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Paul LAUMONIER
Docteur es Lettres
Maître de Conférences de Langue et Littérature françaises
à r Université de Poitiers
LA
VIE DE P. DE RONSARD
DE
CLAUDE BINET
(1586)
ÉDITION CRITIQUE
AVEC
INTRODUCTION ET COMMENTAIRE
HISTORIQUE ET CRITIQUE
,2 GRAVURES HORS TEXTE
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PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C'«
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1910
LA VIE DE P. DE RONSARD
VIE UE P. DE RONSAUU.
Paul LAUMONIER
Docteur es Lettres
Maître de Conférences de Langue et Littérature françaises
à r Université de Poitiers
LA
VIE DE P. DE RONSARD
CLAUDE BINET
(1586)
ÉDITION CRITIQUE
AVEC
INTRODUCTION ET COMMENTAIRE
HISTORIQUE ET CRITIQUE
2 GRAVURES HORS TEXTE
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I V
PARIS '
LIBRAIRIE HACHETTE ET C"^
79, BOOLEVAIU) saint-ijei;mm\, 19
1911)
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A MA MERE,
en témoignage
de profonde reconnaissance.
INTRODUCTION
I- — Origine et raisons de la présente édition.
II. — Claude Binet. Sa carrière littéraire. Ses relations, notamment avec
Ronsard et les amis de Ronsard.
Ses trois éditions de la Vie de Ronsard.
III. — Ses Sources d'information.
A. Documents écrits.
a. Documents oraux.
Critique de sa méthode.
IV. — Disposition de notre ouvrage : texte fondamental, variantes, commen-
taire ; graphie et ponctuation ; exemplaires consultés ; signes adoptés.
I
La biographie de Ronsard que Claude Binet nous a laissée a longtemps
fait autorité. Comme elle était la seule qui fût écrite par un contempo-
rain, un disciple, un familier du poète, et qui parût assez nourrie de
faits, sans avoir, à beaucoup près, l'allure oratoire des panégyriques
prononcés le jour des obsèques solennelles au collège de Concourt, on
crut pouvoir lui accorder un grand crédit ; et cela non seulement au
xviic siècle, peu difficile en matière de tradition historique, non seule-
ment au xviiic, où, malgré les progrès de l'esprit critique, on accepta
généralement sur le compte de Ronsard — très délaissé — les connais-
sances traditionnelles, mais encore au xix^, qui, plus curieux, étudia
son œuvre avec un intérêt croissant.
Bien mieux, cette biographie, que Binet, en qualité d'exécuteur tes-
tamentaire de Ronsard, avait eu l'avantage de faire imprimer à la fin
de l'édition ne varietur des œuvres du grand poète, profita largement de
son regain de célébrité et de sa réhabilitation au siècle de la critique.
Plus on s'occupa de Ronsard, plus on eut recours à son biographe.
Non seulement les auteurs des nouvelles éditions des œuvres de Ronsard,
choisies ou complètes, et les historiens de notre poésie « renaissante »
s'inspirèrent tranquillement de cette biographie dans leurs notices
et leurs études, mais, après plus de deux cents ans, elle revit le
jour jn extenso en 1836 par les soins de Cimber et Danjon dans les .Ir-
chives curieuses de l'Histoire de France, et, avec « çà et là quelques cou-
pures », en 1873 par les soins de Becq de Fouquières en tète de ses
Poésies choisies de Ronsard. Sans notes critiques : Binet l'avait dit, cela
suffisait.
Pourtant quelque défiance s était manifestée dès le xvii° siècle à l'é-
gard de Binet biographe. C'est G. Colletet, qui, à ma connaissance, a
VIII l.NTIVODl'CTION
le premier relevé une erreur llagraule de Hiiiet '. Mais sa criticiue s'est
bornée là : il a encore juge bon de ne pas le suivre sur deux ou trois
points, mais sans le dire, ni pourquoi -. Binct est celui de ses « origi-
naux » auquel il a fait le plus d emprunts en toute confiance, et très
souvent tics emprunts qui n'en méritaient aucune''. — P. Bayle a lu
Hinct avec plus de précaution et Ta cité avec plus de scepticisme. « Chi-
mères », dit il à propos des origines étrangères de la famille Honsart ;
(( réllcxions peu judicieuses, froide hyperbole de panégyriste, traits d'es-
prit <|u'on appelle concctti au delà des monts », à propos des passages
sur la naissance et le baptême du poète ; « la narration de Hinet est
toute remplie de fautes », ajoute-t-il. I) ailleurs il ne montre pas ces
fautes, sauf celles du début que nous venons de rappeler, et une autre
relative au temps que Honsard fut page : « Binet se trompe grossièrement
dans son calcul "... » L abbé Joly n'est pas moins sévère. A propos de
« la prétendue satire de la Truelle crossèe, faite, dit on, contre de Lorme
par Ronsard », il écrit : « Je ne doute presque point que Binet, (\i\\ a
entasse fautes sur fautes dans sa Vie de Ronsard, comme Bayle l'avoué,
n ait métamorphosé un simple sonnet en satire ''. » — Sainte Beuvc à
son tour : m Claude Binet, quoique ami el disciple de Ronsard, paraît
assez inexactement informé des premières années de ce poète, et les dates
qu'il donne me semblent souvent suspectes » ; et, à propos d'un grave
dissentiment qui, d'après Binet, serait survenu entre Ronsard et Du
Bellay en 1549, et aurait abouti à une action en justice intentée par Ron-
sard, le fin critique déclarait encore : « Cette anecdote m'a toujours paru
suspecte '". »
Malgré ces avertissements, ce n'est que tout à la fin du xixc siècle qu'on
s'avisa de contrôler et de rectifier Binet- C'est à M. Henri (^liamard que
revient 1 honneur d'avoir attiré 1 attention des ronsardisants sur les
trois rédactions de la Vie de Ronsard, dont les variantes nombreuses et
importantes sont la meilleure preuve du peu de crédit qu'elle mérite,
étant inspirées par un zèle inopportun de panégyriste et de littérateur
bien plus que par le souci de la vérité « J'avoue, écrivait-il en 1899,
que je ne puis me défendre d'un certain scepticisme en ce qui touche
cette querelle (celle de 1549 entre Ronsard et du Bellay) et le caractère
qu'on lui prête, et mes doutes s appuient des variations de Binet lui-même
sur ce point. On cite toujours Binet d'après l'édition de 1597. Mais on ou-
blie trop que cette édition fut précédée de deux autres, qui présentent
avec elle de notables divergences. C'est en 1586, un an après la mort
du grand homme, que Binet publia pour la première fois sa 17e de Ron-
sard. L'année suivante, lorsque parut, chez Gabriel Buon, la première
1 y. ci après le Commentaire, p. 70, note sur les mots « devant Paoie».
2. y. ci-après, p. lôO. fin de la note sur l'hymne de Vllercule Chresticn ;
p. 156, note sur les Dilhiivamhes ; p. 162, note sur lesSo/ine/.s pour Astréc.
3. Notice sur /•". de Ronsard éditée par Hlaiichemain en tète des Œuvres iné-
dites de Ronsard, en 185.') p|). 19 el 20.
4. iJict hist. et crit , article Ronsard, notes A, H, (>, I)
5. Remarques crit. sur le Dict. de Bayle, article Ronsard.
6. Tableau de la poés. fr. au XIX^ s., édition courante in-Vi de la Bibliothèque
Charpentier, pp. 291, note, et 333.
INTRODUCTION
édition posthume des œuvres du poète, Binet y joignit son Discours,
mais non sans l'avoir profondément remanié. Dix ans plus tard enfin
(1597), la Vie de Ronsard reparut, augmentée et corrigée d'une
manièi'e considérable, dans l'édition nouvelle que donna du Vendômois
la veuve de Gabriel Buon. C était cette fois la rédaction définitive, celle
qu'on retrouve dans toutes les éditions subséquentes, et qui de nos
jours continue de faire autorité. " Et, rapprochant les trois textes sur le
point qui l'intéressait particulièrement, M. Chamard montrait que le
récit de Hinet, d'abord vraisemblable, avait été par deux fois tellement
modifié dans le sens favorable à Ronsard qu'il était devenu invraisem-
blable et même faux '.
J'avais moi-même été frappé, dès le début de mes études sur la vie et
l'œuvre de Ronsard, de l'indifférence, disons mieux, de l'ignorance de
Binet en fait de chronologie, des lacunes de sa documentation, de son
défaut de sens critique, du vague et de l'incohérence de ses assertions,
du caractère faussement littéraire de sa narration J'y trouvais trop d'en-
jolivements, pas assez d'arguments, trop de phrases, pas assez de faits.
J'avais notamment remarqué que, dans la première partie de son opus-
cule, Binet s'était contenté de délayer lélégie autobiographique de Ron-
sard à Rémi Belleau, sans connaître sa date, ni sa primitive adresse au
panégyriste Pierre Paschal, et sans se douter, par conséquent, des
préoccupations d'immortalité qui lavaient dictée au poète, lui faisant
embellir, ou altérer d'autre façon, la pure vérité. Cette manière de bio-
graphie ne m'étonnait pas pour l'époque -, mais je m'étonnais qu on
eût ajouté foi si aisément à la parole de Binet, disciple enthousiaste,
ami fervent, voire même avocat de Ronsard, très prévenu en sa faveur et
très insuffisamment informé, et que personne n'eût encore entrepris mé-
thodiquement la critique de son témoignage. Les pages suggestives de
M. Chamard sur les trois textes de la Vie de Ronsard, et deux autres
observations du consciencieux historien de Du Bellay présentées en
1900 '^ achevèrent de me convaincre de la nécessité de cette ciitique.
Telle est l'origine de la présente édition. Elle était décidée quand je
publiai de 1901 à 1905 mes articles d'une part sur la Jeunesse de Ronsard,
d'autre part sur la Chronologie et les Variantes de ses poésies, où le
témoignage de son biographe est souvent complété ou contredit, parfois
même récusé '. Qu'on me permette de rappeler seulement ce que j'écri-
vais en 1902 dans mon étude sur la Cassandre de Ronsard : « J'ai de
1. Rci>. d'IIist. littcr. de janvier 1899, pp. 44 et suiv.
li^ii réalité, la première rédaction de Binet parut trois mois environ après la
mort de Ronsard, et la deuxième rédaction un an après cette mort. V. ci-
après, pp. XXII à XXIV.
2. Cf. la Vie de Charles IX par Arnaud Sorbin fl574), les Vies des plus an-
ciens et célèbres poètes provençaux, par Jean de Nostredame (1575), les Elogia de
Papire Masson (celui de Dorât, 1588), et les Gallorum doctrina illustrium elogia,
par Se. de Sainte-Marthe (1598-1606).
3. Joachim du Bellay, p. 37. Cf. p. 498.
4. Rev. de la Renaiss , 1901 et 1902 ; Rev. d'Hist. litt., 1902 à 1905 ; Rev. Uni-
versit., 15 févr. 1903 , Bull, de la Fac. Letl. de Poitiers, juin 1903; Annales Flé-
c/io/ses,1903 et 1904 : Rev. des Etudes Rabelaisiennes, fin de 1903 ; Rev. de la Renaiss.,
janv. 1904, supplément.
INTRODtr.TrON
sérieuses raisons de me défier quoique peu des assertions de Binet,
ayant entrepris ici même la critique de la biographie qu'il a consacrée
à Ronsard II ne fut lié que dans les dernières années avec le poète, et
celui-ci ne lui a dédié aucune des pièces parues de son vivant ; il s'est
trop vanté des confidences que lui aurait faites Ronsard et s'est trop
« honoré de se frotter à sa robe quand il vivoit » pour qu'on lui accorde
une entière confiance ; c'est d'ailleurs un panégyriste posthume, qui sub-
stitue trop souvent le roman et la rhétorique à l'histoire '. » Mais un
travail plus important et de plus longue haleine sur l'œuvre lyrique de
Ronsard m empêcha de réaliser mon projet aussitôt que je l'eusse voulu.
A la fin de 1905, je fus devancé ])ar M"e Hélène Evers, alors étudiante
à l'université de Br5-n Mawr (Philadelphie) -.
Ce m est un devoir fort agréable de rendre hommage au mérite de
M"'' lilvcrs, d'autant plus grand que ses conditions de travail étaient plus
défavorables. Je sais quelles diflicultés elle eut à vaincre, si loin de
notre Bibliothèque Nationale, des trois textes de Binet et de la collection
des éditions primitives de Ronsard, n'ayant à sa disposition que des
sources d'information incomplète, que des moyens d'enquête restreints
et imparfaits. Douée d'unjugement pénéti'ant, guidée par un excellent
maître, M. Lucien Foulet, que des considérations analogues aux miennes,
mais personnelles, avaient conduit à suspecter la véracité de Binet, elle a
réussi à faire une œuvre intéressante et utile. Si, par les articles de revue
que M"'? Evers a souvent cités, j'y ai contribué dans une certaine mesure,
en revanche son édition m'a rendu des services réels, attirant mon atten-
tion sur des points que j aurais peut-être négligés, confirmant mes rai-
sons de douter, m'offrant enfin plus d'une occasion d'argumenter.
De la discussion naît parfois la lumière C'est un des motifs qui
m'ont déterminé à poursuivre mon projet d'édition. J'en expose plus loin
quelques autres d'ordre purement technique Je dirai seulement ici qu'une
édition critique française était nécessaire après celle que M"<' Evers
a rédigée en anglais ; qu'il fallait en faire disparaître des inexactitudes
et des erreurs presque inévitables ; que les sources d'information et de
rédaction de Binet devaient être complétées ; enfin que son texte même
devait être éclairé par un commentaire historique abondant, que, pour
bien des raisons, M'Ic Evers ne pouvait songer à entreprendre.
II
Dans quelles conditions et dans quelles circonstances précises Claude
Binet a-t-il composé le Discours de la oie de Ronsard ! Pour répondre
à cette question, il faudrait d'abord être fixé sur la date où il fit la con-
naissance du poète et sur les relations qu'il eut avec lui. Il nous dit
qu'il était encore « jeune d'ans et d'expérience, n'ayant pas encore
1. Reo. de la Renaiss., oct. 1902, p. 82. Tirage à pari, Rennes, F. Simon, 1903,
P- ^^ . . . .
2. Critical édition of the Discours de la vie de Ronsard par CL Binet. Voir
ma Bibliographie.
INTRODUCTION XI
attainct l'âge de quinze ou seize ans », quand il alla voir Ronsard pour
la première fois et lui présenta « les prémices de sa Muse ». Mais il a
oublié de nous apprendre l'essentiel, en quelle année et en quel mois il
fit cette visite mémorable qui devait avoir une si grande influence sur
sa carrière littéraire
Pour moi, Claude Binet, de Beauvais, n'avait pas plus de vingt ans
quand il publia son premier recueil de vers, les Diuerscs Pocs/es, en janvier
1573 '.Il serait né en 1553. On sait en effet, par la Sldlislique des cantons
de rOisc (de Graves et le Dictionnaire des hommes illustres de l'Oise
(de Braisne), qu'il perdit son oncle Jean Binet en 1561. Cet oncle, juris-
consulte et poète, avait été son initiateur, sinon dans la science du droit,
au moins dans l'art des vers. D'après deux strophes de Claude Binet,
qu'on lit dans la Deploration des misères humaines sur la mort de maistre
Jean Binet, celui-ci avait « planté les Lauriers sacrez » dans la « tendre
poitrine » de son neveu, et ces lauriers y « verdirent » plus tard « de
soucis et regretz », lorsque le neveu fut capable de comprendre et de
pleurer dignement la perte qu'il avait faite en la personne de ce bon
oncle ^. Je ne crois pas téméraire d'en conclure qu'en 1561 Cl. Binet
pouvait avoir de huit à neuf ans. Il aurait « déploré » la mort de son
oncle seulement quelques années après, mettons dans sa seizième année
au plus tôt, si c'est à cet âge, comme il le dit, qu'il alla montrer à Ronsard
ses premiers vers.
Autres preuves. Outre cette (( deploration », le recueil des Diverses
Poésies contient un Sonet sur les trespas de Mgr de Guise, de Martigues
et de Brissac ', dont le premier est mort en février 1563, le second et le
troisième en 1569, une Complainte sur le trespas de J ■ Grevin, mort en
novembre 1570, une Ode trionfale sur l'arrivée d'Elisabeth d'Autriche
Rogne de France qui eut lieu au mois de mars 1571, une Complainte
sur le trespas de M- Claude Despence, mort en 1571, une cinquantaine
d'autres pièces, sonnets, odelettes, vœux, épigrammes, chant forestier,
qui sont de dates indéterminables. Or Cl. Binet était très jeune quand
il écrivit tous ces vers- Cela ressort de la dédicace même du volume
« à messire René de Voier, Vicomte de Paulmy, Chevalier de l'ordre du
Roy, et Gentilhomme ordinaire de sa Chambre ». J'ai osé, lui dit-il,
accompagner les œuvres de La Peruse « d'un petit échantillon de mes
L A la suite de son édition des CEuvres de J. de la Peruse. La dédicace est
datée du 1" janvier 1573 (Bibl. Nat., Rés. pYe 295).
J. de la Peruse mourut en lô54. Il n'a donc pas pu être son ami comme le
dit M"^ Evers, op. cit., p. 3. Le texte qu'elle cite fait allusion à l'amitié de René
de Voier, comte de Paulmy, pour La Peruse.
2. Ce thrène de Cl. Binet est au recueil des Diverses Poésies. \'oici le pas-
sage : « Car soit qu'ardent le Digeste ou le Code | Te tinssent en leur sein, I
Soit qu'Apollon aux gais bords de Terain | T empeschât sur uneOde | Ou sur
un vers d'une aigre douceur plein, | J'estoy l'objet de ta fureur divine | Et
de tes vers sucrez, | Quand tu plantois les vers Lauriers sacrez ] En ma
tendre poitrine. | Qui verdit or' de soucis et regretz »
3. Martigues est mort au siège de St-Jean-d'Angély (fin de 1569) ; pour Bris-
sac, on peut hésiter entre le maréchal Charles de Cossé-Brissac, mort en 1563,
et son fils Timoléon, mort prématurément en avril 1569. Dans tous les cas, le
sonnet n'a pu être écrit avant la fin de 1569.
\1I INTRODI'CTION
compositions, afin que soubs la faveur de vostre nom, en aiant pour
avant garde et fidellc escorte un La Pcruse, il marchast plus asseuré-
ment en campaignc, auquel par votre noblesse et courtoisie vous excu-
serez s'il vous plaist la rudesse et peu de jugement, comme ne venant
pas de quelque viel routier et rusé en cest art, acceptant cecy pour
avantcoureur de (juclquc ebose mieux tracée- » Le volume se termine
par plusieurs pièces de ses amis en latin et en français, parmi lesquelles
Antoine Le Fcvre, de Clcrmont en Beauvaisis, lui adresse ces distiques :
Si /iio jaiii tcncrae laiidanlur .scri/)/a juvenlae,
(irata(|ue suiil doclis muncra prima viris,
Quid faciès. Clniidi. fuerit cuni grandior aelas I
Quos quanta pronies sedulilate niodos !
En 1573, il publie une Ode sur la naissance et triomphant baptesme de
Marie-lsabel de Vallois, fille unique de France^. En 1573 encore, V Adieu
de la France au sercuissinie roij de Pologne augmenté de la responce et
adieu du roy de Pologne à la France "-. En 1575, un nouvel opuscule,
contenant, entre autres pièces, une « egloguede chasse » intitulée ^rfoni's
ou le Trespas du roy Charles IX, et une « eglogue marine » intitulée
Les Daufins ou le Retour du roy (Henri III) •''. Et les amis de s'extasier
toujours sur la précocité du talent de l'auteur : François de Belleforest
accompagne l'Adieu de la France d'un éloge qui commence ainsi :
Binet, puisque Pallas, au printemps de ton âge.
T'a départi sa grâce
un autre poète, qui signe B. D. S., dit à propos des Daufins :
1. Paris, Dallier. in-S" de 11 pages (Bibl. Nat., Ye, 15539). Lyon, Rigaud, in-
8» de 7 a. [M., 8' Ye, pièce 5965).
D'après La Croix du Maine, ce généthliaque fut imprimé à Paris chez Dal-
lier dès 1572. La naissance de Marie-Elisabeth de Valois date du 27 octo-
bre 1572.
2. Paris, Galoudeau, in^" de 18 ff. (Bibl. Nat., Lb^*, 40). Le gala des Tuile-
ries donné en l'honneur des députés polonais qui venaient offrir à Henri
d'Anjou la couronne de Pologne eut lieu à la fin d'août 1573 Henri d'Anjou ne
franchit la frontière allemande que le 5 décembre. La pièce de Cl. Binet date
donc de la deuxième moitié de l'année
3. Merveilleuse rencontre sur les noms tournez du liog et de la Rogne {Présenté
à leurs Majettez). Plus Adonis ou le Trespas du Rog Charles IX {Eglogue de
chasse), A Messire Albert de Gondg, comte de Retz et mareschal de France. Les
Daufins ou le retour du Rog {Eglogue Marine, avec le chant des Sereines qui est
un Epithalame sur son mariage, A Monsieur Du Faur, seigneur de Pghrac. Par
Cl. Binet Beauvaisin. Paris, Féderic Morel. impr. ord. du Roy, 1575, in-i» de
40 pp. (Bibl. Nat., Rés. Z. Fontanieu 103 ou Recueil de Mémoires, tome 103,
Z 2284).
P. Lacroix a écrit dans sa Notice sur les Ballets et Mascarades de Cour : « Quand
Charles IX revint dans sa capitale (après le voyage de Bayonne), on honora son
retour par plusieurs mascarades à l'Hôtel de Ville de Paris Claude Binet était
l'auteur des vers qui se chantaient dans l'une J.-A. de Baïf avait composé les
vers de l'autre, que récitaient des Nymphes. Ronsard fit aussi sa mascarade. »
C est une erreur qu'il importe de relever, car le retour de Charles IX à Paris
après le voyage de Bayonne remonte à 1566. P Lacroix a confondu probable-
ment avec le retour de Henri III, revenant de Pologne, qui fit son entrée à
Paris après son sacre et son mariage eu février 1575 ; c'est ce retour que Binet
a chanté dans le recueil de 1575.
INTRODUCTION MU
D'où vient, diront aucuns, qu'ainsi des sa jeunesse
Il receut ce bonheur et tant noble caresse
Du Dieu Cyllenien ?
Kiifin nous savons d'une part que Cl. Binet « deceda dans un âge peu
avancé » ', d'autre part que, s'il vivait encore le 3 septembre 1599, il
n'existait plus le 4 août 1600 -.
Je crois donc pouvoir affirmer qu'en janvier 1573, lors de la publication
de son premier recueil de vers, Claude Binet n'avait pas plus de vingt
ans.
Ceci posé, il devient plus facile de dater la première entrevue de
Ronsard et de son biographe. Si l'on rapproche ce que le biographe en
a dit des dates précédentes, elle aurait eu lieu aux environs de 1569. 11 ne
semble pas, remarquons-le, avoir gardé un souvenir très précis de l'âge
qu'il avait lors de cette entrevue ; il dit vaguement qu'il n'avait pas
encore « attainct l'âge de quinze ou seize ans » ; et, dans l'incertitude,
il s'est plutôt rajeuni, vraisemblablement. Cela nous permet de croire,
avant toute autre considération, que la rencontre pourrait bien ne
remonter qu'à 1570.
Or, Ronsard a passé les années 1568 et 1569 en son prieuré de St-
Cosme, retenu par une longue maladie ; et ce n'est guère qu'après la
paix de St-Germain entre catholiques et protestants (août 1570] qu'il
revint à Paris. On le trouve en septembre à Conflans, chez Villeroy, et
il est vraisemblable qu'il demeura à Paris toute la fin de l'année et une
bonne partie de l'année suivante, non seulement parce qu'il élaborait
alors une troisième édition collective de ses œuvres, mais parce qu'il eut
à préparer de fin novembre 1570 à mars 1571, avec son maître Dorât et
son secrétaire A. Jamin, la partie littéraire des fêtes auxquelles donnèrent
lieu le récent mariage de Charles IX et d'Elisabeth d'Autriche, le sacre
de la reine à Saint-Denis et les entrées solennelles des souverains dans
leur ville capitale '. C'est, à mon avis, dans la deuxième moitié de 1570
que Ronsard reçut la visite du jeune Binet, lequel songeait aux fêtes qui
1. Antoine Loisel, Mémoires des pays... de Beaiwais et Beaiwaisis, Paris, 1617.
Cf. la note de La Monnoye dans la Biblioth. de La Croix du Maine, article
Claude Binet.
2. Il assistait le 3 septembre 1599 au baptême de sa fille Jeanne, dont le parrain
était Jean de la Guesle. D'autre part, à la date du 4 août IGOO, la ville de Riom
expulsa du Palais royal (pour y loger le comte d'Auvergne) les enfants de feu
Claude binet, lequel y occupait les appartements de la reine mère en qualité
de lieutenant général de la sénéchaussée.
Je dois la connaissance de ces faits à M. Gaston Varenne, prolesseur au
Lycée de Beauvais, qui prépare depuis plusieurs années une monographie de
Cl Binet. C est encore lui qui m'a signalé les citations précédentes, tendant à
prouver que Binet n'avait pas plus de vingt ans en 1573. Je suis heureux de le
remercier ici de son obligeance.
3. V. ma thèse sur Ronsard, pp. 231 à 238, et Annales Fléchoises de septem-
bre 1906, pp. 261 et suiv. — Cf. Théod. Godefroy, Cérémonial français, tome I,
pp. 519 à 556 ^il est question de Ronsard et Dorât à la p. 539, de Dorât encore à
la p. 553^ ; Rlanchemain, éd de Ronsard, 1\', 200 ; Marty-Laveaux, éd. de
Ronsard, VI, 386, et Notice, cxxiii. \'oir encore pour la récompense que leur
valut cette participation aux fêtes, et pour la part de Jamin, Ciraber et Danjou,
Archives curieuses, 1"^ série, VllI, 369 ; Œuvres de Jamin, éd. de 1575, in fine.
Mv l^TnoDl;cTIO^
devaient avoir lieu, au rôle orticiel qu'j»^ joueraient Ronsard et Dorât,
poètes du roi, à la possibilité pour lui-môme dy participer sous l'égide
de ces personnages et de faire son chemin comme poète de Cour, ce que
nous voyons qu il lut par ses premières publications de 1571 à ir)75.
D'ailleurs tout porte à croire qu'il se fit d'abord présenter à Ronsard
chez Dorât. Voici comment. Cl. Rinet nous apprend qu'il devait à Dorât
<{ une partie de ses estudes ». (^e n'est pas, comme on pourrait le croire,
une allusion au collège de Coqueret, car Rinet était encore au berceau
quand Dorât cessa d'en être principal. Il a pu être son auditeur au
Collège Royal vers 15GG-07 ', ou bien les années suivantes à son
domicile du faubourg St-Victor, où Dorât continua longtemps à ensei-
gner avec éclat. Quoiqu'il en soit, je pense qu'eu 1570 il était en relations
suivies avec Dorât, comme ancien élève ou comme étudiant nouveau ^.
La maison de Dorât était très hospitalière et les jeunes gens qui se
destinaient aux carrières libérales la fréquentaient avidement. Nous ne
le savons pas seulement par le Maître ', mais par l'un de ses hôtes,
l'historien J. -A. de Thou. « J'allais souvent visiter Dorât, dit-il en sub-
stance dans ses Mémoires, précisément à l'année 1570, et c'est lui qui me
fit connaître Ronsard ; comme je me sentais des dispositions pour la
poésie, je liai avec lui une amitié si étroite que dans l'édition de ses
œuvres qu'il fit faire par Galland (celle de 1587) il me dédia son Orphée
avec un éloge magnifique. Par le même moyen je connus J.-A. Baïf et
R. Relleau, dont depuis je cultivai l'amitié avec un grand soin » ^. Les
choses ont dû se passer de la même façon pour Binet, qui avait à peu
près le même âge que J. A. de Thou '.
Rinet alla donc voir Ronsard, qui l'accueillit bien et encouragea ses
débuts poétiques. Mais leurs relations furent ce qu'elles devaient être
entre un homme de 45 ans, arrivé à l'apogée de la gloire littéraire, et un
jeune inconnu de 17 ans ; elles furent empreintes de bienveillance de la
part de lun, d'admiration respectueuse et discrète de la part de l'autre.
Binet se lia plus facilement avec A. Jamin, le secrétaire du grand poète
C'est une impression qui se dégage très nettement du premier recueil de
vers de Rinet.
Les Diverses Poésies contiennent en effet un Sonet pour Jean Dorât, à
la Santé ; deux épigrammes sur La Vache de Mgron descrite par les
1. Dorai y fut professeur de grec, à l'occasion professeur de latin fcf. Lam-
bin, déd. du 66 livre de son Lucrèce), pendant onze ans, de 1556 à 1567. Il céda .sa
chaire en nov. 1567 à son gendre Nicolas Goulu (Marty-Lav., Notice sur Dorât,
xxin et xxvuï ; Abel Lefranc, La Pléiade au Collège de France, en tête de l'An-
nuaire du Coll. de Fr., 3' année, 1903, et dans l Amateur d'autographes du
15 juillet 1903).
2. Je placerais \olontiers en 1568-69 le séjour en Italie, dont Hinetnous parle,
durant lequel il aurait été auditeur de Pctro Vettori à P'Iorcnce et de Petro
Angelio à Pise
3. Martj'-Lav.. Notice sur Dorât, xxviii et xxxvii.
4. Collection Petitot, l'« série, tome XXXVII, p. 223.
5. .1 -A. de Thou est né en 1553. IJinet eut avec lui de bonnes relations,
témoin la part qu'il a prise au Tombeau de Chr. de Thou \'. ci-après, p. xvii Tou-
tefois J -A. de Thou, énuméranl dans ses Mémoires les auteurs du Tombeau de
son père, ne nomme pas Binet, et en 1586 c'est à (ialland, et non à liinel, qu'il
adressa ses vers pour le Tombeau de Ronsard.
INTRODUCTION XV
Grecs et depuis par P. de Ronsard ' ; un Chant forestier oit Le Chasseur,
au Seigneur Amadis Jamin. Cette dernière pièce, très remarquable par
un vif sentiment de la nature, est une sorte dèglogue, où Ferrot
(Ronsard>, assis dans un antre des bords du Loir, gémit sur l'absence de
Gassandre. Elle ne renferme d'ailleurs aucune indication précise sur les
rapports de Ronsard et de Binet ; tout ce qu'on peut en inférer, si elle
n'est pas une pure fantaisie, c'est que Jamin fit inviter Binet à une
partie de chasse soit à Vendôme ou à la Possonnière en 1571, soit au
prieuré de Croixval en 1572 -. Elle est immédiatement suivie de la
Gayeté du Printemps, que Binet dédie A ses amis, et, bien entendu,
ces amis, qu'il invite à aller se distraire à la campagne de Charenton,
ce n'est ni Ronsard, ni aucun poète de la Pléiade, pas même A. Jamin ;
ce sont de jeunes étudiants comme lui, De Piennes, Landri, Gaiette,
De Lorme ^. Il n'ose encore dédier aucune pièce directement à
Ronsard ; il se contente de rendre hommage à son génie '''.
De son côté Ronsard, naturellement, n'adresse alors aucun vers à
Binet : ce n'était pas à lui de commencer. Bien mieux, les recueils et les
éditions collectives qu'il publia de 1571 à 1584 ne contiennent pas trace
de ses relations avec ce nouveau disciple. Si Ion en croyait Blanchemain
et Marty-Laveaux, Ronsard aurait dédié à Binet son poème du Rossignol
en 1573 ^. Il n'en est rien : ce poème, publié en 1569 sans dédicace au
titre, était adressé à Girard, comme le prouvent les six derniers vers, et
il ne changea pas de destinataire avant la première édition posthume ''.
Rien non plus à l'adresse de Binet dans les œuvres de Baïf ', ni dans
1. Voici la première : « Myron me façonna d'airain, | Un Ronsard me remit
en vie : | De l'un je rens grâce à la main, | Et de l'autre à la poésie. »
2. Ronsard, obligé d'abandonner son prieuré de Croixval en 1570 et 1571,
n'en obtint la rétrocession que le 23 nov. 1571 (Froger, lions, eccl., pp. 40-41).
3. Le volume se termine par quelques pièces de ses amis eu vers latins et en
vers français, mais aucune d'elles n'est signée d'un poète de la Pléiade. Pour-
tant la dernière de ces pièces loue Binet pour ses Epigranimes, comme Ronsard
pour ses Odes, Tyard et Du Bellay pour leurs Sonnets, Jodelle pour ses Comédies :
Mais, ô Dieu ! pour ce point combien, combien tu pousses
A railler doctement tes Muses aigre-douces
(Mon Binet) et combien ton Epigramme court
Se feroit mesme entendre à l'homme le plus sourd.
4. Sa complainte Sur le trespas de J- Greuin contient ce quatrain, qui, d'ail-
leurs, ue dut faire plaisir à Ronsard qu'à moitié :
La gracieuse Olimpe et la belle Gassandre,
L'une de mon Grevin, l'autre d'un grand Ronsard,
Ne seront quant au nom réduites onc en cendre,
En despit de l'eSort du fauche-tout vieillard.
Outre les noms que j'ai mentionnés parmi les destinataires de ces poésies, je
relève encore ceux de Louis Des Masures Tournisien (sur son Enéide), de
François de Belleforest, de François d'Amboise Parisien (sur sa Clion), de
Jean L'Huillier Parisien.
5. Œuures de Honsard, VI, 118 ; M.-L., Ihid., V, 455.
6. Il s'agit, je crois, de Jean Girard, du Mans, sieur de Colombiers, " homme
bien docte eu grec et enlatiu )>,dil La Croix du Maine. Cf. H. Chardon, Robert
Garnier, p. 125.
7 Les seuls vers de Baïf à Binet qui nous soient parvenus datent du Tombeau
de Ronsard (1586). El. VIII, 240-41 ; M.-L., Œuures de Baïf, V, 283.
XVI ISTRODi:CTIO?«
celles de Belleau, ni dans celles de Jodelle \ ni même — ce qui est plus
étonnant — dans celles de Jarain (1575)
Cependant Binet a écrit à l'occasion de la mort de Belleau (1577) une
pièce en hendécasyllabes d'une importance capitale. Elle est dédiée à
Ronsard, et c'est, à ma connaissance, la première qu'il lui ait dédiée.
En voici le début et la fin, qui prouvent, même si l'on tient compte
d'une certaine exagération juvénile, que Binet avait alors des relations
amicales avec Ronsard et Belleau :
Petro Ronsardo.
Ergo mortuus est meus poeta
I3ellaeus tuus et meus poeta ?
Ronsarde, optime Gnlliae disertae,
llle molliculus poctn totus,
Mellilusque magis, ningisque lersus,
Quain mel, quamque suc artifex in alveo :
Seu per gaudia rusticalionuin
Mille et delicias juval jocari,
Seu lubet posita severilale
Tôt belia oscula dissuaviari.
O bella, ut solida esse non potestis 1
Bellus mortuus est meus poeta,
llle caudidulus bonusque aiuicus, •
Quo nil candidius amiciusque.
Al Musae incolumem meum poetam
Ronsarduni Aoniae arbitrum Camrenae,
Mi servate diu, et suis amicis.
Ut qui Pleiadas antecellit unus,
His sit postumus et sibi superstes "•'.
D'ailleurs Cl. Binet, de 1575 à 1579, dut se consacrer aux études de
droit et au barreau plus encore qu'à la poésie. Il se fit recevoir avocat au
Parlement de Paris, et c'est en cette qualité qu'on le reti'ouve aux
Grands jours de Poitiers dans la deuxième moitié de 1579.
C'est de ce séjour à Poitiers que date vraiment pour Binet la notoriété.
Introduit, à la suite des magistrats de la Cour parisienne, dans le salon
de Mesdames Desroches mère et fille, prototype provincial de l'Hôtel de
Rambouillet, il brilla en bon rang parmi les poètes qui chantèrent la puce
aperçue un jour par E. Pasquier sur la gorge de M"« Catherine ■^. C'est
1. Le sonnet à Cl. Binet, que Marty-Laveaux a édité comme étant de Jodelle
(II, 334), ne me paraît pas du tout aulbentique : il fait allusion au recueil de
Binet de 1575, peut-être même à celui de 1583, tous deux postérieurs à la mort
de Jodelle (juillet 1573j.
2. Pelromi Arbitri Epigrammata .. (1579), page 30. Sur ce recueil, voir ci-
après, p. xvii. notel. Il est probable que cette pièce figurait déjà dans le Tombeau
de R. Belleau, (Luteliae, apud M. Patissonium, 1577, iu 4")
3. Sur cet épisode des Grands jours de Poitiers, voirE. Pasquier, Lettres, livre
VI, n"" vu et vni. Il nomme parmi les avocats parisiens, alors présents à Poi-
tiers, qui prirent part à ce badinage poétique, l'avocat du roi, Barn. Brisson,
puis René Chopin, Antoine Loisel, Jacques Mangot, Odet de Turnèbe, et Binet.
Parmi les poètes « chante-puce » citons encore J. Scaligcr, Nicolas Rapin,
J.Courtin de Cissé, Scévole de Sainte-Marthe, qui était alors maire de Poitiers.
Le recueil intitulé La Puce de Madame Desruches parut en 1583, à Paris, chez
INTRODUCTION
d'autre part à Poitiers que Binet publia les epigrammata attribués à
Pétrone et à d'autres poètes légers, qui, avec un recueil antérieur de
J. Scaliger, iormèrent le noyau primitif de l'Anthologie latine '.
Les années suivantes sont marquées par de nouvelles productions poéti-
ques. En 1581 Binet collabore au « tombeau » d'Odet de Turnèbe, à la
prière d'E. Pasquier, qui le compte parmi les « lumières » du siècle ^ ;
il écrit une pièce liminaire pour le recueil des vers de J. Courtiu de
Cissé ■' ; il publie un poème latin sur lépidémic qui sévit alors à Paris *.
A la fin de ]r)82 il collabore au « tombeau » du président Christophe de
Thou, père de l'historien ^. En 1584, il écrit un sonnet liminaire pour le
dernier ouvrage d'André Thévet, cosmographe du roi '\ Surtout en 1583 il
publie un petit recueil intitulé Les Plaisirs de la vie rustique et solitaire,
qui otTre un réel intérêt littéraire et historique^.
Abel i'Angelier (préf. de septembre 1582) ; on le trouve dans les Œuvres com-
plètes d'E. Pasquier éd de 1723, tome 11, col. 947) ; il a été réimprimé par
D. Joiiaust en 1868 et en 1872 ( Cabinet du Bibliophile, n°^ m et m bis) ; la se-
conde de ces réimpressions reproduit textuellement l'édition princeps. Claude
Binet y figure pour six pièces latines et françaises.
1. C Petronii Àrbitri, ileniipie aliorunt quurunidam velerum Epiçiramwalu hac-
tenus non édita. Cl. Binetus conqnisivit et nunc prinnim publicauit. Pictavii, ex
ofïicina Bochetorum IVatrum, 1579, in-4" de 38 pp. (Bibl. Nat., Yc 922, etRés.
m Yc 65R1. Binet s'était servi d'un manuscrit de Beauvais, aujourd'hui perdu,
et du Vossianus, qui avait déjà servi à J. Scaliger pour ses Catalecta parus à
Lyon en 1573 (cf. la préface des Poetae minores de Baehrens, et surtout la pré-
face de VAnthol. latine de Riese, pp. xxxni et xl).
La dédicace à Barnabe Brisson, avocat du roi, est datée de Poitiers, le x des
Calendes de Novembre 1579. Les pp. 23 à 38 sont occupées par des pièces de
vers latins de Binet adresséeà à Brisson, à Ant. Loisel, à E. Pasquier, à J. Do-
rat, à M. -A. Muret, à Ronsard, à Sainte-Marthe, à Petro Vettori, à Petro
Angelio de Barga, à Jean Bonnefons (entre autres).
2. Othonis Turnebi Tuinulus (Paris, 1582, in-8°). La mort prématurée d'Odet
de Turnèbe est de février 1581. Pasquier écrivait peu après cet appel : « Heu
vos advoco, lacrymosi adeste | Turnebi duo, Christiane, Drace, | Audeberte
pater simulque fili, | Aureli, Bonefi, Vari, Binete, I Et quot lumina Gallicana
nobis I Isto Piérides dedere seclo... <> (Œuvres, tome II, col. 937).
3. Les Euvres poétiques de J de Courtin de Cissé (Paris, Bejs, 1581, p' in-
12). Une des Odes de Courtin est adressée à Binet sur la mort de Belleau.
i.Cl. Bineti- . Ad Deum Opt. Max. oratio pestilentiae tenipore. Paris, M. Pâ-
tisson, in 4" de 8 pp. (Bibl. Nat., Yc 1229j. Cf. Marty-Laveaux. Noa'ce sur Dorât,
xxxvn.
5. Chr. de Thou est mort le 1^' nov. 1582. Son Tumulus parut chez M. Pâtis-
son en 1583, in-4''. Binet y figure avec un poème latin et un sonnet, pp. 110 à 113.
6. Les Vrais pourtraits et vies des Hommes illustres (Bibl. Nat .. G. 1493).
Le sonnet de Binet figure parmi des pièces liminaires de Dorât, Baïf, R. Garnier,
Sainte-Marthe.
7. Plaquette de 31 ff., Paris, V^ Lucas Breyer, pt in-12 (Bibl. Nat., Bés. Ye
1839). Ce recueil est ainsi composé : 1" deux pièces adressées au premier pré-
sident Ach. de Harlay et au procureur général Jean de la Guesle; 2° l'idylle
(dédiée à Pibrac des Plaisirs de la vie rustique et solitaire, qui donne son titre
à la plaquette ; 3° des vers à Jacques et à François de la Guesle et à Hotman
secrétaire de la reine douairière, veuve de Charles IX) ; 40 un sonnet A Pierre
de Bonsard : « Gentil oiseau divin... », et un autre A Philippe Desportes :
« Quand j'entens les doux sons,.. « ; 5" l'idylle de la Truite, dédiée A Pierre de
Bonsard : » Entre les plus grans biens.., » ; 6" le Vœu d'un peschcur à Nep-
tune ; 7» des poésies latines ; 8" neuf pièces, dont six sonnets ; 9" des vers la-
tins et un sonnet d'amis de Binet.
VIE DE p. DE RONSARD. Z)
WIII INTRODUCTION
Non seulement cet opuscule a valu à Binet l'iionneur d'être mentionné
dans l Art poctiijiie de Vauquelin parmi nos nieillcuis poètes pastoraux ',
mais il montre que ses rapports avec Ronsard étaient alors intimes.
On y trouve, en effet, deux pièces dédiées à Ronsard, qui ne laissent aucun
doute à ce sujet :
lt> Un sonnet, dont voici l'essentiel :
Gentil oiseau divin, petit ange des bois,
Rossignol, que ma main a sevré dans la cage,
S'il est ainsi, mignon, que le premier tu sois
Hautain sur tout oiseau variant son ramage.
Va t'en trouver Ronsard, le premier de nostre aage,
Ronsard, le rossignol du Parnasse François.
Ravy de ses douceurs, je désire luy faire
De mon cœur pur et net un aggrenble don ;
2° Une idylle, intitulée la Truite, dont voici le début :
Entre les plus grans biens dont je veu rendre grâce
Aux Muses et aux Dieux, celuy-là qui surpasse,
Et qui rend dessur tout mes esprits plus contens,
C est d'avoir esté né en France de ton temps.
Ronsard, père de France, ô la première source
Et de ceux qui à gré d'une bonorable course
Ont part à ton honneur, et de ceux qui viendront
Pour en vain espérer tel honneur sur leur front... ;
après quoi Binet se félicite d'aimer mieux les plaisirs de la campagne
que les vanités de la Cour, et se demande à qui il doit son goût de la
simple nature :
C'est à toj-, mon Ronsard, dont la divine grâce
Des vers non imitable est en France un Parnasse :
Par loy mon jugement j'ay sceu rendre meilleur
Pour priser toute chose à sa juste valeur.
Vers la même époque Binet fréquente chez les magistrats Jean et
Jacques de la Guesle. originaires d'Auvergne ; il y rencontre les avocats-
poètes auvergnats Gilles Durant et Jean Bonnefons, les deux insépa-
rables, qu'il avait connus au Palais dés 1579 - ; il est choisi comme sub-
stitut au parquet par Jacques de la Guesle, qui avait succédé à son père
dans la charge de Procureur général du roi en janvier 1583 ^. Il corres-
1. Livre III, vers 253. Edition G. Pellissier, p. 140. Binet}' est cité avec
Pibrac. dont le poème sur les Plaisirs de la vie rustique remonte à 1576 et repa-
rut en 1583 également chez la V» Lucas Breyer.
2. Cf. la Pancharis J . Bonefonii, et les Imitations du latin de Jean Bonnefons^
avec autres Gayetez amoureuses de l'invention de l'autheur, par G. Durant, s"" de
la Bergerie. Paris, Abel l'Angelier, 1587, in-12 le privil. est du 9 janvier On
trouve dans la Pancharis une pièce en distiques latins Ad CL Binctum. En outre,
Durant adresse deux odes A Cl. Binet lune imitation et une invention), et Binet
une pièce en hendécasyllabes latins Ad Janum Bonefium, qui avait paru pour la
première fois en 1579 à la suite des Petronii Epigrammata.
3. Cf. Blanchard, Les Présidents au mortier du Parlement de Paris (1647), p. 301,
et la fin de l'épitre de Sainte-Marthe Ad Cl.Binetum, citée deux notes plus loin.
INTRODUCTION XIX
pond avec E. Pasquier, qui le considère comme un homme de goût, ca-
pable de juger « les belles choses » ' ; avec Se. de Sainte-Marthe, qui le
loue comme poète et comme avocat-substitut '^ ; avec M. -A. Muret, qui,
de Rome, le charge d'être son intermédiaire auprès des éditeurs parisiens,
et dans une lettre à Féd. Morellappelle « hominum pereruditus » '. De
son côté, La Croix du Maine écrit de lui que c'est « un homme fort docte
en Grec. Latin et François et bien versé en lune et l'autre poésie », et,
après avoir énuméré ses principales œuvres : «Il florit à Paris cette
année 1584 ' ». Bref Binet a de nombreuses et brillantes relations à la
fois dans le monde de la Magistrature et du Barreau et dans le monde
des Lettres, comme le constate J. Velliard en 1586 ^.
Il est donc vraisemblable et très probable que Binet, durant les trois
dernières années de la vie de Ronsard, eut l'accès relativement facile
auprès du grand poète, du moins quand celui ci venait de Croixval à
Paris, et seulement jusqu'en juin 1585, date où il quitta Paris pour ne
plus y revenir. Ronsard était alors l'hôte de Jean Galland, principal
du collège de Boncourt, son meilleur ami, chez lequel il restait alité des
mois entiers, aux prises avec la fièvre et la goutte ". C'est là, peut-être
à son chevet, que Binet, à la faveur d'un procès dans lequel il semble
avoir été son avocat, tout au moins son avocat-conseil, s'entretint avec
lui de poésie, essaya de relever son moral en lui parlant de guérison ou
d'immortalité, s'insinua dans ses bonnes grâces et gagna sa confiance,
1. Lettres de Pasquier, livre VIII, lettre x. Il l'entretient de poésies qui furent
écrites sur la Main de Pasquier aux Grands Jours de Troyes (1583i. D'ailleurs
Binet n'a pas collaboré à ce recueil, quoi qu'en dise l'abbé Goujet (UibL,
tome XII, p. 257/ ; l'Apologie de la main en prose est de Pasquier lui même.
2. Poemala, Paris, M. Pâtisson, 1587, p. lOiJ L épître Ad Claudium Binelum
commeace ainsi :
Si quis amor, Claudi, tenais cognoscere vatis
Et genus et curas ipaucis namque omnia pando)
Accipe.
Je détache de la fin les vers suivants, qui prouvent que Binet était au
nombre des substituts du procureur général .lacques de la Guesle :
Tu quoque Cirrhaeis aluit quem Musa sub umbris
Egregiosque inter jussit florere poetas.
Non ideo molli torpes, Binete, veterno :
Sed magni vice Guellaei, qui rcgia jura
Cognitor aique rei serval comniunis honorem,
Principis inierea populique negolia curas.
3. Cf les Mélanges Graux, pp. 398 à 400. Les lettres en question sont de 1583.
D'autre pari, Muret termine ainsi une lettre à Jacques Gillot, conseiller clerc au
Parlement de Paris en juillet 1584 : « Saluta mihi Nicotium, si istic est, et
Binelum et Morellum celerosque communes amicos, » [Id. p. 402.) Muret a dû
se lier d'amitié avec Binet du jour où celui-ci lui adressa un hommage poé-
tique dans son édition des Petronii Epigramnxata (1579).
4. Bibliothèque, art. Cl. Binet. Cet ouvrage fut publié en 1584.
5 Cf. ci-après, p. xxji, un texte de J. Velliard, d'après lequel Binet était lié
avec tous les personnages du temps « omnibus melioris notae viris intimus m.
Les poésies latines de Binet lui ont valu l'honneur de figurer dans le recueil
du savant Jean Gruther intitulé : Delitiae poelarum Gallorum hujus superiorisque
aevi illuslrium, Francfort, 1609, trois tomes in-16, publiés par Ranutiiis Gherus
(anagr. de Janus Grutherus). Voyez le tome I, pp. 539 et suiv.
6. Cf Marty-Laveaux, Solice sur Ronsard, lxxxvi et suiv., xc et suiv.
XX I^TRODUCTIO^
au point d'être choisi, avec Gallaml, comme exécuteur de ses dernières
volontés d'écrivain. A preuve cette aRirmation de Cl. Binet : « Sur ses
derniers jours me faisant cet honneur de me communiquer familièrement
tant les desseins de ses ouvrages, que les jugemens qu'il donnoit des
escrivains du jourd huy, il se plaignoit fort de certain stile dur et ierré
qu'il voyoit s'authoriser parmjnous » ' ; puis cette lin de 1 ///;;ii/ic de Mer-
cure, que Ronsard lui dédia en retour des deux pièces signalées plus
haut dans les Plaisirs de la vie rustique :
Hinct, soin d'Apollon, dont la vive éloquence
Flate mon mal d'espoir, mon procès d'asscurance.
Au lieu de tes beaux vers, du trafic de nostrc art.
Des honneurs de Mercure icy je te l'ay part "-... ;
enfin ces hexamètres de Dorât qui datent de 1580 et parurent en tête
de la première édition posthume des (Euvres de Ronsard :
VJrgilio fuerat qui par Honsardus in omni
Vita, morte parcm sese pracslaret ut illi,
Fidos elegit Tuccam et N'arum inter amicos,
Te, Gallandi, et te, Binete, pocmata, quorum
Commisit curae, ne corrumjjenda périrent ■*...
Ronsard mourut en son prieuré de Saint-Cosme-lez-Tours le 25 dé-
cembre 1585. Galland, qui l'avait déjà vu très mal dans l'automne au
1. \'oir ci -après, p. 38, ligne 23, et p. 39, lignes 1 à 4.
2. Bl., V, 254. Cf. Marly-Lav., Notice sur Ronsard, xc. Il est possible que le
procès auquel Ronsard fait ici allusion soit le même que celui qu'il eut dès 1568
avec le teinturier F"ortin, son voisin de Saint-Cosme-lez-Tours, et pour lequel
il écrivit alors au maire de Tours, à 1 avocat Pierre du Lac et au procureur Julian
Chauveau Bl., VIII, 169 ; \T, 109 et 125 . Il s'agit peut-être aussi d'un procès
qu il eut avec les religieux de Saint-Cosme concernant l'administration du
prieuré, et dont il reste un acte daté du 21 novembre 1581 communication de
M. Ludovic Langlois, ancien notaire à Tours).
3. Bl. I,xvni. La collaboration de Galland et de Binet à la première édition
posthume de Ronsard est abondamment prouvée. Outre ce texte de Dorât, voir
trois passages de la Fie de Ronsard de Binet corroborés par les termes mêmes du
privilège de cette édition ; les deux dédicaces de celte édition à Henri III, l'une
en vers par Binet, l'autre en vers par Galland ; la fin du chapitre vi du livre \'II
des Recherches de la Fr (qui était composé en 1586, car ce livreVII était alors le
livre VI et Pasquier a écrit dès 1584 dans une lettre à La Croix du Maine qu il
avait dans ses tiroirs le manuscrit des livres III à VI) ; enfin ces lignes d'André du
Chesne : « Ronsard adressa à Antoine Chasteigner une ode qui estoit la 30° de son
troisième livre en l'édition de 1567, et la 19<= (en réalité la 20'^) en celle qui fut
faite un peu avant le décès de Ronsard, portant pour inscription : « A Antoine
Chasteigner de la Rochepozay. » Mais, depuis, Claude Binet mettant la main à
ses œuvres, y changea en divers endroits, de façon que l'ode est demeurée privée
et de son titre légitime et du ranc qu'elle tenoit entre les autres " [Hist. généal.
de la maison des Chasteigners, Paris, Cramoisy, 1634, p. 291.)
Il ressort de tous ces documents rapprochés que la part de chacun fut déter-
minée. Binet remania le texte des œuvres « selon l'intention >< de Ronsard, fit
les suppressions et les additions, classa enfin le tout « suivant les mémoires et
advis » de Ronsard. (îalland fut l'éditeur proprement dit, obtint le privilège,
s'entendit avec le libraire G. Buon, surveilla l'impression et corrigea les épreuves
(ceci probablement de concert avec Binet). Il n'est pas question de Binet dans
les privilèges accordés à Galland, ni dans celui de mars 1586, ni dans celui de
janvier 1597.
INTRODUCTION XXI
prieuré de Croixval, alla recevoir le dernier soupir de son ami. Dès
qu il fut revenu de l'enterrement, avec les papiers et les recommanda-
tions suprêmes du poète, il décida de lui préparer au collège de Boncourt
des obsèques solennelles qui seraient comme un hommage public à sa
gloi-ieuse mémoire. Binet apprit de la bouche même de Galland les der-
nières circonstances de la vie de Ronsard et prit connaissance des vers
que celui-ci avait composés sur son lit d agonie en novembre et décembre
précédents. Apprit-il à ce moment seulement la part qui lui reve-
nait comme exécuteur testamentaire, ou Ronsard la lui avait-il fixée avant
de quitter Paris'.' On ne saurait le dire avec certitude, bien que trois
passages nous portent à croire qu'il savait à quoi s'en tenir sur ce point
avant que Ronsard quittât Paris (voir ci-après, pp. 40-41,48, 50). En
tout cas, il résolut aussitôt, d'accord avec Galland, de faire imprimer les
Derniers vers de Ronsard, de recueillir les éléments de son Tombeau, et
de « dresser les principaux points du cours de sa vie », de façon que le
tout fût prêt à paraître le jour même des obsèques, pour lesquelles on
arrêta la date du 24 février 1580 '.
C'est ce qu'il est assez facile d'établir en rapprochant les documents
suivants : 1° un passage de VEclogue de Binet « représentée » à ces
obsèques ; c'est lui-même qui parle, s'adressant à Thoinet (A. de Baïf) et
à Philin (Philippe Desportes) :
Si tost que sur ce bord arriva Gallantin,
La moitié de Perrol, nous contant quel destin
Avolt tranché ses jours, vous eussiez vu sur Tonde
Mainte vague rouler tristement vagabonde "...
2» Une lettre de Binet à Scévole de Sainte-Marthe, le priant de colla-
borer au Tombeau de Ronsard : « Monsieur, l'amitié que j'ay receue de
Monsieur de Ronsard et qu'il vous a départie lors qu'il vivoit... », datée
de Paris 23 janvier 1586 ^ ; 3° l'épître-préface des Derniers vers, adressée
par Binet « à la noble et vertueuse compagnie qui a honoré les obsèques
de Monsieur de Ronsard, Prince des Poètes Fi'ançois », le jour même de
ces obsèques '' ; 4» l'épître-dédicace de la P. Ronsardi laudatio funebris,
composée par J. Velliard. professeur à Boncourt, sur l'ordre de Galland ;
en voici le début et la fin : « Particula muneris ejus adest ( Gymnasiarca
1. Si ion en croyait une dédicace de l'Or. fun. de Ronsard par Du Perron,
ce serait chez Desportes, et seulement le 18 février (il y a mars par inadver-
tance), que K le dessein de ces funérailles fut pris ». Ce texte adopté par Blan-
chemain (\'III, 180) et par Marty-Laveaux auquel il a fait commettre deux
erreurs 'Notice sur R-, c et ci , fait partie d'une phrase ajoutée pai Du Perron
en 1611, après la mort de Desportes, et reproduite dans les éd. de Ronsard de
1617 et 1623. Non, ce n est pas Desportes qui eut l'idée d'organiser la cérémo-
nie funèbre du collège de Boncourt. C'est Galland qui l'eut, et cela dès le mois
de janvier, comme le prouvent des textes de 1586 qui émanent de Rinet préf.
de la l'>= éd. des Derniers vers . de \'elliard (dédie, de sa Laudatio funebris;. de
J.-A. de Thou Tombeau de Ronsard, Bl., N'IIl, 243), de Galland lui-même
(dédie de l'édition posthume des Œuvres de Ronsard, Bl., I, xvi; .
2 Cf le Ronsard de Blanchemain. VIII 228.
3 Cf. le Ronsard de Marty-Laveaux, Notice, ci : reproduite par M"*^ Evers,
op cit., Introd.. p. 3.
4 Ibid., Notice, en ; ibid., Introd., p. 6.
\XII INTROrmCTION
sagacissime) quod ad calcnd. Fcl)ruarii jamjam Tiironihus reversus nnbis
detulisli. Utinam digna siimini illiiis viri mcmoria, cujus nomine jussu
tuo suscepta est, digna sempiterna vestra amicitia, digiia hiijus poinpae
celebritate quam supra multorum opinionem, totius Galliac applausu et
adniiratione paras... In multis autem (d'ailleurs sur beaucoup de points)
breviorcm me fecit Claudii Bineti tibi, omnibusqne mclioris notae viris,
intimi solcrtia et sedulitas : bujus enim industria et studio Gallici poetae
vita, et in eumdcm Galliae totius elogia posteris in tuo nomine jamjam
apparebunt. Vale, Lutetiae, in tuis aedibus Becodianis. 7 cal. Martii
1586 '. >.
Un tiers seulement de la triple publication projetée par Galland et
Binet fut prêt le 24 février. Seuls les Derniers vers parurent ce jour-là
et purent être distribués aux plus qualifiés des assistants'-. Mais le
Tombeau et la Vie de Ronsurd étaient déjà en grande partie sous presse
ou sur le marbre ; nous pouvons du moins le conjecturer d'après ce
passage de la dédicace des Derniers vers : « Si la diligence des ouvriers
leust permis, le papier tant honoré du beau nom de Ronsard eust tes-
moigné son dueil, et accompagné voz regretz de la noire teinture des vers
des plus choisis personages de notre France, que j'ay prié de ce devoir,
et des principaux points du cours de sa vie que nous avons dressé, non
pour illustrer sa mémoire davantage, ains pour n'obscurcir la nostre, si
nous faisions autrement. Mais le temps, maistre de noz actions, ne la
sccu permettre pour ce jour. Seulement il nous a permis de vous pré-
senter les derniers enfans de sa Muse, conceus au lict de la mort, et
comme naissans de son tombeau. » Toutefois il est vraisemblable que
le lendemain même des obsèques Binet retoucha la biographie qu il avait
écrite, mettant à profit quelques passages des oraisons funèbres pro-
noncées devant lui par Du Perron et par les élèves de J. Velliard et de
G- Critton, professeurs à Boncourt'' ; et il est certain qu'il y inséra seu-
lement alors le récit des obsèques, qui, cela va de soi, n'avait pu y
trouver place plus tôt.
Du reste, Binet fut expéditif, et les « ouvriers » aussi. Ils le furent
même trop. Les deux autres publications annoncées par lui le jour des
obsèques parurent chez G. Buon avec une deuxième édition des Derniers
1. 23 février, veille des obsèques. Ces dernières lignes, très importantes,
nous montrent que Cl Binet était lié assez intimement avec Jean Galland, et
que c'est sous les auspices de Galland, peut-être même à son instigation {in luo
nomine qu'il entreprit et la biographie et le « tombeau » de Konsard. La préface
de l'édition princeps des Derniers vers n'est pas moins probante à cet égard :
Binet et Galland y apparaissent comme agissant tout à fait de concert, et si
Binet y dit en parlant de la collaboration au Tombeau : ■... les plus choisis
personages de notre France, que j'ay prié de ce devoir », il ajoute : » les prin-
cipaux points du cours de sa vie que nous avons dressé. . le temps seulement
nous a permis de vous présenter les derniers enfans de sa Muse... ». Une der-
nière preuve de leur entente : cette édition princeps des Derniers vers, préfacée
par Binet, a pour épilogue une pièce de vers latins intitulée Piis amici Ronsardi
manibus et signée Jo. Gallandius (cinq distiques qui reparurent dans le Tom-
beau).
2. Paris, G. Buon, in-4° de 7 ff. (Bibl. Mazarine, n» 10849).
3. V. ci-après mon Commentaire, p. 193, aux mots « à sa mémoire « et <i de
tous costez », Cf. pp. 53-54, 69, 73, 75-76, 83 84, 95, 96, 115, 183, 208, etc.
INTRODUCTION XXIII
vers, dès les premiers jours du mois de mars, très probablement avant
le 14, car le privilège est encore celui qui avait servi pour l'édition de
1584 des Œuvres de Ronsard et pour l'édition princeps des Derniers
vers, et nous savons d'autre part que Galland obtint en faveur de G. Buon
un nouveau privilège, daté du 14 mars 1586, pour faire imprimer la pre-
mière édition posthume des Œuvres de Ronsard '. La façon même dont
l'opuscule se présente prouve la hâte avec laquelle on le publia En voici
le titre complet :
Discours II de la vie de \\ Pierre de Ronsard, || Genlil-homme Van-
doniois. Il Prince des racles François, \\ avec \\ une Eclogue représentée
Il en ses obsèques, par Claude Binei- || Plus \\ les vers compose: par ||
ledict Ronsard peu avant sa mort : \\ ensemble \\ son Tombeau
recueilli \\ de plusieurs excellens personnages. (Marque du libraire
éditeur.) A Paris, \\ Chez Gabriel Buon, au clos Bruneau, à l'image
S. Claude. \\ m. d. lxxxvi. || Avec privilège du Roy.
C'est un in-4o de 128 pages. Au verso du titre se trouve le portrait
de Ronsard à l'âge de 27 ans, qui avait paru pour la première fois en
tête de l'édition princeps des Amours (1552) - ; au-dessous de ce
portrait le quatrain qui figurait déjà en tête de l'édition princeps de la
Franciade (1572) :
Tel fut Ronsard autheur de cet ouvrage,
Tel fut son œil, sa bouche et son visage.
Portrait au vif de deux craj^ons divers,
Icj- le corps, et l'esprit dans ses vers ^.
Ce quatrain, qui avait sa place tout indiquée en tête des Derniers
vers publiés isolément le 24 février, était conservé ici bien mal à pro-
pos, son début ne s'appliquant qu'à la deuxième partie de l'opuscule,
de beaucoup la plus courte et la moins importante. Le Discours de la
vie de Ronsard occupe, en effet, les pp. 3 à 33. Les Derniers vers
viennent à la suite, et n'occupent que les pp. 34 à 37 ; encore sont-
ils diminués de deux pièces qui ont passé dans la biographie du
poète ^. Le reste de l'opuscule se compose tout entier de poésies écrites
1. Il n'y a pas d'achevé d'imprimer. Quant au privilège, c'est encore celui du
7 décembre 1583. Si cet opuscule avait paru après le 14 mars 1586, nous pen-
sons qu'il aurait été imprimé en vertu du privilège nouveau obtenu ce jour-là
par Galland en faveur de Buon. Celui-ci, dira-t-on, pouvait se servir de l'an-
cien privilège (valable pour dix ans), même après en avoir obtenu un nouveau.
Aussi présentons-nous notre hj'pothèse comme très vraisemblable, sans rien
affirmer. Quoi qu'il en soit, tout porte à croire que l'opuscule contenant la
première rédaction de la Vie de Ronsard parut au plus tard à la fin de mars.
2. Mais la mention « Anno aetatis 27 » en a disparu. Voir ci- après la gravure
hors texte.
3 D'après une note de La Monnaye {Biblioth. fr^^ de La Croix du Maine,
éd Rigoley de Juvignj', II, p. 359'. ce quatrain est de René Belet, Angevin, qui
a écrit dès 1569 un sonnet sur la Franciade paru au Septiesine livre des Poèmes
et réimprimé parmi les liminaires de la Franciade en 1572 : Quelle si docte
main et quel papier si blanc. Sur ce personnage, voir un article de G Ballu
dans la Rev. de la Renaissance de mars-juin 1909.
4. Ces deux pièces sont l'épitaphe écrite par Ronsard pour son propre
tombeau : « Ronsard repose ici... », et l'épigramme à son âme : « Araelette
"Ronsardelette... » Les Derniers vers perdaient encore le prologue de Binet, qui
WIV INTKODl ^TIO^
par ses amis et admirateurs, d abord 1 « eclogue meslce » de Biiiet in-
titulée Penol. puis le Tomhcdu proprement dit.
A noter en outre que les pièces du Tombeau sont divisées elles-
mêmes en deux parties, dont l'une, qui s'arrête à la page 112, contient
sur cette page les Fautes à corriger, et l'autre, qui est intitulée Antres
vers sur le tombeau de Ronsard, semble avoir été ajoutée en appendice
après (juc l'opuscule était déjà complètement imprimé. Il y a même au
début de cette sorte d'appendice une pagination adventice de deux
feuillets qui ont encore été ajoutes au dernier moment, et qu'on a mis
là parce que l'Extrait du privilège, qui clôt la page 128, était imprimé
quand ils sont arrivés à l'atelier (ce sont les pages 112.1, 1122, 112.3
et 112.4). — Une dernière remarque n'est pas moins probante. Binet,
dans sa hâte de jjublier sa Vie de Ronsard, y laissa un nombre consi-
dérable de fautes d'impression, dont quelques-unes très graves. Il n'en
releva que quatre dans la table des errata. Les autres disparurent à la
deuxième édition.
La Vie de Ronsard reparut chez G. Buon, dans le 5c volume (tome X
et dernier, pp. 107 à 157) de la première édition posthume des Œuvres
de P. de Ronsard, dont le format est in-12. Cette fois elle est placée
immédiatement après les Derniers vers de Ronsard, et immédiatement
suivie de VEclogue de Cl. Binet et du Tombeau de Ronsard. Toute
trace de table d'errata a disparu. Le privilège, dont l'extrait se trouve à
la fin du volume, est daté du 14 mars 1586. L'achevé d'imprimer, qui suit
ce privilège, est daté du 24 décembre 1586. Cette deuxième édition de la
Vie de Ronsard est donc encore, comme la première, de l'année 1586,
quoique les cinq volumes de l'édition des Œuvres dont elle fait partie
portent le millésime 1587. Neuf mois seulement séparent l'une de l'au-
tre, et dans ce court intervalle, Claude Binet, pourtant très occupé par
ailleurs*, a profondément transformé sa rédaction primitive, corri-
geant les fautes d'impression et quelques erreurs de faits, allongeant
n'avait plus sa raison d'être après le 24 février, et l'épilogue de Galland, qui
passait dans le Tombeau.
1. C'est dans le même temps qu'il élabora lai '''= édition posthume des Œuvres
de Ronsard, pour laquelle il composa une longue dédicace Au Roy de France
et de Pologne, en vers alexandrins, placée immédiatement après le portrait de
Henri III. en tète des pièces liminaires et bien avant la modeste dédicace en
prose de J. Galland, qui précède directement le texte même de Ronsard. Dans sa
dédicace, Binet fait apparaître et parler l'ombre de Ronsard, comme celui-ci
avait fait apparaître et parler Du Bellay dans son élégie à Loys Des Masures.
— Après la mort de Binet (1600), J. Galland supprima la pièce entière de son
collaborateur, voulant peut-être se réserver aux yeux de la postérité l'avantage
d'avoir été le seul exécuteur testamentaire.
En outre Binet publia en 1586, en collaboration avec Dorât, un livre curieux
intitulé Sifci///arum duodecim oracula . . Les Oracles des douze Sibylles extraits
d'un livre antique, mis en vers latins par Jean Dorât et en vers français par Claude
Binet : avec les figures desdites Sibylles pourtraites au vif et tirées des vieux
exemplaires par Jean Rabel. Paris, J. Rabel, m.d lxxxvi In-folio de 19 ff.
(Bibl. Nat., Rés. Yb, 60 .
Enfin n'oublions pas que Claude Binet était alors l'un des substituts du Pro-
cureur général au Parlement de Paris, et que par suite il avait probablement
du travail au Parquet (voir ci-dessus, p. xix, note 2).
INTROmr.TION XXV
et transposant plusieurs passages, surtout dans la dernière partie.
En 1597, lorsque J. Galland publia une nouvelle édition des Œuvres
de P. de Ronsard chez la veuve de G- Buon. la Vie de Ronsard y
reparut, à la même place, c'est-à-dire dans le 5« volume, au tome X et
dernier, après les Derniers vers '. Même format, mêmes caractères
d'imprimerie qu'en 1587 ; mais cette fois la Vie de Ronsard occupait
les pages 109 à 179 ; elle avait vingt pages de plus qu'à la deuxième
rédaction. — Binet avait été « pourvu gratuitement de la charge de
Lieutenant général de la Sénéchaussée de Riom par la reine Elisabeth
douairière de Charles IX » - ; son compatriote et ami Antoine Loisel,
auquel on doit ce renseignement, ne dit pas à quelle date ; ce fut proba-
blement en 1587, car Binet- ne porte ce titre dans aucun des documents
qui font mention de lui avant cette année-là, et d'autre part on le trouve,
prenant la parole en cette qualité, aux Etats de Blois dans la deuxième
moitié de 1588 '. Il semble avoir dès lors abandonné le « culte des
Muses », que ne favorisaient guère les troubles de la Ligue, et s'être con-
sacré presque entièrement à sa fonction de président de tribunal, difficile
en ce temps d'anarchie. Mais il resta fidèle au culte de Ronsard , la
preuve en est dans la troisième rédaction de sa biographie, à laquelle il
se remit dès avant 1 assassinat de Henri III (l'^'" août 1589), comme on
peut le conjecturer d'après deux passages '', et à laquelle il travaillait
encore, un autre passage en témoigne, après le sacre de Henri IV (février
1594 ■'■ Il apporta tous ses soins à embellir cette chapelle qu'il avait
élevée sur la tombe du poète. II laissa chaque chose à sa place ; mais il
répandit de-ci de -là des grains d'encens et des fleurs ; il recueillit de nou-
\elles anecdotes et arrangea les anciennes à l'honneur de son héros ; il
augmenta le nombre des citations, ajouta des détails de nature à justifier
1 homme, à grandir l'écrivain, à défendre sa mémoire à la fois contre les
haines religieuses et les critiques littéraires ; il écrivit enfin un préam-
bule moral à la Tacite, digne entrée du pieux monument.
En somme, Binet s'est trouvé dans des conditions relativement favo-
rables à la composition d'une bonne biographie de Ronsard. Il est vrai
qu'il y avait entre eux une grande différence d'âge (environ 28 ans), et
que Binet ne paraît pas avoir songé à cette biographie avant la mort de
Ronsard Mais ayant été reçu dans la familiarité du poète trois ou quatre
1. D'ailleurs la fin du volume se présente d'une façon différente. Après la
Vie de flonsard viennent les cinq distiques latins de J. Galland Piis amici Ron-
sardi manibus, l'Oraison funèbre sur la mort de M. de Ronsard par Du Perron,
l'Kclogue de Binet et le Tombeau.
Nous ne parlons pas de lédition lyonnaise de Th. Soubron de 1592. parce
qu elle reproduit intégralement le texte de 1587 en ce qui concerne la Vie de
Ronsard, et qu'elle se fit à l'insu de Galland et de Binet.
2. Ant. Loisel, Mémoires de Beauuais et du Beauuaisis. p 221 ; cité par La
Monnoj'e en note de l'article Claude Binet dans la Bibliothèque de La Croix du
Maine.
3. Harangue pour les Estats par G Binet, lieutenant général d Auvergne!,
1588, in 8" de U pp. (Bibl. Nat,, Lb -'S 531).
4. Voir ci-après, mon Commentaire, pp. 174 et 231, aux mots « régnant » et
« devins ■>.
5. Ibid., p. 48. ligne 17.
XXVI INTRODUCTION
ans avant sa mort, ayant eu des relations plus ou moins longues et sui-
vies avec des hommes qui lavaient connu intimement pendant de nom-
breuses années et qui survivaient, tels que Dorât son maître, A. de Baïf
son condisciple et son émule. A. Jamin son page et secrétaire, J. Galland
son hôte, dont les deux premiers furent les témoins de toute sa vie de-
puis sa vingtième année, le troisième celui de sa maturité, le quatrième
celui de sa vieillesse — sans parler d'E. Pasquier, qui avait été « em-
brigadé » dès 1554 — Binet pouvait nous laisser un ouvrage utile et du-
rable, malgré son admiration passionnée pour Ronsard. Malheureusement
il n'a pas su s'y prendre : il a employé des moyens qui coihpromettent
gravement l'autorité de son témoignage; il eut trop le souci de sa propre
gloire en glorifiant son grand homme, et il fit une œuvre d'avocat-poète,
non d'historien.
III
Quelles ont été les sources d'information de Binet biographe, et com-
ment s'en est il servi? On peut diviser en deux grands groupes les docu-
ments qu'il a utilisés : 1" les documents écrits ; 2" les documents oraux.
A. Documents écrits. — Binet pensa tout d'abord à consulter les Œu-
vres de Ronsard, remplies de renseignements autobiographiques et sim-
plement biographiques, ceux-ci dus à quelques amis du poète tels que
Dorât, Muret, Belleau, L'Hospital. Mais il se contenta de les consulter
dans l'édition la plus récente, l'in-folio de 1584 (on en trouvera les preuves
dans mon Commentaire) ', y ajoutant les manuscrits de certaines œuvres
inédites dont il avait le dépôt. La première des pièces qui retinrent son
attention fut YElegie à R. Belleau, où Ronsard parle de ses ancêtres, de
sa naissance et des principaux événements de sa jeunesse jusqu'à l'entrée
au collège de Coqueret; il la fit passer entièrement dans sa prose. Un des
poèmes adressés A Charles de Lorraine et un autre adressé A Pierre
L'Escot lui fournirent quelques détails sur le court passage de Ronsard au
collège de Navarre, et la résistance que rencontra chez son père sa natu-
relle « inclination aux Muses ». Une ode pindarique de Dorât, écrite dès
1549à la louange de son brillant disciple et placée parmi les liminaires des
Œuvres, plus trois passages des éditions collectives d'Ant. de Baïf (dédi-
cace AuRoy et une pièce Aus Poètes Fransoés) et de J. du Bellay {Hymne
de la Surdité) lui permirent, ainsi que certains témoignages oraux dont
nous parlons plus loin, de compléter le portrait de Ronsard écuyer et
écolier.
Puis Binet mit très i-apideraent à profit — trop rapidement — toutes les
pièces de Ronsard où il découvrit, ou crut découvrir, des indications sur
ses faits et gestes aux environs de la vingt-cinquième année, ses maîtres
et ses condisciples, ses débuts littéraires, ses adversaires et ses protec-
teurs à la Cour, les causes de l'opposition et les raisons de son succès
1. Voir notamment pp. 59-fiO. aux mots << à Remy Relleau «.
INTRODUCTION XXVII
final, — sans oublier les deux premières héroïnes de ses vers d'amour,
Cassandre et Marie. J'cnumère les principales dans Tordre qu'il a suivi :
VEpitaphc d'A. Turiwbe, Y Elégie à J. de la Feriisc, le Discours contre
Fortune, la préface des Odes Au lioy Henry II, l'ode pindarique A J.
du Bellay, la préface posthume de la Franciade, YElegie à Loys des Ma-
sures (rapprochée de la 2" préface deVOlive de Du Bellay), VEpilhulame
d'Ant- de Bourbon, V Avant-entrée du roy Henry II (retranchée par Ron-
sard), YOde de la Paix (datée ainsi que la pièce précédente). Yllynme
triomphal sur le trespas de Marguerite de Valois texte primitif et texte
remanié), un sonnet A Pontus de Tyard, la 2" ode A Madame Margue-
rite, les dédicaces des Commentaires de Muret et de Belleau sur les
Amours, deux épîtres latines de L'Hospital, l'ode A Michel de L'Hospilal,
l'ode A Melin de Saint-Gelais. Deux pièces des Odes adressées à Henri II
(la dédicace et la première du troisième livre), peut-être aussi trois son-
nets des Regrets de Du Bellay, lui apprirent que le projet de la Franciade
remontait au règne de Henri II ; les Hymnes, dont l'un porte aux nues
Henri II, que dès ce règne Ronsard donna des preuves de ce qu'il pouvait
dans le genre héroïque ; le poème A Pierre L'Escot, oii Henri II est mis
en scène, que dès ce règne Ronsard était honoré comme le chantre des
gloires nationales ; enfin six épigrammes des Poemata de Du Bellay,
que, sous ce règne encore, il avait reçu des Jeux floraux de Toulouse une
Minerve d'argent, dont il fit présent à Henri II.
Sur le Ronsard du temps de Charles IX les documents abondaient dans
les Œuvres. Pourtant Binet ne semble pas en avoir tiré grand parti, soit
qu'il ait eu l'embarras du choix, soit plutôt qu'il n'ait pas pris le temps
de les chercher ni su comment les classer. A peine fait-il une allusion
aux Discours politiques, aux Eclogues et à la Franciade ; toutefois il
mentionne les vers de Charles IX, « lesquelz se voyent encores imprimez
parmi les œuvres de Ronsard », et les satires autorisées parce roi, d'a-
près un passage des Estrennes à Henry III ; il semble avoir noté dans les
Poèmes quelques vers sur la fièvre maligne qui alita Ronsard une année
entière, mais au lieu de les citer, il cite une pièce latine de l'abbé de
Pimpont, qui n'offre aucun intérêt historique. Sur les relations de
Charles IX et de Ronsard il s inspira encore de quelques lignes d'Arnaud
Sorbin et de Papire Masson, biographes de ce roi.
Le Ronsard du temps de Henri III était sans doute mieux connu de
Binet ; pourtant il ne s'y attarda pas. Trois passages des Œuvres con-
firmèrent ce qu'il savait des relations du roi et du poète, les deux pre-
mières pièces du Bocage Royal et la première £'/e(/;V, dédiées à Henri III;
mais il avait hâte d'arriver à la dernière année, sur laquelle il possédait
des documents certains et précis : un opuscule qu'un faussaire avait at-
tribué à Ronsard mourant, trois pièces manuscritesque Binet cite{l'Hymne
de Mercure, un fragment inachevé adressé à Galland, une lettre égale-
ment à l'adresse de Galland), et les Derniers vers, dont il reproduit deux
pièces intégralement et résume les autres. Il abuse même des citations
dans cette fin de la biographie proprement dite, mêlant aux vers de Ron-
sard trois de ses propres épigrammes et une de Dorât, qui n'offrent
aucun intérêt historique et sont du pur remplissage-
Dans la dernière partie de son opuscule, Binet expose les opinions
WVIII INTRODUCTION
littéraires, les goûts domestiques, le caractère de Ronsard, et porte un
jugement général sur 1 homme et l'écrivain. L'épître A Clir- de Choiseul
qu'il mentionne, des vers inédits qu'il cite sur les maladroits imitateurs
du Maître, la préface posthume de la Franciade et les Estrennes à
Henri) III dont il s'inspire sans le dire, la dédicace des Anacreontica de
J.-C. Scaliger qu'il reproduit intégralement, les odelettes sur la foret de
Gastine et la fontaine Belleric, quelques sonnets à Charles IX et à son
frère François d'Anjou, peut-être aussi certaines pièces des Mealanges
de Jamin , 1 ont aidé à ti-acer ce portrait intellectuel et moral de
Ronsard.
Tels sont les principau.\ documents écrits que Binet a utilisés, ou qu'il
semble avoir utilises pour sa première rédaction. Sa méthode fut des plus
rudimentaires : elle consista à paraphraser ou à délaj'er certaines pages
de la dernière édition des Œiirres de Ronsard, à résumer au contraire
certaines autres en quelques lignes avec citation à l'appui, à reproduire
des vers inédits adressés à Galland ou à lui-même, et, comme ornements
plus que pour preuves, des épitaphes extraites des Derniers vers ou sorties
de son cru, enfin des pièces latines de quelques admirateurs du poète.
Dorât, Pimpont, Scaliger, le tout sans la moindre critique des témoi-
gnages Cette méthode fut également celle de la deuxième et de la troi-
sième rédaction, avec une diflérence aggravante toutefois, que M'Ie Evers
a très bien vue : tandis que pour sa première rédaction Binet a d'ordi-
naire indiqué ses sources, ou emprunté aux œuvres de Ronsard seulement
des faits et des idées, en leur donnant une expression nouvelle, au point
qu il est parfois difficile de prouver le plagiat, dans les deux autres ré-
dactions il a copié parfois la forme aussi bien que le fond, sans en avertir
le lecteur ; il a pillé surtout certaines pages en prose que Ronsard avait
retranchées de ses œuvres depuis longtemps et que par suite on pouvait
croire vouées à un éternel oubli .
Nous avons vu que Binet remania sa Vie de Ronsard dans le même
temps qu'il élaborait la première édition posthume des Œuvres. Aussi,
cette fois, n'est-ce plus l'in-folio de 1584 qu'il consulta ; il prit pour base
de sa documentation l'édition même de Ronsard qu'il était chargé démettre
au point et que sa nouvelle rédaction devait accompagner. C'est ainsi
qu il fut amené à changer en sept ans les cinq ans que Ronsard avait
affirmé avoir passés sous la discipline de Dorât dans toutes les éditions
publiées de son vivant. On trouvera dans mon Commentaire d'autres
preuves de ce fait que la deuxième rédaction de la Vie de Ronsard est
fondée sur l'édition de 1587 '.
Binet ne se contenta pas de corriger son texte primitif; il l'amplifia de
documents dus à une étude plus attentive des Œuvres de Ronsard et des
papiers manuscrits qu'il avait à sa disposition comme exécuteur testa-
mentaire. Pour la jeunesse du poète il trouva dans le Tombeau de Mar-
guerite de France duchesse de Savoye certains détails qui lui permirent
de compléter ou de rectifier les renseignements qu'il avait puisés d'abord
dans YElegie à R. Belleau - ; il profita également de la Responce aux
1. Voir pp 60, 90, 98, 116. 126, 133 et passim.
2. V. ci-après. Commentaire, pp. 73, 74, 77-78.
I\TRODLCTION XXIX
injures ', de la préface posthume delà Franciade - et du premier livre
des Amours ^. — Pour le Ronsard du règne de Charles IX, il mentionna
les Anioius d'Eiirijmedun cl de Callirée, et ceux d'As/rt-e ; il parla pour
la première fois d'Hélène de Surgères et des œuvres que Ronsard lui a
consacrées ' ; il remarqua que Ronsard s'était plaint « en plusieurs en-
droits » de n'avoir pas été récompensé selon son mérite '. — A propos
de sa mort il ajouta un quatrain de Pibrac, à l'appui d'une considération
morale qui n'a aucune valeur ''. — Dans la dernière partie il introduisit
la paraphrase de plusieurs passages de ÏAbbregé de l'Art poëlique et de la
préface posthume de la Franciade "^ et la copie presque textuelle de la
deuxième préface, que Ronsard avait retranchée de son épopée dès 1578.
Une épître en vers italiens de Speroni, trouvée dans les papiers de Ron-
sard, une lettre du poète sur la Pacdotrophia de Sainte -Marthe, commu-
niquée par Baïf, deux fragments inédits, l'un de la Loi) divine, l'autre
de VHerculc Tue-lion, l'aidèrent à étoffer la fin de sa biographie.
La troisième rédaction montre de la part de Binet, en même temps
qu'une connaissance plus approfondie, ou du moins plus étendue, des
Œuvres de Ronsard, une tendance plus grande à les plagier. Cette fois
la principale source écrite où il puisa fut la première édition des Odes.
Il ne semble pas l'avoir connue lors des deux rédactions précédentes, ou
s'il la connaissait, il n'en fit pas usage **. La consulta-t-il par fragments
manuscrits, qu'il aurait découverts parmi les papiers de Ronsard, ou
bien en son entier dans le volume de 1550, déjà très rare, qu'il aurait
acquis ou que Dorât lui aurait communiqué entre la deuxième et la troi-
sième rédaction ? J'incline à croire qu'il eut en mains le volume lui-
même, car non seulement il a fait des emprunts aux préfaces de cette
édition princeps supprimées dès 1553 et à une ode supprimée dès 1555
(l'ode à Dorât, dont il cite tout le début), mais encore au commentaire
de I. M. P., supprimé en 1555 sans que Ronsard, ou je me trompe fort,
en ait conservé le manuscrit ■' Quoi qu'il en soit, onze passages sont
1 . V. ci-après, Commentaire, pp. 82, 120.
2. Ibid., p. 89.
a. Ibid., pp. 120-121, 122.
4. Ibid., pp. 161 à 1G4.
5. Ibid.. p. 167.
6. Ibid., p. 190.
7. Ibid., p. 198-199, 201. 202. 204, 229, 230.
8. Rien ne le montre mieux que le passage où il parle des anagrammes faites
sur le nom de Ronsard à l'exemple de Lycophron, et le passage qui suit
immédiatement, où il parle des premières odes composées par Ronsard (v. ci-
après, p. 14, lignes 28 et suiv., et Commentaire, p. 112).
9. On pourrait seulement objecter que s'il avait connu tout le volimie il n'au-
rait pas manqué d'énumérer les pièces du premier Bocage, profitant de cette
déclaration de la préface : << Il est certain que telle Ode (celle à .1. Peletier^ est
imparfaite, pour n'estre mesurée ne propre à la lire, ainsi que l'Ode le requiert,
comme sont encores douze, ou treze, que j'ai mises en mon Bocage, sous autre
nom que d Odes, pour celte même raison, servans de tesmoignage pur ce vice à
leur antiquité », au lieu de se contenter de cette phrase, dont le début est faux et
la fin très vague : « La première ode qu'il fit tut la complainte de Glauque à
Scylle et celle qu'il adresse à J. Peletier... : aussi ne sont-elles pas mesurées ni
propres à la lyre ainsi que l'ode le requiert, non plus que quelques autres qu'il fit
en ce mesme temps. » L'objection n'est pas sans valeur, mais elle ne me paraît
INTRODUCTION
amplifiés à laide de phrases ou d'incidentes littéralement copiées, sans
rétérence aucune, dans les moiceaux de prose qui accompagnaient primi-
tivement les Quatre premiers livres des Odes '.
II a également utilisé, le plus souvent sans le dire, trois notes de
\\ Belleau au deuxième livre des Amours, l'une sur le lieu de naissance
de Ronsard. les deux autres sur sa rencontre avec Marie du Pin (qui l'ont
d'ailleurs mal inspiré -, quelques vers de Vlhjmne de Henri II sur Ron-
sard page ', de la Bergerie sur Dorât humaniste '', de deux pièces du
Bocage royal, l'une adressée à la Reine mère, l'autre au Cardinal de
Lorraine ^, une strophe de l'Ode à Calliope (dont l'insertion a rendu le
passage tout à fait incohérent! '', quelques vers de l'Elégie prologue du
deuxième livre des Amours et d'une Elégie à Genevre', un passage du
(Ihanl pastoral à Mad- Marguerite ^ : cela dans la première partie de son
opuscule, pour les trente premières années du poète.
La deuxième et la troisième partie présentent des additions plus lon-
gues, fondées pour la plupart sur des documents écrits- Binet y utilise,
au sujet de Rousard et des protestants, deux ou trois pamphlets hugue-
nots, deux passages de la Responce aux injures et vingt-deux vers des
Dithyrambes, qu il cite en les attribuant, de bonne foi ou non, à Ber-
trand Berger ^ ; puis, à propos des relations de Ronsard et de Charles IX,
les Stances sur l'entrevue de Bayonne, le Tombeau de Marguerite de
France, des vers qu'on attribuait à Virgile, placés à la fin des Mascarades,
et quatre satires inédites dont deux certainement étaient ou avaient été
sous ses yeux en manuscrit '"^. Il cite une strophe inédite que Ronsard
aurait dictée à son lit de mort, deux distiques latins d'un inconnu et
deux quatrains de Ronsard relatifs à la Franciade (les quatrains bien
maladroitement) ". Il insère une phrase sur La Ramée, peut-être d'après
le commentaire de la Rhetorica dOmer Talon, une demi-page sur les
substitutions de noms dans les œuvres de Ronsard, d après un sonnet des
Amours dédié d'abord à Grevin et une odelette inédite conservée dans les
papiers du poète, cinq lignes sur la composition de la « Pléiade », d'après
une Epitre en prose que Ronsard avait retranchée de ses œuvres en 1578 ^^.
Il cite le début du poème sur la Loy divine, qu'il n'avait pas osé publier
sous Henri III, et le fragment de la Militie frunçoise, qui, pour grossir
pas péremploire, étant donnée l'élourderie ou l'imprécision dont Binet a laissé
tant de preuves ; je ne crois pas qu'il se soit jamais soucié de donner une liste
exacte et complète des premiers essais Ij'riques de Ronsard, même le pouvant.
1. V. ci-après le Commentaire, pp. 82, 111, 112, 119, 124. 126. 131, 144,
197 et 231.
2. V. ci après le Commentaire, pp. 69, 129 et 130.
3. Ibid., p. 82-83
4. Ibid . p. 90.
5 Ibid., pp. 119, 125 et 146.
G. Ibid., p. 126-127.
7. Ibid., p. 131.
8. Ibid., p. 133.
9. Ibid., pp. 151 à 156.
10. Ibid., pp. 157-158. 164. 169 à 173.
11. V. ci-après le Commentaire, pp. 187, 205 et 206.
12. Ibid.. pp. 215 à 217 et p 219.
I^'TRODUCTIO^ XXXI
son opuscule, fut distrait des Œuvres où il avait paru en 1584 et 1587 '.
Il ajoute enfin une page sur Ronsard poète latin, d'après plusieurs pas-
sages des (lùivics, et sur Ronsard prosateur, d'après le manuscrit d'un
de ses discours académiques -.
Toutes ces additions de la troisième rédaction ont-elles amélioré le
texte au point de vue historique ? Il s'en faut. Quelques-unes ont évi-
demment augmentéle nombre des faits concernant Ronsard et son oeuvre ;
mais la plupart sont d'ordre moral ou d'ordre purement littéraire. Sauf
en deux endroits, Biuet ne s'est guère soucié d"êti-e plus exact que pré-
cédemment : non seulement on retrouve en 1597 celles des erreurs pri-
mitives qu'il avait conservées en 1587 ' et celles qu'il y avait alors ajou-
tées *, mais il en commet de nouvelles, dont quelques-unes peuvent
passer pour volontaires, car elles tendent à innocenter Ronsard, ou à
dramatiser de simples affirmations antérieures sur les premières relations
de Ronsard et de Du Bellay ^ ; et les citations qu'il insère ont pour but
d'illustrer son texte bien plus que de confirmer son dire ; il va, tant il
les aime, jusqu à leur sacrifier la suite des idées. Le plus souvent ses
additions lui servent à développer par amplification oratoire ce qu'il
avançait tout bonnement dans les premières éditions : réflexions géné-
rales, rapprochements artificiels, comparaisons, métaphores, voilà ce
1. V. ci-après le Commontaire, pp. 232 à 233.
2. Ibid., pp. 234 et 235.
3. Par ex . Ronsard au camp d'Avignon tout de suite après le collège de
Navarre ; Ronsard à la diète de Spire ; Ronsard apprenant en peu de temps
l'anglais et l'allemand ; Ronsard en Piémont ; plus âgé que Raïf seulement de
quatre ans ; Ronsard publiant les Amours avant les Odes ; Ronsard écrivant
contre les protestants et récompensé de cette intervention sous le règne de Fran-
çois II ; Ronsard à la suite de Charles IX ; dédiant ses Eclogues à Charles IX.
4. Par ex. sur la première ode composée par Ronsard ; sur le Dialogue des
langues de Speroni.
5. Par ex sur l'étj^mologie de la Possonnière ; sur Loys de Ronsarl,
maître d'hôtel de François I<^' ; sur la naissance du poète le jour de la défaite
de Pavie ; sur sa première rencontre avec Marie ; sur Charles d'Orléans, dont
il fait le 2^ fils de François l" ; sur l'auteur des Dithyrambes et la composition
des Folaslries ; sur un quatrain liminaire de la Franciade ; sur les circonstances
(le la rencontre de Ronsard et Du Rellay, et celles de leur mésintelligence pas-
sagère.
M"'^ Evers allirme inexactement que « la 3^ édition ne contient pas de correc-
tions, qui ne soient pas aussi dans la 2' », autrement dit que la 3'= édition ne con-
tient pas de corrections nouvelles S'il sagit de faits, Rinet vn a corrigé au moins
deux, l'un avec raison d'après le Tombeau de Marg. de France, l'autre à tort
d'après \ Hymne de Henri II {v. ci-après, Commentaire, pp. 74, 78 et 82 83 . S'il
s'agit de corrections dans le style, elles sont assez nombreuses : Rinet a fait
disparaître à l'aide de s3'nonymes des répétitions inutiles de mots (voir ci-après,
p. 2, lignes 35 et 38, où ado ne remplace lors, région remplace pais) ; en revanche
il a introduit des répétitions inutiles, qu'il aurait pu facilement éviter {ibid.,
p 12. lignes 38 et 41, les mots bonnes et des lors ; p. 19, lignes 42 et 44, le mot
ressembler^ ; il a supprimé des incidentes inutiles, qui ne faisaient qu'alourdir
son texte {ibid., p. 7, 1. 29, faire son proffit de toutes ; p. 7. 1. 42, sur la fin de ses
voyages) ; ailleurs il a supprimé des et et des qui ; enfin il semble bien qu'il
ait voulu éviter des tournures équivoques (ibid., p. 3, 1. 39, de la Poésie, telle que
le temps pouvoit porter ; p. 16, 1. 24, ce qu'il semble quasi vouloir donner à
cognoistre. . ■ et la note des pp. 120-121 ; p. 19, lignes 34 et suiv., de laquelle se
lisent assez de sonnets].
XXXII INTRODUCTION
qu'il cherche, afin de donner du relief à sa prose et c'est surtout au poète
lui-même qu'il les emprunte, pour être plus siir de leur qualité Une
préoccupation analogue lui a fait rehausser ses personnages : il insiste
sur les brillantes alliances de la famille Ronsart, d'après un généalogiste
qui semble peu digne de foi, sur la noblesse deCarnavalet, de Du Bellay,
de Saint-Gelais, d'Hélène de Surgères, même de Jacques Desguez, le
modeste aumônier du prieuré de Saint-Cosme ' ; il grandit aussi Dorât,
dont il fait un prophète, et A- de Ba'if, qu'il présente comme l'inventeur
des vers français mesurés à l'antique -. Et c'est encore en moraliste et en
littérateur, non en historien, que Binet commence et termine sa Vie de
Ronsard ; 1 exorde sentencieux et fleuri qu'il adresse à son fils, la péro-
raison solennelle où il apostrophe l'illustre mort comme son père adoptif,
sont très caractéristiques de sa manière, qui est d'ailleurs celle du
temps ■'.
Tels furent les principaux mobiles auxquels obéit Binet en remaniant
son texte pour une troisième édition, au lieu de critiquer les témoignages,
au lieu d'établir une bonne chronologie des pièces qu'il citait ou dont il
s'inspirait furtivement. Mais il en est d'autres moins excusables encore,
que va nous révéler l'étude de ses documents oraux.
B. Documents oraux. — Il est à peu près certain que Binet a recueilli
de la bouche même de Dorât, qu'il fréquentait familièrement et qui
mourut seulement en novembre 1588, quelques renseignements sur ses
plus anciennes relations avec Ronsard, d'abord au domicile de Lazare de
Ba'if, ensuite au collège de Coqueret 11 est probable aussi qu'Antoine de
Ba'if, mort seulement en 1589, fut appelé à confirmer, ou à rectifier, ou
à compléter les souvenirs de son vieux professeur. De qui Binet aurait-il
pu tenir, sinon d eux ou de 1 un d'eux, ce qu'il avance dans ses deux
premières rédactions sur la beauté physique et la conversation attraj'ante
de Ronsard jeune ', sur la part qu'il prenait aux jeux du dauphin Henri,
1 Voir ci après, pp. 3, lignes 25 et suiv. ; 11, 1 27; 15, 1. 23; 17, 1. 35 ;
26, 1. 28 ; 34, 1. 25 ; et le Commentaire, p. 65.
2. Ibid., pp. 11, 1 38, et 12, 1. 43. L'addition relative à Baïf lui fut peut-
être suggérée par la fin d'une ode de Baïf qui sert d'épilogue à ses Poëmes.
3. La responsabilité en revient partiellement à Tacite, auteur de la Vie d'A-
gricola. dont Binet a imité lexorde et la péroraison, comme il s'est inspiré
ailleurs de la Vie de Virgile de Donat.
M"« Evers attribue cette addition de l'exorde à une cause toute différente
Binet, dit-elle, avait senti que l'astre de Ronsard pâlissait, que la nouvelle gé-
nération littéraire, tout en honorant la mémoire de Ronsard, ne le considérait
plus que comme le plus fameux représentant d'un art suranné. « Le long
préambule de la 3' édition est comme une excuse ou une justification d'appeler
l'attention du public une fois de plus sur une histoire qui avait presque cessé
d avoir une signification » (Op. cit., Introd., p. 25.) C'est prêtera Binet trop de
clairvoyance, étant donné surtout qu'il ne vivait pas à la Cour, mais confiné
dans sa fonction de magistrat provincial, et que Malherbe en 1597 ne s'était pas
encore révélé comme un réformateur de la poétique ronsardienne Pour moi, si
Binet s'excuse ou se justifie de rééditer la Vie de Ronsard, c'est simplement
parce qu'il imite Tacite, qui en avait fait autant au début du panégyrique de
son beau-père.
4. Cf. Du Perron, Or. fun. texte princeps') : << Car j'ay ouy raconter une infi-
IMROULC TIO.N WXIII
ses relations avec le seigneur Paul % ses compagnons d'étude après la
mort de son père, son goût pour Eschyle (anecdote du Promet liée), pour
Aristophane (anecdote du Plutus), pour Homère, Pindare et Lycophron,
ses premiers essais poétiques, sa mésintelligenfe passagère avec Du
Bellay ! Ce sont eux encore qui ont guidé Binet, cela n'est pas douteux,
au sujet des premières publications de Ronsard et de sa querelle avec
Saint-Gelais, car, l'éduit aux seuls documents écrits que nous avons
énumérés, il n'aurait pu les dater, même approximativement et vague-
ment comme il l'a fait, la connaissance des éditions originales et celle de
la chronologie en général lui étant restées presque totalement étrangères.
Il a lui-même laissé échapper le secret de ces sources orales ; l'aveu est
précieux à retenir. Dans ses deux pi'emières rédactions, le seigneur Paul,
l'un des plus anciens initiateurs de Ronsard aux beautés de la poésie
latine, est présenté uniquement comme Piémontais ; mais on lit dans la
troisième : «... le seigneur Paul, Escossois ainsi que disent aucuns, Bail"
m'a asseuré toutesfois qu'il estoit Piemontois... » Comme Du Perron est
de ceux qui le disaient Ecossais, et que cette opinion, conservée dans
toutes les éditions de l'Oraison funèbre de Ronsard, avait été exprimée
devant Binet et publiée dès février-mars 158G, comme d'autre part l'opinion
contraire a été soutenue par Binet dès sa première rédaction, qui est de
la même date, il est clair que le témoignage de Baïf remonte à ce mo-
ment-là.
Je ne crois pas non plus téméraire d'avancer que deux suppressions
importantes de la deuxième rédaction sont dues à Baïf. Tout d'abord
Binet avait fait intervenir Baïf dans la querelle Ronsard-Du Bellay :
<(.. encore que Du Bellay de son costé eust opinion d'avoir esté picqué
par luy (Ronsard), quand allant voir Ronsard et Baïf il trouva sur leur
table un de ses livres que Baïf avoit apostille en la marge, remarquant
quelques vers et hémistiches, comme pris de Ronsard, pensant que c'eust
esté luy qui eust faict telles annotations. » Tout ce passage, dû vraisem-
blablement à un récit de Dorât, disparut de la deuxième rédaction, sans
que rien le remplaçât. Pour moi, comme pour M. Chamard -, ce fut à*la
prière de Baïf, soit qu'il préférât ne pas figurer dans la querelle, soit que
la mémoire de Dorât lui eût paru infidèle sur ce point. — D'autre part
Binet avait recueilli soigneusement, sans doute encore de la bouche de
Dorât, une anecdote très circonstanciée, relative à une partie de ballon^
qui aurait eu lieu dans le pré aux clercs entre le roi Henri H et M'' de
Laval, et où l'adresse de Ronsard, qui était du côté du roi, aurait assuré
la victoire à celui-ci. Je ne vois que Baïf qui ait pu décider Binet, si friand
d'anecdotes, à supprimer radicalement celle-ci de sa deuxième rédaction,
comme controuvée par l'ancien principal de Coqueret, que ses souvenirs
avaient trahi '.
D'ailleurs les souvenirs de Baïf lui-même devaient être assez confus
nité de fois à ceux qui l'ont cogneu en sa première jeunesse, que... » (\^oir ci-
après. Commentaire, pp. 83 et 84.)
1. Peut-être tenait-il ce dernier renseignement de Velliard (v. ci-après, Com-
mentaire, p. 85i, mais celui-ci le tenait d'Ant, de Baïf.
2. Reu. d'Hist. litl.. 1899, p. 45.
3. V. ci-après, p. 9.
VIE DE Pc- DE RONSARD. C
XXMV INTRODUCTION
après quarante ans, et Binet aurait dû s'en servir avec beaucoup de pré-
caution, ainsi que de ceux de Dorât. Non seulement il ne semble pas
l'avoir fait, car il confond à plusieurs reprises Henri dauphin et le
nunie Henri roi, mais il a parfois mal interprété, ou dénaturé après leur
mort, ce qu ils lui oui dit (par exemple sur la représentation du Pliitns),
de même qu'il a parfois mal interprété le texte même du poète (par
ex. un passage de V Elégie à R. BcUeaii sur Loys de Ronsart) ' Si des
témoignages devaient être contrôlés et critiqués, c'étaient assurément
les leurs.
Par contre, il a pu sans grand risque enregistrer tel quel celui de Jean
Galland. Pour les derniers mois de la vie de Ronsard passés aux prieurés
de Croixval et de Saint-Cosme, surtout pour les derniers jours que Binet
raconte avec force détails précis, évidemment Galland fut sa grande
source de renseignements. C'est lui qui raconta aux amis du poète tout
ce qu'il avait entendu dire aux témoins de cette longue agonie et ce qu'il
avait vu de ses propres yeux dans leVendômois en novembre, à Tours en
décembre 1585. Aussi l'information de Binet sur cette partie de la bio-
graphie peut-elle être considérée comme à peu près exacte, ainsi que le
récit qu'il nous fait des obsèques solennelles, dont il a été le témoin ocu-
laire et même un des acteurs les plus importants.
Entre la jeunesse et la mort de Ronsard il s'est écoulé quelque trente
ans sur lesquels Dorât, Baïf et Galland ne semblent pas avoir beaucoup
éclairé le biographe. Les additions du troisième texte, assez nombreuses
pour cette période, ne peuvent guère venir de Dorât ou de Baïf, qui étaient
morts quand il le revisa, ni de Galland, qui en réalité n'a bien connu
que le Ronsard des dernières années. Restent Estienne Pasquier et
Amadis Jamin.
Le premier, un des plus illustres survivants de la Brigade, avait écrit
dans ses Recherches, à la date de 1586, au moins un chapitre sur Ron-
sard, qu'il conservait manuscrit avec les livres III à VI en attendant le
moment opportun de les publier ; nous savons par lui-même qu'il les
« communiquait » volontiers « aux amis qui lui faisaient l'honneur de le
visiter » '-■ On pourrait donc croire que Binet, qui était de ses amis, s'est
amplement renseigné auprès de lui. Pourtant, si l'on compare la bio-
graphie de Binet avec les chapitres correspondants des Recherches, on
s'aperçoit qu'il n'y a pas eu de communication II est vrai que Pasquier
« ordonnait le silence » à ses visiteurs sur les dits manuscrits ; mais,
cette considération mise à part, Binet ne pouvait-il pas faire parler
Pasquier et ne pas se croire obligé au même silence sur ses renseigne-
ments oraux ? Je pense que Binet n'en eut même pas la possibilité, car
tout paraît indiquer que ses relations avec Pasquier, très amicales
jusqu'en 1585, s'arrêtèrent brusquement cette année-là ou la suivante, du
fait même de Pasquier, qui aurait été mécontent de voir un confrère bien
plus jeune que lui accaparer le poète en ses dernières années au point de
devenir le dépositaire de ses papiers, le promoteur de son « tombeau »,
1. V. ci après. Commentaire, pp. 62 et 102-103.
2 Lettres, liv. IX, lettre ix, A Monsieur de la Croix du Mans (éd. de 1723,
tome il, col. 240).
INTRODUCTION XWV
l'auteur de sa biographie, et se vanter à tout venant de relations avec
Ronsard qui étaient bien plus récentes et moins familières que ne l'avaient
été les siennes. Non seulement il n'y a pas trace de rapports intimes entre
Fasquier et Binet après 1585, ni dans les Lettres ni ailleurs ', mais le
nom de I3inet n'est même pas prononcé clans les Recherches, et on y
trouve au contraire une allusion transparente à Binet vantard et « regrat-
teur » de textes'.
Quant à Jamin, bien qu'il vécût encore en 1592 ^, il ne semble pas
avoir beaucoup renseigné Binet (probablement pour une raison ana-
logue à celle de Pasquier , car ses souvenirs devaient être abondants, en
particulier sur les années où il fut le secrétaire de Ronsard, c'est-»-dire
de 1565 à 1574 environ, et ce sont précisément les années sur lesquelles
Binet est le plus à court d'arguments et passe le plus vite, du moins dans
ses deux premières rédactions. On est d'abord porté à croire que Binet
tenait directement de Jamin ce qu'il dit des séjours préférés de Ronsard,
de son goût de la solitude et du jardinage ; mais les œuvres mêmes de
Ronsard et de Jamin contenaient à ce sujet des documents assez com-
plets pour que Binet pût s'en contenter; et c'est ce qu'il paraît avoir
fait ''. Tout au plus peut-on penser que Binet a recueilli de la bouche de
Jamin, pour sa troisième rédaction, l'anecdote sur Philibert Delorme fer-
mant à Ronsard l'entrée des Tuileries, et celle du diamant offert au poète
par la reine Elisabeth d'Angleterre ■'.
Il est possible que, sur Ronsard et les huguenots, Binet ait consulté
pour sa troisième rédaction Florent Chrestien, qui avait été l'un des
adversaires de Ronsard au fort de la querelle, puis s'était réconcilié avec
lui, et d'ailleurs était en bons termes avec Binet *'. Ce qui me porte à le
1. Pasquier a répondu très sèchement à l'appel de Binet pour le « tombeau »
de Ronsard ; on ne trouve dans l'édition princeps du Tombeau, et dans ses
rééditions, que trois distiques latins de Pasquier, dont les deux premiers ont
été écrits quatre ans avant la mort de Ronsard (d'après les Recherches. \'II,
chap. XI, et le troisième est simplement suivi de sa tr.iduction française (cf. le
Ronsard de Blanchemain, V'III,252). De son côté Binet n'a pas nommé Pasquier
en 158G parmi les poètes estimés de Ronsard. 11 ne l'a mentionné que dans
la 2« et la 3" édition.
2. « J'entens qu'il y a quelqu'un (que je ne veux nommer qui veut regratter
sur ses œuvres [c. à d. les œuvres de Ronsard] quand on les réimprimera.
S'il est ainsi, ô misérable condition de uostre Poi-le ! d'estre maintenant exposé
sous la jurisdiction de celuy qui s'eslimoit bien honoré de se frotter à sa robe
quand il vivoit. » (Fin du chap. vi du livre VII, qui était primitivement le livre V'I
et fut publié en 1596 )
3. Toutes les biographies générales le font mourir « vers 1585 ». Son testa-
ment est pourtant daté du 15 mai 1591. D'après Charles Brunet, il mourut soit
à la fin de 1592, soit au commencement de 1593. CL Œuvres choisies d' A. Janiyn,
éd. Blanchemain Paris, Willem, 1878, 2 vol.), Introduction.
4. Voir ci-après, notamment pp. 228 et 229.
5. Pour le cadeau de Marie Stuart, fait en 1583, Binet a pu le voir de ses
propres j'eux, comme il fut à même de voir au Louvre la plaque de marbre
dont il a reproduit 1 inscription dans son troisième texte. \ . ci-après, p. 22,
ligne 40, et p. 28, ligne 47
6. \'. ci-après. Commentaire, pp 153 et 213. Le recueil des Plaisirs de la vie
rustique et solitaire 1583) se termine par un sonnet A Monsieur Binet, signé
I. Chrestien P. — Dans une ode latine de Paulus Melissus de février 1586, Binet
figure parmi les amis de FI. Chrestien 'Bl., VIII, 269).
WWI INTRODUCTION
croire, c'est que, parlant des pamphlets écrits contre le poète et men-
tionnant le Temple de Ronsard qu'il attribue à Grevin, il ne dit pas un
mot de la Seconde responce de F. de la Baronic, qui accompagnait le
Temple et dont l'auteur est certainement Florent Chrestien.
En ce qui concerue Hélène de Surgères, il est vraisemblable que Binet
ne s'est pas contenté de passer sous silence ce qui pouvait nuire à la répu-
tation de cette « damoiselle ». Il y a tout lieu de penser que, cédant à ses
sollicitations, il a inventé l'anecdote de Catherine de Médicis intervenant
en personne pour que Ronsard chantât sur le mode pétrarquesque la
noble Saintongeaise ; à moins que celle-ci ne soit elle-même l'auteur de
cette histoire, que Binet, se liant à sa parole, aurait enregistrée comme
un fait historique, négligeant ici comme ailleurs la critique du témoi-
gnage. Quoi qu'il en soit, on sent que tout a été mis en œuvre pour
sauvegarder l'honneur d'Hélène; dans la première rédaction, rien sur
elle ni sur les pièces qu elle a inspirées à Ronsard ; dans la seconde. Binet
en parle presque uniquement pour faire ressortir le caractère tout plato-
nique de leurs relations; dans la troisième, il insiste plus encore sur la
pureté de ces relations et, dominé par cette préoccupation, il présente
les Sonnets pour Hélène comme écrits « sur le commandement •> de la
reine mère, laquelle ne pouvait protester, et pour cause '.
Sans aucun doute, Binet eut avec Hélène une ou plusieurs entrevues,
ou a correspondu avec elle au sujet de Ronsard -. Cela justifie dans une
certaine mesure, ou simplement explique la prétention <ju'il avait d'être
bien informé sur cet épisode de la vie de Ronsard — dont pourtant il
n'avait rien dit primitivement, — prétention qui ressort surtout de trois
notes très précises et fort instructives, où son contemporain, l'avocat
Richelet, commentateur des Sonnets pour Hélène, nous le présente comme
un homme dont la parole faisait autorité, « ayant sceu familièrement
l'intention du Poète. » C'est Hélène qui avait renseigné Binet, au moins
sur les détails que nous a transmis Richelet ; mais, pour donner plus de
poids à son propre témoignage, il disait aux ronsardisants qui le question-
naient : Je tiens cela du poète en personne •*.
Je tiens cela du poète en personne, telle est l'affirmation qui revient
plus de dix fois, comme un refrain, dans la Vie de Ronsard, et que l'on a
malheureusement le droit de suspecter. C'est ce qu'il nous reste à montrer
en terminant cette revue des principales sources orales de Binet.
Voici ce qu'on lit : !« à propos des vers de Loys de Ronsart : " Et
me souvient en avoir ouy reciter quelques-uns de uostre Ronsard... »
(dans les trois textes) ;
2" à propos des poètes français que Ronsard lisait : «... et principale-
ment, comme luy mesmes m'a maintesfois raconté, un Jean le Maire de
Belges, un Romant de la Rose et les œuvres de Coquillart et de Clément
Marot... » (dans les trois textes, sauf « de Coquillart et » qui a disparu
du troisième);
1. Catherine de Médicis est morte en 1589. V. ci-après, pp. 25 et 26, et Com-
mentaire, p. 163 et 164.
2. Hien n'est plus vraisemblable; (îalland est bien allé la voir au nom de Hon-
sard, d'après une lettre que possédait Colletet (v. ci-après. Commentaire, p. 166).
3 \'. ci-après, Commentaire, p. 167.
I.NTROniCTION XXXVII
3" à propos de Cassandre ; «... amoureux seulement de ce beau nom,
comme luy mesmes m'a dit maintefois, ce qu'il semble quasi vouloir
donner à cognoistre en un Sonet cjui commence : Soit ce nom vrai] ou
faux. )) |1«:'' texte). — «... amoureux seulement de ce beau nom, ainsi que
luy mesmes m'a dit autrefois, ce qu'il semble quasi vouloir donner à
cognoistre par cette devise qu'il print alors, Q; oov oj; £[a.àvr,v : et par un
lieu en ses œuvres, où il dit : Soit le nom faux ou vraij. » i2e texte). —
«... résolut de la chanter, tant pour la beauté du suject que du nom, dont
il fut épris aussi tost qu'il leut veuc, ainsi que par un instinct divine-
ment inspiré : ce qu il semble assez vouloir donner à cognoistre par ceste
devise qu'il print alors 'il^ Tôov oi; £|jLâvTjV » (3'' texte) ;
4° « Il souloit dire que ces courtisans envieux ressembloient aux mas-
tins qui cherchent à mordre la pierre qu'ils ne peuvent digérer >- (S^ texte) ;
5" « Il m'a dit maintesfois, que plusieurs pièces de ses Amours et des
Mascarades avoient esté forgées sur le commandement des Grans » (2e
et 3e texte) ;
6° à propos d'Hélène « aimée chastement » par Ronsard : « Il me l'a
tesmoigné souvent, et le monstre assez en ce Sonnet, Tout ce qui est
de sainct » (2e texte ; phrase supprimée dans le 3® et remplacée par
l'anecdote de la reine mère) ;
7" à propos de l'opuscule apociyphe sur la mort de Ronsard : « et me
souvient qu'il me dit un jour à ce propos, au dernier voyage par luy fait
à Paris, qu'il ne.-. » des trois textes) ;
8" « Sur ses derniers jours me faisant cet honneur de me communiquer
familièrement tant les desseins de ses ouvrages, que les jugemens qu'il
donnoit des escrivains du jourd'huy... O, disoit-il, que nous sommes bien
tost à nostre barbarie... Puis me parlant de tels auteurs... Ils ont, me
disoit-il,... Mais parlant de quelques autres... il ne peut un jour se tenir
qu il ne me dictast sur le champ ces vers : Bien souvent, mon Binet... »
(les trois textes! ;
9" « Il disoit ordinairement que tous ne dévoient témérairement se
mesler de la Poésie... » (les trois textes) ;
10" « Je ne celeray point pourtant que par la complainte d'un amy de
Francus, mort,... il m'a dit avoir entendu un Prince qui estoit fort néces-
saire pour Testât... » (3^ texte) ;
11" « lia changé l'addresse d'aucunes pièces de ses œuvres... par bonne
raison, ainsi qu il ma raconté, et que nous voions au Sonet qui com-
mence : A Phebus, Patoûillet... » (3e texte);
12" à propos des Satires : « Il m'en a monstre quelques-unes. .. mais je
croy qu'elles seront perdues, d'autant que m'ayant recommandé et laissé
ses œuvres corrigées de sa dernière main, pour y tenir l'ordre en l'impres-
sion, suivant ses mémoires et advis, et desquels il s'est fié à mojs il me
dit, quant aux Satyres, que l'on n'en verroit jamais... » (les trois textes)^
Ainsi Binet affirme ou laisse entendre qu'il a été directement renseigné
par Ronsard dans des conversations familières, ou même confidentielles.
1. Un peu plus loin (ci-après, p 50, ligne 29). affirmation analogue dans le
2* et le 3*^ texte, à propos de la réédition des Œuvres «... ainsi qu'il me l'avoit
recommandé, inviolable ».
xwvin I^TRonL^.TIo^
Mais il a compté sans les curieux qui pourraient un jour comparer ses
trois textes entre eux et les confronter avec les textes du poète. Or Texamen
de ces textes, ainsi rapprochés les uns des autres et de leurs vraies sources,
conduit à des constatations (|ui ne sont pas toujours à son avantage. Cinq
de ces prétendues conversations ne sont que la transcription de faits ou
d'opinions qui se trouvent imprimés dans les œuvres mêmes de Ronsard
(les n"* 4, 5, 8, 9 et 10) ; quelques-unes reproduisent jusqu'aux expressions
qui sont sorties de la plume du poète, parfois même la transcription est
littérale '■
Il y a plus : l'étude des variantes montre que certaines de ces confi-
dences sont entièrement fictives- Prenons le no 3- Non seulement Binet
change dans sa deuxième rédaction « il m'a dit maintes fois » en « il m'a
dit autrefois » ; non seulement ces derniers mots mêmes disparaissent de
la troisième rédaction, mais encore cette troisième rédaction contredit
nettement l'affirmation que précédemment Binet prétendait avoir reçue de
la bouche de Ronsard. Evidemment, en dépit de cette prétention, Binet ne
savait rien sur Cassandre quand Ronsard mourut, sauf ce qu'il pouvait
recueillir dans les œuvres du poète, et son opinion n'est rien qu'une façon
d'interpréter le vers qu'il cite. Dix ans plus tard, une connaissance plus
intime du texte des Amours et de son Commentaire l'a conduit à changer
d'opinion, mais cette fois encore il substitue simplement le sens de la
devise grecque citée dès sa deuxième édition, à celui du vers cité dans la
première, sans apporter de nouveaux arguments '^. — On peut faire des
remarques analogues sur le n" 6. La prétendue confidence relative aux
sentiments de Ronsard pour Hélène, introduite dans la deuxième rédac-
tion, disparaît dix ans plus tard, remplacée par une anecdote que Ronsard
n'aurait pas manqué de raconter à Binet, si vraiment il l'avait entretenu
de ce sujet, et si, en outre, l'anecdote était authentique. Il est clair qu'à la
mort de Ronsard, Binet ne connaissait de ses rapports avec Hélène que
ce que lui révélait l'œuvre de Ronsard-
On voit combien le témoignage de Binet est sujet à caution. Il s'est
arrangé de façon à produire cette impression qu'il avait eu avec Ronsard
des relations prolongées et intimes, qu'il était devenu son plus cher confi-
dent, et qu'il tenait du poète lui-même la plus grande partie des rensei-
gnements contenus dans sa biographie, — depuis le début tout rempli de
détails empruntés à l'autobiographie de Ronsard, jusqu'à cette fin, dont
l'intention n'est pas douteuse, où Binet affirme qu'il alla voir Ronsard dès
sa seizième année, et insinue qu'il ne cessa depuis de le fréquenter et de
recevoir de lui les plus flatteuses marques d'estime, au point de voir ses
écrits «honorés de la gloire qui regorgeoit en luy » et sa personne
« aimée » comme celle d'un « fils » adoptif- Nous avons vu plus haut ce
qu'on peut raisonnablement en croire- Il y a eu, cela n'est pas douteux,
à un moment donné, entre le poète et lui des rapports assez familiers,
1. V. pour ces passages le Commentaire, pp 131, KiO, 197-198, 201-202, 207.
2. Ceci a été très bien observé par M"' Evers ; et si, comma elle s'est plu à
le dire, je fus amené en 1902 i>ar diverses considérations à conclure que Hinot
savait peu de chose sur Cassandre, je ne puis mieux faire aujourd'hui que de
reproduire son argumentation qui me paraît tout à fait probante.
INTRCrnUCTION XXXIX
car si ces rapports n'avaient pas existé, Binct n'aurait pas osé les inventer
dans des lettres dont les destinataires étaient des témoins attentifs de la
vie de Ronsard *, encore moins dans des documents rendus publics au
lendemain même de la mort de Ronsard -. Il aurait craint d'être démenti
publiquement et de perdre ainsi l'estime des honnêtes gens et la faveur
des grands seigneurs, qui l'une et l'autre lui étaient utiles- Mais je crois
que ces rapports familiers ne remontent guère au delà de 1583 et que
Binet n'a pas hésité à en prolonger la durée dans le passé, à en exagérer
le caractère intime, pour se faire valoir auprès de ses contemporains, se
grandir aux j^eux de la postérité, et donner à la biographie du poète les
apparences d'une œuvre documentée aux meilleures sources.
S'il avait dit vrai, en effet, comment expliquer que son nom ne se ren-
contre pas une seule fois dans les vers de Ronsard avant la première édi-
tion posthume, et, d'autre part, que ses renseignements soient tirés prin-
cipalement des œuvres imprimées du poète, même quand il prétend
rapporter l'expression orale de sa pensée et de ses sentiments ? Ce qui
est le plus déconcertant, c'est ce ton d'évidente satisfaction qu'il prend en
songeant à la gloire qu'il ne manquera pas de retirer de ses relations avec
le grand homme, le plaisir qu'il ressent à dire « comme il m'a dit maintes
fois », même quand il rapporte une conversation supposée d'après un
passage des Œuvres '.
Est-ce à dire que ces conversations soient toutes et entièrement une
invention de Binèt? II serait très injuste de le penser. Evidemment l'auto-
rité de son témoignage se trouve amoindrie par toutes ces considérations,
et l'on peut se demander jusqu'à quel point il dit vrai même dans les
passages 1, 2 7, 11 et 12 ci-dessus reproduits. Toutefois il est bien pos-
sible que Ronsard ait répété en conversations ce qu'il avait écrit et publié,
et d'autre part l'on peut expliquer dans une certaine mesure que Binet se
soit cru obligé de recourir au texte écrit. N'ayant pas pris de notes au
moment où Ronsard parlait, il a craint peut-être que sa mémoire ne fût
infidèle et ne déformât la pensée du poète. Il eut alors l'idée de chercher
dans les Œuures les passages qui pour le sens se rapprochaient le plus de
ce qu'il avait entendu, et il les nota tels quels, ou à peu près, avec une
sorte de scrupule, comparable, toutes proportions gardées, à celui des
ministres de la religion insérant dans leurs sermons des textes sacrés
qu'ils développent. Si parfois sa conscience fut inquiète à ce sujet, il put
la rassurer en considérant que ces textes de Ronsard, qu'il présentait
comme des confidences personnelles, correspondaient à une réalité que son
oreille avait perçue- S'il eut des remords véritables et obsédants, ce fut
seulement à propos de Cassandre et d'Hélène, dont Ronsard rie lui avait
probablement pas parlé : c'est ce qui expliquerait que lors de sa troisième
rédaction, après dix ans de réflexion, il eût supprimé toute trace de con-
fidence dans les passages qui les concernent ; il se récompensa d'ailleurs
1. Par ex- Scév. de Sainte- Marthe, sollicité de collaborer au « tombeau » de
Ronsard — Galland, Dorât, Baïf, Jamin, Desportes, Pasquier, De Thou,
l'auraient traité d'imposteur.
2. 1» La Vie de Ronsard . 2" l'Eg'.ogue intitulée Perrot ; 3" la dédicace de
l'édition de 1587 au roi de France.
3. Cf. M'i« Evers, op. cit., Introd., p. 19.
i\Tnonrr,Tio\
de ce sacrifice en insérant pour la première fois trois nouvelles bribes de
conversation, réelles ou imaginaires, en tout cas fondées sur des textes '.
En résumé, Hinet s'est préoccupé d'écrire une biographie qui servît sa
propre gloire en même temps que celle de Ronsard, et lui permît de passer
à la postérité à la suite du grand homme, comme une simple barque dans
le sillage d'un vaisseau de baut bord II a fait une biographie poétique,
oratoire, anecdotique, bien plus qu'une biographie exacte. Les comparai-
sons, les antithèses, les périodes, ne manquent dans aucun des trois textes,
non plus que les rapprochements forcés entre Ronsard et les poètes grecs,
Orphée, Homère, Arion, et même avec Alexandre le Grand 2. A ce point
de vue. le troisième texte de la Vie de Ronsard ne marque pas un progrès
sur les deux autres, au contraire : Rinet en a poli la forme, plus qu'il
n'en a précisé ou enrichi le fond. On y trouve, il est vrai, nombre d'addi-
tions, mais la plupart, extraites des préfaces de Ronsard ou recueillies
par ouï-dire, sont des enrichissements de style bien plus que de faits. Il
faut reconnaître, d'ailleurs, que la forme en est généralement plus correcte
et plus claire que celle des rédactions précédentes. Mais cela est loin, très
loin de suffire.
Les lacunes sont considérables et les erreurs nombreuses, quoique Rinet
ait été relativement bien placé, nous l'avons vu, pour connaître non seu-
lement les grandes lignes, mais encore force détails de la vie de son cher
Poète, même s'il ne fût pas entré en relations suivies avec lui dans les trois
dernières années. M"" Evers s'étonne que Rinet n'ait pas été mieux infor-
mé^. La chose pourtant s'explique sans difficulté. La faute en est au bio-
graphe, évidemment ; mais c'est aussi la faute des circonstances. Je ne
crois pas qu'il ait eu l'idée d'écrire cette biographie avant la fin de 1585,
alors que Ronsard ne pouvait plus lui fournir aucun renseignement, étant
à l'article de la mort ; peut-être même ne l'a-t-il eue qu'au début de jan-
vier 1586, lorsque Galland fut revenu de Saint-Cosme-lez-Tours et lui eut
raconté les derniers jours du poète. Ce récit fut vraisemblablement le
noyau primitif, ou, si l'on préfère, le point de départ de la biographie.
En réalité, Rinet n'avait pas pris de notes sur la vie de Ronsard avant ce
moment-là. Il fit appel à ses souvenirs ; il se remémora tant bien que mal
certains faits, certaines paroles : « Et me souvient que... », dit-il à propos
des conversations de Ronsard. Il n'était donc pas préparé pour ce travail,
surtout pour l'exécuter en deux mois- — Quant aux contemporains qui
pouvaient le renseigner, ou ils étaient vieux, comme Dorât et Raif, ou ils
étaient silencieux, comme Pasquier et Jamin, ou ils avaient intérêt à
farder ou à taire la vérité, comme Hélène de Surgères et Florent
Chrestien.
Pour remédier à ces divers inconvénients il fallait consulter les Œuvres
de Ronsard, et cela intégralement, judicieusement, prudemment. Rinet eut
bien l'idée de les consulter, mais son tort fut de recourir à peu près uni-
quement à la dernière édition collective, et ce fut encore de le faire sans
1. V. les n<" 4, 10 et 11 du tableau présenté ci-dessus, p. xxxvii.
2. V. par ex. ci-aprè.s, pp. 2, 4, 6, 7, 30 (lignes 32 et 33), 36 (ligne 14), 38
(ligne 14).
3. Op cit., Inlrod., pp. 18-19.
INTRODUCTION
discernement, faute de temps d'abord, pour sa première rédaction, faute
de méthode critique ensuite, pour ses trois rédactions. Son premier soin,
en admettant qu'il en eût eu le loisir, devait être d'établir la chronologie
de toutes les pièces de Ronsard, et pour cette fin de relever le contenu de
toutes ses éditions originales. Un pareil travail lui était matériellement
impossible en deux mois, même en un an, mais il aurait pu sans doute
le mener à bien en quelques années. Il ne s'en avisa même pas, ou, s'il
s'en avisa, il n'en eut pas le courage. Ce premier travail fait il restait à
extraire les innombrables renseignements autobiographiques contenus
dans les œuvres de Ronsard, à fixer autant que possible la date de leur
composition et à chercher les divers mobiles psychologiques et les cir-
constances historiques qui avaient pu les inspirer.
N'aj'ant pas suivi cette méthode, la seule qui fût rationnelle et féconde,
Binct est resté nécessairement, par la crainte même de l'erreur, dans le
vague et la confusion, presque dun bout à l'autre, sauf quand il rappelle
les derniers moments de Ronsard; c'est aussi une des raisons qui lui ont
fait commettre de graves erreurs et passer sous silence un très grand
nombre de faits importants. Non seulement son insouciance de la chro-
nologie dépasse toutes les bornes permises ', mais son goût des anec-
dotes, plus ou moins légendaires ou romanesques, son souci de la fausse
rhétorique, enfin sa double préoccupation de nous présenter un Ronsard
idéal et un Binet très en faveur auprès du Maître, ont singulièrement nui
à la valeur historique de son travail.
Loin de moi d'ailleurs la pensée que ce travail a été inutile ou est
dénué d'intérêt. Il serait injuste de ne pas reconnaître les services qu'il
a rendus : il nous a appris certains faits que nous aurions peut-être
toujours ignorés ; il a éclairé certains points qui risquaient de rester
dans l'ombre ; il a soulevé des questions, suggéré des réflexions, rendu
possibles de meilleures biographies. Il offre encore aujourd'hui et con-
servera cet intérêt particulier qui s'attache aux documents psychologiques
et sociaux : non seulement il nous fait connaître létat d'esprit de Claude
Binet biographe de Ronsard, et pénétrer, si je puis dire, un instant dans
son âme de poète secondaire. /)oe/a minor, épris, comme son maître, d'im-
mortalité, mais encore il représente l'opinion de toute une catégorie de
la société lettrée en France dans le dernier quart du xvie siècle ; il reflète
la manière de voir et de juger des ronsardisants qui appartenaient à la
génération de Charles IX et de Henri III. M'Ie Evers l'a déjà dit- : aux
yeux de Du Bellay, de Baïf, de Jodelle, de Belleau, de Tyard, pour ne
citer que les poètes les plus connus du temps de Henri II, Ronsard, bien
que chef d'école, était un émule, un collaborateur, primus inter pares ;
pour la génération suivante, surtout pour les talents de second ou de troi-
sième ordre, il était le Maître, dont la parole faisait loi, dont les ensei-
gnements passaient pour des oracles. C'est sous ce jour que Binet nous
1. Il va jusqu'à faire du prince Henri un roi de France en 1543, et à placer
les Discours politiques de Ronsard sous le règne de François II. — II dit : « En
même temps... ", " Environ ce temps... », sans que ce temps ait été précé-
demment déterminé. V. ci-après, pp. 22 et 27.
