
donner carrière. « Je serois assez hardy, écrit l'intendant
d'Alençon en 1666, pour vous asseurer qu'il n'en passeroit pas
un seul injustement, si je n'apprehendois d'estre surpris par
des pièces faulses, sur quoy je vous advoue que je n'ay aucune
connoissance2. »
La liste des personnes à poursuivre «tait dressée par l'inten-
dant de concert avec les traitants. On recourut pour cela aux
actes publics et particulièrement aux rôles de taille, où l'on
releva ceux qui avaient pris la qualité d'écuyer3. Réunir ces
actes n'était pas chose facile. Déjà en 1658, le roi constatait
dans un édit du mois d'août que « les rolles de nos tailles
ne se trouvent point aux greffes des Elections », parce que
les élus ou les collecteurs les retiennent par devers eux4. Le
1. Règlements de Normandie, éd. de 1710, p. 55, cf. La Barre, Formulaire des
Esleuz, p. 65 et le Mémoire de Voysin sur la Généralité de Rouen en 1665, p. 88
avec la note 3. La déclaration du 8 niai 1583 se trouve dans les Règlements de
Normandie, p. 9. Basnage {Commentaires sur la coutume de Normandie, t. I,
p. 208-210) discute longuement cette question des quatre degrés de noblesse. Il
cite un arrêt du Conseil du 16 nov. 1672 autorisant la preuve par trois degrés
seulement; mais cet arrêt n'eut pas de suites (Houard, Dict. analyt., art. Noblesse).
Quoique l'on fût plus sévère en Normandie que dans le reste du royaume sur la
preuve de noblesse, l'intendant d'Alençon, de Marie, estime pourtant que cette
sévérité est encore insuffisante : si l'on observe cette règle écrit-il en 1666 à
Colbert, on « anoblira quantité d'usurpateurs » ; des avocats, vicomtes ou baillis
ont pu, par l'autorité de leurs charges, prendre la qualité d'écuyer, s'exempter
de la taille, et leui'9 descendants seraient considérés comme véritables nobles
à la 4* génération; cela est impossible, il faudrait au moins exiger 5 degrés
de noblesse pour réduire un peu le nombre de ces usurpateurs (lettres du
24 mai 1666, dans M. G., 137 bl", f° 918) : mais son avis ne fut pas écouté, et la
règle demeura.
-2. De Marie à Colbert, 19 avril 1666, M. C, 137, f° 347.
3. Un arrêt du conseil du 22 mars 1666, exemptait de poursuites, « ceux qui
n'ont pris la qualité d'écuyer qu'une fois dans des actes signés d'eux comme
partie contractante » (mentionné dans (A. G., 142 bl', f° 640) cependant un autre
arrêt du 13 janvier 1667, ajoute que si la qualité d'écuyer a été prise même une
seule fois en justice ou devant notaire, l'intéressé sera soumis aux poursuites
(publié dans Clément, t. II, p. 760). De même, ceux qui sont dans les armées du
roi ne seront pas poursuivis tant qu'ils serviront (arrêts du conseil des 10 mai
et 13 octobre 1667, mentionnés dans ms. Clairambault, 659, p. 287 et 293).
4. Clairamb., 442, p. 853.
212 LA TAILLE EN NOItMANDIE.
2 décembre 1660, la Cour des Aides de Normandie avait
« enjoint à ses substituts des Eslections de cette province de luy
envoyer dans la quinzaine, à peine de 500 1. d'amende, un
extrait signé et certifié d'eux, des rolles des tailles de chaque
paroisse, des trois années dernières en tant qu'est du chapitre
des ecclésiastiques, nobles et exempts avec la cause de leurs
exemptions », mais le 19 mai suivant elle constatait que « plu-
sieurs de ces substituts ont négligé » d'envoyer les états et que
« la plus grande partie » des rôles de taille ne se trouvaient pas
dans les greffes1; elle en avait été réduite à s'adresser directe-
ment aux paroisses, pour leur faire dresser l'état des nobles
dérogeant ou indûment exempts2.
Un arrêt du Conseil du 16 août 1666 constate
« que nonobstant plusieurs règlements et arrests, aucun des officiers
des eslections, abusans du pouvoir de leurs charges, retiennent les
doubles des rooles des tailles qui leur sont portez lors de la vériûca-
tion d'iceux, au lieu de les remettre aux greffes où ils devroint estre
soigneusement gardez et mis en ordre pour y avoir recours aux occa-
sions, comme il seroit nécessaire dans la recherche qui se fait présen-
tement des usurpateurs du tiltre de noblesse, lesquels et leurs prédé-
cesseurs ont artificieusement supprimé les rooles ou ils ont esté com-
pris au nombre des taillables '. »
L'arrêt sera répété le 28 juillet 1667, ce qui prouve son inexé-
cution.
Un nouvel arrêt du Conseil, du 20 janvier 1667, donna l'ordre
aux greffiers des Elections d'envoyer aux intendants des extraits
signés d'eux, contenant les noms, surnoms et qualités de ceux
qui sont compris au chapitre des exempts dans les rôles de taille
des trois dernières années. De même il fut enjoint aux notaires
de relever dans leurs actes et d'indiquer aux intendants tous
ceux qui y avaient pris la qualité de chevalier ou d'écuyer. Pour
exciter le zèle des uns et des autres, le roi ajoutait : « Et afin que
ladite recherche ne soit pas inutile par l'artifice des usurpateurs
et la connivence des commis et préposés à icelle, S. M. accorde
1. Arrêt de la Cour du 19 mai 1661, A. D. Calvados, registre d'ordonnances de
l'Election de Caen, 1656-63, f° 395.
2. A. D. Calvados Election de Caen, registre des délibérations de la paroisse
de Tracy, 8 janvier 1662. Sur la mauvaise conservation des rôles de tailles, cf.
encore le rapport de Charles Colbert sur l'Anjou en 1664 : il a cherché dans les
greffes des élections les rôles antérieurs à 1656, < mais... les désordres de
partie des greffes est cause que nous n'avons pu avoir cet éclaircissement tout
entier » (Archives d'Anjou, t. I, p. 153).
3. A. D. Calv., Election de Caen, Registre d'ordonnances, 1664-74, f 158. Les
registres paroissiaux étaient à peu près inutiles : certaines paroisses n'en avaient
pas (Ibid., Election de Lisieux. procès verbal de chevauchées, 16 sept. 1684); le
conseiller d'Etat de Villayer écrit en 1665 que • beaucoup de faucetez et de procez
naissent de l'altération et suppression de ces registres » (M. C. 33, P 49). Un
autre mémoire de la même date affirme que, parmi les notaires, < la pluspart,
par nécessité ou autrement, ex turpi causa, supriment et recèlent ou bruslent la
pluspart de leurs minuties pour de l'argent, a ce requis par plusieurs inté-
ressez » (ibid., f° 540).
LES NOBLES. 213
le tiers des amendes qui pourront être adjugées à ceux qui four-
niront auxdits sieurs commissaires [départis] des actes de déro-
geance, des preuves et pièces justificatives de la fausseté des
titres produits par lesdits usurpateurs et dont lesdits préposés
n'auront donné connaissance auxdits sieurs commissaires1. »
Mais bien des pièces manquèrent malgré cela. L'intendant
d'Alençon se vante comme d'un tour de force d'avoir pu trouver
des rôles et des documents : « Je ne suis pas fasché, écrit-il à
Colbert le 25 novembre 1666, que plusieurs ayent du chagrin de
ce que j'ait faict mes diligences pour trouver plusieurs roolles
et plusieurs papiers sans lesquels il estoit inutile de travailler à
la recherche des usurpateurs2»; il a fait venir de Paris « plu-
sieurs rolles de tailles, partye de la ville de Dompfront, partye
des paroisses circonvoisines », qui avaient été produits en 1662
dans un procès aux requêtes de l'Hôtel et y étaient restés 3.
Mais même si l'on avait pu se procurer tous les rôles, on
n'aurait pas possédé de documents suffisants pour reconnaître
les usurpateurs ; il s'en fallait de beaucoup, en effet, quoique les
règlements le prescrivissent, que tous les exempts fussent ins-
crits au bas des rôles avec le motif de leur exemption. Le pro-
cureur d'Héberville écrivait à Colbert le 21 février 1666 :
« Encore que ce dust estre l'usage d'employer dans les rosles les
noms de tous ceux qui se prétendent exempts et privilégiés, néanmoins
à cause que ça esté une chose négligée pour le passé, il semble aujour-
d'hui que ce soit une nouveauté et beaucoup de collecteurs n'y satis-
font. J'ay esté adverti que cela vient de la violence de certains gentils-
hommes et puissants dans la campaigne, lesquels intimident lesdits
collecteurs et les empeschenl d'employer dans lesdites rosles les noms
de ceux qu'ils protègent fin d'obvier à la recherche. » Heureusement,
ajoutait-il, j'ai « des personnes qui m'avertissent de tous costés 4 ».
Même difficulté pour réunir des témoins; l'intendant de Caen
ayant reçu l'ordre d'informer contre le sieur de Saint-André,
capitaine garde-côte, écrit : « C'est un gentilhomme qui a beau-
coup d'amis et contre lequel il est presque impossible de
trouver de personne qui veuille déposer; ceux qui peuvent
parler avec plus de certitude sont tous ses voisins, et la pluspart
des pauvres gens, qui n'osent jamais parler que par ouï-dire et
n'osent jamais nommer personne. » Puis il ajoute cette phrase
qui en dit long sur les mœurs de l'époque : « La noblesse a icy
une grande liaison les uns avec les autres, et à la moindre
afaire qui survient à un gentilhomme, elle monte à cheval5. »
1. Dans Chérin, Abrégé chronologique, p. 164.
2. M. C. 142, f» 179.
3. Lettre à Colbert du 9 octobre 1666, M. G., 141, f° 214.
4. M. G., 136, f° 396.
5. M. G., 131, f° 244.
214 LA TAILLK l.\ H oit M V Mil | .
Il <st donc impossible à un intendant, combattu encore par la
Cour des aides et par le Parlement, de poursuivre à fond une
enquêta de ce genre.
Celui d'Alençon, de Marie, a exposé dans une lettre à Colbert
le 19 avril 1(366 la façon dont il procédait :
« J'ay un mémoire de tous les gentilshommes de la généralité, et à
l'esgard de ceux qui produisent, je paraphe toutes les pièces, j'en
retiens un extrait, et je prétends vous dresser un procès-verbal de
toutes les pièces justificatives de leurs généalogies... Ceux qui sont
de la Maison du roy et dans le service sont expédiez les premiers,
les autres suivent le rang de leur produit... Je leur rend toutes les
civilités que vous m'ordonnez, et, appréhendant en les faisant attendre
de ne pas suivre vos intentions, je peux vous dire qu'il y a des jour-
nées que nous y avons travaillé quinze heures entières1. »
« Tous ceux qui m'approchent, dit-il encore le 30 septembre sui-
vant, me connoissent assez pour n'appréhender aucune friponnerye;
ayant le nom de tous les gentilshommes que je veriffieray encore sur
les procès verbaulx des esleus, il me sera aysé d'empescher que pas
un ne s'eschappe. J'avois demandé à M. Marin une liste des anoblis-
semens verifflez en la cour des aydes Normandye qui m'est très
nécessaire, vous en ordonnerez ce que vous jugerez a propos 2. »
L'intendant de Rouen, Barin de la Galissonnière, ne déploie
pas moins de zèle, du moins suivant son dire :
« Je tiendray la main à ce que le traictant des usurpateurs du titre
de noblesse ne donne aucune assignation sans mon ordre Je prens
en faisant les départemens les noms de tous les exempts, affin de con-
noitre s'ils ont fait assigné tous ceux qui le doivent estre et empescher
les abus dont cette affaire est fort susceptible. — J'ay tousjours retenu
les inventaires des productions qui ont esté faittes devant moy, tant
de ceux que j'ay creu usurpateurs que des autres, auxquels j'ay donné
des advis pour leur descharge. J'observeray, Monsieur, ce que vous
m'ordonnez, mais je me sens obligé en conscience de vous dire que
les traictans n'en usent pas toujours legallement, et fatiguent assés
souvent les vrays nobles par leurs longueurs3. »
1. M. C, 137, f° 347-349. Cette lettre est la réponse à la circulaire de Colbert
du 3 avril 1666, publ. dans Clém., VI, 22, avec la date erronée du 30 avril.
2. M. C, 140, f 512.
3. Lettres des 17 octobre et 20 janvier 1667, dans M. C, 141, f° 429 et vol. 143,
f° 118. C'est sans doute à la suite de ces renseignements que Colbert lit rendre
l'arrêt du Conseil du 20 janvier 1667 cité plus haut, et dans le préambule duquel
on lit : « Dans la recherche des usurpateurs du titre de noblesse, il se commet
plusieurs abus par les commis et préposez pour cet effet qui ne font assigner que
ceux qui bon leur semble, supprimant les extraits des contrats, actes de déro-
geance et autres pièces servans de conviction aux faussetés de la pluspart des
tiltres produits, de sorte que s'il n'y estoit promptement remédié, il se trouver-
roit qu'au lieu de retrancher le nombre des usurpateurs, on en feroit beaucoup
de nobles, contre l'intention de S. M. et l'intérest du public. • (A. D. Calvados
Election de Cnen, Registre d'Ordonnances 1664-74, f° 192). De la Marguerie à
Colbert, Paris, 19 déc. 1666 : « 11 y a plusieurs abus qui se commettent par les
soustraitans commis a la recherche des nobles; ils peuvent mettre un commis
dans chaque eslection pour y travailler, et sous ce prétexte ils en commettent
dans toutes les villes et bourgs, et moyennant quelque gratification qu'ils reti-
LES NOBLES. 215
Quant à celui de Caen, Chamillart, il fut surtout expéditif :
« J'ai achevé, écrit-il le 6 septembre 1666, le catalogue de la noblesse
des élections de Vire, Mortaing et Avranches mercredy au soir; j'ay
chargé le traitant de faire assigner les usurpateurs élection par élec-
tion, et quelques-uns d'entre ceux qui avoient produit, que j'ay apris
par de nouveaux mémoires et par des recherches que l'on m'a mis en
main n'estre point gentilshommes. J'ay engagé les plus qualifiez qui
[avoient plus] de créance parmy la noblesse a se [pourvoir] contre les
usurpateurs et exciter un chacun à donner des mémoires pour faire
cette distinction, qui leur est si avantageuse et si utile pour le soula-
gement des peuples *. »
La répugnance des nobles à présenter leurs titres ne fut pas
l'un des moindres obstacles à la recherche; ce n'étaient pas seule-
ment ceux qui se sentaient sujets à caution qui refusaient de les
présenter, mais aussi les nobles les plus authentiques. Le carac-
tère inquisitorial de l'opération les inquiétait, et l'obligation
d'obéir à l'intendant et à ses commis les humiliait2. Une ordon-
nance de l'intendant de Rouen du 18 janvier 1669 nous apprend
que les nobles du pays, et particulièrement ceux de la ville de
Rouen, prétendent se dispenser de fournir leurs titres « en con-
sidération de leurs charges ou autrement », quoique cette pro-
duction soit exigée uniquement pour former le grand recueil
généalogique de la noblesse destiné à la bibliothèque du roi 3.
Le 4 décembre 1670, le même intendant écrit que certaines
« personnes de qualité » se sont « fait un point d'honneur de
ne point produire leurs titres », et « les plus verreux », par
intelligence avec ceux qui ont eu cette direction, « ont empesché
qu'on les ayt poursuivis* ».
D'autres recourent à un subterfuge : ils se retirent dans les
villes franches où ils prennent la qualité de simples bourgeois
et, par ce moyen, ils prétendent n'avoir pas à produire; il faut
un arrêt du conseil pour ordonner que s'ils ne produisent pas,
ils seront imposés d'office par les intendants5, sans préjudice
des amendes qu'ils auront pu encourir.
rent d'eux, ils les font exempter d'estre collecteurs des tailles, et nous avons veu un
desdits commis des plus riches d'une ville, et en tour d'estre collecteur, se servir de
cette prétendue commission pour s'en exempter, ce qui peut tirer a grande con-
séquence, et faire préjudicier a la levée des tailles dans tout le royaume. » Il
se commet encore d'autres abus dans la recherche qu'il expliquera si Golbert le
désire. (M. G., 142 "", f° 826.)
1. M. C. 140, f°177.
2. De Marie, à Alençon, prenait soin- de « leur faire connoistre que l'intention
du roy dans ceste recherche [n'était] que pour les distinguer des usurpateurs et
les honorer, eux et leurs enfans, des employs qui se présenteront » (M. G. 137,
f° 347 : lettre du 19 avril l*i66); cf. la lettre de Chamillart du 6 sept., citée
plus haut.
3. M. G. 153 b", f° 949.
4. Glairamb. 792, p. 393-394.
5. Arrêt du conseil du 8 novembre 1666, A. D. Calvados, Election de Caen,
Registre d'Ordonnances 1664-74, f0' 161-164.
216 LA TAILLE EN NORMANDIE.
Mais le plus grand obstacle à la recherche vint du Conseil
lui-même. Le président de Hocqueville écrivait à Colbert le
13 mai 1665 : « Les parties, pour éluder une juste condamnation,
se pourvoient au Conseil qui leur donne arrest de descharges
ou les renvoie à la Cour des Aydcs de Paris. Le traittant m'est
venu donner advis qu'il y a 18 instances au Conseil de prétendus
nobles, vrais usurpateurs, et qu'ayant voulu faire payer quelques
particuliers, lesquels ayant demandé à estre ouys devant moy, ils
ont déclaré vouloir mettre au commerce1. » Le 13 octobre 1666,
l'intendant de Caen écrit de son côté :
« Je vous dois donner advis que les usurpateurs de noblesse que je
condamne tous les jours se promettent beaucoup des habitudes qu'ils
ont à Paris, dont j'ay connoissance parles recommandations fréquentes
que je reçois en leur faveur, mesmes de la part de quelques-uns qui
sont commissaires, ce que je ne dois pas vous dissimuler, et il seroit
de la dernière conséquence d'en admettre aucun dans le catalogue de
la noblesse sur leurs productions. Un seul exemple autoriseroit une
infinité d'usurpateurs, qui n'ont osé paroistre, à produire de faux litres,
auxquels on travaille aussy hardiment en cette province que l'on a
faict autrefois à la fausse monnoie 2. »
Même, à en croire certaine information, un véritable trafic
aurait été organisé à Paris pour vendre les exemptions ou
dispenser des poursuites; le sieur Du Carouge, receveur des
tailles à Pont-1'Evêque et subdélégué de l'intendant de Rouen
pour la recherche, écrit à Colbert le 10 décembre 1666 « qu'il
y a présentement à Paris un certain ministre de Normandie,
nouvellement converty, lequel abusant du crédit qu'il a auprès
de quelques personnes de considération, fait donner pour trois
ou quatre mille livres que l'on lui paye des certifficats pour
Monsieur de Louvoy auxdits nouveaux anoblis portant que le
Roy les confirme dans leur noblesse » ; il cite le cas d'un nommé
Brument sieur de Boisflamets, habitant la paroisse de Bautot
près de Rouen, qui est « un véritable paysan dont le père estoit
chapelier en un village, n'ayant en sa vie sorty de sa maison ny
veu que sa charuc et ses granges », et qui cependant a obtenu
« des certifficats de service dans les armées du roy »; et beau-
coup d'autres sont dans ce cas ' : L'intendant de Caen dénonce
à Colbert les mêmes manœuvres, le 22 avril 1667 :
« Comme vous me marquez que le Roy ne recevra pas tout l'advan-
i. M. C, 129, f 387-8.
2. M. C, 141, 1» 295.
S. M. C, 142 bu, {• 508-599. On ne peut cependant pas ajouter une confiance
aveugle à de pareilles affirmations : u est possible que nous soyons ici en pré-
sence d'une dénonciation simple, il faut ajouter que le sieur du Carouge fut
quelque temps après accusé de concussion dans ses fonctions de receveur et pour-
suivi (voir ci-dessous, chap. vu), mais le fait n'étant pas isolé, on a le droit
d'en tenir quelque compte.
LES NOBLES. 217
tage et le public tout le soulagement que Ton s'estoit promis de la
recherche des usurpateurs, je puis vous assurer que ceux qui travaillent
auprès de moi ne commettent rien de contraire à mon instruction,
mais j'aprens de toutes parts que le traffic est ouvert à Paris, et le
prix des compositions pour lesquels les plus signalés usurpateurs
obtiennent des décharges est public. »
Il faudrait, ajoute-t-il, laisser les intendants juger en dernier
ressort, quitte à les rendre responsables de leurs jugements1.
Pareillement, en août 1664, un sieur de la Vallée-Corné informe
Colbert que « le sous-traittant de Normandie aiant voulu faire
dégrader environ 30 usurpateurs dans la ville de Rouen, où il y
en a très grand nombre, et qui s'épendent dans toute la pro-
vince, ils ont député quelques uns d'entr'eux [à Paris] dans la
créance d'obtenir de Monseigneur une décharge des poursuites
que le sous-traittant fait par-devant les commissaires de la Cour
des aydes2 ».
Colbert lui-même intervint pour faire accorder des faveurs à
certaines personnes auxquelles il s'intéressait; voici un billet
qu'il écrit à Marin, intendant des finances, le 2 novembre 1667 :
« Le sieur Geoffroy, maistre particulier des eaux et forests de Com-
piègne et lieutenant des chasses, estant un fort bon officier, lequel
sert avec affection et exactitude, il est poursuivi pour avoir pris la
qualité d'escuyer. Je vous prie de m'informer par qui ces poursuites
se font afin de voir après ensemble si Ton les fera cesser3. »
Pareillement il adresse, le 19 juin 1664, une recommandation
à l'avocat général à la Cour des aides de Rouen, en faveur d'un
sieur de Saint-Germain : J'en ai parlé aux commissaires, lui
répond l'avocat, et je les ai trouvés « en ce rencontre comme en
tous autres, entièrement disposés à exécuter vos ordres » ; en con-
séquence, conclut-il, « je n'ay pas eu grand paine à faire donner
au sieur de Saint-Germaîn le temps que vous m'ordonnez pour la
production de ses tiltres4». Le grand nombre d'arrêts du conseil
que l'on trouve pendant les années 1666-1670 relatifs à des con-
firmations de noblesse, montre l'importance de ces recours au
conseil, et de l'intervention des ministres; il est bien à penser
que tous n'étaient pas inspirés uniquement par la justice.
En définitive, l'opération n'aboutit pas aux résultats cher-
chés ; elle était vexatoire pour les gentilshommes et mettait plus
d'argent dans la bourse des traitants que dans les coffres du
roi; enfin elle aboutissait autant à créer de nouveaux nobles
qu'à supprimer des usurpateurs; c'est pour ces motifs que
1. M. C, 143, f°« 490-491.
2. Lettre du 21 août 1664, M. G., 123, F 426.
3. M. C, 146, f° 31.
4. M. C, 121 b", f 849.
218 LA TAU I I. IN NOIt.M.VNDIi:.
Colberl déoida de l'Arrêter; il en informa les intendants par une
circulaire du 1er décembre 1070 :
« Le roy recevant tous les jours des plaintes des vexations et abus
qui se commettent dans la recherche des usurpateurs du tiltre de
noblesse, S. M. a résolu de les faire cesser; et pour cet effet elle m'a
ordonné de vous faire sçavoir que son intention est que vous ne fassiez
plus donner aucunes assignations aux particuliers, ny faire de pour-
suites par devant vous, pour la raison de ladite recherche et que vous
ne rendiez aucun jugemens sans ordre exprès de S. M. si ce n'est
pour l'instruction des interlocutoires qui vous ont esté renvoyez par
ordonnances de MM. les commissaires généraux, que vous parachè-
verez incessament pour les renvoyer aussytost1. »
Aucun acte législatif ne fut publié pour informer le public
que la recherche était interrompue; c'est seulement le 6 jan-
vier 1674 qu'un arrêt du conseil révoqua la commission et fit
défense aux traitants de faire le recouvrement des sommes dues
pour les amendes prononcées antérieurement2.
C. — LES RESULTATS DE LA RECHERCHE
Il est certain que le principal but de la recherche, la distinc-
tion entre vrais et faux nobles, ne fut pas atteint : c'est vers ce
temps que Boileau écrivait dans sa satire sur la noblesse :
Mais quand un homme est riche, il vaut toujours son prix,
Et 1 eut-on vu porter la mandillc a Paris,
N'eûl-il de sou vrai nom ni titre ni mémoire,
D'Hozier lui trouvera cent aïeux dans l'histoire.
Boursault dans son Mercure galant faisait dire également à
un riche bourgeois ' :
1. Clément II, p. 77. La question delà surséance dans la recherche fut certainement
discutée au conseil a la fin de novembre 1670 : on avait d'abord projeté de donner
un délai de trois mois aux commissaires pour terminer leurs opérations, mais
Pussort désapprouvait ces projets : voici le billet qu'un secrétaire de Colbert faisait
parvenir à son patron le 28 novembre 1670 : « M. Pussort s'est chargé de vous
entretenir sur l'arrest de surséance de l'allaire des usurpateurs de noblesse, esti-
mant qu'il faudrait oster le temps de trois mois aussy bien pour ce qui est pen-
dant au Conseil qu'aux provinces. Sur quoy il y a à considérer que ce seroit laisser
uux Cours des Aydes le jugement des appellations de Mrs. les Commissaires
départis; ce qui ne se doict pas soufTrir, outre que fermant la main dez à pré-
sent aux traictans en leur ostant le moyen de remplir leurs forfaicts ils vous
retomberoient sur les bras, de sorte M., que ces raisons estons pezées je ne
fais point de doutte que vous accorderez les trois mois pour juger aux bureaux
de Mrs. Daligre et Pussort ce qui est présentement en estât de juger : pendant
lequel temps ou pourra recouvrer les amandes jugées comme chose acquise au
Roy. C'est bien assez d'empescher qu'il se donne de nouvelles assignations et
qu'on juge rien davantage aux provinces. J'ai creu, Mr., vous devoir faire cette
retnonstrance. après quoi je n'ay qu'à obéyr. » (B. N., Clairambault, 792,
p. 389-390 : lettre non signée).
2. Dans Chérin, Abrégé Chronologique, p. 191.
3. Acte I, se. m. Cf. De Claveret, L'écuyer, ou les faux nobles mis au billon, 1665:
cette comédie était d'actualité.
LES NOBLES. 219
.... J'ai fait chercher un généalogiste,
Qui, pour quelques louis que je lui donnerai,
Me fera, sur le champ, venir d'où je voudrai.
Saint-Simon a dit : « On sait comment se font ces recherches
de noblesse : ceux qui en sont chargés dépêchent la consigne,
leurs secrétaires les défrichent et font force nobles pour de
l'argent ».
Même si l'on élimine les anoblissements autorisés par le roi
— chose dont la légitimité pouvait être soutenue1, puisque le
roi avait le droit de faire des nobles comme il voulait — il res-
tait encore un grand nombre de personnages introduits dans la
noblesse par les faveurs des intendants, des traitants et de leurs
commis 2, par les faux titres et les faux témoignages produits
aux procès. Pour quelques usurpateurs condamnés à l'amende
comme ce pauvre Lafontaine3, pour avoir pris, peut-être sans le
savoir, le titre d'éeuyer dans quelques actes notariés, combien
firent confirmer leurs titres sans rien payer, qui étaient de la
plus certaine roture? Au reçu de la circulaire du 1er décem-
bre 1670, l'intendant de Rouen écrivait :
« Il y a si longtemps que je suis persuadé des abus et vexations
qui se commettent dans la recherche, et qui n'a très souvent servy
qu'à tourmenter les véritables gentilshommes et à en faire de nou-
veaux par la faveur des traitans et par la protection qu'ils ont trouvée
par leur argent et leurs amis, qu'il me semble que S. M. ne pourroit
rien faire de plus digne de sa justice et de l'application qu'Elle donne
au gouvernement de son royaume que de la faire cesser4. »
Son successeur, de Creil, écrivait également le 21 novem-
bre 1673 en envoyant l'état des usurpateurs :
« Par avance je vous diray que la pluspart de ceux qui avoient du
bien se sont tirez d'affaires, soit par des accommodements, soit par
des lettres de réhabilitation ou confirmation, soit par des arrests du
Conseil en commandement que S. M. a bien voulu leur accorder, ou
1. Toutefois l'intendant de Bourges et de Moulins écrivait à Golbert le
7 décembre 1673, en réponse à sa lettre du 1er décembre citée ci-dessous : « Quant
à ceux [les nobles] qui ont esté rétablis au conseil, les uns l'ont esté de grâce, et
par des arrests signez en commandement, a quoy il n'y a rien à dire : et à
l'égard de ceux qui l'ont esté par des arrests de justice, je ne doute point, Mon-
sieur, que ce n'ayt esté avec fondement, mais il est à remarquer que l'on a pro-
duit au Conseil beaucoup de pièces dont on n'a pu relever l'altération, faute
d'avoir les connoissances qu'on trouve sur les lieux, et il ne s'estoit jamais fait
tant de faussetés qu'il s'en est commis à l'occasion de cette recherche. » (Clairamb.,
795, p. 227.)
2. Colbert écrit le 1er déc. 1673 à l'intendant de Bourges et de Moulins : « Je
ne crois pas que... vous trouviez qu'il y ayt beaucoup qui ayant estes deschargés
par arrests du conseil sans fondement» (Clém. II, 304).
3. Voir Œuvres de La Fontaine, éd. des Grands Ecrivains, t. I, p. vi.
4. Lettre du 4 décembre 1670, B. N., Clairamb., 792, p. 393.
220 LA TAILLE EN NORMANDIE.
autrement, et qu'ainsy il n'y a eu que les pauvres et malaisez qui sont
demeurez à la taille '. »
La recherche alimenta notablement le Trésor; elle est restée
surtout célèbre par la sévérité avec laquelle les amendes furent
prononcées et exigées. Dans la généralité de Caen. les condam-
nations prononcées jusqu'en août 1667 par l'intendant, et por-
tant sur 300 usurpateurs seulement, montaient à 180 100 1. 2. La
même année Colbert a relevé de sa propre main une phrase
d'un mémoire à lui adressé par le cardinal de Vendôme et
l'intendant d'Oppède sur le Languedoc : « Epuisement de la
province par les taxes de la Chambre de justice et celles des
escuyers* ». Même lorsque la recherche fut déclarée close, on ne
cessa pas de mettre en vente des lettres de noblesse; Colbert
lui-même y eut recours quand il eut besoin d'argent : en sep-
tembre 16/3, il annonçait aux intendants un projet de rétablir,
moyennant finance, une partie des nobles condamnés, à quoi
l'intendant de Rouen répondait le 27 décembre suivant :
« Si S. M. veut restablir une partie desdits usurpateurs dans leur
noblesse, il est à propos de n'accorder cette grâce qu'à ceux qui sont
riches, et en estât de bien paier, et de la soutenir dans la suitte en
vivant noblement eux et leurs enfans, estant certain que si des gens
peu accomodés font un effort pour achepter ce tiltre, ils languiront le
reste de leur vie, et peupleront la province de nobles fainéans, qui
n'ozeront travailler ny faire aucun commerce pour gagner leur vie,
de peur de commettre dérogeance, et ne seroit d'aucun secours pour
l'Etat. 11 est aussi vray de dire qu'il y a des gens qui donneront plus
volontiers et plus aisément jusques à 20 000 1. et plus que d'autres
n'en pourroient paier 1 000 ou 2 000 à proportion de leur bien*. »
Les faux nobles se multiplièrent après la recherche comme
1. B. N., Clairambault, 795, p. lf»3-'i. En dehors de la Normandie, le résultat
ne fut pas meilleur : Colbert écrivait le t" décembre 1673 ù l'intendant de
Bourges et de Moulins : « J'apprends par votre lettre du 25 du mois passé, que
la recherche qui a été faite des usurpateurs du titre de noblesse dans l'étendue
des deux généralités de Bourges et de Moulins a été presque inutile,... soit par
la raison que vous dites, que les plus riches se sont fait décharger par arrêt du
Conseil, soit parce que vous n'avez aucune connaissance de ceux qui ont été jugés
par M. d'Herbigny, soit que ceux que vous avez jugés vous-même se soient
maintenus dans l'exemption qu'ils avaient usurpée par leur fausse qualité, vous
ne voyez pas que cette recherche ait produit aucun soulagement aux sujets du
Roi. • (Clém., Il, 304).
2. Chamillart ù Colbert, 23 août 1067, M. C. 144, f° 525.
3. M. C. 145, f" 290. Il est remarquable que Colbert, d'ordinaire si dur à
l'égard des traitants, n'ait pas usé de rigueur à l'égard de ceux de la recherche;
on ne trouve qu'une seule mention de poursuites pour malversation contre deux
sous-traitants : Claude Vialet et René Drouet (arrêt du conseil du 11 mai lb73,
Clairambault, 459, p. 450). Aucun des autres ne fut, semble-t-il, inquiété.
4. B. N.", Clairambault, 795, p. 283. Ces taxes ne furent peut-être pas, au
demeurant, le moindre résultat de la recherche, même au point de vue des gen-
tilshommes. Elles ouvrirent la noblesse à ceux qui étaient riches et rejetèrent
dans la roture ceux qui étaient pauvres. Ainsi fut hâtée l'assimilation de la
noblesse et de la fortune.
LES NOBLES. 221
avant : la preuve en est donnée par un arrêt du conseil du
19 juillet 1672 défendant à ceux qui ont été condamnés de
reprendre la qualité d'écuyer, sous peine d'une nouvelle
amende *. Le 30 janvier 1681, Colbert écrit à l'intendant de
Rouen : - *
« S. M. m'ordonne de vous dire qu'Elle reçoit beaucoup d'avis qu'il
y a quantité de particuliers dans toute l'estendue de la province de
Normandie qui se déchargent du payement des tailles sous prétexte de
noblesse, encore qu'ils ayent esté condamnés dans la recherche qui en
a esté faite depuis quelque temps ; qu'il y en a beaucoup d'autres qui
se soulagent dans l'imposition par toutes sortes de moyens qu'ils
recherchent avec un très grand soin et une très grande application.
S. M. m'ordonne de vous dire qu'Elle veut que, dans toutes les visites
que vous faites des élections, vous examiniez avec soin tous les rôles
des tailles* des paroisses pour voir ceux qui sont mis au nombre des
exempts ou ceux qui sont notablement soulagés à la taille, et que vous
^entriez en connoissance des raisons qu'il y a de l'exemption ou du
soulagement, pour y apporter, par les taxes d'office, les remèdes que
vous estimerez convenables pour le soulagement des peuples2. »
Un autre résultat important de la recherche fut le catalogue
de la noblesse dressé par les intendants et déposé à la Biblio-
thèque du roi. L'idée de ce catalogue n'apparaît guère avant 1669.
Il est probable qu'elle est de Colbert; elle rentre dans son
grand projet de statistique sur toutes les branches de l'admi-
nistration ; de même qu'il voulait savoir le nombre des paroisses
et des feux et même celui des habitants du royaume, il voulait
aussi que le roi connût exactement toute sa noblesse. En même
temps que l'Académie travaillait à dresser le dictionnaire de la
langue française pour distinguer les mots nobles et les mots bas,
on dressait la liste des sujets nobles du roi3. Le catalogue devait
avoir en outre une utilité pratique ; il empêcherait les usurpa-
tions ultérieures. Si l'on prenait soin de le tenir au courant —
et c'est la besogne dont furent chargés d'Hozier et Clajrambault
— il rendrait la fraude presque impossible.
Un arrêt du conseil du 15 mars 1669 avait donc ordonné à
tous les véritables gentilshommes de représenter leurs titres de
noblesse et leurs armoiries aux intendants qui en dresseraient
la liste4. Contrairement à ce qui se produisit pour les autres
1. Chérin, Abrégé Chronologique, p. 189. En 1676, on proposait au ministre,
pour alimenter le Trésor, de taxer « ceux qui auront repris le mesme titre de
noblesse pour lequel ils auront esté condamnez » (Glairamb., 797, p. 73).
2. Glém., II, p. 148.
3. On entrevoit déjà ce projet dans la grande circulaire de mars 1664 :
« S. M., dit-il aux intendants, désire estfe particulièrement informée de tout ce
qui concerne la noblesse scavoir : les principales maisons de chacune province,
leurs alliances, leurs biens... Pour la noblesse ordinaire, il est bon d'en scavoir
la quantité et le nom des plus accrédités ». Clém., IV, p. 31.
4. Dans Chérin, Abrégé Chronologique, p, 183, cf. un autre arrêt du 2 juin 1670,
ibid., p. 188, et la déclaration du 4 septembre 1696 réordonnant la recherche,
ibid., à sa date.
222 LA TAILLI. IN NoIiMANDI!:.
entreprises statistiques du même temps, on aboutit a peu près
au rcMiltat cherché. Les manusciits de cette recherche sont
parvenus jusqu'à nous, au moins en copies : ils forment les
volumes M2 264-32 291 de la Bibliothèque nationale; de nom-
breuses copies sont, eh outre, répandues dans la plupart des
bibliothèques de Paris et de province1.
En ce qui concerne la Normandie, nous avons les trois listes
complètes : une, celle de la généralité de Caen, a été publiée,
les deux autres sont restées manuscrites*. Le travail de Chamil-
lart est le plus considérable des trois; il donne de nombreux
détails sur les familles, les pièces fournies, l'origine de la
noblesse et les condamnations prononcées; celui de La Galis-
sonnière a été, au dire d'un auteur anonyme du début du
xvnie siècle, « le plus estimé pour cstre le plus estendu, et,
parce qu'il contient les généalogies de chaque famille, on l'a
donné pour modèle dans la recherche qui se fait présentement
et qui a commencé en 1696 3 ». Quant à la recherche de la géné^
ralité d'Alençon par de Marie, elle est beaucoup moins considé-
rable que les deux autres : on y trouve seulement sur trois
colonnes les noms des personnages, leurs paroisses et le juge-
ment de l'intendant; « on a regardé son ouvrage, dit le même
auteur, comme fait avec beaucoup d'honneur et d'exactitude :
cependant on a trouvé qu'il a confondu dans les illustres familles
des maisons assez nouvelles, anoblies par les francs-fiefs, et
mesme par des lettres de noblesse, soit qu'il ayt été surpris ou
qu'il l'ait bien voulu faire par considération* ».
C'est principalement dans le travail de Chamillart que Ton
voit comment fut fait le triage entre nobles et faux nobles,
c'est-à-dire, en ce qui nous concerne, entre exempts de taille
et taillables : d'après un mémoire de 1668 émanant probable-
1. Voir un catalogue de documents relatifs à cette recherche dans le Cabinet
Historique 1870, partie catalogue, p. 1 et 38. Le gouvernement projetait de faire
imprimer et publier toutes les listes, mais seule celle de Champagne fut publiée;
depuis lors, quelques-unes ont été éditées, mais la plupart sont fautives et faites
sans critique : la publication intégrale des listes reste encore à faire.
2. La recherche de Chamillart pour la généralité de Caen a été publiée à Caen
en 1887 sous le titre : Recherche <ie la Noblesse faite par ordre au Roy en 1661
et années suivantes, publiée intégralement et pour la première fois d'après plusieurs
copies manuscrites anciennes, par un membre de la Société des antiquaires de Nor-
mandie, 2 vol. in-8«. Elle est à compléter par les Notes et documents pour servir
à C histoire de la recherche de Chamillart par un membre du Conseil héraldique de
France, Caen, 1890, m-8* : ces deux publications laissent encore à désirer; elles
ont utilisé des copies fautives; le manuscrit original (B. N., ms. fr. 11928)
a échappé aux éditeurs (ils déclarent, p. 11, n'avoir pu le trouver), ils n'ont rien
connu des conditions particulières dans lesquelles fut faite la recherche. Les
documents législatifs publiés sont pleins de fautes, la préface de l'ouvrage est
composée de fragments de la préface de Chérin, Abrégé Chronologique, quoique
rien ne nous en avertisse. L'éditeur prend pour base de sa publication un manus-
crit de la bibliothèque de Caen qu'il a collationné, dit-il, avec « plusieurs autres »
qu'il n'indique pas autrement.
3. Mémoire sur la recherche en Normandie publié dans Le Cabinet Historique,
t. VI, p. 217.
4. Ibid.
LES NOBLES. 223
ment de l'intendant lui-même, voici quel fut le résultat en ce
qui concerne les nobles maintenus ' :
FAMILLES PERSONNES
1° Ancienne noblesse 465 1 241
2° Anoblis 361 953
3° Nobles qui ont bien justifié 459 1117
1285 3 311
Quant aux usurpateurs condamnés ou renvoyés devant le con-
seil, ils forment 172 familles dont 12 avaient pris la qualité de
noble à l'époque même où l'on faisait la recherche, entre 1661
et 1667; sur ce nombre, 39 familles ont été maintenues posté-
rieurement à la recherche par des arrêts du conseil ou des sen-
tences de l'intendant lui-même2.
Parmi ceux qui furent définitivement condamnés, nous en
voyons quelques-uns qui étaient de pauvres diables, peut-être
nobles authentiques, mais dérogeant, tels : Jacques de Courta-
lais, qui est menuisier3, les deux frères Campion, également
menuisiers; Jean le_ François, qui est cordier4, les frères Le
Forestier qui « sont au service et pauvres 5 » ; Gilles Coquet, qui
est « imposé à la taille depuis longtemps, est fermier et déroge6 » ;
beaucoup d'autres avaient pris la qualité de noble sans aucun
titre : parmi eUx, on trouve des étrangers venus de loin, comme
Michel et Jacques de Bichot qui « sont venus de Chartres, leurs
pièces sont fausses sur le premier degré, n'ont pu représenter
d'actes de partage, ni de traité de mariage 7 » : d'autres ne
peuvent présenter aucun titre ; d'autres en très grand nombre
fournissent des pièces fausses. Gilles Bertrand, qui avait été
déjà déclaré usurpateur en 1614 et n'avait cessé de payer la taille
depuis lors, renonce à la qualité d'écuyer qu'il avait prise dans
des actes et se voit néanmoins condamné à 50 1. d'amende;
parmi les faux anoblis, on trouve beaucoup d'officiers de finance
ou des fils d'officiers, comme Gilles Denis, dont le père est « élu
à Valognes où il est encore de présent vivant, ce qui a favorisé
1. Estât abrégé de la généralité de Gaen, année 166S, B. N., fr. 22 162, f° 135,
(papiers de Dangeau).
2. Tous les faux nobles devaient payer une amende, cependant plusieurs
d'entre eux furent simplement déchus de la noblesse sans rien payer, à cause de
leur « pauvreté » ou de leurs « services », un petit nombre seulement payèrent
l'amende légale de 2 000 1., généralement elle variait de 200 à 4001. ; les amendes
de 30 et 40 1., ne sont pas rares. Nous avons l'explication de ce fait dans une
lettre de Ghamillart à Golbert du 23 août 1667 : mes condamnations, dit-il,
« sont modérées conformément à l'ordre qu'il vous a plu me donner ». (M. C,
144, f° 535); c'était donc Colbert lui-même qui avait prescrit de réduire les
pénalités ; en outre il est probable que la plupart de ces amendes ne furent pas
payées. Ghamillart ajoute dans sa même leHre : « je crois leur avoir rendu jus-
tice, encore que la pluspart ayent obtenu des descharges ».
3. Recherche, p. 781.
4. Ibid., p. 786.
5. Ibid., p. 786.
6. Ibid., p. 780.
7. Ibid., p. 769.
H| LA TAILLE EN NORMANDIE.
son usurpation1 »; René et Arthur d'Aigrement dont l'oncle
« qui «i commencé d'usurper estoit élu et contrôleur des tailles
à Valognes* »; un certain Roger le Cauf, qui se dit écuyer, est
fils d'un paysan qualifié de batteur en granges sur les rôles de
sa paroisse en 1D23*. Parmi les personnages qui furent réta-
blis, malgré la condamnation de Chamillart, on en trouve qui
n'avaient guère de titre à cette faveur, tels, par exemple, ces
frères de Bichot, venus de Chartres, le sieur Baratte qui a
fourni des pièces fausses et « n'est pas de la famille de celui qui
est dans Montfault, et descendu d'un receveur des amendes à
Rouen, qui a été depuis procureur au grenier à sel de Caen, ce
qui a donné lieu à son usurpation » ; un arrêt du conseil du
14 mars 1667 le déclare néanmoins noble comme descendant
des collatéraux de Jeanne d'Arc4; la famille Gervaise, de Saint-
Martin de Cenilly, près Coutances, a été condamnée successi-
vement en 1606, 1624, 1627, 1656, Chamillart l'a à nouveau
condamnée, et cependant un arrêt du conseil du 16 janvier 1668
lui rend son titre; la famille Bazire est anoblie dans les mêmes
conditions, quoiqu'elle ait toujours été condamnée depuis
Montfault.
D. — CONDITIONS DE L'EXEMPTION DES NOBLES
Les nobles devaient-ils jouir en tout temps et sans condition
de leur exemption? C'était une grosse question qui fut très sou-
vent débattue. Lebret faisait observer à la Cour des aides que
si la taille a été accordée en remplacement du service militaire,
quiconque ne la paye pas doit le service, un homme ne pouvant
être exempt a la fois de taille et de service : il rappelait une
vieille ordonnance de 1395 5 « suivie de plusieurs autres sem-
blables », qui « dégrade des privilèges de noblesse » les
nobles qui ne porteront pas les armes, et il demande que cette
loi soit de nouveau appliquée6. Mais ces raisons avaient perdu
leur valeur au xvii* siècle. Depuis longtemps l'habitude était
prise de voir les nobles écartés de l'armée, et personne, en
1. Recherche, p. 782.
i. lbid., p. 765.
3. Ibid., p. 775.
4. Ibid., p. 767-8.
5. Ordonnance du 28 mars 1395 : l'aide sera payée par tous, « exceptez noble»
extrais de noble lignée, non marchandant ne tenans fermes et marchées, mais
fréquentons les armes, ou qui les ont fréquentées ou temps passé, et de présent
sont en tel estât pour bleceures, maladies ou grant aage, que plus ne les pevent
fréquenter ». (Isambert, t. VI, p. 765.)
6. La Cour ordonne par son arrêt du 28 avril 1593 que les Elus dans toutes
les Elections du ressort fassent imposer à la taille « tous les nobles de profession
d'armes qui n'ont servi et ne servent le roi en ces guerres ». (Œuvres de Lebret,
p. 4i0-442.)
LES NOBLES. 225
dehors des théoriciens ou de quelques esprits chagrins, ne
songeait à leur contester l'exemption parce qu'ils ne ser-
vaient plus.
En revanche, la culture de la terre ou l'exercice d'une pro-
fession manuelle entraînait toujours la déchéance1 : toutes les
ordonnances la portaient, et l'opinion publique souscrivait à
peu près unanimement à cette règle. Il y avait à cela deux
raisons : d'abord, la culture de la terre était considérée comme
un travail vil réservé aux roturiers, aux descendants des anciens
serfs; l'idée persistait très vivace au xvne siècle, pure conven-
tion sociale, mais qui avait sa force : un noble obligé de tra-
vailler par sa pauvreté était unanimement méprisé2. En outre,
les rois avaient leur raison à eux pour interdire rigoureusement
aux nobles la culture ou le commerce : tout noble, en effet, qui
cultivait lui-même ses terres en soustrayait le revenu à l'impôt :
si un noble avait cultivé tout le territoire d'une paroisse à l'aide
des habitants comme domestiques, cette paroisse aurait été
entièrement soustraite à la taille. « Vivre en gentilhomme, [donc]
sans rien faire », comme dit La Fontaine, n'était pas seule-
ment le résultat d'un préjugé social, mais aussi la conséquence
de l'exemption même. L'obligation s'étendait d'ailleurs à tous
les exempts de taille.
« Défendons à tous gentilshommes et officiers de justice, dit
l'ordonnance de janvier 1560, le fait et trafic de marchandise et
de prendre ou tenir fermes par eux ou personnes interposées,
à peine auxdits gentilshommes d'estre privez des privilèges de
noblesse et imposez à la taille... 3 ». Le règlement de janvier 1634,
article 33, apportait un tempérament à cette règle : Les privi-
légiés « pourront faire valoir par leurs mains une de leurs
terres et maisons, et celles qui sont adjacentes et contiguës en
dépendans. Et pour les autres terres et métairies qu'ils feront
valoir par receveurs ou serviteurs, lesdits receveurs ou servi-
teurs seront taxez tout ainsi que pourroient être taxez leurs fer-
miers desdites terres et métairies4. » L'application de cet article
avec quelque rigueur par les commissaires au régalement des
1. Dérogeance. Défin. de l'abbé Fleury : Institution au droit français, t. I, p. 218
(écrit en 1665) : « On appelle acte dérogeant tout exercice d'un métier, excepté
la verrerie, tout trafic, toute ferme pour autrui, même les moindres charges de
judicature, comme de sergent, de greffier, de procureur. L'acte le plus dérogeant
pour une femme noble est le mariage avec un roturier ». Cf. encore la défini-
tion donnée par la déclaration du 8 février 1661 (Recherche de la noblesse) dans
Chérin, Abrégé chronol., à sa date.
2. Cf. P. de Vayssière, Gentilshommes campagnards de Vancienne France, Paris,
1903, p. 332 : il cite des gentilshommes cultivant, mais à l'aide de métayers. Ils
surveillent l'exploitation, mais ne travaillent pas eux-mêmes.
3. Art. 109. Cf. aussi les arrêts de la Cour des Aides de Normandie des 28 jan-
vier 1619 et 4 décembre 1627 dans Règlements de Normandie, p. 73-75.
4. Dans l'enregistrement de cet article la Cour des Aides de Normandie avait
arrêté « que les nobles chevaliers de Malte et officiers privilégies jouiront de
leurs héritages comme ils ont ci-devant fait ». {Règlements de Normandie, p. 110.)
I.A TAILLE EN NORMANDIE. *■"
226 LA TÀILI.I. IN NORMANDIE.
tailles ' et les traitants avait provoqué les doléances des Etats
de la province en 1643*. L'expression « une de leurs terres »
était trop vague : on pouvait toujours soutenir que tous les biens
cultivés par un noble ne formaient qu'une terre. Le règlement
d'août 1664, en son article 20, apporta une première précision.
Considérant, y est-il dit, que « la permission accordée aux ecclé-
siastiques, nobles et officiers privilégiez par le règlement des
tailles du mois de janvier 1634, article 33, de faire valoir par
leurs mains une de leurs fermes », leur sert « de prétexe pour
couvrir les abus qu'ils commettent », le roi permet aux privi-
légiés autres que les ecclésiastiques de « tenir une de leurs
fermes par leurs mains, et en cas qu'ils en occupent davantage
dans une même paroisse, ils les pourront joindre et n'en faire
qu'une, et pour les autres fermes hors ladite paroisse, seront
tenus dans un an de fournir un fermier qui portera sa part de la
taille à proportion du gain qu'il fera en ladite ferme, sinon, et
après ledit temps d'un an passé, les fruits des héritages qui
n'auront été atermez demeureront afectez au paiement des
sommes auxquelles ils seront imposez ». Dans son arrêt d'enre-
gistrement la Cour des Aides de Rouen pria le roi de « vouloir
modérer » cette clause, mais elle n'obtint pas satisfaction.
D'après cet article, il suffisait, semblait-il, que les bâtiments
d'une ferme fussent placés dans la paroisse pour que toutes les
terres en dépendant, même si elles étaient situées hors du terri-
toire, fussent exemptes. En 1670, le receveur des tailles de
Rouen, Aubry, écrit à Colbert que plusieurs gentilshommes
« faisant valoir l'une de leurs terres en conséquence du règle-
ment de 1664, réunissent plusieurs fermes ou métairies » autour
de l'exploitation principale, et prétendent ainsi conserver
l'exemption. Il « seroit nécessaire de les réduire ù une ferme
de 100 ou 120 acres de terre3 ». L'intendant de Rouen écrit
également le 8 octobre 1672 qu'il est arrêté par la difficulté « de
scavoir quelle quantité de terre les nobles exempts ou privi-
légiez peuvent labourer ou faire valoir par leurs mains, d'autant
qu'ils réunissent trois ou quatre fermes ensemble et achètent
les maisons des paysans et les abattent* ». Enfin l'intendant
d'Alençon, Michel Colbert, en 1673, avoue le même embarras
pour appliquer le règlement5.
La solution de la difficulté était indiquée le 19 octobre 1664
par l'intendant d'Orléans, Barin de la Galissonnière : il pensait
qu'il était nécessaire de fixer le nombre de charrues qui serait
1. Cf. l'arrêt du Conseil du 20 janvier 1635. A. Mun. Rouen, 183, pièce 3.
2. Art. 38 du Cahier dans de Beaurepaire, Cahiers... sous Louis XIII et Louis XIV,
t. III, p. 106 : le roi répondit vaguement que l'on observerait < les édita et
règlements sur ce faits ».
3. Analyse de sa lettre du 15 octobre 1670, dans Clairamb., 792, p. 353.
k. Ibid., p. 765.
5. Analyse de sa lettre du 6 mars 1673, dans Clairamb., 793, p. 222.
LES NOBLES. 227
permis à chacun. L'idée était ingénieuse; dans les rôles de
taille, lorsqu'on voulait indiquer la quantité de terre cultivée
par un individu, l'usage était d'indiquer, non pas la superficie
de ses terres, mais la quantité de « charrues » qu'il exploitait :
sans doute l'expression était encore vague, puisqu'elle dési-
gnait simplement la quantité de terre que l'on pouvait labourer
avec une charrue et son attelage1, mais elle avait l'avantage
de rendre le contrôle très commode, étant facile de savoir
combien d'attelages étaient possédés par un cultivateur; ce
procédé n'était du reste pas plus rudimentaire que tout le reste
du système. Le règlement d'août 1673, en son article 21, fit
donc savoir que les exempts de taille pourraient désormais
« exploiter par leurs mains et leurs domestiques une seule
ferme dans une même paroisse jusqu'à la valeur de trois
charrues au plus de terres labourables, prez et bois à pro-
portion, sans payer taille et sans que l'on puisse joindre
plusieurs fermes en une, nonobstant la faculté apportée par le
règlement du mois d'août 1664 2 ». À partir de cette date, les
intendants veillèrent avec grand soin à ce que les nobles culti-
vant plus de 4 charrues fussent imposés; dans presque tous
leurs mandements aux paroisses, ils le prescrivirent aux collec-
teurs. « D'autant que plusieurs seigneurs des paroisses, dit celui
de Caen en 1679, ont depuis quelques années tenu en appa-
rence leurs terres par leurs mains, soutenant que leurs fermiers
estoient leurs domestiques, afin de les exempter de la taille, au
préjudice des pauvres, S. M., pour éviter aux fraudes, veut et
entend que lesdits seigneurs n'en puissent tenir qu'une3... »
Mais l'intendant d'Alençon écrivait au sujet d'un noble qui
« embouchait » des bestiaux, que « ce commerce, bien loin
1. Le vague de l'expression est relevé dans le mémoire de Thouret à l'assemblée
provinciale de Haute-Normandie en 1787 : « Etait-ce l'étendue de terrain que trois
charrues peuvent labourer, sans considérer la bonne ou la mauvaise qualité de
ce terrain? Etait-ce le revenu de ces trois charrues, et ce revenu était-il appré-
ciable en argent? » La question soulevait, encore à la fin du ïviii' siècle, des
procès interminables. (Procès-verbal de V assemblée, p. 352.) Suivant Gauret,
quatre charrues valent « à peu près 400 arpens de terres labourables, outre les
f>rez, bois, estangs et vignes. » (Stile du Conseil, p. 408). Suivant Y Encyclopédie ,
a valeur « dépend de l'usage et de la mesure des terres dans chaque généralité » :
120 arpents (grande ou petite mesure, on ne sait) dans celle de Paris, 90 arpents
dans celle d'Orléans (Art. Charrue). Leblanc, intendant de Rouen, écrit le
22 mars 1681 que 175 acres ne forment pas trois charrues (A. N. G7 491). Sur le
rôle de Londinières en 1670 on trouve un taillable « faisant une chareue de viron
60 acre de terre labourable », et un autre « une chareue de 52 accre de terre
labourable » (A. D., S. Inf., G 2682). Cf. Lavoisier, La richesse territoriale de la
France, éd. Grimaux, p. 155.
2. Cette disposition avait été prise dès le mois de mars 1667 pour le ressort de
la Cour des Aides de Paris, mais la quantité de terre permise était de 4 charrues
au lieu de 3. (C. d. T., t. II, p. 18). On voit que seules les terres labourables
entraient en ligne de compte; la quantité de prés permise restait incertaine; c'est
pourquoi beaucoup de gentilshommes se mirent à faire de l'élevage.
3. A. D. Calv. Election de Caen. Même mandement de l'intendant de Rouen 1673,
A. D., S. Inf., C 2215.
228 LA TAILLE EX NOItMAXDIE.
d'estre detlendu, est permis a tous les gentilshommes et fait la
richesse de tout ce pays1 ».
L'importance des cultures que les nobles exploitaient rux-
mêmes nous est connue pour quelques paroisses grâce aux rôles
de taille de l'élection de Neufchâtel pour l'année 1670, lesquels
donnent généralement la quantité de terre possédée par chacun
de ceux qui y sont inscrits, soit comme taillables, soit comme
exempts :
Dans la paroisse de Clais, les 70 taillables cultivent 115 acres
et 12 vergées et les 5 exempts comme nobles, propriétaires de
510 acres, en cultivent eux-mêmes 375 2. A Baillolet, Claude Lan-
lois, sieur de Duranville, exempt, possède 20 acres de terre,
5 d'herbage, 6 chevaux, 10 vaches et 10 porcs : c'est de beau-
coup le plus gros cultivateur du village3. A Baillly en Campagne,
Louis de Crevy, écuyer, possède et cultive environ 120 acres de
terres labourables avec 2 charrues, tient 8 vaches et une dizaine
de cochons*. A Bailleul, Pierre de Masquerel, marquis du
Boscfroy, seigneur de la paroisse, et son fils, possèdent 74 acres
de terres labourables, 14 acres de prés, tiennent 4 chevaux et
6 vaches B. A Fréauville, qui renferme 61 taillables dont 5 pauvres,
il y a 4 nobles exempts, dont l'un, exploite 46 acres et possède
3 vaches et 15 brebis ; le second 30 acres avec une cavale,
2 vaches et 5 brebis; le troisième une acre avec une cavale :
seul le quatrième afferme ses terres en ne se réservant que
trois acres, soit une demi-charrue6. A Saint-Riquier-en-Rivière,
François de Morin, sieur de Pardeillant, occupe « tant par luy
que par ses serviteurs, viron 120 acres de terres qu'il fait
labourer de deux charues en propre7. » A Mouchy-le-Preux,
(aujourd'hui hameau de Campeneuseville), il y a 6 taillables
imposés seulement h 25 1. parce que a M. de la Haye seigneur
dudict lieu occupe la terre dudict Mouchy 8 ».
Il semble que dans le reste de la généralité une bonne partie de
la terre était possédée et cultivée par des nobles; l'intendant de
Creil l'écrit à propos de l'élection d'Arqués, le 30 octobre 1672 :
« Le malheur de cette eslection dans la campagne est que la
plupart des villages sont remplis d'officiers, gentilshommes ou
privilégiez qui labourent leurs terres, en sorte qu'il n'y a
presque plus que des gens de journée qui payent la taille, ce
qui est commun à toute la généralité9 ». On ne voit pas que le
règlement d'août 1673 ait changé grand'chose à cette situation.
1. Lettre à Colbert, 14 juillet 1678, A. N. G7 71.
2. A. D. S.-Inf., C 2 676,
3. A. D. S.-Inf., C 2 673.
4. Ibid.
5. Ibid.
K. Ibid. C 2 679.
7. Ibid., G 2 691.
8. Ibid., C 2 682.
9. M. C. 162, f> 188.
LES NOBLES. 229
Une difficulté particulière se produisait quand un noble pre-
nait a ferme des dîmes ecclésiastiques. Comme il était permis
aux clercs de prendre à ferme les dîmes dépendant de leurs
bénéfices, tout en restant exempts1, on pouvait en conclure que
prendre des dîmes à ferme ne constituait pas une dérogeance.
La question avait été posée par les commissaires au régalement
des tailles en 1634; le roi leur avait répondu par l'art. 4 de
l'arrêt du conseil du 20 janvier 1635 :
« Sadite Majesté veult et ordonne que les gentilshommes qui seront
trouvez tenir dixmes à ferme en leur nom ou soubs le nom d'autres
seront mis à la taille, comme pareillement les ecclésiastiques s'ils
tiennent à ferme des dixmes qui ne soyent deppendans de leurs béné-
fices, sans néanmoins en ce comprendre les curés et vicaires perpé-
tuels, lesquels ne jouissent que d'une partie des dixmes deppendans de
leurs cures, tiennent à ferme le surplus desdites dixmes. Veult en
outre Sa Majesté que le manoir desdites fermes soit réputé estre au
lieu ou est la grange dixmeresse à l'exemple de ceux qui tiennent
péages sur les chemins et rivières, dont le principal manoir est réputé
estre au bureau ou lesdits droicts sont paiez 2. »
En septembre 1663, un arrêt du Conseil rendu sans doute sur
les observations de l'intendant de Rouen ordonne à celui-ci
« d'informer contre les gentilshommes et autres personnes
d'autorité qui prennent des dîmes à ferme 3 ». Mais son instruc-
tion ne semble guère avoir eu d'effet : Leblanc la rappelle en
1676 comme si elle était ignorée, et néanmoins, par sentence
du 3 février 1677, l'élection de Falaise exempte de taille Jean
Michel, sieur du Val, qui avait été imposé comme « dérogeant
et faisant valloir la dixme de la paroisse de Sassy4 ».
Le commerce et l'industrie n'étaient pas moins interdits aux
nobles que la culture : le gentilhomme qui fait « estât ordi-
naire » de marchandise « ne mérite pas d'avoir le beau et
excellent titre de noblesse, qui se doit tenir et garder chère-
ment sur toute chose du monde ». Ainsi s'exprime un commen-
tateur de l'ordonnance de janvier 1561 5. Le Code Michaud
défend pareillement à tous gentilshommes « de s'entremettre,
ou par eux ou par autres, d'aucun trafic, marchandise ni banque,
à peine de déchéance de noblesse, privation de leurs charges et
autres peines des ordonnances 6 ». « En France, dit Belleguise,
1. Voir ci-dessous, p. 236.
2. A. Mun. Rouen, 183. Depuis longtemps cette défense avait été faite aux gen-
tilshommes notamment par l'édit du 4 avril 15'i0, l'ordonnance d'Orléans de
janvier 1561, art. 17, l'ordonnance de Blois de mai 1579, art. 48, l'édit d'Amboise
de janvier 1582, art. 8. L'interdiction était répétée par le règlement de 1643 (art. 28)
et par un arrêt du conseil du 18 juillet 1646, mais ni l'un ni l'autre n'étaient
appliqués en Normandie.
3. Arrêt du conseil du 10 septembre 1663, mentionné dans Glairambault 659,
p. 227.
4. A. D. Calvados, Election de Falaise, Plumitif.
5. Sur l'art. 109. Néron, t. I, p. 413; cf. p. 417.
6. Art. 198. Néron, t. I, p. 81/.
230 LA TAILLE EN NOH.MAN M I! .
le commerce ne déroge pas seulement, mais il a quelque chose
de bas et de vil '. »
Toutefois deux exceptions furent faites à cette règle générale,
1° pour les verriers, 2° pour le commerce de mer.
Henri IV, voulant encourager la verrerie, avait, par édit de
1603, ordonné que l'entreprise de verrerie pourrait être faite par
les nobles sans dérogeance; le privilège fut maintenu par les
règlements de juin 1614 (art. 8) et de janvier 1634 (art. 13) 2.
Colbert déplorait cette interdiction faite aux nobles de con-
tribuer a la prospérité économique du royaume. Lorsqu'il fonda
les deux grandes compagnies des Indes Orientales et des Indes
Occidentales, il autorisa toute personne de quelque qualité et
condition qu'elle fût à entrer dans les compagnies et à y parti-
ciper sans déroger', puis, par un édit d'août {669, il proclama
que le commerce de mer, en général, n'entraînerait pas la déro-
f'eance*. Le préambule faisait l'éloge du commerce : « comme
e commerce, et particulièrement celui qui se fait par mer, est
la source féconde qui apporte l'abondance dans les Etats et la
répand sur les sujets à proportion de leur industrie et de leur
travail, et qu'il n'y a point de moyen pour acquérir du bien
qui soit plus innocent et plus légitime, aussi a-t-il toujours esté
en grande considération parmi les nations les mieux policées et
universellement bien receu, comme une des plus honnestes occu-
pations de la vie civile II importe au bien de nos sujets et à
notre propre satisfaction, d'effacer les restes d'une opinion qui
s'est universellement répandue que le commerce maritime est
incompatible avec la noblesse et qu'il en détruit les privilèges » ;
en conséquence, « désirant ne rien obmettre de ce qui peut
davantage exciter nos sujets a s'engager dans ce commerce,
et le rendre plus florissant, tous gentilshommes [pourront] par
eux, ou par personnes interposées, entrer en société, et prendre
part dans les vaisseaux marchands, denrées et marchandises
d'iceux, sans que pour raison de ce, ils soient censez ni réputez
déroger à noblesse, pourvu toutesfois qu'ils ne vendent point
en détail5 ».
1. Traité de la noblesse, p. 85. ■
2. On avait conclu du privilège accordé aux verriers, que la verrerie entraînait
exemption de taille, mais l'art. 13 de Janvier 1634 déclare formellement le con-
traire. Voir Lebret, 38" action à la Cour des Aides, dans ses Œuvres, p. 531, et,
sur les verreries de la Normandie, Levaillant de la Fieffé, Les verreries de la Xor-
mandie, Rouen, 1873.
3. Edits de mai et août 1664.
4. La prescription se trouve déjà avant Colbert : elle forme un des articles du
Code Micbaud. L'édit d'octobre 1(45 qui mettait en vente 50 lettres de noblesse
dans les villes de Normandie autorisait les acheteurs à « continuer leur trafic
pendant leur vie, sans que le fait de marchandise leur pût estre imputé a déro-
geance • , sauf ù répondre à la convocation de l'urrière-ban (Dans (Jhérin, à sa
date).
5. Sur cet édit, bien des fois commenté, voir Forbonnais, Recherches et considé-
rations, éd. in-4°, t. I, p. 436-38, et Clément, introd. du t. II, p. clxxx.
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 231
En général tous les offices inférieurs étaient également
interdits aux nobles; ils ne pouvaient être avocats, procureurs,
huissiers ' ; une seule exception existait en Normandie, c'était
pour les sergenteries : elles ne pouvaient être possédées que
par des nobles et n'entraînaient pas la dérogeance; un édit de
mars 1664 confirma cette règle2.
Lorsqu'un noble avait dérogé, il ne perdait pas pour autant
le droit de revenir à la noblesse : « la noblesse ne se perd
pas aisément, dit l'abbé Fleury, car encore qu'un homme ait
fait acte dérogeant, il ne laisse pas d'être noble : seulement il
perd les privilèges tant que l'acte dure, et s'il prend des lettres
de réhabilitation, c'est seulement pour avoir un témoignage
public qu'il a cessé de déroger » : il faut que, dans une même
famille six générations successives aient dérogé, pour que la
noblesse soit perdue complètement et qu'un nouvel anoblisse-
ment soit nécessaire3. Le dérogeant n'a besoin que de prendre
des lettres de relief; toutefois il semble que, d'après la décla-
ration du 8 février 1661 relative à la recherche, une amende
ait été encourue par lui de ce fait; en tous cas c'est là unique-
ment une question de droits à payer qui ne change rien au
principe général4.
II. — LES EXEMPTS PAR LA FONCTION
Des privilèges sont attachés à un certain nombre de fonctions,
soit pour les honorer, soit pour assurer un avantage pécuniaire
à ceux qui les exercent. Ainsi le roi exempte de taille les gens
qui le servent pour rehausser leur condition ; il vend à qui veut
les acheter des exemptions de taille, une telle vente n'étant au
fond qu'une sorte d'emprunt dont l'impôt remis représente les
arrérages ; il attache le privilège à une profession pour l'encou-
rager. C'est pour tous ces motifs que nous trouvons une foule
de fonctions conférant l'exemption : on peut les ranger en
quatre catégories : ecclésiastiques, commensaux, militaires et
officiers; agriculteurs ou manufacturiers.
1. Cependant les commissaires de 1696 admirent que les professions de juge,
médecin et avocat n'entraînaient pas la dérogeance (Belleguise, p. 81-83).
2. Cf. Voysin de la Noiraye, Mémoire sur la Généralité de Rouen en 1665,
p. 90, Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit des tailles au mot Sergent,
Houard, Dictionnaire analytique au même mot, Sandret, dans la Revue historique
nobiliaire, t. XVI, p. 485, et l'abbé Dumaine dans le Bull, de la soc. hist. et
archéol. de VOrne, t. V, p. 13.
3. Institution au droit français , éd. Laboulaye, t. I, p. 218.
4. Un cas particulier est constitué par les enfants nés avant la déchéance de
leurs pères ; en ce cas ils ne sont pas considérés eux-mêmes comme dérogeant
s'ils n'ont fait aucun acte contraire et ils n'ont pas à obtenir des lettres de réha-
bilitation (arrêt du conseil du 10 octobre 1668, mentionné dans La Poix de Fré-
minville, Traité des Communautés d'Habitants, p. 243).
232 LA TAILLE EN NOHMANDIE.
A. — L'EXEMPTION DU CLERGÉ
Les ecclésiastiques forment « le premier ordre du royaume », et
leur droit au privilège est, de tous, le plus incontesté1. Cepen-
dant, il n'y a pas accord sur les fondements de ce droit : la
thèse des clercs est que, leurs biens ne leur appartenant pas,
ils ne peuvent être imposés à cause de ces biens ; la vieille théorie
de l'immunité ecclésiastique est toujours invoquée par les cano-
nistes. Pour les juristes, le clergé, que la loi romaine et la loi
de Moïse exemptaient déjà, mérite cette faveur pour les services
éminents qu'il rend à l'Etat2. Seuls quelques « politiques »
soutiennent que les ecclésiastiques comme les autres doivent
contribuer aux charges publiques à proportion de leur revenu 3.
Mais, si même on admettait qu'ils devaient être imposés, il ne
s'ensuivait pas qu'ils dussent payer la taille : les y soumettre
eût été en effet les dégrader; en 1641 le roi reconnaissait
qu' « assujettir» les ecclésiastiques à la taille eût été déroger
« notablement à la dignité de l'Eglise, à l'honneur de leur
caractère et au rang que tiennent les ecclésiastiques dans ce
royaume dont ils composent le premier ordre » ; son devoir de
fils aîné de l'Eglise est de « maintenir tous les droits et hon-
neurs qui lui appartiennent », et la conserver « en sa splendeur
et dignité *. »
On sait d'ailleurs que l'Eglise payait une contribution spé-
ciale : par un contrat renouvelé périodiquement depuis 1561, le
clergé s'engageait à verser au roi chaque année un « don gra-
tuit », en échange duquel le roi s'engageait à n'établir sur lui
aucun autre impôt :
1. Louis XIV, pour légitimer sa prétention a imposer les clercs, est amené à
invoquer son droit de propriété universelle (Mémoires, éd. Dreyss, t. II, p. 80
et 230). M. Marion énonce une autre théorie dont je n'ai pas trouvé la trace au
xvu* siècle : le Clergé aurait été dispensé de la taille, impôt essentiellement mili-
taire, parce que sa « fonction sociale » était de ne prendre aucune part à la guerre.
(Les impôts directs, p. 2.) La thèse parait au reste difficile à soutenir.
2. Mais Domat proclame nettement que « les revenus des biens temporels des
bénéfices doivent contribuer au bien de l'Etat » (Le droit public, dans ses Œuvres,
éd. 1757, t. II, p. 26). V. aussi Lebret, Œuvres, éd. 1689, p. 43S>.
3. Sur cette question des exemptions du clergé et des droits de l'Etat, voir la
première partie de l'ouvrage de Cans, L'organisation financière du Clergé de
France à l'époque de Louis XIV (1910), auquel je renvoie pour tout le détail. Voir
aussi Du Rousseaud de la Combe, Recueil de jurisprudence canonique et bénéfi-
ciale, art. Privilège, Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique, même
art. ; Mariéjol, dans l'Histoire de France, t. VI, 2e part., p. 384 et suiv.
Sur la nécessité pour le roi de respecter les immunités de l'Eglise, voici une
remarquable lettre de Médavv, évéque de Séez, à Mazarin, du 7 janv. 1658 : « L'on
doit remarquer que la monarchie n'a de fondement certain que sur la religion,
qui establit le droit divin, et ne se fonde point dessus le droit de nature, qui
favorise les estats populaires... La religion chrestienne nous oblige d'obéir aux rois
auand mesmes ils sortiroient hors des règles... c'est cette vérité que les prestres
oivent insinuer fortement dans les esprits des peuples pour les entretenir dans
une exacte obéissance » (Mélanges publ. par la Soc. de l'Hist. de Norm., t. V, p. 157).
4. Déclaration du 10 avril 1641, dans Néron, t. II, p. 14.
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 233
« Sadite Majesté ne prendra décime, ne mettra aucun subside ordi-
naire ou extraordinaire ou emprunts particuliers sur ladite Eglise et
personnes ecclésiastiques et ne seront contribuables ni compris à
aucune imposition faite ou à faire sur le bled, vin et autre denrée
quelconque ni pareillement à la taille, soit à cause du domaine de
ladite église ou de leur patrimoine, acquêts ou autres biens '. »
Un véritable marché était donc conclu entre le roi et son
clergé : tant que le clergé paierait le don gratuit on ne pourrait
lui faire payer la taille; il y avait théoriquement équivalence
des deux impôts2; mais s'il cessait de payer le don gratuit, c'est-
à-dire si le contrat n'était pas renouvelé, la question demeurait
entière. C'est ce qui arriva en 1634 : le contrat du clergé expi-
rant à la fin de cette année, le roi inséra dans le règlement des
tailles de janvier 1634, l'art. 32 dans lequel il est dit que « les
ecclésiastiques jouiront des privilèges et exemptions à eux
accordés par nos lettres de patente et contrats faits avec eux
jusqu'à la présente année selon et ainsi qu'ils en ont bien et
duement joui par le passé, dans lequel se retirans par devers
nous et rapportans lesdites lettres et contrats leur sera pourvu
pour l'année ainsi que de raison ». Le contrat ayant été renou-
velé quelques jours après cet édit, les privilèges du clergé
furent également renouvelés par l'arrêt du conseil du 26 jan-
vier. Les contrats ultérieurs conclus en 1646, 1657, 1666 et 1675
confirmèrent toujours cette exemption3.
La jouissance de l'exemption donnait lieu à quelques diffi-
cultés. Il y en avait deux principales : 1° qui devait-on com-
prendre sous le nom d'ecclésiastiques? 2° l'exemption de taille
devait-elle être concédée sans limites pour tous les biens qu'il
plairait aux bénéficiaires d'exploiter, ou au contraire conve-
nait-il de la limiter, comme pour les nobtes?
Les clercs à simple tonsure, les bedeaux des églises, les che-
valiers de Malte, les religieux mendiants n'étaient pas consi-
dérés comme pleinement ecclésiastiques. La question de leur
exemption donnait lieu à des règlements spéciaux pour chacune
de ces catégories. Les clercs à simple tonsure, qui étaient extrê-
mement nombreux, tenaient l'exemption de leur qualité d'étu-
diants; ils devaient produire un certificat du recteur et des
régents attestant qu'ils avaient étudié à l'université pendant six
1. Art. 15 du contrat de Poissy, Mémoires du Clergé, t. IX, col. 18.
2. Cf. le discours de l'archevêque de Rouen aux Etats de Normandie de 1655,
Mélanges de la Soc. de Vllist. de Norm., t. V, p. 149.
3. Voir ces contrats dans les Mémoires du Clergé, t. IX à leur date avec les
arrêts du conseil des 31 mars et 23 juillet 1638, 18 septembre 1640, 19 janvier
1641, la déclaration du 10 avril 1646, etc. Dans cette dernière, le roi reconnaît
« que pour l'exaction desdites tailles il se commet plusieurs violences contre les
bénéficiers et curez, que l'on procède par contraintes de déclarer par eux les
biens de leurs paroissiens, saisies de leurs meubles, garnison dans les presby-
tères, et autres indues vexations ».
234 LA TAILLI KN NOKMANDIE.
mois consécutifs*. Les bedeaux des églises étaient expressément
déclarés taillables par l'art. 25 du règlement de janvier 1634
et la déclaration du 20 mai 1645 2. Les chevaliers de Malte,
quoique faisant partie du clergé, étaient souvent mis à part des
ecclésiastiques3, mais ils étaient nobles, et leur exemption de
taille ne pouvait pas faire contestation : une série d'arrêts du
conseil et des cours des aides le reconnaissaient*. Les religieux
mendiants étaient reconnus exempts par privilège de clergie
et en outre à cause du caractère de leur fonction6.
Aux membres de l'église catholique on peut ajouter les
ministres protestants. Ledit de Nantes les exemptait seulement
de collecte; mais un arrêt du Conseil du 17 juillet 1624 les
avait dispensés de taille « pour leurs meubles, pensions et
gages »; puis, « par un usage abusif », ils en étaient venus à ne
rien payer non plus pour leurs immeubles. Ils seront, en fait,
exempts jusqu'à ledit de Révocation, qui promet même de con-
tinuer l'exemption à ceux des ministres qui se convertiront6.
La question des terres cultivées par les ecclésiastiques ne se
posait pas de la même façon que pour les nobles : le clergé
f>ayant un impôt en remplacement de la taille, il eût semblé
ogique de le laisser jouir de tous les biens qu'il voudrait sans
le soumettre à cette dernière : il aurait suffi de régler le chiffre
du don gratuit proportionnellement au revenu que les ecclésias-
tiques tiraient de leurs biens. Mais un ecclésiastique exploitant
des terres dans une paroisse les soustrayait à la taille de cette
f>aroisse; comment les défalquer au département? D'autre part,
e contrat était conclu pour dix ans : tous les accroissements de
biens survenus au clergé dans ces dix ans échappaient à la taxe,
et même au renouvellement du contrat pouvait-on les calculer
pour fixer exactement le chiffre du don gratuit? Très certaine-
ment la liberté laissée aux ecclésiastiques d'exploiter autant de
terres qu'ils voudraient eût entraîné des abus considérables.
Depuis longtemps les lois du royaume avaient prévenu cet abus
en limitant la quantité de terres qu'il leur était permis de cul-
tiver par eux-mêmes.
Le règlement de janvier 1634 fixait pour les ecclésiastiques
comme pour les nobles à « une de leurs terres et maisons » la
quantité de biens qu'ils pouvaient faire valoir en franchise7.
1. Mémorial alphabétique au mot Clercs.
2. Ibid. au mot Appariteurs.
S. Par exemple l'édit de Janvier 1634, art. 33 dit : < les nobles ecclésiastiques
chevaliers de Malte, officiers privilégiés ».
4. Cf. Descluseaux, Recueil des privilèges de Fordre de Saint Jean-de-Jérusalem,
1700, p. 838 et suivantes, et Vieuille, ch. xxm.
5. Lebret, 25« et 26* actions, Œuvres, p. 497-501.
»i. Mr'm. alphab., art. Ministres; arrêt du Conseil du 8 ianv. 1685, et ms. 7463,
f° 111 de la Bibl. de l'Arsenal.
7. La déclaration de mars 1635 spécifia que le roi n'entendait pas comprendre
dans cette réglementation les terres dépendant des bénéfices ecclésiastiques.
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. . 235
Mais l'assemblée du. clergé réunie en 1641 représenta au roi
que si l'on imposait les fermiers des ecclésiastiques, ceux-ci
(< se trouvcroient doublement surchargés en ce qu'ils paient les
décimes pour les biens qu'ils possèdent et qui sont tenus par
leurs fermiers et receveurs, lesquels prétendoient diminution
du prix de leurs baux, s'ils estoient encore obligés de payer la
taille pour les mesmes biens et à cause du profit qu'ils y font » :
la déclaration du 24 juillet 1641 exempta donc les receveurs et
fermiers des ecclésiastiques, à la condition que les terres qu'ils
cultivaient fussent dépendantes des bénéfices1. Mais le règle-
ment d'avril 1643 (art. 28) revint à la législation de 1634;
nouvelles plaintes de l'assemblée du clergé en 1646, nouvelle
concession par la déclaration du 10 avril 1646 2, qui exempta
tout prêtre, curé, religieux et tous autres bénéficiers même s'ils
faisaient valoir leurs biens par leurs mains.
Mais le roi constata, en août 1664, que cette déclaration de
1646 avait « introduit un abus manifeste, en conséquence duquel
les ecclésiastiques... prétendent que leurs fermiers ne doivent
point être imposés aux tailles à cause des fermes qu'ils tiennent
d'eux, s'imaginant que c'est leur faire payer indirectement la
taille, d'où il s'ensuit un désordre sans exemple, qui cause la
ruine et l'oppression des pauvres taillables, et donne lieu auxdits
ecclésiastiques. . . d'augmenter extraordinairement le prix de leurs
fermes, sous prétexte de cette prétendue exemption ». En con-
séquence il fut ordonné que : 1° les fermiers des ecclésiastiques
seraient imposés à la taille comme les autres fermiers (art. 27);
2° les ecclésiastiques ne pourraient faire valoir par leurs mains
plus d'une de leurs terres, et les baux frauduleux seraient nuls
(art. 28); 3° ceux qui prendraient à ferme des terres d'autrui
seraient imposés à la taille et leur cote serait égale « au quart
de la valeur du revenu » de ces fermes (art. 30) 3.
Mais l'assemblée du clergé renouvela ses remontrances,
en 1666, et un arrêt du conseil du 18 mars rendit l'exemption aux
fermiers des ecclésiastiques4. Cette faveur exceptionnelle sou-
leva encore des protestations et l'année suivante le roi restrei-
gnit à nouveau le privilège ; l'édit de mars 1667 par son article 28
non seulement réduisit la quantité de terre laissée en franchise
aux ecclésiastiques à une seule ferme comme le faisaient les
déclarations de 1634 et 1664, mais encore précisa, comme pour
1. A. N. AD'", 470.
2. Dans Néron, t. II, p. 14.
3. La Cour des Aides de Paris n'avait pas attendu ce règlement pour limiter le
privilège des ecclésiastiques : un de ses arrêts du 5 septembre 1662 condamnait
un curé à payer la taille pour des biens qu'il possédait et cultivait, l'exemption
n'étant valable, dit la Cour, que « pour leurs biens ecclésiastiques, leur patri-
moine presbytéral et pour ce qui leur écberroit par succession directe » (cité dans
le Mémorial alphabétique, p. 248-241).
4. Mémorial de la Cour des Aides de Rouen, A. D. Seine-Inf. t. XLIII, f 11.
23f. LA TAILI.K KX XOHMAXD1B.
les nobles, que cette ferme ne devrait pas dépasser « quatre char-
rues » ni s'étendre sur plus d'une paroisse1. Puis les assemblées
du clergé en 1670 et en 1675 reprirent leurs éternelles récla-
mations, et des arrêts du conseil rendirent l'exemption aux fer-
miers'. Seule demeura invariable la règle que les ecclésias-
tiques non nobles ne pouvaient exploiter eux-mêmes leurs biens
patrimoniaux ou d'acquêt, ni y employer leurs valets 3.
Les dîmes n'étaient pas considérées comme biens sujets à
l'impôt si les ecclésiastiques les percevaient eux-mêmes. La
déclaration d'avril 1643 en son article 28 le spécifiait expres-
sément, et les assemblées du clergé de 1666, 1670 et 1675 eurent
soin de faire reconnaître ce principe par le roi*; mais si les
ecclésiastiques les affermaient à des taillables, ceux-ci devaient
être imposés pour le profit qu'ils en tiraient; tous les règle-
ments cités plus haut le prescrivaient.
Ces variations incessantes et ces incohérences de la législa-
tion embarrassaient fort les agents du gouvernement; les ecclé-
siastiques s'en prévalaient pour étendre le plus possible leurs
privilèges. Le 1er mai 1676, l'intendant de Rouen écrit à Colbert
qu'ils s'autorisent de l'arrêt du conseil du 9 septembre 1675
pour faire exempter leurs fermiers de la taille, et que les élec-
tions leur font droit5. L'intendant de Caen dans son mandement
aux paroisses du 1er octobre 1680 constate « que plusieurs par-
ticuliers tenans les dixmes des parroisses s'exemptent indûment
de la taille par crédit ou sous prétexte de procurations frau-
duleuses », et il prescrit aux collecteurs d'inscrire sur leurs
rôles ceux qui afferment les dîmes de leur paroisse pour les
imposer s'ils n'ont un cas d'exemption valable6.
L'influence personnelle qu'avaient les ecclésiastiques et le
rôle qu'ils jouaient dans les assemblées des paroisses leur
donnaient aussi le moyen d'avoir les exemptions qu'ils dési-
raient. D'ailleurs, ils savaient trouver des protections en haut
lieu. En 1661, les Pères de la Mission établis à Caen se font
recommander à l'intendant Dugué par son parent Le Tellier;
1. Il aurait pu se présenter le cas où un ecclésiastique, possédant moins de
4 charrues, eût affermé des terres de façon à compléter cette quantité : l'auteur
du Mémorial alphabétique pose la question de savoir s'il doit être imposé pour
ces dernières. S'appuyant sur un arrêt de la Cour des aides de Paris du 22 mai
1680, il conclut : ■ On ne peut pas disconvenir que la maxime de faire payer la
taille aux ecclésiastiques pour les occupations qu'ils font valoir a toujours pré-
valu à la maxime contraire introduite par la déclaration de 1646 » (p. 243);
mais on n'a aucun renseignement relatif à la jurisprudence de la Cour des Aides
de Normandie sur ce point.
2. Arrêts des 30 octobre 1670 et 9 septembre 1675, A. D. S. Inf. Mémoriaux de la
Cour des Aides, t. XLIII, f° 11.
3. Décl. d'août 1664, art. 30. Cf. cependant au contraire la protestation de
l'évêque de Séez en 1658, Mél. Soc. flist. de Norm. V, p. 154.
4. Arrêts du conseil des 18 mars 1666, 30 octobre et 9 septembre 1675; voir ce
dernier dans Néron, t. II, p. 774.
5. B. N. fr. 8 759, f° 60.
6. A. D. Calvados, Bureau des Finances de Caen.
LES EXEMPTS PAR LA. FONCTION. 237
l'intendant, non seulement les exempte de tout impôt pour leurs
biens, mais encore lève sur l'élection une somme de 8000 1.
à eux destinée; il faut que Le Tellier le réprimande pour excès
de zèle : « Je ne puis, Monsieur, vous cacher, que j'ay esté fort
surpris d'aprendre que des gens qui ne nous preschent que
l'excessif accablement des peuples par les levées que l'on faict
sur eux, et la charité envers les pauvres, sollicitent pour leur
proffict particulier la diminution d'une grâce que le Roy a
accordée à une eslection ruinée par la mauvaise récolte de deux
années consécutives1 ». Après la mort de l'abbé de Conches,
en 1669, la veuve Gersant, qui faisait la recette de l'élection,
écrivait à Colbert que « les fermiers de l'abaye dudit Conches
ont faict leurs déclarations au greffe qu'ils ne prétandent plus
tenir leurs fermes au pris qu'ils les ont tenue jusques icy2 »,
parce qu'ils ne se sentent plus protégés.
En 1669, les fermiers des dîmes dans la paroisse de Rots
avaient été taxés par les collecteurs a 50 1., mais les habitants
réunis en assemblée le 2 février, décidèrent, nous ne savons
sous quelle influence, de modérer cet impôt h 30 1. et de se
recharger eux-mêmes de la différence3; en 1671, l'assemblée
réduit pareillement leur cote à 40 1.*, et en 1672, elle la fixe à
60 l5. Toutes ces modérations de taux ne peuvent guère être
considérées que comme des faveurs accordées aux dimeurs 6.
L'importance du privilège accordé aux ecclésiastiques ne
pourrait être mesurée que si l'on connaissait exactement, non
seulement le nombre des personnes qui en bénéficiaient, — ce
qui est très difficile, — mais encore la quantité de biens dont
chacune jouissait, ce qui est impossible7. Mais il semble bien
que les ecclésiastiques étaient très nombreux et très riches en
Normandie 8 et la médiocre somme qu'ils payaient au roi pour
1. Arch. des Aff. Etr., Mém. et doc. 915, f° 4. Les 8 000 1. avaient été remises
par le roi à l'élection, et Dugué voulait quand même les percevoir pour les
missionnaires.
2. Lettre du 4 juin 1669, M. C. 153, f° 136.
3. A. Mun. Rots, BB. 4, 1° 165.
4. Ibid. 5, f° 35.
5. Ibid.
6. On reconnaît la tendance des ecclésiastiques à étendre leurs privilèges dans
les prétentions qu'avaient les communautés régulières d'exploiter en franchise
autant de fermes que ces communautés avaient de membres. La jurisprudence
en matière civile était cependant formelle : une communauté religieuse ne
comptait que pour une personne (Gauret, Stiledu Conseil du roy,p. 408). En 1680,
les carmélites de Maçon prétendent au privilège pour chacune de leurs religieuses ;
la Cour des Aides de Paris les condamne par un arrêt du 22 mai.
7. Vauban estime à 75 millions de livres au moins le revenu annuel du clergé
du royaume en 1694; c'est une somme relativement élevée (Corresp. des conlr.
généraux, t. I, p. 562). Un M. d'Orgeval, dans un mémoire présenté à Colbert
en 1665 affirme que les couvents possèdent « plus du tiers de tout le revenu du
royaume » (M. C. 33, f° 366).
8. Leur nombre apparaît sur les rôles de taille, où ils n'avaient pas les mêmes
raisons que les nobles de se cacher; le mémoire de Voysin sur la généralité de
Rouen en 1665 catalogue un grand nombre de communautés régulières, la plupart
riches, et les revenus des cures s'élèvent à une somme considérable.
238 LA TAII.LK EN NO II M A NOM-.
le don gratuit de leur province1 ne compensait pas leur privi-
lège : chaque paroisse a son curé, et généralement un vicaire.
«n taiiiis, même à la campagne, ont trois et quatre vicaires; une
quantité considérable de clercs figurent a la fin des rôles où
sont portés les exempts; presque toujours le nombre des ecclé-
siastiques dans ces listes est plus fort que celui de tous les
autres exempts réunis. Par exemple, à Montivilliers en 1661, il
y a 15 ecclésiastiques pour 4 nobles; à Saint-Saens (élection de
Neufchâtel), 14 ecclésiastiques sur 22 exempts; à Neufchâtel,
sur 43 exempts, 31 ecclésiastiques; dans les rôles de l'élection
de Bayeux2, le nombre des ecclésiastiques est en moyenne 2 fois
plus élevé que celui des nobles; dans l'élection de Neufchâtel3
sur une série de 80 rôles de l'année 1670, on a 171 ecclésias-
tiques pour un total de 293 exempts (les communautés reli-
gieuses n'étant comptées que pour une unité).
Quant aux possessions exemptées de taille par ce nombreux
personnel, même si elles étaient limitées aux 4 charrues régle-
mentaires, elles avaient une étendue considérable, et les pro-
tections qu'ils se faisaient accorder ou qu'ils demandaient pour
leurs fermiers l'accroissaient encore. Les grandes abbayes
comme le Bcc-Hélouin, Saint-Etienne de Caen, Jumièges, Saint-
Ouen de Rouen, avaient des terres immenses qui n'étaient pas
imposées. D'après l'arpentage de la paroisse de Bretteviîle-
l'Orgueilleuse fait en 1687, on voit que sur un territoire de
1071 acres les biens ecclésiastiques exempts occupent 190 acres
sans compter le terroir de la dîme qui est de 49 acres et pour
lequel nous ne savons s'il était ou non imposé*.
De nombreuses plaintes sont adressées de toutes parts au gou-
vernement contre le trop grand nombre de clercs. La collection
des mémoires envoyés à Colbert en 1665 pour la réformation
de la justice en contient beaucoup et presque toujours parmi
1. Ce qui ne signifie pas, du reste, que la part de chacun était toujours faible.
Le don gratuit était souvent mal réparti. Cf. les Soupirs de la France esclave,
Premier mémoire, p. 10 : « Il faut regarder le triste état et la situation abjecte
où sont tous les bas ecclésiastiques : le roi lève des tailles sous le nom de Don
gratuit sur le clergé, qui l'assèchent et qui le rendent misérable. Il est vrai que
les évèques et tous ceux qui tiennent les grands bénéfices trouvent des moyens
de se tirer de dessous ce fardeau, mais il n'en devient que plus pesant au bas
clergé. Les curés portent le faix.... Ce qui fait que les cures sont pauvres, et
misérables, et méprisés. • Voir aussi Cans, ouv. cit., p. 179 et suiv. et le
« Mémoire de M. de Fougerolle » publié par Boulainvilliers (Mémoires présentés au
duc d'Orléans, 1727, t. II, p. 125), sur la « pauvreté extrême » de certains curés.
2. Aux Arch. mun. de Baveux.
3. A. D. Seine-Inf. C 2 673 et suivants.
4. Il y a cependant lieu de conjecturer qu'il ne l'était pas, puisque le rôle de
taille de la paroisse pour l'année 1691 qui se trouve dans le fonds de l'élection de
Caen et qui donne avec beaucoup de détail les occupations de chaque contri-
buable ne porte pas les fermiers de la dime. L'abbaye de Saint-Etienne-de-Caen
{►ossède 102 acres, l'abbaye d'Ardaine, 1 acre, le trésor de Bretteville, 6 acres,
e curé de l'abbaye de Bretteville, 21 acres, les obits du même lieu 14 acres,
un ancien curé de la paroisse 3 acres, un curé d'une paroisse voisine, 1 acre
et un vicaire 4 acres.
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 239
les inconvénients de cette multiplication excessive des prêtres et
des moines, on signale les exemptions qu'ils font accorder aux
terres en leur possession *', A Dieppe, les Carmes déchaussés
sont établis par le duc de Longueville malgré la « répugnance »
de la population2. Les habitants de Bargemont n'autorisent les
Augustins à s'établir dans leur village que sur l'engagement pris
par les religieux de payer la taille pour les biens qu'ils feraient
valoir3. A Gisors, en 1682, les habitants résolvent d'imposer
les communautés religieuses pour acquitter les dettes de la ville,
et Colbert, consulté, les y autorise, quoique les autres exempts
ne soient pas taxés *•.
Le procureur du roi à Vernon écrit à Colbert le 17 avril 1666 :
« Le devoir de ma charge m'oblige de vous donner advis que contre
l'intention du roy et au préjudice de sa desclaration qui deffend tous
establissements de maisons religieuses depuis 1640, l'on aye voullu
entreprandre d'en faire; vous scaurez, s'il vous plaît, Monseigneur,
qu'il y a huict jours que le grand vicaire de Mgr l'Evesque d'Evreux,
par son ordre, vint avecque madame l'abbesse de Saint-Jean d'Andely
et trois autres religieuses en un petit village distant d'un quart de
lieue de Vernon, lesquels plantèrent une croix sur la porte d'une maison
appartenante à M. de Brécourt pour y establir trois filles qui estoient
avec elle ; et comme j'ay seu que tel establissement estoit contraire aux
vollontez du Roy s'ils n'estoit appuyé sur ses lettres patentes, je m'y
suis opposé; elles n'ont pas pour cela laissé de se mettre en posses-
sion, et c'est ce qui me donne subjet de vous importuner pour vous
informer de l'importance d'un tel establissement, en un pauvre petit
village de cents feux au plus, chargé de deux mille livres de taille,
lesquelles vont présentement en occuper la plus belle et saine partie,
sans ce qu'elles feront à l'advenir, c'est là un véritable moyen de
rendre ce lieu inutille puisqu'il sera entièrement desnué d'habitants
et qu'il n'y aura que ceux qui y resteront qui en seront les plus mal-
heureux. Ils implorent votre protection par ma bouche 3. »
B. — L'EXEMPTION DES COMMENSAUX
Les personnes attachées au service du roi et de la famille
royale sont désignées par la qualification de « commensaux »,
1. Voir ces mémoires dans le vol. 33 de Mél. Colb. et au Toi. Clairamb., 463.
2. Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 143.
3. De Merville, Maximes générales, p. 88. Du Rousseaud de la Combe dislingue
1' « exemption simple » s'appliquant à la personne seulement, et le « privilège »
s'étendant aux terres exploitées par un clerc. {Recueil de jurisprudence, art. Pri-
vilège). Cf. Durand de Maillane. Dictionnaire, art. Taille.
4. Leblanc à Colbert, 5 avril 1682 : les- couvents de l'Annonciade, des Carmé-
lites et des Ursulines occupent « plus du tiers » de la ville; « ils sont establis au
lieu ou estoient scituées les tanneries, qui estoit le seul commerce et ou il y avoit
plusieurs tanneurs qui payoient chacun sept a huit cens livres de taille; un de
ces couvents a obtenu depuis peu des lettres pour enclore plusieurs maisons et
fermer une rue, ce qui fait que le peuple ne les aime pas » (A. N., G7 491; cf.
B. N. fr. 8761 f° 75). Voir la réponse de Colbert dans Clém., IV, 154.
5. M. C. 137, f° 315-316. Publié dans Depping, t. IV, p. 86-87.
240 LA TAILLE EN NOIIMAXDIE.
c'cst-ii-dire f^'ns « qui ont des chargea ayant bouche à la Cour
avec g;ii,r<'s oonchez sur l'état de la maison du roi, princes, fils
et filles <lr France, serrans actuellement près de leur personne1».
Une partie d'entre eux sont nobles et tiennent leur exemption
de cette qualité, mais beaucoup d'autres sont roturiers et ne
doivent leur privilège qu'à leur emploi.
Le droit du roi à exempter d'impôts les gens qui le servaient
n'était pas contesté; le souverain avait en effet la libre dispo-
sition de ses finances, et remettre à un particulier le paiement
d'une somme qu'il lui devait était considéré comme son droit
strict; du reste l'exemption paraissait une chose naturelle pour
tous ceux qui touchaient à la personne du roi et qui, par là
même, étaient élevés au-dessus du commun.
On rangeait d'ordinaire les commensaux en deux groupes :
les gardes du roi, et les sept offices de sa Maison 2. Les gardes
du roi, c'est-à-dire sa Maison militaire, étaient tous exempts ;
les officiers étaient nobles et ne nous intéressent pas ici. Le
règlement de janvier 1634, art. 11, n'accordait l'exemption aux
ardes que s'ils servaient actuellement, ne faisaient pas trafic
e marchandise et ne tenaient pas de fermes d'autrui. L'édit
de novembre 1640, qui révoquait tous les privilèges, n'excepta
pas la Maison du roi, mais l'édit de novembre 1643 rapporta
cette mesure qui n'était qu'un expédient fiscal; le privilège de
la Maison militaire demeura ensuite incontesté*.
Les sept offices de la Maison du roi : Panneterie, Echanson-
nerie, Cuisine de la Bouche et du Commun, Fruiterie et Four-
rière confèrent également l'exemption de taille à ceux de leurs
titulaires qui ne l'ont pas à un autre titre.
En outre de la Maison du Roi, la Maison de la Reine exempte
tous ses officiers, et après la mort de cette princesse ils con-
servent leur privilège pour leur vie durant4. La Maison de
Monsieur avec ses 121 gardes du corps, la Maison de Madame,
les Maisons des Enfants de France constituées dès la naissance
de chacun d'eux, enfin la Maison du Prince de Condé ont les
mêmes faveurs 5.
1. Vieuille, Traité des Elections, p. 409.
2. Sur les commensaux, voir :
Code des privilèges, ou Recueil des Edits, ordonnances... intervenus sur les
privilèges des officiers domestiques et commensaux du roi, de la Heine, des enfans
de France et autres, depuis l'an 1318 jusqu'en 1646; avec des notes et observa-
tions de Louis de Vrevin, président et lieutenant général à Chauny, Paris,
Rocolet, 1646; Code des Commensaux de la maison du Roi, Paris, V™ Saugrain, 1720
(12°) J. Pinsson de la Martinière, Privilèges des officiers de la maison du roi
Paris 1645. Le même a publié des Etats des officiers domestiques et commensaux
des maisons du roi, de la reine régente .. 16VJ, 1650, et 1652. Autres états 1649
à 1660. B. N. LC2S, 92-93, Les diverses éditions de VEiat de la France donnent
des états semblables pour la période 1661-83.
3. Voir pour tout ce qui concerne les gardes du roi et le détail de leurs privi-
lèges, Vieuille, Traité des Elections, p. 440-449.
4. Déclaration du 3 novembre 1683, citée dans Vieuille, p. 413.
5. Les 121 gardes du corps de Monsieur sont exempts spécialement par la
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 241
Un certain nombre d'offices subalternes de la Cour confèrent
également l'exemption : les concierges, les portiers et les jar-
diniers des Maisons royales ont eu leur privilège confirmé par
l'arrêt du Conseil du 30 janvier 1644 '. Les conseillers-secré-
taires du roi ont le titre de noblesse attaché à leurs charges ;
leurs fonctions sont d'ailleurs à peu près nulles, n'étant pas
tenus de résider à la Cour, et leur titre n'est guère autre chose
qu'un moyen d'échapper à la taille2. Enfin les offices de la
grande et petite Écurie, y compris les 14 chevaucheurs ordi-
naires créés par la déclaration du 7 septembre 1634, jouissent
de tous les privilèges des commensaux3.
Au-dessous de ces offices subalternes viennent encore les
officiers des Chasses royales; l'édit de janvier 1634 (art. 20), en
limitant leur nombre leur accorde seulement une diminution de
5 1. sur leur cote de taille; les archers des Toiles bénéficient
d'une réduction de 10 1. 4.
Les commensaux devaient remplir un certain nombre de
conditions pour pouvoir jouir de leur privilège. Il fallait que
leurs provisions fussent enregistrées à la Cour des aides d'où
ressortissait leur domicile5; ils devaient figurer sur les états
dressés par le roi et enregistrés chaque année à la Cour des
déclaration du 13 février 1674 (Règlements de Normandie, p. 185, cf. Mém.
Alphab. à l'art. Gardes du corps); la maison de la Dauphine, constituée par
la déclaration du 20 juillet 1680, comprend 418 officiers (Vieuille, p. 412). Sur
l'immunité des gens des maisons des Enfants de France, voir la 21e action de
Lebret dans ses Œuvres, éd. 16S9, p. 489-490 : « Il est notoire par les édits et
les ordonnances que les Enfants de la Maison de France et notamment les plus
propres à succéder au roiaume ont ce privilège que tous leurs officiers et servi-
teurs domestiques sont exempts de toutes tailles et contributions comme ceux
de la propre Maison du Roi. Cette prérogative est fondée principalement sur
l'bonneur et la révérence qui est due au sacré sang de cette famille auguste en
laquelle consiste la principale force de l'Etat. »
1. Mém. Alphab, p. 155.
2. Un grand nombre d'ordonnances concernant les secrétaires du roi ont été
rendues à toutes les époques, on en trouve l'énumération dans le Code des
Commensaux. V. aussi le Recueil de Lemaistre, A. D. S.-Inf. C. 2 388, art. Tailles.
3. Mém. Alphab. art. Ghevaucbeurs et G. d. T. t. I, p. 290.
4. Voir l'énumération des officiers des chasses royales en 1713 dans le Mém.
Alphab. p. 497, leur total est de 234; les offices de la Vénerie, de la Louveterie et
de la Fauconnerie ne sont pas compris parmi eux, ils font partie de la Maison
du roi proprement dite et, à ce titre, confèrent l'exemption complète. Les archers
des Toiles furent déclarés pleinement taillables par les commissions des tailles
pour 1659, mais un arrêt de la Cour des Aides de Paris du 22 février 1659 cassa
cette disposition et remit en vigueur l'édit de 1634; la déclaration de 1684 leur
donnera d'ailleurs l'exemption totale. (Mém. Alphab. art. Archers des Toiles.)
5. Déclaration du 26 janvier 1663 reprise par celle d'août 1673, art. 12; un
arrêt du conseil du 19 décembre 1663 cité dans le Mém. Alphab. p. 121 spécifiait
que l'enregistrement devait être fait uniquement à la Cour des Aides de Paris,
mais un autre arrêt du 21 février suivant ordonna l'enregistrement des provisions
à la Cour des Aides de Rouen pour tous les commensaux demeurant dans le
ressort de la Cour en fixant le droit d'enregistrement à 20 1. ; il spécifiait en outre
que tous les procès relatifs à leur privilège seraient réglés par la Cour de Rouen.
(Clairamb. 659, p. 234). La prescription fut reprise par l'art. 34 du règlement
d'août 1664.
LA TAILLE EN NORMANDIE. 16
LA TAILLE EN NOHMANDI K .
aides de Paris*. La Cour de Rouen ayant fait des objections
sur ce dernier article, parce qu'elle voulait aussi enregistrer
l'état*, l'édit de mars 1654 lui donna satisfaction.
Les commensaux sont tenus d'exercer personnellement leur
charge. Un grand nombre dédits constatant que certains d'entre
eux « ne font aucune fonction de leur charge », leur rappellent
cette obligation3; mais si tous ces officiers avaient réellement
exercé, on ne sait, tant ils étaient nombreux, à quelle besogne
ils auraient été employés4. « Tous les règlements, dit un juriste
en 1670, exigent que ces officiers ayent service actuel néan-
moins, la Cour des aydes les répute tous exempts de la taille
lorsqu'ils sont sur son état6 »; une déclaration du 13 février 1674
exempte même expressément de tout service les gardes du
corps de Monsieur.
L'édit d'août 1664 leur avait imposé une série de forma-
lités dans le but de les astreindre à exercer leur charge ou à
renoncer à leur privilège : d'abord ils devaient faire signifier
aux habitants de la paroisse où ils demeuraient le quartier pen-
dant lequel ils devaient servir, et annoncer leur départ; à leur
arrivée à la Cour ils devaient obtenir d'un notaire l'attestation
qu'ils étaient venus « exprès pour servir leur quartier », et de
même à leur départ; ils y joignaient la quittance de leurs gages
et présentaient le tout à leur paroisse; les habitants avaient le
droit de contester devant les tribunaux la validité des certificats
« sans être tenus de former aucune inscription de faux ». Le
seul cas de dispense admis était la maladie (art. 36). Il faut que
les gages annuels attribués à leur office montent au moins à
60 1.. sauf s'il s'agit d'un des sept offices de la Maison du roi :
en conséquence le commensal doit fournir à sa paroisse un cer-
tificat attestant que ses gages sont au moins de 60 l. 6. Ils ne
doivent faire aucun acte dérogeant, c'est-à-dire n'exercer aucune
fonction « répugnante à la qualité en laquelle ils feront ser-
vice7 » comme celles de bailli, sénéchal, conseiller, procureur,
avocat, huissier, notaire8. Enfin une condition spéciale est exigée
des commensaux qui résident dans le ressort de la Cour des
aides de Rouen : il faut qu'ils n'aient pas été imposés au moment
où ils ont acquis leur charge, sinon ils ne bénéficient que d'une
1. Déclaration de janvier 1634, art. 8.
2. Remontrances sur l'art, précédent dans Règlements de Normandie, p. 109.
3. Edits de janvier 1629, art. 408, et mars 1654.
4. On trouve même un arrêt de la Cour des aides de Paris du 26 janvier 1661
qui maintient dans leur exemption deux maitres des requêtes de la Maison de Mon-
sieur et deux secrétaires de la Maison de Mademoiselle, quoiqu'ils ne fassent aucun
service actuel. (Cité dans Dufresne, Journal des principales audiences du Parle-
ment, t. II, p. 313).
5. Lange, La nouvelle pratique civile, 5" éd., p. 118.
6. Déclaration de janvier 1634, art. 10 et du 20 août 1673 art. 12.
7. Edit de juin 1614, art. 23.
8. Déclaration du 23 octobre 1680, rappelant la législation antérieure.
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 243
réduction de 10 1. sur leur cote calculée « sur le plus haut taux
des trois années précédant la date de leurs lettres de retenue,
sans toutefois qu'ils puissent estre augmentez à l'avenir pour
quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit1. » La décla-
ration d'août 1673 leur donne le droit de faire valoir par leurs
mains une charrue de terres leur appartenant 2.
On ne peut exactement savoir dans quelle mesure toutes ces
prescriptions minutieuses et compliquées étaient obéies; il
semble bien d'après les règlements eux-mêmes que beaucoup
d'abus étaient commis par les commensaux; en outre les inten-
dants ne cessent de rappeler dans leurs mandements aux
paroisses les prescriptions réglementaires, et ils se plaignent à
Colbert de la difficulté de poursuivre les contrevenants : ceux-ci
sont appuyés par les tribunaux, dont les juges sont naturelle-
ment portés à soutenir des privilégiés comme eux. En 1672,
l'intendant de Rouen écrit que les officiers de feus Monsieur
et Madame se font exempter de taille par la Cour des aides
malgré la révocation de leur exemption; à Chaumont-en-Vexin
un chirurgien est exempt parce qu'il prétend « avoir esté bar-
bier des pages de feu Madame 3 » ; le même intendant se plaint
que l'on ne peut faire présenter par les commensaux l'extrait
de la Cour des aides où ils sont employés, et il faut que Colbert
lui donne l'ordre de les mettre à la taille4; dans la ville de
Pontoise, où les irrégularités en matière de taille sont un mal
invétéré, il y a 38 « des principaux habitans qui prétendent à
l'exemption complète de taille comme officiers de Maison royale
quoiqu'ils eussent été taillables avant l'acquisition de leur
charge; leur exemple encourage les autres habitants à prendre
de pareils offices ou, du moins, ils menacent les collecteurs
d'en prendre s'ils ne sont imposés à la somme qu'ils désirent »,
ce qui cause « la désertion de plusieurs habitans et la ruine
entière de ladite ville 5 » ; il faut un arrêt du conseil du
1. Déclaration du 26 janvier 1663 : antérieurement à cette déclaration la règle
était en usage dans la province mais n'avait pas été codifiée par un acte royal;
il en résultait des procès intentés aux collecteurs par les commensaux devant la
Cour des aides de Paris, ce qui créait des conflits de juridiction avec la Cour
de Rouen, et les parties se ruinaient souvent en frais. On trouve par exemple
un procès intenté par un huissier de la cuisine du duc d'Anjou à la paroisse de
Saint-Hilaire de Nogent-le-Rotrou en 1658; ayant été taillable avant l'acquisition
de 6on office, il avait été imposé par les paroissiens et l'élection l'avait condamné
à payer, mais il avait fait appel devant la Cour de Paris qui lui avait donné gain
de cause; aussitôt la Cour de Normandie s'opposait à l'exécution de l'arrêt de Paris
le 2 juillet 1661. (A. D. Seine-Inf. Cour des Aides, Registre du Conseil, à sa date).
La déclaration de 1663 ajoute que si au moment de la réception en charge les
commensaux ont moins de vingt ans ou payent moins de 10 1. de taille, ils seront
exempts. Ses dispositions sont reprises par l'art. 33 du règlement général
d'août 1664.
2. Déclaration d'août 1673, art. 22.
3. Clairamb. 793, p. 765 et 795.
4. Ibid., p. 107.
5. Lettre de Leblanc à Colbert, 1677, B. N. fr. 8 761b", f° 40.
Ji'i LA TAIM.i: i:.\ Noll.MANDIE.
12 avril ll>77 pour limiter à 8 le nombre des officiers des mai-
sons royales qui pourront avoir l'exemption à PontoÎM. Mais
le 23 octobre suivant, un autre arrêt du conseil accorde l'exemp-
tion à un huissier de salle de la Maison du roi habitant à Pon-
toise, quoiqu'il soit en sus du nombre fixé1.
Un grand nombre d'autres arrêts déchargent de taille des
officiers de maisons royales; il est bien à penser qu'une partie
au moins d'entre eux, sont dus uniquement à la faveur; en
1682, Colbert recommande à l'intendant de Rouen un valet de
chambre de la reine et un officier de la Fauconnerie royale
demeurant à Gisors; Leblanc lui répond que le premier étant
imposé à 8 1. il lui fera rembourser cette somme par la paroisse
et empêchera qu'à l'avenir il ne soit imposé, puis il ajoute : « Je
vous supplie de ne lui point donner d'arrest, à cause de la con-
séquence »; quant au second, dit-il, il a n'est point gentilhomme
et n'a jamais servy ny fait signifier de certificat de service2 ».
Les agents royaux ne savaient pas exactement quels étaient
les commensaux exempts de taille dans leurs circonscriptions;
les listes des exempts inscrits à la fin des rôles de taille étaient
mal tenues et il était facile à un personnage influent dans sa
paroisse d'obtenir de n'y pas figurer; et quand bien même ils
eussent été inscrits, comment enquêter sur chacun deux?
L'intendant de Rouen écrit à Colbert le 31 juillet 1673 que dans
sa tournée pour faire le département de la taille il va relever
« tous ceux qui se prétendent commensaux affin de voir ceux
qui seront employés » sur les états d'exempts, mais on ne voit
pas que son enquête ait eu une suite '. Les paroisses seules
auraient pu faire des poursuites, mais on n'en trouve que de
rares exemples.
Le principal effet des prescriptions minutieuses relatives aux
commensaux fut de multiplier les procès; les registres des
élections et de la Cour des Aides en sont pleins; entre les
nombreuses causes de chicane à propos de l'impôt, celle-ci
doit être mise sans doute au premier rang. Comme d'ailleurs
les commensaux étaient des personnages puissants et riches, il
leur était facile d'intenter des procès où les paroisses étaient
ruinées en frais. Un huissier de salle du prince de Condé imposé
à 8 sous dans sa paroisse intenta un procès à celle-ci pour être
reconnu exempt; on plaida d'abord devant l'élection et ensuite
devant la Cour des aides qui donna gain de cause à l'huissier
et condamna la paroisse aux dépens, lesquels durent s'élever à
plusieurs centaines de livres*.
1. Clairarab. 660, p. 118. Sur les désordres de Pontoise voir ci-dessous, chap vi ;
le nombre maximum de 8 privilégiés par paroisse avait été déjà fixé par le règle-
ment de 1634, art. 13.
2. Lettre du 10 avril 1682, B. N. fr. 8 761, f° 47.
3. Clairamb. 795, p. 37.
4. A. D. Seine-Inf. Cour des Aides, registre du Conseil, 4 février 1662.
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 245
Les offices des Maisons royales étaient en nombre indéfini.
Les différents Etats de la France ne donnent que les principaux
d'entre eux ; tous les offices subalternes y sont omis. L'état de 1653
énumère entre autres 319 maîtres d'hôtel du roi, 50 médecins
et chirurgiens, 50 portiers, 310 peintres et gens de métiers,
77 valets de chambre1... Et à cette date la Cour n'est pas
encore à Versailles! La plupart de ces offices avaient été vendus
par le roi pour en tirer de l'argent et ne correspondaient à
aucune fonction réelle, le roi le reconnaît lui-même dans le
préambule de la déclaration d'octobre 1680 : les offices de
notre Maison et autres maisons royales, dit-il, ont été pris « non
pas tant pour y servir que pour s'acquérir un titre d'exemp-
tion 2 ». L'intendant de Caen signale, en 1680, des officiers de
judicature qui ont acheté à vil prix des charges chez le roi
pour avoir le privilège que leur office ne leur confère pas : ils
s'absentent trois mois par an pour exercer la charge et sont
ainsi dispensés d'impôt3. Les diverses suppressions et rétablis-
sements accordés moyennant finance à différentes époques ne
permettaient pas la discussion des titres de chacun. « Si tous
ceux, dit Lebret, qui aportent des lettres de provision d'office
des maisons des princes estoient rendu francs et exempts, on
ne verroit autre chose, vu qu'il n'y a rien qui s'obtient plus
aisément, et d'où proviendroit l'entière perte et ruine des tailles
et des aides du roy\ » On se demande alors comment on
pouvait reconnaître le droit de ces officiers à l'exemption si
leurs titres ne prouvaient rien. Enfin le grand développement
pris par la Cour à Versailles amena la multiplication des com-
mensaux; on s'en rend aisément compte en comparant entre
eux les Etats de la France successifs.
Colbert travailla à réduire le nombre de ces officiers ; dans le
préambule d'une déclaration du 30 mai 1664, le roi reconnaît
que « parmi les abus et les désordres qui se sont glissés pen-
dant la guerre et les troubles de cet Etat, l'augmentation des
officiers inutils et supernuméraires employez dans nos états et
ceux des Maisons royales n'a pas été le moindre pour la sur-
charge que cela a causé tant à nos finances qu'à nos sujets con-
tribuables aux tailles qui s'en sont trouvés d'autant plus foulez 5 ».
En conséquence, il se déclare résolu à réduire leur nombre
à ceux qui font un service effectif, « afin que le nombre des
contribuables étant par ce moyen augmenté, les pauvres en
puissent estre soulagez », mais il se borne à rappeler les pres-
criptions anciennes, ce qui prouve simplement qu'elles n'étaient
1. B. N. Lc25, 93.
2. Règlements de Normandie, p. 207.
3. Lettre du 15 août 1680, A. N., G^ 213.
4. 21e action, mai 1596, Œuvres, p. 490.
5. Néron, t. II, p. 76.
Ml LA TAILLE IN \< >1: M VNDIE.
pas respectées. Le seul moyen de réaliser la réduction eût été
de rembourser la plus grande partie des offices, et le roi n'en
eut jamais le moyen.
En ce qui concerne la Normandie, il est difficile de savoir
au juste combien de ces privilégiés y demeuraient; mais ils
semblent y avoir été très nombreux. Ils pouvaient sans inconvé-
nients habiter loin de la Cour, puisqu'ils n'étaient tenus
presque à aucun service. On trouve dans mainte paroisse des
gendarmes de la reine, des huissiers de bouche de la Maison de
Monsieur, des gentilshommes de la Fauconnerie du roi, des
gardes du corps du roi, des cavalcadours de Mademoiselle, de
nombreux secrétaires du roi...; dans la plus petite paroisse on
rencontre quelqu'un d'entre eux1.
C. — EXEMPTIONS A L'ARMÉE
ET A CERTAINS OFFICES
La taille étant un impôt d'origine militaire, il semblait
naturel que ceux qui servaient le roi dans les troupes et sur la
flotte en fussent exempts; en outre, la profession des armes,
particulièrement honorable, était considérée comme incompa-
tible avec cette charge dégradante :
« De toutes les professions qui importent le plus au bien public,
dit Lebret, la militaire semble mériter un des premiers rangs... C'est
elle qui défend et maintient le repos et l'état de toutes choses.... Non
seulement elle conserve les autres vertus, elle maintient la liberté et
les lois du païs, elle défend et garde les citoiens et même les rois;
mais encore elle fait que par son moien Ton peut aisément ravir et
enlever tout ce que possèdent nos ennemis, c'est pourquoi les hommes
de cette profession militaire ont de tout temps mérité d'estre honorez
entre tous les autres de plusieurs beaux et signalez privilèges
signamment de l'exemption et immunité de tous tributs et autres
charges... comme à la vérité ils paient à la république un assez grand
tribut, que de lui conserver leur sang et leur vie pour son service *. »
Cette dernière considération l'avait même emporté sur la pre-
mière, et on ne concédait l'exemption qu'aux titulaires des
grades d'officiers; les soldats et les sous-officiers ne l'avaient
pas; si en fait ils ne payaient presque jamais de taille, c'est
qu'ils étaient considérés comme n'ayant aucun bien, mais en
principe ils demeuraient taillables. Parmi les officiers, la très
1. Les états des commensaux qui devaient être envoyés à la Cour des Aides de
Rouen ne nous sont pas parvenus, mais on peut juger approximativement du
nombre des commensaux par les indications inscrites sur les rôles de taille.
2. Plaidoyer de février 1596, à la Cour des Aides, dans ses Œuvres, p. 484.
LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 247
frande majorité étaient nobles et, par conséquent, exemptés
e taille par leur titre, c'était uniquement pour les roturiers
et dans des cas très spéciaux qu'une exemption était accordée
aux officiers des troupes royales.
Les commissaires des guerres, qui avaient une fonction à
demi civile, pouvaient être roturiers, mais l'édit de janvier 1634
leur accordait l'exemption « a cause, disait le roi, du service
actuel qu'ils sont obligés de nous rendre en nos armées ' » ; leur
nombre fut réduit à 40 par l'édit de mars 1667, et leur exemp-
tion confirmée2. Il en fut de même des contrôleurs des guerres,
réduits aussi à pareil nombre3.
Les officiers de l'artillerie royale qui avaient été exemptés par
l'édit de janvier 1634 (art. 9) furent remis à la taille en
novembre 1640 4, mais il est probable que leur incorporation
dans l'armée régulière leur donna ultérieurement l'exemption.
Les officiers des places fortes ne sont pas exempts, non plus
que leurs soldats connus sous le nom de « mortes-payes5 ».
Les soldats, ai-je dit, sont considérés comme taillables; tou-
tefois, quand ils ont servi vingt-cinq ans, ils peuvent recevoir
à leur sortie des « lettres de vétérance » qui leur confèrent
l'exemption6.
Les officiers de l'Amirauté et ceux de la Marine du Levant et
du Ponant sont exempts s'ils servent actuellement sur les
navires du roi.
Une foule d'autres officiers des armées du roi avaient, à cer-
taines dates, obtenu des exemptions de taille, mais elles avaient
été révoquées par la déclaration de janvier 1634 et par plusieurs
autres postérieures, c'étaient notamment : les contrôleurs des
montres, les contrôleurs des guerres, les trésoriers des régiments
et des compagnies, les trésoriers provinciaux de l'Extraordinaire
des guerres, les officiers de la Connétablie.
L'exemption de taille allait de_spj^^ur_les^igmt^ires de la
justice et ■ des ^uaTU5Sfj~quant aux offices inférieurs, oriTSvàit
jugé à propos d'y attacher l'exemption pour pouvoir les vendre
plus cher; l'honneur que conférait cette distinction la faisait
1. Art. 18.
2. Les commissions des tailles pour 1659 déclaraient taillables les commis-
saires et contrôleurs des guerres, mais la Cour des Aides de Paris rétablit leur
privilège. C'est seulement en 1689 qu'une déclaration du mois d'octobre révo-
quera leur privilège. (Mém. Alphab. art. Commissaires des guerres.)
3. Art. 9.
4. C-. d. T., 1. 1, p. 283.
5. Colbert écrit que « l'exemption de taille des officiers servant au chasteau de
Saumur » est « un abus » (Clément, t. II, p. 243); les mortes-payes sont décla-
rés taillables par l'édit de 1634, art. 13 et suivants, et par l'arrêt du 15 sep-
tembre 1662. Les intendants de Normandie prennent soin de le rappeler dans
la plupart de leurs mandements, ce qui prouve que des fraudes étaient possibles
sur ce point dans la province.
6. Déclaration de janvier 1634, art. 17.
248 LA TAILLE EN NORMANDIE.
rechercher) et le roi en retirait une somme bien supérieure au
capital de la rente représenté par la taille ainsi rachetée'.
En tête des officiers on plaçait habituellement les membres
y des cours souveraines : Parlements, Cours des aides et Chambres
des comptes ; ils étaient exempts « parce que la dignité de leur
charge, dont les fonctions sont toutes nobles, les fait participants
des privilèges de la noblesse 2». Toute une série d'actes légis-
latifs leur conféraient le privilège*.
Les offices inférieurs n'étaient pas mentionnés dans la décla-
ration de janvier 1634, mais la Cour des Aides de Paris, natu-
rellement portée à favoriser toute la caste, avait, en vérifiant
l'édit, arrêté « que les greffiers et maîtres-clercs, substituts
des procureurs généraux et autres officiers des Cours souve-
raines jouiront de l'exemption ainsi qu'ils en ont ci-devant bien
et dûment joui* ». Pareillement la Cour des Aides de Normandie
arrêta « que tous les officiers des Cours souveraines et les autres
auxquels par ce présent article était attribuée l'exemption, en
jouiront suivant les arrêts de la Cour, réservé ceux lesquels n'y
ont vérifié leurs privilèges5 »; le roi n'ayant fait aucune objec-
tion à ces arrêts, le privilège fut conservé et passa dans la
jurisprudence. Un édit d'août 1669, qui réglait les exemptions
de taille, révoqua celles « des bas-officiers des compagnies
supérieures qui ne résideront actuellement au moins 7 mois de
chacune année es ville de leur établissement » et il énumérait
ces bas-officiers : « les receveurs, payeurs et contrôleurs des
gages, les receveurs des épices, receveurs et contrôleurs des
consignations, les officiers des petites chancelleries, les sub-
stituts de nos procureurs généraux, les greffiers et huissiers
desdites compagnies6 ». Par conséquent, hors ce cas de
déchéance pour non résidence, tous étaient exempts. En Nor-
mandie du reste, il leur eût suffi d'habiter Rouen; leur domi-
cile les eût dispensés de payer la taille7.
Jusqu'en 1674, les juges des tribunaux inférieurs ne furent pas
reconnus exempts, mais ils trouvaient néanmoins un moyen
1. Voysin, dans son Mémoire sur la généralité de Rouen, explique que les offices
des greniers à sel sont peu recherchés parce qu'ils « ne jouissent d'aucune exemp-
tion de taille » (p. 132). Cf. Le Vayer, Mémoire sur la généralité de Moulins, éd.
Flament, p. 153.
2. Cahier des Etats de Normandie de 1643, dans de Beaurepaire. t. III, p. 81.
3. Toutefois les officiers des Cours souveraines prétendaient être exempts,
Sarce que leur fonction leur conférait la noblesse, et c'était une grave discussion
e savoir s'ils étaient nobles ou non. L'édit d'août 1669 révoqua tous les titres
de noblesse conférés depuis 1644 à ces offices. (C. d. T., t. II, p. 35), mais il leur
laissa leurs autres exemptions et privilèges : c'est seulement en novembre 1690,
que l'on revendra à nouveau des offices de cours souveraines conférant la
noblesse.
4. C. d. T., t. I, p. 326.
5. Règlements de Normandie, p. 109-110.
6. C. d. T., t. II, p. 50.
7. Voir ci-dessous, p. 266 et suiv.
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 249
de ne rien payer1 : l'intendant de Caen l'explique à Colbert
dans une lettre du 31 décembre 1677, où il envoie une liste des
juges de sa généralité : « Je n'ay point, dit-il, cotté les sommes
ausquelles ils sont imposez à la taille, parce que dans cette
généralité les villes principalles comme Caen, Vire, Coutances,
Saint-Lô, et Avranches payans leur taille par tarif depuis un
long temps, il ne s'y fait plus de rolle...; à l'esgard des autres
villes, les ayant trouvez ou obmis, ou imposez à des sommes si
modiques comme à cinq sols, j'ay cru qu'il estoit inutile d'en
faire mention, à l'exeption de quelques-uns que j'ay trouvé
imposez considérablement2 ».
En février 1674, le roi consacra l'exemption des juges; voici
les raisons qu'il invoquait :
« Gomme l'expérience journalière nous apprend, disait-il, qu'il n'y
a rien de plus capable d'imprimer de la crainte dans l'esprit des juges
et de les empescher par ce moyen de tenir la balance égale entre toutes
les parties dans la distribution de la justice, que la contribution de
nos tailles et autres impositions dont ils ne sont pas exempts, les par-
ticuliers prenans de là souvent occasion de les imposer à des sommes
excessives en haine de ce qu'ils n'ont pas jugé en leur faveur, ou de
leurs parens et amis, pendant que de l'autre côté ceux qui sont auto-
risés par leurs charges se font imposer à des sommes si modiques que
le peuple n'en reçoit aucun soulagement, et que d'ailleurs il est raison-
nable que ceux qui sont établis au dessus des autres pour être arbitre
de leurs vies et de leurs fortunes aient des privilèges au-dessus du
commun. »
Mais ces beaux motifs n'étaient que des prétextes, et l'inten-
tion véritable apparaît à la fin de l'acte :
« Pour jouir des grâces accordées par le présent édit seront tenus
tous lesdits officiers de payer les sommes auxquelles ils seront pour
ce modérément taxés en notre conseil sur les quittances du trésorier
de nos revenus casuels 3. »
La taxation était d'ailleurs difficile : l'intendant de Caen ne
voyait d'autre moyen que de « faire convenir les compagnies
de ce que chacune d'elles devra porter » par l'intermédiaire du
premier président du Parlement, en « leur faisant connoistre la
bonté que S. M. veut bien avoir pour eux en cette occasion en
mesnageant les frais d'un recouvrement qui tomberoit sur eux,
et ne voulant point mettre cette affaire en traitté ».
1. Cf. Papon, Recueil d'arrests notables, éd. 1621, p. 275 : « Procureurs, prati-
ciens es cours tant souveraines qu'autres ne se peuvent ayder de leur noblesse
pour la taille qu'ils sont tenus de payer, car tel office est vil ».
2. A. N. G7, 213. La lettre fait allusion aux impositions des juges antérieure-
ment à l'édit de 1674, dont il sera parlé plus bas.
3. Cf. d'ailleurs la circulaire de Colbert aux intendants, 22 nov. 1673, pour
préparer l'édit : c'est une des « affaires extraordinaires que le Roy examine tous
les jours pour pouvoir fournir aux prodigieuses dépenses que S. M, est obligée
de faire ». (Glém., II, 301.)
;i
y
250 Là TAILLA BU NOlt.MANDii:.
I. Y-dit visait spécialement « les officiers des sièges présidiaux,
bailliages, sénéchaussées, prévôtés, vicomtes, vigueries, eaux et
forêts, traittes foraines, élections, greniers à sel et toutes les
autres justices et juridictions royales dans toute l'étendue de
notre royaume * ». La plupart de ces officiers, qui avaient été
déjà tant de fois exploités avant 1661 firent des difficultés pour
se soumettre à la clause finale de ledit : comme ils m- Bayaient
déjà guère auparavant, l'exemption n'était pas en lait lin" privi-
lège nouveau pour eux. Les intendants furent cKârgés de les
contraindre; ils reçurent de Colbert l'ordre de les taxer d'office
pour l'année 1675; celui de Caen publia en conséquence une
ordonnance enjoignant aux procureurs des élections de lui
envoyer la liste des juges de leur ressort, S. M. voulant, dit-il,
supprimer la surcharge des autres contribuables et imposer
davantage « particulièrement les officiers royaux, lesquels par
l'autorité de leur charge se font exempter de la contribution
u'ils doivent, ou se font employer dans les rolles des tailles à
es sommes si modiques que les autres contribuables en souffrent
toute la surcharge et oppression2 »; les taxes d'office eurent
raison des récalcitrants3.
Les offices de finance conféraient tout naturellement l'exemp-
tion : ceux qui maniaient l'argent du roi étant juges des contes-
tations en matière d'impôt, n'auraient pu sans inconvénients,
pensait-on, être en même temps contribuables.
Les trésoriers de France étaient déclarés exempts par une
foule d'ordonnances, et en dernier lieu par la déclaration de jan-
vier 1634, art. 14; Loyseau disait qu'ils tenaient leur exemption
de leur qualité de commensaux*. Ils n'étaient pourtant pas
nobles : en 1675 ils seront dispensés de la taxe de l'arrière-
ban 5. L'exemption de certains offices des Bureaux des finances
pouvait fournir matière à des contestations; mais l'usage et les
règlements s'accordaient pour la conférer à tous indistinctement,
même aux avocats, greffiers et huissiers. En 1661, un contrôleur
général des finances du Bureau de Caen ayant été mis à la taille
par les habitants de la paroisse de Saint-Loup-sur-Bayeux, et
1. C. d. T., II, p. 112-116. L'édit ne se trouve pas dans les Règlement» de Nor-
mandie; cependant il est certain qu'il fut appliqué dans la province; on va le
voir plus loin.
2. A. N„ G 7 213.
3. Après Colbert, ces offices des justices inférieures seront recherchés unique-
ment pour l'exemption de taille qu'ils confèrent; voir Saint-Simon : u Coigny
était petit-fils d'un de ces petits juges de Basse-Normandie, qui s'appelait Guillot,
et qui, fils d'un manant, avoit pris une de ces petites charges pour se délivrer
de la taille, après s'être fort enrichi. » (éd. Chéruel, t. VIII, p. 120).
k. Traité des Offices, livre IV, chap. n, et Vieuille, p. 439. La série des
ordonnances conférant le privilège se trouve dans le Répertoire de l'avocat
Lemaistre, A. D. Seine Inf. C, 2 388, au mot Tailles, et dans Fournival, Recueil
général des Titre* concernant les fonctions, rangs et charges des présidents tré-
soriers de France, Paris, 1665, in-f».
5. Arrêt du conseil du 24 avril 1675, A. D. S.-Inf. C, 2372.
LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 251
poursuivi pour non-paiement, il assigna aussitôt la paroisse
devant l'Election pour être rayé des rôles « à cause des privi-
lèges et exemptions attribuez à son office duquel il faict exer-
cice »; il fut déchargé des poursuites, mais maintenu sur les
rôles; il reporta alors le procès devant son propre bureau des
finances : procédure irrégulière, car l'appel d'une sentence
d'Election devait être fait à la Cour des aides; néanmoins le
Bureau admit sa requête, le 14 mars 1661, et séance tenante
ordonna la surséance des poursuites engagées; huit jours après,
le Bureau, considérant que l'imposer était « luy faire une injure
et un notable préjudice », le déclara exempt avec défense
de l'imposer à l'avenir « à peine de telle amende qu'il nous
plaira1 », ce qui était encore une irrégularité, car l'amende en
ces matières était fixée par les règlements. Nous avons là un
exemple de l'appui que se prêtaient mutuellement les officiers
pour soutenir leurs privilèges.
Les élus avaient été déclarés exempts de taille dès l'ori-
gine; tous les règlements postérieurs leur avaient confirmé ce
privilège; le motif donné par le roi était presque toujours le
même : « leur donner plus de dignité et de moyens d'exercer
leur charge avec honneur et distinction2 ». L'édit de février 1674
mettait les élus au nombre des officiers qui devaient racheter
leur exemption de taille, mais un arrêt du Conseil du 16 avril
suivant leur rendit le privilège sans rachat3. Pour pouvoir
jouir de leur exemption, ils devaient être domiciliés et résider
dans la ville où leur siège était établi; cette obligation est
rappelée très fréquemment dans les mandements des inten-
dants, et on a vu combien elle était utile. Mais en fait les habi-
tants n'imposaient jamais les élus, dont ils dépendaient entiè-
rement; seul l'intendant pouvait le faire par une taxe d'office.
Lorsqu'un élu mourait, sa veuve conservait l'exemption4. Si
un élu résignait son office, il ne pouvait conserver le privilège,
mais il trouvait le moyen de rendre cette règle inopérante :
certains, par exemple, se faisaient accorder des lettres de vété-
rance, conférant l'exemption. Colbert signale cet abus dans
une circulaire aux intendants du 26 mars 1682, où il déclare
que le roi veut « révoquer ces exemptions en cas qu'il y en ayt
un nombre qui mérite cette révocation générale5 ». Les receveurs
1. A. D. Calvados, Plumitif du Bureau des finances, 14 et 23 mars 1661.
2. Voir ces édits dans Vieuille, Traité des Elections, p. 84 et 146. Les élus
avaient été compris dans la révocation des privilèges de novembre 1640, mais
ils s'étaient fait ensuite rétablir. Une difficc'té se posait à propos des privilèges
des élus particuliers qui furent alternativement exempts et non exempts, mais
ils étaient confondus avec les élus en titre à l'époque où nous sommes.
3. Mentionné dans Glairamb., 660, p. 489.
4. Vieuille, Traité des Elections p. I'i4 et suivantes.
5. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. III, pièce 86. Il ne semble pas que Colbert ait
donné suite à cette idée. Du reste une lettre de l'intendant de Rouen du 5 avril 1682
nous apprend qu'il n'y avait pas de ces vétérans dans sa généralité. (B. N .
fr. 8 761, P47.) *
1!
LA TAILLE EN NOItMANIHK.
des tailles sont du corps des élections et ont l'exemption de
taille, mais les officiers subalternes : greffiers, maîtres-clercs,
huissiers, sont taillables; les receveurs du taillon ont été
déclarés exempts « jusqu'à ce que le roi en ait autrement
ordonné », par arrêt du conseil du 20 janvier 1635 f.
Les autres officiers des finances sont soumis à la taille; un
gTanlî~"hombr&'Tle sunleiiCëB couflflrf1"'"1* ° pay*»* 1'impAfw.nT
qui cherchent ;i s'v soustraire : par exemple le recerenï des
deniers communs de la ville de Honfleur est mis à la taille par
arrêt du conseil du 2 février 1682 2. Les officiers des monnaies,
ui ont été à diverses reprises exemptés de taille moyennant
înance, sont déclarés taillables par le règlement de 1634
(art. 13) et la déclaration du 20 mai 1645*. Les juges des sièges
particuliers des Eaux et Forêts, les huissiers, les receveurs des
consignations, les receveurs des décimes du clergé sont égale-
ment taillables. Dans les Ponts et Chaussées, seuls les trésoriers
et contrôleurs sont exempts. Mais la plupart de ces officiers
eurent la faculté d'acheter les exemptions mises en vente en
février 1674, de sorte qu'en fait tous les officiers de finance
quelque peu aisés se trouvèrent francs de taille.
Tous ces privilégiés au titre de leur fonction eurent, en vertu
du règlement d'août 1673, la liberté de cultiver leurs terres
jusqu'à concurrence d'une charrue; ils devaient affermer le
surplus à des taillables.
Les commis des fermes du roi n'étaient pas des officiers; ils ne
recevaient même pas leur salaire du Trésor; c'étaient de simples
employés au service de particuliers, pourtant ils prétendaient
à des privilèges spéciaux * : ils faisaient valoir que leur fonction
les exposait à être surtaxés par vengeance par les habitants
des paroisses. L'ordonnance des fermes de juillet 1681 (art. 2)
déclara qu'ils ne pourraient être imposés dans leurs paroisses à
une somme plus élevée que celle qu'ils avaient au moment de
leur entrée en fonctions, sauf s'ils acquéraient de nouveaux
1. A. Mun. Rouen, 183. n° 3.
2. Les receveurs des deniers communs des villes étaient nommément déclarés
taillables par l'art. 14 de la déclaration de janvier 1634, néanmoins ce receveur
nommé Valu avait assigné les habitants de Honfleur devant l'élection, puis devant
la Cour des Aides en soutenant que sa charge l'exemptait de taille; la Cour des
Aides, par arrêt du 8 août 1681, n'avait pas voulu se prononcer et avait renvoyé
les parties devant le conseil du roi; l'intendant Leblanc écrit à Desmnretz que
si l'affaire continue, la ville sera ruinée par les frais; c'est pourquoi fut rendu
sans forme de procès l'arrêt du 2 février 1682 qui condamnait Vola à payer.
(B. N. fr. 8 761, f> 39).
3. Mém. Alphab., p. 510. Cependant il semble que les officiers des monnaies
de Rouen aient eu le privilège. Cf. les lettres patentes de février 1663 leur
confirmant leurs privilèges et exemptions, enregistrées à la Cour des Aides de
Rouen le 23 juin 1663 (Mémoriaux, t. XL, f° 194) et le Plumitif du bureau des
finances. A. D. S.-Inf. C. 1 165, f 161.
4. Le règlement de janvier 1634 les exempte de collecte et uniquement pendant
la durée de leur emploi, mais non de taille; l'ordonnance des fermes de juil-
let 1681 (titre commun, art. 2) répète la même prescription. Leurs privilèges
étaient fixés par le bail des fermes.
LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 253
immeubles ou entreprenaient un trafic particulier. Mais on
trouve des arrêts du conseil exemptant complètement de taille
certains d'entre eux1. Colbert se plaignait « du trop grand
nombre d'exempts de taille et de collecte qui se trouvent dans
les paroisses de chaque généralité sous prétexte des commis
d'aides, papiers timbrés, contrôles des exploits et autres de
toute nature2 ». Sa circulaire du 21 novembre 1681 invita les
intendants à remettre à la taille ces fraudeurs, et un arrêt du
conseil du 14 juillet 1682 défendit aux collecteurs de les dimi-
nuer pendant l'année qui précédait leur entrée en fonctions3, ce
qui fait connaître un des procédés par lesquels ils se faisaient
soulager à l'impôt. Sur aucun des rôles que j'ai rencontrés et
où les professions sont indiquées, je n'ai trouvé parmi les tail-
lables le nom d'un commis des fermes.
La déclaration de janvier 1634 (art. 19) accordait l'exemption
de taille aux prévôts des maréchaux, aux chevaliers du guet, à
leurs lieutenants, exempts et archers, (c comme estant du corps
de la gendarmerie, et perpétuellement dans le service », mais
elle la refusait aux lieutenants de robe courte établis depuis
moins de vingt-cinq ans dans les petites villes et bailliages,
« desquelles charges ils se sont fait pourvoir plutôt pour acquérir
l'exemption de taille que pour servir au public4 »; les archers
du prévôt de Normandie avaient une diminution de 5 1. sur leur
taux, qui ne pouvait être augmenté qu'à proportion de celui
de leur paroisse5. Après 1634 de nombreuses créations d'offices
avec exemption totale ou partielle de taille avaient été faites dans
la maréchaussée, « pour en tirer du secours »; Colbert voulut
réduire le nombre de ces officiers qui, dit-il, « se prévallans
1. Par exemple un arrêt du 11 janvier 1663 qui, se référant à l'art. 48 du bail
général des aides de 1661, exempte de taille Denis Possot, commis à la recette
des aides de l'élection de Sézanne à la condition qu'il ne fera aucun acte déro-
geant. (A. N. AD* 47018). Si on les avait imposés comme les autres taillables
au lieu où ils étaient domiciliés, il eût été presque impossible de le faire en con-
naissance de cause, attendu que leurs biens étaient généralement situés au lieu
où ils résidaient avant d'entrer dans les fermes; mais les intendants avaient
rendu des ordonnances dérogeant au règlement général et prescrivant de les
imposer au lieu où ils résidaient avant leur commission (mandements de l'inten-
dant de Rouen, 1672, 1677, etc.; de l'intendant de Gaen; cf. le mandement de
l'intendant de Paris en 1683 dans de Boislisle, Mémoire sur la Généralité de Paris,
p. 513.)
2. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 460.
3. Ibid., pièce 305, cf. B. N. fr. 8 761 f° 03.
4. Les ordonnances relatives au privilège de la maréchaussée sont réunies
dans : La Maréchaussée de France ou Recueil des Ordonnances, édits... concer-
nant la création, établissement, droits et privilèges de tous les officiers et archers
des maréchaussées, Paris (Saugrain) 1697. (B. N., Lf32, 13.)
5. Mais ce privilège était illusoire; le roi reconnaît, par sa déclaration du
16 mars 1639, que « par la trop grande subtilité ou malice des asséeurs et col-
lecteurs de nos tailles, ils ont toujours été imposez à cent sols plus qu'ils ne
dévoient porter raisonnablement... et ainsi leur exemtion leur demeure inutile
et infructueuse, étant par ce moien contraints de paier leur taxe entière effective-
ment » en conséquence il défend « d'augmenter les cottes et impositions desdits
archers, depuis qu'ils seront entrés en l'exercice et fonction de leurs charges,
pour quelque cause et ocasion que ce soit. » (Règlements de Normandie, p. 112-114).
254 LA TAILLE L'N NOIt.MANDIE.
de leur ministère, intimident si fort les pauvres contribuables
que les collecteurs non seulement n'osent les taxer aux sommes
qu'ils peuvent légitimement porter et auxquelles ils estoient
taxez avant qu'ils fussent pourvus desdites charges, conformé-
ment au règlement, mais mesme ont esté obligez à les modérer
à des sommes moindres que celles dont ils doivent avoir
l'exemption, quoiqu'il soit notoire que lesdits exempts et
archers pour la pluspart font trafic, tiennent des fermes et
hostelleries, et dérogent entièrement à leurs privilèges »; il
fit dresser par les intendants et les prévôts des maréchaux
l'état de leurs officiers et archers avec l'indication de la date
de création de chaque office1, puis une déclaration du 15 sep-
tembre 1662 révoqua toutes les exemptions accordées aux offi-
ciers des maréchaussées de Normandie créés en mai 1635,
août 1647 et juin 1650; les noms de ceux qui jouissaient de
ces exemptions devaient être publiés dans les paroisses. Le
1er février 1666 un arrêt du conseil, dans les mêmes termes, est
à nouveau expédié; en le recevant l'intendant de Caen écrit à
Colbert : « il ne se peut rien de plus utile pour le service du roy
et le soulagement de ses sujetz 2»; mais le 27 février 1669
l'intendant de Rouen écrit qu'il est nécessaire de « réduire le
nombre » des archers de la maréchaussée dans sa généralité
« car la pluspart ne prennent ces places que pour estre exempts
de taille et estre des laboureurs de bonne foy3 ». Son successeur
écrira encore le 24 sept. 1681 que les archers du prévôt de Pon-
toise « sont des paysans qui n'ont pris ces charges que pour
l'exemption de la taille, et quoyque j'en aye taxé la pluspart
d'office, ils n'en font pas mieux leur devoir* ».
Dans tous les mandements des intendants, les prescriptions
relatives à l'exemption de la maréchaussée sont rappelées avec
beaucoup de détails. Par exemple, celui de l'intendant de Caen
en 1675 rappelle que les prévôts des maréchaux et leurs lieute-
nants ont l'exemption complète de taille, leurs exempts et
greffiers n'ont qu'une réduction de 30 1., les archers de 15 1.;
tous doivent servir actuellement, ne tenir aucune ferme ni hôtel-
lerie et ne faire aucun acte dérogeant; les lieutenants de robe
courte et tous les officiers et archers du guet créés depuis le
1er janvier 1635, les officiers et archers du guet créés en mai 1633,
les assesseurs, avocats et procureurs du roi des maréchaussées
doivent être imposés5. Mais il était difficile d'obtenir des paroisses
1. Arrêt du conseil du 23 février 1662, A. D. Calvados, Election de Caen,
Registre d'Ordonnances 1656-63, f 477.
2. Lettre du 3 décembre 16fi6, M. C. 142, P 391. A la suite de cet arrêt les inten-
dants devaient à nouveau envoyer l'état des gens de la maréchaussée, Chamillart
envoie celui de Caen le 6 décembre 1666. (Ibid., P 474.)
3. M. C. 150bl\ P 648.
4. Lettre à Louvoie, B. N. fr. 8 761, f° 26.
5. Les archers du guet avaient été déclarés exempts par l'art. 19 du règlement
de janvier 1634, mais en enregistrant ce règlement la Cour des Aides de
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 255
l'exécution de ces ordres. Les taxes d'office des intendants ne
sont pas toujours maintenues, parce que la Cour des Aides
est souvent favorable aux officiers de la maréchaussée; en 1662
elle lève par un arrêt la taxe d'office mise par l'intendant de
Rouen sur deux archers du prévôt de Normandie demeurant en
la paroisse de Rougemontiers, élection de Pont-Audemer1; la
même année elle fait rayer des rôles de la taille d'Evreux un
greffier de la prévôté de Normandie2; en 1675 elle confirme
l'exemption des archers de la compagnie du grand prévôt de
Normandie, même ceux qui ont été créés après 1631, quoique
l'éditde 1634 ne leur donne que 5 livres de diminution3 ; en 1682
elle décharge de sa taxe d'office un sieur Lemarié, archer du
grand prévôt, qui, avec sa femme, possède plus de 4000 1. de
rentes et fait valoir plusieurs fermes : l'intendant de Rouen est
obligé d'insister auprès de Colbert pour obtenir un arrêt du
conseil cassant celui de la Cour; sans cela, dit-il, la paroisse
de Lemarié sera consumée en frais4. Le conseil lui-même ne res-
pecte pas toujours le règlement : en 1671, par un arrêt, il annule
la taxe d'office mise par l'intendant de Caen sur un archer de la
maréchaussée en défendant « de le cotiser à l'avenir tant et si
longtemps qu'il possèderoit ladite charge et ne commettroit
dérogeance5 ».
Les gouverneurs des provinces avaient auprès d'eux des
gardes que l'on peut rattacher à la maréchaussée; ces gardes
étaient exempts de taille, mais un arrêt du conseil du 5 février 1663
rendu sur le rapport de Colbert défendit aux gouverneurs de
prendre pour gardes des taillables6; mais ce fut apparemment
sans résultat, car un autre arrêt du 17 mars 1670 ordonna aux
gouverneurs des provinces de fournir les états de leurs gardes
« pour estre mis es mains des intendans des provinces avec leurs
titres pour justifier leur prétendue exemption de taille et de
collecte, pour estre ensuitte ordonné par S. M. ce qu'elle avisera
bon estre7 ».
Les villes avaient chacune leur police particulière, mais dont
les agents tenaient leurs offices du roi. La déclaration de jan-
vier 1634 (art. 33) spécifiait que tous seraient taillables; une
Normandie avait arrêté que « les exempts et archers du guet ne jouiront d'au-
cune exemption non plus que les autres exempts et archers mentionnés audit
article » ; en revanche elle admettait que les 7 lieutenants de robe courte fussent
exempts. L'édit de mars 1667 révoqua l'exemption des officiers et archers du guet.
(Mém. Alphab., art. Chevaliers du Guet).
1. Registre du conseil de la Cour des Aides, 24 janvier 1662, 1° 51; il est curieux
de voir que la Cour trouve des textes de lois pour autoriser son arrêt, quoique
la déclaration citée plus haut soit formelle.
2. Ibid., f" 111, 6 février 1662.
3. Arrêt du 26 février 1675, Règlements de Normandie, p. 191.
4. Leblanc à Colbert, 12 septembre 1682, B. N. fr. 8 761 f° 26.
5. Règlements de Normandie, p. 192.
6. A. D. Calvados, élection de Caen, Registre d'ordonnances.
7. Clairamb., 659, p. 346, à sa date.
256 I.A TAILLE EN NORMANDIE.
seule exception était faite pour la poliee de la ville de Rouen :
la compagnie de la Cinquantaine et celle des 104 arquebusiers
avaient, de toute ancienneté, non seulement l'exemption de
taille avec permission de cultiver leurs terres pendant un an
comme tous les bourgeois de la ville, mais en outre celle de
faire valoir eux-mêmes tous leurs biens de la campagne sans
être imposés1. Lorsque le privilège des bourgeois de Rouen
en ce qui concerne la culture de leurs terres fut limité, en
août 16/3, ii l'étendue de l'élection de Rouen2, la même limite
lut fixée à l'exemption des cinquanteniers et arquebusiers :
l'édit ajoutait qu'ils devaient encore être nés dans la ville et
justifier de leurs titres et fonctions devant la Cour des Aides
de Rouen (art. 23) 3.
D. — EXEMPTIONS POUR ENCOURAGER
CERTAINS ACTES OU CERTAINES PROFESSIONS
L'opposition de Colbert aux exemptions de taille n'allait pas
jusqu'à en désapprouver le principe : il tâcha d'en réduire le
nombre, de supprimer celles qui étaient injustes, mais on ne
voit nulle part chez lui une intention d'abolir tout privilège
fiscal; lui prêter des théories égalitaires serait une erreur.
Il usa même régulièrement des exemptions pour favoriser tel
mode d'activité auquel il s'intéressait : commerce, industrie,
haras, peuplade, conversion des protestants. Cet usage était
d'ailleurs bien antérieur à lui : on avait déjà privilégié les maîtres
de poste, les salpètriers, les ouvriers en soie, les verriers *.
Les maîtres de poste avaient obtenu, par le règlement de
mars 1600 (art. 22) une diminution de taille de 20 1., mais l'édit
de janvier 1634 (art. 20) avait supprimé ce privilège, puis, une
déclaration du 20 décembre 1635 leur avait accordé l'exemption
totale moyennant finance; enfin l'exemption avait été révoquée
par un arrêt du conseil de 1646 qui leur permettait seulement
de cultiver en franchise 50 arpents de terre.
Colbert voulut favoriser cette profession qui devenait de plus
en plus utile à l'administration royale. Par une déclaration du
. 1. Mémoire de Voysin sur la Généralité de Rouen en 1665, p. 141.
2. Voir ci-dessous, p. 272.
3. Cette restriction des privilèges de la police rouennaise amena les protesta-
tions du parlement de Rouen : le président Pellol écrit à Colbert le 17 novem-
bre 1673 pour plaider la cause de ces personnages qui ne touchent aucun gage
et rendent de grands services à la ville; néanmoins Colbert ne revient pas sur
sa décision. Il est vrai que les privilèges des cinquanteniers et arquebusiers
demeuraient encore considérables. Voir Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 141.
4. Cf. édits de mars 1600, art. 32, janvier 1634, art. 13, etc. L'exemption des
salpètriers avait été définitivement révoquée par le règlement de janvier 163i,
art. 1 ô. Celle des verriers qui n'étaient pas nobles l'avait été en 1614 (art. 8).
LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 257
15 mai 1668, il leur accorda une réduction de taille de 30 1.,
puis, par un édit de janvier 1669, il les exempta entièrement
d'impôt en leur donnant la qualité de commensaux des Maisons
royales, et fixa la quantité de terre qu'ils avaient le droit de
cultiver sans perdre leur privilège à 60 arpents *. Mais cet
édit fut l'objet de vives remontrances de la part de la Cour des
aides de Rouen. Son procureur général, d'Héberville-Toustain,
écrit à Colbert le 25 février 1669 que, si le roi persiste dans sa
résolution, « les enfans des plus riches taillables se fairont
pourvoir de lettres de maîtres des postes, et ainsi il ni aura
personne dans les paroisses solvables sur lesquels les recepveurs
puissent mettre à exécution leur condamnation solidaire » ; il
est à prévoir que le nombre des maîtres de poste va s'accroître,
et le nombre des privilégiés, déjà trop grand dans la province,
deviendra excessif; enfin les maîtres de poste se trouvent par
l'édit plus avantagés que les commensaux, qui ne peuvent cul-
tiver en franchise que 2 charrues de terres2. Ces remontrances
eurent pour effet de faire rapporter l'édit, qui ne semble pas
avoir été enregistré dans la province 3.
Malgré ce retrait de l'édit il ne semble pas que les maîtres
de poste aient été imposés; les intendants reçurent des ordres
particuliers pour les protéger et leur faire accorder l'exemp-
tion. Le principal effet des remontrances de la Cour des aides
fut de provoquer des contestations entre les habitants de plu-
sieurs paroisses et les postiers. Le 24 avril 1681, Leblanc écrit
à Louvois que celui de Bourgthéroulde, « nonobstant les ordon-
nances de Messieurs de la Galissonnière et de Creil, a esté
si fatigué par les habitans que, voulant quitté et le sieur Pajot
qui a îcy la direction de la poste n'en pouvant trouver d'autres
dans l'appréantion d'estre maltraitez », il a dû rendre lui-même
plusieurs ordonnances pour lui accorder l'exemption, mais les
collecteurs se sont aussitôt pourvus à la Cour des aides qui va
condamner les maîtres de postes ; Leblanc demande un arrêt du
conseil pour terminer l'affaire en confirmant sa sentence; il
l'obtient le 6 mai suivant 4. Une déclaration du 30 juin 1681
leur accorda l'exemption totale en portant à 100 arpents la
quantité de terre qu'ils pourraient tenir à ferme en fran-
chise 5, en sus de leurs biens propres ; puis une autre déclara-
1. Il est à remarquer que cette quantité est fixée en arpents alors que pour les
autres privilégiés elle l'est en charrues.
2. M. G. 150bis, f° 604.
3. D'après la lettre de d'Héberville, 1er avril 1669, M. G. 151, f° 79. L'édit ne se
trouve pas dans les Règlements de Normandie : le voir dans G. d. T à sa date.
4. B. N. fr. 8 761, f°s 11 et 26.
5. S'ils tenaient une hôtellerie publique, cette quantité était réduite à 50 arpents.
Ceux qui demeuraient dans une ville franche eurent, « pour leur tenir heu de
l'exemption », une augmentation de gages de 100 1. (let. de Desmaretz, 1er juillet 1681,
B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 275).
LA. TAILLE EN NORMANDIE.
17
258 LA TAII.I.E EN NORMANDIE.
tion du 21 novembre 1683 éleva ce chiffre à 150 arpents '.
L'exemption de taille fut un des moyens que Colbert employa
pour favoriser l'établissement des manufactures dans les bourgs;
il n'avait pas plus de scrupules à l'accorder qu'à modifier les
tarifs douaniers en faveur des produits de ces manufactures.
Elle figure parmi les privilèges accordés au sieur Hinard et à
ses associés pour la manufacture royale de Béarnais 2. De même
le sieur Cossart et tous ceux qu'il emploiera. Français ou étran-
gers, dans la manufacture de draps qu'il établit à Fecamp, seront
« exempts de toutes tailles, subsistances et autres impositions
tant ordinaires qu'extraordinaires..., logement de gens de guerre
et généralement de toutes autres charges et contributions de
quelque qualité qu'elles puissent estre, et ce tant et sy longue-
ment qu'ils seront employez au faict de ladite fabrique et manu-
facture desdits draps, et qu'ils se trouveront comprins dans le
rolle et estât des ouvriers qui sera arresté et signé par le (dit)
sieur intendant des bastimens, arts et manufactures, sur le
mémoire qui luy en sera annuellement envoyé3 ». Les entrepre-
neurs de la manufacture de fer blanc d'Orléans sont exemptés*;
lorsqu'on projette de fonder des blanchisseries à Alençon, l'in-
tendant demande pour les entrepreneurs la même faveur.
A côté des exemptions totales, Colbert accorda aux manufac-
turiers des diminutions de taille. Le procédé était d'une appli-
cation difficile, en raison de la mauvaise volonté des collecteurs :
il lui fallut recourir aux taxes d'office, quoique les règlements
les eussent interdites pour diminuer un contribuable 5. C'est ainsi
qu'il invite l'intendant de Rouen à taxer modérément et à
exempter de la collecte les nommés Lemonnier, marchands de
drap à Elbeuf, « en faveur de leur travail et application aux
manufactures 6. » L'intendant de Caen en 1666 réduit l'imposi-
tion des marchands qui travaillent aux manufactures de draps et
de coton, récemment établies à Bayeux 7. La même année, Col-
bert prescrivait de son autorité propre, sans arrêt du conseil ni
lettres patentes, que la taille de huit marchands d'Elbeuf, asso-
ciés de Lemonnier, serait fixée une fois pour toutes au chiffre
Î[u'elle atteignait en 1665 tant qu'ils conserveraient leur manu-
acture. Leurs concitoyens, dans un placet, faisaient observer
que, outre l'injustice qu'il y avait à fixer à un taux très bas
1. Mém. Alphab., p. 424-427. L'exemption des maîtres de poste suscitera beau-
coup de plaintes dans la suite, notamment à l'assemblée provinciale de Haute-
Normandie (Procès-verbal de l'assemblée, p. 360).
2. Lettres patentes d'août 1664, Clément, t. II, p. 787.
3. Lettres patentes du 15 septembre 1665, A. D. S.-Inf., Mémoriaux de la Cour
des Aides, t. XLI, f 140.
4. Lettre de Daubray à Colbert, 4 septembre 1666, M. C. 140, f° 129.
5. Voir ci-dessous, chap. vi, 2* partie.
6. M. C, 136, f° 511, 26 février 1666. Cf. ci-dessus, p. 177, l'affaire de leur
exemption de collecte.
7. Lettre à Colbert du 29 novembre 1666, M. C, 142, f° 236.
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 239
l'imposition de marchands qui gagnaient plus de 10 000 1. par
an, il était à craindre que ceux-ci ne s'autorisent de leur privi-
lège pour acquérir beaucoup de biens taillables et les soustraire
ainsi à l'impôt; deux d'entre eux, disaient-ils, vont hériter de
leur beau-père qui est imposé à 120 I., et ce sera autant de taille
qui retombera à la charge des autres habitants l. Colbert main-
tint néanmoins cette faveur.
L'agriculture fut également aidée par de semblables modéra-
tions de taille. Afin d'indemniser les éleveurs d'étalons « des
soins qu'ils prendront pour faire réussir le dessein de Sa Majesté
pour le bien de son service et le public, » un arrêt du conseil
du 17 octobre 1665 les exempta de tutelle, curatelle, logement
de gens de guerre, guet et collecte des tailles, et en outre, il
leur accorda sur leur impôt une réduction de 30 1., laquelle serait
calculée « sur le pied de leurs taux de la présente année, sans
qu'ils puissent estre augmentés, sinon en cas d'augmentation
de biens et au sol la livre des impositions qui pourront estre
faites et ce, durant le temps qu'ils se trouveront chargés des-
dits estalons2 ».
Ici encore, il y eut opposition et réclamations des non-privi-
légiés : un propriétaire demeurant à Carentan était imposé
à 62 livres lorsqu'il prit un étalon en 1681 : l'année suivante
il fut, contrairement au règlement de 1665, imposé par les
collecteurs à 96 1., sous prétexte que son cheval « estoit vieux
et ne pouvoit plus servir » ; il en acheta un autre au prix
de 500 1., et se fit taxer d'office par l'intendant à 80 1., mais
les collecteurs l'imposèrent pour 1663 à 610 1. : c'est, écrivit
l'intendant, « un taux exhorbitant, non seulement pour ses
biens, qui sont médiocres, estant un marchand d'une petite ville,
qui assure ne pas avoir plus de six à sept cens livres de rente,
mais mesme est au-dessus de tout ce qu'il y a dans la généralité,
où il s'en trouve très peu qui aille à plus de 300 l.3 ».
Des renseignements analogues lui étant parvenus des autres
généralités, Colbert fit rendre l'arrêt du conseil du 28 octobre
1683 : désormais les propriétaires d'étalons auraient leur taille
réduite de 1/3 « sur le pied de ce à quoi ils sont taxez et
imposez en ladite année 1683 4 ». L'application de cet arrêt sort
des limites de notre étude, mais on peut dire que les difficultés
continuèrent : il faudra supprimer le privilège, par une déclara-
tion du 29 octobre 1689.
Les exemptions furent également employées pour encourager
le commerce de mer et l'engagement des matelots sur les
1. Placet du 25 janvier 1667, M. C, 143, f° 223-27.
2. Clément, t. IV, p. 569-70. Cf. un arrêt analogue du 29 septembre 1668 men-
tionné dans le Mém. Alphab., art. Haras.
3. Lettre de l'intendant de Caen, 9 novembre 1682, A. N. G7 213, en réponse à
une circulaire de Colbert du 28 octobre.
4. Mém. Alphab., art. Haras.
260 LA TAILLE EN NORMANDIE.
navires du roi. Le 7 décembre 1661, le commandeur de Neu-
ohèce avait déjà proposé à Colbert d'exempter de taille tous
les gens de mer pendant la durée de leur service, à quoi le
ministre répondait : « La proposition est trop étendue : il faut
la resserrer parmi les officiers et ceux des matelots qui se
signaleront dans les occasions les plus hasardeuses; et cepen-
dant l'on prendra soin de faire le département desdites tailles
avec tant d'équité que l'imposition ne sera que légère* ».
Colbert reprit le projet dès qu'il eut le secrétariat d'Etat de la
marine : en novembre 1666 il consultait les intendants de Nor-
mandie pour savoir s'il ne conviendrait pas d'accorder l'exemp-
tion aux matelots qu'on allait lever dans la province. L'inten-
dant de Caen répondit : « Le grand nombre de ceux qui
s'engageront dans le matelotage diminuant celuy des taillables
pouroit accabler ceux qui resteroient dans les parroisses » ; il
conviendrait mieux de réserver l'exemption à ceux qui s'enrô-
leront avant l'âge de vingt ans (on n'était taillable qu'à partir
de cet âge) en interdisant d'augmenter la taille des autres pen-
dant leur service et de saisir leurs biens pour les impôts; on
pourrait en outre exempter leurs veuves et ceux qui auraient
trente années de service4. Ces objections empêchèrent Colbert
de prendre une mesure générale; il chargea les intendants
d'exempter par décision particulière ceux qui s'enrôleraient
dans la flotte royale, sans qu'aucun droit ne fût reconnu par
une ordonnance3. En 166/ l'intendant de Caen exempta
43 matelots de sa généralité; d'après l'état fourni à Colbert,
la taille de ces hommes pour l'année 1666 s'élevait au total à
319 1. 3 s.*.
Préoccupé de favoriser la « peuplade », Colbert demanda à
ses conseillers quel moyen pratique on pourrait employer pour
« faciliter les mariages et rendre plus difficiles les vœux de reli-
gion » ; parmi les moyens il citait : mettre à la taille tous les
garçons à l'âge de vingt ans, exempter de taille jusqu'à vingt-
trois ans tous ceux qui se marieraient à vingt ans et au-
dessous, exempter aussi tous les cotisés qui auraient 10 enfants
vivants, etc. 5.
1. Publié dans Jal, Abraham Duquesne, t. I, p. 244.
2. Lettre de Chamillnrt à Colbert du 22 novembre 1666, M. C, 142, f 143-4. —
Cf. la lettre de Colbert à Colbert de Terron pour recruter des matelots en Aunis,
Cl. -m. III, 1" partie, p. 87.
3. Cf. une lettre du roi à l'intendant de Guyenne, 9 août 1668, Clém., t. III,
1" part., p. 87, note.
4. M. C. 14."), f° 266-9, lettre du 10 août 1667; ces matelots étaient exemptés par
la simple autorité de l'intendant; toutefois, dans une note placée au dos de l'état
ci-dessus indiqué, Marin fait observer que « pour faire passer les reprises (dans
les comptes des receveurs), il fault un arrest du conseil » ; d'autres fois le privi-
lège fut accordé par un acte législatif, mais particulier à une région ou à une
époque déterminée; cf. l'édit de mai 1670 pour la levée des matelots en Provence
dans Clément, t. III, 2' part., p. 663-5.
5. Mémoire de Colbert, Clém., t. VI, p. 12-13. Ce mémoire n'était pas adressé
seulement à de Gomont, qui était son parent, mais aussi à divers autres juris-
LES EXEMPTS PAR LA FONCTION. 261
Aux intendants, Colbert soumit un projet un peu différent : on
exemptera de taille jusqu'à vingt-cinq ans tous ceux qui se marie-
ront avant vingt et un ans; tout garçon non marié à vingt ans
payera la taille i; tout père de famille ayant 10 enfants légitimes
vivants et non religieux sera exempt de collecte; s'il en a 12, il
sera exempt de taille. Les réponses à ce questionnaire nous ont
été conservées par Clairambault2 : Les intendants de Normandie
font observer que dans la province l'usage est que tout homme
marié ou non paye la taille à vingt ans, tandis que dans le
ressort de la Cour des aides de Paris un garçon non marié ne
paye rien et un homme marié est imposé quel que soit son
âge; l'effet de la législation projetée ne sera donc pas le même
dans les deux régions; il est à prévoir qu'en Normandie le roi
perdra beaucoup car, suivant l'intendant d'Alençon, certaines
gens trouveront ainsi le moyen de s'exempter toute leur vie :
« En cette province, dès le moment qu'un homme a un peu de
bien, il songe à prendre une charge dans les maisons royalles ; mais
ce desseing, s'il n'y avoit point d'abus, n'auroit pas souvent son effect
par la précotion que l'article 33 du règlement de 1664 y a apporté,
estant nécessaire qu'ils prennent des charges avant vingt ans ; autre-
ment ayant esté imposés à la taille, ils ne peuvent plus avoir exemp-
tion que de 10 1. Et sy ces articles estoient receus en Normandie,
acheptans des charges à vingt-quatre ans ils ne seroient plus subjets
à la taille, comme n'y ayant jamais esté imposez 3 ; »
quant à l'exemption de collecte aux pères de 10 enfants, si l'on
ne veut pas qu'elle soit au détriment de ceux à qui on l'accor-
dera, il faut ajouter qu'ils ne pourront être augmentés à la taille
que proportionnellement à l'accroissement de leurs biens et de
l'imposition de la paroisse; sinon « cette faveur leur deviendra
inutile parce que, n'estans plus collecteurs, on les ruineroit
d'ailleurs à la taille* ». Le même intendant propose d'imposer
les filles non mariées qui auront plus de vingt ans, car, sui-
vant l'usage du pays, elles ne sont pas imposables avant leur
mariage, même si elles font du commerce. L'intendant de Caen
désapprouve nettement l'intention de pousser les jetines gens au
mariage : « cela les detourneroit d'aller à la guerre et de
s'adonner à la navigation, l'une et l'autre profession aiant pour
fondement le libertinage qui convient plustost aux garçons qu'aux
hommes mariez » ; en outre, selon lui, il ne faut pas laisser enten-
dre qu'on veut favoriser les nombreuses familles « en haine de
consultes. Voir les réponses de ceux-ci dans le vol. Glairamb. 463. Le Camus
communique à Colbert le 3 août 1666 un arrêt du conseil « par lequel il paroist
que l'usage de la province de Bourgoigne a toujours esté de donner l'exemption
de taille à ceux qui auroient 12 enfants. » (M. C. 139, f° 35).
1. Clém. II, p. 68; ce projet est du mois de novembre 1666.
2. Clairamb. 791.
3. Ibid., p. 92-3.
4. Ibid., p. 94, même lettre.
262 LA TAILLE EN NORMAND! I .
la condition des prestres, religieux et religieuses »; il propose
d'exempter de taille tout le monde indistinctement jusqu'à l'âge
de vingt-rinq ans, et d'imposer tout le monde au delà1.
Malgré ces objections, Colbert publia la déclaration de novem-
bre 1666 : contrairement à ce qu on dit habituellement, elle ne
s'appliquait pas à l'ensemble du royaume, mais seulement,
semble-t-il, au ressort de Paris8. En Normandie du moins elle ne
fut ni enregistrée ni appliquée : un édit spécial à la province fut
expédié en juillet 16o7, qui n'accordait aucune exemption de
taille ni de collecte, se bornant à promettre des pensions aux
habitants des villes franches et aux gentilshommes qui auraient
beaucoup d'enfants 3. L'usage de la province tel qu'il est indiqué
plus haut fut donc maintenu; d'ailleurs dans le ressort de la
Cour des Aides de Paris la déclaration de 1666 fut rapportée
en janvier 1683 en raison des abus que l'on avait constatés dans
l'application *. L'édit de juillet 166/ ne fut peut-être pas davan-
tage appliqué : le 16 septembre 1670 l'intendant de Rouen
demandait à Colbert « si l'intention de Sa Majesté est toujours
que ceux qui ne sont point gentilshommes jouissent des privi-
lèges qui leur sont accordés par ses déclarations, n'en ayant
pas fait quand à présent estât pour ne pas diminuer le nombre
des taillables, outre qu'il s'en est peu présenté »; et il envoyait
une liste de cinq gentilshommes ayant plus de 10 enfants8.
En dehors des cas réglés d'exemptions il arrivait que les
ministres fussent amenés à en accorder à des individus par
simple faveur, comme ils en accordaient à certaines paroisses.
Par exemple Colbert écrit ;> l'intendant de Rouen le 20 juil-
let 1674 : « Le sieur de Roberval, l'un des professeurs de l'aca-
démie royale des sciences, m'ayant donné le mémoire cy-joint
1. B. N. Clairamb., 791, p. 103 bis; le mémoire n'est pas signé, mais il est de
l'écriture de l'intendant Chamillart. La grande majorité des intendants furent
E a reillement hostiles ù la concession de nouvelles exemptions ; ainsi pour celui de
anguedoc la réforme « emporterait la moitié des paroisses », car on se marie fort
jeune dans le midi et c'est « une chose très commune d'avoir 10 ou 12 enfants ».
(Clair., 791, p. 30). Ponr celui d'Auvergne, l'impôt des hommes non mariés, dans
le ressort de la Cour des Aides de Clermont, forme < plus du septiesme de la
taille. > Il ajoute que si l'on exempte ceux qui se marient de bonne heure, ils ne
s'engageront plus dans les armées du roi, et cela fera trop de bras dans les vil-
lages; il y a une quantité d'enfants mendiants dans la province, elle est < si
peuplée que, quand les maladies populaires emportent beaucoup d'enfans, l'on
yeoid les pères s'en consoller aisément. » (Ibid., p. 109-117). Pour celui de Bourges
il faut craindre que les parents ne fassent des donations fictives de leurs biens
à leurs enfants pour ne pas payer l'impôt (Ibid., p. 105-107), etc.
X. Et encore avec quelques restrictions, voir C. d. T., t. II, p. 12-14.
3. A. D. S. Inf. B 84, P8.
4. Clément, t. II, p. 119, n. 2; des 1677, on songeait à suspendre l'application
de la réforme et peut-être fut-elle réellement suspendue à cette date. Voir un
projet d'arrêt du conseil dans Clair., 797, p. 143, suspendant l'exécution de la
déclaration de novembre 1666 jusqu'à la paix; il n'est pas sûr qu'il ait été réelle-
ment expédié.
5. Clairamb., 792, p. 301.
LES EXEMPTS PAU LA FONCTION. 263
je vous prie de faire en sorte que ses neveux ne payent point
de taille pendant une année ou deux, jusqu'à ce qu'il ayt trouvé
des fermiers pour ses biens *. » Mais ces faveurs étaient relati-
vement rares.
• Le règlement de janvier 1634 disait : « Nul ne poura être
exemt des tailles par le simple consentement des habitans des
paroisses, ni abonné par eux à certaines sommes pour toutes
tailles au préjudice des autres, ains chacun habitant sera taxé
selon ses facultez » (art. 35). La même prescription est reprise
dans le règlement de 1643 (art. 30) et dans un arrêt du conseil du
19 avril 1663, qui annule tous les abonnements de ce genre et
interdit aux maires, syndics et échevins d'y avoir égard, quand
même ils seraient homologués par des sentences ou des
arrêts2. Mais malgré cette défense les paroisses avaient l'habi-
tude d'accorder des exemptions et des réductions de taille;
comme d'ailleurs les habitants étaient collectivement respon-
sables de l'impôt mis sur leur paroisse, l'exemption accordée à
un des leurs ne portait préjudice qu'à eux-mêmes; le gouverne-
ment tolérait donc les dérogations à l'édit de 1634.
En 1665 les habitants de Bayeux, par une délibération du
4 février, font venir de Rouen en leur ville un apothicaire « pour
la nécessité quis en avoient en icelle ville de Bayeux » en lui
promettant « pour luy tenir lieu de gaiges et récompense, qu'il
ne seroit travaillé ny surchargé des tailles et impositions de
ladite ville », et ils fixent « sa taille et son taux pour autant qu'il
y demeure roit... à 10 1. par chacun an pour toutes contributions
aux tailles et autres levées de ladite ville ». C'était donc un véri-
table abonnement à la taille; il fut confirmé par un arrêt du
conseil, et en 1665 un collecteur de Bayeux ayant voulu malgré
ce contrat imposer l'apothicaire à plus de 10 1., il en résulta
un procès qui alla jusqu'au conseil d'Etat : l'arrêt du 19 jan-
vier 1666 confirma le contrat et cassa la cote fixée par les col-
lecteurs 3.
Un contrat semblable est conclu en 1678 par les paroissiens
de Rots avec le sieur Jean Dessillons, chirurgien de Caen, qui
s'engage à venir résider dans la paroisse « pour aider et assister
les malades » ; en échange il pourra « faire valoir les héritages
1. Clément, t. V, 486 n. 2.
2. La Poix de Fréminville, Traité général des Communauté» d'habitants, p. 240.
— Cf. Lebret, 22e action : « Nous ne 'oyons point qu'en ce royaume les méde-
cins aient jamais joui de ce privilège d'immunité attribué à leur ordre par l'an-
cien droit de Rome, car ils ne jouissent d'aucune exemption sinon de quelques
charges personnelles, comme de l'assiette et collecte de taille, étant au reste
asservis et sujets au paiement d'icelles ni plus ni moins que tous les autres rotu-
riers et taillables, et dont seulement sont exceptés les médecins du roi, non encore
fiour estre médecins, mais comme serviteurs domestiques de la maison royale. »
Œuvres, p. 492).
3. A. D. S. Inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XLI, f° 45-6.
Ml LA TAILLE EN NORMANDIE.
qu'il v peut avoir » sans ii l'avenir « estre aucunement inquiété
ny pour la taille ny sel, soit dans aucun rosle, ny en ayde, ny
autrement1 ». Pareillement, les habitants de Honfleur, le
23 octobre 1680, s'engagent à ne pas imposer à plus de 20 ou
30 sous le médecin Jean Barbel, « en considération de ce que
ledit Barbel donne gratuitement ses soins aux pauvres », et cet
abonnement est homologué par le Conseil*.
Les contrats de ce genre, assez fréquents3, sont parfaitement
admis dans la pratique. Les intendants accordent eux-mêmes
des diminutions de taille à des médecins et chirurgiens, par le
moyen des taxes d'office : par exemple a Bayeux, en 1683, trois
médecins sont taxés respectivement à 1 1., 3 1. et 16 1. 10 s.*.
Le jurisconsulte La Poix de Fréminville écrit, après avoir noté
les articles de règlements interdisant l'abonnement : « Il y a
cependant des cas où il convient d'abonner et fixer la cote de
2uelques particuliers tels qu'un horloger ou serrurier habitans
une ville... sans lequel abonnement il en coûteroit à la ville
une somme qu'il faudroit imposer sur le général des habitants :
il en est de même d'un tambour de ville ». La seule condition
qu'il réclame pour la validité du contrat est qu'il soit approuvé
par l'assemblée des habitants et homologué par l'intendant, « et
pour lors, dit-il, les collecteurs et les officiers sont en règle5 ».
III. — LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE
Un groupe considérable d'exempts est formé par les habitants
de certains lieux privilégiés : c'est leur domicile qui leur confère
l'exemption. On peut diviser ces lieux en deux catégories : les
pays exempts de taille, et les villes franches.
Il existe en Normandie un pays exempt de taille, c'est la prin-
cipauté d'Yvetot. Jamais cette ancienne seigneurie ne paya
d'impôts au roi. Ses privilèges avaient été consacrés par les
lettres-patentes du 14 juillet 1450, délivrées après l'expulsion
des Anglais; tous les souverains, dans la suite, les avaient con-
firmées. Une enquête ordonnée par Louis XI en 1462, notam-
ment, avait établi que « toutes fois qu'il a pieu au roy nostre
1. Délibération des habitants, 18 janvier 1678, A. Mun. BB. 7.
2. Bréard, Les archives de la ville de Honfleur, p. 135; Clairamb., 659, p. 260.
3. Nous n'avons pas toujours le texte des contrats, mais on en trouve la trace
dans les râles, où les chirurgiens, apothicaires, maîtres d'école, etc. sont taxés à
de très faibles sommes : ainsi à Saint-Lucien de Barq, élection de Neufchàtel,
en 1670, Jacques de Fontaine, chirurgien, est imposé à 1 sou (A. D. S.-Inf., C, 2673).
4. Rôle des taxes d'office de la généralité de Caen, A. N. G? 213.
5. Traite général de* Communautés d'habitants, p. 241. Voir encore un contrat
passé par les habitants de Cloyes (Eure-et-Loire) le 21 décembre 1687 avec un
horloger pour entretenir l'horloge communale moyennant l'exemption de tout
impôt, dans A. Mater, Le socialisme conservateur, p. 280; cf. aussi Viollet, Histoire
des Institutions de la France, t. III, p. 58, n. 5.
LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE. 265
seigneur imposer aucune ayde ou taille en son royaume, sei-
gneurie et territoire, ils n'ont eu aucun cours en icelle terre et
seigneurie d'Yvetot, mais en a esté tousjours exempte J ». Lorsque
le taillon fut institué, en 1557, le roi déclara expressément que
la principauté n'y contribuerait pas; les révocations générales
de privilèges prononcées en 1600 et 1640 avaient fait exception
pour Yvetot; de très nombreux arrêts du Conseil et de la Cour
des aides, des sentences du Bureau des finances et de l'Election
de Caudebec avaient conservé intactes, jusqu'à l'époque de
Colbert, les franchises du pays2; en dernier lieu une sentence
du Bureau des finances l'avait déchargé, en 1664, de la Subsis-
tance que le roi voulait y imposer3. Mais si la politique royale
n'était pas parvenue à supprimer ces franchises, elle avait du
moins réussi à réduire l'étendue où elles s'exerçaient : de toutes
les paroisses relevant du fief primitif, deux seulement, Saint-
Clair-sur-les-Monts et Sainte-Marie-des-Champs, avaient conservé
l'exemption au xvne siècle, en dehors du bourg d'Yvetot4. Ces
privilèges attiraient la population dans le pays s ; toutefois ils
étaient en partie compensés par les droits assez élevés que le
seigneur y percevait.
Sur les confins de la Normandie existaient deux pays exempts
de taille, la Bretagne et le Boulonnais. Ils avaient une influence
sur l'impôt de la province, parce qu'ils servaient de refuge à des
contribuables qui voulaient échapper au fisc : les taillables
des régions limitrophes allaient y demeurer — ou y faisaient des
translations de domicile fictives — tout en conservant et exploi-
tant leurs terres en Normandie. Comme la qualité de tail-
lable était attachée au domicile c, ces fugitifs devenaient exempts,
et les paroisses normandes où leurs biens étaient placés s'en
trouvaient accablées. Cette situation avait été signalée au roi par
les commissaires au régalement des tailles en 1634, et l'arrêt
du conseil du 27 novembre 1641, pour y remédier, avait ordonné
« que tous ceux qui feroient valoir terres ou fermes assises au
dedans des paroisses taillables payeront la taille à proportion
des autres taillables d'icelle paroisse, eu égard aux terres et
héritages dont ils dépouilleront les fruits; lesquels fruits ils ne
pourront enlever desdites paroisses taillables, sinon en payant
au préalable les sommes auxquelles ils auront été cottisés esdites
1. Beaucousin, Hist. de la principauté d'Yvetot, ses rois, ses seigneurs, Rouen et
Yvetot, 1884, p. 297 et suiv. Voir ibid.rp. 292 les let. pat. de 1450. Cf. Duplessis,
Description..., t. I, p. 187; De MasseviUe, Etat géographique de la province de
Normandie, Rouen, 1722, t. I, p. 331 ; Voysin de la Noiraye, Mémoire sur la géné-
ralité de Rouen, p. 150.
2. En voir l'énumération dans Duplessis, Description..., t. I, p. 187.
3. Arch. S. Inf. C, 1167, fol. 39, Voysin de la Noiraye, Mémoire..., p. 150.
4. De MasseviUe, Etat géographique, t. I, p. 331. Au xviii" siècle, ces deux
paroisses perdirent même leurs franchises (Duplessis, Description..., I, p. 187).
5. Duplessis, ouv. cit. p. 189,
6. Voir ci-dessous, chap. vr, lre partie.
■2Ct\ |.A TAII.I.K I.N MMIMAMUL
paroisses, en donnant caution valable1 ». Cette disposition,
reprise par le règlement du 16 avril 1643*, était une dérogation
grave au principe de la taille personnelle, car elle transformait
l'impôt en une taxe sur le revenu foncier, comme dans la taille
réelle, mais elle eut l'avantage de supprimer les fuites de contri-
buables : du moins on ne trouve aucune plainte à ce sujet au
temps de Colbert.
Certaines villes avaient aussi le privilège de ne pas payer la
taille. Les juristes le justifiaient en rappelant que la ville de
Rome l'avait possédé, et que les grandes villes avaient toujours
été jugées dignes de faveurs spéciales3. En réalité, elles devaient
leur exemption à des circonstances très diverses. Les unes
avaient toujours échappé à l'impôt, à cause de leur importance :
Paris, Lyon, Rouen, étaient dans ce cas; d'autres avaient obtenu
cette faveur en échange de leur soumission au roi, ou en vertu
d'un traité conclu lors de leur annexion au royaume; d'autres la
devaient à une protection spéciale : par exemple la ville de
Richelieu, lors de sa fondation par le Cardinal4; d'autres encore
supportaient des charges ou payaient des droits équivalents à la
taille; d'autres enfin avaient acheté leur franchise à prix d'argent.
Le roi avait spéculé sur ces privilèges comme sur tous les autres;
un édit de novembre 1640 avait révoqué en bloc les exemptions
de toutes les villes sauf Paris, Rouen, Le Havre et Quillebeuf,
mais il voulait uniquement les forcer à racheter leurs fran-
chises, et toutes celles qui l'avaient pu s'étaient exécutées 5.
Voici les villes de Normandie qui étaient franches :
Rouen avait été exempte de taille dès l'origine. Son privilège
avait été reconnu par une ordonnance de mars 1351, et l'éait
de janvier 1634, après beaucoup d'autres, l'avait confirmé. La
franchise s'étendait non seulement à la ville, mais encore à une
vaste banlieue, dont les limites provoquaient des contestations.
Dès le xne siècle, la règle était établie que la banlieue s'étendait
jusqu'à 1000 perches des murailles de la ville6, mais les chan-
gements de l'enceinte et la difficulté de faire des mesures exactes
avaient rendu ces limites incertaines. De nombreux procès furent
soutenus à la Cour des aides par diverses paroisses pour obtenir
1. Art. 8 (Néron, Recueil, t. II, p. 665).
2. Art. 20 (C. d. T., t. I. p. 388).
3. « Nous apprenons de nos livres, dit Lebret, qae de tons tems les villes les
pins célèbres ont été honorées de plusieurs grans privilèges... et, à vrai dire,
si entre les personnes privez on répute ceux-là dignes de quelque privilège spécial
qui ont une vertu éminente et qui s'emploient au service de la chose publique,
pourquoi ne seroit-il plus séant et plus raisonnable d'en honorer les villes capi-
tales, vu qu'elles sont les principale» colonnes ou fondemens d'un Etat.... Rome
de tout temps, pour la révérence de sa grandeur fut rendue exempte de tous
tributs. » ((Miuvret, éd. 1689, p. 486). Cf. Ragueau, Glossaire, au mot Taille.
4. Let. pat. du 11 janvier 1635 (Mém. alphab., p. 363-364).
5. V. la formule d une concession de franchise de taille vers cette époque dans
les papiers de Le Tellier, B. N. ms. fr. 4266, fol. 14-16.
6. L. Delisle, Condition de la classe agricole, p. 10.
LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE. 267
leur annexion à la zone, ce qu'elles considéraient comme un
grand privilège1. Au temps de Colbert, la liste de ces paroisses
privilégiées fut définitivement arrêtée : elles étaient au nombre
de 29 2; d'après le tableau dressé en 1709 par Saugrain, elles
comprenaient 4 020 feux, soit de 15 à 20 000 habitants.
Dieppe n'a « jamais contribué au fardeau des tailles 3»; par
les lettres patentes du 26 septembre 1463, le roi s'était engagé à
ne jamais y lever « tailles, impositions, gabelles, quatriesmes,
et autres subsides quelsconques », en considération de la bonne
conduite des habitants pendant la guerre, et aussi pour les
engager à bien entretenir leurs fortifications *. Louis XIV à son
avènement avait confirmé cette exemption, en raison, disait-il,
« du bon et fidelle devoir que lesdits habitans et bourgeois ont
tousjours fait, comme encore ils continuent, à la conservation de
ladite ville sous notre obéissance5 ». Le faubourg du Pollet avait
été longtemps distinct de la ville, et encore au xvme siècle il
dépendait, pour le spirituel, de la paroisse de Neuville; mais
Henri IV, en le faisant fortifier, lui avait accordé tous les privi-
lèges de la ville, en 1589; cette concession avait été confirmée
malgré l'opposition de l'archevêque de Rouen, seigneur de
Dieppe6, et les habitants jouissaient paisiblement de leurs
franchises au temps de Louis XIV.
Le Havre avait été déclarée exempte dès sa fondation, pour
développer son commerce, et l'édit de novembre 1640 l'avait
exceptée de la révocation générale 7.
Granville était privilégiée parce qu'elle était une place forte
importante. Charles VII lui avait accordé la franchise, et tous
ses successeurs l'avaient confirmée; en dernier lieu l'arrêt du
conseil du 18 août 1674 imposait en échange aux bourgeois de
1. Y. P. Duchemin, Histoire de St-Eiienne-du-Rouvray, Rouen, 1892, p. 33 et
suiv., comment cette paroisse parvint, en 1571, à se faire annexer. En 1634, les
commissaires au régalement des tailles avaient mission de réduire la banlieue à
ses limites fixées par la coutume. (Arch. mun., Rouen, liasse 183, pièce 3). En
1635, un arrêt de la Cour des aides déclare comprises dans la zone « les maisons
qui sont dans les bornes de l'ancienne mairie, et le reste du bourg de Dernetal »
(Règlements de Normandie, p. 108). D'autres arrêts des 14 août 1653 et 28 jan-
vier 1662 incorporent également Isneauville et Quièvreville-la-Milon (Mémoriaux
de la Cour, à leur date). Cf. De Beaurepaire, Cahiers des Etats... t. I, p. 249-255.
2. V. cette liste dans Saugrain, Nouveau dénombrement du royaume..., éd. 1735,
2° part., p. 2, dans Duplessis, Description..., t. II, p. 769, et la carte de l'élection
de Rouen, dressée en 1683 par Lamotte (B. N. cartes, Ge DD 2023). Sur les avan-
tages de ces paroisses, v. Vauban, Dixme royale, p. 59-61.
3. Journal de J. Masselin, éd. Bernier, trad. fr., p. 547.
4. Voir ces lettres patentes et les au 1res actes relatifs aux franchises de la
ville dans le Recueil général des édits... donnés en faveur des habitants de la ville
Dieppe, concernant les privilèges, franchises et exemptions de ladite ville, Dieppe,
1700, in-fol. Cf. Desmarquets, Mémoires chronologiques pour servir à l'histoire de
Dieppe, Paris, 1785, 2 vol. in-12.
5. L. pat. d'août 1643, dans le Recueil général... des privilèges, à leur date.
6. Duplessis, Description..., t. I, p. 129.
7. Mémoire de Yoysin de la Noiraye, p. 144. Cf. Bourély, Hist. de la ville du
Havre, t. I, p. 480. Lefebvre de la Bellande, ouv. cité, 1" part., p. 290-292.
Ml LA TAILLE EN NORMANDIE.
se tenir en tout temps armés et « munitionnés »; ils devaient
entretenir leurs murailles à leurs irais1.
Chehuourg et le Mont Saint-Michel étaient dans le même cas.
Alençon avait été franche jusqu'en 1640, mais ledit général de
révocation des privilèges l'avait remise à la taille : elle n'avait
obtenu que l'avantage de lever sa contribution par un « tarif* ».
Un arrêt du conseil du 13 mai 1665 réunit ces droits à la ferme
des aides, de sorte que, nominalement, la ville se trouva exempte
de taille, tout en payant la même imposition au Trésor 3: les
contribuables n'étaient pas soulagés d'un sou \
Malgré ces concessions et confirmations solennelles de privi-
lèges, les rois n'avaient pas renoncé à tirer de l'argent des
villes franches : ils y percevaient d'autres impôts qui équiva-
laient largement à la taille. On vient de voir ce qui se passa
pour Alençon; il en avait été de même pour toutes les autres
villes; elles avaient été soumises à des taxes extraordinaires
sous le nom d'« ustensile » ou de « subsistance des gens de
guerre » : ainsi Rouen paya jusqu'à 120 000 1. chaque année,
•ieppe jusqu'à 50000 1., le Havre, 12 000 5, etc. Seules, Yvetot,
Granville et le Mont Saint-Michel ne payèrent jamais rien. Ces
taxes furent levées jusqu'en 1665; à cette date — vers le même
temps que l'on modifiait le régime d' Alençon — on cessa de les
percevoir, mais pour lever à la place des droits sur les mar-
chandises : on ne faisait que remplacer un impôt direct par
un impôt indirect, sans réduire les revenus royaux. L'édit de
décembre 1663 avait attribué au roi la moitié de tous les droits
d'octroi levés dans les villes6; en outre dans chacune d'elles, les
tarifs furent remaniés à l'avantage du Trésor : à Rouen, les
droits sur l'entrée des cires et sucres furent enlevés à la ville
en 1665 7, le tarif de l'octroi revisé en 1667 8, et les droits
d'aides considérablement accrus par l'ordonnance de juin 16809;
1. Arch. S. Inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XLIII, fol. 146.
2. Etabli par arrêt du Conseil du 1" juin 1658 (Encycl. méthod., t. III. p. 703),
Sur les « tarifs », voir ci-dessous, chap. vu. Les droits du tarif d'Alençon se
trouvent dans Lefebvre de la Bellande, puv. cit., 1" part., p. 292-.93.
3. A partir de 1666, il est spécifié dans la commission des tailles que la ville est
« déenargée de la taille.., au moyen de ce que les droits du tarif establis en
ladite ville pour le payement de ladite taille ont esté joints a la ferme générale
des aydes ».
4. En plus de cette liste, on a des villes exemptes de taille, mais qui payent
tous les ans la • subsistance des gens de guerre » ; ce sont : Honfleur, Quiilebeuf,
et Argentan. Comme cette somme était imposée avec la taille et levée de la même
façon, elle peut être considérée comme une véritable taille.
5. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 137-144. Cf. les plaintes des babitants
de Houen en 1643, dans De Beaurepaire, Cahiers..., règne* de Louis XIII et
Louis .XIV, t. III, p. 287, et dans Félix, Comptes rendus des échevins de Rouen,
t. II, p. 152, 170, 177, 191, etc.
6. Lefebvre de la Bellande, ouv. cité, 1™ part., p. 282.
7. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 137.
8. V. ce tarif, dans les Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XLII, f" 118-121.
9. V. cette ordonnance dans le Recueil des ordonnances... sur le fait des aides de
LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE. 269
en 1672 Pellot estime qu'à Rouen le roi retire de tous ces droits
« plus de deux millions de livres » *, A Dieppe, les droits
d'aides et d'octroi furent également accrus 2, bien que Colbert
voulût favoriser la ville pour développer son commerce 3. Au
Havre, les droits sur les boissons atteignent un taux considé-
rable. A Alençon, les droits du tarif vont en augmentant avec
les années. En définitive, la condition des villes franches est
très voisine de celle des villes « tarifées », que nous étudierons
plus bas.
Malgré ces aggravations de charges, les villes s'estimèrent
heureuses du changement. Sans doute, elles auraient préféré ne
rien payer, et elles ne manquaient pas de réclamer des dégrè-
vements, mais les taxes sur les marchandises leur paraissaient
infiniment moins onéreuses que la taille. Rien n'était plus
détesté des contribuables que les « capitations », c'est-à-dire les
impôts directs, on le verra plus loin*; aussi, la population
affluait-elle dans les villes franches; le chevalier de Glerville
l'observe en 1664 : « La charge des tailles qui se payoient cy-
devant en Normandie a attiré dans Dieppe et dans les villes
franches ou abonnées une si grande quantité du peuple de
la campagne, qu'il n'y a que le commerce desdites villes, et
principalement des ports, qui le puisse nourrir 5 ». Cette déser-
tion des campagnes avait le grave inconvénient de réduire le
produit de la taille, aussi Colbert avait-il projeté, avant son
arrivée au gouvernement, de « faire une révocation générale de
tous les anranchissemens donnés aux villes, avec ordre aux
maîtres des requestes, etc., de tenir la main à ce qu'elles soyent
imposées selon leurs forces 6 » ; mais il changea d'avis par la
suite, en y établissant des impôts sur les consommations : en
laissant aux bourgeois l'exemption de taille, il leur épargnait
les vexations de la levée, et relevait leur condition sociale. En
cela, sa politique fut bienfaisante, quoiqu'elle perpétuât des
injustices et entraînât des aggravations de charges pour les
contribuables.
Les mêmes difficultés qui se présentaient pour les pays
exempts se rencontraient dans les villes franches : elles pou-
Normandie, Rouen, 1717, in-12, p. 11-16. Cf. Lefebvre de la Bellande, ouv. cité,
1" part. p. 136 et 403.
1. Depping, t. III, p. 220.
2. Lefebvre de la Bellande, ouv. cité, p. 287-290.
3. Cf. une lettre du duc de Montausier à Colbert, 7 juin 1665, où il rend compte
de ses conférences avec les représentant! de la ville sur les moyens d'y déve-
lopper le commerce : les habitants se bornent, dit-il, à demander « force
descharge d'impositions », et il conclut : « Il n'y a rien à faire avec eux ». (M.
G. 130, fol. 114). En 1672, Colbert s'indigne que les habitants sollicitent des
diminutions d'impôts au lieu d'armer des vaisseaux, et il les menace du logement
des gens de guerre (Clém., II, 428, note).
4. Ci-dessous, chap. Vil ; cf. Mémoire de Voysin, p. 137.
5. Mélanges publics par la Société d'histoire de Normandie, t. I, p. 263.
6. Clém., t. II, p. 198.
LA TAILLB EN NORMANDIE.
vaient servir de refuge à des taillablcs de la campagne qui vou-
laient se soustraire à l'impôt. C'est pourquoi le règlement de
janvier 1634, à l'art. 60, n'accordait la franchise à ces contri-
buables qu'après dix ans de résidence dans la ville : pendant
les dix années, ils demeuraient taillables dans leur paroisse
d'origine, où ils ne pouvaient être taxés à plus forte somme que
l'année de leur départ '. Pareillement, lorsque le fils d'un
taillable venait résider dans une ville franche avant sa majo-
rité, il ne devenait exempt que dix ans après 2. Lorsque la veuve
d'un taillable se retirait dans une ville franche dans les quarante
jours qui suivaient la mort de son mari, elle devenait exempte
sans délai, si elle ne cultivait pas elle-même des terres à la cam-
pagne3. Enfin, quand un bourgeois de ville « tarifée » passait
dans une ville exempte, l'usage était de lui accorder l'exemption
sans délai4.
Les violations de ces règlements étaient fréquentes. Beaucoup
de gens acquéraient un domicile en ville, et demeuraient « la
plupart de l'année aux champs »; ils n'étaient bourgeois « qu'aux
bonnes festes seulement 6 », et la Cour des aides par ses arrêts
leur reconnaissait volontiers la qualité de bourgeois. On les
désignait communément sous le nom de « bissaquiers 6 ». En
1662, l'intendant de Rouen écrit :
« Les paysans riches envoyent leurs enfants dans ces villes [franches]
pour y acquérir leur aage de majorité, lesquels louent une chambre
et se rendent a Noël et a Pasques dans lesdites villes pour faire co-
gnoistre qu'ils y sont bourgeois, et le reste du temps demeurent à la
campagne, et quoyqu'ils afferment leurs terres par intelligence, ils les
donnent a des gens de néant ou a des habitants enroolles hors les
paroisses ou leurs terres sont scituées, se servant seulement de leurs
noms, eux estant les véritables laboureurs. »
Cela, ajoute l'intendant, « ruine beaucoup les taillables de la
1. Ceci pour éviter les vexations des collecteurs contre des absents qui ne pou-
vaient ni se défendre ni devenir collecteurs à leur tour. Un habitant de Vatteville
ayant quitté sa paroisse pour aller demeurer au Havre avait vu sa cote passer de
19 1. 2 s. à 64 1. : un arrêt de la Cour des aides réduisit son impôt à 19 1. 2 s. le
18 janvier 1662 (A. D. S.-Inf., Registres du Conseil de la Cour, à sa date).
2. Let. pat. d'août 1664, art. 25.
3. Même règlement, art. 26.
4. De Boislisle, Corresp. des contr. généraux, t. I, n" 369 (au sujet d'Alençon).
5. Parce qu'ils justifiaient de leur qualité de bourgeois par des certificats des
curés attestant qu ils avaient communié en ville les jours de grandes fêtes.
6. Moisant de Brieux. Les origines de coutumes anciennes, Caeu, 1672, réédité
par de Beaurepaire et Garnier, Caen, 1874, p. 206 : « Pour le mot de bissaquier,
nous nous en servons icy a designer les faux bourgeois, autrement, les bourgeois
du samedy; ces gens qui, le bissac plein de provisions pour un jour ou deux, se
rendent ù la ville le samedy, ou la veille de quelque feste, afin d'assister au
sermon, communier, se montrer un peu le nez sur la Bourse, et tâcher par là de
conserver ou d'acquérir le privilège, dont jouissent les véritables citoyens. Privi-
lège si rare et singulier, qu'il fait de tous nos bourgeois autant de gentils-hommes,
qui peuvent labourer leurs terres sans payer la taille ; mais autant de gentils-
hommes exempts de l'arrière-ban, des équipages et de la dépense à laquelle la
noblesse est sujéte. ■
LES EXEMPTS PAR LE DOMICILE. 271
campagne », et il n'y voit d'autre remède que de « restraindre
les privilèges aux seuls bourgeois qui seroient nez dans lesdites
villes » ; tous les autres « seroient imposés aux tailles à com-
mencer l'année prochaine1 ». Colbert, de son côté, détestait ces
fraudeurs : « il n'y a point de voye, écrit-il à l'intendant de
Bordeaux, dont ne se soyent servis ceux qui se sont faits bour-
geois en fraude pour se maintenir... Je ne saurois m'empescher
de vous répliquer encore que difficilement trouverez-vous une
occasion plus adventageuse dans le cours de vostre emploi pour
faire connoistre le zèle que vous avez pour le service du Roy,
auquel il faut s'il vous plaist que vous rendiez justice en ce
rencontre avec quelque sévérité 2. » Malgré les règlements
d'août 1664 (art. 22) et de mars 1671, qui ordonnaient de
remettre à la taille ces bourgeois fictifs, les abus continuèrent.
Le règlement du 20 août 1673 précisa que, pour être réputé
bourgeois de Rouen, Dieppe, ou Le Havre, un contribuable
devrait y résider au moins sept mois par an, et y payer la taxe
des pauvres et celle des boues3. Mais les fraudes ne devaient
jamais cesser. Le 22 juillet 1680, l'intendant écrit que l'élection
d'Alençon, quoiqu'ayant un terroir fertile, est ruinée parce que
« les villes tirent toute la richesse du plat pays, et les bons
habitans de la campagne envoient leurs enfans acquérir leurs
ans de majorité dans Alençon ou dans Argentan où l'on ne paie
point de taille*». La déclaration du 19 mars 1747 relèvera
encore les mêmes abus, dans les mêmes termes.
Les villes franches se prêtaient encore à une autre sorte de
fraude : elles servaient, on l'a vu, de refuge aux usurpateurs de
noblesse qui voulaient échapper à la recherche : celle-ci, en
effet, laissait de côté les habitants des villes franches parce
qu'ils n'étaient pas taillables. Ils furent signalés à Colbert qui fit
rendre au Conseil l'arrêt du 5 novembre 1666, suivant lequel
tous ceux qui étaient l'objet de poursuites pour usurpation de
noblesse et s'étaient retirés dans les villes franches de Norman-
die depuis le mois de février 1661, prétendant ainsi « éluder
l'avantage que les contribuables ausdites tailles devroient rece-
voir de la réformation des abus que causoient les indues exemp-
tions dont jouissoient lesdits usurpateurs », seraient imposés
d'office à la taille pendant dix ans à dater de leur translation
de domicile 5.
De même que pour les autres exempts, la question se posait de
1. Depping, t. III, p. 10.
2. Ibid., p. 27. (Lettre du 23 sept. 1663).
3. Art. 14 du règlement, se référant à la déclaration d'avril 1643, art. 15 (G. d.
T., II, 108).
4. A. N., G1, 71. Argentan n'était pas franche, comme Alençon, mais elle
payait sa taille par tarif, ce qui revenait au même à cet égard.
5. A. D., Galv., G, Registre d'ordonnances de l'élection de Gaen, 1664-74, fol.
161-167.
I.A TAU. 1.1. i.N NullMANIHK.
savoir s'il serait ou non permis aux bourgeois des villes fran-
ches, de cultiver des terres a la campagne sans payer la taillo.
Tous les règlements le leur avaient interdit absolument : ils ne
pouvaient faire valoir la moindre quantité de terre, ni par eux-
mêmes, ni par leurs domestiques, ni comme propriétaires ni
comme fermiers '. Toutefois, l'usage de Normandie admettait
une exception : lorsqu'un bourgeois ne trouvait pas de fermier
pour ses terres, il pouvait les exploiter directement pendant un
an; l'arrêt du 7 juillet 1661 précisa que, passé ce délai, il serait
imposé à la taille dans la paroisse où ces biens étaient situés, et
« a proportion du profit que feroit un fermier 2 ». Ce dernier
point soulevait quelques difficultés : les collecteurs des paroisses
avaient le défaut, ainsi que le faisaient observer les Etats de Nor-
mandie en 1655, « d'estimer la terre des bourgeois a beaucoup
plus qu'elle ne vaut..., pour soulager la paroisse3», n'ayant rien
ii craindre de ces contribuables qui n'étaient jamais collecteurs;
aussi l'usage s'était-il établi dans la province de calculer l'impôt
« au quart de la valeur du revenu des héritages » ainsi exploités*.
La Cour des aides tendait à accroître ce privilège en
exemptant de taille plusieurs années les bourgeois qui justi-
fiaient ne pouvoir trouver de fermier8. Au contraire Colbert
aurait voulu le réduire : par le règlement d'août 1673 (art. 13),
les bourgeois de Rouen, Dieppe et Le Havre se voyaient interdire
la culture de leurs terres, même pendant un an, si elles étaient
situées hors de leur élection 6. Mais la cour et les élus protes-
tèrent en invoquant les usages de la province, et l'arrêt du
conseil du 26 février suivant rapporta cet article. La règle
demeura donc que tout bourgeois pouvait, faute de fermier,
cultiver ses terres pendant un an pourvu qu'elles fussent situées
en Normandie 7. Il pouvait ensuite payer la taille pour ces biens
pendant cinq ans sans perdre ses privilèges de bourgeois. Les
intendants s'efforcèrent d'empêcher les abus, que favorisait la
Cour des aides8, mais sans réussir. Méliandécritle 1er août 1682
t. Règl. de janvier 1634, art. 33, juillet 1635 [Mtm. alp/iab. p. 365), juillet 1643
ort. 21; août 1664, art. 23; déclaration du 3 mars 1671, etc. Voir La Poix de Fre-
minville, Communautés d'habitants, p. 279, et Gauret, Stile du Conseil, p. 410.
2. Cf. notamment le règlement de janvier 1634, art. 33, et la déclaration
d'août 1664, art. 21.
3. De Beaurepaire, Cahiers... rïgnes de Louis Al/I et Louis XIV, t. III, p. 134.
4. Mémoiie de Voysin de la Noiraye, p. 137. Les mandements des intendants aux
paroisses rappellent généralement cet usage.
5. Par ex. le 26 janvier 1662 elle exempte de taille pendant trois ans Jacques Pinchel,
bourgeois de Rouen, pour 16 acres de terres qu il cultive directement à Illerville
sur M ont fort, faute de trouver fermier (Registre du conseil de In Cour, 1662, fol. 68).
6. Dans le ressort de Paris, le privilège des bourgeois, même des Parisiens,
était limité à l'étendue de la généralité (Clém., II, p. 322; Lebret, Œuvres, éd.
1689, p. 486-388).
7. A. Nat. G' 213.
8. Cf. par ex. le mandement de l'intendant de Rouen aux paroisses en 1672 :
les bourgeois seront imposés dans les paroisses où ils cultivent des terres
« nonobstant tous arrests de ladite Cour des aides, et sans s'arrester aux certi-
ficats des curés... ■
LES EXEMPTS PAU LE DOMICILE. 273
que l'exemption des bourgeois pour les terres qu'ils cultivent
est « une affaire de conséquence » qu'il faudrait réglementer *,
et Marillac, le 5 octobre 1684, dit que cet usage entraine des
« abus considérables ».
L'usage avait aussi de graves inconvénients économiques,
signalés par Desmaretz en 1687 :
« Les bourgeois des villes, propriétaires d'héritages à la campagne,
ne pouvant pas les faire valoir par eux-mêmes, sont obligés de se
servir de métayers et de laboureurs : or, ces métayers et ces labou-
reurs sont si misérables, qu'il faut les nourrir, payer la taille pour
eux, leur fournir des bestiaux. Des gens en cet état cultivent mal les
terres et font préjudice en une infinité de choses à leurs maîtres par
leur négligence ou par leurs friponneries *. »
1. En 1676, parmi les projets présentés à Colbert pour se procurer de l'argent
figure la proposition d'autoriser les habitants des villes franches à cultiver leurs
terres pendant 12 ans moyennant une redevance de 300 1. (Clairamb., 797, p. 96).
Colbert n'y donna pas suite.
2. De Boislisle, Mém. de St-Simon, t. VII, p. 569.
LA TAILLE EN NORMANDIE. |g
CHAPITRE VI
PREMIÈRE PARTIE
LES TAILLABLES
I. LA TAILLE PERSONNELLE. II. LES FEUX. CONDITIONS d'aGE ET
DE SEXE. III. LE DOMICILE. IV. LE CHANGEMENT d'oCTROI.
V. LA DATE DES ROLES. VI. L? ASSEMBLEE DES COLLECTEURS.
Tous les sujets du roi qui ne rentrent pas dans les catégories
énumérées au chapitre précédent sont astreints à payer la taille :
ils doivent être inscrits par les collecteurs sur un rôle dressé
chaque année et spécial à la paroisse. Nous avons à examiner
deux questions : 1° qui est inscrit sur le rôle; 2° quelle somme
est fixée pour l'impôt de chacun.
I. — LA TAILLE PERSONNELLE
Les collecteurs avaient pour tâche d'établir l'assiette de
l'impôt. Celle-ci variait suivant les pa^s.
On distingue habituellement trois sortes de taille, différant
entre elles par la nature des biens imposés : la taille person-
nelle, la taille réelle et la taille mixte1. Mais les auteurs ne
s'accordent pas sur le sens de ces expressions ni sur les régions
où chaque sorte est en vigueur. Nous avons là un bon exemple de
l'incertitude et de l'obscurité des notions relatives à la taille
chez ceux qui ont traité le sujet jusqu'ici2.
1. Les trois sortes d'impositions sont assez bien définies par Du Chalard,
à propos des contributions féodales : « Il y a beaucoup d'espèces de tributs,
collectes, tailles imposts et charges publiques : il y en a de personnelles, qui
consistent en service actuel et personnel, comme de faucher les prez ou de scier
les bleds du seigneur; les autres sont réelles, qu'on impose sur la chose et qui
suivent le possesseur d'icelle : comme sont les héritages, maisons, sur lesquels
est imposée rente ou servitude; les autres sont mixtes, c'est-à-dire personnelles
et réelles qui consistent es labeurs personnels, et sont attachées et inhérentes aux
choses. » (Commentaire de l'ordonnance de 1560, art. 121, dans Néron, t. I, p. 416.)
2. Voir, pour plus de détails, mon article du Bulletin de la Société d'histoire
moderne, 11e année, p. 176 (29 déc. 1912).
H8 LA TA1LLK KN XCHi.M AMM I. .
La taille réelle, de l'avis de tous, est un impôt portant uni-
quement sur les biens, indépendamment du propriétaire; il
tient compte de la nature et de la qualité de ces biens, et n'a
pas égard à la condition de leur propriétaire. Mais quand il
s'agit de préciser si elle porte uniquement sur les biens immeu-
bles ou si elle s'applique à la fois aux meubles et aux immeubles,
il n'y a plus d'accord. Tandis que d'Espeisses l'ait un long cha-
fntre pour expliquer comment les meubles doivent être imposés,
a majorité des autres auteurs anciens soutiennent que seules
les terres sont sujettes à contribution, et la plupart des modernes
se rangent à leur avis '. Il est cependant indiscutable, et Moreau
de Beaumont l'a bien éclairci, que la taille réelle, comme la per-
sonnelle, portait sur toutes les natures de revenus; elle visait
aussi bien « l'industrie », les revenus mobiliers, les « cabaux »,
comme on disait en Languedoc, que les produits du sol2.
Même incertitude sur les régions où elle était appliquée :
pour La Barre, l'auteur du Guidon des Finances, Lange, les seuls
pays de taille réelle sont le Languedoc et la Provence*. Pour
de Merville, « il n'y a que dans Te Languedoc où la taille est
purement réelle*; » pour Vieuille, la taille réelle existe « en Pro-
vence, Languedoc et autres pais d'estats5; » pour d'Espeisses,
qui fit un traité de la taille réelle, celle-ci se rencontre « en tout
le ressort de la Cour des Aides de Montpellier 6 ». II n'y a guère
que Lebret, Moreau de Beaumont et Guyot parmi les auteurs
anciens qui sachent que la taille était réelle dans les deux
élections d'Agen et de Condom 7.
En ce qui concerne le Dauphiné, la grande majorité croient
que la taille y est personnelle ou mixte, soit qu'ils l'affirment
nettement comme Lebret8, soit qu'ils le laissent entendre comme
1. Cf. Etat de la France de 1657, p. 224 : • en Languedoc et Provence... les
terres et meubles seulement sont taillables > Clément, t. II, p. 864 : la taille réelle
est < assise sur l'immeuble », etc.
2. Voir une bonne définition de Domat, Lois civiles..., éd. 1756, II, p. 26 et
Marion, Les impôt* directs sous Yancien régime, p. 18-20.
3. La Barre, Formulaire des Esleuz, p. 98; Le Guidon des Finances (1664), p. 170.
Lebret, Œuvres, éd. 1689, p. 537; voir encore le Traite' des Finances de France,
(Epoque de Henri III), B. N. fr. 21 442, f° 163; Lange, La nouvelle pratique civile
et criminelle, \0* éd., t. I, p. 117, etc.
4. Maximes générales sur les Tailles, 1725, p. 94.
5. Traités des Elections, 1739, p. 14. L'identité entre pays d'Etats et pays de
taille réelle est également admise par de Lu ça y dans Séances et travaux de l'Aca-
démie des Sciences morales et politiques, t. 149, p. 494; de même M. Marion admet
cette identité avec certaines exceptions (L'Impôt sur le revenu au .XVIII* siècle
E. 4 n. 2 et Les impôts directs sous l'ancien régime, p. 5 et 18, n. 1); il n'est pas
esoin de faire longuement remarquer l'erreur de ces auteurs; la Normandie qui
fut pays d'Etats jusqu'au xvn* siècle, n'était pas pays de taille réelle pour autant,
non plus que la Bourgogne, qui demeura pays d'Etats jusqu'en 1789.
6. Traité des Tailles, dans ses (JE livres complètes, t. III, p. 333.
7. Lebret fit un plaidoyer a la Cour des Aides pour traiter cette question.
(39* action, dans ses Œuvres, éd. 1689, p. 536). Guyot, Répertoire de jurisprudence,
art. Taille, section II.
8. Œuvres, p. 536.
LA TAILLE PERSONNELLE. 277
d'Espeisscs '. Seuls Gauret et l'auteur de Y Encyclopédie métho-
dique savent qu'elle y est réelle2. Ducrot ouvre une longue dis-
cussion sur cette question, mais c'est pour ne se prononcer ni
dans un sens ni dans l'autre3. L'embarras des théoriciens est
d'ailleurs excusable, car dans ce pays la taille, répartie au
moyen d'un cadastre comme en Languedoc, comportait des
exemptions personnelles. Mais pour nous, la question est tran-
chée par les actes législatifs : le roi déclare en effet, en tête du
règlement du 24 octobre 1639 : « En notre province de Dau-
phiné, les tailles sont purement réelles et prédiales \ »
Quant à la taille personnelle et à la taille mixte, elles sont
l'objet de confusions déconcertantes dans les traités techniques.
Y,' Encyclopédie de Diderot et d'Alembert en donne des défini-
tions presque identiques : « Taille personnelle est celle qui s'im-
pose sur les personnes à proportion de leurs facultés... Taille
mixte est celle qui est due par les personnes à proportion de
leurs biens5. » D'autres font des distinctions inintelligibles : par
exemple le célèbre Guidon des Finances, édition de 1644 : « Les
personnelles s'entendent de la personne roturière et taillable...,
les mixtes sont celles que nous payons aujourd'hui, lesquelles
sont imposées au lieu du domicile, ayant esgard à tous les biens
du taillable en quelque part qu'ils soient situez et assis 6. » Le
Dictionnaire des Finances de 1727 (art. Taille) dit : « La mixte
est celle qui est imposée au domicile par rapport aux moyens
de celui sur qui on l'impose, et la personnelle se lève sur tous
les roturiers non exempts pour quelques charges ». L Encyclo-
pédie méthodique, dont l'article Taille est dû « à un ancien rece-
veur des tailles qui a joint à une grande instruction théorique
de la matière les leçons d'une longue expérience », n'est pas
plus claire : « La taille personnelle est celle qui porte capitale-
ment sur les personnes à raison de leurs facultés connues, de
leur commerce et de leur industrie. La taille mixte... est tout à
la fois réelle et personnelle en ce qu'elle a lieu non seulement
sur les fonds mais encore sur les facultés, sur le commerce et
sur l'industrie7. »
1. « En Dauphiné, l'habitant contribue au lieu de son domicile pour tous les
biens qu'il possède, même situés en dehors du territoire de la parroisse. »(Œuvres,
t. III, p. 335.)
2. Gauret, Stile du Conseil du Roy, p. 107: Encyclopédie méthodique, Finances,
t. III, p. 643.
3. Traité des Tailles, éd. 1636, p. 354-355.
4. Ghérin, Abrégé chronologique..., p. 103. Voir encore les arrêts du Conseil des
31 mai 1634, 9 janvier 1636, 23 mai 163/, et 6 avril 1639, et Guy Pape, Jurispru-
dence ou décisions.,., traduites avec des remarques de Ckorier, 2e éd., 1769, Déci-
sion 87. Guéiin, Stile de la Cour des Aides et Finances de Dauphiné, Vienne, 1640,
in-12. Phillipi, Recueil... des Edits concernant la Généi alité et en partie la province
de Dauphiné, 1720. A. Lacroix, Claude de Brosse et les tailles, dans Bull. Soc.
Archéot. Drame, 1899, et le Mémoire manuscrit de B. N. fr. 18 511, f° 93.
5. Ed. in-f, t. XV, p. 844.
6. P. 170. Sur la vogue de cet ouvrage, voir la bibliographie en tête de ce volume.
7. T. III, p. 643.
278 LA TAILLE EN NORMANDIE.
Un certain nombre identifient taille personnelle et taille mixte ;
par exemple dcMerville : « La taille est personnelle, ou du moins
mixte, presque dans tout le royaume J ». Moreau de Beaumont : « Il
est vrai que dans les pays d'élections, la taille est considérée
comme un impôt personnel, mais elle s'impose et se départit
sur le pied et à proportion des biens, facultés, et industrie, ce
qui la rend mixte, c'est-à-dire partie réelle et partie person-
nelle *. » Guénois : « En Languedoc les tailles sont réelles, mais
en France elles sont mixtes, ou bien selon l'avis d'aucuns per-
sonnelles '. »
La majorité des auteurs qui distinguent la taille personnelle
de la taille mixte sont fort embarrassés pour préciser dans
quelles régions de la France elles existent. Seul un Traité des
matières de la Chambre des Comptes, contemporain de Colbert,
est catégorique : Nous distinguons, dit-il, en fait de tailles,
« une réelle qui se lève en quelques provinces sur les héritages
roturiers, l'autre personnelle qui se lève dans le pais et pro-
vinces voisines sur les personnes taillables, et l'autre mixte qui
se lève en quelques provinces selon la profession des particu-
liers et sur les personnes taillables* ». Mais les autres, moins
hardis, s'abstiennent de nommer les pays où la taille serait
purement personnelle. Aussi se bornent-ils, en général, à ne
mentionner que l'une ou l'autre de ces deux espèces, tel Ducange
dans son Glossaire (art. Tailles) : « talliarum prœterea alix
sunt reaies, alise personales ». Ducrot admet la triple distinc-
tion des tailles personnelle, réelle et mixte, mais, ajoute-t-il,
« en France elles sont toutes personnelles5 ». Ragueau ne
définit que la taille personnelle et la taille réelle6; au contraire
La Barre, Gauret, d'Espeisses ne distinguent que la taille réelle
et la taille mixte7. L'abbé Fleury n'admet également que la
taille personnelle, mais il est gêné par le mot et éprouve le
besoin d'en corriger le sens habituel. Il en est de même de
Corbin 8. Loisel de Boismare, sans se préoccuper de ce qui
1. Maximes générales sur les tailles, p. 94.
2. Mémoires sur les impositions, t. II, p. 9.
3. Conférence des ordonnances, t. II, p. 1138, n. marginale.
4. Bibl. Sainte Geneviève, ms. 412, f" 124. Le jurisconsulte Duret. au xvi' siècle,
dit cependant : « Quand la taille a égard aux personnes elle est départie selon
les testes, de là les leveurs estoient appeliez perequateurs, parce qu'ils prenoient
également d'un chacun, mais cela n'est guère observé en France. Charles IX
voulut que la taxe fut faite le fort portant le faible. > (Dans Néron, I, 650.)
5. Nouveau traité des aydes, tailles et Gabelles, éd. 1636, p. 352. Par France il
n'entend évidemment que les pays de langue d'oïl.
6. Glossaire, éd. Favre, art. Tailles.
7. La Barre, Formulaire des Esleuz, p. 98, Gauret. Stile du Conseil du Boy, 1700,
p. 407, d'Espeisses, Œuvres, t. III, p. 333.
8. Cl. Fleury, Institution au droit français : « La taille communément est per-
sonnelle puisque ceux mêmes qui n'ont point d'immeubles y sont imposés et
qu'elle suit le principal domicile, et néanmoins a quelque chose de réel en ce
qu'on a égard au patrimoine et par conséquent à la valeur des héritages. On n'y
impose pas aussi chaque personne, mais seulement les chefs de famille; il y a
quelques pays où elle est tout à fait réelle. • (Ecrit en 1665, édité par Laboulaye
LA TAILLE PERSONNELLE. 279
concerne l'ensemble du royaume, dit qu'en Normandie « la
taille est mixte1 ».
En dehors des traités techniques, dans le langage courant, la
confusion des deux expressions est perpétuelle : la correspon-
dance de Colbert et des intendants en offrent maints exemples2;
Necker a écrit : « Dans les généralités où la taille est person-
nelle, il est peut-être bien difficile de distinguer d'une manière
précise dans cette imposition mixte la portion purement per-
sonnelle et celle qui, portant sur l'exploitation, a le caractère
d'une réalité3. »
La plupart des auteurs modernes se sont bornés à reprendre
les définitions des anciens, sans en démêler les obscurités ou
les contradictions, ou, quand ils ont voulu y mettre de la clarté,
ils nont fait qu'y ajouter des erreurs*. Il s'est même trouvé
un historien pour déclarer que la taille réelle, sous l'ancien
régine, non seulement n'existait pas, mais ne pouvait pas
exister : « La taille, la capitation, les dixièmes ou vingtièmes
étaient des impôts personnels..., l'impôt réel était bien impos-
sibh alors, à cause de la difficulté d'estimer ce que chacun
possédait5. »
Ce chaos de définitions, dont on s'est contenté jusqu'ici, est
facile à débrouiller en étudiant les faits eux-mêmes.
Nous trouvons en France des provinces entièrement exemptes
d« taille; d'autres paient un impôt équivalent à la taille, sous
un autre nom; d'autres enfin sont purement taillables. Dans
en 1858, t. I, p. 188.) Corbin, Recueil (1623), p. 963 : « Combien que nous tenions
noz tailles estre personnelles, d'autant est-ce qu'elles sentent quelque cbose de la
réalité parce que lesdites tailles doivent estre imposées sur les personnes eu
égard à leurs biens, terres et facultés. »
1. Dictionnaire, t. II, p. 488.
2. Clément, t. II, p. 101, 119, 258, 106, etc. L'expression « taille personnelle »
est plus fréquente que celle de « taille mixte ».
3. Publié par M. C. Bloch, dans La révolution française, t. XXXIV, p. 109.
4. Clément, t. II, p. 99, fait la distinction entre les trois espèces de tailles : il
définit la taille personnelle « celle qui portait capitalement sur les personnes à
raison de leurs facultés connues, de leur commerce et de leur industrie », et la
taille mixte celle qui se lève « non seulement sur les fonds mais encore sur les
facultés, le commerce et l'industrie »; c'est la définition obscure de Y Encyclopédie
méthodique. M. Esmein ne distingue que la taille personnelle et la taille réelle
(Cours élémentaire d'histoire du droit français, p. 533), mais pour lui la taille
réelle ne porte que sur le revenu foncier; Courcelle-Seneuil, dans le Dictionnaire
d'économie politique publié sous la direction de Coquelin et Guillaumin, distingue
seulement taille personnelle et taille réelle en ajoutant : « les écrivains ont aussi
parlé quelquefois de la taille mixte, mais ce n'était que la réunion sur la tète
du même contribuable de la taille réelle et de la taille personnelle », ce qui n'est
pas très clair. Caillet (L'administration de la France sous Richelieu, 2e éd., II,
p. 399) dit : « La taille personnelle s'entendait de la personne roturière et taillable,
mais était peu usitée la taille mixte était levée dans la plus grande partie de la
France ». Callery semble admettre la co-existence des trois systèmes : après avoir
déclaré qu'il n'étudiera que la taille personnelle, il dit : « Les systèmes de taille
très peu employés, connus sous le nom de taille réelle ou taille mixte et qui
étaient des exceptions en quelque sorte seront ailleurs l'objet d'études distinctes. »
(La Taille royale au XVIP et au XVIII' siècles, p. 5, n. 1.)
5. Dimier, Les préjugés ennemis de ^histoire de Franee, t. II, p. 114.
280 LA TAILLE EN NOHMANIMK.
celles-ci — les seules qui nous intéressent — l'impôt est tou-
jours levé sur l'ensemble des revenus du contribuable; nulle
part la taille n'est uniquement mise sur les immeubles. Mais
quant à l'assiette, il faut distinguer :
1° Les pays où l'impôt est mis sur les biens, sans égard à leur
possesseur : ce sont le Languedoc, la Provence, le Daup^iné,
et les élections d'Agen et de Condom.
2° Les pays où il est mis sur les personnes en considération
de leurs biens; tel est le cas des ressorts des Cours des aides
de Paris, Clermont, Dijon et Rouen. Nulle part n'existe une
taille levée uniquement sur les personnes.
Dans les premiers, la taille est réelle, dans les secondt elle
peut être appelée à volonté personnelle ou mixte : les deux
mots désignent la même chose; il n'a jamais existé concurrem-
ment une taille personnelle et une taille mixte.
Il est d'ailleurs possible d'expliquer comment on a créé les
deux épithètes pour désigner une seule espèce de taille : dais le
droit romain, les juristes trouvaient la grande distinction entre
personne et res; entre l'imposition sur les personnes : capitdio,
census personarum, et l'imposition sur les biens : census agrorim ;
par analogie ils créèrent les expressions taille personnelle et talle
réelle; mais en étudiant de plus près la taille dite personnelle, Us
reconnurent qu'elle n'était pas exactement une imposition sir
les personnes, puisqu'elle tenait compte des biens possédés ptr
chacun; ils imaginèrent donc l'expression plus exacte de taille
mixte, mais pour désigner toujours le même impôt. C'est la dua-
lité des expressions qui fut la source de toutes les confusions.
En Normandie, la taille est personnelle **. Nous allons voir
comment elle est répartie entre les contribuables, et d'abord qui
on entend par contribuables.
II. — LES FEUX. CONDITIONS D'AGE ET DE SEXE
L'unité imposable en matière de taille est le feu 2. « Les
contributions personnelles, dit Domat, s'imposent en chaque
ville et en chaque lieu non sur chaque personne singulièrement,
mais sur chaque chef de famille3. »
On a souvent dit que ce mot de feu était une expression vague,
1. L'intendant Voysin, dans son Mémoire sur la généralité de Rouen, mentionne
dans l'élection de Lyons, où
me si le fait était prouvé, on
deux fermes appartenant à l'abbaye de Mortemer, dans l'élection de Lyons, où
l'on prétend que la taille est réelle • (p. 130). Mé
ne pourrait le considérer que comme une anomalie.
2. Cet usage de compter par feux, qui est du reste conforme à la nature des
choses, puisqu'on impose le revenu et que l'on compte ensemble tous les indi-
vidus qui font bourse commune, se trouve dès l'origine de l'impôt; toujours
l'aide du début fut répartie par feux, d'où le nom de fouage.
3. Le» îoix civiles, éd. 1756, II, p. 29, col. 2.
LES FEUX. CONDITIONS D AGE ET DE SEXE. 281
variable suivant les auteurs et les pays : ce fait, s'il était exact,
serait grave, car une pareille incertitude non seulement empê-
cherait de faire une étude plus approfondie de la répartition de
l'impôt, mais encore aurait entaché d'un vice irrémédiable cette
répartition elle-même1.
On ne peut soutenir sans doute que le mot feu ait eu dans
toute la France, en toutes circonstances, la même signification :
suivant les régions il désigne telle ou telle unité d'imposition 2,
mais il n'y a pas lieu de s'en étonner; dans tout le régime
administratif de l'ancienne France, il existait des variétés locales
semblables. Il s'agit seulement de savoir si, pour une région
déterminée, le mot a ou non un sens précis.
Pour la Normandie, il est incontestable qu'on trouve, au
xvnc siècle, une définition très précise du feu. Il n'en avait toute-
fois pas toujours été ainsi. Aux Etats généraux de 1483, une
discussion curieuse s'était élevée entre les députés de la pro-
vince : ceux du Cotentin se plaignaient que leur pays fût imposé
en moyenne à 6 1. par feu tanais que le bailliage de Rouen ne
payait que 60 s. tournois; mais les députés de Rouen répon-
dirent, en s'adressant aux députés de la noblesse pris pour
arbitres du débat :
« Vous savez parfaitement, très vénérables juges, que partout chez
eux les familles s'arrangent ainsi : auprès du même foyer et du même
lit3 demeurent ensemble le père et la mère, les fils et leurs femmes,
les filles et leurs maris avec toute leur progéniture, et ils vivent, du
moins en apparence, à une seule table et en communauté de biens; là
il n'est pas rare de trouver un aïeul ayant quatre fils et brus, autant
1. Voir par exemple Bridrey, Cahiers du Bailliage de Cotentin, t. I, p. 83, n. 1 :
« Il est fort délicat de préciser ce qu'il convient d'entendre en 1789 par ce mot
de feu...; le terme suivant les régions paraît avoir revêtu des significations très
différentes. » D'après lui, en Cotentin, le mot aurait désigné « quelque chose de
tout matériel, une maison d'habitation, plus précisément peut-être la maison
d'habitation d'une famille », et il cite une phrase du lieutenant-général de Mor-
tain qui ne paraît nuUement probante; il serait bien surprenant que les rédac-
teurs des procès-verbaux d'assemblées primaires n'eussent pas pris le chiffre
des feux sur les rôles de taille, de capitation ou de gabelle. Voir aussi Brette,
Recueil de documents relatifs à la convocation des Etats Généraux, t. I, p. 242.
2. En Languedoc et en Provence, où la taille est réelle, il désigne une base
d'imposition, sans rapport avec l'étendue des terres ou le montant des revenus
de la circonscription. En Bourgogne il désigne « une somme numérique com-
posée d'une quotité fixe de livres tournois. Ainsi... si chaque feu est évalué à 72 1.,
un village composé de 100 habitants imposé à 35 feux paiera pour son imposi-
tion 2 520 1. La valeur des feux varie dans cette province à raison de la quotité
annuelle des impôts à répartir. » (Encyclopédie Méthodique, Finances, au mot :
Feu). En Bretagne, « la dénomination de feu n'emporte aucune idée précise,
quoique autrefois le mot feu paraisse a/oir signifié une portion de terre d'une
valeur et d'une étendue déterminées, puisqu'on voit qu'en 1392, la Bretagne
renfermait 98 447 feux assujettis aux tailles, qu'on appelle fouages en cette pro-
vince. » (Ibid). En Nivernais enfin, dans les communautés taisibles, où plusieurs
familles ne forment qu'un seul ménage, la communauté ne compte que pour
un feu : « le maistre de communauté... seul est nommé es roolles de tailles el
autres subsides. » (Guy Coquille, Questions et réponses sur les articles des cou-
tumes, question 58.)
3. Var. toît (lecto-tecto).
IM LA TAILLE EN NOHMÀNDIK.
de filles et de gendres; souvent aussi les belles-mères, les petits
enfants, logent ensemble. Et s'il faut parler de moi, étant à Chue,
bourg du bailliage de Gaen, j'ai vu une maison tellement remplie,
qu'elle renfermait dix couples et soixante et dix âmes. Extrêmement
surpris de cet entassement, j'en demandai la raison : ils me répon-
dirent qu'ils se logeaient souvent de cette manière, parce qu'ils crai-
gnaient les tailles, car si chaque personne mariée tenait, comme on
dit communément, un ménage particulier, ils seraient bientôt forcés à
payer une plus forte taille.... Le fait que nous alléguons, nous nous
engageons du reste à le prouver par une enquête faite de bonne foi1. »
Mais il est clair que nous sommes ici en présence de commu-
nautés taisibles, semblables à celles qui subsistèrent en Niver-
nais jusqu'au milieu du xixe siècle : c'était un cas très particulier
qui ne se rencontre plus au xvne siècle en Normandie, du moins
on n'en trouve aucune trace dans les documents connus.
On ne peut douter que le mot feu désignait en Normandie,
comme dans le ressort de la Cour des aides de Paris, « une
famille composée du père, de la mère, ou de celui qui survit à
l'autre, et des enfants vivant avec eux 2», c'est-à-dire l'ensemble
des gens vivant sous le même toît, à la même table, autour du
même foyer. Le mot du reste a persisté aujourd'hui dans le
langage administratif : lorsqu'il s'agit par exemple de partager
des biens communaux (bois ou pâturages) on compte par feux,
et les juristes en ont donné une définition précise3.
On ne peut identifier les mots feu et maison4; dans une ville,
une maison comprend généralement plusieurs feux : c'est ce
qu'explique l'intendant de Rouen en 1713 dans un état des feux
de sa généralité : « Les feux dans Dieppe, Rouen et Le Havre
sont difficiles à prendre autrement que par maisons, quoiqu'une
maison soit souvent occupée par plusieurs ménages qui sont
autant de feux5. » Inversement, il se peut que plusieurs maisons
ne forment qu'un feu : par exemple un couvent, si grand qu'il
soit, un château avec ses dépendances et les logements des
domestiques6.
Une foule de cas particuliers relatifs à l'âge, au domicile, à la
1. Journal de Jean Masselln, p. 585.
2. Encyclopédie Méthodique, Finances, nu mot (eu. Voir encore les définitions
de Guyot, Répertoire de Jurisprudence, Loisel de Boismnre, Dictionnaire du droit
des Tailles, Houard, Dictionnaire de droit normand, au même mot.
3. Cf. notre Gode forestier, art. 105, 1°.
4. La définition donnée par Richelet dans son Dictionnaire en 1680, Feu = maison
est inexacte. Boisguilbert identifie plus justement les feux avec les cheminées
(Détail de la France, éd. de 1697, p. 195). Cf. aussi Dict. de V Académie, 1694 :
« Feu signifie aussi un mesnage, une famille logée dans une mesme maison :
U y a cent feux dans ce village » ; Borrelli de Serres, Recherches sur divers ser-
vices publics, t. III. p. 392 (avec les autres études auxquelles il renvoie).
5. B. N. fr. 11 385, P 1.
6. Voir, par exemple, le Dénombrement par feux de la population de Coutances
en 1689 dans Quenault, Recherches archéologiques sur Coutances, 2* éd., p. 45 :
les couvents, le palais épiscopal avec ses vingt domestiques ne sont comptés
chacun que pour un feu.
LES FEUX. CONDITIONS D AGE ET DE SEXE. 283
qualité et condition des personnes ont été du reste soulevés à
propos de la confection des rôles de tailles pour savoir si tel
ou tel devait être compté ou non pour un feu : on est ainsi par-
venu à régler un certain nombre de points qui vont nous donner
une définition encore plus étroite du mot1.
Un feu comprend un ménage, mais le chef du ménage seul est
inscrit sur les rôles; sa femme, ses enfants, ses parents, ses
serviteurs n'y figurent pas. Dans quelles conditions un individu
devrait-il être considéré comme chef de ménage, et d'abord à
partir de quel âge?
En général l'âge où un individu est considéré comme faisant
un feu est celui de sa majorité : mais cet âge varie suivant les
pays; tandis que dans le ressort de la Cour des aides de Paris,
il est de vingt-cinq ans, en Lyonnais il est de dix-huit ans, et
en Normandie de vingt ans. En ce pays, écrit l'intendant
d'Alençon le 15 novembre 1666, « les hommes mariez ou non
mariez payent la taille à l'aage de vingt ans accomplis et non
auparavant, parce que l'on est majeur en Normandie à vingt
ans2 ».
La preuve de l'âge est faite par un extrait du baptistère
délivré par le curé 3. A défaut de cet extrait, la preuve par
témoins est admise, et le cas se présente très souvent*.
Il y a toutefois des cas où un mineur peut être considéré
comme chef de famille. D'abord, dans le ressort de Paris, lors-
\* Je ne pose pas ici la question si un feu correspondait à un nombre déter-
miné d'habitants; c'est ce qui a préoccupé la plupart de ceux qui ont cherché la
définition du mot, comme M. Bridrey dans son ouvr. cité plus haut. Mais ce point
n'intéresse pas la répartition de l'impôt. Nous avons même la preuve qu'un feu
ne désignait pas un nombre fixe d'individus : par exemple, Charles Colbert
écrit de Baugé le 15 novembre 1664, qu'à la suite de la famine des années précé-
dentes beaucoup de gens sont morts, et, ajoute-t-il, « quoyque le nombre des
feux ne soit pas diminué, celuy des personnes l'est beaucoup » (M. C. 125, f° 406).
Cf. le mémoire de l'intendant de Bourges en 1698, Aff. étr., France, Mém. et doc,
1753, f° 254 : le nombre des personnes par feu varie de 3,8 à 5,1 suivant les
élections. On verra ci-dessous au § du Domicile que certains individus sont
comptés comme taillables dans une paroisse quoiqu'ils n'y habitent pas, ou
inversement. La comparaison des rôles de taille avec les rôles de gabelle, où les
contribuables sont comptés par tête, fournirait des faits très caractéristiques à
cet égard : personne jusqu'ici, à ma connaissance, ne l'a tentée. Voir les dénom-
brements d'individus faits en 1725 par les Fermiers des gabelles, B. N. fr. 23 918.
Les chiffres de feux donnés dans le Dénombrement du royaume de Saugrain (1709)
sont incertains ; l'auteur le déclare lui-même dans son Avertissement.
2. Lettre à Colbert, Clairamb., 791, p. 92. — Mém. alphabétique, aux mots Aage
et Mineur 6°. Voir aussi Lebret, 41e action dans ses Œuvres, éd. 1689, p. 541.
En Auvergne, il y a des régions où « le bien des mineurs paye la taille » (lettre
de l'intendant à Colbert en 1666, B. N. Clairamb., 791, p. 109). L'âge de la majo-
rité en Lyonnais est fixé par la déclaration du 6 août 1669 (C. D. T., t. II, p. 55).
L'âge de la majorité en Normandie est fixé à vingt ans par la coutume. Voir
Houard, Dictionnaire du droit normand; Basnage, La coutume réformée du païs
et duché de Normandie, éd. 1694, t. II, p. 212; une lettre de Barin de la Galis-
sonnière à Colbert, 14 novembre 1666, Clairamb., 791, p. 89.
3. Voir par exemple l'extrait produit par Guillaume le Vavasseur à l'Election
de Falaise le 22 mai 1677 (A. D. Calvados, Election de Falaise, Plumitif, à cette
date.)
4. Cf. ci-dessus, p. 175, Basnage, pass. cité ci-dessus, n. 2.
M) LA TAILLE EN NORMANDIE.
qu'il' se marie : on l'a vu à propos de l'édit sur les mariages*.
Ensuite, s'il l'ait valoir des terres pour son compte : Guillaume
le Bourgeois est impose sur les rôles de Saint-Omer, élection
de Falaise, pour l'année 1675, quoiqu'il n'ait que dix-neuf ans
(oui me « faisant valoir des terres qu il tient à ferme dans ladite
paroisse »; il intente un procès à la communauté devant l'Elec-
tion, mais il est débouté de sa demande en décharge par une
sentence du 12 décembre 1674; le tribunal se borne à réduire sa
cote à 60 sous (3 1.)*. Mais si le mineur ne fait pas valoir par ses
mains les biens qu'il possède en propre, il n'est pas imposable.
Tel est le cas de celui qui, ayant perdu ses parents, est en
tutelle : le tuteur fait valoir ses biens, qui ne sont pas impo-
sables, du moins l'auteur du Mémorial alphabétique déclare que
c'est là une « maxime certaine' ».
Il n'y a pas d'âge au delà duquel on cesse d'être taillable.
« Cette maxime, dit le Mémorial alphabétique, est si certaine et
si triviale, qu'il n'y a que ceux qui n'ont aucune teinture de
cette matière qui puissent l'ignorer*. »
Un homme marié forme toujours un feu séparé, même s'il
habite avec ses parents ou ses beaux-parents 5.
Une femme qui exploite elle-même ses biens n'est pas consi-
dérée, en principe, comme imposable : « Les filles, écrit l'in-
tendant d'Alençon, ne payent jamais de taille jusque» à ce
qu'elles soient mariées, l'infirmité du sexe qui ne se peut
défendre des oppressions qu'on leur pourroit faire leur a rendu
la loy favorable en cette occasion. » Mais en même temps il
désapprouve cette règle, « l'expérience nous faisant connoistre
que quelqu'unes par leurs commerces sont en estât de payer la
taille, et principallement S. M. souhaittant engager ses subjets
au mariage et ordonner que les filles à l'aage de vingt ans
payroient la taille à proportion de leurs facultez8 ». Tant que
1. Cf. ci-dessus, p. 261-2. Sur l'usage de Paris avant 16fi6 (et après 1C83), voir
Ducrot, Traité des Aydes, Tailles et Gabelles, p. 406, avec l'indication d'un arrêt
de la Cour des aides de Paris du 1" décembre 1602.
2. À. D. Calvados, Plumitif de l'Election de Falaise à cette date.
3. « Un tuteur, dit-il, qui fait valoir le bien de ses mineurs n'est pas imposable
parce qu'il doit rendre compte à ses mineurs et dans ce compte porter en recette
tous les produits du bien sur quoi la dépense doit être allouée. En sorte que le
tuteur ne doit faire aucun profit sur les revenus de ses mineurs et par conséquent
on ne le peut imposer par considération de ces biens dont il ne jouit que comme
simple mandataire ». L'imposer « seroit faire porter indirectement la taille à des
mineurs qui n'en doivent point » ; mais il cite un plaidoyer de l'avocat général
Dubois en sens contraire (Mémorial alphabétique, nu mot Tuteur) ; cf. La Poix de
Fréminville, Traité des communautés d'habitants, p. 265.
4. Cependant nous voyons Lemnistre plaider devant la Cour des Aides de
Paris le 23 février 1635 pour obtenir la décharge de taille de Jacques Notet,
vigneron de Saint-Martin-sur-Oreuse. parce qu'il est âgé de soixante-douze ans.
Il est vrai qu'à l'appui de sa thèse il n'apporte que des textes du Digeste (Plai-
doyers de M. Lemaistre, 2* éd., 1657, p. 699-720).
5. Mem. alphab. p. 317. Caumartin relève en Champagne l'usage contraire,
mais il le considère comme irrégulier (Depping, III, p. 171).
6. Lettre à Colbert du 15 novembre 1666, Clairamb., 791, p. 92.
LE DOMICILE. 285
la femme est mariée, elle ne peut être comptée comme un feu
séparé; c'est son mari qui est imposé pour elle, même si elle
fait valoir des biens personnellement. Quand elle est séparée
de corps et de biens d'avec son mari, elle est imposable, du
moins en Normandie ; mais l'auteur du Mémorial alphabétique
soutient le contraire pour le ressort de Paris : « étant en puis-
sance de mari, dit-il, elle n'est point sujette aux charges de la
famille, lesquelles doivent être portées par le mari qui en est
le chef;... dans le rôle de la taille et du sel on ne doit com-
prendre que ceux qui sont sui juris, usans et jouissans de leurs
droits sans dépendance d'autrui1».
Quand une femme est veuve, elle est considérée comme chef
de famille et par conséquent comme taillable ; mais si elle se
marie en secondes noces, elle cesse de l'être.
En aucun cas plusieurs contribuables ne peuvent être inscrits
sous une même cote : il doit y avoir autant de « lignes » au
rôle que de feux2.
III. — LE DOMICILE
En Normandie, le contribuable est imposé à raison de ses
biens dans la paroisse où il habite; mais lorsqu'il a des terres
en différentes paroisses, doit-il être imposé dans chacune de
ces paroisses, ou, au contraire, le sera-t-il uniquement dans celle
de son domicile pour tous ses biens, en quelque lieu qu'ils
soient situés?
Les théoriciens n'hésitaient pas sur le principe : le contri-
buable ne devait être imposé que dans la paroisse où il demeu-
rait3. Les tailles, dit Vieuille, « s'imposent dans les paroisses
sur les personnes au lieu du domicile du cottisé, par la raison
que le domicile emporte avec soi la qualité de contribuable, et
1. Mémorial alphabétique, art. Femme séparée de corps et de biens. L'auteur
cite différents arrêts de la Cour des Aides de 1676 et 1683; il admet toutefois que
si la séparation est frauduleuse, destinée à éluder le paiement de la taille du
mari, on peut saisir pour le paiement de la taille les biens que la femme s'est
appropriés. Mais plus tard la jurisprudence changera (Déclaration du 17 fé-
vrier 1728; cf. Lapoix de Fréminvillc, p. 267 et Domat, Œuvres, éd. 1680, II, p. 29).
2. D' Espeisses, Œuvres, éd. 1750, t. III, p. 397, cite les arrêts sur lesquels est
fondée cette jurisprudence.
3. Papon écrit : « Tailles sont estimées plus personnelles que réelles, estans les
personnes taillables seulement es lieux où ils ont domicile » (Recueil, éd. 1637,
p. 265). De Merville : « Ce n'est que dans la parroisse du domicile qu'un habi-
tant est taillable quoyqu'il fasse valoir du bien en plusieurs et différentes par-
roisses, puisque parmy nous les tailles sont personnelles quoyque dues ratione
rei. » (Maximes générales sur les Tailles, p. 5'*.) Bacquet écrit pareillement
qu' « en France » on n'est « tenu payer la taille qu'en une seule paroisse, encore
qu'on ait plusieurs biens et héritages en diverses paroisses, parce que les tailles
ne sont pas pures réelles comme au païs de Languedoc, mais sont mixtes et cen-
sées plûtost personnelles que réelles ». (Traité des droits de justice, chap. VIII,
§ 15, dans ses Œuvres, éd. de Ferrière, t. I, p. 30.)
286 LA TAILLE EN NORMANDIE.
■M la taille étant mixte, la |x trfOÎUM comme le plus noble doit
remporter sur la situation des biens1 ». La Cour des Aides de
Paris a même reconnu ce principe dans plusieurs de ses arrêts*
ainsi le 15 juillet 1573, elle disait que l'on ne devait « asseoir plus
les biens à cause des personnes, ains les personnes à cause des
bif g" » et le 9 juillet 1678 : « La taille a été personnelle dans
sun origine, elle n'a point cessé de l'être... c'est de Va que dérive
le droit qu'ont toujours eu et qu'ont toujours les contribuables
de n'être imposés que dans le lieu de leur domicile' ».
Mais l'application de ce principe était difficile : d'abord les
asséeurs ne pouvaient aisément connaître la consistance et la
valeur des biens possédés par un contribuable loin de leur
paroisse; en outre, une paroisse était taxée, au département,
suivant ses ressources apparentes : étendue du territoire, valeur
des récoltes, etc. ; si son impôt n'était pas levé sur ces revenus,
la répartition devenait profondément injuste, une paroisse dont
les terres étaient exploitées par des forains se trouvait écrasée,
une autre dont les habitants avaient leurs exploitations au
dehors était trop peu imposée. Aussi l'usage s'était-il introduit,
dès le xvie siècle, dans les ressorts de Paris et de Clermont,
d'imposer un contribuable dans chacune des paroisses où il
avait des biens*.
En Normandie, on avait pendant longtemps respecté la règle
de la contribution en un seul lieu : le président du Parlement de
Rouen l'expliquait aux Etats de la province le 17 novembre 1572 :
« S. M. veut que les habitants de la province contribuables à la taille
étant cottisez en la paroisse où ils font leur demeure, ne pourront
1. Traité des Elections, p. 15. Cf. Domat, Œuvres, éd. 1756, II, p. 30.
2. Dans Guénois, Conférence des ordonnances, t. II, p. 1 455, n.
3. Cité dans Moreau de Beaumont, t. Il, p. 17.
4. Dans le ressort de la Cour des Aides de Paris, on admettait qu'un contri-
buable fût imposé au lieu de son domicile uniquement pour les biens qu'il culti-
vait dans la paroisse, et en outre dans la paroisse où il exploitait des fermes à
raison du revenu de ces fermes; il pouvait ainsi se produire qu'un même individu
fût cotisé en 2, 3, 4 paroisses et même davantage. Dans le ressort de la Cour des
Aides de Clermont, « la maxime est que les cottisables qui demeurent dans un
lieu taillable et qui font valoir dans une autre des héritages qui font corps de
domaine, payent la taille au lieu de leur domicile et encore au lieu où ils font
valoir ces héritages ù proportion du profit qu'y pourroit faire un fermier ».
(Mémoire de l'intendant de Marie à Colbert, 9 septembre 1676, Clairambault,
797, p. 29). Il ajoute que dans la province on n'avait pas de définition exacte de
l'expression « corps de domaine » : « Messieurs de la Cour des Aydes n'y ont jamais
voulu establir des reigles certaines, préférans en cela l'autorité de leurs charges
au bien et au soulagement des peuples. » Chaque élection s'était fait un usage à
elle ; dans celle de Riom on entendait par là une maison et 20 séterées de terre, dans
celle de Clermont 50 séterées, dans celle de Brioude 10 séterées, dans celle d'Au-
rillac une maison et des terres valant, toutes charges déduites, 50 1. de revenu, etc.,
c'est là, dit-il, une source d'embarras pour les collecteurs qui souvent ne savent
s'ils doivent imposer les taillables uniquement « sur le pied des terres qu'ils
font valoir dans la parroisse de leur domicile ou s'ils doivent faire réflexion et
considération sur les terres qu'ils font valoir dans les paroisses voisines et con-
tigties ■ ; enfin les privilégiés en profitaient pour exploiter en franchise plus de
terre que ne leur permettait le règlement.
LE DOMICILE. 287
estre cottisez hors lesdites paroisses, quelques fermes qu'ils tiennent
ailleurs audit pays, n'ayant S. M. entendu que la commission de
Tannée passée ait lieu, sinon pour les horsains prenant fermes à la
province et pour les habitants des villes franches et pour les exempts,
lesquels seront mis à la taille pour le regard desdites fermes1. »
Mais cet usage avait été troublé par le règlement des tailles
de janvier 1634, qui étendait à la Normandie l'usage de Paris;
par son art. 37, il prescrivait en effet que « les habitans
demeurans es villes et lieux taillables, qui auront pris à ferme
quelques terres et métairies hors le détroit de la paroisse de
leur résidence,... [fussent] imposés en la paroisse de la situation
d'icelle, outre la taille qu'ils doivent au lieu de leur demeure
pour le surplus de leurs biens et facultez ». La Cour des aides
de la province, en vérifiant l'édit, crut devoir rétablir l'usage
local : « Les naturels taillables » ne pourront être « imposez
qu'en une seule paroisse, conformément à l'usage de la pro-
vince2 », et au mois de décembre suivant les Etats appuyèrent
de leurs vœux cette demande3.
Lorsque les commissaires au régalement des tailles institués
par l'édit vinrent en Normandie, ils appliquèrent à la lettre
l'art. 37, tandis que la Cour des aides continuait de suivre
sa jurisprudence; il en résulta un conflit dont les commissaires
demandèrent la solution au roi : l'arrêt du conseil du 20 jan-
vier 1635 ordonna l'exécution de l'édit « sans s'arrester aux
arrests de la Cour des Aides qui seroient contraires à iceluy4 ».
Mais en même temps dans sa réponse au cahier des États,
le roi disait qu'il entendait maintenir sur ce point l'usage de
la province. On se trouvait donc en présence de deux règles
contradictoires. Il semble cependant que le règlement de 1634
fut plus généralement suivi, car en novembre 1643 les Etats se
plaignent à nouveau de ce que l'on impose les contribuables
« en autant de roolles et de lieux comme ils y ont de biens,
soit à ferme, ou en propriété, contre l'usage de la province qui
ne veut qu'un particulier soit taxé en diverses paroisses, mais
seulement au lieu de son domicile, lequel se règle par le chan-
gement de l'octroy ». Mais cette fois il leur est répondu que
les intendants sont chargés de pourvoir à la difficulté signalée
« conformément au dernier règlement des tailles5 ».
1. Dans de Beaurepaire, Cahiers,., règne de Charles IX, t. I, p. 272. Voir aussi
Labarre, Formulaire des Esleuz, chap. v*.
2. Règlements de Normandie, p. 111. a.-
3. Cahiers, art. 33 dans de Beaurepaire, t, III, p. 27.
4. Mémoire des Commissaires au régalement et arrêt du conseil du 20 jan-
vier 1635, art. 2. (A. mun. Rouen, 183, pièce 3.)
5. De Beaurepaire, Cahiers, règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 108.
Dans le ressort de la Cour de Paris, on relève de pareilles contradictions dans les
divers règlements promulgués à cette époque : deux arrêts du conseil des 14 juil-
let 1643 et 26 septembre 1644 ordonnent que dans ce ressort les contribuables
LA TAILLE EN XOHMANDIE.
En 1660 dans la déclaration qui ordonnait le changement
d'octroi', le roi décida de revenir à l'usage local :
« Kt d'autant que, suivant l'usage de la province, les contribuables
aux tailles ont toujours esté imposés en la paroisse où ils sont natu-
rels taillables, [pour leurs biens] tant de leur propre que d'acquisition,
mesme hors leur paroisse, élection ou généralité.... Nous voulons
qu'ils ne puissent estre imposés à l'avenir qu'en un seul et même lieu,
à raison de tout leur bien, en quelque lieu qu'il soit assis et situé en
ladite province2. »
Ce régime fut suivi en Normandie aussi longtemps que per-
sista le système du changement d'octroi, avec lequel il s'accor-
dait; mais lorsqu'on eut renoncé a l'octroi, on l'ut graduelle-
ment amené à introduire l'usage de Paris.
En premier lieu la déclaration du 3 mars 1671 ordonna que
« ceux qui après avoir transféré leur domicile d'une paroisse
en une autre ne délaisseront de faire valoir, cultiver et exploiter
les terres, fermes et héritages qu'ils auront quittez... seront
imposez et taxez en chacune desdites paroisses à raison du
profit qui se peut faire sur lesdites fermes et héritages, dont
les fruits d'iceux seront tenus3 ». Puis la déclaration du
20 août 1673 prescrivit (art. 26) que « ceux qui exploiteront des
héritages dans deux élections et généralitez différentes, paieront
la taille en l'une et en l'autre s ils sont de condition taillable,
à proportion des impositions et de leurs occupations*». Enfin
l'arrêt du conseil du 24 février 1674 spécifia que le double
domicile serait admis même si les deux élections n'apparte-
naient pas à des généralités différentes5. Ainsi, à partir de 1674,
la pluralité de domiciles d'imposition fut admise en Normandie
lorsqu'il s'agissait de biens possédés dans plusieurs élections,
mais à l'intérieur d'une même élection, l'unité de domicile était
conservée.
seront imposés uniquement an lien de leur domicile pour tous leurs biens et
facultés ( li. N. fr. 21 419, p. 159). C'est un des nombreux exemples de désordre
dans le gouvernement d'alors.
1. Voir ci-dessous, p. 294.
2. A. D. Calvados C, Bureau des finances.
3. Règlements de Normandie, p. 175. L'application de cette nouvelle règle sou-
leva des difficultés, signalées en 1672 par l'intendant de Rouen (Clairamb., 793,
p. 665).
4. Règlement* de Normandie, p. 182.
5. Les taillables ne seront < imposez qu'es lieux de leurs demeures encore qu'ils
exploitent des héritages h la campagne, soit de leur propre ou à ferme d'autrui,
à la charge que dans les rooles lesdits habituns y seront compris, tant à cause de
leur industrie et commerce que du profit qu'ils pourront faire sur les héritages
qu'ils exploiteront dans le lieu de leur demeure et autres paroisses, pourvu que
ce soit en même eslection ». Cet article est à rapprocher de l'arrêt du conseil du
5 janvier 1665 qui spécifie pour la Cour des Aides de Taris, que « les taillables
qui sortiront d'une élection pour aller dans une autre voisine payeront la taille
es parroisses d'où ils seront sortis, et dans lesquelles ils continueront d'exploiter
les fruits des héritages qu'ils faisoient valoir lors de leur délogement > suivant
l'art. 56 du règlement des tailles de 1634. (Clairamb., 659, p. 244.)
LE DOMICILE. 289
Cette réglementation souleva des difficultés graves que l'inten-
dant de Rouen, de Marillac, expose au contrôleur général le
5 octobre 1684 * : « Il n'y a rien de si commun dans la géné-
ralité de Rouen, dit-il, que de voir des habitans d'une ville
ou d'une parroisse prendre des fermes et faire des terres dans
une autre parroisse, ou prendre les dixmes d'une parroisse
voisine de celle de sa demeure, et ordinairement les bourgeois
des villes prennent à ferme des pasturages voisins ou font valoir
les héritages qu'ils ont en propre dans la campagne » ; or les
ordonnances de 1671 et 1673, qui devraient être appliquées en
ce cas, sont contrariées par un arrêt du conseil du 30 août 1674
qui prescrit de mentionner dans les rôles les exploitants forains
imposés dans la paroisse; certaines Elections s'en autorisent
pour faire imposer chaque taillable dans tous les lieux où il
cultive des terres, « en sorte que la jurisprudence sur ce point
a esté fort incertaine ». En outre, on est fort embarrassé avec
la pluralité de domiciles pour fixer le chiffre de .chaque paroisse :
il est à peu près impossible à un intendant de tenir compte, au
département, des exploitants non domiciliés : « on n'entre point
dans ces détails-là,... ils sont trop grands »; il faudrait donc
« que chacun [fût] imposé dans la paroisse où il exploite »,
même à l'intérieur d'une seule élection. « On scait bien, ajoute
Marillac, que cela est contraire aux règlements, mais aussy il
y a ces tempéraments-cy à y apporter » ; sans doute la règle
posée par les édits a du bon ; on ne voulait « pas exposer
un taillable à estre imposé en deux endroits, parce que les
•habitans de la parroisse où il exploite et où il ne fait pas sa
demeure n'estans pas retenus par les considérations qu'ilz ont
pour ceux qui passent dans la collecte, chargeroient
excessivement ces exploiteurs-là qui seroient réduits à n'oser
exploitter de terres hors la parroisse de leur demeure, ce qui
seroit de grande conséquence pour la valeur des fonds de terre
qui diminuroient si les seuls habitants de la parroisse pouvoient
les affermer, et si la crainte d'une taille excessive en détournoit
tous les autres laboureurs et habitants du pays » ; mais ces
avantages sont compensés et au delà par les abus constatés.
Pour éviter que le contribuable fût surtaxé là où il ne demeure
pas, il faudrait établir un rapport fixe, par exemple 2 s. par livre,
entre sa cote de taille et le prix du fermage ou le revenu des
terres qu'il possède en propre. Il y a urgence, ajoute l'inten-
dant, à prendre des mesures sur ce point, car de grands abus
sont commis actuellement :
« Presques dans toutes les parroisses il y a des exploitants ou occu-
pans (comme ilz parlent en Normandie), dont le domicile est en
d'autres parroisses, et tous ces occupans ont esté cy-devant employez
1. A. N. G? 492.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
19
Hl LA TAILLE EN NOUMAN DI K .
dans les roolles des deux parroisses de leur domicile et de la parroisse
où ilz occupent : et il est de la connoissance particullière que M. de
Marillac a prise, que la pluspart des parroisses ne pouroient payer
leur taille si on les empesche de comprendre dans leurs rolles les
exploiteurs domiciliiez en d'autres parroisses. II est d'une nécessité
absolue de souffrir que les parroisses qui les ont imposez les années
dernières en tirent du secours.... Jusques icy on n'a pas taxé en la
parroi3se du domicilie les exploitans en d'autres parroisses comme ilz
auroient deu l'estre à raison de leurs exploitations; ilz ont esté
ménagez parce qu'on les voyoit taxez excessivement dans les par-
roisses où ils occupent, et il est certain que ce règlement proposé
n'aportera pas une si considérable diminution dans les parroisses du
domicilie où ils payeront leur taille ordinaire, que la deffense absolue
de les imposer dans la parroisse où ils exploitent y aporteroit de
déchet et de perte. »
On ferait toutefois exception pour les terres « égrenées »,
c'est-à-dire celles « qui dépendent d'une ferme dont le manoir
est clans une autre parroisse, ou bien des terres dépendantes
d'un marché sans manoir dont la principale quantité est dans
une parroisse » ; celles-là ne payeraient rien dans la paroisse où
elles sont situées, à condition que leur étendue ne dépassât pas
12 acres. D'ailleurs, dit-il, « il n'y en a pas quantité dans les
parroisses1 ».
L'intendant de Caen juge également cette réforme nécessaire,
au moins dans un cas particulier qu'il expose au contrôleur
général le 8 juin 1685 8 : dans la paroisse de Varaville, sise à trois
lieues de Caen, presque toutes les terres sont possédées par des
bourgeois de Caen qui, depuis quelques années, les ont affer-
mées, non à des habitants de Varaville, mais à des taillables des
paroisses voisines, parce que les collecteurs de Varaville avaient
« imposé à des sommes excessives les bourgeois de Caen qui
faisoient valoir leurs héritages ». Les fermiers ayant obtenu de
n'être pas imposés à Varaville, conformément au règlement, il
en est résulté que les habitants du lieu ont été accablés par
leurs impôts; tandis qu'antérieurement ils payaient aisément
1800 1. de taille, actuellement ils ne sont imposés qu'à 1218 1.,
et néanmoins comme ils « ne sont qu'au nombre de 45 et pres-
que tous pauvres, ils ne peuvent porter cette somme ». La dif-
ficulté se complique du fait que les terres affermées étant des
herbages, les fermiers changent presque tous les ans, et souvent
les baux ne sont pas encore faits au moment où le rôle devra
être terminé. Il conviendrait donc que l'on renonçât à appliquer
le règlement, sinon dans toute la généralité, du moins à Vara-
ville. Tous les intéressés d'ailleurs « conviennent de contribuer
1. On voit que de Marillac propose le système du « corps de domaine » usité
en Auvergne (cf. ci-dessus, p. 286, n. 4).
2. A. N. G' 213.
LE CHANGEMENT D OCTROI. 291
sur un certain pied à l'imposition de cette parroisse, scavoir
les bourgeois de Caen sur le pied de 2 s. pour livre de la valeur
de leurs exploitations, et ceux des autres parroisses à raison de
1 s. 6 d. ».
A la mort de Colbert la question n'était donc pas réglée, et
elle ne le fut jamais par la suite : il y eut toujours des diffi-
cultés sur la question des contribuables exploitant des terres
hors de leur paroisse.
IV. — LE CHANGEMENT D'OCTROI
Quand un contribuable changeait de domicile, devait-il être
imposé dès la première année dans la paroisse où il venait
s'établir? Il en était ainsi dans le ressort de la Cour de Paris,
mais en Normandie il en était tout autrement : on y pratiquait
le système du changement d'octroi, qui a été bien défini par la
Cour des Aides de Rouen en 1600 :
Dans ce pays, dit-elle, « les personnes sorties d'une paroisse pour
demeurer en autre dans ladite province, sont continuez en leur assis
es lieux où ils ont été premièrement imposez, jusques à ce que par
V. M., par ses lettres de commission pour la tenue des Etats, il soit
ordonné du changement de contribution à raison du domicile changé :
ce que l'on appelle audit pais changement d'octroi, et n'avient quelques
fois de 10 ans en 10 ans, combien que lesdits Etats [se] tiennent et
assemblent chacun an, car quant à ceux qui sortent de ladite province,
ils y demeurent néanmoins contribuables, quelques demeures qu'ils
puissent faire hors icelle, et par quelque temps que ce soit, et comme
il est porté par lettres patentes du roi François Ier, données à Pigni le
23 décembre 1535 *. »
Ainsi, un contribuable était imposé dans la paroisse où il se
trouvait à une certaine date ou bien lorsqu'il avait commencé
à être taillable; et cela durait, même s'il changeait de domi-
cile, jusqu'à ce qu'un autre changement d'octroi fût ordonné
par le roi.
D'après le président La Barre, on pouvait faire porter le chan-
gement soit sur une seule élection, soit sur une seule généralité,
soit sur toute la province; mais en réalité tous les change-
1. Règlements de Normandie, p. 55. — Voir une autre définition semblable
dans le Mémoire de l'intendant Voysin en 1665, p. 85 et dans le Formulaire des
Esleuz, de La Barre, p. 223 et suiv. ; ce dernier donne l'explication de l'expression
« changement d'octroi » : Les impôts, dit-il, « sont consentis par les Etats de
la province et le roi octroyé de les lever », c'est pourquoi « on les nomme d'oc-
troy, du consentement réciproque ». Voysin dit aussi et plus simplement que ce
système est appelé ainsi parce que « la taille et autres impositions s'appelloient
autrefois l'octroi ». La taille avait encore conservé ce nom d'« octroi » en Languedoc
au xvme siècle (Moreau de Beaumont, Mém. sur les impositions, II, p. 121).
LA TAILLE EN xoit.M wun:.
menti ordonnés portèrent, semble-t-il, sur la province entière'.
Comme l'usage était spécial à la Normandie, il était impoi
sible d'opérer le changement avec les provinces voisines, de
BOrtfl que, comme le dit la Cour des aides, tout contribuable
imposé une lois en Normandie, le demeurait toujours. L'ititen-
dant Voysin cite l'exemple curieux d'un nommé Le Tellier qui,
établi comme capitaine major à l'île Saint-Christophe, ne cessait
pas néanmoins d'être imposé dans l'élection de Pont-1'Evèque,
« quoique le bien qu'il y possède soit tenu a ferme par sa sœur
qui est imposée pour raison de ce aussi de son chef2 ». Cette
pratique était particulièrement indispensable dans le voisinage
de la Bretagne, où, comme on l'a vu, beaucoup de contribuables
étaient tentés d'aller se réfugier pour se soustraire à l'impôt; en
ce cas La Barre explique comment la règle était avantageuse à la
Normandie, car « à toutes occasions [les taillables] se jettent en
Bretagne à l'abry, cuidans par ce moyen évader aux tailles...
mais on ne les desrolle jamais, ains les fait-on payer leur taux
toute leur vie si on trouve de quoy exécuter3 ». Aussi dès le
début, dans les lettres patentes de 1535, avait-il été spécifié
que les contribuables qui sortiraient de Normandie y demeure-
raient néanmoins toujours imposés*.
Le procédé de laisser un taillable domicilié toute sa vie au
même lieu quelle que fût sa résidence effective, aurait eu de
grands avantages au point de vue fiscal6; chaque changement
d'octroi était en effet l'occasion de fraudes : certains contri-
buables transféraient leur domicile dans des villes franches ou
abonnées6, d'autres se faisaient dérôler de leur paroisse sans
se faire enrôler dans une autre, d'autres encore s'arrangeaient
pour obtenir de leurs concitoyens, par la menace d'un délogc-
ment, une faible imposition :
« Lorsqu'on s'imagine qu'il doit arriver un changement d'octroy, écrit
l'intendant Voysin de la Noiraye, les taillables font des changemens de
1. La Barre dit que le changement à l'intérieur de chaque élection seulement Tut
ordonné en 1599 après les troubles; un changement à l'intérieur de chaque généra-
lité aurait été fait en 1611 ; enfin, dit-il, des changements importants sur toute la pro-
vince ne se font pas « pour le peu de personnes qui vont et passent de généralité
en généralité », mais en tout ceci La Barre semble bien commettre des erreurs;
tous les changements que nous connaissons portent sur l'ensemble de la province.
2. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 86.
3. Cependant, quelques lignes plus haut, La Barre estime que la franchise des
Bretons n'est pas si considérable qu'on pourrait le croire, car, dit-il, « on leur
fait boire en récompense le vin de France qui y est conduit bien chèrement >;
malgré cela l'abondance des translations de domiciles en Bretagne et les mesures
Î irises pour en éviter les effets prouvent que la Bretagne était réellement privi-
égiée (cf. ci-dessus, p. 265).
4. Voir les lettres patentes du 23 décembre 1535, A. N. AD' 18.
5. Les inconvénients apparaissent aussi clairement : les collecteurs ne pouvaient
aHer percevoir l'impôt sur des contribuables domiciliés au loin ; ceux-ci ne passaient
jamais à la collecte dans la paroisse où ils étaient imposés, et par contre ils assis-
taient à des assemblées où ils n'avaient pas d'intérêt. Enfin, les saisies et exécu-
tions, les procès étaient beaucoup plus difficiles et plus coûteux.
6. Voir ci-dessus, p. 270.
LE CHANGEMENT d'oCTROI. 293
demeure et se retirent assez souvent d'une grande parroisse en laquelle
ils tiennent des fermes et vont dans une plus petite qui porte moins
de taille et qui est protégée pour tascher de se faire soullager ; ils y
portent, lorsqu'ils y deviennent taillables, la somme à laquelle ils
estoient imposez en la parroisse qu'ils quittent, laquelle on descharge
de pareille somme lorsqu'on règle le changement d'octroy; cela faict
qu'un particulier qui devient taillable lorsqu'il devient majeur (ce qui
arrive en Normandie à l'aage de 20 ans) prend soing et affecte de
demeurer lorsqu'il acquiert ses ans de majorité dans une petite par-
roisse de laquelle il se rend contribuable, et ensuite prend sa demeure
et de grandes fermes dans une autre parroisse où on ne peut l'impo-
ser. Cet usage faict qu il est beaucoup plus dificile que dans les
autres provinces de faire le département des tailles avec toute la jus-
tice et l'égalité qu'on peut désirer1. »
En outre, chaque changement fait naître une multitude de
procès; les collecteurs ont peine à recouvrer les sommes dues
par les contribuables domiciliés loin de leur paroisse; avant le
changement, on surcharge les particuliers qui vont être rayés
du rôle, pour que la paroisse soit plus fortement diminuée ; des
mineurs vont acquérir leur majorité en de petites paroisses
pour être moins imposés; enfin la répartition des indemnités
en cas de grêle, incendie ou logement de gens de guerre est très
difficile 2.
L'intérêt du roi serait donc de ne jamais autoriser le change-
ment. Mais l'intérêt des contribuables est tout opposé; c'est
pourquoi les demandes de changement étaient toujours faites par
les Etats de la province. Ainsi en février 1638, ils représentaient
au roi que
« le changement d'octroy est un remède nécessaire aux difficultez
que ressentent les collecteurs des tailles à se faire payer de ceulz dont
les domiciles sont transferez non seulement de parroisse en autre,
mais d'eslection en eslection, et à la ruine des contribuables qui
sentent leur faix aggravé par les courses des huissiers et voyages
pour le payement de ce qu'ils bailleroient sans frais, s'ils le mettoient
en la recepte de la parroisse où ils font leur demeure 3 ».
Le roi se faisait beaucoup prier avant de céder à ces demandes ;
un changement prononcé par lettres patentes du 30 septem-
1. Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 86-87.
2. Voysin signale, en compensation, der.x avantages : la province conserve
toujours ses contribuables, et les gentilshommes ont moins de facilités à faire
soulager leurs fermiers par les collecteurs; mais ces avantages sont bien maigres,
et ils pourraient être obtenus d'autre façon.
3. Dans de Beaurepaire, Cahiers, règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III,
p. 69-70, cf. le Cahier de février 1658, art. 14 : <■ Pour délivrer les pauvres col-
lecteurs des peines et des frais qu'ils font à courir après leurs taillables en
diverses paroisses, et quelques fois fort éloignées, ensemble pour faciliter l'accé-
lération des deniers de vos tailles, nous demandons le changement d'octroy... »
(ibid., Supplément, p. 8.)
294 LA TAILLE EN NORMANDIE.
bre 1638 avait été ajourné à 1640 *; un autre fut autorisé par
déclaration du 10 août 1647 2. Dans le règlement des tailles du
16 avril 1643, le roi avait décidé qu'à l'avenir en Normandie il
serait procédé au changement d'octroi « de trois en trois ans* ».
mais le règlement n'avait pas été reçu dans la province, et les
choses- étaient demeurées en l'état. C'est seulement en 1660
qu'un nouveau changement fut prescrit; il devait être le dernier.
La déclaration du 24 février 1660 qui l'ordonna fait connaître
les motifs pour lesquels le roi l'autorisait et réglemente en
détail la façon dont il devait être effectué4. Le point essentiel
est que l'opération enregistrera le domicile réel des contrit
buables au 31 décembre 1659, en d'autres termes que tout
contribuable sera considéré jusqu'au prochain changement
comme domicilié là où il était le 31 décembre 1659. (Le choix
d'une date antérieure à la déclaration était fait pour empêcher
les fraudes.) Les habitants de chaque paroisse se réuniront en
assemblée et dresseront la liste des contribuables sortis de leur
paroisse, avec le chiffre d'impôt payé par chacun en 1660 5.
Cette liste sera envoyée aux élus qui résumeront dans un tableau
tous les changements survenus dans leur élection 6. Mais, à la
différence de ce qui s'était passé pour les changements précé-
dents, les élus seront contrôlés par l'intendant, qui revisera leur
tableau et s'en servira pour faire le département des tailles. Si
1. Hunger, Histoire de Verton, p. 272;
2. Indiquée dans C. d. T., t. I, p. 319; cf. un arrêt du conseil du 15 décembre 1649
et un arrêt de la Cour des aides de Normandie du 4 février 1630 avec un état des
translations de domicile faites dans l'élection de Gaen, dressé le 19 décembre 1650,
A. D. Calvados, élection de Caen.
3. Art. i'6 dans C. d. T., I, p. 392. — Par le même article le roi déclarait qu'il
maintenait le système du changement d'octroi dans la province; il revenait ainsi
sur l'art, du règlement de janvier 1634 par lequel l'usage du ressort de Paris
était consacré et établi dans tous les pays de taille personnelle, mais les com-
missaires au régalement des tailles envoyés en Normandie à la suite de ce
règlement avaient demandé au roi s'il entendait bien déroger à l'usage de la
province, et par l'arrêt du conseil du 20 janvier 1635, le roi déclarait « que son
intention n'a point esté d'abroger par ledit Ecdict ce qui a esté en nos regards
observé de tout temps et jusque» à présent en ladite province de Normandye »
(art. I", A. Mun. Rouen 183, pièce 3).
4. A. D. Calv., Election de Caen.
5. Voici, par exemple, le procès-verbal de l'assemblée des habitants de Rots
dans l'élection de Caen, du 17 juillet 1661 ; il y est dit que l'assemblée a été con-
voquée « pour nommer les occupons et labourans les héritages de la parroisse
de Rots, et premièrement les parroissiens de Saint-Manvieu, Bretteville-l'Orguel-
lieuze, les parroissiens de Lacour-Royel, Saint-Louet et Authie, Franqueville,
lesquels labourent les deux tiers dudit terroir, et les bourgeois qui labourent
leurs héritages (suivent 6 noms) et mesme de ceux qui dérogent (2 noms) suivant
le mandement à nous envoyé par Messieurs les présidents et lieutenants généraux
de lu Cour des Aides du Parlement de Rouen. » (A. Mun. Rots BB 4, f° 169.) —
On voit que l'assemblée n'eut lieu qu'un an et demi après la déclaration du chan-
gement d'octroi : c'est un exemple de la négligence apportée par l'administration
à exécuter les ordres du gouvernement.
6. Je n'ai trouvé aucun des états dressés dans les élections en 1660, mais il en
existe un de l'élection de Caen dressé à la suite du changement de 1648; cet état,
daté du 19 décembre 1650, porte seulement les contribuables que perd l'élection;
il contient au total 186 noms dont l'imposition était de 2 016 1. 19 s. 6 d. (A. D.
Calvados, Election de Caen.)
LE CHANGEMENT D OCTROI. 29 5
dans les déclarations faites par les paroisses il y a eu des fraudes
délogements fictifs, omissions, falsifications de cotes, etc., les
intendants seuls en connaîtront et y remédieront lors du dépar-
tement. Les contestations entre particuliers ou entre paroisses
seront jugées par les Elections, mais en appel les contribuables
ne pourront se pourvoir que devant l'intendant de la généralité,
« afin d'estre icelles contestations et differens terminés sommai-
rement et en dernier ressort et sans frais ».
La Cour des aides, dépossédée, ne manqua pas de protester
contre cette « commission souveraine » donnée aux intendants ;
elle envoya au roi une délégation pour demander « que les com-
missaires départis dans les généralitez ne pourront entreprendre
ni connoître d'aucune matière concernant la juridiction con-
tentieuse de ladite cour1 », et elle obtint une demi-satisfac-
tion par l'arrêt du Conseil du 28 mai 1661 qui limitait au
31 mars 1662 la durée de la commission des intendants, les
parties devant, après cette date, « se pourvoir en première ins-
tance par-devant les élus et par apel en ladite Cour des Aides,
sans qu'elle puisse ordonner aucune chose contre les jugemens
rendus par lesdits sieurs commissaires ». Mais ce délai donné
aux intendants était suffisant pour terminer le plus grand
nombre des affaires, et ils firent diligence pour y parvenir :
celui de Caen, par un mandement du 18 février 1662, ordonna
à toutes les paroisses de la généralité d'avoir à se pourvoir
par-devant lui avant le 31 mars suivant2.
Ces procès furent très nombreux; ils entraînaient les paroisses
à des dépenses considérables. La plupart étaient causés, sui-
vant l'intendant de Caen, par les « envois mal faits, changemens
de noms, erreurs et obmissions trouvées dans les qualitez et
demeures desdits contribuables envoyez d'élection en élection et
de parroisse en autre » ; les élus ayant condamné de nombreuses
paroisses à restituer à d'autres les impôts des tàillables mal
dérôlés, le recouvrement de ces sommes cause « des frais
extraordinaires dans lesdites parroisses, tellement éloignées les
unes des autres, que les collecteurs d'icelles sont souvent obligez
de faire jusques à dix et quinze lieues de leurs demeures, plus
ou moins, pour recevoir les impôts desdits contribuables, ce qui
les consomme en frais et apporte du retardement au recouvre-
ment des deniers de S. M. et mesme la perte d'iceux3... »
1. Règlements de Normandie, p. 122.
2. A. D. Calvados, Election de Caen, Registre d'Ordonnances de 1656-1663,
f° 466, imprimé. Il semble que l'arrêt du 28 mai 1661 n'ait pas été appliqué exac-
tement : nous trouvons encore une ordonnance de l'intendant de Caen, datée du
29 décembre 1662, relative aux procès soulevés par le changement d'octroi : il
ordonne aux paroisses d'envoyer à ses bureaux la liste des jugements qu'il a
antérieurement rendus sur la matière « pour en estre par nous dressé des estats
et pourveu sur les charges et décharges desdites paroisses au prochain départe-
ment. » (Ibid.)
3. Mandement du 18 février 1662, cité plus haut.
pM LA TAILLE BN NORMANDIE.
Ces procès, comme tous les autres, furent interminables. A la
lin de [665, l'intendant de Rouen écrit qu'ils ne sont pas encore
réglés « après deux années de procédures devant l'intendant et
deux autres en la Cour des aydes ' » ; en 1669, les commissions
des tailles de la même généralité portent encore que la paroisse
de Morainville, de l'élection de Conches, sera augmentée de
183 1. au profit de celle de Droizy « pour le taux du nommé
Léonnard Foucault, envoyé en ladite paroisse de Drouesy par
les habitant dudit Morainville lors du dernier changement
d'octroy ».
