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\
TOME I
DU MEME AUTEUR :
L'Annonciation (5 tomes).
La Résurrection des Dieux.
Prochainement :
Essai sur Emile Zola.
Les Concerts rustiques.
Le Martyrologe (de Ravachol, Vaillant, Emile
Henry, Caserio).
Traité du Poète-Roi.
la Vie Héroïque des Aven-
turiers, des Poètes, des
Rois, et des Artisans. —
théorie du pathétique pour servir
crintroduction à une tragédie ou
à un roman — par Samt-Geor-
ges de Bouhélier. »
M DCCC XCV
Ê/£LÎOrH£CA
■Pnavisnsii
5(K§-
V 'I
A -M0\ PÈRK
Voici ma pensée :
Un grave archer mar-
chait depuis l'Eternité,
autour d'une Tour de fer^
sur la haute cime d'une
montagne pastorale.
A chaque aurore, il ap-
parut transfiguré.
Et corarae, en bas de la
Montagne, s'étalaient les
eaux, en miroir, d'un Lac
— son Ombre^ au loin, s'y
projettait.
La montagne était hau-
te. L'Archer gardait la
Tour^ depuis l'Éternité. Et
nul jamais ne l'avait vu.
Mais les hommes buco-
liques, et les purs bateliers
- 9 -
errants, à chaque aurore^
voyaient la Tour mirée
dans l'eau^ et l'héroïque
et romanesque Archer.
Quand le Soleil, mon-
tant dans l'amoureux
Azur, passait la Cime du
mont, — les mirages
d'Ombre et de merveilles
disparaissaient.
On faisait, sur ces cho-
ses, des récits légendaires.
Ingénues et naïves, des
Vierges s'en éprirent.
Mais si haut qu'elles
pussent regarder vers la
Cime — elle sembla tou-
jours solitaire.
Et plus d'une, sanglot-
tante, rêva de voir sur
l'eau du lac, mourir l'Om-
bre adorable et la Tour.
Plus passionnées, plu-
sieurs, prises de vertige,
s'j noyèrent.
Et Lui, — on le sut mais
plus tard — captif, à cha-
que aurore de sortilèges
impies, il NE SAVAIT
PAS être au haut de la
Montagne; mais croyait
vivre en le Reflet du Lac.
Et comme son Ombre
s'y projettait, elle attirait
sa Conscience même.
Dès qu'il cessait de s'y
distinguer, reflété, il con-
naissait enfin sa présence
véritable.
— On sut plus tard ces
choses, car il vainquit le
sortilège impur qui l'en-
chaînait depuis l'Éternité.
*
'f *
Or, je suis pareil à l'Ar-
cher.
Et peut-être est-ce mon
— 13 —
Ombre que j'aperçois, au
loin, ou ma Forme réelle
que je prends pour mon
Ombre.
(Amionci.-ifion.)
Il parla ainsi, et il rentra dans
la demeure d'Aidés. Et moi, je
restai là, immobile, afin de voir
quelques-uns des hommes héroï-
ques qui étaient morts dans les
temps antiques; et peut-être
eussés-je vu les anciens héros
que je désirais, Théséus, Péri-
thoos, illustres enfants des
dieux; mais linnombrable mul-
titude des morts s'agita avec un
si grand tumulte que la pâle ter-
reur me saisit. — (Odyssée.)
Si fabuleuse que vous paraisse une
tragédie do?it les héros habile fit le
sauvage exil d'une contrée de hautes
roches et de profoiides grottes gron-
dantes de glaciers et d'eaux glau-
ques, — il ne faut point que vous e7i
suspectiez la confidentielle vraisem-
blance. Il y a là des tempêtes, des
carnages et des tumultes. — De
jeunes aurores bondissent^ candides^
i8 —
dans les prairies. Les rocailles ei
bamnent. L'été brâle.
Ne croyez pas que ce soit une fie,
tion que Von imagina par jeu.
roman garde le plus intact éclat
mo7ide. Et il n'y survient rie7t d'at
tificiel.
Assurément^ je n*y ai pas décrit
cité populeuse^ surannée et retentii^
santé oii je demeure. Car je n 'en
jamais bien regardé les quinconçi
d'or, les roses arcades ; les p07tts, lé
forges^ les marécages; et ces luisante\
puissantes et écartâtes statues do\
sont peuplés les places publiques
les jardins. — Et je les ignore^ -^\
les ruelles! les quais!
Il y passe ^ m'a-t-on dit^ des gel
qui s'agitent dans des turbulence
Débordantes d'algues etdepoissoi
- Î9 -
des barques s'étale ?ii sur les eaux
sablonneuses d'un Jleuve. Les dures
pluies ro)ige)it les tuiles des toits.
Le langage que l'on parle ia\ m 'est
iucojinu. Et je sens bien que ces
gens là lèvent derrière moi^ sur mon
passage, et afin de m'en lapider^ d'o-
paques petites pierres rudes et écla-
tantes. Mais ils n'osent pas. Ils sont
lâches et obscurs. Leur patiente bas-
sesse ne se compense point d'épou-
vante. Ils vivent une existence
glacée et fade. Ils en incline?it l'es-
poir vers les pires servitudes. Et ils
la borne^it aux plus pâles horizons.
Ils s 'entretiennent^ avec des larmes,
des rires, de l'azur et de la marée ^
des grêles abattues sur les orges et
des bénéfices quotidie/is. Il faut bien,
cependant que j'écoute ces fugaces
— 20 —
colloques où ils se chuchottent. Et
peut-être que s'ils causent ainsi ^ —
c ' est pournte plaire . Et peut-être habi-
tent-ils aussi dans d'extraordinaires
lieux de roses ^ de grottes^ d'aurores !
Car ces pâles turbulences oii nous
apparaissons^ savons-ftous jamais ce
qu'elles cachent. Il y a d'effrayants
carnages que nous co7nmatido7is en
souriant ; et cette futile grâce en
fausse l'épouvante.
Le Carnaval des Destins
c Élève-tnoi, S fnoti frère, un
pur ionibeaii d'airain au bord
de la mer écitmeuse. »
II
Ah! latrocc, la noire mascarade!
— Les hommes, enfin, ne porteront-
ils pas le masque ébloui ou élégiaque
de leur Destin? Ils sont là, attentifs,
à des jeux d'enfants, et ils ne se parent
que pour la parade. — On marche,
on a soif. On a faim. L'espoir chu-
chotte et rit; et la Mort vient. Le
— H —
pain que l'on mange a un goût de
cendre. Et la porte où Ton frappe se
clôt. D'épaisses fumées montent des
maisons. Des pommes spongieuses
et odorantes cuisent dans du feu ; sur
la table étincellent les plus candides
des linges; et des gens crient. On
entend leurs colloques. Et l'on a faim.
Et ils chantent. Et l'on pleure. Mais,
nul ne saura jamais rien. Des toits se
hérissent de hautes pailles d'or jaune,
tout en flammes. Et les hommes se
bariolent de fards. Or c'est par de tels
stratagèmes qu'ils peuvent paraître
au Carnaval humain.
