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Full text of "La tapisserie dans l'antiquité, le péplos d'Athéné"

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TAPISSERIE 

DANS L'ANTIQUITÉ 

LE PÉPLOS D'ATHÉNÉ 

LA DÉCORATION INTÉRIEURE DU PARTHÉNON 



I 



LOUiS DE RONCH.AUD 



PARIS 

LIBRAIRIE DE l'aRT 
I HOr-\M, 1 MPRIMECR.KDITKIM-: 



33, 



.'OPKRA, 33 



1884 



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BIBLIOTHF.QrK INTERNATIONALE DE L ART 



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TAPISSERIE 



DANS L'ANTIQUITK 



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LE PEPLOS D'ATHENE 



EDITION TIREE A 4OO EXEMPLAIRES 



PARIS. — IMPRIMERIE DE L'ART 



J. ROUA M, IMPRIMEUR-EDITEUR, 4I, RUE DE LA VICTOIRE 



BIBLIOTHEQUE INTERNATIONALE DE L^VRT 



LA 



TAPISSERIE 



DANS L'ANTIQUITÉ 



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LE PEPLOS D'ATHENE 

LA DÉCORATION INTÉRIEURE DU PARTHÉNON 

Restituée d'uprcs un passage d'Furipidc 

PAR 

LOUIS DE RONCHAUD 



DIRECTEUR DES MUSEES NATIONAUX ET DE l'ÉCOLE DU LOUVRE 



PARIS 

LIBRAIRIE DE l'aRT 

J. ROUAM, IMPRIMEUR-ÉDITEUR 

33, AVENUE DE l'OPÉRA, 33 

1884 



INTRODUCTION 




1 se souviem de l'impression produite par 
l'apparition du Jupiter Olympien de Qua- 
tremère de Quincy. La merveille de Tart 
antique, la sculpture chryséléphantine, jus- 
que-là cachée dans les textes sur lesquels 
tant de lecteurs avaient passé sans la voir, presque incon- 
nue même des savants, sortait de l'ombre tout à coup, 
par la découverte d'un savant critique, et nous révélait ses 
trésors inattendus. Une fois sur la voie, on retrouva 
partout ses monuments. Perdus pour nos yeux, car ils 
étaient condamnés par leur nature même à être la proie 
du temps et des barbares et à disparaître, grands et petits,, 
dans le naufrage de la civilisation antique, ils revivaient 
pour l'esprit dans l'ouvrage de Quatremère. Lui-même 
parle des statues chryséléphantines, comparées aux autres 
œuvres de l'art antique, comme de constellations étince- 
lantes parmi le peuple des étoiles, t On ne peut, dit-il, 
parcourir avec Pausanias les contrées et les villes de la 
Grèce sans être arrêté à tout instant par une de ces mer- 
veilles inconnues de nos yeux et non moins étrangËrcs à 
notre goût'. » 

Après les statues d'or et d'ivoire, on découvrit les 
statues de marbre peintes, les bas-reliefs peints, les orne- 
1. Avant-propos du Jupiter Olympien. 



2 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

ments en métal ajoutés aux statues et aux bas-reliefs. Il se 
trouva que la Grèce païenne avait eu ses statues habillées, 
comme l'Italie et l'Espagne catholiques. Les vieux classi- 
ques ne reconnaissaient plus leur Grèce de convention. 
Cette vieille patrie de l'art, qu'ils avaient rêvée froide et 
pâle, ils la voyaient tout à coup animée et colorée, avec ;e 
ne sais quoi de joyeux et de populaire. C'était pour eux un 
étonnement, presque un scandale. 

Après Quatremère de Quincy,ce fut au tour d'Hittorf^ 
de jeter le trouble dans leurs idées en ajoutant à la poly- 
chromie des figures celle des édifices. Tout cela se tenait, 
et la logique voulait qu'il en eût été ainsi. Une statuaire 
riche et brillante appelait pour la loger une architecture 
du même genre, et la coloration des personnages emportait 
.celle des ornements ; le tout répondait à la beauté de la 
nature méridionale et aux tons chauds des paysages sous 
un ciel pur et lumineux. Mais la postérité de barbares 
élevée, sous un ciel brumeux, dans les traditions de cultes 
sévères, ne comprenait rien à cette architecture, fille du 
soleil. Aujourd'hui la polychromie a gagné sa cause; une 
éducation nouvelle du goût public a ouvert les yeux à ses 
beautés. Nos jeunes architectes de l'Ecole de Rome y ont 
beaucoup contribué par les restitutions polychromes de 
monuments antiques exposées dans nos Salons annuels. 
Peut être même la mesure a-t-elle été dépassée, et leur ima- 
gination d'artiste s'est-elle donné parfois trop libre carrière 
en des restitutions quelque peu fantaisistes; mais, par 
leurs travaux et ceux de nos savants, l'art antique n'en a 
pas moins retrouvé un élément perdu de sa beauté et le 
goût moderne acquis un sens nouveau pour l'admiration 
des œuvres de l'antiquité. 

I. De V Architecture polychrome che^ les anciens. 



INTRODUCTION 3 

Un pas restait à faire. M. Semper, le célèbre architecte 
allemand, Ta fait dans son Esthétique pratique, dont le 
premier volume est consacré à Part textile. En voulant 
rendre, dans la décoration des édifices, son rôle à-la dra- 
perie, M. Semper a appelé l'attention sur un élément trop 
oublié, dont on ne peut douter que l'importance ait été 
grande et l'effet des plus heureux dans l'architecture an- 
tique. Sans doute il est allé trop loin en faisant de l'étoffe 
l'élément principal et, pour employer son expression, 
générateur, le vrai représentant des idées de séparation et 
d'enceinte, sous le régime de la pierre comme sous celui 
du bois, et en réduisant les parties solides ù n'ctre que les 
soutiens de la draperie, faits pour la porter et être cachés 
par elle. Telle est, en effet, la théorie de M. Semper. Mais 
si, ainsi formulée, elle semble excessive, il n'en faut pas 
moins reconnaître que l'étoffe, soit comme tenture, soit 
comme rideau, a dû jouer un rôle important, nécessaire 
même, non seulement dans la décoration, mais dans la 
distribution des plus anciens édifices; qu'elle a dû être 
employée non seulement à revêtir des murailles, mais 
encore à établir des divisions, ù fermer des baies; qu'elle 
a tenu lieu de cloison, de volet, de toit; qu'elle a été, en 
un mot, dans les intervalles laissés par les parties solides 
des constructions primitives un complément indispensable 
en même temps qu'un ornement plus ou moins brillant. 
La logique l'indiquait ; des textes, réunis avec soin, l'ont 
constaté. Cette révélation, d'ailleurs, était moins faite pour 
nous surprendre que celle de la statuaire chryséléphantine 
ou de la polychromie des temples ; le goût moderne y était 
mieux préparé. 

L'étoffe est, en effet, un élément de décoration très en 
usage dans nos maisons. Tapis, tentures, rideaux, por- 



4 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

tières, draperies de tout genre abondent dans les apparte- 
ments des riches contemporains ; tables, lits, sièges y sont 
recouverts d'étoffes plus ou moins brillantes ; ce sont des 
articles très prisés du luxe moderne. La ressemblance tou- 
tefois est toute superficielle entre l'emploi que nous fai- 
sons aujourd'hui de la draperie dans la décoration de nos 
salons et de nos chambres à coucher et celui qu'en fai- 
saient les anciens dans, les diverses pièces de leurs habita- 
tions. C'est chez nous la plupart du temps une simple déco- 
ration, une pure fantaisie. Au contraire, dans Tantiquité, 
cet emploi de l'étoffe était, on peut le dire, organique; 
il ne servait pas seulement à revêtir des murailles, à 
cacher des portes, à accroître ou à diminuer la lumière 
par le jeu des rideaux; il formait réellement des divisions 
et des abris, et son importance était si grande, son rôle si 
essentiel, qu'on ne peut guère concevoirla maison antique 
sans le système de draperies qui s'y adapte naturellement. 
Même en laissant à part l'utilité, et en ne s'occupant 
que de l'ornement, l'étoffe paraît d'un usage plus sérieux 
dans la maison antique que dans la moderne. Plus étendu 
et plus varié que chez nous, cet usage était, en même temps, 
plus logique et plus discret. Mieux d'accord avec le climat, 
avec les mœurs publiques et privées, il s'alliait avec l'archi- 
tecture d'une façon mieux entendue et plus sévère. La 
variété des tissus et des couleurs répondait à la polychro- 
mie des murailles, aux bas-reliefs peints, aux statues colo- 
rées, à tout un ensemble riche et joyeux qui répondait lui- 
même à l'éclat de la nature orientale et méridionale, aux 
atmosphères lumineuses, aux habitudes d'une vie plus 
ouverte et plus en dehors que la nôtre. L'étoffe souple et 
brillante, aux plis lourds ou légers, jetait entre les lignes 
immobiles de l'architecture, sur la nudité de la pierre ou 



INTRODUCTION 5 

le vide des entre-colonnements, la richesse et l'éclat, la 
grâce et le mouvement des draperies, et donnait aux monu- 
ments ainsi parés et ornés un air de fête perpétuelle. Elle 
mariait ses plis flottants, ses figures et ses ornements avec 
les tableaux et les arabesques des murailles, avec l'orne- 
mentation des vases peints et des pavés en mosaïque, avec 
les colonnes de marbre dont la profusion fut si grande 
dans les palais romains ^ En rapprochant la décoration de 
l'édifice de celle du vêtement, elle mettait comme une har- 
monie de plus entre l'homme et sa' demeure ou celle des 
dieux qu'honorait son culte ; elle ouvrait au sentiment et 
à l'imagination des voies nouvelles de développement, et 
même les horizons de la fantaisie, mais sans sortir de la 
convenance et de la mesure. 

L'étoffe est le luxe naturel des civilisations primitives. 
L'homrne commence par orner son vêtement afin de s'y 
draper avec complaisance; il se sert de l'étoffe pour re- 
hausser sa dignité et pour donner plus de majesté à son 
attitude. La femme s'embellit par la parure; la grâce de 
ses mouvements se communique aux plis de la draperie 
dont elle enveloppe ses membres délicats, et sa forme ap- 
paraît plus séduisante à travers des voiles. Du vêtement la 
décoration passe à la demeure; d'abord à la tente, cet abri 
du nomade, sorte de second vêtement, de large manteau, 
dont il enveloppe avec lui sa famille et ses biens. La tente 
joue un grand rôle dans l'histoire de la décoration par 
l'étoffe. Même quand les tribus errantes se sont assises, 

I. Voir dans le livre de Friedlaender (Mœurs romaines du règne 
d'Auguste à la fin des Antonins, traduction Vogel, tome III, pages loo 
et suivantes) les curieux de'tails sur le goût des Romains pour les 
marbres pre'cieux et sur l'usage qu'ils en faisaient dans leur 
architecture. 



6 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

quand Pabri portatif est remplacé par une habitation fixée 
au sol, le système de décoration auquel la tente a donné 
lieu persiste encore dans la maison ; il en règle les ten- 
tures et le mobilier. La tente reste, même alors, l'habita- 
tion guerrière, et, dans la vie civile, une sorte de brillante 
représentation du passé à laquelle se rattachent les plus 
anciennes traditions de la vie nationale; elle sert pour 
l'exposition des morts, pour la célébration des fêtes reli- 
gieuses, comme en Egypte et en Grèce; les rois d'Orient 
y rendent la justice; elle est un symbole de la souveraineté. 
Nous verrons de quel éclat le génie de la Grèce, marié à 
celui de l'Orient, avait su doter ces constructions provi- 
soires où triomphait Tart décoratif de l'antiquité. Nous 
verrons aussi quels éléments de richesse et de somptuosité 
les temples de la Grèce avaient pu emprunter aux tentes 
de l'Orient et ce que devait peut-être à cette tradition la 
décoration du Parthénon. 

Le péplos d'Athéné, tel est le véritable sujet de cette 
étude, dont quelques fragments ont paru, en 1872, dans la 
Revue archéologique; ce péplos qui, détaché des flancs de 
la déesse après que Phidias l'eut revêtue d'un vêtement 
d'ivoire et d'or, vint se déployer en draperies splendides 
dans le sanctuaire d'Athéné Parthénos, autour de la statue 
chryséléphantine. Les détails que je me suis attaché à réunir 
sur la tapisserie et la broderie dans l'antiquité orientale, 
grecque et romaine ; sur l'emploi de la draperie pour la 
division intérieure et la décoration des édifices antiques; 
sur les tentes, ces merveilles éphémères dont la féerique 
splendeur, qui brille et s'éteint comme une illumination, 
semble plus appartenir au conte qu'à l'histoire ; ces déve- 
loppements, bien qu'intéressants en eux-mêmes, ne sont 
cependant qu'une préparation à une restitution de la déco- 



INTRODUCTION 7 

ration du Parthénon telle que je la conçois. Il s'agit de 
rétablir cette chambre de la Vierge^ formée par la colonnade 
intérieure de THécatompédon et par le système de drape- 
ries suspendues dans les entre-colonnements. Enveloppée 
de ses voiles de safran, et, comme dit le poète grec, des 
ailes des péplos^ l'idole resplendissante apparaissait ainsi 
dans une sorte de tente royale, sur la montagne sacrée, 
au milieu de son peuple et des monuments de la cité. 

Si la statuaire chryséléphantine a péri tout entière, et si 
les trésors dont elle se composait ont été la proie des bar- 
bares, peu soucieux de respecter des chefs-d'œuvre de l'art, 
et très avides de l'or, de l'argent et des pierreries; si les 
couleurs se sont effacées sur les murs et sur les colonnes, 
sur les figures et les ornements sculptés des temples anti- 
ques, on comprend qu'il ne reste rien non plus des drape- 
ries qui formaient l'accompagnement des colosses d'ivoire 
et d'or, et que toute cette décoration si riche et si brillante, 
toute cette fête des yeux ait été anéantie ; elle n'avait pas 
même besoin, pour disparaître sous la main du temps, 
de l'écroulement de la civilisation antique ; elle devait se 
flétrir comme un printemps de l'art dont les fleurs passa- 
gères se seraient décolorées et effeuillées naturellement, 
quand même la tempête ne les eût pas brisées et détruites. 
Rien n'en reste que l'idée qu'on s'en peut faire, et leur 
restitution plus ou moins conjecturale par l'imagination 
et l'érudition. J'ai essayé d'ajouter quelques traits à cette 
résurrection du temple antique dans toute sa splendeur 
religieuse, et de rendre à la corolle de l'art grec tous ses 
pétales, si richement colorés, dans la plus parfaite et la 
mieux épanouie de ses fleurs divines. 



CHAPITRE PREMIER 

DES TAPIS ET DES ÉTOFFES BRODÉES 
DANS l'antiquité ORIENTALE, GRECQUE 

ET ROMAINE 



Caractère mobilier de la richesse chez les anciens ; des Trésors. -^ Tapisseries 
et broderies; principaux centres de fabrication : Tlnde, l'Egypte, l'Assyrie, 
la Habylonic, l'Asie Mineure. — L'art de tisser et de broder chez les 
Kgyptiens, chez les Hébreux, chez les Assyriens, chez les Babyloniens, chez 
les Phrygiens et les Lydiens. — Les Phéniciens, leur industrie et leur 
commerce. — Habileté des femmes grecques dans la tapisserie et la broderie. 
— La tupisserie à l'époque homérique. — En Grèce, les tapisseries sont 
d'abord réservées aux temples. — Luxe des tissus historiés; le péplos 
d'Alcisthèncs de Sybaris. — Richesse des vêtements chez les anciens Perses ; 
l'armée de Darius. — Les conquérants macédoniens héritent de la magnifi- 
cence des rois de l'Orient. — Le vêtement et l'ameublement à Rome. — L'art 
du tapissier florissant encore en Gaule après la chute de l'empire. — 
Influence persistante du génie de l'Orient dans l'art décoratif.' 



Une partie importante de la richesse des anciens con- 
sistait en meubles et en objets précieux. Cette richesse 
mobilière, dans laquelle dormait un capital parfois très 
considérable, leur tenait lieu de nos valeurs portatives. On 
la conservait dans les Trésors. 

Il y avait de ces Trésors dans la vieille Egypte, comme 
l'atteste une histoire de voleurs racontée par Hérodote ^ 
C'étaient, paraît-il, des cachettes pratiquées dans les mu- 
railles et fermées par une pierre qu'on pouvait déplacer 
aisément, à la condition d'en savoir le secret. On a décou- 
vert à Denderah douze cryptes de ce genre, dissimulées 

I. II, 121. — Le conte de Rhampsinite a e'té commenté par 
M. Maspéro. {Contes populaires de VÉgypte ancienne^ introduction, 
pages xxxviii-XLi.) 



CHAPITRE PREMIER 9 

dans les fondations de l'édifice ou réservées dans l'épais- 
seur des parois. 

Dans la Grèce héroïque, ces Trésors étaient la partie 
la plus remarquable des demeures princières. C'étaient 
des constructions en forme de dômes, destinées à la conser- 
vation des armes, coupes et effets précieux (xsijxr^ta). 
Les temples avaient leurs o'j^oi, sortes de mystérieux sou- 
terrains où s'entassaient leurs richesses*. La piété des 
peuples en avait rempli le >.aïvo; o'jSo; de Delphes, déjà 
mentionné par Homère-. Les temples eux-mêmes, les bril- 
lants sanctuaires, tout resplendissants des riches offrandes 
dues à la piété ou à l'ostentation, étaient des sortes de Tré- 
sors ; les richesses qu'on y accumulait faisaient partie de 
la fortune publique : c'était comme une réserve sacrée à 
laquelle on ne devait toucher que dans les cas extrêmes^. 

Un spécimen intéressant de ce genre de constructions 
nous a été conservé dans le fameux Trésor des Atrides, à 
Mycènes, ouvert de nos jours par lord Elgin, ainsi que 
d'autres édifices du même genre et de la même destina- 
tion*. Les tombeaux étaient également des Trésors. On 
y renfermait de l'or et des objets précieux, sans doute 
pour l'usage des morts, car on croyait au besoin qu'ils en 
pouvaient avoir dans leur vie souterraine. Au temps des 
empereurs romains, une des manières de s'enrichir était le 
pillage des anciennes tombes royales ^. 

1. O. MûUer, Manuel d* archéologie, % 48. Voir la traduction 
anglaise de J. Leitch publie'e sous le titre : Ancient art and its remains, 
avec les additions de Welcker, pages 23, 24. 

2. Iliade, IX, 404. 

3. De Ronchaud, article Atirum, dans le Dictionnaire des anti' 
quités grecques et romaines de Daremberg et Saglio. 

4. Pausanias, II, 16, 6 ; O. Mûller, Ancient art, g 49. 

5. Philostrate, Vie d'Apollonius, VII, 23. 



lo LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

Les femmes avaient leurs OaXaaoi, ou chambres se- 
crètes, où elles serraient leurs effets les plus précieux. 
Homère nous montre Hécube descendant dans une 
chambre parfumée où étaient gardés de précieux tissus 
historiés, ouvrages des filles de Sidon, afin d'y chercher 
le riche péplos qu'elle voulait présenter à Athéné dans son 
sanctuaire ^ 

Aujourd'hui encore, en Turquie, — c'est M. Dumont 
qui nous l'apprend dans une relation de voyage où il a 
plus d'une fois rapproché des usages modernes ceux de 
l'antiquité, — on trouve en chaque palais la chambre des 
fourrures. Les pachas y font garder les pelleteries qu'ils 
reçoivent en cadeaux de leurs administrés et dont ils se 
font des revenus considérables^. 

Dans tous ces Trésors^ l'étoffe tient une place impor- 
tante. Elle est souvent accompagnée des pelleteries, qui 
furent de tout temps un article très estimé. Ces peaux 
d'animaux, au pelage varié, dont l'effet était très décoratif, 
servaient aux mêmes usages que les tapis : on en faisait 
des vêtements et des couvertures, des tentes et des lits; on 
les étendait sur le sol ou sur des meubles; on en couvrait, 
en guise de caparaçons, le dos des chevaux; on les suspen- 
dait en rideaux et en tentures aux murailles. 

L'Egypte, l'Assyrie, la Babylonie, l'Inde, l'Asie Mi- 
neure, renfermaient les plus anciens centres de fabrication 
des tapis et des étoffes variées, brochées ou brodées. Un 
commerce actif répandait de peuple à peuple, dans tout le 

1. Iliade, VI, 287, 295. 

2. Albert Dumont, le Balkan et l'Adriatique, page 74. — Les 
rois francs eurent aussi leurs Trésors. Gre'goire de Tours {Historia 
ecclesiastica, VI, 35) nous apprend ce qu'e'tait le Trésor d'un jeune 
prince mérovingien. On y trouvait, entre autres effets précieux, des 
vêtements de soie. 



CHAPITRE PREMIER ii 

monde antique, les produits de cette industrie riche et 
brillante. Les Phéniciens, ces grands navigateurs et ces 
grands marchands de l'antiquité, qui remplaçaient par le 
génie du commerce le génie créateur dont la nature ne les 
avait pas doués*, colportaient sur leurs navires, avec les 
peaux de lion et de panthère tirées de l'Afrique, des tissus 
brodés fabriqués à Sidon et en d'autres lieux. Plus tard, 
les Grecs devaient joindre à leurs autres dons Tesprit de 
trafic et l'instinct du voyage. Hardis navigateurs à leur 
tour, ils devinrent les intermédiaires naturels entre rOrient 
et l'Occident. La Grèce a été le grand centre de civilisation 
dans le monde antique; elle y tenait, comparativement, à 
peu près la même place et y jouait le même rôle que 
l'Europe tout entière dans notre monde moderne ; l'Italie, 
la Sicile, vers lesquelles se dirigeaient ses colonies, étaient 
vis-à-vis d'elle à peu près dans le même rapport que 
l'Amérique vis-à-vis de nous. Plus tard, au moyen âge, 
nous verrons les Juifs et les Syriens apporter et répandre 
les richesses de TOrient dans l'Europe encore barbare; ils 
reprenaient le rôle des Phéniciens et le gardèrent jusqu'à 
l'époque où les peuples européens, réveillés d'un long 
sommeil et inspirés par le génie de la civilisation, établi- 
rent entre eux et avec le Levant les relations du commerce 
moderne. Cependant l'Orient n'a pas cessé, et il continue 
encore aujourd'hui, d'alimenter de ses produits le luxe 
européen, et les Orientaux sont restés nos maîtres dans 
l'art décoratif. 

Les Egyptiens étaient d'habiles tisserands, et la beauté, 

I. M. Mommsen les compare à ces oiseaux qui transportent des 
graines dans leur bec et les sèment au hasard, sans conscience de 
leur œuvre de propagation végétale. (Histoire romaine^ traduction 
française, tome III, page 5.) 



12 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

la variété de leurs tissus étaient célèbres. Ils savaient repré- 
senter des animaux avec des fils de diverses couleurs. 
C'est ce qu'on a appelé Yopus polymitarîum^, Hérodote 
fait mention de travaux de ce genre exécutés par des 
artistes égyptiens au temps d'Amasis. Il s'agit de deux cui- 
rasses, dont l'une, donnée par ceprince aux Lacédémoniens, 
est ainsi décrite par Hérodote : « Elle était de lin, ornée 
d'un grand nombre d'animaux tissus en or et en coton. 
Chaque fil méritait une admiration particulière. Quoique 
très menus, ces fils étaient composés chacun de trois cent 
soixante autres fils, tous très distincts^. » 

L'autre cuirasse, dont il est aussi question dans Héro- 
dote, avait été offerte par le même Amasis à la déesse de 
Lindos. Au temps de Pline, on voyait encore, dans le 
temple d'Athéné de l'île de Rhodes, les restes de cette 
cuirasse très détériorée par la curiosité des visiteurs. Un 
consulaire, Mucianus, l'avait examinée et s'était assuré de 
la vérité de la tradition, d'après laquelle chaque fil était 
composé de trois cent soixante-cinq brins ^. 

Ézéchiel parle de l'art de broder comme d'un art 
égyptien : « Byssus varia de ^gypto texta est tibi in 
vélum ut poneretur in malo^ » Suivant Martial, \q peigne 

1. De Sauicy, l'Art judaïque y page 33. 

2. He'rodote, III, 47. 

3. Histoire naturelle^ XIX, i, 3, e'dition Sillig. Pline mentionne 
à ce sujet les toiles de Cumes, faites avec le lin de Campanie, qui 
n'e'taient guère moins admirables. Chaque maître fil s'y composait 
de cent cinquante autres. Ces toiles e'taient employe'es pour la 
chasse, et telles étaient leur force et leur souplesse qu'elles enchaî- 
naient les sangliers et résistaient au tranchant du fer. Elles étaient 
avec cela d'une finesse si grande, d'une si infinie ténuité, qu'elles 
passaient par un anneau, et qu'un seul homme en portait sur lui 
de quoi entourer tout un bois. 

4. XXVII, 7. 



14 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

des bords du Nil l'emportait sur l'aiguille de Babylone : 

Victa est 
Pectine niliaco jam Babylonis acus, 

ce qui veut dire que les dessins formés à la main dans le 
tissu même par les artistes égyptiens étaient supérieurs aux 
broderies à l'aiguille des Babyloniens ^ 

Beaucoup d'étoffes égyptiennes, dit Wilkinson, pré- 
sentaient des dessins variés exécutés en couleurs par le 
travail du métier, indépendamment de ceux qu'on obtenait 
par la teinture et la peinture 2. Les habits coloriés qu'on 
voit représentés dans les peintures égyptiennes, portés par 
des femmes de haut rang ou par des divinités, ressemblent 
pour le style des dessins à nos modernes indiennes, sauf 
qu'elles étaient de lin probablement au lieu de calicot. 
Quelques-uns étaient sans doute brodés à l'aiguille, 
d'autres tissés avec des fils d'or ^. 

Les étoffes égyptiennes étaient de lin ou de chanvre; la 
laine y fut aussi employée, mais seulement, paraît-il, à 
une époque relativement récente ^ Hérodote nous montre 



1. « La tapisserie se distingue de la broderie eh ce que les 
figures y font partie inte'grante du tissu, tandis que dans celle-ci elles 
sont simplement superpose'es sur un tissu de'jà existant. Elle se dis- 
tingue, d'autre part, des e'tofFes tisse'es ou broche'es en ce que chacune 
de ses productions est exe'cute'e à la main et non obtenue au moyen 
d*un mécanisme répétant à l'infini le môme motif. » Eugène Mûntz, 
la Tapisserie, nouv. e'd., pages 7 et 8. 

2. The Manners and Customs of tite ancient Egyptians, nouvelle 
édition de Samuel Birch, 1878, tome II, page 166. 

3. Wilkinson, tome I", page 168. — Dans un bas-relief peint du 
musée du Louvre qui représente la déesse Hathor en rapport avec 
le roi Seti I"", la robe de la déesse porte une inscription en couleurs 
où se lit la légende du roi. 

4. D« môme la soie. Voir Mûntz, la Tapisserie, page 18. 



i6 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

les Egyptiens s'enveloppant par-dessus leur vêtement de lin 
(xa>.à<7ipi;) d'un manteau de laine blanche; mais ils ne 
portaient pas ce manteau dans les temples, et on ne les 
ensevelissait pas avec ce manteau ^ ; la religion l'interdisait. 
Dans les idées égyptiennes, adoptées par les pythagoriciens, 
la laine était impure comme provenant d'un animal, 
tandis que le coton, la laine de bois (eïpo; i-no ^'j>.0'j) était 
pure comm2 produit végétal^. 

On donnait le nom de byssus à une étoffe précieuse 
faite de lin ou de chanvre ^. Les textes égyptiens men- 
tionnent, sous les noms de pek et de suten sés^ deux 
espèces de byssus particulièrement estimées, sortes d'étoffes 
royales dont la fabrication semble avoir été un privilège des 
temples *. Dans le roman de Setna^ traduit du démotique 
par M. Eugène Révillout, conservateur-adjoint du Musée 
égyptien et professeur à l'Ecole du Louvre, le roi se couvre 
de pek en signe de deuil ^, Dans le même roman, nous 
voyons l'autre espèce de byssus employée en couverture 
de lit; nous la voyons envelopper d'un voile transparent 
les membres charmants d'une jeune femme pour une 
séduction irrésistible ^\ 

On a déjà vu dans Ezéchiel le byssus artistement 

1. Hérodote, III, 8i. 

2. Suivant Pline, on appelait xylon le cotonnier et xylines les 
étoffes qui en provenaient. (XIX, 2, 6.) 

3. Ou de coton. Philostrate {Vie d'Apollonius, II, 20), dit que le 
byssus était le produit d'un arbre et remarque qu'il était également 
estimé en Inde et en Egypte. Comp. Pline, XII, 21; Strabon, XV, 
20 et 21. 

4. Décret de Rosette. Voir Eugène Révillout, Chrestomathie 
démotique, pages 173, 180, et Revue égyptologique, livraisons ii-iii, 
page II 3. 

5. Pages 27 et 89. 

6. Ibid,, pages 35, 38, 141, 149. 



i8 LA TAPISSERIE DANS L»ANTIQUITÉ 

travaillé former des banderoles au haut des mâts. C'était 
le pavillon royal. 

Il y eut aussi certainement des tapis de laine. On en 
étendait sous les animaux sacrés, on les en couvrait^. Le 
Livre des Proverbes de Salomon parle de tapis égyptiens 
étendus sur des lits par des courtisanes juives comme 
d'articles précieux de leur luxe galant^. Dans son excellent 
livre sur la Tapisserie, où il résume d'une manière si 
complète et si intéressante l'histoire de cet art méconnu, 
si plein pourtant de séductions, M. Eugène Mûntz décrit 
d'après Wilkinson un tapis égyptien conservé dans une 
collection anglaise : « On y voit, au centre, sur un fond 
vert, un jeune garçon en blanc, ayant une oie au-dessus 
de lui ; viennent ensuite une bordure de lignes rouges et 
bleues, des figures blanches sur un fond jaune, des lignes 
bleues et des ornements rouges, puis une nouvelle bordure 
rouge, blanche et bleue. » 

Les armoires de la salle civile, au musée du Louvre, 
renferment quelques échantillons rares de tentures antiques 
et des spécimens curieux de la broderie égyptienne. Le 
lin est la matière de ces étoffes; un seul morceau m'a paru 
provenir d'un tapis de laine. Les autres sont des lambeaux 
de toile teinte; certains sont ornés de passements de fils 
de couleurs variées, d'autres sont semés de petites houppes 
qui les font ressembler à une toison. Il y a une mousseline 
qui a pu envelopper quelque Tububu, comme l'héroïne du 
roman de Setna, On a trouvé dans les tombeaux de Thèbes 

1. Diodore de Sicile, I, 84; Wilkinson, tome II, page 175, et 
tome III, page 244. On possède au Louvre une statuette d*Apis avec 
un tapis figure' sur le dos. 

2. « Intexui funibus lectulum meum, stravi tapetibus pictis in 
iEgypto », dit la courtisane au jeune homme qu'elle veut attirer. 
(Liber proverbioruniy VII, 16.) 



20 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

des fauteuils d'ébène recouverts de riches étoffes ^ Il y 
avait des coussins faits de coton colorié, de cuir peint, ou 
d'un tissu d'or et d'argent^. 

La conquête arabe trouva l'Egypte toute pleine de 
trésors longuement accumulés. L'inventaire des richesses 
d'un favori disgracié du sultan mamlouk El-Malek-en- 
Nasser (xiv® siècle) mentionne, avec l'or et les pierres 
précieuses, des étoffes et des vêtements brodés; celui du 
khalife abbasside Mostanser (xiiie siècle) mentionne, au 
milieu de richesses de tout genre, des tentes^ des pavillons, 
des châteaux formés d'étoffes d'or, de velours, de satin, de 
soie de Chine, figures, etc.' 

Les Egyptiens modernes fabriquent encore aujourd'hui 
des tissus de soie brodée d'or sur des métiers d'une cons- 
truction toute primitive; les femmes travaillent dans les 
harems au tissage et à la broderie, elles s'y adonnent de 
préférence à la couture. Les boutiques du Caire regorgent 
d'étoffes orientales fabriquées en Egypte ou venues 
d'ailleurs *. L'Orient ne se comprend pas sans la richesse 
des étoffes et des couleurs; elle est fille de son soleil. 

Les Hébreux durent apprendre des Egyptiens l'art de 
la peinture en matières textiles. Pour ces pasteurs du 
désert, la tente était le monument national, qu'ils devaient 
aimer à décorer; l'art égyptien leur fournit pour cela les 
tapis et les tentures aux couleurs variées que nous aurons 
à décrire en parlant du Mischkhan. M. de Saulcy regarde 

1. Wilkinson, tome II, page i66. 

2. Ibid.j tome I^"*, page 409, et la planche coloriée en tête du 
volume. 

3. Voir dSiUsV Egypte à petites journées, de M. Rhoné, une note 
sur les trésors des khalifes du Caire, page 402. 

4. H. de Vaujany, le Caire et ses environs, pages 35, 78, 120. 



CHAPITRE PREMIER 21 

comme particuliers aux Hébreux le tissage en poils de 
chèvre et la préparation des peaux de bélier teintes en 
rouge * . 

Comme les Egyptiens, les Hébreux aimaient les beaux 
vêtements; leurs habits sacerdotaux étaient particulière- 
ment riches et élégants. M. Ledrain décrit ainsi, d'après 
Josèphe^, le costume des cohènes de la famille d'Aaron : 
« Ils portaient un costume particulier dont les trois parties 
principales étaient le caleçon de lin, descendant proba- 
blement Jusqu'aux genoux, l'élégante tunique (kilthônet) 
sans plis, qui pressait le corps et en faisait ressortir les 
formes, et la ceinture de lin, que l'on adaptait à la tunique, 
et dont la longueur permettait de la rejeter sur l'épaule et 

d'en laisser retomber à flots sur le corps la belle étoffe 

La longueur de cette ceinture aurait été, d'après la 
Guémara de Jérusalem, de trente-deux aunes. Elle avait 
la forme arrondie de la dépouille d'un serpent, avec les 
radieuses couleurs blanc, hyacinthe, pourpre, cramoisi^. » 

Le grand cohène portait dans les cérémonies une toge 
violette appelée tnéhil, descendant jusqu'aux talons et 
serrée à la taille par une ceinture de couleurs variées. Par- 
dessus brillait Véphod, veste de fin lin aux couleurs d'hya- 
cinthe, de pourpre et de cramoisi, pressée à la taille par une 
ceinture pareille, et ornée, au pectoral, de douze pierres 
précieuses portant les noms des fils de Jacob ^. C'était là 
encore un souvenir de l'Egypte. C'est en qualité de juge 
que le grand-prêtre avait ainsi le ^odron sur son pectoral, 
et ce symbole de vérité rappelait la pierre gravée que les 

1. Histoire de V art judaïque, page 33. 

2. Antiquités judaïques, III, 7, 2. 

3. Ledrain, Histoire du peuple d'Israël, tome I", page 139. 

4. Ledrain, Histoire d'Israël, tome I", page 140. 



22 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

juges égyptiens portaient suspendue au cou par une chaîne 
d'or^ 

L'éclat des pierreries s'allie d'une façon toute naturelle 
avec les belles étoffes et les riches broderies, ainsi qu'avec 
l'or et l'argent. Leurs constellations brillantes ajoutaient à 
la solennité des cérémonies religieuses. Elles donnaient 
aussi plus d'éclat à la royauté. La reine de Saba en appor- 
tait en présent à Salomon, et elles brillaient avec l'or 
d'Ophir, la pourpre tyrienne, les verreries d'Akko, parmi 
la foule des objets rares et précieux qui faisaient de la cour 
du khalife juif le lieu de réunion de toutes les splendeurs 
de l'Orient 2. 