Les intendants de Normandie, après l'expérience de 1660,
s'accordèrent à condamner le système. On a déjà vu les raisons
données par Voysin de la Noiraye en 1665. Le 27 juin 1669,
son collègue de Caen, Chamillart, écrivait à Colbert :
« Dans l'examen que je fais avec les collecteurs de Testât de chacune
parroisse, je trouve que le plus grand abus procède du changement
d'octroy, et comme vous m'avez faict l'honneur de me demander mon
advis sur ce sujet dès l'année dernière, et qu'aprez avoir conféré avec
MM. les trésoriers de France et eleus, et avec les receveurs généraux
et particulliers, j'ay trouvé que tous d'une voix blâment cet establis-
sement et sont d'advis que l'usage de la Cour des Aydes de Paris est
beaucoup meilleur, lequel se practique en cette généralité pour l'impo-
sition du sel, je vous l'ay envoie suivant vostre ordre. Je crois que
vous trouverez à propos de faire reflection sur cet article, comme
très important pour le recouvrement des deniers de la taille 2. »
Son collègue d'AIençon partageait cette opinion; mais le
système trouva aussi des défenseurs : nous en avons l'indice
par la note suivante, écrite par Marin en marge de la lettre
de Chamillart : « Monsieur le Contrôleur général est convenu
de surceoir cette résolution sur les difTérendz advis; la chose
mérite bien d'y penser. » Enfin le changement d'octroi fut con-
damné, et la déclaration du 3 mars 1671 étendit l'usage de
Paris à la Normandie. Dans le préambule, le roi explique les
motifs de cette détermination :
« Aiant fait examiner en nôtre Conseil les diférens réglemens faits
pour les tailles de notre province de Normandie en ce qui touche les
changemens d'octrois..., étant à craindre que la continuation de cet
usage ne les fît augmenter par la multiplication des procès qui s'in-
tentent fréquemment, à cause des charges et décharges qu'il faut
faire des paroisses lors de l'imposition de nos tailles, selon qu'elles
ont perdu ou gagné d'habitans, par les renvois qui se font des taux et
cottes de ceux qui sont sortis d'une paroisse pour aller demeurer en
1. M. C. 131, f> 76.
2. M. G., 153"4*, f° 831. Encore le 15 octobre 1670, il insistait pour faire aup-
{>rimer le changement d'octroi « et establir le mesme ordre pour le payement de
a taille que celui qui s'observe dans le ressort de la Cour des Aydes de Paris ».
(Clairamb. 792, p. 353, analyse de sa lettre.)
LE CHANGEMENT D OCTROI 297
une autre dans les temps portés par nos lettres patentes de change-
ment d'octroi; et d'ailleurs, dans la suite du temps, la plupart des
habitants des paroisses ne se trouvant plus imposez au lieu de leur
domicile, et s'établissans en différentes paroisses écartées, il est impos-
sible aux collecteurs de les suivre pour faire la collecte de nos deniers,
sans faire des frais excessifs qui excédent souvent les taux des particu-
liers, comme étant obligez pour s'en faire paier de soutenir plusieurs
procès en diverses élections qui leur sont faits par la malice des contri-
buables aux tailles, espérans par ce moien, comme il arrive ordinai-
rement, faire perdre ausdits collecteurs le courage de faire de plus
grandes poursuites, et les obliger par ces longueurs et chicanes de
paier leurs taux en pure perte et de leurs deniers, dont ordinaire-
ment s'ensuit non seulement la ruine entière desdits collecteurs, mais
aussi la surcharge de nos pauvres taillables par l'inégalité en la cotte
des particuliers éloignez de la demeure des collecteurs pour n'avoir
une connoissance entière des biens et facultez des taillables, ni de
leur trafic et industrie, lesquels abus retardent non seulement le
recouvrement de nos deniers, mais encore causent la ruine entière
de nosdits sujets... »
En conséquence, l'usage du changement d'octroi est sup-
primé; à l'avenir les taillables payeront leurs impôts « aux lieux,
paroisses et élections où ils seront domiciliez » ; pour 1672, ils
payeront dans les paroisses où ils demeuraient à la date du
31 décembre 1670; ceux qui changeront de domicile seront
tenus de suivre les prescriptions appliquées dans le ressort de
la Cour des aides de Paris : ils devront faire publier leur chan-
gement dans la paroisse qu'ils quittent avant le 1er septembre de
chaque année, et déclarer à l'élection dans laquelle ils entrent
« qu'ils partent d'une telle paroisse; combien ils y paioient de
taille; quelle vacation ils y professoient; si laboureurs, à com-
bien de charues et à qui elles apartenoient; » ensuite de quoi,
ils auront acquis leur domicile dans la nouvelle paroisse au bout
d'un an et un jour s'ils sont laboureurs, de deux ans s'ils sont
artisans ou manouvriers.
Ces prescriptions furent complétées par les articles 9 et 10 du
règlement du 20 août 1673 : les déclarations faites par les con-
tribuables dans la paroisse qu'ils auront quittée devront être
inscrites le 15 septembre au plus tard sur un registre paraphé,
déposé au greffe de l'Election; les procès intentés pour ce motif
devront être jugés avant le 31 décembre, sinon les intéressés
payeront leur impôt dans les deux paroisses à la fois; même
pénalité si la déclaration n'est pas faite avant le 1er septembre
(art. 27). Une modification à ce règlement fut faite par l'ordon-
nance du 22 août 1674, qui prolongeait jusqu'au 1er octobre le
délai de publication du délogement.
Un contribuable nouveau-venu dans une paroisse étant exposé
à être surchargé, soit parce que les collecteurs connaissaient
mal ses ressources, soit simplement parce qu'il était étranger à
298 LA TAILLE EN NORMANDIE.
la localité, le même règlement du 20 août 1G73 fît défense de
l'imposer la première année à une somme plus élevée que celle
qu'il payait dans son ancien domicile, « sinon a proportion »t
au sol la livre de l'augmentation, sauf aux habitans en cas de
fraude de donner leurs mémoires pour [le] faire taxer d'office
raisonnablement » (art. 28).
L'introduction de ce nouvel usage dans la province bouleversa
le département de la taille '. Les intendants des trois généralités
et le procureur général de la Cour des Aides se réunirent en
conférence pour arrêter les mesures à prendre dans l'application
de la réforme 2. Le règlement des difficultés soulevées par tous
les cas particuliers coûta beaucoup de peine; Barin de la Galis-
sonnière écrit le 2 septembre 1671 : « En vérité ce travail est
extraordinairement long, et particulièrement dans les grandes
eslections, ce que je n'aurois pas creu si je n'en avois esté con-
vaincu par ce qui se fait dans l'eslection de Rouen et dans celle
d'Arqués. » Néanmoins, à cette date, son travail est très avancé :
« Il ne nous manque plus, dit-il, que le Pont-de-1'Arche, dont les
officiers n'ont ny sens ny raison ; ils m'ont néanmoins fait espérer que
samedy ils me remettroient entre les mains Testât des changemens
arrivez dans leur département. Il y a aussy quelque chose qui manque
pour Andely, et ce qui est de plus embarrassant, est que le plus
intelligent des receveurs des tailles est mort depuis deux jours.
J'espère envoyer vers le 8 ou le 9 de ce mois l'état des changements
arrivés dans toute la généralité à M. Marin 3. »
Mais le lendemain il écrit que le travail durera plus long-
temps qu'il ne pensait : c'est seulement le 27 septembre qu'il
envoie l'état annoncé*. Pareillement l'intendant d'Alençon écrit
le 18 janvier 1672 que « l'affaire qui lui donne à présent le plus
d'occupation dans sa généralité est l'exécution de la déclaration
concernant la révocation du changement d'octroi3 ».
Les translations de domicile étaient en effet partout extrème-
1. Cf. le tableau des « entrons et sortons » de la paroisse d'Acquigny (élection
de Pont de l'Arche) à la suite de la révocation du changement d'octroi : sur
environ 180 feux (185 en 1G65 : Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 166), il y a
15 sortants, imposés ù 174 1., et 19 entrants, imposés à 212 1. : le mouvement
porte donc sur le cinquième environ des contribuables (A. D., S.-Inf., C, 2 215).
2. Le 13 avril 1671, l'intendant d'Alençon, de Marie, écrit à Colbert qu'il vient
de conférer avec son collègue de Rouen (Clairambault, 792, p. 628), et le 7 sep-
tembre suivant il envoie à Colbert « un projet de règlement sur le sujet de la
translation de domicile avec les observations de MM. de la Galissonnière, Cha-
millart et Le Camus, procureur général » (Ibid., 793, p. 93); dès le 15 juin 1671,
l'intendant de Caen avait rendu une ordonnance séparée pour sa généralité (men-
tion en est fuite dans le mandement aux paroisses du 4 octobre 1673), l'intendant
de Rouen, La Galissonnière, envoie également ù Marin, le 27 septembre 1671, son
projet de règlement pour les mutations d'élection à élection (Clairamb., 793, p. 99).
3. M. C. 157, f 410.
4. M. C. 157"*, f 563 et 570. L'état manque.
5. Analyse de sa lettre dans Clairambault, 793, p. 320.
LE CHANGEMENT D OCTROI. 299
ment nombreuses, les contribuables y trouvant un moyen pour
frauder le fisc : il faudrait, écrit La Galissonnière le 27 sep-
tembre 1671, « oster à ces sortes de gens l'esprit de changer, ce
qu'ils font très souvent par une pure ignorance et dans la
pensée de se soulager, et ce qui les consomme en frais et en
procédure1 ». Les changements, d'ailleurs, intéressaient non seu-
lement le département entre les paroisses et les élections, mais
aussi celui des généralités, normandes ou non, et il entraînait
un remaniement dans les chiffres portés par les commissions des
tailles. Pour y remédier, La Galissonnière proposait, le 26 sep-
tembre 1671, de rendre un arrêt du Conseil pour dégrever les
élections qui perdaient de l'impôt, sinon cette année même, du
moins les années suivantes2.
Une autre difficulté résultait de la perpétuelle rivalité entre
la Cour des aides et les intendants. Un arrêt du conseil du
22 avril 1671 avait enjoint à ces derniers « de juger sommai-
rement en dernier ressort et sans frais pendant l'année présente
et la prochaine seulement les contestations et différens qui
pouroient naistre au sujet des domiciles des taillables3; » à la
suite de cet arrêt, l'intendant de Rouen avait ordonné aux
contribuables d'introduire leurs instances devant lui, ou, en son
absence, devant le sieur Duchemin, son subdélégué4; ses deux
collègues de Normandie en avaient fait de même ; mais la Cour
des Aides avait élevé d'énergiques protestations contre cette
« usurpation », et une fois passé le délai fixé par l'arrêt du
22 avril 1671, elle ordonna que les procès relatifs aux transla-
tions de domicile qui n'avaient « point été jugez par lesdits
commissaires départis ou leurs subdéléguez auparavant ledit
jour dernier mars an présent », et ceux qui naîtraient à l'avenir
devraient être poursuivis en première instance aux Elections et
en appel devant elle5. Toutefois, l'intendant de Caen prétendit,
malgré les ordonnances, conserver après 1673 le jugement de
ces procès. Dans son mandement aux paroisses du 1er août 1678,
il écrit :
« Parce que les translations de domicile causent une infinité de procès,
qui consomment les communautés en frais, nous avons, pour les éviter,
résolu de juger lesdites translations avec les officiers des eslections au
temps du département, afin de comprendre au bas des mandements
qui vous seront envoyés, ceux qui seront à enroller ou déroller. C'est
pourquoy nous vous enjoignons de vous trouver et faire trouver le
1. M. G. 157 bis, f° 570.
2. Ibid., f° 563.
3. Mandement de l'intendant de Rouen aux paroisses pour la taille de 1672,
préambule; cf. une lettre de Michel Colbert du 1er février 1672, Clairambault, 793,
p. 334.
4. A. D. Seine-Inférieure, G 2 215.
5. Arrêt du 19 mai 1673. A. D. Calvados, Élection de Caen, Registre d'Ordon-
nances, à sa date.
300 LA TAILLB EN XOHMANDIE.
sieur curé de votre paroisse, lors de la visite et chevauchée que feront
le9 officiers de votre eslection, pour rendre raison des entrans et
sortans de votre parroisse, afin que lesdits officiers nous en informent
lors du département prochain, et qu'il y soit par nous pourvu1. »
Son zèle n'eut d'ailleurs pas grands résultats : quatre ans
après, il déplorait encore la multiplicité des procès et le peu de
zèle mis par les élus à les terminer :
« Par la déclaration de 1673, art. 9, il est porté qu'à faute par les
particuliers qui voudront transférer leur domicile d'avoir exécuté et
jugé contradictoirement leur translation dans le temps porté par les
précédens réglemens, ils payeront leurs taux es deux parroisses où
ils se trouveront taxez. Le peu d'aplication que les officiers des
eslections et notamment les présidens et procureurs du roy ont eu à
faire exécuter cet article a causé une infinité de procez et de confusion
dans les translations de domicile, parce que la plus grande partie des
particuliers ne font leur déclaration de vouloir changer de domicilie
que pour se prévaloir des deffenses portées par la mesme déclaration
art. 28 de hausser ceux qui ont fait signiffier leursdites déclarations,
en sorte qu'après la confection du roolle lesdits particuliers n'ont tenu
compte de faire juger lesdites translations*. »
L'intendant d'Alençon ne fut pas plus heureux. Il écrit le
1er septembre 1683 qu'il y a « une infinité » de procès sur cette
matière : comme « depuis la révocation de l'octroy les contri-
buables ont cru que cette facilité de changer de domicile leur
procureroit quelque soulagement dans leurs impositions, on a
veu une sy grande quantité d'actes de translations de domicilies
enregistrez aux greffes des eslections, qu'il a esté nécessaire
d'obliger les greffiers d'en envoyer des estats dans le mois de
juillet, afin de n'avoir pas cet examen à faire lors du départe-
ment, qui en auroit esté retardé considérablement »; mais alors
les greffiers, « voyans que les estats qu'ils envoyoient estaient
crus, et qu'ils n'estoient pas examinez, n'ont pas pris soin tju ilz
fussent fort exatz, et peut-estre ne l'ont-ils pas voulu » ; il en
est résulté des procès, et les paroisses ont fait faire des transla-
tions de domicile « faintes » pour des gens taxés à de gros taux,
dont elles se sont fait décharger, « et par conséquent d'autres
ont esté accablées1». Plus que jamais les élections furent
encombrées de procès relatifs à cette question et les plaintes
des intendants sur les abus commis sont continuelles. En
juin 1676, Le Blanc constate que les plus riches contribuables de
la paroisse de Bonneville la Louvette veulent « s'exempter du
payement de la taille et autres contributions, et empescher l'exé-
cution des roolles par des publications de translations de domi-
1. A. D. Calvados, C, Élection de Caen.
2. Lettre du 11 mai 1682, A. N., G' 213.
3. A. N., G' 71.
LE CHANGEMENT D OCTROI. 301
cile frauduleuses », tout en continuant à demeurer et à faire
valoir leurs biens dans la paroisse. Il doit ordonner, quoique
l'affaire semble plutôt ressortir de la Cour des aides, que le rôle
des tailles de la paroisse sera exécuté tel qu'il est, sans tenir
compte des changements de domicile frauduleux1.
Des précautions avaient cependant été prises par les intendants
pour compléter les prescriptions des règlements royaux;, ils les
inséraient dans leurs mandements annuels ou les faisaient insérer
par le Conseil dans les commissions des tailles.
Par le mandement aux paroisses de la généralité de Caen
du 4 octobre 1673, il est prescrit que les procès relatifs aux
changements de domicile devront être « sommairement réglez »
par les officiers des Elections, avec défense aux intéressés de se
pourvoir sous aucun prétexte contre les jugements rendus après
le 31 décembre :
« faute de quoy faire dans ledit temps et iceluy passé, lesdits parti-
culiers payeront es deux parroisses où ils se trouveront cottisez, sans
néanmoins que les communautez puissent intenter aucune action en
garantie, à cause des charges et décharges faites de parroisse en par-
roisse, en conséquence des translations de domiciles, attendu que
nous y avons pourveu et fait considération en procédant au départe-
ment des tailles de chacune élection, et à cet effet faisons deffènses
ausdits eleus de juger aucune recharge, rejet ny décharge pour raison
de ce, sur les peines au cas appartenant2. »
En 1679, l'intendant de Caen défend encore aux greffiers des
élections « de recevoir ny registrer aucune déclaration de trans-
lation de domicile, si le nom, surnom, qualité de laboureur ou
autres exploitant terre ou simple manouvrier ou journalier non
exploitant terre ne sont précisément employés, ainsi que le véri-
table taux, dans l'acte de publication qui en aura esté faite par
le curé au prône de la paroisse conformément à ladite trans-
lation de domicile, ... à peine d'interdiction contre le greffier3 ».
Dans la généralité de Rouen, l'intendant Le Blanc sévit, le
6 octobre 1677, contre les translations de domicile fictives : les
particuliers, dit-il, font souvent des déclarations de changement
que la plupart n'exécutent point,
« feignans seulement d'aller demeurer, aux lieux où ils déclarent, dans
des petites maisons et fours sans aucunes terres de labeur, lesquelles
petites maisons et fours ils tiennent à ferme les uns par soixante
sols, les autres par six livres et les plus hautes à dix livres, ce qu'ils
font pour empescher l'augmentation de leurs impositions qui sont
depuis quatre cent livres jusques à la plus basse somme, ce qui est
1. Sentence du 18 juin 1676, B. N. fr. 8 761bls, f° 10.
2. A. D. Calvados, Bureau des finances. La prescription est répétée dans les
mandements des années suivantes.
3. A. D. Calvados, Election de Caen.
LA TAII.I.i: BU NOHMANDIE.
contraire aux réglemens des tailles, et à quoy estant nécessaire de
pourvoir, Nous Intendant susdit ordonnons que les particuliers
exploitans des héritages depuis cinquante cinq livres jusqu'à soixante
livres et au-dessus qui ont faict leurs déclarations auparavant le
1er jour d'octobre 167(3 de sortir et entrer aux paroisses de ladite
eslection, seront renvoyez et receus en icelle pour Tannée prochaine,
et au regard des autres et des artisans, gens de journée et sans vacation,
3u'ils contribueront encor pour ladite année prochaine aux lieux où
s sont taillables sauf à les renvoyer aux paroisses où ils ont déclaré
vouloir contribuer en Tannée 16791. »
Encore le 8 juin 1680, il fait aux paroisses des prescriptions
minutieuses rappelant que les déclarations doivent être faites
avant le 1er octobre de chaque année, qu'elles doivent contenir
les noms des paroisses et des élections, « les noms, surnoms,
qualités et vacations des particuliers, ce qu'ils possèdent en
propre et tiennent à ferme, de qui et pour quels prix, et géné-
ralement toutes les occupations qu'ils font et celles qu'ils vont
entreprendre »; si le changement se fait pour aller dans une
élection différente, la déclaration sera faite aux deux élections,
elle devra être signée « du curé ou vicaire et de quatre des prin-
cipaux habitans de la paroisse de laquelle ils sont sortis, con-
tenant le jour de leur sprtie effective, et un autre certificat signé
du curé ou vicaire de la nouvelle paroisse, contenant le jour
qu'ils y ont actuellement étably leur domicile ». Les greffiers
ont un droit de 2 s. par extrait du rôle délivré aux parties; ils
ne peuvent prendre davantage « quand même il leur seroit offert
volontairement », — ce qui prouve que cela devait arriver, — à
peine de 100 1. d'amende, applicable la moitié au dénonciateur,
et de dommages-intérêts. L'intendant ne craint même pas de
modifier de sa propre autorité les règlements royaux : il pres-
crit en effet que les taillables changeant de domicile seront
imposés dans leur nouvelle paroisse au bout d'un an s'ils tiennent
des fermes de plus de 100 1., et de deux ans dans le cas con-
traire. Les curés et vicaires commettent également des abus à
propos des actes de translation : « Sur ce que nous avons été
averti qu'aucuns curez et vicaires des paroisses exigent quinze
et vingt sols pour les publications des actes de translations de
domicile, nous leur faisons deffenses de prendre plus de 2 s.
6 d., tant pour la publication que pour la certification de chacun
acte de translation de domicile, à peine de restitution et de 10 1.
d'amende*. » Malgré cela, Le Blanc reconnaît le 20 novem-
bre 1680 que parmi ces translations de domicile « presque
toutes, excepté celles des fermiers qui vont prendre des fermes
dans d'autres paroisses ou eslections, sont fausses 3».
1. B. N. fr. 8 761bU, f» 101.
2. Ordonnance du 8 juin 1680, envoyée à Colbert le 20 novembre suivant, A.N..
G7 491, imprimée.
3. A. N.. G' 491.
LE CHANGEMENT D OCTROI. 303
Pour contrôler les translations de domicile, les intendants se
firent adresser directement par les collecteurs les états des
changements, sans passer par l'intermédiaire des élus : à la fin
des mandements aux paroisses pour la levée de la taille, ils
laissèrent deux colonnes en blanc dans lesquelles les habitants
devaient insérer ceux qui entraient dans leur paroisse et ceux
qui en sortaient1.
Enfin, vers 1680, il parut aux intendants que les choses ne
pouvaient pas rester en l'état, et qu'une nouvelle réglementation
était nécessaire; Méliand envoya de Caen à Colbert un long
mémoire où il expliquait en détail les défauts du système ; c'est
là, disait-il l'abus « le plus considérable » de la généralité :
« Pour s'exempter de la taille; un particulier déclare qu'il s'en va
hors généralité ; il sort de la parroisse, et, au lieu d'effectuer sa trans-
lation, il s'en va dans une ville franche comme Caen, Granville, ou
Cherbourg, ou dans une ville qui paye sa taille par tarif2, et après
avoir payé un an ou deux ans la taille en la parroisse qu'il a quitté,
suivant les règlements, en estant dérollé, il se trouve exempt de taille
pour l'advenir. Pour s'exempter de la collecte, un particulier dont le
tour approche d'estre collecteur d'une grosse parroisse la quitte, et
transfère son domicile en une petite de 2 ou 300 1. pour y consommer
son tour. Une veuve transfère son domicile dans une parroisse où elle
ne va point, et au lieu de ce elle va dans une ville franche ou abonnée;
un fils de famille fait la mesme chose pour acquérir ses ans de majorité,
et déclare qu'il transfère en quelque parroisse de la mesme eslection
avec un denier de taille sans l'effectuer, et son père venant à décéder,
il fait valoir le bien qui luy est escheu dans la parroisse qu'il a quitté,
et paye la taille dans celle où il a acquis ses ans de majorité par la
liberté qui est donnée par les règlements de faire valoir en diverses
parroisses de mesme eslection, et fait perdre à la parroisse où son
père est mort le taux qu'il y portoit. D'autres qui sont sur les extré-
mités des eslections ou généralité transfèrent leur domicilie dans des
parroisses voisines d'où, par des baux supposés, ils font valoir leurs
biens dans les parroisses qu'ils ont quitté sans y payer la taille. La
pluspart, prévoyants que les collecteurs qui seront nommés l'année
suivante les pourront hausser, déclarent transférer leur domicile, et
cela parce que par les règlements il est deffendu de hausser ceux qui
ont fait cette déclaration, laquelle ensuitte ils révoquent après que le
rolle est fait, d'où il naist des procès. Il y en a qui, dans un greffe
d'eslection déclarent qu'ils sont laboureurs pour estre dérollés un an
1. Voir, par exemple, les mandements de la généralité de Caen à partir de 1679
(A. D. Calvados, élection de Caen). La première colonne est intitulée « sortans :
noms des particuliers que vous aves à desroUer », et la seconde « entrans : noms
des particuliers que vous aves à enroller ». L'état devait être retourné à l'inten-
dant par l'intermédiaire du receveur des tailles. Dans la généralité de Rouen,
l'intendant Le Blanc en 1676 avait pris une mesure un peu différente; il enjoignait
aux collecteurs de faire « un chapitre séparé dans leur rôle des nouveaux entrans
dans votre paroisse et qui commenceront d'y estre taillables pour l'année pro-
chaine 1677 » (B. N. fr. 8 761b", f° 27), mais il adopte la même année le système
des colonnes ajoutées aux mandements (ibid., f° 98).
2. Sur les villes « tarifées », voir ci-dessous, chap. vu.
KM LA TAILLE LN XOII M ANDI B .
après dans la parroisse qu'ils quittent aux termes des règlements, e1
dans une autre eslection ils se déclarent journaliers pour n'y estre
imposés qu'après deux ans suivant les mesmes règlements : ainsy,
ils sont un an exempts de taille. Tous ces procès consomment les
taillables et collecteurs en frais. »
Voici maintenant les remèdes qu'il propose : Il ne faudrait
faire « aucunne différence de qualité tant de laboureurs que de
journaliers, non plus que de changements d'eslection ou de
généralité », et pareillement fixer uniformément à un an le délai
au bout duquel on deviendrait imposable dans la nouvelle paroisse.
Pour s'assurer que la translation est bien effectuée, on ferait
produire à l'intéressé un certificat signé du curé de sa nouvelle
paroisse ainsi que du collecteur porte-bourse et des trois plus
fort imposés ; il faut aussi ordonner aux élus de « vider sommai-
rement à l'audience et sans frais » les procès relatifs à la matière;
enfin il faut révoquer l'interdiction faite de hausser les contri-
buables dans la paroisse qu'ils viennent de quitter et où ils sont
encore imposés, la première année, en permettant aux collec-
teurs « de les imposer en leur âme et conscience comme ils
auroient pu faire si ladite déclaration et translation de domicile
n'avoit point esté faite, avec deffense néantmoins audit collecteur
de les surhausser mal à propos en haine de ladite déclaration1 ».
A la suite de ce mémoire, Méliand alla conférer à Paris avec
Berryer qui reconnut également la nécessité d'un nouveau
règlement*. C'est à la suite de ces études préliminaires que
Colbert rendit l'arrêt du conseil du 23 septembre 1681, qui, tout
en maintenant le système général des translations de domicile,
apportait, dans ses art. lô et 20, les modifications souhaitées
par les intendants. En premier lieu ce sont les contribuables
eux-mêmes qui iront faire leurs déclarations au greffe de l'élec-
tion où est située la paroisse qu'ils quittent; ils indiqueront leur
chiffre d'imposition, leur profession, « combien de charues [ils
cultivent] et à qui elles appartiennent », la paroisse où ils vont
demeurer, la profession qu'ils y exerceront, la quantité de terre
qu'ils y feront valoir; à cette condition seulement ils pourront
être déchargés dans la paroisse qu'ils quittent (art. 13); tous
les procès relatifs à la matière devront être jugés avant le 1er jan-
vier « à peine de nullité et d'estre imposés en deux paroisses »
(art. 14). Le temps pendant lequel un contribuable demeurera
imposé dans sa paroisse après l'avoir quittée, est fixé unifor-
mément à deux ans (art. 16); l'exception introduite par la
1. Mémoire du 15 août 1680, A. N., G" 213. Un mémoire semblable avait été
envoyé par l'intendant d'Alençon en 1679 (Lettre à Colbert du 9 novembre 1679,
A. N., G7 71). On voit d'après cette lettre que Colbert avait donné ordre aux
trois intendants de Normandie de chercher « le meilleur remède qu'on pouvoit
apporter » sur la matière; il est probable que l'ordonnance de Le Blanc du
8 juin 1680, citée plus haut, avait été rendue à la suite de ces conférences.
2. Méliand à Colbert, 24 octobre 1680. A. N. G? 213.
LE CHANGEMENT D OCTROI. 305
déclaration du 3 mars 1671 au sujet de ceux qui continueront à
faire encore valoir des biens dans la paroisse qu'ils ont quittée
est maintenue : ils seront imposés à la fois dans les deux
paroisses1.
L'arrêt fut repris sans changement par la déclaration du
16 août 1683.
Cette nouvelle réglementation ne mit pas fin à toutes les
difficultés ; l'intendant de Caen écrit au contrôleur général le
23 novembre 1683 que l'arrêt du 23 septembre « n'a presque
été connu que dans les greffes des élections 2 » ; il est resté
ignoré des contribuables qui n'ont pu se faire décharger à
temps, « ce qui a donné lieu à quantité de procès que les eslus
ont jugés à la rigueur, et obligé les particuliers à faire de nou-
velles déclarations » ; il se propose donc de le faire connaître
par la voie des mandements ; en outre les translations de domi-
cile fictives ne sont pas supprimées : « comme par le mesme
règlement les particuliers qui ont déclaré devoir transférer leur
domicile ne sont obligez de faire juger leur translation qu'avec
la parroisse d'où ils sortent, il arrive souvent que sans en sortir
et d'intelligence avec les habitans ils font déclarer leur transla-
tion bonne et dans la suitte cette parroisse se trouve déchargée
d'un gros taux et d'un meschant taillable, qu'une autre parroisse
est obligée de recevoir sans demeure préalable contre le règle-
ment, et souvent sans le connoitre aucunement ». Certains pro-
cureurs des élections ayant fait appeler aussi devant eux les habi-
tants de la paroisse où le domicile était transféré, « on a
presque toujours trouvé qu'il y avoit de l'intelligence et de la
friponnerie, et que les particuliers n'estoient point délogés3 ».
Dans la généralité d'Alençon, mêmes difficultés : toutefois le
3 août 1682, l'intendant de Morangis se félicite du succès de
1. Le texte imprimé dans les Règlements de Normandie, p. 213, porte ensuite :
« encore que les paroisses soient situées dans une même élection, ce qui aura
lieu lorsqu'elles seront de différentes élections » ; la phrase est inintelligible, il
semble qu'il y a ici une faute d'impression et qu'il faille lire : « ce qui aura lieu
également si les paroisses sont situées dans différentes élections ». L'art. 18 du
règlement est obscur et semble en contradiction avec l'art. 16 ; il porte en effet :
« Ceux qui transféreront leurs domiciles dans une paroisse pour y faire valoir
quelques fermes et qui cesseront de travailler à la culture des héritages de la
paroisse d'où ils seront sortis, seront imposez une année seulement dans la
même paroisse, après laquelle ils seront taxez dans celle de leur nouvel éta-
blissement » ; tandis que l'art. 16 dit : « Ceux qui auront satisfait aux formes
prescrites par le présent règlement seront taxez pendant deux années en la
paroisse qu'ils auront quitée, après laquelle ils seront imposez dans la paroisse
où ils auront transféré leur domicile au moins à la même somme qu'ils paioient
dans la paroisse d'où ils seront sortis. *
2. Il écrivait déjà le 11 mai 1682 qu'il avait fait publier et enregistrer l'arrêt
dans les élections, mais presque aucun des intéressés n'avait fait juger son trans-
fert; ils prétendaient, qu'ils n'y étaient pas tenus quand leur paroisse n'y faisait
pas opposition. Méliand demandait un nouvel arrêt .pour déclarer nulles les
translations de domicile qui n'auraient pas été jugées contradictoirement avec
les communautés intéressées avant le premier septembre de chaque année. (A. N..
G? 213.)
3. A. N., G^ 213.
LA TAILLE ES NORMANDIE.
20
|06 LA TAILLE KX NOIIMANDIE.
la nouvelle législation : « A l'égard des translations de domi-
cile, les règlements du conseil et principalement celuy du
23 septembre dernier y ont apporté beaucoup de remèdes, et
la sévérité avec laquelle on punit les translations de domicile
frauduleuses les a diminuées considérablement »; dans toutes
les élections, dit-il, j'ai usé des taxes d'office contre ceux qui
étaient convaincus Je telles fraudes. Le 22 octobre suivant
il renouvelle les assurances de sa satisfaction, et Colbert l'en
félicite : « j'apprends... que vous avez trouvé beaucoup moins
de translations de domicile et fort peu de frauduleuses. Vous
pouvez juger facilement par là, qu?en tenant la main soi-
gneusement à l'exécution de l'arrest du conseil du mois de
septembre de l'année dernière, vous remédierez assurément à
ce désordre, qui est très grand et très considérable1. » Mais
le 1er septembre 1683, son successeur, de Bouville, signalait
dans la généralité les mêmes abus qu'ailleurs : les élus ne
savent pas à quoi s'en tenir sur l'arrêt du conseil du 23 septembre,
les uns « prétendant qu'il suffit que la translation de domicile
soit exécutée avant le 1er janvier, et les autres voulant qu'elle
soit aussy jugée dans le mesme temps, afin de se faire autant de
proccz assurez qu'il y aura de translations de domicile enre-
fistrées à leur greffe ». Il a consulté sur cette difficulté la Cour
es aides qui, par un arrêt, a décidé que les translations
devraient être « exécutées et jugées » avant le 1er janvier. De
cette jurisprudence il est résulté une foule de procès, et, comme
dans la généralité de Caen, des translations frauduleuses; car,
dit-il, quand le contribuable a obtenu un jugement de l'Election,
il peut revenir dans sa paroisse et être exempt valablement en
présentant le jugement de translation qui lui servira de preuve ;
ce mal est particulièrement grand dans l'élection de Mortagne,
« parce que ayant tousjours esté surchargée et dans le voisinage
des généralitez de Tours et d'Orléans, grand nombre de parti-
culiers des plus riches habitans des parroisses ont fait des trans-
lations de domicile en fraude » ; il en est de même dans l'élec-
tion de Verneuil, voisine des généralités d'Orléans, de Paris et
de Rouen. Les collecteurs se sont mépris sur l'art. 17 : ils ont cru
qu' « il leur estoit permis d'imposer tous les particuliers qui fai-
soient valoir quelques héritages dans leurs parroisses, de sorte
que, par les descharges qui ont esté obtenues, il a esté ordonné
une infinité de rejetz, dont la plus grande partie n'est pas encore
acquittée2 ».
Ce rapport circonstancié nous autorise à suspecter l'optimisme
témoigné l'année précédente par de Morangis et celui qu'il
témoigna l'année suivante à propos de la généralité de Caen, où
1. Clém.. II, p. 212.
2. Mémoire du 1" septembre 1683, A. N. G' 71.
LA DATE DES ROLES. 307
il était passé au début de 1683 : « Les translations de domicile
avoient fait un grand désordre il y a quatre ans, mais les pré-
cautions qu'on a prises et le soin que j'ai eu de taxer d'office
ceux qui en avoient fait de frauduleuses a diminué considéra-
blement les translations qui se faisoient1. » En définitive on peut
dire que, à la mort de Colbert, la réglementation des change-
ments de domicile n'était pas au point, et était une source
importante de fraudes et d'abus; il en sera encore pendant
longtemps ainsi*.
V. — LA DATE DES ROLES
On a vu à propos de chacun des degrés de la répartition com-
bien il importait que tout fût terminé à temps. L'établissement
des rôles avant le commencement de l'année financière résul-
tait des mêmes nécessités : tout retard dans l'opération eût
anéanti les efforts précédemment faits. Le règlement de jan-
vier 1634 (art. 45) prescrivait aux élus de convoquer les collec-
teurs « à jour certain et préfix », au siège de l'élection, pour y
taire leur travail; mais, pour des raisons que l'on verra plus
loin, cet article ne fut pas exécuté, et dès l'année suivante, les
collecteurs furent laissés. libres de rédiger le rôle dans la paroisse
même3; les élus n'avaient plus à les convoquer, ni à fixer la date
de leur réunion. Un arrêt du conseil du 28 novembre 1646 donna
aux collecteurs un délai de huit jours à partir de la réception du
mandement pour dresser leurs rôles, enjoignant aux intendants
de <.< faire le procès souverainement à ceux qui y contrevien-
dront4 »; mais, en décembre 1654, le roi déclarait dans le
préambule d'un édit : « Quelque soin que nous prenions pour
la levée de nos deniers, nous ne pouvons faire faire le recou-
vrement d'iceux dans le tems et ainsi que nous l'ordonnons, à
cause des longueurs qu'apportent les collecteurs des tailles pour
la confection de leurs rolles, qu'ils ne peuvent mettre ensuite
1. Lettre au contrôleur général, 10 juillet 1684, A. N. G? 213. Il écrivait déjà
dans le même sens le 29 mai précédent.
2. Voir par exemple dans Lallemnnt de Levignen, Observations sur la taille
(1732), différentes fraudes commises à la faveur de cette réglementation, notam-
ment celle-ci : les habitants d'une paroisse imposent à une somme élevée un
particulier sans ressources, qu'ils engagent ensuite à transférer son domicile
dans une autre paroisse; « comme, aux termes des réglemens, il doit emporter
avec luy la somme à laquelle il étoit imposé lors de sa translation, ces habitans
et collecteurs trouvent par cette manœuvre le moyen de diminuer leur parroisse
et d'augmenter les impositions d'une antre, sans avoir recours aux intendans »,
qui sont en effet tenus de transférer automatiquement la cote du contribuable
d'une paroisse à l'autre (B. N. fr. 7 771, f° 184).
3. Déclaration du 16 juin 1635, dans Néron, t. I, p. 867.
4. G. d. T., t. I, p. 203.
308 LA TAILLE EN NORMANDIE.
à exécution, qu'au préalable ils ne soient vérifiez par un de nos
officiert de nos élections1. » Lorsqu'en effet on examine les
rôles de taille eux-mêmes, on voit qu'avant 1661, ils étaient
rédigés avec des retards considérables, souvent de six mois et
même d'un an; certaines paroisses s'en autorisaient même pour
ne faire aucun rôle et ne pas payer d'impôts.
Colbert se proposa d'y mettre ordre par le règlement
d'août 1664. L'article 2, renouvelant l'ordre aux collecteurs de
dresser leurs rôles « huit jours après la réception du mandement
des tailles », prononça aes pénalités contre les paroisses qui
seraient en retard : si les rôles n'étaient pas définitivement rédigés
et toutes les contestations réglées au 31 janvier, six des prin-
cipaux contribuables, choisis par le receveur des tailles et les
élus, seraient pris par contrainte solidaire pour payer sur un
simple commandement les impositions de la paroisse (art. 9)2.
Les intendants s'appliquèrent à l'exécution de ce nouveau
règlement; dans tous leurs mandements aux paroisses ils le
rappelèrent, en y ajoutant même parfois des rigueurs qu'il ne
prescrivait pas; ainsi en 1672, l'intendant de Rouen menace les
paroisses de leur infliger une amende si elles n'ont pas achevé
leurs rôles dans les huit jours qui suivent la nomination des
collecteurs3; en 1678, celui de Caen menace les collecteurs eux-
mêmes d'une amende de 100 1. et de rigueurs extraordinaires
si leurs rôles ne sont pas faits dans la huitaine de leur nomi-
nation *. L'intendant Foucault raconte que dans la généralité de
Montauban, il avait ordonné aux collecteurs de terminer leurs
rôles avant le 15 décembre6.
Mais il était très difficile d'obtenir l'obéissance à ces pres-
criptions, parce que les collecteurs avaient intérêt à ces retards.
Quand ils sont nommés, dit Pescheur, « il n'y en a guères,
ou point du tout, qui n'employent le temps qui s'escoule depuis
qu'ils sont arrestez, jusqu'à ce que le roolle de la taille soit
faict et veriffié, a concussionner de toute leur industrie, sans
désemparer ny jour ny nuict les cabarets, où ils sont entretenuz
et leurs complices aux despens du tiers et du quart » ; c'est
pourquoi ils inventent tous les subterfuges possibles « pour
1. C. d. T., t. I, p. 453. L'édit dont il s'agit portait création d'un directeur des
tailles chargé de faire établir les rôles dans chaque paroisse; c'est uniquement
un édit bursal comme il y en eut tant à la même époque; les motifs que le roi
donne pour la création de ces offices ne sont que des prétextes, mais ils ne
sont pas moins à retenir sur le point qui nous occupe : le roi formulait cette
plainte parce qu'il pensait qu'elle ne serait pas contestée par les contribuables.
2. Le règlement de février 1663, spécial au ressort de Paris, contenait des dis-
positions analogues, mais le délai extrême accordé pour la confection des rôles
était le dernier jour de février au lieu du 31 janvier. (G. d. T., t. I, p. 503.)
3. Mandement du 8 novembre, A. D., S. Inf., C 2 215.
4. A. D. Calvados, C. Election de Caen.
5. Lettre à Colbert du 21 août 1680, dans Godard, Les pouvoirs des Intendants,
p. 218, n. 2. On voit quelles libertés les intendants prenaient avec les ordon-
nances royales.
LA DATE DES ROLES. 309
tirer de long » : convocation des habitants devant les juges du
lieu pour leur demander avis sur l'imposition à faire, assigna-
tions et requêtes de « particuliers de leur caballe » et « mille
autres propositions ridicules qu'ils font de jour en jour...1 ».
L'intendant de Caen dit pareillement dans son mandement
aux paroisses, en 1678, qu'il est informé que les collecteurs
tardent longtemps à faire leurs rôles « pour avoir le moyen
pendant ce temps de se faire faire des présents et donner lieu
aux brigues et monopoles et autres dépenses de tavernes et de
cabarets 2 ».
Dans la réalité, nous observons les mêmes retards pour la
confection des rôles que pour la nomination des collecteurs;
ainsi dans les rôles de l'élection de Neufchâtel 3 dont la série est
à peu près complète pour l'année 1670, le premier en date,
celui de Forges-les-Eaux, est du 29 octobre, alors que le man-
dement pour la levée de la taille est du 6 octobre, soit un retard
de 15 jours; la plupart des- autres sont datés du courant de
décembre; au 31 janvier 1670, date extrême qu'admettent les
règlements, il en reste encore plus d'un cinquième à dresser;
ils le seront en février et en mars; l'un est du 26 mai 1670, un
autre même, celui du Candeau, porte la date du 3 décembre 1670*.
Dans l'élection de Bayeux, en 1663, année pour laquelle nous
avons une collection de rôles également complète5, les retards
sont encore plus considérables : les rôles dressés avant le
31 décembre 1662 sont très rares, une partie sont datés de jan-
vier et février 1663, la plupart d'entre avril et juillet de la même
année; on en trouve du 21 octobre 1663 et même du 9 décem-
bre 1664 (Englesqueville). De pareils retards sont visibles dans
toutes les collections de rôles que nous possédons. Il faut d'ail-
leurs observer que les dates données ici sont celles qui figurent
sur les actes, et nous ignorons si elles n'ont pas été corrigées
pour masquer des retards plus grands encore, et pour éviter des
difficultés à l'élection ou à l'intendance6.
A la fin de sa vie, Colbert voulut réglementer à nouveau cette
matière; par l'arrêt du conseil du 23 septembre 1681, il sup-
prima (art. 9) le délai du 31 janvier accordé jusque-là aux
paroisses et ne leur donna plus que les 15 jours suivant la récep-
tion du mandement. En outre, une amende de 20 1. s'appliquait
à ceux qui seraient « convaincus d'avoir exigé ou composé pour
1. M. C. 33, £° 288.
2. A. D. Calvados, Election de Caen, mandement de 1678, cf. également les
mandements de l'intendant de Rouen en 1672 et 1677, déjà mentionnés.
3. A. D. S. Inf., G. 2 673 et suivants.
4. Pour ce dernier toutefois, il serait possible qu'il y eût une erreur matérielle,
1670 étant pour 1669; mais on trouve dans d'autres paroisses des rôles rédigés
avec une année de retard.
5. A. Mun. Bayeux.
6. Dans la plupart des rôles de l'élection de Bayeux, 1663, la date a été ajoutée
après la rédaction du texte.
310 LA TAILLE EN NORMANDIE.
diminuer les taux des contribuables1 ». Mais ce règlement eut
le sort des précédents : les rôles de l'élection de Lisieux con-
servés aux Archives du Calvados pour l'année 1683 sont souvent
datés de février et de mars 168,3 ; l'un même, celui de Fonte-
nelle, est du 29 février 1684; la plupart sont des mois de no-
vembre et décembre, alors que le mandement pour la levée de
l'impôt est daté du 13 octobre.
Quant aux « compositions » faites par les collecteurs avec les
contribuables à la faveur de ces retards, on les retrouve à la fin
du ministère de Colbert comme au début; le 13 juin 1682 l'in-
tendant de Rouen écrit :
« Lorsque les collecteurs sont nommez ou qu'on leur a envoyé les
mandemens, ils retardent la confection des rolles pour tirer de l'argent
des particuliers; ce mal est général dans les eslections, et presqu'im-
possible d'y "remédier, ceux qui en pourroient déposer y ayant
mterest; j'ay donné ordre à des gens d'en avoir des lumières, et de
m'en advertir, les officiers de l'eslection ne s'en donnant pas la peine*. »
Il était d'ailleurs des cas particuliers où le retard dans la
confection des rôles était avantageux pour le fisc : l'intendant
de Rouen en signale un dans un mémoire du 5 octobre 1684; les
prés d'embouche qui sont communs dans les élections d'Evreux.
Andely, Pont-Audemer et Pont-1'Evêque sont ordinairement
loués a tant par bête, à des marchands de bœufs pour quelques
mois ou pour un an au plus, mais le bail n'est conclu qu'en jan-
vier; ainsi on ne peut imposer les fermiers la première année
« car le roolle se trouve fait au mois de janvier, et si on les
impose au mois d'octobre suivant, c'est inutilement, car les col-
lecteurs ne peuvent se faire payer parce que le maître élude les
exécutions en faisant faire une vente de bestiaux au mois de
septembre pour l'année du bail qui est privilégiée et il se les
fait adjuger, et après cela on ne revoit plus ces fermiers ». Ainsi
ces terres qui se louent jusqu'à 40 1. l'acre par an, ce qui est un
prix élevé, échappent à l'impôt. Mais autoriser régulièrement
les paroisses à faire leurs rôles après le 1er janvier paraît impos-
sible h l'intendant ; il prélère proposer pour ces terres une véri-
table taille réelle comptée à raison de tant par acre « de mesme
que l'on fait en Poitou des marais déseichez que l'on taxe par
1. Repris par la déclaration du 16 août 1G83.
2. B. N. fr. 8761, f* 55 : les irrégularités signalées sur ce point en Normandie
semblent avoir été générales dans tout le royaume : on lit dans le Recueil
d'Orsay, rédigé en 1690, que « la plus grande partie des collecteurs n'ont pas
encore fait leurs rolles au commencement de décembre et que les brigues et com-
positions sont tout à fait ordinaires ». (B. N. fr. 11 096, f° 15.) Ces difficultés
contribuèrent beaucoup à faire adopter dans toute la France le système des
échelles pour la nomination automatique des collecteurs. Ainsi on espérait que
les collecteurs seraient désignés dès le mois de juillet pour faire leurs rôles assez
tôt et sans brigues, mais au dire Je Lallemant de Lérignen, cette mesure fut
encore insuffisante. (B. N. fr. 7771, f 179.)
L ASSEMBLÉE DES COLLECTEURS. 311
arpen, » quitte il excepter les exploitations des privilégiés; cette
solution ne fut du reste pas adoptée *.
VI. — L'ASSEMBLEE DES COLLECTEURS
Les collecteurs assemblés pour dresser les rôles forment un
« collège », une commission, qui représente l'assemblée de la
paroisse. Ils prêtent serment devant le curé de faire leur devoir
en conscience, à en croire du moins la formule de certains
rôles 2.
La présence de tous les collecteurs à la réunion n'est pas
nécessaire, mais nul ne peut faire défaut sans motif3. Les
absents sont mentionnés sur le rôle, et quand leur absence est
due à leur refus, ce motif est toujours consigné. Ainsi à Bricque-
ville (él. de Bayeux) en 1663, 6 seulement des 11 collecteurs
étant présents, il est écrit que les six « ont procédé à ladite
assiette néantmoins l'absence de André Regnauld, Estienne
Convenant, Gabriel Le Nepveu, Pierre Mat, et Gratian de la
Lande, autres collecteurs, qui ont reffusé comparoir et procéder
à ladite assiette, et dont il ne se pourront prévaloir de leur
absence 4 ». Cette dernière mention que les absents « ne se
pourront prévaloir de leur absence » est toujours soigneuse-
ment ajoutée en pareil cas. — Parfois, les absents présentent
un certificat pour s'excuser : aussi le curé de Neuilly (él. de
Bayeux) atteste, le 11 mai 1663, que deux des collecteurs sont
malades, et n'ont pu travailler au rôle, qui a été signé en sa
présence 5.
Mais les collecteurs présents peuvent contraindre les absents
à se joindre à eux : en ce cas ils leur intentent un procès devant
l'élection. Ainsi deux collecteurs de Saint-Jores assignent leur
collègue, qui est porte-bourse, devant l'élection de Bayeux, le
22 novembre 1674, pour « parachever avec eux l'assiette de
taille dudit lieu, encommansée le jour d'hier pardevant M. Jac-
ques Ellie, suivant qu'il y a esté nommé pour ce faire par les-
dits paroissiens dudit lieu, et dire la cause de refus 6. »
Les présents délibèrent à la majorité. Souvent les protesta-
1. A. N., G? 492.
2. Rôle de Fauguernon (él. de Lisieux), 1661 : les collecteurs « ayant esté jurez
par le curé de ladite parroisse de bien et fidellement procedder a ladite assiette
en leur ame et conscience ». (A. D. Calvados, él. de Lisieux, rôles.) — Rôle de
Saint-Loup-hors (él. de Bayeux), 1663 : «... A laquelle assiette il a esté procédé
par lesdits collecteurs, après avoir esté deuement jurez ». (A. mun. Bayeux, liasses
de rôles.) Les mentions de ce genre sont exceptionnelles.
3. Les « légitimes empeschemens » sont seuls admis par le règlement de
janvier 163i, art. 45 in fine.
4. A. Mun. Bayeux.
5. Certificat joint au rôle de la paroisse, A. mun. Bayeux.
6. A. D. Calvados, Elect. de Bayeux, Plumitif.
312 LA TAILLE EN NORMANDIE.
tions de la minorité sont inscrites à la fin des rôles; en voici
quelques exemples pris dans les rôles de l'élection de Bayeux
pour l'année 1663.
A Saint-Loup-sur, Jean Larchon, collecteur, proteste contre
l'augmentation de taille qui lui est infligée ainsi qu'à son fils
(14 1. 2 s.); ses collègues ripostent « que le fils dudit Larchon
est marié depuis six mois et retire tous les biens de son père
en sa maison, contre lequel ils prétendent l'obliger de repondre
pour sondit père, dont lettre a esté accordée ausdits collec-
teurs ». A Cardonville, les « collecteurs bas-assis » protestent
contre la diminution que s'est octroyée le porte-bourse, et l'en
laissent responsable « sy aucun procès en est meu » ; l'un d'eux
proteste également « sur la ligne dudit Houllet comme le préten-
dant surhaussé; les protestations des autres collecteurs au
contraire ». A Deux-Jumeaux, « a ledit Vaultier [collecteur]
protesté que la présente assiette ne le pourra prejudicier à sa
descharge et delfence ainsy qu'il voudra bien; les autres collec-
teurs ont faict semblable protestation, dont lettre ». A Saint-
Vigor-le-Petit, deux des collecteurs s'opposent h « la somme
de la veuve Guillaume Le Vasnier comme trop surchargée
[90 1.], et que la creue qui luy a esté donnée Ta esté contre leur
advis ». A Nonnant, Jean Laisné proteste contre la diminution
de 14 1., accordée à son collègue Raphaël Leduc (16 1., au lieu
de 30 l'année précédente), et contre l'augmentation de plusieurs
autres cotes, déclarant qu' « il entend en faire respondre ses-
dits consorts en cas de non payement ».
La plupart de ces protestations, comme on peut en juger par
ces exemples, sont faites par des collecteurs au sujet de leurs
propres cotes.
L'usage ancien voulait que la réunion des collecteurs se
tînt dans la paroisse, mais l'art. 45 du règlement de 1634
l'avait modifié : ils devaient se rendre au bureau de l'élection
pour dresser leurs rôles en présence de l'élu qui avait fait ses
chevauchées dans leur village; pour l'année 1634 tous les col-
lecteurs devaient être présents, et les années suivantes la moitié
d'entre eux seulement en seraient tenus (art. 46). Cette mesure,
destinée à éviter les brigues et les influences étrangères, était
fort gênante pour les collecteurs; la Cour des Aides de Rouen,
lorsqu'elle enregistra le règlement, demanda qu'elle fût appli-
quée « pour cette année seulement, et qu'à l'avenir l'usage de
la province, arrests et règlements de la Cour » fussent suivis;
la déclaration du 16 juin 1635 * lui donna satisfaction, mais les
motifs qui l'inspiraient n'étaient pas, semble-t-il, ceux de la Cour :
Nous avons reconnu, disait le roi, « que plusieurs officiers desdites
eslections,... abusans du pouvoir à eux donné par ledit article,
t. Dans Néron, t. I, p. 867.
L ASSEMBLEE DES COLLECTEURS. 313
retiennent les rolles des tailles en leurs maisons, et sans prendre ny
suivre les avis des asséeurs collecteurs, déchargent les riches et
surchargent les pauvres à leur volonté : ce qui cause des non-va-
leurs, dont lesdits asséeurs collecteurs estans obligez d'advancer les
deniers, et ne s'en pouvant faire payer, sont pour la plupart ruinez. »
Les collecteurs demeurèrent donc libres dans leur réunion,
et aucune autorité n'y fut plus tolérée par les règlements '.
Dans les paroisses où il n'y a pas de maison commune, et
c'est le cas du plus grand nombre, les collecteurs se réunissent
où bon leur semble; les règlements leur prescrivent seulement
de choisir « un lieu libre », où ils seront à l'abri des sollicita-
tions et des influences étrangères2. D'après Boisguilbert, qui
parle surtout de ce qu'il a vu en Normandie, les assemblées
« ne se font d'ordinaire qu'au cabaret3 ». Mais souvent aussi
le rôle est dressé chez le scribe chargé de l'écrire : Lallemant
de Lévignen, intendant d'Alençon, écrit en 1732 que les collec-
teurs se transportent ordinairement « dans la ville où est le
siège de l'élection et s'adressent à un procureur ou à un clerc
entendu auquel tous ensemble ils déclarent leur intention* ».
et cet usage existait déjà à notre époque, car certains rôles
sont datés de la ville chef-lieu de l'élection; par exemple celui
de La Cressonnière a été « faict et arresté par lesdits collecteurs
devant nommez, à Lisieux, le 2 décembre 1682 5 ».
Exceptionnellement, on trouve des rôles dressés chez un des
collecteurs malades, chez le curé ou chez un particulier. Les
règlements interdisaient surtout de les faire chez « les seigneurs,
les curez, les officiers ny autres personnes d'autorité ou de
crédit6 ». Nous ne savons pas dans quelle mesure cette règle
était respectée en Normandie, mais Colbert, dans une circu-
laire du 28 mai 1681, écrit que S. M. a reçu l'avis « de toutes
les provinces que presque tous ou au moins un nombre consi-
dérable de gentilshommes, officiers et personnes puissantes fai-
soient faire les rôles des tailles dans leurs chasteaux et maisons,
ou par leurs ordres 7 ». Les interventions assez fréquentes de ces
personnages dans l'assiette, qui seront signalées plus loin, nous
autorisent à supposer que les collecteurs normands n'étaient pas
1. Vieuille déplore ce règlement, auquel il fait remonter tous les vices constatés
ensuite dans l'assiette : « De la liberté donnée aux collecteurs par la déclaration
de 1635, dit-il, a commencé la mauvaise répartition qui a suivi, et qui fait
qu'aujourd'hui les collecteurs n'étans pas assujettis commettent plusieurs abus
et des inegalitez étonnantes dans la répartition ». Mais il ne faut pas oublier
que c'est un élu qui parle. (Traité des Elections, p. 91-92.)
2. Clém., Il, 154.
3. Détail de la France, éd. Daire, p. 175.
4. B. N. fr. 7 771, f° 182.
5. A. D. Calvados, G. Election de Lisieux. 11 est certain que ce rôle fut rédigé
par un scribe, les trois collecteurs étant illettrés.
6. Recueil d'Orsay, B. N. fr. 11096, f° 14.
7. Clém., II, 154.
m; la taille ex nohmandie.
plus libres de choisir leur lieu de réunion que de taxer en
conscience les contribuables.
Tous les règlements depuis l'origine interdisaient également
à ces « personnes puissantes » d'assister à la réunion des col-
lecteurs, où qu'elle se tint. Celui de 1G34 reprenait cette défense :
« Nul ne pourra assister à l'assiette avec lesdits asséeurs-collec-
teurs, excepté le premier notaire, sergent ou autre personne
qu'ils voudront choisir pour écrire lesdites taxes x », que ce soit
le greffier de l'Election, le seigneur de la paroisse, ou un « juge,
officier et autre personne de quelque qualité ou condition
qu'ils soient »; les gentilshommes qui enfreignent cette règle
encourent la « privation de leur fief et droit de haute-justice »,
outre l'obligation de payer « en leurs propres et privez noms
les coteparts de ceux qu'ils auront fait décharger ou modérer2».
Mais en novembre 1643 les Etats de Normandie se plaignent que
les commis des traitants interviennent dans l'assiette des
paroisses « pour charger ou décharger plus ou moins ceux que
bon leur semble3 », et le roi ne leur donne qu'une réponse éva-
sive, promettant d'appliquer la règle.
Dans tous leurs mandement aux paroisses les intendant rap-
pellent cette défense, preuve qu'ils la jugent nécessaire, mais
les exemples de ces ingérences étrangères sont fréquents. Par-
fois même elles sont devenues régulières : à Honfleur, en 1669,
les habitants assemblés se plaignent que les collecteurs font
l'assiette « de leur chef et en l'absence des eschevins, contre la
manière accoustumée », et ils décident que les rôles seront
dressés « en la présence desdits eschevins et de quelques bour-
geois notables* ».
Un cas curieux de ce genre est exposé par l'intendant d'Alençon
à Colbcrt le 7 novembre 1679. Dans la paroisse de Tourouvre,
élection de Mortagne, le curé de la paroisse, nommé Griset,
« s'immisse et s'ingère de l'assiette des tailles et prend prétexte
contre tous les collecteurs qui ont faict l'assiette des tailles de les
refuser à confesse, et les faict refuser par les prêtres habitués en sa
parroisse auparavant que lesdits collecteurs aient esté entendus en
confession, si bien que depuis cinq années ou environ tous les collec-
teurs nommés ont esté refusés et n'ont point esté à confesse sans
sçavoir pour quel subjet, sinon que la plus part d'entr'eux ayant esté
sollicités par ledit Griset de modérer ses parents et amis et de les
descharger de leurs imposts, lesdits collecteurs n'ayant point adhéré
à la prière dudit Griset, ne la croyant pas juste ny raisonnable, il a
pris ce prétexte de les refuser et de les faire refuser par les prestres
1. La présence de ces secrétaires était officiellement tolérée : les mandements
portent souvent, ù propos de la cotisation des taillables, la mention : les collec-
teurs et ceux qui feront leur rolle » (par exemple celui de Caen, en 1678, A. D.,
Calv.).
2. Art. 47.
3. Cahier, art. 51.
'i. Bréard, Let archives de Honfleur, p. 124.
L ASSEMBLEE DES COLLECTEURS. 315
de la paroisse, disant qu'ils n'avoient point faict ladite assiette en
leurs âmes et consciences, et le nommé M. Hubert Ygou père dudit
constituant, qui de son vivant faisoit la fonction de procureur au bail-
liage dudit Tourouvre, ayant esté nommé collecteur avec le nommé
Jean Ghastiou et autres, ses consors pour Tannée 1676, le nommé
Bouchigny un des particuliers contribuables de ladite paroisse de
Tourouvre et amy particulier dudit sieur Griset s'estant trouvé haussé
de huict ou neuf francs, ledit sieur Griset obligea ledit deffurit Ygou
de lui mettre entre les mains une promesse de pareille somme pour
estre rendue audit Bouchigny, et par ce moyen reçut l'absolution dudit
sieur Griset. Mais ledit deffunt Ygou ne l'ayant point payée et s'estant
trouvé malade, de laquelle il est décédé au mois de febvrier dernier,
ledit Griset refusa de l'aller visiter dans sa maladie pour luy admi-
nistrer les saints sacrements, disant qu'il fist ce qu'il luy avoit promis,
disant qu'il l'avait attrappé une façon mais qu'il ne l'attrapperoit pas
l'autre ; et en effet ledit Ygou estant décédé, ledit sieur curé refusa de
luy donner la sépulture en terre sainte... et les curés circonvoisins de
ladite paroisse de Tourouvre s'estant offerts de le faire enterrer en
leurs églises ou dans les cimetières de leurs parroisses, ledit sieur
Griset les refusa au vu et scu des frères servans de la Charité de Vil-
liers, ce qui causa un très grand scandale au public et fut le consti-
tuant obligé de faire enterrer le corps de son deffunt père ailleurs...
Toutes lesquelles façons d'agir causent un très grand désordre dans
ladite paroisse de Tourouvre et aux environs, et apportent un notable
retardement aux deniers du Boy, d'autant que les habitants refusent
de faire la fonction de collecteurs, voyant le mauvais traitement qui
leur est fait par ledit sieur curé en les refusant de leur administrer les
saints sacrements *. »
Pour éviter les fraudes commises dans la rédaction des rôles,
certains intendants eurent l'intention d'assister eux-mêmes ou
de déléguer un homme sûr à la réunion. Le Blanc écrit en 1680
que « dans les lieux suspects » il l'ait dresser les rôles « en [sa]
présence ou d'un officier2 »; son ordonnance du 6 oct. 1676
prescrivait que, dans les paroisses dégrevées à cause de la grêle,
les rôles seraient faits « en présence d'un officier de l'élection
et du receveur des tailles, sans frais3». Cette intention était
louable, mais elle était désapprouvée par Colbert. Il écrit à
l'intendant de Tours, le 4 février 1683 : « J'apprends par votre
lettre du 30 du passé... que vous avez esté obligé de faire faire
[un rôle] en vostre présence, mais comme cette matière est fort
délicate et que tous les règlements veulent que ce soyent les
collecteurs qui fassent ces rôles..., vous devez tenir la main à
ce qu'ils soyent ponctuellement exécutés... Faire faire ces rôles
en vostre présence est entièrement contraire à l'esprit des ordon-
nances, auxquelles vous devez toujours vous conformer 4. »
1. A. N., G^71.
2. Lettre du 22 juin 1680, A. N., G? 491. Cf. ses ordonnances de 1678, B. N. fr. 8761b,\
f° 191 et suiv. Il prescrit même que le rôle de Gournay sera dressé devant lui-même.
3. Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 241.
4. Glém., t. II, p. 215; cf. p. 212 et Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 230.
CHAPITRE VII
DEUXIÈME PARTIE
L'ASSIETTE
I. L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. — II. LA COTE DES
COLLECTEURS. III. LA COMPARAISON DE TAUX. IV. LES TAXES
D'OFFICE. V. LES REJETS. VI. L'INEGALITE DES COTES.
VII. LA RÉDACTION DES ROLES. VIII. LA VERIFICATION. IX. LES
PAROISSES REFUSANT DE FAIRE LEURS RÔLES.
I. — L'ESTIMATION DES FACULTES
DES TAILLABLES
Toutes les opérations décrites jusqu'ici n'étaient que le préli-
minaire de la répartition entre les contribuables, ou, comme on
disait, de 1' «assiette ». Suivant que celle-ci était plus ou moins
bien faite, l'impôt était plus ou moins onéreux aux taillables,
plus ou moins productif pour le Trésor1.
Chacun doit être taxé « suivant ses biens et facultez » : tel est
le principe posé par toutes les ordonnances2. Le sens en est
1. « Le principal de l'assiette des tailles n'est pas que Messieurs les trésoriers
de France dient : l'eslection de Paris portera tant, et que les esleuz de Paris
dient : La paroisse de Lagny portera tant, mais le principal de l'assiette des
tailles est en cette paroisse de Lagny et en toutes les autres esquelles se com-
mettent les inégalitez et surtaux, de garder esgallité, de sorte que le pauvre soit
soulagé, car en ce faisant on couppe la racine de tout le mal, qui ne se peut
éviter autrement. » (Adcis du désordre qui est à présent à l'assiette des tailles,
écrit vers 1614, B. N. Rec. Thoisy, 443, f° 157.)
2. L'idée d'un impôt progressif sur le revenu n'existait pas à cette époque; on
admettait la même proportion entre l'impôt et le revenu quelle que fût la gran-
deur de ce dernier; la tendance aurait même été de faire l'impôt dégressif, c'est-
à-dire qu'un gros revenu aurait proportionnellement moins payé de taille qu'un
petit, c'est par exemple ce que proposent les intendants lorsqu'ils demandent de
fixer la taille d'après le prix des fermages : tandis qu'ils proposent pour les
petits fermages un taux de 2 s. pour 1., ils sont d'avis de ne mettre que 1 s. ou
même moins pour les fermages supérieurs à cinq cents ou six cents livres. Ainsi
de Marillac écrit le 5 oct. 1684 que, quand on a affaire à des baux élevés, les 2 s.
pour livre qu'il propose pour les baux ordinaires « seroient trop forts » ; les offi-
318 LA TAILLE EN NORMANDIE.
clair . l'impôt doit porter sur toutes les « facilitez du contri-
buable, quelque part qu'elles soient, meubles ou immeubles,
héritages nobles ou roturiers, trafic ou industrie1 ». Mais la
difficulté était d'apprécier ce revenu global. Les collecteurs ne
disposaient pas d'éléments comparables à ce qu'est aujourd'hui
notre cadastre : comment savoir la fortune d'un commerçant,
le revenu d'un rentier, le gain d'un artisan ou d'un journalier?
Comment en enregistrer les perpétuelles variations? Le pro-
blème, très gros aujourd'hui, était insoluble alors. Il existait à
la vérité un certain nombre de documents qui auraient pu servir
à cet effet : tels les livres de commerce, les actes de vente, les
baux des fermes, les inventaires après décès, les» testaments,
mais la législation n'autorisait pas les collecteurs à en prendre
connaissance; les tribunaux ne pouvaient pas en exiger la pro-
duction dans les procès relatifs à la taille, et l'esprit du temps
était généralement hostile à la divulgation de ces secrets 2.
En 1570, les commissaires au légalement des tailles envoyés
en Normandie ayant entrepris un dénombrement des facultés
de certains contribuables, la Cour des aides protesta contre
l'opération en ces termes : « prétendre faire une générale des-
cription des biens et facultés de tous les habitants d icelluy pays,
[est] chose non jamais advenue en ce royaume et qui est au pré-
judice du bien public3 ».
En 1664, un procès fut appelé devant la Cour des aides de
Paris pour savoir « si les collecteurs estoient recevables à faire
compulser chez un notaire la minute d'un inventaire et autres
pièces par lesquelles ils prétendoient justifier des facultez d'un
particulier qu'ils a voient mis et imposé au rolle des tailles »;
l'avocat général soutint et la Cour admit dans son arrêt
ciers des élections pensent comme lui • qu'il faudroit que les baux au-dessus de
600 1. ne payassent que 18 d. pour liv. et que ceux au-dessous et jusques a 600 1.
payassent les 2 s. pour liv >. (A. N., G7 492.) Ainsi l'on admet même en principe
que les riches payent moins que les pauvres.
1. Décl. de mars 1600, art. 20; cf. l'art. 35 de celle de janvier 1634, qui est
moins explicite, mais conçu dans le même esprit. Lorsque Colbert et d'autres
songeaient à étendre à tout le royaume l'usage du cadastre, on ne sait s'ils
voulaient imposer les seuls revenus fonciers, ou taxer en même temps les revenus
d'industrie comme dans la taille réelle. Dans le premier cas, la diminution de
matière imposable aurait eu sans doute des conséquences fâcheuses pour le
Trésor; dans le second, l'encndastrement des revenus mobiliers avec toutes leurs
variations eût été un gros problème. Dans son ouvrage, Vetlection ou de la Juris-
diclion des esleus, 1618, Lebrun de la Rochette discute la question si les revenus
mobiliers peuvent être imposés; il conclut négativement, < parce que bien souvent
le marchand au lieu de gaigner perd, que si bien il a quelque fonds de marchan-
dise en évidence, l'on ne void pas les debtes dont il est par contre débiteur... •
(p. 41). Mais cette opinion est exceptionnelle.
2. Cependant Bodin se déclare nettement favorable à l'évaluation des fortunes
mobilières : « Il n'y a que les trompeurs, les pipeurs, et ceux qui abusent des
autres qui ne veulent pas qu'on descouvre leur jeu, qu'on entende leurs actions,
qu'on sçache leur vie; mais les gens de bien, qui ne craignent pas la lumière,
? «rendront toujours plaisir qu'on cognoisse leur estât, leur qualité, leur bien, leur
açon de vivre. » (République, liv. VI, ch. i.)
3. De Beaurepaire, Cahiers,... règne de Charles IX, t. I, p. 235.
L ESTIMATION DES FACULTES. 319
« qu'à la vérité les hommes dévoient estre taxez selon leurs biens
et facultez, mais qu'on ne peut admettre cette voye extraordinaire pour
en avoir connoissances, permettre de pénétrer dans le secret des
familles, et de faire de telles perquisitions, que cela estoit contre la
liberté publique des François, que l'ordonnance n'ayant point receu
d'autre moyen pour juger des facultez des hommes que la commune
renommée, le dire d'experts et de ceux qui peuvent avoir quelque
connoissance de leurs biens par leur réputation, on ne devoit point
autoriser par des exemples qu'un notaire pûst estre tenu de rapporter
et représenter des actes qui lui ont esté confiez et déposez dans l'asseu-
rance du secret1 ».
Le rédacteur du Code de Commerce en 1673 obéissait au
même sentiment lorsqu'il interdisait la production des livres de
commerce : « La représentation ou communication des livres-
journaux, registres ou inventaires ne pourra estre requise ni
ordonnée en justice, sinon pour succession, communauté et par-
tage de société en cas de faillite2. »
Les juristes qui ont commenté cet article citent des textes du
droit romain3, et invoquent la répugnance commune des parti-
culiers à dévoiler leur fortune : « Par ce moyen, dit Bornier,
on découvre non seulement le secret et l'état des affaires des
marchands et négociants qui ne subsistent que par la bonne ou
mauvaise opinion qu'on en a, mais encore celui des autres
familles par la liaison que les affaires des marchands ont avec
elles4 ».
Cette répugnance à l'inquisition de la fortune privée est éga-
lement signalée par l'intendant Basville dans une lettre au con-
trôleur général du 2 octobre 1705 où il donne son avis sur un projet
d'impôt sur le revenu : « L'on ne doit pas croire que l'on n'ait
pas une extrême répugnance à déclarer son bien et à révéler le
secret de sa famille. C'est la dernière des extrémités, et si con-
traire au génie de la nation, qu'il ne peut lui arriver rien de
plus insupportable. Ainsi l'on doit s'attendre à des déclarations
qui ne seront point sincères. Comment obliger un marchand,
un homme d'affaires, un usurier, à déclarer ce qu'il a d'argent?
S'il faut faire sur cela une inquisition pour les condamner au
quadruple, elle sera d'une longueur infinie ; et vouloir présumer
que l'on déclarera de bonne foi et sincèrement ce qu'on possède
c'est présumer que les hommes seront justes et raisonnables
1. Arrêt de la Cour des aides de Paris, 22 janvier 1664, dans Dufresne, Journal
des principales audiences du parlement, éd. 1678, t. II, p. 584. Cf. De Merville,
Maximes, p. 59-60.
2. Ordonnance de mars 1673, tit. III, art. 9; cet article est devenu l'art. 14 de
notre Gode de Commerce actuel.
3. Quid enim tam durum tamque inhumanum est quam publicatione pompaque
rerum familiarum et paupertatis detegi vilitatem et invidiae exponere divitias?
4. Bornier, Conférence des Ordonnances de Louis XIV, éd. 1755, t. II, p. 462,
cf. Jousse Commentaire sur V Ordonnance du Commerce, éd. 1755, in-12, p. 321.
320 Là TAILLE EX NORMANDIE.
dans leur propre intérêt : ce que l'on ne doit pas attendre de
la plupart1. »
A. défaut de tels documents, les lois cherchaient a saisir la
fortune d'un contribuable par les signes extérieurs. Le règlement
de 1634 prescrivait aux collecteurs, pour faire c reconnoitre par
la lecture dudit rolle si la taille aura été bien assise », d'y
inscrire « la condition des cottisez, comme de juge, notaire,
greffier, sergent, procureur de seigneurie, marchand, artisan,
fermier de gentilhomme, des oficiers des élections, ou laboureur,
et si le laboureur travaille pour lui ou pour autrui, et à combien
de charues » (art. 45).
Mais il n'était pas aisé d'obtenir l'inscription de ces rensei-
gnements sur les rôles avec exactitude. Dans certaines paroisses,
on respectait le règlement, et nous avons des rôles où ces
détails sont minutieusement consignés2. Plusieurs avaient même
adopté un usage qui complétait fort heureusement l'ordon-
nance : c'était la publication des mutations de propriétés3. Mais
ce sont-là des exceptions. En général, l'inscription était très
mal faite; nulle part elle n'était contrôlée. Elle était d'ailleurs
très insuffisante pour déterminer automatiquement la cote d'un
contribuable : le terme de « charrue » était vague; il ne tenait pas
compte des différences de fertilité des terres, ni des diverses
cultures; quant aux revenus mobiliers, ils n'étaient précisés par
aucune indication. Pescheur l'a bien expliqué : « L'inégalité,
dit-il, ne se peut descouvrir sans scavoir au vray le bien de
chaque particulier, et sa juste valeur, pour en faire le sol et marc
la livre, ce qui est moralement impossible; et quand il [ne] le
seroit, ne suffiroit pas, parce que les tailles estans personnelles
1. De Boislisle, Correspondance, t. H, n° 891. Il faut cependant observer que
l'investigation de la fortune privée était admise dans les pays de taille réelle ;
ainsi pour dresser le compois cabaliste, < il est requis que ceux qu'on veut cotiser
pour les cabaux, meubles lucratifs, ou deniers à intérêts, à rente ou à pension,
soient appelés par exploit devants lesdits prud'hommes et contrôleur de cabaux
avec son commis pour jurer sur la vérité et valeur de leurs cabaux et obliga-
tions » ; ils font leur déclaration sous la foi du serment, et les prud'hommes
peuvent « se transporter es maisons, boutiques et métairies desdits marchands
et cabalistcs, et se faire exhiber leurs marchandises, cabaux et livres de raison
à quoi ils sont contraints, comme pareillement tous notaires sont contraints à
exhiber leurs registres pour être faite vérification des obligations et deniers
prêtés, et ainsi se juge tous les jours lesdits chefs en ladite Cour des Comptes,
Aides et Finances de Montpellier ». (D'Espeisses, Traité des tailles, dans ses
Œuvres complètes, éd. de 1750, t. III, p. 341.)
2. Cf. ci-dessous, p. 373 et suiv.
3. A Rots par exemple, on trouve nombre d'actes enregistrant les mutations de
terres, achats de bestiaux ou contrats de cheptel ; en voici un à titre d'exemple :
« Le dimanche septiesme jour d'août mil six cents soixante et un, audience d'un
contract passé devant de Rozière et Caumont thabellions à Cheux le deuxiesme
jour de juillet scellé et controllé le dix-huitième jour par lequel Jean Deblé vend
à Pierre Droard trois vergées de terre à Rots, délie de Champ Dolent jouste Guil-
laume Le Maigre d'une part et butte d'un bout le sieur du Marcalet, par le prix
et somme de deux cents cinquante livres de principal et cent soûls de vin payé
comptant parce que ledit acquéreur soutrira le bail à Tassin Blouet en pavant
le fermage. » (A. Mun. Rots, BB 4, f° 169.)
L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. 321
en ces lieux, elles s'imposent non seulement en égard aux biens,
mais encore à l'industrie, qui faict bien souvent un revenu plus
considérable que les fonds, de manière que les asseeurs n'estans
pas obligez à faire des discussions si difficiles en travaillant à
ï'impost des tailles, mais a les distribuer de bonne foy à ceux
qu'ilz croyent les devoir porter, et en ayans ainsi usé sincère-
ment, il n'y a pas d'apparance de les rendre garandz du plus et
du moins 4. »
Bien des tentatives seront faites pour obtenir une désigna-
tion plus précise des facultés des contribuables; on n'aboutira
jamais. En 1680, l'intendant de Caen demande qu'on oblige les
collecteurs à indiquer « combien [chacun] auroit de bien en
propre, combien a ferme, pour qui, si dans la paroisse, si dans
une autre, ou si c'est pour son industrie », mais pour que
leurs indications fussent contrôlables, il faudrait, dit-il, dresser
« un procès verbal fîdel de Testât de chaque paroisse, qui contien-
droit de combien d'acres de terre elle est composée, combien il en
appartient aux seigneurs, ecclésiastiques et exempts, combien en
commune, herbages, labeur, bois, lande, marais et autre nature, et
particulièrement combien il en appartient aux taillables ■ ».
C'est l'établissement d'un vrai cadastre qu'il propose; mais
il ose à peine en croire la réalisation possible.
« Il est constant, écrit Lallemant de Lévignen en 1732, que si la taille
étoit repartie avec égalité, le fardeau en seroit beaucoup plus léger;
toutte la difficulté est de trouver les moiens d'y parvenir. Il y a
longtemps qu'ils ont été cherchés, et que l'on a fait différentes tenta-
tives sans aucun succès, par des raisons bien sensibles que tous les
peuples qui composent l'Etat étants sujets a la contribution des
deniers royaux, travaillent chacun en particulier a s'en soustraire,
sinon pour la totalité, au moins pour une grande partie, que tous les
fonds sont d'une différente qualité et valleur, l'industrie de chaques
particulliers différente, et le commerce sujet a des vicissitudes conti-
nuelles3. »
Et Vieuille, en 1739 :
« Les assujettir [les collecteurs] à faire mention de la quantité des
terres que chaque habitant possède en son propre ou à titre de ferme,
et les habitans du dehors, en fixer le revenu, approfondir et estimer
le produit de l'industrie, c'est les réduire à l'impossible par les
1. M. G. 33, f° 292. Cf. ci-dessous, p. 382.
2. Mémoire du 15 août 1680, A. N., G7 913. Le projet d'établir un cadastre,
que Colbert étudia sérieusement, était ancien : Richelieu l'avait eu (V. le mémoire
de Fabert, publ. dans Bourelly, Le maréchal Fabert, II, p. 123). On avait fait un
essai en Champagne en 1657 : V. E. de Barthélémy, Statistique des élections de
Reims, Rethel et Sainte-Ménehoulde... par le sieur de Terruel, dans les Trav. de
VAcad. de Reims, t. 70, et Bourelly, 1. c.
3. Observations sur la taille, B. N. fr. 7 771, f° 170. Marillac avait déjà exprimé
cette idée dans son mémoire du 5 octobre 1684, A. N. G7 492.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
21
323 LA TAILLE EN NOIIMANDIE.
difficullez de distinguer la qualité, la nature et le produit des fonds, si
inégaux dans chaque paroisse, d'approfondir une industrie dans la
recherche de laquelle il y auroit des écueils et des injustices infinies
contre l'intérêt que l'on a de ménager le commerce, de ne blesser ni
arrêter les talens naturels des particuliers, qu'il faut regarder comme
les serviteurs domestiques de l'Etat. Rendre sur tout cela les collec-
teurs les maîtres, c'est toujours la taille arbitraire comme elle est, et
on tomberoit dans de plus grands inconvéniens, rien n'étant si trom-
peur que le commerce1. »
Il y avait cependant un cas particulier où les collecteurs pou-
vaient fixer mathématiquement la cote d'un contribuable, c'était
quand il s'agissait d'un fermier : le prix de son bail — si du
moins il n'avait pas d'autres ressources que sa ferme — était
un indice de ses facultés. Sans doute, il y avait des nuances à
observer : Lallemant de Lévignen fait judicieusement remarquer
qu'un fermier de bonnes terres, comme celles du pays d'Auge, ne
sera relativement pas plus chargé d'impôt au taux de 50 p. 100
du prix de son bail, qu'un fermier de mauvais pays, par exemple
dans le Perche, au taux de 25 p. 100 2. Mais en gros, on pouvait
proportionner la taille au fermage sans grande chance d'erreur.
La Cour des aides de Rouen, par ses arrêts des 28 janvier 1619
et 4 décembre 1627, avait décidé que les privilégiés prenant
des biens à ferme en sus de la quantité qui leur était accordée
en franchise seraient imposés sur le pied de 25 pour 100 du
prix de leur bail3. Pareillement, le règlement d'août 1664,
art. 30, statuait que « les ecclésiastiques dérogeant et prenant
des terres à ferme, lesquels font valoir leurs biens de patri-
moine et d'acquêts, seront imposez au rôle des tailles au quart
de la valeur du revenu des fermes qu'ils tiendront* ». Les inten-
dants, en certains cas particuliers, taxent ou font taxer les fer-
miers d'après leurs baux : Voysin impose au quart du revenu
de leurs fermes les bourgeois de Rouen qui cultivent des biens à
la campagne 5. En 1677 son collègue de Caen voulant exactement
taxer d'office les officiers royaux non exempts dit qu'il fait lui-
même une évaluation de leur revenu foncier, pour les imposer
au dixième, mais il reconnaît que si c'est là « le pied commun
sur lequel la taille peut s'estimer estre imposée en cette pro-
vince dans les villes » où habitent ces officiers, la proportion est
beaucoup plus forte à la campagne s. En 1684, Marillac, embar-
1. Traité des élections, p. 297-298.
2. Obsero. sur la taille, B. N. fr. 7 771, f° 172.
3. Le premier de ces arrêts est mentionné dans le règlement d'août 166), art. 30.
Le second se trouve dans le Recueil d'édité sur la taille, A. N. AD™ 471, p. 17.
4. Il est à noter que le règlement était spécial à la Normandie; dans le ressort
de la Cour des Aides de Paris, la déclaration du 12 février 1663 prescrivait sim-
{ dément que les ecclésiastiques dérogeant fussent imposés « en égard a leurs
acultez ».
5. Mémoire sur la généralité de Rouen en 1665, p. 137.
6. Lettre à Colbert, 31 décembre 1677, A. N. G7 213.
,.
L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. 323
rassé pour imposer les contribuables exploitant des terres hors
de leur paroisse, propose de leur faire payer 10 p. 100 du prix
de leurs baux s'ils sont fermiers à moins de 600 1. et 7,5 p. 100
au-dessus de 600 l.1; son avis ne sera du reste pas suivi. Bou-
lainvilliers déclare que « communément » en Normandie la taille
monte à 3 s. pour livre du fermage : une ferme de 500 1. est
imposée 75 1. . M. de Fougerolles assure aussi que, en diverses
paroisses du Vexin, on impose la taille « a raison de trois ou
quatre sols du fermage3 ». Les différences énormes entre ces
tarifs (ils varient de 25 à 7,5 p. 100), montrent l'incertitude des
répartiteurs dans l'utilisation de ce procédé.
La nécessité d'une base de taxation apparaissait surtout lors-
qu'un contribuable intentait un procès pour être dégrevé. En
ce cas les règlements prescrivaient l'enquête par témoins ou
par experts4. Les commissaires au régalement des tailles, en 1634,
avaient cherché à établir une procédure certaine : les experts,
d'après leur Instruction, devaient être choisis au nombre de
« quatre ou cinq des plus gens de bien de la parroisse, dont
l'un sera le curé ou le vicaire d'icelle », prêter serment et
déclarer « les moyens, facultez et vacations » des intéressés5.
Peut-être aurait-on pu, en développant ce système, arriver à des
résultats heureux; mais après la disparition des commissaires,
il fut abandonné. La Cour des aides tendait de plus en plus par
sa jurisprudence à éliminer les preuves matérielles pour s'en
rapporter à la « commune renommée ». Sa doctrine a été résu-
mée en 1778 par l'avocat général dans un plaidoyer relatif a
une comparaison de taux 6 :
« Les règles sont que, pour prononcer sur les impositions du deman-
deur et du défendeur en cotte, les experts ne doivent prendre
d'autres instructions que de la commune renommée : ces instructions
1. Cf. ci-dessus, p. 317, note 2.
2. Mémoires présentés au duc d'Orléans, t. I, p. 100. L'arrêt du Conseil du
15 mars 1720 établissant la taille proportionnelle dans l'élection de Bernay fixe
le taux d'imposition à 2 s. pour Ht. du revenu des terres.
3. Ibid., II, p. 149. Mémoire de 1711.
4. Edit de mars 1600, art. 4 et 6. Cette procédure est déjà prescrite par une
ordonnance de 1302 : « Len s'enfourmera par loial gent qui plus doivent savoir
l'estimation des héritages et des biens de chascun et ainsinc ensuivre resonable-
ment la renomme de sa richece ». (Ordonnances des rois de France, t. I, p. 371).
5. Règlement des Commissaires, du 16 mai 1634, art. 10, dans Ducrot, Traité
des Aydes, Tailles et Gabelles, p. 483. Cette procédure est indiquée spécialement
pour taxer les faux exempts. Cf. le règlement de 1597, art. 17 : pour supprimer
« l'inégalité dont usent lesdits assiéteurs des paroisses au fait de leurs rôles et
assiette », il est prescrit aux asséeurs, en cas de contestations, de « dresser procès-
verbal des biens meubles qui se trouvent es maisons tant du complaignant que
de celui sur lequel on se plaindra, interroger les parties sur leur position et
héritages, avec serment de n'en receler aucune, et outre ce prendre pour rétablir
les impôts dont sera question l'avis de trois notables paroissiens des paroisses
circonvoisines non suspects aux parties qui en leur présence prêteront serment
par devant lesdits élus ».
6. Sur la comparaison de taux, voir ci-dessous, p. 332 et suiv.
3J4 LA TAILLE EN NOItMANDIE.
suffisent parce que les impositions du fait des collecteurs sont censées
avoir été faites, et l'ont en effet été, d'après les connaissances que la
commune renommée leur a données des biens et des facultés de
chacun des taillables qu'ils ont imposé en leur âme et conscience :
qu'ainsi lorsqu'il s'agit de confirmer ou réformer leur ouvrage, il est
raisonnable de suivre la même marche que celle qu'ils ont prise eux-
mêmes. Ce seroit renverser tout l'ordre du droit des tailles que
d'introduire l'usage que des parties instruisent leurs experts par des
déclarations de biens... Si l'on faisoit, ajoute-t-il, l'estimation d'après
un arpentage des biens et une déclaration en règle du revenu mobilier,
il en résulteroit les plus grands inconvénients de ces formes de pro-
céder, en ce qu'elles seroient et peu propres à faire connoitre sûre-
ment les biens et facultés des parties, et qu'elles seroient ruineuses
pour les parties, car enfin ces formes de procéder sur des déclarations
de biens occasionneroient des productions sans fin et des écrits sans
nombre; les justifications deviendroient volumineuses, et on ne s'en
contenteroit point encore; on en viendroit à des procès-verbaux
d'arpentages, peut-être à des procès-verbaux d'accession de biens et
de descente déjuge; un seul procès ruineroit des familles entières. »
Le jurisconsulte Loisel de Boismare, qui rapporte ce plaidoyer,
conclut : Les experts ne peuvent « se procurer des connaissances
à cet égard autres que celles qu'ils ont de leur chef; il leur est
très étroitement défendu de se faire remettre des déclarations
de biens, et de se livrer à aucune estimation de fonds; ils
doivent agir uniquement d'après leur propre connoissance ou
d'après la commune renommée. La Cour des aides de cette pro-
vince a consacré ce principe par plusieurs décisions1. »
Une autre forme de preuve usitée dans les Élections est le
serment des intéressés; on l'emploie pour savoir d'un débiteur
ce qu'il doit à son créancier, et réduire sa taille en conséquence;
par exemple, le 20 avril 1661, un collecteur de Lintot ayant
assigné Jean Leclerc devant l'Election de Caudebec pour savoir
« quels deniers il doib à Guillaume Lucas », Leclerc déclare
par serment « tenir pour 27 1. de fermage par an dudit Lucas
et de Claude Adam de la Trinité du Mont, payables Pasques et
Saint-Michel, et a commencé la jouissance dudit héritage au jour
de Saint-Michel dernier, et a payé la première demi-année par
advance, ne doibvera rien jusques à la Saint-Michel, déclarant
que dudit fermage Isaac Colleville doibt en recevoir la moitié, et
de l'autre moitié ledit Guillaume Lucas, Claude Adam, et Jean
Gringoire d'Alvimare la reçoivent par tiers comme à eux appar-
tenant, et doibt de l'antien bail trois termes sur lesquels il y a
arrest par Charles Baudry de Lintot, Michel Adam de Lintot,
1. Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit des Tailles, t. I, p. 415 et suivantes ;
l'auteur renvoie à deux arrêts de la Cour des Aides des 7 février 1757 et 3 février
1778 : dans l'ensemble du royaume l'usage des pièces justificatives fut prescrit
par arrêt du Conseil du 5 juillet 1707, mais cet arrêt ne fut pas appliqué. (Vieuille,
Traité det Election», p. 253).
L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. 325
Nicolas Gouette de la Trinité du Mont, Jean Guibert de Lintot,
Isaac Golleville d'Ivetot1 ».
Mais tous ces procédés ne sont pas normalement à la dispo-
sition du collecteur, qui doit se fier à sa propre appréciation,
à la notion plus ou moins confuse qu'il a des facultés de ses
concitoyens. C'est pourquoi les règlements lui prescrivent
toujours d'opérer « en ses âme et conscience », « le plus juste-
ment qu'il se pourra », sans plus de précision. Mais les obliger,
comme dit Vieuille, « de faire la répartition en leur honneur et
conscience, de garder l'égalité entre les taillables, qu'ils doivent
imposer chacun à raison de leurs facilitez, quelque part qu'elles
soient, meubles et immeubles, héritages nobles et roturiers,
trafic et industrie, n'en omettre aucuns, soulager les pauvres et
faire tout avec justice2 », est facile à prescrire, mais impossible
à contrôler. La seule base matérielle sur laquelle on puisse
fonder un jugement est la cote de l'année précédente ;
augmenter ou diminuer un contribuable à proportion de ce que
la paroisse a été augmentée ou diminuée, est, au demeurant,
comme à tous les degrés de la répartition, le plus sûr moyen de
ne pas faire d'injustice trop criante. Les ordonnances en font
une règle en certains cas spéciaux comme pour empêcher qu'un
collecteur décharge trop ses parents et amis, ou qu'il soit lui-
même surchargé par vengeance de ses successeurs, ou pour fixer
l'impôt d'un contribuable récemment sorti de la paroisse. Mais
l'insuffisance du procédé est plus grande encore que pour la
taxation d'une élection ou d'une paroisse : il tend à perpétuer
les injustices, et il enlève toute souplesse à l'impôt; si le contri-
buable augmente sa fortune, il peut maintenir malgré cela sa
cote; si au contraire il s'appauvrit, l'impôt précipite sa ruine. Un
pareil système appliqué à la rigueur pendant longtemps détrui-
rait l'impôt même. Il faut donc laisser aux collecteurs la liberté
de modifier les cotes ; mais alors, et on en revient toujours là,
l'assiette est livrée à leur arbitraire, l'imposition est faite non
d'après les facultés du contribuable, mais d'après l'opinion que
le collecteur a de ces facultés.
Le gouvernement, connaissant ce défaut, avait de très bonne
heure aperçu la nécessité de surveiller les collecteurs, et les élus
en avaient d'abord été chargés. Les règlements leur en faisaient
un devoir strict3; mais on avait bientôt constaté que le remède
était pire que le mal; voici ce qu'un élu a publié à ce sujet :
1. A. D. Seine-Inf., G 2'483.
2. Traité des Elections, p. 251.
3. L'Advis au roi du désordre qui est a présent a Vassiette des tailles et de
Vordre qu'il y faut apporter, rédigé vers 1614, propose comme remède aux inéga-
lités constatées dans les cotes des contribuables de faire dresser les rôles par
les élus « avec l'advis des asseeurs-collecteurs », et sous le contrôle des tréso -
riers de France. La proposition est longuement développée, de façon à en pré-
senter les avantages; mais la principale objection, qui est l'improbité des élus
et trésoriers de France, n'est pas envisagée. (B. N. Rec. Tboisy, 443, f° 157).
M LA TAILLE EN NORMANDIE.
« S'il estoit loisible a tous esleuz faisans leurs chevauchées de réduire
et modérer tous taillables a leur fantaisie, il ne faudroit plus d'assiet-
teurs, n'y remettre les assiettes a leur légalité et conscience : les
esleuz gasteroient tout... 11 n'y a celuy entre les riches d'une parroisse
2ui n'ait des parens et des amis, ou qui ne peust faire quelque grati-
cation pour estre deschargé : par ainsi ne se trouveroient en fin que
les pauvres défavorisez qui demeureroient accablez sous le faix de la
taille. C'est le meilleur de laisser la taxe et cottization des contri-
buables a la discrétion et conscience des collecteurs K »
Ces mots, écrits en 1622, étaient encore plus vrais en notre
temps, après toutes les taxes et vexations infligées aux élus.
Mais leur substituer les intendants pour ce contrôle était
impossible. Un commissaire-départi ne pouvait pas examiner
chaque année tous les rôles de sa généralité. L'eût-il pu. qu'il
n'aurait eu aucun moyen de savoir s'ils étaient bien ou mal
dressés. Il ne pouvait même pas recevoir toutes les plaintes des
contribuables, ni examiner toutes celles qu'il recevait, ni faire
toujours justice. Il était incapable de pénétrer dans ces détails,
et il n'avait personne pour le seconder.
Nous avons un très grand nombre d'aveux de cette impuis-
sance. Leblanc écrit à Colbert le 22 juin 1680, au sujet des col-
lecteurs : « Il est impossible d'empescher qu'ils ne favorisent
leurs amis et qu'ils ne se vengent* »; et l'intendant de Paris
en 1690 :
« J'avoue que ce seroit un grand bien, si l'on pouvoit fixer dans une
uste égalité ce que chacun doit porter; j'y ai souvent fait réflexion,
mais l'usage m'apprend que rien n'est plus difficile à exécuter, parce
qu'il n'est pas aisé d'avoir une entière connaissance des biens et
facultés des particuliers, et qu'il est rare que les cotisables demeurent
longtemps avec le même bien ou avec les mêmes terres... Je crois
qu'il est bon de ne rien changer à l'usage établi3. »
Auber dira pareillement en 1721 : « Il est très certain qu'il
n'y a que les contribuables qui puissent, en travaillant de concert
entr'eux, trouver et établir » la juste répartition de l'impôt*.
D'autre part le contrôleur général Chamillart écrira en 1/05 :
« Il seroit à désirer que l'on pût changer la forme des imposi-
tions; le pouvoir absolu que les collecteurs ont de régler les taux
de chaque particulier selon leur passion ou leur intérêt fait un
désordre inexprimable5 ». Dans l'arrêt du conseil du 5 juillet 1707,
le roi reconnaît que jusqu'ici il n'a pu empêcher les abus des
collecteurs qui, « sans garder dans la confection de leurs rolles
1. La Barre, Formulaire des Esleuz, p. 47.
2. A. N., G^ 491.
3. Lettre au contrôleur général du 21 ayril 1690, dans de Boialisle, Mémoire
de rintendant de Paris, p. 523-524.
4. A. N. AD« 470, pièce 98, p. 13.
5. De Boislisle, Corresp. des Conir. généraux, t. II, p. 563.
L ESTIMATION DES FACULTES DES TAILLABLES. 327
une juste proportion par rapport aux biens et facultez des contri-
buables, surchargent souvent les plus pauvres et diminuent les
cottes des plus aisez, les uns par animosité, les autres par intérêt
ou par crainte de l'autorité qu'aucuns particuliers se sont acquis
dans leur paroisse », et il prescrit de faire redresser les rôles
jugés mauvais par des personnes de confiance désignées par
l'intendant1. Dans un autre arrêt du 19 décembre 1716, le
roi déclare qu'il établit la taille proportionnelle parce qu'en
dépit des règlements portant « que la justice et l'égalité seront
exactement observées dans la répartition des impositions sur les
taillables », « la plupart des collecteurs et asséeurs, au lieu de
suivre cette règle et répartir la taille en leur âme et conscience,
se sont injustement arrogé la faculté arbitraire qu'ils ont exercée
jusqu'à présent de cottiser les taillables selon leur passion,
leur caprice ou leurs intérêts2 ». Ainsi, impossibilité de s'en
rapporter aux collecteurs, impossibilité de les remplacer : telle
est la conclusion à laquelle on aboutit toujours.
Les citations qui précèdent sont empruntées à des admi-
nistrateurs et à des actes officiels; j'ai éliminé toutes les cri-
tiques de personnages privés qui pourraient être suspectés; mais
si l'on veut relire ces critiques, on verra qu'elles n'y ajoutent
1. A. D. Somme, G, 1104.
2. A. N. ADIX 470, pièce 98, p. 69. Dans tout le cours du xvni* siècle, le gouver-
nement fera des efforts incessants pour remédier à cette inégalité fondamentale,
mais il n'aboutira pas. En 1788, un auteur anonyme bien renseigné écrit : « Les
collecteurs qui font seuls, le rôle imposent à leur gré chaque contribuable, et
presque toujours sans expliquer les motifs qui ont dû servir de base à leur taxe :
j'ai dit presque toujours, et en effet il est on ne peut plus rare que leurs opéra-
tions contiennent les renseignements et les détails prescrits par nos loix ». (Essai
sur la répartition de la Taille, A. N. AD1* 470, pièce 170, p. 17), et Moreau de Beau-
mont écrit en 1787 : « Les collecteurs, qui font seuls le rôle, n'ont le plus souvent
ni les lumières ni la volonté nécessaires pour bien opérer; le taux auquel ils
imposent les contribuables n'est fondé sur aucun principe, ni sur aucune pro-
portion; leur opération ne renferme aucun détail ni motif; les édits des mois de
mars 1600 et janvier 1634... leur enjoignent, à la vérité, d'insérer dans leurs rôles
à chaque cote la condition du cotisé, ses biens et exploitations, tant en propre
qu'à loyer, et autres facultés, par article séparé, afin qu'on puisse reconnoitre
par la lecture du rôle si la cotte aura été bien assise, et si les cottes de chaque
rôle sont en proportion les unes avec les autres ; mais cette proportion ne peut
être établie que par des évaluations exactes des objets sur lesquels porte le taux;
comment y parvenir sans des règles fixes? Gomment éviter l'arbitraire dans la
répartition, si le travail n'est point fondé sur une base certaine et invariable ? »
(Mémoires concernant les impositions, t. II, p. 59). Necker dira de la taille per-
sonnelle dans son Compte rendu de 1781 : « Quelque soin qu'on y apporte, quel-
que modification qu'on adopte, la répartition de cette espèce de taille ne pourra
jamais avoir pour base qu'une opinion plus ou moins éclairée; et il seroit à
désirer que l'on pût renoncer à cette espèce d'imposition ou parvenir à la déna-
turer, car il faut regarder comme contraires à l'ordre et au bonheur public,
toutes celles dont la mesure et les proportions sont arbitraires ». Enfin, le roi
lui-même déclarera devant l'Assemblée des notables de 1787, dans cette sorte de
confession où il avoue son impuissance à gouverner : « La répartition des impôts
n'a aucune base certaine... rien n'a pu jusqu'à présent garantir de l'arbitraire,
et l'injustice s'est encore accrue par le crédit, la faveur, la protection qui ont
affranchi d'une partie de la contribution les riches propriétaires, tandis que la
classe la moins aisée en a supporté toute la rigueur ». (Collection des Mémoires
présentés à l'assemblée des notables, premier Mémoire, p. 14.)
3M LA TAILLE EN NORMANDIE.
guère, et qu'on peut adopter sans réserves la conclusion de
Vauban :
a Ce qu'on a toujours trouvé à redire dans l'imposition des tailles,
et à quoi les ordonnances réitérées de nos rois n'ont pu remédier
jusqu'à présent, est qu'on n'a jamais pu bien proportionner l'imposi-
tion au revenu, tant parce que cette proportion demande une connois-
sance exacte de la valeur des terres en elles-mêmes et par rapport
aux voisines, qu'on n'a point pour l'ordinaire, et qu'on ne se met pas
en peine d'acquérir, à cause qu'il faudroit employer trop de temps et
de peines; que parce que ceux de qui dépendent les impositions ont
toujours voulu se conserver la liberté de favoriser qui il leur plairoit
dans les pais où la taille est personnelle l. »
II. — LA COTE DES COLLECTEURS
Les collecteurs n'étaient pas libres de se taxer à leur gré,
eux et leurs parents. L'art. 50 de la déclaration de janvier 1634
disait : « Les asséeurs-collecteurs ne se pouront cotiser à moins,
ni leurs parens et alliez, en l'année de leurs charges, qu'ils
étaient l'année précédente, ou sur le pied de leur cotte, au cas que
la taille eût été augmentée ou diminuée 2 » ; c'est-à-dire que leur
imposition ne pouvait varier qu'avec celle de la paroisse3.
Cependant l'ordonnance ajoute : Lorsque les collecteurs ou
leurs parents auront « souffert quelque notable perte en leurs
biens, commoditez et profits », ils pourront être dégrevés; mais
en ce cas il appartient aux élus, assemblés au nombre de trois
au moins, de leur adjuger la diminution. Pour toute contraven-
tion, l'amende prononcée sera égale à la somme dont le collec-
teur se sera injustement diminué.
Ce règlement fut rappelé chaque année aux contribuables par
les mandements des intendants; il était spécifié que, si les collec-
teurs suivaient cette règle, ils ne pourraient être ensuite assi-
gnés en cote et comparaison de taux par les contribuables,
« sauf en cas qu'ils ayent commis des abus dans l'assiette et
confection de leurs rôles4 ».
1. Dix me royale, éd. 1707 in-12, p. 40.
2. Un arrêt du Conseil du 4 sept. 1647, analysé dans le C. d. T., I, p. 310, auto-
risa les collecteurs à se diminuer de la moitié de leur imposition, s'ils étaient
cotisés à moins de 100 1. l'année précédente; si leur taxe était de 100 à 400 1.,
ils pouvaient se diminuer jusqu'à 100 1. et si elle dépassait 400, ils pouvaient se
donner une réduction de 100 1. sur leur taux. Mais la Cour des Aides de Paris
rendit, contrairement à cette disposition, un arrêt du 22 février 1659 qui réta-
blissait le règlement de 1634 (La Poix de Freminville, p. 242). L'arrêt du conseil
de 1H47 était, dit Vieuille, « d'une trop dangereuse conséquence, la liberté des
collecteurs trop étendue pour être tolérée » {Traité des Elections, p. 322-3).
3. Sous le nom de parents le législateur englobe tous les membres de la
famille, jusqu'aux cousins germains inclusivement. Vieuille, p. 322 et Règlements
de Normandie, p. 53-54.
4. Mandement de l'int. de Rouen, pour la taille de 1673, A. D. S.-Inf. C, 2215.
LA COTE DES COLLECTEURS. 329
Cependant rien n'était plus courant que cette pratique de la
part des collecteurs ; elle ne leur semblait même pas répréhen-
sible. Un manuel de confession, publié en 1680, attire l'atten-
tion du prêtre sur les collecteurs des campagnes, « qui eux-
mêmes se déchargeront, et croiront que cela leur est licite,
puisque c'est à eux à faire l'imposition, et que le rabais de leurs
cottes est la moindre récompense de leurs peines à faire la
collecte, et ils ne s'en confesseroient pas, bien qu'ils fussent
obligez à la restitution envers ceux qu'ils auroient surchargez
pour se soulager eux-mêmes ou leurs parents1 ». Les procès
mus devant les Elections et la Cour des aides nous révèlent une
foule d'abus de ce genre2 :
En 1661, Jean Lesage, collecteur du Lorey (élection de Cou-
tances) réduit à 200 1. son imposition qui, l'année précédente,
était de 418 1. ; par contre, deux taillables de sa paroisse, Jean et
Pierre Ledo, père et fils, ont vu passer leur cote de 46 à 247 1.
L'affaire, qui était d'importance, va jusque devant la Cour des
aides, qui, par arrêt du 6 février 1662, ordonne « que ledit
Lesage se rechargera de la somme de 200 1. au proffit et dimi-
nution de l'impost desdits Ledo, dont la ligne demeurera d'au-
tant deschargée » ; en outre Lesage est condamné à 100 1.
d'amende et aux dépens, et il « tiendra prison fermée jusque
au plain et entier payement de ladite somme3 ».
En 1662, Nicolas Leborgne, « principal collecteur » de Valli-
querville (élection de Caudebec), a diminué son impôt de 15 1.
par rapport à l'année précédente; assigné devant l'Election par
un contribuable pour en répondre, il dit « que la diminution
par luy prize luy a esté accordée par deslibération de la genera-
litté, authorisée par sentence » de l'Election; néanmoins il est
condamné à payer les 15 1., et le rôle de la paroisse devra être
refait en conséquence4.
En 1670, à Fouilloy (élection de Neufchâtel), un des collec-
teurs, Adrien Delamare, imposé l'année précédente à 80 1., a
réduit sa cote à 30 1., « par l'advis, dit-il, de Frémis Poessonnier
et les autres collecteurs, suivant le pouvoir des habitans et sen-
tence de MM. les esleus en date du 3 décembre »; mais un autre
contribuable, Noël Delamare, imposé à 257 1. 10 s., l'attaque
devant l'Election pour cette diminution, puis un accord inter-
vient entre eux, qui est homologué par les élus : Adrien Delà-
Cette dernière clause est inspirée par l'art. 37 de la déclaration d'août 1664. Cf.
Fareillement les mandements de la généralité de Gaen, A. D. Calvados, fonds de
Election de Caen; un mandement de Leblanc, B. N., fr. 8761"", f° 32, etc.
1. Les peschez cachez de chaque chrétien en l'exercice de sa profession.... par
le sieur D. A. E. P. D. S , Paris, 1680, in-12, p. 111.
2. Sur les questions de droit relatives à ces procès : qui a droit de les intenter,
à qui est attribuée la somme réimposée, à qui les dépens, etc. Voir Vieuille,
p. 322-328.
3. A. D. S.-Inf. Plumitif des audiences de la Cour, à la date du 6 février 1662.
. Plumitif de l'Election de Caudebec, du 7 février 1662 : A. D. S.-Inf. C, 2484.
330 LA TAILLE EX NOIt.MAXDIE.
mare s'augmente de 20 I., à la décharge de Noël, et tout le
monde se déclare satisfait1.
L'Election de Falaise, en deux audiences seulement, les 2 et
I) octobre 1G77, juge sept procès relatifs à des cotes de collec-
teurs : ceux de Martigny se sont diminués de 18 1. 9 s., ceux
de Vouilly, de 8 1. ; ceux de Saint-Maurice, de 64 1. 15 s. ; à
Saint-Pierrc-sur-Dive, les collecteurs, leurs cousins, gendres et
fermiers, au total 13 contribuables, se sont dégrevés indûment
de 37 1. 16 s. Au Sac (aujourd'hui commune d'Angoville), un
seul des collecteurs s'est diminué de 33 1.; a Douville, deux
collecteurs se sont diminués de 7 1. 3 s. et se sont abstenus
d'inscrire au rôle une de leurs cousines, etc. En général, l'Élec-
tion accorde à ceux qui ont intenté le procès la diminution que
les collecteurs avaient indûment prise, mais aucune amende
n'est prononcée. On trouve d'autre part un assez grand nombre
de procès où les plaignants, n'apportant pas de preuves suffi-
santes, sont déboutés de leur requête; l'attrait d'un dégrèvement
possible engageait sans doute beaucoup de taillables à intenter
des procès téméraires i.
Les élus avaient tout intérêt à entretenir cet abus, car « le
meunier cherche toujours du grain à moudre », comme l'ex-
plique l'intendant de Bourges le 3 août 1680 : « Les esleus favo-
risent beaucoup cet abus, parce qu'il produit des procès dans
leur jurisdiction3 ». On a vu comment ces procès prenaient
naissance dès la réunion des collecteurs pour dresser les rôles4.
Ils étaient une grande cause de haines et de rivalités sans
fin dans les paroisses. L'auteur du mémoire sur les fonctions
d'intendant pour M. d'Orsay, en 1690, jugerait bon « de per-
mettre aux collecteurs de se diminuer, eux et leurs parens au
degré prohibé, de 10 sols plus ou moins », attendu, dit-il,
1. Rôle de la paroisse, A. D. S.-Inf. C, 2679. A en juger par les indications
données au rôle, il subsistait encore une grande inégalité entre ces deux contri-
buables : Adrien, qui paye 50 1., possède en propre < une maison, masure de
5 acres 1/2 de terre, 2 chevaux, 3 testes a lainne, une vache », et Noël, imposé
à 237 1. 10 s., est < propriétaire d'une maison, masure de 10 acres de terre à la
solle, faisant une charrue, 4 chevaux, 2 vaches et 20 moutons ». Ses biens sont
environ le double de ceux d'Adrien, et il paye 4 fois 1/2 plus d'impôt. Il faut
observer que le rôle semble avoir été écrit de la main même d'Adrien Delamare,
qui est le seul des quatre collecteurs à savoir signer.
2. A. D. Calvados, Election de Falaise, Plumitif. Voici le principal de la sen-
tence prononcée contre le collecteur du Sac, qui est dégrevé indûment de 33 1. :
le rabais est « adjugé » aux trois contribuables qui l'ont poursuivi, « a laquelle
fin lesdits collecteurs leur en feront diminution sur leurs imposts et creues a
proportion et au marcq la livre, suivant les billetz qui leur en seront dellivrex
par nostre greffier, et en cas qu'ils ayent payé entièrement leurs imposts, con-
damnez a leur rendre conformément auxdits billetz, et sera ledit collecteur
rechargé dudit rabais par les collecteurs de l'année prochaine ».
3. A. N. G7, 124. Il a rendu une ordonnance pour y remédier, mais il la juge
insuffisante, et désirerait voir « deffendre aux esleus de vérifier les rooles dans
lesquels les collecteurs se seroient diminués, sur peine d'interdiction ».
4. Ci-dessus, p. 312.
LA COTE DES COLLECTEURS. 331
qu'il est impossible d'empêcher que les collecteurs ne le fassent
d'eux-mêmes *'.
Un collecteur qui s'était indûment diminué risquait natu-
rellement de se voir surcharger l'année suivante. Même s'il
n'avait pas commis d'injustices dans l'assiette, il était exposé
aux vengeances de ses successeurs : quiconque croyait avoir été
surtaxé pouvait, quand il était collecteur à son tour, rendre la
pareille à celui dont il avait eu à se plaindre; et les procès et les
haines se perpétuaient2. Plusieurs intendants avaient essayé de
remédier à ce mal en étendant la défense d'augmenter un contri-
buable a l'année qui suivait sa collecte : Barin de la Galissonnière
l'avait fait à Orléans en 1665, et il proposait à Colbert de géné-
raliser la mesure : « Par ce moiens, dit-il, vous remédierez aux
vengeances qu'on exerce tous les jours contre des pauvres collec-
teurs quand ils ont bien fait leur devoir3. » Lorsqu'il fut passé
dans la généralité de Rouen, il y introduisit cet usage*, auquel
la déclaration du 20 mars 1673, article 6, donna force de loi
dans le ressort de Paris, et celle du 20 août suivant, art. 5, en
Normandie : « Pour éviter, était-il dit, que les particuliers qui
se prétendront surtaxés n'exercent leur vengeance contre les
collecteurs, nous ordonnons qu'ils ne pourront estre taxés en
l'année suivante qu'à la somme qu'ils portoient l'année avant
leur nomination à la collecte, avec l'augmentation au sol la
livre, s'il y en a sur les impositions; comme aussi à cause des
successions qui leur pourront arriver et des augmentations de
leurs exploitations. »
Toutefois, les vengeances n'étaient pas une conséquence
nécessaire de l'arbitraire des collecteurs. Les accords fraudu-
leux entre collecteurs de différentes années étaient aussi fré-
quents : ils portaient en Normandie le nom de « compensations ».
L'intendant de Caen les dénonce dans son mandement de 1675,
en ordonnant aux élus de les empêcher : ordre dont la ponctuelle
exécution n'était pas assurée.
l.B. N., fr. 11096, f° 55.
2. Cf. un sermon du curé Joseph Lambert, adressé aux gens de la campagne;
il stigmatise en ces termes ce désir de vengeance : « Ceux qui payent la taille
[doivent] se précautionner contre la vengeance. Ne le pensez-vous pas, ne le
dites-vous pas, et ne l'exécutez-vous pas? La pensée est criminelle, vos discours
témoignent que votre cœur s'accorde avec vos pensées, l'exécution est la consom-
mation du péché. Vous vous proposez donc de vous venger, on vous entend dire
que vous aurez votre tour, que le collecteur tombera sous vos mains : et vous
vous tomberez sous les mains terribles de Dieu... » (Instructions courtes et fami-
lières sur les évangiles... en faveur... des gens de la campagne, Paris, 1721, in-12,
p. 503.)
3. Lettre à Colbert, 23 nov. 1665, M. C, 133, f° 540. Son ordonnance, rendue
au moment du département de cette année, portait que les collecteurs « ne pour-
roient point estre imposés l'année d'après leur collecte a plus haut taux de taille (et
de sel) que celuy qu'ils portoient l'année quy a précédé immédiatement celle de
leur collecte, sy ce n'est qu'en connoissance de cause ils ne soient taxées d'office
par le commissaire departy ».
4. Mandement aux paroisses pour la taille de 1673, A. D. S.-Inf. C, 2215.
332 LA TAILLE EN NOItMANDIE.
III. — LA COMPARAISON DE TAUX
Lorsqu'un contribuable n'est pas taxé à son juste chiffre, les
ordonnances prévoient la procédure à suivre pour réformer sa
cote : s'il se juge trop imposé, il introduit une instance devant
l'élection, en recourant à la « comparaison de taux1 »; si au
contraire il est trop peu imposé, les agents du roi interviennent
pour l'augmenter, au moyen d'une « taxe d'office ».
Réduire la cote d'un contribuable serait une mince affaire
avec un impôt de quotité, le Trésor supportant seul les consé-
quences de la réduction ; mais la taille étant un impôt de répar-
tition, il faut que la somme imposée sur la paroisse soit inté-
f oralement payée : tout dégrèvement d'un contribuable entraîne
e rechargement des autres ; une cote ne peut être diminuée sans
qu'une ou plusieurs autres soient augmentées de la même
somme. Comment opérer ce déplacement d'impôt?
Dans le ressort de Paris, on use de l'« action en surtaux » :
le contribuable intente un procès contre la paroisse entière
devant l'Election : les échevins ou syndics, représentant la collec-
tivité, défendent l'assiette établie par les collecteurs, qui, censés
avoir fait le rôle « en leur âme et conscience », ne sont pas
personnellement responsables des cotes inexactes. Si les élus
font droit à la requête, la somme dont le contribuable est
déchargé est répartie sur tous les autres et levée comme leur
taille propre.
En Normandie, une autre procédure est en vigueur : elle
porte le nom de « comparaison de taux » ou « action en cote et
réduction de taux ». Elle est décrite par l'intendant Voysin dans
son Mémoire de 1665 :
« Un particulier taxé par le collecteur ne peut se faire diminuer
que par la voie de cotte et réduction contre un ou plusieurs parti-
culiers qu'il prétend estre soulagez en leurs imposts, et devoir porter
ce dont il est surchargé. Il les faict assigner devant les esleus en
réduction, qui font convenir les parties de tesmoings réducteurs,
lesquels estiment les facultez des uns et des autres, et sur leur esti-
mation les esleus donnent leur jugement 2. »
1. Du Chalard, rem. aur l'art. 123 de l'ordonnance d'Orléans, janvier, 1560,
dans Néron, I, p. 416 : « Celui qui se pense surtaxé par les asseeurs il en peut
appeller, aussi que les sujets d'un seigneur peuvent recourir au Roy et sa justice,
si tel seigneur les oppresse et foule par trop... »
2. Mémoire de Voysin, p. 88. Cf. la définition, très claire, de Domat, Le droit
public, dans ses Œuvre», éd. 1/56, II, p. 31.
LA COMPARAISON DE TAUX. 333
La procédure de la comparaison de taux est réglementée par
l'article 37 de la déclaration d'août 1664 :
1° Seuls ont le droit d'intenter une action en comparaison
ceux qui sont imposés à 10 1. au moins '; de la sorte on supprime
les procès dont les frais seraient supérieurs au montant du litige.
2° Avant d'intenter l'action, le contribuable doit payer par
provision la somme à laquelle il a été imposé; ainsi le recou-
vrement des deniers royaux est assuré, et le contribuable est
détourné d'engager un procès téméraire2.
3° L'action ne peut être intentée contre les collecteurs pendant
qu'ils sont en fonction, « sauf en cas qu'ils aient commis des
abus en l'assiette et confection de leurs rôles, et [sauf à] se
pourvoir à l'encontre d'eux l'année suivante, par les voies ordi-
naires et accoutumées pour lesdits abus ». L'intendant d'Aligre
en 1638 ayant déchargé de poursuites les collecteurs de Caren-
tan 3, un arrêt du conseil de juin 1657, enregistré dans la pro-
vince, défendit « à tous particuliers contribuables à la taille
de se pourvoir en cotte contre les collecteurs pendant l'année
de leur collection4 ». Voici comment cette règle est expliquée
par le juriconsulte Du Chalard :
« D'autant que lesdits asseeurs sont élus par tous les manans d'une
paroisse, ou ceux qui la représentent, c'est-à-dire la plus grande
partie, ils sont approuvez gens de bien : et à ce moyen tous les parois-
siens sont tenus du fait des asseeurs, autrement il s'en ensuivroit que
outre la peine qu'ils ont de faire l'assiette ils auroient encore la charge
de soutenir leurs taux, et ladite charge (à laquelle ils sont contraints)
les astraindroit au procès qui en procederoit : et sic duplici onere
premerentur, quod fieri non débet5. »
Cette défense de prendre à partie les collecteurs pour leur
propre cote ne pouvait, du reste, avoir de conséquences graves,
puisque la fixation de cette cote avait été, on l'a vu, spécialement
réglementée.
1. Dans le reste du royaume le minimum fixé était de 20 1. (arrêt du conseil du
25 février 1666, art. 9, C. d. T., I, 597). Mais au-dessus de ce chiffre, on pouvait
engager le procès, si minime que fût la décharge demandée. En 1719, les Etats
de Bourgogne sollicitèrent une limitation sur ce dernier point. Le Parlement de
la province, qui faisait fonction de Cour des Aides, était d'un avis contraire :
cf. les arguments de part et d'autre dans l'arrêt du Conseil du 12 mai 1720,
publ. dans La Poix de Freminville, Traité des communautés cThabitans, p. 309-314.
Le roi accorda satisfactions aux Etats.
2. L'arrêt du Conseil du 19 mars 1678 renouvelle la défense aux élus d'accorder
aucune décharge sans avoir assuré le paiement par provision : il est fondé sur
la désobéissance des élus de Caen, qui « isndent journellement des jugemens par
lesquels... ils accordent des décharges ou modérations de taux sans ajuger ladite
provision ».
3. Sentence du 2 nov. 1638, Bibl. Sénat, ms. 102, f° 449.
4. A. D. Calv., élection de Caen, correspondance, à la date du 24 juin 1657.
5. Commentaire à l'art. 123 de l'ordonnance d'Orléans, janvier 1560, dans
Néron, 1, p. 416. Du Chalard fait ce commentaire à propos de la procédure du
surtaux, mais son argumentation vaut aussi pour la comparaison de taux.
IM LA TAILLE EN NORMANDIE.
La jurisprudence de la Cour des aides de Rouen accordait
primitivement un délai de trois mois à partir de la rédaction des
rùles pour intenter le procès, mais ce délai avait été accru par
l'usage, et les tribunaux recevaient les actions en cote et compa-
raison de taux « dans l'échéance des trois premiers quartiers de
la taille, après lequel délai il y [avait] une fin de non-recevoir
invincible1 ». Néanmoins, la Cour des aides de Rouen, en 1618,
constatait « que les plus aisés des cottisables, par la faveur
qu'ils ont sur les asseeurs, se font imposer à petites et légères
sommes, et pour éviter que les autres ne forment action en cotte
et surtaux sur eux obtiennent mandement des élus sous le nom
de leurs amis, en vertu duquel ils se font assigner par lesdits
élus pour procéder sur lesdites actions; rejettent en ce faisant
les autres taillables surtaxés par fin de non-recevoir, et par
après, dès le premier règlement qui se donne en la cause, se
portent appellans, lequel appel ils délaissent sans poursuite »;
en conséquence, la Cour avait arrêté qu'à l'avenir les Elections
auraient un délai de six semaines pour rendre leur jugement, et
le délai d'appel était fixé à trois mois pour les élections de
Valognes, Avranches, Coutances, Carentan, Saint-Lô et Mortain
et de deux mois pour les autres, qui étaient plus voisines de
Rouen 2. Les élus devaient juger l'affaire « sommairement et
sans frais », et cela non seulement pour éviter la dépense aux
plaideurs, mais aussi pour empêcher tout retard dans le payement
de l'impôt.
Le contribuable qui se pourvoyait en comparaison de taux
pouvait agir soit contre un seul, soit contre plusieurs contri-
buables figurant au même rôle que lui. Il devait faire la preuve
qu'il était trop taxé, et pour cela fournir des témoins connaissant
sa fortune; les adversaires pouvaient en fournir également, et
même les deux groupes avaient liberté d'en choisir d'autres d'un
commun accora, pour les départager. A défaut des parties les
élus désignaient eux-mêmes les témoins.
Ces témoins agissaient comme des experts : ils formaient une
commission présidée par les élus; on les consultait « non par
forme d'enqueste pour les ouïr et examiner séparément, mais
par une conférence et commune audition d'iceux ouïs ensem-
blement, encore qu'ils ne conviennent en leurs avis et dépo-
sitions, à la mesme forme qu'on prend l'avis des experts3 ». Ils
devaient être pris non dans la localité, mais dans une paroisse
voisine, qu'elle fût ou non de la même élection : par là on s'assu-
rait des nommes impartiaux, connaissant les « facultés » des
1. Loisel de Boismare, Dictionnaire du droit de» tailles, t. I, p. 33. Le délai
d'après cela prenait fin à la date du 1" avril.
2. Arrêt de règlement de la Cour des Aides, 11 août 1618, cité dans Loisel de
Boismare, Dictionnaire, p. 33-34.
3. Néron, t. I, p. 710, n. à l'art. 6 de l'édit de mars 1600. Cf. ci-dessus, p. 323.
LA COMPARAISON DE TAUX. 335
parties. Ils étaient appelés « témoins réducteurs ». Voici par
exemple la liste des témoins réducteurs remis à l'élection de
Falaise le 6 février 1677 par un taillable du Mesnil Bréouze :
« Billet de cotte que baille Robert Brisson demandeur en cotes
allencontre de Robert David.
Tesmoins réducteurs :
De Bellou : Richard Bisson, Philippe Toussaint et Guillaume
Le Boucher.
De Signon : Biaise Jardin, Jean Guibout fils Guillaume, Ambroise
le Cœur.
De La Coullonche : René Morel, Nicollas Le Comte, Jacques Bernier.
Faict et baillé le 5 février 1677 '. [Signé] R. Bisson. »
Plusieurs procès peuvent se greffer l'un sur l'autre : par
exemple dans la même paroisse du Mesnil-Bréouze, en 1677,
Pierre Foucandel assigne Pierre Ollivier pour lui faire porter
la moitié de sa taille montant à 25 1. ; aussitôt Jean Lecoq inter-
vient et « déclare se cotter tant contre ledit Ollivier que contre
le dit Foucandel, demandant à convenir de tesmoins réducteurs
avec eux », ce qui est accordé par l'Election2.
Lorsque les élus ont prononcé leur sentence, ils se font pré-
senter le rôle et corrigent les cotes en marge. Par exemple dans
la paroisse de Morville, année 1670, Pierre Gamard, imposé à
33 L, a été déchargé de 4 1. 10 s. aux dépens de Martin Labite,
maréchal, imposé à 24 1. 8 s.; sur le rôle, en marge de son
article, est écrit : « Martin Labite chargé de 4 1. 10 s. à la
descharge du dit Gamard » ; pareillement en face de l'article
de Jean Mauger est écrit : « Déchargé de 30 s. qui sont reportés
à Martin Labite3 ».
A côté de cette procédure régulière, on en voit fonctionner
une autre plus simple, qui consiste a attaquer le collecteur
porte-bourse pour lui faire « réformer son rôle » : par exemple
le 17 décembre 1661, Jean Legros, taillable à Palluel, assigne
devant l'Election de Caudebec le principal collecteur pour se
faire adjuger à son profit les diminutions, variant de 2 à 8 livres,
qui ont été « indûment » accordées à divers autres contribuables ;
en réponse, le collecteur cite ces derniers et leur fait recon-
naître qu'ils lui avaient demandé ces diminutions. L'Election
donne raison à Legros, et fait redresser le rôle*. On trouve
aussi de ces exemples dans les élections de Neufchâtel et de
Dieppe.
Le procédé de la comparaison de taux n'était pas sans incon-
1. Arch. Dép. Calvados, Plamitif de l'Election de Falaise.
2. Arch. Dép, Calvados, élect. de Falaise, plumitif, 10 fév. 1677.
3. Arch. Dép. Seine-[nf. C, 2684.
4. A. D. S.-Inf. C, 2484.
336 LA TAILLE EN NORMANDIE.
vénients. Il avait été jadis usité dans le ressort de Paris, mais
la Cour des aides l'avait interdit en 1566, pour lui substituer
l'action en surtaux, voulant, disait-elle, laisser le soin « aux
syndic et procureur des inanans et rjabitans de soustenir la
taxe, sans faire appeller ny surcharger celuy contre qui la com-
paraison est faite1 ».
La comparaison de taux était également condamnée par
l'intendant Le Blanc, qui, dans un mémoire à Colbert du 4 jan-
vier 1680, dit se faire 1 interprète des intéressés :
a Les officiers et les paysans conviennent que jusqu'à présent cette
action n'a servy qu'à ruiner les uns et les autres par la multitude de
procédures, sans aucune utilité. Pour y remédier, il fault abolir ce
mauvais usage et rendre la jurisprudence uniforme dans tout le
royaume, suivant le règlement de janvier 1634 et arrests du Conseil
des 25 février 1666* et 27 octobre 1667, faire deffenses de se plus
cotter ny pourvoir en réduction, mais de se pourvoir contre les com-
munautés... en surtaux*. »
L'auteur du Recueil de l'intendant Orsay affirme pareillement
que la comparaison est un procédé « bien triste, pour ne pas
dire impraticable », car « elle engendre des haynes et des ini-
mitiés irréconsiliables, et chaque particulier ayme mieux souffrir
la surcharge en gémissant, que de se comparer en justice4 ».
D'autres motifs furent donnés contre la comparaison par
l'intendant de Bourges, Poncet, sans doute à la demande de
Colbert. Voici, de son mémoire du 26 août 1682, le résumé fait
dans les bureaux du Contrôle général :
« Les instances en comparaison ne seroient pas plus avantageuses
que celles en surtaux :
1° Parce que les esprits de la province se gouvernant plus par
jalousie, ils plaideroicnt continuellement les uns contre les autres
sans crainte de l'événement ny des frais, mais par la seule satisfaction
de se fatiguer les uns et les autres.
2° Cela ne remédieroit point à la modicité des taux dont les chefs
des parroisses jouiroient tousjours, estant maîtres des autres taillables.
3° Cela multiplicroit les procès, parce que le condamné ne man-
1. Cité par Papon, Recueil d'arrêts notables... liv. V, tit. 2; cf. autre arrêt de
la Cour, 13 doc. 1568, cassant un procès où la comparaison de taux avait été
admise, analysé dans Guénois, Conférence des ordonnances, II, p. 1443, n. 9;
autre arrêt du 3 juillet 1577 mentionné ibid. Cependant Bagereau (Leçons et déci-
sions notables sur les ordonnances des tailles et aydes, 1624, p. 37-8) cite un cas
où la cour admit la comparaison de taux; Néron (Recueil, t. I, p. 519) dit que la
comparaison « est une pratique ancienne, laquelle s'observe encore es sièges des
Eslections ». D'après Montyon (Particularités et observations... p. 6, n. 2), Sully
aurait introduit la comparaison de taux dans la législation. II y a sans doute
erreur : le règlement de mars 1600, art. 6, prescrit le surtaux.
2. Cet arrêt, important pour les surtaux, est dans le C. d. T., à sa date.
3. Mémoire du 4 janv. 1680, A. N. G *, 491.
4. Recueil d'Orsay, B. N. fr. 11 096, f° 53.
LA COMPARAISON DE TAUX. 337
queroit jamais d'interjetter appel, ainsy il estimeroit plus advantageux
de laisser un taillable surtaxé d'une pistolle en comparaison des
autres, que de luy permettre de plaider, à cause des grands frais.
4° Il est plus aysé d'obliger les communautez à faire justice à un
particulier surtaxé, les contestations se réduisant ordinairement
devant les eleus, ce qui seroit rare si les taillables plaidoient les uns
contre les autres, à cause de l'appel1. »
Mais il y avait aussi des avis contraires. Dans un arrêt du
5 janvier 1665, rendu au rapport de MM. Colbert et Marin, et
sur l'avis « des commissaires départis... et de plusieurs officiers
employez à l'imposition et levée des deniers des tailles », il est dit
que le surtaux a « tellement foulé lesparroisses, qu'il s'est trouvé
quelquefois qu'une diminution de 30 1. du taux d'un particulier a
cousté plus de 2000 1. de dépens et d'interests a certaines com-
munautez, lesquelles estans toujours mal défendues sont d'ordi-
naire condamnées aux dépens, et de la s'ensuit une ruine inévi-
table des parroisses où il se trouve des opiniastres plaideurs2 ».
Colbert lui-même jugeait la comparaison de taux supérieure à
toute autre procédure. Dans sa circulaire du 6 novembre 1681,
notamment, il explique son opinion : « En Normandie, les
imposés à la taille ne sont pas reçus à se pourvoir en surtaux,
parce que cette action estant dirigée contre la communauté, elle
succombe toujours pour estre mal défendue3 », tandis qu'avec
le système de la comparaison, « deux particuliers se défendent,
et le jugement ne tombe jamais sur la communauté4 ».
Il est probable qu'il jugeait en connaissance de cause, et il
est difficile de ne pas se ranger à son avis. Nous avons, du reste,
pour l'appuyer, un long mémoire de l'intendant d'Alençon, du
1er septembre 1683 :
« Il est certain qu'on voit peu de procez en réduction, et qu'au con-
traire il y en a tousjours un grand nombre en surtaux, que la réduction
ne donne lieu a aucuns rejets, et que le surtaux en produit une infinité,
que les parroisses n'ont aucun interest a la réduction, et par consé-
quent point de procez a soustenir, au lieu qu'on ne juge aucun surtaux
qu'avec les parroisses ; qu'en réduction ce sont deux parties a peu
1. A. N. G7, 124. Même condamnation est prononcée par Lallemant de Lévignen
(B. N. fr. 7771, fol. 179).
2. A. D. Calvados, Election de Gaen, registre d'ordonnances 1664-74, f° 111,
impr. Il est curieux que cet arrêt, visant uniquement les surtaux, ait été enre-
gistré eu Normandie.
3. Cf. le mémoire de Pesclieur (1665) : le procureur du roi instruit seul ces
Ïtrocès ; comme il n'est pas « payé pour prendre tous les soins nécessaires pour
es deffendre exactement, ny maistre de la bourse des communautez pour en tirer
aux occasions de quoy fournir aux fraiz, ne faut pas s'estonner si le poursuivant
l'emporte tousjours ». (M. C. 33, f° 292, cf. f 289). Voir aussi une lettre du sieur
de Robertot, ibid. f° 296-301, et ci-dessus, p. 151, n. 4.
4. Glém. II, 171. Cf. semblables recommandations à Lebret, 28 janv. 1682,
{ibid., p. 175), et à Bercy, 15 avril 1683 (p. 218).
LA TAILLE EN NORMANDIE. 22
338 LA TAILLE EN NOIt.MANDIE.
près esgallcs qui solicitent leur affaire, et en surtaux c'est une com-
munauté toujours mal défendue contre un particulier, qui par consé-
quent gaigne ordinairement son procez, et mesme les juges y font
d'autant moins de difficulté que la descharge qu'on donne a ce parti-
culier, et qui luy est considérable, n'est que peu de chose estant rejetée
sur tous les contribuables d'une parroisse, au lieu que par la réduction
on ne peut descharger l'un que l'on ne charge l'autre de pareille
somme, ainsy les juges y prennent garde de plus près; enfin on voit
si souvent les plus riches des parroisses se pourvoir en surtaux mal a
propos, et gaigner leurs procez, parce que bien souvent les parroisses
n'osent s'y opposer, qu'on ne peut que conclure qu'il est très
nécessaire de maintenir la réduction. »
Mais il faudrait modérer le pouvoir des collecteurs qui souvent
« font des taxes hors de raison », « et ainsi, pour l'ordinaire, soit par
vengence ou pour la facilité de leur recouvrement, ils ruinent et
accablent des particuliers qui, s'ils estoient imposez a des sommes
raisonnables, pourroient vivre doucement et payer leur part des
impositions de la parroisse » ; pour cela il faudrait ordonner « qu'au
lieu que des trois réducteurs le deffendeur en nomme deux, il n'en
pourroit nommer qu'un, et le demandeur l'autre, et qu'ils convien-
droient du tiers », ou bien on les ferait nommer par les élus.
Il faudrait en outre « empescher, s'il est possible, les vengences
outrées des collecteurs, qui, pourveu qu'un particulier ait des meubles
ou bestiaux suffisans pour payer 200 1., ne font nulle difficulté de
l'imposer à cette somme, quoiqu'il n'en eût jamais payé que 20 1. au
plus : on pourroit ce me semble ordonner aux intendans d'examiner
avec soin sy dans les taux si disproportionnez d'année a autre il n'en-
treroit pas de la vengence des collecteurs, auquel cas après en avoir
esté suffisamment informez ils pourroient faire charger lesdits collec-
teurs d'une partie de ladite imposition, et sy au contraire il ne parois-
soit aucun sujet de vengence, ils renvoyeroient a se pourvoir en
réduction '. »
En définitive, suivant cet auteur, le surtaux est avantageux
aux particuliers, la réduction l'est plutôt aux paroisses et au
Trésor s. Peut-être cette constatation nous permet-elle de conci-
lier les opinions opposées des intendants : suivant qu'ils se
plaçaient au point de vue du fisc ou à celui des contribuables,
ils approuvaient ou condamnaient le procédé. Il est certain
d'ailleurs que la véritable solution de la difficulté eût été celle
donnée par l'intendant d'Alençon : la suppression de l'arbitraire
des collecteurs. Mais on a vu que cet arbitraire était inhérent à
la forme même de l'impôt.
1. A. N., G1 71. Sur cette dernière pratique, qui consistait à surimposer un
contribuable riche, voir ci-dessous, p. 352.
2. Cf. ce que dit Domat de la comparaison de taux : « cette voye peut bien être
ntile au public, mais «lie n «e méchant effet d'être une occasion de querelles et
d'inimitiés ». (Le droit public, dans ses Œuvres, éd. 1756, II, p 31.)
LES TAXES D OFFICE. 339
IV. — LES TAXES D'OFFICE
Lorsqu'un contribuable n'est pas suffisamment imposé par
les collecteurs, il appartient aux agents du fisc d'augmenter sa
cote : l'acte porte le nom de « taxe d'office », parce. qu'il est
fait « indépendamment de la fonction des asséeurs, et par
l'office des juges qui en doivent connoître1 ».
Les taxes d'office n'avaient pas toujours existé : à l'origine,
comme le fait remarquer d Aube, les collecteurs « avoient seuls
le droit de fixer les impositions particulières des membres de
leurs communautés, sauf le pourvoy par devant les tribunaux des
Elections 2 » ; mais on avait bientôt reconnu la nécessité de faire
intervenir les agents royaux dans l'assiette pour en corriger les
imperfections, causes de non-valeurs, et les élus avaient été
chargés par le roi de taxer d'office tous ceux que les asséeurs
ne pouvaient ou ne voulaient pas imposer à leur taux légitime,
parmi lesquels le règlement de janvier 1634, art. 48, désignait
particulièrement : « les juges, conseillers, les substituts [des]
procureurs généraux, oficiers des greniers à sel, procureurs fis-
caux, notaires, avocats, gréfiers, procureurs postulans, fermiers,
métaiers des nobles, des eclésiastiques, des élus, grenetiers,
contrôleurs, et autres personnes qui peuvent avoir crédit et
autorité sur les habitans, [et] que les asséeurs n'osent taxer ce
qu'ils peuvent légitimement porter, ni les habitans des paroisses
en faire plainte, de crainte d'encourir leur inimitié3 ».
En 1642, lorsqu'on avait réformé la façon de procéder au dépar-
tement, les élus avaient dû partager le pouvoir de faire des taxes
avec les intendants et les trésoriers de France '*. A partir d'août
1664, ils le partagèrent avec les intendants seuls. L'art. 11 du
règlement était ainsi conçu :
« Pourront, les commissaires par Nous départis en ladite province
[de Normandie], et les oficiers des Elections, taxer d'ofice au bureau
de l'Election, au pié de leurs mandemens, ceux des taillables lesquels
par intimidations ou par l'autorité de personnes puissantes s'exemptent
indûement des sommes qu'ils peuvent et doivent raisonnablement
porter pour leur part des deniers de nos tailles. »
L'art. 15 ajoutait que, comme pour l'imposition des
paroisses, la voix de l'intendant prévaudrait sur celle des
1. Domat, Le droit public, Œuvres, t. II, p. 30, 2e col. Cf. ce qui a été dit sur la
nomination d'office des collecteurs, ci-dessus, p. 190 et suiv.
2. B. N. fr. 21 812, p. 70.
3. Un essai avait été fait, en 1603, pour attribuer les taxations d'office aux tré-
soriers généraux, mais il avait été bientôt abandonné (B. N. fr. 21 419, fol. 132).
4. Arrêt du Conseil du 22 août 1642, art. 7; voir ci-dessus, p. 45 et 118.
340 LA TAILLE EN NORMANDIE.
élus'. Les collecteurs ne pouvaient en aucun cas réduire une
taxe d'office, mais il leur était loisible de l'augmenter, s'ils le
trouvaient juste « en leur ame et conscience » (art. 13)*. Le
règlement d'août 1673 (art. 11) confia aux receveurs le soin de
signifier les taxes aux intéressés, dans le délai de quinze jours
après l'envoi des mandements aux paroisses pour la levée : les
collecteurs en avaient donc connaissance avant de dresser leur
rôle, et même les appels pouvaient être jugés assez tôt pour que
l'assiette n'en lût pas troublée 3. Le règlement ajoutait que ces
cotes, payables directement au receveur, devaient lui être ver-
sées par quartiers *.
La question de l'appel des taxes ainsi faites par les inten-
dants et les élus avait une grande importance. D'abord il fallait
assurer un recours au contribuable, tout en empêchant les pro-
tections de se donner carrière. Ensuite, il fallait régler les
rapports de compétence entre les pouvoirs hétérogènes des
intendants, des élus, de la Cour des aides, des Bureaux des
finances, du Conseil. Dans le ressort de Paris, des solutions
diverses furent adoptées à quelques années d'intervalle6; dans
1. En pratique, les intendants laissèrent très rarement agir les élus. Ils tenaient,
comme le déclare le recueil d'Orsay, a • éviter aux inconvéniens qui en pour-
roient arriver en quelques élections; et pour empêcher en quelque façon les
officiers d'en faire, M. l'Intendant leur peut dire qu'il n'est réputé absent que
lorsqu'il n'est pas dans l'étendue de sa généralité » (B. N. fr. 11096, fol. 10).
2. Cf. la déclaration du 24 février 1660, adressée aux intendants : ■ les taxes d'of-
fices qui seront par vous faites [ne pourront] estre modérées » (A. D. Calv., Bureau
des finances).
3. Ce délai est calculé, dit le recueil d'Orsay, pour < que ces taxés puissent se
fourvoie devant M. l'Intendant par requêtes.... avant la confection des rolles, et
viter par ce moyen les rejets en cas de décharge ou modération • (fol. 9).
