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Full text of "La vierge folle; pièce en quatre actes"

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in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcli  ive.org/details/laviergefollepiOObata 


HENRY     BATAILLE 


LA 

YIERGE  FOLLE 

PIÈGE    EN   QUATKE    ACTES 


PARIS 

LiBRAiniE   GHAUPENTIER  et    FASQUELLE 

EUGÈNE  FASQUELLE,  ÉDITEUR 
11,     HUE     DE    GRENELLE,     Il 

19i0 

Tous  ciroils  réservés. 


LA 


VIERGE   FOLLE 


OUVRAGES    DE    ÏIENRY   BATAILLE 


POÉSIES 

La  Chambre  blanche  [Epuiaé). 

Le  Beau  Voyage.  1  vol.  in-18  de  la  Bibliothèque-Charpentier 

(EuG.  Fasquelle,  éditeur). 

THÉÂTRE 

La  Lépreuse,  tragédie  légendaire  en  3  actes  ;  —  Ton  Sang, 
tragédie  contemporaine  en  4  actes.  1  vol.  (Éditions  du  Mercure 
de  France). 

L'Enchantement,  comédie  en  i  actes  ;  —  Maman  Colibri, 
comédie  en  i  actes.  1  vol.  in-18  (Eue.  Fasquelle,  éditeur). 

Résurrection,  drame  en  5  actes.  1  vol.  in-18  (Eug.  Fasquelle, 
éditeur). 

Le  Masque,  comédie  en  3  actes  ;  —  La  Marche  nuptiale, 

comédie  dramatique  en  4  actes.  1  vol.  in-18  (Eug.  Fasqtelle, 
éditeur). 

ALBUM 

Têtes  et  Pensées.  22  lithographies  originales  de  H.  Bataille, 
avec  texte.  —  Portraits  de  C.  Mendès,  M.  Donnay,  0.  Mirbeau, 
G.  Bodenbach,  J.  Lorrain,  H.  de  Bégnier,  etc.  (Ollendorff, 
éditeur). 

A    PABAITBE 

La  Femme  nue,  pièce  en  i  actes  ;  —  Poliche,  comédie  en 
4  actes.  1  vol.  in-18. 

Le  Scandale,  comédie  en  4  actes.  1  vol.  in-18. 

La  Quadrature  de  l'Amour  {Essai). 


Il  a  été  tiré  du  présent  ouvrage  : 

5  exemplaires  numérotés  sur  papier  du  Japon: 
30  exemplaires  numérotés  sur  papier  de  Hollande. 


"^-^^     HENRY    BATAILLE 


LA 


VIERGE  FOLLE 


PIÈCE  EN   QUATRE  ACTES 

Représentée  pour  la  première  fois,  sur  le  théàlre  du  Gymnase, 
le  95  février  1910. 


PARIS 

Librairie  CHARPENTIER   et  FASQUELLE 

EUGÈNE  FASQUELLE,   ÉDITEUR 
11,     RUE     DE     GRENELLE,     11  |    |        I   J>^       A 

1910  ^         1    ' 

Droits  lie  reprodiiotion,  de  traduction  et  de  représentation  réservés  pour  tous  payai 
Copyriglil  by  Henry  Bataille,  1910. 


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26û6 


A  FERNAND    AOZIÈRE 


Œdipus  es,   non  Davus.   Je  vous  offre  donc  l'œuvre  et 
cette  énigme  liminaire  : 

Ariel  est  dans  Caliban. 


H.  B. 


PERSONNAGES 


FANNY  ARMÂURY M""-  Berthe  Bady. 

DIANE  DK  CHARANCE MONNA  Delza. 

DUCHESSE  DE  CHARANCE  .  . J.  Darcourt. 

LCCY Copernic. 

KETTY Valois. 

MARCEL  ARMAURY MM.  Dumény. 

DUC  A.  DE  CHARANCE A.  Calmettes. 

ABBÉ  ROUX A.  Bol'r. 

GASTON  DE  CHARANCE Monteaux. 

SECRÉTAIRE  D'ARMAURY E.  Boucher. 

UN  PORTIER H.  Dieudonné. 

GARÇON  D'HOTEL H.  Legrand. 

FABIEN Berthault. 

SECRÉTAIRE  DE  CHARANCE Labrousse. 

GARÇON   D'HOTEL Barklett. 

UN  VALET Lafeurière. 

MAITRE  D'HOTEL J.  Teb. 

UN  GARÇON GUESDON. 

UN  CHASSEUR Desfossés. 


LA  VIERGE   FOLLE 


ACTE  PREMIER 


La  scène  représente  un  des  salons  de  l'hôtel  du  duc  de 
Charance.  Meubles  Louis  XIV.  Au  fond,  porte  massive  don- 
nant sur  la  galerie.  A  droite,  la  cheminée  et  les  sièges. 
A  gauche,  porte  sur  les  appartements.  Au  lever  du  rideau, 
le  secrétaire  du  duc  est  occupé  à  ranger,  à  classer  un 
courrier  sur  la  table,  à  découper  des  pages.  Entre  un  valet 
de  chambre. 


SCENE  PREMIERE 
LE  SECRÉTAIRE,  puis  L'ABBÉ  ROUX 

LE   SECRÉTAIRE,  au  valet  qui  lui  présente  la  carte 
et  qui  lui  demande  s'il  faut  recevoir. 

Faites  entrer...  (Quelques  secondes.  Labbé  Roux  est 
introduit.)  Bonjour,  monsieur  l'abbé,  vous  ne  me 
remettez  pas?  Je  suis  le  secrétaire  de  M.  de 
Charance. 

l'abbé 

Ah!  très  bien...  en  effet. 


I 

2  LA  VIERGE   FOLLE 

LE    SECRÉTAIRE 

Vous  désirez  parler  à  M.  le  duc?  (Au  domestique.) 
Voulez-A'ous  prévenir  que  M.  l'abbé  Roux  est  là. 

l'abbé 

J'arrive  à  l'improviste,  très  inquiet.  J'ai  reçu 
tout  à  l'heure  un  télégramme  de  M.  de  Gharance 
me  disant  de  passer  immédiatement  chez  lui;  une 
pareille  célérité  n'est  pas  dans  ses  habitudes...  Je 
redoute  quelque  malheur, 

LE    SECRÉTAIRE 

Mais  nullement,  monsieur  l'abbé.  Je  ne  crois  pas 
qu'il  y  ait  la  moindre  anicroche;  j'ai  vu  tout  à 
l'heure  M.  le  duo,  il  m'a  donné  mon  travail  habituel 
et  je  vais  lui  remettre  le  courrier  de  l'après-midi. 

l'abbé 
La  santé  de  Mme  la  duchesse  ? 

LE    SECRÉTAIRE 

Elle  est,  je  crois,  excellente,  comme  toujours. 
l'abbé 

Me  voilà  à  moitié  rassuré.  Vous  savez  peut-être 
quelle  part  je  prends  à  tout  ce  qui  arrive  dans  cette 
famille? 

LE    SECRÉTAIRE 

Je  sais  du  moins,  monsieur  l'abbé,  que  vous  avez 
été  le  précepteur  de  M.  Gaston. 


ACTE  PRE3IIER 


L  .\EBE 


Autrefois.  Maintenant,  mes  qualités  de  camérier 
de  Sa  Sainteté  et  d'aumônier  m'ont  écarté  de 
mon  ancienne  existence  ;  je  prêche  justement  en 
ce  moment  une  retraite  en  l'église  de  Reuilly... 
j'ai  tout  quitté  au  reçu  de  ce  télégramme. 

LE    SECRÉTAIRE 

Voici  monsieur  le  duc.  Je  vous  laisse. 

Le  duc  de  Charance  entre. 

LE    DUC 

"Oui,  laissez-nous.  D'ailleurs  vous  êtes  libre,  Gué- 
rard...  A  demain  deux  heures.  (Montrant  la  table.) 
Je  regarderai  tout  ça.  Dites  que  personne  n'entre 
dans  la  galerie. 

Le  secrétaire  s'en  va. 


SCÈNE  II 
L'ABBÉ  ROUX,  LE  DUC  DE  CHARANCE 

,'abbé 

Je  viens  d'être  rassuré  par  votre  secrétaire.  Je 
ne  savais  que  penser  au  reçu  de  ce  télégramme,  je 
me  demandais  s'il  ne  s'agissait  pas  d'un  accident, 
si  on  ne  me  réclamait  pas  pour  une  circonstance 
fâcheuse... 


4  LA  VIERGE  FOLLE 

LE    DUC 

Vous  ne  vous  trompiez  pas  beaucoup,  monsieur 
Tabbé.  Il  s'agit  d'une  mort,  d'une  mort  morale, 
peut-être  aussi  terrible  qu'une  mort  physique... 
des  deux  même.  C'est  un  véritable  deuil  qui  s'abat 
sur  ma  maison  et  je  ne  m'en  remettrai  sans  doute 
jamais. 

'abbé 

Que  se  passe-t-il?  mon  Dieu...  vous  m'effrayez. 

LE    DUC 

Une  question  :  n'aviez-vous  rien  remarqué,  dans 
vos  rapports  avec  ma  fille?...  rien  d'anormal? 

l'.\bbé 

Absolument  rien  :  je  vous  avouerai,  oh!  sans  au- 
cun reproche,  que  je  ne  vois  plus  que  de  loin  en 
loin  Mlle  Diane.  Je  ne  me  permettrai  pas  d'incriminer 
la  direction  de  Mme  la  duchesse;  je  sais  bien  qu'une 
jeune  fille  mondaine  de  nos  jours,  hum!  hum!... 
J'ai  beaucoup  dirigé  cette  enfant  jusqu'à  sa  pre- 
mière communion,  mais,  après,  on  s'est  fort  relâ- 
ché du  côté  religieux.  Elle  venait  remplir  ses  de- 
voirs à  Reuilly  et,  certainement,  à  Pâques,  je  l'ai 
confessée  comme  à  l'ordinaire. 

le  duc 
Rassurez-vous,  je  ne  vous  demanderai  pas  de 


ACTE  PREMIER  5 

trahir  le  secret  du  confessionnal  alors  même  qu'il 
s'agit  d'une  enfant  comme  ma  fille. 

l'abbé 

Vous  me  le  demanderiez  que  je  n'y  consentirais 
pas,  mais  vous  trouveriez  dans  mes  déclarations 
je  ne  sais  quelle  réserve,  tandis  que  je  ne  vois 
aucun  inconvénient  à  dire  que  Mlle  Diane  ne  m'a 
jamais  apporté  au  confessionnal  que  ces  petites 
peccadilles  ordinaires  des  enfants. 

LE    DUC 

Tant  pis,  cela  prouve  qu'elle  n'a  pas  de  religion; 
ce  n'en  est  que  plus  terrible!...  C'est  un  grand 
malheur  qui  me  frappe. 

l'abbé 
Je  n'ose  plus  me  livrer  à  des  suppositions... 

LE    DUC 

Monsieur  l'abbé,  ma  fille,  ma  petite  Diane  a  été 
souillée,  irrémédiablement  souillée. 

l'abbé 

Oh!  que  me  dites-vous  là!...  Est-ce  croyable, 
monsieur  le  duc? 

LE    DUC 

Souillée  par  un  misérable  que  je  ne  vous  nom- 
merai pas....  à  quoi  bon?  Quelqu'un  de  nos  rela- 


6  LA  VIERGE  FOLLE 

tions.  un  homme  sérieux,  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
sérieux,  et  même,  c'est  bien  là  le  pire...  marié,  en- 
tendez-vous? marié! 

l'abbé 
Oh!  Oh! 

LE    DUC 

Un  homme  de  quarante  ans  a  osé  cela  !  En  voilà 
un  qui  n'en  a  pas  fini  avec  moi!  Si  je  le  tenais  par 
le  menton...  là...  au  bout  du  bras... 

l'abbé 

Contenez-vous,  monsieur  le  duc.  Du  calme!  Il 
importe  que  vous  restiez  maître  de  vous...  pas 
d'éclat  surtout,  pas  d'éclat!...  Qu'arriverait-il? 
Songez!...  Êtes-vous  même  certain  que  vous  ne 
vous  livrez  pas  à  des  suppositions  exagérées? 

LE    DUC 

Pas  de  doute,  allez!  pas  le  plus  petit  espoir  à 
garder!...  Si  vous  connaissiez  les  papiers  infâmes, 
les  révélations  sordides...  Oh!  quelle  horreur  que 
cette  correspondance!...  la  faute  complaisante  de 
mon  enfant,  son  consentement  satisfait!  Mais  elle 
n'est  pas  coupable,  après  tout...  Séduire  une  enfant 
de  dix-huit  ans!  Comme  c'est  difficile  de  l'amener 
au  vice!  Est-il  possible  qu'un  homme  de  quarante 


ACTE  PREMIER  7 

ans  puisse  oser  une  pareille  lâcheté!  Ah!  c'est  vrai, 
il  n'a  pas  d'enfant,  celui-là... 

l'abbé 

Se  doute-t-il  que  vous  êtes  au  courant  de  sa 
conduite? 

LE    DUC 

Non,  pas  encore,  pas  encore.  C'est  hier  soir  que 
nous  avons  tout  appris,  en  trouvant  dans  la  poche 
du  manteau  tailleur  de  ma  fille,  —  leur  boite  à 
lettres!  —  un  mot  de  rendez-vous  qu'il  y  avait 
glissé,  car  il  est  venu  hier  ici  nous  rendre  visite, 
comme  d'habitude.  C'était  un  intime. 

l'abbé 

Mais,  monsieur  le  duc,  êtes-vous  absolument  cer- 
tain que  la  faute  de  votre  fille  soit  complète... 
Peut-être  vous  indignez-vous  comme  pour  un 
crime  consommé,  alors  que... 

LE    DUC 

Le  cynisme  de  ce  que  nous  avons  lu,  tous  les  pa- 
piers cachés  dans  la  chambre  de  ma  fille  suffiraient 
à  eux  seuls  à  nous  éclairer;  mais  Diane,  malgré  le 
silence  où  elle  se  confine,  n'essaye  même  pas  de 
nier...  Monsieur  l'abbé,  sa  mère  a  reçu  son  aveu. 


8  LA  VIERGE  FOLLE  î 

5 

l'abbé 

"i 

Alors  cette  pauvre  Mme  de  Charance  connaît  i 
toute  la  situation?  Vous  n'avez  rien  pu  lui  cacher?     ' 

LE    DUC  ; 

Mon  fils  Gaston  ignore  seul  la  faute  de  sa  sœur.     : 

l'abbé  i 

M.  Gaston  est  actuellement  à  Paris? 

LE  DUC  ; 

Oui,  ce  sont  les  vacances  de  Saint-Cyr;  mais  il  ] 

ne  faut  à  aucun  prix  qu'il  soupçonne  la  vérité  :  î 

tel  que  je  le  connais,  de  quoi  ne  serait-il  pas  ca-  I 

pable?  i 

l'abbé  ' 

Vous  avez  mille  fois  raison,  il  convient  que  ' 
M.  Gaston  ne  sache  rien.  Ne  verrai-je  pas  Mme  de  \ 
Charance?  > 

LE    DUC 

Si,  si,  ma  femme  arrive.  Vous  allez  la  voir.  Je  ; 

l'ai  devancée  seulement  de  quelques  minutes  pour  ,> 

lui  éviter  ces  explications  atroces...  Nous  avons  be-  * 
soin  de  votre  secours,  monsieur  l'abbé,  et  c'est 

pourquoi  je  vous  ai  fait  venir.  D'abord,  vous  êtes  ) 

le  premier  à  qui  nous  devions  crier  notre  chagrin,  i 


ACTE   PREMIER  9 

l'.ajbbé 
Votre  femme  doit  être  bien  accablée!... 

LE    DUC 

Oui,  naturellement,  naturellement...  elle  se  la- 
mente, maintenant;  elle  eût  mieux  fait  de  prévoir 
et  de  surveiller  sa  fille.  Tenez,  même  dans  sa  dou- 
leur, il  y  a  quelque  chose  d'inconscient...  Vous 
la  connaissez,  une  femme  charmante,  esprit  droit... 
mais  cervelle  d'oiseau. 

l'abbé 

Je  connais  Mme  la  duchesse,  je  la  connais,  mon- 
sieur le  duc.  C'est  une  femme  remarquable,  un  peu... 
non  point...  évaporée,  mais  un  peu  enfantine...  et  si 
prise  par  ses  devoirs  mondains  ! 

LE    DUC 

La  voici  très  triste,  effondrée  autant  que  moi,  la 
pauvre  Gabrielle  !  Mais,  je  la  souhaiterais  plus  éner- 
gique et  surtout,  monsieur  l'abbé...  je  suis  heureux 
même  de  vous  entretenir  seul  à  ce  sujet...  je  vou- 
drais que,  vis-à-vis  de  Diane,  elle  se  montrât  d'une 
sévérité  indispensable...  d'une  fermeté  en  rapport 
avec  la  faute.  Oh!  certes,  elle  en  a  bien  l'intention, 
mais  un  mot  de  sa  fille  peut  la  bouleverser,  une 
futilité  peut  démentir  les  plus  solides  résolutions. 


lu  LA  VIERGE   FOLLE 

l'abbé 
Je  comprends,  je  comprends.  J'aurai  la  main. 

LE    DUC 

Enfin,  je  compte  sur  vous  dans  la  circonstance, 
n'est-ce  pas?  Il  faut  sauver  cette  enfant  à  tout  prix, 
s'il  en  est  temps,  hélas!...  Certainement,  ma  femme 
est  aussi  atteinte  que  moi,  mais,  comment  dire?... 
la  portée  morale  de  ce  qui  nous  arrive  ne  l'atteint 
pas  de  la  même  façon,  comprenez-vous?  Elle  est 
aussi  affligée,  elle  est  moins  indignée.  Les  femmes, 
malgré  tout,  ne  sont  jamais  tout  à  fait  indignées 
par  l'amour.  Et  puis,  c'est  étrange,  la  pureté  de 
leur  fille,  —  est-ce  parce  qu'elles  sont  femmes?... 
n'a  souvent  pas,  à  leurs  yeux,  la  même  valeur  re- 
présentative... tandis  que  pour  moi,  moi  le  père... 
c'est  un  effondrement  infini!...  Oh!  je  ne  parle  plus 
même  de  l'avenir  perdu  de  la  malheureuse...  car, 
socialement,  elle  est  perdue...  je  pleure  aussi  égoïs- 
tement;  je  fais  allusion  à  la  joie  charmante  qu'il  y 
a  à  caresser  le  visage  pur  de  sa  fille,  à  presser,  le 
soir,  le  corps  intact  de  son  enfant...  C'est  une  pré- 
sence dans  la  maison,  sur  toute  la  vie,  si  délicate, 
si  joyeuse!...  Ah!  on  a  raison  d'attacher  à  la  virgi- 
nité cette  superstition  de  bonheur!...  Et  mainte- 
nant, mon  enfant  flétrie,...  abominablement  viciée... 
devenue  vilainement  femme!...  Tenez,  je  me  sens 


ACTE  PREMIER  H 

devenir  fou  de  rage,  je  ne  sais  pas  ce  que  je  me  déci- 
derais à  faire...  Oh!  vengeance,  vengeance  du  plus 
laid  des  crimes  ! 

l'abbé 

Non,  vous  ne  vous  porterez  à  aucune  extrémité  !... 
Je  vous  en  conjure...  Vous  le  devez  pour  l'avenix  de 
Mlle  Diane...  Le  silence!...  le  silence  surtout! 

LE    DUC 

Parbleu!  Je  le  sais  bien,  nous  sommes  jugulés... 
Il  n'y  a  rien  à  faire  contre  ce  cochon-là!...  Il  est 
bien  tranquille  !  Il  peut  aller  porter  ses  jolies  mœurs 
dans  d'autres  familles,  il  n'aura  pas  tous  les  jours 
une  proie  de  race  dans  le  genre  de  celle-ci!...  Et 
comme  c'est  bien  d'un  roturier,  d'ailleurs,  d'avoir 
osé  flétrir  cette  jeune  fille  du  monde  sans  souci  de 
l'effroyable  avenir  dont  il  la  gratifiait!...  Estimons- 
nous  encore  heureux  si  ce  monsieur  ne  nous  laisse 
pas  un  bâtard  sur  les  bras! 

l'abbé 
Monsieur  le  duc  ! 

le  duc 

Évidemment...  Qu'en  savons-nous?  Dans  son 
monde  à  lui,  cela  ne  tire  pas  à  conséquence...  une 
jeune  fille  avec  tare  est  probablement  d'un  négoce 
facile...  je  ne  sais  pas,  moi!  Tandis  que,  chez  nous, 
à  une  époque  où  justement  nous  autres  aristocrates 


li  LA  VIERGE  FOLLE 

n'avons  plus  que  le  savoir-vivre  àopposer  ausavoir- 
faire,  le  mal  n'est  pas  le  même!...  Chez  nous,  la 
jeune  fille  qui  tombe,  comment  la  relever  dans  cet 
ordre  de  choses  où  la  faute  lui  est  comptée  si  du- 
rement et  où  la  perte  de  sa  vertu  atteint  jusqu'à 
sa  famille!  Qu'est-ce  qu'elle  va  devenir,  mainte- 
nant? Comment  la  marier?...  Ça  va  être  du  joli! 
Une  future  catin! 

l'abbé 

Que  non!  il  ne  faut  pas  s'exagérer  les  consé- 
quences. 

LE    DUC 

Ou  alors  à  quel  célibat  orgueilleux,  à  quel  sale 
marchandage  est-elle  destinée...  ma  Dianette!  Ah! 
l'avais-je  assez  prédit  à  ma  femme!...  Voilà  bien 
la  punition  de  frayer  avec  n'importe  qui...  Lui,  il 
s'en  moque,  parbleu!...  Un  détournement  de  mi- 
neure, il  connaît  ça!  C'est  son  affaire;  il  en  a  plaidé 
plusieurs  fois  et  probablement  avec  succès,...  il  re- 
querrait son  propre  acquittement  et  il  l'obtien- 
drait!... Avec  applaudissements  encore! 

l'abbé 

Comment  plaidé?  Faut-il  entendre  par  là... 

le  duc 

J'en  ai  trop  dit!  Tant  pis!  A  vous  seul,  monsieur 
l'abbé,  je  ne  cacherai  pas  son  nom. 


ACTE  PREMIER  13 

l'abbé 

Je  me  considère  lié  autant  que  je  le  serais  par  le 
secret  de  la  confession. 

LE    DUC 

Oh!  il  ne  s'agit  pas  d'un  lascar  quelconque,  à  la 
responsabilité  plus  ou  moins  atténuée  par  l'alcool, 
la  noce...  non,  non,  ma  fille  a  l'honneur  d'avoir  été 
la  maîtresse  d'un  homme  éminent,  admirablement 
conscient  de  ses  actes,  dévoué  aux  causes  de  la  jus- 
tice, défenseur  attitré  de  l'honneur,  un  homme  de 
grand  talent,  l'éloquence  du  barreau,  comme  vous 
celle  de  la  chaire...  quarante  ans.  officiel,  ex-bâ- 
tonnier,' conseil  de  l'Ordre...  Admirable,  vous 
dis-je!...  le  gredin!.,.  Armaury. 

l'abbé 
Comment,  Armaury.  l'avocat? 

LE    DUC 

Oui,  oui,  d'assises...  le  saint  François  d'Assise, 
comme  on  l'appelle  spirituellement  au  palais. 
C'était  mon  avocat!  Vous. voyez  que  j'ai  eu  la  main 
heureuse!  Je  lui  confiai,  il  y  a  quelques  années,  un 
procès  embrouillé  d'héritage,...  vous  savez,  mes 
biens  d'Évêquemont?...  A  la  suite  de  quoi,  rela- 
tions suivies. ..  Sa  femme  est  agréable  [  lui,  passepour 
un  beau  parleur,  séduisant,  il  faisait  bien  à  table 


U  LA  VIERGE  FOLLE 

ou  au  fumoir...  les  avocats  et  les  chirurgiens  de 
nos  jours  sont  l'étincellement  des  dîners.  C'est 
bien  un  signe  de  l'époque,  d'ailleurs  :  les  deux 
bistouris,  celui  du  flanc  et  celui  du  cœur...  Ma 
femme  s'en  est  toquée,  les  a  invités  dans  notre  châ- 
teau; puis,  l'été  dernier  à  Dinard,  on  a  loué  les 
propriétés  voisines  ;  auto,  tennis,  yacht,  vous  voyez 
ça  d'ici;  la  coqueluche  de  ces  dames...  Voilà  le  ré- 
sultat! Et  l'on  croyait  qu'il  flirtait  avec  Mme  de 
Bellines;  il  se  créait  des  alibis!...  Il  s'est  rapproché 
de  ma  fille  en  connaisseur,  sournoisement,  il  a 
mûri  le  fruit,  il  l'a  ébranché  petit  à  petit... 

l'abbé,  rinterrompant. 

Monsieur  le  duc,  mais  c'est  affreux  tout  ce  que 
vous  me  dites  là!  Comme  je  vous  plains!  (il  iwe  vers 
lui  son  visage  navré.)  Une  question,  jevousprie:  s'agit-il 
d'une  liaison  suivie  ou  avez -vous  affaire  à  un 
de  ces  malheureux  vicieux...  (il  cherche  mentalement 
dans  son  vocabulaire.)  un  de  ces  amateurs  de  fruit  vert 
comme  il  y  en  a  tant,  qui  ne  savent  pas,  dit-on, 
résister  à  leur  impulsion... 

LE    DUC 

Non,  monsieur  l'abbé...  ça,  c'est  pour  les  jour- 
naux... non!  pas  le  maniaque  vieillissant,  pas  la 
recrue  de  police  correctionnelle;  nous  sommes 
mieux  servis!...  Nous  avons  affaire  à  un  de  oes  em- 


ACTE  PREMIER  15 

poisonneurs  raffinés  de  notre  temps,  qui  veulent  ac- 
caparer aussi  le  cerveau  de  leur  victime  et  ne  sont 
satisfaits  que  lorsqu'ils  ont  détraqué  l'être  entier  !  Les 
braillards  de  la  barre,  vous  savez,  cela  s'accom- 
pagne de  littérature;  savourez-moi  cet  échantillon 
de  prose,  de  celle  du  moins  qui  est  lisible...  car  le 
reste...  (il  lit:)  «  A  l'homme,  il  faut  une  idole.  Je 
n'ai  pas  de  religion,  de  fanatisme;  les  hommes  de 
ma  génération  ne  croient  plus  à  la  politique  et  les 
patries  ne  sont  plus  en  danger;  il  m'a  manqué  un 
maître,  vois-tu,  Dianette...  Nous  sommes  des  indi- 
vidualités sans  guide...  J'ai,  je  crois,  une  énergie  in- 
domptable, je  n'ai  plié  devant  rien,  mais  je  n'ai  rien 
adoré  non  plus,  et  à  l'homme  il  faut  une  idole. 
Dianette,  ce  sera  toi.  .»Toi!  Oh!  ce  tutoiement  à  ma 
fille  m'insupporte! 

l'abbé 
Ne  lisez  plus,  monsieur  le  duc. 

LE    DUC 

Belles  phrases,  hein?  Il  se  dépeint!  Il  se  connaît. 

l'abbé 

Oui,  comme  vous  le  disiez  :  l'homme  moderne, 
l'homme  de  ce  temps-ci.  Il  a  du  talent,  d'ailleurs... 
A  ces  signes,  je  reconnais  l'adversaire.  M*  Armaury 
a  justement  plaidé  contre  les  congrégations  au  mo- 


16  LA  VIERGE  FOLLE 

ment  de  la  séparation;  ce  n'est  pas  la  première  fois 
que  je  le  trouve  sur  mon  chemin!  Mais  qui  m'eût 
dit  qu'ici  il  saperait  plus  que  àes  croyances!... 

LE    DUC 

Ils  n'ont  pas  d'excuses,  ces  gens-là,  ces  cyniques 
qui  ne  connaissent  seulement  que  la  bête  et  qui 
s'étalent  dans  leurs  paroles  et  leurs  écrits  comme 
sur  leur  fumier!  mille  fois  pires  quand  ils  ont  du 
talent  comme  celui-là  et  que  l'enchantement  se 
mêle  au  dégoût  !  Il  lui  faut  une  idole  à  ce  monsieur... 
vraiment!...  Malheureux  qui  ne  sait  pas  qu'avec 
un  peu  de  raison  on  anéantit  tous  les  fanatismesl... 
Ah!  Dianette!...  Moi  qui  ne  pensais  qu'à  l'avenir 
splendide  auquel  elle  était  destinée...  Une  fille  qui 
avait  été  demandée  en  mariage  par  les  plus  beaux 
noms  de  France!  Nous  ne  trouvions  rien  d'assez 
beau  pour  elle! 

La  porte  des  appartements  s'ouvre. 


SCENE  III 
Les  Mêmes,"  LA  DUCHESSE 

LA   DUCHESSE,  entrant,  au  comble  du  chagrin 
bien  que  délicieusement  habillée. 

Monsieur  l'abbé!...  Ah!  mon  Dieu,  croyez-vous? 

Elle    va   de    suite    à    l'abbé,   elTondrée,   rapidement   en 

larmes. 


ACTE  PREMIER  17 

l'abbé,  lui  serrant  les  mains. 

Je  suis  confondu,  navré,  madame!...  Monsieur  le 
duc  vient  de  me  mettre  au  courant  de  l'épreuve 
qui  vous  frappe...  Je  n'en  reviens  pas.  C'est  épou- 
vantable! Une  enfant  qui  avait  fait  une  si  bonne 
première  communion!... 

LA    DUCHESSE 

Et  nous,  pouvions-nous  supposer  une  chose  aussi 
affreuse?  Dites,  monsieur  l'abbé,  vous  n'aviez  au- 
cun soupçon,  n'est-ce  pas,  de  la  conduite  de  Dia- 
nette,  vous,  pas  plus  qu'un  autre? 

l'abbé 

Permettez-moi,  madame,  de  vous  faire  remar- 
quer que,  si  j'ai  conservé  sur  son  frère  un  certain 
ascendant,  vous  ne  m'avez  pas  amené  Mlle  Diane 
avec  une  régularité  bien  grande;  39  la  voyais  pour 
ses  Pâques,  à  Noël,  mais,  enfin,  je  puis  dire  qu'elle 
ne  me  paraissait  pas  particulièrement  visitée  par 
les  espérances  religieuses. 

LA    DUCHESSE 

Oui,  je  le  sais  bien,  c'est  de  ma  faute.  Je  l'ai  dit 
à  Amédée.  Oh!  je  le  reconnais,  je  l'ai  laissée  trop 
libre,  je  l'ai  menée  trop  jeune  dans  le  monde.  Je 
suis  une  grande  coupable. 

2. 


18  LA   VIERGE  FOLLE 

l'abbé 

Vous  êtes  une  grande  mondaine  ;  ce  n'est  pas  tout 
à  fait  la  même  chose,  madame  la  duchesse. 

LE    DUC 

Tu  n'étais  pas  à  la  hauteur  d'une  éducation  sui- 
vie, voilà  tout. 

LA    DUCHESSE 

Ah!  vous  n'avez  tort  ni  l'un  ni  l'autre.  J'ai  moi- 
même  trop  négligé  mes  devoirs  religieux.  J'aurais 
dû  prêcher  d'exemple...  mais,  que  voulez-vous, 
c'est  si  compliqué  la  vie...  les  visites,  les  réceptions, 
les  soirées,  les  théâtres...  On  nous  fêtait  beaucoup, 
elle  et  moi,  nous  étions  très  demandées,  elle  joue 
délicieusement  la  comédie,  elle  est  de  nature  très 

gaie...    (Avec   un   soupir  profond   et  naturel.)    et    c'eSt    si 

agréable   d'être  gai! 

l'abbé,  regardant  le  duc. 

Évidemment,  ce  doit  être  quelque  chose  comme 
ça!... 

LA    DUCHESSE 

On  croit  toujours  que  sa  fille  vous  ressemble,  et, 
je  vous  prie  de  croire  que,,  de  mon  temps,  les  jeunes 
filles... 

LE    DUC 

Tu  as  parfaitement  élevé  ton  fils;  une  fille,  c'était 


ACTE  PREMIER  09 

plus  difficile,  plus  périlleux.  Ah!  monsieur  l'abbé, 
le  cri  du  paysan  :  «  Je  n'ai  pas  d'enfant,  je  n'ai  que 
des  filles!  » 

l'abbé 

Évidemment...  Et  puis,  on  dit  toujours  :  il  n'y  a 
plus  d'enfants,  mais  des  parents  y  en  a-t-il  encore 
beaucoup?...  Ne  prenez  surtout  pas  pour  vous, 
madame  la  duchesse... 

LA    DUCHESSE 

Vous  ne  m'en  direz  jamais  assez.  Je  me  rends 
compte  que  j'aurais  dû  être  plus  sévère.  Mais  je 
vous  jure  que  l'on  n'aurait  pu  rien  soupçonner  : 
c'a  été  mené  en  sourdine,  d'une  façon  extraordi- 
naire! Elle  était  très  libre,  je  ne  dis  pas,  elle  flir- 
tait, c'est  vrai,  mais  pas  plus  que  toutes  les  jeunes 
filles...  Songez!  Lui,  un  homme  marié...  elle,  une 
enfant,  une  véritable  enfant!  Je  n'aurai  jamais  cru 
cela  possible. 

ABBÉ 

Hum!  hum!  J'ai  l'habitude  des  enfants!...  Leur 
esprit  expérimental  est  terrible,  madame  la  du- 
chesse. Puis,  malgré  tout,  vous  auriez  dû  réfléchir 
qu'elle  avait  tout  de  même  ses  dix-huit  ans. 

LA    DUCHESSE 

Dix-huit  ans!  On  ne  s'en  aperçoit  que  lorsqu'elles 
en  ont  vingt!  C'est  noua,  les  mères,  qui  leur  com- 


20                             LA  VIERGE  FOLLE  : 

mandons  leur  première  jupe  longue  chez  nos  cou-  i 

turiers,  et  nous  sommes  les  seules  qui  ne  nous  en  : 

apercevions  pas.  -s 

LE    DUC,  agacé.  i 

Cependant,  sapristi,  tu  aurais  bien  dû  t'aperce-  ; 
voir  des  assiduités  d'Armaury,  à  Dinard,  ici,  par- 
tout... il  était  collé  à  vos  jupes...  avec  ou  sans  sa 

femme...  (Levant  les  bras.)  car  celle-là...  qu'est-ce  que  ! 
c'est  encore  que  celle-là!... 

LA    DUCHESSE  l 

Mon  ami,  vous  n'avez  pas  idée  de  l'habileté  que  ; 

sait  déployer  tout  homme   qui  veut  séduire  une  \ 
jeune  fille;  c'est  prodigieux.  D'abord,  il  ne  fait  la 

cour  qu'à  la  mère  et  ne  dit  que  des  choses  dés-  ' 

agréables  à  la  fille.  Je  vous  jure  que  je  ne  pouvais  ; 

m'apercevoir  de  rien  de  positif.  ', 

LE    DUC  ' 

De  positif  est  joli!  '. 

LA    DUCHESSE  ^ 

I 

Je  remarquais  bien  quelque  mauvaise  humeur  : 

entre  eux,  de  petites  privautés...  Oh!  une  ou  deux  ' 

fois  un  soupçon  m'a  bien  passé  par  l'esprit  à  cause  ; 

d'une  raquette  agitée  avec  trop  de  fureur...  en  pro-  .* 

menade  aussi,  peut-être,  une  manière  d'être  trop  1 

près  l'un  de  l'autre...  leurs  bjcyclettes  qui  se  cher-  '- 


ACTE  PREMIER  21 

chaient  sur  la  route...  Mais  on  ne  pense  à  tout  cela 
qu'après!...  Que  voulez-vous  que  je  vous  dise,  je 
suis  désemparée,  je  suis  désemparée! 

Elle  incline  vers  le  sol  une  figure  désolée  sur  laquelle 
tremble,  par  secousses,  l'or  trop  vif  de  la  chevelure. 

LE    DUC,  résolument. 

Enfin,  une  solution  s'impose.  Nous  vous  avons 
fait  appeler  pour  que  vous  nous  donniez  votre  avis; 
il  faut  sauver  mon  enfant  de  l'emprise  de  cet 
homme,  la  sauver  à  tout  prix!  Il  est  indispensable 
de  l'éloigner  d'ici  au  plus  vite,  qu'elle  ne  puisse  le 
revoir  :  c'est  le  seul  remède  que  nous  ayons  actuel- 
lement à  notre  disposition.  Ni  réparation,  ni  châti- 
ment; il  ri'y  en  a  pas!  Sur  un  homme  de  cet  âge  et 
marié,  on  ne  peut  exercer  que  des  représailles.  Et 
quel  châtiment  souhaiter  quand  il  n'y  a  pas  de 
pénalité?  La  séduction  masculine  est  impunie!  Mon- 
sieur l'abbé,  puis-je  envoyer  ma  fille  à  l'étranger, 
la  confier  à  une  autorité?  Peut-on  lui  trouver  une 
surveillante  intelligente?  J'ai  une  confiance  aveugle 
dans  vos  conseils. 

L  ABBÉ,  sur  un  ton  sincère,  mais  un  tantsoil  peu  ironique. 

Pardon...  me  le  demandez-vous  sérieusement? 

LE    DUC 

Par  exemple!...  Qu'entendez-vous  par  là? 


22  LA  VIERGE   FOLLE 

l'abbé 

Oui,  êtes-YOus  de  ces  gens  qui  commencent  par 
crier  leur  chagrin,  puis  après  prennent  leur  'parti 
des  événements  et  les  laissent  aller?  Dans  ce  cas, 
je  A'ous  donnerai  un  bon  conseil,  un  peu  vague,  qui 
sentira  l'eau  bénite.  Ou.  voulez-vous  à  cette  pauvre 
enfant,  maintenant  dévoyée  et  déflorée,  refaire  au 
moins  une  âme?  Oh!  c'est  une  refonte  complète  qui 
est  nécessaire,  je  vous  en  avertis!...  Bref,  récla- 
mez-vous de  moi  une  consolation  banale,  ou  vous 
adressez-vous  au  prêtre  que  j'ai  la  prétention 
d'être,  qui  croit  à  la  nécessité  du  devoir  moral,  à 
la  beauté  intérieure...  et  qui  n'y  va  pas  par  quatre 
chemins  pour  dire  aux  gens  ce  qu'il  pense? 

LE    DUC 

Nous  savons  que  vous  avez  l'habitude  un  peu 
rude  de  la  vérité  ;  nous  ne  la  redoutons  pas,  n'est-ce 
pas,  Gabrielle? 

LA    DUCHESSE 

Mais  oui,  monsieur  l'abbé,  nous  connaissons 
votre  manière? 

l'abbé 

Vous  avez  manqué  incontestablement  de  clair- 
voyance, madame  la  duchesse.  Remplacez  votre 
influence  trop  débonnaire  par  une  influence  déci- 


ACTE  PREMIER  23 

sive...  Le  mal  est  grave.  Vous  aimez  mademoiselle 
votre  fille  passionnément,  n'est-ce  pas?  Eh  bien, 
je  le  crois,  ce  qui  s'impose, c'est  une  réforme  totale; 
il  faut  l'amener  à  une  rectitude  qu'elle  ne  soup- 
çonne même  pas...  afin  qu'elle  ne  glisse  pas  à 
l'abîme.  Ce  n'est  pas  vous,  avec  votre  train  d'exis- 
tence, qui  parviendrez  à  rééduquer  une  enfant  fan- 
tasque et  gangrenée. 

LE    DUC 

Alors  que  voulez-vous  que  nous  fassions? 

l'abbé 

La  mettre  dans  un  couvent  pendant  deux  ans, 
jusqu'à  sa  majorité,  à  peu  près.  Oh!  mais  je  ne  veux 
pas  parler  d'un  couvent  mondain  comme  était  à 
Paris  l'Assomption,  le  Sacré-Cœur,  comme  ces 
drames  de  la  rue  de  Lubeck  où  vous  l'aviez  mise 
quelques  mois;  ce  qu'il  faut,  c'est  une  maison  de 
retraite  où  elle  sera  censée  finir  son  éducation  à 
l'étranger,  pour  apprendre  l'anglais  par  exemple, 
et  où  noa  seulement  elle  sera  très  surveillée,  mais 
où  encore  l'influence  d'une  femme  supérieure  saura 
lui  montrer,  par  une  discipline  de  l'esprit,  le  droit 
chemin,  et  peu  à  peu,  obtenir  le  plus  salutaire  dé- 
veloppement des  forces  qui  sont  encore  en  elle, 
j'en  suis  sûr..,,  j'en  répondrais... 


24  LA  VIERGE   FOLLE 

LA    DUCHESSE 

Mon  Dieu,  monsieur  Tabbé,  vous  ne  voulez  pas 
parler  d'une  sorte  de  maison  de  correction! 

l'abbé,  souriant. 

Vous  n'y  pensez  pas!...  Non.  non!  quelle  plaisan- 
terie! Je  vous  parle  d'un  de  ces  couvents  comme  le 
couvent  de  Picpus;  mais  celui-là,  malheureuse- 
ment, ne  reçoit  plus  de  jeunes  filles,  il  n'est  pas  au- 
torisé. Et  d'ailleurs  il  n'était  pas  assez  éloigné  de 
chez  vous...  Je  crois  que  ce  qui  conviendrait  à 
merveille,  c'est  un  couvent  en  Belgique,  à  Lodelin- 
sart;  je  connais  très  bien  la  supérieure,  une  per- 
sonne de  grand  mérite.  Ce  sont  des  personnes  qui 
ont  l'habitude...  des  sortes  d'épouilleuses  d'âmes. 
Pris  à  l'improviste,  je  ne  puis  vous  dire  au  juste 
s'il  y  a  mieux,  mais  je  vais  consulter  l'autorité  épis- 
copale.  Si  vous  le  voulez,  je  puis  y  aller  de  ce  pas, 
et  dans  deux  heures  je  vous  rapporterai  une  ré- 
ponse, car  le  temps  presse.  Je  crois  qu'il  ne  faut 
pas  laisser  cette  chère  enfant  escompter  votre  fai- 
blesse. Il  faut  tout  de  suite  frapper  son.  esprit  et  la 
mettre  en  présence  d'une  résolution  qui  l'éclairé 
sur  la  gravité  de  sa  faute.  Et  vous,  madame  la  du- 
chesse, dans  vos  rapports  avec  elle,  je  ne  réclame 
pas  l'attitude  du  châtiment,  mais  l'expression 
même  de  votre  indignation  douloureuse.  Compre- 


ACTE  PREMIER  25 

nez-vous?  Frappez  cette  imagination  égarée,  par  un 
acte  important,  décisif,  et  surtout  austère...  sinon 
elle  est  peut-être  perdue. 