2. Op. cit., Introd., p. 25.
XI.II INTROnîT.TlON
la présenté : Ronsard « prince et père de nos poètes « fnt à ses yeux une
sorte de Dieu, à Icgard de qui aucun éloge ne parut excessif. Si Ion con-
sidère les choses de ce point de vue, même les erreurs de notre biographe
sont intéressantes, car elles montrent, pour la plupart, combien la gloire
de Ronsard eut vite fait de créer une légende autour de sa personne et
d'éclipser la renommée des plus grands poètes contemporains.
IV
Il me reste à donner quelques explications sur la méthode suivie dans
cette réédition de la Vie de Ronsard. J'ai pris comme texte fondamental,
ainsi que la fait M'"' Evers, et pour des raisons analogues, la rédaction
primitive, celle qui parut en mars 1586. Elle ne vaut pas, à vrai dire,
les deux suivantes en ce qui concerne l'abondance, les matières et la qua-
lité de 1 impression (je ne parle pas du sens critique : il fait défaut dans
les trois rédactions). Mais elle leur est supérieure par ce seul fait que
Rinet n'a pas eu le temps de la gâter autant que les autres en cédant aux
suggestions troublantes del'admiration, de lareconnaissance, de l'ambition,
de 1 imagination et du faux goût. Ces causes d'erreur existaient bien déjà
lors de la première rédaction, mais en deux mois elles firent anoins de
tort à la vérité qu en un an. et a fortiori en dix ans-
Pour ce qui est de la disposition typographique des trois textes, je pense
que M"e Evers a eu tort de placer en second lieu le troisième et en
troisième lieu le second. Malgré sa bonne intention de rapprocher le
premier et le troisième texte pour mieux montrer le point de départ et le
point d arrivée de l'œuvre de Binet, les inconvénients de ce procédé sont
très graves. 1" Cette disposition exige du lecteur un perpétuel effort pour
se rappeler l'ordre adopté et ne pas confondre les variantes de 1597
avec celles de 1587. 2° Les variantes de 1587 étant répétées au bas de la page
et éclipsées par celles de 1597, le lecteur peut croire à tout instant que l'é-
dition de 1587 est insignifiante, ce qui serait très loindela vérité. Cet in-
convénient est surtout visible chaque fois que les additions de 1587
n'aj-ant pas été très sensiblement modifiées en 1597, M"" Evers les repro-
duit in extenso dans les variantes de cette dernière date et se contente de
déclarer au bas de la page: « Le texte est le même en 1587. » Rien ne peut
fausser davantage l'opinion que le lecteur doit se faire de l'importance
respective des trois éditions.
L'ordre qui s imposait, croyons-nous, est Tordre chronologique, car non
seulement il n'offre pas ces inconvénients, mais il a 1 avantage de mettre
dans la lumière qu'elle mérite la première revision du texte primitif. Cet
ordre n'empêche pas, d ailleurs, de mesurer le chemin parcouru de la
première à la troisième édition. Il permet au contraire de voir par quelle
étape très importante Binet a passé de l'une à l'autre, et de mieux suivre
l'évolution de sa pensée-
En outre, bien que Binet soit mort aux environs de 1600, je n'ai pas
cru devoir négliger les variantes des éditions posthumes de la Vie de
Ronsard, publiées à la fin des œuvres complètes du poète en 1604, 1609,
INTRODUCTION
(in-f^ et in-12), 1617, 1623 et 1630. Elles reproduisent en principe le texte
de 1597, qui est devenu pour ainsi dire classique par leur intermédiaire.
Mais elles présentent de temps à autre des corrections intéressantes,
parfois même des additions et des suppressions que j'ai toujours indiquées.
Ces modifications de valeur critique sont dues soit à l'éditeur, Nicolas
Buon, soit plus probablement à Jean Galland pour les deux premières,
à Philippe Galland, à Claude Garnier ou à Robert III Estienne pour la
troisième et la quatrième. La cinquième reprend le texte de 1609 in-12,
du moins en principe. La plus correcte des cinq est incontestablement
celle de 1623'.
Quant aux sources de Binet provenant des Œuvres de Ronsard, au
lieu de les indiquer au-dessous de l'appareil critique, j'ai cru préférable
de les réserver pour le Commentaire placé à la fin du volume et de les
grouper avec les autres sources en un tableau d'ensemble, ("e sont autant
de documents qui aident à comprendre comment Binet a fait son opuscule.
Les variantes, qui parfois sont très étendues, occupent seules le rez-de-
chaussée des pages de texte, et je n'ai eu recours pour y renvoyer le lec-
teur qu'à une seule espèce de signe, le chiffre. J'ai marqué d'un asté-
risque tout mot ou passage qui est l'objet d'une note dans le Com-
mentaire, lequel, en dehors de l'indication des sources, est surtout
historique et critique -. Enfin, d'un bout à l'autre j'ai nettement séparé
l'appareil critique du texte primitif : en aucun cas les additions de 1587 et
de 1597, quelle que soit leur importance, ne sont venues prendre la
place réservée au texte fondamental.
Une fois ce texte choisi, l'ordre et le nombre des variantes arrêtés,
voici comment j'ai procédé pour les établir.
J'y ai respecté scrupuleusement la graphie sous les réserves suivantes:
1» J'ai substitué aux signes abréviatifs ^ et ' les consonnes nasales et
les finales en us qu'ils remplacent au xvi^ siècle '.
2" J'ai remplacé les i et les u consonnes par le j et le p ; j'ai adopté
pour Vs et pour Vu les formes actuelles.
3" J'ai rétabli l'accent grave sur à préposition et où adverbe de lieu ;
je l'ai supprimé en revanche sur a verbe et sur ou conjonction d'alter-
native, car cette distinction existe couramment dans la deuxième moitié
du xvi^ siècle, et l'on peut être certain que, là où cet accent manque
1. Jean Galland est mort en janvier 1612. Son neveu, Philippe Galland, lui
succéda comme principal du collège de Boncourt et exécuteur testamentaire de
Ronsard. Claude Garnier a revu en entier lédition des CEiiures de Ronsard de
1623 (lui-même le dit à la fin de son Commentaire sur les Discours), sauf tou-
tefois les Epitaphes, le Recueil des Œuvres retranchées et le Tombeau, qui ont été
corrigés au point de vue typographique parR. Estienne, de la famille des célèbres
imprimeurs 'Cf. le Ronsard de Blanchemain, VII, 7 ; VIII, 74 ; Fr. Lachèvre,
Bibliographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700, t. 1. pp.
19.Î, sur Claude Garnier, et 187. sur Robert III Estienne).
2. C'est à dessein que les notes philologiques ont été réduites au strict néces-
saire. La langue de Binet na rien de remarquable ; il emploie un vocabulaire
courant ; sa phrase seule a parfois besoin d'éclaircissements, étant lourde,
enchevêtrée, équivoque.
3. D'ailleurs on trouve écrit indifféremment honie et homme; Frâce et France ;
;iô et non ; Rôsard et Ronsard : pP et plus, etc.
XtIV INTKODI r.TION
OU bien est de trop, il j' a une faute d'orthographe ou d'impression'.
4" J'ai supprimé le point qui au xvi* siècle suit souvent encore les
chiffres romains ou arabes ; ce signe, reste de la graphie du moyen âge,
était encore d'un usage courant à l'époque de Claude Binet ; mais il n"a
plus aucune valeur d'expression -, et, par conséquent, ne peut que
dérouter le lecteur actuel, parfois même le tromper sur 1 interprétation du
texte ; d'ailleurs Binet, ou son imprimeur, est loin de l'employer régu-
lièrement '.
5" J'ai accentué toutes les finales en ce, qu'elles appartiennent à des
substantifs, tels que Orphée, risée, contrée, ou à des participes féminins,
tels que avouée, mesurée, enragée, de nombreux exemples des uns et des
autres m'3' autorisant-
es J'ai mis des initiales majuscules aux titres des œuvres alléguées par
Binet, et reproduit ces titres en italiques, du moins dans le texte fon-
damental.
7" J'ai corrigé les fautes d'impression évidentes du texte fondamental,
a) d'après la table d'errata ' ; b) d'après la deuxième édition, qui à ce
point de vue est comme une nouvelle épreuve de la première ; c), à son
défaut, d'après la troisième édition ou les éditions posthumes. Même
remarque pour les fautes d'impression indubitables qu'on trouve dans les
variantes. Chaque fois j'ai averti le lecteur par l'appareil critique sauf
pour quelques fautes évidentes de la 3" rédaction, telles que deux pour
d'eux, vay pour vray, navoir pour n'avoir, dattente pour d'attente, sauf
encore quand j'ai substitué aux initiales minuscules des majuscules cou-
ramment usitées au xvjc siècle, et d'ailleurs autorisées par la 2^ ou par
la 3"' édition V. ci-après, p. xlvi)
8" Quand j'ai donné simultanément les variantes ou les additions de
1587 et de 1597, j'ai adopté l'orthographe et la ponctuation de 1587, sauf
indication contraire- Même remarque pour le cas où je n'ai eu à signaler
que les variantes ou les additions de 1597, qui ont été reproduites dans
les éditions suivantes : j'ai adopté alors l'orthographe de 1597, sans tenir
compte de celle des éditions suivantes.
Ainsi donc, à part ces réserves, j'ai respecté l'orthographe du texte fon-
damental, ainsi que celle des variantes et des additions, qui constituent,
elles aussi, pour leur part, un texte primitif. Mais je n'ai pas cru devoir
(sauf de rares exceptions intéressantes) signaler les variantes orthogra-
phiques que présentent la deuxième édition par rapport au texte fonda-
mental, la troisième édition par rapport aux deux précédentes, les édi-
tions posthumes par rapport aux éditions « anthuraes ». C'eût été sur-
charger l'appareil critique sans aucun profit.
1. D'ailleurs, en dehors de ces deux cas et de certaines finales latines. l'accent
grave n'est pas employé au xyi"^ siècle. On écrit régulièrement père, siècle, pre-
mière, près, collège, manière, ds dégénèrent, la Grèce.
2. On le trouve aussi bien après des chiffres cardinaux qu'après des chiffres
ordinaux.
3. Sur dix passages de la l'*" rédaction qui contiennent des nombres en chiffres,
un seul présente un point de cette nature « .... et l'an 1540. par son père fut
mis ; on en trouve deux dans la 2'' rédaction, et onze dans la 3".
4. Voir ce que j'ai dit de ces errata ci-dessus, p. xxiv.
INTUOni CTION XLV
Les variantes orthogiaphiques, en efict, du moins dans les textes de
Claude Binet, n'offrent pas d'intérêt, ni à l'historien de la littérature,
ni même an philologue Ce qui importe dans ces textes, c'est avant tout
la pensée de l'auteur, et jusque dans les nuances de l'expression ; ce n'est
pas 1 orthographe, car elle est relativement fixée en 1586; elle n'a pas eu
le temps d'évoluer du mois de mars au mois de décembre de cette même
année, et je ne vois pas de différence bien sensible à cet égard entre les
deux premières éditions et la troisième, postérieure de dix ans . elle dé-
pend enfin le plus souvent de la négligence ou de la fantaisie de l'impri-
meur, quand elle s écarte des habitudes généralement suivies alors. Dans
ces conditions, les variantes orthographiques ne peuvent offrir de docu-
ments utiles.
En revanche la ponctuation présente un réel intérêt, et M"' Evers eût
été mieux inspirée, à mon avis, si elle avait porté de ce côté l'attention
minutieuse qu'elle a accordée à la comparaison des trois premières gra-
phies. Elle n'a pas reproduit les textes avec assez d exactitude en ce qui
concerne la ponctuation, laquelle me semble avoir une grande importance,
soit qu'elle modifie tant soit peu le sens, soit qu'elle exprime certaines
intentions de l'auteur, que nous n'avons jamais le droit de négliger, soit
enfin qu'elle se conforme à l'usage du temps.
Par exemple, U est vrai que les textes de Binet contiennent beaucoup
de virgules superflues, entre autres celles qui précèdent le mot et dans les
énumérations. Mais ces virgules, qui d'ailleurs ne nuisent pas au sens,
étaient d'un usage courant au xvi'' siècle ; elles avaient sans doute leur
raison d'être, ne fût-ce qu une valeur de diction, aux yeux des gens de
l'époque ; cela suffit pour que nous les reproduisions Même remarque
pour la virgule après les mots qui annoncent une appellation ou un titre ;
je l'ai conservée quand elle s'est présentée \ bien que d'autres exemples
m'eussent autorisé à la supprimer.
D'autre part, il n'y a pas de point et virgule dans les textes de Binet.
Ce signe de ponctuation n est pas seulement absent de sa prose, il est
généralement inconnu au xvi^ siècle, qui emploie à sa place deux points.
J'ai donc cru devoir, là encore, suivre l'usage du xvi« siècle : j'ai conservé
les deux points là où nous mettrions maintenant un point et virgule, et je
n'ai employé en aucun cas le point et virgule.
De même Binet n'emploie jamais les guillemets, ni quand il cite un
auteur ni quand il rapporte les paroles de Ronsard ou d'un autre On
n'en trouve dans aucun de ses trois textes. Cela ne lui est pas parti-
culier ; les guillemets n'apparaissent guère au xvi« siècle que pour mettre
eu relief dans les vers une idée générale, sentence ou proverbe. J'ai donc
suivi Binet et l'usage de son temps en laissant de côté les guillemets,
d'autant plus volontiers que leur absence n'est pas du tout indispensable à
l'intelligence du texte.
Les seules corrections que je me sois permises dans la ponctuation,
sans avertir le lecteur, sont les suivantes : 1° j'ai rétabli les virgules dans
les appositions; 2" j'ai remplacé la virgule et le point par deux points,
devant une citation ou des paroles rapportées. J'y étais autorisé par Binet
1. Voir par. ex. p. 2, ligne 2 ; p. 23, ligne XO ; p, 24, ligue 11 ; p. 36, ligne 9.
XLVI INTRODUCTION
lui-même, ou par son imprimeur, qui de temps en temps m'a donné
lexemple, semblant ne suivre dans ces deux cas aucune règle, aucun
usage. - Si j'ai cru devoir corriger la ponctuation dans tout autre cas,
c'est quelle m'a paru évidemment fautive, aussi bien pour le xvi'^ siècle
que pour le xx« siècle, et nuisible à la clarté du sens. Je ne 1 ai pas fait
d'ailleurs arbitrairement, mais autant que possible d'après les corrections
introduites par Binet lui-même dans sa deuxième et sa troisième édition,
ou, à leur défaut, d'après l'une des éditions posthumes, et j'en ai toujours
averti le lecteur ' J'ai, en outre usé de ces corrections avec la plus
grande circonspection et n'ai rien changé dans les passages dont le sens
est discutable, quitte à signaler dans le Commentaire la difficulté d'in-
terprétation. Enfin, s'il m'est arrivé d'apporter un changement à la ponc-
tuation, sans qu'il fût fondé sur l'une des éditions contemporaines de
Binet ou posthumes, je l'ai signalé dans l'Appareil critique et, au besoin,
justifié dans le Commentaire.
Des remarques analogues s'appliquent aux initiales majuscules des
noms. Les gens du xvi" siècle les prodiguaient jusqu'à l'abus, je le re-
connais. Mais c'est surtout avant 1560 qu'ils en ont usé sans discrétion.
A I époque où Binet a écrit la Vie de Ronsard, l'emploi des initiales ma-
juscules se justifie presque toujours; au point que certaines initiales mi-
nuscules de son premier texte sont inexplicables autrement que par
une faute d'impression, qui est en effet corrigée dès le second, et que,
inversement, des majuscules inexplicables de son premier texte devien-
nent avec raison des minuscules dans le second et le troisième J'ai donc,
avec Binet, conservé l'initiale majuscule de mots tels que Roy. Dauphin,
Duc, Cardinal, Abbé, Chevalier, Court. P]glise, Université, Poète, Poésie,
Lj're, Ode, Epithalame, Comédie, Hymne, Ballade, Lion, etc. — A
cet égard, comme pour la ponctuation, il m'a paru bon de corriger le texte
primitif d'après le second texte, et, à son défaut, d'après le troisième. Le
plus souvent, d'ailleurs, la correction de 1587 m'a suffi, le second texte
étant bien plus correct que le premier et n'ayant guère été amélioré par
le troisième sur ce point particulier ; aussi n'ai-je pas cru devoir signaler
ces sortes de correction ; elles eussent chargé l'appareil critique inuti-
lement ■-.
Bref, j ai fait mon possible pour améliorer les trois textes de la Vie de
Ronsard, tout en me conformant et à l'usage courant du xvi* siècle et à
l'intention probable de Claude Binet, afin de donner à mon édition les
deux qualités principales qu on est en droit d'exiger délie l'exactitude et la
clarté.
Je me suis servi, pour les variantes et les additions, aussi bien que pour
1 . C'est ainsi qu'on trouvera dans l'appareil critique entre crochels quelques
virgules néc<;ssaires qui sont absentes des variantes ou des additions citées.
2. Il sullit de dire ici une fois pour toutes que j'ai mis, d'après la 2^ ou la
3* édition, le plus souvent d'après lune et l'autre à la fois, des initiales
majuscules aux mots suivants : Seigneurie, Gentil-homme, Couronne, Chasteau
(suivi d'un nom propre), Damoiselle, Madame, Monsieur (désignant des
membres de la famille royale), lEscurie du Hoj', Impériale. Diète, Capitaine,
Majesté, Principal (de collège). Laurier, Prieuré, Notaire, Messe, Bénéfices
(ecclésiastiques), les Grâces, la Parque, l'Aumosnier, les Religieux.
1\ IltOOLCTION XLVH
le texte fondamental, des exemplaires de la Bibliothèque Nationale. Klle en
possède deux de l'édition princeps, l'un qui est relié à part, sous la cote
Ln -"', 17842, l'autre qui fait partie d'un recueil factice de <( tombeaux »
et d'oraisons funèbres, sous la cote liés. mYc, 925'. Ces deux exem-
plaires sont identiques, sauf pour une ligne du dernier alinéa, qui pré-
sente deux variantes dans le second des exemplaires, l'une assez heureuse
(un au lieu de quelque) et l'autre insignifiante (bien au lieu de biê), intro-
duites très probablement par l'imprimeur en plein tirage -.
L exemplaire de la deuxième édition fait partie de la 1''^' édition pos-
thume parisienne des Œuvres de Ronsard (t. X. p. 107); on le trouve
à la Bibl. Nat. sous la cote Rés. pYe, 172.
L'exemplaire de la troisième édition fait partie de la 2'- édition pos-
thume parisienne des Œuvres de Ronsard (t. X, p. 109) ; on le trouve
à la Bibl. Nat. sous la cote Rés. Ye, 1893-95, qui est celle des trois der-
niers tomes réunis dans le cinquième volume.
J'ai désigné dans l'Appareil critique et dans le Commentaire ces trois
éditions contemporaines de Binet (1586, 1587, 1597) par les lettres
A, B, C. Les éditions postérieures à la mort de Binet sont simplement
désignées par leur millésime, 1604, 1609, 1617, 1623, 1630. Ces sigles
précèdent la variante ou 1 addition.
Dans l'Appareil critique : 1" les crochets avec sigles introduisent une
variante partielle dans une variante plus étendue. Ainsi BC... (YJ. ..]...
signifie que, dans la leçon commune à la deuxième édition et à la ti'oi-
sième, C introduit une leçon partielle qui lui est propre.
2" Le tiret entre un sigle et le millésime d'une édition posthume, ou
entre deux millésimes d'éditions posthumes, signifie que la variante est
commune à ces éditions et à celles qui parurent dans l'intervalle. Ainsi
[1609-1630 glorieuse i signifie qu'on lit le mot«glorieuse » dans les éditions
de 1609 et de 1630 et dans les éditions intermédiaires de 1617 et 1623.
3" Les italiques sont réservées aux sigles, à toute remarque (en paren-
thèses ou non) conceinant la lecture du texte, aux citations en vers de B
et de C et aux variantes des citations en vers de A.
Toutes les lignes du texte et de l'appareil critique sont numérotées
dans la marge de gauche pour faciliter les références du Commentaire ;
les numéros placés entre crochets dans la marge de droite indiquent la
pagination du texte fondamental, un trait vertical dans la ligne corres-
pondante le début de la page dans ce texte.
En terminant, j'ai le devoir très agréable de remercier de leurs obli-
geantes communications et de leur précieux concours de sympathies
1 II j' est inséré entre le Tombeau de Jean Morel d'Embrun (1583) et la
Laudotio funebris de Ronsard par G. Grillon (1586).
2. \'oir ci-après le Commentaire, p. 50, lignes 33 et 34 et p. 339. J'ai désigné
par A' le 2" de ces exemplaires. Gomme nous l'avons vu plus haut, le Disc, de
la vie de Ronsard dans cette édition princeps est suivi du Tombeau de Ronsard ;
mais le dernier feuillet de ce Tombeau manque dans l'exemplaire Rcs.
mYc, 925.
iNTUont cxroN
les u seizièmistes « qui se sont intéressés à ce travail, notamment :
MM. Henri Chaniard, maître de conférences en Sorbonne, et Charles
Comte, prol'essenr au lycée Condorcet- A la liste des aimables corres-
pondants que j'ai déjà nommés dans l'avant propos de mon ouvrage
sur Ronsuid poêle hjriiiue, je suis heureux d'ajouter ici les noms de
MM. Emile Picot, Frédéric Lachévre, Léon Séché, Michel Brenet, V.-L.
Bourrilly, Franck Delage, Pierre Dufaj', Gaston Varenne, Louis Hogu,
E. Thomas, L.-A. Hallopeau, P. Clément, P. Charbonnier, Constantin
Bauër et Mathieu Auge. Je les prie tous de croire à ma cordiale gratitude.
Pierre de RONSARD
à lâge de 27 ans '
1. J'ai cru devoir remplacer ainsi le quatrain de l'édition de 15^6. pour la raison
exposée ci-dessus, p. xxiii.
DISCOURS DE LA VIE t'i
DE
PIERRE DE RONSARD
GENTIL-HOMME VANDOMOIS,
Par Claude Binet ^.
Pierre de Ronsard^ est issu * d'une des nobles familles de France,
de la maison des Ronsards, au pais de Vandomois, l'antiquité de
laquelle est assez avouée et remarquée des plus curieux, pour avoir
tiré son origine des confins de la Hongrie, et de la Bulgarie, où le
5 Danube voisine de plus près le païs de Thrace, qui devoit aussi bien
1. BC La Vie de Pierre de Ronsard, Gentil-homme Vandomois, Par Claude
Binet. | C ajoute A François son Fils.
2. C présente avant ces mots l'exorde que voici :
C'estoit une coustume observée par les anciens de représenter les beaux faits et
10 vertueuses actions des hommes illustres de leur temps*, à fin que l'exemple vivant
qui avoit instruit les bonnes mœurs, ou enrichy les sciences, ne pouvant tousjours
durer, ny possible se renouveller venant à faillir, peut [160^, 1617, 1623, 1630 peust |
1609 pust] aucunement revivre et servir de miroir à la postérité dans la polis-
sure de leurs immortels escrits [1609-1630 escrits immortels]. Mais comme ces
15 grandes vertus estoient les fruits des premiers siècles, ainsi le monde s'envieillis-
sant, comme une terre brehaigne et lasse de porter, les semences aussi dégénérant
en marse * et perverse nature, il ne faut point s'estonner, puisque par l'effort de
la barbarie les plus belles et rares vertus ont defailly, si on a délaissé ce tant utile
labeur * : advenant ordinairement qu'au mesme temps qu'elles paroissent, elles
20 trouvent qui les prise et honore, comme toutes choses naissent avec leur aliment
naturel, et finissent aussi de mesme *. Depuis, comme une terre reposée de longue-
main, nostre France ayant repris ceste première vigueur, et produit de nostre
temps tant d'excellents et rares esprits en toutes sortes d'arts et sciences, j'ay bien
voulu renouveller ceste mode et choisir un Ronsard Prince et père de nos Poètes*,
25 et celuy qui a le premier donné l'air de la perfection à l'éloquence Françoise[,] pour
suject, et descrire sa vie, à fin que toy * et tes semblables soyez aiguillonnez à bien
faire en la profession où serez appeliez sous l'espérance d'une gloire solide, géné-
reuse [1609-1630 glorieuse] amorce des nobles esprits : car il est certain que
quand on fait coustume de louer les belles actions, on est plus incité à les prati-
30 quer et ensuivre, et au contraire lors qu'on ne fait cas de rendre louanges à ceux
qui les méritent, on fait bien peu de conte de faire choses louables : Voila pour-
quoy ce discours ou méritera quelque louange pour l'honneur de son suject, ou
pour le moins quelque excuse, pour le désir que j'auray eu de restablir une bonne
coustume, presque abolie et perdue *.
VIE DE p. DE RONSARD. 1
DISCOURS DE LA VIE
qu'à la Grèce donner à la France le surjon ^ d'un second Orphée :
auquel lieu - se trouve une Seigneurie appelée, le Marquisat de
Ronsard. d"où sortit lui puisné de celle maison, nommé Bauldouin ^,
qui se voulant lairc voye à l'honneur par les armes *, assembla
5 une compajjuie de Gentils-hommes puisnez, ausquels il fit traverser
toute la Hongrie ^ et l'Alemaignc, gaignant la Bourgongne pour
venir en France, qui estoit lors le champ de vertu, et s'ofTrit au Roy
Plîilippes de Valois, lors empesché en une grande guerre ^ contre
lesAnglois: lequel ' l'employa en charges si honorables, et aus-
10 quelles il fit si bon service à la Couronne, qu'il eut occasion par
les bicufaicls du Roy '^ d'oublier son pais, et baslir une nouvelle
fortune en France, où il se maria au païs de Vandomois, pais fer-
tile et agréable, tant pour la température '•', que pour la bonté du
terroir. De là fit souche celte famille des Ronsards François **', et
15 continua en nobles et grandes alliances jusques à Loys de Ronsard,
père de Pierre, qui s'allia de la maison de Chaudriers ^^, conjointe de
proche alliance à celle du Bouchage, delà Trimoûille, et deRoiiaux,
desquelles sont sortis plusieurs grands Capi | laines, et illustres [4]
Seigneurs, dont noz histoires Françoisesà bon droit se glorifient ^^,
20 comme aussi de celle de Chaudriers qui fut ^ ■' fort recommandée en
son temps, pour le grand service ^^* qu'elle fil à la France, ayant re-
pris sur les Anglois la ville de la Rochelle, en remarque dequoy ^^
1. C l'origine
2. AC Orphée, auquel lieu
25 3. C appellée le Marquisat de Ronsard. Et l'etymologie de ce nom en monstre
quelque chose, Rossard [ i 609-/630 Ronsard J signifiant en la langue du païs comme
qui diroit cœur chevaleureux : aussi les armes de ceste maison semblent
l'exprimer, aj'ant pour tjmbre un cheval, et dans l'escusson trois poissons, qu'on
dit en la mesme langue se nommer Ross, c'est-à-dire chevaux, et se trouver dans
30 le Danube*. De là pourroit avoir esté nommée la seigneurie de la Poissonnière *,
maison paternelle de Ronsard. De ce Marquisat sortit un puisné nommé
Raudoùin
4. C par la pointe des armes
5. C traverser la Hongrie
35 6. C adonc empesché en une forte guerre
7. AC les Anglois, lequel
8. BC du Roy qui se souvint de ses mérites,
9. C où il trouva sortable party pour s'establir au païs de Vandomois, région
fertile et agréable, tant pour la température du Ciel,
40 10. C ceste maison des Ronsards Fran(;ois, d'où sortirent plusieurs grands per-
sonnages, et entre autres un Julian, qui fut (à ce que l'on dit) Evesque du Mans* :
11. C (>handrier (/". d'impr. reproduite dans les éd. suiu., y compris 1623)
12. BC dont nos histoires Franroises et la France encor, à bon droit, se glori-
fient \B pas de inryule après droit].
45 13. C se glorifient. Quant à celle de Chandrier, elle fut
14. C pour le grand et signalé service [IGO^t, 1609, 1617, 1630 pour le regard et
signalé service | 1623 pour le regard du signalé service]
15. B la Rochelle : en remarque dequoy | C la Rochelle : En remarque dequoy
DE PIERRE DE ROMSARD
y a une rue qui se nomme encor au jourd'huy du nom de l'un de
cette famille, qui en ce grand cl remarquable exploict se montra
le premier des plus vaillans ^ : ce (pic - je nay peu oublier, luy
mesme letesmoignanten l'Elcgie xvi qu'ilescrit à Remy Belleau^ *.
5 Loys de Ronsard * fut Chevalier de l'Ordre *, et Maistre d'kostel du
Roy*, et pour la sagesse et fidélité qui estoit en luy, fut choisi^
pour accompagner Messieurs les enfans, François Dauphin de Vien-
nois, et Henry Duc d'Orlcans, en Espagne *\ pendant qu'ils y fu-
rent en hostages pour le Roy leur père, d'où il les ramena, au
10 grand contentement delà France*. Ce Loys avoit quelque cognois-
sance des lettres, et principalement de la Poësie, telle que le temps
pouvoit porter : et faisoit aucunefois des vers assez heureusement*'^ :
et me souvient ^ en avoir ouy reciter quelques uns à nostre Ron-
sard, son fils, qui monstroient que la Poësie vient principalement
15 d'un instinct naturel, lequel avec un plus grand heur toutefois,
comme un héritage '*, le fils a monstre avoir continué en luy, y ayant
conjoint l'estude des lettres Grecques et Latines ^^. De ce mariage ^*
de Loys et de Jeanne de Chaudrier ^- *, nasquit Pierre de Ronsard,
au Chasteau de la Possonniere * en Vandomois, maison paternelle,
20 l'an mil cinq cens xxnii, que le Roy François fut pris devant
1. C qui en ce grand et remarquable exploit s'estoit rendu chef de l'entreprise.
2. AB vaillans : Ce que | C de l'entreprise. Ce que
3. B en une Elégie à Reray Belleau. | C en l'EIegie à Remy Belleau. Et la
noblesse de ceste maison est telle, que le sieur du Faur [1609, 1617 y 1623 du Faux
25 I 1630 du Faur] Angevin nous a laissé en ses Mémoires par longue déduction
des Généalogies *, qu'elle attouchoit de près par le moyen de la Trimoùille à ceste
tresnoble maison de Craon, plus ancienne Baronnie d'Anjou, alliée des Comtes
d'Anjou, et de laquelle sont descendus par l'alliance de l'Emperiere Mathilde les
Roys d'Angleterre : de manière qu'il mettoit en évidence que Ronsard estoit allié
30 au seize ou dixseptiesme degré d'Elizabelh Royne d'Angleterre. Quoy qu'il en soit,
toutes ces grandes maisons ne l'ignorent point et s'en glorifient.
4. C Loys de Ronsard son père
5. C maistre d'Hostel du Roy François premier, qui pour la sagesse et fidélité
qui estoit en luy fut choisi*
35 6. C pour accompagner François Dauphin de Viennois, et Henry Duc d'Orléans
ses enfans en Espagne,
7. A virgule après porter et après heureusement
8. C Ce Loys avoit quelque cognoissance des lettres, et principalement de la
Poësie, mesmes faisoit quelquefois des vers tels [160i-1630 des vers, tels] toutefois
40 que le temps pouvoit porter, et me souvient
9. B héritage, et droit successif,
10. C à nostre Ronsard, qui monstroient que la Poësie ne s'acquiert pas tant
comme elle s'insinue en nous d'un instinct naturel en naissant, lequel avec un plus
grand heur toutesfois, ainsi qu'un héritage paternel [160i-1630 paternel,] le fils a
45 monstre avoir continué en luy par droit successif, y ayant le premier conjoinct
l'estude des lettres Grecques et Latines, deux instrumens nécessaires à la perfec-
tion de l'éloquence.
11. BC Du mariage
12. C Chandrier (/'. d'impr. reprod. dans les éd. suiv.)
DISCOURS DE I.A VIK
Pavie, un Samedy sixiesme de Septembre * *. Et est à douter ^ sien
mesme temps la France receut par cette prinse malheureuse ^
un plus grand dommage, ou un plus grand bien par cette
naissance heureuse S à laquelle estoit advenu comme à d'au-
5 très de quelques grans esprits, d'estre remarquée d'une si
mémorable rencontre •'• *. Mais peu s'en fahil que le jour de sa nais-
sance ne fut aussi le jour de son enterrement : car " comme on le
portoit bai^tizer du Chasteau de la Possonniere en l'Eglise du vil-
lage de Cousture '', celle qui le portoit, traversant un pré, le laissa
10 tomber par mesgarde sm- l'herbe et fleurs ^, qui le receurent plus
doucement : | et eut encor ^ cet accident une autre rencontre, [5J
qu'une Damoiselle'*^ qui portoit un vaisseau plein d'eau de roses ^',
pensant ayder à recueillir l'enfant, luy renversa sur le chef une
partie de l'eauë de senteur : qui fut ''- un présage des bonnes
15 odeurs, dont ^•' il devoit remplir toute la France, des fleurs de
sesescris '^ *. Il ne fut l'aisné '^ de sa maison, ains eut cinq frères
naiz au paravant luy '•', dont les deux moururent au ^"^ berceau, trois
autres avec nostre Ronsard restèrent, dont l'aisné fut Claude de
Ronsard, qui suivit les armes. Loys ^^, qui estoit l'un des trois, fut
20 Abbé de Tyron, et de Beau-lieu *. Quant à Pierre, son père le fit
instruire en sa maison de la Possonniere ^^^ aux premiers traits des
1. B la Poissonnière en Vandomois, maison paternelle, un samedj' unziesme de
Septembre l'an mil cinq cens xxmr, auquel le Roy François fut pris devant
Pavie. I C la Poissonnière au village de Cousture en la varenne du bas Vandos-
25 mois, situé sur le pied d'un coustau (sic) qui regarde la région Septentrionale*, un
Samedy xi de Septembre l'an 1524. Auquel jour le Roy François premier fut prins
devant Pavie*.
2. A Septembre, et est à douter | C Pavie. Et pourroit on douter
3. C ceste prinse mal-encontreuse
30 4. C ceste heureuse naissance :
5. C à d'autres de grands personnages, d'estre remarquée d'une si mémorable
rencontre. Ainsi que la naissance du grand Alexandre fut signalée et comme
esclairée par l'embrasement du Temple de Diane en la ville d'Ephese.
6. A enterrement, car | B enterrement. Car
35 7. C de la Poissonnière en l'Eglise du lieu,
8. A pas de oirçj. après portoit, pré, fleurs | C le laissa tomber par mesgarde
à terre, mais ce fut sur l'herbe et sur les fleurs,
9. A doucement, et eut encor
10. A rencontre qu'une daraoiselle
40 11. C plein d'eau Rose (sic, également dans les éd. suiv.) et d'amas de diverses
herbes et fleurs selon la coustume,
12. A l'eauë de senteur, qui fut | C l'eau de senteurs, qui fut
13. A odeurs dont
14. C rem|)Iir la France, des fleurs de ses doctes escrits.
45 15. A laisné (même f. d'impr. deux lignes plus bas)
16. BC auparavant luy
17. A aut
18. A les armes, Loys | C les armes : Loys
19. BC Poissonnière [AB virgule après ce mot\
DE PIEHRE DE RONSARD
lettres par un homme ^ qu'il y tint exprès *, jusques à l'agc de
neuf ans, qu'il le fit amener à Paris, au collège de Navarre 2, où
estoit lors Charles Cardinal de Lorraine, qui le cognent, et l'aima
pour ses vertus, pensant ■' son père qu'il deust * continuer l'espe-
5 rancc qu'il avoit concciie de luy, lors qu'avec une si grande vivacité
d'esprit, il surpassoit tous ses frères à comprendre les premiers
commencemens des lettres. Il n'avoit pas esté demy-an souz un
régent nommé de Vailly s, quand rebuté par la rudesse de sesmais-
tres '^', comme ordinairement un beau naturel ne veut estre forcé,
10 il commença à se degouster de l'estude des lettres * : dequoy '^ son
père adverty, le fit venir en Avignon, où pour lors estoit le Roy,
sur les préparatifs d'une grande et puissante armée contre ^ l'Em-
pereur Charles cinquiesme*, et le donna pour page à Charles Duc
d'Orléans, le dédiant aux armes *, où il continua ^ quelque temps
15 fort agréable à son maistre, tant pour une beauté grande qui relui-
soit en luy, que pour la bonne façon "^ qui en un agc si tendre sem-
bloit promettre quelque chose de plus grand ^^ à l'advenir. Et de
fait sur cette espérance, cà fin de luy faire voir du païs, le Duc d'Or-
léans le donna à ^- Jacques de Stuart, Roy d'Escosse, qui estoit
20 venu pour espouser Madame Marie de Lorraine ^^, qui l'emmena en
son païs*. En Escosse il demeura trente mois, et en Angleterre
six, où ^* ayant appris la langue, en peu de temps, il acquit ^^ si
grande faveur^*', que peu s'en falut que la France ne perdist celuy
1. BC par un précepteur
25 2. C le fit conduire à Paris au collège Royal de Navarre
3. B ses vertus : pensant | C qui le cognut et l'aima déslors pour ses premières
vertus, pensant
4. A d'eust
5. C demy an sous la charge d'un de Vailly
30 6. BC précepteurs
7. A lettres : Dequoy j B lettres. Dequoj^ | C ne veut estre forcé par une
rigueur pedantesque, il commença à se degouster de l'estude. Dequoy
8. AB armée, contre
9. B pour page à François fils aisné du Roy, le dédiant aux armes : avec lequel
35 il ne fut que trois jours qu'il mourut à Tournon. De là il fut donné à Charles Duc
d'Orléans, où il continua | C même var., avec une uirg. après armes et celle addi-
tion Charles Duc d'Orléans second fils du Roj' *
10. C pour la bonne et auguste façon
11. BC quelque chose de bien grand
40 12. C le donna page à
13. BC Madeleine fille du Roj- François
14. B en Angleterre six : où
15. C qui estoit venu espouser Madame Madeleine, fille du Roj' François, qui
l'emmena en son Royaume, où il demeura deux ans, et en Angleterre six mois :
45 ayant appris la langue en peu de temps, il acquit [C-1630 virgule après six
mois I i617, 1623 deux points après temps]
16. B si grande faveur près de ce Prince, | C si grande faveur près de ce Prince
qui l'aimoit fort.
DISCOURS DE LA VIE
qu'elle avoil noiirry pourcslrcun jour la trompette dosa renommée*.
Le bon instinct | toutclbis de vray Fran(;ois le chalouilloit à toutes [6]
heures de revenir en France* : ce qu'il fit S et se retira vers le Duc
d'Orléans, son premier maistre -, qui le retint en son Escurie ■'',
5 où il avoit pour compagnon et familier amy le seigneur de Carna-
valet *. Mais comme le Duc d'Orléans eut pris garde que Ronsard
en tous exercices estoit le mieux aj)pris de ses pages, fust à danser,
luitler, sauter, ou escrimer, iusl à mouler à cheval, et le manier,
ou voltiger, ne voulant qu'un si beau naturel s'engourdist en pa-
10 rosse, il le depescha pour quelques affaires secrettes en Flandres* et
Zelandc, avec charge expresse de passer jusques en Escosse* : ce
qu'il fit, s'estant embarqué avec le sieur de Lassigny, Gentil-
homme François*. Auquel voyage s, pensant tirer en Escosse, le
vaisseau auquel il estoit fut tellement, durant trois jours, pour-
15 mené par la tempeste, qu'il cuida sur la coste d'Angleterre estre
brisé contre un rocher, mal-heur '' qui fut seulement différé, pour
sauver principalement nostre futur Arion d'un tel naufrage : car le
navire qui avoit eschappé tant de dangers, après avoir laissé sa
charge sur la rade d'Escosse, sans péril fit ' naufrage au port, brisé
20 et enfondré ^ avec tout le bagage, que le plus grand soin de sauver
la vie laissa à la mercy des flots *. Retourné qu'il fut de ce voyage,
ayant attaint l'âge de -quinze à seize ans il sortit hors de page, et
l'an i54o par son père fut mis^ en la compagnie de Lazare de Baïf,
grand personnage, et des plus doctes de ce temps là, lequel ayant
25 ja esté employé en belles et grandes charges, alloit pour lors ^^ Am-
bassadeur pour le Roy à Spire, ville Impériale d'Alcmaigne, où
l'on devoit tenir une Diète ** *. En ce voyage il commença à prati-
quer avec jugement les meurs et façons estrangeres, à observer cu-
rieusement les choses plus remarquables, et faire son proffit de
30 1. AC en France, ce qu'il fit,
2. BC son maistre,
3. C qui le retint page en son Escurie,
4. C pour quelques affaires en Flandres
5. A François, auquel voj-age | C François : Auquel voyage
35 6. BC un rocher : malheur
7. C, WOi, 1630 Escosse sans péril, fit | 1609, 1617, 1623 Escosse sans péril fit
8. C enfoncé
9. B Retourné qu'il fut de ce voyage, ayant attaint l'âge de quinze à seize ans il
sortit hors de page, ayant esté audit Duc d'Orléans cinq ans, et l'an 1540 fut mis |
40 C Retourné qu'il fut de ce voyage, aj'ant attaint seulement l'âge de quinze à seize
ans, ayant esté au Duc d'Orléans cinq ans et jusques à son decez, et depuis à
Henry qui fut depuis Roy * : l'an 1540 fut mis [même var. dans les éd. suiu., avec
virgule après Roy\
10. BC alloit lors
45 11. C où se devoit tenir une Diète.
DE PIERRE DE RONSARD
loiiles ^. Tl apprit on pou do lomps la langue Alomando, ayant l'es-
prit ca[)al)le de toutes disciplines *, qu'il façonna beaucoup en la
compaignie d'un si sçavant personnage, rpie les plus doctes d'Ale-
niaigne reclierclioiont, non tant pour le rang qu'il tonoit, que pour
5 sa doctrine singulière. Apres ce voyage il en fil un autre en Piémont,
avec ce grand Capitaine de Langey, pour faire service au Roy en la
profession où le flot des aflai | res du temps, et non l'inclination de [7]
sa nature, le poussoit - *. S'estant puis après retiré à la Court, il
luy avint un mal-heur, s'il faut appeler de ce nom ce qui futcause-'
10 d'un si grand bien. C'est que '^ pendant qu'il estoit en Alemaigno, il
fut contraint de boire dos vins tels qu'on les trouve, la plus grand
part souffrez et mixtionnez : qui fut cause ^ avec les tourmentes
de mer •', les incommoditez des chemins, et autres peines de la
guerre, qu'il avoit souffertes, que plusieurs humeurs grossières luy
15 montèrent au cerveau, tellement qu'elles luy causèrent une defluxion,
et puis une fièvre tierce '^ dont il devint sourdault, maladie qui luy
a continué jusqu es à la mort *. Ainsi en advint à ce divin Homère ^ *,
qui sur la fin de ses voyages, s'estant embarqué ^ avec le marinier
Mentes ^^, pour apprendre les diverses façons des peuples, et la
20 nature des choses, ayant abordé ^^ l'Isle d'Itaque eut un catherre ^^
sur les yeux qui luy fit perdre la veûe estant arrivé à Colophone.
Voila comment ^'^ deux grans Poètes, par un presque semblable
1. C En ce voyage, et sous un si grand personnage, bien que la jeunesse soit
tousjours esloignée de toute studieuse occupation pour les plaisirs volontaires qui
25 la maistrisent, si est-ce que dés son enfance ayant tousjours estimé l'estude des
bonnes lettres, l'heureuse félicité de la vie, et sans laquelle on doit désespérer de
pouvoir jamais attaindre au comble du parfait contentement *, il ' commença à
pratiquer avec jugement, outre l'exercice de la vertu, les mœurs et façons estran-
geres, et à observer curieusement les choses plus remarquables.
30 2. ABC nature le poussoit.
3. ABC de ce nom, ce qui fut cause
4. C d'un plus grand bien, c'est que
5. A mixtionnez, qui fut cause
6. B mixtionnez : Occasion, avec les tourmentes de mer | C même var., avec
35 un point après mixtionnez {^Î60U-1630 tourmens de merj
7. C une defluxion, puis une fièvre tierce
8. B jusques à la mort, et qui a semblé avoir esté fatale à nos Poètes, comme à
du Bellay, à nostre Dorât et autres : ainsi que la perte de la veuë aux excellens
Poètes Grecs, Thamire, Tiresie.Stesichore, comme pareillement au divin Homère |
40 C même var., avec une virg. après autres, deux points après Stesichore, et l'orlhog.
Tyresie
9. C Homère, qui s'estant embarqué
10. A le marinier. Mentes
11. C après avoir abordé
45 12. BC receut un catharre
13. C comme
1. On lit en réalité contentement : Il et cette faute s'est encore aggravée dans les éd. suiv. qui
donnent contentement. II | 1623 contentement ; Il
O DISCOURS DE LA VIE
sort se virent privez de sens ^ fort nécessaires : Homère, les escrits
duquel tout le monde devoil voir, et lire si soigneusement, de celuy
de la veiie : et - Ronsard, dont la douce cadence des vers devoit ^
estre recueillie des plus délicates oreilles du monde, de celuy de
5 l'ouye. J'appclcray toutefois ce malheur bien-heureux, qui fut
cause que Ronsard, qui pour s'avancer près des grans, par le che-
min des courtisans, eut peut-estre perdu * son temps inutilement,
changea de dessein et reprit les estudes laissées*, encor qu'il eustja
assez bonne part aux grâces du Roy Henry, nouvellement venu à la
10 Couronne*, qui l'eslimoil-'' entre tous les Gentils-hommes de sa
Court, pour emporter le prix en tous les honestes exercices, esquels*»
la noblesse de France estoit ordinairement addonnée. Ce que Dorât,
son précepteur, et la source de tous noz Poëtes '', a tesmoigné en
rOdc qu'il fit^ à Ronsard, quand il dit de luy ^ :
15 O flos viriim et *
Dccus olivi, aut illhis
Virilis quo oblinitiir '^
Et artiis terit
Amiclaea pubes, | [8]
20 Aut ilHiis qiiod hilares
Ferc Camœnae oholent.
Et en suivant ^^ :
Nam seu guis *^ * artem sinuosaque
Corporis vohimina velit,
25 Qiiibus corpus apte
Velin equum, vel deequo
Volans micat in audacibus
Pugnis, stupebit dicalum gravibus umbris
Musarum, agilibus quoque
30 Saltibus Martis expedisse membra.
Outre que sa grâce et sa beauté le rendoit agréable ^^ à tout le mon-
de, car il estoit d'une stature fort belle, Auguste et Martiale *, avoit
1. C des sens
2. A Et
35 3. C et Ronsard, la douce cadence des vers duquel devoit
4. C eust (peut-estre) perdu
5. C Henrj' Il nouvellement venu à la Couronne, duquel il avoit esté quelque
temps page sous la charge du sieur de Granval : Car ce IMnce l'estimoit
6. C ausquels
40 7. BC son précepteur, et le père de tous nos Poëtes,
8. AB en l'Ode, qu'il fit
9. C quand il dit de luy en la première Antistrophe :
10. A oblivitur {corrigé en oblinitur aux errata)
11. C Puis tout ensuivant en l'Epode :
45 12. C si quis
13. C fort agréable (on lit rendoit dans toutes les éditions)
DE PIERRE DE RONSARD 9
les membres forts et proportionnez, le visage noble S libéral et vray-
ment François, la barbe blondoyanlc, cheveux chastains, nez aqui-
lin, les yeux pleins de douce gravité, et le front fort serein. Mais sur
tout sa conversation estoit facile et attrayante. Ayant esté nourri
5 avec la jeunesse du Roy - *, et presque de pareil âge, il commen-
çoit à estre fort estimé près de luy. Et de fait le Roy ne faisoit partie
où Ronsard ne fust tousjours appelé de son costé -^ : entre autres*,
le Roy ayant fait partie pour jouer au balon au pré aux clercs, où il
prenoit souvent plaisir, pour estre un exercice des plus beaux pour
10 fortifier et dégourdir la jeunesse, ne voulut qu'elle fust jouée sans
Ronsard : le Roy ^ avec sa troupe estoit habillé délivrée blanche, et
monsieur de Laval, chef de l'autre parti, de rouge : là, Ronsard,
qui ^ tenoit le parti du Roy, fit si bien que sa Majesté disoit tout
hault qu'il avoit esté cause du gain du prix obtenu en la victoire '.
15 Or, quelque faveur qui le peust chatouiller, et qui semblast
le semondre à une belle fortune, demeurant en la Court ^, considé-
rant qu'il estoit malaisé avec le vice d'oreilles de s'y avancer, et y
estre agréable ^, où l'entretien et discours sont plus nécessaires que
la vertu, et où il faut plustost estre muet que sourd, il pensa de
20 transférer l'office des oreilles aux yeux ^*^ par la lecture des bons
livres, et se mettre à l'estude à bon escient, comme au contraire
Homère ^^ s'estoit servi des oreilles pour la | veiie *. Et ce qui luy [9]
augmenta ce désir fut ^2 un Gentil-homme Piemontois ^^ nommé le
seigneur Paul, frère de madame Philippes, qui fut mère de
25 Madame de Chastelleraut, lequel avoit esté page ^* avec Ronsard *, et
1. A le visage, noble
2. C Aj'ant pris sa nourriture avec la jeunesse du Roy
3. A appelé, de son coslé | BC partie, soit [C fust] à la luite, soit [C fust] au
balon, et autres exercices propres à dégourdir et fortifier la jeunesse, où Ronsard
30 ne fust toujours appelle de son costé.
4. A Entre autres
5. A Le Roy
6. A rouge. Là, Ronsard qui
7. Tout ce passage, depuis Entre autres, le Roy ajant fait est supprimé dans B et
35 les éd. suiu. Mais en 1623 il reparait sous cette forme raccourcie : Tesmoin lorsque
le Roy fit partie au balon dans le pré aux Clercs, avec Monsieur de Longueville :
où le Roy ne voulut jamais commencer le jeu qu'il n'j^ fust, et dit tout haut, après
avoir gaigné, que Ronsard en estoit la cause. | 1630 revient au texte de B-1617.
8. C en Court
40 9. C et d'y estre agréable
10. C à celuy des yeux
11. B à bon escient : comme au contraire, par semblable nécessité toutesfois,
Homère | C même var., sauf à bon escient. Comme
12. AB ce désir, fut
45 13. A Escossois (corrigé en Piemontois aux errata)
14. C un Gentil-homme nommé le seigneur Paul, Escossois ainsi que disent
aucuns, Baïf m'a assuré toutefois qu'il estoit Piemontois, lequel avoit esté page
DISCOURS DE LA VIE
ne laissoil de haiiler rEscurie du Hoy. ([iii csloit lors une escole
de tous lioneslcs et m rlueux exercices, comme aussi faisoit Ronsard,
or que Ions deux fussent sortis de pag^e''. Ce Gentil-homme avoit
Ibrt bien estudié les IV)ëtes Lalins, et mesnies, lors qu'il esloit
5 page, avoil aussi souvent un \ iri,'ile en la main qu'une baguette,
interprétant - aucunel'ois à Ronsard quelques beaux traits de ce
prand Poëte, et Ronsard au contraire ayant tousjours en main
quelque Poëte François "^ qu'il lisoit avec jugement, et principale-
ment, comme luy mesmes ma maintesfois raconté, un Jean le
10 Maire de Belges, un Uoinant de la Rose * et les cFUvres de Coquil-
lart. et de Clément Marot *, lescpiels ^ il a depuis appelé, comme
on lit que \irgile disoit d'Ennie, les ^' immondices, dont il tiroit
de belles limures d'or '' *. Fust donc par la lecture de ces livres,
fust par la hantise de ce docte Gentil-homme, qui luy donna en-
15 licrement le goust de la Poésie, et le premier jetta en son esprit la
semence de tant de beaux fruicts, qu'il a enfanté depuis^ à l'hon-
neur de noslrc France, l'an ^ mil cinq cens xlui ^o il fit trouver bon
à son père ce désir ** de se remettre aux lettres, mais non en inten-
tion qui! s'adonnast à la Poésie, luy défendant expressément de
20 tenir aucun livre François*. Mais quoy ? un tel esprit ^"- ne se pou-
voit forcer d'autres loix que des siennes propres ^^, joint que son
père mourut bien tost après, àsçavoirlesixiesme jourdeJuin i544>
en la ville de Paris, servant son quartier chez le Roy*. Ronsard donc
1. C supprime or que tous deux fussent sortis de page
25 2. C avoit tousjours un Virgile en main, interprétant
3. B de ce grand Poëte, où il prit si grand appétit que depuis il ne fut jamais
sans un Virgile, jusqucs à l'aprendre entièrement par cœur *. Il ne laissoit toutes-
fois d'avoir tousjours en main quelque Poëte F'rançois | C même var., avec cette
addition par cœur, tant peut servir la nourriture du premier laict qui laisse tous-
30 jours en nous une habitude de sa première qualité. Il ne laissoit...
4. A de la rose
5. A et lesquels
6. A Les
7. B de riches limures d'or. | C un Romant de la Rose, et les œuvres de
35 Clément Marot, lesquelles il a depuis appelle, comme on lit que Virgile disoit de
celles d'Ennie, les nettaieures dont il tiroit comme par une industrieuse laveure
de riches limures d'or.
8. C qu'il a depuis produit
9. A France. L'an
40 10. B l'an mil cinq cens quarante trois | C l'an 1543
11. C le désir
12. A livre François, mais quoy, un tel esprit I C livre François, l'ayant cogneu
presque des le berceau enclin au mestier des Muses. Mais quoy, un tel esprit
13. B un tel esprit qui dés sa naissance avoit receu celte scintille et fatale impres-
45 sion pour la Poésie qu'on ne peut deslourner *, ne se pouvoit forcer d'autres loix
que des siennes propres : | C même var., mais scintille est remplacé par infusion,
forcer par lier, et le dernier mot est supprimé.
DE PIERRE DE RONSARD
voulant recompenser le temps perdu, ayant le plus souvent pour
compagnon le sieur de Carnavalet*, se desroboit de l'Escurie du
Roy, où il estoit logé ^ aux Tourncllcs*, pour passer l'eau et venir
trouver Jean Dorât -, excellent personnage, et celuy que l'on peut
5 dire la source de la (bnlaine qui a abbreuvé ^ tous noz Poètes des
eaux Piericnnes, et auquel je doy aussi une partie de mes estudes**
Dorât demeuroit lors vers l'Université •', chez le seigneur Lazare de
Baïf, Maistre des Requestes ordinaire '"' de | l'hostel du Roy, et [10]
enseignoit les lettres Grecques à Jan Antoine de Baïf, son fils *, per-
10 sonnage aussi des plus doctes et des premiers compagnons de Ron-
sard, et maintenant le dernier'' survivant à cette docte volée ^ de
bons esprits, qui se fit paroitre en ce temps-là ". Depuis, Ronsard
ayant sçeu que Dorât alloit demeurer au collège de Cocqueret, dont
on l'avoit fait Principal '^', ayant souz sa charge le jeune Baïf, il
15 délibéra de ne perdre une si belle occasion, et de se loger avec luy *;
car ^^ ayant ja esté^^ comme charmé par Dorât du phyltre des
bonnes lettres, il vit bien que pour sçavoir quelque chose, et princi-
palement en la Poésie, il ne faloit seulement puiser l'eau es rivières
des Latins, mais recourir aux fonteines des Grecs. Il se fit compa-
20 gnon de Jan Antoine de Baïf, et commença à bon escient par son
émulation à estudier *. Vray est qu'il y avoit grande différence, car''-^
Baïf estoit beaucoup plus avancé en l'une et l'autre langue, encor
que Ronsard surpassast beaucoup Baïf d'âge, l'un ayant vint ans ^*
passez et l'autre n'en ayant que seize* : neantmoins ^^ la diligence
25 du maistre, l'infatigable travail de Ronsard, et la conférence amia-
ble de Baïf, qui à toutes heures luy desnoiioit les plus fascheux
1. Cde Carnavalet, Gentil-homme Breton, et des mieux nourris, se desroboit de
l'Escurie du Roy, près de laquelle il estoit logé
2. C Jean Dorât, honeur du pajs Limosin
30 3. BC la source qui a abbreuvé
4. C eauës Pieriennes, ou comme Ronsard a dit de luy, le premier qui a des-
toupé la fonteine des Muses parles outils des Grecs et le réveil des sciences mortes,
auquel je doy aussi une bonne partie de mes estudes :
5. C lors au quartier de l'Université
35 6. C ordinaires
7. BC et maintenant un des derniers
8. C à ceste première et docte volée
9. C en ce temps là, et auquel est deu l'honeur des premiers vers François,
mesurez à la mode des Grecs et François. [i604-/630 des Grecs et Latins.] *
40 10. C que Dorât alloit establir une académie [i609-ï630 Académie] * au collège
de Cocqueret, duquel on lui avoit baillé le gouvernement,
11. A avec luy, car
12. 160^-1630 ayant esté
13. B différence : car
45 14. BC vingt ans
15. A seize : Neantmoins | BC seize. Neantmoins
12 DISCOURS DE LA VIE
cominencemens de la langue Grecque, comme Ronsard en contr'-
eschange discouroil dos moyens ^ qu'il sçavoit pour s'acheminer à
la Poësie Françoyse, lurent cause qu'en peu de temps il s'apperçeul
dun grand avancement- *. El n'est à ometlre en col endroit que
5 Dorai •' par un arlifice nouveau iuy apprcnoil la langue Latine par
la Grecque ^ *. Nous-'' ne pouvons aussi oublier de quel désir et
envie ces deux futurs ornemens de la France s'adonnoient à l'es-
tude : car ^' Ronsard qui avoit demeure en Court, accoustumé à
\oillor tard, cstudioil jusques à deux heures après minuit'^, et se
10 couchant resveilloil Baïf, qui se levoit, et prenoil la chandelle, et
ne laissoit refroidir la place*. En cette contention d'honneur il
demeura cinq ans avec Dorai*, continuant lousjours l'estude des
lettres Grecques cl des autres bonnes sciences, pour lesquelles il fut
aussi auditeur d'Âdrian Turnebe, grand personnage certes, et tel
15 que Ronsard a estimé ] avoir esté par le Sonet qu'il fît en sa mort^ *. [11
Il s'adonna deslors souvent à faire quelques Sonets et tels petits ou-
vrages, premiers essais d'un si brave ouvrier^*. Quand Dorai eut
veu que son instinct se deceloit à ces petits échantillons, il Iuy
prédit qu'il seroit quelque jour l'Homère de France *, et pour le
20 nourrir ^^ de viande propre Iuy lent de plain vol le Promethée
d'j^îschyle, pour le mettre en plus haut goust d'une Poësie, qui
n'avoit encor passé la mer de deçà, et en sa faveur traduisit cette
Tragédie en François, laquelle si tost que Ronsard eut goustée : Et
quoy ^S dit-il à Dorât, mon maistre, m'avez vous caché ^- si long
25 1. C comme Ronsard, encontre eschange, Iuy apprenoil les moyens
2. C qu'en peu de temps il recompensa le temps perdu
3. B Et n'est à omettre que Dorât
4. C Et n'est à oublier que Dorât par un artifice nouveau Iuy apprenoit la
langue Latine, sçavoir est, par la Grecque.
30 5. A par la Grecque : nous
6. A à l'estude. Car | B à l'estude. Car
7. C Ronsard qui avoit esté nourry jeune à la Cour, accoustumé à veiller tard
[1623, 1630 virgule après tard] continuoit à l'estude jusques à deux et trois heures
après minuict
35 8. B il demeura sept ans avec Dorât continuant tousjours l'estude des lettres
Grecques et Latines, et de la Philosophie, et autres bonnes sciences, pour les-
quelles il fut aussi auditeur d'Adrian Turnebe, Lecteur du Roy et l'honeur des
lettres de son temps. | C mcnie var., avec cette fin de phrase et l'honeur des bonnes
lettres.
40 9. C II s'adonna deslors souvent à faire quelques petits poèmes, où paroissoit
deslors je ne sçay quoy du magnanime charactere de son ^'irgile, premiers essais
d'un si brave ouvrier.
10. C l'Homère de France : car Dorât a eu tousjours je ne sçay quoy d'un divin
Génie pour prévoir les choses à venir *, parole qu'il engrava [1609-1630 qu'il
45 s'engravaj fort avant en l'esprit : cl pour le nourrir
11. A eut goustée, et quoy | B eut goustée. Et quoy | C eut savouré: Et quoy
12. A pas de virgule après maistre.
DE PIERRE DE RONSARD l3
temps ces richesses ^ *? Ce fut ce qui l'incita ^à tourner en Fran-
çois le Plulus d'Aristophane, et le faire représenter en public au
collège^ de Cocqueret, qui fut la première Comédie Françoisejotiée
eti France *. Baïf aussi comme luy y prit appétit*, et à l'exemple
5 de ces deux jeunes hommes plusieurs beaux espris se réveillèrent *
et vindrent boire en cette fonteine dorée, comme M. Antoine de
Muret, qui avoitja grand avancement en l'Eloquence Latine*, Lan-
celot Caries*, et quelques autres ^, qui tous ensemble à l'envy fai-
soient tous les jours ^ sortir des fruicts nouveaux, et non encore
10 veus en nostre contrée '^. Mais Ronsard qui n'avoit ny faute de cœur
et d'ambition pour l'honneur, ny d'enthousiasme pour monstrer ^
que la Poésie estoit née avec luy en France, osa passer plus avant,
et pria Dorât de luy ouvrir le chemin d'Homère, dePindare, et de
Lycophron. Il ^ ne vit pas si tost le passage ouvert qu'il se fistmais-
15 tre de la plaine. Voyant ^^ que nostre langue estoit povre^S il tacha
de l'enrichir de beaux epithetes, inventa mots nouveaux, renouvela
les vieux, et traça le chemin ^- pour aller chercher des trésors en plus
1. C d'une poësle qui n'avoit encore passé les mers de deçà, qui pour lesmoi-
gnage du profit qu'il avoit fait, traduisit ceste Tragédie en François, l'effect de
20 laquelle, si tost que Ronsard eut savouré : Et quoy, dit-il à Dorât, mon maistre,
m'aviez vous caché si long temps ces richesses ?
2. B l'incita encor | C l'incita encor, outre le conseil de son précepteur,
3. C au Théâtre
4. jBC comme luy y mit son envie
25 5. iiC Lancelot Caries, RemyBelleau * et quelques autres
G. BC faisoient chacun jour
7. C en nostre contrée. Pour ne demeurer ingrat de tant de biens, une des pre-
mières Odes qu'il fit fut à la louange de Dorât, et commençoit ainsi :
Puisse-je entonner un vers
30 Qui raconte à VUnivers ,
T'en los porté sur son aile.
Et combien Je fus heureux
Succer le laict savoureux
De ta féconde mammelle :
35 Sur ma langue doucement
Tu mis au commencement
Je ne sçay quelles merveilles.
Que vulgaires je rendy.
Et premier les espandy
40 Dans les Françaises oreilles *.
8. B ny faute de cœur et de sang vigoureux, ni de généreuse ambition pour
l'honneur, ny d'enthousiasme pour monstrer | C ny faute de cœur ny d'enthou-
siasme, pour monstrer
9. AC Lycophron : il
45 10. C de la campagne, voyant | Î60i de la campagne : voyant
11. BC pauvre
12. BC il tascha de la desfricher, et enrichir, inventant mots nouveaux, r'appel-
lant et provignant les vieux, adoptant les estrangers, et la parant [C la revestant]
de propres Epithetes, et de mots heureusement composez [C composez à la façon
50 des Grecs] . Brief il traça le chemin
14 DISCOURS DE LA VIE
d'un lion, pour siipploor ' à sa nécessité *. Il essaya premièrement à
se l'orlilier - sur la \Ave d'Horace*, lequel tant s'en faut qu'en le
lisant et nrall(|uaiil on noslre langue il le dcsbaucliasl d'oser quelque
chose a[)res Pindarc, que cela luy servit d'eguillou *. II ne fault,
5 disoit-il, que la crainte se loge en un bon cœur : qui luy fait place
se rend indigne de ce qu'il prétend •* *. Il commença donc alors à
pourpenser de grans desseins, ayant fait provision de tout ce qui
esloit nécessaire pour met | tre noslre langue hors d'enfance : car [12J
d'un costé * il avoit leu les auteurs Grecs et Latins avec tel ménage *,
10 qu'il ne se prosentoit gueres sujet où il ne fist venir quelque excel-
lent traicl des anciens : d'ailleurs •'' il s'esloit csludic aux propres
mots de nostre langue, ne dédaignant d'aller es boutiques des arti-
sans, et de toutes sortes de mestiers*^, pour y apprendre leurs termes,
et comme Homère faisoit voyageant par le monde, estant en tous
15 ses voyages si curieux, que de prendre garde aux moindres choses
pour en faire son profit, soit pour la considération des naturelles,
ou de celles que l'artifice des hommes rendoit dignes d'estre
cogneiies'' *.
Environ*^ l'an mil cinq cens quarante neuf*, Joachim du Bellay,
20 1. BC et suppléer
2. BC à se rompre, façonner et fortifier
3. A en un bon cœur, qui luy fait place, se rend indigne de ce qu'il prétend.
I B en un bon cœur, qui luy fait place, ou se rend indigne de ce qu'il prétend. Et
la première Ode qu'il fit fut la complainte de (ilauque à Scylle *. | C remplace
25 toute la phrase ainsi que cela luy servit d'aiguillon pour l'entreprendre, estimant
l'esprit François capable de toute perfection. Dequoy il vint si bien à chef, que
les plus doctes jugèrent que la Lyre Grecque-Latine estoit devenue Françoise. Ce
que Jean Dorai, qui alors desnoùoit les plus envelopez passages de l'obscur Lyco-
phron, et qui le premier par cest Autheur apprit à nos François la façon des
30 Anagrames *, tesmoigna par les premiers qui furent faits du nom de Ronsard,
dont lun estoit. Rose de Pindare*, et l'autre, ^ii^ 0 TEPIIANAPOS, les lettres
surabondantes, dont les pareilles ont esté une fols employées, se réunissant
ensemble par une licence permise ou excusable *. La première Ode qu'il fit fut
la Complainte de Glauque à Scille, et celle qu'il adresse à .Jacques Peletier sur
35 l'argument des beaulez qu'il voudroit en son amie * ; aussi ne sont-elles point
mesurées ny propres à la Lyre, ainsi que l'Ode le requiert, non plus que quelques
autres qu'il fit en ce mesme temps *.
4. A d'enfance, car d'un costé | C de grands desseins pour mettre nostre
langue hors d'enfance ayant faict provision de toutes matières nécessaires : car
40 d'un costé
5. y4/i anciens. D'ailleurs | C qu'il ne se pouvoit présenter suject dontil n'eust
remarqué quelque excellent trait des anciens : d'ailleurs
6. B des artisans, et de pratiquer toutes sortes de mestiers
7. C transforme toute la phrase ainsi d'ailleurs il avoit couru suffisamment la
45 Philosophie en toutes ses parties, et j)our l'elegance des jiaroles, il n'j' avoit mot
propre en nostre langue qu'il n'eust curieusement recherché, ne desdaignant d'aller
aux boutiques des artisans, et pratiquer toutes sortes de mestiers pour apprendre
leurs termes, prenant garde aux moindres choses, tant naturelles que celles où
l'artifice des hommes se rend admirable, faisaut son profit de toutes.
50 8. AC pas d'alinéa
DE PIEHRE DE RONSARD l5
esprit noble, et bien iiay, cl qiii'avoit quelques bons commcnce-
mens en la Poésie Françoise, estant retourné de Poicliers, de l'es-
tudedes loix, auquel il avoit esté dédié *, changea beaucoup sonstil,
qui sentoit encor je ne sçay quoy de rance, et du vieux temps, par
5 la hantise de Ronsard, et de Baïf ^ *. C'estoit à qui mieux mieux
feroit, tantost sur le sujet d'amour, qui se monstra lors le plus ordi-
naire en noslre France, tantost sur quelque occasion que le temps
presentoit - : comme Ronsard ^, qui ne pouvoit plus se tenir en ses
bornes, fit premièrement veoir le jour à un Epithalame ^ sur le
10 mariage de Monsieur de Vendosme, qui espousa Madame Jeanne
d'Albret, Royne de Navarre * : puis fit V Entrée du Roy -^ qui fut
suivie de V Hymne de la Paix ^ *. Bail" aussi en mesme temps mit
en lumière le Poème de la Paix et le Ravissement d'Europe "' *. Puis
Ronsard s'estant ressouvenu d'une belle fdle qui avoit nom Cassan-
15 dre *, qu'il eut seulement moyen de voir, d'aimer, et de laisser à
mesme instant en un voyage qu'il fit à Bloys, à son retour d'Escosse*,
il se délibéra^ de la chanter, comme Pétrarque avoit faict la Laure^,
amoureux seulement de ce beau nom, comme luy mesmes m'a dit
maintefois ^^ *, ce qu'il semble quasi vouloir donner à cognoistre en
20 un Sonet qui commence :
1. C Environ ce temps qui estoit l'an mil cinq cens quarante neuf, ainsi qu'il
retournoit d'un voj'age de Poictiers à Paris, de fortune il se rencontra en une
mesme hostellerie avec Joachim Du Bellay *, jeune Gentil-homme Angevin, et
issu de ceste illustre et docte maison de Du Bellaj', lequel en retournant aussi de
25 Poictiers de l'estude des loix, où il avoit esté dédié, comme ordinairement les
bons esprits ne se peuvent celer non plus que la lumière de Phœbus Apollon leur
guide, ils se firent cognoistre l'un à l'autre, pour estre non seulement alliez de pa-
rentage, mais de mesme inclination aux Muses *, qui fut cause qu'ils achevèrent
le voyage ensemble : et depuis l'attira Ronsard à demeurer avec luy et Baïf, pour
30 en cest heureux Triumvirat, et à la semonce les uns des autres, donner effect à
l'ardent désir qu'ils avoient de reveiller la Poésie Françoise avant eux foible et
languissante * : par la hantise desquels luy qui s'estoit plus adonné à la Poésie
Latine qu'à la Françoise* changea beaucoup son stil, qui sentoit encor quelque
chose de rance et du vieux temps.
35 2. C C'estoit à qui mieux mieux feroit, tantost sur le suject d'Amour, qui deslors
quitta l'Italie pour voler en France, tantost (on lit France : tantost) sur quelque
autre suject, que le temps leur presentoit :
3. A presentoit, comme Ronsard | B presentoit comme Ronsard | C presen-
toit : Comme Ronsard
40 4. C à l'Epithalame
5. A Navarre : Puis fit l'entrée du Roy
6. AB Hymne de la paix | C puis [fit] un Poëme sur l'entrée du Roy à Paris
qu'il a suprimé, qui fut suivy de l'Hynne de la Paix
7. AB le Poëme de la paix et le ravissement d'Europe | C le Poëme de la Paix
45 et le ravissement d'Europe.
8. A d'Escosse : Il se délibéra | B qu'il fit à Blois, aiant lors attaint l'âge de
vingt ans *, il se délibéra
9. B sa Laure
10. A luy mesmes ma dit maintefois | B ainsi que luy mesmes m'a dit autrefois:
l6 DISCOURS DE LA VIE
Soit ce nom vrai] ou faux * *.
Ainsi que le bniict couroit des Amours de Cassandre ^ et de quA-
tre livres d'Odes *. queja Ronsard proniettoit àla façon d'Horace et
à celle ■' de Pindare, comme ordinairement ^ les | bons esprits sont [13]
5 jaloux les uns des autres, Du Bellay 5, qui avoit sur le mesme sujet
d'amour chanté son Olive *, fit le fin, et sans mot dire '\ pensant
prévenir la renonmiée de Ronsard, fit imprimer son Recueil de
Poésie " * : ce qui engendra en Ronsard , si non une envie, à tout
le moins un mescontentement ^ contre du Bellay, qui ne dura
10 longtemps: car ^ comme les esprits ambitieux de gloire facilement
se courroucent ^^, aussi promptement se reûnissent-ils, les Muses ne
pouvant estre seules, ains vivans toujours en compaignie ^^ : encor
que du Bellay de son costé eust opinion d'avoir este picqué parluy,
quand allant voir Ronsard et Baïf il trouva sur leur table un de ses
15 livres que Baïf avoit apostille en la marge, remarquant quelques vers
et hémistiches, comme pris de Ronsard, pensant que ç'eust esté luy
\. B à cognoislre par cette devise qu'il print alors, ilS lAON lîS EMANHN :
et par un lieu en ses œuvres, où il dit :
Soit le nom faux on vraij.
20 I C d'Europe. Depuis Ronsard s'estant énamouré d'une belle fille Blesienne qui avoit
nom Cassandre, le vingt uniesme jour d'Avril * en un voyage qu'il fit à Blois où
estoit la Cour, aj'ant lors attaint l'âge de vingt ans résolut de la chanter, tant pour
la beauté du suject que du nom, dont il fut épris * aussi test qu'il l'eut veuë, ainsi
que par un instinct divinement inspiré : ce qu'il semble assez vouloir donner à
23 cognoistre par ceste devise qu'il print alors i2S lAON <>S EMANUN \1630 vr
viDi UT iNSANii]. Aussi par ceste Cassandre Troyenne on dit qu'il représenta misti-
quement l'envie qu'il avoit de chanter l'origine de nos Bois issus des Troyens :
suject dont il estoit deslors amoureux *.
2. A des amours de Cassandre
30 3. B et de celle
4. B Pindare : comme ordinairement | C à la façon de Pindare et d'Horace,
comme le plus souvent
5. AC autres. Du Bellay
6. B son Olive, après luy sans mot dire | AB pas de virgule après dire
35 7. A recueil de Poésie
8. B à tout le moins une petite jalousie
9. A long temps, car
10. C Du Bellay, qui avoit sur le mesme suject d'Amour chanté son Olive, après
luy voulut s'essayer aux Odes sur l'invention et crayon de celles de Ronsard,
40 qu'il trouva moj-en de tirer et de voir sans son sceu. Il (on lit sceu, il) en composa
quelques unes, lesquelles avec quelques Sonets sans mot dire, pensant prévenir la
renommée de Ronsard, il mit en lumière sous le nom de Recueil de Poésie, qui
engendra en Ronsard sinon une envie, à tout le moins une raisonnable jalousie
contre du Bellay, jusques à intenter action contre luy pour le recouvrement de ses
45 papiers, lesquels aj'ant retiré par droit, non seulement ils quittèrent leur querelle,
mais (on lit querelle. Mais) Ronsard ayant incité du Rellaj' à continuer ses Odes,
redoublèrent leur amitié, et jugèrent que telles petites ambitions sont les plus
douces et ordinaires pestes des cœurs généreux : et que comme les esprits jaloux
de gloire facilement se courroucent
50 11. C ne pouvans demeurer seules, ains vivans tousjours de compagnie.
DE PIERUE DE RONSARD I ^
quieust faicl telles annotations * *. Mais après qu'il eut faict impri-
mer ses Amours-, et les quatre livres des Odes ■* *, à ceste nais-
sante gloire de Ronsard s'opposa^ un gros escadron de petits
rimeurs de Court, qui pour faire une Balade, un Chant Royal -'', ou
5 un Rondeau avec le refrain mal à propos, pensoient avoir seuls
mérité tous les Lauriers d'Apollon *. Le chef ^ de ceste bande, pource
qu'il sçavoil quelque chose plus que les autres, et avoit acquis'^
beaucou[) de crédit envers les grans, et principalement auprès du
Roy, osa bien se découvrir : et ^ plus tost meu du cry de ces gre-
10 nouilles courtisanes que de jugement ^, pensoit troubler l'eauë ^^
Pegasine à cet Apollon nouveau, quand de mauvais cœur en plaine
assemblée il blâma au Roy ^' les œuvres de Ronsard *. Maisquoy?
un grand 1- Poëte comme cestuy-cy ne devoit pas avoir moins de
Zoïles ^^ qu'Homère et Virgile, puis qu'il devoit succéder à pareille
15 louange. lia touché ^^ luy-mesmes ceste querelle en l'Hymne triom-
phal qu'il fit '"' après la mort de Madame Marguerite, Royne de
Navarre, imprimé avec ses autres Epitaphes*, faicts par les trois
sœurs Angloises, où se lisoit autrefois sur la fin :
Ecarte loin de mon chef
20 Tout malheur et tout meschef.
Préserve moi d'infamie
De toute langue ennemie, \ [^4]
Et de tout acte malin.
Et fag que devant mon Prince
25 Désormais plus ne me pince
La tenaille de Melin *.
Mais en faveur de S. Gelais i'\ qui rechercha depuis son amitié, il
1. bC suppriment toute cette phrase depuis encor que du Bellay
2. A ses amours
30 3. C fait voirie jour à ses Amours, et à quatres {sic) livres d'Odes
4. A Ronsard, s'opposa
5. C qui pour avoir fait un petit Sonet petrarquisé, un Dizain
6. A d'Apollon : le chef
7. B pource qu'il sçavoit plus que les autres, et avoit acquis j C Le chef de
35 ceste bande fut Melin ou Melusin Gentil-homme de la maison de Sainct Gelais,
issu de celle de Lusignan en Poictou, tant célèbre par les incroyables merveilles
de la Fée Melusine, qui pour sçavoir plus que les autres, et avoir acquis
8. A se découvrir, et
9. B que de son jugement | C que de son propre jugement
40 10. A leauë | C l'eau
11. 6 en pleine assemblée il calomnia devant le Roy | C en pleine assemblée
devant le Roy il calomnia
12. A Mais quoy, un grant | C Mais quoy, un grand
13. B de Zoïles et de Cabiles | C de Zoïles et de Carbiles
45 14. A louange : il a touché
15. C en l'Hynne qu'il fit
16. C Saint Gelais
VIE DE p. DE RONSARD.
l8 DISCOURS DE LA VIE
changea ces vers ' *. Ceux c[ui n'avoienl occasion de le reprendre,
s'ils naccusoienl - leur ignorance, avoient recours aux moqueries,
faisans courir contre luy leurs Rondeaux et Dizains avec quelque
froide poincte au dernier vers et n'y eust il rien de bon à tout le
5 reste : mais ** ces injures n'estoient dignes du courroux d'un tel
Lyon *. Les autres, qui senibloient procéder avec plus de jugement,
disoient que sesescrits estoient pleins de vanterie, d'obscurité et de
nouveauté *, et le rcnvoioient bien loing avec ses Odes Pindariques,
lournans le tout en risée •'' * : dont '• est venu mesnies le proverbe,
10 quand quelqu'un s'escoute parler el veut farder '' el mignarder son
langage, ou faire quelque chose de nouveau^, de dire : Il veut
Pindariser ^ *. Toutes lesquelles mesdisances il n'a point voulu
celer luy mesmes en ses escrits, comme on peut voir au Sonet à
Pontus de Tyard, qui commence :
15 Tyard, on me blasmoit à mon commencement,
Dequoy f estais obscur, '" *
1. C il ne changea pas seulement ces vers qui se lisent aujourd'huy autrement,
mais l'honora de litres et louanges non communes par ses escrits, tesmoignages
de sa naturelle candeur, l'appellanl le premier des mieux appris.
20 2. A s'il n'accusoient
3. A reste, mais
4. B Lion. | C avoient recours aux sornettes et mocqueries, lisans au Roy
ses vers tronquez et les prononçants (sic) de mauvaise grâce, mesmes les mots non
communs, d'une ignorance et courtisane impudence*, et faisans courir contre luy
25 leurs calomnieux et fades escrits. Tel fut jadis Hachilide à l'entour d'Hieron Roy
de Sicile, tant noté par les vers de Pindare : Et tel encor fut l'envieux, sçavant
toutefois, Callimaque, impatient qu'un autre flatast les oreilles de son R03' Ptolo-
mée *. Mais ces injures n'estoient dignes du courroux d'un tel Ij'on, et pouvoit
bien se vanter de la victoire, puis que ses ennemis, qui estoient tres-mal embas-
30 tonnez, le combatoient si foiblcment, et de coups qui ne faisoient sinon que couler
sur le polj' de sa gloire. Les autres
5. C avec ses Odes Pindariques, Strophes et Antistrophes, lournans toutes choses
en risée
6. AC en risée, dont
35 7. BC quand quelqu'un veut farder
8. C son langage, ou escrire d'un stile obscur ou nouveau et non accoustumé,
ou mesmes affecté,
9. AB de dire. Il veut Pindariser
10. B Ma Muse estait hlasméc à mon commencement
40 D'apparoistre trop haute au simple populaire.
I C comme on peut voir en l'une de ses Odes, où il dit ainsi :
Si dés mon enfance
Le premier de France
J'ay pindarisé :
46 De telle entreprise
Heureusement prise
Je me ooy prisé *.
Aussi au Sonet à Pontus de Tj-ard, qui commence : [suit la citation de B)
DE PIERnE DE RONSARD IQ
et on lin aiilroendioil au cinquiesiuo Hmo dos Odes, on la dciixiesme
à Madame. Margucrilo, Ducliossc de Sa\f)ye, quand il dit' :
Et puis
Mais ([lie feray-jc à ce vulgaire
A uni jamais je nay sccii plaire,
Nij ne plais, nij plaire - ne veux ?
L'un crie que trop je me vanlc.
L'autre que le vers que je chante
N'est point bien joinct ne maçonné *.
10 Occasion pour laquelle 3, voyant que l'obscurité dont on le blas-
moit venoit de l'ignorance de ceux qui lisoient ses œuvres, délibéra ^'
d'escriro en slile plus facile les Amours de Marie *, qui estoit une
fille d'Anjou, et laquelle il entend souvent | souz le nom du Pin de [15]
Bourgueil "'• *, qu'il a via) ment aimée. Et afin'' (rosier loute obscu-
15 rite, M. Antoine tle Miirel, et liemy Belleau dressèrent des annota-
tions sur la première et seconde partie de ses Amours *. Le mesme ''
Muret (outre ce que Ronsard en plusieurs endroicts défend luy
mesme sa cause) en l'epistre qu'il rescrit à monsieur Fumée, avant
son commentaire sur les Amours, respond à toutes ces calomnies*,
20 lesquelles en fin ressemblèrent ^ aux bouteilles que font les petits
enfans, avec le savon, qui se crèvent aussi tost qu'elles sont faictes,
et ne laissent aucune marque d'avoir esté, n'estant autre cbose que
vent ^: ou comme des nues qui engendrées du brouillas d'une nuict,
1. H Et (on lit aussi Et en A) en un autre endroit au cinquiesme livre des
25 Odes, en celle à Madame Marguerite, Duchesse de Savoye, où il dit : (suit la cita-
tion de A) I C Et en un autre endroit, [suit la citation de AD)
2. A N'y ne plais, n'y plaire
3. BC Raison pour laquelle
4. C voyant que la docte obscurité, dont on le blasmoit, venoit de l'ignorance de
150 ceux qui lisoient ses œuvres, il délibéra
5. C qui estoit une belle 011e d'Anjou, et laquelle il entend souvent sous le nom
du Pin de Bourgueil, parce que c'est le lieu où elle demeuroit et où il la vid pre-
mièrement, s'estant trouve là avec un sien amy qui estoit Haïf *.
6. A aimée : Et afin | B aimée, et de laquelle * se lisent assez de Sonnets,
35 que le peu d'artifice et la pure simplicité recommandent. Et afin | C II l'a fort
aimée après avoir fait l'amour à Cassandre dix ans, et icelle quitté [160^ quittée]
par quelque jalousie conceuc *. Quant aux Amours de Marie, il s'y trouve assez
de Sonets, que le peu d'artifice et la pure simplicité à la Catullienne recomman-
dent beaucoup *. Mais à fin
40 7. A Lemesme
8. B seconde partie de ses Amours. Toutes ces calomnies en fin ressemblèrent |
C seconde partie de ses Amours. Il souloit dire que ces courtisans envieux ressem-
bloient aux mastins qui cherchent à mordre la pierre qu'ils ne peuvent digérer *.
Toutes ces calomnies en fin ressemblèrent
45 9. BC suppriment n'estant autre chose que vent
20 DISCOURS DE LA VIE
s'evanouirenl ^ aux rayons de ce Soleil-, par le moyen du soutien
qu'eut sa vertu des plus grands esprits de la France, et principale-
ment de madiclc Dame Marguerite -^ qui lut depuis Duchesse de
Savoye * : laquelle*, estant s(;avante, fit changer d'o|)inion au Roy,
5 qui au contraire gousta ■'' lellcmenl la heautédes œuvres de Ronsard,
qu'il estima à grand honneur d'avoir un si bel esprit en son
Royaume, et de là en avant le gratiffia ^ et d'honneurs, et de biens
assez amplement, et de pension ordinaire*. Luy mesme en l'Ode
deuxiesme du cinquiesmc livre tcsmoigne assez quel bon office
10 luy fit madicle Dame Marguerite '', escrivant qu'elle estoit
Seule en France
Et la colonne et Vesperance
Des Muses, la race des Dieux :
et plus bas ^ :
15 N'est-ce point toy docte Princesse
Ainçois ma mortelle Déesse
Qui me donnas cœur de chanter '^ ?
Messire Michel de l'Hospital, lors Chancelier de ladicte Dame de
Savoye, et depuis de France *, entreprit'^ la défense de Ronsard, et
20 de faict ^'^ composa une tresdocte Elégie ^^ en son nom, où il respond
à toutes les calomnies, laquelle n'est encores imprimée, et qui sera
mise au front de ses œuvres, commençant :
Magnificis aulae cultoribus atque Poêtis *, | [16j
1. C Toutes ces calomnies en fin ressemblèrent aux boûillettes que la violence
25 d'une pluie fait boursoufler sur l'eau, qui se crèvent aussi tost qu'elles sont engen-
drées, et ne laissent aucune marque d'avoir esté, ou comme des nues qui enflées
du brouillas [1617, 1623 brouillars | 1630 de broûillars] d'une nuict, s'esva-
noùirent [1609-1630 s'esvanoûissent] *
2. A soleil {toutes les éd. suio. ont une majusc.)
'M 3. C et principalement de ceste unique Marguerite
4. AC Savoye, laquelle
5. C laquelle (comme Princesse tres-vertueuse et sçavante) fit changer d'opi-
nion au H03', qui depuis gousta
6. BC gratifia
35 7. BC luy fit cette Dame,
8. AB Dieux. Et plus bas
9. C Qui me donnas cœur de chanter Y
Et en un autre endroit la regrettant :
Qui donnera le pris aux mieux disans,
40 Et sauvera leurs vers des medisans * ?
Ce grand Caton de nostre âge *, Michel de l'Hospital, lors Chancelier de ceste
Dame, et depuis de France, entreprit aussi
10. /i Ronsard : et de faict | C Ronsard. Et de fait
11. C fit une tresdocte Elégie Latine
DE PIERUE DE UONSARD
et une autre * que Ronsard mosmc a insérée en ses Hymnes -*. En
recompense dequoy Ronsard luy envoya ceste belle Ode, où con-
firmantce que je viens de dire ^, il faict dire par Jupiter aux Muses :
Siiyvez donc ce guide icy
5 De qui la docte asseurance
Franches de peur '" vous fera.
Et celug qui défera
Les soldats de l'Ignorance ■' *.
Cette brigade de muguets ignorans ne fut pas plustost desfaicte 6
10 par l'Egide de ceste Pallas de France ''*, et par les vers et défense de
ce grand Chancelier, que toute la France commença à embrasser un
Ronsard, mesmes ses ennemis: entre autres Melin de S. Gelais s,
qui chanta une Palinodie*, et requit Ronsard d'amitié, laquelle
Ronsard, comme il estoit d'un cœur fort noble et bénin, ne refusa'^,
15 ains au contraire la confirma par le sceau perdurable de ses vers,
en l'Ode \xv du quatriesme livre 'o, qui commence ^^ :
Tousjours ne iempeste enragée
Contre ses hors la mer Egée *.
Sa gloire s'estant augmentée par les mesdisances de ses hai-
20 neurs, et le cœur luy ayant enflé, il projetta en l'honneur du Roy
Henry et de ses prédécesseurs Roys, d'escrire la Franciade à l'imi-
tation d'Homère et de Virgile, et la promit deslors, mais il n'en
fit rien voir durant son règne *. Bien ^- fit il sortir ses Hymnes
1. A Poclis. Et une autre
25 2. B où il respond à toutes les calomnies, laquelle j'ay pensé devoir estre mise
au jour avec ses œuvres, aussi bien que le Poërae, que Ronsard mesme a inséré
dans ses Hymnes. Le commencement de l'EIegie est tel :
Magnificis aulae cultoribus atque Poëtis.
En recompense | C même var., sauf mise au jour aussi bien que le Poëme de luy
30 mesme que Ronsard a voulu estre enchâssé dans ses Hymnes.
3. C où confirmant ce que j'ay dit
4. ABC Franche de peur (/". d'impr. évidente, corrigée seulement en Î623, refaite
en 1630,
5. AB de l'ignorance
35 6. C de muguetz ignorans qui avoient gaigné quelque crédit plus par opinion que
par raison, et qui ne faisoient trouver rien de bon aux Princes que ce qui leur
plaisoit *, ne fut pas plustost défaite
7. BC ceste Pallas Françoise
8. C commença d'embrasser un Ronsard, mesmes ses ennemis, entre autres
40 Melin de sainct Gelais
9. C laquelle comme il estoit d'un cœur fort noble et bénin, il ne refusa pas,
10. A virgule après xxv
11. BC par le seau perdurable de ses vers, en ceste Ode, (suit la cit. de A)
12. A son règne : bien
32 DlSCOriiS DE I,A VIK
|ilaiiis 1 tlo doctrine cl de Majeslé Poëtiqiio, où il monslra - comme
il avoil l'cspril c\ le slyle jiloiable •' à loiilos soties d'argumens*.
Ce fiil ' ce (|ui le lil esliniev eiicor diiNanlage des grans, et princi-
palemenl du Cardinal de Chaslillon. <|ni lavorisoil Corl les hommes
5 de l(ilres *. cl du Cardinal do Lorraine •'', qui l'aima fort, et l'honora
sv\o\\ le inerilc de sa vertu * : il n'y avoit grand Seigneur en France
qui ne linl à grande gloire d'estre en son aniilir. dont ses œuvres
lont iisse/. de ioy ". Ce lui aussi ce qui incita "' le sieui- de (jlany*,
à qui le Roy Hem-y avoit commis la conduite de l'architecture de
10 ses chasleaux, de lairt* enoraver en deniibossc '^ sur le hault du
Louvre^ une | Déesse en forme de Renommée. (|ni '" embouche [17]
une trompette ^K Et comme un jour le Hoy estanlà table luy de-
mandoit ce qu'il vouloit signifier, il luy respondit qu'il entendoit
Rousard |)ar la figure, et par la trompette la force de ses vers,
15 qui '- poussoit soïi nom, et celny de la France par tout le
monde ^^ *.
En mesme temps * il récent de Tolouzc une gratification, non
seulement libérale, mais qui temoignoit le bon esprit et juge-
ment 1* de ceux qui l'olTroient, et le mérite de celuy qui la ^^ rece-
20 l. BC pleins
2. C et le cœur luj'^ aj'ant enflé, il résolut à l'honeur du Roy Henrj' et de ses
devanciers Roys d'escrire la Franciade à l'iinllation d'Homère et de Virgile, les-
quels il se proposa pour patrons avec Apolloine Rhodien *, et la promit deslors
et la commença, mais il n'en fit rien voir durant son règne, pour n'avoir esté
25 recompensé comme il esperoit par ce Prince, dont l'inclination estoit plus aux
armes qu'aux lettres et autres exercices de paix : ce qui fit désirer à nostre Ron-
sard le règne du grand Roy François I et d'estre venu de son temps *. Rien fit-il
sortii' alors ses Hynnes pleins de doctrine et de Majesté Poétique en faveur de
ceste brave Princesse Marguerite sœur du Roy, où il monstra
30 3. On lit ploiablc on p\oyah\e au singulier dans toutes les éditions.
4. A d'argumens : Ce fut
5. C et de Charles Cardinal de Lorraine
6. C en son amitié, et ses œuvres en font assez de foy.
7. C ce qui esmeut
35 8. B demi-bosse | C demy bosse
9. BC sur le hault de la face du Louvre
10. C une Déesse qui
11. A trompette, et comme | C une trompette, et regarde de front une autre
déesse portant une couronne de lauriers [1609-1630 laurier], et une palme en ses
40 mains, avec cette inscription en table d'attente [on lit dattente; et marbre noir :
VIRTUTI REGIS IN-
VICTISSIMI.
12. A de ses vers qui
13. C ce qu'îl vouloit signifier par cela f,] il luy respondit qu'il entendoit Ronsard
45 par la première figure [,] et par la trompette la force de ses vers, et principalement
de la Franciade qui pousseroit son nom et celuy de la France par tous les quar-
tiers de l'univers.
14. C le bon jugement
15. AB le [f. d'impr. évid.)
DE PIERRE DE RONSARD 23
voit. Chacun ' sçait le pris proposé à Thoulouze aux Jeux Flo-
raux 2 qui furent instituez par ceste noble Dame ^ Clémence Isore à
celuy qui seroit trouvé avoir mieux faict des vers*, lequel est gra-
tifié (le l'Eglantine^ *. Mais'' conibion que ce prix ne se donnast
5 qu'à ceux qui se proscnloienl. otcpii avoiont faict expérience d'un
;4ontil esprit en la Poi'sie sin- le «liamp, toutefois ^ de la franche
et pure libéralité du Parlement et peuple de Tholouze, entre les-
quels monsieur de Pibrac '^ tenoit lors un des premiers rangs *, et
par décret public, pour honorer la Muse immortelle de Ronsard ^,
10 qu'ils apj)elei('nt par excellence, le Poëte François ^^, estimant
lEolanlinc trop potilo pour un si grand Poëte, lui envoyèrent une
Minerve d'argent massif de grand pris et valeur * : laquelle " Ron-
sard ayant reçeuë, présenta au Roy ^'^, qui l'eut fort agréable, l'esti-
mant d'avantage ^-^ qu'elle ne valoit, pour avoir servy de marque à
15 la valeur infinie d'un tel personnage, louant ^* aussi le faict des
Tholousains qui fort prudemment presentoient la Minerve ^^ à
celuy qui estoit le plus doiié de ses presens *. Ronsard i** leur en-
voya en recompense V Hymne de rHerciile Chrcstien ^'^ * .
Apres la mort du Roy Henry *, le Roy François deuxiesme, son
20 fils, luy ayant succédé, les troubles commencèrent à s'eslever en
France, souz prétexte de Religion : qui donna ^^ occasion à Ron-
sard de s'opposer à ceste nouvelle opinion, et armer les Muses au
secours de la France, faisant voir le jour à ses remonstrances *,
qui ''' eurent tant d'efficace pour combatre les ennemis de l'Eglise
25 1. ^ recevoit : cliacun
2. A jeus floraux
3. C par ceste genlille Dame
4. BC en vers
5. C de l'Eglantine, le suivant du soucy, et le troisième de la violette :
30 6. A Eglantine, mais
7. C de leur gentil esprit en la Poésie, toutefois
8. BC le sieur de Pibrac
9. î60ft-î6W la Muse de Ronsard
10. C par excellence le Poëte François
35 11. A valeur, laquelle | C de grand prix, laquelle
12. C au Roy soubz le nom de Pallas, présent convenable à ses valeurs
13. B beaucoup d'avantage | C beaucoup davantage
14. AB personnage : louant
15. C le fait de la Palladienne Thoulouse qui fort prudemment presentoit la
40 Minerve
16. A de ses presens : Ronsard
17. C l'Hynne de l'Hercule Chrestien qu'il adressa à Odet Cardinal de Chastil-
lon, lors ar[c]bevesque de Thoulouse, son Mœcene, et qui avoit esté des premiers
qui donna l'entrée à la réputation de sa Poésie en Cour *.
45 18. AC Religion, qui donna
19. A remonstrances qui | B Remonstrances, qui
•}\ DISCOURS DE LA VIF,
Calholiqiie. que le Roy et la Royne mere l'en gratifièrent ^ *,
comme aussi fit le Pape Pie cinquiesme, qui | l'en remercia par [18]
lettres expresses-*. Au reste les Muses, qui à cause des divisions
entre les grans sembloient ^ avoir este muettes, commencèrent* à se
5 1. C qui furent jugées de tant d'efficace pour combatre les ennemys de la reli-
gion Catholique, que le Roy et la Royne sa mere l'en gratifièrent
2. C expresses : ce qui l'ut cause que ceux de la nouvelle opinion commencèrent
à l'attaquer et dressèrent un Poënu' fort Satyrii|ue et mordant contre luy, qu'ils
nommoient le Temple de Ronsard, où en forme de tapisseries ils depeignoient sa
10 vie * : ils (on lit vie, ils") firent aussi quelques res])onses à ses remonstrances où
esloit ce tiltre, la IMetanior])liose de Ronsard *, dont les aulheurs furent un
A. Zamariel et B. de Montdieu ministres, le dernier desquels il désigne assez
par ces vers de la responsc qu'il luy fit, le comparant à Sisj'phe,
Qui remonte et repousse aux enfers un rocher
15 Dont tu as pris ton nom *.
Ils le blasmoient entre autres choses d'avoir sacrifié un bouc à Jodelle au village
d'Hercueil *, mais il respond asscs luy rnesme à ce chef d'accusation *, et voicy
ce qui en est : Jodelle avoit fait représenter devant le Roy la Tragédie de Cleo-
palrc, qui eust tel applaudissement d'un chacun, que quelques jours après, s'estant
20 toute la brigade des Poètes trouvée en ce village, pour passer le temps et s'esjouir
aux jours licentieux de Caresme prenant *, il n'j' eust aucun d'eux qui ne fist
quelques vers à l'imitation des Bacchanales des anciens, il vint à propos de ren-
contrer un Bouc par les rues, qui leur donna occasion de follastrer sur ce suject,
tant pour estre victime de Bacchus, que pour faire contenance de le présenter à
25 Jodelle, et représenter le loier de sa Tragoedie à la mode ancienne, à laquelle les
Chrestiens mesmes, et principalement les Poètes recourent par fois, non par
créance aucune, mais par allusion permise : et ce qui en fit croire quelque chose
furent les vers et folastries [160^ et éd. suiv. folastreries] de ces Poètes qui furent
mises au jour *, et mesmement les Dythirambes (sic) de Bertrand Berger Poëte
30 dythirarabique [sic) *, où se lisent ces vers :
Mais qui sont ces enthyrsez
Hérissez
De cent fueilles de lierre.
Qui font retentir la terre
35 De leurs pieds et de la teste,
A ce bouc font si grand feste.
Chantant tous autour de luy
Ceste Chanson bris'ennuy,
lach lach evoé,
40 Evoé lach lach.
Tout forcené à leur bruit je fremy
J'entrevois lia'if et Remy,
Colet, Janvier, et Vergesse, et le Comte,
Paschal, Muret, et Ronsard qui monte
45 Dessus le bouc qui de son gré
Marche à fin désire sacré
Aux pieds immortels de Jodelle,
Bouc le seul pris de sa gloire éternelle.
Pour avoir d'une voix hardie
50 Renouvelle la Tragédie,
Et desterré son honeur le plus beau.
Qui vermoulu gisoit soubs le tombeau *.
Tout cela ne fut qu'une feinte et mascarade *. Au reste...
■i. Ab entre les grans, sembloient | C entre les grands, effarouchées, sem-
55 broient
4. A muettes commencèrent
10
DE PIKRRE DE RONSARD 25
réveiller souz Charles neufiesme, bon et vertueux Prince ^ pcre des
bons esprits, et des ars et sciences -, lequel print Ronsard en
telle amitié, admirant l'excellence de son divin esprit, qu'il luy
commanda de le suivre, et de ne le point abandonner ^, luy lai-
5 sanl marquer logis et accommoder par toutou il alloit*, mcsme-
mont au voyage de Bayonne, où il le voulut avoir tousjours auprès
de soy *. De ceste faveur* il reprit courage, et plus que jamais
s'echaufa à la Poésie, et mit en effcct les projecls de h Franciade ,
dont il avoit dressé le dessein par argumens de quatorze livres que
j'ay veus ^ *. Il luy en présenta quatre seulement, qu'il eut moyen
d'achever pendant que la faveur et l'enthosiasme '• durèrent avec
la vie d'un si généreux Roy *. Il luy présenta aussi, d'autant qu'il
se plaisoit à la chasse '^ et aux plaisirs rusticques, ses Eclogues *, où
il monstra ^ la fécondité de son esprit, luy estant aussi facile d'abais-
15 ser son stilc comme il luy cstoit aisé et quasi propre et naturel de
le hausser^ *.
1. C Prince, qui succéda à François son frère,
2. BC suppriment et des ars et sciences
3. C de le suivre par tout et ne le point abandonner,
20 4. A auprès de soy : de cesle faveur ( C luj' faisant marquer logis en sa maison,
tesmoiu le voiage de Bayonne en l'avantvenuë d'Elizabeth de France Roj'ne d'Els-
paigne, où il le voulut avoir tousjours près de luy : tesmoin aussi le voiage de Meaux
où le Roj' cuida estre pris par les ennemis, lequel il assista jusques dans Paris *.
De ceste faveur
25 5. A que j'ay veus, il | C de 14 livres que j'ay veus, qu'il desiroit continuer
jusques à 24, à l'imitation d'Homère ; il
6. BC enthousiasme
7. C généreux Prince. Il luy avoit aussi présenté, d'autant qu'il se plaisoit fort
à la chasse
30 8. B Eclogues : où il monstra
9. B hausser. Il m'a dit maintesfois, que plusieurs pièces de ses Amours et des
Mascarades avoient esté forgées sur le commandement des Grans *. Voila pourquoy
personne n'ignore en faveur de qui il fit les Amours d'Eurimedon (sic) et de Cal-
lirée (sic) *, et ceux d'Astrée *. Quant à Heleine de Surgeres, il s'est aidé de son
35 noin, de ses vertus et de sa beauté pour embellir ses vers *, et luy a cette gentille
Damoiselle servy de blanc, pour viser et non pour tirer ou attaindre, l'ayant
aimée chastement, et principalement pour son gentil esprit en la Poésie et autres
bonnes parties. Il me l'a tesmoigné souvent, et le monstre assez en ce Sonnet,
Tout ce qui est de sainct *. Il luj' consacra une Fonteine qui est en Vandomois, et
40 qui encor aujourd'hu3' garde son nom *. Le Roy Charles...
C hausser. Il m'a dict maintefois qu'aucunes pièces de ses Amours et des Mas-
carades avoient esté forgées sur le commandement des grans, voulant dire qu'il
avoit souvent forcé sa Minerve et n'y avoit pris grand plaisir, quelques autres en
ayant remporté la recompense : c'est pourquoy il fit mettre au devant de ces ou-
45 vrages là les vers de Virgile, Sic i>os non vobis, et les suivans *. On sçait assez en
faveur de qui il fit les Amours de Callyrée (sic) [,] qui estoit une Iresbelle dame de
la Cour, de la noble maison d'Atry, surnommée Aqua viva : comme il l'exprime
assez en ce Sonet qui commence, La belle eau vive * : et ceux d'Astrée qui fut aussi
une fort belle dame de la Cour, dont le nom est assez embelly parle seul deguise-
50 ment d'une voyele changée en la prochaine première.
Apres avoir chanté divers subjects il voulut finir et couronner ses œuvres par les
2 6 DISCOURS DE LA VIE
Lo Roy Charles, outre sa pension ordinaire, luy fit quelques
dons liberalemeul * : vray est* qu'ils n'estoient excessifs, car il
avoil si i;iand riaiiu le de |)crdre son Ronsard, et que le trop de
bien ne le rondist [laressoux au mestier de la Muse, qu'il disoit
5 ordinairement (ju'un hou Poêle "- ne se devoit uon plus engresser
(pie le bon cheval, el (|u'il le \n\\n\\ seulement entretenir et non
asson\ir-' *. 11 lut si familier avec le Roy Charles, qiie * le plus
souvent il le faisoit venir pour deviser et discourir avec luy, l'inci-
toit à faire des vers, et à le venir trouver •• par vers qu'il compo-
10 soit, lesquels se voyent encores imprimez parmy les œuvres de Ron-
sard '• * : et trouvoit '^ tellement bon ce qui venoit de sa part, que
mesmes il luy permit d'escrirc en Satyres, indifleremment *^ contre
Ici les personnes qu'il sçauroit que le vice devoit ^ accuser, s'offrant
mesmes à n'en estre exempt, s'il voyoit qu'il y eust chose à repren-
15 dre en luy '^ *.
Sonels d'Helene, les vertus, beauté/., et rares perfections de laquelle furent le der-
nier et plus digne object de sa Muse, le dernier parce qu'il n'eust l'heur de la voir
qu'en sa vieillesse, el le plus digne parce qu'il surpassa aussi bien que de qualité,
de vertu, et de réputation les autres precedens sujectz de ses jeunes amours, les-
20 quels on peut juger qu'il aima plus familièrement, et non cctuj'-cy qu'il entreprit
plus d honorer et louer, que d'aimer et servir. Tesinoin le titre qu'il a donné à ses
louanges [,] imitant en cela Pétrarque*, lequel comme un jour en sa Poésie chaste
et modeste on louait devant la Royne mère du Roy, sa Majesté l'excita à escrire
de pareil stile, comme plus conforme à son âge, et à la gravité de son sçavoir : Et
25 ayant, ce luy sembloit, par ce discours occasion de vouer sa Muse à un suject
d'excellent mérite, il print le conseil de la Royne pour permission, ou plustost
commandement de s'addresser en si bon lieu, qui estoit une des filles de sa cham-
bre, d'une tresancienne et tresnoble maison en Saintonge. Ayant continué en ceste
volonté jusques à la fin, il finit quasi sa vie en la louant *. Et par ce que par son
30 gentil esprit elle luy avoit souvent fourny d'argument pour exercer sa plume, il
consacra à sa mémoire une fouteine en Vandosmois, et qui encor aujourd'huy
garde son nom, pour abbreuver ceux qui veulent devenir Poètes *. Le Roy
Charles...
1. AC libéralement, vraj' est
35 2. BC vraj' est qu'il disoit ordinairement en gaussant, qu'il avoit peur de perdre
son Ronsard, et que le trop de biens ne le rendis! paresseux au mestier de la Muse,
et qu'un bon Poète
3. BC assouvir. Neantmoins il le gratifia tousjours fort libéralement [160^-1623
fort librement], et eust fait s'il eust vescu : car il n'ignoroit pas que les Poètes ont
40 ne sçay [Cje ne sçaj^] quelle S3'mpalhie avec la grandeur des Roys, et sont subjects
à s'irriter*, et fort [C supprime et] sensibles aux disgrâces, quand ils vo5'ent la
faveur ne respondre à leurs labeurs C labeurs el mérites], comme il s'en est plaint
en plusieurs endroits *
4. BC avec ce bon Roy, que
45 5. C le venir trouver de Tours à Amboise
B. B parmj' ses Œuvres | C se vojent imprimez parmj- ses œuvres
7. A Ronsard, et trouvoit
8. C il lui permist ou plustost l'incita d'escrire des Satjres indifféremment
9. BC deust
»0 10. C en luy, comme de fait il fit en la Satyre de la Dryade violée, où il repre-
DE PIEURK DE RONSARD 27
II liiy donna ^ l'Abbaye de Bellozane *, et quelques Prieurez* :
et environ 2 ce temps devint fort malade d'une fièvre quarte | , dont [19]
il pensa mourir-', et qui neantmoins esbranla fort sa santé, Icren-
(l:int depuis plus malade que sain *. El fut * ccste année romarqua-
.') bic, en ce que tous les Lauriers, pallissades, et tendres abris-
seaux 5, et la plus grand part des arbres moururenl. Ce fut ^ ce
qui donna occasion à monsieur de Pimpont * sur l'un et l'autre
sujet de faire ces doctes vers '' :
Parce meiu, Ronsarde, Jovis teregia nondiim *^
10 Invidit nobis, nec cœli injuria totum
In Lauri grassata gcnus, populala decusque
Arboreum, niiper clades le poscil olympo,
Augurinm nec nie vanae docnere ^ Camœnae,
Sed laetiim faustis relulerunt sortions omen "^.
15 noit aigrement le Roj' et ceux qui gouvernoient lors de l'aliénation du Domaine, et
d'avoir fait vendre la coupe de la forest de Gastine, laquelle il avoit consacrée aux
Muses * : et en une autre qu'il appelloit la Truelle Crossée, blasmant le Roy de ce
que les bénéfices sedonnoient à des inaçons, et autres plus viles personnes, où par-
ticulièrement il taxe un de Lorme, Architecte des Tuilleries, qui avoit obtenu
20 l'Abbaye de Livry, et duquel se trouve un livre non impertinent de l'Architec-
ture *. Et ne sera hors de propos de remarquer icy la malveillance de cest Abbé,
qui pour s'en venger fit un jour fermer l'entrée des Tuilleries à lAonsard, qui sui-
voit la Ro3'ne mère : mais Ronsard, qui estoit assez piquant et mordant quand il
vouloit, à l'instant fit crayonner sur la porte, que le sieur de Sarlan luy fit aussi
25 tost ouvrir, ces mots en lettres capitales, FORT. REVERENT. HAI3E. Au retour,
la Royne vo3'ant cest escrit, en présence de doctes hommes et de l'Abbé de Livry
niesmes, voulut sçavoir que- c'estoit et l'occasion, Ronsard en fut l'interprète, après
que de Lorme se fut plaint que cet escrit le taxoit : car Ronsard luy dist qu'il
accordoit, que par une douce ironie il prit ceste inscription pour luy, la lisant en
.'50 François*, mais qu'elle luy convenoit encor mieux la lisant en Latin, remarquant
par icelle les premiers mots racourcis d'un Epigrame Latin d'Ausone, qui com-
mence, Fortunam reverenter habe, et le renvoj'ant là [160A-1630 suppriment et ef là]
pour apprendre à respecter sa première et vile fortune, et ne fermer la porte aux
Muses *. La Royne aida Ronsard à se venger, car elle tença aigrement l'Abbé de
35 Livry après quelque risée, et dist tout haut, que les Tuilleries estoient dédiées aux
Muses. Il se trouve aussi une autre Satj're, où il touche vivement le mesme Roy et
l'admoneste de son devoir, qui commence.
Il me desplait de voir un si grand Roy de France *.
Et une autre encor à luy, dont le commencement est,
40 Roy le meilleur des Rois"^.
1. C Ce bon Prince luy donna
2. AB Prieurez, et environ
3. C devint Ronsard fort malade d'une fièvre quarte, dont il cuida mourir,
4. A que sain, et fut
45 5. C fut ceste année par un grand froid remarquable en ce que tous les lauriers
et arbrisseaux, ornement des palissades,
6. A moururent, ce fut | C moururent : Ce fut
7. C au sieur de Pimpont sur l'un et l'autre suject de faire ces vers.
8. A non du [corrigé en nondum aux errata)
50 9. C, 160^, 1617 vanae nec me vanae docuere | 1609, 1630 vanae nec me vana
docuere \ 1623 vanae nec me docuere
10. A omen, | C omen :
38 DISCOURS DE LA VIE
Tsfa hiit portcnia siio vel fiinerc Sclva
Castra scqnens, vcl tu fehri dcfnnctus inerte
Monstra procnrasti . At maf/nis vcrtcntibus annis
Ccntuni, signa dabit dnri pracnnnlia luctus,
5 Atqne tni in cœlum reditus pater Angiir Apollo,
Nempe tuo assurgens scse Lyra eontrahet astro,
Delitiasquc lues intyadet ApoUinis omnes,
Nec soli exiliuni Lauro tune afjeret aetas
Sed tota laehrijmans eum gente Iliiacinthiis abibit
10 In nihilum, funesta sibique a stirpe Cupressus
Dcsinet ablata hnmanis superare sepulcliris :
Née post se alterna poterunt reparare salute,
Maleriemve unquani rédigent formamque eapessent.
l'raeta exul (Igthara incompti Pasloris anena
15 Mulcebit peeus, Admetum Pho'busque rcquiret :
Insultans terraeque novo cœlum incremento
Gestict, illa situ in squallorem decolor ibit.
Il ne fut pas moins estimé du Roy qui est à présent, duquel les
tant heureuses victoires avoient servy de sujet à sa Muse *, que du
20 feu Roy Charles, car le Roy ^, comme il a le jugement tresgrand
et admirable, estimant toutes choses à leur juste valeur, lereçeut,
roiiil -, l'ayma et le gratifia lousjours volontiers *. Mais | d'autant [20]
que depuis douze ans les gouttes fort douloureuses l'avoient assailly,
tellement qu'à grand peine pouvoit il faire la court, sinon à son
25 lict * : voila 3 pourquoy ceste honneste privante '* qui se doit acquérir
et continuer par une hantise ordinaire ne fut telle que souz le Roy
Charles, encores que son mérite le recommandast assez, et le rendist
tousjours présent en la mémoire de nostre bon et sage Roy 5*. Il
1. B Chiarles. Carie Roy
30 2. A loùit
3. A son lict : Voila
4. C modifie ainsi tout ce passage depuis la cit. lat. Il ne fut pas moins estimé du
Roy Henry troisiesme à présent régnant *, duquel les tant heureuses victoires
avoyent servy de suject à su Muse, que du feu Roy : mais non si familièrement
35 caressé : et s'en est plaint ouvertement, disant, plein d'humeur Françoise, qu'il
vouloit que le Roy l'aimasl, et pour preuve de l'amitié luy commandasl, et en
signe de bon service l'honorast et le gratifîast. Vray est que depuis douze ans les
gouttes fort douloureuses l'avoient tellement assailly qu'il luy estoit presque impos-
sible de faire [1G09-1630 suivre] la court : joint qu'il n'avoit oncques esté de son
40 naturel courtisan importun, et ne se pouvoit contraindre pour trouver \160^t-î630
se trouver] aux heures des grands : \'oi]a pourquoy ceste familière privante
5. C sage Roy. Il fut tant admiré par la Roync d'Angleterre, qui lisoit ordinai-
rement ses escrits, qu'elle les voulut comme comparer à un diamant d'excellente
valeur qu'elle luj- envoya *. De mesmes aussi ceste belle Rojne d'Escosse, toute
45 prisonnière qu'elle estoit, laquelle ne se pouvoit soûler de lire ses vers sur tous
autres, en recompense desquels et de ses louanges y parsemée \160U-1630 parse-
mées':, l'an 1583 elle luy fit présent d'un buffet de deux mil escus qu'elle luy en-
voya par le sieur de Nau son Secrétaire *, avec une inscription sur un rase qui
DE PIERRE DE RONSARD 2()
print telle amitié avec monsieur Galland, Principal du collège de
Boncourl, personnage de bon esprit, et digne d'une telle rencontre,
que depuis dix ans, venant à Paris h diverses fois, il l'a tousjours
choisy pour son hoste ^ *. Le dernier voyage (pi'il y fît fut^ au mois
5 de Février mil cinq cens quatre vingt-cinq, et y demeura jusques au
treizicsme du mois de Juin ensuivant : durant lequel temps il ne
bougea presque du lict, tourmenté de ses gouttes ordinaires *. Il ■'
passoit neantmoins le temps à faire quelques fois des vers, et entre
autres fit ï Hymne de Mercure, qu'il me donna, et où il descrit*
10 son mal quand il commence ainsi ;
Encor il me resloit entre tant de malheurs
Que lavieillesse apporte, entre tant de douleurs
Dont la goutte ni assaut, pieds, jambes, et joincture,
De chanter ja vieillard les mestiers de Mercure *.
15 II fit faire un coche pour s'en retourner en la compagnie dudict
Galland, sans lequel il ne pouvoit vivre, l'appelant ordinairement
sa seconde ame *, comme il déclare assez en ce fragment qu'il n'a
pu achever, prévenu de mort :
Galland ma seconde ame, Atrehatique race *,
20 Encor que noz ayeux aint ^ emmuré la place
De noz villes bien loing, la tienne près d'Arras,
La mienne près Vandosme, oii le Loir de ses bras
Arrouse doucement noz collines vineuses.
Et noz champs fromentiers de vagues limoneuses,
25 Et la Lise les tiens, qui baignant ton Artois,
S'enfuit au sein du Rhin, la borne des Gaulois ^ :
Pour estre séparé de villes et d'espaces, | [—1
Cela nempesche point que les trois belles Grâces,
L'honneur, et la vertu, n'ourdissent le lien
30 Qui serre de si près mon cœur avec le tien.
estoit elabouré en forme de rocher, représentant le Parnasse, et un Pegasse [1604-
1630 Pégase] au dessus. L'inscription portoit ces mots :
A RONSARD l'aPOLLON DE LA
SOURCE DES MUSES *.
35 1. C II contracta telle amitié avec le sieur Galland, chef et seigneur de l'Acadé-
mie de Boncourt, docte personnage certes, digne de ce nom, et d'une telle rencon-
tre, que depuis dix ans venant à Paris à diverses fois, il l'avoit tousjours choisi
pour son hoste, aimant naturellement ce lieu pour le bel air et l'appellant le Par-
nasse de Paris *.
40 2. AB qu'il y 6t, fut
3. A ordinaires, il passoit
4. A d'escrit
5. B aynt | C ayent | 160^1630 ay'nt
6. A un point après Gaulois
OO DISCOURS DE [, A VIE
Heureux qui peut trouver pour passer Vavanture
De ce monde, uit amy de gentille nature
Comme tu es, Galland, en qui les deux ont mis
Tout le parfaict requis aux plus parfaicts amis.
5 Ja mon soir s'cnbrunit, et desja ma journée
Fuit vers son Occident à demy retournée,
La Parque ne me veult ny nie peut secourir :
Encore ta carrière est bien longue à courir.
Ta vie est en sa course, et d'une forte haleine,
10 Et d'un pied vigoureux tu fais jallir ' Vareine
Souz tes pas, aussi fort que quehjuc bon guerrier
Le sublon Jilean -, pour le pris du Laurier*
Il se fît mener à Croi\-\al, qui esloil sa demeure ordinaire, pour
cslre im lieu fort [)laisanl, el voisin de la foresl de Gasline, et de
15 la fonleine Bellerie, par luy tant célébrez *, et pour estre le pays
de sa naissance : mais -^ comme il aimoit à changer, au mois de
Juillet il se feit porter à son Prieuré de S. Cosme, y demeurant
huict ou dix jours pour retourner à Croix-Aal, où il séjourna assez
long temps. Le xxu du mois '* d'Octobre il escrivit audit Gal-
20 land ^, et le sujet de ses lettres estoit, qu'il estoit devenu fort foible
et fort maigre'' depuis quinze jours, qu'il craignoit que les feuilles
d'Autonne ne le veissent tomber avec elles, que la volonté de Dieu
fust faicte, et qu'aussi bien parmy tant de douleurs nerveuses, ne se
pouvant soustenir, il n'estoit plus que Iners terrae pondus (ce sont
25 ses mots) le priant '' au reste de l'aller trouver, estimant sa pré-
sence luy estre un remède *.
Quelques jours après, comme la douleur luy augmentoit, et que
ses forces diminuoient, ne pouvant tlormir pour l'indigestion et
grandes douleurs ^ qu'il sentoit, il envoya quérir avec un Notaire
30 le Curé de Ternay, auquel il déposa le secret^ de sa volonté*, ouit
la Messe en grande dévotion, et s'estant | faict habiller premièrement, [22]
récent la saincte communion ^", ne voulant tant à son aise recevoir
celuy qui avoil tant enduré pour nous, regrettant la vie passée ^^ et
1. C jaillir
35 2. A Aclean
3. A naissance : Mais | B naissance. Mais
4. A Le XXII, du mois
5. C au sieur Galland
6. fiCfort foible et maigre
40 7. J5 il n'estoit plus qu'un inutile fardeau sur la terre le priant | C nicme var.,
avec virgule après la terre
8. C douleurs d'estomac
9. C de Ternaj', pour déposer le secret
10. C receut la Chrestienne Communion
45 11. C sa vie passée
DE PIERRE DE RONSARD 3l
en prévoyant une meilleure. Ce fait, il se fildeveslir et remettre au
licl, disant : Me voila au lict atlendanl la mort, passage coninmn i
d'une meilleure vie, quand il plaira à Dieu m'appeler, je suis tout
prest de partir. Il renvoya le Notaire, luy disantqu'iln'y^ avoit encor
5 rien de pressé, et qu'il se portoit mieux, après avoir mis toute sa
fiance en Dieu. Le sieur Galland arriva le Ircntiesme d'Octobre à
Montoire, en un de ses Bénéfices nommé Sainct Gilles ^, distant de
lieiie et demie de Croix-val, oi'i il s'esloit relire pour la crainte de
ceux de la nouvelle opinion, qui rompus du siège d'Angers, espars
10 venoient fondre * en ce pays*. Il y séjourna six jours, y ayant solen-
nisé la feste de Toussains. De là retourna à Croix-val le lendemain *,
accompagné dudit Galland, auquel il fit escrire un Epigramme en
forme d'inscription, parlant à son ame en cette sorte ^ :
Amelette Ronsardelette
15 Mîgnonnelette, doiicelette,
Tres-cliere hostesse de mon corps.
Tu descens là bas foiblelette '*,
Pasle, maigrelette, seulette.
Dans le froid royaume des mors :
'20 Toutesfois simple, sans remors
De meurtre, poison, et rancune,
Mesprisant faveurs et trésors
Tant enviez par la commune ' .
Passant, j'ay dit, suy ta fortune,
'25 Ne trouble mon repos, je dors *.
Luy disant : Je me suis souvenu d'un ancien Epigramme Latin,
lequel pour passer temps je desirois rendre plus chrestiennement
qu'il n'est ^ *. Mais ^ depuis il quitta tous passe-temps et ne médita
plus que choses dignes d'une fin Chrestiennc : car ^"^ ne pouvant
30 dormir i^, il se plaignoit incessamment, et pour tromper son mal,
prévoyant neantmoins sa mort prochaine, [ médita l'Epitaphe ^^en [23]
six vers pour graver sur son tombeau, qui est tel :
1. BC la mort, terme et passage commun
2. A ny
35 3. A saînct Gilles | B S.Gilles
4. C d'Angers venoient fondre
5. C du sieur Galland, lequel il pria d'escrire un Epigramme qu'il avoit médité
pour passer temps, imitant un ancien en ceste sorte
6. C-1617, 1630 foiblette (f. dimpr. évid.) \ 162H rétablit la leçon de AB
40 7. A Tant enviez, par la commune,
8. C supprime la ptirase Luy disant... qu'il n'est.
9. A qu'il n'est, mais | B qu'il n'est : mais
10. A Chrestienne, car | B Chrestienne. Car
11. BC inquiété et ne pouvant dormir (inquiète en B est une f. d'impr.)
45 12. Cil se plaignoit et dictoit incessamment, pour alentir ses douleurs, prévoyant
32 DISCOURS DE LA VIE
Ronsard repose icij, qui hardi] des enfance
Détourna d'IIelicon les Muses en la France,
Suivant le son du luth, et les traits d'Apollon '.
Mais peu valut sa Muse encontre l'éguillon -
5 Delà mort, qui cruelle en ce tombeau l'enserre'-' :
Son anie soit à Dieu, son corps soit à la terre *.
Et semble que bien à propos il a (ail luy-mesmc son tombeau, se
defianl de se pouvoir renconlrcr autre |)ersoiine (pii luy j)eusl bastir
assez dignement * : ce qui ma l'aict escrire de luy les vers qui sui-
10 vent 5 :
^0/1, Ronsard n est point mort, la Muse est immortelle,
Ou si Ronsard est mort, c'est un Phœnix nouveau,
Qui n ayant son pareil soy-mesme renouvelle,
Et survit à sa cendre, animant son tombeau.
15 Or qu'il ait satisfait * à luy-mesme en ce que les autres attendent
d'autruy, et que pour luy graver un digne tombeau il ne falustuser
que de ses propres vers, et prendre ce qu'il a dit de luy-mesme au
premier discours à Genevre ^, quand il escrit :
Je suis Ronsard, et cela te suffise "^ *.
20 toutefois plusieurs sçavans personnages de nostrc temps, que j'ay
prié ^ de ce devoir, luy ont gravé maint tombeau, non pour illustrer
d'avantage sa gloire, mais pour n'obscurcir la nostre, si nous fai-
sions autrement^*. De ma part^*^ aussi je ne me suis peu contenir
que je ne luy aye fait cette petite inscription^^ :
25 sa mort prochaine : il fit escrire cest Epitaphe | 160i, 1617, 1630 il se plaignoit et
dictoit incessamment pour alentir ses douleurs : prévoyant sa mort prochaine, il fit
escrire cest Epitaphe {leçon meilleure, renforcée en 1623 ainsi douleurs. Prévoyant)
1. AC virgule après Apollon
2. A léguillon | C l'éguillon
30 3. AC virgule après V enserre
4. B bien à propos il ait avancé, se doutant de l'ingratitude de nostre siècle,
luy mesme son Tombeau, ou se desfiant, ce croy-je, qu'il se peust rencontrer autre
personne qui luy bastist assez dignement | C bien à propos il ait avancé luy-mesmes
son tombeau, se doutant de l'ingratitude de nostre siècle, ou se défiant, comme je
35 croy, qu'il se peust rencontrer autre personne qui le luy bastist assez dignement
5. C les vers suivans
6. C ce qu'il a dit de luy en la première Elégie à Genevre
7. La leçon de toutes les éditions y compris celle de 1623 et cela te suffise. Toutefois
est fautive, car elle laisse en suspens la phrase commencée par Or qu'il ait satisfait
40 8. liC personnages, que j'ay prié
9. C non pour illustrer d'avantage sa gloire, mais pour n'obscurcir la leur d'un
ingrat silence.
10. A autrement : De ma part
11. C ceste inscription
DE PIEIWE DE RONSARD 33
Le fertil Vandomois naissance me donna,
La Court de noz grans Roy s ' à mes vers s'estonna,
La Touraine mes os dessus - ses fleurs assemble .*
J'ay joint Pallas, Cypris, et les Muses ensemble.
5 Les nuicts ensuivantes esquelles -^ il ne pouvoit dormir, quelques
remèdes tju'il cust éprouvé, ayant usé de pavot en diverses façons,
tanlost de la i'ueille criic, puis cuite, lantost de la graine, et de
l'huyle que l'on en tire ^ *, il continua à faire quelques Stances, et
jusqucs à quatre Sonets, lesquels au malin il recitoitau sieur Galland,
10 pour les escrire, ayant la mémoire et | la vivacité de l'esprit si en- [24
tieres qu'elles ne sembloient se sentir de la foiblesse du corps ^ *.
Le long du jour tous ses discours estoient pleins de belles et graves
considérations, mesmes sur les affaires d'estat et du monde '^. Comme
il languissoit ainsi, séjournant encor quinze jours à Croix-vaP, il
15 luy prit envie de se faire transporter à Tours en son Prieuré de
S. Cosme ^ *, tant pour recouvior plus facilement toutes ses commo-
ditez, et subvenir '-* à sa maladie, que pour satisfaire à l'opinion qu'il
avoit que le changement d'air luy apporteroit quelque secours ^^.
Il n'eut pas esté huict jours en ce lieu que ses forces se diminuant
20 à veûe d'œil, et se voyant et sentant mourir, il fit venir l'Aumosnier
de S. Cosme, l'un de ses Religieux, âgé de lxxv ans *, lequel ^^ après
plusieurs propos, luy ayant demandé de quelle ^- resolution il vou-
loit mourir, fort promptement et aigrement il luy respondit : N'ay-
je point assez fait cognoitre céans ma volonté, et le but de ma
25 religion pour juger de ma vie '^^, comme il faut que je meure ?^*
1. BC La grandeur de nos Roys
2. Leçon de toutes les éd., y compris 1623. (F. notre Commentaire)
3. C les nuicts suivantes, ausquelles
4. BC tantostde la fueille crue en salade, puis cuite, tantost de la graine, et de
30 l'huyle que l'on en tire, et de plusieurs autres remèdes qu'on reserve aux extre-
mitez
5. BC si entières, qu'elles sembloient arguer de feinte l'extrême foiblesse de son
corps.
6. C mesmes sur les troubles renaissans, et qui menaçoient nostre siècle de mi-
35 seres nouvelles.
7. A pas de virgule après ainsi ni après Croix-val
8. A prieuré de S. Cosme | C Prieuré de Sainct Cosme en l'Isle
9. C survenir leç. faut, reprod. par les éd. suiv., y compris 1623)
10. C secours : ce qu'il fit avec grand peine, aj'ant demeuré en chemin, et pour
40 faire sept lieues, trois jours entiers : pendant lequel temps il eut deux foiblesses
grandes *.
11. B auquel
12. A qu'elle
13. B ma religion, pour juger par ma vie
45 14. A deux points après meure | C modifie toute la phrase ainsi l\ n'avoit pas esté
huict jours en ce lieu, que ses forces se diminuant à veuë d'œil, les os lu5' perçant
VIE DE p. DE RONSAUD. 3
3^ DISCOURS DE I.A VIE
L'Aumosuier ^ luy dit lors, qu'il ne l'entendoit en ceste sorte,
mais que ce qu'il luy avoil dit, estoit - pour sçavoir s'il vou-
loit ordonner quelque chose par forme de dernière volonté, et pour
lirer de lii\ mesmes ceste résolu lion de hiiMi mourir, qui •' a grand
5 eflicace, quand elle nait en nous mesmes sans l'allendre d'aulruy.
Ronsard alors priutla parole et luy dit : Je désire ^ donc que vous
et voz confrères soyez tesmoins de mes dernières actions ^. Lesquels
étant venus, il ^ commença à discourir de sa vie, monstrant avec
grande repentance qu'il renonçoit à toutes les blandices de ce monde,
10 s'esjoiiissant ' que par ses douleurs Dieu l'eust comme réveille
pour ^ n'oublier celuy qu'en prospérité nous oublions ordinaire-
ment : le remerciant de bon cœur ^ de ce qu'il luy avoit donné
temps de se recognoistre, demandant pardon à chacun, disant à
toute heure : Je n'ay aucune haine contre personne, ainsi me puisse
15 chacun pardonner. Puis s'addressa à ses Religieux, les enhortant de
bien vivre, et de vaquer soigneusement à leur devoir : que la mort ^^
la plus douce estoit celle à qui la propre conscience n'apporloit
aucun préjugé de crimes et meschancetez *. Ce fait, il pria ^^ que
l'un des Religieux celebrast devant luy, et après il se | fit admi [25)
20 uislrer les Sacremens, attendant avec une grande constance et reso-
lution, à laquelle il s'estoitde long temps préparé, que Dieu dispo-
sast de luy^-. Le lendemain il composa les deux derniers Sonets,
la peau, et se voyant et sentant mourir, il fit venir pour estre consolé l'un des
Religieux nommé Jacques Desguez, âgé de lxxv [160i-1630 aagé de soixante et
2,") quinze ans], Aumosnier de Sainct Cosme, et issu de noble maison (car ceste reli-
gion n'en reçoit d'autre sorte', auquel, ainsi qu'il luy eust demandé de quelle reso-
lution il vouloit mourir, il respondit assez aigrement et promplement en ceste
sorte : Qui vous fait dire cela, mon bon amy ? doutez vous de ma volonté ? je
veux mourir en la Religion Catholique comme mes ayeux, bisayeux, trisayeux, et
30 comme j'ay [160'J-tG23 l'a}' | 1630 je l'ay] tesmoigné assez par mes escrits.