4. Voici la formule d'un rôle de taxes d'office pour une élection; elle est donnée
ftar le Recueil de l'intendant Orsay; elle n'a évidemment rien d'obligatoire
B. N. fr. 11 096, fol. 8-9) :
■ Rolle des taxes faites d'office par Nous sur les particuliers taillables
de l'élection de , à la décharge des paroisses dont les noms ensuivent :
motifs :
Il tient une ferme dans cette paroisse
une terre appartenant à , valeur
3 000 1. ; il n'est imposé qu'à 20 1.
Il possède 2 000 1. de rente, il n'est
imposé qu'a 20 s. a cause de l'autorité
de sa charge.
« Au payement desquelles sommes et des 6 d. pour livre d'icelles les dénommez
au présent rolle seront contraints comme pour les propres deniers et affaires de
S. M., à la diligence du receveur des tailles en exercice, que nous avons chargé
du recouvrement.
Fait et arresté par Nous intendant et commissaire susdit, le . »
Voir aussi un rôle de taxes d'office de la généralité de Paris en 1682, publié
partiellement dans De Boislisle, Mém. de l' intendant de Par h, p. 506-510.
5. Le règlement du 16 avril 1643, art. 8, disait que l'appel des taxes d'office
faites par les intendants serait porté devant les intendants eux-mêmes; la Cour
des^ aides, dans sa vérification,- ordonna que les « oppositions » seraient « ins-
truites en la manière accoutumée • (C. d. T., I, p. 403), et l'arrêt du Conseil du
2 sept, suivant donna expressément à la Cour la connaissance de cette matière en
appel (ibid., p. 409). Mais en mars 1667, le roi, constatant que la Cour usait de
Saint Pierre.
Jacques Prudhomme, la somme de
Saint Jean.
Louis Dubois, procureur en la vicomte
de la somme de
LES TAXES D OFFICE. 341
celui de Rouen, une double règle fut posée par les lettres-patentes
d'août 1664 : 1° La Cour des aides ne pouvait « connoître direc-
tement ou indirectement, et sous quelque prétexte que ce soit,
desdites taxes d'office1 », excepté en cas d'appel des taxes faites
par les élus en l'absence du commissaire-départi (article 12).
2° Pour les taxes établies par les intendants, les intéressés pou-
vaient demander « leurs décharges ou modérations » aux inten-
dants eux-mêmes, et ensuite faire appel devant le Conseil (art. 11).
Dans tous les cas, l'appel n'était pas suspensif, et les taxes
devaient être payées par provision2.
Au début, la Cour des aides se résigna mal à cette quasi-
dépossession : dans ses registres figurent assez souvent des
appels pour des( taxes faites par les intendants, quoique le 18 no-
vembre 1667, Barin de la Galissonnière écrive qu'à sa connais-
sance elle ne se mêle plus de ces affaires3. Le 30 octobre 1683,
Méliand demande encore au Conseil de casser un de ces arrêts,
parce que, dit-il, « il est d'une très grande conséquence pour les
taxes d'office de ne pas souffrir cette entreprise de la Cour des
aydes4 ». Néanmoins, l'intervention de la Cour demeura toujours
exceptionnelle. Le recours à l'intendant lui-même, par voie de
placet, devint bientôt habituel, mais l'appel au Conseil fut
toujours rare, en raison des frais qu'il occasionnait. Les cora-
missaires-départis furent donc, en pratique, les arbitres des
taxes ; comme ils pouvaient d'ailleurs les infliger à qui ils vou-
laient, l'impôt des particuliers se trouva, par la législation nou-
velle, livré à leur discrétion, comme celui des élections, des
villes et des paroisses rurales.
Pour utiliser avec justice cette arme redoutable, il leur eût
fallu connaître exactement la fortune de ceux qu'ils visaient. Or
ils ne disposaient pour cela d'aucun moyen assuré. Moins encore
son pouvoir pour « ne confirmer aucune » taxe, suspendit l'application de cette
règle « pour deux ans seulement », en faisant porter les appels devant le Conseil
(ibid., II, p. 19). Des pourparlers eurent lieu à ce sujet entre le président Le
Camus et Marin (M. C, 144, fol. 64), et la Cour recouvra son pouvoir par arrêt
du Conseil du 17 nov. 1667 (Clairamb. 659, p. 294). Les intendants se plaignirent
fréquemment à Colbert qu'elle en abusait (Clém., II, 266 n., 294; Depping, III,
35; Clairamb. 792, p. 417 et 431; B. mun. Amiens, ms. 508, t. III, pièce 228, etc.);
des arrêts, de la Cour furent cassés par le Conseil (Clém., II, 178); enfin l'appel au
de la Cour au profit du Conseil.
1. Art. 11, rappelant des arrêts du Conseil des 6 août, 28 septembre 1656 et
30 septembre 1660. On a déjà vu que la Cour était « dans le dernier décri », et
commettait de perpétuelles injustices; le roi savait qu'il ne pouvait compter sur
ses services.
2. Règl. d'août 1673, art. 30. Rappelé par tous les mandements des intendants
aux paroisses. Voir des formules (facultatives) de sentence pour la décharge
d'une taxe d'office dans le Recueil d'Orsay, B. N. fr. 11 096, fol. 10-12.
3. M. C. 146, fol. 187. Voir ci-dessus, p. 255, des exemples de taxes cassées par
la Cour des aides de Rouen.
4. A. N., GT 492.
LA TAILLK KN NORMANDIE.
qu'un collecteur, ils étaient capables de connaître la situation de
chaque contribuable; ils n'avaient même pas la ressource de con-
sulter les collecteurs, puisqu'il s'agissait d'empêcher leurs injus-
: les élus leur inspiraient de la méfiance, car, comme l'écrit
De Marie en 1667, « ce sont bien souvent des personnes qu'ils
protègent1 »; quant aux receveurs, ils fournissaient des mémoi-
res, écrit Barin de la Galissonnière la même année, « qui ne
sont très souvent que les effets de leur ignorance ou de leur
passion, ou de celles de leurs sergents2 ». Colbert reprochera
avec raison à certains de ses subordonnés, dans une circulaire
du 4 février 1683, d'avoir laissé agir les élus et les receveurs,
qui sont devenus « les maistres de ces taxes, et les ont faites
suivant leurs passions ou leur interest, au lieu de produire l'effet
que S. M. désire, en egallant l'imposition de la taille' ». La
méfiance générale à l'égard de tous les agents royaux subalternes
devait être, ici comme dans tout le reste, la règle de l'intendant.
Quant aux plaintes des contribuables eux-mêmes contre les sou-
lagements accordés aux personnes puissantes, elles ne man-
quaient pas. « Journellement, écrit l'intendant de Rouen, je
reçois des requestes des habitans qui se plaignent contre des
personnes protégées »; mais quel crédit leur accorder? Elles
sont souvent anonymes, ou, quand leurs auteurs se font connaître,
ils n'osent les maintenir publiquement; il leur arrive même
d'être contraints à se rétracter : « J'ay remarqué, dit le même
intendant, que les taxez obtenoient avec trop de facilité des
consentemens des habitans, qu'ils corrompoient... et dont on
exigeoit les signatures par de mauvaises voies* ».
Il faut donc que les intendants voient tout par eux-mêmes.
Vous devez, leur écrit Colbert, « demeurer en chacune eslection
autant de jours qu'il sera nécessaire pour vous informer avec
soin des facultez de tous ceux que vous taxeres d'office, affin de
n'en taxer aucun qu'avec une exacte connaissance de cause5 ».
Ils protestent tous de leur zèle et de leur application, mais ils ne
disposent d'aucune méthode sûre : « Je suis persuadé, écrit celui
de Caen, que les plaintes qu'on vous a faites de quelques généra-
lités du royaume de la négligence que l'on a eue aux taxes d'office
en les laissant à la discrétion des receveurs des tailles ne regar-
dent pas cette généralité6 »; et celui de Rouen : « J'ai toujours
1. Let. du 21 nov. 1667, M. C, 146, fol. 211.
2. Let. du 18 nov. 1667, ibid., fol. 187.
3. B. Mun. Amiens, ma. 508, t. IV, pièce 79. La circulaire fut reçue par les
intendants de Normandie, ainsi que le prouvent leurs lettres des 11 février,
7 et 9 juillet 1683 (A. N., G' 71, 213 et 492).
4. Let. du 18 décembre 166G, M. C. 142,,U, fol. 778.
5. Circulaire du 4 février 1683, déjà citée.
6. Let. du 9 juillet 1683, A. N. G* 213. Cependant il écrivait le 23 novembre
suivant : Pour faire les taxes « utilement, il seroit a propos d'avoir des mémoires
bien exacts et bien fidelles, ce qui est très dificile en ce païs icy particulière-
ment • ibid.
LES TAXES D OFFICE. 343
pris le temps de voir les taxes d'office, que je fais moy-mesme,
entrant autant qu'il m'est possible dans la connoissance des
mémoires qui me sont donnes a cet effet »; jamais, ajoute-t-il,
une de mes taxes n'a été infirmée par le Conseil1.
L'intendant d'Alençon a décrit comment il procédait habituel-
lement :
« Pendant mes visites, j'oblige les receveurs des tailles et les officiers
des eslections de me donner les mémoires de ceux qu'ils veulent faire
taxer d'office, dans lesquels ils marquent leurs biens, leurs commerces,
et la somme a laquelle ils sont imposés ; après quoy j'ay le loisir
jusques au département de m'informer de la vérité de ces mémoires,
et comme souvent ces officiers ménagent leurs parens et leurs amis,
qu'ils ne comprennent pas dans leurs mémoires, je fais venir pendant
mes visites les collecteurs de toutes les paroisses, tant de l'année
courante que de la précédente, comme j'ay fait en Bourbonois, et après
les avoir interrogés, tant sur la conduite des huissiers que sur celle des
officiers et autres gens d'authorité qui ont du bien dans leurs paroisses,
je me fais représenter les roolles des tailles, et par ce moien je connois
souvent que des gens riches sont très modiquement imposés 2. »
Celui de Rouen a une autre méthode :
J'ai dressé, dit-il, « un mémoire de ceux qui s'exemptoient, et
j'ai taché de leur faire connoistre qu'il falloit qu'ils contribuassent aux
charges comme les autres; j'ai taxé le sieur de Rouvray 3 à 30 1. pour
commencer à l'y accoustumer, comme beaucoup d'autres de la même
ville, ce qui leur a semblé rude aux uns et aux autres... J'ay obligé
les taxes qui se plaignent de faire lire leurs requestes au prosne de la
messe parrochialle af'fin de donner par les habitants a l'yssùe d'icelle
leur advis, mêmes Testât des facultez et occupations desdits taxez,
affin de pouvoir estre plus éclaircy des surprises '*. »
La diversité même de ces précautions, — à supposer qu'elles
aient toujours été prises, — montre l'embarras dans lequel se
trouvaient les agents du roi.
Leur rôle ne se bornait pas, d'ailleurs, à fixer les taxes : il
fallait aussi en assurer le paiement, et déjouer les ruses des
taxés : une circulaire de Colbert du 10 février 1683 nous apprend
que souvent «les esleus ou les collecteurs des tailles, pour éviter
les taxes d'office faites par MM. les intendans et commissaires
départis, imposent dans leurs rolles plus qu'il n'est porté par
les mandemens des esleus, jusqu'à concurrence des taxes d'office
qu'ils ne veulent pas faire payer, et par ce moyen deschargent
les taxez d'office ». Il faut, ajoute le contrôleur général, « que
vous y preniez garde, et en cas que vous trouviez que les
1. Let. du 11 février 1683, A. N. G?, 492.
2. De Bouville à Colbert, 5 juillet 1683, ibid., 71.
3. Il était conseiller au présidial des Andelys.
4. Barin de la Galissonnière à Colbert, 18 décembre 1666, M. C, 142hl% f° 778.
M LA TAILLE EN NORMANDIE.
officier* des eslections qui auront calculé et vériffié ces rolles
ne les ayent pas réduit à la somme contenue aux mandemens,
S. M. interdira ces officiers sur les procès-verbaux que vous en
ferez »'. Les trois intendants de Normandie assurent en réponse
que cette pratique n'existe pas dans leurs circonscriptions 2;
cependant elle avait été signalée dans la généralité de Rouen
en 1666 : « Quelques-uns des receveurs, écrivait Barin de la
Galissonnière, nous ont proposé lors des départemens d'aug-
menter plusieurs de leurs paroisses sous prétexte de ces taxes
d'office, lesquelles ils ont depuis consenty estre tirées a néant8 ».
Au début de son ministère, Colbert n'attacha pas une grande
importance aux taxes d'office : il recommanda plusieurs fois
aux intendants d'en faire « le moins possible * » ; « vous ne
devez jamais en faire que lorsqu'il vous paroist clairement par
la modicité des taux precedens, que les collecteurs n'ont pas eu
la hardiesse de les faire6 ». Veillez à ne pas troubler l'assiette
et la perception de la taille; changez le moins possible l'ordre
régulier de l'imposition; laissez faire les taxes par les élus quand
vous le pourrez, tel est l'esprit de ses instructions. Mais dans
la suite, ses idées changèrent. Souvent les intendants lui avaient
vanté l'excellence du procédé, qui, en même temps qu'il donnait
de l'extension à leur pouvoir, leur permettait de mieux sur-
veiller la répartition. « Il n'y a rien de si avantageux pour le
recouvrement que les taxes d'office », lui écrivait celui d'Au-
vergne 6. « J'ay trouvé tant de misères parmy les peuples, disait
celui de Limousin, que je me suis appliqué à... les soulager
sans qu'il en couste rien au roy[par le moyen] des taxes d'office
que j'ay faict sur les coqs de paroisses, qui se montent dans les
trois élections a plus de 30000 1. '. » D'autre part, Colbert consta-
tait les mauvais résultats de la taxation par les élus, auxquels
elle servait surtout pour exercer leurs protections ou leurs ven-
geances. Il résolut donc, sur la fin de sa vie, de multiplier les
taxes, et de les confier aux intendants seuls. « S. M. vous ordonne,
écrit-il à ses subordonnés en 1681, de faire beaucoup de taxes
d'office..., jugeant qu'il n'y a rien qui soit plus avantageux a
ses peuples pour l'égalité de la taille". » L'année suivante il leur
1. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. IY, pièce 93 (non publiée dans Clém.).
2. Lettres de Bouville, 5 juillet 1683, A. N. G? 71 ; de Morangis, 9 juillet, ibid.,
213, et de Méliand, 11 février, ibid, 492.
3. Let. du 18 décembre 1666, M. C. 142b", fol. 778.
4. D'après une lettre de Barin de la Galissonnière, 18 novembre 1667 (M. C.
146, fol. 187).
5. Circulaire du 27 janvier 1673, Clém., II, 266.
6. Let. du 3 juillet 1664, M. C. 122, fol. 147.
7. Let. du 23 oct. 1665, ibid, 132w,1 fol. 566; cf. fol. 453.
8. Clém. II, 394 (c'est une circulaire, et non une lettre particulière à Leblanc :
elle figure dans la correspondance de Breteuil). Le 11 juin précédent il leur
demandait « un estât de toutes les taxes d'office que vous ferez en chacune par-
roisse, divisé par eslections... pour en rendre compte à S. M. » (B. Mun. Amiens,
ms. 508, t. II, pièce 235). Cf. fet. à Leblanc, 21 novembre 1681, Clém., II, 395;
LES TAXES D OFFICE. 345
dit encore : « Le principal point que S. M. désire estre observé
dans cette imposition, consiste a faire un nombre considérable
de taxes d'office ' ». Les taxes « osteront entièrement le trop grand
crédit qu'avoient les élus, et feront connoistre aux peuples qu'ils
ne sont pas les maistres de l'imposition, et qu'il faut absolu-
ment que les collecteurs fassent justice dans les rôles, et que
vous y pouvoirez par [ce] moyen2 ».
Les intendants se mirent à examiner les rôles, et à taxer tous
les contribuables qui leur paraissaient mal imposés. Celui de
Rouen, en 1678, taxa une centaine de personnes 3, et celui
de Caen, en 1683, en taxa 496, appartenant à 333 paroisses *.
Dans la majorité des cas, les taxes portaient sur des « personnes
d'autorité » que les collecteurs n'auraient pas assez imposées :
dans la généralité de Caen, en 1683, on trouve dans ce cas
18 sergents, 24 avocats, 25 fermiers de dîmes ecclésiastiques,
2 cabaretiers, 6 bourgeois exploitant leurs terres, une dizaine
d'officiers divers, 4 commensaux, 2 nobles dérogeant. En 1677,
Leblanc taxe un médecin d'Evreux à 100 1., un « courier du
cabinet de M. le duc d'Orléans » à 50 1., un « soldat de la
compagnie de M. de Catinat » à 5 s., un contribuable d'Avrilly
à 100 1. « attendu la revocation de translation de [son] domicilie
qui estoit à Vert en France »; l'année suivante, il porte à 50 1.
la cote d'un contribuable de Canville qui avait été imposé a
35 1. par arrêt de la Cour des aides; il augmente quelques offi-
ciers et des fermiers d'exempts.
Mais très souvent aussi les taxes furent employées à d'autres
fins. On a vu comment Colbert lui-même les ordonna pour forcer
les prétendus nobles à se soumettre à la recherche 5, pour
« porter plus fortement » les officiers de justice « à payer les
taxes qui seront faites au Conseil » pour leur exemption de
taille 6, pour empêcher les contribuables de se soustraire à- la
collecte. Elles furent un des procédés usités pour forcer les
protestants à se convertir. Le 27 juillet 1682, De Morangis
signale à Colbert deux protestants de Bellême qui « se disent »
l'un fauconnier de Monsieur et l'autre gentilhomme de la Vénerie
du roi, et sont riches. « J'en ay pris les noms, écrit-il, pour les
taxer d'office au prochain département, estant persuadé que le
let. de Leblanc, 24 octobre 1682, B. N. fr. 8 761, fol. 69; etc. Le 11 décembre 1673,
l'intendant d'Alencon envoyait à Colbert le rôle des taxes faites par lui depuis
1667 (Glairamb. 795, p. 244.)
1. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, piùce 419 (circulaire du 4 sept. 1682).
2. Let. à l'intendant de Limoges, 8 nov. 1681, Clém., II, 171.
3. Etat nominatif dressé par Leblanc, B. N. fr. 8761"", f0' 177-270. Voir ibid.
f" 104 et suiv. ses taxes de l'année 1677 pour les élections d'Evreux, Gisors et
Cbaumont.
4. Etat nominatif envoyé au Contrôleur général le 23 nov. 1683 (A. N. G^ 213).
V. l'état de l'année suivante, ibid. à la date du 17 nov. 1684.
5. Ci-dessus, p. 215.
6. Circulaire du 22 nov. 1673, Clém., II, 301 ; cf. ci-dessus, p. 250.
MB LA TAILLE EN NOnMANDIB.
roy ii" souffre plus dans sa Maison ny dans celle de Monsieur
aucun! officiers de cette religion '. » L'année suivante, son
collègue de Caen écrit au contrôleur général :
« Je n'ay rien oublié de ce qui pouvoit leur marquer [aux Réformés]
la protection qu'ils auraient s ils changeoient de religion. J'aurais fait
beaucoup plus de taxes d'office sur ceux de cette religion, mais les
plus riches demeurent dans les villes de Caen et de Saint-Lô qui
paient la taille par octrois et tarifs, et je croi que les conversions y
seroient plus fréquentes si on pouvoit faire des taxes d'office sur ceux
qui en font profession i. »
De même qu'elles servirent à surcharger certains contribua-
bles, les taxes furent utilisées pour en décharger d'autres. Cette
pratique était cependant contraire aux ordonnances et au prin-
cipe même des taxes d'office, Colbert l'a reconnu expressément
dans certaines instructions aux intendants : « Le roy ayant
receu, leur écrit-il le 9 octobre 1681, des plaintes de quelques
provinces que MM. les intendans et commissaires-départis fai-
soient souvent des taxes d'office en diminution, au lieu que l'in-
tention de S. M. n'a jamais esté par ses édits et arrests que de
leur donner le pouvoir d'en faire en augmentation, pour empes-
cher que les principaux des lieux ne se fassent décharger par
les collecteurs, S. M. m'a ordonné de vous en écrire pour scavoir
de vous si en effet vous en avez fait de cette sorte, et pour vous
dire en ce cas qu'Elle ne veut point que vous en fassiez jamais
aucune, sous quelque prétexte et pour quelque raison que ce
soit3 ». Mais le ministre fut le premier à violer cette règle.
Quand il voulait favoriser certaines personnes, il les faisait
« modérément taxer » par les commissaires départis. On l'a vu
pour les maîtres de postes, pour les éleveurs de chevaux, pour
certains manufacturiers *. L'ordonnance d'août 1669 prescrivait
que les officiers des forêts royales fussent taxés par les inten-
dants5, et Colbert la rappela à celui de Caen, le 30 mars 1672,
en ces termes :
« Le Roy ayant reçu plainte que les gardes de ses forests de
Testendue de la généralité de Caen sont surchargés de tailles dans les
paroisses. où ils font leur demeure ordinaire, contre la disposition
1. A. N., Gi 71.
2. Let. du 23 nov. 1683, A. N. G7, 213. Les taxes portaient sur 7 religionnaires,
et montaient a 525 1.
3. Clém. II. 394 : la pièce est indiquée comme une lettre à Leblanc, mais on la
trouve aussi dans la correspondance de Breteuil, ce qui prouve qu'elle est une
circulaire. Voir encore Clém., II, 266 (Lettre à De Creil, dont la réponse, du
31 janvier 1673. est dans Clairamb. 791, p. 149) et VII, 280. Cf. ci-dessus p. 158,
Saint Pouange demande à Leblanc un dégrèvement par voie de taxe d'office.
4. Ci-dessus, p. 256-258.
5. Tit. II, art. 13.
LES TAXES D OFFICE. 347
expresse de l'ordonnance de Sa Majesté du mois d'aoust 1669, par
laquelle il est ordonné qu'ils seront taxés d'office par les commissaires
départis, Sa Majesté m'ordonne de vous faire sçavoir qu'Elle désire
que vous preniez une connoissance particulière des cotes desdits
gardes, et en cas qu'elles soyent excessives et qu'ils s'en plaignent,
que vous les taxiez d'office, conformément à la nouvelle ordonnance ;
en quoy vous aurez égard aux soins qu'ils rendent pour la conserva-
tion des forests de S. M. 1. »
Sur la fin de notre période, l'usage était bien établi d'em-
ployer les taxes d'office pour diminuer certains contribuables.
Leblanc allait jusqu'à l'abus dans ce sens : la plupart des taxes
faites par lui en 1677 et 1678 étaient « en diminution » ; elles
s'appliquaient à des victimes de grêle ou d'incendie^ à des
exempts de collecte, à des contribuables absents de la paroisse.
Tel est diminué de 10 1. « a cause du logement de fdeux cava-
liers pendant trois jours »; tel, nommé collecteur d'office, a son
impôt modéré à 70 1. « sans pouvoir estre augmenté », tel aufre
est « fixé à 30 1. attendu la somme de 120 1. qu'il a payé pour
sa taxe d'office en 1677 »; François Guibert, demeurant à Cla-
ville, est « modéré » à 150 1. « pour aucunement l'indemniser de
la surtaxe a luy donnée en 1678 »; un soldat est « fixé à 10 sols,
attendu qu'il est dans le service », etc. Plusieurs ont leur
imposition réduite, sans que le motif en soit donné 2. De Mo-
rangis, dans la généralité de Caen, taxe également à bas prix
des médecins, des procureurs, des nobles dérogeant. Dans tous
ces cas, il était naturellement défendu aux collecteurs et aux
élus d'augmenter les taxes, quoique les règlements le leur per-
missent.
En définitive, les taxes d'office furent à la disposition des
intendants pour imposer qui ils voulaient, comme ils voulaient.
Employées avec justice, elles pouvaient corriger les vices de la
répartition, et devenir bienfaisantes, mais elles pouvaient être
aussi un instrument de tyrannie, la plupart des contribuables
étant sans défense contre des personnages aussi puissants. On
s'explique dès lors les plaintes qu'elles suscitèrent. Vauban,
Boisguilbert, Saint-Simon, les Soupirs de la France esclave
commencent la série des protestations qui ne cesseront pas dans
tout le cours du xvme siècle. L'assemblée provinciale du Poitou,
en 1787, dira que cette pratique « a servi à des vues absolument
1. Clém., IV, 254, n. 1. Dans les taxes d'office faites par l'intendant de Caen
en 1683, déjà mentionnées, figurent 22 gardes des bois ou des chasses; la plupart
sont imposés à 3 ou 5 liv. ; quatre payent 20 1. et un, 70 1.
Le Conseil lui-même ordonnait des taxes en diminution : un de ses arrêts, du
7 août 1677, réduit à 6501. l'imposition de la terre de Ghampignolles, élection de
Chaumont-en-Vexin, appartenant aux Feuillants de Paris; en 1666, cette terre
était imposée à 903 1. 15 s. (B. N. fr. 8761"'% f° 73).
2. Etats dressés par Leblanc en 1677 et 1678, B. N. fr. 8761bl,,f°s 104 et suiv.
HI LA TAILLE EN NORMANDIE.
contraires a l'esprit qui l'avoit dictée, puisque loin de servir
onicniemenl ;i remettre dans la proportion ceux qui vouloient s'y
soustraire, elle sert souvent de ressource à ceux qui craignent
une taxe un peu considérable et proportionnelle, pour solliciter
de l'intendant, par le moyen de quelques relations avec lui,
d'être taxés d'office, ce qui se fait alors en modération considé-
rable ! ». Pour peu qu'ils prissent de précautions contre les récla-
mations et les fraudes2, les intendants étaient évidemment
libres de protéger ou d'accabler à leur gré par l'impôt, arbitraire
lui-même par essence, qui il leur plaisait.
V. — LES REJETS
Lorsqu'une somme a été régulièrement imposée, il est néces-
saire, on l'a vu, qu'elle rentre dans les coffres du roi, si remise
n'en a pas été faite : il est de règle qu' « il ne doit jamais y avoir
en lait de taille de non-valeurs au préjudice du roi3 ». Si donc
un contribuable est déchargé de tout ou partie de son impôt
pour une raison quelconque (par exemple pour exemption
reconnue, insolvabilité, erreur des collecteurs, etc.), en dehors
du cas de comparaison de taux, il faut recharger d'autant les
autres contribuables de la paroisse; cette réimposition est
appelée rejet*.
La plupart des rejets sont ordonnés par les Elections ou la
Cour des Aides, à la suite de leurs sentences en décharge ou en
modération de taux. Les collecteurs ne peuvent, réglementaire-
ment, en faire aucun de leur propre autorité; quand ils ont
des motifs valables, ils doivent introduire une instance devant
l'Election, et obtenir une sentence qui précise les conditions
dans lesquelles sera fait le rejet. S'ils sont insolvables ou négli-
fents, le receveur des tailles peut se substituer à eux pour intro-
uire l'instance 8. Voici quelques exemples de ces différents
1. Rapport du Bureau des Impositions à l'assemblée, Procès-verbal de t Assem-
blée provinciale de Poitou, p. 47.
2. Morangis écrit de Caen, le 23 novembre 1683, qu'il a « remarqué par l'expé-
rience des dernières années que les taxes d'office excessives font sortir les bons
taillables des paroisses, et qu'il faut pour les y retenir et prévenir les translations
de domicile véritables ou frauduleuses les hausser tous les ans de quelque chose »
(A. N. G7, 213).
3. Moreau de Beaumont, Mémoires sur les impositions, II, p. 55.
4. Il pourrait y avoir aussi des rejets ordonnés sur toutes les paroisses d'une
élection dans le cas où une de ces paroisses serait déchargée de tout ou partie de
son impôt, mais en pratique le cas se présentait très rarement. Cf. ci-dessus,
5. Le Bureau des finances de Rouen prétendait connaître aussi des rejets : le
31 janvier 1663 il défend aux élus de Caudebec, à propos d'un rejet fait par eux
sur^ les paroisses de l'élection, d'en faire à l'avenir sans son autorisation, parce
fu'ils ne doivent ordonner « aucune levée de deniers sans lettres patentes de
a Majesté et ordonnance du Bureau sur icelles », (A. D. S. Inf., C, 1165 p. 14-
15.) Mais le cas est exceptionnel.
LES REJETS. 349
cas : l'Election de Caudebec, le 4 juin 1661 ordonne un rejet de
96 1. 6 s. dans la paroisse de Cany sur les instances du principal
collecteur de Barville, pour la taille du sieur Adam Ledoux qui
a été « renvoyé » de Barville à Cany '. Un arrêt de la Cour des
aides du 9 janvier 1662 ordonne de rejeter sur les habitants du
Catelon, élection de Pont-Audemer, la somme de 173 1. 14 s.,
qui n'a pu être payée par la paroisse sur la taille de 1660
« attendu l'insolvabilité notoire, absence du pays, et demeure
hors province » de certains contribuables2. Le 2 juillet 1661
la Cour des aides autorise le rejet de 1 000 1. sur les contri-
buables de Saint-Grégoire du Vièvre, élection de Pont-Audemer,
à la requête des habitants, « pour evitter le procez prest à
mouvoir entr'eux et les collecteurs, année 1657, touchant les
deniers inutiles de ladite année... mesme empescher l'effect de
la solidité que le receveur des tailles avoit faict juger sur cer-
tains nombres des supplians après discution qu'il avoit dit avoir
faite sur les collecteurs de ladite année, ce qui causeroit la
ruyne totalle de ladite communauté par les recours que les par-
ticuliers auroient poursuivis et obtenus les uns contre les
autres, mesme que le principal collecteur d'icelle année a
emporté et dissipé grand nombre de deniers3 ».
Ces rejets étaient une source de fraudes pour les collec-
teurs, pour les élus, et pour les contribuables : ils permettaient
aux collecteurs de faire traîner la perception pendant plusieurs
années, et de molester les contribuables; leur procédé le plus
commun pour cela était d'imposer des insolvables à de grosses
sommes, lesquelles, n'étant pas payées, devaient être rejetées sur
le reste de la paroisse ; les élus, loin de les décourager, les y
poussaient, « parce que pour parvenir à ces rejets, il fault faire
des contestations, ce qui produit des vacations, des épices et
des façons de rolles* ». Les receveurs ne se préoccupaient guère
de les empêcher « ne leur important pas, dit un intendant, que
1. A. D. S. Inf. G. 2483. Le rejet sera fait, dit la sentence « pour cette année
seullement, au marc la livre des imposts à taille des habitans pour, par lesdits
collecteurs de Cany, en faire payement à leur descharge auxdits collecteurs de
Barville, saouf le recours de ladite généralité sur ledit Ledoux, et à faire souffrir
lesdits collecteurs et particuliers de Barville des imposts des insolvables lesquels
ont esté renvoyé en ladite paroisse de Cany. »
2. A. D. S. Inf. registre du Conseil de la Cour des aides, à sa date; cf. autre
arrêt de la Cour du 7 février suivant rejetant la somme de 283 1. 4 s. sur la
paroisse de Freneuse pour le même motif.
3. A. D. S. Inf., Registre de la Cour des Aides à sa date. Les frais de l'arrêt,
soit 15 1. seront imposés en sus de cette somme. — Il arrive cependant, même
après les règlements de 1664, indiqués plus loin, que des assemblées d'habitants
décident des rejets de leur propre initiative. Ainsi le 11 octobre 1665 les contri-
buables de Rots assemblés donnent pouvoir à leurs collecteurs de « rejeter sur
eux au marc la livre la somme* de 10 1. 5 s. scavoir 100 s. pour l'impost de
Gilles Dessillons, procureur-syndic, 72 s. 6 d. pour Jacques Degvon et 32 s. 6 d.
pour Robert le Danois, qu'ils auroist paiée pour quelque affaire de ladite
parroisse. » (A. Mun. Rots, B B 4).
4. Lettre de l'intendant d'Orléans, 12 juin 1CG4, M. G. 121, f° 489.
MM LA TAILLE EN NORMANDIE.
le peuple fust ruiné et dans l'impuissance de continuer les
charges de l'Estat, pourveu (ju'ils trouvassent dans le courant
de quoy se satisfTaire »; enfin les plus puissants des paroisses
v trouvaient un avantage : ils ont, ajoute le même auteur, « non
seulement dissimulé mais mesme favorisez cet abus parce que
ces réimpositions ne retomboient jamais sur ceux qu'ils proté-
f oient, et au contraire ces protections estoient une des causes
e ces rejects1 »; ces abus en certaines régions atteignaient
des proportions très élevées2.
Golbert se proposa de les empêcher par l'arrêt du conseil du
4 juillet 1664 : il déplorait « qu'au moyen des fréquents rejets
qu'ordonnent les élus, le courant de la taille ne peut estre payé,
s'étant rencontré en quelques paroisses que les rejets ont monté
à plus que la moitié de l'imposition principale, lesdits élus
prenant des droits excessifs sous ce prétexte et alouant aux
collecteurs des frais de voyage et autres », et il défendait en
conséquence aux élus de prononcer à l'avenir des rejets pour
quelque motif que ce fût sans les faire approuver par l'intendant
de leur généralité qui en référerait lui-même au Conseil 3.
Nouvel exemple des empiétements des intendants sur les fonc-
tions des élus. Les lettres-patentes d'août 1664 (art. 40),
reprirent l'arrêt du 4 juillet pour lui donner plus de force;
elles interdirent en outre (art. 41) aux gentilshommes et curés
des paroisses de contraindre les habitants à faire faire le rejet
des impôts de leurs protégés*. Ces ordonnances étant « diver-
sement interprétées » par les élus et les collecteurs, un nouvel
arrêt, du 5 janvier 1665, précisa les conditions dans lesquelles
1. M. C, 121, C 490.
2. Ils sont signalés par exemple dans les élections de Chaleaudun et de Chartres
en 1664 par l'intendant : ces rejets sont appelés dans le pays des morts-bois :
dans l'élection de Chartres il s en fuit • tous les ans et quasi dans toutes les
f>aroisses », dans celle de Chateaudun il en est de môme : une seule paroisse de
a ville en a pour plus de 5 000 1. en l'année 1663 : le rejet est « passé en usage » ;
or partout les inconvénients en sont graves : • c'est deux tailles au lieu d'une,
et un accablement pour ceux qui, avant payé leur taux du premier roole, se trou-
vent obligés à payer une seconde fois, et est une occasion aux collecteurs de faire
mille friponneries en mettant au nombre de ces morts-bois, pour parler leur
langage, leurs parents ou leurs amis, mesmes les fermiers des gentilshommes ».
(M. C. 121 f" 2V«). Il y a des paroisses ■ où il se fait de ces rejets jusques à trois
pour une année et des sommes considérables, en sorte qu'il y a des habitants
qui payent quelquefois en une année double et triple taille ». (Ibid. I" 337); ils
retombent toujours sur les plus pauvres : • an homme qui est de bonne volonté
et sans protection [est entièrement accablé], et il ne fault pas s'étonner si à
présent il n'y a plus quasi de bons laboureurs dans toute l'élection de Chartres ».
(Ibid. f* 489); mais ) intendant déclare que l'on ne peut songera les supprimer
complètement sans nuire au recouvrement.
3. Mim. Alphab., p. 620. Voysin de la Noiraye accuse réception de l'arrêt le
19 juillet : M. C. 122, f 63'«. L'intendant d'Orléans écrit le 29 novembre 1664 :
« Il ne faut pas remettre en aucune façon l'exécution [de l'arrêt] aux esleus. »
(M. C. 125, PI 74.)
4. Il est interdit aux collecteurs par le même article de faire ces rejets de leur
propre autorité, « sur peine de la vie », tel acte devant être considéré comme
une exaction. (Cf. ci-dessus p. 93.)
LES REJETS. 351
les rejets pourraient être prononcés, à savoir : 1° Lorsque des
officiers privilégiés auraient été déchargés de leur impôt par sen-
tence des élus ou de la Cour des aides; 2° Lorsque des particu-
liers auraient obtenu une diminution d'impôt dans un procès en
surtaux; 3° Lorsque des contribuables seraient régulièrement
déclarés insolvables; 4° Lorsque des habitants auraient été taxés
en deux paroisses ; 5° Enfin, lorsqu'il s'agirait de rembourser aux
contribuables des sommes qu'ils auraient payées pour toute la
paroisse en vertu d'une sentence de solidité. Dans tous ces cas,
les élus prononceront les rejets sans frais, et si le montant
dépasse 500 h, ils devront en aviser le Conseil par l'entremise
des intendants pour faire valider leur sentence1.
Il fut bientôt reconnu que la faculté laissée aux élus de pro-
noncer a eux seuls les rejets jusqu'à 500 1. leur permettait de
commettre des abus ; un nouvel arrêt du Conseil du 14 mars 1676
exigea pour tout rejet l'autorisation de l'intendant et du conseil,
et réduisit à 200 1. la somme qu'il était permis de rejeter en
une année sur une paroisse. Toutes les commissions des tailles
à partir de cette date renouvelèrent la défense de prononcer
des rejets sans un arrêt du Conseil, et Colbert veilla soigneuse-
ment à l'exécution de ce règlement2.
L'application des intendants semble bien avoir eu, sur ce
point, des résultats notables. Leblanc dans la généralité de
Rouen avait l'habitude de dresser chaque année, en faisant le
département des tailles, la liste des rejets qu'il accordait, et nor-
malement il les répartissait sur plusieurs exercices, même pour
des sommes inférieures à 200 1. : ainsi le sieur Michel, contri-
1. Mém. Alphab., p. 621. Sur cet arrêt l'intendant de Rouen présenta à Colbert
des objections, le 23 janvier suivant : On fait bien, dit-il, d'autoriser les rejets pour
les impositions mises à tort sur les officiers exempts, mais encore faudrait-il
faire cette réserve que l'exemption est régulière et que les collecteurs n'ont pas
fait l'imposition « de leur teste, par malice et par dessein », comme il y en a
une infinité d'exemples; en outre on ne devrait pas autoriser les rejets pour les
surtaux jugés par les élus, mieux vaudrait en ordonner la réimposition seule-
ment l'année suivante, car les élus prononceront trop de ces décharges de sur-
taux, ». car comme l'on dit cela fait venir l'eau au moulin, et cela leur donne
des procès et par conséquent des présens, estant certains que presque tous les
opposants en surtaux gagnent toujours leurs procès... parce que si les esleus
n accordoient quelque diminution à ceux qui les leur demandent, ils chasseroient
les pigeons du colombier » ; enfin il faudrait apporter des restrictions au rejet
des taux de ceux qui sont renvoyés d'une paroisse à une autre, car il y a « des
fuyards qui vont d'une paroisse à une autre et qui changent quasy tous les ans
de demeure » bref, l'intendant est « persuadé que tout le moins de pouvoir qu'on
peut donner [aux élus| c'est le mieux pour le service du roy et le soulagement
des peuples ». (M. C. 127, fos 261-26i.)
2. Par exemple lettre à Le Vayer 13 mai 1682, Depping, III, p. 305 : il n'y a
« rien qui soit plus important que de restreindre la liberté que les communautés,
les esleus et la Cour des aydes ont prise d'ordonner ces impositions..., c'est un
crime capital, mesme de lèse-majesté de faire aucune imposition sur les peuples
sans commission scellée du grand sceau ». La prescription fut généralement
inscrite dans les mandements des intendants aux paroisses : par ex. dans ceux
de Leblanc (B. N. fr. 8761"ls f° 27). Le 12 juillet 1677, Leblanc rend une ordon-
nance pour rappeler aux élus de sa généralité qu'ils ne doivent ordonner aucun
rejet sans lui faire viser leur sentence (ibid. f° 63).
LA TAILLE BN NORMANDIE.
buablc à Dives, étant déchargé d'une somme de 140 1., le rejet
de cette imposition est réparti sur trois années1.
Mais toutes les fraudes ne disparurent pas : l'intendant
d'Alençon écrit le 2 avril 1683 que dans la seule élection de
Lisieux il y a « pour plus de 20000 1. de rejets », et dans les
autres élections de la généralité, la quantité en est grande éga-
lement; la plupart proviennent de dépens de procès pour la
taille, où les paroisses ont succombé; l'intendant de Morangis,
avait antérieurement rendu une ordonnance prescrivant que ces
rejets fussent payés « trois mois après l'imposition » ; mais ceux
à qui ils sont dûs soutiennent que l'on a entendu par là que
l'on devait payer trois mois après l'établissement des rôles :
interprétation qui, suivant l'intendant, porterait le plus grand
préjudice au recouvrement; aussi a-t-il ordonné la surséance du
paiement des sommes rejetées « jusques après l'imposition
acquittée ». Ces rejets, ajoute-t-il, ruinent les paroisses; ils sont
une occasion pour les collecteurs d'imposer des riches à de très
fortes sommes, qui doivent être, suivant l'ordonnance, payées
par provision, si bien que les collecteurs encaissent ces sommes,
avec lesquelles ils s'acquittent à la recette, en laissant à leurs
successeurs le soin de percevoir les rejets; les élus « ne font,
nulle difficulté » d'accorder ces rejets « quoique les collecteurs
en dussent estre tenus en leurs privés noms; ce qui donne
lieu auxdits collecteurs d'en user de cette manière par l'impu-
nité qu'ils y trouvent2 ».
Même pratique e3t signalée dans la généralité de Caen par
de Morangis, le 23 novembre 1683 : ici encore la plupart des
rejets proviennent des décharges accordées par les élus et la
Cour des aides à certains particuliers qui avaient été surimposés
par les collecteurs avec l'autorisation des habitants; autorisa-
tion facilement obtenue, car les collecteurs « sont toujours abso-
lument les maistres avant l'imposition »; ainsi dans certaines
paroisses de l'élection de Valognes « les collecteurs ont mis les
2/3 de la taille sur des personnes qui ont esté déchargées » ;
l'argent qui leur a été payé par provision leur a servi à s'acquitter
auprès du receveur, et leurs successeurs ont eu à se débrouil-
ler pour percevoir les sommes rejetées sur la paroisse; puis
« quelques-uns des collecteurs de l'année suivante à l'exemple
des précédens ont réimposé pour se tirer d'affaire les mesmes
personnes quoique déchargées, ou d'autres contre lesquels ils
ont eu également la provision, et ont accablé par ce moyen les
1. B. N. fr. 8761bU, f° 3, rôle du 9 octobre 1678.
2. Lettre do 2 avril 1683, A. N. G^ 71. Le 9 nov. 1673, «on prédécesseur écri-
vait : • Les officiers des eslections... font [des rejets] confusément au-dessus et
au-dessoubs de 500 1., soubs différents prétextes, a quoy l'avidité du profit pour
eux ne les invite pas peu, et... ils surchargent extrêmement les paroisses, ce qui
faict et fera dans la suite un préjudice très notable audit recouvrement ». (M. C.
166, F 303.)
L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 353
communautez et de procez et de rejets, et laissé aux collec-
teurs des années suivantes à réimposer les sommes qu'ils avoîenl
mal imposées ». Le remède, à son avis, serait de supprimer les
décharges et de rendre les collecteurs responsables des imposi-
tions fixées par eux, sans recours contre les habitants; tout rejet
autorisé devrait être perçu par les collecteurs en charge quand
il a été ordonné, « ainsi que cela se pratiquoit autrefois » ; enfin
il faudrait refuser d'accorder le paiement par provision « après
la question jugée1 ».
Dans la généralité de Rouen enfin, Leblanc est obligé
d'avertir les collecteurs qu'il n'autorisera pas de rejets, s'ils
font « de mauvaises impositions pour avoir moyen de soulager
qui bon leur semble, et dans la suite d'obtenir des rejets2 ».
VI. — L'INEGALITE DANS L'ASSIETTE
L'égale répartition de la taille, tant de fois rêvée par les
gouvernants, tant de fois prescrite par les ordonnances, on l'a
vu 3, ne pouvait être mieux atteinte dans l'assiette que dans le
département entre les élections et les paroisses. Faute de base
matérielle pour évaluer la forlmije — dp"<i nnptribuables. oja. oe
pouvafF compter que ".sur la vertu et la science des collecteurs,
lesquelles n'étaient pas communes. Depuis que la taille existait,
les plaintes sur sa mauvaise répartition se faisaient entendre,
les ordonnances se multipliaient pour y remédier, toujours en
vain.
« La distribution des tailles, écrit à Colbert l'intendant de Cham-
pagne en 1667, est si mal faitte dans les villes et dans les villages de
cette province, et l'injustice en est si perpétuelle et si visible, que je
croy, Monsieur, que dans la reformation de tant de desordres, vous
trouverez peut-estre celuy-cy digne de vos soins, et qu'un des plus
grands biens que l'on pourroit faire aux peuples seroit de travailler a
un bon regalement. Je scay bien que le mal est gênerai, et les remèdes
assez difficiles, mais encor y a-il quelque chose à faire4 ».
1. A. N. G? 213.
2. Let. à Colbert, 4 janvier 1680, A. N. G'1 491. Il faut, ajoute-t-il, que « ceux
qui auront fait le rôle [soient] tenus de faire la levée » ; un rejet fait sur l'année
suivante incomberait au contraire à des collecteurs qui ne l'auraient pas causé.
3. Ci-dessus, p. 144 et suiv. Cf. les circulaires de Colbert des 20 août 1680
(Mémoires de Foucault, p. 455), 24 août et 10 sept. 1682 (B. mun. Amiens, ms. 508,
III, pièces 397 et 434).
4. Let. du 21 janvier 1667, M. C. 143, f° 128. Cf. une lettre de l'évèque de
Saintes à Colbert, du 18 mai 1664 : les peuples de Saintonge « profiteront peu de
la diminution que S. M. leur fera, si les ricbes sont soulagés et les seuls pauvres
accablés de taxes, ce qui est trop commun...; les ricbes roturiers se font ayse-
ment descharger et craindre aux pauvres collecteurs, soit par leurs menaces,
soit par celles de leurs protecteurs ». (Depping, III, p. 67). Voir aussi Ducrot,
Traité des aydes..., éd. 1636, p. 358 : « Que si toutes personnes payoient indis-
LA TAILLE EN NORMANDIE. . *«J
M LA TAILLE EN NORMANDIE.
Ce qu'il écrivait pour la Champagne était vrai pour la Nor-
mandie, et pour toutes les provinces. L'inégalité venait soit des
collecteurs eux-mêmes, soit des personnes puissantes qui inter-
venaient dans l'assiette.
En règle générale, les collecteurs, responsables du paiement
de l'impôt, estiment que l'assiette est livrée à leur discrétion ; ils
surchargent ou soulagent tous ceux qu'ils peuvent : ce sont,
comme dit Boisguilbert, des « gens qui croient que la misère
autorise tout J » ; ils s'abandonnent à leurs passions ou à leur
intérêt, toutes les fois qu'ils n'ont a craindre ni représailles ni
châtiment. On a vu les précautions que les règlements avaient
prescrites pour les empêcher de diminuer leurs cotes et celles
de leurs parents2. Mais aucune prescription n'existait et ne
pouvait exister pour les empêcher de décharger leurs amis, de
surcharger leurs ennemis, la crainte des procès en cote et compa-
raison de taux étant insuffisante pour les retenir.
Les accords secrets entre collecteurs et contribuables pour
diminuer le taux de ceux-ci, étaient e'xlHïnemëHt fréquents.
Pescheur, élu de Saint-Florentin, assure dans son mémoire
qu'ils existent à peu près partout, et il explique comment les
choses se passent : dès que les collecteurs sont nommés, ils
emploient leur temps, avant d'arrêter leur rôle, « à concussionner
de toute leur industrie, sans désemparer ny jour ny nuict les
cabarets », et ces concussions sont « si triviales et fréquentes
qu'elles passent aujourd'huy en commerce, les asseeurs-collec-
teurs ayant des proxénètes qui vont de maison a autre inviter les
cottisables à faire leurs offrandes à ceux qui les envoyent, avec
des fulminations de peines qui sont de taxer au dernier exceds
les réfractaires, menaces qui intimident les plus asseurez, au
poinct de se soumettre aussitost à la discrétion de ces brigands
publics, dont les pilleries adjoustent à la taille plus d'un cin-
quième quartier, levé et empoché auparavant que le roolle de
l'impost a faire soit arresté ». C'est pour ce motif qu'ils tardent
le plus possible à arrêter leur rôle, « tirant de long », soulevant
des procès, provoquant des assemblées d'habitants. L'abus est
au point que certains y ont fait fortune : « on a veu des gens
affairez et nécessiteux mis esdites charges... qui en sont sortis
dégagez de leurs debtes et aucunement soulagez »; par là
tinctement les tailles, on ne verroit pas tant de familles ruinées et vagabondes
par les champs, ou se traisner mendians par les rues et églises de Paris ; plu-
sieurs crocheteurs et faineans seroient, sans l'excez des tailles, fermiers ou bons
mestayers, travaillans pour eux et pour le public. Mais, ô malheur de la France,
le laboureur ne peut assez faire pour payer les tailles, et faict qu'il abandonne
tout; ce qui n'arriveroit pas si les plus riches le soulageoient. » Et encore Se. de
Gramont, Le denier royal, p. 288; le mémoire de Pescheur, M. C. 33, f° 287, etc.
1. Détail de la France, éd. Daire, p. 175.
2. Ci-dessus, p. 328.
L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 355
s'explique, selon Pescheur, l'empressement des contribuables à
se faire nommer collecteurs en certaines paroisses : partout où
la collecte est recherchée, dit-il, c'est qu'on y pratique ces
concussions l.
L'intendant Leblanc, dans son mandement aux paroisses
en 1672, avait inséré la prescription suivante :
« Nous défendons pareillement ausdits collecteurs d'exiger ny
prendre aucuns deniers, ny se faire traitter dans les cabarets ou
ailleurs, pour diminuer aucuns des contribuables de leurs parroisses
à la foule des autres, à peine de punition corporelle; et en cas de
contravention, leur sera leur procez fait et parfait par les esleus, à la
diligence du procureur du roy en ladite eslection, qui sera tenu de
nous en avertir 2. »
Mais l'application en était difficile. D'abord, comment décou-
vrir ces conventions secrètes? « Ceux qui ont achepté, dit
Pescheur, la modération de leurs cottes a beaux deniers contans,
donnez d'homme a homme et de main a autre, se gardent bien
de révéler le secret, quelque monitoire qui soit obtenue et
publiée à cette fin, crainte de perdre leur crédit pour les années
suivantes, et il n'y a que ceux ausquelz les asseeurs n'ont pas
tenu parole qui disent ce qui leur en couste et ont déboursé
chacun en particulier, sans passer plus avant, de manière
qu'estans tous des tesmoins singuliers, qui semblent mesmes
estre intéressez en leurs dépositions, il n'y a pas lieu de fonder
sur icelles un jugement de condamnation3. » En outre, les élus
ne sont pas tous aussi bien intentionnés que Pescheur, ni même
les conseillers à la Cour des aides : Barin de la Galissonnière
écrit à Colbert le 14 octobre 1664 que sur ces concussions « il
y a des procès instruits quasi dans toutes les eslections [de la
généralité d'Orléans], au moins ils le doivent estre, car j'en ay
donné l'ordre, mais les esleus disent que, quand ils les ont
condamnés a quelque peine corporelle, la Cour des aides a
tousjours infirmé leurs jugements4 ».
« Comme les collecteurs sont maistres de l'imposition, écrit
Leblanc en 1680, il est impossible dempescher qu'ils ne se
vengent »; j'ordonne, ajoute-t-il, « mais très rarement, que le
1. M. G., 33, P» 286-8. Cf. ci-dessus, p. 285. Le 5 juillet 1661, la Cour des aides
de Rouen condamne à 150 1. d'amende trois collecteurs pour « menaces, concutions
et malversations » (A. D. S.-Inf., Cour des aides, registre du Conseil, juillet 1661,
f° 41). Cf. de Merville, Maximes, p. 76 (arrêt de la Cour des aides de Paris,
4 mars 1681).
2. Mandement aux paroisses, A. D. S. Inf., C 2215. Cf. une lettre de Colbert à
l'intendant de Tours, 4 février 1683 : il lui ordonne de sévir contre les collecteurs
qui ont « tiré des gratifications pour diminuer la cote des particuliers. » (Clém.,
II, 215).
3. M. C, 33, f° 286.
4. M. C, 123, f° 334. Il demande un arrêt du Conseil pour y remédier.
356 LA TAILLE EN NORMANDIE.
roi le sera fait en présence d'un officier de l'eslection et du
receveur1 », il n'y a pas d'autre remède. Dans la plupart des
cas on ne peut compter sur les habitants pour réparer l'injus-
tice, car les « cabales », telles que Pescheur les signale l, se
trouvent fréquemment. En voici des exemples :
A Pontoise, en 1680, une diminution de 3 700 1. ayant été
accordée à la ville, les collecteurs n'en ont fait bénéficier que
<< quelques-unes des personnes plus riches et plus solvables...
pour des considérations injustes et des praticques secrettes »;
en sorte que la plupart des autres habitants ont vu augmenter
leur taux. L'intendant ordonne que le rôle sera dressé « en
présence d'une personne non suspecte 3 » ; mais en 1685, son
successeur retrouve les mêmes désordres*.
A Pont-1'Evêque, en 1681, deux intrigants, les sieurs Fossé
et Bloche, se sont fait nommer collecteurs ;
« ils ont diminué, quelque chose que j'aye pu faire, écrit l'intendant,
dix ou douze des principaux qui sont de leur caballe, et ont rejette
800 1. sur les veufves et des misérables qui n'ont pas de pain, ce qui
fera autant de non-valleurs.... C'est une addresse que les habitans de
cette eslection, qui sont les plus chicaneurs de la généralité, ont
trouvée pour diminuer les taux de ceux qui leur donnent le plu9, d'en
augmenter ceux des misérables •. »
L'année suivante, les mêmes personnages ont fait un rôle à
leur fantaisie, où les insolvables portaient presque toute la
taille; le collecteur porte-bourse n'en était pas informé.
1. Let. du 20 nov. 1G80, à Colbert A. N, G? 491. Voir de ces ordonnances de
Leblanc B. N. fr. 8761"" fol., 104 et suiv., pour la taille de la généralité de
Rouen en 1678.
2. Ci-dessus, p. 185.
3. Lettre de Leblanc, 17 juillet 1680, et placet de 19 habitants de Pontoise,
29 octobre, A. N. G7 491. Sur les brigues et cabales ordinaires à Pontoise, voir
ci-dessus, p. 243. Parmi les motifs qui ont déterminé le gouvernemeut à faire faire
les rôles par des commissaires royaux nu lieu des collecteurs, au début du
XVIIIe siècle, figure celui-ci. d'après l'intendant d'Aube : « Quelques intendants
ont trouvé des communautés dont les membres divisés entr'eux par des haines
violentes et invétérées formoient des partis pour se faire une espèce de guerre
intestine, d'où il arrivoit que quand il y avoit plus de collecteurs d'un party
que de l'autre tout le party qui avoit pour lui le moindre nombre de collecteurs
étoit écrasé de tailles. Il en résultoit une telle multiplicité d'injustices que
l'action en comparaison d'imposition et l'action en surtaux n'étoient plus des
moyens praticables d'y remédier. > (Mémoire sur les fonctions d'intendant,
1738, B. N. fr. 21812 p. 101), cf. une lettre de l'intendant de la Rochelle,
11 décembre 1684 : dans certaines paroisses « les rcligionnaires y étant les plus
forts surchnrgeoient les catholiques pour se soulager eux-mêmes ». (De Boishsle,
Corretpondance, t. I, n" 137).
4. Let. de Marillac, 29 janvier, A. N. G? 4'J2.
5. Let. de Leblanc, 23 février 1681, ibid., 491. Voir ci-dessus, p. 179 et 308-310.
Sur les cabales d'habitants, voir encore le mémoire de Richer d'Aube : « des
communautés dont les membres étaient divisés entr'eux par des haines violentes
et invétérées formoient des partis pour se faire une espèce de guerre intestine
d'où il arrivoit que, quand if y avoit plus de collecteurs d'un party que de l'autre,
tout le party qui avoit pour luy le moindre nombre de collecteurs étoit écrasé
L INÉGALITÉ DANS L ASSIETTE. 357
« Gomme le maistre collecteur vit que c'estoit autant de non-valleurs
dont il demeureroil responsable, il fit un autre rolle et les eleus en
connaissance de cause le vérifièrent. Fossé s'est pourveu [contre ce
rôle] au Conseil et a la Cour des aydes; il demande 600 1., quoyque
ceux qui estoient de sa cabale eussent chacun contribué de 15 et 20 1.
pour l'obtention dudit arrest *. »
Si l'on ne décharge pas la ville du paiement de ces 600 L,
écrit ensuite Leblanc, elle sera ruinée par les procès qui s'en-
suivront, et il n'y aura « point de parroisses a qui les collec-
teurs de l'année présente et des précédentes n'en fassent, car
sur une prétention mal fondée, on fait en cette province des
procez qui ne finissent jamais2 ». Heureusement, Colbert fit
expédier un arrêt du conseil qui terminait l'affaire au gré de
l'intendant3.
Des collecteurs, fâchés d'avoir été élus, surchargent ceux
qui les ont fait désigner, à ce point qu'en certaines paroisses
les habitants ne veulent plus venir à l'assemblée 4. Le type du
collecteur qui profite de ses fonctions pour molester son sei-
gneur, pauvre hobereau sans influence, a été décrit plusieurs
fois dans la littérature du temps. Dancourt dans sa comédie, fait
dire à un paysan jaloux de son seigneur :
« Il n'est, Morgue, pas plus gentilhomme que nous ; je sis collec-
teur, moi, Dieu marci, cette année, palsanguenne! J'aurai le plaisir
de mettre notre nouviau seigneur à la taille 5. »
Un des nombreux recueils de Caractères de l'époque dépeint
ainsi le paysan :
... Collecteur de paroisse,
Vrayement il fait bien d'autres coups :
Comme chacun le craint, chacun est dans l'angoisse,
Et cherche à le gagner, mais il se rit de tous;
da taille; il en resultoit une telle multiplicité d'injustices, que l'action en com-
Saraison d'imposition et l'action en surtaux n'étoient plus des moyens praticables
'y remédier » ; c'est pourquoi on a créé des commissaires pour dresser les rôles
(B. N. fr. 21 812, p. loi). Dans la généralité de La Rochelle, les protestants sur-
chargent les catholiques dans les paroisses où ils ont la majorité (Corresp. des
contr. généraux, t. I, n° 137); il est à penser que les catholiques ne manquaient
pas de prendre leur revanche là où ils étaient les plus nombreux.
1. Let. du 22 juin 1682, B. N. fr. 8761, f° 57.
2. Let. du 2 juillet suivant, ibid.
3. Let. du 12 août, ibid., f° 62, verso.
4. Cf. le mémoire de Pescheur, ci-dessus, p. 185, et un mandement de l'inten-
dant d'Orléans, 31 août 1667 : Plusieurs paroisses, y est-il dit, « ont esté refu-
santes de nommer des collecteurs, attendu que ceux qui ont esté nommez et
choisis pour collecteurs [les années précédentes] surtaxoient par une pure hayne
et animosité les scindicqs, juges et habitans qui ont assisté à la nomination et
donné leurs suffrages à des sommes excessives, ce qui cause la ruine entière des
dits particuliers, et qui donne lieu à des rejets et solidités et un notable retarde-
ment aux deniers de S. M. ». Mais l'intendant, pour l'empêcher, ne peut que
prononcer une vaine interdiction (M. G. 140, f° 68).
5. Œuvres de Dancourt, éd. 1760, t. V, p. 160 (Les Vacances, 1696).
3M LA TAILLE EX NORMANDIB.
Et par provision en tire
Autant comme il en peut tirer,
Argent, labeur, harnois : l'ordonnance a beau dire,
Il n'est pas pour luy déférer.
Enfin il a l'âme si bonne,
Qu'il augmente la taille à qui le plus luy donne.
Le fermier, gêné par la présence de son maître au village,
ne craint pas de lui dire :
Monsieur, vous faites trop icy de résidence,
... Vous devez belle chandelle à Dieu
De n'avoir point été cette année à la taille ;
Monsieur nôtre marquis ne l'a pas échapé
La taille est une rude charge,
Et dont malaisément le plus fin se décharge
Vous pouvez prévenir un si rude soucy
En venant un peu moins icy '.
Mais ce type n'est pas purement imaginaire : on le trouve à
notre époque en Normandie. L'intendant d'Alençon écrit dans
un rapport du 1er septembre 1683 :
« Il est juste et on ne peut empescher que les privilégiés ne jouis-
sent des exemptions qui leur ont esté accordées quoy qu'elles soient
fort à charge aux parroisses, mais il est bon de donner un frein à la
liberté que les collecteurs autorisés par les habitans ont de les imposer
soubs prétexte de dérogeance ou de défaut de service, parce que cela
donne lieu à une infinité de procès et à des rejets considérables2 ».
En 1681, Leblanc raconte les misères faites par un collecteur
de Bourneville, nommé Lamarre, à son seigneur, M. de Bro-
tonne, qui « est sy timide qu'a peine oze-t-il se montrer » :
« Il l'imposa en 1680 à la somme de 400 1., quoy qu'il ne fist valoir
que 175 acres de terre, qui ne sont pas les trois charues que les
gentilshommes peuvent faire valoir par leur main ; s'estant 3 pourveu
à l'Eslection et à la Cour des aydes par sentence qui fut confirmée par
arrest, il fut ordonné qu'il seroit rayé du rolle et la somme reimposée.
Au département, je luy fis remettre 150 1. de principal et tous les
dépens et n'ordonnay la reimposition que de 300 1. en deux années;
depuis ce temps, il n'y a point d'insulte que Delamare ne lui ayt
faites ; il a fait tirer sur ses pigeons par son fils qui a esté condamné
en dix livres de dommages et intérêts, il a laissé courir ses porcs dans
ses bleds ; ayant esté adverty plusieurs fois de les retirer et ne l'ayant
1. Les vérité» plaisantes, ou le monde au naturel, Rouen, Maurry, 1702, in-12,
p. 121 et sniv.
2. A. N. G" 71. L'intendant propose, comme remède, de faire taxer d'office par
les commissaires départis tous les privilégiés dérogeant.
3. Sous-entendu : le seigneur.
L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 359
point fait, un des valets du Sr de Brotonne en tua un qui pouvoit valoir
dix livres, qu'il reprit1. »
Le procédé, signalé par Leblanc à Pont-1'Evêque, qui con-
sistait à reporter sur des insolvables la taille de ceux que pro-
tégeaient les collecteurs, était fréquemment employé. Comme il
produisait des non-valeurs aux dépens du Trésor2, de nombreux
règlements avaient prétendu l'empêcher. Celui du 27 novem-
bre 1641 disait : « Plusieurs habitans invalides et de néant sont
compris dans les rolles pour de grosses et importantes sommes
dont les riches et puissans sont d'autant deschargez, et à la fin
de l'année rendent les taux desdits invalides et gens de néant
pour non-valeurs, prétendans avec l'aide et intelligence desdits
officiers [des Elections] en être déchargez ou de le faire rejetter
sur les autres paroisses » , et il défendait cette pratique aux
collecteurs, « a peine de payer en leurs noms [des insolvables]
les sommes auxquelles ils les auront taxez3 ». Les mandements
des intendants rappelèrent presque toujours cette interdiction,
en la complétant. A Rouen, en 1672, il est défendu aux collec-
teurs « d'employer dans le chapitre des oboles autres que les
vrais pauvres et qui sont actuellement mandians ou invalides et
hors d'estat de gagner leur vie a cause de leursdites infirmitez
ou de leur grand aage » ; et pour empêcher la fraude, l'inten-
dant fait dresser par les habitants, dans leur assemblée, l'état
de ces mendiants et invalides avec défense aux collecteurs de le
modifier, à peine de 50 1. d'amende par contravention, au profit
de la paroisse; tout taillable non compris dans cet état devra
être imposé au minimum à 10 sous4. L'intendant prend soin
d'avertir aussi les collecteurs « qu'en cas qu'ils imposent des
insolvables a des sommes considérables pour avoir des rejets »,
1. A. N. G7 481. Pour comble, Lamarre avait adressé au contrôleur général
un placet pour se plaindre de M. de Brotonne, qui l'aurait fait battre, lui aurait
enlevé un poulain, aurait sollicité les officiers de l'Élection contre lui. Leblanc a
fait enquêter sur place, et a reconnu qu'aucune de ces plaintes n'était fondée.
Ces exemples confirment l'assertion de Boulainvilliers (Mémoires présentés au
duc d'Orléans, t. I, p. 79) : « La misère a produit l'injustice dans la répartition
des tailles, et celle-ci les baines et les vengeances entre les particuliers : ce qui
fait que la taille, imposée d'abord arbitrairement par les intendans et sans
connoissance de la force réelle et effective des villages, mais par une routine
sans exactitude, et souvent sur la recommandation des intéressés, se trouve
ensuite repartie par des paysans animés les uns contre les autres, ou passionnés
en faveur de leurs amis; de sorte qu'il n'en saurait résulter que la ruine des
villages, les uns après les autres, et une injustice déclarée et indéterminable
dans l'imposition particulière ».
2. Les contribuables en souffraient aussi : le 5 mai 1669 les habitants de
Honfleur se plaignent que les collecteurs « commettent de grands abus en impo-
sant quantité de particuliers non subjects a des sommes qu'ils ne peuvent paier;
... lesdites sommes sont ensuite rejetées sur le général de la communauté, ce qui
cause entièrement sa ruine » (Bréard, Les archives de Honfleur, p. 124).
3. Néron, t. II, p. 663. Repris dans la déclaration du 16 avril 1643, art. 11 (C.
d. T., I, 379).
4. Mandement de l'intendant aux paroisses, A. D. S.-Inf., G 2215. Cf. celui
de 1677, B. N. fr. 8761blï, f° 52, et Bréard, Les archives de Honfleur, p. 133.
360 LA TAILLE EN NOKMANDIE.
leurs calculs seront déjoués1. Mais ces précautions étaient
notoirement insuffisantes; il restait, pour permettre la fraude,
des journaliers, qui, sans être totalement insolvables, n'avaient
pas de meubles suffisants pour répondre d'une forte imposition :
comment empêcher de les surtaxer? Aussi verrons-nous que
cette source de non-valeurs ne cessa jamais d'exister2.
L'intendant Leblanc résumera l'opinion commune en écrivant
dans son mémoire du 4 janvier 1680 : « Il est presque impos-
sible d'empescher les collecteurs de malverser et de s'accom-
moder avec les particuliers avant la confection du rolle, dont
on ne peut avoir de preuve '.' »
La déclaration du 20 août 1683 menace de pénalités sévères
les collecteurs « qui seront convaincus d'avoir exigé ou composé
pour diminuer les taux des contribuables » (art. 9). Mais le
Recueil d'Orsay parle encore des collecteurs qui « affectent de
faire plusieurs voyages de lieu en autre et de s'assembler, a
dessein apparent d'y procéder [à la confection des rôles], afin
d'engager par ce moyen les taillables à les solliciter pour obtenir
des diminutions, et mesme de leur faire a cette fin des presens
considérables * ». D'autres ordonnances interviendront encore,
et pourtant en 1732 Lallemant de Lévignen écrira :
Les collecteurs « se font souvent payer des sommes secrètement par
des particuliers riches et aisés, ausquels ils ne donnent point les taux
qu'ils pourroient porter eu égard à leurs facultez, et les rejettent sur
les autres habitans de la paroisse, ou même exigent, lorsque ce sont
des gens de journée, un travail d'eux pour estre bien traités, qui
tourne au bénéfice des collecteurs, ou dans d'autres occasions font
labourer leurs terres gratuitement5 ».
De son côté, un curé dit a ses paroissiens en 1721 6 :
1. Let. à Colbert, 22 juin 1680, A. N. G* 491.
2. Dans ces procédés arbitraires des collecteurs, le porte-bourse avait un rôle
Prépondérant. Lallemant de Lévignen écrit qu'il est « absolument le maître de
imposition, sans vouloir consulter ses consorts, sous prétexte qu'étans des
malheureux et sans biens, ils n'ont pas de quoy répondre des mauvais deniers
qui peuvent se trouver a la fin de la collecte... ce qui donne occasion o ces collec-
teurs d'exercer leurs vengeances ou de diminuer sans raison plusieurs particu-
liers; en un mot ces collecteurs porte-bourse font peine ou plaisir à qui bon leur
semble . (B. N. fr. 7 771, f° 182).
3. A. N., G7, 491. Il ajoute que le seul remède qu'il y a apporté fut « de ne
point ordonner de rejets des mauvaises impositions ».
4. B. N. fr. 11 096, f 37. Cf. la circulaire du Régent aux intendants, 4 oct. 1715 :
« Mon intention est... d'empêcher et les vengeances que les collecteurs exercent
contre ceux dont ils croient avoir lieu de se plaindre, et les protections injustes
qu'ils donnent à leurs parens et à leurs amis > (Encycl. mithod., III, p. 647).
5. Observation* sur la taille, B. N., fr. 7771, f" 181. C'est exactement ce qu'a
écrit Boisguilbert : les collecteurs « prennent de l'argent des riches pour leur
vendre leurs suffrages, et la moindre corruption est d en recevoir des repas; en
sorte que ces collecteurs, ayant peine quelquefois à convenir, ils sont des trois
mois de temps a s'assembler tous les jours sans rien déterminer ». (Détail de la
France, éd. uaire, p. 175).
6. J. Lambert. Instructions courtes et familière* sur les Évangiles..., Paris, 1721,
in-12, p. 497 (sermon sur la taille).
L INÉGALITÉ DANS L ASSIETTE. 361
« C'est une grande tentation que d'être collecteur. On pouroit faire
beaucoup de bien dans cet emploi, mais ordinairement on y fait beau-
coup de mal... Les uns se laissent toucher d'un amour déréglé pour
leurs parens, et ils les déchargent sans faire attention au préjudice
qu'ils causent à ceux sur qui ils rejettent ce que leurs parens devroient
porter. Les autres sont effraies de l'autorité d'un homme puissant,
qui par menace et par crainte les oblige à suivre ses volontés, quoi-
qu'injustes1. D'autres sont esclaves de leur intérêt, et font grâce à
proportion des presens qu'ils reçoivent. Enfin on en voit qui se
laissent emporter à leur animosité et à leur vengeance, et qui pro-
fitent de leur autorité pour accabler un malheureux qui n'est en
aucune manière en état de leur résister. »
A côté des inégalités volontairement faites par les collecteurs,
il en est d'autres qui leur sont imposées par les personnes
dont ils dépendent, et notamment par les élus, trésoriers de
France et conseillers à la Cour des aides. Au nombre des
« abus de finance » signalés par Colbert> dans sa grande ins-
truction de mars 1664, se trouve « l'intelligence des trésoriers
de France avec les élus pour soulager... dans une paroisse les
officiers, leurs fermiers, métayers ou ceux de leurs amis, et ce
pour différents intérêts8 ». Lorsque, dit Pescheur lui-même,
les collecteurs sont parvenus k modérer les cotes de ceux de
leur cabale, les élus « y donnent les mains... sans contredit,...
soubz promesse de pareille gratification : facio ut facias » :
« Je n'entends point par là, ajoute-t-il, accuser aucun, mais je
suis obligé en conscience de dire que j'ay veu a telz jugemens
de très mauvaises suittes 3 ». L'intendant d'Orléans écrit à
Colbert en 1664 que les élus de Clamecy « abusent de leur
autorité, faisant faire les rooles de quelques paroisses qu'ils
protègent a leur fantaisie » ; quand on fait des poursuites devant
eux, ils allèguent « qu'ils n'ont aucun fonds pour faire les frais
de justice », et sa conclusion est : « Il est tout a fait néces-
saire de tenir dans le devoir les officiers de ces eslections
esloignées '* ».
La surveillance des élus fut, on l'a vu s, une des charges des
intendants. Ils les empêchèrent le plus possible d'intervenir
dans la rédaction des rôles, et de rien y changer lors de la
vérification. Mais les officiers des Elections conservaient le
jugement des surtaux et des rejets, par où ils pouvaient exercer
1. 11 dit encore plus loin : « C'est un seigneur qui parle pour ses fermiers,
mais qui parle avec autorité, et de manière à faire entendre qu'il ne veut pas
être contredit. C'est un autre, d'une puissance égale et de qui on a beaucoup à
attendre, et dont les recommandations sont aussi fortes que des commandemens. »
(P. 498).
2. Clém. IV, 37. Cf. ibid. VII, 177, le mémoire à Mazarin en 1659.
3. M. C. 33, fol. 287.
4. Let. du début de juin et du 7 oct. 1664, M. C. 121 fol. 337 et 124 fol. 104.
5. Ci-dessus, p. 118 et suiv.
M LA TAILLE EN NOIIMANDIE.
leur influence : Leblanc écrit le 1" mai 1682 que ceux de
l'ont de l'Arche refusent de poursuivre les informations faites
pour malversation dans les rôles de Louviers1. Son collègue
Méliand écrivait quatre ans auparavant :
« Les officiers des eslections de la généralité de Cacn rendent jour-
nellement des jugemens par lesquels non seulement ils accordent des
décharges ou modérations de taux sans adjuger la provision*, mais
mesme, pour favoriser ceux à qui ils veulent donner protection, font
des deflences aux collecteurs de les comprendre dans leurs rolles
avant qu'ils soient faits, ou les y rayent lorsqu'ils les y trouvent
employez, le tout a l'oppression des pauvres collecteurs, lesquels, aux
termes des déclarations, ne pouvans demander les rejets de descharges
et modérations qui ne sont jugées que l'année suivante, se trouvent
obligez d'avancer a la recepte lesdites descharges et modérations dont
ils ne peuvent faire le recouvrement que longtemps après, au moyen
de quoy ils sont détenus dans les prisons. »
Il propose de renouveler par un arrêt du Conseil la décla-
ration d'août 1677, qui n'est pas exécutée, mais, dit-il, « ce
f payement par provision ostant et faisant cesser presque toutes
es affaires des Elections, les officiers, surtout ceux qui se
trouvent éloignez dans le fond de la province, ne s'y réduiront
que par authorité et par crainte3. »
Il n'y avait pas davantage à compter sur la justice de la Cour
des aides : ses membres, bien connus pour leur partialité, accor-
daient ou confirmaient des réductions de taille à leurs amis,
parents ou clients, comme ils l'entendaient. En 1682, Leblanc
est obligé de solliciter un arrêt du Conseil pour casser un arrêt
de la Cour réduisant de 100 à 60 1. la cote d'une dame de Machy
« qui a plus de 1 200 1. de rente et qui fait valoir plusieurs
occupations* ».
Toutes sortes de gens trouvent le moyen d'obtenir des faveurs
dans l'imposition, pour eux ou pour leurs protégés. En tête
viennent les seigneurs des paroisses, dont on a vu la puissance 5.
Les huissiers et sergents vendent a ce prix leurs bonnes grâces :
1. B. N. fr. 8761 fol. 51, v°.
2. C'est-à-dire sans ordonner que les cotes primitivement fixées seront payées
par provision aux collecteurs.
3. Let. du 24 mars 1678, et projet d'arrêt l'accompagnant, A. N. G7, 213. Voir
l'arrêt dans Règlements de Normandie, p. 203.
4. Let. du 5 avril 1682, B. N. fr. 8761, fol. 46. Tous les juges en général étaient
partiaux en faveur des gentilshommes : voir une lettre de Barin de la Galisson-
nière, écrite de Vernon à Colbert le 3 août 1666, il avait ordonné au lieutenant-
général de Pont-Audemer d'informer contre un gentilhomme qui avait usurpé des
communaux et commis des violences contre des particuliers, mais au lieu d'infor-
mer, le lieutenant a inculpé un paysan d'avoir battu sa femme, sur la fausse
dénonciation du gentilhomme, et le paysan est mis en prison. « Voilà, conclut
l'intendant, le caractère des juges de cette province » (M. G. 139 fol. 42).
5. Ci-dessus, p. 186 et 314. Cf. le commentaire de Duret sur l'art. 341 de l'ordon-
nance de mai 1579, dans Néron, I, p. 650.
L INÉGALITÉ DANS L ASSIETTE. 363
Pescheur est d'avis qu'il ne faut pas les employer deux ans de
suite dans une même région, « la continuation les authorisant
d'agir en maistres jusqu'à entreprendre des protections de par-
ticuliers, dont ilz font modérer leurs [pour : les] cottes par les
asseeurs qu'ilz intimident par leurs menaces de ne leur point
donner quartier, vexation dont ilz [les collecteurs] n'osent se
plaindre, de peur du retour1 ». Les officiers de justice, tabel-
lions, gardes particuliers, sont dans le même cas2. Lallemant
de.Lévignen signale aussi, après notre époque, des « particuliers
plus riches que les autres » qui font des avances d'argent aux
collecteurs pour payer leurs échéances, et ce « dans la vue
d'être bien traittés par les collecteurs, ce qui ne manque pas
d'arriver » ; mais l'intendant se garde de désapprouver cette
pratique, qui accélère les recouvrements 3.
Il n'est pas jusqu'aux scribes chargés d'écrire les rôles qui
ne trouvent le moyen de soulager leurs amis : à l'insu des
collecteurs, souvent illettrés, ils leur attribuent la cote qui
leur plait, puis se hâtent de faire vérifier le rôle à l'Election :
désormais le rôle est exécutoire, il n'y a plus de recours que
par voie de cote et comparaison, et le scribe n'est responsable
de rien. La fraude est signalée par Pescheur*, et reprise par
Lallemant de Lévignen plus de soixante après : « Les collec-
teurs, dit ce dernier, ... ne scachants ny lire, ny écrire, ils se
laissent conduire par des scribes prévenus par présents ou
autrement en faveur de certains habitans, leur font faire l'im-
position à leur gré, quelquefois même les trompent en mettant
de plus grandes ou moindres sommes à des particuliers contre
l'intention de ces mêmes collecteurs5 ».
D'autres personnes encore, celles-là sans aucune fonction
publique ni autorité reconnue, interviennent pour se faire sou-
lager, elles et leurs amis, ou pour faire surcharger leurs
1. M. C. 33, fol. 291.
2. « Maistre Gabriel Dufour, sergeant, propriétaire d'une maison », est imposé
à 10 sous sur le rôle de St-Saens, pour 1670 (A. D. S. Inf. C 2692); dans la même
paroisse, « Maistre Gabriel Romard, controlleur au grenier a sel du Neufchastel »
ne paye pas davantage; la même année, au Gandeau, Jean Marquet « garde de
Monseigneur de Sainct-Luc » est imposé à 1 sou (ibid. 2676); à Saumont la
Poterie, en 1673, Arthur Brunet, « garde aux bois de Son Altesse Longueville »,
est coté pour 5 sous, mais il apparaît par le rôle cueilloir qu'il ne paye rien de
son imposition (ibid.). A Saint-Loup-Hors, en 1663, Thomas de Bauny, noble
dérogeant, est même taxé à néant (A. Mun. Bayeux, rôles de 1663).
3. B. N. fr. 7771, f° 181 : « La paroisse, dit-il, évite des frais qui luy seroient
plus préjudiciables que le désavantage de faire porter à ces gens aisés une
pistolle de plus, ou peut-être deux, dom ils seroient chargés, d'où il suit que le
recouvrement des impositions se fait plus aisément ».
4. « Les scribes employez à la confection des rolles sont sollicitez par beau-
coup de cottisables pour estre soulagez en leur taux, ce qui leur est facile de
permettre et d'exécuter impunément, attendu que le plus souvent les asseeurs
collecteurs ne scavent lire ny escrire. » (M. C. 33, f° 288). L'intendant de Rouen,
en 1676, défend aux greffiers de s'entremettre dans la confection des rôles, pour
des motifs analogues (B. N. fr. 8761bis, f° 27).
5. B. N. fr. 7771, f° 182.
;,,, LA TAILLE EN NOHM ANUiE.
ennemis. On I<-s désigne d'an terme générique, très fréquent :
ce sont les coqs de paroisse*. « Dans chaque parroisse, écrit le
conseiller d'Etat De la Marguerie en 1665, il y a tousjours
quelque particulier plus riche, plus esclairé ou plus capable
d'affaires que les autres ; ccluy-la s'en rend maistre, fait tout
ce qui luy plaist dans la communauté, a quelque esleu pour
amy, auquel il donne annuellement des marques de sa gratitude
afin qu'il l'exempte des tailles et ses amis en vérifiant le rolle
et choisissant quelques fois d'office des collecteurs à sa poste 2,
faict descharger par son crédit ceux qu'il veut de la collecte des
tailles, y en faict mettre comme il luy plaist, d'où vient l'insol-
vabilité et la ruine de la parroisse3. »
Colbert connaissait bien ces personnages, et attira plusieurs
fois sur eux l'attention de ses subordonnés : Veillez, écrit-il à
De Sève en 1672, « que les principaux habitans, que l'on
appelle coqs de paroisses, ne soyent point soulagés aux dépens
des pauvres* ». Et l'année suivante, à Marillac : « Surtout,
l'intention de Sa Majesté est que vous donniez une entière
application à empescher que les plus riches et ceux qu'on
appelle coqs de paroisses se fassent imposer à peu de chose
pour rejeter toute la charge sur les pauvres5 ». Empêchez,
dit-il encore dans une circulaire, que la Cour des aides ne
casse vos taxes d'office, car ces arrêts « augmentent la hardiesse
des coqs de paroisses, qui se déchargent de la taille par toute
sorte de moyens, la rejettent sur les pauvres, et chargent toutes
les communautés des frais qu'ils font dans la poursuite de ces
arrests6 ».
Jusqu'à la fin de son ministère, il se préoccupe de la ques-
tion. Parmi les deux points « très importants » qu'il signale
aux intendants le 28 mai 1681 se trouve le fait que « dans
toutes les paroisses les principaux habitans et les riches trou-
voient facilement moyen de se décharger des tailles et d'en
surcharger les moyens et les pauvres habitans, et mesme que
1. « Coq, dit le Dictionnaire de Trévoux, signifie figurément un notable bour-
geois ou habitant d'une paroisse qui s'y est mis en autorité, qui gouverne tous
les autres ». (Dictionnaire universel François et Latin, éd. 1704, art. Coq). L'éd.
de 1771 a modifié cette définition : « Coq signifie figurément en style familier un
notable bourgeois ou habitant d'une paroisse qui est distingué par son crédit, par
ses richesses >. Le mot aurait-il perdu à la fin du xvm* siècle le sens péjoratif
qu'il avait au début? En Franche-Comté le mot avait un sens particulier, il dési-
gnait les gens de loi qui habitent les villages et se font protéger par les juges
locaux. (Girardeau de Noseroy, Histoire de dix ans, Besançon 1/42, cité par
Beaulieu, La Gabelle, p. 34, n. 3). L'expression se rencontre même dans des actes
officiels; un arrêt du conseil du 27 novembre 1641 vise « les principaux et puis-
sans appelles coqs de paroisses ». (Néron t. II, p. 664).
2. C'est-à-dire à son gré.
3. B. N. Clairamb. 613, fol. 304. De la Marguerie avait été intendant de pro-
vince.
4. Clém., II, 258.
5. IbU., 300.
6. Ibid., 294-295, circulaire aux intendants, du 6 octobre 1673.
' L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 365
ceux-cy demeuroient d'accord de la décharge de ces plus riches,
parce qu'ils les faisoient travailler, et qu'ils trouvoient des
secours par leur moyeu dans toutes leurs nécessités1 ». Dans
leurs mandements, les intendants rappelaient aux contribuables
les ordonnances2 interdisant « aux ecclésiastiques, gentils-
hommes, officiers et autres personnes de quelque qualité et
condition qu'ils soient, de s'entremettre de l'assiette des tailles,
directement ou indirectement, ny troubler et intimider lesdits
collecteurs, tant lors de l'assiette que collecte desdits deniers 3 ».
Mais l'interdiction était plus facile à prononcer qu'à exécuter.
Comment de pauvres paysans, fermiers ou journaliers pour la
plupart, auraient-ils pu échapper à la domination de person-
nages qui étaient leurs maîtres reconnus, leur rendaient la
justice, tenaient leur existence matérielle à leur merci? Quel
recours avaient-ils contre des puissants que les juges appuyaient
toujours, qui pouvaient les ruiner en frais de procès4, et en face
desquels l'intendant lui-même se déclarait parfois désarmé8?
Voici quelques faits, observés en Normandie, qui donnent une
idée de ces abus :
A Saint-Germain de la Coudre, élection de Mortagne, le sieur
François Desjardins dit Saint-Val « non comptent de s'exempter
de la contribution des tailles quoyque de condition roturière,
[faisait] en outre touttes les viollences possibles pour empescher
qu'il ne soit imposé ». Les habitants s'étant un jour réunis en
assemblée, il les soupçonna de vouloir supprimer son privilège :
« Il y seroit survenu accompaigné de plusieurs autres personnes
armés de mzils, pistolets et espées, lesquelz s'estans jettez sur
lesdits habitans les auroient maltraitez, mesme le sieur curé de ladite
parroisse présenta ladite deslibération qu'ilz auroient traisné par la
rue, battu et excédé et deschiré ses habits, auquels par desrision ils
1. Glém. II, 154. Le premier point « très important » concerne l'intervention
des « gentilshommes et autres personnes puissantes » dans la rédaction des rôles :
v. ci-dessus, p. 313. « S. M., ajoute Golbert, m'ordonne de vous écrire fortement que
son intention est que vous examiniez avec un très grand soin ces deux points.
2. Notamment la déclaration de janvier 1634, art. 48 et 49. L'art. 48 ordonnait
d'inscrire les coqs de paroisse à part sur les rôles, pour qu'ils fussent taxés
d'office par les élus, mais on a vu que cet article était tombé en désuétude : cf.
Nau, Abrégé des ordonnances, p. 514.
3. Mandement de l'intendant de Rouen, 1672, A. D. S. Inf., G. 2215. (Cf. l'ordon-
nance de mai 1579, art. 341, avec le commentaire de Duret, dans Néron, I, 050,
l'édit de janvier 1598, ibld., p. 694, etc. Voir aussi la lettre de Colbert à l'inten-
dant d'Alençon, du 15 janvier : « Vous devez... tenir la main à ce que [La taille]
soit imposée également partout, en sorte que les principaux habitans des
paroisses ne se voient point descharger par aucune recommandation sur les
faibles » (Glém., II, 246) et sa circulaire du 24 avril 1676 : S. M. veut « que vous
empeschiez formellement qu'aucun gentilhomme, officier ou principal habitant
ne se déchargent, eux ou leurs fermiers, parens ou amis, pour charger les plus
faibles des paroisses » (ibid., p. 374).
4. Cf. La Barre, Formulaire, p. 171 : les collecteurs « pour éviter procez, n'osent
asseoir les riches ».
5. Cf. la lettre de Barin de la Galissonnière en 1667, ci-dessus, p. 153.
Ma LA TAILLE BN NORMANDIE.
auroient mis un chapeau gris sur la teste et ensuitte l'auroient mené
au chasteau de la Fresnée où ils l'auroient détenu prisonnier avec-
plusieurs indignités, nonobstant sa quallité de prebtre. »
L'avocat général de la Cour des aides, qui expose ces faits
en 1665, obtient que la Cour prescrive une enquête; nous ne
savons pas quelle suite fut donnée à l'affaire1.
A Préaux, élection de Mortagne, en 1668, les deux frères
Hugo, protégés du marquis d'Avilly, veulent contraindre les
habitants à les imposer, malgré leur fortune, l'un à 1 sou, l'autre
à 60 s.; les habitants font des difficultés à y consentir, et
ajournent leur assemblée au 11 novembre pour en délibérer.
Quand l'assemblée est réunie, suivant le procès-verbal adressé
par l'intendant à Colbert,
« Lesdits Hugots, accompagnez desdits Launay, La Fontaine et
Saint-Martin, serviteurs domestiques dudit sieur marquis et couverts
de ses couleurs et casaques, estoient venus... armez de fusils et
d'espées; là ou estant ils avoient demandé qui estoit ceux desdits
parroissiens qui ne vouloient signer ledit consentement; tous lesdits
accusez, armez comme il est dit cy-dessus, avoient pris ledit sieur
Gilles Brière, luy disant qu'il faloit qu'il signast ledit consentement,
et [Brière] leur ayant respondu qu'il ne pouvoit faire cela, estant
contre sa conscience et justice, au mesme instant l'avoient frapé et
outragé de plusieurs coups de pied et de poing, de sorte qu'il estoit
tombé par terre comme mort sur la place, et, non content de l'avoir
mis en tel estât, luy avoient mis le pistollet sur la gorge en jurant et
blasphémant le saint nom de Dieu que s'il ne signoit ledit consente-
ment, qu'ils alloient débander leurs pistollets et fusils en son corps ;
pour évitera quoy il signa ledit consentement2. »
L'intendant fut chargé d'informer sur ces faits; nous ignorons
également ce qu'il en advint.
A Saint-Denis le Thiboult, près de Darnetal, un nommé
Durand qui avait été « avocat à la suite des intendants... sous
le nom de porteur de procuration » exploitait une ferme de
7000 1., appartenant au marquis de Macy. Pendant huit années
de suite, il avait prétendu ne pas payer la taille, et « tourmen-
tait les habitants » à cet effet. Taxé d'office par Leblanc en 1682,
il avait fait appel de la taxe au Conseil. Un procès ruineux pour
la paroisse allait s'engager, lorsque l'intendant intervint pour
interdire l'appel3. La même année, Leblanc évite également des
frais de procès à la ville de Quillebeuf, où un nommé Dubuc
t. D'après la lettre et l'arrêt envoyés à Colbert par l'avocat général le
4 août 1665, M. C. 131, fol. 155-158. La cour avait été saisie de l'affaire par
ordre de Colbert, qui avait reçu une information du substitut de Mortatrne.
2. M. C. 149, f° 584.
3. Let. de Leblanc à Desmarets, 5 avril 1682, B. N. fr. 8761, f° 46.
h INEGALITE DANS L ASSIETTE. 367
intimide tous les habitants par les procès dont il les menace1.
A Ver, élection de Coutances, le seigneur du lieu, nommé
Gascoing, fait soulager à la taille tous « ceux qui sont dans sa
dépendance ». Il en use ainsi pendant vingt-cinq ans, faisant
faire les rôles en sa présence. Comme il est de la R. P. R., les
élus finissent par informer contre lui, en 1685, et réunissent
des témoignages; il est condamné à 100 1. d'amende, et* comme
il est prouvé qu'il fait valoir la dîme de sa paroisse sous le
couvert d'un de ses domestiques, il est imposé à la taille comme
dérogeant2.
Dans la généralité de Rouen, en plusieurs paroisses, d'après
un mandement de Leblanc en 1678, les coqs « pretendans estre
modérez, déchargez ou rayez,... s'adressent aux collecteurs,
leur font des procès en première instance et par appel, a la
poursuite desquels ils abandonnent la collecte, consomment les
deniers de la taille, et souvent pour une somme modique, il se
trouve pour trois ou quatre cens livres de dépens, ce qui cause
la discution des collecteurs, la solidité contre les principaux,
et la ruine de la parroisse3 ». Il serait plus économique de les
exempter d'impôt.
Ces exemples, malgré leur netteté, ne nous donnent pas
d'indications sur l'étendue exacte du mal. A en croire l'inten-
dant de Morangis elle n'aurait pas été très grande en Norman-
die; le 10 juillet 1684 il répondait, de Caen, à une question du
contrôleur général : « Je n'ay point trouvé de gentilshommes ni
d'ecclésiastiques qui se meslent de l'imposition de la taille, et
si cela se fait c'est avec tant de précautions que je n'en ay
receu aucune plainte ; il n'y a point de province dans le
royaume où les seigneurs soient moins autorisés, et où les
paysans soient plus instruits de leurs droits et les sachent
mieux maintenir4 ». A la vérité, on ne trouve pas en Norman-
die d'excès en ce genre aussi considérables que dans certaines
autres provinces : pas d'exemples de collecteurs tués, de
paroisses pillées ou mises dans l'impossibilité de payer l'impôt,
comme on en voit en Poitou, en Limousin ou en Champagne5.
1. Lel. de Leblanc, 2 janvier 1682, A. N. G7 491; il demande des arrêts du Con-
seil pour « mettre en repos les habitants ». En marge est écrit : « M. Desmaretz
a envoyé ses deux arrêts ».
2. Lettre de Morangis, 12 juillet 1685, A. N. G' 213.
3. B. N. fr. 8761b,s, f> 131.
4. De Boislisle, Correspondance, I, n° 90.
5. Charles Colbert écrit de Mayenne, le 18 oct. 1664, que « la plupart des gen-
tilshommes » font faire* les rôles à leur fantaisie, maltraitent les collecteurs ; le
sieur de Saint-Contest « est accusé de beaucoup d'assassinats et d'avoir maltraité
des collecteurs » (M. C. 124 fol. 364). Pinet dénonce en Poitou, en 1663, le marquis
Desroches, « qui s'est moqué de toutes les ordonnances qn'on a peu rendre contre
luy et les collecteurs de sa paroisse, où, avec toute la violence imaginable, il a
présentement levé la moitié de la taille » (M. C. 115 fol. 551). Le prévôt royal de
Bourbonne, en Champagne, agit comme un grand seigneur : « jamais les inten-
dants n'avaient peu luy faire payer de taille; il s'étoit mocqué de toutes les
LA TAILI.K BU XOKMAXDIE.
Mais si l'abus v existait ii un moindre degré, on ne peut prendre
à la lettre l'affirmation de Morangis et en nier l'existence. Dans
la même généralité de Caen, l'intendant, en 1673, constatait
« qu'aucuns gentilshommes et personnes puissantes, abusans
de leur autorité, battent et excédent les collecteurs des tailles
et autres sujets de S. M., exigent des corvées et font des levées
sous prétexte de recompense ae leur protection * ». Un intendant
avait quelque intérêt à soutenir que sa circonscription était
mieux administrée que les autres; il n'était d'ailleurs pas tou-
jours exactement informé de tout2.
Tous les cas énumérés jusqu'ici constituaient des abus fla-
grants, que tout le monde condamnait sans hésitation. Mais il
en était un autre, qui se présentait très souvent, et dont l'illé-
gitimité faisait quelque doute : c'était lorsqu'un exempt faisait
soulager ses propres fermiers par les collecteurs.
Les privilégiés, on l'a vu, ne pouvaient exploiter eux-mêmes
qu'une quantité limitée de terres; tout ce qu'ils possédaient en
plus, devait être affermé. Or ils faisaient observer que, si l'on
imposait leurs fermiers, leurs terres seraient louées d'autant
moins cher; ils payaient donc indirectement la taille par ce
moyen, et leur exemption n'était plus qu'un vain mot. La thèse,
mainte fois soutenue dans les écrits du temps, fut exposée à
plusieurs reprises aux Etats de Normandie. Le président de
Bauquemare y disait en 1566 :
« Combien que des tailles et autres crues que le prince demande
pour sa subvention soit faicte assiette directement sur ceux du Tiers
Estât, neantmoing ceux de l'Eglise et de la Noblesse en payent indi-
rectement leur part, ce qui se peult congnoistre par un exemple fami-
lier : combien il y«a-t-il de laboureurs tenant à fermes les héritages et
possessions des ecclésiastiques et gentilshommes qui payent 60 et 80 1.
de taille, lesquels sans lesdites charges ne pairoient 100 sols. Ceste
charge ne vient-elle pas en diminution de leurs fermages3? »
En 1617, 1623, 1634, les nobles et les magistrats avaient
cottes d'office, et exemptoit tons ses parents; il s'adjugeoit a luy-mesme la
double dixine de sa paroisse soubs noms empruntés; il avoit fait des levées
assez considérables depuis quinze ou seize ans, dont il ne rendoit point décompte
a la communauté » (Depping, t. III, p. 173); autres exemples A Vendôme, 1665
(M. C. 128"" f 1172); en Berry, 1682 (A. N. G" 124, 26 mai et 13 juillet), en
Bourbonnais, 1663 (M. C, 115 '"• f° 660), etc. L'abus continua après Colbert : v.
par ex. le préambule de l'édit d'août 1692, créant des maires perpétuels dans les
villes.
1. Mandement du 4 oct. 1673, A. D. Calv., Bureau des finances.
2. On a vu, p. 140, la difficulté pour un intendant de se renseigner exactement
sur ce qui se passait dans sa généralité. Il n'était pas toujours facile de connaître
ces protections clandestines des puissants; Croissy, en ayant découvert des cas
scandaleux en Poitou, ne trouvait pas de témoins pour en déposer (M. C. 115,
f» 364.) _ V l
3. De Beaurepoire, Cahiers des États..., règne de Charles IX, p. 125.
L INEGALITE DANS L ASSIETTE.
369
renouvelé cette déclaration i ; les Mazarinades la reproduisirent
plusieurs fois2 , et l'intendant Méliand écrivait de Caen le
15 août 1680 :
« C'est une maxime générale en cette province que c'est faire payer
la taille a la noblesse et aux exempts indirectement que d'imposer
leurs fermiers, de sorte que les gentilshommes, officiers et autres
exempts de taille employent toutes sortes de moyens pour que leurs
fermiers ne soient mis qu'à des sommes modiques eu égard au bien
qu'ils ont de leur chef; car quand ils ne font que faire valoir, les
collecteurs ne les employent qu'a de très petites sommes 3. »
Cette théorie était spécieuse, mais les privilégiés la démen-
taient eux-mêmes par leur acharnement à rechercher le privi-
lège, fût-ce au prix de l'imposition de leurs fermiers. Le roi ne
pouvait du reste l'admettre sans un énorme préjudice : elle
aurait fait passer rapidement toute la terre aux mains des
exempts, et bientôt on n'eût plus rien trouvé à imposer. Aussi
le règlement d'août 1664, art. 27, après ceux de 1600 et 1634,
avait-il formellement ordonné que les fermiers des exempts
fussent imposés :
« Atendu qu'il s'est introduit un abus manifeste, en conséquence
duquel les eclésiastiques, gentilshommes et oficiers privilégiez pré-
tendent que leurs fermiers ne doivent point être imposez aux tailles,
à cause des fermes qu'ils tiennent d'eux, s'imaginant que c'est leur
faire paier indirectement la taille, d'où il s'ensuit un désordre sans
exemple, qui cause la ruine et Fopression des pauvres taillables, et
donne lieu ausdits eclésiastiques, gentilshommes et oficiers d'aug-
menter extraordinairement le prix de leurs fermes, sous prétexte de
cette prétendue exemption ; Nous voulons et entendons que les fermiers
desdits eclésiastiques, gentilshommes et oficiers, "soient compris aux
rôles des tailles, tout ainsi que les autres fermiers, tant à raison de
leur bien, trafic et industrie, qu'à cause du profit qu'ils peuvent faire
esdites fermes *. »
Le même règlement interdisait en outre une fraude commu-
1. Ibid., règne de Louis XIII, II, p. 52, III, p. 9, etc.
2. Voir notamment : Loppin, Les mines gallicanes, Paris, 1638, in-4°, p. 14;
les délibérations de la noblesse aux Etats de 1614, B. N. fr. 11916; la maza-
rinade intitulée : Les généreux, conseils d'un gentilhomme français; le discours du
marquis de Sourdis à l'assemblée de la noblesse du 22 février 1651 (Journal de
l'Assemblée de la Noblesse, p. 43), etc. Après notre époque, le tlième sera très
souvent repris : Mémoire de M. de Fougerolle publ. à la suite des Mémoires pré-
sentés au duc d'Orléans par Boulainvilliers, 1727, t. II, p. 138 et 150; la Gourdes
Aides de Paris l'a repris à son compte: l'auteur de l'art. Taille dans V Encyclo-
pédie, Sénac de Meilban, Turgot (Œuvres, t. IV, p. 271), etc. Cf. Marion, L'impôt
sur le revenu, p. 12.
3. A. N. G? 213.
4. Règlements de Normandie, p. 139 cf. les édits de mars 1600, art. 18, janvier
1634, art. 33, avril 1643, art. 21 et suiv., etc.
LA T.MLLE EX NORMANDIE.
24
370 LA TAILLE EN NORMANDIE.
nément pratiquée : les exempts, « pour mettre [leurs] fermiers
à couvert et les empêcher de contribuer aux tailles, leur passant
des procurations en fraude et simulées, pour les faire passer
pour leurs domestiques et préposez », ils seront imposés pour
toutes les terres qu'ils feront cultiver sous le nom de leurs
domestiques en sus de la quantité à eux permise (art. 28).
Colbert fit, en 1663, un exemple retentissant en la personne
d'un valet du marquis de La Chastre-Nançay pour avoir mutilé un
collecteur qui avait imposé à un écu un fermier du marquis1.
Il rappela plusieurs fois le règlement dans ses lettres aux inten-
dants : surtout, écrit-il à Saint-Dysan en 1672, « il est néces-
saire que vous vous appliquiez à empescher que les gentils-
hommes... par le crédit et l'autorité qu'ils ont dans les
paroisses... ne fassent décharger leurs fermiers au préjudice et
à la foule des autres habitans2 ». Il félicite De Sève d'avoir
taxé d'office en 1673 des fermiers de gentilshommes : « Vous
ne devez pas douter que ces taxes ne soyent bien soutenues3 ».
Il prescrit à Leblanc en 1677 de travailler à « abolir entière-
ment » l'abus des seigneurs qui « déchargent extraordinairement
leurs fermiers* ».
Les intendants de Normandie inscrivirent les prescriptions
réglementaires dans leurs mandements annuels aux paroisses5;
mais les privilégiés n'avaient pas scrupule à les transgresser;
ils ne pensaient pas mal faire, cette extension de leur privi-
lège leur paraissant naturelle6, et les protections accordées
1. Mémoire de l'intendant de Bourges à Colbert, 3 mars 1663, M. C. 115 f 85 :
ce valet, avec deux compagnons, avait assailli le collecteur, l'avait roué de coups,
puis lui avait coupé le nez et les oreilles, « et en prit les morceaux qu'il mit
dans sa poche, disant qu'il avoit de quoy justifier la commission qui luy avoit
esté donnée >. Colbert se vante de la punition infligée au valet, qui fut arrêté
• jusque dans la chambre de son maistre », et remis à la justice (Mémoire au Roi
sur les affaires de finance, Clém., II, 67). Colbert écrira encore à Marillac le
2 février 1674 qu'il n'y a « rien de si important que de purger les provinces de
ces petits tyranneaux qui ruinent les peuples > (Ibia. 322).
2. Clém. II, 250. Il signalait déjà l'abus à Mazarin le 1" oct. 1659 (ibid., VII,
177).
3. Ibid. II, 295, n. 1.
k. Ibid. 378. Ces protections frauduleuses sont signalées par Voysin en 1665 :
Mémoire sur la généralité de Rouen, p. 87-88.
5. V. par ex. le mandement de l'intendant de Rouen en 1672 : ordre d'imposer
• les fermiers des seigneurs et gentilshommes et autres de vostre paroisse qui ne
sont pas compris dans vos rôles, pourveu 'qu'ils ne soient pas imposez ailleurs,
ou qu'ils le soient a des sommes très modiques » ; les pseudo-serviteurs qui font
valoir les terres des gentilshommes en sus d'une ferme seront taxés d'office pour
leurs exploitations (A. D. S.-Inf. C 2215). L'intendant de Caen, en 1675, défend
aux collecteurs de « confondre sous un mesme article la taxe du propriétaire et
de son fermier, a" peine de 100 1. d'amende » (A. D. Calv. Election de Caen).
6. Cf. un manuel de confession intitulé : Les péchez cachez de chaque chrétien
en Yexercice de sa profession, par le sieur D. A. E. P. D. S., Paris, 1680, p. 86 :
• Un seigneur qui vivra moralement bien pourroit aussi commettre des crimes
dont il ne s'apercevroit pas : par exemple, s'il vouloit exempter de la taille un
de ses receveurs, qui seroit cottisé au roole a une plus grande somme qu'il ne
désireroit, et qu'il fit publier aux prônes qu'il veut exploiter sa terre par ses
mains... Il arriveroit de cette action premièrement que toute la cotte de ce rece-
L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 371
par les ministres eux-mêmes, les intendants, les gens de cour,
autorisant dans une certaine mesure leurs actions1. Ils avaient
du reste les moyens d'éluder facilement la loi : l'un d'eux, en
Lyonnais, obligeait « les habitans de sa terre à donner de
l'argent à son fermier pour payer sa taxe d'office2 »; d'autres,
en Normandie, couvraient leurs receveurs par des procurations
en forme : « On est sy habile en cette province, écrit Leblanc,
pour s'exempter de la taille, qu'il n'y a plus présentement de
receveurs ny de fermiers, mais des gens qui agissent en vertu
de procurations... Sy les receveurs, sous prétexte qu'ils ne font
rien valloir par leurs mains, estoient exempts de taille, le recou-
vrement ne se pourroit faire3. » Les gentilshommes, officiers et
bourgeois, dit pareillement de Bouville 1683, « veulent obliger
les collecteurs de ne taxer que médiocrement leurs fermiers...;
ilz prétendent la preferance sur les fruitz comme propriétaires,
et mesme comme ayant preste de quoy ensemancer, et ils justif-
fient que les bestiaux leur appartiennent, ainsy les pauvres
collecteurs ne trouvent rien sur quoy asseoir une exécution, et
par ce moyen ils se voient obligez de ne taxer lesdits fermiers
que trez médiocrement4 ».
Les intendants eux-mêmes ne jugeaient d'ailleurs pas tou-
jours opportun d'appliquer leurs règlements : « Dans le dépar-
tement, écrit Chamillart, de Bayeùx, le 29 novembre 1666, je
n'ay voulu taxer aucun fermier; au contraire j'ay tesmoigné
que l'intention du roy estoit de les soulager, pour oster tout
prétexte aux eclesiastiques et gentilshommes de faire valoir
leurs terres, ce qui les destournoit les uns et les autres de
s'attacher aux exercices convenables a leur profession, et rendoit
les taillables inutils et pauvres;... ce qui produit un si bon
effet, que tous les paysans reprennent courage, et les eclesias-
tiques et les gentilshommes commencent a leur donner leur
bien a ferme5 ».
Si l'on ajoute à ces motifs l'influence personnelle des exempts,
veur se rejetteroit sur le surplus de la paroisse, et principalement sur les
pauvres... Néanmoins ce gentilhomme ne croiroit pas faire un péché, et qu'en
cette rencontre, sauve qui peut, comme l'on dit. »
1. Ci-dessus, p. 152 et suiv. Voir encore une lettre de Louvois à l'évêque de
Mâcon, 2 août 1681, pour le remercier de la protection accordée à un de ses fer-
miers, Arch. de la guerre, 657, f° 32.
2. Let. de Golbert. 24 février 1683, Clein, VII, 280.
3. Let. du 31 janvier 1682, B. N. fr. 8761, f° 40, v°.
4. Mémoire du 1er sept. 1683, A. N. G' 71,
5. M. G. 142, f° 235. J'ai voulu, dit-il, « remédier a un mal gênerai que j'ay
trouvé presque dans toutes les eslections de cette généralité, dont les fermiers
avoient este jusques a présent accablez, ce qui estoit cause qu'il ne s'en trouvoit
plus, que les terres estoient mal ménagées, et les paroisses destituées de tailla-
bles en la personne desquels les deniers du roy fussent assurez ». Le sieur Pinet
signale pareille surcharge en Poitou : « les taux des fermiers et mestayers pas-
sent le prix qu'ils payent a leurs maistres » (M. G. 142, f° 197 : let. du
25 nov. 1666).
372 LA TAILLE EN NORMANDIE.
qui tiennent les paysans dans une dépendance étroite, et qui
savent obtenir pour les paroisses des faveurs au département
de la taille \ on comprendra comment leurs terres furent tou-
jours très peu imposées.
L'aventure qui arriva un jour au receveur de Pont-1'Evêque,
pour avoir voulu imposer un fermier du marquis de Silly, don-
nait à réfléchir à plus d'un : en 1670, l'intendant de Rouen
avait ordonné que le rôle des Authieux-sur-Calonne fût dressé
à l'Election de Pont-1'Evêque, en présence d'un élu et du rece-
veur; là on découvrit qu'un fermier de M. de Silly, payant plus
de 1500 1. de fermage2, ne payait que 32 1. de taille l'année
précédente; le collecteur porte-bourse proposant de l'imposer à
150 1., le receveur transigea en fixant sa cote à 50 1. A cette nou-
velle, le marquis adresse d'abord une lettre de menaces au rece-
veur, puis il vient le trouver chez le président de l'Election,
l'insulte, lui arrache sa perruque, et, le saisissant par le nez,
lui crie : « Monsieur le receveur des tailles, sy vous estiez
autre part que céans, je vous accommoderois comme il fault ».
Le receveur ayant crié : « Au secours, A l'aide du roy! » fut
délivré à temps 3; il s'en plaignit à Golbert, qui prescrivit une
enquête, « estant très important que, dans des occasions
pareilles, tout ce qu'il y a de gentilshommes dans la province
soyent persuadés que le rpy ne peut souffrir des actions de
cette nature* ». L'intendant déclara que M. de Silly lui avait
toujours paru un homme « fort sage », et que son geste était
surprenant5, et l'affaire en resta là.
Après Colbert comme avant, les seigneurs trouvèrent com-
mode d'accroître le produit do leurs baux en assurant une faible
imposition à leurs fermiers. Boisguilbert, dans ses lettres au
contrôleur général, donne plusieurs exemples empruntés à son
pays : les grands seigneurs, dit-il, « afferment avec leurs terres
une presque exemption de taille... M. de Villeroy se trouve dans
cette généralité à la tête de ceux de ce genre » ; Mme de Rothe-
lin a accablé de lettres l'intendant « pour 150 1. de taille que
son fermier payoit sur 6000 1. de recette6 ». Hier, au Neuf-
bourg, écrit-il le 31 décembre 1701, « par hasard je questionnai
un laboureur d'une paroisse voisine, comme je fais toujours :
il m'apprit que le fermier de M. de Vieuxpont, sur 2 500 1. de
1. Voir ci-de9sus, p. 150 et suiv.
2. Le procès-verbal porte : « possédant plus de 1500 1. de rentes ». Mais l'inter-
prétation ne paraît pus douteuse.
3. M. C. 155 fol. 324 et suiv.
4. Let. du 15 nov. 1670, Clém., II, 77.
5. M. C. 155 fol. 328.
6. Let. du 3 oct. 1700, dans De Boislisle, Correspondance, t, II, p. 526. Au dos
de la lettre, le contrôleur général a écrit : « Je voudrais qu'il pût persuader ce
qu'il m'écrit à tous les fermiers, mais il y a bien peu d'hommes qui se fassent
justice sur leur intérêt ».
L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 373
ferme payoit 15 1. de taille, et que cela ne me devoit pas sur-
prendre, attendu que c'étoit à peu près de même partout, à
l'égard des fermiers des gens de condition1 ». Dans un édit de
janvier 1713, le roi constate que, malgré tous les règlements
antérieurs, « les seigneurs des paroisses se sont servis de leur
autorité pour faire régler et cottiser leurs fermiers à des sommes
modiques, et souvent pour faire exploiter leurs terres par d'an-
ciens fermiers sous le titre de domestiques, qui sous ce prétexte
n'ont point été imposés à la taille 2 » ; et dans sa circulaire aux
intendants du 4 octobre 1715, le Régent dira : « Vous porterez
toute votre attention à prévenir et borner l'autorité que les
officiers des juridictions et les personnes puissantes exercent
sur les collecteurs, pour se procurer à eux ou à leurs fermiers
des cotes médiocres, et faire rejetter sur les autres habitans la
taille qu'ils devroient supporter; c'est de là que sont venues
les non-valeurs, la difficulté dans les recouvremens, les con-
traintes pour les solidités, la ruine enfin de plusieurs tailla-
bles 3 ».
Les influences perturbatrices qui intervenaient dans la con-
fection des rôles s'ajoutant à celles qui viciaient le département
entre les paroisses et entre les élections, on arrivait à de
grandes inégalités entre les cotes des contribuables. Pour juger
de ces inégalités, nous n'avons pas, on l'a vu, d'indications très
précises ni très sûres. Toutefois, les détails portés sur cer-
tains rôles nous permettent de nous faire une idée approxima-
tive de la fortune des contribuables, et nous devons au moins
relever les disproportions qu'ils font apparaître.
Voici le rôle d'une paroisse protégée, Saint-Saens (élection
de Neufchâtel), où Mme Colbert, sœur du ministre, est abbesse;
l'imposition, 3 090 livres, en 1670, est répartie entre 421 feux,
soit 7 1. 7 s. par feu, en moyenne4. On y lit :
1. Ibid., p. 527. Cf. Le Détail de la France, éd. 1707, I, p. 22. Vers le même
temps, Gauret considère ces protections comme si ordinaires, qu'il donne une
formule d'acte pour les réprimer (Stite du Conseil, p. 363).
2. C. d. T., II, 727.
3. Encyclopédie méthodique, partie Finances, t. III, p. 647. Auber écrit dans son
Mémoire, vers 1760, que « depuis peu d'années... plusieurs seigneurs de paroisses
dans la généralité de Rouen [ont] cessé d'accorder leur protection à leurs fermiers
pour faire modérer leurs cottes », (A. N. ADix, 470, pièce 98, p. 2) mais Loisel de
Boismare affirme, en 1789, que le désordre subsiste encore de son temps (Dict.,
I, 39). V. aussi la circulaire d'Orry en 1732, dans Marion, L'impôt sur le revenu, p. 6.
4. A. D. S. Inf., G 2692. Il y a en outre 4 ménages « occupant et non payant
taille audit lieu de Saint Saens », et 22 exempts, dont 14 ecclésiastiques,
(l'abbaye ne comptant que pour un feu), 3 officiers, un bourgeois de Dieppe et
un apotiquaire. Le seigneur du lieu fait valoir 60 acres de terre; le sieur de
Belleau, « soy disant noble, [est] propriétaire de la ferme de Bailly, la faisant
valloir par ses mains, consistant en masure, bois de haute fustaye, bois taillis
et terre en labeur faisant deux charues ». En 1665, la paroisse, comprenant
348 taillables (outre 77 pauvres) est imposée à 2760 1. {Mémoire de Voysin de la
Noiraye, p. 176).
374 LA TAILLE EN NORMANDIE.
Estienne Le Conte, fermier d'une maison et viron
30 acres de terre 30 1.
Jean Morisse, propriétaire de 5 acres de terre .... 27 1.
Estienne Varengues, propriétaire d'une maison et
masure et viron 3 acres de terre 71.
François Grouin, pauvre homme 5 s
François Gonfreville, laboureur, tenant a ferme viron
50 acres de terre par 500 1., ayant trois chevaux,
deux vaches, six cochons et quarante bestes à laine. 60 1.
Jean Bourgeois, chappellier, propriétaire d'une maison. 60 s.
Laurent Mallet, chappellier 5 s.
Marin Pinel, cordonnier, propriétaire d'une maison. . 100 s.
René Alexandre, tenant a ferme de M. de Saint Saens
pour 500 1. de fermage faisant une charue, a deux
vaches et trente moutons 39 1.
Les disproportions, entre ces cotes apparaissent nettement,
que l'on compare soit les prix de fermage, soit les propriétés,
soit les professions. Des différences beaucoup plus grandes
peuvent être constatées entre ces cotes elles-mêmes et celles
d'une autre paroisse proportionnellement beaucoup plus
imposée, telle Longmesnil ', appartenant à la même élection,
et payant 1 450 1. de taille (26 1. par feu) :
François Bourlay [et] sa femme, propriétaire d'unne
maison et viron 10 acres de terre, masure que labour,
tenant deux chevaux 190 1. 18 s.
Nicollas Lucas, propriétaire d'une maison, de viron
20 acres de terre, masure, erbage et labeur, tenant la
recepte de messieurs les chanoines de Rouen avec
20 acres de terre de ladite recepte par 1 000 1. par
an et autres fermages viron 4 acres de terre par 420 1.
par an et encore 3 acres par 40 1., faisant une charue
et tenant 28 vaches 256 1. 10 s.
Marin Langlois, marchand beurier, propriétaire d'une
maison et viron 15 acres de terre, erbage que labour,
tenant fermage de Nicollas Pinot viron 4 acres de
terre par 30 1., tenant 5 chevaux, 8 vaches et
3 génisses • 212 1.
François Normand laboureur, propriétaire d'une mai-
son et viron 8 acres de terre, masure que labeur, et
fermier du sieur de Haucourt viron 8 acres de terre
erbage et labour par 200 1. avec 3 acres d'un bour-
geoisde Rouen par 501., tenant 2 chevaux et2 vaches. 67 1. 13 s.
Pierre Gauttier le père, fermier du sieur de Frivelle (?)
conseiller au Parlement de Rouen, demeurant à
Gisors, et viron 20 acres de terre tant masure que
labour, par 450 1. par an, tenant 1 cheval et 8 vaches. 38 1. 2 s.
Louis Bourlay, n'ayant qu'une maison masure, tenant
2 vaches 25 1.
1. A. D. S. Inf. C, 2682.
L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 375
Hubert Bourlay, propriétaire d'une maison et viron
11 acres déterre, masure que labour, tenant 1 vache. 43 1. 10 s.
Nicollas Moine, propriétaire d'unne maison de viron
6 acres de terre, tant erbage que labeur, et fermier
des religieuses du Gler-Ruisel d'un traict de disme
par 100 1. par an, tenant 4 vaches 48 1.
Telle encore la paroisse du Val du Roi, toute voisine, où, la
même année, 16 contribuables payent 500 1. de taille * (moyenne :
31 1. 5 s. par feu) :
François Dubuc, propriétaire d'une maison, 10 acres
déterre 150 1.
François Belleguize, propriétaire d'une maison et de
une acre et demye de taire et une porsion de prerye
et une vache 63 1.
Anthoine Doutte ayant une petitte maison en propre et
une masure, environ 3 acres de terre, deux chevaux,
une vache a louage ; 47 1.
Pierre Follenye, mason, ayant une petite maison en
propre, un jardin, e deux acres de terre et une petit
porsion de pré 41 1. 10 s.
Robert Fournot, menouvrier, et sa mère, ayant une
petite maison et jardin en propre et une acre de
terre 16 1. 10 s.
Anthoine Fournot, jeune homme a marier, ayant une
petite maison et masure et viron une acre de terre
en propre 27 1. 10 s.
La veuve Jacquet Fournot, estant dans la paroisse de
Millebot, ayant charge, environ acre et demye de
bled 18 1.
François Lefebvre, locataire d'une petite maison ... 16 1.
La veuve Marin Garbonnet, ayant une chambre a louage
dans la paroisse de Villié 10 1.
En regard de ces chiffres on peut mettre les suivants,
empruntés au rôle du Bouillon, élection d'Alençon, pour 1673 :
la paroisse, comprenant 104 feux taillables, est imposée à 571 1.
(5 1. 9 s. par feu)2 :
René Ameslant, journalier, ne possède aucun héri-
tage ny bestiaux 20 s.
Benoist Pattier, journalier, possède une acre de terre
et une vache a ferme 11 1. 13 s. 6 d.
Jean Vesmain fils de Georges, journalier, possède
demye acre de terre et une vache a ferme .... 12 1.
La veuve Aubin Guisnet, ne possède aucuns herit-
tages ny bestiaux 10 s.
1. Aujourd'hui commune de Villy-le-Bas, à trois lieues au sud d'Eu. Ibid., 2629.
2. A. D. Orne, Election d'Alençon (série non classée).
37tJ LA TAILLE EN NOllMANDIE.
Paul Tellier, journalier, possède une acre de terre
sans bestiaux 10 1. 11 s. 6 d.
François Tresnel, journalier, ne possède aucuns
héritages 34 s. 6 d.
Nicolas Granger fils de François, laboureur avec une
charrue, deux bœufs, deux jumens et quatre vaches
et vingt brebis, fermier de la terre du Moutier
apartenant au sieur de Giberville Ferraoult au prix
de 550 1. par an; ne cognoissent lesdicts collec-
teurs la quantité d'acres de terre en quoy consiste
ladite ferme; possède de son chef une acre et
demye de terre a luy apartenant 14 1.
Pierre Granger, laboureur avec une charue, deux
bœufs, deux jumens, deux vaches et douze brebis,
fermier de la terre de Mommerie apartenant au
sieur de la Houssaye au prix de 230 1. par an; ne
cognoissent la quantité d'acres de terre en quoy
conciste ladite ferme; possède de son chef une acre
et demye de terre 15 1.
Mathias Jajolley, sans vacation, possédant quattre
acres de terre, une vache et une jument 26 1.
La paroisse de La Bellière, imposée à 820 1. en 1670, ne
comprend que 25 contribuables (moyenne d'impôt pour chacun :
32 1. 16 s.). L'un d'eux1, à lui seul, porte plus du quart de
l'impôt : 215 1.; nous ignorons ses ressources, mais nous
savons qu'il n'était pas domicilié dans la paroisse : il est
possible qu'il ait été, pour ce motif, surchargé 2. Voici les cotes
de quelques autres :
Nicolas Purot, propriétaire d'une maison, masure,
viron acre et demie de terre, fermier pour viron
50 1. de fermage, deux chevaux, deux vaches. . . 39 1. 19 s. 6 d.
François De la Mare, propriétaire d'une maison,
masure, et une acre de près qu'il baille a ferme a
Monsieur Lavandier pour viron 50 1. de fermage
et fermier du sieur" pour 500 1. de fer-
mage; a dix vaches 25 1. 12 s. 6 d.
Laurens Louvet, propriétaire d'une maison, masure
contenant trois acres de terre ou viron, fermier du
sieur de Pommereux pour 100 1., qu'il a quitté. . 26 1. 12 s. 6 d.
Anthoine Roussel et François son fils, propriétaires
d'une maison contenant viron demye acre de terre. 26 1. 13 s.
Edouard Maisné, propriétaire dune maison, masure
et deux acres de labeur, deux vaches 26 1. 13 s.
1. « Sebastien Houel et Sebastien son fils, demeurant à la Ferté-en-Brnv, 215 1.
16' 6d. . "
2. Rôle de la paroisse, 1670, ibid., 2675. Bellière est situé à une bonne lieue de
Forges-les-Eaux.
3. Nom en blanc sur l'original.
L INEGALITE DANS L ASSIETTE. 377
Nicolas de Bailly, propriétaire d'une maison, masure
contenant trois acres, trois vaches 14 1. 4 s.
La veuve Anthoine Purot, occupe une chambre. . . 5 1. 2 s. 6 d.
Ces exemples, que l'on pourrait multiplier1, ne peuvent
assurément pas nous donner une idée complète de la façon
dont l'assiette était faite ; les rôles où la fortune de chacun est
indiquée avec autant de détails sont d'ailleurs en petit nombre.
D'autre part, nous n'avons aucune garantie sur l'exactitude de
ces mentions : rien n'était plus facile pour un collecteur que
de dissimuler les facultés d'un taillable pour le sous-imposer,
ou d'amplifier celles d'un ennemi pour le surcharger. Il est
fort probable que les inégalités les plus criantes étaient cachées
de la sorte, pour éviter l'intervention d'un élu bien intentionné
ou de l'intendant.
Du moins on peut se faire une idée approximative de « l'arbi-
traire » de l'imposition. La proportionnalité la plus simple,
celle qui serait calculée d'après le prix des fermages ou l'étendue
des exploitations n'est pas observée dans une même paroisse,
ni d'une paroisse a la voisine; la seule constatation générale à
peu près certaine que nous puissions faire, c'est que partout
les pauvres sont surchargés et les riches soulagés.
1. Des rôles relatifs à l'élection de Neufchâtel ont été publiés par Mali-
corne, L'agriculture dans le /mus de Bray, II0 part. p. 114 et suiv., avec l'indica-
tion des exploitations. On y voit nettement la disproportion entre la taille et les
prix de fermages : deux fermiers de M. de Mailly, à Haucourt, payant l'un 6001.
et l'autre 300 1. de fermage, sont imposés tous deux à 20 1.; ua autre habitant de
la paroisse paye 13 1. 2 s. pour un fermage de 150 1. ; un autre 10 1. 2 s. pour un
fermage de 80 1., etc. A Mesnières, en 1696, on note les rapports suivants entre
les fermages et la taille :
FERMAGE TAILLE
Veuve Planchon 1 000 1. 119 1.
Antoine Vanet 500 105
Jean Vanet 500 74
Robert Cartier 300 57
Henri Lecbevalier 300 îHO
Jean Hébert 150 49
Jean Tranchepain 150 47
Michel Decorde . . . . 100 30
Etienne Fournier 100 29
Nicolas Boucher 100 29
On voit que la proportion est beaucoup plus faible pour les gros fermiers que
pour les petits; pour tous on dépasse la proportion de 10 p. 100 indiquée par les
intendants (ci-dessus, p. 322). Boisguilbert a relevé cette disproportion : « Il n'est
point rare, dit-il, de voir dans une même paroisse une recette [= ferme] de
trois à quatre mille livres de rentes ne contribuer que pour 10 ou 12 écus à la
taille, pendant qu'un autre, qui ne tient que pour trois ou quatre cens livres de
fermage, en paiera cent pour sa part » {Détail de la Fiance, éd. 1707, t. I, p. 19).
378 LA TAILLE» EN NORMANDIE.
VII. — LA REDACTION DES ROLES
La fréquence des illettrés ' avait, de très bonne heure, fait
chercher le moyen d'assurer sans les collecteurs la confection
des rôles. Un édit de septembre 1575 avait créé en chaque
paroisse un greffier des tailles c pour tenir registre, dresser et
écrire sous les asséeurs les rôles de tous les deniers qui se
lèvent par forme de taille2 ». Mais le roi, par cette mesure, ne
cherchait pas uniquement le bien des contribuables : les nou-
veaux emplois étaient érigés en titre d'offices, et mis en vente
au profit du Trésor. Une partie furent rachetés par les paroisses3
et en 1597 les autres furent supprimés « à cause des abus que
ces greffiers commettaient dans la fonction de leur charge,
trompant les asséeurs et collecteurs* ». Mais la déclaration de
mars 1600 nous apprend qu'à cette date la suppression n'est
f>as encore achevée, et que les collecteurs se plaignent « que
es greffiers des tailles ne suivent ce qu'ils ordonnent, mais
augmentent ou diminuent les cottes des habitants comme bon
leur semble, en quoi il est aisé de les tromper a cause que la
plupart d'entr'eux ne scait lire ni écrire5 ». En novembre 1616,
nouvelle création d'officiers pour rédiger les rôles, sous le nom
de commissaires des tailles 6, et nouvelle suppression peu de
temps après, sur les plaintes des contribuables 7. Au mois
d'août 1632 on les ressuscite avec le titre de contrôleurs des
tailles, jouissant d'une rétribution de 1 sou par livre (5 pour 100)
du montant de l'impôt8. Ils sont à nouveau supprimés, puis
rétablis en décembre 1654 avec le nom de directeurs des tailles,
ayant charge de « faire conjointement avec les collecteurs des
tailles desdites parroisses et de leurs avis les roolles d'icelles,
iceux vérifier incontinent après la confection »; ils ont pour
gages un droit de 6 d. par 1. (2,5 p. 100) sur l'impôt, et l'exemp-
1. Cf. ci-dcssns, p. 178.
2. Mém. Alphab., p. 343. cf. Encyclopédie méthodique. Finances, art. Greffier des
tailles; B. N. fr. 11 04S, f 47, et Hunger, Histoire de Verson, p. 272-73.
3. Edit de mars 1580, cité dans Hunger, Histoire de Verson, p. 273. n.
4. Mém. Alphab., p. 333.
5. Art. 18. Voulons, ajoute le roi, « qu'il soit loisible aux asséeurs de commettre
en l'année de leur charge telle personne idoine que bon leur semblera pour faire
le dit exercice, moyennant que les dits greffiers soient payez des droits qui leur
sont attribuez par ledit de leur création ».
6. Mem. Alphab., p. 343.
/. • Nous continuerons incessamment nos plaintes, disent les Etats de Normandie
en 1620, contre les commissaires des tailles jusque à ce que ils ayent esté entiè-
rement supprimez », et le roi n'a d'autre réponse à leur faire sinon que ces offices
• ayans esté vendus pour subvenir à la nécessité des affaires du roy, S. M. ne les
peult supprimer ». Art. 8 du Cahier dans de Beaurepaire, Cahiers des États,
règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. II, p. 7-8.
8. A. D. Calv., Election de Caen, Registre d'ordonnances, imprimé.
LA REDACTION DES ROLES. 379
tion de taille l. En avril 1658, enfin, nouvelle création d'un
office héréditaire de commissaire à faire les rôles dans chaque
paroisse, lequel est mis en adjudication et attribué « au plus
offrant et dernier enchérisseur, à l'extinction de la chandelle » ;
l'acquéreur, qui était libre de l'exercer lui-même ou de l'a affer-
mer à personne capable2 », fut, pour tout le ressort de la Cour
des Aides de Rouen, Me Pierre Domergues bourgeois de Paris3.
On en était là de ces perpétuelles créations et suppressions
d'offices, toutes onéreuses aux taillables, lorsque Colbert fut
appelé au Conseil des finances. Il était résolu à abandonner
cette pratique, et dès la fin de 1661 il en signalait l'urgence au
roi4. Nous ignorons comment l'opération, entreprise sans retard,
fut conduite, mais à partir de 1663 on ne trouve plus trace de
ces officiers dans les paroisses normandes, et jusqu'à la fin du
ministère les collecteurs demeureront libres de faire écrire
leurs rôles par qui bon leur semblera5.
Dans leurs mandements, les intendants rappellent toujours
aux collecteurs qu'ils ont cette liberté. Dans quelle mesure les
collecteurs ont-ils pu en jouir? Il est difficile de le préciser. Les
personnages puissants, coqs de paroisses, officiers et autres qui
intervenaient dans l'assiette pouvaient aisément faire choisir des
scribes à leur convenance 6. Les rôles qui nous sont parvenus
ont été pour la plupart rédigés par des praticiens; on a vu plus
haut qu'« ordinairement » les collecteurs se transportaient à cet
effet dans la ville chef-lieu de l'élection 7 ; nous avons même un
1. C. d. T., t. I. p. 453-4.
2. A. D. Calvados, élection de Caen, Registre d'ordonnances, affiche imprimée
du 11 mars 1660.
3. Arrêt du Conseil du 25 févr. 1661, ibid. L'édit d'août 1661 mentionne aussi
les droits dus aux commissaires des tailles (C. d. T., I, p. 496).
4. Clém., t. VII, p. 192.
5. Un édit de janvier 1702 créera à nouveau des commissaires des tailles pour
rédiger les rôles. Cette liberté, du reste, est conforme au règlement de janvier 1634,
art. 47, qui autorise la présence à l'assemblée du « premier notaire, sergent ou
autre personne qu'ils [les collecteurs] voudront choisir pour écrire lesdites taxes » ;
le principe de liberté des collecteurs est pareillement proclamé par la Cour des
Aides de Paris dans un arrêt du 7 octobre 1678; on a, dit l'arrêt, « toujours laissé
les collecteurs dans la liberté de prendre qui bon leur sembleroit pour la confec-
tion de leurs rolles, fors des huissiers, receveurs ou autres préposez à la réception
des tailles ». C. d. T., t. II, p. 142. L'ordonnance des fermes de 1680, art. 8, auto-
rise pareillement les collecteurs du sel à faire rédiger leurs rôles par qui bon
leur semblera. Un arrêt de la Cour des Aides de Paris du 22 février 1687 fera
défense à quiconque d'obliger les collecteurs à se servir de tel ou tel scribe contre
leur gré. (B. N. fr. 21 419).
6. On a des exemples d'entraves à la liberté des collecteurs hors de Normandie.
L'intendant de Bourges écrit à Colbert le 9 août 1680 : « J'ay connu que les offi-
ciers de quelques eslections contraignent tous les collecteurs de faire dresser
leurs roolles par leur greffier, et ils refusent de les vérifier lorsqu'ils sont dressés
par d'autres,... et la taxe que ce greffier prend est plus considérable que dans
les autres eslections. » (A. N. G1 124). Dans un mémoire sur la généralité de
Paris en 1684, l'intendant signale comme une particularité de l'élection de Dreux
que les huissiers n'y obligent pas les collecteurs à « se servir d'eux pour faire
leur rôle ». (de Boislisle, Mémoire de l'intendant de Paris, p. 706.)
7. Ci-dessus, p. 313.
fcM LA TAILLE KN NORMANDIE.
rôle où le rédacteur se nomme : « ce présent rolle fait par moy,
procureur soussigné1 »; mais ce cas est unique. Il est extrême-
ment rare qu'un rôle, à en juger du moins par la comparaison
de l'écriture et des signatures, soit de la main d'un collecteur.
Souvent les rôles de toute une élection sont écrits de la même
main, et pendant plusieurs années de suite : il y avait donc des
scribes attitrés auxquels les collecteurs s'adressaient habituelle-
ment. Etait-ce par nécessité ou par convenance? Il est difficile
de le savoir.
Les rôles doivent être dressés, suivant les règlements, en
double exemplaire, l'un étant laissé entre les mains des collec-
teurs, ce sera le « cueilloir », et l'autre déposé au greffe de l'élec-
tion ', Mais en Normandie il est d'usage de rédiger un troisième
exemplaire, destiné au receveur des tailles. Les mandements des
intendants le rappellent dans les trois généralités, et même,
en 1680, l'intendant de Caen exige une quatrième copie pour
ses propres bureaux; elle devra lui être adressée dans le délai
de huit jours après la vérification, sous peine de 10 1. d'amende;
mais l'année suivante il ne renouvelle pas ses exigences*.
Les rôles sont écrits sur du papier ordinaire; l'ordonnance
de juin 1680, établissant le papier timbré, n'oblige pas les
collecteurs à employer ce papier *.
La forme des rôles est a peu près partout la même. En tète
est un préambule indiquant la somme à lever sur la paroisse,
l'ordonnance en vertu de laquelle elle est levée et les noms des
collecteurs. Voici par exemple le préambule d'un rôle de 1683 :
« Assiette de la somme de 482 1. 15 s. 6 d. sur les contribuables aux
tailles de la parroisse de La Cressonnière, eslection de Lisieux, pour
leur part de ce que porte ladite eslection année prochaine 1683; en
laquelle somme est comprise celle de 11 1. 15 s. 6 d. pour le droit de
collecte attribué aux collecteurs, suivant le mandement envoyé ausdits
habitans en datte du 13e octobre dernier, ladite estant faite par Henry
Delamare, Nicolas Verrier et André Launay asséeurs collecteurs, ainsy
qu'il ensuit8... »
1. Rôle de Troismont. pour 1671. Le rôle de l'année suivante porte la même
indication. A. D. Calvados, Election de Caen, liasse de rôles.
2. Ordonnance de janvier 1629, art. 345.
S. Mandement aux paroisses du 1" octobre 1680, A. D. Calvados, Election de
Caen. Dans le ressort de la Cour des Aides de Paris on n'exigea jamais plus de
deux exemplaires : en 1677, les élus de Langres en ayant exigé un troisième pour
le commissaire qui vérifierait les rôles, la Cour par son arrêt du 7 octobre 1678
cassa la sentence de l'élection et prescrivit de ne faire que deux copies confor-
mément aux ordonnances (C. d. T., t. II, p. 141-153).
4. La tendance des administrateurs était de faire employer le plus possible le
Jupier timbré : De Creil écrit de Uouen le 30 octobre 1672 que dans toutes les
lections et notamment dans celle d'Arqués, les collecteurs se plaignent des
greffiers qui exigent le parchemin pour les sentences et les antres actes concer-
nant les tailles; il a rendu plusieurs ordonnances qui sont inefficaces, il demande
un arrêt du conseil pour toutes les provinces. (M. C, 162, f° 185.) Au temps de
Labarre, les rôles devaient être écrits sur parchemin.
5. A. D. Calv., Election de Lisieux.
LA KEDACTION DES HOLES. 381
Ensuite vient la liste des contribuables rangés soit par ordre
alphabétique S soit simplement suivant un ordre traditionnel;
dans ce dernier cas, on retranche du rôle de l'année précédente
les contribuables disparus, et on inscrit les nouveaux à la suite
des anciens. Tantôt les « oboles », c'est-à-dire les contribuables
pauvres, qui sont imposés pour mémoire à une obole ou à un
denier, sont rangés séparément a la fin du rôle, tantôt ils sont
confondus avec les autres. Parfois, les contribuables sont rangés
suivant l'importance de leurs cotes, en commençant par les plus
hautes. Ensuite viennent, séparément, les exempts, puis une
formule finale contenant d'ordinaire simplement la date du rôle :
« Ladite assiette faite et arestée par lesdits collecteurs devant
nomez, à Lisieux, ce 2 décembre 1683 ». Puis viennent les
signatures des collecteurs; ceux qui ne savent signer font une
marque (en dialecte normand un merc) et un de leurs collègues
plus lettré, ou le rédacteur du rôle, indique à côté leur nom :
« Merc de N. » A la suite du tout est portée la formule de
vérification du rôle par un élu avec la signature de celui-ci.
Chaque feu tailiable doit être inscrit séparément sous le nom
du chef de ménage; il est défendu d'inscrire ensemble sous une
même cote plusieurs taillables, par exemple un père et son fils
faisant valoir des biens chacun pour son compte.
Avant 1662, l'impôt de chaque tailiable était subdivisé en
trois articles : un pour le principal de la taille, un pour la
seconde partie de la taille et le troisième pour le taillon et la
subsistance des gens de guerre. Une des premières réformes de
Colbert fut de supprimer cette distinction entre les trois impôts
qui allongeait et compliquait inutilement les rôles et permet-
tait des fraudes; les collecteurs reçurent l'ordre d'imposer
chacun « en une seule ligne », et à partir de 1663 on ne trouve
plus de rôles où la cote de chaque contribuable soit subdi-
visée 2.
Chaque chef de famille doit être inscrit sous ses nom et pré-
noms3. On doit en outre ajouter sa qualité ou profession, et,
s'il y a lieu, la nature et l'étendue de son exploitation. On a vu
plus haut l'importance de ces mentions pour l'assiette de la
taille 4. Les intendants firent des efforts pour que cette prescrip-
tion réglementaire fût observée par les rédacteurs des rôles.
1. Souvent ils sont rangés suivant l'ordre alphabétique des prénoms, usage
assez fréquent au xvii0 et au xvme siècles. Cf. Martin, Etrennes financières,
Paris, 17S9, p. 62 : « le paiement des rentes [sur l'Hôtel de ville] se fait suivant
l'ordre alphabétique du premier nom de baptême des rentiers ».
2. Dans le préambule de tous les rôles de l'élection de Neufchâtel-en-Bray pour
1670, il est mentionné que la cote du contribuable est « imposée en une seule
ligne ». (A. D. S.-Inf. C 2694).
3. La Poix de Fréminville, Traité des Communautés d'Habitants, p. 233 et sui-
vantes, indique les différents règlements.
4. Ci-dessus, p. 320.
382 LA TAILLE BN NORMANDIE.
Celui de Rouen en 1672 écrivait dans son mandement aux
paroisses :
« Lesdits collecteurs emploieront sommairement les noms, sur-
noms et qualitez des taillables, les biens qu'ils occupent soit en pro-
priété ou à ferme, le prix des fermages avec le nom et la qualité de
ceux auxquels les terres appartiennent... [Nous faisons] deûense aux
officiers des Eslections de rendre le rôle exécutoire si le contenu
ci-dessus n'y est spécifié, à peine de répondre en leurs propres et
privez noms des non-valeurs des paroisses l, »
Lorsqu'on examine les rôles qui nous ont été conservés, on
en trouve quelques-uns où ces prescriptions sont suivies; tels
notamment ceux de l'élection de Neufchâtel en 1670 2.
Certains rôles portent le prix des fermages, distinguent les fer-
miers « à prix d'argent » et les métayers, les bestiaux possédés
« en propre » de ceux tenus à cheptel, etc — Mais il s'en faut
de beaucoup que cette pratique soit générale. Le plus fréquem-
ment, la profession seule est indiquée d'un mot vague comme :
journalier, laboureur, cordonnier, mendiant ou « pauvre homme ».
