Skip to main content

Full text of "La vie héroïque des aventuriers, de poètes, des rois, et des artisans"

See other formats


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


Iittp://www.arcliive.org/details/lavieliroqued01sain 


\ 


TOME  I 


DU  MEME  AUTEUR   : 

L'Annonciation  (5  tomes). 
La  Résurrection  des  Dieux. 

Prochainement  : 

Essai  sur  Emile  Zola. 

Les  Concerts  rustiques. 

Le  Martyrologe  (de  Ravachol,  Vaillant,  Emile 

Henry,  Caserio). 
Traité  du  Poète-Roi. 


la  Vie  Héroïque  des  Aven- 
turiers, des  Poètes,  des 
Rois,   et    des    Artisans.    — 

théorie  du  pathétique  pour  servir 
crintroduction  à  une  tragédie  ou 
à  un  roman  —  par  Samt-Geor- 

ges  de  Bouhélier.  » 


M  DCCC  XCV 


Ê/£LÎOrH£CA 

■Pnavisnsii 


5(K§- 


V    'I 


A  -M0\  PÈRK 


Voici  ma  pensée  : 

Un  grave  archer  mar- 
chait depuis  l'Eternité, 
autour  d'une  Tour  de  fer^ 
sur  la  haute  cime  d'une 
montagne  pastorale. 


A  chaque  aurore,  il  ap- 
parut transfiguré. 

Et  corarae,  en  bas  de  la 
Montagne,  s'étalaient  les 
eaux,  en  miroir,  d'un  Lac 
—  son  Ombre^  au  loin,  s'y 
projettait. 

La  montagne  était  hau- 
te. L'Archer  gardait  la 
Tour^  depuis  l'Éternité.  Et 
nul  jamais  ne  l'avait  vu. 

Mais  les  hommes  buco- 
liques, et  les  purs  bateliers 


-  9  - 

errants,  à  chaque  aurore^ 
voyaient  la  Tour  mirée 
dans  l'eau^  et  l'héroïque 
et  romanesque  Archer. 

Quand  le  Soleil,  mon- 
tant dans  l'amoureux 
Azur,  passait  la  Cime  du 
mont,  —  les  mirages 
d'Ombre  et  de  merveilles 
disparaissaient. 

On  faisait,  sur  ces  cho- 
ses, des  récits  légendaires. 


Ingénues  et  naïves,  des 
Vierges  s'en  éprirent. 

Mais  si  haut  qu'elles 
pussent  regarder  vers  la 
Cime  —  elle  sembla  tou- 
jours solitaire. 

Et  plus  d'une,  sanglot- 
tante,  rêva  de  voir  sur 
l'eau  du  lac,  mourir  l'Om- 
bre adorable  et  la  Tour. 

Plus  passionnées,  plu- 
sieurs, prises  de  vertige, 
s'j  noyèrent. 


Et  Lui,  —  on  le  sut  mais 
plus  tard  —  captif,  à  cha- 
que aurore  de  sortilèges 
impies,  il  NE  SAVAIT 
PAS  être  au  haut  de  la 
Montagne;  mais  croyait 
vivre  en  le  Reflet  du  Lac. 

Et  comme  son  Ombre 
s'y  projettait,  elle  attirait 
sa  Conscience  même. 

Dès  qu'il  cessait  de  s'y 
distinguer,  reflété,  il  con- 


naissait  enfin  sa  présence 
véritable. 

—  On  sut  plus  tard  ces 
choses,  car  il  vainquit  le 
sortilège  impur  qui  l'en- 
chaînait depuis  l'Éternité. 


* 

'f  * 


Or,  je  suis  pareil  à  l'Ar- 
cher. 

Et  peut-être  est-ce  mon 


—  13  — 

Ombre  que  j'aperçois,  au 
loin,  ou  ma  Forme  réelle 
que  je  prends  pour  mon 
Ombre. 

(Amionci.-ifion.) 


Il  parla  ainsi,  et  il  rentra  dans 
la  demeure  d'Aidés.  Et  moi,  je 
restai  là,  immobile,  afin  de  voir 
quelques-uns  des  hommes  héroï- 
ques qui  étaient  morts  dans  les 
temps  antiques;  et  peut-être 
eussés-je  vu  les  anciens  héros 
que  je  désirais,  Théséus,  Péri- 
thoos,  illustres  enfants  des 
dieux;  mais  linnombrable  mul- 
titude des  morts  s'agita  avec  un 
si  grand  tumulte  que  la  pâle  ter- 
reur me  saisit.  —  (Odyssée.) 

Si  fabuleuse  que  vous  paraisse  une 
tragédie  do?it  les  héros  habile  fit  le 
sauvage  exil  d'une  contrée  de  hautes 
roches  et  de  profoiides  grottes  gron- 
dantes de  glaciers  et  d'eaux  glau- 
ques, —  il  ne  faut  point  que  vous  e7i 
suspectiez  la  confidentielle  vraisem- 
blance. Il  y  a  là  des  tempêtes,  des 
carnages  et  des  tumultes.  —  De 
jeunes  aurores  bondissent^  candides^ 


i8  — 

dans  les  prairies.  Les  rocailles  ei 
bamnent.  L'été  brâle. 

Ne  croyez  pas  que  ce  soit  une  fie, 
tion  que  Von  imagina  par  jeu. 
roman  garde  le  plus  intact  éclat 
mo7ide.  Et  il  n'y  survient  rie7t  d'at 
tificiel. 

Assurément^  je  n*y  ai  pas  décrit 
cité  populeuse^  surannée  et  retentii^ 
santé  oii  je  demeure.  Car  je  n  'en 
jamais  bien  regardé  les  quinconçi 
d'or,  les  roses  arcades  ;  les  p07tts,  lé 
forges^  les  marécages;  et  ces  luisante\ 
puissantes  et  écartâtes  statues  do\ 
sont  peuplés  les  places  publiques 
les  jardins.  —  Et  je  les  ignore^  -^\ 
les  ruelles!  les  quais! 

Il  y  passe ^   m'a-t-on  dit^  des  gel 
qui  s'agitent  dans  des  turbulence 

Débordantes  d'algues  etdepoissoi 


-  Î9  - 
des  barques  s'étale ?ii  sur   les  eaux 
sablonneuses  d'un  Jleuve.  Les  dures 
pluies  ro)ige)it  les  tuiles  des  toits. 

Le  langage  que  l'on  parle  ia\  m 'est 
iucojinu.  Et  je  sens  bien  que  ces 
gens  là  lèvent  derrière  moi^  sur  mon 
passage,  et  afin  de  m'en  lapider^  d'o- 
paques petites  pierres  rudes  et  écla- 
tantes. Mais  ils  n'osent  pas.  Ils  sont 
lâches  et  obscurs.  Leur  patiente  bas- 
sesse ne  se  compense  point  d'épou- 
vante. Ils  vivent  une  existence 
glacée  et  fade.  Ils  en  incline?it  l'es- 
poir vers  les  pires  servitudes.  Et  ils 
la  borne^it  aux  plus  pâles  horizons. 

Ils  s 'entretiennent^  avec  des  larmes, 
des  rires,  de  l'azur  et  de  la  marée ^ 
des  grêles  abattues  sur  les  orges  et 
des  bénéfices  quotidie/is.  Il  faut  bien, 
cependant  que  j'écoute   ces  fugaces 


—    20   — 

colloques  où  ils  se  chuchottent.  Et 
peut-être  que  s'ils  causent  ainsi ^  — 
c  '  est pournte  plaire .  Et  peut-être  habi- 
tent-ils aussi  dans  d'extraordinaires 
lieux  de  roses ^  de  grottes^  d'aurores  ! 


Car  ces  pâles  turbulences  oii  nous 
apparaissons^  savons-ftous  jamais  ce 
qu'elles  cachent.  Il  y  a  d'effrayants 
carnages  que  nous  co7nmatido7is  en 
souriant  ;  et  cette  futile  grâce  en 
fausse  l'épouvante. 


Le  Carnaval  des  Destins 


c  Élève-tnoi,  S  fnoti  frère,  un 
pur  ionibeaii  d'airain  au  bord 
de  la  mer  écitmeuse.  » 


II 


Ah!  latrocc,  la  noire  mascarade! 
—  Les  hommes,  enfin,  ne  porteront- 
ils  pas  le  masque  ébloui  ou  élégiaque 
de  leur  Destin?  Ils  sont  là,  attentifs, 
à  des  jeux  d'enfants,  et  ils  ne  se  parent 
que  pour  la  parade.  —  On  marche, 
on  a  soif.  On  a  faim.  L'espoir  chu- 
chotte  et  rit;   et  la  Mort  vient.  Le 


—  H  — 
pain  que  l'on  mange  a  un  goût  de 
cendre.  Et  la  porte  où  Ton  frappe  se 
clôt.  D'épaisses  fumées  montent  des 
maisons.  Des  pommes  spongieuses 
et  odorantes  cuisent  dans  du  feu  ;  sur 
la  table  étincellent  les  plus  candides 
des  linges;  et  des  gens  crient.  On 
entend  leurs  colloques.  Et  l'on  a  faim. 
Et  ils  chantent.  Et  l'on  pleure.  Mais, 
nul  ne  saura  jamais  rien.  Des  toits  se 
hérissent  de  hautes  pailles  d'or  jaune, 
tout  en  flammes.  Et  les  hommes  se 
bariolent  de  fards.  Or  c'est  par  de  tels 
stratagèmes  qu'ils  peuvent  paraître 
au  Carnaval  humain. 