1. A L'ausmonier
2. C qu'il ne l'entendoit en ceste façon, mais que ce qui luy en avoit dit, estoit
[160'i-l()30 ce qu'il luy en avoit dit, estoit]
3. A de bien mourir qui
3j 4. C Ronsard alors luy dist, je désire
5. A deux points après actions
6. B Lesquels venus, il I C Alors il
7. C monde, qu'il estoit un très-grand pécheur, s'esjoiiissant
8. C reveillé d'un profond sommeil pour
40 9. C le remerciant infiniment
10. Ali à leur devoir : Que la mort | C Puis s'adressant aux assistans, et les
exhortant à bien vivre, et de vacquer soigneusement à leur devoir, leur dit, que la
mort
11. .1 meschancetez : ce fait il pria
45 12. C (>ela fait, le jour de la Nativité de nostre Seigneur il pria '/Cft9-/fj23 Seigneur,
il pria; It Sous-prieur d'oûir sa confession, célébrer en sa chambr(>, et luy distri-
buer la Communion, qu'il receut d'une singulière dévotion, et plus grande qu'on
n'eust attendu d'un personnage uourry parmy les desbauches irreligieuses d'une
DE l'IKlUŒ UK UONSARD 35
qu'il fit escMÎrc par un de ses Religieux, entrelciiaiii son ame el l'iii
citant d'aller trouver Jesus-Cluisl, cl de marcher |)ai- le clieniiii
qu'il avoil Irayé, finissant ses vers et sa vie heureusenicnl par ces
beaux mots de Jesus-Christ, et d'Esprit * : lequel ^ il rendit à Dieu,
T) après avoir esté visité des plus honestes familles de Tours*, desnué
de toutes ses forces naturelles, mais plein de foy et de ferme résolu-
tion *, sur les deux heures de nuict, le \endrcdy vint-septieme du
mois de Décembre, mil cinq cens quatre vints et cinq - *. Et fut
enterré en l'Eglise dudit S. Cosme * : qui m'a donné ^ occasion de
10 luy dresser encor ce petit monument, en la langue de la des-
poûille * de laquelle il a tant enrichi* et fait triompher lanostre :
tvôafjLo; âV.oajjLo; àVjv oxe xÔct|ji'.oç ô 'Pwviapooç
Kôafjiov £y.rja[i.Y,acV 7.ôa[jL(jj £.wv £7réwv ^.
Nùv Ôs Oavôvtoç ïy[^zi T'j[jLêoç Koajxà Èvî vàw
15 'Oaxia, x?jç f/iiir^ç [jtv?j[JL7 Sî xôjfJLOç oXoî *.
Presque en un mesme temps sont aussi décédez aucuns des plus
Cour, disant incessamment, que Dieu n'estoit Dieu de vengeance ains de miséri-
corde, et que ceste divine douceur, qu'il avoit entièrement en l'imagination, luy
aidoit fort à supporter ses douleurs, lesquelles il meritoit bien et de plus grandes.
20 II conlinua ceste perpétuelle envie de dicter vers, et fit escrlre ceux-cy peu de jours
avant sa mort, comme on luy parloit de manger :
Tonte la viande qui entre
Dans le gaufre ingrat de ce ventre.
Incontinent sans fruict resort,
25 Mais la belle science exquise
Que par l'oûye j'ay apprise
M'accompagne jusqu'à la mort *.
Le Dimanche vingt deuxiesme Décembre il fit son testament, par lequel il or-
donna de toutes choses, ayant distribué tous ses biens partie à l'Eglise et aux
30 pauvres de Dieu ainsi les nomme-t-il par son testament), partie à ses parens et à
ses serviteurs *. 11 eut une telle constance qu'il demanda à l'Aumosnier souvent
combien, à son advis,il pourroit encor' vivre. Il eut l'esprit tousjours sain elentier
et sans aucune perturbation, sinon d'une envie qu'il avoit de dicter qui l'accom-
pagna jusques au mourir.
35 1. A d'Esprit, lequel
2. Ij du mois de Décembre 1585. | C modifie tout ce passage depuis Le lendemain
ainsi Et les derniers vers qu'il fit sont les deux derniers Sonets, par lesquels il
entretient son ame, et l'incite d'aller trouver Jésus Ciiiust, et démarcher par le
chemin qu'il avoit fraj'é, finissant ses vers et sa vie heureusement par ces beaux
40 mots de Jésus Christ et d'esprit, lequel, semblable à celuy qui sommeille, il rendit
à Dieu a\ant les mains jointes au Ciel, et qui en tombant firent cognoistre aux
assistans le moment de son trespas, qui fut sur les deux heures de nuict le \'en-
dredy vingt septiesme de Décembre, mil cinq cens quatre vingts cinq, ayant vescu
soixante et un an trois mois et seize jours :
45 3. A cinq : Et fut enterré en l'Eglise dudit S. Cosme, qui m'a donné | C El fut
mis en sépulture ainsi qu'il l'avoit désiré et ordonné au chœur de l'Eglise de
S. Cosme. Ce qui m'a donné
4. A y monument en la langue, de la despoùille
5. A virgule après stteojv
36 DISCOURS DE h\ VIE
excellens hommes de nostre Europe ', à sçavoir le Cardinal Sirlet *,
Paul de Foix^*. Cuy du Faur, sieur de Pybrac *, Cliarles Sigon *.
M. Antoine de Murcl *, et Pierre Victor *, et qui semblent, jaloux
de nostre siècle, ou pluslost effrayez de noz malheurs, avoir voulu
5 s'eclvpser de nous pour nous laisser en ténèbres ^ *. L'on a remar-
que souvent des présages avoir devancé la mort dos grans et illustres
personnages, comme il est advenu en celle de Ronsard, car ''* un an
auparavant son decez ne sçay quel Poëtastre, plus mal presageux ^
que les corbeaux et hiboux, fit imprimer un hvret qu'il inlituloit,
10 les '• Epilaplics, mort cl dernicrcs paroles de Pierre de Ronsard.
Cela fut veu et sceu de tout le monde, qui creut quelque temps que
Ronsard estoit mort, non sans grand regret, encor que cette nou-
velle lut découverte aussi tost estre faulse, aussi bien que les vers "^
que ce corbeau vouloit attribuer à ce Cygne*. Quand on raconta
15 cette nouvelle à Ronsard, il ne s'eji fit que rire, s'esbahissant ^ tou-
tefois comme | nostre siècle pouvoit porter des es])rissi misérables : [26]
et me souvient qu'il médit '' un jour à ce propos, au dernier voyage
par luy fait à Paris ^o, qu'il ne se faloit esbahir si ces esprits naiz en
despit de Minerve ^^ le faisoient mourir quand ils vouloienl, veu que
20 par leurs contagieux escris ils faisoient mourir la pureté de nostre
langue, et de la Poésie. Cette mort feinte fut neantmoins estimée
de mauvais augure, etvoicy un Epigrameque Jaii Uoratfit i'- quand
il sceut la vérité :
1. C de l'Europe
25 2. C Paul de Fois, A. Ferrier *
3. BC et qui semblent, ennuj'ez de nostre siècle, ou plustost effrayez de nos futurs
malheurs, avoir voulu s'éclipser de nous, pour nous laisser sans regret en nos
regrets et ténèbres. Ce que le inesme Sieur de Pybrac semble avoir preveu, lors
qu'il dit :
150 Quand lu verras que Dieu au ciel retire
A coup à coup les hommes vertueux,
Dy hardiment, I orage impétueux
Viendra bien tost esbranler cest Empire *.
C'est tout ainsi que celuy qui [C Faisant comme celuy qui] voyant que le feu
35 voisin doit bien tost envahir sa maison, retire [C en retire] et sauve ses meubles
plus précieux.
4. B de Pionsard. Car ( C de Ronsard : car
5. BC un an auparavant son trespas, ne s^ay quel Poctastre, plus mal presa-
gieux
40 6. B qu'il intituloit, Les | C dont le titre portoit, Les
7. C encor' que cesle nouvelle fust descouverte bien tost estre faulse, comme les
vers
8. A que rire s'esbahissant
9. BC qu'il me dist
45 10. C au dernier voyage qu'il lit à Paris
11. BC esbahir, si ces esprits naiz en despit des Muses
12. C un Epigramme que Jean Dorât en fit
DE PiEnnr; de ronsard 87
Jam semel atqiic itenim liia mors, Ronsarde, per iirbem
Sed falsà vulgata, vel omncni Icrndl orbem.
Sole bis extincto toti qui liixerat orbi :
El lanli mors ipso forel, si vcra fidsset *,
5 (// tua tôt lachrymis se senscril timbra rcquiri.
Niinc magis atqiie magis te mortis gloria salvo -
Laetitia cnmulet, tua fanera faha •', supersles
Qui legis ipse tuum Inetum, litulumque perennem,
Qualis ab Anrato tumulo scnlj)elur inani.
1" Unus tu lionsardus eras, Graecis quod Homerus,
Virgilius Latiis, Francis quod Iota Poësis.
La noiivcllp dosa mort trop vrayc apportée '* ])ar le sieur Galland,
son singulier amy 5, fut d'autant plus regrettée *, que nous avions
ja par la faulse nouvelle première gousté et appréhendé la perte que
15 nous faisons ''' perdant un Ronsard, l'honneur de France '', nous
estans comme préparez ^ par ce faux bruit à le regretter à l'égal de
la perte vrayment depuis advenue. Aussi ledit Galland ^, n'ayant
enseveli l'amitié qu'il luy portoit souz un mesme tombeau, faisant
ce que la France devoit faire, fit ^^^ dresser un magnifique appareil en
20 la chapelle de Boncourt, qui fut tendue de tous costez de noir,
avec les armes de la maison de Ronsard, où furent célébrées les fu-
nérailles 1' fort solenellement, le Lundi vingt-quatrième de Février,
i586*. Le service, mis ^- en Musique nombrée, fut chanté ^3 p^r
l'eslite de tous les enfans des Muses, s'y estants trouvez ceux de la
25 Musique du Roy *, qui y adjouta son commandement, et qui re-
gretta ^^ à bon escient le trépas d'un si grand personnage, ornement
de son royaume. Je n'aurois jamais fait si je voulois desCrire | par [27j
le menu les Oraisons funèbres, Eloges ^^^ et vers qui furent ce jour
1. AB pas de virgule après foret | C pas de virgule après (orei ni après fuisset
30 2. A Salvo
3. 160/1-1617,1630 omettent funera | 1623 rétablit la leçon de ABC
4. C trop vraj'ement asseurce
5. BC suppriment son singulier amj'
6. C que ja nous nous estions par la fausse nouvelle première, non accoustumez,
35 mais préparez pour appréhender la perte que nous faisions
7. B l'honneur et l'estonnement de la France, aiuçois du monde | C l'honeur
de la France, ainçois du monde,
8. C comme disposez
9. C le sieur Galland
40 10. C ce que la France devoit, fit
11. B Boncourl, là où furent célébrées les funérailles | C Boncourt, là où furent
célébrées et imitées ses funérailles
12. AC Le service mis
13. BC nombrée, animé de toutes sortes d'iustrumens, fut chanté
45 14. A qui y ajoutèrent son commandement et qui regretairent (sic) {corrigé en
adjouta et regretta aux errata) \ B du Roj, lequel y adjousta son commande-
ment, et regreta j C du Roy suivant son commandement, et qui regretta
15. BC les Oraisons funèbres, les Eloges
38 DISCOURS DF. LA VIF
sacrez à sa inemoiro *. ci combien de ijTans Sei^jneiirs, avec mon-
seigneur le Duc de Joyeuse el monseigneur le Cardinal son lïere,
ausquels Ronsard avoil cel honneur d"a|)|>arlenir *. honorèrent celle
pompe funèbre, accompagne/ de la Heur des meilleurs espris de la
5 France '. Apres -disner le sieur du Perron prononça l'Oraison fu-
nèbre, avec si grande aftluence -^ de peuple, que plusieurs Princes
el grans Seigneurs fureni conlrainls Ac s'en aller '', poiu' n'avoir
peuenlrer^. Le desordre el conlusion du peuple qui s enlrepressoit
pour enlendre, augmenla pluslosl riiouneur de son éloquence 'J, et
10 lesmoigna combien la gloire de l^onsard el sa perle estoil "^ grande,
où il sembloit que le public el chacun en parliculier eusl inleresl
\ abordant^ de tous coslcz *. A l'issue de l'Oraison funèbre*' fui
représentée une Eclogue par moy faite * pour fermer cet acte fu-
nèbre. Voila la fin de celuy qui avoit donne commencement et
15 accroissemcnl à l'honneur de la langue et Poésie Françoise, et qui
possible la ensevely avec soy sous mesme sépulture^"*.
Il fui en loule sa vie autant curieux, et s'il faut ainsi dire, ambi-
tieux du vray honneur ^^ que la vertu nous apporte, conime épar-
gnant de celuy d'autruy, n'ayant jamais olTensc personne s'il n'estoit
20 provoqué au paravant *. Vray est ^- qu'il s'est quelquefois cour-
roucé contre ceux qui brouilloient le papier, el qui ne faisoienl à son
gré, comme on peut voir au second livre ^^ des Poëmes, en celuy
escrit à Christophle de Choiseul ^'* *. Sur ses derniers jours me fai-
1. A pas de virgule aprrs funcbre | C de grans Seigneurs, avec ce généreux
25 Prince Charles de \'alois *, accompagné du Duc de .loyeuse et du Reverendis-
sime Cardinal son frère, ausquels Ronsard appartenoil, honorèrent ceste poinpe
funèbre, à laquelle l'eslitc de ce grand Sénat de Paris * daigna bien assister,
comme à un acte public, suivie de la fleur des meilleurs esprits de la F"rance.
2. A de la France, après
.30 3. B avec tant d'éloquence et si grande afflucnce
4. B de s'en retourner
5. C Apres disner le sieur du Perron prononça l'Oraison Funèbre avec tant
d'éloquence, el pour laquelle oiijr l'afflucnce des auditeurs fut si grande que Mon-
seigneur le Cardinal de Rourbon *, et plusieurs autres Princes el Seigneurs
35 furent contraints de s'en retourner pour n'avoir peu forcer la presse.
(). C pour n'avoir peu forcer la presse. L'applaudissement des assistans entres-
grand nombre, et le regret de la troupe immense qui ne peut entrer, fitcognoistre
l'effect merveilleux de son éloquence
7. lie et la perte en cstoit
40 8. BC inleresl, y abordant
9. B(l suppriment funchrc
10. C sépulture, qui le premier de nos François osa tracer un sentier incogneu
pour aller à l'immortalité, ayant guidé les autres au chemin d'un si hooeste
labeur *.
45 11. C 11 fut en toute sa vie autant ambicieux de l'honeur vray
12. A au paravant : Vray est | C auparavant : vray est
13. A au 2 livre
14. C comme on peut voir au Poëme escrit à Chrislolle de Choiseul
DE PIKHHK Ki: KON'^UU) 3p
sant cet honneur de mo communiquer familièrement tant les desseins
de ses ouvrages, que les jugeniens (|u'il donnoil des escrivains du
jourd'huy, il se plaignoit forl de certain stile dur et ferré qu'il
voyoit s'aulhoriser parmy nous^. O, disoil-il, f|ue nous sommes
5 bien tost à nostre barbarie, que je [)lains nostre langue de voir si
tost son Occident - *. Puis -^ me parlant de tels auteurs qui s'am-
poullent et font sans chois Mercure de tout bois : Fis ont, me
disoil-il, l'esprit plus tiubulent que rassis, plus violent qu'aigu,
lequel imite les lorrcns d'hyver, qui attrainent '* des moutaignes
10 autant de boiie que de claire eauë : voulant éviter le langage com-
mun, ils I s'embarrassent de mois et manières de parler dures, [28]
fantastiques, et insolentes, lesquelles représentent plustost des Chi-
mères, et venteuses impressions des nues qu'une vénérable Majesté
Virgilienne : car c'est autre chose d'estre grave et majestueux, et
15 autre chose d'enfler son stile et le faire crever*. Pource, faisant ^
une parodie sur un vers d'Homcre, quand Andromache dit à son
Hector, le voyant sortir hors la porte tout armé, Ta vaillance te
peidra : Ainsi (disoit-il) le chaud " bouillon de la jeunesse de ces
singes imitateurs, el l'impétuosité de leur esprit, conduit seule-
20 ment de la facilité d'une nature dépravée, sans artifice laborieux,
|)erdronl'^ leur naissante réputation*. Disant*^ au reste que quel-
ques uns d'iceux eussent peu estre capables de la Poésie, et*' d'estre
mis au rang des bons Poètes, s'ils eussent peu recevoir correction.
Mais parlant de quelques autres, qui suivants cette bande prosti-
25 tuent les Muscs, et les habillent el déguisent à leur mode, il ne
peut un jour se tenir qu'il ne me dictast sur le champ ces vers :
Bien souvent, mon Binei *, la troupe sacrilège
Des filles de Cocyte * entre dans le collège
Des Muses, et vestant leurs habits empruntez
•W Trompent les plus rusez de caquets eshontez.
Qui rampent cautement, se coulent et se glissent
Au cœur des auditeurs, qui effrayez pallissent
1. BC il se plaignoit fort de ne sçay quelles façons d'escrire, et inventions fantas-
tiques et melancholiques d'aucuns de ce temps, qu'il voyoit s'authoriser parmi
35 nous, et qui ne se r'apportent non plus que les songes entrecoupez d'un frénétique,
ou d'un fiévreux, duquel l'imagination est blessée *.
2. BC de voir en naissant son trespas
3. A Occident : puis | C trespas : puis
4. 1609, 1617, 1630 attaignent | 1623 atteignent
40 5. A crever : pource faisant | BC crevei-. Puis faisant
6. A te perdra, Ainsi le chaud | C te perdra, ainsi disoit-il le chaud
7. BC perdra
8. A réputation : disant | B réputation : Disant
9. C quelques uns d'iceux pouvoient estre capables de ce bel art, et
4o DISCOURS DE LA VIE
Estonnez du uuirnuirc, et du jargon des vers:
Et plus ' (7s soni houfjis, plus courent de travers.
Et plus ils sont crevez de sens et de paroles.
Plus ils sont admirez des troupes qui sont foies.
5 Tels farouches esprits ont un coup de marteau
Engravé de naissance au milieu du cerveau,
Empcschant de prévoir de quel saint artifice
On appaise les Senrs pour leur faire service.
Qui demandent des /leurs, et non pas des chardons,
10 Non des coups de canons, ains des petits fredons.
Je les ay veu souvent courir parmi les rues
Servir de passctemps à no: troupes menues -, | l^'^J
De ris et de jouet, ou bien sus-^ un fumier
Ils meurent à la fin, leur tombeau coiistumier,
15 Et ^ jureurs et vanteurs meurent à la taverne,
Comme gens débauchez que la Lune gouverne *.
Il disoit ordinairement que tous ne dévoient témérairement se
mêler de la Poésie : que -' la prose cstoit le langage des hommes,
mais la Poésie csloit le langage des Dieux ^ * : et que les hommes
20 n'en dévoient estre les interprètes, s'ils n'estoient sacrez des leur
naissance, et dédiez à ce ministère*^ *.
Les Satyres qu'il avoit faites, et qu'il eust publiées, si nostre
siècle eust esté plus paisible, ne taxoient personne qui ne l'eust
mérité, et c'estoil bien une de ses envies de peindre au vif les vices
25 de nostre temps, pour corriger les uns, et espouvanter les autres de
mal faire*. Il m'en a monslré quelques unes meslécs à l'Horatiennc*,
mais je croy qu'elles seront perdues*^, d'autant que m'ayant re-
commandé et laissé ses œuvres corrigées de sa dernière main, pour
y tenir l'ordre en l'impression, suivant ses mémoires et advis, et
30 \. C Tant plus {même var. au vers suivant)
2. AB menues
3. C sur
4. COu
5. AC Poësie, que
35 6. Î623 supprime la prose estoit le langage des hommes, mais
7. BC à ce ministère. Il estoit ennemy mortel des Yersificateurs [C des versifica-
teurs dont les conceptions sont toutes ravalées], qui pensent avoir faict un grand
chef d'oeuvre, quand ils ont mis de la Prose en vers *. Car comme Michel-ange,
[C Michel-Ange], peintre et sculpteur très-excellent, diroit [C disoit] pour un secret
40 en son art, que la parfaite peinture doit approcher de la sculpture, et la repré-
senter autant que l'art le permet, et au contraire que la sculpture doit du tout
s'éloigner de la plate peinture : ainsi la prose peut bien exprimer les ornemens de
Poésie, et les vestir modestement. Mais la Poésie doit estre toute relevée en bosses
et fleurs apparoissantes, et fuyr du tout le stile plat et prosaïque, comme son con-
45 traire *. Vient ensuite l'alinéa Les premiers Poètes... V. ci-aprés, p. 43.)
8. C qu'elles sont fort esgarées
DE PIEKRK DE RONSARD 4ï
desquels'' il s'est fie à moy *, il me dll, quant aux Satyres, que
l'on n'en vcrroit jamais que ce qu'on en avoit veu, nostre siècle
n'estant digne - ny capable de correction ^ *.
Quant au jugement de ses œuvres *, il le laissoit librement à un
5 chacun, et deferoit à celuy des doctes, mais toutefois n'approuvoit
le jugement d'aucuns, qui parlans de sa Franciade, avoient opi-
nion qu'elle ne respondoit à ses autres œuvres. Car personne,
disoit-il, ne sçauroil juger ainsi, qu'il n'accuse son ignorance ^.
1. B suivant les mémoires et advis, et desquels | C suyvant les mémoires et
10 advis desquels
2. C n'estant ny digne,
3. BC transposent tout ce passage depuis Les Satjaes..., e' l'insèrent avant l'alinéa
11 avoit envie... {V. ci-après, p. 47.)
4. ABC pas d'alinéa.
15 5. BC Quant au jugement de ses ouvrages, il le laissoit librement à un chacun,
et deferoit à celuy des doctes, et les exposoit [C des doctes, les exposant] en public
à la façon d'Apelle, afin d'entendre le jugement et l'arrest d'un chacun, qu'aussi
volontiers il recevoit comme il pensoit estre candidement prononcé : n'estant pas
vice de s'amender, ains extrême malice de persister en son péché. Raison [C pe-
20 ché : raison] pour laquelle, tantost par un meilleur advis de soy-mesme, tantost
par le conseil de ses plus doctes amis, il a changé, abrégé, alongé beaucoup de
lieux, et principalement de sa divine Franciade, et en [C et mesmes en] ceste der-
nière main *, voulant tousjours tirer au but de perfection qu'on doit [C qui se
doit] rechercher en la Poésie, pour acquérir de l'honneur *, et non la médiocrité
25 qui y est \C qui est] extrême vice *.
Aussitôt après cette phrase C ajoute J'entends médiocrité humble et abjecte, et
non celle que le judicieux Horace estime tant, qui se prent pour un stile moien
et tempéré, ny trop eslevé ny trop bas, conforme à son suject * qui est la perfec-
tion mesme, non encor' concédée des Dieux aux hommes *. 11 s'est toutefois
30 trouvé des Zoïles qui ont bien osé attaquer sa Franciade, dont la seule imperfec-
tion est de ne l'avoir peu achever, pour le désir qu'il nous en a laissé par un si
parfaict commencement : Et voicy ce que l'un d'eux en escrivit :
Dum juuenis Ronsardus ouans praeclara canebat,
Concepta rapuit compila Franciade :
35 Parturiit, Centaurus adest, vel inepta Chimera (sic).
Qualiacumque ea sint, cauda capulve latet.
II ne s'esraeut pour cela beaucoup, mais respondit en ceste sorte :
Vn lit ce livre pour apprendre.
L'autre le lit comme envieux,
40 // est bien aisé de reprendre
Mais malaisé de faire mieux *.
Et s'il ne l'a pas achevée ce n'a pas esté faulte de suject, mais faulte de noz
Roys qui n'ont continué ceste généreuse faveur nourricière des grands esprits. Il
le tesmoigne en ces vers :
45 Si le Roy Charles eut vescu
J'eusse achevé ce long ouvrage.
Si tost que la mort l'eust vaincu,
Sa mort me vainquit le courage *.
Mais par cet échantillon on peut prévoir quelle devoit estre la pièce entière *.
50 Les beaux esprits s'exerceront à y cercher [160i-1623 chercher] des sens allégo-
riques, et laisseray cela à ceux qui ont plus de loisir. Je ne celeray point pourtant
que parla complainte d'un amy de Francus, mort, et par ses obsèques, il m'a dit
avoir entendu un Prince qui estoit fort nécessaire pour Testât près du roy Char-
/|2 m SCO in S l>F. LA VIK
T.es hommes doctos aussi, et non sonlomenl les nostres ^, mais
les estrangcrs, et principalement les Italiens-, l'ont estime et loue
iiiliniinent *, et le plus docte d'entre eux •', et le plus raisonnable
censeur des Poêles. Jules '^ Gesar Scaliger*, luy dédia ses Anacreon-
5 li([ues, comme au premier de tous les Poêles •"•, en ces termes :
Quo te carminé, (jna prcce,
Qiio pingiii Geniiim thiirc adeaiii liiiim
Immensi sobolem aclheris.
Qui Miisis '' iiniiui ])iodi(jiis imperas ? | [oO |
10 O canins decus anrei
Qui solus stupidis anribus inimincs.
O flexus vclcrcs novo,
Quos fn'li.v superas, ncctare cundiens
Suhliniis fidiccn Lijrae,
15 Graiis picla nolis (Jellica tcmperans :
Qui solus scatebris tuis
Latè Pegaseos imbuis alveos :
Te solo magis ac magis
Implens Caslalii consilium chori.
20 An frustra, an lepidus meus
Blandus suaviloqnus dulcis Anacreon,
Ronsarde, ad liquidant chelin,
Hinc ausil nireis vectus oloribus,
Nunc priniiim è tenebris pudens.
25 Sacrum stellifero ferre caput polo ?
Cujus luce frequens, pari
Illum luce tua flammeus obruis',
Mortes pracripiens traces,
In quoscumque tuus spiritus ingruil *.
30 Et ce jugement fut suiv_y de tout le monde ^, comme tesmoignent
les IX pour lors *. Comme aussi par les vices des Princes faj'neants il a voulu
toucher les corruptions de nostre temps *.
{BC transposent ces développemenis depuis Quant au jugement de ses ouvrages...
et les insèrent après la lettre de Ronsard à Baïf sur la Pédotrophie de Ste Marthe ; ils
35 les font suivre de l'alinéa qui contient les vers latins de Scaliger. V. ci-après, p. 44,
ligne 40.1
1. C Les beautez de ses œuvres ne se cognoissent tout d'un coup, ny par tous.
Mais en gênerai les hommes doctes, et non seulement les nostres
2. AC pas de virgule après Italiens
40 3. B et un des plus nobles et doctes d'entre eux | C ont estimé et loué les
ouvrages de Ronsard si hautement que l'un des plus nobles et doctes d'entre eux
4. BC et le plus pres-regardant Censeur des I-'oëtes, ce grand Jules
5. AC pasde virgule après Poètes
6. AB niusis
45 1 . A un point après obruis
H. BC
In quoscumque tuus spiritus ingruit.
D'autres excellens personnages aussi, comme Pierre Victor, Pierre Barga *, et
DE PIEIIRE DE RONSARD 43
SCS œnvres que l'on a Icu, cl lil on cncorcs pul)licr|iicmenl aux
cscollos h'rançoiscs de Flandres, d'Anglclerre cl de Pologne, jus-
ques à Danzich * *.
Les premiers Poètes et escrivains qu'il a estime ^ avoir commencé
5 à bien cscrire, ont esté Maurice Sceve, ïlugucs Salel -^ et Jacques
Pelletier^. Quant aux autres, ils sont assez cogneus et remarquez
en ses œuvres ^. Il ayma et estima sur tous pour la grande doc-
trine, et pour avoir les mieux escrits, Pontus de Tyard *, aprescnt
Evesque de Ghaalons, Joachin du Bellay, Jean Ant. de Baïf,
10 Remy Belleau, qu'il appeloit le peintre de nature *, Amadis
Jamin, qu'il avoit nourry avec soy *, Robert Garnicr, Poète tragi-
que*, Philippe des Portes, Abbé de Tyron, Florent Cbrcslien, Sçe-
vole de Saincte Marthe '5*, Jean Passerat, et J. D. Perron, et quel-
ques autres dont le jugement est en ses œuvres '^*. [31]
15 Speron Sperone *, l'ont tellement estimé, que les deux premiers m'ont dit, lorsque
j'estois \C lorsque je poursuivois mes esludes] en Italie, que nostre langue par la
divine Poésie de nostre Ronsard s'egaloit à la Grecque et Latine. Et quant à Spe-
rone, c'est ce qui l'a esnieu au Dialogue des Langues, de tant estimer la nostre, et
de faire un juste Poëme [C en langue Toscane] à la louange de Ronsard, qui
20 [C de Ronsard, que j'aj' trouvé parmy ses papiers, et qui] mérite bien d'estre leu *.
Et cejugenient a esté suivy de tout le monde *
1. BC transposent cet alinéa et l'insèrent avant celui qui commence par Aucuns ont
trouvé la correction (y. ci-après, p. iS), niais C avec cette addition après Danzich.
Aussi le docte la Ramée en sa Rhétorique n'a peu trouver de plus beaux exem-
2.1 pies pour son instruction de l'éloquence Françoise que dans les œuvres de Ron-
sard, qui luy en ont fourny à sulTisance, comme Virgile à Quinlilian *. lia changé
l'addresse d'aucunes pièces de ses œuvres, mais ce n'a pas esté par légèreté ou
inconstance d'amitié mais par bonne raison, ainsi qu'il m'a raconté, et que nous
voions au Sonet qui commence :
30 A Phebus\,] PatoiiiUet,
qui s'addressoit premièrement à Jaques Grevin médecin *, bel esprit certes, et
l'honeur de nostre pais Reauvaisin, qui le meritoit bien, n'eust esté qu'aj^ant aj'dé
à bastir le Temple de calomnie contre Ronsard en haine des Discours des misères
de nostre temps, il s'en rendit indigne, et de son amitié de laquelle il honoroit son
35 gentil esprit : Sa vengeance ne fut autre toutesfois que de raier son nom de ses
escrits.*
2. C Les premiers Poètes qu'il a estimé
3. A Hugues, Salel (/". d'impr. évidente)
4. BC ont esté Maurice Sceve, Hugues Salel, Anthoine Heroet, Melin de S. Gelais,
40 Jacques Pelletier, et Guillaume des Autels
5. BC Quant aux autres qui ont suivy plus heureusement, ils sont assez cogneus
et remarquez par leurs œuvres.
6. A saincte Marthe
7. B Pontus de Tyard, Jean Ant. de Rayf, Joachin du Rellay, Estienne Jodelle,
45 Rem3' Belleau, qu'il appelloit le peintre de nature, Estienne Pasquier *, Amadis
Jarain, qu'il avoit nourrj' avec soy, Robert Garnier Poète tragique, Philippes des
Portes, Florent Chrestien, Scevole de Saincte-Marthe, Jehan Passerat, J. D. Per-
ron Bertaud, et J. de la Peruse, et quelques autres, dont le jugement est en ses
œuvres.
50 C II aima et estima sur tous tant pour la grande doctrine et pour avoir le mieux
escrit, que pour l'amitié à laquelle l'excellence de son sçavoir les avoit obligez,
Jan Anthoine de Baïf, Joachin du Bellay, Pontus de Tyard, Estienne Jodelle,
44 niscouns df, i.\ vie
Sa conversation o?loil fort facile avec ccnx qu'il aymoit, mais il
avmoit snr lonl les hommes studieux, vertueux et de nette cons-
cience, et qui estoicjil libres, ouverts, simples, et sans tromperie*,
comme aussi Uiymesme desiroil eslre tel-* : pouvant dire hardi-
5 ment que ses mœurs, comme aussi sesescrits •*, porloient tousjours
je ne sçav quoy de noble au front, et en toutes ses actions on voyoit
reluire * les effets d'un vray Gentil-homme François, au reste
libéral et magnifique en la despence des biens qu'il a voit •''.
Il se plaisoit ordinairement ou à S. Cosme ^, lieu fort plaisant, et
10 comme l'œinde la Touraine, jardin de la France, ouà Bourgueil,
à cause du deduict de la chasse, auquel il s'exerçoit volontiers ^,
comme aussi à Croix-val, recherchant ores la solitude de la forest
Remy Belleau qu'il appelloit le peintre de nature, la compagnie desquels avec luy
et Dorât à l'imitation des sept excellens Poètes Grecs qui florissoient presque d'un
15 niesme temps il appella la Pléiade*, parce qu'ils estoient les premiers et plus
excellens, par la diligence desquels la Poi-sie Françoise estoit montée au comble
de tout honeur. Il mettoil aussi en cet honorable rang Estienne Pasquicr, Olivier
de Maigny, .1. de la Peruse, Amadis Jamyn qu'il avoit nourry page, et fait ins-
truire, Robert Garnier Poète tragique, Florent Chrestien, Scevole de saincte
20 Marthe, Jean Passerat et Philippes des Portes, J. D. Perron, et le polj' Bertaud,
lesquels ont si purement escrit qu'ils me font désespérer de voir jamais nostre
langue en plus haute perfection. Il faisoit encore estât de quelques autres dont le
jugement est en ses œuvres.
Aussitôt après cette phrase BC ajoutent 11 avoit une liberté de juger des escrits
25 de ceux de son temps, jointe à une candeur esloignée de toute jalousie (aussi
estoit-il pardessus elle) ne retenant les louanges de ceux ausquels elles estoient
raisonablement deuës : tesmoin le jugement qu'il donna de la Psedotrophie de
Scevole de sainte Marthe que Kaïf luy avoit envoyé [C envoj'ée] *. Car en la res-
ponse qu'il luj' fit, voicy ce qu'il en dit : Bons Dieux quel livre m'avez vous donné
30 \C envoyé] de la part du Seigneur de saincte Marthe ? [1609-1623 !] Ce n'est pas
un livre, ce sont les Muses mesmes : et s'il m'estoit permis d'y asseoir jugement,
je jure nostre Helicon, que je le voudrois préférer à tous ceux de nostre temps,
voire quand Hembe, Naugere, et le divin Fracastor * en devroient estre cour-
roucez. Car adjoignant la splendeur du vers nombreux et sonoreux [C Car consi-
35 derant comme il a joint la splendeur du vers nombreux et savoureux] à la belle et
pure diction, la fable à l'histoire, et la Philosophie à la Médecine, je dy le siècle
bien-heureux qui nous a produit un tel homme \C je ne me puis tenir de m'escrier,
Deus deus ille Menalca, et de dire le siècle bien-heureux qui nous a produit un
tel homme] *.
40 {Suivent en BC les développements qui commencent par Quant au jugement de ses
ouvrages... V. ci-dessus, p. il, note 5.)
1. B simples, et sans fiction et afifetterie courtisane | C ouverts et simples, sans
fiction et afi'etterie courtisane
2. C avoit tousjours désiré d'estre tel
45 3. A pas de virgule après escrits | BC ses mœurs, sa face et ses escrils
4. BC paroislre
5. BC des biens qu'il avoit. II n'estoit ennemy d'aucun, et si aucuns se sont
rendus ses ennemis, ils s'en sont donné le subject : mais sa naturelle douceur les
en a faict repentir.
50 6. ne Sa demeure ordinaire estoil ou à Sainct Cosme
7. C l'œilet I 160^-1630 l'œillet
8. C volontiers, et où, pour cet exercice, il faisoit nourrir des chiens que le feu
Roy Charles luy avoit donnez, ensemble un Faulcon et un Tiercelet d'autour :
DE PIERHE Dr: RONSARD 45
de Gastine, ores les rives du Loir, et la belle fonteine Bellerie ^ *,
où bien souvent seul, mais tousjours en la compaip:nio des Muses,
ils'egaroit pour rassembler les belles inventions, lesquelles- parmy
le tumulte des villes et du peuple s'escailanl (;à et là -^ ne peuvent
5 si bien se concevoir en nous*. Quand il esloit à Paris il se delec-
loil sur tout ou à Meudon, à cause des bois et de la rivière de
Seine *, ou à Gentilly , Hercueil , ou Vanves ^, pour l'agréable
frescheur du ruisseau de Bievre, et des fonteines que les Muses
ayment naturellement*. Il prenoit aussi singulier plaisir à jardiner,
10 et sur tous lieux en sa maison'' de S. Cosme, où Monsieur le
Duc d'Anjou ~', qui le prisoit, l'aimoit, et admiroit, le fut voir ^
aprez avoir l'aict son entrée à Tours *. Il sçavoit beaucoup '-'de beaux
secrets pour le jardinage, fust pour semer, planter, ou pour enter
et grefler en toutes sortes, et souvent en presentoit des fruictz au
15 Roy Cliarles, qui prenoit à gré tout ce qui venoit de luy *. Quand il
se meltoità l'estude il ne s'en retiroit aisément^*^, et lors qu'il en
sortoit, il estoit assez melancholique, et bien aise de rencontrer com-
pagnie récréative : mais " lors qu'il composoit il ne vouloit estre
importuné de personne, se faisant excuser librement, mesme à ses
20 plus grans amis, s'il ne parloit à eux ^- *.
Aucuns ont trouvé la correction qu'il a faicte en ses œuvres, en
quelques endroicts, moins agréable que ce qu'il avoit | première- [32]
ment conceu, comme il advient ^-^ principalement en la Poésie,
que la première fureur est plus naïve, et que la lime trop de fois
25 1. C Bellerie, ou celle d'Helene,
2. AC inventions lesquelles
3. B peuple, s'ecartant çà et là, comme une semence esgarée, | C comme une
semence esgarée de la matrice,
4. BC Quant il estoit à Paris, et qu'il vouloit s'esjouir avec ses amis, ou com-
30 poser à requoy, il se delectoit ou à Meudon, tant à cause des bois que du plaisant
regard de la rivière de Seine,
5. B Hercueil, et Vanves | C Hercueil, Sainct Clou, et Vanves
6. A lieux, en sa maison
7. A Danjou
35 8. BC le fut voir plusieurs fois.
9. B II sçavoit, comme il n'ignoroit rien, beaucoup | C II sçavoit assez (comme
il n'ignoroit rien i beaucoup | 1609-1623 suppriment assez
10. 1609-1623 il s'en retiroit aisément {leçon faut, adoptée par Bl. VIII, 51)
11. A récréative : Mais
40 12. C supprime s'il ne parloit à eux. Mais à cet alinéa BC ajoutent celui-ci La
peinture et sculpture, comme aussi la Musique, luy estoient à singulier plaisir
[1609 in-f^, et surtout celle du Sieur Mauduit,j *: et principalement aimoit à chan-
ter et à ouj'r chanter ses vers, appellant la Musique sœur puisnée de la Poésie,
et les Poètes et Musiciens enfans sacrez des Muses ; que sans la Musique la
45 Poésie estoit presque sans grâce, comme la Musique sans la mélodie des vers,
inanimée et sans vie *. [Vient ensuite i alinéa final II incitoit fort...)
13. BC comme il peut avenir [C advenir]
46 discot:rs de la vie
mise, en lien d'eelaircir '' et polir le fer, ne fail qne l'nser et le
rendre plus rude -. Les doctes eu jugeront ■' *. Quant à ses œuvres,
elles sont tant pleines d'excellence * et de beauté/, que nous les
pouvons mieux entendre et admirer que les expliquer et imiter : et
5 noslrc Ronsard ■'• a lait si bien son proul'fit de la profonde science de
louh's choses, pratiqué '' si bien "' les grâces anciennes, et à icelles
joint une telle fureur Poétique, à luy seul propn>, que depuis le
siècle d Auguste il ne s'est trouvé vui naturel plus divin, plus liardi,
plus Poétique, et plus accompli que le sien *. Il n'y ^ a fleur ou
10 Trope qu'il n'ait parsemé et si subtilement caché en sesescris, qu'il
est à douter si en luy l'art surmonte la nature. Et •' quant à l'art,
il n'en doit rien aux anciens, et semble, ayant osté ^^ de sa super-
lluité, qu'il ait adjouté beaucoup à son embellissement : car l'excel-
lence et perfection de bien dire n'est pas ^^ en l'abondance et mes-
lô lange de toutes fleurs, mais au retranchement et au chois des plus
belles. El^- tout ainsi qu'au cours de nostrc vie il y a beaucoup de
choses qui se présentent, desquelles peu nous plaisent, et moins
eucor nous engendrent admiration ^^, aussi plusieurs considérations
s'offrent en la conception du Poëte^^, dont il doit refuser la plus
20 grand part, et recevoir celle qui plus raisonnablement et avec grand
contention d'esprit luy vient à gré ^^. De tous les Poètes qui ont esté
jusques à présent, les uns ont emporté l'honneur i*" pour le poëme
Epique, et les autres pour le Lyrique, et ainsi des autres : mais fai-
sant comparaison avec chacun Poëte particulier, il est au lieu de
25 tous, et entre tous, unique *. Qui n'admireroit son divin Génie, la
1. A declaircir | B d'csclaircir | C de esclaircir
2. AB virgule après rude | C et polir ne fait qu'user et corrompre la trempe.
3. BC les doctes [C Les doctes | qui verront sans passion ses dernières concep-
tions en jugeront.
30 4. BC J'oseray bien prononcer toutesfois que ses œuvres en gênerai sont tant
pleins [C pleines] d'excellence
5. A imiter : Et nostre Honsard
6. A pratique '/". d'iiiipr. cuidente)
7. BC si heureusement
35 8. A le sien, il ny
9. A nature : Kt | C nature : et
10. ABC et semble ajant osté [C esté]
11. C ne gist pas
12. A des plus belles: Et | B au retranchement, chois et arrengement des j)lus
40 belles. Et | C au retranchement des unes et aux choix et arrengement des plus
belles. Et
13. B nous engendrent ce contentement qui meine en l'admiration : | C nous
engendrent ce parfait contentement (jui nous ravit en l'admiration.
14. C en la conception et phantasie du Poëte
45 15. C celles qui plus raisonnablement et avec grande corilenlion d'esprit luy
viennent à gré.
16. C ont remporté l'honeur
DE PIERRE DE RONSARD Ix^
grandeur et vénérable Majesté de ses conceptions, comme il est
floride, rond, reserré, pressé quand il veut, égal à son sujet, nom-
breux, élégant et poli, plein de propres epitheles, riche de mots et
termes significatifs, agréable en comparaisons industrieuses, ela-
.") bourées et recherchées *, et en toutes ces choses autant tousjours
semblable à soymesmes comme en variété d'inventions et d'argu-
luens il est tousjours dissemblable et diilerent ^ P |33]
On trouva sur son nom d'assez heureuses rencontres, en Grec
Si>s 0 TEPiJANAPOi:, et en François, quelques - lettres perdues,
10 Rnae de Pindare, et d'autres que je laisse aux plus curieux -^ *.
Il a\oil envie, si la santé et la Parque l'eussent permis, d'cscrire
1. A un point après diflerent. BC remanient et augmentent celte /in d'alinéa
ainsi :
li unique. (Jui n'admireroit son divin Génie, la grandeur et vénérable Majesté
15 de ses conceptions, la variété de ses entrelasseniens Poétiques, dont il enrichit
connne de franges et passeniens ses divins ouvrages : la facilité inimitable de ses
vers : comme il est iloride, rond, reserré, pressé quand il veut, égal à son suject,
d'un vers nombreux et sonoreux *, élégant et poly, d'un stile hautain, non errené
ny traînant à terre ou efl'eminé : comme il est aggrcable en comparaisons indus-
20 trieuses et nayves, elabouré en vives descriptions, et en toutes ces choses autant
tousjours semblable à soy-niesmes, comme en variété d'inventions et d'argumens
il est tousjours dissemblable et différent ? Ainsi que l'ingénieuse Abeille, il s'est
servi si dextrement des fleurs des meilleurs escnvains, qu'il en a rendu le miel
tout sien *.
25 C unique. Prenez garde à son éloquence diversiftiée de toutes varietez et qui
entièrement imite la nature mère de toutes choses, qui n'a esté estimée belle par
les anciens que pour estre inconstante et variable en ses jjerfections *, comme une
Musique parfaite en son armonie de plusieurs et divers tons, et accors. Pouvant
appeller le corps de ses œuvres un petit monde accomplj- de toutes parties belles
30 en leur diversité, tant il imite le monde naturel : Car comme cettuy-cy d'un costé
se montre fertile et luxuriant en riches moissons, esgaié de belles et ver-floris-
santes prairies, que mille ruisseaux et fonteines resjoûissent de leurs courses
argentines, puis environné de cette grande mer brûlante qui rehausse et relevé
son embellissement : d'autre costé vous la voiez hispide et chevelue de tant de
35 bocages et hautes forestz, stérile en landes et bruieres, seiche en tant de pais
sablonneux, et déserte en tant de rochers et pierreuses montagnes, ce qui rend ce
Tout parfait [on lit Tout-parfait | en sa variété, ainsi devons nous admirer le divin
Génie de sa Poésie *, la grandeur et vénérable majesté de ses conceptions, la
variété de ses entrelasseniens Poétiques dont il enrichit comme de franges et pas-
40 semens ses divins ouvrages, la facilité inimitable [on lit immitablej de ses vers,
comme là il est floride et copieux, par fois aride et raboteux, icj' rond, reserré, et
pressé quand il veut, d'un vers nombreux et savoureux, élégant et poly, d'un stile
hautain, non errené ny traînant à terre ou efl'eminé : agréable en comparaisons
industrieuses et naïves, elabouré en vives descriptions, et en toutes ces choses
45 autant tousjours égal à son sujet, et à soy-mesmes, comme en variété d'inven-
tions et d'argumans il est tousjours dissemblable et dift'erent, représentant toutes
les Muses ensemble qui ont toutes diverse et dift'erente face, en laquelle neant-
moins on recognoist que elles sont sœurs et filles de Jupiter et Mnemosine [sic).
Ainsi que l'ingénieuse abbeille, il s'est servi si dextrement des fleurs des meilleurs
50 escrivains qu'il en a lendu le miel tout sien.
'.Vient ensuite l'alinéa qui commence par Les Satyres qu'il avoit faites... . V. ci-
dessus, p. 40.)
2. A François quelques
3. C développe cette phrase en la transposant plus haut, p. li, note 3.
48 DISCOURS DE l.A VIE
la naissance du monde, et Iraicter dignement le subject des jours de
sa création, mais il nous en a laissé seulement le désir : bien a il
commencé un Poëme delà Loy divine non acbevé, addressé au Roy
lie Navarre, un antre discours plain de doctrine et de pbilosophie
ô à mc^isiour des Portes, Abbé de Tyron, Vllymnc de Mercure, la
Liiicle de Calais et d'Orfée qu'il n'a peu acbever, et quelques dis-
cours sur la Poésie faicts en prose, qu'il me donna, et lesquels
depuis il retira pour recorriger : plus les préfaces en vers pour mettre
au commencement de cbaque diverse sorte de Poëmes qui sont en
10 ses œuvres, et plusieurs autres pièces de luy non encore mises
en lumière, qui verront le jour en la dernière main de ses œuvres ^.
1. RC développent cet alinéa ainsi :
Il avoit envie, si la santé et la Parque l'eussent permis, d'escrire plusieurs
œuvres Chrestiennes, et traiter ingcnieusenient et dignement la naissance du
15 monde : mais il nous en a laissé seulement le désir : bien a-il [C avoit il] com-
mencé un Poème de la Loy divine non achevé, dont en voicj' l'eschantillon [Cnon
achevé, qu'il voùoit à Henrj^ à présent roj- de France et de Navarre, avec présage
de grande promesse, qui n'est encore manifeste qu'au Ciel, et combien que les
Poètes ayent esté appeliez des anciens Vates et devins *, en voicj' l'eschantillon :
20 il/o;i Prince, illustre sang de la race Bourbonne,
A qui le Ciel promet de porter la couronne
Que ton grand Saint Loy s porta dessus le front.
Si la chasse, la guerre, et les conseils qui font
Le nom d'un Cappitaine après la mort revivre
25 N'amusent ton esprit, embrasse mog ce livre.
Et ne refuse point d'acquérir le bon-heur
Que ton humble subject célèbre à ton honneur.] *
Tu ne liras icy les amours insensées
Des mondains tourmentez de frivoles pensées,
30 Mais d'un peuple qui tremble effraie de la loy
Que Dieu père éternel escrivit de son doy.
Un rocher s' eslevoit au milieu d'une plaine
Eff'roiable d'horreur et d'une vaste areine,
Hault rocher déserté dont le sommet pointu
35 De l'orage des vents estait tousjours batu :
Une eff'roiable peur comme un rampart l'emmure
D un torrent csburdé ^C débordé], dont le rauque murmure
Bouillonnant effroyoit les voisins à l'entour \C d'alentour].
Des Sangliers et des Cerfs agréable [C l'agréable^ séjour.
40 Le Ciel pour ce jour là serenoit la montaigne.
Le vent estoit muet, muette la campaigne.
Quand l'horreur solitaire et l'effroy d'un tel lieu
Plus que les grands Palais fut agréable à Dieu,
Pour assembler son peuple et le tenir en crainte,
45 Et luy bailler le frein d'une douce contrainte.
Pour ce Moyse il appelle, et luy a dit ainsi
Lui resveillant l'esprit : Marche mon cher soucy,
Grimpe au sommet du mont et atten que je vienne.
Fay que mon peuple en presse au pied du mont se tienne,
50 De leste, de visage et d'espaules espes.
Attendant de ma loy le mandement exprès.
Le Prophète obéit, il monta sur la roche,
Et plein de majesté de son maistre il s'approche. *
DE PIERRE DE RONSARD ^9
Il incitoit fort ceux qui l'alloient voir, et principalemeat les
Qui montre assez, avec autres semblables pièces en ses œuvres, qu'il n'avoit
faute de volonté nj' de moyens pour loger les Muses en nos temples *. Il avoit
aussi desseigné trois livres * de la Militie Françoise qu'il adressoit au Roy, dont
5 le commencement est vers la 6n des Poëmes *. [C au Roy, dont voicy le fragment :
Je chante par quel art la France peut remettre
Les armes en honneur, vueilles le nioy permettre,
Neufvaine qui d'Olympe habite les sommetz.
Accomplissant par moy l'a-iwre que je prometz.
10 Mars quitte moy le sein de Cypris ton amie,
Repousse de les yeux la jeunesse endormie,
Desveloppe ton bras languissant à l'entour
De son col qui l' énerve empoisonné d'Amour.
Vien le dos tout chargé du fais de ta cuirasse,
15 Pren la hache en lu main tel que te veit * la Thrace
Retournant tout sanglant du meurtre des Geans
Foudroyez à les piedz par les champs l'hlegreuns.
Et toy, prince Henry, * des armes la merveille,
Apres le soing public preste moy ton oreille,
20 Inspire moy l audace, eschauff'e moy la peur.
Et metz auecques moy la main à ce labeur]
Pareillement un Poëme intitulé l'Hercule Tu-lion [C intitulé Hercule Tu'lionJ *,
non achevé, qu'il avoit ainsi commencé :
Tu peux te garantir du Soleil qui nous brusle
25 (Dit le fort locuste* au magnanime Hercule)
Dessous ceste umbre assis, s'il te plaist nous conter
Comme ta force peut * le Lion surmonter.
Qui prenoil en Nemée et logis et posture.
Et dont la peau te sert encore de veslure.
30 Car à voir tes sourcils, tes cheveux mal-peignez.
Tes bras pelus, nerveux, et tes yeux renfrongnez.
Nul homme sinon toy n'eust sceu parfaire l'œuvre.
Puis ta dure massue assez le nous descœuvre.
Il n'avoit achevé, quand dix bœufs du Soleil, *
35 Effroyez de la peau du Lion non-pareil
Qu'Hercule avoit au dos, le choquant l'irritèrent,
Et l'ire de son fiel agassant despiterent.
[C En sa première jeunesse il s'estoit addonné à la Muse latine, et de fait nous
avons veu quelques vers latins de sa façon assez passables, comme ceux qu'il
40 addresse au Cardinal de Lorraine, et à Charles Evesque du Mans et Cardinal de
Rambouillet, et les Epigrammes contre quelques ministres, et le Tombeau du Roy
Charles IX, mais qui monstrent par quelque contrainte forcée, ou qu'il n'y estoit
point entièrement né, ou qu'il ne s'y plaisoit pas, aussi n'en avoit-il continué
l'exercice, pour escrire en uostre langue *.
45 Quant à l'oraison continue *, il ne disoit pas des mieux en propos communs,
ou plustost se plaisoit en une dédaigneuse nonchalance, laquelle il mettoit au compte
de sa liberté. Que s'il avoit à discourir, en présence ou par commandement des
grands avec quelque appareil, il disoit des mieux : tesmoin le docte discours qu'il
fit sur le suject des vertus actives*, qui se voit encores entre les mains des curieux
50 et qu'il accompagna d'une généreuse et pareille action*, par le commandement,
et en présence du Roy Henry III, lors que ce prince voulut dresser l'Académie de
son Palais, et fit choix des plus doctes hommes de son roiaume, pour aprendre à
moindre peine les bonnes lettres par leurs rares discours, enrichis des plus belles
choses qu'on peust rechercher sur un suject, et qu'ils debvoient faire chacun à leur
55 tour. Du nombre desquels furent choisis des premiers avec Ronsard le sieur de
Pybrac, qui estoit autheur de ceste entreprise, et Doron Maistre des Requestes,
Tyard Evesque de Chalons, Baïf, Desportes Abbé de Tyron, et le docte du Per-
VIE DE p. DE RONSARD. 4
5o DISCOURS DE LA VIE
joimcs hommes qu'il jugeoit pouvoir quelque jour^ promettre quel-
que fruict, à bien escrire ^, et plustost moins et mieux faire ^ *.
J'estimeray lousjours ce jour bien heureux ^ quand jeune d'ans et
d'expérience, n'ayant encor attaijicl l'âge de quinze ou seize ans,
5 après avoir savomé tant soit peu du miel de ses escrits, l'ayant
esté voir, il ne récent pas seulement les prémices de ma Muse, mais
m'incita merveilleusement ^ à continuer, et l'aller voir '^ souvent,
non chiche de me déceler beaucoup de particularitez, et m'ayant
aymé et premier versé '^ l'inclination en la Poésie ^, si peu que j'en
10 puis recongnoistre en moy, et depuis ^ honoré mes escrits de la
gloire qui regorgeoit eu luy ^^ *. En recompense dequoy ayant
reçeu de luy office de pcre, comme un fds non ingrat, voulant au-
cunement recognoistre cette pieté d'une autre, j'ay faict ce vaisseau
pour y enfermer ses cendres tant précieuses, que j'ay ramassées, et
15 que je présente à la postérité, reliques d'un si grand personnage, et
tesmoignage du devoir que la France et moy lui consacrons avec
noz larmes perpétuelles^^.
ron.] * Il nous a laissé un Discours en prose sur le Poëme Heroique, assez mal
en ordre [C pour l'avoir dicté à quelque ignorant qui escrivoit soubz luy, qu'il
20 m'envoj'aj, et que j'ay remis à jDeu près selon son intention * : ensemble un Poëme
addressé au Uoy, remis au Bocage * : une Elégie pleine de doctrine et de Philo-
sophie à Monsieur Desportes, Abbé de Tyron * : l'Hj'nne de Mercure [C remis au
Bocage, et une Elégie au sieur Desportes, et l'Hynne de Mercure], et quelques
autres qui suivent *. Plus les Préfaces en vers pour mettre au commencement de
25 chacune diverse sorte de Poëme *, et plusieurs autres pièces de luy non encore
mises en lumière, qui voyent le jour en cette dernière main de ses Œuvres *, qui
comme un testament porte sa volonté gravée, ainsi qu'il me l'avoit recommandé,
inviolable [C qui comme un dernier codicile portent sa volonté testamentaire
exécutée ainsi qu'il me l'avoit recommandé, inviolable.] *.
30 {Suivent en BC : 1" l'alinéa Sa conversation estoit fort facile... V. ci-dessus,
p. 44 ; 2* l'alinéa 11 se plaisoit ordinairement... V. ci-dessus, p. 44 ; 3" l'alinéa
final II incitoit fort ceux qui...)
1. .4' un jour
2. AA' quelque fruict à bien escrire *
35 3. BC les jeunes hommes qu'il jugeoit par un gentil naturel promettre quelque
fruict en la Poésie, à bien escrire, et plustost à moins et mieux faire : car les vers
se doivent peser et non conter [C compter], et ressemblent au Diamant, qui estant
de belle eau et d'excellente grandeur ( C au Diamant parangon qui estant de belle
eau et rendant un bel esclat], seul vaut mieux qu'une centaine de moyens.
40 4. BC Je marqueray tousjours ce jour d'un craion bien-heureux
5. BC mais m'incita courageusement
6. B à continuer et l'aller voir | C à continuer, et le visiter
7. A met une virg. après chiche et n'accentue pas versé
8. ne non chiche de me déceler beaucoup de ses [1609-1630 ces] divins et mis-
45 terieux secrets, avec lesquels le premier il m'eschaufa l'inclination en la Poésie
9. A s'j' peu que j'en puis recognoistre en moy. Et depuis
10. BC si peu que, parmj' la sévérité de nos loix *, j'en jjuis recognoistre en
moy, et depuis honora mes escrits de la gloire qui regorgeoit en luy, engageant
mon affection en son amitié par l'éternel lien de ses Lauriers.
50 11. C En recompense de quoy. Belle et généreuse ame, ayant receu de toy office
DE l'IEHKK 1)K RONSARD
et faveur de père, puisse-tu au ciel en toute douceur et en paix tranquillement
reposer *, recevant en gré, comme d'un fils non ingrat qui veut aucunement reco-
gnoistre la paternelle pieté d'une autre, ce fraile vaisseau que j'ay fait pour y
enfermer tes cendres tant précieuses, par nioy ramassées, et que je présente à la
posterilé, reliques de tant de richesses fondues en toy seul, et suffisant tesmoi-
gnage des regrets que la F"rance et moy te consacrons avec nez larmes perpe
tuelles.
BC se terminent par ces mots Fin de la Vie de P. de Honsard.
5i
COMMENTAIRE IIISTORIOUE ET CRITIQUE
Page 1, ligne 1. — est issu. Binet a emprunté les vingt premières lignes
à l'Elégie autobiographique de Ronsard, Je veux, mon cher Belleau,
adressée primitivement (dans le Bocage de 1554) à Pierre Paschal,
lequel avait demandé au poète des documents pour étoffer et orner
l'éloge qu'il avait promis de lui consacrer. (Voir Marty-Laveaux, Notice
sur Ronsard, pp. ii à v, et ma thèse sur Ronsard poète lyrique, pp. 125
à 127). Voici le passage de R. qui a passé dans la prose de Binet :
Or quant à mon ancestre il a tiré sa race
D'où le glacé Danube est voisin de la Thrace.
Plus bas que la Hongrie, en une froide part,
Est un Seigneur nommé le Marquis de Ronsart,
Riche d'or et de gens, de villes et de terre.
Un de ses fils puisnez ardant de voir la guerre,
Un camp d'autres puisnez assembla hazardeux,
Et quittant son pays, faict Capitaine d'eux
Traversa la Hongrie et la basse Allemaigne,
Traversa la Bourgogne et la grasse Champaigne,
Et hard}^ vint servir Philippes de Valois,
Qui pour lors avoit guerre encontre les Anglois.
Il s'employa si bien au service de France,
Que le Roy lui donna des biens à suffisance
Sur les rives du Loir : puis du tout oubliant
Frères, père et pays, François se mariant
Engendra les ayeux dont est sorti le père
Par qui premier je vy ceste belle lumière.
(Texte de 1584, consulté par Binet, cf. ci-après, p. 60.)
On remarquera que Ronsard ne donne aucun nom à ce cadet de fortune
qui émigra de Hongrie en France ; il ne nomme pas non plus Orphée,
laissant ce soin à ses panégyristes. — Même silence sur ces deux points
dans Du Perron, qui, du reste, tout en délayant les vers de Ronsard,
fait sortir ses ancêtres paternels « de la Moravie, province située entre la
Pologne et la Hongrie » {Oraison fun., 1586 et éd. suiv.). — J. Velliard
ne parle pas des origines étrangères de Ronsard ; il se contente de dire
qu'il est issu de très nobles ancêtres paternels établis depuis longtemps
dans la région fertile et illustre du Vendômois. — En revanche
G. Critton paraphrase d'un bout à l'autre les vers de Ronsard, avec
cette variante que le capitaine venu au service de Philippe VI était le
fils aîné d'un Comte de Ronsard, qui habitait la Thrace, et il ajoute :
« Ab hoc genus traxit is quo rectè gloriari potest Thracia se nostris
54 COMMENTMHE HISTORIQUE
hominibus Gallicum Orphcum ut olim Graccis suum dédisse. » (Lan-
datio fiin.,p- 4). C'est là. peut-être, que Binet a pris le rapprochement
de Ronsard et d'Orphée (qu'on trouve d'ailleurs au début de l'Hymne
de France, Bl., V, 283). Mais où a-t-il pris que le capitaine venu au
service de Philippe VI s'appelait Baudouin ?
L'authenticité de cette origine paternelle de Ronsard est très suspecte
et a été fort contestée. Bayle, après avoir cité le témoignage de Binet,
ajoute : « Je croi que nous pouvons niellre tout cela au nombre de
tant de chimères, que la plupart des Maisons nobles racontent de leurs
premiers fondateurs. Elles aiment passionnément à se dire issues des
pays les plus éloignez et de quelque cadet de noble race, brave avantu-
ricr dont les beaux exploits méritèrent cent récompenses du Prince
qu'il vint servir. S'il n'y avoit que trois ou quatre familles qui con-
tassent de telles choses, on n aurait pas tant de panchant à s'en
moquer. Au reste l'Auteur que je cite n'a fait que traduire en prose ce
que Ronsard avoit raconté de son extraction dans l'une de ses Elégies.
Du Perron fit ce même Conte, mais au lieu de la Bulgarie, il mit la
Moravie. » (Dictionn., article Ronsard, note A )
Il est certain que les généalogies dressées au xvi^ siècle étaient le
plus souvent fantaisistes. Le Laboui-eur en a fait une juste critique à
propos de Fr. de La Rochefoucauld, de Fr d'Agoult, de René de
Sanzay, et de quelques autres {Add. aux Mém. de Castelnau, I,
767-68 ; II, 471 et 515 de l'éd. de Bruxelles). Il a écrit notamment au
sujet de la généalogie des Sanzay, publiée en 1560 et admirée précisé-
ment de Ronsard (cf. Bl., III, 389) : « En ce temps là on n'avoit point
la méthode de dresser des Généalogies sur les Titres ; on se contentoit
de traditions et de contes de vieilles pour suppléer au défaut de la
mémoire ; à peine savoit-on son grand père par les règles, et au dessus
de cela on recevoit pour véritable tout ce qu'il plaisoit à certains faux
antiquaires et véritables visionnaires tels que Jean le Maire de Belges,
l'auteur du roman du Chevalier du Cygne, composé en faveur de la
Maison de Cleves, Forcatel jurisconsulte, auteur du Montmorency
Gaulois, frère Etienne de Lusignan, grand imposteur, et Jean le Feron,
lequel je n accuserai que de légère créance, et qui presta son nom
comme Roy d'armes à plusieurs généalogies faites à plaisir. »
ill, 296.)
Au xix^ siècle nombre de biographes ont admis, à la suite de Sainte-
Beuve, l'origine bas-danubienne de Ronsard. On a même accepté
comme une vérité incontestable l'existence du Baudouin de Ronsart,
dont le prénom n'apparaît que dans Binet (copié par Colletet) et pour-
rait bien être de son invention. Blanchemain enfin a cru, sur la foi
duo écrivain roumain, que cet ancêtre était un bano hongrois, du
nom de Marucini, qui en se fixant en France aurait traduit littérale-
ment son titre et son nom de famille, changeant bano en marquis et
Marucini (^Ronces ou Roncière; en Ronsart A. Ubicini, Introd. aux
Chants popnl. de la Roumanie recueillis par Alexandri, Paris, Dentu,
1855 ; Bl., IV, 297, et VIII, 2;.
Mais la critique de Bayle a été vigoureusement reprise en 1874 par
un numismate d'Orléans, A. Chabouillet : " On paraît disposé, dit-il,
ET CRITIQUE 55
à adopter trop complaîsamment l'opinion purement légendaire qui
veut que Ronsard soit issu d'une noble et ancienne famille de la
Moravie, de la Hongrie ou de la Roumanie... C'est Ronsard lui-même
qui a accrédité cette légende en la consignant dans ses vers, où il éta-
blit qu'il descend d'un seigneur nommé le marquis de Ronsard. Je
n'accuse pas le poète d'avoir inventé cette légende ; il se peut qu'il
l'ait trouvée établie et enracinée dans sa famille ; mais il y avait
partout de ces légendes, et la critique moderne ne les accueille
généralement qu'à bonnes enseignes, lesquelles manquent ici. » Après
avoir rappelé les affirmations des premiers biographes de notre
poète, il ajoute : « Mais où donc Ronsard, Duperron et Binet ont-ils
pris tout cela ? M. de Rochambeau dit à la vérité qu'on voit ce
Baudouin " figurer dans les actes de 1328 à 1340 » ; quels actes, où
sont-ils et que disent-ils ? S'ils existent encore il aurait fallu les
citer avec les indications précises exigées par la critique » (L. Fro-
ger dit en 1884 qu'il n'a retrouvé aucune trace de ces actes, Nouv .
Recherches, p. 91). « La critique, ajoute Chabouillet, n'a-t-elle
pas négligé jusqu à présent de s'enquérir sérieusement de ce qu'il
pourrait y avoir de fondé dans le roman versifié de Ronsard ? »
et, après de judicieuses remarques sur les armoiries de sa famille,
augmentées par Rochambeau d'une « Couronne de marquis » imagi-
naire : « J'espère que les amis de Ronsard me pardonneront de le
croire plus poète que gentilhomme; mais évidemment il s'est fait illu-
sion sur l'antiquité de sa noblesse, et j'avoue que je ne crois pas du tout
au marquis de Ronsard contemporain de Philippe de Valois. » (Notice
sur une médaille inéd. de Rons., dans les Mém. de la Soc. arch. de
l'Orléanais, tome XV ; tirage à part, pp. 14-19.)
A la fin du xix^ siècle, les biographes de Ronsard, gagnés par le
doute, ont gardé pour la plupart une sage réserve sur la question de
ses origines hongroises. « Rien, dit l'un d'eux, ne paraît moins certain
que cette glorieuse descendance » (M. Lanusse, Chefs-d'œuvre poét.
de Marot, Ronsard, etc , p. 63). — Quant aux titres de noblesse de ses
ascendants paternels, j'ai moi-même essayé de montrer qu ils étaient
loin d'avoir limportance que le poète et Cl- Binet leur ont donnée
{Reo. de la Renaiss., 1901, p. 99). Son père fut peut-être le premier
chevalier de la famille ; son grand-père et ses arrière grands-pères
étaient de simples écuyers. Lors du recensement de la noblesse authen-
tique ordonné par Louis XIV vers 1667, les Ronsard furent exclus des
listes provisoires ; c'est seulement après la protestation de l'un d'entre
eux, et un procès, qu'ils furent réinscrits au nombre des « gen-
tilshommes de la généralité d'Orléans » (cf. Froger, Nouv. Rech. sur
la famille de Ronsard, dans la Rev. arch- du Maine, 1884, surtout le
Tableau généalogique et les Pièces justificatives, pp. 224-240).
En 1902, G. Deschamps disait avec raison au sujet de la page du
poète transposée par Binet : « Dans ces vers à panache, qui font songer
à Don César de Bazan, Ronsard, tombant dans un travers auquel
V. Hugo n'a pas échappé, s'attribue gratuitement une ascendance
fantaisiste ; ainsi le grand poète romantique, issu d'une famille
d'honnêtes artisans, donnait pour ancêtre à sa lignée un capitaine des
56 COMMENTAIRE HISTOniQlE
gardes de la Cour de Lorraine (anobli au xvie siècle)... » Et, après avoir
rappelé les lignes de Binct — historien suspect autant que disciple
enthousiaste — comme le témoignage d'une légende adulatrice formée
dans l'entourage du poète: « Dans ce texte, continuait-il, une phrase
ajoutée donne 1 explication de la si lointaine origine attribuée au chef
de la Pléiade : Binet nous avoue la préoccupation que Ronsard avait
de se rapprocher de toutes manières du pays où vécut Orphée. »
[Rev- des Cours el Conférences, 20 mars 1902, p. 51.)
Enfin M. Henri Longnon a écrit pour sa thèse de l'Ecole des Chartes
(janv. 1904) un premier chapitre intitulé : « La légende du marquis de
Ronsard ; sa fausseté », — et un deuxième chapitre sur les ancêtres du
poète, où il prouve que le nom de Ronsard remonte au xi*" siècle.
J'ignore les arguments qu'il a fait valoir, les « positions » de la thèse
a3ant été seules imprimées ; mais L. Froger a publié, depuis, un
document qui ne peut que les confirmer, constatant en 1293 l'existence
dans le Vendômois d'un Olivier de la Poçonniere, écuyer, marié à
Jehanne Tiercelin {Annales Fléch. de septembre 1904). Tout me porte
à croire que ce personnage est un des ancêtres paternels du poète, car:
1 ' parfois ils étaient ainsi désignés simplement du nom de leur fief
principal (cf. une relation des obsèques de Guill. du Bellay, où figure
M. de la Possonniere, qui n'est autre que Loys de Ronsart, Rev. de la
Province du Maine de juillet 1901, p. 212) ; 2° l'un d'eux, au xve siècle,
a également porté le prénom d'Olivier; 3" Claude de Ronsart, le frère
du poète, a également épousé une Tiercelin.
Comme le dit L. Froger : Parole de poète n'a jamais été parole
d'évangile. C'est ce que Binet aurait dû ne pas oublier. (V. encore
Hallopeau, Annales Fléch. de déc. 1904, p. 313, note 2; de septembre
1905, p. 93; le Bas-Vendomois, 1905, pp. 79, 91 et 96).
Un adversaire des origines bas -danubiennes de Ronsard, non moins
résolu que les précédents, vient de se faire connaître en la personne de
M. Jean Martellière, de Vendôme ; ses arguments ne sont pas nou-
veaux, mais sa façon de les présenter est assurément nouvelle {Annales
Fléch. de mai-juin 1909, Les Origines des Ronssaii).
P. 1, 1. 10. — leur temps. Ce début rappelle celui de la Vie d'Agricola
de Tacite : « Clarorum virorum facta moresque posteris tradere anti-
quitus usitatum... »; et un passage de la lettre de Pline le Jeune sur la
mort du poète Martial (III, 21): « Fuit moris antiqui.. »
P. 1, 1. 17. — marse nature =^ nature languissante, flasque, flétrie,
corrompue (du latin marcidus). Le Dictionnaire de Godefroy ne cite
qu'un exemple de cet adjectif, emprunté au Pèlerinage d'Amour.
P. 1, 1. 19. — utile labeur. Cf. Pline le Jeune, loc . cit. : << nostris vero
temporibus, ut alia speciosa et egregia, ita hoc in primis exolevit. »
P 1, 1. 21. — de mesme. Cf. Tacite, loc. cit. : « adeo virtutes iisdem
temporibus optime aestimantur quibus facillime gignuntur. ) Pline le
J., loc cit. : « Nam postquam desiimus facere laudanda, laudari quoque
ineptum putamus. »
P. 1. 1. 24. — Prince et père de nos Pactes. Ronsard reçut le premier
de ces titres de très bonne heure, peu de temps après la publication de
son premier recueil d'Odes (janv.-févr. 1550). V. les Odes du Gave du
ET CRITIQUE 67
poète Gascon B. du Poey, 1550 (d'après la Thèse fr. de M. Lanusse,
p. 142) ; une ode latine de Muret « Ad P. Ronsardum Gallicorum
poctarum facile principem », parue dans les Jiivenilia (déc 1552) ; un
sonnet de J. de La Peruse « A. P. de Ronsard, prince des poètes Fran-
çois », paru en 1553 à la fin de la 2"^ éd. du Cinquicsme livre des Odes
de Ronsard ; les Œuvres poétiques de Maclou de la Haj'e, 1553 ; la
Poésie de Le Caron, 1554. Lambin appelle aussi Ronsard « Poctarum
Gallicorum princeps » en 1553 [Rev. d'ilist. litt. 1906, pp. 497-98).
Quant au titre de « père » des poètes, il était couramment décerné à
Ronsard par ses nombreux disciples: ainsi Du Perron appelle Ronsard
non seulement son père spirituel [Oraison fun., éd. princeps, pp. 8 et
9), mais encore « le père commun des Muses et de la Poésie » {Ihid.,
p. 15). Ronsard lui-même avait dit avec raison aux poètes protestants
en 1563: « Vous estes tous issus de ma Muse et de moy... » (Response
aux injures..., vers 1025 et suiv., Bl., VII, 128.)
P. 1, 1. 26. — à fin que toy. Binet s'adresse à son fils-
P. 1, 1. 34. — abolie et perdue- Cf. Tacite, op. cit., chap. ni, fin:
« Hic intérim liber, honori Agricolae soceri mei destinatus, professione
pietatis aut laudatus erit aut excusatus. » — Il est certain que Binet
s'est inspiré de Tacite poui' l'ensemble de son exorde ; même annonce
d'un panégyrique, même ton sentencieux, mêmes précautions oratoires,
mêmes expressions parfois. — Quant à la comparaison du monde
moral avec la terre tour à tour féconde et stérile (2" et 3^ phrases),
c'est un lieu commun qui est déjà dans Pindare : « Les anciennes ver-
tus ne viennent que par intervalles renouveler la vigueur chez les géné-
rations des hommes : la noire terre ne donne pas toujours des fruits ;
on ne voit pas l'arbre apporter à chaque révolution des ans une égale
richesse de fleurs embaumées ; la nature veut du repos. « (Ném., XI,
vers 37 et suiv.). On la trouve au moins deux fois dans Ronsard:
"1° Elégie à Chr. de Choiseul (publiée en 1556) : « Mais ainsi que la
terre a la semence enclose | Des bleds un an entier, et l'autre an se
repose... | Ainsi la France mère a produit pour un temps | Comme
une terre grasse une moisson d'enfans | Gentils, doctes, bien naiz,
puis eir s'est reposée, | ... Maintenante son tour fertile elle commence
I A s'enfler toutle sein d'une belle semence... » (Bl., VI, 202; la com-
paraison tient 18 vers) ; 2° Elégie au sieur Barthel. del Bene (publ. en
1587) : « Comme on voit par saisons les ventres des campagnes, | Fer-
tiles maintenant et maintenant brehagnes, I Porter l'un après l'autre
et fourment et buissons | Et tousjours à plein sein ne jaunir de mois-
sons: I Ainsi les bons esprits ne font toujours demeure, | Fertils,
en un pais, mais changent d'heure en heure, | Soit en se reposant,
soit en portant du fruit ». (Bl., IV, 356).
Il se peut que Binet ait pris cette comparaison à Ronsard. Mais il en
a fait une application, très difi'érente, à l'Antiquité, aux siècles infé-
conds du Moyen-Age et à la Renaissance française, qui rappelle plutôt
ces lignes de J. Peletier : « Le Temps s'est si fort démenti que toutes
les professions libérales, qui avoyent si bien faict prospérer, ont quasi
esté mises à nonchaloir et à néant par toutes nations, tout un grand
espace jusques à nostre aage : lequel, si affection ne me transporte, est
58 COMMENTAIRE IIISTOHIQUE
assez fort pour combattre avecqucs les passés. Et me semble que le
Temps a faict ainsi que la terre labourable ; laquelle, après s'estre
reposée à son plaisir, apporte une foison de biens autant et plus grande
qu'elle ne fit oncqucs. Quel temps s'est-il jamais trouvé plus florissant
en Philosopbic, Poésie, Peinture, Architecture et inventions nouvelles
de toutes choses nécessaires à la vie des hommes, que le nostre ? »
{Arithmcliquc, 1549 ; proème du le livre.)
P. 2, 1. 30. — le Danube. Cette étymologie du nom de Ronsard (primi-
tivement Rossart, Roussart, puis Ronssart et Ronsart) est très contes-
table. Il est vrai que ross signifie en allemand cheval de bataille; il se
peut aussi, comme, l'ont répété Rochambeau et Rlanchemain d'après
Binet, qu'il y ait dans le Danube des poissons appelés ross ; mais il est
certain d'autre part que le mot roussin signifiant cheval de bataille est
un vieux mot français, qui existait encore dans ce sens au xvi^ siècle
(cf. Décrue, la Cour de France et la Sociélé au XVI^ siècle, p. 140) ;
et que le Loir abonde en rosses, petits « vifs » du genre gardon, qui
sont excellents pour la pêche du brochet- Aussi un Armoriai manus-
crit de 1608, conservé à la Biblio. d'Angers, donne -t-il comme ange-
vines les armoiries de la famille Ronsart, qui se prétendait d'origine
étrangère. V. à ce sujet l'abbé Simon, Hist. de Vendôme, III, p. 499,
note; A. Dupré et de Passac, Mss. de la Biblio. de Blois, le Vendô-
mois, p. 239; Laumonier, Genèse du nom de Ronsard {Annales Flé-
choiscs de mai 1903).
Je cite seulement pour mémoire l'opinion de La Monnoye, qui après
avoir prouvé, par un vers des Neniae de Salmon Macrin, qu'on pro-
nonçait encore Roussart en 1550, ajoute : « On sait par tradition que
Ronsard était rousseau, et c'est apparemment parce que la plupart de
ceux de cette famille naissaient roux, qu'ils eurent le nom de Roussart
qu'on a depuis prononcé Ronsard. » [Jugcmens des Savans, IV, p. 456,
note.)
Le blason de Ronsart « d'azur à trois Ross d'argent rangés en fasces »,
se voit partout dans le Bas-Vendômois, non seulement à 1 intérieur et
à l'extérieur de la Possonniére, mais dans l'église et sur le clocher de
Couture, et dans les communes voisines où ils avaient des fiefs, notam-
ment à la Chapelle-Gaugain : « Nous retrouvons bien là, dit L. A.
Hallopeau, ces orgueilleux seigneurs, qui prétendaient tenir leurs
terres des rois de France et même être alliés à la famille rojale. Ils ont
fait tailler leur blason dans la pierre aussi haut qu ils ont pu le monter;
depuis quatre siècles les trois Ross rangés en fasces dominent le val
du Tusson comme la plaine de Couture, au nord et au sud, vers orient
et vers occident ». (Le Bas-Vendomois, p. 203.) '.
1. M. Martellière, dans son article cité plus haut sur les Orir/ines des Ronssart,
a fait une vigoureuse critique de ce passage de Binet. Voici ses conclusions,
peut-être aventureuses, mais du moins intéressantes : 1" la famille des Ronsart
tire son nom d'un nom de lieu. 2" Ce lieu s'appelait /îonssar/, parce qu'il était
rempli de ronciers, qui sont des touffes de ronsses. 3" C'était donc, si c'était
un Cef, un fief bien maigre... 4" Ce nom n'existe pas dans les régions danu-
biennes; il est impossible, s'il n'est qu'une traduction, de le retrouver, parce
qu'il est un mot trop commun... 5" Au contraire ce nom a existé sans inter-
ET CRITIQUE ÔQ
P. 2, 1. 30. — Poissonnière. Binct se trompe sur l'étymologie de ce
nom. La vraie orthog est Possonniere ; il l'avait d'ailleurs adoptée
dans sa 1"'' rédaction (cf. ci-dessus p. 3, 1. 19). Amadis Jamin dit
avec raison dans une ode Au sienr de la Possonniere :
La Possonniere de posson
Se surnomme, non du poisson
Qui des Hoiisards nomme la race.
(Œuv. poét., éd. de 1575, Meslanges, f» 230 v°.)
On appelait « possonniercs » les endroits où se mesuraient les liquides
à l'aide du /joçon ou posson, terme qui s'est corrompu en poinçon,
ponson, poisson. Pour désigner le domaine des Ronsart à Couture, on
écrivait au xv" et au xvi"^ siècle la Possonniere, et c'est aussi l'orthog.
adoptée le plus souvent dans les actes notariés, ou ayant un caractère
oniciel quelconque, du xvii" et du xviiie siècle. Cependant c'est l'orthog.
Poissonnière qui a prévalu, non seulement chez les habitants du Bas-
Vendomois, mais encore dans les travaux d'érudits, tels que l'abbé
Simon, l'historien de Vendôme, et les deux derniers éditeurs de Ron-
sard, Blanchemain et Marty-Laveaux, d'après l'opinion généralement
répandue que ce nom vient des poissons qui figurent dans les armes
des Ronsart. Cette confusion, qui s'explique aisément, fut faite dès le
xvi" siècle, comme on le voit par la 2" et la 3^ rédaction de Binet. Le
poète lui-même semble avoir partagé l'opinion vulgaire, car il écrit
dans une lettre à son ami Passerai en 1566 : « Je m'en iray demain
aux Trois Poissons boire à vos bonnes grâces. » (Bl., VIIL 169 ; M. L.,
VI, 481.) — Sur cette question, voir Chabouillet, Notice sur une mcd.
inéd. de Ronsard, p. 20 ; Froger, Nouo. rech. sur la fam. de R.,
passini ; Laumonier, Annales Fléchoises de mai 1903, pp. 257 et suiv. ;
Hallopeau, le Bas-Vendomois, pp. 59 et suiv.)
P. 2, 1. 41. — du Mans. Nous n'avons pas trouvé la moindre mention
de ce Julian Ronsart, évêque du Mans, ni dans Rochambeau (op. cit.),
ni dans Froger (op. cz7.), ni dans Hallopeau {op. cit.)- Nous l'avons
vainement cherché dans la liste des évêques du Mans, Gallia Chris-
tiana, tome XIV, p. 339 ; Mas-Latrie, Trésor de Chronol., col. 1433.
Binet a peut-être confondu avec Jehan Ronsart, oncle du poète. Il
était curé de Bessé-sur-Braye, chanoine du Mans, vicaire général de
l'évêque-cardinal du Mans, Louis de Bourbon. Il mourut en 1535 et fut
inhumé dans une des chapelles de la cathédrale, celle de Saint-Nicolas
(Froger, Nouv. Rech. sur la famille de R-, pp. 98 et 99.) V. ci-après,
p. 70. au mot « exprès ».
P. 3, 1. 4. — à Remi] Belleau. On voit que Binet n'a pas consulté
cette pièce autobiographique dans l'édition originale, le Bocage de 1554,
où elle était dédiée à Pierre Paschal, et qu'il a ignoré par conséquent
pour quelle fin Ronsard l'avait écrite. Il ne s'est pas douté un instant
qu'elle était primitivement destinée à documenter un panégijrique
ruption du xi^ au xviii*' siècle, aux portes de Vendôme, entre le bourg de
Saint-Bienheuré et le bourg de la Chapelle-d'Arelnes .. {Annales Fléchoises
de mai-juin 1909, pp. 199 à 205,.
6o COMMENTAIRE HISTORIQUE
promis par Paschal à Ronsard, et que pour la circonstance le poète
avait très probablement enjolivé la vérité. Aussi a-t-il accepté sans
critique les renseignements qu'elle contient.
C'est en 1500 que Ronsard remplaça Paschal par Rclleau dans l'a-
dresse de cette autobiographie, mais elle figurait alors au premier livre
des Poèmes, n» XX, sans porter le nom particulier d'élégie. En 1567,
1571 et 1573, où les Elcgics forment avec les Eclogucs une section à
part divisée en plusieurs livres, elle est classée la quatrième élégie du
livre IV. En 1578, où les Elégies forment pour la première fois avec
quelques Discours une série continue, elle a le n" XXIX des Elégies.
C'est en 1584 seulement qu'elle est l'Elégie XVI. Nous en concluons
que Rinet pour sa première rédaction s'est servi de la dernière édition
collective publiée du vivant de Ronsard, l'in-folio de 1584. — Pour les
rédactions de 1587 et de 1597, il s'est servi de la première édition pos-
thume, à laquelle il avait collaboré, et où l'autobiographie adressée à
Relleau n'est plus l'Elégie XVI, mais l'Elégie XXI.
Voici les vers qui ont passé dans la prose de Binet :
Du costé maternel j'ay tiré mon lignage
De ceux de la Trimouille, et de ceux du Bouchage,
El de ceux des Roùaux, et de ceux des Chaudriers
Qui furent en leurs temps si glorieux guerriers.
Que leur noble vertu que Mars rend éternelle
Reprint sur les Auglois les murs de la Rochelle,
Où l'un fut si vaillant qu'eucores aujourd'huy
Une rue à son los porte le nom de luy.
(Texte de 1584. Cf. éd. M-L., IV, 96.)
Sur les alliances contractées par les ancêtres paternels de Ronsard,
notamment par son père, et sur les armoiries sculptées et peintes au
manoir de la Possonniere qui en témoignent, voir Rochambeau, op.
cil., chap. i et ii; Froger, Nouiy. Rech., passiin et Tableau généalog- ;
surtout Hallopeau, articles des Ann. Fléch. de 1905, tome V, pp. 1, 90,
189, articles recueillis dans son ouvrage sur le Bas-Vendômois en
1906, pp. 74 à 92 et planche de la p. 176, dont nous détachons seule-
ment ces lignes de conclusion : « De 1 étude de ces armoiries résulte un
fait incontestable: c'est l'orgueil inouï des seigneurs de la Possonniere,
qui, avides d alliances avec les plus illustres familles, n'hésitent pas à
s attribuer des parentés fort discutables. Vers 1515, Loys fait sculpter
sur sa cheminée les armes de Jeanne de Vendosmois, par lesquelles les
Ronsart prétendaient tenir à la maison de Bourbon et aux anciens
comtes de Vendôme ; il cherche encore à se rattacher aux barons de
Maillé et peut-être aussi aux barons de Craon. »
Le poète en particulier était très fier de ses ascendants et de leurs
attaches plus ou moins directes avec les plus nobles familles: ce senti-
ment éclate non seulement dans VElegie à P. Paschal, mais dans l'ode
pindarique A J. du Bellay (épode IV) et dans l'ode Au fleuve du Loir
(av. dern stro.i; le caractère aristocratique de sa Muse vient en partie
de là. Voir ma Jeunesse de Ronsard, où j'ai le premier signalé l'exis-
tence des armes de sa mère Jeanne Chaudrier, au manoir de la
Possonniere. {Rev. de la Renaiss., févr. 1901, pp. 105-106.)
ET CRITIQUE 6l
P. 3, 1. 5. — de l'Ordre. Sur ce personnage, voir A. de Rochambeau,
Famille de Ronsart, 1868, éd. elzévirienne, pp. 22-33; Louis Froger,
Nouv. Rech. sur la famille de Ronsard dans la Revue hislor. et arch.
du Maine, 1884, l»-'"' semestre, pp. 102 et suiv. ; et ma Jeunesse de
Ronsard dans la Rev. de la Renaissance, 1901, pp. 99 et suiv. — Il
est surtout connu par son protégé, le rhétoriqueur poitevin J. Bouchet
(Epître liminaire des Triumphes de la noble et amoureuse dame, repro-
duite par Marty-Lav., Notice sur Ronsard, ex ; Epitres familières,
96, 97, 126 de l'éd. de 1545 ; Epitaphe de Loys de Roussart, reproduite
par HIanchemain, au tome VIII, p. 13, de son édition de Ronsard). —
Il fut fait chevalier de l'ordre de Saint-Michel par Louis XII, car il a
ce titre dès 1504 (Rochambeau. op. cit., p. 23). D'après Bouchet
(Epître limin. des Triumphes), il 1 aurait reçu en récompense des ser-
vices rendus à la prise de Milan et d'Alexandrie, lorsque Ludov.
Sforza fut fait prisonnier, c'est-à-dire en 1500.
P. 3, 1. 6. — du Roy. Il s'agit non pas de François ler^ comme l'a écrit
Binet en 1597, mais de celui de ses fils qui devint roi sous le nom
de Henri II. Il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter à l'Elégie
autobiographique dont Binet s'est servi en 1586. Voici ce qu'écrivait
Ronsard dans cette Elégie à la date de 1554 et ce qu'on lisait encore
dans l'in-foho de 1584, consulté par Binet :
Mon père fut toujours en son vivant icy
Maistre d'hostel du Rojs et le suivit aussy
Tant qu'il fut prisonnier pour son père en Espagne.
Ce roi qui « fut prisonnier pour son père en Espagne », et que L. de
Ronsart suivit durant sa captivité, ne peut être un autre que Henri II ;
seulement, lorsqu'il remplaça son père dans les prisons d'Espagne, de
1526 à 1530, il n'était encore que le tout jeune prince Henri, duc d'Or-
léans. Ronsard a voulu dire en 1554 : «Mon père fut maître d'hôtel du
prince qui est aujourd'hui notre roi. » (Notons qu il s'adressait
alors à Paschal, « historiographe du Roy».) Après la mort de Henri II,
il aurait dû changer son texte pour éviter toute équivoque ; il ne s'en
avisa que pour l'édition posthume (1587), dont voici la variante :
Mon père de Henry gouverna la maison,
Fils du grand Roj' François, quand il fut en prison
Servant de seur ostage à son père en Espagne.
Du Perron a bien vu, même avant l'apparition de cette variante, que le
roi dont parle Ronsard dans les éd publiées de son vivant est Henri II
et non François I^'' ; mais il eut tort de croire que L. de Ronsart « fut
maistre d'hostel du Roy Henry second à son avènement à la couronne ».
(Or. fun., tous les textes, 1586-1618.)
Non, L. de Ronsart ne fut «maistre d'hostel» que des deux fils aînés
de François P*", le dauphin François et le duc Henri d'Orléans. Bou-
chet le dit expressément à deux reprises (Epître limin des Triumphes,
et Epitaphe de L. de /?.). D'après un document retrouvé par A. Dupré
et cité par Rochambeau [op. cit., p. 24), il était « maistre d'hostel des
princes » dès mars 1522. D'après un autre document publié par
M. Lhuillier dans le Bulletin histor. et philol. du comité des travaux
Ca COMMEJiTAÎRE HISTORIQUE
histor. ^1889, p. 213), il était inscrit en 1535 comme 4e maître d'hôtel
dans « l'Etat delà maison des princes » pour une somme de 800 livres.
Or, comme l'aîné de ces princes est mort en 15,% et que le cadet n'est
arrive au trône qu'en 1547. trois ans après la mort de L. de lionsarl,
celui-ci en réalité n'a jamais été « maistre d'hostel » d'aucun roi.
Enfin, si L. de Ronsart avait eu cette qualité, on peut être certain
que Bouchet la lui aurait donnée au moins une fois, surtout en tête de
VEpitaphe qu'il lui consacra en 1544. Or, en toutes circonstances il l'a
simplement qualifié de « maistre d'hostel de Monsieur le Dauphin »,
même en tête de VEpitaphe-
Binet, cela est visible, a mal interprété le texte de Ronsard dès
1586. Il a aggravé son contresens en 1597 par son addition, d» Roy Fran-
çois premier, addition d'autant moins excusable que le texte de l'éd.
posthume devait alors, et dès 1587, lui ouvrir les yeux. Par malheur,
tous les biographes de Ronsard, jusqu'à Marty-Lav. inclusivement, ont
ajouté foi au témoignage de Binet. L'un d'eux, CoUetet, reproduit sans
contrôle à la fois le témoignage de Du Perron et celui de Binet, et il
ajoute une troisième erreur, qu'ils n'ont pas commise, en disant que
« les enfans de France » accompagnés par L. de Ronsart en Espagne
furent François et Charles duc d'Orléans [op. cit., p. 22). L'abbé
Simon a également suivi à la fois Binet et Du Perron (Hist. de Ven-
dôme, III, p. 500). — Blanchemain (VIII, pp. 2 et 13) et Rochambeau
[op. cit., 31) se sont appuyés pour donner raison à Binet sur cette
auti-e affirmation de lui : L. de R. « mourut en 1544 servant son quar-
tier chez le Roy» (V. ci-dessus, p. 10). Mais si L. de R. mourut « en ser-
vant son quartier chez le Roy », ce n'est pas en qualité de « maistre
d'hostel de François P'" » : c'est qu'il faisait partie des « cent mansion-
naires », ou gardes du corps royaux, ainsi que nous l'appi'end encore
Bouchet dans l'Epître limin. des Triumphes et V Epitaphe déik citées.
P. 3, 1. 10. — de la France. D'après Bouchet (Epître limin. des Trium-
phes, et Epitaphe de L. de R.), le séjour de Loys de Ronsart en
Espagne a duré 4 ans et demi « environ ». Il a duré exactement 4 ans,
3 mois et quelques jours, les deux princes otages ayant franchi la
Bidassoa le 17 mars 1526. et l'ayant repassée le !«'' juillet 1530. (Cham-
pollion-Figcac, Captivité de Franc. F^', Introd., lxiii ; Mignet, Rival,
de Fr. F^ et de Charles Quint, II, pp. 188 et 461 de l'éd. de 1886.)
On pourrait croire d'après Binet que Loys de Ronsart eut seul, et
par une confiance toute spéciale, la mission de veiller aux deux princes
otages. En réalité, dix gentilhommes composant leur « maison »
étaient chargés de cette mission, entre autres René de Cossé-Brissac,
gouverneur du Dauphin. Loys de Ronsart était du nombre, en qualité
de maistre d'hôtel des princes. — Ce n'est pas François F" qui les
choisit, mais la reine-mère, Louise de Savoie, qui, pendant l'absence de
François I''"", était Régente du royaume.
On possède deux lettres écrites par Loys de Ronsart pendant son
séjour en Espagne. La première est datée de Villepende (Villalpando) le
27 octobre [1529], et adressée au gouverneur du Dauphin, René de
Cossé-Brissac, qui à cette date était déjà de retour en France (relâché
après la paix de Cambrai, août 1529). Elle a été publiée pour la
ET CRITIQUE 63
première fois dans le Bulletin Iiistor. et monumental de VAnjou,
4« année, 185G, p. 49, mais de façon inexacte. Lemarchand en a donné
une transcription meilleure dans la Reu. de l'Anjou et du Maine, art.
cit., p. 106-107 ; mais elle a échappé à Rochambeau, Blanchemain et
Marty-Laveaux. La Biblio. d'Angers en possède l'autographe, qui pro-
vient du chartrier de Brissac par l'intermédiaire du cabinet Toussaint
Gille iMss 1137, no 9). Je remercie M. Louis Hogu, un jeune savant
angevin, qui m'a collationné la copie de Lemarchand sur l'original,
de son obligeante communication à ce sujet.
La deuxième lettre est datée de Pedrace (Pedrazza), le 15 janvier
[1530], et adressée à Monsieur le Grand Maistre de la maison du Roi,
Anne de Montmorency ; elle a été publiée par Génin, Lettres de Marg.
d'Anyoulcme, Appendice, I, p. 470 ; par Blanchemain, Œuvres de
Ronsard, VIII, 175 ; par Rochambeau, op. cit., p. 27, et par Marty-
Laveaux, Notice sur Ronsard, cix. (Cf. Bibl. Nat. Mss fr., n" 3037,
fo 96).
Sur la joie causée par le retour des princes, avec lesquels arriva en
France la nouvelle reine, Eléonore d'Autriche, sœur de Charles-Quint,
voir Cl. Marot, Chant de joye au retour de Messeigneurs les enfans
(éd. Jannet, II, 91), et Mignet, op. cit., chap. final.
P. 3, 1. 12. — heureusement. On sait par J. Bouchet (iipz7. cit.) le rôle
de protecteur des écrivains que Loys de Ronsart jouait à la Cour. C'est
ainsi qu'il se chargea de présenter à Eléonore d'Autriche les Triumphes
de la noble dame, et à François le'' le Jugement poetic de l'honneur
féminin, et obtint de celui-ci l'entrée gratuite d'une des filles de Bou-
chet au monastère de Sainte-Croix de Poitiers, faveur insigne dont le
remercie avec chaleur le rhétoriqueur poitevin. — Ou sait aussi l'in-
fluence littéraire qu'il eut sur Bouchet, auquel il révéla, entre autres
secrets
Du tant noble art de doulce rhétorique,
la valeur esthétique de deux règles de versification, celle de l'élision
obligatoire de la coupe féminine (quadrature synalephée) et celle de
l'alternance des rimes mascul. et fémin. dans les vers à rimes plates
(Cf. ma Jeunesse de Rons., févr. 1901, p. 102, et ma thèse sur Ron-
sard p. /yr., pp. 765 etsuiv.). — On sait enfin qu'il composa durant
sa captivité deux traités en vers, qui, malgré les instances de Bouchet,
sont restés inédits :
Quant au blason des armes et divis
(Dont j'ay parlé voire escrit mon advis)
Vous en scavez autant que feit onc homme,
Et en avez fait ung recueil et somme
Puys peu de temps, et ung auUre traicté
Ouquel avez tresamplement traicté
Comme on se doit es maisons des grans princes
Entretenir par règnes et provinces.
Le deuxième sujet est clair : il s'agissait des devoirs des officiers de la
couronne. Mais le premier l'est moins. Faut-il penser avec Goujet
[Bibl fr-, XI, 290), Rochambeau (o/j. cit., 33), L. Froger [Prem. poés.
de Rons-, 8, et Nouv. Rech., 105), que c'était un traité sur le blason, et
64 COMMENTAIRE HISTORIQUE
comprendre par armes et divis les armoiries et devises des familles
nobles ? Ou bien faut-il comprendre « le blason et divis (pour devis)
des armes », dans le sens de « description et discussion sur les armes
de guerre » ? On peut hésiter, mais j'adopterais volontiers le second
sens, étant donné que Bouchet parle dans les vers précédents des
exploits militaires de Loys de Housart et que le mot blason signifie
description dans la première moitié du xvie siècle. Qui sait d'ailleurs si
notre poète ne s'est pas inspiré du manuscrit de son père quand il
écrivit en 1554 précisément le « blason »> des Armes (Bl., VI, 39), et
lorsqu'il entreprit un poème didactique, sur la Militie, dont un fragment
fut publié en 1584 i^v. ci-dessus, p. 49) ?
P. 3, 1. 18. — de Chaiidrier. Jeanne Chaudrier était originaire de
l'Anjou, comme en fait foi ce passage de G. Critton, parlant du père et
de la mère du poète : « Parentem utrumque nobili loco natuni sortitus
est, sed paterni generis origo, quod peregrina, obscurior, materna
Andegaveusis clarior fuit. » [Laudatio fïin.y p. 4.)
Fille aînée de Jean Chaudrier, chevalier, s'' de Serrière (ou Cirières)
et de Noirterre, et de Joachine de Beaumont, elle était par sa mère la
petite-nièce de Joachim Rouault, maréchal de France sous Louis XI.
D'après des pièces communiquées à la Soc archéol. de Nantes en 1873,
elle aurait été orpheline de bonne heure et se serait laissé enlever de
chez sa grand'mére par Jacques de Fontbernier, s"" de la Rivière en
Poitou, qui, après l'avoir gardée trois mois, refusa de l'épouser. Mariée
à Guy des Roches, sieur de la Basme (ou Basne), elle devint veuve et
épousa en secondes noces Loys de Ronsart, par contrat du 2 févr. 1514
(Blanchemain, Poètes et Amoureuses, p. 41, note; L. Proger, Tableau
généal. publié dans les Nouv. Recli., p. 224 ; H. Longnon, Posit. de
la thèse de l'Ecole des Chartes, ch. iv, le Roman de la mère de Ron-
sard ; Hallopeau, Ann. Fléch., 1905, tome VI, p. 189).
Bien que Ronsard ne nous ait jamais parlé de sa mère (car ce n'est
pas d'elle qu il est question dans l'élégie Vous qui passez, Bl., VI,
326), on peut penser quelle vivait encore en 1540, d après ces vers de
l'Ode à Marie Stuart (BL, II, 481) :
Si loin de mon pays, de frères et de mère,
J'ay dans le vostre usé trois ans de mon enfance...
Elle est mentionnée dans l'acte de tonsure du poète, qui est daté du
6 mars 1542 (anc. st.), mais on ne peut pas en conclure qu'elle vivait
encore à cette date.
La leçon Chaudrier. qu'on lit à partir de C ici et plus haut, et qui me
paraît fautive, est préférée à la leçon Chaudrier par Desmaizeaux dans
les Remarques placées en Appendice du Dictionn. de Bayle, éd. de
1730, tome IV, p. 095.
P. 3, 1. 19 — Possonniere. C'est la vraie orthog. de ce nom (voir ci-
dessus, p. 59). Binet la observée partout en A ; mais il écrit Poisson-
nière partout en BC-
P. 3, 1. 26. — des Généalogies. Il s'agit de Paschal Robin, sieur du
Faux (1539-1593), auteur d'un grand nombre de poésies et d'éloges en
prose, dont la plupart sont perdus. Il a signé P. R. D. F. quelques
STATUES TOMBALES DE LOYS DE RONSART ET DE JEANNE DE CHAUDRIER
(Conservées dans une armoire de la sacristie de l'église de Couture, Loir-et-Cher).
On aperçoit la cotte de mailles du vieux chevalier autour du cou, au biceps et un peu
au-dessus des genouillères. Ses mains recouvertes du gantelet sont jointes pour la prière ;
la visière de son casque à plumet est écartée de façon à laisser voir la barbe et les mous-
taches retroussées. Le nez a été brisé, les jambes manquent. En s'approchant de très
près, on distingue sur la tunique, entre le tour du cou et la pointe des mains, les trois
poissons, armes des Ronsart de la Possonnière.
La mère du poète est également représentée dans l'attitude de la prière. Sa figure,
presque aussi maltraitée que celle de son mari, laisse voir cependant encore d'agréables
traits et une douce expression E^lle porte le costume élégant de l'époque, la petite coeffe,
les longues manches et une robe serrée à la taille ; une cordelière, dont les extrémités à
glands tombent jusqu'aux pieds le long des larges et libres plis de la robe, est nouée
assez bas pour dessiner l'abdomen. Les avant-bras sont recouverts Ae manches ouvragées
et houillonnées.
Les tètes reposent sur des coussins. Ces statues, remarquables par la souplesse des
lignes et le flni des détails, offrent un curieux spécimen de sculpture de la Renaissance
française. Cf. A. de Rochambeau, album qui accompagne son ouvrage La Famille de
Ronsart ; Blanchemain, t. VIII. p. 13, note; L. Froger, Revue archéol. du Maine, 1884,
]«'' semestre, p. 111, note; J.-J. Jusserand, Ronsard and his Vendômois, Revue du
« Nineteenth Century », n" davril 1897, p. (502.)
ET CRITIQUE 65
poésies liminaires pour des livres d'amis, tels que les Angevins Le
Masle et Le Loyer. On trouve lénumération de ses œuvres dans Celes-
tin Port (Dictionn. hist. de M. et L., III). La Croi.x du Maine, qui le
connaissait « fort familièrement », lui a consacré en 1584 un article dont
nous extrayons ces lignes : « Il a écrit l'Histoire et chronique du pays
et Duché d'Anjou, ensemble un Recueil des Généalogies des plus
illustres maisons dudit pays, et autres voisines d'Anjou. Ce livre n'est
encore imprimé. Il a écrit un petit Discours servant comme d'avant-
coureur d'icelle Histoire, dans lequel il traite de l'excellence et anti-
quité d'Anjou, et des Princes qui y ont commandé, et en sont sortis,
imprimé à Paris chez Emman. Richard, l'an 1582- » [Biblioth., II, 218).
Le Brief Discours gentil et proafitable sur l'excellence et antiquité du
pays d'Anjou (I3ibl. Nat., LK-, 116), n'a que 18 pages et ne contient
pas un mot sur Ronsard. D'ailleurs, comme le dit La Croix du Maine,
ce n'est qu'un prologue, qui annonce une histoire complète de l'Anjou
et la dédie au sire de Brie, seigneur de Serrant- Il n'y est question que
des maisons royales qui tirent leur origine de la maison d'Anjou.
Quant à l'Histoire d'Anjou elle-même, que les contemporains ont
vantée, elle est restée vraisemblablement inédite, car on lit dans
un ms. autographe de Bruneau de Tartifume, historien angevin du
xvii*^ siècle : « Paschal Robin, homme savant en toutes sortes de
sciences, a voulu entreprendre l'histoire d'Anjou c[u'il nommoit
déjà son Angiade... La mort en le prévenant a privé l'Anjou de ce
bonheur. Il y en a qui ont mis les mains sur ses mémoires qu'ils
retiennent comme ensepvelis, semblables à l'avaricieux qui ayme mieux
mourir sur son trésor que de le communiquer à ceux qui l'employroient
mieux que luy... » (Bibl. d'Angers. Ms. 870, pp. 449-50). D'autre part
G. CoUetet, qui était un collectionneur passionné de livres rares, se
contente de dire dans sa Vie de R. : « Mais je laisse à Claude Binet, à
Paschal du Faux, Angevin, et à tous nos généalogistes à justifier, par
les temps et par les diverses alliances, la splendeur de la maison de
nostre Ronsard. » Il est visible qu'il n'a pas pu consulter les Généalo-
gies auxquelles Binet fait allusion.
Le témoignage de Binet repose donc sur la lecture d'un ms. de
Robin du Faux, peut-être même sur un simple ouï-dire, et c'est ce
témoignage que certains biographes ont pris au sérieux (Rochambeau,
op. cil-, p. 14) ; l'un d'eux, Blanchemain, mettant sur le compte du
poète l'affirmation de Binet, a osé écrire que (( Ronsard se prétendait
allié au 16'- ou 17*' degré d'Elisabeth, reine d'Angleterre » (éd. de
Ronsard, VIII, 4, note), et un troisième, renchérissant, que « Ronsard
aimait à soutenir avec une naïveté orgueilleuse, dont on s'est moqué,
qu'il était au 16" ou 17" degré le parent de la reine Elisabeth » (Bizos,
Ronsard, p. 8). Les œuvres du poète, tout orgueilleux qu'il fût, ne
contiennent pas la moindre trace de cette prétention. Il me semble que,
si elle avait pu se justifier, il n'aurait pas manqué de l'indiquer dans son
autobiographie, ou dans les pages en prose et en vers qu'il adressa en
1565 à la reine Elisabeth, à son favori Dudley et à son secrétaire
Cecille (Voir ma thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 214 et 215).
P. 3, I. 34. — fut choisi. Cette leçon, reproduite dans les éd. suiv.,
VIE DE P. DE RONSARD. 5
(Î6 COMMENTAIRE HISTORIQUE
semble fautive, car c'est L. de Ronsart et non pas François le'" qui fut
choisi. De deux choses l'une : ou bien la seule bonne leçon est celle de
AB ; ou bien il faut donner au qui de C la valeur de et lui (c'est-à-dire
L. de Ronsart) ; non seulement cette deuxième inteiprétation est pos-
sible, mais elle est très vraisemblable. (Cf. ci-après, p. 102, aux mots
(( CCS richesses ))).
P. 4, 1. 1. — sixiesme de Septembre. Binet n'a trouvé cette date dans
aucune des éditions où a paru l'Elégie autobiographique de Ronsard.
Tous les textes portent, de 1554 à 1584 inclusivement :
L'an que le Roy François fut pris devant Pavie,
Le jour d'un Samedy, Dieu me presta la vie
L'onziesme de Septembre.
Binet n'a d'ailleurs consulté pour sa première rédaction que l'in-f" de
1584 [cï. ci-dessus, p. 60). On doit donc voir simplement dans A une
faute d'impression ; l'imprimeur aura lu VI^ au lieu de Xle sur le
manuscrit de Binet, qui corrigea cette erreur dès la rédaction de B.
La date de la naissance de Ronsard a été très controversée et l'est
encore. Voir Du Perron, Or.fun. ; Colletet, Vie de Bons- ; Moreri, Dict.,
art. Ron.sard, fin ; Bajde, Dictionnaire, art. Ronsard, et Bemarques ait.
qui sont à la fin de ce Diclionn. dans l'éd. de 1730 ; Joly, Bemarques
critiques sur le Dictionn. de Bayle (1752, p. 695); Stoetzer, Etude sur
Bons. ; Nouël, Bull, de la Soc. arch. du Vendômois de janv. 1886 ;
Martj'-Lav., Notice sur Bons. — D'abord à quelle année remonte-t-elle ?
Du Perron disait déjà en 1586 : « Quant à ce qui est du temps de sa
naissance, il y en a diverses opinions : les uns pensent qu'il soit né l'an
cinq cens vingt deux, et qu'estant decedé sur la fin de l'année dernière,
il soit mort en son an climacterique : chose que l'on a remarqué estre
arrivée à une infinité de grands personnages, qui ont esté par le passé.
Les autres s'arrestent à ce qu'il en a escrit luy mesme, ayant signalé
l'année de sa nativité par la prise du Roy François, comme ordinaire-
ment il se rencontre de ces accidens notables à la naissance des
hommes illustres et des grands personnages. » Si, laissant de côté avec
Binet la première de ces opinions qui n'est fondée que sur un antique
préjugé, on s'arrête à la seconde, première difficulté. La bataille de
Pavie, en effet, est du 25 févr. 1524 d'après l'ancienne manière de dater,
du 25 févr. 1525 d'après la nouvelle ; Ronsard a-t-il compté d'après
l'anc. st. ou le n. st. ? A-t-il voulu dire qu'il était né le 1 1 sept. 1524 ou
le 11 sept. 1525? S'il a consulté des pièces officielles, il est plus que pro-
baljle qu'il a adopté l'ancien style, d'après lequel elles étaient datées.
Toutefois l'abbé Goujet adopte sans hésitation la date du nouveau style
[Biblioth., XII, p. 194).
Veut-on corroborer cette date par d'autres textes de Ronsard ? Nou-
velle difficulté, car ils sont contradictoires. Dans son autobiographie,
il dit qu'il avait à peine seize ans quand il partit pour l'Allemagne avec
Lazare de Baïf (fin de mai 1540, v. ci-après, p. 77). Dans deux sonnets sur
sa rencontre avec Cassandre (avril 1545). il dit qu'il allait alors «sur ses
vingt ans », mais dans un autre qu'il allait « sur ses vingt et un ans »
|B1., I, 65 ; 162 ; M-L., I, 82) ; ailleurs : « A vingt ans je choisis une
ET CIUTIQUE 67
belle maîtresse» (Bl., VII, 127). Le portrait de Bons, qui parut en tête
des Amours de sept. 1552 est accompagné de cette mention : « Anno
aetatis 27. » Dans une ode qui parut en 1556, mais peut avoir été com-
posée avant sept. 1555, il dit qu'il n'a que trente ans (Bl. II, 483). Dans
sa Rép. aux injures, qui est de mars 1563, il se dit dans sa 37e année
(Bl., VII, 105), et dans sa Complainte ci la Royne mère, qui est de la
même année, il accuse 37 ans passés (Bl., III, 371). Dans une Elégie
au roy Charles IX qui fut composée en novembre 1565, il se donne
40 ans iBl., III, 317). Enfin dans une Rép. à Charles IX, il accuse
22 ans de plus que ce roi, lequel est né le 27 juin 1550 (Bl., III, 259).
— D'après ces textes il se fait naître en 1524, en 1525, en 1526 et même
en 1528. Il y a des chances pour qu'il se soit le plus souvent rajeuni
et que la vérité se trouve dans son autobiographie, où il écrit :
Sans te tromper ne moi (var. de 1554) j . ...
\» D 11 .• ; j ir/>n { ie dirai vente
Mon belleau sans mentir (var. de I5o0) )
Et de l'an et du jour de ma nativité.
Ensuite, quel est au juste le jour de sa naissance? Becq de Fou-
quières (Poés. choisies de Rons., p. xiv, note), déclare le problème
insoluble, l'indication donnée par Ronsard ne correspondant pas à l'Art
de vérif- les dates, d'après lequel le 11 septembre 1524 était un
dimanche, et le 11 septembre 1525 un lundi. — Pour H. Longnon,
Ronsard est né le 2 septembre 1525, qui était bien un samedi (Posi-
tions de thèse de l'Ec. des Chartes, 1904, p. 82). Mais dans ce cas on
devrait admettre que Ronsard est resté toute sa vie dans l'ignorance
de son jour natal, ce qui est peu vraisemblable, ou bien qu'il s'est
vieilli d'une année en plusieurs endroits de ses œuvres, ce qui l'est
encore moins. Certes la conjecture est intéressante, le poète ayant pu
confondre dans la lecture de son « livre de raison » le chiffre romain II
avec le chiffre arabe 11 (Brunetière, Hist. de la Litt . fr. classique,
tome I, p. 327).
Toutefois, jusqu'à plus ample information, je pense qu'il faut s'en
tenir à la date traditionnelle, celle que Binet a adoptée. En effet, Ron-
sard a pu avoir une légère défaillance de mémoire pour le quantième
ou le jour de la semaine, lorsqu'il rédigea en 1554, à 30 ans, son auto-
biographie poétique. Ensuite (et ce serait une preuve curieuse des
exigences de notre versification) de deux choses l'une : ou il est né le
samedi, auquel cas il ne pouvait écrire sans faire un vers faux « le
dixiesme de Septembre» ; ou il est né le dimanche, auquel cas il ne
pouvait écrire sans faire un vers faux « le jour d'un Dimanche ». Il a
ingénieusement tranché la difficulté en laissant penser qu'il fit son
apparition sur le coup de minuit.
p. 4, 1. 6. — - rencontre. C'est pousser vraiment loin le système des
compensations. Bayle critique avec raison ces « reflexions peu judi-
cieuses », qu'on retrouve chez De Thon. « Voilà, dit-il, une belle com-
pensation et la France bien dédommagée de la prison de son Roi !...
Cette pensée de Cl. Binet ne pourrait estre soufferte que dans quelque
poésie de panégyriste ; encore y auroit-elle besoin d'indulgence, et
n'éviteroit jamais la censure d'hyperbole froide parmi les gens de goût.
68 COMMENTAIRE HISTORIQUE
Ce fut sans doute ce qui obligea Duperron à ne la point faire paraître
dans rOr. fiin. de P. de Ronsard. Que dira-t-on donc quand on la
verra en prose dans une Histoire, je veux dire dans la Vie de Ron-
sard ? Mais que dira-t-on de M. de Thou, ce grave, ce vénérable magis-
trat qui a débité fort sérieusement la même pensée dans une Histoire
générale qui est un chef-d'œuvre : ^< Natus erat (Ronsardus) eodem,
quo infeliciter a nostris ad Ticinum pugnatum est, anno, ut ipse in
elegia ad Remigium Bellaqueum scribit : quasi Deus jacturam nominis
Gallici co praelio factam, et sccutum ex illo veluti nostrarum rerum
interitum, tanti viri ortu corapensare voluerit. » [Dict-,loc. cil., note B.
Cf. Aug. Thuani Ilistor. lib. LXXXIII, p. 321 de l'éd. de Londres,
1733, et Rem. crit. sur le Dict. de Bayle, 1752, art. Ronsard).
P. 4, 1. 16. — ses escris. La source de cette légende est ce passage de
l'autobiographie :
et presque je me vj'
Tout aussi tost que né de la Parque ravy.
Les poètes aiment ces antithèses, et ce vers fait songer involontairement
à ceux où V. Hugo rappelle qu'il vint au monde
Si débile, qu'il fut, ainsi qu'une chimère.
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ploj'é comme un faible roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
(^Feuilles d'Automne)
Il est vraisemblable qu'une chute a failli coûter la vie au petit Pierre
de Ronsard )e jour de son baptême. Mais cet accident est devenu pour
Binet un indice de gloire future et un prétexte à phraséologie. Il a été
visiblement préoccupé d'imiter ce passage de la Vita Virgilii attribuée
à Douât : « Ferunt infantem, ut fuit editus, nec vagisse, et adeo miti
vultu fuisse, ut haud dubiam spem prosperioris geniturae jam tum
indicaret. Et accessit aliud praesagium... » (§ I.)
Bayle raille avec raison « ces traits d'esprit » . Voilà, dit-il, « ce
qu'on appelle concetti au delà des Alpes. M. Le Pays ne manqua pas de
rimer sur cette pensée lorsqu'il fit l'histoire de la Muse de Ronsard » ;
et il cite la prose et les vers de Le Pays iDict . , loc. cit., note C). Binet
a-t-il créé cette légende ou l'a-t-il simplement recueillie toute formée ?
En tout cas les habitants de Couture la racontent encore avec des
variantes, et indiquent le pré à Boiiju comme lieu de la chute (Voir ma
Jeunesse de Rons-, Rev. de la Rcnaiss., févr. 1901, p. 107 ; Hallopeau,
Ann. Fléch. de nov. 1905, p. 182, et le Bas-Vendômois, p. 94).
P. 4, 1. 20. — Beau-lieu. Du Perron dit de son côté que le poète avait
eu « cinq frères aisnez » et qu' « il en restoit encore trois » quand
il vint au monde. La source commune des deux biographes est ce
passage de l'autobiographie :
Je ne fus le premier des enfans de mon père.
Cinq davant ma naissance en enfanta ma niere :
Deux sont morts au berceau, aux trois vivans en rien
Semblable je ne suis ny de mœurs ny de bien.
On remarquera ; 1" que les trois textes ne mentionnent que six enfants,
ET CRITIQUE 69
dont quatre survivants, alors que L. Froger en compte sept, dont cinq
survivants, en se fondant sur le Tableau généal- delà Biblioth. Nation,
qu'il a publié (Noiiv. Rcch., p. 110 et 224) ; 2° que Binet et Du Perron
ont substitué le mot frères au mot enfans, que le poète avait employé
plus exactement, puisqu'il avait une sœur aînée, Louise, fille d honneur
de la reine Eléonore en 1531, et mariée en 1532 à François de Crèvent.
D'autre part ce que dit Binet de deu.x frères du poète, Claude et Loys,
vient de ces lignes de J- Velliard : « Mihi jam primùm occurrit altitudo
animi Claudii Honsardi maximi natu, quo artis niiiitaris nemo scien-
tior fuit. Hic enim è luflo atque è pueritiae disciplina, bellis maximis
ac acerrimis hostibus ad exercitum profectus est, extrema pueritia
propter armorum peritiam ascitus est in regiam cohortem, in qua
Martis officina tam strenuè se gessit, ut in primis Hegi esset praesidio,
suis honori, sibi utilitati, et ornamento patriae. Etiam mihi obversatur
ante oculos singularis Lodoici Honsardi Lodoici filii pietas, humanitas,
pari comitatc condita gravitas, qui-, duabus opimis Abbatiis ornatus
fuit a rege Carolo, Tyrone apud Unellos, et Belioco apud Cjcnomanos...»
[Laiid. fun. I, ff. 3-4). Or Velliard et Binet ont commis là une erreur, et
sont les seuls à l'avoir commise au xvi" siècle. L'aîné, l'héritier de la
F^ossonnière, fut bien Claude, qui suivit comme son père la carrière mi-
litaire, lui succéda parmi les cent « mansionnaires royaux », devint
chevalier en 1555 et mourut en 1556. Mais ils ont confondu Loys avec
Charles, lequel fut en effet abbé deTiron en 1564 et de Beaulieu en 1575 ;
il n'y a jamais eu de Loys de Ronsard, abbé de Tiron, et le poète n'a pas
eu de frère du nom de Loys. La confusion vient probablement de ce que
le fils aîné de Claude de Ronsart (par conséquent le neveu du poète),
qui fut un catholique farouche et mourut vers 1578, s'appelait Loys.
(Cf. Froger, Rev. hist. du Maine, tome XV, 1884, art. cit., pp. 110-118 ;
Ann. Fléch. de mars 1906, Notes sur la famille de Ronsard, p. 86.)
P. 4, 1. 25. — Septentrionale. Pour cette addition, Binet s est inspiré
dune note de R. Belleau : « Cousture est un village assis en la Va-
renne du Bas-Vandomois, où nasquit le poète, au pied d'un coustau
tourné vers le Septentrion, en un lieu qui de présent est nommé la
Possonniere, chasteau appartenant aux aisnez de la maison de Ronsard
{Amours, second livre, commentaire de la Quenouille; Bl., I, 220,
note 6).
P. 4, 1. 27. — devant Pavie. Erreur flagrante, la bataille de Pavie
ayant eu lieu le 24 févr. 1525 (n. st.). D'où vient-elle? Du Perron avait
seulement relevé ce fait incontestable que le jour des obsèques de Ron-
sard coïncidait avec le jour anniversaire de la bataille de Pavie : « Là
où nous pouvons encore remarquer en passant que la prise du Roy
François devant Pavie qui est l'accident duquel il (Ronsard) a voulu
illustrer l'année de sa nativité, se rencontre justement en un mesme
jour que cestuy-cy, auquel nous célébrons la mémoire de sa mort, qui
est la feste S. Mathias. >> {Or. fun., texte de 1586). Mais les deux pané-
gyristes latins étaient allés plus loin. G. Critton avait joint à ses éloges
fun. une pièce de vers De die exsequiarum qui Ronsardo natalis et
fatalis fuit J. Velliard avait fait aussi du 24 février le jour anniver-
saire de la naissance du poète : « Quàm praeclarè divinus hic Poeta
yO COMMENTAinE HISTORIQUE
cxtrcmum actum egerit paucis accipite : qui hoc sexto Cal. Mart. divi-
nitus a caclo delapsus crat, idem sexto Cal. .Tan. hinc illuc assumptus
beatorum nunicrum auxit, quàm sanctî- et religiosè, indicio erunt ejus-
dem oloris voces... » (Lmid. fiin., II, in fine). Peut-être faul-il voir là
l'origine de l'erreur de liinet ; il a cédé comme eux au plaisir de faire
un rapprochement plus ou moins spirituel, sans souci de l'exactitude
histori([ue ; mais sa fantaisie a dépassé la leur.
Cnlletet l'a relevée le premier en ces termes : « Je sçay bien que la
reflexion (|u il faict là-dessus est exacte, lorsqu'il dict que l'on pouvoit
doubter si en mesme temps la France par la captivité malheureuse de
ce grand prince eust un plus grand dommage, ou un plus grand bien
par l'heureuse naissance de ce grand poëte. Mais, pour faire valoir un
bon mot, il n'est point à propos de tomber dans des contradictions ny
de choquer la vérité de l'histoire, et sa pensée après tout n'eust pas
laissé de subsister, quand il eust rapporté seulement à l'année ce qu'il
voulut trop ponctuellement rapporter au jour ». (Vie de Bons-, p. 19)
Bayle écrit de son côté, après avoir cité le passage de De Thou (v. ci-
dessus, p. 68, 1. 6 et suiv.) : « Remarquez que M. de Thou ne met pas à
un même jour la naissance de ce poète et la bataille de Pavie; il ne les
met qu à la même année. Mais Cl. Binet ne trouvant point là un assez
beau jeu, ni assez de merveilleux, assure que ces deux choses arrivèrent
le même jour. » (Dictionn., loc- cit., note B.)
P. 5, 1. 1. — exprès. Ronsard n'a jamais parlé de ce précepteur privé.
Binet est le seul à le mentionner au xvi® siècle. Son seul témoignage a
guidé tous les biographes postérieurs, entre autres Colletet, qui donne
au dit précepteur le banal qualificatif de « savant ». En admettant son
existence, qui est du moins vraisemblable, peut-on déterminer sa
personne ?
Pour L. Froger {Ann. Fléch. de mars 1906, art. cit., p. 84, note 3;
Province du Maine, n" de janv. 1907, pp. 17-19), ce premier maître du
poète aurait été son oncle Jehan de Ronsart (protonotaire du Saint-
Siège dès 1504, puis curé de Bessé-sur-Braye, chanoine du Mans, archi-
diacre de Laval, vicaire général du cardinal évêque du Mans, Louis de
Bourbon), mort en 1535, auquel il a consacré une épitaphe de deux
strophes dans son Bocage de 1554 (M.-L., VI, 364), et qui, d'après
J. Velliard, était un excellent humaniste (v. ci-après aux mots « page avec
Ronsard »). V. encore sur ce personnage Rev. hist. du Maine, tome XV,
1884, art. cit., p. 98. M. Hallopeau, propriétaire actuel de la Posson-
nière, a retrouvé son blason parmi les écussons qui étaient peints sur
les murs de la salle à manger {Ann. Fléch. de déc 1904, p. 313,
note 2, et le Bas-Vendôniois, pp 87, 97, 183]. — Il est évident que les
termes dont se sert ici Binet ne peuvent pas lui convenir.
Je serais plutôt porté à voir en ce premier maître de Ronsard Guy
Peccate (en latin Pacatus), qui, religieux profès en févr. 1528, devint
prieur de Sougé-sur-Loir (près de Couture, à trois kilom. de la
Possonniere) et curé de Spay. Il devait avoir environ quinze ans de
plus que le poète; il mourut en juillet 1580 (Cf. Biblioth. du Mans,
Ms. 96, f'32, r" ; Piolin, Hisl. de l'Eglise du Mans, tome V, p. 518 ;
La Croix du Maine, Bibl. Fr.). C'est à lui que Ronsard a dédié l'ode
ET CRITIQUE "] \
horatienne Guy nos meilleurs ans coulent- (Ne pas le confondre avec
Julien Peccate, auquel Ronsard a dédié dans le même recueil l'ode 0
terre fortunée, et qui fut le camarade de Ronsard au collège de Co-
queret.) La Croix du Maine dit de lui en 1584: «... Il estoit si bien
versé en plusieurs arts et bonnes disciplines, et surtout en la poésie
latine, qu il a esté admiré de son temps pour ses doctes compositions, et
principalement de Ronsard, prince des poètes français, son plus grand
ami, lequel a fait très honorable mention de lui en ses poésies, et avoue
avoir eu intelligence des poètes latins par son moyen (sans vouloir ici
ôter l'honneur dû à M. dAurat)... » Il est vrai que j'ai vainement
cherché cet aveu dans les œuvres de Ronsard ; mais La Croix du Maine
a pu le recueillir de la bouciie du poète ou dans la correspondance de
celui-ci et de Guy Peccate, avec lequel il était familièrement lié. Il
paraîtra peu probable que Guy Peccate ait fait expliquer des poètes
latins à Ronsard avant 1 âge de neuf ans ; cependant, s'il faut en croire
la préface posthume de la Franciade. Ronsard aurait appris Virgile par
cœur « des son enfance " (RI., 111,23) ; et d'ailleurs cela n'empêche pas
que Guy Peccate ait pu « l'instruire aux premiers traits des lettres ».
P. 5, 1. 10. — des lettres. Sources de tout ce passage :
1° Ces quatre vers de l'autobiographie :
Si test que j 'eu neuf ans, au collège on me meine :
Je mis tant seulement un deniy an de peine
D'apprendre les leçons du régent de Vailly,
Puis sans rien profiler du collège sailly.
2° Trois pièces où Ronsard nous apprend qu il fut le condisciple de
Charles de Lorraine au collège de Navarre :
a Certes il me souvient que vous bien jeune d'âge
Au collège portiez un severe visage...
[Epistre à Charles, card. de Lorraine, 1556, 2" livre des Hymnes.)
b et si, je me sens estre
Heureux d'avoir appris dessous un mesnie maistre
Et en mesme collège avecques toy, seigneur...
(Hymne de Charles, card. de Lorraine, 1559, plaquette à part.)
c II dit par ses raisons que des la sienne enfance
(Si cela peut servir) eut de vous cognoissance
Et en mesme collège et sous mesme régent.
(Le Procès, à tr. ill. pr. Charles, card. de Lorr., 1565, plaq. à part.)
Voir l'édition, RI., III, 350 ; V, 101 ; VI, 282.
Quant au dégoût que le régent de Vailly aurait inspiré à Ronsard pour
l'étude des lettres, voici ce qu'en disait de sou côté Du Perron : « Ils
(ses parents) l'envoyèrent en ccste université, là où leur intention ne
réussit pas pour la première fois ainsi comme ils l'espeioyent. Car ce
bel esprit qui estoit plein de feu et d'action et ne se pouvoit pas con-
traindre par les loix et par la sévérité d'un précepteur, mais avoit
besoin de quelque passion intérieure pour l'exciter à employer la
vigueur de son entendement, comme il le monstra bien du depuis, se
rebuta incontinent des lettres et de l'estude : tellement que ses parents
73 COMMENTAIRE HISTORIQUE
furent contraints de le renvoj'er quérir environ cinq ou six mois
après... » Ce témoignage, comme celui de Binet, repose à mon avis sur
une interprétation abusive des vers de l'autobiographie : on ne saurait
trop se défier de ces phrases enjolivées et emphatiques. Le témoignage
de Velliard est encore plus suspect ; c'est un dithyrambe de trente
lignes, mais en sens inverse : à l'en croire, Ronsard fut au collège de
Navarre un élève modèle et y fit de tels progrès, y acquit une telle
réputation sous l'influence de maîtres éminents, que cela lui valut d'être
choisi par François I^' comme page de ses fils. Est-ce possible en six
mois, et le poète ne dit-il pas lui-même le contraire? — Gritton me
semble bien plus près de la vérité en quelques mots très simples : pour
lui, les parents de Ronsard le retirèrent du collège «parce qu ils jugèrent
que ses progrés étaient insuffisants et qu'il était plus fait pour la cour
que pour l'école, aiilac qiiàm scholac aptior » {Laiid. fiin., p. 4).
Ne retenons des vers de Ronsard que ce qu'ils nous donnent, à savoir
qu'il eut de la « peine » à suivre les leçons du régent de Vailly, et qu'il
quitta le collège « sans rien profiter », ce qui va de soi puisqu'il ne
passa là qu'un « demy an ». Ne nous extasions pas sur son « beau
naturel » incapable de discipline. Non seulement son court passage à
Navarre ne lui a laissé aucun mauvais souvenir (v. encore la préf-
posthume de la /'Va/ic/ade, Bl., III, 23), mais il l'a rappelé au contraire
avec complaisance pour se féliciter d'un événement qui lui a permis
dès sa tendre jeunesse de connaître de près Charles de Guise, futur
cardinal de Lorraine, futur favori de Diane de Poitiers et ministre de
Henri II. (Gf. Rcv. de la Rcnaiss. de mars 1901, pp. 171-73.)