Souvent même, les noms seuls sont inscrits. Les intendants
n'arrivèrent pas à faire respecter complètement leurs ordres sur
ce point. Celui de Rouen écrit à Colbert le 2 novembre 1670 :
« Depuis deux ou trois ans, affin de pouvoir faire lesdites imposi-
tions [des tailles] avec plus d'égalité, j'avois fait insérer un article
dans les mandemens que les collecteurs comprendroient dans la ligne
de chaque taillable ses occupations, soit en propriété, soit à titre de
ferme, le nombre et la qualité de ses bestiaux, mais cela s'observe si
mal, que dans la suite je n'en ay pas tiré toutes les lumières que j'en
espérois 3. »
Celui de Caen note dans son mémoire du 15 août 1680 que
les collecteurs d'ordinaire ne spécifient pas la quantité de terre
cultivée par les taillables et n'indiquent que la profession, « en
sorte que par l'examen d'un rolle on n'y peut pas connoistre
si la taille est bien ou mal régalée », et il n'y voit d'autre remède
que l'établissement d'une sorte de cadastre en chaque paroisse*.
Après 1683, différents règlements rappelleront les collecteurs
à leur devoir; ce sera pour constater chaque fois l'échec des
tentatives antérieures5. Dans le recueil écrit pour l'intendant
1. A. D. S.-Inf. C 221..
2. Voir les citations extraites de ces rôles, ci-dessus, p. 374. Il faut noter que,
pour les contribuables qui ne sont pas cultivateurs, on ne trouve jamais d'indi-
cations relatives à leur fortune.
3. M. C, 155, f° 324. >
4. A. N., Gi 213. Voir ci-dessus, p. 321.
5. Cf. notamment l'arrêt du conseil du 28 février 1688, qui, après avoir prescrit
aux collecteurs d'indiquer les biens cultivés par chacun, leur ordonne d'envoyer
aux intendants des états certifiés et signés des curés des paroisses, contenant
LA REDACTION DES ROLES. 383
Orsay vers 1690, on lit que les collecteurs « ne marquent pas
le plus souvent les proffessions, vaccations ny les exploitations
des contribuables, ou autrement ils les déguisent, qualifiant un
laboureur journalier ou manouvrier, un laboureur qui a deux
charrues, ils ne le marquent que pour demie charrue, un offi-
cier, un avocat, un procureur qui fait valloir son bien ils luy
donnent la qualité de laboureur, et quelques fois ils ne com-
prennent pas les exempts et les privilégiez au bas des rolles,
comme ils y sont obligés1. » Thouret déclarera dans son rapport
à l'Assemblée provinciale de Haute-Normandie, le 20 novem-
bre 1787, qu' « il n'y a point de rôle dans la généralité qui soit
exactement conforme » aux règles sur l'inscription des qualités
et occupations de chacun 2.
En outre des taillables, on doit inscrire tous les exempts
demeurant dans la paroisse avec le titre de leur exemption, en
sorte qu'il n'y ait dans la localité, suivant l'expression d'un
mandement de l'intendant de Caen, « personne, de quelle que
qualité et condition qu'ils puissent estre, demeurant ou jouis-
sant d'héritages en [la] paroisse, qui ne soit compris dans les
rôles3 ». On a vu, au chapitre des Exempts, l'utilité de la
mesure, et les difficultés de son application. Les mandements
des intendants la rappelaient périodiquement, établissaient
même des amendes à l'encontre des collecteurs fautifs *, mais
sans grands résultats. Il leur eût fallu, pour aboutir, la colla-
boration active et bienveillante des élus, qui leur faisait défaut3.
VIII. — LA VERIFICATION DES ROLES
Lorsque le rôle est rédigé, les collecteurs doivent le faire
« vérifier » ou « contrôler » par l'Election dans le délai de huit
« les noms de tous les possesseurs des héritages qui composent le terroir de cha-
cune paroisse, soit terres, prey, bois, vignes ou herbages et montagnes, la quan-
tité que chacun en possède, les différentes qualités des terres, les exempts et
privilégiés, et les domicilies en autres paroisses qui en font valoir par leurs
mains, combien et de quelle nature et qualité, et les héritages appartenans à
chacune communauté, le tout suivant les modèles qui leur seront envoyés par
les intendans ». (B. N. fr. 21419, p. 120.)
1. B. N. fr. 11 096, f° 37.
2. Procès-verbal de l'assemblée, p. 86.
3. Mandement aux paroisses, 1678, A. D. Calv., Election de Caen.
4. Dans leurs mandements annuels les intendants recommandent toujours
d'inscrire au rôle dans un chapitre séparé • les noms et qualitez des exempts de
vostre paroisse soit ecclésiastiques, gentilshommes et autres, avec mention des
terres qu'ils font valoir en vostredite paroisse et de la quantité d'acres dont les-
dites fermes sont composées, et si elles sont unies ensemble et l'ont toujours esté ».
Mandement de l'intendant de Rouen en 1672, A. D. S.-Inf. G, 2215.
5. Toutefois, en Normandie, l'inexécution des règlements sur ce point n'était
pas aussi fréquemment déplorée par les intendants que dans le reste de la France.
L'intendant de Ghâlons écrit à ColbeK le 20 janvier 1667 : « Généralement parlant
je ne vois pas que dans toute la Champagne on soit fort exact à faire mention
384 LA TAILLE KX NOHMAXDIE.
jours. « Cette vérification est nécessaire pour deux raisons :
la première parce que les collecteurs peuvent exécuter en vertu
du rôle seul; ce doit donc être un acte judiciaire, car dans les
saisies ordinaires ce n'est qu'en vertu d'une condamnation judi-
ciaire qu'on peut exécuter; le privilège des deniers royaux fait
qu'on dispense les collecteurs de cette obligation qui les entraî-
nerait dans de grands frais, et la vérification y supplée. Secon-
dement, cette vérification se fait pour connoistre si les collec-
teurs ne lèvent pas sur les sujets du roy plus grande somme que
celle portée sur les mandements1. »
La vérification est faite habituellement par l'élu qui a fait
ses chevauchées dans la paroisse 2. Elle est attestée par l'ins-
cription au bas du rôle d'un visa dont la formule est variable, et
dans le paraphement de chaque feuillet1.
Anciennement les élus avaient le droit de réformer les rôles,
c'est-à-dire de faire modifier les cotes qui ne leur paraissaient
pas justes. Le règlement de janvier 1634 (art. 44) le leur con-
servait encore, mais on reconnut qu'ils en profitaient pour
favoriser leurs parents et amis au détriment de leurs ennemis;
l'aveu en est fait sans difficultés par un d'entre eux : Si l'on fait
vérifier un rôle, dit Labarre, par un élu « qui, pour cause de
à la fin des roolles des nobles et des exempts qui sont dans la paroisse ». (Dep-
Eing, t. III, p. 171). Certainement la Normandie était sur ce point comme sur
eaucoup d'autres plus soigneusement administrée que les autres provinces.
1. Mémoire anonyme de 1688, B. N. fr. 21419, f* 185. Cf. les ordonnances de
1459, art. 32 (dans Corbin, avec commentaire, p. 966-7), et de 1504, art. 59
{ibid., p. 968) et J. Combes, Traité de* élection», f 32 : Si les rôles n'étaient
signés par un élu. « ils ne ferment point de foy et n'emporteroient aucune exécu-
tion, voire m es me s ils seroient nuls, suivant les ordonnances ».
2. Si les élus refusaient de vérifier le rôle, les collecteurs s'adresseraient à
l'intendant, mais ils ne doivent le faire que dans ce cas. Le subdélé^ué de l'inten-
dant n'a pas qualité pour faire la vérification, qui est < un jugement qui
emporte exécution et hypothèque ». (Vieuille, p. 134).
3. Règlement de janvier 1634, art. 38, in fine. Le règlement du 16 avril 1634
dit que les rôles seront vérifiés par les officiers qui auront assisté au départe-
ment et non par d'autres. (C. d. T., t. I, p. 307). Cf. l'arrêt du conseil du
du 6 novembre 1647 analysé, ibid.
Voici, à titre d'exemple, deux formules de vérification :
« Les ans et jours que dessus, le rolle du présent a esté rendu exécutoire
aux périls desdits collecteurs par Nous Jacques Costentin, conseiller du Roy,
président en ladite Election de Lisieux, après que iceux collecteurs ont affirmé
avoir employé dans le présent tous les exempts privilégiez estans demeurans
dans leur dite parroisse, et interpelles suivant l'ordonnance ». (Rôle de la paroisse
de Familly, Election de Lisieux, du 18 novembre 1682. A. D. Calvados, Election
de Lisieux.)
« Ce présent, contenant quatorze fœillets de papier escripts, cetuy compris,
ont esté nombres et paraphez en chacun d'iceux par nous, officier du Roy en
1 c-leclion d'Argentan snubsigne le vingt-troisiesme jour de janvier mil six cent
soixante deux (signé) : Le Molinet, (puis au-dessous) : Il est mandé au premier
huissier ou sergeant de ladite ellection d'Argentan contraindre par toutes voyes
deubes et raisonnables les redevables au présent reffusans de payer leur impost,
faire ouverture des maisons, portes, coffres et autres meubles ferraaiis à clef, et
la vendue des gros meubles importables sur les lieux pour éviter ù fraits, gar-
dant les ordonnances : et en cas de débat assigner les parties par devant nous.
Donne à Argentan le tresiesme jour de febvrier mil six cent soixante deux,
(signé :) Le Molinet », (rôle de Cuy, Collection de M. Bridrey).
LA VERIFICATION DES ROLES. 385
son particulier, de ses parens fermiers ou autres, leur aura
quelque interest », il « voudra ajouster es sommes, ou exigera
en sa signature : chose qu'on voit arriver tout les jours ». La
déclaration du 16 avril 1643, article 9, leur défendit de rien
changer dans les rôles ni d'en faire faire de nouveaux. Cet ordre
fut conservé par tous les règlements postérieurs1.
Mais cette défense réitérée ne supprima pas l'abus. En 1661,
les collecteurs du Tourneur déclarent au Bureau des finances de
Caen que les élus de Vire n'ont pas voulu vérifier leur rôle,
voulant « soulager et descharger a leur discrétion les plus
riches et aisez », et le Bureau doit rendre une ordonnance pour
contraindre ces élus 2. Dans un mémoire sur la réformation de
la justice, le conseiller d'Etat de la Marguerie écrit en sep-
tembre 1665 :
« Les esleus font leur capital de la vérification des rooles des tailles
qu'ils doivent faire suivant les règlemens, les gardent tant qu'il leur
plaist, pour, moyennant quelque sordide récompense, les altérer et
les changer, ainsy il leur faut ordonner de les rapporter au greffe de
l'eslection dans un certain temps, et qu'ils ne pourront vérifier les-
dits rooles es parroisses ou eux et leurs parens auront du bien 3. »
Un autre conseiller d'Etat demande à la même date qu'on
« interdise absolument aux eleuz la veriffication des roolles des
tailles, pour les grands abus qui se commettent4 ».
Un mémoire anonyme sur la taille dit en 1688 que les élus
« ne laissent pas dans quelques villes de s'estre maintenus »
dans le droit de modifier les rôles à leur guise 5. Mais ces
abus, qui étaient faciles à dissimuler, ne nous sont pas connus
par d'autres documents.
1. Cf. Règlements du 6 novembre 1647, 20 mars 1673, art. 8, 23 septembre 1681,
art. 10, etc., voir Mém. Alphab., p. 652-3, et Vieuille, Traité des élections,
p. 133-5.
2. A. D. Calv., Plumitif du Bureau, 11 mai 1661.
3. Glairamb. 613, fol. 305. Le 11 septembre 1663 Bacbelier et Cbertemps
écrivent de Châlons à Colbert : « Le plus grand abus que nous aions remarqué
dedans cette province est celui de la veriffication desdits rooles dedans lesquels
[les élus] comprennent souvent d'autres sommes que celles qui sont ordonnées
par la commission du roi, en font même des particuliers et extraordinaires de
leur autorité privée, et après qu'ils sont exécutés les suppriment pour en oster la
cognoissance, ce qui fait que l'on ne peut jamais cognoistre la force des levées
qui se font. » Ils proposent de créer un contrôleur qui conserverait par devers
lui une copie du rôle et tiendrait un registre des sommes imposées : il serait
choisi parmi les « personnes de probité » et recevrait « quelques appointements
qui seroient utilement employés » : toute lé^ée de deniers faite en dehors du rôle
ainsi contrôlé serait défendue sous peine de mort. Ainsi, disent-ils, on parvien-
drait à « la cognoissance de tout ce qui se leveroit dedans une généralité », ce
qui prouve que l'intendant ne savait pas les impôts levés réellement dans sa cir-
conscription. (M. G. 117, f° 63.)
4. Glairamb., 791, p. 64.
5. Encore en 1739, Vieuille réclame pour les élus le droit de faire dresser les
rôles en leur présence conformément à l'art. 44 de la déclaration de janvier 1634.
{Traité des Elections, p. 91.)
LA TAILLE EN NORMANDIE. -■'
Ml LA TAILLE EN NOHMAMUI..
Pour rendre plus difficile cette inttin— tiqn <I«s élns. il leur
était défendu de garder les rôles par devers eux pour les vérifier1 :
l'arrêt du Conseil du 16 novembre 1662, après avoir constaté
« que plusieurs officiers des élections, pour favoriser leurs
parens et amis qui s'exemptent indeuement de la taille ou se
font taxer à des sommes fort modiques, retiennent le double des
rôles après avoir vérifié ceux des collecteurs », leur défend de
garder ces rôles chez eux plus de huit jours avaant de. les
déposer aux greffes des Elections2. Cet arrêt fut du reste bientôt
méconnu3; Peschcur assure en 1665 qu'« en la pluspart des
eslections on ne controlle plus les rolles de taille4 », et l'année
suivante un arrêt du Conseil nous apprend que « nonobstant
plusieurs règlements et arrestz, aucuns officiers des Elections,
abusans du pouvoir de leurs charges, retiennent les doubles
des rooles des tailles qui leur sont portez lors de la vérification
d'iceux, au lieu de les mettre aux greffes où ils devroient estre
soigneusement gardez et mis en ordre5 ». Une pénalité est donc
prononcée contre ceux qui n'obéiront pas : elle est de 500 livres
1. Il est pareillement interdit aux greffiers des Élections de « s'entremettre
directement ou indirectement » dans la confection des rôles lors de la vérifica-
tion, sous peine d'interdiction et de 300 1. d'amende. (Mandement de l'intendant
Leblanc, 1676, B. N. fr. 8761b,,) f* 27).
-. A. D. Calvados, Election de Caen, liasse d'ordonnances.
3. Dès l'année suivante, Bachelier et Chertemps, dans leur lettre à Colbert du
11 septembre 1663 citée, écrivent que malgré l'arrêt qu'ils ont fait publier et
enregistrer dans toute la généralité, « plusieurs desdits officiers tant réservés que
supprimés n'y satisfont pus », et ils sont obligés d'interdire le paiement des
gages des élus, jusqu'à ce qu'ils aient déposé les rôles aux greffes. M. C, 117, f*63.
4. M. C. 33, f- 293.
5. Les abus dépassaient d'ailleurs quelquefois les bornes : par exemple en
février 1666 les collecteurs de la paroisse de Saint-Nicolas des Billanges, près de
Saumur, se plaignent que lorsqu ils ont présenté leurs rôles à contrôler à Maître
Guérin élu, « il voulut que les roolles fussent réformez et que tous ses parens et
amis fussent deschargez et que leur taxe fut jettée sur les plus pauvres de
la paroisse >; sur leur refus, il leur dit d'un ton menaçant « qu'ils
savoient bien ce qu'il leur avoit dit et qu'ils debvoient passer par ses mains,
et leur ayant arraché lesdits rolles il ne les voulut jamais rendre, au contraire
il les fit beaucoup maltraiter chez luy, fit prendre le dit Hervé [le plaignant] par
le collet, le fist traisner dans son jardin, luy disant : Voicy un coquin qu'il fault
mettre prisonnier parce qu'il veut entrer en trop grande cognoissance de
cause. Pendant toutte laquelle violance l'un d'eux alla chez Ernuult notaire
pour faire sommer ledit Guérin de controller leurs roolles ou de les leur
rendre pour lever la taille : Ce que ledit Ernault leur refusa de faire parce
que comme ledit Guérin est accoustumé de faire donner beaucoup de taille
à ceux qui luy desplaisent, il leur dit que s'il faisoit ladite sommation, il ne
manquerait pas de le surcharger de taille et de sel : et ayant requis divers autres
notaires et sergens de faire ladite sommation, pas un ne voulust s'en charger
par les raisons cy-dessus, dont ledit Guérin s'estant apperceu, il mena luy niesme
— après et
avoient
de
Saumur parce que ledit Guérin y est beaucoup craint, et qu'outre ce lesdits col-
lecteurs s'estaient plaintz qu'il prenoit de l'argent d'eux quoy qu'il soit detlendu
par la commission »..., les collecteurs demandent que l'intendant soit chargé
d'ouvrir une information, car ils n'ont pas « moyen de se pourvoir au conseil
pour soustenir une affaire de cette qualité contre ledit Guérin lequel estant puis-
sant en biens et en crédit leur fera abandonner le pays .. (M. C, 136, f°* 566-7.)
LA VERIFICATION DES ROLES. 387
d'amende *; mais le roi dut répéter sa défense dès l'année sui-
vante 2, et il lui donna encore une forme plus solennelle dans la
déclaration du 20 août 1673; cette fois, un double délai était
donné aux élus : pour la vérification du rôle, et pour le dépôt de
la copie au greffe.
« Défendons aux officiers des Elections, disait ce règlement, de
retenir les rôles faits par les collecteurs plus d'un jour pour les calculer
et les vérifier, à peine de payer leur séjour et de demeurer respon-
sables du retardement de nos deniers en leurs noms, sans que lesdits
officiers puissent changer aucune chose auxdits rôles, sauf à faire droit
sur les opositions des particuliers, ainsi qu'il est accoutumé, sans
retardation du paiement qui sera fait par provision. Enjoignons aux-
dits officiers des Elections qui auront vérifié lesdits rôles d'en
remettre, trois jours après, les minutes au grèfe à peine de radiation
de leurs gages et d'interdiction de leurs charges pour trois mois ».
Cette disposition fut légèrement modifiée par la déclaration
du 23 septembre 1681 (art. 10 et 11), qui fixait à « deux ou
trois jours » le délai de vérification.
La répétition des mêmes ordonnances par quatre fois en vingt
ans montre assez le cas qui en était fait4. Il nous est d'ailleurs
difficile de connaître, même par l'examen des rôles, l'étendue
de cet abus. Ainsi tous les rôles de l'élection de Lisieux en 1682
portent une formule de vérification commençant par ces mots :
« les an et jour que dessus le roolle du présent a esté rendu
exécuttoire... » ; ce qui ferait croire que le contrôle était fait
le même jour que le rôle; mais la formule correspond-elle bien
à la réalité? Nous n'en avons pas la preuve. Il était facile soit
aux élus soit aux rédacteurs des rôles d'inscrire des dates
fausses pour faire disparaître leurs contraventions au règlement,
et rien ne nous avertirait de cette fraude. Le 16 décembre 1683,
l'intendant de Rouen écrit au contrôleur général que le pré-
sident et un élu des Andelys « ont retenu des rooles des tailles
1. Arrêt du 16 août 1666, A. D. Calvados, Élection de Caen, registre d'ordon-
nances, 1664-7i, f° l'SS, imprimé.
2. Arrêt du conseil du 28 juillet 1667 : « Au mépris de plusieurs arrests et
règlements, aucuns officiers retiennent les roolles des tailles lorsque les collecteurs
des tailles les leur portent pour les vérifier, au lieu de les mettre aux greffes des
Elections... » Cette fois il est donné aux élus un délai d'un mois pour faire le
dépôt, et la peine prononcée est l'interdiction de leurs charges. Çlbid., f° 194,
imprimé.)
3. A partir de cette date, les intendants rappellent généralement la prescrip-
tion dans leurs mandements aux paroisses. Toutefois ils ne suivent pas toujours
les règlements, ainsi en 1678, l'intendant de Caen ordonne que les rôles soient
vérifiés « et à l'instant mis au greffe de l'élection » (A. D. Calvados, Election de
Caen), sans maintenir le délai réglementaire de trois jours.
4. Aux ordonnances il faudrait d'ailleurs ajouter les ordres adressés par Col-
bert aux intendants, par exemple à l'intendant de Tours les 7 novembre 1682 et
4 février 1683, Cléni., II, p. 215.
388 LA TAILLE EN NORMANDIE.
plus de huit jours, quoyque l'ordonnance ne leur permette de les
retenir que trois jours, ne voulant point les rendre exequtoires
que l'on n'en eust osté leurs fermiers, et lorsque je les ay
mandés, ajoute-t-il, ils n'ont peu me rendre aucune raison de
leur conduitte », mais il s'est contenté de les forcer à vérifier le
rôle, sans prendre contre eux aucune mesure disciplinaire1.
L'édit de mars 1600 (art. 8) attribuait aux greffiers des élec-
tions un droit de 2 s. 6 d. pour la vérification de chaque rôle,
mais le procureur du roi à la Cour des aides de Rouen avait
fait observer que, dans le ressort de la Cour, les greffiers
n'avaient pas l'usage de prendre un salaire pour ce travail, et
le roi avait rapporté l'article, en interdisant aux greffiers de
percevoir aucun droit « à peine de concussion 2. » Parmi les
expédients fiscaux qui furent imaginés au temps de Mazarin se
trouve un droit de 10 s. par vérification de rôle attribué aux
élus. Le Trésor en retira quelque argent (le nombre des rôles,
c'est-à-dire des paroisses, était de 4447 pour la Normandie),
mais les Etats de la province joignirent leurs protestations à
celles des élus 3, et le droit fut aboli en 1660. Quoiqu'il n'eût
jamais été rétabli, il semble que partout les élus continuèrent
à se faire payer la vérification. L'intendant de Rouen écrit à
Colbert le 2 juillet 1682 que « dans presque toutes les eslections
on prend... 30 s. pour signature de rolle »; il interdit cette
exaction, et demande au ministre « d'en mettre un article dans
le règlement des tailles* » que l'on prépare, pour donner plus de
poids à son ordonnance; mais le règlement du 16 février 1683
ne lui donna pas satisfaction. Le z8 novembre 1683 il écrit
encore que le greffier de l'élection de Rouen force les collecteurs
à « prendre audit greffe un scellé a chacun de leur dit rolle de
taille pour lequel il a exigé de chacun d'eux cinq sols5 ».
Lorsque le rôle est vérifié, il devient exécutoire sans réserves,
et les collecteurs ne peuvent y introduire aucune modification
pour quelque motif que ce soit. Si des erreurs ou omissions ont
été faites, il faut un jugement en forme pour les corriger; les
particuliers qui se pourvoient pour obtenir réduction ou décharge
de leur impôt doivent payer « par provision » la somme qui leur
a été d'abord attribuée ; les élus ni la Cour des aides ne peuvent
1. A. N. G^ 492.
2. Règlement» de Normandie, p. 52.
3. Les états de Normandie de février 1658 protestent contre cette « charge
entièrement extraordinaire et qui n'est establic par aucun édict ny porte aucune
destination » ; à quoi le roi répond : « L'attribution en ayant esté faite à des
officiers des Elections par édits vérifiez, S. M., n'y peut toucher ». (Art. 7 du
cahier dans de Beaurepaire, Cahiers, t. III, p. 133). 6n a tu plus haut (chap. n),
que les élus protestèrent également contre ce trafic.
4. B. N. fr. 8761, f 68.
6. A. N. G7 492.
LA VÉRIFICATION DES ROLES. 389
défendre d'exécuter les rôles « pour quelque cause que ce soit,
à peine de répondre en leurs propres et privez noms des
dépens, dommages et interests des collecteurs * ». Tel est l'esprit
de tous les règlements sur la matière. Les raisons en sont don-
nées par la déclaration du 11 août 1677 :
« Les deniers de nos tailles étant destinés aux principales dépenses
de notre Etat, il est nécessaire d'en faire faire l'imposition et la levée
le plus promptement que faire se peut, et a cet effet de faire cesser les
differens qui retardent les paiemens, par les procès qui arrivent sou-
vent, faute d'ajuger la provision aux collecteurs, qui n'ont pas le
moyen de faire des avances pour paier aux recettes des tailles les
sommes auxquelles les paroisses sont taxées 2 ».
L'application de cette règle n'allait pas sans difficultés. Si,
dans la suite, une somme attribuée à un contribuable lui était
remise par jugement régulier, il fallait la réimposer sur la
paroisse par un nouveau rôle, avec de nouveaux frais, ce qui
entraînait des inconvénients graves. En outre, les collecteurs
pouvaient s'en autoriser pour exercer leurs vengeances : ils
imposaient volontairement à des sommes excessives leurs
ennemis, les paroissiens qui les avaient fait élire, ou des pro-
priétaires forains, et pouvaient les forcer à payer par provision;
on en a vu un cas à Pont-1'Evêque 3. Ce dernier abus était cepen-
dant prévu par les règlements : la déclaration du 11 août 1677
portait : « Nous voulons qu'en cas que les juges connoissent
que les collecteurs aient commis malversation dans la confection
de leur rôle, sans l'aveu des habitans de leur paroisse, ils soient
condamnés en leurs propres et privés noms, sans aucun recours
contre la paroisse ». Mais comment reconnaître l'intention mal-
veillante et où trouver des juges pour prononcer une punition
équitable?
L'exécution des rôles par provision demeura une source de
fraudes. En mai 1676, Leblanc écrit que certains contribuables
de la généralité de Rouen, « sous prétexte d'exemptions et
arrests d'enregistrement d'icelles, se veullent dispenser de payer
la taille » à laquelle ils sont imposés4. L'année suivante, il
répète qu* « au préjudice des reglemens des tailles, arrests du
Conseil et nos ordonnances, les officiers de quelques eslections
de cette généralité donnent des surcéances d'executter les
roolles des tailles, ce qui retarde le recouvrement3 ». Dans les
dernières années de Colbert, on voulut « tenir la main exacte-
1. Règlement de janvier 1634, art. 52. Cf. la déclaration du 20 août 1673, art. 19.
2. Repris et précisé par l'arrêt du Conseil du 19 mars 1678; les mandements
des intendants rappellent généralement ces règles avec grand soin.
3. Ci-dessus, p. 357.
4. B. N. fr. 8 761bla, f° 5.
5. Ibid., i" 28.
390 LA TAILLE EN NORMAND II:.
ment a ce que les arrests du conseil fussent observez » ; voici
quel en fut le résultat, au rapport du successeur de Leblanc,
Marillac : « On a trouvé en plusieurs endroits des personnes
deschargées par plusieurs jugements rendus consécutivement,
d'année en année, confirmez mesme par des arrestz de la Cour
des aydes [et néanmoins] encor imposez par les collecteurs »;
on a fait rejeter ces sommes sur le reste de la paroisse, mais « le
collecteur qui a fait le roolle estant payé par provision est hors
d'affaire, ce n'est pas luy qui fait la collecte du rejet, c'est le
collecteur de l'année suivante, de sorte qu'ilz imposent hardi-
ment et injustement ». L' « infinité de rejets » que cela produit
« fait payer une double taille a grand nombre de taillables, qui
la pluspart s'en trouvent ruynez », et c'est « une des causes qui
a produit le mauvais estât ou se trouve la généralité de Rouen ».
Pour y remédier, l'intendant a imaginé des dispositions nou-
velles, mais il reconnaît lui-même qu'elles sont éludées par les
collecteurs1.
L'immutabilité des rôles, même pour des motifs légitimes,
est surtout nécessaire pour enlever aux collecteurs l'intention
de frauder. « Par sa vérification, dit Vieuille, le rôle devient un
acte public et sacré » ; le falsificateur s'expose donc aux rigueurs
de la loi, comme pour la falsification des commissions. La
déclaration de mars 1680 porte en ce cas des peines allant
jusqu'à la mort, suivant la gravité du crime5. Mais ces menaces
n'étaient pas toujours suffisantes pour retenir les collecteurs,
« gens de néant qui croient que la misère autorise tout ».
comme dit Boisguilbert. Divers procès intentés devant les
Elections nous donnent quelques exemples de l'abus en Nor-
mandie; l'intendant de Rouen signale, en 1682, un collecteur
de Honfleur qui « a changé les feuilles du rolle » après qu'il a
été arrêté '.
IX. — LES PAROISSES REFUSANT DE FAIRE
LEURS ROLES
Avant 1661, il arrivait que des paroisses refusaient de dresser
des rôles, dans l'espoir d'échapper à la taille, de même que
certaines refusaient de nommer des collecteurs : une ordonnance
de janvier 1597, visant particulièrement des paroisses de Nor-
mandie qui ne voulaient « prendre et recevoir lesdits mande-
ments qui leur sont envoiez ne faire élection de collecteurs ne
l'assis des sommes contenues esdits mandements » avait ordonné
1. Rapport de Marillac au Contr. eén., 5 oct. 16S4, A. N., G* 492.
2. Vieuille, p. 330.
3. Let. du 22 juin 1682, A. N. G" 491.
LES PAROISSES REFUSANT DE FAIRE LEURS ROLES. 391
des punitions particulièrement sévères contre les habitants
« comme rebelles et criminels de lèze-majesté ', et le délit était
assez commun pour que le président Labarre en fit un chapitre
particulier de son Formulaire, précisant la procédure à suivre
dans chaque cas particulier2. Une commission délivrée aux inten-
dants le 31 mars 1637 leur signalait encore des localités dont les
habitants « abbusant de la licence que la guerre introduit,
n'eslisent aucuns asseeurs ny collecteurs, et ne procèdent a
aucuns rôles ny assiettes desdites tailles, dont par ce moien la
levée ne peut être faicte, autant par malice que par im-
puissance 3 » ; ils avaient ordre d'épuiser tous les moyens de
contrainte pour faire payer ces paroisses tombées « en régale ».
Le cas, devenu plus rare après la paix, se rencontre encore à
notre époque4. En 1677 dans l'élection de Pont-de-T Arche, les
trois paroisses de Saint-Cyr-la-Campagne, Saint-Martin-la-Cor-
neille et Saint-Ouen-du-Poncheuil refusent de dresser leurs
rôles « soubs prétexte d'espérances qui. leur sont faictes par
quelque personne de crédit qu'ils les rendront en non-valleurs
et les exempteront de la taille, les retirant mesmcs dans leurs
maisons et recelant leurs meubles ». L'intendant Leblanc rend
une ordonnance le 22 mars enjoignant à ceux qui ont quitté ces
paroisses pour éviter les contraintes d'y revenir, et aux huissiers
de saisir tous les meubles qu'ils trouveront, sans autre forme
de procès, jusqu'à concurrence du montant de l'impôt 5.
Dans la même généralité en 1679, les habitants de Pont-
l'Evêque menacent de ne pas faire de rôle à cause des désordres
qui se produisent chaque année dans l'imposition par les
intrigues des coqs de paroisse6. La même année, l'intendant
signale 7 ou 8 paroisses de l'élection de Pont-Audemer qu'il
ne peut obliger à faire des rôles « quelles que diminutions que
je leur aye données », dit-il, et bien qu'il les ait autorisées
à « payer leur taille des précédentes années des revenans bons
des fourages 7 ».
Deux ans après, Leblanc trouve encore dans les prisons de
Dieppe deux misérables détenus parce que leurs paroisses
1. Règlements de Normandie, p. 28-29.
2. formulaire des Eslenz, p. 154.
3. Publ. par Barbier, dans les Me'm. de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 1902.
p. 611.
4. Cf. l'instruction aux intendants du 10 juillet 1643 : les commissaires départis
« se transporteront ou envoyeront leurs subdeleguez » dans les paroisses qui
refusent de faire les impositions, et les contraindront au besoin par la force à
nommer des collecteurs et à dresser leurs rôles (A. N. K 891, pièce 4).
5. B. N. fr. 8761"18, f° 32.
6. Leblanc à Golbert, 11 novembre 1679, A. N., G? 491.
7. Ibid. Leblanc veut dire qu'il avait autorisé ces paroisses à payer leur taille
avec les restes d'une imposition levée pour le fourrage des troupes : c'était une
de ces « compensations » entre différents impôts, qui étaient défendues par les
ordonnances.
191 LA TAILLE EN NORMANDIE.
« n'ont pas imposé1 ». Dans la généralité de Caen, la paroisse
de Saint-Paix, près de Caen, ne fait pas de rôle en 1680 2. Mais
ce ne sont plus que des faits isolés; ils n'ont pas grande
influence sur le recouvrement de l'impôt. L'autorité adminis-
trative est assez forte pour détruire ces tentatives d'insoumis-
sion, restes d'un autre âge.
1. Let. du 29 mai 1681, A. N. G^ 491.
2. A. D. Calvados, Bureau des Finances, procès-verbal des chevauchées de
M. de Bernières-Gavrus, trésorier général.
CHAPITRE VII
LA PERCEPTION
I. LES VILLES TARIFEES. II. QUI FAIT LA PERCEPTION DANS LES
PAROISSES? III. LA COLLECTE. IV. LES RECEVEURS. V. LES
MALVERSATIONS ET CONCUSSIONS DES RECEVEURS. VI. LES CON-
TRAINTES. VII. LES FRAIS DE CONTRAINTES. VIII. L'EMPRI-
SONNEMENT DES COLLECTEURS. IX. LA SOLIDITE.
[.
LES VILLES TARIFEES
Les opérations de répartition décrites au chapitre précédent
n'étaient pas effectuées partout : certaines villes taillables étaient
soumises à un régime spécial; la taille y avait la forme d'un
impôt indirect, levé sur l'entrée et la sortie des marchandises,
à la façon des octrois; on n'y nommait donc pas de collecteurs,
on ne dressait pas de rôles, il n'y avait pas d'assiette à établir ;
la perception était la principale opération à assurer; c'est
pourquoi j'ai différé jusqu'ici d'en parler.
Ces villes étaient appelées villes « tarifées », parce que le
droit qu'on y percevait portait le nom de « tarif ».
Le tarif se distingue de l'octroi en ce que les deniers de l'oc-
troi sont affectés aux dépenses municipales *, tandis que ceux
du tarif sont destinés exclusivement au payement de la taille2.
1. A Evreux, par exemple, l'octroi est destiné « au payement des debtes de la
ville, réparation des portes, ponts et murailles, et autres dépences ». (Arrêt du
conseil du 24 déc. 1663, A. D. S.-Inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL,
f° 268); de même Garentan (1. pat. 5 mars 1652, ibid., Mémoriaux de la Chambre
des comptes, 1663, f° 1), le Tréport (1. pat. 24 oct. 1660, ibid. Mémoriaux de la
Cour des Aides, t. XL, f° 30, etc.) Toutefois, en vertu de l'arrêt du conseil du
28 juin 1653 et de l'édit de décembre 1663, le roi levait à son profit, avec les
droits d'aides, la moitié des droits d'octroi (Lefebvre de la Bellande, Traité... des
Aides, I, 282). On a vu plus haut (p. 6) que la taille avait aussi porté le nom
d' « octroi ».
2. Les lettres patentes qui concèdent un tarif spécifient toujours que les deniers
en provenant « ne seront pas d'octroi, mais bien destinez pour le payement des
tailles, taillons, creues, subcistances, ustancilles, quartier d'hyver, exemption
de logement de gens de guerre et autres impositions ». L. pat. du 23 mars 1658,
établissant le tarif de Vire. (A. D. S.-inf. Mémoriaux de la Chambre des comptes,
à la date du 27 mars 1670.)
:$<, LA TAILLE EN NORMANDIE.
Des villes ont un octroi et n'ont pas de tarif, telles le Tréport,
Evreux, Carcntan. Honfleur...; celles qui ont à la fois tarif et
octroi doivent distinguer les deux impôts dans leurs comptes1,
et ne peuvent employer les produits de l'un aux dépenses
imputables sur l'autre ".
Voici la liste des villes tarifées de Normandie, avec la date de
concession du tarif, quand j'ai pu la connaître :
Généralité de Rouen :
Harfleur. — Louviers. — Pont-de-l'Arche. — Pontaudemer.
Généralité de Caen :
Avranches, 28 juillet 1G67. — Bayeux, 1667? — Caen, ancien
(avant 1649). — Condé-sur-Noireau, 31 mars 1661. — Cou tances. —
Saint-Lô, 13 août 1661. — Vire, 23 mars 1658.
Généralité d'Alencon :
Alençon. 1er juin 1658 3. — Argentan*, 2 août 1656. — Falaise,
14 juin 1656 ou 28 juin 1656. — Lisieux possède un tarif depuis
« deux cens années5 », mais le produit, environ 1 200 1., n'en est pas
suffisant pour payer entièrement la taille de la ville : le surplus est
levé par « capitation » sur les habitants.
1. A Saint-Lô, le tarif, en 1664, produit 27 069 l_ et l'octroi 87 'i 1. (A. D. Calv.
Bureau des finances : liasse d'états au vrai du tarif de Saint-Lô.)
2. A la vérification des comptes du tarif de Saint-Lô, année 1678, le Bureau des
finances rejette la dépense portée pour réparations au pont de la ville « attendu
que les deniers provenans du tarif sont pour le payment de la taille, et que les
eschevins ont des octrois pour les ouvrages et réparations de leur ville » (ibid.
état au vrai de 1678). Toutefois, des dépenses pour le même objet, prélevées sur
le tarif de 167:) et 1674 n'ont pas été rejetées i états au vrai de ces deux années).
3. Voir ci-dessus, p. 268.
4. Le tarif s'étendait à deux hameaux, assez éloignés de la ville, Manneville et
Colandon, qui étaient considères comme faubourgs. L'intendant de Marie écrit à
Colbert, le 29 juin 1671, qu'on ne peut admettre sans inconvénients cette incor-
poration au tarif de deux localités aussi distantes de la ville, et propose d'en
faire deux paroisses parement tnillables. (Clair. 791, p. 14; cf. autre lettre du
21 sept., ibid., p. 88). Il en fut ainsi décidé. Dans la zone soumise au tarif de
Saint-Lô était compris le Bourg-Buisson, qui faisait partie de la paroisse
d'Agneaux et, par conséquent était imposé à la taille avec cette paroisse. Chaque
année, le receveur du tarif prélevait sur sa recette la somme fixée par le dépar-
tement entre les paroisses, pour l'impôt du Bourg. La situation de ce hameau
devint très singulière après la suppression de l'élection de Saint-Lô, en 1662 :
tandis que la ville était rattachée à l'élection de Carcntan, Agneaux — et partant
le Bourg Buisson — était rattaché ù l'élection de Coutances : ainsi, le receveur du
tarif versait l'imposition de la ville au receveur des tailles de Carcntan, e* celle
du Bourg au receveur de Coutances. La conséquence la plus fâcheuse de cette
situation fut l'accroissement démesuré de l'impôt du Bourg : de 340 liv. en 1663
il passa à 585 1. 13 s. en 16S3, soit une augmentation de 72 p. 100, tandis que
l'impôt de la ville n'a augmenté que de 40 p. 100, et la recette totale du tarif de
15,7 p. 100. C'est un des inconvénients des circonscriptions mal établies qu'on a
étudiées plus haut.
5. Let. de l'intendant, oct. 1668 (M. C, 149. f° 7.) L'intendant propose que l'on
affecte ces 1 200 1., aux dépenses municipales, et que la taille soit levée comme
d,ans les paroisses rurales. Il ne fut pas donné suite, semble-t-il, à cette propo-
sition.
LES VILLES TA1ÎIFÉES. 395
La concession d'un tarif à une ville était considérée comme
une faveur. Les bourgeois avaient en effet de la répugnance
pour les « capitations l », c'est-à-dire les impôts directs, qui
les assimilaient aux paysans et les exposaient aux vexations de
la collecte. Comme on projetait, en 1668, de lever une taxe
directe sur les habitants de Rouen, l'archevêque écrivait à
Colbert : « Les capitations sont très odieuses. Vous en pénétrez
les suites tout d'une veue, et les faire c'est un coup de maistre
qui ne s'exécutera pas sans de grandes douleurs; ce que je scay,
c'est qu'un particulier n'en oseroit prononcer le nom sans se
rendre exécrable au public2 ». Lorsque Colbert proposa aux
échevins de Dieppe, en 1664, une capitation temporaire pour
payer les dettes de la ville, ils lui répondirent que cela « ne se
pourroit faire sans faire déserter la ville et ruiner les particu-
liers 3 ». Les habitants de Baveux, sollicitant un tarif en 1667,
assuraient qu'ils étaient menacés « d'estre ruinez par les grandes
impositions et collecte des tailles par capitation 4». A ces raisons
d'ordre sentimental s'en ajoutait une autre plus positive : les
plus riches bourgeois, qui étaient les maîtres des municipalités,
étaient beaucoup moins grevés par un impôt sur les denrées que
par une taxe sur le revenu5.
Quand une ville demande un tarif, elle fait toujours valoir
sa misère, et l'impossibilité pour les habitants de continuer à
payer la taille par Capitation. Voici par exemple les motifs invo-
qués par Argentan, le 23 mai 1655 :
« Les grandes sommes de deniers qui ont esté levées sur eux pour
les tailles, subsistances, emprunts, taxes et autres impositions qu'ils
ont payées depuis quelques années ont obligé les meilleurs contri-
buables de ladite ville de se retirer ailleurs pour y chercher les
moyens de subsister avec leurs familles, de sorte que ce qui est resté
d'habitans dans ladite ville les plus considérables et plus riches ont
jette leurs enfans dans Tordre de prestrise pour mettre leurs biens a
1. Il ne faut donc pas entendre ce mot, comme le font par exemple Domat
(Œuvres, II, p. 27) et Clément (II, 351, note 1) dans le sens d' « imposition à
tant par tête ». Il ne faut pas voir non plus dans celte forme d'impôt un antécé-
dent de la capitation qui, sur la proposition de Vauban, sera établie en 1695
dans tout le royaume; de même le « tarif » n'a rien de commun avec la « taille
tarifée » de l'abbé de Saint-Pierre.
2. Let. du 8 octobre 1668, M. G. 149, f° 103.
3. Depping, I, 703. Cf. le placet des habitants de Dieppe au sujet de l'amende
à eux infligée en punition d'une émeute, en 1661 : lever cette amende « par capi-
tation, ce seroit réduire les plus forts bourgeois en abandonnant la ville de la
rendre déserte ». (A. D. S.-Inf., B 85, f° 176).
4. Placet de décembre 1667, M. C, 146, f° 276, cf. Bréard, Les archives de
Honfleur, p. 126, 129 et 130 : les habitants sollicitent l'entremise an Mademoiselle
pour obtenir un tarif; p. l')9, ils ont l'appui de Seignelay en 16S4.
5. Sur les avantages des tarifs, en comparaison des capitations, voir Fleury,
Institution au droit français, I, 191 ; Moreau de Beaumont, Mémoires sur les impo-
sitions, II, p. 34; Boisguilbert, Détail de la France, éd. 1707, I, p. 102; Maille,
Recherches sur Elbeuf, I, p. 270 et suiv.
M6
LA TAILLE EX NORMANDIE.
couvert soubs leurs noms, les autres ont acquis des charges auprès
de S. M. et achepté des tiltres de noblesse, au moyen de quoy lesdits
ecclésiastiques et nouveaux annoblis qui avoient coustume de porter
plus de la moityé desdites tailles et subsistances s'estant exemptez de
payer, le reject de leur cotte- part s'est imposé sur les habitans restans
qui sont la pluspart des artisans pauvres et réduits a la dernière
nécessité, lesquels ne pouvans, a cause de leur indigence, payer leur
part des tailles, le reste des habittans est contrainct de payer le triple
de ce qu'ils debvroient contribuer, ce qui va a la ruine tottalle de ladite
ville, estant véritable que depuis l'année 1649 jusques a présent il n'y
a point eu de collecteurs dans ladite ville qui n'ayent esté ruinez pour
la taille et de qui on n'ayt vendu le bien, ce qui augmente tous les ans
les non-valleurs de 7 à 8 000 1. qu'il fault remploier' sur le petit
nombre restant de contribuables, sy bien qu'es années 1625, 26, et 31
ladite ville qui estoit remplie de grand nombre d'habitans tous riches
ne payoit pour lors que 3, 4 et 5 000 1., et a présent qu'elle est réduite
a fort petit nombre et presque tous artisans fort pauvres, paye des
tailles et subsistances chacune année plus de 30 000 1., ce qui faict que
ladite ville est preste de tomber dans une entière desollation... »
Le tarif, déclarent enfin les habitants, sera « une voye plus
facille, plus prompte et moins ruineuse que celle qui s'est gardée
et observée jusques à présent2 ».
Pareils motifs sont invoqués par les habitants de Vire :
« Les tailles et impositions et autres levées qui se sont annuellement
faictes sur les contribuables aux tailles de ladite ville et fauxbourgs ont
esté sy extraordinaireraent augmentées depuis quelques années, qu'un
quart pour le moins desdits habitans en sont réduits a l'extrémité, un
autre quart s'est retiré dans les villes franches, provinces ou parroisses
moins chargées, le troisième quart voyant que les ecclesiasticques qui
exemptent de subsides et protègent leurs parens sont venus a un sy
grand nombre qu'il se trouve quatre-vingts prestres dans ladite ville
et fauxbourgs quoyque ce ne soit qu'une seulle parroisse, par lequel
moyen le dernier quartier desdits habitans qui n'est composé que des
artisans se trouve sy prodigieusement surcharge d'impositions qu'ils
se trouvent tous a présent dans une misère universelle et commune, a
laquelle il ne se trouve autre remède qu'un abonnement a une somme
modicque de leurs impositions tant pour ladite ville que fauxbourgs,
compris en iceux la rue du Pont qui en faict une nottable partie,
1. C'est-à-dire réimposer.
2. Ils fournissent des extraits de rôles montrant l'accroissement considérable
de leur taille. Si les chiffres sont exacts, ils sont à la vérité impressionnants :
1625 2 7231.
1626 2 548
1631 3481
1653 241671.
1654 27 911
1655 30 047
Ils ajoutent un extrait du registre d'écrou des prisons d'Argentan, du 11 février
1656, établissant que depuis 1649 < tous les collecteurs des tailles de ladite ville
ont esté emprisonnez a cause des non valleurs et de l'excès desdites tailles »
(texte de l'arrêt du conseil du 2 août 1656, A. D. S.-inf. Mémoriaux de la Chambre
de» comptes, 1664, f" 42-49.)
LES VILLES TARIFEES. 397
laquelle sera distraicte de la parroisse de Talvande ou elle est assize
pendant ledit abonnement1. »
A la suite de quoi l'arrêt du Conseil du 23 mars 1658 leur
accorde le tarif.
Ceux de Coutances représentent au roi, en 1660, que leur ville
« n'est presque composée a présent que d'eclesiasticques et reli-
gieux ou religieuses qui y sont au nombre de plus de 300 tant en
l'esglise cathedralle, aux deux parroisses de Sainct Pierre et Sainct
Nicollas qu'aux couvents de jacobins, capucins et des religieuses hos-
pitallieres et bénédictines, le reste de ladite ville, qui est de très petite
estendue ne se réduisant après cela qu'a un très petit nombre de
peuple, est remplye de personnes qui ont cherché l'exemption des
tailles par l'achapt des charges et offices ausquels S. M. a accordé
privilèges et exemptions, de manière qu'il ne reste en ladite ville que
de simples et pauvres gens de mestier comme artisans et maneuvres
qui sont réduits a la dernière misère et qui seuls sont maintenant
subjects a la taxe et cottisation desdites tailles et autres impositions
et qui se trouvent redebvables des années dernières de sommes sy
grandes et sy nottables qu'une bonne partie des collecteurs ont esté
contraincts de s'enfuir et de s'absenter faute de n'avoir peu lever
recueillir et payer leurs cottes et impositions, voyans les autres
collecteurs qui les ont presedez dans lesdites charges périr misérable-
ment dans les prisons 2 ».
Ceux de Condé sur Noireau se plaignent d'être surtaxés par la
malveillance des élus de Vire, qui « contribuent de tout leur
pouvoir a leur faire porter le plus qu'ils peuvent des tailles et
autres subsides qui s'imposent annuellement en ladite eslection » ;
ainsi « ils sont accablez et réduits à la dernière nécessité, qui
les obligera sans doubte d'abandonner le pays s'il ne leur est
sur ce... pourveu » 3.
Ceux de Saint-Lô, à ces mêmes doléances sur la multiplication
des exempts, la ruine du commerce et la désertion des contri-
buables, ajoutent que le rétablissement du privilège des mon-
nayeurs met le comble à leurs maux : ces officiers, au nombre
de vingt-six, « tous les principaux plus riches et accomodez
de ladite ville, estans deschargez et les pauvres taillables
demeurans chargez de leurs impositions avec plus de cinq à
1. Texte dans les Mémoriaux de la Chambre des comptes, 27 mars 1670. Cette
dernière date est celle de l'enregistrement à la Chambre; mais on n'attendit pas
l'enregistrement pour établir le tarif : il fut appliqué dès 1659.
2. Arrêt du Conseil du 21 juillet 1660, et let. pat. du 3 juillet 1662, enregistrées
à la Chambre des comptes le 30 janvier 1663. (A. D. S.-Inf. Mémoriaux, 1663,
fos 5 à 9.)
3. Plumitif du Bur. des fin. de Caen, 1661. (A. D. Calv.). Il est à noter que
si la surcharge due à la malveillance des élus était la seule cause des plaintes
des habitants, il aurait suffi, pour les satisfaire, de les taxer directement dans
les commissions. — D'après la même requête la taille de la ville était passée de
3 356 1. en 1652 à 7 671 1. en 1661.
;j.is la taille en NOItMANDIE.
six mil livres de pertes qu'ils ont soufertes par la mutation de
domicilies de grand nombre desdits habitans et changement
d'octroy de l'année présente, il n'est pas possible que les
deniers des tailles et autres impositions puissent estre levés
en la forme et manière accoustumée, puisqu'il ne se peut plus
trouver de collecteurs solvables, n'ayant pu jusques a présent
en avoir d'asseurez pour l'année présente, le Conseil et la
Cour des aides de Normandie estans remplis de procez en
préférence d'assiette qui causent un retardement notable aux
deniers de S. M. et une misère et perte inévitable a tous les
suplians *. »
Peut-être les motifs invoqués dans ces placets sont-ils plus
spécieux que réels; on trouve en effet des requêtes qui sont
textuellement copiées les unes sur les autres : ainsi celle
d'Avranches2 est la reproduction exacte de celle de Saint-Lô;
et les ressemblances entre les autres ne sont pas moins inquié-
tantes; à la vérité, les habitants songeaient surtout à obtenir
la faveur tant désirée 3; comment s'étonner qu'ils aient, pour
gagner leur cause, exagéré leur misère? Cependant nous avons
parfois des témoignages sérieux qui confirment leurs dires :
tel est le cas pour Carentan en 1684 : l'intendant, consulté
sur les allégations contenues au placet, affirme que le com-
merce de la ville est ruiné : depuis 1650, le canal qui per-
mettait aux bâtiments de mer de remonter jusqu'à la ville est
ensablé, si bien qu' « il n'y a plus de gros marchands; la
ville est pauvre et presque déserte, en sorte qu'elle ne paie
présentement que 5 500 1. de taille, quoiqu'elle en ait paie
jusques à 18 000 * » ; ces faits sont d'ailleurs confirmés par les
tableaux d'impositions do la ville1.
Généralement, les villes payaient la concession d'un tarif.
Non seulement elles devaient acheter l'appui d'un personnage
influent qui faisait parvenir leur requête au Conseil, mais le
roi lui-même mettait des conditions à ses grâces : c'est ainsi
que beaucoup de manufactures et de travaux publics furent
imposés à des localités. En 1667, on ne promet un tarif à
1. Arrêt du Conseil du 13 août 1661, (A. D. S.-inf., Mémoriaux de la Cour des
Aides, 13 août 1661, t. XL, f 223-22S).
2. Arrêt du conseil du 2S juillet 1667, (ibid., t. XL1I, f 185-191).
3. En 1663, les habitants de Suint-LÔ députent deux de leurs échevins vers les
villes de Vire, Condé, Falaise et Gaen, qui ont des tarifs, « pour s'informer aux
esche vins des dites villes des moyens dont ilz s'estoient servis pour l'establisse-
ment dudit tarif ». (A. D. Calv., Bureau des finances, liasse des états au vrai du
tarif de Saint-Lô, 1663.)
■'«. A. N. G^ 213, lettre du 1" juillet 1685.
.). Ea 1661, elle paye 11 'J26 liv. de taille ; en 1663, 8 000 L, en 1683, 4 000 1. Il est
vrai qu'une autre cause, non mentionnée par l'intendant, de cette ruine est le
grand incendie de 167;) qui détruisit environ 500 maisons de la ville. — Cf. une
requête des habitants au Bureau des finances de Caen, en 1623, pour demander
une diminution de taille. (A. D. Calv. Bur. des fin.)
LES VILLES TAIUFEES. 399
Carentan que si les habitants s'engagent à aménager leur port
et à armer des navires : « Je leur ai faict entendre, écrit l'inten-
dant à Colbert, que, comme cette grâce estoit fondée sur les
assurances qu'ils avoient donné de restablir le commerce dans
leur ville, je ne consentirois point à l'exécution [de l'arrêt qui
accorde le tarif] jusques a ce que je fusse assuré qu'ils feroient
construire quatre vaisseaux marchands, deux de 70 tonneaux
et au-dessus, et deux de 30 et au-dessus; j'ay parolle des deux
premiers; je m'y rendrai jeudi pour terminer cette affaire et les
faire travailler au nettoiement de leur port1 ». Les travaux ne
sont pas exécutés complètement, et la concession n'a pas lieu :
on vient de voir que, dix-sept ans après, les habitants renou-
velaient leurs instances sur de nouveaux frais. La même année,
les habitants de Bayeux ayant demandé la même faveur2, l'in-
tendant appuie leur placet en faisant valoir d'une part, que
« la plus grande partie [de la ville] est composée d'ecclésias-
tiques, nobles, et gens de justice, et les habitans qui ont quel-
ques facultez pour se mettre a couvert de la taille, au lieu de
s'addonner au commerce et eslever leurs enfans dans le trafic,
les font instruire pour estre dans la pratique, ce qui faict
qu'elle est toute remplie de chicanneurs qui oppriment les pau-
vres de la ville et de toute l'estendue de l'élection » ; que d'autre
part, « ils ont très heureusement commencé les establissements
de manufactures de sarges, ratines, cottons et bas d'Angle-
terre3 ». Ces arguments ne furent d'ailleurs pas jugés suffisants
par le conseil et le tarif ne fut pas accordé : c'est seulement en
juin 1704, par l'intervention de Foucault, qu'il sera établi*.
Ces exemples montrent qu'il n'était pas facile d'obtenir un
tarif. Les formalités à remplir étaient nombreuses et coûteuses :
quand le placet était rédigé, il fallait le porter au Conseil; un
échevin, quelquefois deux, étaient députés à cet effet; leur séjour,
qui durait plusieurs semaines, était aux frais de la ville. L'arrêt
obtenu, il fallait le faire enregistrer dans les cours et tribunaux
intéressés : Cour des Aides, Chambre des comptes, Bureau des
finances 5, Election : chaque enregistrement coûtait plusieurs
centaines de livres. Le bourg de Condé-sur-Noireau dépensa
1000 1. pour obtenir son tarif6; Coutances 1127 1. 7; Vire,
1. Chamillart à Colbert 12 sept. 1667 (M. C. 145, f° 109).
2. Le placet, non daté (M. C. 146, f°s 276-77) porte au dos, de la main de Colbert :
« Escrire a M. Chamillart sur ce placet ». — 11 fut apporté à Paris par un député
de la ville.
3. Chamillart à l'intendant des finances M^rin, 8 août 1667. (M. C. 14'», f° 503). .
4. Mémoires de Foucault, p. par Baudry, p. 357.
5. L'enregistrement de l'arrêt du 3 février 1661 pour le tarif de vin, ou Bureau
des finances de Caen coûta 666 1. (Plumitif 1660, f° 2S2 et 1662 f° 53).
6. Exactement 1 008 1. 3 s. 9 d., d'après l'Etat au vrai du tarif de Condé,
année 1662. (A. D. Calv., Bur. des finances).
7. Exactement 1 127 1. 10 s. 10 d. (Etat au vrai du tarif de Coutances, 1668,
lbld.)
|Q0 LA TAILLE EN NORMANDIE.
6600 l.1; Saint-Lô, 11173 L*. Parfois, des procès étaient
soulevés par l'application du nouveau régime, et accroissaient
grandement les frais.
Les villes avaient aussi à vaincre l'opposition systématique
des cours et tribunaux. Ainsi, à Saint-Lô, l'Election formule
contre le tarif des objections de toutes sortes à la Cour
des aides*, qui prescrit une enquête et n'enregistre l'arrêt
qu'au bout Je deux ans et demi, le 3 décembre 1663; la
Chambre des comptes en fait de même et n'enregistre que le
27 février 1663 *. Pour Falaise, il y eut une véritable lutte entre
la Cour des aides et le Conseil : lorsque les habitants présen-
tèrent à la Cour pour le faire enregistrer l'arrêt du Conseil du
5 février 1658 qui autorisait la levée sans limite de temps, la
Cour, par ses arrêts des 24 juillet 1658 et 24 mars 1659 n'en
ordonna l'application que pour trois ans; le Conseil rendit
alors, le 24 juin 1660, un nouvel arrêt ordonnant l'exécution
intégrale du premier, mais la Cour n'en tint aucun compte,
et, le 10 novembre 1661, considérant que les trois années étaient
expirées, elle enjoignit aux habitants de cesser la levée ou de
faire renouveler leur privilège. Il fallut pour en finir une nou-
velle requête de la ville au roi et un nouvel arrêt du conseil,
qui, le 3 août 1662, ordonna la levée « jusqu'à ce qu'autrement
ar S. M. en ait esté ordonné », et la Cour des Aides mit encore
ix mois à l'enregistrer5.
S
L'arrêt de concession du tarif spécifiait les marchandises
imposables et le montant des droits. La liste ou « pancarte »
de ces droits variait avec les villes. Voici, par exemple, le début
du tarif de Saint-Lô6 :
Acier, fer en barre, costes ou verguillon entrant audit Saint-Lô
ou fauxbourgs d'icelluy, le cent pesant payera 8 s.
Plus ou moing a proportion.
Airain, cloches, clochettes, mortiers de fonte, poisserie, foiron-
1. A. D. Calv. Plumitif du Bureau des fin. 1662, f° 17.
2. D'après les états au vrai du tarif de la Tille, années 1662, 1663, 1664 et 1665.
(A. D. Calv., Bur. des finances.) Voici le détail de quelques frais : Voyage du
procureur-syndic et d'un échevin à Paris, 2 600 1. Autres voyages à Caen, 250 1.
Autre voyage ù Rouen, 540 1. Frais de procès au Grand Conseil, 2 382 1. Enquête
sur place de la Cour des Aides, 1 120 1. Epices d'arrêts ù la Cour des Aides,
564 1.; id., au Bureau des finances et à l'Election, 367. Démarches faites à Paris
en 1675 « pour poursuivre le restablissement dudit tarif, qui avoit esté revocqué
par arrest du Conseil du 19 aoust 1665 », 2 580 1.; etc.
3. A. D. S.-Inf. Registres du conseil de la Cour des Aides, à la date du 16 jan-
vier 1662.
4. Le Bureau des finances de Caen tracasse également les habitants de Saint-Lô
en les sommant à diverses reprises de présenter les pièces en vertu desquelles
ils lèvent leur tarif, ce que les échevins ont peine à faire (Plumitif du Bur. des
finances de Caen 1662, f 14, 30, et 59.)
5. Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL, f°* 191-192, enregistré le 30 mai 1663.
6. A. D. S.-Inf. Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL, f° 224. Cf. Notices,
mémoires et documents de la Société d'asriculture de la Manche, année 1889,
p. 1-10. °
LES VILLES TARIFEES. 401
nerie et chaudronnerie establis es foires et marchez de ladite
ville, la charge payera 60 s.
Aisserie et solliveaux de bois de chesne, le cent en nombre payera. 30 s.
Aisserie de hestre, le cent en nombre payera 30 s.
Allun de Rome, d'Angleterre et d'ailleurs, le cent pesant payera 20 s.
plus ou moings a proportion.
Avranches, qui a copié le texte de la requête de Saint-Lô,
adopte un tarif différent, dont voici également le début1 :
Acier, fer en barre, coste ou verguillon, le cent pesant 10 s.
Cloches et clochettes de fonte..., le cent pesant 30 s.
Bœufs vivans venans aux foires et marchez exposez en vente sur
le pied, chaque bœuf gras ou maigre 3 s.
Beurre (rais et salé au net, la livre • 3 d.
Beurre salé en pot, compris le port, le cent pesant 15 s.
Bois à brûler, la charge de cheval, par chaque fagot 1 d.
Cire jaune, le cent pesant 50 s.
Cire blanche, le cent pesant 60 s.
Chapeaux fabriqués en ladite ville et bourgeoisie d' Avranches, la
douzaine 12 s.
Et les marchands ou chappelliers et bourgeois qui apporteront
les sortes de chappeaux cy-dessus spéciffiez [il y en a 4 sortes]
seront teuuz en faire leur déclaration au bureau du nombre et
quantité pour y aposer la marque du tarif, a peyne de confisca-
tion, et ne s'en poura faire aucune vente d'iceux qu'ils ne soient
marquez dudit tarif a peine de confiscation.
Etain ouvré, le cent pesant 50 s.
Les étaimiers du lieu devront faire marquer le leur, parce
qu'ils seront exempts de droits; les horsains payeront d'entrée 50 s.
à peine de confiscation.
Petun de toutes sortes, le cent pesant 50 s.
Vaches et genissons exposés en vente, par pièce 18 d.
L'aune de toile entrant ou sortant2 6 d.
L'aune de bazin, coutil, serinettes, doubliers, entrés en la ville ou
sortant 6 d.
La charge de mercerie [200 1. pesant] compris toiles de Hollande,
baptiste de Laval, Bretagne et draperie velours satin 12 1. ou
plus ou moins [ad valorem].
La pièce de frize, frocquebare de Vire. La pièce estimée 20 aulnes. 10 s. 1/2
La charge de bas de laine passant en la ville et non débitée . . 2 s.
Il est difficile de démêler si ces droits étaient calculés pour
protéger l'industrie urbaine ou simplement pour produire le
plus facilement possible des revenus au Trésor. Probablement
les deux préoccupations se mêlaient. La taxe de 1 s. par chapeau
fabriqué à Avranches ne peut guère être regardée que comme
une mesure fiscale; de même les taxes sur le beurre, le bois, le
tabac; par contre, l'exemption du droit de 50 s. par 100 liv.
pesant sur l'étairi, accordée aux « étaimiers » du lieu a un
caractère protectionniste. Il était naturel que Colbert eût la
préoccupation de favoriser par ces droits les industries des villes
1. A. D. S.-inf., Mémoriaux de la Chambre des comptes, 1663, f° 5. Cf. le tar'"" f
d'Elbeuf, 1708, dans Maille, Recherches sur Elbcuf, I, p. 270 et 514; celui ^e
Pontoise, 1707, B. N. Lf8*, 11; celui d'Aumale dans Auger, Traité des taille s...,
t. III, p. 2379.
2. Les tisserands « seront tenus... bailler déclaration au bureau qui sera estably
pour la recette des droits dudit tarif du nombre et quantité desdites toiles, cou-
ils... qu'ils fabriqueront et façonneront. »
LA TAILLE EN NORKAIvDlE. 2\>
hoi LA TAIt.I.K i:N XOHMAXf)IE.
tœuraellei il accordait !«■ airif préôîiément en raison de leur
application au oommeroa ou aux manufactures.
Lf perception du tarif était affermée, comme celle des octrois.
Chaque année, ou tous les deux ans, quelques jours avant le
commencement de l'exercice1, on procédait à l'adjudication
« avec les solennités a ce requises », a la maison de ville, en
présence des maires et échevins, et d'un ou plusieurs élus2;
l'intendant y assistait quand il jugeait à propos, parce qu'il
s'agissait des deniers du roi. Chaque article du tarif était mis
aux enchères séparément, et adjugé « au plus offrant et dernier
enchérisseur » : ainsi il arrivait que les droits d'une seule ville
fussent affermés à vingt, trente personnes différentes. Le tarif
de Caen pour 1661, comprenant 29 articles, est affermé en
28 baux; celui de Saint-Lô, en 1662, l'est à 30 personnes, en
39 baux; celui de Coutances, en 1661 et 1662, en 59 baux, et
les années suivantes en un seul bail. Il n'est pas rare qu'un
individu prenne séparément un bail montant à 10 ou 15 1. Mais
si, après les adjudications partielles, un particulier offre de
mettre une « renchère » sur le total, il devient seul adjudica-
taire. On devine quelles difficultés devait entraîner cette multi-
plicité de fermiers pour la perception des droits. Sans doute
ils s'entendaient entre eux pour nommer des receveurs communs,
mais que devait-il résulter de leur désaccord?
Chaque adjudicataire devait fournir caution3; il n'était pas
tenu d'être bourgeois de la ville.
Tout le produit du tarif devait être employé au paiement
de la taille. Les villes ne pouvaient en prélever la moindre
partie pour leurs dépenses municipales; elles n'avaient donc
pas intérêt à faire monter le prix de l'adjudication, aussi les
pots-de-vin, les accords secrets, les tricheries de toute sorte
étaiènt-ils impunément pratiqués. Seuls les intendants inter-
venaient pour les empêcher; nous en avons connaissance par
leurs rapports. En 1673, Michel Colbert découvre à Falaise
« quelque monopole qui s'est practicqué... pour empescher que
ledict tarif n'allast... à son prix* ». En 1672, sa présence à
t. La date du commencement de Tannée fiscale variait d'une ville a l'autre : ù
Coutances, à Caen c'était le 1" janvier, mais à Condé-sur-Noireau et à Avranches
c'était le 1" octobre, à Vire, le 28 janvier; à Saint-Lô ce fut le 1" mars jusqu'en
1669, et, à partir de 1670, le 1" janvier.
2. A Saint-Lô, bien que cette condition ne fût énoncée dans l'arrêt d'institution du
tarif, nous voyons qu'en 1662 l'adjudication fut faite devant le lieutenant civil et
le lieutenant criminel du bailliage (Etat au vrai du tarif de la ville, 1662.)
3. A Saint-Lô, en 1665, le sieur Bossard, adjudicataire d'une partie des droits
moyennant 7501., ne pouvant fournir caution, la ferme lui est retirée, et « rebannie
à Gilles Goret », cette fois moyennant 660 1. (A. D. Calv. Bur. des fin., Etat au
vrai du tarif de Saint-Lô, 1665.)
'«. Lettre ù Colbert, 9 oct. 1673 (M. C. 166, f° 68).
LES VILLES TARIFEES. 403
l'adjudication du tarif d'Argentan avait fait monter les enchères
à 1000 1. de plus que l'année précédente1 : De Marie avait déjà
fait augmenter ce tarif de 8000 liv. en 16682, et de Morangis,
en 1678, le fera monter de 2 600 1., jusqu'à 29200 L*. Le
30 juin 1684, le même de Morangis écrira : Le tarif de Vire
« n'estoit qu'a 18 000 1. les années précédentes; mais comme
j'ai suprimé tous les pots-de-vin que les adjudicataires avoient
acoutumé de donner, il a monté par l'adjudication que je fis au
mois d'octobre dernier jusques a 22 000 I.* ». A l'adjudication
du tarif de Saint-Lô pour les années 1669 et 1670, faite le
26 février 1669, devant les officiers de l'Election, il fut « procède
à la réception des enchères et rencheres, mesme a l'adjudica-
tion d'icelles en particulier », c'est-à-dire en détail, article par
article; le total des enchères montait à 26577 1. 10 s.; mais
la ferme générale des Aides de France, représentée par un
procureur, ayant offert sur l'ensemble une l'enchère de 2000 1.,
on recommença l'adjudication le lendemain, et les fermiers des
Aides l'obtinrent pour 46000 1. Leur intervention avait donc
rapporté 195001. au Trésor3.
Par ces mesures, et peut-être aussi par l'accroissement de la
consommation des villes, les prix d'adjudication ne cessèrent
de s'accroître, de 1661 à 1683, quoique les pancartes des tarifs
n'eussent pour la plupart pas changé. Le tableau suivant donnera
une idée de cet accroissement :
Avrancbes en 1669 8175 1. en 16S3 10 780 1.
Saint-Lô 1663 28 532 1. — 33 015 1.
Goutances ! i2» UToo i: i - l4239 L lo s-
Condé s. Noireau. . 1662 6 000 1. 1683 6 770 1.
Vire 1663 16 030 1. 1684 22000 1.
Ainsi le fisc trouva, dans les villes tarifées, un supplément
de revenu sans aggraver les charges des contribuables. Ce
fut un des heureux résultats de l'administration nouvelle.
Dans la réglementation du tarif, c'était une grosse question
de savoir si les exempts de taille devaient ou non payer les
droits. Le principe ne faisait pas de doute, ainsi que l'explique
Foucault au contrôleur général le 15 décembre 1696 : « Il est
certain que le tarif n'est qu'une taille commuée, et qu'au lieu de
1. 26 600 1. au lieu de 25 600 : lettre à Golbert, 26 nov. 1673, Clairamb., 793
p. 803.
2. Lettre à Colbert, 12 nov. 1668, M. G. 149, f° 406.
3. Lettre à Golbert, 22 août 1678 (A. Nat., G7, 71). Il avait fait une adjudication
précédente pour 26 700 1. (lettre du 14 août, ibid.)
4. A. Nat., G? 213.
5. D'après l'Etat au vrai du tarif de Saint-Lô, année 1669. (A. D. Calv., Bur.
des finances.)
|0| LA TAILLE EN NORMANDIE.
la lever sur les contribuables d'une ville, on la perçoit sur les
denrées qui y entrent, en sorte que les privilégiés pour la taille
le sont aussy pour le tarif1 ». Mais en pratique, les villes, pour
des raisons diverses, n'avaient pas toutes suivi la règle. On
peut les ranger à cet égard en trois groupes.
Le premier comprend les villes où le principe est rigoureu-
sement appliqué. A Coutances, où cependant la multiplicité des
exempts avait été le grand motif invoqué pour obtenir le tarif,
y li s ecclésiastiques, nobles et privilégiés » ne sont pas « tenus
du payement dudit tarif, pour la provision de leur maison seu-
lement, à la charge qu'ils ne commettront aucun abus2 ». —
Pour Vire, où les let. patentes du 23 mars 1658 portent que les
droits seront levés « sur tous lesdits habitans, privillegiez et
non privillegiez 3 », la Chambre des comptes, dans son arrêt
d'enregistrement, a inscrit cette réserve que les « privillegiez
demeurans dans ladite ville et fauxbourgs de Vire... demeu-
reront exempts de la contribution dudit tarif suivant et confor-
mément à l'usage de la province4 ». Pour Argentan, les lettres
patentes ne parlant pas des exempts, la Chambre dans son arrêt
d'enregistrement introduit la même exception5. A Avranches,
l'arrêt du Conseil du 28 juillet 1667 stipule que « les gen-
tilshommes, officiers et esleus6 [les ecclésiastiques sont évidem-
ment sous-entendus] seront tous exempts de payer le tarif pour
les provisions qu'ils feront apporter des champs et consom-
meront eux-mesmes »; ils seront tenus, sous peine de déchéance,
d'en faire la déclaration au bureau du tarif « et sans fraude »7.
A Alençon, jusqu'en 1665, les privilégiés étaient exonérés des
droits pour les marchandises de leur consommation ; mais à
cette date, les fermiers se mirent a les faire payer; les tréso-
riers de France s'en plaignirent à Colbert, demandant le main-
tien des exemptions8; mais à ce moment — et peut-être cette
requête n'est-elle pas étrangère au changement, — le tarif
1. De lioislisle, Correspondance des contrôleurs généraux, t. I, n* 1579.
2. Arrêt du Conseil du 21 juillet 1660, (A. D. S.-Inf., Mémoriaux de la Chambre
des comptes, 1663, f» 9.)
3. La Chambre des comptes de Normandie déclare que c'est en effet • l'usage
de la province ». (Arrêt du 27 mars 1670, dans les Mémoriaux.)
k. Arrêt du 27 mars 1670.
6. Ibid., année 1664, f> 49. Cependant les ecclésiastiques de la ville, réunis en
assemblée le 6 janvier 1655, avaient déclaré consentir ù payer les droits, « attendu
la grande pauvreté de ladite ville », mais le conseil n'avait pas tenu compte de
cet engagement (ibid., f 48).
6. La Chambre des comptes, lors de l'enregistrement, le 19 janvier 1673, dit :
« les ecclésiastiques, nobles et officiers des compagnies souveraines et autres
ayans tiltres ». (Mémoriaux, à sa date.)
7. A. D. S.-lnf. B 89, F 15.
8. Ceci est an exemple du peu d'attachement des officiers au service du roi : les
vf**°"er8 Seneraux.» T" 80nt chargés de défendre les intérêts du trésor, devraient
chercher ù multiplier le nombre des contribuables; ils demandent au contraire
[accroissement du nombre des exempts. (Voir leur placet ù Colbert dans M. C. 129,
f" 315-16.) r
LES VILLES TARIFÉES. 405
de la ville fut réuni à la ferme des aides1, et la difficulté se
trouva résolue : seuls les exempts d'aides furent désormais
exempts du tarif.
Une seconde catégorie est formée par les villes où personne
n'est exempt. Les lettres patentes du tarif de Condé-sur-Noireau
stipulent que l'imposition portera « sur tous, privilégiez et non
privilégiez 2 » ; à Saint-Lô, les habitants demandaient l'exemp-
tion pour les ecclésiastiques, les gentilshommes et les élus, mais
le roi rejeta cette exception. Il n'est, toutefois, pas sûr que, dans
la pratique, on ait réellement soumis aux droits tous les privi-
légiés de ces villes. Ainsi en 1663, une ordonnance de l'inten-
dant prescrit le remboursement d'une somme de 47 1. 5 s.
perçue par le fermier du tarif de Saint-Lô pour l'entrée de la
viande de bœuf, veau et mouton « que Pierre de Maizeray
fournit pour la provision du sieur de Matignon3 ». Pareillement,
les ecclésiastiques furent sans doute exonérés des droits : dans
un placet à Colbert, les fermiers des octrois de Rouen font
observer qu' « en toutes les villes où il y a des octrois, soit
pour l'exemption des tailles ou autres causes, les ecclésiastiques
paient comme les autres habitans 4 ».
Enfin il est des villes où la situation des privilégiés varia
avec les années. A Caen, en 1660, une sentence du Présidial
ayant exempté du tarif le sieur Malherbe, conseiller audit
Présidial, un arrêt du Conseil intervint non seulement pour
casser la sentence, mais pour déclarer que le tarif était appli-
cable à « toutes sortes de personnes, ecclésiastiques, nobles et
autres, exempts et non exempts, privillegiez et non privillegiez,
sans exception5 ». Mais en 1665 un nouvel arrêt intervient pour
modifier ce régime; il y est stipulé que tous indistinctement
seront dispensés de droits « pour les cidres provenant des
fruits qui croistront dans les jardins et enclos de leurs maisons
de la ville, sy ce n'est qu'ils les vendent en détail et a pot »; en
outre, certaines maisons religieuses sont, à titre individuel,
plus ou moins favorisées : les religieux mendiants ne payent
rien; les religieux de Sainte-Croix auront l'exemption pour
4 muids de vin et 30 muids de cidre par an6; les Capucins,
1. Cf. ci-dessus, p. 268.
2. Lettres patentes du 31 mars 1661, citées ci-dessus.
3. Etat au vrai du tarif, année 1663.
4. M. G. 165, f° 2S8. Cf. une lettre d- Colbert à Leblanc, du 9 avril 1682 :
« Il n'y a aucun exemple dans le royaume que les ecclésiastiques ayent esté
imposés par capitation ». (Clém. IV, 154.), et les Mémoires du Clergé, t. IX, col.
306 : c'était une clause du contrat du don gratuit.
5. Arrêt du Conseil du 24 mars 1660, cassant une sentence du Présidial, du
27 février précédent. (A. D. Calv. Election de Caen : Extraits des archives de
Vhôtel-de-ville de Caen.)
6. Arrêt du Conseil du 8 janvier 1665, ibid. Cet arrêt était invoqué par les éche-
vins en 1736 pour refuser l'exemption aux ecclésiastiques de la ville, qui se pré-
tendaient exempts en vertu des contrats passés entre le roi et le clergé de France.
H| LA TAIM.E EN NORMANDIE.
Cordelicrs, Jacobins et Carmes chacun 20 muids de vin, « ou du
cidre à proportion »; mais les religieux de Saint-Etienne, les
religieuses de l'Abbaye-aux-Dames payeront comme de simples
bourgeois. Il est vrai que, la ville étant abonnée à une faible
somme1, les droits y sont peu onéreux.
Ces différences de régime entre les villes sont imputables sur-
fout aux tendances opposées du Conseil et des Cours normandes.
Le Conseil eherche toujours à supprimer les privilèges; les
Cours, au contraire, cherchent à les maintenir, parce que leurs
membres sont des privilégiés.
Des fonds versés entre les mains des échevins par le ou les
fermiers du tarif, on retranchait une certaine somme pour la
« dépense commune », c'est-à-dire la rénumération de l'échevin
comptable et du secrétaire qui dressait le compte, et pour les
épices de la vérification au Bureau des finances. (A Saint-Lô,
cette dépense était en moyenne de 225 1. par an2; à Condé-sur-
Noireau, 40 1. jusqu'en 1667, 25 1. les années suivantes; à
Coutances, ordinairement 265 1.; a Avranches 125 l.3). On pré-
levait en outre, quand la ville n'était pas siège d'élection, les
frais de déplacement des élus pour l'adjudication et les frais
de port des deniers au receveur des tailles : à Saint-Lô, ces
derniers frais montaient à la somme incroyable de 200 1. (pour
des sommes variant de 22 à 30000 1.)*; les frais de dépla-
cement des élus montent h Saint-Lô également a 220 1. environ.
On prenait aussi sur les recettes des premières années de quoi
payer les frais faits pour obtenir le tarif. Enfin, on acquittait
des rentes constituées (2 000 1. a Saint-Lô en 1662 et 1663, et
1000 1. les années suivantes8, 50 1. à Avranches); et des
dépenses accidentelles, autorisées par le Bureau des finances
ou par l'intendant6. Tout le reste devait revenir au roi.
Ici. une difficulté se présentait : le chiffre de la taille étant
arrêté par les commissions généralement plusieurs mois avant
l'adjudication du tarif, on ne savait pas si le produit de la
1. V. ci-dessus, p. 90.
2. D'après les états au frai annuels, vérifiés au Bureau des finances. — Elle
est de 225 1. chaque année sauf les années suivantes : 1662 el 63 (125 L); 1671 à
1673 (275 1.) et 1680 à 82 (216 1. 13 s. 4 d.)
3. On ne voit pas la raison de ces différences considérables. Elles ne sont pas
en rnPPort avec les produits des tarifs.
4. C'est qu'il faut transporter l'argent ■ de ladite ville de Snint-Lô en la recette
des tailles des eslections de Gnrentan et Coustance, distante de ladite ville de
fsaint-Lo de six lieues du plus mauvais chemin du pays ».
;». Payées à M. de Matignon « pour son désintéressement de la baronnie de
baint-Lo ». (Etat au vrai du tarif. 1671).
6. Le Bureau des finances n'autorise pas, en 1678, le prélèvement d'une somme
pour réparations ou pont de Saint-Lô; mais il avait accordé l'autorisation anté-
rieurement, en 1673 et 1674 (montent de la dépense, de ce fait : 1385 1.). (Etats
au VTai du tarif.) * ' v
LES VILLES TARIFEES. 407
ferme, déduction faite des frais imputables à la recette, égalerait
ou non la somme demandée par le roi. A l'établissement des
comptes, il fallait donc parfois employer un excédent, ou combler
un déficit. Dans le premier cas, l'excédent était laissé intact; on
le reportait a l'année suivante, et la taille de cette année était
augmentée en conséquence. Exceptionnellement, le roi en auto-
risait l'emploi à quelques dépenses municipales extraordinaires,
après avisde l'intendant1. Dans le second cas, tantôt les comp-
tables étaient censés « faire l'avance » de la somme nécessaire
(c'est-à-dire qu'en pratique on la prélevait sur un des exercices
suivants, le receveur faisant crédit à la ville sans difficultés);
tantôt on réimposait la somme manquante par « capitation »,
ce qui obligeait à nommer des collecteurs, et à dresser un rôle
comme dans une paroisse rurale. Nous avons plusieurs exemples
de ce dernier cas à Saint-Lô : ainsi en 1675, la taille de la ville
et du Bourg-Buisson est fixée à 29 916 1. 2 s.; les dépenses de
toute sorte à y ajouter sont de 2 171 1.2 s.; au total, 31 571 1. 2 s.
Or l'adjudication du tarif n'a produit que 27 620 1., à quoi
s'ajoute un reliquat de 746 1. 16 s. provenant de l'année précé-
dente. Il manquera donc 3 204 1. 6 s. Pour les payer, l'assemblée
de ville décide, le 15 novembre 1675, la levée « par capitation »
sur les habitants d'une somme de 4 500 1. On procède de même
les cinq années suivantes, pour des sommes variant de 2189 1.
à 6000 1 2. Ainsi pouvaient fonctionner en même temps, dans
une même ville, les deux modes de perception de la taille.
Si les contribuables voyaient leur avantage dans le tarif, le
roi n'y trouvait pas moins son compte : il était en effet presque
complètement à l'abri des non-valeurs, des retards dans le
paiement, et de tous les inconvénients de la perception par
capitation. Les fermiers, payés comptant par les contribuables,
n'avaient pas de peine à verser intégralement le montant de
leur bail dans le cours de l'année; on était d'ailleurs prémuni
contre leur insolvabilité par les cautions qu'ils devaient
fournir 3. Toutefois, le Trésor n'encaissait pas toujours avec
1. Par exemple au sujet du tarif de Falaise, l'intendant de Marie écrit ù Golbert
en octobre 1668 : « Ayant augmenté l'année passée le tarif de Falaise de trois
mil livres, je puis augmenter la taille de Falaise jusques a cette somme, et des-
charger d'autant le plat pays, ou l'on pouroit laisser la ville a son taux ordinaire
et employer l'exedent du tarif au paiement d'une partie des debtes de la commu-
nauté; ce dernier me paroist plus advantageux pour la ville, et facille a exécuter
dans une année ou le Roy a eu la bonsté de donner de la diminution a ses
peuples; cella me paroist aussy assez conforme a la pensée generalle que vous
avez de donner de la protection aux villes qui ont des manufactures ». (Falaise
fabrique des serges et points de France). Mél. Golb. 149, f°* 7-8.
2. En 1682, à Gisors, une imposition supplémentaire de 4 000 1. est aussi levée
par capitation. (Let. de Golbert à Leblanc, 9 avril 1682, Glém., IV, 154.)
3. Il est rare de trouver, dans les comptes, des sommes impayées par les fer-
miers : deux fois (1815 1. et 10 1.) en vingt-trois ans à Goutances; trois fois en
neuf ans (220 1., 530 1. et 132 1.) à Vire; deux fois en vingt-deux ans à Saint-Lô;
jamais à Avranches i>i à Gondé.
408 LA TAILLE EN NOHMANDIE.
autant de régularité les deniers perçus, car les fermiers, au lieu
cl. i aire leurs versements directement au receveur des tailles,
les faisaient aux échevins qui n'étaient pas toujours très
empressés à se dessaisir des fonds : ils multipliaient et espa-
çaient leurs versements à la recette comme les collecteurs. A
Saint-Lô, par exemple, les versements pour l'impôt de 1662,
montant à 22 200 1., sont faits en 113 fois. (Il y a 113 quittances.)
Pour 1666, ils sont échelonnés sur 26 mois, du 22 mars 1666
au 4 juin 1668 (15 quittances) ; pour 1667, sur 15 mois
(5 avril 1667-29 novembre 1668; 20 quittances); pour 1668
sur 35 mois (9 avril 1668-17 mars 1670, 29 quittances '). A
Avranches, la taille de 1668 n'est pas entièrement pavée en 1673,
celle de 1669 est acquittée en 17 fois., du 5 janvier 1669 au
1er juillet 16732... Toutefois, à partir de 1670 environ, les paie-
ments furent moins espacés, et se firent dans l'année, ou à peu
près1 : Ce changement coïncide avec les instructions données
par Colbert aux intendants pour accélérer la rentrée des impôts
en général4. Néanmoins on peut dire qu'en comparaison des
paroisses rurales les villes tarifées payaient sensiblement mieux
et plus sûrement leur taille. Le système était donc préférable
pour le fisc.
Cependant Colbert renonça à concéder des tarifs après 1667,
malgré les supplications des municipalités. Il n'a nulle part,
à notre connaissance, exposé ses motifs, mais on peut les con-
jecturer : d'abord, ces villes, comme les villes franches ou
abonnées, servaient de refuge à des contribuables de la cam-
pagne qui voulaient échapper à la taille et à la collecte5; ensuite
et surtout les taxes sur les marchandises étaient un obstacle
1. Etats au vrai du tarif de Saint-Lô.
2. Ici les retards s'expliquent par l'insuffisance des recettes : tous les comptes
du tarif, de la première année (1668) à 1673 se soldent par un déficit de plus de
200 1. (Etats nu vrai du tarif d'Avranches.)
3. Voici les dates extrêmes et le nombre de versements pour Saint-Lô, à partir
de 1670 (A. D. Calv., élection de Saint-Lô) :
1670. 31 déc. 1669-9 juin 1672 18 quittances.
1671. 4 fév. 1671- ? 1H7J 13 —
1672. ? ? ? 9 —
1673. 7 févr. 1673-9 janv. 1674 10 —
1674. 11 janv. 11 déc. 1674 14 —
1675. 8 févr. 1675-6 mars 1676 16 —
1676. 8 févr. 1676- ? 1679 12 —
1677. 14 fév. 1677-14 mars 1678 32 —
1678. 31 déc. 1677-9 janv. 1679 11 _
1679. 7 fév. 22 déc. 1677 11 —
1680. 3 ionv. 1680-7 janv. 168! 10
1681. 7 mnv. 22 déc. 1681 11 _
1682. 6 janv. 1682-20 janv. 1653 11 —
1683. 20 janv. 1683-17 janv. 16S4 8 —
4. Voir ci-dessous, chap. vm.
5. Ci-dessus, p. 209.
LES VILLES TARIFEES. 409
sérieux au commerce et aux manufactures : les droits sur les
aliments augmentaient le prix de la vie ouvrière, ceux sur les
produits fabriqués gênaient les producteurs. Au moment où le
ministre travaillait à supprimer les douanes intérieures, il ne
pouvait établir, autour de toutes les villes, de nouvelles cein-
tures douanières. En 1665, les trésoriers généraux d'Alençon lui
exposent que les fermiers du tarif, pour accroître leurs recettes,
ayant levé les droits avec rigueur sur toutes les denrées vendues
dans la ville, le commerce en souffre considérablement : les
fermiers, disent-ils, perçoivent l'impôt « sur les bois des forests
du roy, sur les marchandises de toilles et autres qui se font
aux marchez de ladite ville d'Alençon pour porter à Paris, sur
les bestiaux qui sont vendus ou échangez aux marchez de ladite
ville entre les habitans des parroisses et qui en sortent le mesme
jour qu'ils y sont entrez, ce qui a beaucoup diminué le com-
merce et les marchez de ladite ville sont ruynez, et les marchands
et paisans des parroisses voisines aussy entièrement ruisnez
et hors d'estat de payer ce qu'ils doivent au roy1 ».
« Il n'y a rien, écrit en 1682 l'intendant de Caen, qui aporte
tant de préjudice aux paroisses de la campagne que ces villes
tarifées ou il se commet une infinité d'abus... Cette sorte d'éta-
blissement ne va qu'à la charge des pauvres artisans qui con-
somment les denrées subjettes a ces levées, dont les officiers et
les riches se sçavent toujours exempter2. »
Et l'intendant d'Alençon, l'année suivante : « Il seroit bien
plus advantageux de suprimer tous ces tarifz, qui sont la ruine
des parroisses voisines des villes auxquelles ils ont esté accordez,
et qui causent une diminution considérable au commerce qui se
faisoit dans lesdites villes, lesquelles d'ailleurs n'en reçoivent
autre utilité que de n'avoir point a faire de rolles par capitâtion,
qui, a la vérité, donnent lieu a bien des vengeances et des
injustices3 ».
1. Placet à Colbert, du 11 mai 1665. M. C, 129, f°8 315-16.
2. Lettre de Méliand à Colbert, 1er août 1682, à propos de démarches faites par
des bourgeois de Baveux pour obtenir un tarif, qui ne fut pas accordé. A. N.
G' 213.
3. Mémoire de Bouville au contrôleur général, 1er sept. 1683, A. N. G7, 71.
La règle de ne pas accorder des tarifs nouveaux survécut à Colbert : en 1687 il
est refusé à Evreux, en 1688 à Valognes et à Bayeux encore. (De Boislisle, Corres-
pondance des contrôleurs généraux, I, n° 449.).
c
410 LA TAILLE EX XOHMANDIE.
II. — QUI FAIT LA PERCEPTION
DANS LES PAROISSES?
Suivant les règlements et l'usage général, la perception de
la taille, dans chaque paroisse non tarifée, doit être laite par
les collecteurs qui ont dressé les rôles.
Aux termes de la déclaration de jahvier 1634, les collecteurs
doivent faire la levée « ensemble, par quartiers ou demie année,
ainsi qu'ils demeureront d'accord entre eux, et demeurans toute-
fois responsables les uns des autres » (art. 38). Mais les usages
locaux prévalent souvent sur l'ordonnance, et l'on trouve en
Normandie des modes de recouvrement assez variés. Tantôt
la perception est confiée au seul collecteur de la haute échelle;
tantôt elle est partagée entre tous ou la plupart des collecteurs,
suivant un accord amiable; tantôt enfin elle est confiée à un
articulier, collecteur ou non, par un contrat conclu avec lui par
a paroisse '.
L'usage de faire recueillir la taille par le collecteur de la
haute échelle était le plus fréquent. « Le collecteur de la
première eschelle, écrit de Bouville, est seul chargé du rolle et
touche les deniers du contribuable, c'est pourquoi on l'appelle
porte-bourse2 ». Dans ce cas, les collecteurs des deuxième
et troisième échelles ne manient pas d'argent, mais ils doivent
assister leur collègue de leur présence, et, s'il y a lieu, lui
avancer des fonds, supporter les saisies, les exécutions, la prison
avec lui. Le détail des obligations de chacun est souvent réglé
par des accords, dont mention est faite au bas des rôles ; ainsi
au rôle d'Asnières pour 1663 :
« Sur le règlement de la collection d'entre les dits asseurs, ordonné
que le dit Prieur Troppé, collecteur haut-assis, portera la bourse et le
pappier a l'assistance des autres asseeurs deux jours la sepmaine deux
chacun, pour lesquels contribueront aux advances, fraicts et coustages
a l'égal de leurs sommes ' ».
L'obligation pour les collecteurs de seconde et de troisième
échelle d'assister le porte-bourse est soigneusement inscrite sur
1. On ne fit jamais de tentatives sérieuses pour faire percevoir la taille dans
les paroisses par des agents royaux au lieu des collecteurs élus. Un édit de
décembre 1 «138 créait en chaque paroisse un receveur particulier des tailles,
jouissant d'un droit de 12 d. pour livre; mais ce n'était qu'une mesure fiscale,
les charges furent rachetées par les paroisses et n'existèrent jamais que sur le
papier. (A. D. Calvados, élection de Caen, registre d'ordonnances de l'élection, à
s:i d.ite, cf. de Bcaurepaire, Cahiers, règne de Louis XIII, t. III, p. 269.)
2. Mémoire du 1" septembre 1683, A. N. G7 71. Le porte-bourse est aussi appelé
■ principal collecteur » ou « matlre-collecteur ».
I. A. Mun. Baycux, rôles de 1663. Les autres rôles de l'élection portent en grand
nombre des mentions de ce genre, qui semblent inscrites par l'élu vérificateur.
QUI FAIT LA PERCEPTION DANS LES PAROISSES? 411
certains rôles : à Coullombières, élection de Bayeux, en 1663,
les « petits collecteurs », au nombre de neuf, s'engagent h assister
leur collègue « un jour la semaine, deux à la fois »; à Neuilly-
l'Evêque, tous devront assister à la recette; les défaillants
payeront une amende de 20 sous par absence, « au bénéfice des
presens » ; même convention à Saint-Vigor-le-Petit, où
l'amende est de 10 sous; à Vaubadon où elle est de 15 sous, etc.
On trouve pareillement inscrit sur certains rôles l'engagement
pris par tous de payer leur part des frais de collecte et de parti-
ciper aux exécutions de biens : à Neuilly-l'Evêque, en 1663, par
exemple, il est dit que tous « assisteront tous les jeudy... de
chaque sepmaine pour conduire et porter les biens exécutez aux
vendues de namps à Ysigny, comme aussy lesdits collecteurs
payeront ensemblement à l'esgal de leurs lignes1 pour la despense
qu'il conviendra faire pour porter les deniers de ladite collection
en la recepte des tailles2 ». Une sentence de l'Election de Gaude-
bec, du 28 janvier 1662, condamne Pierre Forestier, collecteur
de Sasseville, à assister son collègue porte-bourse « iesmercredy
de chacune semaine pour faire les exécutions, et le jeudy les
vendues a Grainville, a laquelle fin se trouveront au presbittere
de ladite paroisse, neuf heures du matin3 ».
Si le collecteur de haute échelle fait difficulté pour se charger
de la perception, ses collègues « bas-assis » protestent auprès
des élus pour lui « faire porter la bourse et le papier * » ; c'est
encore une source de procès. Mais on peut aussi charger de
la fonction un autre collecteur : dans son mandement aux
paroisses d'octobre 1672, l'intendant de Rouen laisse les con-
tribuables libres de « choisir pour collecteur porte-bourse celuy
[qu'ils estimeront] le plus solvable et pouvoir mieux répondre
des deniers de la collecte, soit qu'il soit de la haute, moyenne
ou basse eschelle, et sans distinction5. »
Le système avait sur la collecte par tous les collecteurs à
tour de rôle des avantages incontestables : il garantissait mieux
les recouvrements, les contribuables étaient plus ménagés, et
les non-valeurs moins élevées. Voysin de la Noiraye, qui l'avait
vu fonctionner à Rouen, en faisait l'éloge alors qu'il était passé
en Touraine, et obtenait de Colbert un arrêt du Conseil pour
l'établir dans sa nouvelle généralité6.
1. C'est-à-dire au prorata de leur propre imposition.
2. Tous ces détails sont tirés des rôles de l'élection de Bayeux, année 1663,
A. Mun. Bayeux.
3. Plumitif de l'Election de Neufcliatel, A. D. S. Inf. C, 2484. Le tribunal ajourne
sa sentence en ce qui concerne le partage des frais.
4. Mentions portées au bas de beaucoup de rôles de l'élection de Bayeux,
A. Mun. Bayeux.
5. A. D. S. Inf., C 2215.
6. Let. des 16 oct. et 7 nov. 1666, M. G. 141, f° 380 et 142 f° 190; cf., 133, f° 539.
C'est encore un cas d'extension des usages normands au reste du royaume.
Itl LA TAILLE EX NOIIMANDIE.
Assez fréquemment, la collecte est confiée à plusieurs
collecteurs : A Saint-Malo-de-Bayeux, en 1663, on désigne
deux porte-bourse; à Saint-Martin-des-Entrées, le collecteur
principal s'engage à recueillir les trois premiers quartiers
de la taille, un de ses collègues se chargeant du quatrième.
A \ aucellcs, l'un des collecteurs demande qu'il luy soit
f>ermis de « faire pappier pour la moitié du dernier quartier »,
e reste étant confié au porte-bourse, ce qui est accepté1. A
Rots, le collecteur haut-assis porte seul la bourse la plupart
des années, mais en 1668 il est convenu que les quatre collec-
teurs « racueilleront chacun leur quartier l'un apprès l'autre
comme ils sont nommez et estabhs »; en 1676 et en 1677,
on désigne deux porte-bourse chargés chacun de deux quar-
tiers, et il est spécifié que les autres collecteurs n'auront rien
à recueillir, attendu qu'ils sont « en quelque façon insol-
vables' ».
En certaines paroisses, on pratique le « bannissement » de
la collecte*, c'est-à-dire que l'on confie, moyennant une rétri-
bution convenue, la perception à un individu, collecteur ou
non, et nommé pour cela collecteur « allouant » ou « conven-
tionnel ». Généralement, c'est l'assemblée de paroisse qui
décide l'opération; on traite soit à l'amiable, soit par adjudi-
cation publique, à l'issue de la messe, « au moins disant et
dernier enchérisseur ». Le procédé n'a rien d'irrégulier; des
ordonnances de 1459, 1517, mars 1600, etc., l'ont autorisé; le
jurisconsulte Guénois affirme en 1596 qu'il est « le plus
souvent » pratiqué *, et La Barre en parle comme d'un cas
normal 6.
Le 3 janvier 1661, les habitants de Tracy, élection de Caen,
décident dans leur assemblée de « bannir la collection de la
taille de ladicte paroisse jusques a huict ans révolus6... a cause
qu'il ne se peut trouver de portant bourse solvables dans
1. Râles de l'élection de Baveux, année 1663, A. Mun. Baveux. A Bradais
(élection d'Avranches), en 1658, la taille des trois quartiers de janvier, avril et
octobre est levée par trois collecteurs différents, et pour le quartier de juillet,
deux autres collecteurs s'en chargent par traité (A. D. Calv., Bureau des finances.
Procès-verbaux de différentes affaires, 1659-69, f° 69).
2. A. Mun. Rots, Registres paroissiaux, aux dates des 14 oct. 166S, 8 déc. 1676 et
19 déc. 1677.
3. L'usage n'est pas particulier à la Normandie; on le trouve aussi en Bour-
bonnais (let. de l'intendant, 10 juillet 1670, Clairamb. 792, p. 6 et Procès-verbal
de la généralité de Moulins par d'Argouges, cd. Vayssière, p. 36); en Orléanais
(Hû, Le bailliage seigneurial de Pontlevoy, I, p. 19), et en Languedoc (De Boislisle,
Correspondance, t. I, n°' 637, 769, 1880, etc.).
4. La grande conférence des ordonnances, éd. 1678, t. I, 2* part., p. 140. Cf.
aussi J. Combes, Traité des tailles, (1576) f° 32 verso et Lebrun de la Rochette,
Leslection ou traité de la jurit diction des esleus, (1618), p. 25, mais ces auteurs
ont en vue le cas où l'adjudication serait faite à un prix inférieur à la remise
fixée parles règlements; cf. l'art. 11 de l'ordonnance de 1517.
•>. Formulaire, p. 196.
6. C'est-à-dire pour une période de huit ans.
QUI FAIT LA PERCEPTION DAXS LES PAROISSES? 413
ladite paroisse, a raison de la pauvreté desdits habitants ». A
cet effet, ils prennent la délibération suivante :
« Pour éviter aux grand frais que les collecteurs souffrent a la recol-
lection des deniers de leur taille, lesquels attirent la totale ruine tant
des dits collecteurs que du gênerai, pour les exécutions fréquentes qui
se font pour le recouvrement des dits deniers, ils consentent et sont
d'avis que les personnes de * fassent la recollection desdits
deniers par ce qu'ils pourront prendre sur eux 2 par chaque*
livre, en outre le taux et imposition a quoy ils seront assis et taxés ;
laquelle assiette et la taxe sera faitte parles collecteurs, lesquels seront
nommés dans leur ordre et rang chasque an, lesquels seront tenus de
mettre le roole aux mains de . Lesquels (ou lequel) par ce moyen
seront tenus descharger lesdits collecteurs et gênerai envers les rece-
veurs et les garantir de toutes pertes, frais, dommages et despens. Estant
entendu neantmoins que la ou 3 cet ordre cesseroit a l'advenir, les col-
lecteurs ayant esté nommés pour faire ladite assiette ne demeureroient
deschargés de leur rang et ordre, lequel recommenceroit comme s'ils
n'avoient esté nommés, cessant quoy le présent certificat n'eust esté
ainsi arresté ayant mesme consenty que le présent soit emologué par
tous où il appartiendra, pour l'exécution d'icelluy, a quoy les susdits
tant pour eux que pour le gênerai ont obligé généralement tous leurs
biens presens et advenir *. »
Le procédé est également adopté par plusieurs paroisses de
l'élection de Vire, parce que leurs collecteurs « ne savent ny lire
ni escrire, et ont d'autres occupations ou trafics qui les empes-
chent de vaquer » à la fonction 5. A Blainville-sur-Mer, élection
de Coutances, on y a recours parce que la majorité des contri-
buables, occupés à la pêche et au matelotage, sont absents une
partie de l'année; l'adjudicataire, qui est pendant quinze années
de suite le même individu, s'engage à « avancer le paiement de
toute la taille et indemniser la paroisse de toutes les cottes de
matelots qui meurent sur 'mer et demeurent insolvables », si
bien que la paroisse, l'intendant lui-même le constate, ne con-
naît ni les procès en décharge de collecte, ni les exécutions,
ni les non-valeurs, ni les rejets6.
En certains cas, l'adjudication est ordonnée par les élus, qui
y président : ainsi un procès étant survenu en 1675 entre deux
collecteurs de Croisilles, et l'un d'eux ayant fait défaut, l'iilec-
tion de Gaen ordonne qu'il sera procédé à « la banie par rabais
1 . En blanc dans l'original.
2. Id., le chiffré de la remise avait été fixé à 3 s. 6 d. par une délibération
antérieure de l'assemblée.
3. C'est-à-dire au cas où.
4. A. D. Calv. Election de Caen, registre de consentements de Tracy. Cf. d'autres
contrats analogues, de 1687, 1689, 1695, publ. dans Hû, Le bailliage seigneurial
de Pontlevoy, t. I, p. 19-20.
5. Mémoire de l'intendant Méliand, 18 juillet 1682, A. N. G1 213.
6. Ibid.
LA TAII.I.i: ! X NOIl.MAXniK.
du service de la collection pour une basse eschelle de la taille
de Crosille année présente ' », mais les autres collecteurs
devront faire le recouvrement de leurs quartiers. En 1661, les
élus de Mortain ordonnent la bannie de la collecte dans la
paroisse de Ger, parce qu'il y a contestation entre les collec-
teurs sur la validité de leur nomination, et la sentence est
confirmée par arrêt de la Cour des Aides, le 7 février 1662 2.
L'Election de Falaise, le 2 octobre 1677, autorise Michel Froger,
collecteur de Couterne, à « faire bannir le service de la collecte
des tailles, au lieu et place de Jacques Froger son collègue'. »
Parfois même, le contrat est conclu à l'amiable par un collec-
teur, ou par la veuve d'un collecteur décédé en cours de charge,
avec un particulier de son choix : pour que l'acte soit valable,
il suffit, suivant La Barre, qu'il soit « du moins signé d'un desdits
esleuz », et approuvé par les autres collecteurs *. Ainsi le
13 février 1677 Jean Germain, collecteur de Saint-Ouen-le-
Brisou, vient déclarer à l'Election de Falaise « qu'il a alloué
de la veuve feu Jullien Dubois, vivant collecteur des tailles de
ladite paroisse, année présente, a faire la collection des deniers
des tailles et porter la bourse et le papier »; il demande la con-
firmation du tribunal, qui la lui accorde, et il vaque régulière-
ment à la perception6.
Le prix de l'adjudication était tantôt une somme fixe, résul-
tant des enchères mises : ainsi à Ger en 1661 elle est de
150 liv., à Croisilles en 1675, 60 1. ; tantôt — et c'est toujours
le cas quand l'adjudication est faite pour plusieurs années —
un tant par livre des sommes imposées : 2 s. 6 d. à Blain-
ville, 3 s. 6 d. à Tracy. Toujours le chiffre dépassait les 6 d.
réglementaires.
Par son contrat, visé à l'Election, l'adjudicataire était investi
de tous les pouvoirs et obligations des collecteurs : il exerçait
les contraintes sur les taillables, soutenait les procès, avançait
les deniers au besoin, était responsable des paiements envers
le receveur, et par conséquent était saisi et emprisonné le cas
échéant6.
Quoique l'usage, reconnu avantageux pour les contribuables
et pour le fisc, fût autorisé par la coutume et par d'anciens
1. Sentences de l'Election de Caen. des 10 et 17 juin 1675, dans le plumitif de
l'Election, Arch. Galv., El. de Cnen.
2. Sentence de In cour, à sa date, dans le Plumitif, Arch. S.-Inf.
■i. Plumitif de l'Election, Arch. Galv., El. de Falaise, à sa date.
k. Fomulaire tics etleuz, p. 1%.
5. Plumitif de l'Election, ù sa date.
6. On rencontre un cas singulier dans la paroisse de La Coulonche, élection
de Falaise, en 167't : Nicolas Chatel, ayant affermé la collecte de la paroisse,
avait revendu son contrat a Thomas Barré et Baptiste Michel, pour le prix de
14 livres. Ces derniers ne purent faire un paiement au receveur à la date fixée,
ce fut ChAtel qui fat saisi et emprisonné, malgré la cession de son bail (A. D.
Colv., Plumitif de l'El. de Falaise, aux dates des 8 mai et 10 nov. 1674).
QUI FAIT LA PERCEPTION* DANS LES PAROISSES? 415
règlements, l'administration essaya de l'abolir au temps de
Colbert. À deux reprises, en 1668 et en 16751 , les intendants
de Caen l'interdirent par leurs mandements aux paroisses : mais
il ne semble pas que ces défenses aient eu aucun effet. En 1681,
Colbert lui-même intervint : dans sa circulaire du 11 septembre,
il exposa les inconvénients qu'il trouvait au système : d'abord,
disait-il, on exige des contribuables une remise supérieure aux
6 d. réglementaires, et « comme il n'est pas permis de faire
aucune imposition sur les peuples sans la commission du roy,
cette imposition de deux, trois ou quatre sols pour livre ne peut
estre légitime » ; en outre, « quoique cet establissement fut très
bon dans son commencement, il a dégénéré en abus, en ce que
ce sont pour la pluspart les receveurs des tailles qui prennent,
sous des noms supposés, cette collecte, et qui profitent par ce
moyen des deux, trois ou quatre sols pour livre2 ».
Sur le premier point, le ministre n'était du reste pas intran-
sigeant : « Comme ces collecteurs conventionnels, ajoutait-il,
seroient d'une assez grande utilité aux paroisses en ce qu'ils
retranchent tous les frais et les voyages d'huissiers3, S. M. en
autoriseroit l'establissement s'ils se contentoient de 12 d. pour
livre, sçavoir : des 6 d. imposés en vertu des commissions
pour la collecte et 6 d. d'augmentation; donnez-moi l'esclair-
cissement que S. M. désire sur cet article, afin que je puisse
luy en rendre compte » ; mais les intendants, sans doute pour
faire du zèle, renouvelèrent, par leurs mandements, l'inter-
diction de lever plus de 6 d. par livre, et il en résulta des diffi-
cultés dans les paroisses : à Blainville-sur-Mer, deux contri-
buables firent un procès au collecteur conventionnel, Le Couvé,
pour levée illégale de deniers, et l'affaire vint devant le Conseil;
les habitants soutiennent en majorité Le Couvé, déclarant que
depuis que la collecte est bannie, ils sont « exempts de toutes
courses, execusions, emprisonnemens, frais et despens, en
sorte qu'il n'y a que les huissiers des tailles qui puissent dire
avec vérité qu'ils perdent en ce rencontre » ; les élus et le rece-
veur de Coutances les appuyent et l'intendant ajoute à leur
requête : « Pour ce qui est de l'imposition de 2 s. pour livre...,
comme les tailles se payent maintenant avec plus de facilité
qu'au temps que cet usage s'est introduit, sy le Conseil ne
trouve pas a propos d'en permettre la continuation a cause de
1. Arch. Calv., Registre d'ordonnances de l'Election de Caen, 166*1-74, f° 261, et
collection des mandements aux paroisses de la même élection, année 1676.
2. Glém. II, 393 : la circulaire était inspirée par « les mémoires que MM. les
commissaires départis et intendans des provinces ont envoyés concernant la
visite qu'ils ont faite de leurs généralités ».
3. L'intendant de Caen lui écrit le 18 juillet 1682 que les élus et surtout les
receveurs des tailles « trouvent beaucoup d'aventage pour leur recouvrement »
dans les collecteurs conventionnels (A. N. G7 213). Cf. une lettre de Colbert à l'in-
tendant de Limoges, Clém., II, 893, n. 1.
/,16 LA TAILLE EN NOItMANDIE.
I. \< rdz, on pouroit la réduire a la moitié... [mais il n'est pas
probable] qu'en adjoustant seulement 6 d. comme vous le pro-
posez, il se trouvast personne qui voulust s'en charger mm
li «il ' » : pourtant les habitants perdirent leur procès. Le 22 juil-
let 1682, Colbcrt rappelait à i'intendant de Caen sa circulaire
de l'année précédente, et, le 3 août, Méliand l'informait qu'il
en assurerait l'exécution à Blainville; nous ne savons s'il put
ou non aboutir*.
Quant aux personnes d'autorité, receveurs et autres, allouant
la collecte directement ou par des prête-nom, elles n'étaient
pas rares dans la province : en 1670, le procureur du roi au
frrenier à sel d'IIarfleur et son père ont alloué la collecte de
a taille et du sel dans plusieurs paroisses du voisinage8. A La
Fcrté-Macé, en 1673, le « service de collecteur porte-bourse »
est alloué à un huissier, Bonaventure Enguerran*. En 1675,
l'Election de Caen adjuge elle-même à un huissier, Guil-
laume Baron, la collecte de la paroisse de Croisilles5. Il est
facile de se représenter à quels excès de tels personnages,
autorisés par leur titre, pouvaient se porter. Mais les ordres de
Colbert furent impuissants contre eux. Le recueil d'Orsay les
dénonce tout particulièrement dans la généralité de Rouen
vers 1690 :
« II est de conséquence d'empêcher que ces huissiers ou sergens
et autres gens publics comme avocats, procureurs et notaires ne s'ac-
comodent avec les collecteurs pour cueillir la taille pour eux, parce
que, sous ce prétexte, ils exigent des sommes considérables desdits col-
lecteurs, et d'ailleurs ils font l'assiette avec eux, leur persuadent qu'ils
en peuvent faire la collecte dans faire l'assiette avec justice, pour
éviter aux non-valeurs, et par ce moyen se rendent maîtres des par-
roisses et font leur compte lors de ladite assiette; cela se pratique
neantmoins en quelques eslections de la généralité de Rouen, et notam-
ment vers Lyon-en-Forest et Neufchastel; il faut s'informer exacte-
ment de cet article dans la prochaine visitte ou l'on pourra entendre
les collecteurs des principaux bourgs et lieux de chaque eslection,
tant pour l'année 1688 6 que pour l'année suivante, ou plutost pour
l'année 1688, parce qVétans quittes en recette, ils sont plus libres de
se plaindre et du receveur et de l'huissier7 ».
Le système des collecteurs « allouants » se maintiendra pen-
1. Lettre de Méliand, 18 juillet 1682, déjà citée. Le factum des habitants y est
joint.
2. Arch. Nat. G" 213.
3. Analyse de la lettre de Barin de la Galissonnière, 12 oct. 1670, B. N. Clai-
ramb. 792, p. 348.
fc. Plumitif de l'Election de Falaise, lor déc. 167'i, A. D. Calv.
5. Plumitif de l'Election de Caen, 10 juin 1675, ibid. Ci-dessus, p. 413.
6. En marge : « H* : l'année 1683 ne sert que d'exemple •. L'ouvrage est en
effet un recueil d'instructions à l'usage d'un intendant débutant.
7. B. N., fr. 11096, f° 22.
QUI FAIT LA PERCEPTION DANS LES PAROISSES? 417
dant tout le xvme siècle, et à la veille de la Révolution, les
opinions seront partagées sur ses avantages et ses inconvé-
nients : tandis que la grande majorité des paroisses de la géné-
ralité de Caen, consultées en 1784, s'en déclareront satisfaites1,
l'Assemblée provinciale de Haute-Normandie, en 1787, condam-
nera ces hommes qui « font une espèce d'agiotage de la collecte
des impositions de diverses paroisses... [et donnent à leurs]
avances prétendues une extension qui devient autant onéreuse
au contribuable que funeste dans ses suites2 ».
Lorsqu'un collecteur, porte-bourse ou autre, décédait en cours
décharge, il fallait pourvoir à son remplacement. Les règlements
distinguaient à cet égard deux cas : si le rôle n'était pas
encore fait, ou si, du moins, la collecte n'était pas commencée,
on devait procéder à une nouvelle élection 3. Mais si la perception
était en cours, on ne pouvait en user de même, car « le rôle
est un acte qui engage ceux qui l'ont arrêté i » ; les héritiers
devaient donc prendre la place du défunt, étant « tenus de la
part et portion de ce collecteur dans les pertes et non-valeurs
des taxes et du rôle5 ». C'est pourquoi nous avons vu la veuve
d'un collecteur allouer la collecte à un tiers, dans la paroisse de
Saint-Ouen-le Brisou. De même, le 13 février 1677, l'Election
de Falaise autorise Jean Demay, tuteur des enfants de son
frère défunt, à faire la collecte des restes de taille dus à ce
dernier en la paroisse de Bretteville-sur-Dive, pour les années
1660, 1670 et 1675, attendu « qu'en sadite qualité [de tuteur]
il est obligé de faire la collection des deniers deubs aux héri-
tiers de sondit frère6 ». Mais on a des exemples de réélection
de collecteurs en ce cas : De Merville, du reste, les juge légi-
times 7.
1. Voir le dossier de l'enquête A. D. Galv., G 4391.
2. Procès-verbal de l' assemblée provinciale de Haute-Normandie, p. 359.
3. Vieuille, p. 258. C'est, dit-il, la jurisprudence de la Cour des aides de
Paris.
4. Id., ibid.
5. Id., ibid.
6. A. D. Calv., Plumitif de l'Election de Falaise, à sa date. L'effet de la sen-
tence des élus est d'enjoindre « aux laillables de luy obéir en cette qualitté de
collecteur ».
7. Maximes, p. 38. A Tracy, un collecteur de l'année 1671 étant mort, les
habitants s'assemblent le 20 septembre « pour adviser aux moyens de mettre un
autre collecteur au lieu et place de feu Jacques Lelarge, suyvant plusieurs sen-
tences de Mrs les eleus de Gaen, pour éviter aux frais et longueur de procès, et
advancer de faire sortir les deniers de ladite taille », et ils nomment deux rem-
plaçants, qui payeront chacun 35 1. au porte-bourse « par moytié, à deux termes
égaux, scavoir la Saint-Michel et Noël prochain ». A. D. Calv. Registre de con-
sentements de Tracy.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
27
41» LA TAILLE EN NORMANDIE.
III. — LA COLLECTE
Les collecteurs, réguliers ou conventionnels, doivent perce-
voir l'impôt de tous les contribuables de la paroisse, excepte
les taxes d'office, qui, on l'a vu, sont payables directement au
receveur1. L'année financière commençant le 1er octobre, ils
doivent commencer leurs diligences dès cette date, ou du moins
dès que le rôle est exécutoire.
La taille est une dette quérable ; les collecteurs doivent donc
se présenter au domicile de chacun pour encaisser; il est ainsi
procédé généralement 2, mais souvent aussi les collecteurs
choisissent un lieu et des jours de recette. Le lieu est fréquem-
ment le cabaret, quoique les ordonnances l'interdisent; à Neuilly-
l'Evêque, à Saint-Vigor-le-Pctit, à Vaubadon, paroisses de
l'élection de Bayeux, à Sasseville, de l'élection de Caudebec,
c'est le presbytère; les collecteurs y attendent les contribuables
un ou deux jours de chaque semaine3. Ailleurs encore, c'est
le domicile particulier d'un collecteur.
Les dates auxquelles les collecteurs doivent faire la perception
sont déterminées par celles où ils doivent faire leurs versements
aux receveurs. Ces dernières, suivant les commissions, dont
les mandements aux paroisses répètent les termes 4, sont : le
1er décembre, le dernier février, le dernier avril et le 1er oc-
tobre. Mais en réalité les choses ne se passent pas ainsi. Les
retards dans la confection des rôles, les nombreux procès, la
misère et la mauvaise volonté des contribuables, les arriérés,
l'obligation d'acquitter les autres impôts, empêchent de perce-
voir la taille avec une telle régularité; les receveurs se font
payer quand et comme ils peuvent; il y a presque autant de
modes d'encaissement que d'élections. D'ailleurs le gouverne-
ment, qui a toujours connu les difficultés de cette perception, n'a
jamais essayé d'appliquer l'ordonnance, et s'est simplement
préoccupé de faire rentrer les fonds le moins mal qu'il était
possible.
On a fait cependant, à notre époque, des essais de réglemen-
tation. Un arrêt du conseil du 12 novembre 1665 prescrit d'abord
1. Ci-dessus, p. 340.
2. Cf. ci-dessous, les exemples de violences contre des collecteurs se présentant
chez les contribuables pour faire leur recette, et Boisgnilbert, Détail, éd. 1707,
I, p. 27.
3. Rôles de l'élection de Bayeux, A. Mun. Baveux, et de l'élection deNeufchàtel,
A. D. S.-lnf., C. J . J .
4. Ces dates ne sont fixées par ancun autre acte législatif que les commissions.
La déclaration de 1643 (art. 6) indiquait le 15 des mois de novembre, janvier,
avril, juillet, et octobre, mais on a vu qu'elle n'était pas appliquée en Normandie.
On n en tenait pas compte davantage, sur ce point, dans le reste du royaume.
LA COLLECTE. 419
aux receveurs de choisir un jour de recette « pour la commodité
des collecteurs », lequel jour fut habituellement celui du marché1.
Puis, en 1670, l'intendant de Rouen, ayant écrit à Colbert « que
si les receveurs s'abonnoient avec les collecteurs par mois, ce
remède empescheroit bien des frais de recouvrement2 », il fut
autorisé à tenter l'expérience l'année suivante3 :
« Nous exhortons les collecteurs, écrivît-il dans son mandement, de
venir incessamment trouver le receveur des tailles de vostre eslection,
afin de convenir des termes des payemens de la somme a laquelle vostre
dite paroisse est imposée; lesquels payemens estans faits dans les
temps qui seront convenus, ledit receveur ne pourra se faire payer
aucuns frais pour les courses de ses huissiers, en cas qu'il en fist faire
aucune auparavant l'échéance desdits termes4. »
Les résultats obtenus ayant été satisfaisants, Colbert étend
le procédé à la généralité de Caen5, et en 1678 l'intendant
déclare « qu'il n'y a point de moyen plus convenable pour
empescher [les frais] que les atermoiments6 ». Il a donné aux
receveurs particuliers l'ordre de tenir un registre où les con-
ventions seront inscrites et contresignées par les intéressés ;
moyennant quoi il leur est défendu « de délivrer aucunes con-
traintes aux huissiers, et a tous huissiers de faire aucunes con-
traintes, exécutions, frais ny poursuites, a peine d'interdiction,
de 500 1. d'amende et de répétition de toutes pertes, dommages
et intérests que les communautés en auroient pu souffrir7 ».
Comme les collecteurs pourraient, en « interprétant mal » cet
article, « faire difficulté de paier la taille autrement que de mois
en mois en quatorze paiements, et que mesme les receveurs des
tailles sembleroient n'avoir pas la liberté de décerner leurs
contrainctes en la manière accoustumée et dans les temps portez
par les reglemens a cause desdites deffenses », une ordonnance
du 12 décembre suivant fait savoir que cette mesure « n'est que
pour exhorter les collecteurs a faire les dits attermoyemens pour
evitter les frais », et qu'en conséquence il reste entendu que les
règlements royaux sur les contraintes demeurent en vigueur et
pourront être appliqués s'il y échet8.
Mais l'application du nouveau système fut gênée par la hâte
1. A. D. Calv., Election de Caen, procès de Cairon, et let. du receveur de Mor-
tain, 21 janvier 1679, A. N. C 213.
2. Let. du 30 septembre 1670, Glairamb. 792, p. 337.
3. Let. du 6 juillet 1671, ibid., p. 751.
4. Mandement pour la taille de 1673, A. D. S. Inf., C 2 215; cf. les mandements
postérieurs, B. N. fr. 8 761b", reproduisant à peu près cette prescription.
5. Mandement pour la levée de la taille, A. D. Calv., Election de Caen.
6. Mandement pour la nomination des collecteurs, 1er août 1678, ibid.
7. Ibid.
8. A. D. Calv. Elect. de Caen, registre d'ordonnances, à sa date.
,,J0 LA TAILLE EN NORMANDIE.
du gouvernement à faire rentrer les fonds au Trésor: Le 11 jan-
vier 1678, Chamillart explique;! Colbert que, comme le receveur
généra] « est obligé de payer dans le mois de febvrier les mois
de mars et d'avril, il oblige les receveurs particuliers a faire faire
la mesme advance aux colecteurs, ce qui interrompt les atterme-
incnts qui leur estoient accordez de mois en mois, et causera
beaucoup de frais1 ». D'autre part, le paiement de mois en mois
n'était pas toujours le plus commode pour les collecteurs : il y
avait des époques de l'année où ils ne pouvaient rien encaisser;
« pendant les mois de may, juin, juillet et aoust, écrit Colbert,
les peuples ne payent rien dans les provinces, parce qu'ils sont
occupés aux récoltes2 ». « Les meilleurs mois de l'année, et
dans, lesquels les peuples payent le plus, dit-il encore, sont assu-
rément ceux d'octobre, novembre et décembre3. » Aussi, cer-
tains administrateurs désapprouvaient-ils le système. L'inten-
dant de Franche-Comté écrit au contrôleur général le 10 septem-
bre 1684 qu' « il y a des mois dans l'année où le paysan ne peut
faire d'argent, ce qui fait que l'on fait des poursuites et des frais
qui ont monté à des sommes excessives »; si l'on rétabli le
paiement par quartiers, on soulagera « cette province de la
valeur du tiers de l'imposition* ». Néanmoins, la pratique des
« abonnements » fut généralement reconnue bonne, et en 1689,
le contrôleur général recommandera vivement à l'intendant
d'Alençon de l'introduire dans sa généralité, où elle ne semble
pas avoir été usitée jusque-là 5, et l'auteur du Recueil d'Orsay
conseille à tous les intendants de l'adopter6.
Les collecteurs ne sont pas tenus de délivrer un reçu aux
taillables pour les sommes payées; le règlement de janvier
1634, art. 38, leur prescrit seulement de « croiser » sur un
exemplaire du rôle, qu'ils doivent toujours porter avec eux, et
qui est désigné parfois sous le nom de « cueilloir » 7, « les paie-
1. Analyse de sa lettre. Clairamb. 794, p. 81.
2. Mémoire sur les affaires de finances, Clém., II, 36. C'est pour ce motif, dit
Colbert, que l'on ajourna l'arrestation de Fouquet.
3. Let. à Mazarin, 31 août 1651», Clém., I, 360. Cf. le mémoire de l'intendant
d'Alençon du 22 juillet 1680 : les principaux payements se font « après la récolte »
(A. N. G^ 71).
4. De Boislisle, Correspondance, t. I, n° 111. Il obtient ensuite satisfaction, et se
félicite des améliorations obtenues (ibi-l.).
5. Let. du 8 janvier, dans De Boislisle, Correspondance, t. I, n° 650 : « Le roy
avant remarqué que, dans beaucoup de généralités du royaume, les receveurs des
tailles véritablement appliqués au soulagement du peuple ont pris le parti
d'abonner les paroisses afin d'éviter les frais de recouvrement, S. M. désire que
vous portiez les receveur» des tailles de vostre généralité à en user de mesme,
particulièrement ceux de Mortagne et de Conches, où je remarque que les recou-
vrements se font avec beaucoup plus de dureté qu'ailleurs... »
6. B. N. fr. 11 096, f> 16.
7. Les rôles-cueilloirs sont assez rares dans les archives publiques, où l'on a
généralement les rôles des greffes d'élections ou d'intendances. On en trouve
quelques-uns dans les fonds d'élections des Arch. du Calvados; aux Arcb. de la
Seine-Inférieure, se trouve celui de Saulmont la Poterie (élection des Andelys),
LA COLLECTE. 421
ments qui seront faits par les cotisez... au même instant que
lesdits paiemens seront faits1 ». Un édit de décembre 1654
avait enjoint, à la vérité, aux collecteurs de « fournir des quit-
tances aux particuliers taillables des sommes qu'ils recevront
d'eux, outre l'emploi qu'ils en feront dans leurs papiers de col-
lecte », mais ces quittances, frappées d'Un droit de 4 deniers
au profit du Trésor, n'étaient qu'un expédient fiscal, un véri-
table impôt ajouté à la taille; les Etats de Normandie, en 1655,
faisaient remarquer justement que « s'il failoit lever autant de
quittances à 4 d. pour chacun [payement], les frais des dites
quittances excéderoient le principal de la taille des misérables
qui n'en payent qu'un sol ou deux, et en tous autres augmen-
teroit notablement leur imposition ' » ; le roi leur promit d'abord
de réglementer la perception du droit « au plus grand soula-
gement du peuple qui se pourra », puis, deux ans après, rap-
porta l'édit, et l'on revint à l'usage ancien.
Cet, usage permettait des abus très graves. Parmi les motifs
donnés en tète de l'édit de décembre 1654, on lit :
« L'un des plus grands désordres qui se commettent en la levée des
deniers de nos tailles procède de la malice des collecteurs, qui, abusant
de l'ignorance et foiblesse des particuliers tailliables, n'écrivent point
sur leurs rolles ou papiers de collecte les sommes entières qu'ils reçoi-
vent, et ensuite supposent de faux restes à recouvrer, pour lesquels
on contraint souvent les tailliables à payer deux fois une même somme,
ou l'on fait des rejets sur les autres contribuables, ou en tous cas ces
faux restes tombent en non-valleurs3. »
Lorsque les collecteurs étaient tous illettrés, ils étaient forcés
de faire marquer les paiements par d'autres, et c'était encore
une source de voleries. « Ces collecteurs ignorans, dit Lallemant
de Lévignen, sont obligés de prendre quelqu'un avec eux pour
écrire les sommes qu'ils reçoivent, ce qui leur occasionne des
frais et d'estre souvent trompés, ou s'ils s'en rapportent aux
contribuables mêmes pour écrire ce qu'ils reçoivent sur leur
ligne, ils employent des sommes plus considérables que celles
pour 1673 (G 2 213). Je reproduis plus loin une page de celui de Cuy (Election
d'Argentan), appartenant à M. Bridrey, professeur à la Faculté de droit de Mont-
pellier.
1. Cf. V Abrégé des trois états du Clergé, de la Noblesse et du tiers Etat, par le
sieur D. G., Paris, 1682, p. 73 : « Par le droict romain, les collecteurs estoient
tenus de donner quittance aux particuliers, mais aujourd'hui il suffit de bastonner
les roolles ».
2. De Beaurepaire, Cahiers... règnes de Louis XIII et Louis XIV, Supplém. p. 23.
3. C. d. T., I, p. 454. Cf. par contre le cahier des Etats de Normandie, de
décembre 1655, cité plus haut : « L'ordre accoustumé de marquer par les collec-
teurs sur leurs rolles les payements qui leur seront faits pourvoit suffisamment
à la seureté des taillables de ne pouvoir estre recherchez de ce qu'ils ont payé. »
Mais les Etats sont ici sujets à caution : ils désirent faire supprimer le droit de
quittance établi par l'édit.
42Î LA TAILLE BN NORMANDIE.
«ju ils payent aux collecteurs, ce qui fait naître des contestations
entr'eux ou cause leur ruine1 ».
Souvent aussi, les collecteurs négligeaient d'inscrire ce qu'ils
recevaient, ou tenaient des rôles en double, qui ne se corres-
pondaient pas. Les contestations, de ce fait, étaient nombreuses,
et fournissaient de la « pratique » aux Elections.
Les intendants dénoncèrent les mauvais usages dans leurs
mandements aux paroisses. « Ne pourront lesdits collecteurs,
disait celui de Caen en 1676, avoir que chacun un papier de
collection, sur lequel ils feront leur collecte, et croiseront les
taux des contribuables a l'instant des payemens, sans se servir
d'autres mémoires, à peine de punition corporelle2. » Ils établi-
rent aussi la vérification de la recette par des personnes notables
de la paroisse. Celui de Rouen, en 1673, ordonna aux habi-
tants « de faire représenter par lesdits collecteurs leurs rôles
de mois en mois, en présence du curé de [la] paroisse, du
sindic et de deux ou trois des principaux habitans..., pour voir
s'ils y ont employé les receus des particuliers contribuables* ».
Mais on ne voit pas que de grandes améliorations aient été
obtenues. En 1690, l'auteur du Recueil d'Orsay écrit que souvent
les collecteurs « n'écrivent point les payemens qui leurs sont
faits par les taillables sur les papiers de collection a l'instant
qu'ils leur sont faits, et se contentent de l'écrire quelquefois
sur des feuilles volantes* ».
Voici la reproduction d'une page du « papier pour faire le
recepte » en l'année 1662, dans la paroisse de Cuy (Election
d'Argentan). La somme à lever, 447 l. 6 s., est divisée en deux
f>arties5 : le principal de la taille avec les crues (188 1.), et
e taillon; elle est répartie entre 51 feux « utiles » (il y a en
outre deux feux cotisés à néant) :
Estienne Le Peltier XII1 x*
taillon id xvn1 mi"
Resus le premie jour de fufriei xxx s.
plus Resus xx s. plus Resus lx s.
plus Resus xxx s. plus Reçus nu 1. |
Reçus lx s. plus R. lvi s.
R. xv 1. xvn s. mi d.
PlBRRB RoXVOISIN FILS JEAN VII1 X*
taillon id x1 vi» vid
R. ce vingt neuf de jeanvier trante soubz.
1. B. N. fr. 7 771, f» 182.
2. A. D. Calv ., Election de Caen.
3. A. D. S. Inf. C, 2215. Cf. le mandement de 1677, B. N. fr. 8 76tb1*, f° 27.
4. B. N. fr. 11096, f 38.
5. Elle» sont imposées séparément, comme il était prescrit. C'est seulement à
partir de 1663 que les impositions seront faites en une seule ligne pour chaque
contribuable.
LA COLLECTE. 423
plus Resus xl s. plus Reçus xxxv s. plus Reçus xxxv s.
plus Resus xxxv s. plus Resus xxxv s.
plus Resus xl s. plus Reçus x s. | Reçus xxxv s.
R. xxv s. plus Reçus lxxii s.
On voit que seule la date du premier versement est marquée
(elle varie, suivant les contribuables, du 21 janvier au 11 mai
suivant); les sommes encaissées sont inscrites bout à bout, en
chiffres de compte, sans indications d'aucune sorte; des blancs
sont laissés, permettant toutes les intercalations possibles. A
un certain endroit dans chaque série de reçus est placée une
barre verticale, qui marque peut-être la séparation entre les
sommes perçues par deux collecteurs différents. Chose singu-
lière, lorsqu'on totalise les reçus, on arrive, pour la plupart des
contribuables, à un total supérieur à leur cote. Ainsi l'on peut
calculer qu'Etienne Le Peltier, imposé à 29 1. 14 s., a payé
31 1. 6 s. 4 d., et Pierre Bonvoisin, imposé à 17 1. 16 s. 6 d., a
payé 19 1. 12 s. D'autres, par contre, ne se sont pas acquittés
complètement : tel Nicolas David, imposé à 33 s. 3 d., qui n'a
payé que 30 s. en deux fois, ou Robert Bonvoisin, imposé à
10 1. 8 s., qui a versé un jour 8 1. 5 s., puis n'a plus rien payé;
il en est même deux, imposés au total h 19 1. 2 s. 5 d., qui
n'ont lait aucun versement. Il est possible que les sommes
levées en excédent aient été destinées à compenser l'impayé,
mais en ce cas il y eut du boni pour les collecteurs, car le total
des sommes reçues dépasse l'imposition de 42 1. Peut-être aussi
l'excédent était-il destiné à payer des dépenses supplémen-
taires, frais de procès, de contraintes ou autres; nous en sommes
réduits, sur ce point, aux conjectures.
On peut aisément constater, sur le cueilloir de Cuy, les len-
teurs et les difficultés de la recette. En dehors de ceux qui n'ont
pas acquitté leur dû, et de ceux qui étaient imposés à moins de
15 d. — c'est-à-dire à une somme infime — , il n'est que deux
contribuables qui aient payé en une seule fois ; six ont payé en
deux fois, deux en trois fois, les autres en huit, dix et douze fois.
Julien Bodé paye 61.4 s. 1 d. en 13 versements, la veuve Mathieu
Corneilles, 5 1. 7 s. 1 d. en 14 versements, Pierre Bonvoisin fils
Macé, 20 1. 16 s. 1 d. en 16 versements. Les paiements par 2 s.,
3 s., 5 s., sont très fréquents1.
Ce qui se passait à Cuy se retrouve dans la grande majorité
des paroisses. On verra plus loin la peine que les receveurs
1. Cf. Boisguilbert, Le Détail, éd. 1707, t. I, p. 18 : Les contribuables ont l'ha-
bitude « de payer sol a sol, après mille contraintes et mille exécutions, soit pour
se venger des collecteurs de les avoir imposez a une somme trop forte, en retar-
dant par là leur aport en recette, et leur faisant soufrir des courses d'huissiers,
ou pour rebuter ceux de l'année suivante de les mettre en une pareille somme
par les difficultés des paiemens... Tel les fait venir cent fois en sa maison pour
avoir le paiement de sa taille, qui a de l'argent caché ».
,., LA TAILLE EN XOKMANDIE.
avaient de se faire payer des collecteurs : elle montre que les
collecteurs eux-mêmes ne faisaient pas facilement leurs recou-
vrements. Presque jamais la taille d'une année n'était payée en
douze mois, de sorte que les contribuables avaient affaire à plu-
sieurs groupes de collecteurs à la fois : on voyait ainsi dans les
rues, suivant l'expression deBoisguilbert, « une espèce d'armée »
battant le pavé « sans presque rien recevoir que mille injures
et mille imprécations ». La cause de cette lenteur est souvent
une réelle impuissance des contribuables, mais aussi fréquem-
ment ceux-ci veulent simplement « se venger des collecteurs de
les avoir imposez à une somme trop forte, en retardant par là
leur aport en recette, et leur faisant souffrir des courses
d'huissiers, ou rebuter ceux de l'année suivante de les mettre
en une pareille somme, par les difficultez des paiements l. »
Les collecteurs ne manquent pas de moyens de contrainte envers
les récalcitrants. La vérification du rôle, on l'a vu, en fait un
acte authentique, emportant créance sur ceux qui y sont inscrits.
En conséquence, le collecteur peut « faire saisir les fruits et les
effets mobiliaires du cotisé sans autre obligation ni condamna-
tion, car ces sortes de biens des cotisés sont engagés par la seule
cotisation2 ». Les formalités ordinaires des saisies, fixées par
l'ordonnance d'avril 1667, ne sont pas applicables en la matière :
un édit de mars 1668, après bien d'autres, en dispense formel-
lement les collecteurs. Ils n'ont besoin ni d'huissiers, ni de
sergents, ni de recors ou témoins*. L'intendant Leblanc juge
cette procédure bonne, parce qu'elle réduit les frais de con-
trainte : « Il est nécessaire, dit-il, de permettre aux collecteurs
de saisir les levées et de les vendre eux-mesmes a la porte de
l'église, après une publication au prosne, ayant trouvé au Pon-
teaudemerque pour une vente de 80 1. il y avoit eu 100 1. de frais
d'huissiers* ». Les élus de Verneuil, en 1683, ayant imaginé de
faire assermenter l'un des collecteurs pour les saisies, l'intendant
déclare que ce procédé « est tout a fait incommode aux collec-
teurs, car outre qu'il leur en couste de l'argent, ils ne peuvent
cuillir les deniers du roy que celuy qui a preste le serment ne
soit avec eux, parce que les contribuables, le voyant absent,
sçavent que les autres ne peuvent saiziret retardent ainsy jusques
a un autre jour qu'il soit avec ses consortz3 ».
Toutefois, l'intervention des huissiers et de la force publique
est permise quand les contribuables sont « de difficile discus-
1. Doisguilbert, Détail, éd. 1707, I, p. 18.
2. Domat, U droit public, t. II, p. 33. Cf. le recueil d'Orsay, B. N. fr. 11096,
f° 14. r J
3. Let. du 22 juin 1681, A. N. G^ 491.
4. Cf. aussi l'arrêt du Conseil du 4 juillet 1664, art. 9, Règlements de Normandie,
5. Mémoire du V septembre 1683, A. N. C 71.
LA COLLECTE. 425
sion » ; en ce cas, les huissiers et sergents ne peuvent se faire
payer de leur course sans formalités : ils doivent se faire taxer
en l'Election, « sauf a repéter sur les collecteurs, et par eux
sur les particuliers, chacun a proportion de sa part aférente
de ladite taxe1 ».
Lorsque les contribuables jugent que la saisie est indue,
ils peuvent se pourvoir avant la vente devant l'Election. Il en
résulte un très grand nombre de procès, qui vont en appel à la
Cour des Aides. Les motifs invoqués dans ces procès sont
nombreux et variés. Tel prétend n'être pas propriétaire des
meubles qu'on a saisis; tel autre affirme ne rien devoir; tel autre
soutient que les biens ne sont pas saisissables. Les collecteurs de
Saint-Pierre-de-Canivet ayant, en 1677, saisi les fermages dûs à
Charles Dusoir, celui-ci soutient que ces fermages ne lui
reviennent pas, attendu « qu'il a baillé les héritages dont pro-
viennent lesdits deniers a Messire Abraham Dusoir, prebtre,
son fils, pour son tiltre, lequel les [lui] a baillés a ferme2». Pierre
Chevalier, sergent, s'oppose à l'exécution de deux vaches que
lui ont prises les collecteurs de La Ferté-Macé en 1674, attendu
qu'il a « fait plusieurs assignations et dilligences pour lesdits
collecteurs jusques a la somme de 7 1. 5 s. 6 d. »; l'exécuter,
dit-il, « ne seroit raisonnable ». Mais les élus ne lui donnent
pas satisfaction, car « les deniers de la taille ne se compen-
sent contre les sallaires d'un sergent3 ». Le 2 août 1662, la
Cour des Aides casse la saisie de deux génisses et un pou-
lain faite sur la dame Marie de Cussy par les collecteurs de
Formigny « en conséquence du droit de forgage à elle donné
par Jean Ivel, par acte passé devant tabellions, de retirer lesdits
bestiaux4 ». Pierre Dufay veut empêcher les collecteurs de La
Forêt, élection de Falaise, de saisir pour sa taille une vache
appartenant à un de ses fermiers, soutenant que ce n'est pas en
réalité son fermier, mais son domestique5...
Les collecteurs rencontraient des difficultés particulières
lorsqu'il fallait faire payer la cote de ces « coqs de paroisses »,
personnes puissantes, fermiers de privilégiés, dont on a vu
l'intervention lors de l'assiette. Il existe, disait La Barre, quan-
tité de « gens de main forte dont les collecteurs ne peuvent
venir h bout6 ». Les personnes puissantes, dit aussi Pescheur,
c'est-à-dire « les officiers des justices ordinaires, maires, esche-
vins, gens du barreau et autres », qui « ne portent de taille
fi. Arrêt du Conseil du 4 juillet 1664, art. 9. Pour les biens saisissables, voir
ci-dessous, p. 460 et suiv.
2. Plumitif de l'Election de Falaise, 8 mai 1677, A. D. Calv.
3. Ibid., à la date du 1er décembre 1674.
4. Plumitif de la Cour des Aides, à la date du 2 août 1662.
5. Plumitif de l'Election de Falaise, à la date du 23 février 1674.
6. Formulaire, p. 48. Cf. le règlement du 27 novembre 1641, dans Néron, II,
p. 663, un arrêt du Conseil du 5 novembre 1G53, A. N. AD ix 470, pièce 14, etc.
