LE
BALLET DE COUR
EN FRANGE
AVANT BENSERADE ET LULLY
n
PL I
APPAIUTION DE LA NY3IPHE DES FONTAINES
Ballet de la Délivrance de Renaud [1617).
(Estampe tirée du Discours au vray du ballet dansé par le Roy...)
LE
BALLET DE COUR
EN FRANCE
AVANT BENSERADE ET LULLY
SUIVI DU BALLET DE LA DÉLIVRANCE DE RENAUD
Thèse complémentaire pour le doctorat es lettres,
présentée à la Faculté des Lettres de l'Université de Paris
HENRY PRUNIERES
fM
SEIZE PLANCHES HORS TEXTE '^. **
HENRI LAURENS, ÉDITEUR
6, RUE DE TOURNON, PARIS
I9l3
Tous droits de traduction et de reproduction réservés
pour tous pays.
ML
Pie
Monsieur ANDRE PIRRO
En hommage respectueux.
AVANT'PROPOS
Durant un siècle^ du règne de Henri III à la fondation
de r Académie Royale de Musique^ le ballet de Cour jouit
en France d'une vogue extraordinaire. Comme Topera en
Italie^ comme le Mask en Angleterre^ c'est^ par essence^ un
spectacle de princes, mais le peuple ne laisse pas dy
prendre aussi un plaisir extrême. Chaque carnaval., c'est
en présence d'une foule compacte où gentilshommes et
bourgeois se pressent et se coudoient., que le Roi danse
son ballet. Personne ne songe alors à mettre en balance
V intérêt d'une telle représentation avec celle d'une tragé-
die ou dune comédie : le ballet a pour acteurs des grands
seigneurs y de nobles dames; il fait intervenir la danse., la
pantomime, la musique, ta poésie, la mise en scène ; il
charme les yeux, les oreilles et l'esprit ; cest, de F aveu de
tout le monde, le plus magnifique des spectacles.
On peut être surpris quune forme dramatique si
curieuse et dont il est tant parlé dans les mémoires et les
correspondances du XV IT siècle, ri ait encore été l objet
d aucune étude spéciale. Elle intéresse pourtant.^ à plus
dun titre, Vhistoire générale du théâtre. Issue, au
XVP siècle, des essais de poètes humanistes désireux de
reconstituer la tragédie antique avec ses chœurs dansés et
chantés, elle ne tarda pas à évoluer vers un idéal lyrique.
II AVANT-PROPOS
Elle fut^ durant un demi-siècle^ le champ d^ expérience
oîi la musique dramatique française fit ses premiers pas.
Ce fut elle qui^ en s' unissant à V opéra italien^ donna nais-
sance à la tragédie en musique de Lully, Il est donc im-
possible d'étudier V opéra français sans se faire, au préa-
lable^ une juste idée du spectacle complexe auquel il em-
prunta une partie de ses éléments constitutifs.
On ne s'avisa qu assez tard d'écrire V histoire du ballet
de Cour. L'abbé de Pure^ M. de Saint-Hubert, l'abbé de
Marelles, se préoccupèrent plutôt d'édicter des règles que
de décrire l'éi^olution du ballet à travers les âges. Le Père
Menestrier eut cette noble ambition., mais., dépourvu d'es-
prit critique., il ne tarda pas, en cherchant les origines du
ballet^ à se perdre parmi les Grecs, les Hébreux et les
Babyloniens, H confondit les spectacles les plus différents,
passa sans transition des ballets à entrées aux opéras ita-
liens, des chœurs tragiques aux mascarades de la Renais-
sance. H brouilla tout de telle sorte qu'on serait bien
empêché., après avoir lu son livre, de dire en quoi consis-
tait un ballet de cour.
Bonnet, auteur d'une médiocre histoire de la danse
[il 23), suivit les mêmes errements. Le ballet de Cour avait
à peine disparu depuis soixante ans qu'on en parlait
déjà comme d'un spectacle à la fois très primitif et très
mystérieux. Au reste., ne traitait-on pas de même sorte les
œuvres des précurseurs de Corneille P Le ballet de Cour fut
un peu à l'opéra ce que les pastorales et les tragi-comédies
de Hardy furent à notre théâtre classique ; il tomba rapi-
dement dans le même discrédit que ces pièces.
Beauchamps, le premier, ^KÊÊÊnt l'importance histo-
rique du ballet de Cour. Il inséraWans ses Recherches sur
les théâtres de France [173^] un catalogue de tous les
AVANT-PROPOS III
ballets dont il avait trouvé mention dans les mémoires ou
dont il avait rencontré les livrets imprimés. Le duc de la
V allier e ajouta quelques noms à cette liste dans son livre
Ballets. Opéra et autres ouvrages lyriques, publié peu
d années plus tard.
Durant un siècle^ le ballet de Cour ne tenta plus aucun
historien. En 1866 seulement^ Victor Fournel lui consacra
une brillante notice qu^ il plaça en tête de la publication de
quelques livrets dans le Tome second de son recueil: Les
contemporains de Molière. Il faut rendre à V auteur cette
justice quil apprécie à sa valeur le talent poétique du
charmant Benserade^ mais^ ayant superficiellement étu-
dié la question^ il a confondu tous les genres de ballets :
ballets à récits déclamés et à récits chantés^ ballets à
entrées., ballets à grand spectacle ; il a cru que le ballet
de Benserade et Lully représentait la forme classique du
genre quand., en réalité., il appartient au dernier stade de
son évolution vers V opéra. En 1868., Véminent bibliophile
Paul Lacroix donna chez Gay., à Genève^ une édition à faible
tirage d'une multitude de ballets^ recueillis par lui dans
les bibliothèques publiques et privées. Les six volumes des
Ballets et Mascarades de Cour de Henri III à Louis XIV
eussent grandement facilité les recherches des historiens
du théâtre^ s^ils avaient pris la peine de les étudier de
près, mais la plupart négligèrent cet ouvrage précieux.
Abordant la question au point de vue du costume et de la
mise en scène, seul M. Bapst, en 1893, consacra au ballet
quelques pages de son Essai sur l'histoire du théâtre et
dressa une liste des principaux documents iconographiques
conservés dans les colUÊÊ^s publiques ou particulières.
Restait à écrire unmWrage d'' ensemble où fussent étu-
diées les origines et l'évolution du Ballet de Cour; où
IV AVANT-PROPOS
en fussent décrits et analysés les divers éléments :
Danse, Musique, Poésie^ Mise en scène. C'est ce que
nous avons tenté sans nous dissimuler la témérité de
notre entreprise. Plus on étudie le ballet de Cour et plus
on demeure surpris de V abondance d'un sujet qui semble-
rait, à première vue, fort limité. Il donne, sur la Société
du XVI^ et du XVIP siècle, les renseignements les plus
curieux, il appointe une contribution inattendue à V histoire
de la mise en scène, il permet surtout d' apprécier les ten-
dances et les caractères de la musique profane en France
durant près d'un siècle. Une telle matière semble inépui-
sable : Il nous a paru qu'en V absence de tout travail anté-
rieur sur la question, nous devions nous borner à esquis-
ser à grands traits la physionomie en quelque sorte du
ballet de Cour. Nous avons donc cherché à nous représen-
ter ce qu avait été ce spectacle fastueux, dans quelles
conditions il était réalisé scéniquement, devant quel public
il se donnait et quels étaient les acteurs quil faisait
intervenir. Nous avons insisté sur V intérêt que présente la
musique des ballets pour V histoire des origines du théâtre
lyrique, cette question n'ayant jamais été même effleurée
avant nous.
Prenant le ballet à ses origines, nous le quittons au
moment où il va se trouver en contact avec ! opéra italien,
importé en France par Mazarin. Ayant décrit en un autre
ouvrage ^ cette phase dernière de l'évolution du ballet dra-
matique, il nous a paru superflu d'y revenir ici. Au reste
le ballet de Lully et de Benserade avec ses épisodes et ses
intermèdes en style récitatif, avec ses décors et ses
machines, est un spectacle nouveau, plus proche de l'opéra
I. L'opéra italien en France avant Lulli. Paris, Champion édit., igiS (in-8o).
AVANT-PROPOS
que du ballet de cour classique. Il porte V empreinte du
génie du Florentin et nest plus,, comme au temps de
Louis XIII,, une œuvre anonyme et collective, V histoire du
ballet de Cour après 1655 a sa place marquée à ! avance
dans un travail ^ensemble sur V œuvre de Lully : on ne
saurait V étudier en faisant abstraction de la puissante
personnalité du créateur de V Opéra français.
Nous nous sommes servis pour le présent ouvrage de tous
les matériaux qu il nous a été possible d'utiliser : mémoires,,
gazettes,, correspondances,, pièces d* archives, romans^
recueils poétiques, livrets,, airs imprimés et manuscrits,
tablatures de luth,, partitions manuscrites, documents
iconographiques etc. Nous avons écarté tous les témoi-
gnages qui n étaient pas rigoureusement contemporains
des faits que nous exposions. C^ est pourquoi on ne trou-
vera ici aucune citation tirée des ballets de Benserade :
nous nous sommes efforcés d'oublier leur existence. Nous
avons agi de même à l'égard des théoriciens ; nous nous
sommes servis presqu exclusivement des ouvrages de Saint-
Hubert, de Marolles, de l'abbé de Pure, de Mersenne, qui
nont pas été troublés, comme le Père Menestrier, par la
vue des Opéras de Lully. Nous avons surtout mis à contri-
bution les livrets d'innombrables ballets, grâce auxquels
nous avons pu reconstituer approximativement les procédés
d' exécution et de mise en scène usités en ces spectacles.
Il nous teste à témoigner notre gratitude à tous ceux
qui nous ont assisté de leurs conseils au cours de nos
recherches. MM. André Pirro et Michel Brenet nous ont
fait profiter à maintes reprises de leur profonde connais-
sance des hommes et des choses du XVII^ siècle musical ;
M. Pierre Marcel, professeur à l'Ecole des Beaux-Arts
et M. Demont, conservateur des dessins au Musée du Louvre
VI AVANT-PROPOS
ont facilité grandement nos recherches iconographiques
par leur inlassable complaisance ; M. Emile Picot ^ membre
de r Institut^ nous a ouvert les portes de la bibliothèque
James de Rothschild^ si riche en documents iconogra-
phiques sur la question qui nous intéressait ; M. Pierre
Champion^ Vérudit et délicat biographe de Charles d'Or-
léans et de Villon nous a donné de précieux conseils
bibliographiques sur les fêtes de Cour au XV" siècle.
Mai igiS.
H. P.
LE
BALLET DE COUR
EN FRANCE
Mascarade et cartels ont prins leur nourriture.
L'un des italiens, l'autre des vieux françois
Qui erroient tous armez, par déserts et par bois,
Accompagnez d'un nain cherchant leur aventure.
L'honneur des nobles cœurs, généreuse pointure,
Les faisoit par cartels desfier aux tournois,
{Ou nuds en un duel, ou armez du pavois)
Ceux qui forçoient les lois , le peuple ou la droicture.
L'accord italien quand il ne veut bastir
Un théâtre pompeux, un cousteux repentir
La longue Tragédie en Mascarade change.
Il en est l'inventeur, nous suivons ses leçons
Comme ses vestemens, ses mœurs et ses façons,
Tant l'ardeur des François aime la chose estrange.
Ronsard.
CHAPITRE PREMIER
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET
I. — Les fêtes de Cour en France et en Bourgogne au xv® siècle :
Momeries, Entremets, Moresques, Tournois.
II. — Spectacles et divertissements des Cours italiennes : Trionfi,
Mascherate, Intermedi.
III. — La Mascarade en France au xvi® siècle, ses formes diverses et
son évolution.
I
L'origine des travestis et des masques se perd dans la
nuit des temps. Durant tout le moyen âge, aux jours joyeux
de Noël et du Carnaval, la foule s'adonne avec ardeur à
ce divertissement et des bandes bruyantes, aux visages
2 LE IULLET DE COUR EN FRANCE
barbouillés de suie ou dissimulés sous des masques gros-
siers, courent les rues en se livrant à mille facéties plus
ou moins incongrues. Nous n'avons pas à relater ici les
étonnantes pratiques de la fête des fous; rappelons seu-
lement qu'au milieu du xv^ siècle des ecclésiastiques par-
ticipaient encore à ces saturnales et assistaient à l'office
divin « les uns avec des masques d'une figure monstrueuse,
les autres en habit de femmes, de gens insensés ou
d'histrions^ ». Les ordonnances royales et municipales
qui se succédaient à intervalles réguliers, restaient lettre
morte et les théologiens avaient beau protester que le
Diable était l'inventeur des Momeries, que masquer était
une abominable idolâtrie, a une hérésie condamnée par
les Pères, par les Conciles et Saints Décrets S), le peuple
n'en continuait pas moins à s'accoutrer de déguisements
bizarres et à folâtrer par les rues.
La noblesse pratiquait avec autant d'entrain ce passe-
temps prohibé par les autorités ecclésiastiques. Nous
sommes malheureusement assez mal renseignés sur le
détail des fêtes de la Cour française vers la fin du moyen
âge. Les guerres civiles et étrangères, qui ravagent le
pays, absorbent toute l'attention des chroniqueurs, et
nous ne connaîtrions peut-être aucune relation circons-
tanciée de Momerie sans le terrible accident qui enleva
au pauvre Charles VI le peu de raison qui lui demeurait.
I. Du ïilliot. Mémoire pour servir à V histoire de la fête des foux. A
I-iausanne et à Genève MDCCLI, p. 12.
1. Traitté contre les Masques par M. Jean Savaron, sieur de Villars
A Paris chez Pierre Chevalier... 1608 (B. Nat. Li 19/14),. Cet ouvrage fort
curieux énumère un grand nombre d'ordonnances et de décrets rendus contre
les Masques, (c La preuve, dit Savaron, que le Diable est autheur des
Masques et mommeries se tire de la propriété et origine de ces mots de
Mommon et de Masque ; Mommo en grec, Masca en toscan et lombard et en
latin Larva signifient un démon et un masque, »
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 5
Le 29 janvier iSpS^ fut célébré, en Thôtel Saint-Paul,
le mariage d'une damoiselle de la Reine et du chevalier
de Vermandois : « tout le jour qu'ils épousèrent on
dansa et mena-t-on grand joie ^ » Pendant que les méné-
triers, montés sur une estrade, sonnaient de maints doux
instruments de musique et que gentilshommes et dames
dansaient à corps perdu '\ le sire Hugonin de Guisay,
écuyer, qui cherchait à distraire le roi de ses sombres
pensées, s'avisa d'un bel ébattement pour plaire à
Charles VI et aux dames. Il fit préparer des chemisettes
enduites de poix sur lesquelles on sema à profusion du lin
délié. Lorsque le roi et cinq autres seigneurs eurent revêtu
ces déguisements, « ils se montroient être hommes sau-
vages', car ils étoient tous chargés de poil, du chef jus-
ques à la plante du pied ^ ». Ainsi accoutrés et le visage
caché sous un masque \ ils firent irruption dans la grande
salle et se mirent à courir, se tenant par la main et pous-
sant des hurlements affreux. Les ménétriers se turent,
le bal cessa et l'on se rangea pour voir les hommes
sauvages danser une furieuse moresque \ Le Roi ne tarda
pas à se détacher de ses compagnons et s'en vint vers les
I. Nouveau style,
1. Froissart. Edit. Biichon, III, 176-178.
3. Omnes cum mirais el inslrumeutis musicis usque ad noctis médium
tripudiendo choreas continuaverunt « Religieux de Saint-Denis, t. II, ch. xvi,
p. 65 : « De illis qui exercendo illicita comhusti fuerunt ».
4. Ce genre de travesti devait être fort à la mode, car des comptes de la
Cour d'Angleterre, cités par M. Reyher, mentionnent des « capita de woder-
vose » en i348 et 1349. Les Masques anglais, p. 2.
5. Froissart. Edit. Buchon, III, 177.
6. « cum larvis faciès abscondissent » Religieux de Saint-Denis.
7. <( Sic criniti et incogniti aulara regiam sunt ingressi cum tam deformi
habitu, et gestus deformiores, hue illucque discurrendo ceperunt exercere, et
tandem more lupino horrissonis vocibus ululantes. Nec absoni a voce deinde
motus fuerunt; sed tripudiando choreas sarracenicas inceperunt »... Reli-
gieux de Saint-Denis, II, 65.
/, LE BALLET DE COUR EN FRANCE
dames pour deviser joyeusement avec elles et jouir de
leur surprise et de leur curiosité, car aucune ne le recon-
naissait. A ce moment le duc d'Orléans fit son entrée
dans la salle du bal, accompagné de nombreux porte-
torches ; voulant distinguer les visages des danseurs, il
s'empara d'un flambeau et l'approcha du groupe des
momeurs*. Le feu se communiqua à leurs vêtements et en
un instant les malheureux furent en flammes, « en la
salle de Saint-Pol à Paris, sur le point de l'heure de
minuit, avoit telle pestillence et horribleté que c'étoit
hideur et pitié de l'ouïr et du voir. Des quatre qui là
ardoient, il y en eut là deux morts éteints sur la place.
Les autres deux... moururent dedans deux jours à grand'
peine et martire. Ainsi se dérompit cette fête et assemblée
de noces en tristesse et en ennui ^ »
Gomme on voit par cette relation, la momerie, au
moyen âge, consiste en une entrée de personnages déguisés
et affublés de faux visages \ Ils crient, gambadent dansent
sans se mêler aux spectateurs*. D'autres fois, la momerie
a pour objet un jeu de hasard ; dans ce cas, ceux qui en
font partie sont tenus d'observer le silence et de ne se
faire comprendre que par signes \ Ils portent solen-
1. Certains chroniqueurs l'accusèrent d'avoir provoqué volontairement
la catastrophe dans l'espoir de tuer le Roi. Y. Monstrelet S. II. F. I, 233
et suiv.
2. Froissart. éd. Buchon, III, 178.
3. « A Piètre le painctre pour XIII faus visaiges et XIIII barbes... ».
La Borde. Ducs de Bourgogne (année i436 n*^ 1182). On disait aussi fol-
visaige :
Un fol visage avoit cascuns
Que ne les coneust aucuns.
J. de Gondé. Poésies, ëdit. Scheler, II. 19.
4. C'est en cela que divers historiens des Masques anglais voient la dilîé-
rence qui sépare la momerie de la Mascarade. Y. Sôrgel. Die englischen
Maskenspiele . Halle, 1882. — Evans. English Masques. Londres, 1897.
5. C'est à une momerie de cette espèce que fait allusion la chronique, sou-
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET O
nellement un jeu de cartes ou de dés et le présentent
successivement aux différentes personnes de Tassistance.
Lorsque la fcte se donne dans un palais, il est d'usage
d'employer des dés pipés * pour faire gagner les per-
sonnes de distinction qu'on invite à jouer.
Dans le peuple, les jeux portés en momon sont sou-
vent aussi truqués, mais pour une raison exactement
opposée, d'où les interdictions réitérées de recevoir
(( gens qui momment '\ » Au moyen âge, le mot est
employé dans les acceptions les plus diverses; il désigne
tout cortège de personnages déguisés, et même tout di-
vertissement \ Ce n'est qu'au xvi'' siècle, après l'importa-
tion en France des masqueries et mascarades, que le sens
en devient plus défini*. A partir de cette époque, la
momerie consiste en un jeu de hasard présenté par des
personnes masquées et conservant le plus absolu
silence".
Au XV® siècle, si le silence est déjà de rigueur dans ce
vent citée, de Jehan Stavelot (i4o5). « Une vesprée, les barons, prinches,
contes et ducs s'avisont qu'ils yroieut momeir et joueir aux dees al hostcit
de Monsangneur, de Lige » Edit. Borguet, p. gS, cité par Godefroy [Dict.
de l'Ane, langue franc.).
I. B.ey\\er. Masques Anglais y p. 4-
a. a Et ne doit-on recevoir gens qui momment » Consiitut. de la Mai-
son de Troye (ii63) XLVI, Archives de l'Aube. Godefroy cite aussi un arrêt
de 1395 portant « Défense de mommer la nuit à tout faulx visage ».
3. (( Luy mort, je feray momraerye » déclare un personnage du Jugement
de Salomon. Mistere du Vieil Testament, iv, 333.
4. « Vous vous trompez : c'estoit une femme desguisée en homme qui esloit
venue pour voir ma fille et luy porter un mommon » (i583). Ane. th. fr., vu,
p. 225 {Les Contens).
5. Le silence gardé par les momeurs devint vite proverbial :
Dea ! J'ay cuidé perdre la vie
Pour vostre brave habillement.
Sans dire ni quoy, ni comment
Mon plus qu'en une momerie.
{Les desguisez, Ane. th. /V-., vu, 390.)
6 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
cas particulier, il n'en va pas de même dès qu'il ne
s'agit que de rire et de danser. Les momeurs ne se font
pas faute alors décrier et de chanter, voire de se présen-
ter à l'assistance par une petite harangue versifiée que
débite l'un d'entre eux en s'adressant aux dames*. C'est
sans doute dans ces conditions que fut récitée une char-
mante ballade de Charles d'Orléans visiblement destinée
à introduire quelque troupe de joyeux compagnons.
En acquittant nostre temps vers Jeunesse,
Le nouvel an et la saison jolie,
Plains de plaisir et de toute liesse,
Qui chascun d'eulx chierement nous en prie,
Venuz sommes en ceste mommerie,
Belles, bonnes, plaisans et gracieuses,
Pretz de dancer et faire chiere lye,
Pour resveiller voz pensées joieuses^.
La momerie — comme plus tard la mascarade — se
trouve d'ailleurs associée à un grand nombre de diver-
tissements. Elle joue un rôle fort important dans les
entremets donnés en spectacle aux convives des princes
I. D'ailleurs même dans le cas de momeries servant de prétextes à jeux
de hasard, on trouve des exceptions à la loi du silence et cela encore au
xvii° siècle, alors que les Dictionnaires en arrivaient à définir Mommon :
« anneau, bague, ou somme d'argent dans une tasse ou un bassin que portent
de nuit des personnes masquées chés un ami, l'invitans à jouer sans parler »
(Monet, Inventaire de deux langues françoise et latine, i635). Voir notam-
ment « les vers récités en un Momon présenté à la Reyne le dimanche 21 de
février, à dix heures du soir en présence du Roy » (1616) publ. par Lacroix.
Ballets et Mascarades, t. II, p. 91.
a. Poésies. Édit. Charles d'Héricault, I, 148. M. Pierre Champion a eu
l'extrême obligeance de m'envoyer quelques renseignements sur la date pro-
bable de cette ballade : « Cette pièce se rencontre dans les manuscrits qui
ne comprennent que les pièces de notre poète, antérieures à 1440. Et je
pense même que cette pièce, avec quelques autres, doit trouver sa place dans
les morceaux antérieurs à la captivité (i4i5) que Charles composa aux envi-
rons de la vingtième année, »
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 7
et des grands seigneurs. Les chroniqueurs du xiv" et du
XV® siècle s'étendent longuement surTordonnance de ces
banquets et nous en ont laissé plusieurs descriptions
fort complètes. La mise en scène est, à peu de chose
près, toujours la même : on construit une grande estrade
qui occupe tout le fond delà salle, laissant libres environ
les deux tiers de la pièce pour les évolutions des figurants.
Sur cet échafaud, on dresse de longues tables, chargées
de mets et de décorations, devant lesquelles les convives
prennent place \ De vastes dais en drap d'or et de soie
abritent les personnages d'importance. Sur un signe du
maître de maison, les trompettes sonnent d'éclatantes
fanfares et la momerie fait son entrée, soit en cortège,
précédée de porteurs de torches et de musiciens, soit mon-
tée sur un char qui vient s'arrêter vis-à-vis des tables '\
La machine qui porte les momeurs est le plus souvent
artificieusement construite en forme de nef, de château
ou de monstre. Les figurants, masqués et vêtus de toiles
1. Voir dans le livre des fais et bonnes mœurs sage du roy Charles, la
description que donne Christine de Pisan du festin offert par Charles Y à
« l'empereur des Romains » {édit. Buchon, ch. xl (p. 3oo).
2. Dans le Mistère du Vieil Testament (édit. Picot, t. IV, p. i43), on
trouve une curieuse description de momerie au cours d'un repas.
Trompettes, sonnez haultement
Pour resjouir la seigneurie.
Icy sonnent les trompettes. On met les tables.
Faites venir la momerie
Qui est dedans le char enclose.
Sus tost, tabourin, sans séjour
Entendez ù votre morisque ;
Vous en savez bien la pratique.
Icy dancent la morisque.
8 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
peintes^, descendent du char et dansent une moresque au
son des voix et des instruments.
Au xv^ siècle, la moresque est par excellence la danse
théâtrale, c'est aussi celle des momeurs et des masques,
car, pour l'exécuter, il faut être déguisé et porter faux
visage. Aussi ceux qui veulent s'y livrer à l'improviste
se barbouillent-ils la figure de suie ou de farine et retour-
nent-ils leurs vêtements 2. Dans les fêtes de cour ou les
représentations de Mystères, la moresque est dansée par
des personnages magnifiquement costumés ^ Aussi cons-
titue-t-elle un spectacle infiniment attrayant pour les
hommes du xv^ siècle.
Qui est cellui qui d'amer se tendroit
Quant Beaulté fait de Morisque l'entrée *
s'écrie Charles d'Orléans et un autre poète à l'âme dolente
supplie.
Par une entrée telle quelle de morisque
De personnages sus habis compétens.
Allégez moy...^
Le pas de la moresque paraît avoir été, au moyen âge,
fort libre et capricieux. 11 consistait essentiellement en
une marche sautillante, entrecoupée de battements des
1 . « A Piètre le Paintre pour avoir paint et chargié d'or clinquant XIIII robes
et chapperons ». La Bordo, Ducs de Bourgogne, n° 1182.
2. On trouve quelques détails curieux à ce sujet dans une pièce d'archives
de Tannée i479- « Se midrent à dancer par manière de morisque.., et se
habillèrent les uns de chanvre, les autres retournèrent leurs robes à l'envers
et les autres se habillèrent diversement, ainsi que à chascun venoit à son
appétit. » Arch. Nat.y J. J. 2o5, p. 33i.
3. On trouve dans les comptes princiers de fréquentes mentions d'ac-
coustremens de Morisque. V. Jacquot. La Musique en Lorraine, p. 46.
4. OEuvres, II, ai6.
5. Le grant garde derrière, édit. Bijvanck. Paris. Champion 1891.
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 9
talons, qui permettait de gracieuses évolutions à travers
la salle\ Bien que dansée généralement par plusieurs per-
sonnages, la moresque n'est pas, comme le brando italien,
une danse figurée régulièrement ordonnée. Chacun y suit
sa fantaisie sans se préoccuper de tracer des évolutions
déterminées à Tavance^
Nous aurons l'occasion, en parlant des entremets de
la Cour de Bourgogne, au milieu du xv" siècle, de citer
de nombreux exemples de moresques présentées avec
une mise en scène qui annonce déjà celle des premiers
ballets italiens dansés à la Cour de Catherine de Médicis.
Un des exemples les plus caractéristiques qu'on puisse
citer remonte au règne de Charles Vil. Des ambassadeurs
hongrois étant venus rendre visite au roi de France,
l'an 14^7, ils furent magnifiquement traités à Tours, par
le comte de Foix, le jeudi d'avant Noël en l'abbaye de
Saint-Julien. Après le banquet il y eut des entremets de
« moresques, momeries et un autre mystère d'enfans
sauvages saillans d'une roche fort bien feinte et repré-
sentée avec des chantres, trompettes et clairons. ))^ —
Nous verrons de même, un siècle plus tard, des nymphes
ou des satyres sortir d'un rocher pour danser un ballet.
Dans les entremets, les momeries prenaient souvent la
forme de pantomimes dramatiques. 11 en était presque
toujours ainsi au xiv*" siècle et les Mystères mimés cons-
tituaient le principal attrait du spectacle. Aussi, lorsqu'en
1877 le sage roi Charles V reçut l'empereur des Romains,
1. Thoinot Arbeau. Orchesographie, édit. Laure Fonta, p. 95.
2. « Je te veuil monstrer la dance du second parcquet où tu verras diverse
morisque ; car chacun y dance difTéremmeut >) dit V Entendement dans la
Dance aux Aveugles, édit. de 1748, p. 26.
3. Jean Chartier. Histoire de Charles V//, édit. de i66i, in-f^ p. 296. —
Le chroniqueur ajoute que « ce disner cousta bien dix-huict cens escus ».
lO LE BALLET DE COUR EN FRANCE
il lui donna le plaisir d'un magnifique entremets. On vit
d'abord entrer dans la salle un grand char représentant
la ville de Jérusalem « et estoit la cité grande et belle de
bois painte à panoncaulx et armes des Sarrasins moult
bien faicte. » Ensuite on admira la nef qui portait les sol-
dats de Godefroy de Bouillon. Les deux chars s'étant
arrêtés vis-à-vis de la table du festin, les croisés se lan-
cèrent à l'assaut de Jérusalem défendue par les Sarrasins,
et, après un long combat, réglé par bel artifice, s'empa-
rèrent de la ville et ce fut « bonne chose à veoir.^ »
A la Cour fastueuse des ducs de Bourgogne les entre-
mets prennent des proportions colossales. Momeries,
moralités, mystères, pantomimes, danses et chants y
mettent en œuvre leurs séductions variées. Entre toutes
les fêtes de ce genre, celle que donnèrent à Lille, le
22 janvier 14^4? les ducs de Bourgogne et de Glèves,
avec l'espoir de provoquer une nouvelle croisade contre
les Infidèles, est demeurée justement célèbre ^ On y
trouve associées toutes les magnificences auxquelles se
pouvaient récréer les esprits, naïfs et raffmés à la fois,
des seigneurs bourguignons, français et flamands.
La mise en scène est luxueuse et compliquée. Dans la
vaste salle, tendue de tapisseries, sont dressées trois
tables d'inégale grandeur. La première porte à son extré-
mité une « église croisié, verrée, et faicte de moult gente
1. Christine de Pisan. Le livre des faitzdu sage roy Charles, éd. Buchon,
ch. XL.
2. Nous avons plusieurs relations détaillées des entremets du repas du
Faisan. Elles ne diffèrent entre elles que par de menus détails. Nous suivons
la relation de Mathieu d'Escouchy qui est la plus complète. On trouvera dans
l'édition de la Société de l'histoire de France les diverses variantes qu'on
peut relever entre ce récit et ceux d'Olivier de la Marche et du Manuscrit
Baluze (t. II, i3o et suiv.). V. aussi les comptes relatifs à cette fête publiés
par La Borde. Ducs de Bourgogne [Preuves) t. I, p. 4i3 et suiv.
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET II
fachon, » en laquelle se tiennent trois petits chantres et
un joueur d'orgue. La seconde table supporte un gigan-
tesque pâté qui renferme vingt-huit « personnages vifz,
juans de divers instrumens chascun quand leur tour
venoit. ^ »
En dehors de ces deux énormes constructions, les
trois tables sont couvertes de décorations hétéroclites.
On y voit un château sur la tour duquel se tient Mélu-
sine « en fourme de serpente », une « karacque ancrée »
avec tout son équipage, un moulin à vent, ce ung dersert
ainsi que terre inhabittée, ouquelavoit ung tigre... lequel
se combatoit contre ung serpent » ; « ung fol monté sur
ung hours » ; « un lac advironné de pluseurs villes et
chasteaux, ouquel avoit une navirre à voile levé » enfin,
une « manière de la forest d'Inde », peuplée d'animaux
automates^
Durant tout le festin, c'est un dialogue continuel
entre les musiciens de l'église et ceux du pâté. Les pre-
miers chantent des motets dont les paroles répondent
autant que possible à la situation dramatique. Les con-
vives n'ont pas seulement à admirer les pièces montées,
dressées sur les tables \ ils ont aussi l'esprit sollicité
1. Matliiou d'Escouchy, II, i34. Aux noces du duc de Bourgogne à
Bruges, en 1468, il y eut pour entremets une gi-ande tour, aux fenêtres de
laquelle parurent successivement deux sangliers sonnant de la trompette,
deux chèvres « jouans comme menestreltz », deux loups jouant de la flûte,
enfin des ânes qui chantèrent une chanson plaisante après quoi sortirent de la
tour, six hommes « en guise de singes » qui dansèrent et firent merveille.
(Voy. Olivier de la Marche S. IL F. t. IV, i24-ia5).
2. Du moins c'est ce que semble indiquer le texte de D'Escouchy : « plu-
seurs bestes de estrange fachon, qui d'eux meismes se mouvoient. »
(II,i36).
3. On relève dans les comptes des ducs de Bourgogne pour l'année i436,
à l'occasion d'un banquet offert au roi de Sicile, au duc de Bourbon et au
corate de Richemont des descriptions de pièces de ce genre : « 6 grans plas,
qui furent assiz sur les II grans tables et en chascun avoit ung arbre fait en
12 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
par de continuelles entrées de momeries. Successivement
ils voient défiler devant eux un cheval marchant à recu-
lons, sur le dos duquel se tiennent deux trompettes qui
ont « chappeaux en leurs testes et faulx visages » et sont
suivis de « quinze ou seize chevalliers vestus de robes
de la livrée » ; un cerf, aux cornes duquel se tient une
petite fille qui chante d'esquise façon ; un monstre
effroyable* et bien d'autres spectacles étranges et mer-
veilleux. Au moment où les convives s'y attendent le
moins, un dragon tout ardent descend en volant du
plus haut de la salle et disparaît sans que nul sache ce
qu'il est devenu. Les chantres du pâté commentent ces
divers épisodes, ils saluent l'arrivée de la petite fdle au
cerf, de la chanson Je ne vis oncque la pareille ^X. parti-
cipent ainsi à Taction. Ce n'est pas tout : au cours de ce
festin, on représente un mystère mimé sur un échafaud
dressé au-dessus de la porte de la salle. Un rideau
cache cette scène. Le sujet choisi est l'histoire de la
conquête de la Toison d'Or par Jason. En une série de
tableaux mimés, on voit Jason dompter les taureaux, com-
battre le dragon, exterminer les guerriers nés de la terre.
Après chaque pantomime, la courtine est tirée et l'on
affiche un rolet versifié relatant ce qui vient d'être repré-
senté 2. Mais le principal intérêt de cette fête consiste
en la momerie qui la termine.
manière d'une aubespine chargée de fleurs d'or et d'argent et de verdepeaux
tout enrichy d'or cliquant et sur chascun arbre 5 bannères d'or clinquant
d'argent et de couleurs. La Borde, of. cit., n° ii74-
I. Aux fêtes de Bruges, en 1468, on vit entrer dans la salle du festin un
imposant dromadaire, monté par un homme qui lâcha dans la salle une mul-
titude de petits oiseaux. Oliv. de La Marche. S. H. F. IV, p. iio.
a. On représente dans les mêmes conditions l'histoire d'Hercule aux noces
du duc de Bourgogne à Bruges, en 1468. N . Mémoires d'Olivier de la Marche
S. H. F., t. III, 143, et IV, 119.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET l3
L'entrée de cette momerie est préparée par la scène
célèbre où la sainte Eglise, conduite par un géant Sarra-
sin, vient supplier les seigneurs bourguignons de prendre
sa défense. A peine a-t-elle terminé sa longue harangue
que les serviteurs enlèvent les tables. Lorsque la grande
salle est libre de tout ce qui l'embarrassait, la momerie
apparaît à la porte principale. En tête marchent des por-
teurs de torches, puis viennent des joueurs « de divers
instrumens, comme tabourins, leus, harpes » Ils . pré-
cèdent une dame magnifiquement vêtue de satin blanc
« en fachon de religieuse », qui porte sur son épaule
senestreun rolet où est écrit en lettres d'or : Grâce-Dieu,
A sa suite s'avancent douze chevaliers tenant chacun une
dame par la main. Ils ont une torche au poing, leur
visage est caché par un masque doré ^ et de grands
chapeaux de velours noir brodé coiffent leurs têtes.
Les dames ont le visage couvert d'un voile qui laisse
transparaître leurs traits. Elle figurent les douze vertus
et, pour que nul ne l'ignore, le nom de chacune est écrit
sur son épaule. Après avoir défilé devant le duc de Bour-
gogne, le cortège s'arrête, Grâce-Dieu tend au prince une
longue supplique que celui-ci fait lire à haute voix par le
Seigneur de Gréquy, puis elle présente une à une les Ver-
tus au duc en lisant le rolet que chacune lui donne à son
tour^ Après quoi Grâce-Dieu prend congé et s'en retourne,
laissant dans la salle les dames qu'elle a amenées. Celles-
ci, après qu'on leur eut enlevé « les brevetz que elles
portoient sur leurs ezpaulles^ » commencèrent aussitôt a à
I. « Et s'y avoient faulx visages d'or ».
a. Mathieu d'Escouchy nous a conservé le texte assez naïf de ces divers
rolets versifiés,
3. Mathieu d'Escouchy, t. II, .i35.
I4 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
dancer en guise de mommeries et à faire bonne chière
pour la feste plus joyeusement parfurnir. »
Cette manière ingénieuse d'introduire les danseurs
annonce tout à fait les mascarades à Fitalienne du siècle
suivant. Le procédé usuel demeure toutefois le grand
char ou la machine qui amène les momeurs dans la salle
du festin ou du bal. Ainsi aux fêtes du mariage du duc
de Bourgogne à Bruges, en i468, on vit entrer « une très
grande balaine gardée de deux jayans, laquelle avoit
dedens son ventre deux seraines et XII ou XIII hommes
habilliez estrangement, lesquelz hommes et seraines vui-
dèrent hors de ladicte balaine pour danser, chanter et
esbattre ; et desdiz hommes avoit qui combattoient et
les aultres dansoient. »*
Nous trouvons ainsi, dès le milieu du xv® siècle, dans une
Cour de civilisation franco-flamande, des entremets dont
la forme rappelle singulièrement les fêtes qui se donnent
à la même époque de l'autre côté des Alpes. La mise en
scène est presque identique, on y voit ces combats fic-
tifs en cadence et ces danses en masques qui font les
délices des courtisans ferrarais, florentins ou man-
touans.
Les Italiens ont toujours été de grands maîtres dans
l'art des spectacles et des fêtes ; il n'est pas interdit de
croire à quelque influence exercée par eux, dès cette
époque, sur les réjouissances de la Cour de Bourgogne.
Cette influence semble plus manifeste encore sur un entre-
mets dont Christine de Pisan nous a laissé une charmante
description, dans \eDit de la Rose\ Ce n'est certainement
pas une simple fiction poétique, la précision des détails, la
1. Olivier de la Marche. S. H. F. IV, i43.
2. Edition Boy. T. IL p. 32.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET l5
sûreté du récit nous prouvent qu'en écrivant cette page
délicate, Christine de Pisan avait présent à Tesprit le
souvenir d'une fête à laquelle elle avait assisté. Au reste,
elle prend soin elle-même de nous avertir que la scène
s'est passée dans Thôtel ce du très noble duc d'Orliens* ».
Cependant que les convives tenaient de gentils propos de
courtoisie et d'honneur, ils virent descendre du haut
de la salle, dans une machine^ ornée de lumières à profu-
sion,
Une dame de grant noblesse
Qui s'appella dame et déesse
De Loyauté...
Elle était escortée de « nymphes et de puceletes »
Qui chantoient par grant revel
Hault et cler un motet nouvel
Si doulcement, pour voir vous dis,
Que bien sembloit que Paradis
Fut leur réduit et qu'elz venissent
De cellui dont fors tous biens n'issent.
Au son mélodieux de ce chœur, la déesse s'avança vers
la table, posa dans les coupes une brassée de roses odo-
rantes, distribua aux convives des ballades que leur
I. Il semble que nous ayons là une description de la fête au cours de
laquelle Louis d'Orléans prit l'ordre de la rose, le 14 février 1401, jour de
la saint Valentin. V. Pierre Champion, Vie de Charles d'Orléans^ Paris,
Champion 1911, p. 26.
a. Ce détail paraît ressortir de ces vers :
« Car alors seurvint tout a point,
Non obstant les portes barrées
Et les fenestrcs bien sarrées,
Une dame
I.a descendi a grant lumière
Si que toute en resplent la sale...
1,6 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
envoyait la déesse d'amour, puis elle annonça qu'elle allait
rendre compte de sa mission à Gupidon.
Quand ce fut dit, lors s'envola
Celle déesse qui vint la.
Mais les nymphes qui furent liez
De leurs doulces voix déliez
Commencierenl telle mellodie,
Ne cuidez que mençonge die,
Que il sembloit a leur doulz chant
Qu'angelz feussent ou droit enchant.
Semblables divertissenients étaient en grande vogue
alors de l'autre côté des Alpes et l'on peut se demander
si quelque machiniste italien n'avait pas combiné cette
ingénieuse descente de Dame Loyauté dans la salle du
festin *. Il ne faut pas oublier cependant que l'art du machi-
niste, encore que rudimentaire,n'en était pas moins arrivé
en France à un assez haut degré de perfectionnement
et que, dans les Mystères, on voyait couramment des
anges regagner le Paradis ou en descendre en volant^.
On trouve ainsi, dans ces diverses fêtes, plusieurs élé-
ments qui, plus ou moins transformés, constitueront le
ballet dramatique. Les somptueux entremets des Cours
de Bourgogne et de France^, avec leurs entrées de per-
sonnages masqués et costumés, de danseurs de moresque,
1. Rappelons que la femme du duc d'Orléans, la fameuse Valentine de
Milan, était italienne. Elle devait avoir amené avec elle de son pays un cer-
tain nombre de serviteurs.
2. Sur la machinerie des mystères. V. Cohen. Histoire de la mise en scène
dans le théâtre religieux français du Moyen Age. Paris, Champion, 1906, —
Bapst. Essai sur l'histoire du théâtre, p. 40 et suiv.
3. Il est à noter que des fêtes identiques se donnent à la même époque à
la Cour d'Angleterre. Elles ont été l'objet de plusieurs études approfondies.
V. Chambers, The Mediaeval Stage, Oxford, 1908 — et Reyher les Masques
Anglais^ Paris, Hachette, 1909.
PI. 1.
¥
BALLET DE LA HEINE CATIIEUIXE DE MEDICIS
EN l'iIONNEUH des AMBASSADEURS DE POLOGNE (l'>7'i)
(liblanipe Urée de l'cuvragc de Daural : Maguificcntissimi spectaculi...)
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 17
de mimes, de musiciens, avec leur machinerie relative-
ment compliquée, leurs vastes chars aux formes étranges,
leurs constructions décoratives, annoncent déjà les
entrées et la mise en scène des premiers ballets de Cour.
Ce qui manque encore à ces divertissements, c'est la
cohérence, c'est l'unité dramatique. On pourrait peut-être
trouver une certaine liaison entre plusieurs entrées allé-
goriques du Repas de Faisan, mais que viennent faire
les fantasques décorations que nous avons décrites ?
Quel rapport y a-t-il entre les malheurs de l'Eglise et
la chasse au héron, l'enfant au cerf ou l'histoire de Jason ?
Ce sera, ''comme nous le verrons, l'œuvre des humanistes
de donner une unité relative à ces spectacles décousus
et de constituer, avec ces éléments épars, un genre
dramatique. On pourrait toutefois considérer comme le
germe de l'action du ballet théâtral, certains cartels de
joutes et tournois du xv*" siècle dont la teneur compli-
quée n'est pas sans analogie avec la donnée romanesque
d'un grand nombre des ballets de Cour. Nous verrons
d'ailleurs durant le règne des derniers Valois se déve-
lopper cet élément dramatique sous l'influence de l'Ita-
lie et les combats à la barrière préparer l'avènement des
ballets comiques^,
11 serait vain d'énumérer les nombreux tournois auxquels
se récréa l'humeur batailleuse des chevaliers bourgui-
gnons et français durant le xv^ siècle. Au reste la plupart
d'entre eux ne comportent qu'une mise en scène des plus
simples et conforme aux règlements de la chevalerie. Les
tenants font publier par les cours voisines que tel iour en
I. Faut-il rappeler ici que ballet comique au xyi*^ siècle ne signifie nul-
lement ballet drolatique, mais bien ballet traité comme une comédie, ballet
théâtral?
l8 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
tel lieu ils se tiendront à la disposition de ceux qui vou-
dront jouter contre eux. Au jour dit, l'assaillant se pré-
sente à la porte du champ et heurte de sa lance l'écusson
du chevalier qu'il désire combattre. Aussitôt celui-ci sort
à sa rencontre et, après un certain nombre de lances rom-
pues ou de coups échangés, chacun se retire sous sa tentée
Rien de fort théâtral en tout ceci, mais l'imagination
galante des Seigneurs épris de beaux contes de chevale-
rie, va parer ces antiques coutumes d'une grâce roma-
nesque.
En 1468, pour célébrer dignement le mariage de
Charles le Téméraire et de Marguerite d'York, le bâtard
de Bourgogne décida de jouter, durant neuf jours,
contre tous les seigneurs qui se présenteraient. Au lieu
de faire porter par ses héraults de simples cartels, il fit
rédiger son défi en termes aussi obscurs que galants. La
Dame de Fille cellée faisait à savoir à tous nobles che-
valiers qu'elle avait été délivrée de l'esclavage d'un cruel
tyran par le bâtard de Bourgogne et qu'elle avait retenu
ce chevalier pour son serviteur. Voulant le magnifier, elle
le requérait de recevoir ou de donner pour l'amour d'elle
cent un coups d'épée et cent un coups de lance. A cette
fin, elle lui envoyait son héraut Arbre d'Or^ accompagné
du Géant de la forêt doubteuse el d'un nain, chargés de
garder le fameux Arbre d'or, son emblème. Elle enjoi-
gnait à son chevalier de parer l'arbre symbolique de nom-
breux trophées \ . .
1. Y. dans Froissart la minutieuse description des fameuses joutes de
Saint Ingelleberth en iSSg, édit. Buchon, livre IV, p. 22.
2. On trouve dans le tome IV des Mémoires d'Olh'ier de la Marche la des-
cription minutieuse de ce tournoi et le texte du cartel (p. 112 et suiv). Rappe-
lons à ce propos qu'en 1907, la municipalité de Bruges organisa une reconsti-
tution du pas de l'Arbre d'Or qui fut d'un haut intérêt artistique et historique.
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 19
Ce défi est intéressant, car nous trouverons clans de
très nombreux ballets du xyii^ siècle un cartel d'une
forme analogue pour sujet et pour prétexte des diverses
entrées. La douairière de Billehahaut ou les Fées des forêts
de Saint-Germain n'auront pas d'intrigue plus compli-
quée. Quant au tournoi lui-même, il présente une mise
en scène singulière et comporte de véritables momeries.
L'arbre au feuillage doié est planté sur la grand
place du marché de Bruges. Un géant, attaché à son
tronc, veille sur les écussons pendus aux branches.
Un nain, juché sur un perron, sonne du cor lorsque le
tenant entre dans la lice ou en sort. Les chevaliers ne se
contentent pas de leurs armures et des somptueux babil"
lements qu'ils portent à l'ordinaire, beaucoup d'entre
eux revêtent de véritables déguisements. Messire Jehan
de Chassa, seigneur de Monnet, s'avisa même de se cos-
tumer en Turc, il entra dans la lice accompagné d'une
(( pucelle vestue de drap de soye vert royée à la manière
de Turquie » ; quatre Moriens le précédaient et sur un
(( gros cheval à panniers en avoit deux et ung fol » qui
jouaient de divers instruments ^ Il était suivi de quatre
gentilshommes habillés de robes « à façon de Turcs ».
Nous retrouverons, au xvi® siècle, des joutes semblables
qui prépareront l'invention du ballet dramatique. Tous
ces éléments légués à la Renaissance par le Moyen Age
vont se transformer au contact de la civilisation italienne
avant de constituer le genre magnifique qui, durant près
d'un siècle, jouira d'une prodigieuse popularité.
L'Italie va faire intervenir dans l'ordonnance de ces
fêtes de Cour les souvenirs de l'Antiquité et de la Mytlio-
I. Olivier delà Marche. IV, p. laS,
2() LE BALLET DE COUR EN FRANGE
logie. Elle remplacera les allégories mystiques et roma-
nesques par les divinités de la Grèce et de Rome. Elle
substituera aux folles et désordonnées moresques les gra-
cieux ballets exécutés par des nymphes ou des satyres.
La transformation sera plus superficielle que réelle, mais
les hommes de la Renaissance ne reconnaîtront plus,
sous leur aspect nouveau, les antiques divertissements
auxquels se récréaient leurs pères et croiront de bonne
foi que tous ces plaisirs leur auront été apportés d'Italie.
II
On trouve en vogue, durant tout le xv" siècle, dans les
diverses villes de la Péninsule, les mêmes divertissements,
à peu de chose près, que dans les Cours de France et de
Bourgogne : Entremets fastueux, mystères mimés, défi-
lés de personnages allégoriques, chars aux formes
étranges etc. Toutefois à côté de ces spectacles, qui à
cette époque sont communs à tous les peuples de la chré-
tienté et qui fleurissent aussi bien en Angleterre et en
Autriche, qu'en Espagne et en France, il existe dans plu-
sieurs villes d'Italie des divertissements locaux fort carac-
téristiques dont Finfluence ne tardera pas à se faire sen-
tir sur les fêtes des Cours voisines.
Les mascarades florentines — Canti et Trionfi — occu-
pent une place d'honneur parmi ces divertissements \ Ce
sont en somme des formes dérivées de la momerie tradi-
I. L'uso délie mascherate. che volgamente si dicono canti e rappresen-
tano varie invenzioni, e imitano con gli abiti e co'versi, e con musica di voce
e di strumenti, si reputa, dico, originato di qua, cioe da Firenze » Filippo
Valori, Z>isco7'so dell'eccellenza degli scrittori e nohilta degli studi fiorentini
(Firenze, 1604.)
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 21
tionnelle. Les figurants, le visage caché sous un masque
très fin, revêtent un déguisement de bergers, de pécheurs,
de chasseurs ou de marchands, accoutrements fort peu
réalistes d'ailleurs et taillés dans le velours, le satin et
la soie. Ainsi costumés, ils sortent en bande et parcou-
rent les rues de Florence, accompagnés d'une troupe
d'instrumentistes, en chantant des airs carnavalesques
dont les paroles commentent galamment leurs états pré-
tendus \ Parfois ils forment deux chœurs dont les voix se
répondent. On voit ainsi s'avancer un groupe de jeunes
femmes, alertes et pimpantes", suivi d'une troupe de
vieux maris, tout chenus et cassés, qui échangent avec
elles des aménités dans ce goût.
VECCHI
Deh, vogliateci un po' dire
Quai cagion vi fe' partire?
Chi fu quella tanto ardita,
Che commesse questo errore
D'aver fatto tal partita
Che v'ha tolto il vostro onore ?
D'aver preso altro amadore,
Vi farem tutte pentire.
LE MOGLI RISPONDONO
Deh, andate con malanno
Vecchi pazzi, rimbambiti
I. Il existe à la Biblioteca Nazionale un magnifique recueil manuscrit de
Canti car?iascialescki j composé par Agricola, B. Tromboncino, Isaak, Bart.
Fiorentino, Philippe de Luprano, Pietro Michèle, Jac. Fogliano, Alexan-
der Coppinius, etc. (Rari, A. a, 3, 12), M. Paul Marie Masson a publié
quelques-uns de ces chants dans la collection de llnstitut Français de Flo-
rence (Senart édit.) sous le titre : Chants de Carnaval florentins de Vépoque
de Laurent le Magnifique.
1. Ce sont apparemment des hommes habillés en femmes. La perfection
des masques italiens rendait vraisemblables ces travestis.
'17, LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Non ci date più afFanno,
Ccntentiam nostri appetiti:
Questi giovanni puliti
Ci danno altro che vestire*.
Les masques qui participent aux canti vont généra-
ment à pied, et, la nuit, se font accompagner de porteurs
de torches à cheval. En général, les chars sont réservés
aux trionfi^ spectacles d'une ordonnance un peu plus
compliquée. On y voit trôner des personnages allégo-
riques ou mythologiques auxquels les masques font cor-
tège en célébrant leurs louanges. On peut rapprocher ces
triomphes florentins des chars somptueux qui, aux entrées
des rois de France, promenaient par les rues les Vertus
Cardinales, la Religion ou la Justice^. Mais, en Italie, ces
mascarades ont en général un caractère très paient on y
voit Paris et Hélène, Ariane et Bacchus, L'Amour et la
Jalousie ou les quatre Saisons. En second lieu, les tableaux
vivants qu'on peut admirer en France à cette époque ne
sont pas commentés par un chœur qui décrit et explique
à la foule le sens des allégories représentées. Or, à Flo-
rence, les canti carnascialeschi ne sont pas un complé-
ment dont les trionfl et les rnascherate se pourraient au
besoin passer, ils sont leur raison d'être \ Laurent le
Magnifique paraît avoir joué un rôle considérable dans la
1. « Tutti i trionfl, carri, masckerate o canti carnascialeschi andati per
Firenze dal tempo del Magnifico Lorenzo de Medici » (édition de 1760 en
2 vol., I, II).
2. Y. Bapst. Essai sur l'histoire des théâtres, chap. 11.
3. On peut relever cependant des exceptions : par exemple le trionfo délia
Prudenza {Tutti i ti-ionfi... p. 35), ou le curieux « trionfo in dispregio
delVorOy delVavarizia e del guadagno ». Il faut noter d'ailleurs qu'avant le
règne de Laurent de Médicis les chars qui défilaient le jour de la saint Jean
ne portaient exclusivement que des allégories religieuses.
4. On en vient à désigner sous le nom de canti les mascarades elles-mêmes.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 23
création et le perfectionnement de ces divertissements*.
Selon le témoignage du poète de cour Lasca — un des
derniers compositeurs de canti carnascialeschi — il avait
donné lui-même le premier modèle du genre nouveau
avec le canto de Bericuocolaj '^ dont Isaak avait com-
posé la musique.
Bericuocoli, Donne, e confortini,
Se ne voleté, i nostri son de'fini.
11 semble donc que ce soit à ce prince qu'il faille attri-
buer Finvention de la fête de cour qui nous occupe ^ Il
ne faut pas oublier en effet que ces mascarades gardaient
toujours un caractère fort aristocratique, que les princes
et les seigneurs de la Cour y prenaient seuls part. C'est
même en cela principalement que ces cortèges de per-
sonnages masqués différaient des momeries antérieures
auxquelles le peuple devait longtemps encore demeurer
fidèle \
Canti et trionfi exercèrent sans aucun doute une grosse
influence sur l'évolution des mascarades et l'élaboration
de l'esthétique du ballet dramatique. La plupart des
sujets*' qui servent de prétexte à ces fêtes seront repris
I. M. Romain Rolland dans sa magistrale étude : V Opéra avant V Opéra, a
bien mis en lumière le rôle de ce prince, restaurateur des fêtes à l'antique,
ennemi déclaré des spectacles religieux traditionnels. [Musiciens d'Autre-
fois, p. 36).
a. Marchands de pain d'épices.
3. M. Solerti ne conteste pas le rôle attribué par la tradition à Laurent
le Magnifique (V. Alhori del melodrainma, t. I, p. i8).
4. Par un singulier retour, les canti seront, un siècle plus tard, abandon-
nés par les courtisans à la populace. V. Solerti, op. cit.f p. ai et suiv.
5. V. dans le Recueil de 1750 :
Trionfo di Bacco e d'Arianna (p. i), de' sette Pianeti (p. 24) délia Dea
Minerva (p. iSg), de qualtro Elementi (p. i5o), di navigant! (p. i56), di Ninfe
Cacciatrici (p. 200), etc., etc.
'24 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
par les librettistes des ballets de Cour du xvf et du
XVII® siècle et, dans les ballets, la musique et la poésie
interviendront souvent pour éclairer Faction mimée de
la même manière que dans les divertissements florentins.
On rencontre toutefois, dès le début du xvi^ siècle, une
forme de mascherata plus compliquée que celle des canti
et d'une allure beaucoup plus théâtrale. La danse, la
poésie et la musique, ingénieusement associées à l'ac-
tion dramatique, font de ce spectacle le véritable proto-
type du ballet de Cour. Une lettre de Castiglione nous
donne une description fort complète d'une fête de ce
genre ^ :
La scène se passe à Rome, au carnaval de i52i. Une
cinquantaine de serviteurs, richement vêtus de satin,
éclairent avec des torches la vaste cour intérieure du châ-
teau Saint-Ange. Le pape Léon X et sa cour assistent au
spectacle en regardant par les fenêtres. Pour décor, un
simple pavillon de soie dressé sur un côté de la cour.
Huit danseuses siennoises apparaissent d'abord et exécu-
tent une gracieuse moresque. Une d'elles se détache du
groupe et, élevant la voix, prie Vénus en « rimes octaves »
de lui accorder un amant digne de sa beauté. Huit moines
entrent alors en scène et dansent une seconde moresque
au son du tambourin. Lorsqu'ils ont terminé, ils voient
sortir du pavillon Gupidon, le dieu d'Amour; ils se ruent
aussitôt à sa poursuite et vont l'atteindre quand l'en-
fant divin implore sa mère qui survient. Elle tend aux
moines une coupe remplie d'un philtre magique et donne
à l'Amour son arc et ses flèches. Celui-ci ne les a pas
plutôt en main qu'il crible de ses traits les moines infor-
I. Mantoue. Arch. Stor Gonzaga. B. n^ 865. — V. Clementi. // Carnevale^
p. i68 et Rodocanachi. Le château Saint-Ange. Hachette 1909, in-4'^p. 1^3.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 25
tunés qui se lamentent et courent çà et là en proie au
désespoir. Mais bientôt les blessures des flèches font
leur effet : les moines s'approchent de la belle danseuse
et lui font entendre des paroles galantes. Pour réponse,
elle les engage à montrer leur valeur. Les saints hommes
dépouillent aussitôt leurs cagoules et apparaissent
magnifiquement vêtus de soie et de satin. Ils se livrent
un combat furieux et le dernier survivant emmène la
belle en triomphe... Il semblerait, à lire cette descrip-
tion, que l'on fût, en i52i, à la veille d'inventer le bal-
let dramatique et pourtant, un demi-siècle plus tard, on
ne sera pas beaucoup plus avancé. Les représentations de
mascherate de ce genre seront même fort rares et on leur
préférera, durant tout le xvf siècle, les longs défilés de
chars et les intermèdes des comédies et des tragédies.