Il  y  a  là  des  barques  embaumées  et 
peintes  de  goudron,  des  urnes  ro- 
cheuses, de  durs  pains  blancs  tout 
imprégnés  de  sang  et  d'or,  des  fruits 
glauques  et  acides,  des  aigles  !  Et  des 


I 


-    25   — 

hommes  s'inclinent,  —  les  uns  pé- 
trissent des  pierreries  ;  certains  qui  se 
ploient  puisent  les  eaux  ;  —  des  guer- 
riers s'exercent  aux  jeux  du  car- 
nage ;  —  leurs  rauques  arquebuses 
siftlent  et  grincent  :  des  vols  d'ci- 
seaux  rouges  croulent  du  ciel  !  —  Et 
voici  des  pêcheurs.  Et  ils  semblent 
attentifs.  Et  ils  tressaillent,  à  cause 
d'une  pomme  de  pin  qui  tombe, 
d'une  branche  qui  craque,  —  d'un 
calme  écho,  d'une  odeur  d'algue  ! 

Cependant,  et  quoiqu'ils  y  appa- 
raissent, ici,  au  milieu  de  ces  pâles 
rocailles,  —  des  lourds  fleuves,  des 
fleurs  —  ils  n'y  résident  point,  cela 
est  certain.  Et  les  pirates,  les  bou- 
viers, les  nomades  ! 

Si  graves  et  pompeux  qu'ils  sem- 
blent,  en    vérité,   ils  ne  demeurent 


—   26  — 

que  de  vaines  parodies.  Il  n'ont  point 
toute  la  grâce,  le  triomphe  et  la  joie 
où  leur  destin  les  eut  dus  diriger. 
Mais  ils  en  figurent  l'imposture.  Il  ne 
faut  point  se  fier  aux  confidences 
qu'ils  font.  Le  poids  de  leur  cendre 
pèse  à  peine  par  rapport  au  poids  de 
leur  ombre.  La  stature  de  leur  gloire 
n'atteint  jamais  à  celle,  plus  réelle, 
de  leur  songe.  Et  les  actions  su- 
blimes qu'ils  tentent  n'aboutissent 
qu'à  des  simulacres. 

Car  des  hasards  combattent  nos 
destinées.  —  Les  abeilles,  les  lacs 
s'y  opposent... 

*  « 


Nous  nous  inclinons  vers  la  terre  ; 
et  elle  se  hérisse  de  blés  d'or  en 
flammes.    De   peur    qu'ils   ne    flam- 


—   27   — 

boient  —  roucres  torches  —  nous 
en  composons  des  couronnes.  — 
L'Amour,  pourtant,  s'effrite,  pâle 
sous  les  lourds  bocages!  —  Mais 
personne  ne  peut  s'en  passer  —  On 
l'imagine  donc,  rose  et  acariâtre,  étin- 
celant  de  candides  fadeurs!  —  En- 
suite nous  cherchons  des  fêtes,  des 
bouri£ades!  Et  comme  succombent 
nos  confidents,  on  pétrit  de  hautes 
et  banales  statues  afin  de  les  ressusci- 
ter !  C'est  là  où  se  courtisent  les  vains 
Désirs.  —  De  dures  pluies  bleues 
et  ténébreuses  brûlent  les  rochers... 
Les  rôles  que  nous  aurions  dû 
jouer,  nous  les  confions  à  des  héros 
fictifs.  Rois,  blancs  pasteurs,  divms 
amants,  —  voilà  des  personnages 
plus  réels  que  nous  mêmes!  Ils  accom- 
plissent nos  Destinées.  —  Au  milieu 


des  sites  glauques  et  faux  !  —  Leurs 
actions  en  reconstituent  les  événe- 
ments. Ils  ont  les  aventures  qui  nouî 
furent  défendues. 

Des  héros  lancent  des  piques  d'ai-" 
rain.  — Chargées  d'aromates,  des  bri- 
ses battent  les  orges.  Nocturnes  et 
amères,  ruissellent  les  eaux  vertes; 
et  elles  balancent  les  branches  d'orme 
et  de  pin,  et  elles  reluisent  aux 
voûtes  tout  en  fleurs  des  maisons,  — 
Paysages  qu'animent  nos  Désirs  ! 
Philoctète,  en  larmes,  s'y  lamenteJ 
On  chante  au  fond  de  la  forêt.  — •" 
Des  guerriers  luttent  sous  la  lune 
blanche... 


Or  telle  est  leur  exceptionnelle  et 
éclatante  magnificence,  qu'ils  expri- 


—  29   - 

ment  nos  passions,  et  mieux,  avec 
plus  d'âpreté  et  de  grâce  que  nous- 
mêmes.  Les  bas  esclaves  rugueux, 
courbés,  que  nous  semblons,  y  dis- 
tinguent leur  paienne  splendeur.  — 
Un  paradis  y  transparait  ! 

Ces  églogues,  ces  idylles  banales 
et  adorables,  —  voilà  le  lieu  où 
apparaît  la  stature  de  nos  destinées  ! 
—  guirlandes  d'Amours,  rustiques 
géants!  —  Ce  que  nous  sommes 
y  apparaît  !  —  Nos  destins  y  couron- 
nent leur  gloire.  Et  les  nations  nous 
sanctifient.  Des  femmes  apportent, 
pudiques  et  graves,  des  urnes  fleu- 
ries. Au  bord  des  fleuves,  les  ro- 
seaux sonnent.  L'odeur  des  résines 
monte  des  bois.  —  Candeur  sacrée 
et  solennelle  ! 

Dans  les  légendes  quotidiennes  et 


extraordinaires  qu'ils  imaginent,  1< 
pires  esclaves    s'héroïsent,    resplen- 
dissent! Ils  s'y  restituent  les  trésoi 
que  leur  dérobèrent  les  hasards.  Et 
on  y  enveloppe  les  plus  pâles  actions 
d'un  furieux  mystère  de  sang  et  d( 
larmes!    Par   là,    ces    fades    fictions 
nous  semblent  aussi  touchantes  qu< 
des  turbulences  urbaines  et  agrestes^ 
L'héroïsme  est  beau  et  tragique  des 
pécheurs,  des   poètes,  des  pâtres 
et  de  cet  auguste  et  farouche  faneui 
qui  aiguise  en  silence,  et  contre  ui 
roc  tremblant,  sa  faux  dure,  ardente 
taciturne  ! . . . 


Fêtes, 
Villages,    Funérailles 


«  Hélas!  l'existence  quoti- 
dienne travestit  la  vie  éter- 
nelle, w 


III 


C'est  ainsi  que  j'ai  combattu  d'élé- 
giaques  et  atroces  destins.  Cette  tra- 
gédie en  reconstitue  l'aventure.  Et 
elle  en  raconte  les  péripéties. 

La  cité  héroïque  dont  je  tente  de 
décrire  les  quais,  les  portails  lui- 
sants de  guirlandes,  les  fêtes,  l'indus- 
trie, les  rumeurs,  —  il  ne  faut  point 


-  34  - 
croire  qu'elle  n'existe  pas.  Car  je 
l'ai  construite  de  purs  blocs  pou- 
dreux —  ruines  gisantes  de  la 
Ville  où  vous  me  voyez.  Aussi  ne 
faut-il  pas  la  croire  imaginaire. 

Il  y  a  là  de  puissantes  et  glaciaires 
arcades  dont  la  concavité  obscure 
abrite  des  marchands,  des  mendiants. 
A  l'entrée  des  parcs,  s'avancent  les 
statues  —  offrant  des  corbeilles  dé- 
bordantes de  fruits!  On  habite  de 
plâtreuses  baraques,  toutes  pétries 
d'huiles,  de  briques  et  d'algues!  11 
passe  des  charrettes  dans  de  petites 
rues  caillouteuses.  Diaprés,  aigus, 
les  pavés  sonnent.  Au  bord  des 
fleuves,  les  saules  se  balancent  en 
bruissant. 

Des  cascades  de  roses  ruissellent 
sur    les   places.    La    mer    tonnante 


I 


-  35  — 
écume  aux  rudes  margelles  des  quais. 
I.a  marée  y  apporte  des  pêcheurs  de 
baleines,  d'extraordinaires  tueurs 
d'ours,  farouches,  écaillés  d'or  !  Des 
pirates  débarquent.  —  Là  j'ai  conduit 
des  armées  noires  et  écarlates.  — 
Tumultueuses,  les  barques  bon- 
dissent sur  les  eaux.  Le  tonnerre  des 
forges  retentit.  D'épaisses  fumées 
s'enguirlandent,  en  houilles,  dans 
l'azur.  Les  esclaves  de  cuivre,  so- 
lides, lourds,  déchargent  d'odo- 
rantes cargaisons.  Près  des  portiques, 
des  astrologues  bariolent  le  ciel  de 
prédictions.  Il  monte  du  sol  rouge 
des  odeurs  pesantes,  coriaces,  et 
acides  de  violettes,  de  sels  ! 

Monumentale  et  populeuse  Cité! 
C'est  là  où  m'ont  conduit  d'antiques 
destins.  Nul  bas  trafic  ne  s'v  a<£ite. 


-    36- 
—  L'industrie  des  herbes,   des    ro- 
cailles  —  L'acariâtre   héroïsme  hu- 
main    s'embellit     de     l'extase    des 
dieux. 