Il y a là des barques embaumées et
peintes de goudron, des urnes ro-
cheuses, de durs pains blancs tout
imprégnés de sang et d'or, des fruits
glauques et acides, des aigles ! Et des
I
- 25 —
hommes s'inclinent, — les uns pé-
trissent des pierreries ; certains qui se
ploient puisent les eaux ; — des guer-
riers s'exercent aux jeux du car-
nage ; — leurs rauques arquebuses
siftlent et grincent : des vols d'ci-
seaux rouges croulent du ciel ! — Et
voici des pêcheurs. Et ils semblent
attentifs. Et ils tressaillent, à cause
d'une pomme de pin qui tombe,
d'une branche qui craque, — d'un
calme écho, d'une odeur d'algue !
Cependant, et quoiqu'ils y appa-
raissent, ici, au milieu de ces pâles
rocailles, — des lourds fleuves, des
fleurs — ils n'y résident point, cela
est certain. Et les pirates, les bou-
viers, les nomades !
Si graves et pompeux qu'ils sem-
blent, en vérité, ils ne demeurent
— 26 —
que de vaines parodies. Il n'ont point
toute la grâce, le triomphe et la joie
où leur destin les eut dus diriger.
Mais ils en figurent l'imposture. Il ne
faut point se fier aux confidences
qu'ils font. Le poids de leur cendre
pèse à peine par rapport au poids de
leur ombre. La stature de leur gloire
n'atteint jamais à celle, plus réelle,
de leur songe. Et les actions su-
blimes qu'ils tentent n'aboutissent
qu'à des simulacres.
Car des hasards combattent nos
destinées. — Les abeilles, les lacs
s'y opposent...
* «
Nous nous inclinons vers la terre ;
et elle se hérisse de blés d'or en
flammes. De peur qu'ils ne flam-
— 27 —
boient — roucres torches — nous
en composons des couronnes. —
L'Amour, pourtant, s'effrite, pâle
sous les lourds bocages! — Mais
personne ne peut s'en passer — On
l'imagine donc, rose et acariâtre, étin-
celant de candides fadeurs! — En-
suite nous cherchons des fêtes, des
bouri£ades! Et comme succombent
nos confidents, on pétrit de hautes
et banales statues afin de les ressusci-
ter ! C'est là où se courtisent les vains
Désirs. — De dures pluies bleues
et ténébreuses brûlent les rochers...
Les rôles que nous aurions dû
jouer, nous les confions à des héros
fictifs. Rois, blancs pasteurs, divms
amants, — voilà des personnages
plus réels que nous mêmes! Ils accom-
plissent nos Destinées. — Au milieu
des sites glauques et faux ! — Leurs
actions en reconstituent les événe-
ments. Ils ont les aventures qui nouî
furent défendues.
Des héros lancent des piques d'ai-"
rain. — Chargées d'aromates, des bri-
ses battent les orges. Nocturnes et
amères, ruissellent les eaux vertes;
et elles balancent les branches d'orme
et de pin, et elles reluisent aux
voûtes tout en fleurs des maisons, —
Paysages qu'animent nos Désirs !
Philoctète, en larmes, s'y lamenteJ
On chante au fond de la forêt. — •"
Des guerriers luttent sous la lune
blanche...
Or telle est leur exceptionnelle et
éclatante magnificence, qu'ils expri-
— 29 -
ment nos passions, et mieux, avec
plus d'âpreté et de grâce que nous-
mêmes. Les bas esclaves rugueux,
courbés, que nous semblons, y dis-
tinguent leur paienne splendeur. —
Un paradis y transparait !
Ces églogues, ces idylles banales
et adorables, — voilà le lieu où
apparaît la stature de nos destinées !
— guirlandes d'Amours, rustiques
géants! — Ce que nous sommes
y apparaît ! — Nos destins y couron-
nent leur gloire. Et les nations nous
sanctifient. Des femmes apportent,
pudiques et graves, des urnes fleu-
ries. Au bord des fleuves, les ro-
seaux sonnent. L'odeur des résines
monte des bois. — Candeur sacrée
et solennelle !
Dans les légendes quotidiennes et
extraordinaires qu'ils imaginent, 1<
pires esclaves s'héroïsent, resplen-
dissent! Ils s'y restituent les trésoi
que leur dérobèrent les hasards. Et
on y enveloppe les plus pâles actions
d'un furieux mystère de sang et d(
larmes! Par là, ces fades fictions
nous semblent aussi touchantes qu<
des turbulences urbaines et agrestes^
L'héroïsme est beau et tragique des
pécheurs, des poètes, des pâtres
et de cet auguste et farouche faneui
qui aiguise en silence, et contre ui
roc tremblant, sa faux dure, ardente
taciturne ! . . .
Fêtes,
Villages, Funérailles
« Hélas! l'existence quoti-
dienne travestit la vie éter-
nelle, w
III
C'est ainsi que j'ai combattu d'élé-
giaques et atroces destins. Cette tra-
gédie en reconstitue l'aventure. Et
elle en raconte les péripéties.
La cité héroïque dont je tente de
décrire les quais, les portails lui-
sants de guirlandes, les fêtes, l'indus-
trie, les rumeurs, — il ne faut point
- 34 -
croire qu'elle n'existe pas. Car je
l'ai construite de purs blocs pou-
dreux — ruines gisantes de la
Ville où vous me voyez. Aussi ne
faut-il pas la croire imaginaire.
Il y a là de puissantes et glaciaires
arcades dont la concavité obscure
abrite des marchands, des mendiants.
A l'entrée des parcs, s'avancent les
statues — offrant des corbeilles dé-
bordantes de fruits! On habite de
plâtreuses baraques, toutes pétries
d'huiles, de briques et d'algues! 11
passe des charrettes dans de petites
rues caillouteuses. Diaprés, aigus,
les pavés sonnent. Au bord des
fleuves, les saules se balancent en
bruissant.
Des cascades de roses ruissellent
sur les places. La mer tonnante
I
- 35 —
écume aux rudes margelles des quais.
I.a marée y apporte des pêcheurs de
baleines, d'extraordinaires tueurs
d'ours, farouches, écaillés d'or ! Des
pirates débarquent. — Là j'ai conduit
des armées noires et écarlates. —
Tumultueuses, les barques bon-
dissent sur les eaux. Le tonnerre des
forges retentit. D'épaisses fumées
s'enguirlandent, en houilles, dans
l'azur. Les esclaves de cuivre, so-
lides, lourds, déchargent d'odo-
rantes cargaisons. Près des portiques,
des astrologues bariolent le ciel de
prédictions. Il monte du sol rouge
des odeurs pesantes, coriaces, et
acides de violettes, de sels !
Monumentale et populeuse Cité!
C'est là où m'ont conduit d'antiques
destins. Nul bas trafic ne s'v a<£ite.
- 36-
— L'industrie des herbes, des ro-
cailles — L'acariâtre héroïsme hu-
main s'embellit de l'extase des
dieux.
C'est dans ces lieux de roses et
d'eaux que j'ai vécu — statue
païenne et angélique — à l'instant
où mon Ombre habitait parmi vous.