LA    DUCHESSE 

Qu'en  pensez-vous,  mon  ami? 

LE    DUC,  qui  a  donné  à  plusieurs  reprises  des  signes 
d'assentiment  et  ponctué  de  «  bien  »  les  paroles  de  l'abbé. 

Moi!...  Parbleu,  c'est  la  sagesse  même!  La  confi- 
ner dans  une  solitude  où  elle  puisse  revenir  de  son 
égarement,  et  où  mourra  jusqu'au  souvenir  de  cet 
homme!...  Je  redoute  tout...  M.  l'abbé  a  parfaite- 
ment raison,  nous  ne  pouvons  pas  trouver  un  meil- 
leur guide  ni  un  meilleur  conseil. 

l'abbé 

Vous  ne  pouvez  pas  en  trouver  un  de  plus  dé- 
voué, en  tout  cas,  monsieur  le  duc.  Si  vous  me  con- 
fiez la  garde  morale  de  la  chère  petite,  je  crois  que 
vous  pouvez  tenir  pour  assuré  que  nous  vous  la  ren- 
drons avec  un  état  mental  extrêmement  modifié  et 
qu'elle  saura  désormais  au  moins  se  rendre  digne 
de  son  nom,  de  ses  parents,  avant  qu'on  lui  trouve 
un  mari  digne  d'elle-même. 

LE    DUC 

Oh!  cela!...'^n'en'parlons  même  plus,  hélas! 

3 


26  LA  VIEP.GE  FOLLE 


L  ABBE 


D'ailleurs,  de  loin  comme  de  près,  vous  aurez  sur 
elle  toute  l'action  désirable,  vous  ne  la  perdrez  pas 
de  vue;  vous  pourrez  même  la  faire  voyager  utile- 
ment de  temps  en  temps  avec  un  chaperon... 
Voyons,  parons  au  plus  pressé!  Je  vais  courir  aux 
renseignements!  J'ai  interrompu  un  exercice  à 
Reuilly,  en  ce  moment  il  est  nécessaire  que  j'y  re- 
tourne quelques  instants,  mais  je  serai  de  retour 
bientôt  après  être  passé  à  l'évêché...  Je  ne  veux  voir 
Mlle  Diane  à  aucun  prix  en  ce  moment  ;  il  faut  que 
la  décision,  si  vous  la  prenez,  pour  qu'elle  ait  de 
l'effet,  émane  de  votre  autorité  personnelle...  Puis 
aussi  je  vais  télégraphier  à  la  supérieure  du  couvent 
de  Lodelinsart...  oh!  à  mots  couverts...  à  mots  cou- 
verts, rassurez-vous  ! 

LE    DUC 

Allez,  monsieur  l'abbé,  je  vous  y  autorise;  ne 
prononcez  pas  notre  nom,  à  l'heure  actuelle.  Voilà 
tout. 

T.' ABBÉ 

C'est  entendu.  Allons,  madame  la  duchesse,  main- 
tenant, du  courage  dans  l'épreuve. 

LA    DUCHESSE 

Vous  ne  pouvez  pas  savoir  quelle  brisure  est  la 

mienne. 


ACTE  PREMIER  27 

l'abbé 

Comment  voulez-vous  que  je  ne  le  devine  pas? 
Je  prends  ma  part  de  tout  ce  qui  arrive  dans  votre 
famille,  ma  part  de  bonheur  et  ma  part  de  chagrin. 
(Le  duc  fait  un  signe  d'intelligence  à  l'abbé  qui  comprend  et 
reprend  sa  voix  énergique.)  Et  surtout  qu'elle  ne  VOUS 
sente  pas  faiblir! 

LE    DUC 

C'est  cela  surtout. 

LA    DUCHESSE 

Je  ne  demande  pas  mieux...  mais  qu'appelez-vous 
ne  pas  faiblir? 

L  ABBÉ 

Atteignez-la  de  suite  dans  toutes  ses  petites  ma- 
nies, atteignez-la  principalement  dans  sa  coquet- 
terie... et  dans  cet  amour  d'elle-même  qui  a  été 
sa  caractéristique  et  qui  est  peut-être  la  cause  de 
tout.  Faites  comme  je  l'ai  vu  faire  au  couvent  ;  il 
n'y  a  pas  de  punition  plus  efficace...  Certes,  elle 
sera  humiliée,  agacée  de  se  voir  ravalée  au  rang  de 
petite  fille  insubordonnée,  mais  ce  n'en  sera  que 
mieux. 

LA    DUCHESSE 

Quoi? 


28  LA  VIERGE  FOLLE 


L  ABBE 


Eh  bien,  supprimez  l'arsenal  de  sa  coquetterie, 
tout  ee  qui  a  été  sa  perdition,  tout  ce  luxe  dispro- 
portionné de  femme.  Plus  de  belles  robes,  plus  de 
parures,  plus  de  ces  colifichets,  de  bijoux!  Tout  cela, 
confisqué!  Que  la  manucure  soit  remplacée  par 
une  petite  prière  du  matin...  et  surtout,  tenez,  un 
moyen,  qui  va  a'ous  coûter,  mais  qui  est  d'abord 
un  beau  geste  symbolique.  Ce  sera  pour  elle  un  pe- 
tit deuil,  une  humiliation  significative...  J'ai  vu 
employer  cette  pénitence  avec  efficacité...  Coupez- 
lui  les  cheveux  à  ras  d'épaule. 

LA    DUCHESSE,  se  levant  en  sursaut. 

Quoi?.,  monsieur  l'abbé...  y  pensez-vous?  Ses 
beaux  cheveux  dont  elle  est  si  fière!...  Mais, 
d'abord.  J'aurais  peur  de  la  défigurer...  Le  coiffeur 
qui  venait  les  soigner  tous  les  deux  j  ours  ! . . . 

LE   DUC,  haussant  les  épaules. 

Tenez!  Voilà  ma  femme!  Quand  je  vousle disais, 
monsieur  l'abbé!  Dès  le  premier  essai  de  répres- 
sion!... C'est  lamentable...  quelle  puérilité! 

l'abbé 

Allez,  allez,  madame,  ce  n'est  pas  encore  le  cou- 
teau d'Abraham!  Et  il  n'y  aura  pas  besoin  d'un 
ange  pour  retenir  votre  bras...  Ce  léger  crime  ne 


ACTE  PREMIER  29 

VOUS  sera  pas  compté  dans  le  ciel!...  Puis,  ce  que 
j'en  dis!...  Croyez  bien  que  detellespénitencesn'ont 
qu'une  importance  bien  secondaire  dans  l'occasion... 
(Il  lui  reprend  les  mains.)  Atout  à  l'heure.  Je  pars  navré, 
et  je  ne  puis,  sur  le  seuil,  m'empêcher  de  me  rap- 
peler la  parole  de  l'Évangile  :  «  Ne  scandalisez  pas 
les  enfants  ».  Je  ne  sais  pas  de  crime  plus  mépri- 
sable!... Ah!  la  pauvre  petite!... 

LA    DUCHESSE 

A  ce  soir,  monsieur  l'abbé.  Nous  ne  comptons 
désormais  que  sur  vous. 


SCÈNE  IV 

LE  DUC,  LA  DUCHESSE,  puis  RETTY 

LE    DUC 

Il  a  raison.  Il  ne  me  paraît  pas  qu'il  y  ait  de  meil- 
leure mesure  que  celle  de  ce  couvent  et  de  cette 
retraite  jusqu'à  amendement  complet.  La  chose  est 
encore  possible...  s'ils  n'ont  pas  eu  de  confident. 
On  pourra  en  effet,  alors,  prétexter  son  éducation... 
Sonnez  trois  coups.  Sonnez  votre  femme  de  cham- 
bre. 

LA    DUCHESSE 

Pourquoi? 

3. 


30  LA  VIERGE  F0LLE 

LE    DUC 

Faites,  je  vous  prie.  Elle  est  toujours  enfermée 
dans  sa  chambre? 

LA    DUCHESSE 

Toujours;  on  lui  a  monté  son  déjeuner  tout  à 
i'heure,  comme  on  lui  avait  monté  hier  son  dîner. 
Je  ne  suis  entrée  dans  sa  chambre  que  cinq  minutes. 

LE    DUC 

Toujours  le  même  genre,  le  même  mutisme? 

LA    DUCHESSE 

Toujours  les  mêmes  bouts  de  phrases  évasifs, 
des  «  oui,  maman  «,  des  «  nom,,  maman  ». 

LE    DUC 

Je  me  charge  de  lui  desserrer  les  dents.  (Entre  Keuy.) 
Ketty,  faites  descendre  Mlle  Diane. 

LA    DUCHESSE 

Dites-lui  que  son  père  l'attend  en  bas...  qu'elle 
descende  comme  elle  est.  (Ketty  sort.)  Vous  allez 
lui  annoncer  son  éloignement  projeté? 

LE    DUC 

Non,  pas  encore.  Nous  avons  avant  à  régler 
quelques  points  d'histoire. 


ACTE  PREMIER  ^1 


LA    DUCHESSE 


Oh!  VOUS  n'en  obtiendrez  pas  plus  que  moi, 
Amédée.  Sans  que  nous  nous  en  doutions,  notre 
fille  avait  une  nature  effroyablement  dissimulée. 

LE    DUC 

J'aurai  peut-être  plus  d'empire.  Vous  parait- 
elle  se  rebeller? 

LA    DUCHESSE 

Non,  je  ne  le  suppose  pas. 

LE    DUC 

Mais  enfm,  avez-vous  observé  chez  elle  une 
notion  de  repentir  ?  Se  rend-elle  un  compte  exact 
de  sa  faute  ? 

LA    DUCHESSE 

Oh!  je  crois,  je  crois...  je  l'espère...  Peut-être 
est-ce  la  peuc  qui  la  fait  se  taire,  la  honte  surtout... 
Peut-être  redoute-t-elle  votre  châtiment  envers 
Armaury. 

LE    DUC 

En  tous  les  cas  cette  situation  est  intolérable. 
Ce  silence  inadmissible  aggrave  singulièrement  sa 
faute  ànx)syeux.  Oh!  je  n'augure  plus  rien  de  bon 
d'elle!  Je  vous  le  dis,  c'est  une  enfant  perdue.  Il 
faut  en  prendre  notre  parti,  Gabrielle...  Mais  il  est 
temps  néanmoins  de  rassembler  nos  forces  et  nos 


32  LA  VIERGE  FOLLE 

] 

résolutions.  Tout  cela  va  se  précipiter...  A  quelle  \ 

heure,  déjà,  avez-vous  convoqué  Mme  Armaury?  i 

LA    DUCHESSE  \ 

A  quatre  heures  précises.  \ 

LE    DUC  ' 

Il  en  est  trois.  C'est  plus  de  temps  qu'il  ne  m'en  ' 

faut.  1 
Diane  entre. 


SCENE  V 
LE  DUC,  LA  DUCHESSE,  DIANE 

LE    DUC  j 

Avance...  Je  t'avertis  que  je  ne  supporterai  pas  ; 

une  minute  de  plus  ton  attitude...  J'exige  certains  i 

renseignements  que  ton  silence  obstiné  s'est  re-  ' 

fusé  à  avouer.  Tu  vas  me  les  donner  immédiate-  * 

ment...  Sois  tranquille,  nous  ne  perdrons  plus  de  ] 

temps  à  te  reprocher  quoi  que  ce  soit...  Je  n'ai  dé-  ' 

sormais  qu'à  te  poser  deux  ou  trois  questions  pour  ; 
m'éclairer  sur  la  situation,  et  tu  vas  y  répondre... 

J'ai  absolument  besoin  de  savoir  si  quelqu'un  est  1 

au  courant  de  votre  intrigue.  Si  vous  avez  pris  un  ■ 

confident  quelconque...  fût-ce  un  domestique...  j'ai  ' 

besoin  de  le  connaître.  ] 


ACTE  PREMIER  33 

DIANE 

Non,  personne. 

LE    DUC 

Pas  même  Mme  de  Bellines? 

DIANE 

Non.  Ni  Mme  de  Bellines,  ni  une  autre. 

LE    DUC 

Tu  le  jures?  Personne  ne  vous  a  surpris,  soup- 
çonnés? 

DIANE 

Non. 

LE    DUC 

Il  est  une  date  aussi  que  tu  dois  avoir  présente  à 
l'esprit,  celle  de  ta  faute.  Réponds  enfin!...  Où  et 
quand  a-t-elle  eu  lieu? 

DIANE 

A  Dinard. 

LE    DUC 

A  Dinard!  A  quel  moment?  A  notre  arrivée? 
DIANE,  après  une  hésitation. 

Qu'est-ce  que  ça  fait? 

LE    DUC 

Je  te  prie  de  ne  pas  me  manquer  de  respect.  Où 


34  LA  VIERGE  FOLLE 

VOUS  êtes-vous  rencontrés  cette  fois-là?  Chez  lui,  i 
chez  nous...  chez  lui? 

DIA^"E  ; 

Oui,  chez  lui.  ^ 

LE    DUC 

Quand?  le  jour,  la  nuit?  ■ 

DIANE  ; 

Une  nuit.  \ 

LE    DUC  j 

C'est  du  propre!...  Quana  cela  se  passait-il?  A  • 

notre  arrivée  à  Dinard?  i 

DIANE 

Non,  vers  le  2  ou  3  septembre;  vous  deviez  partir  , 

k  cinq  heures  du  matin  avec  Gaston  et  les  invités,  ; 

pour  la  chasse...  : 

LE    DUC  'i 

Alors,  tu  as  osé  découcher  ce  soir-là?  < 

\ 

DIANE 

Je  ne  parlerai  pas!  Qu'on  me  laisse,  qu'on  me  i 

laisse  !  j 

Maintenant,  assise,  elle  s'accoude  à  la  table,  et  appuie  | 

la  tôle,   nerveusement,  à  l'écharpe  que  froissent  ses  i 

mains.  I 


ACTE  PREMIER  35 

LE    DUC 

Une  nuit...  tu  viens  de  spécifier  ce  chiffre... 
Veux-tu  prétendre,  par  là,  ne  plus  avoir  renouvelé 
cette  honte 

DIANE 

Oui,  c'est  ça. 

LE    DUC 

Tu  mens!  tu  mens!  Ces  papiers  portent  des 
dates...  Regarde,  regarde  bien  ça...  si  tu  oses  jeter 
les  yeux,  devant  nous,  sur  ces  témoignages  cy- 
niques... Pas  de  doute  possible.  Cette  lettre  date  de 
deux  mois...  à  Paris...  Hein!  Es-tu  convaincue  de 
ton  mensonge?  Et  ça?  lis...  c'est  le  bouquet!... 
tiens...  ces  mots  infâmes...  Ah!  tu  les  gardais,  ces 
précieuses  lettres,  tu  avais  trop  peur  de  t'en  sépa- 
rer... n'est-ce  pas?  Et,  d'après  ses  lettres,  on  juge 
des  tiennes!  Il  y  en  a  des  extraits  d'ailleurs... 
Une  où  tu  lui  demandais  des  détails  amoureux!... 
Tu  n'es  qu'une  ordure,  une  fille  !...  et  tune  seras  plus 
jamais  que  ça,  une  fille!... Quelle  saleté,  ces  souve- 
nirs étalés,  ces  rappels  de  votre  manège...  jusqu'aux 
descriptions  complaisantes  de  ton  corps!  Tiens! 

(Il  lui  met  une  leUre  sous  les  yeux.)  ceci,  cette  phrase  : 
«  J'ai  toujours  dans  l'oreille^  sut  la  bouche^  tes  petits 
soupirs  d'oiseau.  »  Quel  écœurement!  Lire  cela  de  sa 
fille!...  Et  ceci?...  je  n'ai  pas  compris...  A  quelle 
malpropreté  cela  doit-il  encore  faire  allusion? 


36  LA  VIERGE  FOLLE 

DIA>'E,  repoussant  la  lettre. 
Je  ne  me  rappelle  plus. 

LE    DUC 

Tu  ne  te  rappelles  plus,  tu  ne  te  rappelles  plus? 

Il  lève  la  main  sur  elle. 

LA    DUCHESSE,  se  précipitant. 

Amédée!  Je  vous  en  prie! 

LE    DUC 

Tu  ne  A'as  pas  avoir  l'aplomb  de  me  dire  que 
vous  ne  vous  êtes  pas  retrouvés  la  nuit,  ici  ou  ail- 
leurs, car,  que  voudrait  dire  cette  phrase:  «  Je  te  re- 
gardais danser  ce  soir  chez  Mme  de  Bellines;  ta  robe 
te  pressait  délicieusement  la  gorge  et  ton  cher  petit 
corps  tiède  semblait  gainé  dans  le  bas  comme  celui 
d'une  sirène...  Et  il  me  semblait  que  j'allais  crier 
dans  un  orgueil  triomphal  à  tous  ces  gens  :  —  Ce 
corps  que  tous  envient  du  même  regard^  il  est  à  moi 
seul.  J'en  suis  le  maître.,  et  demain  /e...»  (il  s'interrompt, 

maîtrise  son  émotion  et  sa  colère  un| instant,  et,  la  voix  brève:) 

Il  y  a  '(  demain  ».  Tu  ne  nieras  donc  pas...  Allons... 
où  vous  rencontriez-vous  ?  Ici,  peut-être...  Pour- 
quoi pas?  Peut-être  as-tu  eu  le  front  de  le  faire 
venir  ici  lanuit  et  de  descendre  entr'ouvrir  la  porte 
de  riiôtel.  Ce  voyou-là  en  était  bien  capable! 
Réponds!  Laisse  encore  tes  ongles  tranquilles,  je 


ACTE  PREMIER  37 

te  prie,  aie  une  attitude  convenable  devant  ton 
père...  ou  prends  garde! 

LA    DUCHESSE,  intervenant  doucement. 

Dianette,  je  t'en  supplie,  sors  die  ce  silence;  nous 
avons  le  cœur  brisé  par  toi.  Tu  ne  comprends  donc 
pas  que  c'est  très  mal,  ce  silence  que  tu  ajoutes  à  ta 
dégradation,  et  que  cela  ne  peut  pas  durer... 

Diane,  à  bout  de  lutte,  fait  un  geste  de  résignation 

DIANE 

Eh  bien,  si  on  veut  que  je  raconte,  ça  m'est  égal 
après  tout!...  Qu'est-ce  que  vous  voulez  savoir?... 
Allez...  je  donnerai  tous  les  détails...  questionnez- 
moi. 

LA  DUCHESSE,  cherchant  à  l'aider 

Oui,  ma  fille,  réponds...  A-t-il  abusé  de  toi  et  de 
ta  naïveté?  T'a-t-il  fatiguée  de  ses  assiduités?...  et 
à  force,  peut-être... 

DIANE 

C'est  à  Dinard  qu'il  m'a  parlé.  Il  m'a  dit  qu'il 
m'aimait  depuis  plus  d'un  an  et  qu'il  ne  pouvait 
plus  vivre  sans  moi... 

LE    DUC 

Et  à  cela  tu  as  sans  doute  répondu  de  suite... 
que...? 

4 


38                            LA  VIERGE  FOLLE  \ 

DIA^-E  '■ 

Rien. 

LE    DUC  i 

j 
Pour  cette  fois-là...  Pour  les  autres? 

DIANE  j 

Rien  non  plus.  , 

LE    DUC  ' 

Rien  toujours...  Soit.  Admettons  !  Mais  enfin,  à  la  ! 
deuxième  ou  à  la  vingtième  fois,  comme  tu  vou- 
dras, alors...  qu'as-tu  fait?j  j 

DIANE  : 

J'ai  pleuré.  i 

LE    DUC  : 

Vraiment!  C'est  beaucoup  d'innocence!   Si  tu  j 

en  étais  restée  aux  larmes!...  Et  que  signifie  alors  | 

cette  histoire  de  bain  à  laquelle  il  est  fait  allusion  ] 

deux  ou  trois  fois?  j 

DIANE 

Oh!  c'est  peu  de  chose...  Ça  ne  signifie  rien  d'im-  j 

portant.  t 

LE    DUC  ' 

C'est-à-dire?..  Veuille  préciser,  pendant  que  nous  * 
y  sommes!  ' 

DIANE 

C'est  parce  qu'un  jour,  nous  revenions  de  la  pa-o- 


ACTE  PREMIER  39 

menade  à  cheval  par  les  falaises,  à  midi,  lui  et  moi, 
nous  avons  arrêté  les  chevaux  sur  la  plage  pour  re- 
garder la  mer...  alors,  il  m'a  dit.  :  <<  Vous  ne  vous 
baignerez  pas  aujourd'hui  ?  Vous  laissez  passer  la 
marée?  »  Alors,  j'ai  piqué  vers  ma  cabine...  Il  n'y 
avait  personne  à  cette  heure-là  sur  la  plage.  Quand 
je  suis  sortie  de  la  cabine,  il  a  attaché  les  chevaux, 
puis  il  m'a  dit  :  «  Étendez-vous  sur  le  sable,  au  so- 
leil, pour  que  la  mer  vienne  vous  prendre  petit  à 
petit.  »  Alors,  je  l'ai  fait;  je  me  suis  étendue,  et  lui, 
il  est  resté  loin,  sans  rien  dire,  à  regarder  venir  la 
mer  sur  moi...  Ce  n'est  que  lorsque  les  vagues  ont 
commencé  à  m'emporter,  je  voulais  me  relever,  il 
a  dit  ;  «  Non!  laissez-la  vous  prendre.  »  Je  l'ai  fait... 
les  vagues  sont  venues...  je  suis  partie  avec... 
Voilà...  c'est  tout... 
Silence. 

LE    DUC 

Et  relativement  à  cette  nuit  de  septembre,  où  tu 
es  allée,  prétends-tu,  dans  sa  villa?  Came  parait 
bien  invraisemblable,  cette  histoire-là!  Comment 
aurais-tu  choisi  justement  un  jour  où  nous  nous 
levions  à  cinq  heures  du  matin,  ta  chambre  don- 
nant sur  celle  de  ton  frère? 

DIANE 

C'est  pourtant  comme  ça...  Il  y  avait  trois  se- 
maines à  peu  près  qu'il  me  suppliait  de  venir,  et 


40  LA  VIERGE  FOLLE 

moi  je  ne  voulais  pas,  je  remettais  toujours.  Alors, 
il  s'est  mis  à  bouder,  il  m'a  dit  qu'il  était  très  mal- 
heureux... J'ai  cru  qu'il  allait  partir...  j'ai  accepté... 
et  exprès  ce  jour-là,  parce  que  je  pensais  que  juste- 
ment je  reviendrais  après...  (Elle  baisse  machinalement 
la  voix.)  cinq  heures  du  matin,  et  que  vous  seriez 
partis  ainsi  que  le  garde. 

LE    DUC 

Et  tu  as  osé,  tu  as  osé  te  lever,  descendre  nuitam- 
ment, t'en  aller? 

DIA^■E 

Il  m'attendait  au  fond  du  jardin;  c'était  conve- 
nu... il  pleuvait  à  torrents;  je  suis  descendue  sans 
souliers,  j'ai  traversé  tout  le  jardin  à  travers  les 
flaques... 

Elle  s'arrête,  la  voix  torturée. 

LE    DUC,  impérieux. 

Continue,  continue... 

DIA>E,  après  une  longue  respiration. 

Au  bout  du  jardin,  il  m'a  prise,  il  m'a  envelop- 
pée dans  un  grand  manteau,  il  m'a  portée...  Nous 
avons  traversé  ainsi  tout  le  village...  Les  chiens  ré- 
veillés criaient  à  chaque  maison...  (Silence.  Les  yeux 
baissés,  elle  reprend.)  A  cinq  heures  du  matin,  je  suis 
revenue  toute  seule.  J'ai  entendu  au  loin  vos  pre- 


ACTE  PREMIER  41 

miers  coups  de  fusil,  je  suis  montée;  maman  dor- 
mait, je  me  suis  recouchée...  j'ai  dormi... 

LE     DUG 

Et  cette  équipée,  prétends-tu,  ne  s'est  pas  re- 
nom vêlé  e? 

DIA>-E 

Non 

LE    DUC 

Là-bas,  mais  à  Paris?  Achève... 

DIANE,  après  une  hésitation. 

Oui.  (Le  duc  a  un  mouvement  d'impatience,  et  tend  le  bras 
Ters  sa  fille.  Elle  se  lève,  apeurée.)  Vous  m'avez  demandé 
de  parler,  je  parle  ! 

LA   DUCHESSE,  bas,  à  son  mari. 

Amédée,  je  vous  en  supplie,  nous  savons  main- 
tenant tout  ce  que  nous  devions  savoir. 

LE    DUC 

Oui!  J'ai  des  choses  d'une  autre  nature  à  lui  dire, 
maintenant.  Mais  auparavant,  pour  clore  le  cha- 
pitre des  souvenirs,  veux-tu  me  faire  le  plaisir  d'al- 
ler chercher  dans  ta  chambre  cette  aquarelle  qu'il 
a  faite  de  toi,  et  qui  orne  encore  ta  cheminée  !  Nous 
allons  détruire  avec  joie  ce  petit  souvenir-là.  Tu 
en  as  d'autres  qui  te  suffisent. 

4. 


42  LA  VÏER0E  FOLLE 

Bien.  J'y  vais... 

LE   DUC,  la  retenant 

Rien  ne  presse  d'ailleurs...  Une  seconde  encore... 
Je  dois  te  faire  part  de  la  décision  que  ta  mère  et 
moi... 

La  porte  s'ouvre.  Gaston  de  Charance  entre. 

SCÈNE  VI 

Les  Mêmes,  GASTON  DE  CHARANCE 

GASTON 

Bonjour,  philippine...  (On  ne  répond  pas.)  Eh  bien, 
quoi?...  vous  avez  l'air  ahuris  comme  si  j'annonçais 
quelque  chose  d'extraordinaire,  (il  s'avance  vers  Diane 
en  riant.)  J'ai  gagné  ma  philippine...  tu  ne  te  rap- 
pelles donc  pas...  hier  au  déjeuner?  Reviens  à  toi, 
Dianette,  et  paye. 

11  lui  tend  la  joue. 

DIANE 

Ah!  oui...  Je  n'y  pensais  plus... 

GASTON 

Je  serais  bien  monté  ce  matin  dans  ta  chambre, 
te  taire  la  blague,  mais  on  m'a  dit  que  tu  étais 


ACTE  PREMIER  43 

malade.  Qu'est-ce  qu'elle  a  eu,  notre  gosse  natio- 
nale? Ce  n'est  pas  sérieux, 

LA    DUCHESSE 

Non,  non,  des  maux  de  tête,  une  migraine. 

GASTON 

Pauv'  tit  bichon!  Je  te  trouve  mauvaise  mine 
d'ailleurs...  (il  contemple  leur  gêne.)  Dites  donc,  ce  n'est 
pas  une  farce?...  C'est  que  vous  avez  tous  les  trois 
un  air  de  circonstance,  si  j'ose  m'exprimer  ainsi!... 
Un  beau  parti? 

LE^DUC 

Tu  divagues!  Nous  sommes  simplement  en- 
nuyés de  la  santé  de  ta  sœur. 

GASTON 

C'est  votre  faute  aussi!...  Quand  on  voit,  à  trois 
heures  de  l'après-midi,  une  jeune  fille  flanquée  de 
ses  parents...  et  les  yeux  rouges  encore,  A'oyons,  ce 
sont  les  suppositions  les  plus  élémentaires?  (Riant 
avec  tact.)  Du  reste,  ça  ne  me  regarde  pas;  mettez 
que  je  n'ai  rien  dit.  Au  fait,  papa,  vous  savez  que 
je  préside,  demain  soir,  le  dîner  de  la  jeunesse  roya- 
liste. Je  suis  chargé  de  vous  inviter  :  du  moins,  si 
vous  voulez  leur  faire  l'honneur  de  venir  fumer  un 
cigare  après  dîner,  ils  vous  en  auront  une  reconnais- 
sance sans  borne. 


44  LA  VIERGE  FOLLE 

LE    DUC 

Je  verrai. 

GASTON 

Le  dîner  a  sa  raison  d'être  :  il  s'agit  d'une  fusion 
en  l'A.  G.  R.  et  la  S. 

LE   DUC,  interrompant. 
Attendez...  Est-ce  qu'on  n'a  pas  sonné? 

Il  va  à  la  porte  du  fond  et  Tenlr'ouvre  pendant  que  les 
autres  parlent. 

GASTON 

Alors,  tu  souffres  sérieusement? 

DIA>'E 

Un  peu,  en  tout  cas. 

GASTON 

Tâche  d'être  remise  avant  dimanche,  car  tu  sais 
que  tu  as  l'honneur  de  conduire  le  mail  jusqu'à 
Chantilly.  D'Artigny,  le  jeune  d'Aplincourt...  tes 
deux  prétendants...  en  bavent  d'avance...  Ne  leur 
fais  pas  cette  désillusion.  Pas  de  surmenage!... 
Dites-moi,  maman,  est-ce  qu'elle  a  la  semaine  très 
chargée?  Tu  dînes  chez  les  d'Écleville,  demain, 
n'est-ce  pas? 

DIANE 

Je  ne  sais  pas  si  nous  irons. 


ACTE  PKEMlEll  ib 

GASTON 

En  tout  cas,  après  demain,  il  y  a  la  matinée  des 
Bellines.  Et,  le  soir,  lui  permettrez-vous  de  venir 
aux  Français,  maman;  je  crois  que  c'est  un  peu 
risqué  pour  elle...  Je  ne  vous  conseille  guère  de  l'y 
mener... 

LA    DUCHESSE 

Je  ne  pense  pas  qu'elle  soit  d'ailleurs  remise  d'ici 
là. 

LE    DUC,  parlant  au  domestique. 
Qui  est-ce?  (Le  domestique  explique  à  voix  basse.)  Faites 

entrer  dans  le  petit  salon.  (U  descend  en  hâte.)  Laissez- 
nous,  votre  mère  et  moi,  s'il  vous  plaît...  une  visite 
à  recevoir.  (A  Diane.)  Toi,  monte  dans  ta  chambre... 
(Se  reprenant.)  enfin...  comme  tu  es  souffrante,  je 
veux  dire,  monte  te  reposer,  (il  prend  à  part  la 
duchesse.)  C'est  elle. 

LA    DUCHESSE 

Déjà?...  (Haut.)  Allez,  mes  enfants.  Gaston,  laisse 
ta  sœur  se  reposer  là-haut. 

GASTON 

Mais  je  n'ai  aucune  intention  de  l'embêter.  Je 
dois  moi-même  ressortir  dans  quelques  instants. 


iO  LA  YIERGE  FOLLE 

LE    DUC,  bas  à  Diane. 

Va,  nous  reprendrons  cette  conversation  tout  à 
l'heure. 

DIA>E 

Bien,  papa. 

Elle  sort. 

GASTON,  sur  le  seuil. 

Sérieusement,  vous  n'êtes  pas  inquiets?  Elle 
n'est  pas  malade?  Il  n'y  a  rien  enfin? 

LE    DUC 

Rien  du  tout,  je  t'affirme...  nous  n'avons  pas  la 
moindre  inquiétude  à  son  égard...  deux  cachets 
d'antipyrine  et  il  n'y  paraîtra  plus. 

GASTON 

N'oublie  pas  de  me  donner  une  rép  use  pour  le 
diner. 

LE    DUC 

Ce  soir...  ce  soir...  (Gaston  sort.  Le  duc  et  la  duchesse 
seuls.  Mouvement  de  la  duchesse.)  Je  VOUS  en  prie^  je  sais 
ce  que  j'ai  à  faire... 

LA   DUCHESSE 

Mais  si,  par  hasard,  elle  ne  se  doute  de  rien,  ne 
soyez  pas  trop  brutal  ! 


ACTE  PREMIEF  47 

LE    DUC. 

Allons  donc,  ma  chère,  ces  gens-là  ont  depuis 
longtemps  approfondi  leur  propre  moralité!  Et  si 
cette  femme  ne  connaît  pas  la  faute  entière  de  son 
mari,  du  moins  elle  n'ignore  pas  qu'il  en  était  ca- 
pable. Ne  soyons  pas  plus  longtemps  des  imbéciles  ! 
Nous  avons  été  cambriolés  purement  et  simplement 
par  des  gens  douteux  avec  lesquels  nous  n'aurions 
jamais  dû  nous  commettre.  En  les  exécutant,  d'ail- 
leurs, je  ne  me  livrerai  à  aucun  écart.  N'ayons 
qu'un  but  désormais  :  sauver  Dianette.  Il  faut  que 
j'agisse  en  chirurgien.  Restez  ou  ne  restez  pas, 
comme  vous  le  voudrez,  mais  ne  vous  interposez 
pas. 

LA    DUCHESSE 

Je  ne  ferai  que  vous  assister. 

Le  duc  sonne. 

LE   DUC,  serrant  les  dents. 

Ce  n'est  pas  lui,  mais  c'est  déjà  un  peu  comme  si 
c'était  lui!...  Ça  fait  du  bien!  (il  ouvre  vigoureusement  la 
porte  du  petit  salon.)  Entrez,  madame. 

Entre  Mme  Armaury  :  elle    s'avance,  souriante,  la  main 
tendue,  et  va  directement  à  la  duchesse. 


48  LA  VIERGE  FOLLE 

SCÈNE  VII 
LE  DUC,  LA  DUCHESSE,  MADAME  ARMAURY 

MADAME    ARMAURY 

Bonjour,  chère  amie.  Je  vous  demande  pardon 
de  devancer  un  peu  notre  rendez-vous.  Je  suis  très 
en  avance,  n'est-ce  pas?  mais  je  dois  être  juste- 
ment à  quatre  heures  et  demie  chez  Mme  Mallet 
pour  la  répétition  du  concerto...  vous  savez? 

LA    DUCHESSE 

En  effet! 

MAD.\3IE    ARMAURY 

Et,  d'ailleurs,  j'ai,  de  sa  part,  beaucoup  de  re- 
proches à  vous  faire  ;  elle  m'a  chargée  de  vous  dire 
qu'on  ne  vous  voyait  plus,  qu'elle  s'ennuyait  de 
vous... 

LA    DUCHESSE 

Très  bien... 

MADAME    ARMAURY 

Mais  tout  cela  est  secondaire.  Vous  m'avez  fait 
venir,  c'est  que  vous  avez  quelque  chose  à  me  dire 


ACTE  PREMIER  49 

ou  à  me  faire  faire...  Vous  permettez?...  les  vio- 
lettes de  la  rentrée. 

Elle  tend  à  Mme  de  Charance  le  bouquet. 

LA  DUCHESSE,  gênée,gauche. 
Merci. 

M  A  DAME    A  RM  A  U  RY 

Qu'est-ce  qu'il  y  a?  Vous  savez  que  je  suis  tou- 
jours à  votre  entière  disposition  et  que...  (Elle  les 
regarde.)  Oh!  mais,  ce  doit  être  sérieux,  vous  avez 
l'air  tristes,  ennuyés  :  que  se  passe-t-il? 

LE    DUC 

Vous  ne  vous  en  doutez  pas? 

MADAME    ARMAURY 

Du  tout,  par  exemple  !...  Pas  plus  que  mon  mari... 
je  pense...  car  il  vous  a  vu  1'... 

LE   DUC,  lui  coupant  la  parole. 

Votre  mari,  madame,  est  le  dernier  des  misé- 
rables ! 

MADAME    ARMAURY 

Plaît-il? 

LE    DUC 

Un  être  abject...  un  bandit! 


50  LA  VIERGE  FOLLE 

MADA.ME    ARMAURY 

Je  ne  saurais  tolérer,  monsieur,  ces  paroles... 

Elle  se  lève,  toute  blême,  sans  comprendre. 

LE     DUC 

Et  si  je  ne  lui  casse  pas  la  figure,  c'est  bien  parce 
que  je  ne  le  peux  pas.. 

MADAME    ARMAURY 

Vous  êtes  fou  ! 

LE    DUC 

...parce  qu'il  nous  a  mis  dans  une  situation  où  la 
vengeance  n'est  même  pas  permise. 

MADAME   ARMAURY,  suppliant  la  duchesse  du  regard. 
Mais  c'est  épouvantable!... 

LE    DUC 

Et  si  vous  êtes  ici,  madame,  c'est  justement 
parce  que  je  ne  suis  pas  certain  de  résister  au  plaisir 
de  lui  casser  la  figure  la  première  fois  qu'il  se  trou- 
vera devant  moi... 

MADAME   ARMAURY,  qui  retrouve  assez  d'énergie 
pour  se  redresser. 

Monsieur,  je  crois  au  contraire  que,  devant  de 
pareilles  paroles,  un  tel  accès  de  démence...  je  n'ai 
qu'à  me  retirer...  Mon  mari  est  là  pour  vous  ré- 
pondre. 


ACTE  PREMIER  bl 

LE    DUC 

Non,  madame!...  Et  je  ne  peux  pas  lui  demander 
raison!...  C'est  bien  ce  qu'il  y  a  de  pire!...  Mais  j'ai 
des  volontés  à  dicter.  Nous  aurons  la  main,  vous 
et  moi,  madame,  à  ce  qu'elles  soient  tenues,  j'en 
réponds!  Allons  donc,  ne  faites  pas  tellement 
l'étonnée!  Votre  responsabilité  envers  nous  est 
aussi  engagée,  car  vous  étiez  nos  amis  intimes, 
vous  connaissiez  la  valeur  et  la  moralité  de  votre 
mari... 

MADAME  ARMAURY,  rejetant  son  manchon  sur  la  table. 

Monsieur,  je  vous  somme  de  vous  expliquer!... 
Vous  prononcez  les  paroles  les  plus  abominables... 
et  devant  sa  femme...  je  ne  sais  comment  vous 
osez... 

LE    DUC 

Votre  mari  a  déshonoré  ma  fille,  entendez-vous! 

MADAME    ARMAURY,  dans  un  cri  terrible  d'indignation. 

Ce  n'est  pas  vrai!  Ce  n'est  pas  vrai!.,,  vous  men- 
tez! C'est  effroyable  de  me  dire  des  choses  pa- 
reilles!... Une  preuve!...  une  preuve? 

LE    DUC 

J'en  ai  mille.  Allons,  ne  tergiversons  plus,  lisez 
cela,  vous  serez  fixée... 

Il  lui  tend  une  lettre.  Elle  la  lit.  Ses  mains  s'agitent.  Un 
grand  temps.  Elle  ne  dit  plus  rien.  Et  puis,  elle  parle, 
à  mots  vagues...  sans  voix...  dans  une  sorte  d'hébétude. 


52  LA  VIERGE  FOLLE 

MADAME    ARMAURY 

Quelle  horreur!...  Jamais  je  n'aurais  cru  une  pa- 
reille chose  de  lui...  Oh!  le  misérable!...  Oh!  comme 
je  vous  demande  pardon!  Vous  qui  aviez  été  si 
bons,  si  amis  pour  nous!...  Quelle  horrible  chose, 
mon  Dieu! 

LE    DUC 

Faites  de  cet  homme  ce  que  vous  voudrez,  mais 
qu'il  disparaisse  de  notre  vie,  entendez-vous,  à  tout 
jamais...  que  jamais  il  ne  cherche  à  revoir  ma  fille, 
même  un  jour,  que  pas  une  fois  je  ne  le  retrouve 
sur  mon  chemin...  veillez-y,  madame,  veillez-y,  si 
vous  tenez  encore,  si  peu  que  ce  soit,  à  la  peau  de 
ce  misérable  individu,  et  si  vous  surmontez  le  dé- 
goût qu'il  nous  inspire  à  tous. 

MAD.VME    ARMAURY 

Oh!  cela,  je  m'y  engage  de  tout  mon  pouvoir.  Je 
vous  certifie,  quoi  qu'il  advienne  maintenant  de 
mon  existence  personnelle,  que  jamais  votre  fille 
ou  vous-même  ne  vous  trouverez  en  présence  de 
M.  Armaury.  J'en  fais  mon  afTaire.  Il  ne  manquerait 
plus  que  cela!...  Malheureusement,  pour  le  mal  ac- 
compli, il  n'y  a  pas  de  réparation  possible...  (Ses  yeux 
ont  l'air  de  fouiller  désespérément  tout  un  passé.)  Comment 
a-t-il  osé  une  pareille  chose? 


ACTE  PREMIER  53 

LE    DUC 

Vous  dites  juste,  madame  :  de  réparation,  il  n  y 
en  a  pas. 

LA    DUCHESSE 

Non...  Notre  chère  petite  Dianette!  Si  vous  sa- 
viez, si  vous  connaissiez  les  détails!  C'est  un  crève- 
cœur  qui  s'étendra  sur  toute  notre  vie. 

MADAME    ARMAURY 

Oli!  comme  je  vous  plains!  Je  ne  puis  vous  cer- 
tifier qu'une  chose,  madame,  c'est  que  vous  n'en- 
tendrez plus  jamais  parler  de  nous,  ni  de  lui,  ni  de- 
moi. 

Elle  dit  cela  d'une  voix  polie,  presque  humble. 

LE    DUC,  vivement. 

Je  désire  même  que  nous  prenions  des  disposi- 
tions à  ce  sujet. 

MADA.ME    ARMAURY,  l'arrêtant  du  geste. 

Une  seconde,  je  vous  en  prie,  une  seconde... 
vous  venez  de  m'envoyer  le  coup  à  bout  portant, 
j'ai  du  plomb  dans  la  tête...  mais  ça  va  passer...  le 
temps  de  me  remettre... 

LE    DUC 

C'est  tout  notre  bonheur  qui  s'écroule... 


54  LA  VIERGE  FOLLE 

MADAME    ABMAURY 

Oh!  je  vous  comprends.  Mais  c'est  aussi  le  mien 

qui  s'en  va...  Je  vous  demande  pardon  de  le  pleurer. 

Elle  va  en  chancelant  à  un  fauteuil  et  met  la  tête  dans  sa 
raain.  • 

LE    DUC,  la  regardant  pleurer. 