C'est  dans  ces  lieux  de  roses  et 
d'eaux  que  j'ai  vécu  —  statue 
païenne  et  angélique  —  à  l'instant 
où  mon  Ombre  habitait  parmi  vous. 
Vous  n'y  avez  rien  distingué.  Ne 
croyez  pas  que  cette  cité  ait  rien  de 
bien  miraculeux.  Aucun  de  vous 
n'en  a  jamais  franchi  les  portes.  Et 
cependant  elle  resplendit.  —  Ton- 
nante de  cloches  et  de  clameurs  !  — 
J'en  connais  toutes  les  tremblantes 
ruelles,  les  parcs  que  gardent  des 
grilles  de  fer,  les  sombres  blocs  ron- 
gés de  lune,  les  môles,  les  ponts. 
Des  chaumières  s'y  dressent,  —  plâ- 
treuses et   opaques,   verdies    de    li- 


—  37  — 
chens,  toits  roses  que  hérissent  les 
pailles  en  panaches!  —  Au  seuil  des 
maisons  chantent  d'écarlates  coqs  ! 
Les  viviers  se  creusent  sous  les 
pluies.  —  Une  lanterne  d'étain,  ren- 
seigne peinte,  sculptée  où  se  cabre 
un  paon,  le  soc  d'une  charrue  luisent 
dans  des  ténèbres.  —  Toutes  les  sta- 
tues rappellent,  aux  vieux  parcs,  mes 
destins.  Elles  gardent  les  secrets  que 
je  leur  confie.  Rouges  de  sang  et 
d'or,  les  esclaves  travaillent,  fanent 
les  luzernes,  déchargent  les  bar- 
ques. —  Des  bûchers  brûlent... 


Ici,  j'ai  donc  rêvé  d'héroïques  tur- 
bulences —  pires  ou  propices,  mais 
plus  pomreuses  que  celles  dont  l'ar- 


-  38  - 

deur  vous  exalte.  Les  grâces  qu'elles^ 
eurent  furent  terrifiantes.  Et  commet 
elles  n'en  faussent  point  l'aspect,, 
elles  réalisent  mes  destinées. 

Cette  tragédie  que  je  compose  en 
demeure  le  récit  intact,  et  elle  en 
garde  le  strict  éclat.  Ainsi  ne  doutez, 
point  des  aventures  décrites.  J'ai  con- 
duit d'écarlates  armées  à  la  bataille. 
Et  il  n'y  a  là  rien  de  fabuleux. 

Certains   des   événements   que  jei 
raconte    vous   paraîtront,    sans    nulj 
doute,    excessifs,    d'un    romanesque- 
énorme,  candide.  Vous  pensez  bien; 
que  je  ne  m'en  attribue  pas  la  gloire. 
Et  pourquoi  s'étonner  que  je   con- 
quière des  styx,  des  cités,  des  royau- 
mes?   —   Il    n'est  personne  qui  ne 
m'ait  vu  cueillir  des  roses.  Or  nulle 
action  n'est  plus  sublime.  —  Pétrir 


—  39  — 
la  pâte  des  cruches  de  grès,  puiser 
les  eaux,  tailler  des  branches  !  —  Il 
n'y  a  rien  de  plus  pompeux. 


Il  se  peut  bien  que  je  revienne, 
puéril  et  atroce  voyageur,  de  la  cité 
que  j'ai  décrite,  bâtie  de  houilles  et 
de  blocs  d'or.  Les  nations  m'y  ont 
lapidé.  Peut-être  y  ai-je  ainsi  mené 
une  retentissante  existence. 

Ce  furent  des  batailles,  des  mas- 
sacres I  Fièvre  et  or  !  De  puissantes 
campagnes  resplendissaient.  Les  lacs 
m'ont  chanté  aux  creux  des  roseaux. 
Des  cyprès  balancés  bruissaient.  On 


—  40  — . 
écartela    les    statues.     Du    tonnerre 
embrasa  les  feuilles. 

Puis    vint   la    nuit,   mauvaise    et 
noire... 


Le  Combat 
des  Hasards  et  des  Destins 


i 


V.  Il  y  a  entre  vous  et  mot  des 
distances  d'astres.  « 


IV 


Voilà  de  banales  aventures.  Ainsi 
n'en  soyez  pas  ébloui.  Elles  n'ont 
rien  de  plus  prodigieux  que  celles  où 
apparaissent  les  maçons,  les  bou- 
viers. Et  toutes  les  actions  ont  de 
telles  merveilles.  L'emphase  du  hé- 
ros les  différencie. 


—  44  — 

Comme  si  Thorreur  d'un  carnag^e 
noir  et  empesté  était  plus  terrifiante, 
farouche  que  le  silence  de  cet  esclave 
dont  la  hache  grince  glacéeet  cris- 
sante sur  des  roches. 

Il  faut  bien  partout  voir  la  Mort. 
Une  peur  m'étreint.  La  volupté  des 
pourritures  vibre  et  enivre.  Du  sang 
suinte  le  long  des  statues.  D'opaques 
poissons  d'or  rongent  des  verdures 
d'algues.  Et  ces  flores  hautes  et  écar- 
lates  !  Tout  resplendit  terriblement  !  — 
Pourquoi  me  jugez  vous  sur  mes  ac- 
tions.-* Ce  sont  les  hasards  qui  les 
créent,  ce  sont  les  hasards  qui  nous 
mènent.  Et  ils  s'opposent  à  nos 
destins.  Ils  nous  sanctiefient  ou 
ils  nous  outrao^ent.  Ils  nous  baitrnent 
de  roses,  de  neiges,  de  ténèbres  ! 


I 


-    45  — 

Les  hommes  marchent  au  milieu 
de  l'ombre.  Ils  s'entretiennent  de 
l'azur,  des  violettes,  des  orges.  Une 
rose  effeuillée  épouvante.  Il  y  a  là 
des  élégies.  Une  païenne  odeur 
de  mort  s'en  exhale.  La  Mort  terrifie 
non  ceci,  cela.  —  Les  hommes  palpi- 
tent, tremblent.  Ils  ne  s'entendent 
point  retentir^  car  ils  chuchottent,  et 
c'est  d'une  voix  basse!  Ils  ont  la 
splendeur  de  ce  qu'ils  expriment. 
Ils  ne  s'appartiennent  pas.  Ils  obéis- 
sent à  des  hasards  ;  et  ils  tentent  de 
se  conformer  â  leur  destin.  Ils  en 
portent  les  messages  comme  des  es- 
claves dociles. 

Quelques  hommes  accomplissent, 
de  merveilleuses  actions.  Mais  cela 
n'est  rien.  Et  ils  n'en  sont  pas  respon- 
sables.  —  Un   empereur  pétrit  des 


-46- 

amphores,  un  carrier  compose   d< 
poèmes,  —  voilà  encore  le  carnaval 
Il  ne  faut  point  considérer  s'ils  fraj 
cassent  des  statues,  s'ils  cueillent  d< 
fieurs  ou  s'ils  gouvernent  les  rac( 
Leurs  glaives  rugueux  et  lourds  oni 
l'acide  éclat  du  sang  et  de  l'or.  Il 
égorgent  des  bœufs  ou  tressent  de 
guirlandes.  Ils  chantent  les  eaux,  1( 
moissons,  les  batailles.  Tantôt  1'^ 
mour  les  dompte  —  tantôt  la  Moi 
Ils  ne  sont  point  beaux  par  l'aspec 
qu'ils  ont,  mais  par  celui-là  qu'ils  se 
songent  !  Et  ils  repercutent  les  mêmes 
confidences    que   leur    murmurèrent 
les  dieux  des  rivières,  des  blés,  de  la 
guerre.  Ils  prennent  la  splendeur  dont 
ils  souhaitent  l'éclat.  Et  ils  ont  l'é- 
blouissante stature  où  ils  aspirent. 
Ils  crient  dans  du  tonnerre,  parmi 


-  47  - 
ies  cîmes;  ils  combattent  les  nations; 
ils  consument  des  bourgades,  des 
meules  d'or;  ils  tuent  et  adorent.  Ei 
cela  n'est  rien.  Ces  bouviers  ne  nous 
émeuvent  pas.  Et  je  n'ai  nul  respect 
pour  ces  héros.  Ils  peuvent  périr.  Ils 
ont  des  odeurs  de  cadavre.  Ils"  ne 
resplendissent  pas  d'éternité.  Cepen- 
dant ils  nous  terrifient,  et  ils  nous 
charment,  à  cause  des  dieux  dont  ils 
portent  les  messages,  et  pour  des 
Eaux  qui  chantent  en  eux,  l'Amour, 
l'Aurore  ! 

L'embûche  de  l'Ombre!  Et  les 
hasards,  —  stratagèmes,  jeux  et  mas- 
carades! —  De  tous  ces  hommes 
(guerriers,  rois,  pécheurs,  boucaniers, 
pirates,  bûcherons,  ou  bien  men- 
diants), il  n'en  est  pas  un  seul  dont  la 
vie  soit  conforme  à  d'aut'nentiques 


-    48- 
destins.  Et  si  dociles  qu'ils  semblent, 
héroïques,  tumultueux,   ils  n'en  ac- 
complissent point  les  extraordinaires 
fastes  ! 