Vous n'y avez rien distingué. Ne
croyez pas que cette cité ait rien de
bien miraculeux. Aucun de vous
n'en a jamais franchi les portes. Et
cependant elle resplendit. — Ton-
nante de cloches et de clameurs ! —
J'en connais toutes les tremblantes
ruelles, les parcs que gardent des
grilles de fer, les sombres blocs ron-
gés de lune, les môles, les ponts.
Des chaumières s'y dressent, — plâ-
treuses et opaques, verdies de li-
— 37 —
chens, toits roses que hérissent les
pailles en panaches! — Au seuil des
maisons chantent d'écarlates coqs !
Les viviers se creusent sous les
pluies. — Une lanterne d'étain, ren-
seigne peinte, sculptée où se cabre
un paon, le soc d'une charrue luisent
dans des ténèbres. — Toutes les sta-
tues rappellent, aux vieux parcs, mes
destins. Elles gardent les secrets que
je leur confie. Rouges de sang et
d'or, les esclaves travaillent, fanent
les luzernes, déchargent les bar-
ques. — Des bûchers brûlent...
Ici, j'ai donc rêvé d'héroïques tur-
bulences — pires ou propices, mais
plus pomreuses que celles dont l'ar-
- 38 -
deur vous exalte. Les grâces qu'elles^
eurent furent terrifiantes. Et commet
elles n'en faussent point l'aspect,,
elles réalisent mes destinées.
Cette tragédie que je compose en
demeure le récit intact, et elle en
garde le strict éclat. Ainsi ne doutez,
point des aventures décrites. J'ai con-
duit d'écarlates armées à la bataille.
Et il n'y a là rien de fabuleux.
Certains des événements que jei
raconte vous paraîtront, sans nulj
doute, excessifs, d'un romanesque-
énorme, candide. Vous pensez bien;
que je ne m'en attribue pas la gloire.
Et pourquoi s'étonner que je con-
quière des styx, des cités, des royau-
mes? — Il n'est personne qui ne
m'ait vu cueillir des roses. Or nulle
action n'est plus sublime. — Pétrir
— 39 —
la pâte des cruches de grès, puiser
les eaux, tailler des branches ! — Il
n'y a rien de plus pompeux.
Il se peut bien que je revienne,
puéril et atroce voyageur, de la cité
que j'ai décrite, bâtie de houilles et
de blocs d'or. Les nations m'y ont
lapidé. Peut-être y ai-je ainsi mené
une retentissante existence.
Ce furent des batailles, des mas-
sacres I Fièvre et or ! De puissantes
campagnes resplendissaient. Les lacs
m'ont chanté aux creux des roseaux.
Des cyprès balancés bruissaient. On
— 40 — .
écartela les statues. Du tonnerre
embrasa les feuilles.
Puis vint la nuit, mauvaise et
noire...
Le Combat
des Hasards et des Destins
i
V. Il y a entre vous et mot des
distances d'astres. «
IV
Voilà de banales aventures. Ainsi
n'en soyez pas ébloui. Elles n'ont
rien de plus prodigieux que celles où
apparaissent les maçons, les bou-
viers. Et toutes les actions ont de
telles merveilles. L'emphase du hé-
ros les différencie.
— 44 —
Comme si Thorreur d'un carnag^e
noir et empesté était plus terrifiante,
farouche que le silence de cet esclave
dont la hache grince glacéeet cris-
sante sur des roches.
Il faut bien partout voir la Mort.
Une peur m'étreint. La volupté des
pourritures vibre et enivre. Du sang
suinte le long des statues. D'opaques
poissons d'or rongent des verdures
d'algues. Et ces flores hautes et écar-
lates ! Tout resplendit terriblement ! —
Pourquoi me jugez vous sur mes ac-
tions.-* Ce sont les hasards qui les
créent, ce sont les hasards qui nous
mènent. Et ils s'opposent à nos
destins. Ils nous sanctiefient ou
ils nous outrao^ent. Ils nous baitrnent
de roses, de neiges, de ténèbres !
I
- 45 —
Les hommes marchent au milieu
de l'ombre. Ils s'entretiennent de
l'azur, des violettes, des orges. Une
rose effeuillée épouvante. Il y a là
des élégies. Une païenne odeur
de mort s'en exhale. La Mort terrifie
non ceci, cela. — Les hommes palpi-
tent, tremblent. Ils ne s'entendent
point retentir^ car ils chuchottent, et
c'est d'une voix basse! Ils ont la
splendeur de ce qu'ils expriment.
Ils ne s'appartiennent pas. Ils obéis-
sent à des hasards ; et ils tentent de
se conformer â leur destin. Ils en
portent les messages comme des es-
claves dociles.
Quelques hommes accomplissent,
de merveilleuses actions. Mais cela
n'est rien. Et ils n'en sont pas respon-
sables. — Un empereur pétrit des
-46-
amphores, un carrier compose d<
poèmes, — voilà encore le carnaval
Il ne faut point considérer s'ils fraj
cassent des statues, s'ils cueillent d<
fieurs ou s'ils gouvernent les rac(
Leurs glaives rugueux et lourds oni
l'acide éclat du sang et de l'or. Il
égorgent des bœufs ou tressent de
guirlandes. Ils chantent les eaux, 1(
moissons, les batailles. Tantôt 1'^
mour les dompte — tantôt la Moi
Ils ne sont point beaux par l'aspec
qu'ils ont, mais par celui-là qu'ils se
songent ! Et ils repercutent les mêmes
confidences que leur murmurèrent
les dieux des rivières, des blés, de la
guerre. Ils prennent la splendeur dont
ils souhaitent l'éclat. Et ils ont l'é-
blouissante stature où ils aspirent.
Ils crient dans du tonnerre, parmi
- 47 -
ies cîmes; ils combattent les nations;
ils consument des bourgades, des
meules d'or; ils tuent et adorent. Ei
cela n'est rien. Ces bouviers ne nous
émeuvent pas. Et je n'ai nul respect
pour ces héros. Ils peuvent périr. Ils
ont des odeurs de cadavre. Ils" ne
resplendissent pas d'éternité. Cepen-
dant ils nous terrifient, et ils nous
charment, à cause des dieux dont ils
portent les messages, et pour des
Eaux qui chantent en eux, l'Amour,
l'Aurore !
L'embûche de l'Ombre! Et les
hasards, — stratagèmes, jeux et mas-
carades! — De tous ces hommes
(guerriers, rois, pécheurs, boucaniers,
pirates, bûcherons, ou bien men-
diants), il n'en est pas un seul dont la
vie soit conforme à d'aut'nentiques
- 48-
destins. Et si dociles qu'ils semblent,
héroïques, tumultueux, ils n'en ac-
complissent point les extraordinaires
fastes !
Ah I combien de héros ont été sub-
jugués et vaincus par les roses, ces fé-
roces, fugaces et furieuses fontaines;
la forêt, une pierre. Il y a là de tacites
et atroces révoltes! Les rudes pê-
cheurs ont des tempêtes, d'éblouis-
santes banquises d'or où bondissentj
des ours blancs ; des coquillages, h
nuit de l'eau; — et de rudes trou-'
peaux de bêtes d'or, rugueuses etj
écaillées ! — des algues ! Les labou-j
reurs voient se soulever les sillons 1
des grêles brûlent les blés; d<
— 49 —
ciels d'eaux ruissellent. Et d'odo-
rantes cargaisons d'huiles — de bran-
ches et de feuilles débordantes, —
s'écroulent en chantant des charrettes.