Canti et Mascherate n'étaient pas pour les seigneurs
italiens les seules occasions de se déguiser. Les mœurs
voluptueuses de la Péninsule s'accommodaient fort bien
de l'incognito que procurait le masque. Aussi fut-il bien-
tôt adopté pour courir les bals et les fêtes. Peu à peu
cette habitude devint un divertissement ayant ses lois
et ses usages. Les masqueurs — c'est ainsi qu'on les
nommera en France — ne se contentent pas de dissimu-
ler leurs traits, ils se coiffent d'une sorte de capuchon*
[cappelletto alla ferrarese) et revêtent une ample robe
flottante ^ Ainsi vêtus, ils pénètrent dans les fêtes et
les bals où, sans révéler leur identité, ils prient à dan-
ser les dames de l'assistance et leur tiennent maints
1. Solerti Ferrara e la Corte Estense, p. cl.
2. L habillement des Masqueurs a été fort minutieusement décrit par
M. Reyher, Masques anglais, p. i8 et suiv. Il cesse d'être de rigueur dans
les premières années du xvi*^ siècle.
Ik
•l6 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
propos galants*, au grand dam des pauvres maris qui
n'osent se fâcher de peur de faire rire à leurs dé-
pens ^
Cette mode, qui favorisait singulièrement les licences
amoureuses, prit d'abord naissance dans les deux cours
voisines de Modène et de Ferrare% puis gagna toute
ritalie et fut apportée en France, sans doute par les
seigneurs qui avaient pris part aux expéditions de
Charles VIII et de Louis XII. Ces monarques avaient eu,
au cours de leurs voyages, de fréquentes occasions d'ad-
mirer les masques italiens ^. En particulier à Milan, au
fameux banquet offert par « le seigneur Jehan Jacques
Trivulzio » à Louis XII'', le 3o mai i5o7, on vit de magni-
fiques et rares danses en masques ^ dont les compagnons
du Roi gardèrent un durable souvenir. On connaissait
déjà de longue date en France les bals travestis, mais on
1. « Et si puô sotto i panni délia maschera dimostrar molto bene alla
sua Donna il secreto del core » Dialogo del ballo di M. Rinaldo Corso. Vene-
zia, i555, p. 5.
2. Ce sera pour les conteurs du xvi® siècle un thème inépuisable. V. no-
tamment les Serées de Bouchet (IV® et XXXII®), et les Arresia Amorum,
éd. de 1624 : Ordonnance sur le fait des masques.
3. Le Tasse dans son dialogue : // Gianluca overo de le maschere vante
les masques ferrarais et les oppose à ceux de Modène. Il les appelle « l'arme
usate contro il verno ».
A Ferrare la fabrication des masques constituait une industrie florissante :
on les expédiait par milliers à Rome et à Milan vers le temps du carnaval.
V. AdemoUo. Alessandro F/, Giulio 11^, Leone X nel carnevale di Roma,
et D'Ancona. Orig. del teatro, II, 438.
4. A Milan en i499) dans une fête donnée par Trivulzio « erano assai ma-
scheri travestiti e più belle foggie se potevano ; beato chi meglio sapeva fare.
Oh, quanto piacere era a vedere ! : Chron. de De PauUo, V. Chr. de
Louis XII. S. H. F., t. I, p. 389.
5. Chr. de Jean d'Auion. S. H. F., t. IV, p. 307. Loyal serviteur. S. H. F.,
p. i36.
6. Nous avons signalé les danses en masques qui suivirent le repas du fai-
san. Voir aussi la fête donnée à l'occasion du mariage du comte de Genève
en 1433. Mémoires de Saint-Rémy, édit. Buchon, p. 537.
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 27
n'en fut pas moins fort surpris, lorsque la mode nou-
velle fit son apparition, de voir ces masqueurs, habillés
à l'italienne, qui pénétraient incognito dans les maisons
pour prendre part à des fêtes auxquelles ils n'avaient pas
été conviés.
Nous n'insisterons pas davantage sur ce divertisse-
ment qui, contrairement à l'avis de plusieurs historiens \
ne nous paraît avoir exercé qu'une influence bien indi-
recte sur le ballet de cour. On ne voit vraiment pas quel
germe dramatique renfermait cette mode italienne plus
intéressante pour l'histoire des mœurs que pour celle du
théâtre. Au moins les momeries des cours de Bourgogne
et de France comportaient une véritable mise en scène,
elles constituaient un spectacle et présentaient même
parfois un semblant d'action, tandis que les masqueurs,
dont nous venons de parler, ne paraissent au bal que
pour y danser avec les dames le plus simplement du
monde. A notre avis les historiens, en attribuant une si
grande importance aux masqueurs, se sont laissé abuser
par une similitude de nom 2; ils ont plus ou moins con-
fondu un usage mondain avec la mascarade proprement
dite, forme dramatique dérivée des canti et des trionfi
florentins et qu'on peut avec vraisemblance considérer
1. Ce sera la seule critique que nous adresserons à M, Reyher, auteur
d'un livre riche en faits et en idées sur les Masques anglais. Lorsqu'on a ter-
miné le chapitre i*^'" sur le Mask et les fêtes de Cour et qu'on commence le
chapitre ii, Un ballet à la Cour d' Angleterre , on n'arrive pas à s'expliquer
comment un genre dramatique aussi déterminé que le Mask anglais a pu
sortir d'un usage aussi peu dramatique que celui de se masquer et de se
déguiser pour danser. Le disguishing du Moyen âge (équivalent de Ventre-
mets) contient un germe dramatique autrement intéressant.
2. La plupart des historiens qui se sont occupés du Mask anglais sont
tombés dans cette erreur. De même les historiens français, par une simi-
litude de nom analogue, ont voulu expliquer par le ballet^ simple danse
figurée, le ballet de cour, représentation théâtrale et dramatique.
»8 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
comme run des éléments constitutifs du ballet de cour ^
L'influence des Intermedi va s'exercer, parallèlement
à celle des mascherate^ sur l'évolution des spectacles de
la Cour française. Les Italiens avaient toujours réservé
une large place dans leurs représentations sacrées aux
danses et aux chants. Au xv'' siècle, dans les mystères
qui se jouaient en France, la musique ne tenait qu'un rôle
secondaire et épisodique'^ la danse se réduisait à quelques
entrées de moresc|ue lorsque le sujet s'y prêtait^ Dans les
Sacre rappresentazioni au contraire, l'élément spectacle
débordait sur le reste de l'œuvre et y prenait une place
disproportionnée '\ Toutes les occasions paraissaient
bonnes au poète pour introduire des fêtes somptueuses,
des banquets magnifiques où se donnaient cours les
divertissements les plus profanes.
Beaucoup de ces Sacre rappresentazioni étaient d'un
bout à l'autre déclamées musicalement. Indépendamment
de cette espèce de récit continu, il y avait aussi des chan-
sons et des chœurs d'une forme aussi peu religieuse que
possible : chants de buveurs, de guerriers, de chasseurs.
Il y avait enfin des danses nombreuses et variées. Cer-
taines d'entre elles constituaient déjà une manière de
1. Si l'on veut que la mode de prendre un masque pour se rendre au bal
ait exercé une influence sur le ballet, on peut en faire dériver la coutume
suivant laquelle les figurants des ballets dramatiques, après la fin des repré-
sentations, descendaient dans la salle pour danser avec les dames de l'assis-
tance.
2. Les instruments servent à introduire les personnages importants [sileie),
ils sont aussi sonnés dans les Paradis. Les voix chantent le plus souvent des
airs ayant un caractère liturgique. Les anges entonnent le Regina coeli ou
le Stahat Mater. Voy. Cohen, la Mise en scène dans le théâtre religieux
français du Moyen âge.
3. Cî. Mystère du Vieil testament, édit. Picot, IV, p. i43. Dans le mystère
de saint Louis, les jeunes seigneurs et dames qui assistent au mariage du
saint dansent « l'Orléanoise ou autre » édit. Michel, p. 4o-
4. Romain Rolland. Musiciens d' autrefois , p. 27.
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 29
ballet. C'est ainsi que dans la Santa JJlwa quatre mat-
taccini dansaient avec des sonnailles aux pieds en bran-
dissant des épées nues \
Lorsque le souffle païen de la Renaissance eut fait
paraître <( gothiques » les fêtes religieuses du moyen âge
et suscité les comédies et les tragédies à l'Antique, on
eut soin de faire bonne place aux intermedi en les accom-
modant seulement au goût du jour. En vain le poète
Lasca objectait-il que les intermèdes absorbaient toute
l'attention et faisaient paraître la pièce elle-même pauvre
et dénuée de grâce ^, en vain le Trissino dans sa Poé-
tique ^ constatait-il avec mélancolie que les divertisse-
ments de musique et de danse et les canevas qui en
étaient le prétexte, finissaient par constituer une comédie
dans la comédie et par détruire toute unité, les Inter-
medi ne s'en développaient pas moins et envahissaient
toutes les œuvres dramatiques qui se représentaient dans
les diverses villes de l'Italie.
Les Intermedi occupent déjà une place considérable
dans les premières comédies et tragédies inspirées de
l'antique. VOrfeo du Politien * comporte une scène où
le chantre divin vient célébrer, en s'accompagnant sur la
lyre, les louanges du cardinal de Mantoue. Cette pièce
est le prototype des pastorales et nous verrons au cours
de cette étude quelle influence exerça la pastorale ita-
1. V. Alcssandro D'Ancona. Origini del teatro italiano, t. I, p. 5 16.
2. Prologue de la Strega, fragment cite par Solerti. Alhori del mclo-
dvaniina^ I, p. 9.
3. Poetica, divis. VI. a Nelle cominedie che oggidi si rappreseutano, s'in-
ducono suoni e balli e altre cose, le quali diinaudano intermedi : e talora
S'iuducono tanti buIToui e giocolari, che fanno un'altra commcdia ; cosa incon-
venientissiraa, c che non lascia gustare la dottrina délia commedia. »
4. V. les curieux documents publiés par Alessandro d'Ancona, op. cit.,
t. 11, p. 358 et suiv.
3o LE BALLET DE COUR EN FRAÎ^CE
lienne sur la structure du ballet de Cour. Quelques années
plus tard, en 1487, le Cefalo de Nicole da Gorreggio est
déjà encombré d'intermèdes lyriques ^ : chœur de
Nymphes en présence de l'Aurore, églogue de Coridone
et de Tirsi, danse de faunes au son d'instruments
« strani et disusati », Larnento des Muses, Ballo des
Nymphes.
A Ferrare on représente, en i5o2, dans la même
semaine, cinq comédies de Plante ornées d'intermèdes.
On y trouve comme un premier modèle de ces combat-
timentl^ de ces balletti^ qui auront par la suite une
si grande importance dans toutes les fêtes de Cour.
Ces spectacles portent encore les noms consacrés d,e
moresche ou de brandi mais diffèrent singulièrement
des danses théâtrales antérieures. Des guerriers costu-
més à l'antique, le casque en tète et le glaive en main,
miment un combat en cadence [battendo il tempo) et des
Maures, en agitant des torches, font une entrée sensa-
tionnelle ^ Lorsqu'on lit les comptes rendus détaillés de
ces fêtes, on sent quel abîme sépare ces divertissements
raffinés, des combats en pantomime auxquels se récréaient
les compagnons de Charles le Téméraire.
Au début du xvi^ siècle il n*est pas encore question de
balletti^ au sens du moins que nous attachons à ce mot %
mais, à défaut du nom, la chose existe déjà et il est facile
de reconnaître dans les descriptions de moresche et de
brandi^ le ballet sous les deux formes qui lui sont
propres : la danse figurée, exécutée par des personnages
1. Y. Marsan. La Pastorale dramatique, p. i3.
2. D'Arco. Archivi storici Append. II, 3o6, et Alessandro d'Ancona, II,
p. 384.
3. Balletto est un simple diminutif de Ballo.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 3l
costumés, accomplissant certaines évolutions détermi-
nées à l'avance, et la pantomime rythmée par la musique.
Cette dernière forme est la plus usuelle; à Rome, en
iDiS, on représente devant le pape Léon X les Supposai
de l'Arioste, agrémentés de plusieurs intermèdes, dont le
dernier figure la fable de Gorgone \ Vers le même temps,
on joue à Urbino, chez le duc Guidubaldo la comédie du
cardinal Bibbiena : la Calandra^^ accompagnée d'inter-
mèdes aussi fastueux qu'étrangers au sujet '\ A la fin de
chaque acte de cette comédie, inspirée par le théâtre
de Plante, se représentent des scènes mythologiques :
Jason en armes danse une moresque guerrière, il dompte
les taureaux aux naseaux de flamme, sème les dents
du dragon, combat et extermine les fils de la Terre.
En i454j on avait vu mimer à la Cour de Bourgogne les
mêmes épisodes, mais alors les acteurs du mystère muet
n'avaient pas assujetti leurs mouvements au rythme
de la musique, tandis qu'à Urbino, c'est en dansant au
son des instruments que Jason accomplit ses exploits.
Le second intermède montrait Vénus toute nue, un
flambeau à la main, assise sur un char traîné par des
colombes *, spectacle qui rappelait de bien près les
1. « L'ultimo intermedio fu la moresca, che si rappresento la favola di
Gorgou, et fu assai bella. » Lettre de Paulucci au duc de Ferrare du
8 mars i5i8 (citée par D'Ancona, II, 90).
2. Une édition de i5.i6 de cette pièce se trouve à la Bibl. Nat. Réserve,
p. Yd. 75.
3. V. la lettre de Balthazar Castiglione partiellement traduite par Romain
Rolland, Musiciens d'autrefois, p. 87 et 38.
4. En lisant les descriptions de ces intermèdes, on pense à certaines
scènes mythologiques ou allégoriques peintes vers le même temps par Bot-
ticelli ou G. Bellini. Il est d'ailleurs probable que ces spectacles magnifiques
ont précisé les conceptions des peintres comme, au moyen âge, les repré-
sentations des Mystères inspiraient les imagiers qui sculptaient les porches
de nos cathédrales.
3'2 LE BALLET DE COUR EN FRANGE
triomphes carnavalesques, enfin Neptune paraissait suivi
de dieux marins, qui exécutaient un brando. La pièce
finissait par un récit de l'Amour et par un concert de voix
et d'instruments célébrant son pouvoir. Par l'importance
de l'élément plastique et de la mise en scène un tel spec-
tacle annonce l'esthétique du ballet dramatique plus
encore que celle de l'opéra. 11 faut avouer que la comédie
de mœurs du cardinal Bibbiena devait s'accommoder fort
mal de tout ce faste et l'on comprend les réclamations
des écrivains du temps ^ Il se trouva d'ailleurs bientôt
quelques poètes pour tenter d'incorporer au drame les
intermèdes qui l'écrasaient de leur faste.
Le Sacrificio d'Agostino Beccari ^ est l'exemple le plus
caractéristique de cette prise de possession des inter-
mèdes par l'action dramatique. L'intermède où le Sacer-
dote célèbre le sacrifice est déjà une scène d'opéra parfai-
tement constituée. On trouve des épisodes semblables
dans la plupart des tragédies à l'antique du même temps,
œuvres de Giraldi Ginzio, de Ludovico Dolce, de Giusti-
niani et surtout dans les drames pastoraux d'Alberto
Lollio, d'Agostino Argenti et de l'illustre TorquatoTasso.
La musique et la mise en scène prennent dans le théâtre
italien du xvf siècle une place exorbitante. Il y a à cela,
comme l'a fort éloquemment montré M. Romain Rolland^,
de graves raisons politiques et morales : la réforme reli-
gieuse, la conquête de l'Italie par les bandes impériales, le
I. L'auteur anonyme du Cocchio se désole de ce que dans les comédies
« si facciano eccessivi intermedj e stupendi sproporziouati all'azioue princi-
pale, trattandola in questa parle corne Tragedia... altro non chicggano gli
speUatori che l'intermedio, e la povera comedia, che è l'azione principale e
la base di lutto il rappresentato, è con tedio lasciata passare ».
a. Représenté le ii février i554. V. Solerti. Albori del Melodranimay
p. 12 et suiv.
3. L'Opéra avant l'Opéra [Musiciens d'autrefois, p. ^i suiv.).
PI. 3,
Bo(Mj;o de l'un.
BALLET-COMIQUE DE LA REINE (l58l)
ff(iran(/U(; du ijenlilliomme fugitif (se. 1).
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 33
despotisme des princes déchaînent une violente réaction
contre le libre esprit de la Renaissance. L'Inquisition
sévit*. Les beaux-arts, le théâtre, la poésie sont suspects.
Les grands seigneurs patronnent une sorte de poésie
officielle et servile qui fleurit dès lors dans toutes les
cours italiennes : le théâtre n'est plus qu'un prétexte à
magnificences scéniques et à flatteries ingénieuses à
l'adresse des mécènes. La tragédie tombe en discrédit,
on croit superstitieusement qu'elle porte malheur 2. La
comédie semble trop frondeuse. On en revient alors tout
naturellement au genre le plus factice par définition qui
puisse exister, au genre pastoral, qui ne met en scène que
des personnages d'allure et de sentiments conventionnels,
mais telle est Tardeur du feu qui couve sous les ruines
de la Renaissance qu'il va transfigurer cette forme insi-
gnifiante et créer, avec les aventures anodines de bergers
amoureux, des chefs-d'œuvre.
Il n'entre pas dans le cadre de cette étude de retra-
cer l'histoire de la pastorale italienne ; au reste, son
développement étant contemporain de la création en
France du ballet dramatique, nous serons amenés à en
parler lorsque nous analyserons la structure du ballet
comique de la Reitie^ . Mais il était nécessaire de déter-
I. Les pièces à sujets mythologiques ne seront plus imprimées sans un
avertissement dans ce goût : « Si protesta che le parole Dio d'Amore, Dea
d'Amore, Deita, Divinità, Paradiso, Adorare, Beato et altri simili s'inten-
dono conforme all'uso de' Poeti et non mai in senso, che ofFenda in parte
alcuna imaginabile i sensi e i Dogmi purissimi délia Religione Catholica. »
a. Catherine de Mcdicis était persuadée que la Sofonisbe, représentée en
1559, lui avait porté malheur et ne voulait plus voir d'autres tragédies.
Cf. Brantôme. Vie des dames galants^ édit. Lalanne, VII, p. 371.
3. L'histoire de la pastorale italienne a été l'objet d'études si complètes
et si approfondies dans ces dernières années que nous ne pouvons que ren-
voyer aux magnifiques travaux de MM, D'Ancona et Solertl que nous avons
déjà eu si souvent l'occasion de citer et où l'on trouvera toutes les réfé-
rences désirables.
3
34 LE lîALLET DE COUR EN FRANCE
miner dès maintenant la force du courant qui entraîna le
théâtre italien vers la forme mélodramatique, car nous
allons sentir son influence s'exereer par-dessus les Alpes
sur les inventions des poètes et des artistes de la Cour
française, durant tout le xvi® siècle.
D'Italie vont passer en France deux catégories de
divertissements qui, peu à peu, se substitueront aux
spectacles désuets de la Cour : les Mascarades, avec leurs
entrées de masques sérieux ou grotesques, leurs chars
couverts de divinités païennes ou d'allégories, qui rem-
placeront les antiques momeries ; les Intermèdes, avec
leurs récits chantés, leurs danses mimées ou figurées,
leurs personnages pastoraux, dieux, satyres, nymphes,
bergers, qui feront vite mettre au rebut le matériel
défraîchi des entremets du moyen âge. C'est de tous ces
éléments disparates que va sortir le ballet de Cour fran-
çais.
III
L'Italie exerça sur les compagnons de Charles VIII, de
Louis XII et de François P", au cours de leurs expéditions
vers le royaume de Naples ou dans le Milanais, une sin-
gulière fascination. Les seigneurs français ne comprirent
certainement pas toute la beauté des œuvres d'art qui
leur étaient montrées ; la grossièreté de leur culture les
privait du charme des délicates impressions esthétiques,
mais ils furent dès l'abord séduits par la douceur du
climat, la splendeur des palais de marbre et le faste,
inoui pour eux, des Cours princières où ils étaient reçus.
Les fêtes données en leur honneur dépassaient en ma-
gnificence tout ce qu'ils avaient jamais pu imaginer en
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 35
rêve \ Ce n'étaient que bals, que festins, que mascarades.
La beauté des femmes, l'élégance des gentilshommes, le
luxe des costumes de drap d'or et de soie les enchantèrent.
Les fresques de Ghirlandajo, de Botticelli, du Pinturic-
chio les troublèrent moins que la nouveauté des usages
qui se révélaient à eux. La mode des masques les ravit,
ils s'extasièrent sur la diversité des danses auxquelles se
livrait la noblesse italienne : au lieu des quelques basses
danses usitées à la Cour de France ^ ils découvraient une
infinie variété de pas, de gestes, d'attitudes qui les con-
fondaient par leur grâce et leur harmonie. A Sienne, ils
avaient vu baller, en l'honneur de Charles VIII, cinquante
dames choisies parmi les plus belles et les mieux nées de
la ville ^ ; elles avaient exécuté sous leurs yeux émerveillés,
des évolutions savamment cadencées.
Epris de magnificence plus qu'aucun de ses prédéces-
seurs, François I" fut enthousiasmé par le faste et
Tapparat des Cours italiennes. Il appela en France une
véritable armée d'artistes ultramontains : peintres, sculp-
teurs, baladins, musiciens \ Bientôt dans les salles de
son palais de Fontainebleau, décorées des fresques du
Rosso et du Primatice, se déroulèrent des fêtes iden-
1. V. en particulier la Chronique de Jean d'Anton. S. H. F., t. IV, p. 3o6
et suiv. « D'ung banquet sumptueulx que le seigneur Jehan Jacques list au
Roy a Millan (3o mai i5o7).
i. Pour la danse en France et en Lorraine au milieu du xv« siècle, voyez
la liste des danses données au Bal de la reine de Sicile à Nancy, en i445. On
y trouve non seulement les noms des diverses basses danses^ mais aussi la
description en termes techniques des pas de chacune d'elles. Ce document
capital pour l'histoire de la danse a été publié d'après le Mss. fr. 10297 de
la Bibl. Nal. dans la Chronique de la Pucelle, édit. de Vallet de Vireville,
Paris, iSSg.
3. Chronique manuscrite de Tizio, (^ a55. v^, Bibl. Chigi (Rome).
4. Henry Prunières. La Musique de la Chambre et de l'Écurie sous Fran-
çois I^"^. {Année musicale 1911, Paris. Alcan, 1912}.
36 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
tiques à celles qu'il avait pu admirer dans la Péninsule.
Nous n'avons malheureusement pas de relations minu-
tieuses de ces spectacles*, mais les comptes des Menus
Plaisirs en leur concision nous fournissent de précieuses
indications ^ Nous y trouvons mention de toiles d'or et
d'argent, de draps de soie, d'écarlate, de damas, des
houppes et boutons d'or faux a pour façon d'habillement
de masques ))^.. En i534, l'italien Nicolas de Modène
a peintre, sculpteur et faiseur de masques » avait la
charge de dessiner les costumes somptueux et bizarres
que revêtaient le Roi et les seigneurs de sa Cour. Nous
le voyons ainsi recevoir une somme de 35 livres tournois
pour (( six accoustremens de masques en déguisement
I. Seulement des phrases vagues comme celle-ci : « Pendant qu'il (Le
Roi) estoit à Paris, il alloit quasi tous les jours faire des mommons en
masque et habitz dissimulez et incognuz » Année i5i6. [Journal d'un Bour-
geois de Paris ^ édit. Lalanne, p, 43.
a. Arch. Nat. K. K. loo et J. 960-962. V. aussi Actes de François Z^"",
tomes III, 695, IV, 2'i3, VII, 7^9, VIII, 114, i58 et 173. — Comptes des
Bâtiments du Roi, publ. par Laborde, t. II, pp. 149, 202, 284, 242, etc.
3. Estât de deux acoutremens de masques que le Roy a ordonné estre pré-
sentement levez en son argenterie :
« Vingt aulnes damas rouge pour faire partie desdits acous-
tremens à IIII 1. l'aulne ÏIIIxx 1.
« Six aulnes satin vert XVII 1. X s.
Sept aulnes toille d'or faulx XXXI 1. X s.
Deux aulnes et demye satin turquin pour couvrir deux
payres de brodequins VIII 1. XVII s. VI d.
Quatre pièces bougran pour doubler les dits acoustremens. VI 1.
Cinquante aulnes taffetas blanc, bleu et incarnat VII^x^ X I.
Quatre aulnes toille d'argent faulx XVIII 1.
Cent houppes III c. aulnes petite frange XXV
Grant frange, III c. aulnes de cordon de fil d'or faulx. , . V c. 1.
Six douzaines de bouttons de fil d'or faulx ronds et longs . IX 1. XVI s.
Deux panaches de plumes blanches IX 1.
Façons de tailleurs XXX 1.
Une aulne et demye toille d'or faulx IX 1. XV s.
Deux paires de brodequins de maroquin, VI 1.
Deux masques argentez par dedans IV 1. X s.
Façons de deux acoustremens de tête, comprins les cartons,
chappeaulx, botynes et tour d'embas IIIIxx 1. X s.
(Fait à Paris le XVII« jour de janvier l'an mil cinq cens trente-huit). Comptes
des bâtiments du Roi. Il, 242.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 87
de corsaires, faits à Toccasion des noces du comte de
Saint-Paul » \
La mode des masqueries fait fureur. On en profite
bientôt pour commettre impunément des abus de toutes
sortes dans les maisons où Ton pénètre, sous couvert de
venir masquer^. Aussi François I" se voit-il contraint, en
1539, ^^ rendre un arrêt interdisant le port des armes
secrètes, des masques et des déguisements ^ Mais cette
ordonnance restera sans effet et, peu d'années plus tard,
Martial d'Auvergne se contentera plaisamment de limiter
cette prohibition « aux marchands et gens de basse con-
dition ». *
Henri II se livre avec entrain à ce divertissement nou-
veau, Brantôme nous le montre parcourant les rues à
cheval, un jour de mardi gras, avec de jeunes seigneurs,
princes et gentilshommes de sa Cour, tous masqués et
déguisés et rivalisant entre eux « à qui fairait plus de
follies )). Ce jour-là, M. de Nemours, s'amusa à faire
1. Ms. fr. i5632, n» 583. (Acte daté du 17 mars i534. Evreux). Voir aussi
Arch. Nat., J. 961, (^ 118.
2. Il se passe aussi des scènes scandaleuses dans les bals où les mas-
queurs entraînent les femmes derrière les tapisseries. Voy. Les Sérées de
Guillaume Bouchot, édit. de i6i5, in-S», p. 200 et suiv. (Réserve Ya/aoaS).
3. Lettre royale du 9 mai i539. V. Isambert, t. XII, p. 557.
4. Ordonnances sur le faict des masques dans les Arresta Amorum.
La différence entre la mode ancienne des momeries et la mode nouvelle
est bien marquée par le passage qui suit celui que nous venons de citer « Et
u'entend-on par ce les priver d'aller en momon, en robbes retournées, bar-
bouillés de farine ou de charbon, faulx visaiges de papier, portant argent à
la mode ancienne. » Il est à noter que le mot masque et ses dérivés Masque-
ries, Masqueurs, Masquiers, Masquarades n'apparaissent pas avant les pre-
mières années du xvi*^ siècle en France. Désormais le mot mumerie signifie
presque exclusivement le cortège burlesque qui porte de maison en maison
un jeu de dés ou de cartes. La difi'érence qui sépare la mascarade aristocra-
tique de la populaire momerie se manifeste assez nettement dans les Epi-
thètes de M. De La Porte, parisien (1571) (Rés. X, 1964). ha Masquarade y
est dite nocturne, brave... joïeuae, plaisante, folâtre, cousteuse... la Momerie
basteleuse, subtile, farceuse...
38 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
monter son cheval par le grand degré du Palais de Jus-
tice et à redescendre par le degré de la Sainte Chapelle,
exploit qui fut déclaré inimitable*.
Plus tard, Charles IX et Henri III continueront à pra-
tiquer ce passe-temps avec ardeur ^ Ils iront par les rues
vêtus (( de jupes à la matelotte, » portant « habillemens de
testes de velours noir chamarré de parement d'argent, »
accompagnés de leurs mignons, le visage caché sous de
fins masques de Venise, déguisés en femmes, pour la
plupart, avec des voiles de gaze d'or et d'argent, suivis
d'une troupe nombreuse de musiciens, de chanteurs, de
joueurs de luth magnifiquement travestis et escortés de
pages portant des torches enflammées ^
Les promenades nocturnes, fort intéressantes sous le
rapport du costume * et des mœurs, n'ont à vrai dire
qu'un rapport lointain avec le ballet dramatique, mais
elles montrent déjà cette passion du déguisement qui se
manifestera si fortement dans les ballets. Au reste, vers
le même temps, on assistait déjà à la cour de France à
des spectacles qui présageaient la venue du genre nou-
veau.
La mascarade à grand spectacle, dérivée des canti et
des trion/i, apparaît en France sous le règne d'Henri II.
I. Brantôme. S. H. F., t. IV, p. i6i.
1. « Le Roy (Henri III) faisoit force mascarades où il se trouvoit ordinai-
rement habillé en femme, ouvroit son pourpoint et decouvroit sa gorge, y
portant un collier de perles. » V. Mémoires de lEstoile, édit. Poujoulat,
p. 169, 246 et passim.
3. Comptes des dépenses de Henri III (i58o). ArcJi. cur. de l'hist. de
France par Cimber et Danjou, i^^ série, t. X, p, 427 et suiv,
4. Pour les costumes portés dans ces mascarades, voy. .Robert Boissard.
Mascarades recueillies et mises en taille douce, 1597. Voir en particulier,
p. 3, le beau travesti turc, p. 20, un cavalier et une dame se démasquant,
p. 9, i5 et 18 les déguisements grotesques. (Bibl. Nat. Réserve J, i834).
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET Sg
Ce divertissement a beaucoup évolué depuis le temps de
Léon X et de Laurent le Magnifique; la mise en scène
s'est développée au détriment de l'élément poétique et
musical qui longtemps en avait été Tâme. Maintenant la
mascherata apparaît comme un long cortège de chars et
de groupes travestis qui figurent des allégories ou des
scènes mythologiques diverses ^ Ils défilent lentement
devant les tribunes où siègent les Princes et leur cour et
s'arrêtent au passage pour se faire admirer. Le plus sou-
vent les personnages qui montent les chars profitent de
cette halte pour célébrer en chantant les louanges du
héros de la fête ou pour lui adresser de longues tirades.
L'habitude se répand également de faire composer des
vers par les poètes de la Cour pour commenter les
diverses allégories représentées. Ces petites pièces sont
imprimées et distribuées aux dames de l'assistance et
quelquefois déclamées à haute voix au fur et à mesure
que les chars se présentent ^
Gesare Negri nous a laissé une curieuse description
d'une fête de ce genre ^ Toutes les passions de l'àme
y sont représentées avec leurs attributs classiques :
C Audace chevauche un lion, le Soupçon brandit un ser-
pent, r Inquiétude^ nue, gît sur un buisson d'épines, la
Persévérance se cramponne à un écueil au milieu des
1. V, par exemple le « Discorso sopra \ La Mascherata \ Délia Geneolo-
gia 1 DegHàdei De \ Geniili. \ Mandata fuori dalilllustrissimo et Ec- \ cel-
lentiss. S. Diica di Firenze et Siena \ Il giorno 11 di Fehhraio (MDLXV-In
Firenze appresso i Giunti MDLXV (in-S*", i32 p.).
2. Cesare Negri Gratie d'Amore, p. 10. C'est de celte coutume que vien-
dra plus tard l'usage des vers pour les personnages du ballet qui durera
aussi longtemps que le ballet dramatique lui-même.
3. Mascherata delV Autore fatta a di '26 Giugno ÎSJ^i in honore dell'Al-
tezza Seren'"'^ il Sig^^ Don Giovanni d'Ausiria — [Gratie d'Amore, p. 9 et
suiv.).
40 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
flots en courroux ^ Des musiciens déguisés en bergers
accompagnent ces personnages en jouant de leurs instru-
ments*. Enfin s'avancent quatre Rois et quatre Reines
pompeusement vêtus à l'antique, se tenant deux à deux
par la main et portant comme symboles des quatre élé-
ments, le premier, la perle, attribut de l'eau ; le second,
la rose, attribut de la terre ; le troisième, la flèche, attribut
de l'air et le dernier, le brandon, attribut du feu. Quatre
nains servent de pages aux Reines et quatre hommes sau-
vages, armés de gros bâtons noueux et portant des
coquilles marines en guise de boucliers, tiennent par la
bride les chevaux des Rois. Le groupe s'étant arrêté, les
Rois et les Reines descendent de cheval pour danser un
brando à huit, les sauvages s'escriment plaisamment de
leurs gourdins et les nains font les matassins pour la plus
grande joie des spectateurs. Pour conclure dignement
cette fête, on vit tous les personnages de la mascarade,
au nombre de quatre-vingt deux, danser ensemble un
brando gigantesque. De même, à la fin des ballets de
Cour, nous verrons exécuter le grand ballet par tous les
personnages de marque qui auront pris part à la repré-
sentation.
On trouve en France, vers le milieu du xvf siècle, des
défdés à grand spectacle qui forment la transition entre
les cortèges et exhibitions de tableaux vivants du Moyen-
Age et les somptueuses mascarades italiennes. A ce point
de vue, l'entrée de Henri II à Rouen, en i5Gi, offre pour
1. « La Perseveranza sopra un scoglio in mezzo al mare turbato. »
2, La liste en est fort longue : d'abord 5 tromhetti ouvrent le cortège,
puis on trouve mention des instruments suivants : cornetto, trombone, corna-
jHusa, fifrCy dolzana, flauto, diana, spiiietta, viola di gamba, violino, liuto,
lira, cetera, piva, dolcemele, contralto di viola, triangolo, tamburino e zufolo,
arpa, buttafoco, sordina e mantica, tiorba, quàttro viole da braccio .
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 4i
nous un vif intérêt. On y voit circuler des chars où sont
représentées les aventures crHercule et autres scènes
allégoriques et mythologiques. Sur un rocher, Orphée
touche une harpe et les Muses l'accompagnent en jouant
de la viole. Le char de la Religion porte cinq dames
magnifiquement costumées qui a après avoir humblement
salué le Roy » commencent « ensemble à chanter mélo-
dieusement, chascune tenant sa partie de musique, un
plaisant cantique de louanges » \ La mise en scène de
cette entrée manifeste la préoccupation de concilier les
usages traditionnels avec le goût néo-antique importé
d'Italie. De même il est aisé de reconnaître l'influence
ultramontaine dans ce combat donné à Lyon, en 1549?
(( de douze gladiateurs, vestus de satin blanc les six, et
les autres de satin cramoisy faist à l'antique romain » ^
ou dans cette joute faite à Bruxelles, en i544î en l'honneur
de la Reine de France^ où paraissent douze amazones
habillées de toile d'or qui dansent une sorte de ballet \
Mais, à dire vrai, l'influence italienne ne s'exerce d'une
manière décisive qu'à partir du moment où les poètes de
la Cour prennent en main la conduite des fêtes. Jodelle,
Mellin de Saint-Gelais, Daurat, Ronsard et Baïf vont col-
laborer efficacement avec les chorégraphes italiens qui
servent le roi : il ne se donnera plus un festin, un
tournoi ou un ballet sans leur participation.
1. C'est la déduction du sumptueux ordre, plaisantz spectacles et magni-
fiques théâtres dressés et exhibés par les citoiens de Rouen. i55i. (Rés.
Lb 3i/a5.) La musique du chœur est notée à la lin du volume.
2. Brantôme. S. H. F. III, iSo.
3. Eléonore d'Autriche.
4. Li gran triomphi et [este faite alla Carte de la Cesarea Maestà per la
pace f'atta tra Sua Maestà et il lie christianissimo (Novembre i544).
Réserve Lb 30/247.
42 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
On peut, pour plus de clarté, répartir les diverses mas-
carades représentées en France, à partir du règne de
Henri II, en deux catégories: i^ les mascarades à grand
spectacle qui accompagnent le plus souvent des fêtes
données en plein air et sur de vastes espaces — défilés
aux entrées royales, tournois et courses de bague —
2° les mascarades ayant pour objet un récit ou une danse
figurée qui se déroulent à l'intérieur du palais et parfois
dans le jardin qui en dépend.
Nous avons, par avance, décrit les cortèges à grand
spectacle en parlant des mascherate et des trion/i dlisAïe.
Jodelle s'inspire visiblement de ces spectacles étrangers
dans la mascarade qu'il invente pour l'entrée de Henri II
à Paris, en i558\ On y vit Orphée « sonnant et chantant
une petite chanson en la louange du Roy » suivi d'énor-
mes rochers, peuplés de chantres invisibles qui lui répon-
daient ^
Il est assez curieux de noter qu'en France on ne goûta
jamais beaucoup la mascarade pour elle-même ; elle fut
le plus souvent un prétexte à d'autres divertissements,
un ornement, un accessoire magnifique. Nous la trouvons
ainsi de bonne heure associée aux tournois et aux joutes.
Au XV® siècle, à la Cour des ducs de Bourgogne, nous avons
vu que les déguisements étaient usités déjà pour les com-
battants et leur suite. Au xvi'' siècle, l'influence des mas-
carades amène quelques modifications dans la mise en
scène mais le fond change fort peu. Les seigneurs font
assaut de magnificence et se ruinent en accoutrements
I. Recueil des inscriptions, figures, devises et mascarades, ordonnées en
Vhostel de Ville à Paris, le jeudi il de fehvricr 1558.
-i. De même dans le Ballet Comique de la Reine les échos de la voûte
dorée répondront aux choeurs des sirènes et des satyres.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 43
fastueux. En i538, François P'' paie une somme considé-
rable pour la fourniture de « draps de soye et de layne,
fil d'or et d'argent, faulx panaches et plumatz... et autres
choses servant à faire habillement pour le tournoy ^ » et
Brantôme nous montre François de Lorraine, quelques
années plus tard, prenant part à une course de bagues,
(( habillé fort gentiment en femme égyptienne avec son
grand chapeau rond ou capeline en teste » et en son bras
gauche « une petite singesse plaisante et emmail-
lotée comme un petit enfant » cependant que M. de Ne-
mours, son concurrent, masqué comme lui, est costumé
en « femme bourgeoise de ville » avec à « sa saincture
une grand'bourse de mesnage avec un grand clavier de
clefs ^ » De même à une course de bague faite à Bayonne
en i565, les diverses bandes de cavaliers sont accoustrés
qui à Tégyptienne, qui à « Thespaignolle », qui à la
« vieille françoise », qui à la mauresque ou à la tartares-
que. On y voit aussi des Amazones vêtues de toiles d'or
et d'argent, des Anges « portant ailes de papillon sur le
dos et masques dorez » sur le visage, des Nymphes habil-
lées (( de fines toiles d'argent à la mode italienne^ ».
Durant les fêtes données à Bayonne à l'occasion de l'en-
trevue de Catherine de Médicis et de sa fille, Madame,
épouse de Philippe II, il se fit plusieurs tournois accom-
pagnés de mascarades * dont les courtisans devaient long-
temps garder le souvenir. Une de ces joutes fut précédée
d'une sorte de triomphe à l'italienne : « les quatre Eléments
1. Arch. Nat., J. 960, n» i63.
2. Brantôme. Grands capitaines français. Œuvres, t. IX, p. 160,
3. Ample discours de l'arrivée de la Royne catholique, sœur du Roy, à
Saint-Jehan-de-Luz. Paris, Jean Dallier i565 (Bibl. Nat. Lb 33/75).
4. Brantôme. Dames galantes, t. IV, 370.
44 LE BALLET DE COUR EN FRANGE
y furent portez sur quatre grands chariots de triomphe
faitz à l'Antique et enrichis d'un nombre de statues et
effigies bronzées, dorées et argentées^ ». A une autre
joute, donnée peu de jours après, on vit entrer dans le
champ ce un grand et riche chariot triomphal tout revestu
de toilles d'or lequel cheminoit dans les nues et estoit
mené avec quatre belles hacquenées blanches; au plus
haut d'iceluy estoit la déesse Vénus tenant son brandon
de feu et au plus bas estoient de jeunes enfants habillez
en Mercures chantans », qui jetaient au passage des vers
célébrant les vertus du Roi^ . Le char qui le suivait portait
«Gupido le dieu d'Amour, avec d'autres Mercures qui tous
alloyent chantant et en faisant le tour du camp envoyoient
pareillement aux dames et damoiselles les faveurs de
celuy à qui estoit ledit chariot^ ».
La mode de distribuer aux dames des pièces de vers
de circonstance ou de leur présenter des objets ornés de
devises galantes se retrouve dans toutes les mascarades
du temps et passera dans le ballet de Cour. Un des
exemples les plus anciens en France de cette coutume,
qui semble d'origine italienne, remonte à i548. Au cours
d'une joute donnée à Paris pour célébrer l'entrée de la
reine Catherine, des « masques vestus en Amazones »
après avoir mené les chevaliers sur les rangs du tour-
noi, offrirent aux dames « des escus d'or entaillés, des-
quels le chef estoit une teste de dame et le dedans
une porte double dont la moitié pouvoit s'ouvrir, l'autre
1. Ample discours de V arrivée... L'année précédente, à Bar-le-Duc, on
avait également vu une mascarade des quatre éléments. V. Œuvres de Ron-
sard. Cartels et Marcarades.
2. Recueil et Discours du voyage du Roy Charles IX... es années 156i à
1565 (p. 49). Bibl. Nat. Lb 33/i56.
3. Monsieur, frère du Roi.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 4$
non * » et sur lesquels étaient gravées des maximes
d'amour.
Si Ton excepte ces quelques innovations d'origine
étrangère, les tournois du xvf siècle continuent la tra-
dition des pas d'armes de la Cour de Bourgogne. L'élé-
ment romanesque domine toujours dans les intrigues
imaginées pour motiver ces luttes courtoises. Gomme
au temps de Charles le Téméraire, on y voit figurer des
géants, des nains, des fées, des ermites. Témoin la
curieuse joute donnée par Charles IX, au carnaval de
Fontainebleau, l'an i564. A l'entrée du camp se dresse
un ermitage dont la cloche annonce la venue des assail-
lants. A côté s'élève le château enchanté^ défendu par
une troupe de démons, et dont la porte est gardée par un
géant et un nain. Six dames, dont la beauté est l'objet du
cartel, paraissent « habillées en Nymphes à cheval » et
après avoir fait le tour du camp vont se ranger sous la
tribune royale. Alors commence la joute au cours de
laquelle les défenseurs du château résistent aux assail-
lants ^ Ce dispositif se retrouve avec de très légères
variantes dans la plupart des tournois de la même épo-
que ^ Nous le reconnaîtrons dans les grandes masca-
rades à récits qui vont préparer l'avènement du ballet de
Cour.
L'imagination des inventeurs de mascarades est d'ail-
leurs inépuisable. Aux fêtes de Rayonne qui comptèrent
I. OEuvres poétiques de Mellin de S ainct- Gelai s, Lyon i574, p- lo (in-8'^).
a. Voyage de Charles IX, p. 6 et 7.
3. A Bayonne, en i565, il y eut un « combat à picques » entre des cheva-
liers qui attaquaient des diables et un géant qui retenaient captives deux
belles demoiselles. V. Ample discours de Varri\'ée de la Reyne... et « Li
grnndissimi apparati e reali trionfi fatti per il Rè ed Regina di Franza nella
città di Baiona. Milano i565 (Rés. Lb 33/470).
46 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
parmi les plus somptueuses du siècle, la Cour admira
un spectacle nautique des plus étranges. Sur la rivière
s'avançaient en nageant une baleine et une tortue gigan-
tesque, portant sur leur dos de nombreuses sirènes
chantant les louanges de la Reine, cependant qu'Orphée
célébrait sur la lyre les vertus de Philippe II. Neptune
enfin parut tiré dans son char par des chevaux marins et
accompagné de tritons*. Nous retrouverons ces mêmes
personnages dans le ballet de Cour et dans Topera à
machines.
Dans les différentes mascarades que nous venons de
décrire, le spectacle est l'élément essentiel. Les haran-
gues poétiques, les chansons, les chœurs, les danses ne
font que contribuer pour une part secondaire à l'impres-
sion générale. On admire la beauté et la richesse des cos-
tumes, la hardiesse et l'ingéniosité de la machinerie, on
se préoccupe peu de la musique, de la danse et de la
poésie. Ces trois arts au contraire prennent une grande
importance dans ce qu'on pourrait appeler les mascara-
des de palais. Celles-ci, bien qu'infiniment variées dans le
détail, peuvent se ramener à deux grandes catégories :
les mascarades ayant pour objet un récit et les mascara-
des prétextes à danses et à ballets.
Les premières sontindifféremmentdiurnes ounocturnes
et se déroulent dans une salle du château ou dans un
jardin. Elles forment un des éléments essentiels des
réceptions princières. Faire souhaiter à un souverain, ou
à quelque puissant seigneur, la bienvenue par une divi
nité sortie à propos de derrière un bosquet, est une atten-
I. Li \ grandissimi \ apparati e reali \ Trionfi \ fatti per il Re e Regina
di Franza nel \ la Cittd di Baiona, nelV ahhoccamento | délia Regina Catho-
licadi Spagna \ ... lu Padova MDLXV (in-8o) (Collect. H. Prunières).
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 47
tion qui ne saurait manquer d'être extrêmement goûtée.
Henri 11, à son entrée à Lyon, en i549» ^^^ ainsi le plaisir
de voir apparaître au milieu d'un jardin peuplé d'animaux
par bel artifice « Diane chassant avec ses compagnes et
vierges forestières ; elle tenoit à la main un riche arc tur-
quois avec sa trousse pendante au costé, accoustrée en
atour de Nymphe à la mode que l'antiquité nous la répré-
sente *. » Elle tenait en laisse un lion qu'elle offrit au
Roi (( par un dixain en rime » puis s'en retourna. Parfois
une troupe de Nymphes sort brusquement de derrière un
rocher et s'en vient présenter au Roi une collation de
confitures avec des compliments infinis ^ Il arrive aussi
que les Masques profitent de l'occasion pour adresser au
monarque une harangue faisant allusion aux événements
politiques contemporains. C'est ainsi qu'à Toulouse, au
carnaval de i565, une mascarade conduite par Mars s'en
vient trouver Charles IX et lui remet solennellement
« les armes et piliers de Justice » ; le dieu de la guerre
prend la parole et déclame une longue tirade en vers sur
les querelles intestines qui viennent de déchirer la
France ^ La mascarade à récit sert souvent aussi à rehaus-
ser l'éclat d'un festin : le 22 avril i556, le Cardinal de
Lorraine donne à Blois un magnifique banquet aux reines :
on y vit un « masque vestu en Amphion marchant devant
douze masques servans, vestus en six sortes de six diffé-
rentes nations deux à deux, accompagnés de douze dames
vestues de même eux. » Arrivé devant Catherine, Am-
phion lui débite un compliment qui est aussitôt « des
chantres réitéré en musique et puis encore sonné par
1. Brantôme. OEuvres S. //. F., l. IX. p. Sai.
2. V. la réception de Charles IX à Saint-Privas. Voyage de Charles IX.
3. Voyage de Charles IX.
48 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
divers instrumens à diverses fois^ » La même cérémo-
nie se répète pour chaque service.
Dans les mascarades de palais, le récit prend une im-
portance considérable. Les meilleurs poètes de la Cour
rivalisent en ce genre. On trouve dans leurs œuvres
d'innombrables pièces de vers destinées à ces divertisse-
ments ; malheureusement les descriptions de ces specta-
cles sont rares. 11 n'est d'ailleurs pas difficile de recons-
tituer, par la pensée, des fêtes comme cette « mascarade
de neuf fdles de la reine aux couches de Madame de Mar-
tigues » divisée en trois bandes dont la première adressa
sa harangue versifiée au Roi, la seconde à la Reine et la
troisième à Madame sœur du Roi^ ; ou comme cette
autre « mascarade de six dames jeunes et petites, habil-
lées en sibylles » ordonnée par Catherine de Médicis un
soir « pour donner passe-temps au Roy à son retour
d'un voyage faict à Saint-Germain-en-Laye, l'an i555. »
Madame Elisabeth de France qui tenait, avec la dignité
de ses neuf ans, le rôle de « Sibille Gumane Amalthée »
s'adressa à Henri 11. La signora Glarice Strozzi — douze
ans — célébra les vertus de la Reine sous le nom de « Si-
bille Tiburtine » et la jeune Marie Stuart, âgée de douze
ans, prédit au Dauphin mille prospérités. Marguerite de
Valois fut haranguée par Mademoiselle de Flamy en Sibylle
Erythrée et Monsieur de Lorraine par Madame Glaude de
France — sept ans — en Sibylle Libyque. Enfin la Sibylle
Phrygienne parla à Catherine de Médicis « pour Tenfant
dont elle étoit grosse ^ »
I. Œuvres poétiques de Mellin de Sainct-Gelais. Lyon i574, p. 17.
•2. Vers i55o. Mellin de Saint-Gelais, op. cit. — V. BeAuchamip, Recherches
sur les théâtres — Ballets, Mascarades, p. 2.
3. François, duc d'Alençon, né le 18 mars i554. La mascarade n'est donc
pas de i555.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 49
La mode des mascarades de ce genre fait fureur en France
à partir de i55o^; il y en a d'innombrables chaque année
à la Cour, les unes en quelque sorte improvisées, les
autres montées avec grand apparat. Des Nymphes des
fontaines souhaitent la bienvenue à Henri II à son arrivée
à Saint-Germain^, les Neuf Muses célèbrent le mariage de
Marie Stuart et du Dauphin François^. Deux sirènes à
Fontainebleau, nageant sur le canal, célèbrent les vertus
naissantes de Charles IX et lui prédisent un règne pros-
père et glorieux*. Il serait aisé de multiplier les exemples
en extrayant des recueils poétiques du temps les pièces
de circonstance destinées à des mascarades.
Les récits étaient parfois d'une forme un peu plus
compliquée. Dans la grande mascarade de Bar-le-Duc,
en i564, les quatre Eléments montés sur autant de chars
magnifiques s'adressaient au Roi. La Terre, la Mer, l'Air
et le Feu se vantaient tour à tour d'avoir fait de lui le
plus grand roi du monde. Les quatre planètes : le Soleil,
Mercure, Saturne et Mars, survenaient alors et reven-
diquaient, pour leurs influences bienfaisantes, un tel
honneur. Jupiter leur imposait silence et proclamait que
I. Rappelons à ce propos les vers évocateurs de Ronsard :
« Quand voirrons-noiis par tout Fontainebleau
De chambre en chambre aller les Mascarades ?
Quand voirrons-nous le matin les aubades
De divers luths mariez a la voix,
Et les cornets, les fifres, les hautbois
Les tabourins, violons, épineltes
Sonner ensemble avecque les trompettes ?
Boccafie Royal, éd. Blanchemain, III, 384.
1. Le 11 décembre i557. Mellin de Saint-Gelais, op. cit.
3. Adieu des neuf Muses aux rois, princes et princesses de France à leur
département du festin nuptial de François de Valois... par Jean de la Mai-
son-Neuve (80) p. 558.
4. Ronsard. Les Mascarades, combats et cartels... f.cs sereines représen-
tées au Canal de Fontainebleau. ^
4
5o LE BALLET DE COUR EN FRANCE
lui seul avait ce mis en ce Roy tant de vertus parfaites* ».
A côté de ces spectacles où les personnages prenaient
part à Faction en déclamant et en chantant, il y avait
aussi des mascarades de palais où les figurants, après avoir
dansé, se bornaient à distribuer aux dames de l'assistance
des feuilles volantes sur lesquelles étaient imprimés des
vers sérieux ou burlesques, obcènes ou galants, qui com-
mentaient leurs déguisements ou vantaient la beauté des
dames. On rencontre ainsi à la cour des Valois des mas-
carades muettes de foulons^, de laboureurs, de sauvages.
Les vers pour les personnages de la mascarade consti-
tuent un des principaux attraits de ces divertissements,
où Ton reconnaît Forigine des ballets-mascarades et des
ballets à entrées dn xv!!** siècle. Les inventeurs rivalisaient
d'ingéniosité dans la manière de faire parvenir à l'assis-
tance ces petits poèmes. Par une attention charmante, ce
sont des oisillons lâchés dans la salle par des matassins
qui, en i557, vont porter, attachés à leurs pattes, de
galants compliments aux belles spectatrices ^
Sous les règnes des derniers Valois, les intermèdes à
l'italienne font leur apparition sur la scène française.
Ronsard et ses collaborateurs Jodelle et Baif semblent
avoir été les premiers à sacrifier à cette mode étrangère.
Au célèbre carnaval de Fontainebleau, en i565\ Cathe-
rine de Médicis fit jouer « par Madame d'Angoulesme et
1 . Il concluait ainsi son jugement :
« J'auray pour moi les cieux et le tonneri-e
Et pour sa part ce prince aura la terre
Ainsi tous deux partirons l'Univers. »
Ronsard, op. cit.
1. V. Lestoile. Journal, édit. Michaud, p. 93.
3. Mellin de Saint-Gelais. OEm'res poétiques, p. 119.
4. Cf. l'article de Jacques Madeleine dans La Provincey 1901 (Sept.-Nov.),
Le Havre.
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 5l
par ses plus honnestes et belles princesses, et dames et
filles de sa court » une « comédie sur le subject de la
belle Genièvre de TArioste* ». A la fin, et pour conclure
dignement cette représentation, on vit paraître FAmour,
un arc à la main, qui chanta son pouvoir en des strophes
enflammées \ Mais le char triomphal de la Charité étant
survenu, il fut dépouillé de ses armes et chargé de liens ^
cependant que la Charité célébrait sa victoire par un récit :
Pour mon trophée en ce char triomphant
Pris et captif, je mène cest enfant,
Qui des mortels a surmonté la gloire *.
Dès lors les exemples de mascarades théâtrales et d'in-
termèdes se multiplient. En i5G6, le jeune Charles IX et
sa mère s'étant arrêtés, dans leur voyage à travers la
France, au château de Gaillon, y furent magnifiquement
traités\ On leur donna le plaisir d'une pastorale, intitulée
les Ombres^ de Nicolas Filleul de Rouen, suivie d'une mas-
carade où paraissait Pluton qui adressait à la Reine un
compliment dithyrambique^ :
Combien que de longtemps j'ayme ma Proserpine
Je la voulus quitter pour ceste Catherine
Qui de tout fUnivers a pillé les beautcz
Et qui a les vertuz toujours à ses cotez.
1. Brantôme. Dames Galantes. OEuvres, t. VII, p. 370.
2. Le recueil des Airs de Cour mis sur le luth d'Adrien Ballard, i57i,
nous a conservé la musique de ce récit.
3. Ce genre de mascarade dérive visiblement des fêtes italiennes du genre
de celle que nous avons décrite p. 19.
4. Ronsard. Cartels et Mascarades. Le trophée d'Amour à la Comédie de
Fontainebleau. — Le trophée de la Charité en la mesme Comédie, édit.
Blanchcmain, t. IV, p. i3i et i32.
5. Los fêtes durèrent du 26 au 29 septembre i566.
6. f.es théâtres de (maillon à la Boyne à Rouen chez Georges Loyselct
i566 (Réserve Ye, 426).
Sa LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Nous entendrons des couplets semblables, dans les bal-
lets de Cour et ensuite dans les prologues des opéras, à
la louange des Souverains et des Grands.
Sous Tinfluence de l'Italie, les intermèdes lyriques
devinrent vite d'un usage habituel^ et, en 1367, Baïf, en
publiant sa pièce le Brave^^ ne manque pas d'y joindre
(( les chants récitez entre les actes de la comédie^ ». Il
est pourtant assez singulier de remarquer que les danses
figurées, qui jouent un si grand rôle dans le théâtre de
Cour en Italie, à cette époque, n'y paraissent point ou
que d'une manière tout à fait effacée ; en revanche elles
triomphent dans les mascarades de Palais.
La conquête du Milanais avait eu sur la danse française
une répercussion aussi immédiate qu'imprévue. De même
que Ferrare, Mantoue et Florence étaient les berceaux
de la mascarade et de la pastorale de Cour, Milan était en
quelque sorte l'école où se venaient former les choré-
graphes de toute l'Italie. Vers i55o, le célèbre Pompeo Dio-
bono y enseignait son art et comptait parmi ses nombreux
élèves le futur auteur des Grade cC Âmore : Gesare Negri*.
En i554, Monseigneur le Maréchal de Brissac qui avait
conquis et administrait le Piémont, engagea le baladin à
passer les Alpes et l'emmena avec lui^ en France. Il y fut
1. En i556, au château de Blois, on représenta la Sophonisbe de Mellin
de Saint-Gelais avec entremets à l'italienne. V. Lanson. Revue d'hist. litt. de
la France, igoS, p. 196-197.
2. P. Toldo. La Comédie française de la Renaissance [Revue d'hist. lit-
tér. de la France, 1897 (p. 366) et 1898 (pp. 220 et 554).
3. Le Brave, Comédie... i567 (ï»^éserve Yf. 3902).
4. Sur la foi d'une note du baron Piclion, citée par M. Picot dans sa belle
étude sur les Italiens en France au XVI^ siècle, y rï affirmé la venue à Paris
de Cesare Negri en i56o [Année Musicale, 191 1, p. 298). Je dois recon-
naître que dans son autobiographie, Cesare Negri ne fait aucune allusion à
ce fait.
5. Cesare Negri. Gratte d^Amore, p. 3,
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 53
le bienvenu, car Henri II se plaisait à la danse comme à
tous les exercices physiques. Comblé d'honneurs et de
présents, Pompeo Diobono occupa à la Cour une haute
situation sous les règnes successifs de Henri II, Fran-
çois II, Charles IX et Henri III qui le tinrent tous en par-
ticulière estime ^ . Virgilio Bracesco '^ et Ludovico Palvello ^,
venus eux aussi de Milan à la Cour de Henri II, ne furent
pas moins fêtés. Un peu plus tard, Giovanni Pietro Gal-
lino\ Gio. Francesco Giera, Gio. Paolo Ernandès^et Ber-
nardo TetoniMeur succédèrent dans les bonnes grâces des
Souverains de France.
La présence à la Cour de tous ces étrangers durant la
seconde moitié du x\f siècle explique la vogue soudaine
des danses figurées italiennes, jusque-là inconnues ou du
moins peu pratiquées en France. Les plus caractéristiques
étaient alors le Brando et le Balletto.
Ces danses n'étaient pas, comme les Corrente ou les
Gagliarde^ assujetties à des formes fixes. Le chorégraphe
était libre d'inventer sans cesse de nouvelles évolutions.