Bien  que  j'en  aie  douté,  je  l'avoue,  bien  que 
j'aie  cru  un  instant  que  vous  plastronniez  pour  cou- 
vrir la  faute  de  votre  mari,  je  vois  maintenant  que 
vous  n'avez  pas  plus  que  nous  soupçonné  l'ignoble 
vérité.  Pardon,  si  la  colère  m'a  emporté,  pat-don 
de  ma  brutalité,  madam.e,  mais  nous  avons  tous 
été  ses  dupes,  par  trop  naïves.  Cet  homme  avait 
tout  un  passé  et  toute  une  réputation  qui  le  garan- 
tissaient si  bien!  Je  m'excuse  de  ne  pouvoir,  à 
votre  douleur,  apporter  plus  de  ménagement,  mais 
il  nous  a  distribué  à  chacun  im  lot  de  souffrances 
que  nous  ne  pouvons  départager.  Prenons-en  cha- 
cun notre  charge;  ce  n'est  pas  vous  qui  porterez  la 
plus  lourde!...  Vous  en  aurez  une  en  tout  cas  répa- 
ratrice dans  une  certaine  mesure,  celle  de  faire 
comprendre  à  votre  mari  qu'il  doit  disparaître 
de  notre  vie,  et... 

A  ce  moment  la  porte  s'ouvre. 
DIANE,  s  arrêtant  net  sur  le  pas  de  la  porte. 
Pardon  ! 


ACTE  PREMIER  55 

LE    DUC,  furieux  et  courant  à  elle. 

Qu'est-ce  que  c'est?  Qu'est-ce  que  c'est?.:. 

DIA>E 

Rien.  Je  venais  apporter  ce  que  vous  m'avez  de- 
mandé. 

LE    DUC 

Sors! 

Elle  s'approche  et  glisse  sur  la  table,  en  la  dissimulant 
et  en  la  retournant,  l'aquarelle  cartonnée.  11  y  a  un 
silence  tragique.  Mme  Armaury  et  Diane  se  sont  regar- 
dées, et  puis,  sans  rien  dire  toujours,  Diane,  baissant  les 
yeux,  ressort,  masquée  par  son  père  anxieux. 

MADAME   ARMAURY,  qui  sest  levée  et  s'est  appuyée 
à  la  cheminée. 

Ah!  quel  regard  nous  venons  d'échanger,  cette 
enfant  et  moi!...  La  voilà  donc,  celle  qui  m'a  pris 
mon  bonheur!... 

LE    DUC 

Non.  madame,  celle-là,  c'est  la  victime.  Il  l'a 
flétrie  ! 

M AD, AME    ARMAURY 

Il  l'a  aimée!... 

LE    DUC 

Je  ne  pense  pas  que  cela  soit  une  excuse  ! 

MADAME    ARMAURY 

Non,  ça,  c'est  ma  douleur  à  moi,  c'est  mon  lot, 


56  LA  VIERGE  FOLLE 

comme  vous  dites!,.,  car.  enfin...  je  me  permets 
d'observer  qu'il  ne  s'agit  pas  tout  de  même  d'un 
viol;  d'après  ce  que  j'ai  lu  à  l'instant,  il  me  semble 
bien  que  votre  fille  était  plus  que  consentante... 
Elle  l'aimait!...  Ils  s'aimaient. 

LE    DUC 

Eh  bien?...  Après? 

LA    DUCHESSE 

Se  faire  aimer  d'une  jeune  fille,  lui  tendre  le 
piège  de  l'amour  pour  la  faire  trébucher,  comme 
c'est  difficile.  Nous  autres,  femmes,  nous  savons 
comme  il  est  aisé  de  troubler  n'importe  quelle  en- 
fant de  seize  ans!... 

MADAME    ARMAURY 

Puis- je  vous  demander  de  jeter  les  yeux  sur  une 
de  ces  lettres?... 

LE    DUC 

Au  choix,  tenez... 

Elle  lit,  mais  ses  yeux  se  brouillent  sans  doute,  car  elle 
ne  peut  continuer. 

MADAME    ARMAURY 

Non,  non...  reprenez  ces  choses,  c'est  trop  af- 
freux... ça  fait  trop  de  mal...  J'en  sais  plus  qu'il  ne 
faut...  (Elle  répète  toujours  machinalement.)  Ah  !  je  n'aurais 
jamais  cru  cela  de  lui!... 


ACTE   PREMIER  57 

LE    DUC,  résolu. 

Vous  allez  le  revoir,  madame.  C'est  à  vous  qu'in- 
combe la  mission  de  lui  apprendre  que  tout  est  dé- 
couvert. Dites-lui  qu'il  a  la  vie  sauve,  mais  qu'il 
n'ait  pas  le  malheur  de  chercher  une  seule  fois,  une 
seule  fois,  entendez-vous,  à  revoir  ma  fille,  ou  à 
correspondre  avec  elle!.., 

MADAME    ARMAURY 

Je  l'ai  promis,  soyez  sans  crainte. 

LE    DUC 

Ce  n'est  pas  tout.  Que  jamais  un  mot,  un  sous- 
entendu  ne  lui  échappent...  pas  une  parole  qui 
puisse  compromettre  sa  victime. 

MADAME    ARMAURY 

De  ce  côté  aussi,  je  pense  que  vous  n'avez  rien 
à  craindre. 

LE    DUC 

Sait-on  jamais?...  Il  ne  lui  reste  qu'à  ajouter  la 
vantardise  à  l'infamie...  Une  Charance,  c'est  flat- 
teur! 

MADAME    ARMAURY 

J'obtiendrai  tout  cela,  c'est  peu.  Mais,  à  votre 
tour,  je  vous  en  supplie,  monsieur,  promettez-moi 
le  silence.  Que  rien  ne  puisse  atteindre  notre  hono- 


58  LA  YIERGE  FOLLE 

rabilité,  notre  situation.  Je  n'ai  pas  d'enfants,  mais 
j'ai  des  parents. 

LE    DUC 

Nous  devons  tirer,  madame,  les  uns  et  les  autres, 
les  mêmes  avantages  du  silence,  si  nous  l'observons 
rigoureusement. 

MADAME    ARMAURY 

C'est  ça...  c'est  ça...  Je  vais  rentrer.  Oh!  je  ne 
sais  vraiment  plus  où  j'en  suis!...  Ce  que  la  Aie 

nous    réserve   tout    à   coup!    (A  Mme  de  Charance.)  Je 

ne  peux  pas  vous  dire,  madame,  combien  j'ai  honte 
pour  mon  mari,  combien  je  suis  navrée  de  vous  avoir 
amené  cet  homme,  car,  enfin,  je  suis  responsable, 
nos  relations,  à  toutes  deux,  ont  précédé  les  siennes. 

LA    DUCHESSE 

Ne  vous  excusez  pas,  vous  avez  péché,  comme 
nous,  par  inadvertance...  pas  plus  que  nous! 

MADAME    ARMAURY,  se  levant. 

J'ai  les  jambes  peu  solides. 

LA    DUCHESSE 

Je  compatis  profondément,  chère  madame. 

MADAME    ARMAURY 

Bah!  moi,  ce  n'est  pas  la  même  chose  que  vous! 


ACTE  PREMIER  59 

Il  y  a  deux  catastrophes...  la  mienne  est  moins 
grave...  Oh!...  d'ailleurs,  je  ne  suis  pas  embarras- 
sée de  ma  personne...  je  ne  suis  pas  une  pleurarde, 
moi..  Seulement,  tout  de  même,  on  a  beau  être 
solide... 

LA    DUCHESSE 

Voulez-vous  que  je  vous  fasse  chercher  une  voi- 
ture? 

MADAME    ARMAURY 

C'est  inutile...  J'ai  la  mienne  en  bas... 
LE    DUC,  comme  s'il  craignait  d'avoir  oublié  l'essentiel. 

Et  surtout,  qu'il  n'aille  pas  se  mettre  en  tête 
qu'il  me  doit  une  réparation...  ni  même  une  expli- 
cation. Sa  disparition  et  son  silence  ne  seront  pas 
une  dernière  lâcheté.  Si  je  vous  dis  cela,  c'est  qu'on 
ne  sait  pas  où  va  se  nicher  l'amour-propre  de  cer- 
tains hommes!  En  ce  qui  concerne  la  rupture  de 
nos  relations,  si  l'on  s'en  inquiète,  nous  trouverons 
des  motifs  d'offense  plausibles...  et,  quant  à  mon 
fils,  Gaston,  comme  je  le  connais,  et  qu'il  serait 
capable  celui-là  d'aller  lui  cracher  au  visage,  nous 
ne  lui  dévoilerons  rien,  (il  s'arrête.)  Allez,  madame. 
Soyez  sûre  que  nous  vous  plaignons  de  vivre  à 
coté...  (Les  mots  de  haine  jaillissent  comme  malgré  lui.  de  sa 
bouche.)  d'un  pareil  forban,  de  ce  gibier  de  correc- 
tionnelle ! 


60  LA  VIERGE  FOLLE 

MAD-\3IE    ARMAURY,  avec  un  haut-le-corps  instinctif. 

Laissez-moi  me  retirer,  monsieur.  Quelle  que  soit 
sa  faute,  quoi  qu'il  ait  fait,  je  ne  puis  oublier  que 
c'est  mon  mari,  et  que  je  porte  son  nom...  Permet- 
tez-moi de  m'en  aller...  (Elle  salue  avec  dignité.  La  du- 
chesse l'accompagne  à  la  porte.)  Oh  !  madame,  pour  la 
dernière  fois  que  je  franchis  votre  salon,  je  vous 
en  prie,  ne  m'accompagnez  pas.  Le  geste  serait 
de  trop 

LA    DUCHESSE 

Mais  si,  comme  d'habitude...  C'est  au  moins  né- 
cessaire pour  nos  gens...  pour  la  domesticité... 

M  A  DAME    ARM  A  U  R Y 

Dans  ce  cas!...  (Elle  se  retourne.)  Adieu,  monsieur. 


Aussitôt  qu'elles  sont  sorties,   le  duc  se  précipite  à  la       ] 
porte  de  gauche  par  où  est  sortie  Diane. 

\ 
LE   DUC,  dans  le  couloir,  appelant  -j 

d'une  voix  courroucée.  I 

4 

Diane!  Diane!...  Où  es-tu?  Arrive  ici,  arrive!  Ah!  [ 
tu  étais  là!...  Tu  n'étais  pas  dans  ta  chambre...  tu 

écoutais  aux  portes,  n'est-ce  pas?  Je  t'y  prends!...  j 

(Il  pousse  violemment  Diane  devant  lui.)   Comment  t'es-tu  ; 

permis  d'entrer  ici,  tout  à  l'heure,  quand  je  t'avais  j 

donné  l'ordre  de  monter  là-haut?  ] 


ACTE  PREMIER  61 

DIANE 

Mais,  papa,  c'était  pour  l'aquarelle. 

LE    DUC 

Ce  n'est  pas  vrai,  ce  n'est  pas  vrai!...  Tu  venais 
épier  ce  qui  se  passait,  tu  avais  peur...  car  ce  n'était 
pas  cette  femme  que  tu  comptais  trouver  ici, 
mais  lui... 

La  duchesse  rentre. 


SCÈNE  VIII 

LE  DUC,  DIANE,  LA  DUCHESSE 

LA  DUCHESSE,  inquiète  des  éclats  de  voix. 
Qu'est-ce  qu'il  y  a? 

LE    DUC 

Je  lui  demande  compte  de  sa  petite  intrusion 
de  tout  à  l'heure. 

LA   DUCHESSE,  s'approchant  vivement  de  lui,  bas. 
Je  vous  en  prie,  laissez-moi  seule  avec  elle. 

LE   DUC,  également  bas. 

Il  faut  lui  annoncer  de  suite,  de  suite,  que  nous 
allons  la  mettre  au  couvent. 

6 


6*2  LA  VIERGE  FOLLE 

LA    DUCHESSE 

Laissez-moi  cette  tâche... 

LE    DUC 

Et  rappelez-vous  les  paroles  de  l'abbé  Roux  : 
«  De  la  fermeté,  des  actes!  »...  Mettez-les  en  ^ngiieiLr 
de  suite...  (Haut,  à  Diane.)  Ta  mère  désire  te  parler. 
Il  sort. 


SCENE  IX 
LA  DUCHESSE,  DIANE 

LA    DUCHESSE 

Diane,  nous  avons  résolu,  ton  père  et  moi,  de 
te  mettre  au  couvent. 

DIANE 

Au  couvent?...  Mais  je  n'y  ai  jamais  été...  Je 
n'ai  été  que  quelques  mois  rue  de  Lubeck. 

LA    DUCHESSE 

Justement.  Devant  la  gravité  des  circonstances, 
et  de  ta  faute,  il  n'y  a  pas  à  hésiter.  Le  moment  de 
la  réflexion  est  venu  pour  toi.  Nous  te  mettror.s 
sous  une  direction  qui  modifiera  ton  état  d'esprit, 


ACTE  PREMIER  63 

qui  te  ramènera,  je  l'espère,  dans  le  droit  chemin, 
et  à  la  religion...  Nous  te  mettons  au  couvent 
moins  pour  te  punir  que  pour  te  sauver. 

DIA>"E 

Et  pour  combien  de  temps? 

LA    DUCHESSE 

Nous  verrons.  En  principe,  jusqu'à  ta  majorité. 

DIA>'E 

Jusqu'à  ma  majorité? 

LA    DUCHESSE 

Mais,  d'ici  là,  si  tu  te  modifies,  si  tu  t'éclaires,  si 
tu  commences  à  reconnaître  la  déchéance  où  tu 
es  tombée,.. 

DIANE,  avec  une  volubilité  inquiète. 

Oui,  enfin,  ça  fait  un  an  ou  deux  ans  au  mini- 
mum, n'est-ce  pas?  Et  à  quel  couvent?  Où  ça? 

LA    DUCHESSE 

En  Belgique  ou  en  Angleterre. 

DIANE 

A  l'étranger?  Et  quand  est-ce  que  j'irai  au 
couvent  ? 

Ses  narines  frémissent,  ses  mains  s'agitent. 


64  LA  VIERGE  FOLLE 

LA    DUCHESSE 

Tout  de  suite.  Tu  partiras  dans  vingt-quatre 
heures.  Tu  as  besoin  de  ce  recueillement  et  de  cet 
éloignement  de  la  vie  passée  qui  t'a  perdue. 

DIÂ>E 

Dans  vingt-quatre  heures!  Mais,  voyons,  ma- 
man, c'est  impossible!  D'abord,  nous  avons  pro- 
mis de  dîner  chez  les  de  Bellines,  dimanche  pro- 
chain... on  donne  ce  diner  pour  nous...  Et  puis,  il  y 
a  la  soirée  des  Dupuy;  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas 
Y  aller! 

LA   DUCHESSE,  Stupéfaite. 

Ah  çà!...  mais,  tu  es  inconsciente  ou  folle,  Dia- 
nette!  Tu  ne  te  rends  pas  compte!...  Tu  en  es  en- 
core là!  Ah!  bien!  si  c'est  là  ton  état  d'esprit,  par 
exemple!  Non!  non!  plus  de  dîners,  plus  de  monde!... 
Tu  partiras  dans  vingt-quatre  heures. 

DIANE 

On  ne  va  pas  m'enterrer  deux  ou  trois  ans,  dans 
un  couvent  !  Je  n'ai  plus  l'âge! 

LA    DUCHESSE 

Oui,  inutile  de  nous  rappeler  que  tu  n'es  plus, 
hélas!  une  enfant;  mais  tu  as  encore  l'âge  où  l'on 
doit  l'obéissance,  et  nous  te  le  montrerons. 


ACTE  PREMIER  65 

DIANE,  au  comble  de  l'émoi  et  ne  refrénant  plus 
une  rage  épeurée. 

Non!  faites  de  moi  ce  que  vous  voudrez...  je 
promets  tout  ce  qu'on  voudra,  mais  ne  me  mettez 
pas  au  couvent  !  Je  ne  veux  pas  aller  au  couvent  ! 

LA    DUCHESSE 

Ah!  c'est  ainsi?,..  Ton  père  avait  bien  deviné 
ta  résistance!  Non,  Diane,  plus  de  monde,  plus  de 
flirt,  plus  de  toilette,  plus  rien  de  tout  ce  qui  a  été 
ta  perte.  (Elle  a  ralr  de  se  rappeler  les  objurgations  et  les 
conseils  de  l'abbé.)  D'abord,  donne-moi  tes  bijoux...  tu 
ne  devrais  plus  les  porter...  je  te  confisque  les 
bagues.. 

DIANE,  haussant  l'épaule. 

Oh!  cela,  tant  que  vous  voudrez!...  C'est  ça  qui 
m'est  égal!...   Tiens,   voilà  toutes  mes  bagues... 
tiens,  prends  mon  sautoir  aussi...  mon  collier. 
Elle  les  enlève  et  les  jette  sur  la  table. 

LA    DUCHESSE 

Et  ne  compte  pas  avoir  au  couvent  d'autre  trous- 
seau que  le  trousseau  des  pensionnaires. 

Étonnée  de  cette  menace  inopinée,  Diane  regarde  sa  mère 
fixement. 

DIANE 

Pourquoi  me  dis-tu  ça?  Et  en  quoi  veux-tu  que 
cela  me  gêne? 

6. 


66  LA  VIERGE  FOLLE 

LA    DUCHESSE 

Ça  se  gâte,  Dianette,  ça  se  gâte  ! 

DIAKE,  entre  les  dents. 
Ce  n'est  pas  ce  qui  me  privera,  allez  ! 

LA    DUCHESSE 

En  effet,  ce  n'est  pas  cela  qui  te  privera...  Je  le 
redoute,  en  effet,  mais  ce  sera  pour  toi  une  forme 
de  discipline,  et  c'est  la  discipline  qui  t'amènera 
peut-être  un  jour  au  repentir  et  aux  idées  reli- 
gieuses qui  t'ont  quittée,  hélas  !  lEUe  rassemble  ses  efforts, 
subitement.)  Et  je  vais,  tout  à  l'heure,  te  couper  les 
cheveux. 

DIANE,  qui  se  retourne,  comme  si  elle  ne  comprenait  pas. 

Tu  vas  me  couper  les  cheveux? 

LA    DUCHESSE 

Parfaitement,  courts...  jusqu'à  la  nuque!... 
Elle  fait  le  geste. 

DIAjN'E,  en  souriant. 

Voyons,  maman,  tu  plaisantes!...  (Puis  sa  figure  se 
crispe.)  Ah!  je  comprends,  c'est  pour  me  défigurer! 
Allons  donc,  je  te  connais,  jamais  tu  n'oseras!... 


ACTE  PRE51IER  CT? 

D'abord,  on  t'a  souMé  cette  idée-là.  Elle  ne  vient 
pas  de  toi...   (Elle  dévisage  sa  mère  en  haussant  les  épaules.) 

Du  reste,  je  ne  reconnais  plus  ton  langage...  tu  parles 
autrement...  tu  te  forces...  je  le  vois  bien...  tu  te 
forces... 

LA    DUCHESSE,  énergique,  sans  sourciller. 

Mais,  moi  aussi,  je  me  modifierai,  en  effet.  Et  tu 
vas  le  voir. 

DIANE,  presque  souriante,  dans  un  geste  de  défl. 

Eh  bien,  tiens...  essaye  donc.  Il  y  a  des  ciseaux 
sur  la  table.  Pourquoi  attendre?...  Va,  va... 

Elle  tend  les  ciseaux  à  sa  mère  qui,  acculée,  s'en  empare. 

LA    DUCHESSE 

Mais  parfaitement,  je  le  ferai. 

DIAN^E 

Va  !  (D'un  mouvement  net,  elle  défait  ses  cheveux  qui  s'écrou- 
lent sur  les  épaules.  Elle  s'assied  sur  une  chaise.  La  duchesse 
manie  avec  quelque  timidité  les  ciseaux,  elle  fait  un  eSjprt  consi- 
dérable sur  elle-même,  qui  n'est  pas  exempt  de  maladresse;  puis 
elle  s'avance,  prend  les  cheveux  de  Dianette.  Elle  y  met  gauche- 
ment les  ciseaux.  Dianette,  alors,  se  lève  avec  un  petit  cri  sauvage 
et  naïf  d'épouvante.  Rassemblant  tous  ses  cheveux  dans  sa  main  :  ) 

Mais,  je  ne  veux  pas,  mais  c'est  absurde!  Non, 

non,  je  ne  veux  j)as  qu'on  me  coupe  les  cheveux, 


68  LA  VIERGE  FOLLE 

non,  je  n'irai  pas  au  couvent,  je  n'irai   pas   au 
couvent  ! 

LA    DUCHESSE 

Nous  verrons. 

DIANE 

Qu'on  fasse  de  moi  tout  ce  qu'on  voudra,  mais 
je  veux  rester  à  Paris...  je  veux  res... 

Elle  a  les  yeux  pétillants  de  rage  et  des  larmes  s'écrasent 
dans  sa  voix  aiguë.  La  porte  s'ouvre.  Le  duc  se  préci- 
pite. 


SCENE  X 
Les  Mêmes,  LE  DUC 

LE    DUC 

Qu'est-ce  que  c'est?  Qu'est-ce  que  j'entends?  Tu 
te  révoltes!  Ah!  tu  n'iras  pas  au  couvent...  Ah!  tu 
te  rebelles  contre  nous...  Te  voilà  dans  toute  ta 
franchise  et  dans  toute  ta  beauté...  Eh  bien,  moi, 
je  te  jure  que  tu  iras,  entends-tu?  Et  je  te  jure  que 
tu  vas  nous  demander  pardon...  Je  sais  qui  tu  vou- 
lais revoir,  hein?  Tu  n'es  qu'une  fille  perdue,  tu 
seras  la  honte  de  notre  nom...  tu  n'es  plus  qu'une 
petite  saleté!...  A  genoux!..,  à  genoux! 
Il  la  saisit  brutalement  et  la  jette  à  terre. 


ACTE  PREMIER  69 

LA  DUCHESSE,  épouvantée,  suppliante. 

Amédée!  Je  vous  en  prie!  Je  vous  en  supplie!... 

Le  duc  se  ressaisit,  comme  effrayé  de  son  acte.  Il  se 
maîtrise.  Ses  jambes  raidies  de  sportsman  se  détendent. 
Il  retrouve  son  élégante  dignité,  le  geste  se  fait  paternel. 
Il  parle  maintenant  d'une  voix  douce  et  chagrinée. 

LE    DUC 

Oui,  VOUS  avez  raison...  du  calme...  Je  n'aurai  pas 
besoin  d'employer  la  force,  elle  retrouvera  d'elle- 
même  le  respect  qu'elle  nous  doit.  (Diane  se  relève.) 
Diane,  mon  enfant,  ma  chère  enfant,  je  fais  appel, 
non  pas  à  ta  soumission,  mais  à  ta  raison  et  à  ton 
devoir,  je  n'ai  pas  besoin  de  faire  valoir  des  droits 
paternels  dont  je  suis  décidé  à  user  jusqu'au  bout, 
c'est  de  toi-même,  de  ton  propre  mouvement  que 
tu  vas  revenir  sur  ce  premier  cri  de  révolte  que  je 
n'attendais  pas  de  toi  dans  des  circonstances  aussi 
lamentables  et  aussi  graves.  Et  c'est  maintenant, 
et  pas  plus  tard,  que  tu  vas  prendre  la  décision 
que  nous  attendons  de  toi...  En  tout  cas,  dis-nous 
d'une  façon  catégorique  ce  que  tu  décides  de  ton 
propre  mouvement.  Si  tu  ne  veux  pas  aller  au  cou- 
vent, c'est  bien...  nous  déciderons  ce  que  nous 
aurons  à  faire  dans  ce  cas;  si  tu  acceptes,  c'est, 
pour  nous,  la  porte  ouverte  à  l'espoir.  Oh!  ne  te 
presse  pas...  tu  as  le  temps...  réfléchis   quelques 


70  LA  VIERGE  FOLLE 

minutes...  Réfléchis,  nous  attendons,  ta  mère  et 
moi,  ta  réponse  avec  confiance  ! 

Diane  garde  le  silence,  puis  elle  va  devant  la  glace,  relève 
ses  cheveux,  se  recoiffe  lentement  du  geste  habituel  et 
féminin,  en  tenant  entre  ses  lèvres  ses  épingles  d'écaillé 
et  en  nouant  doucement  le  chignon  et  les  tresses;  cela 
fait,  elle  arrange  de  la  main  son  corsage  déplacé.  Elle 
ramasse  une  écharpe  d'intérieur  qui  avait  glissé  à  terre, 
daus  le  mouvement  de  tombée  de  tout  à  l'heure.  Elle 
met  l'écharpe  sur  son  bras,  puis  elle  se  dirige  vers  la 
porte.  Elle  s'arrête,  se  retourne  vers  ses  parents. 

DIANE 

J'irai  ! 

Elle  sûrt. 


RIDEAU 


ACTE    DEUXIÈME 


Cabinet  de  travail  tout  en  boiseries  anciennes.  A  droite, 
la  porte  du  petit  salon  d'attente  pour  les  visiteurs  et  les 
clients  de  .M.  Armaury.  A  gauche,  petite  porte  donnant  sur 
un  couloir.  Au  fond,  deux  grandes  fenêtres  ovales  donnant 
sur  une  cour  qui  n'est  séparée  du  quai  d'Orsay  que  par 
une  porte  cochère  ancienne  et  les  logements  du  concierge. 
De  biais,  à  droite  et  au  fond,  une  porte  qui  donne  sur  le 
vestibule  d'entrée.  .\u  lever  du  rideau,  Dianette  est  calée 
dans  l'encoignure  d'un  meuble.  Marcel  Armaury  la  presse 
et  lui  parle  à  mi-voix.  Une  femme  de  chambre  en  chapeau 
et  d'aspect  très  jeune,  discrètement  dans  le  fond,  à  genoux, 
arrange  des  valises  et  un  sac  de  vovage. 


SCÈNE  PREMIÈRE 

MARCEL  ARMAURY,  DIANE,  KETTY 

Long  silence.  Puis  peu  à  peu,  graduellement,  la  voix 
de  Marcel  s'élève. 

AR3IAURY 

Ma  chérie,  ma  chérie,  petit  amour,  ma  retrouvée, 
tu  ne  peux  savoir  après  les  angoisses  de  ces  jours-ci 
après  cette  sensation  affreuse  de  t' avoir  perdue  pour 


72  LA  VIERGE  FOLLE 

toujours,  ce  que  c'est  que  de  retoucher  ta  robe... 
tes  gants,  les  rubans  de  tes  souliers,  d'avoir  la  cer- 
titude que  tu  es  là.  J'avais  perdu  tout  espoir,  je  ne 
comptais  plus  que  sur  le  miracle.  J'étais  si  certain 
de  ne  plus  revoir  ta  figure  et  j'escomptais  déjà  des 
années  d'obscurité;  tu  étais  déjà  pour  moi  comme 
une  chose  morte.  Je  classais  déjà,  imagine-toi,  mes 
souvenirs...  tes  photographies,  dans  la  prévision  ter- 
rible de  ne  plus  me  rappeler  un  jour  ta  figure... 
Enfin,  c'était  affreux!...  Quelle  douleur!  Ouf!  Je 
ne  voudrais  plus  repasser  par  là!  Tu  ne  peux  pas 
soupçonner  les  sept  diables  de  jours  que  je  viens 
d'endurer. 

DIANE 

Et  moi,  Marcel,  et  moi!  Quand  je  te  dirai  ma  se- 
maine... 

ARxMAURY 

Oh!  donne-moi  le  coin  frais  de  ta  bouche, le  petit 
coin  où  l'air  passe. 

DIANE 

Attends...  auparavant!... 

Elle  défait  son  gant,  retrousse  un  peu  la  manche  et  lui 
donne  le  poignet  à  embrasser. 

ARMAURY 

Oui...  tu  as  raison...  bonjour  à  tes  mains...  Je 
les  oubliais,  les  pauvres  chéries  ! 

Ketty,  dans  le  fond,  range  une  valise 


ACTE  DEUXIÈME  73 

KETTY 

Mademoiselle,  nous  avons  laissé  le  corsage  de 
dentelle  que  mademoiselle  m'avait  dit  de  prendre 
et  puis  le  petit  manteau  de  voyage 

DIANE 

Ça  ne  fait  rien,  nous  nous  en  passerons. 

ARMAURY 

Nous  devons  faire  rougir  cette  malheureuse 
Ketty.!.  Mais,  tant  pis,  maintenant  !  (il  va  à  elle.) 
Gomment  avez-vous  eu  le  temps,  la  présence  d'es- 
prit même,  de  descendre  une  valise? 

DIANE 

Tu  sais  que  Ketty  est  comme  une  petite  souris 
dans  les  couloirs...  Elle  a  escamoté  ça... 

ARMAURY 

C'était  risqué...  Si  on  avait  vu  la  valise,  comment 
t'en  serais-tu  tirée?...  (A  Ketty.)  Et,  d'abord,  êtes- 
vous  certaine  de  n'avoir  pas  commis  d'imprudence? 

KETTY 

Oh!  certaine,  monsieur 

ARMAURY,  revenant  à  Diane. 

Voyons,  maintenant  que  je  suis  sûr  que  tu  es  là, 
car  ça  me  paraît  à  peu  près  sûr  cette  fois,  mettons 

7 


74  LK  VIERGE  FOLLE 

de  l'ordre  dans  toutes  ces  idées  un  peu  chavirées... 
Exactement,  où  es-tu  en  ce  moment?  où? 

DIA>E 

Comme  nous  en  étions  convenu  dans  nos  deux 
dernières  lettres,  exactement  comme  je  te  l'ai  dit 
dans  la  dernière  que  Ketty  t'a  apportée.  Je  suis  ar- 
rivée à  réaliser  tout  notre  petit  plan.  Avec  maman, 
tu  sais,  c'est  toujours  facile! 

AKMAURY 

Bref!... 

DIANE 

Bref,  je  suis  en  ce  moment  à  Reuilly,  parce  que, 
à  la  veille  de  partir  pour  le  couvent  de  Lodelinsart, 
ayant  été  touchée  par  un  repentir  auquel  tout  le 
monde  croit  à  la  maison,  j'ai  témoigné  du  désir 
d'aUer  dire  adieu  à  l'abbé  Roux.  Maman  doit  venir 
me  reprendre  à  cinq  heures  à  l'église;  mais,  comme 
c'était -préparé  entre  nous,  Ketty  s'est  amenée,  il 
y  a  une  demi-heure  chez  l'abbé,  soi-disant  parce 
qu'on  me  demandait  subitement  à  la  maison... 
Nous  avons  descendu  comme  des  folles  les  esca- 
liers... Quant  à  maman,  lorsqu'elle  arrivera  chez 
l'abbé,  nous  serons  loin...  donc  rien  à  craindre...  Tu 
peux  t'en  rapporter  à  moi...  On  est  persuadé  de 
mon  repentir;  j'ai  tout  accepté  depuis  huit  jours, 


ACTE  DEUXIÈME  75 

mon  départ  pour  le  couvent  était  minutieusement 
organisé,  trousseau,  malle,  etc..  Il  n'y  a  rien  à  re- 
douter... 

AILMAURY 

Ketty,  avancez  un  peu  ici...  Ketty,  vous  êtes  un 
ange  anglican...  Mais,  pouvez-vous  me  jurer  que 
vous  n'avez  mis  personne  au  courant  de  nos  pro- 
jets? 

KETTY 

Personne,  monsieur. 

ARMAURY 

On  peut  être  absolument  sûr  de  vous? 

KETTY 

Oui,  monsieur.  J'aime  tant  mademoiselle  et  j'ai 
confiance  en  monsieur...  Je  suivrais  mademoiselle 
au  bout  du  monde... 

ARMAURY 

On  ne  vous  en  demande  pas  tant...  Mais  le  petit 
jeune  homme  blond  qui,  à  Dinard,  vous  suivait  sur 
la  plage... 

DIANE 

Oui,  Ketty,  votre  flirt,  vous  le  quittez  de  gaieté 
de  cœur?... 


76  ;la  vierge  folle 

KETTY 

Oh!  le  chauffeur  du  marquis  de  Riom?...  Que 
mademoiselle  ne  s'en  occupe  pas.  (Un  temps.)  Elle 
peut  avoir  confiance  en  moi... 

ARMAURY 

Mais  vous  n'avez  commis  aucune...  indiscré- 
tion? Le  chauffeur  blond  ne  sait  pas  où  nous  allons? 

KETTY 

Mais  je  ne  le  sais  pas  moi-même,  monsieur. 

ARMAURY 

C'est  juste.  Vous  allez  le  savoir  dans  quelques 
instants...  Ici,  rien  à  redouter  non  plus.  Je  suis 
seul  dans  mon  cabinet  de  travail.  J'ai  renvoyé 
naturellement  mon  secrétaire  et  mon  garçon  de 
bureau...  personne  ne  peut  monter...  L'auto  est 
commandée  à  quatre  heures  précises,  et  le  chauffeur 
ne  sait  pas  du  tout,  bien  entendu,  s'il  s'agit  seule- 
ment de  dépasser  Pontoise...  Regarde,  j'ai  acheté 
comme  un  collégien,  avenue  de  l'Opéra,  cette  valise 
qui  n'est  guère  plus  grande  que  la  tienne,  mais  qui 
sera  bien  suffisante  pour  atteindre  où  nous  allons. 
Maintenant,  dernières  instructions  ;  Ketty,  tenez, 
prenez  les  deux  valises,  voulez-vous?  et  mettez-les 
tout  de  suite  dans  le  corridor,  là...  (ii  ouvre  la  porte  de 
gauche.)  Quand  je  vous  le  dirai,  vous  les  descendrez 


ACTE  DEUXIÈME  77 

par  l'escalier  de  service  qui  se  trouve  au  fond...  Vous 
voyez  la  porte,  là-bas...  Vous  les  descendrez  par 
cet  escalier  et  vous  les  mettrez  sur  l'auto  ;  vous  direz 
au  chauffeur,  de  ma  part,  d'avancer  de  quelques 
mètres  sur  le  quai  et  je  vous  rejoindrai  là... 

DIANE 

Pourquoi  cette  précaution? 

ARMAURY 

Pour  le  concierge,  afin  qu'il  ne  puisse  pas  fournir 
de  renseignements  quand  on  viendra  ensuite  l'in- 
terroger; allez,  Ketty,  demeurez  quelques  minutes 
dans  la  petite  pièce  à  droite,  là,  par  le  corridor. 
(Il  la  conduit  à  la  porte  de  la  pièce  désignée  dans  le  couloir.) 
Je  vous   appellerai...  Tenez... 

Ketty  prend  le  sac,  les  couvertures. 

DIANE 

C'est  grand,  ton  appartement? 

ARMAURY 

Tu  vois,  cette  pièce  à  droite...  A  côté,  une  cui- 
sine, près  de  l'escalier  de  service...  et  puis  une  autre 
pièce  ici,  qui  me  servait  de  salon  d'attente. 
Il  ouvre  à  gauche  la  porte  du  salon. 

DIANE 

Ta  garçonnière,  en  somme...  c'est  ici  que  tu  re- 
cevais tes  bonnes  fortunes. 

7. 


78  LA   VIERGE  FOLLE 

ARilAURY,  pressé  que  Ketty  ait  flni  son  transport. 

Ohl  non,  mon  chéri,  non...  Il  était  absolument 
nécessaire,  pour  mon  métier  d'avocat,  que  j'eusse 
un  grand  cabinet  installé  d'une  façon  centrale;  la 
santé  de  ma  femme,  à  la  suite  d'une  fausse  couche, 
avait  nécessité  que  nous  achetions  un  petit  hôtel 
à  Neuilly;  nous  avons  continué  à  respecter  cet 
état  de  choses.  J'ai  toujours  trouvé  bon,  d'ailleurs, 
que  ma  vie  privée  et  ma  vie  d'affaires  fussent  tout 
à  fait  séparées.  Ce  qui  peut  te  donner  l'apparence 
d'une  garçonnière,  c'est  cette  cour  discrète  de  vieil 
hôtel  qui  me  sépare  du  quai...  C'est  là,  dans  ce  ca- 
binet, au  milieu  de  tous  les  livres  choisis  pour  le 
recueillement,  pour  l'étude  et  la  rêvasserie,  que  j'ai 
passé  quelques  années  d'un  bonheur  triste.  (Ketty  a 
enûn  disparu  et  a  refermé  discrètement  la  porte.  Il  étreint  Diane.) 
Ma  femme!  Je  suis  si  profondément  ému!...  Et  toi, 
ton  calme  m'épouvante...  Tu  es  là,  aussi  douce,  aussi 
souriante  que  s'il  s'agissait  d'une  partie  de  plaisir, 
d'une  de  nos  anciennes  promenades... 

DIANE 

Qu'est-ce  qu'il  y  a  d'effrayant?  Je  suis  heu- 
reuse... 

Elle  lui  prend  la  main  et  l'applique  a  son  cœur  pour  lai 
en  montrer  les  battements  mesurés. 

ARMAURY 

Oui.  Il  bat  comme  à  quinze  ans.  Maintenant,  as- 


ACTE  DEUXIEME  79 

sieds-toi.  Il  faut  que  je  te  parle.  L'auto  ne  viendra 
pas  avant  quelques  minutes...  assieds-toi...  Il  est 
encore  temps  de  réfléchir.  Dianette,  dans  une 
heure,  il  sera  trop  tard.  Tu  peux  encore  ren- 
trer chez  toi...  il  est  temps...  oui,  oui,  ne  pro- 
teste pas...  Laisse-moi  te  demander  de  réfléchir, 
toi  qui  viens  si  ingénument  me  faire  le  don  entier 
de  ta  vie,  avec  cette  formidable  inconscience  de  la 
jeunesse. 

DIANE 

Aurais-tu  peur?  Me  refuses-tu? 

ARMAURY 

Ne  dis  pas  de  folies!  C'est  pour  toi  que  je  frémis, 
c'est  la  responsabilité  que  je  prends  envers  l'être 
que  j'aime  le  plus  au  monde...  As-tu  bien  pesé, 
dans  le  silence,  la  conséquence  de  ta  résolution, 
mon  enfant  ? 

DIANE 

Oui,  Marcel. 

AKMAURY 

Peut-être  pas,  Dianette,  peut-être  pas  autant 
que  tu  le  crois!...  Ce  que  tu  vas  rayer  d'un  coup, 
c'est  des  années  d'une  vie  qui  aurait  peut-être  été 
heureuse,  banalement,  jd'une  existence  honorée. 
Te  satisferas-tu  d'être  ma  maîtresse,  de  vivre  à 
Tétranger,  où  nous  serons  confinés  jusqu'à  ta  majo- 


80  LA  VIERGE  FOLLE 

rite;  et,  ta  majorité  venue,  quand  l'irréparable  sera 
accompli,  ne  jetteras-tu  pas  un  regard  de  regret  dé- 
solé sur  tout  ce  que  tu  auras  quitté?  Mon  enfant, 
mon  enfant,  comprends-moi...  Ce  n'est  pas  de  toi 
que  j'ai  peur,  ce  n'est  pas  de  toi  que  je  me  défie, 
c'est  de  moi. 

DIANE 

Comment,  de  toi? 

ARMAURY 

La  vie  que  je  t'apporterai  en  échange  pourra- 
t-elle  toujours  te  satisfaire?  Nous  serons  pendant 
longtemps  un  couple  qui  ne  vivra  que  de  lui-même; 
par  conséquent  c'est  dire  que  tu  ne  vivras  que  de 
moi.  Quelle  responsabilité  effarante,  ma  grande 
petite  fille  adorée!...  Je  t'assure,  au  lieu  de  ce 
voyage  de  Tantale,  j'ai  bien  envie,  quand  l'auto 
va  ronfler  à  la  porte,  de  te  remettre  doucement 
ton  petit  manteau  de  sleeping  sur  les  épaules,  de 
te  réépingler  ton  chapeau  sur  la  tête,  de  t'embras- 
ser  bien  gentiment,  bien  longuement,  sur  le  front, 
et  puis,  après  une  tape  sur  la  joue,  de  dire  : 
a  Adieu,  Dianette...  Faut  rentrer  chez  toi.  » 

DIANE 

C'est  fini? 

ARMAURY 

Oui  et  non. 


ACTE  DEUXIEME  81 

DIANE 

Marcel  chéri,  j'ai  réfléchi  à  tout...  et  à  bien 
d'autres  choses.  Ça  ne  se  voit  donc  pas  dans  mes 
yeux,  ça  ne  se  voit  donc  pas  dans  la  façon  dont  je 
te  prends  la  main?...  Je  viens  à  toi,  comrne  tu  dis, 
et  je  te  donne  ma  vie  entière...  Fais-en  ce  que  tu 
voudras...  Tu  parles,  je  crois  bien,  d'un  sacrifice 
de  ma  part!...  Je  ne  t'en  fais  aucun...  Du  moins, 
c'est  si  peu  de  chose,  en  comparaison  de  ce  que  tu 
sacrifies,  toi...  et,  de  ça,  tu  n'en  parles  même  pas... 
La  vie  qui  m'attendait  m'assomme  à  l'avance,  et 
il  n'y  a  pas  de  bonheur  comparable  à  celui  de  vivre 
à  tes  côtés,  avec  toi,  toujours...  Le  reste  m'est  tel- 
lement égal,  va!...  Nous  pourrions  vivre  des  années 
en  wagon,  ou  fixés  dans  des  endroits  les  plus  ba- 
roques, tout  m'est  indifférent,  si  je  suis  «  madame 
toi  ».  Je  n'ai  aucun  mérite,  c'est  par  égoïsme.  Et 
puis,  tu  ne  vas  pas  me  forcer  à  te  faire  des  déclara- 
tions d'amour  sur  une  malle!...  plutôt  entre  deux 
valises,  car  en  fait  de  malles!...  (Elle  lève  un  index  grave 
sur  le  visage  de  Marcel.)  Pauvre  petit  Marcel!...  Tu  n'as 
pas  besoin  de  me  faire  ces  yeux  ronds...  En  fait 
de  sacrifices,  il  n'y  a  que  les  tiens...  ils  sont  grands... 
C'est  toi  qui  fais  le  mauvais  marché... 