Héros farouches et éclatants! Ils
s'éloignent de leurs destinées, à cause
de l'ombre ou de l'aurore î Ils ne se
confient pas à ces présages. Ils n'é-
coutent pas ce que leur crient les lui-
sautes margelles blanches des puits,
le soc étincelant des charrues, les
roues profondes et empourprées qui
broient, craquantes, les pailles, le
sable. Ils ont peur d'aller où ils vont.
Ils s'épouvantent aussi, en vérité,
vraiment, des torches de tonnerre
qu'ils brandissent. Ils n'osent passai-
sir ces rocailles afin d'en fracasser les
plus hostiles statues. Ils songent — et
ils se ploient aux circonstances.
- 5o~
Des hasards étrangers s'opposent à
leurs destins, en sorte qu'ils en laissent
l'aventure, — leur pudeur, parfois les
retient; — ou l'innocence de leur
amour — ou la puérile grâce de leur
mansuétude.
# «
Ainsi nul destin — joug d'esclave
docile — ne m'a accordé la victoire.
J'ai combattu les paysages. Pourquoi
ne suis-je pas devenu le divin pasteur
de statues qui m'eut plu? J'ai com-
battu la révolte des cîmes et des eaux.
Les ruses de l'aurore m'ont exaspéré !
Des pierres bondissantes meurtrissent
mes guirlandes ! Je n'ai pas connu les
triomphes d'été, les fêtes en honneur,
les panégyriques Or, comme je
marchais, pudique, tendre adulte, les
- 51 -
pestiférés m'ont tendu des mains pu-
tréfiées et tristes! — J'ai tué des
dieux. — Ah I sachez-le, j'ai médité
souvent de féroces et furieuses actions.
Si je ne les ai point commises c'est
que des hasards me l'ont interdit. 11
y a tant d'obstacles ! — On ne peut
jamais rien !
Je sais que jadis des empereurs
imaginèrent les pires tortures pour
de puérils et douloureux esclaves. A
cause de leur pâle grâce, écartelés,
coriaces; ou par jeu, enduits de gou-
dron, brûlés comme des bottes de
paillesblanches;oujetés dans l'arène,
farouches, tremblants et humbles, —
au milieu des roses et des lions ! Ce
- 52 -
furent d'atroces et gais passe-temps I
Des empereurs jadis s'y complurent.
Et je crois, que pour les décrire, il
faudrait pouvoir les vouloir !
Les beaux supplices! Batailles et
sang! de hautes torches consument
les châteaux ! Et les carnages ! Et les
tumultes! Voilà de terrifiantes dé-
lices !
Mais les hasards mauvais nous mè-
nent, et ils contredisent nos destins.
Et nul n'en accomplit jamais les
extraordinaires aventures. Ce que
l'on réalise n'est rien. L'Espoir com-
bat la Mort. Et l'Amour rit.
Or si pompeux qu'ils semblent, les
hommes sont fades et vains, à côté du
dieu d'or dont ils portent le pâle
masque.
Attitudes
A Albert Fleur y.
T^
« Tout homme se constitue d'un
Paysage. »
V
Farouche douceur de l'ombre et de
la Mort I — Et les orages, et les dé-
faites ! — Leur emphase éclate aux en-
fers. — Altérée, Taube boit l'eau des
Sîyx! — Mais ces tristesses ne m'é-
treignent guère. — On fuit le massa-
cre écarlate des roses ! . . .
Il faut songer à l'obscur silence
du tonnerre.
5
-56-
Les embûches des pirates sont
d'une furieuse violence. Ils portent
des piques bleues et resplendissantes.
Le sang ruisselle des rochers sous
leurs épées. — Il y a autant de ter-
reurs dans répouvante d'une statue-
pâle...
Ainsi quotidiennes, les actions ont
une ardente magnificence. Nous
allons dans des parcs, parmi des
fruits glauques et acides, les puissan-
tes roses, les herbages blancs. — De
pesantes odeurs nous enivrent. — On
en garde, cendreux, un goût de té-
nèbres.
Les pires épisodes fades et ordi-
naires témoignent d'une divine desti-
née. Puérils, des colloques bondis-
sent en échos ! — De toutes ces bana-
les grâces dont nous sommes specta-
- 57 -
tems, il reste, béioîqBes, d'inçé-
tuenses merveilles.
Ne croyez pas que ces supplices
de glaces et d'or aient plus d'horreur
que l'anxiété d'une fleur, une
guirlande, un baiser. — L'élégiaque
et grinçante cruauté des héros n'at-
teint pas, peut-être, celle qu'expri-
ment de rustiques carriers, fracas-
sant de fragiles blocs blancs, — ou
ces bûcherons, ces tueurs de pho-
ques.
Il s'ao-it donc de distinofuer. Toute
attitude est héroïque. Elle se com-
pose d'Eternité. Des anges s'y dra-
pent, ou des pasteurs. — Ce sont des
dieux — et peu importe — Cueillir
la plus candide des fleurs, partager
1
- 58 -
d'opaques pains coriaces et empour-
prés, — tendre et idyllique, s'incli-
ner parmi l'abrupte et miroitante
margelle d'un puits, — atteler des
bœufs à la charrue ; tresser de claires
corbeilles d'un flexible, verdâtre et
énorme osier; sculpter des tom-
beaux, danser sous les branches ! —
Voilà des actions quotidiennes !
Ce qu'elles chantent tressaille
dans la nuit. Leur aspect terrifie ou
charme — à cause de l'Amour, de la
Mort, de la Joie qui, par là, s'expri-
me.
Pour les héros, il se peut bien
qu'il n'en distinguent, point la mer-
veille. Ils chantent selon les cris que
leur confie la Terre. Ils ont les atti-
tudes où elle les sculpte. — Ils n'en
demeurent que les dociles esclaves.
— 59 —
C'ela resplendit tout en dehors d'eux
Ils portent des mystères. Et ils en té-
moignent comme s'ils revenaient de
l'enfer. Tls ont en vérité d'étranges
candeurs.
Ah ! la vie banale et patriarcale des
gens de village et des artisans! Ils
sont là, bucoliques et frustes; ils ont
l'air de ne s'employer qu'à de basses
et vulgaires besognes. Mais la Terre
les courtise. Et l'autochtone éclat en
reluit sur leur face. Ruraux ou ur-
bains, ils assistent, pleins de larmes
de rires, à l'héroïque concert des
eaux, des brises pleureuses, des durs
lichens, des lourds sillons, des chau-
mières blanches! Ils en consacrent
et en scandent les échos. — Ils
— 6o —
en profèrent les vœux les plus
obscurs. — La Nature veille sur
leur Destin! Son attentive douceur
s'écoute en eux. Elle leur épargne
l'anxiété des ténèbres. Ils tremblent
et ils chantent. Ils habitent aux lieux
où ils officient, s'embellissent des
passionnées et tumultueuses magni-
ficences que leur confient les roses,
les rocailles, les mousses vertes. —
Ainsi ces noirs carriers portent des
attitudes d'anges. — Les frustes,
rudes, solides forgerons dont son-
nent, scintillantes, les enclumes, — et
les potentats, les pirates, les pâtres!...