Les diverses figures se succédaient sur des airs de mou-
1. « Ma chi potrebbe creder gl'honori, che gli furono fatti et i gradi che
gli furono dati nella corte del Re Enrico Seconde, che pur governatore lo
costilui del suo secundo figliuolo Carlo Duca d'Orléans, e stipendii gl'asse-
gnô di ballerino di 200 franchi e di valletto da caméra di 260 ? Che piu :
Havea mille franchi ancora di pensione e 160 per lo vestire ; ne potrei cosi
tosto annoverar i gran presenti, che da diversi principi furongli in poco
tempo fatti » Grade d'Amore, p. 4- Un acte du 22 octobre i56o confirme par-
tiellement le témoignage de Cesare Negri « A Pompée Diebon, millanois,
balladin et vallet de chambre de Messeigneurs d'Orléans et d'Angoulesme,
25o liv. tournois, » . ..Arch, Nat., K. K. 127, p. 227.
2. Gratie d'Amore, p. 3 et Jal. Dictionnaire Critique, p. 97 (Série d'actes
d'archives le concernant).
3. De i559 à 1572 (?) Il se maria en i566. Gratie d'Amore, p. 4.
4. Jal., p. 98 et Archives Curieuses de l'hist. de France X, 4^7-
5. Gratie d'Amore, p. 3 et 4.
6. Il se maria en i582. Arch. Nat. Y. 124 f^ i3o.
54 LE BALLET DE COLR EN FRANCE
vements variés et les rythmes binaires et ternaires se suc-
cédaient selon les nécessités delà danse. Le Brando était
un véritable ballet théâtral. Comme la Moresca^ il ne se
dansait guère en société*. Au contraire, les diverses sortes
deBalli et de Balletti — équivalents des contredanses du
xviif siècle et de nos quadrilles — faisaient fureur dans
les salons. Vers le milieu du xv!"" siècle, les noms se con-
fondirent et les Français baptisèrent Z/a//^/5 sans distinc-
tion les Balli^ les Brandi et les Balletti.
Catherine de Médicis aimait la danse « où elle avoit très
belle grâce et majesté^ », elle se mêlait même d'inventer
des pas de ballets et d'imaginer de nouvelles figures ^ Avec
une si puissante protection et le concours des meilleurs
chorégraphes de l'Italie, les ballets ne pouvaient manquer
de conquérir une place d'honneur dans les divertissements
de la Cour. Au reste on a bien l'impression, en lisant des
descriptions de ces danses de Nymphes, d'Amazones et
de Sirènes, vêtues de toile d'or et d'argent, d'assister à
la floraison d'un genre étranger. Non seulement les maîtres
de ballets viennent du Milanais, mais les figurantes sont
presque invariablement les filles d'honneur de la Reine,
italiennes pour la plupart*, et les violons qui sonnent ces
danses sont piémontais\
1. Castiglione dans son Cortegiano (i53i) déclare : « Benchè in caméra
privatamente, corne or noi ci troviamo, penso che licito gli sia e queslo, e
ballar moresche e brandi ; ma in publico non cosi », t. II, p. 73.
2. Brantôme, S. H. F., t. VII, 346.
3. « Elle inventoil tousjours quelques nouvelles dances ou quelques beaux
ballets » ihid., p. 346.
4. V Picot. Les Italiens en France au A'F/° siècle, Bull. ital. de la Faculté
des lettres de Bordeaux, t. IV, p. 3 10 et suiv.
5. Le maréchal de Brissac qui, en i554, envoyait à la Cour de France le
baladin Pompeo Diobono, fit également présent à la Reine vers le même
temps d'une bande de violonistes « très exquise », conduite par le fameux
Balthazar de Beaujoyeux.
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 55
Le plus célèbre des ballets dansés à la Cour sous le
règne de Charles IX est sans doute celui dont Catherine
de Médicis fit les honneurs aux ambassadeurs polonais,
en 1573 \ Il empruntait à la mascarade de Cour son appa-
reil ordinaire, comme on en peut juger par la minutieuse
description que nous en a laissé Brantôme ^ La Reine,
après avoir festiné fort superbement les Polonais aux Tui-
leries, leur représenta (( dans une grand'sallefaicteà'poste^
et toute entournée d'une infinité de flambeaux » « le plus
beau ballet qui fust jamais faict au monde... lequel fust
composé de seize dames et damoiselles des plus belles et
des mieux apprises des siennes, qui comparurent dans un
grand roch tout argenté, où elles estoient assises dans
des niches en forme de nuées de tous costez*. Ces seize
dames représentoient les seize provinces de la France,
avecques une musique la plus mélodieuse qu'on eust
sceu voir* ; et après avoir faict dans ce roch le tour de la
salle par parade comme dans un camp% et après s'estre
bien faict voir ainsi, elles vindrent toutes à descendre de
ce roch et s'estant mises en forme d'un petit bataillon
bizarrement invanté, les violons montans jusques à une
1. Le 19 août. V. planche II.
2. Œuvres, VII, 371-372.
3. D'Aubigné affirme que « la Roine avoit fait couper un bois de haute
fuslaye » pour y dresser le « pavillon d'excessive grandeur » où se donna la
fête. Hist. Univ., 1626, t. I, p. 665.
4. On trouvera une description très détaillée de la mise en scène dans la
plaquette composée par Daurat à cette occasion : « Magnificentissimi spec-
taculi, a regina, regum maire in hortis suhurbanis editi, in Ilenrici Régis
Poloniae invictissinii nuper renitnciati gratulationem, descripiio... (Rés. m.
Yc. 748).
5. Chaque nymphe fit un long récit comme on peut voir dans la description
de Daurat. D'Aubigné prétend que les vers étaient « bien chantez et mal
composez ».
6. Tellement on était habitué à voir les chars de mascarades associés aux
tournois !
56 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
trentaine, sonnans quasy un air de guerre fort plaisant*,
elles vindrent marcher soubs l'air de ces violons, et par
une belle cadance sans en sortir jamais, s'approcher et
s'arrester devant Leur Maj estez, et puis après danser leur
ballet si bizarrement^ invanté, et par tant de tours, con-
tours et destours, d'entrelasseures etmeslanges, affronte-
ments et arrests, qu'aucune dame jamais ne faillit de se
trouver à son poinct, ny à son rang Et dura ce ballet
bizarre pour le moins une heure % lequel estant achevé,
toutes ces dames vindrent à présenter au roy, à la reyne,
au roy de Polongne, à Monsieur son frère et aux roy et
reyne de Navarre, et autres Grands et de France et de
Polongne, chacune à chacun une placque toute d'or,
bien esmaillé et gentiment en œuvre, où estoient gra-
vez les fruicts et les singularitez de chasque province* ».
On ne saurait se méprendre, en lisant cette relation, sur
le caractère réel de cette fête. Elle marque, non, comme
on l'a dit, l'avènement du ballet de Cour, mais plus modes-
tement la vogue et le triomphe en France de la danse
figurée. Le ballet des Polonais ne nous apprend vraiment
rien de nouveau. Nous connaissons déjà les chars en forme
de montagne, les nuées en gaze d'argent, les récits chan-
tés par des nymphes et les figures de ballet. Le ballet
I. Ou trouve dans le premier mouvement de la plupart des entrées de bal-
lets un rythme de marche à deux temps très guerrier.
a. L'épithète bizarre vient naturellement à la plume des chroniqueurs
quand ils parlent de ballets. Le mot est pris par eux dans le sens d'ingé-
nieux, d'original.
3. D'Aubigné ajoute ces détails intéressants : « Les Nymphes descendirent
pour danser un ballet deux fois premièrement masquées et puis sans masque...
Les Polonais admirèrent les confusions bien desmelées, les chiffres bien for-
mez du ballet, les musiques différentes et dirent que le bal de France estoit
chose impossible à contrefaire à tous les Rois de la terre. »
4. On en trouve la description dans l'ouvrage de Daurat.
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET 57
comique de la Reine sera au contraire une invention ori-
ginale. Certes les grandes joutes-mascarades, organisées
par les futurs créateurs du ballet dramatique, peuvent
expliquer et faire prévoir sa venue prochaine, comme les
premiers essais des musicien de la Gamerata Bardi annon-
cent X Euridice ^ mais la Circé est le premier ballet de
Cour où se manifeste une intention théâtrale ; où l'on
trouve une intrigue, certes fort vague, mais suivie néan-
moins ; où les diverses entrées, les récits, les chants,
les danses concourent également à l'action dramatique.
Gomme nous le verrons à l'analyse, tous les matériaux
dont est construit le Ballet comique se retrouvent dans
les Mascarades, les Intermèdes, les Joutes, mais le plan
en est entièrement nouveau. On y sent une volonté créa-
trice qui ordonne de son mieux les éléments disparates
empruntés aux fêtes antérieures. Nous verrons que si
l'on ne peut attribuer aux poètes humanistes de la Gour,
et en particulier à Jean Antoine de Baïf, la création du
ballet dramatique, c'est néanmoins à leur influence et à
leurs théories sur le théâtre et la danse de l'Antiquité
qu'il faut en faire revenir l'honneur.
CHAPITRE II
L'INVENTION DU BALLET DE COUR
I. — Idées de la Pléiade sur la musique. — L'Académie de Baïf. —
Les danses mesurées.
II. — Participation des poètes humanistes aux fêtes de la Cour. —
Mascarade duduc de Longueville (i565). — Le Paradis d^ Amour (iT^'j'i).
— Baltazarini, interprète des idées de Baïf.
III. — Influence de l'Italie sur les fêtes françaises au xvi* siècle. — La
Pastorale dramatique. — Comédies à intermèdes représentées par
les Gelosi.
IV. — Le Ballet comique de la Reine. — Caractère humaniste de la
tentative de Beaujoyeulx. — Les collaborateurs : La Chesnaye,
Beaulieu et Salmon, Jacques Patin.
V. — La Représentation du i5 octobre i58i.
VI. — Les Imitations. — Ballets à récits déclamés de la fin du
XVI® siècle. — Le Ballet de Cour, importé en Angleterre, y devient
un genre littéraire.
1
Le triomphe de la Pléiade eut pour conséquence une
véritable révolution musicale. Jusque vers i55o, la poésie
et la musique ne se prêtaient point un appui réciproque.
Janequin n'accordait aucune attention à la qualité des
vers qu'il prenait pour prétexte de ses compositions. Il
brossait le plus souvent ses vastes fresques sonores au
moyen de vocalises et d'onomatopées. De son côté, un
poète comme Clément Marot, bien que faisant grand cas
L INVENTION DU BALLET DE COUR 5g
de la musique, se préoccupait fort peu de « marier ses
vers aux accords du luth » \
Konsard et les poètes de sa génération sont d'un tout
autre avis, ils appellent la musique « la sœur puisnée de
la poésie » et affirment que sans elle la poésie est
(( presque sans grâce, comme la musique sans la mélodie
des vers, inanimée et sans \ie\ » Jodelle résume en deux
vers toute cette esthétique :
Mesme l'air des beaux chantz inspirez dans les vers
Est, comme en un beau corps, une belle âme infuse^ .
En proclamant ainsi la nécessité d'animer la poésie
par la musique, les poètes de la Pléiade préparent incons-
ciemment la ruine de l'art madrigalesque. Hantés par
cette idée que les vers doivent être chantés sur la lyre
à la manière antique, ils encouragent les essais de mo-
nodie. L'Air de Cour et le Récit vont sortir de ces tenta-
tives.
Il semble que des musiciens de second ordre, luthistes
et maîtres à chanter, aient joué dans cette révolution un
rôle beaucoup plus actif que les illustres compositeurs
du temps. On sent pourtant chez quelques-uns de ces
derniers, chez Roland de Lassus, par exemple, ou chez
Gosteley, qui furent en rapport direct avec les poètes de
la Pléiade^ le désir de faire entendre distinctement les
paroles, de disloquer le moins possible les phrases et les
mots. L'habitude se répand de chanter à voix seule les
madrigaux, en réduisant les parties sur le luth. Les Airs
1. V. Auge Chiquel. La Vie, les Idées et VOEuvre d'Antoine de Baif.
Paris, 1909, in-8'',
2. Binet. Vie de Ronsard dans les OEuvres. Paris 1697, t. IX, p. 177.
3. Œuvres, édit. Marty-Laveaux, II, 191.
6() LE BALLET DE COUR EN FRANCE
de Cour^ publiés en 1571 par Adrien Le Roy \ attestent la
vogue de ces arrangements et Thabileté des luthistes à
mettre en valeur les poésies de Ronsard ou de Desportes.
Mais on avait composé durant trop de siècles sans tenir
compte des lois de la prosodie pour pouvoir brusque-
ment s'y assujettir. La plupart des musiciens de la
seconde moitié du xvi® siècle sont persuadés qu'ils ont
observé le rythmique des vers quand ils ont placé une
note sous chaque syllabe. Fabrice Gajetan compose bra-
vement un air ce pour chanter tous sonets ^ » et n'a aucun
soupçon de l'hérésie qu'il commet.
Il était indispensable de faire l'éducation des musi-
ciens et du public, si Ton voulait le triomphe durable
des idées nouvelles. C'est à cet effet que Baïf fonda, en
1571, avec le compositeur Thibaut de Gourville, \ Aca-
démie de musique et de poésie. Cette institution ayant
été déjà l'objet de plusieurs études approfondies^, nous
n'avons pas ici à en retracer l'histoire, mais à signaler
l'influence des doctrines qui y furent enseignées sur
l'esthétique musicale et chorégraphique de la Renais-
sance.
Baïf, en créant l'Académie désirait accomplir par la
pratique des vers mesurés une réforme à la fois musi-
cale et littéraire. Plusieurs poètes, tant italiens que
français, avaient eu déjà l'idée d'appliquer aux vers
qu'ils composaient les lois de la métrique latine et
grecque, mais aucun ne s'était encore proposé de réali-
I. Bibl. Roy. de Bruxelles. Fonds Fétis, n^ 2379.
a. Airs mis en musique à 4 parties sur les poésies de P. de Ronsard et
autres excelens poètes. Paris, iSyS (Bruxelles, fonds. Fétis, 23i3).
3. V. Fremy. Académies des derniers Valois. Romain Rolland. L'Opéra
en Europe, p. 240 et »uiv. et surtout Auge Chiquet, op. cit., chap. x.
L INVENTION DU BALLET DE COUR OI
ser par ce moyen l'idéale union de la poésie et de la
musique qu'avaient connue les Anciens \
Ce fut, nous dit Baïf, le musicien Thibault de Courville
(( Maistre de l'art de bien chanter » qui lui fit :
pour l'art de Musique
Réformer à la mode antique,
Les vers mesurez inventer ^.
Deux autres compositeurs vinrent bientôt seconder les
efforts de Baïf et de Thibault :
An la dans'apres é du For é Klôdin
Ozéret antrér.
For, ki son dgs lut maniét savanment,
Klôdin, ô bel art de la Musik' instruit.
Ont d'accors çoezis onoré de se-vers
Lez mezurés çans^.
Des trois musiciens qui collaborèrent dès le début avec
Baïf, nous ne connaissons bien que Claude Lejeune. Thi-
bault de Courville* était un excellent chanteur au luth,
un maître de musique comme on en rencontre à l'origine
de la plupart des réformes mélodramatiques. Avec moins
d'ampleur, il fut le Giulio Caccini du cénacle de Baïf,
chantant des vers français en observant la quantité des
syllabes et en les accompagnant d'accords délicats sur la
lyre^ On en peut dire autant de Jacques du Faur qui ne
I. Paul-Marie Masson : L'humanisme musical en France au XVI^ siècle
(deux articles dans le Mercure Musical, en 1907).
a. OEuvres. Marty-Laveaux, II, 46.
3. Mersenne, Quaestiones celeherrimae in Genesim, Lutetiae. Cramoisy,
MDCXXIII (in f«>), p. 1686. — B. N. A.|ia47.
4. M. Auge Chiquet place le début de la collaboration de Thibault et de
Baif au milieu de l'année i567 i^f- dt-i P- 4oo).
5. Le 6 octobre 1572, Charles IX lui fait don d'une somme de laS livres
62 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
put rendre de longs services à Y Académie puisqu'il
quitta Paris, en i573, pour se retirer en province et ravir
de son luth « le bal des Garonnides sœurs. ^ » Si la mu-
sique mesurée à l'Antique n'avait eu d'autres interprètes
que ces deux artistes, elle eut expiré après avoir charmé
les oreilles de quelques humanistes. Nous la connaîtrions
seulement par les rares pièces qui nous ont été conser-
vées de Thibault ^ Mais, par bonheur, le grand musicien
Claude Lejeune^ s'enthousiasma pour l'idée de Baïf et
mit son génie au service de cette cause. Ses Psaumes
et son Printemps montrèrent aux musiciens tout le parti
qu'ils pouvaient tirer de cette idée. Jacques Mauduit* ne
tarda pas à suivre l'exemple de Lejeune et composa sur
des vers de Baïf ses délicieuses chansonnettes m^esurées.
A dire vrai, ni Glaudin, ni Mauduit n'eurent de disciples
fidèles ; pourtant leurs efforts ne furent pas stériles.
A leur école, les musiciens apprirent à respecter les lois
de la prosodie et à forger la mélodie sur le rythme du
tournois « A Joachira Thibault dict Corville, joueur de lire dudict sei-
gneur »... « pour luy donner moyen de parachever la composition de musique
par luy commencée, pour chanter à plusieurs voix des vers en rhitme et
musicque, qui se réciteront sur la lire et le luth » (Cimber et Daujou.
Arch. curieuses, t. VIII, p. 355). — Thibault mourut non comme le veut Mer-
senne vers 1571, mais entre i58o et i585. V. Michel Brenet. Jacques Mau-
duit. Musiciens .de la Vieille France, p. 214.
1. Jacques Du Faur, de la branche cadette des seigneurs de Saint-Jory.
Cf. S. Macary. Généalogie de la maison du Faur. Toulouse, D'Ecos, 1907,
(in-40).
2. Trois airs de Cour du recueil de Bataille (F^ livre, 1614, p. 5i, 55,67).
— Deux chansonnettes et un reça«< du recueil de Marin (p. 17, 18, 19).
3. La vie de Claude Lejeune est mal connue. Il naquit à Valenciennes
entre i520 et i53o et mourut en 1600. Il fut enseveli, le 26 septembre 1600,
dans le cimetière protestant de la Trinité, rue Saint-Denis (V. Douen, Clé-
ment Marot et le psautier huguenot, II, 66). Le père Mersenne a rapporté
plusieurs anecdotes curieuses sur ce grand musicien.
4. Sur Jacques Mauduit, V. la belle étude de Michel Brenet. Musique et
Musiciens de la Vieille France, p. 198 et suiv.
l'invention du liALLET DE COUR 63
vers. L'Air de Cour fut, pour une grande part, le fruit
de leurs peines. Ils rendirent possible la création du
récit dramatique, première ébauche du récitatif français
auquel Lully devait donner sa forme parfaite près d'un
siècle plus tard.
A Paris comme à Florence, poètes, musiciens, huma-
nistes se préoccupaient de retrouver le secret de la mélo-
pée antique. Mais tandis que les italiens, en hommes de
théâtre, cherchaient un nouveau mode de déclamation
lyrique qui leur permît de chanter des tragédies sur la
scène, les réformateurs français ne songeaient qu'à con-
former strictement la musique aux exigences de la pro-
sodie, sans tenir compte de Taccent pathétique. C'est
pourquoi une nouvelle forme mélodramatique ne pou-
vait sortir de l'application rigoureuse de ces idées d'hu-
manistes K
Baïf et ses collaborateurs songeaient à faire repré-
senter une pièce en vers mesurés à la mode antique,
lorsque les guerres de religion éclatèrent et empêchèrent
la réalisation de ce projet \ Faut-il vraiment le déplo-
rer? Un tel spectacle eût réjoui le cœur de quelques
doctes poètes, mais n'eût certainement pas eu de lende-
main. Au contraire les idées de V Académie^ interprétées
et mises en pratique par des musiciens et des choré-
graphes affranchis de préjugés pédantesques et plus sou-
cieux de créer une œuvre vivante que de procéder à
1. M. Auge Ghiquct, dans la conclusion de sou beau livre sur Bail', a bien
mis en lumière cette impuissance de l'humanisme à créer des œuvres
vivantes : *
« Qu'a-t-il servi à Baif d'être aussi docte que Dorât, plus fécond que Ron-
sard, plus riche d'invention et plus hardi en ses initiatives que tout le reste
de la Pléiade? Sa science lui devint funeste... en sorte que l'effort entier de
cette vie si active et si pleine semble frappé de stérilité » (p. 587).
2. Sauvai. Antiquités de la Ville de Paris, t. II, p. 49a.
64 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
une reconstitution historique, provoquèrent l'invention
du Ballet de Cour.
Baïf était un esprit trop curieux de nouveauté pour ne
pas s'intéresser aux inventions des chorégraphes ita-
liens. Il comprit vite le parti qu'on pouvait tirer des
danses figurées. Hanté par le souvenir des spectacles de
l'antiquité, il se remémora ce qu'il avait lu touchant les
chœurs tragiques et leurs évolutions dans Torchestre.
Bientôt se précisa dans son esprit un plan de réforme
chorégraphique, complément nécessaire de la révolution
poético-musicale qu'il avait entreprise.
Pour comprendre en quoi consistait la danse mesurée
de Baïf, il est indispensable de rappeler brièvement les
règles qui présidaient à la composition de la musique
mesurée à l'antique. La théorie en est fort simple : les
vers ayant été scandés suivant un mètre grec ou latin,
le compositeur fait épouser à la mélodie le rythme du
vers. Par exemple le mètre choriambique
— \j^ — \j — \j —
reçoit pour traduction musicale le rythme :
JJJJJJJJ
ce qui donne sous la plume de Mauduit ^ l'air :
Ul
Vous me lu-ei si dou - ce-tncnt
Le musicien restait libre de donner à sa composition
la ligne mélodique et les harmonies c[ui lui plaisaient,
mais il devait se conformer rigoureusement aux indica-
tions métriques du vers.
I. Chansonnettes mesurées, cdit. Expert, p, 2.
PI. A.
« LA LIBERAZIONE DI TIRRENO ))
Ballet dansé à Florence le G février iGi
(Kstampe de Jacques Cal lot.)
L INVENTION DU BALLET DE COUR 65
La danse obéira aux mêmes principes. Déjà tout natu-
rellement les danseurs ne mettent-ils pas en rapport leurs
pas avec la cadence des instruments? Le rythme de la
Gaillarde composé de six notes de valeur égale :
JJJJ-J
ne se traduit-il pas tout simplement par quatre pas
d'égale durée, un saut coïncidant avec la pause et une
posture sur la dernière note* ? Et n'en va-t-il pas de
même pour toutes les danses, qu'elles soient jouées sur
les instruments ou chantées par les voix? En partant de
ce principe élémentaire : l'équivalence de la durée des
pas et des notes, Baïf concluait à la possibilité de tra-
duire plastiquement les rythmes les plus variés de la
métrique grecque et de mettre en harmonie les gestes
et les pas des danseurs avec les chœurs qu'ils chante-
raient ^ Ainsi serait réalisée cette admirable union de la
poésie, de la musique et de la danse, qu'avaient autre-
fois pratiquée les Grecs dans leurs tragédies.
Ce n'était point là pour le poète une utopie destinée à
demeurer dans le royaume des songes; nous en avons
la preuve dans une pièce de vers, datée du i^*" février 1571,
où Baïf rend compte au Roi des travaux de la naissante
Académie :
Après je vous disoy comment je renouvelle
Non seulement des Vieux la gentillesse belle
Aux chansons et aux vers : mais que je remettoys
En usage leur dance : et comme j'en estoys
I. Thoinot-Arbeau. Orchesographie, édit. Laure Fonta, p. 53.
a. Mersenne obsei^'e que les baladins usent des « raesmes pieds qu'Ana-
créon, Pindare, Tiiéocrite et les autres poètes, encore quils ne suivent autre
chose que leur génie et qu'ils n'en ayent point ouï parler ». Harmonie Uni-
verselle, yV> livre, 4" part., p. Sgi.
5
66 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Encores en propos vous contant Tentreprise
D'un ballet que dressions, dont la démarche est mise
Selon que va marchant pas à pas la chanson
Et le parler suivi d'une propre façon *.
En 1573, il traçait au duc d'Alençon un tableau sédui-
sant du théâtre des Anciens :
Car leurs vers avoyent la mesure
Qui d'une plaisante bature
Frapoit l'oreille des oïans
Et des chores la belle dance,
En chantant, gardoit la cadance,
Au son des hauboys s'égayans^.
« Les hommes du siècle barbare » ont hélas! détruit
cette merveilleuse harmonie, mais lui, Baïf, et ses colla-
borateurs de TAcadémie, ne désespèrent pas de la
remettre en honneur.
« Nous avons la musique preste :
Que Tibaud et le Jeune apreste,
Qui leur labeur ne déniront :
Quand mon Roy bénin et sa Mère
Et ses frères, d'un bon salere
Nos beaux désirs enhardiront. »
Cette idée de ballet accommodé aux rythmes variés de
la métrique grecque était elle absolument nouvelle et
originale? Baïf le premier lavait-il conçue ou bien ne
l'avait-il pas empruntée à quelqu'un des grands choré-
graphes italiens qui vivaient à la Cour de France? La
question se pose, car on trouve dans les traités de danse
publiés par Fabritio Caroso, dans les dernières années du
1. OEuvres, édit. Marty-Laveaux, II, 23o.
2. OEiivres, III, 2.
L INVENTION DU BALLET DE COUR 67
xvf siècle, comme un reflet des théories de l'Académie.
Il y est sans cesse parlé de la manière de traduire choré-
graphiquement le dactyle, le spondée^ et les diverses
combinaisons métriques de l'Antiquité. Garosonous donne
la description d'un Ballo delFiore^ mesuré en dactyles et
spondées, et même d'un contrapasso fatto com^eramathe-
matica sopra i i^ersi d'Oi>idw\ mais, il faut l'avouer, ce
sont là des termes pédantesques qui ne répondent à
aucune réalité. Si l'on jette les yeux sur la musique, on
est surpris de la trouver fort banale et rythmée de la
manière la plus plate du monde \ Les danses décrites
au moyen de cette phraséologie compliquée sont de
simples contredanses de salon qui n'ont avec les évolu-
tions choriques rêvées par Baïf que de lointains rap-
ports.
On peut donc se demander si le traité de Caroso enre-
gistre en les défigurant les innovations de Baïf, ou si
celui-ci n'a pas été mis sur la voie par les baladins ita-
liens qu'il entendait parler de dactyles, de spondées et
de « saphiques » pour désigner certaines successions de
pas.
Quoiqu'il en soit, il paraît évident que des maîtres de
ballets italiens durent collaborer à la réforme de Baïf.
Nous avons eu déjà l'occasion de parler du fameux Pom-
peo Diobono et de Virgilio Bracesco, tous deux chéris de
Charles IX. Il semble difficile qu'ils n'aient pas fréquenté
I. Caroso. Nohiltà di Dame. In Venetia MDC — B. Nat. Réserve m. V. 8a.
— p. 59. Del Uattile, corne si faccia e donde sia derivato — p. 60 et suiv.
Del modo da far Jo Spondeo, il Saffice, il Destice, il Corinto, etc.
u. Ihid., pp. 3 14 et 342.
3. Il est facile de s'en assurer en jetant les yeux sur l'édition qu'en a don-
née M. Oscar Chilcsotti sous le titre Danze delSecolo XVI, t. I delà Bihlio-
teca di Rariià miisicali, chez Ricordi.
68 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
V Acadéjiiie où s'élaborait une si importante réforme de
leur art, surtout si l'on songe qu'à plusieurs reprises ils
avaient eu à régler leurs ballets et leurs mascarades sur
les indications de Baïf, de Ronsard et des autres familiers
de la maison du faubourg Saint-Victor.
V Académie^ il ne faut pas l'oublier, avait été fondée
sur le patronage effectif du Roi qui ne dédaignait pas
d'honorer de sa présence les séances de l'assemblée.
Beaucoup de musiciens, chanteurs et instrumentistes de
la Chambre et de la Chapelle en faisaient partie. On ne
saurait donc s'étonner de retrouver dans différents traités
musicaux et chorégraphiques, les idées plus ou moins
défigurées de Fécole de Baïf. Ces idées, tous les musi-
ciens et les baladins au service du Roi en étaient en
quelque sorte imprégnés et, s'ils ne les comprenaient pas
toujours très bien, ils croyaient du moins les connaître.
Le curieux manifeste placé par Baltazarini en tète de la
Circé nous en donnera une preuve singulière.
II
Sauvai, qui s'est fait Técho des traditions relatives à
V Académie^ sans se soucier autrement d'exactitude chro-
nologique, a enregistré le souvenir de l'influence exercée
par Baïf et ses collaborateurs sur les fêtes de la Cour :
(( depuis, écrit-il, il ne se fit plus de Balets ni de Masca-
rades que sous la conduite de Baïf et de Mauduit. Aussi
les Récits et les Chœurs étoient ce qui s'y trouvoit tou-
jours de plus divertissant, tant ils savoient bien accorder
la mesure de leurs vers et de leur musique avec les pas
et les mouvemens des danseurs, ce qui ravissoit à cause
l'invention du ballet de cour 69
de la nouveauté \ » Si Mauduit, né en i557 % ne put
prendre une part active aux travaux de V Académie de
Poésie et de Musique^ il est certain que dès le début du
règne de Charles IX, Baïf fut plus d'une fois chargé d'or-
ÊTaniser des mascarades. Rien d'étonnant d'ailleurs à cela
puisque Ronsard, Jodelle, Daurat étaient également mis
à contribution pour ces fêtes. Mais il est assez curieux de
trouver, en i565, le nom de Baïf attaché à une mascarade
qui marque une étape de l'évolution du genre vers le
ballet de Cour. Elle fut commandée au poète par le duc
de Longueville pour solenniser la royale entrevue, en la
ville de Bayonne, de Catherine de Médicis et de sa fille,
mariée à Philippe II.
Comme la plupart des ballets dramatiques, la repré-
sentation commençait par un récit, chanté par la Fée
des Pyrénées. Le refrain :
Bois et rochers, suyvez le son
De mu charmeiesse chanson.
donne à penser que la fée était suivie de chars portant
de grands rochers et des arbres % dispositif fort usité à
cette époque \ S'étant arrêtée en face de la noble
assemblée, la fée déclamait une longue tirade pour exposer
le sujet et le plan de la mascarade. Ces rochers, que voient
les spectateurs, enferment six infortunés chevaliers ainsi
1. Antiquités de la Ville de Paris, t. II, 492.
2. Merseime. Éloge de Jacques Mauduit. {Ilarm. Univ. y livre VII), réim-
primé par Michel Brenel dans son étude sur Mauduit. Musiciens de la
Vieille France, p. 201.
3. De charmants quatrains composés par Baif étaient attachés au tronc
des arbres et sur les rochers. OEuvres, II, 33i.
4. Il était de mise chaque fois qu'on voulait représenter Orphé« charmant
de sa voix les rochers et les bois.
70 LE BALLET DE COUR EN FRÂiNCE
métamorphosés par cruel maléfice et ces arbres retien-
nent des nymphes prisonnières. C'est au Roi à rompre le
sortilège :
« Qui par vostre vouloir, de ces verges dorées
Touchera par trois fois les masses empierrées
Fera, miracle grand, saillir de ces rochers
Armez pour le combat, six braves chevaliers. »
Le monarque fait alors le geste attendu et nymphes
de s'échapper du tronc des arbres, chevaliers de sortir
du flanc des rochers pour danser et combattre à la grande
joie des spectateurs. Après quoi les personnages de la
mascarade s'en viennent offrir au Roi, aux deux Reines,
à Monsieur, au duc d'Albe et aux plus illustres seigneurs
et dames de l'assistance, des pommes d'or sur lesquelles
sont gravés des compliments en runes \
Le dispositif de cette mascarade annonce de près celui
des premiers ballets dramatiques. Nous trouverons dans
ceux-ci une action analogue et une mise en scène iden-
tique. Un récitant viendra de même exposer aux specta-
teurs le sujet du divertissement.
Il est assez vraisemblable que Baïf et les artistes de
son Académie prirent part aux magnificences qui se
firent à la Cour, au mois d'août 1572, pour le mariage du
roi de Navarre et de la princesse Marguerite de Valois.
A cette date, V Académie est en pleine prospérité et tra-
vaille avec ardeur à la restauration de la musique, de
la poésie et de la danse à l'antique. Le Roi la protège
ouvertement contre les attaques de ses détracteurs et
honore de sa présence les concerts qui se donnent en la
maison du Faubourg Saint-Victor et au collège de Bon-
1, OEmres de Baif, édit. Marty-Laveaux, il, 33i.
L INVENTION DU BALLET DE COUR 71
cour*. Aussi est-il probable que Baïf, Thibault de Cour-
ville et Claude Lejeune ne furent pas étrangers à la com-
position de la musique chantée en la grande joute-mas-
carade qu'on représenta, le 20 août 1572, pour célébrer
les noces du roi de Navarre et la réconciliation apparente
des Huguenots et des Catholiques. Sans doute Baltaza-
rini, qui depuis quelques années déjà vivait en France,
prèta-t-il la main à l'organisation de la fête. Par sa mise
en scène et son plan cette mascarade fait si bien pres-
sentir la prochaine création du ballet dramatique qu'il
est permis de le supposer. Toutefois, en l'absence de
comptes royaux détaillés, nous sommes réduits à des
conjectures sur les auteurs de ce fastueux divertisse-
ment et savons seulement que les vers étaient l'œuvre
de Ronsard.
Nous sommes mieux instruits de la fête elle-même.
Une relation contemporaine^ nous fournit quelques ren-
seignements sur l'action dramatique et de minutieux
détailssur la mise en scène qui est des plus intéressantes.
On saisit fort bien en quoi consistait la nouveauté du
spectacle en comparant la description de la fête du
20 août à celle de la mascarade donnée deux jours plus
tôt en la Grand'Salle du Louvre. Celle-ci consistait,
comme les masclierate italiennes, en un somptueux
défilé de chars. D'abord paraissaient « trois grands cha-
riots qui estoyent trois grands rochers ou escueils de
mer tous argentez » peuplés de musiciens « jouans de
diverses sortes d'instrumens ». A la cime de l'un d'eux
I. V. Auge Chiquet. Op. cit., p. 439 ot sniv. — Sauvai. Antiquités... II,
491-
a. Mémoires de l'estat de France sous Charles Neuviesme. A Meidelbourg.
MDLXXVIII, t. I, p. 190 et suiv. Bibl. Nat. Lb 33/5. A.
72 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
(( estoit ce chantre tant renommé, Estienne le Roy *, qui
faisoit retentir toute la salle de sa voix harmonieuse. »
Puis s'avançaient sept chars hérissés de coquillages et
portant à leur sommet, assis sur des trônes à l'aspect
bizarre, des divinités marines. Un char doré en forme
de gigantesque cheval marin portait Charles IX costumé
en (( Neptune, Roy de la mer ». Les princes qui se
tenaient sur les chars y firent monter quelques dames
et dansèrent avec elles, puis la mascarade se retira.
Nous avons déjà décrit maintes fêtes de ce genre ; au
contraire la mascarade-joute du 20 août offre quelques
traits originaux et curieux. Il ne s'agit plus d'un divertis-
sement improvisé, mais de « jeux de longtemps pré-
parez ». La mise en scène, qui rappelle celle des joutes
que nous avons déjà décrites, est assez compliquée. La
vaste salle de Bourbon a été aménagée pour ce spec-
tacle de la façon suivante : A droite on a dressé un
(( paradis », grand arc triomphal auquel on accède par
quelques marches et au travers duquel on aperçoit les
Champs-Elysées « à savoir un jardin embelly de verdure
et de toutes sortes de fleurs : etiecielempyrée, qui estoit
une grand'roue avec les douze signes, sept planettes, et
une infinité de petites estoilles faites à jour, rendans une
grande lueur et clarté, par le moyen de lampes et flam-
beaux... acommodez par derrière. Ceste roue estoit en
continuel mouvement, faisant aussi tourner ce jardin.
I. Estienne Leroy, abbé de Saint-Laurent, était un castrat que Charles IX
tenait en particulière affection. Sur ce personnage. Voy. Brantôme, cdit.
Lalanne, V, 284. — Sorbin. Vie de Charles IX [Arch. cur. de Ciniber et
Danjou, t. VIII, 3oo). — En 167^, il figure sur les états royaux comme
chantre de la chambre et reçoit 400 livres « pour le desroy du logis de trois
petitz chantres, nourriture et despense de leurs montures et dung serviteur
qui porte et nettoyé leurs besongnes ». Arch. Nat., K. K. i34 (° 5i. V®.
L INVENTION DU BALLET DE COUR 78
dans lequel estoyent douze nymphes fort richement
acoustrées ^ ».
A gauche se voyait l'Enfer, représenté apparemment
suivant l'usage par quelque monstrueuse gueule béante,
(( dans lequel y avoit un grand nombre de diables et petis
diabloteaux, faisans infinies singeries et tintamarres
avec une grande roue tournant en ledit enfer, toute envi-
ronnée de clochettes ».
Une rivière coulait entre ces deux constructions; elle
portait la barque de Gharon « nautonnier d'enfer ».
Le décor était donc dispersé. Il comportait une ma-
chinerie assez compliquée et des effets d'éclairage par
transparence que ne dédaigneront pas les siècles sui-
vants.
L'action dramatique était simple^ : plusieurs troupes
de chevaliers errans, armez de toutes pièces et vestus
de diverses livrées » tentaient l'assaut du Paradis pour
s'emparer des nymphes, mais le Roi et ses frères les
repoussaient et « ayans rompu la picque contre lesdits
assaillans et donné le coup de coustelas, les renvoyoyent
vers l'enfer où ils estoyent trainez par ces diables ». Or,
et c'est là un fait historique fort singulier, ces chevaliers
errants, rejetés en enfer par Charles IX, n'étaient autres
que le Roi de Navarre et ses compagnons huguenots.
« Tout cela, écrit d'Aubigné, fut interprété prophétique-
I. Estât de France^ l, p. 193-195.
1. Est ce à cette fête que fait allusion le passage suivant de Brantôme ?
Cela semble peu probable . « Ce fust une (ille de nostro court qui inventa et
lit jouer ceste belle comédie intitulée le Paradis d'Amour dans la Salle de
Bourbon à huys clos où il n'y avoit que le commcdians et commcdiantes qui
servirent de joueurs et d'espectateurs tout ensemble. Ceux qui entendent
l'histoire m'entendent bien. (Elle fut) jouée par six personnages de trois
hommes et trois femmes, l'un estoit prince qui avoit sa dame qui estoit
grande... » (T. IX, 553).
74 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
ment par ceux qu'on appeloit fols ^ »... Il semble difficile
pourtant de voir une menace de massacre et comme
lannonce de la Saint-Barthélémy dans Tintrigue de cette
mascarade. Il eût été vraiment trop maladroit de mettre
en garde les huguenots contre le coup qui se préparait
à Finsu du Roi. D'ailleurs les prisonniers de l'Enfer
allaient être délivrés et conduits aux Champs-Elysées
grâce à l'intervention des dames, allusion à l'union du
Roi de Navarre avec Marguerite de Valois qui ramenait la
paix dans le royaume. Voici comment se déroulait cette
seconde partie de la mascarade : lorsque tous les cheva-
liers errants eurent été défaits, l'Enfer où ils avaient été
traînés par les diables, « fut clos et fermé. » a A l'instant
descendirent du ciel, Mercure et Gupido, portez par un
coq, chantansetdansans^ Le Mercure estoit cest Estienne
le Roy, chantre tant renommé, lequel descendu en terre
se vint présenter aux trois chevaliers, et, après un chant
mélodieux, leur fit une harangue % laquelle parachevée, il
remonta sur son coq tousjours chantant, et fut reporté au
ciel. Lors les trois chevaliers se levèrent de leurs sièges,
1. Histoire Universelle. S. H. F., t. III, 3o3.
2. Ronsard. Mascarades et Cartels : {Dialogue pour une mascarade).
Amour et Mercure . Le dialogue se compose de quatrains se répondant et
chantés vraisemblablement sur le même air :
Héraut des Dieux qu'une fille d'Atlas
Gonceut léger, prend tes ailes cognties,
Et traversant le long chemin des ntles
Laisse le Ciel et t'en-vole là-bas.
MERCURE
Fils de Vénus qui portes en tes mains
L'Arc qui aux Dieux et aux hommes commande.
Pour quoy veux-tu que du Ciel je descende
Pour aller voir la terre des humains ?
3. V. Monologue de Mercure aux Damet
Atlantide... {ihid.).
l/iNVENTION DU BALLET DE COUR 75
et traversans le Paradis, allesrent aux champs Elysées
quérir les douze Nymphes, lesquelles ils menèrent au
milieu de la salle où elles se mirent à danser un bal fort
diversifié, et qui dura plus d'une grosse heure. Le bal
parachevé, les chevaliers qui estoyent dans TEnfer furent
délivrez, et se mirent à combatre et rompre les picques
en foule. » Un magnifique feu d'artifice terminait ce spec-
tacle.
On avait déjà vu à Fontainebleau et à Bayonne des
chevaliers combattre pour délivrer des belles captives,
mais jamais encore la pantomime, la musique et la danse
n'avaient été associées aussi heureusement en vue d'une
action dramatique. 11 faut reconnaître cependant que la
poésie lyrique ne jouait dans cette mascarade qu'un rôle
bien effacé. Un seul récit chanté par Mercure donnait la
raison de ces combats et de ces ballets. Néanmoins on
était en bonne voie et le ballet dramatique allait naître
quand la Saint-Barthélémy vint détourner les esprits des
fêtes et des plaisirs. Si l'on excepte les divertissements
qui récréèrent la Cour au mois d'août 1572 et le magni-
fique festin offert au Roi par Messieurs de la Ville de
Paris, le 6 février i5^S\ il n'y eut plus de grande fête en
France avant la Circé de i58i. Durant près de dix ans,
les arts sont en deuil, les poètes cessent de chanter leurs
amours pour écrire des satires politiques et religieuses.
\J Académie de poésie et de musique^ privée des subsides
royaux, se voit contrainte de suspendre ses séances.
Néanmoins l'idée d'un genre dramatique nouveau où
I. y .Eglogue latine et française avec autres vers recitez devant le Roy au
Festin de Messieurs de la Ville de Paris le VI^ de février 1578, ensemble
l'oracle de Pan présenté au Roy pour Estrennes... Jean Daurat... et J. Ant.
de Baif aucteurs. Paris, Morel 1578 [Réserve mYc/945 (b).
76 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
s'uniraient, à la mode antique, la poésie, la musique et la
danse, idée sans doute issue de l'Académie de Baïf, con-
tinue à préoccuper les esprits. D'AuLigné, dans un passage
fort obscur de son Histoire Universelle, affirme que le
plan de la Circé avait été dressé par lui *, à Toccasion de
la visite des ambassadeurs polonais, mais que la Reine
avait reculé devant la perspective d'avoir à débourser
trois cent mille écus pour la réalisation de ce projet fas-
tueux et s'était contentée du ballet donné aux Tuileries.
Dans ses Mémoires, il affirme avec plus de netteté encore,
avoir, dès iSyS, « dressé le poinct de la Circé ^ ». Faut-il
entendre par cette phrase que d'Aubigné fut le véritable
auteur du ballet-comique? il ne semble pas. L'idée était
en l'air et sans doute plusieurs poètes, vers 1570, avaient
en portefeuille des projets semblables. Peut-être tout au
plus d'Aubigné fut-il le premier à songer à la fable de
I. « Durant les entreprises de ballets et autres galanteries où j'ai dit que
nous nous employions, la Roine mère voulant estonner les étrangers de la
magnificence françoise eut entre d'autres progès celuy d'une Circé. Geste
Circé présentée à la Royne par un mémoire bien ample, accompagné des
stances, des odes et cartels que N., l'inventeur, emporta avec le Roy de Navarre,
le tout plust merveilleusement à la Roine et au Roy, hormis que la Roine de
Navarre étoit l'idée d'un tel poème et le but de 1 invention, mais quand la
Roine apprit qu'il falloit 3oo.ooo escus pour l'exécuter, cela luy lit peur et
se contenta de ce qui se fit aux ïuilleries. Mais le Roy mémoratif de ce qu'il
avoit ouy, fit recerclier en Gascongne des personnes qu'il n'aimoit pas, et
multiplia tellement les despences que l'on escrivit au Roi de Navarre que les
Musicques et ce qui les accompagnoit avoit passé 400,000 escus en despence. »
Hist. Universelle. Amsterdam 1626, t. III, liv. I, ch. xiv, p. 66 et 67.
[S. H.F.yi. VII, p. 118).
a. Le roy de Navarre et le duc de Guise « couchoient, mangeoient et fai-
soient leurs mascarades ensemble, balets et carrouzels, desquels Aubigné
seul estoit inventeur; et dès ce temps il dressa le point de la Circé que la
Royne mère ne voulut pas exécuter pour la despence ; et depuis le roy
Henri troisième l'exécuta aux nopces du duc de Joyeuse ». Mémoires, édit.
Lalanne, p. 3o.
C est évidemment d après ce passage que Nicéron a écrit c ce fut quelque
temps après (la paix de La Rochelle en i573) qu'il fit la tragédie de Circé»,
Hommes illustres, 1734, XXYIII, p. 214.
77
Gircé pour sujet de ce divertissement et écrivit-il quelques
tirades. Mais nous sommes sur ce point réduits à des
conjectures.
Il en est du ballet de Cour comme de l'opéra italien,
on ne saurait dire qui en fut l'inventeur. Que voyons-
nous à Florence dans les dernières années du x\f siècle?
un groupe de poètes humanistes, de musiciens et de chan-
teurs possédés du désir de reconstituer la tragédie musi-
cale de l'Antiquité. Emilio del Cavalière, Jacopo Péri,
Giulio Caccini, d'autres encore, ont exactement le même
idéal ; ils savent où ils vont et pourtant il leur faut de
longs essais avant d'arriver à donner coup sur coup
VEuridice^ le Rapimento di Cefalo et la Rappresentatione
di anima e di corpo. Un genre dramatique nouveau ne
saurait sortir tout armé du cerveau d'un seul homme, il
faut que les recherches et les tâtonnements d'une foule
d'artistes en précisent peu à peu les tendances nécessaires,
en construisent en quelque sorte l'esthétique à laquelle
l'inventeur devra se conformer pour réaliser l'œuvre
rêvée. Il en sera ainsi pour le ballet de Cour. L'idéal
vainement poursuivi par Baïf et ses collaborateurs de
\ Académie^ va inspirer les efforts de tout un groupe de
musiciens obscurs, de chorégraphes, de poètes. Un jour,
les diverses parties de l'œuvre étant au point, un homme
viendra qui saura les assembler et donnera le premier
modèle de la forme dramatique depuis si longtemps
désirée. Ainsi LuUy résumera en son premier opéra tous
les efforts et toutes les aspirations de musiciens qui,
depuis quinze ans, essayaient, sans y parvenir, de donner
à la France la tragédie lyrique. Mais LuUy sera un homme
de génie. . . On n'en saurait dire autant de celui qui semble
avoir été le véritable créateur du ballet dramatique.
78 LjE BALLET DE COUR EN FRANCE
Venu en France, vers i555\ avec la bande de violons
«très esquise, toute complette » du Maréchal deBrissac,
Baldassarino da Belgiojoso, qui francisa son nom en Bal-
thasard de Beaujoyeulx^ ne tarda pas à attirer sur lui les
faveurs des souverains, tant par son talent de violoniste
que par d'aimables qualités d'homme du monde. « Il
n'estoit pas parfait seuUement en son art, ny en la
musique, mais il estoit de fort gentil esprit et scavoit
beaucoup et surtout de fort belles histoires et beaux
contes ». Il avait eu en son temps de belles aventures
d'amour, nous confie Brantôme, qui s'honorait d'être son
ami et l'estimait bien haut « le meilleur violon de la
chrestienté^ ». En 1567, il était valet de chambre de
Catherine de Médicis*. Il servit successivement en cette
qualité Marie Stuart, Charles IX, le duc d'Alençon,
Henri III et mourut officier de Catherine de Médicis vers
1587. Il était alors écuyer et « seigneur des Landes ».
En somme, autant qu'on peut en juger par les rares
témoignages contemporains, c'était un bon musicien, un
adroit courtisan et un esprit ingénieux. Ce sont là des
qualités dont on trouvera la trace à tout moment dans le
Ballet comique de la Reine. Ce ne sera pas, à beaucoup
près, une œuvre profonde, mais une adroite adaptation
I. Peut-être la bande du maréchal de Brissac vint-elle en France en i554,
en même temps que le fameux chorégraphe milanais Pompeo Diobono.
1. Em. Picot. Les Italiens en France au XVI^ siècle. Bulletin de la Faculté
des lettres de Bordeaux, t. IV, p. 3io et suîv.
3. Brantôme, édit. Lalanne, IX, 669.
4. Lettres de Catherine de Médicis. Imprimerie Nationale, 1909, t. X,
p. 535.— Ms. fr. 7866 p. i238, i3i8, i338, 1399 et Ms. Clair. 836 p. 295.
— Ms. fr. 7835 p. 24. Il quitta la maison d'Henri III en i584; en i585, il
figure avec son fils Charles de Beaujoyeulx, reçu en survivance, parmi les
valets de chambre de Catherine (Arch, Nat. K. 387, fol. xxxii-v^). Sa veuve
se remaria en i595. Arch. Nat. Y. i34, f'^ 244*
L INVENTION DU BALLET DE COUR 79
au goût des courtisans français des théories humanistes
sur le drame antique. Disposant des seuls moyens de
réalisation scénique dont se servent depuis vingt ans les
chorégraphes royaux pour leurs mascarades, Beaujoyeulx
crée une œuvre originale en mettant ces éléments usés
au service de Festhétique éclose en V Académie de Baïf.
m
11 est indispensable de tenir compte de l'influence des
întermedi italiens en étudiant la création du ballet dra-
matique français. Nous avons déjà parlé de ces danses
figurées, de ces pantomimes, de ces récits chantés, de ces
chœurs qui s'intercalaient entre les actes des pièces tra-
giques ou comiques, représentées sur les scènes d'Ita-
lie, et pénétraient parfois jusqu'au cœur de Faction. A
mesure que le théâtre de Cour se développait dans la
Péninsule, cette mode devenait envahissante. En même
temps le genre pastoral, qui avait fait ses premiers pas
avec VOrfeo du Politien et le Cefalo de Nicole da Gorreg-
gio, trouvait son expression la plus haute dans VAminta
de Torquato Tasso K
Le succès de cette œuvre, représentée pour la première
fois, le 3i juillet iSyS, dans File du Belvédère, en présence
d'Alphonse II d'Esté et de sa Cour^, eut un immense
retentissement en Italie et dans toute FEurope. Le Tasse
eut tout de suite des imitateurs et VAminta fut rapide-
ment traduite en diverses langues.
i.Sur les intermèdes des Pastorales italiennes, V. Carducci, Storia del-
l'Aniintai]^. io3). — Aless. d'Ancona, Giornale Storico délia lett. ital., VII,
p. 54. — A. Neri. Glintermezzi del Pastor Fido. Giorn. stor., XI, 4o5.
'2. V. Angelo Solerti. Vita di Torquato Tasso. Loescher, 1896, t. I,
p. 184. — Teatro di Torquato Tasso, edizione critica. Bologna, 1895.
8<> LE BALLET DE COUR EN FRANCE
A Paris, on savait fort bien ce qui se passait de l'autre
côté des Alpes. Non seulement les lettrés italiens, comme
Del Bene ou Gorbinelli, étaient fort nombreux à la Cour
mais les poètes français entretenaient des rapports
épistolaires avec les artistes de la Péninsule. Baïf avait
voyagé en Italie, comme d'ailleurs la plupart des membres
de la Pléiade, et le Tasse était venu à Paris, en 1571,
avec le cardinal Luigi d'Esté \ Gorbinelli avait dû le pré-
senter aux poètes de la Cour française et le mener à
Y Académie alors dans tout son éclat.
Dès son retour en Italie, Torquato Tasso avait com-
mencé VAminta et, deux ans plus tard, l'avait fait repré-
senter au Belvédère par les Comici Gelosi. Or nous trou-
vons cette troupe installée peu après à Paris. Qu'elle y
ait donné en spectacle des tragédies et des pastorales
avec intermèdes lyriques, rien n'est plus probable
puisque les pièces avec musique formaient le fond de
son répertoire et qu'elle excellait à les interpréter. 11 est
même fort possible qu'elle ait joué VAminta qui était
alors célèbre par le monde. On peut donc supposer que
Beaujoyeulx avait eu connaissance de cette œuvre ou de
quelqu'une des imitations qu'elle avait suscitées, quand
il travailla à la 6r>C(?, en i58i. Certes la présence des
nymphes, des satyres et des divinités champêtres dans
le Ballet-comique s'explique fort bien sans cela : ils
étaient, depuis longtemps déjà, les héros de toutes les
mascarades et de tous les intermèdes ; mais il règne dans
les discours des personnages de la Circé un ton de
galanterie qui trahit l'influence du genre pastoral. La
I. Torquato Tasso ne fit d'ailleurs qu'un très court séjour à Paris. Arrivé
le 10 février 1671, il repartit le 20 mars. V. Solerti. Vita di T. Tasso, p. 14a-
148.
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L INVENTION DU BALLET DE COUR 8l
mise en scène, qui offre un bel exemple de décor dispersé,
se ressent également de cette influence et l'on reconnaît
en ces treilles, en ces bocages, en cette grotte de Pan,
les accessoires ordinaires de la Pastorale italienne\
Nous n'avons sur les fêtes théâtrales données à Paris
par les Gelosi^ sous le règne de Henri III, que des indi-
cations fort vagues. Nous ne connaissons ni les noms des
pièces qu'ils jouèrent, ni les conditions dans lesquelles
il les présentèrent au public français. On ne saurait assez
le déplorer. Sans doute trouverait-on dans les intrigues
mythologiques de leurs tragédies, dans leurs intermèdes
musicaux et chorégraphiques, dans leurs procédés de
réalisation scénique, l'explication de maints détails du
Ballet comique de la Reine. Ce que furent ces représen-
tations, on peut toutefois l'imaginer en étudiant les pièces
qui formaient le répertoire des Gelosi en Italie : c'étaient
pour la plupart des œuvres à grand spectacle, entre-
mêlées de musique et de danse. Il leur arrivait aussi de
donner des sortes d'opéras où tout était chanté. Ainsi,
pour la venue du roi de France, Henri III, à Venise % ils
interprétèrent devant le monarque une pièce de circons-
tance composée par le poète Gornelio Frangipane et mise
en musique par Claudio Merulo. Prothée chantait le
prologue sur la lyre, puis, tour à tour, Iris, Mars, Pallas,
Mercure célébraient les louanges du souverain français.
Des chœurs séparaient les divers récits et un ensemble
madrigalesque terminait cette sorte de gigantesque can-
I. En i584, '« Fiammella de Balholommeo Rossi sera représent<5e devant
Joyeuse avec une mise en scène italienne, décor du type de celui dont Serlio
donne un exemple dans le IP livre de l'Architecture. V. Revue Littéraire de
la France y 1903 ^ l'article de M, Lanson.
•i. De Nolhac et Solerti. // viaggio in Italia di Enrico III re di Francia e
le l'esté a Venezia, Ferrara e Torino., 1890, Torino in-8"^.
6
82 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
tate dramatique'. Il est curieux de voir une telle œuvre
interprétée par des acteurs et non par des chanteurs pro-
fessionnels. Il en sera pourtant longtemps encore ainsi.
Ce seront des comédiens qui créeront plusieurs rôles
fameux des opéras de Monteverde.
Ce fut sous la double influence des théories huma-
nistes de V Académie et des spectacles italiens, que Beau-
joyeulx conçut le projet du Ballet comique de la Reine.
Est-ce en vérité bien à lui que doit en revenir l'honneur?
fit-il autre chose que de reprendre un vieux projet de
Baïf ou de d'Aubigné? on ne sait. Dans le doute nous
devons le croire sur parole quand il se donne pour l'in-
venteur du ballet dramatique^ Ce qui semble certain,
c'est que l'auteur de la Circé avait d'abord simplement
l'intention d'écrire une pastorale allégorique entremêlée
d'intermèdes lyriques et chorégraphiques, à la mode ita-
lienne. Mais, peu à peu, à ce premier projet se substitua
l'idée, bien autrement intéressante, de faire concourir éga-
lement à l'action dramatique la poésie, la musique et la
danse. C'est ainsi que naquit le premier ballet de Cour.
IV
Dans le curieux manifeste placé par lui en tète de la
Circé^^ Beaujoyeulx célèbre en termes dithyrambiques
1. Tragedia del S. Cl. Cornelio Frangipane al ckristianissimo Henrico lll
Re di Francia e di Polonia, recitata nella Sala del gran Consilio di Vene-
zia. Bibl. Nat, Ms. Ital. 799.
2. Il déclare avec assurance dans la Préface du Ballet Comique : « Moy-
mesme qui suis ignorant des loix, scaurois bien rechercher celles qui ont
esté introduictes contre les plagiaires, si quelqu'un vouloit estre larron de
mes propres inventions. »
3. Balet comique de la Royne faict aux nopces de Monsieur le Duc de
l'invention du ballet de cour 83
l'ingéniosité de son invention. Celle-ci tient tout entière
dans ces deux mots : ballet comique^ c'est-à-dire ballet
comédie. Le lecteur s'étonnera sans doute d'un titre véri-
tablement sans exemple \ Qu'est ce en effet qu'un ballet
sinon « des meslanges* géométriques de plusieurs per-
sonnes dansans ensemble sous une diverse harmonie de
plusieurs instruments ? » Mais lui, Beaujoyeulx, a accom-
pli ce prodige de dramatiser le ballet. Il s'est avisé qu'il
ne serait point indécent de mêler la musique et la comé-
die (( ensemblement, et diversifier la musique de poésie,
et entrelacer la poésie de musique, et le plus souvent les
confondre toutes deux ensemble : ainsi que l'antiquité
ne récitoit point ses vers sans musique, et Orphée ne
sonnoit jamais sans vers. » S'il a intitulé la substance
comique^ c'est plus «pour la belle, tranquille et heureuse
conclusion où elle se termine, que pour la qualité des
personnages qui sont presque tous dieux et déesses, ou
autres personnes héroïques » .
Il ne pouvait, ajoute-t-il « tout attribuer au Balet, sans
faire tort à la Comédie, distinctement représentée par
ses scènes et actes : ny à la Comédie sans perjudicier
au Balet, qui honore, esgaye et remplit d'harmonieux
Joyeuse et de Mademoiselle de Vaudemont sa sœur. Par Baltasar de Beau-
joyeulx, valet de chambre du Roy et de la Boyne, sa mère. Paris, Adr. le Roy.