Ah  I  combien  de  héros  ont  été  sub- 
jugués  et  vaincus  par  les  roses,  ces  fé- 
roces, fugaces  et  furieuses  fontaines; 
la  forêt,  une  pierre.  Il  y  a  là  de  tacites 
et  atroces  révoltes!    Les   rudes  pê- 
cheurs ont  des  tempêtes,  d'éblouis- 
santes banquises  d'or  où  bondissentj 
des  ours  blancs  ;  des  coquillages,  h 
nuit  de  l'eau;  —  et  de  rudes  trou-' 
peaux  de  bêtes  d'or,    rugueuses  etj 
écaillées  !  —  des  algues  !  Les  labou-j 
reurs  voient  se  soulever  les  sillons  1 
des    grêles    brûlent    les    blés;    d< 


—  49  — 
ciels  d'eaux  ruissellent.  Et  d'odo- 
rantes cargaisons  d'huiles  —  de  bran- 
ches et  de  feuilles  débordantes,  — 
s'écroulent  en  chantant  des  charrettes. 
Héros  farouches  et  éclatants!  Ils 
s'éloignent  de  leurs  destinées,  à  cause 
de  l'ombre  ou  de  l'aurore  î  Ils  ne  se 
confient  pas  à  ces  présages.  Ils  n'é- 
coutent pas  ce  que  leur  crient  les  lui- 
sautes  margelles  blanches  des  puits, 
le  soc  étincelant  des  charrues,  les 
roues  profondes  et  empourprées  qui 
broient,  craquantes,  les  pailles,  le 
sable.  Ils  ont  peur  d'aller  où  ils  vont. 
Ils  s'épouvantent  aussi,  en  vérité, 
vraiment,  des  torches  de  tonnerre 
qu'ils  brandissent.  Ils  n'osent  passai- 
sir  ces  rocailles  afin  d'en  fracasser  les 
plus  hostiles  statues.  Ils  songent  —  et 
ils  se  ploient  aux  circonstances. 


-  5o~ 
Des  hasards  étrangers  s'opposent  à 
leurs  destins,  en  sorte  qu'ils  en  laissent 
l'aventure,  —  leur  pudeur,  parfois  les 
retient;  —  ou  l'innocence  de  leur 
amour  —  ou  la  puérile  grâce  de  leur 
mansuétude. 

#  « 

Ainsi  nul  destin  —  joug  d'esclave 
docile  —  ne  m'a  accordé  la  victoire. 
J'ai  combattu  les  paysages.  Pourquoi 
ne  suis-je  pas  devenu  le  divin  pasteur 
de  statues  qui  m'eut  plu?  J'ai  com- 
battu la  révolte  des  cîmes  et  des  eaux. 
Les  ruses  de  l'aurore  m'ont  exaspéré  ! 
Des  pierres  bondissantes  meurtrissent 
mes  guirlandes  !  Je  n'ai  pas  connu  les 
triomphes  d'été,  les  fêtes  en  honneur, 

les  panégyriques Or,   comme  je 

marchais,  pudique,  tendre  adulte,  les 


-  51  - 
pestiférés  m'ont  tendu  des  mains  pu- 
tréfiées et  tristes!  —  J'ai  tué  des 
dieux.  — Ah  I  sachez-le,  j'ai  médité 
souvent  de  féroces  et  furieuses  actions. 
Si  je  ne  les  ai  point  commises  c'est 
que  des  hasards  me  l'ont  interdit.  11 
y  a  tant  d'obstacles  !  —  On  ne  peut 
jamais  rien  ! 


Je  sais  que  jadis  des  empereurs 
imaginèrent  les  pires  tortures  pour 
de  puérils  et  douloureux  esclaves.  A 
cause  de  leur  pâle  grâce,  écartelés, 
coriaces;  ou  par  jeu,  enduits  de  gou- 
dron, brûlés  comme  des  bottes  de 
paillesblanches;oujetés  dans  l'arène, 
farouches,  tremblants  et  humbles,  — 
au  milieu  des  roses  et  des  lions  !  Ce 


-  52  - 

furent  d'atroces  et  gais  passe-temps  I 
Des  empereurs  jadis  s'y  complurent. 
Et  je  crois,  que  pour  les  décrire,  il 
faudrait  pouvoir  les  vouloir  ! 

Les  beaux  supplices!  Batailles  et 
sang!  de  hautes  torches  consument 
les  châteaux  !  Et  les  carnages  !  Et  les 
tumultes!  Voilà  de  terrifiantes  dé- 
lices ! 

Mais  les  hasards  mauvais  nous  mè- 
nent, et  ils  contredisent  nos  destins. 
Et  nul  n'en  accomplit  jamais  les 
extraordinaires  aventures.  Ce  que 
l'on  réalise  n'est  rien.  L'Espoir  com- 
bat la  Mort.  Et  l'Amour  rit. 

Or  si  pompeux  qu'ils  semblent,  les 
hommes  sont  fades  et  vains,  à  côté  du 
dieu  d'or  dont  ils  portent  le  pâle 
masque. 


Attitudes 

A  Albert  Fleur  y. 


T^ 


«  Tout  homme  se  constitue  d'un 
Paysage.  » 


V 


Farouche  douceur  de  l'ombre  et  de 
la  Mort  I  —  Et  les  orages,  et  les  dé- 
faites !  —  Leur  emphase  éclate  aux  en- 
fers. —  Altérée,  Taube  boit  l'eau  des 
Sîyx!  —  Mais  ces  tristesses  ne  m'é- 
treignent  guère.  —  On  fuit  le  massa- 
cre écarlate  des  roses  ! . . . 

Il  faut  songer  à  l'obscur  silence 
du  tonnerre. 


5 


-56- 

Les  embûches  des  pirates  sont 
d'une  furieuse  violence.  Ils  portent 
des  piques  bleues  et  resplendissantes. 
Le  sang  ruisselle  des  rochers  sous 
leurs  épées.  —  Il  y  a  autant  de  ter- 
reurs dans  répouvante  d'une  statue- 
pâle... 

Ainsi  quotidiennes,  les  actions  ont 
une  ardente  magnificence.  Nous 
allons  dans  des  parcs,  parmi  des 
fruits  glauques  et  acides,  les  puissan- 
tes roses,  les  herbages  blancs.  —  De 
pesantes  odeurs  nous  enivrent.  —  On 
en  garde,  cendreux,  un  goût  de  té- 
nèbres. 

Les  pires  épisodes  fades  et  ordi- 
naires témoignent  d'une  divine  desti- 
née. Puérils,  des  colloques  bondis- 
sent en  échos  !  —  De  toutes  ces  bana- 
les grâces  dont  nous  sommes  specta- 


-  57  - 
tems,    il   reste,   béioîqBes,  d'inçé- 

tuenses  merveilles. 

Ne  croyez  pas  que  ces  supplices 
de  glaces  et  d'or  aient  plus  d'horreur 
que  l'anxiété  d'une  fleur,  une 
guirlande,  un  baiser.  —  L'élégiaque 
et  grinçante  cruauté  des  héros  n'at- 
teint pas,  peut-être,  celle  qu'expri- 
ment de  rustiques  carriers,  fracas- 
sant de  fragiles  blocs  blancs,  —  ou 
ces  bûcherons,  ces  tueurs  de  pho- 
ques. 


Il  s'ao-it  donc  de  distinofuer.  Toute 
attitude  est  héroïque.  Elle  se  com- 
pose d'Eternité.  Des  anges  s'y  dra- 
pent, ou  des  pasteurs.  —  Ce  sont  des 
dieux  —  et  peu  importe  —  Cueillir 
la  plus  candide  des  fleurs,  partager 


1 


-  58  - 
d'opaques  pains  coriaces  et  empour- 
prés, —  tendre  et  idyllique,  s'incli- 
ner parmi  l'abrupte  et  miroitante 
margelle  d'un  puits,  —  atteler  des 
bœufs  à  la  charrue  ;  tresser  de  claires 
corbeilles  d'un  flexible,  verdâtre  et 
énorme  osier;  sculpter  des  tom- 
beaux, danser  sous  les  branches  !  — 
Voilà  des  actions  quotidiennes  ! 

Ce  qu'elles  chantent  tressaille 
dans  la  nuit.  Leur  aspect  terrifie  ou 
charme  —  à  cause  de  l'Amour,  de  la 
Mort,  de  la  Joie  qui,  par  là,  s'expri- 
me. 

Pour  les  héros,  il  se  peut  bien 
qu'il  n'en  distinguent,  point  la  mer- 
veille. Ils  chantent  selon  les  cris  que 
leur  confie  la  Terre.  Ils  ont  les  atti- 
tudes où  elle  les  sculpte.  —  Ils  n'en 
demeurent  que  les  dociles  esclaves. 


—  59  — 
C'ela  resplendit  tout  en  dehors  d'eux 
Ils  portent  des  mystères.  Et  ils  en  té- 
moignent comme  s'ils  revenaient  de 
l'enfer.  Tls  ont  en  vérité  d'étranges 
candeurs. 


Ah  !  la  vie  banale  et  patriarcale  des 
gens  de  village  et  des  artisans!  Ils 
sont  là,  bucoliques  et  frustes;  ils  ont 
l'air  de  ne  s'employer  qu'à  de  basses 
et  vulgaires  besognes.  Mais  la  Terre 
les  courtise.  Et  l'autochtone  éclat  en 
reluit  sur  leur  face.  Ruraux  ou  ur- 
bains, ils  assistent,  pleins  de  larmes 
de  rires,  à  l'héroïque  concert  des 
eaux,  des  brises  pleureuses,  des  durs 
lichens,  des  lourds  sillons,  des  chau- 
mières blanches!  Ils  en  consacrent 
et   en    scandent    les    échos.   —    Ils 


—  6o  — 
en  profèrent  les  vœux  les  plus 
obscurs.  —  La  Nature  veille  sur 
leur  Destin!  Son  attentive  douceur 
s'écoute  en  eux.  Elle  leur  épargne 
l'anxiété  des  ténèbres.  Ils  tremblent 
et  ils  chantent.  Ils  habitent  aux  lieux 
où  ils  officient,  s'embellissent  des 
passionnées  et  tumultueuses  magni- 
ficences que  leur  confient  les  roses, 
les  rocailles,  les  mousses  vertes.  — 
Ainsi  ces  noirs  carriers  portent  des 
attitudes  d'anges.  —  Les  frustes, 
rudes,  solides  forgerons  dont  son- 
nent, scintillantes,  les  enclumes,  —  et 
les  potentats,  les  pirates,  les  pâtres!... 