*
Des artisans pétrissent des pains
roses et dorés! Ils émerveillent, par
- 6i -
là, les plus divines des grâces. Les
violettes flamboient, rauques et hé-
rissées. Un berger conduit d'éblouis-
sants bœufs blancs boire l'onde her-
bue et bourbeuse des marais. —
L'Amour s'endort derrière de pâles,
pliantes charmilles. - — Depuis mainte
année, et des jours sans nombre, le
batelier traverse, eucharystique, des
hommes, d'une rive à l'autre, au
long du fleuve. — Or voilà vrai-
ment, de tragiques esclaves ! Et ils
accomplissent constamment les plus
extraordinaires merveilles du monde.
Pomones ! Hercules ! Saturnes !
Ils domptent, navigateurs, le sombre
orage des mers. Et les bûcherons
— 62 —
qui meurtrissent les hamadryades.
Candide et énorme paganisme! Ilsj
parlent tous ces gens-là, à voix très]
basses, et comme s'ils avaient peui
de s'entendre. Ils ensevelissent ce
qu'ils ont de divin. Ainsi ils sont]
leurs propres fossoyeurs. Ils accom-
plissent, bouviers, pêcheurs ou me-j
nuisiers, d'éternelles messes pastc
raies et urbaines, mais dont ils igno-
rent les splendeurs. Ils cjaignent de]
vivre. Le temps les détourne de l'é-
ternité.
Ah! comme ils resplendissentil
pourtant, ces fades esclaves ; si vils,}
si bas, apostats de leur réciproque]
divinité, dociles, tacites! Ils tressent]
de jeunes guirlandes, rabotent de*
planches de pin, pétrissent la pâte des'
cruches ! — Ils s'étaient aussi et il^j
-63-
dansent. — Ils construisent des ba-
raques d'opaque plâtre et de bois.
Ils massacrent, écarlates, les ours
rudes! Leur attitude d'ange solen-
nise la Mort, la Nature, FAmour!
Sans aucun doute, de tous ces
beaux héros, il n'en est guère qui
distinguent leur Destin. Ils ne s'y
confrontent pas, ils ne s'y appuient
pas. Peut-être agissent-ils contradic-
toirement.'* La pudeur des roses les
embrase. Ils réalisent des multitudes
d'ardentes et angéliques merveilles.
Ils n'en soupçonnent pas les resplen-
dissements.
Ils apparaissent, malgré eux, mal-
gré leur destin, comme d'impétueu-
ses allégories. La religion qu'ils
sanctifient demeure païenne et éleu-
siaque, de roches, de forêts, de par-
-64-
fums, de fleuves. Ils en font retentir
les cris. Ils sonnent ce qu'ils leur
chuchottèrent en confidences.
Uu coq, une corbeille fraîche,
flexible et odorante, une amphore
d'eau — voilà d'extraordinaires inti-
mités ! Il n'est pas un cantique plus
beau.
Tels sont ces dieux rustiques et
artisans. Ils attestent un pur paga-
nisme. Leur servitude s'y ennoblit.
Cependant, si épiques qu'ils
soient, ils ne passent pas le terrible
et humble héroïsme où se drapent
les poètes, les rois ! Car il faut bien
considérer que les poètes demeurent
des Sourires ou des Larmes. Et ils
surgissent afin de consacrer des rites.
i
-65-
Rites païens et éclatants dont l'hiéro-
glyphe étincelle sur une petite ruelle
assombrie bruissante, une pioche,
une palpitante amphore de roche,
une fleur.
Car, tumultueux, les poètes solem-
nisenf.
Bien qu'ils semblent, attentifs aux
pâles turbulences des nations, ils n'y
participent aucunement. Ils rêvent
dans des lieux de profondes grottes
d'eaux rocheuses et herbues, parmi
des bois de roses, de pins et de ci-
trons. Ils en respirent les parfums
lourds, l'acide éclat. Ce désir qu'ils
ont d'y mourir, les y prédestine, en
effet. Cependant d'impérieux hasards
les en détournent. Ils se mettent en
route afin d'y atteindre, car telle est
leur contrée de dilection. C'est là
_ 66 -
OÙ les appelle leur destinée. Ils en
connaissent les blancs rameaux, les
roses rocailles, et les charmilles
pleines de guêpes et de noix. Or ils
n'y parviendront jamais.
Ce sentiment les exaspère. Aussi
imaginent-ils des héros de roman à
qui ils confient de tacites splendeurs.
Ce sont des bouviers ou des rois.
Leur attitude y réprésente l'intact et
strict aspect de leur Destin. Ils s'y
allégorisent. Et ils y viennent, avec
eux habiter ces régions bucoliques
ou urbaines où ils les ont conduits.
Il est des poètes moins pompeux
Ils logent, ceux-ci, dans d'opaques
et plâtreuses chaumières, hérissées
de tremblantes pailles rudes, et pa-
reilles à des ruches dorées. Candides
et puérils, ils composent des tou-
- 67-
chantes églogues, à propos d'une
guêpe, d'une rose humide, d'une
cruche cassée.
Ils ne diffèrent point des gens de
villages. On entend le cri ccarlate
des coqs. Le pavé luit et ruisselle de
fraîcheurs.
L'odeur des fruits est enivrante.
Des charmilles balancées résonnent.
Voilà, n'est-ce pas, de bien ordinaires
aventures. Des circonstances pour-
tant, nous en éloignent parfois. Alors
nous vivons comme des étrangers. Et
c'est pour charmer notre exil que
Ton chuchotte de divines et banales
prières, où il s'agit de coquelicots, de
pommes de pin, de grises rivières
glacéeset blêmes, d'argentines cloches
et de miels roses !
Ils ne diffèrent point des gens de
6
— 68 —
village. Je ne vois pas qu'ils soient
dignes d'un plus grand respect. L'un
et l'autre attestent et illustrent un
dieu. Et la préséance de leur gloire
en fausse le candide héroïsme. — Ils
habitent les mêmes lieux. Et ce qu'ils
expriment demeure identique. Ils
témoignent d'une piété païenne et
humble, envers la môme divinité.
Ceux qui cultivent la terre n'ont pas
moins de grâces que ceux qui en
profèrent les chants. Les uns dressent
d'éternelles statues; leur attitude en
simule l'héroïque action. Les autres,
stricts et confidentiels, invoquent,
retentissent, solennisent. Leur culte a
moins d'emphase. Transsubstantiée,
toute la Nature en eux tressaille.
Ils en répercutent l'horreur souter-
raine. Leur lèvre en anime le silence.
-69-
*
Leur jeune gloire cependant ob-
tient la préséance sur celle des arti-
sans. Il ne faut point s'en étonner.
Ils ajoutent aux dieux ordinaires les
grâces touchantes ou impétueuses de
ces héros où ils figurent. Et ils
n'expriment pas ceci ou cela, une
roche, un gâteau au miel, une am-
phore, une odeur d'huile, ou une
fôrèt ! Mais, tour à tour, tous les plus
obscurs vœux de la nature.