Rob. Ballard et Mamert Pâtisson, i58:i. » Bibl. Nat. Réserve Ln'^'' io436 {iii-4'*).
I. « Pour autant, amy lecteur, que le tiltre et inscription de ce livre est
sans exemple, et que l'on n'a point veu par cy devant aucun Balet avoir esté
imprimé, ny ce mot comique y estre adapté : je vous prieray de ne trouver ny
l'un ny l'autre estrange, » ...La plupart des musicologues qui ont parlé du
Ballet comique de la Reine se sont bien gardés d'étudier de près, ni même
de lire l'œuvre dont ils s'occupaient. Aussi tous à l'envi ont-il cru que Bal-
let comique signifiait ballet bouflbn. Il est à noter que la Circé eut été sans
doute appelée Ballet tragique sans la superstition de Catherine de Médicis
qui, comme les Italiens de son temps, croyait que les tragédies portaient
malheur. (V. Angelo Ingegneri Délia poesia rappreseniativa. {Œuvres de
Guarini). Vérone^ 1737, III, 484)-
84 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
récits le beau sens de la Comédie. » C'est pourquoi le
titre définit très exactement ce cju'il a voulu faire et
les lecteurs auraient tort de s'effaroucher de ce nom.
« Ainsi, conclut-il triomphalement, j'ay animé et fait par-
ler le Balet, et chanter et resonner la Comédie : et y
adjoustant plusieurs rares et riches représentations et
ornements, je puis dire avoir contenté en un corps bien
proportionné, Toeil, l'oreille et Tentendement. »
Il est intéressant de rapprocher de ce manifeste les
vers composés par les poètes de la Cour pour célébrer
l'invention du Ballet dramatique. Eux, qui sont depuis
longtemps au courant des recherches de Baïf, compren-
nent tout de suite l'idée d'humaniste qui a présidé à
l'éclosion de ce spectacle nouveau.
Beaujoyeux, qui premier des cendres de la Grèce,
Fais retourner au jour le dessein et l'adresse
Du Balet compassé en son tour mesuré,
s'écrie l'un d'eux ^ et Auguste Costé insiste sur l'intérêt
que présente, pour les érudits, l'œuvre deBeaujoyeulx :
Mon esprit (Beaujoyeulx) esperdûment s'esgare
Dedans tes hauts projets doctement recherchez,
Et des vieux monuments de la Grèce arrachez,
Pour esjouir nos Rois d'un spectacle si rare...
Tu as, à la façon des Perses,
Ce Balet nouveau inventé.
admire un troisième poète qui félicite Beaujoyeulx
d'avoir rendu : (( le balet confus mesuré. »
Il faut faire la part du pédantisme sévissant en cette
I. Le poète Billard.
l'invention du ballet de cour 85
fin du XVI'' siècle et surtout de Texagération poétique.
Toutefois, si on lit attentivement le livret du Ballet
comique, en ayant présentes à Tesprit les idées de Baïf sur
la danse mesurée et sur le rôle des chœurs dans le drame,
on ne manquera pas d'y reconnaître à tout instant l'in-
fluence de ces théories. Rien d'ailleurs de plus naturel
si l'on songe aux conditions dans lesquelles l'œuvre fut
composée et à quels collaborateurs s'adressa Beaujoyeulx.
(( Le Roy ayant conclu et arresté le mariage d'entre
monsieur le Duc de Joyeuse Pair de France, et madamoy-
selle de Vaudemont, sœur de la Royne : délibéra solenniser
les nopces, de touteespèce de triomphe et magnificence*. »
Il ordonna l'appareil de « délicieux festins et somp-
tueuses mascarades... courses et superbes combats...
avec des balets à pied et à cheval, pratiquez à la mode
des anciens Grecs », « le tout accompagné de concerts
de musiques excellentes et non encores jamais ouyes^ ».
Ronsard, Baïf et leurs amis reçurent l'ordre de travailler
aux vers des tournois et mascarades^ cependant que Claude
Lejeune ' et les musiciens de la Cour s'employaient acti-
1. Balct comique, i^ i.
2. V. Ronsard. Mascarades pour les nopces de Monseigneur de Joyeuse,
Admirai de France.
3. Lestoile, d'autre part, nous apprend que le Roi donna à cette occasion
à Baïf et à Ronsard « pour les vers qu'ils firent pour les mascarades, com-
bats, tournois et autres magnificences des nopces et pour la belle musique
par eux ordonnée et chantée avec les instrumens, à chacun deux mil escus,
et donna en son nom et de sa bourse les livrées des draps de soie à chacun.
Journal, édit. Brunet, II, 23.
4- On connaît l'anecdote souvent citée du gentilhomme qui, entendant
chanter un air que Claude Lejeune avait composé dans le mode phrygien
« avec les parties... pour les magnificences qui furent faites aux noces du feu
duc de Joyeuse, » voulut à toute force aller se battre ».
On a conclu de ce récit que Lejeune avait travaillé au Ballet comique.
Cela n'est point prouvé. La Circé ne fut point la seule fête donnée pour le
mariage de Joyeuse, et Lejeune, comme Baif, son ami, ne semble pas y
avoir pris part personnellement.
86 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
vement à composer les airs de ces divertissements. Ce fut
alors, si l'on en croit Beaujoyeulx, que la Reine « voyant
tant de préparatif se faire pour honorer le mariage de sa
sœur, )) « voulut bien de sa part se disposer à faire
chose qui fust digne de sa majesté. » Elle manda Beau-
joyeulx, lui exposa quels étaient « les appareils ja ordon-
nez » et lui enjoignit d'inventer quelque chose qui ne le
cédât en rien aux magnificences entreprises par lesautres.
Beaujoyeulx se retira aussitôt de la Cour et médita sur
ce qu'il pourrait bien imaginer jusqu'à ce qu'il se fût
arrêté « sur le dessein qui depuis a esté mis à exécu-
tion ».
De retour à la Cour, Beaujoyeulx présenta son projet
et expliqua commenta il estoit composé de trois parties,
sçavoir des poésies, qui devoyent estre recitées : de la
diversité de musiques, qui devoyent estre chantées : et
de la variété des choses, qui devoyent estre représen-
tées par la peinture ; » et supplia la Reine de donner « la
charge des poésies, musiques et peintures, à personnes
qui peussent dignement s'en acquicter* ».
C'était là le point difficile. Baïf, Ronsard et les meil-
leurs poètes de la Cour étaient absorbés par la composi-
tion des mascarades et des cartels et ne pouvaient se char-
ger d'un nouveautravail.il en était de même des meilleurs
musiciens de la Chambre et de la Chapelle. Force fut de
se rabattre sur des artistes de moindre importance. Le
« sieur de la Chesnaye, Aumosnier du Roy, » fut chargé
de rédiger en vers les tirades dont le canevas lui était fourni
par Beaujoyeulx. A ce propos, on a prétendu que les vers
de la Circé étaient Toeuvre de d'Aubigné et que La Ches-
I, Balet comique, f° a, v^.
l'invention du ballet de cour 87
naye n'était qu'un prête-nom. C'est interpréter bien
largement le passage si obscur où d'Aubigné revendique
l'honneur d'avoir « dressé le poinct de la Circé ». Beaujo-
yeulx, sachant fort bien « comme chacun est jaloux de
conserver les fruits de son jardin » et ne voulant pas
paraître « s'accommoder des plumes d'autruy » mentionne
loyalement tous ses collaborateurs ; il ne paraît pas
homme à prendre les vers de d'Aubigné sans le nommer.
D'Aubigné qui avait sans doute eu, avant Beaujoyeulx,
l'idée d'une pièce allégorique à grand spectacle ayant
Circé pour sujet, n'a pas été fâché de le rappeler dans ses
écrits sans pour cela prétendre que le texte représenté
fût le sien. C'est ainsi très probablement qu'il faut
entendre le passage contestée
Pour la musique, la Reine commanda « au sieur de
Beaulieu^ (qui est à elle) qu'il fist et dressast en son logis
tout ce qui se pouvoit dire deparfaicten musique, sur les
inventions qui luy seroient communiquées » par Beau-
joyeulx. De Beaulieu, nous savons peu de choses. S'il
emporta un prix au puy de Musique d'Evreux comme
compositeur, il était surtout estimé pour sa belle voix de
basse et l'art avec lequel il s'en servait. Beaulieu était un
ami de Thibault de Courville et sans doute il avait fait
partie de \ Académie de poésie et de musique. En tout cas,
I. Avouons d'ailleurs que les vers de la Circé sont bien médiocres pour
être de d'Aubigné et reconnaissons que dans ses œuvres le poète huguenot
ne s'est pas montré si modeste qu'on puisse trouver naturelle la manière
dédaigneuse dont il traite une pièce dont il aurait été l'auteur. Il ne sait
d'ailleurs de la représentation que ce qu'on en a écrit au roi de Navarre .
C'est être bien mal informé d'une œuvre qui vous appartient !
a. Il s'appelait Lambert de Beaulieu. Une lettre de l'empereur Rodolphe II
à son ambassadeur à Paris (citée par Fétis) parle de lui en termes très
flatteurs : a un bassiste d'une voix admirable et qui s'accompagnait sur le
luth... »
88 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
il enseignait les théories chères à Baïf, relatives à la
métrique musicale ; le compositeur Fabrice Gajetan nous
en a laissé un précieux témoignage. « J'ay fréquenté
Tescole de Messieurs de Gourville et Beaulieu, l'ung
Orphée, l'autre l'Arion de France... car ils ne sont seu-
lement excellents aux récits de la lyre, mais très doctes
en Tart de musique... Suivant leurs avertissements et
bons avis, j'ay corrigé la plupart des fautes que j'avoy
pu faire en n'observant les longues et brèves de la
lettre ^ »
Beaulieu s'adjoignit plusieurs collaborateurs choisis
parmi les musiciens de la chambre royale et « spéciale-
ment maistre Salmon^ » chantre et valet de chambre du
Roi, qui avait, en i^yS, remporté un prix au Puy de mu-
sique à' Èwenyi^ . Nous ignorons comment se fit la division
du travail. Assurément Beaulieu prit pour lui la compo-
sition des principaux airs et récits du ballet; quant à
Salmon, peut-être se chargea-t-il de la musique instru-
mentale*. Au xv!!"* siècle, ce seront très rarement les mêmes
artistes qui écriront les chants et les danses des ballets.
Peut-être en fut-il déjà ainsi pour la Circé ?
Les magnifiques décorations projetées par Beaujoyeulx
furent exécutées par « Maistre Jacques Patin, peintre du
Roy », qui se surpassa lui-même.
Avec une activité fiévreuse, musiciens, peintres et
poètes se mirent au travail sous la surveillance de Beau-
joyeulx qui tenait la main à ce qu'aucune fantaisie indivi-
1. Préface des airs mis enmixsique.
2. V. sur Salmon. Michel Brenet. Musiciens delà Sainte-Chapelle, p. i38.
et 189.
3. Bonnin et Chassant. Puy de Musique érigé à Evreux, p. 53.
4. Supposition vraisemblable si, comme l'assure Fétis, Salmon était aussi
violoniste.
L INVENTION DU BALLET DE COUR 89
duelle ne vînt compromettre Téquilibre et Tunité de l'œu-
vre. On dépensa l'argent sans compter. Le Roi désirait
éblouir la Cour par son faste et prouver aux yeux du monde
que la France n était pas à bout de ressources. Catherine
de Médicis, dans une lettre écrite peu après les fêtes, laisse
bien voir l'intention des souverains. Elle déplore que les
envoyés du Grand Seigneur n'aient pu arriver à Paris à
temps pour jouir « des triomphes et magnificences qui se
font sur l'occasion des nopces du duc de Joyeuse et de
M^"° de Vaudemont, en quoy ils se fussent bien aper-
ceus que la France n'est pas tant abaissée de pauvreté
que aucun des estrangers l'estime \ » Henri III n'hésita
pas à dépenser quatre cent mille écus en cette occasion,
si l'on en croit d'Aubigné. Le chiffre doit être fort exa-
géré, mais il fallut, sans aucun doute, une somme énorme
pour exécuter le projet grandiose de Beaujoyeulx.
Bien que poussés avec activité, les préparatifs de la
Circé ne purent être terminés à temps pour les noces
du duc de Joyeuse et Ton dut se contenter, du i8 au
24 septembre i58i, des mascarades, bals et tournois
ordonnés par le Roi et la Reine mère. Le ballet comique
de la reine Louise ne fut représenté que le dimanche
i5 octobre.
Le bruit de ces apprêts magnifiques attira, dès le point
du jour, une foule de peuple à toutes les portes de la
grande salle de Bourbon où devait se donner le spectacle.
I. Lettres de Catherine de Médicis, édit. Baguenault de Puchesse, VII,
401. (Lettre à M. du Perrier, en date du a8 sept, i58i).
go LE BALLET DE COUR EN FRANCE
« Les archers des gardes du Roy, lieutenans et exempts »
avaient reçu l'ordre de ne laisser pénétrer que « person-
nes de marque et cogneuës : néantmoins (lorsque le Roy
accompagné de la Royne sa mère, des princes et princes-
ses, seigneurs et dames de sa court, entrèrent en la salle)
on remarqua facilement qu'il y avoit de neuf à dix mille
spectateurs assemblez*. »
« L'appareil » de la salle occupa d'abord l'attention du
public. Le Roi et la Reine mère étaient assis sur une
estrade couverte d'un dais. Ils voyaient, à leur droite, le
bocage de Pan^ et, un peu en retrait, la grotte entourée
d'arbres illuminés. A leur gauche, la voûte dorée^ entou-
rée de nuages à l'extérieur, toute resplendissante de
lumière en dedans, arrêtait les regards. Elle contenait
des chantres qui devaient répondre en écho aux airs des
figurants. Le jardin de Gircé et son palais occupaient
le fond de la salle, laissant à droite et à gauche un pas-
sage pour l'entrée et la sortie des personnages et des
chars.
(( Sur les dix heures du soir, le silence ayant esté
imposé, on ouit aussitost derrière le chasteau une note
de hautsboys, cornets, sacquebouttes, et autres doux
instrumens de musique. » Après cette ouverture le
spectacle commença.
Un gentilhomme sortit en courant du jardin de Gircé
et, témoignant par sa mimique d'une vive frayeur, s'en
vint jusqu'au pied du trône où siégeait le Roi et expli-
qua, en une longue tirade versifiée, les causes de sa
terreur : la redoutable magicienne Gircé l'a attiré dans
ses jardins enchantés et l'y retient captif. Il supplie le roi
1. Balet comique, f° 7, v**.
L INVENTION DU BALLET DE COUR 91
de combattre la sorcière et de mettre fin à ses exploits
funestes. A peine a-t-il achevé que Gircé paraît, furieuse
et regardant en tous sens si elle n'aperçoit pas le fugitif.
Elle exhale sa douleur en une complainte et s'en retourne
« avec une contenance de femme fort irritée ».
Des sirènes et des tritons entrent alors en chantant
dans la salle. Un char s'avance à leur suite, construit en
forme de fontaine et portant des divinités marines :
Thétis et Glaucus entourés de néréides. Sur des sièges
d'or, au pied de la fontaine, sont assises des naïades
magnifiquement vêtues. Les courtisans reconnaissent en
elles les danseuses du ballet, les héroïnes de la fête : la
reine Louise, la princesse de Lorraine, les duchesses de
Guise, de Nevers, de Joyeuse, de Mercœur, d'Aumale et
autres dames d'illustre naissance. Un chœur de huit tri-
tons représenté par les « chantres de la chambre du Roy
joûans de lyres, lutz, harpes, flustes et autres instrumens
avec les voix meslees » ferme la marche. Le cortège s'ar-
rête, Thétis et Pelée* dialoguent en musique et les
naïades, descendues de leur char, se livrent au plaisir de
la danse au son des violons, mais Gircé survient et d'un
coup de sa baguette magique frappe tous les figurants
d'immobilité.
A peine la sorcière s'est-elle retirée qu'on voit descen-
dre du haut de la salle un nuage portant Mercure. Le
dieu chante dans les airs un long récit et, avant de tou-
cher terre, asperge de la liqueur du Moly les violons et les
nymphes qui, à l'instant, reprennent la danse interrom-
pue ; mais Gircé, furieuse, de nouveau les fige sur place ;
elle enchante môme Mercure et, après avoir triomphé en
I. Rôles tenus par le compositeur Beaulieu et sa femme.
92 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
un long monologue, ellel es emmène tous captifs dans son
jardin. Un tel crime ne peut rester impuni. De toutes
parts des satyres et des nymphes dryades accourent
pour délivrer les filles de la mer. La nymphe Opis adjure
Pan Bocager de les aider dans leur entreprise et celui-ci
promet son appui.
Les quatre Vertus arrivent à la rescousse. Minerve fait
son entrée sur un char traîné par un monstrueux ser-
pent et déclare au Roi qu'elle va :
ce Chasteau, charmes, liens, à la Circé ravir ».
Appelé par elle, Jupiter descend du ciel sur un aigle,
aux accents du chœur de la f otite dorée. Pan sort de son
bocage accompagné de satyres armés de gros bâtons
(( nouailleux et espineux » et tous marchent en troupe à
l'assaut du palais. Circé les accueille par une harangue
(( fière et pleine d'arrogance » mais les dieux se ruent sur
le jardin et y pénètrent. Jupiter frappe Circé de son foudre
et la mène prisonnière à travers la salle pour la remettre
entre les mains du Roi auquel il présente ses deux en-
fants, Minerve et Mercure, enfin délivrés. Les dryades,
en signe de réjouissance, commencent à danser et vont
ainsi jusqu'au jardin de Circé pour chercher leurs sœurs.
Les nayades « désenchantées » paraissent alors et, se
joignant aux autres nymphes, forment le Grand ballet au
son des violons.
Après une infinité de figures et d'évolutions à travers
la salle, « les Naïades et les Dryades firent une grande
révérence à sa Majesté » et la Reine ayant remis à son
époux une médaille d'or « où il y avoit dedans un Dau-
phin qui nageoit en la mer », les autres dames offri-
rent pareillement des médailles, ornées d'emblèmes et de
devises, aux principaux seigneurs de la Cour. Puis elles
l'invention du ballet de cour 93
menèrent les Princes danser le grand bal « et iceluy fini,
on se meit aux bransles et autres dances accoustumées
es grands festins et èsjouïssemens. Ce qu'estant achevé,
les majestez des Roy et Roynes se retirèrent, estant
desjà la nuict fort advancée : veu que ce Ballet Comique
dura depuis les dix heures du soir, jusqu'à trois heures et
demie après minuict, sans que telle longueur ennuyast, ny
despleust aux assistans ^ »
On peut se demander si les spectateurs comprirent bien
toute la portée de l'invention de Beaujoyeulx. Le genre
nouveau, paré de toutes les grâces et de toutes les séduc-
tions des fêtes de Cour antérieures, emprunte au drame
son intrigue suivie et son unité. La musique et la danse
cessent d'interrompre l'action pour y participer. Récits,
airs, ballets, pantomimes ont leur raison d'être au seul
point de vue de l'expression dramatique Nous sommes
loin des mascarades italiennes ou françaises aux intrigues
rudimentaires ; ici la poésie, la musique et la danse con-
courent également à l'elïet scénique.
A ne jeter sur l'œuvre qu'un coup d'œil superficiel, rien
ne semble nouveau : on connaît déjà ces décors boca-
gers, ces entrées de nymphes et de faunes, ces chars où
se pressent des divinités païennes, ces récits et ces chants
à la louange du prince. Ce sont là les ornements ordinai-
res des pastorales de Ferrare, des mascarades de Flo-
rence, des intermèdes de Venise. Jamais pourtant ces
divers éléments n'ont servi à traduire une intrigue suivie
comme celle de la Circé. Le ballet- comique^ né de la
fusion de la comédie et la mascarade, est en son genre
une création aussi originale que le mélodrame florentin,
I. Balet Comique j f" 64.
9+ LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Aussi comprend-on Fenthousiasme des poètes humanis-
tes qui crurent voir ressusciter en lui la tragédie antique
avec ses tirades déclamées, ses chants et ses danses. Cette
conception peut nous sembler étrange aujourd'hui ; il
suffit pourtant de consulter les théoriciens du ballet pour
voir qu'au xvif siècle, ils croyaient encore reconnaître
dans le ballet une image, affaiblie mais exacte, des
chœurs de la tragédie antique. *
VI
La forme nouvelle fut bien vite célèbre par le monde et
la Circè engendra un grand nombre d'imitations. Si Beau-
joyeulx avait mis à exécution les menaces qu'il proférait
dans sa préface contre les plagiaires, il aurait eu fort à
faire. La Ci;>c<? avait coûté des sommes considérables, aussi,
vu l'état des finances, il ne fut plus question à la cour de
donner un autre spectacle de ce genre ; on dut se con-
tenter de ballets-comiques de proportions plus modestes ^
Les guerres de religion qui sévissent alors et ruinent le
pays, empêchent, durant toute cette fin du xv!"* siècle, de
grands déploiements de magnificence. Les chroniqueurs,
occupés à narrer les intrigues politiques et les combats
incessants, ne songent guère à nous donner des détails
sur les rares fêtes qu'ils mentionnent incidemment. Pour-
tant la vogue du genre nouveau est attestée par la pré-
sence de nombreuses poésies destinées à des ballets dans
les recueils publiés à cette époque. C'est là un fait nou-
veau : avant la Circé nul ne se fût avisé d'employer le
I. V. Ménestrier. Ballets anciens et modernes.
1. \ . Journal de Lestoile, édit. Michaud, p. i8i.
l'invention du ballet de cour 95
mot ballet^ pour désigner une représentation dramatique-.
En 1592, nous rencontrons le livret d'un Ballet de Che-
valiers François et Béarnois^ représenté dei^ant Madame^
à Pau^ le 23' jour d'aoust 1592 ^ L'action est d'une
extrême simplicité ; les chevaliers Français et les cheva-
valiers Béarnais viennent vanter à Madame leur loyalisme
et se défient mutuellement. Ils mettent déjà Tépée à la
main et combattent, quand un coup de tonnerre éclate et
Mercure paraît tandis que « le luth et autres instrumens
jouent une passemeze. » Le Dieu prononce un long dis-
cours* pour les apaiser et leur expose les ordres de Ju-
piter : des nymphes guerrières vont venir combattre
Gupidon. Si elle^ont la victoire,
Les chevaliers Bearnois emporteront la gloire
Du combat entrepris, et Madame toujours
Vivra sans savourer le breuvage d'Amours.
mais, si Gupidon est vainqueur, Madame épousera « quel-
qu'un des demy Dieux du royaume Gaulois ». Les Nymphes,
armées d'arcs et de flèches luttent alors contre l'Amour
en dansant. Mises en déroute par lui, elles se réfugient
auprès des chevaliers bearnois. De nouveau le tonnerre
gronde, une suave musique se fait entendre, Mercure
paraît. Il célèbre la victoire de Gupidon et engage les
I. Notons que l'orthographe du mot est peu fixée : on écrit tantôt baletet
tantôt ballet.
■1. Pour éviter la confusion qui pourrait se produire dans l'esprit du lec-
teur entre le sens original et le sens dérivé du mot ballet, désormais nous
l'écrirons en italique lorsque nous voudrons parler de la danse figurée et en
caractères ordinaires, lorsque nous lui donnerons la signification de repré-
sentation théâtrale.
3. Balletz représentez devant le Roy à la venue de Madame à Tours en
1593. Tours. Jamet Métayer iSgJ (réirap. par Lacroix, I, p. 89 et suiv.).
4. Eu soixante-douze vers !
96 LE lîALLET DE COUR EN FRANCE
chevaliers à s'entendre pour combattre les ennemis du
dedans et du dehors.
Finissez vos débats, tournez vostre fureur
Sur les perturbateurs du repos de la France...
Passez les Pyrénées et domptez la furie
Des traistres nourrissons de la fière Ibérie...
« Ceci faict, Mercure demeura auprès de Madame, luy
d'un costé et Amour de l'autre et lors les Chevaliers Bear-
nois rendirent les armes aux François. » Après quoi les
nymphes furent désarmées par l'Amour. Celui-ci décocha
une flèche à Madame et les nymphes, ayant entonné une
chanson en l'honneur de l'hymen projeté, se joignirent
aux chevaliers pour danser un ballet.
Deux ballets royaux, représentés à Tours l'année sui-
vante, comportent également de longs récits déclamés,
des chants, des combats- et des danses. Dans le Ballet
de Madame de Rohan^ on voit Médée qui par ses sorti-
lèges s'efforce vainement de ravir aux Français leur
liberté. Tous ces ballets sont construits sur des sujets
allégoriques et patriotiques. La musique y est en géné-
ral très sacrifiée à la poésie, les récits chantés sont
rares et les airs ont peu de part à l'action. Visiblement
le Ballet de Cour tend à cette date à devenir un genre
littéraire.
Par une fortune singulière, ce fut en Angleterre que le
ballet-comédie continua l'évolution commencée en France,
Importé dans ce pays durant les dernières années du
XVI* siècle, il ne tarda pas être l'occasion de véritables
chefs-d'œuvre poétiques ^ Ben Jonson et Milton s'illus-
I. Brotanek. Die englischen Maskcnspiele. Wien, 190'i. — Maurice Caste-
lain. Ben Jonson, Paris, 1907. — Paul Reyher Les Masques anglais, Paris,
1909-
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L INVENTION DU BALLET DE COUR 97
trèrent dans ce genre aristocratique. Traité par eux, le
Mask devint une sorte de comédie versifiée dont Tin-
trigue motivait le plus ingénieusement possible, l'entrée
des danseurs. Les chants ajoutaient à l'action une séduc-
tion déplus, mais ne lui étaient pas indispensables.
Ce sera une conception toute différente qui triom-
phera en France et en Italie dès le début du xv!!*" siècle.
La forme poétique y sera sacrifiée à la musique et à la
danse. Les personnages ne s'exprimeront plus que par
gestes ou en chantant. En un mot, le ballet dramatique
se rapprochera par sa forme beaucoup plus de TOpéra
que de la comédie.
CHAPITRE III
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR
I. — Les Ballets-Mascarades sous le règne de Henri IV. — Substitu-
tion du chant à la déclamation dans les Ballets de Cour (1600-1610).
II. — Les Ballets Mélodramatiques. — Du ballet d'Alcine au ballet
d'Apollon (16 10- 163 1).
III. — Le Ballet à entrées. — Décadence du genre (i62i-i65o).
I
Le triomphe du Ballet dramatique avait provoqué la
décadence de la Mascarade à grand spectacle dont il était
issu, mais non de la Mascarade de société. Celle-ci est
plus en faveur que jamais au début du règne de Henri IV.
Gomme par le passé, le seigneurs se déguisent et se mas-
quent pour porter des momons dans les assemblées
joyeuses. Ils pénètrent en bandes bruyantes dans les
salles où se tient la compagnie, avec leur cortège de
porte-torches et de musiciens. On a vu qu'à l'origine la
mascarade ne comporte nécessairement ni danses ni
chants. Ce n'est, suivant la définition de M. de Saint-
Hubert, qu' (( une chose impourveuë de gens qui se
déguisent sans dessein et suivant leurs fantaisies, aussi
n'est-elle faicte que pour porter momons et se on y
dance, ce sont airs et pas à vollonté et plus commune-
EVOLUTION DU BALLET DE COUR 99
ment les dances ordinaires avec les dames qui si ren-
contrent S).
Très rapidement, sous TinHuence du ballet dramatique,
la mascarade va se transformer. Le ballet nécessitait l'em-
ploi d\m appareil théâtral compliqué, il mettait en mou-
vement des poètes, des musiciens, des chorégraphes, des
peintres, des acteurs, des chanteurs, des danseurs, des
machinistes. On ne pouvait songer à donner souvent à
la Cour un divertissement si coûteux, en un temps où
Sully faisait régner sur les finances une sage économie *.
On en vint donc rapidement à combiner la mascarade et
le ballet de manière à former un spectacle dépourvu d'in-
térêt dramatique mais plaisant et peu dispendieux. C'est
de ce genre hybride qu'il est si souvent question dans les
mémoires historiques et les correspondances du temps.
Pour plus de clarté, nous l'appellerons : le ballet-masca-
rade. 11 ne demandait pas de bien longs préparatifs ; un
jour quelques courtisans se réunissaient et décidaient de
danser un ballet ; ils convenaient d'abord du choix des
déguisements : sorciers, maures, barbiers, garçons de
taverne, juifs, etc. Les travestis nobles et galants étaient
réservés de préférence aux grands ballets dramatiques.
1. La manière de composer et faire réussir les ballets. A Paris, chez Fran-
çois Targa au Palais, dans la Graiid'Salle, au Soleil d'or près la Chapelle.
MDCXH. (Seul exemplaire connu à la Bibliothèque Mazarine. Réserve 68.146
(in-8^) pp. 5 et 6.
2. Les seigneurs parvenaient non sans peine à faire payer les dépenses des
ballets et le Roi devait intervenir : « A propos de ballet, conte Tallemant,
M. le Prince en dansa un et le lloy commanda à M. de Sully de donner une
ordonnance pour cela. M. de Sully enrageoit, et, comme pour se moquer, il
mit eu bas : « Et autant pour le brodeur ». Pour le faire enrager encore plus,
M. le Prince se lit payer le double, en disant qu'il y en auroit la moitié pour
le brodeur. 11 alla avec toute sa maison chez M, d'Arbaut, ti'ésorier de
l'épargne, et n'en sortit qu'il n'eût reçu l'argent... » Historiettes. III® édition
Garnier, éd. Tome I, p. 148.
lOO LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Après que vêtements et masques avaient été confection-
nés et que les seigneurs avaient appris les pas qu'ils
devaient exécuter, ils se rendaient dans le château où se
donnait la fête. Il n'était point rare qu'un ballet concerté
à Paris fût représenté à Saint-Germain ou à Fontaine-
bleau ; dans ce cas, les figurants emmenaient avec eux
les musiciens en carrosse \ Aucun théâtre, aucun décor
n'était nécessaire à un tel spectacle, n'importe quelle
grand'salle suffisait. Les violons formaient la première
entrée ; ils étaient bizarrement vêtus et masqués ; parfois
ils paraissaient jouer de leurs instruments derrière leur
dos^ Puis venaient les pages, porteurs de flambeaux, qui
se rangeaient en cadence autour de la place réservée aux
baladins. Le premier groupe ou quadrille faisait alors son
apparition ; après avoir dansé, il laissait la place à un
second quadrille et ainsi de suite. A la fin tous les per-
sonnages de la mascarade se réunissaient pour le grand
ballet. La représentation terminée, chacun enlevait son
masque et allait prendre une dame de l'assistance pour
le bal qui durait jusqu'au matin.
Il ne faudrait pas croire qu'on dansât uniquement dans
les divertissements de ce genre. Souvent des scènes de
pantomime ou des tours d'acrobatie alternaient avec les
danses figurées. Les sauts périlleux, les pyramides
humaines^, les luttes à main plate trouvaient leur place
dans ces spectacles*. On y mimait aussi parfois de petites
farces : dans un certaia ballet des singes^ une femme,
I. Bassompierre. Mémoires. S. H. F. Tome I, p. 6i-63.
a. « Mais c'est qu'en effet ils avançoient à reculons et avoient des masques
au derrière de la tête... » Marolles. Mémoires I, p. 70.
3. V. en particulier les curieux dessins de l'album de la Collection James
de Rothschild.
4. Lacroix. Ballets et Mascarades de Cour I p. 170.
EVOLUTION DU BALLET DE COUR loi
après avoir débité un récit aux dames, conduisait dans la
salle la troupe des danseurs déguisés en magots et « les
aidoit à desrober un mercier qui estoit endormy %.
Souvent le ballet-mascarade^ au lieu de ne faire inter-
venir que des personnages de même costume, mettait en
action des troupes de danseurs portant divers déguise-
ments. Une mascarade rustique faisait défiler des labou-
reurs, des moissonneurs, des vanneurs, des batteurs ^ La
mascarade de la foire Saint-Germain montrait successi-
vement des peintres, des opérateurs, des coupeurs de
bourses ^ On ne tarda pas à justifier par une action rudi-
mentaire Tentrée de ces personnages. Toutefois le ballet-
mascarade demeura toujours fort éloigné de l'idéal dra-
matique qui inspirait, vers le même temps, les grands
ballets de Cour. Il a bien un sujet, mais pas d'action sui-
vie. On en peut juger par la description de ce ballet des
Echecs^ dansé au carnaval de 1607,' que Bassompierre
proclame « plus ingénieux qu'aucun autre* ». « L'ordre
estoit tel, que deux hommes masquez estendirent un
grand eschiquier de toile sur la place... Après cela les
violons commençoient à sonner et deux habillez à l'Es-
pagnole, avec chacun une longue baguette à la main,
entroient dançant un ballet d'une mesure grave, et se
plaçoient chacun sur une escabelle, des deux costez de
la salle, vis-à-vis l'un de l'autre ** ». Alors entraient suc-
i.Jiecueil des plus excellens ballets de ce temps. Paris, Toussaint Du Bray
i6ia. (in-8"). — Lacroix, Ballets et Mascarades de cour. Tome I p. 197.
1. Fleurettes du premier meslange de N. Le Digne, sieur de l'Espine-Fonte-
ney. Paris. Jeremie Périer, 1601 (in-12).
3. Lacroix, I, p. ao4 et suiv.
4. Mémoires, I, p. 191.
5. Recueil des Masquarades et jeux de prix à la Course du Sarasin faits
ce Karesme-prenant en la présence de Sa Majesté à Paris. Paris, G. Morette
1607 in-80. — Bibl. Mazarine. 34.6i3 '^^ pièce 7.
I02 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
cessivement les huit pions incarnats, les pions blancs,
et les autres figures du jeu d'échecs. Chacune, après
avoir dansé, prenait place sur le grand damier étendu à
terre ; alors les violons sonnaient le grand ballet a à l'air
duquel toutes les pièces, de part et d'autre, dançoient,
comme s'ils eussent joué et prestement, à la cadence, les
deux Espagnols les frappoient suivant Tordre qu'il falloit
pour les faire desmarer ».
La même année, une mascarade inventée par le duc de
Nemours ^ grand docteur en l'art de ces divertissements,
faisait paraître un « Maistre de l'Académie d'Hyrlande »
qui débitait un récit en plaisant jargon :
Moy je vous amener d'Irlande
Ces huit naveaux dedans une bande
Par toner à vous passe-temps...
Il faisait entrer ses élèves : deux baladins qui dan-
saient à contre-temps, deux lutteurs qui se livraient à
« mille extra vagans efforts de luittes », deux escrimeurs,
deux cavaliers qui faisaient des tours de voltige ^
Ainsi, vers i6o5, nous trouvons à la Cour de France, à
côté des ballets comiques dont les intrigues mytholo-
giques et pastorales se représentent sur un théâtre, le
ballet-mascarade^ qui se danse dans une salle quel-
conque, fait intervenir à l'occasion un acteur ou un
chanteur pour débiter un récit, mais ne nécessite aucun
appareil compliqué et garde de ses origines carnavales-
ques un caractère drolatique. Ce spectacle peu raffiné
va exercer une grande influence sur l'évolution du ballet
I. Henri de Savoie, duc, de Nemours, mort en i63a.
a. Lacroix, I. p. 169.
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR Io3
théâtral jusqu'au jour où, en se fondant avec lui, il don-
nera naissance au ballet à entrées.
L'histoire du ballet est fort difficile à écrire pour la
période qui s'étend de 1600 à i6i5 environ. On rencontre,
à cette époque, toutes les variétés possibles de fêtes de
Cour : ballets dramatiques à sujets allégoriques, grandes
mascarades à l'italienne, bouffonneries de toute espèce.
Ces différents genres ne laissent pas de s'influencer et
parfois de s^unir de la manière la plus inattendue. Ainsi
dans la mascarade de la foire Saint-Germain (vers 1606),
un petit garçon se présente d'abord et chante un récit :
Je suis Toracle
Du Miracle
De la foire Saint-Germain,
C'est une bornasse
Qui surpasse
Les efFects du genre humain.
(( Après ce récit entra un habillé en sage-femme qui sur
un air de ballet assez propre, fît un tour de par la salle* ».
Alors parut Vhomasse annoncé par le récit ; c'était
un mannequin d'osier représentant une grosse femme
(( richement habillée, farcie de toutes sortes de babioles,
comme miroirs, peignes, tabourins, moulinets et autres
choses semblables^. De ce colosse, la sage-femme tira
quatre astrologues avec des sphères et compas à la main
qui dansèrent entre eux un ballet et donnèrent aux dames
un Almanach... puis se retirèrent. Et d'elle sortirent
encore quatre peintres... et chacun en cadence faisoitsem-
I. Lacroix, I, p. ao4.
a. Comparer : B. de la Femme sans teste. Airs en tablature de luth de
Bataille III« livre (i6i i) p. 28. — ci B. des Fées des Forests de Saint-Germain
(i^« entrée). (16a 5).
Io4 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Liant de peindre... » puis quatre opérateurs qui distri-
buèrent en dansant des fioles de parfum aux dames. Enfin
« quatre coupeurs de bourse qui se firent arracher les
dents » par les opérateurs « et au mesme instant leur
couppoient la bourse... Après qu'ils furent sortis de la
compagnie... entra un Mercure richement habillé, avec un
luth à la main qui récita le sujet de la grande masqua-
rade en ces vers :
L'amour volage, plein de gloire
Poursuyvant l'Amour arresté,
Luy débat des cœurs la victoire
Et les feux et les traits que donne la beauté.
Tous deux ont les courages braves,
A coups de traicts ils le font voir ;
Et chacun arme ses esclaves
A qui pour toute paye, il donne de l'espoir.
Après entra TAmour volage, accompagné de huict che-
valiers, armez d'arcs et de flesches^ qui firent un ballet
par haut avec force dispositions. Là dessus les violons
changèrent d'air et l'Amour constant ou arresté parut à
la tète de huict autres chevaliers, avec des petits javelots
à la main, et plus gravement que les premiers, mais avec
beaucoup de grâce et d'agilité, ils firent une fort belle
entrée. Gomme les deux trouppes furent vis-à-vis l'une de
l'autre, des deux costez de la salle, on commença à sonner
l'air du grand Ballet et, à la cadence, ils firent cent diffé-
rentes figures les unes contre les autres, avec autant de
sortes de combats, si bien c[u'à la fin l'Amour constant
triompha de l'Amour volage ».
Ce contraste voulu entre la mascarade bouffonne qui
EVOLUTION DU BALLET DE COUR lo5
coQimence le spectacle et le ballet noble qui la termine fait
songer à la structure du ballet de Cour anglais avec son
antimask servant d'introduction et, en quelque sorte, de
repoussoir au Mask proprement dit*. Mais tandis qu'en
Angleterre le ballet, fidèle à ses origines, garde un carac-
tère nettement théâtral, les mascarades françaises du
genre de celle-ci sont de simples fêtes pour les yeux où la
raison n'a que peu de part, elles ne constituent pas un
progrès sur les divertissements en usage au xvi^ siècle.
Tandis que ces formes désuètes survivaient au triomphe
du ballet dramatique, le genre nouveau ne cessait d'évo-
luer. Nous n'avons malheureusement, pour la plus
grande partie du règne de Henri IV, que des fragments
poétiques et musicaux trop insuffisants pour pouvoir
nous faire une idée exacte des ballets de cour repré-
sentés alors. Vers 1607, nous trouvons des récits et des
danses se rapportant à l'histoire de Latone et des
paysans changés en grenouilles pour l'avoir insultée^;
vers 1610, un ballet d'Andromède"^, vers i6i4, un ballet
mettant en scène la capture d'Amour par des nymphes
et sa délivrance*. Ces divers ballets témoignent de l'idéal
mythologique qui inspirait les musiciens et les poètes de
la Cour de Henri IV.
Les ballets burlesques eux-mêmes ne laissent pas
d'associer parfois des dieux et des déesses à leurs inven-
tions bizarres. Un ballet d'usuriers^ commence par un
I. Reyher, Les Masques anglais. Hachette, 1909, in-S*^, page 171 et suiv.
1. V. Récit de l'Amour : Je suis le Monarque des deux. Muses ralliées (1618).
Airs en tablature de luth de Bataille, Livre P"", pp. 34 et 3$. — Philidor,
Tome II, p. 61. — Ballard. Tablature de luth (Bibl. Mazarinc 4761. B).
3. Airs en tablature de luth, III, p. 62. Philidor, Tome II, p. 81.
4. Airs en tablature, Tome V, p. 54-62.
5. V. les récits : Je le cherche le meschant et Nous languissons pour la
richesse dans les Airs en tablature, IIP livre, p. 18 et 19.
I06 LE KALLET DE COUR EN FRANCE
récit de Vénus qui cherche Gupidon pour lui annoncer
qu'elle vient de rendre amoureux de cupides usuriers.
Le ballet des matrones a pour prologue un long récit de
la déesse Lucine ^ On pourrait multiplier les exemples.
A cette époque, le ballet de Cour n'obéit à aucune loi,
à aucune règle, à aucune tradition. Il est impossible, au
milieu d'une telle confusion, d'établir avec certitude vers
quelle date s'opéra la substitution des récits chantés aux
récits parlés. On peut toutefois se demander si des
influences italiennes ne contribuèrent pas à orienter le
ballet vers un idéal mélodramatique. De 1601 à i6o5, on
trouve à la Cour de Marie de Médicis les deux hommes
qui firent le plus pour Tavènement du style récitatif et
de la tragédie lyrique : Ottavio Rinuccini, l'auteur de la
Dafne et de VEuridice et le fameux musicien Giulio
Caccini^ Il est en tous cas bien établi que Rinuccini se
passionna pour le ballet de Cour français, puisqu'au
témoignage de son fils, il fut le premier à importer en Ita-
lie ce genre nouveau. Le ballet des Dames Ingrates [Mas-
cherata delV Ingrate ^) , représenté à Mantoue le 4 j uin 1 608 ,
nous montre le ballet de Cour français habilement adapté
aux ressources de la musique récitative. Les récits parlés
ont disparu, tout ce qui n'est pas exprimé par des gestes
est chanté.
Il est impossible de faire l'histoire du ballet de Cour
sans tenir compte des échanges entre la France et l'Italie.
1. I^acroix, Tome I, p. aga.
2. Henry Prunières. L Opéra italien en France avant Lulli. Paris. Cham-
pion, 191 3, in-80 [Introduction, p. XXVIII-XXXIY).
3. Mascherata delV Ingrate, Ballo del Sereniss. Sig. Duca, Danzato per le
Nozze de' Serenissimi Principe di Mantova et infanta di Savoia In Mantova...
Osanna 1608. (Collect. Prunières). — V. Solerti Gli alhori del nielodramma.
Tome II. p. 248.
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR 107
Si Rinuccini met à la mode, à Florence et à Mantoue, le
genre du ballet dramatique et même la musique des
danses françaises*, c'est le machiniste Francini qui intro-
duit en France le dispositif théâtral usité en Italie pour
les représentations de ballets. 11 est donc bien permis de
supposer que Rinuccini ne se trouva pas, durant près de
cinq ans, en contact avec les musiciens et les poètes de
la Cour d'Henri IV, sans les entretenir de la réforme
mélodramatique accomplie à Florence et sans leur sug-
gérer ridée de remplacer par des chants expressifs les
longues tirades des ballets comiques.
On peut voir par le recueil de quelques vers amoureux
de Bertaut, publié en 1602 \ qu'à cette date des récits
déclamés servaient encore d'introduction, et, en quelque
sorte, de prologue à tous les ballets dansés à la Cour :
Ballet de douze dames toutes couvertes d' estoilles ., ballet
des princes vestus de fleurs en broderie^ ballet de seize
dames représentans les vertus^ ballet des princes de la
Chine.,. A partir de iGo5, au contraire, on ne rencontre
plus dans lès ballets royaux que des récits destinés à être
chantés. En province, l'usage des tirades déclamées sub-
sistera encore quelques années^ et, en 1626, le duc de
Nemours cherchera à ressusciter cette forme désuète
dans son ballet burlesque des doubles femmes'', mais ce
sera là une tentative sans lendemain, A dater du séjour
à la Cour de Gaccini et de Rinuccini, le genre du ballet
1. Riuuccini. Poésie. Giunti MDGXXII (in-80). Préface.
2. V. Recueil de quelques vers amoureux. Paris. Maraert Pâtisson, i6o5,
(in-80) pp. 81-87.
3. Cf. Balet dansé en la présence du Boy,., en la ville de Bordeaux au ChaS"
teau Trompette le 27 septembre 1620... Bibl. Mazarine 87,273, pièce 44.
4. Saint-Hubert, Op. cit. p. 28. — MaroUes. Mémoires. Tome III, p. 114 et
tome I, 170. Le livret de ce ballet semble perdu.
Io8 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
comique a vécu en France. En 1608, chaque entrée du
ballet des trois âges est commentée par un chœur déve-
loppé*. En 1609, le ballet de la Reine comporte des récits
à voix seule d'un grand intérêt dramatique ^ Ce spectacle
fut monté avec une magnificence ^ dont s'émerveillèrent
les contemporains ; malheureusement il ne subsiste de ce
ballet que de brefs fragments poétiques et musicaux, insuf-
fisants pour nous donner une juste idée du sujet et de
l'action. Nous savons seulement que la Reine incarnait la
Beauté et ses suivantes des nymphes *. La représentation
commençait par l'arrivée d'une naïade, portée sur un dau-
phin, qui chantait en s'accompagnant sur un luth^ :
Ces Ninfes pleines de mespris,
Voyant tant de pauvres esprits
Qui bruslent d'une ardeur profane,
Quittent leurs antres et leurs bois
Et viennent avec leur Diane
Vous donner de nouvelles lois...
1. La musique est de Vincent, Airs en tablature de luth de Bataille. Livre V
(1614) p. 26-28. — On trouve ces morceaux notés à plusieurs parties dans
les Airs à quatre de Différents autheurs, Paris, Pierre Ballard, i6i3, Bibl.
Roy. de Bruxelles, fonds Fétis 23i8.
2. La musique des trois récits publiés dans les Airs en tablature de luth
de Bataille est de Chevalier, Livre II (1604) p. 6-8, Plusieurs danses de ce
ballet se trouvent dans le précieux recueil de Robert Ballard. Bibl, Mazarine,
4.761 B.
3. Bassompierre, Mémoires I, p. 2i3 et 223. — Lestoile. Journal du "ii jan-
vier 1609. — Hérouard, Journal de Louis XIII, I, 33o. — Malherbe. Lettre
datée du soir de la Chandeleure (édit. Lalanne III, 81). — Victor Fournel a
affirmé, après Victor Cousin et Livet, que M^^^ de Scudéry avait décrit ce ballet
dans le Grand Cyrus (VII, 229). En réalité le passage du Grand Cyrus ne s'ap-
plique nullement au ballet de 1609. Née en ^607, M}^^ de Scudéry n'avait
d'ailleurs que deux ans quand il fut représenté !
4. Recueil des Vers du Balet de la Royne représentant la Beauté et ses
Nymphes, dansé le 3i janvier 1609. Paris, Toussaint Du Bray, 1609. B. Nat.
Yf. 1829. — Mazarine 35202 pièce 22.
5. M, Michel Brenet dit dans ses Notes sur l'histoire du luth que ce rôle
était tenu par Angélique Paulet.
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR 109
Les nymphes conduites par la Reine entraient alors et
dansaient leur ballet. Un chœur accompagnait une des
figures de leur danse : la chaisne.
Nos esprits libres et contens
Vivent en ces doux passe-temps
Et, par de si chastes plaisirs,
Bannissent tous autres désirs.
Le ballet finissait sans doute par l'arrivée de la
Renommée qui s'avançait dans la salle jusque devant le
trône du Roi et chantait les nombreuses strophes d'un
récit, écrit par Malherbe et mis en musique par Chevalier.
Pleine de langues et de voix,
0 Roy, le miracle des rois,
Je viens de voir toute la terre
Et publier en ses deux bouts
Que pour la paix ny pour la guerre
Il n'est rien de pareil à vous.
A en juger par ce ballet, il semble que la tradition du
ballet dramatique se fût singulièrement afTaiblie sous le
règne de Henri IV et que la vogue des ballets-masca-
rades eût entraîné la décadence du genre créé par Beau-
joyeulx. En réalité, l'abandon des dialogues et des tirades
déclamés avait détourné le ballet, pour quelques années
seulement, de la voie dramatique ; il fallait attendre que
la musique eût pris assez confiance en ses forces pour
pouvoir assumer, à elle seule, la tâche qu'elle partageait
auparavant avec la poésie. On peut juger du chemin par-
couru en lisant les fragments du Ballet de Monseigneur
le Dauphin^ dansé en 1610*. Ce ballet, dont l'intrigue est
I. Y. Iléroard. Journal de Louis AJII à la claie du a8 février 1610. Répé-
titions les 10, 22, 25, et 27 février. Le ballet fut dansé à l'Arsenal.
IIO LE BALLET DE COUR EN FRANCE
impossible à reconstituer, commence par un grand pro-
logue patriotique^ La Victoire célèbre en chantant la gloire
de Henri IV et prédit à la France mille prospérités. Après
ce long récit, la Victoire entonne, à la louange du Dauphin,
des couplets qui alternent avec le chœur de la musique
royale.
LA VICTOIRE
C'est à moy qui suis la Victoire
Eslevant des Roys le penser,
D'aller aux peuples annoncer
Que ce prince, enfant de la Gloire,
Par tous les destins attendu,
D'entre les Dieux est descendu.
LA MUSIQUE
Que pour luy le soleil sans nuages esclaire !
Sous luy puisse la paix de soucis nous priver.
Ou si nous en avons, que ce soit de luy plaire
Autant comme il en a de nous bien conserver ^ !
Cette même année (1610) \e Ballet (TAlcine renoue la
tradition dramatique du Ballet comique de la Reine et
montre d'autre part que la substitution du chant à la
déclamation est désormais un fait accompli.
II
Le ballet de Monseigneur le duc de Vendosnie fut repré*
sente au Louvre le 17 janvier I6IO^ Il associait adroite-
I. Publié par Lacroix (1, i83) d'après le Ms, original de l'auleur (Motin)
provenant de la Coll. La Yallière.
a. La musique de ce chœur, arrangée pour une voix avec accompagne-
ment de luth se trouve dans le livre III du Recueil de Bataille (1611) p. 17.
Plusieurs danses du halLet de Monseigneur le Dauphin se trouvent dans la
tablature de luth de Robert Ballard à la Bibl. Mazarine.
3. Journal d'Héroard 17 et 18 janvier î6io.
EVOLUTION DU BALLET DE COUR III
ment les entrées burlesques des ballets-mascarades aux
entrées nobles et à l'intrigue des ballets comiques ^
Le rideau, en tombant, découvrit un décor représentant
une forêt. Un singulier personnage en sortit ; c'était
(( Messire Gobbemagne, grand confallottier de Tlsle des
Singes » suivi de trois violons « vestus en Turcs qui dan-
çoient en sonnant ». Gobbemagne fît sortir de la forêt deux
pages porte-flambeaux déguisés en magots verts qui se livrè-
rent à mille singeries en cadence. Les uns après les autres
tous les violons et tous les porte-flambeaux entrèrent ainsi
dans la salle. Les violons montèrent sur leur estrade et les
magots verts, après avoir dansé bizarrement, se retirèrent»
Après ce prologue burlesque, l'action commença : la ma-
gicienne Alcine sortit de la forêt ; « elle sonnoit d'un luth »
et était « suivie d'une de ses Nymphes qui luy portoit la
queue de sa robe, et de dix autres après séparées en deux
rangs, jouans de plusieurs instrumensetdançans d'un pas
grave et doux », Alcine s'avançait ainsi presque devant le
trône du Roi et « récitoit seulement en chantant les vers
qui s'ensuivent et le chœur des Nymphes reprenoit en
sonnant et chantant le dernier vers de chaque couplet :
Rien ne s'oppose à mes lois,
Je suis l'effroy de ces bois,
Alcine, au inonde cognûe,
Qui vais marchant sur l'onde et sur la nue ^..
Alcine racontait qu'elle avait métamorphosé de pauvres
chevaliers en objets hideux et grotesques et invitait
I. V. Ballet de Monseigneur le Duc de Vandosme dansé par luy Douziesme^
en la >>ille de Paris dans la Grande salle de la Maison lloyalle du Louvre,
puis en celle de V Arsenal, le dix-sept et dix-huitiesme jour de janvier 1610.
Paris, Jean de Henqucvillc 1610. (Bibl. Mazarinc 346i3 ^* pièce 19). — Le
Recueil des plus excellents ballets de ce temps (1612) contient le Dessein du
Ballet de Monseigneur le Duc de Vendosme (public par Lacroix, I, p. 200).
112 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
ceux-ci à sortir de la forêt, puis elle se retirait avec
sa suite. On voyait alors venir en se dandinant deux
grosses tours et deux ce damoiselles géantes ». Ces man-
nequins s'ouvraient et il en sortait quatre Naïades qui
dansaient un gracieux ballet ^ De la même façon, quatre
Nymphes s'échappaient de l'enveloppe grotesque de deux
pots de fleurs et de deux hiboux et quatre Dryades de
deux grandes violes et de deux moulins à vent. Après
quoi les douze Nymphes s'unissaient pour danser un
beau ballet. Huit nains survenaient qui exécutaient des
pas boufforis, faisaient mille cabrioles, se chamaillaient,
se gourmaient en cadence.
Alcine et ses Nymphes revenaient alors « regardant
de çà et de là avec des gestes furieux et menaçans. »
Arrivée devant le Roi, la magicienne « récitoit en
chantant et sonnoit d'une pandore (que lui présentoit
une de ses Nymphes) », une longue apostrophe à ses
démons :
Noires fureurs, ombres sans corps,
L'efFroy des vivans et des morts,
Trompeuse bande que j'appelle
Impuissante, ou bien infidelle :
Allez, démons, foibles esprits,
Je vous quitte avec du mespris*^.
Elle expliquait que ses prisonniers allaient lui échap-
per par l'intervention du plus grand roi de la terre et
qu'elle préférait abandonner la partie.
1. La Musique de danse du Ballet du duc de Vendôme a été conservée
dans la collection Philidor sous ce titre : Ballet des Moulins à Vent et des
Pots à bouquets dansé par Mons. de Vandosme, l'an 1610. Tome II, p. 99.
— Les récits se trouvent dans le IIP livre de Airs de Bataille.
2. Airs en tablature de luth de Bataille, livre III, p. 35.
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ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR ll3
J'ayme bien mieux dans les enfers,
Entre les flammes et les fers,
Me voir, sans mourir, embrasée
Que vivre et me voir mesprisée.
Les nymphes s'enfuyaient alors en désordre « comme
tristes et esperdues » et « alors elles et ladite forest dis-
paroissoient, et se voyoit au mesme instant le Palais
Enchanté » et « une pyramide sur laquelle on lisait cette
prophétie » :
Le fameux lynx seulement
Défera cest enchantement.
Devant la façade du palais, les douze chevaliers se
tenaient immobiles comme statues; mais ils s'animaient
soudain et sautaient sur place. Le palais s'abîmait et l'on
entendait dans le lointain les suivantes d'Alcine qui se
lamentaient :
Où sont nos Palais dorez?
Sont-ils des flammes dévorez ?
O bois, ô lieu si doux,
Pourquoy vous perdons-nous * ?
Les chevaliers désenchantés dansaient alors le grand
ballet qui terminait la représentation.
Le Ballet d'Alcine ouvre le cycle des ballets qu'on
peut appeler mélodramatiques en ce que leur forme
n'est pas sans analogie avec celle de l'opéra. La musique
va tenir dans ces représentations une place de plus en plus
importante. Quant à l'action, elle sera assez variée dans
le détail, mais la donnée elle-même ne changera guère.
Gomme dans la Mascarade du duc de Longueville^ comme
I. Bataille : Airs en tablature de luth, livre III p. 36.
Il4 LE BALLET DE COUR EN TRANCE
dans le Ballet comique de la Reine ^ on verra une magi-
cienne retenir captifs des prisonniers qui, à la fin, recon-
querront leur liberté.
Dans le ballet des Argonautes^ ^ monté en i6i4, Gircé
évoque en chantant les démons aériens, figurés par les
violons, et leur commande « de venir agiter et troubler
par leurs discordantes voix et musiques, les esprits des
Argonautes, qu'elle tient enchantez » dans son antre ^
Appelés par elle, d'autres démons font leur entrée sous
forme de pages porteurs de flambeaux. On voit qu'en
tous ces ballets le souvenir subsistait de la mascarade
primitive qui pénétrait dans la salle précédée de porte-
torches et de musiciens.
Après cette sorte de prologue, les enchantés sortent
de Fantre, « chacun dans une machine qui représente
leur fantasque imagination », et dansent avec extrava-
gance avant de regagner leur prison. Amphion survient;
il a résolu pour plaire au Roi de vaincre la magicienne \
A sa voix, les rochers dont est formée la caverne de Gircé
se changent en hommes qui dansent un ballet. A Amphion
succède Médéequi vient, « suivie de douze harpies jouans
du luth et dançans », avertir charitablement Gircé que les
Argonautes vont lui échapper. Gircé s avoue vaincue en
un récit à la louange du Roi et rend leur première forme
aux Argonautes qui paraissent « habillés en parade » pour
danser le grand ballet.
La donnée du Triomphe de Minerve^ représenté l'année
1. V. les lettres de Malherbe à Pereisc du i3 janvier et du 27 janvier 1614.
2. Ballet des Argonautes... Paris, Fleury Boussiquaut 1614. Bibl. Maza-
rine 37279 pièce 3o. Lacroix, tome II, p. 3.
3. Le récit d'Amphion par Guédron se trouve dans le F*^ livre des Airs en
tablature de luth, p. 63.
EVOLUTION DU BALLET DE COUR 1j5
suivante, est difficilement intelligible \ La reine avait
pourtant choisi ce sujet « comme le plus haut et le moins
embrouillé et se rapportant le plus à la condition et qua-
lité de Madame, qu'il faisoit estre une Minerve, et tout le
ballet un triomphe qu'elle faisoit d'avoir captivé le roi
d'Espagne". En somme ce ballet allégorique, en dépit de
sa mise en scène fastueuse, de sa musique excellente et
des vers de Malherbe, marque un arrêt dans l'évolution
du ballet de cour. Tout le succès alla aux « machines,
mutations de scènes et disposition des danseurs ». Le
poète Durand, contrôleur provincial des guerres, était
Virwenteur de ce ballet d'un si médiocre intérêt drama-
tique ; il devait prendre sa revanche deux ans plus tard.