,v, LA TAILLE EN NOItMANDIE.
que ce qui leur plaisl, » ne payent « jamais les sommes qu'il/.
s«»nt demeurez d'accord de porter, les asseeurs n'osant leur en
faire demande, parce qu'ilz leur font pièce aussi tost» ». Ces
résistances, connues et interdites depuis longtemps, avaient été
particulièrement fréquentes pendant la Fronde. Les subdélé-
gués de la Chambre de justice en 1661 avaient mission d'en
informer*, et Colbert jugeait leur action insuffisante : « Il fau-
drait, écrivait-il, establir les chambres des grands-jours dans
toutes les provinces, afin de punir les crimes et particulière-
ment les empeschemens faits en la levée des deniers du royJ ».
En 1664, un arrêt du Conseil dénonça pour les interdire les
abus des personnes d'autorité en Normandie : « Aucuns gen-
tilshommes et personnes puissantes de la province de Nor-
mandie, abusans de leur autorité, bâtent et excédent les collec-
teurs des tailles et autres sujets de S. M., et font des levées
sous prétexte de recompenses de la protection qu'ils donnent
aux habitans de leurs paroisses, tant pour les exempter des
logemens de gens de guerre, que pour faire diminuer leurs
tailles », et S. M. s'y déclara résolue à « faire connoitre a ses
sujets qu'ils n'ont besoin d'autre protection que de la sienne,
laquelle Elle veut employer en toutes occasions pour leur seureté
et soulagement*».
Ces personnes d'autorité avaient un moyen d'empêcher
indirectement la levée, en donnant asile aux biens des con-
tribuables menacés de saisie. Le règlement d'août 1664, après
beaucoup d'autres, défendait « a tous ecclésiastiques, sei-
gneurs, gentilshommes et officiers d'apporter aucun empê-
chement a la levée » de la taille, en retirant chez eux les
grains, meubles et bestiaux des contribuables, ou en s'en
déclarant faussement propriétaires, mais la seule pénalité dont
ils étaient menacés était « de paier en leurs propres et privez
noms les sommes de deniers qui se trouvent dues5 par les con-
tribuables » (art. 32).
Sur l'exécution de cet article nous savons peu de chose, étant
réduits a quelques rares informations ou dénonciations; à Aque-
ville (élection de Caudebec), Nicolas de la Montagne, écuyer,
sieur de la Chapelle, est accusé, en 1661, d'avoir, « par intelli-
gence... achepté tous les meubles de Bellelle son fermier, quoi-
qu'ils excédassent plus de 8000 I. plus qu'il ne pouvoit pré-
tendre », et les habitants « ne peuvent estre payez de l'impost
dudit Bellelle, à cause de l'autorité dudit sieur de La Montagne,
lequel mesme s'est pourveu devant le juge de Cany, et les a laict
1. M. C. 33, f 90.
2. B. N., Recueil Thoisy 380, f» 291, verso.
3. Clém., VII, 197.
4. A. D. Calv., Election de Gaen, registre d'ordonnances, 1664-74, f° 59.
5. Le texte des Règlements de .Xormandie porte : « qui se trouveront devoir ».
LA COLLECTE. 427
condamner a remettre es mains dudit sieur de la Montagne les
biens indiquez et exécutez1. » En 1682, à Eu, un collecteur a
été si malmené par le procureur fiscal, qu'il a dû, par crainte,
quitter le bourg en emportant son rôle; le procureur de l'Elec-
tion prie Colbert d'intervenir pour que le receveur des tailles
ne délivre pas de contrainte solidaire contre la paroisse, le
paiement de l'impôt étant arrêté de ce fait2. En 1679, à La
Lacelle, près d'Alençon, un collecteur s'étant présenté pour faire
sa recette chez un sieur Dugué, personnage « autorisé » dans
la localité, fut rossé à ce point qu'il en mourut peu de jours
après. La Cour des aides fit une information, mais Dugué et son
fils, qui avaient participé à l'affaire, ne purent être arrêtés : par
contumace ils furent condamnés l'un aux galères à perpétuité,
l'autre à mort3.
Ces violences n'étaient d'ailleurs pas le monopole des coqs
de paroisses. Les insultes et les brutalités étaient la monnaie
courante dont on payait les collecteurs : les plumitifs d'élec-
tions nous en donnent de nombreux exemples : maltôtier, voleur,
« dépouille-pendu », sont des injures qui accueillent commu-
nément le porteur du rôle. En juillet 1677, les collecteurs du
Sac (élection de Falaise) allèrent en la paroisse de Saint-Aubert
pour saisir les biens de Guillaume Briquet « sur la ferme et
héritage d'Emon. Briquet son frère »;
Etant arrivés près « d'une pièce de terre en herbage appartenant
audit Emon Briquet, ils furent aperçus par ledit Guillaume Briquet,
qui s'écria parlant ausdits collecteurs : « Vous estes des larrons, que
cherchez-vous? »; neantmoins, sur la demande que fist [= firent] les
dits collecteurs au dit Guillaume Briquet de l'impost dudit Emon Bri-
quet, son frère, il leur fist offre de 4 francs ou 4 1. 10 s. demandant
qu'on luy donnast une partie du dit impost, et qu'il n'en pairoit que
celle la, ce qui fut refusé par les dits collecteurs, lesquels collecteurs
dirent au dit Guillaume Briquet : « Vous avez desjà faict exploitter un
jardin a pasture de vostre frère » ; lequel repondit que ce n'estoit pas
grand chose ». Enfin on convint de « s'accommoder sur un pot* ».
Les collecteurs ne sont pas toujours de composition aussi
facile. Voici le procès-verbal d'une autre scène, qui se passa
le 18 janvier 1694, dans la paroisse d'Hérouvillette, près de
Caen5 : Vers neuf heures du matin, comme les trois collecteurs
faisaient « le tour de la paroisse pour faire en sorte de se faire
1. Plumitif de l'Election de Gaudebec, 4 oct. 1661, A. D. S. Inf., G 2483. La
montagne fait défaut au procès; la vente est annulée et la saisie autorisée.
2. Let. de mai 1682, A. N. G' 492.
3. Let. de l'intendant d'Alençon, 2 mars 1679, A. N. G7 71, et de Leblanc,
23 mars 1682, B. N. fr. 8761, f° 28.
4. Plumitif de l'Election de Falaise, 2 oct. 1677.
5. Dossier d'un procès intenté devant l'Election de Caen par Anne Boullard
contre les collecteurs, A. D. Galv.
LA TAILLE EN NOHMANDI K .
payer des contribuables », ils entrèrent chez une pauvre veuve,
nommée Anne Boullard, imposée à (30 sous ; elle leur présenta
« quelque somme d'argent parmy lesquelles paroissoient des
liards, disant qu'il y avait dix sols; » mais un des collecteurs
répondit que « la somme ne suifisoit pas, et que d'ailleurs il ne
recevoit pas de cette monnoie,... et qu'il falloit prendre une
vache ». Sans autre forme de procès, deux collecteurs entrèrent
dans la maison, le troisième restant dehors pour garder une
autre vache saisie chez un voisin. La veuve et sa fille les reçurent
à coups de quenouille et de pelle, mais elles furent à demi assom-
mées et traînées jusqu'à l'ornière du chemin, et la vache saisie.
Enfin, on s'arrangea : les femmes offrirent deux sous marqués,
et la vache fut relâchée. L'Election de Caen, saisie de l'affaire,
prononça simplement une amende de 10 1. contre les collec-
teurs, pour payer les « aliments et médicaments » aux deux
pauvres femmes.
l'ouï- deux ou trois épisodes qui curent leur dénouement
devant les tribunaux et sont ainsi parvenus à noire connais-
sance, combien s'en est-il déroulé dont les documents ne nous
ont pas conservé de traces?
IV. — LES RECEVEURS
Les deniers perçus par les collecteurs doivent être versés à la
recette particulière, au chef-lieu de l'élection; de là ils sont
transportés à la recette générale, au chef-lieu de la généralité,
pour être enfin voitures à l'Epargne. Pour assurer ce service, le
f gouvernement avait deux moyens à sa disposition : la ferme et
a régie.
L'afïermcmcnt, ou, comme on disait, la « mise en parti » de
la taille avait été employé au temps de Mazarin '. Les avantages
du système se trouvent énoncés dans le bail des cinq grosses
fermes du 21 janvier 1660 : « Les frais de la régie consommoient
1. Forbonnnis t. I, ]>. 250. Pendant presque toute la minorité de Louis XIV,
l'affermement fut employé. L'Etat de la France de 1654 dit : « Le Roy met les tailles
en party quand bon luy semble », puis il examine les avantages et les inconvé-
nients du système : « Cette faço:i de les lever a causé plusieurs fois de grands
désordres, mais c'est le moyen de treuver plus promptement de l'argent dans
une nécessité présente. En ce cas là les e y le us et trésoriers généraux ne font
plus leur charge, parce que les partisans qui ont avancé de l'argent au Roy font
eux-mesmes la levée et le recouvrement des tailles, se payans ordinairement des
avances qu'ils ont fait au Roy à six pour cent de bénéfice de levée, outre la remise
que le Roy a accoutumé de leur faire. La pluspart des Tailles du royaume sont
présentement en party, et ne se lèvent plus autrement. » (Page 214). Le même
Sassapre est reproduit dans les Etat* de la France qui suivent, même dans celui
e 1661 (p. 40/) quoique la ferme fût supprimée à cette date (c'est une des nom-
breuses inexactitudes qui se rencontrent dans les premiers volumes de ce Recueil,
qui n'avait rien d'officiel), cf. L'Etat de la France comme elle estoit gouvernée en
fait i6ftS el lGtiO, réédité dans Cimber et Danjou, 2e série, t. VI, p. 447 ; il ren-
seigne plus exactement sur la question.
LES RECEVEURS.
429
la plus grande partye du revenu des dictes [impositions], et les
commis n'ayant inthérest à la conservation de nos droicts,
n'apportoient pas les soins et dilligences nécessaires pour en
empescher le dépérissement », tandis que la ferme promet « un
revenu certain et assuré1 ». Mais l'affermement avait de graves
inconvénients, dont les contribuables n'avaient jamais cessé de
se plaindre : la Chambre des comptes de Paris traduisait leurs
sentiments lorsqu'elle déclarait au roi le 14 octobre 1648 :
« On a transmis a des particuliers traittans l'authorité de V. M. pour
lever sur le peuple les deniers des tailles par toutes voyes de rigueur
sans aucunes excepter, et non permises par les ordonnances, ny
jamais usitées dans le royaume, sinon par les ennemis de l'Etat,
lorsque pendant la guerre ils ont exigé des contributions sur vos
sujets, d'autant que par telles rigueurs extraordinaires, et exercées
mesme à contretemps, la plupart des contribuables aux tailles ont esté
ruinez et rendus inutils, et sans moyen de payer la taille des années
subséquentes, et se vérifiera qu'en plusieurs lieux les frais des levées
et du recouvrement des deniers ont surpassé de beaucoup plus ce qui
se devoit lever au profit de V. M2. »
Colbert renonça à la ferme et eut recours à la régie.
Dans chaque élection existent deux receveurs particuliers « en
titre », c'est-à-dire propriétaires de leurs offices3. L'un est rece-
veur ancien, et l'autre, alternatif*. Le prix de leurs charges
varie avec l'importance de l'élection : d'après le tableau dressé
en 1665, l'office de Caen vaut 41 000 1. ; ceux de Rouen, de
1. A. D. S.-Inf., Mémoriaux de la Cour des Aides, t. XL, f° 1.
2. Imprimé dans le Recueil de diverses pièces qui ont paru durant les mouve-
mens derniers de Vannée 1649, in-4° s. 1., 1650, p. 73 : il est à remarquer que
pendant toute cette période, les intendants furent toujours accusés, notamment
par les cours des aides, les trésoriers généraux et les élus, d'être les complices
des traitants pour la levée des impôts ; cf. une mazarinade : « Depuis qu'on a
lasché la bride à leurs désirs insatiables [des Partisans] par l'estrange invention
de mettre les tailles et tous les subsides en partys, on ne fait point dans les
paroisses autre différence de l'arrivée d'un intendant accompagné de ses satellites,
de ses donneurs d'avis, à celle d'un ennemy vainqueur. » (Ibid., p. 347). Dans le
Contrat de mariage du Parlement avec la Ville de Paris, il est convenu « qu'il ne
sera jamais fait ny souffert aucun party des deniers de la taille, taillon et subsis-
tance, pour éviter les désordres et les maux qui en sont cy devant arrivez et en
arriveront cy après, attendu que toutes les contributions du peuple sont de leur
nature et origine une concession volontaire, plustost qu'une dette d'obligation. »
(Ibid., p. 430). Les Elus, dans leur mémoire de 1053, affirment que les fermiers
gardent pour eux un cinquième des sommes qu'ils lèvent avec tant de férocité (B.
N. fr. 18 479, f° 126). Voir aussi les plaintes des Etats de Normandie en 16'-t3,
1647 et 1658. Les abus des fermiers nous sont révélés par l'un d'eux, Gourville,
dans ses Mémoires (éd. Lecestre : v. l'introduction et les pièces annexes). Colbert
dénonçait également leurs méfaits à Mazarin (Clém. I, 360-363).
3. Nombre fixé par l'édit d'août 1661, portant réduction des officiers des Elec-
tions; voir ci-dessus, p. 116.
4. Les deux offices peuvent, suivant la règle générale, être possédés par un
seul individu.
Jusqu'en 1662, les receveurs des tailles percevaient seulement les fonds de la
taille et des crues ; ceux du taillon étaient versés au receveur du taillon, ceux de
la solde des maréchaussées au trésorier général de la solde, ceux des ponts et
||0 LA TAILLi: K.N NORMANDIE.
CandebdO, «!<• Valognes, de Mortagne, 40000; ceux de Bayeux,
d'Alcnçon, de Falaise. .'{<>000, etc. Les moindres valent 12 000
ou 15 000 1. Ils ne reçoivent régulièrement qu'un quartier de
leurs gages, soit de 160 à 400 1. environ1. La plupart payent le
droit annuel; en juillet 1680, lorsque Colbert voulut faire
payer le droit a ceux qui ne le faisaient pas, on n'en trouva
que deux dans ce cas à Rouen, et trois à Caen *.
L'office était conféré à un receveur par des lettres-patentes 3,
enregistrées à la Chambre des comptes et au Bureau des finances,
où il prêtait serment de « bien et fidèlement » remplir sa
charge*. L'achat n'était guère qu'une affaire d'argent. Malgré
les formules des lettres de provision, on n'exigeait aucun
titre ni connaissances particulières des postulants. Une veuve
hérite de l'office de son mari et l'exerce plusieurs années5; un
fils, quoique mineur, succède à son père et le roi met comme
seule condition à son admission qu'il ne pourra exercer
« qu'après qu'il aura attainct ses ans de majorité6 ». Des rece-
veurs sont condamnés a la prison pour divers délits, et ne
perdent pas leurs charges pour autant7. Le cumul des offices
étant permis, on voit le receveur général de Caen, Cousin, pos-
chaussées au trésorier général des ponts et chaussées, enfin ceux des Etats au
trésorier des Etats. L'édit d'août 1661 et la déclaration du 29 décembre 1663
(Clém. II, 753), établirent le principe du receveur unique pour tous les fonds
perçus par les collecteurs.
1. Ci-dessus, p. .19. Voir la partie de ce tableau relative a la généralité de
Rouen dans le Mémoire de Voysin, p. 205 et suiv.
2. Let. de Leblanc a Colbert, 28 juillet et 22 octobre 1680; dans la dernière il
dit : ■ Je leur ay escrit M matin d y entrer [à l'annuel], suivant ce que vous avez
pris la peine de me mander. » (A. N. G7 491). Un arrêt du Conseil du 2 juillet 1680
défendait l'exercice aux receveurs qui n'avaient pas payé l'annuel (Clairamb.
660, p. 695).
3. Voici un exemple de ces lettres : « Louis, par la grâce de Dieu... Scavoir
faisons que nous, a plain confians dans la personne de notre cher et bien amé
M. Sanson Mollart et de ses sens, suffisance, loyauté, prudhommie, expérience
ou faict du maniement de nos finances et bonne dilligence a iceluv... [lui donnons]
l'office de notre conseiller receveur des tailles alternatif en l'ellection d'Evreux
nouvellement créé par notre edict du mois de décembre 1655 pour par le dit
Mollart avoir, tenir ledict office, l'exercer alternativement avec le receveur anlien
de ladicte eslection réservé par autre notre edict du mois de mars précédant, et
entrer en exercice pour la recette et maniement du quartier d'hiver et autres
impositions de la présente année 165C, aux gages de 6l'5 1. et 10 s. pour parroisse
r'.ir chacun ou pour droits de vériffication et signature de rolles... » (A. D. S.-
nf. B 80, f° 2). Il va de soi que les qualités attribuées au personnage ne sont que
des formules, répétées d'un acte à l'autre.
4. Le Bureau, lors de sa réception, lui imposait « de tenir bons et fidels regis-
tres, de vérifier par estât au vray en ce bureau en fin de chacune année ». (A.
D. S.-Inf. C 1165, f6 160 : réception d'Etienne Le Camus comme receveur des
tailles de Chaumont et Magny, 7 août 1663).
5. Par exemple la veuve de Bernard Chazot, receveur a Andely. mort en 1663.
A Gien (généralité d'Orléans), en 1664, le receveur est « M. de Raucour, qui est
une veuve, mais spirituelle..., son frère, sous le nom duquel sont les charges,
estant encore jeune » (M. C. 12'4, f 250).
6. Provisions de Nicolas Hullin, receveur de Caudebec, A. D. S.-Inf., C 1166,
f 200. v».
7. Ci-dessous, p. 437 et 447 et suiv.
LES RECEVEURS. 431
séder en 1680 la charge de receveur particulier ancien de l'élec-
tion de Caen, tandis que celle de receveur alternatif appartient
au sieur Heudine, greffier du Bureau des finances ' ; Jean Son-
ning, receveur général à Paris, est aussi receveur particulier à
Rouen2; Robert Mouchard, receveur particulier à Neufchâtel, est
en même temps vicomte du lieu3, etc.
Anciennement, les receveurs devaient déposer un cautionne-
ment, mais un édit de juillet 1625, prétextant « les difficultés
qu'ils avoient de trouver des gens qui voulussent être cautions
et certificateurs de leur maniement, » les en avait dispensés,
en même temps qu'il leur conférait le titre de conseillers du roi,
moyennant un versement collectif de 2 500 000 1. au Trésor4.
C'était un édit bursal comme tant d'autres ; il permit à des rece-
veurs de dilapider leurs fonds impunément, au temps de Mazarin.
Une déclaration du 29 décembre 1663 nous apprend en effet que
les comptables des deniers royaux « divertissent partie de leur
maniement, dont il est impossible de faire le remplacement,
faute d'avoir esté par eux donné des cautions et certificateurs
bons et solvables, en ayant esté dispensés en vertu de déclara-
tions et arrests à eux accordés, moyennant des sommes fort,
légères, par eux payées pour jouir des taxations héréditaires
qui sont à présent casuelles ». Aussi le roi, ou plutôt Colbert,
résolut-il de rétablir les cautionnements3. Un arrêt du Conseil
du 23 octobre 1664 et une déclaration du mois de décembre
suivant6 enjoignirent à tous les receveurs de déposer, dans le
délai de trois mois, une somme égale « au tiers du quart de leur
maniement », c'est-à-dire au douzième des fonds qu'ils avaient
à encaisser. Ils ne s'y soumirent pas sans résistance. Le 26 jan-
vier 1665, Marin mandait aux Bureaux des finances « de donner
ordonnance » pour appliquer le règlement nouveau, qui était
méconnu7; les trésoriers généraUx de Rouen lui obéissaient le
28 janvier, mais quatre mois après, le procureur du roi en
l'élection de Pont-de-Larche venait leur remontrer que les
1. Let. de l'intendant de Caen, 30 juillet 1680, A. N. G? 213.
2. Mémoire de Voysin de la Noiraye, p. 129. L'intendant de Chûlons écrit le
31 juillet 1680 que, dans sa généralité, « aucunes charges de receveur particulier
appartiennent au receveur général, au moins pour une grande partie, suivant
des traités particuliers qui ne paroissent point ». (A. N. G7 223). Ici, le receveur
général n'est que le bailleur de fonds, il n'est pas en nom.
3. Mémoire de Voysin, p. 104. A la p. 129, Voysin dit que ce personnage se
nomme Boullient, mais il commet une erreur : Boullient avait cédé son office à
Mouchard le 28 septembre 1665 (A. D. S.-Inf., C 1165 f° 206).
4. Mém. alphab., p. 584.
5. Clém., II, 753.
6. D'après la lettre de Marin, A. D. S.-Inf. C, 1167, f° 19. Il semble bien que
des dispositions analogues avaient été déjà prises antérieurement; j'ai trouvé des
actes de cautionnement de 1661 et 1662, mais je n'ai pu connaître les actes légis-
latifs qui les prescrivaient.
7. A. D. S.-Inf., G 1167, f° 19.
LA TAILLE EX NOnMAXIHK.
receveurs de son élection « ne satisfont pas » à l'ordonnance ';
dautiis sont dans le même cas; nouvelle ordonnance du Bureau,
qui provoque encore des récriminations2, si bien que le Conseil,
par un arrêt du 10 juin, accorde « surseanec jusqu'au mois de
décembre prochain » pour l'exécution de ses ordres3. De nou-
veaux arrêts interviennent encore, jusqu'en décembre 1668, et
en mai 1669 Colbert en est encore à faire dresser l'état des
receveurs qui ont cautionné*.
Les receveurs généraux, titulaires d'offices dans les mêmes
conditions que les receveurs particuliers, sont de gros financiers,
qui traitent avec le roi de puissance à puissance5. Il en existe
trois charges dans chaque généralité : un ancien, un alternatif
et un triennal. Le prix de ces charges est d'environ 100000 l.6;
leurs gages annuels sont d'environ 5 000 1., mais ils ne cons-
tituent que le moindre de leurs revenus. Les charges furent
remplies, à Rouen, par MM. Ranchin, Etienne de Courcelles,
Aubry, Dufour7, Cousin8; à Caen par MM. Doublet, Aubry,
De Larré; pour Àlençon, je n'ai trouvé qu'un nom, celui du
sieur M igné.
La possession d'une charge de receveur général ou particulier
n'implique pas le droit de faire effectivement la recette de la
généralité ou de l'élection : le roi a la liberté de confier cette
fonction à qui lui plaît, dans l'intérêt du bon recouvrement. Au
commencement de chaque année il désigne donc ceux qui feront
les recettes, et arrête avec eux les conditions dans lesquelles ils
exerceront; s'il choisit un receveur en titre, celui-ci entre en
1. A. D. S.-Inf., C 1167, f° 121.
2. Le 8 juin, Etienne de Gomont, receveur de Montivilliers, demande à ne pas
donner de caution, « consentant à avoir un controlleur > (ibid., f° 128).
3. Ibid., f0' 13:5 et 142.
k. Lel. du 20 mai, mentionnée dans la réponse des trésoriers de Caen, M. C.
153, f" 221; cf. la réponse des trésoriers d'Alencon à cette même lettre, 10 juin
lGii'J, ibid., f 2<J0.
5. Colbert a beaucoup de ménagements pour eux. Cf. ses lettres à Douilly,
3 février et 1" décembre 1673, Clém., Ii, 264, note, et à Bnzin, 21 avril 1673,
ibid., p. 283. « Toutes les fois que je vous ay demandé quelque assistance pour
le roy, écrit-il nu dernier, vous l'avez fait de si bonne grâce, que je ne puis pas
m'empeseber de vous dire que si vous envoyez au Trésor royal 100 000 1. sur les
impositions de l'année prochaine, vous ferez en cela chose qui sera fort agréa-
ble à S. M.. Faites-moy scavoir ce que vous pourrez faire sans trop forcer votre
crédit. ■ A partir de la guerre de Hollande, le gouvernement est tombé à la merci
de ces gros financiers, dont Samuel Bernard est le type le plus connu. Cf. chap. vin.
6. En 1665, deux offices de Caen valent chacun 110 000 1. et le troisième 100 000;
les trois offices de Rouen valent 100 000 1. chacun, et ceux d'Alencon chacun
80 000 1.
7. Jean Dufour possède, en 1665, deux offices : l'alternatif et le triennal
(A. D. S.-Inf., C. 1382 f° 175).
8. Le sieur Cousin est intendant de Colbert pour ses terres d'Hérouville et
Blainville, « où il a quelquefois passé des six mois entiers en aucunes années »
(Remarques de Xicolas Le Ilot publ. par Vanel. Caen, 1903, p. 76; cf. p. 59). 11 a
son hôtel à Paris, rue du Parc-Royal, et un château à Colombelles, prés de Caen.
11 est ami de Berryer.
LES RECEVEURS. 433
fonctions sans formalités; s'il prend un autre individu, il lui
délivre une commission pour exercer, d'où le titre de commis à
la recette l.
Chaque année, immédiatement après l'envoi des commissions,
le Conseil des finances fait le choix des receveurs généraux 2, et
conclut avec chacun un traité contenant les conditions de la
perception : somme à encaisser, délais de recouvrement, nombre
et terme des versements à l'Epargne, enfin « remise », c'est-à-
dire rétribution accordée au receveur3.
Un des premiers actes du Conseil des finances réformé fut la
« réduction des remises des trésoriers généraux des finances à
15 et 18 deniers pour livre au lieu de 5 sols4 ». Le tarif fut
encore considérablement réduit les années suivantes : la recette
générale de Caen en 1663 était concédée îi Nicolas Doublet
moyennant 6 d. par livre (2,5 p. 100), ce qui représentait encore
une belle rétribution : 45 800 liv. ; le paiement à l'Epargne
devait être effectué en 18 versements mensuels, à partir du
1er janvier 1663 5. A partir de 1668, la remise fut réduite à
5 deniers, et les versements mensuels ramenés à 15. En 1682,
la remise était de 7 d., avec le même nombre de versements6.
Ainsi, jamais l'imposition d'une année ne fut versée entièrement
à l'Epargne dans le cours de cette année.
Le receveur général avait, en vertu du même traité, toute
latitude pour assurer la perception dans les recettes particu-
lières, en sorte que la désignation du receveur de chaque élec-
tion était à sa discrétion; il réglait avec lui de gré à gré, et sous
sa propre responsabilité, les délais de versement, le montant de
la remise et toutes autres conditions ; s'il choisissait un autre
que le receveur en titre, il était libre d'exiger ou non une cau-
tion, de même qu'il pouvait prendre toutes les mesures de con-
trôle qu'il jugeait utiles. La seule formalité qui lui était imposée
était de présenter la personne choisie au Bureau des finances
pour lui faire délivrer des commissions régulières7.
1. Cf. Guénois, Conférence des Ordonnances, t. II, p. 1441.
2 Golbert eut plusieurs fois l'intention de se passer des receveurs généraux, et
de traiter directement avec les receveurs particuliers, qui auraient fait leurs ver-
sements à l'Epargne (voir ses lettres à Hotman, 30 sept, et 3 déc. 1663, Clém.,
II, 16 et 243). Mais il ne réalisa jamais ce projet : cf. sa let. à Desmarets,
8 sept. 1662, ibid., p. 22'J, note.
3. Voir un traité avec le receveur général de Paris, dans De Boislisle, Mém. de
Vlntendant de Paris, p. 510.
4. C'est-à-dire 6,25 ou 7,50 p. 100 au lieu de 25 (Clém.. Il, ccxv et 46).
5. Traité enregistré au Bureau des finances de Caen le 13 septembre 1662 (Plu-
mitif du Bureau, à cette date).
6. B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 4'<3.
7. Cf. l'enregistrement au Bureau des finances de l'arrêt du Conseil du 8 oct. 1664
commettant Etienne de Courcelles à la recette générale de Rouen : « Pour faci-
liter et assuier le recouvrement des deniers qui luy doivent revenir, il sera à la
nomination du dit de Courcelles commis aux recettes particulières les personnes
qui seront par luy présentées au Bureau [des finances], S. M. luy permettant
d'establir des controolleurs aux recettes auxquelles il laissera exercer les rece-
LA T AILLE EN NORMANDIE.
28
434 LA TAILLE BN NORMANDIE.
Malgré les clauses des traités, le gouvernement ne pouvait
. désintéresser entièrement du choix des receveurs. Colbert
constatait, en 1661, que les principaux abus dans le recouvre-
ment de la taille venaient de ce qu'on en avait chargé des individus
insolvables, concussionnaires et malversateurs; on leur avait
accordé des remises excessives, allant jusqu'au quart des sommes
à percevoir, si bien qu'il ne rentrait au Trésor qu'une faible partie
des sommes levées1. Un arrêt du Conseil du 1er décembre 1663
nous apprend qu'à la suite de la réduction des remises aux rece-
veurs généraux*, une partie des receveurs particuliers de la géné-
ralité de Caen, « estans accoustumez par le passé d'exiger de
f 'rosses remises pour payer les impositions qui ont esté faites dans
eurs eslections aux termes portez par les commissions de S. M ,
et voyant que S. M. a réduit lesdites remises, négligent les dili-
gences qu'ils sont obligez de faire, et la pluspart des parroisses
sont en demeure de payer leurs impositions dans lesquelles les-
dits receveurs ont plusieurs parans ou alliez des principaux des-
dites parroisses; ce qui cause leur ruisne entière, et qui les
réduira infailliblement dans l'impossibilité [de payer] 3». Il était
impossible de tolérer ces désordres, et d'abandonner plus long-
temps à eux-mêmes ces individus, dépositaires de l'autorité
royale, et de la conduite desquels dépendaient les revenus de
l'Etat et la fortune des particuliers.
Le principal objet de l'intervention gouvernementale fut d'em-
pêcher les receveurs généraux de traiter sans motifs graves avec
des commis, au lieu des receveurs en titre. Il était reconnu en
effet que les commis ménageaient beaucoup moins les contri-
buables, parce qu'ils n'avaient à se préoccuper que de l'année
f)our laquelle ils avaient traité; laisser une élection ruinée
eur importait peu, pourvu qu'ils fissent leur recette. Les États
de Normandie remontraient au roi, en novembre 1643, que
ces agents ruinaient « sans espérance de ressource ceux qu'un
f>eu de patience des receveurs ordinaires auroit fait fournir a
eur impost, et laissez en estât de subsister encore pour les
veurs particuliers, lesquels exerceront le dit controolle sans prendre autre com-
mission que la copie collationnée du dit arrest par le greffier de ce Bureau, sans
que le dit de Courcelles ou ses commis aux recettes particuliers ny les controol-
leurs soient tenus de donner aucune caution de leur manyement que la submis-
sion que fera pour eux le dit de Courcelles » (A. D. S.-Inf., G 1166, f° 196). Voir
aussi l'arrêt du Conseil du 22 sept. 1663 commettant René Aubry à la recette
générale de Caen, A. D. Cnlv., Elect. de Caen, registre de commissions 1661-72,
P* 335 et 338.
1. Clém. II, ccxv, 22, 46, etc. Le 2'» juillet 1648, le conseiller Pitou déclarait
au Parlement de Paris ■ que MM. des Comptes leur avoient fait cognoistre que
de cent le roy perdoit en remise 59 et demi sur les tailles, scavoir premièrement
25 pour l'article de remise pour les frais de recouvrement, et 15 sur les trois
quarts restons, qui font en trois ans 34 et demi » (Journal du Parlement de Paris,
1648, p. 48). .
2. Ci-dessus, p. 433.
3. A. D. Calv. Election de Caen ; registre de commissions, 1661-72, f°* 341-2.
LES RECEVEURS. 435
années suivantes ' ». Dans un arrêt du 29 décembre 1663, le Con-
seil reconnaît lui-même qu'ils « font des vexations extraordi-
naires aux contribuables aux tailles pour en profiter, et, n'ayant
bien souvent donné aucune caution, ils s'absentent, et, par ce
moyen, les condamnations qui interviennent contre eux
demeurent inutiles2 ». En 1679, l'intendant d'Alençon écrit à
Colbert :
« J'ai trouvé que partout ou les receveurs en titre font leurs charges,
les frais sont beaucoup moindres que dans les élections que les rece-
veurs généraux font valoir par des commis. Mortagne et Conches sont
de cette dernière espèce, et les frais montent au double; je croi que
cela vient de la précipitation qu'aportent les commis au recouvrement
de la taille : ils mettent en solidité les parroisses qui retardent tant
soit peu les paiements, et emplissent les prisons de collecteurs pour
faire avec plus de diligence leur recouvrement ; les titulaires ont plus
de précautions et de patience, et leurs élections m'ont parut beaucoup
plus mesnagées, et le recouvrement plus avancé3. »
Le roi interdit également l'exercice aux receveurs qui
ne rendaient pas leurs comptes *, à ceux qui ne versaient pas
leur cautionnenement5 ou ne payaient pas le droit annuel6, à
ceux qui demandaient des remises trop fortes7, faisaient trop
de frais, ou n'offraient pas de garanties suffisantes8.
Lorsque le gouvernement eut entrepris la destruction lu pro-
testantisme, on refusa de confier la recette à des hommes de
cette religion. Colbert fut aussi rigoureux sur ce point que les
autres ministres. Par une circulaire du 18 juillet 1680, il deman-
dait aux intendants la liste des receveurs ou commis aux recettes
de la R. P. R., « S. M. ne voulant que quelqu'un de cette reli-
1. De Beaurepaire, Cahiers..., règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 112.
Un arrêt du Conseil du 31 janvier 1643 avait défendu les commis dans la géné-
ralité de Caen, mais un autre arrêt, rendu trois semaines plus tard, les avait
autorisés dans celle de Rouen. A cette demande de suppression, le roi répond
qu'il « ne peut accorder, pour certaines considérations, la demande mentionnée en
cet article. » {ibid., p. 113).
2. Clém., II, 753.
3. A. N. G7 71. Il répète son observation le 22 Juillet 1680 {ibid.). .
4. L'arrêt du Conseil du 1er mars 1663, cité plus haut, interdisait l'exercice aux
receveurs qui n'auraient pas « compté par estats au vray » jusques et y com-
pris 1661.
5. Le Bureau des finances de Rouen commet Mathieu Delangle à la recette
d'Evreux en 16G3, attendu que le titulaire, Sanson Molard, n'a pas versé son cau-
tionnement, montant à 14 500 1. (A. D. S.-Inf., C 1165, f° 9).
6. Ci-dessus, p. 430.
7. En 1661, 1663, 1675, dans la généralité de Rouen, les receveurs particuliers
« ne peuveut pas se résoudre » à accepter un taux de remise fixé par le roi, mais
on parvient à les y contraindre (M. C. 121, f° 324; A. D. S.-Inf., C 1164, f 21;
B. N. fr. 8759, f° 41). De même ceux de Caen en 1665 (A. D. Calv., Procès de
Cairon), et ceux d'Alençon en 1682 (let. du 27 juillet, A. N. G7 71).
8. L'intendant d'Alençon écrit le 15 novembre 1684 qu'on ne peut confier l'exer-
cice au receveur de Conches, parce qu'il « n'est pas en estât de faire aucune
avance,... feroit des frais immenses et ruineroit l'eslection pour soustenir ses
payemens. » (A. N. Gl 71).
Vit. l.A TAILLE EN NOlt.MANDIE.
L'ion ne soit employé au recouvrement de ses deniers1 ». Un
arrêt du Conseil du 19 août suivant interdit aux receveurs géné-
raux de traiter a avec aucune personne de la R. P. R.8 », et
le ministre y joignait des instructions sévères pour ses subor-
donnés : il faut, leur disait-il, « entièrement exclure » des
recettes ces individus; « il n'est pas question de scavoir si la
dépossession des receveurs ou employés de la R. P. R. retardera
la recette ou non ; vous devez seulement tenir la main à ce que la
volonté de S. M. soit ponctuellement exécutée3 ». En 1681, en
1682, en 1683, il renouvelle les mêmes ordres, impitoyables*.
Mais en Normandie, un seul receveur à notre connaissance
appartenait à la religion réformée, c'était celui de Pont-1'Evêque,
Pierre Lancement de Pierrefitte. Une lettre anonyme de fé-
vrier 1681 le dénonçait à Colbert comme ayant des commis
huguenots et faisant l'exercice de sa charge « sous le nom d'un
misérable dont il se sert pour faire sa recepte5 »; mais l'inten-
dant après enquête reconnaît que cette dénonciation, due « à
des fripons du Pont-Levesque », est calomnieuse : « le sieur de
Pierrefitte est un très honnête homme6, » ajoute-t-il. Néanmoins
il reçoit du ministre l'ordre de ne pas le laisser exercer à moins
d'être a persuadé que ce religionnaire voulust bientost se con-
vertir7 ».
Sur la fin du ministère, le plus grand soin mis à choisir et
surveiller les receveurs en titre fit réduire le nombre des
commis. L'intendant d'Alençon, en 1680, proposait même de
les « supprimer complètement8 ». Colbert, sans aller aussi loin,
invita les receveurs généraux à s'en passer le plus possible. Le
24 octobre 1680, il écrivait i. ses subordonnés :
« S. M. a fait dire aux receveurs généraux des finances de toutes les
1. B. Mun. Amiens, ras. 508, t. I, pièce 201.
2. Publ. dans Edita, déclarations et arresls concernant la R. P. R., 1662-1751,
oouv. éd. par Pilatte, Paris, 1885, p. 54. En guise de motifs, le préambule se
véfèreau règlement des fermes du il juin 168", portant la même clause. L'arrêt
interdit aussi d'employer uu recouvrement aucun commis ou huissier de la
R. P. R.
3. Let. a de Marie, 16 sept. 1680, Clém. II, 91, note; cf. la circulaire du
13 septembre 1680, Clém., IV. p. 140 note 2. Une instruction analogue fut
envoyée aux intendants de Normandie le 18 octobre, celui de Caen en accuse
réception le 24 (A. N. G7 213), et celui de Rouen le 22 (ibid. 491).
4. Circuluire du 30 mai 1631, (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 211); lettre
à Breteuil, 1682, ibid., t. III, pièce 330, circulaire du 27 mai 1683, ibid., t. IV,
pièce 219; tous ces documents ne figurent pas dans Clément. Voir dans les
mêmes papiers de Breteuil, à leur date, les lettres des 18 mai 1681 et 17 sep-
tembre 1682 relatives à la conversion de Vun Kobuis.
:.. A. H, G" 491.
6. Let. de 23 février, ibid. Le 2 juillet précédent il avait déjà écrit : « C'est un
très lionnes te homme, qui a très bien ménagé cette eslection ».
7. Let. du 18 juin 1631, Clém., IV, p. 181, note 1.
8. Let. du 22 juillet, A. N. G' 71. Le 27 juillet 1682, il écrit encore : • Je suis
persuadé il y a longtemps que les receveurs en titre mesnagent mieux leurs
eslections que les commis » (ibid.).
LES RECEVEURS. 437
généralités du royaume qu'Elle n'entendroit pas qu'ils dépossé-
dassent de leurs charges les receveurs des tailles qui auront payé
l'annuel, qui d'ailleurs leur donneront des asseurances suffisantes et se
contenteront d'une remise pareille à celle qu'ils pourroient donner aux
commis, ou mesme un peu plus forte, S. M. voulant que vous teniez
la main à ce que cela s'exécute, et en cas qu'aucun receveur des tailles
soit dépossédé, vous m'en fassiez scavoir les raisons pour en rendre
compte à S. M. l. »
Dès 1678, on ne trouve plus que deux commis sur 13 élec-
tions dans la généralité de Rouen2; en 1680, il n'y en a aucun.
La même année, l'intendant de Caen adresse à Colbert l'état
détaillé qui suit, sur les receveurs et commis de son départe-
ment :
« La charge de receveur particulier de [l'élection] de Caen en exer-
cice cette année appartient à M. Cousin comme je croy, qui y a fait
commettre le nommé Combart; la charge de celuy qui entrera en
exercice l'année prochaine appartient au sieur Heudine, greffier du
Bureau des finances, sous le nom du sieur Vautier, qui l'exerce depuis
longtemps.
« Le sieur Fontaine, receveur de Bayeux, qui devoit estre en exercice
cette année, mourut l'année dernière; le nommé Vautier a esté commis
a son exercice a la caution de la veuve. Le sieur Aubry est propriétaire
de l'autre charge pour l'exercice de l'année prochaine.
« Vire a pour receveur le sieur de Martilly, en exercice cette année,
et La Baucherie pour l'année qui vient.
« Le nommé La Croix Bourdon est commis a l'exercice de celle de
Coustances depuis la mort de Leveilly, qui estoit titulaire des deux
charges.
« A Carentan, le sieur de Saint Quentin est propriétaire des deux
charges, et fait les exercices.
« A Valognes, le nommé Laprunerie fait l'exercice cette année sous
le sieur de Saint Cir, titulaire, qu'on n'estime pas solvable. Le sieur
Fourneyron est titulaire de l'autre charge pour l'exercice de l'année
prochaine.
« A Avranches, le sieur Piquet, propriétaire, fait l'exercice cette
année, et le sieur de la Maheudière, a présent prisonnier dans les
prisons de Caen, est titulaire de l'autre charge pour l'exercice de
l'année prochaine. Il fut dépossédé de celuy de 1679 par M. de Larré
qui fit commettre à sa place le nommé Colin.
« Et a Mortain le sieur Rouxel, qui est titulaire de la charge, la
fait exercer par le nommé Desvaux; l'autre charge pour l'exercice de
l'année prochaine appartient au sieur de la Frictière qui fut dépossédé
de l'exercice de l'année 1679 par ar^est du Conseil a cause du desordre
1. B. Mun. Amiens, ins. 508, t. I, pièce 303. Cf. sa circulaire du 9 octobre 1681 :
le roi veut que les receveurs particuliers « fassent leurs charges, estimant que
les peuples en seront mieux mesnagez >• (ibid., t. II, pièce 407), et sa lettre du
22 octobre l'i82 : « Le roy ne veut pas qu'on dépossède les receveurs particuliers,
sauf pour raison de mauvaise conduite » (ibid., t. III, pièce 479).
2. D'après l'état au vrai du receveur général, B. N. fr. Nouv. acq. 1346.
,:ts LA TAILLE EN NORMANDIE.
ou estoit la dite eslection1; le sieur Fourneyron, receveur des tailles à
Valognes, fut commis a sa place pour l'exercice de Tannée 1679 2. »
Voici encore des notes fournies par l'intendant d'Alençon,
M. de Morangis, en juillet 1682, sur les receveurs et commis de
sa généralité* :
Albnçon. « Cet eslection est fort ménagée par le sieur Noël, receveur
des tailles ; il ne fait presque point de prisonniers, et les peuples s'en
louent fort; il a de l'exactitude sans avoir trop de rigueur. »
Falaise. « Le sieur Hélie, receveur des tailles, a les deux charges,
et s'en acquitte fort bien. »
Moktagne. La recette est faite par un commis; « la régie a esté
mieux faitte cette année, depuis qu'on a osté un huissier fort soup-
çonné de friponneries; j'ay receu moins de plaintes et les frais ont
esté plus modérés », mais le nombre des prisonniers est encore
grand.
Vbrnbuil. « Il seroit a désirer que le receveur fist un peu moins de
frais; il m'a promis de retrancher un huissier; les peuples ne se
plaignent point de son administration, et il les traitte d'ailleurs fort
doucement. »
Lisieux. La recette est faite par un commis; « on ne se plaint pas
de luy », il fait peu de frais et peu d'emprisonnements.
Conçues. « Les deux receveurs ont permis de faire moins de frais
a l'avenir; cette eslection a toujours paie avec peine, quoiqu'elle soit
une des meilleures de la généralité 4. »
Bernav. « Le receveur mesnage fort les peuples, il n'a que deux
huissiers, et j'ai toujours trouvé sa conduite fort régulière... »
L'année suivante, son successeur, M. de Bouville, envoie
des notes un peu moins optimistes : à Alençon, il y a deux
receveurs particuliers qui « paroissent fort honestes gens » ; à
Mortagne, les receveurs en titre n'exercent pas leurs fonctions,
ils sont remplacés par des commis, qui ne font « pas à beaucoup
près autant de frais que par le passé,... [mais] il paroist
qu'ils en font trop, sans ceux qu'ils peuvent faire et qui ne sont
Point connus »; à Verneuil, il n'y a qu'un seul receveur, et
intendant ne donne pas de détails sur lui; à Conches, les
receveurs font beaucoup de frais et emprisonnent souvent les
collecteurs; à Bernay, il sont « fort honestes; » à Lisieux, les
receveurs « en usent de mesmes que dans les autres eslections
où il se fait des frais. » A Falaise, le receveur « n'a autre règle
que celle qu'il veut bien s'establir car il est le maistre de faire
autant de Irais qu'il luy plaît »; à Argentan, des deux receveurs,
1. Cf. ci-dessous, p. 472.
2. Rapport du 30 juillet 1680, A. N. G' 213.
3. Mémoire du 8 juillet 1682, A. N. G' 71.
4. Sur les receveurs de Conches, voir plus bas, p. 479.
LES RECEVEURS. 439
l'un est toujours à Paris, l'autre ne fait pas moins de frais que
ses collègues; à Domfront, le receveur se conduit comme ses
collègues également.
La rétribution accordée par les receveurs généraux aux rece-
veurs particuliers consistait généralement dans une somme fixe,
débattue lors du traité, et proportionnelle au montant de la
recette1. Quelquefois elle était fixée par le Conseil, mais le
plus souvent elle était débattue librement entre les receveurs
généraux et particuliers. En ce cas, les contractants n'étaient
pas obligés de la déclarer à l'administration, et ils la tenaient
volontiers secrète à ce point que Colbert avait peine à s'en faire
informer. C'est ainsi qu'il disait à Leblanc le 2 avril 1677 :
« Je vous ay écrit dès le mois d'octobre dernier, que le roy vou-
loit que vous vous informassiez des sous-traités que le receveur
général de la généralité de Rouen en exercice la présente année
1677 feroit avec les receveurs particuliers et commis à la recette
des tailles de chacune élection, et que vous sçussiez certainement
combien il leur donneroit de remise, le nombre de leurs paye-
mens, en quels mois ils commenceroient les avances qu'ils
seroient obligés de faire et quels intérests il leur donneroit pour
leurs avances2 ». Sur une pareille question posée en 1680,
l'intendant de Caen lui répondait le 30 juillet :
« Des l'année dernière, je ne pus sçavoir au vray les remises que
M. Delarré fît aux receveurs en tiltre, ny les appointements qu'il
donna aux commis 3, et je ne vois pas d'apparence d'estre mieux ins-
truit pour l'année présente de l'exercice de M. Doublet, parce que les
uns et les autres affectent de cacher lesdites remises et appointements,
les receveurs généraux pour ne pas faire voirie peu qu'ils en donnent,
et les particuliers par les defl'enses qu'ils en ont, à peine d'estre
privés de l'exercice ou commission. On est persuadé en ce pays que
tous les receveurs particuliers et commis ont part aux frais des huis-
siers ; les plaintes qu'ils font du peu de remise et appointements qu'on
leur fait semble les authoriser a cet abus; et c'est pourquoy, soubs
vostre bon plaisir, Monsieur, il y auroit quelque règlement a faire
1. Par exception, en 1680, le receveur général de Rouen charge de la recette
en six élections les receveurs en titre sans signer de contrat avec eux, préten-
dant « qu'ils n'ont pas executté leurs traictés de 1678 », mais il leur a promis
« qu'il leur feroist a proportion de leur recouvrement la mesme remise qu a ceux
qui ont traitté, s'ils le payent ponctuellement dans les mesmes termes ». Mémoire
de Leblanc, 3 août 1680, A. N. G" 491. Les six élections en question sont celles de
Pont-de-l'Àrche, Arques, Neufchâtel, Lyons, Magny, Andely et Evreux; la même
année, celui de Caen n'assure à ses receveurs qu'une remise « volontaire », à
payer « après le recouvrement ». Let. deMéliand, 12 septembre 1680, A. N. G7 213.
2. Glém., II, 297, note 3; cf. ibid. sa lettre à Tubeuf, du 20 octobre 1673; p. 145
sa lettre à l'intendant de Dauphiné, 7 nov. 1680, et, dans les papiers de Breteuil,
sa lettre du 18 juin 1681 (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 254).
3. On voit que l'intendant fait une distinction entre les rétributions des rece-
veurs en titre (remises) et celles des commis (appointements) ; mais c'est une simple
question de mots.
|M LA TAILLE BN NOHMAXDIE.
en ce rencontre, en telle sorte que les receveurs généraux ne fussent
pas absolument les maistres de ces remises, ou qu'au moins ils fussent
tenus de [les] faire connoistre au Conseil et au commissaire départy...
d'où l'on connoistroit si les receveurs particuliers sont suffisamment
recompensez de leur exercice pour ne pas donner lieu de prendre des
profficts indirects et abusifs sur les frais des buissiers1. »
On trouve une assez grande variété dans le montant des
remises, le nombre et les délais des paiements convenus entre
les receveurs.
En 1664, le traité pour l'élection de Caen comporte une remise
de 6 d. pour livre (2, 50 p. 100) « de la partie de l'Espargne
seulement » c'est-à-dire que le chiffre sera calculé uniquement
sur les sommes versées à la recette générale, ce qui produira au
receveur 2 497 1. 10 s., payables par semestre. Les versements
seront mensuels et au nombre de 24. les 18 premiers étant de
6390 1. chacun, les six derniers, de 6200 1. 2. Pour 1666, le
traité de la même élection porte une remise fixe de 2 000 1.,
avec les mêmes délais de versement3. Mais en 1674, le receveur
général de Caen accorde uniformément à tous les receveurs des
élections 4 d. pour livre (1, 66 p. 100) des sommes perçues par
eux, et exige le versement en 16 mois*. En 1677, le receveur
général de Rouen traite « sans non-valleurs 5 en seize payemens
a commencer au 1er janvier, moyennant 4 d. obole pour livre
[1,875 p. 100] pour toute remise, frais de recouvrement, ports
et voitures, et a leurs risques, périls et fortunes, excepté des
charges des eslections 6, pour lesquelles il ne fait aucune
remise7 ». En 1679, dans la même généralité, le montant de la
remise varie avec les élections; le délai de versement est de
13 ou 14 mois pour les élections de Rouen, Pont-de-1' Arche,
Andely, Montivilliers, et Magny, de 15 mois pour Evreux.
Les premiers paiements doivent être faits le 5 décembre 1677,
et (tu n'exige de cautionnement que du receveur de Pont-
l'Evèque, qui n'est pas très sûr8. En 1680, le receveur général
conclut des forfaits avec quatre receveurs particuliers : il
donne 3000 1. de remise à celui de Caudebec, 2 500 à celui de
Pont-1'Evêque, 2 400 à celui de Montivilliers, et « cinq à six
cent livres » seulement à celui de Pont-Audemer. Aux autres,
1. A. N. G' 213.
2. A. D. Calv., Election de Caen, dossier de Cairon.
3. Ibid.
I. Let. de Chamillurt, novembre 1673, Glnirnmb. 795, p. 122. En 1671, la remisa
était dans la même généralité de 6 d. pour livre, et les versements s'échelon-
naient sur 18 mois (Clairamb. 792, p. 388).
.">. Certains traités abandonnaient d'avance au receveur, à titre de non-valeurs,
une partie de l'imposition, considérée comme irrecouvrable.
6. C'est-à-dire que la remise de 4 d. 1/2 pour livre sera calculée sur les
sommes versées ù la recette générale.
7. Let. de Leblanc ù Colbert, 8 avril 1677, B. N. fr. 8759, f° 77.
8. Let. de Leblanc des 13 et 19 août 1678, A. N. G? 491.
LES RECEVEURS.
441
avec qui il n'a pas signé de traité1, il promet 3 d. 1/2 par livre
sur leur recette *.
Colbert se proposa en 1681 de réglementer ces remises. Un
arrêt du Conseil fixa uniformément à 7 d. pour livre la remise
des receveurs généraux, à charge d'en partager le montant
avec les receveurs particuliers3; les intendants furent invités à
obliger « les receveurs généraux de traiter avec les receveurs
des tailles aux conditions portées par cet arrest, en leur donnant
les assurances nécessaires pour le recouvrement4 ». Mais l'année
suivante, un nouvel arrêt élevait le tarifa 9 d. pour livre5, et
les- receveurs se plaignaient encore qu'il fût trop faible; aussi
l'arrêt ne semble-t-il pas avoir été généralement appliqué. Le
tableau suivant montre la vai'iété des tarifs qui étaient en vigueur
dans la généralité de Rouen en 1684 6 :
ÉLECTIONS
IMPOSITION
REMISE AUX
Montant.
RECEVEURS
P. 100.
-255 710
248 6C8
199 976
316 035
145 970
92 853
144 210
176 534
158 070
124 670
159 120
290 480
193 512
18 010
11 715
5 542
4 964
2 749
2 710
8 010
9 774
7 242
3 250
11633
2 675
5 704
7,33
4,71
2,75
1,57
1,88
2,91
5,55
5,53
4,58
2,60
7,31
0,92
2,94
Pont-1' vêque
2 495 808
93 978
3,70
Lorsqu'un receveur particulier ne fait pas aux dates convenues
ses versements au receveur général, celui-ci peut recourir, contre
son débiteur, à la saisie de ses biens, y compris son office, et
ensuite à l'emprisonnement. À cet effet, il doit se faire délivrer
un arrêt par le Bureau des finances, qui reconnaît la dette et
l'insolvabilité du receveur. Les exemples de telles exécutions
ne sont pas rares. En 1661, le receveur de Pont-1'Evêque est
1. Ci-dessus, p. 439, note 1.
2. Let. de Leblanc, 3 août 1680, A. N. G? 491. D'après ces chiffres, le tarif des
remises varie de 1,43 à 1,57 p. 100 de la recette.
3. Circulaire du 6 nov. 1681, B. Mun. Amiens, ms. 503, t. II, pièce 443.
4. Circulaire du 9 octobre 1681. donnée à tort par Clément (II, 39'»), comme
une lettre à Leblanc seul : elle se trouve aussi dans la correspondance de llre-
teuil.
5. Let. de Breteuil, 22 oct. 16S2, 15. Mun. Amiens, ms. 508, t. III, pièce 479.
6. Etat dressé par l'intendant, 30 mars 1685, A. N. C 492.
ly LA TAILLE EX NORMANDIE.
incarcéré à la requête du receveur général, pour 50000 1. qu'il
lui doit sur la taille de 1660, et bien qu'il soit établi que les
E unisses lui redoivent la plus grande partie de cette somme1,
a même année, Sanson Molard. ayant fait la recette de l'élec-
tion d'Evreux en 1659 à la place de son frère, décédé, est empri-
sonne pour un arriéré de 13 716 1. *. En 1664, le Bureau des
finances de Rouen délivre un arrêt de prison contre Jérôme Forez,
commis à la recette de Caudebec pour l'année 1663, faute d'avoir
payé 25333 1., lesquelles il déclare n'avoir pu recouvrer, « attendu
qu il y a plus de trois mois que tous les huissiers employez au
recouvrement des tailles de la dite ellection sont absents a cause
des poursuites faites allencontre d'eux par le sieur de Bondeville,
subdelegué de la Chambre de Justice, pour malversations par
eux commises, aucuns ayant mesme esté par luy condanez a
quelques peines, n'ayant ledit Forez peu trouver aucuns autres
huissiers3 ». En 1669, le receveur de l'élection de Caen voit
saisir son office et ses terres pour 26946 1. qu'il doit sur son
exercice de 1666; la saisie n'ayant pas permis l'acquit de la dette,
il est emprisonné*.
A partir de 1670, toutefois, les emprisonnements deviennent
moins fréquents, grâce au soin mis à choisir les receveurs et
leur faire déposer un cautionnement : on n'en trouve plus qu'un
cas en Normandie, à Avranches, en 1680 5.
Les receveurs doivent avoir normalement leur bureau au chef-
lieu de l'élection, mais dans les grandes circonscriptions, ils
sont tenus d'établir des succursales, gérées par des commis
sous leur responsabilité, dans les lieux nxés par le roi6. Quand
les collecteurs leur remettent une somme, ils doivent leur en
délivrer quittance, moyennant un droit de 10 deniers. Ce droit
pouvant devenir une charge très lourde pour les collecteurs, s'ils
faisaient un grand nombre de versements, l'ordonnance des
Aides, au titre du papier timbré, art. 15, limita à six par an le
nombre des quittances soumises au droit7.
Les sommes reçues doivent être en outre inscrites sur un
1. Il arrive que les avances des receveurs soient, de ce fait, considérables. D'après
un arrêt du Conseil du 27 février 1669, René Aubry, receveur général de Caen, a
gayé au Trésor sur la taille de 1666,46 902 1. qu'il n'avait pas reçues (A. D. Calv.,
ureau des finances.)
2. Bureau des finances de Rouen, Plumitif à la date du 19 octobre 1661, A. D.
S.-Inf., C 1164, f" 181 et H*.
3. lbid., 1166, f° 139 (30 juillet 1664).
4. A. D. Calv., Bureau des finances, 27 février 1669.
"-. Let. du 30 juillet 1680, A. N. G? 213.
'_•. Bdit d'août 1661, sur la réduction du nombre des élus.
'. « Les collecteurs des tailles seront tenus seulement de payer les droits pour
six quittances, du nombre de celles qui leur seront délivrées par an par les rece-
veurs des tailles, le surplus demeurant ù la charge des receveurs. » Cf. le com-
mentaire de Jacquin, Conférence de COrdonnance du mois de juin 1680, Paris, 1751,
in-4% sur cet article.
LES RECEVEURS. 443
« registre de bordereaux », en spécifiant la « qualité et nombre
des espèces »; les collecteurs contresignent le registre séance
tenante. Il est défendu par les ordonnances d'inscrire la recette
« sur des feuilles volantes et journaux particuliers, ains seule-
ment sur les registres publics, bien et duement paraphés » par
les élus1.
La complication des monnaies et les variations que leur fai-
sait subir le roi étaient un des obstacles au bon recouvrement.
La variété des espèces en circulation, même dans les provinces
de l'intérieur du royaume, était surprenante. Ainsi lors d'un
inventaire dressé par le Bureau des finances de Caen après le
décès du receveur général, le 29 mars 1669, on trouve dans la
caisse des louis d'argent, des douzains, des pistoles d'Espagne
« tant doubles que simples », des écus d'or « tant escus entiers
que demy » et de la menue monnaie2. La fausse monnaie était
en outre courante : Colbert apprend en 1681 qu' « il y a beau-
coup de faux monnayeurs dans la Basse Normandie3 ». Les
rogneurs de monnaie, billonneurs et autres falsificateurs sont
extrêmement fréquents, et la monnaie fausse n'est pas toujours
facile à distinguer de la vraie; les étrangers importent des pièces
qui ont souvent cours comme la monnaie française, et dont la
falsification est également facile 4.
Les variations dans le cours des monnaies royales n'étaient
pas moins gênantes pour les paiements; elles amenaient une
différence entre la valeur nominale des espèces et leur cours
ordinaire dans le commerce. Quand la valeur courante était
supérieure à la valeur nominale, les receveurs ne les acceptaient
que pour cette dernière valeur, et dans le cas contraire, ils
refusaient de les prendre autrement qu'à leur valeur marchande.
Dans les deux cas c'était le payeur qui perdait5.
La plus importante de ces variations fut la refonte des pièces
1. Mandement de l'intendant de Rouen, 1672, A. D. S.-Inf., G 2215.
2. A. D. Calv. Bureau des finances, procès-verbal de différentes affaires
1659-69, f° 749.
3. Clém. II, 153.
4. Quand un receveur reçoit d'un collecteur des pièces d'or ou d'argent fausses,
il doit les rompre en sa présence et lui rendre les morceaux (Mandement de l'in-
tendant de Caen pour la levée de la taille de 1676, A. D. Calv., Election de Caen).
5. Les états de Normandie en 1634 disaient dans leur cahier (art. 40) :
« Quelle pitié qu'un pauvre laboureur soit contrainct recevoir l'excu d'or a cent
sols pour le prix de son bled et que pour acquitter la taille il ne le puisse mettre
qu'à 4 1. 6 s. en vos receptes ». (De Beaurepaire, Cahiers, Règne de XIII, III,
p. 31.) Les élus de Poitou déclarent en 1633 « que si l'on n'apporte quelque règle-
ment sur le fait des monnoyes qui ont à présent cours, il sera du tout impos-
sible que le peuple puisse payer ce qu'il est obligé de porter à la récepte des
tailles, où les receveurs ne veulent recevoir que monnoye de roy, laquelle est
si rare et mêlée maintenant que beaucoup sont contraints de changer l'autre à
celle-cy et de la suracheter à leur perte. » (Fournival, Recueil des privilèges des
Trésoriers de France, p. 1105).
4i', LA TAILLE EN NORMANDIE.
de 4 sous, en 1678 '. La nouvelle monnaie, plus faible que l'an-
cienne, n'inspira pas confiance aux receveurs, qui refusèrent
d'en prendre pour plus du quart de la somme versée; ainsi, dit
l'intendant d'Alençon le 27 mai 1679, « les collecteurs, qui ne
reçoivent la taille qu'en cette monnaie, sont souvent rebutez par
les receveurs et quelquefois exécutez et emprisonnez avec leur
argent; j'en ai reçu beaucoup de plaintes dans tous les lieux ou
j'ai passé ». Mais il ne put décider les receveurs à prendre plus
de la moitié en pièces de 4 sous et en douzains2. Celui de Caen
écrit la même année que les difficultés que l'on fait à recevoir les
nouvelles pièces sans les peser « deviennent si grandes qu'on
les refuse absolument »; le receveur de Mortain a refusé un
jour plus de la moitié de l'argent apporté par les collecteurs
parce qu'il était trop léger; les 2/3 de ceux qui étaient venus
faire des versements n'ont pu s'acquitter, il règne de ce fait
une « grande dissolution » dans l'élection; l'intendant ajoute
que si Ton n'y apporte remède, le commerce et le recouvrement
des impôts vont se trouver extrêmement gênés dans tout le pays 3.
Il est probable que ce remaniement contribua à accroître les
difficultés dans la perception, que l'on constate à partir de 1679.
Les sommes encaissées par un receveur ont une triple destina-
tion, qui leur est assignée chaque année par un ordre du roi
nommé Etat de distribution des finances. Une partie est affectée
aux dépenses locales : appointements d'officiers, travaux publics,
arrérages de rentes, etc.; une autre est conservée par le rece-
veur pour ses appointements, remises, et frais de comptes;
le reste est transporté à la caisse dont dépend le receveur :
recette générale s'il s'agit d'un receveur particulier, Epargne,
s'il s'agit d'un receveur général.
Cette dernière opération ou « voiture » des deniers était par-
ticulièrement délicate, car on transportait effectivement des
espèces, les procédés de banque étant tout a fait exceptionnels
à cette époque 4, et dans ces transports on devait prendre des
précautions à la fois contre l'insécurité des chemins et contre la
malhonnêteté trop commune des receveurs. Au départ, l'expé-
diteur doit faire contrôler son chargement : s'il est receveur
particulier, le contrôle est fait par un élu délégué de ses collè-
gues ; s'il est receveur général, par un trésorier de France5.
1. Sur cette opération, voir De Boislisle, appendice à l'cd. des Mémoires de
Saint-Simon, t. XIV.
2. Lettre du 27 mai 1679, A. N. C' 71, cf. ibid., lettre du 13 février.
3. Lettre du M janvier 1679, A. N. G? 213.
<i. Ainsi, en décembre 1685. l'intendant de Caen se félicite comme d'une mesure
extraordinaire d'avoir trouvé le moyen de faire payer le receveur général à
l'Epargne par des lettres de change, en sorte que « l'nrgcnt demeure dans le pays » :
depuis le mois d'avril, dit-il, le receveur n'a fait faire aucun transport de numé-
raire à Paris. Lettre du 3 décembre 1085, A. N. G' 213.
5. Cf. par ex. une délibération du Bureau des finances de Rouen du 13 mars 1665
pour déléguer deux trésoriers « pour faire faire la voiture [des deniers de la recette
LES RECEVEURS. 445
Le contrôleur dresse un bordereau qu'il signe, et il assiste
au chargement; le receveur muni du bordereau se met en
route ' .
Le convoi est exposé à être attaqué et pillé « à cause des
gens de guerre qui sont sur les chemins, et vagabonds qui
ne demandent autre chose que d'attraper les deniers du
roy2 ». Un arrêt du conseil du 17 mars 1661 doit rappeler aux
archers de la prévôté qu'ils sont tenus d'escorter le convoi s'ils
en sont requis3. Le voyage doit se faire « entre deux soleils,
sur chevaux de charge, chacun portant son poids4 ». Entre
autres motifs donnés par le roi à la création d'un Bureau des
finances à Alençon, en 1636, figure la grande distance de cette
ville à Rouen, « d'où seroit advenu plusieurs vols de deniers de
nos tailles et gabelles ». Pendant la Fronde, le Parlement de
Rouen avait dû ordonner aux receveurs particuliers de Rouen
et de Caen de renforcer les gardes de leurs convois, et à ceux
d' Alençon de garder les fonds par devers eux « jusques à ce
qu'autrement en ait esté ordonné », à cause « des courses et
pilleries qui se font en divers lieux de cette province5 ».
Même après la Fronde et jusqu'en 1670 on trouve en Nor-
mandie des exemples de pillages de convois : le 6 août 1660,
le receveur de Coutances a un chargement de 28000 1. volé
« dans le grand chemin de Caen » ; sa veuve ayant avancé les
frais d'enquête pour découvrir les coupables, deux de ceux-ci
généraio à l'Epargne], estre présents au compte desdits deniers et en dresser le
bordereau des espèces. » (A. D. S.-Inf., G 1167, £° 56).
1. Cf. un certificat des élus de Mortain du 25 avril 1671 attestant que lorsque
le receveur de leur élection a fait voiturer les deniers de sa recette à la recette
générale « l'un desdits officiers de ladite élection a esté présent lorsque ladite
voitture a esté contée et mise dans les panniers des voitturiers et signé une attes-
tation de la dite voitture et nombre d'argent ». (A. D. Calv, Elect. de Caen, dos-
sier du procès de Cairon); cf. ibid., un bordereau délivré par les mêmes élus au
receveur le 28 mars 1666; au début sont énumérées les espèces : pistoles d'Es-
pagne, quarts, douzains, quarts d'écus, et lys d'or, au total 1712 1. 16 s. (5d.; le
bordereau se termine par : « laquelle somme de 1712 1. 16 s. 6 d. a esté comptée
et nombrée aux espèces cy-dessus par Jean Lair commis dudit sieur Roussel [le
receveur], et mise en plusieurs saaz, lesquelz ont esté enfermé dans des paniers
et iceux chargés sur un cheval faict partir de cette ville de Mortain pour porter
dans la recepte générale des finances ù Caen, à laquelle fin ont monté à cheval
avec ledit Lair M" Pierre Durocher, Jacques Larcher et autres pour escorter
ladite voiture ».
2. Le Guidon des finances, 1644, p. 177, cf. ibid. toutes les précautions indiquées
pour assurer la sécurité du convoi et pour obtenir la remise des deniers lors-
qu'ils sont volés en route. Voici aussi Gl. de Beaune, Traité de la Chambre des
comptes de Paris (1647), liv. I, p. 343 et suiv.
3. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des Finances, 1661, f° 195 v°.
4. Gl. de Beaune, Traité de la Chambre des comptes, 1647, liv. II, p. 36. Cf.
Traité des fonctions des Trésoriers généraux, Clairamb., 500, p. 595. Les vols sont
normalement prévus ; ainsi dans le bail conclu à Pierre Armand pour l'exploita-
tion des forête de Normandie en 1655 figure une clause qui dispense Armand de
payer une seconde fois au roi les sommes qui lui auront été volées dans le trans-
port à la recette sans qu'il y ait de sa faute (M. Prévost, Etude sur la forêt de
Roumare, p. 231-325).
5. Arrêt de 1er février 1649, publié dans le Recueil de diverses pièces qui ont
paru durant les mouvements demie/s de Vannée 16b9, s. 1., 1650, p. 696.
LA TAILLE EN NOItMANDIE.
sont arrêtés et pendus à Paris en 1G68, les autres sont con-
damnés par contumace à la roue1. En 1667, l'intendant de
Rouen écrit que les voleurs « infestent les grands chemins de
cette province », notamment dans la plaine du Neufbourg, et les
archers de la maréchaussée « ne sont pas en estât de les
prendre »; par deux fois il demande à Louvois de lui envoyer
des renforts de troupes pour en purger la campagne2. En avril
de la même année, le courrier de la poste est dévalisé à deux
lieues de Paris'; en août 1670, il faut un arrêt du Conseil pour
ordonner aux prévôts de Normandie de marcher contre les
voleurs qui infestent la banlieue de Rouen*; en 1669 pendant
le transport de 6 200 1. fait par le receveur de Carentan, le
convoi est pillé dans une embuscade organisée par un gentil-
homme « dune des plus considérables maisons » de la généra-
lité qui faisait son métier de pareils coups de mains5, il est
découvert, mais, comme il consent à restituer la somme volée,
il n'est pas davantage inquiété6.
A son arrivée, le receveur présente son bordereau aux tré-
soriers de France (ou au garde de l'Epargne), qui vérifient les
espèces, assistent au versement et écrivent au bas du borde-
reau leur attestation, qui sert de décharge au receveur en même
temps que la quittance qui lui est délivrée d'autre part7.
1. Procès- verbal d'un Trésorier général de Caen, 23 octobre 1668, A. D. Calv.,
Bureau des finances, procès-verbaux de différentes affaires, 1659-69, f° 735.
2. M. C. 143, f 422.
3. Ibid., f° 450.
4. M. C. 155, f 154.
5. Il « a jusques à présent mené une vie assez conforme à cette dernière
action », écrit l'intendant.
6. Tous ces exemples sont antérieurs ù 1671. Si le hasard n'a pas fait dispa-
raître les documents qui nous en auraient informés, il faut supposer que la
Police fut mieux faite désormais, soit par la maréchaussée réorganisée, soit par
intervention des troupes logées dans les provinces, et qui permettaient d'escorter
plus fortement les convois. Cf. les lettres de Chamillard à Colbert, 23 février et
4 avril 1669, M. C. 150>" f° 573, et 151, P 177.
7. Voici par exemple l'attestation mise par deux trésoriers de France à Caen au
bas du bordereau de versement fait par le receveur de Baveux à la recette
générale, montant à 25258 1. 8 s. 6 d. : « Les pièces d'or et d'argent contenues au
présent bordereau ont esté par nous, conseillers du roy, trésoriers de France au
bureau des finances de Caen, comptez, nombrez et vérifiez, et se sont trouvez
conformes audit bordereau et monter ù la dite somme de 25258 1. 8 s. 6 d. les-
quelles espèces ont esté mis présentement aux coffres de la dite recette générale
entre les mains de M* André Delaunay. commis de M. René Aubry, aujourd'huy,
2* jour d'avril 1666, (signé) Clément, Morel ». (A. D. Calv., Bureau des finances.)
LES MALVERSATIONS ET CONCUSSIONS DES RECEVEURS. 447
V. — LES MALVERSATIONS
ET CONCUSSIONS DES RECEVEURS
Un proverbe courant au XVIIe siècle assure que « l'argent du
roy est sujet à la pince1 ». « Il est raisonnable, disait Loyseau,
que, comme celui qui manie la poix en retienne quelque chose
en ses doigts, aussi ceux qui manient les finances, en prennent
par leurs mains leur part : à quoi volontiers ils ne s'oublient
guères2 ». Aux Etats de 1614 le roi répondait aux députés de
Normandie qui se plaignaient d'une augmentation de trois
deniers par livre accordée sur la taille aux receveurs : « Ladite
attribution a été faicte aux receveurs sur ce que l'on a esté
adverty que d'eulx-mesme ils la levoient par abuz 3 ». Pendant
le ministère du cardinal Mazarin, les concussions et malversa-
tions des receveurs étaient particulièrement nombreuses ; c'était
une des causes pour lesquelles les impôts ne rentraient pas au
Trésor, quoique les peuples payassent des sommes considé-
rables. En Normandie particulièrement, on en rencontre de
scandaleux exemples.
Dans l'élection de Caen, un commis à la recette du taillon,
nommé Hallot, avait en 1658 perçu presque le double de ce qui
lui était dû : ainsi la paroisse de dieux imposée à 1942 1. lui
avait payé du 26 mai au 31 décembre 1658, 2 526 1. 15 s. et
Hallot ne la tenait encore pas pour quitte. Le Bureau des
finances de Caen, saisi de plusieurs plaintes, attendit quatre
ans pour lui faire son procès ; on trouvera plus loin le récit de
ses méfaits comme huissier4.
Dans la généralité de Rouen, le receveur de l'élection de
Caudebec pour l'année 1660 avait dissipé les deniers de sa
recette et avait ensuite pris la fuite5. Le receveur de Gisors,
nommé Lempereur, avait véritablement mis au pillage son
élection, depuis l'année 1637 qu'il exerçait, soit en personne,
soit à l'aide de son fils qu'il prenait pour commis. La sœur du
chancelier Séguier, prieure des Carmélites de Pontoise, raconte
en ces termes ses exploits en 1643 :
« Il fait le petit tyran depuis qu'il sait que M. de Montaigu n'est
plus ici pour protéger les pauvres; notre prison de Pontoise est
1. Il est placé en épigraphe sur le livre de Bourgoin, La Chasse aux larrons,
Paris, 1618.
2. Traité des ordres, ch. VIII, p. 34, cf. sur les lettres-patenles du roi
d'avril 1596, relatives à la punition des receveurs, Lebret, XXIIIe action, Œuvres
p. 495-97.
3. Précis anali/tique des Travaux de V Académie de Rouen, 1877, p. 179.
4. A. D. Galv. Bureau des finances (Dossier du procès Hallot). Cf. ci-dessous, p. 455.
5. A. D. S.-Inf. C 1164, f° 45.
449 LA TAILLE EN NOIIMANDIK.
pleine de gens pour les tailles; il les consomme en frais et misères,
et je ne sais si le roi en est mieux servi. C'est un enGleux de beaux
mot! que ce Lempereur. Il est devenu extrêmement riche au métier
qu'il fait et Ton s'en plaint fort dans le pays; nos collecteurs des
tailles n'osent sortir d'ici et ils ont payé plus que la ville ne payait
l'année passée. Il faut patience et miséricorde car il est impossible que
les pauvres gens qui font leur argent denier à denier l'aient si fort
fourni '. »
La fortune amassée par ce malfaiteur était évaluée à 8000001.
La Chambre de Justice eut connaissance de son cas, et fit
instruire son procès. Le dossier, qui a été en partie conservé1,
nous détaille ses crimes. Tous ses comptes étaient falsifiés; il
avait détruit ses registres de 1637 à 1644, vraisemblablement
pour cacher ses irrégularités; pour les années suivantes, il avait
deux comptabilités différentes, présentant, pour une seule
année, un écart de chiffres de 21 000 1. Un seul de ses livres
était paraphé, et il l'était par le sieur Aubery, « son ancien
serviteur domestique et son sergent », devenu président en
l'Élection. Il avait pu ainsi commettre toutes les exactions sans
3u'il en parût rien sur ses comptes : une paroisse redevable
e 44 I. est portée comme redevable de 144; une autre marquée
pour 400 1. ne doit que 4 1., une autre, « en reste de 17 sols
seulement » est portée en reprise pour 2 300 1. 10 s. 11 réclame
56116 1. aux paroisses de son élection pour leurs restes de taille
de 1637 à 1646, alors que, d'un autre de ses comptes, il
ressort qu'elles redoivent seulement 1985 1., lesquelles il a
données à ses huissiers en paiement de leurs gages, à charge
de les percevoir comme ils l'entendraient. Il a fait emprisonner
les collecteurs d'Hérouville faute de paiement de sommes
remises par le roi; le Bureau des finances, saisi d'une plainte,
a fait élargir les prisonniers et ordonné la restitution du trop-
perçu, mais Hallot n'a jamais rien rendu. Maintes fois il a exigé
des contribuables plus que leur dû : « ce desordre estant si
ordinaire dans sa conduite, il seroit... ennuyeux d'en vouloir
rapporter tous les exemples », dit l'accusation; en 1640, après
avoir exigé de la paroisse d'Ecos 1 140 1. en sus de son impôt,
« il ne laissa pas encore d'employer la mesme paroisse en
reprise dans son compte pour la somme de 678 1. 14 s. ». Il a
inventé des droits pour les percevoir à son profit, prélevé pour
lui les 6 deniers par livre attribués aux collecteurs, omis d'ins-
crire maintes recettes sur ses livres ; enfin « il paroist par ses
1. Publ. dons Bonuemère, La France sous fouis XIV, p. 318.
2. Sommaire du procès criminel pendant en la Chambre de Justice contre Fran-
çois Lempereur et son fil», B. N. Recueil Thoisy. vol. 397, fol. 566-590, Imprimé,
52 p. in-4°. Cf. les factums pour la défense de Lempereur, imprimés, ibid.,
fol. 505-565.
LES MALVERSATIONS ET CONCUSSIONS DES RECEVEURS.
449
registres qu'en quelques années de ses exercices il a fait payer
aux collecteurs jusques a dix et douze mille livres de frais ».
Les mêmes charges sont relevées contre son fils : registres en
double, ratures, fausses quittances, fausses reprises n'étaient
qu'un jeu pour lui. En 1657 il a fait vendre les meubles de
la veuve d'un collecteur pour un prétendu arriéré de 15 1. 6 s.,
et il appert par ses propres quittances que le collecteur lui
avait payé 91 1. en plus de son dû. En 1659, il a pareillement
exécuté 48 moutons de Louis Féret, collecteur à Chavanson,
pour un prétendu arriéré de 100 1., et Féret s'étant pourvu
devant l'intendant a prouvé qu'au contraire Lempereur lui était
redevable de 34 1.; M. de Champigny a donc condamné le
receveur à restituer les 34 1., mais Lempereur s'est fait donner
une quittance de la somme sans rien rembourser. À un autre
collecteur qui ne lui devait rien, il a fait souscrire une obli-
gation de 54 1. 15 s. et il en a exigé le paiement. Bref, il
reconnaît lui-même avoir commis des « surexactions » de ce
genre « sur la pluspart de toutes les paroisses de l'eslection ».
Jamais il n'a soldé ses huissiers autrement qu'en rescriptions
sur les restes de la taille, les laissant libres de se faire payer
comme ils l'entendraient...
Pour comble. François Lempereur ayant été arrêté par ordre
du subdélégué de la Chambre de justice, ses domestiques étaient
venus le délivrer des prisons de Gisors; il avait été condamné à
mort, avec confiscation de ses biens, mais il ne craignait pas de
faire appel de la sentence devant la Chambre de Paris, en
arguant que bien d'autres en avaient fait autant que lui. Il ne fut
condamné qu'à une simple amende, par arrêt du 18 juin
1665 '.
Ces condamnations furent un salutaire avertissement pour les
receveurs; mais la Chambre de justice fut très loin d'atteindre
tous les coupables ; dans beaucoup de pays on ne pouvait trouver
de témoins contre eux parce qu'on craignait les représailles.
Le substitut de la Chambre à Gap termine un de ses rapports
par ces mots : « Ce n'est pas sans crainte que je prans la liberté
de vous faire porter les plaintes des pauvres subjets de S. M. ».
L'intendant Saron-Champigny écrivait le 4 mars 1663 : « On
crie bien contre les vexations et les exactions des receveurs
en général, mais quand on entre au particulier et qu'il faut
former des plaintes par escrit, chacun recule2». Le 12 août 1682
l'intendant de Rouen, Leblanc, écrira encore en envoyant un rap-
port sur les abus des receveurs et huissiers des tailles : « Comme
le paysan craint le receveur et l'huissier, et que le receveur et
1. B. N. fr. 18 423, f° 448.
2. M. G. 115, f° 115.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
LA TAILL1 KN NOKMAXDIE.
l'huissier sont d'intelligence, il est difficile d'en avoir la
preuve ' ».
Colbert rétablit assez prompte ment l'ordre dans ce personnel
en excluant des recettes les individus de probité douteuse, et en
faisant surveiller les autres par les intendants. Ainsi, en 1669,
deux receveurs, Legendre et Pinets, ayant été poursuivis et
condamnés pour malversation, Colbert fait publier partout les
deux jugements, afin, dit-il, « que les receveurs généraux et
particuliers puissent connoistre par ce moyen la conduite qu ils
doivent tenir dans le maniement et la levée des impôts. Je ne
doubte pas... que cet exemple ne contribue beaucoup a retran-
cher les abus qui se pourroient glisser dans toutes Iesdites
receptes' ». Il ordonne à l'intendant de Bordeaux, le 2 fé-
vrier 1674, de faire le procès au receveur Robey, car, dit-il, il
est « important de temps en temps de donner des exemples de
sévérité dans les provinces pour empescher les exactions et les
concussions sur les peuples * ».
Le receveur général d'Alençon est emprisonné pour con-
cussions en 166o8. Le receveur particulier de Lisieux, en 1668,
voit sa charge confisquée pour avoir diverti les deniers destinés
au remboursement des officiers supprimés de l'élection6. En
1669 est fait le procès de Legendre, receveur d'Arqués. Suivant
un rapport de l'intendant de Rouen, Legendre avait prémédité
d'encaisser une forte somme et de disparaître ensuite en l'empor-
tant. Le receveur général, M. de Courcelles, en ayant eu soupçon,
avait voulu vérifier la caisse; mais Legendre s'était enfui, le
jour de Pâques, dans le propre carrosse de M. d'Intraville, con-
seiller au parlement, auquel il avait fait un transport frauduleux
de tous ses biens. On trouva ses livres falsifiés, les collecteurs
déposèrent qu'il leur donnait de fausses quittances ou leur faisait
déchirer celles qui étaient justes; enfin on parvint tant bien
que mal à le déclarer débiteur, sur sa recette de 1668, de 33 000 1.
et sur celle de 1669, de 38000 1. 7. Jamais les élus d'Arqués, à
qui incombait le contrôle, n'avaient vérifié sa caisse ni signalé
sa mauvaise conduite, « bien qu'il fut de leur connaissance
1. B. N. fr. 8701, f» 63.
2. Mémoires de Foucault, p. 155.
5. Depping, III, p. 34.
4. Le 23 août 1879 il écrit à l'intendant de Moulins : « Je tous ay fait assez con-
noistre combien il est important de réprimer toutes les friponneries de ceux qui
manient les deniers du roy, pour croire que vous y apporterez toute l'application
nécessaire. Je vous dis la mesine chose pour ce qui concerne les receveurs des
tailles de Nevers » (Clém. II, 115), et encore le 4 teptembre 1682 en ordonnant
au même intendant de faire le procès à deux receveurs : il est très important
* de donner des exemples nux peuples qui leur fussent connoistre que le Roy veut
qu ils payent bien ponctuellement leurs impositions, mais que S. M. ne veut pas
souffrir qu'il se fasse aucune exaction. » (Clém. II, 206).
'». M. 0. 132, f° 390.
6. A. I). S.-Iiif. C 1463, n" 32.
T. M. C. i:»r ', I» 870 et 931.
LES CONTRAINTES. 451
que depuis 1660 ou 61 il faisoit sa recepte sur des feuilles
volantes1 ». Finalement il fut arrêté à Avignon et condamné à
la prison2.
Le receveur de l'élection de Caen, Louis de Grond, a éga-
lement dissipé l'argent de sa recette en 1672; il est arrêté aussitôt
et emprisonné au For-1'Evêque; mais on se borne à saisir
ses biens et son office, il ne semble pas avoir été autrement
inquiété 3. A partir de ce moment, on ne trouve plus, en Nor-
mandie, de semblables méfaits. Colbert est donc, sur ce point,
arrivé à ses fins. L'épuration du personnel des receveurs est un
des résultats heureux de son activité vigilante.
VI. — LES CONTRAINTES
Lorsque les collecteurs ne se sont pas acquittés à la recette
dans les délais fixés par les règlements ou les conventions par-
ticulières, le receveur a recours à des moyens de contrainte
gradués, qui sont par ordre : la saisie des biens, l'emprisonne-
ment, et la « solidité ».
Les saisies, faites par l'intermédiaire des huissiers et ser-
gents, étaient une source d'abus maintes fois condamnés depuis
l'origine de l'impôt4. Les trois exemples suivants feront connaître
les pratiques en usage au temps de Mazarin et de Foucquet.
I. Pierre de Nainville, huissier-commissaire des tailles à
Gisors, au service du receveur Lempereur, dont on a vu les
exploits, fut poursuivi avec son patron par la Chambre de
justice ; voici les charges qui étaient relevées contre lui : sui-
vant les dépositions de plus de vingt témoins, il avait « receu
des collecteurs des sommes par eux deues a la recepte, pro-
mettoit de faire les payements et de leur apporter quittance,
prenant souvent d'eux des muids de vin et d'autres marchan-
dises pour la moitié de leur juste valeur, dont il les assuroit
de payer le prix a la recepte, et dont il n'a depuis donné ny
1. M. C. 153, f 340.
2. Le 25 juin 1669 il écrivait lui-même à Colbert pour justifier ses opérations
et demander grâce; il s'offrait à payer en moins de 18 mois ce qu'il redevait au
roi. (M. C. 15abl,f f 774).
3. Arrêt du Conseil du 20 septembre 1672.
4. Let. pat. du 16 juillet 1648 portant établissement d'une Chambre de Jus-
tice. Cf. l'ordonnance de 1388, art. 200 (Guénois, Conférence, t. II, p. 1442);
un mémoire du temps de François Ier (B. N. Cinq-cents Colbert, 491, 1° 1), les
remarques de Guy Coquille sur l'ordonnance de Blois (Néron, I, 541), le préam-
bule de l'édit de mars 1600, la déclaration du 16 mars 1595 (Néron, I, 675),
l'arrêt du Conseil du 27 novembre 16'tl {ibid., II, 663), les remontrances de la
Chambre des Comptes de Paris du 1» octobre 16Ï3 (Recueil de diverses pièces qui
ont paru durant les mouvemens derniers de l'année IG'iO, s. 1., 1650, p. 73), les
nombreuses doléances des Etats de Normandie dans leurs cahiers, etc.
452 LA TAILLE EN NOll.MAXIM i: .
quittances ny recepiséz, en sorte que, n'y ayant quelques fois
s.aislait que pour une partie, lescfits collecteurs ont souffert
et payé des courses qui souvent ont excédé la somme dont il
s'estoit chargé de faire le payement. » Il traitait avec les collec-
teurs pour percevoir la taille à leur place, et a néantmoins ces
collecteurs ont esté emprisonnez et exécutez en leurs meubles
pour restes desdites tailles, faute par l'accusé de les avoir
payez à la recepte, quoyqu'il soit demeuré d'accord de les avoir
receus ».
« Plus de soixante tesmoins déposent que l'accusé a appliqué a son
profit les meubles et bestiaux exécutez sur les collecteurs, ausquels il
ne laissoit point d'exploits, ou ne comprenoit en iceux qu'une partie
des dits meubles et bestiaux.... 11 a transporté dans des lieux esloignez
des bestiaux exécutez sur les collecteurs, lesquels, durant des mois
entiers, il donnoit en garde a des hosteliers et cabareliers avec les-
quels il a partagé le gain qu'ils ont fait pour la garde des dits bestiaux,
dont la despense souvent a excédé leur valeur, en sorte qu'il est arrivé
que les collecteurs ont esté obligez de les abandonner pour le paye-
ment de la garde Il est convaincu d'avoir fait et fabriqué de faux
exploits et de faux procez-verbaux de rébellion, de vente et d'exé-
cution. Il a raesme esté trouvé saisi de cinq faux procez-verbaux de
ventes de bestiaux qui sont signez par ses recors, dont les dattes des
jours, des mois, des années, et les sommes sont en blanc 11 est
encore chargé d'avoir exécuté nuictamment les collecteurs et en leur
absence les jours de dimanches et de festes solennelles, de les avoir
cruellement excédez de coups, dont la mort d'aucuns s'en est ensuivie. »
Ses exploits ont duré pendant « plus de vingt années »,
impunément. Il est condamné aux galères par la Chambre de
justice1.
II. Le sieur Mochon était sergent des tailles dans l'élection
d'Avranches en 1658. Les habitants de Braffais ayant déposé
une plainte contre lui entre les mains de l'intendant d'Aligre,
celui-ci commit un élu pour enquêter : les collecteurs de
Bradais, de 1658 à 1660, vinrent faire leurs dépositions « en la
maison presbyteralle de la paroisse ». du 29 décembre 1660 au
25 janvier 1661 2.
Le premier, Pierre Belin, chargé de percevoir le premier
quartier de 1658, déclare avoir subi 19 exécutions, pour les-
quelles il a payé 22 1. 10 s. de frais, outre 5 sous aux recors à
chaque exécution ; en plus, il a dû à plusieurs reprises donner
à boire au sergent et à ses hommes, quand ils passaient, pour
qu'ils n'emmènent pas ses bestiaux. Un jour un des records,
1. Sommaire du procès criminel intenté à François Lempereur, B. N. Recueil
Thoisy 397, f 566-597. Cf. d'antres renseignements* B. N. fr. 18423, f449.
2. Dossier de l'enquête, A. D. Calv., Bureau des finances, Registre de procès-
verbaux de différentes affaires, 1659-69, f°* 69 à 92. Braffais étnit une paroisse de
grandeur moyenne; elle est imposée à 1370 1. en 1662.
LES CONTRAINTES. 453
Gamax, surnommé Crapado, « venant pour l'exécuter et trou-
vant la porte fermée, rompit icelle a coups de hache et blessa
son petit enfant, bien que les bestiaux dudit déposant estoient
pour lors dans le jardin ». Après toutes de ces contraintes, il lui
reste à verser 30 1. au receveur.
Le collecteur du second quartier, Guillaume Haliais, labou-
reur, a subi quatre exécutions et payé 13 1. de frais; mais on
ne lui a remis de quittances que pour 6 1. ; un jour, les recors
avaient pris ses bestiaux et l'emmenaient en prison, « pourquoi
éviter, il leur auroit payé plusieurs fois a boire » ; une autre
fois, il fut emprisonné pendant dix jours, « pour quoi il paya
audit Mochon 35 sous ». Pour payer le receveur, il a dû
vendre ses terres ; néanmoins il redoit encore quelque chose,
mais « ne peut dire combien ». Son frère Thomas, quoique
n'étant pas collecteur, a subi 15 courses du sergent; un jour
notamment Mochon et ses recors l'emmenèrent à l'auberge du
village et lui firent payer leur dépense, montant à « plus de
150 1. » ; une autre fois, il fut arrêté au milieu de la nuit
« et incarcéré prisonnier par un nommé Pierre Amiot et
Guillaume Poret, lesquels en le menant le battirent et excé-
dèrent, bien qu'il leur déclarast plusieurs fois qu'il n'estoit
asseeur ni obligé pour ladite année »; il paya 10 s. pour être
relâché le même soir.
Le troisième collecteur, Fleury Sanson, charpentier, a subi
22 exécutions, et payé en frais 18 1. plus, aux records, 11 sous
par course; ses « namps » sont actuellement saisis; un des
recors lui a offert de les lui rendre « s'il luy vouloit donner
quelque chose et payer à boire » ; à un de leur passage, les
recors voulurent l'arrêter : les ayant vu venir, il ferma sa
porte, mais les recors l'enfoncèrent, Crapado « ayant l'épée
nue en main » et menaçant de la lui passer au travers du corps.
Heureusement Sanson put se barricader dans une autre pièce :
les recors se retirèrent, en lui emportant un de ses outils,
qui ne lui a pas été rendu. Etant allé verser 40 1. au receveur,
il fut arrêté tout après et emprisonné, « pour laquelle incarcé-
ration le receveur exigea dudit parlant la somme de 35 s.,
qu'il n'auroit employée dans les acquits par luy baillez ». Enfin
il a, à diverses reprises, payé les dépenses d'auberge des
recors. Il lui reste 12 1. à payer.
Le quatrième, Toussaint Menard, laboureur, « compagnon de
collecte » de Sanson pour le troisième quartier, fut exécuté cinq
fois ; à deux reprises son cheval lui fut saisi sur la route
d'Avranches, comme il transportait des fagots; on lui a saisi
également une poêle en cuivre et une écuelle d'étain, que le ser-
gent détient encore, mais qu'il veut bien lui rendre moyennant
« quelque chose » : les frais du tout se sont montés à 4 1.
10 s. et 25 fagots.
V* LA TAILLE EN NORMANDIE.
Le dernier collecteur, Thomas Gauguelin, charpentier, jus-
tifie de 13 exécutions, échelonnées du 30 avril 1659 au 18
mars 1660, pour lesquelles il a payé 19 1. 10 s., plus 5 sous par
exécution aux recors — quoique ceux-ci ne se lussent déplacés
que trois fois. — On lui a saisi une vache, une pacie et un
chaudron.
Après les collecteurs vient déposer « l'hoste », l'aubergiste
du village. Il déclare avoir servi à boire et à manger à Mochon
et à ses hommes « tant de fois qu'il n'en peut dire le nombre,
réservé plus de cent fois, tant de nuict que de jour » ; chaque
fois ils amenaient avec eux les collecteurs, et « tous ensemble
ayans faits des dépenses, les unes fois 20 solz, les autres 30 et
Quelquefois plus, les dits asseeurs auroient payé icelles ».
irdinairement, dit-il, le sergent exécutait les quatre collecteurs
le même jour. Il a vu Gille Hallais payer à Mochon cent sous
une fois pour n'être pas emmené en prison, 35 sous une autre
fois pour se faire rendre son cheval. C'est l'hôte qui avait la
garde des objets saisis par le sergent.
L'enquêteur entend aussi les collecteurs des paroisses voi-
sines : Jacques Baudry, de la Trinité, a subi trente exécu-
tions et « vendues » ; Guillaume Poitevin, du Liot, a eu un
nombre incalculable d'exécutions, « au moins cent » ; il a été
« mandé par les dits sergens par plus de trente fois aux hos-
telleries pour leur payer a boire ». Julien Maincent, de Tirpied,
a eu 14 exécutions, Gilles Benoist, de La Chèze, 21, en outre
desquelles il a « payé telle quantité de courses qu'il ne les peut
nombrer, réservé qu'il a dit estre certain en avoir payé une
par chacune septmainne » ; son collègue Guillaume Morin a
Fayé six courses; un jour Mochon « estant allé chez luy et ne
ayant trouvé, mais seulement son fils, il prit son dit fils qu'il
mena prisonnier, encore qu'il eust promis a quelques per-
sonnes de ne le mettre point prisonnier; a raison de quoy il
cousta cent solz que la femme dudit exposant porta a Avranches
pour délivrer ledit son fils ». Enfin, Jacques Debesne, de
Saint-Nicolas-des-Bois, justifie de 58 exécutions, toutes pour
la taille de 1658 ; il a payé des frais aux recors « presque
chaque septmaine », donné du beurre et des chapons au sergent,
les a tous traités dans les tavernes d'Avranches.
Ce sergent avait cependant un chef, le receveur de l'élection,
qui n'a pu ignorer toutes ces concussions; mais il n'a rien fait
pour les empêcher; bien plus, il est convaincu d'avoir contre-
signé la plupart des exploits des huissiers, et d'avoir refusé des
quittances aux collecteurs; pourtant il ne semble pas avoir été
inquiété : en tous cas nous le trouvons à nouveau chargé de la
recette à Avranches en 1665. Quant à Mochon, on ne sait quelle
sanction fut prise contre lui ; mais il ne fut pas destitué : on le
retrouve également en fonctions en 1664.
LES CONTRAINTES. 455
III. Dans l'élection de Caen, en 1658, Jean Hallot était à la
fois commis à la recette du taillon et sergent des tailles.
Dénoncé au Bureau des finances par divers collecteurs, une
enquête fut ouverte contre lui le 27 janvier 1659. Quatre-vingt-
sept témoins déposèrent au procès. Voici le résumé de leurs
déclarations :
Philippe Lefebvre, collecteur de la paroisse de Basly, en 1658,
dépose que Jean Hallot « a pris de luy depuis le commencement
du mois de may dernier de quinzaine en quinzaine jusques à
présent la somme de 12 s. 6 d. sans faire exécution ny vendue,
à la réserve du mois d'aoust, et d'une fois ou deux qu'il passoit
sans rien prendre ».
Jean Vaultier, qui fut collecteur de Bléville en 1651 et 1657,
dépose que Hallot, qui avait fait la recette en 1651,
« a exigé pour le moing de luy la somme de 30 1. en vingt fois sans
faire aucune exécution ny vendue ny ostage, et que un appelé Jacques
de la Mare sergeant ayant eu aussy quelque temps la charge dudit
receveur des tailles de ladite année 1651, a exigé de luy en plusieurs
fois la somme de 25 1. et outre, ledit de la Mare obligea encore ledit
déposant de luy faire une promesse de cinq boisseaux de froment,
laquelle il cassa pour vente dudit bled quoyque ce fust effectivement
pour promesse de luy donner du temps, et ledit déposant lui ayant
apporté en sa maison à Caen lesdits cinq boisseaux de bled, il les refusa
soubz prétexte que ce n'estoit pas bon bled, pour lui en faire paier la
pretie au prix de 40 sols quoyqu'il ne vallust en ce temps la que 25
ou 30 sols. A dit pareillement ledit déposant que touttes les fois qu'il
portoit de l'argent en la recepte de ladite année 1G51, le sieur de la
Londe le Boucher, commis à ladite recepte, prenoit de luy un sol pour
chaque quittance soubz prétexte d'un certain droit de bordereau. »
En 1657, un sergent nommé Bertot, « ayant mené une fois deux vaches
et un veau appartenant audit déposant chez un appelé Jean Deblez
marchand de nainps, demeurant à Lyons, il les y Iessa huit jours sans
vendre, et ayant fait rencontre dudit Bertot en ce temps là ledit dépo-
sant estant monté sur son cheval, ledit Bertot le fist descendre pour
le prendre et executter, ensuite de quoy il exigea de luy déposant la
somme de 60 sols et 30 sols qu'il luy cousta pour lui donner à desjeuner
pour en avoir dellivrance. Et a exigé en outre de luy ledit Bertot la
somme de 15 1. en douze fois sans faire aucune ostage, exécution ny
vendue. » Un autre jour, « ayant porté une fois sa casaque chez
Robert Quehaignes marchand de namps ordinaire demeurant à Mathieu,
iceluy Quehaignes exigea de luy la somme de 30 sols sans lui en voul-
loir bailler aucune lettre, et de plus que le fils dudit Quehaignes s'en
servit pour le moins quinze jours ».
Pierre de Caen, collecteur d'Ouistreham pour 1657, dépose
que Hallot
« a pris et exigé de luy 40 s. en une fois et 30 s. eu une autre, et une
autre fois l'ayant executté par la prise de deux platz, il les apporta en
III LA TAILLE EN NORMANDIE.
cette ville au Bourg l'Abey chez un tavernier dont il ne scait le nom,
qui exigea de luy la somme de 45 s. pour les rendre, et outre, le
records dudit Hallot que on appelle Jacques luy fist despencer unze
sols en ladite taverne pour en consentir la dellivrance. » Un autre
sergent, Bertot, « a exigé de luy déposant environ 10 1. en dix ou
douze fois et l'a mené quatre ou cinq fois en la taverne où ils faisoient
despence de 15 ou 20 s. chaque fois ». Un troisième sergent, Favel,
« a faict sur luy depuis le premier jour d'octobre trois vendues »,
pris 5 sous à chaque fois pour les recors, plus 30 sous pour lui, et lui
a fait dépenser 10 s. à la taverne du port. A chaque quittance, le sieur
Leboucher, commis à la recette, lui faisait payer un sou.
Gilles Guéroult, collecteur de Langrune en 1655, dépose que
Rolland Rousée, sergent ordinaire de la sergenterie de Bernières,
lui a fait plusieurs vendues en prélevant chaque fois 45 s. de
frais : de plus il l'abonnait à 20 s. par quinzaine pour ne pas
lui faire d'exécution. Hallot, qui le remplaça, lui a fait plu-
sieurs vendues, « dont il ne scayt le nombre, »
« mais scayt bien que ledit Hallot pendant huit ou neuf mois de temps
a prins et exigé de luy de quinzaine en quinzaine la somme de 25 s.
sans faire aucune exécution... que outre, ledit Hallot prenoit de trois
autres collecteurs la somme de 25 s. chacun le mesme jour sans faire
aucune exécution, hostage ny vendue, mesme le plus souvent ledit
Hallot n'alloit pas en personne prendre sa course, mais seullement
envoyoit un appelé Jacques Cantrel, son records ordinaire, lequel
exigeoit dudit déposant et autres ladite somme de 25 s A de plus
cognoissance qu'il y eut vendredy ou samedy dernier huit jours que
ledit Jacques Cantrel et un autre record ordinaire dudit Hallot dont
il ne scayt le nom vindrent en ladite paroisse de Langrune menasser
les collecteurs des années 1656 et 1658 que ledit Hallot et le commis
de la recepte des tailles estoient à la Dellivrande, et qu'ils alloient les
venir lever s'ils ne portoient promptement de l'argent, ce qui avoit
obligé lesdits collecteurs pour fuir et esviter à cet inconvénient de
bailler chacun la somme de 25 s. ausdits records. »
Gilles Labbey, collecteur de 1658 au Mesnil-Patry, déclare
que Jean Hallot envoya chez lui ses recors pour « prendre
par exécution des besteaux, »
« mais n'ayant eu la patience ny donné le temps à la mère du déposant
d'ouvrir la porte de l'estable ou ils estoient, lesdits records enfon-
cèrent la porte et rompirent la serrure de ladite estable dans laquelle
ils prindrent une vache qu'ils menèrent devant la porte d'un nommé
La Vigne, lequel sortant de sa maison les pria qu'ils n'eussent à
déplacer ladite vache et qu'il leur donneroit le salaire de leur cource,
pour lequel ils receurent du sieur Lavigne 16 s. 6 d. »
Un certain Robert Benoist, huissier, lui a réclamé 5 1. 13 s. pour
un prétendu droit de 4 d. par quittance : il les alla demander à
LES CONTRAINTES. 457
son fils, qui répondit que son père était à ce moment même
au Mesnil-Patry pour obéir à la contrainte, et ne voulut rece-
voir l'argent, « qui estoit tout compté sur la table ».
Louis Adelin, collecteur du Fresney en 1658, dépose que
Robert Benoist, chargé de recevoir le droit de 4 d. par quit-
tance,
« voyant le déposant en la recepte dudit droit ou il comptoit son
argent, partit à raesrae temps pour s'en aller en la paroisse du Fresné
en la maison d'iceluy déposant, où il fist exécution de deux plats
d'estain qu'il emporta en la parroisse de Secqueville ou la femme dudit
déposant estant allée pour le prier de lui rendre ses biens, luy disant
que son mary estoit en recepte pour payer ledit droit, sur quoy
yceluy Benoist luy fist response que il le scavoit bien, mais qu'il
falloit que il ce fist payé de sa course, luy disant en ces termes :
« Seroit-il raisonnable que je n'eusse rien, moy? » ce qui a obligé ladite
femme d'emprunter à la servante du sieur de Camilly 30 s. que ledit
Benoist exigea d'elle pour luy rendre ses biens ».
Jean Paisant, collecteur de Boeuville en 1658, dépose que
Hallot a pris
« par exécution sur luy un petit costillon de toile et un petit
plat d'estain au mois de novembre dernier, qu'il porta chez un appelé
Jacques Legrand, tavernier, demeurant en la paroisse de Benouville,
lequel exigea dudit déposant la somme de 25 s. qu'il dist estre pour le
sallaire dudit Hallot pour luy rendre lesdits biens exécutez ».
Voici maintenant les témoignages invoqués par les sergents à
leur décharge : Pierre Agnel l'aîné, collecteur de Tracy en 1657,
dit que Laurent le Coq, sergent des tailles, « ne lui a faict
depuis ladite année 1657 que six vendues, pour lesquelles l'on
luy a desduict des paiemens qu'il a faict en recette par chacune
desdites vendues 45 s., et a entendu dire que le nommé La Fon-
taine Rousselin, sergent à faire vuider lesdits deniers avec
ledit Le Cocq, du nombre desdites six vendues en a fait quatre
pour sa part ». Mais voici la cause pour laquelle il fut tant
ménagé : « il estoit suporté d'une personne d'authorité ».
Jean-François Bertaut, collecteur de la même paroisse en
1656, dépose que Laurent Le Coq, huissier, l'a visité plusieurs
fois « sans pouvoir spécifier la quantité de fois pour ne s'en
souvenir, mais qu'il ne s'en plainct aucunement, d'autant que
lorsqu'il faisoit des vendues, il let, a tousjours paiées en recepte
et que le plus souvent ledit Le Cocq ne prenoit de son argent, »
mais il reconnaît qu'il a dû ce traitement privilégié à ce qu'il
« regalloit [Le Coq] à la taverne ».
Enfin Etienne Coltée, collecteur de Mathieu en 1655, « a dict
n'avoir receu que deux courses d'huissier, pour s'estre atermoie
avec le receveur, dont l'une luy fut faite par un nommé Lacorne,
LA TAILLK KN NOIIMAXDIE.
huissier, qui fist une vendue de ses biens, pourquoy il paia en
receptc 45 s., et l'autre course luy fut faicte par un nommé
La Granderie qui le vouloit arrester prisonnier, à qui il paia
22 s. pour son sallaire ».
Hallot, pour sa défense, se borne à déclarer, en ce qui
concerne le droit de 12 s. 6 d., qu'il le demandait aux collecteurs
uniquement « par la compassion qu'il en avoit pour ne déplasser
leurs besteaux qu'ils auroient perdus dans la misère où l'on a
esté et qui continue encore »; son droit strict aurait été selon
lui de faire annuellement dans chaque paroisse quatre exécu-
tions par quartier, c'est-à-dire seize par an « sans les relèvemens
et vendues réitérées qu'il pouvoit faire en pareil nombre, faulte
par les adjudicataires d'avoir paie en recette le prix de leur
adjudication »; il aurait pu prélever en conséquence 30 s. par
vendue et 15 s. par exécution, soit 45 s. ; il ne prenait que 12 s.
et demi, ne devrait-on pas lui en savoir gré?
Le tribunal se montra pour lui d'une indulgence extrême :
il ne prononça qu'une amende de 100 1. au profit du roi, avec
la défense d'exercer à l'avenir aucun office (13 juillet 1660);
le châtiment était presque ridicule, d'autant plus qu'il n'est pas
certain que l'interdiction d'office ait été maintenue !.
Ces trois exemples, mis au jour par des enquêtes judiciaires,
n'étaient pas isolés. En 1664, l'intendant Barin de la Galisson-
nière écrit : « Il est constant qu'il y a fripponnerie de la part
de tous les sergens »; mais, ajoute-t-il, il est malaisé d'en
avoir connaissance : « ou les paisans parlent avec passion,
ou demeurent dans le silence par la crainte du retour » ; l'in-
tervention personnelle du commissaire royal est utile; il est
bon de « battre les chiens devant le lion », mais elle est insuffi-
sante, car « le mal est général et très grand2 ».
L'administration de Colbert déploya une grande activité pour
arrêter ces méfaits en épurant ce personnel et en réglementant
la profession.
L'édit d'août 1661 avait autorisé les receveurs des tailles à
« emploier tels huissiers et sergens que bon leur semblera pour
l'exécution de leurs contraintes, à la charge qu'ils en demeure-
ront civilement responsables, et qu'ils tiendront la main à ce
que les reglemens faits pour raison de leurs salaires soient
observez3 ». Mais les receveurs avaient tendance à prendre un
1. A. D. Calv., Bureau des fin., dossier Hallot. Voir d'autres documents sur les
sergents, B. N. fr. 18V23, f° 320 et suiv.. M. C, 121, f-* 60, 90, 550, etc.
2. Lettres de juin 1CC4, M. G., 121, f 60, 337, 550, et 121 "" f° 884. L'archevêque
de Toulouse écrit pareillement en 1665 : « Nous ne voyons pas qu'ils [les peu-
ples] se plaignent beaucoup de l'excez des irnposts. mais bien des abus qui se
commettent en la perception ». Depping. I. p. 176. Cf. t. III, p. 62 et le mémoire
de Colbert à Mnzorin en 1659, Clém., VII, p. 177.
3. On n'emploie donc pas nécessairement les huissiers en titre, qui sont charges
habituellement d'exécuter les sentences de justice. On n'emploie pas davantage
LES CONTRAINTES. 459
trop grand nombre de ces auxiliaires, pour multiplier la
« pratique » au détriment des contribuables1. Un arrêt de la
Chambre de justice du 11 août 1662 leur défendit d'employer
plus de deux sergents dans les élections de moins de 100 paroisses,
et plus de trois dans les autres2. Une déclaration du 12 février 1663
chargea ensuite les intendants et les élus « de régler avec les
receveurs des tailles, et sur leurs avis, le nombre [de sergents]
nécessaire3 » ; enfin l'arrêt du conseil du 4 juillet 1664 enleva
ce pouvoir aux élus pour le remettre aux seuls intendants. Habi-
tuellement, chaque receveur n'eut désormais pas plus de deux
huissiers ou sergents, même dans les grandes élections. En
1670, Chamillart écrit qu'il a interdit absolument aux receveurs
de la généralité de Caen d'employer plus de deux huissiers 4.
Toutefois, il subsista des exceptions. Trois ans après la lettre
de Chamillart, on trouve 5 huissiers en exercice dans l'élection
de Vire5. En septembre 1683, dans la généralité d'Alençon, on
trouve 4 huissiers à Verneuil, autant à Conches, et 3 à Alençon6.
En 1685, l'intendant de la même circonscription fait un mérite
au receveur de Bayeux de n'employer que deux huissiers7. En
revanche on ne trouve aucune élection dans la province qui en ait
eu moins de deux8.
La qualité des huissiers n'importait pas moins que leur
nombre. Mais la profession, maigrement rétribuée et fort
méprisée, ne pouvait jamais attirer que des gens de condition très
inférieure, et de moralité douteuse. Les ordonnances n'exigeaient
les sergents nobles héréditaires, qui sont particuliers à la Normandie, et dont
les circonscriptions étaient suivies dans les rôles de département des tailles;
l'édit d'octobre 1553 leur avait interdit de faire des exploits pour la taille
(B. N. fr. 11048, f° 45, v°), et La Barre le trouvait juste, car, disait-il, « ces ser-
gens... ne veulent aller qu'à cheval, et a grand fraiz », tandis que les « cou-
reurs » sont « de moindre estoffe », et contribuent au « soulagement du pauvre
peuple » (Formulaire, p. 49).
1. Cf. déjà l'instruction aux généraux des finances, du 11 mars 1388, dans
Fournival, Recueil, p. 00. Divers édits avaient successivement créé et supprimé
des offices d'huissiers des tailles (G. d. T. I, 126, 173, etc.) Les créations avaient
été nombreuses surtout après 1635. Voir aussi le règlement de janvier 1634,
2. B. N. Recueil Thoisy, 397, f° 361.
3. C. d. T., 1, 507.
4. Analyse de sa lettre du 15 octobre 1670, Clairamb. 792, p. 353.
5. A. D. Galv. Election de Vire. L'un est huissier royal à Vire, deux autres
n'ont que le titre de sergents et commissaires des tailles de l'élection, un qua-
trième est huissier au baillage, le dernier est huissier audiencier en la vicomte
de Vassy.
6. Mémoire du 1" septembre, A. N. G7 71.
7. Lettre du *7 juillet 1685, ibid., G' 213.
8. Golbert invita plusieurs fois les intendants à réduire le plus possible le
nombre des porteurs de contraintes, mais il ajoutait, avec le souci d'assurer
les recouvrements : « surtout prenez bien garde, s'il vous plaist, que ce retran-
chement ne rende pas le recouvrement des deniers du roy ni plus lent, ni plus
difficile. » (Let. à Bidé de la Grandville, 24 févr. 1673, 'Clém., II, 275, note.)
Cf. ses lettres à Feydeau de Brou, et à De Sève, ibid., p. 274 et 321, sur l'échec de
son projet de supprimer entièrement les porteurs de contraintes.
Mg LA TAILLE EN NORMANDIE.
des candidats à l'emploi que de « savoir écrire et signer1 », et
plus cl un n';ivait pas d'autre mérite. « Encore... qu'il importe de
n'en commettre les fonctions qu'à des personnes d'une probité
et d'une capacité connues, dit un règlement d'août 1669, néan-
moins la facilité d'y admettre toutes sortes de sujets, mesmes
les moins capables », a « causé de grands abus ». La surveil-
lance des intendants améliora quelque peu ce personnel, mais le
recrutement n'en fut guère changé.
La réglementation des biens que les huissiers pouvaient saisir
pour la taille était ancienne; Colbert la remit en vigueur et
introduisit quelques dispositions nouvelles. Voici les règles qui
furent appliquées de son temps.
D'abord, défense de saisir aucun immeuble, car, comme
le fait observer Domat, la taille étant une charge annuelle,
on ne peut prendre pour son paiement que des revenus
annuels, comme les récoltes le produit de l'industrie, ou des
biens remplaçables 2. On ne doit pas notamment « découvrir les
maisons ni arracher les portes et fenêtres », comme cela se pra-
tiquait au temps de Richelieu, et se pratiquera encore au temps
où écrit Vauban3.
Parmi les meubles, il en est qui ne peuvent être saisis en
aucun cas : ce sont ceux qui sont indispensables à l'existence
ou au travail, à savoir les lits, les habits, le pain, les outils
et les chevaux ou bœufs servant au labourage4.
La saisie des lits, du pain, des vêtements, était déjà défendue
par le droit romain ; les ordonnances du xvi* siècle l'avaient
également interdite, et les arrêts du Conseil des 17 septembre
1843, 5 octobre 1664, 4 juillet 1665 l'avaient rappelée5. Lors des
conférences pour la rédaction de l'Ordonnance civile, en 1667,
le Premier Président Lamoignon disait qu'il était « absolu-
ment inutile » de reprendre cette défense, « parce que l'on ne
dépouille pas un homme, et l'on feroit le procez a un huissier
qui auroit exercé cette rigueur » ; mais Pussort ayant répondu
1. Ordonnance d'avril 1667, tit. II, art. 14. Mêmes exigences pour les recors;
mais le procureur du roi au bailliage de Cotentin écrit le 23 novembre 1667 que,
contrairement à l'ordonnance, les juges du siège admettent des exploits faits
avec le concours de recors illettrés (M. C. 146, f* 236).
2. Le droit public, dans ses Œuvres, t. II, p. 33. Sur ce qu'on entend précisé-
ment par meubles et immeubles, voir Domat, ouv. cité, p. 25 et Lange, La nou-
velle pratique, 10* éd., p. 602 et suiv. Nous n'avons pas d'exemple d'immeubles
saisis pour la taille en Normandie pendant tout le ministère de Colbert.
3. Règlement de janvier 1634, art. 55, et Vauban, Dix me roiale, éd. 1707, in-12,
p. 29. On n'a aucun exemple du fait en Normandie à notre époque. Cf. p. 486.
4. Arrêt du 4 juillet 1664, art. 6. Cf. La Poix de Freminville, Traite' des com-
munautés, p. 251. L'intendant do Caen, en interprétation de cet article, défend
dans son mandement de 1675 la saisie des couvertures de lits, filets à pêcher et
tous outils des artisans. (A. D. Calv. Election de Caen.)
5. La Poix de Freminville, Traité des Communautés d'habitants, p. 251.
LES CONTRAINTES. 461
I« qu'il s'étoit vu des sergents qui avoient ôté le manteau », l'ar-
ticle avait été maintenu1.
Quant à la saisie des bestiaux, elle fut l'objet de règlements
nombreux et compliqués, dont l'interprétation n'a pas toujours
été exactement faite.
D'abord, quoiqu'on en ait dit souvent2, l'idée d'interdire la
saisie n'est pas une innovation de Colbert. Elle figure dans les
plus anciens règlements, et Lebret en trouve l'origine dans les
institutions grecques et la loi romaine; ou plutôt, dit-il, « elle
est puisée de la loi propre de la nature, d'autant que ces choses-
là [les bestiaux et les outils] sont les vrais instruments de la
vie commune des hommes3 ». La déclaration de janvier 1634,
art. 55, la reprenait, et différents arrêts du Conseil, dans les
années suivantes, en avaient rappelé les termes *.
Mais Colbert, en remettant en vigueur les anciennes ordon-
nances méconnues 5, avait des vues plus systématiques que ses
prédécesseurs. Maintes fois il a écrit que la conservation et la
multiplication des bestiaux étaient indispensables à la prospé-
rité du royaume : par là les paysans s'enrichiraient, seraient
plus heureux, payeraient mieux leurs impôts, les manufactures
de draps et de cuirs trouveraient en France leur matière pre-
mière, la population se multiplierait, la puissance du roi serait
accrue : « Il n'y a rien qui soit si avantageux aux peuples et aux
provinces que d'avoir un grand nombre de bestiaux6 ». — « De
la conservation des bestiaux dépend le principal soulagement
des peuples, qui, par ce moyen, se trouvent en estât de satis-
faire à leurs impositions 7. » — « C'est un grand avantage que
les bestiaux augmentent dans la généralité de Caen, et surtout
1. Procès-verbal des conférences... de l'ordonnance civile, éd. de Lille, 1697,
p. 193-194. L'article est devenu l'art. 14 du titre XXXIII de l'Ordonnance.
2. Cf. par exemple Necker, Eloge de Colbert, p. 24. Clément, préface du t. Il
p. Xlviii et suiv.; Baudry, introd. aux Mémoires de Foucault, p. lxxii, etc.
3. XVe Action à la Cour des Aides, dans ses Œuvres, p. 474. La loi romaine
défend en effet la saisie des animaux de labour en termes exprès (Cod. Justin.,
VIII, tit. XVII, 1. 7.) Cf. Bornier, Conférence des Ordonnances, éd. 1755, t. I,
p. 298, les Ordonnances de 1543, 1571, 1595; Basnage, Coutume de Normandie,
t. I, p. 110, etc.
4. L'arrêt du 2 novembre 1645 ajoutait qu'on devrait laisser une vache à tout
contribuable imposé à moins de 30 sous (C. d. T. I, 316). Celui du 11 octobre 1661
ne visait que les bœufs et chevaux servant au labourage (A. D. Calv. Plumitif du
Bureau des finances à la date du 17 octobre 1661.)
5. Sur cette inexécution, voir notamment l'édit de janvier 1597, art. 23 et 24
(Règlements de Normandie, p. 29) : « A l'instant que les collecteurs sont élus, les
plus solvables habitans se retirent hors- de leurs paroisses et n'y laissent que
leurs femmes, serviteurs, chevaux et jumens pour faire leur labeur, de sorte que
lesdits collecteurs ne les peuvent contraindre », et le roi est obligé de permettre
la saisie. Un arrêt de la Cour des Aides de Rouen l'avait également autorisée
en 1596 (Ibid., p. 34). Le 31 août 1663, l'intendant de Rouen écrit que, pour de
menues amendes relatives à des délits de pâturage dans les forêts royales, on
saisit « tous les jours » des chevaux de labour dans sa généralité.
6. Let. à l'intendant de Caen, 11 août 1673, Clém., IV, 263, n. 1.
7. Let. à l'int. de Limoges, 19 févr. 1672, ibid., p. 239, n. 1.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
les bestcs à laine, parce que les manufactures se fortifieront par
M moyen '. » — Il faut « conserver, autant que faire se pourra,
les bestiaux pour serrir au commerce et à engraisser les terres2»
et « donner moyen aux pauvres d'entretenir leurs familles par
la nourriture des bestiaux3 ». Telles étaient ses idées générales,
qui tendaient à supprimer entièrement les saisies. Mais il ne
put les faire passer complètement dans la législation.
Il distingua les bestiaux servant au labourage et ceux qui
étaient destinés a l'élevage. — Pour les premiers, la saisie fut,
par l'Ordonnance civile d'avril 16G7 (tit. xxxm, art. 16), inter-
dite absolument, en toutes circonstances, même pour le recou-
.
vrement des impôts; seuls le privilège du vendeur et celui du
'égard de son fermier lurent reconnus*.
Pour les seconds, la saisie fut autorisée, mais pour les deniers
propriétaire à l'égard de son
royaux seulement; quand il s'agissait de dettes privées, elle fut
défendue. Toutefois, sur ce dernier point, Colbert n'inscrivit
aucun principe dans la législation; il se borna à prononcer la
défense pour un temps limité : l'édit d'avril 1667 la prononça
pour quatre années5, et il fut renouvelé en 1671 et en 1678
pour six ans chaque fois6, malgré les difficultés faites il l'enre-
gistrement par le Parlement de Rouen 7.
1. Let. ù Tint, de Cnen, 6 nov. 1670, Cléra., IV, p. 239.
2. Arrêt du Conseil du 5 jimv. 1665.
.t. Let. pat. d'août 1664, urt. 19.
4. C'est-à-dire que la saisie pour dettes privées fut autorisée : 1° pour recou-
vrer le prix de vente desdits bestiaux; 2° pour avoir paiement du fermage des
biens a l'exploitation desquels ils sont employés. Cf. la déclaration du 22 août 1665
sur les saisies, Néron, II, p. 78.
5. Il est probable que l'idée d cette interdiction temporaire de la saisie a été
suggérée a Colbert par son frère Croissy qui avait expérimenté le système en 1666
dans la généralité de Tours (Lettre de Voysin de la Noiraye à Colbert, 4 août 1666,
M. C. 139, f° 53, avec la mention des résultats beureux produits par cette mesure
dans le puys.)
6. Déclarations des 25 janvier 1671 et 31 janvier 1678, dans Clém., IV, 578. Cf.
l'arrêt du Conseil du 30 janvier 1671 dans Clairamb. 659, p. 367. L'interdiction
1>ermaneiite de lu saisie sera prononcée par déclarations de décembre 1680 dans
e ressort de Paris et du 6 novembre 1683 dans le ressort de Kouen (Néron, t. II,
p. 187). Cf. la déclaration du 10 janvier 1690, B. N. fr. 21819, p. 283.
7. Le Parlement, dont les membres étaient de gros propriétaires fonciers,
exposait au roi en 1671 que la prorogation allait nuire au commerce « et que
d'ailleurs la campagne n'est que trop ebargée de bestiaux » (Lettre de l'intendant
h Colbert, 20 février 1671, Clair. 792, p. 577); en outre « elle empescheroit l'effet
des condamnations de provisions et a'intérests civils, et de prester de l'argent
aux paysans * (ibid., p. 585) ou encore « que cela oste le crédit aux paysans, et
que lu contrainte par corps ayant esté ostée à la noblesse, les marchands de la
Guibrny n'ont rien vendu » ; enfin que le recouvrement de la taille s'en trouve-
rait gêné; mais, en réalité, dit l'intendant qui rapporte ces observations, le
Parlement était directement intéressé dans l'affaire, car son greffier chargé du
recouvrement des épices refusait d'exécuter son traité s'il était défendu de saisir
les bestiaux pour les amendes de « fol appel » (ibid., p. 595). Toutefois la Cour
se borna à demander la réduction du délai accordé. (Lettre de Pellot à Colbert,
8 mars 1671. ibil.) Puis à la fin elle se décida à l'enregistrement pur et simple,
(Pellot à Colbert, 14 juin 1671, ibid., p. 843.)
Colbert donna fréquemment des instructions aux intendants pour faire appli-
quer cette prohibition : il leur adressait de nouveaux exemplaires des déclara-
tions pour les leur rappeler et expédiait au besoin des arrêts du Conseil. (Voir
LES CONTRAINTES. 463
Une difficulté particulière était soulevée par les cheptels :
il eût été équitable d'en interdire la saisie pour l'impôt des
chepteliers, mais il était si facile de faire des baux à cheptel
simulés, que tous les propriétaires auraient pu soustraire par ce
moyen leurs bestiaux aux exécutions des receveurs. Aussi les
ordonnances avaient-elles autorisé la saisie d'une partie des
cheptels. Cette partie, fixée à un quart de la valeur des bestiaux
jusqu'en 1663 ', fut réduite à un cinquième par la déclaration du
12 février de cette année2. Un essai d'interdiction complète
tenté en Normandie en 1664 n'eut pas de suite : dès janvier 1665,
on dut revenir à l'usage antérieur3. En beaucoup de paroisses
normandes, à Rots par exemple, les contrats de cheptel étaient
publiés et inscrits sur les registres paroissiaux, comme les
mutations de propriétés4 : cette mesure rendait plus difficiles
les baux frauduleux.
Dans l'application des ordonnances, Colbert s'appliqua à
réduire le plus possible les saisies de bestiaux pour la taille. Il
en fit l'objet de multiples lettres et circulaires aux intendants
et aux receveurs : « A présent que S. M. a accordé une dimi-
nution aussy considérable sur les tailles que celle de six mil-
lions, écrit-il le 6 janvier 1679, Elle est persuadée que les rece-
ses lettres à Breteuil et ses circulaires, B. Mun., Amiens, 508, t. I, pièce 281 ; t. II,
pièce 242; t. III. pièce 540; Glém., II, 168, note, et Depping, t. III, p. 43.)
1. Cf. l'arrêt de la Cour des Aides de Paris du 17 mai 1596 dans les Œuvres de
Lebret, p. 475, les arrêts du Conseil des 9 juillet et 5 novembre 1653, A. N. AD1"
470, pièce 14, et la déclaration du 12 février 1063, dans C. d. T. I, 506. La saisie
n'était permise que pour deniers royaux; pour les dettes privées, on ne pouvait
exécuter que le « croît » des animaux avant 1667, exécution qui fut elle-même
interdite à partir de cette date. Sur les inconvénients de la réglementation de
1663, voir le mémoire de Pescheur : « Les mercenaires journaliers, qui n'ont
d'autre revenu que celuy que produit le travail de leurs bras, ne trouvent plus
personne qui leur vueille donner aucun bétail à cheptel, pour estre mauvais
garandz dudict recours, et ainsy demeurent privez du secours qu'ils tiroient du
laitage pour la nourriture de leurs petitz enfans, qui languissent et meurent de
nécessité à ce défaut; misère qui implore la compassion de S. M. * (M. C. 33,
f° 293.)
2. C. d. T., I, p. 506.
3. Let. pat. d'août 1664, art. 19 : « Aiant été informé des desordres et abus qui
se commettent dans la passation des brevets ou baux de vaches et bestiaux à
louage dans notre dite province, où aucuns gentilshommes et autres personnes
ne font point de difficulté de prêter leurs noms pour la passation desdits baux,
afin de frauder et empêcher le paiement de nos deniers, Nous ordonnons que
tous baux et brevets de vaches et bestiaux à louage demeurent nuls... Et néan-
moins... pour donner moien aux pauvres d'entretenir leurs familles par la
nourriture des bestiaux, permettons aux taillables de notre dite province, autres
toutesfois que les collecteurs, qui sont imposez à 25 1. et au-dessous de toutes
tailles, de pouvoir prendre à louage une ou deux vaches au plus par brevet... [qui
ne pourront] èlre exécutées et vendues en paiant par lesdits particuliers la
somme de 3 1. pour chacune desdites vaches par chacun an, sur et en déduction
de leurs impôts «^Abrogé par l'arrêt du Conseil du 5 janvier 1665. (A. D. Calv.
Ordonnances de l'Élection de Caen, 1664-74, f° 109.)
4. Voici un exemple de ces actes d'enregistrement : « Le dimanche cinquiesme
jour de febrier mil six centz soixante et deux, audience d'un brevet passé à Caen
le deuxième jour do janvier dernier par lequel Jean Rivière prend à louage pour
trois ans de Isabeau de la Verge une vache à poiel noier par quatre livres par
an et une livre de lanfaix ». (A. Mun. Piots, BB 4, 1° 173.)
Ml LA TAILLE EN NORMANDIE.
veurs ne seront pas obligés d'avoir recours à la nécessité de
faire saisir les bestiaux; aussy Elle veut que vous teniez la main
tout autant qu'il sera possible à ce que les bestiaux ne soyent
saisis, mesme pour les deniers de S. M. ' ». Mais il n'admettait
pas la possibilité de prononcer cette interdiction par une ordon-
nance, car, disait-il, une telle défense pourrait « les rendre plus
difficiles au payement de la taille2 ».
L'intendant d'Orléans lui ayant demandé si un collecteur
pouvait « saisir la vache d'un cotisable aux tailles », s'attira
une verte réponse :
a Je suis étonné que vous me fassiez la question..., et je vous ai
bien dit, par ma précédente, qu'un certain désir 3 d'approbation
publique vous emporte souvent au delà des termes dans lesquels vous
vous devez contenir... La petite maxime que vous establissez ne tend
à autre chose qu'à supprimer et anéantir toutes les impositions de
l'Kstat. Cela n'empêche pas que vous ne puissiez exciter doucement
les receveurs des tailles de prendre garde que l'on n'en vienne à ces
contraintes qu'à l'extrémité4. »
Il ne faut pas, écrit-il encore à l'intendant de Rouen, « que
les peuples sçachent ce que je viens de vous dire, pour ne pas
les endurcir à ne point payer, mais il faut qu'une ou deux sai-
sies en chacune eslection les obligent à payer, par l'appréhension
de tomber dans le mal, sans la peine mesme5 ».
L'application des intendants à suivre ces instructions fut très
grande 6, et d'autant plus méritoire qu'ils avaient à lutter contre
les receveurs, préoccupés avant tout de se faire payer7, contre
les huissiers et sergents qui tiraient revenu des saisies, contre
les élus, les officiers du Parlement, de la Cour des Aides, qui
1. Clém., II, 88; Cf. le mémoire an roi, 1670. ibid. p. 242; les lettres à l'inten-
dant de Rouen, 12 sept, et 2 oct. 1670, ibid. p. 73 et 264 note; les circulaires des
28 juin 1679 et 1" juin 1680, ibid., p. 89, n. 1 et 133, etc.
2. Let. à l'intendant de Montauban, 18 août 1673, Clém., II 263; cf. la let. à
l'intendant de Clermont, 14 nov. 1670, dans Depping, t. III, p. ix.
3. Clément a lu « air » au lieu de • désir ».
4. Clém. II, 120. Cf. la let. à l'intendant de Rouen, 18 juin 1680 : « Vous savez
bien que le roy n'a jamais exclu la vente des bestiaux pour les impositions des
tailles et les droits de ses fermes... » (ibid., p. 390); la let. de Barin de la Galis-
sonnière, 29 janvier 1669 : « Si je rendois une ordonnance générale, cela feroit
assurément préjudice au recouvrement, et il est plus ù propos pour le bien des
receptes et des fermes que cela se mesnage par la prudence des commis ». (M.
C. 150, f" 234), et celle de Leblunc, 16 juin 1679 : « Sy on ne la soufTroit[la saisie],
il seroit impossible de les faire payer ». (A. N. G" 491.)
">. Let. du 2 octobre 1670, Clém., IV, 264, note.
6. Par exemple Barin de la Gnlissonnière écrit ù son arrivée à Rouen : [Pen-
dant que j'étais à Orléans], « il ne s'estoit fait que très peu de saisies et de
ventes de vaches et de moutons; ainsy, Monsieur, vous pouvez asseurer S. M. que
je n'duray pas moins de zèle en Normandie pour l'exécution de ses volontez sur
cet article, si pleines de justice et si nécessaires pour conserver l'abondance dans
lajcampagne ». (M. C. 139, f° 41.)
7. Cf. par ex. la let. du receveur général de Rouen à Colbert, septembre 1672.
Clairamb. 793, p. 751.
LES CONTRAINTES. 465
voyaient lésés leurs intérêts de propriétaires ou de juges1. Ils
eurent recours à des expédients, comme d'autoriser la saisie
« pour esveiller les collecteurs », mais en interdisant la vente2;
ou de faire conclure des accords amiables entre les collecteurs
et les receveurs3. Autant qu'on en peut juger par les rensei-
gnements fragmentaires qui nous sont parvenus, ils ont abouti
à des résultats appréciables, au moins dans la première moitié
de notre période.
En 1661, le nombre des bestiaux était très faible, en raison
des nombreuses exécutions pratiquées antérieurement. Dès 1663,
les intendants de Normandie signalent un accroissement. En
1665, celui de Caen ayant interdit complètement la saisie des
moutons pour les impôts, voit, dès l'année suivante, sa mesure
« produire un effect si admirable que la campagne paroist de
toutes partz couverte d'un très grand nombre de bestiaux, qui
augmente tous les jours * », et, chose remarquable, le fisc n'en
souffre pas : le 27 octobre 1670 l'intendant écrit que l'inter-
diction ne porte aucun préjudice au recouvrement5. Une
enquête faite auprès des collecteurs l'année suivante lui apprend
que « le nombre de bestes à laine est augmenté de moitié
depuis cinq ou six ans6 ». Dans la généralité de Rouen, « par-
tout les bestiaux augmentent » en 1670 et 1671 7. Dans celle
d'Alençon, l'intendant constate le 2 novembre 1673 que la cam-
pagne est « bien peuplée de bestiaux », grâce à l'interdiction
des saisies pour dettes privées8. Mais à partir de 1674, le pro-
grès n'est plus signalé 9. Le tableau dressé par l'intendant de
1. Chamillart écrit à Golbert le 21 juillet 1669 que les huissiers de la Chambre
des comptes « saisissent les bestiaux au préjudice des ordres du roy, ne laissent
point d'exploits et exercent plusieurs vexations » (M. C. 154, f°206), et Leblanc, le
21 juin 1679 : « Les huissiers... saisissent dans l'estandue de la généralité les bes-
tiaux servant au labour et autres..., ne laissent aucuns exploicts et pi'ocèdent à
la vente en des lieux inconnus », dans le seul but d'accroître leurs appointe-
ments (A. N. G7 491), et l'intendant d'Alençon, le 2 novembre 1673 : Dans l'exé-
cution des ordonnances sur la saisie, « on se relasche tant soit peu dans les juri-
dictions ordinaires » (M. G. 166, f° 252). Voir aussi une lettre de l'intendant de
Glermont, 15 février 1669 : « Les officiers des Eslections... sont les premiers à
empescher sous main l'exécution du dessin si salutaire aux peuples, et tout cela
fondé sur le retranchement des espices et des procès ». (Ibid., 150, f° 460.)
2. Let. de Barin de la Galissonnière, 24 sept. 1670, Clairamb. 792, p. 327 et 348.
Le 29 janvier 1669, il écrivait : On pratique « des ventes imaginaires, qui sont
plutost des compulsoires pour obliger les collecteurs à faire leurs diligences que
de véritables exécutions ». (M. G. 150, f° 234.)
3. Cf. ci-dessus, p. 4 1 '.* . Voysin de la Noiraye, dans une lettre du 24 octobre
166G, parle de ces accords et juge heureux les résultats obtenus. (M. G. 141b",
f° 652.)
4. Let. du 17 novembre 1666. M. C. 142, ro 102. Cette interdiction était prononcée
surtout pour alimenter les manufactures de drap. (Ibid., f° 235.)
5. Clairamb. 792, p. 333.
6. Ibid., 793, p. 25.
7. Let. de l'intendant, 20 oct. 1670 (Clairamb. 792, p. 353) et 6 juillet 1671 (M.
C. 157, f° 37).
8. M. C. 166, f° 252.
9. Dans une lettre du 23 janvier 1679, l'intendant d'Alençon écrit que l'interdic-
tion de la saisie, récemment prononcée pour une nouvelle période de six ans, va
LA TAILLE EN NORMANDIE. à\)
,..., LA TAILLE EN NOHMANDIE.
Rouen en 1680 fait apparaître une diminution très nette clans sa
généralité : clans l'élection de Pont-Audemer, les troupeaux ont
été « vendus pour le payement des Termes ou de la taille ». les
vaches que l'on rencontre encore sont tenues pour « la plupart
à loyer », bien que l'intendant ait prescrit aux receveurs de ne
les saisir « qu'à l'extrémité1 »; dans l'élection de Dieppe, le
nombre des bestiaux mis à l'engrais dans les herbages pour la
vente reste « considérable », mais la plupart appartiennent aux
gentilshommes; ceux qui servent à la « subsistance du peuple »
ont diminué sensiblement2. Deux ans après, Leblanc écrira :
« Si le nombre des bestiaux estoit aussi grand que jadis dans
les eslections, elles deviendroient aussi bonnes qu'elles sont
misérables* ». Et l'une des causes de cette décadence semble
bien avoir été le relâchement dans l'exécution des ordonnances
prohibitives des saisies. Leblanc découvre le 8 juillet 1680 que,
dans l'élection de Caudebec, les fermiers des aides, des gabelles
et des cinq grosses fermes, s'autorisant d'un arrêt du Conseil
du 7 décembre 1667, font vendre « les chevaux de labour et
toutes sortes de bestiaux pour les droits qu'ils prétendent leur
estre deubs, ce qu'ils font avec la dernière rigueur4 ». Mais ce
motif n'était pas le seul : « Quoyque je fasse exécuter à la lettre,
écrit-il le 2 juillet 1682, le règlement portant deffenses de saisir
les bestiaux, et qu'il ne s'en saisisse que pour le payement de
la taille, il y en a très peu a proportion de ce qu'il y en devroit
avoir5 », et le même jour son collègue d'Alençon assure que,
quoique les ordonnances relatives aux saisies pour dettes pri-
vées soient « ponctuellement exécutées », et les saisies pour la
taille « rares », la diminution ne cesse pas6. Il faut sans doute
rattacher cette décadence à l'accroissement général de la misère,
que nous avons constaté à partir de la guerre de Hollande.
Aucun exploit ne peut être adressé à un collecteur avant le
terme fixé pour le payement au receveur, et sans commande-
ment préalable7. Pour faire la saisie, l'huissier doit se faire
« restublir cetle province » et « y faire revenir l'argent ». (À. N. G7 71.) Il sem-
blerait d'après cela que, dons les années antérieures, on avait laissé pratiquer
les saisies.
1. Let. du 22 juin 1680, A. N. G7 401.
2. Let. du 4 juillet 1680, ibid.
3. Let. du 1" mai 1682. B. N. fr. 8761, f° 51.
4. A. N. G7 491.
5. B. N. fr. 8761. f 57.
fi. A. N, G7 4'.'1. Cf. le rapport du même intendant, 22 juillet 16S0 : dans
l'élection de Mortagne on n'exécute pas les bestiaux pour dettes; dans celle d'Ar-
gentan, qui a été ménagée par le receveur, • on ne saisit aucuns bestiaux pour
dettes et très peu pour la taille ; il y en n beaucoup plus que l'année dernière »
(ibid.). Mais son successeur écrira le 1er septembre 16S3 que, dans la même élec-
tion, un autre receveur fait beaucoup de frais « par les enlèvements de bestiaux »
(ibid.). r '
7. Arrêt du 4 juillet 1C64, art. 5.
LES CONTRAINTES. 467
accompagner de recors ou de témoins, dont un au moins
signera le procès-verbal, ainsi que les collecteurs intéressés; il
ne peut forcer une porte fermée sans ordonnance d'un officier
de l'Election1. « Les meubles et bestiaux saisis sur les collec-
teurs seront mis en garde chez les plus proches voisins non
suspects, qui seront tenus de s'en charger à peine de 30 1.
d'amende, pour les garder durant huit jours, en leur payant
leurs frais de garde et nourriture, si mieux n'aiment lesdits
collecteurs fournir ladite nourriture » ; pendant ce délai, les
intéressés peuvent faire « une collecte de deniers » pour
obtenir main-levée de la saisie, laquelle ne peut être accordée
que par le receveur2; les officiers des Elections ou de la Cour
des Aides ne peuvent faire surseoir aux contraintes3.
Nul ne peut être reçu opposant à l'exécution s'il n'a « paie par
provision ce qu'il devra desdites tailles ou la valeur des choses
saisies4 ». Comme « il arrive assez souvent » que les proprié-
taires dont les collecteurs sont fermiers font des saisies fictives
sur les biens de ceux-ci, « encore que bien souvent il ne leur
soit rien dû », et ce, « pour empêcher qu'ils ne soient vendus
pour le paiement » de la taille, il est spécifié que la vente des
biens saisis doit être faite dans la quinzaine, sous peine de
nullité, et le privilège du propriétaire n'est accordé que pour une
année de fermage5. Quand la vente est faite, le collecteur con-
serve « la faculté de rachat dans huitaine, en rendant le prin-
cipal et les frais ; » ce qu'on appelle en Normandie « droit de
fort-gages ° ».