Ils ne conquièrent point, telle ou
telle couronne. Leur puissance s'é-
tend sur les terres glacées et polaires
couvertes de banquises, de rocs
blancs tout argentés d'algues et de
sauvages ours ; à l'instant même de
- 70 -
leur caprice ils habitent d'écarlates
régions, brûlées et sèches, — et dans;
des contrées inconnues.
Bien qu'ils se constituent des con-
tingences — idéales et impérissables
— de la nature, ils ne subissent point
l'atroce infortune d'y être asservis.
Ils s 'émeuvent à cause d'une violette, J
d'un foudre. Ils en remémorent la,
fleur ou l'éclat. Ils ne s'y tiennent:
point. Leur emphase éblouit. Ils nel
gardent pas l'humble aspect éraillé et
ancien des bouviers, des pêcheurs.
Ils chantent. Ils marchent. A la mortî
de l'Avril c'est l'Été qui anime la fête]
de leurs roseaux ; — et tour à tour
bruissent et mugissent les rochers ;
les fleuves gris et opaques, — et les
dieux des jardins.
71 -
* *
Ainsi, ces héros de village et ces
bucoliques artisans existent, un peu,
en vérité, comme des divinités païen-
nes et attentives. Ils représentent un
paysage. Leur stature en dresse la
statue. Ils en accomplissent l'erotique
rituel. Leur douceur s'y exaspère.
Ils s'y exaltent. Et ils y apparaissent
consubstantiels.
Il faut aussi considérer le paga-
nisme héroïque des nomades, des
rois. Mais les poètes bondissent.
— Roses, Rivières, Forêts, cimes.
Toute la Nature, transsubstantiée,
tressaille en eux. Ils palpitent impé-
tueux, terribles. — Leur héroïsme a
peur des tumultes de l'action. Il se
- 72 -
peut que les destinées les en éloignent.
Aussi se contentent-ils de batailles
fausses, de foudres. L'artifice de!
leurs tragédies les satisfait. Les héros'
romanesques dont ils tentent l'aven-
ture, leur restituent, et à eux-même?,
l'intact et acariâtre aspect des Desti-
nées. Certains moins pompeux, mé-
ditent des plates-bandes d 'œillets et'
de thyms. Leur infortune leur interdit
d'en respirer l'odeur verdâtre, aigûe
et froide. C'est là où ils essaient, ce-
pendant, d'apparaître. Ils reconstrui-
sent l'autochtone contrée qui tut dû,
sans nul doute, leur servir de patrie.
L'impérieux caprice de leur Destinée
y subjugue celui des hasards. Ils en-
illustrent, ils en glorifient les mer-
veilles.
-73-
*
Dans ce sentiment, songez-bien que
les plus vaines pudeurs des cloches,
une eau qui tinte au creux d'une
vasque, et ces échos pâles, ces guir-
landes tiennent une grâce sacrée et
tragique. On s'incline les uns vers les
autres avec des roses et des respects.
Le tisserand, l'humble et pieux bou-
vier, le pirate, le roi, le pécheur. On
s'égaie, on s'éblouit : Des clefs com-
munes servent à ouvrir le même por-
tail. On marche. Acariâtre et glacée
l'odeur spongieuse des fruits enivre.
On rompt le bon pain pour la
communion. On converse ensemble.
L'herbe écume, fleurie, floconneuse.
Des cyprès balancés grincent et
- 74 -
luisent. Les statues regardent dai
du clair de lune. On danse tendremei
sous les molles charmilles. L'ombreJ
entre en tremblant, dans les pan
Voilà à quoi se passent nos destinées]
Elles vivent entre une forêt, un mi
blanc et l'azur. Il y a là d'ancienm
grâces fardées et puériles. A force d<
s'apparaître ainsi il faut bien que l'oi
s'entretienne. Le statagème dt
fausses confidences — ou l'on d^
faille très tendrement, avec des rire
— n'en détruit pas la stricte et terri
fiante fadeur. Mais il faut biv^n s'e<
contenter. Torches de foudre, orages
guirlandes d'or! Cela, vraiment,
suffit point !
Héros infortunés ! — Ils tentent de
aventures; ils s'inclinent, en versai
des larmes ; ils solemnisent leur cultl
- 75 -
joyeux ou élégiaque ; ils se donnent
des saluts; s'invitent, pompeux, en
leurs parcs familiers, parmi des
grottes grondantes de rocailles et de
flots, des grappes, des arcades, des
charmilles ! C'est là ou ils échangent
leurs plus intimes colloques. Mais si
amoureusement qu'ils s'y épanchent
l'écho de leur âme, toujours s'y en-
dort. — Taciturnes et hostiles sta-
tues!
Les Dieux en exil
A Maurice Le Blond.
»
« Hèlas. Hélas! rivages in-
fortunés d'où U sort m'a pros-
crit. )> (Tragédies.)
VI
Il paraît, pourtant des héros —
dans ces retentissantes cités, au mi-
lieu des poudreuses roches blanches,
parmi de houilleuses et obscures
campagnes — le destin les y exila
et ils y passent — pâles, puérils, tu-
multueux !
Ils ne viennent pas pour célébrer
des rites. Les pires nations bâtissent
des bûchers dans la nuit. S'ils pé-
1
— 8o —
rorent, ce n'est point, sans doute,
pour émouvoir les coquilles, ni les
pommes de pin. Ce ne sont pas des
dieux hospitaliers. La certitude de
leur magnificence éblouit. Ils en ré-
pudient les trésors. On ignore le
pays de leur nativité. Ils ont l'âge de
le Terre éternelle. — Profondes et
odorantes les hautes gro'.tes vertes,
-rr à leur aspect, — chuchottent. Ils
bondissent — impétueux, tremblants !
Ils étreignent la maigreur des eaux.
Et les rivières sont pleines d'aveux.
Et les berges bruissent — resplendis-
santes !
Ils courtisent les aubes, les co-
rolles.
D'aspect glacé et acariâtre, ils
r
— 8i —
agissent parfois comme des artisans.
Leur patience les y apparie, et ils en
agréent les labeurs. Ce sont alors de
rustiques conducteurs d'attelage, des
pêcheurs dont les bras ruissellent
d'huiles, de goémons, de coi ail. — De
blancs cordiers, des laboureurs ! — E"
ils équarissent de durs troncs ruguCa^j
roses et odorants ; et ils taillent db-.
rochers; et ils arrosent aussi les plattâ
bandes spongieuses, palpitantes de
fleurs! L'infortune de leur desti-
née n'en défigure point, cependant
l'éclat. Ils s'exercent aux astuces de
l'arc, ils participent à des carnages,
ils égorgent des roses et des lions.
Sur leurs mains blanches du sang
reluit. Ces actions — ils les accom-
plissent à cause d'un caprice des ha-
sards. Et ils ne s'y attardent pas.
— 82 —
Cela se passe au dehors d'eux. Et
leurs désirs n'y sont point ressem-
blants. Bien qu'ils se prôtentaux jeux
de leur corporation, leur destin les
porte sauvages et hagards au milieu
des Roses, parmi les Fontaines, les
Cimes, les Forêts, ou dans cesglauques
et écarlates statues, dont sont peuplés
les places publiques et les jardins.