Le livret de la Délivrance de Renaud^ est telle-
ment supérieur à celui du Triomphe de Minerve qu^on
peut se demander si Durand en fut vraiment l'au-
teur ou s'il se contenta de dresser le plan du spectacle
d'après les conseils et les indications de l'architecte
Francini, chargé de la mise en scène, et des musi-
ciens Guédron, GabrielBataille, Boesset et Mauduit\ qui
I. Les Oracles français ou explication allégorique du Ballet de Madame...
Paris, Chevalier i6i5. — Lacroix (II, p. 6i et suiv.) — V. surtout la description
minutieuse de ce ballet dans le tome IV du Mercure français p. 9 et suiv. et
les lettres de Malherbe de février et mars i6i5.
1. Fragment de la description citée par Beauchamp. Recherches sur les
théâtres en France, tome III. p. 70.
3. Discours au vray du ballet dansé par le Roy le dimanche XXIX^ jour de
jan\>ierM. VP. XVII. Avec les desseins, tant des machines et apparences diffé-
rentes, que de tous les habits des Masques .. . Paris, Pierre Ballard, 161 7, in-40.
Bibl. Nat. Réserve Yf. 1204. et Bibl. du Conservatoire. — Lacroix II p. 97.
4. Il est intéressant de noter la part prise à l'exécution de ce ballet par
le vieux Jacques Mauduit, le directeur de l'Académie de Sainte-Cécile, der-
nier refuge des musiciens humanistes et des théoriciens du cénacle de Baïf.
Mauduit, à cette époque, n'avait rien abandonné des doctrines baïfîennes. On
en peut juger par ce passage du Mercure français racontant l'entrée du Roi
à Paris, en 1614 : « Parvenu à la Porte Saint-Jacques, la musique de voix
Il6 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
travaillèrent aux récits, aux dialogues et aux chœurs ^
La Délivrance de Renaud fut représentée au Louvre le
29 janvier 161 7 ^ Le jeune Roi y dansa plusieurs entrées
aux côtés de son favori, De Luynes, qui jouait et chan-
tait^ le rôle de Renaud. Nous aurons à revenir sur la
curieuse disposition de la mise en scène; disons seule-
ment que l'action se déroulait sur un théâtre qui com-
muniquait avec la salle par des plans inclinés. Des deux
côtés du théâtre, de grands bosquets abritaient les cho-
ristes et les instrumentistes. Avant le lever du rideau, on
ouït d'abord un tendre chœur amoureux :
Puisque les ans n^ont qu'un printemps
Passez amans doucement vostre temps...
Après cette sorte d'ouverture, la scène fut découverte.
Sur un lit de gazon, au pied d'une colline plantée
d'arbres, Renaud se reposait, entouré par les esprits qui
le gardaient. Ces démons, magnifiquement vêtus, dansè-
rent longuement, puis rentrèrent avec Renaud dans une
grotte creusée au flanc de la montagne. Deux chevaliers
survinrent en dansant sur un air de trompette et s'effor-
cèrent de pénétrer dans la grotte, mais aussitôt, comme
de luths et de violes, composée de six à sept vingts personnes, chanta cette
Ode choriambique tetrametre catalectique, composée par Maudhuit, l'un des
excellens musiciens de son temps :
Peuples accourez hastivement voir vostre Roy qui s'en vient
Victorieux et courageux, plein de nouvelle grandeur... »
{Mercure françois). — Année 1614. Tome III. p. 491
I. Nous publions la musique de ce ballet en appendice.
a. Journal d'Héroard. 29 janvier 1617. Répétitions les a3 décembre 1616,
4 et 19 janvier 1617.
3. Le livret le dit expressément. On peut toutefois se demander si De
Luynes fit autre chose que mimer le rôle et si un chanteur ne fît pas entendre
à sa place le bel air ; Déliez qui libres d'ennui...
EVOLUTION DU BALLET DE COUR II7
par magie, le décor changea. La nouvelle scène repré-
sentait les jardins enchantés d'Armide, ornés de fontaines
jaillissantes. Les chevaliers, armés de baguettes magiques,
arrêtèrent, en les touchant, les divers jets d'eau ; soudain,
une nymphe toute nue et échevelée s'élança d'une des
fontaines et, en un récit musical, les supplia de laisser
Renaud et Armide en paix ; les chevaliers, impitoyables,
la contraignirent à rentrer dans la fontaine. Six monstres
sortirent des jardins d'Armide et s'efforcèrent de les
arrêter, mais après un long combat en cadence les che-
valiers les mirent en déroute. Ils s'arrêtèrent alors, inter-
dits, voyant au fond de la scène Renaud couché sur un
lit de fleurs, qui célébrait son bonheur en chantant :
Déitez qui libres d'ennuis
N'avez rien de sujet aux maux de nostre vie,
Contant de Testât où je suis.
Je ne vous porte point d'envie :
Car Amour me donnant ce qu'il a de plus doux
D'un mortel comme moy fait un Dieu comme vous.
S'approchant du héros, les chevaliers lui montrent
l'écu de cristal qui lui rend la conscience de son indi-
gnité. Aussitôt Renaud brise ses fers et quitte les jardins
enchantés. « Armide accourt esplorée sur les lieux que
Renault a laissez; elle voit ses fonteynes taries, ses
Nymphes muettes, ses monstres chassez » elle appelle
ses démons « par des coaj.uratio.ns toutes nouvelles »
mais ceux-ci, comme pour se moquer d'elle, se présen-
tent sous forme d'écrevisses, de tortues et de limaçons.
Armide, à cette vue, sent redoubler sa colère :
Quel subit changement ! quelle dure nouvelle !
Dieux, qu'est-ce que je vc^y ?
Il8 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Osez-vous bien, ô démons infidelles,
Paroistre devant moy?
Parlez, démons, Armide vous demande
Qu'est devenu Renaud ?
Mais, pour toute réponse, les démons sortent de leur
enveloppe et paraissent costumés en vieilles « bottées et
esperonnées ». Ils dansent ainsi un ballet bizarre puis
se retirent emmenant Armide, pendant que le palais et
le jardin se changent en « une caverne déserte et
affreuse ».
ce Après un moment de relasche » entra dans la salle
une sorte de char, figurant un petit bois, dans lequel se
tenaient « seize personnes vestues en cavaliers antiques. »
C'étaient les soldats de Renaud partis à la recherche de
leur général. Ils chantaient :
Allez, courez, cherchez de toutes pars
Allons, courons, cherchons de toutes pars
Ce superbe Renault, le fier vainqueur de Mars
Dont le cœur généreux en un lointain séjour,
Par l'efFort d'un bel œil est esclave d'amour.
Un mage, habillé en ermite, qui se trouvait parmi
eux, leur annonçait la délivrance du héros. Aussitôt écla-
tait un grand hymne de réjouissance, chanté par toute la
musique :
Enfin le Ciel a retiré
Ce Renault qu'Amour avait attiré.
Ce tiran n'est plus son vainqueur.
Ses feux ne bruslent plus son cœur.
Pendant ce temps, le décor du théâtre changeait; deux
grands palmiers se dressaient à droite et à gauche d'une
EVOLUTION DU BALLET DE COUR II9
vaste tente où siégeaient les chevaliers de Godefroid de
Bouillon qui se levèrent pour danser le Grand ballet.
La Délivrance de Renaud présente le type achevé du
ballet mélodramatique . Une action suivie, exposée par la
pantomime et par les récits chantés, sert de prétexte à un
certain nombre d'entrées, sérieuses ou bouffonnes, et se
termine par le Grand ballet traditionnel exécuté par tous
les nobles danseurs masqués, habillés de vêtements
somptueux et portant sur leur tète des aigrettes de
plumes et de clinquant \
La mort tragique du poète Durand, exécuté en place de
Grève pour un pamphlet contre de Luynes % n'arrêta pas
l'essor du ballet mélodramatique . En 1618, le Roi prit pour
sujet de son ballet : la Folie de Roland^ et, en 16 19, \ A.d-
vantuj^e de Tancrède en la forest enchantée'*. Nous avons
une description détaillée de ce dernier ballet dont l'inven-
tion était attribuée à Porchères, le fameux intendant des
plaisirs nocturnes de Louis XIIP. Ce spectacle est encore
en progrès sur les précédents, au point de vue stricte-
ment théâtral. On pourrait, sans trop d'arbitraire, le divi-
ser en trois actes de durée à peu près égale.
Le premier acte se passait dans une forêt. Le magicien
1, Abbé de Marolles, Mémoires. Amsterdam 1755. Tome III. Disc. IX,
p. 112.
a. Durand fut condamné à être rompu et brûlé après avoir fait amende
honorable. Le Mercure français , en rendant compte de cette horrible exécution,
le 16 juillet 1618, appelle Dtirand « l'un des gentils poêles de son temps,
inventif à dresser des ballets ». Tome V (1618) p. 268.
3. Lacroix, tome II, p. i5o,
4. Relation du Grand Ballet du Roy dancé en la salle du Louvre, le 12 fé-
vrier 1619 sur l adventure de Tancrède en la forest enchantée .. . Paris, Jean
Sara, 1619, in-8°. (Bibl. Mazarine 87. 27^ pièce a5).
Pour les comptes rendus de ce ballet, voir aussi le Mercure français^
tome VI, p. 86. — Héroard. Journal du 12 février. (Répétitions les 9 janvier
et i février).
5. Tallemant des Réaux. Historiettes, VI, 40.
I20 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Ismène se préparait à combattre les chrétiens par ses
enchantements. Il exposait son dessein infernal en un
long récit, puis obligeait, par ses sortilèges, les divinités
bocagères à quitter les bois. Celles-ci paraissaient et
dansaient un ballet*. Ensuite il appelait à lui des mons-
tres et des démons qui, après avoir dansé, s'emparaient de
la forêt.
A lacté II, les démons mettaient en fuite des troupes
de bûcherons et de sagittaires. Tancrède paraissait avec
trois chevaliers et après avoir dansé noblement, combat-
tait les esprits en cadence. Le théâtre s embrasait, puis
tout à coup les ténèbres envahissaient la scène, les
monstres vaincus s'enfuyaient et un chœur d'esprits
invisibles se lamentait.
ce Le chant finy, le théâtre reprit sa clarté et fut à
l'instant changé en amphithéâtre... et comme Tancrède
commençoit à faire quelque cadence, il vit naistre à ses
pieds un grand cyprez qui s'esleva tout à coup au milieu
du théâtre ». Tancrède ayant coupé une branche avec
son épée, une voix sortit de l'arbre et chanta :
Toy, de qui la rigueur m'a fait cesser de vivre,
Ne te suffit-il pas
De m'avoir mise à mort, sans me venir poursuivre
Mesme après le trespas?
Fay ce qu'il te plaira ; je ne puis à mes plainctes
Rien adjouster, sinon
Que lorsque je reçeus tes mortelles attaintes,
Clorinde estoit mon nom ^.
I. Les airs do danse se trouvent dans la Collection Philidor.
a. La musique de celte plainte se trouve dans le livre IV des Airs de Cour
et de différents autkeurs, p, 9.
EVOLUTION DU BALLET DE COUR lai
A ce nom, Tancrède jeta son épée, « puis s'approcha
en dançant et ouvrant les bras pour embrasser Glorinde
en ce cyprez. Il le void tout à coup disparoistre devant
luy ». Les écuyers de Tancrède surviennent et emmènent
leur maître dans la salle pour danser un ballet avec les
chevaliers, les bûcherons et les sagittaires.
Au dernier acte, « la scène se changea en temple », le
ciel s'ouvrit « de deux costez où parurent quantité d'Anges
chantans mélodieusement »... Une nue s'abaissa portant
vingt-huit anges qui descendirent sur le théâtre et de là
dans la salle où ils dansèrent, puis le chœur angélique
alla complimenter la jeune Reine et remonta au cieî.
Le décor changea une dernière fois : dans le fond de la
scène apparut un amphithéâtre sur lequel étaient assis
les Conquérants de la Palestine qui dansèrent le grand
ballet^ après que les anges eurent exalté leur gloire dans
les Gieux.
Le ballet de Psyché\ dansé par la Reine quelques
semaines après celui de Tancrède^ témoigne du même
idéal mélodramatique. L'action en est claire, exposée
par un grand nombre de récits, de dialogues, de chœurs
et de scènes de pantomime.
Vers 1620, le ballet de Cour constitue donc un genre dra-
matique bien défini. Intermédiaire entre l'opéra et le bal-
let-mascarade^ il répond à l'amour des français pour la
danse expressive et pour le théâtre. II est rationnel, volup-
tueux et magnifique ; il séduit les yeux, les oreilles et les
esprits. On pourrait croire, dans ces conditions, que le
ballet a trouvé en France sa forme quasi définitive et
que, durant de longues années, poètes et musiciens vont
I . Discours du ballet de la Reyne, tiré de la fable de Psyché avec les
vers y Paris, Jean Sara. — Lacroix, II, aoi.
laa LE BALLET DE COUR EN FRANCE
S'inspirer des œuvres que nous venons de décrire. Il n'en
est rien. Brusquement, au lendemain des représentations
de Tancrède et de Psyché^ la décadence du genre com-
mence.
En 162 1, le Ballet d'Apollon ' marque une régression
au point de vue dramatique. L'intrigue mythologique et
allégorique en est obscure, fastidieuse, dépourvue de Tat-
trait fantastique des ballets de Renaud et de Tancrède.
La musique d'Antoine Boesset n'a pas le caractère, en
quelque sorte récitatif, de celle de Guédron. Les récits se
succèdent sans donner pour cela plus de clarté à l'action.
Ils sont en si grand nombre que l'énumération des scènes
musicales suffît à exposer le sujet confus du spectacle :
Récit d' Amphion qui par les accords de sa lyre attire des
rochers. Récit des Sereines enfermées dans les rochers.
Récit d' Amphion et des Sereines. Uécit de la Pythie. Récit
de Castor et Pollux. Récit de Mnémosyne, assistée de dix
musiciens de V Antiquité. Deux récits pour les Muses.
Récit d'Apollon qui vient de tuer le serpent Python. Récit
des Muses dans le Ciel. . . Tous ces personnages entrent
arbitrairement les uns après les autres et viennent célébrer
les louanges d'Apollon, incarné en la personne de Luynes.
Le Ballet de la Reyne représentant le Soleil^ ^ dansé la
I . Vers pour le ballet d'Apollon que le Roy a dansé en Vannée i621. Paris,
René Giffart MDCXXI (in-12). (B. de l'Arsenal B. J.. 11475). Cet intéressant
livret a échappé à Paul Lacroix qui a publié seulement une confuse analyse
du B. d'Apollon en trois pages. (Tome II, p. 271).
Les récits se trouvent dans le X^ livre de la collection des Airs en tabla-
ture de luth consacré aux oeuvres d'Antoine Boesset et dans le livre V des
Airs de Cour et de différents autheurs. Ballard, 1623 (in-8*^).
Les danses ont été recueillies par Philidor (II, 164)-
1. Grand ballet de La Reyne représentant le Soleil dancé en la salle du
petit Bourbon en l'année mil six cens vingt et un, à Paris chez René Giffart.
MDCXXI (in-80) B. N. Réserve Yf 4464.
La musique se trouve dans les mêmes recueils que celle du B. d'Aoollun.
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR 123
même année, témoigne des mêmes tendances. Les récits
et les danses alternent avec les chœurs et les concerts,
sans être déterminés par aucune intrigue proprement
dite. Après une longue scène lyrique servant de Pro-
logue, le ballet se divise à peu près en quatre parties,
chacune représentant une saison; il a, pour apothéose
finale, le Grand ballet dansé par les douze heures du
jour. C'est déjà là le plan du Ballet à entrées. Visible-
ment le ballet de cour incline vers une forme lyrique et
chorégraphique de plus en plus dépourvue d'intérêt dra-
matique.
III
Nous avons été obligés, pour nous reconnaître dans le
dédale des formes issues de la mascarade, de procéder à
une sélection. Nous nous sommes attachés à un petit
nombre d'œuvres qui, par l'éclat de leurs représentations
et leur renommée, nous semblaient avoir exercé sur les
destinées du ballet de Cour une influence véritable.
Nous les avons divisées en deux catégories : Les ballets-
comiques ou ballets à scènes déclamées, les ballets mélo-
dramatiques ou ballets à récits chantés et nous avons
cherché à montrer que ces deux genres étaient unis par
un lien commun, l'intérêt dramatique, et qu'ils se succé-
daient logiquement. Quant à la multitude des spectacles
de cour sans caractère théâtral bien marqué, nous les
avons dénommés d'un terme général : les ballets-masca-
rades.
Le ballet mélodramatique à action pastorale et roma-
nesque triompha, durant dix années, à la Cour de nos rois,
mais les ballets-mascarades n'en continuèrent pas moins
I2/| LE BALLET DE COUR EN FRANCE
à divertir les Grands comme les bom^geois. On ne repré-
sentait à Paris chaque année qu'un seul ballet royal,
deux au plus, on dansait plusieurs centaines de ballets-
mascarades dans les hôtels des princes et les maisons
particulières. Il suffira que De Luynes, qui aimait les
sujets héroïques, disparaisse et c|ue le duc de Nemours
ou tout autre seigneur, amateur de divertissements bur-
lesques, prenne l'intendance des plaisirs de la Cour pour
que, sans cause apparente, le ballet mélodramatique
cesse d'exister ^
Les ballets-mascarades qui, sous Henri IV, consistaient
le plus souvent en quelques entrées précédées d'un récit,
vont profiter de la ruine du ballet mélodramatique ; ils
vont s'enrichir de ses dépouilles, lui emprunter ses scènes
lyriques et parfois même sa mise en scène.
Dès 1623, le ballet royal des Bacchanales adopte,
à peu de chose près^ le plan des ballets-mascarades .
Bacchus chante deux airs à boire-, en manière de pro-
logue, puis les entrées se déroulent : on voit des tireurs
de laines, des coureurs de nuit^ des donneurs de séré-
nades^ des amoureux, des faiseurs de mascarades^ des
cavaliers débauchés. Après quoi, un grand chœur dialogué
entre les Sacrificateurs et les Esclaves de Bacchus et un
récit du Dieu du Vin terminent la représentation.
Le ballet de Cour classique ou ballet à entrées sera
composé de plusieurs parties, reliées entre elles par une
vague idée commune. Chaque partie conservera la struc-
ture du ballet- mascarade avec son récit initial suivi
1. Le dernier ballet mélodramatique est dansé au carnaval de 162 1. De
Luynes meurt quelques mois plus tard.
2. Lacroix II, 827. Mercure français 1623, p. 4217- — ^^® Livre des airs de
Cour et de différents autheurs. 15allard 1624 ff» i, 2 et 3. XI^ Livre des airs mis
en tablature de luth. 1623.
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR Iî5
d'entrées. Pour conclure, un chœur viendra annoncer en
chantant la venue des danseurs du grand ballet.
On voit déjà ce plan apparaître dans le ballet des Voleurs
dansé par le Roi, au Louvre, au carnaval de 1624*. Un
prologue musical ouvre la représentation. Le Temps
chante un couplet et le chœur des mois lui « fait un
refrain ».
LE TEMPS
Je fais de toutes parts la guerre
Et suis toujours victorieux.
Je la commence sur la terre
Pour l'achever dedans les Gieux.
LES MOIS
Bien que tu puisses tout, la gloire d'un grand Roy
Durera toujours malgré toy.
Après ce prologue. Mercure survient et, s'adressant
aux dames, leur déclare que tout dieu des voleurs qu'il
est, les voleurs qu'il amène « ne tendent qu'aux larcins
d'amour ».
Les entrées de la première partie se succèdent alors :
capitaine hollandais, dame hollandaise, quatorze pirates,
un alchimiste, un « emplumé », un diseur de bonne
aventure, six corsaires biscayens... Un récit de la nuit
favorable aux voleurs., avec refrain des Astres qui l'ac-
compagnent, commence la seconde partie. On y voit des
scènes de pantomimes : des gens viennent donner une
sérénade ; attaqués par des voleurs, ils s'enfuient en
appelant au secours « en musique »^. Le ballet finit
I. Lacroix III p. i et suiv. Mercure français 16*24 p. SSg.
•1. Airs de Cour et de différents autheurs VII^ livre (1628), Les donneurs
de sérénade : « Aux voleurs! ».
ia6 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
par un épilogue musical très développé : « Récit de la
Gloire accompagnée de la Victoire, de la Renommée et
des Bruits qui font un refrein et ameinent dix-huict che-
valiers, volleurs de palmes et de lauriers, qui est la
troupe du Roy pour le Grand Ballet »,
L'année suivante, le ballet des Fées des forests de
Saint-Germain^ dansé en la salle du Louvre, le ii fé-
vrier 1625, marque l'organisation quasi définitive du
ballet classique. Il est un des premiers ballets royaux
inventés par le Duc de Nemours, qui, jusqu'à sa mort, en
i632, aura la charge officieuse de régler les spectacles
de la Cour. Le sujet n'a rien de dramatique. « Cinq fées
bouffonnes des forests de Saint-Germain... viennent en
la présence des Reynes et des Dames de Paris... pour
admirer leurs beautez et leurs mérites... Et comme cha-
cune d'elles préside bouffonnesquement sur cjuelque
science particulière, leur humeur railleuze qui se mocque
des ballets sérieux, les convie de venir l'une après l'autre
offrira la compagnie un plat de leur mestier »*. Le ballet
va donc se diviser en cinq parties constituant chacune
un ballet-mascarade bien déterminé.
Guillemine la quinteuze, fée de la musique, préside au
premier ballet. Elle « envoyé son Récit devant elle »,
puis effectue elle-même son entrée. Elle fait venir un
immense mannequin symbolisant la Musique, portant à
son vertugadin des luths et des théorbes et battant bizar-
I. Les fées des forests de S. Germain, ballet dansé par Sa Majesté. De
l'imprimerie de René GifFart, rue des Carmes, MDCXXV, (in-80 de 8 pages)
ce livret inconnu à Lacroix et dont je ne connais que l'exemplaire de ma
bibliothèque, donne une description très complète du ballet. L'autre livret,
réédité par Lacroix, contient seulement les vers pour les personnages du
ballet: les fées des forests de S. Germain, ballet dansé par le Boy en la
salle du Louvre le 9^ jour de février 162S. A Paris par Jean Sara... MDCXXV
(in-S» de 16 pages) Lacroix III, p. 33.
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR 1-27
rement la mesure des ballets suivants*. Les entrées se
succèdent alors : des musiciens de campagne viennent
danser en jouant du cor. Une troupe de chaconistes espa-
gnols les remplacent qui « ajustent le son des cordes de
leurs guitarres avec Tagilité de leurs pieds'. »
Gillette la Hazardeuse, fée des joueurs, entre alors,
après avoir été annoncée par un récit ; elle « attire hors
du bois un Torniquet mobille autour duquel des Laquais
et des Bertrans dansent un Ballet. )> On voit défiler ensuite
des « Esprits folets, joueurs de balle forcée », des esprits
qui apportent un « marelier », sorte d'échiquier sur lequel
des personnages figurant les pions du jeu du Renard et
des Poules viennent se poser.
Jacqueline l'entendue, fée des Estropiez de cervelle,
dirige les ébats des Embabouinez, des Demy Poux, des
Fantasques et des Eperlucates^ Alizon la Hargneuze, ceux
des Vaillans Combattants, des Gouppetestes et des Méde-
cins sur leurs mules * ; enfin Macette la Gabrioleuse, fée
de la Danse, ceux des bilboquets inanimez et des bilbo-
quets escamotez". »
Le plan de ce ballet se retrouve exactement dans celui
de la Douairière de Billebahaut^ monté avec magnifi-
I. V. le curieux compte publié par Cimber et Daujou. Arch. Ciir. II« série
Tom VI, p, 66 : « i5 aunes de taiTetas pour faire une grande robe à un
grand colosse en forme de femme représentant la musique 45 livres ».
a. Un magnifique recueil de dessins de costumes de ballet conservé au
Louvre, recueil que nous nous réservons d'étudier un jour, renferme la
reproduction de tous les costumes des figurants du ballet des fées des
fores ts de S. Germain. Des dessins de ces mêmes costumes se trouvent
aussi au cabinet des Estampes à la Bibl. Nat. Coll. Histoire de France Qb32
(Ces dessins sont rapportés par erreur au ballet des ridicules).
3. V. planche V,
4. V. Marolles, Mémoires III, 116 et 110.
5. V. la musique de ce ballet dans Philidor, tome III, p. i et suiv.
Iîà8 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
cence au carnaval de l'année suivante \ Les quatre par-
ties du monde : l'Amérique ''^, l'Asie, l'Afrique et l'Europe
envoient des délégations au bal de la Douairière de Bil-
lebahaut, fiancée à Fanfan de Sotteville. Chaque partie
du monde est Foccasion d'un ballet distinct, précédé d'un
récit et composé de plusieurs entrées ^ Un récit, chanté
par la musique royale, sert d'introduction au Grand bal-
let'" qui termine la réprésentation.
Les Fées des Forests de Saint-Germain et la Douairière
de Billebahaut^ marquent le triomphe du ballet à entrées
sur le ballet mélodramatique . Durant près de trente an-
nées, jusqu'à l'avènement de LuUy, le ballet de Cour ne
prendra plus ses sujets dans la tragi-comédie ou la pasto-
rale. Il n'accordera plus à la musique qu'un rôle très limité,
la reléguera dans les récits au commencement de chaque
partie, ou l'associera à certaines entrées bouffonnes.
Quant à la mise en scène, il s'en passera le plus souvent.
Le ballet de Cour perdra ainsi son caractère théâtral. Il
y aura quelques essais de réaction. En 1682, un certain
Horace Morel obtiendra un privilège pour des représen-
tations de ballets publics et payants \ Il en profitera
I. Grand bal de la Douairière de Billehahaut, ballet dansé par le Roy au
mois de février 1626 de l'imprimerie du Louvre 1626. — B. Nat.
B. Arsenal ii475, B. L. — B. Ma/arine 36.5oo, pièce i5 — réimprimé par
Lacroix III, p. i5i et suiv. V. aussi les Œuvres de Lestoile.
a. L'Amérique était représentée par le roi « Atabalipa suivy des peuples et
coustumes de l'Amérique » . Sans aucun doute, Bordier avait emprunté ce
personnage à l'ouvrage d'Adriano Banchieri. u La nobiltà delV asino di
AUabalippa (iSgg) dont une traduction française avait paru en 1606 (B. N.
Réserve Y2 2885).
3. Le Mercure françois note bien que « le dessein du balet estoit de
représenter divers balets en un balet ». Année 1626, p. 191 et suiv.
4. V. les costumes de ces diverses entrées dans le Rec. déjà cité du
Louvre et le Tome Qb^^ de la Coll. de VHist. de France à la B. Nat,
5. Lacroix, tome IV, 192, 208, 229, 243, 565. Les représentations avaient
lieu (( au jeu de paume du Petit Louvre, au marais du Temple ».
PI. 8.
(^ trUnU. Ili^J^iô
« ENTREE DES COUPPE-TESTES ))
Les Fées des Forêts de Saint-Germain.
(J.ouvre. Dessin n» 32.68().
BALLET DE LUTINS APPORTANT UN <( MAIŒLLIER ))
Les Fées des Forets de Saint-Germain.
(Cabinet dos estamiics Ob. 32).
EVOLUTION DU BALLET DE COUR 129
pour multiplier, comme par le passé, les machines com-
pliquées et les décors à Titalienne, mais sa tentative sera
sans lendemain. En i64i, quand Richelieu utilisera les
machines de Mirante pour son ballet de la Prospérité
des armes de France^ il excitera un étonnement univer-
ser..
Il serait vain de passer en revue et d'analyser les in-
nombrables ballets dansés durant cette longue période ;
mieux vaut essayer de dégager, dans ses grandes lignes,
l'esthétique du ballet de Cour classique. Cette tâche est
difficile : le ballet ne connut jamais d'autre loi que
celle du plaisir et, à la même époque, nous trouvons un
grand nombre de ballets de plans assez différents. Les
plus importants s'inspirent en général de la division en
parties que nous avons décrite en parlant des Fées des
Forêts de Saint-Germain et de la Douairière de Billeba-
haut^ mais beaucoup d'autres conservent la liberté des
anciens ballets-mascarades et se composent d'un nombre
arbitraire d'entrées, entremêlées de récits. Au reste,
quels que soient les sujets de ces ballets et leur forme,
ils sont aussi dépourvus les uns que les autres d'intérêt
dramatique.
Il semble difficile de découvrir la cause de cet aban-
don de la tradition du ballet- comique . Les théori-
ciens^ continueront par routine à définir le ballet une
comédie muette^ mais, en vérité, quelle singulière pièce
que ce spectacle où une vague idée commune sert
de lien factice aux diverses entrées ! Il semble que le
ballet à intrigue pastorale ait été victime de l'avènement
1. Sur les ballets de Richelieu, voir Delochc, La maison du Cardinal de
Richelieu. Paris, Champion, 1912 (in-8*^) p. 3oo et suiv.
2. De Pure, Ménestrier, MaroUes, Saint-Hubert, etc.
9
l3o LE BALLET DE COUR EN FRANCE
des formes théâtrales classiques. Au temps de Hardy,
lorsque la tragédie, la comédie, la pastorale ne consti
tuaient pas encore des genres bien définis, mais empié-
taient et débordaient en quelque sorte les uns sur les
autres S lorsque l'influence italieane inclinait les fêtes
de la Cour vers un idéal mélodramatique, le ballet pou-
vait affecter une forme intermédiaire entre l'antique mas-
carade, la tragi-comédie et le moderne opéra. Vers i6'25,
quand la tragédie et la comédie classiques commencent
à s'assujettir aux règles des unités, quand le grand mou-
vement rationaliste, qui va si fortement s'exprimer avant
peu dans l'œuvre de Descartes, commence à agiter les
esprits, le ballet de Cour doit abandonner la voie où
Pavaient engagé les novateurs de l'Académie et prendre
position en marge du théâtre que la tragédie et la
comédie réclament pour elles seules désormais.
Par une contradiction assez singulière, à partir du
jour où le ballet eut définitivement renoncé aux sujets
dramatiques, les librettistes s'ingénièrent à le plier à
quelques-unes des règles qui régissaient le théâtre classi-
que. (( Les ballets sont des comédies muettes % affirme
l'un deux, et doivent estre divisez de mesme par actes et
par scènes. Les récits séparent les actes et les entrées
de danseurs sont autant de scènes \ » Mais cette belle
définition est une simple déclaration de principes ; pra-
tiquement, le nombre des parties reste fort variable*. Il
I. Rigal. Alexandre Hardy et les origines du théâtre classique.
1. De MaroUes emploie cette même expression. Mémoires tome III, p. ii3.
3. Ballet de la prospérité des Armes de France (1641) édit. Lacroix, t. VI,
p. 34.
4. « Le nombre des actes, quand il y en a plusieurs, n'est pas limité ; il
suffit néanmoins de n'y en mettre que trois, chacun rempli de dix ou douze
entrées, servant toutes au sujet de l'invention, mais avec une telle diversité
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR l3l
n'y en a jamais plus de cinq, mais beaucoup de bal-
lets n'en ont que deux ; quant aux entrées, on peut
les multiplier à volonté. « Un grand Ballet, que nous
appelons un Ballet Boyal, déclare M. de Saint-Hubert,
est ordinairement de trente entrées. Un beau Ballet, de
vingt entrées au moins, et un petit Ballet, de dix ou douze.
Non pas qu'il soit nécessaire de s'asubjetir à cette
reigle, mais au subjet qui obligera à les augmenter ou à
les diminuera » Sur ce point, les théoriciens sont una-
nimes : tout dépend du sujet. « Aussi esse le principal
pour faire un beau ballet, que de chercher un beau sub-
ject qui est la chose la plus difficile ^ »
La recette naïve que nous donne le père Ménestrier
pour faire un ballet, nous dispensera d'insister longue-
ment sur la nature des sujets du ballet à entrées : ce Tout
le secret de la conduite d'un ballet consiste au choix du
sujet, car ils n'est point de sujets de quelque nature
qu'ils puissent estre qui ne soient un tout composé de
plusieurs parties ou actuelles, comme parlent les philo-
sophes, ou virtuelles... Ainsi la Nuit estant une étendue
de temps de plusieurs heures, durant lesquelles plusieurs
choses différentes se font ou se peuvent faire par le
monde, on trouve naturellement la conduite d'un ballet
sur ce sujet, en représentant par des danses figurées
tout ce qui se fait ou peut se faire durant la nuit... Qui
voudroit faire un ballet sur cette proposition que tout
qu'on n'ait pas le loisir de s'en ennuyer, c'osl-à-diro qu'il ne les faut pas
faire trop longues et qu'elles doivent être inégales, quelques-unes d'un seul
personnage, d'autres de deux ou de trois, ou de quatre et quelques autres de
cinq ou de six... » De MaroUes, Mémoires III, p. ii3.
1. La manière de composer et faire réussir les ballets... MDCXLI. Bibl.
Mazarine. Réserve 68,416 /^p. 5).
2. [Ihid., p. 6).
l32 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
obéit à Targent ou que l'intérest est l'âme du monde, il
faut considérer Y Argent, Obéir et Toutes choses qui sont
les trois parties de la proposition et représenter V Argent
avec son autorité, sa puissance, son crédit. Ce mot Ar-
gent est un tout dont les parties sont les pistoles, les
écus, les deniers, les monnoyes de divers pays avec
les images des Princes, leurs symboles, leurs armoiries,
les lettres de change, les brevets d'affaires, les assigna-
tions, les billets d'épargne. Sous le mot d'Obéir se peu-
vent ranger toutes les Soumissions, les Servitudes, les
Adorations, les Dépendances et sous Toutes choses on
peut mettre la Flatterie, les Arts, les Sciences, toutes
les Conditions, tous les États et cela fait un corps qui
composeroit le ballet \ »
Gomme on voit, le champ est vaste qui est laissé à
l'imagination des librettistes. Saint-Hubert précise un peu
les qualités nécessaires d'un bon sujet de ballet. « Pour
estre beau, il faut qu'il n'ay jamais esté fait, qu'il soit
bien suivy, que pas une entrée ne sorte du subject, qu'elle
soit si bien appropriée que s'il y a du sérieux et du gro-
tesque, que l'on n'en voie pas deux grotesques de suitte,
s'il se peut, qu'elles soit meslées parmi les sérieuses,
elles en seront bien plus divertissantes et Ton aura plus
de loisir d'admirer les unes et de rire des autres ^ » En
disant que le ballet doit n'avoir jamais encore été vu,
Saint-Hubert entend parler « du corps du subject seule-
ment, car pour les entrées, il est impossible d'en faire que
fort peu qui n'ayent esté faites. Par comparaison, si
dans la suitte du subject il y falloit des Suisses, des Turcs
1. Des ballets anciens et modernes selon les règles du théâtre. A Paris
chez René Guignard... MDCIiXXXII (in-8o) pp. 92 et 94.
2 La manière de composer... ^ p. 7.
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR l33
OU des Damoiselles, il ne faudroit pas laisser de les y
mettre, encore que l'on en aye représenté en plusieurs
ballets. ))
Cette remarque explique comment, malgré l'étonnante
diversité des sujets, tous les ballets finissent par se res-
sembler. On ne sort pas d'un certain nombre des scènes
consacrées qui se répètent indéfiniment. Que le ballet
expose les délices de la navigation maritime ou les aven-
tures des chevaliers errants, qu'il célèbre le triomphe
de la Beauté ou la prospérité des armes de France, qu'il
évoque la vallée de misère ou les ruines hantées du châ-
teau de Bicètre, il contiendra des entrées d'amours,
d'indiens, de parties du monde, de juges, de démons,
de fous, de voleurs, de médecins, de valets, de bour-
geois... L'imagination des librettistes est épuisée. Quant
aux musiciens, ils ont abdiqué toute tendance novatrice
ou dramatique. On dirait leurs récits coulés dans le
même moule. La musique vocale tient d'ailleurs de moins
en moins de place dans le ballet ; le temps est loin où
elle donnait au spectacle l'apparence d'un petit opéra.
Heureusement pour les destinées de notre théâtre lyri-
que, le bienfaisant contact des opéras italiens, sous le
ministère de Mazarin, va réveiller et stimuler l'imagina-
tion créatrice de nos artistes et orienter de nouveau le
ballet de Cour dans la voie du mélodrame*.
I. V. V Opéra italien en France avant Lulliy chap. vu.
CHAPITRE IV
LE BALLET A LA SCÈNE
l. La salle et le public. — IL La mise en scène. — lll. Exécution
chorégraphique et musicale.
I
Les ballets de Cour eurent, dès l'origine, comme les
grandes mascarades auxquelles ils succédaient, le carac -
tère de représentations publiques. Au dire d'un chroni-
queur quelque peu gascon, dix mille personnes auraient
contemplé, en i58i, les merveilles du Ballet comique de
la Reine^ en la salle de Bourbon. Ce nombre doit être
très exagéré, mais il est certain que l'annonce des ballets
dansés par le Roi ou par la Reine à chaque carnaval fai-
sait grand bruit dans Paris et qu'il n'était petit bour-
geois qui ne rêvât de pénétrer dans la salle du spectacle .
Et pourtant que de peines, que d'embarras, que de
tracas il fallait supporter pour voir le ballet du Roi,
quand on n'était pas grand seigneur ou prince du sang.
Le Petit-Bourbon^ était une des plus vastes parmi les
1. « On remarqua facilement qu'il y avoit de neuf à dix mille spectateurs
assemblez ». Bolet comique, ï^ 7. V^.
2. La salle était située à l'intérieur de l'Hôtel de Bourbon, rue des Poulies,
en face du cloître Saint-Germain-l'Auxerrois, à peu près sur l'emplacement
occupé aujourd'hui par la colonnade du Louvre.
LE BALLET A LA SCÈNE l35
salles où se donnaient ordinairement les ballets. Elle
mesurait dix-huit toises de longueur sur huit de largeur %
plus, à son extrémité, une sorte d'hémicyle « un demy
rond de sept toises de profond sur huit toises et demie
de large '^ La disposition de la salle en vue des repré-
sentations variait selon les circonstances. Pour le Ballet
comique de la Reine, Beaujoyeulx avait fait élever des
gradins en amphithéâtre qui montaient par quarante
degrés du plancher à une galerie, au-dessus de laquelle
courait une seconde galerie. Le trône du Roi, couvert
d'un dais, faisait face aux diverses décorations disper-
sées par la salle ^
En i6i5, pour le magnifique ballet du Triomphe de
Minerve, dansé par Madame avant son départ pour l'Es-
pagne, le Petit-Bourbon avait été arrangé de la façon
suivante : un grand théâtre, élevé à six pieds* du sol,
« de huit toises de largeur et d'autant de profondeur^ »,
occupait tout le fond^ Un grand espace libre s'éten-
dait devant ce théâtre pour les évolutions des danseurs.
Les spectateurs s'entassaient dans les galeries et dans le
reste de la salle, quelques-uns assis, la plupart debout.
On accédait au Petit-Bourbon par diverses entrées. Celle
par laquelle pénétrait la foule se trouvait à une grande
distance de la salle et il fallait, pour y parvenir, traverser
une enfilade de pièces, de corridors et de galeries dont
les portes étaient jalousement défendues par des gardes
1. Environ 35 mètres sur i5,5o.
2. i3,5o sur i6,5o environ. Voir la description contenue dans le IV*^ tome
du Mercure françois, i6i5, p. 9 et suiv.
3. Ballet Comique, édit. Lacroix, I, aa.
5. iS'^jSode côté.
6. Mercure françois, t. IV, p. 9 et suiv.
l36 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
et des archers. Sorel décrit dans son roman de Francion
toutes les difficultés que rencontre son héros pour
assister à un ballet \ probablement le Triomphe de
Minerve (i6i5). Francion réussit à franchir le seuil de
rhôtel de Bourbon en montrant au capitaine des gardes
des vers qu'il a composés et fait imprimer à la louange
des personnages du ballet et qu'il veut distribuer dans la
salle. En même temps que lui pénètrent différentes gens
« de la connoissance des baladins, les uns portans en
leurs mains un masque, les autres un bonnet à l'antique
et les autres quelque robbe de gaze, et il ne leur estoit
point fâcheux de faire l'office de valets, pourvu que l'on
leur ouvrît librement. Quand je fus entré avec toute
cette bande, ce ne fut pas encore la fin de mes peines ;
il me fallut passer tant de portes et tant traverser de
chambres que je croyois que ce ne seroit jamais fait. Je
trouvois de la difficulté partout et mon passeport ^
m'étoit bien nécessaire. Outre cela, la presse étoit si
grande qu'elle me défendoit autant l'entrée comme les
archers. Enfin je me trouvay dans cette longue galerie
de Bourbon qui jette sur la rivière, où il se fallut arrêter. »
Après une longue attente, Francion voit enfin s'ouvrir les
portes de la salle... il se précipite et trouve toutes les
places occupées par les courtisans. Il ne sait où se caser
et finit par se hisser sur l'estrade des violons qui s'em-
pressent de le prendre pour un pupitre vivant et d'ac-
crocher à ses vêtements les feuilles de leur tablature.
Au Louvre, dans la grande salle où se dansent la plu-
I. La vraye histoire comique de Francion, composée par N. de Moulinet...
A Rouen chez Clément Malassis, MDCLXXIII (la première édition est de
i6a3) (livre IV, p. aSi).
a. Les vers imprimés qu'il porte sous son bras.
LE BALLET A LA SCÈNE l37
part des ballets durant le règne de Louis XIII, l'encom-
brement est effroyable S La salle avait pourtant de vastes
proportions. Elle formait un rectangle de cent cinquante
pieds sur quarante-cinq ^ Entre les nombreuses fenêtres
qui éclairaient cette longue salle étaient placées des
estrades et des « galleries à trois estages, remplies de
sièges partout ^ » A un bout de la salle se voyaient les
décorations nécessaires au spectacle, à l'autre le trône
royal, élevé de trois marches, couvert d'un immense
dais de velours rouge cramoisi. Au plafond pendaient un
grand nombre de lustres garnis de flambeaux de cire
blanche et jaune qui répandaient une vive clarté*. De
grandes barrières défendaient l'accès de l'enceinte réser-
vée aux évolutions des baladins ; parfois la poussée était
si forte qu'elles se rompaient. La foule se précipitait
alors dans le milieu de la salle d'où les archers avaient
grand peine à l'expulser à coups de bâtons et de manches
1. Au ballet du château de Bicêtre, en i63a, « il n'y avoit gueres moins
de quatre mille spectateurs, la plupart personnes de remarque ». Gazette
du 12 mars, année i632, p. io4 et suiv.
2. Environ 49 mètres sur i5. Voir la Description de la Grande Salle du
Louvre dans le Ballet de Monseigneur le duc de Vandosme. Paris, Jean de
Henqueville, 1610 (Bibl. Mazarine 3461 3'^ pièce 19).
3. Le Ballet du Roy ou la vieille Cour (publié dans V extraordinaire de la
Gazette de février i635), donne de la salle la description suivante : « La
grande salle du Louvre, appelée la salle du bal, accrue par ses galleries et
degrez allans en forme d'amphithéâtre jusqu'au feste de son plancher, comme
vous scavez grandement exhaussé... » Le livret de Tancrède, en 1619, donne
à peu près les mêmes détails. « La salle du bal estoit toute eschafaudée à
degrez rampans, qui prenoient depuis le bas jusques au haut du plancher
avec deux galleries de deux costez. Au bout estoit dressé un eschafaut en
amphithéâtre où estoit la Reyne, Monsieur... »,
4. Voir Ballet du Duc de Vendôme. Le Ballet de la vieille Cour mentionne
« huit cens flambeaux de cire blanche en huit cens chandeliers d'argent enri-
chis de cristal. » Pour la Circé de i58i au Petit-Bourbon, si on en croit
Beaujoyeulx « le nombre infini de flambeaux, qui esloient au-dessus de la
salle et tout à l'entour, donnoit telle et si grande clairté, qu'elle pouvoit faire
honte au plus beau et serein jour de l'année. »
l38 LE BA.LLET DE COUR EN FRANCE
de hallebardes ^ Il arrivait même qu'ils n'y parvenaient
point et que le Roi devait donner ordre à l'assistance de
se retirer sans avoir vu danser le ballet ^ Deux ans de
suite, en i6i4et en i6i5% les choses se passèrent ainsi
au Petit-Bourbon, aussi décida-t-on de ne laisser péné-
trer, en dehors des princes et des seigneurs, que les
personnes munies d'invitations, de « mereaux ». Malgré
cette précaution les plus grands désordres ne laissaient
pas de se produire. Le 29 janvier 1617, le Roi, arrivant
vers deux heures du matin à la grande salle du Louvre, en
trouve rentrée obstruée par une foule si compacte qu'il
a toutes les peines du monde à se frayer un passage. Une
demoiselle passablement effrontée « se prend à ses
chausses, disant : « Si vous entrez, j'entretrai* ».
A la porte, le capitaine des gardes avait fort à faire
pour repousser l'assaut de la foule qui se ruait pour voir
danser le Roi. De sanglantes bagarres se produisaient
parfois. Dans une Historiette^ Tallemant des Réaux nous
montre la douce Julie de Rochefort exhortant par ses
cris les gardes à frapper et à tuer les pauvres gens
qu'une belle ardeur engageait à se bousculer pour en-
1. En i632, au Ballet du château de Bicctre : « Pour faire place il fallut
employer quelques descendans de hallebardes et des feintes qui n'estoient
pas du Balet. » Gazette du 12 mars i632, p. 106.
2. Voir la lettre de Malherbe du 27 janvier à Pereisc. « M. de Plainville,
capitaine des gardes ne voulant désobliger personne, laissa entrer tout ce
qui se présenta et se trouva l'enceinte des barrières si pleine qu'un homme
seul eût eu de la peine à y passer. La Reine à son arrivée, voyant une telle
multitude, se mit en la plus grande colère où je la vis jamais et s'en alla,
résolue qu'il ne seroit point dansé. » Voir aussi Bassompierre. Mémoires ,
S.II.F.,t. II, p. I.
3. Sur la difficulté qu'il y avait parfois à se procurer des invitations, cf.
Tallemant des Réaux. Historiettes, 3® édition, t. IV, p. i32 et t. 1, p. i65-
166.
4. Héroard. Journal sur l'enfance et la Jeunesse de Louis XIII, t. II,
p. ao8.
LE BALLET A LA SCENE l39
trer dans la salle du ballet ^ Il était bien rare qu'on vît
le ballet sans être foulé, pressé, incommodé de mille
manières ^ Et quelle patience il fallait à ces spectateurs
qui faisaient queue dès le matin pour assister à un spec-
tacle qui ne commençait que fort avant dans la nuit ^ î
On peut s'en faire une idée par la relation officielle de
la représentation à l'Hôtel de Ville, en 1626, du ballet de
la douairière de Billebahaut'* . Louis XIII, fort satisfait
de son ballet donné au Louvre avec succès, avait décidé
de l'aller danser à l'Hôtel de Ville. Il faisait ainsi grand
honneur au peuple de Paris, aussi le Prévôt des mar-
chands et les échevins ne ménagèrent-ils rien pour
accueillir leur hôte royal avec magnificence. Sur leur
ordre, des maçons, menuisiers et charpentiers élevèrent
des (( eschafauds, théâtres, galeries dans la grande
salle » afin d'offrir des sièges confortables aux « plus
belles dames et bourgeoises de la Ville » conviées en
foule à ce spectacle. On commanda à « l'espicier » de tenir
prêts grande quantité de flambeaux blancs, tant grands
que petits, pour mettre dans les chandeliers et croisés...
et de préparer « grandes quantités de confitures pour la
collation des Princes, masques et autres compagnies ».
I. « Comme on dansoit un ballet au Petit-Bourbon et qu'il y avoit un grand
désordre à la porte, on ouït cette femme crier à haute voix : « Soldats des
gardes, frappez, tuez, je vous en ferai avouer par votre colonel en toutes
choses. » Tallemant, VI, p. 20.
a. Voir, presque à chaque relation de ballet, les doléances du gazetier
Loret dans la Muze historique. Au ballet du château de Bicêtre il se
« rencontra plus d'accidens qu'on n'en vouloit représenter, car il y eut une
enseingne et autres choses perdues jusques à la valeur de quinze mille escus.
Une comtesse y accoucha. » Gazette, i632, p. 106.
3. Aussi plus d'un grand seigneur refusait pour cette raison d'assister
aux ballets. Voir Tallemant. Historiettes, 1, 99.
4. Elle a été publiée en appendice à l'édition des Mémoires de Loménie de
Brienne par Barrière (in-8^) 1828, t. I, p. 337 ^^ suiv.
1/fO LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Une cuisinière fut mandée pour préparer des festins de
poissons, car le ballet se devait danser dans la nuit du
carême prenant.
Au jour dit, les gardes du Roi s'emparèrent, dès le
matin, de THôtel-de- Ville et y organisèrent un important
service d'ordre. La nombreuse assistance vint prendre
place sur les estrades durant toute la journée et y attendit
stoïquement plus de douze heures c[ue le ballet com-
mençât. Pour distraire les esprits, les vingt violons de la
Ville jouèrent, de quatre heures de l'après-midi à cinq
heures du matin, des airs et des danses... Enfin, à quatre
heures du matin, les masques commencèrent à arriver. Le
Roi fut harangué par le Prévôt sur les degrés de THôtel-
de-Ville. Il s'excusa d'être en retard et entra dans une
salle pour s'habiller. A cinq heures, les violons du Roi
firent leur entrée et montèrent sur l'estrade que quittè-
rent les violons de la Ville et le ballet commença. Il dura
trois grandes heures, puis le Roi et les seigneurs de sa
suite dansèrent les branles avec les principales bour-
geoises de l'assistance. Les échevins firent ensuite aux
masques les honneurs d'une superbe collation sur laquelle
ceux-ci se jetèrent avec avidité; après quoi Louis XIII,
toujours costumé, monta en carrosse pour rentrer au
Louvre salué par les cris de « Vive le Roi ! » poussés par
la foule massée sur la place de Grève.
Les ballets se représentaient en général fort tard à
l'Hôtel-de-Ville. II arrivait qu'une même troupe de sei-
gneurs allât danser, en divers lieux, deux et même trois
fois le même ballet au cours d'une seule nuit. Il était
alors d'usage de finir par l'Hôtel-de-Ville où se faisait la
collation. En i632, le duc de Soissons dansa au Louvre,
en présence du Roi, le ballet du Château de Bicêtre à
LE BALLET A LA SCÈNE l4l
huit heures du soir. Vers minuit, le spectacle étant ter-
miné, les baladins se transportèrent à l'Arsenal où les
attendait une nombreuse assemblée et y recommencèrent
leurs danses ; enfin, vers quatre heures du matin, ils arri-
vèrent à l'Hôtel-de- Ville où la troisième représentation
fut donnée ^ Elle ne finit qu'à huit heures du matin.
La grande salle de l'Arsenal qu'avait fait aménager
Sully ^ était fort bien disposée pour les ballets. De spa-
cieuses galeries permettaient aux spectateurs de voir en
demeurant assis. Le Petit-Bourbon, la Grande Salle du
Louvre, l'Hôtel-de- Ville et l'Arsenal étaient, sous
Louis XIII, les quatre lieux où se représentaient ordinai-
rement les ballets royaux, mais il s'en dansait aussi dans
diverses résidences princières : à Saint-Germain, à Vin-
cennes, à Fontainebleau, à Chantilly. Nous nous sommes
presque exclusivement attachés dans le précédent chapitre
à décrire les ballets royaux montés chaque année au temps
du carnavaP. C'est que ceux-là seuls avaient un véritable
intérêt pour l'histoire du théâtre. Les petits ballets, les
boutades, dansés dans les maisons particulières, n'en
offraient que des répliques très affaiblies et ne nous
apprenaient rien de nouveau. Tout au plus convient-il de
noter l'étonnante grossièreté des vers qui étaient com-
posés à l'occasion de ces divertissements. Ils montrent
qu'en dépit des Précieuses les mœurs avaient conservé
1. Voir Gazette. Année i63a, n^ du ii mars (p. io4 et suiv.)
2. « Sully gardoit lui-même la porte de la salle à double rang de galeries
qu'il avoit fait faire à l'Arsenal pour les ballets... C'étoit une de ses folies que
la danse... » Tallemant. Historiettes, I, p. 148 et 147. — Voir aussi Oecono-
mies royales f édit. Michaud, I, p. 641, H, p. aaa et suiv.
3. Comme le remarque Fournel, les ballets servaient aussi à célébrer la
plupart des circonstances heureuses : « Un mariage, une naissance, un traité
de[ paix, la visite d'un souverain ou d'un grand personnage qu'on voulait
honorer. » Contemporains de Molière, II, 2o3.
14^ LE BALLET DE COUR EN FRANCE
toute leur brutalité et que les courtisans de Louis XIII
n'aimaient pas moins les plaisanteries ordurières que
ceux de Henri IV ^. Les ballets du duc d'Orléans surpas-
saient tous les autres en obscénité. D'ailleurs c'est au
Luxembourg que sera conservée la tradition des ballets
burlesques, longtemps après queBenserade aura introduit
et fait régner dans les spectacles de cour un ton de spiri-
tuelle galanterie et de noble enjouement.
A partir de i636, date à laquelle est achevé le palais
Cardinal, c'est dans la salle des comédies que se repré-
sentent un grand nombre de ballets '\ Ces spectacles pro-
fitent de la machinerie du théâtre et prennent un carac-
tère de représentations scéniques un peu différent de celui
qu'ils avaient eu jusqu'alors. Un ballet comme celui de
la Prospérité des Armes de France^ en 164 1, n'aurait pu,
comme celui de la Douairière de Billebahaut ou du Châ-
teau de Bicêtre^ être dansé successivement dans plusieurs
salles différentes. La mise en scène en était trop compli
quée pour cela. Quant à la salle, ses magnificences ont
été assez souvent décrites pour qu'il soit nécessaire que
nous nous y arrêtions longuement ^ Rappelons seulement
qu'elle n'était pas fort grande et que le cardinal de Riche-
lieu limitait strictement le nombre des invitations*. On
1. On en pourra juger en feuilletant les six volumes du recueil de Paul
Lacroix : Ballets et Mascarades de Cour, Genève, Gay, 1868, in-12. On ne
rencontre pas en moyenne un ballet sérieux pour dix ballets mascarades à
intentions obscènes.
2. Voir Maximin Delocbe. La Maison du cardinal de Richelieu, Cham-
pion, 191 1, in-8<^.
3. Voir Sauvai. Antiquités de la Ville de Paris : « Ce lieu est une longue
salle parallélogramme, large de 9 toises en dedans... la scène est élevée à un
des bouts et le reste aussi par 27 degrés de pierres qui montent mollement et
insensiblement et qui sont terminés par une espèce de portique ou d'arcade. »
4. Voir l'aventure de Bois-Robert dans les Historiettes de Tallemant de
Réaux, III, i53, i54.
LE BALLET A LA SCÈNE l43
y pénétrait par un corridor fort étroit et fort sombre où
l'on s'étouffait \ Ces ballets du palais Cardinal émerveil-
lèrent plusieurs années la Cour et la Ville et les préparè-
rent aux splendeurs scéniques des opéras italiens qui
allaient, trois ans de suite, de i645 à 1648, être repré-
sentés sur ce même théâtre 2.
Quelle que fût la salle oii le ballet se donnât, le public
était toujours composé à peu près de la même façon.
Certes, au Louvre, les courtisans étaient en majorité et,
à l'Hôtel-de-Ville, les bourgeois triomphaient, mais on
retrouvait un peu partout les mêmes types : le vieux bour-
geois grondeur, furieux d'être bousculé et n'en revenant
pas avec moins d'ardeur à tous les ballets ; les gens du
bel air voulant paraître des courtisans accomplis^; les
poètes faméliques et crottés errant dans la salle, les bras
encombrés de gros rouleaux de papier contenant les vers
qu'ils distribuaient*; les Gascons querelleurs et bruyants;
les pages insolents. Parfois le public ordinaire des ballets
était mis en gaieté par l'arrivée de quelque provincial,
peu au courant des usages parisiens. Tel cet avocat dont
parle Sorel. Il s'était mis en tête de voir le ballet du Roi
et se présenta à la porte du Petit-Bourbon accompagné
de sa femme, qui, pour la circonstance, avait revêtu « ses
habits nuptiaux », et d'une nourrice portant un enfant
1. Il en sera encore ainsi du temps de Lully, lorsque l'Opéra aura pris
possession de la salle du Palais-Royal. Voir Dufresny. Amusements sérieux
et comiques [Œuvres complètes, 1747, in-8*^, t. IV, p. 21). — Voir aussi les
plans de la salle dans le Recueil de l'Ilist. de France, année i636, au cabinet
des Estampes. Qb. 35 et aux Archives Nationales. Seine, 3*^ classe, n*^ 545
et 546.
2. Cf. L'Opéra italien en France avant Lulli. Paris, Champion, 191 3
(in-8<^) chapitres 11 et m.
3. Voir l'étonnante scène du donneur de livres de ballets, placée par Molière
en tôle du Ballet des Nations, qui sert d'épilogue au Bourgeois gentilhomme .
4. Sorel. Francion, cdit, de 1673, p. 246 et suiv.
•44 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
dans les bras, cependant qu'un autre trottait à ses côtés,
la tenant par la cotte. En dépit d'une pédantesque
harangue, préparée dès longtemps, le pauvre homme dut
s'enfuir sous les huées, avec les pages à ses trousses*.
Ces petits événements égayaient la longue attente de la
foule à la porte de la salle. Une fois entré, on se distrayait
en lisant les vers remplis d'allusions burlesques que les
poètes jetaient à la volée. Au Louvre, il arrivait parfois
qu'on fît circuler dans l'assistance des rafraîchissements
et des sucreries, mais les plateaux étaient pillés en un
clin d'œil avec une révoltante brutalité. Au Palais Car-
dinal, dont la salle était apparemment moins bien illu-
minée que celles du Petit-Bourbon et du Louvre, on
distribuait des bougies aux spectateurs. Ceux-ci les allu-
maient pour lire le livret du ballet. Les lueurs vacillantes
de ces lumignons trouaient seules les ténèbres de Tam-
phithéàtre, fort recherchées des amoureux.
II
La mise en scène du ballet dramatique évolua et se
transforma comme le genre lui-même. Le décor simultané
et dispersé servit aux ballets-comiques ^ le décor suc-
cessif, aux ballets mélodramatiques. Le ballet à entrées se
passa de mise en scène jusqu'au jour où Richelieu, en le
parant des séductions des machines théâtrales, prépara
l'avènement des ballets à grand spectacle.