P. 5, 1. 13. — cinqiiiesmc- S'il est vrai que Ronsard, comme il le dit,
sortit du collège de Navarre à 9 ans 1/2, ce fut soit au printemps de
1534, soit au printemps de 1535. Or la rupture entre François 1er et
Gharles-Quint ne date que de juin 1536 ; et la Gour installée depuis
quelque temps à Lyon, où elle formait comme l'arrière-garde des
armées développées en éventail de Genève à Montpellier, ne fut à
Valence que les premiers jours d'août, et à Avignon que dans la pre-
mière quinzaine de septembre {Mémoires de Guillaume et Martin du
Bellay ; Décrue de Stoutz, thèse sur Anne de Monlmorency). Il y a là
un intervalle d'un ou de deux ans, dont les biographes, à l'exemple de
Binet, n'ont pas tenu compte. Gai'dons-nous de croire que Ronsard,
sortant du collège, alla tout de suite « en Avignon » rejoindre son père,
la Gour et l'armée. Rien n'est plus contraire aux faits et aux dates.
L'erreur de Binet vient de ce que dans son autobiographie Ronsard
passe sans transition de sa sortie du collège à son arrivée à Avignon :
Puis sans profiter du collège sailly.
Je vins en Avignon, où la puissante armée
Du Roy François estoit fièrement animée
Contre Charles d'Autriche
Binet, ignorant dans quelles circonstances et pour quelle fin Ronsard
écrivit son autobiographie en 1554, n'a pas vu qu'il avait omis volon-
tairement les années de sa jeunesse qui n'offraient rien de remarquable
au panégyriste latin Pierre Paschal, et ne pouvaient servir à le glorifier
ET CRITIQUE 78
OU à illustrer sa biographie. (Voir ma Jeunesse de Ronsard, Rev. de
la Henaiss. de mars 1901, pp. 173 et suiv.)
Du Perron a commis la même erreur que Binet. Velliard et Critton
n'ont pas dit un mot de Ronsard à Avignon ; ils le donnent comme
page à Jacques Stuart dès sa sortie du collège de Navarre, ce qui fausse
davantage encore la vérité-
P. 5, 1. 14. — aux armes- Binet continue à délayer l'autobiographie
de Ronsard :
et là je fus donné
Page au Duc d'Orléans
Mais pour BC il a tiré parti d'un des nombreux poèmes qui com-
plètent heureusement cette autobiographie, le Tombeau de Marcjuerite
de France, duchesse de Savoie..., où Ronsard raconte qu'il fut d'abord
page du Dauphin François, trois jours avant la mort de ce prince,
arrivée à Tournon le 10 août 1536, et qu'il assista à son autopsie :
Trois jours devant sa fin je vins à son service :
Mon malheur me permeil qu'au lict mort je leveisse...
Je vy son corps ouvrir, osant mes j'eux repaistre
Des poumons et du creur et du sang de mon maistre.
Tel est le texte de l'édition ne varietnr (1587), que Binet a consulté
pour BC ; c'est également celui de l'édition de 1584. Le texte princeps
(1575) porte : Six jours devant sa fin-.. (Bl., VII, 179).
Sur la mort foudroyante du fils aîné de François 1er et sur les événe-
ments qui suivirent jusqu'au retour de la Cour à Lyon (5 octobre 1536),
V. ma Jeunesse de Ronsard, Rev. de la Renaiss. de mars 1901, pp. 176-81.
P. 5, 1. 21- — en son pais. .Source, la suite de l'autobiographie ;
après je fus mené
Suivant le Roi d'Escosse en l'Escossoise terre.
Jacques V Stuart vint au devant de François I*"^ avec une imposante
escorte jusque dans le Beaujolais. Sur le retour des deux rois à Paris,
les préliminaires et la cérémonie du mariage entre Jacques V et Made-
leine de France, enfin le départ du couple pour l'Ecosse avec Ronsard
^14 octobre 1536 — fin d'avril 1537), v. ma Jeunesse de Ronsard,
pp. 181 à 184 ; cf. l'Epithalame que Cl. Marot écrivit pour la circons-
tance (éd. Jannet, II, 94).
L'erreur de Binet faisant d'abord épouser à Jacques V Marie de
Lorraine, qui ne fut que sa seconde femme, vient de ce passage, em-
phatique et faux à tous égards, de J. Velliard: « Quid verbis opus est?
bac fama impulsus Jacobus Stuartus Scotiae Rex, ejus nominis quin-
tus, ex flore nobilitatis Galliae hune ephœbum honoris et dignitatis
ergo, sibi dari a rege Galliarum summis precibus contendit. Tum
plerique oranes querebantur Scotiae Regem duo clarissima Galliae
lumina secum in Scotiam avexisse, Mariam a Lotharingia sororem
Illustrissimi Guysiae principis, quam in uxorem duxerat, et Petrum
Ronsardum Principem juventutis. » {Laud. fun. I, f<^ 5 r°.) C'est seu-
lement vers la tin de juillet 1538 que Jacques Stuart, dont la première
femme était morte peu après son arrivée en Ecosse, épousa en secondes
74 COMMENTAIRE HISTORIQUE
noces Marie de Guise, sœur du Cardinal de Lorraine et de François de
Guise. (Voir ma Jeunesse de Ronsard, pp. 185-87).
Binet s est corrigé dès sa seconde édition d'après le passage du Tom-
beau de Marijuerite de France, où Ronsard raconte le premier mariage
de Jacques Stuart avec Madeleine de France, et la mort prématurée
de celle-ci (BL, VII. 179-80).
P. 5, î. 37. — second fils du Roy. Cette addition de C, conservée dans
toutes les éd. postérieures, est une erreur historique. François 1er
avait trois fils: 1" François, né le 28 févr. 1,518. mort en 1.5.36;
2'^ Henri, né le 'M mars 1519, roi sous le nom de Henri II de 1547 à
1559 ; ,3° Charles, né le 22 janvier 1.522, mort en 1545 (Cf. Journal
de Louise de Savoie). C'est de ce .3^ fils qu'il est question ici, et non pas
de Henri (autre erreur, commise par Marcassus dans son commentaire
de l'autobiogr. de Ronsard. Bl., IV, 299, note 4). Le Dauphin avait le
titre de Duc de Bretagne, le cadet celui de Duc d'Orléans; c'est ce
dernier titre que prit Charles lorsque Henri fut devenu Dauphin par la
mort de son frère aîné. L erreur de Binet est flagrante quand on rap-
proche de l'autobiographie deu.x vers du Tombeau de Marg. de France
(Bl., VII, 181), un vers de la Complainte à la Rogne mère (III, 373) et
la première partie de l'Ode Prince tu portes le nom (II, 190).
P. 6. 1. 1. — renommée. Source, la suite de l'autobiographie :
en l'Ecossoise terre
Où trente mois je fus et six en Angleterre.
Du Perron écrit de son côté : « On le bailla au Roy d'Escosse, pour
l'accompagner en son Royaume. Ce qu'il fit, et y demeura environ
deux ans et demj% jusques à ce qu'il eust appris les mœurs et la langue
de la province Revenant d'Escosse il passa par l'Angleterre, où il
séjourna environ cinq ou si.x mois. » Or Du Perron et Binet ont eu tort
de prendre à la lettre ce vers de Ronsard. C'est la versification qui l'a
forcé à donner dans son autobiogr. cette légère entorse à la vérité ; plus
tard, dans le Tombeau de Marguerite de France, il l'a rétablie ainsi :
et tout ce fait je vey
Qui jeune l'avois Page en sa terre suivy,
Trop plus que mon mérite honoré d'un tel Prince,
Sa bonté m'arrestant deux ans en sa province.
Si Ronsard était resté trente-six mois dans son premier voyage d'outre-
mer, il n'en serait revenu que vers la fin d'avril 1540, et n'aurait pas
eu le temps d'effectuer son second voj'age en Ecosse, par la Flandre et
la Zélande, avant son départ pour l'Allemagne, dont la date a été
fixée par Lucien Pinvert au 16 mai 1540 (Lazare de Baïf, trad. fran-
çaise, p. 70).
Binet s'en est probablement rendu compte quand il corrigea son
texte C d'après le Tombeau de Marg. de France. Tous les biographes
postérieurs, se fondant sur le texte C, ont admis que le premier séjour
de Ronsard en Ecosse ne dépassa pas deux ans, — sauf Sainte-Beuve
qui, d'après l'autobiogr., parle d'un séjour de trois ans « en Grande
Bretagne » {Notice sur Ronsard), et Marty-Laveaux, qui garde sur ce
point un silence trop prudent, n'osant se prononcer entre les vers
ET CRITIQUE 75
du Tombeau, qu'il cite, et le témoignage de Du Perron, qu'il cite
également [Notice sur Ronsard, p. xvi.)
Quant au fait d'avoir appris la langue anglaise, que signalent Du
Perron et Binet (et Colletet qui les a copiés), on nous permettra d'en
douter. Comme le fait observer M"e Evers, op. cit., p. 119 : « C'est pro-
bablement une pure légende, car le français était parlé aux deux cours
d'Ecosse et d'Angleterre, et la langue anglaise, sans tenir compte du
dialecte écossais, était considéré par les Français comme une langue
barbare, qui ne méritait pas la peine d'être apprise. Dans les œuvres
de Ronsard il n'j' a pas trace de la moindre connaissance de la riche
littérature anglaise de cette époque. » Ronsard, il est vrai, a écrit dans
une ode composée vers la fin de 1547 :
L'Espagne docte et l'Italie apprise,
Celuj' qui boit le Rhin et la Tamise
Voudra m'apprendre ainsi que Je l'appris... (Bl., II, 457.)
Mais ces vers, qui ne sont qu'une transposition d'une strophe d'Horace
(Carm., II, 20, vers 17 à 20j. ne prouvent pas que Ronsard ait su lan-
glais. Tout au plus pourrait-on en inférer qu'il s'est fait traduire
durant son séjour d'outre- mer quelques pages de poètes écossais tels
que Douglas ou Lindsay, de poètes anglais tels que Th. Wyatt ou
Surrcy, qui étaient alors en vogue (sur ces auteurs, v. Jusserand,
Hisl. litt. du peuple anglais, II, pp. 105-133).
P. 6, 1. 3. — en France. Les raisons que J. Velliard donne de ce
retour sont différentes ; l'emphase qui les dépare ne les empêche pas
d'être en partie plausibles : « Verum tam angustae Scotiae latebrae
tantum delphinum comprehendere non potuere, nec propinqui et
familiares fructu jucundissimae consuetudinis ejus, nec principes illius
coUoquio, nec Rex illius praesentia diutius carere potuit. Cum itaque
duodevigesimum aetatis annum ageret, suorum precibus maximisque
omnium votis Lutetiam revocatus est. » {Laud. fun. I, fo 5 v»)- D'après
ce passage Ronsard aurait été dans sa dix-huitième année lors de son
retour d'Ecosse : Velliard était de ceux qui le croyaient né en 1522, et
mort par conséquent à 63 ans, « en son an climacterique » comme dit
Du Perron (v. ci-dessus, p. 66).
P. 6, 1. 6. — Carnavalet. Binet n'a pris ce détail relatif à Carnavalet
ni dans l'autobiogr., ni dans Du Perron, ni dans Velliard, ni dans
Critton ; et rien dans les œuvres de Ronsard, pas même dans l'ode
pindarique Au Seigneur du Carnavalet publiée en 1550 au livre I des
Odes (Bl., II, 57), ne lui permettait de faire remonter jusqu'en 1540
les relations intimes de Ronsard et de Carnavalet. Sur ce personnage,
v. ci-après, p. 89.
P. 6, 1. 11. — en Escosse. Ce passage a deux sources : 1° la suite de
1 autobiographie :
A mon retour ce Duc pour page me reprint :
Long temps à l'Escurie en repos ne me tint
Qu'il ne me renvoj^ast en Flandres et Zelande
Et depuis en Escosse
2» ces lignes de Du Perron : «... et de là estant arrivé en France, s'en
76 COMMENTAIRE HISTORIQUE
retourna trouver Monsieur d'Orléans, qui le retint encore je ne scay
combien de temps en son equuric, estant soigneux de le faire bien insti-
tuer en tous les exercices que 1 on a accoustumé d'apprendre à la
jeunesse: ausquels, à raison de la disposition naturelle et du bon tem-
pérament qu'il y apportoit, il se. rendait excellent par dessus tous ses
compaignons, fust à tirer des armes, on à monter à cheval, à nolti-
ger, à lutter, à jetter la barre... Monsieur d'Orléans qui voyoit la fleur
de ceste vertu naissante, et l'espérance que ce jeune homme commen-
çoit à donner de luy, délibéra de ne le laisser en repos que le moins qu'il
luy seroit possible, mais de le faire pratiquer et converser avecques les
nations estrangeres, pour le rendre un jour capable d estre employé
aux belles charges auxquelles il scmbloit que son instinct et sa nature
l'appelloit, et à cette occasion l'envoyer en Flandres et en Zelande, et
depuis luy donna encore une seconde commission pour retourner en
Escosse, en la compagnie du Sieur de TAssigny. » (Or. fun., éd. prin-
ceps, pp. 28 à 30). — Sur cette période de la vie du poète, du premier
jusqu'au second retour d'Ecosse (octobre 1539 à fin avril 1540), v. ma
Jeunesse de Ronsard, mars 1901, pp. 189-93.
P. 6, 1. 13. — ç/enlilhomme François. Ce nom de Lassignij n'est pas du
tout une corruption de d'Acigné, comme le suppose Blanchemain (VIII,
p. 8, note). C'est celui d'un gentilhomme qui connaissait déjà la Cour
de Jacques V pour y avoir porté des dépêches vers le mois d'août 1538 ;
ce fait nous est attesté par les comptes du Grand Trésorier d'Ecosse,
qui mentionne un don de 400 livres fait par le roi à son visiteur (Fran-
cisque Michel, Les Ecossais en France, I, p. 424). Un officier de ce nom
est mentionné également dans les armées de François I^ret signalé trois
fois parmi les combattants de Cerizoles (Martin du Bellaj^ Mémoires,
Collection Michaud, V, pp. 529, 531, 535 ; voir encore pp. 139 et 455 .
— Enfin M L. Froger a eu l'obligeance de m'écrire : « Je crois avoir
réussi à identifier le Lassigni avec lequel Ronsard fît naufrage en
Ecosse. II s'agit à mon avis d'un membre de la famille d'Humières- »
P. 6, 1. 21- — des flots. Source, la suite de l'autobiographie :
Et depuis en Escosse, où la tempeste grande
Avecques Lassigni, cuida faire toucher
Poussée aux bords Anglois la nef contre un rocher.
Plus de trois jours entiers dura ceste tempeste,
D'eau, de gresle et d'esclairs nous menassant la teste :
A la fin arrivez sans nul danger au port,
La nef en cent morceaux se rompt contre le bord,
Nous laissant sur la rade, et point n'y eut de perte
Sinon elle qui fut des flots salez couverte.
Et le bagage espars que le vent secoûoit
Et qui servoit flottant aux ondes de jouet.
Cet épisode ne devait pas être un banal ornement pour un éloge de
Ronsard; aussi comprend-on qu'il lui ait consacré dix vers dans un
poème destiné à renseigner son panégyriste Paschal. Mais un biographe
devait-il y attacher tant d'importance ? Du Perron n'en a rien dit ;
Velliard et Critton n'en ont presque rien dit. Binet est le seul qui ait
cru devoir insister, sans doute pour introduire le rapprochement de
Ronsard et d'Arion, qui d'ailleurs ne se soutient pas un instant.
ET CRITIQUE nn
p. 6, I. 27. — une Dicte. Source, la suite de l'autobiographie:
D'Escosse retourné je fus mis hors de page
Et à peine seize ans avoient borné mon âge
Que l'an cinq cens quarante avec liaïf je vins
En la haute Allemaigne, où la langue j'apprins.
Antoine de Baïf, fils de celui dont il s'agit ici, a écrit de son côté dans
la dédicace de ses œuvres Au Roy (en 1572) :
En l'an que l'Empereur Charle flt son entrée
Receu dedans Paris, l'année desastrée
Que Budé trépassa, mon père qui alors
Aloit ambassadeur pour vostre aj-cul, dehors
Du royaume en Almagne, et menoit au voyage
Charle Etiene, et Ronsard qui sortait hors de page
(Etiene médecin, qui bienparlant étoit,
Ronsard de qui la fleur un heau fruit promettait).
Mon père entre les mains du bon Tusan me lesse...
(édition Marty-Lav., I, v.)
Binet, en voulant préciser, a commis une erreur que tous les biogra-
phes ont répétée. Ce n'est pas à Spire dans le Palatinat, mais à Hague-
nau en Basse-Alsace, que se tinrent les réunions auxquelles prit part
Lazare de Baïf, et ce ne tut pas une diète, mais un simple convent, qui
devait réglera l'amiable certaines questions religieuses. On peut penser
qu'il a confondu avec la Diète de Spire qui eut lieu onze ans aupara-
vant (1529). Son erreur peut venir aussi de ce fait que Charles-Quint
invita d'abord (le 18 avril 1540) les membres de la conférence à se
rassembler à Spire, puis changea d'avis au commencement de mai,
cette ville étant alors décimée par la peste (cf. Janssen, L'Allemagne
et la Réforme, trad., III, 473). Il a pu enfin se fonder sur ces lignes de
J. Velliard, op. cit., f^» 5 v : « Anno enim milesimo quingentesimo
quadragesimo honoris caussa, privato oflicio a pâtre missus est cum
Lazaro Baiffio, qui tum régis legatus Nemetes totamque Germaniam
obibat », les Némètes, peuplade que mentionnent César et Tacite, cor-
respondant à peu prés à la région de Spire-
Sur la durée de cette ambassade idu 16 mai au 14 août 1540), sur
les personnages qui prirent part aux conférences et le profit que Ron-
sard a pu en tirer, v. Lucien Pinvert, Lazare de Baïf, éd. française,
pp. 69-77, et ma Jeunesse de Ronsard, janvier 1902, pp. 46 et suiv.
p. 6, 1. 42. — depuis Roy. Binet pour sa rédaction de B s'est appuyé
sur ce passage du Tombeau de Marguerite de France :
Les roses et les lis en tous temps puissent naistre
Sur ce Charles qui fut près de cinq ans mon maistre.
Il s'est d ailleurs très mal exprimé. Sa phrase est tournée de telle façon
que ces cinq ans semblent antérieurs à 1540, ce qui serait tout à fait
contraire aux faits. Aussi a-t-il ajouté en C « et jusques à son
decez ». Mais comme ce décès eut lieu le 8 septembre 1545, si Ronsard
était resté au service du prince Charles jusqu'à cette date, cela ferait
bien plus de cinq ans.
78 COMMENTAIRE IIISTOKIQUE
Dans le même Tombeau de Marguerite de France, Ronsard nous dit
à propos de Henri II :
Je le servi seize ans domestique à ses gages.
Comme ce roi mourut le 29 juin 1559, Ronsard, d'après ce vers, serait
entré à son service vers le 1"' juillet 1543. D'autre part, comme il est
entré au service du prince Charles en août 1536, et que, de cette date
à celle de juillet 1543, Jacques V le retint deux ans en Ecosse, c'est
bien durant près de cinq ans que le prince Charles aurait été son
maître. Les deux passages de Ronsard concordent bien entre eux et
avec les dates extrêmes que je viens de rappeler; mais l'assertion de
Ri net ne concorde pas avec eux.
Marty-Lav. a pensé que Ronsard quitta le service du prince Charles
pour celui du dauphin Henri dès 1540, se fondant sur deux textes où
le poète déclare avoir cté page de Henri (Notice sur lions., xvii). L'un
de ces textes est extrait de Y Hymne de Henri II (Bl., V, 67), l'autre du
Caprice {Id., VI, 327). Mais en les regardant de près et sans les isoler
du contexte, on s'aperçoit qu'ils rappellent des souvenirs postérieurs à
1540 et même à l'avènement de Henri au trône (avril 1547). Et si
Ronsard s'3' est donné la qualité de page en parlant de l'office qu'il
remplit auprès de Henri, dauphin ou roi, bien qu'il ait été « mis hors
de page » en mai 1540. c'est simplement qu'il a abusé du mot, soit que
ce mot entrât plus facilement dans son vers, soit qu'il exprimât mieux
l'emploi vague de Ronsard à la cour de Henri, dauphin ou roi, soit enfin
qu'il désignât à la rigueur, d'une façon générale, tous les écuyers
subalternes occupés aux Ecuries royales de 16 à 25 ans. Dans tous les
cas on ne peut conclure de là que Ronsard passa au service de Henri
dès l'année 1540.
Quant à la rédaction de C, si elle n'est pas incohérente, elle est du
moins très obscure. Je pense qu'il faut rétablir entre les deux propo-
sitions participiales la proposition principale « il sortit hors de page»,
qui contient un document important, emprunté d ailleurs par Binet à
Ronsard lui-même (autobiog.) et confirmé par Ant. de Baif ; cette pro-
position, qui existait en A et en B, semble bien être tombée à l'impres-
sion de C. — Toutefois il se peut que Binet ait délibérément sup-
primé cette proposition, ayant découvert dans l'Hymne de Henri II un
texte qui semblait la contredire : « J'ay, quand j'estois ton page, autre-
fois sous Granval... » (V. ci-après, pp. <S2 et 83). Si cela est, Binet eut
tort, car il n'y avait entre l'autobiographie et l'Hymne de Henri II
aucune contradiction réelle, le mot /3a</e ayant été employé dans l'Hymne
avec le sens très général de serviteur. Et encore ne devait-il pas laisser
sa phrase ainsi dépourvue de proposition principale ; suspendue de la
sorte, elle parut si étrange que dans les éditions postérieures on la souda
à la phrase suivante, ce qui en altéra le sens et ne la rendit guère plus
claire.
Bayle a bien vu la difficulté de ce passage, Diciionn. , art- Ronsard,
note D-
P. 7, 1. 2. — disciplines. Du Perron, pour rendre la chose plus vrai-
semblable, dit que Ronsard « séjourna en Allemagne jusques à ce qu'il
ET CRITIQUE nq
eust appris la langue de la province ». Or, c'est substituer une erreur à
une invraisemblance, car Ronsard ne resta que trois mois en Alsace,
après quoi il revint à la Cour avec Laz. de Baïf. En admettant même
— ce qui n'est pas du tout certain — que celui-ci eût prolongé de
25 jours son ambassade, comme semblerait l'indiquer un ordre de
« remboursement » de 484 livres « à Laz. de Baïf ancien ambassadeur
en Allemagne et en Roumanie » (c'est-à-dire dans le pays de Ferd.
d'Autriche roi des Romains, comme l'a très bien montré L. Pinvert,
op. cit., p. 75, note 5), ce qui reporterait la date de son retour du
14 août au 9 septembre 1540, il est matériellement impossible qu'en
moins de quatre mois Ronsard, tout intelligent qu'il fût, ait réussi à
savoir l'allemand, et surtout à le parler couramment, comme le dit
Blanchemain, qui renchérit sur Binet et Du Perron (VIII, 9). Cela est
d'autant plus douteux que l'allemand, aussi bien que l'anglais (v. ci-
dessus, premier alinéa de la p. 75), était alors considéré comme une
langue barbare indigne d'être apprise, et que l'échange des idées avec
les Français se fit à Haguenau en latin.
Que Ronsard ait essayé de l'apprendre et qu'il en ait retenu les élé-
ments avec quelques bribes de conversation, soit; mais c'est tout ce
qu'on peut tirer de ce vers :
En la haute Allemaigne où la langue j'apprins.
La preuve que ses biographes auraient dû plutôt en restreindre qu'en
exagérer la portée, c'est que lui-même en changea ainsi la rédaction
pour son édition ne varietur :
En la haute Allemaigne, où dessous luy [Baïf] j'apprins
Combien peut la vertu.
On peut suspecter l'authenticité de certaines variantes de cette édition
(qui fut la première posthume), mais je ne vois pas quel intérêt Galland
et Binet, ses exécuteurs testamentaires, auraient eu à changer ce texte
de leur propre autorité. Je conçois très bien au contiaire que Ronsard
leur ait noté ce changement à faire, soit qu'il ait voulu rendre un
suprême hommage à l'un de ses premiers bienfaiteurs, soit plutôt qu'il
ait été pris d'une sorte de remords d'avoir jadis avancé, pour son
panégyrique, une affirmation qui ne correspondait guère à la réalité.
P. 7, 1. 8. — le ponssoit- Sur Guillaume du Bellay, seigneur de Langey,
gouverneur de Turin en 1537, puis lieutenant général du Piémont en
1540, mort le 9 janvier 1543 à St-Saphorin près de Tarare, dans les
collines du Lyonnais, voir V.-L. Bourrilly, Guillaume du Bellay , thèse
de Paris, 1904.
J'ai montré dans la Reu. de la Renaiss. de janv. et de fév. 1902, que
cette affirmation de Binet, reproduite par tous les biographes de Ron-
sard, n'est pas fondée :
1° De tous les hommes du xvic siècle qui nous ont parlé de Ronsard,
Binet est le seul à mentionner ce voyage en Piémont. Sont restés muets
à cet égard non seulement ses amis les poètes J. du Bellaj', Magnv,
Panjas, Belleau, J. Morel, qui, adressant des vers à Ronsard pendant ou
après leur séjour au-delà des Alpes, auraient pu lui rappeler ce souvenir
8o COMMENTAIRE HISTORIQUE
de jeunesse (surtout Morel qui était à Turin près de Guill. du Bellay
précisément en 1541-42), mais encore ses autres panégyristes, Du Per-
ron, Velliard, Critton, qui n'eussent pas manqué d'ajouter cet orne-
ment à leurs éloges funèbres si l'affirmation de Binet avait été fondée-
2"' Bonsard lui-même n'en a jamais parlé, ni dans les vers qu'il adresse
à ceux de ses amis qui eurent la bonne fortune de fouler la terre tran-
salpine ; ni dans ceux où il vante les services diplomatiques et mili-
taires des Du Belhw, et parle avec admiration du « grand Langé » qui
personnifiait l'honneur et la vertu (v. Iode pindar. A Joachim du
Bellai], Bl.. Il, 101-102) ; ni enfin dans son autobiographie. Ce dernier
point est tout à fait digne de remarque. Si vraiment Bonsard était allé
en Piémont, il n'eût pas oublié de communiquer à son panégyriste
Paschal un document si glorieux pour sa mémoire. Il eût ressenti une
fierté légitime pour avoir été le compagnon et l'auxiliaire, même
humble, du « docte et preux chevalier » dont la mort prématurée causa
de vifs regrets aux humanistes, aussi bien qu'aux gens de guerre.
(Cf. Babelais, III, ch. xxi ; IV, chap. xxvi et xxvii).
3° Si Bonsard était allé avec Guill. du Bellay en Piémont, celui-ci
l'aurait probablement couché sur son testament qu'il fit le 13 novembre
1542 et où sont mentionnés Massuau, Babelais, tous ses amis et servi-
teurs, à une ou deux exceptions près (communication de M. Bourrilly).
Il est vrai que Loys de Bonsart assista aux obsèques du grand capitaine
au Mans le 5 mars 1543, et qu'il tenait même un des coins du drap mor-
tuaire (L. Séché, Rev. de laRenaiss., févr. 1901, p. 81 ; L. Froger, Pro-
vince du Maine, juillet 1901, tome IX, pp. 209 et suiv) ; mais ce fut en
qualité de parent, de compagnon d'armes, de glorieux vétéran des guerres
d'Italie, et peut-être de mansionnaire royal représentant le roi de France.
Et si son fils Pierre fut tonsuré le lendemain au Mans par l'évêque
Bené du Bellay, ce n'est pas parce qu'il était protégé par les Du Bellay,
comme ayant suivi en Piémont l'aîné de la famille ; c'est simplement
parce qu'il était né dans une paroisse qui dépendait du Maine pour le
spirituel (cf. B. Charles, Rev. histor. du Maine, tome V, p. 373 ;
Froger, Rons. ecclés., p. 7 ; Chamard, Rev. d'Hist. litt., 1899, p. 35 ;
Laumonier, Rev. de la Renaiss., mars 1902, p. 159).
4° Trois textes des œuvres de Bonsard tendent à prouver qu'il n'a pas
franchi les Alpes : l'ode Au pais de Vandouiois [l'auteur] voulant aller
en Italie, qui ne peut pas avoir été composée avant 1545 (v. ma thèse
sur Ronsard p. lyr., pp. 56-57) ; l'ode A Cl. de Ligneri, publiée en 1552,
où il compte sur les récits de son ami pour connaître l'Italie {Ibid.,
p. 84) ; un passage du Discours contre Fortune, composé vers 1558, où
Bonsard dit à Odet de Coligny :
Aucunefois (Prélat) il me prend une envie
(Où jamais je ne fus) d'aller en Italie.
Bien que les auteurs du temps distinguent l'Italie proprement dite
du Piémont et même des " Lombardes campagnes » (cf. Cl- Marot,
épître au Boy du temps de son exil à Ferrare), ces textes peuvent
encore servir dans une large mesure d'argument contre l'affirmation de
Binet. D'ailleurs, que Bonsard parle du Piémont ou qu'il parle de
ET <:ritique oï
l'Italie, il est également muet sur le voyage que Binet lui fait faire au
delà des Alpes en 1541-42; voir par ex. les pièces écrites en 1559 à l'oc-
casion du départ de sa protectrice la princesse Marguerite, mariée au
duc de Savoie (Bl., III, 338 ; IV, 71).
P. 7, 1. 17. — à la mort. Sources : 1" La suite de l'autobiographie :
Mais las, à mon retour [d'Allemagne] une âpre maladie
Par ne scay quel destin me vint boucher l'ouïe
Et dure m'accabla d'assommement si lourd
Qu'encores aujourd'huy j'en reste demy-sourd.
2o J. Velliard : « Dum vero ita Nomadum more viveret, pra; nimia
corporis et animi contentione in tertianam incidit, ex qua non ita con-
valuit quin surdaster esse perseveraverit » (op. cit., f G v"). 3° (t. Critton
(il vient de parler du naufrage sur les côtes d'Ecosse) : » Surditatem
quidem ex ventorum tumultuosè spirantium fragore et undarum assi-
duo fremitu perpetuam contraxit, quam primo levem mox gravem inse-
cuta febris vehementius etiam auxit » (op. cit., p. 5). 4^ Dorât, dans le
Tombeau de Ronsard (Bl., VIII, 237) :
Germanos, Scotos adiit ducente Baïfi
Lazare te juvenis, surdus et inde redit.
Aux causes de la maladie que donnent Velliard et Critton, Binet
ajoute l'usage des vins « souffrez et mixtionnez » d'Allemagne, et les
« peines de la guerre ». Cependant Ronsard dut se trouver à très
bonnes tables durant sou séjour en Alsace, et d'autre part on ne voit
pas de quelle guerre il aurait eu à souffrir. Sur les causes plus vraisem-
blables et la nature probable de sa demi-surdité, voir ma Jeunesse de
Ronsard, Rev. de la Renaiss. de mars 1902, pp. 149 et suiv.) et un
article de M. Menier paru dans les Archives dOtologie, n" de février 1906,
pp. 211 et suiv. Ces deux études écartent l'hypothèse d'une affection
syphilitique et concluent à une otite chronique d'origine arthritique.
Relevons seulement, en les datant, quelques autres vers de Ronsard sur
son infirmité :
Bl., L 399 Vous me responderez {sic) qu'il est un peu sourdaut
Et que c'est déplaisir en amour parler haut (1555).
— III, 356 Puis on ne voit jamais ce poêle à la Court :
Il faut qu'il se présente, encore qu'il soit sourd (1561).
— VII, 103 Tesmoin est Du Bellay comme moy demy-sourd
Dont l'honneur mérité par tout le monde court (1563).
— VI, 88 Je suis, pour suivre à la trace la Court,
Trop maladif, trop paresseux et sourd (1571).
— II, 377 Pour ne voir plus rien je veux perdre les yeux
Comme j'ay l'ouïr (1578).
Enfin R. Belleau fait dire à Perrot dans une églogue de sa Bergerie :
J'ai l'oreille un peu sourde, haussez un peu la voix (éd. M.-L., I, 298),
et Brantôme s'honore d'être « demi-sourd conjme Ronsard » (éd. La-
lanne, tome X, p. 395).
P. 7, 1. 17. — divin Homère. La comparaison entre la surdité de Ron-
sard et la cécité d'Homère était courante parmi les admirateurs de
VIE DB P. DE RONSARD. 6
82 COMMENTAIRE HISTORIQUE
Ronsard. Voir par ex. une pièce latine de Dorât en tête du recueil inti-
tulé : Sonnet: de P. de Ronsard mis en musique à IIII parties par
(niill Boni \CA'. liev. d'Hist. litt., juin 1900. p. 377). Mais pour la
rédaction do B Hinet a eu recours à ce passage de la liesponse aux
injures et ealomnies (Bl., VII, 103) :
Des poêles premiers, dont la gloire cognue
A dcsfié les ans, avaient mauvaise veue,
Thamj're, Tiresie, Homère et cesluy-là
Qui au prix de ses yeux contre Hélène parla :
Et ceux de noslrc temps à qui la Muse insigne
Aspire, vont portant la sourdesse pour signe :
Tesmoin est Du Bellaj' comme moy demy-sourd,
Dont l'honneur mérité par tout le monde court.
p. 7, 1. 27. — contentement. Copié littéralement dans VEpitre au Lec-
teur qui servait de préf. à l'éd. princeps des Quatre prem. livres des
Odes (1550) : « Bien que la jeunesse soit toujours elongnée de toute
studieuse occupation pour les plaisirs voluntaires qui la maistrisent,
si est ce que des mon enfance j'ai toujours estimé l'estude des bonnes
lettres, l'heureuse félicité de la vie, et sans laquelle on doit désespérer
depouvoirjamais attaindre au combledu parfait contentement. » (Bl., II,
9-10; texte rectifié par M.-L., II. 474) On verra plus loin (aux pages
106 et 111) que Binet a consulté pour C non seulement cette préface
qu'il aurait pu trouver manuscrite dans les papiers de Ronsard, mais
le volume entier où elle fut imprimée en 1550-
P. 8, 1. 8. — estudes laissées. Cf. Du Bellay, Hymne de la Surdité,
dédié à Ronsard, à la fin des Jeux rustiques en janv. 1558 (la pièce date
de 1556i :
La Surdité, Ronsard, seule t'a faict retraire
Des plaisirs de la court, et du bas populaire.
Pour suyvre par un trac encores non battu
Ce pénible sentier, qui meine à la vertu.
Elle seule a tissu l'immortelle couronne
Du Myrthe Paphien, qui ton chef environne :
Tu luy dois ton laurier, et la France luy doit
Qu'elle peut désormais se vanter à bon droit
D'un Horace, et Pindare, et d'un Homère encore,
S'elle voit ton Francus, ton Francus qu'elle adore
Pour ton nom seulement, et le bruit qui en court :
Dois-tu donques, Ronsard, te plaindre d'être sourd ?
p. 8, 1. 10. — à la Couronne. Tout ce passage témoigne de l'insouciance
de Binet à l'égard de la concordance des dates. Quand Ronsard, par
suite de sa demi-surdité, « changea de dessein et reprit les estudes
laissées », le roi régnant était François P'", qui mourut seulement le
1er avril 1547. A l'avènement de Henri II. il y avait déjà quatre ans que
Ronsard s'était « remis aux lettres » (en 1543 dit Binet lui-même, p. 10),
et au moins deux ans et demi qu'il suivait les leçons de Dorât (depuis
la mort de son père, juin 1544, dit Binet lui-même, p. 10.)
La source de 1 addition de C est ce passage de l'Hymne de Henri H
(publié en 1555) :
J'ay, quand j'estais ton paye, autrefois sous Granval
Veu dans tou Escurie un semblable cheval
ET CRIT[QUE 83
Qu'on surnommoit Hobere, ayant bien cognoissance
De toy montant dessus : car d'une révérence
Courbé le saluoit : puis sans le gouverner
Se laissoit de luy-mesme en cent voUes tourner
Si viste et si menu, que la veùe et la teste
Tournans s'esblouïssoyent. tant ceste noble beste
Avoit en bien servant un extrême désir,
Te cognoissanl son Roy, de te donner plaisir. (Bl., V, 67.)
Claude de Grandval n'était encore que piqueur de la fauconnerie
royale en juillet 1541 [Actes de François /er, tome IV, p. 222). Il est
probable, d'après ce qu'on a vu plus haut (p. 78), que Ronsard a
abusé ici du mot page, en le prenant dans le sens général d'écuyer
occupé aux Ecuries royales, puisque, « sorti de page » en mai 1540,
il n'a jamais été, au sens propre du mot, page de Henri dauphin,
encore moins de Henri roi. Binet ne paraît pas y avoir songé ; car,
utilisant pour C le passage de \ Hymne de Henri H que je viens de
citer et y prenant le mot page à la lettre, il crut devoir supprimer du
même coup deu.x assertions de AB qui lui semblèrent en contradic-
tion avec ce texte. Ces deux assertions, qui disparurent de C, sont
les suivantes : 1° « il sortit hors de page » (p. 6) ; 2° « or que tous
deux fussent sortis de page » (p. 10). La coïncidence de cette double
suppression avec l'apparition du document emprunté à Y Hymne de
Henry II est tout à fait digne de remarque : elle prouve de la part de
Binet, sinon un grand embarras, du moins un scrupule exagéré, car
il n'y avait pas là de contradiction réelle.
P. 8, 1. 15. — 0 flos virum et. Cette ode pindarique de Dorât fut publiée
d'abord à la fin des Quatre premiers livres des Odes de Ronsard en
1550. Elle fut reproduite dans la 2« et la 3° édition de ce volume (1553,
1555), puis parmi les liminaires de toutes les éditions collectives des
Œuvres de Ronsard, y compris la première éd. posthume (1560 à 1587).
On la trouve dans 1 éd. Blanchemain, en tête du tome I, p. xix La ci-
tation de Binet commence au milieu du 8= vers de l'antistrophe I. L'ode
entière semble avoir été écrite en réponse à celle de Ronsard Puissé-je
entonner un vers, que Binet a citée plus loin en C. (Cf. ci-dessus, p. 13.)
P. 8, I. 23 — seu quis. Cette leçon de AB est conforme au texte princeps
de l'ode (1550) et à celui qu'on lit parmi les liminaires de toutes les éd.
collect. des Œuvres de Ronsard. La leçon de C, si quis, reproduite
dans les éd. dérivées de C, est plus logique, étant donné que rien
dans les vers qui suivent, en 1587 et 1597, ne correspond à seu quis,
mais que, au contraire, la strophe II contient un sin alter qui corres-
pond à si quis ; c'est sans doute la raison de la correction de C
P. 8, 1. 32. — Auguste et Martiale. Ces deux adjectifs ont conservé
leur initiale majuscule dans toutes les éditions, parce qu'ils dérivent de
noms propres. Nous avons cru devoir respecter une intention qui n'est
pas douteuse.
Pour tout ce portrait physique de Ronsard, cf. Du Perron : « Car
j'ay ouy raconter une infinité de fois à ceux qui l'ont cogneu en sa pre-
mière jeunesse, que jamais la nature n'avoit formé un corps mieux
composé ny mieux proportionné que e sien : fust ou pour la beauté du
visage, qu'il avoit merveilleusement aggreable, ou pour la taille et la
84 COMMENTAIRE HISTORIQUE
stature, laquelle il avoil exlreniemenl Auguste et Martiale, de sorte
qu'il sembloit quelle eust mis entieremeut son estude et son industrie
à préparer un lieu qui peust recevoir dignement ceste ame excellente,
pleine de tant de gloire et de lumière, de laquelle les beautez du corps
dévoient estre comme la splendeur et les rayons. " {Or. fun., texte de
1586. pp. 28-29.) — Binet a certainement profité du travail de Du Per-
ron, soit qu'il en ait retenu de mémoire quelques expressions, soit
plutôt que l'Oraison funèbre ait été imprimée avant le Discours de la
vie de Ronsard.
Pour l'iconographie de Ronsard, v. A. de Rochambeau, op. cit.,
ch. m. Les portraits qui nous sont restés de sa jeunesse sont quelque
peu conventionnels (Amours de 1552 et 1553; Odes de 1555; Œuvres de
1560). Mais il reste quatre œuvres qui sont des documents du plus
haut intérêt sur la vraie physionomie de Ronsard après 40 ans : 1° Une
médaille de Jacques Primavera {Notice cit., par Chabouillet); 2^ et 3° Un
portrait et un buste qui sont au Musée de Blois [Etude, par P. Dufay) ;
4'^ Un crayon qui est au Musée de S. Pétersbourg [Gazette des Beaux-
Arts, de juin 1907, art. de C. Gabillot). — Ronsard vieillit assez vite
au physique : à 30 ans il était gris et chauve, et dès lors maigre, pâle,
défait, miné parla fièvre intermittente, en proie aux douleurs et aux
insomnies. Les peintures qu'il nous a laissées de lui-même à partir
de 1553 sont loin de correspondre aux descriptions brillantes de Binet
et Du Perron. V. par ex. les sonnets : Sur mes vingt ans (1553) ; Dame
je meurs pour vous (1555), les odes : Laisse moi sommeiller (1554) ;
Quand je suis vingt ou trente mois (1555) , Ma douce jouvence est passée
(id.) ; Ah ! fiévreuse maladie (id.) ; Pour avoir trop aimé vostre bande
inégale (1556) ; le poème à P. Lescot, Puisque Dieu (1560, vers 10 et
suiv.); la Response aux injures (1563, vers 285).
P. 9, 1. 5. — du Roy. Dans tout le passage qui commence ici et finit
à « l'an mil cinq cens xliii », Binet quand il dit « le Roy » désigne
Henri II, soit par un abus conscient de ce mot, soit plutôt par igno-
rance : en eifet le prince qui fut Henri II n'était encore que dauphin à
l'époque où Binet en est de son exposé, bien qu'il eût déjà une Cour
et des Ecuries particulières sous le règne de son père François I^r.
Voir ci-dessus, p. 82, aux mots « à la Couronne u.
P. 9, 1. 22. — pour la veûe. Cf. J. Velliard : « Vir sapiens et acutus,
qui benè semper audierat, ne tandem (ut est in aula rerum vicissitudo)
ideo maie audiret, quia maie audiebat, ex bac vaga et irrequieta vita,
ubi multo plus audiendum est quam loquendum, ad requietem animi
sese in tranquillissimum Academiae portum recepit... » [Laud.
fun. I, ff. 6 v" et 7 r").
P. 9, 1. 25. — page avec Ronsard. Cf. Du Perron : « Or ce fut là (en
Escosse) premièrement qu'il commença à prendre quelque goust à la
Poésie : car un gentilhomme Escossois, nommé le seigneur Paul, qui
estoit fort bon poète Latin, et qu'il l'aimoit [sic) extrêmement, prenoit
la peine de luy lire tous les jours quelque chose de Virgile ou d'Horace,
ou de quelque autre autheur, et de le luy interpréter en François ou
en Escossois : et luy d'autre costé qui avoit desja veu quelques rymes
de Marot et de nos anciens Poètes François, s'efi^orçoit de le mettre en
ET CRITIQUE 85
vers le mieux qui luy estoit possible. » {Or. fun., texte de 1586, p. 27.)
G. Critton n'a pas parlé du seigneur Paul. En revanche J. Velliard
l'a considéré comme l'un des initiateurs de notre poète et l'a comparé
à cet égard à l'oncle Jean de Ronsart, curé de Bessé-sur-Braye : « Quid
dixi ! Petrum Ronsardum, ex sermone liabito in ea legatione (l'am-
bassade de Laz- de Baïf en Allemagne, primum ad studium poetices
animum adjunxisse ? Erravi : imo multù ante, hune enim poesim a
lacté nutricis imbibisse animo, nec alienis, sed domesticis praeceptis
edoctum fuisse, vos jam eritis judices- Habebat ab Avunculo, viro omni
liberali sacraque doctrina politissimo, non solum bibliothecam varia
et multiplici librorum supellectile instructam, sed etiam exemplum
hujus reconditioris disciplinae quod sibi proponeret ad imitandum.
Insuper, dum aderat Régi praetextatus assecla. jucundus erat Paulo
praefecto Hippocomiae, fratri Philippae Castelleronensis (sic pour
Castelleraldensis), qui cum studia humanitatis coleret, et haberet
aures tritas notandis generibus poetarum, seorsim {sic pour seorsum)
Virgilii et Horatii intelligentia praestabat. Hi duo perspicaces et acuti
viri cum mirarentur bonitatem naturae Pétri Ronsardi, huic et ad
suscipiendam et ingrediendam rationem studiorum poeseos principes
extitere. » (Laud- fun. I, prem. éd., fo 6 r° et v".)
Du Perron est le seul des biogr. de Ronsard (avec Colletet, qui l'a
copié littéralement ici) à nous avoir dit que le seigneur Paul était un
gentilhomme Ecossais ; et il s'en est tenu à cette opinion jusqu'à la fin
de sa vie (1618), malgré les affirmations contraii-es de Binet et d'Ant.
de Baïf. Mais il semble n'avoir pas été le seul à penser ainsi, d'après
cette addition de Binet à son troisième texte : «... le seigneur Paul,
Escossois ainsi que disent aucuns ". Cette opinion, qui a contre elle
l'autorité de Baïf, assez grave à elle seule pour la ruiner, a peut-être
pour point de départ un fait historique : il se peut par ex. que le
seigneur Paul ait accompagné Ronsard en Ecosse et séjourné avec lui
à la cour de Jacques V, et je suis tout porté à le croire. Il est d'ailleurs
étonnant que Ronsard n ait jamais nommé dans ses œuvres ce compa-
gnon de jeunesse, auquel en somme il devait tant.
Si le seigneur Paul avait pour sœur, comme l'affirment Velliard et
Binet, la mère deMad. de Chatellerault, il était sûrement Piémontais.
Voici en effet ce que dit le P. Anselme sur Mad. de Chatellerault, qui
n'est autre que Diane de France, fille naturelle de Henri II : « Diane,
légitimée de France, duchesse d'Angoulême, née de Philippe Duc,
demoiselle Piemontaise, sœur de Jean Antoine Duc, né à Montcallier
en Piémont, écuyer de la grande écurie du roi Henri II. Elle épousa
1" Horace Farnèse, duc de Castro, mort en 1554 ; 2» en 1557 François
de Montmorency, pair et maréchal de France... Le duché de Chatel-
lerault lui fut donné par lettres du 22 juin 1563, renouvelées en 1571... »
(Hist. genealog. de la maison de France, tome I, 136, D. Madame de
Chatellerault, comme l'appelle Binet, ou Madame d'Angoulême, comme
on l'appelait plus ordinairement depuis qu'elle avait reçu de Henri III
le duché d Angoulême en 1582, ne mourut qu en janvier 1619. Si Binet,
ou Du Perron, devenu cardinal, avait osé interroger cette princesse sur
la famille de sa mère, ils auraient pu identifier le seigneur Paul et nous
86 COMMK.NTMHE HISTORIQUE
dire si c'était Jean Antoine Duc lui-même (auquel cas ce nom de Paul
serait un pseudonyme), ou si c était un second frère de Philippe Duc.
Quant à Philippe Duc, « l'auteur de \ Abrcgé Chronologique et celui
du roman historique de la Princesse de Clèves disent qu'elle se fit reli-
gieuse après ses couches, sans indiquer l'ordre qu'elle embrassa, ni le
monastère où elle entra )) (Dreux du Radier, Reines el Régentes de
Fnuice, 2'' édition, 1776. tome IV, p. 455, dans le chap. intitulé Phi-
lippe Duc\ — On lit encore dans Vllisi de Chatcllcrault de l'abbé
Lalaune (tome II, p. 46) : k Au mois de juin 15()3, Charles IX donna
la terre de Chatelleraud à Diane, légitimée de France, sa sœur, pour
lui tenir lieu de 6000 livres de rente Elle était né en 1538 de Henri II,
encore Dauphin, et de Philippe Duc, demoiselle Piémontaise, retirée,
après sa faute, dans un couvent, où elle mourut. » — Enfin, d'après
Brantôme, Philippe Duc, dame de Bière, épousa un gentilhomme ita-
lien (édition Lud. Lalanne, tome VI, 496|.
P. 10, 1- 11. — Clément Marot. Outre les éd. originales (notamment des
lllustr. de Gaule, 1509-1513), Ronsard pouvait alors lire les œuvres en
prose et en vers de Jean Le Maire dans plusieurs éditions collectives,
entre autres celles de Paris, Philippe Le Noir (s. d-, vers 1520) ; Petit,
Marnef et Viart (1520-1523;. Plus tard il en parut une à Paris, chez
V. Sertenas 1548), et une à Lj'on, chez J. de Tournes (1549, la plus
complète, publiée parles soins dAnt. du Moulin). Voir la notice biogr.
et bibliogr. que lui a consacrée Steclier en tête de son édition (Lou-
vain, 1882-91).
Il est probable qu'il lut le Roman de la Rose dans l'édition publiée
sous une forme rajeunie par Cl. Marot, à Paris en 1527 et 1529, chez
Galiot du Pré ; en 1538, chez Pierre Vidoue.
Les œuvres de Maistre Guillaume Coquillart(Droj7s /louueaux; Plai-
doyer de la Simple et de la Rusée ; Blason des Armes et des Dames ;
Monologues) avaient été rééditées plusieurs fois avant 1540 ; d'abord
de 1515 à 1530 elles ont paru chez la veuve Trepperel, chez J. Janot
et chez Alain Lotrian, à Paris ; puis en 1532 chez Galiot du Pré, en
1533 chez Pierre Leber. à Paris ; en 1535 et 1540, chez Fr. Juste, à
Ljon (Cf. Téd. Ch. d'Héricault, Biblio. elzévirienne, 2 vol. ; l'étude
bibliographique est à la fin du 2" volume).
Quant à l'Adolescence Clémentine de Cl. Marot, imprimée en 1532
par Geoffroy Tory pour Pierre Rosset, elle avait été plusieurs fois réé-
ditée soit à Paris chez le même, soit à Lyon chez Fr. Juste, avec la
Suite de l'Adolescence, de 1532 à 1535- Une édition très soignée avait
paru en 1538 à L3on,chez Gryphius, et trois autres de 1540 à 1543 à
Lyon chez Etienne Dolet. Les Pseaumes parurent en deux fois, trente
à Paris en 1541, les mêmes et vingt autres à Genève en 1543 (v. Em.
Picot, Catalogue Rothschild, et O. Douen, Cl. Marot et le Psautier
huguenot).
Sur l'estime que Ronsard, Du Bellay et Baïf avaient pour le Roman
de la Rose, et pour les Œuvres de Jean Le Maire, entre autres les
Illustrations de Gaule, v. la Deffence et Illustration de la langue fran-
çaise, I, ch. II, éd. Chamard, pp. 174 à 178; l'article de H. Guy sur les
Sources françaises de Ronsard, dans la Rev. d'Hist. litt. d'avril 1902 ;
ET CRITIQUE 87
ma thèse sur Ronsard p. lyr , passim. — Quant à Coquillart, je ne le
vois cité et imité nulle part chez eux, si ce n'est clans les Fulastries
de Ronsard, et encore l'imitation serait-elle très lointaine ; c'est sans
doute pour cette raison que Binet a supprimé Coquillart de sa troi-
sième rédaction (à moins que ce nom ne soit tout simplement tombé à
l'impression). — Enfin Cl. Marot, que Ronsard appelle « la seule lu-
mière en ses ans de la vulgaire poésie » (Kpître au lecteur, prcf. des
Odes de 1550, Bl., II. 10), et auquel il reconnaît le mérite d'avoir écrit
les meilleurs vers qu'on pût écrire alors sur un sujet élevé (Ode sur
la victoire de Cerizoles, strophe I, Bl., II, 53), a montré la voie à Ron-
sard dans plus d'un genre (élégie, églogue, blason, épigramme, épitaphe,
ode, sonnet), et lui a suggéré plus d'un thème. Cf. H. Guy, art. cit.,
pp. 246 et suiv. ; P. Laumonier, thèse sur Ronsard p. lyr., passim ;
voir ce que je disais déjà dans la Reo. d'Hist. litt. de janv. 1902,
notes des pp. 39, 53, 67, 73, 76.
P. 10, 1- 13. — limiires d'or. Cf. la biographie de Virgile attribuée à
Donat : « Cum is aliquando Ennium in manu haberet, rogareturque
quidnam faceret, respondit se aurum colligere de stercore Ennii. Habet
enim poeta ille egregias sententias sub verbis non multum ornatis. »
(§ XVIII. Voir le Virgile de Heyne, tome I, et le Suétone de ReifFers-
cheid, p. 67.)
Binet est le seul biographe de Ronsard qui lui ait fait tenir ce pro-
pos- On n'en trouve pas trace dans les œuvres du poète. Mais ce propos
est vraisemblable, et, malgré son excessif dédain, plusjuste que ces lignes
de l'Epitre au lecteur des Odes de 1550, où Ronsard, après avoir dé-
claré qu'il n'a vu « en nos poètes françois chose qui fust suffisante
d'imiter >:, ajoute avec une réelle ingratitude : « L'imitation des nos-
tres m'est tant odieuse (d'autant que la langue est encores en son
enfance) que pour ceste raison je me suis esloigné d'eus, prenant stile
à part, sens à part, œuvre à part, ne désirant avoir rien de commun
avec une si monstrueuse erreur. » (BL, II, 10.)
P. 10, 1. 20. — livre François. Cette date correspond à celle où
Ronsard fut tonsuré, et fit au Mans la rencontre de Jacques Peletier, qui
était alors secrétaire de l'évêque René du Bellay, 6 mars 1543 (n. st.).
V. à ce sujet ma Jeunesse de Rons. (Rev. de la Renaiss. de mars 1902)
et ma thèse sur Ronsard p. lyr., p. 23. — Il est donc vraisemblable
que Ronsard, ayant renoncé ainsi aux carrières que son père avait
rêvées pour lui, obtint la permission de « se remettre aux lettres >'. Il
est encore possible que Loys de Ronsart ait conseillé à son fils de se
consacrer tout entier à la carrière ecclésiastique, lui remontrant com-
bien « le mestier des Muses » était aléatoire et peu lucratif. Mais qu'il
lui ait interdit soudain des lectures qu'il avait jusque-là permises, et
dont le jeune homme avait déjà largement profité (d'après Binet lui-
même), je trouve là quelque chose d'invraisemblajjle et de contradic-
toire- Et puis, qu'aurait-on gagné à lui enlever des mains les auteurs
français, si on lui laissait les auteurs latins et italiens, voire les au-
teurs grecs traduitsen latin .' Au point de vue paternel, ceux-ci devaient
être au moins aussi dangereux que ceux-là ; il me semble même que les
œuvres d'Horace, de Second, le Marulle, de Pétrarque, de Sannazar,
88 COMMENTAIRE HISTOniQUE
de l'Arioste, étaient beaucoup plus à redouter que les livres français.
Loys de Ronsart était très capable de s'en rendre compte ; aussi n'a-
t-il point dû faire cette distinction qui ne s'expliquerait guère; c'est son
fils qui la fit de lui-même, mais en sens inverse, et qui choisit les lec-
tures les plus capables d'exciter sa verve, parce qu'il 3' trouvait l'expres-
sion forte et pénétrante de ses propres sentiments, c'est-à-dire les lec-
tures latines et italiennes, en attendant qu'il traduisît du grec avec
Dorât.
Binet a été dominé dans tout ce passage par le souvenir du poème
A Pierre L' hscot, qui contient des remontrances curieuses de Loys de
Ronsart à son fils, d ailleurs imitées d'Ovide :
Je fus souventes-fois relansé de mon pere
Voyant que j'aimois trop les deux filles d'Homère,
Et les enfans de ceux qui doctement ont sceu
Enfanter en papier ce qu'ils avoicnt conceu :
Et me disoit ainsi : « Pauvre sot, tu t'amuses
A courtiser en vain Apollon et les Muses...
et ces réflexions du poète :
O qu'il est mal-aisé de forcer la nature !
Tousjours quelque génie ou l'influence dure
D'un astre nous invite à suivre maugré tous
Le destin qu'en naissant il versa dessur nous.
Pour menace ou prière ou courtoise requeste
Que mou pere me fist, il ne sceut de ma teste
Oster la poésie : et plus il me tansoit.
Plus à faire des vers la fureur me poussoit.
(Bl., VI, 189 à 192.)
Mais logiquement cette conversation entre le père et le fils dut être
antérieure à la maladie qui rendit Ronsard à moitié sourd, puisque les
professions que le père préconise au fils, le barreau, la médecine, l'ar-
mée, sont précisément celles que la surdité lui rendit inaccessibles ;
et, dans tous les cas. les « livres françois » n'y paraissent pas l'objet
d'une réprobation et interdiction spéciales.
P. 10, 1. 23. — chez le Roy. Ici « le Roy » n'est pas distingué du
« Roy » dont il est question dans tout le passage précédent. La confu-
sion continue entre François 1er et Henri II, d'autant plus que ces mots
peuvent désigner ici aussi bien le roi régnant que l'héritier présomptif
de la couronne, Loys de Ronsart étant à la fois « mansionnaire » de
François lef et « maître d hostel » du dauphin. Voir ci-dessus, p. 61,
aux mots « du Roi) »•
Cf. YEpitaphe de feu messire Loys de Roussart, par Jehan Bouchet,
qui fut son protégé et l'un de ses familiers :
Apres avoir par soixante quinze ans
Passé mes jours la pluspart desplaisans.
L'an mil cinq cens avec quarante quatre,
La mort me vint soubdainement abbatre
Au lict d'iionneur, par merveilleux bazart,
Qui fuz tousjours nommé Loys Roussard 'sic)
En mon vivant sieur de la Possonniere...
{Généalogies, Effigies et Epitaphes, Poitiers, 1545, in-f", ff. 85 r" et 86 r».)
ET CRITIQUE 89
P. 10, 1. 27. — par cœur. La source de cette addition est dans la préface
posthume de la Franciade : « Il ne faut s'esmerveiller si j'estime Vir-
gile plus excellent et plus rond, plus serré et plus parfait que tous les
autres, soit que des ma jeunesse mon régent me le lisoità l'escole, soit
que depuis je me sois fait une idée de ses conceptions en mon esprit
(portant tousjours son livre en la main;, ou soit que, l'ayant appris
par cœur des mon enfance, je ne le puisse oublier. » (Bl , III, 23.)
P. 10, 1. 45. — destourner. Cette incise de B vient de la préface
posthume de la Franciade : << ... et mille autres ecstatiques descrip-
tions que tu liras en un si divin autheur (Virgile), lesquelles te feront
poète... et t irriteront les naïfves et naturelles scintilles de Vame que
dés la naissance tu as receues, t'inclinant plustost à ce mestier qu'à
celuy-là ; car tout homme dés le naistre reçoit en l'ame je ne sçay
quelles fatales impressions qui le contraignent suivre plustost son destin
que sa volonté. » (Bl., III, 17.)
P. 11,12. — Carnaua/e/. François de Carnavalet, de son vrai nom Kerno-
venoy, était Breton. Né vers 1520. il mourut à Paris en 1571. En 1549,
il avait les fonctions de « premier écuyer de Henri II » Aussi dans l'ode
pindarique il/a promesse ne yeuf pas, publiée en janv. 1550, Ronsard
l'a-t-il vanté comme habile cavalier et professeur des pages aux Ecuries
roj^ales, qu'il avait mission de former à tous les points de vue comme
le pédotribe antique (Bl., II, 57). Dans l'Hymne de France, qui est de
1549, il exalte également ses mérites d'écuyer (Bl-, V, 286;- D'après une
note de Richelet, reproduite par Blanchemain, à lépode I de l'ode pin-
darique, Carnavalet aurait été alors gouverneur du futur Charles IX ;
or le futur Charles IX n'était pas encore né (il naquit en juin 1550). Car-
navalet n'étaitpas non plus gouverneurdu dauphin, le futur François II,
car nous savons par Ronsard lui-même que Catherine de Méd. avait
confié son fils aîné aux soins de D'Urfé (Bl., 11,179). Les élèves de Car-
navalet dont il s'agit dans cette ode sont donc simplement les pages et
les jeunes écuyers de l'Ecurie Royale, qui était alors, comme dit Binet,
« une escole de tous honestes et vertueux exercices ». — C'est seule-
ment quelques années plus tard que Carnavalet fut nommé gouverneur
du troisième fils de Henri II, le futur Henri III (né en sept. 1551,
d'abord ducd'Angoulême, puis duc d'Oi'léans, puis duc d'Anjou) ; ainsi
nous le présentent deux sonnets de Ronsard (Bl., V, 345; M. -L., VI, 417),
dont le premier est adressé en 1565 et 1567 A Monsieur de Car. gouver-
neur de Monseigneur d'Orléans, en 1571 et 1573 A M- de Carnavalet
gouverneur de Monseigneur d'Anjou, en 1578, 1584 et 1587 A M. de
Carnavalet gouverneur du Roy Henry III. — D'après une pièce deDorat,
citée par Marty-Laveaux, c'est vraisemblablement sur la recomman-
dation de Carnavalet que Dorât fut choisi pour enseigner le grec et le
latin aux filles de Henri II et à leur demi-frère, le bâtard d'Angoulême,
pendant un an, vers la fin du règne de Henri II (éd. des Œuvres de
Dorât. Notice, pp. xix-xxi, et Appendice, lvi) ; c'est à lui encore que
Dorât dut de conserver sa maison de Limoges pendant la guerre civile
de 1569 [Ibid., Notice, p xxix, et Appendice, p lx). — Enfin J. Vel-
liard cite Carnavalet parmi les protecteurs de Ronsard contre les poètes
courtisans de 1550 à 1553 (V. ci-après p. 139, dern. ligne).
go COMMENTAIRE HISTORIQUE
Mais de tous ces documents il ne ressort nullement que Carnavalet
ait accompagné Honsard vers 1544-45 chez Lazare de Baïf pour assister
aux leçons particulières de grec cpie Dorât y donnait à Antoine de
Baïf. 1/asscrtion de Binet, qui a priori paraît suspecte, ne se trouve
confirmée par aucun texte. Il a pu cependant la tenir de la bouche de
Dorât ou d'Ant. de Baïf.
Sur ce personnage, qui restajusqu'à sa mort un modèle de sagesse et
de probité, v. encore la dédicace des Discours sur les rcrtiis de l'anti-
moine par J. (îrevin (156()) ; l'épitaphe du tombeau que lui Ht ériger
à Saint-Germain l'Auxerrois H. de Cheverny, chancelier de Henri
d'Anjou ; Le Laboureur, Additions aux Mémoires de Castelnau, VH,
notice ; le P. Anselme, Hist- des c/randsoff. de la Couronne. — L'Hôtel,
devenu Musée, qui porte son nom à Paris, ne lui a pas appartenu ; il
fut seulement vendu à sa veuve, Françoise de la Baume, par le fils du
Président de Ligneris (Dictionn. de Biographie générale).
P. 11. 1, 3. — Tournclles. On sait que le palais des Tournelles
était situé sur remplacement de la partie nord de la place des Vosges
actuelle.
P. 11. 1, 6. — mes estudes. Si, comme je le crois, Binet est né vers
1553, ce n'est pas au collège de Coqueret qu'il fut l'élève de Dorât;
mais il a pu être son auditeur au Collège de France, où Dorât enseigna
de 1556 à 1567.
L'addition de C relative à Dorât a été prise à la Bergerie qui forme
YEglognc I, du moins au texte de l'édition posthume de 1587, que
voici :
Et toj' divin Dorât, des Muses artizan.
Qui premier amoureux de leur belle neufvaine.
Par les outils des Grecs destoupas la fontaine
D'Helicon.
Blanchemain (éd. de Bonsard, IV, p. 32) donne cette variante
comme étant de 1584. Or on lit dans l'édition de 1584 :
Et toj' divin Dorât, des Muses artizan.
Qui premier anobly de l'honneur de ta peine
As aux peuples François destoupé la fontaine
D'Helicon. (cditioQ Marty-Lav., III, 380.)
C'est évidemment le texte de 1587 que Binet a consulté.
Sur l'influence de Dorât comme humaniste, voir, outre les témoigna-
ges de Ronsard, Baïf et Du Bellay rappelés dans ma thèse sur Ronsard
p. lyr., p. 343, note 2), celui d un de ses élèves de Coqueret, G. M. Im-
hevt, Sonets exoteriques Il518),n'>'^8 et 45, et celui d'un de ses auditeurs
au Collège Royal, Jean Le Masle, Nouvelles récréations poétiques (1580),
pièce sur V Excellence des poètes français, adressée à Dorât, fo 52.
P. 11, 1. 9. — son fds. La maison de Lazare de Baïf s'élevait « sur
les fossez Saint Victor aux faubourgs », d après l'acte de fondation
de l'Académie de Poésie et de Musique que son fils Antoine y établit
en 1570 (Frémy, Académie des dern. Valois, p. 51). « Domum et
situ et cultu peramoenam incoluit Lutetiae suburbiis », dit simplement
Se de S. Marthe en 1598 {Elogia, liv. I, art. Baijfii paler et fdius).
« Elle estoit à l'entrée de l'un des plus agréables faubourgs de la ville,
ET CRITIQUE QI
qui est celuy de sainct Marcel », ajoute G. Colletet dans sa traduction
des Elogia 1644, p. 47) ; et il le répète dans sa Vie de Ronsard (éd.
Blanchemain, p. 31). Sauvai dit de son côté qu'elle était située " sur
les Fossés de la ville entre la porte Saint Victor et celle de Saint Mar-
ceau •> (Recherchessiirles Antiquités de Paris, liv. IX, p. 490). En outre,
une note marginale ajoutée par François Colletet au manuscrit de son
père sur la Vie de J. Ant. de Baïf nous apprend que cette maison,
qu'il avait vue dans son enfance, « estoit située sur la paroisse de
Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à l'endroit où l'on a, depuis, hasti la
maison des religieuses Angloises de l'ordre de Saint Augustin » (frag-
ment cité parS.-Beuve, Tableau de la poésie au XVI'' s., art. sur Des-
portes, éd. Charpentier, p. 415, note ; et par Ed. Fournier, Variétés
histor. et /l'/L, VIII, p. 40, note). Or ce couvent de religieuses Anglaises,
celui-là même où G. Sand fut élevée {Hist. de ma vie, S'^ partie,
chap. X et suiv.), a subsisté de 1639 à 1861, époque du percement de la
rue des Ecoles, aux n"' 23 et 25 de la rue des Fossés-Saint-Victor, au-
jourd'hui rue du Cardinal Lemoine (Frémy, op. cit., pp. 388-89; L. Pin-
vert, Lazare de Baïf, pp. 81-82)
Quant à la date où Dorât commença à donner des leçons à Antoine
de Baïf au domicile de son père, Binet la connaissait par la dédicace
des Œuvres d'Ant. de Baïf Au Roi], que nous avons déjà citée. Après y
avoir dit qu'il fut mis en pension chez le professeur Tusan (Tusanus,
Toussain) « l'année que Budé trépassa », c'est-à-dire en 1540, Baïf
ajoute :
Là quatre ans je pas.'^ay, façonnant mon ramage
De Grec et de Latin
De là {grand heur à moy) mon père me retire.
Me baille entre les mains de Dorai pour me duire :
Dorât qui studieux du mont Parnasse avoit
Reconnu les détours, et les chemins savoit
Par où guida mes pas. O Muses, qu'on me done
De Lorieretde fleurs une fréche courone
Dont j'honore son chef. II nï'aprit vos segrets
Par les chemins choisis des vieux Latins et Grecs.
(édition Marty-Laveaux, I, vi.)
Ainsi c'est bien à partir de 1544 seulement que Ant. de Baïf a suivi
les leçons de Dorât, et que Bonsard a commencé à en profiter, au domi-
cile de Lazare de Baïf — et non pas comme le dit Sainte-Beuve « vers
1541 ou 42 au plus tard au collège de Coqueret » {Notice sur Ronsard
reproduite par l'éd. du Tableau de 1843, p. 290, et en tête de la l'éédi-
tion des Œuvres choisies de Ronsard par L. Moland, p. xiv).
*. 11, 1. 15. — se loger avec luy. Le Collège de Coqueret était situé
rue Chartière, dans l'ancienne « basse-cour » du séjour de Bour-
gogne qui depuis devint le Collège de Beims, dont les bâtiments sont
actuellement affectés à l'Ecole préparatoire de Sainte-Barbe (Frémy,
op. cit., p. 12, note ; cf. H. Chamard, thèse sur J. du Bellay, p. 42 ;
L. Séché, Rev . de la Renaiss. de févr. 1901, p. 84).
A quelle époque Dorât en fut-il nommé « principal " ? On l'ignore,
et il est vraiment dommage qu'aucun des panégjristes de Ronsard, des
Baïf ou de Dorât ne l'ait dit. Pour Goujet (Bibl. fr. , XIII, 289), Robiquet
92 COMMENTAIRE HISTORIQUE
(thèse lat. sur Dorât, p. 8) et H. Chamard (thèse sur J. du Bellay
p. 45). ce fut seulement à la mort de son bienfaiteur Lazare de Baïf,
événement qui lui aurait enlevé le plus clair de ses moyens d'existence.
Or Lazare de Baïf ne mourut qu'en 1547 : il assistait aux obsèques de
François I*'" le 11 avril, mais le 8 novembre suivant on dressait « l'In-
ventaire des meubles fait au lieu seigneurial des Pins après le decez de
raessire Lazare de Baïf» (L. Pinvert, op. cit., pp. 87-88), ce qui permet
de fixer la date de sa mort à septembre ou octobre 1547.
Des textes importants cités par Joly, Rem. crit. sur le Dict. de Bayle,
p. 302, semblent prouver que Dorât ne fut nommé principal de Coqueret
que dans la 2* moitié de 1547 :
1° D'après deux poèmes de Dorât, auxquels renvoient également
Goujet iloc. cit.) et Marty^-Laveaux {Notice sur Dorât, xvi et xvii), il
aurait porté les armes en 1544, puis aurait fait partie delà suite mili-
taire du dauphin Henri, suivant ce prince, devenu roi, jusqu'à
Bapaumc (juillet 1547) . Mais a-t-on le droit d'en conclure avec Joly
qu'il cessa d'être précepteur privé d'Antoine de Baïf « avant la fin de
1544 », fit « le métier de soldat > pendant trois ans de façon continue,
et ne devint principal de Coqueret qu'après ce temps de service mili-
taire ? Si cela était, que seraient devenus durant ces trois années soit
les élèves qui, comme le dit Marty-Laveaux lui-même, suivaient ses
leçons « chez lui » avant de les suivre à Coqueret, soit A. de Baïf,
l'élève dont l'instruction particulière lui avait été confiée, précisément
en 1544 ?
2o D'après du Boulay {Hist. de l'Université de Paris, tome VI,
p. 968), '< Ronsardus nomen Academiae dédit anno 15i7, Rectore
Roberto Fournier »; or, comme R. Fournier ne devint recteur que le
16 décembre de cette année-là, Ronsard ne se serait fait inscrire
comme étudiant que dans la deuxième quinzaine de décembre 1547.
Mais doit-on en conclure avec Joly que c'était sa u première inscrip
tion I) , et que c'est à ce moment-là qu il « entra sous Doi'at au Collège
de Coqueret, dont celui-ci venait d'être nommé principal » ? Si l'on
adopte cette conclusion, comment expliquer que, dans son autobio-
graphie, Ronsard affirme qu'il se rangea sous la discipline de Dorât
tout de suite après avoir connu Cassandre, à Blois, où il « suivait la
Cour », c'est-à-dire en 1545 au plus tôt, en mai 1546 au plus tard, et
qu'il y resta cinq ans :
Incontinent après, disciple je vins estre,
A Paris, de Dorat qui cinq ans fut mon maistre ?...
En réalité, rien ne s'oppose à ce que Dorat ait été nommé principal
de Coqueret du vivant de Lazare de Baïf- Il est même vraisemblable
que celui-ci usa de son influence pour faire obtenir ce poste au précep-
teur de son fils. Voici en faveur de cette hypothèse deux autres argu-
ments, qui d'ailleurs sont loin d'être décisifs : 1» Dans l'ode A son
retour de Gascongne, voiant de loin Paris, dont la composition est pro-
bablement de la fin de 1547, Ronsard se félicite d'avoir quitté la Cour
pour se consacrer tout entier à l'étude des littératures grecque et latine,
et l'on peut penser d'après ces vers que sa retraite chez Dorat à Coque-
ET CRITIQUE 98
ret remonte à un certain temps, est tout au moins antérieure à la mort
de François I^"' :
Plus que devant je t'aimerai, mon livre.
A celle fin que le sçavoir j'apprinse
J'ai délaissé et Cour et Roi et Prince,
Où j'estoi bien quand je les vouloi suivre...
(Bl., II, 457).
2" D'après Claude Garnier, la traduction du Plutus aurait été jouée à
Coqueret quand Ronsard était dans sa vingt et unième année ; il ajoute
que les fragments de cette traduction, qui ont été publiés en 1617,
voyaient le jour après 72 ans, ce qui nous reporte bien à 1545- Malheu-
reusement ce dernier témoignage n'a pas grande valeur, parce qu'il
s'appuie lui-même uniquement sur celui de Binet, lequel est très con-
testable (y. ci-après, pp. 103 et 104).
En résumé, sans l'aire remonter le principalat de Dorât jusqu'en 1544,
comme l'ont fait sans preuves l'abbé Simon [op. cit., III, p. 512),
Frémy [op- cit., p. 11) et Bizos [Ronsard, p. 16), on peut penser qu'il
commença du vivant de Lazare de Baïf, peut-être même dès 1545,
surtout si l'on admet avec Binet que Ronsard, né en septembre 1524,
n'avait que « vingt ans passés » quand il devint élève de Coqueret
(Cf. ci-après, p. 94. aux mots « que seize »).
P. 11, I. 21. — à esliidier. Comme cette partie de la Vie de Ronsard
est vague et obscure ! Binet semble bien distinguer deux périodes
dans les études que fit Ronsard sous la direction de Dorât : 1° celle
des leçons particulières, dont il profita au domicile de Lazare de
Baïf, et qui étaient forcément interrompues par les allées et venues
de la Cour, que Técuyer était obligé de suivre dans les différentes rési-
dences royales éloignées de Paris, telles que Blois et Fontainebleau ;
2" celle de l'enseignement public qu'il reçut au collège de Coqueret, et
pour lequel, abandonnant tout à fait la Cour, il se fit volontairement
le pensionnaire de Dorât, devenu « principal » du dit collège. Mais,
outre que Binet ne dit pas à quelle date eut lieu cet important événe-
ment de la jeunesse de Ronsard, sa distinction des deux périodes est
tellement confuse qu'il semble parfois l'avoir perdue de vue, et avoir
appliqué à la première des anecdotes ou des réflexions qui ne convien-
nent qu'à la seconde, et inversement. Ainsi Binet nous dit que Ronsard
au collège « se fit compagnon de J. A. de Baïf et commença par son
émulation à estudier » ; il n'avait donc pas étudié avec lui auparavant?
Binet ajoute, quelques lignes plus loin, que « Baïf à toutes heures lui
desnoûoit les plus fascheux commencemens de la langue Grecque », et
cela toujours au collège ; ce n'est donc pas de grec qu'il était question
au domicile de son père ?
De deux choses l'une : ou Binet parle des deux pensionnaires comme
il aurait dû le faire des deux élèves libres (dont l'un, Ronsard, n'était
qu'un auditeur bénévole), ou bien L. Pinvert s'est trompé en avançant
que dès 1544 Ronsard traduisait en latin VHécube d'Euripide (op. cit.,
p. 83y, exploit que E. Frémy place un peu plus tard et au collège de
Coqueret {op. cit., pp. 14 à 16), et je suis moi-même victime d'une
q4 commentaire historique
illusion en pensant qu il imita Pindare dès 1545 (thèse sur Ronsard
p. lyr., pp. 55 à 59).
Après tout, il est possible que Ronsard ait traduit de l'Euripide en
latin et imité du Findare en vers français sans savoir de grec, si,
comme il est probable. Dorât lui en faisait d'abord une traduction en
prose française ; il est également possible que Ronsard n'ait sérieuse-
ment travaillé la langue grecque ^vocabulaire, morphologie et syntaxe)
qu'au collège de Coqueret, et que 1' « émulation » ne lui soit pas venue
du temps qu il suivait en amateur les leçons particulières de Dorât.
Cela mettrait tout le monde d'accord. — Voir ci-après, p. 96, aux mots
« par la Grecque ».
P. 11, 1. 24. — que seize. L'un de ces chiffres est inexact (20 ans
passés pour Ronsard, 16 ans pour A. de Baïfj, quelle que soit la date
que l'on adopte pour la naissance de Ronsard (septembre 1524, 1525 ou
1526). En effet toutes les indications que nous donne A. de Baïf sur son
âge se correspondent parfaitement, et il en ressoi't qu'il naquit en février
1532 •. Il y avait donc entre Ronsard et A de Baïf une différence
maxima de sept ans et cinq mois, une différence minima de cinq ans et
cinq mois. — En outre, d'après l'âge de 16 ans que Binet donne ici à
Baïf, il ne serait entré à Coqueret qu'en février 1548 au plus tôt. Or
cela est contredit par ce que Binet lui-même avance plus loin : " En
cette contention d'honneur Ronsard demeura cinq ans avec Dorât », et
par un texte de Baïf qui fixe à 1550 le terme de leur séjour à Coqueret.
(V. ci-après, p. 98 aux mots « avec Dorât i).
Il semble donc que le chiffre inexact soit le chiffre seize, et qu'on
doive y voir une faute d'impression pour treize. Mais alors on peut
s'étonner qu'il ait été conservé dans le deuxième et le troisième texte
de Binet, sans que Baïf le lui fît rectifier. Et le problème semble inso-
luble, à moins de faire naître Ronsard en septembre 1526, d'admettre
que Doi'at ne fut nommé principal de Coqueret qu'à la fin de 1547 et
de forcer les chiffres de Binet, en donnant 21 ans passés à Ronsard et
moins de 16 ans à Baïf; c'est ce qu'a fait Joly (Rem. crit. sur le Dict-
de Bayle, art. Daurat), mais il a tort de dater la naissance de Baïf de
1531, et sa solution est loin de nous satisfaire (V. ci dessus, p- 91 à
93, aux mots « se loger avec luy »).
P. 11, 1. 39. — des Grecs et Latins. Baïf s'est en effet glorifié de cette
invention dans une ode A son livre, qui sert d'épilogue à ses Poèmes :
Dy que cherchant dorner la France
Je prin de Courvile acointance,
Maistre de l'art de bien chanter :
Qui me fit, pour l'art de Musique
Reformer à la mode antique.
Les vers mesurez inventer.
(édit. Marty-Laveaux, II, 461).
1. Il dit par exemple qu'il venait de « muer les dents » en 1540, quand il
entra chez Tusan ; qu'il avait 15 ans l'année de la mort de son père, en 1547 ;
20 ans et 9 mois quand il achevait son volume des Amours de Meline, publié en
décembre 1552 ; 22 ans quand il connut Francine à Poitiers, en 1554 ; 40 ans
en février de l'année du massacre de la Saint-Barthélémy (éd. Marty-Laveaux,
I, 2(3 et 96 ; II, 202, 203, 460,.
ET CRITIQUE 96
Il est vrai que c'est Baïf qui a le plus fait pour acclimater en l'rance
les vers « mesurés » ou « métriques », composés de syllabes longues
et brèves sur le modèle des vers hexamètres, pentamètres, alcaïques,
saphiques, phaléciens, etc., des poètes gréco-latins; et cela, de concert
avec le musicien Thibaut de Courville, à partir de 1567. Mais d'autres
poètes de la Brigade en ont composé bien avant lui: Jodelle en 1553,
Nie. Denisot en 1555. Est. Pasquier en 1556, Cl. Buttet en 1558-()U.
Cf. Frémj', op cit., pp. 27 à 37 ; Guivres d'A. de Baïf, éd. M.-L., tome
V, 295; E. Pasquier, /îec/jerc/ies, liv. VII, chap. xi (édition des Œuvres
choisies par Feugère, II, 78, et la note,* ; H. Chamard, éd. de la
Deffence et Illiistr., p. 114, note 5, et Cl. Jugé, thèse sur Nicolas
Denisot, pp. 74 et 104
P. 11, 1. 40. — une académie- Que faut-il entendre par là? D'après
E. Faguet, ce serait « une réunion libre de jeunes et vieux étudiants »
(Seiz. siècle, p. 201). D'après H. Chamard : « En dehors des élèves qui
vivaient à demeure au collège, il y avait ceux de l'extérieur qui sui-
vaient les cours à titre bénévole ; car Dorât, non content d'enseigner
en privé, semble avoir pratiqué dès ce temps-là les grandes leçons
publiques. C'est là sans doute ce qu'il faut entendre par cette acadé-
mie que le docte humaniste avait, selon Binet, établie au collège de
Coqueret. A certaines heures il réunissait autour de sa chaire tous les
étudiants, jeunes ou vieux, qu'animait la passion de s'instruire. Ainsi
s'explique qu'il ait compté dans son auditoire des savants comme Mu-
ret, des seigneurs comme Carnavalet, des évêques comme Lancelot
Caries. » (Thèse sur J. du Bellay, p. 46.)
Mais si l'on devait interpréter ce mot ainsi, on ne voit pas pourquoi
Ronsard, afin de « ne pas perdre une si belle occasion » eût été obligé
d'aller « se loger chez Dorât » ; il n'avait pas besoin de devenir pen-
sionnaire de Dorât pour suivre des cours publics. D'après le contexte
(jusqu'à «... mais recourir aux fonteines des Grecs » inclusivement), il
semble bien que Binet ait entendu par une « académie » des cours
supérieurs de grec, réservés aux « escoliers )) de Dorât. — Quant à la
présence de Carnavalet, de Muret et de Carie aux leçons de Dorât,
j'exprime à ce sujet des doutes dans les notes qui leur sont consa-
crées ci-dessus, p. 90, et ci-après, pp. 104 et 105.
P. 12, 1. 4. — grand avancement. Cf. J. Velliard : « Gestit animus
commemorare quam bénigne et comiter sibi mutuas opéras tradebant.
P. Ronsai'dus qui jam tum non solum multorum mores et urbes nove-
rat, sed etiam in aula lepores et merasdelicias linguae Gallicae fuerat
aucupatus, quod in Gallicis noverat Antonio Baiffio lubens impertieba-
tur, ut ab eodem Graecarum literarum intelligentiam mutuaretur. »
(Laud. fun. I, f" 8 ro.)
La phrase de Binet et celle de Velliard ont une telle similitude que
l'une dérive certainement de l'autre, à moins qu'elles n'aient une
source commune (peut être un récit de Dorât ou un récit de Baïfj- En
tout cas, elles contiennent la raison de la différence qui existe entre le
talent de Ronsard et celui de Baïf. Il est incontestable que Ba'if, — ■ qui
dès sa plus tendre enfance avait été exercé à l'étude du latin et du grec
par les meilleurs maîtres (Charles Estienne et Bonamy pour le latin.
96 COMMENTAIRE HISTORIQUE
Ange Vergèce pour le grec), puis avait fait pendant quatre ans encore
du latin et du grec à l'ombre de l'école du « bon Tusan » (v. l'Epître
dédie. Ail Roy, déjà citée), enfin avait reçu de Dorât au domicile de
son père des leçons particulières et quotidiennes de latin et de grec
avant de se renfermer au collège de Coqueret — était très supérieur à
Ronsard dans les langues anciennes, bien qu'il eût sept ans et demi de
moins que lui. Baïf fut « escolier » dans toute la force du terme jusqu'à
dix-huit ans; aussi resta-t-il un poète philologue, grammairien et mé-
tricien. — Ronsard au contraire n'avait pas fait d'études secondaires
ni d'études régulières avant de devenir pensionnaire de Dorât, au
collège de Coqueret, c'est-à-dire avant 1 âge de vingt ans et demi ; et il
lui est arrivé au moins deux fois de parler avec dédain des exercices
scolaires et des connaissances purement grammaticales (voir l'/io-ce/Zence
de l'esprit de l'homme. Bl. VI, 238, et la préf. posthume de la Franciade,
III, 35-36 . En revanche il avait vécu jusqu'à neuf ans en pleine cam-
pagne, puis voyagé en France et à létranger ; il avait grandi au grand
soleil des cours, des ambassades et des camps ; ainsi que Cl. Marot, il
avait eu pour « maistressed'escole » la Cour, « où lesjugements s'amen-
dent et les langages se polissent >' ; il avait étudié le grand livre du
monde, avant d'acquérir une science livresque, dont lexcès lui a nui.
L existence libre et mondaine qu'il mena jusqu'en 1545 fut autrement
utile que la vie à 1 école pour le développement de sa personnalité; et
c'est sans doute à cette situation particulièi'e, qui fit de Ronsard un
homme d'expéi'ience avant qu'il devînt un érudit, que nous devons
l'originalité d'une bonne partie de son œuvre. — Baïf a étudié avant
de vivre; Ronsard a vécu avant d'étudier.
La variante de C « en peu de temps il récompensa le temps perdu »
me semble venir de Du Perron : '< Considérant donc qu'il s'estoit bien
desja acquis une grande facilité de faire des vers, mais que le sçavoir
et la doctrine luy manquoient, et qu'il ne luj^ estoit pas possible de
voler sur ses propres ailes si hautement comme il l'eust désiré : alors il
commença à se repentir extrêmement de ce qu'il avoit mesprisé l'estude
en son enfance. Mais si ne perdit-il pas cœur nonobstant : et encore
qu'il se vist desja en un aage où il sembloit qu'il n'estoit plus séant de
retourner à l'eschole des lettres, pour apprendre les premiers éléments
de la langue Grecque et de la langue Latine, si est-ce qu'il passa par
dessus toutes ces considérations et estant revenu en ceste Université,
s'alla mettre en pension chez Monsieur Daurat : là où il demeura
cinq ans entiers estudiant d une si grande ardeur, et d'une si grande
contention d'esprit, qu'il récompensa avecques beaucoup d'interest
toute la perte qu il avoit faicte auparavant. » (Or. fun-, éd. de 1586,
pp. 32 et 33.)
P. 12, 1. 6. — par la Grecque. « On voudroit des détails plus précis, mais
Binetsur certains points est d'un laconisme désolant », dit H. Chamard,
se demandant ce qu il faut entendre par cet artifice nouveau- Pour lui.
Dorât, « faisant du Grec le principe et la base de son enseignement »,
ne perdait aucune occasion de rapprocher les mots et les tournuies du
texte latin qu'il expliquait, des mots et tournures qui leur correspon-
daient en Grec « Il trouva dans l'easeiguement de la langue grecque un
II
ET CRITIQUE 97
point d'appui solide pour asseoir une culture latine supérieure et incul-
quer à ses élèves, d'une manière plus intelligente, plus rationnelle, les
secrets de l'idiome si bien manié par Cicéron et par Virgile. » (Thèse
sur J. du Bellay, pp. 51-52.)
Pour M"e Evers, l'arZ/^ce nouveau auquel Binet fait allusion pourrait
bien avoir été simplement la traduction d'œuvres grecques en latin; ce
qui le laisse supposer, c'est ce passage de l'épître liminaire de VHécube
d'Euripide, traduite par Lazare de Baïf en 1544 et dédiée à Fran-
çois l'^r : <( Or est-il, Syre, que quelques jours passez, me retrouvant en
ma petite maison, mes enfans, tant pour me faire apparoir du labeur
de leur estude que pour me donner plaisir et récréation, m'apportoyeut
chascun jour la lecture qui leur estoit faicte par leur précepteur de la
tragédie d'Euripide nommée Hecuba, me la rendant de mot à mot de
Grec en Latin- » (Cf. Frémy, op. oit-, p. 16; L Pinvert, op. cit.,
pp. 83 et 103). — Mais cette argumentation serait, semble-t-il, plus
opportune si Binet avait écrit : « Dorât lui apprenait la langue Grecque
par la Latine. » D'ailleurs la phrase de Lazare de Baïf s'applique-t-elle
à Dorât et faut-il, comme l'ont fait Frémy et L. Pinvert, comprendre
Ronsard dans l'expression <( mes enfans »? On peut en douter. Je ne
vois pas bien Ronsard, qui ne savait pas un mot de Grec quand il sui-
vit la première leçon de Dorât dans la seconde moitié de 1544, traduire
immédialenient du Grec en Latin VHécube d'Euripide. Toutefois, il est
vraisemblable que Dorât, dans les leçons particulières dont profitait
gratuitement Ronsard au domicile de Lazare de Baïf, s'occupait surtout
de l'élève paj'ant, lequel était en 1544 très capable de cet effort ; et l'on
peut admettre que le « bon » Lazare, parlant de l'explication commune,
n'ait pas voulu humilier son protégé en faisant une distinction entre
ses deux « enfans ».
P. 12, 1. 11. — la place. C'est aux œuvres d'Antoine de Baïf lui-même
que Binet a emprunté ce tableau. Baïf dit positivement que Ronsard et
lui étaient pensionnaires chez Dorât. Voici le passage, débaxTassé de sa
graphie bizarre :
Toi, noble Ronsard, qui premier, d'un chaud désir
Osant t'écarter des chemins communs fraies
La France enhardis à se hausser bien plus haut,
Loin outrepassant tes davanciers trop couars.
Toi, dont la hantise encor en mes jeunes ans
Me mit de vertu dans le cœur un éperon.
Quand c'est que mangeant sous Dorât d'un même pain
En même chambre nous veillions, toi tout le soir.
Et moi davançant l'aube dès le grand matin,
Quand nous proupensions en commun ce fait nouveau.
(Etrénes de poézie fransoêze. Pièce Aus Poêles Fransoês. Edition des Œuvres
de Baif, par Marty-Lav., V, p. 323.)
Il est possible aussi que Binet se soit inspiré de ces lignes de Velliard,
qui aurait puisé directement à la source des œuvres de Baïf : « Sic
enim hi duo futura Galliae lumina in simili studio dissimilibus curis
contendebant, ut Petrus Ronsardus ad multam noctem semper vigi-
laret, Antonius autem Baïffius adeo manè surgeret. ut cum ille iret
dormitum, hic experrectus Musis incumberet : ita ut continuis amborum
VIE DB p. DE RONSARD. 7
()8 COMMENTAIRE HISTORIQUE
lucubrationibus noctes intégras cubiculum colluceret luminibus. «
[Lami. fini. I, ff. 7 v^' et 8 r»).
P. 12, 1. 12. — avec Dorât. Source, l'autobiographie de Ronsard :
L'ail d'après en Avril Amour me fit surprendre,
Suivant la Court à Hlois, des beaux j'eux de Cassandre
Incontinent après disciple je vins estre,
A Paris, de Daural qui cinq ans fut mon maistre
En Grec et en Latin. . . . (Hl., IV, 300) ;
ce que j'interprète ainsi : « Immédiatement après ma rencontre avec
Cassandre à Blois (le 21 avril 1545), je vins demeurer à Paris (ne sui-
vant plus la Cour dans ses pérégrinations en province), chez Dorât,
dont je fus le disciple pendant cinq ans. » Si l'on pèse bien tous les
termes de ces vers, les « cinq ans » s'appliquent uniquement au temps
que Ronsard passa au collège de Coqueret comme pensionnaire.
Quand Ronsard dit « à Paris », il oppose ces mots à la Cour qu'il a
quittée. C'est dans ce sens qu'il a encore écrit :
J'aj' suivi les grands Roys, j'aj' suivi les grands Princes,
J'ay pratiqué les mœurs des estranges provinces,
J'aij longtemps escalier à Paris habité
iUcsponce aux injures, Bl., \ll, 106).
Ces cinq années n'ont pas dépassé le printemps de 1550 : on trouve
Ronsard pensionnaire de Dorât encore en juillet 1549 (v. les Baccha-
nales, Bl., VI, 358), et Baïf nous dit dans sa pièce Ans Poètes Fran-
soês, publiée et vraisemblablement composée en 1574, qu'il s'est
écoulé (( vingt et quatre hivers » depuis le temps où Ronsard mangeait
le même pain que lui et couchait dans la même chambre que lui chez
Dorât (édition Marty-Lav., V, 323).
D'autre part, ce texte « qui cinq ans fut mon maistre » est celui de
toutes les éditions contemporaines de Ronsard, depuis le Bocage de
1554 jusqu'à l'édition collective de 1584 inclus. C'est seulement dans la
première édition posthume (1587) qu'apparaît pour la première fois le
texte que voici :
Convoiteux de sçavoir, disciple je vins estre
De Daurat à Paris, qui sept ans fut mon maistre.
Telle est la leçon de toutes les éditions posthumes jusqu'à celle de
1C30 inclus. C'est elle qui, passant dans la 2'' et la 3* rédaction de
Binet, a été adoptée par les commentateurs de l'éd. de 1623, Claude
Garnier (dans les notes des Discours), Marcassus (dans les notes des
Elégies), et par les biographes suivants, entre autres G. CoUetet et
Sainte-Beuve.
Or, de deux choses l'une : ou bien la variante sept ans au lieu de
cinq ans vient de Ronsard lui-même, qui, préparant une nouvelle
édition après celle de janvier 1584, pensa qu'il devait, dans l'hommage
rendu à son maître Dorât, tenir compte des leçons dont il avait profité
en amateur avant et môme après son séjour au collège de Coqueret, et
signala à Jean Galland ce remaniement à faire à son texte ; ou bien ce
sont les exécuteurs testamentaires, Galland et Binet, qui, sans respec-
ET CRITIQUE 99
ter l'œuvre de Ronsard, ont modifié ce passage sur les indications de
Baïf (mort en 1589), ou plutôt sur la demande de Dorât (mort en 1588),
qui y avait intérêt. Mais, quoi qu'il en soit, le texte cinq ans, établi
par Ronsard dès 1554 et conservé par Du Perron dans toutes les édi-
tions de son Oraison fun., a une grande valeur historique et doit être
préféré à l'autre pour fixer la durée du séjour de Ronsard au collège
de Coqueret comme « escolier » et pensionnaire.
P. 12, 1. 15. — en sa mort. Adrien Turnèbe est mort le 12 juin 1565.
Le sonnet auquel Binet fait allusion : « Je sçay chanter l'honneur
d'une rivière » (Bl-, VII, 239), parut d'abord à la fin dune plaquette
in-4o de 4 fF., intitulée Adriani Turnebi Regii Philosophiae professoris
clarissimi Tiimiilus,.. (Paris, Fed. Morel). Cf. un recueil factice de la
Bibl. Nat. coté Rés. mYc 925. Puis Ronsard l'inséra dans son recueil
d'Elecjies, Mascarades et Bergerie, publié dans la seconde moitié de
1565. Binet le trouva parmi les Epitaphes dans 1 édition collective
de 1584 (éd. M.-L., V, 308).
Il est probable que Ronsard fut auditeur de Turnèbe de 1551 à 1553
et que c'est par lui qu'il connut les fragments de Tyrtée, de Mim-
nerme, de Panyasis, de Simonide de Céos et de quelques autres poètes
élégiaques et gnomiques grecs qu'il imita en 1553 et 1554 ^V. ma thèse
sur Ronsard p. lyr., p. 124).
A mon avis, c'est eu ces années de liberté, et non pas durant le séjour
au collège de Coqueret, qu'il faut placer le travail de recherche et de
collection des textes les plus rares de la poésie grecque auquel se livra
Ronsard et que signale en ces termes l'un de ses panégyristes,
G. Critton : « Lutetiam tandem rediit, ubi doctore usus in Graecis et in
Latinis literis Aurato, ex aureis divini illius hominis fontibus tantum
hausit quantum si non ad satietatem saltem ad saturitatem sitientissimo
cuivis homini poterat satisfacere. Nec enim in antiquis Graecorum
aut Latinorum mouumentis quid tam abditum et reconditum latet.
quod ille non perquisierit, nuUus solertioris alicujus interpretis Graeci
locus, nuUa paulô venustior extat fabella, quam ille non annotant et
expresserit. Jam in colligendis ipsis veterum Graecorum aiitographis
et exemplis, in iis qiiae retriisa in privatis adhiic bibliolhecis jacent
recensendis quantopere diligens fuerit, testantur obsoleta wulta et
exesa penè velustate Graecorum poetarum carmina nondum togato-
rum nationi cognita, quae per Gallandium propediem ut spero lucem
accipient et omnium vestrûm manibus iereniur. » \Laud. fun. p. 5.) La
première moitié de ce développement convient très bien à l'enseigne-
ment de Dorât, dont Ronsard lui-même a écrit :
Ainsi disoit la Nymphe, et de là je vins estre
Disciple de Daurat qui long temps fut mou maistre,
M'apprit la poésie, et me nionstra comment
On doit feindre et cacher les fables pi'oprement,
Et à bien déguiser la vérité des choses
D'un fabuleux manteau dont elles sont encloses.
J'appris en son escole à immortaliser
Les hommes que je veux célébrer et priser. (BL, V, 190).
Mais la deuxième moitié, que nous avons soulignée, peut-elle se rap-
lOO COMMENTAIRE HISTORIQUE
porter également au séjour de Ronsard à Coqueret ? Pour Critton, c'est
évidemment encore sous l'intluence de Dorât que Ronsard collectionna
les textes rares de la poésie grecque. Je crois plutôt que ce fut sous
1 influence de Turnèbe, lequel publia une anthologie de ce genre préci-
sément en 1553 ; G. Colletet semble en avoir eu le pressentiment en
insérant la paraphrase de ces lignes de Critton immédiatement après la
mention des cours de Turnèbe suivis par Ronsard. (Voir sa Vie de
Ronsard, éditée par Blanchemain, pp. 33-34.)
Les témoignages sont nombreux sur les relations de Turnèbe (Tour-
nebu ou Tournebœuf) et de la Brigade. K. Pasquier lui écrivit en 1552
une lettre fameuse où sont reprises quelques-unes des idées de la
Deffence et Illustration de la langue fr. [Lettres, éd. de 1723, tome II,
p. 3) ; il assistait avec lui au collège de Boncourt à la représentation des
pièces de Jodelle en 1553 \Rccli. de la Fr., VU, ch. vi). Turnèbe écrivit
vers 1558 contre Paschal une satire latine, qui enhardit Ronsard à faire
de même, et que Du Bellay traduisit i^Marty-Lav., Notice sur Ronsard,
pp. III et suiv. ; M. Chamard, Thèse fr., pp. 414 et suiv.) ; en revanche
il composa pour la 1''^' édit. collective des œuvres de Ronsard (1560) un
éloge liminaire, que Bl. a reproduit au tome I" de son édition, p. xvii.
Ronsard a encore parlé de lui avec admiration en deux passages de ses
œuvres :
Tournebœuf et Daurat, lumières de nostre âge
(Bl., III, 375. Cf. M.-L.,III,293.)
Un Turnèbe, un Budé, un Valable, un Tusan,
Et toy divin Daurat, des Muses artisan...
(Bl., IV, 31 ; M.-L., III, 380.)
Sur ce célèbre « Lecteur Royal », v. L. Clément, Thèse latine de 1899.
P. 12 1. 17. — brave ouvrier. M"e Evers doute que Ronsard ait écrit des
sonnets à l'époque dont il s'agit, c'est-à-dire de 1545 à 1549 environ,
pour trois raisons : 1" on n'en trouve pas dans le premier Bocage ;
2" depuis son entrevue avec Peletier du Mans en 1543, Ronsard semble
ne s'être intéressé qu'à l'ode ; 3" il parle avec mépris du sonnet dans la
préface des Odes de 1550. « Il est probable », ajoute Mi'-e Evers, « que
Ronsard ne partagea pas d'abord la haute opinion que Du Bellay avait
de cette forme poétique, et fut amené à changer d'avis seulement par
le succès de VOlive » [op. cit., p. 123j.
Je comprends ce doute ; Binet lui-même l'a eu quand il consulta la
préface de l'éd. princeps des Odes, c'est-à-dire après la rédaction de B,
puisqu'il changea pour la rédaction de C le mot sonets enpetits poèmes.
Mais il ne me semble pas suffisamment fondé. En effet : 1" le fait
qu'il n'y a pas de sonnets dans le premier Bocage (recueil d'odes irré-
gulières mis en appendice des Quatre premiers livres des Odes) ne peut
servir à prouver que Ronsard n'a pas fait de sonnets avant 1550 ; 2° le
fait que Peletier dans son Art poétique nous parle d'odes horatiennes
" non mesurées à la Lire >' que Ronsard aurait faites « an grand' jeu-
nece )) et lui aurait montrées au Mans, vraisemblablement en mars
1543 (cf. H. Chamard, Rev. d'Hist. litt., 1839, p. 35, et ma thèse sur
Ronsard j). lyr., p- 23), ne prouve pas que Peletier n'ait pas préconisé
ET rniTIQUE ÎOI
le genre du sonnet à Ronsard dès ce moment-là ou depuis, comme
il le préconisa à Du Bellay en 1546 (2" préf. de l'Olive), et que
Ronsard n'ait pas suivi le conseil et l'exemple de Peletier, qui dès
septembre 1547 dans ses Œuvres Poétiques fit paraître 15 sonnets,
dont 12 traduits de Pétrarque ; 3° ces lignes de la préf. des Odes de
1550 : « Je ne fai point de doute que ma Poësie tant varie ne semble
fâcheuse aus oreilles de nos rimeurs, et principalement des courtizans,
qui n'admirent qu'un petit sonnet petrarquizé ou quelque mignardise
d'amour qui continue tousjours en son propos », permettent certes de
penser que Ronsard en janvier 1550, même après le succès de l'Olive,
qui remontait au printemps de l'année précédente, faisait moins de cas
du sonnet (genre à forme fixe), que de l'ode (genre à forme libre). Mais
suffisent-elles à prouver que Ronsard n'écrivit pas de sonnets au col-
lège de Coqueret ? Je ne le crois pas.
Non seulement Ronsard admirait les sonnets de Du Rellaj' quand ils
n'étaient encore qu'en manuscrit, les égalant à ceux de Pétrarque (ode
Si les âmes vagabondes, El- II, 465), mais il a très probablement
« petrarquisé » lui-même, surtout après le mariage de Cassandre
(novembre 1546), qui faisait d'elle à son égard une autre Laure(v. ma
thèse, pp. 43 et 478), et cela dans une forme rythmique illustrée en
Italie non seulement par Pétrarque, mais par tous les pétrarquistes,
entre autres Sannazar, Arioste et Bembo qu'il prisait fort dès cette
époque. Au reste, parmi les 183 sonnets que contiennent ses Amours,
publiés en septembre 1552, quelques-uns portent la date de leur com-
position, par ex. : Je vey tes yeux, et : L'an mil cinq cens (de mai 1546
au plus tôt, de mai 1547 au plus tard), à moins d'admettre que les indi-
cations chronologiques qu'il y donne ne soient qu'un procédé pétrar-
quesque et ne correspondent à aucune réalité (Bl., I, pp. 9 et 71. Cf.
M.-L., I, 375, note 6).
Le sonnet: Ja desja Mars (Bl., ï, 42), où Ronsard dit qu'il avait com-
mencé à chanter Francus (allusion probable à VOde de la Paix, avril
1550) quand l'Amour le « playant jusqu'à l'os » le força à chanter ses
propres exploits, ne doit pas être pris à la lettre, puisque Ronsard
avait déjà chanté l'Amour et Cassandre dans ses Quatre premiers livres
des Odes ; par suite il ne faudrait pas y voir la preuve que Ronsard
n'avait encore jamais fait de sonnets amoureux ; tout au plus ce texte
tendrait-il à prouver qu'il a écrit la grande majorité des 183 sonnets
des Amours de juin 1550 à juin 1552, en vue d'un recueil particulier
analogue à VOlive de Du Bellay ou aux Erreurs amoureuses de Tyard
(cf. le poème A J. de la Peruse, Bl., VI, 43). Si Ronsard n'a pas
commencé comme Du Bellay et Tyard par imiter en sonnets Pétrarque
et les pétrarquistes, c'est qu'il subissait surtout l'influence de Dorât et
de l'enseignement de Coqueret, alors que Du Bellay, arrivé tard à Co-
queret. subissait surtout celle de Peletier et de l'enseignement reçu à
Poitiers (1545-47), et Tyard, étranger à Coqueret et Lyonnais de cœur,
celle de Léon l'Hébreu et de M. Scève.
Au surplus, dans les pp. suiv. Binet semble bien dire que Ronsard fit
des sonnets pour Cassandre avant 1550 : « C'estoit à qui mieux mieux
feroit sur le sujet d'amour... Ainsi que le bruict couroit des Amours de
102 COMMENTAIRE HISTORIQUE
Cassandre et de quatre livres d'Odes » (V, ci -après, p. 121, aux
mots « livres d'Odes »•)
p. 12, 1. 19. — l'Homère de France. Cf. J. Velliard : « Tejam appello,
Johannes Aurate, dicere solebas P. Ronsardum Gallicum fore Home-
rum. Doctoris dictum sapiens discipuli solertia comprobavit. Ut saepe
in rébus minimis res magnae deprehenduntur : quo vales mentis acu-
mine non levi conjectura id poteras augurari. » [Laitd. fun- I, £•> 7 v".)
L'addition de C, quelque peu obscure, doit être interprétée, me
scmble-t-il, comme elle Ta été par G. Collctet: « Aussy par ces premiers
échantillons de son esprit, Dorât qui a toujours eu je ne scay quoyd'un
divin génie pour prédire les choses à venir, luy predict qu'il devien-
droit un jour THomere de la France, lequel augure il mit si avant dans
son esprit, qu'à l'instant, comme il estoit passionnément amoureux de
la gloire, il rechercha finalement (?). par ses veilles et par ses travaux
invincibles, tous les moyens imaginables de le devenir. » {Vie de Ron-
sard, éditée par Blanchemain, p. 37) Cf. ma thèse sur Ronsard p. hjr.
ch. I, pp. 51 et 52.
P. 12, 1. 44. — à venir. Sur l'esprit prophétique attribué à Dorât auteur
d'anagrammes, voir Martj'-Laveaux. Notice sur Dorai, p. xlui ; il
cite des textes de Papyrc Masson et de Du Verdier, qui corroborent le
témoignage de Binet et celui de Velliard que nous avons cité plus
haut (dans la note précédente).
P. 13, 11. — ces richesses? Ce texte de AD, après amélioration de la
ponctuation, est relativement clair. Mais celui de C, conservé dans
toutes les éditions suivantes, est très obscur, surtout par la présence
d'un pronom relatif qui n'a pas d'antécédent grammatical. D'après le
texte de AB c'est Dorât qui a traduit en français, « en faveur » de Ron-
sard, le Prométhée d'Eschyle, au lieu de le traduire en latin comme il
le faisait d'ordinaire pour les auteurs grecs (cf. ci-dessus, à la page
97). Je pense qu'il faut comprendre de la même façon le texte de C,
et voici comment j'interprète tout le passage : « Dorât, pour témoigner
sa satisfaction du profit que Ronsard avait retiré de son enseignement,
traduisit cette tragédie en français. Aussitôt que Ronsard en eut
savouré l'efTet, il dit à Dorât : Eh quoi, mon maître, etc.. »
Peut-être faut il lire : « et pour tesmoignage », au lieu de:
«qui pour tesmoignage » 11 y aurait là une faute d'impression, facile
à expliquer par la présence d'un autre qui en tête de la proposition pré-
cédente. Peut-être aussi Binet a-t-il voulu employer qin pour et il,
comme il semble l'avoir fait plus haut dans cette variante de C : « Loys
de Ronsard fut chevalier de l'Ordre et Maistre d'Hostel du Roy
François 1er, qui pour la sagesse et fidélité qui estoit en luy fut
choisi... » V. ci-dessus, p. 65. aux mots « fut choisi ».
P. 13, 1. 4. — jouée en France. Le texte de AB est très équivoque.
A le lire attentivement on se demande si c'est Dorât ou Ronsard qui
« tourna en François »• le Plutus d'Aristophane, et tout le contexte
porte à croire que c'est Dorât, lequel avait déjà « traduit en François »
le Prome//iee d'Eschyle, et seul avait qualité pour faire représenter une
pièce quelconque au collège de Coqueret, dont il était le principal.
Binet, voyant l'équivoque, ajouta en C : « outre le conseil de son pre-
ET cniTIQUE [03
cepteur », incidente qui, à elle seule, fait de Ronsard l'auteur de cette
traduction du Pliitiis.
Je dis à elle seule parce qu'il n'existe pas d'autre texte, ni chez les
panégyristes de Ronsard, ni dans les œuvres des prosateurs et des
poètes de la deuxième moitié du xvi* siècle, qui lui attribue la paternité
de cette traduction. Lui-même, fait plus significatif (car il était très
jaloux de la priorité de ses inventions), n'en a jamais parlé, pas même
par allusion, pas même dans le poème A Jean de la Peruse m dans le
discours A Jacques Grevin, où il attribue à Jodelle le mérite d'avoir le
premier écrit une comédie française (El., VI, pp. 45 et 314). Aucune
allusion, non plus ni dans le prologue de VEugène de Jodelle, ni dans
la préface des Œuvres de Jodelle par Cb. de la Motbe (1574).
Aucun fragment de cette traduction du Plutus ne se trouvait dans les
manuscrits confiés par Ronsard à ses exécuteurs testamentaires, car
Binet n'aurait pas manqué de le signaler et même d'en citer quelques
passages comme il l'a fait pour d'autres fragments (v. ci-dessus, p. 48).
En outre, cette traduction, intégrale ou fragmentaire, aurait été publiée
dans la première édition posthume (1587), ou dans l'une des trois édi-
tions suivantes 1 1597, 1604, 1609), surtout dans celle de 1609 qui con-
tient pour la première fois un Recueil des pièces retranchées avec
quelques autres non imprimées ci-devant. Or c'est seulement pour l'édi-
tion de 1617, plus de ti-ente ans après la mort de Ronsard, que l'éditeur
Nicolas Buon s'avisa de la faire rechercher et qu'il publia dans le
dernier tome (formé du Recueil des pièces retranchées avec quelques
autres non imprimées ci-devant), aux pp. 386 et suiv., l'Acte premier
et le début de l'Acte second, précédés de cet avis anonj'me : (( Cecy est
un fragment de la Comédie du Plutus d'Aristophane, qui fut (comme le
tesmoigne Binet en la vie de Monsieur de Ronsard) la première joiiée en
France, et fut représentée au Collège de Coqueret, d'où estoit Principal
D'Orat. Monsieur de Ronsard estoit lors fort jeune quand il la fit, et n'a
jamais esté mise sur la presse. Ce Fragment a esté recouvré par le
motjen de quelques-uns, comme plusieurs autres pièces qui sont en ce
Recueil. » — Le dit fragment était suivi de ce dizain également ano-
nyme :
A vingt ans le grand Vandomois,
Sortant de la maison des Hoys,
Mit cette Comniedic entière
Dessur le Théâtre en lumière.
Au bout de soixante et douse ans.
Comme une relique du Temps,
Ce Fragment que sa dent nous laisse
Est mis au jour devant les yeux
Sur le Théâtre de la Presse,
A fin qu'il y reluise mieux.
L'édition suivante (1623, tome II, p. 1612, col. 2) révélait que ce dizain
était de Claude Garnier, poète ronsardien, qui avait été chargé non
seulement de donner un Commentaire aux Discours de Ronsard, mais
« de remettre les Œuvres d'un si digne Autheur en leur premier estât,
et de leur rendre par une correction volontaire l'honneur qui leur avoit
esté ravy par les ignorances, ou par les négligences de la presse »
10^ COSfMENTAIRE HISTORIQUE
(Bl., VII, 7; cf. VIII, 74) ; et l'avis présentait cette variante : « Ce frag-
ment a esté recouvré par le moyen de qiieîqiiiin, comme plusieurs
autres pièces qui sont en ce Recueil. »
Après l'e.xposé de ces faits on ne s'étonnera pas que je doute fort de
l'authenticité de ce fragment dune prétendue traduction du Plnitis faite
par Ronsard, soupçonnant là ou une supercherie de l'éditeur désireux
de séduire sa clientèle par de l'inédit, ou plus simplement une erreur
de Xic. Buon et de Cl. Garnier, qui auraient de très bonne foi attribué
à Ronsard des vers anonjmes (comme cela est arrivé pour une traduc-
tion de VAndrienne longtemps attribuée à Despériers).
Un autre fait me paraît encore significatif, c'est que Ronsard, adres-
sant en 1555 son Hymne de l'Or à Jean Dorât, y a cité du Ménandre,
du Simonide, du Théognis, même du Démosthène, et qu'on n'y trouve
pas la moindre citation du Plntus d'Aristophane, alors que l'occasion
était si belle. Enfin l'étude du fragment au point de vue du style ne
peut que confirmer nos doutes (cf. H. Guy, Reo. d'Hist. de la Fr.,
1902, p. 220). On en trouve le texte dans l'éd. BL, VII, 281, et dans
l'éd. M.-L., VI, 273.
P. 13, 1. 5. — se réveillèrent- Cf. ces vers du poème A Jean de la
Peruse :
De sa faveur en France 11 (Dieu) reveilla
Mon jeune esprit, qui premier travailla
De marier les odes à la lyre.
Presque d'un temps le mesme esprit divin
Dessommeilla Du Bellay l'Angevin.
(Bl., VI, 43-44.)
P. 13, 1. 7. — en l'Eloquence Latine. Faut-il entendre par ce passage,
simplement et d'une façon générale, que Muret, Carie et quelques
autres ont puisé leur inspiration à la source de l'antiquité gréco-
latine, ou bien, plutôt, qu'ils ont suivi l'enseignement de Dorât et
se sont par lui « abreuvé aux eaux Pieriennes » ? Nous adoptons ce
dernier sens et pensons que Binet désigne Dorât par « cette fonteine
dorée ». Non seulement le jeu de mots, mais le contexte et toute la
suite des idées le prouvent, depuis: « Ronsard, donc voulant recom-
penser le temps perdu... », jusqu'à : « Voyant que nostre langue estoit
povre ». Pour ce jeu de mots, cf. Critton : « ... doctore usus in Grîccis
et in Latinis literis .4 ura/o, ex aiireis divini illius hominis tantum
hausit... » (op. cit., p. 5) ; Ronsard, Hymne de VOr, début ; Joly, P\em-
crit. sur le Diclionn. de Bayle, art. Daurat, p 302.
Or. Binet s'est trompé s'il a cru que Muret fut le disciple de Dorât,
au collège de Coqueret, surtout avant 1550. 11 ne le fut ni avant ni après
1550. Muret débuta comme professeur à Auch en 1545 à 19 ans ; il
enseigna ensuite à Villeneuve d'Agen, à Poitiers fan collège Ste-
Marthe en 1546), à Bordeaux (au collège de Guj'enne de 1547 à 1551). Il
ne vint habiter Paris que vers juillet 1551 ; il y enseigna le latin durant
deux ans avec le plus grand succès, au collège du Cardinal Lcmoiiic et
peut-être dans quelques collèges voisins, comme celui de Boncourt (cf.
Dejob, Thèse fr., chap. i et ii). La préface des Juvenilia, publiés à la
ET CRITIQUE I05
fin de 1552, nous apprend que Muret était familièrement lié dès cette
année-là avec Ronsard. Baïf, Du Bellaj', Denisot, Jodelle et leur Mécène
commun Jean Brinon- L'ode du même recueil Ad J . Auratiim virum
utraqne lingua erudilissirnum nous apprend qu'il était non seulement
le compatriote, mais encore le parent de Dorât (4^ stro.) ; on peut même
conjecturer des premiers vers, que Muret est allé entendre Dorât aux
cours publics du collège de Coqueret en 1551 ou 1552 :
Aurate, ge.ntis grande decus meae.
Qui tensa docta fila legens manu,
Seclis inexpertum vetustis
Ambrosio jacis ore nectar...
On sait enfin par les Dithyrambes de Ronsard que Muret figurait
avec quelques-uns des auditeurs de Dorât à la « pompe du bouc de
Jodelle )) (carnaval de 1553). Tels sont les documents sur lesquels
Binet s'est très probablement appuyé. Mais aucun deux ne l'autorisait
à faire de Muret un disciple de Dorât comme le furent Ronsard et
Baïf.
On s'est demandé « ce qui a permis à Sainte-Beuve de mettre Muret
au nombre des élèves de Coquei-et que dirigeait Dorât » (Fr. Delagc,
Un humaniste limousin au XVI^ s., p. 5, note 4). C'est Binet qui est la
cause unique de cette erreur commise par Sainte-Beuve à la fois dans
son Tableau de la p- au X V/^s. et dans sa Notice sur Ronsard, et repro-
duite sans contrôle parla plupart des biographes postérieurs, notamment
par Blauchemain et Martj'-Laveaux dans les Notices qui accompagnent
leurs éditions, par Bizos {Ronsard, p, 16) et G. Pellissier {Hist. de la
langue et de la litt. fr., tome III, fascicule 15, p. 142).
P. 13, 1. 8. — Lancelot Caries. Il est possible que ce personnage ait assisté
à des cours publics de , Dorât vers 1548, mais ni Ronsard, ni Baïf, ne
l'ont jamais considéré comme un condisciple proprement dit. — Sur
L. Carie (c'est la vraie orthog., et non Caries), aumônier de Henri II,
maître des requêtes de son hôtel, et à partir de 1550 évêque de Riez, voir
T. de Larroque, Vies des poètes bordelais, 1873; P. Bonnefon, Annuaire
de VAssociation des Et. grecques, 1883, p. 327 ; L. Delaruelle, Rev.
d'Hist. litt., 1897, p. 408; H. Chamard, J.du Bellay, p. 228; E. Picot,
Les Français italianisants au XVI^ s , tome I, p. 235. — J. Peletierlui
adresse un dizain dans ses Œuvres Poëtiq. (1547;, Du Bellay une ode
dans son Recueil de Poésie (1549) ; celui-ci l'avait déjà compris dans
sa Ire préface de VOlii)e parmi les lecteurs d élite dont l'approbation
lui suffit ; en 1550, il le compte dans sa Musagnœomachie parmi les
adversaires de l'Ignorance, à côté d'Heroët, de Saint-Gelais et de
Peletier. Mais une lettre de L'Hospital à Morel écrite en déc. 1552
(publiée par P. de Nolhac dans la Rev. d'IIisi. litt de 1899, p. 355) nous
apprend que Carie partagea l'animosité de Saint-Gelais contre Ronsard
(v. ci-après, pp. 134 et 135, aux mots « de l'Ignorance »). Enfin, d'après
une Gayeté de Magny (1554), Carie suivit Saint-Gelais dans sa réconci-
liation avec Ronsard au début de 1553, et glorifia celui-ci auprès de
Henri II, en lui lisant un plan de la Franciade, en janv. 1553 ou plutôt
1554 (v. ci-après, p. 143, aux mots « durant son règne »). C'est en
retour de cette palinodie que vraisemblablement Ronsard lui dédia
io6
COMMENT AI nr HISTORIQUE
Vlfijmne des Daimons (1555). — Carie avait entrepris une traduction
de VOdijssce ; nous le savons par Pclctier, qui lui céda le pas après
avoir traduit lui-même les deux premiers livres, et par un passage de
l'Hijmiic des Daimons (Bl., V, 124). Mais cette traduction, dont parle
également La Croix du Maine, ne nous est pas parvenue.
P. 13, 1. 25. — Remij Dcllcan. A (juclle date remontent les premières
relations de Bellcau et de la Brigade ? D'après ce passage on pourrait
croire que Bclleau connut Ronsard au collège de C()C[ueret, et cela
avant 1550. Il n'en est rien. Ce qui a trompe Binet, c'est cette fin de
I autobiographie de Ronsard, laquelle dans son édition était adressée à
Bclleau alors (jue primitivement elle fut adressée à Paschal :
chez hij' (chez Dorât) preniicreincnt
Noslre l'crine aniilic prit son cominenccmeiit.
Non seulement Belleau ne figure pas au nombre des joyeux compagnons
de Ronsard dans les Bacchanales de 15 J9, mais les premiers vers de
Ronsard où il soit ([uestion de Belleau ne parurent (jue dans les Di-
thyrandu's et dans les /.s/es Fortunées (carnaval et printemps de 1553 .
Si l'on en croyait l'édition Blanchemain (I, 15), le sonnet Ce beau
coral, publié dans la l''^ éd. des Amours (septembre octobre 1552), au-
rait été adressé à Belleau. Mais on aurait tort, car son nom ne figure ni
dans la première, ni dans la seconde édition des Amours ; au lieu de
ce vers final du premier tercet : « Sinon, Belleau, leur beauté que
j'honore... », on y trouve celui-ci : « Sinon le beau de leur beau que
j'adore. »
Remarquons que non seulement Ronsard, mais ni Du Bellay, ni
Baïf, ni Dorât n'adressent de vers à Belleau avant 1553. Il n'est pas
même nommé dans les premiers recueils poétiques de Tyard et de Des
Autels, qui pourtant glorifient les membres de la nouvelle école. — Les
premiers vers de Belleau, une ode et un sonnet, parurent en tête des
Cantiques de Denisot (1553 ; l'achevé d'imprimer est du 17déc.l552) ;
M-L. les a recueillis dans son éd. de Belleau (II, 453 à 455, et note 10).
On trouve ensuite un sonnet de Belleau parmi les liminaires deSi4moi/rs
de Magny fin de mars 1553'. Pour moi, c'est N. Denisot (dont la famille
était de Nogent-le-Rotrou comme celle de Belleau) qui le présenta à
Ronsard ; et comme Belleau figure déjà parmi les membres de la Bri-
gade auprès de Denisot (Le Conte) « à la pompe du bouc de Jodclle »
(v. le Ronsard de lilanchemain, VI, 381), — tout porte à croire que
celte présentation eut lieu entre l'apparition des Amours de Bonsard
(premiers jours d'octobre 1552) et la composition de ses Dithyrambes
(févr. 1553), vers la fin de décembre 1552, date de l'apparition des Can-
tiques de Denisot.
Cf. ci-après, note sur « la Pléiade », et ma thèse sur Ronsard p. Itjr.
pp. 159 à 1G3.
P. 13, 1. 40. - Françaises oreilles- Ce sont les deux premières strophes
d'une ode de 1550 adressée à Dorât (livre I iv> 14), et retranchée par
Ronsard dés 1555 (Bl., IL 445). Preuve que pour sa troisième rédaction
Binet a consulté l'éd. princeps des Odes
P. 11, 1. 1. —à sa nécessité. Sources de ce passage et de sa variante :
ET CRITIQUE 107
1° Disc, contre Fortune (Bl., VI, 159-60, surtout ce vers : « Je fis des
mots nouveaux, je restauray les vieux ») ; 2° Responce aux injures
(VII, 127, surtout ce vers : « Je fis des mots nouveaux, je r'appelay les
vieux ») : 30 Abbregé. ds VA- P., dernier paragr. : « Tu composeras har-
diment des mots à l'imitation des Grecs et des Latins... Tu ne desdai-
gneras les vieux mots François... d'autant que nostre langue est cncores
pauvre... » (VII, 335); 4° Préf. posthume de \a Franciade :... « davan-
tage je te veux bien encourager de prendre la sage hardiesse d'inventer
des vocables nouveaux... » (III, 32 et 33, jusqu'à : « tu te donneras
garde ». C'est là qu'on trouve le mot /j/-ot'/f//ier ^queBinet insère en B)
appliqué à l'enrichissement de la langue ; mais Ronsard avait déjà
exposé le procédé du proviguement ou de la dérivation (car c'est tout
un) dans son Abbregé de VA- P., s'inspirant probablement de la Brève
exposition sur quelques passages du premier livre des Odes par Jean
Martin fcf. la réédition que j'en ai donnée dans la Rev. d'IIist litt.
de la Fr., 1903, p. 271 et note 3). — Quant au Caprice à Simon Nicolas,
où Ronsard préconise les moj'ens d'enrichissement qu'il a lui-même
employés (VI, 329), il n'a pas paru avant 1609. Binct a pu cependant le
lire dans les manuscrits de Ronsard-
On trouve un développement analogue sur l'enrichissement de la
langue et de la poésie française par Ronsard dans les éloges composés
par Du Perron, Velliard et Critton. Je me bornerai à celui de Critton :
« Sed cùm stratam humi submissius repère, nec adhuc erigere se po-
tuisse domesticam Musam animadverteret, nec quid plebcios illos qui
tum legebantur poctas praeter inanem rythmum et verborum similitu-
dinem aucupari, primus altius inflare superioribus omnibus, primus
dicendi vénères, et lepores in quibus Grœci potissimum floruerunt, nos-
tris versibus intexere, primus ad corumdem exemplum modificare vo-
cabula quaedam et invertere, nova quaedam audacius excudere, eadem
inter se concinnitatis quodam ordine componere, nec minus gravitatcm
in sententiis quam in verbis amplitudinemcœpit consectari. Quôd ergo
tloreat apud nos vernacula poesis, quôd cum qualibet alia gente ser-
monis ubertate possimus contendere, quôd nec Homero in Deorum lau-
dibus concinnandis, nec Virgilio in bellicis rébus et heroïcis descri-
bendis, nec Pindaro in delicatulis odis. nec Ovidio in flcbilibus elegiis
decantandis quid debeamus, totum illud quantumcumque sit (quod
certè est maximum) Ronsardi est proprium, qui quocumque in carmi-
nis génère elaboravit, antiquorum multis palmam, posteris omnem
adaequandi sui spem praeripuit » (op. cit , p. 6)- Cette page éloquente
a passé tout entière dans la Vie de Ronsard par CoUetet (pp. 34 à
36).
P. 14, 1. 2. — sur la Lijrc d'Horace. Ronsard lui-même nous ap-
prend dans la préface primitive des Quatre premiers livres des Odes
qu'il « se rendit familier d'Horace, contrefaisant sa naïve douceur des
le même tens que Clément Marot... se travailloit à la poursuite de son
Psautier » (BL, II, 10). Mais, contrairement à Mi'e Evers, je ne crois
pas que Binet ait utilisé ce document pour la rédaction de cette phrase.
En effet : 1° Binet date seulement du séjour de Ronsard à Coqueret ses
premiers essais d'odes horatiennes, alors que la préface primitive des
108 COMMENTAIUK IlIPTOniQUE
Quatre prem. Un. des Odes les fait remonter à 1542 au moins 2° Les
expressions dont il se sert ici ne rappellent en rien celles de cette pré-
face. 30 II y a maintes preuves (v. ci-dessus, Introd., § III, A) qu'il n'a
utilisé que pour sa troisième rédaction l'édition princeps des Odes qui
seule contenait la dite préface. — Je crois plutôt qu'il s'est fondé sur
certaines odes lioratienncs qui figuraient encore dans l'édition de 1584
(consultée par lui pour A), telles que l'ode.Sur la naissance de François,
Dauphin de France, fils du Roi] Henry II, composée comme son titre
l'indique en 1544, et sur ce passage de la dédicace Au Roy Henry H :
C'est Prince un livre d'Odes
Qu'autrefois je sonnay suivant les vieilles modes
D'Horace Calabrois et Pindare Thebain.
(éd. M.-L., II, 74 et 275.)
Il connaissait sans doute aussi, bien qu'elle eût été supprimée en 1578,
l'ode A René Macé, qui commence ainsi :
Cependant que tu nous dépeins
Des François la première histoire
Desensevelissant la gloire
Dont nos ayeux furent si pleins,
Horace et ses nombres divers
Amusent seulement ma lyre
A qui j'ay commandé de dire
Ce chant pour honorer tes vers...
et dont le ton très modeste lui parut avec raison une preuve de son
antériorité à l'égard des odes pindariques (v. ma thèse sur Ronsard
p. lyr., pp. 53 à 55).
P. 14, 1. 4. — d'eguillon. Allusion au début célèbre de la 2e ode du
livre IV des Carmina d'Horace : « Pindarum quisquis studet aemu-
lari..., )) et à l'épode iv de l'ode pindarique de Ronsard A Joachin du
Bellay : « Par une cheute subite | Encor je n'ay fait nommer | Du
nom de Ronsard la mer, ] Bien que Pindare j'imite. | Horace bar-
peur Latin, I Estant fils d'un libertin, | Basse et lente avoit l'au-
dace : i Non pas moy de franche race, ] Dont la Muse enfle les
sons 1 D'une courageuse haleine, | Afin que Phœbus rameine | Par
moy ses vieilles chansons. » (éd. M.-L., II, 154.)
Malgré ces vers, Ronsard a plus d'une fois associé dans la même
louange Horace et Pindare. V. par ex. l'éd. Bl., II, 11, 20, 51, 128, 136,
248, 378-79 ; VI, 44.
P. 14, 1. 6. — ce quil prelend. Le texte de A n'offre pas de sens satis-
faisant, à moins de le ponctuer comme nous l'avons fait. Le texte
de B ne peut signifier que ceci : « Il ne faut, disait-il, que la crainte se
loge en un bon cœur, qui lui fait place ; ou bien, si ce cœur fait place à
la crainte, il se rend indigne de ce qu'il prétend ». En C toute la phrase
mise dans la bouche de Ronsard est supprimée. Nous n'en avons pas
trouvé la source dans ses Œuvres, à moins que ce ne soit l'épode iv de
l'ode A Joachin du Bellay, citée dans la note précédente.
P. 14, 1. 9. — ménage. C'est-à-dire avec tel ménagement, avec une telle
économie ou méthode, — ainsi que l'indique la variante orthographi-
que de BC : mesnage.
ET ruiTiQLE loq
p. 14, 1. 18. — dignes d'estre cogneûes. Le mot d'ailleurs qui commence
la phrase correspond à d'un costc, qui est deux lignes plus haut ; c'est
comme s'il y avait: « d'une part... d'autre part...» — Les participes yoz/a-
geant et estant se rapportent à Ronsard et non à Homère ; il faut com-
prendre comme si les trois mots comme Homère faisoil étaient entre
deux virgules.
Sources : Abbregé de l'A. P. : «Tu pratiqueras bien souvent les arti-
sans de tous mestiers, comme de marine, vénerie, fauconnerie, et princi-
palement les artisans de feu, orfèvres, fondeurs, mareschaux, mine-
railliers : et de là tireras maintes belles et vives comparaisons avecques
les noms propres des mestiers, pour enrichir ton œuvre et le rendre
plus agréable et parfait. » (Bl., VII, 320-21). — Préface posthume de la
Franciadc : «Quant aux comparaisons... tu les chercheras des artisans
de fer et des veneurs, comme Homère, pescheurs, architectes, massons,
et brief de tous mestiers, dont la nature honore les hommes... Tu
n'oubliras les noms propres des outils de tous mestiers, et prendras plai-
sir à t'en enquerre le plus que tu pourras, et principalement de la
chasse. Homère a tiré toutes ses plus belles comparaisons de là. »
{Id., III, 26 et 31.) — C'est cette préface de la Franciade, sans aucun
doute, qui a suggéré à Binet ici le rapprochement entre Ronsard et
Homère. — Pour la théorie, chère à l'école ronsardienne, du style
poétisé parles termes techniques, cf. Du Bellay, Deffence, II, ch. xi,
éd. Chamard, pp. 303-304, notes.