ARMAURY,  lui  mettant  la  main  devant  la  bouche. 
Chut!  Dianette!...  Tu  sais  ce  que  je  t'ai  dit  à 


82  LA  VIERGE  FOLLE 

ce  sujet  :  c'est  une  muraille  pour  toi...  Il  ne  faut 
pas  regarder  par-dessus...  Défense  d'en  parler,  de 
m'interroger...  Je  désire  même  que  tu  prononces 
le  moins  possible  le  nom  de  mafemme...  Comprends- 
moi,  approuve-moi  de  temps  en  temps  d'un  regard, 
d'un  sourire,  quand  tu  verras  que  j'ai  de  la  peine... 
c'est  tout  ce  que  je  te  demande...  Je  sais  ce  que  je 
fais...  Je  sais  jusqu'où  je  peux  aller...  Dans  ces  huit 
jours,  ma  femme  et  moi  nous  aurons  échangé  tou- 
tes les  paroles,  et  Dieu  sait  s'il  y  en  a!  Je  pars;  c'est 
que  je  sais  qu'elle  est  capable  de  recevoir  le  coup... 
en  tout  cas,  tout  cela,  c'est  le...  reste...  et  le  reste, 
-c'est  le  silence...  Je  te  le  dis  encore  une  fois,  mon 
enfant  adorée,  je  n'éprouverais  aucune  blessure 
d'amour-propre,  je  te  l'affirme,  si  tu  me  disais 
maintenant  le  contraire  de  ce  que  tu  m'as  écrit  hier 
encore,  dans  tout  ton  désespoir...  si  tu  me  disais... 
«  Je  crois,  Marcel,  que  je  ne  pourrai  supporter  ces 
deux  ou  trois  ans  de  couvent...  »  (Mouvemeat  de  Diane.) 
C'est  que,  vois-tu,  ma  chérie,  je  t'aime  tant!...  Je 
n'ai  pas  de  plus  grande  ambition  que  ton  bonheur... 
il  serait  horrible,  maintenant,  de  gâcher  définiti- 
vement l'avenir  auquel  une  merveille  comme  toi 
peut  encore  prétendre. 

DIANE,  avec  véhémence,  se  jetant  dans  ses  bras. 

Vivre  deux  ans,  peut-être  trois,  sans  toi,  sépa- 
rée de  toi,  dans  un  couvent...  non,  ça,  jamais!...  Je 


ACTE  DEUXIEME  83 

ne  m'en  sentirais  pas  la  force...  Je  préférerais  me 
tuer... 

ARMAURY 

Ne  dis  donc  pas  de  folies  ! 

DIANE 

Mais  tu  n'imagines  pas  ce  qu'elles  seraient  ces 
années-là!...  Songe  donc  que  je  suis  (Elle  baisse  la  voix.) 
une  femme!  une  femme!...  et  que  c'est  toi  qui  m'as 
rendue  femme.  Puis,  séparés  pendant  trois  ans  en 
tout  cas  et  de  toutes  façons,  qu'est-ce  que  tu  de- 
viendrais, toi?  car,  enfin,  il  n'y  a  pas  que  moi...  tu 
m'oublierais...  tu  me  tromperais...  mais  si...  si...  tu 
m'oublierais,  et  me  vois-tu  revenant  après  mes  vingt 
et  un  ans...  je  ne  pourrais  plus  jeter  mes  bras  à  ton 
cou...  tu  serais  peut-être  avec  une  autre  femme. 

ARMAURY,  riant. 

Ma  pauvre  chérie,  si  c'est  ça  qui  te  préoccupe 
et  te  fait  peur! 

DIANE 

Il  n'y  a  pas  que  ça,  mais  c'est  une  de  mes  préoc- 
cupations, bien  sûr.  (Elle  lui  applique' la  main  sur  la  bouche 
à  son  tour.)  Tu  radotes...  il  faut  en  prendre  ton 
parti...  nous  allons  être  ensemble  pour  la  vie! 

ARMAURY,  se  dégageant. 

Pour  la  vie!...  Mais,  mon  petit,  évalues-tu  ce 


84  LA  VIERGE  FOLLE 

chiffre-là?...  Tu  as  dix-huit  ans...  dix-huit  ans... 
c'est  effrayant!...  Certes,  je  ne  suis  pas  un  homme 
vieux,  mais  je  suis  sur  le  second  penchant...  je 
vais  descendre  la  côte.  Un  jour  viendra  où  je  te 
ferai  signe  d'en  bas  et  tu  seras  encore  dans  ton 
éclat...  Alors,  si  tu  ne  me  regardes  pas  avec  mé- 
pris, peut-être  me  regarderas-tu  avec  un  immense 
regret.  C'est  vertigineux  d'envisager  comme  nous 
le  faisons  en  cette  minute  toute  notre  vie,  d'un 
coup  d'œil!...  Que  sera-t-elle?  Et  tu  es  là,  à  m'ap- 
porter  ce  miracle  avec  tes  deux  petites  mains  of- 
fertes et  ton  sourire  tranquille...  Dianette,  j'ai 
bien  des  remords,  mais  j'ai  celui  d'avoir  quarante 
ans  passés.  N'as-tu  pas  peur? 

Elle  lui  prend  la  tête  et  l'appuie  doucement  contre  sa 
joue. 

DIANE 

Enfant! 

ARMAURY,  radieux. 

Ah!  pour  un  mot  comme  celui-là  quelle  folie  ne 
ferait-on  pas!  Il  n'y  a  que  toi,  Dianette!  Alors,  pa- 
roles vaines?...  c'est  décidé?...  Rien  à  faire?  lâchez 
tout...  on  part? 

DIANE 

On  part. 

ARMAURY 

Dans  ce  cas,  Ketty  est  bien  gentille,  mais  nous 


ACTE  DEUXIÈME  85 

n  allons  pas  nous  priver  de  la  joie  de  notre  premier 
voyage  en  auto.  Je  vais  lui  faire  prendre  le  train  et 
nous  la  rejoindrons  à  une  station  avant  l'arrivée 
à  Dieppe.  Ça  va-t-il? 

DIANE 

C'est  mon  avis. 

ARMAURY 

Je  ne  l'expédie  pas  à  Dieppe  directement,  car  il 
est  absolument  inutile  qu'elle  sache  que  nous  pre- 
nons le  bateau  pour  Southampton,  et  que  c'est  à 
Londres  que  nous  allons  élire  domicile 

DIANE 

Elle  doit  en  avoir  vaguement  l'idée.  Je  l'appelle. 

RMAURY 

Tu  l'appelles  ! 

Elle  va  à  la  porte. 

DIANE 

Ketty,  venez. 

•    Entre  Ketty. 

ARMAURY 

C'est  changé.  Voici,  vous  allez  partir  seule,  vous 
allez  prendre  une  voiture  sur  le  quai  Voltaire,  vous 
vous  ferez  conduire  à  la  gare  Saint-Lazare  et  vous 
prendrez  l'express  de  quatre  heures  pour  Neuf- 
châtel-en-Bray.  C'est  compris? 

8 


«6  LA  VIERGE  FOLLE 

KETTY 

Oui,  monsieur...  Neufchâtel-en-Bray. 

AR5IAURY 

Voici  pour  le  voyage. 

Il  prend  de  l'argent  et  le  lui  donne. 

DIANE 

Vous  attendrez  à  la  gare  que  vous  indique  mon- 
sieur. Nous  passerons  vous  prendre  en  auto.  Voilà, 
Ketty...  Laissez  les  valises,  nous  les  chargerons 
nous-mêmes.  Adieu,  Ketty...  Dépêchez-vous,  vous 
n'avez  que  le  temps. 

KETTY 

Allons,  au  revoir,  mademoiselle.  Mademoiselle 
n'a  plus  rien  à  me  dire 

DIANE 

Plus  rien. 

KETTY 

J'attendrai  jusqu'à  n'importe  quelle  heure? 

DIANE 

Jusqu'à  n'importe  quelle  heure.  Nous  n'avons 
plus  à  craindre  qu'une  panne.  Alors,  au  revoir, 
ma  petite  Ketty. 


ACTE  DEUXIÈME  87 

KETTY 

Que  mademoiselle  fasse  un  bon  voyage  ! 

Elle  sort.  Ils  s'étreignent  comme  des  enfants  délivrés  de 
tout  remords. 

ARMAURY 

Dianette,  Dianette!...  Elle  a  raison,  c'est  notre 
voyage  de  noces  ! 

DIANE 

Libres!  nous  allons  être]  libres!  notre  premier 
voyage  ! 

ARMAURY 

Oui,  libres!  te  garder  toute  la  journée...  les  bras 
autour  de  ton  cou  pour  te  caresser  les  frisettes. 
Ah!  la  bonne  fm  de  journée  que  nous  allons  avoir... 
Nous  filerons  sur  les  routes  à  cent  à  l'heure!... 

DIANE 

Et  notre  nuit  à  l'hôtel  Savoy,  demain!  On  va 
au  Savoy?  Marcel,  Marcel,  que  je  suis  contente,  que 
je  suis  heureuse!...  Oh!  comme  l'auto  est  longue  à 
venir!  Je  voudrais  être  partie!...  Mais,  Marcel,  il 
faut  que  je  te  pose  encore  une  petite  question, 
moi...  Ta  situation  à  Paris,  ta  carrière,  ton  avenir? 

ARMAURY 

Pauvre  petit  bichon,  ne  t'occupe  pas  de  cela  non 
plus.  D'abord,  ma  carrière  de  grand  avocat...  avec 


88  LA  VIERGE  FOLLE 

quatre  /-,  ne  sera  pas  brisée  pour  si  peu.  Ce  n'est 
pas  pour  deux  ans  et  quelques  mois  de  nourrice 
passés  à  Londres  qu'on  m'aura  oublié  au  Palais 
et  dans  les  affaires.  Je  sais  bien  que  le  Conseil  de 
l'ordre  se  réunira...  mais  j'en  faisais  partie;  alors!... 
Puis  les  avocats  à  Londres  me  recevront  très  bien, 
ma  réputation  me  créera,  là-bas,  si  je  veux,  une  si- 
tuation d'affaires  très  convenable.  Tout  de  même 
il  faut  bien  avouer  que,  dès  après-demain,  dans 
Paris,  ah!  ça  va  être,  comme  on  dit  dans  tous  les 
styles,  ça  va  être  «  un  rude  pétard  ».  Quand  on  va 
apprendre  ma  fuite  avec  une  petite  fille  du  monde, 
de  dix-huit  ans  ! 

DIANE 

On  le  tiendra  peut-être  caché? 

ARMAURY 

Les  fuites  de  Varennes  ne  sont  jamais  cachées. 
Nous  allons  laisser  quelque  sillage  de  bruit  der- 
rière nous. 

DIANE 

Bah!  ce  n'en  est  que  plus  amusant. 

ARMAURY 

Tu  es  féroce  de  gaieté  !  Mais,  il  n'y  a  pas  à  s'il- 
lusionner :  je  suis  sous  le  coup  d'un  référé. 


ACTE  DEUXIEME  89 

DIANE 

A  l'étranger,  ça  existe  encore,  les  référés? 

.UIMAURY 

Certes;  mais,  comme  c'est  beaucoup  plus  compli- 
qué, c'est  beaucoup  plus  simple!...  Nous  vivrons 
tranquilles  et  merveilleusement  à  Londres  ou  ail- 
leurs. 

DIA^'E 

On  voyagera,  dis?  Beaucoup? 

ARMAURYj  souriant. 

Oui,  la  nature,  c'est  vrai,  tu  as  encore  ça  à  dé- 
couvrir, toi! 

DIANE 

Et  toi  donc! 

AR^HAURY 

Moi,  j'en  reviens...  La  nature,  c'est  toi,  petite.  Tu 
vaux  mieux  que  tous  les  plus  beaux  paysages  du 
monde...  Autrefois,  j'aimais  les  voyages,  la  nature, 
les  plaines,  les  bois...  A  ton  âge,  on  en  est  fou...  En- 
suite, je  me  suis  donné  aux  idées,  aux  grandes  idées, 
pour  lesquelles  on  vit  et  on  meurt...  Maintenant 
que  j'ai  passé  cette  réalité,  les  plaines,  les  bois 
et  toutes  les  routes  humaines,  j'atteins  l'âge  où  la 
réalité  commence  à  se  déplacer...  A  quarante  ans 


90  LA  VIERGE  FOLLE 

mais  oui...  je  commence  à  regarder,  le  soir,  les 
étoiles  avec  inquiétude,  (il  contemple  cette  enfant,  presque 
à  genoux  devant  lui,  et  son  œil  est  chargé  d'une  grande  angoisse 
amoureuse.)  J'ai  mis  dans  ma  Avalise  un  livre  pour 
le  voyage,  (il  sourit.)  pour  lire  le  soir  quand  tu  dor- 
miras, si  je  t'en  laisse  le  temps...  et  où  tout  cela  est 

très  bien  dit.  (il  lui  a  pris  autoritairement  le  meuton  et  il  la 
regarde.) 

La  terre  est  le  tapis  de  tes  beaux  pieds  d^ enfant. 
Éça,  f  aimerai  tout  dans  les  choses  créées. 
Je  les  contemplerai  dans  ton  regard  réoeur... 

DIANE,  enfantinement  extasiée. 
C'est  joli,  ça...  m'amour. 

ARMAURY,  fronçant  le  sourcil. 

M'amour?...  qu'est-ce  que  c'est  que  ce  mot-là? 
Je  ne  te  l'ai  jamais  dit.  Qui  te  l'a  enseigné? 

DIANE 

Personne.  II  me  vient  tout  seul  à  la  bouche.  Les 
mots  d'amour...  ça  doit  venir  sans  s'apprendre... 
Oh!  puis,  ce  n'est  encore  rien.  Je  t'en  servirai  bien 
d'autres  dans  l'auto!... 

Mi-confuse,  mi-riante,  elle  s'écrase  contre  sa  poitrine. 
ARMAURY 

Folle,  cynique!  Crois-tu  qu'il  soit  possible  de 
s'aimer  plus  que  nous  nous  aimons?  Est-ce  que 


ACTE  DEUXIEME  91 

nous  n'avons  pas  tout  l'amour  du  monde  dans  le 
cœur? 

DIANE 

Je  ne  sais  pas  comment  sont  les  amours  des 
autres;  mais  tu  peux  être  sûr  qu'il  ne  doit  pas  y 
avoir  quarante-six  Marcel  comme  toi  à  tout  bout 
de  champ  ! 

ARMAURY 

Et  des  quarante-six  Dianette? 

DIANE 

Crois-tu  qu'on  a  failli  l'abîmer,  ta  Dianette?  On 
voulait  lui  couper  les  cheveux...  oui,  pour  m' en- 
laidir. 

ARMAURY 

Par  exemple  ! 

DIANE 

Parfaitement...  En  voilà  bien  une  idée  de  cou- 
vent, pas?...  Ah!  quand  j'ai  senti  les  ciseaux  qui 
se  mettaient  dedans...  j'aurais  fait  sauter  la  mai- 
son! Crois-tu,  si  tu  m'avais  revue  avec  les  cheveux 
ras! 

ARMAURY 

Bah!  tu  aurais  toujours  été  aussi  pai^fâite...  Des 
statues  divines  comme  toi  ne  peuvent  jamais  être 
mutilées...  Regarde  la  Vénus  de  Milo,  il  lui  manque 


92  LA  VIERGE  FOLLE 

bien  plus  que  des  cheveux...  Et  encore  toute  statue 
est  d'un  travail  si  enfantin,  à  côté  de  toi!  Je  me 
demande  comment  il  peut  y  avoir  des  choses  aussi 
parfaites,  aussi  subtiles  que  le  dessin  de  tes  ongles, 
aussi  attendrissantes  que  les  ailes  de  ton  petit  nez 
palpitant,  que  la  courbe  de  tes  jambes  qui  ont 
l'air  de  se  caresser  toutes  les  deux  sous  la  robe...  et 
quand  tu  dors,  le  mouvement  de  ta  gorge,  posée  sur 
ton  sommeil  !...  (Diane,  assise,  le  torse  droit,  écoute  ces  pa- 
roles avec  un  léger  mouvement  oppressé  de  la  gorge.  Lui,  la 
voii  rauque,    basse,    lui    parle    en    lui    tenant   les    poignets.) 

Dianette,  je  suis  fou  de  toi,  Dianette  !  Oh  !  je 
ne  suis  pas  un  voluptueux,  ne  le  crois  pas...  Le. 
fait  d'avoir  osé  te  prendre  toute  est,  aux  yeux 
des  autres,  une  infamie  ;  aux  tiens,  c'est  la  preuve 
même  de  la  franchise  et  de  l'honnêteté  de  mon 
désir...  de  ma  passion  totale...  Car  tu  es  ma  rai- 
son d'être...  Ma  raison  d'être?  Tu  ne  connais  pas 
ça,  toi?...  tu  n'en  as  pas  besoin  encore,  tandis 
que  moi,  sous  ces  apparences  de  parfait  mondain, 
d'avocat  parisien...  ah!  si  tu  savais  quel  homme 
je  suis...  quel  homme  j'étais...  plein  d'amertume  et 
de  déceptions.  Et  tu  es  venue...  tu  es  venue  avec 
ton  soleil,  avec  ta  voix  d'enfant,  et  tu  m'as  ap- 
porté la  vérité,  la  vie.  Petite,  tu  ne  sauras  jamais 
ce  que  tu  représentes  pour  moi.  Mais,  sois  assurée 
d'une  chose,  c'est  que  je  vais  tâcher  de  te  conserver 
avec  une  passion  effrayante,  effrayante...  de  te 


ACTE   DEUXIÈME  93 

mériter...  Je  vais  tâcher  de  te  servir  de  marchepied. 
J'aurai  vite  fait  d'écarter  tout  danger  devant  toi... 
Tu  ne  sentiras  pas,  ma  chère  petite  femme-enfant, 
tout  ce  qui  se  tramera  de  mauvais  autour  de  nous... 
Je  serai  toujours  là,  devant  toi  et,  tandis  que  ces 
gens  vont  crier  :  «  La  malheureuse!  »  je  veux  que 
tu  me  donnes,  dans  un  baiser,  le  démenti  définitif... 
Tu  verras,  tu  verras!...  Écoute...  l'auto!...  l'auto 
qui  doit  nous  prendre  ! 

Enfin  ! 

Ils  se  lèvent  d'un  bond. 

ARMAURY,  allant  à  la  fenêtre. 

Voilà,  elle  s'arrête  devant  la  porte...  l'auto  de  la 
liberté!  Viens  voir...  la  porte  cochère  s'ouvre... 
Tiens,  non,  pas  encore...  c'est  un  taxi...  (il  pousse  un 
cri  d'angoisse.)  Ah!  Dianette,  regarde. ..non, ne  regarde 
pas...  éloigne-toi... 

DIANE 

Qu'est-ce  qu'il  y  a!  (Elle  s'est  approchée  cependant  der- 
rière le  rideau.)  Pourquoi  vient-elle? 

AKMAURY 

Je  n'en  sais  rien,  ne  t'effraye  pas. 

DIANE 

Est-ce  qu'elle  vient  quelquefois  dans  la  journée?... 


94  LA  VIERGE  FOLLE 


ARMAURY 


Oui,  quelquefois,  mais  elle  n'avait  aucune  raison 
particulière  de  venir  aujourd'hui. 

DIANE 

Marcel,  Marcel,  que  se  passe-t-il? 

ARMAURY 

Mais,  rien,  ma  chérie.  Gomment  veux-tu  qu'elle 
soupçonne  ce  rendez-vous  invraisemblable?...  Non, 
non,  il  n'y  a  là  qu'un  contre-temps,  mon  enfant... 
Ne  fais  pas  ces  yeux  d'angoisse!...  Rien  à  craindre. 

DIANE 

Mais  tu  ne  vas  pas  lui  ouvrir!... 

ARMAURY 

Si,  je  vais  lui  ouvrir.  Il  est  fort  probable  qu'elle 
m'a  aperçu  à  la  fenêtre,  elle  demanderait  la  clef  au 
concierge...  elle  monterait...  Non,  non,  c'est  impos- 
sible... Je  vais  la  renvoyer  après  t' avoir  mise  dans 
la  pièce  du  fond,  là,  dans  le  corridor... 

DIANE 

Marcel,  il  ne  faut  pas  qu'elle  nous  retarde!  Mar- 
cel, renvoie-la  tout  de  suite...  écoute...  j'en  ai  des 
sueurs  froides. 


ACTE  DEUXIEME  95 

aRMAURY,  essayant  de  sourire  pour  la  rassurer. 

Mais  s'il  y  avait  le  moindre  danger,  je  te  le  dirais  ; 
je  t'en  conjure,  ma  chérie,  va  très  tranquillement 
m'attendi 

DIANE,  qui  s'accroclie  à  sa  manclie. 

Marcel,  et  si  elle  te  reprenait,  si  elle  te  repre- 
nait?.. 

ARMAURY 

Quelle  folie  î 

DIANE 

Si  elle  t'empêchait  de  partir?...  Jure-moi,  jure- 
moi,  Marcel,  quoi  qu'il  arrive,  quoi  qu'elle  fasse, 
que  nous  allons  fuir  tout  à  l'heure  ensemble...  Je 
ne  veux  pas  rentrer  à  la  maison,  je  veux  partir 
avec  toi  pour  la  vie  et,  si  nous  ne  partons  pas  à 
cette  minute  même,  nous  ne  le  pourrons  plus! 
Coup  de  sonnette. 

ARMAURY 

Calme-toi,  calme-toi  !  On  sonne  à  la  porte. 

DIANE 

Jure-le-moi  !  J'en  mourrais...  Tu  passeras  sur 
tous  les  obstacles? 

ARMAURY 

Mais  il  n'y  en  aura  pas,  petite  Dianette... 

Il  l'entraîne  vers  le  corridor,  leurs  voix  se  mêlent. 


96  LA  VIERGE  FOLLE 

DIANE 

Jure-moi  que  rien  ne  t'empêchera  de  m'empor- 
ter. 

On  sonne  à  nouveau. 

AmiAURY 

Je  te  le  jure,  sur  notre  amour...  sur  ma  vie!... 

Il  l'a  presque  traînée  dans  le  couloir  ;  la  scène  reste  vide 
quelques  instants.  On  entend  qu'il  la  met  en  ûreté  dans 
la  pièce  où  Ketty,  tout  à  l'heure,  s'est  retirée.  Puis  il 
revient  presque  en  courant  et  va  au  vestibule  d'entrée- 

On  entend  des  voix. 

VOIX    DE    FANNY 

Tiens!  c'est  toi-même  qui  viens  ouvrir!...  Tu 
n'as  donc  pas  ton  garçon  de  bureau? 

VOIX  d'armaury 
Non,  je  l'ai  envoyé  en  course. 
Ils  entrent. 


SCÈNE  II 
ARMAURY,  FANNY 

FANNY,  cherchant  dans  son  porte-monnaie. 

Veux-tu  descendre  payer  mon  taxi  ?~  Je  n'aipas 
assez  de  monnaie. 


ACTE  DEUXIEME  97 

ARMAURY 

Bon!  Je  vais  sonner  le  concierge. 

Il  va  à  la  sonnerie  du  bureau. 

FANNY,  s'interposant. 

Tu  es  fou  !  Pour  six  marches  à  descendre  tu  ne  vas 
pas  déranger  le  concierge...  C'est  cent  sous  qu'il  y  a 
à  donner...  Et  puis,  je  veux  que  tu  prennes  dans  la 
voiture  un  gant  gris  que  j'ai  laissé  tomber...  Je  ne 
vais  pas  te  déranger  longtemps,  d'ailleurs...  Je 
vais  au  Bon  Marché.  (Elle  ouvre  la  fenêtre  et  parle  dans 
la  cour.)  Chauffeur,  on  descend  vous  régler.  (Se  retour- 
nant vers  Marcel  qui  hésite  à  descendre.)  Va  donc!    Je  vais 

expliquer  au  chaufïeur  pendant  ce  temps...  pour 
le  gant.  (Elle  parle  à  la  fenêtre.)  Voulez-vous  chercher 
dans  la  voiture,  un  gant  gr... 

Marcel  s'est  décidé  à  sortir  précipitamment.  Elle  se  re- 
tourne dès  qu'il  est  sorti,  quitte  la  fenêtre,  va  à  la  porte 
de  droite,  l'ouvre  comme  si  elle  cherchait  quelqu'un,  puis 
la  referme,  ne  voyant  personne.  Elle  court  ensuite  au 
corridor  et  s'y  engouffre.  Par  la  porte  demeurée  ouverte 
on  entend  un  bruit  confus  de  porte  refermée,  une  vague 
exclamation,  un  bruit  de  serrure.  Fanny  rentre  en  scène 
juste  au  moment  oii  son  mari  arrive. 

ARMAURY,  soupçonneux. 

Où  allais-tu,  par  là? 

FAHNY 

Nulle  part...  Je  n'ai  pasbougé,  chéri.. .Pourquoi?... 


98  LA  VIERGE  FOLLE 

ARMAURY 

Rien...  Tu  viens  me  voir  spécialement? 

FANNY 

Oui.  Je  viens  te  voir... 

ARMAURY 

Qu'est-ce  que  tu  as  à  me  dire?... 

FANNY 

Marcel,  tu  as  vu  aujourd'hui  la  petite  de  Gha- 
rance. 

ARMAURY 

I 

Ce  n'est  pas  vrai. 

FANNY 

Pourquoi  mens-tu?  Je  sais  que  tu  l'as  vue. 

Silence. 

ARMAURY 

Eh  bien,  admettons.  Il  se  peut  qu'avant  de  par- 
tir au  couvent  cette  enfant  ait  éprouvé  le  besoin  de 
me  dire  un  adieu  définitif.  Suppose  qu'elle  soit  ve- 
nue avec  une  femme  de  chambre... 

FANN 

Il  y  a  longtemps  qu'elle  est  repartie? 

ARMAURY 

Quelques  instants. 


ACTE  DEUXIEME  9i) 

FANNY,  montrant  la  porte. 

Tu  mens.  Elle  est  là. 

ARMAURY 

Jamais  de  la  vie. 

FAN>Y 

Marcel,  elle  est  là. 

ARMAURY 

Si  tu  épies...  tu  dois  être  aussi  bien  renseignée 
que  moi. 

FA^'NY 

Je  n'ai  pas  à  épier.  Tu  vas  comprendre  pourquoi 
je  suis  ici.  Tu  m'avais  juré  que  tout  était  fini,  que 
tu  ne  la  reverrais  plus.  Je  te  croyais.  Ce  matin,  j'ai 
reçu  une  lettre  anonyme...  Vous  devez  être  vendus, 
vous  devez  être  trahis,  sans  doute...  Une  écriture 
de  domestique.  (Elle  tire  la  lettre  de  sa  poche.)  ((.Madame^ 
Si  cous  voulez  voir  partir  votre  mari  pour  l'étranger 
avec  une  demoiselle^  trouvez-vous  aujourd'hui^  sur 
les  quatre  heures,  à  son  bureau  ». 

ARMAURY,  éclatant  de  rire. 

C'est  idiot. 

FANNY 

Marcel,  tu  allais  partir. 


100  LA  VIERGE  FOLLE 

ARMAURY,  haussant  les  épaules. 

Je  ne  répondrai  même  pas.  Nous  sommes  dans 
l'absurde. 

Elle  va  à  la  porte  du  couloir,  l'ouvre,  et  désigne  du  doigt. 

FA>"ISY 

Alors,  qu'est-ce  que  ces  deux  valises  dans  le  cou- 
loir? Je  ne  les  reconnais  pas. 

ARMAURY 

Il  n'y  a  aucune  raison  pour  que  tu  les  connaisses. 
Ce  sont  des  valises  qui  lui  appartiennent.  Elle  va 
les  reprendre...  si  tu  me  laisses  deux  minutes  pour 
que  je  la  fasse  sortir  d'ici,  sans  esclandre,  sans  même 
qu'elle  soupçonne  ta  présence.  Je  crois  que  c'est  ce 
qu'il  y  a  de  mieux,  de  plus  correct. 

Il  se  prépare  à  ouvrir  la  porte  du  couloir. 

FAN>Y 

Pas  si  bête,  mon  petit!  (il  se  retourne.)  Je  l'ai  en-" 
fermée.  Voici  la  clef. 

Elle  montre  la  clef  qu'elle  dissimulait  dans  une  main. 

ARMAURY 

Tu  l'as  enfermée? 

FA>'NY 

Oui.  Nous  nous  sommes  vues.  Je  viens  d'entr'ou- 


ACTE  DEUXIÈME  101 

vrir  la  porte.  Ça  m'a  suffi.  Elle  était  là,  droite,  der- 
rière un  rideau.  J'ai  donné  les  deux  tours  de  clef... 

ARJVIAURY 

Rends-la-moi... 

FANNY 

Allons  donc  !  Tu  n'y  penses  pas.  Je  te  la  rendrai 
quand  je  voudrai,  comme  je  voudrai.  Comment! 
j'aurais  l'occasion  de  parler  pour  la  première  fois 
à  cette  petite  et  je  la  laisserais  passer!  N'y  compte 
pas!  Il  ne  te  reste  plus  que  deux  moyens...  ou  m' ar- 
racher de  force  cette  clef,  ou  faire  sauter  la  serrure. 
Si  tu  veux  avoir  recours  à  ces  moyens...  (Elle  a  reculé 
jusqu'à  la  table  de  travail.  Elle  attend,  craintive.  Leurs  yeux  se 
fixent  avec  une  expression  mauvaise.  Il  hausse  brusquement  les 
épaules  et  se  met  à  arpenter  la  pièce.)  Marcel,  tu  allais 
partir  avec  elle!  La  lettre  disait  vrai. 

ARMAURY 

Ce  n'est  pas  exact  le  moins  du  monde. 

FANNY 

Il  ne  faut  pas  que  tu  partes!...  Il  ne  faut  pas  que 
tu  partes...  Ce  serait  une  chose  trop  épouvantable. 
Ah!  mon  Dieu...  moi  qui  croyais  avoir  passé  par  la 
plus  affreuse  révélation,  tu  m'en  réservais  une  plus 
effroyable  encore.  L'idée  ne  m'était  même  pas  venue 
que  ce  fût  possible  et,  sans  cette  lettre,  je  serais 

9 


102  LA  VIERGE  FOLLE 

encore  chez  moi  à  me  torturer  du  passé,  tandis  que 
toi  tu  serais  M-bas...  dans  un  train...  avec  elle... 
parti!... 

AIOIAURY 

Mais  non,  encore  une  fois,  ta  déduction  est 
fausse...  Tu  te  fies  à  une  lettre  de  domestique...  car 
elle  sent  l'office  à  plein  nez,  cette  lettre-là. 

FANNY 

Marcel,  il  n'est  pas  croyable  que  tu  aies  mis  de 
Tordre  dans  ton  cerveau...  Tu  agis  dans  un  coup 
de  folie...  un  coup  de  folie,  comme  les  hommes  en 
éprouvent...  Tu  n'as  pas  pensé  au  résultat,  à  tout 
ce  que  Paris  va  dire  demain,  à  tout  ce  qui  te 
menace...  C'est  l'effondrement  pur  et  simple  de  ta 
situation,  de  ton  honorabilité...  Tu  n'as  plus  de 
parents,  c'est  entendu,  mais,  moi,  j'ai  les  miens. 
Tu  es  responsable  vis-à-vis  d'eux...  tu  n'as  pas  le 
droit  de  me  faire  cela...  Ah!  si  la  vie  nous  avait 
donné  des  enfants,  tu  ne  partirais  pas...  Je  suis 
seule,  tu  fais  bon  marché  de  moi...  Oh!  mais,  crois- 
le  bien,  je  ne  m'avoue  pas  vaincue  tout  de  même... 
non,  non,  non,  Marcel,  tu  ne  partiras  pas...  Et 
c'est  moi  qui  t'en  empêcherai!... 

ARMAURY 

As-tu  terminé?,..  Je  laisse  passer  ce  flux  de  pa- 


ACTE  DEUXIEME  103 

rôles  sans  essayer  de  me  défendre...  Encore  une 
fois,  je  t'affirme  que  tu  te  trompes...  tu  fais  fausse 
route. 

Non,  je  ne  me  trompe  pas.  On  peut  se  tromper 
sur  des  témoignages  tels  qu'une  lettre  anonyme... 
un  bagage  dans  un  couloir...  la  présence  même  de 
cette  fille  dans  ton  chez  toi,  tout  cela  n'est  que  de 
l'évidence!  Mais  ce  qui  ne  trompe  pas,  c'est  ta 
gêne,  ta  honte,  ta  façon  de  ne  pas  me  regarder,  ton 
envie  d'être  loin,  ta  rage  d'être  bêtement  pincé... 
(La  Yoii  s'étrangle.)  Je  t'en  supplie,  je  t'en  supplie,  ne 
pars  pas...  On  te  pousse,  on  t'égare.  Sois  égoïste... 
Accroche-toi  à  la  pensée  de  ton  seul  intérêt... 

AIUVIAURY 

Laisse  donc  mon  intérêt  de  côté,  je  t'en  prie!... 
Depuis  cinq  minutes  bientôt,  tu  ne  parles  que  d'in- 
térêt et  complètement  hors  de  propos...  Est-ce 
une  scène  de  ménage  que  tu  me  fais?...  Tu  serais  en 
droit  de  me  la  faire,  et  pourtant  voilà  que  je  n'en- 
tends que  des  mots  d'intérêt!...  Enfin,  est-ce  ta 
raison  ou  ton  amour  qui  parle? 

FANNY 

Ah!  ne  pose  pas  une  question  pareille...  ne  pose 
pas  une  question  pareille!...  L'être  bouleversé  qui 


104  LA  VIERGE  FOLLE 

te  crie  :  x  Reste!  »  ne  peut  pas  savoir  lui-même  où  il 
prend  ce  cri,  si  c'est  dans  sa  raison  ou  dans  son 
amour  brisé...  Il  n'y  en  a  qu'un  qui  ne  de%Tait 
pas  s'y  tromper  :  c'est  celui  qui  l'entend,  et  si  tu 
ne  le  sais  pas,  malheureux,  comment  veux-tu  que 
je  le  sache  moi-même!...  Mais  ce  que  je  sais  bien, 
par  exemple,  c'est  que  j'ai  assez  de  courage  pour 
pouvoir,  même  dans  un  pareil  moment,  m'élever 
au-dessus  de  mon  propre  désastre  et  ne  penser 
qu'au  tien...  Ne  pars  pas,  Marcel..  Ne  vois  là  ni  une 
prière  ni  une  menace...  (Changement  brusque  d'idée.) 
D'ailleurs,  il  va  suffire  que  je  lui  parle,  à  cette  pe- 
tite, et  elle  comprendra  très  bien  d'elle-même...  Je 
suis  sûre  qu'on  ne  lui  a  jamais  parlé  sensément... 
Tu  vas  voir... 

ARMAURY,  épouvanté. 

Fanny,  je  t'en  supplie...  Réglons  ces  questions  à 
nous  deux. 

Elle  se  dirige  vers  la  porte,  Armaury  marche  à  reculons, 
comme  pour  lui  barrer  le  passage. 

FA>'>Y 

Laisse-moi  faire...  tu  verras...  On  se  fait  des 
mondes  des  choses  les  plus  simples...  il  suffit  que... 
(En  se  dirigeant  vers  la  porte,  elle  passe  près  de  la  fenêtre  dans 
l'angle  de  laquelle  Marcel  la  maintient  presque.  Elle  a  une  excla- 
mation soudaine.)  Marcel,  Marcel,  vous  êtes  dénoncés 
de    toutes  parts!...   Quelqu'un  vous  a  trahis!... 


ACTE  DEUXIÈME  105 

Vite,  regarde  qui  vient  là...  regarde  qui  traverse 
la  cour...  Le  frère! 

ARMAURY,  après  avoir  jeté  un  coup  d'œil  derrière  les  "rideaux. 

Pour  l'amour  de  Dieu,  donne-moi  vite  cette  clef, 
que  je  la  délivre,  que  je  la  fasse  partir  par  l'escalier 
de  service. 

FANNY 

Jamais  de  la  vie! 

ARMAURY 

Tu  refuses?...  Ne  serait-ce  pas  toi,  Fanny,  qui 
viens  d'avertir  les  parents,  de  sa  présence  ici,  car 
enfin  il  n'y  a  pas  de  pareilles  coïncidences  dans  la 
vie...  Fanny,  réponds-moi. 

FANNY,  avec  un  liaut-Ie-corps  et  une  expression 
de  mépris  douloureux. 

Faut-il  que  tu  m'aies  peu  aimée  pour  m' accuser 
d'une  pareille  délation  '  Va,  je  ne  suis  pas  de  celles 
qui  trahissent!... 

ARMAURY 

Eh  hÏQii,  montre-le...  Montre-toi  plus  généreuse 
encore..  Vite..  Tu  ne  vois  donc  pas  qu'il  va  se  pas- 
ser quelque  chose  d'effroyable  ici...  une  chose  sans 
nom...  (Coup  de  timbre  à  la  porte.)  Entends-tu,  Fanny? 
Entends-tu? 

Elle  est  acculée  au  mur.  les  mains  derrière  le  dos. 


106  LA  VIERGE  FOLLE 

FANNY,  changeant  de  ton,  très  maîtresse  d'elle-même, 
prenant  une  résolution. 

Pourquoi  avoir  peur?  Quoi  de  plus  simple  que 
ce  qui  va  se  passer?  Je  vais  aller  ouvrir  moi-même... 
après  avoir  enlevé  mon  chapeau...  (Elle  l'enlève.) 
J'aurai  l'air  d'être  installée  le  plus  naturellement 
ici...  Ma  présence,  c'est  ta  sauvegarde...  Je  le  reçois 
quelques  secondes  et  je  le  congédie...  Je  ne  t'appel- 
lerai que  si  ta  présence  est  nécessaire...  Allons,  entre 
là,  dans  ton  salon  d'attente...  dépêche-toi  donc!... 
Je  sais  bien  ce  que  je  fais! 

AK&IAURY,  tentant  une  dernière  fois  de  la  fléchir. 

Ouvrons  au  moins  la  porte  auparavant,  qu'elle 
descende...  ou  qu'elle  s'enfuie... 

Jamais  de  la  vie...  Après...  pas  avant! 

ARMAURY 

Mais  si  tu  restes  seule  avec  de  Charance...  tu  ne 
seras  pas  de  force...  tu  vas  te  trahir... 

FANNY,  avec  hauteur. 

Allons  donc! 

Autre  coup  de  timbre. 

ARMAURY 

Deux  coups  déjà...  Fanny,  notre  hésitation  est 
imprudente. 


ACTE  DEUXIEME  107 

FANNY 

Elle  est  folle,  tu  veux  dire...  Entre,  entre  donc... 
C'est  tout  naturel...  Je  dirai  que  tu  es  avec  quel- 
qu'un... Vite... 

Armaury  se  décide  ;  mais,  du  seuil,  il  se  retourne  et  re- 
garde sa  femme,  d'un  regard  intense  et  flse. 

ARMAURY 

Fanny,  nous  sommes  à  ta  merci!  Que  vas-tu 
faire?...  Tu  peux  me  perdre! 

FANNY 

Et  je  te  sauve!  (Restée  seule,  elle  se  compose  vivement 
une  attitude,  prend  un  block-notes,  met  un  crayon  entre  ses 
dents,  et  va  dans  l'antichambre  pour  ouvrir  elle-même  la  porte.) 
Tiens,  monsieur  de  Charance!  Bonjour,  cher  ami, 
comment  allez-vous?  Entrez  donc,  je  vous  prie. 

Elle  le  fait  entrer. 


SCENE  m 
FANNY,  GASTON 

FANNY 

Vous  permettez,  je  suis  à  vous  dans  une  seconde, 
je  voudrais  achever  de  transcrire  un  petit  bout  de 
phrase...  Nous  ne  vous  attendions  pas. 


108  LA  VIERGE  FOLLE 

GASTON 

En  effet...  D'ailleurs,  moi  non  plus,  chère  ma- 
dame... Je  ne  m'attendais  pas  à  vous  trouver  ici. 

FANNY,  tout  en  faisant  fonctionner  la  machine  à  écrire, 
comme  si  elle  achevait  un  travail. 

Mais  cela  m' arrive  souvent  d'aider  mon  mari... 
Je  m'occupe  beaucoup  de  ses  travaux.  Débarrassez- 
vous  donc,  je  vous  en  prie...  Nous  avons  envoyé 
le  garçon  de  bureau  en  courses. 

GASTON,  froidement. 
Je  ne  fais  qu'entrer  et  sortir,  je  vous  remercie... 

FANNY 

Vous  aviez  pris  rendez-vous  avec  mon  mari? 

GASTON 

Pas  le  moins  du  monde.  (Un  temps.)  M.  Armaury 
est  là? 

FANNY 

Il  est  là,  oui,  à  côté...  en  train  de  terminer  une 
affaire  avec  un  avoué.  Mais  il  sera  à  vous  dans 
quelques  instants,  si  vous  le  désirez...  D'ailleurs... 
(Elle  cesse  son  tapolage,  va  à  la  porte  de  droite  et  l'entr'ouvre.) 
Tu  es  encore  occupé  avec  M.  Rivet,  mon  ami?... 
Non,  non,  rien...  Tout  à  l'heure...  Une  visite... 
Elle  referme  la  porte. 


ACTE  DEUXIEiME  109 

GASTON 

Je  ne  veux  pas  le  déranger. 

FANNY,  classant  les  papiers  sur  la  table. 
Comment  va  Mme  de  Charance?  Et  votre  père? 

GASTON 

Très  bien,  je  vous  remercie. 

FANNY 

Je  suis  horriblement  en  retard  avec  eux.  Nous 
avons  été  si  occupés,  ces  temps-ci... 

GASTON 

Je  ne  savais  pas  que  vous  aidiez  votre  mari  dans 
ses  affaires? 

FANNY 

Oh!  c'est-à-dire...  figurez-vous...  je  me  suis  amu- 
sée jadis  à  apprendre  la  sténographie  et,  quelque- 
fois, je  prends  des  bribes  de  plaidoiries.  Nous  clas- 
sons tout  cela  ensemble.  (Un  silence.)  Votre  sœur 
va  bien? 

GASTON 

Merci...  Mais  je  sens  que  je  vous  importune... 

FANNY 

Pas  le  moins  du  monde,  je  vous  assure...  Je  vous 
le  dirais  très  franchement...  Et  puis,  voilà...  j'ai 

10 


110  LA  VIERGE  FOLLE 

fini.  (Elle  quitte  la  table  et  s'approche.)  Il  va  bientôt  falloir, 

du  reste,  que  nous  nous  en  allions  tous...  Nous 
avons  organisé  un  thé...  au  Ritz...Il  est  indispensable 
que  nous  y  soyons  à  cinq  heures...  Ah  !  et  puis,  nous 
serons  encore  obligés  de  dîner  en  toute  hâte,  ce  qui 
est  insupportable...  j'ai  horreur  de  ça...  parce  que 
nous  allons  à  la  répétition  générale  de  l'Opéra... 