On a vu que le ballet comique de la Reine avait été joué,
chanté, mimé, dansé, non sur un théâtre mais dans toute
l'étendue de la salle. La mise en scène était donc dis-
I. Sorel. 0/7. cit.^ p. 247-250.
M ^ ^
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C ^ -
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^ ^« a
LE BALLET A LA SCENE l/|5
persée. Au fond de la salle, sur une grande toile peinte,
représentant une ville en perspective, se détachait une
construction figurant un château. Devant cet édifice
s'étendait un parterre fleuri^ : château et jardin étaient
en quelque sorte emprisonnés sous une haute voûte de
verdure, contre laquelle s'appuyaient à droite et à gauche
deux voûtes semblables mesurant près de 4 mètres de
large et 7 mètres de haut. C'est par là que s'effectuaient
l'entrée et la sortie des figurants et des chars. Plus avant
dans la salle, se trouvaient disséminés : une grotte abritant
des orgues, une longue voûte en bois (d'environ 6 mètres
sur 3) renfermant des concerts de musique, enfin le bocage
de Pan^ orné d'arbres aux fruits dorés semblables à ceux
des entremets du xv^ siècle. Au plafond, une nuée argen-
tée, éclairée en dedans, permettait de faire descendre du
ciel les divinités. Cette même nuée avait déjà servi pour
les grandes mascarades représentées au mariage du roi
de Navarre. En somme, rien de bien original n'apparaît
dans cette mise en scène. Il faut noter seulement quelques
artifices ingénieux. Ainsi le jardin et le château de Circé
sont couverts d'un voile épais au commencement de
l'action. Lorsque Circé emmène les nymphes captives, ils
apparaissent brillamment illuminés par une multitude de
verres de couleur dans lesquels brûlent des mèches ^ De
même le bocage de Pan n'est dévoilé qu'au deuxième acte,
à l'arrivée de la nymphe Opis.
Ces procédés devaient être employés couramment dans
1. Il mesurait environ S*", 90 en arrière et 5'^,90 sur le devant. Il était contre
le château élevé à un mètre du sol et s'abaissait jusqu'à o™,3o du plancher
sur le devant. V. planche III.
2. Il mesurait environ 2°*,85 X 3"*, 90.
3. Ce procédé d'éclairage est encore en honneur aujourd'hui dans les fêtes
de village.
10
i/|6 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
les spectacles de la Cour: mascarades ou pastorales ^ Ils
étaient seulement plus ou moins simplifiés. En 1093, le
ballet de i/"' de Rohan nécessite seulement l'emploi de
deux praticables : un trône sous un dais, pour la magi-
cienne Médée, au fond de la salle, et une caverne pour la
Sibylle sur un des côtés ^
La première apparition en France du décor successif
date de iSgô. Encore ne s'agit-il que d'une tentative peu
concluante et qui porte la marque du génie italien. On en
a attribué Flionneur au fameux astrologue Ruggieri^
Quel qu'il fût, l'auteur des décorations théâtrales qui
accompagnèrent la représentation à Nantes, le 25 février
1596, de VArimène^ pastorale de Nicolas de Montreuil%a
résolu de manière originale le problème du décor suc-
cessif. Se souvenant des périactes de l'Antiquité, il dis-
pose au fond de la scène quatre charpentes mobiles autour
d'un axe vertical ; ces charpentes affectent la forme de
polyèdres pentagonaux et les quatre faces qu'elles présen-
tent à la fois au public sont peintes de manière à consti-
tuer un même décor. Quand on fait tourner, au moyen
d'un arbre central, ces quatres charpentes, les faces offertes
aux spectateurs changent et font paraître un autre tableau .
Le seul inconvénient de ce système, c'est que des espaces
libres sont nécessaires entre les périactes pour leur per-
I, Voir Lanson. Revue dliistoire littéraire de la France, igoS, p. 177 et
suiv. — Jules Marsan. La Pastorale dramatique en France, Paris, igoS, in-S^.
— Rigal. De Jodelle à Molière, Hachette, in-i2.
a. Lacroix, I, p, 118 et suiv.
3. Louis Lacour : Un opéra au XVl^ siècle. Revue française, i858, t. XII,
p. 90 et suiv. — Remarquons en passant que le terme opéra appliqué à
V Arimène est tout à fait impropre. Il ne s'agit que d'une pastorale à inter-
mèdes, genre fort éloigné de l'opéra.
4. V Arimène d'Olenix du Mont Sacré, gentilhomme du Maine, Pastorale.
A Monseigneur le duc de Mercœur et devant luy représentée. A Nantes chez
Pierre Dorion... MDXGVII.
LE BALLET A LA SCENE 147
mettre de se mouvoir. Le décor est ainsi troué par trois
brèches qui servent à Feutrée et à la sortie des person-
nages.
Sur le théâtre, sont disposés, d'un côté, une grotte
en praticable et, de Tautre, un « antique rocher ». Les
machines des intermèdes sont fort compliquées et dignes
des théâtres italiens. A V intramède du combat des Dieux
et des Géants^ Jupiter paraît au ciel « en un globe tour-
nant, qui venant à s'ouvrir fait voir ce Dieu assiz sur l'arc
du ciel, vestu d'une robe de toille d'or avec sa couronne
et son sceptre ; à ses costez Pallas et Mercure habillez
en leurs habitz ordinaires ». Le ciel s'ouvrit de même au
cours de plusieurs autres intermèdes pour découvrir des
divinités portées sur des nuages. Ce dispositif, depuis
longtemps usité en Italie^, sera fort en honneur dans les
ballets mélodramatiques . Enfin il convient de noter
l'emploi assez hardi des feux d'artifice dans la plupart
de ces intermèdes.
Il ne semble pas que la représentation à'Arimène^ à
Nantes, ait été une révélation pour les machinistes des
ballets de Cour. Nous ne Pavons mentionnée que parce
qu'elle trahit la préoccupation de substituer au décor
dispersé le décor successif. Au reste, le dispositif des
périactes sera abandonné et nous allons voir, en 1610,
dans le Ballet d'Alcine^ le décor successif réalisé au
moyen de procédés plus modernes, encore qu'assez pri-
mitifs.
Nous avons déjà décrit la salle du Louvre où se repré-
sente ce ballet : c'est un vaste rectangle de cin-
quante mètres de long sur quinze de large. A l'extré-
I. Cf. Alessandro d'Ancona. Origini del teatro italiano. Roma, Lœscher
1"^ cdit., (2 vol. in-80).
I48 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
mité de la salle, vis-à-vis du trône royal, sont dressés les
décors qui reposent directement sur le plancher et non
sur un théâtre. Le librettiste ^ ne nous a pas donné de
grands détails sur les procédés de la machinerie, mais il
semble bien qu'il faille ainsi reconstituer la mise en
scène : trois grandes toiles étaient tendues Tune devant
l'autre. Chacune d'elles « tomboit en terre » au moment
voulu, pour être sans doute aussitôt tirée sur le côté et
enlevée ^ Au lever, ou plus exactement à la chute du
rideau, le décor représentait une forêt; il était percé de
trois grandes ouvertures par lesquelles s'effectuaient les
entrées des baladins. Ce décor, tombant à son tour,
découvrait un palais en forme d'amphithéâtre devant
lequel était posée une pyramide. On pourrait se deman-
der si ces décorations architecturales étaient peintes,
ou si elle n'étaient pas réalisées en relief au moyen de
charpentes de bois, comme le palais de Circé en i58i ;
mais le livret dit expressément que le palais d'Alcine
s'évanouit tout à coup : aussi l'hypothèse d'une toile
peinte, facile à faire disparaître, est-elle la plus vraisem-
blable.
Le nom du machiniste du ballet d'Alclne ne nous est
pas connu par des témoignages certains, mais on peut,
jusqu'à preuve du contraire, en attribuer l'honneur à
celui des frères Francini qui, peu d'années plus tard, réa-
lisa les merveilles scéniques du Ballet de Madame et de
la Délwrance de Renaud. Né à Florence, le 5 mars 1571,
1. Voir les deux relations publiées par Lacroix, t. I, p. 289-269 et p. 200-
ao4.
2. A moins qu'une fente n'ait été ménagée dans le plancher pour la rece-
voir. Il est à remarquer que même sur les théâtres construits pour les repré-
sentations de ballets mélodramatiques, la toile ne se levait pas, mais tom-
bait.
LE BALLET A LA SCENE I 49
Tomaso Francini* était venu se fixer en France, vers iSgS,
et avait obtenu sa naturalisation, au mois de février 1600.
Il avait épousé une française, en 1606, et jouissait à cette
date de la charge d'Intendant général des eaux et fon-
taines. En 161 7, il prenait sur un document le titre d'in-
génieur du Roi et contrôleur de la Maison de la Reine.
Tomaso avait un frère, Alessandro Francini, comme lui
ingénieur expert en Part des fontaines : aussi peut-on se
demander auquel des deux frères doit être attribuée la
machinerie des ballets royaux. Il semble pourtant que
Tomaso, dont la réputation d'architecte est mieux établie
et dont les talents étaient plus variés, en fut le véritable
inventeur ^
Le ballet des Argonautes (i6i4), ne comprenait pas de
décors successifs. Le fond de la salle était occupé par la
caverne de Gircé, formée de gros blocs de rochers. —
C'étaient, semble-t-il, des carcasses en bois couvertes
de toiles peintes. A la voix d'Orphée, les rochers se
mouvaient et les figurants qui y étaient renfermés quit-
taient leur prison pour danser un ballet. Avant cette
métamorphose, on voyait sortir de la caverne des chars
en forme d'animaux fantastiques ou d'objets grotesques
portant les « enchantés ».
L'année suivante, le ballet du Triomphe de Minerve^
dont les décorations étaient sans aucun doute l'œuvre de
Francini % fut l'occasion d'un déploiement de mise en
1. Sur Tomaso et Alessandro Francini consulter la substantielle notice de
M. Bart. Recherches historiques sur les Francine et leur œuvre (Paris, 1897)
et divers documents publics dans les Nouvelles Archives de VArt Français
(1872, p. 23-27, 1876, p. 228) ainsi que l'article de Jal dans le Dictionnaire
critique.
2. Le livret de l'aventure de Tancrède, en 1619, appelle le sieur Francine
fl grand architecte et ingénieur du Roy. »
3. Mercure français, t. IV, p. 9 et suiv, Beauchamp donne une longue
l5o LE BALLET DE COUR EN FRANCE
scène nouveau en France. Adoptant un dispositif déjà en
usage à Florence et à Mantoue pour les fêtes de Cour,
Francini éleva un théâtre et le relia à la salle par des
degrés en pente douce pour permettre aux baladins d'y
descendre danser après avoir fait leur entrée. La scène
proprement dite formait un carré d'environ seize mètres
de côté*; elle était élevée à une hauteur de près de
deux mètres au-dessus du plancher de la salle. A droite et
à gauche du théâtre se trouvaient les plans inclinés qui
conduisaient de la scène dans la salle; ils étaient ornés
de rocailles et reposaient sur trois antres par où se reti-
raient les danseurs ^ Les décors étaient magnifiques. Le
premier, qui représentait un paysage montagneux avec des
rochers couverts d'arbrisseaux, faisait place subitement
à un grand bois^ Celui-ci disparaissait à son tour devant
un décor maritime : « ce qui estoit bois auparavant,
devint rochers aboutissans en branches de coral, escailles,
mousses maritimes et représentans des escueils battus
des vagues. Dans la mer passoit une musique de Tri-
tons... » Enfin des nuages envahissaient la scène, les
cieux s'ouvraient et montraient des anges musiciens...
La machinerie n'était pas moins compliquée : Une
grande nuée* dissimulait sous ses ondulations toute la
relation de ce ballet : « Le sieur Francini, ingénieur ordinaire du Pioi et
super-intendant de ses fontaines, eut la direction générale de toutes les
machines ; il en fit même un petit modèle, réduisant la toise au pied, qui
satisfit la Reine. » Les théâtres de France, Paris, i735, in-8o, t. III, p. 70.
1. he Mercure français dit en effet que le théâtre était haut de six pieds,
large de huit toises et profond d'autant.
2. « Pour descendre de ladite scène dans la Grande Salle, y avoit deux
descentes desdits rochers, renfoncées par dessous de trois grottes... »
3. Sans doute par le procédé que nous avons décrit plus haut.
4. Sans doute en gaze d'argent comme on les faisait alors en Italie. Voir
Sabbattini. Pratica di fabricar îuachine né teatri, Ravenne i638, in-S**
(a« édit. augm.).
LE BALLET A LA SCÈNE l5l
scène et servait de rideau. « Cette nuée s'entrouvrit bas
par le milieu et de l'ouverture sortit une autre nuée, assez
petite... mais à mesure qu'elle s'avançoit, elle s'agrandis-
soit en largeur et hauteur sans qu'on apperceust qui causoit
ce mouvement, ny qui la faisoit advancer dans la Salle »,
et, qui plus est, si artificieusement composée, qu'on ne
savait discerner « si c'étoit un vray nuage ou non qui flot-
toit * ». A l'intérieur de cette nue, qui finissait par s'ouvrir,
« estoit représentée la Nuict, vestiie d'une lame d'argent,
et noire ^... » Le livret ne nous dit pas ce que devenait la
nue, il indique seulement qu'elle finissait par se perdre.
Elle se retirait sans doute dans les combles, suivant en
sens inverse le chemin qu'elle avait pris pour venir.
Le dessous du théâtre était aussi machiné que le
dessus. A la première scène, un rocher d'une hauteur de
4 mètres surgissait, portant les dix Sibylles, et s'abîmait
ensuite. Mais, comme en Italie, c'étaient les vols, les
descentes de divinités qui faisaient surtout les frais du
spectacle. Une nuée, à la troisième scène, planait au-
dessus d'un bois ; elle supportait dans les airs l'Aurore
semant des fleurs et « suivie d'un chariot flamboiant et
doré, avec des roues tournantes d'un mouvement esgal
et continuel, dans lequel estoit le Soleil ». A la dernière
scène, les nuées envahissaient tout le fond et les côtés du
théâtre. La Victoire et la Renommée descendaient, cha-
cune sur un nuage, et tendaient des couronnes à Madame,
portée dans un char triomphal.
Le Ballet de Madame fut représenté sur un théâtre
élevé au-dessus du niveau de la salle et relié avec elle
par des plans inclinés. Ce dispositif qui, en i6i5, semble
1. Mercure françois, i6i5, t. IV, p. lo.
2. Explication allégorique du triomphe de Madame. Lacroix, II, p. 63.
l5'2 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
nouveau en France, était, depuis plusieurs années déjà
usité en Italie* et aussi en Angleterre. Lorsque Rinuccini
avait, aux environs de i6o5, importé à Florence le ballet
parisien, il Tavait adapté aux ressources scèniques dont
ritalie disposait pour les spectacles de Cour. Un décor
dispersé eût semblé un anachronisme. On fit donc mimer
l'action du ballet et chanter les récits sur la scène, et
danser les ballets dans la salle. Le ballo délie Ingrate'^ ^
un des premiers ballets italiens construits par Rinuccini
sur le plan des ballets français et mis en musique par
Monteverde, en 1608, pour la Cour de Mantoue, nous
ofFre un bel exemple de ce qu'était devenu le ballet
français entre les mains des machinistes italiens. La toile
s étant levée, la bocca cCinferno apparaît. On connaît
ce décor, classique dans l'opéra italien du xvii* siècle :
une gueule gigantesque et béante occupe toute la
scène ^ Entre ses mâchoires immenses paraît en éloigne-
ment un paysage infernal, illuminé par les rouges lueurs
des feux de bengale et autres artifices. Après un prologue
chanté, les Dames ingrates sortent deux à deux de l'En-
fer, s'avancent sur le devant du théâtre et s'y livrent à
une pantomime expressive, puis descendent par des
escaliers latéraux dans la salle pour danser leur ballet.
En Angleterre, où, de bonne heure, le ballet-comédie
avait évolué dans un sens nettement littéraire et drama-
I. L'estampe de Callot, représentant une scène du ballet : La liberazione
di Tirreno — 1617 — montre bien ce dispositif. V. Planche IV.
u. Voir Solerti. Gli albori del melodramma, t. II, p. 246.
3. On en trouvera un bel exemple dans les estampes qui illustrent la Porno
d'Oro de Gesti, représentée à Vienne en 1669. (Reproduites dans l'édition
des Denktnâler der Tonkunst in Ôsterreich p. 167.) La collection James de
Rothschild possède un dessin donnant la coupe d'une bocca d'inferno et mon-
trant l'ingénieux dispositif qui lui permettait de s'avancer en se déployant du
fond de la scène sur le devant.
LE BALLET A LA SCÈ>'E l53
tique, un théâtre avait été bien vite reconnu nécessaire
pour la représentation des scènes dialoguées. Les Mas-
quers^ après avoir fait leur apparition sur la scène, en
descendaient pour gagner une estrade élevée au milieu
de la salle, the dancing place ^ sur laquelle ils exécutaient
leur ballet *. En France, les danseurs se contentaient de
descendre de la scène dans la partie de la salle qui était
consacrée à leurs évolutions et que de longues barrières
défendaient contre la foule des spectateurs.
Le théâtre du Petit Bourbon, qui avait servi aux repré-
sentations du Triomphe de Minerve^ ne fut plus utilisé
durant de longues années^ Le jeune Louis XllI lui pré-
féra la Grande Salle du Louvre où se dansèrent doréna-
vant la plupart des ballets. En 1617, Francini y cons-
truisit un théâtre curieusement machiné pour l'exécution
du Ballet de la délivrance de Renaud dont l'action com-
portait quatre changements à vue. Ceux-ci n'étaient plus
obtenus par les procédés assez rudimentaires que nous
avons décrits, mais grâce à un système aussi nouveau
qu'ingénieux ^ Sur la scène, au premier plan, étaient posés
deux châssis latéraux auxquels s'ajustaient, à angles droits,
deux châssis, perpendiculaires au fond du théâtre. Entre
ces sortes de cubes, le décor s'apercevait en perspective
comme sur les théâtres italiens, mais Francini avait subs-
titué au châssis, qui d'ordinaire fermait cette perspec-
tive, des décorations praticables reposant sur la moitié
d'une plaque tournante. Pour opérer un changement à
I. Parfois une sorte de plate-forme roulante transportait les danseurs de
la scène sur l'estrade. Voir Reyher, Les Masques Anglais, p. 357 ^^ ^uiv.
1. Il servit encore pourtant, en 162 1, pour le Ballet d'Apollon et pour le
Ballet de la Reyne représentant le Soleil.
3. Voir le Discours au vray du Ballet dansé par le Roy (B. N. Réserve
Yf. iao4 et Conservatoire) et les planches I et XVI.
l54 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
vue, il suffisait de faire mouvoir rapidement cette plaque.
La scène était beaucoup moins élevée que celle du
Petit Bourbon. Trois marches d'un pied de haut la réunis-
saient à la salle. A la droite du spectateur se voyaient sur
le côté quelques rochers, à gauche une longue galerie de
verdure ou treille, par où les figurants entraient en scène.
Un rideau masquait le théâtre avant le commencement
du spectacle ; il était peint et représentait des palais
émergeant de verdures. En tombant, il découvrait le
premier décor. Au centre, sur la plaque mobile, se voyait
une grotte, au pied d'une montagne sur laquelle étaient
assis les démons d'Armide. Lorsque les chevaliers arri-
vaient pour délivrer Renaud, la plaque tournait^ et mon-
trait le second décor disposé d'avance derrière la mon-
tagne : un jardin orné de trois grandes vasques où
jaillissait de l'eau. A mesure que la montagne tournait,
les rochers des côtés étaient retirés et des bosquets les
remplaçaient. Un nouveau changement à vue se produi-
sait à la fin de cette scène : le « jardin qui, para vaut
estoit si beau, ne devint plus qu'une caverne déserte...
tout trembla et changea tout ensemble ». On aimerait à
avoir quelques détails sur la manière dont s'opérait cette
transformation. 11 est probable qu'une fois de plus la
plaque tournait et montrait le décor du premier acte
lé gèrement modifié ou un autre qui lui avait été substitué.
Logiquement, l'apothéose finale eût dû suivre immédia-
tem ent la ruine du palais d'Armide, mais les machinistes
n'av aient pas eu le loisir de préparer le nouveau décor
sur l'arrière de la plaque, aussi dut-on recourir à un
I. « Celte montaigne se tourna d'elle mesme, les rochers des costez
secoue rent leurs testes qui serabloyent immobiles, tout changea d'un ins-
tant... » Page 10.
LE BALLET A LA SCÈNE 1 55
expédient pour leur donner le temps de remplacer les
fontaines et les parterres du jardin d'Armide par un
pavillon en toiles d'or. Dans la salle s'avança donc une
sorte de plate-forme roulante, mue par des hommes ou
des animaux invisibles. Elle était hérissée d'arbres et
de buissons et portait les soldats de Renaud qui dialo-
guaient avec un ermite \ Cet intermède ayant permis aux
machinistes de procéder à la mise en place du décor
final, « le grand pavillon se tourna », précise le livret, et
découvrit aux yeux des spectateurs les danseurs du
Grand ballet qui s'y tenaient assis.
En 1619, pour les représentations de V Advaniure de
Tancrede en la forest enchantée^ on revint au système
des châssis mobiles, alors usité en Italie et en Angleterre
pour les fêtes de Cour.
La scène, qui formait un vaste carré de près de douze
mètres de côté, offraitceci de particulier, qu'au lieu d'être
partout de niveau, elle allait en s'inclinant d'arrière en
avant selon une pente assez forte. Élevée à 2"',6o du
sol au fond du théâtre, elle n'en était qu'à 1*^,80 sur le
devant. Le théâtre lui-même était fort magnifique, « les
frises et bordures estoient escaillées en rochers d'or par-
semés de mousse verte. Il estoit couvert d'un ciel turquin,
semé de quelques nuages, par le haut duquel régnoit tout
au long un feston large de trois pieds et demy où les
cornes d'abondance versoient mille sortes de fleurs et de
fruits \ » Le bas du théâtre, l'espace compris entre le
plancher de la salle et la scène, était comme pour le
I. V. Planche XVI.
•1. Relation du Grand Ballet du Roy. Dancé en la Salle du Louvre, le
12 février 1619, sur L'Advanture de Tancrede en la forest enchantée. (Bibl.
Mazarine 37. 27*^, pièce iS, page 9.)
l56 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Ballet de Madame^ percé de plusieurs ouvertures, « une
à chaque costé et la plus grande au millieu », par où
s'effectuaient la sortie et l'entrée des figurants et bala-
dins \ Deux plans inclinés réunissaient le théâtre à la
salle. Une grande toile peinte, mesurant près de dix mè-
tres de haut, couvrait toute la face du théâtre. Elle mon-
trait Jérusalem « assiégée et une forest à côté ». En
s'abattant, elle découvrit la scène qui représentait une
épaisse forêt. Le décor du fond et les châssis latéraux
étaient peints et figuraient des arbres. Au milieu étaient
rangés ce huit arbres en reliefs » ; ceux-ci ne devaient pas
être d'un grand poids puisque les monstres les empor-
taient avec eux dans leur fuite. Pour changer de décor
on profitait de l'obscurité qui succédait à l'embrase-
ment de la forêt. La scène représentait un amphithéâtre.
Le troisième décor figurait un temple. Enfin un quatrième
changement à vue fit paraître les conquérants de la
Palestine « dans un tabernacle en demy rond... enrichy
de pyramides, trophées d'armes, palmes et lauriers. »
L'originalité du spectacle résidait surtout dans la machi-
nerie qui atteignait un degré de perfection où elle ne
devait pas longtemps se maintenir en France. Le magi-
cien Ismène, semblant sortir des enfers, s'élevait insen-
siblement sur une trappe ; un grand cyprès se dressait
au milieu de l'amphithéâtre et disparaissait non moins
vite ^ ; du sang coulait d'une branche coupée par Tan-
i.Les personnages qui sont censés venir du bois entrent par la scène, ceux
qui paraissent venir du dehors entrent par la salle. Lorsqu'Ismène chasse
de la forêt les divinités bocagères, celles-ci descendent du théâtre et sortent
par la salle, au contraire les chevaliers viennent par la salle et montent sur
le théâtre, etc.
2. Dans la Délivrance de Renaud deux grands palmiers étaient de même
sortis du sol au moment de l'apothéose finale. Discours au vray, p. a4.
LE BALLET A LA SCÈNE 167
crède ; enfin les nuées mobiles, chères aux Italiens,
avaient été, pour Francini, l'occasion de se surpasser. A
la scène du temple, on voyait le ciel s'ouvrir d'abord
sur les deux côtés et découvrir des anges, assis sur des
échafaudages dissimulés sous de la gaze argentée. Après
quoi le ciel se fendait par le milieu et une grande ma-
chine, représentant une nuée, descendait doucement sur
le théâtre avec vingt-huit musiciens et baladins qu'elle
remportait ensuite dans les airs.
Francini s'était adjoint, pour les feux d'artifice, un col-
laborateur nommé Horace Morel * qui avait fait merveille.
Les divinités infernales dansaient leur ballet avec des
sceptres enflammés et des couronnes qui brûlaient sans se
consumer. Vers la fin du combat entre Tancrède et les
monstres, on voyait des éclairs, on entendait le tonnerre,
des rugissements, des hurlements. A un moment « la
scène parut tout enflammée par une palissade de feu
que l'on y vit représentée ». Puis l'obscurité se fit brus-
quement sur le théâtre. On se demande comment on
pouvait obtenir de tels effets sans le secours de nos
puissants et dociles moyens d'éclairage modernes. Il suf-
fit de parcourir l'ouvrage de Sabbattini^ pour voir que les
machinistes arrivaient à des résultats prodigieux^ grâce
à un complet mépris du danger : on faisait brûler sur
la scène une palissade ou une cabane de paille, on tirait
des fusées. Pour toute précaution, on peignait les décors
avec des couleurs ignifuges.
I. Horace Morel était chevau-léger. Il était renommé pour son adresse
d'artificier. Cf. Discours sur les triomphes de la feste de S. LouiSy
Paris i6i3. — B. Maz. 37.272, pièce 10.
a. Praticadi fabricar scène e machine né teatri. Ravenne i638, in-40.
3. On connaissait d'ailleurs l'art d'éclairer la scène de manière à mettre
en valeur les objets qui importaient le plus. « La disposition des lumières
l56 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Le Ballet de la Rei/ne tiré de la fable de Psyché,
représenté quelques jours après celui de Tancrède, ne
comportait pas de moins grandes merveilles scéniques.
Il y avait quatre tableaux : I. Un jardin orné de grottes
et de fontaines en relief comme celui d'Armide, en 1617.
— II. Le Palais de l'Amour. — III. Un décor maritime
rappelant celui du Triomphe de Minerve avec des
rochers, des coraux, des grottes. « La mer avoit un mou-
vement artificiel et représentoit si bien les flots esmeus
et des ondes bleues qui haussoient et baissoient, qu'on
n'eust pas creu que cela se peust représenter sans eau ^ »
Enfin Tapotliéose de Psyché se déroulait au milieu des
nuages dorés qui avaient déjà servi pour T ancre de, A la
première scène, un char traîné par des cygnes porte
Vénus et Gupidon jusque dans la salle ; à la deuxième le
char de Vénus, tiré par des dauphins, sort de l'onde suivi
par des troupes de tritons et de nymphes qui émergent
par degré du sein des flots.
A partir de cette époque, la mise en scène à l'ita-
lienne disparaît rapidement et pour longtemps des bal-
lets royaux. On en ignore la cause : sans doute après la
mort de Luynes qui avait le goût de la magnificence, le
Roi jugea-t-il plus à propos de consacrer l'argent de l'Etat
à entretenir son armée qu'à récréer la Cour. Toujours
est-il que, durant vingt années, les ballets à entrées vont
se dérouler devant des décors d'une extrême simplicité.
C'est d'ailleurs par habitude et par routine qu'on con-
tinue à faire paraître les personnages et chanter les
sert beaucoup au succès. Il y en a de cachées qui éclairent sans être veiies,
et qui font voir l'objet par des jours réfléchis. Il y en a que l'on dispose en
sorte que l'on laisse en ténèbres l'endroit des ressorts des machines » .
Menestrier. Des ballets anciens et modernes, p. aSo,
I. Discours du ballet de la Reyne... Lacroix, II, p. 2o5.
LE BALLET A LA SCÈNE l59
récits sur un théâtre : les ballets à entrées se pourraient
passer de mise en scène aussi facilement que les hallets-
mascarades du règne d'Henri IV. En général il n'y a qu'un
seul décor fort imprécis qui sert de fond au théâtre. On
note, comme une curiosité extraordinaire, en i632, pour
le ballet du château de Bicêtre^ qu'il y eut deux décors,
le premier représentant le château en ruines « ayant le
soleil sur son horizon et autour de son faiste des grues,
faisans, faucons et autres oiseaux, comme au bas toutes
sortes debestes à quatre pieds ^ » le second montrant « le
mesme château de Bissestre... ombragé d'une nuict qui
n'avoit point d'autre clarté que celle d'un démon qui
sortoit tout confus de la plus haute de ses fenêtres^».
Souvent, au lieu d'un théâtre, on se contentait d'une
estrade avec ou sans toile de fond. On faisait parfois
dresser sur un côté une construction en planches et toiles
peintes qui servait au ballet. C'est ainsi qu'en 1626 la
Douairière de Billebahaut comportait, pour unique mise
en scène, une sorte de grande guérite que nous appre-
nons être, grâce à son enseigne, V auberge de Clamart^.
Le Roi se retirait à l'intérieur de cet édicule pour voir
danser les entrées dans lesquelles il ne figurait pas\
1. Gazette du 12 mars lôSa, p. 104. On voit ces deux décors reproduits
dans le recueil des costumes du Ballet de Bicêtre au Cabinet des Estampes.
[Histoire de France, Qb. 33). V. planche VI.
2. On retrouve un effet semblable dans un ballet provincial, danse eu 1649 •
Les divers entretiens de la Fontaine de Vaucluse. On y voit un sabbat de
sorcières « elles ne reçoivent autre clarté que celle que leur fournissoit un
Démon assis sur un toit d'une masure... De la main, de la bouche et des
yeux de ce lutin sortirent des flammes effroyables . » Lacroix VI, p. 198.
3. On la voit reproduite sur un des dessins du recueil du Louvre.
4. « Et pendant que les premiers masques faisoient leurs entrées, Sa
Majesté, Monsieur et les autres princes se sont mis dans la loge de charpen-
terie faite exprès à l'entrée de la salle et que le ballet appeloit la ville de
Clamart, proprement une taverne, pour le voir danser. » Relat. déjà citée.
Loménics de Brienne. Mémoires, édit. Barrière 1828, I, 337.
l6o LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Quant aux machines, elles ne sont pas moins rudimen-
taires. Les mannequins géants qui battent la mesure, ou
des jupes desquels s'échappent des troupes de danseurs,
sont fort en vogue ^ On affectionne aussi les simulacres
d'animaux exotiques : chameaux^, éléphants, rhinocéros,
perroquets, crocodiles, singes. Enfin, très souvent, les
personnages apportent avec eux des objets qui intro-
duisent quelque variété dans leurs évolutions : tourni-
quets, tables, buts pour courses de bagues et autres
accessoires souvent volumineux et encombrants.
Tous ces spectacles, en dépit du luxe des costumes,
étaient misérables au regard des merveilles auparavant
réalisées par Francini. Horace Morel, l'artificier du Ballet
de Tanerède^ chercha, sans revenir à la forme du ballet
mélodramatique ^ à parer le ballet à entrées d'une mise
en scène à l'italienne. Au mois de décembre 1682, il fit
représenter deux ballets, devant un public payant, au Jeu
de Paume du Petit Louvre, transformé en salle de spec-
tacle avec parterre, galeries et amphithéâtre. Le Ballet
de V Harmonie ^ comportait un grand nombre de machines
et de changements de décors : on voyait le ciel où trô-
nait Apollon sur une nuée, la grotte des Vents, un
paysage maritime. Le Ballet des Effets de Nature'* faisait
paraître successivement « une salle à faire noces »,
décorée de tapisseries et resplendissante de lumière,
1. Un dessin de l'album de la collection James de Rothschild représente
une femme géante, dont la robe est percée de trois portes par où sortent les
danseurs (f^ 40. v°).
2 . Un dessin de la collection de James de Rothschild montre le dispositif
employé pour figurer le chameau qui porte le cacique au ballet de la douai-
rière de Billebahaut [^ 40) •
3. Lacroix, IV, p. 208.
4. Lacroix, IV, 191.
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LE BALLET A LA SCENE l6l
un « désert plein d'horreur » avec des montagnes de
neige, des rochers..., l'Etna qui vomissait des flammes,
enfin un bocage émaillé de fleurs. Ces représentations
durent avoir un certain succès puisque, Tannée suivante,
Morel fit encore représenter le ballet des Cinq Sens de
la Nature^ et celui de la Puissance d'Amour^ mdiis, à
partir de cette époque il n'est plus question de l'entre-
prise de MoreP.
Ce n'est qu'en i64i que Richelieu reprit l'idée de
Morel et fit représenter un ballet à entrées^ sur le théâtre
de son palais, avec une superbe mise en scène. Le ballet
de la Prospérité des armes de France fut donné, le
7 février 164 1, en spectacle au Roi et à la Reine*. Si l'on
en croit Marolles, « on employa pour ce ballet les mêmes
machines qui avoient servi au même lieu le i4 jan-
vier 1641 » pour Mirante « avec de nouvelles inventions
pour faire paroitre tantôt les campagnes d'Arras et la
plaine de Casai et tantôt les Alpes couvertes de neiges,
puis la mer agitée, le gouffre des enfers et enfin le ciel
ouvert^ ». En réalité, toute la machinerie du Ballet de la
Prospérité est fort simple. Au P"^ acte, le théâtre repré-
sente un bocage. A un moment donné, le fond du théâtre,
qui est constitué par deux châssis mobiles, suivant la
méthode italienne, s'entr'ouvre et l'on aperçoit l'enfer
(( dans l'enfoncement » \ A l'acte II, on voit les Alpes
couvertes de neige : de nouveau les châssis s'écartent et
I. Bibl. Nat. Réserve Yf, iSag. (Lacroix, IV, 23o).
i. Lacroix, IV, 244-
3. Le Ballet du Grand Demogorgon fut sans doute aussi représenté au
Jeu de Paume du Petit Louvre, en i633. (Bibl. Mazarine 35. aôa, pièce 3i.)
4. Gazette de février 1641.
5. Mémoires, t. I, p. a36-a37.
6. Lacroix, t. VI, p. 35.
II
Iba LE BALLET DE COUR EN FRANCE
c( Gasal paroist dans resloignement, les tentes et retran-
chements des Espagnols et le camp des Français ». Il en
va de môme jusqu'à la fin. Quand on songe aux tours de
force accomplis, la même année, au Teatro JSovissimo de
Venise*, par Jacomo Torelli, le fameux architecte, qui,
quatre ans plus tard, allait venir émerveiller les Parisiens^
les machines de la Prospérité des armes de France parais-
sent bien timides et insignifiantes. Torelli avait inventé
un système de contrepoids, déclanchés par un levier,
grâce auquel il pouvait faire changer d'un seul coup,
presque instantanément, le décor le plus compliqué^.
La nécessité, pour les danseurs, d'évoluer sur la scène
du Palais Cardinal sans descendre dans la salle, occupée
tout entière par les spectateurs, eut des conséquences
inattendues pour le Ballet de Cour. On s'accoutuma à le
considérer comme un divertissement proprement théâ-
tral, caractère qu'il avait depuis longtemps perdu.
Quand, après la mort de Richelieu, Anne d'Autriche
s'installa au Palais Cardinal, ce fut dans la Salle des
Comédies, transformée par Jacomo Torelli et pourvue
d'une admirable machinerie ^, que, durant plusieurs
années, furent représentés des opéras italiens et des
ballets à grand spectacle.
Au milieu de ce cadre, tout différent de celui pour
lequel il semblait fait, le ballet d entrées se modifia, il
prit un caractère plus dramatique et peu à peu se rap-
procha de l'opéra auquel il empruntait déjà ses machines
et ses décors, auquel il était même parfois étroitement
I. Voir Galvaoi. Teatri musicali di Venezia, Ricordi.
1. Francesco Miliiia. Memorie degli architetti antichi e nioderni.
Parma 1781, t. II, p. 2i3.
3. Pour les représentations de l'Orfeo en 1647. ^f- L'opéra italien en
France avant Lulli^ chap. m.
LE BALLET A LA SCÈNE l63
Dès i65i, la ressemblance est si frappante
que l'anglais Evelyn qui assiste à la représentation des
Festes de Bacchus^ sur le théâtre du Palais -Royal, au
milieu de décors à Fitalienne, ne sait trop s'il admire un
ballet ou un opéra ". Ainsi la mise en scène joua, dans
révolution du ballet de Cour vers FOpéra, un rôle aii
moins égal, peut-être supérieur, à celui de la musique
dramatique. Au reste, ces deux courants d'influences
émanaient l'un et Tautre des mélodrames italiens repré-
sentés à Paris sous le ministère de Mazarin^.
III
Que le sujet d'un ballet de Cour soit noble ou bur-
lesque, mythologique ou romanesque, allégorique ou
réaliste, qu'il soit exposé par des récits et des chœurs ou
par des tableaux successifs, il n'a jamais qu\m objet :
préparer le plus ingénieusement possible la venue des
danseurs aux masques noirs, aux diadèmes d'aigrettes
et de plumes, aux tuniques enrichies d'or et de clinquant,
qui traceront dans la salle les diverses figures du Grand
ballet. C'est là une curieuse survivance. Le Grand ballet
reproduit très exactement le type de ces danses figurées
italiennes que des dames ou des seigneurs, masqués et
déguisés, exécutaient à la Cour de Catherine de Médicis.
La Mascarade, puis la Pastorale se sont emparées du
I. Notamment, en i654, pour les représentations de l'opéra de Carlo
Caproli Le Nozze di Pelco.
1. Il se sert du terme : « Royal masque or opéra », pour désigner le
spectacle qui se déroule sous ses yeux. Mémoires, London 18*27, in-8*^, II, Sa.
3. Sur linfluence exercée par la machinerie italienne sur lé ballet de Cour
après i65o. Cf. le chapitre VII de Y Opéra italien en France avant Lulli.
l64 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
ballet, mais le caractère original de ce spectacle apparaît
toujours dans le divertissement final. Seuls, de nobles
personnages y prennent part et le costume qu'ils portent
est, à peu de chose près, toujours le même : en dehors
du masque noir (parfois doré) et des aigrettes qui sont
de rigueur \ les danseurs sont vêtus de tuniques décou-
pées dans le bas qui laissent à découvert la jambe
nue, chaussée d'un brodequin montant jusqu'au mollet ^
En quoi consistaient exactement les danses du Grand
ballet ? Nous ne pouvons mieux faire que renvoyer à la
description de Beaujoyeulx pour la Circé de i58i, elle en
donne une idée fort exacte : « Ce fut lors que les violons
changèrent de son et se prindrent à sonner l'entrée du
grand Balet, composé de quinze passages, disposez de
telle façon qu'à la fin du passage, toutes tournoyent tous-
jours la face vers le Roy : devant la majesté duquel estans
arrivées, dansèrent le grand balet à quarante passages
ou figures géométriques et icelles toutes justes et consi-
dérées en leur diamètre, tantost en quarré et ores en rond,
et de plusieurs et diverses façons, et aussitost en triangle,
accompagné de quelque autre petit quarré, et austres
petites figures"^... A la moitié de ce Balet se feit une
chaisne composée de quatre entrelacemens différents » *. . .
Un livret imprimé nous a conservé le graphique du
Grand ballet à'Alcine^ en 1610. Les douze figures qui
1. « Tous les danseurs, avec des masques noirs, sont également parés
d'aigrettes, de plumes et de clinquant. » MaroUes, Mémoires, t. III, p, 112.
2. Voir dans le recueil de dessins du Louvre les planches 32.602, 32.649,
32.65 1. — Tous les danseurs d'un même grand ballet sont vêtus d'un cos-
tume identique. Le Prince, pour être distingué de ses compagnons, porte au
bras un nœud de ruban. V. planche VI.
3. Balet comique de la Roy ne, f° 55, v°.
4. Balet comique, P 56.
LE BALLET A LA SCÈNE l65
le composent sont ingénieusement diversifiées et devaient
produire un effet gracieux ^ On s'arrangeait parfois
pour que chaque figure représentât une lettre de l'al-
phabet % on écrivait ainsi le nom du Roi ou de la Reine,
mais le plus souvent cette attention délicate passait ina-
perçue des assistants"'.
Le Grand ballet était dansé soit par les dames — et
alors le spectacle prenait le nom de la princesse qui les
conduisait — soit par des seigneurs. Les ballets mixtes
avaient eu une courte vogue durant les dernières années
du XVI® siècle*, mais on n'en rencontre plus aucun sous le
règne de Louis XIII. Dans les ballets du Roi et des grands
seigneurs, aucune femme, noble ou non, ne paraît. Dans
les ballets de la Reine et des Princesses, des hommes
peuvent prendre part à la représentation, mais ce sont
exclusivement des baladins professionnels qui miment et
dansent les entrées de caractère.
Dans les ballets antérieurs à 1620 environ, on trouve
quelques intermèdes de danse figurée qui permettent
aux seigneurs ou aux dames de faire admirer leur grâce
et leur légèreté avant Tépreuve du Grand ballet. Déjà,
en i58i, dans la Circé, une troupe de Naiades se livre à
des évolutions géométriques, vers le milieu de la repré-
sentation, et quitte la salle pour ne reparaître qu'à la fin.
1. Ces figures sont reproduites par Lacroix, I, a65-268.
2 . Lacroix, I, 256.
3. M^^ de Bar « fit danser une fois un ballet dont toutes les figures faisoient
les lettres du nom du Roi. « Eh bien ! Sire, lui dit-elle après, n'avez-vous pas
remarqué comme ces figures composoient bien toutes les lettres du nom de
Votre Majesté ? — Ah ! ma sœur, lui dit-il, ou vous n'écrivez guère bien, ou
nous ne savons guère bien lire ; personne ne s'est aperçu de ce que vous
dites. » Tallemant des Réaux. Historiettes, I, p. 92.
4. Voir les ballets de Madame, publiés par Lacroix, I, p. 92, 112, 117 et
suiv.
l66 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
De même dans Renaud^ les courtisans de Louis XIII,
figurant les esprits aériens, après avoir dansé par petits
groupes successifs au commencement du spectacle, se
reposent ensuite jusqu'au Grand ballet. A cette époque,
les gentilshommes ne pouvaient encore prendre part qu'à
des danses nobles dans les ballets royaux ; mais la vogue
croissante des ballets-mascarades ^ où les courtisans révê-
taient les déguisements les moins glorieux, ne tarda pas
à apporter quelque tempérament à la rigueur de cette
règle.
Dès 1619, dans Tancrède., les futurs danseurs du Grand
ballet font leur entrée, par groupes de quatre, sous des
accoutrements de bûcherons, de scieurs de bois et de
sagittaires ; ils tracent quelques figures dans la salle puis
montent sur le théâtre et s'y livrent à une pantomime
cadencée. A partir de 1625, le Grand Ballet demeure
la dernière danse réservée aux seigneurs ; dans les
entrées, nobles et professionnels se coudoient. Seuls,
les ballets de la Reine conservent encore quelque temps
l'antique division des danses figurées et des ballets d'en-
trées.
A l'origine, le ballet dramatique ne comportait que
des entrées sérieuses. Dans la Circé., des chars font le
tour de la salle, escortés de figurants qui chantent et jouent
des instruments. Sous Henri IV, la mode des mascarades
eut pour effet d'introduire dans le ballet, à côté des danses
nobles, des entrées bouffonnes dont on confia d'abord
l'exécution à des baladins de profession.
En 1610, dans ^/cw^, des pages porte-flambeaux « vestus
en magots verts » viennent « saultans à petits bonds »
jusqu'au More qui les a fait entrer. Celui-ci leur donne
des confitures et des dragées qu'ils mangent, puis ils
LE BALLET A LA SCÈNE 167
dansent leur ballet « en dix façons, tousjours en cadence
avec saults, gambades, gestes et grimaces différentes* ».
Les théoriciens du ballet se contentent de distinguer
les entrées en sérieuses et en comiques^ et recommandent
de les entremêler de manière à ce qu'elles se fassent
valoir les unes les autres. Les entrées sérieuses^ ce sont,
par exemple, les entrées de guerriers, de bergers, de
nymphes, de chevaliers, de magiciens, de dieux; les
entrées bouffonnes font intervenir des estropiés, des
avocats, des démons sous les formes les plus baroques,
des satyres, des monstres, des personnages de la comédie
italienne et française, des matrones, des indiens et,
d'une manière générale, tous les êtres réels ou imaginaires
susceptibles d'être représentés de manière burlesque.
Tous ces figurants arrivent en scène avec leurs attributs :
les chevaliers agitent leur épée et leur rondache, les
boiteux s'appuient sur des béquilles, les villageois ont
un panier à la main, les avocats brandissent leurs rôles.
Lorsque le ballet est bien réglé, tous ces personnages,
après s'être avancés dans la salle, dansent avec leurs
divers accessoires, mais bien souventils n'ont pas esquissé
quatre pas qu'ils envoient promener tout ce qui les gêne.
Saint-Hubert s'en scandalise fort : « Je trouve que cela
n'est nullement à propos de voir entrer des gens d'une
façon et sortir d'une autre ! ^ »
Ce qui distingue les entrées des ballets proprement
dits, c'est qu'elles ont toujours un caractère expressif.
Beaucoup d'entre elles sont de véritables pantomimes
cadencées et celles-là même qui comportent des évo-
lutions géométriques n'en gardent pas moins un carac-
I. Lacroix, I, 244.
a. La manière de composer et faire réussir les ballets^ MDCXLI, p. i5.
l68 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
tère descriptif qui contraste avec l'admirable fête des
yeux, sans signification dramatique, du Grand ballet.
Ce sont les entrées qui constituent la comédie muette,
l'action du ballet de Cour; les danses figurées du Grand
ballet et de certains intermèdes n'ont qu'un intérêt
purement plastique. Dans les entrées, « les gestes et les
mouvements signifient ce qu'on pourroit exprimer par
des paroles* ». « Si les Anciens, déclare CoUetet, ont
appelé la Poésie une peinture parlante et la Peinture
une poésie muette, à leur exemple nous pouvons appeler
la Danse et surtout celle qui se pratique dans nos Bal-
lets une peinture mouvante ou une poésie animée. Car
comme la Poésie est un vray tableau de nos passions
et la Peinture un discours muet véritablement, mais
capable néanmoins de réveiller tout ce qui tombe dans
nostre imagination, ainsi la Danse est une image vivante
de nos actions et une expression artificielle de nos secrettes
pensées 2 ».
Il est impossible de ramener à quelques types la variété
infinie des entrées. A côté des danses de caractère, il y
avait des défilés, des scènes de pantomimes, voire des
tours d'acrobatie. Nous pouvons nous faire une idée de
tout cela, moins par les rares descriptions contemporaines
que par les recueils de dessins du temps \ En les parcou-
rant, on est frappé de l'originalité et du caractère expres-
sif des attitudes et des pas des baladins : ce sont, par
exemple, des ce amériquains » qui chassent en cadence des
I. De Pure. Idée des spectacles anciens et nouveaux^ MDCLXVIII (in-ia)
(B. Nat. J. i54i6).
a. Préface du Grand Ballet des Effects de la Nature (Lacroix, IV,
p. 191).
3. Les principaux sont conservés au Louvre, au cabinet des Estampes, à
la BibL de l'Institut, dans les collections James et Edmond de Rothschild.
LE BALLET A LA SCÈNE 169
perroquets et les font prisonniers dans des filets*; des
follets^ en costumes collants et bariolés, qui courent en
tous sens, jouant « à la balle forcée^ » ; des laquais et
des singes formant diverses figures autour d'un tourni-
quet^; des dames turques se disputant le mouchoir que
leur a jeté le Grand Seigneur, avec maintes plaisantes
postures*. Les esprits qui hantent la forêt de Saint-Ger-
main bondissent à demi nus, les cheveux au vent, avec
une légèreté surprenante \ Les chevaliers qui viennent
délivrer Renaud dansent « sous un air de trompette » un
pas martial en brandissant leur bouclier et leur baguette
enchantée^
Beaucoup d'entrées ne sont même pas, à proprement
parler, des danses. L'amoureux sexagénaire de la douai-
rière de Billebahaut s'avance pesamment, suivi de quatre
barbons que des bottes immenses, aux éperons trop
longs, embarrassent et font trébuchera Un juge accom-
pagné de son greffier se dandine avec une gravité ridi-
cule ^ Mahomet, une plume à la main, un turban gigan-
tesque sur la tète, marche derrière deux enfants qui por-
tent le Coran ouvert sur leurs dos^ Le Cacique fait son
1. Douairière de Billebahaut. Album du Louvre. Dessins 32.6a3 et 82.624.
— Les mêmes dessins se retrouvent dans le Recueil du cabinet des Estampes,
Qb. 32.
2. Louvre 32.672. — Reproduit par Bapst. Essai sur l'histoire du théâtre,
p. 225.
3. Louvre 32.685.
4. Mercure franqois. Année 1626, p. 191 et suiv.
5. Louvre 32.671 et Cabinet des Estampes Qb. 33. V. planche VIL
6. B. Nat. Réserve Yf. 1204.
7. Louvre 82.607. V. aussi l'entrée de la douairière, pi. VIIL
8. Louvre 82.647. Le Ballet du château de Bicétre abonde en scènes réa-
listes fort curieuses. Voir notamment le dessin représentant F « Entrée du
maquereau et des deux garces. » Louvre 82.660.
9. Louvre 32.627. — \. planche IX.
I^O LE BALLET DE COUR EN FRANCE
entrée monté sur un éléphant, précédé de trois nègres
qui frappent sur de petits tambours, et suivi de cinq
Africains gesticulant et gambadant*.
En dehors de ces danses ou de ces défilés, beaucoup
d'entrées sont de véritables pantomimes : dans Tancrède^
le magicien Ismène fait ses conjurations en cadence au
son des violons qui sonnent un air mélancolique, (c II
fait un cercle et des charactères avec sa verge, se plante
au milieu du cercle, ayant un pied nud. Trois fois se
tourna vers l'Orient, et trois fois vers le couchant ; trois
fois secoua sa baguette et trois fois du pied nud frappa
la terre M) .
Les jeux de scène de ce genre abondent dans les ballets
mélodramatiques. Les chevaliers présentent Fécu de
cristal à Renaud : aussitôt celui-ci « honteux et furieux
tout ensemble » brise ses chaînes ^ Tancrède en enten-
dant le nom de Glorinde jette son épée « que les vents
emportèrent hors de la forest, et recula de quelques pas
tout estonné de Faccident, puis s'approcha en dançant
et ouvrant les bras pour embrasser Glorinde* ». Dans ce
même ballet, les bûcherons « faisoient des actions de
couper du bois en cadence », les sagittaires après avoir
effectué leur entrée « avec des arcs et des flèches, faisans
gestes et contenances guerrières... montèrent sur le
théâtre, tirans aux monstres armez ^ )>...
Dans les ballets à entrées^ les scènes réalistes ou
burlesques sont en grand nombre : Dans les Fées des
1. Louvre Sa.ôSg.
2. Lacroix, II, p. 170.
3. Lacroix, II, p. na.
4. Lacroix, II, i83.
5. Ihid., II, 178-179.
LE BALLET A LA SCÈNE 171
forêts de Saint-Germain, des médecins sur leurs mules
courent la quintaine \ Dans \q Château de Bicêtre^ trois
faux monnayeurs se livrent à leur dangereux métier, un
d'eux forge le métal, un autre le travaille avec une pincer
On verra même dans le ballet de la Nuit, en i653, toute
la Cour des Miracles avec ses gueux, ses estropiés, ses
aveugles, ses culs-de-jatte et ses manchots^.
Ces tableaux et ces pantomimes n'ont qu'un rapport
très éloigné avec la danse théâtrale traditionnelle ; on
rencontre pourtant dans les ballets des scènes qui s'en
éloignent encore davantage. Ce sont de véritables tours
d'acrobatie. Ainsi, en i64i, dans le ballet de la Prospérité
des Armes de France, un italien, nommé « Gardelin* »
exécutait cent tours d'adresse. Dans le ballet du château
de Bicêtre, un Espagnol faisait la roue « encore qu'il fust
vestu en pèlerin, le roquet sur les espaules et la petite
boëte de fer blanc à sa ceinture ». Il était suivi de son
valet qui « passoit par humilité en dansant sous les
caprioles de son maistre* ». Dans les Fées des forêts de
Saint-Germain, l'entrée des couppes testes était un prétexte
à scènes de clowneries. Les figurants se livraient combat
1. Louvre 32. 681. MaroUcs fait allusion à cette scène. MémoireSy III,
p. 116.
2. liOuvre 32.675. — V. planche X.
3. Voir Henry Prunières et La Laurencie : ta jeunesse de Lully, S. I. M.
1909, p. 33o. — H. Prunières. Lully-y coll. Laurena, 1910 (in-S»), p. 17.
4. Gardelin devait figurer Vaigle au IV® acte. Il paraissait au V® acte dans
la 111° entrée. L'entrée précédente montrait: « Les sieurs Henaut, Le Goys,
Brotin et des Airs, représentans les réjouissances par des danses, sauts et
postures ridicules. » « Le sieur Gardelin avec ses compagnons vient au milieu
des précédens faire des sauts périlleux et admirables, lesquels ceux-là veu-
lent imiter, mais épouvantés par le dernier saut du sieur Gardelin, ils se
retirent tout confus. » MaroUcs prétend que Gardelin dansait sur la corde
en représentant la Victoire. Il fait erreur. C'est un certain La Force qui
s'acquittait de ce rôle (Lacroix, VI, p. 45).
5. Lacroix, IV, p. 223.
172 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
en cadence*, d'un coup de sabre ils faisaient voler en
Tair la tête ou le bras (en carton) de leur adversaire qui
continuait à ferrailler comme si de rien n'était. Enfin
la collection James de Rothschild nous a conservé une
série de représentations de pyramides humaines^, exé-
cutées au cours d'un ballet que nous n'avons pu iden-
tifier.
Ni les livrets, ni les mémoires n'autorisent à croire,
comme on le fait souvent ^ que des danses ordinaires,
pavanes, gaillardes, voltes ou branles, aient trouvé place
dans les entrées de manière habituelle *. On ne les
employait que fort rarement et seulement lorsque la
situation dramatique l'exigeait. Des paysans, conviés à
une noce, exécutaient plaisamment un branle de village^ ^
ou bien des Espagnols esquissaient un pas de sarabande
en jouant de la guitare ^ La danse propre aux ballets
n'avait rien de commun avec la danse du bal ; les pas
n'étaient point assujettis à des règles traditionnelles ;
ils variaient à l'infini. Le soin de régler les évolutions
des figurants était confié à des chorégraphes profession-
nels. Quelques seigneurs ne laissaient pourtant pas de
s'en mêler et l'on sait combien Louis XIII était fier du
ballet de la Merlaison dont il avait lui-même inventé
1. Louvre 32,68 1. — V. planche VII.
2. Recueil de costumes de ballets, fF, 43-45.
3. M. Reyher, en particulier, dans son bel ouvrage sur le Mask anglais
témoigne quelque surprise de ne pas voir nommer les danses exécutées dans
les ballets de Cour. La raison en est simple, on n'exécutait des danses de
bal que dans des cas tout à fait exceptionnels.
4. Les indications des livrets concernent seulement l'allure et le caractère
de la danse. Les chevaliers, venus pour délivrer Renaud, dansent wn bal grave.
5. Balet du Bureau d'adresses. Lacroix, VI, 25. — Dans le ballet de
Cassandre on danse les tricoleis poitevins^ VI, 274.
Q. Douairière de Billebahaut. Lacroix, III, 127,
LE BALLET A LA SCÈNE 17^
« les pas, les airs et la façon des habits- ». Ce n'était
pas une petite affaire que d'enseigner aux courtisans ce
qu'ils avaient à faire ; aussi Saint-Hubert conseille-t-il
d'avoir un maître à danser « pour trois ou quatre
entrées » seulement et de s'y prendre un peu à l'avance :
« Ce n'est pas trop de quinze jours pour un grand ballet
et huict pour un petit^ »
A l'origine, il n'y avait que les dames et les seigneurs
de la Cour qui prissent part aux danses des ballets dra-
matiques. Les acteurs mêmes de la Circé sont nobles^ ;
seuls, les musiciens sont des professionnels*. Il en était
encore ainsi en iSgS, dans les ballets représentés à
Tours, et M^^^ Anne de Rohan y déclamait elle-même plu-
sieurs tirades ^ Dans les ballets mélodramatiques^ non
seulement les chanteurs sont presque tous des musiciens
de métier, mais, à côté des gentilshommes qui dansent
les ballets proprement dits et certaines entrées de carac-
tère noble, on trouve de nombreux roturiers qui figurent
dans les scènes bouffonnes et grotesques. Enfin dans les
ballets à entrées^ courtisans et baladins dansent ensemble,
confondus.
L'organisation et l'exécution des ballets royaux demeu-
raient entre les mains d'un petit groupe de seigneurs,
toujours les mêmes. De 1610 à 1640, on retrouve sans
cesse les mêmes noms dans les livrets et les relations :
I. Gazette du aa mars i635. {Extraordinaire). La musique de ce ballet se
trouve dans la collection Philidor, t. III, p. aS.
a. La manière de composer..., p. 17,
3. Mi'« de Saint-Mesme joue le rôle de Circé. M. de La Roche, gentil-
homme de la Reine, celui du fugitif. Du Pont, gentilhomme servant du Roi
représente Mercure, M"*^ de Vitry une Dryade, le sieur Juvigny, écuyer du
Roi : Pan...
4. Savornin, Saint-Laurens, Beaulieu et sa femme, etc.
5. Lacroix, I, p. iia et suiv.
174 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
c'est le duc de Nemours ^ Tintendant suprême des fêtes
de Cour, qui, sur ses vieux jours, goutteux et perclus,
ne laissera pas de paraître encore sur la scène dans des
rôles convenables à son état. Ce sont les ducs de Ven-
dôme et de Metz, le maréchal de Bassompierre, le comte
de Cramail, grand amateur de théâtre^, ^itry, le baron
de Termes % le baron de Clinchamps*, M. de Liancourt
dont Fagilité est célèbre, Montpouillan, Chalais, Paluau,
Blainville, Courtenvaux, le comte de Soissons, les ducs
de Longueville, de Créquy, de Montmorency, d'Elbeuf...