Ils apparaissent, miraculeux ! Dieux
en exil ! Bondis d'un astre ! Ils en
rapportent, — le saviez-vous.'* —
d'exceptionnels trésors, des corbeilles
des guirlandes ! Des lieux inexplorée
d'où ils reviennent, ils gardent la
mémoire d'aventures, de fictions
froides et élégiaques, et de banales
à
i>
- 83 -
'et divines fêtes. Ils y ont conquis des
ilichensverdàtres,de roses pierreries.
lAu bord des lourds fleuves jaunes et
écaillés ils ont cueilli de frais roseaux.
Ils savent d'obscures régions, des
forêts, des abimes. Ils marchent. Ils
chantent. Si vieux qu'ils ont perdu
la trace antique des nymphes. Leurs
cris en remémorent les plaintes. Ils
ont frappé à tant de portes — car on
a faim. Ils se sont inclinés, robustes,
au-dessus d'humides margelles blan-
ches. — Car on a faim et on a soif.
— Les clefs anciennes se rouillent.
L'aurore a bu les eaux. Leur atten-
tive tristesse pleure, dans l'Ister-
nité. La certitude de leur destin en
augmente l'atroce anxiété. Ils ne sa-
vent rien. Ils comprennent trop. Les
pierres leur murmurent ce qu'ils
-84-
chantent. Les dieux leur confient des
gages de victoire. Ils embrassent tout
Espoir. Et l'ombre au loin s'allonge.
Par le pire des pâles artifices ils
simulent la stature qu'un dieu leur
constitue. Et ils prennent le masque
acariâtre, ou ingénu, ou bien cruel,
dont on les pare. Ils ont l'air de bou-
viers, de bûcherons, de pêcheurs.
Les hautes statues que, pourtant, ils
s'érigent, ils ne les pétrissent pas de
la cendre héroïque et éteinte des
idoles. Ils régnent aux bourgades de
corail, sur des lieux de houilles et
de boulingrins. Le fardeau des morts
ne les fatigue point. — Bondis d'une
étoile sur la Terre, ils y balbutient
parmi les rochej:^, les blanches
mousses gelées, au flanc des cavçr-
nes, les fleuves, les forêts — ils bal-
i
-85 -
butient avec des larmes, — et, si
hagards qu'ils semblent au seuil
même de T Enfer.
Ces héros apparaissent comme des
pestiférés. L'horreur de leurs grâces
écaillées, livides, terrifie. Les vents
boivent, rauques et altérés, l'humidi-
té palpitante de leurs yeux. Ils con-
sument les champs. Des roses y
flamboient. Brûlantes, les chaumières
se hérissent de puissantes et coriaces
pailles d'or. L'aurore, éperdue,
s'effarouche! Ils font horreur. Lors-
qu'ils s'avancent vers ces reten-
tissantes cités il n'y a point là,
pour escorte, d'écarlates fifres, des
archers, des hallebardiers. Les
chœurs des jeunes filles, offrant des
— 86 —
corbeilles, ne s'approchent pas,
roses et violettes. — Ils ne possédai
aucun esclave — des joueurs de mi
sette, ni des pâtres. L'atrocité
leur destin en discrédite les pâles
trésors. Leur héroïsme augmente
encore leur solitude.
Ils errent. Ainsi, l'aube, au matin,
rôde à travers toutes les ténèbres. —
S'ils marchaient dans cent mille
années, les cloches sonneraient,
peut-être, selon la fête, et les flûtes,
et les chalumeaux ; — des roses bon-
diraient vers leur joie ; -»- on leur dé-
dierait les guirlandes du Roi .
Mais l'obscure nuit est longue. Et
les sonneurs dorment autour des
beffrois. Les pieux héros font reten-
tir les cités mortes. Et leur souffle
empesté éteint l'éclat du ciel.
J
-87 -
Les tragiques, les pompeux, les
terrifiants héros ! Je vous dis qu'ils
portent l'épouvante. Leur grâce con-
tribue à leur infortune. Vous ne les
avez jamais vus. Bien qu'ils s'abri-
tent aux grottes de pierrailles et de
glaces, parmi les bourgades, dans
les bois, ils en demeurent si loin,
proscrits que nul ne les peut distin-
guer. Et nul n'entend, tant ils par-
lent bas, les confidences qu'ils se mur-
murent. — Ils crient. Ils ont faim.
Ils implorent. On leur jette des pains
imprégnés de sang. Ils frappent terri-
blement aux portes goudronnées et
rugueuses des villes.
Ah ! ces pâles carriers qui les inju-
— 88 —
rient. Et les les hallebardiers dont
les piques étincellent, bleues et reten-j
tissantes ! Et ces maçons, ces labou-j
reurs, ces paysans, — mauvaise plè-
be, divine et obscure — qui s'en-
gouffrent en foule dans les rues,j
brandissant des fourches, de lî
boue ! — Or, ruissellantes de fleurs^
les statues bondissent et elles
prosternent devant les héros !
Ils passent comme des pestiférés !Oi
les considère à l'aube, à la nuit, dans]
les jardins publics, ici et là. Ils sem-]
blent attentifs aux pires confidences.
Ils conversent de la fête, de l'époque,
des récoltés. Par là ils participent
à vos basses industries. On pressent
qu'ils s'y apparient, de peur d'ensubir
les embûches. Ils ont l'air humble et
élégiaque — et si puéril ! Ils habitent
4
I
-89-
des pics blancs, abrupts, hérissés de
roses et de pins, parmi d'obscures,
sauvages et bucoliques régions. C'est
de là qu'ils vous entretiennent. — Or,
ils pérorent aussi et quelquefois sur
l'infortune de leur destin ; ils en com-
posent des élégies ; les descriptions
qu'ils font des lieux de leur naissance
sont pleines de grâces sacrées et
tristes. Aussi n'émeuvent-ils que les
dieux.
Tuiles fraîches! Toits d'ardoise!
Portails blancs ! Ils entrent aux
vieilles bourgades. Et nul accueil !
On clôt les grilles de fer — et les fe-
nêtres. Pas une musette ne tinte, gaie
et sonore ! Et il n'y a ici aucune es-
corte. Et les ménétriers taisent leurs
concerts rustiques par quoi on célé-
brait des noces! Car ils s'avancent,
- 90 -
les Étrangers ! Et la Mort marche. Et
non TAraour.
Héros que proscrivirent d'antiques
destins î Voilà des dieux dont l'élégia-
que et sombre exil se passe entre un
jardin, une forêt et un fleuve. Mais leur
âme ne s'y enclôt point. La certitude
qu'ils ont de leur captivité contribue
à la diminuer. Et ils résident où il
leur plaît. Et ainsi ils s'en vont vers
d'étranges aventures. Le vertige des
cimes les éblouit. Et ils deviennent
le paysage qu'ils considèrent. — Pa-
reils à l'aurore blanche ils font éclore
les fleurs. Au milieu des plaines
flambent des meules violettes en
hautes torches de pailles. Poudreux,
étincellent d'éclatants rocs blancs.