GASTON 

Ah!  tiens,  je  ne  me  rappelais  plus...  c'est  ce  soir... 
J'ai,  moi-même,  un  vague  strapontin, 

FANIsY 

Eh  bien,  nous  nous  retrouverons  tout  à  l'heure 
encore. 

GASTON 

Vraiment,  vous  allez  au  Ritz? 

FANNY 

Pourquoi?  Il  ne  faudrait  pas?  C'est  mal?... 

GASTON 

Vous  avez  passé  la  journée  avec  M.  Armaury? 

FANNY 

Pourquoi  tout  cet  étonnement?  Puisque  je  vous 
le  dis! 


ACTE  DEUXIÈME  IH 

GASTON,      après    une    dernière    hésitation,     prenant 
brusquement  son  parti. 

Écoutez,  c'est  stupide...  c'est  idiot,  mais  avec 
vous,  je  puis  user  de  franchise...  Je  suis  la  victime 
d'une  plaisanterie  de  la  dernière  catégorie.  Je 
n'éprouve  aucune  gêne  à  vous  mettre  au  courant 
et  vous  en  rirez  comme  il  faut  en  rire. 

FANNY 

Qu'est-ce  que  c'est? 

GASTON 

Jurez-moi,  par  exemple,  que  vous  ne  le  direz  pas 
à  M.  Armaury,  tellement  nous  pataugeons  dans  le 
grotesque!  Il  pourrait,  malgré  notre  camaraderie, 
m'en  vouloir  de  vous  avoir  mise  au  courant. 

FANTs'Y 

Je  vous  écoute. 

GASTON 

Tout  à  l'heure,  après  déjeuner,  nous  étions 
seuls,  le  secrétaire  et  moi.  Avec  les  plus  grands 
ménagements,  il  m'a  remis  une  lettre,  trouvée 
dans  le  courrier  qu'il  dépouille  toujours,  une  lettre 
d'un  ordre  tel  qu'il  n'osait  pas  la  communiquer  à 
mon  père...  Il  flairait  bien,  lui  aussi,  la  mystifica- 
tion, mais  il  s'est  cru  obligé  de  m' avertir,  et  avant 
tout  autre,  dl  tire  une  lettre  de  sa  poche  et  la  tend  à  Mme  Ar- 
maury.) Je  m'empresse  de  vous  dire  que  je  n'ai  pas 


112  lA  VIERGE  FOLLE 

coupé  une  seconde    dans    cette    fumisterie  d'un 
goût...  (Il  la  surveille.)  n'est-ce  pas? 
Elle  parcourt,  puis  se  met  à  rire. 

FANNY 

Eh  bien,  c'est  gai  pour  votre  sœur!...  Voilà  qui 
est  charmant,  en  effet...  un  rien,  mais  délicat. 
(Elle  s'interrompt,  puis  avec  froideur.)  Dites-moi,  l'offense 
n'est  pas  seulement  dans  les  termes  que  contient 
cette  lettre,  mais  elle  parait  aussi  dans  votre 
présence  ici  même,  et... 

GASTON,  vivement. 

Pas  le  moins  du  monde...  Je  vous  prie  bien  de 
croire  que  je  n'ai  pas  pris  au  sérieux  cette  ordure... 
M.  Armaury  enlevant  ma  sœur!...  j'avoue  que  je  ne 
vois  pas  bien  ça... 

FANNY,  l'invitant  à  parler  plus  bas,  montrant  du  doigt 
la  porte  du  salon  d'attente. 

Chut!... 

GASTON 

La  meilleure  preuve  du  peu  de  créance  que  j'ai 
ajouté  à  la  missive  n'est-elle  pas  dans  la  simplicité 
avec  laquelle  je  vous  mets  au  courant? 

FANNY 

Je  ne  vous  en  remercie  même  pas. 


ACTE  DEUXIÈME  1*3 

GASTON 

Est-ce  un  reproche?  Voyons,  qu'eussiez-vous  fait 
à  ma  place? 

FANNY    ■ 

Mais  je  crois,  je  suis  sûre  que  je  ne  serais  même 
pas  venue... 

GASTON 

C'est  ce  que  je  comptais  faire...  n'était  qu'il  y  a 
toujours  dans  la  vie  des  coïncidences  bébêtes  .. 
ce  qui  explique  d'ailleurs  largement  les  erreurs  judi- 
ciaires !  Oui,  figurez-vous  que  ma  petite  sœur  est 
allée  faire  ses  adieux  aujourd'hui  même  aux 
environs  de  Paris,  à  l'abbé  Roux...  vous  savez, 
notre  ancien  précepteur? 

FANNY 

Oui,  oui...  Je  suis  au  courant... 

GASTON 

Vous  savez  alors  que  Dianette  est  soufîrante 
depuis  plusieurs  jours,  et  que  mes  parents,  sur  le 
conseil  des  médecins,  ont  eu  l'idée  de  l'envoyer  faire 
unecured'air  de  quelques  semaines...  Eh  bien,  met- 
tez-vous à  ma  place...  ce  départ  précipité,  cette  ab- 
sence réelle  de  ma  sœur  juste  aujourd'hui...  Bref, 
on  en  arrive,  de  fil  en  aiguille,  non  pas  à  se  deman- 
der si  les  aberrations  les  plus  extravagantes  sont 

10. 


m  LA  VIERGE  FOLLE 

possibles,  mais  à  ne  pas  se  reconnaître  au  moins  le 
droit  de  rester  inactif;  et  l'on  s'en  vient  constater, 
de  visu,  qu'on  a  été  un  simple  imbécile,  ce  que  je 
fais,  d'ailleurs,  sans  la  moindre  difficulté  ! 

Elle  semble  réfléchir,  puis  lui  remet  la  lettre.* 
FANNY,  d'un  ton  plus  courtois. 

Maintenant,  seulement,  je  vous  excuse. 
GASTON,  qui,  encouragé,  se  débonde. 

C'est  la  force,  d'ailleurs,  de  ces  lettres  ano- 
nymes, et  les  gens  qui  les  écrivent  savent  bien  ce 
qu'ils  font.  Celle-ci,  d'ailleurs,  dépasse  l'invrai- 
semblance... 

FANNY 

Elle  émane  sans  doute  d'un,  domestique  ren- 
voyé. L'écriture  en  est  d'une  vulgarité... 

GASTON 

Il  est  certain  que  parmi  nos  relations,,  personne 
ne  pourrait  jaser  sur  les  rapports  de  M.  Armaury 
avec  ma  sœur.  On  est  trop  sûr  de  sa  parfaite  correc- 
tion. Tout  indique  d'ailleurs  quelqu'un  du  dehors, 
quelqu'un  qui  ignore  les  habitudes  de  la  maison  et 
qui  ignore  même  que  le  courrier  est  dépouillé 
par  un  secrétaire.  La  lettre  a  été  jetée  quelques 
heures  seulement  avant  le  rendez-vous  indiqué, 
comme  si  elle  avait  été  écrite  subitement,  sous  le 


-ACTE  DEUXIÈME  115 

coup  d'une  nouvelle  apprise  à  la  dernière  minute. 
C'est  assez  malin  !  (Fanny  approuve,  et  regarde  encore  vague- 
ment, complaisamment,  le  petit  bleu.)   Enfin,  n'importe 
déchirons  cette  ordure. 

FANNY 

Volontiers!  A  condition  toutefois  que  vous  en 
mettiez  les  morceaux  dans  votre  poche,  car  je  ne 
sais  pas  si  mon  mari  serait  autrement  satisfait  de 
connaître  la  raison  de  votre  visite.  Il  le  prendrait 
moins  gaiement  que  moi. 

Elle  rit. 

GASTON 

Vous  pensez  hien  que  ni  M.  Armaury,  ni  mon 
père,  ni  qui  que  ce  soit  autre  que  vous,  n'en  aura 
connu  l'existence. 

Il  déchire  la  lettre  et  la  met  en  morceaux  dans  la  poche 
de  son  pardessus. 

FANNY 

Comment  allez-vous  expliquer  votre  visite  à 
mon  mari,  si  vous  le  voyez? 

GASTON,  très  haut. 

Elle  n'avait  d'autre  but  que  de  l'inviter  à  aller 
chasser  chez  les  de  Ligne,  à  Rambouillet,  dimanche 
prochain.  L'invitation  est  faite,  je  me  sauve. 
Elle  va  le  laisser  partir,  puis  se  ravise. 


il6  LA  VIERGE  FOLLE 

FANNY 

Mais  non,  mais  non...  Je  désire  que  vous  serriez 
la  main  à  Marcel.  Il  en  sera  enchanté...  (Elle  va  à  la 
porte  de  droite  et  l'entr'ouvre  à  nouveau.)  Marcel,  as-tu  fini? 
M.  de  Charance  est  là...  Charance!...  (ESie  se  retourne 
en  souriant  vers  Gaston.)  Le  voici  ? 

ARMAURY,  entrant  et  simulant  le  plus  vif  étonnement. 

Tiens?...  bonjour,  Gaston.  Je  croyais  que  c'était 
votre  père. 

GASTON 

Pardon  de  vous  déranger,  mon  cher.  Je  passais 
sur  le  quai  Malaquais,  et  j'ai  pensé  à  vous  trans- 
mettre une  invitation  des  de  Ligne  pour  dimanche, 
à  Rambouillet.  Voulez-vous  venir  tirer  quelques 
faisans? 

ARMAURY,  tendant  des  cigarettes  à  Gaston. 
Mais  certainement,  avec  plaisir,  si  je  suis  libre. 

FANNY,  exprès. 

Débarrassez-vous  donc  de  votre  chapeau,  mon- 
sieur Gaston...  (Elle  prend  le  haut  de  forme.)  VouS  avez 
bien  quelques  minutes... 

ARMAURY,  bas  à  sa  femme,  pendant  ce  temps. 
Pourquoi  le  fais- tu  rester...  donne-moi  cette  clef. 


ACTE  DEUXIÈME  117 

FANNY,  bas. 

Non...  (Haut.)  Vous  aimez  beaucoup  la  chasse? 

GASTON 

La  chasse...  oui...  ce  qui  me  dégoûte,  c'est  le  tir 
aux  pigeons...  Vous  comprenez,  il  y  a  une  nuance 
dans  la  sauvagerie. 

FANNY 

Dans  la  vie,  tout  est  affaire  de  nuances. 

GASTON 

J'ignorais  complètement  que  Mme  Armaury 
vous  aidât  quelquefois  dans  vos  travaux. 

FANNY 

Du  feu?  Là. 

Elle  désigne  l'allumeur  électrique  et  Gaston  y  va. 

GASTON,  qui,  en  passant,  désigne  la  table  de  travail. 

Alors,  c'est  là,  sur  ce  bureau,  que  tant  de  belles 
éloquences  improvisées... 

ARMAURY,  bas,  à  sa  femme. 

Donne-moi  cette  clef!  Donne-moi  cette  clef!  Je 
t'en  supplie...  C'est  le  moment  de  la  faire  partir. 

FANNY 

Non. 


U8  LA  VIERGE  FOLLE 

ARMAUR 

Cesse  ce  jeu  effroyable. 

Fanny  joue  depuis  quelque  instants  avec  la  clef  et  la  fait 
tourner  autour  de  son  doigt. 

FANNY,  le  regardant,  avec  une  ironie  crispée. 

Tu  souffres,  hein  ?  {Haut,  aimable  à  Gaston.)  Que  f  aisiez- 
vous  donc  sur  le  quai  ISIalaquais?  Vous  ne  devez 
pas  mettre  souvent  les  pieds  sur  la  rive  gauche... 

GASTON 

J'avais  à  passer  chez  un  antiquaire  pour  une 
vieille  crédence  en  réparation...  Je  vois  un  indica- 
teur de  chemins  de  fer  ouvert  sur  la  table...  Vous 
allez  donc  vous  absenter?... 

Fanny  a  un  mouvement,  vite  réprimé. 
FANNY 

Nous  le  consultions,  mon  mari  et  moi,  en  effet... 
Marcel  va  plaider  dans  le  Var,  ces  jours-ci;  nous  en 
profiterons  pour  faire  un  petit  stage  d'amoureux 
à  Monte-Carlo... 

GASTON 

Vous -"resterez  longtemps? 

FANNY 

Non,  quelques  jours...  (A  ce  moment,  on  entend  le  bruit 
d'une  auto  dans  la  cour.  Fanny  regarde  son  mari  et,  bas,  à  lui  :  ) 
L'auto!...  Tu  avais  bien  commarldé  l'auto  à  quatre 
heures. 

On  entend  la  trompe  avertisseuse. 


ACTE  DEUXIÈME  119 

GASTON 

Ah!  je  reconnais  la  trompe  de  votre  auto. 

FANNY,  rapide. 

Oui,  elle  vient  nous  prendre.  Elle  est  même  un 
peu  en  avance,  mais  nous  devons...  dépêche-toi, 
Marcel...  nous  devons  être  au  Ritz  dans  une  demi- 
heure... 

ARMAURY,  sans  comprendre. 
Au  Ritz? 

FANNY,  lui  faisant  des  signes  de  visage. 
Mais  oui...  tu  sais  bien...  le  thé... 

ARMAURY 

Ah!  oui...  oui...  c'est  vrai... 

FANNY,  ayant  peur  que  l'invraisemblance  du  costume  d'Armaury 
ne  soit  remarquée  par  Gaston. 

Tu  viens  en  veston,  n'e^t-ce  pas? 

ARMAURY 

Bah!  avec  un  pardessus. 

FANNY 

Naturellement. 

GASTON 

Je  m'en  vais...  je  ne  veux  pas  vous  déranger  plus 
longtemps. 


120  LA  VIERGE  FOLLE 

FANNY,  de  plus  en  plus  pressante. 

Mais  non,  mais  non,  restez!,..  Nous  descendrons 
tous  les  trois  ensemble. 

ARMAURY,  bas,  à  sa  femme. 

Me  comprendras-tu  à  la  fm!...  Je  vais  la  mettre 
dans  l'auto  qui  la  reconduira  chez  elle...  tu  vois 
bien  que  c'est  le  moment...  La  clef! 

Elle  ne  répond  pas. 

FANNY,  à  Gaston. 

De  quel  côté  allez-vous?...  Nous  vous  déposons. 

GASTON 

Oh!  ne  prenez  pas  la  peine  de  me  remettre  sur 
mon  chemin...  nous  n'allons  pas  du  tout  du  même 
côté,  je  rentre  à  la  maison... 

FANNY,  prenant  sur  la  table  un  papier. 

N'importe...  nous  vous  déposerons.  Avant,  per- 
mettez que  je  demande  un  renseignement  à  mon 
mari  sur  une  phrase  qui  ne  me  parait  pas  très 
claire...  une  phras^e  qu'il  m'a  dictée... 

GASTON 

Faites...  faites...  je  vous  en  prie... 

FANNY,  haut,  en  s'éloignant  de  Gaston,  après  avoir  pris 
des  feuillets  sur  le  bureau. 

Marcel,  tu  m'avais  demandé  de  relever  une  cita- 


ACTE  DEUXIEME  121 

tion...  C'est  un  peu  confus.  Ici...  (Fanny  attire  son  mari 
en  tenant  la  feuille  à  la  main.  Elle  s'assure  du  regard  que  Gaston 
est  occupé  à  regarder  discrètement  un  vérascope  qui  traînait 
sur  la  table.  Et  alors,  grave,  tout  en  ayant   l'air  de  parcourir  le 

feuillet...)  Écoute...  écoute  bien...  voici  la  clef...  Ré- 
fléchis à  l'importance  de  ce  que  je  fais  en  te  la 
donnant...  Je  pourrais  aller  lui  ouvrir  moi-même... 
la  laisser  descendre...  eh  bien,  non...  Je  fais  ce  que 
tu  me  demandes,  je  te  donne  la  clef...  (Elle  le  regarde 
ûxement.)  Marcel,  réfléchis  bien,  tu  es  libre...  C'est 
à  toi  d'agir  selon  ta  conscience. 

D'un  geste  simple,  elle  lui  tend  la  clef. 
ARMAURY,  bas,  sans  sourciller. 

Donne...  (ii  prend  la  clef.)  Empêche-le  seulement 
d'aller  à  la  fenêtre  pendant  quelques  instants, 
qu'il  ne  puisse  pas  la  voir  traverser  la  cour...  (Haut.) 
Eh  bien,  dites-moi,  Gaston,  maintenant,  je  suis  à 
vous...  Une  seconde,  je  vais  mettre  mon  chapeau, 
je  reviens,  et  nous  descendons... 

GASTON,  de  loin. 

C'est  cela,  mon  cher... 

Armaury  sort,  naturel,  sans  se  presser,  par  la  gauche. 


il 


in  LA   VIERGE  FOLLE 

SCÈNE   IV 
FANNY,    GASTON 

GASTON,  à  Fanny,  tout  de  suite. 

Vous  voyez  bien  que  ma  présence  ne  lui  a  pas 
paru  anormale... 
Il  se  lève. 

FANNY,  brusque. 

Rasseyez-vous... 

GASTON 

Pourquoi? 

FANNY,  se  mettant  à  l'angle  du  bureau,  pour  l'empêcher 
d'aller  à  la  fenêtre,  s'il  se  levait. 

Rien  d'important...  Seulement...  (Elle  hésite,  décon- 
tenancée.) quand  vous  êtes  entré,  vous  m'avez  inter- 
rompue... Je  cherchais  dans  cet  indicateur  combien 
de  temps  il  nous  faudra  pour  aller  à  Monte-Carlo, 
exactement...  Je  suis  si  maladroite...  je  n'ai  pu,  de 
ma  vie,  me  reconnaître  dans  les  indicateurs  de 
chemins  de  fer!... 

GASTON 

Inutile...  Je  peux  très  bien  vous  le  dire  de  mé- 
moire... Monte-Carlo...  il  faut  exactement... 


ACTE  DEUXIÈME  123 

FANNY,  insistant  pour  le  faire  asseoir. 

Oh!  ce  n'est  pas  le  temps  exact  que  je  voudrais 
savoir,  c'est  l'heure  d'arrivée  à  Monte-Carlo,  par 
le  train  de  luxe... 

GASTON 

Rien  de  plus  simple,  (il  s'assied  et  consulte  rindicateur. 
Pendant  ce  temps,  on  voit  sur  le  visage  de  Fanny  qu'elle  écoute 
minutieusement  maintenant  ce  qui  se  passe  dans  la  maison.  Gaston 
feuilletant.)  Voyons...  36a...  Paris...  Paris-Lyon... 
Voilà...  Vous  allez  vous  reposer  là-bas,  ou 
allez  jouer? 

FANNY 

Oui,  jouer...  C'est  une  chose  passionnante  et 
attrayante  que  le  jeu...  Risquer,  dans  un  mouve- 
ment, dans  un  geste,  délibérément,  parce  qu'on  le 
veut,  toute  une  partie  de  sa  vie,  de  son  bonheur!... 
Ah!  ce  sont  des  minutes  effrayantes... 

GASTON 

Voilà...  Midi...  deux  heures,  Cannes...  Vous  jouez 
donc  si  gros  jeu  que  cela?...  Cannes...  Nice... 

FANNY 

Un  jeu  terrible!...  Cela  ne  vous  est  pas  arrivé,  à 
vous,  de  mettre,  sur  une  minute,  une  demi-minute, 
tout  votre  capital  de  bonheur,  et  de  le  faire,  instinc- 
tivement, comme  cela,  du  bout  du  bras,  comme  si 


lU  LA  VIERGE  FOLLE 

on  jetait  une  cigarette...  Et  voilà...  la  partie  est 
engagée,  toute  A'otre  vie  va  dépendre  peut-être  de 
cette  minute-là!... 

GASTON 

Monte-Carlo...  six  heures...  Six  heures  dix.  (il  se 
lève  en  souriant.)  Mais,  dites-moi...  vous  ferez  bien 
de  ne  pas  aller  là-bas,  car  vous  m'avez  l'air  de 
garder  au  jeu  des  rancunes!...  vous  avez  encore 
dans  la  voix  le  petit  frisson  qui  en  dit  long...  la 
peur  de  perdre. 

Il  fait  le  mouvement  de  se  lever. 

FANNY,  vivement. 

Non,  non...  restez  là  encore...  j'ai  des  choses  à 
vous  dire...  oh!  rien  d'important...  Au  fait,  vous 
n'avez  pas  remarqué  ma  bague,  une  nouvelle 
bague  que  mon  mari  m'a  donnée,  il  y  a  trois  jours... 
Elle  est  jolie,  n'est-ce  pas? 
Elle  tend  la  main. 

GASTON 

Très  belle...  et  montée  avec  beaucoup  de  chic... 
Le  platine... 

FANNY,  l'interrompant. 

,     Chut!  Une  seconde... 

Elle  écoute.  L'auto  démarre  dans  la  cour. 


ACTE  DEUXIEME  125 

GASTON 

Qu'est-ce  qu'il  y  a? 

FANNY 

Rien.  (Affairée  et  essayant  de  détourner  l'attention,  elle  agite 
la  bague.)  Elle  est  bien  montée,  n'est-ce  pas?...  Trois 
jours  que"  mon  mari  me  l'a  donnée...  une  bague 
de  réconciliation...  c'est  un  souvenir  important, 
n'est-ce  pas 

On  entend  l'auto  qui  tourne.  Le  Jruit  de  trompe  s'éloigne 
sur  le  quai. 

GASTON 

Vous  étiez  donc  fâchés? 

FANNY 

Une  de  ces  petites  bouderies  comme  on  en  a  dans 
la  vie...  C'est  l'amour!... 

Maintenant  que  l'auto  est  partie,  elle  a  un  grand  soupir, 
une  détente  visible  en  même  temps  qu'une  nouvelle 
angoisse  succède  à  l'autre. 

GASTON 

Qu'est-ce  que  vous  avez,  décidément?  Vous  pa- 
raissez un  peu  souffrante... 

FANNY 

Oui,  j'ai  un  peu  mal,  un  peu  mal  à  la  tête...  Cela 
m'arrive  quelquefois...  des  migraines,  ne  faites 
pas   attention...  (Avec  effort.)  C'est  une  charmante 

11. 


iSa  LA  VIERGE  FOLLE 

attention,  n'est-ce  pas,  de  mon  mari...  une  perle 
d'une  certaine  valeur 

GASTON,  riant. 

Une  perle,  vous  voulez  dire  un  diamant... 

FANNY 

Ah  !  oui,  suis-je  bête!  (Silence.  Elle  attend  une  seconde, 
puis  elle  appelle,  haut,  craintivement,  à  voix  mal  assurée  :  )  Mar- 

cel  !... 

Elle  attend.  Elle  appelle  à  nouveau,  mais  très  fort. 
GASTON 

Voulez-vous  que  j'aille  le  chercher?... 

FANNY,  l'arrêtant  du  geste. 

Non,  non,  c'est  inutile,  il  va  revenir,  il  a  dit  lui- 
même  :  une  seconde...  il  est  là...  il  vient...  il  vient... 

GASTON 

Mais,  si  vous  avez  besoin  de  quelque  chose,  si 
vous  souffrez... 

FANNY 

A  peine...  Pourtant,  voulez-vous  appuyer  sur  ce 
bouton...  là,  sur  cette  table...  La  sonnerie  du 
concierge.  (Gaston  s'approche  de  la  sonnerie  désignée.  Fanny, 
comme  attirée  par  la  porte  du  corridor,  mais  se  cramponnant  à 
une  chaise  :)  C'est  curieux,  je  voudrais  faire  un  pas^ 
en  ce  moment,  je  ne  le  pourrais  plusl... 


ACTE  DEUXIEME  127 

GASTON,  inquiet. 

Mais  asseyez-vous  donc,  madame, reposez-vous... 
je  suis  désolé...  je  vais  appeler  ce  concierge... 

Il  va,  vite,  dans  l'antichambre,  et  à  la  porte  d'entrée,  on 
l'entend  qui  se  croise  avec  le  concierge  arrivé  en  cou- 
rant. Dès  qu'elle  l'entend,  Fanny,  qui  n'a  pas  bougé, 
toujours  les  mains  cramponnées  au  dossier  de  sa  chaise, 
appelle  : 

Fabien  ! 

Le  concierge  s'empresse,  et  Gaston,  dans  l'antichambre, 
par  discrétion,  ne  se  presse  pas  de  refermer  la  porte. 


SCENE  V 
FANNY,  GASTON,  FABIEN 

Le  concierge  entre. 

FAN>'Y 

Fabien!  Tenez,  voulez-vous  ouvrir  cette  porte. 
Elle  désigne  la  porte  du  couloir.  Fabien  l'ouvre.)  Voulez-VOUS 

me  dire  si,  dans  le  couloir,  il  y  a  encore  deux  va- 
lises... dans  le  couloir. 

Fabien  franchit  le  seuil;  une  seconde;  il  revient. 

FABIEN 

Non,  madame. 

Blême,  elle  lui  fait  signe  de  s'approcher;  elle  lui  parle  à 
voix  plus  basse. 


128  LA  VIERGE  FOLLE 

FANNY 

Fabien,  l'auto  vient  de  partir,  n'est-ce  pas  ? 

FABIEN 

Oui,  madame... 

FANNY 

Monsieur  a  pris  l'auto... 

FABIEN 

Oui,  madame. 

Silence.  Elle  n'ose  plus  ouvrir  les  yeux. 

FANNY 

Et...  il  y  avait  une  autre  personne  avec  lui, 
n'est-ce  pas? 

Elle  attend  la  réponse,  le  visage  levé,  les  yeux  clos. 

FABIEN,  très  bas. 

Oui,  madame. 

Du  bout  du  bras,  imperceptiblement,  elle  chasse  Fabien. 

FANNY 

C'est  bien,  allez-vous-en  !  Allez-vous-en  !  (Le 
concierge  sort  par  la  porte  du  corridor.  Restée  seule  avec  Gaston, 
qui  est  redescendu  pendant  ce  temps,  elle  pousse  un  grand  cri 
déchiré,  et  Jette  la  chaise  à  laquelle  elle  se  cramponnait.)  Ah!  le 

misérable,  le  lâche,  le  lâche!  Il  est  parti,  ils  sont 
partis!...  C'était  vrai!...  Votre  sœur  était  ici!... 


ACTE  DEUXIÈME  129 

GASTON,  qui  bondit. 

C'était  vrai?...  cette  chose  !... 

FANNY 

Oui,  c'était  vrai,  oui!...  Ils  sont  partis,  ils  s'en 
vont!... 

GASTON,  à  tue-tête. 

Et  VOUS  les  avez  laissés  s'enfuir!...  Vous  saviez 
que  ma  sœur  était  là...  nous  les  avions  sous  la  main 
et  vous  les  laissez  s'échapper...  Mais  c'est  de  la  dé- 
mence!... 

FANNY 

Oui,  elle  était  là...  oui,  je  plastronnais  devant 
vous...  je  le  couvrais  de  ma  présence...  Je  les  avais 
surpris,  j'avais  enfermé  votre  sœur  à  clef,  et  cette 
clef,  je  viens  de  la  lui  remettre,  là,  devant  vous. 

GASTON 

C'est  fou!... 

Il  se  précipite  sur  sa  canne  et  son  chapeau. 
FANNY 

Et  il  est  parti,  vous  avez  vu  avec  quelle  hypo- 
crisie, parti  malgré  la  beauté  de  mon  acte,  ma  géné- 
rosité. Ah  !  quel  dégoût  !  Le  vil,  l'affreux  homme  !  Il 
a  tout  mérité!...  Je  vous  l'abandonne! 


130  LA  VIERGE  FOLLE 

GASTON 

Pas  une  minute  à  perdre.  Il  faut  faire  télégraphier 
partout,  les  traquer...  Mes  parents,  mes  pauvres 
parents,  quand  ils  vont  apprendre!...  Ah!  s'il  l'a 
déshonorée,  quoi  qu'il  fasse,  il  ne  m'échappera 
pas!...  Je  l'aurai...  je  l'aurai...  (Prêt  à  partir,  il  se  retourne 
vers  elle.)  Êtes-vous  des  nôtres,  vous? 

FANNY 

Ah  !  oui  !  Et  de  toute  mon  âme  ! 

GASTON 

Alors,  venez!  venez! 

Dans  un  tumulte,  il  l'entraîne. 


RIDEAU 


ACTE   TROISIÈME 


A  Londres.  Un  salon  de  l'hôtel-restaurant  du  Parc,  à 
Greemvich.  Par  le  window  vaste  on  aperçoit  la  Tamise.  Au 
loin,  Londres  à  travers  les  brouillards.  Des  tables,  des 
plantes,  des  meubles  Adams,  tables  à  thé.  A  gauche,  porte 
d'entrée.  A  droite,  en  pendant,  autre  porte.  Juste  au  mi- 
lieu, une  grande  borne  en  velours. 


SCENE  PREMIERE 

ARMAURY,  SON  SECRÉTAIRE,  DEUX  GARÇONS 
D'HOTEL 

Armaury  entre  suivi  de  son  secrétaire  et  précédé 
des  deux  garçons  d'hôtel. 

i  PREMIER    GARÇON 

Askthis  gentleman  if  this  drawing  room  will  suit 
him.  I  think  he  does  not  iinderstand  english. 

DEUXIÈME    GARÇON 

Shall  I  ask  if  they  require  anything? 


132  LA  VIERGE  FOLLE 

PREMIER    GARÇON 

No.  Leave  them  alone. 
Il  sort. 

DEUXIÈME    GARÇON 

Voilà  le  salon  que  vous  avez  fait  retenir  ce  matin 
par  le  téléphone. 

ARMAURY 

Bien.  Aussitôt  que  quelqu'un...  une  ou  plusieurs 
personnes,  je  ne  sais  au  juste...  demanderont  M.  Ar- 
maury,  faites  entrer  ici  directement...  Vous  com- 
prenez? 

LE    GARÇON 

Parfaitement,  Armaury...  C'est  tout,  monsieur? 

ARMAURY 

C'est  tout. 

Il  reste  seul  avec  son  secrétaire. 
LE    SECRÉTAIRE 

N'y  a-t-il  pas  quelque  crânerie  de  votre  part, 
mon  cher  maître,  à  avoir  avoir  accepté  ce  rendez- 
vous  à  Greenwich?  En  somme,  pourquoi  ne  l'a-t-on 
pas  demandé  ou  fixé  à  l'intérieur  de  Londres?... 

ARMAURY 

J'ai  été  forcé  d'accepter  ce  rendez-vous,  j'y  ai 
été  moralement  obligé,  je  vous  assure.  Mon  ami, 


ACTE  TROISIEME  133 

si  je  vous  ai  fait  venir  de  Paris,  vous  pensez  bien 
que  ce  n'est  pas  seulement  pour  vous  confier  quel- 
ques notes  sur  nos  travaux  en  suspens  à  Paris...  Si 
lourde  qu'en  soit  pour  vous  la  charge,  nous  avions 
tout  le  temps!...  Maintenant  que  nous  avons  fran- 
chi le  seuil  de  cet  hôtel,  et  que  nous  ne  pouvons  plus 
reculer,  maintenant  que  vous  ne  pouvez  plus  faire 
d'objections,  ni  même,  au  cas  où  vous  l'auriez  cru 
bon,  avertir  ma  obère  Dianette,  je  peux  enfin  vous 
parler  à  cœur  ouvert... 

LE    SECRÉTAIRE 

Comment,  vous  supposiez  que  je  vous  trahirais? 
que  je  parlerais  à  Mlle  de  Charance? 

ARMAURY 

Ah!  c'est  que  j'ai  été  à  dure  école!...  Si  nous 
avons  été  pourchassés,  rejoints,  et  si  nous  avons  eu 
un  mal  du  diable  à  nous  échapper  de  Paris  l'autre 
jour,  c'est  à  cause  de  l'indiscrétion  d'une  femme  de 
chambre,  en  qui  nous  avions  pleine  confiance.  Un 
amoureux  guettait!  Malgré  toutes  ses  promesses 
de  silence,  cette  fille  avait  averti  son  amant  de 
notre  fuite;  l'homme  a  voulu  s'opposer  au  départ 
de  sa  maîtresse,  et  il  a  tenté  le  coup  des  lettres  ano- 
nymes pour  faire  échouer  la  combinaison.  Il  y  a 
presque  réussi...  C'a  été  effrayant!...  Quelles 
transes  nous  avons  éprouvées!  Enfin,  depuis  cette 

12 


134  LA  VIERGE  FOLLE 

évasion  à  demi  ratée,  je  suis  devenu  défiant  et  plein 
d'anxiété...  Pardonnez-moi,  j'aimais  mieux  être 
arrivé  à  l'endroit  même  où  a  été  fixé  ce  rendez-vous 
pour  vous  en  donner  le  vrai  motif...  j'ai  eu  tant  de 
peine  à  le  cacher  à  Dianette!...  Asseyez-vous  là... 
Je  ne  pouvais  pas  refuser,  et  savez-vouspourquoi?... 
Parce  que,  hier,  j'ai  déclaré  à  deux  témoins,  que 
m'avait  envoyés  Gaston  de  Charance  au  Savoy- 
Hôtel,  que  je  ne  me  battrais  pas. 

LE    SECRÉTAIRE 

Comment,  deux  témoins!...  Il  vous  a  provoqué?., 
et  sur  territoire  étranger? 

ARMAURY 

Et  j'ai  refusé  de  me  battre. 

LE    SECRÉTAIRE 

Vous  avez  bien  fait... 

ARMAUR 

Oh!  c'est  vite  dit...  Je  ne  peux  pas  me  battre,  en 
effet,  je  ne  le  peux  à  cause  de  cette  enfant  que 
j'adore  au  delà  de  tous  les  termes  que  je  pourrais 
employer  pour  vous  l'exprimer...  Je  ne  veux  pas 
de  ce  drame  de  famille,  et  je  ne  veux  pas  non  plus 
être  tué,  c'est  bien  simple...  Elle  a  besoin  de  ma 
vie,  il  m'est  interdit  de  l'exposer  actuellement. 


ACTE  TROISIÈME  135 

Mais,  cette  lâcheté  apparente  qui  est,  au  fond,  une 
forme  d'énergie,  c'est  dur,  vous  savez,  à  com- 
mettre! J'ai  donc  refusé  de  me  battre,  et  j'en  ai 
donné  loyalement  la  raison.  Maintenant,  on  me 
demande  un  rendez-vous,  on  exige  de  moi  une  ex- 
plication !  Mon  premier  mouvement  était  de  la  re- 
fuser aussi;  le  second,  le  bon,  a  été  de  l'accepter.. 
A  fuir  toujours  devant  tout,  je  passerais  à  juste 
droit  pour  vil. 

LE    SECRÉTAIRE 

Mais,  les  termes  de  la  lettre  qu'on  vous  a  remise 
sont  vagues, si  ambigus  que  vousne  savez  même  pas 
qui  va  se  présenter  à  vous.  Je  trouve  cela  d'une  té- 
mérité folle!...  J'ignorais  qu'on  fût  venu  ici  vous 
provoquer!...  Si  je  l'avais  su,  je  vous  aurais  dis- 
suadé d'accepter  ce  rendez-vous,  soi-disant  paci- 
fique. Je  ne  crois  pas  à  un  guet-apens,  certes,  mais 
qui  allez-vous  trouver  devant  vous? 

ARMAURY 

Mon  ami,  toutes  les  hypothèses  sont  possibles... 
Le  frère,  le  père,  les  deux  ensemble...  un  des 
témoins  peut-être!...  Je  les  ai  toutes  envisagées, 
ces  hypothèses,  toutes,  même  les  plus  dangereuses. 

LE    SECRÉTAIRE 

Mon  cher  maître,  il  faut  prévoir... 


136  LA  VIERGE  FOLLE 

ARMAURY 

C'est  mon  avis,  et  c'est  pourquoi  j'ai  deux  lettres 
à  vous  remettre... 

LE    SECRÉTAIRE 

Comment  cela? 

ARMAURY 

Les  voici,  et  ne  discutez  plus...  Je  m'empresse 
de  vous  dire  que  je  ne  crois  pas  le  moins  du  monde 
à  une  explication  dramatique;  quel  que  soit  mon 
interlocuteur,  et  je  pense  que  ce  sera  le  frère  lui- 
même,  il  ne  se  portera  à  aucune  extrémité.  La 
franchise  de  mon  attitude  présente,  je  l'espère,  e* 
la  hâte  que  j'ai  de  justifier  mon  acte, par  des  paroles 
décisives  et  ardentes,  tout  cela  les  apaisera!  Néan- 
moins,il  faut  prévoir,  comme  vous  dites...  Écoutez... 
s'il  arrivait  un  malheur,  si  la  colère  armait  le  bras 
d'un  homme...  voici  une  lettre  pour  Dianette... 
Vous  la  lui  remettriez  avec  les  ménagements  les 
plus  grands...  Non,  non,  ne  dites  pas  un  mot,  mon 
cher  ami...  laissez-moi  poursuivre...  L'autre  est 
adressée  à  mon  notaire...  Vous  la  remettriez  plus 
tard. 

LE    SECRÉTAIRE 

Monsieur  Armaury,  je  n'aurai  pas  de  si  funèbre 
commission  à  faire,  et  c'est,  tout  à  l'heure,  au 


ACTE  TROISIEME  137 

Savoy,  à  vous-même,  que  je  remettrai  les  deux 
plis.  Nous  aurons  un  singulier  plaisir  à  les  brûler 
dans  un  bon  feu  de  bois...  Tenez!... 

La  porte  de  droite  s'ou\Te.  L'abbé  Roux  entre. 


SCÈNE   II 
ARMAURY,  LE  SECRÉTAIRE,  L'ABBÉ  ROUX 

l'abbé,  se  présentant. 
Monsieur  l'abbé  Roux. 

ARMAURY 

Vous,  monsieur  l'abbé?  Je  me  souviens  de  vous 
avoir  rencontré  chez  les  Charance,  en  effet...  Êtes- 
vous  seul? 

l'abbé 

Que  vous  importe,  monsieur?...  C'est  moi  qui  ai 
sollicité  de  vous  un  entretien. 

ARMAURY 

C'est  bien,  je  suis  à  vous.  (Serrant  la  main  au  secrétaire 
et  parlant  bas  avec  un  certain  sourire.)  Au  revoir,  mon  cher 
-ami;  je  tenais  à  ce  que  vous  fussiez  là  lorsque  cette 

12. 


Î38  LA  VIERGE  FOLLE 

porte  s'ouvrirait,  à  ce  qu'il  y  eût  un  témoin.  Main- 
tenant, je  suppose  que  vous  voilà  rassuré.  A  tout 
à  l'heure!... 

Le  secrétaire  sort.  Armaury  reste  seul  avec  l'abbé. 


SCENE  III 
L'ABBÉ,  ARMAURY 

ARMAUR 

Vous  êtes,  monsieur  l'abbé,  le  dernier  homme 
que  j'aurais  pensé  rencontrer  ici...  Mais,  soit!... 
puisqu'on  vous  envoie,  je  vous  écoute... 

l'abbé 

Oui,  monsieur,  ma  présence  doit  vous  sembler 
étrange;  elle  ne  l'est  pas!  Je  dois  être  avant  tout 
l'intercesseur.  J'accomplis  mon  devoir  envers  une 
famille  à  laquelle  je  suis  si  profondément  attaché! 
Vous  avez,  hier,  refusé  d'écouter  la  voix  de  la  force 
et  du  sang...  vous  avez  bien  fait;  c'est  mon  avis  de 
prêtre;  c'est  un  avis  qui  a  prévalu,  d'ailleurs,  je 
m'empresse  de  vous  le  dire,  à  l'heure  actuelle,  dans 
cette  famille  désolée  dont  je  suis  en  ce  moment 
l'interprète...  Ne  voyez  pas,  en  moi,  le  prêtre.  Mon 
habit  n'emprunte  ici  aucune  signification  particu- 


ACTE  TROISIÈME  139 

lière;  ne  voyez  en  moi  que  l'ami,  Tami  le  plus  dé- 
voué, le  plus  indépendant,  le  plus  calme  aussi,  que 
les  Charance  aient  pu  choisir  dans  leur  entourage... 

ARMAURY 

Une  question,  monsieur  l'abbé.  Comment  êtes- 
vous  à  Londres?  Je  croyais  n'avoir  à  faire  qu'à  Gas- 
ton de  Charance;  je  présumais  bien  aussi  que  le 
père  devait  être  là,  mais  votre  présence  me  laisse 
supposer... 

l'abbé 

Encore  une  fois,  que  vous  importe,  monsieur? 
Vous  avez  été  suivi,  rejoint,  —  que  vous  importe 
par  qui?  M.  Gaston  de  Charance  et  son  père  m'ont 
prié  de  les  accompagner;  je  me  suis  dégagé  de 
tous  mes  devoirs  professionnels  pour  ne  pas  man- 
quer une  occasion  que  je  jugeais  nécessaire...  oui, 
nécessaire...  Monsieur  Armaury,  il  faut  que  je  vous 
parle,  et,  quand  vous  m'aurez  entendu,  je  crois  que 
vous  ne  persisterez  pas  dans  votre  résolution  ni 
dans  vos  actes;  je  le  crois  fermement... 