Gaston d'Orléans raffole des petits ballets-mascarades
et excelle dans les rôles bouffons \ Le Roi, après la mort
de Luynes, s'y complait aussi; il se déguise en femme*,
en musicien de charivari \ en capitaine hollandais*, en
combattant grotesque^ en fermier^"! Il « dansoit assez
bien en ballet, assure Tallemant, mais il ne faisoit jamais
que des personnages ridicules ^^ »
1. Henri de Savoie, duc de Nemours était né en 1572, il mourut le 10 juil-
let i632. Tallemant dit de lui qu'il « était un des plus galants de la Cour et le
premier qui se soit adonné à faire des galanteries en vers, et qui se soit
mis en peine de se rendre capable de faire des dessins de carrousels et de
ballets » [Historiettes , I, p. 209). « Ce M. de Nemours avoit étudié l'art de
faire des ballets ; il en avoit fait plusieurs et avoit eu la curiosité d'en faire
de grands livres ou toutes les entrées étoient peintes en miniature. » [Ibid.,
II, 194) ■ Il est à remarquer que les albums qui nous ont été conservés repro-
duisent pour la plupart des entrées de ballets inventés par le duc de Nemours.
2. Auteur de la Comédie des proverbes^ publiée sous le pseudonyme de
Montluc et qui eut les honneurs de plusieurs éditions.
3. Tallemant. Historiettes, I, 118.
4. Marolles. Mémoires, III, 208.
5. En 1627, il paraît sur la scène figurant « un petit vieillard porté dans
une roulloire d'enfant. » Lacroix, III, 809.
6. Ballet des triomphes, Ballet de la Merlaizon.
7. Ballet du Sérieux et du Grotesque.
8. Ballet des Voleurs.
9. Fées des forest de Saint-Germain.
10. Ballet de la Merlaizon.
11. Historiettes, III, 56.
LE BALLET A LA SCÈNE 1^5
Il n'y avait qu'un petit nombre de baladins de métier
employés aux ballets du Roi. Les maîtres à danser se
contentaient de surveiller les répétitions et ne prenaient
que fort rarement part à l'exécution. Bocan^ célèbre
dans l'Europe entière*, n'est pas nommé une seule fois
dans les livrets de ballets. Les plus renommés parmi les
danseurs étaient, pour la plupart, des amateurs qu'un long
entraînement et des dispositions particulières avaient
mis en mesure de rivaliser avec les professionnels. Ils
appartenaient un peu à tous les milieux. Beaucoup
étaient musiciens, mais on en recrutait aussi dans la bour-
geoisie et jusque dans le Parlement. Le titre de « danseur
ordinaire des ballets du Roi » était fort convoité. Ceux-là
même qui ne prenaient part que d'une manière irrégulière
aux représentations étaient fiers d'y paraître et excitaient
l'envie. Aussi relève-t-on sur les listes des danseurs les
noms d'un musicien comme Ghambonnière% d'un avocat
au conseil comme Gabou^, d'un poète comme Boisrobel't.
1. Jacques Cordier dit Bocan, maître à danser de la Reine et de Madame
Henriette, en 1622, (Ms. fr. 7854, ^^ 263, v*^) semble avoir débuté en Angle-
terre, aux environs de 1610, comme maître de danse et chorégraphe (Reyher,
Les Masques anglais, p. 78). « Il étoit le miracle de son siècle non seule-
ment pour la danse, mais pour le violon. » (Sauvai. Antiquités, I, 829). En
1621, il avait épousé Radegonde Chefdeville (Ms. fr. 10,411, f*^ 67). Sur soii
contrat, il est qualifié « Jacques Cordier dit Bocquain, maistre à danser de
la Reine, logé au chasteau du Louvre » (Catalogue de la Libr. Saffroy, n*^ 65,
janvier 191 2). En 1667, il figure parmi les officiers de la feue Reine sur l'état
imprimé de la Bibl. Nat. Lc'^^/gS. — Notons que contrairement à l'avis
do M. Ecorchevillc [Vingt suites d'orchestre, p. 12), on ne saurait identi-
fier Jacques Cordier avec « Jean Cordier maître à danser des filles de la
Reine » (Arch. Nat. Y. 177 f» Si). Voir en effet le don fait à Marguerite
Gruel, veuve Jean Cordier, maistre à danser des filles damoiselles... pour
faire voiageavec ses enfants aux Isles d'Amérique, 4 août i653 (Ms. fr. 28.945
f° 54). Jacques Cordier avait fait recevoir son fils Gabriel en survivance de
sa charge (Bibl. Nat. Etat de i653. Lc'-8/93, p. 18).
2. Ballet de la Marine (i635), Lacroix, V, p. 72. Il représentera encore
un Héraut, en i654, dans les Nozze di Peleo.
3. Tallemant des Réaux. Historiettes, VII, 204.
l']t> LE BALLET DE COUR EN FRANCE
M. de Belleville, « le premier homme de sa profession »
fut Tordonnateur des ballets de Louis XIII, durant de
longues années*. Il était bon musicien^ et nous savons
qu'il avait composé « généralement tous les airs et tous
les pas )) de la Délwrance de Renaud et de Tancrède^.
Dans le ballet de 1617, il conduisait la troupe des
démons*. En 1622, il représente un fou niais dans le
ballet de Monseigneur le Prince^ ^ et, en i632, rHôte du
château de Bicêtre.
Le duc de Nemours avait à son service le baladin La
Barre ^ dont le nom revient sans cesse dans les livrets '
où il voisine avec ceux des autres danseurs habituels des
ballets de Cour : Picot, Delfîn, Verpré, Sainctot, Morel,
Le Camus, Mairesse, Barbonnat, Robichon, Poyanne,
Prévost, Hénaut% etc.. Le noble M. de Liancourt est
si féru de ballet qu'il dispute aux professionnels leurs
emplois ordinaires et se mêle à leur troupe. Il mime le
rôle de Jacqueline V Entendue dans les Fées des Forests
de Saint-Germain ; celui du Grand Cam monté sur un
chameau, en 1626 ^ et, dans le Château de Bicêtre^ se
1. Sur Belleville Cf. Ecorcheville. Vingt suites d'orchestre du XVII^ siècle
français, p. ii et i-î.
2. Il jouait de divers instruments, surtout de la mandore. MaroUes. Mé-
moires^ t. III, p. 207.
3. Lacroix, t. II, ii5 et i88. — Belleville avait composé, en i6i5, la
musique du Ballet des Petites Mores. Ms. fr. 24.357.
4. Lacroix, II, 3o8.
5. Lacroix, IV, 2.
6. Sur La Barre. Cf. Tallemant des Réaux, t. V, 192. MaroUes, III, 208.
7. Ballets du château de Bicêtre^ des Triomphes, de la Félicité, etc.
8. Sur les baladins ordinaires de ce temps voir MaroUes. Mémoires^ III,
p. 208 et l'index des noms des personnages figurants dans les ballets de la
collection James de Rothschild, publié en appendice au t. IV du catalogue
de cette bibliothèque par M. Emile Picot.
9. Douairière de Billebahaut.
C/3 >N
H
LE BALLET A LA SCENE 177
contente de Temploi de Valet de Vhôte et de Vhôtesse^
personnages représentés par Belleville et La Barre*.
Mais le héros de tous les ballets du règne de Louis XIII,
c^est l'incomparable Marais ^ Marais était un homme
d'armes de la compagnie du grand Ecuyer ^ Marolles
l'appelle « un danseur fameux de ce temps-là ». Il paraît
pour la première fois sur la scène dans le ballet de
Madame^ en i6i5, et y fait merveille*. Ce Marais semble
avoir été un mime prodigieux, doublé d'un bon musicien.
En 161 7, il représente « Armide en ses furies et ses
chants » ; en 1623, costumé en Bacchus, il entonne un
air à boire"; en 1625, il se fait applaudir sous les traits
de Guillemine la quinteuse^^ puis « courre la quintaine
habillé en docteur et chevauchant une « mule contre-
faite ^ » L'année suivante, il figure le Grand Turc dans la
Douairière de Billebahaut et fait son entrée, monté cette
fois sur un cheval véritable'. Marolles nous apprend
même qu'il ne s'en put servir « comme il eût bien voulu
à la lueur des flambeaux, parmi beaucoui|) de monde et
dans le bruit d'un grand concert de violons, de sorte que
l'acteur parfaitement adroit et dispos, fut contraint de
I. Voir la planche V.
1, Appelé aussi Marest et Le Marest.
3. Ménage dit que Marais était « porte-manteau » de Louis XIII. C'est à
sa prière que Malherbe aurait écrit la chanson : Cette Anne si belle. Quoi
qu'il en soit, Marais était une sorte de bouffon de Cour et jouissait d'une
véritable renommée. Une pièce satyrique associe son nom à celui de l'ac-
teur Vautret : « Vautray est chancelier, Marais garde des sceaux » [Variétés
historiques et littéraires, IV, 337).
4. Mercure français^ t. IV, p. 19 et 22.
5. Ballet des Bacchanales.
6. Fées des forests de Saint-Germain.
7. Marolles. Mémoires, III, 116. — En 1618, il montait, dans la Folie de
Roland, « un petit cheval artificiel ». Ms. fr. 24,357. p. 186.
8. Dessin du Louvre 32.628 et 32.63o.
178 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
mettre pié à terre plutôt qu'il n'eût fait pour danser, et
le cheval étonné et de fort mauvaise grâce, aiant même
gâté la place, fut promptement retiré* »... Marais tient
les premiers rôles bouffes dans tous les ballets de ce
temps ; il se fait applaudir dans le rôle du Magicien du
château de Bicêtre'^, Il paraît, en i635, dans le ballet des
Triomphes et dans le ballet de la Merlaizon, en i636,
dans le ballet des deux Magiciens et, en lôSg, pour la
dernière fois, dans le ballet de la Félicité.
A partir de i63o environ, toute idée de préséance dis-
paraît. En dehors du Grand ballet., réservé aux seuls
gentilshommes, les baladins roturiers prennent part à
toutes les entrées. Il est même d'usage d'encadrer les
grands seigneurs, dont l'adresse à danser n'est pas
toujours extrême, de quelques baladins exercés qui les
tirent au besoin d'un mauvais pas, les guident et les
entraînent. Saint-Hubert remarque que ce l'on peut faire
dancer en ballet toutes sortes de personnes, mesmes
jusques à des boiteux, et réussiront en de certaines
choses aussi bien que d'autres. Ce n'est pas que de bons
danseurs ne réussissent encore mieux, mais il y a des
entrées où c'est dommage de les employer, il les faut
réserver pour la belle dance et les meilleurs pas, estant
très nécessaire qu'il y aye de bons danceurs et des
entrées parfaitement bien dancées^ ». Cette préoccupa-
tion devait guider l'ordonnateur du ballet dans la distri-
bution des rôles et la composition des diverses entrées.
Saint-Hubert paraît avoir fort à cœur la création d'un
1. Mémoires, III, 116.
2. Il est représenté dans ce rôle sur un dessin du Louvre 32.665.
V. planche XIV.
3. La manière de composer..,, p. i3.
LE BALLET A LA SCENE 179
office particulier dans les Ballets de Cour, celui du
Maistre de V Ordre ^ sorte de régisseur chargé de faire
partir à temps les entrées, d'arrêter les violons au
moment voulu, de donner au machiniste le signal des
changements de scène, etc. Il semble ressortir de ses
doléances que, de son temps, Finventeur du ballet devait
remplir lui-même cet emploi et ne s'en acquittait pas
toujours à son honneur. Saint-Hubert confie également
au Maistre de V Ordre le soin de commander les costumes,
les masques et les divers accessoires.
On peut se faire une idée de la magnificence et de la
fantaisie des costumes de ballets d'après les nombreux
recueils de dessins qui nous ont été conservés et les des-
criptions minutieuses des livrets. Les grands seigneurs
dépensaient des fortunes pour porter des habillements
dignes d'eux ^ Aussi bien rarement les figurants étaient-
ils vêtus de manière rationnelle. Un baladin jouait le
personnage d'un ambassadeur avec un costume de toile
et un gentilhomme celui d'un mendiant avec un vête-
ment de soie et de velours. Saint-Hubert proteste contre
cette habitude : « W faut exactement que chacun soit
vestu suivant ce qu'il représente. Quelqu'un me dira que
si l'on habilloit un cuisinier suivant son mestier, qu'il luy
faudroit donner un habit et une serviette grasse qui
feroit mal au cœur à la compagnie. J'ay à répondre que
l'on le peut habiller avec peu d'ornement et au lieu de
serviette grasse, luy en donner une de taffetas blanc ou
de gaze ^ . . » On voit que de toute façon le réalisme n'était
I. Tallemant nous montre M, de Montmorency obligé d'emprunter au
financier Puget pour pouvoir figurer dans le ballet du Roi. Historiettes,
YIII, p. 116.
a. La manière de composer, p. 19.
l8o LE BALLET DE COUR EN FRANCE
pas de mise dans les costumes de ballet. Il faut pourtant
noter quelques tentatives de couleur locale assez réus-
sies. Dans la Douairière de Billehahaut^ paraissent des
lapons et des orientaux dont les costumes sont assuré-
ment moins fantaisistes que ceux que porteront, dans des
rôles semblables, les chanteurs d'opéras au xyiii* siècle.
Un goût singulier pour les couleurs voyantes préside
au choix des étoffes. Les rouges, les bleus et les verts
sont souvent associés de manière barbare, surtout dans
les habillements destinés aux musiciens, aux porte-
flambeaux et autres figurants qui ne peuvent faire les
frais de vêtements somptueux. Le burlesque de certaines
entrées consiste uniquement dans le costume des dan-
seurs. Les démons d'Armide portent de grands chappe-
rons, « un corcet de satin noir », des culottes à l'antique
et des bottes « esperonnées *. » Dans la Douairière de
Blllebahaut des Hocriccanes sont vêtus d'une seule veste
rouge qui leur tombe aux pieds et les Hofnaques de hauts-
de-chausses verts qui leur montent au menton ^ Dans
presque tous les ballets, on voit des personnages doubles,
des androgynes, par exemple, dont un côté du corps est
viril, l'autre féminin, dont le bras droit brandit une masse
d'armes et le gauche une quenouille ^ Mais ce sont les
masques qui donnent aux figurants leur véritable carac-
tère. Il y en a de toutes les sortes, depuis le simple loup
qui cache le milieu de la figure, jusqu'au masque de
Venise qui reproduit finement tous les traits d'un
visage ; depuis les faux nez jusqu'aux têtes postiches en
carton ou toile peinte. Cette variété était nécessaire puis-
1. Lacroix, II, ii5. V. pi. XV.
2. Dessin du Louvre 32.635.
3. Louvre 32.692.
LE BALLET A LA SCENE loi
qu'aucun danseur ne paraissait dans un ballet sans être
masqué. On s'explique mieux dès lors l'usage des tra-
vestis féminins. Dans les ballets du Roi on trouve en
effet mention d'entrées de nymphes ou de déesses. Or,
les dames ne sont admises à paraître que dans les ballets
des Princesses en compagnie desquelles elles exécutent
des danses figurées. Ce sont donc toujours des hommes
qui tiennent les rôles de femmes dans les ballets du Roi.
Souvent les masques sont si bien faits et les vêtements
si adroitement ajustés que ces travestis ne paraissent
nullement ridicules \ Il en sera encore longtemps ainsi
et, à l'Opéra, ce seront des baladins qui, jusqu'en 1681,
danseront les entrées de nymphes, de prêtresses, etc.
La question des travestis se complique parfois de
façon singulière ; c'est ainsi qu'en 161 7 une naïade
ce toute nue », précise le livret, sort d'une fontaine et,
deux lignes plus loin, nous apprenons qu'elle était
représentée par un page de la musique, ce qui permet
de douter de l'exactitude de la relation ^ En i6o4, un
enfant avait joué nu le rôle de Gupidon % mais c'était
une exception : en général, les figurants étaient
(( habillés comme s'ils étaient nus* », c'est-à-dire revê-
tus de maillots.
Les musiciens étaient associés, de la façon la plus
étroite, aux danseurs dans les ballets de Cour. Ils
réglaient leurs évolutions, les accompagnaient en leurs
entrées et exposaient par des récits et des chœurs le
I. Voir l'entrée des Sultanes dans la Douairière de Billehahaut. Louvre
3^.629.
2 . Lacroix, II, 109.
3. Hérouard. Journal sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII, t. I, p. 117.
4. VP Intermède des Amants Magnifiques, éd. de 1682.
l82 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
sujet du spectacle. Il n'était point rare qu'un ballet
royal nécessitât Tintervention des musiques réunies de
la Chambre, de la Chapelle et de l'Ecurie. Tous ces
artistes, pour prendre part à l'exécution du ballet, se
séparaient en plusieurs groupes ayant chacun ses attri-
butions, sa fonction particulière : les violons^ terme géné-
rique sous lequel on englobait tous les instruments à
archets, jouaient les ballets proprement dits, les instru-
ments à vent ou à cordes pincées accompagnaient sur
la scène les figurants ou soutenaient de leurs accords la
voix des récitants ; enfin les chanteurs se divisaient en
solistes, jouant et actionnant, et en choristes qui tantôt
paraissaient sur le théâtre et tantôt demeuraient invi-
sibles.
Déjà dans les mascarades de la fin du xvf siècle les
chars sont escortés de chantres et d'instrumentistes et
les seuls violons sonnent les danses figurées. Dans la
Circé de i58i, il en est ainsi : le char de la fontaine est
suivi de chanteurs déguisés en tritons qui jouent « lyres,
luths, harpes, flustes, et autres doux instruments avec
les voix meslées ». Ailleurs un satyre chante seul avec
accompagnement de sept flûtes. Quant à la bande des
violons, elle ne paraît que pour annoncer l'arrivée des
nobles naïades ; elle les fait danser et se retire avec elles
pour revenir en leur compagnie au moment du Grand
ballet.
Lorsque, vers 1610, des livrets imprimés et des rela-
tions nous donnent une idée de l'organisation matérielle
du ballet de Cour, 1 orchestre de danse qui, en i58i,
accompagnait dans la salle l'entrée des danseurs, est
isolé sur une estrade placée à quelque distance de la
scène. Il arrive pourtant que, par une survivance de l'an-
LE BALLET A LA SCÈNE l83
cienne coutume, les violons fassent d'abord leur entrée
avant de gagner leur échafaud ^ Ainsi, da.ns A Ici ne, les
violons, déguisés en esclaves turcs, font leur apparition
sur la scène par groupes de trois. La première troupe
joue la partie de dessus, la seconde celle de haute-
contre, la troisième celle de quinte, la quatrième celle de
quinta pars et la dernière celle basse-contre. Une fois au
complet, ils reprennent leur morceau tous ensemble
avant de monter sur Testrade où ils vont se tenir jus-
qu'à la fin du spectacle. En 1617, pour la Délivrance de
Renaud, ils sont logés en une « niche séparée ^ » sur le
théâtre même, semble-t-il, mais, en général, leur estrade
est dressée au milieu de la salle. Marolles recommande
qu'elle soit orientée de manière à ce qu'ils puissent
« voir commodément les Danseurs et les Machines...
afin d'y ajuster leurs concerts ^ ». Si Ton en croit Sorel,
les musiciens n'avaient pas toujours leurs aises, on
oubliait parfois de leur donner des pupitres et ils ne
savaient après quoi suspendre leurs tablatures manus-
crites*.
1. Il est d'ailleurs à noter que même lorsque les violons ne quittent pas
leur estrade, ils sont toujours costumés. On trouve le compte suivant relatif
à l'exécution du ballet des Fées des forests de Saint-Germain :
« Cent soixante huit aunes de taffetas incarnadin pour 24 grandes robes pour
habiller les 24 violons du Roy 67a livres tournois.
Quarante-huict aunes de bougran incarnadin pour
servir aux dictes robes 28 —
36o aunes de passementerie d'or et d'argent pour les
dictes robes 73 —
24 aunes de gance d'or 3 livres, 12 sols.
16 onces de soye incarnadin à coudre aux dictes robes 14 — 8 —
Cimber et Daujon. Archives curieuses de Vhistoire de France, 2® série,
t. VI, p. 66.
2. Discours au vray, p. 6.
3. Mémoires, III, 11 5.
4. Francion, livre V, édit. de 1673, p. 253.
l84 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
A la Cour, l'orchestre de danse était constitué par la
bande des « Vingt-quatre violons du Roy », célèbre
en Europe par l'agrément des diminutions, ornements et
enjolivements dont elle brodait avec art la trame un peu
nue des airs de ballets \ Ils jouaient toutes les danses
figurées et les entrées que n'accompagnait pas un
orchestre de scène ; encore arrivait-il que ce dernier se
contentât d'escorter les baladins dans la salle où les vio-
lons les faisaient dansera II en était de même pour les
chœurs qui saluaient de leurs chants l'arrivée des figu-
rants puis se taisaient pour les laisser commencer leur
ballet au son des violons ^ Souvent l'orchestre de danse
rythmait les gestes des pantomimes dans les scènes dra-
matiques. Dan» V Aventure de Tancrède, par exemple, le
magicien Ismène faisait « ses conjurations en cadence
au son des violons qui sonnoient un Jair mélancolique »,
La composition des orchestres de scène était assez
hétérocR^le. Des artistes de la Chambre et de l'Ecurie y
voisinaient et toutes les variétés d'instruments à vent ou
à cordes pincées, flûtes, hautbois, musettes, cornets,
cors de chasse, luths, lyres, guitares, théorbes, etc., y
étaient représentées.
On a vu que les musiciens, déguisés et masqués,
accompagnaient en jouant les personnages de l'entrée
jusque dans la salle, puis laissaient aux violons le soin
de les faire danser. Pourtant, dans certaines entrées de
caractère, les baladins dansaient aux accents de l'or-
1. Ecorcheville. Vingt suites d'orchestre du XVI I*^ siècle français.
2. On lit fréquemment dans les livrets des indications de ce genre : « Puis
entrèrent des bergers conduits par des musettes jusques dans la salle, où
les violions les firent danser. » Ballet du Roy ou la vieille Cour... Lacroix,
V, p. 64.
3. Tanarède. Lacroix, II, i86.
LE BALLET A LA SCÈNE l85
chestre de scène. Dans Tancrède^ quatre cornets, joués
par des satyres, rythment les pas de quatre silvains,
quatre hautbois ceux de quatre silènes et six flûtes ceux
de quatre dryades \ Dans la Douairière de Billebahaut^
des guitaristes grattent une sarabande qu'exécutent des
ce grenadins » ^ Dans les Nymphes bocagéres de la forêt
sacrée^ des bergers dansent au son des flûtes ^ Mais c'était
l'exception. Il arrivait aussi qu'un instrumentiste sur
la scène jouât en s'accordant avec les violons. Dans le
ballet de quatre monarchies chres tiennes^ pour l'entrée
delà République de Berne, deux tambours battaient ce à la
mode du païs avec un fiphre qui jouoit l'air avec les vio-
lons du Roy*. X)
Souvent les musiciens formaient à eux seuls une entrée
de ballet. Dans les Fées des forests de Saint-Germain y
des chasseurs campagnards « viennent dansans un ballet
sous le chant qui sort de leurs cors » puis s'approchant du
mannequin figurant la Musique, ils «prennent leurs luths
accrochez autour de son vertugadin... et dansent un
autre ballet aux doux chants de leurs voix et de leurs
luths* ». D'autres fois les musiciens se contentent de
faire le tour de la salle en sonnant de leurs instru-
ments. Dans la Douairière de Billebahaut^ la musique
I. Lacroix, II, 171, 17a.
1. Entrée des grenadins : « les uns jouoient de la guy terre scavoir le Roy,
M. le grand Prieur et M. de Barradas ; deux dansoient la sarabande, le comte
d'Harcourt et le commandeur de Souvray ; et le marquis de Mortemar
représentoit un musicien de Grenade, Mercure de France, i6'i6, p. 191 et
suiv. — Cette scène est représentée sur les dessins du Louvre n° 32.643-7.
3. Lacroix, IV, 146. Dans le Ballet de Psyché, 1619, des Néréides « dan-
cèrent leur Ballet sous les haubois desguisez en tritons. » Lacroix, II, 2o5.
4. Lacroix, V, io5.
5. Les Fées des forests de Saint- Germain. René GifTart, MDCXXV (in-40),
p. 4.
l86 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
de TAmérique est composée d'un Indien qui frappe
sur des gongs et de quatre joueurs de cornemuse- ; les
musiciens de la douairière défilent vêtus de costumes
extravagants ; quatre soufflent dans des hautbois, deux
dans des bassons '^ On trouve aussi dans les ballets de
nombreuses scènes de charivaris : telle, en 1627, cette
« sérénade des grotesques dont les instruments sont des
vielles, trompes marines, lanternes, grils, jambons et
pieds de pourceaux ^ Les entrées de hautbois, de flûtes,
de musettes et de luths sont innombrables dans les
ballets dansés sous Louis XIII.
Les entrées de luth avaient le caractère d'un véritable
concert, destiné à délasser l'assistance du spectacle des
danses. On trouve la musique de beaucoup de ces entrées
dans la tablature de Robert Ballard* et les recueils de
costumes nous en montrent quelquefois l'ordonnance
scénique. Les exécutants sont au nombre d'une douzaine,
ils portent des vêtements assez peu recherchés, par
exemple, une veste bleue unie et une longue jupe rouge.
Ils avancent lentement en grattant leurs instruments ^ Il
est rare que des luths seuls composent l'orchestre; le
plus souvent des théorbes, des mandores, parfois des
guitares prennent part à l'exécution.
Dans la Circé de i58i, les musiciens de la Chambre et
de la Chapelle étaient scindés en deux groupes. Les uns
au nombre de quarante — voix et instruments — demeu-
raient invisibles sous la Voûte dorée^ les autres compo-
1. Dessin du Louvre 32.6i8. V. planche XIII.
2. Louvre 32.6o5.
3. Lacroix, III, 3ii .
4. Bibl. Mazarine 4761, B. Voir Michel Brenet. Notes sur l'histoire du
luth. Bocca frat. Turin,
5. Dessin du Louvre 32.663.
LE BALLET A LA SCÈNE 187
saient les diverses entrées. Nous retrouvons un dispositif
analogue pour la représentation de la Délivrance de
Renaud en 1617. Des deux côtés de la scène, l'encadrant
en quelque sorte, sont placés deux orchestres que dissi-
mulent des feuillages. Soixante-quatre voix, vingt-huit
violles et quatorze luths s'y trouvent réunis sous la direc-
tion de Jacques Mauduit \ Ces musiciens, au lever du
rideau, faisaient entendre un chœur qui servait d'ouverture
à la représentation. Vers la fin du spectacle, lorsque les
seize chanteurs et luthistes dirigés par Guédron avaient
achevé dans la salle leur dialogue avec le Mage, il « se
faisoit une grande musique du concert du sieur Guédron
et de l'autre qui premièrement s'estoit fait admirer sous
la conduite du sieur Mauduit. Chacun avoua que l'Europe
n'a jamais rien ouy de si ravissant, et si, le nombre de
quatre-vingt-douze voix et de plus quarante-cinq instru-
mens faisoit un si doux bruit qu'il ne sembloit point
revenir au quart de ce dont il estoit composé"^ ».
Dans Tancrède^ les choristes interviennent de manière
plus théâtrale. Ils se tiennent dans le ciel, costumés en
anges, et vingt d'entre eux descendent sur une nuée dans
la salle chanter un compliment à la Reine. Ce dispositif
rappelle un peu celui du ballet de Madame en i6i5. Le
théâtre représentait une scène maritime. « Dans ceste
mer passoit une musique de tritons qui sonnoit un air sur
des hautbois et après eux venoit encore en ladite mer la
Musique de la Chambre du Roy, vestue en Tritonnides.
Ceste musique sortoit peu à peu de la mer et vint chanter
des vers sur la scène. Ayant achevé, le Ciel s'ouvrit en
deux et là dedans parut la musique de la Chapelle du Roy
I. Lacroix, II, p. 102.
a. Lacroix, II, 117.
l88 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
composée de trente musiciens tous suspendus dans ledit
Ciel et ceste musique avec celle de la Chambre chantèrent
ce dialogue ^)...
La Chapelle :
Nymphes des Eaux, arrestez-vous.
Demeurez, belles tritonnides.
Vous n'avez plus besoin de guides.
Minerve vient avecques vous
La Chambre :
Esprits ou Dieux, puisqu'il vous plaist
Nous apporter ceste nouvelle
Du retour de nostre immortelle,
Dittes-nous en quel lieu elle est *?
Avec les ballets mélodramatiques disparurent ces
grands ensembles, vraiment dignes des opéras qui floris-
saient alors en Italie. Dans les ballets à entrées^ les
chœurs accompagnent de temps à autre les solistes sur
la scène pour « faire le refrain » des récits \ mais le plus
souvent ils ne paraissent que pour annoncer, par un
concert vocal, la venue des danseurs du Grand ballet.
Plusieurs dessins nous montrent « la Musique servant de
récit au Grand Ballet H . Ils confirment les indications
des livrets et nous prouvent qu'on ne chantait jamais
a capella dans les ballets de Cour. Les musiciens nous
apparaissent rangés en belle ordonnance et vêtus d'une
veste bleue et d'une jupe rouge découpée dans le bas.
Deux, trois ou quatre pages sont au premier rang ; der-
1. Mercure français y t. IV, p. i8.
2. Dans le Ballet des voleurs par exemple, en i624'
3. Dessin du Louvre 3a.6o3, 32.652, 32,678. — V. planche XII.
LE BALLET A LA SCÈNE 189
rière eux se tient un joueur de basse de viole et une dou-
zaine d'artistes qui chantent en s'accompagnant sur des
luths, des théorbes, des mandores et autres instruments
à cordes pincées. Ce récit polyphonique final se retrouve
dans tous les ballets à entrées de quelque importance
dansés sous le règne de Louis XIII.
Les récits étaient chantés soit par des professionnels^
soit par des amateurs de talent. Il n'y avait aucune règle
précise à ce sujet. Dans la Délivrance de Renaud^ Marais
jouait le rôle d'Armide, De Luynes chantait un air et
le fameux Le Bailly « qui se peut glorifier d'avoir et
d'avoir eu la plus belle et plus charmeuse voix de son
temps )) ^ chantait le court dialogue de l'hermite avec les
soldats. Ce même artiste devait représenter le magi-
cien Ismène dans Tancrède ; il était alors assez âgé. Il
semble être monté sur la scène, pour la dernière fois, en
1622, dans le ballet de Monseigneur le Prince'^,
Vers i63o, les noms de Ghancy, de Moulinié et de Jus-
tice reparaissent souvent sur les livrets ; on y trouve
aussi ceux du duc de Mortemart et de Pierre de Nyert, qui
ne dédaignaient pas de se faire entendre dans les ballets.
Sous Louis XIII, il n'est pas question de femme ayant
chanté sur la scène. Au temps de Henri IV, la jeune Angé-
1 , Discours au vray, p. 20. Henry Bailly était un compositeur remarquable.
« On se persuade, assure La Mothe (dans son Discours sceptique sur la
Musique) que les airs modernes du Bailly... valent bien ceux de Phemius et
de Demodocus dans Homère », Œuvres, t. IV, p. a5o. Mersenne célèbre sa
méthode de chanter et le loue de faire sonner toutes les syllabes. Harmonie
Universelle. — Des chants, 356 et passim. En 1617, il était « Musicien ordi-
naire du Roy » (Ms. fr. i2.5a6 P 433). Il mourut, le 24 septembre 1637,
surintendant de la Musique de la Chambre du Roy » et fut inhumé à Saint-
Eustache (Ms. fr. ia.5a6 f*^ 127 b.
2. Il chantait le récit de la Folie imprimé dans le Livre XI des Airs de
différents autheurs avec la tablature de luth. Paris 1623, in-40 (45). B. ]N,
Réserve Vm7 669, Le livret est à la Bibl. Mazarine 35.202 pièce 28.
igo LE BALLET DE COUR EN FRANCE
lique Paulet^ s^était pourtant fait entendre dans le Ballet
delà Reine^ en 1609, ^vec un très grand succès ^
Dans les ballets mélodramatiques ^\q^ récits surgissaient
de manière irrégulière toutes les fois que les nécessités
de l'action le commandaient. Au contraire, dans les ballets
à entrées^ la place des récits est presque invariable. Il y
en a un au commencement de chaque partie et un autre,
généralement polyphonique, avant le Grand ballet. Les
récits ne sont pas toujours chantés par les personnages
qui sont censés les prononcer. Il arrive que le figurant de
la première entrée envoie devant lui son récit^ suivant
l'expression consacrée. Ainsi, dans les Fées des forests de
Saint- Germain^ Guillemine la quinteuse et ses sœurs
sont précédées par des musiciens qui chantent à leur
place. Il en va de même dans la plupart des ballets à
entrées.
L'artiste chargé du récit est masqué et costumé ; il est
souvent accompagné d'une petite troupe de musiciens
qui soutiennent sa voix du son de leurs instruments et
reprennent en chœur le refrain. D'autres fois il paraît
seul et s'accompagne lui-même sur un luth, une guitare
ou un théorbe. Les costumes des chanteurs sont d'un
symbolisme puériP. Le récit d'Alizon la Hargneuse est
1. Célèbre sous le nomàe Parthénie. Voir Grand Dictionnaire des pré-
cieuses de Somaize. Paris, Jean Ribou 1661, a® partie, p. 83.
2. Historiettes, t. IV, p. 8. Tallemant confond d'ailleurs le ballet de la
Reine (1609) avec le Ballet d' Apollon (1621). C'est à ce dernier qu'appar-
tient le récit : je suis cet Amphion auquel il fait allusion. M^'^' Paulet, en
1609, ne représentait pas Amphion mais, une nymphe montée sur un dau-
phin, d'où le vaudeville :
Qui fit le mieux du ballet ?
Ce fut la petite Paulet
Montée sur le dauphin, etc.
3. Les déguisements baroques de chanteurs abondent dans les recueils de
dessins qui nous ont été conservés, aussi préférons-nous y renvoyer sans
LE BALLET A LA SCENE 191
débité par un personnage à Taspect guerrier. Un canon
le coiffe, des mousquets et des épées s'entrecroisent
autour de ses épaules et de sa taille, de lourdes bottes
lui montent à la ceinture ; tout cet attirail devait être fort
gênant pour jouer du luth * I
insister davantage sur leur naïveté grossière qui contraste avec l'élégance
pittoresque des costumes des ballets mélodramatiques . (V. planche XIV, et
dans le recueil du Louvre les dessins 32. 610, 619, 62$, 632, 637, 642, 653,
683, 687, etc.
I. Louvre, dessin 32.679.
CHAPITRE V
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE DANS LES BALLETS
DE COUR
I. Poètes de Cour sous Henri IV et Louis XIII. — Les vers récités ou
chantés. — Les vers destinés à la lecture. — II. Compositeurs de la
musique instrumentale. — Ballets. — Entrées^ caractère descriptif
de ces compositions, — III. Compositeurs de la musique vocale. —
Les airs monodiques et polyphoniques. — Les Récits. — Origine du
récitatif dramatique français.
I
On pourrait difficilement trouver, durant la première
moitié du xvii® siècle, un poète qui n'ait écrit quelques
vers pour les ballets du Roi. De même que Mellin de
Saint-Gelais, Ronsard, Baïf, Jodelle, Dorât, Passerat,
Desportes, Expilly avaient composé d'innombrables pièces
pour les mascarades auxquelles se récréait l'humeur des
derniers Valois, de même, au temps de Henri IV et de
Louis XIII, les plus illustres comme les plus obscurs
parmi les poètes, apportent leur pierre à ces ouvrages
collectifs que sont les ballets dramatiques. Si l'on par-
court les livrets et les recueils du temps \ on trouve, en
tête de fragments poétiques destinés à des ballets, les
I. Voir en particulier le Recueil des plus beaux vers de Messieurs de
Malherbe y Racan, Monfuron, Maynard, Bois-Robert, L'Estoile, Lingendes,
Touvant, Motin^Mareschal... Paris, Toussaint Du Bray, MDCXXXVI, in-4''
(955 p.).
§1
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE ig'i
noms de Jean Bertaut, Malherbe, Gombaud, L'Estoile,
Motin, Sorel\ Porchères, Bordier, Racan, Golletet,
Théophile, Bois-Robert, Sigongues, Desmarets, Imbert,
de Rosset, Du Vivier, Voiture, Saint-Amand, voire Cor-
neille. Or, si l'on reconnaît en ces pièces de caractère
varié le style particulier à chacun de ces écrivains, il ne
paraît pas qu'aucun d^entre eux ait influé sur l'évolution
du ballet dramatique.
Le précieux Bertaut, le rude et pompeux Malherbe,
le grossier Sigongnes, l'héroïque Pierre Corneille, le
médiocre Bordier mettent leurs talents, si différents, au
service du même idéal ; aucun d'entre eux ne tente d'ériger
le ballet de Cour à la hauteur d'un genre littéraire. Ils font
ce que faisaient les autres avant eux, sans se préoccuper
de nouveauté. Les raisons de ce manque d'initiative sont
multiples. Il est évident que, seuls, les poètes de second
et de troisième rang travaillent avec zèle aux ballets
depuis que les récits déclamés en ont été exclus^; les
écrivains de quelque renom ne s'en mêlent que pour obéir
à des ordres reçus et aussi parce que c'est là pour eux
le meilleur moyen de se maintenir dans les bonnes grâces
du souverain, de se faire bien voir des puissants du jour.
Malherbe, qui, durant dix ans, écrit des vers pour tous les
ballets, ne cache pas son dédain pour ce genre de spec-
tacle. Il affecte de ne collaborer à ces divertissements
que contraint et forcé ^.
1. Voir les vers pour les personnages du ballet de la Douairière de
Billebahaut. Lacroix, III, p. i65 et suiv.
2. Corneille n'écrit durant sa vie que le seul Récit du château de Bicêtre.
Voiture, dont le talent semblait si bien fait pour réussir dans les vers pour
les personnages du ballet, ne nous a laissé qu'une seule pièce de ce genre.
Pour Minerve en un ballet : Vous qui chassiez de vostre Cour... OEuvres,
V^ édition, Paris, Courbé, MDCLVIII. Poésies, p. 26-27.
3. € Je ne vous mande rien du Ballet de la Reyne, écrit Malherbe à Peiresc,
i3
194 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Les ballets sont la ressource suprême des rimeurs
faméliques, en quête de pensions, et des débutants avides
de gloire. Etre désigné pour écrire les vers d'un ballet
royal « c'est une fortune que les poètes doivent autant
briguer que les peintres font le tableau du May qu'on
présente à Nostre-Dame ))\ Francion, pour ce s'acquérir
quelques habitudes à la Cour » ^, compose des vers sur le
personnage de la Reine, les fait imprimer et les distribue
dans la salle en même temps que les poètes « qui estoient
payés pour en faire ».
Il y avait, en effet, en dehors des poètes illustres qui
de temps à autre consentaient à produire des vers pour
les ballets, et des médiocres qui apportaient dans la salle
leurs élucubrations avec l'espoir, généralement déçu,
d'une gratification, quelques heureux mortels qui déte-
naient tout ou « partie de la charge des ballets ». Cette
charge, successivement Durand, puis Porchères, enfin
Bordier l'exercèrent. Ce dernier en fut le seul titulaire
durant une partie du règne de Louis XIIF. S'il eût eu
quelque génie, il eût pu, trente ans plus tôt, jouer le rôle
pour ce que je me connois fort peu aux descriptions de telles choses ; et sans
le commandement que la Reyne me fit de le voir, je ne fusse pas sorti de mon
logis... » OEuvres de Malherbe, édit. Lalanne, III, 8i. — Voir aussi Talle-
mant. Historiettes, I, 264. H ne faut pas d'ailleurs oublier qu'à en croire Racan,
« Malherbe avoit un grand mespris pour les sciences, particulièrement pour
celles qui ne servent que pour le plaisir des yeux et des oreilles, comme la
peinture, la musique et même la poésie ». Ce mépris ne l'empêchait point
d'être fort orgueilleux de son talent poétique et de composer sans cesse des
couplets de chansons, des récits et des vers pour les personnages des ballets.
1. Fure tière. i?om«Ai bourgeois^ p. 122.
2. La Vraye histoire comique de Francion, livre IV, édit, de Rouen,
MDCLXXIII, p. 246.
3. Dans le Ballet de la Douairière de Billebahaut ses vers sont imprimés
avec un petit avertissement rappelant qu'il a « charge de la poésie près de
Sa Majesté », à la suite on \ii Recueil des vers de quelques beaux esprits qui
ont travaillé pour les particuliers . Même dans le livret subsiste donc bien
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE igS
de Benserade, mais il était trop dépourvu d'originalité
pour se risquer tant soit peu hors des voies frayées
et n'avait pas un talent suffisant pour porter un genre
à sa perfection. Il est donc possible d'étudier le ballet
de Cour, au point de vue littéraire, sans se préoccuper
de la personnalité des écrivains qui, avant Benserade,
s'y distinguèrent.
Alors qu'en Angleterre les ballets dramatiques étaient,
pour un Ben Jonson, l'occasion de petits chefs-d'œuvre
poétiques*, en France, depuis l'abandon des récits
déclamés, il n'y avait plus à proprement parler de véri-
tables livrets. On continuait à appeler de ce nom les
brochures où se trouvaient réunis l'argument, la descrip-
tion du spectacle, les paroles chantées au cours de la
représentation et les vers destinés à être lus par les
spectateurs. Les relations, rédigées en style de gazette,
ne méritent pas de nous arrêter un instant, non plus que
les arguments en prose, tantôt enjoués, tantôt amphigou-
riques et toujours ennuyeux. Quant aux scénarios en
vers, ils sont, sans exception, d'une extrême platitude.
On en pourra juger par ce début de l'un d'eux choisi
parmi les meilleurs 2.
nette la division entre les poètes payes et ceux qui ne le sout pas pour écrire
des vers,
La charge des ballets n'avait d'ailleurs pas enrichi Bordier à en juger par
cette épigramme de Théophile :
Vous commettrez un grand abus
En prenant Bordier pour Phœbus,
Il est trop mal dans la fortune
Pour souffrir ces comparaisons.
Car Phœbus a douze maisons.
Et le coquin n'en a pas une,
Let, œuvres de Théophile. A Paris, Jean de la Mare, MDCXXXVI, p, 3ii)
(in-80) .
1, Castelain, Ben Jonson, Paris, 1907, in-S»,
2, Ballet de la Reyne dansé par les Nymphes des jardins en la grande
196 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Sujet du Ballet des Nymphes des Jardins
ENTRÉE : Mercure, Messager des Dieux,
Descend du Ciel et fend la nue
Pour annoncer Tagréable venue
Des Déïtez des jardins en ces lieux.
MUSIQUE : Après luy, les Nymphes des arbres
Invitent, de tout leur pouvoir,
Le gay Vertumne à les venir revoir,
Par leurs chansons qui raviroient des marbres...
Le texte poétique des scènes déclamées ou chantées
n'offre aucun détail technique qui soit particulier aux
ballets de Cour. Les monologues de la Circé sont écrits en
lourds alexandrins à rimes plates, dans le plus médiocre
style tragique de ce temps. La stance de six vers règne dans
les récits déclamés de Bertaut et de ses rivaux, au début du
XVII* siècle. Quant aux vers destinés à la musique, la forme
en est si variée que nous ne saurions entrer dans des
détails techniques sans entreprendre une étude d'ensemble
sur la poésie lyrique au xvii^ siècle, ce qui nous entraînerait
loin de notre sujet. Notons seulement que les vers irré-
guliers de certaines pièces s'expliquent par ce fait qu'ils
sont (( accommodés à l'air qui estoit fait », que, dans les
dialogues, les tirades alternent avec une symétrie cadencée
un peu fatigante, enfin que la plupart des récits sont des
stances de mètres variés et de six vers dont le dernier
forme parfois refrain \
salle du Louvre, au mois de février 1624- A- Paris, chez Jehan de Bordeaux
(in-80). Bibl. du Conservatoire.
I, Dans les ballets, les poètes observent généralement de faire une pause
au troisième vers des stances. Tallemant attribue à Maynard cette innovation :
« Racan qui jouoit un peu du luth et aimoit la musique, se rendit en faveur
des musiciens qui ne pouvoient faire leur reprise aux stances de six s'il n'y
avoit un arrêt au troisième vers... » Historiettes. 3^ édit., I, 268.
LA POESIE ET LA MUSIQUE 197
Les exemples que nous avons cités en analysant les
ballets suffiront à donner idée des formes ordinaires de
la poésie lyrique en ces spectacles. Les louanges des
souverains, les compliments aux dames, une exposition
plus ou moins claire du sujet forment le fond habituel
des récits quand ils ne se rapportent pas directement à
l'action comme dans les ballets mélodramatiques . Nom-
breux sont les récits burlesques écrits en jargon de fan-
taisie. Longtemps avant Molière et LuUy, les spectateurs
s'égayaient d'entendre chanter des vers inintelligibles
dans le genre de ceux-ci ^ :
Récit du Nord et des régions froides.
Toupan mepchico, doulon
Tartanilla Norveguen laton,
El bino fortan nil goufongo
Gan tourpin noubla rabon torbengo.
Enfin les allusions aux événements contemporains
sont fréquentes ^ Non seulement certains récits célèbrent
en longues strophes des victoires ou des événements
diplomatiques, mais parfois des scènes d'actualité sont
insérées dans les ballets, comme encore aujourd'hui dans
les revues de nos music-halls. En 1616, l'arrestation du
prince de Gondé fut commentée en une sorte d'intermède
sans rapport avec le sujet du ballet. On vit paraître « le
berger Damon et la bergère Sylvie qui récitèrent ce
dialogue'^ :
I. Lacroix, III, p. 174.
a. Les sujets mêmes des ballets sont généralement allégoriques. Le Ballet
d'Apollon, en 1621, a pour objet de montrer la victoire de Luynes, identifié
avec le Dieu de la lumière, sur le maréchal d'Ancre, personnifié par le ser-
pent Pithon.
3. Mercure françois, 1616, p. 3oi,
98 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
DAMON
Dois-je perdre tout mon aage
Sans repos ni liberté ?
SILVIE
Berger vous étiez volage
Mais vous estes arresté.
DAMON
Au moins qu'on me fasse entendre
Pourquoy je suis détenu.
SILVIE
Berger vous me vouliez prendre
Mais je vous ay prévenu, etc... »
Par un paradoxe assez singulier, les vers chantés ou
déclamés dans les ballets de Cour ne constituaient pas,
au point de vue littéraire, la partie la plus intéressante
de ces divertissements. Au xvi® siècle, les masques faisaient
voler du haut de leurs chars des feuilles imprimées sur
lesquelles se lisaient des maximes galantes. Cette coutume
avait passé dans le ballet. Dans nombre d'entrées du
début du xvii^ siècle, on voit les figurants, après avoir
dansé, offrir aux dames des livrets. Certains de ces
opuscules sont de simples badinages galants, en vers ou
en prose, sans grand rapport avec l'action. Dans le ballet
de la foire Saint-Germain^ vers 1606, des opérateurs don-
nent aux dames des « receptes merveilleuses » rédigées
en termes rabelaisiens ; des astrologues jettent dans la
salle des almanachs, aux prédictions facétieuses. Dans le
ballet de Monseigneur le Dauphin (t6io), deux person-
nages burlesques, Guillemin Tribard et Pacquette Cour-
LÀ POESIE ET LA MUSIQUE 199
talon, offrent aux spectateurs les articles ridicules de leur
contrat de mariage. Il en va de même dans les ballets
sérieux. Six cent trente vers servent à commenter sous
forme d'odes, de prosopopées, de prophéties héroïques,
les entrées du ballet de Madame^ en I6I5^ Des pasteurs
paraissent-ils sur la scène, le poète s'empresse de les
assimiler aux maréchaux, gardiens du territoire :
Pasteurs, ouy, estes-vous, grands mareschaux de France,
Vrais pasteurs de nos champs..,^
Au début du xvii^ siècle, les vers imprimés dans le livret
ont pour principal objet de représenter les discours que
tiendraient les divers personnages, s'ils rompaient le
silence auquel ils sont condamnés. Dans les ballets-mas-
carades^ ce sont presque toujours les mômes équivoques
ordurières^; aussi est-il difficile de citer desexemples.
Voici pourtant de jolis vers de Bertaut : Pour des
Masques assez hideux et sauvages'*.
Ces visages si peu semblables
A ceux dont les traits agréables
Prennent conseil de vos miroirs,
Trompent vos esprits, belles dames;
Nous ne sommes pas en nos âmes.
Si diables que nous sommes noirs...
ï. Les Oracles français ou Explication allégorique du Ballet de Madame.
Paris, Chevalier, i6i5, in -8°.
1. Lacroix, II, p. 83.
3. Voir Bibliothèque dramatique de M. de Soleinne..., t. III, p, 85, 89 et
suiv.
4. Recueil de quelques vers amoureux, Paris. Mainert Pâtisson, i6o5,
in-8*^. — On trouve aussi des récits de ballet d'un sentiment précieux et lin
dans le recueil intitulé : Les Muses ralliées. A Paris, chez Mathieu Guillemot
(vers 1607), p. ti/jo et suiv. (On y trouve des vers de Bertaut et de Porchères).
200 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Le destin devroit, ce me semble,
Déjoindre et désunir d'ensemble
Vos beautez et vostre rigueur ;
Et faisant un autre partage,
Ou nous donner vostre visage,
Ou bien vous donner nostre cœur.
Mais au lieu d'espérer ce change,
Qui seroit doucement estrange,
Le ciel fera par sa rigueur,
Que sur nous tombe le dommage :
Nous n'aurons pas vostre visage
Et si, vous aurez nostre cœur.
Les strophes suivantes présentent au public l'entrée
en scène d'une troupe de « couppeurs de bourses* » :
Voicy les enfans sans soucy
Tout de mesme ailleurs comme icy,
C'est leur nature.
Un trésor ne leur semble rien,
Car ils n'ont pour souverain bien
Que l'avanture.
Jamais ne sont las ne perclus,
Aux doigts leur tient certaine glus,
Où tout s'attrape,
Et sans faire semblant de rien,
Il n'est fille ou femme de bien
Qui s'en eschappe.
Quand ils sont le soir de retour,
C'est qui dira le meilleur tour
I. Lacroix, I, 234.
LA POESIE ET LA MUSIQUE
De leur souplesse :
Si l'un descouvre le poulet,
L'autre a relancé le valet
Et la maistresse.
Les personnages qui dansent sur la scène sont sou-
vent censés prendre la parole pour faire aux spectateurs
des aveux naïfs ou cyniques. En une entrée paraissent
ensemble le mari, la femme et l'amant, on lit sur le livret :
LE MARY
Sans faire de mauvais mesnage,
Je trompe ma femme aisément.
l'amy
Et moy bien plus facilement
Je trompe un mary trop volage.
LA FEMME
Mais moy bien plus subtile qu'eux
Je sais les abuser tous deux *.
Del'Estoile imagine le dialogue suivant entre la Douai-
rière de Billebahaut et son Fanfan de Sotte-Ville :
LA DOUAIRIÈRE
Que l'on doit bien craindre mes coups,
Est-il rien que je n'emprisonne ?
LE FANFAN
Certes tous vos traits sont si doux,
Qu'ils n'ont jamais blessé personne.
I. Les res\'eries d'un extravagant. Lacroix, V, p. 26.
202 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
LA DOUAIRIERE
L'on doit m'aymer uniquement,
Car je suis parfaitement belle.
LE FANFAN
f
Vos feux m'eschauffent tellement,
Que je n'ay froid que quand il gèle...
Enfin nous devons mentionner certains petits ballets
nommés bouffonneries^^ dont l'action burlesque était
représentée par une succession de scènes de pantomime.
Le livret de ces divertissements contenait les discours
prétendus des différents personnages.
Un garçon de cabaret qui met le couçert à deux soldats.
Montez, Messieurs, à la grand'chambre.
Je vay vous apporter du vin :
Voyez ce que vous voulez prendre
Ce chapon, perdrix ou lapin.
Les soldats s'en vont sans payer.
Serviteur bien humblement,
Le logis est vostre.
Quand nous aurons de l'argent
Vous compterez, l'hoste^ ».
C'était, pour les poètes, un jeu de rechercher des ana-
logies entre la qualité d'un noble personnage et celle que
lui attribuait l'action du ballet ^ Us y trouvaient matière
1. Voir en particulier la curieuse bouffonnerie du courtisan. Lacroix, I,
p. 374 et suiv.
2. Bouffonnerie de l'Issue du Cabaret. Lacroix, t. VI, p. i55.
3. Voir les vers de Théophile : Le Forgeron parlant pour le Roy : Je ne
suis point industrieux... Œuvres, Paris, Jean de la Marc, MDCXXXVI, p. 3o5.
LA. POÉSIE ET LA MUSIQUE 2o3
à éloges hyperboliques et à railleries piquantes. En i6i3,
la jeune Madame paraît dans le Ballet des Météores sous
les traits d'Iris, la messagère des dieux; aussitôt le
poète lui adresse ce compliment où il fait allusion à son
union projetée avec le roi d'Espagne :
Je suis le cher gaige des cieux
Et l'espoir du monde où nous sommes;
Paroissant, j'asseure les hommes
Qu'ils ont paix avecques les Dieux :
Et les deux plus grands de la terre,
Pour chasser à jamais la guerre
Et leurs peuples bien réunir,
Ont de leur amour fraternelle
Accordé que pour l'avenir
J'en seray la chaisne éternelle *.
Dans le ballet de la Douairière de Billehahaut^
Louis XIII, costumé en Persan, s'excuse en ces termes :
Je viens comme Persan, Docteur et Gentilhomme,
Ne m en croyez pas moins de la Foy protecteur.
Un turban sur le chef du fils aisné de Rome
Est tel qu'un mauvais livre en la main d'un Docteur ^.
Le ton des vers pour les personnages du ballet est en
général enjoué et galant.
Pour M. le comte de Roiissillon représentant
un vendeur de poudre.
Puisqu'il faut faire un jour entier
Ce pauvre et malheureux mestier,
1. Ballet de Madame, seiir du Boy, devant le Roy et la JRoyne, ou sont
représentez les Météores, par quatorze Nymphes de Junon... Paris, i6i3.
Bibl. Mazarine, 3a. 26a, pièce aS.
2. Lacroix, III, 164.
•204 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Amour, il faut bien s'y résoudre,
Mes rivaux n'en seront pas mieux
Car je ne porte de la poudre
Que pour leur en jeter aux yeux^
Pour M. le duc de Nemours
représentant le Baillif du Groenland,
En tout temps je suis juste et de facile accez,
Je sers aux vertus de refuge,
Et je suis un excellent juge
Qui scais juger de tout, excepté de procez^.
Parfois, lorsque le poète fait parler le Roi ou quelque
grand seigneur, il trouve des accents nobles et héroïques ;
Bordier se surpasse dans les vers où il identifie De
Luynes, vainqueur de ses ennemis, et Tancrède :
Eschappé des périls de la flamme et du fer
Où mon courage alloit chercher mes funérailles,
Je sors d'une forest que les monstres d'Enfer
Défendoient remparez de flambantes murailles.
Au lieu que mille feux, mille morts, mille horreurs
Me dévoient empescher d'achever ma poursuitte,
J'ay contrainst tout le camp de ces noires fureurs
De chercher son salut dans la honte ou la fuitte.
Et le poète conclut par ces deux vers cornéliens :
Je plains mes ennemis qui gisent au tombeau
Et cède à la pitié quand la force me cède^.
I. Ballet du Triomphe de la Beauté , 1640. Lacroix, V, p. 293.
1. Ballet de la Douairière de Billebahaut. Lacroix, III, 176 (vers de l'Es
toile).
3. Lacroix, II, p. 194-195.
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE 'io5
Lorsque les vers du ballet ne célèbrent pas les louanges
des Grands, ils chantent leurs amours. C'est leur prin-
cipal objet, observe le père Ménestrier\ « que de décou-
vrir des passions secrètes et de les faire connoistre aux
personnes », pour qui se donne la fête. Le plus souvent
le poète se tient à de vagues déclarations amoureuses
sans se risquer, comme le fera plus tard Benserade, à
désigner par des allusions transparentes la personne qui
se dissimule sous les noms supposés de Sylvie ou de
Parthénie.
M. le duc d* Elbeuf repj'ésentant un demy-fou.
Ce n'est donc pas assez d'avoir perdu mon cœur,
Esclave du bel œil qu'amour fit mon vainqueur,
Il faut que la raison me soit aussi ravie,
0 Dieux ! qui vit jamais de si divins appas?
C'est n'avoir point d'esprit de ne le perdre pas
Pour l'amour de Sylvie -.
Les contemporains de Bordier n'ont pas l'audace
agressive d'un Benserade. Leurs plaisanteries satiriques
demeurent générales et impersonnelles. Un baladin
parait-il sur le théâtre représentant un homme « moitié
procureur et moitié soldat », aussitôt le poète lui prête
ce langage :
Vous qui cherchez les biens qui font aimer la terre,
Soiéz ce que je suis, faictes ce que je faicts,
Avec aucthorité vous pillerez en guerre,
Avec impunité vous voilerez en paix^.
I. Des Ballets anciens et modernes, p, 292.
a. Fées des forests de Saint-Germain. Lacroix, III, p. 4'J'.
3, Lacroix, t. V, p. 11.
io6 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Il est rare de trouver des allusions précises à quelque
trait de mœurs des personnages qui figurent dans les
ballets. Celles qu'on rencontre sont aimables et bien-
veillantes.
Pour M, le duc d! Angoulesme
représentant le Père de V Epousée de Vaugirard.
Semblable à ces grands capitaines
Qui logeoient dans les champs leur front victorieux,
Naguère chef d'armée et Prince glorieux,
Je donne à mes désirs les bois et les fontaines.
Là, quelques beautés chérissant,
Je rajeunis en vieillissant ;
En parle qui voudra, je me ris de l'envie
Mars, Amour et Diane ont partagé ma vie ^
Parfois le poète se hasarde à rappeler quelque mésa-
venture arrivée à celui qu'il met en scène, mais il le fait
toujours sur un ton fort courtois. Un ballet faisant inter-
venir « des gens cherchant la cadence que le vin leur a
fait perdre », on lit dans le livret :
Pour Villedan^ chercheur de cadence.
Attraper la cadence est un pénible ouvrage :
Je perds en cette enqueste et ma peine et mes pas ;
Je la cherchay jadis dedans le mariage
Et ne Ty trouvay pas^.