Si les huissiers craignent la rébellion, ils pourront « se faire
assister de plus grand nombre de gens pour faire obéir les habi-
tans desdites paroisses », avec l'autorisation de l'Election, et
si malgré ce renfort ils ne peuvent opérer, ils dresseront un
procès-verbal « qu'ils présenteront aux Elus pour en informer,
et seront les décrets mis entre les mains des vice-baillifs, leurs
lieutenans et archers, pour les mettre a exécution, faire obéir et
paier les rebelles 7».
1. Edit de mars 1668: l'édit d'août 1G69 remplacera les témoins par le contrôle
des exploits.
2. Arrêt de janvier 1664, art. 7 et 8.
3. Let. pat. d'août 1664, art. 16. Cf. l'arr. du Conseil du 30 avril 1661, prescrivant
aux intendants de « tenir la main à ce que les contraintes des receveurs des
tailles soient exécutées ». (Clairamb. 659, p. 203.)
4. Ibid. art. 38.
5. Ibid., art. 39.
6. Arrêt du 4 juillet 1664, art 7 ; et recueil d'Orsay, B. Nat. fr. 11096, f° 18. Cf
Houard, Dictionnaire de droit normand, à ce mot.
7. Arrêt du 4 juillet 1664, art. 11 et let. pat. d'août 16G4, art. 31. Cf. p. 391.
.',.;«, LA TAILLE KN MM'.MAXDIE.
VII. — LES FRAIS DE CONTRAINTES
De nombreux règlements, avant 1661, avaient été publiés
pour tarifer et contrôler les frais des huissiers. Mais, comme
on l'a vu par les exemples de Mochon, de Hallot et deNainville,
ils étaient tombés en désuétude, si bien, dit Colbert en 1661,
« qu'en beaucoup de provinces les frais ont égalé et mesme
surpassé le principal de la taille1 ». Un arrêt du Conseil du
23 novembre 1662 prescrivit aux intendants « de s'informer
soigneusement de ce qui se pratiquoit... pour les taxes des
salaires des huissiers et sergens des tailles, des abus qui s'y
commettoient, et de donner sur ce leurs avis pour le soulage-
ment des contribuables », et les élus de leur côté eurent ordre
de taxer soigneusement les frais*. A la suite des rapports reçus,
Colbert expédia la déclaration du 12 février 1663, qui interdisait
aux huissiers de se faire payer eux-mêmes, sans avoir fait taxer
leur travail par l'intendant ou les élus, ajoutant que les taxes
devraient être « raisonnables ... en sorte qu'ils [les huissiers]
puissent subsister et les contribuables être soulagez3 »; puis,
sur les remontrances de la Cour des Aides de Paris *, il fut décidé
par un nouvel arrêt du conseil du 4 juillet 1664 que les salaires
des huissiers seraient « réglez au bureau de l'Election, le pro-
cureur du roi présent, selon le travail utile desdits huissiers5 ».
Les intendants n'eurent donc plus à connaître, régulièrement,
de ces taxes6. Mais ils s'autorisèrent néanmoins de leur pouvoir
général de surveillance sur toute l'administration pour inter-
venir en toutes circonstances7.
Le même arrêt du Conseil du 4 juillet 1664 enjoignait aux
receveurs de tenir un registre « coté et paraphé parle président
[de l'Election] et le procureur du roi », pour y inscrire « les
1. Clém. VII, 198.
2. D'après le préambule de l'arrêt du 4 juillet 166'j, C. d., T. I, p. 549.
3. Ibid., p. 507.
4. Ibid., p. 513.
5. Art. 13. La même clause fut reprise dans la déclaration du 20 août 1673, spé-
ciale à la Normandie, Art. 8 : « Les frais et salaires des huissiers et sergens des
tailles seront taxez au bureau de l'Election, sans frais, en présence du receveur
en exercice, pour connoitre si les deniers qui ont dû provenir des diligences
desdits huissiers auront été portez en recette. >
6. Pour le ressort de Paris, le règlement du 20 mars 1673 disait que les frais
seraient taxés par les Elections suivant un tarif établi par les intendants et
« affiché à la porte du bureau de l'Election ». Antérieurement ù cette date, le tarif
était dressé par la Cour des Aides : un de ses arrêts, dn 5 octobre 1665, avait fixé
à 18 sous le prix d'une exécution, 30 sous celui d'une vente ou d'un emprisonne-
ment. (B. N. fr. 11096, f 20.)
7. Le règlement du 4 juillet 1664 remettait du reste aux intendants, en même
temps qu'aux élus, le soin « de tenir la main à l'exécution du présent règlement »
et d aviser le roi des contraventions, « pour sur ce y pourvoir selon les occur-
rences, par des arrêts et réglcmens particuliers, selon l'usage de chacune pro-
vince » (Art. 20.)
LES FRAIS DE CONTRAINTES. 469
procès-verbaux faits contre chacune paroisse en particulier, les
paiemens faits ausdits huissiers pour leurs salaires, et les rem-
boursemens que les collecteurs en auront faits ausdits rece-
veurs1 ». D'autre part, les huissiers et sergents devaient
« déclarer au grèfe des Elections le jour de leur départ et
celuy du retour, et y donner un état certifié d'eux des exploits
par eux faits durant leur voiage, dont ledit gréfier sera tenu de
tenir registre et de le représenter chacune semaine au bureau
de l'Election, pour être paraphé par le président ou le plus
ancien oficier qui se trouvera audit bureau, et par le procureur
du roi2 ». Les taxes étaient faites d'après ces états; aucune
somme ne pouvait être payée si elle n'y était inscrite.
Voici, à titre d'exemple, le début d'un état remis par un ser-
gent de l'Election de Vire en 1673 3 :
« Ensuit par cy-apprais les escros que faict et met en recepte
Anthoine Turgis sergent royal et commissaire des tailles en élection
a Vire comme il ensuit.
Premièrement :
Bellon. Le 26e juillet 1673, executtion faite des biens des
asseeurs de ladite paroisse. Submission à* 80 1.
Le 7e jour de septembre 1673, emprisonnement de Guillaume
Lasles.
Le 4e jour de novembre audit an, emprisonnement de Nicolas
Dolley.
Le 26e janvier 1674, emprisonnement de Guillaume Richard.
Pont-Farcy. Le 10e jour d'avril 1673, executtion faitte des
biens des asseeurs; submission de 50 1.
Le 1er d'àoust audit an, executtion faitte des biens des asse-
eurs, submission 80 1.
Le 5 septembre audit an, executtion faitte des biens des
asseeurs, submission 100 1.
Le 3e novembre audit an, emprisonnement de André Lefebvre s.
L'arrêt du Conseil du 4 juillet 1664 interdit encore aux huis-
siers de surseoir à la vente des biens saisis, passé les délais
fixés, leurs salaires ne doivent être taxés par les élus « qu'en
justifiant de ladite vente ou de la main-levée des receveurs, ou
que lesdits receveurs aient reçu la valeur desdites choses sai-
1. Art. 15.
2. Art. 4.
3. A. D. Calv. Election de Vire. Voir, ibld., huit états semblables, remis à
l'Election par les autres huissiers.
4. C'est-à-dire qu'il s'est trouvé une caution pour s'engager à payer 80 1. au rece-
veur, ou à représenter les biens saisis.
5. L'état compte au total 55 exploits, échelonnés du 10 avril 1673 au 24 février 1674,
et portant sur 13 paroisses. Au bas est la taxe des frais : 122 1. 17 s. (Arch.
Calv., Election de Vire).
470 LA TAILLE EN NCMIM ANIME.
sies » (art. 8). Ils ne peuvent « forcer les collecteurs direc-
tement ou indirectement à se servir d'eux pour la collecte sur
les particuliers contribuables, sinon contre ceux de difficile
discussion », (art. 9)1, ni « se faire défraier aux cabarets »,
(art. 10) ni « recevoir aucuns deniers des collecteurs sous
prétexte de les porter en recette » (art. 12) '.
Dans leurs mandements, les intendants rappellent souvent les
règlements et en ajoutent de nouveaux. Celui de Rouen, en 1672,
prescrit aux huissiers de « jurer » leurs états « véritables », leur
défend de se pourvoir ailleurs qu'aux Elections pour se faire
taxer, « et en cas de fausse date à l'effet de multiplier leurs
salaires, seront punis comme faussaires' ». Voici les formalités
prescrites par celui de Caen pour les registres des greffes des
Elections : « sur chaque feuille on y porte une paroisse comme
sur le registre sommier de la recette, et après que le receveur a
donné sa contrainte à l'huissier, cet huissier vient registrer les
diligences qu'il a faites au feuillet de sa paroisse... et le rece-
veur examine les contraintes par luy décernées avec les dilligences
faites par les huissiers, et les payemens que leurs dilligences
ont fait procurer; s'il trouve par l'examen exact qu'il en fait
que les dilligences de l'huissier n'ayent pas produit leur effet,
il raye sur ledit registre les dilligences qui se trouvent n'estre
pas utilles* ».
Il est peu de matières sur lesquelles Colbert ait fait plus de
recommandations aux intendants que sur les frais de contraintes.
« Vous savez, écrit-il à Marillac en 1674, qu'il n'y a rien de
si grande conséquence que d'empescher que les peuples ne
payent rien que ce qui vient directement au roy, et de retran-
cher par toutes sortes de moyens tout ce qui tourne au profit
des particuliers; c'est a quoy vous devez, s'il vous plaist,
donner une application tout entière5. » — Examinez avec soin,
dit une circulaire de 1680, « les frais qui sont faits tant a
l'esgard du receveur envers les collecteurs, qu'a l'esgard de
ceux-cy envers les taillables. Comme c'est une matière dans
laquelle il s'est toujours glissé une infinité de friponneries,
1. L'intendant de Rouen, dans son mandement de 1672, interprète cet article en
défendant aux huissiers et sergents « de s'abonner avec les collecteurs pour la
levée des deniers de la collecte des paroisses, sauf ausdits collecteurs de se faire
assister d'un desdits huissiers s'il est jugé nécessaire par les élus, le procureur
du roy et le receveur des tailles appelez, et le requérant ». (A. D. S.-Inf., C 2215.)
_2. Sur le détail de ces procédures de saisie, voir Lange, La nouvelle pratique
civile et criminelle, éd. 1706, liv. IV, chap. xxxVm.et La Poix de Freminville.CoTM/na-
nautét d'habitants, p. 247 et suiv. ; Vieuille, p. 312 et suiv.; La Barre, Formulaire,
liv. I, ch. v, etc.
3. A. D. S.-lnf.. C. 2215. CI", ibid., C. 2098, le mandement de 1062; B. N. fr.
876P1' f 27, celui de 1676, et ceux de la généralité de Caen. A. D. Calv., Election
de Caen.
4. Mémoire sans date (postérieur à 1680), A. N. G7 213.
5. Clém., II, 322.
LES FRAIS DE CONTRAINTES. 471
vous ne scauriez donner trop d'application pour les pénétrer1 ».
— « Il est nécessaire, écrit-il à Breteuil, que vous ayez
tousjours une esgalle application pour diminuer ces frais, et
travailler tousjours par tous moyens possibles au soulagement
des peuples2. » Le 10 octobre 1670, il écrit à Chamillart :
« Ce qui m'a surpris a esté de voir les frais se monter à 12000 et
tant de livres en huit élections, vous pouvant assurer qu'il y a à
présent plus des deux tiers des généralités dans lesquelles les frais ne
montent pas à 3, 4 ou 500 livres au plus dans chaque élection : c'est
à quoy il faut que vous preniez bien garde, parce que assurément les
frais que vous voyez monter à 12 000 livres en produisent une et deux
fois autant à la charge des peuples. Je ne doute pas qu'à l'avenir vostre
application ne remédie à ce mal, qui est très considérable 3. »
En vain les intendants invoquent la nécessité primordiale de
faire rentrer les impôts : le ministre n'admet pas cette excuse
à des frais excessifs. Celui de Rouen lui ayant écrit le 18 sep-
tembre 1670 que les receveurs, exhortés à ne pas se servir des
contraintes, s'excusaient « presque tous sur l'impuissance et
mauvaise volonté des peuples* », s'attira cette réponse :
« L'excuse... n'est pas bonne, vu que les trois généralités de
Normandie ont esté autant et plus soulagées qu'aucune autre, et qu'il
me semble que les peuples y travaillent davantage et sont fort ponc-
tuels à payer. Je vois que dans toutes les autres généralités, lesdits
receveurs se servent fort peu de contraintes, en sorte que pour peu
qu'ils ayent d'industrie et d'application, et que l'imposition soit bien
faite, il y a beaucoup d'apparence qu'ils n'auront pas besoin d'avoir
recours a ces rigueurs, en quoy consiste particulièrement le plus
grand soulagement que l'on puisse donner aux peuples. Comme le roy
n'a rien tant a cœur que de leur en procurer, l'intention de S. M. est
que vous donniez toute l'application nécessaire pour faire cesser ces
contraintes 5. »
Finalement, l'intendant dut reconnaître « que la cessation des
contrainctes dépend plus de la conduite des receveurs que de
tous les soins que l'on en peut prendre, et qu'il seroit néces-
saire que tous ceux qui le sont en tiltre résidassent sur les
lieux, et que les receveurs généraux commissent des personnes
de probité ailleurs6 », et l'année suivante, il se rangea tout à
1. Cléui., H, p. 133.
2. Lct. à Breteuil, 23 octobre 1681, B. mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 422.
Cf. les lettres et circulaires de Colbert des t> août, 16 octobre et 18 novembre 1682,
ibùl., t. III, pièces 355, 468 et 529 : « travailler continuellement à diminuer ces
frais »; « délivrer les peuples de toutes les oppressions qu'ils souffrent » sont les
expressions qu'il emploie le plus souvent. Voir aussi Depping, III, p. 289.
3. Clém., II, 74.
4. Analyse de sa lettre, Glairamb., 792, p. 319.
5. Clém., II, 74, lettre du 26 septembre 1670.
6. C'est-à-dire dans les élections où il n'y a pas de receveur en titre. (Analyse
de sa lettre du 29 septembre, Clairamb., 792, p. 337).
,-j LA TAILLE EN NORMANDIE.
lait ii l'avis du ministre : « Il est certain, Monsieur, que la
diminution des frais et des emprisonnemens des collecteurs
dépend de la bonne conduite des receveurs1 ».
Sur la fin de sa vie, comme les recouvrements devenaient de
plus en plus difficiles, Colbert imagina un expédient ingé-
nieux pour amener les receveurs à réduire le plus possible Tes
frais : c'était de refuser de confier la recette à ceux qui en
auraient trop fait, et de distribuer des gratifications à ceux qui
en auraient fait le moins. Le 1er septembre 1680, il écrivit aux
intendants :
« L'un des moyens les plus seurs dont S. M. voudroit se servir
pour retrancher ces abus seroit d'oster l'exercice au receveur des
tailles qui se trouveroit le plus coupable de vostre généralité, et
commettre à son exercice pour l'année prochaine. Cette punition pro-
duiroit asseurément le retranchement de la plus grande partie de ces
friponneries. S. M. pourroit bien y ajouter une gratification au rece-
veur des tailles qui mesnageroit le mieux son eslection et qui feroit le
moins de frais •. »
Les trois années suivantes, le même ordre fut renouvelé3. Les
intendants devaient envoyer l'état des frais annuels de chaque
receveur au contrôleur général, qui distribuait les punitions et
les récompenses.
• « Rien ne peut estre d'une plus grande utilité pour le soula-
f rement des communautés, écrit l'intendant de Caen au reçu de
a circulaire de 1680, que d'empescher ces abus, et cet expé-
dient est asseurément le meilleur comme le plus présent, et a
cause de l'extrême longueur des procès de cette nature quand
on y veut entrer », et il signalait le receveur de Mortain, nommé
Caillot de la Frictière, qui avait été dépossédé de son exercice
en 1678 « pour les grands abus et désordres qui se sont trouvés
dans cette eslection » ; une douzaine d'huissiers employés par
lui étaient sous le coup de poursuites judiciaires ; « comme il
pourra arriver, ajoute l'intendant, que vous serés extrêmement
sollicité cette année pour son restablissement a cause de son
année d'exercice qui est en 1681, j'ay cru vous devoir envoyer
coppie de l'arrest rendu lors au Conseil, affin que vous puissiés
connoistre de quelle conséquence il seroit de le remettre en
exercice4 ». Colbert n'hésita pas à faire un exemple sur la per-
sonne de ce receveur, en même temps qu'il accordait une grati-
1. M. C. 157, f 37.
-• Clém., H, 133. Publié aussi, mais avec quelques variantes, dans Depping,
III, p. 39. Cf. les lettres dans le même sens à Tubeuf, Ie' et 15 août 1680, Clém.,
II, 137 et 140 note.
3. Circulaires des 25 sept. 1681 (Clém., II, 167), 16 octobre 1682 (B. Mun.
Amiens, ms. 508, t. III, pièce 468) et 11 juin 1683, Clém., VII, 2t8.
4. Let. du 11 juin 1680, A. N. G? 213. Cf; sa lettre du 15 août suivant, ibid.
LES FRAIS DE CONTRAINTES. 473
fication à son voisin, de l'élection de Vire. Une circulaire du
25 septembre 1681 donna la publicité nécessaire à ces sanc-
tions :
« S. M. ayant reconnu dans la généralité de Caen que le receveur
de Mortain avoit fait plus de frais qu'aucun autre receveur de cette
généralité, et que le sieur de Martilly, receveur de l'élection de Vire,
en avoit fait très peu, Elle a fait destituer le premier et donner 400 1.
de gratification au second. S. M. veut que vous vous serviez de cet
exemple pour faire, s'il est possible, la mesme chose dans vostre
généralité, et exciter, par ce moyen, les receveurs des tailles à faire
à l'envy le moins de frais qu'il se pourra '. »
Dans la généralité de Rouen, on ne trouve aucun receveur
destitué ni gratifié. Leblanc écrivait le 9 septembre 1681 que la
mesure lui paraissait inutile, parce que « les receveurs en
usoient assez bien » ; la menace de punition était suffisante pour
les retenir2. Dans celle d'Alençon, en juillet 1682, De Bouville
proposa pour une gratification le receveur de Bernay, qui
avait déjà perçu à cette date, chose extraordinaire, « presque la
moitié de la taille », en ne faisant que 406 1. de frais. « Il est
certain, disait-il, qu'il ménage fort les peuples; il n'a que deux
huissiers, et j'ay tousjours trouvé sa conduite fort régulière. »
Mais Colbert, ayant examiné l'état des frais dressé par le même
intendant, crut remarquer qu'un autre receveur, celui d'Ar-
gentan, avait fait encore moins de frais : « Vous jugerez
facilement, répond-il à de Bouville, qu'il seroit d'une perni-
cieuse conséquence de faire une gratification a un autre qu'à
celuy qui en a fait le moins ; c'est a quoy il est bien nécessaire
que vous fassiez reflexion, et, de plus, que vous observiez avec
soin s'il n'y a point d'autres frais que ceux qui sont taxés par
les officiers de l'Election3 ».
1. Glém., II, 168. Cf. la réponse de l'intendant de Bourges à cette circulaire, le
6 octobre 1681 : « Je ne manqueray pas, Monsieur, de faire connoistre aux rece-
veurs des tailles de cette généralité la justice que le roy a fait dans la généralité
de Caen... pour les exciter par cet exemple à faire moins de frais qu'il se pourra. »
(A. N. G'' 124.)
2. A. N. G? 491. Cf. une autre lettre de Leblanc, du 24 octobre 1682, B. N.
fr. 8761, f° 69, v°.
3. Glém., II, 212. Colbert faisait erreur : d'après son compte, le receveur de
Bernay « sur 60 000 1. qu'il a reçues sur 80 000 a fait pour 406 1. de frais, et
celuy d'Argentan pour 203 996 1. n'en a fait que pour 253 1. » Quand on se reporte
à l'état dressé par M. de Bouville, on voit que le receveur d'Argentan, sur une
imposition de 165 230 1. n'avait reçu que 61 234 1.; la différence, 103 996 1. res-
tait à percevoir. Colbert avait donc pris la somme restant due pour la somme
perçue. (A. N. G7 71.) On ne trouve pas de rectification de la part de l'intendant.
Après Colbert, le système des récompenses et punitions aux receveurs subsis-
tera quelques années. Le receveur de Bayeux est privé de son exercice en 1686
pour l'excès des frais qu'il a faits ; « c'est, écrit l'intendant, le plus grand soula-
gement qu'on puisse procurer aux peuples après celuy qu'ils tiennent de la bonté
du roy ». On abandonnera ensuite le système, mais le Régent le reprendra en
1715 : « Je me propose, écrit-il aux intendants, d'accorder une récompense cbaque
année à un ou deux receveurs en cbaque généralité qui se trouveront avoir
LA TAILLE EN NOItM ANDIE.
Il n'était pas facile en effet de connaître le montant des frais
réellement faits. D'abord il n'y avait pas de tarif uniforme et
tiv. du moins en .Normandie. Le 19 septembre 1681, Colbert
rr« oinmandait aux intendants d'examiner avec soin « les moyens
dont on peut se servir pour faire en sorte que les frais se
taxent tous les mois par les officiers des Elections [et] qu'ils
ayent des règles certaines pour cela1 ». L'intendant de Rouen
lui répondait que dans son département « les receveurs des
tailles mesnagent assez bien leurs eslections et ne font point de
frais extraordinaires2 ». Par contre, son collègue d'Alençon
note, le 1er septembre 1683, que le receveur d'Argentan,
« lequel prêtant ne faire que pour 2000 1. de frais », opère
sans aucun ordre : « il ne fait viser que sa première con-
trainte, il ne fait taxer les frais que de six en six mois, il ne
rend point les originaux des diligences aux collecteurs, et il
employé cinq huissiers titulaires, qui n'en usent pas mieux que
ceux des autres eslections3 »; celui de Bernay, noté comme très
bon, néglige de a donner aux collecteurs les originaux des dili-
gences taxées par les eslusv », de sorte que les pauvres collec-
teurs ignorent s'ils doivent ou non ce qu'on leur demande pour
frais de contraintes; il en est de même à Conches, à Dom-
front et a Lisieux.
Aux frais d'huissiers proprement dits s'ajoutaient d'ailleurs,
depuis l'édit d'août 1669, ceux de contrôle des exploits5, mon-
tant à 5 s. par acte6, ceux de papier timbré, et les frais arbi-
traires de garde et nourriture des bestiaux saisis 7. Il était dif-
ficile de faire rendre compte du tout8.
apporté plus de ménagement dans les poursuites » ; en même temps il punira les
élus et les receveurs qui abuseront de leurs fonctions. (A. N. AD'* 470, pièce 98,
p. 06.)
1. Clém., VII, 269.
2. Let. du 29 octobre 1681, A. N. G" 492. Le 1" mai suivant il note que les
receveurs de Pont de Lirche « sont d'assez honuestes gens et ne font que peu de
frais ».(B. N. fr. 8761, f° 52.) Déjà le 6 juin 1671 L:i Galissonnière « asseure que
les frais et les emprisonnemens sont en moindre nombre que par le passé *
(Clairamb. 793, p. 13), et le 13 juin 1634 Marillac écrira : « On se plaint partout
des frais et des exercices des commis des aydes, ceux delà taille ne me paroissent
pas grands •. (A. N. G7 492). La généralité de Rouen était donc relativement bien
réglée pour la perception de la taille.
3. A. N. G7 71.
4. Ibid.
5. Sur ce droit, voir Encyclo». mèlhofi., Finance», t. I, p. 376.
6. Cf. un mémoire de l'intendant de Gaen, 15 août 1680: les huissiers de Caen,
pour épargner les frais, avaient l'habitude de ne faire qu'un exploit pour la
saisie et la vente, et de ne pas faire de frais de garde ; mais les commis de la
erme du contrôle ne laissaient pas de percevoir les droits pour deux exploits.
(A^ N. G' 213.)
7. L'intendant de Caen, en 1683, estime que les frais de papier timbré et de
contrôle montent à environ un cinquième des frais totaux. (Mémoire du
23 novembre, A. N. G7 213.) Voir une ordonnance de Leblanc punissant de 300 1.
d'amende un collecteur qui a écrit une exécution sur du papier non timbré.
(B. N. fr. 8760, f 39.) Ces amendes étaient encore de lourdes charges pour les col-
lecteurs.
8. L'intendant d'Alençon, en 1666, avait imaginé de donner aux huissiers 2 liards
LES FRAIS DE CONTRAINTES.
475
Les états de frais que nous possédons ne' doivent donc pas
être acceptés sans réserves. Même si l'on suppose que les rece-
veurs et huissiers n'y ont rien dissimulé, il faut observer que
ces états ont été tous, sauf exceptions, arrêtés à une date où
l'imposition n'était pas entièrement recouvrée, et ce qui restait
à percevoir nécessitait de nouvelles contraintes, plus sévères
encore que les précédentes.
Pour ces motifs, nous devons considérer nos chiffres comme
trop faibles en général. On va voir qu'ils atteignent cependant
un taux énorme.
Voici d'abord un tableau résumant l'état des frais réguliè-
rement taxés aux cinq huissiers ou sergents de l'élection de
Vire pour la taille de 1673, entre le 5 décembre 1672 et le
13 avril 1674 :
Frais de l'élection de Vire, pour 1673.
NOMBRE
MONTANT
HUISSIERS
DATES DES EXPLOITS
DES
DES
EXPLOITS
FKAIS
Gilles Dupont ....
5 déc. 1672-21 mars 1673.
54
106 1.
Jacques Leconte
5-30 déc. 1672.
52
91
—
4 janv.-28 févr. 1673.
38
74 5 s.
—
7 mars-28 juin 1673.
53
99 15
—
5 juillet-26 oct. 1673.
70
127 15
Antoine Larozie
5 déc. 1672-8 mars 1673.
81
145 5
Jean Lenepveu.
5 déc. 1672-28 févr. 1673.
66
119
—
27 févr.-13 avril 1674.
11
11
—
3 mars-30 juin 1673.
60
110 15
—
1er juillet-17 oct. 1673.
39
70 10
Antoine Turgis
10 avril 1673-24 févr. 1674.
55
122 17
Toi
"AUX
579
1078 1. 2 s.
On voit par la liste détaillée de ces exploits qu'une même
paroisse est exécutée cinq et six fois dans l'année; à la fin, les
collecteurs sont emprisonnés (sur les 579 exécutions, on compte
55 emprisonnements). Il n'est aucune des 126 paroisses de
l'élection qui n'ait vu au moins une fois l'huissier1. Et ce régime
n'est pas extraordinaire : les règlements autorisent jusqu'à une
exécution par collecteur et par mois2; en certaines régions les
pour livre, soit 2,50 p. 100, des sommes qu'ils feraient « sortir » (M. C. 138,
ï° 212), mais Golbert désapprouvait ce procédé, à en juger du moins par une de
ses lettres à l'intendant d'Amiens en 1682 : « c'est asseurement, disait-il, un abus
qui ne peut estre souffert ». (B. Mun. Amiens, ms. 508, t. II, pièce 555.)
1. On peut calculer que la moyenne des exploits par paroisse est de plus de 4.
2. Mandement de l'intendant de Rouen, en 1672: « Défendons aussi très expres-
sément ausdits receveurs et commis d'envoyer lesdits huissiers plus d'une fois
le mois chez un mesme collecteur, ny de fatiguer lesdits collecteurs et contri-
buables par des courses extraordinaires, sy ce n'est pour cause raisonnable, et
de l'ordonnance des esleus. » (A. D. S.-Inf., G 2 215.)
'.:»,
LA TAILLK KX Xolt.MAXDIE.
peuples se trouveraient heureux si le nombre réglementaire
n'était pas dépassé1.
Les biens saisis, quand ils sont indiqués sur l'état, sont géné-
ralement des vaches ou des chevaux : on prend une vache pour
20 ou 25 livres d'impôt arriéré, en moyenne : à Saint-Sauveur
de Chaulieu, le 30 août 1G73, l'huissier saisit deux vaches pour
30 livres; à Pontécoulant, le lendemain, deux vaches pour 20 1.;
à Rouvron, par deux fois, les 20 et 26 octobre 1673, on saisit
deux vaches pour un arriéré de 15 1. Des troupeaux de 8, 10
et 12 bêtes sont parfois saisis d'un coup, sans opposition ni
protestation de personne2.
D'autre part, nous avons des états de frais dressés sur la fin
de notre période par les intendants. Voici le résumé de ceux
que nous possédons pour les deux généralités de Rouen et
Alençon :
Généralité de Rouen.
ÉLECTIONS
1678 3
1679*
IMPOSITION
SOMME PERÇUS
FRAIS
IMPOSITION
FRAIS
Caudebec. . . .
Chaumont . . .
MontÏTilliers . .
Neufchàtel . . .
Pont-Audemer. .
Pon t-de- Larche.
Pont-L'Evêque .
Totaux. . .
160 000 1.
321 700
275 000
153 000
178 000
190 300
98 000
222 000
154 000
339 500
141 000
191 500
276 000
150 3831.
284 031, 9 s.
243 942, 6 s.
(6)
95 878, 3 s.
216 265
127139,18s.
290 000
116 807, 5 s.
162 664,19 s.
245 852
3 2001.
5 476
4 810
3 514
3 600
3 882
890, 10 s.
3 546
3 202
3 825
2135, 5s.
1710, 15s.
4 560
140 300 1.
282100
225 800
133 200
152 300
168 500
84 000
182 700
134 300
281 900
115 700
171 700
230 833
1 250 1.
1475
2 033
1157, 17s.
1350
1159
560
1532
1132
1360
590, 5 s.
1011
1691, 18 s.
2 700 000 1.
44 3511.108.
2 303 333
16 3021.
1. Let. de Barin de la Galissonnière à Colbert, 15 déc. 1664, M. C. 126, f" 351.
2. A. D. Calv. Election de Vire, États des exécutions et écrous faits pour
M. Gilles Turgis, receveur particulier. Sur la passivité des contribuables voir
une lettre du lieutenant général de Basse-Normandie, du l*r février 1695 : En ce
pays, la soumission des peuples « est telle, qu'un seul homme se disant officier
ou sergent prend tout ce qu'il veut dans les villages, sans qu'ils osent s'y opposer
et viennent à moi aux plaintes. » (De Boislisle, Mcm. de C intendant de Paris, p. 457.)
3. Etat arrêté au 30 juin 1679 (A. N. G7 491). Dans les frais sont compris les
droits de contrôle d'exploits et de papier timbré.
4. Etat arrêté le 23 juillet 1679 (ibtd.). La somme reçue à cette date n'est pas
indiquée.
5. Les trois receveurs de Chaumont, Evreux et Gisors faisant leurs versements
à Paris, l'intendant n'a pu savoir combien ils avaient reçu.
LES FRAIS DE CONTRAINTES.
477
Généralité d'Alençon *.
ELECTIONS
Alençon
Argentan
Bernay .
Conches
Domfront
Falaise .
Lisieux.
Mortagne
Verneuil ,
IMPOSITION
1678
1681
140 233 1
118 400
16T8
1679
1681
1682
186 400
164 400
161 600
165 230
1678
1679
1681
1682
161 300
136 300
132 800
135 312
1678
1679
1681
1682
188 900
158 900
153 133
158 568
1678
1679
112 200
94 200
1678
1679
1681
1682
226 100
195 100
190 600
194 955
1678
1679
156 100
136 100
1678
1681
1682
396 800
312 400
314 390
1678
1681
1682
135 300
107 300
109 676
SOMME PERÇUE
131 233 1.
113 600
166 400 .
46 375
142 057
61 234
150 300
44 500
127 230
58 743
180 947
56 700
150 483
76 000
101 588
37 980
203 500
54 450
177 800
64 000
148 479
47 099
288 650
285 047
139 768
124 221
101 000
39 000
3 038 1.
2-000
1 902
332
1 580
253
1424
853
1 946
520
4Q77
789
2 875
1 500
1497
298
1688
387
1 607
558
2 906
595
3 179
2 969
664
2 049
2 242
637
Si l'on calcule, d'après ces tableaux, le rapport entre les
frais et les sommes perçues, on arrive aux résultats suivants :
Dans la généralité de Rouen en 1678 (non compris les trois
élections d'Evreux, Chaumont et Gisors), la plus faible pro-
portion se trouve à Lyons (9,28 p. 1000), et la plus forte à
Neufchàtel (25,18). L'écart entre ces deux chiffres est d'autant
plus remarquable que la somme recouvrée, à Lyons, égale
97,8 p. 100 de l'imposition2, tandis qu'à Neufchàtel elle ne
monte qu'à 82,5 p. 100.
1. Etats envoyés par l'intendant de Moran^is, A. N. G7 71. '■lies états pour les
deux années 1678 et 167'J sont arrêtés au 24 juin 1679, ceux des années 1681
et 1682 le sont à des dates variant, suivant les élections, entre le 8 juillet et le
3 août 1682.
2. Noter qu'en cette élection sévissaient des huissiers qui violentaient extrême-
ment les contribuables (ci-dessous, p. 482).
/,78 LA TAILLE EN NOHMANDIB.
A Aliiirun. la même année, les proportions sont à peu près
les mêmes : 8,3 p. 1000 pour le plus bas chiffre (à Falsisi
2.Ï.1 pour le plus haut (à Alençon), mais la somme recouvrée
s'élève à 90 p. 100 de l'imposition dans la première élection,
«■t ii 5)3,5 dans la seconde. Pour l'année 1681, dans les 7 élec-
tions dont nous avons les chiffres, c'est encore Falaise qui a la
plus faible proportion : 9 p. 1000 (93,2 p. 100 perçu); la plus
forte est à Verneuil : 22,2 (94, 1 p. 100 perçu).
La proportion moyenne, dans l'ensemble de chaque généra-
lité, est la suivante : Rouen en 1678 : 17,25 p. 1000. Alençon,
1678, 15,13; Alençon, 1681, 14,95.
Lorsqu'on considère les années pour lesquelles une faible
partie de l'impôt seulement est perçue, comme 1679 et 1682 à
Alençon, on a des frais proportionnellement moins élevés :
19,7 pour 1000 à Conches en 1682, quoique moins de la moitié
de la taille soit payée, 16,3 à Verneuil la même année, pour
percevoir le tiers environ de l'impôt, tandis qu'à Mortagne on
a 4,7 p. 1000, avec une recette de 44,5 p. 100 de l'impôt, et 4,1
à Argentan pour 37 p. 100 de l'impôt.
Tous ces chiffres sont très élevés : aujourd'hui, avec des
non-valeurs presque insignifiantes, on recouvre tout l'impôt
foncier avec moins de 2 p. 1000 de frais : au temps de Colbert,
on jugeait excellente une perception où les frais étaient de
9 p. 1000, avec des non-valeurs montant à 10 et 15 p. 100 de la
la taille.
En général, le taux des frais ne varie guère d'une année à
l'autre dans une même élection. Dans la généralité d' Alençon,
Falaise et Argentan ont habituellement les chiffres les plus
faibles, Verneuil et Conches les plus forts. A ce résultat ne sont
pas étrangers les soins plus ou moins grands apportés par les
receveurs au recouvrement. Ainsi l'élection de Falaise a pour
unique receveur le sieur Hélie, sur lequel un intendant fait le
rapport suivant en 1680 : « Quoiqu'il ait 235 paroisses, dont
la moitié est en très meschant pays, il n'y a aucun receveur
des tailles qui fasse moins de frais... Il ne fait aucun prison-
nier, si ce n'est des collecteurs retentionnaires des deniers de
la taille * », et un autre intendant, en 1683 :
« Il n'a d'autre règle que celle qu'il veut bien s'establir, car il est
le maistre de faire autant de frais qu'il luy plaist, de mesme que dans
les autres eslections, mais il prêtent qu'il n'en fait par chacun an que
pour douze a quinze cens livres, et effectivement cela paroist par ses
registres, et sy cela est, les quatre huissiers qu'il employé, dont trois
sont titulaires, ne gaignent pas de quoy subsister, néantmoins il y a
apparence qu'il dit vray, car les collecteurs ne se plaignent point, et
tout le monde se loue fort de luy 2 ».
1. Rapport du 22 juillet 1680, A. N. G? 71.
2. Rapport du 1" septembre 1683, ibid.
LF.S FItAIS DE CONTRAINTES. 479
D'après les mêmes rapports, on voit que la modicité des frais
à Bernay est due aux deux receveurs qui sont « fort honnestes ».
et particulièrement le sieur Dalzac, qui « ne fait point de prison-
niers, et ménage fort son élection ». Au contraire les receveurs
de Conches « paroissent médiocrement instruitz à la manière de
faire des recouvremens, et d'ailleurs comme ils n'ont pas la
force de faire quelques avances, ils pressent les collecteurs un
peu rigoureusement, de sorte qu'ils font beaucoup de frais, et
qu'ils emprisonnent souvent les collecteurs, lesquelz ne faignent
pas de s'en plaindre, et surtout de ce qu'ilz payent pour les
frais telle somme qu'il plaist aux receveurs, sans scavoir s'ils la
doivent1 ».
Mais les frais ne sont pas toujours en rapport avec le zèle des
receveurs : à Alençon, où le taux est de 23,1 pour 1000 en 1678
et de 17,6 en 1681, les deux receveurs « paroissent fort hon-
nestes gens2»; à Verneuil, « eslection fort ménagée par le rece-
veur3 », le taux est de 16,5, 22,2, et 16,3 pour les années 1678,
1681 et 1682; à Mortagne, où les frais pour 1678 ne montent
qu'à 11,1 les commis à la recette sont accusés de mettre leur
élection au pillage4. Golbert, frappé de ces anomalies, craignait
qu'elles ne fussent imputables à des états de frais mensongers.
C'est pourquoi il attira l'attention des intendants sur ce point.
Veillez, leur écrit-il, à ce « qu'il ne se fasse aucuns frais
que ceux qui seront taxez »; faites « un exemple » des receveurs
et huissiers fautifs; dites-moi si vous avez, pour établir vos
chiffres, « seulement examiné les frais taxés par les officiers des
Elections, ou si vous estes entré plus avant et si vous avez examiné
les frais qui se font au delà de ces taxes, par friponneries, con-
cussions et autres mauvaises voyes, parce que si vous n'avez
examiné que les frais taxés par les officiers des Elections, il est
assez difficile de croire que les receveurs et les huissiers se
soyent contentés de ces frais, dans lesquels il y a toujours
quelque règle5 ». Deux intendants, qui ont suivi cette instruc-
tion, ayant trouvé « une infinité de ces abus et concussions »,
Colbert écrit encore dans une circulaire :
« S. M. m'a ordonné de vous écrire qu'Elle désire que vous donniez
une entière application à les découvrir [ces abus] dans l'étendue de
vostre généralité, voulant que l'application que vous y donnerez soit
telle qu'Elle ayt la satisfaction de délivrer ses peuples de toutes les
oppressions qu'ils souffrent. Ne manquez donc pas de vous y appliquer,
soit dans le reste de la visite que vous faites, soit lorsque vous ferez
1. Rapport de 1633, A. N. G' 71. Cf. ibid. la lettre du 25 mai 1683, et ci-dessus,
p. 438.
2. Ibid.
3. Rapport de 1CS0.
4. Ibid.
5. Glém., VII, 269. Circulaire du 19 septembre 1681.
480 LA TAILLE EX NOKMAXDIE.
le département des tailles, et par tous les moyens que vous estimerez
convenables pour découvrir ces désordres '. »
Mais comment faire ce contrôle? Leblanc, à Rouen, assure
qu'il prend lui-même « des mémoires » lors de sa visite dans
les élections2; il compare ses états avec ceux des huissiers et
des greffiers3, pourvoir s'ils sont tous concordants; il intervient
personnellement auprès des receveurs pour empêcher les Irais
« extraordinaires* ». En 1681, « ayant appréhendé que quelques
estats ne l'eussent pas assez justes », il les a « renvoyez sur les
lieux a des personnes seures, pour [s'en] esclaircir5 ». Ce ne
sont pas des procédés administratifs bien sûrs. En 1682,
de Morangis, intendant d'Alençon, affirme qu'il a pris toutes les
mesures possibles pour assurer l'exactitude des états qu'il envoie6 ;
cependant son successeur écrit l'année suivante : « M. de Mo-
rangis a pris un fort grand soin d'empescher les frais des rece-
veurs des tailles, et je croy qu'il s'en est peu fait les années der-
nières, mais néantmoins, comme il a suivi la mesme méthode
que M. Colbert avoit introduite, dans laquelle il pouvoit y avoir
quelques abus si les receveurs n'estoient pas honestes gens et
qu'ils voulussent s'accommoder avec les huissiers, parce qu'il
seroit difficile de s'en appercevoir, il me semble qu'il seroit bien
à propos que je pusse scavoir précisément la quantité des frais
par autres que par eux-mesmes7. » Mais de Bouville reconnaît
lui-même que ce contrôle parfait est irréalisable. Un mois plus
tard il écrit en effet qu' « il est impossible de scavoir la vérité
sur les frais qui ont esté faits, et il faut en croire les receveurs;
mais il m'a paru qu'il s'en fait beaucoup, si on en croit les
collecteurs, que j'ay tous entendus8 ».
Plus tard, Lallemant de Lévignen assurera que, « faute d'avoir
infligé quelques peines pécuniaires a ces receveurs qui n'accuse-
1. Circulaire du 6 août 16*2, Clém., II, 203. Cf. les lettres de Colbert à Levayer,
ibid., p. 210 et à Breteuil, Bibl. Amiens, dis. 508, t. III, pièce ô'J'J.
2. Let. du 13 juillet 1676, B. N. fr. 8759, f 68.
3. Let. des 28 août et 13 septembre 1676, ibid., f 71 et 72.
4. Let. du 19 juillet 1678, A. N. G? 491.
5. Let. du 9 septembre 1681. ibid.
6. Mém. du 3 août 1682, A. N. G^ 71.
7. Let. du 2 avril 1683. ibid.
8. Let. du 3 juin 1683, A. N. G' 71. Le 16 septembre 1686 il écrira : « Les frais
pour le recouvrement des tailles paroissent diminuer considérablement, et je
puis vous assurer que cette année ils n'excéderont pas 14 0001., sans que les huissiers
ni les receveurs m'en puissent cacher aucuns; il n'en estoit pas de mesme avant
1 ordonnance que j'ay rendue pour cela, car quoyqu'en 1683 que le roy ne fit l'hon-
neur de m'envoyer dans cette généralité, les irais paraissent avoir monté a près
de 22 000 1., comme on ne le savoit que sur les registres des receveurs des tailles,
il est difficile d'assurer qu'ils n'ayent pas monté plus haut, mais doresnavant, je
le scauray avec certitude ».(lbid.) De Menais, intendant de Paris, écrit le 30 no-
vembre 1682 que dans sa généralité « les frais sont diminués du tiers depuis
deux ans.. (Mcm de l'intendant de Paris, p. 506.) Cf. Depping, III, 160-161, pour
l'Anjou.
LES FRAIS DE CONTRAINTES. 481
roient pas juste, on ne peut compter sur ces états » de frais qu'ils
remettent l.
En outre des receveurs, il fallait surveiller directement les
huissiers. Pescheur, en 1665, assure qu' « ils reçoivent des
collecteurs des gratifications qu'on ne peut empescher2 ». L'in-
tendant de Chalons écrit en 1673 : « Les huissiers des tailles
font autant de faussetés que d'exploits3 ». Le principal abus que
De Marie observe dans la généralité d'Alençon en 1671, ce sont
« les friponneries des huissiers4 ». En 1673, Colbert écrit à
l'intendant de Rouen :
« Dans toutes les affaires qui nous reviennent des généralités, il
n'y a point a présent d'abus qui ayt paru plus considérable au Conseil
que celuydes sergens domestiques des receveurs des tailles, sous les
noms desquels ils font taxer par les élus, qui sont de leur intelligence,
les frais de courses et exécutions qu'ils appliquent a leur profit.
Comme il a esté donné arrest au Conseil du 4 juillet 1664, portant
règlement sur ce désordre, je vous prie de me faire sçavoir s'il est
connu et s'il s'exécute dans la généralité de Rouen 5 ».
Mais les huissiers et sergents n'ayant d'autre salaire que
celui de leurs exécutions, tendaient naturellement à multiplier
leurs courses pour gagner davantage; les élus et receveurs
les surveillaient sans zèle et sans intérêt0; les receveurs, pris
entre la crainte de la punition et la nécessité de faire leurs verse-
ments à temps étaient amenés à utiliser tous les subterfuges pour
éviter tout dommage7. Enfin, et ceci est le motif le plus grave,
les peuples étaient à ce point accoutumés aux contraintes, qu'ils
les considéraient comme un procédé normal de perception; ils
les attendaient tranquillement pour payer leur dû, y trouvant
même l'avantage d'éviter une surcharge les années suivantes.
« La pluspart des collecteurs, écrit l'intendant de Rouen en
1670, ne pensent à payer qu'à la vue du sergent8 »; « La
crainte des frais, dit son collègue d'Alençon en 1679, est
l'unique moyen pour obliger les collecteurs à faire les dilli-
1. B. N. fr. 7771, P 188, v°.
2. M. C. 33, f°291.
3. Glairamb., 794, p. 189.
4. Ibid., 793, p. 12.
5. Glém., II, 370.
6. La Cour des Aides, même, contrevenait aux règlements sur les frais. Barin
de la Galissonnière écrit en septembre 1670 qu' « il seroit nécessaire de remédier
aux taxe*s que la Cour des Aydes fait » des exploits d'huissiers pour la taille. (Glai-
ramb., 792, p. 319.)
7. Cf. Lallemant de Lévignen : « La pluspart [des receveurs], pour avoir la
recompense qu'ils n'avoient point dessein de mériter, ont toujours forcé leurs
recouvremens dans les parroisses, et ces receveurs ont été récompensés des peines
qu'elles ont souffert ». (B. N. fr. 7771, f° 188, v°.)
8. Clairamb., 792., p. 348. Cf. La Bruyère, Caractères, chap. De l'Homme : « Il
faut des saisies de terre et des enlèvements de meubles, des prisons et des sup-
plices, je l'avoue, mais justice, lois et besoins à part, ce m'est une ebose toujours
nouvelle de contempler avec quelle férocité les hommes traitent d'autres hommes ».
LA TAILLE EN NORMANDIE. Ol
482 LA TAILLE KN NOItMANDIE.
gences nécessaires pour serrer les deniers1 » ; l'auteur d'un
mémoire sur la Dîme royale de Yauban, écrira vers 1710 : Les
collecteurs « essuient... les frais d'exécution des huissiers qu'ils
pourroient éviter s'ils vouloient, parce qu'ils s'imaginent qu'a
quelque chose que ces frais puissent aller, ils ne peuvent
jamais égaler l'augmentation qu'on pourroit faire a la cottité
de leur taille s'ils payoient sans estre contraints et exécutés2 ».
Et l'intendant Basville déclarera au président du Conseil des
finances le 26 décembre 1715 : « Que les peuples payent sans
contrainte, c'est une idée a laquelle on ne parviendra jamais* ».
Aussi les méfaits des huissiers et sergents ont-ils continué
pendant toute notre période.
En 1668, l'intendant de Rouen ayant fait emprisonner un
huissier, le receveur de Rouen le fait évader, et continue de
l'employer comme avant, « bien qu'il m'eust luy-meme reconnu,
dit La Galissonnière, que c'estoit un fripon* ». Deux ans après
il découvre que, dans la même élection, les huissiers pren-
nent « leurs salaires sans taxe » ; et le receveur est de conni-
vence, car le receveur général « ne luy donne ny gages ny
appointemens », de sorte que sa rémunération provient unique-
mentdes sommes qu'il se fait donner par ses huissiers 5. En 1680,
Leblanc arriva un jour à Lvons la Forêt comme un huissier exé-
cutait une contrainte solidaire délivrée contre la paroisse par
la Chambre des Comptes, pour un arriéré de 14 1. J'ai trouvé,
rapporte-t-il. « la vile plus en désordre que s'il y estoit passé
deux bataillons »; l'huissier avait « touché 40 !.. et enlevé plu-
sieurs bestiaux et meubles, et maltraité' quelques particuliers » ;
il se hâta d'ailleurs de déguerpir à l'approche de l'intendant6;
la Chambre des Comptes, avisée des faits, se borna à suspendre
l'huissier pour un an7. Dans cette élection, ajoute Leblanc,
« tout le monde se plaint des huissiers de l'ordinaire, qui y font
beaucoup de désordre; comme ce sont des misérables, ils ne se sont
pas souciez des condamnations d'amande et des interdictions que
j'ay prononcées contre eux; j'ay donné ordre d'en arrester pour déli-
vrer le pays et pour faire exemple en les condamnant aux galères ».
Mais le vice-bailli n'a « jamais eu l'esprit ny ozé les arrester... Ils
alloient dans les maisons pour choses non deubes ou acquittées,
enlevoient meubles, bestiaux, et tout ce qu'ils pouvoient trouver,
1. Mémoire de 1679, A. N. G" 71. De Bonville écrit le 18 octobre 1684 : « Je suis
persuadé que si les peuples croioint que les receveurs eussent ordre de les moins-
presser, ils se relascheroint, et le recouvrement se trouveroit fort reculé. »
(A. N. G" 71).
2. Bibl. Arsenal, ms. 4067, f° 28. Cf. le Recueil d'Orsay, f° 61.
3. Publ. par de Boi*lisle, Mém. de l'intendant de Paru, p. 487.
4. Let. à Colbert, 24 octobre 1668, M. G. 149, t" 156-7.
5. Clairnmb., 792, p. 833 et M. C. 155, f 359.
6. Let. du 21 juillet 1680, A. N. G" 491.
". Let. du 31 juillet, avec l'arrêt de la Chambre, ib'id.
LES FRAIS DE CONTRAINTES. 483
sans laisser de procez-verbaux d'exécution, et pilloient impunément,
estans protégez par quelques officiers de leurs parens, et ces exac-
tions alloient a un tel excès, qu'un de ces huissiers, nommé Dufour,
qui a du bien, ayant veu qu'il y avoit un décret de prise de corps
contre luy, a rendu 800 1. en argent et quatre chartées de meubles; il
y a encore beaucoup de gens qui en demandent autant. Les autres
huissiers, pour intimider ceux qui se plaignoient, assassinèrent le
5 juin a minuit un médecin qui alloit voir un malade, et une heure
après un meusnier, croyans que c'estoit des gens qui me venoient
faire des plaintes. » Le procureur général du Parlement s'était offert
pour et faire un exemple » contre un de ces huissiers; « luy ayant
remis l'information entre les mains, trois semaines après on l'a
eslargy sans aucune instruction ny jugement, et il recommençoit a
fatiguer le peuple *. »
Dans l'ensemble de la généralité, les commissaires aux saisies
se font payer, pour la garde et la nourriture d'une vache, 10 s.
par jour, alors que la taxe réglementaire est de 8 d., et « les
huissiers, qui sont d'intelligence avec lesdits commissaires, ne
trouvent jamais de gardiens solvables, conduisent toujours les
bestiaux et portent les meubles chez le commissaire, lequel ne
laisse jamais sortir lesdits meubles et bestiaux qu'après com-
mandement, sentences et exécutions; ce qui fait que, quelque
nombre de bestiaux qu'il y ayt, il se trouve consumé par les
frais de gardes et procédures, les propriétaires les perdent, et
les créanciers n'en touchent rien2 ».
Quelques semaines auparavant, Leblanc écrivait à Colbert :
« Ce n'est pas que, depuis que j'ay l'honneur d'exécuter icy vos
ordres, je n'y aye pourvu [à ces abus], et que je n'en aye
arresté le cours, mais il est nécessaire que vous y mettiez la
dernière main, et que vous délivriez le peuple des vexations, qui
luy sont plus a charge que la taille 3 ». Mais un an après, Colbert
mourait, et la dernière main n'était pas mise à la réforme.
Dans la généralité de Caen, les choses se passent de même.
En 1679 l'intendant instruit un procès contre les huissiers de
Mortain pour leurs « désordres et pilleries » ; il découvre « la
connivence et le peu de vigueur du feu procureur du roy de
ladite Election, apellé Bourdon,... qui n'a jamais, voullu agir
1. Let. des 25 juillet 1630 (A. N. G" 491) et 13 juillet 1682 (B. N. fr. 8761, f 55).
Cf. son autre lettre du 23 novembre 1676 : « Ayant receu plusieurs plaintes que
Lecanteur, huissier, faisoit des concussions et enlevoit les bestiaux des paysans,
sous prétexte qu'ils appartenoient a des particuliers compris au rolle du tiers et
danger, et ensuitte se faisoit donner de l'argent pour le restituer, j'ay donné
ordre de lui faire son procez. Il a exposé qu'un juge des lieux en haine l'avoit
fait arre3ter; il a obtenu un arrest le 27 octobre qui ordonne qu'il sera mis hors
des prisons », Leblanc demande à Colbert de pousser l'affaire, « estant de la der-
nière conséquence, et d'autant que sous prétexte de recouvremens, il n'y a point
de pilleries que cet huissier n'ayt faites ». (B. N. fr. 8759, f° 74.)
2. Let. du 15 novembre 1682, A. N. G^ 491.
3. Let. du 30 juillet 1682, B. N. fr. 8761, f° 62.
,s, LA TAILLE EN NOIIMANDIB.
contre cet pârticulieri : on prétend qu'estant beau-frère du
receveur des tailles, appelé Caillot sieur de la Frictière, et
cousin de Germain Josset, l'autre receveur des tailles, il ne
vouloit pas embarrasser les huissiers et recors, crainte d'engager
ses parens » ; un huissier et trois recors sont arrêtés, mais
ce sont « les moins chargés » ; les autres prennent la fuite. Il
n'y a du reste pas de fonds pour continuer le procès, et le rece-
veur général a déclaré « qu'il ne vouloit point se rendre partie ».
Il est extraordinaire, remarque à ce propos l'intendant, « que
MM. les receveurs généraux évitent de fournir aux frais, lorsque
l'on veut empescher le desordre et la ruine d'une élection ' ».
Toujours est-il que le roi dut intervenir pour faire continuer
les poursuites contre ces huissiers de Mortain; nous ne savons
pas quelle en fut l'issue.
Dans la généralité d'Alençon, en 1679, l'intendant trouve, à
Lisieux, un huissier « qui exigeoitde l'argent pour ne point faire
de saisies ni de vendues, et qui, contre touttes les ordonnances,
recevoit Iuy-mesme les frais » ; il le fait arrêter et juger, dans
l'espoir que « cet exemple retiendra un peu l'avidité des huis-
siers ». Mais un autre rapport, du 1er septembre 1683, nous fait
connaître dans la même région une infinité de malversations,
de faux et de voleries, de la part de ces personnages malfai-
sants :
Les trois huissiers de l'élection d'Alençon « ne se transportent que
rarement dans les parroisses, mais seulement dans les marchez, ou
les collecteurs de toutes les parroisses voisines, mandez par un
recors, ne manquent pas de se trouver, et la ilz font des saizies et
ventes de bestiaux simulées, comprenans dans leurs procez-verbaux
tout ce qui leur est marqué par les collecteurs, qui fournissent un
adjudicataire, lequel se charge de payer dans la huitaine la somme que
le collecteur a crû pouvoir payer, et a laquelle on a estimé les choses
vendues. Ils ne laissent aucunes copies de ces procez-verbaux, dont
mesme sur-le-champ ilz ne font pas les originaux lorsque les adjudi-
cataires ne sçavent pas signer, mais en quelque temps qu'ilz les
fassent, ilz les escrivent seulement sur leur registre, duquel de six
en six mois ils font un extrait sur lequel les eslus font les taxes a raison
de 57 s. pour exécution et vente de meubles, lesquelles taxes les rece-
veurs payent et les gardent sans avoir de registre paraphé ainsy qu'il
est prescrit 2 ». Impossible donc de savoir le montant des frais, « et cela
est si vray, qu'ayant parlé aux collecteurs de toutes les parroisses
1. Mémoire de Méliand, 26 janvier 1679, A. N. G7 213.
2. Même pratique est signalée dans le Recueil d'Orsay. Habituellement les
huissiers « n'ont qu'un records qui leur sert ordinairement pour aller advertir les
dits collecteurs des parroisses de venir trouver l'huissier au lieu marqué, qui bien
souvent est dans un cabaret ou maison de quelque coq de parroisse qui sert de
gardien ordinairement des biens simulez saisis, auquel lieu les dits collecteurs le
vont trouver pour faire de concert la saisie de leurs biens et même la vente,
dont ils laissent les dattes en blanc, pour les ajuster ainsi qu'ils jugeront à pro-
pos, en sorte qu'il y en ait pour chacun jour ». (B. N. fr. 11096, f° 20.)
LES FRAIS DE CONTRAINTES.
485
de l'eslection, ilz m'on assuré qu'ils ne pouvoient me dire ce qu'il leur
en cousteroit, parce que la plus grande partie des diligences n'estoient
pas encore taxées, a ce qu'on leur avoit dit, quoyque quelques-unes
des dites parroisses eussent entièrement acquité l'imposition, et
mesme ilz m'ont adjousté qu'ils payoient ce qu'on leur demandoit,
sans sçavoir seulement si les diligences avoient esté faites ». La véri-
fication par les élus est inutile, car « comme les huissiers ne laissent
aucune coppie, et que les receveurs ne rendent point aux collecteurs
les originaux des procez-verbaux taxez, ils sont maistres de leur faire
payer ce qu'il leur plaist ».
Dans l'élection de Mortagne,
« il n'y a pas plus d'ordre pour les frais que... dans celle d'Alençon,
a l'exception que les commis a la recepte ont des registres de frais
paraphez, mais j'ay connu par la visite que j'ay faite dans le greffe
que, comme les frais ne sont taxez que rarement, il en est deu par
beaucoup de collecteurs qui ont acquitté l'imposition, et que par les
suites les commis les ont donnez en payement aux quatre huissiers qu'ils
employent, de mesme que quelques restes deubz par les parroisses,
ce qui a donné lieu a bien des vexations, et mesme a des procez qui
m'en ont fait avoir la connoissance. Enfin les collecteurs, que j'ay
quazy tous entendus, se plaignent fort des grands frais qu'on leur
fait, dont ilz ne peuvent justiffier. »
Dans l'élection de Verneuil,
« Les frais sont taxez... comme dans les autres [eslections], c'est-
à-dire fort loin à loin, par un seul officier, et les collecteurs m'ont
de mesme assuré qu'ilz payent ce qu'on leur demande, sans sçavoir
s'ils doivent ou non. »
Dans, celle de Conches,
« les huissiers exécutent sur la mesme contrainte pendant tout le
recouvrement et ne font taxer les frais que rarement par un des offi-
ciers, et au surplus ils suivent le mauvais usage des huissiers des
autres eslections1. »
Après Colbert, on trouve les mêmes pratiques. On lit dans le
Recueil d'Orsay :
« Il se fait beaucoup de friponneries et exactions par les huissiers et
porteurs de contraintes contre les collecteurs... Quel est le procureur
du roy ou receveur d'une élection qui fera faire le procès à tant de
gens et qui les suivra a la Cour des aydes? Pour une preuve que ce
n'est pas facile, c'est que jusqu'à présent on n'en a pas veu d'exemple...
Gomme les taxes des dits frais se font differement, et que même les
huissiers ou sergens employez au recouvrement des tailles font leurs
diligences chacun a leur fantaisie, ou plutôt a celle des receveurs, ne
1. Rapport du 1" septembre 1683, A. N. G? 71.
486 I-A TAU. M! IN NOIIMANDIB.
s'attachant presque pas aux règlemens, il seroit a propos de rendre
le tout uniforme1. »
Le même auteur nous apprend que les huissiers ne font
« presque jamais » leurs déclarations au greffe, « et mesme la
plupart d'entre eux n'ont point de registre, et font leurs exploits
sur des feuilles volantes, afin d'ajouter [après coup] le jour et
la datte de leurs exploits a raison de tant par jour, et de faire
régler par ce moyen leurs frais a leur fantaisie2 ».
La Cour des Aides de Paris, dans un arrêt du 17 novem-
bre 1712, rendu à la requête du procureur général, défendra
aux huissiers de saisir « sur les contribuables aux tailles les
lits, linceuls, couvertures, habits, pain, portes et fenêtres de
leurs maisons, chevaux, mulets et bœufs servans au labour et
culture des terres », choses qui se pratiquaient jusqu'aux portes
de Paris 3; et le Régent écrira, dans sa circulaire aux intendants
du 4 octobre 1715 :
« Je suis informé que la liaison qui est souvent entre les officiers
des Elections et les receveurs donne lieu a la multiplicité des frais,
qu'ils regardent comme des revenans-bons de leurs charges... et que
les frais, que l'on fait toujours payer par préférence a la taille, en
empêchent ou en retardent le recouvrement... C'est à cet abus que je
veux remédier*. »
Ces documents officiels ne font que répéter et confirmer les
pages bien connues de Vauban et de Boisguilbert sur la rigueur
des exécutions : ces deux auteurs n'ont rien exagéré5.
1. B. N. fr. 11096, f"' 19 et 56. L'auteur demande que l'on interdise particuliè-
rement les « emprisonnements simulés » des collecteurs, nommés aussi • arrêts
de prison avec soumission », invention < trouvée par les huissiers pour multiplier
les frais et faire ces sortes de diligences autant de fois qu'ils rencontrent par
hazard les collecteurs, soit dans le chemin, à la ville, au marché ou ailleurs ».
2. Ibid., f 20.
3. Cité dans La Poix de Freminville, Communautés d'habitants, p. 2.", 1-252. Cf.
Vieuille, p. 313-:<14.
4. Encyclop. méthodique, t. III, p. 648.
5. Boisguilbert, Détail de la France, éd. 1707, t. I, p. 21 et suiv. Vauban. Dixme
roiale, éd. 1707, in-12, p. 29 et suiv. Voir aussi le Projet de capitation de Vauban,
publ. dont De Boislisle, Corresp. des contrôleurs généraux, t. I, p. 565, sur les
• deux cents mille fripons » qui ruinent les contribuables.
LES EMPRISONNEMENTS. 487
VIII. — LES EMPRISONNEMENTS
Quand la saisie et la vente des biens mobiliers n'avaient pas
produit d'effet, le receveur avait recours à l'emprisonnement
du collecteur, de la même façon qu'un créancier faisait empri-
sonner son débiteur insolvable. A cet effet, il devait présenter
une requête à l'Election, où il justifiait des diligences déjà faites
et de leur insuccès ; les élus lui délivraient une ordonnance,
dite « arrêt de prison », que les huissiers et sergents étaient
chargés d'exécuter. Quoique les collecteurs d'une même
paroisse fussent solidaires et par conséquent tous également
passibles de la prison, on n'arrêtait qu'un ou deux d'entre eux,
de façon à laisser les autres vaquer à la recette1. L'usage
normand était de laisser de préférence le porte-bourse en liberté,
et de ne s'en prendre qu'à ses collègues 2.
Les règlements ne précisaient pas dans quelle prison devaient
être conduits les collecteurs : les receveurs s'en autorisaient pour
les emmener loin de leur demeure, ce qui était une occasion d'en
« tirer des gratifications », et rendait « assez difficile » le con-
trôle des élus et des intendants3. Dans son mandement aux
paroisses en 1672, l'intendant de Rouen interdit aux huissiers
de conduire les collecteurs ailleurs que dans les prisons du siège
de l'élection ; exception était faite pour l'élection d' Andely, « ou
lesdits collecteurs pourront estre mis dans les prisons d'Andely,
Gournay, et Vernon si elles sont les plus proches de leurs domi-
ciles, et a la charge que lesdits receveurs auront en chacune des
dites villes un procureur pour consentir ou empescher l'élargis-
sement desdits collecteurs » ; ceux de la chàtellenie de Pontoise
devaient être conduits à Pontoise, et non à Gisors, ceux de
l'élection de Chaumont et Magny pouvaient être incarcérés dans
l'une ou l'autre de ces deux villes*. Leblanc reprit ce règlement
en 1682 5, mais il découvrait aussitôt après que « monobstant les
deffenses », les huissiers ne cessaient de mettre les collecteurs
dans les prisons qu'ils voulaient6.
Les prisonniers n'étaient pas nourris « au pain du roi 7 » ; les
1. De Merville, Maximes, p. 39.
2. Mémoire de l'intendant d'Alencon, 1" septembre 1683, A. N. G7 71.
3. Let. de Leblanc, 8 juillet 1682 (B. N. fr. 8761, f° 62) et de Bouville, l«r sep-
tembre 1683 (A. N. G? 71).
4. A. D. S.-Inf. G, 2215. Si les huissiers ne pouvaient conduire leurs prison-
niers en ces lieux dans un seul jour, il leur était permis de les mettre pour vingt-
quatre heures dans les prisons les plus voisines.
5. Let. du 8 juillet 1682, B. N. fr. 8761, f° 60.
6. Ibid , Il y avait, du moins hors de Normandie, des sièges d'élections qui
n'avaient pas de prison, tel Ghâteau-du-Loir. (Clém., II, 76.)
7. En 1633, les Etats de Normaudie avaient demandé pour les collecteurs le
pain du roi, mais ils n'avaient pas obtenu satisfaction. (De Beaurepaire, Cahiers...,
règne de Louis XIII, t. III, p. 171.)
488 LA TAIL1.K l'.N NOIt.M AXDIK.
frais de leur « gîte et geôlage » incombaient aux paroisses qui
devaient s'imposer extraordinairement pour les payer; mais le
receveur en (levait faire l'avance, sous peine de voir libérer les
prisonniers ; il pouvait ensuite prendre ses dispositions pour se
Faire rembourser par les contribuables. (Habituellement, il ajou-
tait la somme à la taille de la paroisse, et la percevait avec les
mêmes rigueurs1.) L'arrêt du 4 juillet 1664 interdit aux geô-
liers de « retenir les collecteurs pour les gîtes et geôlages, a
peine de punition corporelle, saut a eux a se pourveoir par les
voies ordinaires et accoutumées » (art. 19), ce qui laisse à penser
qu'ils le faisaient quelquefois.
Les frais de gîte et geôlage n'étaient pas réglementés avec
f>récision, du moins en Normandie*. A Pont-Audemer, en 1678,
e geôlier prend 3 s. 4 d. par jour « pour le pain et les frais »,
tandis que dans le reste de la généralité, on prend 3 s. 6 d. J.
Dans la généralité d'Alençon, en 1683, les geôliers se font payer
pour « un meschant lit, ou il n'y a qu'une paillasse et un drap,
et sur lequel couchent deux ou trois prisonniers, 4 ou 5 solz
pour chacun d'eux » ; l'intendant, qui trouve ce prix excessif,
demande qu'on le réduise à 2 s. par prisonnier couchant seul,
et 1 s. 6 d. s'il partage le lit avec un autre*. Mais il ne semble
pas avoir rien obtenu.
Tous les règlements, et en dernier lieu celui du 4 juillet 1664,
défendaient aux geôliers « de laisser divaguer les collecteurs
emprisonnés pour la taille, sans le consentement des receveurs,
ou eux duement appelés5 ». Mais on avait grand'peine à faire
respecter cette loi . L'intendant d'Alençon écrit le 15 sep-
tembre 1670 que, moyennant finance, « dans la pluspart des
prisons de la généralité, les geôliers donnent la liberté aux
prisonniers de vacquer a leurs affaires6 », et treize ans plus tard
1. C'est ce que font particulièrement ceux de Pont-Audemer. (Let. de Leblanc,
8 janvier 1678, A. N. G1 491.) Le 30 septembre 1661, le receveur de Caen présente
une requête au Bureau des finances pour obtenir remboursement de 324 1. 4 s.
10 d., à lui dues pour gite et geôlage de collecteurs; le Bureau ordonne que
cette somme sera levée en sus de la taille, avec les restes (A. D. Galv., Plumitif
du Bureau, année 1661, f° 256; cf. f° 288 une autre ordonnance du Bureau du
19 décembre.)
2. Cf. un arrêt de la Cour des Aides de Paris du 30 avril 1650, pour le ressort
de cette Cour, dans Néron, II, p. 723 : Pour le gîte : 3 s. par jour si le prisonnier
couche seul, 1 s. 6 d. s'il couche à deux, 1 s. s'il couche à trois dans le même
lit, en changeant les draps toutes les trois semaines; 2 s. s'il couche sur la paille,
renouvelable tous les huit jours. Les collecteurs peuvent faire venir leur nourri-
ture du dehors ; s'ils la prennent chez le geôlier, le prix en sera fixé par les élus
en chaque ville. Le geôlier ne peut se faire payer aucun droit d'entrée ni de
sortie.
3. Let. de Leblanc, 8 janvier 1678 et 2 janvier 1679, A. N. G? 491.
4. Mémoire du 1«« septembre 1683, A. N. G" 71.
5. Arrêt du Conseil du 4 juillet 1664, art. -19. Cf. les arrêts de la Cour des
Aides de Paris des 30 avril 1650 (Néron, II, 723), et 5 octobre 1665, art. 10 (C. d.
T., 1, 593).
6. Clairamb., 792, p. 307 (analyse).
LES EMPRISONNEMENTS. 489
son successeur fait la même constatation1. En 1664, le lieute-
nant au bailliage de Caux rapporte que le geôlier de Cany est
« tout a fait incapable de garder ladite geolle, commettant jour-
nellement des abus, ayant consenti l'évasion de plus de douze
prisonniers depuis peu de temps, se laissant emporter par argent
par les personnes détenues2 ». Les élus ne peuvent pas davan-
tage avoir l'initiative de l'élargissement, laquelle n appartient
qu'au receveur. Il est d'usage que celui-ci fasse libérer les
collecteurs quand ils ont payé « au moins le quart de la somme
pour laquelle ils sont emprisonnez3. » Toutefois, si ce quart n'est
pas payé après un mois d'incarcération, les prisonniers sont
mis en liberté à la requête du receveur ou, à son défaut, des
élus, et on procède aux contraintes solidaires contre les habi-
tants, comme on le verra plus loin. Telle est du moins la règle,
mais l'intendant de Caen signale, en 1680, des receveurs qui
retiennent leurs prisonniers « des trois et six mois » sans rien
faire pour être payés4.
Le collecteur emprisonné avait un droit de recours contre ses
consorts laissés en liberté, qui devaient l'indemniser pour sa
détention. L'indemnité n'était pas tarifée et variait de localité à
autre. Dans la généralité d'Alençon, en 1683, elle montait par-
fois jusqu'à « 20 s. par jour, y compris les droits de giste et
geolage », mais l'intendant proposait de la réduire uniformément
à 10 sous5. Dans celle de Rouen, une ordonnance de Leblanc,
du 11 octobre 1678, avait fixé l'indemnité à 5 sous par jour
pour les manouvriers et gens de journée, et à 10 s. pour les
marchands et laboureurs, outre le pain6. Comme le porte-bourse
n'était pas incarcéré, le paiement de ces frais lui incombait pour
la plus grande partie; « et ainsy, dit l'intendant d'Alençon, il
en est accablé, au lieu que les autres collecteurs estans sujetz
a estre emprisonnez n'en souffrent pas, parce que pendant le
temps de leur prison ils ne dépensent pas, a beaucoup près, ce
qu'on leur adjuge pour leurs dommages et interestz »; si bien
que l'emprisonnement est souvent un avantage recherché : « les
collecteurs des dernières eschelles, continue le même inten-
dant, ne demandent pas mieux que d'estre emprisonnez ; et cela
1. Mémoire du 1er septembre 1683 : « Il arrive souvent que [les collecteurs pri-
sonniers] s'accommodent avec les geôliers qui, moyennant quelque gratification,
les laissent vaguer, ce qui rend les emprisonnements tout à fait inutiles. » (A. N.
G' 71.)
2. Requête du Bureau des finances de Rouen, 18 juillet 1664, A.-D. S. Inf..
C 1166, f°s 114 et 131. Le Bureau, après enquête, prononce la destitution du
geôlier.
3. De Merville, Maximes, p. 39. Mém. Alphab., p. 116, cf. p. 252-253. L'intendant
de Caen, écrit le 15 août 1680, que souvent les receveurs « laissent des taillables
des trois et six mois en prison, contre les ordonnances », (A. N. G7 213.)
4. A. N. G7 213. Il demande un règlement pour interdire cet abus.
5. A. N. G7 71.
6. B. N. fr. 8761'"% f° 189. Cf. sa lettre du 2 janvier 1679, A. N. G7 491.
490 LA TAILLE EN NORMANDIE.
est 8v m. iv. qu'il m'a esté présenté diverses requestes par les
pm-tf-hourses pour les obliger de vacquer avec eux a la col-^
fecte1 ».
Le prisonnier, q^ui n'est pas toujours heureux de son sort,
quoiqu'en dise M. de Bouville, peut avoir recours contre son ou
ses collègues pour se faire délivrer: il doit pour cela obtenir une
sentence de l'Election. On a conservé de nombreux dossiers de
ces procès, qui montrent les irrégularités et difficultés de la
perception. A Saint-Aubert, élection de Falaise, deux collecteurs
assignent le porte-bourse en règlement de comptes pour se faire
délivrer : les deux prisonniers établissent qu'ils ont avancé l'un
28 1., et l'autre 10 1. en sus de leur impôt, tandis que le porte-
bourse, ayant encaissé 896 1., n'en a versé que 864 au receveur2.
Pareillement à Bellon, dans la même élection, un collecteur est
emprisonné quoiqu'il ait payé tout son impôt et avancé 100 1.,
tandis que ses collègues, demeurés en liberté, détiennent entre
leurs mains 114 1. qu'ils ont reçues et non versées*. Voilà un
fjrave inconvénient de la responsabilité collective des col-
ecteurs.
Ces emprisonnements avaient été une calamité pour la Nor-
mandie, avant 1661. En 1643, les Etats disaient : « Les prisons
regorgent en tous lieux de gens que la seule misère, et non aucun
défaut de bonne volonté, ont empesché de payer au roy, non
point leurs tailles, mais celles de leurs voisins, que leur chétive
condition a mis en estât de ne craindre aucune exécution. Il en
est mort plus de cinquante dans la seule prison de Pontaude-
mer4. «Lorsqu'on octobre 1648, Maignart de Bernières avait fait
une chevauchée dans la province, il avait trouvé quantité de
collecteurs dans les prisons, la plupart pour des motifs illé-
gitimes; il avait appris que les collecteurs n'osaient se rendre
aux marchés des Andelys, de Vernonetde Gournay, par crainte
d'y être arrêtés sur l'ordre des receveurs, et ils envoyaient à leur
place leurs femmes et leurs enfants porter l'argent à la recette5.
Ces rigueurs étaient du reste générales dans tout le royaume.
« On s'est servi, dit une Mazarinade, de cruautés et de tortures
capables de tirer de la mouèlle des os des malheureux François,
qui eussent esté bien aises d'en estre quittes pour abandonner
tous leurs biens et paistre l'herbe comme de pauvres bestes,
s'estant veu tout a la fois 23000 prisonniers dans les provinces
du royaume pour les taxes des tailles et autres imposts, dont il
1. Mémoire du 1" septembre 1683, A. N. G7 71.
2. A. D. Calv., Plumitif de l'Election de Falaise, à la date du 26 février 1677.
3. lbid., à la date du 10 février 1677.
4. De Beaurepaire, Cahier»,., règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 115
(art. 48). Les Etats demandent la remise des restes de taille de 1635 à 1642, mais
• le Roy ne peut accorder cette demande ».
5. Chevauchée de Maignnrd de Bernières, publ. par Félix, dans le Précis ana-
lytique des travaux de C Académie de Rouen, 1877, p. 177 et suiv.
LES EMPRISONNEMENTS. 491
en est mort 5 000 hommes dans cette langueur, l'an 1646, ainsi
qu'il se vérifie par escroùes et registres des geôliers1. »
Colbert se proposa de réduire au minimum ces emprisonne-
ments. Il n'y a rien, disait-il, « qui soit si préjudiciable a
l'Estat que l'emprisonnement des sujets du roy,.. rien de plus
précieux que le travail des hommes » ; « c'est assurément ce
qui est le plus préjudiciable aux sujets du roy, vu que pendant
qu'ils sont en prison, leur travail est entièrement interrompu » 2.
Les intendants eurent donc pour mission d' « empêcher l'em-
prisonnement des collecteurs autant qu'il sera possible3 », et le
ministre était convaincu qu'on pouvait considérablement réduire
le nombre des prisonniers sans nuire au recouvrement. « Un
si grand désordre, écrit-il en 1670 à l'intendant de Tours, qui
lui signalait la fréquence de ces emprisonnements, sans doute ne
vient que de l'inégalité dans l'imposition des tailles et des frais
qui se font pour les recouvrer4 »; « il y a peu d'apparence, dit-
il encore, que ce désordre vienne des peuples, vu les grandes
diminutions que le Roy a accordées pour les tailles, ce qui me
donne beaucoup de sujet de croire que cela vient des rece-
veurs5 ». Il faut donc que les intendants s'informent de tous
les cas particuliers, et lui en adressent des mémoires détaillés
pour qu'il en parle « fortement » aux receveurs généraux6; on
privera, s'il le faut, quelques receveurs de leur exercice pendant
un an « pour servir d'exemple7 ». Il félicite celui de ses subor-
donnés qui a le moins d'emprisonnements dans son départe-
ment8; il blâme ceux qui en ont beaucoup, écrivant par exemple
à deux d'entre eux, à une semaine de distance : « Il n'y a point
de généralité où il y en ayt tant que dans la vostre9. » Il exerce
un contrôle permanent en se faisant adresser régulièrement
les états des prisonniers : dans les premières années, il en
demandait un par an; en 1670, il en demande à l'intendant
1. La requesle des trois estats, présentée à Messieurs du Parlement, Moreau,
Bibliographie des Mazarinades , n° 236. V amende honorable de Jules Mazarin,
donne 25 000 prisonniers et 6 000 morts. 11 n'est pas besoin de faire remarquer
longuement l'incertitude de ces chiffres.
2. Lettres à Vovsin de la Noiraye. 1er août 1670, Clém., II, 71; à Tubeuf,
1679, ibid., 105; à' de Menars, 16 juillet 1681, Depping, t. III. p. 289. Il écrit
encore à Tubeuf le 1er août 1680 : « l'emprisonnement d'un homme luy oste le
moyen de travailler et de nourrir sa famille, qui tombe indubitablement dans la
mendicité; je vous prie de vous appliquer tout de bon a ce point, qui est assu-
rément le plus important de tous ». (Clém. II, 137.)
3. Clém., II, 220; cf. p. 70-73, 131-137, 231, etc.
4. Ibid., p. 71. (Lettre du 1er septembre 1670.)
5. Ibid., p. 137. (Lettre du 1" août 1680.)
6. Lettre à l'intendant de Rouen, 6 avril 1674, ibid., p. 231.
7. Lettre à l'intendant de Tours, 1er août 1680, ibid., p. 137.
8. Lettre à Le Camus, intendant d'Auvergne, 18 juillet 1670., ibid, p. 70-71.
9. Lettres à l'intendant d'Orléans, 25 juillet, et à celui de Tours, 1er août 1670.
Clém., Il, 71 et 72 n. Ces lettres étaient motivées par les états, envoyés dans le
courant de juillet par tous les intendants, à la demande de Colbert; ils semblent
perdus; voir l'analyse des lettres qui les accompagnaient, dans le vol. Clairamb.,
792.
,'J LA TAILLE KN NORMANDIE.
d'Orléans un tous les six mois ' : puis, en 1680, par circulaire
il invite tous les commissaires à lui rendre dorénavant « compte
tous les trois mois sans y manquer du nombre des prisonniers
qui sontarrestés soit pour le fait de la taille, soit pour les droits
[des] fermes* ».
Quelques intendants lui soumirent leurs craintes de voir tarir
les recettes par ces mesures : « Il est pourtant certain, lui disait
Tubeuf en 1670, que la contrainte par corps est nécessaire
pour la facilité du recouvrement des deniers de Sa Majesté, non
seulement parce que les paysans qui doivent la taille et le sel
n'ont point de meubles exploitables dans leurs maisons, mais
encore par la négligence des peuples, qui ne payent que le plus
tard qu ils peuvent' ». Mais la majorité reconnut la justesse
des vues du ministre. — « Il est certain, écrivit celui d'Alençon,
que si les receveurs vouloient, ils pourroient fort bien faire le
recouvrement sans emprisonner, cela paroist par une infinité
d'eslections qui ne sont pas meilleures les unes que les autres,
dans lesquelles les receveurs ne se servent point de cette voye*. »
— « J'ay fait convenir tous les receveurs, déclara celui de Rouen,
qu'il est presqu'inutil d'emprisonner les collecteurs, que cela ne
produit que des frais, et ne fait point venir d'argent a la
recepte 5. » La seule précaution que prit Colbert, pour éviter
l'inconvénient signalé par Tubeuf, fut de ne pas publier la réso-
lution prise : « L'intention de Sa Majesté, écrivit-il, n'est pas
que vous rendiez cet ordre public, parce qu'Elle sçait bien que
cela pourroit faire un mauvais effet6 »; il faut « bien empescher
que la malice ne s'augmente par l'indulgence7 ».
Nous n'avons guère d'indications sur le nombre des collec-
teurs prisonniers avant 1669 8; mais pour les années suivantes,
un certain nombre de statistiques nous fournissent des rensei-
gnements utiles.
En juillet 1670, sur six élections de la généralité de Rouen,
1. Clém., II, 72 n.
2. Circulaire du 1" juin 1680, Clém., II, 133, et Depping, Correspondance, III,
p. 30.
3. Tubeuf à Colbert, 21 février 1669. M. C. 150,>'^ f 537, v°.
4. Mémoire du 1" sept. 1683, A. N., G1 71.
5. Lettre de Leblanc, 18 juil. 1679, A. Nat. G7 491 ; autre du même, 27 juin 1680,
ibid. Son prédécesseur, Barin de la Galissonnière, écrivait le 29 juin 16i59 : « Il
est à craindre que, n'y ayant point de cidres sur lesquels on puisse asseoir des
exécutions, et les bleds estans a non-prix, lesdits receveurs et commis ne rendent
les emprisonnemens plus frequens, ce qui est encores plus ruineux que tout le
reste, car outre les frais des huissiers et des geolliers, ce sont gens dont le tra-
vail, qui est bien souvent toutes leurs richesses, est inutille ». M. C. 150, f° 235.
6. Lettre a l'intendant d'Orléans, 25 juillet 1670, Clém., II, 72, note.
7. Lettre du 7 juin 1679, Clém., II, lO'i-103.
8. Cf. cependant un procès-verbal de visite des prisons d'Alençon, du 6 mars
1666 : sur 26 détenus, il y en a 8 pour la taille, 9 pour amendes de bois ou faux-
saunage, un pour la chambre de justice; les motifs des 8 autres ne sont pas indi-
qués. (B. N. fr. llttSt, f" 21-25.) D'après ces chiffres, la taille aurait fourni à elle
seule environ le tiers de la population des prisons.
LES EMPRISONNEMENTS. 493
trois, les Andelys, Gournay, et Vernon, n'ont pas de prison-
niers1; celle de Rouen en a deux, mais tous deux pour avoir
dissipé les deniers de la taille2; celle d'Evreux, trois3; dans celle
de Gisors, les emprisonnements sont « fréquens, les receveurs
s'excusant sur ce que les collecteurs n'ont pas de meubles4 ».
Dans la généralité de Gaen, à la même date, il n'y a pas de pri-
sonniers « présentement », car on les a tous mis en liberté pour
faire les travaux de la moisson ; mais nous ne savons combien
ont été ainsi libérés5. En mars 1671, le receveur général de
Rouen déclare que, les recouvrements étant « de plus en plus
difficiles », il a « esté obligé depuis deux mois de faire empri-
sonner plus de cinquante collecteurs6 ». Dans la même généra-
lité, le 1er avril 1674, l'intendant écrit qu'il a trouvé « un grand
nombre de collecteurs dans les prisons d'Evreux7 »; en juil-
let 1676, « il y a très peu de collecteurs dans les prisons, et on
prend des mesures pour les mettre en liberté8; » en janvier 1678,
« il y a très peu de prisonniers, sy ce n'est au Ponteaudemer,
ou le commis a la recepte de 1676 en a fait arrester 13, et celuy
de 1677, 14 », soit au total 27 9. L'année suivante, les receveurs
s'engagent a n'emprisonner que très peu de collecteurs10, et l'in-
tendant, ayant trouvé à Chaumont « beaucoup de collecteurs
dans les prisons », les libère conditionnellement11. En 1680,
Leblanc obtient pareillement des trois receveurs d'Evreux,
Vernon et Les Andelys, qu'ils ne fassent plus emprisonner de
collecteurs ; à Eu, il y a deux prisonniers, et deux également à
Pont-Audemer12. En 1681, dans les prisons de Montivilliers, « il
n'y a qu'un collecteur, qui, au lieu de payer en recepte, consom-
moit les deniers a plaider13 »; à Dieppe, « il n'y a que quatre
1. Lettre de Barin de la Galissonnière à Colbert, 4 août 1670, B. N. Clairamb.
792, p. 153.
2. Lettre du 19 juillet 1670, ibid., p. 84.
3. Lettre du 16 sept. 1670, ibid., p. 300.
4. Lettre du 6 sept. 1670, ibid., p. 263. — Le 1er oct. l'intendant envoie la liste
concernant les huit autres élections (ibid., p. 337), mais elle est perdue.
5. Chamillart à Colbert, 28 juillet 1670. La liste des prisonniers libérés accom-
pagnait cette lettre; elle est perdue aujourd'hui. (Clairamb., 792, p. 117.). Nous
n'avons pas d'états pour la généralité d'Alençon. L'intendant De Marie, ayant été
malade, n'envoya sa liste que le 15 sept. 1670 (Ibid., p. 85 et 307); elle est aussi
perdue.
6. Barin de la Galissonnière à Colbert, 2 mars 1671 (analyse). B. N. Clairamb.,
792, p. 595. Le 22 mars, Barin envoie la liste complète (ibid., p. 613), qui est
aussi perdue. Le 6 juillet suivant il assure que les emprisonnements sont « moins
excessifs » que par le passé. (M. C. 157, f° 37.)
7. D'après la lettre de Colbert à De CreiL, 6 avril 1674, Clém., II, 231. Colbert
en fait des reproches à l'intendant.
8. Leblanc à Colbert, 13 juillet 1676, B. N. fr. 8759, f° 68.
9. Id., 8 janvier 1678, A. N. G" 491. Cf. ibid., la lettre du 19 juillet.
10. Lettre de Leblanc du 18 juillet 1679, A. N. G? 491.
11. Lettre du 16 juin 1679, A. N. G? 491.
12. Lettres des 29 juin et 4 juillet 1680, A. N. G7 491. Des deux prisonniers de
Pont-Audemer, l'un a « mangé les deniers de la taille », et l'autre « doit 600 1. de
reste de 1679, [et] ne veut pas seulement payer son taux ».
13. Leblanc à Colbert, 29 mai 1681, A. N. G^ 491.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
prisonniers pour la taille, dont deux en ont mangé les deniers,
et les autres en vertu de contrainte solidaire, faute d'avoir
imposé' ». Enfin, en juillet 1682, sur 10 élections pour lesquelles
nous avons des chiffres, deux : Pont-1'Evêque et Pont de Larche,
n'ont pas de prisonniers; à Arques, Montivilliers, Neufchâtel et
Caudebec, il n'y a « que cinq ou six collecteurs, retentionnaires
des deniers »; à Evreux et aux Andelys, il y en a deux; à Hon-
fleur, un, et ù Pont-Audemer, cinq2.
Pour la généralité d'Alençon, nous avons des chiffres pour les
deux années 1078 et 1682. Au 27 janvier 1678, il y a au total
139 collecteurs prisonniers, dont 74 pour la seule élection de
Bernay; seules de toutes, Falaise n'en a aucun9. — En 1682,
les chiffres sont moins élevés : l'élection qui en a le plus est
Mortagne, avec 42, ce qui est « plus... que dans toutes les
autres eslections ensemble ». A Conches, il y en a 3; dans les
autres élections, il n'y en a que très peu, ou aucun *.
A prendre ces chiffres tels quels, on serait en droit de con-
clure que, sauf dans la généralité d'Alençon en 1678, le nombre
des emprisonnements en Normandie n'était pas très élevé. Mais
un certain nombre de réserves s'imposent. De Morangis écrivait
à Colbert, en 1678 : « Je suis obligé de vous faire remarquer
que le nombre des prisonniers change tous les jours, et qu'on
n'en peut jamais avoir un mémoire assuré5 ». Il est donc pro-
bable que nos statistiques ne sont pas exactes, et il y a tout
lieu de croire qu'elles sont plutôt au-dessous qu'au-dessus de la
vérité : geôliers et receveurs avaient intérêt à la dissimuler à
l'intendant, qui lui-même tenait à faire valoir son administra-
tion auprès du ministre. En outre il faut remarquer que nos
états sont tous — sauf précisément celui d'Alençon en 1678, —
du mois de juillet, époque où on libérait des prisonniers pour
la moisson. Ils donnent ainsi les chiffres les plus favorables,
mais ne nous renseignent nullement sur le total des emprison-
nements dans chaque élection, pendant l'année entière, et c'est
ce total qu'il importerait de connaître : peut-être faudrait-il,
pour l'obtenir, multiplier nos chiffres par 10 ou 15, et alors
il deviendrait énorme; mais nous sommes, sur ce point, réduits
aux hypothèses.
On peut cependant tirer de nos états deux conclusions utiles.
1. Même lettre, A. N. G? 491.
2. Lettre» de Leblanc à Colbert, 22 juin, 2 et 8 juillet 1682, B. N. fr. 8761,
P* 58-60.
3. Voici le détail par élection» : Alençon, 8. — Argentan, 1. — Bernay, 74. —
Conches, 9. — Domfront, 5. — Falaise, Ô. — Lisieux, 8. — Mortagne, 26. — Yer-
neuil, 8. (A. Nat. G7 71, à la date du 27 janvier 1678 : état envoyé par l'intendant
de Morangis.)
<*._ Série de lettres de de Morangis à Colbert, 8 juillet-3 août 1682, A. N.
G* 7 1.
5. Lettre du 27 janvier 1678, ibld.
LA SOLIDITE. 493
D'abord, on voit, comme pour les frais d'huissiers, qu'en cer-
taines élections les emprisonnements étaient plus nombreux
qu'en d'autres, soit par la faute des receveurs, soit par «■ l'en-
durcissement » des contribuables. Telles sont Pont-Audemer et
Bernay : « Les receveurs des tailles, écrit encore de Morangis,
en usent fort diversement et il y en a qui savent faire payer
sans user des rigueurs de la prison ; l'élection de Bernay est
accoustumée a ne payer qu'après de grandes contraintes par
corps1. » En outre, à comparer les chiffres des années 1670,
1678 et 1682, il ne semble pas que Goibert soit arrivé, dans
l'intervalle, à réduire les emprisonnements autant qu'il l'aurait
voulu. Son grand effort aboutissait, encore sur ce point, à un
demi-échec.
En définive, les emprisonnements de collecteurs furent une
des plus tristes conséquences du régime de la taille. Dans la
majorité des paroisses, les collecteurs de basse échelle étaient
à peu près sûrs d'aller faire pendant l'année de leur charge
un séjour en prison, à côté des faux-sauniers et des malfaiteurs;
là s'achevait leur ruine, commencée par les saisies et les procès;
là se fortifiait leur haine pour un impôt qui les réduisait à la
misère et les avilissait.
IX. — LA SOLIDITE
Quand les collecteurs sont restés un certain temps en prison
sans rien payer de leur dû, on a recours à un dernier procédé de
contrainte, le plus rigoureux de tous : la solidité. Elle consiste à
saisir les biens d'autres contribuables de la paroisse, considérés
comme solidaires des collecteurs, puisqu'ils les ont nommés 2.
Dans la perception normale, le receveur ne peut pas faire payer
directement les contribuables : l'intermédiaire des collecteurs
est nécessaire, parce que la paroisse est considérée comme une
unité fiscale. « La taille, dit Lebret, est une déte de chaque
paroisse, et non des particuliers habitans d'icelle : quod autem
débet universitas , singuli non debent3 ». Mais le receveur peut
se substituer aux collecteurs, quand ceux-ci sont reconnus inca-
pables de faire la levée, en vertu de cet autre principe, non
moins impérieux, que les sommes imposées doivent être payées,
sauf incapacité notoire ou remise faite par le roi4. De plus, le
1. A. N. G7 71. Let. du 22 juillet 1630. Il signale les receveurs d'Argentan et
Falaise comme faisant le moins d'emprisonnements.
2. Une définition vicieuse est donnée par Cl. Fleury (Institution au droit fran-
çais, t. I, p. 190) : « Les collecteurs sont obligés de payer la taille entière de leur
paroisse, soit qu ils aient été payés des particuliers ou non, sauf leur recours,
c'est ce qui s'appelle la solidité des tailles ». La solidité s'entend des habitants
à l'égard des collecteurs, et non des collecteurs à l'égard des habitants.
3. Quinzième action à la Cour des Aides, Œuvres, p. 473.
4. Les règlements de mars 1600, art. 34, janvier 1634, art. 55, août 1664, art. 43,
496 LA TAILLE EN N<U!MANDIE.
receveur est en droit de rendre les habitants responsables de
la gestion des collecteurs qu'ils ont librement élus, les règle-
ments leur imposant de les choisir parmi les plus solvables.
Les receveurs, non plus que les huissiers ni les sergents, ne
peuvent ordonner de leur chef la solidité dans une paroisse; des
formalités leur sont imposées, de crainte qu'ils ne retombent
trop facilement sur les plus riches contribuables, ne vexent leurs
ennemis et -ne multiplient les frais à leur profit1. Ils doivent
solliciter une sentence régulière de l'Election, en établis-
sant qu'ils ont épuisé les autres moyens de contrainte; les élus
font alors procéder à la « discussion sommaire 2 » des biens de
tous les collecteurs, pour s'assurer qu'il ne reste plus de biens
c exploitables », puis ils délivrent la sentence de solidité3.
Le nombre des personnes à contraindre avait été, par le
règlement de janvier 1634, laissé à l'arbitraire des élus, qui
étaient seulement obligés de les « dénommer par noms, sur-
noms et qualités », mais celui d'août 1664 précisa qu'il serait
de six contribuables choisis sur une liste de douze noms pré-
sentée par le receveur *.
La contrainte pour solidité ne pouvait être exercée que
par saisie des biens meubles, dans les mêmes conditions que
pour les collecteurs; il n'était pas permis de recourir à l'empri-
sonnement : « De fait, dit Lebret, il n'y a que les collecteurs
qui puissent par les edits être contraints par corps,... et combien
même que les collecteurs soient élus par les habitans, et a leurs
périls et fortunes, si est-ce qu'un particulier qui auroit élu le
admettent deux autres cas de solidité, savoir : le refus de nommer des collecteurs,
et la rébellion collective des contribuables. L'établissement de la nomination d'of-
fice des collecteurs supprima le premier cas; quant aux rébellions, elles étaient,
comme on le verra, châtiées par des opérations militaires, qui différaient sensi-
blement de la solidité. L'intendant d'Alençon, dans son mémoire du 1" septem-
bre 1683, distingue un quatrième cas : « le divertissement fait par les collecteurs
des deniers du roy » ; on va voir qu'il rentrait dans le cas général d'insolvabilité
qui nous occupe.
1. Cf. le Recueil d'Orsay : les huissiers demandent souvent des sentences de soli-
dité « afin d'avoir occasion de faire plus de frais sur dix ou douze habitans sol-
vables, qui sont ordinairement nommez pour faire l'avance de ce qui est deu,
qu'ils ne pourroient faire sur deux ou trois collecteurs ». (B. N. fr. 11096, f° 17.)
2. La discussion était, en droit civil, la forme employée pour attaquer la cau-
tion à la place du débiteur : c'est proprement « la recherche que l'on fait d'un
débiteur avant de s'adresser à un autre ".{Nouveau dictionnaire civil et canonique
de droit et de pratique, éd. 1707, in-4°, art. Discussion.) Dans la pratique, le rece-
veur ne faisait pas lui-même la discussion, il sommait les habitants de lui pré-
senter des biens exploitables appartenant aux collecteurs; s'ils n'en présentaient
pas, la sentence était rendue. (Voir par exemple le plumitif de l'Election de Cau-
debec, 1" janvier 1662, A. D. Calv.)
3. Règlement d'août 1664, art. 18.
4. Art. 43. L'art. 18 n'était pas exactement d'accord avec celui-ci, quand il disait
que, en cas de collecteur prisonnier ne payant pas, la solidité serait prononcée
par les élus « contre tel nombre des principaux et plus solvables habitans des
paroisses qu'ils jugeront à propos, selon la force des paroisses où ils seront
demeurons ». Antérieurement, un arrêt du Conseil du 2 avril 1661 n'ordonnait la
contrainte que « contre les maires et eschevins, et non contre les particuliers
habitans ». (A. D. Somme, C 1104, p. 2.)
LA SOLIDITE. 497
collecteur ne pouroit estre contraint par corps a païer ce que le
collecteur devroit1 ».
On avait abusé des solidités, particulièrement avant 1661. A
toutes leurs réunions, les Etats de Normandie s'en plaignaient,
les déclarant injustes et tyranniques, parce qu'elles forçaient
des contribuables à payer pour les autres, après avoir acquitté
leur propre impôt, ruinaient des communautés entières d'un
seul coup 2, et mettaient les peuples a la discrétion des
receveurs ou des traitants3. La Cour des Aides appuyait ces
doléances, et, par des arrêts de 1639 et 1651, avait interdit
les solidités dans son ressort*. Une des revendications des
Nus-pieds révoltés était précisément la suppression de cet
abus 5.
Pescheur a expliqué en détail, dans son mémoire de 1665,
comment le procédé servait les intérêts des receveurs :
« Les receveurs des tailles... [ne] prennent pas un si grand interest
qu'on croid a ce que les tailles soient départies et imposées égale-
ment, ny que les asseeurs soient des plus accommodez habitans de la
parroisse, parce que, quoy qu'il arrive, ils y trouvent tousjours leur
conte, en ce que si ceux qui ont esté mis en charge sont en demeure
de payer, après une légère discussion de meubles, on leur donne des
contraintes solidaires contre telz particuliers qu'ilz veulent choisir,
lesquelz, pour se redimer de la prison ou ilz sont reduitz aussitost6,
vendent leurs meilleurs héritages pour satisfaire a la recepte, et sou-
vent aux receveurs mesmes, ou leur font des obligations stimulées
pour argent preste en eschange de quittances qu'ilz leur donnent de
ce qui leur estoit deub sur leurs contraintes ; que s'ilz ne le peuvent
appréhender après une perquisition de meubles, ilz demandent et on
leur donne encore de nouveaux solidaires jusqu'au dernier habitant;
façon d'agir capable de ruiner les parroisses jusqu'à la dernière con-
sommation 7. »
1. Quinzième action, Œuvres, p. 474. C'est en ce sens qu'il faut interpréter la
règle posée par Domat : « on ne peut pour aucune [contribution] contraindre les
redevables par emprisonnement de leur personne, s'il n'y a quelque délit ». (Le
Droit public, dans ses Œuvres, II, p. 35.)
2. Cf. une lettre du premier président de la Cour des Aides de Rouen,
26 février 1666 : « les babitans de la pluspart des parroisses de ce royaume [ont
été forcés de] vendre leurs usages et communes a fort vil prix pour payer les
tailles et autres grandes sommes de deniers qui se levoient sur eux durant les
troubles ». (M. G. 136, f° 502.)
3. De Beaurepaire, Cahiers..., règnes de Louis XIII et Louis XIV, t. III, p. 26,109,
et supplément, p. 7. Cf. le plaidoyer de Lebrel, cité plus haut. Les Etats géné-
raux de 1483 avaient déjà protesté contre la solidité. (Journal de J. Masselin,
p. 675.)
4. Floquet, Hist. du Parlement, IV, p. 559.
5. De Beaurepaire, Cahiers..., III, p. 270, et Bréard, Les archives de Honfleur,
p. 109.
6. Cependant on vient de voir que la prison pour solidité était interdite.
7. M. C. 33, f° 294. Pescbeur demande qu' « on arreste les concussions des
asseeurs-collecteurs, on oste les protections et on taxe sans distinction ny reserve
suivant leurs facultez et moyens ceux qui n'ont point de cause légitime de
s'exempter ».
LA TAILLE EN NORMANDIE.
32
498 LA TAILLE EN NORMANDIE.
Dans les pi (inities années de Colbert, les sentences de soli-
dité sont nombreuses. Le 2 juillet 1661, la Cour des Aides
condamne douze des principaux habitants de Vasteville ii payer
au receveur des tailles l'arriéré d'impôt de la paroisse pour
1659, montant à 2826 1.; l'arrêt est fondé sur ce que le rece-
veur ne trouve plus chez aucun des collecteurs « aucuns biens
exploitables,... quelque recherche qu'il en aye pu faire1 ». Le
2 mars 1662, la même Cour autorise le commis à la recette de
Chaumont à « prendre douze des plus hauts imposés aux rolles
de Magny en l'année 1659 pour le payement des sommes par
luy demandées pour l'insolvabilité des collecteurs dudit Magny 2 ».
En 1674, elle condamne douze des principaux bourgeois de
Honfleur à payer 23 0001. de taille dues par la ville3.
En octobre 1665, Brévedent, lieutenant général de Rouen,
chargé de démarches auprès des paysans pour développer l'éle-
vage des bestiaux, écrit à Colbert :
« Sur ce que je leur ay faict veoir qu'a présent les choses estoient
gouvernées d'une autre façon et avec ung ordre bien mieux réglé, ils
m'ont dit que, tant que Tarrest de solidité pour les tailles auroit lieu,
on ne verroit point faire beaucoup de nourritures, parce que personne
ne vouloit point estre pris pour ung autre ny payer pour son compa-
gnon. Je croy que cette solidité estant levée, et faisant cognoistre
que ce seroit pour faciliter telles nourritures, beaucoup de personnes
s'y appliqueraient *. »
On a lu plus haut le mot de l'intendant de Rouen en 1674 :
« Faire discuter les paroisses » — c'est-à-dire les mettre en soli-
dité — « est encore un plus grand mal que l'emprisonnement »
des collecteurs6. Enfin l'intendant de Bouville écrit dans son
mémoire du 1er septembre 1683 6 :
« Les solidités... sont aussy faciles a empescher qu'elles sont fas-
cheuses et désagréables aux contribuables, par la peine qu'ils ont a
payer une chose dont ils se sont crus quittes, et que d'ailleurs les
frais de la solidité auxquels ils n'ont pas donné lieu, joints aux sommes
diverties [par les collecteurs] causent un rejet considérable qui les
accable... A quoy bon nommer six solidaires pour lever ce qui reste
deub par les contribuables, si ce n'est pour la facilité des receveurs
qui se font payer promptement par lesdits particuliers solidaires; ne
vaudroit-il pas mieux que les eslus nommassent seulement deux col-
lecteurs, l'un de la première et l'autre de la seconde eschelle pour,
1. A. D. S.-Inf., Registre du Conseil de la Cour, année 1661, f° 14.
2. Ibid., h sa date.
3. Brcard, Les archives de Honfleur, p. 128. En aucun de ces cas, les noms des
douze personnes à contraindre ne sont indiqués, contrairement aux ordonnances.
4. M. C. 132, f° 66.
5. Ci-dessus, p. 75.
6. A. N. G7 7Î. Cf. dans le même sens un mémoire de Bnrin de la Galisson-
nière, M. C. 125, f« 36i.
LA SOLIDITE. 499
avec les collecteurs discutés, faire le recouvrement de ce qui resteroit
deu? Par ce moyen les parroisses ne seroient pas si fatiguées.., et cet
expédient mesme empescheroit beaucoup de solidités que les receveurs
des tailles et principalement les commis font juger sur des procès-
verbaux de discution faits un peu légèrement, lorsque des collecteurs
ne les payent pas aussy promptement qu'ils souhaitent, parce que,
par ce moyen, ils avancent leur recouvrement sans considérer la suite
fascheuse pour la parroisse. »
Les intendants, si du moins on les croit sur parole, sont
arrivés, sur la fin du ministère, à réduire notablement les
solidités. Le 29 juillet 1685, de Morangis écrit que, dans la
généralité de Caen, il n'y en a plus d'exemple1. Mais le pro-
cédé restera inscrit dans la législation 2, et les successeurs de
Colbert le remettront bientôt en honneur3.
Il pouvait arriver que la solidité fût elle-même insuffisante
pour amener les contribuables à s'acquitter. En ce cas les
paroisses étaient déclarées rebelles, et traitées en ennemies du
roi : les troupes venaient les soumettre, et les faisaient payer,
en argent ou en nature. Avant Colbert, on avait eu recours assez
communément à ce moyen extrême, en Normandie. On lit dans
le cahier des Etats de 1643 :
« Il y a cent soldats qui courent la généralité d'Alençon pour lever
la taille, et encor de présent, dedans la vicomte d'Orbec, une compa-
gnie de 50 hommes d'armes, envoyée par le receveur des tailles de
Lisieux, y fait tel ravage que chaque soldat, outre sa nourriture qu'il
prend à discrétion chez son hoste, exige encor de luy 10 s. pour
chaque jour; ils rompent et brûlent les portes des maisons, desma-
çonnent les granges, battent les bleds qu'ils vendent publiquement a
vil prix, et les pailles à demy battues et chargées encore de partie de
leur grain, brûlent aussi les charrettes et charuës, et, aux massacres
prés, ne se pourroit rien faire de plus horrible par l'ennemi 4. »
En 1664 encore, une compagnie de cavalerie opère dans les
villages de l'élection de Valognes qui refusent de payer la
taille; le receveur lui-même se plaint des violences commises,
et Colbert charge l'intendant de surveiller les soldats5. Mais
1. A. N. G^ 213.
2. Il ne sera supprimé que par un édit de janvier 1775.
3. Cf. De Boislisle, Correspondance, t. I, nos 529, 774, 1106, etc. La solidité sera
abolie pour les droits des fermes le 10 février 1688 (ibid., n" 529). Cf. Montesquieu,
Esprit des lois, liv. XIII, ch. xvm.
4. Art. 44. De Beaurepaire, Cahiers..., t. III, p. 111. Cf. le cahier de 1593,
art. 58 : « que l'on n'use plus contre le pcvre peuple des rigueurs de la guerre
au payement de ladite taille;... la difficulté du payement ne procède point de
mauvaise volonté et refus de payer, mais de l'impuissance du peuple, qui est tel-
lement grevé et oppressé des guerres passées qu'il n'a pas la pluspart de quoy se
nourrir ». (Ibid., règne de Henri IV, t. I, p. 30.)
5. Let. de Dugué, 25 juillet 1664, M. C. 122, f° 889. L'intendant écrit en post-
scriptum : «Je vous supliedeme mander si l'intention de S. M. est que les cavaliers
qui sont envoyés dans les villages qui sont en demeure de payer leur taille y séjour-
nent jusqu'à ce qu'ils ayent payé ce qu'ils doivent de toutes les années passées ».
600 LA TAILLE EN KOItMANDIE.
cet exemple est unique à notre époque. L'intendant d'Alençon
écrit en 1683 : Dans cette province, « l'authorité est aussy bien
cstablie, et les peuples aussy soubsmis qu'ils doivent l'estre1 »;
pas n'est besoin de troupes, la crainte de la « garnison » suffit à
retenir les Normands dans le devoir2. Mais dans plusieurs autres
pays les troupes continuèrent à être régulièrement employées*.
1. Mémoire du 1" septembre 1683, A. N. G^ 71.
12. Let. de Leblanc, i juillet 1682, B. N. fr. 8761, f 57, verso.
3. Les recouvrements par logement de troupes étaient d'un usage courant en
Dauphiné, en Poitou, en Limousin, en Gascogne. Dans ces provinces, les agents
du fisc affirmaient généralement « la nécessité de maintenir l'usage des fusiliers
Eour le recouvrement de la taille ». (Let. de l'intendant de Limoges, 1689, De
oislisle, Corresp., I, n° 706). Sans le secours des gens de guerre, « les affaires
n'iroient point » dans la généralité de Bordeaux, écrit Pellot en 1664 (M. C.
113bu f 704); • sans gens de guerre, on ne fera jamais rien » dans l'élection de
Gannat, dit encore Pomereu en 1663 (M. C. 115, f° 265, v°); « on a connu par expé-
rience que l'on ne pouvoit faire payer les cinq eslections de Gascogne sans loge-
ments », dit un mémoire anonyme de 1671 (Clairamb., 793, p. 123), et le receveur
général de Daupbiné écrit à Colbert le 8 octobre 1664 : < Le régiment catalan
ayant ordre de partir de cette province, je va estre sans troupes, et je vous jure,
Monseigneur, qu'elles sont sy nécessaires pour mes recouvremens, que je ne m'en
puis passer sans s'exposer à ne recevoir pas un sol. L'apréhension que les com-
munautés en ont les oblige à satisfaire, et l'exemple des grosses cottes, officiers,
fermiers des nobles et autres, que l'on fait paier par cette voie porte tous les
petis a paier, au lieu que lorsqu'ils se verront fortifiés par les cocs de parroisse,
et qu'il n'y aura plus de troupes pour les ranger, la recepte tarira tout d'un coup».
(M. C. 124, f° 132; cf. une autre lettre du même dans Depping, III, p. 64, et un
mémoire de 1666, M. C. 140, f" 117.) Les mêmes agents pensent que le système
est préférable o celui des contraintes par huissiers : le receveur de Dauphiné
dit qu'il est « plus doux » et qu'il « couste moins de frais • aux contribuables;
Pellot est du même avis (M. C. 127, f° 384); un arrêt du Conseil du 28 sept. 1662,
ordonnant des garnisons dans la généralité de Limoges, publie qu'il a été
« remarqué par experiance que cette voye fait moins de frais aux contribuables
et plus d effet pour le recouvrement que les voyes ordinaires. » (M. C. 115, f° 149.)
Après Colbert, Le Bret vantera le procédé en demandant qu'il soit étendu à tout
le royaume (De Boislisle, Correspondance, t. I, n° 176); D'Aube assurera que
c'est « le moyen le plus efficace pour accélérer les recouvremens », car « il s'agit
en pareil cas d'intimider autant qu'il est possible sans aggraver, et un homme
de guerre en vient a bout plus aisément que les autres hommes » (B. N. fr. 21 812,
. 425-6), et l'intendant de Montauban confirme cette observation en 1696 : on sait,
it-il, « par expérience que des cavaliers et dragons en font plus en huit jours
que des archers et autres employés ne feraient en trois mois ». (De Boislisle,
Correspondance, t. I, n° 1580.) — Colbert, qui en 1658 n'avait pas craint d'encou-
rager son cousin de Terron à recourir au procédé (Clém.,1, 289-291 et 315), ne
l'approuva jamais pendant tout son ministère; à Pellot il écrit le 22 juin 1663 :
« si c'est une nécessité absolue, il faudra s'y résoudre, quoyque, a la vérité, dans
le temps de calme ou nous sommes, ces moyens soyent fort odieux, et qu'il est
bon de ne s'en servir qu'au défaut de tout autre » (Clém., II, 7); à Feydeau de Brou,
intendant de Montauban, le 21 oct. 1672 : Il n'y a « rien qui m'ayt fait tant de
peine jusqu'à présent dans toute la conduite des finances du royaume que ces
contraintes par logement effectif qui se pratiquent dans les généralités de Bor-
deaux et Montauban. » (Ibid, p. 254; cf. ses letttes à d'autres intendants, dans le
même sens, p. 98, 116, 138, 177, 224, 257, etc.) Plusieurs fois il ordonna à ses
subordonnés de « travailler par tous les moyens possibles à retrancher la con-
trainte par logement effectif » (ibid., p. 22'»), mais il était retenu par la crainte
de « préjudicier à la seureté et facilité du recouvrement » (p. 166) ; il écrivait
à Feydeau de Brou le 15 sept. 1673 : « comme il faut, tant pour les recouvremens
ordinaires que pour les extraordinaires, que tout ce qui se fait aboutisse à les
faire payer et à faire venir de l'argent au roy, si vous trouvez que les contraintes
(>ar huissiers ne produisent pas cet effet, il faut sans balancer mettre en pratique
es contraintes par logement » (p. 290; cf. encore p. 315). — V. des ordonnances
pour envoyer des gens de guerre recouvrer les impôts, M. C. 115, f° 149; A. N. O • 12,
l" 146 et 508, B. N. fr. 4180, f» 200.
I
CHAPITRE VIII
LES RECOUVREMENTS. — L'ÉTAT ÉCONOMIQUE
LA LIQUIDATION DU PASSE. II. LA TAILLE DE 1661 A 1672.
III. LA TAILLE PENDANT LA GUERRE DE HOLLANDE. IV. LA FIN
DU MINISTÈRE (1679-1683).
I. — LA LIQUIDATION DU PASSE
Nous avons étudié jusqu'ici le régime de la taille en Nor-
mandie dans toutes ses parties. Il est maintenant possible
d'en examiner les résultats généraux à la fois pour les con-
tribuables et pour le gouvernement. Combien l'impôt a pro-
duit chaque année; quelle répercussion il a eue sur la vie du
peuple, telles sont les questions qui se posent au terme de
cette étude.
Au temps d'Henri IV, la taille levée dans tout le royaume ne
dépassait pas 20 millions1. La guerre entreprise contre la
maison d'Autriche avait fait doubler ce chiffre, et pendant le
ministère de Mazarin on l'avait encore accru, si bien qu'en
1657 les dix-huit généralités des pays d'élections payaient
53 423000 1. En 1660, à la suite de la paix, ce chiffre avait été
ramené à 44 688 000 1. 2, ce qui était encore, par comparaison
avec le début du siècle, une somme énorme. Le régime fiscal,
quelque peu amélioré dans le détail par des règlements comme
celui de 1634, ne s'était pas perfectionné à proportion de cet
accroissement, de sorte qu'on s'était procuré ce supplément de
ressources surtout en extorquant de l'argent aux contribuables,
qui en étaient accablés 3. De multiples signes de misère appa-
raissaient dans tout le royaume 4, et le Trésor n'encaissait
/
1. Forbonnais, Recherches, éd. in-4°, I, p. 107. Revue Henri IV, t. I (1905), p. 19.
2. Voir les tableaux placés en tête du vol. 238 des M. G. et B. N. fr. Nouv. acq.,
20 207 et 20 208. Les différents Etats de la France donnent également des tableaux
d'impositions.
3. Ci-dessus, p. 451 et suiv.
4. Cf. Feillet, La misère au temps de la Fronde, 4e éd.. Paris, 1868, et le discours
d'Orner Talon du 15 janvier 1648, dans ses Œuvres, éd. 1732, t. IV, p. 190.
502 LA TAILLE EN NORMANDIE.
presque rien. Il était clair que cet état ne pouvait durer. En
décembre 1643, les élus de Caen déclaraient à un trésorier
général en chevauchée
« que depuis le long temps qu'ils servent le roy en leurs charges,
ils n'avoient jamais veu l'eslection du dit Caen sy abbattue et ruynée
comme elle est a présent de tous costez, et qu'il y a sergenterie ou il
n'y ayt quantité de paroisses du tout insolvables et incapables de
pouvoir secourir le roy d'aucuns deniers, et que s'il n'est prompte-
ment pourveu d'une grande diminution des tailles aux paroisses
mesme les meilleures de ladite eslection, et a une descharge entière
des misérables, lesquelles ont esté abandonnées et sont en regale plus
par misère que par mauvaise inclination, il n'y a plus moyen de faire
subsister la dite eslection1 ».
Six ans après, les mêmes officiers déclarent que partout
« ils ont remarqué une si horrible misère qu'ilz ne se peuvent
pas persuader qu'il n'advienne de très grandes non-valeurs des
deniers des deux dernières années, et qu'en l'année prochaine
une grande partie des paroisses ne pourront payer leurs dites
tailles, ou très peu* ». Le 24 juillet 1648, les trésoriers géné-
raux de Rouen écrivent à l'assemblée des Bureaux des finances
à Paris que les tailles de la généralité montent à « des sommes
3ui l'accablent entièrement et la mettent dans l'impossibilité
e payer à l'advenir la taille sy elle n'est souslagée d'une dimi-
nution nottable pour la pouvoir remettre. Aussy vous pouvons-
nous asseurer qu'il y a tous les ans un quartier desdites sommes
en non-valleurs3. » Dans l'élection de Carentan, imposée annu-
ellement à moins de 200000 I., les restes au 20 janvier 1659
ftour les quatre années antérieures s'élevaient à plus de 316 000 1. ;
es contribuables avaient donc à payer, outre le courant, une
année et demie d'arriéré, sans compter les vieux restes, tombés
en non-valeurs4. Beaucoup d'autres pays étaient dans une situa-
tion pire encore8, due tout à la fois à l'impuissance et au mau-
1. À. D. Calv., Bureau des Finances, Procès-verbaux de chevauchées.
2. Ibiil. La misère était aggravée cette année par le manqne de blé et plusieurs
incendies de villages.
3. B. N. fr. 7686, f° 11 (Correspondance de Fournival).
4. Etat dressé à la mort du receveur de l'élection, A. D. Calv., Bureau des
finances, Procès-verbaux de différentes affaires, 1659-69, f* 262-301. Sur l'impôt
de 1658, il n'est payé que 39 635 1.; 11 paroisses n'ont encore pas versé un sou.
5. En Guyenne, en 1659, les terres du duc d'Epernon « ne payent rien et n'ont
point fait de rôles d'imposition depuis plus de sept ou huit ans, et toutes les per-
sonnes de qualité, dans l'estendue de la Guyenne, suivent cet exemple » (Let. de
Colbert, 31 août 1659, Clém., I, 360). Dans l'élection d'Orléans, en 1656 « beaucoup
de paroisses » ne font point de rôles, ne nomment pas de collecteurs, les rece-
veurs ne peuvent rien encaisser (Arrêt du Conseil, 10 mai 1656, A. D. Seine-et-
Oise, C, 89). En 1658, on ne peut tirer un sou de l'élection des Sables-d'Olonne
(Clém., I, 289). Cette situation se prolongera après 1661 : en 1662, les terres du
duc d'Arpajon sont exemptées de taille par l'autorité de leur seigneur (Clém., II,
226); le 16 murs 1663 un receveur de Guyenne écrit qu'il n'a « pas encore reçu un
denier des impositions de cette année... les peuples ne paient rien qu'à force de
LA LIQUIDATION DU PASSE. 503
vais vouloir des peuples1. Nulle part on ne pouvait rien recou-
vrer sans violences extrêmes, à tel point qu'en 1661, lorsqu'on
parla au Conseil d'établir une Chambre de justice, certains con-
seillers assurèrent que, par cet établissement, « tous les recou-
vremens cesseroient dans les provinces, parce que tous les peu-
ples courroient sus aux préposés aux recouvremens et aux gens
d'affaires2 ».
La guerre avait, dans une certaine mesure, justifié les
grandes impositions et les rigueurs employées à les lever. Après
la paix, la nécessité de soulager les contribuables apparut à
tous les gens du gouvernement. Le roi disait dans le préambule
des commissions des tailles, expédiées le 12 août 1660 :
« Un des principaux fruicts que nous attendons de la paix qu'il a
pieu a Dieu de donner a nos Estats.., c'est que nous pourrons désor-
mais en liberté travailler a la reformation des abus qui se sont glissez
dans nostre royaume sur le sujet de nos impositions pendant le long
cours des guerres estrangeres et civilles, en telle sorte que nos pauvres
peuples se trouveront égallement soulagez par la manière de lever nos
deniers et par les descharges que nous leur accorderons plus grandes
d'une année à l'autre a mesure que Testât de nos affaires et les engage-
mens ou nous sommes à cause des despenses du passé nous le pour-
ront permettre *. »
Neuf jours auparavant, un arrêt du Conseil, inspiré peut-être
par Colbert4, avait accordé aux contribuables la remise de tout
ce qu'ils devaient pour les années antérieures à 1657, et ordonné
la surséance des contraintes pour les années postérieures. « La
juste impatience ou [S. M.] est pour le repos de ses sujets, disait
le préambule, ne luy [permet] pas de différer davantage à leur
donner quelques marques de sa bonté et à leur faire connoistre
pour ce commencement ce qu'ils en doivent attendre à l'avenir8. »
contraintes. .., les voies ordinaires sont trop faibles. Il semble avec cela que M. de
Saint-Luc prenne plaisir à faire périr mes affaires par ses longueurs et ses diffi-
cultés » (M. G. 115, f° 283). — Forbonnais a justement remarqué que, par suite
de ces mauvais paiements, « les tailles, montées à 57 400 000 1., ne raportoient
pas même autant que lorsqu'elles étoient à 18 et 20 millions, comme avant 1620 »
(Recherches, I, p. 273).
1. Cf. ci-dessus, p. 48. Le 14 août 1648, Mazarin écrit à Servien : « Les peuples
commencent à gouster les douceurs et les espérances qu'on leur a données mali-
cieusement de ne payer presque rien, et le remède à ce mal ne pouvant estre que
la violence, quelquefois bien pire que le mal mesme, les bien intentionnez sont
en petit nombre et ne servent pas à grand'ebose » (Lettres de Mazarin, III,
p. 175). Dans l'élection de Gaen, en décembre 1643, 12 paroisses refusent de payer
la taille, quoiqu'elles soient en état de le faire (Procès-verbal de chevauchée, cité
plus haut).
2. Mémoire de Colbert, 1663, Clém., II, 42.
3. A. D. Calv., Registre de commissions des tailles, 1661-72, f° 13. Cf. une lettre
de Foucquet au Bureau des finances, 24 août 1660, ibid., f° 2, cl Forbonnais,
Recherches, t. I, p. 269.
4. Cf. son mémoire à Mazarin du 1er oct. 1659, Clém., Vil, 176.
5. A. D. Calv., Election de Caen, Registre d'ordonnances 1656-63, f° 322. Cf. les
504 LA TAILLE EN NORMANDIE.
A la vérité, cette opération, qui était une pratique ancienne du
gouvernement', ne causait pas grand dommage au Trésor, car
personne n'espérait recouvrer ces arriérés; le roi, ne perdant
rien qu'une vaine créance, se montrait généreux à bon compte.
Mais la mesure avait l'avantage d'enlever un prétexte aux exac-
tions des receveurs et huissiers, et elle témoignait de la bien-
veillance du souverain pour les contribuables.
Pour réaliser ces promesses, on se heurtait à la nécessité
d'approvisionner au jour le jour le Trésor toujours vide, avec
une administration désordonnée; aussi dès la fin de 1660, le
gouvernement accordait-il des mainlevées de la surséance à des
à des traitants, tels Monnerot et Gourville2, pour percevoir les
arriérés de 1657 à 1660, et les soldats étaient réapparus dans les
villages3. Monsieur étant venu à la Cour des aides de Paris
pour faire enregistrer ledit supprimant une partie des élus, le
27 août 1661, le Premier Président le haranguait en ces
termes :
« Trouvés bon que nous vous demandions si la paix est faite, comme
nous n'en pouvons douter après les publications pompeuses et écla-
tantes qui ont retenty de toutes parts dans le royaume; pourquoi n'en
ressentons-nous pas les effets? Pourquoy les peuples souffrent-ils les
mesmes maux qu'ils souffroient durant la guerre? Pourquoi les mesmes
édits, les mesmes charges, la mesme misère?... Nous souffrons beau-
coup plus que par le passé, puisque nous souffrons sans gloire et sans
espérance. Quels sentiments auront les peuples de tous les feux de
joie qu'ils ont fait pour la paix? 4 »
Il était réservé à Colbert de réaliser ces réformes, dont il
n'a sans doute pas eu seul l'initiative. On a vu comment il
réduisit progressivement les tailles dès 1661 5, et remit un peu
d'ordre dans toutes les branches de l'administration, par le
moyen des intendants. Parallèlement à cette œuvre, il travailla,
dernières paroles de Maznrin au roi, Clém., I, 535, et le préambule de l'édit
d'aoïH 1661 portant réduction du nombre des élus.
1. Henri IV avait fait remise de tout l'arriéré des impôts à son avènement; il
l'avait renouvelée en décembre 1598, et en mars 1G00 il remettait tout ce qui était
dû jusqu'en l'année 1590 inclusivement. (C. d. T. I, 185). Cf. sur ces remises un plai-
doyer de Lebret en 1600, dans ses Œuvret, p. 546. Richelieu en avait fait de même
en 1627 et 1628. En 1647, le roi avait remis 17 millions sur l'arriéré des tailles
(Forbonnais, I, 253). Les déclarations des 13 juillet et 23 octobre 1648 avaient
remis tout l'arriéré jusqu'en 1647 (Néron, t. II, p. 18 et 20).
2. Clém., II, 8. Cf. les Mémoires de Gourville, publ. par Lecestre, avec l'intro-
duction.
3. Cf. la sentence du Bureau des finances de Caen, du 18 novembre 1661 : « Sur
l'advis... qu'aucuns particuliers traictans prétendent s'immisser a faire paier es
eslections de cette généralité les restes deubs des tailles... contre et au préjudice
de l'arrest du Conseil d'Estat du 3e aoust 1660,... [Nous défendons] à touttes per-
sonnes, de quelques quallités et conditions qu'elles soient de s'immisser à la
recette » de ces restes (A. D. Calv. Plumitif du Bureau).
4. Arch. des Affaires étrangères, Mém. et docum., France, 911, f° 150.
5. Ci-dessus, p. 22-23.
LA LIQUIDATION DU PASSE. 505
dans les premières années, à la liquidation du passé. Le but à
atteindre était double : percevoir les impositions arriérées là où
c'était possible, et faire remise aux contribuables de ce qu'ils ne
pouvaient payer, de façon à obtenir chaque année une situation
nette. Il a expliqué ses vues à Mazarin dans un mémoire du
1er octobre 1659 :
« Il est vray que... les peuples ne payent que la moitié ou les deux
tiers de leur taxe dans le courant de cette année [1658] jusqu'en
novembre de la suivante 1659, et n'auront achevé de payer cette impo-
sition peut-estre qu'au mois d'avril ou may 1660, et dans le courant
de cette seconde année, ils payent moitié de leurs impositions anté-
rieures; c'est-à-dire, par exemple, que depuis novembre 1658 jusqu'en
novembre 1659, les peuples payent la moitié de leurs impositions de la
mesme année 1659, un quart de la précédente qui est en 1658, et un
quart de 1657 ; en sorte qu'ils payent toujours une année entière dans
le courant de douze mois1 ».
Si donc on parvenait à n'avoir plus d'arriéré à une certaine
date, on pourrait continuer à n'en avoir plus jamais, sans exiger
davantage des contribuables.
La question de la remise des vieux restes, conformément à
l'arrêt du 3 août 1660, fut discutée à la première réunion du
nouveau Conseil des finances 2. Une simple remise motivée
par 1' « impuissance » des contribuables avait l'inconvénient
d'encourager les mauvais payeurs et de compromettre les recou-
vrements de l'avenir. Le Conseil, dit Colbert, représenta au roi
« Que rien n'avoit esté trouvé jusqu'alors si préjudiciable au recou-
vrement de ses deniers que ces sortes de remises, parce que ses peu-
ples qui payoient règlement et soigneusement n'en profitoient point,
il n'y avoit que les malintentionnés, et qui ne payoient que par la
force, qui, non seulement se confirmoient dans leur opinastreté, mais
mesme atliroient les autres par l'avantage qu'ils y recevoient ».
On résolut donc « d'attendre quelque grande occasion, qui
fust de telle qualité qu'elle ne pust tirer a conséquence, pour
faire cette remise3 », et cette occasion fut la naissance du Dau-
1. Glém., VII, 176.
2. Il appartenait au Conseil, d'après le règlement du 15 septembre 1661, de tra-
vailler à « diminuer et ôter, s'il se peut, toutes les causes de diminutions de
fermes et des non-valeurs des recettes générales et... tenir soigneusement la main
à ce que le recouvrement des dites impositions soit fait dans les temps prescrits
par les ordonnances, en sorte que les dépenses que Sa Majesté assignera sur les
dites impositions soient ponctuellement payées et acquittées » (Glém., II, 750).
3. Mémoire de Colbert sur les affaires de finances, 1663, Clém., II, 47-48. Cf. les
Mémoires de Louis XIV, éd. Dreyss, t. II, p. 398. Dans une lettre du 4 mars 1663,
les trésoriers de France à Grenoble signalaient à Colbert les inconvénients de
ces remises de restes : « La plus grande partie des habitans des communautés
de cette généralité font [difficulté] de payer la taille, et ne la vodront payer a
l'advenir que par la force des gens de guerre, disants que S. M. ayant surcis les
506 LA TAILLE EN NORMANDIE.
phin, arrivée le 1er novembre 1661. Le 5 janvier suivant, un
arrêt du Conseil ordonna la remise. « Le roy, disait cet arrêt,
ayant résolu de donner tous les jours de nouvelles marques
de sa bonté paternelle envers ses peuples », et voulant « par-
tager avec eux la joie » qu'il avait de la naissance d'un fils,
reconnaissant d'autre part qu'il « ne pouvoit faire un bien plus
considérable à ses peuples que de leur remettre tous lesdits
restes, non seulement par les grandes sommes qui sont deues
dans toutes les généralités du royaume, mais mesme par la
multiplicité des contraintes qui causent de grands frais à ses
peuples », les quittait de tout ce qu'ils n'avaient pas payé des
années antérieures à 1657, espérant « les exciter à payer le
plus soigneusement qu'il leur sera possible les impositions qui
seront faites pour l'advenir ». Les receveurs et collecteurs
devaient d'ailleurs vider leurs mains de tous les deniers qu'ils
avaient encaissés jusqu'à la date des présentes1.
L'application de cet arrêt fut laborieuse. Les receveurs étant,
comme on l'a vu, « en demeure de compte » depuis nombre
d'années, on ne pouvait savoir au juste ce qu'ils avaient
encaissé et ce qui leur était réellement dû par les paroissses.
Impossible également de vérifier la recette des collecteurs.
Les Bureaux des finances mirent quatre ans à apurer ces
comptes, leur rivalité avec les Elections contribuant encore â
retarder leur travail2.
tailles du pané, qu'EUe sursoira les présentes et celles de l'avenir, n'ayant qu'a
se detl'endre des exécutions des collecteurs et receveurs pour quelque temps pour
s'exempter de la taille. Pareille sursouyance acoordée en l'année 1648 rendit les
peuples rebelles a la taille durant quatre années, pendant lesquelles lesdits rece-
veurs ny leurs commis ne pouvoietit aller dans lesdictes communautés sans npré-
ention de leur vie... N'estoit lu permission... accordée par S. M. de faire lever la
partie de l'Espargne par les gens de guerre qui sont ù présent dans la province,
il est certain que la taille courante ne se pourroit lever, parce que les plus gros
cottisez, qui ont payez cy-devant leurs cottes desdictes tailles volontairement,
voyant que leurs voysins, pour avoir fait quelque résistance, sont a présent
déchargés du payement de leurs cottes, sans doute ils feront difficulté de les
payer a l'advenir. » (M. C. 115 f° 107). En 1659, dans la région de Joigny, le faux
bruit ayant couru que le roi remettait les restes de l'année précédente, les contri-
buables s'attroupaient pour résister aux huissiers qui voulaient les contraindre à
payer (Arrêt du Conseil du .S mai 16">9, A. D. Seinc-et-Oise, C, 89).
1. A. D. Culv., Election de Cacn, Registre d'ordonnances 1656-63, f° 465. Con-
firmé par la déclaration du 6 mai 106] (A. D. S.-Inf., C. 1463, pièce 9). S. M.,
disait encore l'arrêt, « auroit esté longtemps empesché de faire celle remise par
les fascheuses suites qu'elles ont eues par le pusse, qui ont fait voir que les
peuples, persuadez qu'elles leur seroient tousjours fuites de temps en temps, se
sont endurcis a payer les impositions courantes ».
2. Le Bureau de Rouen ayant, le 20 juillet 1663, commis un élu, Jacques Leva-
vasseur, pour vérifier les quittances des collecteurs et dresser l'état des restes
antérieurs à 1657 (Plumitif du Bureau. A. D. S.-Inf., C 1105; f° 142, v°), celui-ci
mit la plus mauvaise volonté possible à son travail : au bout d'un un, interrogé
sur l'état de sa vérification il vient déclarer au Bureau • qu'il n'a travaillé vertu
de l'ordonnance du Bureau, dont il n'a eu connoissance, mois bien vertu d'arrest
du Conseil du mois de janvier 1662, avec commission » de l'intendant (Ibid.,
C 1166, f° 128, 14 juillet 1664). Quinze jours après, sommé de présenter un état, il
répond « que son greffier luy a dit avoir baillé le procès-verbal de la vérification
LA LIQUIDATION DU PASSE. 507
En 1665, pour en finir, la Chambre des Comptes décide de
faire présenter par les receveurs directement aux Bureaux des
finances leurs états de restes1, de 1638 à 1656 inclusivement.
Pendant plus d'une année encore, les trésoriers de France tra-
vaillèrent à réunir et à vérifier ces états sans que jamais on ne
parvint à savoir « la vérité au vrai ». Suivant un intendant, le
seul moyen d'aboutir eût été d'envoyer des hommes habiles
^dans toutes les paroisses pour « vérifier avec les collecteurs de
chascune année ce qui est deub », mais c'eût été « un travail
de grande discussion2 », qu'on ne pouvait entreprendre3. Les
« reprises » des vieux restes furent faites dans les comptes des
receveurs sans contrôle détaillé, et l'affaire en resta là.
Assurer la perception des arriérés qui n'étaient pas remis,
n'était pas une opération moins délicate que la première.
On ne pouvait songer à la faire faire par tous les receveurs,
chacun s'occupant de l'année où il avait exercé : la même
paroisse aurait été en proie à trois ou quatre receveurs, expé-
diant chacun leurs contraintes; dans la généralité de Clermont,
où les restes, engagés à l'Hôtel de ville de Paris, étaient perçus
par trois receveurs différents, le pays en était ravagé*. Un
traité unique fut donc conclu dans chaque généralité avec un
receveur général 8 qui devait lui-même sous-traiter pour la percep-
tion dans chaque élection; mais alors s'imposait la nécessité de
faire présenter aux receveurs dépossédés des états de restes
exacts.
Un arrêt du Conseil du 30 mars 1662 leur ordonna de fournir
ces états « incessamment » aux Bureaux des finances6, avec
interdiction de rien percevoir, tant qu'ils n'auraient pas obéi.
des restes, en son absence, à M" Henry Piguet, procureur en la Chambre des
Comptes, pour M8 Jean Sonning, receveur des tailles » (Ibid., f° 141, v°,
1er août 1664). Le Bureau ne put jamais en obtenir davantage.
1. Arrêt du 13 mai, mentionné au plumitif du Bureau de Rouen, ibid., C 1167,
f 177, v».
2. D'Herbigny à Colbert, 5 juin 1666, M. C. 138, f° 213.
3. Le 28 septembre 1663, un sieur Lefebvre-Chantereau demande à Colbert qu'on
lui paye ses gages, comme on le lui avait promis, avec les « deniers recelés par
les collecteurs de l'élection de Crespy pendant les années remises »; c'est lui qui
en a fait la recherche, en sorte, dit-il, « qu'il n'en couste rien au roy pour me
faire cette justice » (M. C. 117, f 249). Mais c'est un cas isolé.
4. Le t. de l'intendant à Colbert, 21 octobre 1664, M. C. 124, f° 441. Cf., sur la
désolation du pays, la lettre des Trésoriers Généraux, du 8 mai 1663, ibid.,
115 blt, f° 891 : « Il ne reste dans les paroisses que ce que les dernières violences
n'ont pu arracher, ce que des compagnies entières de gens de guerre n'ont pu
exiger ny emporter, et qui ont laissé une misère et une désolation générale; elle
est plus grande que nous ne pouvons l'exprimer ».
5. Il semble que l'on conclut avec chacun un forfait, basé sur les estima-
tions des intendants : je n'en ai pas trouvé trace pour la Normandie, mais c'est
ainsi qu'on opéra en Auvergne (M. C. 124, f° 4'il) et en Poitou (ibid., 536).
6. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des finances, année 1662, f° 31. Une instruc-
tion fut adressée par Colbert en janvier 1663 aux Bureaux pour appliquer l'arrêt
(ibid., à la date du 26 janvier 1063).
508 LA TAILLE EN NORMANDIE.
La difficulté d'obtenir ces comptes était la même que pour les
restes entièrement remis * ; mais l'opération fut conduite avec plus
de diligence, grâce ;■ I intervention des receveurs généraux qui
y étaient intéressés. Celui de Rouen étant venu se plaindre au
Bureau, le 28 février 1663 2, qu'il n'avait pu obtenir jusqu'ici
aucun état des receveurs particuliers, il se fait délivrer une ordon-
nance pour les contraindre ' ; le 11 septembre suivant, il fait expé-
dier un arrêt du Conseil, qui accorde aux receveurs un délai de
quinze jours pour s'exécuter*, et comme, cinq mois plus tard,
il n'a encore rien obtenu, les receveurs s'étant bornés, dit-il, à
« exciper des advances ou ils prétendent estre pour lesdites
années », quoiqu'ils aient « des deniers en leurs mains de ceux
deubs à ladite recepte générale, ce qui faict voir que leurs
allégations touchant lesdites advances prétendues sont illu-
soires », il obtient une nouvelle ordonnance du Bureau, portant
injonction aux receveurs de fournir leurs états « dans huitaine ».
Cinq semaines après, il réitère encore sa plainte, et fait déli-
vrer une quatrième ordonnance de mise en demeure, qui semble
avoir enfin produit effet. Il ne fallut pas moins de ténacité, dans
les autres généralités, pour aboutir.
L'intervention des intendants ne contribua d'ailleurs pas fai-
blement à ce succès. Un arrêt du Conseil du 6 septembre 1663
leur avait enjoint de se faire « représenter par les receveurs ou
commis aux receptes des tailles les estats certifiez aux peines de
l'ordonnance de leurs restes depuis et compris l'année 1657
jusqu'à présent, avec leurs diligences5 ».
A partir de 1666, les états lurent déposés, non sans lenteur,
du reste. Celui de l'élection de Bayeux est du 10 mai 1666 6,
celui d'Avranches du 5 mars 1666, celui de Caen du 30 jan-
vier 1666, celui de Coutancês, du 23 octobre 1668 7.
Le tableau suivant donne le montant des restes que j'ai pu
connaître' :
1. Le receveur de Valognes représentait au Bureau de Caen le 26 mai 1662
qu'une partie de ses quittances lui manquaient, et il demandait un délai de six
mois pour s'exécuter; et comme il avait à payer les gages de certains officiers, le
Bureau l'autorisait à continuer néanmoins sa perception. A. D. Calv., Plumitif du
Bureau des finances, 16U2, f° 1.2.
2. A. D. S.-Inf., C 1165, f° 46, v°.
3. Ibid., f 203.
4. Ibid., C 1166, f° 67. '
5. Publié dans Godard, Les pouvoir» des intendants, p. 501-503.
6. A. D. Calv., Election de Bayeux.
7. Ibid., fonds de ces élections.
8. Renseignements tirés, pour la généralité de Caen, de la série d'états au vrai
présentés au Bureau des finances; pour celle de Rouen, du plumitif du Bureau,
année 1661 (C, 1164). Je néglige les sous et les deniers. Les blancs dans les
colonnes indiquent que nous n'avons pas de chiffres pour l'élection à la date
considérée.
LA LIQUIDATION DU PASSE.
509
ÉLECTIONS
DATE
DE L'ETAT
1657
1658
1659
1660
1661
Avranches ....
20 juin 1661
4 mars 1666
2 495 1.
néant
10 mai 1666
5761.
857
3 402 1.
5 973 1.
30 janv. 1666
205 1.
108
1413
Carentan ....
20'janv. 1659
105 050
Coutances ....
23 oct. 1668
52
448
706
558
Evreux
26nov. 1661
13 716
Montivilliers. . .