* 


Des  artisans  pétrissent  des   pains 
roses  et  dorés!  Ils  émerveillent,  par 


-  6i  - 
là,  les  plus  divines  des  grâces.  Les 
violettes  flamboient,  rauques  et  hé- 
rissées. Un  berger  conduit  d'éblouis- 
sants bœufs  blancs  boire  l'onde  her- 
bue et  bourbeuse  des  marais.  — 
L'Amour  s'endort  derrière  de  pâles, 
pliantes  charmilles.  - —  Depuis  mainte 
année,  et  des  jours  sans  nombre,  le 
batelier  traverse,  eucharystique,  des 
hommes,  d'une  rive  à  l'autre,  au 
long  du  fleuve.  —  Or  voilà  vrai- 
ment, de  tragiques  esclaves  !  Et  ils 
accomplissent  constamment  les  plus 
extraordinaires  merveilles  du  monde. 


Pomones  !  Hercules  !  Saturnes  ! 
Ils  domptent,  navigateurs,  le  sombre 
orage   des  mers.  Et    les  bûcherons 


—   62    — 

qui   meurtrissent   les   hamadryades. 
Candide  et  énorme   paganisme!   Ilsj 
parlent  tous  ces  gens-là,  à  voix  très] 
basses,   et  comme  s'ils  avaient  peui 
de   s'entendre.    Ils  ensevelissent   ce 
qu'ils  ont  de  divin.    Ainsi  ils   sont] 
leurs  propres  fossoyeurs.  Ils  accom- 
plissent,  bouviers,  pêcheurs  ou  me-j 
nuisiers,    d'éternelles  messes   pastc 
raies  et  urbaines,  mais  dont  ils  igno- 
rent les  splendeurs.  Ils  cjaignent  de] 
vivre.  Le  temps  les  détourne  de  l'é- 
ternité. 

Ah!  comme  ils  resplendissentil 
pourtant,  ces  fades  esclaves  ;  si  vils,} 
si  bas,  apostats  de  leur  réciproque] 
divinité,  dociles,  tacites!  Ils  tressent] 
de  jeunes  guirlandes,  rabotent  de* 
planches  de  pin,  pétrissent  la  pâte  des' 
cruches  !  —  Ils  s'étaient  aussi  et  il^j 


-63- 

dansent.  —  Ils  construisent  des  ba- 
raques d'opaque  plâtre  et  de  bois. 
Ils  massacrent,  écarlates,  les  ours 
rudes!  Leur  attitude  d'ange  solen- 
nise  la  Mort,  la  Nature,  FAmour! 

Sans  aucun  doute,  de  tous  ces 
beaux  héros,  il  n'en  est  guère  qui 
distinguent  leur  Destin.  Ils  ne  s'y 
confrontent  pas,  ils  ne  s'y  appuient 
pas.  Peut-être  agissent-ils  contradic- 
toirement.'*  La  pudeur  des  roses  les 
embrase.  Ils  réalisent  des  multitudes 
d'ardentes  et  angéliques  merveilles. 
Ils  n'en  soupçonnent  pas  les  resplen- 
dissements. 

Ils  apparaissent,  malgré  eux,  mal- 
gré leur  destin,  comme  d'impétueu- 
ses allégories.  La  religion  qu'ils 
sanctifient  demeure  païenne  et  éleu- 
siaque,  de  roches,  de  forêts,  de  par- 


-64- 
fums,  de  fleuves.  Ils  en  font  retentir 
les  cris.   Ils  sonnent  ce   qu'ils  leur 
chuchottèrent  en  confidences. 

Uu  coq,  une  corbeille  fraîche, 
flexible  et  odorante,  une  amphore 
d'eau  —  voilà  d'extraordinaires  inti- 
mités !  Il  n'est  pas  un  cantique  plus 
beau. 


Tels  sont  ces  dieux  rustiques  et 
artisans.  Ils  attestent  un  pur  paga- 
nisme. Leur  servitude  s'y  ennoblit. 

Cependant,  si  épiques  qu'ils 
soient,  ils  ne  passent  pas  le  terrible 
et  humble  héroïsme  où  se  drapent 
les  poètes,  les  rois  !  Car  il  faut  bien 
considérer  que  les  poètes  demeurent 
des  Sourires  ou  des  Larmes.  Et  ils 
surgissent  afin  de  consacrer  des  rites. 


i 


-65- 
Rites  païens  et  éclatants  dont  l'hiéro- 
glyphe étincelle  sur  une  petite  ruelle 
assombrie  bruissante,  une  pioche, 
une  palpitante  amphore  de  roche, 
une  fleur. 

Car,  tumultueux,  les  poètes  solem- 
nisenf. 

Bien  qu'ils  semblent,  attentifs  aux 
pâles  turbulences  des  nations,  ils  n'y 
participent  aucunement.  Ils  rêvent 
dans  des  lieux  de  profondes  grottes 
d'eaux  rocheuses  et  herbues,  parmi 
des  bois  de  roses,  de  pins  et  de  ci- 
trons. Ils  en  respirent  les  parfums 
lourds,  l'acide  éclat.  Ce  désir  qu'ils 
ont  d'y  mourir,  les  y  prédestine,  en 
effet.  Cependant  d'impérieux  hasards 
les  en  détournent.  Ils  se  mettent  en 
route  afin  d'y  atteindre,  car  telle  est 
leur  contrée  de   dilection.    C'est  là 


_  66  - 

OÙ  les  appelle  leur  destinée.  Ils  en 
connaissent  les  blancs  rameaux,  les 
roses  rocailles,  et  les  charmilles 
pleines  de  guêpes  et  de  noix.  Or  ils 
n'y  parviendront  jamais. 

Ce  sentiment  les  exaspère.  Aussi 
imaginent-ils  des  héros  de  roman  à 
qui  ils  confient  de  tacites  splendeurs. 
Ce  sont  des  bouviers  ou  des  rois. 
Leur  attitude  y  réprésente  l'intact  et 
strict  aspect  de  leur  Destin.  Ils  s'y 
allégorisent.  Et  ils  y  viennent,  avec 
eux  habiter  ces  régions  bucoliques 
ou  urbaines  où  ils  les  ont  conduits. 

Il  est  des  poètes  moins  pompeux 
Ils  logent,  ceux-ci,  dans  d'opaques 
et  plâtreuses  chaumières,  hérissées 
de  tremblantes  pailles  rudes,  et  pa- 
reilles à  des  ruches  dorées.  Candides 
et  puérils,   ils  composent  des  tou- 


-  67- 
chantes   églogues,    à    propos   d'une 
guêpe,    d'une    rose   humide,    d'une 
cruche  cassée. 

Ils  ne  diffèrent  point  des  gens  de 
villages.  On  entend  le  cri  ccarlate 
des  coqs.  Le  pavé  luit  et  ruisselle  de 
fraîcheurs. 

L'odeur  des  fruits  est  enivrante. 
Des  charmilles  balancées  résonnent. 
Voilà,  n'est-ce  pas,  de  bien  ordinaires 
aventures.  Des  circonstances  pour- 
tant, nous  en  éloignent  parfois.  Alors 
nous  vivons  comme  des  étrangers.  Et 
c'est  pour  charmer  notre  exil  que 
Ton  chuchotte  de  divines  et  banales 
prières,  où  il  s'agit  de  coquelicots,  de 
pommes  de  pin,  de  grises  rivières 
glacéeset  blêmes,  d'argentines  cloches 
et  de  miels  roses  ! 

Ils  ne  diffèrent  point  des  gens  de 

6 


—  68  — 

village.  Je  ne  vois  pas  qu'ils  soient 
dignes  d'un  plus  grand  respect.  L'un 
et  l'autre  attestent  et  illustrent  un 
dieu.  Et  la  préséance  de  leur  gloire 
en  fausse  le  candide  héroïsme.  —  Ils 
habitent  les  mêmes  lieux.  Et  ce  qu'ils 
expriment  demeure  identique.  Ils 
témoignent  d'une  piété  païenne  et 
humble,  envers  la  môme  divinité. 
Ceux  qui  cultivent  la  terre  n'ont  pas 
moins  de  grâces  que  ceux  qui  en 
profèrent  les  chants.  Les  uns  dressent 
d'éternelles  statues;  leur  attitude  en 
simule  l'héroïque  action.  Les  autres, 
stricts  et  confidentiels,  invoquent, 
retentissent,  solennisent.  Leur  culte  a 
moins  d'emphase.  Transsubstantiée, 
toute  la  Nature  en  eux  tressaille. 
Ils  en  répercutent  l'horreur  souter- 
raine. Leur  lèvre  en  anime  le  silence. 


-69- 


* 


Leur  jeune  gloire  cependant  ob- 
tient la  préséance  sur  celle  des  arti- 
sans. Il  ne  faut  point  s'en  étonner. 
Ils  ajoutent  aux  dieux  ordinaires  les 
grâces  touchantes  ou  impétueuses  de 
ces  héros  où  ils  figurent.  Et  ils 
n'expriment  pas  ceci  ou  cela,  une 
roche,  un  gâteau  au  miel,  une  am- 
phore, une  odeur  d'huile,  ou  une 
fôrèt  !  Mais,  tour  à  tour,  tous  les  plus 
obscurs  vœux  de  la  nature. 

Ils  ne  conquièrent  point,  telle  ou 
telle  couronne.  Leur  puissance  s'é- 
tend sur  les  terres  glacées  et  polaires 
couvertes  de  banquises,  de  rocs 
blancs  tout  argentés  d'algues  et  de 
sauvages  ours  ;  à  l'instant  même  de 


-  70  - 

leur  caprice  ils  habitent  d'écarlates 
régions,  brûlées  et  sèches,  — et  dans; 
des  contrées  inconnues. 