Les étoffes assyriennes étaient célèbres par l'éclat et la 
beauté de leurs broderies ^, Elles reproduisaient des figures 
humaines ou symboliques, des processions d'animaux, des 
fleurs et d'autres emblèmes. C'est de l'Orient qu'est venu 
tout un monde fantastique d'êtres merveilleux, sphinx, 
griffons, figures ailées, animaux à tête humaine ; de l'Orient 
qu'ont passé en Grèce ces zones de tigres, de boucs, de 
mouflons qu'on trouve sur les bas-reliefs assyriens et qu'on 
retrouve sur les vases grecs archaïques. C'est de l'Orient 
encore qu'avaient été apportés aux Hellènes certains motifs 
d'ornementation comme la rosace, la palmette. Ces orne- 
ments convenaient aux étoffes brodées aussi bien qu'aux 

1. Diodore de Sicile, I, yS ; Elien, Histoires diverses, XIV, 34; 
Ledrain, lieu cité. 

2. Sur la cour de Schelomo (Salomon), voyez Ledrain, lieu cité, 
tome I""*, pages 340 et suivantes. 

3. Suivant Martial, qui oppose au peigne égyptien Vaiguille 
babylonienne (voir le texte cité plus haut), les Babyloniens auraient 
surtout excellé dans les broderies à l'aiguille, tandis que le travail 
égyptien consistait en fils variés introduits dans le tissu mCme ; 
c'est ce qui distingue aujourd'hui la tapisserie de la broderie. 



CHAPITRE PREMIER 23 

coupes de bronze, aux stèles ou aux briques peintes; les 
châles et les tapis assyriens, transportés par le commerce, 
ont pu les fournir aux artistes grecs *, Les tapissiers grecs 
ont pu s'en inspirer comme les sculpteurs et les céra- 
mistes. On a rappelé à ce sujet le fameux péplos d'Alcis- 
thènes de Sybaris, lequel offrait les images des principaux 
dieux de la Grèce entre deux bordures décorées de figures 
orientales : le haut représentant les animaux sacrés des 
Susiens, le bas ceux des Perses^, M. de Longpérier a fait 
remarquer que la description par Aristote de cette pièce 
d'étoffe peut s'appliquer exactement à des vases trouvés 
en Etrurie, sur lesquels des scènes de la mythologie 
hellénique sont accompagnées de frises à processions 
d'animaux d'un caractère asiatique frappant ^. 

Dans les sculptures assyriennes, tous les grands per- 
sonnages, rois ou dieux, sont vêtus de ces étoffes brodées 
dont la richesse et la beauté semblent ajouter à la majesté 
de leur attitude. M. Layard décrit un bas-relief de Ninive 
où la robe du monarque et celles des personnages qui l'ac- 
compagnent sont couvertes de dessins très finement exé- 
cutés. Sur la robe royale on voit comme sujet principal 
deux rois en adoration devant l'emblème du Dieu suprême. 
Les bordures qui entourent les groupes sont composées 



1. Collignon, V Archéologie grecque, page 3o. 

2. Aristote, De mirabilibus auscultationibus, XCIX ; de Longpé- 
rier, Antiquités assyriennes du Louvre, 3' édition, page 19. 

3. Cette tradition d'emprunt mutuel de motifs ornementaux 
entre les divers arts de'coratifs serait encore vivante aujourd'hui en 
Orient au rapport de re'cents voyageurs. M. James Baker a signalé 
la ressemblance, pour les dessins et les couleurs, entre des tapis 
turcs et les mosaïques d'une église de Salonique qui était origi- 
nairement un temple païen. {La Turquie,] traduction française, 
page 369.) 



24 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

d'animaux extraordinaires, de sphinx, de griffons, de che- 
vaux ailés. Les habits des prêtres et des eunuques sont de 
même genre et non moins beaux que le vêtement royal. 
Leurs broderies figurent des hommes en lutte avec des 
monstres ailés, des autruches devant un arbre sacré, et 
toutes sortes d'élégants emblèmes parmi lesquels l'orne- 
ment le plus remarquable est une fleur à sept pétales ^ 

« Ces dessins soigneusement sculptés, dit M. Layard, 
ont sans doute l'intention de représenter des broderies de 
soie, de lin, ou des étoffes de laine, dans la fabrication et 
la teinture desquelles les Assyriens avaient acquis une si 
grande perfection, que la beauté de leurs habits était encore 
en proverbe longtemps après la chute de l'empire... Les 
robes, telles qu'on les voit dans ces sculptures, doivent 
avoir été ces vêtements teints et ces ouvrages de broderie 
dont il est fait mention si souvent dans la Bible, comme 
servant à l'habillement des princes et aux dons les plus 
magnifiques des souverains. Les ornements et les figures 
pouvaient être ou teints, ou tissés au métier, ou brodés à 
l'aiguille^. » 

Les monarques nînivites devaient avoir un goût pro- 
noncé pour les tissus brillants, car on les voit, dans les 
inscriptions, exiger en tribut des peuples vaincus des 
étoffes teintes en pourpre et en berom ^. Nous verrons plus 
loin que ces étoffes devaient servir à la décoration de tentes 
splendides. 

Les manufactures de Babylone n'étaient pas moins 

1. hdiy^Tà, A popular accouni of discoveries at Nineveh, i856, 
pages 95 et suivantes. 

2. Layard, lieu cité. 

3. Oppert, Expédition en Mésopotamie, tome l*', pages 3 12, 320, 
322, 325, 326, 327, etc. 



CHAPITRE PREMIER 25 

renommées que celles de Ninive. Leurs tapisseries repré- 
sentaient des figures d'animaux fantastiques ^ L'éclat varié 
des vêtements babyloniens leur a fait comparer le plumage 
du paon ; Plumato amictus aureo babylonico^. Selon 
Pline ^, les tissus de couleurs variées étaient appelés baby- 
loniens^ du nom de la ville qui en avait les manufactures 
les plus vantées. Les châles babyloniens étaient fort esti- 
més à Rome, où ils servaient quelquefois de couvertures 
de lit^. Caton, toutefois, ne partageait pas le goût qui 
commençait à s'éveiller de son temps pour les produits du 
luxe oriental. On raconte qu'il fit vendre un de ces châles 
brodés^ trouvé dans l'héritage d'un ami. 

Les tapissiers babyloniens ne figuraient pas seulement 

sur leurs tapisseries les sujets favoris de l'art national ; ils 

empruntaient aussi des sujets étrangers, par exemple à 

l'histoire et à la mythologie des Grecs. Apollonius de 

Tyane en vit de ce genre à Babylone. On y trouve, dit-il, 

« des Andromèdes, des Amymones, et la figure d'Orphée 

y revient sans cesse. Les Babyloniens aiment beaucoup 

Orphée; peut-être en considération de sa tiare et de ses 

braies... On voit encore sur ces tapisseries Datis sacca- 

géant l'île de Naxos, Artapherne assiégeant Erétrie, et les 

prétendues victoires dont s'enorgueillissait Xerxès : c'était, 

par exemple, la prise d'Athènes, le passage des Thermo- 

pyles, et, ce qui est encore plus dans le goût des Mèdes, 

les fleuves taris, la mer enchaînée et le mont Athos 

percé ^. » 

1. 0/;p(a)v TepaTcoSeic jAopça;. Philostrate, Imagines, II, 3i. 

2. Publias Syrus dans Pétrone, Satyricon, LV. 

3. Histoire naturelle, VIII, 48. 

4. Lucrèce, De Natura rerum, IV, 102 3. 

5. *EictêXYjjAa Tûv TTOix^Xcov pa6uX(oviov. (Plutarque, Caton, IV.) 

6. Philostrate, Vie d'Apollonius, I, 25, traduction Chassang. 



26 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITiî. 

La ville sainte de Borsippa était célèbre pour ses fabri- 
ques de tissus de lin ^ 

Outre ses fabriques indigènes, Babylone avait des entre- 
pôts sur le Tigre et sur l'Euphrate pour les marchandises 
qui lui étaient apportées par le commerce ^^ Il y avait 
dans ces marchandises des produits de l'Inde, de la Perse, 
de l'Arabie et d'autres contrées avec lesquelles la Baby- 
lonie était en relations commerciales. Il est probable que 
le nom de Babyloniens fut donné souvent à des tissus de 
ces divers pays achetés sur les marchés de Babylone. De 
même, plus tard, on dut appeler tapis de Perse, tapis 
d'Alexandrie, des produits de diverses régions asiatiques. 
De même encore, au moyen âge, on appelait œuvres de 
Damas ^ œuvres sarra^inoises, les tapisseries et les étoffes 
brodées de fabrique orientale, ou fabriquées en Occident 
sur des dessins orientaux. 

L'Inde, ce pays doré des fables antiques, avait aussi 
ses étoffes précieuses. Dans le Ramayana^ le roi des Vidé- 
hains donne en dot aux princesses ses filles « des tapis de 
laine, des pelleteries, des joyaux, de moelleuses robes de 
soie, des vêtements variés dans leurs teintes, des parures 
étincelantes, des pierreries de haut prix, etc. ^ ». Alexandre 
le Grand, naviguant sur l'Hyphase, reçoit des princes 
indiens, à titre d'hommage, des présents consistant en « tis- 
sus magnifiques, pierres précieuses, perles^peaux de serpent 
aux couleurs variées, écailles de tortues, lions et tigres 
apprivoisés * » . 

1. Strabon, XVI, i, 7. 

2. Diodore de Sicile, II, 11; Lenormant, Manuel d'histoire an- 
cienne de VOrienty tome II, page 253 (septième e'dition). 

3. Traduction d'Hippolyte Fauche. 

4. Droysen, Histoire de l'Hellénisme, traduction Bouche'-Leclercq, 
tome I'*", page 586. 



CHAPITRE PREMIER 27 

Arrien, dans ses Indiques^ nous montre les Indiens 
revêtus d'étoffes faîtes d'une espèce de lin qu'on recueillait 
sur un arbre ^ ; c'est le byssus tant estimé des Egyptiens, 
ou du moins une de ses variétés. Ceux d'un certain rang 
ont des ombrelles pour se garantir des ardeurs de l'été ^. 
Strabon nous représente ces peuples comme portant jus- 
qu'à l'excès le goût de la parure et passionnés pour les 
couleurs éclatantes qu'ils tiraient des plantes de leur pays ^. 
Toutefois, s'ils se plaisaient à revêtir des étoffes brochées, 
des robes à fleurs, ils aimaient aussi les vêtements blancs 
faits de gaze légère ou de fine toile *, « Dans les pompes ou 
processions solennelles, dit encore Strabon^, les jours de 
grande fête, on voit défiler de nombreux éléphants couverts 
de riches caparaçons d'or et d'argent, précédant une foule 
de chars attelés de quatre chevaux ou traînés par deux 
bœufs ; puis viennent des hommes de guerre revêtus de leurs 
plus belles armures, et, après eux, une suite interminable 
de chefs-d'œuvre d'orfèvrerie (urnes gigantesques, cratères 
mesurant jusqu'à une orgye de circonférence, tables, trônes, 
vases à boires et bassins à laver), le tout en cuivre du pays 
incrusté d'émeraudes, de bérils et d'escarboucles d'Inde, 
et une variété infinie de riches étoffes brodées d'or; enfin, 
pour clore le cortège, des urochs, des léopards, des lions 
apprivoisés, avec une quantité innombrable d'oiseaux aux 
couleurs éclatantes ou au chant harmonieux. » 

i. Aivov otTcb Tûv SevSpsoiv; c'est la laine de 601*5 d'Hérodote dont il a 
été question plus haut, c'est-à-dire le coton ou byssus. Le cotonnier 
était, en effet, cultivé en Inde et en Egypte. Comp. Philostrate, Vie 
d'ApolloniuSy II, 20. Voir aussi Strabon, XV, i, 20 et 21. 

2. Arrien, Indiques, XVI. 

3. Strabon, XV, i, 3o. 

4. Jbid., XV, I, 71. 

5. XV, I, 69, traduction d'Amédée Tardieu. 



28 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

Etienne Quatremère, qui nie à l'Inde d'avoir été le 
pays de l'or, lui accorde une industrie sans rivale, dont 
toutes les nations furent longtemps tributaires et qui four- 
nissait au luxe du monde les diamants, les pierreries, les 
parfums et les tissus ^ 

L'Arabie était surtout riche en parfums et en pierre- 
ries, et son principal commerce était celui des aromates. 
Quant aux étoffes de prix, elles durent sans doute contri- 
buer à la magnificence de ses villes ornés de temples et de 
palais 2. Strabon vante surtout le luxe des Sabéens ^, la 
richesse de leur ameublement et, en particulier, celle des 
lits. Mais peut-être ces étoffes leur venaient-elles de l'étran- 
ger; Strabon le dit de la pourpre pour les Nabatéens*. Ce 
goût des étoffes brillantes, qui s'accorde si bien avec celui 
des parfums et des pierreries, avec les bois précieux et les 
incrustations d'or et d'ivoire, devait prendre un grand déve- 
loppement dans l'Arabie musulmane. J'ai déjà parlé de la 
magnificence des Abbassides à propos des khalifes du 
Caire. Ceux de Bagdad ne leur cédaient pas en ostentation, 
a Zobéide, la femme d'Haroun, ne se servait jamais que de 
vases rehaussés de pierres précieuses et dî^étoffes tissues 
avec des fils d'argent; elle portait des vêtements de soie 
doublés d'hermine, et ses pantoufles étaient brodées de 
perles fines *. Almamoun comptait dans son palais trente- 
huit mille pièces de tapisserie, dont douze mille cinq cents 
brochées en or et vingt-deux mille tapis de pieds ^. » On 

1. Mémoire sur le pays d*Ophir, dans les Mélanges d'histoire et 
de philosophie orientales, page 246. 

2. Strabon, XVI, iv, 3. 

3. Ibid,, XVI, IV, 20. 

4. XVI, IV, 26. 

5. Sedillot, Histoire des Arabes, page i85. 

6. Ibid, 



CHAPITRE PREMIER 29 

sait qu'Haroun envoya à Charlemagne, entre autres pré- 
sents, des étoffes précieuses et une tente disposée à la 
mode arabe. 

Les Phrygiens étaient si habiles et si renommés dans 
l'art de la broderie à l'aiguille qu'on leur en attribue l'in- 
vention ^ C'est par leur intermédiaire et par celui des 
Phéniciens que durent être apportés dans la Grèce encore 
barbare les premiers produits de l'industrie orientale. Ce 
fut par la Phrygie que s'établirent, dès la haute antiquité, 
les rapports entre la vieille civilisation qui florissait dans 
le bassin du Tigre et de l'Euphrate et les peuples de Lydie, 
de Troade et de Grèce. La broderie était si bien en Phry- 
gie un art national qu'on donnait à Rome le nom de 
Phrygiones aux brodeurs ^. 

Les Lydiens, qui succédèrent aux Phrygiens dans la 
domination de l'Asie Mineure, étaient célèbres pour le 
luxe de leurs vêtements : on les appelait L^^rfzVn^ aux robes 
d'or^ j^p'jçoy tT(i>v£; ^. a Les Lydiens, dit M. François Le- 
normant, étaient commerçants industrieux; ils passaient 
pour les plus anciens brocanteurs de la Méditerranée ; on 
vantait leurs onguents parfumés, leurs tapis dont la tradi- 
tion s'est conservée dans les fameux tapis de Smyrne *. » 
Une route, décrite par Hérodote^, et qu'il avait parcourue 
en partie, reliait Sardes, la ville de Crésus, d'un côté, avec 

1 . « In Phrygia enim inventa est ars. » (Servius, ad ^neid., III, 484.) 

2. « Hujus autem artis peritos Phrygiones dicimus ». (Servius, 
lieu cite'.) Dans Plaute, Aiilularia, vers 467, le Phrygio figure avec 
Vaurifer et le lanarius. 

3. Pisandri fragmenta, 22. 

4. Manuel d'histoire ancienne de l'Orient, tome II, page 392. 

5. V, 52. 



3o LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

Suse, la vieille capitale des Achéménides, et de l'autre avec 
Ephèse sur la côte de la Méditerranée. On allait d'Ephèse 
à Sardes en trois jours, suivant le calcul du Père de l'his- 
toire, et de Sardes au palais de Memnon en trois mois, à 
travers la Phrygie, la Cappadoce, la Cilicie, l'Arménie, la 
Matiane, la Cissie, pays peuplés et sûrs. Cette route est 
encore celle des caravanes qui vont de Smyrne à Ispahan. 
Les stations royales qui servaient à héberger les voyageurs 
sont devenues les caravansérails ^ 

J'ai parlé des Phéniciens comme des grands trafiquants 
de l'ancien monde, à l'aurore de la civilisation. « Le com- 
merce des Phéniciens, dit M. Maspéro^, avec les peuples 
du dehors se faisait par terre et par mer, au moyen de 
caravanes et sur des vaisseaux. Toutes les routes qui, des 
grands marchés de l'Extrême-Orient, de l'Inde, de la Bac- 
triane, de la Chaldée, de l'Arabie, des régions du Caucase, 
se dirigeaient vers l'Occident, venaient aboutir à Sidon et 
à Tyr. » La Méditerranée fut, à une certaine époque, une 
mer phénicienne. Cypre fut leur première étape sur cette 
mer qu'aucun vaisseau n'avait traversée avant les leurs. Ce 
sont eux qui ont découvert l'étoile polaire appelée par les 
anciens astronomes y) ^oiviîcy)^; ils en firent le guide 
céleste de leurs voyages nocturnes, pendant que les Grecs 
choisissaient pour point de repère la constellation plus 
brillante de la Grande-Ourse. Inférieurs sur ce point à 
leurs maîtres en navigation, les Grecs devaient prendre 
leur revanche sur tout le reste et les chasser peu à peu 

1. Lenormant, Manuel d'histoire de l'Orient j tome II, page 255. 

2. Histoire ancienne des peuples de l'Orient, Paris, Hachette, 
1875, pages 232 et 233. 

3. Aratus, Phcenomœna, 26. 



CHAPITRE PREMIER 3i 

du domaine maritime où ils ont régné les premiers*. 

Mais les Phéniciens n'étaient pas seulement des trafi- 
quants, ils étaient aussi des producteurs. « Leurs princi- 
pales manufactures, dit M. Curtius^, étaient des fabriques 
d'étoffes et des teintureries. Dans tout l'Orient, les grands 
de la terre s'habillaient de pourpre; la matière colorante 
était fournie par un coquillage qui ne se rencontre que 
dans certains parages de la Méditerranée et jamais en 
grande quantité. Cette branche lucrative de l'industrie 
phénicienne exigeait un approvisionnement considérable; 
les mers voisines n'y suffisaient pas. On sonda avec un zèle 
infatigable toutes les côtes de l'Archipel, et rien, dans 
l'antiquité, n'a aussi puissamment contribué à mettre en 
contact l'Ancien et le Nouveau-Monde que cet humble 
coquillage auquel personne ne fait plus attention aujour- 
d'hui ; car il se trouva qu'après la mer de Tyr il n'y avait 
pas de plage plus riche en pourpre que les côtes de la 
Morée, les profondes baies de la Laconie et de l'Argolide 
et, plus loin, les côtes de la Béotie avec le canal de l'Eubée. » 

Les Phéniciens étaient renommés dans l'art de peindre 
en matières textiles. Aussi voit-on, dans Homère, le ravis- 
seur d'Hélène, Alexandre, rapporter à Troie de riches 
Tziiz'koç ouvrés par les mains industrieuses des femmes de 
Sidon^. Pendant que les marins de la Phénicie suivaient 
sur les mers inconnues et obscures l'étoile du Pôle, leurs 
femmes tissaient et brodaient dans l'ombre du gynécée 
ces étoffes merveilleuses qui brillaient elles-mêmes comme 
des étoiles : inxrtp S'a>; à7:£Xaj/.77£v . 

1. Curtius, Histoire grecquCy traduction Bouché-Leclerc, tome I'"", 
pages 49 et 5o. 

2. Ouvrage cite', tome I'"", page 45. 

3. Iliade y VI, 289 et suiv. 



32 LA^ TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

C'est peut-être des Sidoniennes qu'Hélène avait appris 
cet art délicat dans lequel elle excellait et qui semble 
appeler des doigts féminins. On la voit dans Vlliade^ tisser 
de ses mains un double vêtement de pourpre sur lequel 
étaient représentés, en dessins, les travaux des Troyens 
dompteurs de chevaux et des Grecs cuirassés d'airain, et 
leurs combats pour elle. Il est permis de penser que des 
représentations de ce genre, plus ou moins grossières, ont 
pu, avant la connaissance de l'écriture, servir de documents 
historiques. Cela pourrait expliquer en quelque façon 
l'assertion d'Aristarque, que le péplos brodé par Hélène 
avait servi de document à Homère pour la composition 
de Vlliade^, C'est un rapport de plus à signaler entre la 
grande sculpture et la grande peinture historiques dont se 
revêtaient, en guise d'annales, les murs des temples et des 
palais, dans l'Egypte ou l'Assyrie, et la peinture textile 
dont les frêles monuments, perdus aujourd'hui pour nous, 
ont pu porter aussi en leur temps témoignage des faits 
héroïques. 

Il est peut-être curieux de rapprocher de l'histoire de la 
guerre de Troie, figurée en broderie par les mains royales 
de l'Hélène grecque, la célèbre tapisserie de Bayeux^ où la 
reine Mathilde , femme de Guillaume le Conquérant , 
avait représenté les principaux faits de la conquête de 
l'Angleterre par les Normands. 

L'art des tissus variés fleurit en Mysie. Il y fut porté à 
son plus haut point sous les rois Attalides. Les tapisseries 

1. IJI, 125 et suiv. 

2. Sur le péplos d'Hélène et l'assertion d'Aristarque, voir Rossi- 
gnol, Des artistes homériqueSy pages 72, 73. 

3. La tapisserie de Bayeux est communément attribuée à la 
reine Mathilde. Elle a 70 mètres de long. Les broderies sont en 
laine sur un fond de toile. 



CHAPITRE PREMIER 33 

de Pergame, dvicorées du nom dCattaliques (attalicœ vestes, 
aulœa attalica), où la laine était entrelacée de fil d'or,, 
sont souvent vantées par les auteurs latins ^ Pline en attri- 
bue l'invention à Attale^, si fameux pour son luxe; mais 
le mélange de l'or avec le coton, sinon avec la laine, était 
connu des Egyptiens, comme on l'a vu par les cuirasses 
tissées sous le règne d'Amasis et qu'Hérodote a mention- 
nées. On connaissait aussi très anciennement l'art de tisser 
des fils d'or sans mélange de laine ni d'aucune autre ma- 
tière, pour en former des vêtements brillants comme celui 
que Tarquin l'Ancien portait le jour de son triomphe 
célébré à Rome avec toute la pompe étrusque ^. 

Les Grecs d'Ionie rivalisaient avec leurs voisins dans 
l'Asie Mineure. On fabriquait à Milet des tissus « plus 
moelleux que le sommeiH ». On en fabriquait à Samos'*. 
Les contes milésiens, si célèbres dans l'antiquité, n'étaient 
sans doute pas des contes à dormir debout ; mais on pou- 
vait, en les écoutant, s'assoupir sur les tapis vantés par 
Théocrite; et peut-être Eros était-il endormi sur un tapis 
de Milet quand la trop curieuse Psyché penchait sur lui 
la lampe indiscrète ^. 

En Cypre, où l'industrie dont nous nous occupons 
avait été sans doute portée par les colons phéniciens, nous 



1. Properce, II, i3, 22; 34, 11-12; Cicéron, in Verrem, V, 27. 

2. VIII, 48 ; XXXIIl, 3. « Aurum intexere invenit Attalus rex, 
unde nomen Attalicis. » 

3. « Netur ac texitur lanae modo et sine lana... auro textili sine 
alia materia ». — Agrippine se montre au spectacle d'un combat 
naval couverte d'une robe d'or. (Pline, XXXIIl, 3.) 

4. Théocrite, XV, i25. 

5. Ibid. 

6. On croit que le conte transmis par Apule'e est un conte milë- 
sien. 



34 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

trouvons une véritable école de tapisserie. Les noms des 
artistes salaminiens Acélas et Hélicon nous ont été con- 
servés. Hélicon exécuta le manteau (e-iTroo-r.aa) dont les 
Rhodiens firent don ù Alexandre le Grand, et qu'il portait 
même au combat, « bien que, dit Plutarque, le travail en 
fût plus précieux qu'il ne convenait au reste de son cos- 
tume militaire^ ». 

Ce furent sans doute aussi les Phéniciens qui, les pre- 
miers, portèrent dans la Grùce européenne les produits de 
l'industrie asiatique en matières textiles. Hérodote raconte, 
au début de son histoire, comment, étant venus à Argos, 
ville alors la plus considérable de la Grèce, ils se mirent à 
vendre leurs marchandises. Au bout de cinq ou six Jours, 
la vente étant presque finie, un grand nombre de femmes 
se rendirent sur le rivage, et, parmi elles, la fille du roi^. 
Pendant qu'elles achetaient, près de la poupe, ce qui leur 
plaisait, les Phéniciens les enlèvent et les emmènent en 
Kgypte. Tel est le récit d'Hérodote, assez vraisemblable 
d'ailleurs, et qui n'a rien que de conforme aux mœurs de 
ces temps barbares. Mais ne voit-on pas d'ici ^ près de la 
poupe du navire marchand, où se sont rassemblées les 
belles curieuses, ruisseler la pourpre tyrienne et s'étaler 
les étoffes brodées autour desquelles, comme des abeilles 
autour d'une corbeille de Heurs, s'a;gite et bourdonne 
l'essaim féminin^ ? 

Dès l'époque homérique, l'usage des tapis était répandu 
dans tout le monde grec. On voit dans Y Odyssée une 

1. Alexandre, XXXII. 

2. lo, fille d'Inachus. 

3. Hérodote, I, i. Hérodote dit que les marchandises portées à 
Argos venaient de l'Egypte et de l'Assyrie. 



CHAPITRE PREMIER 35 

esclave étendre sous les pieds d'Hélène un tapis de laine 
molle ^ Ailleurs, c'est Télémaque qui place lui-même sous 
les pieds d'Athcné un tissu d'un travail varié. Pline 
remarque, au sujet de ces tapis, qu'ils étaient hérissés de 
fils de laine comme d'un poil épais ^ : Est et hirtœ pilo 
crasso in tapetis antiquissima gratia, jam certe priscos iis 
lisos Homerus auctor est ^. 

On a vu qu'Hélène travaillait de ses mains à des tapis- 
series représentant des sujets héroïques. L'art qu'elle pra- 
tiquait ainsi faisait partie de l'éducation domestique des 
femmes grecques. Comme Hélène, Pénélope avait sa toile 
à laquelle elle travaillait, et que sa chasteté a rendue 
fameuse. L'idéal grec était pour la femme d'être grande et 
belle ^ habile aux beaux travaux; c'est sous ces traits 
qu'Athéné apparaît à Ulysse dans ï Odyssée^, Les jeunes 
filles faisaient de la tapisserie en Grèce comme elles en 
font chez nous quelquefois. IloXXx Trapôevojv oçaçjAdcTa, 
dit Euripide ^. Le fameux péplos d'Athéné, qui, comme 
la toile d'Hélène, représentait des combats, était l'œuvre 
des mains virginales des erréphores. C'était une grande 
pièce carrée, à fond de safran, sur laquelle étaient figurés 
en couleur les travaux de la déesse ^. 

1. T(X7rr)Ta (laXaxoO Iptoio. Odyssée, IV, 124. 

2. Peut-être en imitation des peaux d'animaux. On a vu que les 
Égyptiens en avaient d'analogues en fil de lin. 

3. Histoire naturelle, VIII, 47. Encore aujourd'hui, dans beaucoup 
de maisons grecques, les tapis, étendus sur le sol ou sur des divans, 
font presque tout l'ameublement. 

4. XIII, 288, 289. 

5. /o«, vers 1418. Plusieurs passages de cette tragédie ont trait à 
l'industrie de la tapisserie et à l'habileté des femmes grecques dans 
l'art d'Hélène. 

6. Sur le péplos d'Athéné, voyez Platon, Ettthyphron; Euripide 
Hécuhe, 466-471; Virgile, Ciris, 20-25. 



36 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

Athéné était la patronne divine des travaux féminins; 
la navette et l'aiguille étaient dans le chaste domaine de 
sa protection et de sa surveillance. Ovide nous la montre 
dans sa lutte avec Arachné, qui prétendait l'emporter sur 
elle en perfection dans leur art. On voit, dans son récit, 
les deux rivales penchées sur le métier, la robe repliée 
autour du sein, afin de donner plus de liberté aux mouve- 
ments, hâter les mains, et mêler en dessins et en couleurs 
variés les laines préparées à Tyr ^ Nous reviendrons plus 
loin sur cette lutte mythologique dans laquelle la jeune 
Méonienne, qui avait osé se mesurer contre Athéné, ne 
succomba pas sans gloire et n'excita si vivement le cour- 
roux de la déesse que par l'habileté même qui avait failli 
ravir le prix. L'art antique des Lydiens n'était vaincu 
qu'à peine par celui de la Grèce florissante. 

Dans les premiers temps, les tapisseries étaient regar- 
dées en Grèce comme des objets de luxe plutôt faits pour 
les dieux que pour les hommes. Nous avons vu Hécube 
conserver des tissus phéniciens dans une chambre secrète 
et parfumée où elle va chercher le péplos qu'elle veut 
offrir en présent à Athéné, ce péplos qui brillait comme 
une étoile. Dans Eschyle, Agamemnon refuse de fouler 
des tapis étendus au seuil du palais par les soins de Cly- 
temnestre. « C'est aux dieux, s'écrie-t-il, qu'un tel hom- 
mage est réservé. Un mortel marcher sur la pourpre riche- 
ment brodée ! » Pressé par Clytemnestre, il fait détacher 
ses brodequins, de peur de gâter « des tissus achetés à 
grands frais ^ ». 

Telle était la simplicité antique. Mais les tapisseries ne 

1. Métamorphoses, VI, 52 et suiv. 

2. Eschyle, Agamemnon, 918-925, 936-944, 949. Nul doute 
qu'Eschyle n*ait eu l'intention d'opposer la pieuse réserve du roi des 



CHAPITRE PREMIER 37 

furent pas toujours réservées à la décoration des temples 
et à l'appareil religieux des grandes fêtes nationales. Elles 
servirent aussi au luxe et à la vanité des particuliers, par 
exemple à Sybaris, dans la Grande-Grèce, où l'art de la 
broderie paraît avoir fleuri avec éclat. La richesse et la 
mollesse des Sybarites sont proverbiales. Suivant M. F. Le- 
normant, à qui l'on doit sur ce point des recherches inté- 
ressantes \ ils durent cette richesse, cause pour eux de 
corruption et de ruine, à leur situation géographique qui 
leur permit de se rendre les intermédiaires d'un com- 
merce actif entre les Milésiens et les Etrusques. Les rela- 
tions de Sybaris avec ces deux peuples, cimentées par des 
traités, auraient fait de cette ville, la plus considérable de 
la Grande-Grèce, une sorte de grand bazar où se tenait, 
pour leurs opérationscommerciales,une foire permanente. 
Grâce à ses relations avec Milet, Sybaris était devenue 
une ville ionienne; l'époque de sa prospérité (vii« etvi^siè- 
cles) coïncide avec celle de la puissance de la capitale des 
Ioniens. On lui refuse d'avoir eu une industrie à elle ^. La 
fabrication du péplos d'Alcisthènes, qui fut une des mer- 
veilles de la tapisserie antique, lui rend peut-être un carac- 
tère plus industriel, sans rien enlever à l'importance de son 
rôle commercial. 

a On fit pour Alcisthènes de Sybaris, dit Aristote, un 
péplos d'une telle magnificence qu'il fut jugé digne d'être 
exposé dans le temple de Juno Lacinia, où se rend toute 
l'Italie, et qu'il y fut admiré plus que toute autre chose. 

rois à l'insolence de son e'pouse adultère, qui ne craint pas d'usurper 
les honneurs divins. 

1. La Grande-Grèce j paysages et histoire, par François Lenor- 
mant, tome I*', pages 263 et suivantes. 

2. Lenormant, lieu cité. 



38 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

Ce péplos, dans la suite, passa aux mains de Danys TAn- 
cicn, qui le vendit aux Carthaginois pour 120 talents. Il 
était de couleur pourpre, formait un carré de quinze cou- 
dées de côté, et était orné en haut et en bas de figures 
ouvrées dans le tissu. Le haut représentait les animaux 
sacrés des Susiens, le bas celui des Perses; au milieu 
étaient Zcus, Héra, Thémis, Athéné, Apollon et Aphro- 
dite; aux deux extrémités Alcisthènes de Sybaris était 
doublement reproduit. » 

La domination des Perses, en Asie, soumit à leur em- 
pire les contrées les plus célèbres pour la fabrication des 
tapis et des étoffes brodées. Elle fit de leurs industries la 
propriété du luxe perse. Les monarques achéménides 
ne manquèrent pas de favoriser un art qui ajoutait à la 
magnificence de leurs palais et à celle de leurs fêtes. On 
peut juger de Téclat de ces fêtes et de leur décoration par 
la description du banquet d'Ahasuérus dans la Bible ^ 
Nous y reviendrons. Xerxès, en s'enfuyant de Grèce, laisse 
ù Mardonius son ameublement, consistant en vaisselle 
d'or et d'argent et en tapis de diverses couleurs^. On 
trouve dans le camp, après son départ, des tentes tissues 
d'or et d'argent, des lits dorés ou argentés, avec de riches 
couvertures, etc. Les Hilotes, dédaignant les brillants vête- 
ments, s'emparèrent seulement des bijoux, qu'ils vendi- 
rent aux Eginètes ; ce qui fut pour eux la source de grandes 
richesses •"*. 

Pendant une maladie d'une fille d'Artaxerxès Mnémon, 
les courtisans, sur l'ordre du roi, couvrirent de pourpre, 

1. Esther, I, 1-6. 

2. Hérodote, IX, 81. 

3. Ibid.y IX, 79. Sur le riche costume des femmes perses, toutes 
brillantes d'or, voyez Hérodote, IX, 76. 



CHAPITRE PREMIER 39 

d'or et d'argent, un espace de sept stades, afin d'obtenir 
la guérison de la princesse ^ La pourpre ne semble pas 
avoir été moins prisée des rois de Perse qu'elle l'avait 
été des monarques assyriens. Des tapis de pourpre for- 
maient une part du riche butin que le vainqueur du Gra- 
nique envoyait à sa mère après la bataille^. Le conquérant 
trouva dans le trésor de Suse cinq mille talents de pourpre 
d'Hermione qu'on y avait amassés pendant près de deux 
siècles ^. 

Pour se faire une idée du luxe des Perses, il faut lire 
dans Quinte-Curce ^ quel était le train de leur armée en 
campagne. Derrière le feu sacré porté sur des autels d'ar- 
gent et entouré de prêtres chantant des hymnes, marchaient 
trois cent soixante-cinq jeunes gens vêtus de pourpre, 
dont le nombre représentait celui des jours de l'année. Le 
char consacré au Soleil, dieu suprême de la Perse, était 
traîné par des chevaux blancs, dont les conducteurs étaient 
vêtus de blanc et portaient des bâtons d'or. Les dix mille 
Immortels, vêtus de tuniques à longues manches, étaient 
éiincelants d'or et de pierreries; et quant aux quinze mille 
nobles appelés Parents du roi, le luxe de leur habillement 
était tel qu'il semblait plus convenable à des femmes qu'à 
des hommes. Le roi, porté sur un char magnifique, avait 
une tunique de pourpre, relevée au milieu par une bro- 
derie blanche. Son manteau, brillant d'or, était orné de 
deux éperviers d'or qui semblaient fondre l'un sur l'autre. 
Des chameaux portaient ses trésors, son harem royal le 
suivait... J'abrège une description qui serait fatigante. 

1. Plutarque, Artaxerxès, XX, 3. 

2. Plutarque, Alexandre, XVI. 

3. Ibid., XXXVI. 

4. III, 3. 



40 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

Quel butin préparait au vainqueur de Darius une telle 
armée battue d'avance * ! 