P. 14, 1. 19. — quarante neuf. H. Chamard a montré que cette date est
inacceptable, étant donné que le premier vol. de Du Bellay contenant
le manifeste de la nouvelle école poétique, savoir la Deffence et Jllustr.
de la langue française, plus l'Olive et les Vers lyriques, a pai-u au plus
tard en avril 1549 (n . st.) (le priv. est du 20 mars, la dédicace du 15 fé-
vrier) : « Il faut laisser à Du Bellay le temps raisonnable d'avoir un
peu complété ses études auparavant » [J. du Bellay, p. 37). Sainte-
Beuve avait remarqué déjà que, dans sa préface des Odes de janvier 1550,
Ronsard loue Du Bellay et parle de la longue fréquentation qu'ils ont
eue ensemble, « ce qui suppose au moins deux ou trois ans de fami-
liarité et reporterait le début de leur liaison vers 1547 ou 1548 au plus
tard » (Note additionnelle au Tableau de la p. fr., Notice sur Rons.,
éd. de 1876). La Deffence est pleine de souvenirs de l'enseignement de
Dorât. Elle contient en outre une réponse déguisée à VArt poétique de
Thomas Sibilet publié en juin 1548 : on peut donc penser que Du
Bellay était déjà à Paris et élève de Dorât à cette dernière date. Il y a
mieux. Rien ne s'oppose à la présence de Du Bellay à Paris en 1547,
et elle est d'autant plus probable qu'il a rédigé un dizain-épilogue pour
les Œuvres Poétiques de J. Peletier, publiées chez Vascosan en sep-
tembre 1547. Comme d'autre part Ronsard a également fait paraître
dans ce recueil sa preraièi-e ode, et que Ronsard et Du Bellay sont les
seuls poètes dont Peletier ait ainsi admis des vers parmi les siens, il
est vraisemblable que Ronsard et Du Bellay firent connaissance à ce
moment-là (s'ils ne se connaissaient pas déjà), et que c'est Peletier qui
les présenta l'un à l'autre, à Paris même, en 1547.
P. 14, 1 24 —de Glauque à Scylle. Erreur, que G. Colletet a repro-
IIO COMMENTAIRE HISTORIQUE
diiite dans sa Vie de Ronsard (cf. l'éd. Blaiichemain, Paris, Au-
brj-, 1855, p. 70V Les (Ivuvres de Ronsard, que j'ai examinées dans
toutes leurs éditions fragmentaires et collectives du xvic s., ne con-
tiennent pas le moindre document qui justifie cette affirmation de
Binet. D'après la var. de C et le délayage qu'en a fait Colletet, les deux
biographes ont fait une grave confusion ; ils n'ont pas compris le pas-
sage delà préface des Odes de 1550 relatif aux pièces du premier Bocage
(Hl., Il, 10; voir ci-après, p. 112, aux mots a en ce niesme temps ))) ; ils
ont confondu les odes dont la strophe initiale, modèle des strophes
subséquentes, n'observe pas Talternance des rimes f. et des rimes m-,
mais qui n'en sont pas moins très régulières, avec les odes irréguliéres,
dont les strophes subséquentes dilTèrent de la strophe initiale par
l'agencement des rimes de même genre. La Complainte de Glauque
est parfaitement « mesurée et propre à la Ij're», chaque strophe étant
identique à la strophe initiale quant à l'ordre des rimes de même genre.
La meilleure preuve, c'est que Ronsard ne l'a pas reléguée dans son
l'i' Bocage et l'a toujours conservée parmi les Ocics (Bl., II, 221 ;M.-L.,
II, 285'- On ne doit pas se fonder sur l'absence des rimes f. et des
rimes ni. dans la strophe pour distinguer les odespar lesquelles Ronsard
débuta, car il n'a observé cette alternance ni dans les odes pindariques,
qui ne marquent pas ses débuts, ni dans un bon nombre d'odes ordi-
naires et de chansons dont la composition est postérieure à l'appari-
tion de ses Quatre premiers livres des Odes-
La première ode française composée par Ronsard est l'ode A son Luc
qui commence par : Sianirefois sous Cambre de Gastine (BI., II, 394).
Nous le savons par une note que le poète a fait imprimer en tête de
cette ode dans la prem. éd. collective de ses Œuvres (1560). Entre une
déclaration de Ronsard, datée de 1560, et une affirmation de Binet,
datée de 1587, il n y a pas à hésiter, il faut s'arrêter à la déclaration du
poète ; d'ailleurs la vérité s'impose à la simple lecture de la première
strophe de l'ode A son Luc. (V. mes articles de la Rev. d'Hist. litt.
de la Fr., 1903, p. 77, note 0, et 260, note 7, et ma thèse sur Ronsard
p. lyr. pp. 35 à 39).
P. 14, 1. 30. — Anagrames. Ce n'est pas Dorât qui a le premier appris
aux Français la façon des anagrammes. Il suffit pour s'en con-
vaincre de parcourir les œuvres des Rhétoriqueurs. Ainsi Jehan Bou-
chet signait de son anagramme Ha bien touché ; Jean Marot a écrit un
rondeau sur l'anagramme Tout bien l'agrée (éd. Coustelier, p. 250).
Du Bellay dit lui-même que l'anagramme était, ainsi que l'acrostiche,
« chose fort vulgaire en nostre langue » [Deffence, II, ch. viii). Cf. Joly,
Rem cril. sur le Diclionn. de /i«y/e,art. Daurat, p. 305 ; H. Chamard,
thèse sur Joachim du Bellag, p. 56, note 4. Binet semble avoir attri-
bué faussement à Dorât la priorité en ce mince domaine d'après ce
passage de Y Eloge de Dorât publié par Papire Masson en 1588 : « Pri-
musque artem illam ex vetustissimis poetis prius ignotam ad nos
attulit. » Cf. Marty-Lav., Notice sur Dorât, XL à xLiii. — Dorât, en
imitant et préconisant les anagrammes à la manière de Lycophron,
ramenait inconsciemment ses élèves à l'école des Rhétoriqueurs.
P. 14, 1. 31. — Rose de Pindarc. Cf. les Xenia de Ch. Utenhove
KT rniTiQLE 1 1 r
publiés à la suite de VEpilaphiiim in mortem Ilerrici Galloriim reyis
(Paris, R. Estienne, 1560, in-4°), ï° D iv, v^. De son côté Guy Lefebvre
de la Boderie a trouvé dans le nom de Pierre de Ronsard l'anagramme
Se redorer Pindare (cité par Colletet dans sa Vie de Ronsard, pp. lOG
et 107). Enfin Du Bellay a interprété l'anagramme grecque de Ronsard
en six distiques latins qu'on peut lire dans sesA'e/i/aseiz Ilhtslriiim quo-
rundam nomininn Allusiones (f^ 12 r" de l'éd. de 1569 ; Bibl. Nat.,
Yc, 1223).
P. 14, 1. 33. — on excnsable. Ces dernières lignes sont la variante
d'un alinéa que Binet avait placé en AB vers la fin de son Disconrs
(v. ci-dessus, p. 47). En C il s'est inspiré pour toute cette phrase du
début de la Brève exposition de qnelques passages qui accompagne
l'édition princeps des Odes. J. Martin y explique la « devise » grecque
de Ronsard qui est imprimée en tête et à la fin de cette édition. Elle
n'est pas, dit-il, de l'invention de l'auteur, « mais de .Tan Daurat Limo-
sin... lequel Danrat en dcmcllanl les pins désespérés passages de
l'obscur Lgcophron, qne nul de noslre âge navoit encore osé dénouer,
montra publicquement la façon de remettre en usage les anagramma-
tismes... voulant Jean Daurat figurer par cela que Tcrpandre est vivant
et ressuscité par Ronsard, anagrammatisant Uizpoç 'Pfôvaaooo^ par
S(o; ô TÉpTtavôpo^, la seule lettre p servant deus fois, ce qui est mêmes
concédé en nos inversions Françoises. » (V. ma réédition de ce commen-
taire primitif des Odes dans la Rev. d'Hist. lill. 19U3, p. 268, et lerra-
tum de 1550 que j'ai signalé à la p. 275 : les deus lettres pp se joignans
et unians (sic) en une.)
Sur Dorât interprète de Lycophron au collège de Coqucret, voir Du
Bellaj', Deffence, II, chap. vni, éd. Cliamard, pp. 275-77, notes, et
encore p. 158, note 4. On peut consulter aussi à la Bibl. Nat. (Yc, 1463)
un précieux recueil qui m'a été obligeamment signalé par Louis Dela-
ruelle. Il est intitulé Fed. Jamotii, Medici Belhuniensis varia pocmuta
Graeca et Lalina (Anvers, Plantin, 1593). On lit à la p. 114 une pièce
à Dorât, dont le médecin Jamot fut 1 élève à Coqueret ; il y évoque le
souvenir des explications de Dorât, auxquelles assistait Ronsard ; il
rappelle notamment celles de Pindare et de Lj'cophron :
Nainque ego me puerum memini rudioribus annis
Imberbis tiro dum lua castra scqiior,
Cecropios haurire tuo de fonte liquores,
Libantem teneris aurea dicta labris,
Grandia seu nobis Dircaei carmina c^'cni
Exculis, obscuro qutu latuere situ :
Seu solvis nodos, Phrj-giaeque acnigniala valis,
(^lialcidica quoiidani Graeca nolala manu,
Undique conveniens studiosas applicat aures
Turba, Ljcophronios erudienda niodos.
Addit se socium, et socios sujjereniinct onines
Ronsardus, patriae maximus arte Ijrae.
Hos intcr, spissae fueram pars ima coronae,
Instar apis tbj'nibras et thynia grata Icgens.
Le 4c de ces distiques fait allusion aux commentaires de Tzetzès de
Chalcis, dont s'aidait Dorât en expliquant V Alexandra de Lycophron
dans l'édition publiée à Bâle chez Oporin en 1546.
112 COMMENTAIRE HISTOHIQUE
P. 14, 1. 35- — en son amie. Cette ode A Jacques Peletier, Des heaiiiez
qu'il voudrait en s' Amie, fut, non pas composée, mais publiée la pre-
mière de toutes dans les Œuvres Pocliqucs de J. Peletier du Mans
(privil. du l^i' septembre 1547). V. la réimpression que j'ai donnée
du texte primitif dans la Rev. d'IIist. lill. 1902, pp. 37 à 40.
p. 14, 1. 37. — en ce mesme temps. Pour la dernière partie de cette
phrase, depuis : « et celle qu'il adresse à Jacques Peletier... », Binet a
utilisé ce passage de la préface primitive des Quatre premiers livres des
Odes (1550) : « Il est certain que telle Ode (l'ode A J. Peletier, dont
Ronsard vient de parler) est imparfaite, pour n'estrc mesurée, ne propre
à la lire, ainsi que l'Ode le requiert, comme sont encore douze, ou treze,
que j'ai mises en mon Bocage, sous autre nom que d'Odes, pour cette
même raison, servans de tesmoignage par ce vice à leur antiquité. »
(Bl. II, 10; texte rectifié par M.-L., II, 474.)
Sur la composition du premier Bocage de Ronsard, voir l'art, de
IL Cliamard sur VInvention de l'Ode dans la /?ei). d'IIist. litt., 1899,
pp. 36 et suiv. ; l'un de mes articles de la même Revue, 1903, pp. 256
et suiv., et ma thèse sur Ronsard p. lyr., ch. i, p. 34, Sur l'expression
ode « mesurée et propre à la lyre », et la loi de la régularité strophique
intégrale, voir encore la troisième partie de cette thèse, surtout les
pp. 652 à 685 et 708 à 710.
Il est facile de voir, en comparant pour tout ce passage les leçons
de B et de C, que Binet n'a consulté l'édition princeps des Odes que
pour sa 3* rédaction.
P. 15, 1. 3. — avoit esté dédié. Sur les études de droit et la date du
séjour de Du Bellay à l'Université de Poitiers, v. H. Chamard, J. du
Bellay, pp. 26 à 36 ; L. Séché, Rev. de laRcnaiss. de févr. 1901, pp. 77
et suiv. Il y arriva très probablement en octobre 1545, et y resta deux
ans jusqu'à la fin de l'année scolaire de 1546-47. En tout cas il y rési-
dait certainement en 1546 ; la preuve en est dans les faits suivants :
Se de Sainte-Marthe dans ses Elogia raconte qu'une lutte poétique,
jugée par Salmon Macrin, eut lieu à Poitiers entre Muret, Du Bellay
et Pierre Fauveau (lib. I (1598), art. Petrus Fulvius, p. 43) ; or Muret
enseignait au collège Sainte-Marthe de Poitiers en 1546, comme nous
l'apprend son commentaire des Catilinaires, publié à Venise en 1556,
et dès 1547 on le trouve à Bordeaux chargé d'un cours au collège de
Guyenne (Dejob, thèse sur Marc-Ant. Muret, pp. 9 à 13).
P. 15, 1. 5. — de Ronsard, et de Baïf. Cette affirmation, quelque peu
tendancieuse, doit être bien interprétée. Evidemment, comme le dit
M"e Evers (p. 143), l'unique pièce publiée par Du Bellay avant 1549, le
dizain A la ville du Mans (à la fin des Œuvres Poëliq. de J. Peletier)
ne suffirait pas à fonder la critique de Binet. Mais, outre que la forme
rythmique et le style de cette pièce sont bien « marotiques », tout
porte à croire qu'avant de devenir le condisciple de Ronsard et de Ba'if
à Coqueret, Du Bellay a commencé par imiter Marot, sans prétendre
encore au style élevé, métaphorique, périphrastique, enrichi de « ves-
tiges de rare et antique érudition », qu'il a préconisé dans la Dejfence.
A Poitiers, en 1546, on le trouve rimant une épigramme amoureuse, et
c'est vraisemblablement à cette date qu'il compose son Epitaphe de
KT rniTIQUE Il3
Cl. Marot (publiée à la fin de la première édition de VfJlive), « dont la
forme et le tour rappellent tout à fait les épiyrammcs de la vieille
école » (H. Chamard, ./. du Bellay, pp. 30 et 73j.
D'autre part, il est vrai que Baïf n'avait en 1547 que 15 ans et n'avait
encore rien publié quand parurent la Deffencc, ÏUliue et les Vers Lyri-
ques de Du Bellay, plus âgé que lui de 8 ans environ. Mais faut-il en
conclure, avec M"*" Evers, que le jeune Ba'if n'a exercé aucune influence
sur Du Bellay à Coqueret ? Il faudrait admettre aussi que Baïf n'a été
utile en rien à Bonsard, et nous savons le contraire (v. ci -dessus, p. 11).
L'influence dont parle Binet n'est pas celle des œuvres, mais celle de
la conversation. Le style de Du Bellay a pu profiter de « la hantise de
Baïf», si celui-ci lui interprétait avec enthousiasme, comme àBonsard,
les passages les plus difficiles des poètes grecs et lui vantait limpoi"-
tance de la mythologie comme moyen d'enrichissement de la poésie
française. Au reste, je reconnais que le goût de l'expression érudite et
gréco-latine a dû venir à Du Bellay plutôt de Dorât, qui avait sur Baïf
l'incontestable supériorité de l'âge, de la science, de l'habitude de l'en-
seignement.
Quant à l'influence de Bonsard sur le style de Du Bellay, elle dut
être de même nature et s'exercer parla conversation, par 1 explication
et l'étude approfondie des poètes anciens. Il est certain, comme le rap-
pelle M"c Evei's, que l'influence antérieure de Peletier du Mans sur Du
Bellaj' a été considérable ; que quelques-unes des idées de la Deffence
(principaux chap. du liv. I et chap. vi du liv. II) viennent de la dédi-
cace de la traduction de Y Art poët. d'Horace (1545) et de propos tenus
par Peletier à Du Bellay en 1546 (à Poitiers ou au Mans) et en 1547
(à Paris), propos que l'on trouve résumés dans la pièce des Œuvres
Poétiques intitulée A un poëte qui necrivoit quen latin (septembre
1547) et dans le « proëme))du3« liv. de l'Arithmétique (févr. 1549, n. st.).
Cf. H. Chamard, /. du Bellay, pp. 33 et suiv. ; P. Laumonier, Introd. aux
Œuvres Poët., p. xiv-xvi, et Commentaire, pp. 148 et suiv., 179 et 187.
— Il est certain aussi que c'est « à la persuasion de Jacques Peletier »
que Du Bellay « choisit - comme genres poétiques et rythmes à cul-
tiver « le sonnet et l'ode », et cela en 1546 ; nous le savons par Du
Bellay lui-même (préf. de la 2'' éd. de l'Olive, et ode Contre les envieux
poètes, octobre 1550). Cf. H. Chamard, Rev. d'Hist. lilt., 1899, pp. 41-
42, et J. du Bellay, p. 32 ; P. Laumonier, Comment, cit., pp. 184 et
suiv.
Mais il ne s'agit laque d'idées pour la " deffence» de la langue fran-
çaise, et de cadres poétiques, tandis que Binet ne parle que du style de
Du Bellay. Or je crois précisément que certains chap. du manifeste delà
nouvelle école signé par Du Bellay, ceux qui traitent du style poétique
et des moyens d' « illustrer » la langue de la poésie, ne viennent pas
tant de Peletier que des maîtres etcondisciples du collège de Coquei-et,
notamment de Ronsard, dont Du Bellay a écrit dans la 2c pi-éf. de
l'Olive : « L'ode, quand à son vray et naturel stde, [est] représentée en
nostre langue par Pierre de Ronsai-d », et : « Voulant satisfaire à l'ins-
tante requeste de mes plus familiers amis, je m'osay bien avanturer
de mettre en lumière mes petites poésies ; après toutesfois les avoir
VIE DE P. DE RONSARD. Q
1t4 COMMENTAIUK HISTOUIQLK
communiquées à ceux que je pensoy' bien estre clcrvojans en telles
choses, singulièrement à Pierre de Ronsard, qui m'}' donna plus grande
hardiesse que tous les autres, pour la bonne opinion que j'ay tousjours
eue de son vif esprit, exacte sçavoir et solide jugement en nostre poésie
Françoise. » ^Edition des Œuvres povtiqufs par II- Chamard, tome I,
pp. 12 et 13.;
C'est sur ce texte, reproduit clans 1 édition d'Aubert (1568), queBinet
s'est fondé ; peut-être aussi sur ces vers de Ronsard, écrits et publiés
en 1560 :
L'autre jour en donnant (comme une vainc idole
Qui deçà qui delà au gré du vent s'envole)
M'apparul Du Bellay, nou pas tel qu'il estoit
Quand son vers doucereux les Princes allaitoit,
Et ([u'il faisoit courir la France après sa Lyre...
Et me disoit : Amy, que sans tache d'envie
J'aimaj' quand je vivois comme ma propre vie,
Qui premier me poussas et me formas la vois
A célébrer l'honneur du langage François,
Et compagnon d'un art tu me montras l'adresse
De me laver la bouche es ondes du Permesse...
(éd. M.-L., V, 364.)
Le seul reproche que l'on puisse adresser à Binet ici, c'est de n'avoir
pas fait la critique de ce dernier témoignage, qui pai'aît un peu suspect
si on le rapproche des autres passages où Ronsard a parlé de Du Bellay.
En eflet, du vivant de celui-ci, Ronsard l'a toujours vanté comme son
émule et son égal, non comme son disciple (BL, l, 34, 42, 50 ; II, 11,
98, 117, 215, 465 ; VI, 43) ; il s'était contenté de dire vaguement en
1550 que dans le domaine purement lyrique il avait « guidé les autres
au chemin de si honneste labeur » [Id., II, 9), et, s'adressant à
sa lyre :
Je l'envoyai sous le pouce angevin
Qui depuis moi t'a si bien fredonnée
Qu'à lui tout seul la gloire eu soit donnée.
(Ibid., 128.)
Ce n'est qu'après la mort de Du Bellay qu'il prétendit ouvertement avoir
été son premier guide dans lacarrière littéraire, sans tenir aucun compte
de l'influence de Peletier, antérieure au séjour de Du Bellay à Coque-
ret. Bref Ronsard semble avoir voulu se réserver le mérite, 1 honneur
d avoir formé et « lancé >- Du Bellay, et Binet, loin d'y contredire, a
écrit dans le même sens, surtout en C, où le désir de grandir le rôle
littéraire de Ronsard lui a fait commettre de graves erreurs.
p. 15, 1. 11. — Roy ne de Navarre. C'est l'ode imitée de Théocrite et de
Catulle, qui est au tome II de l'éd. BL, p. 241. Ce mariage eut lieu à
la fin d'octobre 1548, à Moulins (cf. De Ruble, Le Mariage de Jeanne
d'Albret, p. 263 ; A. de Rocliambeau, Bull- arch. du Vendômois.,
tome XVII, p. 38). Ronsard fit paraître sou Epithalame dans les pre-
miers mois de 1549 (V. ma Chronol. des poés. de P. de R., dans la Rev.
d'IIist. Ult., VJ02, p. 40).
Jeanne d'Albret n'était pas encore « Royne de Navarre ». Elle ne le
ET CRITIQUE 1x5
devint qu'en 1555, par la mort de son père, Henri d'Albret. L'erreur
de Binet vient de l'édition des œuvres de Ronsard de 1584 (consultée
pour A), qui dans le titre du dit Epithalame qualifiait ainsi Jeanne d'Al-
bret (cf. l'éd. M.-L., II, p. 308). Erreur analogue dans J. Velliard,
peut-être également trompé par la dernière édition de Ronsard : <i Enim-
vero tum demum expectationem illius iugenii omnium vicit admiralio,
cum summis totius Galliae precibus edidit in lucem spécimen artis
Epithalamium Antonii Régis Navarrae, et Johannae Albretensis. Ut
enim exorto sole stellae occidunt, ita clarissimum lioc jubar poetarum,
quos superior tulerat aetas, obstruxit luminibus. » (Luud. /'tin. 1, f" 8
r" et yo.)
P. 15, 1- 12. — de la Paix. La première de ces œuvres est intitulée Avant
entrée du Roi trescrestien à Paris en 15^9 ; elle parut dans les pre-
miers jours de juin de cette année iBL, VI, 297). Quant à la seconde
de ces œuvres, Binet a confondu l'Hymne de France (Bl., V, 283),
publié vers novembre 1549, avec VOde de la Paix (Bl., II, 23), publiée
également à part en avril 1550 après l'apparition des Quatre premiers
livres des Odes. (V. ma Chronol. des pocs. de P. de R. dans la Rev.
d'Hist. litt., 1902, p. 42 ; 1903, pp. 257 et 275 ; 1904, p. 437.)
p. 15, 1. 13. — d'Europe. De ces deux œuvres de Baïf, la première est,
non pas comme Ta dit M"c Evers l'Hymne de la Paix (éd. M.-L.. II,
223), régulièrement versifié en vers alexandrins, qui fut adressé à Mar-
guerite II de Navarre en 1572, — mais le poème Sur la Paix avec les
Anglais Lan mil cinq cens quarante neuf (/6id., p. 404), irrégulière-
ment versifié en vers décasyllabes, lequel n'a pu être composé que tout
à fait à la fin de cette année (la paix dont il s'agit ne fut signée qu'en
mars 1550). D'après deux pièces de Baïf écrites en 1572, au moment
où l'édition collective de ses œuvres était sous presse, il « commença
à se faire connaître par ses labeurs » la deuxième année du règne de
Henri II, et « vingt ti'ois ans » se sont écoulés entre ses débuts et son
édition collective, ce qui nous reporte bien à 1549 '.
Quant au second poème de Baïf signalé par Binet, le Ravissement
d'Europe, comme il est, lui aussi, irrégulièrement versifié en vei's dé-
casyllabes (éd. M.-L., II, 421), il a pu être composé en 1549 ; mais il
ne parut qu'en 1552, à Paris, chez la V? Maurice de la Porte, in-8o de
16 pages non foliotées (cf. Becq de Fouquières, Poésies choisies d'A.
de Baïf, xxxiv , Marty-Lav., Notice sur Baïf p. x; Catal. de la Biblio.
Herpin, publié en 1903 par Em. Paul et fils et Guillemin, p. 122). Il
est imité presque entièrement d'une idylle attribuée à Moschus (mais
qui passait alors pour du Théocrite; et dun passage des Métamor-
phoses d'Ovide
Cf. J. Velliard : « Eadem tempestate Antonius Baïflius omnium ap-
plausu typis mandavit poema De pace cum Anglis, paulb post et alter
[sic) Raptum Europae. » [Laud. fun. I, fo 8 v°.)
P. 15, 1. 15. — Cassandre Sur cette première Muse de Ronsard, qui fut
très probablement Cassandre Salviati (pour moi cela ne fait aucun doute),
1. Voir l'éd. M.-L., II, 403, et I\', U8. Dans la première de ces références il
faut lire au vers 10 deuzicine un au lieu de douzième an.
llG r.OMMKNTAlUK HISTORIQUE
sur ses relations avec Ronsard et la nature des sentiments qu'elle lui
inspira, voir l'Intermédiaire des Chercheurs, table générale, année 1891,
articles Ronsard, Cassandre, JW^e de Pré ; Marty-Laveaux, Notice sur
Ronsard, pp. xxvi et suiv. ; Henri Longnon, Revue des questions his-
toriques de janvier 1902, pp. 224 et suiv. ; P. Launionier, Revue de la
Renaissance d'octobre 1902, pp. 73 à 115, et thèse de 1909 sur /?onsard
p- lyr.. Index des noms. — J'avais d'abord, par conjecture, daté de
1550 son mariage avec Jehan Peigné, seigneur de Pré en Vendômois ;
un précieux document publié par M. Jean Martellière, son contrat de
mariage, fait remonter cette union jusqu'en novembre 1546 ; un autre
permet de croire qu'elle mourut seulement en 1G06 [Bulletin de la Soc.
arch. du Vendômois, année 1904, pp. 51 et suiv.).
Colletet, Vie de Ronsard, p. 29, et, d'après lui. Ménage, Ohseiv. sur
les pocs. de Malherbe, se sont lourdement trompés en affirmant que
Cassandi'e n'était « qu'une simple fille », (( de très petite condition ».
P. 15, 1. 16. — dEscosse. Il y a là évidemment un lapsus pour « à son
retour d'Allemagne », ainsi que Binet pouvait le comprendre à une
lecture rapide de ce passage de lautobiographie dans l'édition de 1584 :
D'Escosse retourné, je fus mis hors de page.
Et à peine seize ans avoient borné mon âge.
Que l'an cinq cens quarante avec Baïf je vins
En la haute Allemaigne, où la langue j'apprins.
Mais las ! à mon retour une aspre maladie
Par ne scay quel destin me vint boucher l'ouie.
Et dure m'accabla d'assommement si lourd,
Qu'encores aujourd'huy j'en reste deniy-sourd.
L'an d'après en Avril, Amour me fist surprendre.
Suivant la Cour à Blois, des beaux yeux de Cassandre.
D'ailleurs, qu'il y ait eu lapsus ou non, il est clair que Binet, en rédi-
geant le texte A, a compris par l'an d'après l'année 1541, comme l'ont
fait depuis Colletet, Sainte-Beuve, Blanchemain, d'autres encore. Nous
pensons que Ronsard a voulu dire par l'an d'après, non pas l'an qui
suivit son retour d'Allemagne, mais l'an qui suivit sa maladie, ce qui
est tout différent. La meilleure preuve, c'est que Binet s'est corrigé en
B, ayant sous les yeux ce nouveau texte de Ronsard :
je vins
En la haute Allemaigne, ou dessous luy j'apprins
Combien peut la vertu : après, la maladie
Par ne scay quel destin me vint boucher l'ouie.
L'an d'après en Avril, Amour me fit surprendre...
et aj'ant remarqué les passages nombreux oîi Ronsard nous dit qu'il
avait vingt ans quand il rencontra Cassandre (v. ci-après, p. 120,
aux mots « vingt ans »), ce qui reporte cette rencontre en 1545 ou
en 1546 (suivant la date qu'on adopte pour la naissance du poète).
On pensera que ces passages et celui de l'autobiographie se contre-
disent. Je crois que la contradiction n'est qu'apparente- Comme tout
porte à croire que le poète, au lieu de documenter son panégyriste
Paschal sur la suite continue de ses années de jeunesse, ne lui en a ra-
ET CIUTIQLE I I"
conté que les faits saillants, je propose pour le passage de l'autobiogra-
phie l'interprétation suivante : « Après mon voyage d'Allemagne,
l'événement qui mérite d'être relaté est la grave maladie qui causa ma
surdité ; puis l'an qui suivit cette maladie, je m'épris de Cassandre »
Or, il est très possible que Ronsard n'ait senti les premières atteintes
de son mal qu'en 1542 et qu'il soit resté malade deux ou trois ans.
Cette h\'potlicse, à laquelle rien ne s'oppose, est seule capable de faire
disparaître la contradiction. (Voir à ce sujet ma Jeunesse de Ronsard,
dans la Rev. de la Renaissance de mars 1902, pp. 150 et 151.)
Quant au lieu de la rencontre entre Ronsard et Cassandre Salviati,
Ronsard ne l'a pas seulement fait connaître dans son autobiographie,
mais encore dans un sonnet de 1552, dont voici les quatrains, tels que
Binetles lisait dans l'édition de 1584 :
Ville de Blois, naissance de ma Dame,
Séjour des Roys et de ma volonté.
Où jeune d'ans je me vj' surmonté
Par un œil brun qui m'outre-perça l'ame :
Chez toy je pris ceste première flame.
Chez toj' j'apris que peult la cruauté.
Chez to}' je vy ceste fiere beauté.
Dont la mémoire encores me r'enflame.
P. 15, 1. 19. — maintefois. Ronsard dit souvent qu'il a le nom de Cas-
sandre gravé dans le cœur à l'égal des beautés physiques de sa dame.
V. par ex. les sonnets Mille vrayment, et Depuis le jour que (Bl-, I,
30 et 61). l'ode Le cruel Amour, vainqueur (Id-, II, 226, début), l'élé-
gie L'absence nij l'oubli] [Id., IV, 395), et le passage de l'autobiogra-
phie cité dans la note précédente. Ne serait-ce pas une imitation de
Pétrarque, sonnet v, deuxième vers :
E '1 nome che nel cor mi scrisse Amore...
et canzone i (après la mort de Laure), vers 49 et 50 :
L'altra e '1 suo chiaro nome
Che sona nel mio cor si dolcemente... ?
(éd. Camerini, pp. 36 et 252.)
p. 15, 1. 23 — Joachim Du Bellay. Je pense, avec M'ie Evers, que cette
anecdote d'une rencontre fortuite de Ronsard et de Du Bellay dans une
« hostellerie », alors qu'ils revenaient tous deux de Poitiers, est fort
suspecte, pour les raisons suivantes : 1» On n'en trouve pas trace
ailleurs que dans Binet ; rien qui puisse la fonder, ni dans les œuvres
des deux poètes, ni chez les autres panégyristes, Du Perron, Velliard,
Critton, Ste-Marthe. 2" Dans Binet même elle n'apparaît qu à partir
de la 3" rédaction, comme un enjolivement, analogue à la prétendue
querelle de propriété littéraire qui aurait éclaté en 1549 entre les deux
poètes, et dont H. Chamard a montré l'inanité (v. ci-après, p. 123, au
mot « annotations »). 3" Le passage contient trois autres assertions qui
sont fausses ou contestables : l'une, sur la date même de la rencontre des
deux poètes et de l'entrée de Du Bellay à Coqueret (v. ci-dessus, p. 109,
au mot « quarante neuf ))); la deuxième sur les influences littéraires
Il8 COMMENTAIRE HISTORIQUE
que subit Du Bellaj', dont la plus importante, celle de Peletier, est
complètement laissée de côté par Binet (v. ci-dessus, p 112. aux mots
« de Ronsard et de Baïf ») ; la troisième, sur la date où du Bellay écrivit
ses poésies latines (ci-après, p. 119, aux mots a à la Françoise ))).
Il n'en faut pas plus pour enlever au témoignage de Binet toute autorité,
et faire rejeter l'anecdote comme une pure fiction.
Toutefois l'argumentation de M"c Evers présente quelques points
faibles, notamment en ce qui concerne l'ode de Ronsard .4 son retour
de Gascongne voiant de loin Paris, publiée en janvier 1550 (Bl ,11, 456).
On ne peut tirer de cette pièce aucun argument pour déterminer la
date et le lieu de la rencontre de Ronsard et Du Bellay.
D'abord la date de la composition de cette pièce n'est pas certaine. Il
y a des raisons de croire qu'elle remonte à la deuxième moitié de 1547,
aux environs du mois de septembre (présence de Dorât à Paris, allu-
sion vague aux Œuvres poétiques de Peletier, ambassade de Maclou de
la Haye à Rome, irrégularité strophique) ; mais enfin ce n'est qu'une
hj'potbèse, et si l'on était sûr que Ronsard n'a pas remanié sa première
strophe au moment de l'impression, on serait tenté de la dater de 1549,
car elle fait séjourner Ronsard depuis « cinq ans » à « Paris )) comme
étudiant (Paris s'oppose dans ce cas à la Cour; cf- ci-dessus, p. 98,
note sur les mots « avec Dorât »), et c'est précisément ce chiffre que
Ronsard a donné ailleurs pour le temps qu'il passa à Coqueret. Cette
pièce n'offre donc pas un appui solide au raisonnement.
En second lieu, de ce fait que Ronsard n'a pas nommé Du Bellay dans
cette ode, peut-on conclure qu'il ne le connaissait pas quand il la com-
posa ? Rien ne nous y autorise- D'une part, il pouvait avoir fait récem-
ment sa connaissance, en passant par Poitiers à son retour de Gascogne,
sans parler de cette rencontre dans son ode ; je pense même, étant
donné le sujet de la pièce, qu'il n'avait pas à y parler de cette ren-
contre. D'autre part, il pouvait très bien l'avoir déjà rencontré à Paris,
et le connaître même depuis longtemps, étant de son « parentage ' »,
sans pour cela le nommer dans son ode parmi les nombreux amis (un
(( million », dit-il) qui vont lui faire fête à son retour à Paris. Antoine
de Baïf, J. Martin, Bèze, Des Masures, Carnavalet, pour ne citer que
ceux-là, ne sont pas nommés non plus ; pourtant Ronsard les connais-
sait bien, quelques-uns même depuis plusieurs années, et intime-
ment, par ex. Baïf, son compagnon d'études depuis 1544. Aurait-on le
droit de conclure qu'il ne les connaissait pas, de ce fait qu'il ne les
uomme pas dans son ode ? Evidemment non ; l'argument a silentio n a
ici aucune valeur, en ce qui concerne Du Bellay. — Lorsque Ronsard
écrivit son ode (admettons que ce soit en septembre 1547), connaissait-
il déjà Du Bellay ? Le couuaissait-il de fraîche date ou depuis long-
temps ? L'avait-il rencontré à Poitiers, ou ailleurs, en revenant de Gas-
cogne, ou bien étaient-ils entrés en relations à une date antérieure, au
Mans, ou plutôt à Paris ? On aurait beau retourner l'ode eu tous sens,
on n'y trouverait pas la moindre réponse à ces questions.
1. Les deux familles étaient en relations, à preuve la présence du père de
Ronsard aux obsèques de Langey du Bellay au Mans.
KT CniTIQUE I 19
Quant au voyage même de Ronsard, non pas à Poitiers seulement,
comme on pourrait le croire d'après Binet, mais en Gascogne, jusqu'aux
« monts blancs »
Qui ont l'échiné et la teste et les flancs
Chargés de glace et de neige éternelle.
c'est, pour moi du moins, une énigme, à pareille date. Le poète nous
dit qu'il n'était plus alors au service de la Cour. Quelle nécessité le
força donc à quitter l'enseignement de Dorât pour entreprendre un
semblable voyage? Il profita sans doute du moment où son maître ac-
compagnait le roi à Bapaume et des vacances qui suivirent (juin à sep-
tembre 1547). Est-il allé, comme l'a pensé M. Lanusse (thèse fr. de 1893,
p. 137) à Condom, voir son parent Ch. de Pisseleu, titulaire de cet
évêché depuis 1545 ? A-t-il été chargé d'une mission par Henri II, ou
par Marguerite de France, ou par son « seigneur » Antoine de Bourbon,
auprès de Marguerite de Navarre, qui, inconsolable de la mort de son
frère, résidait alors dans ses châteaux pyrénéens ? Nous ne saurions
nous prononcer sur ce point obscur de la jeunesse de Ronsard. C'est
vraisemblablement durant ce voyage qu'il écrivit l'odelette Sur la mort
d'une haquenée, qui tomba dans le fossé d'un château fort « sous les
fatales Pyrénées » (Bl., II, 437).
P. 15. 1. 28. — aux Muses. Source, la Complainte à la Royne Mère du
Roi], écrite en 1563 :
Je pleurois du Bella}', qui estoit de mon âge
De mon art, de mes mœurs et de mon parentage.
(Bl., III, 371.)
Les deux poètes étaient cousins par leurs grand'mères maternelles,
qui toutes deux étaient de Beaumont. La grand'mère maternelle de
Joachim Du Bellay était née Catherine de Beaumont, et celle de Ron-
sard Joachine de Beaumont (Léon Séché, Rev. de la Renaiss. de février
1901, p. 83; Hallopeau, le Bas-Vendômois, p. 90).
P. 15, 1. 32. — languissante. Source, la préface de l'éd. princeps des
Quatre premiers livres des Odes : « Je fu maintes fois avecques prières
admonesté de mes amis faire imprimer ce mien petit labeur... Et mé-
mement solicité par Joachim du Bellai, duquel le jugement, l'étude
pareille, la longue fréquentation, et lardant désir de réveiller la Poésie
Françoise avant nous foihle et languissante.-, nous a rendus presque
semblables d'esprit, d'inventions et de labeur. » (Bl., II, 11 ; texte rec-
tifié par M -L., II, 475.)
P. 15, 1. 33. — à la Françoise. C'est à Rome seulement (1553-1557) que
Du Bellay se mit à écrire des vers latins qui furent recueillis sous le
titre de Poëmata (cf. H. Chamard, op. cit., pp. 358 et suiv.). Maints
documents indiquaient leur date à Binet, entre autres ce début d'un
sonnet de Ronsard adressé à Du Bellay en 1555 :
Cependant que tu vois le superbe rivage
De la rivière Tusque et le mont Palatin,
Et que l'air des Latins te fait parler latin.
Changeant à l'estranger ton naturel langage,
Une fille d'Anjou me détient en servage...
(B1.,I, 151.)
130 CO.MMKXTAIIU: lllSKliKHi:
et la réponse que Du Bellaj* fit en 1556 à ce sonnet dans le sonnet x
des Regrets.
Il est d autant plus difficile d excuser l'erreur de Binet que Du Bellay
lui-mènic a pris soin d'écrire dans la 2*? préface de VOlive : « Combien
que j'ayc passé laage de mon enfance et la meilleure part de mon ado-
lescence assez inutilement, Lecteur si est-ce que par je ne sçay quelle
naturelle inclination, j'ay tousjonrs aimé les bonnes lettres : singulière-
ment nostre pocsie françoise, pour m'estre plus familière, qui vivoy'
entre ignorans des langues cstrangeres Certainement, Lecteur, je ne
pouroy' et ne voudroy' nier, que si j'eusse écrit en grec ou en latin, ce
ne meust esté un moyen plus expédié pour aquerir quelque degré
entre les doctes hommes de ce roj'aume : mais il fault que je confesse
ce que dict Ciccron en l'oraison pour Murène : Qui cùtn cilluiraedi esse
non posseni, et ce qui s'ensuit. » Edition des (Eiwrcs pocliques par
H. Chamard, tome I, pp. 11 et 12)
p. 15, 1. 47. — vingt ans- Cette incidente de B retombe sur la pro-
position « qu'il fit à Blois » ; nous pensons que la ponctuation de B
est la bonne, et non celle de Ç, conservée dans les éd. suivantes ; notre
interprétation est confirmée par les passages des œuvres de Ronsard,
où Binet a pris ce renseignement :
Ha, Belacueil, que ta douce parolle
Vint Iraitrement ma jeunesse offenser.
Quand au verger tu la menas danser
Sur mes vingt a/is l'amoureuse carolle...
;M.-L., I, 82 ; sonnet publié en 1552.)
Sur mes vinçjt ans, pur d'offense et de vice
Guidé mal-caut d'un trop aveugle oiseau,
Aj'ant encor le menton damoiseau,
Sain et gaillard je vins à ton service...
(BI., I, 65 ; M.-L., I, 55 ; sonnet publié en 1553.)
A vingt ans ie choisis une belle maistresse.
fBl., VII, 127; discours publ. en 1563.)
Cela n'empêche pas d'ailleurs de croire qu'il « résolut de la chanter »
aussitôt, dés l'année 1545, comme l'indiquent ces autres vers:
Ces mots mignards, ces rais sont les jeunes chansons
Qu'à vingt ans je chantois pour fléchir ma maistresse.
(EL, V, 332 ; sonnet publié en 1569.)
P. 16, 1. 1. — vray ou faux II est difficile d'expliquer que Binet, qui
a délayé l'autobiographie de Ronsard, et l'a même citée dans les pre-
mières pages de son opuscule, ait attribué à un début de sonnet cet
hémistiche, qui se lit vers la fin de l'autobiographie. A l'endroit où il
en était rendu de sa rédaction, il avait sans doute fermé l'in-folio de
1584, car il cite de mémoire cet hémistiche en le défigurant :
Soit le nom faux ou vray, jamais le temps vainqueur
N'effacera ce nom du marbre de mon cœur.
Il s'en aperçut pour la rédaction de B. Il y ajouta la devise grecque
qui entourait le portrait de Ronsard dès l'édition princeps des Amours
ET rniTIQl'E 12 1
(1552), et qui existait encore dans lin folio de 1584 et dans la première
éd posthume, où il la prit. Cette devise est, comme l'indique Muret
dans son Commentaire du 2e sonnet des Amours, empruntée à Théo-
crite et signifie que « des la première fois qu'il veit Cassandre, il de-
vint insensé de son amour ». V. le vers 81 de la Magicienne. On trouve
également au portrait de Ronsard la devise : Ut vidi, ut perii, que
Virgile a prise à Théocrite (Z?ucoZ., VIII, vers 41) Le sonnet Nature
ornant la dame (Bl.. I, 2) en est le développement.
A noter que cette devise grecque a été insérée en B, non pas pour
venir à l'appui de cette affirmation « amoureux seulement de ce beau
nom», comme on pourrait le croire parla façon dont la phrase est
construite, mais à l'appui de cette affirmation avancée cinq lignes plus
haut « qu'il eut seulement moyen de voir, d'aimer et de laisser à
mesme instant ». Binet s'est aperçu plus tard de l'incohérence de ce
passage ainsi allongé, et c'est la principale raison du remaniement qu'il
en a fait en C.
P. 16, 1. 3. — liitres cVOdes- D'après cette ligne, conservée dans les
trois rédactions, lo Binet a pensé, non sans raison, que Ronsard avait
commencé à écrire des sonnets pour Cassandre dès le printemps de
1545 ou de 1546 (selon qu'on adopte pour leur première entrevue l'une
ou l'autre de ces dates). Aux réflexions que j'ai déjà faites à ce sujet
(v. ci-dessus, p. 100, aux mots « brave ouvrier »), il convient d'ajouter
que quelques-uns des sonnets du premier livre des Amours ne peuvent
qu'être antérieurs au mariage de Cassandre, qui eut lieu en novembre
1546 ; que Ronsard affirme avoir commencé à chanter Cassandre à
vingt ans passés (BL, V, 332 ; VI, 327 ; VII, 127) ; enfin que le poète
dans la première préface de ses Odes, et I. M. P. dans les dernières
lignes de sa Brève exposition, qui accompagne les dites Odes, sem-
blent faire allusion à d'autres œuvres que Ronsard gardait manuscrites
en 1550-
2° Binet n'a pas consulté l'édition princeps ni les éditions suivantes
des Amours, où le premier livre des sonnets parut avec ce simple titre :
Les Amours de P. de Ronsard. Binet a pris ce titre des Amours de
Cassandre dans l'édition de 1584, où il apparut pour la première fois,
ainsi que ce titre du deuxième livre des sonnets, les Amours de Marie
(V. ci-après, p. 127, aux mots « de Marie »).
P. 16, 1. 6. — son Olive. Sur la personnalité que cache ce pseudo-
nyme, les opinions sont très partagées. Pour les uns (Marcassus, Colle-
tet. Ménage, Goujet, Sainte-Beuve\ c'était une demoiselle Viole, nièce
d'un évêque de Paris ; pour les autres (Léon Séché, Reo- de la Renais-
sance de mars 1901 ; M"e Evers, op. cit., p. 139). ce serait plutôt Mar-
guerite de France, duchesse de Berry. Pour d'autres enfin H. Cha-
mard, / du Bellay, p 177, et G. Deschamps, iîey. des Cours et Confér.
de 1902), ce pseudonyme est seulement symbolique et ne cache aucune
personnalité.
p. 16, 1. 8. — Recueil de Poésie- C'est le titre du deuxième recueil de
vers que Du Bellay publia en novembre 1549. Sa première publication
poétique remonte au mois d'avril de la même année : elle comprenait
l'Olive et les Vers lyriques, et parut à la suite de la Deff'ence et Illustra-
132 c.OMMi.NTunr; iiistouiqie
tion de la l. fr. Il est probable que Binct a confondu les deux recueils.
(Cf. H. Charaard, J. du Bellay, pp. 96, 168,203, 223.)
P. 16, 1. 21. — d'Avril. Dans son autobiographie Ronsard indique
seulement le mois d'avril pour sa rencontre avec Cassandre. Le quan-
tième n'apparaît que dans le sonnet publié en 1552 :
Je vey les 5eux dessous telle planelte...
(Hl., I, 9-10.)
Pourquoi Binet n'a-t-il pas également indiqué Tannée, bien que Ron-
sard ait écrit dans un autre sonnet également publié en 1552 :
L'an mil cinq cens coulant quarante six
Dans ses cheveux une dame cruelle
(Ne scais quel plus, las ! ou cruelle ou belle)
Lia mon cœur, de ses grâces espris ?
{Ihid., 71.)
Probablement parce que cette date ne cadrait pas avec les deux autres
documents qu il a utilisés: 1° les seize ans que Ronsard se donne en
1540 ; 2'i les vingt ans passés qu'il se donne lors de sa rencontre avec
Cassandre. Peut-être aussi a-t-il pensé, comme je l'ai moi même con-
jecturé, que Ronsard avait placé le mot six à la fin de son vers au lieu
de cinq, qui rime moins facilement. Il ignorait vraisemblablement la
troisième raison qui nous autorise à préférer l'année 1545 à l'année
1546, à savoir que la Cour ne fut pas à Bloisun seul jour du mois d'avril
1546, mais à Fontainebleau, Nemours, Ferriéres, Montargis, puis de
nouveau à Ferriéres (le 20 et les jours suivants), enfin à Fontaine-
bleau, et que, par contre, elle passa le mois d'avril de 1545 à Romo-
rantin, Blois et Chenonceaux (cf. les Actes de François Z*'" et Vltinéraire
de François /erj.
Au reste, on peut penser que Ronsard n'a vu dans le mois d'avril
que le compagnon obligatoire de l'amour (cf. les sonnets Sons le
cristal et Le vingtième d'avril), et qu'en adoptant ce mois il a simple-
ment imité Pétrarque, qui tomba amoureux, lui aussi, au mois d'avril
(sonnet Voglia mi sprone, deuxième tercet), et avait coutume de chan-
ter chaque année, avec le retour du printemps, l'anniversaire de son
Innamoramento. (Cf. H. Cochin, Chronol. du Canzonierc, pp. 6, 35,
109 et 137.)
P. 16, 1- 23. — dont il fut épris. Le pronom « dont » ne se rapporte
pas au substantif qui précède, mais à « belle fille Blesienne », qui est
beaucoup plus haut.
P. 16, 1. 28. — deslors amoureux- Voilà une interprétation allégo-
rique bien inattendue, tout à fait comparable aux divagations de
l'exégèse de Virgile (cf. les allusions ridicules et forcées des Scholia
Bernensia). — Elle ne doit pas cependant nous étonner outre mesure,
si l'on songe que Laure a passé également pour la personnification de
la Gloire, à laquelle Pétrarque avait consacré sa vie, — et que la
Béatrix de Dante a été considérée comme le symbole de la Théologie.
On sait que Giovanni Colonna demandait à son ami Pétrarque si la
véritable dame de son cœur n'était pas la Poésie (v. à ce sujet Gidel,
ET CRITIQUE 123
Pétrarque cl les frouhadours, thèse de 1857, p. 104 ; Mézièrcs, Pétrar-
que, pp. 49-50; Ph. Monnier, Le Quattrocento, I, 136). Sur la manie
d'interpréter les auteurs allégoriquement en France au Moyen Age,
voir Piaget, Hist. de lalangue et de la litt. françaises, tome II, pp. 164-
165 ; Lanson. Littér. française, ch. m, § 1, fin.
Binct semble bien se faire l'écho de cette opinion contemporaine,
puisqu'il ne la dément pas. Trois passages des Œn très auraient dû cepen-
dant lui ouvrir les yeux : 1° un sonnet de 1552, où Ronsard dit qu'il a
laissé l'épopée de Francus pour chanter Cassandre ; 2° une élégie de
1554, où Ronsard dit qu'il laisse provisoirement la poésie erotique
inspirée par Cassandre pour chanter Francus sur l'ordre de Henri II;
3" une ode où il déclare revenir de Francus à (Cassandre (BL, I, 42,
125; II. 273).
P- 17, 1. 1. — annotations. Sur cette brouille passagère de Ronsard
et Du Bellay, v. H. Chamard, Rev. dHist. litt., 1899, pp. 43 et suiv.
Le judicieux critique, s'appuyant sur les variations mêmes des trois
textes de Binet, montre péremptoirement que le biographe de Ronsard
a dénaturé l'origine et la portée de cette querelle au point d'en faire
une vraie légende (malheureusement reproduite par les biographes
postérieurs, à commencer par Colletet), et réussit à dégager la
vérité des inventions qui l'encombrent. Pour sa troisième l'édaction,
Binct a sans doute rapproché, comme l'a fait H. Chamard, certaines
déclarations de la préface primitive des Odes et de la préface de la
deuxième édition de ÏOlive, et a tiré de ce rapprochement des conclu-
sions fantaisistes, que démentent le caractère et la vie de Du Bellay.
Sainte-Beuve avait déjà trouvé 1 anecdote suspecte (Notice sur Du
Bella}', à la suite de son Tableau.. ., éd. Charpentier, pp. 331-33);
Darmesteter et Hatzfeld avaient également fait à ce sujet de prudentes
réserves (Le Seizième siècle en France, éd. de 1887, p. 105).
On ne lit rien d'analogue, pas même par allusion, chez les autres
panégyristes de Ronsard (Du Perron, Velliard, Critton, E. Pasquier).
Binet semble avoir recueilli à ce sujet des racontars, et comme ils
furent de beaucoup postérieurs à 1549 (plus de 35 ans) on ne peut
guère y ajouter foi. De qui les a-t-il recueillis ? De Baïf peut-être.
Baïf semble avoir conservé une certaine amertume de ses relations
avec Ronsard; s'il y eut une brouilleentre Ronsard et un membredela
Brigade, ce fut entre Baïf et Ronsard (cf. ci-aprés, p. 129, aux mots o qui
estait Baïf»). Or Binet n'a pas dit un mot de cette brouille, Baïf s'étant
bien gardé de lui faire des confidences à ce sujet, ou lui ayant raconté
que Ronsard avait tous les torts. A noter d'autre part que le rôle de
Baïf dans la querelle Du Bellay-Ronsard, signalé en A, a disparu en
B, probablement à la prière de Baïf.
P. 17, 1. 2. — livres des Odes. C'est la deuxième fois que Binet
mentionne les Amours avant les Odes- Ici il commet une grave erreur
en faisant paraître les Amours soit avant les Odes, soit en même
temps. Les Quatre livres des Odes parurent en février 1550 ; les
Amours seulement en octobre 1552, avec le Cinquiesme livre des
Odes (voir ma thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 29 et 78). Nouvelle
preuve que Binet n'a pas consulté l'édition princeps des Amours, pas
la^ r.OMMF.\T\ll!|- IIISTOIUQl F.
même pour sa troisième rédaction. Il a été trompé par ce fait que dans
toutes les éditions collectives, notamment celle de 1584 qu'il consulta
pour A, les Amours sont placés avant les Odes. — Estienne Pasquier a
commis une erreur analogue et pour la même raison : « Le premier qui
y mit la fin fut Ronsard, lequel premièrement en sa Cassandre et autres
livres d'Amours. puis en ses Odes...'» {Rech. de /a Fr., livre "VII, chap. vu.)
p. 17, 1. 6. — d'Apollon. Cf. la dédicace du Commentaire des
A /??onrs par Muret : « N'avons-nous veu l'indocte arrogance de quel-
qucs acrcstez mignons s'esmouvoir tellement an premier son de ses
escrits, qu'il sembloit que .sa gloire naissante deust estre esteinte par
leurs efforts? )) (Edition de Ronsard, par Marty-Lav., I, p. 374.) Ron-
sard lui-même dit qu'un « tas de courtisans déchirent son nom et sa
gloire naissante » (Epitaphe de Hugues Salel, Bl., VII, 269). — C'est
également l'expression dont se sert Michel de L'Hospital en parlant de
Ronsard dans une lettre à J- Morel de décembre 1552: « Non enim
conducit ejns nascenti gloriae tôt et taies obti-ectatoi-es atque aemulos
habere. » {Rev. d'Hist. liit. de 1899, p. 355). Mais il est très douteux
que Binet ait connu cette lettre.
La var. de C vient de ce passage de la préf. primitive des Odes : « Je
ne fais point de doute que ma Poésie tant varie ne semble fâcheuse aus
oreilles de nos rimeurs, et principalement des courtizans, qui n'admi-
rent qu'un petit sonnet petrarquizé... » (Bl-, II, 12; texte rectifié par
M.-L., II, 476.)
P. 17, 1. 12 — de Ronsard. Ce dernier détail est pris soit à la strophe
que Binet cite quelques lignes plus loin : Ecarte loin de mon chef,
soit à l'Elégie de Michel de L'Hospital : Magnificis aulae cultoribus,
qui n'était pas encore imprimée lors de la rédaction d'A, mais que
Binet avait déjà entre les mains, puisqu'il la signale plus loin et en
annonce l'impression pour la première éd. posthume des œuvres de
Ronsard (cf. BL, IV, 361). — Ronsard a raconté lui-même la tactique
de Saint-Gelais dans une ode A Mad. Marguerite (celle qui devint
duchesse de Savoie) ; mais les strophes où il en parle clairement
n'ayant paru que dans l'éd. princeps du Cinquiesme livre des Odes
(cf. Bl.. VIII, 136), je doute fort que Binet les ait connues (voir ci-
après, p. 127 et 133, aux mots « maronné » et « de chanter ))i. Au reste,
il a pu profiter d'une autre strophe de la même ode (Bl., IL 306, « Avec
Hieron roy de Sicile. . »), comme aussi d'un passage de l'ode de récon-
ciliation A M. de Saint-Gelais {Ibid-, 281, « Pour ce qu'à tort... »).
P- 17, I. 17. — ses autres Epitaphes. C'est-à-dire les autres Epita-
phes consacrées à la reine de Navarre. Il s'agit du recueil intitulé le
Tombeau de Marguerite de Valois, Rogne de Navarre, faict première-
ment en Distiques latins par les Trois Sœurs, Princesses en Angleterre.
Depuis traduitz en Grec, Italien et François par plusieurs des excel-
lens poètes de la France. Avec plusieurs Odes, Hymnes, Cantiques,
Epitaphes, sur le même subject- Ce recueil, publié vers la fin de mars
1551 par les soins de Nicolas Dcnisot, contenait quatre odes de Ron-
sard, entre autres Vllgmnc triumphal dont Binet cite les derniers vers.'
(Voir Rev. d'Hist- litt. de la Fr., 1904, p. 447, et ma thèse sur
Ronsard p. lyr., p. 73.)
KT ClUTIQUE \2b
Cet opuscule très rare n'ayant jamais été réimprimé, et les vers que
Binct cite n'ayant jamais paru que là sous cette forme, il faut que
Binet l'ait consulté, et cela dès sa première rédaction.
P. 17, 1. 26. — deMelin. C'est bien en effet le texte de la fin de Vllijmne
tritnuphal tel qu'il parut dans le Tombeau de Maryuerile de Valois en
mars 1551. Binet y a lu, au mot Melin, cette note de Nicolas Denisot,
qui lui a permis de donner ici quelque précision à son exposé : « Il
entent Melin de Sainct Gelais, qui trop envieusement blâma ses
œuvres devant le Roj' ».
P. 18, 1. 1. — ces vers. Ronsard les changea en ceux-ci dès la
2» édition de son Hymne triumphal, dans le Cinqiiiesme livre des Odes
(septembre-octobre 1552):
Préserve moi d'infamie
De toute langue ennemie
Teinte en venin odieux,
Et fay que devant mon Prince
Désormais plus ne me pince
Le caquet des envieux.
Ce nouveau texte fut conservé dans toutes les éditions postérieures.
D'après l'édition Blanchemain (II, 326), qui prétend donner le texte
des Odes d'après la première édition collective de 1560, on pourrait
croire que le texte de 1551 existait encore en 1560, et M^e Evers l'a cru
[op. cit., pp. 160, 162, 183), après L. Froger [Prem. poés. de R.,
p. 27, note). Il n'en est rien: Ronsard une fois réconcilié avec Saint-
Gelais le fut bel et bien, et, après la mort de son ancien adversaire
(oct. 1558), il n'eut pas l'indélicatesse de reprendre son premier texte.
L'addition de C fait allusion non seulement à l'ode de 1553 A M. de
Saint-Gelais (Bl., II, 278), mais encore à l'Hymne des Astres, de 1555
[Id., V, 275), qui ne fut supprimé qu'en 1584 parce qu il faisait double
emploi avec ï Hymne des Estoilles ; à l'Hymne du Roi Henry H, de
1555 [Id., V, 74) ; au poème A très illustre prince Charles Cardinal de
Lorraine, composé en 1561-62 (trois ans après la mort de Saint-Gelais),
qui contient ce bel éloge:
Sainct Gelais qui estoit l'ornement de nostre Age,
Qui premier des François nous enseigna l'usage
De sçavoir chatouiller les oreilles des Rois
Par sa lyre accordante aux douceurs de la vois.
Qui au Ciel egaloit sa divine harmonie,
Vit malheureux mestier !j une tourhe infinie
De poltrons avancez, et peu luj^ profitoit
Son luth, qui le premier des mieux appris esioii.
(Texte de 1584, M.-L., III, 274. Cf. Bl., III, 355.)
C'est à ce dernier vers que Binet a emprunté léloge de Saint-Gelais
qu'il met dans la bouche de Ronsard en C.
p. 18, 1. 8. — nouveauté. Cf. la dédicace du Commentaire des
Amours par Muret : « L'un le reprenoit de se trop louer, l'autre d'es-
crire trop obscurément, l'autre d'estre trop audacieux à faire nou-
veaux mots... « Edition de Ronsard par Marty-Lav,, I, 374.)
P. 18, 1. 9. — en risée. Cf. ce passage ironique du Quintil Horatian :
luO COMMENTAIRE UISTOIUQCE
« Comme ton Ronsard trop et tresarrogamment se glorifie avoir amené
la Ij-re grecque et latine en France, pource qu'il nous fait bien
esbahjT de ces gros et estranges motz, strophe et antislroplie. Car
jamais ^paraventure) nous nen ouysmes parler. Jamais nous n'avons
leu Pindar... » (Edition de la Dcffencc par Chamard, p. 225, note 2.)
Il est probable que c'est une des sources du passage de Binct, surtout
en C-
P. 18. 1. 12. — Pindariser. Cf. Henri Estienne : « Ceux qui sescou-
tant pindarizer à la nouvelle mode, barbarisent aux oreilles de ceux
qui suivent l'ancienne » {Apol. pour Hérodote, I, 33). Ronsard avait
écrit dans l'ode A Calliope (1550) : « Le premier de France I J'ay
pindarisé... », et Peletier dans son Art Poétique (1555) lui attribua non
seulement l'invention de la cbose, mais celle du mot. Or le mot pinda-
riser est bien antérieur à Ronsard, puisqu'on le trouve dans Rabelais
(II, chap. vO, dans Lemaire de Belges (Temple de Venus) et dans
Octovien de Saint-Gelays {Séjour dhonneur). Cf. Delboulle, Rev.
d'Hist. litt. de la Fr.. 1897, p. 283.
On le trouve également dans Jean Bouchet, Regnars traversant les
périlleuses voyes 1502), et Epistrcs familières, no xvni yl545). Ces
deux derniers exemples ont été cités par A. Hamon dans sa tlièse sur
Jean Bouchet (1901) et relevés par H. Chamard dans la Revue cri-
tique du 23 déc. 1901, p. 491.
P. 18, 1 16. — festois obscur. Voir Bl., I, 147. Binet cite en A le texte de
l'éd. coll. de 1584 icf. M.-L., I, 131) ; en B il cite le texte de l'éd. coll.
de 1587. Ce sonnet parut en 1555, en tête de la Contin. des Amours.
Tj-ard avait mis en 1552 dans la bouche de sa Pasithée un résumé des
plaintes que la masse des lecteurs articulait contre l'obscurité des pre-
mières œuvres de Ronsard (cf. Œuvres de Tijard, éd. M.-L., p. 228).
p. 18, 1. 24. — impudence. Cette addition est inspirée de trois vers de
l'Elégie de L'Hospital Magnificis aulae cultoribus (v. ci-après, p. 133):
Diceris ut nostris excerpere carmina libris
Verbaque judicio pessima quaeque tuo
Trunca palam Hegi recitare et Régis amicis.
m. IV, 362.)
P. 18,1. 28. — Ptoloméc. « Impatient que.... », latinisme pour « ne pou-
vant souffrir qu'un autre... » Toute cette phrase est presque textuelle-
ment empruntée à la préface (Epitre au Lecteur) de l'édition princeps
des Quatre premiers livres des Odes (1550). « Tel fut jadis Bacchylide
à lentour d'Hieron Roi de Sicile tant notté par les vers de Pindare : et
tel encores fut le sçavant envieus Challimaq impatient d'endurer qu'un
autre flattast les oreilles de son Roi Ptolemée, médisant de cens qui
tàchoient comme lui de goûter les mannes de la roialle grandeur. »
(Bl., II. , 14 ; texte rectifié par M.-L., II, 477.) — Une partie de la phrase
suivante est empruntée à cette fin de l'Avertissement au Lecteur qui
précédait la même édition de 1550 : (( ... lors le Poëte se doit assurer
d'avoir bien dit, voire de la victoire, puisque ses adversaires, mal em-
bastonnez, le combatent si foiblement » {Ibid., IS)
P. 18, 1. 47. — prisé. Ode à Calliope, publiée en 1550 i^Bl., II. 135;. On
ET r.RITIQl E 127
ne voit pas comment Binet a pu trouver dans ces vers la preuve des
« médisances » dont fut l'objet Ronsard pindariseur, puisque le poète
y dit au contraire qu'il se voit « prisé » pour avoir « pindarisé ». C'est
du remplissage illogique.
P. 19, 1. 9. — maçonné. Cf. Bl., II, 303 ; M.-L . II, 380. Ode publiée en
octobre 1552, la 3e du Cinquiesnie livre des Odes avec ce simple titre
A Madame Marguerile (elle ne devint duchesse de Savoie qu'en 1559
par le traité de Cateau-Cambrésis), mais composée dès la seconde
moitié de 1550 (v. ma thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 79 à 82;. Binet
la cite d'après l'éd. de 1584.
P. 19, 1. 12. — de Marie. C'est en 1555 que parurent les premières pièces
inspirées par Marie, dans la Continuation des Amours ', les autres pa-
rurent en 155G dans la Nouvelle Continuation des /Imoi/rs. Elles furent
réunies dans la première édition collective (1560j sous le simple titre :
Deuxième livre des Amours, qui fut conservé dans les éd. suivantes.
C'est seulement à partir de 1584 que cette section des Amours se ter-
mina par la clausule : « Fin de la première partie des Amours de Marie
Angevine. » D'ailleurs Ronsard indiqua dès 1555-60 à plusieurs reprises
le lieu d'origine de sa Marie, la ville de Bourgueil (alors en Anjou, au-
jourd'hui dans le département d'Indre-et-Loire ; voir notamment Bl, I,
151, 179, 191, 220, 230.
Quant au changement de son style, Ronsard en a lui même parlé à
la fin de VElegie à son livre iBl., I, 146) et Remy Belleau l'a souligné
dans son Commentaire du Deuxième livre des Amours (M.-L.,I, 405 et
407). V. ma thèse sur Ronsard p lyr., pp. 150 à 175 )
p. 19, 1. 14. — de Bourgueil. « Souvent » est exagéré. Ronsard a écrit
une seule fois :
J'aime un pin de Bourgueil, où Venus appendit
Ma jeune liberté... (Bl., I, 173; M.-L,, I, 154),
et encore est-ce une variante que Binet lisait dans l'édition de 1584, au
lieu du te.xte primitif de 1556 « un pin eslevé ».
Il est vrai qu'il a également écrit dans un sonnet de la même année :
Si quelque amoureux passe en Anjou par Bourgueil
Voj'c un pin eslevé par dessus le village. (Bl , I, 179.)
(Binet lisait en 1584 : « Voye un Pin qui s'esleve au-dessus du village ))),
et dans le Voyage de Tours, qui est de 1560 :
Par le trac de ses pas j'irois jusqu'à Bourgueil
Et là, dessous un pin, couché sur la verdure
Je voudrois revestir ma première figure (Ibid., 189) ;
ce qui suffit, étant données les habitudes des poètes du xvi** siècle, à
justifier l'hypothèse de Blanchemain, appelant cette Angevine Marie du
Pin (Bl. VIII, 26 , M.-L., I, 406).
Tout en admettant avec les deux derniers éditeurs de Ronsard le
jeu de mots qu'il aurait fait par trois fois sur le mot pin (comme Ma-
rot dans l'épigramme XII De Madamoyselle du Pin), je crois qu'il s'ap-
pliquait non pas au nom de Marie (à moins de l'écrire Dupin), mais à
128 COMMENTAIKE IIISTOHIQIE
son surnom. Il est très vraisemblable qu'un grand pin existait tout près
de Ihotellerie tenue par ses parents (cf. le Commentaire de Belleau,
Bl., I, 220, note 1), et que cette hôtellerie avait pour enseigne : « Au Pin
de Bourgucil ». D'où l'appellation populaire de Marie du Pin, si con-
forme au.\ usages des campagnards, qui distinguent par le nom de l'au-
berge ou du hameau qu'elles habitent les différentes personnes portant
le même prénom. C^est seulement ainsi que peut s'expliquer l'addition
de Binet en C : « ...laquelle il entend souvent sous le nom du Pin de
Bourgueil, parce que c'est le lieu où elle demeuroit et où il la vit pre-
mièrement... ))
p ]9^ 1 i(). — ses Amours. Le Commentaire de Muret parut dans la
seconde édition des Anioins en mai 1553 (v. maChroiwl. dcspocs.dc R.
dans la Rev. d'Hist. litt. de 1905, pp. 247 et suiv. ). Il fut reproduit
dans toutes les éd. suivantes, mais avec des additions qui ne sont pas
et ne peuvent pas être de Muret, quoiqu'elles aient été imprimées sous
son nom. On sait que Muret, forcé de quitter la France en 1554, résida
en Italie jusqu'à sa mort, sauf deux ans qu'il passa en France (1561-63).
En outre, certains sonnets, rangés en 15G0 dans le 2« livre des Amours,
et par conséquent annotés par Belleau, passèrent en 1578 dans le
1er livre, avec leurs notes sous la signature de Muret. Enfin les Stances
Quand au temple nous serons, rangées parmi les Odes jusqu'en 1578
inclus, puis dans le 1" livre des Amours en 1584, n'ont été accompa-
gnées que dans la première éd. posthume de cette note de Muret :
« Cette chanson n'appartient en rien à Cassandi'e », alors que Muret
était mort à Rome depuis plus de dix-huit mois. — Il y a donc une
question de l'authenticité d'une partie du Commentaire de Muret.
Le Commentaire de Belleau, relatif à la première partie du 2« livre
des A77jonrs, parut dans la première édition collective 1560), précédé
d'un sonnet de Gui 11. des Autels, dont voici la fin :
Ainsi toj' qui n'es pas seulement interprète,
Mais as ja le front ceint de l'honneur du poêle,
Tu peus ouvrir, Belleau. du grand Ronsard le style.
Je voudrois qu'Hésiode époinct d'un tel souci
Eust illustré les vers de son Homère ainsi.
Et qu Horace en eust fait autant de son Virgile.
Ce Commentaire fut reproduit dans toutes les éditions suivantes, mais,
à partir de 1578, avec des additions et des variantes contradictoires qui
ne peuvent pas être de Belleau, mort d'ailleurs dans les premiers jours
de mars 1577 ; sans compter que des notes signées jusque-là par Bel-
leau passèrent sous le nom de Muret au bas de pièces transportées dans
le premier livre des Amours. — Il y a donc une question de l'authen-
ticité de quelques-uns des Commentaires de Belleau, notamment de
ceux qui accompagnent à partir de 1578 les sonnets à Sinope.
La deuxième partie du 2 livre des Amours, celle qui est relative à la
mort de Marie, a été commentée par Nicolas Richelet. Ce Commen-
taire, composé dès 1592 d après la dédicace), parut dans l'édition de
1597 ; il est donc étonnant que Binet n'en ait pas parlé dans sa troi-
sième rédaction, d'autant plus qu'ils ont été en relations, nous le
savons par Richelet lui même (v. ci-après, aux mois « en la louant ».)
KT rRITintK
129
p. 19, 1. 19. — calomnies. Marty-Lav. a reproduit une partie de cette
dédicace dans sou édition de Ronsard, I, 373. Cf. ma thèse sur Ronsard
p. lyr., p. 107. — Le personnage auquel cette dédicace est adressée est
Adam Fumée, « conseiller du Koy en son Parlement de Paris ».
P. 19, 1. 33. — qui estait Baïf- Assertion très contestable. On lit dans
le Commentaire de Belleau : « (Ronsard) arriva en Anjou.. Un jour
d'Avril accompagné d'un sien ami), r'alluma plus cruellement un nou-
veau feu dans son cœur, et devint amoureux et aflectionné serviteur
d'une jeune, belle, honneste et gracieuse maistresse, laquelle il célèbre
en ceste seconde partie de ses Amours. » (M.-L., I, 407.) Mais que cet
« amy » ait été Baïf, j'en doute fort.
D'abord Baïf, qui a parlé de Marie du Pin à deux reprises, ne l'a
pas fait comme un témoin de la première entrevue entre elle et Ron-
sard, mais, au contraire, comme s'il y fût resté étranger (éd. Marty-
Laveaux, 1, 8 et 9 ; II, 129 et 130).
Ensuite, en avril 1555, date de la rencontre de Marie, non seule-
ment Baïf était absorbé à Paris par la publication des quatre livres
de l'Amour de Francine, mais Ronsard et Baïf étaient alors fâchés,
comme en témoigne un sonnet du 2^ livre de cette œuvre, Ronsard que
les neuf Sœurs (M.-L., 1, 192). Colletet avait déjà remarqué la mésin-
telligence passagère des deux poètes en s'appuyant précisément sur ce
sonnet ( Vie d'A. de Baïf, extrait publié par A. de Rochambeau dans sa
Famille de Ronsart, éd. elzévirienne, p. 195) ; mais il n'en a dit ni le
motif, ni la date- — J'ai indiqué le motif dans la Revue de la Renais-
sance, d'octobre 1902, pp. 75 à 77. Il est certain que leur amitié a subi
une éclipse de plus d'un an à la suite de propos aigres qu'ils avaient
échangés sur la sincérité de leurs poésies amoureuses, Baïf aj^ant été
probablement l'agresseur ; voir trois autres sonnets de Baïf: Souvent
Ronsard pour l'amitié sincère.... Nul je ne v eu blâmer d'écrire à sa
façon.-.. Banques on dit que mon amour est feinte... (M.-L., I, 121,
137 et 163), et un sonnet de Ronsard, Bciif il semble à voir tes rimes
langoureuses (Bl., I, 400 ; M.-L., VI, 11). — Quant à la date, on peut
la déterminer, je crois, assez exactement. Les cinq sonnets précités ont
paru en 1555. ceux de Baïf dans l'Amour de Francine {l'« partie de
l'année), celui de Ronsard dans la Continuation des Amours (2e partie
de l'année). La brouille était donc dans son plein cette année-là. Si,
d'autre part, on se reporte au sonnet Ronsard que les neuf Sœurs, le
2' quatrain ne laisse guère de doute :
Mais le bouillant courroux de ton cœur ne s'alante :
Lan s'est changé depuis, et point ue s'est changée
L'ire que tu conceus pour ta gloire outragée.
S'il est vraj' ce que nient une langue méchante.
D'api'ès ces vers, ce serait en 1554 que la brouille éclata, soit pendant
les neuf mois que Baïf passa près de Francine à Poitiers, soit au retour
de cette longue absence vers le 1er décembre (v. les sonnets Comme le
simple oiseau, et Paris mère du peuple, M.-L., I, 97 et 189). Les deux
poètes se réconcilièrent soit vers la fin de 1555, soit au début de 1556,
comme le prouvent ces premières lignes des Dialogues contre les nou-
VIE UE V. DE RO.NSAKD, 9
l3o r.OMMKNTAlUK llISTOltlQLK
veaux Acadciniciens de Guy de Bruès, publiés en 1557 (Paris, Cavellat),
mais avec un privilège daté du 30 août 1556 : « liaïf : J'ay expéri-
menté, Amv Ronsard, ce que des longtemps j'avois ouy dire, c'est que
les choses que nous avons perdues (si d'aventure nous les recouvrons)
nous sont beaucoup plus clicres et agréables qu'elle n'etoient aupara-
vant, parce que lors nous connoissons mieux leur valeur et importance.
Non sans cause je te di ceci, car me voiant maintenant remis en ta
bonne grâce, de laquelle (avec peu d'occasion) j'avois été si longtemps
eloingné, je m'estime sans comparaison plus heureux que je ne faisois
ci-davant, connoissant combien est honorable l'amitié d'un tel person-
nage que tu es. — Ronsard : On me donnoit plus d'occasion que tu ne
dis, de t'estimer peu aiïectionné en mon endroit : toutesfois ce soupçon
incertain estant surmonté par l'amitié qui a esté entre nous des nostre
enfance, les admonestementz de nos plus singuliers amys ont eu plus
de puissance sur moj^ que ceux qui disoient que tu m'avois offensé :
joint que de mon naturel j'ayme mieux oublier toutes rancunes, que
vouloir mal à un tel personnage que toy : bien est vray qu'il ne faut
jamais (si nous pouvons) sçavoir combien est grande la pacience d'un
amv. Mais je te prie oublions tous ces propos, et nous souvenons seu-
lement de nous aymer, et de communiquer nos estudes enscmblément,
comme nous avions acoustumé. » (Bibl. Nat., Rés. Z, 836.)
Pour en revenir à Binet, il n'ignorait pas la divergence de caractère
qui séparait Ronsard de Baïf, ni les « aigres humeurs » qui les auraient
pour toujours éloignés l'un de l'autre sans « la douce raison » qui
chaque fois les rapprochait (v. le 2'ombeaii de Ronsard, éd. Bl., VIII,
240 et 241). Mais il semble bien qu'il ait ignoré cet épisode lointain de
la vie des deux poètes, surtout sa date. Autrement, il n'aurait pas avancé
que Baïf se trouvait avec Ronsard quand celui-ci i-encontra Marie du Pin.
Son affirmation est d'autant plus suspecte qu elle parut seulement
en C, plus de sept ans après la mort de Baïf, arrivée en septembre 1589.
Il s'est vraisemblablement produit une confusion dans son esprit entre
la note de Belleau que nous avons citée plus haut et le Voyage de lueurs,
à la suite duquel il avait lu cette autre note du même commentateur :
« Il (Ronsard; escrit en ce chant pastoral un voyage que J.-A. de
Baïf... et luy firent à Tours pourvoir leurs maisti'esses. » (Bl., I, 182 )
Or ce chant pastoral fut composé certainement après 1557, très pro-
bablement au printemps de 1560, et, dans tous les cas, n'a aucun rap-
port avec la première entrevue de Ronsard et de Marie.
L'ami qui accompagnait Ronsard lors de cette première entrevue est
bien plutôt Charles de Pisseleu, abbé de Bourgneil, auquel Ronsard
avait adressé trois de ses premières odes et adressait encore en 1555
l'épître Avant que l homme sait ,B1., II, 223, 418, 450; VI, 308), qui
résidait alors dans son abbaye et qui le supplanta dans les faveurs de
Marie (cf. Bl., I, 148, note, et 401, sonnet de 1556, O toy qui n'es...) ;
à moins que ce ne soit Belleau lui-même, l'auteur du Commentaire de
la première partie des Amours de Marie (cf. Bl , I, 203, Ne me suy
point, Belleau...).
P. 19, 1. 34. — de laquelle. C'est-à-dire au sujet de laquelle. L'équivoque
disparaît dans la troisième rédaction.
FT CIUTIQIE l3l
P. 19, 1. 37. — conceûe. Binet veut dire : « Il a fort aimé Marie après
avoir fait l'amour à Cassandre pendant dix ans, et il a quitte Marie par
quelque jalousie conçue. » Les sources de cette addition de C se trou-
vent dans V Elégie à son livre, prologue du Deuxième livre des Amours,
dans quelques pièces où la jalousie de Ronsard est manifeste (Bl., I,
145, 148, 191, 403, 404), enfin dans ce passage d'une Elégie à Genevre:
Je m'espris en Anjou d'une belle Marie...
Mais, o cruel destin, pour ma trop longue absence
D'un autre serviteur elle a fait accoinlance. (Bl., IV, 229.)
CoUetet, interprétant mal la phrase de Binet, a faussement écrit à
propos de Cassandre : « Du moins, au rapport de Claude Binet, la
quitta-t-il pour quelque jalousie conçue. )) {Vie de Ronsard, éd. par
Blanchemain, p. 60.)
p. 19, 1. 39. — beaucoup. Source très probable, ces lignes signées R.
Belleau, en note du sonnet Mes soupirs, mes amis (BL, 1,178): « ... Ce
sonnet et le madrigal précèdent, comme beaucoup d'autres de ce livre,
sont fort simples et faits sans grand artifice, tout exprès composez ainsi
par nostre Autheur, comme il m'a dit, pour varier son style, tantost
haut, tantost bas, tantost médiocre, selon qu'il l'a voulu, encores que
la gravité luy fust propre et naturelle. » — Cf. la note du même au
sonnet Marie levez-vous (B1.,I, 164) : « Ce ne sont que mignardises,
lesquelles sont plus belles en leur simplicité que toutes les inventions
alambiquées des Espagnols, et de quelques Italiens... »
Quant au jugement lui-même de Belleau et de Binet, il ne faudrait
pas l'appliquer à tout le Deuxième livre des Amours, notamment aux
chansons. Celles-ci, presque toutes imitées du poète néo-latin Marulle
témoignent au contraire d'un « artifice » très visible dans la composi-
tion, et la « simplicité » ne s'y manifeste que dans le vocabulaire et
par l'absence presque complète de mj'thologie. D'ailleurs l'expression
« à la Catullienne » qu emploie Binet est contestable, car l'art de Catulle
est en général raffiné, et ce n'est pas sans raison qu'on a dit « doctus
CatuUus » (cf. Couat, thèse sur Catulle ; Lafaye, Catulle et ses
modèles). Il est vrai que Ronsard lui-même a opposé le « beau style
bas, populaire et plaisant » de TibuUe, d'Ovide et du « docte Catulle »
à celui de Pindare (fin de V Elégie à son livre, prologue du Deuxième
livre des Amours) ; et il est encore vrai, comme l'a remarqué Belleau
dans la préface de son Commentaire, que le style des poésies inspirées
par Marie est plus simple et plus clair que le stj'le des poésies inspi-
rées par Cassandre. — Pour toute cette question, v. ma thèse sur
Ronsard p. lyr , pp. 153 et suiv., 534 à 549.
P. 19, 1. 43. — digérer. Cette phrase insérée en C vient de VEpitre au
Lecteur, préface de l'éd. princeps des Quatre prem. livres des Odes
C155Û) : « Pour telle vermine de gens ignorantement envieuse ce petit
labeur n'est publié, mais pour les gentils esprits, ardans de la vertu et
dedaignans mordre comme les mastins la pierre qu'ils ne peuvent
digérer. « (Bl., II, 12.)
p. 20, 1. 4. — de Savoye. En 1559, par son mariage avec Emmanuel-
Philibert, duc de Savoie, auquel le traité de Cateau-Cambrésis rendait
I,")3 CdMMKM' \lHi: lllSTOltKH I"
son cluclié. Sur icttf princesse, qui fut la digne nièce de Marguerite I de
Navarre par la protection qu'elle accorda aux écrivains, en particulier
aux deux chefs de la Brigade, v. II. Chamard, ./. du Bcllaij, p. 222 et
passini ; Roger Peyre, Une Princesse de la Renaissance, et H. Patry,
Bulletin du Protestantisme de janv. 1904. Ronsard l'a maintes fois célé-
brée, notamment dans un Chant pastoral de 1559 et dans le Tom-
beau de Marg de France de 1574 ^Bl , IV, 71 ; VII, 177).
P 20, 1. 8. — pension ordinaire- Ronsard n'a pas eu à se louer de la
générosité de Henri II autant que Binet lallirme ici. Il s'est au con-
traire plaint à plusieurs reprises de l'inditrérencc de ce roi pour les
poètes et delà difïiculté pour eux d'obtenir ses dons. Voir par ex. BL,
VI, pp. 285 et suiv., pièce parue dans les Hymnes de 1556; VI, 166,
Discours contre Fortune, composé au début de 1559 ; III, 401, élégie
composée en 1559; III, 355, poème composé en 1561 et publié en 1565 ;
III, 316, poème composé en 1565 et publié en 1567. Une seule fois il a
loué Henri II comme protecteur des écrivains, mais c'est dans une com-
plainte à Catherine de Médicis, écrite en 1563, et encore avec quelles
restrictions ! (BL, III, 375à377). — D'ailleurs Binet s'est contredit par
une addition de G, insérée plus loin à propos de la Franciade (v. ci-
après, p. 146, note sur les mots « de son temps»).
C'est néanmoins sous ce règne que Ronsard obtint : 1° le bénéfice de
la cure de MaroUes-en-Brie (1553) ; 2° en échange de celui ci, le béné-
fice de la cure de Challes au Maine (1554) ; 3° le bénéfice de la cure-
baronnie d'Evaillé au Maine (1555); 4' le bénéfice de la cure de Warluis
en Beauvaisis (1557) ; 5" probablement celui de la cure de Cbampfleur
au Maine (1557 ou 58 '!)■ Mais ce fut par suite des libéralités directes des
prélats Jean du Bellay. Odet de Châtillon, Charles de Pisseleu, peut-
être Charles de Lorraine (cf. L. Froger, Rons. ecclésiastique ; P. Bon-
nefon, Rev. d'Hist. lilt- de 1895, p. 244) ; et L- Froger a eu raison
d'écrire : « Henri 11 aimait le chef de la Pléiade, mais c était, paraît-il,
d'une amitié toute platonique. Le titre daumônier et la pension de
douze cents livres attachée à cette sinécure, tel fut, croyons-nous, tout
le bilan des générosités du monarque » {Op. cit., p. 30) Encoreaurait-
il fallu ajouter que Ronsard n'obtint le titre de « conseiller et aumos-
nier ordinaire du Roy » qu aux environs du l«r janv. 1559. sans doute
à la place de Mellin de Saint-Gelais, mort en octobre 1558. Il en est fait
mention pour la première fois dans un privilège daté du 23 févr. 1558
(1559, n. st .)> qu'on lit dans le Discours de M(jr le Duc de Savoie et
dans la Suite de l'Hymne du Cardinal de Lorraine, avec cette addition :
«... du Roy et de Madame de Savoie » (Bibl- Nat., Ye, 501 ; Ye, 498).
Cf. ma thèse sur Ronsard p. /yr., chap. m, § 4- — La pension annuelle
de 1.200 livres tournois attachée à cette sinécure était payée à Ronsard
par trimestres (cf. B1.,VIII, 39, note 3; Rochambeau, op. cit., p. 141 ;
mais Bl. a lu 1563 pour la date de cette quittance, et Rochambeau 1573) .
D'après un texte que nous citons plus loin (p. 147, aux mots
« pris et valeur »), Ronsard avait déjà le titre de « poète ordinaire du
Roy )) en mai 1554. En outre, on trouve dans le recueil des Odes,
Enigmes et Epigrammes de Ch. Fontaine, publié à Lyon en 1557, un
quatrain A Pierre de Ronsard Poêle du Roy.
ET CRITIQUE I 33
P. 20, I. 17. — de chanter. Ode .1 Madame Marguerite, publiée la
3e du Cinquiesme livre en 1552. Ici comme plus haut, Binet cite d'après
l'éd. de 1584 (à part point au lieu de pas), non d'après l'éd. princeps,
qui ne contenait pas la .strophe d'où ces vers sont extraits, ni d'après
les éd. de 1553 et de 1560, où se lit la variante :
Quoi ? n'esse pas loi, vierge n'esse,
N'esse pas toi, docte l'riiicesse,
Qui me donnas cœur de chanter...
P. 20, 1. 19. — de France. L'expression est impropre et obscure.
Marguerite de France prit LHospital pour Chancelier à partir d'avril
1550, en qualité de Duchesse de Berry ; puis en 1559, en qualité
de Duchesse de Savoie. Enfin L'Hospital fut nommé Chancelier de
France et Garde des Sceaux le 30 juin 1560. (Voir Dupré-Lasale, Michel
de rilospital, I). Binet s'est heureusement corrigé en C
P. 20, 1. 23. — atqne Poëtis. Cf. Bl , IV, 361. Dupré-Lasale s'est
trompé en disant que cette élégie latine fut publiée pour la première
fois dans l'éd. de Ronsard de 1609 (op. cit., I, 319). Elle parut dans
la prem. éd posthume de Ronsard '1587), mais non pas « au front de
ses œuvres », comme Binet l'annonce en A ; elle fut insérée à la fin du
tome VI, à la suite des Elégies, où elle a toujours été conservée. Binet
s'est corrigé sur ce point en B. — D'ailleurs elle n'a pas été insérée
dans les œuvres de M. de L'Hospital avant 1732 (parmi les Carmina
miscellanea de l'édition d'Amsterdam, pp. 458 et suiv. — Bibl. Nat.,
Yc, 8285).
P. 20, 1. 28. — s'esvanoiiissent. C'est la leçon de ABC et de 1604 qui
nous semble la vraie, et non pas celle de 1609 à 1630, s'esvanouissent.
Il s'agit en effet non plus d'une reflexion générale comme dans la com-
paraison précédente, mais d'un fait passé. La phrase de Binet est d'ail-
leurs très incorrecte, par suite du mélange de deux tournures : lo ou
[ressemblèrent] à des nues qui enflées du brouillas d'une nuit s'évanoui-
rent ; 2o ou comme des nues enflées du brouillas d'une nuict [elles]
s'évanouirent. — En somme le mot gui est de trop ; si on le supprime
la phrase devient correcte et claire. — II faut entendre par « ce Soleil »
Ronsard.
P. 20, 1. 40. — medisans. Vers extraits du Chant pastoral écrit en 1559
en l'honneur de Madame Marguerite, récemment mariée au duc de
Savoie (Bl., IV, 79).
P. 20, 1. 41. — nostre âge. Cette expression appliquée à Mich. de L'Hos-
pital se trouve dans le sonnet A P. de Ronsard, liminaire des Plaisirs
de la Vie rustique de Plbrac, publiés en 1576 (Paris, Fed. Morel) :
Ce grand Caton François, encor en sa vieillesse
Delà saincte fureur des neuf Muses épris...
P. 21, 1. 1. — en ses Hymnes. Cette « Epistola commendatrix »,
qu'on peut lire dans l'éd. Bl. au tome V, p. 81, date de la fin de 1558
ou du commencement de 1559. Adressée par L'Hospital à Charles, car-
dinal de Lorraine, en faveur de Ronsard, elle accompagnait manuscrite
VHgmne de Charles Cardinal de Lorraine, lequel fut composé dans les
l3'l fOMMKNTAÎRK ITISTORKMK
derniers mois de 1558, et imprimé seulement vers le 1" avril 1559.
Bien que l'éd. princeps de cet Hymne ne contienne pas ladite épître
latine, c'est la lecture de cet Hi]mne qu'elle recommande au cardinal.
Il suffit pour s'en convaincre de lire de suite les deux pièces, celle de
Ronsard, puis celle de L'Hospital, en ayant soin de préciser et de dater
les événements historiques auxquels il est fait allusion dans l'une et
dans l'autre. Ces vers notamment ne laissent aucun doute ni sur la date
de la composition de l'épître, ni sur l'œuvre de Ronsard que vante
L'Hospital :
Janique lui dotes animi quam sedulus omnes
Exequitur, quaeqiie hoc bis senos Rege per annos
Gesseris, incipiens a priivo flore juventae.
Ut nunc implicitum bcllis, quae maxinia noslrum
Circumstant Regem... (et ce qui suit).
Cette épître latine a été publiée pour la première fois dans l'éd. collec-
tive de 1560 au premier livre des Hymnes, où elle précède Y Hymne de
la Justice de 1555 (avec lequel elle n'a aucun rapport), Y Hymne des
Daimons de 1555 (avec lequel elle n'a aucun rapport, Y Hymne du
Cardinal de Lorraine (avec lequel elle a un rapport étroit). Elle a con-
servé cette place dans toutes les éd. collectives jusqu'en 1584 inclus.
C'est seulement à partir de la première édition posthume qu'on la
trouve placée où elle doit être, immédiatement avant YHymne du Car-
dinal de Lorraine.
Binet a évidemment cru, lors de sa première rédaction, que L Hos-
pital avait composé YEpistola à 1 occasion de la querelle Saint-Gelais-
Ronsard, puisqu'il en parle comme d une œuvre parallèle à YElegia, et
que les mots « En recompense dequoy... » retombent à la fois sur les
deux pièces latines de L'Hospital. Cette première rédaction dénote
donc une grande ignorance ou négligence de la chronologie. Mais Binet
fit disparaître la confusion en B, s'étant rendu compte que YEpistola
(désormais rapprochée de YHymne du Card. de Lorraine dans l'éd.
posthume des œuvres de Ronsard) n'avait pu être écrite que 12 ans
après l'avènement de Henri II au trône, c'est-à-dire à la fin de 1558 au
plus tôt, et que d ailleurs elle ne faisait aucune .allusion à la fameuse
querelle. Colletet, interprétant mal Binet, a faussement rattaché cette
Epistola à. la querelle Saint-Gelais-Ronsard ( \7e Je /?o/is. éditée par
Bi., p. 39). Marty-Laveaux a commis la même erreur, et encore une
autre en citant à propos de cette querelle des vers qui n ont aucun
rapport avec elle, extraits d'une Epître de Ronsard au Cardinal de
Lorraine, publiée parmi les Hymnes de 1556 (Notice sur Ronsard,
p. XXXIII .
p. 21, 1. 8- — de l'Ignorance. Epode xx de l'ode pindarique A Michel
de L'Hospital, publiée en septembre 1552. mais composée dès 1550
(y. ma thèse sur Ronsard p. lyr-, pp. 79 à 82).
On a vu dans la note précédente que les mots : « En recompense
dequoy », qui en A s'appliquent aux deux pièces latines de L'Hospital
{YElegia et YEpistola) ne retombent plus en BC que sur YElegia.
M"fi Evers a essayé de montrer que Binet s'était trompé même dans ses
deux dernières rédactions, et que l'ode A Michel de L'Hospital ne fut
ET riUTIQLE r35
pas écrite « en récompense » de VEleçjia^ celle-ci ayant été vraisembla-
blement composée en décembre 1552.
On sait par une lettre latine de L'Hospital à Jean de Morel du
1er décembre 1552. publiée par P. de Nolhac {Rev. d'Hist litt., 1899,
pp. 351 à 356), quelle ingénieuse diplomatie L'Hospital a déployée pour
amener Ronsard à faire la paix avec Mellin de Saint-Gelais et Lancelot
Carie, évoque de Riez : L'Hospital, qui est avec la Cour à Fontaine-
bleau, charge son ami Morel d'intervenir auprès de Ronsard pour lui
faire entendre que ses adversaires sont prêts à capituler ; qu'il y va de
son intérêt de ne pas repousser leurs avances, de cesser ses invectives,
et même de leur adresser à l'occasion du Icr janvier quelques vers
d' « estrennes » qui témoignent de sa bienveillance à leur égard ;
qu'enfin il évite dans ces vers les nouveautés bizarres [abstineat novis
et insolilis), qui ont provoqué leurs critiques. L'Hospital demande
encore à Morel de lui répondre de telle façon qu'il puisse montrer sa
lettre à Carie, et il lui donne le canevas de cette réponse: « Vous direz
qu'ayant parlé à Ronsard vous avez appris de sa bouche qu'il n'a
soupçonné personne, ni l'évêque de Riez ni d'autres ; qu'il pense avoir
leurs sympathies, n'aj'ant pas voulu les offenser; que, s'il a des envieux
qui le desservent auprès du roi, il ne veut avoir d'autres patrons et
défenseurs que les deux hommes, auxquels il est lié, sinon par un
commerce dintime amitié, du moins par la communauté des goûts
littéraires. . . » — Il ressort de cet important document que L'Hos-
pital élabora en détail un plan de réconciliation, et cela à l'insu de
notre poète (car un post-scriptum recommande à Morel de ne mon-
trer la lettre de L Hospital à personne, pas même à Ronsard). Ce plan
réussit et eut pour résultat, entre autres, d'amener Ronsard à modifier
sa manière dans le sens de la simplicité Marotique : les Folastries
d'abord 1^1553) le 2^ Bocage et les Meslanges ensuite (1554), enfin la
Continuation et la Nouvelle Continuation des Amours (1555 et 56) en
sont la meilleure preuve (v. ma thèse sur Ronsard p. hjr., première
partie, chap. ii et m).
Or M"'' Evers pense [op. cit. p. 170 que VElegia de L'Hospital fut
probablement écrite peu après la lettre à Morel, pour les raisons sui-
vantes: 1° Les deux pièces donnent à Ronsard le même conseil, celui
de changer son style, mais dans la lettre à Morel il est présenté comme
tout à fait nouveau, et L'Hospital n'y fait pas la moindre allusion à
VElegia, qu'il n'aurait pas manqué de montrer à Morel si elle avait été
écrite avant la lettre. 2» Si Ronsard avait déjà connu l'opinion de
L'Hospital parle moj'en de VElegia, il n'y aurait pas eu besoin de la lui
présenter avec tant de mj'stère par l'intermédiaire de Morel. UElegia
fut donc écrite après la lettre pour corroborer et enfoncer profon-
dément les idées déjà suggérées à Ronsard par Morel.
Cette argumentation me semble plus spécieuse que solide. D'abord
VElegia a très bien pu être écrite avant la lettre à Morel, surtout
deux ans avant, dans la seconde moitié de 1550, sans que L'Hospital
en reparlât dans une lettre de décembre 1552. — En outre, si L'Hospital
procède avec mystère dans sa lettre, c'est plus encore à l'égard de
Saint-Gelais et de Carie qu'à l'égard de Ronsard, et bien plus pour
l36 (.o\i\ir\ r\iiu: iiistouku r
ménager l'amour-propre des deux partis que pour obtenir de Ronsard
un changement de style dans toutes ses œuvres. Il y avait deux ans
déjà que L'Hospital et quelques amis désintéressés de Ronsard
cherchaient à lui montrer le tort qu'il se faisait par les excès de sa
manière pindarique et alexandrine : le conseil que L'Hospital charge
Morel de donner à Ronsard était loin d'être nouveau, et d'ailleurs il ne
concerne que le style des vers qu'on lui demande de composer en
faveur de Saint-Gelais et de Carie. — Enfin, si L'Hospital avait écrit
VElcgia au moment même où il voulait réconcilier les adversaires, il
n'y eût pas étalé, comme il l'a fait, les torts de Saint-Gelais, il ne
l'eût pas criblé, comme il l'a fait, des traits de la plus mordante ironie.
M"e Evers, prévoyant cette dernière objection, répond subtilement
que ce fut là de la part de L'Hospital une suprême habileté pour ame-
ner Ronsard à faire la paix, et que. s'il a rempli son Elegia de sar-
casmes et de reproches à l'adresse de Saint-Gelais. c'est simplement
pour flatter la vanité de Ronsard et rendre plus acceptable le conseil
déplaisant qu'il lui donnait, à savoir de sacrifier l'érudition dont il
était si fier, et même de flatter ses adversaires, pour obtenir d'eux le
silence et la paix ; que d'ailleurs il faut supposer que cette Elegia ne
fut jamais lue de Saint-Gelais ni de ses amis, qui, se V03'ant traités
si insolemment, auraient repoussé toute idée de réconciliation.
Si, pour étayer le raisonnement de M'ie Evers, une telle supposition
est nécessaire — et elle l'est en effet - ce raisonnement tombe de lui-
même, car elle est inadmissible. Comment croire que L'Hospital se
fût donné la peine, pour arriver à ses fins, d'écrire une pièce de 176
vers latins, et quel besoin aurait-il eu de la mettre dans la bouche de
Ronsard comme une apostrophe adressée par Ronsard à ses ennemis,
si elle avait dû rester confidentielle? Tout porte à croire, au contraire,
qu'elle fut écrite pour être lue de toute la Cour, comme une œuvre
sortie de la plume de Ronsard lui-même, et par conséquent dès le
début de la querelle ouverte, vers juillet-août 1550. Les quatre pre-
miers vers suffiraient à dater cette Elegia :
Magnificis aulae cuUoribus atqiie Poetis
Hapc Loria scribit valle Poeta novus,
Excusare volens vestras quod laeserit aures,
Obsessos aditusjani nisi livor habet.
Quant au passage où M"'' Evers voit un conseil détourné à Ronsard,
tout à fait comparable à celui que contient la lettre de L'Hospital à
Morel, le voici traduit, avec l'insulte qui le précède et la menace qui le
suit : « Et cependant dit Ronsard) il est une chose qui me console, et
sert de baume aux coups et blessures que j'ai reçus. Si j'étais méprisé
de toi, tu n'attaquerais pas ainsi mes vers, tu ne me mordrais pas si
souvent, comme tu le fais de ta bouche rageuse, tu ne ci'aindrais pas
que tes œuvres fussent délaissées quand on aura lu les miennes, tu ne
dirais pas en toi-même : « Hélas ! que faire ? Il va nous détrôner, nous
rendre au commun des mortels, nous susciter mille ennuis. Dès qu'on
aura vu et entendu ses vers, ils plairont; ils plairont, et les nôtres sans
valeur seront foulés aux pieds honteusement. » Voilà ce que tu penses,
ET rR!TIQl-E 187
si tu 5' vois quelque peu clair en toi-même, si tu n'es pas égaré par la
passion ou inconscient.
« Quel courage maintenant, quelles forces pour faire des vers, quel
espoir dans l'avenir, je dois avoir, qu'en dis-tu lorsque je me vois,
moi chétif, houspillé pour ces médiocres vers, qui me plairaient à
peine s'ils ne te déplaisaient pas' Car je ne m'admire pas autant que
tu l'imagines; je ne vais pas jusqu'à trouver bon d'emblée tout ce que
j'écris. Bien mieux, je changerais volontiers, même sur tes indications,
ce qu'il y a de nouveau et d'étranger dans mes vers, pour que doréna-
vant tu n'aies plus de raisons de médire de moi, ni de cribler d'é-
paisses ratures les mots malsonnants, et que je fasse cesser ce rire, qui
suffit à te faire passer pour un grand bouffon parmi nos gens d'élite.
Combien cette façon d'agir est digne d'un défenseur sacré du Christ,
vois le toi-même, toute la France le voit
« Mais après que tu auras reçu satisfaction, à ton tour cesse de lancer
contre moi les traits de ta bouche, et dépose les armes. Mon cœur ne
sera pas toujours armé de patience, je ne supporterai pas toujours tes
médisances et tes moqueries. A regret, je le jure, je m'armerai des
iambes cruels, et sous la blessure je te lâcherai mille vers, qui t'obli-
gent à te pendre, ou à t'exiler honteusement de France; afin qu'on
sache bien quel sort, quelle miséral)le fin sont réservés à la langue
intempérante et à la bouche indiscrète- »
Je le demande : entre cette critique très désobligeante et ce vigou-
reux ultimatum, peut-on prendre au sérieux les propositions de paix
du milieu de ce morceau, et croire qu'elles engagent à fond leur auteur?
De telles avances ou concessions dans un pareil cadre paraissent plutôt
une ironie, et une ironie qui n'eût guère été opportune si L'IIospital
avait écrit cette satire au moment même où il mettait tout en œuvre
pour réconcilier les deux adversaires.
P. 21, 1. 10. — Pallas de France. Cf. la strophe et l'antistro. 11 delà pre-
mière ode de Ronsard A Madame Marguerite, publiée en 1550 (Bl , II,
49), un passage de l'Hymne de Henri II (Id.,\, 74), un passage du Tom-
beau de la même princesse (Id., VII, 189), et l'épître d'Est. Jodelle
A Mad. Marguerite publiée en tête du 2" livre des Hymnes de Ronsard
en 1556 (Id.. V, 7 et suiv ). — Elle était, dit Brantôme, « si sage, si
vertueuse, si parfaite en sçavoir et sapience qu'on lui donna le nom de
la Minerve ou Palas de la France»; elle portait, dans ses armes, ajoute-
t-il, un rameau d'olivier, emblème de Pallas, avec cette devise : Rerum
sapientia custos (édition Lalanne, VIII, 128).
P. 21, 1 13. — une Palinodie. Binet fait-il allusion, comme le pense
MUe Evers (op. cit., p. 162), aux rétractations orales faites à la Cour
par Saint-Gelais, rétractations dont parle Ronsard dans son ode A M.
de Saint-Gelai.<i :
Mais ore, Melin, que tu nies
En tant d'honnestes compaignies
N'avoir mesdit de mon labeur.
Et que ta bouche le confesse
Devant moy-mesme, je délaisse
Ce despit qui m'ardoit le cœur.
(M.-L.. II, 354.)
i38
roMMr\Tunr. uisTonrotr:
Ou bien fait-il allusion, comme l'ont pensé Colletet, Blancheniain et
Marty-Laveaux, à une palinodie écrite, imprimée en tête de la 2'- édition
des Amours lôô3) sous le titre : Sonet de M. de S. G. en faveur de
P. de Ronsard ? (Cf. le Ronsard de Blanchemain, I, xxvi ; le Saint-
Gclais du même, II. 262.^
J adopte cette seconde interprétation, bien que 1 expression >< chanter
la palinodie » soit une expression toute faite, synonyme de « se ré-
tracter », comme dans le passage de la lettre à Morel où L'Hospital écrit
en parlant des adversaires de Ronsard : « Mihi videntur palinodiam
canere. » Mais je ne suis plus de l'avis de Colletet, quand, après avoir
cité le premier quatrain de ce sonnet :
D'un seul malheur se peut lamenter celle
P>u qui tout l'heur des astres est compris :
C'est, ô Ronsard, que tu ne sois espris
Premier que moy de sa vive estincelle...
il ajoute : « Et le reste qui justifie assez clairement que Mellin de
Saint-Gelaisluy-mesmc estoit aussy amoureux de Cassandre, et qu'aiiisy
il n'estoit pas moins son rival en amour qu'en poésie. Et peut-estre
seroit-ce la raison qui obligea Ronsard de la quitter après l'avoir aimée
dix ans entiers. » {Vie dcRons.. p. 60.) Cette opinion, qui a été prise au
sérieux et adoptée par Ménage Ohserv. sur les poés de Malherbe, p. 553}
et Marty-Laveaux 'Notice sur Ronsard, xxxv), est insoutenable, car en
1553 Saint-Gelais avait 62 ans, Ronsard 28, et d'ailleurs Cassandre
Salviati, mariée dès novembre 1546 à un châtelain du Vendômois,
n était pour Ronsard qu'une maîtresse intellectuelle. Blanchemain, qui
avait d'abord suivi Colletet dans son éd. de Ronsard i VIII, 23), a eu
raison de s'en séparer dans son éd. de Saint-Gelais (II, 263), et de sup-
poser que dans cet obscur sonnet il s'agit de Madame Marguerite, sœur
de Henri II, protectrice commune des deux poètes, mais célébrée par
Saint-Gelais avant de l'avoir été par Ronsard.
Une dernière question. Dans les œuvres de Saint-Gelais, à partir de
1 édition Coustelier, qui est de 1719,1e dit sonnet est adressé à Clément
Marot, et on lit au 3e vers :
C'est, ô Clément, que tu ne fus espris...
Faut-il en conclure, avec Blanchemain, ou que Saint-Gelais, réconcilié
seulement à la surface, a remplacé dans son sonnet avant de mourir le
nom de Ronsard par celui de Clément éd. de Ronsard, VIII, 24), ou
plutôt qu'il s'est contenté en 1553 d'adresser à Ronsard un vieux sonnet
primitivement écrit pour Marot (éd. de Saint-Gelais, I, 24, et II, 263) ?
La première de ces hypothèses (adoptée par M"e Evers, op. cil., p. 166,
n. 5) me semble devoir être écartée, car la réconciliation fut très sincère
delà part du vieux poète, comme le prouve un sonnet de 1554, édité par
Blanchemain (éd. de Saint Gelais, III, 112). La deuxième hypothèse
est plus plausible, car 1" du temps de Marot ce sonnet pouvait très bien
s'appliquer à Marguerite de Navarre, sœur de François I""", et en 1553
convenir encore à sa nièce, Madame Marguerite; 2" Ronsard a fait
quelque chose d'analogue, précisément dans la seconde édition des
Amours, en ce qui concerne le sonnet qui commence ainsi :
I
ET r.RlTIQfE l3f)
Pour célébrer des astres devestus
L'heur escoulé dans celle qui me lime (Bl , I, 50 ,
remplaçant le douzième vers de l'édition princeps :
Et me faudroit un Desaultelz encore-..
par celui-ci :
Et me faudroit un Saingelais encore... '
Mais cette deuxième lij'pothèse n'en reste pas moins insuffisamment
étayée, vu que le sonnet de Saint Gelais n'est adressé à Cl. Marot dans
aucune édition antérieure à celle de 1719, et que Blanchemain déclare
lui-même ne pas savoir où l'éditeur Coustelier Ta pris (éd. de Ronsard,
VIII, 24, note).
Il se pourrait donc que Saint-Gelais eût écrit le sonnet D'un seul mal-
heur... en 1553, tout entier à la louange de Ronsard, et que seul l'édi-
teur du XVIII® siècle fût responsable du changement d'adresse et de la
variante du 3^ vers.
P. 21, 1. 18. — mer Egée. Sur cette ode A Melin de Saint Gclais,qm parut
en appendice de la 2e édition des Amour.'; (1553), v. ma thèse sur Ron-
sard p lijr., pp. 108 à 110 et p. 402 Comme je l'écrivais déjà dans
\a.Rev. d'IIist. litt. d'avril 1905, p 247 : « C'est à cette ode que Ron-
sard fait allusion dans une lettre qu'il adressa vers la fin de décembre
1552 à son ami et protecteur Jean de Morel : « L'ode de Sainct Gelays
est faite et ne veux la lui faire tenir sans vous l'avoir premièrement
communiquée. « Cf A. Rochambeau, Rech- sur la famillede /?., p. 185.
Michel de LHospital et Jean de Morel désiraient vivement la réconci-
liation de Ronsard et de Saint-Gelais, et c'est à leurs instances que
céda notre poète en écrivant cette ode ; cf. Rev- d'Hist. litt., de juillet
1899, art. de P de Nolhac, pp. 353-55. »
Voici le rang qu'elle occupe dans les éditions collectives du xvi'' siè-
cle : elle est la 31^ du quatrième livre en 1560, la 30'' en 1567, 1571,
1572, la 28" en 1578, la 25" en 158i, la 21<' dans les éd. posthumes ;
nouvelle preuve que, pour la rédaction de A, Binet a consulté la der-
nière édition publiée du vivant de Ronsard.
Sur la querelle de Saint-Gelais et de Ronsard, sur les personnages
qui intervinrent en faveur de notre poète, et sur son ode de réconci-
liation, voici ce que dit Velliard, qui ne paraît guère mieux renseigné
que Binet: « Petrus Ronsardus... iniitgratiam non ita quidem ab om-
nibus, quin inter aulicos conflaverit sibi ingentem invidiae molem.
Quemadmodumenim lippi clarum solis lumen ferre nequeunt, itatanti
ingenii splendore multis oculi doluere. Vix certe vir gravissimus pro-
cellas invidiae devitasset sine praesidio et auctoritate illustrissimi
principis Caroli Cardinalis a Lotaringia, Mich- Hospitalii paulo post
Galliae cancellarii, Carnavalaei - et Urbani Mallei. At ut crescit
1. Sur cette variante Blanchemain (VU, 3511 et M"« Evers fp. 161) se sont
trompés. Hartwig au contraire a raison {Ronsard-Studien, I, 49-50).
2. Le nom de Carnavalet ne figure que dans la 2'^ édition de la Laudatio
funebris, publiée comme la première en 1586 (Bibl. Nat-, Ln-^ 17840).
I.'JO COMMENT VinK, IIISTOUIQUE
vulnere virtus. tanto scsc vchcmcntius excitavit ad omnes partes bcne
audieiidi. Paulatini vero viri gravissimi qui cum humanitatis, tum
litterarum caussa praestantibus ingeniis favcbant, cum illis amicitiam
conciliarunt, eorumdemque studiorum similitudo benevolentiam postea
conjunxit. Intercessit etiam summa Reg. Catharinae auctoritas, quae
non solum extinxit omnes invidiae faces, sed eti:im omnem simultatis,
omncm alieni animi suspicionem penitus delevit. P. Honsardus qui
vera cum gloria de se praedicare poterat illud Plauti elogium : In me
nunquam invidia innata est, neu malitia mala, bono ingenio me esse
ornatum, quam auro multo malo, — P., inquam, Ronsardus qui loties
vetuit hoc caelesti munere, divino furore, Musarum virginal! pudore et
verecundia, ad pctuhuitiam et calumnias abuti, ne cui suspicionem
ficte reconciliatae gratiae daret, Oden cecinit testem candoris animi
sui, et obsidem suae in omnes voluntatis. T>(Laiid. fiin- I, f» 9 r» et V.)
Mlle Evers a consacré à la querelle de Saint-Gelais et de Ronsard une
intéressante dissertation, où sont étudiés, entre autres choses: l'origine
de la querelle ; les griefs de l'ancienne école contre Ronsard ; la période
de lutte ouverte ; celle de la réconciliation ; la nature de cette récon-
ciliation (op. cit., pp. 147 à 187). On y trouve des remarques justes et de
fins aperçus, fondés sur de nombreuses citations. L'ensemble est mal-
heureusement gâté par des erreurs de chronologie et de variantes, et des
conjectures aventureuses, dont nous avons déjà relevé quelques-unes.
Nous devons encore signaler ici certaines faiblesses de son argumentation.
Ainsi que M'I"- Evers, je pense qu'il y eut une période de rivalité
sourde entre la nouvelle école et l'ancienne, et que les agresseurs furent
Du Bellaj' et Ronsard. Mais il faut bien distinguer d'une part la que-
relle Du Bellay-Sibilet-Aneau, qui se passe en dehors de la Cour et
éclate dés l'apparition de la Deffence, de la querelle Ronsard-Saint-
Gelais, qui se passe à la Cour et n'éclate qu'un an plus tard, après l'ap-
parition des Quatre livres des Odes II y a évidemment des points com-
muns : ainsi le régent Lyonnais, Barth. Aneau, en critiquant la
Deffence en 1550 dans son Quintil Horatian, prend également à partie
Ronsard auteur des odes pindariques et raille ce dernier de la même
façon que Saint-Gelais devait le faire presque en même temps à la Cour
(édition de la Deffence, par Chamard, p. 225, note 2). Mais Du Bellaj',
malgré deux allusions malicieuses de la Deffence aux œuvres anonymes
de Saint-Gelais (II, ch. ii et iv ; édit . cit., pp. 182 et 212), semble
être toujours resté en bons termes avec lui.
D'autre part, quoi qu'en dise Mll« Evers, H. Chamard a eu raison
d'écrire : « Le différend de Saint-Gelais et de Ronsard surgit en 1550
après l'apparition des Odes- » Avant sa première Epiire au Lecteur, de
févr. 1550, je ne vois sous la plume de Ronsard, dans ses œuvres im-
primées ou celles qui pouvaient circuler manuscrites, que des allusions
vagues à l'ignorance des jjoètes Marotiques et à la platitude de leur style.
Quant aux passages de la Deffence, des Vers lyriques et de YHijmne
de France, que cite M"*' Evers (p. 149), ils ne contiennent aucune
allusion à Saint-Gelais ; je n'y vois que des lieux communs sur l'Igno-
rance et l'Envie, qui étaient courants chez les poètes français depuis la
querelle MarotSagon Enfin lorscjue Du Bellay écrit dans la préface de
ET CItITIQUK I^I
la 2" édition de l'Olive : « Or aj'-je depuis expérimenté ce qu'au para-
vant j'avoy assez preveu, c'est que d'un tel œuvre (la Deffence) je ne
rapporteroy jamais favoralilemcnt jugement de noz rethoriqueurs »,
ce n'est pas Saint-Gelais qu il désigne ainsi, mais Sihilet et Harth.
Ancau, lesquels avaient en effet riposte à certaines attaques de la Def-
fence, le premier dans la préface de son Iphigene, le second dans le
Quiniil Horatian ; et la preuve, c'est que dans la Musagnceomachie,
publiée en même temps que la seconde édition de l'Olive, il compte
Saint-Gelais parmi les « favoris des Grâces » et dans les rangs des
doctes poètes qui combattent le monstre Ignorance.
Non, il ne faut pas mêler Du Bellay à la querelle de Saint-Gelais et
de Ronsard, à laquelle il ne semble pas avoir pris part, et qui a duré de
juin 1550 environ au 1^'' janvier 1553. En veut-on une nouvelle preuve?
Guillaume des Autels n'a pas dit un mot de Du Bellay dans l'ode inti-
tulée De l'accord de Messieurs de Saingelais et de Ronsart, qui est la
dernière de ses Façons lyriques (publiées en juin 1553).
Aussi la fameuse satire de Du Bellay intitulée le Poëte Courtisan, à
laquelle M'Ic Evers consacre plusieurs pages (op. cit., pp. 175 et suiv.),
n'a-t-elle aucun rapport avec la querelle de Saint-Gelais et de Ronsard.
Non seulement elle a été publiée en 1559, et composée au moment même
où Du Bellaj' écrivait pour Saint-Gelais une très louangeuse épitaphe et
préparait son Tombeau de Saint-Gelays, où il célèbre « la grâce de ses
poésies et se fait l'apôtre de sa gloire », alors que rien ne l'y obligeait
(Cbamard, J. du Bellay, pp. 422 et suiv) ; mais Du Bellay dans le
Poëte Courtisan n'a pas visé Saint-Gelais plus que les autres poètes du
temps de Henri II, et la plupart des traits de cette satire retombent
autant sur les poètes de la Pléiade que sur les derniers représentants
de l'école Marotique : en 1559, il n'y a pas en France de poète plus
« courtisan » que Ronsard et Du Bellay (cf. Chamard, /(/., pp. 431
et suiv., et ma thèse sur Ronsard p. lyr , première partie, chap. iii^
s?^ 3-5).
Une dernière remarque critique. M'ie Evers s'attache à prouver que
la réconciliation ne fut pas sincère, ni d'un côté ni de l'autre. En ce
qui concerne Saint-Gelais, les preuves invoquées (p. 166, note 5) n'ont
aucune valeur : ce sont deux textes de Blanchemain, dont l'un est
démenti par les faits et extrait d'une page que M"'' Evers elle-même
reconnaît ailleurs (p. 159) purement fantaisiste (il s'agit de la p. 24 de
la Notice sur Mellin de S. G), et l'autre, tiré de la Notice sur Ronsard
(VIII, 24), a été heureusement corrigé par Blanchemain lui-même au
tome II de son éd. des œuvres de Saint-Gelais, p. 263 (v. ci-dessus,
p. 137, note sur les mots n une Palinodie »).
En ce qui concerne Ronsard, les seules preuves indiquées avec une
apparence de force viennent de suppressions ou de variantes de ses
éditions postérieures à la mort de Saint-Gelais. Il est vrai que le nom
de Saint-Gelais disparaît en 1560 du sonnet Pour célébrer des astres, et
n'y reparaît plus ; mais cela s'explique sans faire intervenir l'antipathie
ou le mépris de Ronsard pour Saint-Gelais: Pontus, Du Bellay, Des
Autels et Baïf, qui seuls sont nommés en 1560 dans ce sonnet, avaient
tous célébré une femme dans un recueil de sonnets (Pasithée, Olive,
l/|3 COMMKNTAinE HISTOIUQIF.
Sainte, Francine) ; Ronsard les nomme donc de préférence à Saint-
(iclais, qui n'avait rien fait de seniblaljlc. — Il est vrai que le sonnet
de Saint-Gelais En faveur de Ronsard disparaît des liminaires des
œuvres de Honsard à partir de 15G0 ; mais cela ne prouve rien contre
Ronsard ; c'est peut-être la conséquence de la suppression du nom de
Saint-Ciclais dans le sonnet Pour célébrer des astres qui semble lui cor-
respondre ; cela peut s'expliquer encore par l'amphigourisme du sonnet
lui-même ou sa primitive destination (v. ci-dessus, p. 137, aux mots
« une Palinodie »). — Il est vrai que V Hymne des Astres, adressé en
1555 à Saint-Gelais, disparaît de l'œuvre de Ronsard; mais c'est seule-
ment en 158-1 (non en 1560, comme le croit M"*^ Evers), et parce qu'il
faisait alors double emploi avec l'Hymne des Estoilles, composé en
1574 d'après la même source (un hymne de MaruUe). — Quant à la
reprise que Ronsard aurait faite en 150U du texte primitif de la fin
de son Hymne triumphal : « La tenaille de Mellin », au lieu de « Le
caquet des envieux », variante introduite dans la 2o édition en 1552,
— c'est une erreur, déjà commise par L. Froger, dont Blanchemain
est responsable [\. ci-dessus, p. 125, note sur les mots, « ces vers »).
D'autre part, non seulement Ronsard a conservé dans toutes ses
éditions l'ode de la réconciliation, Tousjours ne tempeste enragée, y
compris ce serment solennel :
Dressant à nostre amitié neuve
Un autel, j'atteste le fleuve
Qui des parjures n'a pitié
yue ni l'oubli, ni le temps niesme.
Ni la rancœur, ni la Mort blesme
Ne desnou'ronl nostre amitié...
et les deux strophes suivantes ;mais encore il a introduit dans un poème
postérieur de trois ans à la mort de Saint-Gelais un très grand éloge
de son ancien rival, auquel il n'était nullement tenu (v ci-dessus,
p. 125, note sur les mots « ces vers «).
On voit combien sont peu justifiées ces lignes de Mi'o Evers (p. 183) :
« Il est tout à fait clair que la paix qui avait été maintenue si long-
temps fut une paix armée de la part de Ronsard, puisqu'après la mort
de Mellin, quoiqu'il ne publie aucune nouvelle attaque contre lui, il en
reprend une ancienne et supprime les preuves de leur réconciliation,
comme pour montrer que sa vraie opinion sur son rival n'avait jamais
changé. » — Que Ronsard se soit réconcilié par intérêt, qu'il ait vanté
les mérites de Saint-Gelais pour se ménager la faveur de Henri II ou du
Cardinal de Lorraine, ou même celle du vieux poète, dont le crédit
était toujours puissant à la Cour, je l'accorde ; mais il ne s'ensuit pas
qu'il n'ait pas été sincèrement réconcilié. Il est certain que Ronsard en
la circonstance n"a pas été aussi désintéressé, ni par suite d'un cœur
aussi « noble et bénin » que Binet l'a cru et la dit ; mais il serait
injuste de prétendre, par réaction contre l'opinion trop complaisante
de Binet, que l'attitude de Ronsard à l'égard de Saint-Gelais après la
réconciliation fut celle d'un hypocrite. Quant aux sentiments qu'il a
pu avoir après la mort de Saint-Gelais, je ne suis pas éloigné de croire
ce qu en a dit G. CoUetet d'après Scévole de Sainte-Marthe: « Ronsard
1
i:t r.niTiQiK i^3
fut un de ceux qui le regretta davantage: en quoy il fit bien paraître
qu'il avoit complètement oublié les mauvais offices qu'il en avoit
reçus ». {Vie de M. de Sainct Gelais, publiée par Gell. des Seguins en
1863 ; cf. les Elogia de Se. de S- Marthe, livre II, publié en 1(502,
art. Melliiuis Sangelasiiis,p. 122. i
P. 21, 1. 23. — durant son règne. Le projet de la Franciade remonte
plus haut que ne le croit Binet. Dès 1549 Ronsard écrivait dans
y Hymne de France :
Et Jupiter à main gauche a tonné,
Favorisant le François, qu'il estime
Enfant d'Hector, sa race légitime
(Bl., V, 280) ;
dans l'ode pindariqueA Boujn Angevin: « Mais mon ame n'est ravie |
Que d'une bruslante envie | D oser un labeur tenter | Pour mon
grand Roy contenter... (131., II, 106 ; et à la fin de l'ode A Calliope :
.Je veus sonner le sang Hectorean,
Changeant le son du Dircean Pindare
Au plus haut hruit du chantre Smyrnean.
(Bl., II, 136.)
Dés avril 1550, il présentait au Roi, dans l'Ode de la Paix, une
esquisse de la Franciade qui diffère peu des grandes lignes de l'épopée
qu'il publia en 1572. — Trois autres pièces, écrites en pleine querelle
avec Saint-Gelais et les poètes de Cour, parlent de la « Franciade com-
mencée » : le sonnet Ja dcsja Mars.., l'ode A Michel de L'Hospital et
l'ode A Claude de Ligneri (Bl., I, 42; II, 87 et 338).
Puis, la querelle terminée, et Lancelot Carie ayant lu à Henri II,
en janvier 1554, avec force louanges, un « dessein » de la Franciade
(cf. Magnj', Gayetez, ode A Lancelot de Carie, achevé d'impr. 23 juin
1554, réimpr. Blanchemain, p. 88), le Roi exhorta Ronsard à composer
la dite épopée. On le sait par l'élégie A Cassandre : « Mon œil, mon
cœur... » et l'ode A A/r d'Angoulesmc, écrites en 1554 (Bl., I, 124;
II, 197).
Mais Ronsard ayant réclamé une récompense anticipée, telle qu'une
abbaye, dont les revenus lui permissent de composer à loisir cette
œuvre de longue haleine, et le Roi ayant fait la sourde oreille ou lui
ayant fait de vagues promesses, Ronsard suspendit et finalement aban-
donna son travail. Voir Iode de 1554, Nagueres chanter je voulois; la
dédicace des Odes de 1555, et l'ode Au Roy qui parut à la même date
en tête du 3'^ livre ; Yéyiiie au Cardinal de Lorraine, publiée dans les
Hymnes de 1556; un sonnet de 1556, Roy qui les autres Roy s; un
sonnet à d'Avanson de 1558, Entre les durs combats; une Complainte
à la Royne Mère de 1563 iBl., II, 273, 21, 172 ; VI, 287 , V, 302, 335 ;
III, 377, et VII, 138).
On peut voir encore sur le projet de la Franciade, agréée de Henri II,
attendue par toute la Brigade, mais abandonnée par Ronsard faute
d'espèces sonnantes, Magny, Odes, éd. Courbet, I, 69; Du Bellay,
sonnets xix, xxii, xxiii des Regrets ; Cl. Buttet, rééd. du Bibliophile
i^4 COMMKMAIHE IIISTOIUQCE
Jacob, II, 29 ; J. Béreau, rééd. de Hovyn de Tranchère, p. 209, sonnet
final (cf. ci-après p 158, note aux mots « que j'aij vciis »).
P. 21, 1. 37. — leur plaisait. Addition qui vient de VEpitre au Lecteur
de 1550, déjà citée : « Mais que doit-on espérer d'eus ? lesquels étants
parvenus plus par opinion, peut cstre, que par raison, ne font trouver
bon aux princes sinon ce qu'il leur plaist... » (Bl., II, 13-14; texte
rectifié par M.-L., II, 477).
P. 22, 1. 2. — d'argumens. « Bien fit-il sortir ses Hymnes » signifie :
Mais du moins, mais toujours bien il publia ses Hymnes. Le premier
livre parut en 1555, dédié « à très illustre et reverendissime Odet,
Cardinal de Chastillon » ; le second livre en 155(), dédié « à très illustre
princesse Madame Marguerite de France, Sœur unique du Roy et
Duchesse de Berry ». — Pour leur contenu, v. mon Tableau Chronolo-
gique des Œuvres de Ronsard. — Quelques-uns sont de petites épopées,
par exemple l'Hymne de Henri H, et l'Hymne de Castor et Pollux, que
Ronsard présente à l'amiral Coligny comme un prélude de chants
épiques plus importants. Les quatre Hymnes des Saisons, tant admi-
rés d'Estienne Pasquier, ne parurent qu'à la fin de 1563, dans le second
livre du Recueil des Nouvelles Poésies.
p. 22, 1. 5. — hommes de lettres. Odet de Coligny, dit le Cardinal de
Chastillon du château de ce nom, où il naquit en 1517), frère aîné de
l'amiral Gaspard de Coligny et du colonel François de Coligny d'An-
delot, était évêque-comte de Beauvais, cardinal depuis 1532, arche-
vêque de Toulouse depuis 1534. Entre autres écrivains il protégea
Rabelais, qui lui dédia en 1552 le quatrième livre du Pantagruel. Il
faisait partie du (>onseil privé du Roi et à ce titre résidait au Louvre
et suivait la Cour. C'est là qu'il témoigna dès 1553 la plus grande
bienveillance à Ronsard, qui en maints endroits de ses œuvres l'appelle
son « support » et son « Mécène ». — Voici les pièces nombreuses
que Ronsard lui adressa : 1" la dédicace du premier livre des Hymnes
(Bl., VI, 275) ; 2° le Temple de Messeigneurs le Connestable et les
Chastillons {Ibid., 301); 3" l'Hymne de la Philosophie {Id., V, 157);
4° la Prière à la Fortune {Ibid., 289) ; 5" l'Hymne de l'Hercule Chres-
tien (Ibid., 168); 6o l'Ode : « Mais d'où vient cela mon Odet... » (/cf.,
11,238); la Complainte contre Fortune {Id., VI, 157); 8o l'Elégie:
(( L'homme ne peut sçavoir... » [Ibid., 193); 9" Y Elégie : « Tout ce qui
est enclos... » {ibid. ,2'è2) ; 10" la.Bienvenue de M^'^ le Connestable {Ibid-,
224) ; 11" le Sonnet : « Nul homme n'est heureux... » {Id., V, 328.)
Les cinq premières de ces pièces parurent en 1555 ; les autres furent
composées de 1556 à 1560. Voir encore l'ode Au Roy publiée en 1555
en tête du 4^ livre, et l'Hymne de Castor et Pollux dédié en 1556 à
Gaspard de Coligny. Mais après 1560, Odet de Coligny étant devenu
huguenot (comme ses deux frères et sa mère Louise de Montmorency),
Ronsard ne lui adressa plus aucun vers ; il se contenta de déplorer
profondément, dans deux de ses Discours, !'« erreur » dubon Odet, tout
en restant dévoué à sa personne (Bl., VII, 29 et 74). Enfin, après la
mort de son ancien protecteur (1571), après celle de Gaspard de Coli-
gny (1572), qu'il avait souhaitée à plusieurs reprises, Ronsard eut la
faiblesse de retrancher de ses œuvres bon nombre de vers et des
ET CRITIQUE l/j5
pièces entières, où il avait célébré Odet de Coligny et ses frères,
notamment la dédicace du premier livre des Hymnes, le Temple des
Chastillons et la Prière à la Fortune, expressions de son éternelle
gratitude.
P. 22, 1. 6. — sa verlii. Charles de Guise, cardinal de Lorraine,
archevêque de Reims, favori de Diane de Poitiers, était le frère cadet
du grand capitaine François de Guise. Né en 1525, il avait été le con-
disciple de Ronsard au Collège de Navarre (v. ci-dessus, p. 71, note sur
les mots ndes lettres »). Il fut le bras droit de Henri II, sous le règne du-
quel il eut la direction des Finances et delà Justice, ambitionna la tiare
pontificale et se fit donner par Rome en 1558 les pouvoirs de l'Inquisi-
tion. Il fut le vrai roi sous le règne de François II, lequel avait épousé
sa nièce Marie Stuart, fille de Marie de Lorraine. Mais son crédit dimi-
nua peu à peu sous le règne de Charles IX, après la disparition de son
frère, tué par Poltrot de Méré en février 1563. Sa résidence ordinaire
était le château de Meudon, que Ronsard a célébré en janvier 1559
dans le Chant pastoral sur les nopces de Mi?'' Charles duc de Lorraine
et de Madame Claude (RI-, IV, 54). — Voici en outre les nombreuses
pièces que Ronsard lui adressa : 1° une Ode pindarique publiée en
1550 (RI., II, 51) ; 2° la Harangue du duc de Guise, publiée en 1553
(VI, 28); 3" VHijmne delà Justice, en 1555 (V, 106); 4° l'Epître:
« Quand un prince en grandeur... », en 1556 (VI, 276) ; 5°, 6° et 7" les
Sonnets : « Delos ne reçoit point... ; Le monde ne va pas... ; Prélat bien
que nostre âge... », écrits de 1556 à 1559 (V, 326 et 327) ; 8" l'Hymne
du Cardinal de Lorraine, en 1559 (V, 83) ; 9° la Suite de V Hymne du
Cardinal de Lorraine, même année (V, 270) ; 10° le Sonnet : « Monsei-
gneur je n'ay plus... )),en 1560 (I, 426) ; 11° l'Epître intitulée le Procès,
publiée en 1565, mais écrite avant avril 1562 (III, 349).