Bien  qu'ils  se  constituent  des  con- 
tingences —  idéales  et  impérissables 
—  de  la  nature,  ils  ne  subissent  point 
l'atroce  infortune  d'y   être   asservis. 
Ils  s 'émeuvent  à  cause  d'une  violette,  J 
d'un  foudre.   Ils  en  remémorent   la, 
fleur  ou   l'éclat.   Ils  ne  s'y  tiennent: 
point.  Leur  emphase  éblouit.  Ils  nel 
gardent  pas  l'humble  aspect  éraillé  et 
ancien  des  bouviers,  des  pêcheurs. 

Ils  chantent.  Ils  marchent.  A  la  mortî 
de  l'Avril  c'est  l'Été  qui  anime  la  fête] 
de  leurs  roseaux  ;  —  et  tour  à  tour 
bruissent  et  mugissent  les  rochers  ; 
les  fleuves  gris  et  opaques,  —  et  les 
dieux  des  jardins. 


71  - 


*   * 


Ainsi,  ces  héros  de  village  et  ces 
bucoliques  artisans  existent,  un  peu, 
en  vérité,  comme  des  divinités  païen- 
nes et  attentives.  Ils  représentent  un 
paysage.  Leur  stature  en  dresse  la 
statue.  Ils  en  accomplissent  l'erotique 
rituel.  Leur  douceur  s'y  exaspère. 
Ils  s'y  exaltent.  Et  ils  y  apparaissent 
consubstantiels. 

Il  faut  aussi  considérer  le  paga- 
nisme héroïque  des  nomades,  des 
rois.  Mais  les  poètes  bondissent. 
—  Roses,  Rivières,  Forêts,  cimes. 
Toute  la  Nature,  transsubstantiée, 
tressaille  en  eux.  Ils  palpitent  impé- 
tueux, terribles.  —  Leur  héroïsme  a 
peur  des  tumultes  de  l'action.  Il  se 


-  72  - 
peut  que  les  destinées  les  en  éloignent. 
Aussi  se  contentent-ils  de  batailles 
fausses,    de    foudres.    L'artifice    de! 
leurs  tragédies  les  satisfait.  Les  héros' 
romanesques  dont  ils  tentent  l'aven- 
ture, leur  restituent,  et  à  eux-même?, 
l'intact  et  acariâtre  aspect  des  Desti- 
nées. Certains  moins  pompeux,  mé- 
ditent des  plates-bandes  d 'œillets  et' 
de  thyms.  Leur  infortune  leur  interdit 
d'en  respirer  l'odeur  verdâtre,  aigûe 
et  froide.  C'est  là  où  ils  essaient,  ce- 
pendant, d'apparaître.  Ils  reconstrui- 
sent l'autochtone  contrée  qui  tut  dû, 
sans  nul  doute,  leur  servir  de  patrie. 
L'impérieux  caprice  de  leur  Destinée 
y  subjugue  celui  des  hasards.  Ils  en- 
illustrent,  ils  en  glorifient   les  mer- 
veilles. 


-73- 


* 


Dans  ce  sentiment,  songez-bien  que 
les  plus  vaines  pudeurs  des  cloches, 
une  eau  qui  tinte  au  creux  d'une 
vasque,  et  ces  échos  pâles,  ces  guir- 
landes tiennent  une  grâce  sacrée  et 
tragique.  On  s'incline  les  uns  vers  les 
autres  avec  des  roses  et  des  respects. 
Le  tisserand,  l'humble  et  pieux  bou- 
vier, le  pirate,  le  roi,  le  pécheur.  On 
s'égaie,  on  s'éblouit  :  Des  clefs  com- 
munes servent  à  ouvrir  le  même  por- 
tail. On  marche.  Acariâtre  et  glacée 
l'odeur  spongieuse  des  fruits  enivre. 

On  rompt  le  bon  pain  pour  la 
communion.  On  converse  ensemble. 
L'herbe  écume,  fleurie,  floconneuse. 
Des    cyprès    balancés    grincent    et 


-  74  - 

luisent.  Les  statues   regardent  dai 
du  clair  de  lune.  On  danse  tendremei 
sous  les  molles  charmilles.  L'ombreJ 
entre  en  tremblant,  dans  les  pan 
Voilà  à  quoi  se  passent  nos  destinées] 
Elles  vivent  entre  une  forêt,  un  mi 
blanc  et  l'azur.  Il  y  a  là  d'ancienm 
grâces  fardées  et  puériles.  A  force  d< 
s'apparaître  ainsi  il  faut  bien  que  l'oi 
s'entretienne.     Le     statagème      dt 
fausses  confidences  —  ou  l'on  d^ 
faille  très  tendrement,  avec  des  rire 
—  n'en  détruit  pas  la  stricte  et  terri 
fiante  fadeur.  Mais  il  faut  biv^n  s'e< 
contenter.  Torches  de  foudre,  orages 
guirlandes  d'or!  Cela,  vraiment, 
suffit  point  ! 

Héros  infortunés  !  —  Ils  tentent  de 
aventures;  ils  s'inclinent,  en  versai 
des  larmes  ;  ils  solemnisent  leur  cultl 


-  75  - 
joyeux  ou  élégiaque  ;  ils  se  donnent 
des  saluts;  s'invitent,  pompeux,  en 
leurs  parcs  familiers,  parmi  des 
grottes  grondantes  de  rocailles  et  de 
flots,  des  grappes,  des  arcades,  des 
charmilles  !  C'est  là  ou  ils  échangent 
leurs  plus  intimes  colloques.  Mais  si 
amoureusement  qu'ils  s'y  épanchent 
l'écho  de  leur  âme,  toujours  s'y  en- 
dort. —  Taciturnes  et  hostiles  sta- 
tues! 


Les  Dieux  en  exil 

A   Maurice  Le  Blond. 


» 


«  Hèlas.  Hélas!  rivages  in- 
fortunés d'où  U  sort  m'a  pros- 
crit. )>  (Tragédies.) 


VI 


Il  paraît,  pourtant  des  héros  — 
dans  ces  retentissantes  cités,  au  mi- 
lieu des  poudreuses  roches  blanches, 
parmi  de  houilleuses  et  obscures 
campagnes  —  le  destin  les  y  exila 
et  ils  y  passent  —  pâles,  puérils,  tu- 
multueux ! 

Ils  ne  viennent  pas  pour  célébrer 
des  rites.  Les  pires  nations  bâtissent 
des   bûchers  dans  la  nuit.  S'ils  pé- 


1 


—  8o  — 

rorent,  ce  n'est  point,  sans  doute, 
pour  émouvoir  les  coquilles,  ni  les 
pommes  de  pin.  Ce  ne  sont  pas  des 
dieux  hospitaliers.  La  certitude  de 
leur  magnificence  éblouit.  Ils  en  ré- 
pudient les  trésors.  On  ignore  le 
pays  de  leur  nativité.  Ils  ont  l'âge  de 
le  Terre  éternelle.  —  Profondes  et 
odorantes  les  hautes  gro'.tes  vertes, 
-rr  à  leur  aspect,  —  chuchottent.  Ils 
bondissent  — impétueux,  tremblants  ! 
Ils  étreignent  la  maigreur  des  eaux. 
Et  les  rivières  sont  pleines  d'aveux. 
Et  les  berges  bruissent —  resplendis- 
santes ! 

Ils  courtisent   les   aubes,   les  co- 
rolles. 


D'aspect   glacé    et    acariâtre,    ils 


r 


—  8i  — 

agissent  parfois  comme  des  artisans. 
Leur  patience  les  y  apparie,  et  ils  en 
agréent  les  labeurs.  Ce  sont  alors  de 
rustiques  conducteurs  d'attelage,  des 
pêcheurs  dont  les  bras  ruissellent 
d'huiles,  de  goémons,  de  coi  ail.  —  De 
blancs  cordiers,  des  laboureurs  !  —  E" 
ils  équarissent  de  durs  troncs  ruguCa^j 
roses  et  odorants  ;  et  ils  taillent  db-. 
rochers;  et  ils  arrosent  aussi  les  plattâ 
bandes  spongieuses,  palpitantes  de 
fleurs!  L'infortune  de  leur  desti- 
née n'en  défigure  point,  cependant 
l'éclat.  Ils  s'exercent  aux  astuces  de 
l'arc,  ils  participent  à  des  carnages, 
ils  égorgent  des  roses  et  des  lions. 
Sur  leurs  mains  blanches  du  sang 
reluit.  Ces  actions  —  ils  les  accom- 
plissent à  cause  d'un  caprice  des  ha- 
sards.  Et   ils  ne   s'y  attardent  pas. 


—   82   — 

Cela  se  passe  au  dehors  d'eux.  Et 
leurs  désirs  n'y  sont  point  ressem- 
blants. Bien  qu'ils  se  prôtentaux  jeux 
de  leur  corporation,  leur  destin  les 
porte  sauvages  et  hagards  au  milieu 
des  Roses,  parmi  les  Fontaines,  les 
Cimes, les  Forêts, ou  dans  cesglauques 
et  écarlates  statues,  dont  sont  peuplés 
les  places  publiques  et  les  jardins. 