Les héros passent. Leur humble as-
pect s'y émerveille. Le rose soleil ai-
- 91 -
guise sur les pierres ses rayons. Le
ciel luit. Un coq chante — sombre et
écarlate. Ces héros ne s'y restreignent
point. Leurs destins ne s'y limitent
pas pour quelque énorme et strict
émoi. Ils paraissent comme des rois
ou des pestiférés. Farouches et impé-
tueux, ils apportent, en tremblant,
tragiques, de palpitantes amphores de
sang.
Les toits des villages (tuiles et
briques) s'allument, s'empanachent
de pailles et de flammes. Il luit des
puits, où tinte le poids pompeux des
cruches. Et les blancs linges posés,
scintillent parmi les marbres.
Ce sont là des dieux en exil. Ils
— 92 -
viennent des régions inconnues. Les!
destins qui les en bannirent leur en
gardent pourtant la mémoire. Comme-
ils distinguent leur déchéance une;
fantasque et hautaine tristesse les|
exaspère. A s'en remémorer lesj
bourgades, les forêts, l'industrie et
le faste, ils s'épouvantent encorej
plus de leur infortune. Ils vont. 11m
s'agitent dans des turbulences. MaisI
on se détourne de leur compagnie.'
Car ce qu'ils content est terrifiant et
incroyable . Ainsi ils paraissent comme]
des étrangers.
On peut vivre auprès d'eux, et]
pendant des années — par mille etj
par miliers ! Ils ont l'air attentifs aux]
églogues chuchottées. On rit, oi
pleure, on chante. Et vous pouvez"
frapper à de mêmes puissantes por-
-93 -
tes, de dure brique ou de buis. Le
candide pain coriace et rose, — vous
pouvez le rompre avec eux. Et ils
vous offriront des fruits spongieux et
verts. Ils se peut qu'avec vous ils
échangent des colloques. Peut-être
les accompagnerez-vous dans d'ef-
frayantes expéditions. — Sang et
massacre. Les armées noires et écar-
lates luttent dans la plaine. On en-
tend grincer les arquebuses d'or.
Des piques luisent, crissantes et
aigiies. On crie. Retentissantes, les
catapultes projettent des foudres î On
crie. Et Ton s'enfuit au milieu des
ténèbres. Défaites ! Tumultes î Les
bétes piétinent les morts. — Des ton-
nerres roulent. Des dieux gémissent.
On les emporte puérils, et on les cou-
che, meurtris, dans des granges rus-
— 94 ~
tiques, odorantes de pailles, d'aubes]
et de violettes, entre un grand bœufî
blanc et un âne. — Candide et har-j
monieux repos. — L'espoir les con-
sole de sourires. On leur parle de^
roses et de miels. Et vous courti-'
scz leur mélancolie. — Mais on neî
saura jamais rien. Leur humble as-^
pect en défigure l'extase. Ils habi-
tent dans des lieux où nul jamais]
n'alla. Il se peut qu'ils s'inclinent versl
vous. Ne croyez point, pourtant, que
ce soit par amour, car l'amour de-
meure la vertu dont seuls les dieux
peuvent ne point s'embellir.
Ils surgissent, cependant, pour cé-
lébrer des rites ; — mais où les basses
et viles nations ne distinguent rien.
— Car ils n'héroïsent pas des boca-
ges embaumés et lourds, à l'instar
— 95. --
des bûcherons, des pâtres. Ce qu'ils
annoncent est fabuleux. Les lieux
dont ils disent les Etés, remémorent
l'injuste infortune. Ils récitent des
épithalames des séraphins. D'exces-
sives grâces, resplendissants ! —
Leur renommée s'en accrédite auprès
des aubes et des forêts. — Les ro-
seaux vibrent. — Au bord des berges
s'effeuillent les roses. Ils régnent
sur les guêpes et les vents : — Ils ne
sont point domestiques comme les
divinités agrestes. On rapporte des
légendes sur leur nativité. En vérité,
on ne sait rien. La poussière des ci-
tés ne pèse point le poids de leur
cendre. Leur destin contrepèse celui
de la Nature. Et ils ne protègent ni
les champs ni les pommes glau-
ques et amères des vergers, ni l'odo-
-gé-
rante cuisson du pain, ni les ampho-
res, ni les étables.
Féroces et désolés ils passent dans
des déserts — portant de résineuses,
ruisssellantes, écarlates torches !
I
NOTES
POUR LE TOME I
a. Ainsi l'Art sacré et réel (notre idéo-
balisme) ne s'occupera jamais des âmes.
Les âmes humaines et leurs passions^
;s luxures de leurs basses amours, et les
tristesses où elles succombent, cela, \Tai-
ment importe peu. Ce que pense un bou-
vier, un roi ne vaut pas que l'on s'y attar-
de. Ils gardent d'autant moins d'intérêt
que plus d'émotions les exaltent, car ces
émotions les détournent des rites.
Un homme paraît — c'est un maçon,
ou un guerrier, ou un pêcheur — Il ne
faut pas que l'on s'arrête sur ces vaines
sensibilités. Les conjonctures de sa fortu-
ne, sa naissance et ses funérailles abais-
— 100 —
sent l'Art jusqu'à la laideur — Mais ii
s'agit de le surprendre dans un instant
d'Eternité. — Sublime instant où il
penche afin de polir une cuirasse, où
jette vers l'eau ses filets! Nous savons
que son attitude, alors, est d'accord avec
Dieu.
b. L'Art n'étudie donc pas les hommes,|
telle ou telle âme, ses aventures. Mais ili
regarde les attitudes, — toute attitude
est héroïque — les paysages qu'elles auto-^
risent, les destinées qu'elles nécessitent
Il reconstruit les Archétypes. — Incline
au milieu des roches, des jeunes eau:
et des mousses mouillées, l'Art les pare
des candeurs d'Eden. Et il leur restitue
leur rhythme, — gais sourires, belles
larmes en fleurs !
c. Tout homme apparaît comme ui
mythe. Il s'agit de l'interpréter — Ce
qu'il incarne, quoiqu'il [l'ignore, voilà,^
vraiment, ce qui importe. Un paysage
i
s'anime. lî chante. — Ses gestes s'éploient,
graves et flexibles; et ils forment des
corolles, des marbres; ils tracent de
sinueuses rivières vertes, et, d'une courbe
énorme, les montagnes ! — Le site où
passe un laboureur, un bûcheron, c'est là
son âme transsubstantiée. Des horizons
l'enclosent, solides. Il ne médite rien
au delà. — Tout homme, comme un astre
a ses lois (son orbite de fatalité, la répul-
sion et l'attraction).
II
L'art met en conflit des destins, des
étoiles et des paysages — Tout ce qu'un
homme, dans son orbite, entraîne, déter-
mine, réalise.
De là, jaillit le pathétique.
FIN DU TOME PREMIER
Table
TABLE
Voici ma pensée 7
Si fabuleuse que vous paraisse... . 17
Le Carnaval DES Destins 21
Fêtes, villages, funérailles ... 31
Le Comb.\t des Hasards et des
Destins 41
Attitudes 53
Les Dieux en exil ' • 77
Notes 97
I
achevé: d imprimer
le premier août
mil huit cent quatre-vingt-quinze
PAR
CHARLES RENAUDIE
56, rue de Seine, 56
PARIS
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