ARMAURY 

Et  qu'est-ce  qui  vous  le  fait  supposer? 

l'abbé 

La  douleur,   monsieur  Armaury,   la  douleur... 
Oh!  je  ne  me  mêle  que  de  ce  qui  me  regarde;  ne 


140  LA  VIERGE   FOLLE 

croyez  pas  qu'une  seule  fois  je  ferai  allusion  à 
Mme  Armaury...  Vous  avez  pris,  dans  votre  vie 
privée,  telles  déterminations  que  vous  avez  vou- 
lues... Moi,  je  ne  suis  ici  que  pour  représenter  les  in- 
térêts... (Mouvement  d' Armaury.)  la  détresse,  en  tout  cas... 
de  la  famille  à  laquelle  mon  attachement  me  lie, 
et  que  vous  venez  de  plonger  dans  une  affliction 
que  vous  ne  pouvez  imaginer.  Non,  en  vérité,  mon- 
sieur, je  vous  assure,  vous  ne  l'avez  pas  imaginée; 
sans  quoi  votre  cœur  aurait  hésité,  votre  cœur  au- 
rait maintenant  le  mouvement  spontané  qui  ré- 
pare et  qui  efface.  La  plupart  des  actions  néfastes 
que  l'on  commet  vient  de  ce  qu'on  ne  s'est  pas  as- 
sez vivement  représenté  leurs  conséquences;  mais, 
une  fois  que  les  images  parviennent  à  notre  cer- 
veau, l'être  tout  entier  se  trouble  et  rétracte.  Je 
vous  supplie,  entendez-moi;  je  vous  supplie,  il  est 
temps  encore...  Aucun  scandale  n'a  éclaté,  vous 
pouvez  rendre  cette  enfant  à  ses  parents;  votre 
fuite  en  Angleterre  peut  être  expliquée  par  un 
simple  voyage  d'affaires,  il  n'y  a  pas  eu  de  témoins 
évidents;  il  le  faut,  monsieur  Armaury...  Vous 
auriez  pitié,  si  vous  vous  rendiez  compte  de  l'in- 
tensité de  leur  douleur.  La  pauvre  Mme  de  Gha- 
rance  n'est  plus  qu'un  corps  sans  âme,  c'est  le  mot. 
Elle  aimait  cette  enfant,  elle  la  chérissait  d'une  fa- 
çon à  la  fois  si  tendre  et  si  ingénue...  C'est  un  effon- 
drement sans  limites.   Vous  atteignez  cette  fa- 


ACTE  TROISIEME  Ui 

mille  dans  sa  plus  haute  renommée,  dans  ce  qu'elle 
a  eu  jusqu'ici  de  plus  valeureux  !  Il  n'y  a  plus  qu'un 
père  écrasé,  anéanti,  qui  va  avoir  à  répondre  de- 
vant le  monde  du  deuil  le  plus  lourd  et  le  plus  la- 
mentable qu'on  puisse  porter...  Oh!  je  sais!  je  ne 
trouve  pour  vous  exprimer  tout  cela  que  des  épi- 
thètes  bien  banales!  Il  faudrait  que  vous  voyiez  la 
chose,  la  chose!...  Dites-moi  que  vous  avez  fui 
dans  un  mouvement  instinctif,  dans  une  de  ces 
minutes  tragiques  qui  frappent  quelquefois  les 
hommes  les  plus  intelligents  et  les  plus  élevés...  ce 
qu'on  appelle  le  beau  sombre;  car  le  mal  a  aussi  sa 
beauté  sombre  et  il  a  toujours  séduit  les  hommes 
de  pensée.  Mais,  monsieur,  il  y  a  aussi  le  beau  ra- 
dieux, qui  vient  du  renoncement  et  qui,  vous  le 
verrez,  est  une  émotion  très  douce,  très  pure,  très 
grande...  car  vous  allez  leur  rendre  leur  enfant, 
n'est-ce  pas?  Je  vous  en  adjure,  au  nom  de  leur  na- 
vrement.  Vous  le  devez,  monsieur  Armaury;  c'est 
une  question  de  devoir  sacré. 

ARMAURY 

En  votre  âme  et  conscience,  en  toute  votre  bonne 
foi,  vous  êtes  sûrement  convaincu  que  je  commets 
une  lâcheté  si  je  ne  me  rends  pas  à  votre  prière! 
Eh  bien,  moi,  je  pense  le  contraire;  je  pense  que 
c'est  en  vous  rendant  cette  petite  que  je  serais  un 
lâche. 


MS  LA  VIERGE  FOLLE 

l'abbé 
Un  lâche?.,. 

ARMAURY 

Absolument  1  Oh!  je  ne  discute  pas  ma  faute; met- 
Ions  que  j'ai  agi  mal,  abominablement...  soit!  Il  ne 
me  vient  pas  à  l'idée  une  minute,  notez-le,  de  jus- 
tifier l'homme  dont  le  deyoir  succombe  à  l'entraî- 
nement de  sa  tendresse  et  je  ne  veux  pas  prétendre 
à  la  liberté  absolue  de  nos  passions...  Non;  j'ai 
aimé,  c'est  mon  excuse,  mais  ce  n'est  qu'une  ex- 
cuse. Seulement,  à  l'heure  présente,  la  faute  est 
accomplie,  elle  est  irréparable.  Maintenant,  il  n'y 
a  plus  en  face  de  nous  que  ses  conséquences.  Eh 
bien,  sans  que  vous  vous  en  doutiez,  car  vous  ne 
vous  en  doutez  même  pas,  tellement  vous  avez  foi 
en  votre  propre  morale,  vous  venez  me  proposer  une 
vilenie...  Désormais,  j'ai  acquis  d'autres  devoirs, 
monsieur  l'abbé,  une  autre  responsabilité,  celle  que 
je  me  suis  créée  vis-à-vis  de  cette  petite,  de  ce 
nouveau  foyer...  Ne  sursautez  pas,  je  n'ai  pas  peur 
du  mot  :  foyer...  J'ai  maintenant  charge  d'âme  et  de 
destin,  et  de  quelle  âme,  de  quel  destin  fragile!... 
Et,  en  fuyant  cette  responsabilité-là,  c'est  alors 
que  je  serais  un  lâche  et  un  hypocrite!  Oui,  au  nom 
du  même  principe,  que  vous  consacrez  et  glorifiez 
à  l'autel,  celui  qui  fait  que  deux  êtres  s'engagent  en 


ACTE  TROISIÈME  Ut 

s  "aimant  à  quelque  chose  de  sacré,  dont  ils  accep- 
tent les  conséquences,  au  nom  de  ce  même  prin- 
cipe je  ne  me  reconnais  pas  le  droit  de  rendre  à  sa 
vie  passée  une  enfant  qui  n'est  plus  en  état  de  la 
vivre,  ni  de  s'y  résigner.  J'ai  maintenant  la  garde 
d'un  cœur,  d'un  cerveau  que  j'ai  animés,  et  qui, 
j'en  ai  la  conviction,  ne  peuvent  plus  se  passer -de 
moi.  Ah!  si  je  n'avais  pas  cette  conviction-là,  ce 
serait  tout  autre  chose,  et  je  saurais  renoncer  à 
ma  propre  passion.  Seulement,  il  s'agit  ici  d'un 
amour  mutuel  que  vous  pouvez  trouver  abomi- 
nable, mais  qui  atteint,  à  mes  yeux  à  moi,  une 
grandeur  immense...  Oui,  la  pauvre  petite,  je  la 
défendrai  maintenant  contre  les  vrais  malheurs  qui 
l'attendraient,  si  j'étais  assez  pleutre  pour  l'aban- 
donner, contre  la  détresse,  le  spleen  et  la  diminu- 
tion d'elle-même.  Je  redouterais  pour  elle  les  pires 
possibilités,  même  la  mort...  oh!  vous  voyez  que 
je  suis  orgueilleux!...  Je  la  défendrai  contre  tous,  et 
je  la  rendrai  heureuse,  monsieur  l'abbé,  je  la  rendrai 
gaie,  je  la  rendrai  saine...  je  veux  la  sauver,  non  la 
perdre!...  Rien  ne  m'arrachera  à  cette  sauvegarde^ 
et  comprenez-moi  bien,  monsieur  l'abbé,  sur  ma 
conscience  même,  je  déclare  qu'en  agissait  ainsi 
je  fais  acte  d'honnête  homme.  A  mon  tour,  je  vous 
dis  :  c'est  une  question  de  devoir!...  Vous,  au  nom 
d'une  morale  dans  laquelle  vous  avez  une  foi  absolue 
et  qui  vous  aveugle,  vous  exigeriez  une  simple  in- 


lU  LA  VIERGE  FOLLE 

famie...  Car  c'est  en  vous  rendant  cette  enfant  que 
je  commettrais  l'infamie!... 

l'abbé 

Nous  sommes  séparés,  monsieur,  par  tout  un 
océan  d'idées,  de  convictions!...  Vous  rendez-vous 
compte  que  ce  que  vous  réclamez,  en  fait,  c'est  la 
polygamie  pure?...  Je  ne  discute  même  pas,  lais- 
sez-moi simplement  constater  qu'avec  votre  morale 
à  vous,  ce  serait  rapidement  l'anarchie...  Ces  idées- 
là,  c'est  la  fin  de  la  société. 

AR.MAURY 

C'est  le  commencement  de  l'amour!... 

l'abbé 

Il  faut  vivre  avec  son  époque  et  son  temps,  mon- 
sieur!... Nous  ne  sommes  pas  les  gens  de  l'avenir, 
nous  sommes  les  gens  du  présent,  et  nous  devons 
nous  soumettre  à  ses  mœurs,  à  ses  usages  et  à  son 
code...   (Souriant.)  mon  cher  bâtonnier.. 

ARMAURY 

J'apprécie  l'allusion;  mais,  ce  qu'il  y  a  d'extraor- 
dinaire, c'est  que  vous  parlez  de  la  société  comme 
un  de  ses  représentants!  Allons  donc,  monsieur 
l'abbé,  vous  êtes  plus  que  moi  en  marge  de  la  so- 
ciété, vous  qui  avez  fui  le  devoir  social.  Si  j'ai  plei- 


ACTE  TROISIEME  145 

nement  suivi  la  loi  d'amour,  vous,  vous  l'avez  re- 
niée et,  pour  la  société,  cela  revient  au  même,  cela 
est  pire! 

l'abbé 

Vous  vous  trompez.  Mon  célibat  n'est  pas  en 
marge  de  la  société.  Il  ne  nuit  au  moins  à  personne. 

ARMA.URY 

Allons!  Allons!  vous  êtes  bel  et  bien  un  indivi- 
dualiste acharné,  mon  cher  abbé  !  Mais,  si  champion 
inattendu  que  vous  vous  fassiez  de  la  vie  moderne, 
vous  n'allez  pas  jusqu'à  prétendre  sérieusement,  je 
l'espère  bien,  que  la  société  a  harmonisé  les  choses 
de  l'amour  et  que  tout  est  bien  dans  le  meilleur  des 
mondes?...  Voyez  mon  cas  de  séducteur,  juste- 
ment. On  m'interdit  de  subir,  comme  je  le  veux,  les 
rigueurs  de  ma  conscience.  Périsse  cette  enfant 
plutôt  que  le  principe!  Non,  non,  croyez -en  ma 
compétence,  je  me  suis  penché  sur  les  codes...  La 
société  n'a  pas  trouvé  la  solution  de  l'amour. 

l'abbé 
Non,  c'est  la  religion... 

ARMAURY 

Pas  plus  la  religion,  car  elle  a  mis  le  péché  à  la 
base  de  l'amour,  et  c'est  là  une  faute  impardon- 
nable et  dont  les  conséquences  ont  été  incalcu- 

13 


U6  LA  VIERGE  FOLLE 

labiés.  C'est  à  cause  d'elles  que  nous  ne  nous  com- 
prenons pas  en  ce  moment,  ni  Tun  ni  l'autre,  et  que 
vous  me  faites  une  lâcheté  de  ce  que  j'appelle  mon 
courage... 

l'abbé 
Courage  facile,  qui  accumule  des  désastres  et 
des  ruines.  C'est  le  courage  du  moindre  effort... 

ARMAURY 

Quelle  erreur!...  Je  vais  où  je  dois  aller...  du  côté 
des  plus  grandes  ruines,  monsieur  l'abbé.  Vous  ve- 
nez me  parler  ici  d'autres  ruines,  celles,  dites-vous, 
de  cette  famille  éplorée...  Eh  bien,  elles  ne  sont 
que  ruines  d'amour-propre,  des  atteintes  à  des 
conventions  respectables,  mais  qui  n'atteignent 
aucun  bonheur  vivace.  Ces  gens-là  seront  très 
affectés,  je  vous  l'accorde,  mais  ils  ne  perdront  leur 
fille  que  s'ils  le  veulent  bien...  Ils  n'éprouveront 
que  des  blessures  mentales,  et  il  ne  tiendrait  qu'à 
eux  de  les  dominer...  Cette  douleur-là  n'est  rien, 
rien,  en  comparaison  de  celle  qu'éprouverait  cette 
pauvre  enfant  si  je  l'abandonnais.  Je  vous  le  dis, 
il  faut  que  j'aille  du  côté  des  plus  grandes  ruines. 

l'abbé,  qui  se  contient  difficilement  depuis  quelques  instants. 

Des  plus  grandes?...  J'ai  promis  que  je  ne  pro- 
noncerais pas  le  nom  de  Mme  Armaury... 

Silence.  —  Armaury  s'assied  tristement,  devant  l'évoca- 
tion du  nom  qui  a  résonné  ;  sa  parole  est  changée. 


ACTE  TROISIEME  U7 

ARMAURY 

Oui,  ma  pauvre  femme,  monsieur  Tabbé,  ma 
pauvre  femme!...  Voilà  le  seul  désastre;  il  est  im- 
mense, et  l'amour  a  aussi  une  puissance  destruc- 
tive qui  est  bien  son  côté  le  plus  misérable.  Ah!  la 
malheureuse!  Ce  qui  est  vrai  pour  un  amour  est 
ausài  vrai  pour  l'autre...  Les  deux  foyers  sont  en 
balance...  Ah!  la  terrible  balance!  Et  quel  calcul 
afîreux  que  de  s'en  remettre  à  la  décision  du  pla- 
teau qui  penche  le  plus.  (Avec  effort.)  Permettez- 
moi  de  vous  dire,  pourtant,  que  je  suis  le  seul  en 
mesure  de  pouvoir  estimer  le  degré  des  deux  catas- 
trophes entre  lesquelles  j'ai  le  choix...  Je  connais 
ma  femme,  c'est  une  courageuse,  c'est  une  éner- 
gique... 

l'abbé 
Oh! 

ARMAURY 

Je  ne  spécule  pas  là-dessus,  croyez-le  bien,  ce 
serait  ignoble!  Je  constate,  je  compare  les  deux  dé- 
sastres :  ma  femme  souffrira...  mais  ma  femme  vi- 
vra! Tandis  que  l'autre,  avec  son  amour  neuf,  pas 
secouru,  son  amour  qui  ignore  tout  de  la  vie,  son 
amour  qui  commence!...  Oh!  c'est  effroyable,  un 
amour  qui  commence...  Non!  Mes  vrais  devoirs 


148  LA  VIERGE  FOLLE 

actuels  sont  du  côté  de  ce  foyer-là.  (il  frappe  résolument 
du  poing  sur  la  table,  comme  s'il  revivait  une  dernière  fois  sa 
détermination.)  Vous  ne  le  croyez  pas,  naturelle- 
ment, libre  à  vous.  C'est  <une  toute  petite  minorité 
que  ceux  qui  vivent  indépendants;  nos  actes  les 
plus  probes  doivent  forcément  paraître  des  folies 
ou  des  crimes  aux  yeux  de  ceux  qui  n'y  étaient 
pas  destinés. 

l'abbé 

Cette  minorité-là  veut  l'impossible  et  restera 
sans  influence!...  Heureusement!...  Vous  ne  m'en- 
traînerez pas  d'ailleurs,  monsieur,  sur  le  terrain  de 
la  vaine  et  facile  éloquence.  Je  me  le  suis  promis... 
Je  n'ai  cherché  qu'à  être  simple. 

ARMAURY 

Mais  non,  monsieur  l'abbé,  n'ayons  pas  honte  de 
nous-mêmes;  nous  ne  faisons  pas  ici  de  l'éloquence 
de  chaire,  ni  de  prétoire.  Nous  le  pourrions,  en 
effet,  car  nous  sommes  de  vieux  adversaires;  nous 
nous  sommes  rencontrés  depuis  les  premiers  âges 
du  monde.  J'étais  la  libre  pensée,  vous  étiez  la  foi... 
mais  ici  nous  abdiquons,  (Très  simplement.)  nous  ne 
sommes  plus  que  les  missionnaires  des  âmes  que 
nous  avons  à  défendre. 

l'abbé,  reprenant  son  chapeau  après  un  instant  de  réflexion. 
Eh  bien,  là  où  j'ai  échoué,  d'autres  réussiront 


ACTE  TROISIEME  149 

peut-être...  C'est  exact  :  je  n'ai  supplié  et  je  n'ai 
parlé  qu'au  nom  des  intérêts  de  ceux  que  j'aime... 

ARMAURY 

Quelle  belle  parole  vous  venez  de  dire  là!...  Il 
n'y  en  a  pas  de  plus  belle!...  Les  intérêts  de  ceux 
qu'on  aime...  Hélas!...  (il  pousse  un  très  lourd  soupir, 
puis  considère  l'abbé; et,  avec  un  certain  frémissement  de  la  voix:  ) 
Séparons-nous,  monsieur  l'abbé;  cette  flamme  qui 
m'agite,  cet  amour  qui  me  commande,  vous  ne  le 
connaissez  pas,  vous  ne  le  connaîtrez  jamais.  N'es- 
sayez pas  de  juger  une  chose  que  vous  avez  reniée, 
et  dont  la  beauté  vous  est  totalement  fermée.  Vous 
n'aviez  que  faire  dans  ce  combat;  vous  étiez  le 
dernier  à  devoir  vous  trouver  ici.  Dites-vous  sim- 
plement en  partant  que  si  vous  n'avez  pas  ébranlé 
cette  porte,  c'est  qu'il  y  avait  derrière  des  trésors 
qui  vous  étaient  interdits... 

l'abbé 

Les  miens  me  suffisent  et  leur  beauté  est  plus 
manifeste...  Les  trésors  dont  vous  parlez  brillent 
d'un  éclat  orgueilleux  et  solitaire...  Les  miens 
s'éclairent  au  jour  et  à  la  lumière  d'un  amour  plus 
vaste  et  plus  salubre. 

ARMAURY 

Plus  un  mot,  monsieur  l'abbé.  Chacun  a  sa  con- 

13. 


150  LA  VIERGE  FOLLE 

ception  humaine  ou  divine  de  ramour!...Et  ce 
sont  des  convictions  inébranlables.  Retournez  à 
ces  gens  et  allez  leur  dire  que  la  proie  que  j'ai  prise... 
je  la  garde! 

L  ABBÉ,  après  un  silence. 
Je  n'ai  donc  plus  qu'à  aller  rendre  compte  à  la 
famille  de  Charance  de  l'échec  de  ma  démarche... 
Non,  nous  n'étions  pas  faits  pour  nous  rencontrer, 
c'est  Arai,  mais  il  y  a  toujours  un  carrefour  où  les 
routes  les  plus  diverses  se  rencontrent  :  c'est  le 
carrefour  de  la  douleur.  Je  ne  m'illusionnais  pas 
sur  l'issue  de  cette  démarche;  je  me  suis  restreint 
à  la  supplication.  Ma  place  n'est  pas  ici,  vous 
l'avez  dit,  et,  en  le  disant,  vous  avez  fait  appel  in- 
consciemment à  une  autre  voix  que  la  mienne,  la 
voix  qu'il  fallait  que  vous  entendiez,  qu'il  faut  que 
vous  entendiez...  Permettez-moi  de  m'effacer  de- 
vant elle.... 

ARMAURY,  inquiet. 

Que  voulez-vous  dire?  A  qui  faites-vous  allusion? 

l'abbé,  ouvrant  la  porte  de  droite. 
A  la  personne  qui  est  au  fond  de  ce  corridor  et  qui 
n'attend  qu'un  signe  de  moi  pour  entrer...  Je  vous 
salue...  (Il  fait  un  geste  et  demeure  sur  le  seuil  quelques  se- 
condes. Puis  il  laisse  passer  Mme  Arraaury.)  Entrez,  ma- 
dame!... Je  vous  souhaite  plus  de  bonheur. 
Il  sort. 


ACTE  TROISIÈME  151 

SCÈNE  IV 
ARMAURY,  FAN.NY 

FAN  N'Y 

Bonjour,  Marcel. 

ARMAURY 

Toi  aussi!...  Te  voilà  donc,  ma  pauvre  Fanny.. 

FANXY,  qui  s'appuie. 

Je  croyais  que  j'aurais  eu  plus  de  courage  en  te 
revoyant,  mais,  malgré  tout...  c'est  une  si  grande 
émotion... 

AR-MAURY 

Oui,  une  grande  émotion  pour  moi  aussi,  (ils  restent 
ainsi  sans  pouvoir  plus  rien  se  dire,  la  gorge  contractée,  ni  près, 
ni  loin  l'un  de  l'autre.)  Alors,  puisqu'on  ne  se  tend  même' 
pas  la  main...  mets-toi  là...  assieds-toi. 

Il   lui    indique    doucement    la    borne    du    milieu.    Elle 
s'assied.  Silence. 

FANNY 

Tu  ne  m'attendais  pas...  tu  ne  croyais  pas  que 
j'en  étais...  et  tu  te  dis,  sans  doute  :  «  Où  cela  s'ar- 
rêtera-t-il?  »  Tu  te  demandes  combien  nous  sommes 
à  tes  trousses?  N'est-ce  pas? 


15-2  LA  VIERGE  FOLLE 

AmiAURY 

Oh!  c'est  un  calcul  facile  à  faire; mais, les  autres... 
voilà  qui  m'est  égal!  Il  n'y  a  que  toi  qui  comptes, 
Fanny... 

FANNY 

Je  m'en  doute.  (Elle  relève  sa  voilette.  Ils  se  regardent.)  Je 
suis  venue...  quel  voyage!...  oh!  mais  pas  pour  ce  que 
tu  redoutes.  Va,  tu  n'auras  pas  la  scène  de  larmes... 
tu  ne  l'as  jamais  eue  de  moi,  c'est  une  justice  à  me 
rendre,  n'est-ce  pas?  Maintenant  que  je  souffre, 
que  tout  est  écroulé,  que  je  suis  la  plus  malheureuse 
des  femmes,  tu  ne  l'auras  pas  davantage...  Oh! 
certes,  mon  premier  mouvement  a  bien  été  de  me 
venger,  de  me  joindre  à  eux  pour  venir  te  crier  des 
injures.  Tu  es  parti  si  lâchement  l'autre  jour,  sans 
même  une  précaution,  sans  la  plus  petite  délica- 
tesse !  Alors,  je  les  ai  suivis...  Mais  tu  n'auras  ni  mes 
larmes  ni  ma  colère,  cela  non  plus,  Marcel.  Les 
autres  croient,  en  ce  moment,  que  je  suis  déjà  à  tes 
pieds  sans  doute,  à  te  supplier,  à  m'accrocher  à 
toi.  Ils  escomptent  que  je  vais  tout  sauver,  em- 
porter d'un  coup  la  situation!  Non,  non...  j'ai  ré- 
fléchi en  voyage,  je  me  suis  calmée.  Je  ne  te  don- 
nerai pas  le  spectacle  de  ma  détresse.  Pour  ça,  les 
quatre  murs  d'une  chambre  solitaire  suffisent  et 
valent  mieux. 


ACTE  TROISIÈME  153 

ARMAURY 

Je  sais  que  tu  n'as  aucune  bassesse,  Fanny,  au- 
cune humilité,  même  dans  la  douleur... 

FANNY,  souriant  tristement. 

Je  n'ai  que  des  qualités,  n'est-ce  pas?  Dis-le, 
dis-le  donc!... 

ARMAURY 

Oui,  certainement,  je  le  pense,  je  le  pense  de 
toutes  mes  forces... 

FANNY 

C'est  bien  ce  qu'il  y  a  de  plus  abominable,  c'est 
que  tu  le  penses  I  C'est  qu'en  effet  tu  peux  me 
croire  toutes  les  qualités,  sans  m'aimer  pour  cela, 
si  peu  que  ce  soit! 

ARMAURY 

Fanny,  si  j'osais  m'expliquer,  si  je  l'osais,  j'irais 
jusqu'à  dire,  en  toute  sincérité,  que... 

FANNY,  vivement. 

Que  tu  m'aimes?...  Eh  bien,  ne  le  dis  pas,  car  ce 
ne  serait  pas  vrai.  Oh!  je  sais  que,  malgré  tout,  tu 
as  de  l'affection  pour  moi.  Tu  vois  jusqu'où  je 
vais?  Qui  sait  même  si,  à  certains  moments  de  ta 
vie,  dans  les  grands  jours,  tu  n'as  pas  eu  de  la 
tendresse!... 


154  LA  VIERGE  FOLLE 


ARMAURY 


Une  tendresse  immense,  une  sympathie  de  tous 
les  instants... 

C*est  bien  possible  !  Mais  tu  ne  m'as  jamais 
aimée,  Marcel,  tu  ne  m'as  jamais  aimée...  (Elle  hésite.) 
physiquement.  Oh!  ne  proteste  pas!  ce  sont  des 
choses  qu'on  n'ose  pas  se  dire  durant  quinze  ans... 
on  ne  l'ose  pas,  par  un  sentiment  humilié  facile  à 
comprendre,  mais,  maintenant,  qu'est-ce  que  je 
risque  à  me  l'avouer!...  Tu  m'as  désirée  huit  jours, 
un  mois  peut-être...,  tu  vois  que  je  précise...,  les 
premiers  temps  de  notre  mariage!  Et  encore!  En 
tout  cas,  c'a  été  tout!  Pourquoi?  j'en  valais  bien 
une  autre;  je  n'étais  pas  laide,  je  n'étais  pas  sotte; 
bien  des  hommes  m'ont  fait  la  cour.  Pourquoi? 
C'est  injuste!...  Ton  mariage  a  été  un  mariage  de 
raison.  Tandis  que  moi...,  moi,  je  t'ai  tant  aimé! 
Tu  as  été  mon  Marcel  dès  le  premier  jour,  tu  as  été 
pour  moi  quelque  chose  comme  l'idole...  je  chéris- 
sais ta  supériorité,  je  me  réchauffais  à  ta  gloire; 
j'étais  fière  quand  j'entrais  dans  les  salons  avec 
toi,  heureuse  quand  nous  en  sortions  et  que  nous 
n'étions  plus  que  nous  deux  sur  la  terre!  Oh!  mais 
heureuse  !  (Le  bras  tendu  vers  lui,  comme  dans  un  reproche 

désolé.)  Cela,  tu  l'as  su,  cela,  tu  n'en  doutais  pas... 


ACTE  TROISIEME  155 

ARMAURY 

Je  te  laisse  parler,  je  t'écoute  comme  on  écoute 
son  propre  jugement,  le  jugement  qui  vous  con- 
damne! (Énergique  tout  à  coup.)  Et  pourtant  ce  n'est 
pas  vrai,  je  t'ai  aimée,  et  je  persiste  à  t'aimer  en- 
core. 

FANNY,  avec  véhémence 

Mais  non,  malheureux!  mais  non,  et  ne  proteste 
donc  pas,  car  c'est  bien  ce  qui  me  sauve!  C'est  ma 
chance  que  tu  ne  m'aimes  pas...  ma  veine...  car, 
si  je  n'avais  pas  été  préparée  par  des  années,  de 
longues  années  d'inquiétudes,  malheureux,  ne 
vois-tu  pas  que  ta  rupture,  maintenant,  ce  serait 
ma  mort,  ma  mort  sans  phrases!  Je  ne  la  suppor- 
terais pas.  Quelle  horreur!...  Tandis  que,  mainte- 
nant, cet  écroulement  et  cette  solitude  me  trouvent 
même  plus  forte  que  je  ne  m'y  attendais.  C'est  bien 
parce  que  tu  ne  m'as  pas  aimée  que  je  puis  être  ici 
et  que  nous  pouvons  nous  parler  sur  ce  ton  calme, 
presque  tranquille,  irréparable.  Voyons,  est-ce 
qu'autrement,  je  ne  te  dirais  pas  des  choses  ter- 
ribles... des  choses...  (Et  ses  yeux  pétillent  en  le  disant.)  que 
je  puis  refouler  dans  ma  gorge,  malgré  l'envie 
qu'elles  ont  d'en  sortir!  Et  si  tu  m'aimais,  toi,  si 
peu  que  ce  soit,  crois-tu  que,  depuis  que  je  suis 
ici,  tu  ne  m'aurais  pas  couverte  d'injures  ou  serrée 
dans  tes  bras!... 


156  LA  VIERGE  FOLLE 


ARMAURY 


Fanny,  ce  n'est  pas  le  désir  qui  m'en  fait  dé- 
faut!... mais  je  m'efforce  au  calme  de  toute  l'éner- 
gie que  tu  me  connais,  je  redoute  l'éclat  de  nos  sen- 
sibilités... Sans  quoi... 

Il  a  un  mouvement  vers  elle.  Fanny,  le  voyant,  se  lève, 
avec  un  mouvement  inverse  de  pudeur  froissée. 

FANNY 

Oh  !  je  n'ai  pas  réclamé  !...  Je  t'en  prie...  Toi  aussi 
tu  me  connais,  j'ai  horreur  des  pleurnicheries,  et 
je  n'attache  pas,  mon  Dieu,  un  tel  prix  à  ma  propre 
personne.  Je  ne  serai  pas  comme  tant  d'autres,  va... 
je  n'irai  pas  crier  sur  les  toits  mon  chagrin  ni  tes 
lâchetés  :  je  tâcherai  de  me  faire  un  veuvage  très 
digne. 

ARMAURY 

Ah!  Fanny!  l'être  d'élite  et  de  distinction  que  tu 
es  méritait  mieux  que  ce  que  je  t'ai  donné;  tu  va- 
lais tous  les  bonheurs...  Fanny,  je  suis  voué  au  si- 
lence devant  toi  et  sois  sûre  que,  si  je  ne  tenais  pas 
justement  à  éviter  une  explication  profonde,  une 
explication  qui  ne  nous  mènerait  à  rien  de  bon, 
sois  sûre  que  je  trouverais  d'autres  paroles  et  une 
autre  attitude  que  celles  auxquelles  je  m'efforce, 
auxquelles  je  m'accroche...  comme  à  une  consigne! 


ACTE  TROISIEME  157 

FANNY 

Mais,  je  les  devine,  tes  paroles,  va!  je  les  devine 
toutes!  Ne  te  donne  pas  la  peine.  Excuses,  fata- 
lité,pas  d'enfant,  obligation  de  me  quitter,  etc.,etc.!. . 
Merci  bien!...  je  suis  de  ton  avis;  pas  de  ces  écœu- 
rements-là, pas  de  ces  oraisons  funèbres  qui  doivent 
être  plus  vaines  que  la  mort!...  Non,  des  mots  pré- 
cis. (Elle  se  rassied.)  Eh  bien,  je  suis  venue  avec  ces 
gens  pour  te  poser,  moi,  une  seule  et  unique  ques- 
tion; sois  tranquille,  pas  plus,  un  oui  ou  un  non!... 
Oh  !  je  prévois  d'ailleurs  quelle  sera  la  réponse,  mais 
c'était  nécessaire  qu'elle  me  vînt  de  toi,  que  je  l'en- 
tende une  fois  de  ta  bouche...  Je  te  jure,  Iprsque  tu 
m'auras  répondu,  ce  sera  tout...  je  m'en  irai  très 
simplement,  comme  je  suis  venue...  Voilà. 

ARMAURY 

Parle  donc. 

FANNY,  hésitant  tout  à  coup,  hachant  les  mots. 

^C'est  difficile  à  te  demander...  Enfin,  à  mots 
couverts,  tu  comprendras  ce  que  je  veux  dire... 
Voyons...  As-tu  l'impression...  que  c'est  pour  la 
vie...  Comprends...  Crois-tu  que  ce  soit  une  de  ces 

14 


158  LA  VIERGE  FOLLE 

passioris  définitives  qui  tiennent  toute  l'existence... 
enfin... 

Elle  ne  continue  pas.  Les  mots  expirent.  Elle  attend,  le 
visage  tendu  anxieusement  vers  lui.  Long  silence.  — 
Armaury  est  assis  à  une  table,  là  tête  cachée  par  une 
main.  De  l'autre,  il  caresse  machinalement  le  bois  de  la 
table. 

ARMAURY 

Ce  que  tu  demandes  là  est  sans  réponse!  Gom- 
ment veux-tu?  La  vie,  c'est  bien  long...  (ll  parle  péni- 
blement, lentement,  très  bas.)  De  plus,  si  je  suis  évidem- 
ment dans  l'état  d'esprit  d'un  homme  assez  em- 
porté pour  sacrifier  jusqu'à  ses  affections  les  plus 
chères,  et.. 

FANNY,  très  vite,  en  fermant  les  yeux. 

Bon...  compris...  compris...  Ne  va  pas  plus. loin... 
Pour  que  l'homme  que  tu  es  réponde  comme  tu  ré- 
ponds, dans  un  moment  pareil,  c'est  qu'il  est  inu- 
tile d'insister...  Compris...  J'en  étais  sûre  d'ail- 
leurs... Ce  n'était  qu'une  formalité.  Quand  quel- 
qu'un de  ta  trempe,  grave,  pondéré,  prend  une  telle 
résolution,  et  casse  tout,  il  n'y  a  plus  rien  à  faire!... 
J'ai  compris.  Tu  me  passerais  sur  le  corps...  Tu 
passerais  sur  tout...  tu  nous  sacrifierais  tous...  tu 
passerais   sur  ta    propre  douleur...    C'est   fini!... 

{Sur  la  borne  où  elle  est  assise,  le  corps  a  im  fléchissement  de 
mort.  Puis,  d'un  mouvement  lent  et  lassé  des  épaules  et  de  la 


ACTE  TROISIEME  153 

main,  elle  rajuste  son  manteau  ;  très  simplement,  elle  se  soulève, 
le  pas  traînant.)  Alors,  je  ne  vais  plus  te  demander 
qu'une  seule  chose...  une  seule,  vois-tu,  mais  j'en 
ai  tant  besoin!  (Elle  a  un  tremblement.)  S'il  survenait 
dans  ta  vie  un  accident...  sait-on  jamais,  n'est-ce 
pas?  il  y  a  tant  d'imprévu!...  c'est  vrai...  la  vie 
est  bête...  une  voiture  qui  passe  et  qui  écrase...  la 
maladie...  enfin,  qui  peut  répondre  de  l'avenir?... 
mille  choses!...  tu  as  quarante  ans  passés...  elle  est 
très  jeune...  dans  quelques  années,  sait-on,  un  dé- 
saccord... enfin,  écoute,  s'il  arrivait  qu'à  votre  tour 
vous  deviez  vous  séparer...  ^Très  vite,  dans  une  sorte  de 
secousse  de  désespoir.)  je  te  demande  seulement  de 
m' assurer  que  c'est  à  moi  que  tu  reviendrais! 

Étonné  d'abord,  il  la  regarde,  puis  ses  yeux  se  mouillent. 
ARMAURY 

Oh!  cela,  de  tout  mon  cœur,  Fanny!  Tu  peux 
en  être  sûre...  Je  te  le  jure,  de  tout  mon  remords  et 
sur  toute  notre  ancienne  tendresse! 
Silence. 

FA>>Y 

Et,  maintenant,  il  va  falloir  que  je  vive  de  cette 
petite  parole-là!...  Il  le  faut,  il  le  faut,  ou  je  serais 
perdue!...  Avec  ça,  tu  comprends,  je  vais  pouvoir 
passer  le  pont...  le  pont  de  la  douleur...  si  long  qu'il 


160  LA  VIERGE  FOLLE 

soit.  Autrement,  je  crois  bien,  Marcel,  que  je  mour- 
rais tout  à  coup...  Le  vide  tout  noir,  là,  devant  soi... 
le  trou...  brrr!...  Tandis  qu'ainsi,  avec  la  compa- 
gnie au  moins  de  cette  attente,  avec  l'idée  qu'on  se 
reverra  tout  de  même  un  jour...  car  c'est  fatal, 
c'est  sûr,  c'est  sûr,  on  se  retrouvera...  eh  bien,  alors, 
j'aurai  du  courage!  Tout  ne  sera  pas  mort.,,  il  y 
aura  le  point  fixe,  là-bas.,.  Illusion  pour  toi,  peut- 
être,  réalité  pour  moi!  Cette  idée  va  s'ancrer  en 
moi,  qu'on  vieillira  peut-être  ensemble,  que  nous 
serons  là,  tous  deux,  tout  vieux...  que  nous  aurons 
notre  vieillesse  comme  nous  avons  eu  la  jeunesse... 
que  je  serrerai  tes  mains  dans  les  miennes,  avant  de 
partir  pour  le  grand  voyage...  Cela  me  fera  même 
tenir  à  ma  propre  vie...  cela  me  forcera  à  me  soi- 
gner, à  ne  pas  me  laisser  aller  comme  celles  qui  ont 
renoncé  complètement,.,  afin  que  tu  me'^^retrouves 
encore  un  peu  ressemblante  à  ce  que  j'ai  été,  quand 
nous  vivions  ensemble!... 

ARMAURY,  pleurant,  la  tête  dans  ses  mains. 

Ah  !  Fanny,  tout  ce  que  tu  dis  là,  tout  ce  que  tu 
dis  là,,,  c'est  immense!,,. 

FANNY 

Pas  un  mot  de  commisération,  je  t'en  prie,  pas 
un  mot,  ou  je  n'aurai  même  plus  la  force  de  me 


ACTE   TROISIÈME  161 

lever  et  de  m'en  aller!  Et  Dieu  sait  ce  qu'il  va  m'en 
falloir  de  force!  Je  vais  tâcher  de  m'imaginer... 
n'importe  quoi...  que  tu  es  parti  pour  un  long  tour 
du  monde.  Il  y  a  des  femmes...  tiens,  Thérèse  Vi- 
dal, par  exemple...  dont  les  maris  sont  en  expé- 
dition, très  loin,  durant  des  années...  Elles  sup- 
portent très  convenablement  l'absence,  à  cause  de 
l'idée...  l'idée!...  Tu  as  parfaitement  bien  fait.  Mar- 
cel, de  me  parler  avec  cette  franchise.  C'est  très 
bien  comme  ça...  et  c'est  tellement  mieux!  Tu  au- 
rais pu  mentir...  tandis  qu'ainsi  je  préfère  renoncer 
complètement  à  tout  faux  espoir  de  replâtrage... 
Au  moins,  comme  ça,  c'est  net...  on  ne  perd  pas  son 
temps  à  des  chimères,  à  des  désespoirs,  des  rages 
contre  lesquelles  on  finit  par  se  casser  la  tête!...  Je 
vais  tout  de  suite  m'y  mettre...  Oh!  j'ai  déjà  tâché, 
aujourd'hui...  Ce  matin,  je  me  suis  dit  :  «  Tiens, 
puisque  je  suis  à  Londres,  profitons-en  tout  de 
même...  »  Alors,  j'ai  été  à  Westminster,  j'ai  visité 
les  musées,  la  National  Gallery,  j'ai  tâché  de  m'en- 
thousiasmer  pour  des  tableaux...  Ah!  dame,  ce 
n'était  pas  facile!...  J'ai  entrevu  toutes  les  villes 
que  j'aurai  le  temps  maintenant  de  visiter.  J'ai 
entrevu  ce  que  sera  désormais  cette  existence  de 
voyages...  toutes  ces  villes  où  il  me  semble  que  la 
plus  grande  angoisse  que  j'éprouverai,  c'est  de  ne 
plus  avoir  quelqu'un  à  qui  envoyer  de  télégramme 
en  arrivant...  comme  aujourd'hui...  car  c'est  la  pre- 

14. 


162  LA  VIERGE  FOLLE 

mière  fois  que  je  suis  arrivée  quelque  part  sans 
écrire  sur  un  bout  de  papier  :  «  Suis  bien  arrivée, 
chéri!  »  « 

ARMAURY 

Si  tu  t'es  juré  de  ne  prononcer  que  les  paroles  les 
plus  émouvantes,  les  paroles  qui  trouent  l'âme... 
ah!  tu  as  pleinement  réussi,  Fanny!  Je  ne  puis  te 
dire  que  cela,  c'est  peu,  mais  je  te  le  dis  dans  un 
grand  bouleversement  :  je  n'ai  pas  en  moi  la  possi- 
bilité de  modifier  les  événements,  je  n'en  suis  même 
plus  le  maître...  mais,  qu'il  arrive,  un  jour  quel- 
conque, un  de  ces  imprévus  que  tu  viens  d'énu- 
mérer,  et  qui  sont  plus  forts  que  nos  volontés, 
ah!  c'est  à  toi  seule,  Fanny,  que  je  courrai,  de  tout 
mon  élan! 

FANNY 

Tu  vois  que  j'ai  bien  fait  de  venir!  Je  le  savais, 
je  le  savais  qu'il  sortirait  de  notre  rencontre,  quel- 
que chose  de  bien,  d'utile...  Les  autres  sont  là,  à 
attendre...  ils  croient  que  nous  sommes  en  train  de 
nous  dire  les  pires  horreurs,  toutes  les  saletés 
qu'on  se  jette  à  la  tête  en  pareil  cas...  et,  au  con- 
traire, entre  nous,  il  y  aura  eu,  non  pas  un  rappro- 
chement, mais  quelque  chose  comme...  une  com- 
plicité de  l'avenir...  quelque  chose  de  bien  à  nous 


ACTE  TROISIEME  i63 

deux.  (Fébrile.)  Oui,  oui,  je  sors  de  là  avec  un  petit 
peu  de  lumière,  de  l'énergie  au  cœur...  C'est  très 
bien...  c'est  très  bien. 

.    ARMAURY,  éclatant  en  larmes  et  courant  à  elle. 

Fanny!  Fanny!  Oh!  je  ne  peux  plus...  j'étouffe... 

FA>'>'Y,  l'interrompant  avec  un  grand  retrait  de  tout  l'être. 

Non,  surtout  pas  cela,  pas  un  geste,  mon  ami, 
pas  un  mouvement  vers  moi.  pas  une  fausse  note, 
Marcel!...  Je  sais  que  tu  meurs  d'envie  de  me  serrer 
dans  tes  bras...  je  le  vois,  j'en  suis  sûre...  mais  ne 
le  fais  pas,  je  t'en  supplie...  Pas  un  geste  maladroit! 
C'est  surtout  ce  baiser-là  qu'il  faut  savoir  ne  pas 
nous  donner!...  Non,  quittons-nous  sur  cette  espèce 
de  lumière  ;  nous  ne  trouverons  pas  mieux.  N'ajoute 
pas  même  un  mot,  ce  serait  de  trop.  Nous  n'avons 
pas  laissé  échapper  la  moindre  bévue,  la  moindre 
rancœur...  je  t'assure,  c'est  très  bien,  très  satis- 
faisant. Maintenant,  je  vais  être  forte,  Marcel!.. 
Avec  ce  petit  bout  d'espoir,  cette  promesse,  je 
vais  t'attendre  patiemment,  et  avec  un  grand  cou- 
rage... 