Ils  apparaissent,  miraculeux  !  Dieux 
en  exil  !  Bondis  d'un  astre  !  Ils  en 
rapportent,  —  le  saviez-vous.'*  — 
d'exceptionnels  trésors,  des  corbeilles 
des  guirlandes  !  Des  lieux  inexplorée 
d'où  ils  reviennent,  ils  gardent  la 
mémoire  d'aventures,  de  fictions 
froides  et  élégiaques,  et  de  banales 


à 


i> 


-  83  - 

'et  divines  fêtes.  Ils  y  ont  conquis  des 
ilichensverdàtres,de  roses  pierreries. 
lAu  bord  des  lourds  fleuves  jaunes  et 
écaillés  ils  ont  cueilli  de  frais  roseaux. 
Ils  savent  d'obscures  régions,  des 
forêts,  des  abimes.  Ils  marchent.  Ils 
chantent.  Si  vieux  qu'ils  ont  perdu 
la  trace  antique  des  nymphes.  Leurs 
cris  en  remémorent  les  plaintes.  Ils 
ont  frappé  à  tant  de  portes  —  car  on 
a  faim.  Ils  se  sont  inclinés,  robustes, 
au-dessus  d'humides  margelles  blan- 
ches. —  Car  on  a  faim  et  on  a  soif. 
—  Les  clefs  anciennes  se  rouillent. 
L'aurore  a  bu  les  eaux.  Leur  atten- 
tive tristesse  pleure,  dans  l'Ister- 
nité.  La  certitude  de  leur  destin  en 
augmente  l'atroce  anxiété.  Ils  ne  sa- 
vent rien.  Ils  comprennent  trop.  Les 
pierres     leur    murmurent    ce    qu'ils 


-84- 
chantent.  Les  dieux  leur  confient  des 
gages  de  victoire.  Ils  embrassent  tout 
Espoir.  Et  l'ombre  au  loin  s'allonge. 
Par  le  pire  des  pâles  artifices  ils 
simulent  la  stature  qu'un  dieu  leur 
constitue.  Et  ils  prennent  le  masque 
acariâtre,  ou  ingénu,  ou  bien  cruel, 
dont  on  les  pare.  Ils  ont  l'air  de  bou- 
viers, de  bûcherons,  de  pêcheurs. 
Les  hautes  statues  que,  pourtant,  ils 
s'érigent,  ils  ne  les  pétrissent  pas  de 
la  cendre  héroïque  et  éteinte  des 
idoles.  Ils  régnent  aux  bourgades  de 
corail,  sur  des  lieux  de  houilles  et 
de  boulingrins.  Le  fardeau  des  morts 
ne  les  fatigue  point.  —  Bondis  d'une 
étoile  sur  la  Terre,  ils  y  balbutient 
parmi  les  rochej:^,  les  blanches 
mousses  gelées,  au  flanc  des  cavçr- 
nes,  les  fleuves,  les  forêts  —  ils  bal- 


i 


-85  - 
butient  avec  des  larmes,   —   et,    si 
hagards    qu'ils    semblent   au     seuil 
même  de  T Enfer. 


Ces  héros  apparaissent  comme  des 
pestiférés.  L'horreur  de  leurs  grâces 
écaillées,  livides,  terrifie.  Les  vents 
boivent,  rauques  et  altérés,  l'humidi- 
té palpitante  de  leurs  yeux.  Ils  con- 
sument les  champs.  Des  roses  y 
flamboient.  Brûlantes,  les  chaumières 
se  hérissent  de  puissantes  et  coriaces 
pailles  d'or.  L'aurore,  éperdue, 
s'effarouche!  Ils  font  horreur.  Lors- 
qu'ils s'avancent  vers  ces  reten- 
tissantes cités  il  n'y  a  point  là, 
pour  escorte,  d'écarlates  fifres,  des 
archers,  des  hallebardiers.  Les 
chœurs  des  jeunes  filles,  offrant  des 


—  86  — 

corbeilles,   ne  s'approchent  pas, 
roses  et  violettes.  —  Ils  ne  possédai 
aucun  esclave  —  des  joueurs  de  mi 
sette,   ni  des  pâtres.   L'atrocité 
leur   destin  en  discrédite   les  pâles 
trésors.    Leur    héroïsme    augmente 
encore  leur  solitude. 

Ils  errent.  Ainsi,  l'aube,  au  matin, 
rôde  à  travers  toutes  les  ténèbres.  — 
S'ils  marchaient  dans  cent  mille 
années,  les  cloches  sonneraient, 
peut-être,  selon  la  fête,  et  les  flûtes, 
et  les  chalumeaux  ;  —  des  roses  bon- 
diraient vers  leur  joie  ;  -»-  on  leur  dé- 
dierait les  guirlandes  du  Roi . 

Mais  l'obscure  nuit  est  longue.  Et 
les  sonneurs  dorment  autour  des 
beffrois.  Les  pieux  héros  font  reten- 
tir les  cités  mortes.  Et  leur  souffle 
empesté  éteint  l'éclat  du  ciel. 


J 


-87  - 


Les  tragiques,  les  pompeux,  les 
terrifiants  héros  !  Je  vous  dis  qu'ils 
portent  l'épouvante.  Leur  grâce  con- 
tribue à  leur  infortune.  Vous  ne  les 
avez  jamais  vus.  Bien  qu'ils  s'abri- 
tent aux  grottes  de  pierrailles  et  de 
glaces,  parmi  les  bourgades,  dans 
les  bois,  ils  en  demeurent  si  loin, 
proscrits  que  nul  ne  les  peut  distin- 
guer. Et  nul  n'entend,  tant  ils  par- 
lent bas,  les  confidences  qu'ils  se  mur- 
murent. —  Ils  crient.  Ils  ont  faim. 
Ils  implorent.  On  leur  jette  des  pains 
imprégnés  de  sang.  Ils  frappent  terri- 
blement aux  portes  goudronnées  et 
rugueuses  des  villes. 

Ah  !  ces  pâles  carriers  qui  les  inju- 


—  88  — 

rient.  Et   les  les  hallebardiers  dont 
les  piques  étincellent,  bleues  et  reten-j 
tissantes  !  Et  ces  maçons,  ces  labou-j 
reurs,  ces  paysans,  —  mauvaise  plè- 
be, divine  et  obscure  —  qui  s'en- 
gouffrent  en    foule   dans    les   rues,j 
brandissant    des    fourches,     de     lî 
boue  !  —  Or,  ruissellantes  de  fleurs^ 
les   statues    bondissent   et   elles 
prosternent  devant  les  héros  ! 

Ils  passent  comme  des  pestiférés  !Oi 
les  considère  à  l'aube,  à  la  nuit,  dans] 
les  jardins  publics,  ici  et  là.  Ils  sem-] 
blent  attentifs  aux  pires  confidences. 
Ils  conversent  de  la  fête,  de  l'époque, 
des  récoltés.  Par  là  ils  participent 
à  vos  basses  industries.  On  pressent 
qu'ils  s'y  apparient,  de  peur  d'ensubir 
les  embûches.  Ils  ont  l'air  humble  et 
élégiaque  —  et  si  puéril  !  Ils  habitent 


4 


I 


-89- 
des  pics  blancs,  abrupts,  hérissés  de 
roses  et  de  pins,  parmi  d'obscures, 
sauvages  et  bucoliques  régions.  C'est 
de  là  qu'ils  vous  entretiennent. — Or, 
ils  pérorent  aussi  et  quelquefois  sur 
l'infortune  de  leur  destin  ;  ils  en  com- 
posent des  élégies  ;  les  descriptions 
qu'ils  font  des  lieux  de  leur  naissance 
sont  pleines  de  grâces  sacrées  et 
tristes.  Aussi  n'émeuvent-ils  que  les 
dieux. 

Tuiles  fraîches!  Toits  d'ardoise! 
Portails  blancs  !  Ils  entrent  aux 
vieilles  bourgades.  Et  nul  accueil  ! 
On  clôt  les  grilles  de  fer  —  et  les  fe- 
nêtres. Pas  une  musette  ne  tinte,  gaie 
et  sonore  !  Et  il  n'y  a  ici  aucune  es- 
corte. Et  les  ménétriers  taisent  leurs 
concerts  rustiques  par  quoi  on  célé- 
brait des  noces!  Car  ils  s'avancent, 


-  90  - 
les  Étrangers  !  Et  la  Mort  marche.  Et 
non  TAraour. 

Héros  que  proscrivirent  d'antiques 
destins  î  Voilà  des  dieux  dont  l'élégia- 
que  et  sombre  exil  se  passe  entre  un 
jardin,  une  forêt  et  un  fleuve. Mais  leur 
âme  ne  s'y  enclôt  point.  La  certitude 
qu'ils  ont  de  leur  captivité  contribue 
à  la  diminuer.  Et  ils  résident  où  il 
leur  plaît.  Et  ainsi  ils  s'en  vont  vers 
d'étranges  aventures.  Le  vertige  des 
cimes  les  éblouit.  Et  ils  deviennent 
le  paysage  qu'ils  considèrent.  —  Pa- 
reils à  l'aurore  blanche  ils  font  éclore 
les  fleurs.  Au  milieu  des  plaines 
flambent  des  meules  violettes  en 
hautes  torches  de  pailles.  Poudreux, 
étincellent  d'éclatants  rocs  blancs. 
Les  héros  passent.  Leur  humble  as- 
pect s'y  émerveille.  Le  rose  soleil  ai- 


-  91  - 
guise  sur  les  pierres  ses  rayons.  Le 
ciel  luit.  Un  coq  chante  —  sombre  et 
écarlate.  Ces  héros  ne  s'y  restreignent 
point.  Leurs  destins  ne  s'y  limitent 
pas  pour  quelque  énorme  et  strict 
émoi.  Ils  paraissent  comme  des  rois 
ou  des  pestiférés.  Farouches  et  impé- 
tueux, ils  apportent,  en  tremblant, 
tragiques,  de  palpitantes  amphores  de 
sang. 