Mais le vainqueur, séduit par tant de magnificence, 
devait adopter lui-même les usages et le luxe de l'Orient; 
en quoi Alexandre fut imité et dépassé par ses successeurs. 
La tente royale, dont on lira plus loin la description, 
égalait ou surpassait en magnificence celle de Darius. Ce 
fut après la mort de ce prince qu'Alexandre commença à 
adopter, pour lui et son entourage, le cérémonial de la 
cour de Perse. Il prit alors un habillement mixte entre 
le costume des Perses et celui des Macédoniens-. 
Son mariage avec Roxane a été considéré par les anciens 
et par les modernes comme une sorte d'emblème de la 
fusion entre les deux peuples^. L'historien allemand 
Droysen nous peint, d'après Arrien, qui lui-même 
reproduisait un récit de Ptolémée, le départ de la flotte 
d'Alexandre au retour de son expédition dans l'Inde. On 
voit le roi, monté sur son navire, faire des libations d'une 
coupe d'or, puis l'escadre fendre les eaux, sous des 
voiles bariolées de mille couleurs, tandis que les Indiens, 
rassemblés en foule sur les rives de l'Acésine, répondent 
par des chants et des danses aux acclamations des rameurs. 
On dirait le voyage d'un Dionysos indien ou d'un prince 
oriental. C'était bien une cour orientale qu'Alexandre 

1. « Aciem auro purpuraque fulgentem, praedam non arma ges- 
tantem. » (Harangue d'Alexandre à ses soldats, Quinte-Curce, III, lo.) 
— Dans la mosaïque de Pompéi, qui repre'sente probablement la 
bataille d'Issus, d'après le tableau d'Héléna, Darius est figuré sur son 
char avec un habillement assez semblable, sauf pour les couleurs, 
à celui que lui donne ici Quinte-Curce. 

2. Plutarque, Alexandre, XLV. 

3. Quinte-Curce, VIII, 4 et 25; Droysen, Histoire de l'Hellé- 
nisme, traduction française, tome I", page 327. 



CHAPITRE PREMIER 41 

voulait habiller de riches vêtements quand il donnait 
en lonie Tordre d'acheter toute la provision de pourpre 
qui s'y trouvait ^ 

J'ai parlé du manteau qu'avaient brodé, pour Alexandre, 
des artistes cypriotes. Celui qu'on brodait pour Démétrius 
Poliorcète, et qui devait représenter l'univers avec tous les 
phénomènes célestes, eût pu éclipser par sa richesse le 
manteau d'Alexandre s'il eût été terminé. Mais le change- 
ment de fortune du prince à qui on le destinait fit laisser 
l'ouvrage inachevé, « et depuis, dit Plutarque, aucun roi 
n'osa le porter, bien qu'il y eût en Macédoine des princes 
très fastueux^ ». 

Sous les Ptolémées, de riches tentes s'élevèrent en 
Egypte pour la célébration des fêtes publiques ; nous par- 
lerons à part de ces constructions éphémères, mais splen- 
dides et charmantes, où le génie grec s'alliait au génie 
égyptien. Alexandrie devint l'entrepôt du commerce entre 
l'Orient et l'Occident. On prisait à Rome les beaux tapis 
de pourpre à figures d'animaux qui venaient de cette ville, 
Alexandrina belluata conchyliata tapetia ^. 

Quant à la Perse, on sait à quelle magnificence ^ elle 
porta l'art de la tapisserie sous les monarques sassanides, 
du iii^ au vii« siècle. Héraclius, vainqueur de Chosroès II, 
trouva le palais de Dastagerd tout rempli d'étoffes 
de soie brochées et de riches tapis brodés à l'aiguille. 
Quelques années après, à l'époque de la conquête 

1. Droysen, tome I*"", page 689. 

2. Plutarque, DemetriuSjXLl. 

3. Plaute, PsetidoliiSj 143. 

4. Vide et froide, dit M. Eugène Mûntz, qui signale le contraste 
entre la régularité de ce style somptueux, qu'il soupçonne d'être le 
produit d'un tissage mécanique, avec la vie et la liberté des tapisse- 
ries d'Athènes et de Rome. (Page 59.) 



42 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

musulmane, en 63jy Ctésiphon, la capitale des Sassa- 
nides, regorgeait de ces tissus étincelants où les pierres 
précieuses se mêlaient à l'or et à la soie. Il y avait, entre 
autres, un vaste tapis exécuté pour Chosroès I^^, mesu- 
rant soixante aunes de tour et qui représentait un jardin 
sillonné de sentiers et de cours d'eau, planté d'arbres et 
de fleurs. Les sentiers et les cours d'eau étaient formés de 
pierres de couleur et le sol de fils d'or^ Ne sachant plus 
faire beau, on faisait riche. 

La Perse moderne est célèbre pour ses tapis de laine 
feutrée qui servent de lits et pour la richesse de ses étoffes 
où la soie se mêle à la laine, au coton, à l'or et à l'argent. 
On a vanté ses brocarts, ses velours, ses satins. Le nom du 
taffetas est un nom persan^. On fabriquait à Yezd, du 
temps de Chardin, avec la laine de chameau, des châles 
inférieurs à ceux de Kachemyr, mais d'une qualité encore 
très fine ^. Les Persans ont surtout excellé dans l'art de la 
teinture; l'éclat et la solidité de leurs couleurs imprimées 
sur la soie et le coton ont paru merveilleux, soit qu'il 
faille en faire honneur à leur art, soit qu'il y ait lieu de 
l'attribuer à la bonté et à la fraîcheur des ingrédients 
trouvés dans le pays même, ou qu'enfin la sécheresse et la 
pureté de leur climat aient fait naître cette variété de cou- 
leurs et de nuances qu'on admire dans les produits de leur 
industrie textile. 

C'est au tour des Romains de vaincre et de dépouiller. 
Le luxe, amené par la conquête, commença à s'introduire 

1. Ibid. 

2. De taftahj participe passe' de taften, tresser, entrelacer. (Diction- 
naire de Littré). 

3. Dubeux, la Perse, page 422 b. (Dans l'Univers pittoresque.) 



CHAPITRE PREMIER 43 

à Rome vers la fin du m® siècle et au commencement du 11®. 
L'amitié et les présents d'Attale, les relations avec les 
Ptolémées contribuèrent à développer chez les Romains 
ce goût des objets d'art et des étoffes précieuses qui datait 
de la prise de Syracuse K Le commerce avait fait des 
marchands de Tyr les égaux des princes^; la guerre fit 
d'un Lucullus le rival en magnificence des rois qu'il avait 
vaincus ^. Il suffit de lire les poètes du siècle d'Auguste 
pour voir à quel point les Romains ont porté l'amour et 
l'ostentation des richesses, bien qu'ils soient restés sur ce 
point bien loin de nos modernes, et que les déclamations 
des Pline et des Sénèque contre le luxe de leur temps ne 
soient que des morceaux de rhétorique ou, comme l'a dit 
Goethe avec raison, des capucinades. Tout est relatif et 
tout a sa nuance. Tandis qu'en Grèce le goût de la déco- 
ration avait fait partie des arts et de la grandeur publique, 
à Rome, il semble que ce soit l'art qui fasse partie du 
luxe et qui serve avec lui à l'élégance et aux voluptés de la 
vie. Cependant, les Romains, s'ils n'étaient pas de grands 
artistes, étaient des amateurs pleins de goût, instruits et 
délicats, qui savaient au besoin, comme à Pompéi, donner 
à la décoration de leurs villas, avec une dépense relative- 
ment modique, un air de beauté tout à fait délectable ; 

1. Syracuse, au moment où les Romains s'en emparèrent, était, 
selon Tite-Live, la plus belle ville de ce tempSj et d'immenses richesses 
y avaient e'te' accumule'es par une longue prospe'rite'. On raconte 
qu'avant de la livrer au pillage, Marcellus, qui la contemplait d'une 
hauteur, pleura sur sa beauté'. (Tite-Live, XXV, 24; Plutarque, 
Marcellus, XIX.) Cette prise de Syracuse est une date dans l'histoire 
romaine. 

2. Isaïe, XXIII, 8. 

3. Voir, sur le luxe de Lucullus, ce Xerxès en toge, comme 
l'appelait le stoïcien Tubéron : Plutarque, Lucullus, XXXIX, et XLII. 



44 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

c'est ce qu'il faut reconnaître avec M. Friedlaender ^ 
Le luxe des étoffes paraît, d'ailleurs, avoir été chez eux 
le plus modéré. La simplicité du costume romain, où 
l'esprit d'égalité n'était pas moins marqué que dans celui 
de nos contemporains ^, ne permettait pas de l'y dévelop- 
per. Exclu de rhabillement viril, le luxe se réfugiait, 
comme chez nous, dans le vêtement féminin. Toutefois, 
le goût des Romaines paraît avoir été pour les bijoux plus 
que pour les tissus; elles aimaient surtout les perles. La 
chlamyde d'or d'Agrippine, dont nous avons déjà fait 
mention et dont ont parlé Pline et Tacite ^, semble avoir 
été une exception d'autant plus remarquée, une haute 
fantaisie de l'orgueil impérial. En fait d'étoffes, la magni- 
ficence du génie romain se montra surtout dans la déco- 
ration des appartements ; nous en donnerons plus loin des 
exemples en parlant des portiques, des triclinia^ etc. Il 
nous suffira de constater que Rome antique ne le cédait 
pas à la Perse pour l'usage fastueux des tapis; on en 
couvrait les lits, les tables, les sièges, les planchers; on en 
faisait des rideaux et toutes sortes de draperies; on les 
suspendait dans les maisons, on en ornait des lits funèbres. 
Ce revêtement universel avait fait donner à la tapisse- 
rie le nom de vestis^. Ainsi que je l'ai dit, les tapis de 



1. Mœurs romaines du règne d'Auguste à la fin des AntoninSj 
traduction Ch. Vogel, tome III, page i5o. 

2. Il rétait môme davantage. Suivant M. Friedlaender, la toge, ce 
vêtement national, à la portée du pauvre comme du riche, était le 
costume de fôie de tous les Romains, depuis l'empereur jusqu'au 
dernier des plébéiens. (Ouvrage cité, tome III, page 149.) 

3. Histoire naturelle, livre VIII, chapitre xlviii; Annales, livre XII, 
chapitre lvi. 

4. D'où le nom de vestiarius, tapissier. V. Robert Estienne, 
Thésaurus linguœ latince, tome IV, page 537. 



CHAPITRE PREMIER 45 

Babylone étaient surtout estimés. Ils montaient à des prix 
qui semblent fabuleux même aujourd'hui. On citait une 
salle à manger de Métellus Scipion dont la décoration en 
tapisserie avait coûté 800,000 sesterces 1168,000 francs), 
et cela dès le temps de Caton. Plus tard, Néron dépensa 
pour une décoration de même genre 4 millions de sesterces 
(évalués à 840,000 francs). C'est Pline qui nous donne ce 
double renseignement ^ 

Après la chute de l'Empire et la ruine de la civilisation 
antique, Part de la tapisserie ne périt pas. Il est cultivé en 
Gaule dans les cloîtres. Les églises se décoraient à cer- 
taines occasions de tentures exécutées sous la direction des 
moines et représentant des sujets religieux ou profanes^. 
On n'y devait pas regarder de trop près, et un examen 
trop curieux des ornements sacrés semblait aux hommes 
religieux un sacrilège^. Ces représentations agissaient sur 
l'esprit des Francs barbares comme par une sorte de mys- 
tère. C'est ce qu'exprime très bien Grégoire de Tours dans 
l'endroit de son histoire où il raconte les efforts de sainte 
Clotilde pour attirer à la foi chrétienne le roi son mari, 
a Interea regina fidelis filium ad baptismum exhibet : ador- 
nari ecclesiam velis praecipit atque cortinis, quo facilius 
vel hoc mysterio provocaretur ad credendum, qui flecti 
praedicatione non poteraf*. » 

L'influence de l'Orient, à laquelle la Grèce et Rome 

1. Histoire naturelle j VIII, 48. 

2. Les églises avaient leurs trésors; on y gardait de l'or, de l'ar- 
gent, des étoffes de soie, etc. (Grégoire de Tours, Histoire ecclésias- 
tique des Francs, livre VI, chapitre x.) 

3. Ibid., livre VII, chapitre xxii. 

4. Histoire ecclésiastique^ livre II, chapitre xxix. Methodius, 
l'apôtre des Bulgares, se servait de la peinture pour agir sur l'imagina- 
tion des païens barbares. 



46 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

avaient dû l'art de la broderie, devait, d'ailleurs, se faire 
aussi sentir à l'Europe du moyen âge. Même à l'époque la 
plus barbare, les relations n'ont jamais cessé entièrement 
entre l'Orient et l'Occident; elles avaient pour agents des 
Juifs et des Syriens. Ils faisaient souvent leur fortune en 
colportant et vendant des étoffes orientales, des draps d'or, 
des soieries; témoin cet Eusèbe qui devint assez riche à 
ce métier pour acheter en Sgi l'évêché de Paris '. Le roi 
Chilpéric avait à son service pour l'acquisition des objets 
de luxe un Juif nommé Priscus-. Les produits de l'indus- 
trie orientale formaient des articles recherchés dans les 
foires de l'Orient et de l'Occident^. Celle qui se tenait à 
Saint-Denis du temps de Charlemagne offrait aux acheteurs 
des meubles et des étoffes apportées du Levant^. La foire 
de Jérusalem était célèbre; elle avait lieu tous les ans 
le i5 septembre. L'affluence était énorme, et il est à croire 
que les pèlerins qui s'y rendaient de toutes parts, mêlés 
aux marchands, n'en rapportaient pas toujours que des 
reliques^. Outre Jérusalem, Alexandrie, le Caire, cette 
Babylone d'Egypte^*, Constantinople, Famagouste, cette 

1. Ibid,j livre X, chapitre xxvi. 

2. Ibid., livre VI, chapitre v. 

3. Sidoine Apollinaire parle de tapisseries e'trangères repre'sentant 
des sujets de guerre et de chasse traite's à la manière orientale. Cite' 
par M. Eugène Mûntz. {La Tapisserie, page 58.) 

4. Eméric David, De Vinflttence des arts du dessin sur la richesse 
des nations. 

5. Munk, Palestine, page 614 b. — La multitude des chameaux, 
des chevaux et des bœufs à cette foire e'tail telle qu'il ne fallait rien de 
moins, après leur départ, qu'une pluie miraculeuse pour balayer le 
vaste amas de leurs ordures. 

6. Sur la Babylone d'Egypte, voyez Strabon, XVII, xxx. C'était 
le nom du Caire au temps des croisades. Par exemple, dans Joinville, 
Histoire de saint Louis, chapitre xxxi. 



CHAPITRE PREMIER 47 

capitale de Tîle de Chypre qui fut la reine de la Méditer- 
ranée au XIV'' siècle, furent au moyen âge les grands 
dépôts en Orient d'un commerce activement entretenu 
avec les ports de Tltalie et de TEspagne, Venise, Gênes, 
Barcelone. Montpellier s'y joignit au temps de Jacques 
Cœur. D'autre part, l'influence de l'Orient pénètre en 
Europe par l'Espagne arabe ^ Elle passe de l'Espagne aux 
Pays-Bas, et anime comme d'un rayon de soleil l'art 
flamand de la tapisserie dans sa prospérité au xvi^ siècle. 
A cette époque, les tapisseries étaient un des articles les 
plus brillants du luxe des souverains. Charles-Quint, dans 
son couvent de Saint-Yuste, était entouré d'ouvrages de 
Flandre, et Philippe II, quittant les Pays-Bas pour 
l'Espagne, avait chargé ses navires de riches tapisseries. 
Une tempête qui survint obligea de jeter à la mer une 
partie de la précieuse cargaison, et, dit l'historien Motley, 
a de revêtir de ces magnifiques soieries les vagues 
furieuses^. » 

Cet Orient, notre vieil instituteur dans la fabrication 
des tapis et des étoffes brodées, n'a pas cessé de nous don- 
ner des leçons. Grâce à son immobilité proverbiale, il a 
conservé jusqu'à nos jours les traditions de son art de 
tisser, de teindre et de broder, ainsi que son génie pour la 
dicoration. Les châles de Kachemyr, les tissus indiens lamés 
d'or, Jes étoffes brillantes et solides fabriqués dans l'Aman 
et dans la Syrie, les manteaux arabes faits d'un mélange 

1. La tapisserie derrière laquelle on se cache pour entendre est 
un moyen dramatique employé dans certaines scènes du théâtre 
espagnol. Voyez El Medico de su honra, de Calderon, i" journe'e, 
scène III; La Pniiencia en la muget-j de Tirso de Molina, 2* journée, 
scène XIII, etc. 

2. Histoire de la fondation de la république des Provinces- Unies, 
par John Lothrop Motley, traduction française, tome I»"", page 269. 



48 LA TAIMSSICRIE DANS I/ANTIQUITE 

de soie et de laine avec des fils d'or et d'argent, les tapis de 
Perse et de Turquie, toi:s ces ouvrages si recherchés qui 
ont excitai plus d'une fois l'étonncment et l'admiration dans 
nos expositions universelles, sont les modernes produits de 
la vieille industrie asiatique. Nos voyageurs modernes ont 
reconnu, dans les étoties de Moultan et du Bhaoualpour, 
les lineœ vestes de Quintc-Curce \ dont s'habillaient les 
nobles Indiens au temps d'Alexandre le Grand ^. L'indus- 
trie à laquelle on doit les tapis ditsrfe Sniyrne emploie de 
temps immémorial les mêmes procédés, et je me souviens 
d'avoir lu, il y a une vingtaine d'années, dans un journal, 
que la tentative d'introduire une machine à vapeur dans 
les ateliers d'Ouchak, en Analolie, pour la préparation des 
fils, avait failli causer une émeute parmi les ouvriers. 
Cependant le temps semble venu où le progrès européen 
devra s'imposer, avec ses procédés scientifiques, aux popu- 
lations routinières de l'Asie'. Puisse le génie de l'Orient, 
en devenant progressif à son tour sous l'influence de la 
civilisation et de la science occidentales, ne rien perdre 
des dons précieux qui ont fait de lui cet habile tisserand, 
ce brodeur exquis et ce merveilleux coloriste, dont les 
ouvrages, admirés des connaisseurs, l'emportent encore en 
beauté sur les produits les plus parfaits des fabriques euro- 
péennes ! 

1. IX, VII. 

2. Bu mes, Voyages de l'embouchure de V Indus à Lahore^ 
Caboul, etc., traduction française, tome I*"", page m. 

3. Un des plus re'cents voyageurs en Turquie, le colonel James 
Baker, constate le progrès introduit dans la fabrication des tapis en 
Bulgarie et compare Carlofer à Manchester pour l'activité' indus- 
trieuse. « Presque chaque maison avait une roue mue par l'eau de 
la rivière et qui tournait les fuseaux pour filer et tresser des lacets 
de Ininc, pendant que, dans d'autres maisons, on faisait de magni- 
tiques tapis. » (La Turquie, traduction française, page 87.) 



CHAPITRE II 

PROCÉDÉS DE FABRICATION. — DES COULEURS 

DÉCORATIVES 



La tapisserie et la broderie, arts féminins. — La quenouille, les fuseaux, le 
métier à tisser et les petites associations d'ouvrières dans les cpigrammes de 
YAnthologie. — Leçon politique tirée de la manière dont les Athéniens 
travaillaient la laine, dans la Lysistrata d'Aristophane. — Le métier de 
Pénélope. — Atelier féminin en Kgyptc. — Minerve et Arachné, leur lutte 
dans Ovide, leurs deux tapisseries. — Fils d*or mêlés à la laine dans les 
tapisseries; le filet d'Héphaestos — Broderies à l'aiguille. ^ Ars plumaria. 
— Ouvrage en perles de verre. — > Les manufactures royales dans l'ancienne 
Kgypte. >- Il dut y en avoir de pareilles dans les monarchies asiatiques. — 
Grands ateliers féminins en Grèce; gynécées des Francs; emploi des femmes 
dans les manufactures de l'Orient moderne. ~ Variété des tapisseries 
antiques. — Des teintures. — La pourpre et sa fabrication. — Le safran 
pourpre grecque. 



L'art de la tapisserie et de la broderie, très répandu 
dans l'antiquité, semble y avoir été un art spécialement 
féminin. Nous l'avons vu exercer par les femmes sido- 
niennes, desquelles les femmes grecques l'avaient peut-être 
appris. Nous avons vu que les jeunes filles de la Grèce 
étaient habiles au tissage, et que la broderie était au 
nombre des travaux imposés à une bonne ménagère; le 
talent dans ce genre était très estimé, il haussait le prix 
d'une belle esclave. Dansl7//arf^,Agamemnon,pour fléchir 
la colère d'Achille, lui fait offrir par Ulysse, entre autres 
dons précieux, sept Lesbiennes habiles aux beaux travaux * . 
Athéné était elle-même la patronne de ces travaux dont la 

I. Iliade j IX, 270, 271. Par à|jLU|jLova ifpya, il faut certainement 
entendre le travail du métier ou celui de Taiguille. 

4 




5o LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

délicatesse appelait des mains féminines et dont la nature 
sédentaire convenait â la modestie imposée au sexe fémi- 
nin par les antiques traditions de la Grèce, 

Les épîgrammcs nous font connaître l'atiirail léger de 
ces travaux domestiques. C'étaient la quenouille (riiaxi-rr,), 
les fuseaux [îmv£a), qui servaient pour filer les laines; puis 
la corbeille (xiXaSi;) où ces laines étaient déposées. Venait 
ensuite le métier à tisser avec la navette (xEpxi'î). Joignez-y 
les spathes pour serrer le tissu, et vous aurez, dans sa 
première et charmante simplicité, cet atelier féminin d'où 
sortaient les tissus variés de dessins et de couleurs '. On 
voit à l'œuvre, dans les petits poèmes de YAnthoîogie, ces 
jeunes et jolies ouvrières; on les entend causer, rire et 
chanter, car elles paraissent s'être quelquefois réunies en 
petites associations pour un travail commun^; elles se 
divisaient la tâche, comme on le voit dans une épigramme 
de Léonidas : a La partie droite de cette bordure de robe, 
dans une longueur de neuf pouces et quatre doigts, est 
l'œuvre de Bittion; Antianire a fait toute la partie gauche. 
Le Méandre qui circule au milieu, les jeunes tilles qui 
jouent sur ses bords, c'est Bitia qui les a exécutes^, d Le 
fuseau et la navette étaient le gagne-pain des jeunes filles 
honnêtes; mais il leur arrivait parfois de brûler sur l'autel 
d'Aphrodite ces instruments d'un travail trop mal rétribué 
et de les remplacer par la lyre et les couronnes '. Parfois, 
mais plus rarement, je le crains, c'était Aihéné qui rem- 
portait sur Aphrodite, et les journées laborieuses rempla- 



I. Anthologie palatine, VI, Sg, 174, 284, 288, 289. Le fuseau e 
issi appclë aTpsxTo;, la corbeille lâXapo;, 
1. Anthologie, VI, 39, 174, a85, ï86, 187, î88, 289. 

3. Ibid., î86. 

4. Ibid., i85. 



CHAPITRE II 5i 

çaient les joyeuses nuits ; l'épigramme ne dit pas à quel 

âge ces dernières conversions s'opéraient. 

Ne semble-t-il pas entendre ces petits ateliers, frais, 

joyeux, comme des nids de printemps; la chanson des 

ouvrières ^ s'y mêle au bruit harmonieux de la navette, ce 

« rossignol des tisserands ^ ? » Les anciens n'avaient pas 

manqué de remarquer une ressemblance de forme entre le 

métier à tisser et la lyre ; les cordes de celle-ci rappelaient 

à leurs yeux la chaîne du métier vertical, témoin ces 

vers d'Ovide : 

Tum stamina docto 
PoUice sollicitât 3. 

Et dans une épigramme grecque, Alcman est repré- 
senté : 

Atopiov e0xeXcé6oi(Ti (liXo; */opS^<Tiv ûtpacvtov, 

brodant sur les cordes harmonieuses une mélodie 
dorienne *. Plus tard, le plus grec des poètes français dira, 
en parlant d'Homère : 

Ainsi le grand vieillard, en images hardies, 
Déployait le tissu des saintes mélodies. 

Ce qu'étaient, pour les Athéniens, la lance et le bou- 
clier, l'ensouple et la traverse^ l'étaient pour les Athé- 

1. La navette est appelée amie des chants, Kepxtç çtXaot86;. 
{Anthologie, VI, 47.) 

2. Ayj56va xav ev IptÔoiç. — Ailleurs, la navette matinale s'éveille 
et chante avec l'hirondelle. A son bruit mélodieux devait se joindre 
le chant des ouvrières, Circé ne chantait-elle pas en tissant sa toile 
divine? {Odyssée, X, 221.) 

3. Métamorphoses, XI, 169, 170. 

4. Ghristodore de Coptos, Statues de Zeuxippe, dans VAntho- 
logie. 

5. Le même mot, xavcov, est employé dans Aristophane (Thés- 



52 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

niennes ; c'étaient leurs armes, et, dans Aristophane, elles 
se vantent de les mieux garder que leurs maris ne gar- 
daient souvent les leurs. 

On sait qu'Erinne, la célèbre rivale de Sappho, avait 
célébré la « quenouille » dans un poème perdu dont la 
valeur poétique était comparée à celle des poèmes homé- 
riques ^ Théocrite a fait, sur le même sujet, une idylle 
charmante. Il s'adresse à la quenouille : « Je veux te don- 
ner, toi, née de l'ivoire artistement ciselé, à l'épouse de 
Nikias, grâce à laquelle tu achèveras de nombreux tra- 
vaux, des péplos d'hommes et des robes ondulées pour les 
femmes^. » 

Les calathos étaient les paniers à ouvrages; on y dépo- 
sait les pelotons de laine et les bobines qui devaient servir 
pour les broderies. Le calathos était, si l'on veut, la 
palette de la peinture textile. Calathi Minervce, dit Virgile ^. 

Dans la Lysistrata d'Aristophane, l'héroïne fait une 
curieuse comparaison entre la manière dont il eût fallu, 
suivant elle, traiter les affaires de l'Etat athénien et celle 
dont les Athéniennes travaillaient la laine. J'emprunte la 
traduction d'Artaud : 

« Le magistrat, — Comment pourrez-vous donc mettre 
fin à tant de désordres? 



mophorieSy 822 et 825) pour signifier la barre transversale d'un 
métier à tisser et la lance du citoyen e'quipe' militairement. Quant à 
Tensouple (ivxtov), c'e'tait le cylindre autour duquel se roulait la toile 
quand elle dépassait en longueur la hauteur du métier. 

1. Otfried MûUer, Histoire de la littérature grecque, traduction 
Hildcbrand, tome I*"*, page 372. 

2. Idylle, XXVllI, traduction de Lcconte de Lisle. 

3. Enéide, VII, 8o5. Comp. Juve'nal, II, 54. — Une peinture de 
Pompéi représente le calathus sous la forme d'un panier d'osier 
assez semblable à ceux où nous jetons le papier de rebut. 



CHAPITRE II 53 

Lysistrata. — Fort aisément. 

Le magistrat. — Voyons : dis-moi. 

Lysistrata, — Quand notre fil est embrouille, nous le 
prenons de cette façon sur nos fuseaux, et nous le tirons 
de côté et d'autre : il en sera ainsi de cette guerre; nous la 
débrouillerons en envoyant des ambassadeurs de différents 
côtés. 

Le magistrat, — Ainsi donc, pauvres folles, vous pen- 
sez terminer les affaires les plus critiques avec de la laine, 
du fil et des fuseaux ! 

Lysistrata, — Oui : si vous aviez le moindre bon 
sens, vous prendriez, en politique, exemple sur notre ma- 
nière de travailler la laine. 

Le magistrat, — Comment cela? Voyons. 

Lysistrata, — De même que nous lavons la laine pour 
en séparer le suin, il fallait d'abord faire le triage et ex- 
pulser les pervers : puis ceux qui s'agglomèrent en peloton 
pour s'emparer des charges, les diviser et leur tondre la 
tête; ensuite jeter tout pêle-mêle dans une corbeille pour 
le bien commun, et carder indistinctement étrangers do- 
miciliés, hôtes, amis, débiteurs du trésor; quant aux villes 
peuplées de colons de ce pays, les regarder comme autant 
de pelotons, tirer jusqu'ici le fil de chacun et n'en faire 
qu'un seul, pour former de tout cela une grosse pelote, et 
en tisser une tunique pour le peuple ^ » 

La forme la plus élémentaire du métier à tisser vertical 
est celle qu'on voit au métier de Circé dans le Virgile du 
Vatican ^. Elle se compose de deux montants surmontés 

1. Lysistrata, 565-586; Comédies d* Aristophane ^ traduction 
Artaud, 3" édition, tome II, page 109. 

2. Reproduit dans le Dictionnaire de Rich aux mots jugum et 
stamen. 



54 LA TAPISSERIE DANS L^ANTIQUITE 

d^une barre transversale (y.oL'^ùv, jugum) à laquelle s'atta- 
chaient les fils de la chaîne ((7nf)[A(i)v, stamen). On peut lui 
comparer le métier de Pénélope, tiré d'une peinture de 
vase et publié par M. Conze dans les Annales de V Institut 
de correspondance archéologique^. Au double montant et 
à la traverse sont joints des cylindres dont l'un fait les 
fonctions d'ensouple ou de rouet et d'autres jouent le rôle 
de nos bâtons de croisure. Les lisses ont au bas de petits 
poids destinés à les maintenir droites. Le travail com- 
mence par le haut, contrairement à la pratique des Gobe- 
lins. Le tissu s'enroule au fur et à mesure sur l'ensouple; 
les bâtons, placés de distance en distance, sont là pour per- 
mettre l'introduction des broches d'ivoire chargées de 
laines. La partie du tissu déjà terminée nous montre des 
ornements linéaires formant la bordure du drap funéraire, 
et, plus bas, sur une bande transversale, un personnage 
ûild avec des talonnières, un pégase et d'autres animaux 
fantastiques^. 

L'ensouple (Avriov, insubulum) était placée, tantôt au 
haut du métier, tantôt au bas, selon que la trame était 
menée en haut ou en bas par le peigne (pecten) ou par le 
battant (spatha). Un métier égyptien tiré d'une peinture 
de Thèbes ^ est représenté muni d'une double ensouple : 
autour de celle du bas * devait s'enrouler la trame ourdie et 
parée; c'est de là que les fils étaient conduits à l'ensouple 
supérieure, le rouet, autour de laquelle se roulait l'étofiFe 
à mesure qu'elle était tissée. Elle tenait aux deux montants 

1. Année 1872, pages 187, 190; Monuments, tome IX, planche 

XLII. 

2. E. Mûntz, la Tapisserie, page 3i. 

3. Wilkinson, The ancient Egyptians, tome II, page 171. 

4. Rich le nomme scapus. Voir ce mot dans son Dictionnaire, 



se 



LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 



par deux poignées qui lui permettaient de glisser tout le 
long. La même ligure nous montre l'artisan accroupi au 
bus de son mOtier et tenant une broche à la main. 

Une autre peinture ég)-ptienne^ nous fait voir un ate- 
lier de femmes où le peintre a réuni les différents travaux 
qui se rapportent ou filage et au tissage. On y voit les ou- 
vrières dans les diverses attitudes de leur travail, accrou- 




HiTiBR ta 

(D'uiTis Wilkinsoi 



pies ou bas du miîtier, préparant les fils pour en former 
la trame. Un surveillant mâle est placé au milieu de l'ate- 
lier. Cette pointure charmante nous montre qu'Hérodote 
s'est trompé en prétendant que les travaux de tissage 
étaient réservés aux hommes dans l'ancienne Ég)-pte*. 11 
s'est également trompé en affirmant que les Égyptiens, 
pour tisser la toile, poussaient la iramc en bas, au rebours 

I. Wiikinson, tome 1", page 317. 
a. Tome il, page 3>. 



CHAPITRE II 



57 



des autres nations qui la poussaient en haut. Les deux pro- 
cédés ont pu d'ailleurs être employés ; ils étaient également 
en usage chez les anciens '. 

Dans le métier plus simple, sans ensouple, la chaîne 




(D'après WLltiU! 



était attachée au joug. Tel était le cas pour le travail 
décrit par Ovide dans le passage des Métamorphoses où il 
a mis en scène la fameuse lutte mythologique d'Athéné et 
d'Arachné pour le prix de leur art. C'est un curieux docu- 
ment, en mÊme temps qu'un morceau brillant de poésie. 
1, Rich, au mot insubulum. 



58 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

On y peut suivre toutes les phases de la fabrication comme 
M l'on assistait à un travail des Gobelins : 

Tcin jugo vincta csl^; stamen secernit arundo^. 

Inscritur médium radiis subtemen acutis, 

Quod digiti cxpcdiunt^ atque inter stamina ductum 

Pcrcusso fcriunt insecti pectine dentés 3. 

tJtruquc fcstinant, cinctœque ad pectora vestes, 

Hrachin docta movent, studio fallente laborem. 

lllic et lyrium qune purpura sensit ahenum, 

Tcxitur, et tenues parvi discriminis umbrae, 

QunllH ab imbrc solet percussus solibus arcus 

Inticerc ingcnti longum curvamine cœlum, 

In quo diversi niteant quum mille colores. 

TraniiitUH ipsc tamcn spectantia lumina fallit. 

Uaquc ndco quod tangit idem est ! Tamen ultima distant. 

lllic et lentum tilis immittitur aurum, 

El vctus in tcla deducitur argumentum *. 

Le poète d($crit les ^sujets figurés par chacune des deux 
rivales. Le chSle brodé par la déesse représente, dans 

I. Ln chaîne est aitacht^c au jougj c'est-à-dire à la barre transver- 
snlo qui joint les montants. 

'i. Arundo, le roseau, c'est le bâton de croisure qui divise la 
chaîne en deux nappes parallèles. Voyez le mot et la figure dans 
Rich. 

3. « Ln trame est introduite au milieu, au moyen de broches 
pointues que les doigts dirigent et conduisent à travers les fils de la 
chaîne; et on frappe la trame au moyen du peigne, dont les dents 
sont introduites entre les Hls. » C'est exactement le travail des hautes 
lices, dit un écrivain compétent dont j'emprunte ici la traduction. 
(Les Tapisseries, par Albert Castel, page 21, Hachette.) Les broches 
(radii) remplacent la navette {alveolus). 

4. « Toutes deux se hâtent; la robe repliée autour du sein, elles 
font mouvoir leurs mains savantes; l'émulation trompe la fatigue. 
Sur un fond de pourpre sortie de la cuve tyrienne, des ombres 
légères forment des tons harmonieux, comme, sur des nuages frappés 
des rayons du soleil, on voit se dessiner dans le ciel un arc immense 
brillant de mille couleurs. Cependant, les nuances en sont si bien 



CHAPITRE II 59 

une grande scène centrale, sa propre victoire à l'Acropole 
d'Athènes, quand, luttant contre Poséidon à qui donnerait 
son nom à la ville, elle fit paraître l'olivier en frappant le 
soi de sa lance, tandis que le dieu des mers avait, d'un 
coup de son trident, fait jaillir un chevaldu rocher. Comme 
accompagnement, aux quatre coins du châle, Minerve 
avait représenté en figures de petites proportions, mais de 
couleurs vives, quatre combats où des mortels avaient 
lutté contre des dieux et avaient été punis de leur audace 
par des métamorphoses. Enfin l'olivier formait la bor- 
dure. 

Is modus est, operique sua facit arbore finem. 

Arachné, elle, divise la tapisserie en compartiments qui 
représentent chacun un sujet tiré de la légende divine. La 
fille de Zeus avait figuré sur son châle les victoires des 
dieux; la jeune Lydienne, sa rivale, y voulut représenter 
leurs faiblesses amoureuses. Europe enlevée par le tau- 
reau, Léda sous les ailes du cygne, Zeus transformé en 
satyre pour séduire Antiope, etc., tels étaient les sujets de 
ses broderies savantes. Pour encadrer ses compositions, 
de même qu'Athéné avait fait courir sur les bords de son 
péplos le rameau de l'olivier, Arachné fit serpenter en 
guirlandes légères le lierre entrelacé de fleurs. 