Elle  va  vivement  à  la  sonnerie  du  mur. 
ARMAURY 

Qu'est-ce  que  tu  fais? 


164  LA  VIERGE  FOLLE 

FANNY 

Je  fais  prévenir  tout  de  suite  He*  père  et  le  fils 
qui  sont  dans  un  salon,  à  attendre  anxieusement  le 
résultat  de  notre  entrevue.  Je  vais  leur  dire  que  tu 
es  parti,  que  tu  t'es  en  allé.  Sors  par  ici,  ils  ne  te 
rencontreront  pas.  J'arrangerai  tout;  je  me  charge 
de  mettre  les  choses  au  point...  Tu  peux  me  laisser, 

maintenant,  sans  peur...  (Elle  relève  une  tête  énergique 
où  des  larmes  brillent  dans  les  yeux  et  où  un  sourire  lumineux 
palpite.)  Au  revoir,  Marcel.  A  un  jour  quelconque... 
si  loin  qu'il  soit!  le  jour  que  tu  voudras...  Je  serai 
là!  Va,  mon  ami...  va!... 

Droite,  sans  le  regarder,  comme  transflgurée  par  l'effort, 
elle  demeure  ainsi,  les  bras  tendus,  empreinte  d'un 
désespoir  radieux.  Il  sort  brusquement,  presque  en 
courant,  comme  quelqu'un  qui  va  pleurer  dehors. 
Restée  seule,  immobile,  les  traits  peu  à  peu  se  déten- 
dent comme  s'ils  reprenaient  l'expression  ordinaire  de 
la  vie,  et  la  tristesse  y  reprend  sa  ligne  habituelle. 

LE    DOMESTIQUE    DE    l'hOTEL,  entrant. 

Did  Madam  ring? 

FANNY 

Voulez-vous  prévenir  les  deux  personnes  qui  at- 
tendent dans  le  petit  salon...  (Elle  désigne  la  porte  du 
corridor.)  qu'elles  peuvent  entrer  ici...  qu'on  les 
attend. 

Elle  reste  seule,  essayant  alors  de  se  maîtriser,  de  se 
dominer. 


ACTE  TROISIÈME  165 


SCÈNE  V 

FANNY,  AMÉDÉE  DE  CHARANCE  et  GASTON 
DE  CHARANCE 

DE    CHARANCE 

Eh  bien,  il  est  parti? 

FANNY,  très  simple,  cherchant  le  ton  de  voix 
de  la  conversation. 

Il  vient  de  s'en  aller... 

DE    CHARANCE 

Alors?... 

FANNY 

Eh  bien...  eh  bien,  il  n'y  a  rien  à  faire... 

DE    CHARANCE 

Ah!  C'est  votre  impression?... 

GASTON 

Que  s'est-il  passé?...  Racontez.  Vous  avez  parlé 
de  nous,  vous  avez  parlé  en  notre  nom?... 


i66  LA  VIERGE  FOLLE 

FA>NY 

Si  j'ai  parlé  de  vous?  Je  crois  bien!  Je  n'ai  fait 
que  cela.  Il  m'a  répondu  que  tout  lui  était  absolu- 
ment égal...  que,  d'ailleurs,  il  ne  se  battrait  pas... 

GASTO>' 

Ah!   ah! 

FA>^Y 

Qu'il  était  décidé  à  opposer  une  fin  de  non-rece- 
voir  à  toute  provocation,  à  toute  démarche  ou 
agression...  Voilà!...  Nous  avons  vu  ce  que  nous 
voulions  voir.  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  nous  en  re- 
tourner... à  Paris,  et  au  plus  vite! 

DE    CHARA>CE 

A  nous  en  retourner...  Vraiment...  tel  est  votre 
avis?... 

FANNY 

Dame!  Que  voulez-vous  que  nous  fassions  de 
plus?  Nous  avons  tout  épuisé.  De  quoi  avons-nous 
l'air,  à  la  fin?...  D'une  noce  de  vaudeville!...  Voyez- 
vous  ce  cortège  emboîtant  le  pas  derrière  cet  homme 
et  cette  femme...  Mes  amis,  il  n'y  a  plus  qu'à  ren- 
trer chacun  chez  nous,  prendre  notre  parti  de  l'ir- 
rémédiable et  faire  au  moins  que  nous  ne  devenions 
pas  risibles. 


ACTE  TROISIEME  167 

DE    CHAR AN CE 

Je  ne  crois  pas,  madame,  qu'on  puisse  se  moquer 
d'un  père  qui  se  défend  avec  désespoir  et  qui  se 
défendra  avec  toute  la  force  de  son  indignation, 
je  vous  le  garantis.  La  résignation  vous  vient  avec 
facilité!  Après  tout,  vous  ne  dépendez  que  de  vous- 
même;  il  y  a  moins  d'affaires  engagées,  moins  de 
choses  en  jeu  de  votre  côté  que  du  nôtre... 

GASTON 

Mais,  madame... 

DE   CHARANCE,  lui  imposant  silence. 

Une  seconde,  Gaston...  Madame,  vous  nous  con- 
seillez à  chacun  la  résignation  et  le  renoncement 
que  vous  nous  distribuez  avec  un  sang-froid  que 
vous  n'aviez  pas,  hier  encore,  et... 

FANNY 

Je  ne  l'avais  pas  hier,  parce  que  je  n'étais  pas 
persuadée  encore  de  l'irréparable,  je  ne  m'étais 
pas  heurtée  moi-même  à  l'impossible  comme  je 
viens  de  le  faire... 

DE    CHARANCE 

Justement,  madame,  voilà  où  je  voulais  en  venir. 
Dans  mon  effondrement,  moi,  je  n'ai  plus  qu'une 


168  LA  VIERGE  FOLLE 

idée  :  que  notre  honneur  s'en  sorte  avec  le  moins 
d'atteinte  possible.  Je  vous  propose  une  solution 
légale,  amiable... 

FANNY 

Je  ne  comprends  pas,  que  voulez-vous  dire?... 

DE    CHARANCE 

C'est  très  simple.  Puisque  vous  abandonnez, 
dites-vous,  complètement  la  partie  et  renoncez  à 
tout  espoir,  mettons-nous,  socialement,  en  règle. 
Divorcez!  Quel  que  soit  notre  sentiment  de  tris- 
tesse, je  crois  que  ma  femme,  comme  nous,  consen- 
tirait à  sauver  l'honneur  de  la  maison  et  de  sa  fille. 
L'union  de  ma  fille  à  son  séducteur  ne  serait  plus 
qu'une  demi-honte,  qu'un  demi-désespoir. 

GASTON 

Mon  père  a  raison. 

FANNY 

Vous  en  avez  de  bonnes,  vous!...  Tiens,  parbleu, 
je  comprends  ça!  Et  moi,  là-dedans?... 

GASTON 

Mais,  madame,  n'est-ce  pas  vous-même  qui,  à 
l'instant,  parliez  de  renoncement  ? 


ACTE  TROISIÈME  169 

F  AN  N'Y 

Renoncer,  oui...  mais,  divorcer  au  bénéfice  de 
votre  fille?...  Ah!  non,  par  exemple,  non,  vous 
n'y  pensez  pas!  Ça  se  lit  dans  les  romans,  ces 
choses-là,  cher  monsieur.  Me  voyez-vous...  pour  le 
bonheur  de  celle  qui  me  l'a  pris... 

DE    CHARANCE 

Oh!  bonheur... 

FANNY 

...aller  jusqu'à  cette  abnégation.  Ça  deviendrait 
de  la  bêtise.  Je  n'ai  pas  ce  sublime-là  dans  mon 
cœur!...  Douleur,  résignation,  soit!  Mais  pas  ce 
petit  marché! 

DE    CHAR AN CE 

Nous  n'insistons  pas...  Je  lançais  d'ailleurs  cette 
proposition  comme  une  dernière  bouée  de  sauve- 
tage... à  tout  hasard! 

GASTON,  insistant. 

Cependant,  père,  il  ne  dépendrait  que  de  nous... 

FANNY,  agacée. 

Tiens,  parbleu!  Jamais!  jamais,  vous  entendez, 
et  quand  je  dis  quelque  chose...  je  le  tiens,  jeune 
homme  ! 

15 


170  LA  VIERGE  FOLLE 

GASTON,  se  levant  avec  rage. 

Alors,  pas  de  réparation  possible,  pas  de  duel... 
rien...  C'est  bon!  Je  sais  ce  qu'il  me  reste  à  faire... 

FA>NY 

Hein 

GASTON 

uisque  ce  lâche  refuse  jusqu'à  mes  témoins, 
jusqu'à  nos  entrevues,  fuit  comme  un  pleutre,  se 
dérobe  avec  la  dernière  des  bassesses,  eh  bien,  moi, 
je  te  jure,  père,  que  nous  aurons  la  réparation  vou- 
lue. Notre  honneur  sera  vengé... 

F  AN  A  Y 

Qu'est-ce  que  vous  venez  de -dire,  vous?  Répétez, 
répétez... 

DE    CHARANCE 

Voyons,  Gaston,  du  calme.  Nous  n'avons  plus 
rien  à  faire  ici.  Viens  marcher  dehors,  mets  ton 
chapeau  et  allons-nous-en... 

FANNY 

Oh!  mais  ne  croyez  pas  que  je  vous  laisserai 
partir  comme  ça!  Vous  venez  de  laisser  échapper 


ACTE  TROISIEME  171 

une  parole  imprudente...  vous  allez  m'en  donner 
Texplication. 

DE    CHARANCE,  ironique. 

Vous  le  défendez,  maintenant,  avec  une  ardeur!.. 

GASTON 

Je  n'ai  pas  dit,  madame,  quelles  étaient  mes  in- 
tentions... 

Vous  ne  l'avez  pas  dit...  non,  vous  l'avez  hurlé! 
Et  puis,  je  vous  connais,  vous  êtes  un  cerveau  brûlé, 
un  brouillon...  Vous  êtes  capable  de  tout.  Quand 
vous  êtes  monté,  vous  perdez  la  tête.  Voyons, 
monsieur,  dites  comme  moi...  voulez-vous  exhor- 
ter votre  fils  au  calme?  Dites  que  vous  l'empêche- 
rez de  faire  un  éclat,  des  bêtises,  est-ce  que  je  sais, 
moi!...  Vous  avez  déjà  eu  des  histoires  avec  lui... 
oui,  cette  histoire  du  Jockey-Club,  quand  on  lui  a 
arraché  des  mains  un  joueur  qu'il  avait  à  moitié 
éborgné,  dans  sa  rage... 

GASTON 

Mais,  madame,  vous  ne  savez  pas  ce  que  vous 
dites!  Il  s'agissait  aussi  d'une  sanction...  bien  moins 
grave,  d'ailleurs!  Ici,  il  ne  s'agit  plus  même  d'une 
sanction,  mais  d'un  châtiment. 


172  LA  VIERGE  FOLLE 

DE    CHARA>'CE 

Mon  fils  a,  comme  son  père,  les  sentiments  de 
l'honneur  très  profondément  ancrés  en  lui... 

Oh!  mais,  oh!  mais,  c'est  que  je  commence  par 
en  avoir  assez  !...  par-dessus  la  tête  1  C'est  inouï  à  la 
fini...  Votre  honneur,  votre  honneur!  Sa  faute! 
Son  crime!  Il  n'est  jamais  question  que  de  mon 
mari.  Mais,  votre  sœur,  à  la  fin,  si  on  en  parlait  un 
petit  peu...  Il  serait  temps!  Nous  sommes  tous  là, 
affalés,  à  pleurer,  autour  de  sa  virginité  perdue, 
comme  s'il  s'agissait  d'un  deuil  national!...  Si  mi- 
neure qu'elle  soit,  on  ne  viole  pas  une  femme  sans 
son  consentement... 

DE    CHARANCE 

Madame,  ce  ton  de  votre  part  est  inadmissible... 

GASTON 

Ma  sœur  était  la  plus  respectable  et  la  plus  res- 
pectée des  jeunes  filles... 

FAN  N'Y 

Allons,  allons,  des  choses  qu'on  dit!...  Cela  n'em- 
pêche pas  que  je  l'aie  vue,  de  mes  propres  yeux  vue, 


ACTE  TROISIÈME  173 

à  Dinard,   à  Paris,   frotter  ses  jupes  après  lui... 
C'était  scandaleux!... 

DE    CHAR AN CE 

Madame,  encore  une  fois,  je  ne  tolérerai  pas  ce 
langage. 

FANNY 

Oh!  tolérez  ou  ne  tolérez  pas,  je  dirai  ce  que  j'ai 
sur  le  cœur,  à  la  fm!  J'éclate!  Rappelez-vous  les  jo- 
lies lettres  de  cette  petite.  Une  innocente!...  Elle 
est  bien  bonne!...  Mais  c'est  elle  qui  courait  après 
lui  et  qui  sait  si,  dans  toute  cette  histoire,  ce  n'est 
pas  mon  mari  qui  a  été  le  naïf?  C'est  d'elle  que  vient 
notre  malheur  à  tous,  et  il  faudrait  encore  peut-être 
que  je  divorce  pour  lui  faire  plaisir!... 

DE    CHAR AN CE 

Je  ne  vous  ai  rien  demandé,  madame,  vous  dé- 
tournez le  sens  de  mes  paroles,  et,  en  tout  cas,  je 
ne  vous  permets  pas  de  porter  sur  ma  famille  les 
jugements  que... 

FANNY 

Votre  famille!.,.  Plût  à  Dieu  que  je  ne  l'eusse  ja- 
mais rencontrée...  Nous  serions  heureux,  à  cette 
heure!...  Votre  famille  exécrée!... 

15. 


174  LA  VIERGE  FOLLE     . 

DE    CHARANCE 

La  colère  vous  emporte,  vous  ne  savez  plus  ce 
que  vous  dites...  Je  pensais,  madame,  que  nous 
étions  venus  en  amis  tous  les  trois... 

FANNY 

Ça  aussi!  Parlons-en  de  cette  jolie  amitié!...  J'ai 
encore  votre  ton  insultant  dans  l'oreille  quand 
vous  m'avez  annoncé  avec  cette  brutalité  mon  dé- 
sastre, qui  valait  bien  le  vôtre...  Jusque  dans  le 
voyage,  vous  m'avez  humiliée,  vous  avez  fait  sai- 
gner mon  cœur  et  mon  orgueil.  Et  maintenant  que 
mon  bonheur  est  ruiné,  vous  voulez  vous  acharner 
dessus... 

DE    CHARANCE 

Viens,  Gaston,  nous  n'avons  plus  rien  à  faire  ici... 

GASTON 

Oui,  père.  Je  sais  ce  qu'il  me  reste  à  faire... 

FANNY 

Eh  bien,  partez...  Allez,  toute  la  famille!...  Allez 
donc!..;  Mais  n'ayez  pas  le  malheur,  vous,  mon  gar- 
çon, entendez-vous,  n'ayez  pas  le  malheur  de  tou- 
cher à  un  seul  de  ses  cheveux,  ou  c'est  à  moi  que 
vous  aurez  affaire... 


ACTE  TROISIÈME  175 

GASTON 

Je  ne  dépends  qrue  de  moi-même  ! 

DE    CHARAXCE,  l'entraînant. 

Viens,  Gaston,  viens! 

FA>>Y 

Essayez  ! 

GASTON 

Je  n'ai  d'ordres  à  recevoir  de  personne.  Nous 
verrons  ! 

FANNY,  à  la  porte. 
A  un  seul  de  ses  cheveux...  Essayez!  Essayez!... 

(De  la  porte,  dans  l'affolement,  elle  les  menace,  puis  elle  se 
retourne  comme  s'il  y  avait  quelqu'un  dans  la  pièce,  épouvantée 
tout  à  coup  des  mots  qui  viennent  de  sortir  de  sa  bouche,  et,  les 
bras  tendus  vers  l'autre  porte,  elle  continue  désespérément  à  parler 

tout  haut  au  témoin  absent.)  Marcel,  Marcel,  si  tu  m'en- 
tendais, si  tu  entendais  ce  que  je  viens  de 
dire  là!... 

Elle   se  laisse  aller,   à  bout    de   forces,  la   tête  sur  le 
canapé. 

RIDEAU 


ACTE  QUATRIÈME 


Petit  salon  attenant  à  une  chambre  de  Savoy-Hôtel. 
Porte  (le  la  chambre  à  droite.  Porte  d'entrée  à  gauche.  On 
aperçoit  la  salle  de  bains,  dans  le  fond.  Chaise  longue  au 
milieu  de  la  pièce.  Au  lever  du  rideau,  une  maid  prépare 
le  bain.  On  entend  le  bruit  des  robinets. 


SCÈNE   PREMIÈRE 
MARCEL,  DIANE,  LA  M.\ID 

LA   MAID 

C'est  prêt.  Madame  ne  le  veut  pas  trop  chaud? 

DIA.NE 

Non. 

LA  MAID,  revenant. 
Alors,  il  est  bien. 

DIA^"E 

J'espère  que  vous  n'avez  pas  oublié  la  veilleuse 


178  LA   VIERGE  FOLLE 

comme  la  nuit  dernière.  J'ai  été  obligée  de  laisser 
la  lumière  électrique. 

LA   MAID     * 

Je  l'ai  préparée...  elle  est  là...  Où  madame  veut- 
elle  que  je  la  place  dans  la  chambre? 

DIANE 

Je  ne  sais  pas...  Laissez,  je  me  l'arrangerai  moi- 
même...  je  ne  me  rends  pas  compte  de  l'endroit. 

LA   MAID 

Madame  veut-elle  que  je  lui  enlève  son  peignoir? 

DIANE 

Non,  merci.  Je  me  mettrai  au  bain  toute  seule... 
Vous  pouvez  aller  vous  coucher,  maintenant.  Il  est 
horriblement  tard. 

LA  MAID,  allant  à  la  porte  gauche. 

Voilà  les  babouches.  (Elle  met  les  babouches  aux  pieds 
de  Diane  étendue  sur  la  chaise  longue  en  déshabillé.  En  s'en  allant:) 
Faut-il  laisser  toutes  ces  fleurs  ou  faut-il  les  mettre 
dans  le  corridor? 

Elle  désigne  une  quantité  d'hortensias  bleus  disséminés 
dans  la  pièce. 


ACTE  QUATRIÈME  179 

DIANE 

Il  n'y  a  rien  à  craindre.  Ce  sont  des  hortensias... 
Ça  ne  sent  pas. 

LA   MAID 

Bonsoir,  monsieur  et  madame. 

Elle  sort. 


SCENE    II 
DIANE,  ARMAURY 

Diane  s'approche  de  Marcel  et  l'embrasse  tendrement. 
DIA>E 

Tu  as  mauvaise  mine,  tu  es  pale,  tu  t'en  donnes 
du  mal,  mon  pauvre  coco...  je  t'en  donne  du  mal! 

Elle  lui  embrasse  les  mains. 

ARMAURY,  lui  prenant  les  siennes  doucement. 

Mon  chéri,  peux-tu  dire  pareille  chose  1  II  fallait 
bien  s'attendre  à  toutes  ces  broussailles  sur  notre 
chemin.  Je  les  écarterai. 

DIANE 

Quelle  heure  est-il? 


180  LA  VIERGE  FOLLE 

ARMAURY,  tirant  sa  montre. 

Minuit  et  demi...  non  une  heure,  'tu  prends  ton 
bain? 

DIA>'E 

J'y  vais. 

ARMAURY 

Cela  ne  te  gêne  pas  que  je  fume? 

DIANE 

Au  contraire. 
Un  temps. 

ARMAURY 

Demain  matin...  tout  à  Theure,  j'irai  trouver 
l'avocat  anglais,  pour  connaître  l'étendue  de  nos 
droits  et  les  poss... 

DIANE,  l'interrompant. 

Non,  non,  je  ne  veux  pas!...  à  aucun  prix!...  je 
ne  veux  pas  que  tu  sortes  demain.  J'ai  peur.  Pro- 
mets que  tu  passeras  ta  journée  entière  ici,  que  tu 
ne  sortiras  pas. 

ARMAURY 

Mais,  folle,  mignon,  il  n'y  a  rien  à  craindre!  Je 
sortirai  dès  six  heures  du  matin  si  tu  préfères,  et 
je  rentrerai  à  dix. 


ACTE  QUATRIEME  481 

DIANE 

Fais-moi  ce  plaisir,  coco...  Obéis...  Oui,  j'ai  peur 
de  Gaston...  Qu'est-ce  que  cela  te  fait?  On  nous 
servira  ici...  je  ne  veux  même  pas  que  tu  descendes 
à  la  salle  de  restaurant.  Tu  n'es  pas  bien  ici,  dans 
mes  bras  ?  (Elle  lui  passe  les  bras  autour  du  cou.)  Dire  que 
c'est  pour  conserver  ces  bras-là  que  tu  te  donnes 
tout  ce  mal?  Tu  les  aimes? 

ï ARMAURY 

Si  je  les  aime!...  Ce  corps-là,  cette  chair  de  fleur, 
c'est  toute  ma  récompense,  tout  mon  but!  Ah!  ta 
joyeuse  impudicité,  et  cette  espèce  de  candeur 
douce  d'enfant,  sans  notion  de  soi-même...  (il  la  prend 
sur  ses  genoux.)  Quelle  fraîcheur  que  ton  amour!  Quel 
jeune  camarade  !  J'ai  tellement  peur  de  te  dé- 
sillusionner, Diane!  Tu  te  faisais  peut-être  une 
toute  autre  idée  de  l'amour?... 

DIAN'E 

Oh!  non, mon  pauvre  Marcel!  L'amour, l'amour... 
je  n'en  attendais  pas  tant!  C'est  un  tel  prodige!... 
C'est  comme  si  on  était  parti  sur  une  petite  rivière, 
et  puis...  on  se  trouve  en  plein  océan... 

ARMAURY 

N'importe,  le  mot  n'est-il  pas  plus  grand  que  la 

16 


182  LA  VIERGE  FOLLE 

chose,  mon  mignon?  La  splendeur  du  mot  nous 
cache  le  désastre...  Ainsi,  quand  le  clairon  résonne, 
il  fait  se  dresser  devant  nous  tout  de  suite  l'idée 
de  la  victoire  et  pas  celle  de  la  défaite...  et  pour- 
tant, au  bout,  au  bout,  qu'est-ce  qu'il  y  a? 

DIANE 

Mon  chéri,  nous  sommes  deux  pauvres  petits 
cocos;  on  ne  nous  fera  pas  de  mal,  et  nous  vain- 
crons. 

ARMAURY 

Oui,  oui,  il  faut  vaincre!  Ce  serait  trop  bête!... 
Ah!  on  va  A'oir,  on  va  voir!...  Dans  deux  jours, 
nous  commençons  par  déguerpir  en  Ecosse,  ou  bien 
veux-tu  aller  à  Liverpool!  Ce  n'est  pas.  mal,  Liver- 
pool,  autant  qu'il  me  souvient... 

DIANE 

A  quoi  bon  changer?  S'ils  doivent  nous  suivre, 
si  on  nous  traque,  que  ce  soit  dans  cette  chambre, 
ou  que  ce  soit  ailleurs!...  On  est  très  bien,  dans  cet 
hôtel  ;  il  y  a  une  tapisserie  bleue,  il  y  a  toi,  il  y  a 
moi...  Que  cela  dure  encore  un  bout  de  temps... 
c'est  tout  ce  que  je  demande. 

ARMAURY 

Oh!  Dianette,  je  n'aime  pas  ce  genre  de  phrases... 
Et  puis,  tu  les  dis  avec  un  petit  sourire  triste... 


ACTE  QUATRIÈME  183 


DIANE 


Moi!  allons  donc!...  Tu  te  contredis... Marcel,  re- 
garde-moi bien  dans  les  yeux.  Je  ne  suis  pas  une 
triste,  je  suis  heureuse,  je  suis  contente,  je  suis  ra- 
dieuse; jamais  tu  ne  verras  la  plus  petite  larme  dans 
mes  yeux;  il  n'y  a  que  de  la  reconnaissance  infinie 
pour  tout  ce  que  tu  fais,  et  du  grand  bonheur  très 
doux...  Mais  qu'est-ce  que  tu  veux,  cela  n'empêche 
pas  de  constater  en  souriant  que  rien  ne  va,  et  je 
n'en  suis  pas  plus  triste  pour  ça...  Ce  n'est  pas  moi 
qui  suis  triste,  c'est  toi,  je  te  ferai  remarquer. 

ARMAURY 

Tiens,  tu  me  fais  hausser  les  épaules!  Je  suis  si 
confiant,  au  fond,  dans  notre  avenir.  La  mise  est 
sûre. 

DIANE 

Alors,  pourquoi  cette  belle  moue  et  ces  quâ^tre 
plis  sur  le  front? 

ARMAURY 

Aucun  rapport...  Je  suis  furieux,  oui,  mais  pour 
quelque  chose  de  bien  plus  grave...  Je  suis  furieux, 
parce  que  le  portier,  hier,  m'a  pris  pour  ton  père. 

DIANE 

Ça  t'a  vexé?  D'abord,  nous  sommes  en  Angle- 
terre; c'est  par  pudeur... 


184  LA  VIERGE   FOLLE 

ARMAURY 

Tu  crois?...  J'aime  mieux  le  supposer. 

DIA>E 

Ce  sont  des  idées  d'une  heure  du  matin!  Je 
prends,  vite  mon  bain  et  on  se  couche...  INIarcel! 
c'est  notre  huitième  nuit  seulement? 

ARMAURY 

Dépêche-toi.  II  ne  faut  pas  la  laisser  passer!... 

Elle  va  clans  la  salle  de  bains.  On  entend  ouvrir  les  robi- 
nets. Elle  chante.  Pendant  ce  temps,  Marcel  s'appuie 
sur  la  table,  prend  une  cigarette  et  met  la  tête  dans 
ses  mains.  On  voit  Diane  jeter  des  petits  coups  d'oeil, 
tout  en  continuant  de  chanter,  et  puis,  elle  s'approche 
très  doucement  par  derrière  Marcel. 


Tu  souffres? 


DIANE 


ARMAURY 


Mais  non. 

DIAKE,  un  genou  sur  la  chaise  longue. 

Mais  tu  ne  souffres  pas  parce  que  tu  as  revu  ta 
femme,  tu  me  le  jures? 

ARMAURY 

Ah!  je  te  le  jure  Lien!  Il  n'y  a  que  Dianette  sur 


ACTE  QUATRIÈME  185 

la  terre...  Je  te  veux,  unique!...  et  je  veux  ton 
bonheur,  avec  une  rage,  une  ardeur...  qui  me  ren- 
draient hargneux  et  détestable  pour  tout  le  reste 
du  monde! 

DIANE 

Bien. 

ARMAURY 

Dianette,  tu  m'aimeras  toujours?  Dianette,  tu 
ne  m'échapperas  pas?... 

DIANE 

Jamais,  mon  grand  bien-aimél... 

ARMAURY 

Sait-on,  avec  ces  enfants...  car  tu  es  une  enfant! 
Ça  m'est  égal,  comprends-tu,  de  renoncer  à  tout 
pour  toi,  pourvu  que  tu  me  restes. 

DIANE 

Comment  peux-tu  garder  encore  un  doute? 

ARMAURY 

Parce  que  la  jeunesse  est  un  perpétuel  men- 
songe... Les  enfants  mentent...  ils  ne  savent  même 
pas  quelquefois  qu'ils  mentent.  Tout  est  mensonge 
chez  eux.  Leur  charme...  leur  sincérité...  illusion! 

16. 


186  LA  VIERGE  FOLLE 

DIANE 

Tu  vois,  tu  m'en  veux,  au  fond,  tu  m'en  veux... 

ARMAURY 

Non,  petite  brute.  C'est  une  fureur  égoïste  qui  me 
fait  parler!  Sans  quoi...  je  fais  bon  marché  de  ma 
douleur,  de  mes  ennuis.  Un  feu  de  paille,  un  feu  de 
joie...  de  joie!,..  Allons  bon  !  qu*est-ce  qu'il  y  a 
maintenant?  Tu  pleures,  Dianette?  J'ai  commis  le 
crime  de  te  faire  pleurer! 

DIANE 

Mais  non,  mon  chou,  mais  non  ! 

ARMAURY 

Ah!  ce  sont  de  bien  grandes  émotions  pour  toi, 
et  dé  bien  grandes  complications  aussi,  Dianette... 
Je  suis  un  imbécile;  je  devrais  être  plus  simple. 
Pourquoi  pleures-tu,  dis?  Parle?...  Qu'as-tu?... 

DIANE 

Mon  chou,  pardonne-moi. 

ARMAURY 

Tu  avais  dit  :  «  Pas  une  larme  dans  mes  yeux, 
pas  une  larme.  » 


ACTE  QUATRIEME  187 

DIANE 

Oh!  c'est  pas  des  larmes,  ça! 

ARilAURY 

Mais  tu  serais  bien  embarrassée  de  dire  ce  que 
c'est?...  (S'agenouiiiant.)  Mon  amour  adoré,  n'aie  pas 
peur,  n'aie  pas  de  mauvais  pressentiments,  surtout, 

DIAKE 

Je  n'ai  pas  de  mauvais  pressentiments.  Ce  fou  de 
Gaston,  seulement?...  J'ai  peur  qu'on  te  fasse  du 
mal. 

ARMAURY 

Il  n'y  a  aucun  danger. 

DIANE 

Et  puis,  moi  aussi,  je  voudrais  tant  ne  pas  te 
procurer  de  peine,  et  c'est  ce  petit  bout  que  je  suis 
qui  est  cause  de  tout.  Autrement,  pour  moi-même, 
j'ignore  ce  que  c'est  que  la  peur!...  Tiens,  quand 
j'ai  cru  que  tout  était  fini,  quand  on  a  tout  décou- 
vert chez  moi,  qu'on  allait  m'envoyer  au  couvent, 
eh  bien,  j'étais  décidée  à  mourir!  Un  soir  de  ces 
huit  jours-là,  je  m'en  souviens...  il  y  avait  dans  le 
cabinet  de  toilette  qui  donne  dans  ma  chambre, 


188  LA  VIERGE  FOLLE 

une  lumière,  une  bougie,  parce  que  je  n'ai  jamais 
pu  dormir  sans  lumière...  (S'interrompant.)  Au  fait, 
où  Lucy  a-t-elle  mis  la  veilleuse  préparée? 

ARMAURY 

Là,  sur  la  cheminée...  Qu'est-ce  que  tu  disais 
d'effroyable,  mon  petit? 

DIANE 

Je  disais  qu'un  soir,  en  décoiffant  ces  cheveux 
qu'on  avait  voulu  me  couper,  je  les  ai  laissés  flotter 
sur  la  bougie...  je  me  rappelle,  je  les  balançais 
comme  ça...  et  je  me  disais  :  «  Allons-y,  Dianette!  » 
L'horreur  même  d'être  brûlée  vive  ne  m'épouvan- 
tait pas.  Un  petit  bout  s'est  mis  à  grésiller.  D'un 
mouvement  instinctif  de  la  main  je  l'ai  éteint... 
mais  au  fond,  ce  soir-là,  il  s'en  est  fallu  de  pas 
grand'chose!... 

ARMAURY,  lui  prenant  la  main. 

C'est  l'anéantissement  de  l'amour,  ce  goût  de 
l'anéantissement  auquel  il  faut  savoir  résister. 
Puis,  tu  n'as  pas  vingt  ans.  Il  n'y  a  que  les  vieux  qui 
ont  peur  de  mourir...  La  jeunesse  fait  bon  marché 
de  la  vie. ..Ton  frère  lui-même, qui  n'est  pas  un  trou- 
blé, répète  tout  le  temps  :  «  Aller  se  faire  casser  la 
tête  en  Afrique...  >>  La  moindre  midinette  en  mal 


ACTE  QUATRIÈME  189 

d'amour  allume  si  facilement  un  réchaud!  On  fait 
bon  marché  de  la  vie  parce  qu'on  n'en  connaît  pas 
le  prix;  mais. plus  tard,  tu  verras  comme  on  appré- 
cie âprement  la  valeur  de  tous  les  instants.  Il 
semble  que  toutes  les  minutes,  on  vous  les  vole. 

DIA>'E,  qui  se  lève. 

Ce  n'est  pas  une  question  d'âge.  Si  on  a  connu  à 
vingt  ans  ce  qu'il  y  a  de  plus  beau  dans  l'existence, 
le  reste  vaut-il  la  peine  d'être  vécu?  (Elle  prend  la 
veilleuse.)  Si  on  a  brûlé  toute  l'huile,  comme  me  le 
disait  l'abbé  Roux,  la  veille  de  notre  fuite... 

ARMAURY 

Quoi? 

DIA>E 

Oui,  il  me  citait  la  parabole  de  l'Évangile;  le 
banquet  des  vierges  folles  et  des  vierges  sages...  tu 
sais? 

Elle  craque  une  allumette. 

ARMAURY 

Oh!  l'Évangile  et  moi... 

DIANE 

Si,  tu  sais...  (Elle  cherche  dans  son  souvenir.)  les  vierges 
folles  qui   ont  usé   imprudemment  toute  l'huile 


190  LA  VIERGE  FOLLE 

de  leur  lampe,  et  qui,  pour  cela,  ne  seront  pas 
invitées  au  banquet  et  ne  verront  pas  la  face  de 
l'époux...  (Elle  allume  la  veilleuse.)  Et  puis,  ça  finit  par 
une  phrase  terrible  :  «  Veillez,  car  vous  ne  savez 
ni  le  jour  ni  l'heure...  » 

Elle  souffle  l'allumette.  Silence. 

ARMAURY,  riant. 

Eh  bien,  j'espère  que  nous  avons  une  conversa- 
tion excitante!  S'il  n'était  pas  si  tard  dans  la  nuit, 
je  nous  ferais  monter  un  souper  avec  des  boissons 
voluptueuses  pour  nous  dégourdir...  (il  l'embrasse, 
l'étreint.)  Va,  ma  chère  beauté,  tu  peux  t'en  rap- 
porter à  moi...  Je  suis  ton  gardien  robuste  et  vigi- 
lant. 

On  frappe  à  la  porte. 

DIANE 

Tiens!  A  cette  heure-ci...  qu'est-ce  que  ça  peut 
bien  être? 

ARMAURY 
Je  vais  voir,  (il  va  à  la  porte.  Elle  veut  le  retenir.)  Qui 
est  là? 

LE   PORTIER,  à  travers  la  porte. 
Une  lettre. 

ARMAURY 

Une  lettre  à  une  heure  du  matin!  (ii  ouvre.  Le  por- 
tier entre,  remettant  une  lettre.)  De  la  part  de  qui? 


ACTE  QUATRIÈME  191 

LE    PORTIER 

Une  dame, 

Marcel  ouvre  la  lettre,  il  la  lit  à  voix  basse. 

DIANE 

Qu'est-ce  que  c'est,  chéri? 

ARMAURY 

^    Attends...  (Au  portier.)  Voulez-vous   attendre   la 
réponse  dans  le  couloir,  s'il  vous  plaît? 

LE    PORTIER 

Bien,  monsieur. 

Marcel  referme  la  porte. 

DIANE 

C'est  grave? 

ARMAURY,  lisant  tout  haut. 

n  II  faut  absolument  que  je  te  parle  à  l'instant.  Un 
grand  danger  te  menace...  » 

DIANE 

C'est  d'elle!... 

ARMAURY 

«  Je  te  conjure^  en  tout  cas.,  de  ne  pas  sortir  de  ta 


192  LA  VIERGE  FOLLE 

chambre,   de  ne  pas   même  traverser  un  couloir. 
Reçois-moi  une  seconde,  une  seconde  seulement,  il 
faut  que  je  te  mette  au  courant...  Ne  vois  dans  cette 
lettre  aucun  subterfuge...  C'est  très  grave...  » 
Il  lui  tend  la  lettre. 

DIAl^E 

C'est  très  grave...  Tu  vois,  j'en  avais  le  pressen- 
timent... tJn  danger!...  Pour  qu'elle  écrive  ainsi, 
c'est  ta  vie  qui  doit  être  en  jeu.  Avais- je  assez  rai- 
son de  vouloir  que  tu  restes  enfermé?...  Reçois-la 
vite,  je  vais  entrer  dans  ma  chambre. 

ARMAURY 

Mais  non,  mon  enfant;  pourquoi  la  recevoir  et 
pourquoi  s'émouvoir  comme  tu  le  fais?  Billevesées 
tout  ça,  chimères  de  femme!...  Il  n'y  a  rien  à 
craindre. 

DIANE 

Oh  !  les  femmes  ont  un  sentiment  du  danger  que 
les  hommes  n'ont  pas...  (Elle  reprend  la  lettre.)  Il  n'y  a 
qu'avoir  l'écriture  de  cette  lettre.  Reçois-la,  je  t'en 
supplie,  je  t'en  supplie...  il  faut  savoir.. 

ARMAURY 

Eh  bien,  je  vais  descendre... 


ACTE   QUATRIÈME  493 

DIANE,  revenant  à  lui. 

Ça,  jamais!  Je  te  jure  bien  que  tu  ne  sortiras 
pas  d'ici...  Non,  non...  ce  que  demande  ta  femme 
est  parfaitement  légitime.  Je  sais  bien,  va,  que  des 
époux  comme  vous  sont  destinés  à  se  rencontrer, 
c'est  fatal...  Le  tout  pour  moi  est  d'être  sûre  de  ta 
volonté  et  je  n'ai  plus  peur...  Un  danger  est  dans 
l'air,  qu'il  faut  conjurer  à  tout  prix.  Qu'est-ce  que 
les  convenances  peuvent  bien  faire  là  dedans, 
grand  Dieu!  Nous  n'en  sommes  plus  là!...  Elle  a 
parfaitement  bien  fait  de  venir...  il  faut  savoir!... 
N'y  mets  pas  d'amour-propre,  Marcel,  je  t'en  sup- 
plie, à  mon  tour.  (Elle  ouvre  la  porte.)  Dites  à  cette 
dame  qu'elle  peut  venir,  qu'on  l'attend... 
Elle  referme  la  porte. 

ARMAURY 

Allons,  voyons  donc...  ma  gosse,  regarde-moi 
sourire...  fillette!...  Nous  sommes  bien  plus  forts 
et  bien  plus  malins  qu'ils  ne  croient!  Tout  ça,  des 
paroles,  des  menaces,  des  enfantillages,  Dianette. 

DIANE 

Je  ne  vis  plus,  mon  petit  coco...  (Elle  soupire.)  Eh 
bien,  je  vais  aller  très  sagement  dans  ma  chambre, 
je  n'écouterai  même  pas...  Je  vais  me  coucher...  at- 
tendre, sans  penser... 

17 


iU  iA  VIERGE   FOLLE 

AJIMAURY 

Une  seconde,  alors,  une  seconde  seulement... 

DIANE 

Et  surtout,  ne  va  pas,  toi,  bêtement,  faire  une 
imprudence  quelconque.  Est-ce  qu'on  sait?  Les 
hommes  mettent  des  questions  d'amour-propre 
dans  un  tas  de  choses...  Promets-moi  que  tu  feras 
comme  elle  le  dit...  que  tu  ne  sortiras  pas  d'ici. 

ARMAURY 

Je  le  jure...  à  condition  que  tu  ne  fasses  pas  cette 
figure  désolée...  Souris,  aie  confiance  en  moi. 

DIANE,  qui  prend  la  veilleuse  sur  la  table. 

Ah  !  les  veilleuses,  Marcel  !  (A  ce  moment,  on  frappe  à  la 
porte.) Déjà!  C'est  elle!  Gomment  a-t-elle  pu  monter 
aussi  rapidement!... 

ARMAURY,  allant  à  la  porte. 

Elle  était  peut-être  dans  le  couloir. 

DIANE 

C'est  égal,  assure-toi  que  c'est  elle. 


ACTE  QUATRIÈME  195 

ARMAURY,  allant  à  la  porte  sans  l'ouvrir. 

Qui  est  là?  (On  entend  une  voix  qui  dit  :  «  Moi,  Fanny!  ») 

Bien.  \ 

Il  va  à  Diane  qui  lient  la  veilleuse  à  la  main.  Il  l'embrasse 
passionnément,  tendrement,  sur  l'épaule  nue. 

DIANE 

Oh!  prends  garde. 

ARMAURY 

Pourquoi  ? 

DIANE,  montrant  la  veilleuse. 

J'ai  eu  peur...  j'ai  cru  que  tu  allais  l'éteindre... 

Puis  elle  va  à  la  porte  lentement,  en  emportant  la  veil- 
leuse. Elle  lui  sourit  encore  sur  le  seuil  de  la  chambre 
en  protégeant  la  flamme  de  la  main  droite,  —  dans  un 
souffle  :  «  Je  t'aime!...  »  Elle  entre.  Quand  elle  est 
entrée,  Marcel  jette  un  coup  d'ceil  sur  la  pièce,  met  un 
peu  d'ordre,  pousse  le  rideau  de  la  salle  de  bain.  Il  va 
à  la  porte  et  ouvre. 


SCENE  III 
ARMAURY,  FANNY 

FANNY,  entrant  à  peine,  une  mousseline  sur  la  tête  inclinée. 

Je  te  demande  pardon,  c'était  nécessaire.  Ta  vie 
est  en  danger.  Ne  traverse  même  pas  ce  couloir... 
Il  faut  que  tu  saches  ce  qui  se  trame. 


196  ■  LA  VIERGE  FOLLE 

ARMAURY 

Comment  es-tu  ici? 

FANNY 

J'ai  loué  une  chambre  au  même  étage  que  toi... 
Pour  cette  nuit  seulement... 

ARMAL'RY 

Je  ne  comprends  plus.  Que  signifie?... 

FANNY 

Tu  vas  comprendre...  J'ai  surveillé  depuis  hier 
Gaston  de  Charance,  qui  était  dans  un  état  d'exal- 
tation terrible  à  la  suite  de  l'explication  qui  a  suivi 
hier  notre  rencontre  à  Greenwich!...  J'ai  fait  sur- 
veiller tous  ses  moindres  gestes...  Or,  il  est  venu, 
cet  après-midi,  à  six  heures,  retenir  la  chambre  34... 

ARMAURY 

La  chambre  34?... 