Rinet ne semble pas avoir profité de cette dernière pièce, pourtant
très intéressante pour la biographie de Ronsard ; ou bien il l'a négligée
à dessein, car le poète y reproche précisément au Cardinal de ne pas
l'avoir « honoré selon le mérite de sa vertu », ainsi qu'il le lui repro-
chait déjà indirectement dans 1' « Elégie» de 1560 Au Seigneur L'Huillier
(RI., II, 401). Après le Procès, Ronsard n'adressa plus aucun vers à
Charles de Lorraine, bien que celui-ci ne soit mort qu'en 1574. Il ne
lui a consacré aucune épitaphe, non plus qu'à Odet de Coligny et à
Michel de L'Hospital.
p. 22, 1. 8 — de Clany. Pierre Lescot ou L'Escot, « Conseiller et
aumônier ordinaire du Roi, abbé de Cleremont et seigneur de Clany »,
tels sont les titres que Ronsard donne à ce célèbre architecte du
Louvre, en lui dédiant en 1560 le deuxième livre des Poèmes. Dans
l'éd. de 1584, consultée par Rinet, 1' « Elégie » Puisque Dieu ne m'a
fait.., à laquelle il a emprunté l'anecdote qui suit, était encore dédiée
« à P. L'Escot, seigneur de Clany ». Les poètes latins appelaient cet
architecte Clanius.
P. 22, I. 16. — par tout le monde. Rinet a tiré cette anecdote de
l'tt Elégie » A P. L'Escot, publiée en 1560, en tête du 2^ livre des Poi-mes :
Il me souvient un jour que ce Prince à la table
Parlant de la vertu comme chose admirable,
VIE UE p. DE RO:«SARD. 10
l!i6 COMME-NTAIUK UISTOKIQUE
Disoit que tu avois de toy-niesines appris,
Et que sur tous aussi tu emportols le pris :
Coiinne a fait mou Ronsard, qui à la poésie,
Mau{îré tous ses parons, a mis sa fantaisie.
Et pour cela tu fis cngraver sur le haut
Du Louvre une Déesse, à qui jamais ne faut
Le vent à joue enflée au creux d'une trompeté.
Et la montras au Hoj', disant qu'elle estoil faite
Exprès pour figurer la force de mes vers.
Qui comme vent portoyent son nom par l'Univers.
(Bl., VI, 192; M.-L., V, 178.
On pourrait croire d'après les trois textes de Binet, surtout d'après A
et B, que l'idée de P. L'Escot lui fut suggérée par la lecture des
Hymnes et que, pai* couséqueut, l'anecdote se place en 1556. Mais je
pense que ces débuts de phrase : « Ce fut ce qui le fit estimer... Ce fut
aussi ce qui incita... », doivent retomber sur le projet de la Franciade
et non sur la publication des Hymnes. Binet semble avoir voulu
rendre tout le passage plus clair par cette addition de C « et principa-
lement la Franciade ». En tout cas, l'anecdote est certainement
antérieure à la publication des Hymnes et doit se placer en 1554,
comme en témoigne une pièce de vers latins de Robert de la Haye :
Heiirico Régi Rob. Hayus de P. Ronsardo, publiée dés le mois de
janvier 1555 à la fin de la 3'= édition des Odes de Ronsard, f° 132 r".
(Voir ma thèse sur Ronsard p. lyr., p. 146.) Ces vers latins, repro-
duits parmi les liminaires des éditions de 1560 et 1567, ont disparu des
éditions suivantes et, partant, sont restés inconnus de Binet.
P. 22, 1- 17. — En mesme temps. Rien de plus vague que cette indica-
tion. Elle montre une fois de plus combien Binet ignorait la chrono-
logie de son sujet ; il vient de parler du projet de la Franciade, qui
remonte à 1549, mais qu'il croit postérieur à la querelle Saint-Gelais-
Ronsard terminée en janvier 1553, — puis de la publication des
Hymnes, qui date de la seconde moitié de 1555 et de la seconde moitié
de 1556 ; et maintenant il va parler d'un événement de la vie de Ron-
sard qui date du 3 mai 1554.
P. 22, 1. 23. — Apolloine Rhodien. C'est-à-dire Apollonius de Rhodes.
Cf. la première préface et surtout l'argument du 1er livre de la Fran-
ciade, par Amadis Jamin, premières lignes (BL, III, 9, 12, 41).
p. 22, 1. 27. — de son temps. Cf. le Discours contre Fortune (Bl., VI,
166 : « Du temps du Roy François... ») ; Y Epitaphe de Hugues Salel
(Vil, 268: « François le premier Roy... ») ; la Complainte à la Royne
mère (III, 372: « O docte Roy François... »). Il est vraisemblable que
c'est ce dernier poème qui a inspiré ici Binet, parce qu'il contient ces
vers relatifs précisément à la Franciade :
J'avois l'esprit gaillard et le cœur généreux
Pour faire un si grand œuvre en toute hardiesse.
Mais au besoin les Hoys m'ont failly de promesse...
p. 23, 1. 4. — l'Eglantine. Sur l'origine des Jeux P^loraux de Tou-
louse, V. Gidel, Thèse fr. de 1857, p. 91 ; Aubertin, Hist- de la langue
et litt. fr. au Moyen Age, I, 335 et suiv. ; Ant. Thomas, Grande Ency-
ET CRITIQUE l/»7
clopédie, art. Clémence Isaure, Jeux Floraux. La prétendue fondatrice
ou réformatrice des Jeux Floraux est un personnage légendaire, que
tout le monde au xvi^ siècle croyait réel. — On trouvera nombre de
renseignements dans l'Histoire du Languedoc de Dom Vaissete et
Cl- Devic, tome X, qui contient une longue et très savante note de
M. Chabaneau.
p. 23, 1. 8. — premiers rangs. Guy du Faur, s"" de Pibrac, né à
Toulouse en 1529, élève de Pierre Bunel, de Cujas et d'Alciat, se plaça
« au premier rang d'honneur », selon le mot de Du Vair, dès ses
débuts au barreau toulousain à vingt ans. En 1554 il était Conseiller
au Parlement de sa ville natale ; sa doctrine et son talent de parole
faisaient déjà l'admiration des jurisconsultes les plus expérimentés ;
on lit dans son Tombeau :
A peine tu avois de la barbe au menton
Que Thoulouse te vit un troisième Caton.
Juge-mage de la sénéchaussée de Toulouse en mars 1557. commissaire
royal aux Etats de Montpellier en nov. 1558. et délégué à ceux d'Or-
léans (1560), puis au concile de Trente (1562;, il fut nommé par L'Hos-
pital Avocat général au Parlement de Paris en 1565. Conseiller
d'Etat depuis 1570, panégyriste de la Saint-Barthélémy, il fut nommé
chancelier de Henri, duc d'Anjou, qu il accompagna dans son royaume
de Pologne en mai 1573. A son retour il devint Président au Parle-
ment de Paris (1577), puis chancelier de Marguerite de Navarre et du
dernier fils de Henri II, François d'Anjou. Il mourut en 1584.
V. les Quatrains de Pibrac, éd. J. Claretie, Notice ; Id., éd. H. Guy,
Annales du Midi, t. XV et XVI ; E. Frémy, op. cit., chap. m.
On ignore la part que Pibrac a pu prendre dans l'attribution de la
récompense offerte à Ronsard par les Jeux Floraux en 1554. Il avait
lui-même obtenu l'Eglantine dés 1543, mais il ne devint « mainteneur »,
c'est-à-dire juge des concours de cette Académie, qu'à partir du l*^"" mai
1558, à la place de son oncle, nommé chancelier des Jeux Floraux
(communication de M. Henry Guy). Ce qui est certain, c'est que Ron-
sard n'a pas dit un mot de lui dans ses œuvres jusqu'à l'époque où
Pibrac accompagna Henri d'Anjou en Pologne (Hymne des Hstoilles,
et Tombeau de Marguerite de France, fin, composés en 1574).
p. 23, 1. 12. — pris et valeur. Un érudit toulousain, M. Jules de Lahon-
dès, a publié en décembre 1907 des documents officiels qui corroborent
et précisent cette affirmation de Binet. On lit dans le résumé de la
délibération du Collège de rhétorique de Toulouse ', à la date du
3 mai 1554, après ce qui concerne l'attribution des fleurs « de la vio-
lette et de la soulcie » :
« Et quant à la fleur de l'eglantine, fut aussy par commun advis et
délibération arresté qu'elle seroit adjugée à Mons"" Pierre de Ronsard,
poète ordinaire du roy nostre sire, pour excellense et vertu de sa per-
sonne, et que la dicte fleur soit augmentée de prix selon ce qui seroit
1. Ainsi s'appelait alors l'Académie des Jeux Floraux.
1^8 COMME.NTAlUi: HISTOIUQIE
advisc, laquelle luy seroit envoyée de portée en la court, et en son
lieu seroit reçue et acceptée par M. Pierre Pascal, docteur et maistre
en la dicte science. »
La fleur ne fut pas envoj'ée, et la délibération du 5 mai de l'année
suivante dit :
<< Et après fust aussj^ délibéré entre les dicts sieurs mainteneurs et
capitols et maistres en la dicte science sur la facture de la fleur de
l'eglantine adjugée l'année passée à Monsieur Ronsard, poëte ordinaire
du roy, et fust arrestée par commun advis quelle seroit augmentée de
tel prix qu'il seroit advisé parles dicts sieurs cappitols, et fust commise
la cliarge de ce faire, et envoyer la dicte fleur au dict Honsard, au dict
noble Pierre Delpech, bourgeois et cappitol, qui accepta et od'rit faire
son devoir. »
De la Minerve d'argent il n'est pas question, ni dans les délibérations
du Collège de rhétorique, ni dans celles du Conseil de ville de cette
époque. Mais le registre des comptes du Conseil de ville de 1555
porte :
« Plus ay païé à Biaise Colom, maitre orphevre, la somme de
quarante livres tournoises pour commencement de paie de la Minerve
d'argent qu'il a prins à faire pour faire présent à Monsieur Ronsard,
poëte du roy nostre sire, par mandement du m juillet. » (Registre
ce. 749. Comptes 1555-56, f<^ 45) Et le registre suivant porte cette
indication, à la date de décembre 1555 : « Plus ay païé à Biaise Colom,
maître orphevre de Thl. , la somme de quarante livre seitze sols huict
deniers tournois pour fin de paie de huictante livres seitze soûls et
huit deniers, tant pour la fourniture qu'il a faicte de la Minerve que
pour la fasson d'icelle. Icelle a esté faicte pour faire un présent à
M. Ronsard. » (Registre CC 750. Comptes 1555 56, f<' 49 ro.)
Il ressort de ces documents — extraits du Bulletin de la Société
archéol. du Midi de la France, 1908, nouv. série, n» 38, pp. 183 et
suiv. — que la Minerve offerte à Ronsard coûta 80 livres 16 sols et
8 deniers, et qu'elle ne lui fut envoyée que dans la deuxième moitié
de 1555. Mais ils ne disent pas si l'eglantine, accordée à Ronsard dès
1554, fut convertie en cette Minerve, ou si le poète reçut à la fois la
fleur et la statue.
D'autres documents, postérieurs à ceux-ci de plus de trente ans, ne
laissent aucun doute à ce sujet. D'après un procès-verbal du 3 mai 1586,
quelques-uns des « Mainteneurs et maistres ez jeux fleuraulx » réunis
dans le Consistoire des Comptes, voulant honorer tout particulièrement
Ant. de Baïf, rappelèrent aux Capitouls présents à la séance « comme
en l'année mil cinq cens cinquante quatre en pareille assemblée la fleur
de l'Eglantine feut adjugée à Pierre de Ronsard pour son excelent et
rare scavoir pour l'ornement qu'il avoict appourté à la poésie françoise
et que le pris d'icelle avoict esté converti en une Pallas d argent qui luy
feust envoyée de la part dudict Collège et des Capitoulz, dont s'estant
extimé ledict Ronsard bien fort honuoré, il en auroict rendu action de
grâces et par autres infinis tesmoignages qui se treuvent parmy ses
œuvres faict connoistre combien ce présent luy auroict esté agréable... »
Et, après délibération des Capitouls, il lut décidé que, vu le piemier
ET CRITIQUE t49
rang occupe par Ant. de Baïf entre les poètes du temps depuis la mort
de Ronsard, « et pour avoir esté le mesme faict autreffois à M'= Pierre
de Ronsard », on ferait à Baïf « un présent en argent jusques à la
somme de cent livres ».
Ce document, extrait du Vie Livre des « Conseils de la Maison de
ville dcTholose», autrement dit du Registre des délibérations des
Capitouls (année 1586, lî. 371 v" et 372 r»), a été publié dans le Bulle-
tin de la Soc. archéol. du Vendomoîs de 1867, p. 209, puis par Rocham-
beau dans sa Famille de Fionsarl, p. 261.
M- Mathieu Auge, qui fait imprimer actuellement une thèse sur
Antoine de Baïf, m'a appris par une obligeante lettre que les Archives
des Jeux Floraux contiennent, à la date du 3 mai 1586, les mêmes
affirmations. 11 y est dit notamment que le prix de l'Eglantine adjugée
à Ronsard « fut converti) en une Minerve d'argent », et que Ronsard
« fist cognoistre combien ce présent luy avoit esté agréable par les
actions de grâces qu'il en rendist et par beaucoup d'autres tesmoi-
gnages qui se treuvent parmy ses œuvres et parmy celles des autres
poètes de ce temps qui en ont fait mention dans leurs escripts. » (Regis-
tre des délibérations de 1584 à 1640; mai 1586, f' 18 v».)
Mais j'ai vainement cherché dans les œuvres de Ronsard les « tesmoi-
gnages » de la satisfaction du poète. Il n'a pas même fait la moindre
allusion à cet événement, comme s il avait eu quelque honte à être
récompensé par l'une de ces sociétés littéraires de province que la
nouvelle école poétique avait traitées avec un suprême dédain par
l'organe de Du Bellay (Deffence, II, ch. iv, début j.
P. 23, 1. 17. — de ses presens. Je ne connais qu'un seul ouvrage qui
contienne la preuve du fait avancé ici par Binet : ce sont les Poëmata
de Du Bellay, publiés en 1558. On y trouve six courtes pièces consa-
crées à célébrer la Pallas d'argent offerte par Toulouse à Ronsard, puis
par celui-ci au Roi, ff. 26 v" à 28 r» (communication de M. H. Chamard),
Voici la 3" de ces pièces, qui a sans doute inspiré Binet :
Tholosa ingenua, et Tholosa verè,
Tarn bellam tibl quae dédit Minervam.
Tu quoque ingenuus, tibi datam qui
Régi Pallada maximo dedisti.
Nunc suo posita est loco Minerva :
Quid Princeps tibi maximus rependet?
Si le geste de Ronsard en la circonstance fut une habile flatterie à l'a-
dresse du Roi, était-il aussi flatteur pour le Collège des Jeux Floraux?
On peut en douter.
P. 23, 1. 18. — l'Hercule Chreslien. Je ne vois pas ce qui a pu autoriser
Binet à écrire cette phrase. Rien ne prouve que l'Hymne de V Hercule
Chrestien ait été « envoyé » aux Toulousains « en recompense » de
l'honneur fait à Ronsard par le Collège des Jeux Floraux. Binet s'est
quelque peu corrigé en C, en ajoutant que Ronsard « adressa » cet
Hymne à Odet de Chastillon, qui, en qualité d'archevêque de Tou-
louse, aurait été, semble-t-il dire, comme un intermédiaire entre le
poète et ses admirateurs. Cet Hymne fut en effet dédié dès l'édition
princeps (1555) « à Odet, Cardinal de Chastillon, lors archevesque de
l5o COMMENTAIRE HISTORIQUE
Toulouse, son Mcccne » ; mais il ne contenait pas le moindre hémi-
stiche à l'adresse des Toulousains, pas la moindre allusion aux Jeux
Floraux ou à la Pallas d'argent. Cela suffirait pour rendre très suspecte
l'assertion de Binet.
Il y a plus. Le Cardinal Odet ne résidait pas dans son archevêché.
Conseiller d'Etat, il faisait partie de la suite du Hoi en ces années-là
(v. /?(•!>. d'IIist. Utt-, 190(), pp. 469 et suiv., lettres de Lambin publiées
par H. Potez ; (Kuvres de Ronsard, Disc, contre Fortune, Bl.. \T, 160).
Enfin il est très probable que Ronsard a songé à écrire l'Hymne de
Vllercule Chrestien dès le mois de juin 1553, comme en témoigne ce
passage d'une lettre de P. des Mireurs à J. de Morel, écrite à cette date
à propos des Folastries, qui avaient paru le 30 avril précédent : « Plane
confido (quae est Terpandri nostri humanitasl hune aliquando Cliris-
tiani Herculis res praeclare gestas feliciore versu decantaturum »
p. de Nolhac, auquel on doit la publication de cette lettre, pense avec
une grande apparence de raison, que ce souhait << est inspiré par une
information assez certaine sur les projets du poète », et considère le
« pieux poème » de VUcrcnlc Chrestien comme <i une sorte de rachat des
Folastries » (Rev . d'IIist. Utt., 1899, p. 358). Perdrizet partage cette
opinion [Fans, et la Réforme, p. 63, note). Mais au lieu d'ajouter avec
eux, sur la foi de Binet. qu'il fut « envoyé l'année suivante aux Capi-
touls de Toulouse » en remerciement de leur statue de Pallas, je
verrais plutôt dans la phrase de P. des Mireurs une preuve que Ron-
sard ne l'a pas écrit à leur intention, et je croirais volontiers que
Binet, ne trouvant nulle part l'expression de la reconnaissance du poète,
a fait à ce sujet une simple conjecture, fondée uniquement sur ce
qu'Odet, auquel l'Hymne en question est dédié, était alors archevêque
de Toulouse Si maintenant cet unique fondement paraissait suffire à
rendre sa conjecture plausible, il faudrait au moins avouer que Ronsard
eut une singulière façon de remercier les Capitouls et le Collège des
Jeux Floraux.
Aussi E. Pasquier s'est-il contenté d'écrire (Rech. de la Fr., VII,
eh, vi) : « Sur la recommandation de son nom, aux Jeux Floraux de
Tholose, on lui envoya l'eglantine » (ce qui d'ailleurs est inexact), et
G Colletet, qui a tant copié Binet, notamment en ce qui concerne
l'opposition de Saint-Gelais, l'anecdote de P. Lescot et la décision des
Capitouls, s'est-il bien gardé de lui prendre cette fin de paragraphe.
P. 23, 1. 19. — du Roy Henry. Notons ici une lacune de plus de trois
années dans l'exposé de Binet, car tout ce dont il a parlé jusqu'ici est
antérieur à 1556, et la mort de Henry II est de juillet 1559. Binet
passe même sous silence six années, si l'on considère qu'il mentionne
seulement le règne de François II et arrive immédiatement aux Re-
monstrances, qui datent de 1562. Même lacune dans les panégyriques
de Du Perron, de Velliard et de Critton.
Au reste, rien de plus vague et de plus trompeur que les dix premières
lignes de cet alinéa. On dirait que Binet a daté du règne de François II
la publication des Discours politiques de Ronsard et même le pontificat
de Pie V ; et il n'a rien fait, ni en B ni en C, pour améliorer sa rédac-
tion. Il est possible qu'il ait fait commencer le régne de Charles IX
ET CRITIQUE l5l
seulement à sa majorité (15 août 1563); mais, en tout cas, il ne devait
pas laisser croire que Ronsard « arma les Muses au secours de la
France » sous le règne de François II, lequel mourut en décembre
1560. C'est sous la régence de Catherine de Médicis, et seulement en
1562, que Ronsard écrivit ses Discours contre les protestants et sa
Remonstrance au peuple de France; et le roi qui l'en gratifia, c'est
Charles IX, et non pas François II, comme on pourrait le croire d'après
Binet.
P 23, 1. 23. — ses rcmonstrances. S'aqit-il seulement du « discours »
intitulé la Remonstrance au peuple de France, que, selon moi, Ronsard
a écrit pendant le pseudo-siège de Paris par Louis de Condé et les
troupes huguenotes (du 22 nov. au 10 déc 1562), ou bien — le mot
étant au pluriel — non seulement de la Remonstrance, mais encore du
Discours sur les Misères du temps (qui remonte à la fin de mai, au
le juin au plus tard) et de la Continuation du Discours (qui remonte
au mois de septembre, aux premiers jours d'octobre au plus tard)?
J'adopte cette deuxième interprétation, d'autant plus volontiers qu'après
avoir donné en B une majuscule initiale au mot Rcmonstrances, Binet
est revenu en C à la minuscule de A, qui depuis a toujours été con-
servée. Voir un autre argument ci-après, pp. 153-154, note sur les mots
« ton nom ». — Il est même possible que Binet ait compris encore
sous ce terme général ÏElegie à G. des Autels de 1560, réimpi'imée
en 1562 avec des remaniements et pour servir à la polémique avec ce
sous-titre : Sur les troubles d'Amboise.
P. 23, 1. 44. — en Cour. V. ci-dessus, p. 144, aux mots « hommes de
lettres », et surtout dans les œuvres de Ronsard, la Complainte contre
Fortune (Bl., VI, 156 et suiv).
P. 24, 1 1. — gratifièrent. Velliard (v. note suivante) parle dune
pension annuelle de 400 livres ; mais je pense que c'est une allusion à
l'abbaye de Bellozane, octroyée à Ronsard vers mai 1564, et au prieuré
de St-Cosme, octroyé en mars 1565. D'ailleurs ce ne fut pas sans peine
que Ronsard obtint la récompense de son intervention dans la guerre
civile. Voir notamment l'épître à Charles de Lorraine intitulée le
Procès, écrite en 1561 ou en 1562, où faisant allusion à son « elegie »
Sur les troubles d'Amboise, Ronsard rafraîchit ainsi la mémoire du
Cardinal :
Quand le peuple incertain, errant deçà delà
Tenoit l'un ceste foj', et l'autre ceste-là
Et que mille placards diffamoient vostre race
Il opposa sa Muse à leur félonne audace...
(Bl., III, 353) ;
le poème de la Promesse, A la Rogne, publié en 1563, à propos
duquel Brantôme a dit en parlant de Catherine de Médicis : « Belles
paroles et promesses ne manquoient jamais à la revue (aussi M. Rons-
sard luy desdia lors l'himue de la Promesse) " (Bl., VI, 246; M.-L.,
IV, 117 et 389) ; enfin la Complainte à la Rogne, mère du Rog (1563),
dont Ronsard lui-même a écrit dans 1" « Epistre au Lecteur» des Nou-
velles Poésies : « Il est vray qu'autrefois je me suis fasché, voyant que
la faveur ne respondoit à mes labeurs (comme tu pourras lire en la com-
l53 CONniENTAinK HISTORIQUE
plainte que j'ay n'a gucros escrite à la Royne)... » (Bl., III, 369 ; VII,
138.)
P. 24, 1. 3. — lettres expresses. Mcme affirmation dans Du Perron :
« Dont oultre l'obligation que toute la France luy en eut, et l'honneur
que le Roy et la Royne sa mère luy firent en ceste considération :
encore mesme le Pape Pie cinquiesme prit la peine de l'en remercier
par cscript, et de tesmoigner solennellement les bons et agréables ser-
vices que l'Eglise avoit receuz de luy. » (Or. fuii-, 1580, pp. 39 et 40.)
Du Perron et Binet sont les seuls qui nous aient parlé de ces remer-
ciements écrits de Pie V ; et cependant Critton et surtout Velliard
insistent tout particulièrement sur l'éloquence et l'eKicacité religieuse
des « discours » de Ronsard contre les huguenots. Velliard écrit : « Fre-
inant alii licet, dicam quod sentio, unus Pétri Ronsardi libellus in
confutandis haereticorum erroribus facile omnia omnium Theologorum
volumina superavit... Scdulitatem optimi Poetae Carolus censuit
praemio dignam : hujus enim mandato ea tempestate habuit a ratioci-
nario publico aunua congiaria quadi'ingentorum coronatoi'um : opimis
etiam sacerdotiis ab eodem paulo post ornatus fuit... )) (Laiid. fiin.
II, ï° 13 r° et f° 14 r'). Mais pas un mot des félicitations de Pie V.
Le bref de ce pape à Ronsard n'a jamais été publié. Du moins, on
n'en trouve pas trace dans le recueil des cinq livres de ses Apostolicae
Epistolae publié pour la première fois par le jésuite Goubeau en 1640,
à Anvers (Bibl. de l'Institut, F. 56), ni dans la traduction de ces lettres
par De Potter ; pas la moindre mention non plus dans la Vie de Si
Pie V par De Falloux. D'après une enquête toute récente faite à Rome
par les soins de M. l'abbé P. Charbonnier, qui prépare une thèse sur
« la poésie militante à la fin du .\vi^ siècle », la collection des lettres
de Pie V conservées aux Archives du Vatican ne renferme pas la
fameuse lettre de félicitations à Ronsard- — Notons d'ailleurs qu'au
fort de la lutte de Ronsard contre les huguenots, le pape régnant était
Pie IV (élu en décembre 1559, mort le 9 décembre 1565), et que Pie V
ne fut élu qu'en janvier 1566. Si vraiment Pie V (mort le l""" mai 1572)
a félicité Ronsard, ce fut après avoir lu les quatre pièces qu'il écrivit
en 1569 à la gloire des vainqueurs de Jarnac et de Moncontour (cf. ma
thèse sur Ronsard p. Igr., pp. 233 et 234).
P. 24, 1. 10. — sa vie. Le Temple de Ronsard fut publié dans une pla-
quette intitulée : Seconde Response de F- de la Baronie à Messire
Pierre de Ronsard, Prestre-Gentilhonime Vandomois, Evesc/ue futur.
Plus le Temple de Rons^ard oii la légende de sa vie est briefvemcnt
descrite. m.d.lxui, s. 1. (Bibl. Nat. Rés. Ye 1027). Mais il fut aussi
imprimé à part, et c'est une de ces éditions isolées que Binet semble
avoir lue, puisqu'il ne parle pas de l'œuvre de F. de la Baronie. En tout
cas, le Temple de Ronsard n'est que le 4^ ou le 5^' pamphlet des
huguenots contre notre poète, et non pas le l»'', comme on pourrait le
croire d'après Binet. Il est postérieur à la Responce aux injures et
calomnies-.., où Ronsard répliquait déjà (dès mars-avril 1563) à trois
autres pamphlets, dont nous parlons dans la note suivante. Il parut en
septembre 1563, d'après une épître liminaire en prose datée du 8 de ce
mois.
ET CRITIQIF, l53
On trouvera le Temple de Ronsard au tome VII de l'édition Blan-
chemain, p. 88- Il aurait dû être inséré à la p. 136. immédiatement
avant VEpistrean lecteur, qui, publiée en octobre 1563 comme préface
des Xoiivelles Poésies, prend à partie les auteurs du double pamphlet
précité. Quels sont ces auteurs ? Pour qui lit attentivement cette Epistre
au lecteur après avoir lu le double pamphlet, l'auteur de la Seconde
Responsc, F. de la Baronie, est Florent Chrestien, « le chrestien
reformé » ', et l'auteur du Temple de Ronsard (du tout ou dune par-
tie) est Jacques (îrevin, « le jeune drogueur ». — Il est possible que
Binet n'ait pas cité le pamphlet de V. de la Baronie à la prière de
FI. Chrestien lui-même, qui s'était réconcilié avec Bonsard. Quant à
Grevin, mort en 1570, Binet le nomme plus loin comme « aj-ant aidé à
bastir le Temple de calomnie contre Bonsard ». V. ci-après, aux mots
« en ses œuvres » et « de ses escrits ».
P. 24, 1. 11. --de Ronsard. II s'agit de « trois petits livres » qui furent
envoyés à Bonsard « cinq semaines après l'assassinat du Duc de
Guise », c'est-à-dire vers le 25 mars 1563, comme nous 1 apprend Bon-
sard lui-même dans YEpisire en prose qui sert de préface à sa longue
Responce en vers Bl., VII, 84).
Ces trois pamphlets ont paru ensemble sous ce titre général : Res-
ponse (sic) aux calomnies contenues au Discours et Suyte du Discours
sur les Misères de ce temps, faits par Messire Pierre Ronsard, jadis
Poète, et maintenant Prebstre \ La première par A. Zamariel, les
deux aultres par B. de Mont-Dieu. \ Où est aussi contenue la Méta-
morphose dudict Ronsard en Prebstre. m.d.lxhi, s. 1.
Après ce titre général, viennent les trois « responses », chacune avec
un titre particulier suivi du pseudonyme de l'auteur. Celle de
A. Zamariel répond à la fois aux deux « discours » que Bonsard avait
écrits l'un vers la fin de mai 1562, l'autre vers la fin de septembre 1562;
la première de B. de Mont-Dieu répond au premier de ces « discours » ;
la seconde de B. de Mont-Dieu répond au second de ces « discours ».
On lit à la fin du troisième pamphlet : « faict le 24 de febvrier 1562 »
(qu'il faut lire 1563 d'après le n. st.).
Quant à la Métamorphose de Ronsard en Prebstre, qui d'après le
titre général et d'après Binet semblerait être une pièce à part, elle
se compose simplement des 50 derniers vers de la « response » de
A. Zamariel (le titre est imprimé en manchette).
La Bibl. Nat. possède cette plaquette à trois parties, sous la cote
Bés. pYe 173. Elle en possède aussi une réimpression de Ljon, 1563,
sous la cote Bés. Ye 1909.
P. 24, 1. 15. — ton nom. Voir au tome VII de 1 éd. Bl., p. 99. Cette cita-
tion est extraite de la Responce aux injures et calomnies de je ne scay
quels predicans et ministres de Genève, sur son Discours et Continua-
tion des Misères de ce Temps. Tel est le vrai titre de la longue réplique
1. M. l'abbé P Charbonnier ma communiqué à la Nationale, avec une
bonne grâce dont je le remercie, un document qui corrobore cette opinion. On
lit en marge du titre d'une réédition de 1564 cette inscription manuscrite :
« Florent Chrestien Seigneur de la Baronnie qui appartient encore aujourdhuy
à AF Chrestien son filz comme il m'a conté. » 'Bibl. Nat, Rés. Ye 1913.)
l54 COMMENTAIRE HISTORIQUE
(le Ronsard dans Téd. princeps qni parut en avril 1563. Il faut donc
comprendre la phrase de Binet ainsi : « Ils firent aussi quelques ré-
ponses à SCS remontrances non pas à la Renionslrancc au peuple de
France mais au Discours des Misères de ce Temps et à la Conliuua-
lion du Discours ; le mot « remonstrances » ici n'est pas un titre, mais
un nom commun), réponses où était ce titre, la Métamorphose de
Ronsard, et dont les auteurs furent un A. Zamariel et B. de Mont-Dieu,
ministres, etc. »
Quant aux vrais noms de ces ministres, les avis sont partagés. Binet
croit que seul le pseudonj'mc B. de Mont-Dieu désigne le ministre
Antoine de la Boche-Chandieu ; en ([uoi il se trompe certainement, car
ce ministre signait d'ordinaire ses œuvres poétiques de l'autre pseudo-
nj'me, Zamariel (qui en hébreu signifie Chant de Dieu). — Bayle
pense que les deux pseudonymes désignent le même personnage, la
Roche-Chandieu, et son avis est aussi celui de Pierre Perdrizet (/?ons.
cl la Reforme, p. 25). — Je me range plutôt du côté de la Monnoye et
de Bernus, pour qui B. de Mont-Dieu désigne le ministre Bernard de
Montmeia, non seulement parce que en hébreu la dernière syllabe de
ce nom, /a, signifie Dieu, mais parce que La Roche-Chandieu n avait
pas de raison de prendre deux pseudonymes, et que d'autre part l'ini-
tiale du prénom, B, coïncide avec celui de Bernard, comme l'A de Za-
mariel correspond à l'initiale d'Antoine, prénom de La Roche-Chandieu.
Pour toute la polémique entre Ronsard et les huguenots, voir Viollet-le-
Duc, Calai, de la Biblio . poét . , p. 281 ; Pierre Perdrizet, Ronsard et la
Réforme, notamment le chap. ii sur la Bibliographie de cette polémique,
dont la chronologie est malheureusement à refaire ; mes Notes hist. et
crit. sur les Discours de Ronsard, dans la Rev. Universit. de févr. 1903.
P. 24, 1. 17. — d'Hercueil. C'est-à-dire d'avoir sacrifié un bouc à
Bacchus en l'honneur de Jodelle au village d'Arcueil.
P. 24, 1. 17. — ce chef d'accusation II est ainsi présenté dans la Res-
ponce de A. Zamariel :
Athée est qui un bouc à Bacchus sacrifie ;
et dans la 2e Response de B. de Mont-Dieu :
Celuy cognoit, Ronsard, ta profane malice
Qui sait comme tu fis d'un bouc le sacrifice
Lez Paris, daus Arcueil, accompagné de ceux
Qui, payens comme toy, lui ofl'rirent des vœux.
C'est à ces passages que Ronsard répliqua en 25 vers dans sa Responce
aux injures et calomnies... Bl., VII, 110 et 111), et non pas, comme on
pourrai*, le croire d'après l'éd. de Bl., au Temple de Ronsard, que
Ronsard ne connaissait pas encore. La même accusation s'y retrouve,
il est vrai, ainsi que dans la Remonstrance à la Roijne (également de
1563); mais ces pamphlets protestants sont postérieurs de quelques
mois à la réplique en vers de Ronsard.
P. 24, 1. 21. — Caresme prenant. La date traditionnelle de cet épisode
serait le carnaval de l'année 1552, si l'on en croyait VHist. du théâtre
ET CRITIQUE l55
français des frères Parfaict, qui citent Pasquier. Mais d'abord Pasquier
ne donne aucune date et se contente de dire: "Geste comédie (la
Rencontre) et la Cleopâtre furent représentées devant le roi Henri à
Paris, en l'Hostel de Reims, avec un grand applaudissement de toute la
compagnie, et depuis encore au collège de Boncour, où toutes les
fenestres estoient tapissées d'une infinité de personnages d'honneur, et
la cour si pleine d'escoliers que les portes du collège en regorgeoient.
Je le dis comme celui qui y estoit présent, avec le grand Tornebus, en
une mesme chambre. Et les entreparleurs estoient tous hommes de
nom : car mesme Hemy Bclleau et Jean de la Pcruse jouoient les prin-
cipaux roulets. » (Rech. de la Fr., VII, ch- vi.) - Ensuite la date de
1552 n'apparaît au xvie siècle que dans la préface écrite par Ch. de la
Mothe pour l'éd. princeps des Œuvres de Jodelle (1574 ; réimpr. par
Marty-Lav., I, 5), et rien n'empêche de croire que ce biographe a
suivi l'ancienne manière de dater Tout porte à croire au contraire qu'il
faut lire 1553, d'après le nouveau style, et que la fête en l'honneur de
Jodelle eut lieu durant le carnaval de 1553.
Pour la discussion, v. ma thèse sur Ronsard p. lyr., p. 100, note 2.
Aux arguments que j'y présente il faut ajouter une lettre de
Lambin à Prévost, régent du collège de Boncourt, qui avait dû assister
à la représentation delà Rencontre et de Cleopâtre [Rev. d'Hist. litt. de
1906, p. 495, art de H. Potez). Cette lettre, où Lambin remercie
Prévost de lui avoir vanté les nouvelles œuvres dramatiques françaises,
est datée du 10 mars 1553. Il est plus que probable qu'elle a été écrite
dans les semaines qui ont suivi le succès de Jodelle, et non treize mois
après.
P. 24, 1. 29. — mises an jour. Allusion au recueil des vers qui parut en
avril 1553 sous ce titre : Livret de Folastries A Janot Parisien Plus
quelques Epigrames grecs et des Dithyrambes chantés au bouc de E.
Jodelle poète Iragiq. Paris, chez la Veuve M. de la Porte. (V. ma thèse
sur Ronsard p. lyr., pp. 93 et suiv.) Ce recueil est anonyme et Binet a
cru (ou feint de croire pour décharger la mémoire de son maître) qu'il
était l'œuvre de plusieurs poètes. Or il n'en est rien. Toutes les pièces
qu'il contient ont pour auteur Ronsard, car elles ont toutes été réim-
primées en ordre dispersé dans ses œuvres les années suivantes, sauf
la Folastrie VIII, intitulée Le Nuage ou l'Yvrongne, les épigr. 10 et 13
et les deux sonnets lubriques de la En. E. Pasquier semble avoir été
mieux renseigné (ou plus franc) que Binet sur ce point-là : « II n'est
pas qu'en folastrant il (Ronsard) ne passe d'un long entrejet des poètes
qui voulurent faire les sages... Lisez un petit livre qu'il intitula les
Folastries, où il se dispensa (se permit) plus licencieusement qu'ailleurs
de parler du mestier de Venus., il seroit impossible de vous en
courroucer sinon en riant. » {Rech- de la Fr., VII, ch. vi.)
Ce recueil de 1553 fut reproduit en 1584 sous le même titre, intégra-
lement et page pour page, augmenté seulement de deux petites pièces
anodines qui sont également de Ronsard, mais sans nom de lieu ni
d'éditeur. C'est probablement cette réédition (due, suivant Bl., à la
vengeance de quelque huguenot) que Binet a consultée. Il a pu aussi
s'inspirer de la dédicace d'une pièce publiée par Baïf au livre IV de
l56 COMMENTAIRE HISTORIQUE
ses Poënies et intitulée Dillujranihcs à la pompe du houe de E. Jodelle,
1553 (ëd. M.-L, II, 209).
Quoi qu'il en soit, non seulement il a eu tort de dire que les Folas-
tries étaient l'œuvre de plusieurs poètes, mais la façon dont il en parle
pourrait faire croire qu'elles furent toutes composées à l'occasion des
premiers succès dramatiques de Jodelle ; et on l'a cru en effet, comme
le prouve ce titre fantaisiste dune réimpression de la Folastrie III
publiée en caractères gothiques vers 150(S-99 Paris, s. d.): Les Folas-
tries de la bonne chambrière, A Janol Parisien, reeilées au Bouc de
Eslienne Jodelle. Même pièce et même titre à la suite du Banquet des
Chambrières, réimpr. par Pinard en 1830 ou 183(5 (Paris, s. d.). Aimé
Martin, qui possédait Téd. de 1584 du Livret de Folastries, a écrit au
sujet de ce vol. une note (jui prouve que lui aussi a été induit en erreur
par le te.xte de Binet qu'il cite (v. la réimpr. de l'édition princeps du
Livret de Folastries par Jules Gay, Paris, 1862, pp. vi et xu de
l'Avant-propos).
p. 24. 1- 30. — Poclc dijlhiramhique. Binet est le seul écrivain du xvi^ siècle
qui ait attribué ces Dithyrambes à Bertrand Berger, et c'est sur ce seul
témoignage qu'on les lui attribue encore aujourd'hui. Chose notable,
Colletet, qui d'ordinaire copie servilement Binet, les a attribués sans
hésitation, et pardeuxfois. à Ronsard (Vie de Muret, passage reproduit
par Rochambeau, op. cit., p. 234 ; Viede Ronsard, éditée par Bl., p. 95).
Je crois avoir démontré suffisamment que Colletet a raison contre
Binet (thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 99 à 102, et pièce justifie. I)
Sur Bertrand Berger (ou Bergier) de Montembeuf, v. Chamard,
J. du Bellay, p. 47 ; Laumonier, Ronsard p. Igr., passim. Parmi les
pièces que les poètes de la Brigade lui ont adressées, à noter ici, à
cause de leur titre dont Binet s'est inspiré : une odelette de Du Bellay
publiée dans les Jeux Rusticjues (1558), A Bertran Beryier, Poëte dithy-
rambique ; une épigramme du même composée en 1559, mais publiée
seulement dans les Xenia (1569), Montibos poêla dithyrambicus.
P. 24, 1. 52. — sous le tombeau. Cf. Bl., VI, 381 ; M.-L., Appendice de
la Collection de la Pléiade, I, 51. Binet n'a guère pu copier ces vers
que dans la réédition subreptice des Folastries de 1584, car ils ne
reparurent pas parmi les œuvres de Ronsard avant l'éd. collective de
1604, et d autre part le livret original de 1553 devait être déjà raris-
sime. Notons pourtant que dans les deux seules éditions des Folastries
publiées au xvie siècle, on lit au 4e vers cette leçon différente de la
sienne :
Qui font rebondir la terre.
P. 24, 1. 53. — et mascarade. V. à ce sujet de judicieuses réflexions
dansViollet-le-Duc, o/). cj/.,p. 282; Blanchemain, éd de Ronsard, VIII,
.32, et Perdrizet, op. cit., p. 52.
P. 25, 1- 5. — oii il allait. Cf. Arnaud Sorbin, Histoire contenant un
abbregé de la vie, mœurs et vertus du roy très chrestien et débonnaire
Charles IX... amateur des bons esprits (1574). Sorbin, évêque de Nevers,
était le prédicateur et le confesseur de Charles IX. Voici ce qu'en dit
Colletet : « Il remarque que ce prince généreux aimoit la poésie et pre-
ET CRITIQUE ibj
noit plaisir à faire des vers, qu'il envoyoit à son poète M. de Ronsard,
homme, adjouste-t-il, qui se f'aict plus paroistre par ses vertus et doctes
vers que je ne le sçaurois descrire, de qui la lecture lui estoit si agréable
que bien souvent il passoit une partie de la nuict à lire ou à faire reciter
ses poèmes, à quoy il emploj'oit volontiers Amadis Jamyn, Adrian
Leroy, maistre de la musique de sa chambre, et quelques autres de ses
serviteurs domestiques. » [Vie de lions., p. 120). La Vie de Charles IX
par Sorbin a été réimprimée dans les Archives curieuses de Cimber et
Danjou lire série, tome VIII , mais le passage cité par Colletet y est
quelque peu différent : on lit facture au lieu de lecture, et Estienne le
Roy, ou lieu d'Adrian Leroy (p. 300). — Ronsard a écrit de son côté
dans le Tombeau de Marguerite de France :
Quatorze ans ce bon Prince alegre je suivy :
Car autant qu'il fut Roy autant je le servy.
Il faisoit de mes vers et de moi telle estime
Que souvent sa Grandeur me rescrivoit en rime.
Et je luy respondois m'estimant bien heureux
De me voir assailly d'un Roy si généreux.
Ainsi Charles mourut, des Muses la défense
L'honneur du genre humain, délices de la France.
(Bl., VII, 187 )
Mais Binet a eu tort de prendre à la lettre le premier de ces
vers. Ronsard, comme « conseiller et aumônier ordinaire du Roy »,
faisait partie de sa suite, mais Charles IX ne lui commanda pas
« de le suivre partout », et en fait Ronsard passa des mois et des
mois loin de Charles IX, par exemple dans son prieuré de Saint-
Cosme.
P. 25, 1. 7. — auprès de soy. Ici l'erreur de Binet est flagrante.
D'abord le voyage de Bayonne a duré plus d'un an et demi, Charles IX,
sa mère et leur Cour étant partis de Fontainebleau en mars 1564, étant
arrivés à Baj'onne en juin 1565, après avoir passé par Troyes, Bar-le-
Duc, Dijon, Lyon, Marseille, Montpellier, Carcassonne, Toulouse,
Bordeaux, Mont-de-Marsan, et étant revenus (à partir de juillet) par
Nérac, Angoulême, Cognac, Saintes, La Rochelle, Nantes, Angers,
pour aboutir à Plessis-lez-Tours le 20 novembre. (Cf. la Correspon-
dance de Catherine de Médicis, et le Recueil et Discours du voyage
du Roy Charles IX,.., par Abel Jouan, « l'un des serviteurs de Sa
Majesté », publié en 1566).
Ensuite Ronsard, qui prit une grande part aux fêtes du Carnaval de
Fontainebleau en 1564 et participa encore à celles de Bar-Ie-Duc, où il
était avec la Cour dans les premiers jours de mai, n'accompagna pas
plus loin Charles IX. Nommé alors abbé de Bellozane, il dut aller
prendre possession de son abbaye. D'autre part, il a écrit vers la fin de
juillet le poème des Nues, où il fait connaître l'état d'esprit des Pari-
siens aux voyageurs royaux qui étaient alors aux environs de Lj'on ;
puis, dans les derniers mois de 1564, il a adressé de Paris une élégie à
Catherine de Médicis qui parcourait alors avec ses fils la Provence et le
Languedoc (Bl., VI, 259; III, 381).
Enfin il prit possession de son prieuré de Saint-Cosme-lez-Tours en
l58 COMMENTAIRE HISTORIQUE
mars 1565, et c'est probablement de là que, sur l'ordre de Charles IX,
il partit en mai pour rejoindre la Cour à Bayonne,comme le dit J.-A.de
Thou : « Uluc etiam ultro accersitus fuerat P. Uonsardus... qui versus
inpompis illis récitâtes fecit .. » {Ilist., XXXVII, éd. de 1733, tome II,
p. 435). Mais je crois, sans pouvoir toutefois l'affirmer, que Ronsard,
malade, s'arrêta « aux bords de la Garonne », à Bordeaux, comme il
ressort du poème de la Lyre (Bl., VI, 53), et qu'il se contenta de com-
poser là les Stances pour i Avant-venue de la Royne d Espagne (IW, 131),
qui furent lues à Bayonue au début des fêtes, sans qu'il y pût assister.
Cette pièce, à laquelle Binet fait allusion en C, et J.-A. de Thou dans
son Histoire, parut dans le recueil des Elégies, Mascarades et Bergerie
vers le !>;'' août 1565-
Voici les raisons qui me font douter de la présence de Ronsard à
Bayonne : 1° Nulle part Ronsard n'en a dit mot, bien qu'il pût s'en
glorifier, pas même dans le poème de la Lyre, où l'occasion était pour-
tant belle, ni dans le Tombeau de Marguerite de France, où il dit en
parlant de Charles IX et de la retraite de Meaux :
Je me trouvay deux fois à sa royale suite...
2" Les Stances ci-dessus mentionnées contiennent un vers qui semble
prouver qu'il ne fut pas témoin des fêtes de Bayonne :
Le jour heureux quejoar penser j'honore.
3'' Cette pièce est la seule qu'il ait recueillie dans ses œuvres, pour
des fêtes qui durèrent 18 jours (du 12 au 30 juin), alors que Baïf a
publié une vingtaine de mascarades et inscriptions qu'il composa à
Baj'onne (éd. Marty-Laveaux. II, 331 à 342).
4o Aucun des ouvrages qui relatent ou jugent ces fêtes ne signale la
présence de Ronsard. V. notamment la (^orresp. de Catherine de
Médicis, t. II ; le Voyage du Roy Charles IX, par Abel Jouan (Paris,
Bonfons, 1566) ; VAmple discours de l'arrivée de la Royne Catholique
(Paris, Dallier, 1565) ; le Recueil des choses notables faites à Bayonne
(Paris, Vascosan, 1566) ; les Menio/resde Brantôme et de Marguerite de
Navarre, qui tous deux étaient à Bayonne. La Popelinicre (Hist. de
France, 1581, t. 1. liv. x, p. 381) se contente de renvoyer au Recueil des
choses notables et ne dit pas un mot de Ronsard. Rien non plus dans
Davila, dans P. Mathieu, dans le P. Daniel.
Mais, tout bien pesé, ces raisons, presques toutes a silenlio, ne m'ont
pas paru suffisantes pour conclure catégoriquement que Ronsard ne fut
pas à Bayonne, et qu'il se contenta d'j' envoj'er les fameuses Stances.
Cf. ma thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 223 à 225, et Appendice, pièce
justifie. II.
P. 25, 1. 10. — que j'ay veus. L'affirmation de Binet sur l'existence des
« arguments » de quatorze livres de la Franciade est corroborée par
ces lignes de Colletet: « Et il est si vray que Ronsard, en nous donnant
cet eschantillon d'un poème épique (les 4 premiers livres), avoit l'inten-
tion de nous donner la pièce entière, que Cl. Binet rapporte en quelque
endroit de sa vie, qu'il luy en avoit montré les argumens des douze
ET CRITIQUE IÔQ
premiers livres, ce que Cl. Garnier m'a confirmé depuis, lorsqu'il me
dict que feu Jean Gallandius les gardoit encore parmj' ses papiers... »
{Vie de Ronsard, p. 74.) On sait que Claude Garnier est le commenta-
teur de la Franciade et en a publié une suite en 1604.
C'est seulement en 1566 que Ronsard se remit à la Franciade. A la
fin de 1563 le projet n'était pas encore repris, à preuve la Complainte à
la Roy ne mère etl'wEpistre au Lecteur» des Nouvelles Poésies [El ,111,
377 ; VII, 138). A la fin de novembre 1565, durant les dix jours que
Charles IX passa à Plessis-lez-Tours, Ronsard, qu'il alla voir alors en
son prieuré de Saint-Cosme, lui disait encore :
Pource, mon R03', s'il vous pinist que je face
La Franciade, œuvre de long espace,
Oyez mes vœux : Il seroit bien saison
Qu'eussiez esgard à moy, pauvre grison '...
Charles IX encouragea fortement Ronsard à reprendre son ancien
projet, en lui faisant obtenir un second prieuré, celui de Croixval (car
Amadis Jamin n'en devint alors titulaire que pour le céder le 22 mars
1566 à Ronsard dont il était le secrétaire) ; mais il lui demanda d'écrire
la Franciade en vers décasyllabiques, à preuve ces lignes, insérées dans
la 2« édition de VAbbregé de l'Art poët. (achevé d'imprimer le 4 avril
1567) : « Si je n'ay commencé ma Franciade en vers Alexandrins.., il
s'en faut prendre à ceux qui ont puissance de me commander et non à
ma volonté : car cela est fait contre mon gré, espérant un jour la faire
marcher à la cadance Alexandrine : mais pour cette fois il faut obeyr. »
P. 25, 1. 12. — généreux Roy- Les Quatre premiers livres de la
Franciade, publiés quelques jours après le massacre de la Saint-
Barthélémy (l'achevé d imprimer est du 13 septembre 1572), sont en
effet dédiés à Charles IX ; et sous un portrait du roi, placé en tête de
l'éd. princeps auprès de celui du poète, on lit ce quatrain signé A. L
(Amadis Jamin) :
Tu n'as, Ronsard, composé cest ouvrage,
Il est forgé d'une royale main :
Charles sçavant, victorieux et sage
En est l'autheur, tu n'es que lescrivain.
P. 25, 1. 13. — ses Eclogues. Les Eclogues de Ronsard, qu il appelle
encore « chants pastoraux », ont paru à diverses dates. Deux en 1559 :
Un pasteur Angevin, et J'estois fasché ; deux en 1560 : De fortune Bellot,
et Contre le mal d'amour (ces quatre premières figurent parmi les
Poèmes dans l'éd. collective de 1560) ; deux en 1563-64 dans les Nou-
velles Poésies : Paissez douces brebis, et Deux frères pastouraux ;
une en 1565, la « bergerie » : Les chesnes ombrageux. Ces trois der-
nières et les quatre premières sont mélangées aux Elégies dans les éd.
collectives de 1567, 1571 et 1573. C'est seulement à partir de 1578
qu'elles sont groupées en tête d'une section distincte, intitulée Les
Eclogues et Mascarades et dédiée à François de France, duc d'Anjou.
1. BI.,III, 317 ; le poème d'où j'extrais ces vers parut dans l'éd. colI«ctive de
1567.
l6o COMMENTAIRE HISTORIQUE
Mais dans aucune édition fragmentaire ou collective elles ne sont
dédiées au roi Charles IX, et je ne sais comment expliquer l'erreur de
Binet, qui a persisté dans ses trois textes.
Sur le goût de (Iharles IX pour la chasse (car le second j7 de la
phrase de Binet se rapporte au roi, tandis que le premier et le troi-
sième i7 se rapportent au poète), cf. les vers que Ronsard a écrits
comme préface de La (Chasse, ouvrage inachevé de ce roi, et qui paru-
rent dans Téd. collective de 1584 (Bl., III, 253; M.-L , III, 177), et
Brantôme, éd. Lalanne, tome V, passiin.
P. 25, 1. 16. — Iiausser. Source probable de cette fin de phrase : une
note de R. Belleau, citée plus haut i^p. 131 au mot « beaucoup »), et un
passage de la préface de son Commentaire où il déclare que Ronsard a
abaissé son style dans le Deuxième livre des Amours « tant pour
satisfaire à ceux qui se plaignoyent de la grave obscurité de son style
premier, que pour monstrer la gentillesse de son esprit, la fertilité et
diversité de ses inventions, et qu'il sçait bien escrimer à toutes mains
des armes qu'il manie » (éd. de Ronsard, par M.-L., I, 402).
Binet a déjà fait une remarque analogue à propos des Hymnes, où
Ronsard « monstra comme il avoit l'esprit et le style ploiable à toutes
sortes d'argumens ».
P. 25, 1. 23. — jusques dans Paris. Source quatre vers du Tombeau de
Marguerite de France :
Je me trouvaj' deux fois à sa roj'ale suite.
Lorsque ses ennemis lui donnèrent la fuite,
Quand il se pensa voir par trahison surpris
Avant qu'il peust gaigner sa ville de Paris.
(Hl , VII, 186; M.-L., V, 257.)
Il s'agit de la retraite de Cbarles IX, d'abord de Monceaux à Meaux,
puis de Meaux à Paris, pendant la deuxième guerre civile, en sep
tembre 1567.
P. 25, 1. 32. — des Grans. Ronsard, en effet, a souvent composé des
vers à la demande des Princes, des dames de la Cour et de ses amis ; et
il avoue lui-même que sa Muse ne le servait pas toujours à souhait et à
l'heure :
car faire je ne puis
Un trait de vers, soit qu'un Prince commande,
Soit qu'une dame ou l'ami m'en demande.
Et à tous coups la verve ne me prend.
(Hl., VI. 55.)
Il est probable que Binet s'est appuyé sur ce passage, et sur cette petite
note en prose, dont Ronsard a accompagné la pièce liminaire des /i/f-
gies pour l'édition de 1587 : « Si j'eusse composé la meilleure partie de
ces Elégies à ma volonté, et non par exprès commandement des Roys
et des Princes, j'eusse été curieux de la briefveté : mais il a fallu satis-
faire au désir de ceux qui avoient puissance sur moy... » (Bl., IV, 210.)
Il a également profité de cette note écrite par Belleau (et non par
Muret) au bas du sonnet de 156.5, Douce beauté qui me tenez le cœur :
« Le poète m'a quelquefois dit que ce sonnet n'est fait pour represen-
ET CRITIQUE l6l
ter sa passiou, mais pour quelque autre dont il fut prié, désirant infi-
niment n'estre point recherché de tels importuns ». (Bl., I, 49.) lia pu
se servir d'un quatrième texte, du sonnet à Henri III, Prince quand
tout mon sany..-, qui remonte sans doute à l'époque où ce roi pria
Ronsard de chanter sa maîtresse Renée de Châteauneuf, ainsi que le
faisaient Desportes et Amadis Jamin :
Maintenant que je suis sur l'aulonne et grison.
Les amours pour Honsard ne sont plus de saison :
Je ne veux toutesfois m'excuser dessus l'âge.
Vostre cuniinandeiuent de jeunesse me sert,
Lequel niaugré les ans m'allume le courage,
D'autant que le bois sec brusle mieux que le verd.
(Bl., V, 312.)
Outre ceux-ci et ceux que mentionne Binet, les exemples abondent de
pièces écrites par Ronsard au nom d'autres personnes. V. le sonnet de
15G5, On dit qu Amour, adressé par une femme à un homme (Bl. I,
421) ; 1 élégie de 15G5, Pour vous montrer que j'ay, adressée par
une femme à une femme, et le sonnet de 1565, Anne m'a fait, qui est
la réponse à cette élégie (Bl. IV, 375 ; I, 428).
J'ai pensé même que la plus jolie des chansons de Ronsard, Quand
ce beau printemps je voy... qui date de 1563, fut écrite pour le prince
Louis de Coudé et adressée en son nom à sa maîtresse Isabeau de
Limeuil (cf. Rev. d'IIist. litt , 1902, p. 443) Mais j'ai abandonné cette
première opinion (cf. ma thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 210 à 212).
p. 25, 1. 34. — Callirée. Ces poésies ont été écrites « en faveur » de
Charles IX, amoureux, comme Binet a osé le dire en C, d'Anne d'Atri
d'Acquaviva. Sur cette Napolitaine, demoiselle d'honneur de Catherine
de Médicis, fille du duc François d'Atri, et petite-fille du prince de
Melfe, mariée à l'Italien Dadjacetto, et devenue par ce mariage com-
tesse de Clîâteauvillain, voir Brantôme, éd. Lalanne, II, 28 et 232 ;
VII, 394 ; IX, 49; E. Frémy.op. cit., p. 190.
Sur la nature des relations que Charles IX entretint avec Anne
d'Atri d'Acquaviva, Brantôme a laissé un curieux renseignement.
Comme une grande dame de la Cour disait au Roi : « Vous ne portez
point d'affection aux femmes et faites plus de cas de la chasse et de vos
chiens que de nous autres, » il répondit : « Dont avez [vous] ceste
opinion de moy, que j'aj'me plus l'exercice de la chasse que le vostre?
Et par Dieu, si je me despite une fois, je vous joindray de si près
toutes vous autres de ma court, que je vous porteray par terre les unes
après les autres »; et Brantôme ajoute^: « Ce qu'il ne fit pas pourtant
de toutes, mais en entreprit aucunes, plus par réputation que lasciveté,
et très sobrement encore : et se mit à choisir une fille de fort bonne
maison, que je [ne , nommeray point, pour sa maistresse, qui estoit une
fort belle, sage et honneste damoy selle, qu'il servit à tous les honneurs
et respectz qu'il estoit possible, et plus, disoit-il, pour façonner et
entretenir sa grâce que pour autre chose, n'estant rien, disoit-il, qui
façonnast mieux un jeune homme que l'amour logée en un beau et
noble subject- Et a tousjours aymé ceste honneste damoyselle jusqu'à la
VIE DB p. DE RONSARD. 11
l62 COMMENTAIRE HISTORIQUE
mort, bien qu'il eust sa femme, la reyne Elisabet, fort agréable et
aymable princesse. » (éd. Lalanne, tome V, p. 274.)
Ces lignes peuvent servir de commentaire non seulement aux
Amours d'Eiirymedon et de Callirée, œuvre de Ronsard, mais encore à
une pièce de Desportes intitulée Stances pour le Roy Charles IX à
Callirée: <> Cesse, Amour, tes rigueurs, mets fin à ta poursuite.. »
(éd. A. Michiels, p. 405).
Dreux du Radier s'est lourdement trompé en disant que le nom de
Callirhoé (sic) cache Marie Touchet, la maîtresse la plus connue de
Charles IX, et en attribuant à Dorât les Stances: « De fortune Diane et
l'archerot Amour... » {Reines et Régentes de France, 2'' éd., 177(),
tome V, pp. 114-115). — A. Michiels a reproduit la première de ces
erreurs dans la notice placée en tête de son édition des Œuvres de
Desportes (p. xvii).
P. 25, 1. 34. — ceuxd'Astrée. Ainsi, d'après Binet, les Sonnets et Madri-
gals pour Astrée auraient été écrits « sur le commandement » et « en
faveur » d'un grand seigneur, peut-être même de Charles IX ou de l'un
de ses frères. Si cela était, comment expliquer la fin du premier
sonnet d'Astrée ;
Et moi je veux honorer ma contrée
Démon sepulchre, et dessus engraver:
Ronsard, voulant aux astres s'eslever
Fut foudroyé par une belle Astrée.
(Bl., I, 265.)
Comment expliquer ce passage du douzième sonnet :
Alors qu'Amour dont les traits sont cuisants
Me dit : Ronsard, pour avoir un bon guide... ?
A moins que notre poète n'ait pris pour lui, au moment de la publica-
tion (1578), les soupirs et les déclarations qu'il avait mis primitive-
ment dans la bouche d'un autre, et substitué alors son nom à celui de
l'amant qu'il faisait parler d'abord, ce qui lui est arrivé d'autres fois.
Marcassus, qui commenta ces poésies en 1623, a compris, contrai-
rement à Binet, qu'il s'agissait d'une maîtresse de Ronsard, cour-
tisée
Trois mois entiers d'un désir volontaire
(/fcid.,271);
et CoUetet, préférant cette interprétation à celle de Binet, a écrit
de son côté : « Les Amours d'Astrée sont de véritables marques de
lardante passion que Ronsard conceut pour une belle dame de ceste
ancienne et illustre famille d'Estrée, dont il voulut desguiser le nom
parle changement d'une seule voyelle en une autre. » [Vie de Ronsard,
édit. citée, p. 65)
Quoi qu'il en soit, la dame de la Cour qui inspira cette passion s'ap-
pelait Françoise d'Estrée ; à cet égard, le quatiième sonnet de Ronsard
Douce Françoise, aiuçois douce framboise...
ET CRITIQUE l63
complète les renseignements donnés par la dernière rédaction de Binet
et par Colletet.
P. 25, 1. 35. — pour embellir ses vers. Sur cette demoiselle d'honneur
de Catherine de Médicis, fille de René de Fonsèque, seigneur de Sur-
gères, et d'Anne de Cossé-Brissac, et sur les poésies que Ronsard
lui a consacrées, voir P. de Nolhac, Le dernier amour de Ronsard
{Nouv. Rev., 15 septembre 1882) ; E. Frénij-, op. cit., pp. 191 et suiv. ;
Marty-Lav., Notice sur Ronsard, lxv et suiv. ; ma thèse sur Ronsard,
p. lyr., pp. 256-57 eipassim.
Hélène de Surgères ne s'est pas mariée, comme le prouve non seule-
ment une généalogie manuscrite qui donne son nom avec cette
simple mention « morte fille » (P. de Nolhac, op. cit. p. 6), mais encore
un passage de l'Hist. (jénéal. de la maison des Chasteigners par André
du Chesne (Paris, S. Cramoisy, 1634), pp. 431-32. On pourrait croire
le contraire à première vue en consultant VHist. généal. de la maison
de Snrgères par Louis Vialart (Paris, J. Chardon, 1717). Cet auteur
mentionne à la p. 66 une Hélène, dame de Surgères, qui épousa Isaac
de la Rochefoucauld et en eut quatre enfants ; mais il s'agit là d'une
petite-fille de René de Fonsèque, qui fut la nièce de l'Hélène de Ron-
sard. Si Vialart et d'autres généalogistes n'ont pas mentionné celle-ci,
c'est précisément parce qu'elle resta fille.
Comment faut-il entendre cette phrase de Binet : « Il s'est aidé de
son nom pour embellir ses vers » ? C'est que le nom d'Hélène est « de
louange immortelle » depuis Homère, et que Ronsard a chanté le nom
même de sa dernière Muse, qu'il rapproche plus d'une fois de l'Hélène
grecque (cf. Bl., I, 283, 322-23, 341, 347, 353, 354, 384). — Quant à
sa vertu et à sa beauté, elles ont été vantées l'une et l'autre, non seu-
lement par Ronsard, mais par plusieurs de ses contemporains, entre
autres Desportes (éd. Michiels, p. 429), Am. Jamin (Œuvres, 1575,
f« 284 ro ; second volume des Œuvres, 1584, f" 83 r°) et Passerat
(Œuvres, éd. de 1606, p. 237).
P. 25, 1. 39. — ce qui est de sainct. Cf. l'éd. Bl., I, 283. Il est permis de
ne pas croire à la chasteté des sentiments de Ronsard à l'égard d'Hélène,
et Binet me semble bien avoir ici fardé la vérité. Au sonnet qu'il cite,
on pourrait opposer vingt autres pièces qui prouvent le contraire de ce
qu'il voulait nous faire croire. V. par ex. les sonnets Bien que l'esprit
humain ; Ma Dame se levoit ; Ha, que la loy ; Quand je pense ; Vous
triomphez de moi ; et surtout les pièces qui, écrites à l'adresse d'Hé-
lène, furent classées dès la seconde édition dans les Amours diverses
ou même ne furent pas imprimées, probablement à la requête de l'in-
téressée, telles que la chanson Plus estroit que la vigne, les sonnets
Cest honneur, cesle loy ; Maistresse, embrasse moy : Je n'aime point
les Juifs ; Je irespassois d'amour (BL, I, 383, 384, 416 et suiv.).
A noter que Binet allongea en C le passage relatif à Hélène unique-
ment pour insister sur le caractère platonique de ses relations avec le
poète, et que ce seul fait doit rendre suspecte l'anecdote de l'interven-
tion de Catherine de Médicis au début de ces relations, intervention
dont la preuve n'existe nulle part. Il est vraisemblable que Binet, en
faisant cette addition à son texte, céda aux instances d'Hélène de Sur-
l64 COMMENTAIRE UKSTORlgUE
gères elle-même, qui appréhendait fort l'opinion et avait, suivant l'ex-
pression de sou poète, « la peur d'infamie » ; témoin la démarche
qu'elle fit auprès de Du Perron, le priant d'écrire une épître liminaire
aux œuvres de Ronsard « pour monstrer qu'il ne l'aimoit pas d'amour
impudique » (Perron/ana, art. Goiirnai), Cologne, 1C94, p. 178. Cf. Bl.,
I, 283 et 338 ;M.-L., Notice sur lions., lxxhi).
P. 25, 1. 40. — garde son nom. Voir le sonnet Afin que ton honneur ; les
Stances de la fontaine d'IIelenc ; le sonnet 11 ne suffit de boire, et
l'élégie Six ans estoient coulez (Bl., I, 357-63 ; M.-L., I, 331-39). C'est
au prieuré de Croixval que Ronsard a écrit ces vers exquis, en 1574
ou 1575. La fontaine d'Hélène a réellement existé, comme celle de la
Bellerie ; mais tandis que la Bellerie était sur le territoire de Couture,
à quelque cent mètres de la Possonniére, la fontaine d'Hélène se trou-
vait à quelques lieues de Couture, sur la commune des Hayes, dans la
vallée de la Cendrine, en amont du prieuré de Croixval. J'en trouve la
preuve dans le sonnet // ne suffit .de boire en Veau que j uy sacrée :
Ronsard y parle du « père Saint Germain, qui garde la contrée » ; or
la fontaine de Saint-Germain, dont l'eau a une vertu curative toute
spéciale et attire toujours des pèlerins, existe encore tout prés de la
propriété de Rocantuf, voisine de Croixval. Cf. P. Clément, Monogra-
phie de la paroisse des Hayes-en-Vendoinois, pp. 39-40-
P. 25, 1. 45. — et les suivons. Voici les vers en question :
Sic vos non vobis fertis aratra boves.
Sic vos non vobis nidificatis aves.
Sic vos non vobis mellificatis apes,
Sic vos non vobis vellera fertis oves.
On chercherait vainement ces pentamètres dans les œuvres de Virgile,
car ils ne sont pas de lui ; c'est la Vita Viryilii de Donat (vi XVH),
ou un interpolateur de cette biographie, qui les lui attribue (cf. le
Virgile de Heyne, tomel, qui juge ainsi l'anecdote relative à ces vers :
Ineptum grammatici scii monachi commentum)- On les chercherait
aussi vainement dans le Ronsard de Blanchemain ou celui de Marty-
Laveaux. Binet dit que le poète les « fit mettre au devant des Amours
et des Mascarades » : affirmation doublement erronée. Ces vers, qui
n'apparaissent que dans les éditions posthumes de Ronsard, n y sont
pas au devant des Amours, ni au devant des Mascarades ; on ne les
trouve qu'à la fin du tome V, qui contient les Eclogues et les Masca-
rades ; et encore n'en voit-on que trois en 1587 et en 1597, les deux
derniers ayant été fondus à l'impression en un seul vers ridicule :
Sic vos non vobis vellera fertis apes.
D'ailleurs Ronsard avait tiré parti de ces vers latins dès les pre-
mières années du règne de Charles IX, dans le poème du Procès :
Ainsi les gros toreaux vont labourant la plaine,
Ainsi les gras moutons au dos portent la laine,
Ainsi la mousche à miel, en son petit estuj'.
Travaille en se tuant pour le profit d'autruj'
(Bl., 111, 354) ;
ET CRITIQUE l65
et il les a développés dans VElcgie à Desportes, publiée seulement en
1587 (Bl., IV, 219 : « Nous semblons aux taureaux... »). Avant lui
Cl. Marot les avait paraphrasés intégralement dans sa Chanson 38 (éd.
P. Jannet, II, 193.)
P. 25, 1. 48. — La belle eau vive. Les mots « surnommée Aqua viva »
retombent sur «la maison d'Atry », et non sur « une très belle dame
de la Cour ». — Ensuite la pièce à laquelle Binetnous renvoie n'est pas
un sonnet, mais une chanson par stances (Bl., I, 263). — Enfin elle ne
commence pas par : La belle eau vive.., mais par :
Ah belle eau vive, ah fille d'un rocher...
P. 26, 1. 2. — libéralement- Il faut ici entendre par ces « dons » des
gratifications en espèces, qui venaient de temps à autre et irrégu-
lièrement s'ajouter à la pension ordinaire, laquelle était au contraire
un traitement fixe.
Dans un compte des dépenses de Charles IX pour octobre-décembre
1572, on voit figurer Dorât, Jodelle et Baïf pour des sommes de 250 à
500 livres tournois. Ronsard n'y figure pas; en revanche il figure dans
la liste des « dépenses faites à l'entrée du roy et de la reyne à Paris en
1571 » pour une somme de 270 livres « à luy ordonnée par Messieurs
de la Ville » (Cimber et Danjou, Archives curieuses, P" série,
tome VIII, pp. 355 à 369).
Il sera question plus loin des bénéfices ecclésiastiques, principale
source des revenus de Ronsard. Quant à la pension ordinaire, elle
s'élevait à 1.200 livres, que Ronsard touchait comme « Aumosnier et
Poëte françois du Roy ». Blanchemain (VIII, 39, note 3) et Rocham-
beau (op. cit., p. 141) ont publié la quittance du 3" quartier de cette
pension pour l'année 1563 (Rochambeau a lu 1573). V. encore Marty-
Laveaux, Notice sur A. de Baïf, p. xli, note.
p. 26, 1. 7. — non assouvir. Source de ce passage, Papire Masson,
Hisloria vitae Caroli IX (Paris, 1577) : « Ex latinis Poetis dilexit
Auratum, ex Gallicis Ronsardum Vindocinensem et Baïffium Lazari
filium : quos sua Poemata recitantes attentissime audivit. Dabat et eis
praemia, non magna, ut brevi redirent, et novi aliquid, déficiente
pecunia, meditari cogerentur : Poetas generosis equis similes esse
dicens, quos nutriri non saginari oporteat. » (Opusc. réimprimé dans les
Additions aux Mémoires de Castelnau, tome III de l'éd. de Bruxelles,
1731.) — Cf. La Popeliuière, Histoire de France (Paris, 1581), tome II,
p. 219: « Il (Charles IX) aymoit la Musique et la Poezie jusques à les
pratiquer par passe temps, la dernière mesmement incité par Ronsard,
Baïf, Dorât et Jamin, ausquels il a faict quelques biens. Mais sans les
enrichir (hors le premier), disant que les Poètes resembloyent, en
certaines choses, aux genêts et autres généreux chevaux, qu'il faut
nourrir sans engresser, afin qu'ils ne deviennent porcs. » (Bibl. Nat.,
Rés. L^' a 15.) — V. encore Brantôme, qui a presque traduit les lignes
de Papire Masson, citées plus haut (éd. Lalanne, V, 281-82).
P. 26, 1. 11. — les œuvres de Ronsard. On trouvera deux pièces de vers
du roi Charles IX à Ronsard au tome III de l'éd. Bl., pp. 255 et suiv.,
avec les réponses du poète au roi. Elles furent signalées pour la
l66 COMMENTAIRE HISTORIQUE
première fois, chacune par ses deux premiers vers, dans la plaquette
pariio chez G- Buon en 1575 sous ce titre : Les Esloilles... et Deux
rcsponscs ù deux Elégies envoyées par le feu roy (Jiarles à Ronsard.
C'est en 1584 seulement qu'elles parurent en entier. — Il existe une
troisième pièce du roi à Ronsard, qui contient de très beaux vers et
qu'on cite partout ; mais elle a paru pour la première fois en 1652 dans
Vllist. de France de Jean Royer et ne semble pas authentique (cf.
Martv-Lav., 111, 543, et Nolice sur Ronsard, xlix).
Binet fait allusion — cela est évident par l'addition de C — à ces
vers de la première pièce :
Donc ne t'amuse plus à faire ton mesnagc,
Mainlenanl n'est plus temps de faire jardinage :
Il faut suivre ton Roj' qui t'aime par-sus tous
Pour les vers qui de loy coulent braves et dous :
Kt croj- si tu ne viens me trouver à Amboise,
(Ju'cntre nous adviendra une bien grande noise.
P. 26, 1. 15. — reprendre en Iny Cf. ces vers des Eslrennes au Roy
Ilcnry III écrites en décembre 1574 :
je seraj' satj'rique,
Disoy-je à vostre frère, à Charles mon seigneur,
Charles qui fut mon tout, mon bien et mon honneur.
Ce bon Prince en m'oyant se prenoit à sourire,
Me prioit, m'enhortoit, me commandoit d'escrire,
D'estre tout satj'rique instamment me pressoit
(BI., III, 286.)
P. 26, 1. 22. — en cela Pétrarque- Binet a voulu dire, je crois, que Ron-
sard, au lieu d'intituler les poésies inspirées par Hélène : le Troisième
livre des Amours, ou bien : les Amours d'IIelene, les a intitulées
Sonnets pour Hélène {on lit aussi en 1584 à la fin de ces poésies Sonne/s
d Hélène), à l'exemple de Pétrarque, dont le Canzoniere avait pour
titre (du moins dans les éd. du xvi^ siècle) : Sonetti e Canzoni in vita
e in morte di Madonna Laura. A moins que les mots « imitant en cela
Pétrarque » ne retombent sur la fin de la phrase pi'écédente, ce qui est
encore très possible, malgré la ponctuation.
P. 26, 1. 29. — en la loiiant. Ceci n'est pas tout à fait exact. Ronsard
cessa déchanter Hélène de Surgères en 1575 au plus tard, alors qu'il
n'avait encore que cinquante ans. Il dit lui-même, dans l'avant-dernier
des Sonnets pour Hélène, que ses « dix lustres passez lui sonnent la
retraite ». Presque toutes les pièces inspirées par Hélène ont paru
dans l'éd. collective de 1578, alors que Ronsard avait encore huit ans
à vivre. Seule une élégie publiée en 1584 et un sonnet publié en 1587
sembleraient donner raisonà Binet (El., 1,362 et 364: «Vous ruisseaux...»).
D'ailleurs Colletet nous apprend que Ronsard ne cessa pas d'entretenir
avec Hélène d'amicales relations : << J'ay encore par devers moy, dit-il,
quelques lettres escrittes de sa main peu de temps avant sa mort, par
lesquelles il supplie son cher amy Galandius de présenter ses humbles
baisemains à Mi'e de Surgères, et mesme de la supplier d'employer sa
faveur envers le thresorier régnant pour le faire payer de quelque an-
née de sa pension. » (Vie de Ronsard, édit. citée, p. 67.)
ET CRITIQUE 167
P. 26, 1. 32. — devenir Poêles- V. le sonnet Afin que ton honneur (BI., I,
357.)
Au sujet d'Hélène il convient de compléter ici l'exposé de Binet par
quelques renseignements que Richelet a recueillis de sa propre bouche
pour les commentaires qui parurent en 1597 et furent écrits, d'après
la dédicace de Richelet, dès 1592. 1" En note du sonnet Te regardant
assise : « Le sieur Binet qui a sceu familièrement l'intention du Poète,
m'a dit que la primitive conception de ce sonnet a esté dressée pour
la Comtesse de Mansfeld, fille ainée du Mareschal de Brissac. Depuis
il l'a accommodée à sesamoui's. » 2" Au sonnet Dessus l'auteld' Amour :
« J'aj' appris du sieur Binet que ce serment fut juré sur une table ta-
pissée de Lauriers, symbole d'éternité, pour remarquer la mutuelle
liaison de l'amitié procédante de la Vertu, qui est immortelle. )) 3» Au
sonnet Passant dessus la tombe : « Geste Lucrèce estoit M"e de Bac-
queville, jeune, belle, sçavante, des plus parfaictes de la Cour, et qui
estoit des meilleures amies d'Helene, comme jay sceu du sieur Binet. »
11 est étonnant que Binet n'ait pas parlé, dans sa 3^ rédaction, du
Commentaire des Sonne/s pour Hélène écrits par Richelet pour l'édition
de 1597. V. ci-dessus, p. 128, fin.
P. 26, 1. 41. — à s'irriter. Cf. Horace, Epitres, II, ii, 102 «... genus irri-
tabile vatum » .
P. 26, 1. 43. — en plusieurs endroits. V. ci-dessus, pp. 132, 145, 146,
aux mots « pension ordinaire ; sa vertu ; de son temps » ; en outre,
l'Ëlegie au Sgr Bâillon, trésorier de l'Epargne du Roi :
Je me suis tourmenté sans nulle recompense :
Car envers mes labeurs trop ingrate est la France...
(Bl., IV, 260),
le Poème à Moreau, autre trésorier de l'Epargne (VI, 265), et le Dia-
logue des Muses deslogées (III, 306).
P. 27. I. 1. — Bellozane. On lit au tome XI delà Gallia Christiana, col.
335-36, dans la liste des abbés de « Bellosanne » (diocèse de Rouen) :
« XXIII. Jacobus Amyot, vir eruditissimus...,abbatiam dimisit anno
1564 in gratiam sequentis.
« XXIV. Petrus I Ronsart, poeta suo tempore famosissimus, abba-
tiam anno 156i et capessivit et abdicavit. »
Ainsi, d'après ce document précieux (le seul qui nous renseigne à ce
sujet), Amyot abandonna son abbaye de Bellozane en faveur de Ronsard,
et celui-ci, après l'avoir acceptée, y renonça la même année, 1564. La
raison de ce dernier fait nous échappe, car, tout en préférant comme
résidence le prieuré qu'il obtint peu après, celui de St-Cosme-lez-Tours,
voisin de son Vendômois, de Bourgueil et des châteaux royaux de la
Loire, Ronsard aurait pu, semble-t-il, cumuler, comme tant d'autres, les
revenus de l'abbaye et du prieuré.
Ronsard n'a jamais eu d'autre abbaye que celle de Bellozane, et il
n'en a joui que quelques mois. Aussi lit-on avec quelque étonneraent
dans Sainte-Beuve que Ronsard « touchait les revenus de mainte ab-
baye », dans Blanchemain que Charles IX lui accorda « l'abbaye de
Bellozane, celle de Beaulieu, celle de Croixval», dans Rochambeau, qui
l68 COMMENTAIRE HISTOBIQUE
pourtant renvoie à la Gallia Christiana, que Ronsard « fut ahbé com-
mcndataire de BcUozanc jusqu'à sa mort », sans parler de biographes
plus récents qui les ont copiés.
P. 27, 1. 1. — quelques Prieurez. Sur les cures obtenues par Ronsard du
temps de Henri II, v. ci-dessus, p. 132, aux mots « pension ordinaireT».
De plus il avait été nommé en juin 1560 archidiacre de Château-du-Loir
administrateur des biens temporels) et chanoine de St-Juliendu Mans.
11 obtint encore le canonicat de St-Martin de Tours en janvier 1566.
Quant aux prieurés, Ronsard en a obtenu cinq, dont quatre au moins
sous le règne de Charles IX : 1" le prieuré de Si- Cosme-lez-Tours
(mars 1565, n. st.) ; 2° celui de Croixval, qui était une baronnie (mars
1566); 3»' celui de St-Guingalois de Château du-Loir (déc. 1569);
4° celui de Mornant (oct. 1573) ; 5" celui de St-Gilles de Montoire (à une
date indéterminée). — Mais l'investiture de deux de ces prieurés donna
lieu à de vives contestations : pour pouvoir garder celui de St-Guin-
galois, Ronsard dut céder pendant quelque temps à son compétiteur
Florentin Regnard le canonicat de St-Martin de Tours et le prieuré de
(^.roixval ; quant au prieuré de Mornant, Ronsard ne put en prendre
possession que le 18 avril 1575 par un « procureur substitué », et il en
fut dépouillé dès le 15 avril 1576 par un nommé Claude de Chassagny.
Dans les quatorze dernières années de sa vie, Ronsard toucha les revenus
des quatre autres prieurés. En outre, comme prieur de St-Gilles, il fut
de droit jusqu'en 1584 curé commcndataire de Montoire. Enfin, à partir
d une date indéterminée, mais certainement antérieure à 1571, le titu-
laire de l'abbaje de la Roë (Mayenne dut, par ordre de Charles IX,
prélever chaque année une somme de mille livres sur les revenus de la
dite abbaye en faveur de Ronsard, et notre poète jouissait encore de
cette rente annuelle en 1582.
Cf. Froger, Rons. eccL, chap. m et iv ; J-B. Vanel, art. sur Ronsard
prieur de Mornant, paru dans le Bulletin historique du diocèse de
Lyon, de janv.-févr. 1905 ; Angot, note sur Ronsard et l'abbaye de la
Roë, publié dans les Annales Flêchoises de mai-juin 1906.
P. 27, 1. 4. — plus malade que sa//} Les mots «environ ce temps >i, qui ne
se rapportent à aucun fait précis, montrent une fois de plus la négligence
de Binet pour la chronologie de son sujet. C'est dans la première moitié
de 1566 que Ronsard tomba gravement malade, au point que les hu-
guenots de Bourges répandirent le bruit de sa mort (cf. une lettre de
Passerat, du 20 août 1566, dans le Ronsard de M.-L., VI, 480). Mais je
croirais plus volontiers que Binet a fait allusion ici à la(( fièvre quarte »
qui compromit la santé du poète pendant plus d'un an qu'il ne bougea
du prieuré de St-Cosme, en 1568-69, et dont les preuves abondent dans
les deux livres de Poèmes publiés en août 1569. Voir M.-L., V, 59, 60,
70, 77, 96, 101, 107, 109, 112, etc., notamment ces vers :
Onze mois sont passez
Que j"ay la fièvre en mes membres cassez fp. 60).
Voyla, Jamyn, vojla mon souv'rain bien.
En attendant que de mes veines parte
Geste exécrable horrible fièvre quarte,
Qui me consomme et le corps et le cœur,
Et me fait vivre en extrême langueur (p. 77).
I
ET CRITIQUE I 69
Ainsin, Odin, je passe la journée
Lors que la fièvre en mon corps encharnée
Ronge mes os, succe mon sang... (p. 107).
Tandi.s, Girard, que la fièvre me tient
Heins, teste, flanc, la Muse m'entretient
Kt de venir à mon lit n'a point honte (p, 109) '.
Voir encore un sonnet d'Am. Jamin, publié en tête de ces Poèmes de
1569:
Fait nouveau mesnager, mon Uonsard, ton plaisir
N'estoit que rebâtir et régler ton mesnage
Quand Phœbus despité de voir son Luc moisir
De longue fiebvre quarte a voulu te saisir...,
et une ode du même A la Santé pour M. de Ronsard malade de la
fièvre quarte :
Méchante fièvre n'as-tu
Assez Ronsard abatu
Père aux François de la Lyre ?
Jà la lune quin^ze fois
A recommencé le mois
Depuis qu'il est en martyre.
[Œuvres, 1575, liv. V.)
P. 27, 1. 7. — Monsieur de Pimpant. C'est Germain Vaillant de la Guérie,
abbé de Pimpont. 11 signait ses pièces latines G. Valens Guellius PP.,
ou simplement PP. L'édition princeps de la Franciade présente parmi
ses liminaires trois pièces de lui, dont un sonnet signé PP. On trouve
également des vers latins de lui en tête de la Bergerie et des Pierres
précieuses de R. Belleau. Les Œuvres d'Am. Jamin contiennent un
« Discours à M. de Pimpont, Conseiller du Roy en sa Cour de Parle-
ment » ; Baïf lui a dédié une ode; Belleau a traduit deux de ses Epitaphes
latines ; Ronsard le met au nombre des « divines têtes, sacrées aux
Muses », qu'il regrette de voir s'exprimer en latin (préf. posthume de la
Franciade) . Sur ce personnage, qui fut évêque d'Orléans dans les der-
nières années de sa vie, voir Se. de Sainte-Marthe, Elogia, traduits par
G. Colletet en 1644.
P. 27, 1. 17. — consacrée aux Muses. Blanchemain a le premier déclaré,
après en avoir « acquis la certitude », que la « satire )) de la Dryade
violée n'était autre que 1' « élégie )) aux bûcherons de la forêt de Gas-
tine (VIII, 30 et 100), et depuis on l'a répété sans contrôle. Or rien
n'est moins certain.
D'abord la fameuse élégie : « Quiconque aura premier la main embe-
songnée... » n'a paru qu'en 1584, dix ans après la mort de Charles IX,
et avec ce simple titre : Elégie XXIV ; elle figure encore dans les pre-
mières éditions posthumes (de 1587 à 1617 inclus) avec le simple titre
1. Je renvoie ici à l'éd. M-L., parce qu'elle reproduit celle de 1584 que Binet
a consultée. Mais le texte princeps est assez différent, ainsi que celui de Blan-
chemain, lequel d'ailleurs a mal daté toutes ces pièces (cf. Bl., VI, 69, 70, 79,
106, 112, 117-18, 120, 123).
-O COMMENTAIRE HISTOniQCE
d'Blegie C'est seulement à partir de 1623 qu'on a ajouté le sous-titre
Contre les Bûcherons de la foresl de Gastine. Quant à l'appellation de
« Satire de la Dryade violée », on ne la trouve pour cette pièce dans
aucune édition, contemporaine ou posthume, ni comme titre ni comme
sous-titre ; les mots dryade et violée ne se rencontrent même pas dans
la pièce elle-même, et d'ailleurs, en fait, elle n est pas une satire mais
une élégie.
D'autre part, Binct dit un peu plus loin, et dès sa première rédaction,
que les Satires de Ronsard ne furent pas publiées, et qu'il tenait de la
bouche même du poète que « quant aux satyres on n'en verroit jamais
que ce qu'on eu avoit veu )) (allusion probable aux « discours » politi-
ques, et peut-être aussi à certains passages des Estrennes du Roy
Henri III, de décembre 1574 (Bl., III, 285-86 ; VII 306). La tournure
sj'ntaxique employée par Binet pour parler de la Dryade violée, covame
de la Truelle crossée, ne semble-t-elle pas indiquer aussi que ces deux
satires n'ont pas été publiées ?
Enfin, on ne voit pas que dans VElegie contre les bûcherons Ronsard
« reprenne aigrement de l'aliénation du domaine et d'avoir fait vendre
la coupe de la forest de Gastine le Roy et ceux qui gouvernaient lors ».
Elle ne contient pas un seul vers où il soit question d'eux. Et s'il est
vrai, comme je le crois (sans toutefois en être sûr), que le bûcheron de
la forêt de Gastine ne faisait qu'exécuter l'ordre d'un roi, et que les
apostrophes du poète s'adressent à ce roi bien plus qu'au bûcheron, il
est faux que ce roi soit Charles IX. En effet, d'abord il ressort de tous
les documents relatifs aux aliénations du domaine royal sous les règnes
de Charles IX et de Henri III (1566, 1574, 1579) que ces rois, bien loin
de faire abattre ou de laisser abattre les forêts qui en dépendaient, ont
cherché à en assurer la conservation par des ordonnances, édits et rè-
glements très sévères (cf. Fontanon, Ordonnances des Rois de France,
II, pp. 363-67 ; Isambert, Recueil des Ane- Lois, XIV, p. 454 ; Pec-
quet. Lois forestières, II, p. 451). En second lieu la forêt de Gastine
n'appartenait pas au roi de France, mais à Henri de Bourbon, duc de
Vendôme depuis la mort de son père (1562) et roi de Navarre depuis la
mort de sa mère (1572) ; et c'est le roi de Navarre qui a vendu la forêt
de Gastine en 1573 pour commencer à payer avec son patrimoine les
dettes contractées par Jeanne d'Albret (cf. un article de J. Martelliére,
Annales Fléch. de mai 1907, p. 186).
Pour moi, la « Satire de la Dryade violée » était tout autre chose,
de bien plus long, plus direct et plus violent, que l'Elégie contre les bû-
cherons. Tout au plus pourrait-on dire que nous possédons dans 1 Elégie
un fragment que Ronsard a détaché lui-même delà Satire en question et
a consenti à publier ainsi en 1584. La Satire était dans ses manuscrits
depuis 1573 ; elle circulait même probablement sous le manteau. En
1584, Ronsard se sera décidé à en publier une partie, la plus anodine,
la plus générale, celle où la personne du roi de Navarre, suzerain des
Ronsart de la Possonnière, disparaissait à peu prés complètement.
CoUetet parle aussi de la Dryade violée (Vie de Régnier, fragment
cité par Rochambeau, op. cit., p. 238) ; mais son témoignage n'éclaire
en rien la question, n'étant que la reproduction de celui de Binet.
ET CRITIQUE I7I
P. 27, 1. 21. — de VArchitectiire. Blanchcmain a cru que cette satire de
la Truelle crossée n'est autre que le sonnet Penses-tu mon Aubert...,
qu'il a réédité au tome VIII de son édition de Ronsard, p. 139 (cf.
pp. 30, 100 et 106). Je ne puis partager son opinion.
D'abord, quoiqu'il existe des sonnets satiriques, dont les Regrets de
Du Bellay présentent des modèles, un sonnet n'est pas précisément une
satire comme celles dont Binet parle ici. — Ensuite le sonnet dont
parle Blanchemain a paru pour la première fois en 1556 dans la Nou-
velle Contin. des Amours, tandis que la satire dont parle Binet aurait
été écrite sous Charles IX et avec sa permission — En outre, ce sonnet
avait pour titre, non pas la Truelle crossée, comme on pourrait le croire
d'après l'éd. Bl., mais simplement Sonet, et cela non seulement dans
l'éd. princeps, mais dans les deux réimpressions de Rouen et de Paris
en 1557 (Ronsard l'a retranché de ses œuvres dès 1560). — Enfin, dans
ce sonnet, Ronsard ne « blâme » pas « le roy de ce que les bénéfices se
donnaient à des maçons et autres plus viles personnes » ; ce n'est pas
l'idée générale, le sujet même de cette pièce ; et le premier tercet, qui
seul fait allusion aux riches bénéfices des architectes royaux, ne vise
aucun d'eux « particulièrement », mais pourrait s'appliquer aussi bien
à Pierre Lescot qu'à Philibert Delorme.
Quand il a voulu « taxer particulièrement » Delorme, il l'a fait d'une
façon plus explicite, par ex. dans la Complainte contre Fortune, écrite
aux environs du 1er janv. 1559 :
Maintenant je ne suis ny veneur ny maçon
Pour acquérir du bien en si basse façon,
Et si ay faict service autant à ma contrée
Qu'une vile truelle à trois crosses tyinbrée.
(Bl., VI, 166.)
Philibert Delorme (ou de l'Orme) possédait en effet trois abbayes à la
fois : celle de Geveton au diocèse de Nantes (depuis 1547), celle de
St-Barthélemy au diocèse de Noyon (depuis 1548), celle de l'Ivry (ou
d'Ivry) au diocèse d'Evreux (depuis 1548). Il avait encore obtenu, dès le
début du règne de Henri II, la fonction de Conseiller et aumônier ordi-
naire du roi, et la charge de Surintendant des bâtiments royaux; un
peu plus tard, mais toujours sous Henri II, il fut nommé chanoine de
Notre-Dame de Paris.
Après la mort de Henri II et le départ de Diane de Poitiers, dont il
avait construit le château d'Anet, il tomba en disgrâce et perdit sa
charge officielle de Surintendant, donnée à son ennemi le peintre Pri-
matice. En 1560, ayant renoncé à l'abbaye de l'Ivry en faveur d'un
frère de Diane, il reçut en compensation celle de St-Serge d'Angers, et
jusqu'à sa mort, arrivée en 1570, il s'intitula abbé de St-Serge, comme
auparavant il s'intitulait abbé de l'Ivry. Rentré en grâce auprès de Ca-
therine de Médicis vers 1564, il fut chargé par elle de la construction
du palais des Tuileries ; et c'est évidemment vers la fin de sa vie qu'il
faut placer l'anecdote racontée par Binet.
L'ouvrage dont parle Binet a paru en 1567 sous ce titre : Le premier
tome de l'Architecture de Philibert de l'Orme, Conseiller et Aumônier
7» COMMENTAIRE HISTORIQUE
ordinaire du Roij et Abbé de St-Sergc-Ies-Angiens (Paris, Fed. Morel).
Sur la vie et les œuvres de cet architecte royal on trouvera de plus
amples renseignements dans un ouvrage, actuellement sous presse, de
M. Henri Clouzot, intitulé Les Maîtres de l'Art : Philibert de l'Orme
(Paris, Pion et Nourrit, in-16).
Ronsard conserva toujours pour Delorme une véritable antipathie,
témoin ces vers adressés à Moreau, « trésorier de l'Espargne » :
Il ne faut plus que la Roj'iie bastisse
Mais que nous sert son lieu des Thuilleries ?
(BI., VI, 266.)
et ceux-ci d'une odelette satirique à Charles IX :
J'ay veu trop de maçons
Bastirles Tailleries... (Bl , VIII, 106.)
Tout cela nous fait regretter d'autant plus que la satire de la Truelle
crossée n'ait pas été publiée, et soit encore à retrouver, quoi qu'en ait
pensé Blanchemain.
Peut-être aussi faut-il croire avec l'auteur des Remarques critiques
sur le Dictionnaire de Bayle (in-fo de 1752, p. 480), que la satire de la
Truelle crosscc n'a jamais été écrite, et par conséquent n'est point à
retrouver. Il pense que Binet « a métamorphosé un simple Sonnet en
Satire », et, après avoir cité le sonnet à G. Aubert, Penses tu mon Au-
bert (d'après la réédition de Rouen, 1557), il conclut : « C'est sans doute
ce Sonnet, que Binet n'avait apparemment pas vu, et dont il n'avait ouï
parler que d une manière confuse, qui a donné lieu au conte de la Satire,
laquelle, selon lui, avait pour titre : la Truelle crossée. »
P. 27, 1 30. — en François. Philibert Delorme, ainsi que Ronsard s'y
attendait, avait lu ces trois abréviations latines comme trois mots
français complets : Fort révérend abbé.
P. 27, 1. 34. — la porte aux Muses. \\ s'agit de l'cpigramme viii d'Ausone,
intitulée Exhortalio ad modestiam; ce sont quatre distiques dont voici
le dernier :
Fortunam reverenter habe, quiconque repente
Dives ab exili progrediere loco.
Un biographe de Delorme, J. S. Passeron,a jugé cette anecdote con-
trouvée, d'autant plus suspecte, dit-il, que Delorme n'ignorait pas le
latin. A quoi Ad. Berty a répondu avec raison qu'on ne peut rien con-
clure de là contre l'authenticité de l'anecdote, car « présentés sous la
forme tronquée que leur avait donnée Ronsard, les trois premiers mots
du distique d'Ausone n'éveillaient point l'idée d'un texte latin à com-
pléter et à traduire, mais étaient calculés pour fourvoyer celui qui cher
cherait à les interpréter. )) (Gazette des Beaux-Arls, tome IV, octobre
1859 pp 83-84.)
P. 27, 1 38 — Roy de France. Cette satire n'a jamais été publiée et
semble perdue (cf. Bl., VIII, .30 et 101).
P. 27, 1. 40. — le meilleur des Rois. Odelette satirique publiée par
II
ET HISTORIQLE 178
Blanchemain, d'après un manuscrit de L'Estoile {Œuvres inédites de
Ronsard, p. 127, et tome VIII des Œuvres, p. 105). Son authenticité a
été mise en doute par Marty-Laveaux [Œuvres de Ronsard, VI, 493) ;
mais il s'est bien gardé de citer le témoignage de Binet qui lui donne
tort. Voir ce que j'en ai dit dans ma thèse sur Ronsard p. lyr.,
pp. 245 et 246.
P. 28, 1. 19. — à sa Muse. Voir l'Hymne du Roy Henri ///, qui fut écrit
non pas, comme le dit l'édition de Bl. (V, 144), « pour la victoire de
Moncontour », mais pour celle de Jarnac (il parut le 1«'' août 1569 dans
les Poèmes sous ce titre : « Chant triomphal pour jouer sur la lyre sur
la victoire qu'il a plu à Dieu de donner à Mgr le duc d'Anjou ))) ; puis les
trois pièces écrites avant et après la bataille de Moncontour, savoir :
« Prière à Dieu pour la victoire ; IHydre desfaict; les Elemens ennemis
de l'Hj'dre)) (Bl., VII, 149 etsuiv.), — dont la seconde parut en 1569 dans
les Paeanes sive Hymni in triplicem victoriam... de Dorât et quelques
autres poètes. Le souvenir de ces chants de victoire est longuement
rappelé par Ronsard dans le Discours au Roy après son retour de Po-
logne {Ul, 276-78).
P. 28, 1-22. — volontiers. Voir cinq sonnets publiés en 1578 (Bl., V, 310-
13), une bonne partie du Bocage Royal (III, 265 à 310) et la dédicace
des Elégies (IV, 215). Quant aux gratifications de Henri III, Bonsard y
fait allusion dans le Panégyrique de la Renommée, publié en 1579 :
Nul poëte François, des Muses servi leur.
Ne présenta jamais d'ouvrage à sa hauteur
Qu'il n'ait recompensé d'un présent magnifique...
(III, 274.)
Ronsard a très probablement écrit ces vers après avoir été récompensé
des épitaphes qu'il composa en l'honneur des mignons du Roi, Quelus
et Maugiron, tués en duel au mois d'avril 1578. On sait en outre par
P. de l'Estoile ce que Henri III donna à Ronsard pour sa participation
aux fêtes du mariage de Joyeuse en septembre 1581 : « Le Roy donna
à Ronsai'd et Baïf, poètes, pour les vers qu'ils firent pour les masca-
rades, combats, tournois et autres magnificences des nopces et pour la
belle musique par eux ordonnée et chantée avec les instrumens, à
chacun deux mil escus, et donna en son nom et de sa bourse les
livrées de drap de soie à chacun... w (Registre-Journal de P. de l'Es-
toile, édition Brunet et ÇhampoUion, tome II, p. 23.) Cf. P. Lacroix,
Ballets et Mascarades de Cour, Introduction, et le Ronsard de Blan-
chemain, tome IV, pp. 170 à 176 et 211.
P. 28, 1. 25. — à son lict. Il est possible que Binet, ne connaissant pas
la date d'apparition des pièces qu'il consultait, se soit inspiré dans ce
passage, surtout pour l'addition de C, du poème de la Salade :
Tu me diras que la vie est meilleure
Des importuns qui vivent à toute heure
Auprès des Roj's en crédit et bonheur,
Enorgueillis de pompes et d'honneur :
Je le scay bien, mais je ne le veux faire
Car telle vie à la mienne est contraire.
Il faut mentir, flater et courtiser
I'-4 COMMENTAIRE HISTORIQUE
Rire sans ris, sa face desguiser
Au front dautruy, et je ne le veux faire,
Car telle vie à la mienne est contraire. *
Je suis pour suivre à la trace la Court
Trop maladif, trop paresseux et sourd..
(Bl., VI, 88 )
Mais ce poème parut dès 1569 dans le Sixiesme livre des Poèmes, et
par conséquent fut écrit en plein règne de Charles IX.
P. 28, 1. 28. — hon et sage Roy- Voir les Muses deslogées:
3'ay peu de cognoissance à sa grandeur royale...
(Bl., 111,310)
et la dédicace des Elégies (1578), devenue l'Elégie I en 1584 :
Ainsi quand par fortune ou quand par maladie
Je m'absente de vous, ma Muse est refroidie
Ne faites pas vers moy ainsi qu'un mauvais maistre
Fait envers son cheval ne luy donnant que paistre
Encor qu'il ait gagné des batailles sous luy.
Lorsque la maladie, ou le commun ennuy
D'un chascun, la vieillesse, accident sans ressource,
Refroidit ses jarrets et empesche sa course.
Il est certain que le poète favori de Henri III ne fut pas Ronsard, mais
Desportes, qui l'avait accompagné en Pologne et chantait ses amours.
P. de l'Estoile est allé jusqu'à écrire que Henri III « ne fit jamais à
Ronsard grande démonstration de faveur, ni aucun avancement »
[op. cit., II, 222).
Sur une liste de pensionnaires du roi Henri III, de l'année 1577, on
lit : « Me Pierre de Roussard [sic], poète françois, XII' 1. » (Jal, Dict.
crit., au mot Ronsard.) Mais cette pension de 1.200 livres, Ronsard
lavait déjà sous Henri II et sous Charles IX. V. ci-dessus, p. 132, aux
mots « pension ordinaire ».
p. 28, 1. 33. — régnant. Ce passage tendrait à faire croire que Binet a
préparé sa troisième édition dès avant la date de la mort de Henri III
(1er août 1589). Mais on ne s'explique pas qu'en 1597 il ait laissé ces
trois mots « à présent régnant ». Cf. ci-après, au mot « devins ».
P. 28, 1. 44. — envoya. Ronsard a dédié par une longue préface en
prose l'un de ses recueils à la reine d'Angleterre Elisabeth. Ce sont les
Elégies, Mascarades et Bergerie, publiées en 1505 cf. l'éd. Marty-
Laveaux, VI, 446, et ma thèse sur Ronsard p. lyr., p. 214). Ce
recueil contenait en outre trois poèmes très flatteurs, adressés, l'un à
la reine Elisabeth, l'autre à son favori lord Dudley, comte de Leicester,
le troisième à son secrétaire Cecille (cf. l'éd. Bl., III, 323, 391 ; IV, 382).
C'est probablement en retour de cette dédicace et de ces trois
poèmes que la reine d'Angleterre envoya à Ronsard ce diamant de grand
prix, dont Binet est seul à parler.
p. 28, 1. 48. — son Secrétaire. Cette leçon, reproduite en 1604, nous
semble la vraie leçon, au lieu de « le sieur de Nauson Secrétaire »,
qu'on lit très distiactement dans les deux éditions ia-f" et iD-12 de
ET CRITIQUE \']5
1609 et dans celles de 1617 et 1630. En 1623, on a rétabli la leçon pri-
mitive : « le sieur de Nau son Secrétaire ». G. Colletet, qui avait sans
doute sous les yeux l'édition de 1609, ou celle de 1617, qu'il a pillée
sans vergogne, a écrit : « Cette princesse, toute prisonnière qu'elle
estoit, l'an 1583, luy envoya par un de ses secrétaires, nommé le
seigneur Nauzon, un buffet de deux mille escus. » {Vie de Ronsard, éd.
citée, p. 43). Cimber et Danjou ont adopté la leçon de 1609, en l'aggra-
vant par une virgule, « le sieur de Nauson, secrétaire » {Arch. cur. de
l'Hisl. de Fr., l^e série, tome X, p. 391). Enfin l'abbé Simon a
corrompu encore plus le texte de Binet en donnant pour secrétaire à
Marie Stuart « le sieur de Nanson » [Hist. de Vendôme, III, p. 537).
Bien que Nanson ait un air plus anglais ou écossais que Nau, nous
croyons sage d'adopter la leçon primitive, ainsi que l'a fait Blanche-
main dans la notice de son éd. de Ronsard (VIII, 40).
P. 29, 1. 4. — pour son hoste. Jean Galland, d'Arras, fut avec Binet
l'exécuteur testamentaire de Ronsard, et rédigea la dédicace de la pre-
mière édition posthume de ses Œuvi'es au roi Henri III, où l'on voit
qu'il (( acquit par le droit d'hospitalité la familière accointance de
feu M'' de Ronsard » (Bl., I, xv et xviii). Cette dédicace est suivie de
vers latins de Nicolas Ellain, médecin parisien, Ad Janiim Gallan-
diiim P. Ronsardi Pijladem. Le Tombeau de Ronsard contient quel-
ques distiques latins de J. Galland Piis amici Ronsardi manibus {Id.,
VIII, 253).
Jean Galland était simple clerc tonsuré du diocèse de Saint-Omer.
Le pape Sixte -Quint le fit entrer en possession de trois prieurés
laissés vacants par la mort de Ronsard (v. ci-après, aux mots « de sa
volonté et ses serviteurs »), à la condition qu'il recevrait le sous-diaco-
nat dans les six mois suivants, et se disposerait à la prêtrise dans le
délai d'une année (Arch. dép. de la Sarthe, registre G. 349, f° 121, r").
Sur ce personnage, v. La Croix du Maine, op- cit., au nom de Pierre
Galland, oncle de Guillaume, qui fut lui-même oncle de Jean : tous
trois se succédèrent comme principaux du Collège de Boncourt : et
quand Jean Galland mourut, en janvier 1612, ce fut son neveu, Phi-
lippe Galland qui lui succéda non seulement comme principal du dit
Collège, mais comme prieur de Croixval et de Saint-Gilles de Montoire.
Sur le Collège de Boncourt {Becodiana domus), qui était situé à l'em-
placement de l'Ecole Polytechnique (du côté des rues Descartes et
Clovis), cf. E. Frémy, L'Acad. des derniers Valois, p. 56.
Sur les fréquents séjours de notre poète au Collège de Boncourt, les
exemples de piété, d'érudition et d'éloquence qu'il y donnait aux pro-
fesseurs et aux élèves, les visites qu'il y recevait et les soins affectueux
dont Galland r3' entoura jusqu'en 1585, voir un long développement de
Jacques Velliard : professeur au collège et témoin oculaire, il en parle
avec émotion dans sa deuxième Laudatio funebris, à partir de : « Te
semper fortunatam duxi, Becodiana domus, et quoad vivam felicem
prîedicabo... « (ff. 16 r" à 17ro). Cf. G. Critton : « Hem, tune, Ronsarde,
quem toties obstupescentibus oculis praesentem sumus intuiti, toties
in hac area sub umbraculis bis et lucis inambulantem... )) {Laud.
fun., p. 10.)
I-jG COMMENTAIRE HISTORIQUE
P. 29, 1. 7. — gouttes ordinaires La date que donne Binet du dernier
séjour de Ronsard à Boncourt est corroborée par Velliard et Critton ;
il y était au moment des fêtes de Pâques 1585. « superioribus pasclia-
libus », dit le premier, « proximo superiori paschatis festo », dit le
second. Cf Du Perron, dont l'exposé relatif à la dernière année de
Ronsard diffère sensiblement de celui de Binet : « Cependant ce dernier
labeur ' le réduisit à une telle extrémité que, estant tombé malade de
la goutte, à laquelle il y avoit déjà quelque temps qu'il estoit sujet, il
demeura dix mois continuels en ceste ville - perclus et arresté
dedans un lict, avecques des douleurs qu'il est plus facile d'imaginer
que de représenter. Or ceste maladie lui ayant duré jusques aux
premiers mois de l'année précédente ^, comme il veid que le prin-
temps commençoit à revenir, et qu'il y avoit quelque espérance que le
changement de saison et d'air luy pourroit ayder aucunement à recou-
vrer sa santé, luy qui estoit plein d'impatience de son naturel, n'eut
pas le loisir d'attendre que le beau temps l'eust un peu remis pour se
faire porter à un prieuré qu'il avoit en Vendomois, qui se nomme
Croix-val, dépendant de l'Abbaye de Tyron. Cependant vous pouvez
penser combien 1 agitation et l'ébranlement du coche apportoit de
douleur à une personne disposée comme il estoit. Nonobstant toutes
ces difficultés il arriva finalement à Croix-val. Aussitost qu'il y est
arrivé, voilà les armes qui se lèvent par toute la France... Il est vray
que ce premier feu ne dura pas longtemps... Les choses ne furent pas
si tost pacifiées de ce costé là, que ce fut à recommencer de laulre. Car
voilà les armes entre les mains de ceux de la religion et le chasteau
d'Angers pris pour eux, et leurs compagnies qui passent la rivière de
Loire, et mettent tout l'Anjou et le Vendomois en alarme. Sur ces
entrefaites M'' de Joyeuse arriva là, duquel l'expédition fut si heureuse...
qu'après avoir remis la place entre les mains du Roj'. . . il les estonna
de telle sorte qu'il dissipa en moins de rien toutes leurs troupes...
M' de Ronsard qui ne sçavoit encore rien du desordie de ceste armée,
et qui avoit seulement les nouvelles que toutes les forces de ceux de la
religion venaient fondre en Vendosmois, prist l'alarme extrêmement
chaude, pensant que c'estoit ceste guerre qui s'y venoit terminer : et
comme il n'avoit aucune envie de tomber entre leurs mains, se résolut
de desloger sur 1 heure mesme, tout malade comme il estoit, et se
faire rapporter en ceste ville ^ : là où si tost qu'il fut arrivé, le voilà
plus cruellement traicté que jamais, avecques des douleurs estranges et
insupportables, desquelles il fut affligé environ trois sepmaines ou un
mois, ayant esté si rompu et si travaillé par les chemins, qu'il n'estoit
pas possible de plus.
« Au bout de ce temps-là... il s'alla imaginer quec'estoit l'air de Paris
qui luy estoit ainsi contraire, et qu'il falloit qu'il se fist reporter en
Vendosmois, là oii toutes choses estoient pacifiées et asseurées comme
1. Il s'agit de la préparation de l'édition in-folio de ses Œuvres, qui fut
achevée d'imprimer le 4 janvier 1584.
2- C'est à-dire à Paris.
3. C'est-à-dire de l'année 1585
4. C'est-à-dire à Paris.
ET CBITIQLE I77
auparavant. Joinct aussi que les visitations qu'il recevoit en ceste ville
l'ennuyoient et l'affligeoient aucunement... Or avoit-il beaucoup plus
de courage que de force, tellement que quelques remonstrances que
ses plus familiers luy sceussent faire de l'incommodité du temps, de
l'indisposition de sa santé..., il ne fut jamais en leur puissance de
retarder ce malheureux voyage, auquel je ne vous sçaurois exprimer
les peines et les tourments qu'il endura, sinon que ce fut encore pis en
s'en retournant que ce n'avoit esté en venant.
« Comme il fut arrivé à Croix-val pour la seconde fois, ce fut alors
qu'il commença à désespérer du tout de sa vie... » {Or. fun-, texte de
158G, pp. 72 à 78.)
D'après Binet (les 3 textes), Ronsard n'a pas fui devant les huguenots
jusqu'à Paris, mais simplement jusqu'à Montoire, en son prieuré de
Saint-Gilles, à deux lieues au plus de Croixval, et c est à Montoire que
Galland vint retrouver le 30 octobre son cher poète, qui avait quitté
Paris depuis le 13 juin. (V. ci-après, p. 179, aux mots « fondre en ce pays )).)
P. 29, 1. 14. - mestiers de Mercure. Bl., V, 249; M.-L., VI, 316. Cet
Hymne de Mercure, composé en 1585 (ou 1584) et dédié à Binet, est
imité en partie de YHymnus Mercurio de MaruUe : « Ergo restabat
mihi.. » (éd. de 1561, Paris, Wechel, f" 72 r°). La 6n contient cette
prière, qui le date du mois de février au plus tard .
Donne moy que je puisse à mon aise dormir
Les longues nuicts d'Hyver, et pouvoir affermir
Mes jambes et mes bras débiles par la goutte...
Sur le misérable état de santé de Ronsard durant son dernier séjour
au collège de Boncourt et les soins touchants que lui prodiguait son
ami Galland, voir la fin de la seconde Laudalio funebris de J. Vel-
liard, à partir de : « Sed quo me rapit saeva nécessitas ?... » (f° 18 v").
P. 29, 1. 17. — sa seconde anie. G. Critton nous apprend que Ron-
sard avait coutume d'appeler son ami Galland [JLOvo<piXo'j[j.£VO(;, le
seul aimé [Laud. fun., p. 11). Binet l'appelle encore dans son Ecîogue
funèbre « la moitié de Perrot », diniidiuni animae (Bl., VIII, 228);
Galland lui-même appelle Ronsard: « Pars animae quondam dimidiata
meae » {Ibid., 253). Enfin N. Ellain appelle Galland le Pylade de Ron-
sai'd (v. ci-dessus, p. 175, aux mots n pour son hosle »).
P. 29, 1. 19. — Atrebatique race. C'est-à-dire enfant du pays des Atre-
bates (Artois). Atrebales est l'ancien nom de la ville d'Arras.
p. 29, 1. 34. — SouacE des Muses. Cf. G. Critton: « Maria certè Sco-
torum Regina, quae tametsi captiva a multis eum annis munerare non
destitit, ut est literata imprimis Princeps, videre videor quàm llebiles
elegias, quàm tristes et tali argumento dignos iambos, quàm arguta
meditetur epitaphia » {Laud- fun-, p. 14).
Les pièces où Ronsard a chanté Marie Stuart sont assez nombreuses :
une ode de 1556, O belle et plus que belle ; un sonnet de 1560, L'An-
gleterre et l'Escosse ; une élégie de 1561, Comme un beau pré; deux
élégies de 1563, Le jour que vosire voile, et L'Huillier si nous perdons;
la Bergerie de 1565, qui lui est dédiée ; 1' « envoi » de 1567, Je n'ay
voulu Madame ; la « fantaisie )) de la même année, Bien que le trait ; le
VIE DE p. DE RONSARD. 12
l'jb COMMENTAIRE HISTORIQUE
sonnet de 1578, Encores que la mer, qui, à cette date, est placé en
tête du deuxième livi'e des Pocmcs dédié à Marie Stuart. Voir l'éd.
Blanchemain, mais sans tenir compte de sa chronologie (II, 481 ; IV,
5 ; V, 304 ; VI, 9, 10, 14, 19, 21, 24).
Quant à l'inscription rapportée par Binet, elle est un peu obscure.
Je pense que « l'Apollon de la source des Muses » est une apposition à
« Ronsard ». On l'appelait alors couramment « l'Apollon François ».
Voir notamment le romhean de Ronsard (Bl. VIII, 223, 240, 263. 270).
p. 29, 1. 39. — de Paris. VcUiard, parlant du collège de Boncourt,
dont il vante l'air salubre, les beaux arbres, les réunions savantes,
l'appelle : « Academiae Parisiensis lux » et « Musarum delubrum » ; et
il ajoute qu'à voir Ronsard, marchant et parlant au milieu des élèves,
on eût dit qu'Apollon en personne était descendu du ciel, ayant choisi
pour son Parnasse ce coin béni : « aut ipsum Apolliiiem caelo in
terras fuisse delapsum, qui hune Parnassum, haec sua delubra lustra-
ret ». {Laiid. fim. II, f° 17 r").
P. 30, 1. 12. - dn Laurier. Bl. VII, 307 ; M.-L. VI, 293.
P. 30, 1. 15. — tant célébrez. Sur Croixval, prieuré dépendant de l'ab-
baj^e de Tiron, cf. Froger, Rons. ceci., p. 35; J.-J. Jusserand, Ronsard
and his Vendomois dans le Nineteentli centnry d'avril 1897, p. 600 ;
André Hallays, Au paijs de Ronsard, dans les Débals du 10 octobre
1902, art. reproduit par les Annales Flécli. de mars 1903 ; Hallopeau,
op. cit., chap. I, § 3, le Vallon de la Cendrine ; P. Laumonier, Notes
d'hisl. lit t. dans les Annales Flcch. de septembre 1906 ; P. Clément,
Monographie de Ternai] (tirage à part, 1907, pp. 8 et siiiv.) ; P. Du-
fay, Ronsard et le prieure de Croi.rval, dans la Rcv- de la Renaiss. de
janvier 1909.
Sur les poésies consacrées à la forêt de Gastine et à la fontaine Bel-
lerie (laquelle était à Couture, et non à Croixval), v. ma thèse sur
Ronsard p. hjr., pp. 432 et suiv. — Sur la fontaine même de la Bellerie,
v. ci-après, p. 227, aux mots « fonteine Bellerie ».
P. 30, I. 26. — estre un remède. Nous avons là un résumé très précieux
d'une lettre de Ronsard à Galland, que celui-ci a certainement com-
muniquée à Binet. Le texte de A, avec sa citation latine, se rapproche
plus de la lettre du poète que celui de B et de C Cette lettre est l'une
de celles dont l'original était « tombé entre les mains » de G. Collelet.
Or celui-ci Fa résumée de son côté en y conservant la citation latine,
qu'il n'a pu prendre que dans l'autographe de Ronsard, puisque des
trois rédactions de Binet il n'a consulté que la troisième, d'où la cita-
tion est absente (Vie de Ronsard, éd. citée, pp. 51-54).
P. 30, 1. 30. — de sa volonté. On est d'abord tenté de croire avec
Mlle Evers (p. 130) que Binet fait ici allusion au premier acte testamen-
taire de Ronsard, par lequel il résignait en faveur de Galland ses
prieurés de Si- Gilles de Montoire, de S^'-Magdelaine de Croix-
val et de S'-Guingalois de Château-du-Loir, acte qui fut dressé par-
devant notaire à Croi-xval le 20 septembre 1585, et que l'abbé Charles
a publié in extenso dans son étude sur Saint Guingalois et son prieuré
à Chat eau- du- Loir (Revue hist. et archéol. du Maine, tome V, 1879,
1er semestre, p. 380).
I
FT CRITIQUE 1 79
Mais on aurait tort, car 1° la date de cette résignation, 20 septembre,
ne correspond pas à celle qu'indique Binct, « quelques jours après le
22 octobre » ; 2" cette résignation a été faite par le notaire de Saint-
Pater (S'-Paterne), en présence de Louis de Bueil, chevalier, seigneur
de Racan, de Jacques de Boyer, écuyer, seigneur de S'-Sulpice de
Roquemeur, et de Jean de Loré, seigneur des Prés (le curé de Tcrnay
n'est pas nommé parmi les témoins) ; 3* le 20 septembre, Ronsard a
dicté sa volonté à un notaire, tandis qu'à la fin d'octobre il s'est con-
tenté de l'exprimer oralement au curé de Ternay, et, d'après Binct, « il
renvoya le notaire, luy disant qu'il n'y avoit encore rien de pressé...» j
bien plus, si l'on s'en tient à la rédaction de C, Ronsard n'a
exprimé d'aucune façon sa dernière volonté dans l'entrevue d'octobre.
L'abbé Froger a bien fait cette distinction, quand, après avoir parlé
du testament 4" 20 septembre, puis de la lettre à Galland du 22 oc-
tobre, il ajoute : « On put croire un moment que Galland n'arriverait
pas à temps. Peu de jours après avoir écrit cette lettre, le poète, se
trouvant plus mal, fit appeler le curé de Ternay, se confessa et reçut
la sainte communion. Un mieux léger s'étant produit, il renvoya le
notaire qu'il avoit d'abord réclamé. » {Ronsard eccL, pp. 50 à 52.)
Ternay est la paroisse sur le territoire de laquelle se trouvait le
prieuré de Croixval. Cf. Hallopeau, op. cit., chap. i, >; 3, le Vallon de
la Cendrine ; P. Clément, Monographie de Ternay.
Plusieurs pièces des Arch. dép. du Loir-et-Cher mentionnent le
curé de Ternay que Ronsard fit appeler à son prieuré de Croixval le
25 ou le 26 octobre 1585. C'est un nommé Pierre Martin. En outre,
son acte de décès se trouve dans un registre paroissial de Ternay, qui
est actuellement parmi les registres paroissiaux de Villedieu, commune
voisine, sous le titre l'ernacensisyn" 3. Cet acte, qui se lit à la date de
1591, entre un acte du 22 août et un autre du 14 octobre de la même
année, est ainsi conçu : « Icy deceda messire Pierre Martin, après avoir
deservi en dignité et qualité la parrouesse de Terne sept années, et ce
après le deces de deffunct le poyte Ronsard, duquel par sa faveur il
en avoit estépourveu ». — Je dois ce renseignement à l'obligeance de
M. P. Clément, instituteur d'Artins, qui a ainsi complété et rectifié
ce qu'il en avait dit dans sa Monographie des liages, p. 42, et dans sa
Monographie de Ternay, pp. 14 et 41.
P. 31, 1. 10. — fondre en ce pags. Ainsi ce n'est pas à Paris, commele
dit Du Perron, mais simplement à Montoire, que Ronsard s'est retiré
par crainte des huguenots, et cela seulement dans les derniers jours
d'octobre 1585 (v. ci-dessus, p. 176, aux mots « gouttes ordinaires ))).
Sur la prise du château d'Angers par les protestants (fin de septem
bre), l'expédition du prince de Condé, venu de la Saintonge en Anjou
pour soutenir ses coreligionnaires dans le courant d'octobre, et la dis
persion de ses troupes par celles du duc de Joyeuse le 25 octobre
les jours suivants dans la vallée du Loir et la direction de Vendôme
cf. De Thou, Hist., liv. LXXXII, trad. de 1734, tome IX, pp. 385
396.
Sur le prieuré de Saint-Gilles de Montoire, dépendant de l'abbaye
de S'-Calais, voir Rochambeau, op. cit., p. 93 ; André Hallays, Jour-
l8o COMMENTAIRE HISTORIQUE
nal des Débats du 3 octobre 1902, article reproduit avec illustrations
dans les Annales Fléchoises de janv. 1903 ; Hallopcau, La Chapelle du
prieuré de S*-Gilles, Annales Fléeh. de septembre 1907.
P. 31, 1. 11. ^ le lendemain. Ronsard a donc scjounié à Montoire pour
la dernière fois du 28 octobre au 2 novembre 1585.
P. 31, 1. 25. — je dors. Pièce publiée dans la plaquette posthume qui a
pour titre Derniers vers de P. c/e /?onsard (février 1586; v. ci-dessous, p. 180,
au mot « autrement >>), mais non recueillie dans les éditions posthumes
des Œi/prf.s, sauf dans celles de Blanchcmain (VII, 315) et de Marty-Lav.
(VI, 304). Binet et Galland jugèrent sans doute qu'il sulïisait qu'elle
fût reproduite in e.ilcnso dans la Vie de Ronsard, laquelle était impri-
mée au tome X de l'édition de 1587, immédiatement après les Epi-
taphes et les Derniers vers.
P. 31, 1. 28. — plus cbrestiennemcnl qu il n'est. Il s'agit d'une épigramme
de l'empereur Hadrien, qu'il fit à Baia quelques jours avant de mou-
rir :
Auiinula vagula, blandula,
Hospes comesque corporis,
Quae nunc abibis iu loca
Pallidula, rigida, nudula,
Nec, ut soles, dabis jocos...
V. l'Anthologie grecque, traduite sur l'édition de Fr. Jacobs (Paris,
Hachette, 1863, tome II, p. 354).
P. 32, 1. 6 - soit à la terre. Bl. VII, 315 ; M.-L. VI, 303. Même re-
marque que ci-dessus, p. 180, aux mots n je dors ».
P. 32, 1. 15- — Or qu'il ait satisfait =^ Bien qu'il ait satisfait. Ces mots
ont pour corrélatifs : « toutefois plusieurs sçavans... »
P. 32, 1. 19. — cela te suffise. Bl. IV, 228 ; M.-L. IV, 16. Ce vers tron-
qué est extrait d'une pièce qui portait en effet dans l'édition de 1584,
consultée par Binet, le titre Discours I en forme d'Elégie, et s'adresse
à Geuèvre, laquelle fut une des maîtresses de Ronsard vers 1561. Elle
avait paru pour la première fois en 1563 dans le troisième livre du
Recueil des Nouvelles Poiisies, sous ce titre : Discours amoureu.v de
Genevre.
P. 32, 1. 23. — autrement. Ces lignes sont empruntées presque textuelle-
ment à l'épître datée du 24 février 1586, que Binet avait écrite en tête
des Derniers vers de P. de Ronsard (édition princeps, Paris, G. Buon,
qui ne contient ni le Discours delà Vie, ni le Tombeau de Ronsard-
Bibl. Mazarine, n" 10.849) : « Si la diligence des ouvriers l'eust per-
mis, le papier tant honoré du beau nom de Ronsard eust tesmoigné
son dueil, et accompaigné voz regretz de la noire teinture des vers
des plus choisis personages de nostre France, que fay prié de ce de-
voir, et des principaux points du cours de sa vie que nous avons
dressé, non pour illustrer sa mémoire davantage, ains pour n'obscur-
cir la nostre. si nous faisions autrement » (Cf. Marty-Lav., Notice
sur Ronsard, p. cm.)
P. 33, 1. 3- — assemble. Le texte dessus ses fleurs paraît d'abord fau-
tif : on est tenté de lire dessous ses fleurs. Cependant nous croyons
devoir conserver la leçon de toutes les éditions, considérant que Binet
ET r.RTTTQUE l8l
a exprimé la même idée de la même façon dans un sonnet du Tombeau
de Ronsard :
Homère gist d'Ios sur les célestes fleurs,
X'irgile dans ton sein, Partenope sereine,
Et Ronsard sur la soye aux jardins de Touraine.
(Hi. VIII, 254.)
P. 33, 1. 8. — que l'on en tire. La source de ce passage est le troisième
sonnet des Derniers vers, dont voici les tercets :
Heureux, cent fois heureux, animaux qui dormez
Demy an en vos trous, sous la terre enformez.
Sans manger du pavot, qui tous les sens assomme.
J'en ay mangé, j'ay beu de son just oublieux,
En salade, cuit, cru, et toutesfois le somme
Ne vient par sa froideur s'asseoir dessus mes yeux.
(Bl. VII, 313 ; M.-L. VI, .-ÎOl.)
Du Perron dit de son côté : «... Voyant qu'il ne reposoit nullement,
et qu'il avoit tousjours les j^eux ouverts et l'âme éveillée et sensible
aux pointes et aux aiguillons de sa douleur, il fut contrainct pour
charmer et conjurer la cruauté de son mal, d'avoir recours à un somme
artificiel, et de se mettre à boire du just de pavot, lequel au lieu de
luy apporter quelque ayde et quelque soulagement, luy engourdit tel-
lement les fonctions naturelles, et luy refroidit si fort le sang et les
esprits, qu'il tomba tout à faict en une atrophie et en un default de
nourriture, de sorte que toutes ses extremitez ne recevoient plus au-
cun aliment ny aucune substance... » {Or. fun-, édition princeps, p. 79-)
Ronsard, de tempérament neuro-arthritique, semble avoir eu des
insomnies de très bonne heure, par suite de surmenage intellectuel et
phj'sique, témoin le Vœn au Somme (1550), le sonnet Quand le soleil
(1552u l'ode Laisse-moy somtneiller Amour (1554). Il usa également de
bonne heure de pavot pour combattre linsomnie, témoin l'ode Cinq
jours sont jà passez (1555), et l'élégie à Jamin, Couvre mon chef de
pavot (1569).
p. 33, 1. 11. — foiblesse du corps. Ce sont les cinq premières pièces des
Derniers vers, savoir les stances J ay varié ma vie...., et les sonnets
I à IV (Bl. VIT, 311 et suiv. ; M.-L. VI, 299 et suiv.). De son côté. Du
Perron a écrit un long développement sur la force d'âme de Ronsard en
ces heures douloureuses et sur les poésies qu'il dicta dui'ant son der-
nier séjour à Croixval {Or. fun-, pp. 80 et suiv. de l'éd. princeps) ;
mais en ses trois ou quatre pages il est moins précis et moins exact
que Binet en ses deux ou trois phrases : il ne dit pas que Galland était
là pour recueillir les poésies dictées par Ronsard, ni quel fut leur
nombre.
Dans sa première rédaction, celle qui fut lue le 24 févr. 1586 à la
cérémonie funèbre du collège de Boncourt, Du Perron a fait venir Gal-
land à Croixval dans le courant de novembre, tandis que Binet fait
rejoindre le poète par Galland à Montoire dès le 30 octobre (et cela dans
ses trois textes); puis il a raconté, comme ayant eu lieu à Croixval,
une émouvante entrevue qu'auraient eue alors le poète et son ami.
Mais dans sa deuxième rédaction, celle de 1597, Du Perron a passé sous
iSa COMMENTAIRE HISTORIQUE
silence le vojage de Galland à Croixval et a reporte dix pages plus loin
cette émouvante entrevue, comme ayant eu lieu à Si-Cosmc, la veille
même de la mort du poète.
Il est vraisemblable que le récit de Binet (les troix textes) et celui de
Du Perron (la deuxième rédaction) se complètent : que, d'une part,
Galland a bien rejoint Ronsard à Montoirc le 30 octobre et passé une
partie de novembre avec lui à Croixval ; que, d'autre part, il revint le
voir à S'-Cosme à la fin de décembre, la veille de sa mort, assez à temps
pour recevoir au milieu des larmes son dernier adieu. Mais le vraisem-
blable n'est pas toujours le vrai. (V. ci-après p. 191, au mot « regrettée »).
P. 33, 1. 16. — S. Cosme. Sur ce prieuré, situé au bord de la Loire, tout
près du château de Plessis-lcz-Tours, voir Blanchemain, éd. des Œu-
vres de Ronsard, VII, 341 et suiv.; abbé Chevalier, Rapport sur la re-
cherche des restes de Ronsard au prieuré de Saint-Cosme, dans le Bulle-
tin de la Société archéol. du Vendômois, t. IX, 1870, p. 170 ; Louis
Chollet, article du Mois littéraire et pittoresque de novembre
1902 ; André Hallays, Journal des Débats du 10 octobre 1902, art.
reproduit avec illustrations dans les Annales Fléch. d'avril 1903.
P. 33, 1. 21. — âgé de lxxv ans. Cet aumônier, du nom de Jacques
Dcsguez, faisait valoir le bénéfice de St-Cosme en l'absence de Ronsard.
Il était son « procureur spécial » (Arch. dép. d'Indre-et-Loire, G. 497;
Froger, Ronsard eccL, p. 33). Outre l'aumônier, il y avait à S'-Cosme
un sous-pricur, un sacristain, un hostellier et deux religieux profès,
dont nous connaissons les noms par un acte du 25 novembre 1575
(Arch. d'Indre-et-Loire, G. 507; Froger, op. cit., p. 45), et par un autre
du 21 novembre 1581, que j'ai publié dans les Annales Fléch- de février
1904, p. 74.
Le nom de Desguez figure encore parmi les témoins de la résignation
faite par Ronsard de trois de ses bénéfices le 22 décembre 1585 (Froger,
op. cit., pp. 69 et 70).