Nous voyons par tous ces détails à quel point de per- 
fection la tapisserie était portée à Rome au temps d'Au- 
guste. La variété des sujets représentés, leur habile dispo- 

fondues que l'œil ne peut saisir le passage de Tune à l'autre. Tout 
est pareil au point où elles se touchent, plus loin tout est différent. 
Des fils d'or sont partout mêlés à la trame, et, sur la toile, une 
vieille histoire est représentée. » 

(Ovide, Métamorphoses, VI, 55-69.) 



6o LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

sitîon, la dégradation savante des couleurs, Pheureux choix 
des motifs d'ornementation, tout ce qui fait la beauté de 
nos modernes tapisseries, se trouvait déjà dans celles de 
l'antiquité. Les fils d'or, mêlés à la trame, leur donnaient 
cet éclat doux qui. a tant de charme dans certaines tapis- 
series du xvie siècle. Ces veines imperceptibles du précieux 
métal sont comme autant de rayons tissus qui pénètrent 
toute l'œuvre et qui l'échauffent secrètement \ 

Nous avons déjà constaté l'emploi des fils de métal 
dans les broderies égyptiennes. Cet élément de richesse 
dans les étoffes était aussi un élément de beauté aux yeux 
des anciens comme aux nôtres. On croit que les filets de 
métal étaient battus au marteau, et Ton cite pour exemple 
de la ténuité où Ton pouvait arriver par ce procédé le 
célèbre filet d'Héphaestos dans V Odyssée ^, que son 
extrême finesse, comparée par le poète à celle d'une toile 
d'araignée, rendait invisible à l'œil même des dieux. André 
Chénicr a imité ce passage : 

Mais, ô bois, ô ruisseaux, ô monts, ô durs cailloux, 
Quels doux fre'missements vous agitèrent tous 
Quand bientôt, à Lemnos, sur l'enclume divine, 
Il forgeait cette trame insaisissable et fine 
Autant que d'Arachné les pièges inconnus, 
Et dans ce fer mobile emprisonnait Ve'nus. 

On a peu de renseignements sur la peinture à l'aiguille 
dans laquelle ont excellé les Phrygiens et les Babyloniens. 
Nous avons dit plus haut qu'on attribuait aux Phrygiens 

1. Pour comple'ter ce qui concerne le métier, voir dans le Dic- 
tionnaire de Rich, outre les termes techniques de'jà cités, les mots 
telaj trama, licium, liciatoritinij avec la repre'sentation de l'ancien 
métier islandais. 

2. VIII, 274. 



CHAPITRE II 6i 

l'invention de la broderie et que les brodeurs étaient appe- 
lés à Rome Phrygiones, Suivant Servius, Phrygia chlamys 
équivalait à chlamys acii picta *. Martial célèbre Taiguille 
sémiramienne pour son habileté à orner de broderies variées 
les tissus de Babylone peints superbement ^. Ailleurs, 
cependant, il la déclare vaincue par le peigne égyptien ^. 
Virgile, dans les présents qu'il fait faire à Ascagne par 
Andromaquc, au moment de leurs adieux, semble avoir 
voulu rapprocher les deux genres de travail, celui du peigne 
et celui de Taiguille. La veqve d'Hector apporte au fils 
d'Enée des vêtements richement décorés et dont la trame 
renferme des fils d'or, picturatas auri subtamine vestes^ et 
une chlamyde phrygienne, c'est-à-dire travaillée à l'ai- 
guille *. 

Quant aux plitmœ et à Vars plumaria^ qui tient de si 
près à la broderie, on ignore s'il faut entendre par là un 
travail fait avec des plumes, comme on en fait encore dans 
l'Inde et en Chine, ou des broderies imitant, par la variété 
des couleurs, le plumage des oiseaux. L'épigramme de 
Martial sur un oreiller brodé : 

Tinge caput nardi folio, cervical olebit : 
Perdidit unguentum cum coma, pluma tcnet '•. 

cette épigramme semble bien indiquer qu'il s'agit ici 
de véritables plumes. D'un autre côté, la comparaison 
était naturelle entre de brillantes broderies, de riches pas- 
sements, et le plumage de certains oiseaux; aussi Publius 

1. Ad /Eneid., III, 484. 

2. EpigrammeSy VIII, 28. 

3. Ibid.y XIV, i5o. 

4. Enéide^ III, 483, 484, avec le commentaire de Servius. 

5. Épigrammes, XIV, 146. 



62 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

Syrus comparait-il le plumage du paon à un vêtement 
babylonien ^ Il se peut, d'ailleurs, que le nom dt plumœ 
ait été donné tantôt à des ouvrages de plumes, tantôt à des 
ornements brodés ou cousus qui en rappelaient l'éclat et 
la variété. 

Les Egyptiens avaient des ouvrages en perles de verre 
qui formaient des dessins variés et dont la souplesse éga- 
lait presque celle de Tétoffe. On possède de ces tapisseries 
au musée de Turin; celle qu'on peut voir au musée du 
Louvre est parfaitement conservée et les couleurs en sont 
aussi fraîches que si l'ouvrage datait d'hier. 

On a vu qu'il y avait en Egypte des manufactures 
royales en possession d'un privilège pour la fabrication de 
certaines étoffes ; c'est du moins ce qu'on peut conclure 
d'un contrat matrimonial cité par M. Révillout dans lequel 
on voit des prêtres d'Ammon en possession dUyinQ fabrique 
d'étoffes de hyssus qu'ils faisaient exploiter par un agent 
sous leurs ordres. « Que cette charge ait été en quelque 
sorte héréditaire dans la même famille, dit ici M. Révil- 
lout^, cela nous semble très probable. Mais c'était au col- 
lège sacerdotal qu'il revenait de choisir le sujet et de lui 
donner l'investiture. On sait par le décret de Rosette que 
les byssus étaient un des grands revenus des temples, 
revenu assez grand pour que le roi ait voulu en prendre 
sa part. » 

Le contrat découvert par M. Révillout est du temps des 
Ptolémées, mais le privilège qu'il nous révèle remontait 
sans doute plus haut. Serait-ce aux ouvriers des manufac- 
tures royales qu'il faudrait appliquer le portrait de la 
misère des tisserands tracé par un scribe contemporain de 

1. Dans le Satyricon de Pétrone, LV. 

2. Revue égyptologique, première année, n*' 2 et 3, page 11 3. 











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64 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

la douzième dynastie ? En voici la traduction par M. Mas- 
péro : 

c( Le tisserand, dans l'intérieur des maisons, est plus 
malheureux qu'une femme. Ses genoux sont à la hauteur 
de son cœur ^ Il ne goûte pas l'air libre. Si, un seul jour, 
il manque à fabriquer la quantité d'étoffe réglementaire, 
il est lié comme le lotus des marais. C'est seulement en 
gagnant par des dons de pièces le gardien des portes qu'il 
parvient à voir la lumière du jour^ ». 

Ce qui existait en Egypte a dû probablement se retrouver 
ailleurs. L'industrie textile, cette belle et riche industrie, 
si utile pour l'ornement des palais et des temples, pour le 
vêtement des rois et pour celui des prêtres, a dû vivre dans 
les royaumes de l'Orient sous le régime du privilège et 
sous des règlements plus ou moins durs. Les puissants 
monarques qui la voyaient fleurir à leurs pieds durent 
vouloir la garder sous leur main et l'organiser au service 
do leur luxe. Pour cette organisation ils trouvaient un 
point de départ naturel dans l'hérédité primitive des 
métiers, dans le régime des castes, dans l'existence d'an- 
ciennes corporations industrielles^. On sait comment s'y 
prirent nos rois de France pour mettre le sceau royal aux 
corporations du moyen âge et pour en faire, par leur 
intervention et leur surveillance, une institution de la 
monarchie ^. Le génie de Colbert, qui a doté notre pays de 

1. Voir une peinture de Beni-Hassan dans Wilkinson, tome II, 
page 170. 

2. Histoire ancienne de VOrient, page 124. 

3. Les corporations existent encore aujourd'hui en Turquie. Les 
EsnafSj c'est ainsi qu'on les nomme, ont leurs statuts et leurs 
assemble'es. Le pre'sident e'iu a le droit d'y mettre à l'amende l'ouvrier 
coupable d'infraction aux règlements. 

4. La corporation des tapissiers existait en France dès le temps 



CHAPITRE II 65 

la manufacture des Gobelins, établit sur des règlements 
minutieux la protection qu'il donnait à notre industrie 
nationale, et sut ainsi faire servir les arts, en particulier 
celui de la tapisserie, à l'éclat de la royauté, de ses palais 
et de ses fêtes. 

Outre les manufactures royales qui existaient sans 
doute en Assyrie, en Babylonie, en Perse comme en 
Egypte, il y avait dans tout l'Orient de nombreux ateliers 
pour les travaux des grandes industries locales. Des villes 
comme Sidon et Tyr, centres d'industries riches et 
prospères, devaient offrir, dans leurs fabriques et leurs 
bazars, l'aspect de nos grandes cités manufacturières et 
commerçantes ; une population active d'ouvriers des deux 
sexes y fourmillait autour des ateliers comme en de grandes 
ruches humaines. A Tyr, la préparation des laines, leur 
teinture et leur tissage, exigeaient le concours de nom- 
breux travailleurs. Il y eut des ateliers pour la tapisserie 
et la broderie à Milet, à Samos, dans l'île de Cypre où 
nous avons vu fleurir une véritable école. L'Ile d'Amorgos, 
cette patrie de Simonide, était célèbre par ses fabriques 
d'étoffes transparentes, plus fines que le byssus, auxquelles 
on donnait le nom (ÏAmorgides et dont la belle couleur 
écarlate était sans doute empruntée à une espèce de lichen 
qu'on y trouve en abondance sur les rochers où on le 
recueille encore aujourd'hui pour une teinture en rouge ^. 

La tapisserie et la broderie étaient surtout, nous l'avons 

de saint Louis. Elle était subdivisée en plusieurs classes : les uns 
vendaient des tapis sarrasinois venus d'Orient pour les e'glises et les 
châteaux, les autres de gros tapis de laine pour le peuple. (Chéruel, 
Dictionnaire historique des institutions de la France^ page 1201.) 

I. Aristophane, Lysistrata^ i5o; J. Pollux, Onomasticon, VII, 16; 
Bœckh, Staatshaus der Athener, livre I""", chapitre xviii; Tourne- 
fort, Voyage dans le Levant. 

5 



6() LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

dit, des arts féminins. C'étaient, à l'origine, des arts domes- 
tiques, dans l'exercice desquels s'associait au travail des 
femmes de la maison celui des femmes esclaves, dont le 
prix était d'autant plus élevé qu'elles étaient plus habiles 
aux a beaux ouvrages' ». Ces esclaves travaillaient sous 
TclmI de la maîtresse de la maison qui travaillait elle-même 
au milieu de son groupe d'ouvrières. Avec le temps il dut 
se former de grands ateliers serviles dont la police était 
confiée, comme nous l'avons vu en Egypte, à des surveil- 
lants, sortes de contre-maîtres, chargés de remplacer le 
maître absent et d'avoir l'œil ouvert sur ses intérêts. Il y 
eut, sans doute, de ces ateliers féminins dans l'Asie 
Mineure et dans la Grèce européenne. 

On a vu, au commencement de ce chapitre, qu'il y 
avait aussi de petits ateliers formés par l'association volon- 
taire de jeunes filles qui se distribuaient le travail entre 
elles, nids harmonieux d'un art délicat, joyeux et libre. 

On sait qu'à Rome l'occupation des matrones était de 
filer la laine dans la maison où s'enfermait leur vie et où 
elles surveillaient le travail de leurs esclaves. Ces ateliers 
romains étaient sans doute moins joyeux que ceux de la 
Grùce. Parallèlement au travail à domicile, pour la confec- 
tion de vôtements, fonctionnaient les corporations des 
foulons et des teinturiers^. 

Nous retrouvons les ateliers féminins chez nos ancê- 
tres les Francs. « Souvent, dit M. ChérueP, les Francs, 
qui possédaient de grandes métairies, réunissaient des 

1. IliadCf IX, 270-271. 

2. Mommsen, Histoire romaine, traduction française de 
C. A. Alexandre, tome l*', page 260. 

3. Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de 
la France, Paris, Hachette, i855, pages 579a. 



CHAPITRE II 67 

femmes dans un atelier appelé gynécéey et c'était là que se 
confectionnaient les ouvrages qui demandaient plus 
d'adresse que de force. Là se cardaient le lin et le chanvre, 
là se tissait la toile. » Le nom de gynécée indique assez 
l'origine grecque de ces ateliers venus en Gaule par 
Rome. 

Aujourd'hui encore les manufactures de TOrient ont 
leurs ateliers de femmes. Presque tout le travail des tapis 
dits de Smyrne est fait par des mains féminines ^ L'au- 
teur d'un livre récent sur la Turquie, que j'ai déjà eu occa- 
sion de citer, a vu, à Slivmia, une fabrique de drap établie 
par le gouvernement sur un grand pied, et qui employait 
un grand nombre de Bohémiennes^. A Eski-Zaghra, une 
manufacture de soie occupait cinquante filles bulgares^. 

D'après Pline, l'art le disputait dans les tissus brodés à 
la nature pour l'éclat et la variété des couleurs; ils rivali- 
saient avec les fleurs elles-mêmes^. On a vu Ovide com- 
parera mélange des teintes dans une tapisserie à l'arc-en- 
ciel. Le rouge, le bleu, le jaune, et toutes leurs nuances, 
habilement fondues, se mêlaient au blanc dans les drape- 
ries décoratives qui tapissaient les murailles et flottaient 
entre les colonnes. En véritables artistes, les anciens pré- 
féraient aux couleurs éclatantes, comme l'or ou l'écarlate, 
les teintes riches et profondes comme la pourpre, l'hyacin- 
the, le cramoisi; les Hébreux avaient formé de ces trois 
couleurs et du blanc une sorte de symbole religieux et 
national. 

1. Edmond Dutemple, En Turquie d'Asie, page 221. Dans cette 
page et dans les suivantes, l'auteur décrit les proce'de's de fabrication 
des tapis de Smyrne. 

2. James Baker, la Turquie, page 67. 

3. Ibid.y page 78. 

4. Pline, XXI, 8. 



6S LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

La pourpre a joui d'une grande faveur dans toute Tantî- 
quité. On sait que cette teinture était extraite de diverses 
espèces de coquillages. On a retrouvé en Asie Mineure et 
en Morée de vastes amas de coquillages qui avaient servi 
jadis à la fabriquer. M. de Saulcy a reconnu le murex 
trunculus dans les dépôts qu'il a observés à Saïda, l'an- 
cienne Sidon. Les dépôts étudiés par M. F. Lenormant, 
sur les côtes de Cérigo et de Gythion, étaient formés du 
murex brandaris. La pourpre la plus estimée était, pour 
l'Asie, celle de Tyr; pour l'Afrique, celle de Meninx, et 
celle de Laconie pour l'Europe ^ La pêche, qui avait lieu, 
soit vers la fin de l'hiver, soit après le lever delà Canicule, 
se faisait au moyen de nasses petites et à mailles larges. 
Suivant Pline, on y mettait pour appâts des moules, dont 
les pourpres sont très friandes, et qui, piquées, se refer- 
maient; ainsi, prise au piège, la pourpre était enlevée par 
la langue. Le liquide colorant se tirait d'une veine blanche 
ph»cée au milieu du gosier de la pourpre^; il était d'un 
rose tirant sur le noir. « On extrait la veine dont nous 
avons parlé, dit Pline; il est nécessaire d'y mettre du sel, 
vingt onces environ pour cent livres de suc. Une macération 
de trois jours est tout ce qu'il faut; car la liqueur a d'autant 
plus de force qu'elle est plus récente. On la fait bouillir 
dans des vases de plomb; et cent amphores (1,944 litres) 
de cette préparation doivent être réduites à cinq cents livres 
à l'aide d'une chaleur modérée; aussi se sert-on d'un tuyau 
répondant à un foyer éloigné. On enlève, de temps en 
temps, avec l'écume les chairs qui nécessairement sont 
restées adhérentes aux veines; au dixième jour environ, 
tout est fondu. Pour essayer la liqueur, on y plonge de la 

1. Pline, Histoire naturelle, IX, 60, 3. (Edition Littrc.) 

2. Ibid.j IX, 60, 2. 



CHAPITRE II 69 

laine dégraissée ; et la cuisson continue Jusqu'à ce qu'on 
ait atteint le point. La teinte qui tire sur le rouge vaut 
moins que celle qui tire sur le noir. La laine trempe 
pendant cinq heures, puis on la replonge après Tavoir 
cardée, jusqu'à ce qu'elle soit saturée. 

« Le buccin (autre espèce de coquillage voisine de la 
pourpre) ne s'emploie pas seul, parce que la teinture qu'il 
donne n'est pas durable. Uni à la pourpre, il prend très 
bien le mordant, et il donne à la nuance très foncée de 
celle-ci l'éclat sévère de l'écarlate^, qui est ce qu'on 
recherche. Ainsi combinées, ces deux couleurs se donnent 
Tune à l'autre de l'éclat et du sombre. La Juste mesure du 
mélange est, pour 5o livres de laine, 200 livres de buccin 
et iio livres de pourpre; c'est ainsi que se fait cette belle 
couleur d'améthyste ^. Pour la couleur tyrienne on trempe 
d'abord la laine dans la pourpre quand la cuisson est 
encore peu avancée, puis on achève la teinture en la trem- 
pant dans le buccin : elle est parfaite quand elle £^ la couleur 
du sang coagulé, c'est-à-dire un aspect noirâtre avec un 
reflet brillant : aussi Homère dit-il le sang pourpré^. » 

Platon parle de la préparation à donner aux laines avant 
de les teindre en pourpre. Lorsque la préparation a été 
convenable, la teinture ne s'efface Jamais et résiste à tous 
les lavages ; faute de préparation suffisante, la couleur est 
sans éclat et ne tient point^. 

1. L'écarlate se tirait d'une graine appelée coccus. En teignant 
avec la pourpre de Tyr les étoffes teintes d'abord avec l'écarlate, on 
obtenait Vhysgine. (Pline, IX, 65.) 

2. « Celles (les améthystes) de l'Inde ont dans la perfection la 
nuance de la pourpre la plus riche, et les teinturiers en pourpre ne 
désirent que d'attraper cette belle nuance. » (Pline, XXXVI, 4.) 

3. IliadCy chant XVII, vers 36o. — Pline, Histoire naturelle, IX, 62. 

4. Platon, République. 



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I.A TAIMSSKRIE DANS I/ANTIQIMTÉ 



i.a pourpre Jeux fois teinte s*appelait dibaphe. Il y 
avait une pourpre violette qui avait c'té à la mode à Rome 
Ju temps ile la jeunesse de Cornélius Ncpos; la livre s'en 
vendait loo deniers 82 francs : elle fut remplacée par la 
pourpre de Tarente, puis par la pourpre syrienne dibaphe, 
laquelle coûtait plus de 1,000 deniers ;820 francs . Pline 
hausse le ton en parlant de la pourpre de Laconie qui avait 
été de tout temps en usage à Rome. Devant cette pourpre 
les faisceaux et les haches romaines écartaient la foule; elle 
faisait la majesté de Tenfance, distinguait le sénateur du 
chevalier; on la révélait pour apaiser les dieux; elle don- 
nait de la lumière à tous les vêtements et se mêlait à For 
dans la robe du triomphateur' . Vitruve attribue à l'influence 
du soleil Téclat de sa couleur : fro solis propinquitate 
colorem habet'^. L'admiration, on pourrait presque dire le 
culte des Romains pour cette brillante teinture, leur avait 
fait imaginer une déesse de la pourpre, une Venus purpu- 
rissa ^, 

Il y avait d'autres couleurs tirées des coquillages, et 
qu'on appelait conchyliennes ; mais elles pâlissaient devant 
la pourpre, et on Hnit par ne les employer que comme une 
transition à la couleur tyrienne *. Cependant, il y en avait 
une qu'on estimait pour sa pâleur même et qui s'obtenait 
par une coloration incomplète; on la payait des prix con- 
sidérables^. 

1. Pline, IX, 60, 3. 

2. « La pourpre, dit de son côte' Pollux {Onomasticon, I, 4), 
aime le soleil, la lumière ranime son éclat, rend ses reflets plus vifs 
et plus brillants. » 

3. Preller, Mythologie romaine j traduction française (sous le 
litre : les Dieux de l'Ancienne Rome), page 273. 

4. Pline, IX, 65. 

5. Ibid., IX, 64. 



CHAPITRE II 71 

La pourpre, si chère aux Romains et, comme on l'a vu 
plus haut, aux anciens rois de TOrient, était aussi fort 
prisée des Grecs, au point qu'ils en attribuaient Tinveniion 
à Hercule ^ Euripide semble avoir eu pour elle un goût 
passionné; elle revient souvent dans sa poésie. On voit, 
dans son Hélène^ de Jeunes Egyptiennes étendre au soleil 
des robes de pourpre sur un gazon proche de la mer. 
Cependant, la couleur favorite des Hellènes, celle qu'on 
pourrait appeler la pourpre grecque, c'est le safran. La 
fleur de safran est une de celles dont le nom revient le 
plus souvent dans la poésie grecque. La mythologie a 
donné sa couleur au vêtement de l'Aurore^, à celui des 
Muses ^, à celui de Dionysos'. Les femmes grecques 
portaient particulièrement aux dionysiaques une robe 
couleur de safran, que les Romaines leur empruntèrent. 
Le safran était aussi la couleur héroïque. Dans Pindare, 
Héraclès enfant est couché dans des langes de safran ^; le 
manteau de Jason a la même couleur^; lepéplos d'Athéné 
Parthénos avait un fond de safran ^. 

Cette couleur, que les poètes donnent à la robe de 
l'Aurore, est encore à la mode en certaines contrées de 
l'Orient. Elle brille sur la veste brodée des habitants de 
l'Oman; et Palgrave a vu à Mascate des danseurs oma- 
nites exécuter avec des tuniques safranées leurs danses 
nationales®. 

1. Pollux, OnomasticoHj I, 4. 

2. XpoxiTreTïXo; "IIo;, l'Aurore au péplos de safran. (Homère, 
Iliade, XXIII, 227.) 

3. Alcman, fragment, édition Welcker, 23. 

4. Aristophane, les Grenouilles, 46. 

5. Pindare, Néméennes, I, 58. 

6. Pindare, Pythiqties, IV, 412. 

7. Euripide, Hécitbe, 468. 

8. Une Annéedans l'Arabie centrale, tome II, pages 45, 217, 259. 



CHAPITRE III 

DK l'emploi de l'i^TOFFE DANS LA DIVISION ET LA DÉCORATION 

DES ÉDIFICES DE l' ANTIQUITÉ. 



V Esthétique pratique, de M. Semper; origine du monument; la draperie, 
éltimciit giincrateur. — Ce que ce système a de vrai ; l'étoffe est un clément 
important de la construction primitive. — La maison antique et ses divisions. 
— Draperies verticales et horizontales. — Les tapisseries des triclinia; souper 
décrit par Horaoe. — Rideaux de portes. — Le portique de Pompée et ses 
draperies attaliques. — Les rideaux des théâtres. — Les voiles des sanc- 
tuaire»; voile du temple de Zeus à Olympie. — Draperies horizontales; les 
velaria, — Couverture des temples hypèthres, problème archéologique. 



Si Ton en croit l'illustre architecte allemand, M. Sem- 
per, Taulcur de VEsthétique pratique^ dont le premier 
volume est consacré à Vart textile^ l'art de tisser serait 
né avec Tart de bâtira Les premiers murs auraient été 
des claies formées de roseaux entrelacés. Plus tard, on 
aurait fait usage d'écorces au lieu de branches, puis de 
fils animaux et végétaux; le tissage était dès lors trouvé. 
Ditférents par la matière, par la préparation, ces premiers 
tissus otfraient des commencements de coloris, de décora- 
tion naturelle. Telle serait Torigine des tissus colorés et 
variés qui jouent un si grand rôle dans Fart primitif. En 
revêtant de ces tissus les murailles faites de pieux et d'écha- 
las, en en formant des toits et des tapis, on obtint les 
premières enceintes. Quand la pierre eut remplacé le bois 
dans la construction des murs, on lui associa les tapisseries. 
L'art du tisserand continua ainsi de venir en aide à celui 

I . Der Styl in den technischen und tektonischen Kiinsten, 2» édi- 
tion, Munich, 1878- 1879, tome I*% pages 227 et suivantes. 



CHAPITRE m 73 

de l'architecte. De là, selon M. Semper, l'importance toute 
particulière des draperies dans le système des constructions 
antiques. Cette importance est telle que, jusque sous le 
régime de la pierre, la draperie conserve le privilège d'être 
la représentation légitime des idées de séparation et d'en- 
ceinte. 

Quant au monument, il naquit, toujours selon M. Sem- 
per, du désir de fixer d'une manière durable un appareil 
de fête. Les décorations, les ornements, tapis, fleurs, 
festons, couronnes, qui avaient servi pour une solennité 
particulière, deviennent autant de motifs d'architecture. 
Dans le système du savant architecte de Hambourg, toutes 
les parties solides, bien que nécessaires pour soutiens, n'en 
sont pas moins' d'ordre secondaire et faites pour être 
cachées. Le premier rôle, celui d'élément générateur, pour 
parler son langage, appartient aux tissus; la draperie est le 
principe qui domine l'architecture et qui préside à tous ses 
développements; chaque matière nouvelle employée aux 
tissus donne des motifs de forme et de couleur d'où 
naissent de perpétuelles modifications. L'enveloppement, 
le déguisement forment un caractère essentiel de la cons- 
truction primitive, de l'art primitif. Il passe de l'architec- 
ture à la sculpture, de l'édifice à la statue, et de là viennent 
les idoles habillées. De même que l'architecture polychrome 
n'est que l'application à la pierre même de la couleur et 
de l'ornementation des tentures, de même la statuaire 
chryséléphantine n'est que le changement en métal du 
tissu qui servait de vêtement à l'antique statue de bois. 

Le système de M. Semper est ingénieux et original, 
mais on peut le trouver un peu absolu. Il donne lieu, 
d'ailleurs, à plus d'une objection. L'art de tisser n'est 
peut-être pas aussi étroitement lié que le prétend M. Sem- 



74 l'A TAIMSSKRIE DANS L'ANTIQUITÉ 

pcr ti Van de bâtir, et TexpcTience le montre, au contraire, 
Hc produisant d'une manière indtîpendante. En observant 
les sauvages modernes, on trouve des peuples qui, comme 
les Palagons visités par Falkener, savaient tisser des man- 
teaux de laine aux couleurs variées, tandis que leurs 
demeures consistaient simplement en pieux supportant un 
toit formé de peaux cousues ^ Cook trouva à Taïti des 
tissus en fils d'écorce presque aussi légers que de la mous- 
seline, et cependant les maisons, couvertes en feuilles de 
palmier, y étaient ouvertes de tous côtés, sans séparation 
ni division aucune'**. Ce qui paraît plutôt résulter des 
éluiles sur Télat sauvage, c'est que les peaux d'animaux 
tués i\ la chasse ont dû servir primitivement à faire des 
vûiemenis et des tentes. L-homme s'habilla d'abord de la 
dépouille des bètes, il l'éleva sur des pieux pour se former 
un abri, probablement avant de songer à se tisser des 
habits avec le poil ou la laine. Le vêtement étant plus 
nécessaire que le toit, son progrés a dû précéder celui de 
la demeure, surtout si l'on admet, comme l'indiquent des 
découvertes récentes, que l'homme ait commencé par 
habiter des cavernes qu'il disputait aux bétes sauvages. 
S'il est vrai, comme le disent les savants^, que l'homme 
ait été d'abord sauvage, puis nomade, puis agriculteur, 
qu'il ait ainsi passé par la caverne, par la tente, pour 
arriver à la cabane, il est probable qu'il avait trouvé en 
chemin le tissage, comme il avait trouvé l'art de fabriquer 
des armes en silex et des vases en terre, et qu'il n'avait pas 

1. Lubbock, l'Homme avant l'histoircy traduction, pages 437, 
438. 

2. Ibid.f pages 38o, 38-2, 31)3. 

3. Nilsson, les Habitants primitifs de la Scandinavie, introduc- 
tion. 



CHAPITRE III 75 

attendu, pour se faire des habits avec la laine ou le fil 
d'écorce, de s'être fait une hutte avec des claies de roseaux 
en façon de murs. Mais, Tétoffe une fois trouvée, il est 
naturel de croire qu'elle remplaça avec le temps, pour 
couvrir et fermer l'habitation, les peaux dont le chasseur 
ou le pasteur primitif avait d'abord couvert ses épaules 
contre la pluie et le froid et qu'ensuite il avait dressées en 
tente sur sa tête. 

L'origine du monument peut avoir été celle que lui 
attribue M. Semper. Quant à la polychromie, il n'est 
besoin, Je pense, d'en chercher ailleurs la raison que dans 
le goût naturel de l'homme pour les couleurs brillantes. 
L'enfant se rencontre dans ce goût avec le sauvage. Celui- 
ci ne se contente pas de se parer de peaux au riche pelage 
et de plumes aux teintes variées, il opère sur sa propre 
peau ce coloriage douloureux qu'on nomme tatouage et 
qui lui donne plus de valeur à ses yeux. La même cause a 
produit l'habillement des statues. Ce n'est pas, ^e pense, 
par une conséquence de l'enveloppement primitif que les 
madones italiennes sont chargées de vêtements somptueux 
et de riches parures, mais par le goût du peuple pour ce 
genre d'ornement. 

Quoi qu'il en soit, l'ouvrage de M. Semper, bien que 
trop systématique, aura eu du moins pour effet d'éclairer 
d'une lumière nouvelle l'histoire de l'art ancien, en appe- 
lant l'attention sur le rôle important de la draperie dans 
l'architecture. C'est une découverte analogue à celle de la 
polychromie des édifices grecs et à celle de la statuaire 
chryséléphantine. L'étoffe est, sans contredit, un élément 
de la construction primitive dont l'importance a été mé- 
connue. Ce n'est pas, croyons-nous, l'élément générateur, 
comme le veut M. Semper, mais c'est un élément essentiel 



f) LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

qui est venu remplir un vide dans Parchitecture antique, 
en faire mieux comprendre les dispositions, et en achever 
pour notre imagination Tharmonie et la beauté. Parla ten- 
ture et la draperie, cet élément ajoute à la richesse, à la 
grâce, ù la couleur et à la vie de cette architecture; de 
plus il y met encore le mystùre. 

La vue seule du plan d'une maison antique suffit, selon 
M. Scmper, pour démontrer qu'elle ne pouvait être habi- 
table qu'au moyen de rideaux formant, en l'absence de 
murs intérieurs, les séparations nécessaires. M. Semper 
pense que ces rideaux ne montaient pas jusqu'au plafond, 
mais s'élevaient seulement assez haut pour former des 
divisions dans Téditice sans nuire à Teffet général et à la 
perspective intérieure. Ces rideaux, d'ailleurs, étaient 
sans doute mobiles, suspendus à des tringles par des 
anneaux, et pouvaient être écartés à volonté. Il devait y 
en avoir dans les enlre-colonnements, aux portes, et géné- 
ralement ù tous les intervalles. C'étaient eux qui fermaient 
les ouvertures supérieures lu où le toit manquait. Les 
murs étaient aussi quelquefois recouverts de ces tapisse- 
ries. M. Semper établit comme règle que tout ce qui 
n'était pas revêtu de peinture devait Vètre d'une tenture^ 
la logique le voulant ainsi. En vertu du même principe, 
tout pavé qui n'était pas orné de mosaïque devait se 
cacher sous les tapis. Il y avait ainsi des draperies verti- 
cales (catapetasma, peristromay aulœum) et des draperies 
horizontales (pteryx, ouraniscos, peripetasma]. Le nom 
de peplos s'appliquait à ces deux espèces de draperies 
indifféremment. 

Un des maîtres de l'archéologie, Otfried Mtiller, avait 
déjà fait remarquer * que la disposition des salles du 

1. Manuel d'archéologie, i 247, 5. (Traduction Nicard.) 



CHAPITRE III 77 

palais de Pcrsépolis ne peut s'expliquer que par des dra- 
peries attachées aux colonnes et formant, en Tabsence de 
murs, les séparations intérieures. La maison romaine, 
telle que nous la connaissons par les descriptions et les 
ruines, comporte nécessairement remploi des draperies. 
On sait que la maison romaine se composait de deux 
parties séparées Tune de Tautre par le tablinum ; ou 
plutôt, c'était une maison double, Taccouplement dans le 
même édifice de la vieille maison étrusque ou romaine 
primitive, formée par Yatrium et par ses dépendances, et 
de la maison grecque, caractérisée par Yœcus ' et le 
péristyle. Des deux côtés de Fatrium, qui contenait le 
foyer et les autels domestiques, s'ouvraient les cubicula 
(chambres pour le reposl et les alœ (salons de réception). 
Ces pièces devaient sans doute être séparées de Tatrium 
par des rideaux ou des portières. Il devait y avoir égale- 
ment des rideaux au tablinum, pièce ouverte à la fois sur 
l'atrium et sur le péristyle, et des portières aux fauces, 
corridors placés aux deux côtés du tablinum pour faire 
communiquer les deux parties de l'habitation sans tra- 
verser cette pièce. J'en dis autant de toutes les autres divi- 
sions, qui avaient besoin de ces draperies pour n'être pas 
purement idéales. Ces draperies semblent plus nécessaires 
encore dans la partie la plus intérieure de la maison, dans 
celle qui était particulièrement réservée au maître de la 
famille^. Ajoutons qu'on a retrouvé encore en place, dans 

1. Œcus, de oTxo;, maison. C'est l'atrium grec, mais un atrium 
couvert. Le péristyle est un atrium découvert au centre comme 
l'atrium romain. Son nom signifie une cour entourée d'une colon- 
nade. 

2. Le péristyle formait le centre du second appartement, comme 
l'atrium du premier. Il représente l'aOXT^ de la maison grecque. L'œcus 
vient après le péristyle et pourrait 6tre regardé, avec ses dépendances, 



78 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

une maison d'Herculanum conservée sous la lave, les 
triangles et les anneaux qui avaient servi jadis à suspendre 
des rideaux dans Tatrium K 

Grâce à ce système de draperies, qu'on pouvait à son 
gré ouvrir ou fermer, l'intérieur d'une maison antique 
pouvait être transformé d'un moment à Tautre. En dé- 
pliant les rideaux, on avait autant de séparations qu'il 
était nécessaire pour la commodité de Thabitation. En 
les repliant, on ouvrait aux regards toutes les parties de la 
demeure. Abaissés, les rideaux du tablinum séparaient 
entièrement le premier appartement du second. Relevés 
et écartés, ils permettaient à l'œil de celui qui entrait dans 
la maison par la porte principale de plonger, à travers 
l'atrium et le peristylium, jusqu'au voile tombant devant 
l'œcus, et, si ce voile était lui-même replié, jusqu'au jar- 
din. Voilà pour les draperies verticales. 

Les draperies horizontales servaient, dans la maison 
romaine, à abriter de la pluie et du vent l'atrium et le 
peristylium. Il est naturel que des velaria se soient 
étendus sur les cours intérieures, soit des maisons, soit 
des temples ou des autres monuments publics. Un ar- 
chéologue anglais, M. Falkener, dit posséder un dessin 
représentant la corniche de la cour d'un temple de Philœ, 
en Egypte, où se laissent voir distinctement les trous 
percés pour suspendre le velarium^. 

En outre du témoignage porté par les édifices eux- 
mêmes, une autre source de renseignements existe pour 

comme une troisième partie de la maison. 11 correspond au gynécée 
grec. 