Les  toits  des  villages  (tuiles  et 
briques)  s'allument,  s'empanachent 
de  pailles  et  de  flammes.  Il  luit  des 
puits,  où  tinte  le  poids  pompeux  des 
cruches.  Et  les  blancs  linges  posés, 
scintillent  parmi  les  marbres. 


Ce  sont  là  des  dieux  en  exil.  Ils 


—  92  - 

viennent  des  régions  inconnues.  Les! 
destins  qui  les  en  bannirent  leur  en 
gardent  pourtant  la  mémoire.  Comme- 
ils  distinguent  leur  déchéance  une; 
fantasque  et  hautaine  tristesse  les| 
exaspère.  A  s'en  remémorer  lesj 
bourgades,  les  forêts,  l'industrie  et 
le  faste,  ils  s'épouvantent  encorej 
plus  de  leur  infortune.  Ils  vont.  11m 
s'agitent  dans  des  turbulences.  MaisI 
on  se  détourne  de  leur  compagnie.' 
Car  ce  qu'ils  content  est  terrifiant  et 
incroyable .  Ainsi  ils  paraissent  comme] 
des  étrangers. 

On  peut  vivre  auprès  d'eux,  et] 
pendant  des  années  —  par  mille  etj 
par  miliers  !  Ils  ont  l'air  attentifs  aux] 
églogues  chuchottées.  On  rit,  oi 
pleure,  on  chante.  Et  vous  pouvez" 
frapper  à  de  mêmes  puissantes  por- 


-93  - 
tes,  de  dure  brique  ou  de  buis.  Le 
candide  pain  coriace  et  rose,  —  vous 
pouvez  le  rompre  avec  eux.  Et  ils 
vous  offriront  des  fruits  spongieux  et 
verts.  Ils  se  peut  qu'avec  vous  ils 
échangent  des  colloques.  Peut-être 
les  accompagnerez-vous  dans  d'ef- 
frayantes expéditions.  —  Sang  et 
massacre.  Les  armées  noires  et  écar- 
lates  luttent  dans  la  plaine.  On  en- 
tend grincer  les  arquebuses  d'or. 
Des  piques  luisent,  crissantes  et 
aigiies.  On  crie.  Retentissantes,  les 
catapultes  projettent  des  foudres  î  On 
crie.  Et  Ton  s'enfuit  au  milieu  des 
ténèbres.  Défaites  !  Tumultes  î  Les 
bétes  piétinent  les  morts.  —  Des  ton- 
nerres roulent.  Des  dieux  gémissent. 
On  les  emporte  puérils,  et  on  les  cou- 
che, meurtris,  dans  des  granges  rus- 


—  94  ~ 

tiques,  odorantes  de  pailles,  d'aubes] 
et  de  violettes,  entre  un  grand  bœufî 
blanc  et  un  âne.  —  Candide  et  har-j 
monieux  repos.  —  L'espoir  les  con- 
sole  de  sourires.  On  leur  parle  de^ 
roses  et   de  miels.    Et  vous  courti-' 
scz  leur  mélancolie.  —  Mais  on  neî 
saura  jamais  rien.  Leur  humble  as-^ 
pect  en   défigure  l'extase.  Ils  habi- 
tent dans  des  lieux  où  nul  jamais] 
n'alla.  Il  se  peut  qu'ils  s'inclinent  versl 
vous.  Ne  croyez  point,  pourtant,  que 
ce  soit  par  amour,   car  l'amour  de- 
meure la  vertu  dont  seuls  les  dieux 
peuvent  ne  point  s'embellir. 

Ils  surgissent,  cependant,  pour  cé- 
lébrer des  rites  ;  —  mais  où  les  basses 
et  viles  nations  ne  distinguent  rien. 
—  Car  ils  n'héroïsent  pas  des  boca- 
ges embaumés  et  lourds,  à  l'instar 


—  95.  -- 
des  bûcherons,  des  pâtres.  Ce  qu'ils 
annoncent  est  fabuleux.  Les  lieux 
dont  ils  disent  les  Etés,  remémorent 
l'injuste  infortune.  Ils  récitent  des 
épithalames  des  séraphins.  D'exces- 
sives grâces,  resplendissants  !  — 
Leur  renommée  s'en  accrédite  auprès 
des  aubes  et  des  forêts.  —  Les  ro- 
seaux vibrent.  — Au  bord  des  berges 
s'effeuillent  les  roses.  Ils  régnent 
sur  les  guêpes  et  les  vents  :  —  Ils  ne 
sont  point  domestiques  comme  les 
divinités  agrestes.  On  rapporte  des 
légendes  sur  leur  nativité.  En  vérité, 
on  ne  sait  rien.  La  poussière  des  ci- 
tés ne  pèse  point  le  poids  de  leur 
cendre.  Leur  destin  contrepèse  celui 
de  la  Nature.  Et  ils  ne  protègent  ni 
les  champs  ni  les  pommes  glau- 
ques et  amères  des  vergers,  ni  l'odo- 


-gé- 
rante cuisson  du  pain,  ni  les  ampho- 
res, ni  les  étables. 

Féroces  et  désolés  ils  passent  dans 
des  déserts  —  portant  de  résineuses, 
ruisssellantes,  écarlates  torches  ! 


I 


NOTES 

POUR  LE  TOME  I 


a.  Ainsi  l'Art  sacré  et  réel  (notre  idéo- 
balisme)  ne  s'occupera  jamais  des  âmes. 
Les  âmes  humaines  et  leurs  passions^ 
;s  luxures  de  leurs  basses  amours,  et  les 
tristesses  où  elles  succombent,  cela,  \Tai- 
ment  importe  peu.  Ce  que  pense  un  bou- 
vier, un  roi  ne  vaut  pas  que  l'on  s'y  attar- 
de. Ils  gardent  d'autant  moins  d'intérêt 
que  plus  d'émotions  les  exaltent,  car  ces 
émotions  les  détournent  des  rites. 

Un  homme  paraît  —  c'est  un  maçon, 
ou  un  guerrier,  ou  un  pêcheur  —  Il  ne 
faut  pas  que  l'on  s'arrête  sur  ces  vaines 
sensibilités.  Les  conjonctures  de  sa  fortu- 
ne, sa  naissance  et  ses  funérailles  abais- 


—    100  — 

sent  l'Art  jusqu'à  la  laideur  —  Mais  ii 
s'agit  de  le  surprendre  dans  un  instant 
d'Eternité.  —  Sublime  instant  où  il 
penche  afin  de  polir  une  cuirasse,  où 
jette  vers  l'eau  ses  filets!  Nous  savons 
que  son  attitude,  alors,  est  d'accord  avec 
Dieu. 

b.  L'Art  n'étudie  donc  pas  les  hommes,| 
telle  ou  telle  âme,  ses  aventures.  Mais  ili 
regarde  les  attitudes,  —  toute  attitude 
est  héroïque  —  les  paysages  qu'elles  auto-^ 
risent,  les  destinées  qu'elles  nécessitent 
Il  reconstruit  les  Archétypes.  —  Incline 
au  milieu  des  roches,  des  jeunes  eau: 
et  des  mousses  mouillées,  l'Art  les  pare 
des  candeurs  d'Eden.  Et  il  leur  restitue 
leur  rhythme,  —  gais  sourires,  belles 
larmes  en  fleurs  ! 

c.  Tout   homme   apparaît   comme   ui 
mythe.  Il   s'agit   de  l'interpréter  —  Ce 
qu'il   incarne,    quoiqu'il   [l'ignore,    voilà,^ 
vraiment,   ce  qui   importe.  Un   paysage 


i 


s'anime.  lî  chante.  —  Ses  gestes  s'éploient, 
graves  et  flexibles;  et  ils  forment  des 
corolles,  des  marbres;  ils  tracent  de 
sinueuses  rivières  vertes,  et,  d'une  courbe 
énorme,  les  montagnes  !  —  Le  site  où 
passe  un  laboureur,  un  bûcheron,  c'est  là 
son  âme  transsubstantiée.  Des  horizons 
l'enclosent,  solides.  Il  ne  médite  rien 
au  delà.  —  Tout  homme,  comme  un  astre 
a  ses  lois  (son  orbite  de  fatalité,  la  répul- 
sion et  l'attraction). 

II 

L'art  met  en  conflit  des  destins,  des 
étoiles  et  des  paysages  —  Tout  ce  qu'un 
homme,  dans  son  orbite,  entraîne,  déter- 
mine, réalise. 

De  là,  jaillit  le  pathétique. 


FIN  DU  TOME  PREMIER 


Table 


TABLE 

Voici  ma  pensée 7 

Si  fabuleuse  que  vous  paraisse...     .  17 

Le  Carnaval  DES  Destins 21 

Fêtes,  villages,  funérailles  ...  31 
Le  Comb.\t  des  Hasards  et  des 

Destins 41 

Attitudes 53 

Les  Dieux  en  exil '    •  77 

Notes 97 


I 


achevé:  d  imprimer 

le  premier  août 
mil  huit  cent  quatre-vingt-quinze 

PAR 
CHARLES  RENAUDIE 

56,  rue  de  Seine,  56 
PARIS 


b 


■f 


La  Bibliothèque  The  La 

ÎJftiverôité  d*  Ottawa       Universil 

Echéance  Dal 


Oi'i     i  2002 
'm  0  4  200» 


ni|!ii 


lin 


iii!  iii 


niini! 


m 


a39003  003855276b 


CE  PQ   2637 

.A28V53  1395  VCOl 

COO   SAINT  GEORGE  VIE  HER! 

ACC#  1240903 


U  D'  /  OF  OTTAWA 


COLL  ROW  MODULE  SHELF    BOX   POS    C 
333    01       07        08      10     14    1