P. 33, 1. 41. — faiblesses grandes. Ce dernier voyage de Croixval à Saint-
Cosme, sur lequel Binet ne donne aucun détail en A B et se contente
de ces trois lignes en C, a été longuement raconté par Du Perron en
février 1586: «... il se fit vestir et habiller tout perclus et estropié
comme il estoit : et se fit porter dans son coche, comme un tronc et
comme une statue, sans se mouvoir, sans se remuer, et sans avoir
plus aucun acte de vie que le sentiment de sa douleur. Or estoit le
temps si mauvais qu'il n'j^ avoit aucun ordre de se mettre par les
champs quand c'eust esté l'homme du monde qui se seroit le mieux
porté : tellement qu'il luy fallut différer son voyage jusques à une
autre fois, et attendre que le mauvais temps fust passé. Ce fut là la
catastrophe de la Tragédie : car il ne voulut jamais permettre qu'on le
dcspouillast, pour l'appréhension qu'il avoit du mal qu'il luy faudroit
souffrir quand ce viendroit à remettre ses habillements : de sorte qu'il
fallut qu'il demeurast par l'espace de trois jours et de trois nuits ainsi
vestu et habillé. Au quatriesme ne pouvant plus avoir la patience d'at-
tendre d'avantage, il commanda que l'on luy attelast son coche des
deux heures devant le jour : et s'estant mis aux champs par le vent et
par la pluye, fit tant de ceste première traitte, qu'il alla coucher à une
ET CRITIQUE l83
lieue de là : de manière que ayant faict cinq ou six telles journées
pour venir à bout de quatre ou cinq lieues de chemin qui luy restoient,
il arriva finalement à Saint-Cosme un jour de dimanche sur les cinq
heures du soir. » {Or. fun., éd. princeps, pp. 91 à 93).
Ce fragment méritait d'autant plus d'être cité qu'il n'est pas connu,
Du Perron l'ayant réduit à six lignes dès la rédaction suivante de son
Oraison (1597).
P. 34, 1. 18. — crimes et mcschancetez. Ce discours, très sommairement
indiqué par Binet, avait été présenté avec bien plus de développement
par Du Perron, qui le place au jour même de la mort du poète, le ven-
dredi 27 décembre, tandis que d après Binet il aurait été tenu le 26. —
Marty-Laveaux a eu raison de reproduire la version de Du Perron, qui,
malgré ses allures oratoires, peut servir à compléter celle de Binet, car
elle doit avoir « pour fond principal les paroles que Ronsard a pronon-
cées ». {Notice sur Ronsard, p. xcvi.) D'ailleurs le texte que cite M.-L.
n'est pas celui de l'édition princeps, non plus que celui que Bl. a re-
produit dans son Ronsard (VIII, 209-210), mais les différences ne
valent pas la peine qu on les signale ici.
P. 35, 1. 4— et d'Esprit. Ce sont les sonnets v et vi des Derniers
vers: « Quoy, mon ame .. », et : «Il faut laisser maisons... » (Bl. VII,
314 ; M.-L., VI, 302).
Du Perron avait écrit de son côté ; « Le jeudy environ sur les deux
heures après midy, comme sa chaleur naturelle commençoit à s'esteindre
totalement, et à n'estre plus suffisante pour entretenir le sentiment de
sa douleur, il commença à tomber en un assoupissement, auquel après
avoir demeuré environ une heure de temps, il se resveilla, et commanda
que l'on prist la plume pour escripre ce qu'il nommeroit : et alors il re-
cita deux sonnets, l'un addressant à son ame, là où il l'excitoit coura-
geusement à se préparer à ce bien-heureux département, lequel il sen-
toit approcher de jour en jour (suit le délayage du sonnet)... Le second
estoit comme une espèce d'Adieu qu'il disoit à toutes les choses cadu-
ques et périssables, lesquelles il estoit prest de laisser et d'abandonner,
et comme une admonition qu'il se faisoit à luy mesme (suit le délayage
du sonnet)... : et sur ce qu'il en vouloit encore nommer d'autres, il
commanda qu'on luy releust ceux qu'il venoit de prononcer pour veoir
comme il les avoit escripts, mais trouvant qu'il y avoit autant de faultes
que de mots, pour ce que ceulx qui les recueilloieut soubs luy estoient
personnes entièrement ignorantes, cela le rebutta et le descouragea. »
{Or. fun., éd\t. princeps, pp. 93-96 ; la dernière phrase a été supprimée
en 1597.)
p. 35, 1. 5. — de Tours. Du Perron avait écrit de son côté : « Le lendemain
sur le midy, les plus notables hommes de la ville de Tours, qui
l'avoient souvent visité depuis qu'il estoit arrivé à Sainct Cosme, ayant
entendu qu'il n'y avoit plus gueres d'espérance qu'il peust passer ce
jour-là, s'avancèrent de le venir veoir de meilleure heure que les jours
précédents. » {Or. fun., édit. princeps, p. 96 )
p. 35, 1. 7. — resolution. — Pour tout ce passage, cf. l'épître-préface que
Binet a placée en tête des Derniers vers de P. de Ronsard (plaquette
publiée dès le 24 févr. 1586), depuis : « Seulement il (le temps) nous a
l84 COMMENTAIRE HISTORIQUE
permis... », jusqu'à la fin (M.-L.. Notice sur Ronsard, p. cm). Binet a
repris à cette préface quelques expressions, sans parler de la distinc-
tion très nette entre les dernières poésies dictées à Croixval et les der-
nières poésies dictées à St-Cosnie.
P. 35. 1. 8. — quatre vints et cinq. — Il est exact que le 27 décembre
158Ô était un vendredi. Mais on peut se demander ce que Binet a en-
tendu par « sur les deux heures de nuit le vendredi 27 décembre. )) A-
t-il voulu dire c[ue Ronsard mourut dans la nuit du 26 au 27 à 2 heures
du matin, suivant notre façon actuelle de noter les jours (de minuit à
minuit), ou bien, suivant la façon de compter des Romains (d'un lever
de soleil à l'autre), dans la nuit du 27 au 28, deux heures après la
tombée de la nuit, c'est-à-dire le 27 vers 6 heures du soir ?
A première vue, après une lecture rapide de A B, on est porté à
croire que Ronsard mourut dans la nuit du 26 au 27 à 2 heures du
matin : il aurait écrit ses deux derniers sonnets et reçu la visite « des
plus honnestes familles de Tours » le jeudi 26, « le lendemain d du
jour où il eut son solennel entretien avec l'aumônier et les autres reli-
gieux de Saint-Cosme.
La rédaction de C ne contredit pas ces dates, puisqu'elle fixe l'entretien
de Ronsard avec l'aumônier, sa confession et sa communion, au jour
de « la Nativité de notre Seigneur », c'est-à-dire au 25 décembre. Mais,
en revanche, Binet y est moins précis, parce qu'il a intercalé entre le
récit de la journée du 25 et celui de la journée du 26 un acte antérieur,
le testament (qu'il date, avec raison d'ailleurs, du dimanche 22 dé-
cembre , et a été obligé ainsi de supprimer les mots « le lendemain »,
parlant tout de suite après des deux derniers sonnets de Ronsard. —
Première raison de douter.
En second lieu. Du Perron n'est pas d'accord avec Binet. D'après Du
Perron. Ronsard arriva à Saint-Cosme le dimanche 22 décembre « sur
les cinq heures du soir », et il dicta ses deux derniers sonnets le jeudi
26 ; et jusque-là les deux biographes sont d'accord, car on peut parfai-
tement admettre que Ronsard, arrivé le dimanche 22 sur les cinq
heures, ait dicté son testament dans la soirée du même jour, comme le
dit le texte C de Binet.
Mais voici où commence la différence, qui est très sensible. D'après
Du Perron (texte primitif et suivants), Ronsard vécut encore tout le
lendemain du jour où il a dicté ses deux derniers sonnets, et c'est le
vendredi 27 « sur le midy » qu'il reçut « les plus notables hommes de
la ville de Tours » ; c'est de midi à trois heures qu'il eut son solennel
entretien avec « tous ses religieux » ; c'est enfin « sur les trois heures »
qu'il demanda les derniers sacrements, et que, « après les avoir sainte-
ment et dévotement reçus, et avoir dit les dernières paroles, il
commença à se tourner de l'autre costé comme s'il eust voulu reposer ».
— Dans sa seconde rédaction (onze ans plus tard). Du Perron a fait
plus : il a placé également en ce jour l'arrivée de Galland et son en-
trevue émouvante avec Ronsard, entrevue qu'il avait d'abord placée à
Croixval dans le courant de novembre. Voici ce qu'on lit en 1597 : « Le
Vendredy, environ sur le midy, arriva le sieur Gallandius, qui avoit
tousjours esté son intime et particulier amy... (Suit le récit de l'en-
ET CRITIQUE l85
trevue, où Ronsard cherche à consoler son ainl, et qui se termine « avec
des larmes départ et d'autre » par une suprême séparation)... Aumesme
temps survindrent plusieurs notables hommes de la ville de Tours, qui
l'avoient souvent visité depuis qu'il estoit arrivé à St-Cosme... Un peu
après donc qu'ils furent entrez le Prieur de St-Cosme (lapsus pour l'Au-
mônier ou le Sous-Prieur) qui les avoit conduits, prit la parole et luy
dit... » (Suit l'entretien édifiant de Ronsard avec l'aumônier, puis à tous
ses religieux.)
Quant à préciser le moment de la mort de Ronsard, Du Perron s'en
est bien gardé dans l'une ou l'autre de ses rédactions. Il a préféré em-
bellir son récit d'un dernier acte du poète, d'un geste d'artiste qui ne
voulait pas (( qu'il luy eschapast aucune parole indigne de l'esprit et
de la bouche du grand Ronsard », et ajouter ces lignes plus oratoires
que précises: « Et cela fait, inclina derechef sa teste sur le chevet de
son lit pour reposer comme il avoit fait au précèdent '. Mêlas ! à la
mienne volonté que je peusse mettre icy fin à mes paroles, et que je ne
fusse point obligé de poursuivre cette narration, et la continuer plus
avant! Car qui est-ce qui donnera de l'eau à mon chef, comme dit le
prophète, et qui est-ce qui donnera des fontaines de larmes à mes
yeux ? Qui est-ce qui, etc.. » Cf. le Ronsard de Bl., VIII, 207-212. —
Deuxième raison de douter.
Restent deux témoignages, qui ne permettent pas seulement le doute,
mais l'imposent, car ils ont une égale valeur et se contredisent.
J. Velliard, qui s'était renseigné auprès de son « principal », J. Galland,
le témoin des derniers moments de Ronsard, fait mourir notre poète
le 27 décembre : « Sexto Cal. Jau. hinc illuc assumptus beatorum nu-
merum auxit » [Laiid- fun- II, in fine.). De Thou, qui n'avance rien à la
légère et avait pu interroger non seulement Galland, mais encore Du
Perron et Binet lui-même, avec lesquels il était en l'elations, fait
mourir Ronsard le 28 : « Animam reddidit V Kalendas Januarias ».
(Hist., liv. LXXXII, fin, éd. de 1733.)
En résumé, d'après Du Perron, Ronsard a vécu tout le jour du ven-
dredi 27 décembre au moins ; d'après 'Velliard il est mort entre les
7 heures 1/2 du matin du 27 décembre et les 7 heures 1/2 du matin du
28. Il est donc vraisemblable que Binet a voulu dire de son côté que
Ronsard mourut dans la nuit du 27 au 28. Mais alors que devient le
témoignage de De Thou ? Il n'y a qu'un moyen de le faire coïncider
avec les trois autres; c'est d'admettre — ce qui n'est pas impossible
— que De Thou, bien qu'il écrivît en latin, comptait les journées
comme nous les comptons actuellement, de minuit à minuit, tandis
que Binet, bien qu'il écrivît en français, les comptait à la romaine,
cest-à-dire à partir de 7 heures 1/2 du matin dans les derniers jours
de décembre.
Dans ce cas, il n'y aurait aucune contradiction réelle entre les
quatre témoignages. Mais encore faudrait-il admettre que Binet a en-
tendu par 1 expression « sur les deux heures de nuit du 27 » les 2 heures
du matin du 28, — ce qui semble une façon bien peu romaine de noter
1. Var. de 1597 et éd. suivantes ; <i un peu auparavant ».
l86 COMMENTAIRE HISTORIQUE
les heures de la nuit, car pour les Romains la 2c heure de la nuit à la
fin de décembre devait correspondre à peu près à 6 heures du soir,
bien que leur nuit fût divisée en veilles et non en heures.
On voit combien la question reste obscure. L'âge que Binet donne
en C à Ronsard au moment de sa moi*t, à savoir, 61 ans, 3 mois et
16 jours (ce qui reporte sa naissance à la date traditionnelle du 11 sep-
tembre 1524), ne nous permet pas de la résoudre mieux, car il faudrait
encore connaître l'heure de sa naissance.
P. 35, 1. 9. — (hidii S. Cosme. Il fut enterré dans le chœur à gauche du
grand autel. On nelui éleva d'abord aucun tombeau (v. ci-dessous, p. 186,
au motoXoç, la remarque d'E. Pasquier). Ce fut seulement en 1609 que
Joachim de la Chétardie, prieur de St-Cosme depuis 1605, mit à cette
place une plaque tumulaire en marbre, ornée du buste du poète et d'une
inscription qui a été reproduite par Colletet [Vie de Ronsard, p. 117),
par Blanchemain (éd. de Ronsard, VIII, 53), par Marty-Laveaux [No-
tice sur Ronsard, p. c.iv).
V. encore Rochambeau, op. cit., p. 111 : abbé Chevalier, op.cj/.; Hal-
lays, Ann. Flécli. d'avril 1903, qui reproduit ce monument d'après le/?e-
cueil de Gaignicres, p. 186 ; et surtout l'étude très exacte et documentée
de P. Dufay sur Le Portrait, le Buste et l'Epitaphe de Ronsard au Musée
de Blois, pp. 14 et suiv. Le marbre funéraire de St-Cosme, avec son
inscription très lisible encore, figure au Musée de Blois, sous le n° 765.
P. 35, 1. 11. — enrichi. Cf. l'ode A sa Lire :
Je pillai Thebe et saccageai la Fouille
T'enrichissant de leur belle dépouille...,
et l'épître dédie, du Commentaire des Amours par Muret : «.... lequel
pour avoir premier enrichy nostre langue des Grecques et Latines
despouilles, quel autre grand loyer en a-il encores rapporté ? »
Même métaphore dans G. Critton : « Sed patriae nimia charitas
efficit ut Gallicam Musam lubentius arriperet, quam externis illis et
transmarinis Graecorum ac Latinorum spoliis satis habuit locupletari,
verba ipsa populis, a quibus ea profecta sunt censuit relinquenda. »
[Laud. fun., p. 6.)
P. 35, 1. 15. — ôXoç. Ces deux distiques, dans lesquels Binet j,oue
avec complaisance sur les mots Cosmos (monde) et Cosme, sont du
plus mauvais goût. Ce fut souvent celui du xn^' siècle. Le calembour
grec, latin et français était volontiers cultivé par les gens lettrés,
notamment par les magistrats et les avocats.
Cf. Est. Pasquier : « Ronsard mourut le 27 décembre 1585, en son
prioré de Saint-Cosme, près de Tours, où il fut enterré à costé senestre
de l'autel (si vous entrez dedans l'église), sans qu'il y ait aucune
marque du tombeau, fors une vingtaine de carreaux neufs de brique, au
milieu de plusieurs autres vieux : qui fut cause qu'un jour Saint Marc,
1589, oyant vespres en ce lieu, poussé de son influence ou bien d'un
juste dépit de voir ce grand personnage en une sépulture si pauvre, je
lui fis sur-le-champ cet autre epitaphe, qui ne peut être approprié
qu'à lui :
Si Latiis niundus, Graiis qui /.OTfJLOî habetur
Atque tuus toto florct in orbe labor,
ET CRITIQUE 187
Dignius hoc nulliim poleras sperare sepulcrum,
In Cosmi sancta qui requiescis humo.
Et à l'instant mesme le traduisis en cette façon :
Si Cosme en grec dénote l'univers.
Et que ton nom embelli par tes vers
Passe bien loin les bornes du royaume.
Tu ne pouvois choisir manoir plus beau,
Pour te servir, mon Ronsard, de tombeau.
Que ce saint lieu, ainçois que ce saint Cosme ».
(Rech. de la Fr., VII, chap. x, éd. d'Amsterdam 1723, tome I, col.
730 ; cf. tome II, col. 932. A noter que ce chap. a été rédigé vers 1607,
avant l'érection du marbre funéraire dû à Joachim de la Chétardie.)
P. 35, 1. 27. — jusqu'à la mort. Ce sizain n'est qu'une variante, ou
plutôt une réminiscence, des deux premières strophes d'une odelette
A P. Paschal, publiée en tête du Bocage de 1554, supprimée par
Ronsard dès sa première édition collective en 1560, et par conséquent
inconnue de Binet. La source primitive est un fragment de Callimaque,
publié par Turnèbe en 1553, et traduit antérieurement par Muret
dans ses Juvenilia (v. ma thèse sur Ronsard p. lijr., pp. 124 à 126,
surtout la note 1 de la p. 126).
P. 35, 1. 31. — ses serviteurs. Binet, d'après la parenthèse de cette
phrase, devait avoir sous les yeux le testament de Ronsard, ou une
copie communiquée par Galland. Cette pièce semble aujourd'hui per-
due. Mais, le même jour, il fit rédiger par M'' Chevrolyer, notaire à
Tours, un acte complémentaire qui nous est parvenu : « Oubliant, dit
L. Froger, l'abandon qu'il avait fait de ses prieurés en faveur de Jean
Galland (le 20 septembre précédent; v. ci-dessus, p. 178, aux mots « de sa
volonté ))), ou cédant à des influences que nous ignorons, faute de con-
naître assez les personnages qui l'entouraient », Ronsard abandonna les
mêmes bénéfices à d'autres, celui de Saint-Guingalois à Gatien Mo-
reau, prêtre du diocèse du Mans, celui de Croixval à René Guétier,
prêtre du diocèse du Mans, celui de Saint-Gilles à Pierre Mouzay,
prêtre du diocèse de Tours. La copie de cette résignation, qui se
trouve aux Archives de la Sarthe (XVIIIe registre des Insinuations,
f° 108 ro), a été publiée par l'abbé Froger dans son Ronsard ecclésias-
tique, p. 68.
Après le décès de Ronsard, ces trois personnages se hâtèrent de
prendre possession des susdits bénéfices. Galland ne put les devancer;
il réussit cependant, en avril 1586, à écarter ses concurrents et resta
paisible possesseur des trois prieurés que son ami avait d'abord résignés
en sa faveur (cf. un article de l'abbé Froger, De trois bénéfices vacants
à la mort de Ronsard, Ann. Fléch. de mai 1907, p. 169).
P. 36, 1. 1. — Sirlet. Guillaume Sirlet, né en 1514 à Guardavalle (Ca-
labre), mourut à Rome le 8 octobre 1585. Professeur de rhétorique à
Rome, puis précepteur du futur pape Marcel II, il devint en 1555 secré-
taire du Concile de Trente, cardinal, évêque de San Marco, enfin con-
servateur de la Bibliothèque du 'Vatican. Grand érudit, qui a laissé des
Adnotationcs in psalmos, quelques Vies des Saints, traduites en latin
l88 r.OM-\IF.\T\inF mSTOUlQLF
du grec de vSimcon Métaphraste, et une traduction latine du Méno-
logedes Grecs. A en somme peu produit.
P. 36, 1. 2. — Foix. Paul de Foix, né en 1528, mourut à Rome en mai
1584. C'est Marc-Antoine Muret qui prononça son Oraison funèbre le
20 mai, jour des obsèques, en l'église Saint-Louis- dès-Français. Il fut
conseiller au Parlement de Paris dès 1546, ambassadeur en Fcosse et
Angleterre 1561-65) ; puis conseiller d'Etat, ambassadeur à Venise
(1570) et derechef en Angleterre, archevêque de Toulouse (1576), enfin
ambassadeur à Rome jusqu'à sa mort. Dans une Elégie de 1565, Ron-
sard lui avait prédit qu'il serait garde des sceaux à la mort de L'Hos-
pital (Bl., III, 363) ; en quoi il fut mauvais prophète. — Les Lettres de
Messirc Paul de Foix ont été publiées en 1628, avec la traduction du
panégyrique latin que Muret lui avait consacré.
P. 36, 1.2.— Pybrac. Il mourut le 27 mai 1584. V. ci-des.sus, p. 147,
aux mots « premiers rangs ».
P. 36, 1. 2. — Sigon. Charles Sigon (Carlo Sigonio, en latin Sigonius),
né à Modéne en 1524, mourut en 1584. Professeur de grec à Modène,
puis de littérature à Venise, puis d'éloquence à Padoue, où il fonda le
Ggmnasinni pataviniim, il alla se fixer en 1563 à Bologne, où il jouit
comme archéologue d'une immense réputation. A surtout étudié la
politique des Anciens et rendu de grands services à la science dans le
domaine de l'histoire et du droit. Les œuvres nombreuses de cet érudit,
dont la critique était très sûre et le style latin d'une suprême pureté,
ont été réunies et publiées à Milan en 6 vol. in-folio, de 1732 à 1737,
avec sa biographie par Murât ori.
P. 36, 1. 3. — Muret. Mort à Rome le 4 juin 1585. V. ci-dessus, p. 104,
aux mots « en V Eloquence Latine ». Claude Binet fut en relations de
correspondance suivie avec lui, sans doute à partir de la publication
de son anthologielatine, Peironii Arbitri Epigrammata (Poitiers, 1579),
qui contient un hommage poétique au célèbre humaniste. Trois lettres
de Muret publiées par P. de Nolhac nous renseignent surleur intimité,
l'une adressée à Féd. Morel en septembre 1583, l'autre au même en
novembre 1583, et la troisième à Jacques Gillot en juillet 1584 {Mélan-
ges Graux, pp. 398, 399-400, 402). — Dans cette dernière lettre, où
Muret parle de ses misères physiques et prévoit sa fin prochaine, je
relève cette phrase qui a peut-être inspiré ici Binet (car les lettres de
Muret circulaient chez les amis) : « Quicquid erit feram aequo animo.
Lumina sis oculis etiam très illi magni viri Foxius, Pibracus, Ferrerius
reliquerunt, quorum quilibet multis rébus, quam ego sum, mclior et
reipublicae utilior fuit. »
p. 36. 1. 3. — Victor. Pierre Victor (Petro Vettori, en latin Victorius),
né à P^lorence en 1499, mourut dans la même ville le 19 décembre
1585. Gonfalonier de la république florentine, puis professeur de litté-
rature ancienne après la chute de Florence. Ses cours très brillants
sur les auteurs grecs et latins attiraient des élèves de toute l'Europe.
Sénateur de Florence en 1553. Homme exceptionnel tant au pointde vue
politique qu'au point de vue scientifique. A créé la critique des
textes par la comparaison des manuscrits. A publié des éditions de
Cicéron (Lettres), des Agronomes latins, d'Aristote, d'Eschyle, de
ET CUn IQIE 189
Térence, et 35 livres de Variae lectiones, recueil d'études et de correc-
tions sur les auteurs anciens-
P. 36, 1. 5. — en ténèbres. On connaît les ligues de Montaigne sur
deux de ces hommes : « Ainsi en parloit le bon monsieur de Pibrac,
que nous venons de perdre... Cette perte, et celle qu'en mesme temps
nous avons faicte de Monsieur de Foix, sont pertes importantes à
nostre couronne. Je ne scay s'il reste à la France de quoy substituer
une autre coupple, pareille à ces deux Gascons, en sincérité et en suffi-
sance, pour le conseil de nos Roys. C'estoyent âmes diversement belles...
Mais qui les avoit logées en cet aage, si desconvenablcs et si dispropor-
tionnées à nostre corruption, et à nostempestes ? » [Essais, III, ch. 9.)
On trouvera un jugement analogue sur ces deux hommes dans De
Thon, qui note lui aussi la disparition simultanée d'une douzaine de
personnages éminents dans la politique ou les lettres, entre autres
Foix et Pibrac en 1584, Sirlet, Muret, Vettori, Sigonio et Ronsard en
1585. [Ilist., fin des livres LXXX et LXXXII, trad. de 1734, tome IX,
pp. 256 et 409.)
P. 36, 1. 14. — ù ce Cygne. La Biblioth. Nationale possède cette pla-
quette falsifiée, sous la cote Ln-^, 17838. Voici son titre complet :
Epitaphes, | Mort et dernières | parolles de Pierre de | Ron-
sard, gentil-homme Vandomois, Poëte du Roy.
Ensemble les excellens vers Chrestiens, qu'il a faits, six heures
avant que mourir.
Plus le dernier à Dieu, qu'il a donné à ses amis : et la belle remons-
trance qu'il leur fit en mourant.
A Paris, pour Laurens du Coudret, à la rue des Coipeaux. 1584. Avec
privilège du Roy.
Cette plaquette se compose de 8 ff. y compris le titre et le privilège
royal, qui est du 1er août 1584. — Le titre est répété au r° du deuxième
f'^. Puis vient cette préface :
« Les veilles, lestravauset les ennuysqui ontaccompagné la jeunesse
de Monsieur de Ronsard, les gouttes et les assidues maladies qui l'ont
saisi en sa vieillesse, luy ont de beaucoup advancé ses jours. Joint
qu'il a tenu et suyvi tousjours la vie de garçon, comme aymant mieux
complaire à son naturel, qu'au régime de sa santé. Je ne vous donne
point ce mot de discours pour y chanter ses louanges. Ces louanges
sont si éventées et si recomnïandées à tous les bons esprits qu'il n'est
point besoing de les recommander d'avantage. Ce n'est seulement qu'un
advertissement de sa mort, afin que d'un plus ample et plus grand
discours, quelque docte plume, non une, mais cent, fasse voler la
tristesse et le regret de sa mort par la France, de la France par l'Eu-
rope, de l'Europe par l'Atïrique, par l'Asie, et de l'Asie par le monde
de nouveau créé : tant que les Mers rouges, bleues, grises. Fleuves,
Rivières, Fontaines, n'ayent autre nom au bruit de leurs ondes, que
le nom du grand Ronsard : tant que les Montz cornus, bossus, plats,
pointus, tertres, mottes, grottes, cavernes, antres n'ayent autre écho
que le nom de ce grand de Ronsard : que les bois, forests, boccages,
saullaies, arbres et buissons, n'ayent autre cliquetis que du nom de
Ronsard, comme son mérite le demande.
IQO COMMENTAIRE HISTORIQUE
« Crois-val, une de ses maisons où il se plaisoit le plus, il s'estoit
retiré là pour vaquer tant ù la vie rustique qu'à l'entretenement de ses
fantasies. Comme il s'adonnoit à divers exercices, une fièvre le print
après avoir mangé d'un cocombre. Cette fièvre fut tierce, de tierce elle
devint quotidienne et de cotidicnne [sic] elle devint continue : tellement
qu'estant afloibli par la fièvre et saisi de douleur par tous les membres,
il commença à redouter la mort. Et s'asseura de mourir, car il se
trouva fort saisi du costé, si bien qu'il ne pouvoit avoir son alleine
qu'à grand peine. Il n'avoit rien si sain que l'esprit, comme il monstra
le lendemain qui estoit ung Dimanche: environ les huict heures dudict
Dimanche, après qu'il eust pris un boillon, il dicta et fit escrire les
vers qui s'ensuj'vent. Le suget desquels, comme je croy, il avoit prémé-
dité, avant qu'il fut malade. »
Suit une ode de sept huitains, intitulée « Vers chrestiens, faits par
Monsieur Ronsard sis heures auparavant sa mort » ; puis, en prose, les
dernières paroles du poète à ses amis ; puis deux épitaphes en forme
de sonnets ; quatre vers sur la Franciade ; enfin le privilège du Hoy.
J'ai réédité la plaquette entière dans les Annales Flcch . , no de mai-
juin 1908.
P. 36, 1. 25. — Fcrrier. Arnauld ou Arnoul Ferrier, jurisconsulte, ma-
gistrat, diplomate, homme d'Etat, né à Toulouse en 1508, mort en 1585.
Professeur de Droit à Bourges, puis à Toulouse ; conseiller au Parle-
ment de Paris ; ambassadeur au Concile de Trente, puisa Venise ; enfin
chancelier de Henri de Navarre. Cf. Se. de S. Marthe, Elogia ; E. Frémy,
Un ambassadeur libéralsous Charles IX et Henri III, Paris, 1880, in-8.
P. 36, 1. 33. — ccst Empire. C'est le no cxv des Quatrains du Sgr de Py-
brac. Il a paru dès 1575 dans la Continuation des Quatrains (Paris,
Fed- Morel). Cf. la réédition de 1874, par J. Claretie, pp. 98 et 158.
— Mais ce n'est pas le recueil de Pibrac qui suggéra à Binet l'idée de
citer ce quatrain en B. L'idée lui en vint à la lecture d'un sonnet qui
avait été inséré dans l'édition princeps du Tombeau de Ronsard. Il suffit
pour s'en convaincre de lire ce sonnet et de remarquer qu'il contient
l'addition de B relative à Arnauld Ferrier ; on n'hésitera plus à le
prendre pour une source de Binet, quand on saura qu'il n'existe que
dans l'édition princeps du Tombeau et que Binet le fit disparaître de la
réédition après en avoir fait passer la substance dans la Fie de Ron-
sard. Voici ce sonnet, extrait de la p. 123 du Tombeau :
Pybrac a bien dit vra5% que lors que Dieu retire
D'entre nous coup à coup les hommes vertueux,
C'est un signe certain d'orage impétueux
• Qui doit faire trembler tosl après un Empire.
Il n'estoit presque mort, par manière de dire.
Que, De; Foix le suivant au tombeau hictueux
Avecques Du l'iîiiuncii, un temps tempestueux
N'ayt brouillé cet Kstat de feu, de sang et d'ire.
Tout depuis nous n'avons, helas ! oiiy parler
Sinon de remu'ments bastans pour esbranler
La France vers sa lin, si Dieu ne la contemple :
Mais j'en suis hors d'espoir, puis que semblablement
Ce grand Ronsard est mort, Ronsard qui fut le Temple
Des Vertus, et qui fut des François l'ornement.
1. Lenglez, Secrétaire de feu Monseigneur.
I
ET CUITIQUE 191
P. 37, 1. 13- — regrettée. Galland était-il au prieuré de S*-Cosme au
moment de la mort de Ronsard, ou n'y arriva-t-il que pour assister
à l'enterrement ? A cet égard le témoignage de Binet est extrêmement
vague et ne nous renseigne nullement.
Du Perron raconte que Galland arrivaàS'-Cosrae la veille delà mort du
poète, assez à temps pour avoir avec lui un suprême entretien, qu'il expose
tout au long (v. ci-dessus, pp. 181 et 184, aux mots « faiblesse dn corps »
et « quatre vints et cinq )) ; et le Ronsard de Bl., VIII, 207-208). Mais
on aurait le droit de suspecter son témoignage ; car cet entretien, qui
d'après sa première rédaction avait eu lieu à Croixval en novembre,
n'a pris place à S'-Cosme à la fin de décembre que dans sa seconde
rédaction, onze ans après la mort du poète, et peut-être sur la demande
de Galland (Du Perron s'est contenté de le transposer). — G. Critton
n'y a pas fait la moindre allusion. Seul J. Velliard a laissé à ce sujet
un document, qui, lu à la cérémonie funèbre du collège de Boncourt le
24 février 1586, deux mois à peine après la mort de Ronsard, et fondé
très probablement sur un récit de Galland, inspire une certaine con-
fiance et nous porte à croire que celui-ci vit bien Ronsard la veille de
sa mort. D'abord Velliard commence ainsi son épître-préface à Gal-
land : « Particula muneris ejus adest, Gymnasiarcha sagacissime,
quod ad calend. Februarii jamjam ïuronibus reversus nobis detu-
listi. » Ceci pourrait simplement prouver que Galland est allé à Tours ;
mais voici qui est plus précis : « Cum superioribus diebus eum (Ron-
sardum) visisti ad divum Cosmum, quô se tanquam ad /Esculapium
valetudinis gratia receperat, illis ipsis summis angoribus quibus im-
plicatus omnes ab aspectu, a consortio, a sermone semoverat : vir
senio confectus, lecto defixus, gravissimè doloribus totius corporis
oppressus, involavit tibi in coUum, exiluit gaudio et triumphavit
laetitia, te amplexatus est, lateribus quani potuit firmissimis testatus
est tui unius causa vitam sibi non esse acerbam, quam tum ita miserè
trahebat ut eam mox egerit, te ut antiquum hospitem humanissimè
accepit, ut intimum splendidè tractavit, ut filium unicum haeredem
ex asse fecit. » (Laud- fan. II, f* 19 r" et v".)
P. 37, 1. 23. — Lundi 24" de février 15<S6. Cette date de la cérémonie
funèbre en l'bonneur de Ronsard est confirmée par Du Perron dans son
Oraison fun. : « Là où nous pouvons encore remarquer en passant que
la prise du Roy François devant Pavie (24 février 1525), qui est l'ac-
cident duquel il a voulu illustrer l'année de sa nativité, se rencontre
justement en un mesme jour que cestuy-cy, auquel nous célébrons la
mémoire de sa mort, qui est la feste S. Matthias » {texte princeps, pp.
24 et 25).
Elle est encore confirmée par la fin de la dédicace des Derniers vers
de P. de Ronsard. Cf. Marty-Laveaux, Notice sur Ronsard, pp. c à
cm, en ayant soin de lire le début : « Près de deux mois après... »,
au lieu de : « Près de trois mois après... », et de corriger le lapsus de
Du Perron, qui est cause de cette erreur. Ce n'est pas le 18 mars que
« le dessein de ces funérailles fut pris «dans un « festin » offert par
Desportes à quelques admirateurs de Ronsard ; c'est le 18 février, mardi
gras de l'année 1586. Ce lapsus, commis par Du Perron dans la dédi-
iga COMMENTAIKE HISTORIQUE
cace de son Oraison fnn., n'apparaît qu'à partir de la 5e édition (1611),
ainsi que toute la phrase qui le contient, depuis : « Et vous souvien-
drez... »
Dans cette phrase insérée après la mort de Desportes, Du Perron dé-
clare que « le dessein de ces funérailles fut pris » chez Desportes. Si
cela veut dire, comme l'a cru Marty-Laveaux, qu'on y décida de faire
la cérémonie funèbre en l'honneur de Ronsard, c'est une erreur de Du
Perron, car Galland en a revendiqué l'initiative soit par la plume de
Binet, soit parla sienne ; en outre J. Velliard (dédicace de sa Laiidatio
fnnehris) et J. de Thou [Ilist., LXXXII, fin) ont dit expressément que
ce fut Galland qui projeta et organisa cette cérémonie. Marty-La-
veaux, en attribuant cet honneur à Desportes, a été trompé par le texte
très postérieur de Du Perron, ou l'a mal interprété. Je croirais plutôt
que Du Perron a voulu dire qu'on arrêta chez Desportes, d'accord
avec Galland, au dîner du 18 février, le plan de la cérémonie.
En fait d'initiative. Desportes eut seulement celle de « faire entrepren-
dre » ce soir-là à Du Perron VOraison funèbre de Ronsard, qui fut par
conséquent composée en moins d'une semaine ; voilà ce qui ressort
nettement de la dédicace primitive de ce discours.
P. 37, 1. 25. — Musique du Roy. Le Requiem en cinq parties chanté
aux funérailles de Ronsard a été récemment remis en lumière par
M. Julien Tiersot, à la fin de sa brochure sur Ronsard et la musique
de son temps, pp. 72 et suivantes : « Le poète, dit-il, ne fut pas seule-
ment célébré par la parole ; il le fut aussi par la musique : un Requiem
fut composé tout spécialement pour la circonstance. Cette œuvre eut
pour auteur un jeune compositeur qui, pour ses débuts, avait été l'âme
musicale de cette Académie de Baïf dont la fondation était encore due
à l'influence des idées de Ronsard et de la Pléiade sur l'union de la
musique et de la poésie « Or tant de poètes qui florissoient alors ne
sembloient produire leurs gentillesses que pour les faire vivre sous les
airs de Mauduit. » Ainsi s'exprime le P. Mersenne, dans VEloge de
Jacques Maudiiit, excellent musicien, qu'il imprima à la fin du premier
volume de son Harmonie universelle. « La première pièce qui fit pa-
roistre la profonde science de ses accords, ajoute Mersenne, fut la messe
de Requiem qu'il mit en musique et fit chanter au service de son amy
Ronsard, en la célèbre assemblée de la chapelle du Collège deBoncourt,
où le grand du Perron se fit admirer par l'Oraison funèbre de ce pro-
digieux génie de la poésie- » Le livre de Mersenne est de 1636 : déjà
Malherbe était venu, et c'est dans l'année même que Corneille donna
le Cid. Et pourtant on vient de voir comment un homme d'esprit supé-
rieur savait encore parler de Ronsard. Ainsi par la musique le poète
touche à deux siècles. A 1 heure de ses débuts il avait eu pour premier
collaborateur le vieux Janequin, le musicien de François h'', le chantre
de Marignan ; puis tous les maîtres de son temps avaient tenu à hon-
neur de lui apporter l'hommage de leurs harmonies et d'en orner ses
vers. Un plus jeune écrivit les accords funèbres qui retentirent autour
de sa dépouille ; et voilà que plus de 50 ans après sa mort nous trou-
vons encore un éloge catégorique sous la plume du plus savant mu-
sicien qu'ait connu le nouveau siècle, Mersenne, 1 ami de Descartes.
ET CRITIQUE l<).H
La suite du chapitre de l'Harmonie universelle reproduit le répons de
Mauduit. » (Il s'agit du répons de l'absoute, que Tiersot transcrit aussi.)
Sur la Musique du Roi et sur Mauduit, v. encore Fétis, Diclionn. des
Musiciens, et E. Frémy, Acad. des dern. Valois, pp. 116 et 389, n. 2.
p. 38, 1. 1. — à sa mcnio/rp. Outre rOraJso/i/"n;i. de Du Perron, dont nous
parlons plus loin, deux professeurs du collège de Boncourt, Jacques
Velliard, chartrain, et Georges Critton, écossais (d'après Colletet, Vie
de Ronsard, éd. cit-, p. 119, composèrent pour la circonstance des
Eloges funèbres en latin. Ces éloges furent lus par leurs meilleurs élè-
ves, comme en témoignent les diverses éditions :
If La Laudatio fnnehris I de Velliard, par F. Canelle, de Paris ;
2" La Laudalio fan- II de Velliard, par F. Cheminart, de Nantes ;
3" Le Carmen hcroïcum de Velliard, par J . Meunier, de Dijon ;
4° La Laudatio fun. de Critton, par Pierre Perreau, de Moulins ;
5° L.Epicedinm de Critton, par Charles Bindé, d'Orléans.
Les deux opuscules où parurent ces Eloges contenaient en outre des
distiques et des « épigrammcs » latins de .lacques et Louis Velliard, de
J. Galland, de Georges Critton et de Guill. Chauveau, Le Tombeau de
Ronsard ne put être publié que quelques semaines après cette cérémonie,
mais la plupart des pièces qui le composaient durent être écrites pour
le 24 février, jour des obsèques solennelles (v. ci-dessus, Introd. § II).
P. 38, 1. 3. — d'appartenir. Expression vague qui fait sans doute allu-
sion aux relations qui s'étaient établies entre Ronsard et le duc Anne
de Joyeuse, amiral de France, au moment du mariage de celui-ci avec
Marguerite de Lorraine- Vaudemont, belle-sœur de Henri III (24 sep-
tembre 1581); V. ci-dessus, p. 173, au mot < volontiers », et P. Lacroix,
Ballets et Mascarades de la Cour, Introd. On trouvera les pièces
(épithalame et mascarades) que Ronsard a écrites pour ce mariage
au tome IV de l'édition Blanchemain, pp. 170 à 176 et p. 211. En
outre, le livre des Elégies est dédié à ce même personnage en 1584.
Quant à son frère cadet, François de Joyeuse, qui fut nommé arche-
vêque de Narbonne à 20 ans en 1582, et cardinal l'année suivante, on
ne voit pas comment Ronsard pouvait alors lui « appartenir ». Peut-
être Binet fait-il allusion à ce fait que la volumineuse anthologie de la
Muse chrestienne, publiée en 1582 (à Paris, chez Germain Malot) et
dédiée précisément à François de Joyeuse, contient un grand nombre
de pages extraites de l'œuvre de Ronsard. Pour ce personnage, au ser-
vice duquel fut Régnier à partir de 1587, v. la thèse de J. Vianey sur
Mathurin Régnier, pp. 4 et suiv.
P. 38, 1. 12 — de tous coslez. Ce discours fut publié quelques jours ou
quelques semaines après la cérémonie, sous ce titre : Oraison funèbre
sur la mort de Monsieur de Ronsard, parJ. D. du Perron, Lecteur
de la Chambre du Roy, à Paris, par Federic Morel, imprimeur ordi-
naire du Roy. M.D.Lxxxvi. Avec privilège dudict Seigneur.
La Bibl. Nat. possède deux exemplaires de cette édition princeps :
l'une (cote Ln"^" 17839) sans dédicace, l'autre (cote Ln'^^ 17839 A)
avec dédicace « A Monsieur Desportes, Abbé d'Oreillac [sic], de Tyron
et de Josaphat ». Du Perron n était pas encore entré dans les ordres ; il
n'avait que 27 ans (d'après le titre d'une édition postérieure, celle de
VIE DE p. DE RONSARD. 13
HJC\ COMMENTAIRE HISTORIQUE
1611). Il nous apprend dans sa dédicace que c'est Desportes qui l'a-
vait encouragé à « entreprendre » cette Oraison et à la publier, Des-
portes, auquel il semblait, dit-il, que Ronsard avait « resigné la gloire
de sa profession », le laissant « comme son unique successeur ».
On lit encore dans cette dédicace primitive ces lignes intéressantes,
qui complètent le récit de Binet : « Je vous l'envoie donc imprimée de
mot à mot, tout ainsi qu'elle a esté prononcée, excepté une des parties
de la narration, que je fu contraint de laisser à cause des interruptions
que la multitude des auditeurs m'apportoit, et du peu de loisir qui me
restoit pour achever de la prononcer ». Malheureusement cette dédi-
cace n'est pas datée, et aucun des deux exemplaires de la Bibl. Nat. ne
contient de privilège (malgré la promesse du titre), ni d'achevé d'impri-
mer.
En revanche, on trouve à la fin ce « sonnet de R. Cailler Poitevin » :
A Monsieur du Perhon
Verse, grand du Perron, sur ceste sépulture.
Verse le doux nectar de tes divins propos.
Arrosant de Ronsard les cendres et les os :
L'odeur s'en espandra sur la race future.
Le los du grand Ronsard, miracle de Nature,
Aux siècles à venir annoncera ton los :
Soubs mesmes monuments vous vous verrez enclos,
Et jouyrez tous deux d'une mesme adventure.
A pas égaux iront son renom et le tien :
Toy tu seras Mercure, et luy le Cynthien,
Faits ensemble immortels par ta bouche faconde.
D'une gloire semblable on vous honorera :
D'estre loué de toy Ronsard se vantera.
Et toj' tu te verras loué de tout le monde.
U Oraison fiin. de Ronsard par Du Perron fut rééditée avec des rema-
niements nombreux et importants dans les éditions collectives de Ron-
sard, à partir de 1597, à la suite de la Vie de Ronsard par Binet. La
Bibl. Nat. possède en outre deux éditions séparées, l'une de 1611 (cote
Ln-^' 17839 B), l'autre sans lieu ni date (cote Ln^' 17839 C).
Sur Du Perron, v. l'abbé P. Féret, Le Cardinal Du Perron, orateur,
controuersiste, écrivain (Paris, Didier, 1877, in-8), notamment le
livre II, chap. i, § 3, qui a trait à son oraison funèbre de Ronsard.
Sur les honneurs que J. Galland rendit à la mémoire de Ronsard,
voici un détail intéressant que nous devons à l'historien De Thou,
lequel est un témoin tout à fait digne de foi ; je ne l'ai trouvé nulle
part ailleurs que dans son ouvrage, et chez Colletet, qui l'a copié. Après
avoir rappelé les relations intimes de Galland et de Ronsard, la céré-
monie funèbre du collège de Boncourt et le discours de Du Perron, De
Thou ajoute : « Galland fit même élèvera Ronsard une statue de marbre
dans sa chapelle ; et longtemps après il célébrait encore son anniver-
saire par un service solennel, et par des disputes littéraires, dont les
tenans étaient les meilleurs étudians de son Collège. » {Hist., livre
LXXXII, trad. de 1734, tome IX. p. 413).
P. 38, 1. 13. — par moy faite. Cette « Eclogue », publiée dans l'éd.
princeps du Discours de la vie de Ronsard, par Cl. Binet, a reparu
ET CRITIQli: I()5
dans toutes les éd. posthumes des Œuvres de Ronsard, en tête de son
Tombeau- On la trouvera dans léd. Blanchemain, t. VIII, p. 223.
p. 38, I. 16. — sépulture. On remarquera lantithèse de mauvais goût
contenue dans cette phrase qui clôt la biographie proprement dite. —
Pour l'idée contenue dans la fin de la phrase, cf. Du Perron : « Aussi
certainement pouvons nous dire maintenant que la poésie Françoise a
faict son tour et sa révolution dans le cercle et dans le période de sa
vie. Il Ta veuë en son orient, il l'a veué en son occident, il l'a veuë
naistre, il l'a veuë mourir avec luy : elle a eu un mesme berceau, elle
a eu une mesme sépulture. » (Or. fun., éd. princeps, pp. 82 et 83.)
p. 38, 1. 20. — au paravant. Assertion contestable en ce qui concerne sa
querelle avec les poètes de cour, de 1549 à 1553, notamment avec M. de
Saint-Gelais, et peut-être aussi sa querelle avec 1 architecte Ph. De-
lorme, dont la fortune rapide semble lui avoir fait envie. En revanche,
ces lignes de Binet paraissent fondées en ce qui concerne sa brouille
passagère avec A. de Baïf en 1555 \y. ci-dessus, p. 129, aux mots « gui
estait Baïf ï)), avec P. de Paschal, bistoriogi-aphe du roi, qui abusa de
sa confiance (v. ma thèse sur Ronsard p. lyr-, p. 127), sa rupture avec
Ch. de Pisseleu, abbé de Bourgueil, qui fut son rival heureux auprès
de Marie du Pin (ibid., p. 153), sa querelle avec les huguenots en
1562 et les années suivantes (notamment avec Th. de Bèze, Grevin et
FI. Chrestien), enfin son animosité contre André Thevet, qui railla les
héros de la Franciade dans sa Cosmographie universelle (1575) et ne
compta pas notre poète dans la galerie de ses Hommes illustres
(1584).
Binet me semble d'ailleurs s'être inspiré ici d'un passage de l'épître-
préface de la Responce aux injures, où Ronsard dit qu'il a répondu
en ce poème « comme par contrainte n aux livres qu'on avait composés
contre lui, et ajoute : « J'atteste Dieu et les hommes que jamais je
n'eu désir ny volonté d'offenser personne, de quelque qualité qu'elle
soit». (Bl., VII, p. 85.)
P. 38, 1. 23. - Choiseul. Cf. BL, VI, 201 ; M.-L., V, 184. Cette pièce,
très importante à tous égards, parut pour la première fois en tête de la
traduction des Odes d'Anacréon, par R. Belleau (Paris, A. Wechel,
1556), sous ce titre Elégie de P. de Ronsard à Chretophle de Choiseul
abbé de Mureaux ; puis Ronsard l'inséra la même année à la fin du
2e livre des Hymnes (cf. ma thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 162 et 170).
Dans toutes les éditions collectives de Ronsard, contemporaines ou
posthumes, on la trouve imprimée parmi les Poèmes, et dans toutes,
sans aucune exception, elle reste dédiée A Chr. de Choiseul. Mais il
n'en va pas de même si Ion consulte les éditions de R. Belleau. Celui-
ci, après avoir dédié son Anacréonk Chr. de Choiseul en 1556, trouva
bon de le dédier à partir de 1572 Au seigneur Jules Gassot, Secrétaire
du Roy, et de changer en même temps l'adresse de l'élégie liminaire
de Ronsard à Choiseul, qui devint VElegie à Jules Gassot, non seule-
ment dans les rééditions de VAnacréon, mais encore dans les éditions
collectives des œuvres de R. Belleau (Paris, Mamert Pâtisson, 1578,
1585, et éd. dérivées, de Lj'on, 1592, de Rouen, 1604).
On voit quel cas il faut faire de cette assertion trompeuse de
T()() COMMENTAIRE HISTORIQUE
G. Colletet : « Ainsi l'élégie (juc Honsard adressoit à Jules Gassot, sur
le subject des œuvres de Hem}' Belleau, passa depuis soubs le nom de
Christophle de Choiseul, pour des raisons qui me sont incognues. »
(Vie de Ronsard, p. 81.) Colletet aura sans doute consulté l'édition
collective de Belleau de 1578, où la susdite élégie est dédiée à Gassot,
puis une édition collective de Ronsard postérieure à cette date ',
sans remonter jusqu'à l'édition princcps, sans même consulter les
éditions collectives de Ronsard antérieures à celle de Belleau ; de là
son erreur. — Sainte-Beuve, qui pourtant connaissait le Ronsard
in-folio de 1609, a renvoj'é ses lecteurs à « l'élégie ou épître de Ron-
sard à Jules Gassot au sujet de Rémi Belleau » : indication également
trompeuse, car on chercherait vainement dans les œuvres de notre
poète cette élégie ainsi intitulée. Le fait d'avoir ignoré la date de sa
'publication a quelque peu faussé le jugement que porte Sainte-Beuve
sur le goût littéraire de Ronsard. {Tableau de la p . j'i\, éd. Charpen-
tier, pp. 98, note 1, 99 et 392. Cf. ma thèse sur Ronsard p. lyr.,
p. 284, note 2.)
Pour les 28 premiers vers, auxquels Binet fait allusion, Ronsard
semble s'être inspiré d'une lettre que lui adressa en 1555 Estienne
Pasquier (la 8'^ du livre I dans les Œuvres complètes de Pasquier,
Amsterdam, 1723).
P. 38, 1. 25. — Charles de Valois. l\ s'agit du fils naturel de Charles IX et
de Marie Touchet, qui, d'après le P. Anselme, naquit en avril 1573
et mourut en 1650. Destiné dès sa jeunesse à l'ordre religieux de Malte,
nommé abbé de la Chaise-Dieu en 1586, il succéda comme Grand
Prieur de France à Henri d'Angoulême, bâtard de Henri II, le 2 août
1587. « Des loi's, dit P. de l'Estoile, le roi le retira et fist demeurer à
la Cour, près sa personne, lui faisant grandes démonstrations de bonne
affection et bienveuillance. » Mais en 1589 il quitta l'ordre de Malte
pour se marier, et c'est alors que Henri III lui donna les comtés de
Clermont et d'Auvergne. Après cette donation il prit le titre de comte
d'Auvergne, sous lequel on le désigna couramment durant le règne de
Henri IV. Il fut créé duc d'Angoulême en 1617. Cf. Anselme, Hist.
généal. de la maison deFr., tome I, p. 202 ; P. de l'Estoile, Mémoires,
éd. Brunet, II, 338; III, 59, etpassim ; Brantôme, Mémoires, éd. La-
lanne, V. 275.
Si l'on songe que, lors des obsèques de Ronsard, ce bâtard de
Charles IX n'avait pas encore 13 ans et n'occupait aucun rang à la
Cour, qu'il était au contraire un puissant personnage lors de la troi-
sième rédaction de Binet, où son nom apparaît pour la première fois,
ne peut-on pas trouver cette addition de C suspecte et y voir une flat-
terie plutôt qu'une vérité ? Oui, d'autant plus que Binet était alors
lieutenant général de la Sénéchaussée de Riom.
P. 38, 1. 27. — Sénat de Paris. Autrement dit le Parlement de Paris, qui
est toujours désigné dans les écrits latins du temps par les mots Sena-
ius parisiensis.
1. Il déclare dans sa Vie de Ronsard qu'il s'est servi de l'édition de 1623 pour
juger ses œuvres (p. 57).
ET CRITIQUE
'97
P. 38, 1. 34. — Cardinal de Bourbon. Charles de Bourbon, cardinal
archevêque de Rouen, était un des frères cadets d'Antoine de Bourbon-
Vendôme. Par le traité de Joinville du 31 décembre 1584, entre Henri
de Guise et le roi d'Espagne, la succession des Valois lui était assurée.
A la mort de Henri III, le duc de Mayenne le fit proclamer roi à Paris
sous le nom de Charles X, pendant que son neveu Henri de Navarre
était proclamé au camp de Saint-Cloud, sous le nom de Henri IV. Il
mourut peu après, le 9 mai 1590, n'ayant été « qu'un roi de théâtre et
en peinture, car il n'exerça un seul moment la royauté » {P. de l'Es-
toile, Mémoires, éd. Brunet, V, 247, et Table, p. 48, au nom de Bour-
bon (Charles de), cardinalis Borboniiis. . .)
P. 38, 1. 44. — honeste labeur . Extrait de VEpislre au lecleur qui avait
servi de préface aux Odes 4ie 1550 : « Si les hommes tant des siècles
passés que du nostre, ont mérité quelque louange pour avoir piqué
diligentement après les traces de ceus qui courant par la carrière de
leurs inventions, ont de bien loin franchi la borne: combien davan-
tage doit on vanter le coureur, qui galopant librement par les campai-
gnes Attiques, et Romaines, osa tracer un sentier inconnu pour aller à
r immortalité J ^on que je... Mais quand tu m'appelleras le premier
auteur Liriquc François, et celui quia guidé les autres au chemin de si
honneste labeur, lors tu me rendras ce que tu me dois... » (Bl-, II, 9 ;
texte rectifié par M.-L.,II, 474.)
P. 39, 1. 6. — son Occident. Cf. le Caprice au seigneur Simon Nicolas,
poème composé après la mort de François d'Anjou fjuin 1584), puisque
Ronsard y parle de Henri de Navarre comme de l'héritier du trône. Il
se trouvait parmi les manuscrits que le poète laissa aux mains de
Galland et de Binet, mais ne fut publié qu'en 1609. Je ne crois pas
d'ailleurs que Binet s'en soit inspiré ici, les vers suivants, cités par
M'io Evers, faisant allusion plutôt à la situation politique et sociale
de la France qu'à l'état de la langue française :
A peine, hclasi à peine a-t'on chassé
La barbarie, où les gens du passé
Se delectoient (o perverse influance),
Qu'elle revient importuner la France...
(Bl., VI, 327.)
p. 39, 1. 15. — le faire crever. Cf. ces passages de la troisième préface
de la Franciade : « Tu enrichiras ton poëme par varietez prises de la
nature, sans extravaguer comme un frénétique. Car, pour vouloir trop
éviter, et du tout te bannir du parler vulgaire, si tu veux voler sans
considération par le travers des nues et faire des grotesques, Chimères
et monstres, et non une naïfve et naturelle poésie, tu sei'as imitateur
d'Ixion, qui engendra des phantosmes au lieu de légitimes et naturels
enfans. » — « La plus grande partie de ceux qui escrivent de nostre
temps se traisnent énervez à fleur de terre... Les autres sont trop
empoulez et presque crevez d'enflures comme h3'dropiques, lesquels
pensent n'avoir rien fait d'excellent, s'il n'est extravagant, creux et
bouffy, plein de songes monstrueux et de paroles piaft'ées... Les autres
plus rusez tiennent le milieu des deux, ny rampans trop bas, nj^ s'esle-
Ip8 COMMENTAIRK HtSTOniQfE
vans trop haut au travers des nues, mais qui d'artifice et d'un esprit
naturel, elabouré par longues estudes... descrivent leurs conceptions
dun style nombreux, plein d'une vénérable majesté, comme a faict
Virgile en sa divine yEneidc. » (Hl., III, 18 et 23.)
Il est possible que Binet se soit inspiré de ces passages qui datent
de l'année 1584 au plus tôt ; il se peut aussi qu'il ait rapporté des
paroles vraiment prononcées en sa présence par Ronsard. Quoi qu'il
en soit, on ne peut mettre en doute l'opinion du chef de la Pléiade sur
ses maladroits imitateurs et sur la nécessité du juste milieu dans le
style poétique. On verra dans les notes suivantes qu'elle est confirmée
par d'autres témoignages importants, et par deux pièces de vers, où
Ronsard s'est exprimé, comme ici, en véritable père de l'école clas-
sique. Malherbe et Boileau ne penseront pas autrement que lui.
P. 39, 1. 21. — réputation. Cf. Iliade, VI, vers 407: Aa'.jjiôvte, cpBfaei ae
P. 39, 1. 27. — mon Binet. On remarquera dans tout ce passage l'insis-
tance de Binet à montrer qu'il était le confident intime de Ronsard.
Binet n est pas seulement heureux de citer de l'inédit ; il est visiblement
très satisfait de se mettre en scène. Rien ne nous permet de suspecter
1 authenticité de ces vers : Ronsard a très bien pu en effet les dicter à
Binet soit en 1584, soit en 1585, alors qu'il était perclus de rhuma-
tismes. Mais nous ne pouvons nous défendre d'une certaine défiance au
sujet de leur adresse, en songeant que deux autres pièces sont adressées
à Binet dans la 1^*^ édition posthume (qu'il fut chargé d'élaborer avec
Galland , alors que du vivant de Ronsard elles étaient dédiées à
d'autres : le poème du Rossignol, qui, de 1569 à 1584 inclusivement,
était dédié à Jean Girard, et le sonnet Veux tu sçavoir, qui, de
1555 à 1584 inclusivement, était dédié à Guy de Brués. Nous pou-
vons d'autant moins nous en défendre que le commentaire de cette
dernière pièce a subi dans la l'*^ édition posthume une variante qui
donne à réfléchir. On lit en note sous la signature de Belleau dans
toutes les éd. collectives parues du vivant de Ronsard : « Il adresse ce
sonnet à Brués, homme fort docte et des mieux versez en la cognois-
sance du Droict et de la Philosophie, comme il a fait paroistre par cer-
tains Dialogues qui se lisent aujourd'huy... » ; dans la Ire éd. posthume,
toujours sous la signature de Belleau : « Il adresse ce sonnet à Claude
Binet, homme fort docte et des mieux versez en la cognoissance du
Droict et de la Poésie, et l'un de nos meilleurs amis... » Belleau étant
mort en 1577, et ce sonnet étant encore dédié à Brués en 1584, est-il
téméraire de penser que Binet -a substitué lui-même son nom à celui
de Brués et transformé à son avantage le texte primitif du commen-
taire? Il se peut d ailleurs que Ronsard l'ait autorisé à faire ces chan-
gements, ou les ait faits de sa propre main sur l'exemplaire de 1584
qu'il corrigea en vue d une nouvelle impression.
P. 39, 1. 28. — filles de Cocyte. Ce sont les Furies. Imitation de Virgile,
qui appelle l'une d'elles, Alecto, Cocytia virgo {En., VII, vers 479).
P. 39, 1. 36. — est blessée. Extrait de VAbbregé de l'Art poct. fr. (1565):
« Quand je te dy que tu inventes choses belles et grandes, je n'entends
toutesfois ces inventions fantaslicques et mélancoliques, qui ne se rap-
RT r.RITIQCF:
'00
portent non plus l'une à Vautre que les songes entrecoupez d'un fréné-
tique, ou de quelque patient extrêmement tourmenté de la fièvre, à
l'imagination duquel, pour estre blessée, se représentent mille formes
monstrueuses sans ordre ny liajson... » (texte de 1567, d'après l'éd.
M.-L., VI, 452 ; cf. Bl., VII, 322). Voir encore la première préf. delà
Franciade (1572): «... non toutefois pour feindre une Poësie fantastique
comme celle de l'Arioste, de laquelle les membres sont aucunement
beaux, mais le corps est tellement contrefaict et monstrueux qu'il
ressemble mieux aux resveries d'un malade de fièvre continue qu'aux
inventions d'un homme bien sain. » (M.-L., III, 514 ; cf. Bl., III, 8.)
Dans ces deux passages, Ronsard s'est inspiré d'Horace, Epitre aux
Pisons, vers 1 à 9.
-*. 40, 1. 16. — gouverne. Parmi les poètes dont Ronsard, dans ses der-
nières années, déplorait les excès de fantaisie et de style, on cite
Guillaume Salluste du Bartas, dont la Sepmaine avait paru en 1579,
les Œuvres revues et augmentées en 1580 et 1582, la Seconde Sepmaine
en 1584, — et Jean Edouard du Monin, qui publia en 1582 ses Nou-
velles Œuvres « contenant Discours, Hymnes, Odes, Amours. Contra-
raours, Eglogues, Elégies, Anagrammes et Epigrammcs ». Il devait
toutefois mettre entre eux une assez grande différence, que Binet a
marquée dans ces lignes : « Disant au l'este que quelques-uns... »
On raconte qu'à l'apparition de la Sepmaine Ronsard ne put s'empê-
cher d'exprimer généreusement son estime pour l'auteur de cette
épopée biblique, ce qui n'est pas invraisemblable. Les protestants
firent courir aussitôt le bruit qu'il cédait la souveraineté de la poésie à
leur poète et s'était avoué vaincu. Mais Ronsard, qui d'ailleurs après
son premier mouvement n'avait pas tardé à faire ses réserves au moins
sur le stj'le de l'œuvre, donna un démenti formel à ses adversaires dans
le sonnet adressé à Dorât, qui commence ainsi : Ils ont menti, d'Aurat,
et qui dans l'édition de 1617, où il parut pour la première fois, est
suivi du sizain Je n'agme point ces vers, lequel semble bien viser direc-
tement l'œuvre de Du Bartas {Recueil des Sonnets... et autres pièces
retranchées, p. 78; on trouvera les deux pièces dans l'édition Bl., V,
348 et 349 ; je cite le sizain ci-après, p. 204).— Cf. les Remarques criti-
ques sur le Dictionnaire de Bayle, in-fo de 1752, p. 698, et Sainte-
Beuve, article de 1842 sur Du Bartas, inséré dans le Tableau de la
poés. fr. au XVI^ s., éd. Charpentier, pp. 391 et 392.
Quant à Edouard du Monin, ses poésies sont très loin d'avoir eu le
succès de la Sepmaine de Du Bartas. et dès leur apparition il passa
pour un auteur profondément obscur et alambiqué. Voir Laudun
d'Aigaliers, Artpoët., 1598, liv. IV, chap. v. Colletet écrit dans la bio-
graphie qu'il lui a consacrée : « C'était de Du Monin que Ronsard
vouUoit parler lorsque, considérant les esprits de son siècle, il dit: Il
y en a qui ont l'esprit plus turbulent que rassis... » (cité par Rocham-
beau dans sa Famille de Ronsart, éd. elzévir., p. 236). Pour être
aussi afîirmatif, Colletet ne s'est pas fondé seulement sur une tradition
orale. Il aurait pu alléguer plusieurs passages de Y Académie de l'Art
poët. de P. de Deimier (1610), celui-ci entre autres, où il est également
question de Du Bartas : « Du Monin faisoit gloire d'escrire ainsi en
200 r.OMVDNTAinF, IIISTOUIQUE
langage de la my-iniiet : et si bien qu'il ne luy sembloit pas d'avoir
bien faiet, si ses vers n'estoyent tous couvers et flottans, parmy un
ténébreux et continuel nuage de métaphores, d'antithèses, de "metoni-
mics, de périphrases, et de nouveauté de mots et dictions estranges,
dont à tout propos il embarrassoit ses conceptions- Et là dessus, il
disoit qu'il escrivoit tout exprès ainsi afin de n'estrc entendu que des
doctes. Mais on a veu enfin que ses œuvres ont esté mesprisées des
hommes les plus sçavans, veu la broùillerie et rudesse qui estoient en
elles, et d'autre part en mesme temps du tout desdaignées et aban-
données du vulgaire, pour l'obscurité et pour le mauvais langage dont
elles estoient couvertes et enflées... Quelques-uns se trompans en la
chimère du grand sçavoir qu'ils s'imaginent en l'obscurité d'un Poème,
estiment que les passages plus obscurs de Du Bartas sont les plus
beaux, et tout au contraire ce sont ceux qui le sont le moins, et où les
vers sont les plus désagréables pour les périphrases et métaphores
impropres dont ils sont chargez, et qui en les enlaidissans les rendent
envelopez d'une obscurité par trop cstrange- yA»s.si Ronsard appcrce-
vanl que cesl aullieur melaphorisoil el s'obscurcissoil par Irop en quel-
ques endroicts, et que Du Monin en usoit par tout de la sorte, disoit
parfois à ses amis que Du Monin et Du Bartas luy avoyenl yaslé la
Poésie. » (Chap. x, pp. 259 et 272 ; cf. chap. v, pp. 118-19; xiv,
p. 390.)
P. 40, 1. 19. - des Dieux. Cf. ÏElegie à Chr. de Choiseul :
Chetifs ! qui ne sçavoient que noslre poésie
Est un don qui ne tombe en toute fantaisie,
Un don venant de Dieu, que par force on ne peut
Acquérir, si le ciel de grâce ne le veut ;
et encore le Discours à J. Grevin, début. (Bl., VI, 202 et 311.)
P. 40, 1. 21. — à ce ministère. Voir par ex. les odes Errant par les
champs de la Grâce (discours de Jupiter aux Muses, str. xii à xvi) ;
Celuy qui ne nous honore (Bl., II, 68 et 117 . En ce qui concerne Ron-
sard lui-même, les textes abondent où il se vante d'être né poète ; voir
l'éd. Bl., II, 134-35, 247, 395, 414, 426, 446 ; III, 316 ; V, 157, 188 à
190 ; VI, 44, 191 ; VII, 270, notamment l'ode Descen du ciel Calliope,
1 hymne de V Automne et le poème A Pierre l'Escot.
Sur la haute idée qu'il se faisait du poète vraiment digne de ce nom,
cf. ma thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 55, 335, 340.
P. 40, 1. 26. — de mal faire. Cette envie d'écrire des satires et cette
crainte d'en publier apparaissent bien dans deux pages des Estrennes
au Roy Henry III {1^^ janvier 1575), notamment eu ces vers :
Il faut que mon humeur se purge sur quelqu'un :
Mais je ne puis sans vous : sans vostre faveur. Sire,
Je n'ose envenimer ma langue à la satj're.
Si est-ce que la rage et l'ulcère chancreux
Me tient de composer : le mal est dangereux
Qui desplaist à chacun: mais si je vous puis plaire,
Il me piaist, vous plaisant, d'escrire et de desplaire.
■ (Bl, 111,285.)
Mais Henri III, loin de l'avoir autorisé à faire la satire des vices de
KT miTIQUE 20I
son temps, semble lui avoir interdit certaines allusions blessantes, car
le poète supprima de ces Estrcnnes, en 1578, huit vers qui s'appli-
quaient trop bien aux mignons du roi et au roi lui-même (Bl., VII, 306).
P. 40, 1. 26. — à illoratienne. C'est-à-dire des satires où l'indigna-
tion et la souriante ironie sont mêlées, à la façon de celles d'Horace.
C'est ainsi que Boileau dira plus tard ;
Horace à cette aigreur mêla son enjouement,
en se souvenant, ainsi que Binet, du début de la satire .\ du livre I, où
Horace définit la satire telle qu'il la comprenait :
Kt sermone opus est modo Iristi, saepe jocoso...
L'opinion de la Pléiade fut plus favorable à la satire générale et
adoucie d'Horace qu à la satire personnelle et violente de Juvénal. Du
Bellay a proposé le premier comme modèle à cause de son urbanité et
de sa modération [Deffeiice, II, ch. iv). Ronsard de son côté adonné
celte définition de la satire telle qu'il l'entendait, dans les Esirenncs au
Roij Henry III Bl., III, 286) :
Il n'j- a nj' rhcubarbc, agaric, ny racine
Qui puisse mieux purger la malade poitrine
De quelque patient fiévreux ou furieux
Que fait une satyre un cerveau vicieux,
Pourveu qu'on la dcstrempe à la mode d'Horace,
Et non de Juvenal, qui trop aigrement passe.
11 faut la préparer si douce et si à point,
Qu'à l'heure qu'on l'avalle on ne la sente point.
Et que le mocqueur soit à mocquer si adestre.
Que le mocqué s'en rie, et ne pense pas l'estre.
P. 40, 1. 38. — Prose en vers. Inspiré de deux passages de VAbbregé de
VA. P., où Ronsard recommande à Delbene de « se donner garde sur
tout d'estre plus versificateur que poète )»- « Car la fable et la fiction,
dit-il, est le sujet des bons poètes, qui ont esté depuis toute mémoire
recommandez de la postérité : et les vers sont seulement le but de
l'ignorant versificateur, lequel pense avoir fait un grand chef d'œuvre
quand il a composé beaucoup de carmes rimez, qui sentent tellement
la prose que je suis esmerveillé comme nos François daignent imprimer
telles drogueries, à la confusion des autheurs, et de nostre nation » ;
et un peu plus loin : « Tu les feras donc les plus parfaits que tu
pourras, et ne te contenteras point (comme la plus grand'part de ceux
de nostre temps), qui pensent, comme j'ay dit, avoir accompli) je ne
sçay quoy de grand, quand ils ont rymé de la prose en vers. Tu as
desja l'esprit assez bon pour descouvrir tels versificateurs par leurs
misérables escrits... » i Bl., VII, 325 et 330 ) — Ronsard fut « l'ennemy
mortel des versificateurs » et méprisa « leur prose rimée » jusqu'à la
fin de sa vie. Voir le Caprice à Simon Nicolas, écrit après juin 1584
(BL, VI, 326), et surtout ce passage de la 3^ préface de la Franciade,
publiée seulement après sa mort : « Tous ceux qui escrivent en carmes,
tant doctes puissent-ils estre, ne sont pas poètes. Il y a autant de difi"e-
rence entre un poète et un versificateur qu'entre un bidet et un géné-
reux coursier de Naples... Ces versificateurs se contentent de faire
303 r.OMMFNTAlUE HISTORIQUE
des vers sans onicment, sans grâce et sans art, et leur semble avoir
beaucoup fait pour la republique quand ils ont composé de la prose
rimée. » (Bl., III, 19 et 20 ; cf. le bas de la p. 29.)
Voir encore une curieuse page du Discours à Jacques Grevin (Bl.,
VI. 313^.
p. 40. 1. 45. —son confraire. Ceci me semble encore inspiré de la 3'' pré-
face de la Franciade : Il faut, dit Ronsard en parlant des vers alexan-
drins, qu'ils soient « bastis de la main d'un bon artisan, qui les face
autant quil lui) sera possible hausser comme les peintures relevées, et
quasi séparer du lancjage commun, les ornant et enrichissant de figures,
shemes, tropes, métaphores, phrases et périphrases eslongnées presque
du tout, ou pour le moins séparées de la prose triviale et vulgaire {car
le style prosaïque est ennemy capital de l'éloquence poétique), et les il-
lustrant de comparaisons bien adaptées, de descriptions floridcs... »
Plus loin : « C'est le fait d'un historiographe d'esplucher toutes ces
considérations, et non aux poètes qui ne cherchent que le possible... et
d'une petite cassine font un magnifique palais, qu'ils enrichissent,
dorent et embellissent par le dehors de marbre, jaspe et porphire, de
guillochis, ovalles, frontispices et piedestals, frises et chapiteaux, et
par dedans de tableaux, /apjsscr/es eslevces et hossées d'or et d'argent, et
le dedans des tableaux cizelez et burinez, raboteux et difficiles à tenir
es mains, à cause de la rude engraveure des personnages qui semblent
vivre dedans... » (Bl., III, 16 et 24.)
P. 41, 1. 1. — fié à moy. Voir ci-après, p. 238, au mot « inviolable ».
P. 41, 1. 3. — correction. Binet a déjà dit plus haut (p. 26), en s'appuyant
sur un passage des Estrennes au Roy Henry III, que Charles IX avait
permis à Ronsard d écrire des Satires, même contre sa personne, et
que R. avait usé de cette autorisation en écrivant la Dryade violée, la
Truelle crossée, une autre pièce commençant par // me deplaist de voir
et une quatrième commençant par Roy le meilleur des Roys. Nous avons
vu ce qu'il faut penser des deux premières de ces Satires, dont l'existence
estdouteuse ; que la quatrième, publiée par Blanchemain, n'est pas une
Satire proprementdite à la façon d'Horace, mais une ode satirique. La troi-
sième seule pourrait avoir été au nombre des Satires « à l'Horatienne »
que Ronsard montra à Binet, car celui-ci en parle bien comme d'une
pièce qu'il a vue de ses propres yeux.
« Il me dit que l'on n'en verroit jamais que ce qu'on en avoit veu ».
A quelles pièces publiées ce passage fait-il allusion ? Probablement à
celles qu il composa en 1562 et 1563 contre les protestants (les deux
Discours sur les Misères de ce temps, la Remonstrance, la Responce
aux injures) ; peut-être aussi à « l'elegie )) de 1569, intitulée plus tard
« invective », écrite contre un blanc-bec de Cour qui avoit raillé ses
vers et sa personne : Pour ce. Mignon, que tu es jeune et beau. (Bl., IV,
350.) Mais ce ne sont pas de vraies satires; ce sont des discours poli-
tiques ou des apologies personnelles, qui d'ailleurs se recommandent
par une verve indignée et furieuse à la façon de Juvénal, bien plus que
par une douce ironie à la façon d'Horace. Peut-être faut il expliquer
auti ement l'allusion de Ronsard et de Binet.
Ronsard avait toutes les qualités requises pour écrire un recueil de
ET CRITIQUE 3o3
Satires morales, littéraires et politiques (d'ailleurs plus d'éloquence
que d'esprit proprement dit, comme Juvénal, d Aubigné, V. Hugo). Il
ne l'a pourtant point fait, et cet honneur revient à deux de ses dis-
ciples, Vauquelin et Régnier. Mais son œuvre est pleine de pages sati-
riques en vers alexandrins ou décasj'llabiques àrimes plates, contre les
abus et les ridicules de son époque et de tous les temps. Ces pages,
détachées de leur ensemble, pourraient former une anthologie dont les
morceaux paraîtraient provenir d'un recueil de Satires. Voir, entre
autres, les Isles Fortunées (début), VElegie à son livre (page contre les
femmes) ; l'Elégie à Chr de Choiseul (début, contre les méchants poè-
tes) ; l'épître à Odet de Colignj', L'homme ne peut sçavoir (contre les
flatteurs de Cour) ; VElegie ù L'Huillier (page contre les intrigants sans
valeur) ; la Complainte contre Fortune ; l'Elégie à Rob. de la liage ; le
Procès ; la Complainte à la Rogne mère ; la Promesse ; les Nues ou
Nouvelles ; les Esirennes à Henry III ; le Discours à H. de Cheverng,
pièces écrites et publiées à des dates diverses, de 1553 à 1584 (Bl., I,
143; III, 284-86, 354-56. 375 et suiv , 401, 421 et suiv. ; IV, 291'; VI,
156, 170, 193, 201,246, 257).
Rappelons, enfin, que deux pièces satiriques, écrites, l'une vers 1572
(A Moreau, trésorier de l'Espargne), l'autre à la fin de 1584 {Caprice
à Simon Nicolas), ne parurent que plusieurs années après la mort de
Ronsard, la première dans l'éd. coll. de 1604, la seconde dans celle de
1609 (Bl., VI, 265 et 326). Une troisième satire, écrite en 1580 {Sur
une médaille d' Antinous), n'a été publiée qu'au xix^ siècle (Bl , VIII,
109 ; M.-L., VI, 411).
P. 41, 1. 23. — ceste dernière main, c'est à dire cette dernière édition,
celle de 1587, élaborée par Ronsard en 1584 et 1585.
p. 41, 1. 24. — de l'honneur. Binet a démarqué ici sans le dire cette
courte préface que Ronsard écrivit pour la seconde édition de sa Fran-
ciade (début de 1573) et supprima en 1578 :
« J'ay, Lecteur, à la façon d'Apelle, exposé mon ouvrage au public,
afin d'entendre le jugement et l'arrest d'un chacun, qu'aussi volontai-
rement je reçoy, que je le pense estre candidement prononcé. Et ne
suis point si opiniastre, que je ne vueille au premier admonnestement
d'un homme docte, non passionné, et bien versé en la poésie, recevoir
toute amiable correction : car ce n'est pas vice de s'amender, mais c'est
extrême malice de persister en son péché. Pour ce, par le conseil de
mes plus doctes amis j'ay changé, mué, abrégé, alongé beaucoup de
lieux en ma Franciade pour la rendre plus parfaicte et luy donner sa
dernière main. Et voudrois de toute affection que nos François dai-
gnassent faire le semblable, nous ne verrions tant d'ouvrages avortez,
lesquels, pour n'oser endurer la lime et parfaicte polissure, n'aportent
que des-honneur à l'ouvrier, et à nostre France une mauvaise répu-
tation. » (Dernier vol. de l'éd. coll. de 1573. — Bibl. Nat.. Rés., pYe
355, f-^ Aij.)
Cette préface remplaçait à elle seule celle de la première édition de la
Franciade, où se lisait déjà cette déclaration : « Or, Lecteur, — je te
d3' qu'il ne se treuve point de livre parfaict, et moins le mien, auquel
je pourray selon la longueur de ma vie, le jugement et la syncere opi-
204 COMMENTAIRE IIISTORIQI E
nion de mes amis, adjouter ou diminuer, comme celuy qui ne jure en
l'amour de sovmcsmes, nj' en l'opiniastreté de ses inventions. »
Ronsard fut toujours très attentif aux conseils et aux remarques de
l'élite de ses lecteurs. Son empressement à recueillir les jugements des
amis, à noter même les critiques des adversaires, en vue d'une nou-
velle édition, et, en général, sa docilité à l'égard du public lettré, éton-
nent de la part d'un chef d'école arrivé presque d'emblée à une gloire
sans rivale. Ce livre ne t'est lâché, disait-il au lecteur de ses Odes en
1550, « que pour aller découvrir ton jugement, affin det'euvoier après un
meilleur combatant. » (Cf. Bl., II, 13.) Et quinze ans plus tard, alors
qu'en son pajs et à l'étranger il passait pour le plus grand poète fran-
çais, voici le conseil qu'il donnait à Alphonse Delbene dans son Ab-
hregé de l'Art poétique : « Tu converseras doucement cl honnestement
avec les Poètes de ton temps : lu honnoreras les plus vieux comme tes
pères, tes pareils comme tes frères, les moindres comme tes enfans, et
leur communiqueras tes escrits : car tu ne dois rien mettre en lumière,
qui n'aj't premièrement esté veu et revende tes amis, que tu estimeras
les plus expers en ce mestier ». (Cf. Bl., VII, 319.)
P. 41, 1. 25. — extrême vice. Réminiscence de ces vers d'Hoi'ace :
. mediocribus esse poetis
Non homines, non di, non concessere columnae...
Sic animis natum invenlumque poema juvandis.
Si paulum summo decessit, vergit ad inium...
{Epit. aux Pisons, 370 et suiv.)
ou plutôt plagiat de ces lignes de Ronsard parues dans la première
édition posthume : « Tu n'ignores pas, lecteur, qu'un poète ne doit
jamais estre médiocre en son mestier, ny sçavoir sa leçon à demy, mais
tout bon, tout excellent et tout parfaict. La médiocrité est un extrême
vice en la poésie : il vaudroit mieux ne s'en mesler jamais et ap-
prendre un austre mestier.» (3o préf. de la Franciade, Bl., III, 32.)
P. 41, 1. 28. — à son suject. Il n'y a de virgule après suject dans aucune
édition. Le passage étant obscur j'ai respecté la ponctuation ; mais je
pense qu'il faut comprendre comme s'il y avait une virgule, et iaire
rapporter qui à style moien.
Cf. Horace, Epitre aux Pisons, vers 24 et suiv.; Ronsard, dans
l'élégie A Chr. de Choiseul (1556) :
Mais ce n'est -pas le tout que d'ouvrir le bec grand,
11 faut garder le ton dont la grâce despend
Ni] trop haut, ny trop bas, suivant nostre nature
Qui ne trompe jamais aucune créature... (Bl., VI, 201.)
et dans ce sizain que lui inspira la Sepmaine de Du Bartas, vers la fin
de sa vie :
Je n'ayme point ces vers qui rampent sur la terre,
Ny ces vers empoullez, dont le rude tonnerre
S'envole outre les airs : les uns font mal au cœur
Des liseurs desgoutcz, les autres leur font peur :
A'y trop haut ny trop bas, c'est le souverain style.
Tel fut celui d'Homère et celuy de Virgile. (Bl , V, 349.)
i:t (uitiqle 2o5
Sur cette théorie du juste milieu en poésie, voir ce qu'ila encore écrit
dans la troisième préface de la Franciade (ci-dessus, p. 197, aux mots
« le faire crever » ).
P. 41, 1. 29. — aux hommes. Cf. Ronsard, les douze premiers vers du
Discours à J. Grcvin, qui développent les vers d'Horace ci-dessus cités,
et y ajoutent cette idée :
Car la Muse icy bas ne fut jamais parfaite
Ny ne sera, Grevin : la haute Deité
Ne veut pas tant d'honneur à nostre humanité
Imparfaite et grossière : et pour ce elle n'est digne
De la perfection d'une fureur divine. (Hl. VI, 311.)
P. 41, 1. 41. — faire mieux. Ce quatrain terminait la première préface
de la Franciade (septembre 1572) « pour fermer la bouche à ceu.\ qui
de nature sont envieux du bien et de l'honneur d'autruy » (Bl. III. 13 ;
M.-L. III. 518). Donc, Ronsard ne l'a pas écrit, comme Binet l'allirme,
en réponse à certaines critiques exprimées après l'apparition de sa
Franciade. C'était bien plutôt une réponse anticipée à des jugements
qu'il prévoyait, une sorte de précaution oratoire contre la critique mal-
veillante, considérée en général, précaution analogue à maintes pièces
Au détracteur ou A l'envieux qu'on lit en tête ou à la fin d'autres
œuvres du xvi" siècle (v. ma thèse sur Ronsard p. lyr., p. 332,
note 2), Notons d'ailleurs que le vrai texte de Ronsard diffère très
sensiblement de celui de Binet :
Un list ce livre pour apprendre.
L'autre le list comme envieux...
Par cette forme qui, après mûre réflexion, me semble bien être un
imparfait du subjonctif, Ronsard entendait ce qui pouvait se produire,
et non ce qui s'était produit. C'est un « potentiel » qui équivaut à :
Il peut se faire qu'on me lise... Ronsard a écrit « un list » an lieu de
« qu'on lise )) à cause des exigences de la versification.
L'erreur de Binet s'explique dans une certaine mesure. En effet, la
préface en prose qui accompagnait le quatrain et en donnait la vraie
signification disparut dès la 2e édition de la Franciade, et le quatrain
resta isolé de son contexte en tête du poème jusqu'en 1584 inclus ;
après quoi, il disparut lui-même des éditions posthumes ; si bien que
Binet, la reprenant dans les papiers de Ronsard pour en orner sa
3^ rédaction, sans remonter à son origine, perdit de vue son véritable
sens. Mais la forme list (pour leist, de legisset), qu'on trouve dans
toutes les éd. de la Fra/icj'ade parues du vivant de Ronsard, aurait dû
le mettre en garde contre une interprétation de fantaisie.
Sur les opinions diverses qui accueillirent les quatre livres de la
Franciade, voir G. Colletet, Vie de Ronsard, pp. 74 à 78, et Marty-
Laveaux, édition de Ronsard, III, 538.
P. 41, I. 48. — le courage. Ce quatrain parut à la fin de la Franciade
dans l'éd. de 1578, la première qui vit le jour après la mort de Char-
les IX, et il conserva cette place dans les éd. suivantes (Bl. III, 252 ;
M.-L. III. 176).
La suite des idées semble ici défectueuse. Binet dit que Ronsard n'a
3o6 COMMENTAIRE HISTORIQUE
pas achevé la Franciade « faulte de noz Roys qui n'ont continué ceste
faveur nourricière des grands esprits », et, à lappui de son dire, il cite
un quatrain où il n'est question que de la faveur de Charles IX. Or après
la mort de Charles IX, Ronsard ne connut que le règne de Henri III ;
le pluriel c noz Roys » semble donc étrange. Je soupçonne Binet de
s'être fondé sur un autre texte, dont il ignorait la date et qu'il aura par
suite mal interprété : je veux parler de ce passage de la (Complainte à
la Roijne mère publiée en 1563 :
.l'avois l'esprit gaillard et le cœur généreux
Pour faire un si grand œuvre en toute hardiesse,
Mais au besoin les Roys ni'oiil failly de promesse :
Ils ont tranché mon cours au milieu de mes vers :
Au milieu des rochers, des forests, des desers
Ils eut fait arrester, par faute d'équipage,
Francus, qui leur donnoit Ilion eu partage.
(Bl. 111,377.)
Or ces vers font allusion à Henri II, à François II, à Catherine de
Médicis, régente jusqu'en 1563, et au premier projet de la Franciade,
qui était en alexandrins ; ils ne font pas du tout allusion au deuxième
projet, qui, encouragé par Charles IX, aboutit aux quatre livres en dé-
casyllabes publiés en 1572. Marty-Lav. a commis une erreur analo-
gue en renvoyant à ces vers de 1563 pour expliquer l'interruption du
poème de la Franciade tel qu'il nous est parvenu (III, 538).
Sur ces deux projets d'épopée et leurs dates respectives, v. ci-dessus,
pp. 143 et 158, aux mots « durant son règne » et « que j'ay veus ».
P 41, 1. 49. — pièce entière. Cf. Dorât, dans le Tombeau de Ronsard
(Bl. VIII, 237; :
Franciadem si non perfecit, tambene ccepit
Aeneidl ut certet, certet et Iliadi.
P. 42, 1.3. — infiniment. A ce sujet nous avons le témoignage de Ron-
sard lui-même, qui a écrit dès la fin de 1563 que les poètes huguenots
ses adversaires (il s'agit de FI. Chrestien et de .1. Grevin) avaient le
cœur rongé d'envie « de le voir estimé des peuples estrangers, et de
ceux de sa nation »■ (Epistre au lecteur, publiée en tête des Nouvelles
Poésies, vers le l^r novembre 1563; cf. BL, VII, 149.)
En ce qui concerne particulièrement l'estime des Italiens, les témoi-
gnages sont nombreux. Outre ceux de J.-C. Scaliger, de P. Victor, de
Bargœus et de Speroni que Binet invoque, rappelons entre autres deux
odes de Barth. del Bene, auxquelles Ronsard a répondu (Bl., II, 380 ;
IV, 356 à 360), un dialogue où le Tasse a comparé Ronsard au poète
Annibal Caro (Marty-Lav., Notice sur Ronsard, p. lxxvii), l'anecdote
rapportée par Brantôme d'un grand seigneur vénitien prisant Ronsard
deux fois plus que Pétrarque 'Gandar, thèse fr., p. 123; Blauchemain,
Œuvres de Ronsard, VIII, 38), et quatre sonnets de Grigioni, Zampini,
Malespina et Ruggieri qui figurent dans son Tombeau {]il. VIII, 282-84)
P. 42, I. 4. — J.-C Scaliger. Philosophe, humaniste et médecin italien,
né en 1484, probablement à Padoue, mort en octobre 1558 à Agen, où
il avait été ameué en 1525 par l'évêque Antonio della Rovere. Le plus
ET CRITIQUE 2O7
connu de ses ouvrages est une Poétique divisée en sept livres, qui eut
un grand retentissement (cf. Lintilliac, thèse latine de Paris, 1888).
— Sou fils, Joseph Scaliger, fut un des critiques de textes les plus éru-
dits de son temps ; c'est lui qui publia la première Anthologie latine
en 1573, si.\ ans avant celle de Claude Binet ; il enseigna à Genève,
puis à Leyde. Lui aussi a dédié une de ses œuvres à Ronsard, la tra-
duction grecque du Moreliim en I^Ck] (cf. Egger, Hellénisme en France,
I, 222, note), l'année même où, de son côté. Lambin dédiait à Ronsard
le 2e livre de son édition de Lucrèce.
P. 42, 1. 29. — ingruit. Ces vers forment la dédicace entière des Ana-
creontica de Jules-César Scaliger, publiés pour la première fois dans
son recueil de Poemata à Genève en 1574, par les soins de son fils. Je
les ai lus dans une édition postérieure des Poemata (Genève, 1591,
première partie, p. 472). Ils sont bien dédiés Ad Petrum Ronsardiim .
Strophes asclépiades (2 glyconiques et 2 petits asclépiades entrelacés).
P. 42, 1. 31. — pour lors. Il faut comprendre : « Je ne cèlerai point
pourtant que par la complainte sur la mort d'un ami de Francus, et
par les obsèques de cet ami, il m'a dit avoir entendu un Prince qui
estoit fort nécessaire pour l'Etat près de Charles IX qui regnoit alors. ))
— Cf. l'argument du 3e livre de la Franciade, vers le milieu : « Fran-
cus célèbre les funérailles d'un capitaine son cher amy », et cette note
écrite par A. Jamin pour l'éd. primitive : « Je me doute que l'autheur
entend icy dessous quelque grand capitaine de nostre temps ». (Bl. III,
140 et 164 à 168.)
Ce grand capitaine est sans doute François de Guise, mort en févr.
1563, à moins que ce ne soit Anne de Montmorency, mort en nov.
J567 ; si l'on s'en rapporte à Binet, c'est de François de Guise qu'il
s'agit, car le titre de Prince ne convient qu'à lui.
P. 42, 1, 32. — nostre temps- Les épopées antiques furent interprétées
allégoriquemeut durant tout le Moyen Age. Pétrarque lui-même voyait
des allégories partout dans V Enéide- Cette façon d'interprétation re-
monte à Si Basile et à Fulgence Planciade. Au xvi^ siècle, sous l'in-
fluence persistante de la scolastique, on en usait encore, témoin Le-
maire de Belges en ses Illustrations de Gaule (I, ch. xxxi et xxxv ; cf.
Stecher, Œuvres de Lemaire, Notice.) Au xvii^ siècle. Chapelain dé-
clarait encore, dans la préface de sa Pucelle, que Charles VII y repré-
sentait la volonté humaine, et Jeanne d'Arc la grâce divine. — Cf.
ci-dessus, p. 122, aux mots « deslors amoureux ».
p. 42, I. 48. — Barga. Pour P. Victor, v. ci-dessus, p. 188. — Pierre
Barga, c'est Pietro degli Angeli, ou Angelio, originaire de Barga en
Toscane, d'où son surnom latin Bargeus ou Bargœus. Poète néo-latin,
né en 1517, mort en 1596 ; professeur à Reggio, puis à l'Université
de Pise, où le connut sans doute Cl. Binet. Ses principales œuvres
sont le Cgnegeticon (6 chants) et la Syriade (12 chants). Ses poésies
complètes ont paru à Florence en 1568.
Binet a adressé une pièce de vers latins à Pierre Victor, et une autre
à Angelio de Barga ; elles ont été publiées en octobre 1579 à Poitiers,
à la fin de l'opuscule de Binet intitulé C. Petronii Arbitri Epigrammata
pp. 32 et 33. Voir ci-dessus. Introduction, § II.
2o8 COMMENTAI UlC HISTORIQUE
P. 43, I. .'{• — Danzich. Cf. Du Perron: « C'est ce grand Ronsard qui
a le premier. . ostendu la gloire de nos paroles et les limites de nostre
langue. C'est luy qui a faict que les autres provinces ont cessé de l'es-
timer barbare comme auparavant, et se sont rendues curieuses de
l'apprendre et de l'enseigner, et qu'aujourd'bu}' Ion en tient escbole
jusques aux parties de l'Europe les plus esloignées, jusques en la
Moravie, jusques en la Poloigne, et jusques à Dansik, là on les œuvres
de Ronsard se lisent publiquement. » {Or. fnn., éd. priiiceps, pp. 48
et 49.)
J'ai eu déjà plusieurs fois l'occasion de constater les ressemblances
qui existent entre l'opuscule de Binet et celui de Du Perron, bien qu'ils
diffèrent très sensiblement sur certains points. M"'' Kvers écrit à ce
propos : ;< Peut-être se sont-ils inspirés d'un même ouvrage imprimé ;
peut-être aussi ont-ils seulement répété ce qui se disait couramment
autour d'eux. « La deuxième lij'pothèse me semble la meilleure pour
ce passage. Ils ont pu recueillir la même affirmation au cours d'une
conversation avec Galland, Desportes ou Dorât, à laquelle ils assis-
taient l'un et l'autre. Desportes, qui était allé à Cracovie, à la suite de
Henri d'Anjou, roi de Pologne, leur avait vraisemblablement parlé de
la vogue de Ronsard en ce pays, peut-être au « festin » qu'il avait offert
aux admirateurs du poète le 18 février 1586 (v. ci-dessus, pp. 191 et
192). Au surplus, je crois que Binet a profité de VOr- fan. de Du
Perron, qu'il entendit prononcer, et dont il eut entre les mains soit
le manuscrit, soit le texte imprimé (v. ci-dessus, p. 193, aux mots
« de tous costez »)■ — Velliard dit de son côté que Ronsard n'était
pas seulement lu avidement, appris par cceur comme un auteur
classique, loué par les érudits, accepté par la foule comme un oracle,
tout cela eu France, mais encoi'e que ses œuvres étaient traduites
en langue étrangère, religieusement conservées dans les coffrets des
rois, répandues jusqu'aux confins du monde civilisé « ... è gallico in
peregrinum sermonem transferri, in arculis et scriniis regum sanc-
tissimè asservari, spargi ac disseminari in barbaras et externas gen-
tes... » {Laud. fiin. II, ff. 15 vo et 16 r°.)
Quant au fait même que les œuvres de Ronsard étaient lues en 1586
dans les pays étrangers du Nord et de l'Est aux « cscolles françoises )),
il n'est pas douteux. — Elles devinrent « classiques » de bonne heure
en Angleterre, en Ecosse, dans les Pays-Bas et en Allemagne, où sa
gloire alla grandissant à mesure qu'elle déclinait en France, ne fût-ce
que par 1 intermédiaire des élèves étrangers de Dorât (M.-L-, Notice
sur Dorât, xxxix etxL). Binet entend par les « escolles françoises »
non pas seulement celles où enseignaient des Français, mais les cours
de français qui étaient faits dans les universités étrangères par des
étrangers '. En Angleterre, par ex., l'enseignement de la langue fran-
çaise était très répandu dans la deuxième moitié du xvi'^ siècle, et l'un
des Anglais qui l'enseignaient alors, John Eliot, préconise dans la pré-
1. G. CoUelet écrit de son côté : «... il a esté admiré de toutes les nations
du monde, dont la pluspart le lisent publiquement dans leurs escholes fran-
çoises... » {Op. cit., p. 100.)
ET CRITIQUE aOQ
face d'un ouvrage didactique paru à Londres en 1593 la lecture de
Marot, Ronsard, Belleau, Desportes, Du Bartas, et autres esprits
« inimitables en poésie ». Voir à ce sujet Louis Charlanne, Influence
française en Angleterre an XVII' siècle (thèse de Paris, 1906), première
partie, chap. m, § 3, surtout les pp. 183 à 191.
Au reste, la meilleure preuve que les œuvres de Ronsard étaient lues
et pi'oposées comme des modèles dans les « escolles » de ces pays,
c'est la très grande influence littéraire qu'elles y ont exercée. En An-
gleterre, où deux amis de Ronsard lurent ambassadeurs de 1561 à 1575
(Paul de F'oix et Castelnau de Mauvissière), son influence se fit sentir
dès les premières années du règne d'Elisabeth, à laquelle il dédia en
1565 son recueil d'Elégies, Mascarades et Bergerie (cf. ma thèse sur
Ronsard p. lyr.,pp- 214 à 220). Non seulement il est probable que
ce recueil développa le goût des « mascarades » à la cour d'Elisabeth,
mais il est certain que les autres œuvres de Ronsard, surtout ses son-
nets d'amour et ses odes, furent fréquemment imitées par les poètes
anglais de cette époque, entre autres Watson, Sidney, Southern et
Lodge. Cf. Saintsbury, Elizabethan Literature (Londres, 1893), pp. 108
et 112 ; Sidney Lee, Elizabethan Sonnets (Cambridge, 1904, dans la
nouvelle édition de VEnglish Garner), Introduction ; Gregory Smith,
édition des £'/!:a/)e//ifl/i critical Essaijs (Oxford, 1904), Introduction;
A. Horatio Upham, The French influence in English Literature from
the accession of Elizabeth to the Restoration (New-York, 1908), chap.
II et III.
Binet ne parle pas de l'Ecosse ; mais là Ronsard fut lu et admiré
autant qu'en Angleterre. Nous avons vu que ses œuvres contiennent de
nombreux hommages à Marie Stuart (ci-dessus, pp. 177 et 178). Cette
reine, qui avait vécu treize ans en France (de 1548 à 1561), dut contri-
buer pour une large part, avec son entourage français (dont fut quelque
temps Brantôme), à faire connaître en Ecosse son poète favori. G. Bu-
chanan, le poète humaniste qui avait enseigné à Paris jusqu'en 1560,
dut aussi louer Ronsard dans les milieux lettrés de 1 Ecosse. Le savant
écossais Alex. Bodius, dans ses Lettres Héroïdes, imprimées à An-
vers en 1592, a écrit, parlant des poètes illustres de tous les siècles :
Fuit qiioque qui linguam coluit gallicam, Petrus Ronsardus- De hoc
quid dicam ? Addo nonum sidus, solumque refera horum in nume-
rum, quos mirer miser. Cf. G. Colletet, Vie de Ronsard, p. 102.
Au delà du Rhin, Ronsard fut également très goûté et imité. D'après
G. Colletet, les poètes allemands Melissus et Posthius « ont rempli
leurs ouvrages des louanges de Ronsard» [op. cit., p. 102). Le pre-
mier, qui était conservateur de la bibliothèque d'Heidelberg et qu'on
appelait pour ses poésies latines le Pindare de l'Allemagne, a écrit une
longue ode, dédiée à Florent Chrestien, pour le Tombeau de Ronsard
(éd. Blanchemain, VIII, 268). On étudiait les œuvres de Ronsard avec
passion à l'université d'Heidelberg vers la fin du xvie siècle, et c'est de
là que partit le mouvement de la Renaissance poétique en Allemagne.
Parmi les poètes humanistes qui subirent le plus profondément l'in-
fluence de Ronsard, citons Rudolf Weckherlin et Martin Opitz. Ce der-
nier surtout non seulement s'est inspiré de la technique ronsardienne
VIE DE p. DE RONSARD. 14
aïO COMMENTAIRE HISTORIQUE
dans son traité de la Deuischcn Poelerci (1624), mais encore a imité
Honsard de très près en maintes pièces. Voir l'Introduction des œuvres
choisies d'Opitz, par Jules Tittmann (Leipzig, 1869), et la belle
édition des œuvres de Weckherlin, publiée par Hermann Fischer
(Tubingen, 1894), tome I, pp. 108 à 186, et II, p. 508. Parmi les études
consacrées à ce sujet, cf. Richard Beckherrn, Martin Opitz, P.Ron-
sard et D. Hcinsiiis (Konigsberg, 18881.
Dans les Flandres et la Hollande, l'influence de Ronsard ne fut pas
moindre. Elle commença même plus tôt qu'en Allemagne, peut-être
par l'intermédiaire du célèbre imprimeur d'Anvers, Christophe Plan-
tin, qui, d'après son biographe, aurait édité dès 1556 les Amours et le
deuxième Bocage de Ronsard ' ; sans doute aussi, grâce à des poètes
humanistes, tels que Charles Utenhove de Gand, Jean Dousa le père,
premier curateur de l'Université de Leyde, qui avaient vécu dans la
familiarité de Dorât et de ses élèves, ou encore Joseph Scaliger, un
autre admirateur de Ronsard, qui enseigna à heyàe. — Sur Jean Van
Houl, initiateur de la Hollande aux principes de la Pléiade, voir un
article de J. Prinsen dans la Iiei>. de la Renaissance de juin 1907.
Quant à la pénétration de l'œuvre de Ronsard en Pologne et « jusques
à Danzich », elle fut singulièrement facilitée par les relations poli"
tiques qui s'établirent entre la France et la Pologne de 1572 à 1574.
Rappelons que c'est Jean de Monluc, un ami de Ronsard, qui, après
avoir déployé des trésors d'éloquence à la diète de Varsovie, finit par
obtenir la succession au trône des Jagellons pour Henri de Valois, duc
d'Anjou ; que Ronsard collabora au gala des Tuileries, d'août 1573,
organisé en l'honneur des ambassadeurs polonais, éblouis de tant de
faste ; que, parmi les Français qui accompagnèrent Henri de Valois en
Pologne, se trouvaient de nombreux admirateurs et amis de Ronsard,
entre autres Pibrac, Desportes, Du Gast, et que l'un d'eux, Guy du
Faur de Pibrac, auquel Ronsard adressa à Cracovie l'ode des Esloilles,
était chancelier du nouveau roi de Pologne et émerveilla par son élo-
quence les lettrés de ce royaume lointain. (V. ma thèse sur Ronsard
p. lyr., pp. 242 à 244, 250 et 251, et Appendice, pièce justif. III.)
P. 43, 1. 8. — Tyard. Ronsard a nommé Tyard pour la première fois
dans le sonnet des Amours de 1552: Pour célébrer des astres devestus
(Bl., I, 50). Eu 1553, dans la 2'' éd. des Amours il lui adressa le sonnet,
très élogieux, De tes Erreurs l'erreur industrieuse {Ihid. , 424). La même
année il le comptait parmi les compagnons des Isles Fortunées (VI,
173), et il en faisait encore l'éloge dans V Elégie à J. de la Peruse (Id.,
44). Enfin en 1555, en tête de la Continuation des Amours, il lui
adressa le sonnet Tyard chacun disait à mon commencement (I, 147),
que Binet rappelle plus haut.
De son côté, Tyard n'a pas loué Ronsard avant son second recueil de
vers, la Continuation des Erreurs amoureuses (Lyon, 1551)- C'est dans
le sonnet Je n'atten point, où il l'appelle un « autre Terpandre », et
dans le Chant en faveur de quelques excellens poètes de ce temps, où il
1. Roosès, Christophe Pluntin (Anvers, 1890), p. 35. fBibl. Nat. Ln27, 355
38 A.)
ET (HITIQUE J I 1
consacre une strophe à lui et à Du Bellay. Le troisième recueil des
Erreurs amoureuses, paru en 1554, contient deux sonnets où Tyard
porte aux nues Ronsard, Du Bellay et Baïf (éd. Marty-Lav., pp. 105
et 112j.
J'en conclus que Ronsard et Tyard ne se sont pas connus au collège
de Coqueret ; que c'est Tyard qui a fait les premières avances en
1551 (ou même eu 1550, car la dédicace de son second recueil est de
1550) ; que Ronsard répondit à son éloge dans le sonnet des Amours
de 1552; qu'à partir de 1553 Tyard fut admis dans la Brigade. En
1554, E. Pasquier adjoint Tyard à Ronsard et à Du Bellay, comme
étant des trois poètes de son temps et de son pays qui ont le mieux
écrit sur le sujet de l'amour {Monopliile. liv. II ; Lettres, I, m).
Le Maçonnais Pontus de Tyard fut, avec son cousin le Charollais
Guillaume des Autels, le vrai trait d'union entre l'école lyonnaise de
Maurice Scève et l'école parisienne de Ronsard.
P. 43, 1. 10. — peintre de nature. Sur R. Belleau, v. ci-dessus, p. 100. —
Je n'ai vu nulle part dans les Œuvres de Ronsard que Belleau était
appelé par lui le « peintre de nature » ; mais voici ce qu'on lit dans
la dédicace des Amours d'Ant. de Baïf, qui date de 1572 :
Belleau gentil, qui d'esqiiise peinture
Soigneusement imites la nature.
Tu consacras de tes vers la plus part
De Cytherée au petit fils mignard.
[Œuvres de Baïf^ éd. Marty-Lav., I, 9.)
P. 43, 1. 11. — nourri] avec soy. C'est-à-dire qu'il l'avait élevé auprès
de lui, dans sa propre maison. Le texte de C porte : « Amadis Jamyn,
qu'il a voit nourry page, et fait instruire ». A quelle date exacte, et par
suite de quelles circonstances Jamin entra-t-il au service de Ronsard?
On ne saurait le dire actuellement. Trois odes du 2^ Bocage (nov. 1554)
et une autre des Meslanges (ibid.) sont adressées par Ronsard à un
serviteur nommé Corydon. Ce Corydon a réellement existé; si son
nom est imaginaire, sa personnalité ne l'est point et ne peut être mise
en doute. V. à ce sujet la pièce A Corydon serviteur de Ronsard dans
les Gayetez d'O. de Magny (1554), et le premier des Dialogues de Guy
de Brués (1556). Etait-ce Amadis Jamin? Peut-être. Il avait à cette
date environ quinze ans. En tout cas, en 1563 l'auteur du Temple
de Ronsard distingue Corydon d'Amadis parmi les domestiques de
Ronsard ; d'après ce pamphlet, comme du reste d'après les odes du
2" Bocage, il semble que Corydon ait été un « valet cuisinier » plutôt
qu'un « page ». Ronsard lui-même distingue nettement son page et
son cuisinier, mais sans leur donner de nom, dans l'odelette J'oste
Grevin de mes escrits, qui est du début de 1567 (Bl., II, 436).
Je ne connais que deux documents au .xvio siècle qui signalent
Jamin comme « page )) de Ronsard : 1" Ce passage du Temple de Ron-
sard, qui est de septembre 1563 et a pour auteur le poète protestant
Grevin :
Tu mettras en avant l'asseuré tesmoignage
Du laquais ton mignon, et d'Amadis ton page...
(Bl., VII, 93);
ai2 COMMENTAIRE HISTORIQUE
2>> le texte C de la V7(* de Ronsard i[uc nous commentous.
Greviii devait savoir à quoi s'en tenir sur ce point, ayant vécu dans
la familiarité de Ronsard trois ans au moins, de 1558 à 1561 ; mais les
termes d'un pamphlet sont toujours sujets à caution. Quanta Binet, ou
il s'est fondé uniquement sur le texte de Grevin, ou il s'est renseigné
auprès de Jamin lui-même, qui vivait encore en 1591. Peut-être aussi
a-t-il spontanément conclu que Jamin avait été le « page » de Ronsard,
en relisant l'élégie Couvre mon chef de pavois et le poème de la Salade,
adressés à Jamin en août 1569 (du moins c'est la date de leur publica-
tion) dans les Sixiesme et Septiesme livres des Poëmes- Mais dans
aucune des éditions qu'il pouvait consulter ces pièces ne portaient
l'cn-tête « A Amadis Jainyn son page », qu'on trouve dans l'éd.
Blanchomain (IV, 394 ; VI, 87). Jamais Ronsard n'a ainsi qualifié
Jamin, pas même dans la première pièce qu'il lui dédia, le Chant des
Serenes, publiée dans l'édition collective d'avril 1567 (Bl., I, 224) ^
C'est seulement à partir de l'édition posthume de 1G17 qu'on trouve
cette mention en tête de certaines pièces « A Amadis Jamyn son page ».
C'est une addition de l'éditeur N. Buon, ou du commentateur Cl. Gar-
nier, faite d'après le texte C de Binet ; et c'est sur cette addition, ainsi
que sur le texte C de Binet, que Colletet s'est fondé pour affirmer dans
sa Vie d' Amadis Jamin qu'il avait été « page » de Ronsard.
On sait d'autre part que Jamin fut le « secrétaire » de Ronsard, de
1565 à 1573 environ. Discrctus vir, magister, clericus lingonensis dio-
cesis, Jamin céda à Ronsard le prieuré de Croixval en mars 1566
(Froger, Rons. eccl., pp. 35 et 63). Il figure dans un acte d'avril 1568
comme «secrétaire du prieur de St-Cosme» [Ibid., pp. 35 et 39).
L'examen de ses œuvres, surtout de celles qui sont disséminées dans
les publications faites par Ronsard de 1569 à 1572, nous a prouvé qu'il
resta près de lui ces années-là comme « secrétaire », jusqu'au jour où
Ronsard obtint pour lui de Charles IX la charge de « Secrétaire et
Lecteur ordinaire de la chambre du Roy » (dans le courant de 1573 ou
au début de 1574).
Cf. mes articles de la Rev. d'Hist. litt. de janvier 1906, et des
Annales Fléchoises de septembre 1906, sur Ronsard et Jamin et sur les
pièces qu'ils composèrent l'un pour l'autre ou s'adressèrent mutuelle-
ment ; ma thèse sur Ronsard p. lyr-, Index.
P. 43, 1- 12. — Poète tragique. Pour l'opinion de Ronsard sur Robert
Garnier, voir le sonnet Je suis ravi quand ce brave sonneur, qui parut
en tête de la tragédie de Porcic (1568) ; le sonnet // me souvient, Gar-
nier, qui parut en tête de VHippolyte (1573) ; le sonnet Le vieil cothurne
d'Euripide, qui parut en tête de la Cornclie (1574) ; le sonnet Quel son
masle et hardij, qui parut en tête de la Troade (1579). On trouve ces
quatre sonnets réunis dans l'éd. Blanchemain, V, pp. 353 à 355. — De
son côté, Rob. Garnier a écrit à la louange de Ronsard le sonnet Tu
gravais dans le ciel, et une longue pièce élégiaque d'un beau rythme
pour son «tombeau » (Bl., I, 140 ; VIII, 243). Cf. II. Chardon, Robert
1. L'odelette de 1554, Ha si l'or pouvait allonger (Bl., II, 288), ne fut dédiée
à Jamin qu'eu 1578-
KT HISTORIQUE 3l3
Garnier, pp. 116 et 241, et le compte rendu que j'ai donné de cet ouvrage
dans la Revue critique du 5 février 1906.
P. 43, 1. 13. — Scevole de Saincte Marthe- Pour l'opinion de Ronsard
sur ce poète français et néo-latin, voir le Discours d'un amoureux
désespère, écrit et publié en 1569, en retour des Premières Poésies de
Sainte-Marthe, « gentilhomme lodunois )) (Paris, Fed. Morel, 1569) ;
la lettre de Ronsard à Ant. de Baïf sur la Paedotrophia (ci-dessus,
p. 44, 1. 29 etsuiv.) ; la fin d'une lettre de Cl. Binet à Sainte-Marthe,
publiée par Marty-Laveaux, Notice sur Ronsard, ci. — Sur cet illustre
Poitevin, voir Dreu-x du Radier, BUA. hisl. et cril. du Poitou (Paris,
1754), tome V, pp. 147 à 223 ; Léon Feugèrc, Caractères et portraits
littéraires du XVIo s. (Paris, Didier, 1859 et 1875), tome I ; P. de Lon-
guemare, Une famille d'auteurs aux XVI<^, XVII*^ et XVIII*' s- : les
Sainte-Marthe (Paris, Picard, 1902), et le compte rendu de cet ouvrage
par H. Chamard (Rev. dHist- litt. de 1903, p. 344). Ses poésies latines
ont été étudiées par l'abbé Aug. Hamon dans une thèse de Paris, 1901,
De Scaevolae Sammarthani vita et latine scriptis operibus-
P. 43, 1. 14. — en ses œuvres. Cette dernière proposition, comme l'in-
dique bien la rédaction de C, ne retombe que sur les mots « quelques
autres ». Elle ne peut s'appliquer en effet à « J. D. Perron », compris
dans l'énumération précédente, car les œuvres de Ronsard n'en contien-
nent pas la moindre mention. Quant à Florent Clirestien, il n'y parut
d'abord qu'en très mauvaise posture (Bl. VII, 141 à 149). De Thou
affirme que dans la suite Ronsard, trouvant qu'il avait été finement
censuré par lui, « regarda comme un grand honneur l'amitié et les
louanges de ce bel esprit ». {Ilist- univ., XIII, p. 36). Défait, Ron-
sard supprima en 1578 l'épître en prose de 1563 « ou succinctement il
respondoit à ses calomniateurs » et prenait à partie Florent Chres-
tien ; de son côté Chrestien adressa en 1582 dans le « tombeau » de
Christophe de Thou une idylle grecque à P. de Ronsard, qui commence
ainsi : « Bon vieillard, tête chère aux Muses, ô Ronsard ; agite une
branche de laurier, car tu es l'Apollon des Français ; réveille-toi et
fais résonner ta lyre ; fais-lui rendre en ta langue maternelle une
plainte qui rivalise avec celle des Grecs et des Latins,... car il y a
neuf jours que de Thou est mort... » [Chr. Thuani Tumulus, p. 26.)
Enfin FI. Chrestien est mentionné avec éloge dans la préface posthume
de la Franciade (Bl. III, 35). Voir encore dans le Tombeau de Ronsard
une ode latine de Paul Melissus Ad Florentem Cbristianum (Bl. VIII,
268).
P. 43, 1. 15- — Speron Sperone- C'est Speroni (prénom Sperone),
célèbre humaniste de Padoue, né en 1500, mort en 1588, champion de
la langue italienne contre le latin, comme Bembo ; a laissé, entre
autres œuvres, la tragédie de la Canace et des Dialogues sur des
sujets moraux et littéraires. — Cf. l'édition de ses Opère publiée
à Venise en 1740, Introduction ; les Mémoires du P. Nicéron,
tome XXXIX, p. 42 ; Ginguené, Hist. litt- de l'Italie, 2^ édition,
tome VI, p. 82 ; P. Villey, Les Sources italiennes de la Deffence (Paris,
Champion, 1908, et Rev. de la Renaissance dejanv. 1909, p. 11).
La forme francisée de son nom dont se sert Binet est courante au
9.1 Cl COMMKNTAIRK HISTOnTQUE
xvic siècle ; v. par ex. Cl. Gruget, trad. des Dialogues, et E. Pasquier,
Hcch. delà Fr., VII, chap. iv, début.
P. 43, I. 20. — cstre leu. Le Dialogue des langues est l'un des dix
Dialogues qui parurent en 1542 et furent traduits en français par
Claude Gruget en 1551. <■ Le septiesme est des langues », dit Gruget
dans son avis au lecteur, « où se peut recueillir de grand fruit, comme
l'a bien sceu faire l'un de noz excellcntz François en parlant de
l'honneur de nostre langue '. Aussi à la vérité Speron confesse la langue
Italienne procéder de nous, ou du moins la meilleure chose qu'ilz
aj'cnt. » Ce ne sont donc pas les œuvres de Ronsard, pas même les
premières publiées (1549-1550), qui « ont esmcu » Speroni « de tant
estimer nostre langue », et Binet a commis là une grosse erreur.
Quant au poème de Speroni « à la louange de Ronsard », que Binet
trouva en 1586 parmi les papiers de notre poète, c est une réponse à
un flatteur hommage de Ronsard lui-même. On sait, en effet, par une
lettre très intéressante de Filippo Pigafetta à Speroni, datée de Paris,
10 juillet 1582, que celui-ci reçut un volume de vers de Ronsard, qui
désirait en avoir son sentiment. Pigafetta raconte dans cette lettre que,
conversant avec Ronsard des poètes italiens et entre autres de Speroni,
il lui arriva de dire qu'il était l'ami de Speroni depuis plus de vingt-
quatre ans ; « donc, répartit Ronsard, comme il est aussi mon ami
depuis déjà trente ans, il vous plaira de lui envoyer un de mes volu-
mes, en le priant de le lire, et de m'en écrire tout à loisir et brièvement
son opinion » ; et Pigafetta, après avoir dit qu'il a confié ce volume à
l'ambassadeur du duc de Ferrare pour qu'il arrive plus sûrement à
destination, ajoute ces mots : « Votre Seigneurie voudra bien répondre
à 1 auteur en une lettre aimable, je suis sûr qu'elle fera œuvre cour-
toise, et je lui en saurai bon gré » ((Fuvres de Speroni, éd. de Venise,
1740, tome V, p. 371). — La réponse de Speroni est une épître de
314 vers, qui commence ainsi :
Leggo spesso ira me tacito e solo,
Dotto Ronsard, le vostre ode honorate,..
Elle n'a pas dû parvenir à Ronsard avant le 12 avril 1584, car Speroni,
qui était né le 12 avril 1500, y déclare au dixième vers qu'il a 84 ans
accomplis. On la trouvera in extenso au tome IV de ses Opère dans la
susdite édition de 1740, pp. 350 à 365 (Bibl. Nat., Z. 5762 à 5766), et à
la fin du Tombeau de Ronsard dans les éditions de ses Œuvres de
1609, 1617, 1623, avec quelques variantes. Antoine Teissier la signale
en 1715 à la fin de l'article consacré à Ronsard dans ses additions aux
Eloges tirez de l'IIist. de M. de Thon (tome III, p. 359).
P. 43, 1 21. — /ci/// le monde. La rédaction de B C, avec ses additions,
est moins claire ici que celle de A. Ce «jugement » est-il celui de Sca-
liger, ou celui de Victor et de Barga, ou celui de Speroni ? Nous pen-
sons qu'il faut interpréter ainsi : Cette opinion, à savoir que Ronsard
a rendu la langue française l'égale des langues grecque et latine, a été
1 Allusion à J. du Bellay, qui s'en est inspiré dans la Deffence.
ET r.RITTQt'K 3 t5
suivie de toute l'Europe, non seulement des peuples du Midi, mais aussi
de ceux du Nord et de l'Est.
P. 43, 1. 26. — Quintilian. Cette addition de C n'a été faite qu'après la
mort de Dorât (l"' novembre 1588), qui avait détesté mortellement
Pierre La Ramée ou Ramus (v. le Dorât de Marty-Laveaux, Notice,
pp. XXV et suiv).
Nous avons cherché vainement une Rhétorique de Ramus ornée de
citations de Ronsard. Ramus a fait paraître en 1549 des Rhetoricae
dislincliones (résumé de Gicéron et de Quintilien), où, cela va sans
dire, il n'est pas question de Ronsard. C'est seulement dans la préface
de sa Dialectique, publiée en 1555, qu'on trouve trois citations de Ron-
sard, ou plutôt des traductions en vers de Virgile et d'Horace, après
chacune desquelles il y a en parenthèses le nom de Ronsard.
Ramus a écrit, d'autre part, des Praelectiones in Audomari Talaei
Rhctoricam. La Rhctorica d'Omer Talon avait eu trois principales
éditions du vivant de l'auteur, en 1544, 1554 et 1562 (Parisiis, apud
A. Wechelum, in-8".) Après la mort de Talon (1562), Ramus, qui avait
été pour lui le plus intime des amis, commenta cet ouvrage au Collège
Royal, et le fit réimprimer avec ses propres remarques sous ce titre :
Audomari Talaei Rhetorica P. Rami praelectionibus illustrata. Editio
postrema (Parisiis, apud A. Wechelum. 1567). Or, non seulement les
adversaires de Ramus l'accusèrent de s'être attribué l'ouvrage de son
ami, malgré ce titre et un avis de Ramus au lecteur qui ne laissaient
pas place à une telle accusation, mais encore l'opinion devint courante
chez ses admirateurs que cette Rhctorica était bien l'œuvre de Ramus,
et cette opinion s'accrédita facilement, de ce fait qu'il avait publié
d'autres ouvrages de sa façon sous le nom d'Omer Talon. A cet égard,
rien n'est plus significatif que ce titre des œuvres complètes d Omer
Talon, publiées à Bâle en 1575 :, Audomari Talaei, quem Pétri Rami
Theseum dicere jure possis, opéra.
On peut expliquer ainsi que Binet ait attribué une Rhétorique à Ramus .
Mais il n'y a pas trace de citations de Ronsard dans la Rhetorica pro-
prement dite d'Omer Talon ; et, si elles existent, ce ne peut être que
dans les Praelectiones dont Ramus l'avait « illustrée ». Or je n'ai pu
me procurer ni l'édition parisienne de 1567, ni la réimpression de Bâle
de 1573, signalée par Waddington dans sa thèse sur Ramus (1856). J'ai
seulement puconsulterun opuscule intitulé Audomari Talaei Rhetorica,
e P. Rami regii professoris praelectionibus observata (Lutetiae, apud
A. Wechelum, 1572) ', et un volume intitulé Pétri Rami Veromandui,
regii professoris, Dialecticae libri duo, cum Audomari Talaei Rhetorica,
e Pétri Rami regii professoris praelectionibus observata (Francofurti,
apud Z. Palthenium, m. dc) -. Et je n'j' ai pas trouvé la moindre citation
de Ronsard.
Une dernière remarque. Peut-être Binet a-t-il fait simplement une
1. Bibl. Nat,, Inv. X. 17839.
2. Bibl. Nat., Inv. X. 17983. Ce volume et le précédent sont signalés, entre
autres œuvres d'O. Talon, dans le Répertoire des ouvrages pédagogiques du
XVI^ siècle, Bibl. Nat., 8° R. 6879, fascicule 3.
Tlh COMMENTAinE HISTORIQUE
confusion entre la Rhetorica de Talon, attribuée à Hamus, et la Rhéto-
rique fraïuyisc d'Antoine Foclin, publiée en lô'jô, dont la dédicace << à
Madame Marie Hoyne d'Escosse » contient les lignes suivantes : «... J'ay
traduit les préceptes de Rhétorique, fidèlement amassez des livres des
anciens Rhéteurs Grecz et Latins, et rengez en singulier ordre de dis-
position par Omer Talon, homme non moins excellent en cet art, que
parfait en toutes autres disciplines. A l'aveu et conseil du quel j'ay ac-
comodé les préceptes de cet art à nôtre langue, laissant toutesfois ce à
quoy le naturel usage d'icelle sembloit répugner : adjoutant aussi ce
quelle avoit de propre et particulier en soy , outre les Grecz et les Latins :
et déclarant chacun précepte par exemples et tesmoignages des plus
apronvcz autheurs de notre langue, ce que fort méthodiquement et in-
génieusement je voyois avoir esté fait par le même autheur en la La-
tine '. »
La confusion de Binet s'expliquerait d'autant mieux que cette
lihcloriqiic française parut également chez A. Wechel, que Foclin
(ou Fouquelin) était « de Chauny en Vermandois », par conséquent le
compatriote de Talon et de Ramus, enfin que, parmi « les plus aprou-
vez autheurs de notre langue » auxquels Foclin a emprunté ses exem-
ples, Ronsard figure au premier rang.
P. 43, 1- 3L — médecin. Ce sonnet de la deuxième partie des Amours
était en effet dédié à Grevin dans l'édition de 1560, et fut dédié à Patoil-
let (ou Patouillet) dans les éditions suivantes (cf. Bl. l, 208). On pour-
rait croire d'après l'exemple choisi par Binet qu'il a connu la première
édition collective de Ronsard ; je ne le crois pas, pour ma part, car s'il
en était ainsi, Binet aurait certainement profité pour sa biographie des
précieux renseignements que contient cette édition. Il a simplement
connu VOlympe de Grevin, recueil de vers qui parut en 15G0 avec le
susdit sonnet de Ronsard comme liminaire, et il a remarqué la substi-
tution du nom, en rapprochant le texte primitif de ce sonnet du texte
des éditions de Ronsard de 1584 et de 1587, qu'il possédait.
C'est un fait bien curieux que cette substitution de noms propres
dans les dédicaces des œuvres de Ronsard. Eut-elle toujours lieu « par
bonne raison », comme dans le cas de Grevin cité par Binet ? Nous ne le
chercherons pas ici. Remarquons seulement quelle fut bien plus fré-
quente que notre panégyriste ne semble le croire, et que son témoi-
gnage est quelque peu suspect, puisque, dans la première édition pos-
thume, son propre nom s'est trouvé substitué deux fois à d'autres, et
celui de son collaborateur Galland une fois.
Sans parler des noms d'amis littéraires que Ronsard changea dans
l'intérieur de certaines pièces, telles que le poème des Isles fortunées
de 1553, l'ode Nous ne tenons en nostre main de 1554, l'Hymne de
Henri II de 1555 ; sans compter les nombreux sonnets d'amour qui ont
changé d'adresse (quinze d'un coup ont passé en 1578 du second livre
des Amours consacré à Marie dans le premier livre des Amours consa-
cré à Cassandre), — voici quelques exemples de changements de dédi-
1. Bibl. Nat., Rés. X. 2534. La réimpression de 1557 porte comme nom d'au-
teur Antoine Fouquelin.
ET CRITIQUE aiT
cace, dont les uns s'expliquent, se justifient même, dont les autres me
semblent témoigner plutôt d'une certaine « inconstance d'amitié »,
surtout ceux qui ont eu lieu après la mort des intéressés :
L'ode de 1550 Si l'oiseau qu'on voit a été successivement dédiée à
Jean, puis à Abel de la Harteloire, enfin à Dorât.
L'ode de 1550 0 terre fortunée est dédiée à Julien Peccate jusqu'à
l'édition de 1578 inclus, à Des Autels dans les éd. suivantes.
L'ode de 1550 Que nul papier dorénavant est dédiée d'abord à Ch. de
Pisseleu, à partir de 1555 au seigneur de Lanques.
L'ode de 1550 Tu me fais mourir et le sonnet de 1555 E que me sert,
la Traduction de quelques epigr- grecz de 1554, l'élégie de 1554 Je veux
mon cher Paschal, l'hymne de la Mort de 1555, dédiés d'abord à Pas-
chal, le sont à partir de 1560 à Pasquier, à Muret, à Belleau, à Des
Masures.
L'ode de 1554 Du malheur de recevoir est dédiée à Revergat jusqu'à
l'éd. de 1578 inclus, à Robertet dans les éd. suivantes.
La chanson de 1560 Qui veut sçavoir Amour est dédiée à O. de
Magny dans les deux premières éditions collectives, mais à partir de
1571 à Nicolas, secrétaire du Roi.
L'élégie de 1560 Mon Lhuillier tous les arts et le sonnet de 1563
Quand Apollon auroit faict restent dédiés à L'Huillier de Maisonfleur
jusqu'à l'édition de 1571 inclus ; à partir de 1573, lélégie est dédiée à
Troussily, le sonnet à Lansac le jeune.
La Paraphrase du Te Deum, dédiée en 1565 au seigneur Boulan,
l'est à partir de 1567 à Monsieur de Valence (Jean de Monluc).
Le sonnet de 1565 Quand tu naquis est d'abord dédié à Vaumény,
à partir de 1578 à Edinton, un autre joueur de luth.
Dans la première édition posthume, J.-A. de Thou remplace De Bray
(dédicace de l'Orphée) ; Binet remplace Girard (dédicace du Rossignol)
et Brués (dédie, du sonnet de 1555 Veux tu sçavoir ) ; Galland rem-
place Troussily, déjà nommé ; Belon remplace Thevet, auquel Ronsard
avait dédié en 1560 l'ode Hardy celui qui le premier et le sonnet Si du
nom d'Ulysses.
Pour la disparition du nom de Grevin, v. la note suivante. Pour
celle du nom de Paschal, ma thèse sur Ronsard p. lyr-, pp. 125 et
suiv. Pour l'apparition du nom de Binet, ci-dessus, p. 198- — Sur cette
question, voir encore Colletet, Vj'e de Ronsard, pp. 80 et suiv., en ayant
soin de corriger ce qu'il dit de Gassot et de Choiseul, comme nous
l'avons fait ci-dessus, pp. 195-196; Blanchemain, tome V de son jRon-
sard, p. 239, note ; Marty-Laveaux, Notice sur Ronsard, p. lxxxix-
P. 43, 1- 36. — de ses escrits. Nous avons à ce sujet le témoignage de
Ronsard lui-même, dans une courte pièce qu'il écrivit à l'époque où fut
imprimée la 2^ édition collective de ses œuvres (mars 1567). En voici le
début :
Joste Grevin de mes escris
Parce qu'il fut si mal appris,
Afin de plaire au Calvinisme
(Je vouloy dire à l'Athéisme)
D'injurier par ses brocards
Mon nom cogneu de toutes parts,
2l8 COMMENTAIRE HISTORIQUE
lîl tlonl il f;usoil tant d'estime
Par son discours et par sa rime. .
(Bl.. II, 43(); M.-L.. VI, 91.)
Rlanchcmain l'a datée à tort de 1572 (pour la discussion, cf. ma thèse
sur Ronsard p. lyr., pp. 240 et 241).
C'est à partir de 1567 que le nom de Grevin disparut des œuvres de
Ronsard. Non seulement celui de Patouillet le remplaça dans le sonnet
de 1560 A Phcbus, mon Grevin, tu es du loul senddahlc, mais l'ode
Vous faisant de mon escrilure, dédiée primitivement à Cli. de Pisseleu,
puis en 1560 à Grevin, devint l'ode A (ïrujet, et le poème des Isles
fortunées mentionna Turrin au lieu de Grevin parmi les membres de
la Brigade. Quant au Discours à Grevin, que Ronsard avait écrit en
1561 pour le Théâtre de son ami, il fut sacrifié.
Grevin a certainement collaboré au Temple de Ronsard- Le témoi-
gnage de Binet, qui était son compatriote et s'entretint vraisemblable-
ment de lui avec Ronsard, ne permet guère d'en douter. Il n'y a plus de
doute si l'on songe que la pièce dont on vient de lire le début se plaint
en même temps de Florent Chrestien, l'auteur de la Seconde Rcsponsc,
qui avait paru avec le Temple de Ronsard, et si on lit attentivement
VEpistre au lecteur ' où R- a pris à partie (en octobre 1563) à la fois
FI. Chrestien et J. Grevin « ce jeune drogueur, de qui la vie ne sera
pas mauvaise descrite » (allusion au titre complet du Temple de Ron-
sard, publié dans les premiers jours de septembre 1563).
p. 43, 1. 40. — des Autels Les premiers témoignages de l'estime de Ron-
sard pour Peletier, Sceve, Heroët et Saint- Gelais setrouventdans lapré-
face des Odes de 1550 (Bl.,n, 10 et 11) ; pour Salel dans l'épitaplic qu'il
lui consaci'a en 1553 (VII, 268) ; pour G. des Autels dans le sonnet de
1552 Pour célébrer des astres devestus (I, 50). Ses œuvres en contiennent
d'autres, surtout à l'adresse de Peletier, de Saint-Gelais et de Des
Autels. Cf. ma thèse sur Ronsard p. lyr., Index. — Du Bellay les
comptait aussi parmi les ennemis du <' monstre Ignorance » ; voir la
fin de sa première préf- de l'Olive et sa Musagnœomachie, et la thèse
de H. Chamard sur J. du Bellay, Index.
P. 43, 1. 45. — Estienne Pasquier. L'omission de ce nom dans la pre-
mière rédaction est très remarquable. Peut-être fut-elle volontaire, car
les rapports entre Pasquier et Binet semblent avoir été très froids en
1585 et 1586 (v. ci-dessus, Introduction, § III, B).