1. Voyez le Dictionnaire de Rich, au mot Domus. 

2. Falkener, On the hypœthron of tlie greek temples. London, 
iSoi, page 35. 



CHAPITRE III 79 

nous, concernant les draperies, dans les monuments de 
sculpture et de peinture. Dans les bas-reliefs, une dra- 
perie suspendue au mur est constamment le signe indi- 
catif d'un appartement. Dans ceux qui représentent 
plusieurs scènes d'une même histoire, les scènes qui se 
passent dans la maison sont ainsi distinguées de celles 
qui ont lieu au dehors. Il suffit, pour s'en assurer, 
d'ouvrir le premier recueil venu de ces monuments 
figurés ', Dans le bas-relief de l'apothéose d'Homère, 
œuvre d'Archélaûs de Priène, le plan inférieur nous offre, 
pour lieu de la scène, un portique orné d'une tapisserie : 
on aperçoit au-dessus de la longue draperie les chapiteaux 
des colonnes doriques^. 

Les textes viennent au secours des monuments pour 
éclairer d'une lumière plus vive l'emploi de la dra- 
perie dans les édifices de l'antiquité. La comparaison 
de ces textes avec les débris venus jusqu'à nous de l'art et 
de l'architecture des anciens va nous montrer de mieux en 
mieux le rôle important de l'étoffe dans l'art et dans la vie 
antiques. 

Dans Plutarque, Alexandre assiste derrière une tapis- 
serie à la torture qu'il faisait donner à Philotas ^. Une 
tapisserie permettait à Agrippine d'être présente aux 
séances du Sénat % et la femme de Pline le Jeune 
prenait, à l'abri d'une tapisserie, sa part des lectures que 
son mari faisait à ses amis de ses ouvrages '. 

Les triclinia (salles à manger) étaient ornés de tapis- 

1. Voyez, par exemple, dans la Galerie mythologique de Millin, 
pi. CIV, 414, 4i3; CXXXII,487; CXLIV, 5-22; CLVI, 556. 

2. /^/V/.,CXLVIII, 548. 

3. Alexandre j XLIX. 

4. Tacite, Annales, XIII, v. 

5. Pline, Epistolœ, IV, xix. 



8o LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

séries efi festons : on le voit par les bas-reliefs qui repré- 
sentent Dionysos chez Icare ^. Dans le Virgile du Vati- 
can, Enée est représenté avec Didon sur un lit en drape- 
ries. Pline parle des « triclinaria babylonica » (tapisseries 
babyloniennes de salle à manger) de Métellus Scipion*. 
Dans Pétrone ^ il est question de tapis (toralia) étendus 
par des valets sur les lits des convives et qui représentaient 
en broderie des scènes de chasse. 

Dans une satire d'Horace^, où se trouve la description, 
imitée depuis par Boileau, d'un dîner ridicule, on voit, à cer- 
tain moment, des tapisseries (aulœà) tomber à grand bruit 
sur la table et la couvrir de poussière ainsi que les convives. 
On s'est demandé s'il s'agissait de tentures placées contre 
les murailles, et qui, en s'en détachant, auraient porté ce 
désordre dans le repas, ou bien d'un dais suspendu au- 
dessus de la table et dont la chute aurait fait tout le mal. 
L'auteur d'une brochure sur l'usage des tapisseries dans 
la vie des anciens, et sur leur représentation dans les bas- 
reliefs et les peintures ^, pense qu'il s'agit d'une véritable 
lente dressée sur la tête des convives et cite à ce sujet un 
passage important des commentaires de Servius sur 
Virgile^. « Il faut, dit Servius, entendre par aulcea des 
voiles peints, ainsi appelés parce qu'ils ont été employés 
pour la première fois dans la cour (aida) de ce roi d'Asie, 

1. Marbres du Louvre et du musée Pio-CIementin; terres cuites 
du musée Campana et de la galerie Townlcy. 

2. Histoire naturelle^ VIII, xlviii. 

3. On apportait ces tapis en mCme temps que le gibier. {Satyri- 

COHy XL.) 

4. II, VIII, 54 et suiv. 

5. Félix Bucholtz, De auhvorum velorumque usu et in vita vête- 
rum quotidiana et in anaglyphis eorum atqtie picturis.Gœttin^ue, 1876. 

f). Enéide y L <">97. 




r'C^p 



-jM^ 



82 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

Attale, qui fit son héritier du peuple romain. On étendit 
aussi de ces voiles dans l'intérieur des maisons, à l'imita- 
tion des tentes sous lesquelles nos aïeux habitaient en temps 
de guerre. De là vient l'usage oîi l'on est aujourd'hui d'en 
suspendre au-dessus des lits (thalami). Varron prétend tou- 
tefois que ces voiles ont pour but d'arrêter la poussière, en 
l'absence de plafond dont on ignorait l'usage. De là les 
vers d'Horace, etc. » 

Nous reviendrons, en parlant des tentes, sur cette inter- 
prétation d'autant plus plausible que, dans les pays du 
soleil, les lieux de repas ont dû être souvent des cours 
couvertes par des tentures. On y était au frais et à l'ombre, 
garanti du soleil et de la poussière, et cependant à l'air et 
au jour. Attale n'avait pas inventé cet usage que la Bible 
nous montre pratiqué en Perse au temps des Achéménides * . 
Le roi de Pergame avait déployé sa magnificence accou- 
tumée et le luxe fameux de ses tapisseries en de somptueux 
festins donnés, dans les cours de son palais, à l'abri de 
riches tentures. 

Les anciens connaissaient certainement les portières. 
Le Virgile du Vatican nous montre des draperies au seuil 
du palais de Didon. On en voit aux portes des maisons 
dans les figures d'un ancien manuscrit de Térence^. Une 
portière intérieure est distinctement représentée dans la 
peinture antique connue sous le nom de la Marchande 
d* Amours ^. Si des représentations on passe aux textes, 

1. Esther, livre I"'. C'était sans doute une espèce d'aiila que ce 
jardin du palais de Suse, où Ahasuérus avait élevé, sans doute entre 
des portiques, les tentes protectrices sous lesquelles s'abritèrent, sept 
jours durant, les convives de son festin royal. 

2. Voir les figures de Bernard Picart, dans le Térence de 
M"* Dacier (Barbou, 1763). 

3. Peintures d'Herculanum, tome II, planche xxxviii. 



CHAPITRE III 83 

nous voyons Clitus tué d'un coup de javeline au moment 
où il soulevait une tapisserie pour venir dans la salle où 
Alexandre soupait ^ Ce fut derrière un rideau déporte 
que Claude fut découvert tout tremblant, après le meurtre 
de Caligula, par le soldat qui le proclama empereur^. 

Faut-il voir une indication de portière dans les vers 
poétiquement concis où Eschyle raconte la fuite d'Hélène 
du palais de Ménélas au navire de Paris : 

'Ex Twv a6poT((ji(it)v 
npoxaX'jjxfjiaTtav ÉTiXeuffE i ''* 

De même, dans les inclusœ auro vestes de Virgile ^, dans ces 
tapisseries brodées d'or qui ornaient le vestibule décoré 
de peintures d'un riche Romain et faisaient s'extasier la 
foule matineuse de ses clients, devons-nous reconnaître 
des rideaux de porte ? Dans l'un et l'autre cas, la chose me 
paraît probable. 

On sait que les Romains avaient dans leurs maisons, 
sous le nom de venereum^ des appartements secrets, les 
mêmes auxquels on donnait en Grèce le nom (TAphrodision, 
On pense bien que les tapis et les rideaux ne manquaient 
pas au luxe et au mystère de ces retraites voluptueuses. 
Mazois a rassemblé dans son Palais de Scauriis ^ tous les 
détails qu'il a pu tirer des auteurs anciens sur la décora- 
tion de ces appartements. On y voyait des portières, des 

1. Plutarque, Alexandre, LI. 

2. Suétone, Claude, X. 

3. Mot à mot : Ex delicatis velamentis navigavit. M. Pierron tra- 
duit : « Cette femme a quitté la chambre nuptiale, elle a soulevé le 
riche tissu qui couvrait la porte. » 

4. Géorgiques, II, 464. Je lis avec M. Benoist inclusos et non 
illusos comme le voulait Servius. 

5. Le Palais de Scaurus, ou description d'une maison romaine, 
vers la fin de la république, Paris, 1822, pages 99 et suivantes. 



84 I-A TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

rideaux de pourpre brodés de perles, entre des colonnes 
de marbre de Phrygie el deCarysie,des lits de pourpre, etc. 
On sait ce qu'étaient les portiques. Outre qu'ils étaient 
des lieux de réunion, c'étaient aussi de véritables galeries 
de sculpture et de peinture, que le goût des Grecs pour 
Tart et pour les nobles loisirs avait multipliées dans leur 
cités et que leur emprunta la magnificence romaine. Pau- 
sanias, arrivant à Athènes, y trouve une série de portiques 
régnant de la porte de la ville jusqu'au Céramique *, et 
c'est au milieu des chefs-d'(euvre rassemblés dans ces 
splendides dépôts qu'il s'achemine vers l'Acropole. On ne 
peut guère douter que ces richesses fussent abritées. Ce 
qui est certain, c'est que le portique de Pompée, à Rome, 
avait des rideaux en tapisseries de Pergame : 

Porticus aulœis nobilis attalicis -. 

Les théâtres avaient des rideaux qui, au contraire des 
nôtres, se baissaient pour découvrir la scène et se levaient 
pour la cacher. On voit, à travers la précision d'un vers 
de Virgile, qu'ils représentaient quelquefois des figures 
humaines : 

Purpurea intexti tollent aulaea Britanni 3. 

Les Bretons représentés sur ce rideau semblaient le sou- 
tenir en s'élevant avec lui. Ovide explique cela dans les 
Métamorphoses * : 

Sic ubi tolluntur festis aulaea theatris, 

Surgere signa soient, primumquc ostendere vultus, 

Cetera paulatim. 

1. Pausanias, I, ii. 

2. Properce, II, xxiii, 46. 

3. Géorgiqties, III, 25. 

4. III, 1 1 i-i 14. Le poète applique cette comparaison à la race qui 
sortait des sillons ensemencés par Cadmus avec les dents du dragon. 



S6 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

De même, les sanctuaires étaient pourvus de voiles, soit 
pour protéger les trésors qu'on y conservait, soit par un 
motif religieux. Ces voiles rappellent celui de Jérusalem 
qui cachait aux profanes le Saint des Saints * . Les temples 
grecs en avaient d'analogues. Celui d'Olympie était un 
présent du roi Antiochus -. On le déroulait d'en haut 
devant la statue de Zeus, tandis qu'on relevait, du pavé 
au plafond, comme les rideaux des théâtres, le voile 
d'Éphèse ^ Dans la fable d'Apulée, on voit les serviteurs 
du sanctuaire d'Isis écarter les blancs rideaux qui cachaient 
la statue de la déesse ; mais cette fois la disposition €st 
celle des rideaux de nos fenêtres, qu'on écarte en les 
repliant de chaque côté : Velis candentibus reductis in 
divcrsum^ deœ venerabilis conspectum apprecamur*, 

11 arrivait que les statues divines étaient renfermées 
dans des édicules : c'est ce que dit Tite-Live de la statue 
do Jupiter au Capitole^; elle était placée dans un petit 
temple forme par des colonnes surmontées de frontons, 
au-dessus desquels s'élevait un quadrige doré. Ce taber- 
nacle était sans doute fermé par des rideaux qu'on pouvait 
ouvrir et fermer à volonté ; car Pline mentionne, au sujet 
de TAphrodite de Cnide, comme un cas exceptionnel et 
digne de remarque, que Pédicule qui la contenait était 
ouvert de tous les côtés. .Edicula ejus tota aperitur^ ut 
compki possit undique e/figies deœ, favente ipsa^ ut 

I. Paralipomenotty II, m» 14. 

.i. D*après une conjecture de M. Clermont-Ganneau, ce serait le 
voile môme de Jérusalem dont le conquérant séleucide aurait fait 
don à Olympie. (The \*cU of the temple of Jérusalem at Olympia, 
dans Palestine exploration fwtd y avril 1878, page 79.) 

3. Pausanias, V, xii. 

4. Métamorphoses, XI. 
3. Tite-Live, XXXV, xli. 



CHAPITRE m 87 

creditur facto ^ , La déesse n'aimait pas les voiles; Tadmi- 
ration pour sa beauté faisait partie du culte qu'on rendait 
à sa puissance ^. 

Un bas-relief du Louvre^ nous montre le trône de 
Saturne voilé d'une draperie. Cette draperie ne devait pas 
être un attribut exclusif de Saturne, mais appartenir comme 
symbole à toutes les grandes divinités de la nature. Le 
trône de marbre que Pausanias vit à Corinthc dans le 
temple de la Mère des dieux était probablement couvert 
d'un pareil rideau. Avec le trône, Pausanias fait mention 
d'une stèle également en marbre et consacrée à la déesse; 
mais il ne parle pas de statue^. Ces trônes voilés devaient 
produire sur l'imagination une impression plus religieuse 
que les plus beaux simulacres ; la beauté des formes faisait 
place à une invisible majesté. Pausanias parle au même 
endroit de statues qu'on tenait cachées dans le temple 
d'Ares, de Déméter et de Proserpine : o'j (pavepi ocyàXjxaTa. 

Outre les draperies verticales, théâtres et temples en 
avaient d'horizontales. Personne n'ignore que les Romains 
étaient dans l'usage d'abriter de la pluie et du soleil, au 
moyen de grands voiles tendus sur leurs têtes, les specta- 
teurs de leurs théâtres et de leurs amphithéâtres. Vitruve 
parle de ces voiles comme d'une partie du mobilier des 
jeux publics non moins essentielle que les sièges mêmes 
où s'asseyaient les spectateurs ^\ On donnait à ces couver- 

1. Pline, Histoire naturelle ^XWW, iv, 10. 

2. Lucien, Amours^ XIV. 

3. Salles des Antiques, n" i56; Galerie mythologique y II, 2. 
Comparez le trône de Vénus et celui de Mars dans les Antiquités 
d*Herculanum (Paris, 1804, livre I"', planche 22). Le voile est replié 
sur le dossier du fauteuil où sont exposés les attributs de ces divinités. 

4. Pausanias, II, iv. 

5. Livre X, préface. 



88 LA TAPISSIiRIE DANS L'ANTIQUITE 

turcs flottantes les noms de Trxsx^sTM'xaTz, vela.velaria. 
\x parapetasma du théâtre d'Athènes, lequel, comme le 
rideau de laine pourprée du sanctuaire d'Olympie, était un 
ilon du roi de Syrie, Antiochus, était tout doré et repré- 
sentait Tégide d'Aihéné avec le Gorgonîon*. Chez les 
Romains, il est souvent question des vêla et des mâts qui 
les supportaient. Les afHches qui annonçaient la célébration 
des jeux se terminaient souvent par ce mot : Vela^, ou par 
ceux-ci : Mali et vêla erunt^. On promettait ainsi Tombre 
aux spcciaieurs. 

Suivant Pline, Lentulus Spinther aurait été le premier 
i|ui, dans le ihcaire, aurait fait étendre des voiles de car- 
base lors lies jeux en Thonncur d'Apollon. « Bientôt 
aprcîH, le dictateur César lendit de toiles de lin le Forum 
tr>ul entier jusqu'à la montée du Capitole, magnificence qui 
parut plus admirable que le spectacle même de gladiateurs 
ijifil tlonna. Postérieurement encore et sans jeux, Mar- 
ccllus, (ils d'Oclavie, sceur d'Auguste, fit, lors de son 
éililité, sous le onzième consulat de son oncle, avant les 
calendes d'août, couvrir le P'orum de voiles, dans l'intérêt 
lie la siuilé de ceux qui avaient des procès... Tout récem- 
ment, des voiles de la couleur du ciel et ornées d'étoiles 
ont été tendues ù Tuide de cordages dans l'amphithéâtre de 
l'empereur Néron. Les toiles sont rouges dans les cave^ 
diiim (cours intérieures des maisons) et défendent la mousse 
contre les ardeurs du soleil. Au reste, les étoffes blanches 
de lin ont eu constamment la préférence *. » 

1. Pausanias, V, xir, 4. 

2. Pompcia décrite et dessméCy par Breton, page i83. 

3. Del velario e délie vêle ne^U anfiteatri^ par Efisio Luigi Tocco, 
page 12. 

4. Histoire naturelle, XIX, vi. Traduction Littré, tome 1", 
page 714 b. 



go LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

Xiphilin nous a laissé quelques détails sur le velarium 
tendu par l'ordre de Néron au-dessus du théâtre de 
Pompée. On y voyait, au milieu d'un firmament d'étoiles 
d'or, brodée à l'aiguille, la figure même de l'empereur 
conduisant un char^ 

Ainsi le velarium couvrait la cavea et tenait à l'ombre 
les spectateurs. Il était soutenu en l'air par des mâts fixés 
au sommet du mur extérieur^. On voit encore, au théâtre 
de Pompéi, les anneaux de pierre faits pour recevoir les 
mâts. Au Colisée, les consoles qui ont servi au même 
usage subsistent encore. C'était une décoration mobile 
qu'on enlevait et replaçait à volonté, et pour les frais de 
laquelle les magistrats avaient à s'entendre avec les archi- 
tectes qui, pour ces spectacles comme pour les construc- 
tions, faisaient des devis qu'ils ne manquaient guère de 
dépasser'*. Les rayons du soleil se coloraient en passant à 
travers ces voiles multicolores. « Vois-tu, dit le poète, ces 
voiles de couleur jaune, rousse ou ferrugineuse, qui, 
déployés sur des mâts et des poutres, flottent au-dessus de 
nos vastes théâtres; leurs reflets, en tombant sur la cavea 
et sur la scène, y communiquent leurs teintes mouvantes 
aux sénateurs, aux matrones, aux statues des dieux. Plus 
le théâtre est fermé et moins la lumière y pénètre du 
dehors, plus ces reflets errant au dedans ont de charme '•. » 
Le même poète parle ailleurs du frémissement (crepitus) 
de ces voiles de lin que le vent agite sur les théâtres 

1. Xiphilin, Néron. 

2. Sur la façon d'attacher le velarium, voyez l'étude de M. Caristie 
sur le the'âtre d'Orange; Monument d*Orange, planche XLVIII. 

3. Vitruve, lieu cité. — Vitruve rappelle à ce propos une vieille 
et curieuse loi des Ephésiens qui avait pour but, sinon pour effet, 
d'empûcher les architectes de dépasser leurs devis. 

4. Lucrèce, IV, yS-Si. 



02 LA TAPISSERIE DANS I/ANTIQUITE 

et y compare le bruit des nuages qui s'entrechoquent ^ 
Les théâtres antiques rappellent la tente; ils la rap- 
pellent même par le nom donné en Grèce et à Rome, et 
chez nous encore aujourd'hui, au lieu où se trouvent les 
acteurs. Le mot de scène vient, en effet, de fr/.rxh qui 
signifie tente. On sait que Périclès voulut donner à son 
Odéon la forme de la tente de Xerxès ^, et l'on prétendait 
même qu'il avait employé dans sa construction des mâts 
enlevés aux vaisseaux des Perses*. Peut-être n'est-ce là 
qu'une de ces légendes comme les Grecs en avaient plu- 
sieurs sur le butin de Marathon et sur celui de Salamine; 
ce qui en résulte, c'est que l'Odéon était couvert (Tunpara- 
petasma attaché à des mâts. 

Le théâtre-tente existe encore aujourd'hui en Orient. 
Les tekiehs, où les Persans de nos jours représentent leurs 
drames religieux ou nationaux, sont enveloppés de vastes 
velaria que soutiennent des mâts gigantesques entourés, 
jusqu'à une certaine hauteur, de peaux de tigres et de 
panthères. Des tapis, des châles, et toutes sortes de belles 
étoffes en forment la décoration''. 

La question de la couverture des temples anciens a beau- 
coup occupé et embarrassé les savants; elle est encore aujour- 
d'hui, malgré de nombreuses dissertations, à l'état de pro- 
blème. On sait qu'un certain nombre de ces temples, et parmi 
eux les plus beaux et les plus célèbres, étaient hypèthres, 
c'est-à-dire qu'ils avaient la cella découverte. Médium sub 
dîvo est sine tectOy dit Vitruve ^. Des raisons religieuses 

1. VI, io8, 109. 

2. Plutarque, Périclès, XIII; Pausanias, I, 20. 

3. Vitruve, V, ix. 

4. Le comte de Gobineau, les Religions et les Philosophies dans 
l'Asie centrale, page 386. 

5. III, I. 



CHAPITRE III 93 

peuvent avoir présidé à cette disposition, s'il est vrai que 
les temples des grandes divinités aient été en général 
hypèthres, tandis que les dieux inférieurs habitaient des 
sanctuaires couverts ^ Ce qui paraît certain, c'est que le 
Parthénon, à Athènes, et le temple de Zeus, à Olympie, 
étaient sans toit. Or, si Ton veut bien se rappeler quelles 
richesses étaient contenues dans ces sanctuaires, où les 
images des divinités étaient elles-mêmes d'or et d'ivoire, 
quelque confiance qu'on veuille avoir, pour la conservation 
de ces précieux trésors, dans la beauté du climat et la 
clémence du ciel, il paraîtra inadmissible qu'ils aient pu 
être exposés sans abri aux intempéries de Tair et des 
éléments. 

Nous reviendrons sur ce sujet à propos du Parthénon 
et de ses tapisseries. 

I. Vitruve, I, 2; Varron, De lingua latina, iX; Falkener, On t/ie 
hypœthron of the greek temples, page 24. 



CHAPITRE IV 



DES TENTES 



L'étoffe, élément principal de la tente. — Tentes égyptiennes; cabanes de 
feuillages. — La tente dyonisiaque de PtoléméePhiladelphe. — Tentes arabes 
des khalifes du Caire. — Le Mischkhan ou tabernacle des Hébreux; sa des- 
cription. — Tente royale assyrienne; chapelle de voyage d'un monarque 
assyritn. — Banquet donne au peuple de Suse par le roi de Perse Âhasuérus 
(Xerxès) dans les portiques de ses jardins. — Tente de Darius. — Fêtes des 
Scirophories à Sparte. — Tente d'Alcibiade aux Jeux Olympiques. — Tentes 
funèbres. — Tentes d'Alexandre le Grand. — Fête romaine des Neptuna- 
lia. — Tente décrite par l'Arioste, qui fait à sa façon l'histoire de la tapis- 
serie. — La tente, symbole de souveraineté; le parasol, abrégé de la tente; 
les sciadèphorcs dans la procession des Panathénées. — Les antiques proces- 
sions et les processions catholiques. — Barques pavoisées. 



Il nous faut maintenant parler d'un genre de construc- 
tions trop peu remarqué dans l'antiquité, bien qu'il ait 
joué un grand rôle dans les cérémonies et les fêtes reli- 
gieuses ; les tentes vont nous montrer la tapisserie dans 
son triomphe, et leur étude ne sera pas inutile au but 
que nous nous proposons. 

Dans la tente, c'est réellement l'étoffe qui est l'élément 
principal ; les autres matières n'existent que pour lui 
servir de support. Le marbre, si précieux qu'il soit, n'est que 
le soutien des tentures et des draperies ; tout ce qu'il peut 
obtenir par son éclat, c'est de n'être pas caché. La tente 
réunit tous les genres de tapisserie. Telle que l'a conçue 
et réalisée le génie de l'Orient, elle a été l'expression, 
sinon la plus durable, peut-être la plus brillante, de la 
piété des peuples et de la magnificence des rois. Dans ces 
palais éphémères, des monarques ont donné leurs au- 



CHAPITRE IV 95 

diences, des banquets religieux ont été célébrés, des 
fêtes splendides ont fait accourir de loin les peuples à leurs 
solennités. 

C'est en Egypte qu'on voit s'élever les premières tentes 
festivales. A l'origine, ce sont de simples cabanes de feuil- 
lages, destinées à l'hospitalité des étrangers. On dresse 
plus tard des tentes de toile. On les plaçait dans le lieu de 
la ville le plus apparent; le pharaon, sa famille, sa cour y 
habitaient pendant la durée des fêtes ^ Les habitants 
quittaient aussi leurs maisons pour vivre sous la tente. 
Encore aujourd'hui, dans l'Egypte musulmane, certaines 
fêtes sont célébrées sous des tentes avec un caractère 
religieux et populaire qui semble transmis par une vieille 
tradition^. 

Je dois à une communication obligeante de mon ami 
M. Eugène Révillout les détails suivants sur une tente 
funèbre trouvée dans le puits de Deer el Bohari. Cette 
tente était en cuir de nuances diverses, au dais semé 
d'étoiles roses, jaunes ou blanches sur un ciel lilas clair, 
et aux quatre pans décorés de scarabées, d'urœus et de 
cartouches au nom du roi Pinedjem II, le tout bordé 
d'inscriptions finement découpées en caractères verts 
cousus sur un fond jaune. Cette tente, d'après les hiéro- 
glyphes, appartenait à une princesse égyptienne, petite- 

1. Mémoires de l'Académie des Inscriptions j ancienne se'rie, 
tome XXXI, page 100. 

2. « La nuit du 1 1 au 12, appelée Leîlet el Moubâreckj nuit bénie, 
est pleine d'attraits, surtout pour les étrangers. Une superficie d'en- 
viron quarante hectares, près de la porte Houssenieh, est couverte de 
tentes magnifiques dont plusieurs sont doublées en soie et meublées; 
quelques-unes sont réservées aux zikrs; les autres sont à la disposi- 
tion des visiteurs, connus ou inconnus, qui viennent s'y reposer un 
instant, et auxquels on offre gracieusement le café et la cigarette. » 
Vaujany, le Caire et ses environs, page 3 3 7. 



96 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

fille du roi Pincdjem II et femme du grand-prêtre Ramen 
Khcpcr. 

« Qu'elle repose doucement en son asile suprême, 
enveloppée de parfums, d'encens et de fleurs de toute 
espèce. » Ainsi dit une des inscriptions, qui, par une 
association d'idées assez naturelle en Egypte, assimile le 
repos de la tombe à celui qu'on goûte sous la tente, et 
souhaite à la jeune princesse de dormir en paix entre les 
bras des dieux. M. Révillout pense que cette tente devait 
couvrir la barque funèbre de la princesse As-t-em-Kheb 
qui fut, en effet, ensevelie à Deer el Bohari. Nous retrou- 
verons en Grèce les tentes funéraires. 

On voit dans les textes de fréquentes mentions de 
constructions coûteuses élevées en Egypte pour des fêtes 
d'un jour; c'étaient là des développements de la tente. 
L'illustre égyptologue Ebers, dans son roman de Ouarda, 
décrit un de ces édifices éphémères, où se trouvait, entre 
autres pièces, une salle de banquet. 

a Cette salle, dit le romancier érudit, immense, très 
élevée, au plafond en forme de voûte bleue, constellée 
d'étoiles, reposait sur des colonnes imitant les palmiers et 
les cèdres du Liban. Les légères branches et feuilles 
peintes sur étoffe se rattachaient avec art à des banderoles 
de gaze bleuâtre ornant la salle d'un pilier à l'autre et par- 
tant toutes d'un centre commun, le dais qui surmontait le 
trône royal ; c'était un baldaquin en conque marine, 
pailleté de perles bleues et vertes, de nacre, de lames de 
mica, de prismes de cristal, dont l'ensemble produisait un 
éblouissant effet de scintillement et de couleurs. Le trône 
lui-même, un bouclier comme siège avec des lions pour 
accoudoirs, reposait sur les épaules de quatre princes 
asiatiques pliant sous le poids. Le plancher, recouvert 



CHAPITRE IV 97 

d'épais tapis à fond bleu, brodé de coquilles, de poissons, 
de plantes marines, symboles des mers conquises, suppor- 
tait de longues tables élégantes, destinées au festin, 
garnies de trois cents fauteuils pour les grands du 
royaume et les chefs de l'armée. Des milliers de lampes, 
en forme de lis et de tulipes, éclairaient la salle ; des 
corbeilles pleines de roses devaient servir à faire des 
jonchées de fleurs sous les pas du triomphateur ^ » 

Cette description imaginaire, mais formée de traits 
réels réunis par un goût savant et poétique, nous a paru 
pouvoir donner une idée juste de ce genre de construc- 
tions aux temps pharaoniques. 

On en peut rapprocher la description, donnée par 
l'historien grec Callixène, de la tente célèbre que Ptolémée 
Philadelphe avait fait élever pour la célébration d'une fête 
de Dionysos. Ici, au génie et au goût de l'Egypte antique 
apparaissent alliés le génie et le goût de la Grèce; et le 
monde conquis par Alexandre le Grand a tout entier 
fourni son tribut à cette merveille du genre. 

Suivant la description de Callixène^, cette fameuse 
tente dionysiaque était un grand rectangle oblong, avec 
une colonnade intérieure régnant sur trois côtés. Les 
colonnes, en forme de palmiers, de thyrses, portaient une 
architrave au-dessus de laquelle s'élevait l'ouraniscos, 
vaste tenture couleur de safran d'où pendaient de blan- 
ches draperies. Dans la partie supérieure des entre-colon- 
nements, on avait pratiqué des espèces de tribunes où 

1 . Oiiarda, roman de V antique Egypte y tiré des papyrus de Thèbes, 
par Georges Ebers, traduit avec l'autorisation de l'auteur, par G. d'Her- 
migny. Paris, 1882. 

2. Dans Athéne'e, V, v. Voyez Gayius, Mémoires de l'Académie 
des Inscriptions, tome XXXI, page 96 ; G. MûIIer, Ancient art and ist 
remains, § i5o, avec la remarque. 

7 



ijH LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

paraissaient, avec les costumes de leurs rôles, des acteurs 
tragiques, comiques et satiriques. Plus bas, des rideaux 
de pourpre formaient, entre les colonnes, Tenceinte 
réservée au banquet. Les lits d'or étaient recouverts de 
tapis de pourpre. Des tapis de Perse à figures d'animaux 
étaient étendus sur le sol. Des peaux d'animaux, remar- 
quables par la grandeur et le pelage, étaient mêlées aux 
draperies. Des tableaux, des statues complétaient la déco- 
ration de ce pavillon, élevé dans la citadelle, qu'entou- 
raient des bosquets d'arbres et d'arbustes odoriférants, et 
que surmontaient, resplendissants au soleil, d'immenses 
aigles d'or. 

La tradition des tentes festivales s'est conservée sur les 
bords du Nil ; on retrouve le vieux génie égyptien, marié 
cette fois avec le génie arabe, dans une description donnée 
par un voyageur du xi« siècle de la fête annuelle célébrée 
à l'ouverture du canal, lorsque le Nil a atteint dans sa crue 
la hauteur désirée. On appelait cette fête la cavalcade de 
l'ouverture du Khalidj. 

« Lorsque l'époque de cette cérémonie approche, dit 
l'auteur du Se/er Nameh^ on dresse pour le sultan, à 
la fête du canal, un très grand pavillon en satin de Roum ^, 
couvert de broderies d'or et semé de pierreries. Tous les 
meubles qui se trouvent dans l'intérieur sont recouverts 
de cette même étoffe. Cent cavaliers peuvent se tenir à 

î. Nassiri Khosran. Voir la Relation de son voyage en Syrie, en 
Palestine, en Egypte, en Arabie, en Perse, traduite par M. Charles 
Schefer. Paris, Leroux, 1881, page iSy. 

2. Voir sur les Origines de la soie, son histoire che:{ les peuples 
de rOrient, la savante brochure de M. J. B. Giraud, conservateur des 
musées archéologiques de Lyon. Il y est fait mention d'une tente en 
satin rouge tissée d'or, d'une valeur inestimable, qui avait été faite 
pour un khalife du Caire. (Page 53.) 



CHAPITRE IV 



99 



Tombre de ce pavillon ; il est précédé d'un passage formé 
par des étoffes de bouqalemoun, et à côté de lui se trouve 
une tente ouverte. » Suit la description de la cavalcade 
composée de dix mille chevaux avec des selles en or, des 
colliers et des têtières enrichies de pierres précieuses. 
« Tous les tapis de selle sont en satin de Roum et en 
bouqalemoun qui, tissé exprès, n'est par conséquent ni 
coupé ni cousu. Une inscription portant le nom du sultan 
d'Egypte court sur les bordures de ces tapis de selle. » 

Le peuple arabe, dont l'élément persistant est la tribu, 
et dont une partie mène encore aujourd'hui la vie nomade, 
devait avoir un penchant naturel à retourner sous la lente 
pour y célébrer ses fêtes religieuses ou nationales. On 
peut voir, ce semble, un souvenir de la tente, cette 
demeure des tribus errantes, dans le kisoueh ou tapis qui 
recouvre entièrement la Ka'abah de la Mekke. Ce voile de 
la Ka'abah, souvent renouvelé, a été parfois d'une grande 
magnificence. Un manuscrit de la Bibliothèque nationale^ 
parle d'un riche négociant de Syraf qui, en Tan 532 de 
l'Hégire (i 137), «renouvela le mizab d'argent delà Ka'abah 
en le mettant en or pur, et le revêtit d'étoffes chinoises 
dont on ne saurait déterminer la valeur. » Aujourd'hui le 
tapis de la Ka'abah est en cachemire noir, richement brodé 
d'inscriptions en or. II est fabriqué au Caire chaque 
année et porté à la Mekke par une caravane de pieux pèle- 
rins. L'ancien tapis est coupé en morceaux qu'on se 
distribue et qui sont conservés comme des reliques ^. 

Les Hébreux empruntèrent sans doute aux Egyptiens 

1. N" 582. Cité par Giraud, les Origines de la soie, page 67. 

2. Vaujany, le Caire j etc., pages 344-345. 



100 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

ridée de leur fête des Tabernacles, dont le but était, 
disait-on, de rappeler la vie du désert, et qui avait à la 
fois un caractère agronomique. On la célébrait le quinzième 
jour du septième mois. Les cabanes se dressaient dans les 
rues, dans les cours, jusque sur les toits ; on y employait 
le myrte, Tolivier, le palmier. Le peuple restait sept jours 
dans ces cabanes ^ Au retour de la captivité, la célébra- 
tion de cette fête a dans Néhémie Paccent d'un cantique 
de renaissance : « Allons à la montagne, cueillons-y des 
rameaux feuillus de myrte et d'olivier, des branches de 
palmier et d'autres beaux arbres, afin de faire des taber- 
nacles ainsi qu'il est. écrit ^. » 

Comme on l'a très bien remarqué, le Tabernacle des 
Hébreux (Mischkhan), ce temple portatif, n'était qu'une 
tente semblable aux tentes de luxe des chefs nomades ^. Il 
était formé d'une boiserie d'acacia soigneusement doré, 
revêtue à l'intérieur d'une tenture de lin tordu aux couleurs 
d'hyacinthe, de pourpre et de cramoisi. Des figures de 
kéroubim, et, selon Josèphe, de mille fleurs, avaient été 
tissées dans la trame. Les tapis, au nombre de dix, étaient 
réunis cinq par cinq et formaient ainsi deux groupes; 
cinquante nœuds couleur d'hyacinthe et cinquante agrafes 
d'or les reliaient. Quant à l'extérieur, la tenture était de 
poils de chèvre et de peaux de béliers teintes en pourpre; 
Ips agrafes y étaient d'airain au lieu d'être d'or. L'ouver- 
ture était à l'orient comme dans les sanctuaires égyptiens; 

1. Lëvitique, XXIII, 34-43; Josèphe, Antiquités, III, x; Munk, 
PalestinCy page 188; Ledrain, Histoire d*Israél, tome I", page i52. 

2. Néhémie, VIII, i5. 

3. Pour la description du Mischkhan, Exode, XXVI; Munk, 
Palestine, pages i54 et suivantes; de Saulcy, Histoire de l'art 
judaïque, pages '33 et suivantes; Ledrain, Histoire du peuple d'Israël, 

livre I", pages i34 et suivantes. 