FANNY 

Oui,  à  deux  pas  de  la  tienne...  Dès  que  j'en  ai  été 
avertie,  je  n'ai  fait  ni  une,  ni  deux,  tu  comprends!... 
Je  me  suis  promis  de  passer  la  nuit  ici,  et  j'ai  bien 
fait!...  Depuis  que  je  suis  installée  dans  ma  cham- 


ACTE  QUATRIÈME  197 

bre,  je  surveille  le  corridor,  j'entr'ouvre  la  porte  de 
temps  en  temps...  Je  l'ai  même  heurté  une  fois;  avec 
ce  voile  sur  la  tête  il  n'a  pu  me  reconnaître!...  Que 
va-t-il  faire?  Je  n'en  sais  rien!  Il  joue  le  monsieur 
tranquille,  l'étranger  en  smoking,  qui  fume  sa  ciga- 
rette... il  sifflote  sur  les  marches  de  l'escalier...  Ah! 
c'est  abominable!...  Alors,  j'ai  pensé  que  tu  allais 
peut-être  imprudemment  ouvrir  une  porte...  Ah! 
mon  Dieu!  Il  faut  tout  prévoir!...  Demain  matin, 
tu  allais  sortir,^  ton  intention  était  naturellement 
de  sortir  d'ici?...  Eh  bien,  il  ne  faudra  pas...  il  ne 
faudra  pas... 

Elle  s'arrête.  Un  temps. 

ARMAURY 

Ma  chère  Fanny,  je  te  remercie...  Je  comprends 
ton  sentiment,  j'en  suis  touché...  Tout  ce  qui  émane 
de  toi  est  pur  et  délicatement  inspiré...  Mais,  par 
grâce,  ne  t'occupe  pas  de  ces  affaires  qui  doivent 
être  réglées  entre  hommes!...  Je  te  vois  dans  un 
état  d'énervement  qui  me  prouve  encore  la  viva- 
cité de  ton  amour...  (il  se  reprend  vivement.)  du  moins 
de  ton  affection  pour  moi...  Mais,  confie-moi  et 
laisse-moi  aux  mains  de  la  fatalité. 

FA^■^'Y 

Oh!  je  t'en  prie, Marcel!...  Pas  d'appréciations!... 
Je  ne  te  demande  ni  d'approuver  ni  de  désapprou- 

17. 


198  LA  VIERGE  FOLLE 

ver  ce  que  je  fais.  INIoi-même,  est-ce  que  je  m'en 
rends  compte!...  Comment  ai-je  la  force  d'être  ici, 
à  côté  de  votre  chambre,  —  que  dis-je?  dans  votre 
chambre!...  ici,  où  pas  une  femme  n'aurait  le  cou- 
rage de  pénétrer?...  Eh  bien,  j'ai  été  enlevée,  pré- 
cipitée, comme  malgré  moi,  par  une  impatience 
irrésistible,  parce  qu'il  s'agissait  de  ta  vie!...  Je 
suis  venue  cogner  contre  cette  porte  épouvan- 
table... C'est  plus  fort  que  moi,  la  sensation  que  tu 
es  en  danger,  que  quelqu'un  voudrait  porter  la 
main  sur  toi,  aller  jusqu'au  meurtre...  j'en  tremble 
des  pieds  à  la  tête...  Que  veux-tu!...  J'ai  honte  de 
ne  pouvoir  réagir  contre  cet  instinct,  mais  c'est 
comme  si  tu  m'avais  appelée...  J'ai  toute  ma  chair 
qui  bondit...  Je  ne  permettrai  pas,  je  ne  permettrai 
pas  qu'on  attente  à  ta  vie  !...  Je  te  le  dis,  c'est  le  cri 
de  toute  ma  chair!... 

ARMAURY 

Tu  m'as  averti  du  danger!  Que  de  femmes  s'en 
seraient  remises  à  la  fatalité,  comme  à  un  juge- 
ment céleste  !...  tu  n'es  pas  de  celles-là...  Cependant, 
je  te  demande  le  courage  de  ne  plus  penser  à  moi! 
je  sais  qu'il  te  faudra  du  courage...  J'éprouverais 
une  trop  honteuse  tristesse  à  être  protégé  par  toi, 
Fanny...  Tu  dis  le  cri  de  la  chair?  Rappelle-toi  alors 
nos  paroles  d'hier...  je  les  jugeais  fort  justes... 


ACTE  QUATR1È3IE  199 

Nous  avions  prononcé  une  séparation  nécessaire,  tu 
avais  remis  toi-même,  à  une  échéance  lointaine,  le 
retour  souhaité  et  possible... 

FANNY,  dans  un  grand  geste  désespéré. 

C'est  commode  à  dire!...  On  peut  déclarer  qu'un 
amour  est  frappé  à  mort,  prononcer  tous  les  arrêts 
que  l'on  voudra...  oui,  mais  la  séparation  de  la 
chair  ne  se  fait  pas  aussi  aisément!...  Tu  as  tué 
notre  amour  vivant,  d'un  coup  net,  comme  on  coupe 
la  tête  d'une  bête;  mais  regarde,  les  tronçons 
s'agitent...  la  chair  remue  encore...  Non,  non, 
l'amour  ne  meurt  pas  comme  ça,  tout  de  suite, 
Marcel...  attends  encore,  attends  encore  un  peu... 
Dis-toi,  pour  l'instant,  que  j'obéis  à  quelque  chose 
de  machinal...  C'est  nerveux  probablement...  Oh! 
du  reste,  je  n'ai  pas  l'intention  de  te  gêner,  je  vais 
passer  la  nuit  éveillée,  moitié  dans  ma  chambre, 
moitié  dans  le  corridor...  Mais,  demain,  j'aurai  avec 
ce  garçon  une  explication'  et  je  te  jure  bien  que 
je  saurai  lui  faire  réintégrer  Paris  et  son  Saint- 
Cyr!,..  A  l'heure  actuelle,  il  s'agit  simplement  de 
conjurer  le  coup,  de  le  parer...  (Depuis  quelques  instants, 
sans  s'en  apercevoir,  elle  joue  avec  une  épingle  d'écaillé  de  Diane, 
que  sa  main  a  prise  dans  les  coussins...  Ses  yeux  tombent  sur  cette 
chose  qu'elle  a  entre  les  doigts...  Elle  jette  brusquement  l'épingle 
sur  le  tapis.  Silence.)  As-tu  un  verre  d'eau,  là?...  j'ai 
soif... 


200  LA  VIERGE  FOLLE 

ARMAURY 

Oui. 

Il  va  à  la  tatle.  Quand  il  a  rapporté  le  verre  rempli,  et 
pendant  que  Fanny  boit,  il  fait  habilement  disparaître 
de  la  main  un  peignoir  qui  traînait  et  le  jette  dans  la 
salle  de  bains.  Elle  voit  le  geste  et  dit  : 

FANNY 

Ne  te  donne  pas  la  peine,  va  !  Je  ne  regarde  rien  !.. 
Depuis  que  je  suis  entrée  ici,  c'est  le  tapis  que  je 
fixe...  Je  ne  sens  même  pas  ce  parfum  de  verveine, 
cette  espèce  de  parfum  de  verveine  qui  doit  être 
le  sien,  qui  a  rempli  toute  la  pièce... 

AHMAURY,  résolument  et  comme  agacé. 

C'est  pourtant  au  nom  de  ce  seul  sentiment-là, 
Fanny,  que  je  te  demande,  et  pour  toi-même,  de 
réintégrer  ta  chambre...  c'est  un  sentiment  profond 
de  décence... 

FANNY 

Ah!  la  décence!  qu'est-ce  que  tu  dis  là!,..  Tiens, 
pose  le  verre... 

ARMAURY 

Tu  as  sommeil,  tu  es  fatiguée... 

FANNY 

Mais  oui,  mais  oui,  je  m'en  vais...  Ai-je  ta  pro- 


ACTE  QUATRIÈME  2U1 

messe  formelle  que  tu  ne  sortiras  pas  d'ici,  avant 
demain  midi? 

ARMAURY 

J'ai  peur  de  promettre  une  lâcheté... 

FANN 

Je  t'en  prie!  laissons  les  définitions  de  mots... 
promets...  (Geste  de  Marcel.)  Je  ne  demande  pas  autre 
chose... 

ARMAURY 

C'est  fait! 

FANNY,  se  levant. 

Bien!  Je  te  tiendrai  au  courant  de  la  suite,  soit 
par  une  lettre,  soit  par  une  dernière  demande 
d'entrevue... 

ARMAURY 

Parfaitement.  Reste  dans  ta  chambre,  Fanny... 
dors  tranquille... 

FANISY,  qui  d'un  pas  lent  se  retire. 

Dormir!...  (Elle  entr'ouvre  la  porte  et  la  referme  aussitôt.) 
Il  faudrait  que  je  sorte  d'ici,  l'électricité  éteinte... 
Je  vais  me  glisser  sans  bruit  dans  le  couloir...  Il 
est  nécessaire  qu'il  ne  me  rencontre  pas  ni  ne  re- 


^^^^  LA  VIERGE   FOLLE 

connaisse  ma  silhouette...  Je  pense  d'ailleurs  qu'il 
se  sera  couché!...  Il  a  dû  remettre  à  demain  matin... 

ARMAURY 

Oh!  ta  sollicitude  a  sûrement  très  exagéré... 
D'abord,  dans  un  hôtel,  des  scandales  de  ce  genre 
sont  impratiques  à  réaliser...  C'est  un  enfant,  d'ail- 
leurs... 

FANNY 

Les  enfants!  je  suis  payée  maintenant  pour  sa- 
voir jusqu'où  ils  peuvent   aller  dans  leurs  réso- 
lutions!...  Elles  valent  les  nôtres,   et   au  delà... 
Éteins,  veux-tu...  éteins  l'électricité...  (Une  reste  plus 
qu'une  petite  lampe...  Fanny  ouvre  la  porte  du  couloir.  C'est  une 
double  porte  comme  les  portes  d'hôtel  moderne.  L'une  intérieure 
est  en  bois,  la  seconde  derrière  est  capitonnée.  Elle  a  donc  poussé 
la  seconde  porte,  et  l'on  aperçoit  le  couloir,  au  dehors,  faiblement 
éclairé  à  cette  heure  tardive.  Elle  s'avance  sur  la  pointe  des  pieds 
et,  encapuchonnée  de  voile,  elle  écoute.   Fanny,  à  voix  basse  :  ) 
On  marche  dans  le  couloir.  (Elle  se  rejette  en  arrière  et 
laisse  retomber  la  porte  capitonnée.)  Il  est  là,  il  est  là,  sûre- 
ment... .J'entends  quelqu'un  qui  marche,  j'en  étais 
sûre...!  (Elle  a  reculé  Jusqu'à  Marcel.)  Ah!  tjue  j'ai  été 
bête!  je  n'aurais  pas  dû  ouvrir  cette  porte...  Si  c'est 
lui  qui  guette,  il  va  se  demander  pourquoi  cette 
porte  vient  de  s'entr'ouvrir  si  mystérieusement... 


ACTE  QUATRIÈME  203 

AKMAURY 

Mais. non,  rassure-toi,  Fanny...  C'est  quelqu'un 
de  l'hôtel  qui  passait... 

FA>NY 

Il  est  là...  te  dis-je...  il  guette...  Et  puis  la  porte 
a  grincé...  quelle  maladresse...  il  faut  que  je  reste 
ici  quelques  minutes  encore...  je  ne  puis  pas  sortir... 

AILMAURY 

Eh  bien,  attends,  attends...  le  temps  que  tu  vou- 
dras. 

FAN^ 

Rentre  dans  ton  appartement.  Adieu,  (ii  se  dirige 
vers  la  porte  de  sa  chambre.  Tout  à  coup  elle  se  redresse.) 
Écoute  !...  on  frappe  à  la  porte...  Tu  vois...  Qu'est-ce 
que  je  disais!...  Ah!  le  gredin!... 

En  efifet,  un  imperceptible  toc  toc,  comme  un  frottement 
sur  le  bois  a  eu  lieu.  Marcel  a  un  mouvement  pour  aller 
fermer  la  première  porte  qui  est  restée  ouverte,  elle  le 
retient  et  le  repousse.  Colloque  à  voix  étouffée. 

ARMAURY 

Laisse-moi  fermer  la  porte. 

FA>^"Y,  à  voix  basse. 
Non!  Non!  Surtout  pas!...  C'est  sûrement  pour 


204  LA  VIERGE  FOLLE 

voir  si  on  bouge  à  l'intérieur. .  .Laisse  faire.  Il  n'osera 
pas  entrer!  Et  s'il  ose,  tant  mieux!  Il  faut  que  ce 
soit  moi  qu'il  trouve...  Il  serait  désarçonné  de  me 
trouver  là. 

ARMAURY 

Je  ne  veux  pas! 

FAjS'NY 

Et  moi  je  l'exige...  c'est  l'instant  de  l'explication  ! 
Ah!  la  canaille!...  Rentre,  rentre...  pas  toi  ici!... 
pas  toi!...  (Elle  le  pousse  avec  véhémence.  Dans  l'ombre,  ils 
chuchotent  et  luttent.)  Disparais!...  Je  le  veux!...  Et  si 
je  le  croise  en  sortant,  tant  mieux!...  Va  donc!... 
va  donc!...  Laisse-moi  partir  seule.. 

Dans  la  brève  poussée  il  a  obéi.  Il  s'est  glissé  dans  la 
chambre  de  Dianetle.  Fanny  éteint  brusquement  la  der- 
nière lumière  et  se  cache  dans  le  fond  de  la  pièce.  Elle 
attend  anxieuse...  Un  moment  se  passe...  Tout  à  coup 
la  porte  d'entrée  grince  doucement  et  s'entr'ouvre,  avec 
une  précaution  inflnie...  Gaston  de  Charance  pénètre 
avec  précaution,  passe  la  tète,  regarde,  puis,  n'enten- 
dant rien,  ne  voyant  rien,  pénètre  de  quelques  pas  dans 
la  pièce.  Fanny  donne  brusquement  l'électricité.  Gaston 
de  Charance  sursaute,  se  retourne  et  voit  Fanny. 


ACTE  QUATRIÈME 


205 


SCÈNE  IV 
FANiNY,   GASTON 


FA>>"Y 


Parfaitement...   moi!...   Vous  ne  comptiez  pas 
me  trouver... 


En  effet. 


GASTON 


FANNY 


De  quel  droit  entrez-vous  ici?  Comment  osez- 
vous  ouvrir  cette  porte,  vous  introduire  comme  un 
voleur...  dans  quel  lâche  dessein  de  meurtre?... 
Ah!  mais,  j'étais  là...  je  vous  avais  promis  d'y  être. 
Je  suis  exacte,  n'est-ce  pas?...  Avouez  que  vous  ne 
m'auriez  pas  crue  aussi  prompte. 

GASTON 

En  effet,  je  vois  quel  gardien  il  a  placé  à  leur 
porte.  C'est  vous  qui  les  protégez! 

FANNY 

Et  VOUS  qui  m'y  forcez!  Ah!  pas  un  mot  de  rail- 

18 


206  LA  VIERGE  FOLLE 

lerie,  malheureux!...  Si  j'ai  abdiqué  toutes  mes  pu- 
deurs d'épouse,  toute  ma  dignité  de  femme,  si  je 
suis  là,  rougissante,  effarée  de  ce  que  j'ose  faire,  c'est 
à  cause  de  vous!  Ah!  que  je  vous  hais  décela  aussi! 
de  cette  humiliation! Mais  j'ai  juré  que  je  vous  met- 
trais au  pas,  et  je  tiens  parole.  Dites,  répondez... 
Que  venez-vous  faire  ici,  quelle  arme  avez-vous 
dans  votre  poche? 

GASTON 

Je  viens  chercher  ma  sœur;  je  viens  prendre 
Diane,  et  voilà  tout... 

FAN>Y 

Allons  donc!  Si  vous  n'aviez  que  ce  dessein, 
seriez-vous  ici  à  une  heure  du  matin,  auriez-vous 
loué  cette  chambre?...  De  la  franchise,  au  moins... 

GASTON 

Je  vous  certifie  que  je  viens  reprendre  Diane;  il 
faut  que  je  voie  ce  capon  qui  se  cache,  et  me  fuit 
avec  la  dernière  des  bassesses 

FANNY 

Mêlez-vous  donc  uniquement  de  ce  qui  vous 
regarde,  à  la  fin,  vous,  le  frère!  Votre  attitude, 
-votre  colère,  tout  est  disproportionné... 


ACTE  QUATRIÈME  207 


GASTON 


Non,  madame,  parce  qu'il  y  a  en  jeu  notre  hon- 
neur... Et  il  y  a  aussi  ma  haine,  en  effet...  Ah!  je 
le  hais!  Si  vous  saviez  comme!...  Il  n'a  pas  seule- 
ment déshonoré  une  fille  de  famille,  il  y  a  les  condi- 
tions dans  lesquelles  il  a  agi...  Celles-là  sont  im- 
pardonnables, abominables.  Elles  relèvent  de  moi 
seul,  parce  que  seul,  j'en  ai  été  le  témoin  aveugle. 
Je  le  hais...  je  le  hais,  parce  qu'il  était  notre  ami, 
mon  ami,  parce  qu'il  a  reçu  mes  confidences  de 
jeune  homme,  parce  qu'il  me  prenait  le  bras  avec 
douceur  et  gentillesse...  et,  derrière  moi,  il  accom- 
plissait son  forfait...  Il  avait  toutes  les  hypocrisies 
avec  le  frère;  il  s'occupait  aussi  de  mes  premières 
amours,  il  me  ménageait  des  entrevues...  Ah!  vous 
ne  le  connaissez  pas,  cet  homme-là,  vous  ne  savez 
pas  encore  ce  dont  il  est  capable,  et  c'est  vous  qui 
le  défendez!  Pourtant,  qu'il  nous  rende  notre  en- 
fant, qu'il  nous  la  rende  et  je  le  laisserai  tranquille. 

.   FANNY 

Eh  bien,  commencez  par  exécuter  ce  projet  et 
partez. 

GASTON 

Non... 

FANNY 

Si. 


208  LA  VIERGE  FOLLE 


GASTON 


Le  lâche...  Le  lâche!...  C'est  vous  qu'il  a  chargée 
de  cette  mission!...  11  est  là,  verrouillé,  ils  sont  là, 
tous  les  deux,  à  côté...  C'est  abject...  (Criant.)  Lâche l 
Lâche  !  Mais  sortez  donc  !...  Osez  donc  une  fois  vous 
montrer...  L'homme  capable  de  faire  ce  que  vous 
faites,  de  s'abriter  derrière  les  femmes,  et  qui  uti- 
lise Jusqu'à  leurs  terreurs,  cet  homme  n'est  même 
pas  digne  d'être  souffleté...  Vous  entendrez  au 
moins  ma  voix!...  Lâche!...  (La  porte  s'ouvre.  Armaury 
entre.)  A  la  bonne  heure,  au  moins!... 


SCÈNE  V 
ARMAURY,  FANNY,  GASTON,  puis  DIANE 


FANNY,  un  cri. 

Ne  sors  pas!  Prends  garde! 

ARMAURY 

Eh  bien!  Qu'est-ce  que  c'est?  Vous  vous  permet- 
tez de  faire  bien  du  tapage,  mon  jeune  ami... 

Il  s'avance,  dédaigneux,  la  poitrine  en  avant,  les  mains 
dans  les  poches.  Diane  le  suit  précipitamment. 


ACTE   QUATRIÈME  209 

GASTON 

Ah!  te  voilà,  toi...  Diane,  tu  vas  me  suivre  im- 
médiatement. 

DIANE 

Je  n'obéis  pas  aux  ordres  donnés. 

GASTON 

Monsieur,  je  vous  somme  de  nous  la  rendre. 

ARMAURY 

Quand  nous  serons  seuls,  je  vous  accorderai 
toutes  les  explications  voulues...  Pas  ici...  pas  en 
présence  de  ces  deux  femmes.. 

GASTON 

Oh!  il  ne  s'agit  plus  d'explications.  Une  dernière 
fois,  voulez-vous  laisser  partir  ma  sœur?... 

ARMAURY,  carrément. 

Elle  vient  de  vous  répondre  pour  moi,  —  pour 
nous  deux. 

GASTON 

Alors,  voulez-vous  au  moins  me  rendre  raison... 
refusez-vous  toujours  une  rencontre? 

18. 


210  LA  VIERGE   FOLLE 

ARMAURY,  haussant  les  épaules. 

Parfaitement,  je  refuse... 

GASTON 

Eh  bien,  donc,  vous  l'aurez  voulu...  (il  se  retourne 
vers  lui.  Il  tire  rapidement  de  la  poche  de  son  smoking  un  revolver 
et  le  braque.  Les  deux  femmes  ont  un  cri  simultané  et,  d'un 
même  élan,  l'une  à  droite  et  l'autre  à  gauche,  se  précipitent  devant 
Armaury  en  le  couvrant  de  leurs  corps.  Gaston,  baissant  le  revolver 

avec  un  éclat  de  rire  et  de  rage.)  C'est  admirable  !...  Toutes 
les  deux  !  Toutes  les  deux  sur  votre  poitrine  !... 
C'est  là  qu'elles  se  rencontrent! 

AKMAURY,  écartant  énergiquement  les  deux  femmes 
et  se  présentant  face  à  lui. 

Ne  blasphémez  pas,  monsieur...  Leur  geste  est 
plus  beau  que  le  vôtre! 

DIANE,  criant  et  s'interposant. 

Gaston!  veux-tu  finir!... Gaston,  en  voilà  assez!... 
Pose  ce  revolverl...  Quand  tu  l'auras  posé,  je  par- 
lerai. (Elle  désigne  une  table  au  fond.)  Sur  Ce  meuble... 
là...   Je  veux  parler...  Qu'on  m'écoute! 

GASTON,  après  une  hésitation. 

Soit!  J'obéis... 

11  dépose  l'arme,  mais  à  une  distance  assez  proche  de 
lui,  pour  surveiller  qu'on  ne  s'en  empare  pas. 


ACTE  QUATRIÈME  211 

DIANE,  essayant  de  le  prendre  à  part. 
Viens  par  ici,  loin  de  la  table... 

GASTON 

Que  vas-tu  me  dire?  Que  tu  es  décidée  à  revenir 
chez  nous? 

DIANE 

Je  veux  te  dire  que  tu  es  abominable...  Je  ne  sais 
■comment  qualifier  ta  conduite... 

GASTON 

Et  moi,  je  sais  trop  comment  qualifier  la  tienne... 

DIANE 

Un  frère  et  une  sœur  en  arriver  là!... 

GASTON,  haut,  refusant  l'aparté. 

Ce  n'est  pas  à  toi  que  j'en  ai,  c'est  à  ton  amant. 
Qu'il  te  laisse  partir,  qu'il  te  rende  à  nous,  j'aban- 
donnerai toute  idée  de  vengeance...  sinon... 

ARMAURY,  croisant  les  bras. 

A  votre  guise!... 

GASTON 

Sinon,  il  n'y  a  pas  de  protestations  assez  fortes 


212  LA   VIERGE  FOLLE 

pour  exprimer  à  quel  point  je  suis  décidé.  Perds 
tout  espoir,  Diane.  Votre  amour  est  sans  issue.  J'ai 
déposé  ce  revolver,  cela  veut  dire  simplement  que 
je  ne  suis  pas  à  des  heures  près.  Où  que  ce  soit, 
monsieur,  demain,  un  autre  jour,  n'importe,  je 
vous  certifie  que  je  ne  vous  raterai  pas. 

ARMAURY,  haussant  à  nouveau  les  épaules. 

Entendu!...  Entendu!...  Mais  pour  aujourd'hui, 
hors  d'ici!... 

II  semble  qu'il  va  l'empoigner  de  toute  la  force  de  sa 
colère  contenue. 

DIANE,  hors  d'elle-même,  éperdue,  désignant  Gaston. 

Ah!  Il  le  fera  comme  il  le  dit!  Je  le  connais!... 
Mais  il  faut  l'empêcher!... 

FANNY,  qui  s'était  dissimulée  dans  le  fond  de  la  pièce, 
gravement,  simplement. 

Non,  il  ne  le  fera  pas!...  Et  c'est  moi, la  femme... 
la  femme  légitime,  qui  le  dis. 

ARMAURY 

Fanny!...  Ah!  pas  toi!...  pas  toi!... 

FANNY,  en  s'avançant,  à  Gaston. 

Mais  vous  ne  voyez  donc  pas,  vous  ne  compre- 
nez donc  pas  que,  pour  que  je  leur  fasse  grâce  à  tous 


ACTE  QUATRIÈME  213 

les  deux,  moi,  et  qu'en  un  moment  pareil  j'ose  vous 
dire  :  «  Laissez-les,  laissez-les  »,  il  faut  pourtant 
bien  que  ce  soit  cela  la  vérité!  Aucun  crime 
d'amour  ne  vaut  la  mort...  Vous  êtes  trop  jeune 
pour  le  savoir...  Allons-nous-en, monsieur!  Allons- 
nous-en  pour  toujours!  Devant  leur  amour,  de- 
vant cette  chambre  d'amour,  je  n'ordonne  pas,  moi, 
je  supplie,  entendez-vous,  je  supplie...  Que  faut-il 
de  plus  pour  que  vous  compreniez?...  pour  qu^  vous 
ayez  pitié  d'eux,  de  moi  aussi,  car  je  ne  veux  pas 
que  vous  fassiez  du  mal  à  celui  que  j'ai  aimé  en 
vain!...  Et  si  ce  n'est  pas  assez  de  supplier,  voulez- 
vous  que  je  me  mette  à  genoux  devant  vous?...  Je 
le  ferai!...  Je  le  ferai!... 

ARMAURY,  se  précipitant  pour  l'empêcher. 

Pas  ça,  Fanny!... 

DIA>'E.  poussant  une  espèce  de  cri  sauvage. 

Ah!  je  vous  jalouse,  madame,  je  vous  jalouse 
d'être  aussi  belle!...  C'est  cette  femme-là,  Marcel, 
c'est  cette  femme-là  que  tu  n'aurais  pas  dû  quitter. 
Elle  est  sublime...  Elle  a  le  courage  que  je  n'ai  pas, 
celui  du  renoncement...  J'ai  honte  d'être  aussi 
lâche  à  côté  d'elle...  C'est  avec  celle-là  que  tu 
aurais  dû  vivre.  Elle  aime!...  Elle  aime,  plus  que 
moi...  Oh  !  madame,  comme  je  vous  ai  fait  souffrir  !.. 


-^^  LA   VIERGE   FOLLE 

mais  pour  en  arriver  à  une  pareille  abnégation 
ah!  vous  devez  éprouver  une  bien  belle  ivresse!...' 
Je  vous  l'envie!... 

GASTON,  profitant  de  ce  moment  pour  lui  prendre  la  main. 
Eh  bien,  prends  exemple...  Élève-toi  jusque-là. 
Allons,  je  vois,  je  sens  que  tu  vas  commencer  à 
t'eclairer  et  à  devenir  raisonnable... 

DIANE 

Peut-être,  Gaston... 


GASTON 

e  re 


Alors,  viens.  Tu  vois  bien  que  tu  le  dois,  tu  1 
connais  toi-même. 


DIANE 


Oui...  Encore  un  peu  de  temps...  très  peu... 

GASTON 

Fais  quelque  chose  de  beau,  Diane!...  que  je  re- 
trouve la  petite  patricienne  que  tu  es  restée  au 
lond. 

DIANE 

Attends,  Gaston!...  Je  tâcherai... 

ARMAURY,  qui  était  resté,  les  bras  croisés,  dans  une 
attitude  hautaine. 

.  Diane!    Que  signifient  ces  paroles?...  J'écoute 


ACTE  QLATRIÈME  215 

terrifié,  impuissant,  cette  scène  abominable  que  je 
voulais  à  tout  prix  éviter,  et  c'est  toi,  c'est  toi  qui 
faiblis?...  C'est  toi  qui  parles  de  me  quitter!... 
Quand  j'ai  le  courage  que  voilà!... 

Il  s'est  approché  d'elle,  anxieusement,  comme  pour  lui 
parler  à  voix  basse. 

DIANE,  vivement. 

Que  veux-tu,  j'avais  toujours  prédit  que  c'était 
une  chose  impossible...  il  y  avait  trop  d'amour  et 
trop  de  haine.  C'était  sûr,  on  ne  pouvait  pas  s'en 
sortir...  Contre  cette  femme-là,  je  ne  pourrai  ja- 
mais rien!...  Je  suis  vaincue  d'avance...  Gaston, 
réponds-moi,  est-ce  décidé?  Ce  que  tu  viens  de  dire 
est  bien  ta  pensée?...  Si  je  ne  pars  pas,  c'est  sur  lui 
que  tu  te  vengeras?  Réponds.    ' 

AKMAURY.  épouvanté,  à  Diane. 

Mais  il  ne  faut  pas  le  croire  !...  C'est  du  chantage. 

DIANE 

Oh!  je  ne  discute  pas,  je  m'informe  simple- 
ment... je  fais  une  addition...  un  total... 

GASTON,  de  toute  son  énergie,  en  fixant  Armaury. 

Rien,  rien  ne  pourra  me  faire  changer.  Vous  êtes 
en  face  d'un  dilemme... 

Fannv,  muette,  s'est  accroupie  sur  elle-même.  On  dirait 
qu'elle  guette,  prête  à  intervenir. 


216  LA  VIERGE  FOLLE 

ARMAURY,  éclatant. 

Ah!  c'est  trop,  cette  fois!...  Hors  d'ici!...  mon- 
sieur!... Sortons,  vous  et  moi!...  Tout  ce  que  vous 
voudrez,  soit,  mais  plus  en  présence  d'elles!  Venez 
donc!  Vous  avez  raison...  Advienne  que  pourra!... 
J'en  ai  assez  de  cette  inertie,  j'étouffe!...  A  nous 
deux!  Sortons!  Et  que  cela  finisse! 

Diane  s'interpose  et  étend  son  bras  jusqu'à  toucher  du 
doigt  la  poitrine  de  MarceL 

DIANE 

Non,  non!...  Calme-toi,  Marcel!...  A  mon  tour, 
je  vais  te  demander  quelque  chose  et  puis  ce  sera 
tout!...  (On  la  voit  hésiter  à  parler,  comme  se  recueillir,  puis 
avec  un  effort  immense,  et  les  lèvres  tremblantes,  elle  dit  ;) 
Pourrais-tu,  sans  mentir...  ici...  oui.;,  pourrais-tu 
aller  jusqu'à  m'affirmer  que  c'est  moi  que  tu  as 
le  plus  aimée,  que  c'est  moi  qui  tu  aimes  le  plus!... 

Et  alors,  debout,  elle  enfouit  sa  tête  dans  ses  deux  mains, 
pour  ne  plus  rien  voir,  en  attendant  la  réponse.  Il  y  a 
un  instant  de  stupéfaction  générale,  un  silence  d'an- 
goisse et  de  malaise  atroce.  Le  frère  s'est  approché, 
presque  indigné,  révolté  de  la  question,  il  regarde 
Mme.  Armaury,  avec  commisération;  mais  celle-ci  n'a 
pas  sourcillé.  Seul,  Marcel,  accoudé  à  la  cheminée,  est 
en  proie  à  une  grande  agitation  intérieure. 

ARMAURY,  tout  à  coup. 

Oui,  je  comprends...  malgré  la  cruauté  de  la 
chose...  ce  que  tu  veux  dire...  Tu  veux  la  sanction 


ACTE  QUATRIÈME  217 

terrible  de  cet  aveu,  devant  ces  deux  êtres-là! 
(Silence.)  Eh  bien,  tu  l'auras  cette  sanction!,..  Oui, 
Dianette,  sans  hésiter,  devant  eux,  en  toute  fran- 
chise, j'affirme  de  toute  la  force  de  mon  âme  que 
c'est  toi  qui  es  la  plus  aimée.  J'ai  fondu  ta  vie 
dans  la  mienne,  et,  devant  eux,  comme  devant  la 
mort  même,  je  dirai  plus  encore  :  «  Je  te  garde,  et 
de  mon  propre  consentement,  jamais  je  ne  t'aban- 
donnerai!... » 

Il  dit  cela  farouchement,  énergiquement,  comme  s'il  fon- 
çait sur  l'obstacle  dressé  devant  lui.  Après  il  demeure 
un  instant  écrasé  de  ses  propres  paroles.  Pendant  qu'il 
parlait  on  a  vu  le  visage  des  deux  femmes  exprimer, 
en  même  temps,  les  sentiments  opposés.  Celui  de  Diane, 
qui  s'est  découvert,  est  devenu  à  mesure  radieux  et 
comme  illuminé  de  bonheur.  Celui  de  Fanny  s'est  con- 
tracté de  la  plus  effroyable  douleur,  elle  pousse  un 
soupir  de  détresse  plus  fort  que  sa  volonté  et  son  corps 
s'est  soulevé  de  la  chaise.  Elle  retombe. 

DIANE 

Et  tu  as  pu  dire  ça!...  tu  as  pu  dire  cela,  devant 
ta  femme,  devant  celle  qui  suppliait  pour  ta  vie  il 
n'y  a  qu'un  moment!  Faut-il  que  tu  m'aimes! 
Après  une  parole  comme  celle-là,  ah  !  il  ne  me  reste 
plus  rien  à  entendre...  (Il  y  a  maintenant  une  sorte  de 
grande  sérénité  répandue  sur  elle.)    Madame,    ne    baissez 

pas  la  tête,  j'ai  été  cruelle,  atroce,  mais  je  vais 
vous  le  rendre...  C'était  pour  vous  le  rendre!... 
(Elle  pousse  tout  à  coup  un  cri.)  Regardez.,. 'regardez...  à 

19 


218  LA  VIERGE  FOLLE 

cette  porte...  Regardez,  mais  regardez  donc...  dans 
la  chambre. 

Fanny,  Gaston  et  Armaury  se  retournent  instinctivement 
et  s'avancent  vers  la  porte  de  la  chambre  restée  ouverte 
que  désigne  Diane  du  doigt.  Diane  a  un  mouvement  de 
retraite  habile. 

GASTON,  regardant  la  chambre. 

Qu'y  a-t-il?  Qu'est-ce  qu'elle  voit?  Elle  est 
folle!... 

DIANE 

Pas  si  folle  que  ça,  Gaston!..,  Je  vais  être  très 
sage... 

Elle  s'est  approchée  de  la  table  où  Gaston  a  posé  le  re- 
volver. Elle  le  saisit  brusquement  en  le  dissimulant, 
puis  se  tourne  de  dos  à  eux.  On  entend  la  détonation. 
Ils  se  précipitent.  Déjà  Diane  s'est  afl'alée  sur  le  parquet. 

ARMAURY 

Diane!  Diane!  Qu'as-tu  fait?  Mais  c'est  impos- 
sible!... mon  enfant,  mon  enfant  chéri...  Où  t'es-tu 
blessée...  où?...  mais  réponds...  réponds...  Mon 
Dieu!  Son  corsage  est  rempli  de  sang!...  Au  se- 
cours!... 

Il  s'est  rué  sur  elle  qui  étouffe.  Le  corps  a  des  soubre- 
.sauts. 

GASTON 

Diane...  ma  chérie... 


ACTE  QUATRIÈME  219 

ARMAURY 

Assassin!...  Allez-vous-en,  assassin...  ou  je  vous 
tue!...  Appelez  donc  au  secours,  au  moins,  gredin... 
Fanny,  appelle,  pour  Dieu!...  Un  médecin...  vite!... 

(Fanny  ouvre  la  porte,  éperdue,  et  appelle.  Gaston  se  précipite  au 
dehors.)  Sonne!...  (Fanny  sonne.  Il  porte  Diane  sur  la  cliaise 
longue.)  Diane,  mon  amour,  ma  tendresse... (A Fanny.) 
Aide-moi...  oui,  le  corsage...  Arrache.,,  non,  tu  lui 
fais  mal...  laisse,  laisse...  Ah!  mais  elle  ne  va  pas 
passer  dans  mes  mains!..  Elle  a  de  l'écume  rouge, 
tu  vois,  à  la  bouche...  C'est  affreux,  c'est  affreux  !... 
Elle  ne  bouge  pas...  Mais  je  neveux  pas  que  tu 
meures!...  On  va  te  sauver,  ma  chérie...  Ce  n'est 
rien  du  tout,  tu  verras...  tu  t'es  blessée  bêtement, 
voilà...  J'embrasserai  encore  tes  petites  lèvres  et 
ton  beau  front!...  Je  suis  là,  mon  enfant...  nous 
serons  heureux,  je  te  le  promets...  (Devant  l'immobilité 
de  Diane,  il  a  un  écroulement  de  désespoir.  Il  pleure.)  Elle 
était  tout  amour  et  toute  gentillesse!...  Et  nous 
nous  sommes  mis  à  quatre  ou  cinq  pour  la  tuer, 
moi  avec  mon  amour,  toi  avec  ta  pitié,  lui  avec 
sa  haine  !...  (Des  garçons  d'hôtel,  mal  réveillés,  entrent  et  s'ar- 
rêtent, gauchement  intimidés,  sur  le  seuil.)  Entrez  !  Entrez  !... 
C'est  une  pauvre  petite  fille  qui  est  là...  une  pauvre 
petite  fille  de  rien  du  tout!... 
II  sanglote  en  l'embrassant. 

RIDEAU 


B  —  7664.  —  Libr.-Impr.  réunies,  7,  rue  Saint-Benoît,  Paris. 


EUGÈNE  FASQUELLE.  ÉDITEUR,   11,   RUE   DE  GRENELLE 

CHOIX    DE    PIÈCES 


BATAILLE  (Henry).  L'Enchantement;  Maman  Colibri 3  fr.  50 

—  Le  Masque  ;  La  Marche  nuptiale 3  fr.  50 

—  La  Vierge  folle.  Pièce  en  A  actes 3  fr.  50 

BE.NELLI  (SiCM).  La    Beffa.  Drame   en  4  actes.  Transposition   en   vers 

français  par  Jean  Riche  pin 3  fr.  50 

BRRVSTRIN  (Hbnryi.  Le  Bercail.  Comédie  e&  3  actes 3  fr.  50 

—  La  Rafale.  Pièce  en  3  actes 3  fr.  50 

—  Le  Voleur.  Pièce  en  3  actes 3  fr.  50 

—  Israël.  Pièce  en  3  actes .' 3  fr.  50 

—  Samson.  Pièce  en  4  acies 3  fr.  50 

BEhrON  (Pierue).  La  Rencontre.  Pièce  en  4  actes 3  fr.  50 

BOURDET  (Edouard).  Le   Rubicon.  Pièce  en  3  actes 3  fr.  50 

(.  VPUS  (Alfred I.  La  Veine.   Goiuédie  en  4  actes 3  fr.  50 

—  Les  Deux  Ecoles.  Comédie  en  4  actes 3  fr.  50 

—  La  Châtelaine.  Comédie  en  4  actes 3  fr.  50 

—  Notre  Jeunesse.  Comédie  en  4  actes 3  fr.  50 

—  Les  Deux  Hommes.  Pièce  en  4  actes 3  fr.  50 

—  L'Oiseau  blessé.  Comédie  en  4  aiUes 3  fr.  50 

CAPUS  (A.)  et  DESCAVES  (L.).  L'Attentat.  Pièce  en  3  actes 3  fr.  50 

f'ONNW  (Maurice).  Théâtre  complet.  Tomes  l.  II,  III  et  IV,  chacun.  3  fr.  50 

nONNAY  (M.)  et  DESCAVES  (L.l.  Oiseaux  de  passagre.  4  actes 3  fr.  50 

DUVAL  (G.)  et  ROU.K  (X.).  Le  Chant  du  Gyg-ne.  Comédie  en  3  actes.  3  fr.  50 

KAUCHOIS  (René).  Beethoven.  Pièce  en  3  actes,  en  vers 3  fr.  50 

G.WAULT  (Paul).  La  Petite  Chocolatière.  Comédie  eu  4  actes  ...  3  fr.  50 

MAETERLINCK.  Monna  Vanna.  Pièce  en  3  actes 2  fr.     » 

—  Joy«elle.  Pièce  en  h  actes 3  fr.  50 

L'Oiseau  bleu.  Féerie  en  5  actes  et  10  tableaux :^  fr.  50 

La  Tragédie  de  Macbeth,  de  \V.  Shakespearb.  Traduction  nou- 
velle, avec  une  Introduction  et  des  \otes , 3  fr.  50 

M  ACRE  (Maurice)  et  GAILHARD  (André;.  La  Fille  du  Soleil.  Tra- 

{fédie  lyrique  en  3  actes  (Poème  et  partition) 3  fr.  50 

MENDÈS  iGatollei.  Médèe.  Tragédie  en  3  actes,  »n  vers 3  fr.  50 

—  Scarron.  Comédie  trajfique  en  5  actes,  en  vers ! 3  fr.  50 

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.MIRBEAU  (Octave).  Les  Mauvais  Berf^ers.  Pièce  en  5  actes 3  fr.  50 

—  Les  Affaires  sont  les  Affaires.  Comédie  en  3  actes i  fr.  50 

—  Le  Foyer.  Comédie  en  3  actes  (avec  Thadbe  Natanson) 3  fr.  50 

;"'.HEPIN  (Jacques).  Cadet-Roussel.  Comédie  en  3  actes,  en  vers...  3  fr.  50 

—  La  Marjolaine    Pièce  en  5  actes,  en  vers 3  fr.  50 

—  Xantho  chez  les  courtisanes.  Comédie  en  3  actes,  en  Tera....  2  fr.  50 
lUCHEPIN  (Jeam    Par  le  Glaive.  Edition  in-8 4  fr. 

—  La  Glu.  Drame  en  5  actes  et  fî  tableaux.   Edition  in-8 4  fr. 

—  Monoieur  Scapin.  Comédie  en  3  actes,  en  vers.   Edition  in-8 4  fr. 

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—  Le  Chemineau.  Drame  en  5  actes,  en  vers.  Edition  in-8 4  fr. 

—  La  Martyre.  Drame  en  5  artes,  *en  vers 3  fr.  50 

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ROSTAND  (Rdvond).  Les  Romanesques.  Comédie  en  3  actes,  en  vers.  3  fr.  50 

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WOLKF  (l'iKHRB).  L'Age  d'aimer.  Comédie  en  4  actes 3  fr.  50 

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Z\MACOÏS(Mi«ubi.).  La  Fleur  merveilleuse.  Pièce  en  4  actes,  envers.  3  fr.  50 

19Î30.  —  L. -Imprimeries  réunies,  rue  Saint-Benoît,  7,  Pari». 


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PQ,  Bataille,   Henry 

2603  La  vierge  folle 

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