La liaison de Ronsard et de Pasquier remonte à 1554, et c'est vrai-
semblablement Pasquier, avocat au Parlement de Paris et grand ami
de Sibilet, qui fit les avances. Au livre II de son Monophile, il pré-
senta Ronsard, avec du Bellay et Tyard, comme le plus grand poète
du temps pour chanter les passions de l'amour (édit. des Œuvres
de 1723, tome II, col. 771). Ronsard dédia à Pasquier un sonnet de la
Continuation des Amours (1555), devenu plus tard madrigal, qui com-
mence par E n'esse mon Pasquier iBl-, I, 157); Pasquier en dédia deux
1. Cf. Bl., VII, 136 et suiv. Cette Epistre servait de préface aux Nouvelles
Poésies, parues dans le courant d'octobre de 1563. (V. ma thèse sur Ronsard
p. lyr., pp. 209-210.,
ET CRITIQUE 3ig
à Ronsard dans ses Rimes et proses (privil. d'octobre 1555). La même
année ils échangèi'ent de curieuses lettres. Puis en 1560, Ronsard dédia
à Pasquier deux pièces primitivement adressées à Paschal, le sonnet de
1555 E que me sert, et l'ode de 1554 Tu me fais mourir (Bl-, I, 401 ;
II, 289). Signalons encore comme preuves de leur intimité et de l'ad-
miration de Pasquier pour Ronsard une pièce de vers latins, qui date
de 1575 (v. le Ronsard de Blanchemain, I,.xxv), et le livre VII fprimi-
tivement VI) des Recherches de la France, chap. vi à ix. Cf. ma thèse
sur Ronsard p. lyr., Index, au nom de Pasquier.
P. 44, 1. 4. — estre tel- Cl", ce passage de V Hymne de la Surdité de Du
Bellay :
Tout ce que j'ay de bon, tout ce qu'en moy je prise.
C'est d'estre, comme toy, sans fraude et sans feinlise,
D'estre bon compagnon, d'estre à la bonne foy.
Et d'estre, mon Ronsard, demy-sourd comme toy ;
et encore ces lignes d'une Epistre au lecteur publiée par Ronsard en
1563 : « Peu de personnes ont commandement sur moi : je fais volon-
tiers quelque chose pour les Princes et grands Seigneurs, pourveu qu'en
leur faisant humble service je ne force mon naturel et que je les
cognoisse gaillards et bien naiz, faisant reluire sur leur front je ne
sçag quelle attrayante et non vulgaire vertu. » (Bl., VII, 138.)
P. 44, 1. 15. — la Pléiade. Ces deux dernières lignes ont été emprun-
tées presque textuellement à une épître en prose que Ronsard avait
insérée en tête de son Recueil des Nouvelles Poésies public en octo-
bre 1563 ', et qu'il avait supprimée de l'édition collective de ses
Œuvres en 1578. Dans cette Epistre au lecteur, Ronsard « respondoit
succinctement à ses calomniateurs », c'est-à-dire à Florent Chrestien,
« le chrestien reformé », auteur de la Seconde Response, et à Jacques
Grevin, « le jeune drogueur » auteur du Temple de Ronsard. Il y repre-
nait, entre autres choses, un sonnet que FI. Chrestien avait « mis au
devant de sa Responce», et après avoir cité le second quatrain :
Bien qu'esloigné de ton sentier nouveau.
Suivant la loy que tu as massacrée,
Je n'ay suivy la Pléiade, enyvrée
Du doux poison de ton brave cerveau,
il commentait ainsi l'expression Pléiade enyvrée : « Je n'avois jamais
ouy dire, sinon à toy, que les estoilles s'enyvrassent, qui les veux ac-
cuser de ton propre péché... La colère que tu descharges sur ces pau-
vres astres ne vient pas de là. Il me souvient d'avoir autrefois accom-
paré sept poètes de mon temps à la splendeur des sept estoilles de la
Pleïade, comme autrefois on avoit fait des sept excellens poètes Grecs
qui florissoient presque d'un mesme temps. Et pource que tu es extrê-
mement marry dequoy tu n'estois du nombre, tu as voulu injurier telle
gentille troupe avecques moy » (édit. Bl., VII, 147)-
1. Pour cette date, voir ma thèse sur Ronsardp. lyr., pp. 209 et 210. — Blan-
chemain (Vil, 136) et ceux qui l'ont suivi ont daté ce recueil de 1564 d'après la
seconde édition.
aaO COMMENTAIRE HISTORIQUE
Ce passage, plagié par Binct, offre cet intérêt particulier qu'il nous
fixe sur la vraie valeur historique du terme de Pléiade appliqué à
l'école de Ronsard. Ce ne fut primitivement qu'une métaphore, et non
pas une appellation réelle, courante, ayant un caractère officiel ou sim-
plement public. Bien mieux, cette métaphore ne remonte pas au delà de
1556, Ronsard est le seul à l'avoir emploj^ée parmi les poètes dits « de
la Pléiade », et il ne l'a employée qu'une seule fois. C'est dans VElerjie
à Clir. de Choiscid, publiée en tête de VAnacrcon de R. Bellcau au
mois d'août 1556 '• Après y avoir rappelé que « cinq ou six poètes seu-
lement » s'étaient distingués au début du règne de Henri II, et qu'ils
furent suivis d'une « tourbe incognue de serfs imitateurs », Ronsard
compare la France poétique à une terre qui a d'abord produit une bril-
lante moisson, puis s'est reposée, se laissant envahir de mauvaises herbes,
et il ajoute ces vers :
Maintenant à son tour fertile elle commence
A s'enfler tout le sein d'une belle semence,
Et ne veut plus souffrir que son gueret oiseux
De chardons se hérisse et de buissons ronceux,
Te concevant, Belleau, qui vins en la brigade
Des bons pour accomplir la septiesme Pléiade.
Tel est le passage de 1556 auquel Ronsard a fait allusion dans son
Epislre au lecteur de 1563. On voit qu'il s'était contenté d'assimiler
métaphoriquement sept poètes français à la Pléiade alexandrine con-
temporaine des premiers Ptolémées -.
Comme l'a fort bien remarqué M''^' Evers {op. cit., p. 134), l'expres-
sion de 1563 « Il me souvient » et l'explication que Ronsard a donnée
alors du sens du mot Pléiade suffiraient à prouver que cette appellation
n'était pas généralement connue, et que par conséquent elle ne servait
pas encore à désigner l'école de Ronsard. Ce sont les poètes huguenots
qui, raillant cette métaphore de Ronsard comme un témoignage de son
orgueil, la répandirent à partir de 1563 ; si bien qu'on finit par la lui
appliquer sans moquerie, à lui et aux poètes catholiques de sa « volée »
qui « s'estoient fait apparoistre comme grandes estoilles » ^. Dès 1566,
H. Estienne emploie ce terme de Pléiade avec l'acception qu'il a
gardée jusqu'à nos jours, comme nom distinctif de l'école érudite dont
Ronsard était le chef, et il l'emploie sans explication comme un terme
que ses lecteurs devaient facilement comprendre : «... aux poètes de la
Pléiade qui sont pour le jour d'huy »; « s'il m'est permis de pleïadizer,
c'est-à-dire contrepeter le language de messieurs les poètes de la
pléiade » {Apologie pour Hérodote). On peut penser qu'à cette époque,
sous la plume de H. Estienne, qui était un ami de Th. de Bèze, ces pas-
1. La dédicace de VAnacréon de Belleau à Chr. de Choiseul est datée du 15
août. Sur l'élégie liminaire de Ronsard, voir ci-dessus, p. 195, au mot
« Choiseul ».
2. Les « sept excellens poètes Grecs » qui formaient la Pléiade alexandrine
sont : ^Eantide, Apollonius de Rhodes, Aratus, Homère le jeune, Lycandre,
Lycophron et Théocrite (cf. Suidas, tome I, p. 105).
3. Expressions de Ronsard lui-même tirées de VEpistre au Lecteur citée plus
haut Bl.. VII. 145.
ET CRITIQUE 321
sages n'allaient pas sans une pointe de malice. Mais quelques années
plus tard, en 1578, c'est sans la moindre ironie qu'il parle de « cer-
taines odes d'aucuns des poètes qui sont de la Pléiade » {Dialogues du
nouveau langage) '. A la même date paraissent les Sonets exoleriques
de G. -M. Imbert, un ancien condisciple de Ronsard et de Baïf au col-
lège de Coqueret, qui leur exprimait une admiration sans réserve et
dont le témoignage, par conséquent, ne peut pas être suspecté ; or
voici le sonnet qu'il adressait à Dorât :
Le disciple parfois en grandeur de savoir
Et en toute vertu va surmontant le niaistre:
Ce cas est advenu maintefois, et peut estre
Que le maistre candide a plaisir de le voir.
D'Aurat, ce m'est plaisir que de ramentevoir
Que Dieu m'ait fait ce bien que de me faire naistre
En ton temps, et m'ait fait de ta doctrine paistre.
Que j'ay fait par l'oreille à l'esprit recevoir.
Mais ce n'est moi qui rend ce propos véritable,
Ne méritant, d'Aurat, d'estre à toi comparable,
Ni d'estre mis au rang des disciples premiers.
Car je sçay que ne suis de la docte brigade.
Et quencor moins je suis de ceux de la Pléiade.
Qui dit que je ne sois le moindre des derniers "^ ?
Ainsi donc la dénomination de « la Pléiade » a bien existé du temps
de Ronsard pour désigner les sept meilleurs poètes de son école (lui
compris). Mais il est inexact de dire, comme l'a fait Binet, et comme
on l'a répété depuis plus de trois siècles, que c'est Ronsard lui-même
qui est l'auteur de cette dénomination, et qu'elle date du règne de
Henri IL Elle date en réalité du régne de Charles IX, et c'est aux
huguenots que nous la devons ''.
Je vais plus loin : je pense que cette dénomination ne fut même pas
très courante sous les règnes de Charles IX et de Henri III, et que c'est
1. Ces passages de H. Estienne ont été cités par L. Clément dans sa thèse sur
Henri Estienne et son œuvre française, pp. 154, 160, 169, et par M"'' Evers, loc.
cit.
2. Réimpression de Tamizey de Larroque, 1872, p. 21.
3- Je crois utile de signaler ici trois textes curieux du temps de Henri II, où
le terme de Pléiade ne figure pas, bien que sa place y fût tout indiquée, sem-
ble-t-il, s'il avait désigné dès lors l'école ronsardienne : 1° Au livre II de son
Monophile, qui date de 1554, E. Pasquier, parlant des trois meilleurs poètes
français de son temps qui aient écrit sur le sujet de l'amour (Ronsard, Du Bel-
lay, Tyart), et des autres, qui, malgré leur infériorité, « méritent grande
louange et immortalité de nom », se contente de dire « toute ceste compagnie »
(^Œuvres de Pasquier, édition d'Amsterdam, 1723, t. Il, col. 771). — 2» La
même anuée, Loys le Caron réunissait dans une pièce de sa Poésie, intitulée le
Ciel des Grâces, comme membres de la « troupe chantante », Ronsard, Saint-
Gelais, Jodelle, Sceve, Bellay, Dorât, Muret, Peruse, le Masconnois (Tyard),
Baïf, Panjas, Alcinois (Denisot), Tahureau, Des Autelz, Magny et De Mesme.
— 3° En 1556, parut à Lyon chez Thibauld Payan un volume contenant une
réédition de l'Art poët. de Th. Sibilet, une réédition du Quintil Horatian et un
Autre Art poétique réduit en bonne méthode (anonj'me), le tout couronné par un
sonnet, également anonyme, où se trouvent énumérés les « excellens poètes
François n d'alors, savoir : Ronsard, Jodelle, du Bellay, Tyard, Le Caron,
Sibilet et Denisot. Aucune trace du terme de Pléiade dans ce volume, pas même
une allusion, non plus que dans l'Art poétique de J. Peletier, paru en juin 1555.
222 COMMENTAIRE HISTORIQUE
Binet qui l'a vraiment vulgarisée par sa troisième rédaction de la Vie
de Ronsard tout à tait à la fin du xvi*^ siècle. On ne la trouve, en efl'et,
ni dans les Epithclcs françaises de Maurice de la Porte (1571), où
pourtant il est souvent question de Ronsard et de son groupe litté-
raire ; ni dans la préface de l'édition collective des Œuvres de Tyard
(1573), où celui-ci énumère les six ou sept meilleurs poètes de l'école
ronsardienne, en ajoutant que « quelques autres suivirent doctement
mesme trace » ; ni dans la préface de l'éd. coll. des Œuvres de Jodelle
par Ch. de la Mothe (1574), où pourtant l'occasion s'offrait également
belle ; ni dans les Œuvres pocliques d'Am. Jamin (1575, 1577, 1579,
1584) ; ni dans le Tombeau de Ronsard, ni dans les éloges funèbres
composés en son honneur par Du Perron, Velliard, Critton, pas plus
que dans les deux premières rédactions de la Vie de Ronsard par
Binet ; ni chez Brantôme, ni chez d'Aubigné, ni chez de Thou, ni chez
Estienne Pasquier.
Quant au terme de Brigade, à la fois plus belliqueux et plus modeste
que celui de Pléiade, on le trouve au contraire couramment employé
dans la seconde moitié du xvie siècle, et dès 1549, pour désigner Ron-
sard et le groupe nombreux de ses émules. M"e Evers, argumentant à
ce sujet contre M. Chamard, conclut que le terme brigade est toujours
employé comme non commun, et non pas comme nom distinctif
appliqué spécialement à Ronsai'd, à ses condisciples de Coqueret et à
ses amis littéraires (op. cit. .pp. 132 à 134). Je ne puis partager entière-
ment sou opinion. Evidemment dans la plupart des exemples qu'elle cite
le mot brigade est un simple synonyme de troupe : « amoureuses briga-
des de satyres «(Ronsard, Bl., II, 160), « le premier d'une tellebrigade »,
« la céleste Draine entre ceste brigade » (Dorât, M.-L., 23 et 52),
« Belleau qui vins en la brigade des bons » (Ronsard, Bl., VI, 202),
« ceste brigade de muguets ignorans » (Binet). Mais, d'abord, les deux
autres exemples invoqués par elle :
lo, j'entens la brigade,
J'oy l'aubade
De nos compaings enjouez...
Sus, conduisez d'une aubade
La brigade,
O vous, chantres honorez...
extraits des Bacchanales de Ronsard (1549), me semblent de nature à
prouver le contraire de ce qu'elle avance, car le mot brigade y est
employé absolument, pour désigner spécialement Ronsard et « la
joyeuse trouppe de ses compaignons ». Ensuite il n'est pas exact de
dire que l'interprétation du mot brigade comme un nom propre ou
distinctif « est fondée uniquement sur ces passages ». Belleau, dans
une ode qu'il écrivit en 15(30 pour le l^ livre des Recherches d'E. Pas-
quier, déplore les tristes destinées de la « brigade », qui vient de perdre
Du Bellay (éd. Marty-Lav., I, 118). En février 1553, Ronsard dans ses
Dithyrambes désigne par ce terme la troupe des poètes qui fête à
Arcueil les succès dramatiques de Jodelle (Bl., VI, 382), et il le reprend
ainsi dix ans plus tard, dans sa Responce aux injures :
ET CRITIQUE 223
Jodelle ayant gaigné par une voix hardie
L'honneur (jue l'homme (irec donne à la tragédie,
La Brigade, qui lors au ciel levoit la teste
(Quand le temps permettoit une licence honneste)
Luy fit présent d'un bouc, des tragiques le prix.
(Bl., VII, 111.)
De son côté, E. Pasquier emploie toujours le mot brigade pour
désigner l'école des poètes ronsardiens, au nombre desquels il se range
(v. par ex. Rech. de la Fr., VII, chap. vi). Sans affirmer que ces exem-
ples sont péreinptoires, on peut penser qu'ils sont assez probants pour
justifier dans une large mesure l'opinion opposée à celle de M'Ie Evers.
En tout cas, il reste acquis que l'école poétique dite « de la Bri-
gade » se composa d'abord d'une quinzaine de disciples de Dorât
rangés en 1549 sous la bannière de Ronsard et entraînés par le mani-
feste de Du Bellay ', qu'elle s'augmenta les années suivantes dun bon
nombre de poètes, dont quelques-uns très remarquables, tels que Des
Autels, Tyard, Magny, Jodelle, La Péruse, Belleau, Tahureau, et qu'en
peu de temps la petite troupe primitive devint légion. C'est pour
réagir contre cette invasion d'imitateurs, dont les médiocres risquaient
de compromettre la gloire de son école, que Ronsard distingua une
élite dans la Brigade dès 1553. C'est dans l'élégie A J. de la Péruse
qu'il fit connaître cette élite, assez discrètement d'ailleurs, savoir :
Du Bellay, Tyard, Baïf, Des Autels, Jodelle et La Péruse -. Ce dernier
étant mort dans le courant de 1554, Belleau vint à sa place « en la bri-
gade des bons », pour parfaire le nombre des sept étoiles qui dans
l'esprit de Ronsard formaient un groupe comparable à celui de la
Pléiade alexandrine (v. ci-dessus, p. 220).
Et l'on voit que la composition de la Pléiade française diffère sensi-
blement de celle qui est traditionnelle. Dorât n'en faisait pas partie,
pour cette raison bien simple qu'il écrivait presque toujours en grec et
en latin ; on le mettait en dehors et au-dessus ; on lui réservait le titre,
d'ailleurs mérité, de << père des poètes » ^. Mais ce qui est surtout
curieux, c'est que Ronsard, voulant y faire entrer Jacques Peletier
après la publication de VArl poétique (juin 1555), lui sacrifia Des
Autels, qu'il estimait pourtant d'une façon toute particulière. Nous
avons la preuve de cette substitution dans huit vers de l'Hymne de
Henri //, qui parurent dans la deuxième moitié de 1555 et furent con-
servés dans l'édition collective de 1560 :
Non je ne suis tout seul, non, tout seul je ne suis.
Non je ne le suis pas qui par mes œuvres puis
1. Cf. Chamard, thèse sur J du Bellay, pp. 47 à 49 ; Laumonier, thèse sur
Ronsard p. lyr., pp. 49 à 51.
2. Cf. Bl., VI, 43 à 45. A la même époque d'ailleurs Ronsard publiait le
poème des Iles fortunées, où il faisait entrer dans sa « chère bande » plus de
quinze poètes, outre les sept de l'élégie A J. de la Peruse, peut-être pour atté-
nuer l'effet de ses exclusions. (V. mon Ronsard p. lyr., p. 110.)
3. Cf. A. de Baif, éd. Marty Laveaux, II, 440.
224 COMMENTAlBE HISTORIQUE
Donner aux grands Seigneurs une gloire éternelle :
Autres le peuvent faire, un Bellay, un Jodelle,
Un Baïf, Pelletier, un Belleau et Tiard,
Qui des neuf Sœurs en don ont reçu le bel art
De faire par les vers les grands Seigneurs revivre.
Mieux que leurs bastimcnts, ou leurs fontes de cuivre '.
Telle fut la vraie composition de la Pléiade française, avec ses varia-
tions, de 1553 à 1560. Du Bellay mort, il est possible que Dorât
« poeta et interpres regius » ait passé pour la septième étoile aux yeux
des huguenots, quand ils disaient « messieurs de la Pléiade » en par-
lant de leurs adversaires poètes. Mais, dans tous les cas, Binet, qui eut
d'ailleurs grandement raison de compter Du Bellaj^ parmi les « sept »,
eut tort de sacrifier Des Autels ou Peletier, pour pouvoir faire figurer
Dorât dans ce nombre- Malheureusement son témoignage a prévalu. Sa
liste, composée quelque peu arbitrairement, se retrouve, dans un ordre
dififérent mais avec les mêmes noms, sous la plume de Ménage : Ron-
sard, Du Bellay, P. de Tyard, Jodelle, Belleau, Baïf et Dorât (Ofeser-
vations sur les Poésies de Malherbe, 1GG6, p. 396). Elle a fait autorité
jusqu'à nos jours, et l'on sait que la Collection de la Pléiade française,
publiée par Marty-Laveaux, comprend les pauvres vers français de
Dorât, qui était avant tout un poète grec et latin.
Je ne cite que pour mémoire cette autre liste tout à fait fantaisiste
d'un ancien commentateur de Ronsard : « L'excellente Pléiade des
esprits de sou temps, d'Aurat, du Bellay, Belleau, Baïf, Jodelle, Se. de
Saincte-Marthe, Muret, et nostre Poëte par dessus tous ». Telle est
l'interprétation que Nicolas Richelet a donnée de l'expression « la
Musine troupe », employée par Ronsard dans l'ode fameuse où il
convie ses amis à fêter la publication des Anacreontea par H. Estienne
(éd. de 1604, tome II, ode xv du cinquième livre des Odes) :
Fay moy venir d'Aurat ici
Fais y venir Jodelle aussi
Et toute la Musine troupe.
Richelet ne connaissait ni la date de la composition de cette ode, ni
les transformations subies par ce texte. Voici en effet la leçon primi-
tive {Meslanges de 1554) :
Fai moi venir d'Aurat ici,
Paschal, et mon Pangeas aussi.
Charbonnier et toute la troupe....
et la variante de la première édition collective des Œuvres (1560) :
Fai moi venir d'Aurat ici,
Grevin, Belleau, Baïf aussi.
Et toute la Musine troupe.
1. On chercherait vainement ces vers dans les éditions de Blanchemain et de
Marty-Laveaux ; supprimés par Honsard, ils n'ont reparu qu'en 1905 dans la
Reu. d Hist. litl., n" d'avril- juin, p. 256. Ils étaient insérés avant celui-ci :
Mais quoi. Prince, on dira que je suis demandeur...
(Bl., V. 79 ; M.-L., IV, 199.)
ET CRITIQUE 2 25
En 1567, Grevin fut remplacé par Gruget, et c'est seulement eu 1578
que Ronsard établit le texte qui parvint à la connaissance de Richelet.
11 ressort de ce simple tableau comparatif que « la Musine troupe ))
désigne la Brigade et non pas la Pléiade.
Quant à la liste elle-même de la Pléiade dressée par Richelet, elle
est trois ou quatre fois erronée : d'abord elle comprend une étoile de
trop ; ensuite elle admet Dorât et exclut Tyard ; enfin on y voit figurer
Muret, qui, chassé de France à la fin de 1553, semble avoir perdu
quelque temps la sympathie de Ronsard et d'ailleurs n'avait aucun
titre à l'honneur que lui a fait Richelet, et Se. de Sainte-Marthe, qui
ne fut guère connu de Ronsard avant 1569, année de la publication de
ses Premières Poésies (v. ci -dessus, p. 213), et dont le chef-d'œuvre, la
Paedutrophia, publié au complet seulement eu 1584, est un poème
latin.
Par malheur, cette liste de Richelet a influencé certains critiques du
xixe siècle, notamment Sainte-Beuve, qui a écrit ces lignes regretta-
bles : « Par une sorte d'apothéose, Ronsard imagina une Pléiade
poétique, à l'imitation des poètes grecs qui vivaient sous les Ptolé-
mées ; il y plaça auprès de lui Dorât sou maître, Amadis Jamyn son
élève, Joachim du Bellay et Remy Belleau ses anciens condisciples,
enfin Etienne Jodelle et Pontus de Thiard, ou par variante Se. de
Sainte-Marthe et Muret. La vénération du siècle s'empressa de consa-
crer cette constellation nouvelle. » {Tableau de la p. fr. an XVI'^ s.,
éd. courante de Charpentier, p. 64.) On peut ne voir qu'une faute
d'impression dans l'absence du nom de Baïf, que Sainte-Beuve partout
ailleurs a mis au rang des « sept » ; mais, outre les erreurs déjà signa-
lées, on en trouve là une autre qu'il est difficile d'expliquer : c'est la
présence d'Amadis Jamyn, dont les Œuvres poétiques, d'ailleurs très
estimables et trop dédaignées de nos jours, parurent pour la première
fois en 1575.
P. 44, 1. 28. — envoyée. La Paedotrophia de Se. de Sainte-Marthe est un
poème didactique de quinze cents vei's latins, divisé en trois livres,
qui traitent, le 1'-'" du régime que doit suivre la femme enceinte et de
l'accouchement, le 2^ des soins à donner au nouveau-né, le 3*-' des
remèdes contre les maladies de l'enfance. Il est agrémenté d'épisodes
à la façon des Géorgiques. Publié au complet en 1584 (Paris, Mamert
Pâtisson ; dédicace à Henri III), il eut un très vif succès. On alla jus-
qu'à dire en Italie comme en France que Virgile en eût été jaloux. Dix
éditions se succédèrent du vivant de l'auteur, et dix autres après sa
mort. Ce poème devint classique : il fut commenté et traduit dès la fin
du xvie siècle dans plusieurs universités de l'Europe. — Pour la bi-
bliographie, v. ci-dessus, p. 213, aux mots« Scevole de Sainte-Marthe ».
P. 44, 1. 33. — le divin Fracastor. Bembe, c'est le cardinal vénitien
Pietro Bembo, chef de l'école cicéronienne et des néo-pétrarquistes,
mort en 1547. Entre autres œuvres latines et italiennes, en prose et en
vers, il a laissé un livre de Carniina, publié en 1548 à Venise, et
réédité en 1549 et 1552 à Florence (Torrentino) avec les poésies latines
de Navagero, Castiglione, Gotta et Flaminio, sous le titre Carmina quin-
que illustrium poetarum. C'était un des auteurs de chevet de Ronsard.
VIE DE p. DE RONSARD. 15
2 26 COMMENTAIRE HISTORIQUE
D après G. Colletet, Ronsard avait « marqué et annoté de sa main
propre » un exemplaire des <i diverses rj'mes italiennes » du cardinal
Bembo [Vie de Ronsard, publiée par Blanchemain, p. 58i. La forme
Bembe est courante au xvic s- (v. par ex. Du Bellay, Dejfence, éd.
Chamard, pp. 162 et 329 ; E. Pasquier, Recherche de la Fr., VII,
chap. IV, début).
Naugere, c'est Naugerius, nom latin du poète et ambassadeur
vénitien Andréa Navagero, qui a laissé un livre de poésies latines
publié sous le titre de Lusus un an après sa mort, en 1530 (Venise,
J. Tacuiuo). Les poètes de la Brigade l'ont beaucoup imité, surtout
Du Bellay, Ronsard et Baïf. Voir VEpitaphc d'André Nauger, au
3« livre des Passetems de Baïf (éd. Martj'-Lav., tome IV, p. 331) ; la
thèse de H. Chamard sur J. du Bellay et ma thèse sur Ronsard p- lyr-,
Index.
Fracastor, c'est le médecin-poète de Vérone, mort en 1553. Entre
autres œuvres latines, il a composé un poème en trois livres, intitulé
Syphilis, sive De morbo gallico et dédié au cardinal Bembo. Ce poème
eut un succès prodigieux en Italie et à l'étranger. Ronsard compte
Fracastor parmi les bons poètes latins : « De nostre temps, dit-il dans
la préface posthume de la Franciade, Fracastor s'est montré très
excellent en sa Syphilis, bien que ses vers soient un peu rudes ».
(El , III, 22.)
P. 44, 1. 39. — un tel homme. Blanchemain a publié cette lettre en
1867, d'après une « copie » communiquée par un « amateur » (éd. de
Ronsard, VIII, p. 174). — A. de Rochambeau en 1868 a joint au texte
de Blanchemain rectifié un fac-similé de l'original [Famille de Ron-
sart, p. 8). — Enfin Marty-Laveaux a donné de ce fac-similé une
transcription meilleure mais encore fautive (éd. de Ronsard, VI,
p. 485). — Nous la reproduisons avec de nouvelles corrections ^ :
« Bons dieux ! quel livre m'avez-vous donné de la part de monsr de
S'e Marthe. Ce n'est pas un livre, ce sont les Muses mesmes, j'en jure
tout nostre mystérieux Helicon, et s'il m'estoit permis d'y assoir mon
jugement je le veulx préférer à tous ceulx de mon siècle, voire quand
Bembe et Naugere et le divin Fracastor en devroient estre courroussez,
car, ajoignant la splendeur du vers nombreux et sonoreux à la belle et
pure diction, la fable à l'histoire, et la philosophie à la médecine, je di
deus deus ille Menalca et le siècle heureux qui nous a produit un tel
home. C'est assez dit, je m'en vais dormir. Je vous donne le bon soir.
Ronsart. »
Se. de Sainte-Marthe, auquel Baïf avait communiqué cette lettre dès
1584, la traduisit en latin et la fit imprimer comme une glorieuse pré-
face, en tête de toutes les éditions postérieures de la Paedolrophia
(y compris celles des Poëmatc, 1587, 1596, 1606, etc). Voici cette
traduction telle qu'on la trouve dès la seconde édition, publiée en 1585
(Poitiers, J. Blanchet) :
1. Je lis dieux au lieu de Dieux ; Muses au lieu de muses ; nostre mystérieux
au lieu de mon mystérieux ; devroient au lieu de devroit ; ajoignant au lieu de
joignant ; deus deus au lieu de Deus, Deus ; Ronsart au lieu de Ronsard.
KT CIUTIOLE
Ex epistola P. Ronsanli ad J. Ant. Buïfiuni- DU boni, qiiem milii
librum niisisli a nostro Sammarthano conscriptum ! Non liber est,
siint ipsacMiisae: lotnm noslriini Ilelicoint testent appello. Quin et si de
eo judicium mihi concessiini sit, velini equidem illum omnibus hujus
seculi poëtis anteponerc : vel si Benibus, Naiigerius, diuinusque Fracas-
torius aegre laturi sinl- Diim enim perpcndo qnàm apte suavitatcm
carminis parue tersaeque dictioni, fabulum hisloriae, philosophiam
arli mcdicae conjnnxerit, libet cxclamare — deus, deus ille Menalca,
seculiunque isliid felixdicere, quod nobis talem, lantiimque viruni pro-
tulerit.
Ainsi Binet n'a pas été le premier à pulilier le jugement de Ronsard
sur la Puedoirophia. Bien mieux, il semble que, après avoir reproduit
en 1587 certaine tournure elliptique et obscure de l'original commu-
niqué par Bail, il ait eu recours en 1597 au latin élégant de Sainte-
Marthe pour éclairer et arrondir la dernière partie de sa citation.
P. 45, 1. 1. — fonteine Bellerie. Ce n'est pas un nom de fantaisie.
D'après un acte notarié du 11 mai 17G5, Robert Lorin, prêtre, « baille
à ferme une pièce de terre tant en nature de pré ou noue fauchable que
chenevril enclos de hayes vives en dépendantes situées au lieu de la
Bellerie, paroisse de Couture, près ledit lieu des Pastils (autrement
nommé le Vauméan), près le chemin qui conduit de Couture aux
Essarts- » Dans un autre acte du 24 mai 1777, il est question de la
Maugarierie proc/ie f/e Z« /?e//er/e (Archives dép. du Loir-et-Cher). —
Le cadastre de la commune de Couture mentionne aussi la terre de la
Bellerie. Mais les habitants de cette commune disent par corruption
la ferme de la Belle Iris, croyant à une vague tradition locale d'après
laquelle Ronsard aui'ait fréquenté ce lieu avec l'une de ses maîtresses
(peut-être faut-il voir l'origine de cette tradition dans l'ode Je veux,
Muses aux beaux yeux, où le poète dépeint Cassandre dormant nue
au bord de la fontaine Bellerie;.
Quant à la « fontaine » même, elle jaillissait d'un antre creusé dans
le tuf, que l'on aperçoit encore au fond de la cour de la dite ferme,
située à trois ou quatre cents mètres à l'est du manoir de la Possonnière.
Elle existe toujours, mais elle est captée et a perdu tout son charme.
On voit seulement à l'entrée de la ferme un déversoir de la source,
entouré de peupliers, d'où elle fuyait vers le Loir, à la limite orientale
des Fiefs Communs- Avant un éboulement de tuf survenu en 1870, elle
formait encore au seuil même de son antre une nappe d'eau courante
qui servait de lavoir aux gens du Vauméan, et de rendez-vous l'été pour
les veillons (veillées; cf. réveillon). — On ne doit pas la confondre
avec une autre source, dite du Haul-Vauméan, située au delà de ce
hameau, à droite de la route de Couture aux Essarts, captée aussi,
mais à ciel ouvert, et bordée d'acacias, au demeurant presque tarie.
On voit ce qu'il faut penser de l'assei'tion de l'abbé Simon, d'après
lequel la fontaine Bellerie aurait été dédiée à Belleau par Ronsard et
aurait pris son nom de lui {Hisl. de Vendôme, III, 533) ; c'est une opi-
nion d'autant plus fausse qu'en 1550 Ronsard ne connaissait pas encore
Belleau et que cependant il fit alors paraître deux odes A la fontaine
Bellerie ; je ne l'aurais même pas relevée, si elle n'avait pas reparu
■J2S COMME.NÏAIHE HISTOniQUE
dans la Vie de Ronsard queBlanchemain a placée en tête du tome VIII
de son édition, p. oO, note 1, et dans l'étude historique de F de Nolhac
sur Hélène de Surgères (tirage à part, p. 29).
P. 45, 1. 5. — en nous. Cf. l'odelette A la forest de Gastine ; pour l'idée,
le Dialogue des Orateurs de Tacite, cliap. xii.
P. 45, 1. 9. — naturellement. Sur Meudon, voir ce que Ronsard a écrit
dans sa 3*^ églogue, intitulée C/ian/pa.s/o/a/ .sur /es nopcesde Mgr Charles
duc de Lorraine (Bl., IV, pp. 55 et suiv.). Il en faisait venir le nom de
« l'antique Méduse » (El., V, 96). — Quant à Hercueil, dont il faisait
venir le nom d'Hercule, c'est Arcueil ; voir ce qu'il en a dit ainsi que
de sa « fontaine » dans les Bacchanales (El., VI, pp. 372 et suiv.), et
dans le texte primitif de l'ode J'ag l'esprit tout ennuyé (v. ma thèse sur
Ronsard p. Igr., p. 572).
P. 45, I. 12. — d Tours. Allusion à cinq sonnets que Ronsard a publiés
en 1578 et que Einet lisait dans l'éd. collect. de 1584 avec les titres
suivants :
1. A Monstr'' le duc de Touraine. François de France, fils et frère de
Roy, entrant en la maison de l'Autheur.
2. Audit seigneur duc, entrant en son jardin.
3. Audit seigneur duc, entrant dedans son bois.
4. Audit seigneur duc, luy présentant du fruict.
5. Audit seigneur duc, faisant son entrée à Tours.
François d'Alençon, frère du roi Henri III, avait été investi, à la paix
de Eeaulieu dite de Monsieur (mai 1576), des duchés d'Anjou, de
Touraine et de Eerry. Sur son entrée solennelle à Tours, qui eut lieu le
28 août 1576, et sur la part que Ronsard y a prise, v. Marty-Lav., Notice
sur Ronsard, pp. lxxxv et cxxii ; L. Dorez, Comptes rendus de VAcad.
des Inscriptions, séance du 8 janvier 1904, p. 18. Les sonnets que
Ronsard écrivit pour la circonstance, et lors des visites du prince au
prieuré de St-Cosme, sont dans l'éd. B1.,I, 422-23; V, 320-23; et dans
l'éd. M.-L., II, 4 à 7. Mais M.-L. a eu tort d'écrire que « la maison
de l'Autheur » mentionnée en tête du premier de ces sonnets est « le
manoir de la Poissonnière » (II, p. 465, note 3).
p. 45, I. 15. — ce qui venoit de luy. Allusion au sonnet de Ronsard
Au rog Charles IX luy présentant des pompons de son jardin : « Eien
que Bacchus... », que Binet lisait avec ce titre dans léd. collective
de 1584 (cf. éd. M.-L., II, 23). Ce sonnet faisait primitivement partie
d'un groupe de cinq sonnets que Ronsard écrivit en novembre 1565 au
prieuré de St-Cosme, lorsqu'il y reçut la visite de Catherine de Médicis
et de ses fils Charles IX et Henri d'Anjou (le château du Plessis, où
résidait la Cour, était tout proche du dit prieuré). Ils ont paru pour la
première fois en 1567, groupés dans l'ordre et avec les titres suivants :
1. Au Roy : Bien que Bacchus soit le prince des vins
2 A la Royne : De mon présent moy-mesme je m'estonne
3 Au Roy: Le grand Hercule avant qu'aller aux cieux
4. A la Royne : Vous qui avez forçant la destinée
5. A Monsieur : Prince bien né la seconde espérance... ;
El. les a réédités en les séparant (V, 306, 310, 314-15) et a fait suivre le
3e (qui devient chez lui le l'-f) de cette suscription fantaisiste : « L'Au-
ET CRITIQUE 33f)
theur le recevant en sa maison de la Poissonnière ». l» Cette suscription
n'existe dansaucune des éd. contempor.de Ronsard, et quand ce sonnet,
supprimé en 1578, reparut en 1617 Recueil des pièces retr-, p. 91), il
n'eut derechef que ce simple titre : Au Roy. 2" On lit très nettement
au 6* vers dans les trois éd. coUect. de 1567, 1571 et 1573 :
Loire en ses flots vos Majestez admire
au lieu de la leçon de Bl. : «Loir en ses flots... )> 3" Le quatrième de ces
sonnets nous apprend que la Reine mère et ses fils sont venus visiter
Ronsard dans une maison qu'ils lui ont donnée « en faveur des Muses ».
Il s'agit donc, non pas de la Possonniére, qui d'ailleurs n'était pas
« sa maison », mais bien du prieuré de St-Cosme-en-l'Isle près de
Tours, dont le poète avait pris possession précisément en 1565, au
mois de mars.
Marty-Lav- a publié le sonnet Le grand Hercule..., au tome VI de
son éd., p. 257, sans lasuscription de BI., maisavec la même erreur du
6" vers : « Loir en ses flots... ». J.-J. Jusserand, tout en reconnaissant
que Ronsard ne fut jamais propriétaire de la Possonniére, s'est laissé
tromper par Bl. et M.-L., car il a raconté que le poète eut une fois la
permission d'y recevoir Charles IX, et a cité comme preuve le son-
net Le grand Hercule. (Nineteenth Centurj', April 1897, p. 603.)
Quant au goût très vif de Ronsard pour le jardinage, il apparaît en
plusieurs autres endroits de ses œuvres, qui ont pu servir de sources
à Binet : v. par ex. le poème de la Lyre et celui du Chat publiés en
1569 (Bl., VI, pp. 54 et 69), et cf deux pièces d'Am- Jamin, une ode
pindarique intitulée: Pour un laurier planté par M. de Ronsard en un
lieu nommé Croix-val (v. mon article des Annales Fléch de sept. 1906),
et un sonnet liminaire du Sixiesmc livre des Poëmes de Ronsard
(1569) :
Fait nouveau mesnager, mon Ronsard, ton plaisir
N'estoit que rebastir et régler ton mesnage.
Planter, semer, enter, aimer le jardinage
Et la vie rustique avant toutes choisir...
Ces deux pièces avaient été recueillies dans les trois éd. collectives des
Œuvres Poct. de Jamin (1575, 1577, 1579), au 5^ livre, où Binet a
pu les lire.
P. 45, 1. 20. — s'il ne parlait à eux. Pour ces deux dernières phrases,
voirie sonnet: Je veux lire en trois jours l'Iliade d'Homère (Bl., I,
413) ; l'ode du livre II : J'ay l'esprit tout ennuyé (II, 162j ; le poème
A. P- UEscot et le discours A Jacques Grevin (VI, 189 et 312) ; la
Responce aux injures, vers 513 et suiv. (VII, 112-13).
P. 45, 1. 42. — Mauduit. Cette incidente ne se trouve que dans l'in-folio
de 1609 ; elle n'est même pas dans l'édition in-12 de la même année.
— Sur le musicien Mauduit, voir ci-dessus, pp. 192 et 193.
P. 45, 1- 46. — sans vie. La principale source de cette addition est cer-
tainement ce passage de ïAhbr. de l'A. P. : «... tu feras tes vers mascu-
lins et fœminins tant qu'il te sera possible, pour estre plus propres à
la Musique et accord des instrumens, en faveur desquels il semble que
r.OMMKNT MllK IlISTOIU(>LE
la Poi'sie soit née : car la Poësie sans les instrunicns, ou sans la grâce
d'une seule ou plusieurs voix, n'est nullement aggreable, non plus que
les instrumens sans ostre animez de la mélodie d'une plaisante voix ».
^Bl.. Vil, 320.1 Mais Binet s'est également souvenu d'un avis en prose
sur les vers saphiques, édité en 1587, où Bonsard dit que les ins-
trumens « sont la vie et l'ame de la Poésie » (II, 376), et peut-être
aussi de Vllijmnc de France où il exalte n la Poésie et la Musique
sœurs », en même temps que les tL'uvres de nos peintres et de nos
sculpteurs (V, 287-88). Voir encore l'ode de ses débuts A son Luc, où il
se déclare un admirateur passionné de la musique et de la peinture
(11,395-90); les odes Bien que le repli de Sarle, et Tableau que
Velenielle gloire (II, 339 et 410) ; un passage de l'Hymne du Card. de
Lorraine sur les concerts donnés par Ferabosco, et un sonnet à la
louange du luthiste Vaumeny (V, 96 et 341) ; l'épitaphe d'Albert
Bipe, autre luthiste, célèbre à la cour de François Fr, et surtout la
préface des Mcslanges musicaux (VII, 247 et 337-40)- Cf. Ch. Comte et
P. Laumonier, art. sur Ronsard et les Musiciens du XVh s. dans la
Rev. d'IIisl. lin. de juin 1900; J. Tiersot, op. cit.
P. 46, 1. 2. — en jugeront. V. ma thèse sur Ronsard p- lyr., première par-
tie, chap. V, § 3 : Ronsard aristarque de ses œuvres- — Binet me semble
s'être souvenu ici d'un passage de Quintilien, Inst- Orat., liv. X, § 4:
« Et ipsa emendatio finem habeat. Sunt enim qui ad omnia scripta
tanquam vitiosa redeant... Sit ergo aliquando quod placeat aut certe
quod sufficiat, ut opus poliat lima, non exterat. »
p. 46, 1. 9. — le sien. C'est également l'opinion de l'historien J.-A. de
Thou qui estime Ronsard « post Augusti aetatem poeta praestantissi-
mus » \Hist.. XXXVII, éd. de 1733, tome II, p. 435).
P. 46, 1. 25. — unique. Même opinion dans G. Critton, v. ci-dessus,
p. 107, deuxième alinéa; Du Perron, Or- fun. (voirie Ronsard de
Bl., VIII, 191) ; Pasquier, Recherches de la Fr., VII, ch. vi : « Davan-
tage, Pétrarque n'écrivit qu'en un sujet, et cetui en une infinité : il a en
nostre langue représenté uns Homère, Pindare,Theocri te, Virgile, Catulle,
Horace, Pétrarque, et par mesme moyen diversifié son style en autant
de manières qu'il lui a plu, ores d'un ton haut, ores moyen, ores bas... »
P. 47, 1. 5. — recherchées. La plupart de ces expressions et celles que
Binet ajoute en B se trouvent dans la préface posthume de la Fran-
ciade : «... les illustrant de coniparaisons bien adaptées, de descrip-
tions florides, c'est-à-dire enrichies de passcmens, broderies, tapisse-
ries et enlrclassemens de fleurs poétiques »; «... l'enrichissant d'epi-
thetes significatifs et non oisifs, c'est-à-dire qui servent à la substance
des vers » ; « les autres... d'artifice et dun esprit naturel, elabourc par
longues estudes... descrivcnt leurs conceptions d'un style nombreux,
plein d'une vénérable majesté comme a faict Virgile en sa divine
iEneide » ; « il ne se faut esmerveiller si j'estime Virgile plus excellent
et p/us rontZ, p/us serré et parfait que tous les autres » (BL, III, 16,
18, 22, 23).
P. 47, 1. 10. — curieux. Voir ci-dessus, pp 110 et 111, aux mots « Rose
de Pindare ».
p. 47, 1. 18. — nombreux et sonoreux. Source: la lettre de Honsard à
ET CRITIQUE sSl
Baïf (v. ci dessus, p. 44, 1. 29) ; la preuve, c'est qu'en 1597 la variante de
la lettre, nombreux et sauoureux, apparaît également dans ce passage.
P. 47, 1. 24. — le miel lotit sien. Sources : 1" Argument du lei' livre de
la Franciade par Am. Jamin : « II ressemble à labeille, laquelle tire
son profit de toutes les fleurs pour en faire son miel. » (Bl.. III, 41.)
2" Fin du poème cVHylas: « Mon Passerai, je ressemble à l'abeille...
(Bl., VI, 144.) 3° Fin d'une épître au Cardinal de Lorraine: «Tout ainsi
que l'abeille... » (Ibid ,291.) 4" Essais de Montaigne, I,ch. xxv-: «Les
abeilles pillotent deçà delà les fleurs : mais elles en font après le miel,
qui est tout leur ». — Cette comparaison, très employée au xvi" siècle,
remonte àPindare par Sénèque, Horace, Lucrèce et Platon. Lemaire de
Belges avait terminé le premier livre de ses Illustrations de Gaule par
ces vers de Lucrèce :
Floribus ut apes in saltibus omnia libant,
Omnia nos itidem decerpsimus aurea dicta.
P. 47, 1. 27. — perfections. Source : Epifre au Lecteur de 1550, déjà
citée : « Je suis de cette opinion que nulle Poésie se doit louer pour
acomplie si elle ne ressemble la nature, laquelle ne fut estimée belle
des anciens, que pour estre inconstante, et variable en ses perfections. »
(Bl.. II, 12; texte rectifié par M.-L-, II, 476.)
p. 47, 1. 38. — sa Poésie. Une comparaison tout à fait analogue se
trouve au début du Discours à Louys Des Masures, qui servait d'épi-
logue au tome III (fin des Poèmes) de la première éd. collective (1560).
Voir Bl., VII, 49, et ma thèse sur Ronsard p. lyr., p. 198.
P. 48, 1. 19. — devins. Binet veut dire : «... quoique les poètes aient été
appelés vates et devins par les Anciens ». Le mot latin vates avait été
francisé par Bonsard dans l'Hymne de Bacchus (Bl., V, 234-35).
Ce passage tendrait à faire croire que Binet a préparé sa 3^ édition
dès avant la date de la mort de Henri III (1er août 1589). Mais on ne
s'explique pas qu'en 1597 il ait laissé ces lignes, démenties par les
faits. A cette date, on ne pouvait plus dire que la prédiction de Bon-
sard " n'était encore manifeste qu'au Ciel x. Pour une inadvertance du
même genre, v. ci-dessus, p. 174, au mot " régnant ».
Nous devons ici noter une erreur d'Est. Pasquier écrivant en 1598
que Ronsard avait prophétisé le règne de Henri IV dès la naissance de
ce roi, erreur qui montre une fois de plus combien alors on était peu
curieux de la chronologie, mais préoccupé de faire des phrases. Voici
ce qu'on lit au livre XVI des Lettres de Pasquier, lettre vu, col. 478:
« Comme dans les grands Poètes le Ciel influe quelquefois un esprit
de prophétie: aussi notre grand Ronsard des vostre naissance, y ayant
lors six testes qui avoient le devant de vous à la Couronne, prophétisa
et vostre future Royauté, et ceste reformation générale de vostre part,
dans un sonnet qu'il vous adressoit, sous le nom de Duc de Beaumont
que portiez lors, dont y a quatre vers de telle teneur :
Quand l'aage d'homme aura ton cœur attaint,
S'il reste encor quelque train de malice (trac, dit Ronsard)
Le monde adonc, ployé sous ta police,
Le pourra voir totalement estaint. »
a32 C.OMMK.MAIIU: HlSlOlUgLE
Or ce sonnet, publié en octobre 1552 dans la première éd. des Amours,
tut écrit pour la naissance du fils aîné d'Antoine de Bourbon, Henri
duc de Boaumont-nu-Maine, né le 21 septembre 1550 et mort le 20 août
1552; Ant. de Bourbon eut un second fils, Louis-Charles, comte de
Maries, né le 19 fcvr 1552 et mort la même année; un troisième fils
lui naquit le 13 décembre 1553, Henri, et ce fut celui-là qui devint
Henri IV.
L'erreur de Pasquicr, reproduiteparBIanehemain (V, 318), s'explique
par une fausse interprétation de ce titre équivoque qu'on lit dans les éd.
de Ronsard à partir de 1584 : «Sur la naissance du duc de Beaumont,
fils aîné du duc de Vendôme et Roj' de Navarre». — Les premiers vers,
et les seuls, à vrai dire, que Ronsard ait adressés à Henri de Bourbon
datent de son mariage avec Marg. de Valois (août 1572), et il se serait
bien gardé alors de faire la moindre allusion à la possibilité de son
avènement au trône de France (Bl., V, 319). C'est seulement dans un
poème élégiaque, le Caprice à Simon Nicolas, écrit à la fin de 1584,
alors que le dernier fils de Henri H, François d'Anjou, venait de
mourir (juin 1584), et que son avant-dernier fils, Henri HT, avait la répu-
tation de ne pouvoir être père, c'est seulement dans ce poème (resté
inédit jusqu'en 1609) que Ronsard appela de tous ses vœux le règne
du prétendant huguenot Henri de Bourbon, qui était devenu le plus
proche héritier de Henri III (Bl., VI, 330).
On voit à quoi se réduit la prophétie de Ronsard relative au futur
Henri IV. Le Caprice et le fragment de la Loi) divine cité par Binet
prouvent simplement qu'après avoir soutenu le parti des (Catholiques
pendant tout le règne de Charles IX, notre poète s'était rallié dans les
dernières années de sa vie au parti des Politiques. Sur ce point ont vu
juste Gandar, thèse fr., pp. 129-32, et Perdrizet, Ronsard et la
Reforme, pp. 131 à 139.
P. 48, 1- 27. — à ton honneur. Comme on le voit, <( l'eschantillon » du
poème ne commençait qu'après ces huit vers en 1587. Binet ne les avait
pas publiés alors par respect pour Henri III, qui régnait encore. Mais
quand Henri de Navarre fut devenu roi de France (février 1594), Binet
n'eut plus le même scrupule, et il publia le fragment complet à la fin
d'un ouvrage intitulé Les Destinées de la France (Paris, J. Met-
tayer, 1594, in^"). Cf. tome VIII de l'éd. Bl., p. 89, et Brunet,
Manuel du Libraire, 5c édition, tome IV, p. 1386. Ces huit vers parais-
saient donc pour la deuxième fois en 1597.
P. 48, 1. 53- — il s^approche. Tout ce fragment a été réimprimé avec
d'autres à la fin des Œuvres de Ronsard, dans les éditions de 1617 et
de 1623, où les éditeurs du xix** siècle l'ont pris. (Bl., VII, 280; M.-L.,VI,
271.) Il y était suivi d'une note anonyme (probablement de Claude
Garnier), que ces éditeurs ont reproduite sans en faire remarquer
l'incohérence. La voici telle que je la lis dans l'éd. de 1617 (tome
supplémentaire des « pièces retranchées », p. 385) : « Ces vers qui
semblent un oracle par Monsieur C. Binet Beauvaisin après la mort de
Ronsard, ce qu'il n'avoit osé faire imprimer du vivant de Henri 3, ont
été donnez à un autre Beauvaisin qui les a conservés à la postérité. »
Il est évident qu'un mot est tombé à l'impression après oracle : Bl.
ET CKllIQUF. 333
rétablit le mot publiez ; M-L. le mot donnez. Mais cette correction,
que d'ailleurs ils n'ont pas signalée, laisse la phrase obscure et l'asser-
tion inexacte. Si l'on a voulu désigner tout le fragment — et cela paraît
certain — on s'est trompé, puisque Binet la fait imprimer en 1587, du
vivant de Henri III, sauf les huit premiers vers, qu'il a publiés seu-
lement sous le règne de Henri IV ; d'autre part, puisque Binet les a
publiés, c'est lui qui les a « conservés à la postérité », et non pas un
autre Beauvaisin, auquel il les aurait « donnez ».
P. 49, I. 3. — en nos temples. C'est-à-dire qu'il pouvait consacrer sa
Muse aux sujets religieux, et réussir aussi bien que S. du Bartas,
auteur de la Sepmaine, dont la gloire balançait celle de Ronsard, du
moins aux yeux des huguenots. — Binet, parlant d' « autres sem-
blables pièces », fait allusion à l'Hymne triomphal sur le trespas de
Marguerite de Navarre, à l'Hymne de l'Hercule chrestien. à l'Hymne de
la Mort, à la Paraphrase du 2c Deum, à la Prière à Dieu pour la vic-
toire, à l'Hymne de Si Roch (Bl., II, 373 ; V, 168, 239, 255, 262 ; VII,
149).
P. 49, I- 4. — desseignc trois livres. C'est-à-dire : II avait aussi fait le
plan, tracé les grandes lignes de trois livres.
P. 49, 1. 5. — vers la fin des Poèmes. Ce début de poème didactique fut
publié pour la première fois dans l'éd. collective de 1584 :on l'y trouve
l'avant-dernière pièce des Poèmes ; dans l'éd. de 1587, c'est la der-
nière pièce des Poèmes. Il est transporté en 1597 dans la Vie de Ron-
sard de Binet, où il reste dans les éditions postérieures ^ ; mais à
partir de 1609, il est en même temps réimprimé à la fin des Œuvres
parmi les pièces «retranchées » et les « fragments ». En 1584, 1587,
1609 et éd. suivantes, il ne porte pas de titre, ni de dédicace au Roi,
mais est précédé de cet avis : « Il appert par ce fragment que l'au-
teur vouloit entreprendre un plus grand ouvrage. » (Bl., VII, 279 ;
M.-L., V, 236.)
p. 49, 1. 15- — te veit. C'est la vraie leçon, celle qui parut du vivant de
Ronsard (en 1584; et qui fut reproduite en 1623. On lit le veit en 1597
et 1604, le veut en 1609 et 1630, te veut en 1617.
P. 49, 1. 18 — prince Henry. S'agit-il de Henri III, comme le pense
Blanchemain ? Si oui, l'hémistiche « des armes la merveille » ne corres-
pond guère à la vérité, à moins d'y voir une allusion aux victoires
retentissantes de Jarnac et de Moncontour, remportées en 1569 sur les
huguenots, alors que le futur Henri III n'était que le duc Henri d'An-
jou, lieutenant général du roj'aume à 17 ans (cf. l'Hymne : « Tel qu'un
petit aigle sort >- (Bl., V, 144), l'Hydre desfait (Id., VII, 155), les
premières pièces du Bocage Royal (Id., III, 277-78, et 304).
P. 49, 1. 22. — Tu-lion. Pour cette forme, cf. dans les œuvres de
Ronsard le Tu-geant (Bl., I, 127 ; II, 76). Ces vers sont reproduits
dans l'éd. Bl., VII, 306, et dans l'éd. M.-L., VI, 295.
1. Aiasi Binet obtint de Galland en 1597 qu'une pièce fût distraite des
Œuvres de Ronsard pour passer dans sa biographie, comme en 1586 il avait
obtenu la même faveur pour deux pièces des Derniers vers, et en 1587 pour un
sonnet du Tombeau de Ronsard (v. ci-dessus, pp, 180 et 190).
20a C0MME>T.\1BE IIISTOUIQLE
P 49, 1. 25. — locasic. Il faut lire ici locaste, et non Jocaste, qui ren-
drait le vers faux.
P. 49, 1. 27. — peut. Forme régulière pour put- Cf ci-dessus, p. 39, 1. 26.
P. 49, 1. 34. — Soleil. Blanchemain annote ainsi ces vers: « Sans doute
la suite eût expliqué ces dix bœufs du soleil. J'ai reproduit les mots sans
les comprendre. » Sans parler du vers 8 du premier livre de V Odyssée
où sont mentionnés les « bœufs du Soleil », Ronsard a imité directe-
ment ce passage de lidj'Ue XXV de Théocrite, Hercule tueur de lion :
« Puis venaient trois cents taureaux... puis en6n douze consacrés au
Soleil... le plus irritable, le plus vigoureux et le plus fier d'entre eux
était le grand Phaéton... Or, ayant aperçu la peau du lion terrible, il
se rua sur l'habile archer Hérakiès pour le frapper au flanc du choc
de son front solide. »
P. 49, 1. 44. — nostre langue- Sur les premiers vers latins de Ronsard,
cf. H. Chamard, Rev. d'IIist. litt. ,1S99, p. 34; P. Laumonier, Rev. de
la Renaissance, 1902, pp. 97-98. — Pour le début et la fin de cet alinéa,
Binet s appuie sur deux passages des œuvres de Ronsard :
Si autrefois sous l'ombre de Gatine
Avons joué quelque chanson Latine
D'Amarille énamouré...
(Ode A son Luc, Bl., II. 394 ; M-L., VI, 57.)
Je fu premièrement curieux du Latin :
Mais cognoissant, helas ! que mon cruel destin
Ne m'avoit dextrement pour le Latin fait naistre
Je me fey tout François, aimant certe mieux estre
En ma langue ou second, ou le tiers, ou premier
Que d'estre sans honneur à Rome le dernier.
(Poëme A P. UEscot, Bl., VI, 191 ; M.-L., V, 177.)
Quant aux vers latins que mentionne Binet, on peut lire ceux que
Ronsard adresse à Charles d'Angennes, évêque du Mans, au tome VII
de l'éd- Bl., p. 6, une épigramme contre les calvinistes et l'épitaphe de
Charles IX, au même tome, pp. 134-35, 176. Mais on chercherait vai-
nement les vers au Card. de Lorraine dans les éd du xix^ s. ; c'est un
distique qui a paru en 1565 à la fin de la plaquette intitulée le Procès,
et qu'on retrouve à la fin de la même œuvre dans les éd. collectives
de 1567, 1571,1573 [Poèmes, I, n" 4). Ce poème, qui commence par :
« J'ay procès. Monseigneur, contre votre grandeur... », a été reproduit
par Bl. III, 349 et par M.-L. III, 268, mais sans le distique latin. Tou-
tefois M.-L. a signalé ce distique dans le dernier vol. de la Pléiade
française, Appendice, II, 414 :
Ad Carolum Lotharingum.
Carole, Ronsardum sine vincere, victus ab illo
Post tua victurus facta supersles eris.
Ajoutons les treize hendécasyllabes Ad ru/Zcuni, publiés parBl-, VIII,
135- Cela fait au total 67 médiocres vers, écrits après 1560. Qu'on juge
par là de ceux que Ronsard composa vingt et trente ans plus tôt ! Il a
écrit aussi aux environs de 15.16 un Eloge latin de Pierre Paschal, qui
ET CRITIQUE 235
ne nous est pas parvenu (Est. Pasquier, Lettres, I, lettre xvi, citée par
M.-L. dans sa Notice sur Ronsard) ; mais rien ne prouve que cet Eloge
satirique fût en ve»s.
P. 49, 1. 45. — oraison continue = prose (cf. le latin soliita oratio).
P. 49, 1. 49. — des vertus actives. Ce discours a été conservé, mais avec
ce titre : Des vertus intellectuelles et morales. On possède un autre
discours de Ronsard, sur VEnvie, également prononcé à l'Académie
du Palais, que Binet semble ne pas avoir connu. Gandar a analysé le
premier et publié intégralement le second, dans sa thèse française
(pp. 199 à 209). Ils ont été reproduits in extenso dans les éditions de
Ronsard, de Blanchemain (VIII, 155 et suiv.) et de Marty-Laveaux
(VI, 466 et suiv.), enfin dans l'Acac/enKe des derniers Valois d'Edouard
Frémy, pp. 225 et 349 (cf. pp. 205 et suiv.).
P. 49, 1. 50. — action. 11 faut entendre ce mot dans le sens technique
d'action oratoire (attitude, gestes, véhémence).
P. 50, 1. 2. — moins et mieux faire. J. Peletier avait pris pour devise
Moins et meilleur, dès 1544 (traduction de l'A. P. d'Horace), ce qui
est vraiment remarquable pour une époque où la prolixité et la négli-
gence étaient précisément les plus graves défauts des écrivains, et où
la facilité, une facilité souvent déplorable, était encore considérée
comme la qualité maîtresse du poète par les Rhétoriqueurs et les Ma-
rotiques survivants. Ces trois mots, en effet, inspirés d'ailleurs par
Horace (Satires, I, iv, 11 et suiv. ; x, 10 ; Art poct., vers 335), posaient
comme un principe fondamental de la littérature moderne le souci de la
concision forte, le travail de la lime, la recherche de l'expression la plus
exacte et la plus belle de la pensée, la substitution de la qualité à la
quantité, la notion de l'art en un mot, que Du Bellay et Ronsard ont
placée si haut parmi leurs préoccupations esthétiques. C'est vraiment
par « le travail et les lenteurs de la lime » que l'école de 1550 se dis-
tingue surtout des écoles précédentes, qui négligeaient le côté artistique
ou s'en faisaient une idée fausse- Moins et mieux, ces trois mots conte-
naient en germe la Rhétorique et la Poétique de l'avenir, celles de nos
écrivains classiques tout au moins. Malherbe et Boileau, Pascal et la
Bruyère n'en auront pas d'autres, et BufFon dira comme Ronsard que
les ouvrages « bien écrits » sont « les seuls qui passent à la postérité ».
Ronsard, à vrai dire, a été plus exubérant qu'eux tous, plus admira-
teur des qualités naturelles que des qualités acquises, enfin partisan
convaincu, avant nos Romantiques, de la liberté et même de la fantaisie
dans l'art ; son œuvre contient des longueurs ; il a trop aimé la des-
cription pour elle-même et abusé des comparaisons. Mais à mesure
qu'il a pris de l'âge, il a plus apprécié les qualités de concision et de
force dans la brièveté, et c'est l'une des principales raisons des coupures
de plus en plus nombreuses qu'il a faites dans ses œuvres, de sa pre-
mière édition collective (1560) à la dernière (la première posthume,
publiée à la fin de 1586). Il a surtout singulièrement aimé, cultivé et
respecté la langue française.
P. 50, 1. 11. — en lug- Pour tout ce passage, voir mon Introduction,
§ II. On trouve une déclaration analogue dans l'églogue de Binet inti-
tulée Perrot, qui fut « représentée » au collège de Boncourt le jour
.l36 COMMFNTAIIU". IIISTORUMF.
des obsèques de Ronsard. C'est Binet lui-même qui parle sous le nom
du « pescheur » Claudin :
Ah ! il faut que je laisse
Les mcstiers qu il m'apprit, déduit de ma jeunesse,
La pesche industrieuse
Car c'est luy qui premier m'apprit à fredonner
De la conque aux replis, fascheux à entonner,
Qu'un jour il me donna me disant : « Je te donne
Ce présent, mon Claudin : jamais autre personne
Ne IVmboucha que moj-. Les peuples escaillez
Quelque jour à tes chants se rendront oreillez. »
(Bl., VIII, 230.)
Ronsard avait ainsi accueilli et encouragé des poètes tels que J. Gre-
vin vers 1558; FI. Chrestien dans l'été de 1563 (cf. Bl.. VII. 141) :
A. d'Aubigné en 1570 (cf. ses Lettres, éd. Réaume, tome I, p. 457, et la
préf. des Tragiques, tome IV, p. 6) ; J.-A. de Thou vers la même épo-
que (cf. ci-dessus, Introd-, i^ II); Pierre le Loyer avant 1575 (cf. dans
VErotopegnie et dans les Œuvres et Mcslanges poct. un sonnet et une
ode A Ronsard] ; Du Perron (Or. fun. de Ronsard, éd. princcps,
p. 8, où il dit que Ronsard lui a servi dans la poésie de « père )) et de
« précepteur ») ; Bertaut (Elégie du Tombeau de Ronsard, BL, VIII,
264).
« Ronsard dans la vie privée, dit Sainte-Beuve, était le plus doux et
le plus modeste des hommes.... Etranger à toute idée d'envie, il proté-
geait les jeunes poètes et combla d encouragements Desportes et Ber-
taut. L'un des préceptes de son Art poétique est celui-ci : « Tu con-
verseras doucement et honnestement avec les poètes de ton temps, tu
honoreras les plus vieux comme tes pères, tes pareils comme tes frères,
les moindres comme tes enfans, et leur communiqueras tes escris. ))
(Tableau de la p. au XVI^ s., éd. courante Charpentier, p. 77, note 2)
p. 50, 1. 18. — et le docte du Perron. Sur cette Académie, voir le livre
très documenté d'E. Frémy, notamment le chapitre m, sur Guy du
Faur de Pibrac, « réformateur de l'Académie » ; le chap. iv, sur
Henri III, « protecteur de l'Académie » ; le chap. v, sur les « Académi-
ciens et Académiciennes ». On trouvera le passage de Binet cité à la
page 143 et rapproché des témoignages de d'Aubigné, Est. Pasquier,
Ch. Sorel et G. Colletet.
P. 50, 1. 20. — selon son intention. Ce discours en prose a paru en tête
de la Franciade dans l'éd. de 1587 pour la première fois (Bl., III, 15 ;
M.-L., III, 520). C est comme une troisième préface de la Franciade,
dont la première (1572) a été reproduite par Bl. et par M.-L., et la
seconde (Paris, 1573, et Turin, 1574) n'a revu le jour qu'au mois de
mars 1904 [Annales Fléchoises, art. de L. Froger ; cf. Rev- d'Hist.
litt. de 1904, p. 456, note 2).
A première vue, il semble y avoir contradiction entre cette déclara-
tion très nette de B et les deux passages où Binet afiirme avec non
moins de netteté qu'il a exécuté fidèlement et .strictement les dernières
volontés de Ronsard touchant la revision de ses Œuvres. Mais, à y re-
garder de près, la contradiction n'existe pas. Binet semble dire au con-
ET CRITIQUE 287
traire ici que, par exception, il a remanié le texte de sa propre initia-
tive parce que c'était nécessaire, et d'ailleurs en se conformant autant
que possible à « l'intention » du poète. Ce qui n'empêche pas que les
déclarations de Binet exécuteur testamentaire restent sujettes à caution
parce que la première édition posthume présente des remaniements de
texte très suspects, et des modifications de classement si peu judicieu-
ses que nous nous refusons à croire qu'elles ont été faites « selon l'in-
tention » du poète.
Mlle Evers a eu raison d'écrire à propos de la préface posthume de
la Franciade qu'on ne saurait déterminer la nature et l'étendue de la
revision qui en fut faite, étant donné surtout que cette préface est
écrite dans la prose claire de Ronsard et ne présente pas trace du style
confus et plat de Binet. « Il se peut, ajoute-t-elle, que le biographe ait
exagéré sa part dans l'élaboration de l'édition posthume, mais la décla-
ration très franche, qu'il a revisé le « discours sur le poëme héroï-
que », suffit à montrer qu^ les éditeurs de 1587 n'ont pas reproduit
purement et simplement les notes de Ronsard, mais ont usé de leur
propre jugement en les arrangeant. » (Op. cit., Introd., pp. 22 et 23)
P. 50, 1. 21. — Bocage. C'est la pièce des Parques : « Les Parques, qui
leur chef de chesne couronnèrent... », dédiée à Henri III, et publiée
pour la première fois dans l'éd. coll. de 1587, n° 6 du Bocage Royal
(B1.,III, 303 ; M.-L., VI, 308).
p. 50, 1. 22. — Tgron. C'est l'élégie A Philippe Desportes : « Nous
devons à la Mort et nous et nos ouvrages... », publiée pour la première
fois dans l'éd. collect. de 1587, no 2 des Elégies (Bl., IV, 217; M.-L.,
VI, 311).
P. 50, 1. 24. — qui suivent. UHynne de Mercure parut en effet pour la
première fois dans l'éd. collective de 1587, vers la fin du 2® livre des
Hynnes ; il était dédié A Claude Binet Beauvoisin, Poëte français.
Des trois pièces qui le suivaient, la première, la Paraphrase sur le Te
Deum, avait été publiée dès 1565 ; les deux autres, Vllgnne des Pères
de famille et l'Hynne de Saint Roch, étaient inédites (Bl., V, 249-63;
M.-L., VI, 316-25).
P. 50, 1. 25. — sorte de Poëme. Ceci n'est pas tout à fait exact. Ronsard
n'a paslaissé dans ses papiers inédits de préface en vers pour les Amours,
ni pour les Gayetez, ui pour les Odes, ni pour les Eclogues, ni pour
les Discours. Celles qu'il a laissées, et qui furent publiées pour la
première fois dans l'éd. de 1587, sont les suivantes :
Pour \a Franciade : « Homère, de science et de nom illustré... »(BI.,
III, 37) ; pour le Bocage Royal : « Comme un seigneur pratique et
soigneux du raesnage... » [Ibid., 264); pour les Mascarades : « Masca-
rade et Cartel ont prins leur nourriture... » [Id., IV, 120) ; pour les
Elégies : « Les vers de l'Elégie au premier furent faits... », et : « Soit
courte l'Elégie en trente vers comprise... » (Ibid., 210) ; pour les
Hynnes : « Les Hynnes sont des Grecs invention première... » {Id.,
V, 11) ; pour les Poèmes : « Poëme et poésie ont grande différence... )>
(Id., VI, 7) ; pour les Epitaphes : « Le derrenier honneur qu'on doit à
l'homme mort... » {Id., VII, 168). Pour les Odes, il laissait un Avis au
lecteur en prose qui parut également en 1587 et que Bl. a reproduit (II, 7).
338 COMME>TAlRE HISTORIQUE
P. ôlt, 1 2(). — de ses Œuvres. Ces autres pièces de Ronsard éditées
pour la première lois en 1587 étaient : aux Amours, deux sonnets pour
Hélène : u Vous ruisseaux, vous rochers... », et : « Est-ce tant que la
mort ^) (Bl-, 1, 364-65 ; aux Sonnets à diverses personnes: « Vous estes
desja vieille... », et: « Que je serois marrj'... » [Id.. V, 365) ; aux
Gaijetez. le sonnet : « Madeleine, ostez moi ce nom de l'Aubespine... »
{Ihid., 338' ; aux Mascarades, la dédicace à Henri de Lorraine, et les
deux pièces : « Pégase fit du pied... » et : « Qui est ce livre... » (Id.,
IV, 121 ; VI, 414 et 415); aux Elégies, la pièce : « Del Bene, secoud
Cygne... » [Id., IV, 356) ; aux Epitaphes, celle du Président de
S'-André (Id-, VII, 231). — En outre, les deux Odes saphiqucs étaient
précédées d'un avis en prose l'Bl., II. 370', et le dialogue des Muses des-
logées était allongé d une apostrophe finale de huit vers à Henri III
(7tf.,III, 310.
Quant à la pièce de 100 vers qui était insérée en 1587 vers la fin des
/'oemes avec ce titre :A une grande dame, et ce début :« Lorsquej'oydire
à ceux qui vous cognoissent... », il faut se garder de la prendre pour une
œuvre encore inédite. Ce n'était en efifet qu'un fragment détaché d'une
longue épître adressée en 1565 à la reine d'Angleterre Elisabeth : «Mon
cœur esmeu de merveille se serre-.. », et publiée alors en tête des Elé-
gies, Mascarades et Bergerie. Ce fragment comprenait les vers 13 à
113 de la dite épître. Blanchemain s'est donc trompé en affirmant
(III, 326. note Ij que ces vers ne figurent pas dans les éditions pos-
thumes : supprimés en 1584, ils ont été réédités en 1587 sous ce titre
déroutant : A une grande dame, au 2^ livre des Poèmes, tandis que l'é-
pître dont ils faisaient primitivement partie figurait au Bocage Royal.
P. 50, I. 29. — inviolable. C'est la seconde fois que Binet nous déclare
avoir été l'exécuteur testamentaire de Ronsard en ce qui concerne la
réimpression de ses œuvres (v. ci-dessus, pp. 40, ligne 29, et 41, li-
gne 1 . Cf. l'extrait du privilège royal qui est en tête de l'édition collec-
tive de 1587 : « Par grâce et privilège du Roy il est permis à M- Jean
Galandius, Principal du Collège de Boncourt, de choisir et élire tel
libraire que bon lui semblera pour imprimer ou faire imprimer Les
Œuvres de P. de Ronsard gentilhomme Vandomois. reveues, corrigées
et augmentées par l'Autheur peu avant son trespas et mises en leur
ordre suyvant ses mémoires et copies, le tout rédigé en dix Tomes... »
(daté du 14 mars 1586).
D après ces lignes et la déclaration de Binet, c'est cette première
édition posthume qui devait être 1 édition ne varietur. Toutefois les
deux éditions parisiennes qui 1 ont suivie i'1597 et 1604) présentent des
remaniements de quelque importance, qui montrent que lédition
de 1587 n'était pas définitive et « inviolable » '. C'est Binet et Galland
1. Par ex. en 1597 les Sonnets ù dioerses personnes et les Gayele: passent de la
fin du tome I à la fin du tome \'II1 ; ce tome \'III est diminué d'un fragment
qui passe dans la Vie de Bonsard, et augmenté du poème des A'ues ; enfin un
sonnet qui se trouvait auparavant parmi les épigr. tirées du grec prend place à
la fin des Sonnets à diverses personnes. En 1604, les remaniements sont plus
nombreux: on y constate notamment de nouveaux déplacements et des addi-
tions.
ET CRITIQUE a.Sc)
qui ont été chargés de l'élaborer et de la publier : le premier semble
avoir eu la mission de veiller à la revision du texte d'après les indica-
tions de [Ronsard, le second celle d'en assurer la publication. Binet
écrivit pour cette édition un long poème dédicatoire Au Roy de
France et de Pologne, Galland une courte dédicace en prose Au Roy-
Voir ci- dessus, Introduction, i; II, notes.
P. 50, 1. 34. — bien escrire. A et A' sont identiques, sauf en ce passage.
Voici la différence: A II incitoit fort ceux qui l'alloient voir, et princi-
palement les jeunes hommes qu'il jugeoit pouvoir quelque jour pro-
mettre quelque frui et à /)ic escrire | A' Il incitoit fort ceux qui l'al-
loient voir, et principalement les jeunes hommes qu'il jugeoit pouvoir
un jour promettre quelque fruict à bien escrire.
Il est assez curieux que ces deux seules corrections aient été faites,
alors que dans le même alinéa, dans la même phrase, il y avait à faire
des corrections bien plus urgentes, par ex. une virgule après fruict ;
non chiche de me déceler au lieu de non chiche, de me déceler ; si peu
que au lieu de s'y peu que.
Ces deux corrections isolées, introduites dans le texte A alors qu'on
en avait déjà tiré un certain nombre d'exemplaires, ne peuvent pas être
dues à Binet, car il aurait certainement corrigé du même coup les fautes
grossières qui environnent la ligne rectifiée.
P. 50, I. 47. — nos loix. Allusion aux occupations professionnelles de
Cl. Binet, qui était Avocat au Parlementde Paris, depuis 1575 environ.
En 1583, le Procureur général Jacques de la Guesle l'avait attaché à
son parquet comme Substitut. En 1587 îl fut nommé Lieutenant géné-
ral de la Sénéchaussée de Riom, fonction qu'il exerça jusqu'à sa mort,
arrivée soit à la fin de 1599, soit dans la première moitié de 1600. Voir
ci-dessus, Introduction, § IL
P. 51, 1. 2. — reposer. Cette apostrophe à Ronsard et ce souhait sont
imités des deux derniers chapitres de la Vie d'Agricola de Tacite :
« ... Tu vero felix, Agricola, non vitae tantum claritate, sed etiam
opportunitate mortis...ij guis piorum manibus locus, si, ut sapientibus
placet, non cum corpore exstinguuntur magnae animae. placide quies-
cas... )) Cela est d'autant plus probable que Binet a également utilisé
pour l'exorde de C les trois premiers chapitres de la Vie d'Agricola
(\. ci-dessus, pp. 56 et 57).
BIBLIOGRAPHIE
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VIE DE P. DE RONSARD. 1()
3^2 KIBI.IOCiRAPHlE
Blanchemain (Prospcr). Edition des Œuvres complètes de Ronsard.
Paris. Pion, lS57-67Hibl.elzév.), 8vol. in-16. Le tome VIII contient
notamment une Vie de Ronsard, la bibliogr. de ses (cuvres, son
oraison fun par Du Perron, et son « tombeau ».
— Edition des Œuvres de Mellin de Sainct-Gelaijs. Paris, Pion, 1873
(Bibl. elzév.), 3 vol. in-16, avec Notice biogr. et Notes.
BoNSEFON (Paul). Ronsard ecclésiastique Rcv. d'Hist. litt. d'avril 1895,
p. 244,
BoucHET (Jean). Les Triumphes de la noble et amoureuse dame... Paris,
Bossozel, 1536, in-f"^. Epîtrelimin. en vers.
— Epitres morales et familières- Poitiers, Jacques Boucbet, 1545, in-
t'M^p. fam. 96,97 et 126 .
— hes Généalogies, Effigies cl Hpitaphes des Roy s de France... Poi
tiers, Jacques Boucbet, 1545, in-f\ p. 85.
Brantôme. Œuvres complètes. Edition Lud. Lalanne, 1864-1882, douze
vol. in-8o. Voir la table, au nom de Ronsard.
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Cavellat, 1557, in-4o, — Bibl. Nat., Rés. Z, 836.
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— L Œuvre de P de Ronsard. Rev. des Deux Mondes du 15 octobre
1904. Article reproduit dans VHist. de la Litt. fr. classique, tome I,
2e partie, pp. 323 et suiv., Paris, Delagrave, s. d.
Buttet (Marc-Claude de). Œuvres poétiques, précédées d'une Notice et
accompagnées de Notes par le Bibliophile Jacob. Paris, Cabinet du
Bibliophile, 1880, 2 vol. in-12. (Réimpr. d'après les éd. du xvi" s.)
Catalogue des Actes de François /«'' (Collection des Ordonnances des
Rois" de France). Paris, Impr.Nat., 1887-1908, 10 tomes in-4°.
Charouillkt (A.). Notice sur une médaille inédite de Ronsard par Jac-
ques Primavera- Orléans, G. Jacob, 1875, in-8". Extrait du tome XV
des Mémoires de la Société archéol. et histor. de l'Orléanais.
Lire à la p- 17 de cet extrait Macrin (Salmou Macrin), au lieu de
Marin, et ne tenir aucun compte de la note sur Marin.
Chamard (Henri). L'Invention de V « ode f et le différend de Ronsard et
de Du Bellay. Rev. d'Hist. litt. de la France, de janvier 1899.
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décembre 1907 notamment : Un seigneur de la Possonnière en 1293
(septembre 1904) ; Notes sur la famille de Ronsard (mars 1906) ;
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les Odes (1559j, rééditées par E. Courbet, Paris, Lemerre, 1876, 2 vol.
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51 à 57).
— Cassandre Salviati et la Cassandre de Ronsart. Ibid., XLV, 1906,
pp. 165 à 183.
— Du roi qui fît couper la forêt de Gastines et la date de cette coupe.
Annales Fléchoises, de mai 1907.
— Les amis Vendômois de Ronsart : I. Maclou de la Haye ; II. Florent
Chrestien. Ibid., n"'de juillet 1907 et de septembre-décembre 1908-
— Les origines des Ronssart. Ibid., n" de mai-juin 1909.
Ces ai'ticles doivent être lus avec précaution.
Marty-Laveaux (Charles). La Pléiade française. Edition des œuvres
poétiques de Du Bellay, Ronsard, A. de Baïf, R. Belleau, Jodelle, Pon-
tus de Tyard et Dorât, avec Notices biographiques. Paris, Lemerre,
1866-1898, 20 vol in-8°, y compris deux vol. d Appendice
Ménage (Gilles). Observations sur les Poésies de Malherbe. Paris, Billaine,
1666, in-8o.
Menier (M). La Surdité de Ronsard. Archives d'Otologie, n^ de février
1906.
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NoLHAC (Pierre de). Le dernier amour de P. de Ronsard, Hélène de Sur-
gères. Nouvelle Revue, du 15 septembre 1882. Tirage à part, Paris,
Charavay. 1882.
— Lettres inédites de Muret, publiées dans les Mélanges Grawr. Paris,
Thorin, 1884, in-8°.
— Documents nouveaux sur la Pléiade : Ronsard, Du Bellay. Rev.
d'Hist. litt. de la Fr. de juillet 1899
NouEL (Eugène). Note critique sur le jour de naissance de Ronsard, avec
une note additionnelle sur la Durée exacte de la vie de Ronsard. Bull,
de la Soc. arch. du Vendômois, tome XXV, janvier 1886, pp. 58 à 65.
Pasquier (Estienne). Œuvres complètes. Amsterdam, 1723, 2 vol. in-
folio.
Passerat (Jean). Recueil des Œuvres poétiques, augmenté de plus de la
moitié, outre les précéd. impressions. Paris, Claude Morel, 1606,
in-8°. (Bibl. Nat., Rés. Ye 4545.)
Peyre (Roger). Une princesse de la Renaissance Marguerite de France,
duchesse de Beny, duchesse de Savoie. Paris, Em. Paul et Guillemin,
1902, in-8».
Peletier (Jacques). Œuvres Poétiques, Paris, Vascosan, 1547, p' in-S»
(Bibl. Nat. Rés. Ye 1853.) — Rééditées par L. Séché, avec Notice bio-
graphique et Commentaire par P. Laumonier (/Îpi>- de la Renaissance,
1904).
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— Lazare de Baïf. Paris, Fontemoing, 1900, in-8°.
C'est l'éd. française, revue et corrigée, de la thèse latine De Lazari
Baifii vita ac latinis operibus et de ejus amicis, publiée à la même
librairie en 1898.
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J'ai consulté les œuvres de Ronsard surtout dans les éd. originales et
les éd. collectives anciennes, dont on trouvera la liste et la cote dans la
Bibliographie de mon ouvrage sur Ronsard poète lyrique- Voir encore
pour les Discours de Ronsard et quelques-uns des pamphlets huguenots
qui s'y rattachent, ci- dessus, pp. 151 à 154.
Sainte-Bklve Tableau hist. et crit. de la poésie fr. au A' V/c siècle (1828).
Réédition très augmentée de 1843, Paris, Charpentier, in-12 de 508 pp.
J'ai renvoj'é le lecteur à l'édition courante de la Biblioth. (charpen-
tier, qui est postérieure et n'a que 499 pp.
Sainte-Marthe (Scévole de). Poemala. Paris, M. Pâtisson, 1587, p. 103.
— Gallornm doctrina illnstrium Elogia. Les trois éditions de Poitiers,
1598, 1602, 1606, et la traduction de G. Colletet (1644).
Cf. ci dessus, pp. 213, 225 et 226.
Séché (Léon). Vie de Joachim \du Bellay'}, première partie Rev. de la
Renaissance de février et de mars 1901
— Voir au nom de Peletier .
SiBiLET (Thomas). Art Poétique François il548). Réédition de 1556
(Lyon, Thibaud Payan), suivie d'une réédition du Quintil Horatian,
et d'un Autre Art Poétique réduit en bonne méthode (anonyme). —
Bibl. Nat.. Rés. Ye 1212.
Simon (abbéi. Histoire de Vendôme et de ses environs. Vendôme, Loiseau,
1835, 3 vol. in-8'.
La notice sur Ronsard se trouve au 3" vol L'auteur y a suivi Binet
et Du Perron, et reproduit presque toutes leurs erreurs. Il a en outre
délayé le jugement de Boileau.
Speroni (Sperone). Opère, édition de Venise^ Dom. Occhi, 1740, 5 vol. in-
40 ; tomes IV et V. — Bibl. Nat., Z. 5765 et 5766.
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Teissier (Antoine). Les éloges des hommes savons, tirez de l'Histoire de
M. de Thou, avec des additions... 4^ édition, Leyde, 1715, 4 vol. in-12,
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Thou (J. -A. de). Historiarum sui temporis libri CXXXVHI. Londini,
S. Buckley, 1733, livres XIII. XXXVII, LXXXII et LXXXIII
— Mémoires. Collection Petitot, l'e série, tome XXXVII.
— Chr. Thuani Tumulus. Lutetiae, apud M. Patissonium, 1583. in-4°.
TiERSOT (Julien). Ronsard et la musique de son temps. Paris, Fischba-
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Ubicini. Introduction aux Chants populaires de la Roumanie, recueillis
par Alexandri- Paris, Dentu. 1855.
Utenhove (Charles). Epitaphium in mortem Herrici Gallorum régis..-,
suivi des Xenia seu aliquot ad illustrium quorundam Galliae nomina
Allusiones- Paris, R. Estienne. 1560, in^".
Van Bever (Adolphe). Rééd. du Livret de Folastries. Paris, Mercure de
France, 1907, in-12.
Cf. Jacques Madeleine et P. Laumonier, Revue Critique du
14 nov. 1907.
Vanel (J.-B.). Ronsard prieur de Marnant. Bulletin historique du dio-
cèse de Lyon, janvier-février 1905.
aOO BIBLIOGRAPHIE
Vauquelin de la Fresnaye. Art poctitiuc, éd. G. Pelissier. Paris, Garnicr,
1885. in-12, p. 140. '
Velliard (Jacques). Pelri lionsardi Poetac Gallici laudatio funcbris. Ad
vita et moribns spectatissimum viriim loanneni Gallandiiim, Becodia
nae domiis dominiini- Jacobiis Velliardiis Carniitensis ad hanc pom
pam has paraint orationes ciim lieroîco carminé. Parisiis, apud Ga-
brielem Buon, 1546 {sic, pour 1586), in-4o. — Bibl. Nat., Ln '-" 17840
Al. — Plaquette de 21 ff. , divisée en deux parties : f.andatio fune-
bris I : Laudatio funebris II. (Voir ci-dessus, p. 193 )
Une 2e édition parut la même année, revue et augmentée. Même titre,
avec cette addition : Huic postreniae edilioni adjecta sitnt alitjuot viro-
riim illustr. in eiinidem elogia- Parisiis, ex typographia Dionysii a
Prato... ^Bibl. Nat.. Ln ■^' 17840).
ViLLEY Pierre). Les Sources italiennes de la « Deffense et illustration de
la langue française » deJ. du Bellay. Paris, H. Champion, 1908. in-S».
Waddington Ramus {Pierre delà Ramée). Sa vie, ses écrits et ses opi-
nions. Thèse. Paris, Mejruis, 1855, in-S".
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS
Ai.BRET (Henri d'}, roi de Navarre, 115.
Albret (Jeanne d' , fille du précédent,
15, 114, 115, 170.
Alexandre, roi de Macédoine, xl, 4.
Amyot (Jacques), 167.
Aneau (Barthélémy, 140, 141.
Angelio (Petro) de Barga (lat. Bar-
geus), XIV, xvn, 42, 206, 207, 214.
Angënnes (Charles d), évêque du
Mans, 49, 234.
Angot (A.), 168.
Angoulème (Monsieur d'). V. Henri III.
Anjou (François duc d'), dernier fils
de Henri II. encore appelé François
d'Alençon ou François de France,
xxvui, 45, 147, 159, 197, 228.
Anselme (le P.), 85, 90, 196.
Apelle, peintre grec, 41, 203.
Apollonius de Rhodes, 22, 146.
Arioste (1'), 88, 101, 199.
Arion, XL, 6, 76.
Aristophane, xxxiii, 13, 102, 103.
AcQUAVivA ou Aquaviva (Anne d'Alri
d"), 161.
AuBERT (Guillaume , 114, 171, 172.
AuBERTIN, 146.
Aubespine (Madeleine de 1' , 238
AcBiGNÉ (Agrippa d'\ 203, 222, 236.
AuGÉ (Mathieu), 149.
AusoNE, 27, 172.
AuTELz ou Autels Guillaume des), 43,
106, 128, 139, 141, 151, 211, 217,
218, 221, 223, 224.
B
Bacqueville fM'ie de;, 167.
Baif (Jean-Antoine de , xii, xiv, xv,
XXI. xxvi, XXIX, XXXI, xxxii, xxxiii,
XXXIV, XXXIX, XL, XLI, 9, 11, 12, 13,
15, 16, 19, 43, 44, 49, 77. 78, 85, 86,
90 à 99, 105, 106, 112, 113. 115, 118,
123. 129, 130, 141, 148, 149, 155, 158,
165, 169, 173, 192, 195, 211, 213,
221, 223 h 227, 231.
Baif (Lazare de), xxxii, 6, 11, 66, 74,
77, 79, 85, 90, 91, 92, 93, 97, 116.
Bâillon, trésorier de l'Epargne, 167.
Ballu (Camille), xxiii.
Bartas (G Salluste du), 199, 200, 204,
209, 233.
Bayle (Pierre;, viii, 54, 64, 66, 67, 68,
70, 78, 92, 172, 199.
Beaumont (Catherine de), grand'mère
maternelle de Joachim du Bellay,
119.
Beaumont (Joachine de), grand'mère
maternelle de Ronsard, 64, 119.
Becq de Fouquières, VII, 67, 115.
Beckherrn (Richard), 210.
Belet (René), xxiii.
Bellay (Guill. du), seigneur de Lan-
gey, capitaine, 7, 56, 72, 79, 80, 118.
Bellay ;.Iean du), cardinal, frère du
précédent, 132
Bellay (Martin du), capitaine, frère
des précédents, 72, 76.
Bellay (René du , évêque, frère des
précédents, 80, 87.
Bellay (Joachim du), le poète, viii, ix,
XV, XXIV, XXVI, XXVII XXXI à XXXIII,
XLI, 7, 14 à 16, 43, 60, 79, 80, 81, 86,
90, 100, 101, 105, 106, 108 à 114, 117
à 120, 123, 140, 141, 143, 149, 156,
171, 201, 211, 214, 218, 219, 221 à
226, 235.
Belleau (Rémi , ix, xiv, xvi, xxvi,
XXVII, xxviii, XXX. XLI, 3, 13, 19, 43,
44. 59 et 60, 69, 79, 81, 106, 127, 128,
130, 131, 155, 160, 169, 195, 196,
198, 209, 211, 217, 220, 222,225,227.
Belleforest (François de', xii, xv.
Bellerie (fontaine), 30, 45, 178, 227.
3,^3
INDEX ALPHABETIQUE DES NOMS
Bellozane (abbaj'e de), 27, 167.
Belox (Pierre\ 217.
Bembo (Pietro). 44, 101, 213, 225, 226.
Békeau (Jacques', 144-
Berger Bertrand), xxx, 24, 156.
Bernus, 154.
Bertaut (Jean), 43, 44, 2'Mî.
BERTY(Ad.1, 172.
Bèze (Théodore de), 118, 195, 220.
BiNDÉ ^Charles), élève du coll. Bon-
court, 193.
HiNKT (ClaudeV Voir Introduction et
Commentaire.
Binet (Jean^, oncle du précédent, xi.
Blanchard (Fr.), xviii.
Blanchemain (Prosper), viii, xiii, xv,
XXXV, xLiii. 54, 58, 59, 62, 63, 64, 65,
76,83, 89,90, 102, 105,106, 116. 125,
127, 138. 141, 142, 1.53, 156. 164,
165, 167, 169, 171, 172, 173, 175, 178,
180, 182, 186, 202, 206. 212, 217,
218,219, 224,226, 228, 232 à 235, 238.
BoDius (Alexandre). 209.
BoiLEAu, 198, 201. 235.
BoNAMY, maître d'A. de Baïf, 95.
BoN-NEFON (Paul), 105, 132.
Bonxefons (Jean), xvii, xviii.
Boni (Guillaume), 82.
Bouchet (Jean), 61 à 64, 88. 110, 126.
BoDLAN fie Sgr), 217.
Boulay (du), 92.
Bourbon 'Antoine de\ xxvii, 197, 232.
BorRBON(CharIes de\ cardinal, 38, 197.
Bourbon (Henri de . Voir Henri IV.
Bourgueil, ville oui habitait Marie du
Pin, 44. 127, 130.
Bourrilly (V.-L.), 79, 80.
Boyer (Jacques de), 179.
BrAISNE, XI.
Brantôme, 81,86, 137, 151, 158,160,
161,165, 196, 206, 209, 222.
BRAY(de), 217.
Brinon (Jean), 105.
Bhisson (Barnabe), xvi, xvn.
Bruès (Guy de), 130, 198, 211, 217.
Bruneau de Tartifume, 65.
Brunet (Charles), xxxv.
Brunetiére (Ferdinand), 67.
Buchanan (Georges). 209.
BiEiL (Louis de', 179.
Buffon, 235.
BuoN (Gabriel,, xxiii
Buox (Nicolas), xuii, 103, 104, 212.
Buttet(M.-C1. de), 143.
Cailler (Baoul , 194.
Callimaque, 18, 126.
Canelle (F.), élève du coll. B&ncourt,
193.
Carle (Lancelot), 13, 95, 105, 106. 135,
136. 143.
Carnavalet (Fr. de), xxxii, 6, 11, 75,
89, 90, 95, 118, 139.
Caro (Annibal), 206
Cassandre. Voir Salviati (Cassandre).
Castelnau ( Michel ,sgr de Mauvissièrc,
54, 165, 209.
Catherine de Médicis, reine de France,
xxxvi, 132, 151, 157, 161, 163, 171,
206, 228.
Catulle 114, 131, 230.
Cf.c.ille, secrétaire d'Elisabeth, reine
d'Angleterre, 65, 174.
Chabaneau (M.), 147.
Chabouillet (A ), 54, 59, 84
Chamard (Henril, viii, ix, xxxiii, 80,
86, 91. 92, 95, 96, 100, 105, 109 à
114, 117, 119 à 123, 126. 132, 140,
141, 156, 218, 222, 223, 226,234.
Champollion-Figeac, 62.
Chapelain, 207.
Charbonnier (abbé P.) 152, 153.
Chardon (Henri), xv. 212.
Charlanne (Louis), 209.
Charles (abbé), 178.
Charles, duc d'Orléans, 3« fils de
François W, 5, 6, 62, 76.
Charles IX, roi de France, xii, xiii,
XX VII à XXXI, 25 à 28, 41, 49, 67. 86,
89, 150, 151, 156 à 161, 165 à 172,
174, 196, 202, 205 à 207, 212, 221,
228, 232, 234.
Charles de Valois, fils naturel de
Charles IX, 38, 196.
Charles-Quint, 77.
Chassagny (Claude de), 168.
Chateauneuf (Renée de), 161.
Chaudrier (Jeanne de), mère de Ron-
sard. 3. 60, 64.
Chauveau (Guillaume), 193.
Chauveau (Julien), xx.
Cheminart (F.), élève du coll. Bon-
court, 193.
Chesne (.André du , xx, 163.
Chétardie (Joachim de la), 186, 187.
Chevalier (abbé Casimir), 182, 186.
Cueverny (Huraut de, 203.
CyKVROLYER, notaire de Ronsard, 187.
Choiseul 'Chretophle de), xxviii, 57,
195, 196. 200,203, 204, 217, 220.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS
253
Choli-et (Louis), 182.
Chopin (René), xvi.
CiiBESTiEN {FIorent\ xxxv, xxxvi, xi-,
43, 44. 153, 195, 206, 209, 213, 218,
219. 236.
CicÉRON, 97, 120.
CiMBER ET DaNJOU, VII, XIII, 157, 165,
175.
Clahetie (Jules), 147, 190.
Clément (Louis) 100, 221.
Clément (P.), 164, 178, 179.
Clouzot (Henri', 172.
CocniN (Henri;. 122.
CoLiGNY ^François de), s"- d'Andelol,
144.
CoLiGNY (Gaspard de , l'amiral, 144.
CoLiGNY ;Odet de , cardinal de Chaslil
Ion, frère aîné des précédents, 22,
23, 80, 132, 144, 145, 149, 150, 203.
Collège de Boncourt, vii, 100, 175,
178, 181, 191 à 194, 235, 238.
Collège DE Coqueret, xiv, xxvi, xxxii,
xxxiii, 11, 13, 90 à 96, 98, 99, 101,
103, 105 à 107, 111, 113, 117, 118,
211,221.
Collège de Navarre, xxvi, xxxi, 5,
72, 145.
Collège Royal ou de France, xvi, 90.
Colletet (Guillaume), vu, xxxvi, 54,
62, 65, 66, 70. 75, 85, 91, 98, 100,
102, 107, 109, 110, 111, 116, 121, 123,
129, 131, 134, 138, 142, 150. 156,
157, 158, 162. 163, 166, 169 170, 175,
178, 186, 196, 199, 205, 208, 209,
212, 217, 226, 236.
Colletet (Fran(,-ois), Gis du précé-
dent, 91.
CoLOM (Biaise), 148.
Comte (Charles), 230.
CoNDÉ (Louis de), 151, 161.
Coquillart (Guill.;, xxxvi, 10, 86, 87.
Cossé-Brissac (Anne dei, 163.
Cossé-Brissac (Charles de), xi
Cossé-Brissac (René de), 62.
COUAT (A.), 131.
CouDRET (Laurens du\ 189.
Courtin DE CissÉ (Jacques), xvi, xvii.
CouRviLLE (Thibault de), 94 et 95.
Crèvent (François de), 69.
Critton (Georges), xxii, xlvii. 53. 64,
69, 72, 73, 76, 80, 81, 85, 99, 100,
104, 107, 117, 123. 150, 152, 175,
176, 177, 186, 191, 193, 222, 230.
Croixval (prieuré de), xv, 30. 31, 33,
44, 159, 164, 168, 176 à 179, 181, 184,
187, 190, 212, 229.
Daniel (le P.), 158.
Darmesteter (Arsène^ 123.
Davila, 158.
Décrue de Stoutz (Francis), 58. 72.
Deimier (Pierre de", 199.
Dejob (Charles), 104, 112.
Delaruelle (Louis), 105, 111.
Delbene ou del Bene (Alphonse), 201,
204.
Del Bene (Barthélémy), 57, 206, 238.
Delboulle, 126.
Delorme ou de l'Or.me (Philibert),
xxxv, 171, 172, 195.
Delpecii (Pierre). 148.
Denisot (Nicolas), 95, 105, 106, 124,
125, 221.
Deschamps (Gaston), 55, 121.
Desgcez (Jacques I, xxxii, 34, 182.
Desmaizeaux ou Des Maizeaix, 64.
Desportes (Philippe), xvii, xxi, xxxix,
43, 44, 48, 49, 50, 161 à 163, 165,
174, 191 à 194, 208 à 210, 236, 237.
Desroches ou Des Roches (Mesda-
mes), XVI.
Diane de France, duchesse de Châtel-
lerault, puis d'Angoulême, 9, 85.
Diane de Poitiers, 72, 145 171.
DoNAT, XXXII, 68, 87, 164.
DoRAT, Daur.vt ou d'Aurat (Jean), ix,
xni, xiv, XVII, XX, .XXIV, xxvi à xxx,
XXXII à xxxiv, xxxix, XL, 7, 8, 12, 14,
36, 44, 71, 81 à 83. 89 à 102. 104 à
106, 109 à 111. 113, 118. 119. 165,
173. 199, 206. 208, 210, 215, 217, 221
à 223, 225.
Dorez (Léon), 228.
DoRON, 49.
Douglas, poète écossais, 75.
Dousa (Jean), 210.
Dreux du Radier, 86, 162, 213.
Duc (Jean- Antoine), 85, 86.
Duc (Paul). Voir Paul (le Sgr).
Duc (Philippe), 85, 86.
Dudley (lord), comte de Leicester, 65,
174.
DuFAY (Pierre), 84, 178, 186.
Du Lac (Pierre), xx.
Du Perron (Jacques Davy , xxi, xxii,
XXV, xxxii, xxxHi, 38, 43, 44, 49, 53,
54, 55, 57, 61, 62, 66, 68, 69, 71, 73
à 76, 78, 79, 83 à 85, 96, 99, 107,
117, 123, 150, 152, 164, 176, 179, 181
à 185, 191 à 195, 208, 213, 222, 236
Duprk(A.), 58, 61.
Dupré L.\sale (Emile), 133.
Durant (Gilles), s-^ de la Bergerie, xviii.
354
IXDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS
Edinton, 217.
Egger (Emile, 207.
Eléonored'Autkiche, reine de France,
63.
Eliot 'John , 208.
Elisabeth, reine d'Angleterre, xxxv, 3,
65. 174, 238.
Elis.abkthd'Autbiche, reine de France,
XIII, XXV.
Elis.abeth de France, reine d'Espagne,
25, 158
Ellain f Nicolas\ 175, 177.
Eschyle, xxxiii, 12, 102.
EsTiESNE (Charles), 77, 95.
Estienne Henri), 126, 220, 221, 223.
EsTiENNE Robert III), xliii.
EsTRÉE Françoise d'), 162.
Euripide, 93, 97.
EvERs (Miss Hélène), x, xi, xxi, xxxi,
xxxii, xxxviii à xLii, XLv, 75, 97, 100,
107, 112, 113, 115, 117, 118, 121, 125,
134 à 142, 178, 197, 208, 220 à 223,
237.
Faguet (Emile), 95.
Falloux (Alfred-Pierre de), 152,
Faur (Guy du). Voir Pibrac.
Fauve AU (Pierre), 112.
Robin du Faux (Paschal > 64 et 65.
Ferabosco, 230.
Féret (abbé P. , 194.
Fébon (Jean \e\ 54.
Ferrier (Arnauld), 36, 190.
Fétis (François;, 193.
Feugère (Léon), 95, 213.
Fischer (Hermann', 210.
FocLiN ou Fouquelin (Antoine', 216.
Foix (Paul de), 36, 188, 189, 209.
Fontaine (Charlesi, 132.
FoNT.ANON Gabriel), 170.
FoNTBERNiER (Jacqucs de), 64.
Forcatel ou Forcadel, 54.
Fortin, xx.
FouLET (Lucien), x.
FouRMER (Robert), 92.
FoNSÈQUE (René de), 163.
Fracastor, 44. 225, 226.
François hr^ roi de France, xxxi, 3,
4, 5, 22, 61, 62, 63, 66, 69, 72, 73,
74, 82, 84, 88, 93, 97, 102, 122, 146,
191, 192, 230.
François, Dauphin, fils aine du précé-
dent, 3, 5, 61, 62, 74.
François II, roi de France, 108, 145,
150, 151,206.
François de France, duc d'Anjou.
Voir An.iou.
François d'AjiBoisE, xv.
Francus, héros de la Franciade, xxxvii,
41, 207.
Frémy lEdouard), 93, 95, 97, 161, 163,
175, 190, 193, 235, 236
Froger (abbé Louis), 55, 56, 59, 60,
61, 63, 64, 69, 70, 76, 80, 125, 132,
142, 168, 178, 179. 182, 187, 236.
Fulgence Planciade, 207.
Fumée (Adam), 19, 129.
Gabillot (C), 84.
Galt AND (Jean), xiv, xix à xxviii, xxxiv,
XXXVI, 29 à 33, 37, 98, 159, 166, 175,
177 à 182, 184, 185, 187, 191 à 19-J,
197, 198, 208, 216, 217, 233, 238,
239.
Galland (Philippe), xliii, 175.
Gandar (Eugène), 206, 232, 235.
Garnier (Claude), xliii, 93, 98, 103,
159, 212, 232.
Garnier (Robert), xv,43, 44, 212, 213
Gassot Jules\ 195, 196, 217
Gast (Réranger du) ou Le Gast, 210.
Gastine (forêt de , 27, 30, 45, 169, 170,
118, 234.
Genèvre, maîtresse de Ronsard, xxx,
32, 131, 180.
Génin (François), 63.
Gidel (Charles), 146.
Gillot (Jacques), xix, 188.
Ginguené, 213.
Girard (Jean , xv, 198, 217
GoDEFROY (Théodore), xiii .
GoNDY (Albert de), xii.
GoDBEAU, 152.
Goujet (abbé;, 63, 66. 91, 92, 121.
Goulu (Nicolas), xiv.
Grandval (Claude de), 8, 83.
Graves, xi.
Grévin (Jacques^ xi, xv, xxx, xxxvi,
43, 90, 103, 153, 195, 200, 202, 205,
206, 211, 212, 216 .h 219, 224, 225,
229, 236.
Grujet (Claude), 214, 218, 225.
Gruther ou Gruter (Jean), xix.
Guerle (Germain Vaillant de Ia\
abbé de Pimpont, xxvii, xxviii, 27,
169.
GuESLE (François de la', xvii.
Guesle (Jacques de la), xvn, xviii.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS
255
GuESLE ('Jean de la^, xiii, xvii, xviii,
239.
(lUÉTiER fReiié , 187.
Guise ^Charles de). Voir Louhaine
(Charles de).
Gi'iSE (François de), 145, 207.
Guy iHenry^ 86, 87, 104, 147.
H
Hallays (André), 178, 179, 182, 18().
Hallopeau (L.-A.;, 56, 58, 59, 60, 64
68, 70, 119, 178, 179, 180.
Ha.mon (abbé a.', 126, 213.
Haiilay (Achille de , xvii.
Harteloire (Abel et Jean de la\ 217.
Hartwig (Hermann , 139.
Hatzfeld (Adolphe), 123.
Hélène. Voir Suhgères (Hélène de^.
Henri H, duc d'Orléans, puis dauphin,
et roi de France, xxvn, xxx, xxxiii,
3, 8, 22, 23, 61, 74, 78, 82, 83, 84,
88, 105, 108, 119, 132, 134, 138, 143,
145, 150, 168, 171, 196, 206, 220,
221, 232.
Henri HI, duc d'Angoulême, puis
d'Orléans, puis d Anjou, puis roi de
Pologne, et roi de France, xii, xxiv,
x.w, xxvn, xxviii, xxx, 28, 49, 85, 89,
90, 143, 147, 161. 166, 170, 173, 174,
190, 196, 197, 200, 202, 206, 208,
210, 225, 228, 231 à 233, 236 à 238.
Henri I\', duc de Hourbon-\'endônie,
puis roi de Navarre et roi de France,
XXV, 48, 170, 190, 196, 197, 231 à
233.
Henri d'Angoulême, bâtard de Henri
II, 196.
Henri de Lorraine, 238.
HERoiiT (Antoine , 43, 105,218.
HoGu (Louis), 63.
Homère, xxxiii, xl, 7, 9, 13, 14, 21, 22,
25, 39, 81,82, 109, 230.
HOR.A.CE, 14, 16, 41, 75, 82, 84, 87,
107, 108, 167, 199, 201. 202, 204,
205, 215, 230, 231, 235.
HOTMAN, XVII.
HouT (Jean Van^, 210
Hugo (Victor), 55, 68, 203.
I
Lmbert Gérard-Mariel, 90, 221.
ISAMBERT, 170.
Jacques V Stu.vrt. roi d'Ecosse, 5, 73,
74, 76, 78.
Jal, 174.
Jamin ou Jamyn (Amadis), xiii, xiv, xv,
XVI, xxvr. XXVIII, xxxiv, xxxv, xxxix,
XL, 43, 44, 59, 146, 157, 159, 161,
163, 165, 169, 181, 207. 211, 212,
222, 225, 229, 231.
JAMor Frédéric , 111.
.Ianequin, musicien, 192.
Janssen, 77.
Jeux floraux, 148, 149. 150.
jodelle. xv, xvi. xli, 24, 43, 95, 100,
103, 105, 106, 137, 154, 156, 165,
221, 222, 223, 225.
JoLY (abbé), viii, 66, 92, 94, 104, 110.
JouAN (Abel , 157, 158.
Joyeuse (Anne, duc de), amiral, 38,
173, 176, 179, 193.
Joyeuse ^François del, cardinal. 38,
193.
Jugé (Clémentl, 95.
JUSSERAND J.-J), 178, 229.
JuvÉNAL, 201, 202, 203,
La Bruyère, 235.
Laciièvre (Frédéric , xliii.
Lacroix (Paul), xii, 173, 193.
La Croix du Maine, xii, xiii, xv, xix,
xxiii, XXV, XXXIV, 65, 70, 71, 106, 175.
Lafaye g.', 131 .
La Haye (Maclou de la), 57
La H.\ye (Robert de la), 203
Lahondès (Jules de\ 147.
Lalanne (abbé , 86.
Lambin, xiv, 57, 150, 155, 207.
La Monnoye, xm, xxv, 58, 154.
La Mothe Charles de), 103. 155, 222.
Langlois (Ludovic), xx.
Lanques [de , 217.
Lansac le jeune, 217.
Lanson (Gustave). 123.
Lanusse (Maxime), 55, 57, 119.
La PERUsE(Jean de la), xi, xir, xxvn,
43, 44, 57, 101, 103, 104, 155, 210,
221. 223.
La Popelinière (Lancelot Voisin de),
158, 165.
La Porte (Maurice de), 222
La Ramée. Voir Ramus.
Lassigny (le s"- de), 6, 76.
Laudun d'Aigahers (Pierre de\ 199.
Laure de Noves, 15, 117, 122.
Laval (M"" de), xxxiii, 9.
Le Caron (Lovs), dit Charondas, 57,
221.
Lee (Sidney), 209.
256
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS
Lefbanc 'Abel), xiv.
Lefebvre de la BouF.iuE (Guy), 111.
Le Fevhe (Antoine), xii.
Le Labovreiu, 54, 90.
Le Loyer i Pierre), 65, 23(i.
Lemaire ou Le Maire de Belges,
XXXVI. 10, 54. 86. 126, 207, 231.
Lemarciiand, 63.
Le Masle (Jean), 65, 90
Lexglez (J.), 190.
Leone Hebreo ou Léon i.'Hebrei', 101.
Le Pays, 68.
Lescotou L'Escot (Pierre), XXVI. xxvii,
84, 88. 145, 146, 150. 171. 200. 229.
234.
LEsToiLKi Pierre de , 173, 174, 196,197.
Leroy ou Le Roy (Adrien), 157.
L'HospiTAL ^Michel de), xxvi, xxvii.
20, 105, 124. 126, 133 à 138, 143,
145. 147, 188.
Lhvillier, 61.
Lhuillier (Jean), xv.
L'Hl'illier de Maisonfleur, 145, 177,
203, 217.
LiGNERi C Claude de), 80, 143.
LiMEUiL (Isabeau de), 161.
LiNDSAY, poète écossais, 75.
LiNTiLHAC Eugène), 207.
LoDGE, poète anglais, 209.
Loisel (Antoine), xiii, xvi, xvii, xxv.
LoNGNON (Henri), 56, 64, 67, 116.
Longuemare (P. de), 213.
LoNGUEviLLE (M"" de), 9.
Lorraine (Charles de), d'abord car-
dinal de Guise, puis de Lorraine,
XXVI, XXX, 5, 22, 49, 71, 72, 125, 133,
134. 142, 143, 145, 151, 228, 230,
234.
Louis XII, roi de France, 61.
LoLis XIV, roi de France, 55.
Louise UE Savoie, mère de François I'',
62, 74.
LoRÉ (Jean de), 179.
Lucrèce, XIV. 207, 231.
LusiGNAN (Etienne de , 54.
Lycophron,xxix, XXXIII, 13, 14, 110,111.
M
Macé (René), 108.
Machin Salmon-, 58, 112.
Madeleine de Franxe, fille de Fran-
çois I«', 5, 73, 74.
Magny Olivier de , 44, 79, 105. 106,
143,211, 217. 221, 223.
Malherbe Fr. de), xxxii, 192,198,235.
Mangot (Jacques), xvi
Mansfeld (Comtesse de), 167.
Marcassus (Pierre de), 74, 98, 121, 162.
Marguerite de Valois-Angoulème,
steur de François I'^', reine de
Navarre, 17, 63, 119, 124, 125, 132,
138, 233.
Marguerite de France, sœur de
Henri II, duchesse de Berry, puis
de Savoie, 19, 20, 22, 73, 74. 77. 78,
81, 119, 121, 124, 127, 131 à 133.
144, 160.
Marguerite de France, sœur de
François II, de Charles IX et de
Henri III. reine de Navarre. 115,
147, 158, 232
Marguerite de Lorraine-\'aude.mont,
193.
Marie de Lorraine, reine d Ecosse, 5,
73-74, 145, 216.
Marie Dupin, ou du Pin, maîtresse de
Ronsard, xxvii, xxx, 19, 127 à 131,
195.
Marie-Elisabeth de ^'ALOIs, xii.
Marie Stuart, reine de France, puis
d'Ecosse, XXXV, 64, 145, 175, 177,
178, 209.
Marot iClément), xxxvi, 10, 63, 73,
80. 84, 86, 87, 96, 107, 11'2-113,
127, 138, 139, 140, 165, 209.
Marot (Jean), 110.
Martellière (Jean^, 56, 58, 116, 170-
Martigues, XI.
Martin (Aimé), 156.
Martin (Jean), 107, 111, 118.
Martin (Pierre), 179.
Marty-Laveaux, XIII, XV, xvi, xvii, 53,
59, 61, 63, 66, 74, 89, 92, 102, 105,
106, 116, 129, 134, 138, 163 à 166,
169, 173, 180, 183, 186, 191-192. 205,
206, 215, 217, 224, 226, 228, 229.
Mari'lle (Michel), poète néo-latin, 87,
131, 142, 177.
Mas-Latrie, 59.
Masson (Papire), ix, xxvii, 102, 110,
165.
Massuau, 80.
Masures (Louis des), xv, xxiv, xxvii,
118,217, 231.
xMatiiieu (P.), 158.
Mauddit (Jacques), 45, 192, 193, 229.
Maugiron, 173.
Médicis (Catherine de). Voir Catherine
de Médicis.
Melissus (Paulus), poète néo -latin,
XXXV, 209, 213.
Ménage (Gilles . 116, 121, 138.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS
257
Menier (M. ,81.
Mersenne lie P.), 192.
Mesmes Jean Pierre de , 221.
Meunier J.i, élève du coll. Hoiicoiirl,
193.
Mkziïires (A. , 123
Michel (Francisque^ 76.
Mien EL- Ange, 40.
MicHiELs(A.), 162.
Mignet (Fr.-Aug ), 62, 63.
MiREURS (Pierre des), 150.
MoNiN (Jean-Edouard du), 199 et 200
MoNLUc (Jean de), évèque de ^'alence,
210, 217.
MoNNiER iPhilippel, 123.
Montaigne, 189, 231.
Montmorency (Anne dei, 63.
Montmorency (François de 1, 85.
Mont-Dieu (B. de), 24, 153, 154.
Moreau, trésorier de l'Epargne, 167,
203.
Moreau Gatien), 187.
MoREL (Federic), xix, 188.
Morel fJean de^ ou siraplemenl Jfian
Morel, xLvii, 79, 80, 105, 124, 135,
136, 138, 139, 150.
MORERI, 66.
MoscHus, 115.
Moulin (Antoine du), 86.
MouzAY (Pierre), 187.
Muret (M. A. de), ou simplement
M -A. Muret, xvii, xix, xxvi, xxvn,
13. 19, 36, 57, 95, 104, 105, 112,
124, 125, 128, 156, 160, 186, 188,
189, 217, 221, 224, 225.
N
Nau, secrétaire de Marie Stuarl, 28,
174-175.
Naugerius ou Navagero, poète néo-
latin, 44, 225, 226.
NicÉRON (le P.), 213.
Nicolas (Simon), 197, 201, 203, 217,232.
NoLH.\c (Pierre de^ 105, 135, 139, 150,
163, 188, 228.
Nostredame (Jean de), ix.
NouEL (Eugène), 66.
Olivier de la Poconnière, 56.
Opitz (Martini, 209, 210.
Orphée, xl, 2, 54, 56.
Ovide, 88, 131.
vie de v. de ronsard
Pange.^s ou P.\NJAS, 221, 224.
Pascal (Biaise), 235
Paschal (Pierre de), ou simplement
Pierre Paschal, ix, 59, 60, 61, 72,
76, 80, 100, 106, 148, 187, 195,
217, 219, 234.
Pasquier (Esticnne), xvi, xvii, xix, xx,
XXVI, xxxiv, XXXV, XXXIX, XL, 43, 44,
95, 100, 123, 124, 144, 150, 155, 18(),
196, 211, 214, 217, 218, 219, 221,
222, 223, 226, 230, 231-232, 235, 236.
Passac (de , 58.
Passer.\t (Jean), 43, 44, 59, 163, 168,
231.
Passeron (J. S.), 172.
Patouillet, XXX VII, 43, 218.
Patry (H.), 132.
Paul (le Sgr), xxxiii, 9, 84, 85.
Pecc.^^te (Guy), 70, 71.
Peccate (Julien), 71, 217.
Pecquet, 170
Peigné (Jehan), Sgr de Pré ou Praj'
116.
Peletier (Jacques), xxix, 14, 43, 57,
87, 100, 101, 105, 106, 109, 113, 114,
118, 126, 218, 221, 223, 235.
Perdrizet (Pierre), 150, 153, 156, 232.
Perreau (Pierre), élève du coll. Bon-
court, 193.
Pétrarque, 15, 26, 87, 101,122, 166,
206, 207, 230.
Pétrone, xvii.
Peyre (Roger), 132.
Philibert-Emmanuel, duc de Savoie
131.
Philippe VI de Valois, 2, 53, 55.
Piaget (Arthun, 123.
Pibrac (Guy du Faur, si^ de', xii, xvii,
xvni, XXIX, 23, 36, 133, 147, 188,
189, 190,210, 236.
Picot (Emile), 86, 105.
Pie IV, pape, 152.
Pie V, pape, 24, 152.
PiGAFETTA (Filippo), 214.
Pindare, xxxiii, 13, 14, 16, 18, 47, 57,
82,94, 108, 111, 126, 131, 230.
PiNVERT (Lucien), 74,77, 79, 91, 92,
93, 97.
PiOLiN (dom), 70.
PissELEu Charles de), 119, 130, 132,
195, 217, 218.
Pl\ntin (Christophe), 210.
Platon, 231
Pline le Jeune, 56.
PoEY ou PouY (Bernard du), 57.
17
858
INDEX VLPIIABETIQUE DES NOMS
POLTROT DE MÉRÉ, 145.
Port (Célestin), 65.
PossoNNiÈRE manoir de la), \v, 2, 3,
4, 59, 64, 228, 229.
PosTHius. poète néo- latin, 209.
PoTEz (Henri), 150, 155.
PoTTER (de), 152,
Prévost, régent du Collège de Bon-
court, 155.
Primatice (Le), 171.
Phim.weua ^Jacques), 84.
Prinsen (J.), 210,
Q
QuiNTILIEN, 43.
Rabelais, 80, 126.
Ramis ou La Ramée (Pierre), xxx, 43.
215-216.
Rapin (Nicolas), xvi.
Regxard (Florentin^ 168.
Régnier (Mathurin), 170, 193, 203.
Revergat (François dej, 217.
Richelet (Nicolas), 89, 128, 167, 224,
225.
Ripe (Albert), luthiste, 230.
RoBERTET (Florimond), 217.
Robin (Paschal), sieur du Faux, 3, 64-65.
ROBIQUET, 91.
RocHAMBEAu (Achille de), 55, 58 à 63,
84, 114, 129, 132, 139, 149, 156, 165,
170, 179, 186, 199, 226.
Roches (Guy des), s' delà Basnie, 64.
Roman de la Rose, 10, 86.
RoNSART ^Baudouin de), 2, 54-55.
RoNSART (Charles de), frère aîné du
poète, 69.
RossART (Claude de), frère aîné du
poète et du précédent, 56, 69.
RoNSART (Jehan de), oncle du poète,
59, 70, 85.
RoNSART (Julien de,, 2, 59.
RoNSART (Louise de), sœur aînée du
poète, 69.
RoxsART (Loj's de), père du poète,
XXXI, XXXIV, XXXVI, 2, 3, 56, 61 à 64,
66, 69, 80, 87, 88, 102.
RoNSAKT (Loys de), neveu du poète, 69.
RoosÈs. 210.
RouAULT (Joachim), 64.
RoYER fJean), 166.
Sagos ^François), 140.
Saint-Cosme (prieuré de), 30, 33, 35,
44, 45, 157, 159, 168, 175, 182 à 187,
191, 228, 229.
Saint-Gelais (Melin ou Mellin de),
xxxiii, 17, 21, 43, 124, 125, 132, 135
à 142, 150, 195, 218, 221.
Saint-Gilles (prieuré de), 31, 168, 175,
177 à 180, 187.
Saint-Guingalois (prieuré de), 168, 187.
Sainte-Beuve, viii,54,74, 91, 105, 109,
116,121, 123, 167, 196, 199, 225,
236.
Sainte-Marthe (Scévole de), ix, xvi,
XVII, XIX, XXI, XXIX, XXXIX, 43, 44,
90, 112, 117, 142, 143, 169, 190, 213,
224 à 227.
Saintsbury, 209.
Salel (Hugues), 43, 124, 146, 218.
Salviati ( Cassa ndre), maîtresse de
Ronsard, ix, xv, xxvii, xxxvii,
xxxviii, XXXIX, 15, 16, 66, 92, 98,
101, 115 à 117, 121 à 124, 128, 131,
138, 143, 216, 227.
Sannazar, 87, 101.
Sanzay (René de), 54.
Scaliger Jules-César), xxviii, 42, 206,
207, 214.
Scaliger (Joseph), fils du précédent,
XVI, xvii, 207, 210.
Sceve (Maurice), 43, 101, 211, 218,
221.
Séché (Léon), 80, 91, 112, 119, 121.
Second (Jean), 87.
Seguins (Gell. des), 143.
Sénèque le philosophe, 231.
Sforza (Ludovic), 61.
Sibilet ^Thomas), 109, 140, 141, 218,
221.
SiDNEY (Philippe), poète anglais, 209.
SiNOPE, maîtresse de Ronsard, 128.
SiGON (Charles), 36, 188, 189.
Simon (abbé , 58, 59, 62, 93, 175, 227.
SiRLET (Guillaume), 36, 187, 189.
SixTE-QuiNT, pape, 175.
Smith (Gregory), 209.
SoRBiN (Arnaud), ix, xxvii, 156, 157.
SoREL (Charles), 236.
Southern, poète anglais, 209.
Speroni (Sperone), xxix, xxxi, 43, 206,
213 et 214.
Stecher, 86, 207.
Stoetzer (O. g.), 66.
Stuart. Voir Jacques et Marie Stuart.
Suugères (Hélène de), xxix, xxxii,
xxxvi à XL, 25, 26, 163, 166, 167,
228, 238.
SuRREY, poète anglais, 75.
INDEX ALPHABETIQUE DES NOMS
269
Tacite, xxv, xxxii, 56, 57, 228, 239.
Taiiureau (Jacques), 221, 223.
Talox (Omer), en latin Audomaïus
Talaeus, xxx, 215 et 216.
Tamisey deLarroque, 105, 221.
Tasso (Torquato), 206.
Teissier (Antoine), 214.
Terpandre, 111.
Théocrite, 114, 115, 121, 230, 234.
Thévet (André), xvn, 195, 217.
Thomas (Antoine), 146.
Thou îChristophe de), xvii, 213.
Thou /Jacques-Auguste de\ xiv, xxxix,
67, 68, 70, 158, 179, 185, 189, 192,
194, 214, 217, 222, 230, 236.
TlBt'LLE, 131.
T1ERCELIN (Jehanne), 56.
TiERsoT (Julien), 192, 230.
TiTTMANN (Jules^, 210.
TofCHET (Marie), maîtresse de Char-
les IX, 162, 196.
Troussily, 217.
TuRNÉBE (Adrien), x.wii, 12, 99, 100.
TuRNÈBE (Odet de), xvi, xvii.
TusAN ou Toussain, maître d A. de
Baïf, 91, 94, 96.
Tyakd (Fontus de), xv, xxvii, xi.i, 18,
43, 49, 101. 106, 126, 141, 210, 211,
218, 221, 222, 223, 225.
Tzetzès, 111.
U
Ubicini (A.), 54.
IJpHAM A. Horatio), 209.
Utenhove (Charles), 110, 210.
Vailly (de), régent du Collège de
Navarre, 5, 71.
Vanel (J.-B.), 168.
Varenne (Gaston), xiii.
Vaumeny, luthiste, 217, 230.
Vauquelin, s' de la Fresnaj'e,xviii,203.
Velliard (Jacques), xix, xxi, xxii,
xxxni, 53, 69, 70, 72, 73, 75, 76, 77,
80, 81,84,85, 89, 95, 102, 107, 115,
117, 123, 139, 150, 151, 152, 175,
176, 178, 185, 191, 192, 193,208,222.
Velliard (Louis;, 193.
Vendomois (Jehanne de), 60.
Vergèce (Ange), maître d A. de Baïf, 96.
Vettori (Petro). Voir Victor (Pierre).
ViALART (Louis), 163.
Vtaney (J.), 193.
Victor (Pierre), xvii, 36, 42, 188, 189,
206, 207, 214.
Vii.LEROY (Nicolas de Neufville, s"^ de),
XIII.
ViLLEY (Pierre), 213.
ViOLLET-LE-DuC, 154, 156.
Virgile, xxx, xxxii, 10, 12, 21, 22, 25,
43, 71, 84, 87, 89, 97, 121, 122, 164,
198, 215, 230.
VoiER (René de), vicomte de Paulm3',xi.
W
Waddingtox, 215.
Watson, poète anglais, 209.
Weckherlin (Rudolf), poète allemand,
209, 210.
Wyatt (Thomas), poète anglais, 75.
Zamariel (A.), 24, 153, 154.
LA VIE DE P. DE RONSARD
ADDITIONS ET CORRECTIONS
(Prière d'insérer à la page 261)
Page XVI, note 2, ligne 2, corrigez ainsi : Cette pièce ne flgurait pas dans le Tombeau
de R. Belleau.
P. 95, dernière ligne, supprimez et Bonamy.
P. 121, ligne 41, lisez de mai-juin 1901, p 239, au lieu de mars 1901
P. 138, lignes 6 à 10, corrigez ainsi : J'adopte cette seconde interprétation parce que
l'expression « chanter une Palinodie » me semble désigner particulièrement une
pièce de vers qui contenait une palinodie. Si Binet avait voulu parler de rétractations
orales, il aurait emploj'é l'expression toute faite et générale « chanter la palinodie »,
sj'nonyme de se rétracter, ainsi que l'a fait L'Hospital dans sa lettre à Morel : (( Mihi
videntur palinodiam canere » .
P. 213. ligne 38, lisez Paulus Melissus
P. 215. lignes 10 à 13, corrigez ainsi: C'est seulement dans sa Dialectique 'éd. princeps
de 1555 et rééd. de 1576). que l'on trouve des citations de Ronsard, ou plutôt des
traductions en vers de Virgile, Horace. Ovide et autres poètes latins, devant ou
après chacune desquelles il y a le nom de Ronsard.
p. 215, ligne 36, lisez dans son ouvrage sur Ramus 1855i, p. 464.
P. 216, ligne 18. après Ramus, ajoutez , qu'il professait la Rhétorique au collège de
Presles dirigé par Ramus
P. 248, ligne 32, ajoutez : Le premier vol. a paru en 1906.
P. 250, dernière ligne, supprimez Thèse, et lisez Meyrueis.
P. 252, supprimez la ligne relative à Bonamy.
ADDITIONS ET CORRECTIONS
Page 43, ligne 48, mette: une virgule entre Peri-on et Berlaud
Pp. 70-71. A propos du premier précepteur de Ronsard à la Possonnière,
a/'ou/e2 cette référence: Louis Kroger, Guy Peccate, note parue dans les An-
nales Fléchoises de septembre-octobre 1909, trop tard pour que j'aie pu la
signaler en son lieu. Je pense d'ailleurs que le Peccate mentionné par Ron-
sard dans les Bacchanales n'est pas celui-là, mais Julien Peccate, dont parle
M. Froger en terminant.
P. 75, 1. 38, lisez Au Seigneur de Carnavalet
P. 82, 1. 3, lisez juillet 1900
P. 87, dernière ligne, lisez de Marulle
P. 100, avant-dern. ligne, lisez 1899 au lieu de 1839
P. 102, 1. 20, lisez Papire Masson
Pp. 115-116, à la liste des études consacrées à Cassandre, la première Muse de
Ronsard, ajoutez : Raymond Clauzel, Cassandre ^Revue Bleue du 23 janvier
1909, p. 112) ; Louis de Tombelaine, Le poète Ronsard et sa Muse Cassandre
Salviati i.Re\ue d'Europe de mai 1909, pp. 48 à 57) ; Pierre Dufaj-, Autour
de Cassandre : les Salviati, à propos du testament de Jacques Salviati (Annales
Fléchoises de septembre-octobre 1909, pp. 332 à 347).
P. 124, 1. 5, lisez y mist la main au lieu de y mit la fin
P. 128, dern. ligne, lisez (V. ci-après, p. 167, aux mots « devenir Poètes »).
P. 182, aux références concernant le prieuré de S'-Cosme, ajoutez : A. Vincent,
note d'une page sur Ronsard à Saint-Cosme 'Bull, de la Soc. arch. de Tou-
raine, 1898-99, p. 103).
P. 206, 1 5, lisez Recherches de la Fr.
Pp 211-212, aux références concernant A. Jamin. ajoutez : Louis Froger,
Amadis Jamyn au Vendômois Annales Fléchoises de septembre-octobre 1909,
pp. 364 à 369). Cette note nous apprend que Jamin obtint le bénéfice de la
cure d'Artins, près de Couture et de Croixval, le 29 juillet 1572 ; mais, en la
lisant, il ne faut pas oublier que le poème de la Salade dédié par Ronsard à
Jamin remonte à 1569, et que c'est en 1574 (et non en 1584) que parut la Irad.
de quelques livres de l'Iliade (et non de l'Odyssée) par Jamin avec Iode de
Ronsard Homère il suffisoit assez, à laquelle M. Froger fait allusion en termi-
nant.
P. 230, 1. 18, hsez juillet 1900
P. 231, 1. 22, lisez au début de l'Elégie à L. Des Masures
Qu'on me permette enfin de signaler ici quelques nouvelles fautes d'impres-
sion aperçues dans mon ouvrage sur Ronsard poète lyrique ;
P. 265, note 5, lisez Jean Bonnefons
P. 775, 1. 10, lisez juillet 1900
P. 777, 1. 1, lisez Recueil et Discours ; 1. 2, lisez 1566 au lieu de 1556 ; dernière
ligne, lisez de janvier 1902.
P. 779, 1. 17, lisez Vascosan
P. 784, lisez Bonnefons (Jean).
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
I. — Origine et raisons de la présente édition
II. — Claude Binet. Sa carrière littéi-aire Ses relations, notamment
avec Ronsard et les amis de Ronsard. Ses trois éditions delà Vie
de Ronsard
III. — Ses sources d'information.
A. Documents écrits.
B. Documents oraux.
Critique de sa méthode
IV. — Disposition de notre ouvrage : texte fondamental, variantes,
commentaire ; graphie et ponctuation ; signes adoptés.
DISCOURS DE LA VIE DE P. DE RONSARD, PAR CL. BINET.
Texte de 1586 et appareil critique 1 à 51
COMMENTAIRE HISTORIQUE ET CRITIQUE 51 à 239
Bn5i,ioGR.\pniE 241 à 250
Index alph.\bétique des noms 251 à 259
Additions et corrections 261
ACHEVE D IMPRIMER
Le 15 Novembre 1909
PAU i.A
SOCIÉTÉ FKANÇAISE D'IMPRIMERIE ET DE LIBRAIRIE
6-8, rue Henri-Oiidin, POITIERS.
/ . y
PQ
1677
1910
Binet, Claude
La vie de P. de Ronsard
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