CHAPITRE IV loi 

elle était fermée par un voile de lin tordu, aux broderies de 
couleur d'hyacinthe, de pourpre et de cramoisi tendues sur 
cinq colonnettes en acacia doré. Un autre rideau voilait 
le Saint des Saints, divisant ainsi le Mischkhan en deux 
parties. Ce rideau était de fin lin, aux mêmes couleurs 
que les tapisseries des cloisons et ayant aussi des figures 
de kéroubim; il était soutenu par quatre colonnettes dorées 
à soubassement d'argent. C'est dans le Saint des Saints 
qu'était déposée la barque d'alliance en bois d'acacia, 
recouverte d'or pur en dedans et en dehors. Quatre barres 
de bois garnies d'or servaient, au moyen d'autant d'anneaux 
d'or, à la transporter. M. Ledrain reconnaît dans cette 
barque une imitation de ces baris égyptiennes surmontées 
d'un naos qu'on portait dans des processions et qui étaient 
censées contenir des dieux ; celle-ci renfermait les tables 
de la loi. Son couvercle était d'or massif, et sur chacune 
de ses extrémités un kéroub déployait ses ailes. Le grand 
cohène pouvait seul, et seulement une fois dans l'année, 
entrer dans le Saint des Saints. Dans le Saint étaient divers 
objets sacrés et, entre autres le fameux chandelier d'or à 
sept branches, la table des pains de proposition^ des vases 
d'or, des lampes, etc. ; tous les prêtres y avaient accès. Le 
peuple était relégué dans le parvis; c'était une enceinte 
régnant autour du Tabernacle, laquelle avait pour clôture 
des colonnes d'airain entre lesquelles pendaient des rideaux 
de lin attachés à des bâtons d'argent par des crochets 
d'argent. Devant l'entrée de la tente, le parvis formait une 
cour où avait lieu l'assemblée d'Israël; on y voyait l'autel 
des sacrifices, en bois revêtu d'airain, où brûlait éternel- 
lement le feu sacré. Tel était ce temple du désert, errant 
avec le peuple d'Israël, dont celui de Jérusalem, sur le mont 
Moriah, devait reproduire les principales dispositions. 



102 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

Une inscription assyrienne fait mention d'une tente 
élevée par le roi Assarhadon, fils de Sennachérib, qui 
vivait au vii« siècle avant notre ère, pour y recevoir les 
hommages des grands de son royaume, tandis qu'il prési- 
dait aux réparations d'un temple à Babylone. Cette tente 
était construite en bois précieux, ébène, santal et lentisque, 
et couverte en peaux de veaux marins ^ L'inscription ne 
dit rien des tapisseries ; mais on ne peut douter que leur 
magnificence ne répondît à la beauté de leurs supports. 

Cette tente royale assyrienne, on en reconnaît une 
représentation abrégée dans un bas-relief de Nimroud 
reproduit par Layard et récemment dans l'excellente 
Histoire de l'Art de MM. Perrot et Chipiez^. L'artiste, 
ne pouvant la représenter en entier avec ses divisions, l'a 
résumée dans un de ses compartiments, Técurie aux che- 
vaux. Ce qu'il en a donné consiste en de grêles colonnes 
que surmontent des chapiteaux supportant des figures de 
chèvres sauvages dont M. Perrot a eu soin de faire remar- 
quer le mouvement juste et pittoresque, et en une couver- 
ture arrondie qui semble avoir été faite de peaux cousues 
ensemble, maintenues en place par des poids de métal. 
M. Perrot pensait que chapiteaux et chèvres étaient en 
métal ; quant aux fûts hauts et minces, ils devaient être 
en bois. Les filets ou chevrons qui en décorent la surface 
pouvaient être gravés sur une enveloppe de métal ou peints 
à même le bois. 

Sur la page qui suit, les auteurs ont placé dans leur 
beau livre un tabernacle de campagne, construction 
légère formée de quatre perches et d'un dais de cuir; des 
écharpcs attachées au milieu des fûts formaient un orne- 

1. Oppert, Expédition en Mésopotamie, tome I*"", page i8o. 

2. Tome II, page 201. 



CHAPITRE IV io3 

ment sans doute varié de couleurs. Au centre du pavillon, 
le roi debout répand une libation sur un autel portatif ^ 
L'image est empruntée à une plaque de bronze du Musée 
Britannique. M. Chipiez a cru devoir suppléer à son 
imperfection par une restauration dont il a puisé les élé- 
ments dans les bas-reliefs. Ces deux pavillons, la tente 
royale et le tabernacle religieux, nous montrent la tente 
dans son double caractère antique d'habitation des hommes 
et de demeure des dieux. 

J'ai déjà dit un mot du banquet donné au peuple de 
Suse par le roi de Perse Ahasuérus (Xerxès) dans les por- 
tiques qui donnaient entrée à ses jardins^ et dont il avait 
fait une immense salle de festin au moyen de draperies et 
de tentures. C'était une véritable tente, tant par sa dimen- 
sion que par sa destination, qui était de réunir, pendant 
sept jours, en une fête splendide, tous les grands du 
royaume et le peuple de la capitale. Les riches draperies, 
jetées entre les colonnes de marbre, étaient bleues ou 
violettes ; elles étaient suspendues à des cordons de 
pourpre par des anneaux d'ivoire. Les lits disposés pour 
les convives étaient d'or et d'argent, couverts sans doute de 
beaux tapis comme dans les autres fêtes du même genre. 

Plutarque nous représente la tente de Darius toute 
remplie, dans ses divisions, de meubles et d'objets pré- 
cieux, tels que bassins, baignoires, urnes, vases à parfums, 
tous objets d'or et du plus beau travail. La division prin- 

1. Histoire de l'art dans l'antiquité j par Georges Perrot et Charles 
Chipiez, t. II, p. 202. Voir page 2o5 la restauration par M. Chipiez. 

2. Les rois d'Orient dînaient quelquefois dans leurs jardins. Un 
curieux bas-relief du Muse'e Britannique nous montre Assourbanipal 
assis avec une de ses femmes dans le jardin de son harem. (Perrot et 
Chipiez, Histoire de l'art, tome II, page 107.) 



104 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

cipale, que Plutarque appelle la tente même, était remar- 
quable par la magnificence des tapis et des tables \ 

On peut rapprocher de la fête des Tabernacles célébrée 
chez les Hébreux celle qui se célébrait à Sparte en l'hon- 
neur d'Apollon Carnéios. On élevait autour de la ville 
des tentes de feuillages, de véritables gourbis. Des chœurs 
d'hommes armés, des femmes couronnées de fleurs, exé- 
cutaient des danses autour d'un autel décoré de guirlandes 
de crocus. Cette fête, souvenir religieux de la vie errante 
et pastorale, fut appelée àyYjTopia, d'Apollon conducteur 
(àyioTwp), et devint une sorte de fête nationale pour les 
peuples de race dorienne ^. 

Les temples eux-mêmes n'étaient à l'origine que des 
cabanes. D'après une antique tradition, recueillie par 
Pausanias, le premier sanctuaire d'Apollon à Delphes 
avait été formé de branches de laurier ^. 

Les Grecs avaient, comme les Asiatiques, leurs tentes 
dressées pour des festins. Je ne parle pas de la tente d'Alci- 
biade aux Jeux Olympiques, dans laquelle il donnait des 
repas publics dont les Lesbiens faisaient les frais. Cette 
tente, construite et décorée à la mode persique, était un 



don des Ephésiens qui avaient voulu célébrer ainsi une 
triple victoire d'Alcibiade "*. Mais la tente d'Ion, dans la 
tragédie d'Euripide, montre que la coutume existait en 
Grèce aussi bien qu'en Asie, d'élever des tentes pour les 
sacrifices et pour des banquets religieux. Sans doute les 

1. Plutarque, Alexandre, XX. 

2. A. Maury, Histoire des religions de la Grèce antique, tome II, 
pages 179 et 236. 

3. Pausanias, X, v. 

4. Plutarque, Alcibiade, XII. Athénée dit qu'il y donna un festin 
à tout le peuple. (I, i.) 



CHAPITRE IV io5 

pèlerins qui venaient de toutes parts autour des grands 
temples de la Grèce, pour assister à de grandes fêtes pério- 
diques, dressaient leurs tentes près des sanctuaires afin 
d'y habiter pendant toute la durée de ces fêtes, comme 
cela se pratique encore aujourd'hui autour de Médine et 
de la Mekke lors du grand pèlerinage musulman. 

Les Grecs avaient encore, comme les Egyptiens, des 
tentes funèbres ; par exemple aux funérailles des guerriers 
morts en combattant. On les y exposait pendant trois jours. 
Telles furent les cérémonies observées à Athènes Traxpto) 
v6[jt.(j>, suivant l'usage national, aux funérailles des citoyens 
tombés dans la guerre samienne ^ 

Alcibiade avait planté sur le sol de la Grèce des tentes 
à la mode persique; Alexandre le Grand éleva sur le sol 
de l'Asie des tentes où il mêlait le goût hellénique à la 
magnificence orientale : celle qu'Elien nous décrit était 
assez grande pour contenir cent lits. Cinquante colonnes 
dorées soutenaient une tenture d'un travail varié et pré- 
cieux. Au milieu s'élevait le trône où le prince macédo- 
nien s'asseyait pour donner ses audiences à la façon d'un 
monarque oriental^. Le même auteur fait mention d'une 
tente non moins magnifique dans laquelle le conquérant 
célébra ses noces et celles de plusieurs de ses amis avec 
des filles de la Perse ^ ; et nous trouvons dans Quinte- 
Curce l'indication d'une troisième tente où le même 
Alexandre traita magnifiquement les ambassadeurs indiens. 
« Tout ce que le vieux luxe des Perses ou le nouveau 
génie des Macédoniens avaient inventé dans l'art de la 

1. Thucydide, II, xxxiv. Les Persans shiites célèbrent sous des 
tentes de toile les fêtes commémoratives du meurtre de Hoseïn. 

2. Elien, Histoires variées, IX, m. 

3. Ibid., VIII, VII. 



io6 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

corruption, dit le moral historien, fut étalé à ce festin, 
comme pour donner le spectacle des vices réunis des deux 
nations ^ » 

Les Romains célébraient leurs Neptunalia en plein air, 
sur les rives du Tibre, sous des tentes de feuillages appe- 
lées umbrœ. C'est aussi sous des tentes improvisées, et 
toujours aux bords du fleuve, qu'on célébrait les fêtes 
d'Anna Perenna, si pittoresquement décrites par Ovide : 

Sub Jove pars durât, pauci tentoria ponunt; 

Sunt quibus ramis frondea facta casa est; 
Pars sibi pro rigidis calamos statuera columnis, 

Desuper extensas imposuere togas. 

On voit le tableau, la foule joyeuse éparsc sur le 
rivage; les uns dressant des tentes, les riches; les autres, 
les pauvres, se contentant pour abris de cabanes formées 
de branches d'arbres ou même de leur toge tendue sur 
quatre pieux; enfin ceux qui se promènent en plein air. 

La tradition de ces tentes se conservait encore au 
xvic siècle dans les fêtes populaires de l'Italie. Ariostc, 
ayant à décrire, à la fin de son poème de Roland furieux^ 
les fctcs célébrées à Paris pour le mariage de Roger et de 
Bradamante, emprunte à ses souvenirs, et peut-être aussi à 
ses lectures, la description des tentes ornées de feuillages 
et de fleurs, tapissées d'or et de soie^ plus agréables à voir 
que n'importe quel lieu du monde, où devait loger la foule 
des étrangers accourus de toutes les parties du globe pour 
assister à ces noces fameuses. « Tous ces hôtes, assure le 
poète, furent très commodément logés sous les pavillons 
et sous les tentes de verdure. » Le lit nuptial des deux 
époux était lui-même placé au milieu d'un riche pavillon 

I. Quinte-Curce, IX, vu. 



io8 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

orné par les soins d'une magicienne. Mélisse Pavait fait 
enlever avec tous ses ornements, intérieurs et extérieurs, 
à Tempereur grec Constantin qui en avait fait sa tente sur 
le bord delà mer. Suit toute l'histoire de ce pavillon riche- 
ment brodé d'or et de soie, histoire dans laquelle il semble 
que TAriostc ait voulu tracer à sa façon celle de la tapisserie. 
Cassandre, la fille de Priam, l'avait tissé de ses mains pro- 
phétiques. Après la prise de Troie, Ménélas l'avait emporté 
en Egypte et l'avait cédé au roi Prothée en échange 
d'Hélène que ce tyran retenait captive. Plus tard il passa 
aux mains de Ptolémée, puis dans celles de Cléopâtre. La 
victoire le fit tomber dans celles d'Auguste et il resta à 
Rome jusqu'à Constantin, qui l'emporta à Byzance. Mélisse 
l'enleva à un autre Constantin pour l'apporter aux bords 
de la Seine où il devait rester jusqu'après la conclusion du 
mariage de Roger et de Bradamante et retourner ensuite, 
par le chemin des airs, à Constantinople ^ 

La tente, comme on le verra plus loin, était un sym- 
bole de souveraineté. On sait qu'il en était de même dans 
l'antiquité, et qu'aujourd'hui il en est de même encore en 
Asie du parasol. On le portait sur la tête des monarques 
assyriens, comme on le voit dans les bas-reliefs; on le 
tient ouvert sur la tête des monarques orientaux en 
signe de leur puissance. J'y vois comme un abrégé de 
la tente, un pavillon portatif, qui n'a pas seulement pour 
but de préserver du soleil un haut personnage, mais qui 
peut, comme la tente dont il dérive, devenir une marque 
d'honneur, un signe de commandement. 

A la fête athénienne des ScirophorieSj la prêtresse 
d'Athéné, le prêtre de Poséidon Erechtheus, le prêtre du 
Soleil et les membres de la famille sacerdotale des Etéo- 

I . Orlando, canto XL VI. 



CHAPITRE IV 109 

butades, portaient des parasols, sans doute en souvenir de 
la tente *. Ces fêtes se célébraient à l'époque du labour et 
rappelaient, par leur caractère agricole, la fête des Taber- 
nacles chez les Hébreux. On sait que des porteuses 
d'ombrelles figuraient dans la procession des Panathénées, 
et Phidias ne les a pas oubliées dans ses bas-reliefs ; ces 
sciadéphores étaient les filles des métèques qui remplis- 
saient ainsi, dans les fêtes publiques, les humiliantes fonc- 
tions de porter les parasols des citoyennes^. 

On retrouve encore l'idée des cabanes de feuillage et 
des tentes dans les rameaux portés aux processions et 
dans les tapisseries étendues sur leur passage : 

It per velatas annua pompa vias^. 

Je me souviens d'avoir vu, enfant, nos processions 
catholiques s'avancer dans les rues avec les prêtres en 
surplis, les jeunes filles voilées de blanc ^, entre des mai- 
sons tapissées de draps blancs et de branches d'arbres. 
C'était la pompe antique christianisée. 

Des tentes il faut rapprocher les barques pavoisées, qui 
jouaient parfois un rôle analogue, par exemple dans les 
fêtes religieuses de la vieille Egypte. A Thèbes, le jour 

1. Harpocration, au mot (rxtpov; scolics sur Aristophane, Ecoles., 
vers i8; Lenormant, Monographie de la voie sacrée éleusinienne, 
tome I'% pages i83 et suivantes. 

2. Harpocration, oxaçriçipoi. 

3. Ovide, Amores, IH, xiii, 12. 

4. i.e blanc avait de'jà dans l'antiquité une signification religieuse. 
Lei Sicyoniens portaient des vêtements blancs aux funérailles d'Aratus, 
qui furent une espèce d'apothéose (Plutarque, AratuSj chapitre LUI), et 
Ovide nous apprend que dans la procession qu'on faisait en l'honneur 
de Junon, au pays des Falisques, les objets sacrés étaient portés par 
des jeunes tilles vêtues de blanc, more patrum grajo. {Amores, 
III, XIII, 14.) 



iio LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

de la fête des morts, 29 paophi, le Nil se couvrait de 
nombreuses embarcations ornées de riches draperies, 
qui portaient la procession des prêtres du grand temple 
d'Ammon aux temples de la nécropole et une foule de 
peuple à sa suite. Le dieu, porté solennellement sur les 
eaux, se rendait en personne à la ville des morts pour y 
sacrifier lui-même à ses pères et donner à son peuple 
l'exemple de la piété filiale et du respect de la vie future. 
Des degrés du temple qui descendaient dans le Nil partait 
la barque d'Ammon pour traverser le fleuve au milieu 
d'une véritable flotte. M. Ebers, qui a donné de cette fête 
des morts une brillante description, décrit ainsi la barque 
sacrée : « C'était un grand et magnifique navire de bois 
poli incrusté d'or, dont le bordage était orné de perles en 
verre imitant les rubis et les émeraudes ; les mâts étaient 
dorés, les voiles de pourpre, les sièges d'ivoire ; des guir- 
landes de lis et de roses s'entrelaçaient aux cordages ^ » 

I. Oiiarda, traduction française, tome II, page 29. 



CHAPITRE V 



STATUES PEINTES ET HABILLEES 



Pierres drapées. — Statues de bois habillées. — Leur représentation dans les 
statues et les bas-reliefs archaïques ; les dieux vêtus et les héros nus. — 
Statues peintes; symbolisme des couleurs. — Passage de Platon sur les 
peintres de statues. — Statues égyptiennes de bois peintes ; — vêtues. — 
Prêtres égyptiens chargés de rhabillement des statues divines. — Statues de 
bois portées triomphalement à Babylone. — La déesse Istar; sa toilette; sa 
descente symbolique aux enfers. — Les statues de bois en Grèce; simulacres 
peints, lavés, fixés, ornés de joyaux. — La religion catholique a aussi ses 
statues habillées ; Notre-Dame d'Atocha. — Statues dorées ou peintes en 
vermillon. — Statues de marbre peintes; tête de statue archaïque trouvée 
à Athènes. — La garde-robe d'Artémis Brauronia. — Statues acrolithes, 
transition entre les statues de bois habillées et la statuaire chryscléphantine. 
— Plynthérie, cérémonie athénienne du blanchissage des vêtements sacrés 
d'Athéné; les ornatrices. — Caractère sacré des draperies. 



On a vu que, dans la théorie de Semper, la statuaire 
chryséléphantine avait son origine dans les statues habil- 
lées. Cette coutume de draper les statues est générale dans 
Tenfance des peuples, et la tradition religieuse la fait 
subsister même au milieu de civilisations avancées. On la 
trouve encore aujourd'hui dans les pagodes de l'Inde, et il 
y en a des exemples jusque chez les populations catholiques 
de l'Europe moderne. L'imagination des peuples enfants 
se plaît à ces mannequins parés d'étoffes et de bijoux 
qui leur représentent la vie réelle, en y ajoutant l'idée 
d'une vie supérieure, et qui lui font apparaître ses divinités 
sous les mêmes vêtements que portent les personnages 
riches et puissants. Ces draperies sont les langes du ber- 
ceau de l'art. Quatremère a pensé qu'elles devaient avoir 
précédé ce berceau même, et qu'on les suspendait déjà aux 



113 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

idoles coniques, lesquelles furent, comme on sait, les 
premiers signes des divinités. 

C'étaient naturellement des statues de bois qu'on dra- 
pait ainsi ordinairement; on croit néanmoins que ce 
système d'ornement, auquel s'attachèrent des idées reli- 
gieuses, put s'appliquer à des simulacres de marbre et 
de bronze, et que de véritables œuvres d'art en furent 
revêtues et parées tout aussi bien que les mannequins pri- 
mitifs ^ 

« La religion, dit ici Quatremère, ne saurait jamais 
subordonner son intérêt à celui de l'art. » Elle le fera plus 
tard cependant en Grèce. Mais en dépouillant l'étoffe, les 
dieux en gardèrent la représentation dans le marbre et le 
bronze, et leurs vieilles draperies archaïques, aux plis 
réguliers et rigides, leurs colliers, leurs diadèmes leur 
demeurèrent comme attributs ; cette élégance hiératique 
dans les statues et les bas-reliefs du plus ancien art, 
laquelle n'est pas sans charme pour nous-mêmes, est 
une imitation évidente des mannequins frisés et long- 
vêtus; elle en continue la tradition. L'art conservait aux 
dieux leurs vêtements quand déjà sa science et sa hardiesse 
dépouillaient les hommes des leurs. Dans le fronton 
d'Egine, les héros sont nus, tandis qu'Athéné, drapée de 
la tête aux pieds, apparaît au milieu d'eux, comme aurait 
pu le faire la statue de son sanctuaire; ses draperies étaient, 
comme ses armes, des attributs de sa divinité qui en étaient 
inséparables. Plus tard les dieux se déshabillèrent à leur 
tour ; la nudité d'un Apollon et d'une Aphrodite, en laissant 
paraître leur beauté sans voiles, devint un privilège de 
leur divinité, tandis que le vêtement des hommes accusait 
leur besoin de se garantir des intempéries de Pair ; mais 
I. Quatremère de Quincy, Jupiter Olympien, page 8, 



114 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

les divinités les plus anciennes et les plus hautes, Zeus, 
Héra, Athéné, etc., tout en simplifiant leur costume, 
gardèrent toujours la dignité des draperies. 

La peinture des statues est en liaison étroite avec leur 
habillement; on ne conçoit pas l'un sans l'autre. L'appli- 
cation de la couleur sur les parties du simulacre laissées 
à découvert par la draperie était, d'ailleurs, réglée par 
les mêmes lois; ces couleurs n'étaient pas seulement, ni 
même toujours, une imitation de la nature; elles avaient 
souvent une signification symbolique. Le symbolisme 
mystique ou cosmogonique, qui avait imaginé les figures 
monstrueuses, les bizarres associations de formes hétéro- 
gènes, ce même symbolisme remplaçait, pour la coloration 
des statues, l'observation de la nature par l'imagination 
poétique ou la tradition religieuse. Le Bacchus de Corinthe 
avait la face peinte en vermillon \ tandis que le visage de 
l'Apollon d'Amyclée était resplendissant d'or ^. 

Mais l'anthropomorphisme, qui est le verbe du génie 
grec, devait se révéler de plus en plus pur dans les œuvres 
de la plastique. On voit, par un passage de la République^ 
que du temps de Platon les peintres de statues préten- 
daient n'avoir que la nature pour règle : « Si nous étions 
à peindre des statues, y est-il dit, et que, nous voyant 
peindre les yeux, cette beauté suprême du corps, en noir 
et non pas en pourpre, quelqu'un vînt nous reprocher de 
ne pas appliquer les plus belles couleurs aux plus belles 
parties de l'homme, il semble que nous répondrions très 
convenablement à ce censeur en lui disant : Mon ami, ne 
crois pas que nous devions peindre les yeux si beaux que 

1. Pausanias, II, ii, 6. 

2. Ibid.j III, X, 8. Cet or avait été donné aux Lacédémoniens 
par Crésus. 



CHAPITRE V ii5 

ce ne soient plus des yeux, et faire de même pour les 
autres parties du corps; examinons plutôt si, en donnant 
à chaque partie la couleur qui lui convient, nous produi- 
sons un bel ensemble ^ » 

La statuaire chryséléphantinc fit une association har- 
monieuse et brillante des vieilles traditions religieuses et 
symboliques avec le respect et l'amour de la vérité dans la 
figure humaine. Elle eut pour caractère particulier d'unir 
la beauté à la magnificence et la perfection du travail à la 
signification traditionnelle. Les colosses divins de Phidias 
et de Polyclète furent à la fois la plus haute expression de 
la religion et de l'art. 

L'Egypte, avant la Grèce, a eu ses statues de bois 
peintes. On se souvient d'avoir vu à l'Exposition univer- 
selle de 1867 la fameuse statue de Ra-em-ké, cette mer- 
veille de vérité et de vie individuelles. Le temps a fait 
tomber l'enduit formé de gaze fine et de stuc coloré qui la 
revêtait comme un épiderme, ayant la couleur et le grain 
de la peau humaine. Cet enduit, appliqué aux statues de 
bois, était une invention délicate du génie égyptien, bien 
faite pour accroître la vérité et le charme de cet art exprès- 
sivement réaliste qui a précédé en Egypte le grand art 
religieux et monumental. Une autre cause d'illusion, plus 
puissante encore, et qui met l'art égyptien en parenté avec 
la sculpture grecque d'or et d'ivoire, se trouve dans les 
procédés employés par les artistes égyptiens pour donner 
aux yeux ce regard vivant qui étonne dans le Scribe du 
musée du Louvre. C'est le même genre d'incrustation que 
les écrivains grecs nous signalent dans l'Athéné Parthénos. 

I. Œuvres de Platon traduites par Cousin, tome IX, pages igS, 
194. 



iiG LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

Ici l'œil est enchâssé dans une enveloppe de bronze qui 
représente les paupières; cet œil est fait d'un morceau de 
quartz blanc opaque entourant un morceau rond de cristal 
de roche qui forme la prunelle. Au centre est fixé un clou 
brillant qui détermine le point visuel. L'effet est extraor- 
dinaire; le regard humain semble sortir de la matière 
inanimée ^ 

Quant aux statues habillées, l'auteur du Jupiter Olym^ 
pien, à qui l'on doit les premières recherches sur ces 
matières, croyait en reconnaître des exemples dans les 
statues de plaideurs rassemblées en grand nombre dans la 
salle hypostyle du tombeau d'Osymandias^. Ces statues 
étaient de bois et fixaient, dit Diodore, leurs regards sur 
les trente figures de juges sculptées sur la muraille. 
D'après une note qui m'est remise par le savant égypto- 
logue, M. Eugène Révillout, il y avait en Egypte des 
prêtres dont la fonction était l'habillement des simulacres 
cachés entre les tapisseries des sanctuaires. On avait cou- 
tume de changer les vêtements des divinités selon les 
fêtes, et il est probable qu'on changeait en même temps 
les tapisseries des naos. 

Il faut sans doute voir des statues drapées dans ces 
statues de bois qu'on portait triomphalement à Babylone 
comme on y portait des statues de métaP. Peut-être 
même y avait-il des draperies autour des simulacres d'or 
et d'argent^. On peut se faire une idée de la magnificence 

1. F. Lenormant, les Premières Civilisations, tome I""", pages 261, 
262. 

2. Diodore de Sicile, I, 48. 

3. Baruch, VI, 3. « Nunc autem videbitis in Babylonia deos 
aureos et argenteos in humeris portari. » 

4. Baruch parle de vêtements de pourpre couvrant ces dieux 
babyloniens. (VI, 12.) 



CHAPITRE V 117 

avec laquelle étaient vêtus les dieux assyriens par le récit 
épique de la descente aux enfers de la déesse Istar dont 
nous devons la traduction à M. Oppert. Le dépouillement 
successif des parures et des vêtements de la déesse, qui se 
fait de porte en porte par le gardien de l'Aral, et la reprise 
de ces vêtements par Istar à sa sortie des enfers, sem- 
blent une allusion à des cérémonies concernant l'habil- 
lement et le déshabillement des statues sacrées. 

« Il la fit entrer dans la première porte, la toucha et 
lui enleva la grande tiare de sa tête. 

« Pourquoi, gardien, m'enlèves-tu la grande tiare de 
ma tête ? » 

a Entre, déesse, car ainsi le veulent les lois de la sou- 
veraineté infernale. » 

a II la fit entrer dans la seconde porte, la toucha et lui 
enleva ses boucles d'oreilles. 

« Pourquoi, gardien, m'enlèves-tu mes boucles d'oreil- 
les ? » 

a Entre, déesse, car ainsi le veulent les lois de la sou- 
veraineté infernale. » 

« Il la fit entrer dans la troisième porte, la toucha, lui 
enleva les opales de son cou. 

a Pourquoi, gardien, m'enlèves-tu les opales de mon 
cou ? » 

a Entre, déesse, car ainsi le veulent les lois de la sou- 
veraineté infernale. » 

a II la fit entrer dans la quatrième porte, la toucha, lui 
enleva les tuniques de son corps. 

« Pourquoi, gardien, m'enlèves-tu les tuniques de mon 
corps ? » 

« Entre, déesse, car ainsi le veulent les lois de la sou- 
veraineté infernale ». 



ii8 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

« Il la fit entrer dans la cinquième porte, la toucha et 
lui enleva la ceinture en pierres précieuses de sa taille. 

a Pourquoi, gardien, m'enlèves-tu la ceinture en 
pierres précieuses de ma taille ? » 

« Entre, déesse, car ainsi le veulent les lois de la sou- 
veraineté infernale. » 

a II la fit entrer dans la sixième porte, la toucha et lui 
enleva les anneaux de ses pieds et de ses mains. 

a Pourquoi, gardien, m'enlèves-tu les anneaux de mes 
pieds et de mes mains ? » 

a Entre, déesse, car ainsi le veulent les lois de la sou- 
veraineté infernale. » 

a II la fit entrer dans la septième porte, la toucha et lui 
enleva le jupon qui couvrait sa pudeur. 

a Pourquoi, gardien, m'enlèves-tu le jupon qui couvre 
ma pudeur? » 

a Entre, déesse, car ainsi le veulent les lois de la sou- 
veraineté infernale^ ». 

Quand Istar remonte des enfers, le gardien lui rend 
un à un tous les vêtements et ornements qu'il lui a pris à 
l'entrée. 

a II la fit sortir par la première porte et lui restitua le 
jupon qui couvre sa pudeur, etc., etc. » 

Quelle que soit la signification de ce fragment épique, 
soit qu'il ait rapport aux phénomènes de l'hiver et du 
printemps ou à la mort et à la résurrection de l'homme, il 
est vraisemblable que les vêtements et les ornements 
donnés ici à l'une des grandes déesses chaldéo- assy- 
riennes étaient ceux que portaient réellement ses statues. 
On remarquera la richesse de cette parure divine. La 

I. Traduction de M. Oppert dans l'appendice de V Histoire 
d'Israël de Ledrain, tome II, pages 465, 466, 468. 



CHAPITRE V 



119 



Statuaire chryséléphantine de la Grèce reproduira, dans ses 
colosses célèbres, la magnificence de TOrient, en y ajou- 
tant ce qui n'appartient dans l'antiquité qu'au génie grec, 
ridéale beauté des formes qui est le dernier mot des reli- 
gions helléniques. 

Ces statues drapées, nous allons maintenant les retrou- 
ver en Grèce, car la Grèce aussi a Joué à la poupée dans son 
enfance. « Ce qu'on cherchait avant tout dans ces statues, 
dit Otfried Miiller, c'était de servir et de soigner la divinité 
à la manière humaine. Ces simulacres étaient lavés, 
cirés, frottés, vêtus et frisés, ornés de couronnes et de 
diadèmes, de colliers et de pendants d'oreilles. Ils avaient 
leur garde-robe, leur toilette, et ressemblaient plus à des 
poupées^ à des mannequins, qu'à des œuvres dues à une 
vraie culture de l'art plastique^ ». Ce mot dQ poupée vient 
naturellement à l'esprit en parlant de ces anciens simulacres 
et de leur parure; et il est remarquable qu'un écrivain 
chrétien ait traité les statues chryséléphantines elles-mêmes 
de « grandes puppas, non a virginibus quarum lusibus 
venia dari potest, sed a barbatis hominibus consacratas- ». 
Qu'aurait dit cependant Lactance s'il eût vu les madones 
italiennes ou espagnoles? Comme le paganisme, le chris- 
tianisme a eu et a encore ses images saintes couvertes de 
riches habits et de brillants joyaux consacrés à leur parure 
par la piété des fidèles. La fameuse Notre-Dame de 
Lorette, en bois de cèdre, fait pendant aux statues de bois 
de l'antiquité grecque ou romaine. La vierge noire mira- 

1. O. Mûller, Ancient art, g 69. — Comparez Quatremère de 
Quincy, Jupiter Olympien^ pages 8 et suivantes. 

2. De origine erroris, dans Lactantii Opéra, édition de i652, 
page 91. 



120 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

culeuse d'Atocha est dans le même cas : « On l'habille 
souvent en veuve, dit M^^e d'Aulnoy ^ » 

Les Grecs peignaient leurs statues en bois de couleurs 
crues, souvent significatives. L'or et le vermillon semblent 
avoir été employés de préférence. Plutarque nous apprend 
qu'on dorait les statues pour les embellir^. Le dieu du vin 
n'était pas le seul dont on peignît le visage en rouge. 
Hermès et Pan étaient de même enluminés ^. Il est aussi 
question d'une Athéné Sciros peinte en blanc. Sans doute 
elle portait l'ombrelle en signe de sa dignité; et l'on se 
rappelle que le blanc avait dans l'antiquité une signifi- 
cation religieuse^; c'était la couleur portée dans certaines 
processions, tant en Grèce qu'en Italie ^. 

Après le bois on peignit aussi le marbre. Il semble 
même que cet usage ait été très répandu, et il n'est pas 
rare de trouver des traces de couleur sur des statues ou 
des bas-reliefs. Une tête archaïque trouvée à Athina et 
décrite par M. Rayet dans les Monuments grecs ^^ oifre 
des traces de couleurs sur les cheveux, les yeux et les 
lèvres, le blanc ayant été réservé sur les chairs. On trouve 
également dans les textes des allusions à cet usage, 
notamment dans un passage de VHélène d'Euripide, 
a Plût au ciel, dit Hélène, que ces traits, comme les com- 



1. La Cour et la ville de Madrid vers la fin du XV 11^ siècle y 
relation d'un voyage en Espagne^ nouvelle édition, par M™» Carey 
(1874), page 293. 

2. SymposiaqueSf livre I". Quest. V. 

3. O. Mûllcr, loc. cit. 

4. Voir la note 4, page 109. 

5. Les espèces de bois employés pour les statues étaient le 
cèdre, le cyprès, le gene'vrier. Pline, Histoire naturelle, XVI, lxxix. 

6. Publiés par la Société d'encouragement des études grecques 
en France, n° 6, 1877. 



CHAPITRE V 121 

leurs des Statues ^ , puissent être effacés et devenir diffor- 
mes! ^ » 

Quant aux statues habillées, on en trouve des mentions 
dans Pausanias et ailleurs. Athéné avait un péplos à 
Troie, à Athènes, à Tégée (d'après les monnaies). Héra en 
avait un à Olympie. Les détails relatifs au péplos athénien 
sont assez connus, et nous en reparlerons plus loin. Celui 
d'Olympie était brodé par les matrones au nombre de 
seize, on le renouvelait tous les cinq ans^. On a des docu- 
ments sur la garde-robe d'Artémis Brauronia à Athènes. 
Parmi les pièces qui la composaient, se trouvaient une 
tunique en laine d'Amorgos, un manteau blanc avec une 
bordure de pourpre (i[/.aTtov 'kvr/.ov T^apaT^oupyl;) et un 
ampéchonon. Il y avait à Titane une statue d'Asclépios 
revêtue d'une tunique de laine blanche et d'un manteau 
qui l'enveloppaient si bien qu'on ne pouvait savoir si elle 
était de bois ou de métal ; on voyait toutefois passer le 
visage, les pieds et les mains ^. Il en était de môme d'une 
statue d'Hygie exposée au même lieu, laquelle dispa- 
raissait sous les draperies de soie et sous la quantité de 
chevelures dont les dévotes lui avaient offert le sacri- 
fice^. 

Les statues acrolithes forment la transition entre les 
statues de bois drapées et la statuaire d'or et d'ivoire. 

1. *û; àyaXiJLa, comme une statue, mais la suite du passage 
montre qu'il s'agit d'une statue peinte. Le traducteur de l'édition 
Didot traduit sicut pictura. J'ai emprunté la traduction d'Artaud. 

2. Hélène, vers 262. 

3. Pausanias, V, xvr, 2. 

4. Pausanias, II, xi, 6. 

5. Ibid, — Sur les statues drapées, voyez Quatremère de Quincy, 
Jupiter Olympien, pages 8 et suivantes, et Otfried Mûller, Ancient 
art, § 69. 



122 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

C'étaient des statues dont le visage, les pieds et les mains 
étaient de pierre ou de marbre, tandis que le reste du 
corps était d'une autre matière et le plus souvent caché 
par des draperies. Parmi celles que mentionne Pausanias, 
il y en a qui, comme TAthéné sculptée par Phidias pour 
les Platéens, étaient l'œuvre d'un art avancé ou déjà par- 
fait ^ De ce nombre était encore l'Apollon de Phigalie 
dont on a retrouvé dans son temple un pied et des mains 
de marbre où se voient encore un tenon et des trous qui 
servaient à les rattacher au corps de bois détruit par le 
temps ^. 