7 déc. 1661
18 000
21 janv. 1666
néant
néant
néant
néant
néant
14 déc. 1661
2 avril 1665
20 595
8 653
26 mai 1662
22 oct. 1663
6 479
4 302
16 mars 1666
375
néant
142
néant
454
Assurer la perception de ces restes dans les paroisses fut
également une tâche délicate. Les contribuables, qui se flat-
taient de l'espérance de n'en rien payer, n'obéissaient qu'aux
plus dures rigueurs, et le gouvernement n'osait pas trop les
presser, par crainte de compromettre la perception du courant.
En Normandie, le recouvrement fut particulièrement entravé
par certaines fautes, volontaires ou involontaires, de l'adminis-
tration. Un monitoire de la Chambre de justice publié dans les
paroisses au début de 1662 avait parlé des remises de restes
« accordées aux peuples... dès années 1656, 1657 et 1658 »;
les contribuables en prirent texte pour ne pas payer les restes
de 1657 et 1658; il fallut un arrêt du conseil du 30 mars 1662
pour les détromper et leur rappeler l'arrêt du 5 janvier 1662 *.
Vers le même temps, on faisait courir de faux bruits sur « la
remise des tailles de l'année courante et des cinq années précé-
dentes »; le Conseil dut encore les démentir2. Enfin, quelques
mois après, on mit en circulation dans les provinces des
imprimés de la déclaration du 6 mai 1662, confirmative de l'arrêt
du 5 janvier, avec ce titre : Remises des restes des tailles, taillon,
subsistances et autres, indéfiniment; il fallut un troisième arrêt
du Conseil pour désabuser les contribuables, qui finissaient
par croire tout de bon à la remise3. En août 1664, encore,
Colbert écrit aux intendants : Veillez à ce que « les peuples ne
se persuadent pas qu'on veut leur remettre ces restes4 ».
1. A. D. Calv., Plumitif de Bureau des finances, année 1662, f° 31.
2. Arrêt du 5 avril 1662, ibid, f° 33.
3. Arrêt du 11 janvier 1663, ibid, Election de Caen, registre d'ordonnances
1656-63, à sa date.
4. Circulaire du 8 août 1664, Clém., II, 9 (donnée à tort comme une lettre à de
Fortia, et datée par erreur du 8 août 1663). Cette illusion des contribuables fut
tenace : encore en 1686, l'intendant de Limoges écrit qu'en certaines paroisses,
on fait « toujours courre le bruit que [les tailles] sont remises, et quelques
décharges qu'ils ayent tous les ans, ils sont toujours en reste » (inventaire des
Archives départementales , Haute-Vienne, série C, p. 274).
%
510 LA TAILLE EN NORMANDIE.
Les intendants eurent mission de surveiller les receveurs
pour que l'opération n'entravât pas le paiement du courant :
aucune contrainte ne pouvait être exécutée sans leur visa; ils
devaient reconnaître « la cause du retardement, et, en cas que
ce soit par impuissance, y pourveoir au prochain département,
cependant donner les ordres nécessaires auxdits receveurs et
commis pour régler de gré à gré des termes avec les collec-
teurs pour le payement de ce qu'ils pourront devoir », enfin,
le cas échéant, faire exécuter par la maréchaussée les paroisses
rebelles '. Cette surveillance était d'ailleurs malaisée. L'intendant
de Moulins écrit le 5 mars 1665 : « Jusqu'à présent, il m'a esté
impossible de n'avoir aucune lumière » touchant ces contraintes 2.
Colbert recommandait les ménagements à ses subordonnés :
« Quant aux restes..., il en faut prolonger le payement en sorte
que les peuples en puissent recevoir quelque soulagement en
leur misère3. » Mais le besoin d'argent commandait, et il fal-
lait, malgré tout, assurer le recouvrement. Le 4 mars 1666, le
ministre écrivait à Voysin : « Le roy ayant tiré des assignations
sur les restes de taille deubs de la généralité de Rouen depuis
l'année 1657 jusques a présent, que S. M. désire de s'acquitter,
je vous escris ces lignes pour vous dire que son intention est
que vous visiez les contraintes décernées contre les paroisses
redevables par les receveurs des tailles, en tenant la main qu'il
ne s'y fasse pas de vexations \ »
La levée se fit cependant avec rigueur. Dans les provinces
où les restes étaient élevés, comme 1 Auvergne et la Gascogne,
les receveurs ne pouvaient rien tirer que par des solidités et
des logements de troupes5. La Normandie fut parmi les moins
1. Arrêt du 6 septembre 1663, dans Godard, Les pouvoirs des intendants, p. 502.
Cf. l'arrêt du Conseil du 30 mars et la déclaration du 6 mai 1662, A. D. Calv.,
Election de Caen.
2. M. C. 128, P 176.
3. Let. du 8 août 166%, Clém., H, 7. Cf. la lettre à Lejay, 17 juillet 1662 : vos
ennemis vous reprochent de ne pas assez presser les recouvrements, ■ mais j'ay
bien compris que vous avez de bonnes raisons pour ne les pas entièrement satis-
faire en cela, particulièrement à cause de l'extrême misère que la province a souf-
ferte, et qu'il n'estoit pas juste de presser les peuples dans une année si
fascheuse > (ibid., 223).
4. M. C. 128, P 176. Minute de Colbert; non publiée par Clément.
5. En Touraine, en Orléanais, en Poitou, les frais « sont presque aussy grands
que le principal. » Let. de Ch. Colbert, 7 nov. 1665, M. C. 133, £• 176. Sur les
concussions des receveurs en Auvergne, v. les lettres de Joly, 27 nov. 1663, dans
Depping, III, 50. de Fortin, 29 août 166», M. C. 123b", P 537, et de Pomereu,
28 sept. 166 \, ibid., 117, P 251. Charles Colbert écrit le 11 août 16<i4 de Touraine :
« Je vois bien que pour remettre ces recettes-cy pour l'avenir en Testât qu'elles
doivent estre, il faudra de nécessité accorder de grandes descharges pour le passé »
(ibid., 123, P 312), et le 15 novembre suivant : « Les collecteurs et autres hnbi-
tans pris pour la .solidité ont esté poussés à ce point qu'il y a beaucoup de par-
roisscs dont on n'a rien pu tirer, ny par logements de gens de guerre, ny par des
emprisonnemens d'une année entière, et dans cet accablement de restes, il est
impossible qu'ils ressentent beaucoup de soulagement des diminutions qu'on leur
accorde pour le courant, car il n'y a point de bons habitans qui ne soient ou col-
lecteurs redevables de la taille ou du sel, ou pris pour la solidité » (ibid., 125, P 406).
LA LIQUIDATION DU PASSE. 511
accablées par cette perception. Néanmoins il fallut employer,
on l'a vu, les troupes pour faire payer certaines paroisses1, et
l'opération traîna jusqu'aux environs de 1669. Les receveurs
particuliers surtout eurent à souffrir des exigences des leurs
supérieurs. Maintes fois ils furent poursuivis devant les Bureaux
des finances pour avoir à « vider leurs mains » de sommes qu'ils
avaient perçues et non versées, ou pour activer leurs diligences.
A la fin de 1661, le receveur général de Rouen fait emprisonner
les receveurs particuliers d'Evreux, de Rouen et du Pont-
l'Evêque pour leurs restes; celui d'Evreux doit 13 716 1. de
l'année 1659, mais il affirme que les collecteurs lui redoivent
« plus de 20000 l.2 ». Celui de Rouen est en reste de 209 681 1.
pour la même année 3. A celui de Pont-1'Evèque, le receveur
général réclame 50000 1. pour les restes de 1660; mais le
Bureau des finances, après vérification des comptes, réduit le
chiffre à 33 133 1. 4, « pour le recouvrement desquelles, déclare-
t-il, il a faict toutes les dilligences possibles, n'en pouvant faire
de plus pressantes, a joindre que la plupart des commissaires
des tailles de ladite ellection sont décédez3 ». Le receveur de
Montivilliers est également inquiété pour un arriéré de 18000 1.
sur cette année 1659°. Lorsque les receveurs de la généralité de
Caen présentèrent leurs comptes au Bureau des finances, au
début de 1666, il leur était encore dû de notables sommes pour
les années 1657 à 1661, et il n'est pas sûr qu'ils aient jamais pu
les recouvrer entièrement7.
En 1664, Colbert, voulant en finir, projetait d'abandonner
tous ces restes à titre de non-valeurs. Il enquêta auprès des
intendants sur les conséquences éventuelles de cette mesure;
tous furent d'avis qu'elles seraient fâcheuses : « Il ne faut point
flatter les peuples d'aucune remise pour le passé, dit celui
d'Orléans... Il vault bien mieux diminuer les impositions cou-
L'intendant d'Orléans, en 1669, signale « la misère dont souffrent les peuples, tant
à cause de la stérilité des années dernières que par le recouvrement des restes du
passé depuis 1657 jusqu'en 1661 » (Glém., II, 9), et vers le même temps le rece-
veur d'Auch écrit à Colbert : « Si l'on n'arrête la violence avec laquelle l'on fait
lever les restes des vieilles années, assurément cela retardera et peut-estre appor-
tera la ruine de nos recouvremens. » (Let. du 23 avril 1663, M. G. 115"'% f° 657). A
Montauban, en 1663, tout est dû, ou presque, depuis 1657: les paroisses du comté
de Foix, « accoutumées » à ne pas paver, résistent à toutes les contraintes (Let.
de Pellot, 17 sept. 1663, ibid., 107, f° 105;,
1. Ci-dessus, p. 499.
2. A. D. S.-Inf., C 116'», f° 206.
3. Ibid., f° 226. Le Bureau ordonne son élargissement, attendu qu'il a une
caution.
4. Ibid., f°« 199 et 203.
5. Ibid., f° 181.
6. Ibid., f° 214.
7. On ne peut donner des chiffres exacts, parce qu'il manque les états de plu-
sieurs années en diverses élections. Un arrêt du Conseil du 4 octobre 1670 défend
à tous receveurs d'exécuter aucune contrainte pour les restes antérieurs à 1662,
sans l'autorisation du Conseil {Mém. alphab., p. 168), preuve qu'à cette date
l'opération n'était pas terminée partout.
612 LA TAILLE EN NORMANDIE.
notes, alfin que les peuples ne se flattent point d'une des-
charge qui les rend ordinairement mauvais payeurs, surtout les
parroisses qui ont de l'appuv * ». Celui de Grenoble écrit de
son côté : « Il est assurément de la dernière conséquence de
faire espérer des remises de restes aux peuples* », et le receveur
de la même généralité : « Cette surséance [projetée] est de dan-
gereuse conséquence, et n'apportera d'autre soulagement a la
province que celle d'authoriser la désobéissance des méchans
payeurs, qui ne sont pour la pluspart que la cotte des puissans,
car le pauvre païsan paie tousjours la taille des premiers, et ce
qui fait nos non-valeurs, ce sont les fermiers de nos gentils-
hommes et autres mains-fortes3 », et Charles Colbert, en inspec-
tion dans la généralité de Tours :
« Je ne treuve point [de moyen] quy ne tire a conséquence, car de
remettre les restes des années les plus elloignées, comme il a pieu au
roy de le faire cy-devant, on a veu par expérience que cette grâce n'a
produit que de la dureté et de l'opiniastreté parmi les habitans qui en
ont conçu de l'espérance d'obtenir a l'avenir de semblables descharges.
De reimposer les dits restes, il y a selon mon sens moins d'inconvé-
niens;... par là vous empeschcriés les abus et friponneries que les
receveurs peuvent commettre dans une remise générale, vous scauriés
aussy au vray a combien montent les restes sans qu'il soit besoin
d'une plus grande veriffication, car les habitans qui croiroient les
devoir payer par cette reimposition auroient interest d'empescher que
les receveurs ne leur imputassent de plus grands restes qu'ils n'en
doivent. Le plus grand inconvénient que j'y treuve est que cette
grâce, qui coustera beaucoup au roy, se fera sourdement et sans esclat,
en sorte que les peuples ne pourront pas reconnoistre ce nouveau tes-
moignage de la bonté de S. M. en leur endroit, et d'ailleurs il seroit
bien rude aux habitants quy ont bien payés de grand taux et quy ont
fait effort pour se libérer, d'esfre a présent réimposés4. »
Colbert abandonna son projet à la suite de cette consultation;
mais aucune diligence ne fut plus faite contre les receveurs, et
ce qui n'était pas payé en 1668 ne fut jamais exigé. L'affaire,
comme celle des restes antérieurs à 1657, fut abandonnée.
1. Let. des 19 août et 15 décembre 1664, M. C. 123 f° 404, et 126, f* 352.
2. Let. du 25 août 1664. M. C. 123, t 473. Cf. la lettre des trésoriers généraux
de Grenoble ù Colbert, 4 mars 1663, citée plus baut, p. 505, note 3.
3. Let. du 16 mars 1664, Depping, III, p. 64.
4. Let. du 13 août 1664, M. C. 123, f° 404.
LA TAILLE I>E 1661 A 1672. 513
II. — LA TAILLE DE 1661 A 1672
En même temps qu'on travaillait à la liquidation du passé, on
améliorait la perception du courant. Chaque année de nouvelles
réformes étaient accomplies, les contribuables étaient enrichis
et l'impôt diminué. Dans le préambule des commissions des
tailles pour 1664, le roi disait :
« La paix dont par la grâce de Dieu nous jouissons présentement
nous donnant le temps de nous occupper à la réformation des abus que
la licence de la guerre avoit causé au préjudice de nos sujets, notre
principalle pensée est de travailler à leur soulagement. C'est pourquoy
après leur avoir accordé la remise des restes des tailles de dix années
et des diminutions considérables sur les trois années dernières, nous
voulons encore leur augmenter nos grâces pour la prochaine, en telle
sorte que par cela il y aura lieu d'espérer que les contribuables aux
dites tailles ressentiront un soulagement sensible, pourvu que le régal-
lement en soit fait avec soing en faveur des paroisses qui ont été sans
protection. Aussy est-il raisonnable que les dits contribuables satisfas-
sent au payement des sommes auxquelles ils seront imposez *. »
Colbert commentait ce texte dans une circulaire aux inten-
dants du 20 août 1663 : « La diminution ne vous paroistra
peut-être pas fort considérable, [mais] il sera bon de remarquer
qu'elle a esté si grande les années dernières, que la taille est
presque diminuée d'un tiers, et que la partie employée pour le
remboursement des esleus tournera au soulagement des peu-
ples... de sorte que, par ces deux raisons, il y a lieu d'espérer
que les impositions estans bien faites, les peuples les acquit-
teront avec facilité2 ».
L'année suivante, les commissions des tailles vantent encore
les réformes entreprises, et les diminutions d'impôt accordées :
« Encore qu'après la paix nous nous soyons trouvé chargé de beau-
coup de despences, nous avons néanmoins diminué nos tailles de
notables sommes capables de soulager les contribuables, mais à nostre
grand regret ils ne s'en sont pas ressentis au point que nous l'aurions
souhaité à cause de la disette des bledz et autres fruicts arrivée es
années 1660 et 1661 et des maladies qui ont fait mourir quantité des
dits contribuables. C'est ce qui nous a fait résoudre d'accorder encore
quelques diminucions d'une année à autre selon que Testât de nos
affaires le pourra permettre, désirant avec passion (après la refforma-
tion des abus de nos finances) de rétablir le commerce et les manufac-
tures dans nostre royaume, de telle sorte que les marchands et artisans
1. A. D. Galv., Registre de commissions 1661-72, f° 213.
2. Deppiriç, III, p. 33. Cf. le mémoire de Colbert sur les finances, 1663 : « Le
roy travaille à enrichir les peuples par la diminution des impositions ».
(Clém., II, 65.)
IV TAILLE EN NORMANDIE. 33
514 LA TAU. 1.1. I.\ NORMANDIE.
gaignans leurs vies ils payent plus facilement les charges de nostre
Estât*. »
En 1665 encore, le roi rappelle les nouveaux règlements
qu'il a rendus « afin de faire cesser les abus et les vexations
qui se font aux impositiorts et levées de nos deniers ; » il a
travaillé à « résoudre plusieurs suppressions d'officiers des
Elections et autres, a en retrancher d'inutiles employez dans
les estats défi maisons royalles, a revocquer quantité d'ennoblis
par lettres obtenues moyennant finance modicque ou soubz de
faux prétextes, par le moyen de quoy le nombre des contri-
buables se trouvera augmenté au soulagement des pauvres;
outre lesquels advantages, ajoute-t-il, nous faisons estât que le
commerce et les manufactures que nous restablissons fortement
en ce royaume donneront moyen auxdits contribuables de
débiter leurs denrées et gaigner leur vie plus commodément
qu'ils n'ont fait que par le passé* ». En août 1664, en effet, avait
été publié le grand règlement général des tailles, et le 4 juillet
précédent, les saisies, courses et exécutions des huissiers
avaient été minutieusement réglées; puis l'arrêt du conseil du
5 juillet 1665 avait interdit les abus commis dans les rejets
d'impositions.
En 1666, les intendants sont établis à demeure dans les
généralités, surveillent les élus, trésoriers de France et rece-
veurs; ils commencent à dresser leurs mémoires généraux, dont
Colbert s'inspire pour ses réformes3. Cette même année, la
prospérité des campagnes commence à réapparaître*, et le roi
continue à assurer ses sujets de sa volonté de s' « appliquer
avec soin et affection à tout ce qui regarde [leur] bien et soula-
gement... et les faire jouir des fruits de la paix qu'il a plu a
ieu [de] donner5 ».
Dans cette période de 1661 à 1666, un grand effort a été fait
pour hâter les recouvrements,' mais les résultats n'en apparais-
sent pas, à cause de la perception des restes, faite en même
temps. La taille de 1661 était payée avec grande lenteur : au
7 novembre de cette année, les contribuables de lélection de
Vire n'avaient payé que 40 p. 100 de leur impôt6; au 27 octo-
bre 1662, ceux de Mortain n'ont acquitté que 35 p. 100 de l'année
1. A. D. Calv., Registre de commissions de 1661 ù 1672, F 317.
2. Ibid., P 382.
3. Le premier de ces mémoires dont nous ayons connaissance est adressé par
Chamillart le 25 février 1666. « J'ay travaillé avec aplication, dit-il en l'annon-
çant, a reconnoistre les abus qui se commettent dans l'imposition et le paiement
des tailles. J'espère que mon travail ne sera pas inutile ». (M. C. 139, f° 453.)
4. Ci-dessus, p. 70.
5. A. D. Calv., Registre de commissions, 1661-72, P 440.
6. Imposition de l'élection : 357 269 1. Somme payée : 175 649 1. (A. D. Calv.,
Bureau des finances, registre d'ordonnances sur différentes affaires.)
LA TAILLE DE 1661 A 1672.
515
courante, et redoivent beaucoup d'arriéré1. Au 30 juillet 1665,
ceux de Caudebec redoivent 25333 1. sur l'année précédente2.
Au 17 octobre 1665, l'arriéré de Montivilliers s'élève à 1812 1.
pour 1660; 7 720 1. pour 1662, 515 1. pour 1663; nous n'avons
pas les chiffres de 1662 et 16643. Au 1er avril de la même année,
Coutances redoit 28 400 livres sur sa taille de 1663 4. — Au
début de 1666, lorsqu'on put obtenir enfin des receveurs des
comptes en règle, on constata qu'en toutes les élections, ou à
peu près, il y avait des arriérés pour toutes les années depuis
1661. Le tableau suivant, relatif à la généralité de Caen, donne
le montant de ces restes au début de 1666 5 :
ÉLECTIONS
1661
1662
1663
1664
1665
TOTAUX
Avranches (4 mars). .
Bayeux (5 mai) ....
Caen (30 janvier) . . .
Mortain (21 janvier). .
Valognes (14 mars). .
140 1.
5 973
néant
454
280 1.
3 259
3 505
364
1204
1 679 1.
5 706
7 727
2 191 1.
4 219
8 020
15 195
25 261
46 431 1.
77 122
107 394
61 561 1.
98 387
142 040
On voit que l'élection de Bayeux a un arriéré égal à plus du
quart de son imposition annuelle; Mortain et Valognes redoi-
vent chacune plus d'une demi-année d'imposition, sans compter
les restes des années 1657-1660. Mais cet état peut être consi-
déré comme heureux si on le compare à celui de 1661.
Dans les quatre années suivantes, le montant de la taille est
encore réduit progressivement : il passe, pour les 18 généralités
d'élections, de 36 084 610 1. en 1666 à 33 782 210 en 1669
et 33 795 797 1. en 1671 6. Les commissions de 1668 font valoir
cette diminution, d'autant plus méritoire que le roi avait eu à
mettre sur pied ses armées pour la guerre de Flandre :
« Encore que dans l'occasion des guerres qui surviennent il soit
assez ordinaire d'augmenter les impositions pour subvenir aux
dépenses nécessaires pour les soutenir, nous avons néantmoins donné
tel ordre à nos finances que nous espérons satisfaire non seulement
aux charges de nostre Estât, mais aussy à celles de la guerre que nous
avons entreprise dans les Pays bas... sans fouler nos subjects, lesquels
1. Imposition de l'élection en 1662 : 211 396. Somme payée : 75 243 1. L'arriéré
de 1660 s'élève à 7 220 1. {ibid.).
2. Imposition de l'élection en 1664 : 230 400 1. (A. D. S.-Inf., G 1 164, f° 139).
3. Ibid. G. 1 167, f° 226.
4. A. D. Galv., Registre d'ordonnances sur différentes affaires.
5. A. D. Calv., Bureau des finances. Les états de restes avaient été présentés
au Bureau à. la suite d'une ordonnance de celui-ci, du 11 janvier 1666. Les états
des élections de Garentan, Coutances et Vire sont perdus. — Nous n'avons pas
d'états afférents aux années laissées en blanc dans le tableau. — Les sous et
deniers sont négligés dans les sommes ci-dessus.
6. Chiffres des commissions (B. N. fr. 6783).
SIC LA TAILLE EN NOHMAXDIE.
au contraire nous voulons soulager par une diminution que nous leur
accordons sur nos tailles de l'année mil six cens soixante huit en
faveur des paroisses qui se trouveront en avoir le plus de besoing,
faisant estât d'augmenter nos grâces à nos subjects aussitost qu'il aura
plu à Dieu de bénir nos armes et nous donner le succez que nous en
attendons de «a bonté et de sa justice. Et cependant nous espérons les
faire jouir des fruicts de la paix que nous avons faite avec les Anglais
par la liberté du commerce, lequel donnant moyen a nos ditz subjects
de débiter leurs danrées, ils auront de l'argent plus abondament pour
satisfaire au payement de leurs tailles et à leurs alfaires particulières '. »
Aussitôt la paix faite, le roi a « pensé au soulagement de
[ses] subjetz », et réduit encore la taille2, la ramenant à un
chiffre que l'on n'avait pas vu depuis longtemps. En même
temps, Colbert a multiplié ses recommandations aux intendants,
en visant surtout à améliorer les recouvrements. Il n'y a, leur
dit-il en 1670, « rien de plus important pour le soulagement des
peuples que de travailler incessamment à ces trois points : le
premier, de diminuer les frais de contrainte; le second, d'em-
pescher l'emprisonnement des collecteurs, et le troisième, la
saisie des bestiaux3 ». — « Je ne doute pas que vous n'em-
ployiez tous les expediens possibles pour diminuer [les frais],
en déclarant mesme aux receveurs des tailles et aux commis aux
recettes que, si ce désordre continue l'année prochaine, S. M.
fera commettre à leur place4. » — « L'excuse que les receveurs
des tailles prennent pour faire des contraintes sur les peuples
n'est pas bonne, vu que les trois généralités de Normandie ont
esté autant et plus soulagées qu'aucune autre, et qu'il me semble
que les peuples y travaillent davantage et sont fort ponctuels à
payer... L'intention de S. M. est que vous donniez toute l'appli-
cation nécessaire pour faire cesser ces contraintes5. »
Cependant, la misère apparaît a ce moment même dans les
provinces. Comme avant 1661, les recouvrements deviennent
difficiles et les receveurs, pressés par le gouvernement, multi-
plient leurs contraintes. En 1669, aucune élection n'a complè-
tement payé sa taille de 1666; pour la généralité de Caen, cet
arriéré dépasse 73800 1. 6. En octobre 1670, l'élection de la
1. A. D. Calv., Bureau de9 finances, Registre de Commissions, 1661-72, f° 555.
2. Commissions pour la taille de 1669, ibid., P 595. Cf. la let. de Colbert du
24 ocl. 1670 : « le soulagement que S. M. leur accorde [aux peuples] tous les
ans > (Clém., II, 75).
3. Let. ù l'intendant de Rouen, 12 septembre 1670. Clém., II, 73.
4. Let. a l'intendant de Tours, 17 octobre 1670, ibid., p. 75, note.
5. Lot. à l'intendant de Rouen, '26 septembre 1670, ibid., p. 75. Cf. p. 73, la
réponse de Colbert ù Chamillart, 10 octobre 1670; la lettre de ce dernier est dans
Clairamb., 792, p. 337. Voir aussi les lettres de Colbert à d'autres intendants,
Clém., II, 75 et suiv.
6. Arrêt du Conseil du 27 février 1669 (A. D. Calv., Bureau des finances). Le
receveur général de Caen redoit au Trésor pour l'exercice 1666, 27 973 1., mais
LA TAILLE DE 1661 A 1672. 51fl
généralité de Rouen qui est le plus en avance dans ses paie-
ments, Caudebec, redoit encore de quinze à seize cents livres
sur les années 1668 et 1669 ', Dans l'élection de Valognes, au
14 décembre 1671, les paroisses redoivent 11 784 l. de leur
taille de 1670 2. Les arriérés des vieilles années démeurent
impayés : en 1674 un collecteur de Tournebu exécute encore
des contribuables pour la taille de 1662 3; en 1677, un habitant
de Bretteville sur Dive mourra en laissant à ses héritiers des
créances pour la taille de 1660 et 1670, années où il avait été
collecteur porte-bourse4.
Voilà un résultat déconcertant des réformes de Colbert : la
taille a été réduite, la répartition et la levée ont été améliorées,
et cependant les contribuables sont plus malheureux. Comment
l'expliquer? Une première cause n'est pas douteuse : à côté de
la taille, il ne faut pas l'oublier, existaient d'autres impôts, qui
pesaient de tout leur poids sur les paysans; or, la plupart de
ces impôts ont été notablement accrus dans les dernières
années : les droits sur les boissons ont été augmentés, le tarif
douanier de 1664 a été aggravé en 1667, le contrôle des exploits
établi, les droits de Irancs-fiefs perçus avec de nouvelles
rigueurs ; si bien que le produit des fermes est passé de 43 mil-
lions en 1664 à près de 50 en 1670 3; en outre la plupart des
provinces ont eu des troupes à loger, impôt non moins lourd
que les précédents.
Mais ce fait ne peut suffire à tout expliquer : l'accroissement
des impôts indirects fut supporté surtout par les fermiers qui
les percevaient et par les bourgeois des villes, soustraits à la
taille; il fut en partie compensé par les améliorations intro-
duites dans leur régime. Il faut alors recourir à une autre expli-
cation, que Colbert lui-même a donnée. Dans un mémoire de
cette même année 1670, il dit au roi 6 :
« L'on connoist clairement par toutes les différentes relations qu'en
effet la misère est très grande dans les provinces, et quoyqu'elle puisse
estre attribuée au peu de débit des bleds 7, il a paru clairement qu'il
falloit quelque autre cause plus puissante qui produisist cette néces-
sité... Les impositions ont esté diminuées, mais la grande autorité du
roy et le grand respect que les peuples ont pour ses ordres a fait que,
il lui est dû par les receveurs particuliers 73 875 1. ; il a avancé, par conséquent,
45 902 1. au Trésor. Le receveur particulier de Caen à lui seul redoit 26 946 1.,
dont on ne peut avoir paiement.
1. Let. de Uarin de la Galissonnière à Colbert, 20 oct. 1670, Clairamb., 792,
p. 353 (analyse).
2. A. D, Gaiv., Bureau des finances. Etat de restes.
3. A. D. Calv., Plumitif de l'Election de Falaise, à la date du 11 novembre 1674.
4. Ibid., à la date du 13 février 1677. Cf. ci-dessus, p. 417.
5. Forbonnais, Recherches, éd. in-4°, I, p. 379 et 445.
6. Clém., VII, 233 et suiv.
7. Voir sur ce point, ci-dessus, p. 71-72.
518 LA TAILLE EN NORMANDIE.
nonobstant les grandes diminutions qui ont esté faites, ce qui ne pro-
duisoit auparavant que peu de revenus en a produit beaucoup, ce qui
se voit clairement par les tailles, qui, sur le pied de 50 millions
d'imposition ne produisoient au Trésor public que 10 millions, et a
présent, sur le pied de 32 millions S elles en produisent 24... Aussy
1 on a vu les revenus de l'Estat augmenter en mesme temps que les
grandes décharges que V. M. accordoit à ses peuples semblaient les
avoir fait diminuer. »
Ainsi Colbert a nettement vu que les perfectionnements mêmes
du régime de l'impôt avaient rendu cet impôt plus onéreux. Plus
on mettait de soin à le percevoir rigoureusement, plus ses vices
apparaissaient, et plus les contribuables en souffraient. Et le
ministre a tiré de cette constatation toutes les conséquences. H
continue à parler au roi en ces termes :
« L on peut et doit certainement dire que cet estât est trop violent et
qu'il ne peut durer longtemps, ce qui est bien clairement prouvé par
les difficultés que les receveurs généraux ont dans les généralités pour
le recouvrement de la taille, les retardemens de leurs payemens ordi-
naires et les protestations qu'ils font tous les jours de ne pouvoir faire
les prests des généralités sur le mesme pied qu'ils les ont faits les
années dernières, et les assurances que les fermiers 2 donnent que
leurs fermes commencent a diminuer assez notablement. »
Et sa conclusion est que l'impôt, dans son régime actuel, n'est
pas capable de produire autant qu'on lui demande; il faut dimi-
nuer la taille de 4 millions, ce qui sera facile en réduisant les
dépenses pour les bâtiments, l'armée, les fortifications : si le
roi veut ramener ses revenus et dépenses à 60 millions, il « verra
la mesme abondance pendant toute sa vie. »
Le roi écouta un instant ces fortes remontrances. Lorsqu'il
s'agit d'établir le brevet pour 1671, Colbert lui ayant demandé
s'il voulait maintenir le chiffre de l'année précédente, ou au
contraire « soulager ses peuples d'un million de livres »,
Louis XIV répondit : « Il faut... soulager les peuples d'un
million3 ». Mais quelques mois plus tard, le roi formait son
projet de guerre contre la Hollande, et mettait sur pied les
plus grandes armées que fa France eût possédées jusque-là :
l'impôt du logement des troupes venait s'ajouter à la taille : dès
le 26 septembre 1671, l'intendant' de Rouen écrit que l'abon-
dance des garnisons est « très préjudiciable au recouvrement
des deniers des tailles ... Je croy, ajoute-t-il, qu'il est bon de
1. Colbert exagère un peu. Pour arriver au chiffre de 56 millions au temps de
Mazarin, il faut compter les pays d'états, et d'autre part, le chiffre le plus bas
que la taille des pays d'élections ait atteint au temps de Colbert, est de 33 782 210 1.,
en 166«J.
2. Il s'agit des fermiers chargés du recouvrement des impôts.
3. Clém., II, ccxxvn et ccxxviu.
LA TAILLE PENDANT LA GUEUKE DE HOLLANDE. 519
la ménager [la généralité], et surtout de ne la surcharger point
de garnisons * ».
Mais les garnisons vont se multiplier, le trafic cesser2, les
exigences du fisc s'accroître, et les conséquences clairement pré-
dites par Colbert vont apparaître aux yeux de tous.
III. — LA TAILLE PENDANT LA GUERRE
DE HOLLANDE
A partir de 1673, en effet, la situation devient critique. Au
début de l'année, Colbert est obligé de faire rentrer des fonds
au Trésor, et par conséquent d'être plus rigoureux pour les
contraintes. Il écrit à Chamillart le 20 janvier :
« Il est vray que j'ay pressé les receveurs généraux de 1673 de
doubler leurs payemensdans les mois de janvier, février et mars; c'est
pourquoy vous devez apporter quelque facilité et les laisser presser a
proportion les receveurs particuliers des tailles, et ceux-cy les collec-
teurs, et néanmoins chercher les expédients que cela se puisse faire
sans trop de frais; c'est à vous à trouver ce tempérament par vos
soins et par vostre application 3. »
Le souci de trouver de l'argent apparaît dans toutes ses let-
tres. « Je vous recommande toujours, écrit-il à l'intendant de
Rouen le 24 février, de presser le recouvrement des affaires
extraordinaires. Comme la campagne approche, et que le roy
aura besoin de sommes immenses pour pouvoir mettre ses
armées en campagne, je vous conjure de contribuer par la dili-
gence aux secours qui sont si nécessaires à Sa Majesté4. »
A celui de Montauban, le 15 septembre :
1. M. G., 157 bl% f° 562.
2. Cf. le préambule des commissions pour 1672 : « Les grandes levées de
troupes que nous sommes obligez de faire pour la sûreté de notre estât, voyant
tous nos voisins puisamment armez, nous auroient pu obliger par nécessité d'aug-
menter les impositions de nos tailles ; néanmoins nous avons beaucoup mieux
aimé travailler avec la même application que nous faisons depuis dix années à
retrancher toutes les autres dépenses, lesquelles quoique nécessaires a la gloire et
grandeur de nostre royaume, peuvent toutesfois recevoir quelque retardement,
que d'avoir recours à un remède qui auroit peut-estre diminué en quelque façon le
bon estât auquel nous avons mis nos peuples par les grands soulagemens que
nous leur avons accordez » (A. D. Galv., Bureau des finances, registre des com-
missions 1661-1072, f° 707).
3. Clém., II, 264. Cf. la lettre de Colbert à Bazin, receveur général, du
21 avril 1673 déjà citée : il lui demande une avance de 100 000 1., le plus tôt pos-
sible, pour la guerre : « Toutes les fois que je vous ay demandé quelque assis-
tance pour le Roy, vous l'avez fait de si bonne grâce, que je ne puis m'empescher
de vous dire que, si vous envoyez au Trésor royal 100 000 h, sur les impositions
de l'année prochaine, vous ferez en cela chose qui sera fort agréable à Sa Majesté ».
(ibid., p. 283). Voir aussi les lettres à Douilly, receveur général, des 3 février et
1" décembre 1673, ibid., p. 264, note. Le gouvernement, à partir de cette date,
retombe à la discrétion des financiers.
4. Ibid., p. 277. Cf. les lettres à d'autres intendants, sur le même sujet,
p. 278, 280, 284, 288, 289, 291, 300.
5Î0 LA TAILLE EN NORMANDIE.
« Les avantages et la satisfaction du roy, et le salut de l'Estat, pour
ainsy dire, dépendant particulièrement de [V] application que vous
donnerez au détail de toutes les affaires qui doivent produire de
l'argent..., vous devez considérer que la conduite doit changer suivant
les besoins de l'Estat; et d'autant plus que, pendant la paix, on a trop
travaillé par tous les moyens possibles au soulagement des peuples,
d'autant plus ils doivent estre pressés pendant la guerre de fournir
aux besoins de l'Estat, et vous devez aussy vous régler sur ce
pied-là1. »
À Michel Colbcrt, intendant d'Alençon, le 10 octobre : « Il
est nécessaire que vous examiniez toujours, et sans attendre
que vous soyez sollicité par ceux qui sont chargés des recouvre-
mens, ce qui se peut faire pour les accélérer, et, au lieux d'estre
pressé par eux, il faut que vous les pressiez* ». A l'intendant
de Tours le 20 octobre : « Il est nécessaire à présent de
permettre aux receveurs généraux de presser un peu les peuples,
parce que le roy estant chargé d'une grande guerre, et Sa
Majesté n'ayant point augmenté les impositions, il faut faire en
sorte que les receveurs généraux puissent donner des assistances
au roy 3 » .
Et pendant six années consécutives, Golbert reviendra sur le
môme sujet : Nous avons la guerre, il faut à tout prix trouver
des fonds : « Il sera difficile en lestât présent des affaires de
l'Europe, que le roy puisse prendre la résolution de diminuer
les impositions des tailles, vu les prodigieuses dépenses que
Sa Majesté est obligée de faire, et nous courons mesme assez
de risque que le roy voudra les augmenter*. » — « Vous savez
assez combien il importe au service du roy de trouver les moyens,
dans la conjoncture présente, de soutenir les dépenses immenses
de la guerre5. » — « Il est bien important que vous fassiez en
sorte, par vostre application et par les visites fréquentes que
vous devez faire dans les principaux lieux de vostre départe-
ment, que les recouvremens se fassent sans aucune interruption,
et mesme, s'il est possible, avec plus de diligence que les années
passées afin que Sa Majesté puisse tirer les secours que dési-
rent les prodigieuses dépenses qu'Elle est obligée de faire*. »
— Vérifiez les registres de tous les receveurs « pour connoistre
véritablement si les receveurs généraux des finances ont payé
au Trésor royal les mesmes sommes qu'ils ont reçues des rece-
veurs des tailles, et si les receveurs des tailles ont payé aux
1. Clém., H, p. 289-290.
2. Ibid., p. 296.
3. Ibid., p. 300, note 1.
4. Let. à l'intendant *de Rouen, 6 nvril 1074, Clém., Il, 331. Cf. ci-dessus, p. 76.
Même lettre à Mnrilluc, intendant de Poitiers, le 31 août, ibid., p. 359-300.
I. Circulaire du 12 février 1674, ibid., p. 324.
6. Let. à Leblanc, intendant de Rouen, 2'J novembre 1675, ibid., p. 371.
LA TAILLE PENDANT LA GUERRE DE HOLLANDE. 521
receveurs généraux des finances les mesmes sommes qu'ils ont
reçues des peuples1 ».
C'est à ce moment qu'il multiplie les recommandations aux
intendants pour la visite de leurs généralités : « D'autant plus
ce temps-cy paroist fascheux par les appréhensions de la guerre,
d'autant plus il est nécessaire que vous redoubliez vostre appli-
cation pour connoistre et pénétrer toutes les parties de la géné-
ralité en laquelle vous servez, et soutenir les affaires du roy au
point où elles sont à présent et où il est nécessaire de les
maintenir pour le service de Sa Majesté2 ». — « N'y ayant rien
de plus important pour le bien du service [de S. M.] et dans
Testât présent de ses affaires que de maintenir, autant qu'il
sera possible, les peuples en estât de fournir aux grandes
charges que la guerre ordonne de leur faire supporter,
S. M. veut que vous commenciez cette visite aussy tost que vous
aurez reçu. cette lettre » : Vous examinerez tout « le plus en
détail qu'il vous sera possible » : la répartition dans les paroisses,
les exemptions et protections frauduleuses, les frais de con-
trainte et les emprisonnements ; vous favoriserez les manufac-
tures et l'accroissement des bestiaux, « pour attirer l'argent
dans les provinces et les mettre en estât de secourir le roy
en payant bien leurs impositions ». Alors il est prêt à aban-
donner ses réformes les plus chères : examinez « secrètement...
si les défenses qui ont esté faites de la contrainte par corps et
de la saisie des bestiaux sont préjudiciables au recouvrement
de la taille, et s'il seroit plus avantageux de les lever3... » Il
faut avant tout appuyer les receveurs dans leurs recouvrements :
« Comme l'augmentation que [S. M.] a esté obligée de faire
rendra sans doute les recouvremens difficiles, vous devez avoir
encore plus d'égards que par le passé aux avis et aux mémoires
qui vous seront donnés par les receveurs généraux des finances
et receveurs particuliers des tailles ou commis aux recettes en
chacune élection, afin que, ne faisant rien que de concert
avec eux, ils puissent faire leurs recouvremens sans non-
valeurs, et par ce moyen estre en estât de faire régulièrement
leurs payemens au Trésor royal, et mesmes les avances
qu'il est nécessaire de tirer d'eux pour le service du roy4. » —
« Surtout vous devez toujours avoir dans l'esprit de faciliter les
recouvremens et de ne pas croire facilement ce qui vous est dit
contre ceux qui en sont chargés 5. » L'intendant de Caen ayant
fait arrêter le receveur de Do m front pour malversations, se
1. Lel. au même, 23 février 1676, Clém.. p. 373.
2. Let. à Foucault, 1" juin 1674, ibid.. II, 3'tl.
3. Circulaire du 24 avril 1G76, ibid., 374.
4. Let. à De Sèvo, 5 octobre 1674. ibid., 352.
5. Let. à son frère Croissy, 18 octobre 1674, ibid., p. 353.
BU LA TAILLE EN NOIt.MANDIE.
voit blâmé pour avoir agi trop précipitamment4; maintenant
les financiers sont soutenus, même contre les intendants.
Dans les commutions des tailles, le roi s'efforçait de justifier
ses armements et de promettre chaque année la paix prochaine.
Il se vantait de n'avoir pas augmenté les impôts, et d'avoir recouru
aux « affaires extraordinaires » pour se procurer des fonds :
« Quoyque les grandes et prodigieuses despences que nous sommes
obligez de soustenir pour la conservation des places que nous avons
conquizes et pour l'entretenement de toutes les armées que nous
sommes obligez de tenir sur pied nous deussent obliger d'augmenter
considérablement les impositions sur nos peuples, neanmoingt nous
avons mieux aymé nous servir des propositions qui nous ont esté
faictes de quelques moiens extraordinaires pour n'imposer que les
sommes contenues en la présente2».
II prônait les règlements faits pour soulager les contri-
buables :
Nous espérons « qu'après les prises de Dinan, Huys et Limbourg,
Dieu bénira nos armes et nous donnera d'autres avantages dans le
reste de cette campaigne pour le soulagement de nos peuples, travail-
lant présentement a faire des reglemens capables de faire subsister nos
trouppes sans opprimer leurs hostes, a l'observation desquels nous
tiendrons la main3 ».
Cependant la taille était montée de 33 795 797 1. en 1671 à
40 512 666 1. en 1678. Les affaires extraordinaires, comme
l'impôt du tabac (1674) et du papier timbré (1675) s'étaient
ajoutées aux autres contributions, et les logements de troupes
avaient été une charge écrasante pour toutes les généralités du
nord, de l'est et du centre. Aussi partout, on l'a déjà vu*, les
recouvrements étaient devenus très difficiles. Les intendants de
Normandie, dans toutes leurs lettres, écrivent que toutes leurs
diligences sont impuissantes contre la misère : « ceux qui
sont chargez du recouvrement des deniers y trouvent la mesme
facilité que s'il n'y avait point de trouppes, et ils ne se peuvent
plaindre que de la misère du peuple » : telle est la réponse la
1. Clém., II, 347, ■ Le bon ordre veut, dit-il, que, lorsque les intendants
trouvent quelque désordre de cette qualité dans la généralité dans laquelle ils
servent, ils m'en donnent avis pour en rendre compte au roy; ensuite, si S. M.
estime qu'il y ayt lieu de taire un exemple, Elle leur envoyé l'orure de faire arres-
ter celuy qui est accusé, d'informer et de luy faire son procès ». Cf. aussi sa let.
du 24 juillet, p. 348, note.
2. Commissions pour la taille de 1G74, montant à 36 667 404 1. (A. D. Calv.,
Election de Caen). Cf. la lettre de Colbert à De Sève, 2G avril 1674, Clém., II, 335.
3. Commissions pour 1676, A. D. Calv., Election de Caen. La taille monte à
40 230 350 1.
4. Ci-dessus, p. 74-77. En 1675, dans l'élection de Caen, l'imposition de l'usten-
sile, levée en argent, s'élève à 31 875 1. (A. D. Calv., Election de Caen, ordonnance
du 20 novembre 1075).
LA TAILLE PENDANT LA GUERRE DE HOLLANDE.
523
plus optimiste que puisse faire Leblanc aux lettres où le ministre
met en doute les difficultés qu'il lui signale1.
Des états des recouvrements dressés par les intendants en
juin 1679 pour les généralités de Rouen et Alençon nous ren-
seignent sur la situation. En voici le résumé2 :
Imposition . . . .
Somme recouvrée.
Frais taxés. . . .
1678
2 700 000 1.
2 520 484
44 351
1679
2 303 333 1.
913 872
ALENÇON 3
1678 1679
1 703 333 1.
1495 318
21 760
1 124 533 1
366 944
La généralité de Rouen redoit donc 179 500 liv. sur sa taille
de 1678, six mois après la fin de l'année, et celle d'Alençon
208 000 1., soit respectivement 6,6 et 12,2 p. 100 de leur impo-
sition. L'élection la plus en arrière est celle de Mortagne, qui
redoit 108000 1. sur 396800, soit un peu plus du quart, et qui
n'a payé qu'un tiers de son jmpôt de 1679; elle a eu cependant
« beaucoup de frais d'huissiers, et quelque soin que j'aie pris
pour les empescher, dit l'intendant, il est impossible de faire
sortir les deniers sans cela4 ». Les élections les moins mau-
vaises redoivent encore 2 et demi, 3 et 4 p. 100 de leur taille.
Les frais taxés pour 1678 sont en moyenne de 16,4 p. 1000 à
Rouen et 12,8 p. 1000 à Alençon.
Un symptôme grave qui apparaît alors pour la première fois
dans notre période est la désertion des habitants dans les
paroisses les plus chargées d'impôts; en mai 1673, l'intendant
de Rouen doit se transporter dans le pays de Bray, « pour empes-
cher que les taillables n'abandonnent la province5 ». L'année
suivante, les fuites continuent6, et en 1676, Leblanc écrit :
« Il y a peu de villes en cette généralité ou il y ayt eu des troupes
en quartiers d'hiver ; ce sont les grands et fréquents passages qui for-
1. Let. de Leblanc, 8 mars 1676, B. NM fr. 8759, f° 53. Cf. ses autres lettres de la
même année, fos 50, 57 et 59. Voir aussi les lettres de Golbert des 6 avril et
31 août 1674, dans Clcm., II, 331 et 349 : « Je vous avoue qu'il est difficile de se
persuader d'aussy grandes difficultés [de recouvrement] que celles que vous me
dites... »
2. A. N. G7 71 et 491, à la date de juin 1679. Nous avons ici l'état des sommes
encaissées par les receveurs particuliers, mais non celles payées par les contri-
buables aux collecteurs.
3. Dans les chiffres de cette colonne n'est pas comprise l'élection de Mortagne,
l'intendant n'ayant pu voir les livres du receveur.
4. Let. de Morangis, 15 juin 1679, A. N. G7 71.
5. Let. du 19 mai, Glairamb., 793, p. 342 (analyse).
6. Ci-dessus, p. 74-75.
LA TAILLE BU XOIIMANDIE.
cent les bourgeois de les abandonner, j'ay esté obligé cet hyver de
donner des ordonnances portant deffences aux habitans de déserter, a
peine d'amande et de remboursement de nourritures a ceux qui avoient
soulfert les logements pour eux. Quelque soin que j'aye prins d'em-
pescher les désordres pendant le passage des trouppes, dont je crois
que vous n'avez receu aucune plainte, je ne puis guérir de l'appréhen-
sion ceux de Chaumont et du Pont de Larche, lesquels ont presque
tous déserté; j'ay fait scavoir aux villages où ils se veullent retirer
que s'ils les recevoient, on soulageroit les villes a leur despens '... »
La perception de l'ustensile, la même année, provoque de
nouvelles fuites : malgré toutes les instances de l'intendant
de Rouen, les receveurs des tailles n'ont pas voulu s'en charger;
les soldats la font eux-mêmes, allant dans les paroisses où ils
dépensent des sommes « considérables, soubs prétexte qu'on
les met dans des cabarets, ou ils font pîiyer leur despense,
oultre les 20 s. qui leur sont accordez par le règlement du
roya». Les contraintes solidaires sont une autre cause de déser-
tion : le 20 mars 1677, Leblanc rend une nouvelle ordonnance
pour obliger à rentrer chez eux des contribuables de l'élection
du Pont de Larche, qui ont lui pour ce motif3. Les terres sont
abandonnées, et le gouvernement, crainte de voir tomber ses
recettes, en vient a prescrire la culture par voie législative.
Voici une ordonnance de Leblanc, du 20 octobre 1677 :
« Sur les plaintes qui nous ont esté faites en procédant au dépar-
tement des tailles des eslections de cette généralité par les receveurs
d'icelles, que plusieurs particuliers ne font pas labourer et ensemencer
leurs terres et héritages, et les laissent en frische, ce qui prejudicie
au recouvrement et ruine les autres habitans contribuables, lesquels
sont chargez de la taille que devroient payer les propriétaires ou
fermiers desdits héritages. A quoy estant nécessaire de pourvoir, Nous,
intendant susdit, ordonnons que dans le jour et feste S. Martin pro-
chain, les propriétaires et possesseurs desdites terres et héritages
délaissez en frische les feront labourer et ensemencer, autrement et a
faute de ce faire, permettons aux habitans desdites paroisses de les
faire valoir, a la charge de payer sur les deniers de la récolte les taxes
auxquels lesdits propriétaires ou fermiers seroient imposez4. »
Malgré tout, la taille rentre mal, et des dégrèvements sont
nécessaires; au milieu de l'année 1678, Leblanc est obligé de
remettre 7742 1. d'impôt à 29 paroisses de sa généralité, qui,
dit-il, « n'ont point assis la taille par impuissance aux années
1677 et 1678, » ou qui « estoient hors d'estat de satiffaire » à
cause des pertes qu'elles avaient subies; en cinq d'entre elles,
1. Let. du 13 septembre 1676, B. N. fr. 87."j9, f° 72.
2. Lot. de Leblunc, 21 janvier 1676, ibid., f° VJ.
3. B. N. fr. 8 761b\ f" ai.
k. Ibid., r 110.
LA FIX DU MINISTÈRE (1679-1683). 52
les habitants désertaient pour ne plus payer l'impôt1. Son avis
sur le brevet, la même année, n'est qu'un long tableau de
misères et de ruines 2.
IV. — LA FIN DU MINISTERE (1679-1683).
Enfin la guerre cesse. Tout aussitôt, sans attendre les com-
missions, le roi fait savoir, par un arrêt du Conseil du 7 juin 1678,
qu'il réduit la taille de 6 millions, la ramenant au chiffre où
elle était avant la guerre, et il vante très haut cette mesure
dans le préambule des commissions, assurant qu'il a tout
sacrifié au désir de la paix :
« Le. désir continuel que nous avons eu de procurer la paix a nos
peuples nous a fait rechercher tous les moiens de parvenir a une sy
bonne fin; s'est la raison qui nous a porté a nous relascher d'une
partye des grands advantages dont il a pieu a Dieu de favoriser la
justice de nos armes et a proposer des conditions advantageuses a nos
ennemis dans le temps que leur foiblesse nous laissoit en estât d'estendre
nos conquestes et de faire de nouveaux progrès dans leur pays. Et
comme les avances que nous avons bien voullu faire pour ce grand
ouvrage ont commencé de produire reflet que nous nous en estions
promis par la conclusion du traicté avec les estats de Hollande, et
que nous espérons que Dieu achèvera de bénir nos bonnes intentions
par une paix generalle, nous avons résolu de faire gouster les prémices
de la paix a nos peuples, et pour cet effet de réduire les impositions
pour Tannée prochaine 1679 conformément a l'arrest de nostre Conseil
du 7 juin dernier pour leur faire connoistre la satisfaction que nous
avons des efforts qu'ils ont fait pour le paiement des sommes dont
nous avons eu besoin pendant le cours de cette guerre, et l'envie que
nous avons de leur procurer de nouveaux soulagemens lorsque la paix
sera solidement establie3. »
Le recouvrement, dans la pensée de Colbert, devait être aussi
facilité par la suppression des affaires extraordinaires : droits
de francs-fiefs, de tiers et danger, taxes sur les procureurs,
notaires et huissiers, sur les arts et métiers..., et par la réduction
des droits sur le sel et les boissons. Une remise de 2 millions
sur la taille ayant encore été faite en août 1679 4, le ministre
espérait voir à nouveau les écus affluer dans les caisses des
1. Let. du 5 juillet 1671, A. N. G7 71. Cette remise, ajoute Leblanc, « a fait un
très bon effecl, leur ayant donné courage et einpesché les contraintes solidaires ».
2. Voir cet avis à l'appendice II, ci-dessous, p. 536-539. Cf. plus haut, p. 77.
3. A. D. Calv., Election de Caen, registre de commissions. Celles-ci sont datées
du 30 août 1678. Cf. au sujet de cette diminution, la dépêche de l'ambassadeur
vénitien du 28 mai 1680 : « Ma è vero altresi che la maggior parte di questa fu
trovata inesigibile dall' indigenza de' sudditi, e percio fu giudicato meglio
donarla » (Relazioni..., Francia, III, p. 321).
4. Ci-dessus, p. 79.
LA TAILLE EN NORMANDIE.
r<< .veurs, et la richesse dans 1rs maisons paysanes : « La
taille estant a présent sur un pied fort bas, le recouvrement ne
doit presque donner aucune peine, par conséquent ne produire
aucuns Irais ou fort peu1 ». « N'y ayant plus dans toutes les
provinces du royaume que le recouvrement des impositions
ordinaires, [il faut que les peuples] puissent d'autant plus jouir
des fruits de la paix et des diminutions considérables que S. M.
leur a accordées2. »
Il n'omet aucune précaution pour supprimer tout désordre;
il écrit aux intendants en avril 1679 :
« Sa Majesté m'a ordonné de vous faire sçavoir qu'Elle veut que vous
fassiez cette année une visite plus exacte de toutes les élections et
paroisses de ladite généralité que vous n'avez encore fait jusqu'à
présent, et que vous commenciez incessamment, et sans aucun retar-
dement ».
Et il leur rappelle les principaux points à examiner : confec-
tion des rôles, perception par les collecteurs et les receveurs,
frais de contraintes, toutes choses où « il se passe encore
beaucoup de désordre qui ne vient pas à vostre connoissance »;
l'état du commerce, des manufactures, le nombre des bestiaux,
« sources fécondes d'où les peuples tirent de l'argent, non seule-
ment pour leur subsistance, mais mesme pour payer toutes
leurs impositions ». L'inspection des registres des receveurs
fera savoir où en sont les recouvrements et à combien montent
les frais ; « apportez une application particulière a retrancher
tous les frais que les peuples payent et qui ne tournent pas au
profit du roy » ; et surtout prenez « bien garde que les imposi-
tions soyent si justement distribuées que S. M. ne puisse entendre
aucune plainte que les habitants d'une paroisse soient déchargés
d'une partie de leur taille pour en surcharger les autres3 ».
Le 5 mai suivant, il revient sur les frais de contraintes et en
réclame encore l'état*. Le 20 juillet, il dresse son projet de
réforme des élections et greniers à sel5. Le 1er juin 1680,
nouvelle instruction générale, réitérant « pressamment » les
ordres antérieurement donnés pour la visite des élections;
S. M. « désire que vous apportiez encore plus d'application
à cette visite que vous n'avez fait les années dernières,
parce qu'Elle veut que l'égalité et la justice dans les impositions
et le retranchement de toutes sortes d'abus et de frais servent
d'un second soulagement à ses peuples, outre celuy qu'Elle leur
1. Let. de Colbert à l'intendant de Montauban, 17 août 1679, Clém., II, 112.
2. Circulaire du 1" juin 1680, Ibid., 134.
3. Circulaire du 28 avril 1679, ibid., 96-98.
k. Ibid., p. 98.
5. Ibid., p. 110.
LA FIN DU MINISTÈRE (1679-1683). 527
donne par la diminution des impositions »; Elle désire « que
vous vous informiez avec soin de tout ce qui se passe, dans la
réception des commissions, la nomination des collecteurs,
l'imposition et la recette de la taille, que vous en pénétriez tous
les abus, que vous travailliez à y remédier par vous-mesmes »,
et toutes les recommandations antérieures sur les procès, les
frais de contraintes, la saisie des bestiaux reviennent1. Et de
même en 1681, 1682, 1683.
Il explique aux intendants que le soulagement des peuples
dépend de la prospérité économique, plus que de la diminution
des impôts : « La misère des peuples, des villes et des provinces
ne consiste pas aux impositions qu'ils payent au roi, mais
seulement dans la différence qu'il y a du travail des peuples
d'une province à l'autre, parce qu'ils sont à leur aise dès lors
qu'ils veulent travailler2 ». — « Pour ce qui concerne l'imposi-
tion des tailles,... vous ne pouvez rien faire qui leur soit plus
utile [aux peuples] que d'apporter un très grand soin pour
maintenir et augmenter les manufactures de Fécamp et de
Louviers, et faire en sorte que les peuples trouvent de quoy
subsister par ce moyen3 ».
Quand un intendant lui signale la misère persistante, il
l'invite à en chercher les causes ; celui d'Alençon lui ayant
écrit que, dans les élections de Mortagne, Verneuil et Conches,
il avait trouvé « beaucoup de pauvreté », il lui répond :
« Vous devez examiner avec soin d'où peut provenir cette pauvreté,
pour chercher ensuite les moyens de la diminuer, soit par le soula-
gement des tailles, en rejetant sur les autres élections plus accom-
modées ce que vous retrancheriez sur les pauvres, soit en procurant
aux peuples les moyens de gagner leur vie, soit en examinant si cette
pauvreté provient d'une fainéantise naturelle, parce que dans ce
dernier cas ils ne méritent pas beaucoup de soulagement4 ».
Ou bien il les reprend vertement, de se laisser toucher par
des plaintes intéressées :
« Vous m'écrivez que vous ne pouvez me donner vostre avis si le
roy n'accorde une diminution considérable à la généralité [de Riom].
Vous vous laissez un peu trop facilement persuader, et si vous vouliez
bien considérer Testât des impositions des tailles depuis 30 et 40 ans
dans vostre généralité, vous trouveriez qu'elles n'ont jamais esté aussy
basses, et par conséquent, que vous pourriez facilement faire con-
1. Glém., II, 131-135. Cf. let. à Leblanc, 21 nov. 1681 : « Appliquez-vous toujours
à retrancher tout ce qui peut estre contraire au soulagement que le roy désire
donner à ses peuples par toutes sortes de moyens » (ibid. p. 395).
2. Let. à Marillac, 28 nov. 1680, ibid., p. 714.
3. Let. à Leblanc, 21 nov. 1681, ibid., p. 395. Cf. la lettre à de Marie,
4 juillet 1681, p. 163.
4. Let. du 16 oct. 1682, ibid, p. 208.
LA TAILLE EN NORMAND! K.
noisire aux pettplefl comblai) ils sont obliges aux bontés du roy, au
«•ndre aux misera affectées qui ne sont que trop com-
munes dam ta province*. Kn cela vous voudrez bien que je vous dise
dislaites pas à votre devoir, parce qu'il est très impor-
tant au bien de TKstat de ne pas souffrir que les peuples prennent des
impressions de cette nature, quand il y a un si grand nombre de
raisons qui les doivent obliger à en prendre de contraires '. »
De toute cette vigilance administrative, le résultat matériel
lut d'accélérer notablement le recouvrement de la taille, et de
diminuer les non-valeurs, du moins en Normandie. On peut s'en
rendre compte par les états que, chaque année, vers la fin de
juin ou le début de juillet, les intendants lui adressaient*.
Dans la généralité de Caen, au 15 août 1680. la taille de 1679
est toute payée à la réserve de 17 220 1., et sur la taille de
l'année courante les contribuables ont déjà versé 720 293 liv.,
soit 47 pour 100 de l'imposition; l'élection la plus en retard, Mor-
tain, a payé 41 p. 100. Dans celle de Rouen, à la fin de
juillet 1680, le reste de 1679 s'élève à 176336 1. soit 7,6 p. 100,
et sur le courant il a été perçu 876911 1., soit 40,15 p. 100 de
l'imposition. Pour celle d'Alençon, voici le tableau résumé de
quatre états correspondant aux années 1680-1683 :
années
date de l'état
IMPOSITION
PAYÉ
FRAI8
1681
1682
1683
22 juillet 1680
8-31 juillet 1682
id.
30 juin 1083
1 3'i3 333 1.
1 403 333
1 429 500
1569 6'i 7
345 202 1.
1317 061
723 424
607 424
env. 7 210 1.
17 684
5 338
On voit que le paiement du courant, au milieu de l'année, est
égal à 40,6 p. 100 de l'imposition en 1680 et 50,6 en 1682;
quant à l'année 1683, si la proportion n'est que de 38,6 p. 100,
c'est parce que l'état est arrêté un mois plus tôt que les années
précédentes. A cela il faut ajouter que les receveurs particuliers,
mieux choisis, effectuaient ponctuellement leurs versements à la
recette générale, et faisaient même des avances : ainsi à la fin
de juillet 1682, quatre receveurs particuliers de la généralité
d'Alençon avaient payé toute la taille de 1681 au receveur
général, quoiqu'il leur fût dû 47651 1. par les contribuables3.
1. Let. ù de Marie, 7 août 16S0, Clém., II, p. 138. Cf. les lettres toutes semblables
à de Ménars, 21 juin 1679, p. 106 ; à d'Herbigny, 13 nov. 1680, p. 146 ; à de Bezons,
21 nov. 1681, p. 172; à Nointel, 23 mai 1683, p. 110; à Breteuil, 14 juin 1680,
lî. Mun. Amiens, ms. 508, I, p. 157.
2. Voir ces états à leurs dates aux A. N. G7 71 (pour Alencon), 213 (pour Caen),
491 et 492 (pour Rouen).
3. Cet état satisfaisant ne semble, du reste, pas avoir duré. L'intendant de la
même généralité a dressé un tableau comparatif des sommes payées par les trois
LA FIN DU MINISTÈRE (1679-1683). 529
On peut saisir d'une manière très frappante les améliorations
introduites dans les recouvrements entre 1666 et 1683 dans les
comptes des receveurs de Bayeux, qui sont en grande partie
conservés l. Cette élection n'avait pas été mieux en point que
les autres au temps de Mazarin : lorsqu'on dressa les états
de restes, en mai 1666, on reconnut qu'elle avait de l'arriéré
sur toutes les années depuis 1658; le total s'élevait à 66396 1.,
soit près du tiers de l'imposition d'une année2. Quant à la
taille de l'année courante, elle était également très en retard :
48163 1. seulement étaient payées sur 237 200 environ (soit le
cinquième). Un an plus tard, en juin 1667, les restes des
années 1658-61 sont au même chiffre : on ne les recouvrera du
reste jamais; sur l'année 1666, il est dû 36 826 1., c'est-à-dire
environ 15,5 p. 100 de l'imposition.
Mais au bout de quelques années, la situation s'améliore : la
taille de 1671 est entièrement payée en mai 1673; sur celle
de 1672, montant à 235 000 1., il n'est dû que 2 705 1. le 4 dé-
cembre 1673. Puis, de 1673 à 1678, les difficultés réapparaissent;
au 10 août 1675, les contribuables redoivent encore 7 350 1.
de 1673; au 20 décembre suivant, ils redoivent 3 492 1. sur 1674.
Le receveur en exercice pour l'année 1675 n'achève ses paie-
ments à la recette générale que le 29 septembre 1678. A partir
de 1679, le recouvrement s'accélère de nouveau : pour 1679 il
n'est dû que 7 000 1. au 15 août 1680, et 3 408 1. au 22 no-
vembre suivant. Les années d'après, tous les recouvrements sont
effectués lorsque les receveurs rendent leurs comptes, environ
un an après leur exercice 3. La taille est donc tout entière payée
en quinze ou dix-huit mois, comme le désirait Colbert.
Mais tous ces perfectionnements ont eu leur répercussion funeste
sur la fortune des contribuables. Les mendiants se multiplient,
les désertions d'habitants continuent. En 1681, la ville de Gisors
est à demi-déserte, ayant été abandonnée par les tanneurs*. A
Bernay, en 1679, il y a une multitude de pauvres, et l'intendant
assure que si l'on mettait, pour les secourir, une taxe sur les aisés,
« cela pourroit aporter du retardement aux deniers du roy5 ».
élections de Verneuil, Gonches et Bernay à la date du 27 mars de chacune des
années 1683, 1684, 1685 : en 1683, Verneuil a payé 25,8 p. 100 de son imposition,
en 1684, 23,6 et en 1685, 13,6 seulement; et Bernay en 1683, 29,5 et en 1685,
23,4 p. 100, et les frais pour cette dernière sont montés de 655 1. en 1683 à 808 1.
en 1685. (A. N. G7 71). Dans la généralité de Rouen, au 28 février 1680, il reste à
recouvrer 17 p. 100 de l'année 1684 et les collecteurs n'ont versé aux recettes
particulières que 13 p. 100 du courant [ihld. 492).
1. A. D. Galv., Election de Bayeux, états au vrai du receveur.
2. Sur cette somme, le reste de 1665 comptait pour 46 431 1.
3. Voici les dates des derniers versements des receveurs à la recette générale :
1680 : 9 avril 1681; — 1681 : juin 1682. — 1682 : 26 avril 1683. — 1683 : 17 no-
vembre 1684.
4. Leblanc à Colbert, 5 mai 1681, A. N. G7 491.
5. Let. de Morangis, 27 mai 1679, A. N. G7 71. Leblanc écrit le 4 juillet 1680
qu'à Blangy, « le fermier des aydes a fait payer aux brasseurs les droits sy
L\ TAILLE EN NORMANDIE.
34
',3 i LA TAILLE EN NORMANDIE.
On a déji vu. d'après les avis des intendants sur les brevets,
.1rs détails sur cette misère '.
Colbert, d'ailleurs, quoiqu'il en ait écrit aux intendants, savait
Mrs bien que cette misère était profonde et difficile à guérir.
Sa correspondance avec le roi en ces dernières années en fait
foi. En 1680 il lui écrit :
« Si quelque occasion glorieuse au roy se présentoit pour faire la
guerre, les suites en deviendroient très fascheuses. Les fonds dimi-
nuant et les emprunts augmentant, le crédit s'anéantiroit, et il est à
craindre qu'il ne fallust en revenir au 15 p. 100. Mais ce qu'il y a de
plus important et sur quoy il y a plus de réflexion à faire, c'est la
misère très grande des peuples. Toutes les lettres qui viennent des
provinces en parlent, soit des intendans, soit des receveurs généraux
ou autres personnes, mesme des evesques 2. »
Et le 8 juin 1683, trois mois avant sa mort :
« Les intendants visitent les généralités, et en rendent compte par
toutes leurs lettres, qui sont pleines de beaucoup de misère des
peuples ».
A quoi le roi répond :
« La misère me fait grand peine. Il faudra faire tout ce que l'on
pourra pour soulager les peuples; je souhaite le pouvoir bientost3 ».
Mais si Colbert lui propose de réduire ses dépenses, à quoi,
lui dit-il, « l'application de ceux auxquels V. M. veut bien
acquiescer dans la conduite, régie et administration de ses
finances, ne peut rien *, » il reçoit cette réponse : « La grande des-
pence me fait beaucoup de peine, mais il y en a de nécessaires s ».
Le meilleur document qui puisse nous faire saisir l'étendue de
la misère dont parlait Colbert est le résumé, fait dans les bureaux
du Contrôle général, des rapports des commissaires extraordi-
naires envoyés par le roi dans les provinces, — et notamment
en Normandie — en 1687 6. En voici l'essentiel :
exactement, qu'ils ont esté obligez de quitter; il n'y a n présent que luy qui
brasse, ce qui a fait perdre 500 1. de taille à ce bourg. » (ibid. 491).
1. Ci-dessus, p. 78-81.
2. Clcm., Il, 141.
•i. Ibid., p. 292.
h. Ibid., p. 125.
5. Mémoire du 8 juin 1683, ibid., p. 321.
6. • Mémoire sur les finances », B. N. fr. 11 149. La commission, constituée en
mai 1687, se composait de 5 conseillers d'Etat (Pomereu, d'Aguesseau, de Ribeyre,
\oysin et Pelletier) doublés chacun d'un maitre des requêtes (Pomereu le fils,
u'Ormesson, Chamillart, Voysin de la Noiraye et d'Argouges). Ils visitèrent les
généralités d'Amiens, Soissons, Chalons, Bourges, Moulins, Poitiers, La Rochelle,
rlcatis, Tours, Rouen, Caen et Alencon. Le roi leur donna une longue audience
à leur retour, le 28 octobre 1687 (Arcb. Aff. Etr., France, Mém. et doc, vol. 991,
l" 153 et 164). Le mémoire des commissaires de l'Orléanais est publié dans
De Boislisle, Mém. de l'intendant de Paris, p. 781-786.
LA FIN DU MINISTÈRE (1679-1683).
531
« On voit partout des maisons en ruine, des mazures abandonnées
dans les villages, des boutiques fermées dans les villes, presque point
de bâtimens neufs ; depuis soixante ans qu'il y a que la puissance des
huguenots est abbatue, on n'a pu encore relever les églises qu'ils ont
ruinées; on ne voit ni jeux ni divertissemens, le nombre des cabarets
diminue tous les jours, il y a beaucoup moins de manufactures qu'au-
trefois ; en plusieurs villes elles ont cessez entièrement, et les ouvriers
sont réduits à la mendicité... Il n'y a presque plus de laboureurs aisés,
et mesme il reste peu de païsans qui ayent des terres en propre, ce
qui les rends moins en estât de faire valoir celles d'autruy, ils ne
peuvent plus se fournir de chevaux et de bestiaux , les maîtres
sont obligés de leur fournir tout, leur avancer de quoy se nourrir,
payer leur taille et prendre en payement une partie de la récolte ; ils
sortent des maitairies aussy pauvres qu'ils y sont entrés, les terres
mal cultivées rapportent moins et dépérissent, les bâtimens tombent;
la pluspart des terres de France semblent estre en criée, il n'y en a
que trop qui y sont réellement. Ceux qui avoient deux ou trois mai-
tairies en laissent ruiner une ou deux pour conserver l'autre, et y
réunissent toutes les terres. Dans les pays où les tailles sont réelles,
il y a quantité de terres que les propriétaires abandonnent pour la
taille, et les communautés ne trouvent pas qui veuille s'en charger.
Les bestiaux et les laines ont fort diminués de prix, souvent on
ramène les bestes du marché faute d'acheteurs ; on tue peu de bœufs
et de moutons dans les petites villes; a la campagne les plus aisés
mangent rarement de la viande, les pauvres manquent souvent de
pain, mesme du plus noir, et ont esté réduit en divers lieux depuis
peu a vivre de racines ou de glands. La pluspart n'ont plus de meubles
sur quoy l'on puisse asseoir des exécutions; on les trouve couchés sur
la paille sans autres habits que ceux qu'ils portent, et a demy nuds,
hâves, maigres et languissans, n'ayant ni provisions pour vivre ni
rien de réserve. Tout est plein de mandians, quoique dans la pluspart
des bonnes villes on ait depuis trente ans estably des hôpitaux généraux.
« L'effet le plus fâcheux de la pauvreté est la diminution des
familles et des hommes, que les commissaires ont trouvée considé-
rable en comparant les rolles de tailles depuis trente ans, sans compter
ceux qui sont sortis depuis trois ans sous prétexte de religion... La
misère extrême des parens fait qu'il vient moins d'enfans et qu'il en
meurt plus; les mères se font nourrices ou travaillent excessivement;
quantité de jeunesse de l'un et de l'autre sexe vient servir dans les
villes et ne se marie point; quantité portent les armes, des familles
entières s'en vont mendier et périssent dans les hôpitaux...
« L'état présent de la France est donc un état violent qui ne peut se
soutenir. Il ne suffit pas d'épargner les peuples et ne les pas charger
de nouveau, il faut les soutenir et les rétablir. L'épuisement des pro-
vinces vient de ce que l'on en tire de grandes sommes d'argent et
qu'il y en retourne peu... Le revenu de toutes les terres diminue de
jour en jour, et le bled est a plus bas prix qu'il n'a esté de mémoire
d'homme...
« On laisse a la piété du Roy d'examiner sérieusement devant Dieu,
a qui il en rendra compte un jour, quelles sont les dépenses abso-
lument nécessaires pour la conservation de son Estât, et sans lesquelles
sa couronne seroit en péril; ceux qui ne jugent que par l'extérieur ont
MB LA TAILLE EN NOHMANDIE.
peine a croire que l'état du royaume soit tellement changé depuis
cinquante ans que l'on doive a présent dépenser en pleine paix trois
fois autant que Ton dépensoit alors au fort de la guerre. Le roy s'est
acquis trop de gloire solide pour mettre sa gloire dans le vain éclat
d'une magnificence extérieure et dans l'attachement a ne vouloir jamais
abandonner aucune entreprise : la vraye gloire d'un prince est la
prospérité de ses peuples ; ceux qui ont fait les plus grands édifices
ne sont pas ceux dont la mémoire est la plus glorieuse, principalement
quand ces travaux ont eu pour but leur plaisir particulier plutôt que
1 utilité publique. »
Tel est le navrant tableau de l'état des peuples qui se pré-
sente à nous peu après la mort de Colbert. Il renferme la plus
sévère condamnation possible du régime de la taille, qui a été
sinon la seule, du moins la principale cause d'une semblable
misère.
APPENDICE
I. — LE MOT TAILLE
Il y a quelque incertitude parmi les philologues sur l'origine du
nom de la taille. La majorité le font dériver du nom de la règle en
bois nommée taille qui servait — et sert encore — à certains com-
merçants pour tenir leurs comptes : chaque entaille faite dans la règle
correspond à une certaine somme due ou reçue. Ducrot le dit tout au
long en 1627 :
« Et dautant que les leveurs et collecteurs marquoient en ce temps
sur des tailles de bois ce que les particuliers habitans payoient sur
et tant moins de leur taxe (comme font encores aujourd'huy les bou-
langers le pain qu'ils débitent), par succession de temps elles ont été
appelées tailles \ »
Cette explication est également celle de Du Cange, qui cite des
exemples du mot taillia dans les deux sens 2, de Desmaisons 3, de
Couchot 4, de Y Encyclopédie 5, et de la plupart des juristes et lexicolo-
gues du xviie et du xvme siècles 6. Elle a été reprise par les modernes :
Littré, Thomas, Léopold Delisle "', etc.
Des objections à cette explication ont été présentées notamment
par un auteur du xvm° siècle, peu érudit il est vrai, Gaultier de
Biauzat. C'est, dit-il, « insinuer que la taille n'a jamais été payée que
par le bas peuple illetré au point de ne pouvoir écrire ni les rôles
ni les acquits » ; or on sait que les rôles d'imposition romains étaient
écrits, et que Saint-Louis, en 1270, ordonna que la répartition de la
taille dans les villes du Roi fût faite « par escriptures » ; il faut donc
plutôt chercher l'origine de ce mot dans la « forme » que dans « l'effet »
de la répartition 8. C'est pourquoi il adopte une étymologie qui avait
1. Traitté des Aydes, Tailles et Gabelles, p. 340. L'expression « en ce temps »
se rapporte au règne de Charles VII.
2. Glossaire, au mot Tallia, 8°.
3. Nouveau traité des Aydes, Tailles et Gabelles (1666), p. 3.
4. Le Praticien universel, 8° éd. (1738), t. I, p. 416.
5. Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, art. Taille, début.
6. Cf. Guyot, Répertoire de jurisprudence, art. Taille. Loisel de Boismare, Dic-
tionnaire du droit des tailles, t. II, p. 486. — Moreau de Beaumont (Mémoires sur
les impositions, t. II, p. 1), est moins affirmatif. ..
7. Des revenus publics en Normandie... p. 144.
8. Doléances sur les surcharges que les gens du peuple supportent en toute espèce
d'impôt, s. 1., 1788, in-8°, p. 50-54.
534 LA TAILLE EN NOItMANDIE.
été déjà donnée au wi siècle par Pasquier : les deniers levés par
rigneurs sur leurs peuples, dit celui-ci, furent appelés Taille
« parce qu'ils estoient levés par capitation et département, car le mot
de tailler signifie entre nous diviser ' » ; et il cite à l'appui de cette
affirmation un mot latin, taleari, qui signifierait couper et, par exten-
sion, diviser, répartir. Lebret s'est rangé à cet avis 2; d'Espeisses 3 et
quelques autres également4. On pourrait incliner en faveur de cette
étymologie, si elle ne reposait sur une erreur de fait : le mot taleari
en effet, ne se trouve que dans de mauvaises éditions de Pline, et
semble bien être une fausse lecture; les latinistes n'en reconnaissent
pas l'existence.
Un autre érudit, Championnière, a cherché une autre explication :
on trouve souvent, dit-il, dans les textes latins à la suite d énuméra-
tions, l'expression : « vcl caetera his talia » ; l'expression talia seule
aurait fini par prévaloir, « puis on la rencontre seule pour désigner
les mêmes objets; enfin les traducteurs praticiens en ont fait le mot
taille 6. » Il y a trop de fantaisie dans cette hypothèse pour qu'on
puisse s'y arrêter : elle n'a, du reste, été adoptée par personne à ma
connaissance.
Il faut reconnaître que l'explication commune, donnée plus haut, ne
force pas l'assentiment par son évidence : on ne voit pas bien com-
ment l'usage des règles Ae bois aurait pu suppléer à l'écriture à la fois
pour la répartition et pour la levée de l'impôt seigneurial, et on ne
peut guère supposer que l'écriture ait été, dans les seigneuries, telle-
ment ignorée que l'emploi des « tailles » eût été général. Cependant,
on peut citer quelques exemples précis, même au xvne et au xvme siè-
cles, de l'emploi de ces règles pour la levée de l'impôt. A Cirey (en
Champagne), en 1658, le collecteur marque par des encoches sur un
bâton les paiements qui lui sont faits parles contribuables, parce qu'il
est illettré 6. Suivant le jurisconsulte Borel, qui écrit au milieu du
xviie siècle, « il y a encore des villages en Languedoc où l'on garde
de grosses pièces de bois qu'on appelle des souqs, c'est-à-dire des
souches, qui servent de cadastres, c'est-à-dire de règle ou de pied
pour faire l'assiette de la taille, et même on en rapporte souvent dans
des charettes à la Chambre des Comptes de Montpellier pour régler
quelques différends sur les cadastres ou assiètes des tailles 7 ». Enfin
1 intendant de Bordeaux, dans un mémoire du 30 mars 1717, dit qu'en
plusieurs paroisses des Landes « on n'a pu faire avoir [aux collec-
teurs] d'autres rôles que des bâtons sur lesquels ils font des mar-
ques 8 ». Sans doute ces faits, qui sont exceptionnels à la fin de
l'Ancien Régime, on pu être fréquents aux siècles antérieurs, et peu-
vent autoriser à admettre comme vraisemblable, faute d'autre expli-
cation plus certaine, l'étymologie communément donnée. Mais il ne
1. Recherches, ch. vu, p. 86.
2. Quinzième action, dans ses Œuvres, éd. 1689, p. 473.
3. Traité des tailles (1657), dans ses Œuvres compl., éd. 1750, t. III, p. 290, col. 2.
4. Notamment Pastorel, dans Ord. des rois de France, t. XVI, introd., p. xv.
5. De la propriété des eaux courantes, (1846), p. 4%.
.' ' '>i,'et' La misère au temps de la Fronde, p. 298.
7. Trésor des recherches et antiquités gauloises, 1655-67, nouv. éd. par Fnvre.
Niort, 1882, art. Cadastre.
8. Cité dans Marion, L'impôt sur le revenu au XVIW siècle... p. 3.
APPENDICE. 535
semble pas qu'on doive considérer pour autant la question comme
définitivement tranchée.
L'orthographe même du mot soulève aussi quelques difficultés.
Dans les textes les plus corrects, on trouve côte à côte la forme du sin-
gulier et celle du pluriel pour désigner notre impôt. Dès le xve siècle,
les deux formes sont employées indifféremment; c'est à peine si une
subtile distinction est faite par les députés de Normandie aux Etats
de 1483, dans leurs doléances aux gens du Roi : « L'immensité de la
taille, ou pour mieux dire des tailles... excède de beaucoup la cote
ordinaire1 »; mais dans son Journal des mêmes Etats, Masselin dit
sans différence apparente tantôt tailla, tantôt tallise. Au xvne siècle,
on trouve les deux formes dans la même phrase : ainsi, dans une cir-
culaire du roi aux intendants : « Outre la descharge que je luy faicts
[au peuple] de dix millions sur les tailles, j'ay encore résolu de diminuer
sur la taille la somme à laquelle montera » (etc.)2. Dans la Déclaration
du 6 août 1669 : ceux qui ont acquis « les privilèges d'exemption de
tailles pourront (etc.)... sans être tenus de payer la taille 3 ». L'inten-
dant de Limoges écrit dans un mémoire de 1686 : « Le peuple y est
[dans la paroisse d'Escoyeuxj extrêmement dur à payer la taille, faisant
toujours courre des bruits qu'elles sont remises 4. » Pareillement La
Barre, dans son Formulaire des Esleus : « Tous les aisez taillables
taschent a se descharger de la taille, lesquelles néanmoins croissent de
jour en jour5 ». On pourrait multiplier ces exemples 6.
Pareil phénomène peut, du reste, être constaté pour le nom d'autres
impôts : on dit également l'aide des aides ; la gabelle et les gabelles,
le domaine et les domaines. L'explication de cette bizarrerie ne peut
faire de doute : si la taille, au temps de Louis XIV, est un impôt unique,
il n'en était pas de même, on l'a vu, à l'époque antérieure; elle se com-
posait alors d'une série d'impôts additionnés, qui formaient chacun une
taille particulière, et étaient répartis sur les rôles « par lignes sépa-
rées », de sorte que l'on pouvait considérer la taille comme la réunion
de plusieurs impôts, d'où l'emploi du pluriel. C'est ce qu'explique en
1726 un Mémoire sur la taille : « Sous le mot taille, on entend aujour-
d'hui plusieurs impositions réunies, aussi dit-on ordinairement : tailles
et crues y jointes7». Guy Coquille distingue pareillement « la grande
taille » des autres tailles qui y sont proportionnelles 8. Ainsi l'usage
du pluriel pouvait se justifier.
1. Journal de J. Masselin, publ. par Raudry. p. 483.
2. Circulaire du 30 août 1643, citée dans André, Michel Le Tellier, p. 4*24, note.
3. G. d. T. II, 54.
4. Cité dans l'Inventaire des Arch. départ, de la Vienne, -série G (publ. par
Leroux), p. 274.
5. Formulaire des Esleuz (1622), p. 172. La phrase fut maintenue ainsi dans
toutes les éditions de l'ouvrage.
6. Cf. notamment le Dictionnaire de Trévoux (1771), art. Taille : « Les tailles
furent mises sur le peuple du temps du roi saint Louis qui a le premier levé la
taille par forme de subsides pendant la guerre; mais les tailles n'estoient d'abord
que des levées extraordinaires... »
7. Dans de Boislisle, Mémoire de l'intendant de Paris, p. 487. Noter aussi qu'au
XIV0 et au XVe siècle, on disait : une taille pour une levée d'impôt.
8. « La grande taille, ou le principal de la taille, sur le fur et pied de laquelle
les autres tailles estoient imposées. » (Questions et réponses sur les articles des
coutumes, § V.) Un édit de 1537 avait déclaré que le montant de la grande taille
serait immuablement fixé à 4 millions de liv.
;,3,; LA TAILLK IN NORMANDIE.
Toutefois, l'emploi du singulier ou du pluriel n'était pas toujours
absolument arbitraire au xvn° siècle. Pour certaines expressions,
l'usage voulait que l'on employât exclusivement l'une des deux formes.
A'm^i on ne disait jamais receveur de la taille, mais receveur des
tailles; on disait toujours le brevet de la taille, et par contre les com-
missions des tailles. On levait la taille, et non les tailles, tandis qu'on
payait la taille. Richelet, le Dictionnaire de V Académie, le Dictionnaire
des Finances de 1727, le Dictionnaire de Trévoux citent plusieurs de
ces expressions où toujours est employé soit le singulier, soit le plu-
riel. J ai, dans ce travail, usé de ces expressions telles quelles, en
conservant la liberté d'employer ad libitum le singulier ou le pluriel
dans les autres cas.
II. — AVIS D'UN INTENDANT SUR LE BREVET
« Advis pour l'imposition de la taille de l'année 1G79 sur les 13 eslec-
tions de la généralité de Rouen, montant a 2 300 000 1. suivant le brevet
envoyé par Sa Majesté, et de la somme de 3 333 1. ordonnée estre
imposée par arrest du conseil du 13 avril 1678 nonobstant les deffences
portées par les commissions des tailles, pour estre employée aux
réparations et entreneraent du pont de la ville de Rouen, fontaines,
édiffices, chaussées et pavages des environs.
Rouen. — Cette eslection a esté imposée les années précédentes a
des sommes très considérables, et en 1678 a 276 000 1. ; quoyque la
ville de Rouen luy deubst estre advantageuse, neantmoins la franchise
dont jouissent les contribuables qui se retirent dans la bonne lieue
fait que les plus riches s'y establissent, dont les taux surchargent les
autres, c'est pourquoy je crois qu'il y a lieu de luy donner, pour sa
part de la diminution accordée par Sa Majesté 45 500 1. et de la
réduire a 230 500 1.
Et des 3 333 1. portées par led. arrest 3501.
Pont de l'Arche. — Les habitants de plusieurs villages de cette
eslection s'appliquoient a cultiver le tabac, qui se vendoit 28 et 30 1.
le cent; comme le profict estoit très considérable, on avoit augmenté
la taille a proportion, mais depuis qu'il leur a esté deffendu d'en
planter et de le vendre a qui bon leur sembloit, et que les chardons ne
se sont presque plus transportez dans les pays estrangers, il est néces-
saire de la diminuer de 25 500 1. sur 141000 1. qu'elle portoit en 1678
et de la réduire a 115 5001.
Et des 3 333 1 150 1.
Les villes du Pont de l'Arche et Louviers ont beaucoup souffert
par les passages et garnisons, aussy il y auroit lieu de diminuer celle
du Pont de Larche de 100 1. et le réduire a 1 400 1.
Et celle de Louviers de 5001. et ne l'imposer qu'a. . . . 12 500 1.
Ponteaudemer. — Cette eslection estoit une des plus considérables
de Normandie; il se vendoit toutes les semaines aux marchez pour
plus de 30 000 1. de toille, le commerce est sy diminué qu'il ne s'en
débite pas présentement pour 6 000 1., joint qu'elle a esté peu ménagée
par les commis a la recepte des tailles, ce qui a obligé un grand nombre
APPENDICE. 537
des principaux tailliables a faire signifier des translations de domi-
cilie ; je crois que pour luy donner moyen de se rétablir, elle doit
estre diminuée de 58 000 1. sur 339 500 1. qu'elle portoit en 1678, et
réduitte a ; 281 500 1.
Et des 3 333 1 350 1.
La ville du Ponteaudemer est beaucoup diminuée, il est de nécessité
de la réduire de 31 000 1. a 28 000 1.
Le bourg de Quillebeuf a beaucoup souffert, les matelots et les
pilotes n'ayant point esté en mer depuis quelques années et n'ayant
conduit que très peu de vaisseaux le long de la rivière de Seine, le
diminuer de la somme de 600 1. et le réduire a 4 000, cy . . 4 000 1.
Pont Levesque. — Plusieurs contribuables dont les taux montent
a 6 250 1. ont fait signiffier des translations de domicilie dans les gene-
ralitez de Caen et Allençon, joint qu'il y a très peu de fruits cette
année, ce qui fait qu'il y a lieu de la diminuer de la somme de 20000 1.
sur celle de 191 500 1. qu'elle portoit en 1978, et de la réduire
a 1715001.
Et des 3 333 1 200 1.
Le bourg de Pontlevesque a eu trois quartiers d'hiver les années der-
nières et quelques passages, et comme il y a très peu de commerce,
plusieurs habitants ont déserté, le diminuer de 1 900 1. et le réduire
a 8 0001,
La ville d'Honfleur a souffert par la perte de plusieurs vaisseaux,
la diminuer de 2 000 1. a 26 000 1.
Caudebec. — En 1676 il y eut 80 parroisses de cette eslection
greslées, dont la plupart le furent entièrement, et les autres moytié, le
bourg de Bollebec qui faisoit subsister plus de 30 parroisses par son
commerce, et qui portoit 11 800 1. furent entièrement bruslé, dont la
taille a esté réduitte par arrest du Conseil a 3 000 1. qui est une
augmentation de 8 800 1. sur cette eslection ; en 1677 la niesle ou melie,
suivant le terme du pays, a gasté presque tous les grains, et plusieurs
parroisses sont demeurées en reste de la taille et de Pustancille, ainsy
il y a lieu de la diminuer de 49 500 1. de celle de 275 000 1. a laquelle elle
estoit imposée en 1678 et de la réduire a . 225 500 1.
Et des 3 3331 350 1.
La ville de Caudebec a souffert des garnisons en 1676 et en 1678,
ce qui a fait que plusieurs artisans en sont sortis, et le commerce y
estant beaucoup diminué, il y a lieu de la diminuer de la somme de
500 1. et la réduire a 5 000 1.
Montivilliers. — Les bleds ont esté presque tous gastez en .1677
et en 1678, les lins dont le commerce est très considérable et les fruits
ont manqué, une partie des terres est demeurée en friche; les fré-
quentes gardes que les habitans out esté obligez de faire, et les armes
qu'ils ont achetez, avec l'imposition du sel auxquels ils sont sujets,
ont mis les paroisses en très mauvais estât, ainsy il y a lieu de la dimi-
nuer de 39 500 1. de celle de 222 000 1. qu'elle portoit en 1678 et la
réduire a 182 500 1.
Et des 33331 200 1.
Les villes de Montiviliers et d'Harfleur sont très misérables et ont
538 LA TAILLK U NORMANDIE.
besoin d'estre diminuées, scavoir Montivilliors de la somme de 1 000 1.
et reduitte a 4 500 1.
Et Harfleur de 600 1. et reduitte a 3 000 1.
Arques. — Cette eslection a beaucoup souffert, les bleds aiant esté
greslez de [= en] 1677, ainsy je crois qu'il y a lieu de la diminuer de
40 000 1. sur celle de 321 700 1. a laquelle elle estoit imposée en 1678
et la réduire a 281700 1.
Et des 3 333 1 400 1.
Le bourg d'Arqués est presque désert, les habitans s'estans retirez
a Dieppe; pour obliger les autres d'y rester, il y a lieu de le diminuer
de 800 1. et de le réduire a 1 800 1.
La ville d'Eu de 1000 1. et reduitte a 12 000 1.
Neucbastel. — Plusieurs parroisses de cette eslection ont esté
greslées en 1677, beaucoup de tailliables ont fait signiffier des trans-
lations pour aller demeurer en Picardie, et les fruits ont presque
manqué, ainsy je crois qu'il y a lieu de le diminuer de la somme de
20 0001. sur celle de 154 000 1. qu'elle portoit en 1678 et la réduire
a 134 000 1.
Et des 3 333 1 300 1.
La ville de Neuchastel a eu une compagnie de cavalerie trois mois
et demy en quartier d'hiver en 1678; il y a lieu en cette considération
de la diminuer de 5001. et la réduire a 4 000 1.
Et celle d'Aumalle de 500 1. et la réduire a 5 700 1.
Gizors et Pontoise. — Cette eslection a esté fort augmentée les
années précédentes, et les villes de Gizors et Pontoise ont souffert une
quantité extraordinaire de passages et de garnisons qui ont fait déser-
ter la pluspart des habitans, ainsi il y a lieu de la diminuer de la somme
de 22 000 1. sur celle de 190300 à laquelle elle estoit imposée en 1678
et la réduire a 168 300 1.
Et des 33331 250 1.
Diminuer Gizors de 400 1. et le réduire a 6 600 1.
Pontoise de 4 000 1. et le réduire a 20 000 1.
Et le faubourg de l'Aumosne de 800 et le réduire a . 3 200 1.
Lyons. ; — Les terres de cette eslection sont légères, la pluspart
desquelles ont esté défrichées, il y a lieu de la diminuer de 14 000 1.
sur celle de 98 000 qu'elle portoit en 1678 et la réduire a 84 000 1.
Et des 3 333 1 33 1.
La ville de Lyons a souffert un sy grand nombre de passages, que
plusieurs habitans l'ont abandonné, il y a lieu de la diminuer de 400 1.
et le réduire a 2400 l.
Chaumont et Magny. — Cette eslection a esté imposée a des
sommes considérables les années précédentes, et les fruits y ont man-
qué presque partout, ainsy il y a lieu de la diminuer de la somme de
de 20 000 1. de celle de 153 000 a laquelle elle estoit imposée en 1678
et la réduire a • 133 000 1.
Et des 3 333 1 250 1.
La ville de Magny a beaucoup souffert les années dernières par les
APPENDICE. 539
grandes eaues, et plusieurs tailliables sont décédez depuis peu, ainsy
il y a lieu de la diminuer de la somme de 600 1. et la réduire a 5 600 1.
Chaumont est le lieu de toute la généralité ou il passe le plus de
de trouppes qui y séjournent toutes, ce qui fait que presque toutes les
maisons sont ruinées ; pour lui donner moyen de se restablir, la dimi-
nuer de la somme de 200 1. et la réduire a 1 100 1.
Andely. — La plus grande partie de cette eslection consiste en
vignes, le vin n'ayant point eu de cours, et ne se vendant que 8 ou
10 1. le muid, les principalles paroisses ont beaucoup perdu, joint que
le Grand et le Petit Andely ont eu des quartiers d'hiver les années
précédentes, et les gensdarmes d'Orléans cette année, la ville de Ver-
non le logement d'une brigade de gardes du corps, et plusieurs pas-
sages, et celle de Gournay pareillement, ainsy il y a lieu de diminuer
cette eslection de 20000 1. de 160000 1. a laquelle elle estoit imposée
en 1678 et la réduire a 140 000 1.
Et des 3333 1. . . . 250 1.
Le grand Andely de 1 300 1. et le réduire a 4 000 1.
Le petit Andely de 500 1. et le réduire a 2 500 1.
Vernon de 2 800 1. et le réduire a 16000 1.
Gournay de 500 1. et le réduire a 6 500 1.
Evreux. — Une partie de cette eslection fut grêlée en 1677 et 1678,
les vins ne se vendent que 8 et 10 1. le muid. Lapluspartdes parroisses
sont en très mauvais estât, ainsy il y a lieu de la diminuer de 26 000 1.
sur celle de 178 000 1. qu'elle portoit en 1678 et la réduire
a 152 000 1.
Et des 3 333 1 250 1.
Il n'y a point de commerce dans la ville d'Evreux et elle a beaucoup
diminué par les translations de domicilie et les garnisons des années
précédentes; il y a lieu de la diminuer de la somme de 2000 1. et la
réduire a. 19000 1.
Faict le juillet 1678 ». »
III. — COMMISSIONS DES TAILLES
DE LA GÉNÉRALITÉ DE GAEN POUR L'ANNÉE 1678.
« Lettres patentes en forme de commission données à Versailles le
8e aoust 1677, signées Louis, et plus bas par le Roy, Phelypeaux,
addressées au sr Meliand conseiller de Sa Majesté en ses conseils,
maistre des requestes ordinaire de son hostel, commissaire departy
pour l'exécution de ses ordres en la généralité de Caen, et aux prési-
dents, lieutenans, assesseurs et Eleus sur le fait des aydes et tailles
des élections de ladite généralité, chacun en droict soy.
Auxquelz Sa Majesté faict entendre que les grands succès dont il a
pieu a Dieu de bénir la justice de ses armes n'ayant peu encores per-
suader ses ennemis de consentir a une bonne et solide paix, Elle est
1. B. N. fr. 8 761bis, f 132-135. — Au bas de la dernière page est écrit, à
l'envers : « 9 juillet 1678. Advis pour la taille de 1679 ».
MO LA TAILLE EX XOIt.MANIM i: .
obligée de mettre en usage les moyens que Dieu a mis en ses mains
maintenir ses armées et pour les fortifier et augmenter, afin que,
leur faisant tousjours connoistre la difficulté et mesme limpossibité de
faire aucune conqueste sur ses estats ny d'arrester le cours de la pros-
f>erité de ses armes, Elle puisse enfin les forcer a donner les mains a
a paix qu'Elle désire donner a ses peuples et a toutte la chrestienté,
mais comme il est nécessaire de faire de très grandes despenses pour
parvenir a une si bonne fin, Elle est obligée de continuer les imposi-
tions sur ses peuples, sans toutesfois les augmenter, espérant que par
ses soins et 1 application qu'Elle donne au bon ordre et a rœconomie
de ses finances, Elle ne laissera pas de maintenir et mesmes d'augmenter
ses armées avec les mesmes impositions qu'Elle a faites les années
dernières sans avoir recours a des moyens extraordinaires qui sont
tousjours a charge a ses peuples.
A ces causes, de l'advis de son Conseil, et de sa pleine puissance et
authorité royalle, Elle leur mande et ordonne par lesdites lettres
signées de sa main, qu'ils ayent a imposer et faire lever pour l'année
1678 sur les contribuables aux tailles des Elections de la généralité de
Caen la somme de dix huict cents quarante mil livres pour le principal,
creues y jointes, et solde des maréchaussées, scavoir : sur les contri-
buables aux tailles de l'élection de Caen pour le principal de la taille et
creues y jointes CLXIIm IIII" IX 1. et pour la solde des maréchaussées
VIIm VII0 XI I., revenant lesdites deux dernières sommes a celle de
CLXIXm VIII6 1., dont la ville de Caen portera XXVIII,a 1. suivant son
abonnement. Sur ceux de l'élection de Bayeux pour le principal de
la taille et creues y jointes IIe LlXm I IIIe 1. dont la ville et fauxbourgs
de Bayeux porteront XXVIIm VIIe IIII" 1., Nostre-Dame de Thorigny
IIIIm CXX 1. et le bourg d'Issigny IXe L 1. Sur ceux de l'élection de,
Vire et Condé pour le principal de la taille et creues y jointes IIIe
XVIIm VIe 1. dont la ville et fauxbourgs de Vire porteront ^XIII™ IX°
LX 1. et le bourg de Condé VlIIm VIII6 LX 1. Sur ceux de l'élection
de Coustances, pour le principal de la taille et creues y jointes IIe
IIII" Im VII6 IIII" XIIII 1., et pour la solde des maréchaussées IIIIm
1111° VI 1., revenans lesdites deux dernières sommes a celle de IIe
IIII" V™ II6 1., dont la ville et fauxbourgs de Coustances porteront
XIIII111 1. Sur ceux de l'élection de Carentan pour le principal de la
taille et creues y jointes, CI1II" m IXe 1. dont la ville et fauxbourgs de
Carentan y compris Beaumont, Bougeval, Pontmenanque et Pont-
doure porteront Xm 1. et celle de St-Lo XXXIm 1., Sur ceux de l'élec-
tion de Vallongne pour le principal de la taille et creues y jointes
IIe LXVIm Ve 1. dont la ville et fauxbourgs de Vallongnes porteront
IXm VIe 1., le bourg d'AUeaume Ilm VII6 1. et le bourg de St-Sau-
veur le Vicomte Vm Ve 1. Sur ceux de l'élection d'Avranches, pour le
principal de la taille et creues y jointes. CLXIm VIIIe 1., dont la ville et
fauxbourgs d'Avranches porteront Xm IXe L 1. et Pontorson IIIm
CXXVI 1. Et sur ceux de l'élection de Mortaing pour le principal de la
taille et creues y jointes CIIII" XVIIIm VIII6 1. dont la ville de Mor-
taing portera IIm IIII" V 1.
Plus ils imposeront et feront lever sur les contribuables desdites
élections non compris les susdites villes la somme de quatre vingt dix
mil libres, pour partie du fonds nécessaire pour la despense des
estapes de ses trouppes, scavoir : sur l'élection de Caen VIIIm IIe 1.,
APPENDICE. 541
sur celle de Bayeux XIIm VI0 1., sur celle de Vire et Condé, XVm
IIIIC 1., sur celle de Coustances XIIIl™ G 1., sur celle de Carentan
VIIIm IX0 1., sur celle de Valongnes XHm VIII0 1., sur celle d'Avran-
ches VIIlml., et sur celle de MortaingX™ 1., revenans lesdites sommes
aladitedeIIII"Xml.
Plus ils imposeront et feront lever sur les contribuables desdiles
élections la somme de trois mil trois cents trente trois livres pour
partie de Xm 1. ordonnez par arrest de son conseil du 19e octobre 1675
estre imposés sur la présente généralité et sur celles de Rouen et
Allençon egallement pendant trois années dont la prochaine 1678 sera
la troisiesme et la dernière pour les réparations du pont de la ville de
Rouen, de laquelle somme de IIIm IIIe XXXIII 1. l'élection de Gaen
portera III0 1., celle de Bayeux V° 1., celle de Vire et Condé VI0 1.,
celle de Coustances V° 1., celle de Carentan III0 1., celle de Vallongnes
Ve I., celle d'Avranches III0 1., et celle de Mortain IIIe XXXIII 1.
Au département desquelles sommes ils procéderont incessamment
en leurs consciences sur les villes, bourgs et paroisses des élections
de ladite généralité, ensemble sur ceux dont les privilèges et exemp-
tions ont esté révoqués et non restablis, lesquels seront par eux taxés
d'office selon leurs facultés, en procédant au département avec les
officiers de ladite élection, dont sera fait mention au pied des mande-
ments qui seront envoyés dans les parroisses suivant les règlements
de Sadite Majesté registres en ladicte cour des Aydes, lesquelles cottes
d'office seront payables directement ez mains du receveur ou commis
a la recepte des tailles de l'élection, et celles des autres contribuables
des parroisses aux collecteurs d'icelles, pour estre le tout payé dans
les termes cy-dessus ez mains du receveur ou commis a la recepte
des tailles de ladite élection, a peine d'y estre lesdits collecteurs con-
traincts comme pour les propres derniers et affaire de Sad. Majesté,
et lesdits cottisés d'office par les voyes ordinaires ainsy que les autres
contribuables.
Deffend aux officiers de ladite élection sous prétexte de leurs gages
et droicts de s'entremettre a la recepte d'aucuns deniers dans lesdites
parroisses en quelque sorte et manière que ce soit, a peine d'estre
contraincts solidairement et par corps à la restitution de ce qu'ils
auront receu, desquels gages et droicts Sad. Majesté veut qu'ils soient
payés par ledit receveur ou commis a la recepte des tailles, suivant
le fonds qui en sera laissé dans Testât de distribution des finances de
ladicte généralité, qui sera arresté par Sa Majesté pour ladite année
prochaine 1678.
Plus ils feront encores imposer et lever sur lesdits contribuables
VI d. pour livre de touttes les sommes qui seront receues par les
collecteurs des tailles des parroisses de ladite élection, lesquels ils
retiendront par leurs mains pour leur droict de collecte, dont ne sera
cy après fait aucun retranchement, pour quelque cause que ce soit,
moyennant quoy ils ne pourront prétendre aucune diminution de leurs
cottes.
Et pour parvenir a l'imposition et recouvrement des sommes con-
tenues auxdites lettres, ordonne auxdits trésoriers de France d'expé-
dier sur icelles leurs attaches et les mettre trois jours après ez mains
dudit sieur Meliand auquel Sadite Majesté ordonne de se transporter a
l'instant au bureau de ladite élection pour avec les officiers d'icelle
|U LA TAILLE EN NOll.MANDIE.
(sur lesquels sa voix prévaudra) procéder a l'assiette et département
des susdites sommes sur les villes, bourgs et parroisses qui en dépen-
dent le plus justement et egallement que faire se pourra, sans avoir
égard aux abonnements qu'elles pourroient avoir obtenus, lesquels
Elle a révoqués et révoque par lesdites lettres, ainsy qu'elle a cy-
devant faict.
N'entend estre compris aux rolles des tailles les officiers des cours
supérieures, ses conseillers secrétaires, les officiers de sa maison et
ceux des autres maisons royalles qui servent actuellement, reçoivent
gages au moins de LX 1., et qui se trouveront employés dans les estats
registres en la cour des aydes de Paris depuis sa déclaration du
30e may 1G64. Comme aussy ne seront compris auxdits rolles des
tailles les officiers de ladite élection réservés, pourveu qu'ils ne déro-
gent a leurs privilèges. Leur deffendant de faire jouir d'aucuns privi-
lèges ny exemptions les particuliers pourveus d'offices desdictes mai-
sons royalles en vertu des certificats de dispense de service, si ce n'est
pour cause de maladie deuement attestée par les médecins des lieux
et par les procureurs de Sa Majesté. N'entend aussy qu'ils fassent
jouir desdits privilèges et exemptions ceux desdits officiers qui sont
sans fonction et qui ne servent actuellement par chacun an. Veut que
les commis des adjudicataires de ses fermes soient cottisés aux rolles
des parroisses ou ils sont résidents s'ils y estoient domiciliés avant
leurs commissions, ou s'ils y sont depuis mariés et y ont acquis des
biens dans lesdites parroisses ou en l'estendue de ladite élection.
Seront cottisés d'office les officiers les presidiaux et principaux
habitans des villes et paroisses, ensemble les fermiers des seigneurs,
gentishommes et autres qui ne sont cottisés auxdits rolles a cause de
leur authorité et pouvoir, ou qui n'y sont compris que pour des
sommes modiques.
Ordonne que les prevosts des maréchaux de France et leurs lieu-
tenants créés et establis avant le premier janvier 1635 jouissent de
l'exemption entière des tailles, les greffiers et exempts chacun de
XXX 1. et les archers de C s. pourveu qu'ils servent actuellement et
ne fassent aucun trafic.
Et afin qu'il ne soit apporté aucun retardement a la levée des deniers
de Sa Majesté, Elle veut que les procès concernant les nominations et
décharges de collecteurs soient réglés dans les temps réglés par
lesdites déclarations des 12e febvrier 1663, jussion expédiée en consé-
quence et déclarations des mois de mars 1667 et mars 1673. Deffend
auxdits eleus de faire aucuns rejets pour affaires soit de particuliers
soit de communautés sans sa permission, et celle dudit sieur Meliand
aux termes de l'arrest du conseil du 14e mars 1676; a peine d'inter-
diction.
Et sur l'advis donné a Sa Majesté que plusieurs seigneurs de
parroisses ont depuis quelques années tenu en apparence leurs terres
par leurs mains, soustenants que leurs fermiers estoient leurs domes-
tiques, afin de les exempter de la taille au préjudice des pauvres, sadite
Majesté ordonne, pour éviter a telles fraudes, que lesdits seigneurs ne
puissent tenir qu'une de leurs fermes par leurs mains, et s'ils en tien-
nent davantage, qu'ils fournissent un fermier qui porte sa part de
ladite taille a proportion du gain qu'il pourra faire en sa ferme, sinon
seront les fruicts des héritages qui n'auront esté affermés saisis et
APPENDICE. 543
affectés au payement des sommes auxquelles les collecteurs les auront
taxées, le tout suivant les règlements registres en la Cour des Aydes,
mesme celuy du mois de mars 1667 et autres suivant, et de tout ce que
dessus sera fait mention dans les commissions qu'ils envoyeront dans
lesdites parroisses.
Pour estre tous les deniers des tailles, solde et autres natures de
deniers excepté les droicts des collecteurs, receus par ledit receveur
ou commis a la recepte des tailles et par luy payés suivant Testât de
distribution qui en sera par sadite Majesté arresté et envoyé audit
bureau des finances de Caen. Veut au surplus que ceux qui seront
taxés d'office et compris aux rolles des parroisses de ladite élection au
défaut de payement dans les termes expirés y soient contraincts par les
voyes ordinaires et accoutumées, et si de partie a partie il survient
quelque différent ou opposition (les deniers de Sa Majesté payés préal-
ablement par provision, nonobstant oppositions ou appellations quel-
conques), lesdits eleus fassent aux parties bonne et brieve justice, a
l'exception toutesfois des cottes d'office qui auront esté faites par ledit
sieur Meliand, lesquelles seront aussy exécutées par provision, sauf
l'appel qui ne pourra estre receu qu'après la justification du payement,
leur defiendant et a tous autres de quelque qualité et condition qu'ils
soient d'imposer ny souffrir qu'il soit imposé et levé sur les contri-
buables de ladite élection autre ny plus grandes sommes que celles
contenues auxdites lettres durant ladite année prochaine 1678, a peine
contre lesdits eleus d'encourir la rigueur des ordonnances, et ce
nonobstant quelconques lettres patentes et arrests intervenus ou qui
pourroient intervenir portant dérogation auxdites lettres, a quoy ils
n'auront aucun esgard, et en cas qu'au préjudice desdites deffenses il
soit imposé autres sommes que celles contenues en cesdites lettres,
veut que le fonds en soit porté en son Trésor royal, sans avoir esgard
aux destinations particulières qui pourroient en avoir esté faites1. »
IV. — TRAITÉ
POUR UNE RECETTE PARTICULIÈRE, 1680.
« Nous soussigné, Pierre Cousin, escuyer, seigneur du Val, Con-
seiller secrétaire du Roy, maison et couronne de France, Receveur
général des Finances à Rouen en exercice année 1680, d'une part, et
Adam Estièvre, conseiller du Roy, receveur des tailles en l'élection
de Pont l'Evesque, sommes convenus et sommes demeurés d'accord
de ce qui ensuit; c'est assavoir que moi dit Estièvre me suis chargé
à forfaict à mes risques, périls et fortunes du recouvrement des tailles
et autres impositions faictes en ladite eslection du Pont l'Evesque
pour ladite année 1680 montent à la somme de 164700 1. sur laquelle
sera déduit par estimation celle de 60351. sy tant il convient pour le
payement des charges de ladite élection que moi dit Estièvre retiendrai
par mes mains pour en faire le payement suivant Testât du Roy qui
sera expédié pour ladite année; et le surplus montant 158665 1. je
1. M. G. 238, f° 234-236. Le préambule et la dernière partie (dispositions géné-
rales) sont empruntés à la première commission du registre, f° 9-15 (généralité
de Moulins).
III LA TAILLE EN NORMANDIE.
promets et m'oblige comme pour deniers royaux les payer au sieur
Cousin en son bureau à Rouen ou en celuy de Paris en 13 payemens
égaux et consécutifs de mois en mois, chacun de la somme de 12 450 1.
et ainsy continuer de mois en mois jusques en fin de payement, au
dernier desquels il sera déduit audit Ëstièvre la somme de 2500 1. qui
lui a esté accordée de remise en considération des avances de deniers,
risques, ports, voitures et frais de recouvrement généralement quel-
conques, de laquelle remise ledit Ëstièvre demeurera deschu faute par
luy de satisfaire ponctuellement à l'eschéance de chacun des payemens
cy-dessus esnoncés, après une simple sommation à personne ou domi-
cile, sans laquelle clause ledit traité n'aurait esté faict, et sans qu'elle
puisse passer pour peyne comminatoire; et qu'il sera pris argent à
change et rechange aux risques et frais dudit Ëstièvre, et sans que
ladite clause puisse empescher l'exécution dudit traité contre ledit
sieur Ëstièvre, et m'y suis obligé comme pour deniers royaux, pro-
mettant en outre fournir audit sieur Cousin des estats des restes toutes
fois et quantes qu'il le désirera, et s'il se trouve que j'aye plus reçu
que le montant dudit payement, l'excédant en sera par moi porté et
payé audit sieur Cousin en son dit bureau en déduction des payements
qui resteront à eschoir, et pour l'exécution du présent traite lesdits
sieurs Cousin et Ëstièvre ont esleu leur domicile sçavoir moi dit
Cousin à Rouen au bureau de la recepte générale, et ledit Ëstièvre en
la maison et personne de Me Anlhoine Cousture, procureur en la
Chambre des Comptes, ou tous exploits vaudront comme si faits
estoient à nos propres personnes. Faict double au Pont TEvesque le
8e octobre 1679 », signé : Cousin1.
1. A. N. G7 213. Cf. ibid., le traité conclu par Cousin le 14 décembre de la
même année avec Bonté, receveur en titre de l'élection de Gisors : la somme à
verser à la recette générale est de 144282 1. 10 s. Bonté la payera en quinze ver-
sements mensuels, moyennant un<> remise de 2100 1. soit 1,45 p. 100 (1.58 dans le
traité Ëstièvre). Les clauses relatives aux états de restes et aux trop perçus n'y
figurent pas ; les deux parties élisent domicile à Paris.
APPENDICE.
545
x
ce
ce
P
oo
ce
ce
©
a
o
o
s
c)<
c
ce
ce
ce
ce
ce
©
ce
.*
-.-
00
■<!
oo
ce
co
o
9
O'
9
o
ec
-c-
•a
ce
p
ce
G
o
ce
ce
00
H
oo
g
co
ce
p
9
9
-r
ce
ce
p
ce
9
p»
ce
9
o
ce
ce
00
O
CM
ce
Oc
co
p
O
00
a>
ec
ec
c
r^
—
ce
ce
00
co
es
H
(M
CD
se
0>
ce
o
co
ta
.e
ce
ce
Cl
ce
-ce-
9
e
p»
~
JC
ta
O
9
ce
■M
oo
^-*
00
: i
Cl
Cl
Cl
J*
-r
■a
p«
p*
..0
co
(M
Cl
-M
ei
ci
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
(M
>5
Sa
•le
■
o
O
o
p
O'
p
p
O
dN
ce
ce
ce
a
ce
©
ce
ce
00
00
00
B
o
o
S
o
o
5
C
ce
ce>
ce
o
ce
ce
iC
ce
ce
o
ce
ce
CO
O
o
!>•
ce
te
o
c
O
.e
ce
^e
o
ce
Cl
c
ta
ce
ce
ce
©
ri
o
Cl
à
-.-<
se
m
o
co
^-*
ec
ce
r^
ce
-r"
o
es
ce
ce
co
r^
p»
CO
ne
•*
ce
â
Cl
ce
Cl
ce
3
LO
ce
..e
i^
ce
<M
00
-M
-1
cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
ci
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
et
.' P
O
O
«g
O
P
o
o
-
C
ce
ce
ce
ce
ce
3
ce
ce
ce
o
©
H 5
o
ce
ce
5
o
5
o
ce
ce
ce
o
c
ce
ce
9
ce
ce
ce
ce
©
?5<W
o
r»
ce
p«
S
lO
o
Ù9
p
^r-
3
ce
^î>
ce
c
us
ec
p->
p»
es
O >
r^
■M
ce
ce
m
ce
ce
ce
ce
p
ce
ce
ia
.*
©
* îP
p»
te
.0
o
•<o
10
•s
-c-
..e
3
ce
PM
ec
ce
ec
r^-
co
r»
~j
*""
**
"H
~~
"^
~
~
~'
"
~~
_J
—
~
— i
~"
~
rt
~"
■"
i Ë
©
o
i.C
ce
o
o
O
o
ce
O
—
a
ce
O
o
ce
ce-
ce
c
©
H , S
o
fi
t>
9
c
o
o
o
O
ce
ce
o
o
o
9
ce
©
©
B « S
o
o
<r
-c-
se
c<
o
1-0
p
O
ta
in
.o
9
ce
lO
ce
p>
p«
O Q «
o
ta
ci
K3
C75
se
Cl
ce
Cl
ecc
ec
ce
iO
ec
•o
CO
00
û. ■<
9
ce
ci
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
C!
Cl
Cl
Cl
ce
Cl
•«
ce
-
^*
P ri
o
p
O
o
O
o
o
o
ce
o
ce
©
a
o
ce
a
a
o
©
©
H g
S5 M
O Q
a
o
o
o
9
o
9
o
o
ce
c
ce
ce
o
o
ce
9
9
ce
ce
©
o
9
10
lO
r=
•^
kQ
o
o
ce
ce
O
o
ce
9
■-r
;C
e.
3
■ce"'
o
00
S)
se
cc>
41
•4
i^
ce
Cl
Cl
ce
CO
ec
00
oo
m
.*
oc
r»
àO
tO
t><
i>
ce
ce
ce
PS
ec
ec
e
9
ce
ce
X
1^
p»
00
oo
Cl
ci
en
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
ce
ce
es
co
Cl
Cl
CM
i J
©
o
o
o
o
o
O
P
o
ce
ce
ce
o
ce
ce
ce
c
©
o
©
00
"• S
o
o
5
o
o
o
o
c
ce
o
o
o
o
ce
ce
o
c
o
©
» 5
o
CC
ce
ce
c:
o
-^,
ce
ce
>a
ce
iC
o
ce
-.-
ce
ce
CO
e>T
« 3
*f
«o
»»
ce
r»
«5
<l<
Cl
ce
ce
co
Cl
o"
ec
d
o
o
2 S
oo
-M
ci
-M
Cl
ce
ce
ce
ce
ce
ce
3
---ri
9
.e
.e
.0
ce
Cl
00
§
DQ
=1
o
«
« ri
o
O
lA
O
P
o
o
ce
o
ce
O
ce
O
ce
P
©
<f
ce
Q
©
H W
§3
o
S
-3<
s
o
o
o
ce
o
ce
.o
ce
ce
o
o
00
ce
ce
©
5
0
o
oo
Ci
ce
p»
a
-o
Cl
o
S
ce
.-0
ce
ce
5
ce
ce
O
ce
ce
ce
Cl
ce
ce
lO
p»
Cl
co
os
ta
o
sa
ce
CCi
CT3
~
CO
09
Cl
Cl
Cl
X
t^
r^
o
h
3
B C
«
Cl
~~
- '
■*
—
Cl
—"
—
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
CI
~
~~
•^
■O
©
s
ce
o
o
O
a
o
ce
ce
ce
o
ce
o
p
o
p
©
o
©
O
2
o
o
o
ce
S
o
o
c
o
ce
^
o
ce
ce
ce
ce
ce
c
ce
©
S.
o
.-5
t>
ce
*a
9
o
ce
ce
ce
ce
ce
co
-^-
ce
o
es
U3
ta
.*
p
00
I/O
~.
CO
M
ce
Cl
ce
ce
.o
c
O
ec
os
S
Ci
81
en
ce
0)
00
ec
9)
ec
c
a
os
ec
ce
r«
oo
3
T1
~"
"^
•o
0
a
I
co
o
o
o
s
o
O
s
o
o
ce
ce
O
o
p
ce
ce
p
©
©
p
PS
o
o
-T
o
o
9
o
ce
o
ce
o
9
ce
3
a
-o
ce
o
o
©
O
o
C.
p«
— 1
o
o
ce-
9
o
<a
00
o
00
co
Cl
ec
àa
ie
CM
m
oo
OS
ce
|S
Cl
CT>
ce
p»
Cl
ce
eo
ce
ce
o
■*
c
ce
ce
os
|
13
3
o
co
p*
p»
l>
ce
r^
ce
ce
ce
co
i^
X
ce
ec
CO
ec
co
..e
lO
x
Ss
—
O
o
p
o
O
ce
p
p
C
o
ce
o
ce
©
o
a
o
©
P
00
ce
o
o
o
o
o
Q
ce
ce
9
o
o
ce
c
ce-
ce
ce
o
©
S
H
oo
o
p»
ci
Cl
o
9
ce
o
c
iâ
«o
U3
ce
o
ce
ce
ce
ce
GN
j
ri
c»
et
ce
— i
ta
o-
^
U3
iO
ce
1^
1^
iO
r^
ta
ce
Cl
>
00
^H
■a
■a
>e
^
Le
^
---
tû
.0
ce
p-
i^
ce
i-e
ta
H
©
©
o
o
o
o
o
ce
o
ce
o
ce
ce
ce
o
o
ce
ce
ce
©
2 ^ z
< «* o
B K •<
o
o
ce
ce
o
o
o
o
o
ce
o
iO
o
o
o
9
o
ce
ce
©
o
A
o
ce
ce
Cl
o
ce
ce
ce
ce
p*
i^
O'
ce
Cl
c
Cl
Cl
i^
oo
es
■4
C}
ce
9
ce
p*
i^
[^
a
ce
Cl
p»
4
i^
oo
co
ce-
ta
00
•—
ce
ce
o
T*
ce
-c"
• e
oo
ci
<N
u
o
o
p
o
o
o
o
o
ce
ce
ce
P
ce
O
C'
O
ce
c
ce
©
P W
j 00
o
o
c
o
S
o
o
o
ce
ce
ce
lO
o
ce
o
ce
o
ce
ce
©
o
ce
-=■
ce
o
ce
9
p
Cl
Cl
Cl
oo
ce
ce
4
H
ce
es
M «
ta
p»
O
Cl
ce
ec
00
p
-#
ce
ec
Cl
ce
te
i-O
r^
<M
u s
èo
ce
M
ce
p*
ci
Cl
fN
ce
Cl
-ce-
ci
-c-
Cl
9
Cl
Cl
.e
Cl
p»
Cl
ce
Cl
-CCI
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
et
Cl
Cl
co
M
ô
co
00
a
a
o
o
ce
ce
p
ce
ce
ce
o
ce
p
P
ce
ce
©
o
ce
sa
5
9
o
s
ce
o
ce
ce
ce
ce
ce
a
o
ce
9
ce
©
P
o
9
o
ce
o
o
ce
c
9
:e
Ci
o
ce
p*
co
C
o
10.
Cl
u9
03
Cl
Cl
00
<(<
ec
ta
r^
ce
p*
Cl
Cl
^<
p^
ri
ta
OC
ce
ce
o
CC-
ce
1^
i^
p«
ec
ec
Cl
ec
Cl
ce
i^
00
■<
co
ce
ci
Cl
Cl
ce
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
ce
00
Cl
ce
Cl
Cl
<M
t»
o
o
te
P
o
o
o
a
p
ce
o
ce
ce
o
ce
ce
o
©
o
©
J
o
c
9
ce
~
o
c
ce
ce
o
ce
Si
o
c
9
ce
c
o
o
©
H
o
S
■a
o
~
ce
o
ce
9
ce
O'
Cl
ce
ta
ce
ce
ce
ce
ce
<J1
a
00
90
00
en
ce
ce
ce
~
ce
00
00
-■c
ce
i ■>
ce
©
ce
00
z
CO
M
ce
Cl
ce
ce
ce
Cl
Cl
Cl
ce
--
-->
te
te
.o
ce
»3
et
oo
m
H
t-i (M
ce
<ti
in
ce
p»
ce
CTC
©
rt
<N
ce
■*.
ta
ce
p«
ce
»
ce
^
•M
o ta
03
se
CD
sa
se
ce
ce
1 s
p»
P>i
r-
t^
i^
p<
i^-
p«
ce
oo
15
5
ta ta
3
ce
se
CE
ce
ce
ce
se
ce
ce
ce
ce
ce
ce
CO
se
ce
ce
ta
LA TAILLE EN NORMANDIE.
35
M
LA TAILLE EN NOHMAXDIE.
e s
_ o
2 S
00
oc
M
b
■<
H
O
H
CO
—
-
te
a
-
8
-.
S
—
g
Ci
©
B
e
ce
ce
ce
—
en
-
S
S
5
B
©
c
ce
ce
ce
en
en
CO
S
a
-■
B
5
c.
s
B
O
.e
o
ce
ce
ce
ce
CO
CC
M
i -
H
i^
i^
i ■
r-
r~
00
ce
-.
ce
ce
c
r^
en
O
-e
•^
***
Cl
-—
CO
.e
ce
c-c
ce
C
c
ta
i.
00
t^
i -
i -
-X
i »
c
B
■^
B
t^
ce
05
05
C5
'.i
•a
ta
CI
CI
-C
a
M «^
es o
? 8
ta
H
n
9
B
S
S 8
g
g
g
o
©
r.
-
S
Ci
1 -
S s.
■c
-
S
«M
c
:
:
9
Cl
en
eo
ce
■ce
sa
t^
Cl
r~
C
©
1^
c
9
■
Cl
-n
e
M
r*
Cl
Cl
sa
.e
en
0)
Cl
ce
ce
ce
Cl
».n
a
9)
~
s
ce
r,
sa
i^
ce
©
-c
ce
ce
V
1 -
r»
H
M
eo
n
ce
Cl
CM
Cl
ce
ce
Cl
Cl
Cl
Cl
C-3
ce
ce
co
ce
Cl
Cl
M
i
en
Sa
„.«
c
a
-
B
g
©
-
-
g
©
—
g
-
p
-
©
o
O
O
-
00
c
5.
_
B
..
9
g
9
©
5
~.
'
o
G
c»
■0
■ c
Cl
Ci
iC
.-
ta
m
iC
ce
©
!-•
*.
SB
ce
en
o
e»
CS
V
ce
i^
—
m
se
■ e
«O
cr
— .
-
Ci
CM
<!
ta
m
ce
co
o
ce
ce
ce
--
m
te
1^
i->
Cl
Cl
CM
en
ci
-i
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
CM
C4
CM
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
Cl
CM
O
-1
H
O
ci
r^
■
<
co
CM
00
00
U
•^
O
'-Ci
o
o
-
e
o
g
O
-
Q
C
S
g
-
ce
c
ce
—
eo
CM
5
ce
p
S
Ci
..
.
S
o
-
-
■~
ce
en
en
«S
O
ce
■ ~.
C
..e
—
o
-■
~
CO
en
c
te
00
CM
a
i^
ce
ce
M
ro
«O
r-
-,-
--
M
-
T.
Cl
en
S
en
CM
Cl
r.
y.
x
■'.
-
-
ce
sa
ce
X
Ci
Ci
Cl
Cl
Cl
Cl
■-
~
co
co
Si
00
-i
Cl
-
-
S
-
O
B
Q
Q
g
©
©
©
Ci
p
©
s
©
CM
-'
a
-.
.
.;
5
-
a
Q
Ci
©
g
:;
B
©
_
©
CM
•o
-~
S
•-;
i -
p»
i -
i -
.e
-
_
SB
i^.
sa
1^
Cl
©
t^
a
e
.c
~.
Cl
Cl
Cl
~
i«
.T
■-
-
t^
C5
aq
i^
ci
i^
i^
i^
Ift
.e
IC
r-
00
-
S
r.
.-
p
o
a
CM
Cl
Cl
Cl
CI
Cl
CM
Cl
Cl
M
Cl
Cl
CM
Cl
;i
Cl
Cl
Cl
Cl
w
<
Ta
-
O
-
-
e
O
g
o
5
a
a
©
©
-
©
©
-
g
©
H
o
M
/.
.
g
c
-
g
a
g
9
c
©
e
-
Cl
r.
-
-
©
n
H
-•
B
_.
'M
Cl
Cl
Cl
oc
i>
eo
ce
ce
w*
..e
en
co
ce
Cl
— -
>n
C
r«.
r-
oe
o
-
©
«35
■
1 ••
©
a
M
1
a
0
oo
ce
1 »
sa
es
1 -
w
.e
• e
.e
■■c
t^
1^
S-
y.
-
•-
.e
io
R
©
ci
eo
ce
«
O
o
s
-
p
-
p
©
g
5
-
©
a
©
©
5
ifl
ce
ce
_
.
c
-
.
.
e)
©
S
g
C
©
O
«
-r.
-.
ce
JU
ce
B
•-i
ec
-
=
ce
ce
ce
— i
©
u
■ -.
1 s
-3<
.e
r.
Jf
ce
i/5
Cl
sa
-.e
r.
on
Cl
a
•-c
te
•C
i «
C
<c
■a
.e
• C
©
1 »
i -
i-
--
.#
Cl
Si
M
_
27*
p
.*
5
S
O
g
-
«
3
-
© ©
©
©
~
©
a
-
© >o
o
5
S
..
s
_
..
3
00 ©
-
g
se
©
i
r»
e;
Cl
C."
ce
ce
ce
•31
o
05 ©
~.
--
in
.e
i^
1^ CM
o
-<
o
1^
e
Cl
i^
Cl
i -
Cl
Cl
05
o
C5 ©
Cl
ce
© t^
oo
4
ce
• -.
ce
ce
Cl
w
1^
©
en
Cl
Cl
CM
Cl
Cl
Cl
<M
Cl
C^ CM
Cl
Cl
n
m
Cl
CM CM
CM
co
T.
M
—
S
<■<
--
.»
g
S
i
~
e
g
-
©
-
-
©
s
a
ce
g
©
-
,.
-
-
.
©
■
CÇ
ce
ce
ce
ce
c?
g
1^
T.
sa
4
.»
■<
o
O
X
.-.
c i
.»
se
«n
.e
m
.e
-.
S
©
-
•n
c-i
• e
-.-
•a
ta
~
.:
i -
i -
ce
en
•<
co
H
y.
a
eo
CI
ce
£
in
s
i -
se
-.
9
—
CM
en Jf
■r
-
Q
— ci
en
■c
ce
i -
■_
—
-
~
■fi
■:
--T
•■Ç
© "w
~
te
e
©
© ©
©
APPENDICE.
547
p
-i
H
O
000^-000000000
Ol^-T-OtDOOOOOOO
©cn-*uo<i<©o<m©©©o
O5fflt^C3.-i0O0Or^0O0OaOO0
t^cOO»0©0«OCOCOCO*T-i»S<
©©©©cococîco r>
©©©OCOCOCOCO -3<
<t-i<m©©cocococo o
«•^©©cocococo o
C0 — © '© © lO «3< © «©
iOC©t^t^[^-3<COO< "5
3
M
Z
M
Sb
OMOOOOOOOOOO
Oo0l^©©©©©©00©
oo©.aii^r-oo.a<©©©©co
»<0©T-HC^CO©CO<M<N©CiC^
©o©o©©©©oc*
©©©©©©©©r^-3<
©©©ococo-r-icooto
oo-a<<MC'imoo(Mt^C5©
■— <MCOCOCOr-H©©OCN
M
O
H
es
o
©t^«5©©©0©©©©©
meaooooooooo
oooNjijiîiiaoooo-a1
oooor*<Hc*eqo©OP3c0
»/3.3<aiOO«Or^OcoOOUO»'5
«J'.4 «5.wm'»î« M 5) B-StO
C0©O©©©O©©OC5
— !©©©©©©©©C5<M
00O!0OO0000^<rMM
<T<!»5û0ï0mO00i0(M<)t©
l^t^00O©O(M©— " «i -a"
3
H
2
ôo .
©ôb©ooo©©©©©©
•^Ç0i0©000©©©©©
o» *■« t» oo -«o "•* 4 «a «o « w o»
© CO <M «O — < <)< — ' 00 » <N <M t-^
l OlOM««WWMr«PIClH
OOOOOOOONM
©©©©©©©©^H-3<
ooioncototeeiMiooo
«•Sî'iioisnuBnji
H
00
5
<
ta
TocOO©©©©©©©©©
»h.JIO®0000000
«a> ' <o oo m oo *» o © :i» © -O o»
<Mtoo<Mr^»-i-d,-HCsoo-r'i^
ncioœotioooooooooiM
04 C* vt *-< <e« <rl fi* j£l «H «* V* «H
°©©©©o©©m©
©©©©©©©©nom
ei©t>r^r-H*rHCOCOC»0
rtnKiiotortrtOciiio
©•^->fllM!M05000C»^H
D(Nrt««ntHr<THîq
H
O
a*
E
S
O
o
ïflOiîO©©©©©©©©©
nooooooooooooo
lOOO^tOÏI.ÏINOOOOO
!Sn»œnhMr<NHO-i
flîlOOOOr«HOOOO
©©©©©©©©"Oo*
©00©©©©©0©
wiMinioNMinooiffl
©T— l*-H*-<*T-«CS000iO©
73
(ri
5
o
o
« ôo
çp J-
CO©00©©©©0©©0©
OM00OOOOOOOOO
cs»i>^M«o©i>r^iOà-'5 0C5
OOOOOOOBl»^
ooooooowaM
(N"rH©©ooooi>inaoi»
K
H
H
C3
"M M
JH <}<
C-l <*©©©©©©©©©©
a>©i>©©©©©©©©©
o ni 41 h i> m a a e n ti o
^ -? tl IM ») Cl M « 91 IN N fl
©©©©©©©©©(M
OOOOOOOONM
8iaO»33r<OOMOO
MciiOiatonwwM'*
r.
■*.
H
e
N
o
Si
<!
3d
î"-. ë-i m ©©©©©©©©©
050©©©©©©©©©©
rHo<MO^<eoooo©©©iO
MnoBiaeriMriieieh
©©©©©©©©©co
©©o©©©©©couo
<0©©©-3<0<000<Mr-»
0130-^INOJIMrtOrt
inooo-joaooifltoeooo
O
o«
E
M
5
©
5b o» .** © © o. © © , © © o ©
©i/3 3»©©0©0©00©
©cocot^i-^<Mt^©o©©iio
iocoi^8iî5hOai'*nflOrH
OOOOOtCMWOlflO
©©©;OCOCOCO©JOt^
OOOOOn«»nM
(M CO M CO -# (M -< T-i <M CO
05
H
•M
K
oco<s<0<0<0<0oeoi><r^r^r*»r»t>>r^t>>roi--<ooaoooao
©ÇOCOOOîOOCO©0©00©0<©ÇOOCO©;ô<©0
548 LA TAILLB EN NORMANDIE.
VI. — NOMINATION D'UN COMMIS A LA RECETTE
DES TAILLES
Sentence du Bureau des finances de Caen, du 14 novembre 1661.
« Veu la requeste à nouscejourd'huy présentée par Nicolas Doublet,
conseiller du roy, receveur général des finances en ladite généralité
contenant que par arrest du conseil du 30e juillet dernier registre en
ce bureau il aesté commis à faire l'exercice de la charge de receveur
général alternatif des finances en cette généralité pour l'année pro-
chaine 1662, avec faculté de nous présenter des commis pour faire
l'exercice de la recepte des tailles des eslections de ladite généralité.
En exécution duquel ledit Doublet nous a nommé et présenté à l'exer-
cice de la charge de receveur des tailles en l'élection de Vallongne
pour ladite année prochaine M. Pierre Fournayeron, par nous desja
commis à faire l'exercice de ladite recepte es année dernière et précé-
dente à la charge d'en demeurer civilement responsable conformément
audit arrest. A cause de quoy requeroit qu'ils nous pleust l'admettre et
recevoir a faire l'exercice de ladite recepte pour ladite année prochaine
1662 et luy faire et déllivrer toutes les expéditions nécessaires. Veu
ladite requeste, ledit arrest du conseil et l'ordonnance de ce bureau
d'enregistrement d'icelluy de ce jourd'huy, scavoir faisons que nous
avons pour l'accélération et avancement des deniers de Sa Majesté
faict entrer en notre séance ledit Fournayeron ou il a faict et preste
le serment en tel cas requis et accoustumé, icelluy commis et commet-
tons par provision à l'exercice de la charge de receveur desdites
tailles de ladite ellection de Vallongnes pour ladite année prochaine
1662 au lieu et place de M. Pierre Morel titulaire et propriétaire des
offices de receveur desdites tailles d'icelle eslection à la nomination et
cauction dudit Doublet, saoufet sans préjudice à l'opposition faicte par
ledit Morel et de son pourvoy au conseil ainsy qu'il advisera bien. A la
charge par ledit Fournayeron de se comporter bien et deuement audit
exercice, tenir bons et fidelz registres des deniers de ladite recepte,
de payer et faire voicturer iceux deniers de mois en mois ou autre
temps convenable à la recepte générale des finances de cette généralité
sans aucun divertissement sur les quittances comptables dudit Doublet
et non sur ces billetz ou recepissez et de payer les charges assignées
sur ladite recepte des tailles suivant l'ordre de Testât du roy d'icelle
année, nos ordonnances et non autrement, sur les peynes au cas
appartenant. Et de laquelle recepte et despence ledit Fournayeron
veriffiera en ce bureau par estats en abrégez d'icelles toutes fois et
quantes que besoin sera, et en fin d'année par estât au vray pour en
compter en la Chambre des Comptes de cette province ainsy qu'il est
accoustumé, pourveu toutefois qu'il soit maintenu et continué à faire
ledit exercice, et arrivant au contraire, et que ledit Morel rentre et
soit restably en la fonction et exercice de sa charge ledit Fournayeron
luy comptera compte de clerc à maître de la recette et despense
qu'il aura faicte des deniers des tailles de ladite année prochaine pour
l'exercice que dessus. Mandons et ordonnons aux officiers de ladite
eslection de mettre incontinent et sans délay es mains dudit Four-
APPENDICE. 549
nayeron les assiettes et déppartements des impositions de ladite année
pour en vertu d'iceluy estre par luy faict ledit recouvrement. Leur
enjoignant aussy et a tous autres de le souffrir et laisser jouir de
l'effect de la présente commission sans luy apporter aucun trouble
ny empeschement en l'exercice d'icelle en leurs propres et privez
noms, ains luy donner toutte ayde et assistance en ce qui les requiera
aux choses qui concerneront icelle, et a tous huissiers et sergents royaux
requis faire pour l'exécution de ce que dessus toutte signification,
sommation, contraincte, exécution et autre acte que besoing sera.
Faict... ' »
1. A. D. Calv., Plumitif du Bureau des finances, à sa date.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Préface - . . v
Bibliographie XIII
Liste des abréviations XXXI
Chapitre PREMIER. — LE BREVET DE LA TAILLE.
1. Le droit d'imposer 1
2. L'administration centrale 14
3. L'établissement du brevet 22
Chapitre II. — LES COMMISSIONS DES TAILLES.
/ 1. Les trésoriers généraux 38
2. Les intendants 43
3. Les élections 60
4. Les avis sur le brevet 66
5. Les impositions des villes 88
6. La forme des commissions 98
Chapitre III. — LE DÉPARTEMENT ENTRE LES PAROISSES.
1. Les paroisses 103
2. Les élus 107
3. Les chevauchées des élus 133
4. La commission de répartition 136
5. La réunion de la commission 142
6. L'égalité dans le département 14i
7. Les protections accordées aux paroisses 151
Chapitre IV. — LA NOMINATION DES COLLECTEURS.
1. Les mandementf- pour la nomination 164
2. L'assemblée paroissiale 166
3. Les exempts de collecte , 173
4. Le nombre des collecteurs 180
5. Les échelles 182
6. Les fraudes et les procès 185
7. Les collecteurs nommés d'office 190
Chapitre V. — LES EXEMPTS.
1. Les nobles 198
A. La qualité de noble . . . 198
B. La recherche de la noblesse 202
C Les résultats de la recherche 218
D. Conditions de l'exemption des nobles 224
2. Les exempts par la fonction 231
Ml TABLE DES MATIERES.
A. L'exemption du clergé. ... * 232
H. L'exemption des commensaux 239
C. Exemptions à l'armée et a certains offices . . 246
D. Exemptions pour encourager certains actes
ou certaines professions 256
3. Les exempts par le domicile Ml
Chapitre VI. — Première partie : LES TAILLABLES.
1. La taille personnelle 275
2. Les feux. Conditions d'âge et de sexe 280
3. Le domicile 285
4. Le changement d'octroi 291
5. La date des rôles 307
6. L'assemblée des collecteurs 311
Chapitre VI. — Deuxième partie : LA COTE DES TAILLABLES*
1. L'estimation des facultés des taillables 317
2. La cote des collecteurs 328
3. La comparaison de taux 332
4. Les taxes d'office 339
5. Les rejets 348
6. L'inégalité dans l'assiette 353
7. La rédaction des rôles 378
8. La vérification des rôles 383
9. Les paroisses refusant de faire leurs rôles 390
Chapitre VII. — LA PERCEPTION.
1. Les villes tarifées 393
2. Qui fait la perception dans les paroisses? .... 410
3. La collecte 418
4. Les receveurs 428
5. Les malversations et concussions des receveurs. . 447
6. Les contraintes 451
7. Les frais de contraintes 468
8. Les emprisonnements 487
9. La solidité 495
Chapitre VIII. — LES RECOUVREMENTS. — L'ÉTAT ÉCONOMIQUE.
1. La liquidation du passé 501
2. La taille de 1661 à 1672 513
3. La taille pendant la guerre de Hollande 519
4. La fin du ministère (1679-1683) 525
APPENDICE :
1. Le mot taille 533
2. Avis d'un intendant sur le brevet 536
3. Commissions des tailles de la généralité de Caen pour l'an-
née 1678 539
4. Traité pour une recette particulière, 1680 543
5. Tableaux de répartition de la taille entre les élections, 1661-83. 545
6. Nomination d'un commis à la recette des tailles 548
1263-12. — Coulommiers. lmp. Paul BRODARD. — 10-13.
M'
** m
.w:a
£••*
\#K
V***,/.
i\>
*
w?
V**