L'Ilithyie de Damophon de Messène à -^gion, faite 
environ Sjo avant J.-C, était en bois, avec le visage, les 
mains et les pieds en marbre pentélique; elle était tout 
entière enveloppée d'un voile de fin lin ^. 

Denys de Syracuse dépouilla un Jour une statue de 
Zeus Olympien de son manteau en or pour le revêtir d'un 
manteau en laine, prétendant qu'un manteau d'or était 
trop lourd en été et trop froid en hiver, tandis qu'un 
manteau de laine était bon en toute saison ^. 

Il y avait à Athènes une fête appelée Plynthérie pour 
le blanchissage des vêtements d'Athéné; on donnait le 
nom de TvO'jxpiSe; aux jeunes filles chargées de baigner la 
statue. A Rome, les divinités du Capitole avaient tout un 
personnel attaché à leur service ^. Tertullien, cité par 

1. Pausanias, IX, iv, i. 

2. Stackelberg, Der Apollo Tempel jfi/ Bassce, page 98. 

3. Pausanias, Vif, xxiii, 5. — Sur les acrolithes, voir le Diction- 
naire des antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio, 
au mot acrolithus. 

4. Cicéron, De natura deormrij III, 84; Valerius Maximus, De 
religioncy lib. I, neglecta, extern, exempl., 3. 

5. O. Mûller, loc. cit. 



124 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

Quatremère, dit que les dieux et les déesses avaient, 
comme les femmes opulentes, des personnes chargées de 
leur toilette, ornatrices. 

J'ai rappelé, au commencement de ce chapitre, l'opi- 
nion de l'auteur du Jupiter Olympien sur les draperies 
qu'on avait dû suspendre aux pierres coniques. J'avais 
parlé dans un chapitre précédent des trônes voilés, tels 
que celui de Chronos, et mentionné en note ces fauteuils, 
représentés dans les peintures de Pompéi, sur lesquels une 
draperie jetée parait remplacer et signifier la divinité 
absente \ Rien ne marque mieux le caractère sacré des 
draperies. Enveloppant les statues, elles ajoutent à la 
majesté des figures divines. Suspendues sur un trône vide, 
elles frappent l'imagination de l'idée d'une divinité invi- 
sible ; elles semblent frémir de son souffle. 

I. Trônes de Ve'nus et de Mars, dans les Antiquités d'Herculanum 
(Paris, 1804), tome I*"", planche xxix. 



CHAPITRE VI 



LA TENTE d'iON 



Ion, tragédie nationale destinée à célébrer la gloire et les antiquités d'Athènes. 

— Louanges d'Athènes, particulièrement dans les chœurs. — Description de 
la tente d'Ion. — Remarques sur ce passage : son intérêt pour les Athéniens; 
les tapisseries qu'il décrit représentent des sujets de la légende athénienne. 

— Rapport entre les dimensions données par le poète à la tente d'Ion et 
les dimensions du Parthénon. — La tente d'Ion était en réalité la tente 
d'Athéné transportée d'Athènes à Delphes; la décoration en tapisseries devait 
être celle même du Parthénon. 



J'arrive à mon but, qui est de restituer, d'après des 
données recueillies de divers côtés, la décoration inté- 
rieure du Parthénon. 

Il y a, dans VIon d'Euripide, un passage dont on n'a 
pas tiré, ce me semble, tout le parti qu'on aurait pu. 
Stuart paraît l'avoir à peine entrevu, lorsqu'il a pris de ce 
passage l'idée qu'une sorte de voile ou de banne avait pu 
être étendue au-dessus de l'Athéné Parthénos, afin de 
l'abriter; et les critiques qui ont vu dans la description 
de la tente d'Ion et dans ses mesures une allusion mani- 
feste au Parthénon n'ont pas poussé plus loin leurs con- 
jectures. Je crois cependant pouvoir me risquer à dire que 
la tente décrite par Euripide, avec une complaisance si 
marquée, représente, dans tous ses détails, la décoration 
intérieure du .célèbre temple de l'Acropole. Le moment 
est venu d'exposer mes raisons. 

Un mot d'abord sur le caractère particulier de la tra- 
gédie d'Euripide. Cette tragédie, toute nationale, est, d'un 



l'iG LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

bout à Tautrc, un hymne à la louange d'Athènes. Le poète 
y célèbre, dans une brillante poésie, les origines et les 
antiquités de la ville, la race de ses rois, la puissance de 
ses dieux, la gloire de son peuple, sa religion, sa liberté. 
La tragédie a, pour ainsi dire, deux sujets : un sujet dra- 
matique, qui est la reconnaissance d'un tils par sa mère, au 
milieu de circonstances pathétiques; un sujet poétique, qui 
est la grandeur de la race ionienne et du nom athénien. 
La scène se passe à Delphes, et Tintention évidente du poète 
est d'établir la parenté du sanctuaire d'Athènes avec le 
sanctuaire vénéré de Delphes, afin de tirer, de l'alliance 
intime des deux cultes, une gloire de plus pour la patrie 
athénienne. 11 faut qu'aucune gloire, aucune sainteté ne 
manquent à Athènes, et que, du pied du Parnasse où le 
poète nous conduit , la pensée se tourne encore vers 
l'Acropole \ vers cette Acropole sur laquelle pouvaient 
lever les yeux, tout en écoutant, les spectateurs du drame. 
Voici, dès le prologue, l'éloge d'Athènes. « Il est une 
ville célèbre qui tire son nom de Pallas à la lance d'or^. » 
Plus loin, Hermès parle des colliers en forme de serpents 
que portaient, comme un symbole d'autochthonie, les 
enfants des Erechthides. Puis vient la naissance d'Erichto- 
nius, la curiosité fatale des filles de Cécrops à l'endroit de 
la mystérieuse corbeille, l'immolation des filles d'Erech- 
thée par leur père pour le salut de leur pays, la mort 
d'Erechthée englouti dans la terre par la puissance de 
Poséidon : toute cette histoire mythique de l'enfance 
d'Athènes chantée par les poètes et représentée par les 
sculpteurs. Ailleurs, il est question de la grotte de Pan, 

1. « Mon cœur était dans ma patrie pendant que mon corps était 
ici », dit Creuse, exprimant elle-même la pensée du poète. 

2. Vers 8 et 9. 



CHAPITRE VI 127 

placée au flanc de l'Acropole, et qui figure sur les mon- 
naies avec le temple et la statue d'Athéné '. La victoire de 
la déesse sur les géants et le meurtre de la Gorgone ne 
sont pas oubliés^. 

On a quelquefois reproché aux chœurs d'Euripide 
d'être sans rapport avec l'action ^. Ici leur rôle apparaît 
clairement. Ils donnent l'élan lyrique à cet éloge d'Athènes 
qui est le vrai sujet de la pièce. Tantôt le chœur signale 
un portique du temple de Delphes, qui, selon une conjec- 
ture très plausible, doit être celui que les Athéniens 
consacrèrent à l'occasion d'une victoire remportée sur les 
Lacédémoniens dans la troisième année de la guerre du 
Péloponèse, et en décrit les peintures où des victoires 
d'Athéné et de ses héros favoris. Hercule et Bellérophon, 
sont représentées*. Tantôt il invoque Athéné sous son 
nom de Victoire, et la déesse d'Athènes est appelée sœur 
d'Apollon et d'Artémis ^. 

Le dénouement fait reconnaître Ion, le père des 
Ioniens, comme un fils de Creuse et d'Apollon; Xuthus, 
le mari de Creuse, n'est pour rien dans la naissance de ce 
fils, qu'il n'en adopte pas moins aveuglément et qui sera 
l'héritier de son trône. « On voit, dit Otfried Mûller, que 
tout ici vise à maintenir entier et intact ce qui était 
l'orgueil des Athéniens, leur autochthonie, la descendance 
pure de leurs antiques patriarches, ces rois nationaux nés 
de la Terre. L'aïeul des Ioniens qui régnaient dans 

1. Vers 492 et suivants. Le culte de Pan faisait partie de la reli- 
gion des Athéniens. (Pausanias, I, xxviii.) 

2. Vers 987 et suivants. 

3. Schlegel, Coz/r^ de littérature dramatique, traduction française, 
tome I", page 228. 

4. Vers 184 et suivants. 

5. Vers 467. 



128 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

TAlliquc ne pouvait pas être le fils d'un immigrant 
étranger, d*un chef de guerriers achéens, tel qu'on repré- 
sentait Xuthus; il devait appartenir à la race pure et attique 
des Erechthides ^ » 

J'ai dû insister sur le caractère de l'ouvrage d'Euripide, 
parce qu'il en résulte que le Parthénon devait avoir sa 
place dans la tragédie. Comment le poète l'aurait-il oublié? 
Aussi ne Ta-t-il pas fait. Le Parthénon a sa place au centre 
du drame, comme la plus belle expression de cette reli- 
gion nationale que le poète s'est donné mission de célébrer ; 
il y est plus que par une simple allusion ; il y est dans sa 
décoration même, que le poète, d'un coup de baguette 
magique, transporte d'Athènes à Delphes, comme la tente 
même d'Athéné qui va visiter le sanctuaire de son frère. 

Voici le passage d'Euripide, suivi de sa traduction : 

*0 Se veavta; 

opOoGxiTai; iSp'jgO*, rfkio'j (fkoycc 
Il35. y.oik(ù^ <p'Adc$a;, O'jtê 77p6; [xÉGa; ^oXxç 
ixTtvo;, O'JT* oJj 7:po; Te>.£'jT(0'7a; ^lov, 
7:>.£0po'j <7TaO;j!.y;aa; jjltîxo; £1; g'jycovtov, 
[A£Tpr,[x' ïyo'jGOL'^ TO'jv [JÂniù yi [A'jptcov 
TToSwv ipiOjAov, ù}ç 'kiyo'jaiy ol goçoI, 
1 140. (î); TTXVTa A£>.çôv >.aov e; Ootvr,v xa>.ûv 
Aaêwv S' u-pi^ji-aO ' Upx Oy,<7a'jpôv TzipoL 
1/LXTzny.ixCs. . Oatiji-ax' àvOpcoTTOi; opav. 

IlpÔTOV [J!.£V OpOCpO) TTTep'jya TZtpi&iykv. 77£77>.(OV, 

àvdcOrjjLa Stou TratSo;, 01»; *Hpay.>.£r<ç 

I. Histoire de la littérature grecque, traduite de rallemand, 
tome II, page 325. 



CHAPITRE VI 129 

1 145. 'Aji.a^6v(ov (DC'As'jjAaT ' yjvgyxgv 6eô. 

'Ev/iv S' uçavTal ypdc'XjxaGiv TOtaS' u^a{ • 
O'jpavo; àOpo{^o)v açrp ' év alOlpo; îC'j>c>.o) • 
t77770'j; [7.£V y\kx^j^\ ê; Tg>.g'jTa{av (p>.6ya 
"II>.to;, éçeVxcov >.a[xxp6v *EG7rlpo'j çào; 

1 1 5o. (A£>.i[jLTr67r>.o; Se Nù^ àcg^pwTOv ^uyoï; 
oj^Y)j7/ e7:a>.>.gv • àdxpa S' cojxàpTgt Se^. 
n>.gt3t; (xgv yigt jxgGOTTopo'j Si' alOépoç, 
Te ^tçy)pY); 'Ûptcov • uTugpOe Se 
''ApxTo; GTpeço'ja ' o'jpaïa yp^j(rripii izô'kt^^ 

1 155. X'j)c>.o; Se 'r:av<7£>.Y)vo; yîxovti^* àvo) 
[AY)vo; Siji'YipY);, TàSe; Te, vauTiT^oi; 
caçeaTaTOv crv)jA£tov, yÎ tc çwGÇopo; 
"Eo); Skoxoug' à'TTpa. To{yoiçtv S' eTrl 
vî[A7:i'7j^ev à>.>.a papêipwv u(pdc<j[i.aTa, 

I160. e'JY)p£T(J!.0'jç vau; ivT^a; ^EWri^im^ ^ 

xal [X'^oOvipa; çÛTa;, iTTreta; t* aypa;, 
e^.dc'pcov >.£6vT(ov t' iyptwv 6yipà[J!.aTa. 
KaT* filçoSo'j; Se KexpoTra OuyaTepcov 7:6>.a; 

'77Tgtpai'7tV £l>.t'7(J0VT \ 'AOyjva^cov Ttvo; 

1 165. ivdcOrjJLa 

a Le jeune homme élève religieusement, au moyen de 
colonnes, l'enceinte sans murailles d'une tente, prenant 
bien soin de Tabriter du soleil, tant des ardeurs du midi 
que des rayons du couchant. Il lui donne une forme 
rectangulaire et la longueur d'un plèthre, de sorte qu'elle 
renfermait au milieu dix mille pieds, au dire des savants, 
comme s'il eût voulu appeler au banquet tout le peuple 
de Delphes. Ensuite, ayant pris, dans les trésors, les tissus 

9 



i3o LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

sacrés, il en fait des draperies admirables à voir. Il com- 
mence par attacher au toit tout autour l'aile des péplos, 
ce présent du fils de Zeus, dépouille des Amazones, offerte 
à la divinité par Hercule. Tels sujets y sont représentés 
dans la trame : le Ciel rassemblant les étoiles dans le 
cercle de Téther; le Soleil animant ses coursiers au terme 
de leur course ardente, traînant à sa suite le flambeau 
resplendissant d'Hespérus; la Nuit, au péplos noir, faisant 
bondir son char dont le joug est dépourvu de traits, 
déesse qu'accompagnent les étoiles; la Pléiade au milieu 
de Téther; Orion armé de son épée. Tout en haut, on 
voyait TOurse enroulant sa queue au pôle d'or. En haut 
aussi rayonnait le disque plein de la Lune qui divise le 
mois; puis c'étaient les Hyades, signe certain aux navi- 
gateurs; enfin FAurore, de sa clarté, chassait les étoiles. 
Sur les murs, il jeta des tissus brodés des Barbares, des 
vaisseaux bien rames opposés aux vaisseaux grecs, des 
hommes à moitié bétes, des chasses à cheval à la poursuite 
des lions et des cerfs. Vers l'entrée, il mit Cécrops avec 
ses filles, se roulant dans ses replis, don de quelqu'un 
d'Athènes. » 

Il y a tout d'abord deux remarques à faire sur ce passage. 

La première concerne la construction même. Il est 
évident qu'il s'agit ici d'un édifice dont le poète décrit la 
décoration intérieure. Cet édifice devait être bien connu 
des spectateurs et exciter au plus haut degré leur intérêt; 
sans quoi cette description de tapisseries, au lieu où elle 
est placée, aurait été le plus insupportable des hors- 
d'œuvre. Qu'on se représente Racine, dans le récit de 
Théramène, décrivant longuement le paysage du liçu où 
va s'accomplir le destin d'Hippolyte. Quelque préparés 
qu'aient été les spectateurs • de Phèdre à écouter et à 



CHAPITRE VI i3i 

applaudir des beautés littéraires, ils n'auraient sans doute 
pas toléré de telles longueurs. Ainsi eussent fait les Athé- 
niens pour le récit du serviteur de Creuse, lequel se trouve 
au nœud même de l'action dont il rapporte une des cir- 
constances les plus dramatiques, la tentative d'empoison- 
nement faite par une mère sur le fils qu'elle ne connaît pas 
encore, si la description détaillée de la tente d'Ion n'avait 
eu pour eux un autre mérite que le mérite poétique. Le 
poète se trahit d'ailleurs lui-même, lorsqu'après avoir parlé 
d'abord d'une enceinte sans murailles, Tzzpi&oVx^ xToiyou; \ 
il en vient un peu plus loin à parler des tapisseries jetées 
sur les murailles, ItzI toi/oigiv ^. Volontaire ou non, cette 
contradiction est significative ; elle indique clairement qu'il 
s'agissait, dans la pensée d'Euripide, non d'une construc- 
tion éphémère, mais d'un édifice durable, et évidemment 
d'un temple, que ce soit celui d'Athéné à Athènes ou 
celui d'Apollon à Delphes. 

La seconde remarque regarde les tapisseries. Ces tapis- 
series sont tirées des trésors, ce qui prouve qu'on en con- 
servait pour les employer aux grandes solennités. Ces 
trésors peuvent être, d'ailleurs, indifféremment, ceux de 
Delphes ou ceux d'Athènes, ou tout ensemble ceux de 
Delphes et ceux d'Athènes. Si l'auteur de la tragédie a 
l'intention que nous croyons lui voir, il a dû dans ce pas- 
sage vouloir faire penser constamment à Athènes en par- 
lant de Delphes. Remarquons que les sujets de ces tapis- 
series les plus caractéristiques sont des sujets athéniens. 
L'histoire de Cécrops et de ses filles est représentée sur 
les tapisseries qui forment la portière^. Le vers 1160 

1. Vers II 33. 

2. Vers 1 158. 

3. Vers 1 163. 



i32 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

contient une allusion assez apparente à la bataille de Sala- 
mine. Sans avoir le même caractère national, les sujets 
figurés sur les tapisseries du toit convenaient du moins 
parfaitement au péplos d'Athéné, lequel était à la fois 
l'attribut caractéristique de la déesse et l'emblème du 
monde ^ Quant au don fait par Héraclès à la divinité du 
temple de cette dépouille des Amazones, il semble qu'il y 
ait là encore une allusion : l'expédition d'Héraclès rappelle 
celle non moins célèbre de Thésée, si souvent représentée 
par les artistes d'Athènes, et notamment par Phidias sur le 
bouclier de l'Athéné Parthénos. 

Voilà déjà quelques présomptions. Voyons s'il n'existe 
pas d'indice plus clair de l'intention du poète. On en a 
trouvé un dans les mesures attribuées par Euripide à la 
tente d'Ion. La précision affectée par le poète au sujet de 
ces mesures prouvait suffisamment qu'il s'agissait d'un 
édifice réel et connu. Les mesures elles-mêmes ont fait 
reconnaître le Parthénon. « Si l'esclave, dit M. Patin, 
indique minutieusement la forme et la dimension de la 
tente où le jeune Ion traitait ses amis, c'est pour faire 
allusion à celles du Parthénon, qui étaient exactement les 
mêmes 2. » 

Ce qui frappe tout d'abord, c'est la longueur d'un 
plèthre, ou de cent pieds, qui est ici celle de la tente. 11 
est difficile de ne pas songer au Parthénon, qui était aussi 
appelé Hécatompédon par les anciens. Parmi les archéo- 
logues, les uns prennent les cent pieds de l'Hécatompédon 
sur la largeur de la façade; ainsi ont fait Stuart et Leake, 
ainsi font M. Penrose et M. Aurès. M. Beulé, qui a pour 

1. Weltgewebe. (Gerhard, Prodromus, g 128.) 

2. Patin, Études sur les tragiques grecs; Euripide, tome II, 
page 65. 



CHAPITRE VI i33 

lui l'autorité des inscriptions, cherche les cent pieds sur 
la longueur du naos ^ On trouve du reste, en examinant 
le plan du Parthénon, que la largeur totale de la façade, 
en y comprenant les degrés, est identique à la longueur du 
naos prise extérieurement. D'autre part, la longueur du 
naos à l'intérieur est égale à la largeur de la façade, les 
degrés non compris. Le nom d'Hécatompédon a donc pu 
venir au temple de l'Acropole de ce que ce nombre de 
cent pieds se retrouvait par deux fois dans ses proportions, 
à moins qu'on ne pense, avec d'anciens auteurs, que ce 
nom ne doit pas être pris dans un sens mathématique, 
mais seulement comme une expression poétique de l'har- 
monie et de la beauté des proportions de l'édifice ^, 

Il est à peine utile de relever la méprise des traducteurs 
qui donnent à la tente d'Ion wnQ forme carrée et cent pieds 
dans tous les sens, pendant que le texte parle seulement 
d'un rectangle ayant cent pieds de longueur à l'intérieur. 
Cependant les traducteurs ^ ne laissent pas d'affirmer que 
ces dimensions étaient celles du Parthénon. Ce qui est 
singulier, c'est qu'une erreur longtemps accréditée, dépo- 
sée dans de gros livres, que Leake a cru bon de réfuter 
dans une note de sa Topographie d* Athènes, et dont s'est 
raillé M. Beulé, ait voulu faire un cube du Parthénon. 
Peut-être n'est-ce là qu'une interprétation grossière d'une 
arithmétique mystérieuse dont pourraient donner la clef 
les recherches si intéressantes de M. Aurès sur la métro- 
logie du Parthénon. D'après le savant ingénieur, les 
nombres carrés , auxquels on attribuait une puissance 

1. Acropole d'Athènes, tome II, page 14. 

2. Voyez, sur cette opinion, Harpocration qui cite l'autorité de 
Ménéclès et de Callistrate (au mot *ExaT6|i.7ieSov). 

3. Le Père Brumoy; Artaud, 



i34 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

secrète, ont joué un grand rôle dans l'architecture antique, 
dont les proportions étaient souvent réglées par des idées 
religieuses *. 

Ce qui semble indiquer qu'il s'agit ici de quelque chose 
de pareil, c'est la suite du passage, où le poète nous apprend 
que, d'après le dire des savants^ l'édifice dont il s'agit ren- 
fermait dix mille pieds à Tintérieur. Je ne me charge pas 
d'expliquer ces 10,000 pieds, que le traducteur latin de 
l'édition Didot a cru devoir changer en 600 pieds. Je fais 
seulement observer que ces 10,000 pieds sont le produit 
d'une multiplication par lui-même du nombre cent. Appli- 
qué à l'ensemble des dimensions d'un édifice, ce nombre 
devait avoir, dans l'opinion des Grecs, une valeur singu- 
lière. Il n'est donc pas étonnant qu'une légende populaire 
en ait fait l'expression de la beauté du Parthénon, s'il 
n'était pas le secret de la science qui l'avait construit ^. 

Quoi qu'il en soit, l'allusion au temple de l'Acropole 
ressort assez évidemment du passage d'Euripide, qu'on 
attribue à ses chiffres une valeur positive ou une significa- 
tion symbolique. De quel autre édifice, plus parfait sous 
le rapport de l'art, plus saint au point de vue religieux, 
pouvait-il être question dans cette tragédie consacrée à la 
gloire d'Athènes et de son culte ? 

Ce n'est pas du temple de Delphes, moins sacré pour 
l'Athénien et moins intéressant que le temple d'Athènes, 
malgré la vénération dont il était l'objet, et qui, d'ailleurs, 
est célébré directement dans la première scène. Ce n'est 

1. Étude sur les dimensions du Parthénon, par M. A. Aurès, 
Nîmes, 1867. (Extrait des Mémoires de l'Académie du Gard.) 

2. En Chine, où Ton regardait certains nombres comme sacrés, 
cent représentait le nombre des familles chinoises, et dix mille dési- 
gnait symboliquement l'universalité des choses. (Ampère, la Science 
et les Lettres en Orient, page m.) 



CHAPITRE VI i35 

pas non plus d'aucun autre temple de la Grèce. Le temple 
dont il s'agit, c'est bien le chef-d'œuvre de l'architecture 
grecque, le sanctuaire vénéré de la religion athénienne, 
qui n'existait pas sous le règne de Xuthus, et auquel 
Euripide, qui ne pouvait en parler sans un trop grand 
anachronisme, a voulu faire du moins cette allusion com- 
prise de tous. 

Voyons maintenant comment on peut appliquer au 
Parthénon la décoration décrite par Euripide. 



CHAPITRE VII 



LES TAPISSERIES DU PARTHÉNON 



Polychromie extérieure et intérieure du Parthénon. — VHécatompédon et le 
Parthénon^ le temple d'Athéné et sa chambre virginale. — Application du 
passage d'Euripide à la décoration intérieure du Parthénon. — Tapisseries 
verticales et horizontales. — Rideaux dans les entre-colonnements ; portières. 

— L'aile des péplos; le Parthénon temple hypèthre. — Delà couverture des 
temples hypèthres et en particulier du Panhénon. — Système de M. Chipiez. 

— Notre opinion et les raisons qui peuvent Tappuyer. — La voile ou banne 
décrite par Euripide a-t-elle pu servir de couverture au Parthénon? — Objec- 
tions de M. Chipiez. — Opinion de M. Loviot. — Présomption en faveur 
d'un système intermédiaire entre le toit et l'hypaethron. 



Il faut se rappeler d'abord que le Parthénon était un 
temple peint. A l'extérieur, les murs de la cella, les 
colonnes des portiques et du péristyle, les corniches, les 
frises, les frontons avec leurs statues, tout cela était revêtu 
de couleurs qui donnaient au marbre un aspect vivant. 
Ainsi décoré, et tourné vers l'Orient, comme la plupart 
des temples grecs, le temple d'Athéné ressemblait à une 
immense fleur épanouie aux rayons du matin. 

Le même système régnait à l'intérieur. Murs, colon- 
nes, tout était revêtu de ces tons éclatants et doux dont le 
soleil de l'Orient a donné le secret à ses artistes. Au 
milieu du sanctuaire s'élevait la resplendissante idole d'or 
et d'ivoire, chef-d'œuvre du génie de Phidias. Les tapis- 
series devaient former le complément naturel de la déco- 
ration qui environnait la statue et répondre à l'éclat de la 
statue elle-même. Ainsi en était-il certainement. On voit 
dans Plutarque ^ que Phidias, le grand ordonnateur de 

I. PériclèSf XI F. 



CHAPITRE VII i37 

rédifice, avait des tapissiers (-oix'ATat) dans l'armée d'arti- 
sans qui travaillait sous ses ordres ^ ; ils y figurent entre 
les peintres (^(oypi^poi) et les graveurs (TOpeuxat), à la suite 
des ouvriers en or et en ivoire (ypyjao\>iJ.oLkoLy(,Tripeç xal 
8>.£<pavTo;). Le grand sculpteur athénien dont le génie a 
conçu et dirigé toute la décoration du Parthénon a pu 
donner les sujets et les dessins de ces tapisseries, destinées 
à compléter par de nouveaux symboles et un autre genre 
de splendeurs la signification de son œuvre et sa magnifi- 
cence. 

Il y avait au Parthénon, dans l'intérieur de la cella, 
une colonnade régnant sur trois côtés, le côté de la porte 
restant libre. Cette colonnade était double : à la moitié de 
la hauteur régnait une galerie dont on voyait encore des 
traces du temps de Spon ^. Le naos, ou la cella, était ainsi 
divisé en deux parties : 1° la partie comprise entre les 
colonnes, laquelle paraît avoir été découverte ; 2° la 
double galerie, inférieure et supérieure, placée sous le 
toit. En face de la porte d'entrée, la statue était placée 
dans le fond de la cella, un peu en avant des colonnes, 
au-dessus desquelles elle s'élevait à travers le vide de 
l'hypaethron. 

Prises ensemble, ces deux parties devaient former 
VHécatompédorij tandis que le nom de Parthénon doit 
être réservé, si je ne me trompe, à la partie comprise 
entre les colonnes. C'était là, à proprement parler, la 
Chambre de la Vierge, le sanctuaire ouvert du côté du 

1. « Les TioixiXTac, dit Otfried Mûller, sont des ouvriers en laine 
de différentes couleurs, des brodeurs, dont il ne faut pas oublier les 
tapisseries (7repi7ieTa<j{i,aTa) comme contribuant à l'effet de ces temples 
et de ces statues en ivoire. » (Otfried Mûller, Ancient art, § 114.) 

2. Voyage d'Italie et de Grèce, tome II, page 90 (La Haye, 1724). 



i38 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

ciel, mais sans doute entouré de voiles, d'où la divinité 
d'Athènes régnait sur son temple et sur son peuple. Aux 
pieds de la statue étaient rangés, et comme prosternés 
devant elle, les dons offerts à la déesse. Aux colonnes 
mêmes, étaient suspendues des armes, des lyres, des 
couronnes d'or K Rien de plus naturel, je dirais volontiers 
de plus indispensable, que d'attacher des draperies à ces 
colonnes peintes et chargées de trophées éclatants. Ces 
tapisseries formeront la clôture de l'appartement d'Athéné; 
elles seront l'écrin de ses joyaux ; elles la défendront des 
regards profanes, et l'envelopperont, dans sa demeure 
virginale, d'une barrière et d'une splendeur de plus. 

Les tapisseries décrites par Euripide sont des deux 
espèces. Il yen a de verticales et d'horizontales. Commen- 
çons, à l'inverse du poète, par les verticales. L'expression 
sur les murs ne doit pas être prise à la lettre ; il ne s'agit 
pas de tapisseries tendues sur les murailles, mais sans 
doute de rideaux attachés aux colonnes, et qui cachaient 
ainsi les murailles aux yeux des spectateurs placés au 
milieu de la cella. C'est donc aux colonnes du naos que 
j'attache ces tapisseries qui faisaient voir la bataille de 
Salamine dans une série de tableaux dont chacun repré- 
sentait sans doute la lutte d'un vaisseau grec contre un 
navire persan, de même que sur la frise supérieure de la 
façade occidentale, chaque métope représentait la lutte 
d'un soldat perse et d'un guerrier grec. L'intérieur ainsi 
répondait à l'extérieur, la décoration de laine à celle de 
marbre. On peut disposer les sujets de cette série, soit 
dans les entre-colonnements de la galerie supérieure, soit 
dans ceux du rez-de-chaussée ; l'autre galerie aura alors 
pour rideaux la seconde série formée par les tapisseries 

I. Beulé, Acropole d'Athènes y tome II, page 53. 



CHAPITRE VII i39 

représentant des animaux monstrueux et des chasses. Les 
expressions employéespar Euripide, papêàpwv uçàdjxaTa, 
pourraient faire penser que ces diverses tapisseries étaient 
de fabrique orientale. Peut-être quelques-unes étaient-elles 
des dépouilles des guerres persiques. Cela ne pouvait être 
vrai, cependant, que des tapisseries représentant des 
chasses ou des bêtes fantastiques. Les scènes de la guerre 
navale avaient dû être dessinées et exécutées nécessaire- 
ment par des mains grecques ^ Les mots tissus des 
Barbares peuvent ainsi signifier que ces tapisseries étaient 
exécutées à la mode des Orientaux, dont les Grecs avaient 
appris Part de la tapisserie. 

Quant aux draperies servant de portières, et qui repré- 
sentaient l'histoire de Cécrops et de ses filles^, divisée 
peut-être en plusieurs compartiments, elles étaient de 
fabrication athénienne et le don d'un citoyen d'Athènes. 
Remarquons en passant comme ce nom d'Athènes revient 
toujours. 

Il est vraisemblable qu'il y avait des tapisseries dans 
les portiques, lesquels étaient fermés de grilles d'or et 
remplis d'objets précieux. Qu'on se rappelle les riches 
draperies attaliques du portique de Pompée, à Rome. 
Peut-être même y avait-il des rideaux aux galeries du 
péristyle comme il y en avait aux galeries de la cella. On 
aurait pu ainsi se promener à l'ombre tout autour du 

1. On doit les supposer exécutées d'après les dessins de Phidias. 
On sait que les cartons d'Hampton Court ont été peints par Raphaël 
pour servir de modèles à des tapisseries. 

2. Cette famille de Cécrops avait déjà sa place au fronton occi- 
dental, où Otfried Mûller et d'autres critiques l'ont reconnue. 
(Otfried Mûller, De Phidiae vita; Beulé, Acropole, etc.) On trouve 
encore les filles de Cécrops figurées sur une métope. (Voyez mon 
livre sur Phidias, page 3 18.) 



!40 LA TAPISSERIE DANS L»ANTIQUITE 

temple, en admirant, dans les bas-reliefs de Phidias, la 
procession des Panathénées*. 

Le fond des draperies du Parthénon était sans doute 
couleur de safran comme le péplos d'Athéné ^. La couleur 
des Muses et de l'Aurore convenait à la plus pure et à la 
plus céleste des divinités helléniques, à celle qui, selon 
un savant illustre, est elle-même une personnification de 
l'Aurore ^. On peut imaginer que ces draperies étaient 
suspendues par des anneaux d'ivoire à des cordons de 
pourpre comme celle du festin d'Ahasuérus. 

Achevons maintenant d'élever la tente d'Athéné. Il 
s'agit d'attacher au toit^ avec Euripide, Vaile des péplos^ 
ces tapisseries qui représentaient le Ciel avec ses constel- 
lations, et qui devaient être suspendues au-dessus et 
autour de la tête de la déesse. 

On se rappelle que le Parthénon était hypèthre ; c'est 
du moins l'opinion générale des savants. Tous les plus 
grands et les plus beaux temples de la Grèce, le temple 
d'Olympie, celui d'Athéné à Egine, celui d'Apollon à 
Phigalie*, paraissent avoir eu la cella découverte. Quant 
au Parthénon, nous avons un passage de Vitruve qui 
semble le désigner et le ranger parmi les temples dont la 
partie centrale était ainsi placée sub divo, « Hujus autem 
exemplar Romae non est*, sed Athenis octostylos, et 

1. Ces bas-reliefs formaient la frise extérieure de la cella. 

2. Euripide, Hécube, vers 468. 

3. Max MûUer, Nouvelles leçons sur la science du langage, tra- 
duction française, tome II, page 234. 

4. On a trouvé dans les ruines des temples d'Egine et de Phiga- 
lie des fragments de tuile qui ne pouvaient provenir que de l'hypae- 
thron. Ces fragments ont été reproduits et commentés par M. Coc- 
kerell, l'illustre architecte anglais, qui les avait trouvés lui-môme 
dans les ruines. 

5. Rome n'avait point de temple hypèthre. On sait que le Romain 



CHAPITRE VII 141 

templum Jovis Olympii. » On a pensé que le temple 
octostyle d'Athènes ne pouvait être que le Parthénon, 
lequel, d'ailleurs, a tous les caractères attribués par 
Vitruve aux temples hypèthres. A «ces raisons, les archi- 
tectes qui ont examiné les ruines du Parthénon en ajoutent 
d'autres, tirées de sa construction même. M. Paccard, à 
qui l'on doit une savante restitution du temple de l'Acro- 
pole, a exposé ces raisons dans le texte manuscrit qui sert 
d'explication à ses dessins *. 

Ce point admis, il s'agit de protéger la statue de 
Phidias avec les richesses amassées à ses pieds ; car on ne 
peut évidemment abandonner tous ces trésors aux intem- 
péries de l'air, quelque doux que soit le climat d'Athènes ^. 
Il y a là un problème à résoudre, et plusieurs savants s'y 
sont appliqués. Canina a imaginé une espèce d'édicule à 
cheval sur l'hypaethron, et dont l'effet est assez disgra- 
cieux^. De son côté M. Falkener, dans un ouvrage sur 
l'hypaethron des temples grecs ^, a émis l'opinion qu'un 
toit devait régner au comble de l'édifice, laissant de chaque 
côté des ouvertures où pénétrait la lumière. L'auteur 
appuie son opinion de raisons fort ingénieuses. Enfin, 
M. Chipiez, le savant architecte, aujourd'hui collaborateur 

sacrifiait en se couvrant la tôte; au contraire, l'Hellène levait les 
yeux au ciel. Le génie romain était plus recueilli dans sa religion 
que le génie grec. 

1. Le manuscrit de M. Paccard est déposé, avec ses dessins, à la 
bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts. Comparez la restitution plus 
récente de M. Loviot, et le mémoire sur cette restitution publié dans 
la Revue archéologique (mai 1880). M. Loviot pense aussi que le 
Parthénon était hypèthre et en donne les raisons. (Pages 324, 325.) 

2. A Olympie, Strabon nous apprend qu'un toit était placé sur 
la statue de Zeus. 

3. Architecture antique, section II, planches L A et L B. 

4. On the hypœthron of ihe greek temples, London, 1861. 



142 LA TAPISSERIE DANS L^ANTIQUITÉ 

de M. Georges Perrot pour ï Histoire de Vart dans l'an- 
tiquité^ Usait, le 28 décembre 1877, à l'Académie des 
inscriptions, un mémoire sur le temple hypêthre où il 
donnait à son tour son opinion sur la couverture du 
Parthénon et du temple d'Egiiie. Nous devons nous 
arrêter un moment sur ce dernier travail^. 

En 1872, dans la même revue où devait être publié le 
mémoire de M. Chipiez, avait paru pour la première fois, 
en partie, cette étude sur le péplos d'Athéné Parthénos. 
Nous y cherchions le moyen d'abriter la statue du Par- 
thénon tout en l'éclairant. M. Chipiez devait écarter notre 
système de couverture comme il avait écarté celui de nos 
devanciers. 

11 en venait proposer un nouveau pour l'exposition 
duquel nous lui laissons la parole. 

a Supposons une toiture continue sur le temple : le 
naos est dans une obscurité complète. Si nous enlevons 
une rangée des larges toiles de marbre du toit, dans 
chaque surface comprise entre les colonnes intérieures et 
les murs du naos, la lumière tombe tout d'abord perpen- 
diculairement sur les parois horizontales, autrement dit 
les plafonds, qui couvrent les portiques inférieurs; puis, à 
travers les cntre-colonnements des portiques supérieurs, 
se répand comme par autant de fenêtres dans le naos. Le 
jour dont elle éclaire la statue divine et les trésors qui 
sont à ses pieds est un jour croisé, doux et légèrement 
diffus, tamisé qu'il est par les colonnes des galeries 
hautes. La lumière est d'une égalité constante, car des 
parois verticales d'une hauteur convenable, ménagées à 
dessein, empêchent que jamais un rayon solaire ne puisse 
pénétrer dans le naos proprement dit. Cet éclairage est, à 

I. Reproduit dans la Revue archéologique, mars et avril 1878. 



CHAPITRE VII 143 

un certain point de vue, l'équivalent de celui de nos 
cathédrales du moyen âge; il a quelque chose de religieux 
et de mystérieux. L'éclat en est assez affaibli pour que le 
spectateur qui le perçoit par la porte ouverte du temple 
ne songe pas à rechercher les moyens par lesquels on l'a 
obtenue » 

Sans vouloir discuter ici le système de M. Chipiez et 
sans chercher à répondre aux savants arguments dont il 
l'appuie, nous allons reproduire d'abord celui que nous 
avons exposé nous-même ; et nous essaierons de répondre 
ensuite aux objections qui lui ont été opposées. 

Stuart, frappé comme nous du passage de l'/ow, avait 
pensé qu'une voile ou banne avait pu être étendue au- 
dessus de la statue du Parthénon^; mais, bien qu'il ait 
entrevu que la description du poète n'était pas tout à fait 
fictive ^, cependant Stuart n'a donné au texte d'Euripide 
qu'une attention superficielle, et son système pour la cou- 
verture du Parthénon, indiqué en passant, a rencontré 
des objections sérieuses qui l'ont fait rejeter. 

En effet, la hauteur à laquelle a dû monter à travers 
l'hypaethron le colosse chryséléphantin ne permet pas 
d'étendre au-dessus la banne horizontale que proposait 
Stuart. D'après le calcul de M. Paccard, la statue 
d'Athéné, dont la tête dépassait la hauteur des portiques 

1. Revue archéologique j avril 1878, pages 21 1, 212, et planche vji. 

2. Antiquities of Athens, tome II, page 8. 

3. « I must nevertheless add that although the descriptions 
I hâve quoted niay appear to us at tirst sight, strangers as we are to 
this somptuous kind of apparatus, to be merely a licentious fiction 
of the poet, it must hâve a différent effect, when recited to an athe- 
nian audience, accustomed to view with delight the décorations 
wrought on the peplus they consecrated to Minerva and suspended 
in the Parthénon. » 



144 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

et des toits latéraux, venait s'inscrire dans l'angle inté- 
rieur du fronton formé par le mur de l'opisthodome et 
s'élevait en contre-bas jusqu'à trois pieds au-dessous du 
faîte'. Il fallait donc, pour couvrir la statue et la défendre 
des influences du dehors, qu'on eût élevé, non pas un 
simple voile tendu horizontalement, mais un système de 
draperies formant une sorte de voûte. Cette voûte devait 
couvrir l'hypaethron tout entier, et la décoration qu'elle 
formait, dans la partie supérieure du temple, devait 
correspondre par ses divisions aux divisions de la partie 
inférieure. 

Telle était, ce me semble, la décoration décrite par 
Euripide. Elle comprend une partie supérieure et des 
parties latérales ; et il est évident, par les expressions 
mêmes qu'emploie le poète, qu'il s'agit de tout un système 
de draperies, représentant des sujets dont quelques-uns 
seulement sont indiqués, et disposées en forme de grande 
voûte à compartiments. Placée sur l'hypaethron du temple, 
cette voûte devait s'élever, à partir des toits latéraux, 
jusqu'à la hauteur du faîte de la statue, garantissant des 
injures de l'air la riche décoration et les trésors du sanc- 
tuaire, tout en laissant pénétrer la lumière qui permettait 
de les voir. 

Ion commence par attacher au toit tout autour l'aile 
des péplos. Il s'agit ici des toits qui couvraient les galeries 
intérieures de l'Hécatompédon. Les péplos qui s'y ratta- 
chaient, et qui formaient les ailes^ de cette toiture supplé- 
mentaire, offraient, sur les trois côtés, des représentations 

1. Manuscrit cité. 

2. Il n'est peut-être pas hors de propos de remarquer que ces 
mots TiTlpuya tisttXwv rappellent le nom donné par les Grecs aux 
frontons (àetoi, aigles). 



CHAPITRE Vil 145 

des phénomènes célestes. Au fond, derrière la statue, était 
peut-être Ouranos assemblant les Astres; à droite et à 
gauche, le Soleil à son couchant, la Nuit et son cortège, 
l'Aurore dont le lever faisait fuir les étoiles \ etc. Plus 
haut^ on voyait les constellations, Orion, les Pléiades et 
les Hyades; et, tout en haut, l'Ourse enroulant sa queue 
au pôle et la Lune qui divise le mois ^. 

Le mot 'j-spOe signifie, si je ne me trompe, la partie 
la plus élevée de ce système de couverture, tandis que les 
mots [i.£ «70770 po'j alOspo;, au milieu de réther, indiquent 
une partie intermédiaire. Le système entier devait repré- 
senter la voûte céleste, depuis les horizons où se lève et se 
couche le soleil. Jusqu'aux profondeurs où brille Tétoile 
polaire, jusqu'au point le plus haut où monte la course de 
la lune. 

Il est bien entendu qu'on ne peut demander à une 
description poétique la précision qu'on exigerait de l'ar- 
chéologie. La prose même était loin d'avoir chez les 
anciens la rigueur et l'exactitude que nous lui demandons 
aujourd'hui. Je ne prétends pas non plus avoir résolu 
toutes les difficultés relatives à la couverture des temples 
hypèthres; mais je crois qu'un homme de l'art, Euripide 
sous les yeux et le crayon à la main, pourrait les résoudre, 
et relever, au moyen d'un échafaudage et d'un système de 
draperies sur l'hypaethron, la tente d'Athéné. 

« M. de Ronchaud, a dit M. Chipiez, s'appuyant sur 
un passage d'Euripide, a esquissé une restitution théorique 

1. On a cru reconnaître le Jour et la Nuit, ou le Soleil et la 
Lune, dans les fragments qui restent du fronton oriental. 

2. Je pense qu'Euripide a d'abord nommé les sujets qui se 
trouvaient sur un côté, puis ceux qui étaient aux parties supérieures 
des draperies, et enfin ceux de l'autre série latérale. 

10 



146 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

de la cella du Parthénon ; voici en quoi elle consiste : des 
tapisseries, placées sur un bâtis de charpente, surmontant 
une ouverture centrale réservée dans le toit du temple. 
Dressée à ufie hauteur suffisante, cette construction 
légère, qui affecte la forme d'une tente, donne par ses 
côtés accès à la lumière, et protège, dans une certaine 
mesure, la cella contre les influences atmosphériques. 

« Quoiqu'il soit très ingénieusement conçu, ce système 
ne s'appliquerait pas sans difficulté. 

« Le peu de durée des tentures exposées en plein air, la 
faible résistance qu'elles opposeraient à l'infiltration des 
eaux, et surtout le caractère provisoire d'une couverture 
étoffée, s'accordent mal avec l'expression de consistance 
empreinte dans toutes les parties du temple qui nous sont 
connues. On est disposé à voir dans les tapisseries du 
Parthénon une décoration temporaire, renouvelée dans 
certains cas, plutôt qu'une ornementation fixe; quelque 
chose d'analogue à ces draperies que l'on tend quelquefois 
dans nos églises et que l'on varie, à raison des cérémonies 
pour lesquelles on s'en sert ». 

Ainsi, d'après M. Chipiez, le double défaut de notre 
couverture serait d'être insuffisante et d'avoir un caractère 
provisoire. D'une part, elle ne protégerait pas assez bien 
la statue de la déesse et les trésors placés à ses pieds; de 
l'autre elle ne s'accorderait pas avec la consistance qu'on 
remarque dans tout le reste de l'édifice. Cependant la 
beauté et la douceur exceptionnelle du climat d'Athènes, 
attestées par les voyageurs, permettaient peut-être de se 
contenter d'un abri léger. M. Loviot, à qui l'on doit une 
restauration du Parthénon, est même plus radical. Suivant 
lui, la grande Minerve ne devait pas être abritée; « l'or de 
de la statue ne peut craindre le grand air, et l'ivoire est 



CHAPITRE VII 



H7 



encore ce qu'il y a de moins altérable quand on entretient 
de l'humidité dans le temple comme on sait qu'il était 
fait ». L'écoulement des eaux, selon ce dernier architecte, 
était assuré par la double courbure du sol. « L'extérieur 
du temple, ajoute M. Loviot, aurait autant besoin d'abri 
que l'intérieur. Avant tout le temple hypèthre est d'un 
plus bel effet, au moins quand les dimensions sont 
grandes... Le trône de Xerxôs, les statues, les lingots d'or 
et d'argent ne perdront rien à être exposés à la pluie et au 
soleil. Si quelque objet craignait de s'altérer, il trouverait 
place sous les portiques extérieurs^ ». 

Entre M. Chipiez et M. Loviot, je demande à mainte- 
nir ma position intermédiaire et à me contenter, pour 
protéger les objets précieux que renfermait le temple 
d'Athéné, et l'image même de la déesse, d'une couverture 
légère qui, sans altérer en rien la grandeur et la beauté de 
l'architecture du temple, donne cependant à son sanctuaire 
l'abri contre le soleil et la pluie, l'ombre et la préservation 
nécessaires. Je ne conteste pas, d'ailleurs, que ces dra- 
peries, qui me paraissent devoir ajouter à la grâce de 
l'édifice, sans rien ôter à sa consistance exprimée dans les 
parties solides, n'aient dû être renouvelées, et qu'une 
partie même de ces draperies n'ait pu être réservée pour les 
jours de fête. Le passage d'Euripide n'y contredit pas et 
peut même le faire supposer. Je crois, contrairement à 
l'opinion de M. Loviot, qui veut que l'opisthodome ait 
aussi été hypèthre, que l'opisthodome, ce trésor du temple, 
où devaient être conservés les tapisseries et d'autres 
objets altérables, devait être couvert. 

M. Chipiez n'a pas oublié de rappeler que Démétrius 

I. Mémoire sur la restauration du ParthénoUj dans la Revue 
archéologique, mars 1880, page 325. 



148 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITE 

Poliorcùte^ y avait loge avec les courtisanes quMl entrete- 
nait; ce n'était sans doute pas au grand air. 

Les sanctuaires avaient leurs tapisseries de rechange, 
comme les divinités avaient leur garde-robe; on les pou- 
vait changer selon les fêtes, comme on pouvait changer de 
vêtements des statues; on les renouvelait selon le besoin, 
peut-être à des intervalles réguliers. Au Parthénon, pour 
les tapisseries verticales, cela ne fait pas de difficulté. Les 
rideaux suspendus dans les entre-colonnements de la 
colonnade intérieure pouvaient être à volonté remplacés 
par d'autres qu'on allait prendre pour cela dans l'opistho- 
dome; on peut même admettre, si Ton veut, que ces tapis- 
series, comme celles de la tente d'Ion, n'avaient leur 
emploi qu'aux jours de cérémonie, bien qu'il me semble 
plus respectueux pour la déesse d'Athènes de l'environner 
constamment du luxe qui était un attribut de sa puissance. 
Quant aux tentures horizontales, à celles qui avaient pour 
objet de l'abriter du soleil et de la pluie, on pouvait les 
changer, mais il est évident qu'il devait toujours y en avoir 
en place, à moins qu'on ne voie dans ces voiles attachés 
au toit, dont parle le poète, où sont représentés le ciel et 
les astres, des draperies posées intérieurement sous une 
charpente et n'ayant pour but que le seul ornement; cela 
pourrait alors s'accorder avec le système de couverture 
imaginé par M. Chipiez. Si l'on juge qu'une couverture 
étoffée devait être insuffisante pour protéger contre les 
intempéries de l'air les richesses accumulées dans le Par- 
thénon ou dans tout autre temple hypèthre, on peut 
admettre le système de M. Chipiez ou tout autre qui 
satisfait comme lui à la double condition de fermer et 
d'éclairer ; la décoration intérieure du Parthénon par les 

I. Plutarque, Démétrius, XXIII et XXIV. 



CHAPITRE VII 149 

draperies, en y comprenant la partie supérieure de l'édi- 
fice, est, jusqu'à un certain point, indépendante du genre 
de couverture de Fhypasthron, et ce n'est que secondaire- 
ment que nous avons été amené à toucher à un problème 
sur lequel, malgré les savantes recherches de M. Chipiez, 
le dernier mot n'est peut-être pas dit, 



CHAPITRE VIII 



LE PKPLOS D'ATHh^NK 



Opinitxi Je M. Fugcnc MQntz sur iiotro restitution dos tapisseries du Par.hé- 
non. — P(>urqu;)i cett»; Otude est intitulée : le Pcplos J'Athêitc. — L'antique 
statue de la d. 'esse et la procession dos Panathénées; l'ancien et le nouveau 
pcplos. — La tente d'Athc^né au Parthéujn — Tentes crevées pour des festins; 
le banquet royal de Suse et celui de I).-Iphes dans la tragédie d'Ion. — 
Origine des Aul^tV. — Tentes sacrées; le Mischkan, la chapelle portative 
des rois d'Assyrie. — La tente symbole de souverainet<i; la tente d'Alexandre 
transformé-* en temple après sa mort. — Les barques sacrées des Hébreux et 
la galère des Panathénées. 



Ai-jc réussi dans ma tentative de rassembler autour de 
la Vierge sainte d'Athènes les chastes draperies qui l'enve- 
loppaient d'ombre et de paix dans son sanctuaire? Suis-jc, 
en effet, parvenu à restituer, d'après un texte ancien, la 
décoration de sa chambre virginale, de son Parthénon 
sacré ? Ou bien est-ce une illusion qui m'a fait chercher, 
dans un passage d'une tragédie consacrée à la gloire 
d'Athènes, les éléments de cette restitution qui m'a paru 
aussi vraisemblable que séduisante ? J'ai du moins pour 
moi l'autorité d'un juge bien compétent dont j'ai déjà eu, 
chemin faisant, plus d'une fois l'occasion de citer Texcel- 
lent livre sur la Tapisserie, La décoration intérieure du 
Parthénon, telle que je me la suis représentée d'après 
Euripide, a paru à M. Eugène Mûntz résulter de textes 
« aussi nombreux que décisifs »; et le suffrage d'un savant 
aussi accrédité est une présomption en ma faveur, dont il 
m'est précieux de pouvoir appuyer ma conjecture sur un 
point intéressant d'archéologie grecque. 



CHAPITRE VIII i5i 

Me fussé-Je trompé, ce travail ne laisserait peut-être pas 
d'être instructif. Une étude sur la tapisserie, en rappro- 
chant des textes anciens et en les comparant avec les 
monuments figurés, devait mettre en lumière toute une 
partie peu connue de l'art décoratif dans l'antiquité orien- 
tale, grecque et romaine. En signalant les divers emplois 
de la tapisserie dans l'architecture antique, ses rapports 
avec la tente, avec les fêtes populaires, les pompes sacrées, 
les statues habillées, avec tout un ordre de cérémonies 
religieuses et civiles, on pouvait éclairer d'un nouveau 
rayon non seulement l'art, mais la religion elle-même 
jusque dans ses lointaines origines. C'est ce que j'ai essayé 
de faire; et peut-être les nombreux détails que j'ai réunis 
sur la tapisserie dans l'antiquité, et à l'occasion dans les 
temps modernes, auront-ils eu pour le lecteur un autre 
intérêt que celui de la simple curiosité. Toute cette 
défroque des anciens dieux, laborieusement rassemblée, 
n'est peut-être pas vide, et on a pu y voir autre chose 
qu'une collection de vieux tapis et de vieux rideaux. 

Il me reste à justifier le titre de Péplos d*Athéné que 
j'ai donné à cette étude. 

J'ai parlé plusieurs fois du péplos d'Athéné, de ce tissu 
de laine, emblème du tissu du monde, et sans doute aussi 
du travail humain, attribut sacré d'une déesse de la nature 
et de la civilisation. On sait qu'on changeait ce péplos 
tous les quatre ans, qu'il était l'ouvrage des Erréphores, qui 
le brodaient de leurs mains virginales, qu'il était porté en 
procession à la fête des Panathénées, et que sa fabrication, 
sa translation et son inauguration étaient accompagnées 
de rites mystérieux. La cérémonie dans laquelle les Erré- 
phores apportaient à la prêtresse d'Athéné les corbeilles 
voilées qui renfermaient le tissu sacré, leur ouvrage, avait 



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Etî:**- ;'^s, iz z^z^i li~r«i -" :r r r II i . r r : c-jri ti ^errr derant 
1^*. C"-'*': Ji~i >:irj:e z-.z.z :z: ri::':cTiîpiît le x^îtesient 
::c> li^ ^^ir"i lis •- Li :r «:-,:" rjL'^r^ r»:cTi-j:i n'iTaît pa 
:i re l'zr'.liT n: i^li >>^r cc~;; i^r c-i :i:Ie i^ !i relî^oa 
kz^zzi z^ZLt. E^t z :zrzLzrz ii r^-ctiir >cr rîna^aatioa 
i- 7zz7'.zi z'z-yz 1 zlz, T.-izi 1 11 bcHlizzi sTitîîe sculptée 
nr Pl-:-Ii>, ^-Li >'iiri>i*i:^~: >£> h.'rtni.?» aux jours 
it li jrri-ie fc:^ ri:: zilc, j\5C i elle ^B;e îe pêplos 
ézilz iZzTZ s.'.z-zzLzllzzzzziz. C'zr<z i peu près iînsî, pour 
cor:rirer Ii p:c^:e X "-^^ -- «^^^ lenrs m.xiemes aux 
anciens, que le tîïux inme ie Fjols^ ivaî: ea Allemagne 
s-trs rerrcseniitions r':"ru!A:re:> et continuiiî de recueillir 
les âppl2ui:ssen:en:> de 1j :Va!e quaad dè^à brillait de 
tout l'cclai de sa renouiniee linêraîre le chef-d'œuvre de 

î. Otfriti Miller; ie R;«r.chiui. Pm^Jzjls, z*A£X 541. 

3- On roi: sa toilene rerrcsenizre sur une des mciopes du Par- 
thcr.on. 



CHAPITRE VIII i33 

Gœthe ; le mannequin légendaire gardait là aussi ses 
honneurs à côté du colosse d'or et d'ivoire ^ 

Cependant TAihéné de Phidias réclamait son péplos, 
sinon comme son vêtement (le sculpteur lui en avait 
donné un d'or qu'on n'avait pas besoin de renouveler), du 
moins comme symbole et comme attribut caractéristique. 
Elle devait l'avoir digne d'elle, digne de son peuple et 
digne de l'art athénien. C'est le système de draperie que j'ai 
décrit plus haut, cette disposition de tapisseries historiées, 
à fond de safran, qui enveloppait si chastement son sanc- 
tuaire, multipliait les voiles autour de sa divinité, adou- 
cissait la lumière qui tombait sur son casque et sur sa lance 
d'or, et la faisait mourir à ses pieds dans une ombre 
transparente, pleine de religieuses pensées. 

J'ai dit le péplos^ j'aurais pu dire la tente d'Athéné 
Parthénos. C'était une tente aussi, une vraie tente que ce 
sanctuaire formé dans l'Hécatompédon par la colonnade 
intérieure et par les tapisseries qui s'y suspendaient. De 
même que le temple de Jérusalem, bâti sur le mont 
Moriah, rappelait le sanctuaire nomade qui avait trans- 
porté l'arche sainte à travers le désert, de même le temple 
de l'Acropole rappelait la tente qui avait abrité la déesse 
dans ses anciens voyages d'Orient en Occident, avant 
qu'elle s'assît sur la colline sacrée où elle devait régner. 
Toute la procession des Panathénées ^, avec ses ombrelles 
portées par les filles des métèques, ses rameaux d'olivier 
dans les mains des thallophores, avec le mystérieux péplos 

1. Magnin, Histoire des Marionnettes en Europe, livre VII, cha- 
pitre VII. 

2. Pausanias, I, xxix, i; Beule', Acropole d'Athènes, tome I", 
page i5i. Le vaisseau des Panathéne'es rappelle les barques sacre'es 
des Egyptiens et l'arche sainte des Hébreux. 



i54 LA TAPISSERIE DANS L'AxNTIQUITE 

et le navire sur lequel il était suspendu en guise de voile 
et qu'un mécanisme invisible faisait mouvoir, se rappor- 
tait aux mêmes souvenirs d'une vie errante et d'une 
religion primitive. Du haut de son piédestal au sommet 
de l'Acropole, l'Athéné de Phidias voyait gravir à ses 
pieds et se diriger vers son antique statue la pompe sym- 
bolique de SCS anciennes pérégrinations; et la fête passée, 
elle pouvait la revoir encore sculptée dans le marbre sur 
les murailles de son temple. Son sanctuaire même, sa 
chambre virginale, était une image embellie et consacrée 
de cette tente primitive dont la décoration s'alliait avec 
l'armure guerrière qu'elle n'avait pas cessé de porter. 

Plusieurs fois, dans le cours de cette élude, nous 
avons eu l'occasion de remarquer comment le génie de 
Tantiquilé avait adapté la décoration de la tente à des 
constructions de bois ou de pierre, à des théâtres, à des 
salles de banquet, et comment le souvenir de cette habi- 
tation primitive de l'homme, ou sa reproduction sous 
des formes variées, faisait partie, en quelque sorte obli- 
gatoire, des plus belles fêtes religieuses. Nous avons vu 
en Orient, en Grèce, à Rome, les réjouissances popu- 
laires d'un caractère sacré avoir lieu sous des abris impro- 
visés de feuillage ou de toile. En Egypte, on construit 
pour des festins solennels des édifices provisoires riche- 
ment tapissés et pavoises. Les rois de Suse donnent 
des repas à leur peuple sous les portiques de leur palais 
transformés en tentes festivales par de riches draperies. 
La tente d'Ion, que nous avons décrite d'après Euripide, 
est aussi préparée pour un grand festin qui doit réunir 
tout le peuple de Delphes. Les salles à manger des Grecs 
étaient ornées de draperies, de même celles des Romains, et 



i56 LA TAPISSERIE DANS L'ANTIQUITÉ 

Servius nous apprend que les tentures du plafond y étaient 
une imitation des tentes ^ Le même Servius fait venir le 
nom d'aulœa donné aux draperies d'un triclinium de la 
cour (aula) du roi de Pergame Attale où elles auraient 
figuré pour la première fois ^ ; mais tout nous fait croire 
que ce nom avait une origine plus ancienne et que les pre- 
mières salles à manger avaient été des cours transformées 
en tentes par des rideaux et des tentures. 

Ce qui est arrivé pour les salles de fête a eu lieu égale- 
ment pour les temples. Le souvenir de la tente s'est perpé- 
tué dans la décoration des sanctuaires et dans toute une 
série de cérémonies religieuses d'un même caractère, 
autour des statues habillées, des colosses chryséléphan- 
tins, etc. On a vu le Mischkhan des Hébreux, ce sanctuaire 
errant du désert, devenir le temple du mont Moriah ; nous 
avons retrouvé sur les bas-reliefs, avec M. Chipiez, la 
chapelle portative des monarques assyriens. Les dieux 
voyageaient comme les hommes. Ils avaient aussi leurs 
résidences favorites où ils habitaient au milieu d'un 
peuple fidèle. Athéné avait planté sa tente sur le mont 
sacré de l'Attique; elle l'avait entourée de colonnes de 
marbre, et elle y régnait sur les Athéniens. 

La tente, nous l'avons vu, était chez les anciens un 
symbole de la puissance royale. Les monarques d'Orient 
donnaient leurs audiences sous des tentes, ils y rendaient 
la justice. Ce fut sous une tente qu'Eumène feignit d'avoir 
vu Alexandre mort lui apparaître avec les insignes de la 
souveraineté. Il proposa de faire placer sous cette tente un 

1. « Ut imitatio tentoriorum fieret. » {Enéide, chant I"*", vers 697.) 

2. « Aulaeis, velis pictis, quae ideo aulaea dicta sunt, quod primum 
in aula Attali, régis Asiae, qui populum romanum scripsit heredem. » 
{Ibid.) 



CHAPITRE VIII i37 

trône d'or, d'y déposer les vêtements royaux, d'y sacrifier 
chaque matin au génie d'Alexandre et d'y tenir en sa pré- 
sence le conseil de guerre *, Voilà la tente royale se trans- 
formant en temple ! Telle est la lente d'Athéné, vierge 
guerrière, reine et déesse. 

On a rapproché, sans doute avec raison, l'arche 
d'alliance des Hébreux des baris (barques) égyptiennes 
qu'on plaçait dans l'endroit le plus secret des sanctuaires, 
lesquelles portaient un naos où les dieux se promenaient 
dans les processions. Faut-il rapprocher de ces barques 
sacrées le vaisseau des Panathénées qui portait le péplos de 
la divinité d'Athènes? Il n'est pas nécessaire pour ce rap- 
prochement de donner avec Hérodote une origine africaine 
à Athéné, pas plus qu'il n'y a lieu de voir un souvenir du 
péplos brodé par les Erréphores et de la procession des 
Panathénées dans la caravane sacrée qui porte tous les ans 
à la Mekke le voile fabriqué au Caire pour la Ka'abah. 
Mais ces symboles et ces rites analogues, retrouvés en 
divers lieux et en divers temps, et qui frappent par un air 
de famille, appartiennent au môme ordre d'idées et de 
traditions, et nous font remonter à d'anciens souvenirs de 
la civilisation primitive. 

I. Plutarque, Eiimène, XIII; Diodore de Sicile, XVIII, lx. 



TABLE DES GRAVURES 



Pages. 

Etoffes égyptiennes i3, 17, 19 

Se'ti !••' et la de'esse Hathor i5 

Me'tier de Pe'ne'lope 55 

Métier égyptien 56 

Atelier de femmes en Egypte 57 

Ouvrage égyptien en perles de verre 63 

Dionysos chez Icare 81 

Venereum. D'après Mazois 85 

Trône voilé de Saturne 89 

Velarium d'une mosaïque du moyen âge 91 

Enée et Didon 107 

Divinités en costumes archaïques ii3 

Trône voilé de Neptune i23 

La tente d'Enée i55 



TABLK DKS MATIERES 



Pa^es. 

iNTRonUlITION I 

CHAPITRE PREMIER. — Des tapis et des ctoflFes brodées dans 

Tantiquitc orientale, grecque et romaine 8 

CHAPITRE II. — Procédés de fabrication. — Des couleurs déco- 
ratives 49 

CHAPITRE III. — De l'emploi de l'étoffe dans la division et la 

décoration des édirtces de l'antiquité 72 

CHAPITRE IV. — Des tentes 94 

CHAPITRE V. — Statues peintes et habillées m 

CHAPITRE VI. — La tente d'Ion i25 

CHAPITRE VII. — Les tapisseries du Parthénon i36 

CHAPITRE VIII. — Le péplos d^Athéné i5o 

Table des gravures 159 



Paris. — Imprimerie de l'Art, J. Rouam, 41, rue de la Victoire. 



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I>ireetion générale et Rédaction en chef: M. Eugène TÉJRON 
lyirection artistique : M.^I^éon G A UCHEREL 



L^ART paraît le i" et le i5 de chaque mois en livraisons de 
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IV. Ludovic Lalanne, sous-bibliothécaire de Tlnstitut. — Le Livra 
de Fortune. Recueil de deux cents dessins inédits de Jean Cousin, 
d'après le manuscrit conservé à la Bibliothèque de l'Institut. 
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Hollande, 50 fr. (édition anglaise, môme prix. 



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V. Henri Delaborde (Le vicomte), secrétaire perpétuel de l'Académie 
des Beaux-Arts. — La Gravure en Italie avant Marc- 
Antoine. Un volume de 3oo pages sur beau papier, orné de 
io5 gravures dans le texte et de 5 planches tirées à part. Prix: 
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VI. Mark Pattison (M™«), auteur de « The Renaissance in France » 
— Claude Lorrain, sa vie et ses œuvres. Un volume in-4* 
raisin, avec 36 gravures, dont 4 hors texte. Prix : broché, 30 fr.; 
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VII. J. Cavallucci, professeur à l'Académie des Beaux-Arts de 
Florence, et E. Molinier, attaché à la Conservation du Musée du 
Louvre. — Les Délia Robbia, leur vie et leur œuvre. Un 
volume in-4'*, ^^ec plus de 100 gravures, et 3 hors texte. Prix: 
broché, 30 fr. ; relié, 35 fr. 25 exemplaires sur papier de 
Hollande, 50 fr. 

VIII. Henry Hymans, conservateur à la Bibliothèque royale de Bel- 
gique. — Le Livre des Peintres de Garel van Mander. 

Un volume in-4'' de 420 pages, illustré de 3o portraits de peintres. 
Prix : broché, 50 fr.; relié, 55 fr. ?5 exemplaires sur papier de 
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EuGÈsE MOntz, conservateur à l'École nationale des Beaux-Arts. — 
Les Historiens et les Critiques de Raphaël. Un volume 
in-8% illustré de plusieurs portraits de Raphaël. — Édition sur 
papier ordinaire, 15 fr. Quelques exemplaires sur papier de 
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Henry Gros et Charles Henry. — L^Encaustique et les autres 
procédés de peinture chez les anciens. Un volume in-S**, 
illus-tré de 3o gravures. Edition sur. papier ordinaire, 7 fr. 50. 
Quelques exemplaires sur papier de Hollande, 15 fr. 

Georgbs Duplessis, conservateur du Département des Estampes à 
la Bibliothèque nationale. — Les Livres à gravures du 
XVr siècle. Les Emblèmes d^Alciat. Un volume in-8* 
illustré de 11 gravures. Edition sur papier ordinaire, 5 fr. 
Quelques exemplaires sur papier de Hollande, 10 fr. 

Louis de Ronchaud. — La Tapisserie dans Pantiquité. Le 
Péplos d^Athéné Parthénos. Un volume in-8% illustré de 
16 gravures. Édition sur papier ordinaire, 10 fr. Quelques 
exemplaires sur papier de Hollande, 20 fr. 



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Seine, et F. Adam. — Paris pittoresque, avec lo grandes 
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Jules Gourdault. — A travers Venise. Un magnibque Album 
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illustrations dans le texte et i3 eaux-fortes par les premiers 
artistes. Prix : relié, plaque spéciale, 25 fr. 

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anglais, avec nombreuses illustrations dans le texte et i3 eaux- 
fortes par les premiers artistes. D'après les œuvres de L. Alma- 
Tadema, Edvv. Burne-Jones, G. H. Boughton, F. Holl, Mark 
Fisher, R. W. Macbeth, W. Q. Orchardson, G. F. Watts, 
F. Leighton, etc. Prix : relié, plaque spéciale, 25 fr. 

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bois et dessins reproduisant les œuvres du maître. In-4' écu. 
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Charles de la Rounat. — Études Dramatiques. Le Théâtre- 
Français. M""' Arnould-PIessy, MM. Régnier, Got, Delaunay. 
Un volume in-4* écu, illustré de 19 gravures. Prix : broché, 3 fr. 

BIBLIOTHÈQUE DES MUSÉES 



Emile Michel. — Le Musée de Cologne. Suivi d'un catalogue 
alphabétique des tableaux de peintres anciens, exposés au Musée 
de Cologne. Illustré de nombreuses gravures dans le texte. 
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Fublications diverses de la Librairie de TArt 



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Eugène Véron. — La Troisième Invasion (Juillet 1870. — Mars 
1871), avec les eaux-fortes d'après nature, par Auguste Lançon. — 
Cet ouvrage comprend deux magnifiques volumes in-folio colom- 
bier. — 5oo exemplaires numérotés, texte sur papier vélin et 
eaux-fortes tirées sur papier de Hollande; les deux volumes, 
400 fr. 5o exemplaires numérotés, texte sur papier de Hollande 
et eaux-fortes tirées sur papier du Japon; les deux volumes, 
800 fr. Édition populaire : deux volumes in-8* avec 86 gravures 
dans le texte et 16 cartes d'après les cuivres du Dépôt de la 
Guerre : les deux volumes brochés, 20 fr.; reliés toile, 24 fr. ; 
reliés demi-chagrin, 28 fr. 

René Ménard. — L^Art en Alsace-Lorraine. Un fort beau 
volume in-8' grand colombier, texte sur papier vélin. 16 eaux- 
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Philippe Burty. — Les Eaux-Fortes de Jules de Goncourt. 

200 exemplaires, les eaux-fortes tirées sur papier de Hollande, 
100 fr.; 100 exemplaires numérotés, les eaux-fortes tirées sur 
papier du Japon, 200 fr. 

René Ménard. — Entretiens sur la peinture, avec traduction 
anglaise, sous la direction de Philip Gilbert Hamerton. Un volume 
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Renouard. Prix : broché, 10 fr. Riche reliure à biseaux, 15 fr. 

René Ménard. — Histoire artistique du métal. Ouvrage publié, 
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plus de 200 gravures dans le texte. Prix : broché, 25 fr. 

Walter Armstrong. — Alfred Stevens, a biographical study. Un 
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illustrés; chaque volume se vend séparément : broché, 8 fr.; 
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collection complète bénéficieront d'un rabais de 10 0/0 sur le 
prix ci-dessus. 



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BIBLIOTHÈQUE POPULAIRE DES ECOLES DE DESSIN 

PUBLIÉE PAR 

LA LIBRAIRIE DE L'ART 

SOUS LA DIRECTION DE 

iJl . R E 3M É M:ÉIT-A.R.D 

Professeur à l'Ecole nationale des Arts décoratifs. 



Les nations étrangères font depuis plusieurs années des efforts 
considérables pour conquérir la suprématie que la France a conservé^ 
jusqu'à ce jour dans les industries qui relèvent de l'art. De son 
côté, notre pays cherche à élever le niveau des études artistiques, 
en créant partout de nouvelles écoles de dessin et en donnant à 
f celles qui existaient déjà une direction plus éclairée et plus métho- 

dique. 

La Librs^irie de FArt, désireuse de seconder ce mouvement 
national, a résolu de publier une série de petits volumes illustrés 
traitant de toutes les matières qui se rattachent à renseignement 
artistique, et dont le prix soit à la portée des plus petites bourses. 

La Bibliothèque Populaire des Écoles de Dessin comprend 
trois séries de volumes : i* Enseignement technique; — 2* Ensei- 
gnement professionnel; — 3" Enseignement général. 

L'ensemble de notre bibliothèque constituera un tout bien 
complet, et parfaitement homogène, malgré la diversité apparente 
des sujets traités. L'artiste et le fabricant, l'homme du monde et 
l'ouvrier, l'élève des écoles ou des lycées et l'apprenti des ateliers, 
pourront y puiser également, et sous les formes les plus variées, les 
connaissances artistiques qu'ils ont le désir ou le besoin d'acquérir. 



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