Nous sommes encore loin de Benserade et des traits
acérés dont il crible les tares physiques et morales des
gens de Cour. Il est vrai que le délicieux poète saura tout
1. Ballet des Triomphes dansé par le Roy en la salle du Louvre les i8 et
20 février de Vannée i635. Paris, Sara, in-4*^ (Bibl, du Conservatoire). Ces vers
sont de Bordier.
2. Festes de Bacchus. Lacroix, VI, p. 286.
LA POESIE ET LA MUSIQUE 207
dire avec grâce et que la forme fera tout passer. Les con-
temporains de Bordier, lorsque par hasard ils s'attaquent
à quelque pauvre baladin sans défense, le font avec une
brutalité choquante. Un ballet, dansé vers i6i5, mettait
en scène un proxénète. Son rôle, nous apprend le livret,
était dévolu à « M. Samant qui, de la science d'autruy,
en fait marchandise en la Court » * :
On me cognoist pour homme entier
Franchement je faicts le mestier, etc.
On comprend mieux, lorsqu'on a lu un grand nombre
de vers de cette sorte, l'enthousiasme des gens de goût
pour les vers de Benserade ^ Non seulement, comme le
note Victor Fournel, « la distance est énorme entre les
ballets de l'époque précédente et les siens; mais, en dépit
des analogies matérielles créées par les lois du genre, il est
presque impossible de les rattacher à la même famille ^ »
Et pourtant si l'on examine de près les vers d'un Bordier
ou d'un l'Estoile et si on les compare à ceux de Benserade,
on constate que ce dernier n'a rien inventé, il n'a fait que
mettre son talent prestigieux, son esprit étincelant, au
service d'un genre poétique délaissé jusque-là et aban-
1 . Recueil des Balets qui ont esté jouez devant la Majesté du Roy... par
P. B. S, D. V. historiographe du Roy (in-S*^), édit. par Lacroix, II, 5i.
2. Voir en particulier la belle lettre de M'^^ de Sévigaé où elle s'indigne
des attaques de Furetière contre Benserade : « On ne fait point entrer cer-
tains esprits durs dans la facilité des ballets de Benserade et des fables de
La Fontaine : cette porte leur est fermée et la mienne aussi : ils sont indignes
de jamais comprendre ces sortes de beautés, et sont condamnés au malheur
de les improuver. — C'est le sentiment que j'aurai toujours pour un homme
qui condamne le beau feu et les vers de Benserade dont le Roy et toute la
Cour a fait ses délices... Je ne m'en dédis pas, il n'y a qu'à prier Dieu pour
un tel homme et qu'à souhaiter de n'avoir pas commerce avec luy. » Ed. des
Grands écrivains, VII, 5o4.
3. Contemporains de Molière y II, 190.
208 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
donné à des poètes de second ordre. Les vers pour les
acteurs du ballet existaient un demi siècle avant Ben-
serade et Ton s'y permettait déjà des allusions à la
personnalité de ceux qui dansaient sous le masque. La
phrase de Perrault « le coup pprtoit sur le personnage et
le contre-coup sur la personne, ce qui donnoit un double
plaisir^ en donnant à entendre deux choses à la fois, qui,
belles séparément, devenoient encore plus belles estant
jointes ensembles » peut s'appliquer aux vers de Bor-
dier comme à ceux de Benserade. Il y a seulement entre
ces poètes la même différence de talent — nous n'osons
dire de génie — qu'entre un Gambefort et un LuUy.
II
Le soin de composer la musique des entrées était
laissé le plus souvent à ceux-là même qui en réglaient
les pas et en ordonnaient les figures. Les artistes de
réputation qui dirigeaient la Musique de la Chambre du
Roi rivalisaient entre eux lorsqu'il s'agissait d'écrire
pour les ballets des récits à une ou plusieurs voix, mais
ils eussent cru déchoir en se mêlant des danses, cela
était bon « pour Messieurs les Violons ».
Nous ignorons qui de Salmon ou de Beaujoyeulx fut
l'auteur des ballets de la Circé^ en i58i, mais il est infi-
niment probable que le Piémontais en avait lui-même
inventé les airs, car, par la suite, la musique instrumen-
I. Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant le XVIP siècle.
La Haye, 1736, in-S^, t. II, p. i83. — « Avant luy, dit Perrault, les vers
d'un Ballet ne parloient que des personnages que Ion y faisoit entrer et
point du tout des personnes qu'ils représentoient. » Nous avons vu au con-
traire que ces sortes d'équivoques étaient déjà en vogue au début du
xvn° siècle.
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a j
a o — '
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LA POESIE ET LA MUSIQUE 209
taie des ballets est presque toujours Tœuvre d'un violon
ou d'un baladin. C'est la « Grande Bande des Vingt-
Quatre » qui fournit la plupart des compositeurs de danse,
sous Henri IV et Louis XÏÏI. Celui dont le nom est cité
le plus fréquemment, durant les premières années du
siècle, est le sieur Chevalier, joueur de quinte de viole,
qui écrivit de i587 à 1617 environ, la musique d'innom-
brables ballets et boutades : Les enfants fourrés de ma-
lice^ les Tirelaines ^ la Mariée^ les Garçons de taverne^
les Juifs ^ les Souffleurs d'alchimie^ le Roy Arthur ^ etc.*.
Après lui, Belleville et Bocan luttèrent d'émulation et
se couvrirent de gloire. Tous deux étaient baladins de
métier, mais sonnaient le violon en perfection ^. Enfin
on ne saurait passer sous silence Louis Constantin
auquel échut, le 12 décembre 1624, le sceptre de Roi des
Violons et dont les danses jouirent d'une grande vogue
en leur temps ^ La collaboration entre les baladins et
1. Fétis donne la liste tout au long à l'article Chevalier. Il devait la con-
naître par Beffara qui avait parcouru les papiers du fonds La Vallière aux
manuscrits de la Bibliothèque Nationale.
2. Pour les contemporains, Bocan était surtout un joueur prodigieux de
violon.
... Colin nous jure
Qu'il est aussi bien Apollon
Que Boccan est bon violon.
{Les œuures du sieur de Saint-Amant. Rouen.
Jean Boullay, MDCXLII, p. 216).
Dans l'histoire comique de Francioriy les a4 violons sont appelés « les
disciples de Bocan »> {Op. cit., p. 254). Brienne dans ses mémoires déclare :
« Boccan qui étoit le Baptiste d'alors et jouoit admirablement du violon.., w
{édit. Barrière, 1828, I, 274). Pourtant Bocan professait, comme d'ailleurs
plus tard Lully, un grand mépris pour les artistes qui composaient la Grande
bande. Voir Sauvai. Antiquités..., I, 329.
3. La pacifique de Constantin (Philidor, I, 32) fut très célèbre. Voir sur
Louis Constantin : Ecorchcville. Vingt suites d'orchestre..., p. 20. —
Michel Brenet. Les concerts en France, p. 5i, 57 et 61. — MaroUes.
Mémoires, 1755, t. III, p. 207. Constantin mourut le aS octobre 1657, il fai-
sait partie de la Grande bande, a «moins depuis 1619.
14
2IO LE BALLET DE COUR EN FRANCE
les instrumentistes était fort étroite, il arrivait souvent
qu'un membre de la Grande bande ou même quelque
musicien de la Chambre harmonisât un thème que lui
chantait un chorégraphe peu versé dans la science du
contrepoint. On voit ainsi souvent nommer dans les
recueils l'auteur de la mélodie et l'auteur des parties^
comme on disait alors*.
Ce qui frappe surtout lorsqu'on parcourt la musique
des ballets de cette époque, c'est sa monotonie ou, pour
ainsi dire, son immobilité. Il ne semble pas qu'il soit pos-
sible de discerner un style particulier à Bocan, à Cheva-
lier ou à Belleville. Les milliers de thèmes que renferme
la collection Philidor paraissent sortis de l'imagination
d'un même artiste. Il y en a de gais, de mélancoliques,
de vifs et de lents, de spirituels et de langoureux, mais
tous ont comme un air de famille et se ressemblent. Entre
1600 et i65o, c'est à peine si l'on observe un léger chan-
gement de manière dans les partitions des ballets.
Il faut toutefois ne pas s'abandonner trop aveuglé-
ment à cette impression. Nous ne connaissons pas les
œuvres dans leur texte original et, à moins que le
fameux recueil de Michel Henry ne se retrouve quelque
jour ^, il faut perdre l'espoir de les pouvoir juger autre-
I. Dans la relation du Ballet de Tancrède par De Gramont, on lit que « les
airs des violons et les pas merveilleusement bien concertez » avaient été donnés
par « M. de Belleville... » Puis dans le livret de Psyché, dansé quelques jours
plus tard, on voit que ce ballet réussit « très heureusement parle soinget la
diligence de ceux qui s'estoient employez au Ballet du Roy, soit pour
l'ordre, les pas, la musique et les airs des violons dont M . de la Barre, très
excellent organiste, avoit composé les parties, comme encore celles du Ballet
du Roy. » Il semble qu'il faille interpréter ainsi cette contradiction apparente
entre les deux relations de Gramont : Belleville avait inventé les airs et le
docte La Barre les avait harmonisés. Sur La Barre, voir Michel Brenet. Con-
certs en France.
'1. Ce recueil d'airs (qui semble bien avoir été l'original d'après lequel
LA POESIE ET LA MUSIQUE 2 11
ment que par la version de Philidor et les arrangements
pour luth. Ces derniers sont malheureusement en fort
petit nombre et il n'est pas souvent possible de les iden-
tifier. Ils suffisent néanmoins à nous rendre sensible
l'infidélité des copies du Conservateur de la Bibliothèque
du Roi. Que l'on compare l'entrée du Ballet des paysans
changés en grenouilles^ telle que nous la donne Ballard
dans sa tablature*, avec la transcription de Philidor^, et
l'on sera surpris de la manière dont celui-ci a alourdi et
défiguré ce morceau ^ On doit donc considérer la collec-
tion Philidor plutôt comme un précieux répertoire théma-
tique que comme un recueil d'airs copiés avec exactitude.
Version Ballard.
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Philidor a établi le texte de sa collection) était au commencement du
xviii*' siècle « entre les mains de M. du Rondray ; il a été vendu au mois
d'avril lySS, il est à présent à M... » écrit Beauchamps dans son Essai sur
l'histoire du théâtre. Ballets, Mascarades, p. i8 de l'édition in-4'> (i735). Il
semble que l'acquéreur ait été le duc de La Vallièrc qui cite souvent cette
partition dans son livre : Opéra, ballets et autres ouvrages lyriques. Il en
parle également en un endroit de ses manuscrits. Voir Ms. fr. a5.465, p. ao.
1 . Bibliothèque Mazarine. Réserve B . 4761 . Nous espérons pouvoir publier
un jour cette intéressante tablature que nous avons entièrement transcrite.
2. ï. II, p. 61.
3. La comparaison entre les deux versions de Ballard et de Philidor du
ballet des Amoureux contrefaits n'est pas moins à l'avantage du luthiste.
212 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
Version Philidor.
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^'t"rl^J3|r r
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XE
^
Les origines du ballet^ considéré comme danse, sans
caractère de] représentation dramatique, remontent fort
haut. Dès le xv'' siècle, des danses figurées se rencontrent
en Italie sous le nom de brandi et sont caractérisées,
comme les futurs ballets^ par la succession et la liaison
de divers segments, de mesure et de mouvements diffé-
rents*.
(( Les balets, écrit Mersenne, ne sont autre chose
qu'un meslange de toutes sortes d'airs, de mouvemens et
de pieds à discrétion, et selon que la science conduit
Tesprit de Fauteur de ces dances-. »
Le musicien n'a pas, en effet, à se préoccuper pour les
ballets, comme pour les danses ordinaires, d'assujettir
la mélodie à des formules rythmiques invariables et
déterminées. Suivant les figures et les pas qu'il imagine,
il varie à l'infini les combinaisons : il fait alterner les
mesures binaires et ternaires, presse ou ralentit les
mouvements, change de ton au besoin. La musique d'un
ballet prend ainsi l'aspect d'un mélange — comme dit
Mersenne — de plusieurs morceaux dont chacun corres-
1. Cf. Cesare Negri. Le Gratie d'amore (1602). Caroso. IlBallerino {i58i).
2. Mersenne. Harmonie uni\>erselle . Des chants^ T. II, p* 170.
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE 2l3
pond à une phase de Texécution chorégraphique. Ces
divers fragments, soudés les uns aux autres, gardent
pourtant une indépendance relative. On joue les uns une
seule fois, les autres deux, trois fois ou davantage, selon
les besoins de la réalisation plastique. Mersenne qui
donne, dans son Harmonie Universelle^ un intéressant
exemple de ballet « composé de seize mouvemens »
explique que ceux-ci « sont exprimez par les nombres
qui suivent chaque clef, car 2 signifie que le mouvement
est deux fois plus viste que le précédent, et 3, 4? etc.,
qu'il est trois, quatre fois plus vite... » Voici les pre-
mières mesures de ce ballet * :
y^^'^\" iJJiJjrf]^mfffiTfrrnfr^fe^rif-r^N:..
Dans la Circé^ le Grand Ballet comportait une petite
entrée à 4 temps à laquelle succédait la Grand' Entrée
composée de sept mouvements différents. Les Grands
ballets de la collection Philidor sont en général moins
développés, car ils servent, pour la plupart, de conclu-
sion à des boutades ou ballets-mascarades de peu d'im-
portance. On en trouve quelques-uns qui se déroulent
sur un rythme invariable, mais c'est l'exception et d'or-
dinaire les divers tronçons qui constituent le Grand
ballet obéissent à des mesures différentes.
Les airs des entrées se divisent souvent en deux par-
ties, la première, de mesure binaire, scande la marche des
figurants, la seconde, à 2, 3 ou 4 temps, accompagne
leurs évolutions cadencées. On est frappé, en parcourant
la collection Philidor, de la brièveté des entrées qui y
sont notées, mais il ne faut pas oublier qu'elles n'y
I. Des chants, T. II, p. 178.
2l4 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
sont presque jamais transcrites sans coupures ^ et que
chaque reprise était sonnée un grand nombre de fois.
C'était l'habitude, pour rendre cette répétition moins
choquante, de varier le thème et de Torner de diminu-
tions % ce qui ne laissait pas d'embarrasser parfois
les danseurs. C'est contre cet usage que s'élève l'abbé
de Pure ^ : « celui qui a la direction du ballet doit
prendre un soin exact de faire jouer, note pour note,
l'air du ballet sans permettre ni redouble, ni batterie
qu'alors qu'on ne danse point ; car aussitôt que l'en-
trée est commencée, la gloire du violon n'est plus qu'à
jouer juste de mesure et de mouvement sans vouloir
affecter n'y passage, n'y diminution... Il y en a toutefois
d'incorrigibles et qui, éblouis de la vitesse de leurs
doigts, ne regardent plus aux pieds du danseur ni au
ballet ». Remarquons, à ce propos, qu'on a eu tort de
croire sur parole l'abbé Dubos, lorsqu'il écrivait, en 17 19 :
(( Il y a quatre-vingts ans que le mouvement de tous les
airs de ballet étoit un mouvement lent et leur chant
marchoit posément, même dans sa plus grande gaieté* » ;
Les contemporains de Louis XIII étaient d'un tout autre
avis : à les en croire, les violons français exécutaient
leurs airs de ballet avec une vivacité extrême. Les étran-
gers, assure l'abbé de Pure, « sont étourdis de la pres-
1. On peut se faire une idée de la manière dont un thème d'entrée était
développé en lisant la partition du Ballo dell Ingrate de Monteverde où un
seul motif mélodique est longuement varié et développé durant toute la durée
de la représentation. Voir Torchi. Varie musicale in Italia, t. VII.
2. C'est Lully qui réagira contre cet usage. Voir Bauderon de Senecé.
Lettre de Clément Marot à M. de *** touchant ce qui s'est passé à l'arrivée
de J. B. de Lulli aux Champs-Elysées. A Cologne, chez Pierre Marteau,
MDCLXXXVII, p. a5 et 26.
3. Idée des spectacles anciens et modernes ^ p. ayS.
4. Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture^ 4® édit., Paris,
1740 (in-8°), t. III, p. 168.
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE 2l5
tesse de nos violons et de ces chants et de ces tirades
de Farchet à chaque demy-mesure ou à chaque note
blanche » \ Enlin, dès i635, Mersenne proclamait : «On
expérimente que les airs des balets et des violons
excitent davantage à raison de leur gayeté qui vient de
la promptitude de leurs mouvemens^ »
Nous avons vu, en parlant de la danse, que les entrées
comprenaient des scènes de pantomime cadencée et des
évolutions figurées. La musique reflète ces divers carac-
tères. Les airs qui accompagnent les entrées à figures
géométriques ne sont pas, en général, fort expressifs ;
les mouvements changent suivant les nécessités de la
danse, mais on ne devine pas, à lire la partition, les gestes
et les pas des baladins. Les rythmes saccadés en notes
pointées sont d'un usage continuel et Ton ne peut rien
imaginer de plus fastidieux que les successions ininter-
rompues de motifs de ce genre.
pTnj-^'rf^'îrtira'^.
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En revanche, les scènes de pantomime et certains pas
de caractère présentent un vif intérêt au point de vue de
la musique descriptive. Voici, par exemple, « l'air mélan-
colique » qui accompagnait les gestes mystérieux du
magicien Ismène procédant à ses incantations*. Cette
I, Idée des spectacles, p. 264.
1. Harmonie universelle . Des chants, T. II, p. 172.
3. Ballet de la Chienne (1604). Philidor, II, 26.
4. Ballet des Trois Ages (1608). Philidor, II, 74.
5. Philidor a noté par erreur deux fois la plupart des airs du Ballet de
VAvanture de Tancrède ; dans le t. II avec le titre : Ballet du Roy dansé
i6
LE BALLET DE COUR EN FRANCE
musique est infiniment suggestive et nous n'avons pas
besoin du livret pour savoir qu'à la fin Ismène frappait
du pied la terre par trois fois.
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Le caractère expressif d'un grand nombre d'entrées
nous échappe, faute de savoir exactement quels étaient
les gestes des danseurs. Néanmoins on se rend bien
compte de l'intérêt burlesque de certaines entrées d'avo-
cats, de notaires, de procureurs, de juges et autres
personnages austères. Les contrastes, les alternances de
mouvements graves et vifs donnent à penser que les figu-
rants s'avançaient avec une majesté affectée, puis brus-
quement se livraient à quelques entrechats joyeux avec
leurs robes, leurs perruques et leurs grands chapeaux,
avant de reprendre leur maintien ordinaire.
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Les motifs accompagnant l'entrée de personnages
semblables en des ballets fort différents présentent sou-
vent des caractères communs. Ainsi les combattants.
Van 1619 (p. iSî). Dans le t. III avec le titre : Ballet du Grand Magicien
(p. 10), Cette seconde version est plus complète que la première.
I. Ballet du Roy. Philidor, III, 45. Les Avocats.
a. Ballet de Pierre de Provence. Philidor, III, 'ji. Un Advocat et deux
Notaires.
LA POESIE ET LA MUSIQUE
217
sérieux ou burlesques, sont invariablement salués par
des motifs d'allure guerrière,
Joueurs d'espadons
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Combat de piques
Combat, de rondaches
Entrée de Bellone
Les paysans sont caractérisés par des thèmes pesants
et qui semblent parfois empruntés à des chants popu-
laires de provinces^Iointaines.
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Ne serait-ce pas un air flamand authentique qui accom-
pagne ï entrée du Marchand flamand en ce même ballet?
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Au reste, il est évident que les compositeurs puisaient
largement dans le fonds de la musique populaire. Le
1. Ballet du Prince de Condé (1626). Philidor, II, iSg
2. Ballet du Mariage de Pierre de Provence. Philidor, III, 6a.
3. Ihid.
4. Ballet de la Prospérité des Armes de France. Philidor, II, i55.
5. Ballet du Prince de Condé (i6ao). Philidor, III, io3.
2^18
LE BALLET DE COUR EN FRANCE
thème de Ventrée de la crieuse cC allumettes reproduit le
cri de la marchande :
É
^
Il est probable que les musiciens recherchaient des
effets de couleur locale en écrivant des entrées de Turcs,
de Maures, de Nègres ou d'Egyptiens, mais ces essais,
fort timides, nous échappent presque toujours. Voici
pourtant une entrée de Polacres dont le rythme obstiné
trahit une préoccupation d'exotisme 2 :
fvr^ \\^^\^^mr^tm^
L'imitation des bruits naturels : cris d'animaux, siffle-
ment du vent etc., s'observe aussi bien dans la musique
des ballets de Cour que dans les madrigaux de Clément
Jannequin ou les symphonies de Lully. Des personnages
costumés e^^ coqs paraissent sur la scène, aussitôt l'or-
chestre fait entendre une sorte de cocorico :
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Les exemples de ce genre sont rares et la description
demeure généralement plastique. La musique peint, par
exemple, la démarche pesante et incertaine des Titans
qui tentent d'escalader le ciel.
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1. Ballet de Pierre du Puis, II, 170.
2. Ballet de VImproviste, i636. Philidor, t. III, p. 48.
3. Ballet des Coqs. Philidor, II, 19.
4. Ballet du Dérèglement des passions. Collect. Philidor, IV, 6.
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE 219
Les Furies dansent au son d'un air dont les croches
montent, descendent et tourbillonnent avec impétuosité.
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Lully se servira de motifs semblables dans ses opéras
lorsqu'il voudra exprimer, par des symphonies, les pas-
sions déchaînées de l'âme : rage, jalousie, fureur... Ainsi
les thèmes, qui, à Torigine, ne faisaient que guider les
pas et les évolutions des danseurs, prendront, en quelque
sorte, une valeur sentimentale. La musique instrumen-
tale de l'opéra français est redcA^able au ballet de Cour
de la plupart de ses formules mélodiques et rythmiques ;
c'est d'ailleurs en écrivant et en ordonnant lui-même
d'innombrables entrées de ballet que Lully s'assimila le
goût français. ,^
Les historiens du théâtre et de la musique confondent
trop souvent la danse dramatique, pratiquée dans les
ballets, et la danse du bal. Gomme le note l'abbé de Pure,
le pas de ballet est, avant tout, une mimique ; il « com-
prend tout ce qu'un corps bien adroit et bien instruit
peut avoir de gestes ou d'actions pour exprimer quelque
chose sans paroles"' ». On rencontre pourtant des danses
ordinaires dans les partitions de ballets. Elles sont de
plusieurs sortes. Les unes tirent leur raison d'être du
sujet lui-même : ainsi une mariée de village danse un
branle avec les gens de la noce ou bien les courtisans
1. Prospérité des Armes de France^ t. III, p, io5.
2. Dérèglement des passions, IV, 41 •
3. Idée des spectacles, p. 249.
2.'lO LE BALLET DE COUR EN FRANCE
de la belle Maguelonne se livrent à une pavane com-
passée et ridicule*. Les autres sont des danses d'une
si grande difficulté qu'elles ne peuvent être exécutées
que par des professionnels; ainsi les Canaries, la Passe-
mèze, ^Allemande^ ^Encore faut-il bien se garder de
croire que ces danses étaient exécutées à la scène
comme on les trouve décrites dans les traités du temps.
Le chorégraphe, tout en conservant le pas caractéristique
de chacune d'elles, variait à l'infini les figures, comme
font encore aujourd'hui les maîtres de ballets lorsqu'ils
ont à régler les évolutions d'une troupe de danseurs sur
un mouvement de mazurka ou de valse. Il en était de
même pour les autres danses dont les noms paraissent
parfois dans les ballets : branles, voltes, gaillardes ou
courantes. Ce sont là surtout des indications de mouve-
ment. Mersenne, après avoir pédantesquement exposé la
théorie du ballet mesuré^ en honneur à l'Académie de
Baïf, et expliqué que tous les rythmes musicaux peuvent
être exprimés au moyen des mètres poétiques de l'anti-
quité, donne la liste des principaux mouvements simples
et composés, usités dans les danses : Pyrrique, lambique,
Trochaique, Spondaique, Tibraque, Dactylion, Preceleu-
matique, Choriambique, etc., etc. a Si, ajoute-t-il, nos
compositeurs ont l'oreille si délicate qu'ils craignent que
ces vocables ne la blessent, ils peuvent user de tous noms
qu'il leur plaira, par exemple de ceux qu'ils donnent à leurs
airs dont ils disent que ceux-ci ont le mouvement de la
Courante, ceux-là de la Sarabande et ainsi des autres » ^
Il nous resterait à dire quelques mots de la technique
I. Ballet de Pierre de Provence (i638). Philidor, III, 6a.
1. Mersenne. Des chants, L. II, p. 164 et i65.
3. Livre II Des chants, p. 178.
LA POESIE ET LA MUSIQUE îàièl
musicale des ballets : malheureusement cela nous est à
peu près impossible. Jusqu'en 1648, la collection Philidor
ne nous donne que les seules parties de dessus et de
basse. On ne peut se fier aux tablatures de luth, car
les transcripteurs bouleversent la polyphonie originale
pour l'adapter aux ressources de l'instrument. Nous
devons donc nous faire une idée de la construction har-
monique des ballets d'après un petit nombre d'entrées,
de date relativement tardive (i648-i653), dont Philidor
nous a conservé les cinq parties. Encore suffit-il d'y
jeter les yeux pour douter de la fidélité du copiste. On
ne peut, en effet, rien imaginer de plus plat, de plus insi-
gnifiant que l'harmonie de ces entrées. La mélodie se
détache à la partie supérieure, supportée par les accords
massifs des autres instruments.
Si Ton songe à la polyphonie, barbare mais curieuse,
des pièces instrumentales françaises de la même époque
et de la même école, conservées à la Landes-Bibliothek
de Gassel-, on ne peut manquer de se demander si Phili-
dor n'a pas maladroitement simplifié le style harmonique
de ces œuvres dont personne ne pouvait déjà plus goûter
le charme à l'époque où il s'employait à les recueillir ».
1. Ballet du Dérèglement des passions (1648), p. 8.
2. Voir Ecorcheville. Vingt suites d'orchestre du XVII'^ siècle français.
3. La collection dite de Philidor a été formée, entre 1680 et 1700 environ,
LE BALLET DE COUR EN FRANGE
En dehors des danses, les ballets comprenaient par-
fois des pièces instrumentales qui servaient d'intermèdes.
De ce nombre étaient les entrées de luth que venaient
exécuter un grand nombre de musiciens, jouant tous
ensemble, à la façon des modernes troupes de guitaristes
et mandolinistes espagnols. Contrairement à Pidée qu'on
pourrait s'en faire, ces œuvres n'étaient ni brillantes, ni
entraînantes, mais tristes et élégiaques. On en pourra
juger par l'exemple que nous prenons, un peu au hasard,
dans la tablature de Robert Ballard ^
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par les soins de Philidor l'aîné et de son collègue Fossard, dont il a jalouse-
ment gratté le nom sur la plupart des partitions.
I. Première entrée de luth, p. i.
LA POESIE ET LA MUSIQUE
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Quelle singulière impression devait produire sur l'es-
prit des auditeurs l'exécution de ces airs alanguis, aux
rythmes paresseux, aux inflexions mourantes, après les
danses joyeuses sonnées par les violons? De tels con-
trastes n'étaient point pour déplaire aux contemporains
de Saint-Amand\ La sombre harmonie d'une entrée de
luth émouvait leur cœur, elle faisait naître en eux une
voluptueuse rnélancolie et les préparait à jouir du spec-
tacle magnifique des princes vêtus d'or et de soie, dan-
sant le Grand ballet avec majesté.
Les entrées de luth présentent pour la plupart un aspect
I. Rappelons les beaux vers de Saint-Amatid qui expriment si bien le
caractère élégiaque et sensuel de la musique du luth :
« Mes doigts suivans l'humeur de mon triste génie,
Font languir les accens, et plaindre l'harmonie.
Mille tons délicats, lamentables et clairs.
S'en vont à longs soupirs se perdre dans les airs.
Et tremblans au sortir de la corde animée
Qui s'est dessous ma main au deuil accoustumée :
Il semble quà leur mort, d'une voix de douleur,
Ils chantent en pleurant ma vie et mon malheur. »
Les Visions. Les Œuvres du sieur de Saint-Amand. Rouen, MDCXLIII
(in-8^),p. 93.
11 f\
LE BALLET DE COUR EN FRANCE
nettement polyphonique. On peut suivre assez exacte-
ment la marche des diverses voix.
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Ig^^.Quelques-unes pourtant offrent des successions d'ac-
cords battus qui rappellent le style propre à la guitare.
Les entrées de luth n'étaient pas l'œuvre des instru-
mentistes qui composaient les danses, mais des luthistes
et musiciens de la Chambre du Roi. Il est probable qu'une
partie de celles du rarissime recueil imprimé de la Biblio-
thèque Mazarine^ sont de la façon de Robert Ballard,
« Maistre joueur de luth de la reine » Marie de Médicis, mais
nous sommes réduits sur ce point à des conjectures ^
I. i?eserve, 4-76i. B. Sur ce recueil, v. Michel Brenet. Notes sur Vhistoire
du luth en France^ p. 45.
i. Il est, en effet, possible que Ballard ait fait seulement œuvre de trans-
cripteur.
Nos recherches personnelles nous ont permis d'identifier le mystérieux
auteur du recueil de la Mazarind qtii A signé la dédicace à Marie de Médicis,
en i6ii, R. Ballard, avec le luthiste Robert Ballard au service de cette Reine,
en i6io, comme en fait foi u l'état de mutation des officiers de la Maison de
la Reyne Mère en Testât de la musique de Sa Majesté » : « Robert Ballard
joueur de luth aux gages et entretenement de XII cens livres tournois, les-
quels Sa Majesté a voulu estre ostez de Testât afin de luy en faire délivrer
ses ordonnemens selon le service qu'il y rendra... XII c. 1. t. » (Bibl. Nat.
Cinq cents Colbert 94, p. 194? ^^)- Robert Ballard avait dû entrer au service
de la Reine à la suite de la publication de sa tablature, en 161 1, comme
semble l'indiquer le mandement suivant : « Trésorier général... Nous vou-
s- a
"^ s
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE aaS
Les seules symphonies dont on trouve trace dans les
ballets avant l'avènement de Lully sont les ouvertures.
On se souvient que déjà, en i58i, la représentation de la
Circé avait commencé par une « note de haut-bois, cor-
nets, sacquebouttes et autres doux instrumens de
musique » sonnés derrière le théâtre. Depuis, cette mode
avait été abandonnée ; c'est un chœur qui se fait entendre
avant le lever du rideau, au ballet de Renaud^ en 1617. A
partir de i64o, les ouvertures reparaissent régulièrement
en tète des grands ballets. Vers cette époque, ces pièces
se composent de deux parties de mesure binaire et de
rythme saccadé s'unissant sur la dominante. En i656,
Lully aura l'idée de remplacer la seconde partie, notée en
harmonies compactes, par un fugato léger qui contras-
tera heureusement avec l'allure majestueuse du premier
mouvement. C'est de cette ingénieuse pensée que naîtra
la forme de V ouverture française^ pratiquée par les plus
grands musiciens de l'Europe durant plus d'un siècle \
III
« Le récit est un ornement étranger au ballet mais que
la mode a naturalisé et qu'elle a rendu comme néces-
lons et nous mandons que des deniers de votre charge de la présente année,
vous payez et délivriez comptant à Robert Ballart M° joueur de luth que
nous avons retenu près de nous pour nostre plaisir et service, la somme de
six cents livres de laquelle nous luy avons faict don tant en considération de
ses services que pour luy donner moyen de s'entretenir près de nous et à
nostre suitte durant les quartiers de janvier à avril de la présente année. Et
rapportant par nous la présente avec quittence dud. Balart sur ce suffisante,
ladicte somme sera passée, etc., faict à Paris le XIP jour d'Avril 1612 {Mss.
cinq cents Colhert 93 f^ 96. V°. Le compte de juillet-octobre, en date du
aa octobre 1612, donne la même somme à Pierre Ballart [ibid. (° iio. V*^).
Ce doit être une simple erreur du scribe,
I. Voir Henry Prunières, Notes sur les origines de Vomerture française.
Bulletin trimestriel de VI. M. G. XIP année, 4® numéro.
i5
2^6 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
saire » K Cette assertion de Tabbé de Pure est inexacte. La
musique vocale ne fut jamais un élément étranger au
ballet dramatique ; sans elle, il n'eût pas existé. En fait,
les entrées, les danses figurées, les vers imprimés et les
récits chantés forment un bloc dont on ne saurait déta-
cher la moindre parcelle sans anéantir le tout. L'abbé de
Pure lui-même l'a d'ailleurs fort bien dit dans un autre
passage de son Idée des spectacles, où il critique « la
défectuosité de ces ballets où Ton ne conçoit rien que par
les récits qu'on y chante, que par les livres qu'on y dis-
tribue et que par les vers qu'on y insère pour en débrouiller
le sujet et pour en faire voir l'idée, lie tissu et la liaison
de l'un et de l'autre ))^
€'est la musique vocale qui donne à chaque ballet soîi
caractère particulier, c'est d'après le rôle qu'elle assume
dans le spectacle qu'il est possible de le rattacher à tel ôti
tel genre déterminé. Alors qti'aucun violon, aucun bala-
din ne paraît avoir exercé une influence réelle sur l'évo-
lution du ballet de Cour, il semble bien que des tempéra-
ments artistiques aussi originaux que ceux de Guédron
et d'Antoine Boesset n'ont pas laissé de marquer de leur
empreinte les œuvres auxquelles ils ont eu part. En dehors
de ces deux grands musiciens, nous ne trouvons, au début
du xvii"* siècle, parmi les auteurs de ballets, que des com-
parses. Jacques Mauduit paraît se désintéresser quelque
peu de musique profane; du moins, dans les recueils, ne
trouve-t-on aucun récit qui lui puisse être attribué ^ Ce
sont souvent des joueurs d'instruments, comme Gheva-
1. Idée des spectacles anciens et modernes ^ p. 267.
2. Ihid., p. 210.
3. Jacques Mauduit mourut le 21 août 1627. Voir Michel Brenet. Musi-
ciens de la Vieille France, p. 2^6.
Ï.A POÉSIE ET LA MUSIQUE aa^
lier, qui écrivent ies airs, à une et plusieurs voix, chantés
dans les ballets \ A partir de ï6io environ, pareil fait ne
se produira plus à la Cour et, jusqu'à i'avènement de
Lully, les compositeurs demeureront étroitement spécia-
lisés dans le vocal ou dans l'instrumental. Un des plus
illustres musiciens dont on rencontre des l:^écits dans les
premières années <lu siècle, est Vincent, artiste de valeur,
attaché aoi servioe du duc d'Angio^ulème, « i'nn des pltrs
fameux et affamez maistres de Paris » assure Gantez''; il
était fort recherché, aussi bien comme luthiste que comme
maître de musique, et donnait des leçons de chant et de
composition^. Les noanbreux mo-rceaux de sa façon, à une
ou plusieurs parties, que^ious «Oint con&ervés ies recueils
imprimés chez Ballard*, noius révèlent plutôt wel habile
homme connaissant parfaitement les ressources de son
art et écrivant avec élégance et facilité, qu'un artiste
de grande envergure. Au reste, nombreux sont les bons
musiciens qui travaillent aux ballets du Roi : Vincent,
Gabriel Bataille, Henry Bailly, un peu plus tard Auger,
Ooffin, Boyer, Est. Moulinié% Cambefort*' sont des oom-
1 . On lit sur le livret du Ballet de la Reyiie représentant la Beauté et ses
Nymphes (1609) l'indication suivante : « les parties sont de Monsieur Cheva-
lier ». B. Nat. Yf., 1829, 40.
2. Entretien des Musiciens, édit. Thoinan 119 et 120.
3. Voir Michel Brenet. Concerts en France, ,p. 58.
4. Voir en particulier les récits du Ballet des trois âges (dans Bataille,
F° livre en tablature de luth, p. 26-28) et le chœur composé sur des vers de
Malherbe : Donc auprès un si long séjour (dans les Airs à 4 de différents
Autheurs). Pierre Ballard i6i3 (Bibl. Roy. de Bruxelles, fonds Fétis 2318
p. 34).
5. Moulinié est, à partir de i635 environ, l'auteur d'un très grand nombre
de récits, en particulier de ceux du Mariage de Pierre de Provence et
de la Belle Maguelonne. V. le V^ livre des Airs de Cour à 4 parties «par
Estienne Moulinié (Bibl, de Bruxelle. Fétis 7326.)
6. Cf. Henry Prunières : Jean de Camhefort surintendant de la Musique
du Roi. Année musicale 1912. Alcan, 191 3.
228 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
positeurs de réel talent, ayant tous de belles qualités
d'invention mélodique, mais aucun d'entre eux ne peut
entrer en comparaison avec Guédron ou Boesset.
Pierre Guédron était né, en i565, à Beauce en Nor-
mandie. Sa belle voix l'avait fait admettre, en iSqo, parmi
les chantres de la Chapelle royale. Il n'y était d'ailleurs
pas fort longtemps demeuré, car nous le trouvons, dès
les premières années du siècle, en possession du titre de
« valet de chambre du roy, compositeur et maistre des
enfants de la Musique de ladite Chambre* ». Par la suite
il devait se faire encore nommer « Maistre en la Musique
de la Reyne » Marie de Médicis^ Henri IV le tenait en
particulière affection. Dans une lettre, Malherbe raconte
qu'il a montré de ses vers au monarque qui a envoyé
quérir Guédron « sur l'heure mesme pour les lui faire
mettre en musique » ; l'air terminé, ce tout le monde le
trouve fort bon et surtout le Roy ^ » . Malherbe et Guédron
eurent ainsi très souvent à collaborer pour les ballets de
Cour. C'est sur un air de Guédron que le poète écrivit les
mauvais vers qui devaient lui attirer de si justes raille-
ries* :
Cette Anne si belle
Qu'on vante si fort
Pourquoi ne vient-elle ?
Vrayment elle a torl^.
1. Acte baptistaire de Daniel Guédron du 3 février i6o3. Ms. fr. 12.526
(fonds BefiFara). Voir aussi Ms. fr, 7.835 pièce 29 et 3i.
2. Cinq cents Colbert 940. Il succédait à Michel Fabry.
3. Voir les lettres à Peiresc du 18 février et 24 mars 1610.
4. Voir Tallemant. Historiettes, I, 264.
5. On trouve la musique de cette pièce dans les Airs de Cour et de diffé-
rents autheurs. Ballard i6i5 (in-8° p. 5 et 6 et dans le III® livre des Airs à
4 parties de Guédron (1618) Bibl. de Bruxelles, Fétis 2.320.
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE 229
Guédron méritait grandement l'opinion qu'avaient de
lui ses contemporains. Sa musique a une vigueur singu-
lière et une force dramatique qui contrastent avec le style
un peu languissant des autres compositeurs de la Cour.
Guédron, qui dirigeait la musique de la Chambre à l'époque
où Gaccini vint séjourner en France, subit-il l'influence
du grand novateur florentin ? Gela nous semble probable,
non que la musique de Guédron trahisse l'imitation des
procédés de Gaccini, mais elle atteste un efl'ort vers un
idéal d'expression dramatique et de déclamation lyrique
que nous ne trouvons, à un degré semblable, chez aucun
autre compositeur français de ce temps.
Guédron est un dramaturge ; il a le sens de l'effet théâ-
tral. Peut-être eût-il réussi à créer, cinquante ans avant
LuUy, l'opéra français, s'il avait été soutenu et encouragé.
Du moins a-t-il eu le mérite de donner au ballet la forme
mélodramatique la plus intéressante qu'il ait jamais eue
en notre pays. Ge fut Guédron qui écrivit la plus grande
et la meilleure partie de la musique des ballets repré-
sentés à la Gour entre 1610 et 1620 : Délivrance de
Renaud^ Tancrède^ Psyché^ etc..
Antoine Boesset, qui hérita des charges de Guédron
dont il avait épousé la fille, s'était déjà fait connaître du
vivant du vieux maître; mais ce fut à partir de 1620 qu'il
donna toute la mesure de son talent. Peu d'artistes eurent
une carrière plus brillante et plus heureuse*. Vénéré par
tous les musiciens de son temps, comblé d'honneurs par
les souverains, conseiller du roi, surintendant des musi-
ques du roi et de la reine, il mourut, le 9 novembre i643,
I. Voir ^eX, Dictionnaire critique y article Boesset. Beffara, papiers et notes
concernant les Boesset Ms. fr, laSaB [passim] Ms. ïv. 7.835 pièce 4o et 41,
les comptes royaux, etc.
a!io LE BALLET DE COUR EN FRANCE
après avoir transmis ses diverses fonctions à ses fils. Sa
mémoire fut longtemps respectée. Lully se réclamait de
lui*, le grand compositeur italien Luigi Rossi disait bien
haut son admiration pour ses œuvres ^ Les écrivains du
XVIII® siècle eux-mêmes, si durs à l'ordinaire et si injustes
pour les précurseurs de Lully ^, citent son nom avec des
commentaires bienveillants qui prouvent que ses airs se
chantaient encore volontiers.
Antoine Boesset est avant tout un mélodiste. Les
paroles ont à ses yeux une importance secondaire^ il ne
s'attache jamais à la lettre du texte, mais à l'esprit. Il
néglige la prosodie et même la déclamation et émeut par
la seule vertu de la musique. Ses airs de Cour sont
empreints d'une mélancolie souriante et parfois d'une
tristesse passionnée. On comprend que le taciturne
Louis XIII ait aimé de tels accents. « Tes airs ont un
charme puissant* » déclare à Boesset le poète Gombaud ;
l'expression est juste et il suffit d'entendre chanter quel-
ques mesures d'une œuvre de Boesset pour s'en rendre
compte.
Ces qualités n'allaient pas sans défauts. Cette musique
en quelque sorte immobile^ sans éclats, sans contrastes
marqués, est aussi peu théâtrale que possible. Aussi doit-
on rendre Antoine Boesset responsable pour une bonne
part de la décadence du ballet de Cour. Incapable de
traiter les sujets véhéments, d'exprimer les sentiments
I. Lecerf de La Vieville. Comparaison de la Musique italienne et de la
Musique française i7o5, édit. Bourdelot, t. II, p. 1S4.
a. V opéra italien en France avant Lulli, p. 96.
3 . Rappelons la phrase de Voltaire « On ne connaissoît presque en ce
temps-là qu'une espèce de faux bourdon, qu'un contrepoint grossier, c'étoit
une espèce de chant d'église... » [Commentaire d" Andromède .)
4. Les poésies de Gom&a«i/fi. A Paris, chea Augustin Courbé MDCXXXXYI
{in-4).
LA POÉSIE ET l.\ MUSIQUE ^3%
tumultueux, Boesset préféra aux ballets-opéras du vieux
Guédron, la forme des ballets à entrées dont les récits,
régulièrement espacés en tête de chaque partie, ne sur-
gissaient pas du fond même de l'a^ction. Les disciples de
Boesset continueront dans cette voie et lorsque Lully
commencera à travailler aux ballets du roi, personne ne
se souviendra plus des pages frémissantes que Guédrojj
avait écrites dans les premières années du siècle.
La musique vocale des ballets de Cour comprend trois
sortes de chants : les récits monodiques et polypho-
niques qui servent à exposer et à commente^ le sujet du
spectacle — les chansons mesurées, à une ou plusieurs
voix, qui accompagnent les danses — enfin, quelquefois
aussi, des airs dont les paroles n'ont aucun rapport avec
Faction et qui n'interviennent dans la représentation que
de manière épisodique : couplets bachiques,, chansons
galantes ou sérénades. Nous laisserons de coté ces der-
niers dont la forme n'est pas particulière aux ballets de
Cour et nous étudierons seulement les récits et les chants
mesurés.
Le récit, explique l'abbé de Pure, a tiré son nom « de
ce que Faction muète de soy et qui a fait vœu et serme»t
de garder le silence, emprunte la voix du Récitateur,
pour luy faire chanter ce qu'elle n oseroit dire et pour
lever l'embarras que la simple dance pourroit causer à
Fintelligence du sujet* ». Le récit sert donc de truche-
ment au ballet. C'est du moins le rôle qu'il assume dans
dans le ballet à entrées, car nous avons vu que, dans les
ballets mélodramatiques , il permet aux divers person-
nages d'exprimer eux-mêmes leurs pensées.
I . Idée des spectacles, p. •J67.
232
LE BALLET DE COUR EN FRANGE
Les récits musicaux de la Circé n'étaient point fort
dramatiques. Cette œuvre, nous l'avons vu, avait été
d'abord conçue comme une pastorale avec intermèdes
de musique et de danse, et les personnages déclamaient
de longs monologues pour narrer aux spectateurs les
péripéties de Fintrigue. Néanmoins certains chants à
voix seule ont déjà bien le caractère narratif propre
aux récits : par exemple, l'air de Mercure : Je suis de
tous les Dieux le commun messager^ ou celui de Jupiter :
En ta faveur je viens icy des cieux.
On a exagéré l'intérêt de ces morceaux au point de
vue de l'histoire du théâtre lyrique. Nul doute, si les
collaborateurs ordinaires de Baïf avaient pu y consacrer
leurs veilles, qu'ils n'eussent réussi à donner aux airs de
la Circé une forme plus récitative et plus conforme aux
intentions novatrices de Beaujoyeulx. Pressés par le
temps, Beaulieu et Salmon ont écrit des œuvres qui
retardent sur ce que faisaient à la même époque Claude
Lejeune et Thibaut de Courville. On ne peut relever
dans toute la partition un seul essai de déclamation
notée, et la prosodie est, à tout moment, violée de
façon grossière. Il est visible que, seule, la ligne mélo-
dique intéresse le compositeur et qu'il y adapte tant
bien que mal les paroles, sans se soucier d'exactitude
métrique.
^^
GlauqueJe scay
rrrirrtfwcg;-
bien . c'est Vé
xr
Dans la Circé^ les récits gardent, en somme, le caractère
de chansons aux formes arrêtées; il n'en sera plus de
même lorsque les tirades, monologues et dialogues
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE 233
déclamés auront disparu du ballet et que les personnages
se trouveront dans la nécessité de se faire comprendre et
de s'exprimer par les seuls moyens du chant et du geste.
La musique ne sera plus assujettie à une mesure régu-
lière, on chantera note contre note, c'est-à-dire en don-
nant à chaque note sa valeur absolue sans se préoccu-
per de marquer le temps. Ces rythmes vagues et indé-
terminés sont fort déconcertants pour nos oreilles
modernes, mais non dépourvus de charme. Il faut
seulement se résigner à l'absence de carrure et ne
pas chercher à couper la ligne par des barres de mesure,
car on n'y parviendrait qu'en altérant le caractère
essentiellement libre de ces compositions. Lorsque la
mode d'indiquer les changements de mesures s'introduira
en France, voici comme on sera obligé de noter l'air
d'un récit :
$
:t- • \'-i-- l'-A J. J ^Y -Jf^
Le fils ais — né delà pru-den ce
La musique mesurée à l'antique de Baïf, Gourville, Le-
jeune, Mauduit et de leurs disciples, avait accoutumé les
oreilles à ces flottantes mélopées, mais du moins, chez
les musiciens de TAcadémie, la mélodie épousait exacte-
ment le rythme du vers. Au contraire les contempo-
rains de Guédron et de Boesset traitent la prosodie sans
aucun ménagement. Ils placent invariablement une note
longue sur la dernière et souvent sur l'avant-dernière
syllabe de chaque vers. Il en résulte des chants forts
singuliers, où la mélodie semble craindre de s'appuyer
I . Récit d'Auger pour le Ballet du Sérieux et du Grotesque. Airs de Cour et
de différents auteurs. Livre VIII, 1° 5,
îaS/»
LE BAJLLE'K DE COUR EN ÏRANCE
sur le vers, tel un estropié qui voudrait courir sans
béquilles.
Pjei ne de lanques et de veux. 0 Roy.lemi-ra de des
qu'avons noua commis coa-tre
/^m Q *^
Fran- çois re ve rés tes Dieux...
La Musique et la Poésie, dont Baïf et ses collaborateurs
avaient naguère célébré l'union, se séparaient violem-
ment. La solution des vers mesurés étant définitivement
écartée, il fallait dès lors, ou bien que la mélodie drama-
tique prît une forme assez arrêtée pour pouvoir s'im-
poser au texte poétique, ou du moins — puisqu'elle ne
pouvait s'astreindre à observer la prosodie — qu'elle tînt
compte de l'accent de la déclamation. L'évolution du récit
à voix seule s'accomplit dans ce double sens. Guédron
subordonna l'élémentplastique à l'expression dramatique,
Boesset au contraire sacrifia la déclamation lyrique à la
beauté de la forme.
Les tendances nouvelles se manifestent, dès 1608, dans
plusieurs récits de ballets, recueillis par Gabriel Bataille.
Deux d'entre eux* témoignent d'une belle inspiration.
I. Ballet de la Reine (1609). Airs en tajblature de luth, II, 8.
u. Dialogue de rhyvev et de la nuit, par Boesset. Airs de Cour (1623),
Livre V, fo 16.
3. Ihid, f« 5.
4. Livre I des Airs en tablature de luth f<^ 34 et 35. Ces deux récits font
partie du Ballet des paysans changés en grenouille dont nous avons cité des
fragments en parlant de la Musique instrumentale pp. 21 1-2 12.
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE %i^
Latone, errante et lasse, arrive en scène et se lamente sur
son sort.
de retrai-teaumonde qui puis — se ar-res-ter ma chau-teup?
Elle s'apprête à boire t^eau d'une source quand une
troupe de paysans lyciens s'approche en dansant et, par
gestes, l'en empêche. La malheureuse s'indigne de cette
cruauté.
i
^
77-77
j j^..rr7T~°rrF/°^u
Jié — las a mis que faites vous qui veit ja mais on trfou-tra-ge?
Dieux! me def-fen — dre l'u-sa-ge D'un t — lement coraroun a tous.
L'accent de ces plaintes est juste, la déclamation n'est
pas encore assez accusée, mais à cela il y a une raison.
L'habitude des couplets est telle que, jusqu'aux réformes
de LuUy, un motif mélodique de quelques mesures servira
à chanter vingt ou trente vers. Le compositeur accommode
la musique aux paroles du premier verset, mais, pour les
autres, il ne s'en occupe pas. Tant que la forme demeure
un peu vague, comme dans les deux morceaux que nous
venons de citer, il n'y a que demi mal, mais lorsqu'em-
porté par son tempérament théâtral, Guédron donnera
à ses récits un tour de déclamation lyrique, les divers
couplets s'adapteront souvent fort mal à la mélodie.
Qu'on en juge par cet exemple : la magicienne Alcine
'236
LE BALLET DE COUR EN FRANCE
évoque les démons et complimente les dames sur le
même air
» <"
r fr" " r pr^
^
"TT-^
tti^
^^
içr Noi-res fu-reurs ombres sans cctrps. L'effrqy' des vi vans et des morts Trompeuse ban-
2? l3 présence de ce grand Roy Et tant de beauté que je voj En charmes di-
1
f ccrf'pr'pr rfr " ° ■^■■r^
de quejap- pel le
vins si fer til les
Im — ^uissanteoubien in — fi - de
Ont rendu les miens in -' u - ti - les
Al- lés
I
^
^m
r f r u f çr.
Dé - mons^ faibles es
ppits je vousquit— te et
tiens 3 mespris
Ici c'est le sens général de la seconde strophe qui est
en désaccord avec l'expression musicale, mais d'autres
fois la prosodie seule est cruellement maltraitée. L'ombre
de Glorinde parlant à Tancrède s'écrie : Toi de qui la
rigueur ma fait cesser de vivre!. . Guédron, dans une inten-
tion dramatique, accentue fortement le premier mot de
cette phrase sans prévoir que le vers qui commence le
deuxième couplet sera scandé de la manière la plus sau-
grenue.
Tqy de qui la rigueur
Au cercueil où je sui«
ma fait ces - ser de vt - vre
quel - le f u - reur te por - te
Cette habitude pervertira l'oreille des auditeurs et les
empêchera d'exiger des musiciens une diction plus
nuancée et mieux adaptée à la quantité de syllabes. Ce sera
l'honneur de Pierre de Nyert, à son retour de Rome, vers
i635, de réformer le chant français et de rappeler les com-
1. Livre III des airs en tablature de luth, p. 35.
2. IV^ livre d'Airs de cour et de différents autkeurs, f^ 14.
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE 287
positeurs au respect de la prosodie ^ Pour étudier les
essais de musique dramatique de Guédron, nous sommes
donc obligés de ne considérer que la première strophe
de chaque récit poétique, puisque le musicien écrivait
son air sur celle-là seule.
Les récits des ballets d'Alcine^ de Renaud et de Tan-
crède marquent un grand progrès sur tous ceux qui les
précèdent. Le tour en est plus libre, plus pathétique,
la déclamation est plus nuancée, plus variée aussi, les
croches viennent accentuer heureusement certains mots,
mettre un peu d'imprévu dans la marche de la mélodie,
rompre la monotonie des lourdes successions de blanches
et de rondes. Peut-être la manière dont Caccini et ses
filles récitaient en chantant avait-elle frappé les compo-
siteurs de la Cour et Guédron en particulier. Avant la
venue des Florentins, le récit à voix seule n'était vérita-
blement qu'une partie isolée de madrigal polyphonique ;
au contraire, après i6o5, il prend un caractère plus indé-
pendant, plus original, non dépourvu parfois d'une cer-
taine bizarrerie.
^m
Ri -en nesop-po seà mes lois je suisl'effroy de ces boi5«.
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I»— >■
le cherche le mes
chant A - mour.
É
P' f p
rT ° ^nrr-'&
tz.t
quel su- bit change- ment' quel-lcs du - resnou -vel - les'
1. L Opéra italien en France avant Lully. Introduction, p. XLIV et suiv.
2. Récit d'Alcine. Airs en tablature, III, 34»
3. Récit de Vénus, ibid, f> 18.
4. Récit d'Armide. Cf. Appendice.
238
LE BXO^T DC CO€R EN Ï^RÀNGE
Gra - vés en lettres d'or
42 0 0 0 0 Û
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dans lea mar — bres du Lou
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'^=¥-
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tt:^^
Vous
qui contre I9 Mont
neuf sœurs sont re-clu - ses
Malgré ces imperfections, la musique théâtrale faisait
en France de rapides et incessants progrès quand le
ballet à entrées détrôna le ballet mélodramatique . La
décadence fut alors rapide. Non que la mélodie deBoesset
n'eût pas la beauté de celle de Guédron, mais le récit perdit
son aspect de déclamation musicale. La mesure disciplina
le rytlime de la phrase qui prit une certaine carrure. En
un mot, le récit devint un air, au sens moderne du mot,
au lieu de demeurer ce qu'il devait être par essence, un
récitatif.
•^ o_--__ ; 1. • o: I... t-ll. ^_l.., .-k-><4'i>n..« ...nii. Aejfi^ Hi _ wm flamhpaiinnnnsrp.i
Revne quejesfirsrfque je cognqyBienpIusbclleetpluschasteque moy; As-trç di -ïin.flambeau non pareil,
3
Pardonnez moj si je vousprenspourjnonso-leil
Le récit ne garde son caractère narratif que lorsqu'il
sert à présenter aux spectateurs une troupe de bala-
dins ; encore revèt-il, aux environs de 1623, une forme
mélodique beaucoup plus accusée que par le passé.
Reconnaissons qu'il acquiert en même temps de précieuses
qualités d'esprit et de légèreté.
I. Récit de la prêtresse. Ballet d'Apollon (l'Gai) (par Boessct) Airs de
Cour, V, fo 4.
a. Récit d'Apollon Archer, ihid, fo 8.
3. Récit de Diane par Boesset. Airs de Co'ur^ VIII® livre, i* ii.
1\ POESIE ET L.\ MUSIQUE
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y'.W'J'i.Ji-ppr'f" '^■^f^.^*"\^l'" ■^^" f" Jz"t'^fri
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Oe-li-vrés des hoireorsdeMars et de BeHon-ne. Exempt d& crainte et fle danger . ces
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à
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'^t^t^^éoisleors maux veulent chaîner Aux es-^jats que ta paix leur don -ne.
Les récits à voix seule étaient toujours accompagnés.
Tantôt une troupe d'instrumentistes soutenait de ses
accords la voix du chanteur, tantôt celui-ci tirait lui-même
quelques sons d'un lutli ou d'un théorbe. Les accompa-
gnements que nous ont conservés les tablatures sont d'-une
simplicité rudinaentaire. Les accords s'y succèdent mas-
sifs, gauches et lourds. En général, le transcripteur a
négligé de nous conserver le texte des ritournelles qui
préparaient le public à l'exécntion du morceau. Potir-
tant le V" livre de Bataille' contient un récit espagnt^l
qui est précédé d un court prélude instrumentai, joué
sans doute sur une guitare. Ce récit n'a d'espagnol que
les paroles, la musique est l'œuvre d'Henry Bailly. La
persistance du rythme à la base est curieuse. On relève
aussi des frôlements d'iiarmonies un peu barbares mai-s
savoureux.
1. Récit dn hallet des tireurs de huttes. Livre XI des Airs en tablature
de luth, p. 32.
2. Fo livre des Airs en tablature de luth, Récit de la Folie.
•24o
LE BALLET DE COUR EN FRANCE
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Laque so-la in fun-do Pla-ier Plazer^ dul-çu ra ï con-terv - toalmondô.
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Cet exemple nous dispense d'insister sur les modes
d'accompagnements des airs à voix seule. Au reste les
chœurs étaient, eux aussi, soutenus par de nombreux
instruments à cordes pincées et il ne semble pas que le
chant a capella ait été jamais en faveur dans les ballets
de Cour.
Les dialogues, si nombreux dans les recueils d'airs du
début du xvii" siècle, sont fort rares dans les ballets, ou
plutôt l'on y rencontre bien des dialogues entre un per-
sonnage et le chœur, mais il est presque sans exemple
de voir deux héros d'un ballet mélodramatique converser
entre eux en chantant. Il devait y avoir à cela quelque
raison mystérieuse. Pourquoi les musiciens se seraient-ils
abstenus sans motif d'introduire dans les spectacles
dramatiques quelqu'un de ces morceaux à deux voix qu'ils
multiplaient dans les concerts privés. On connaît pour-
tant un superbe fragment de ballet*, œuvre de Boesset,
qui renferme un dialogue entre l'Amour et Car on. Ce
morceau ayant été déjà publié^, nous nous contente-
rons d'y renvoyer le lecteur en faisant remarquer que,
cette fois, Boesset a su unir les qualités du dramaturge
à celles du mélodiste et donner au récit un tour à la fois
1. C'est à ce même ballet qu'est emprunté le récit de la Folie cité plus haut,
2. Henry Quittard. La première pastorale en musique S. I. M. 1909,
mai, Juin.
LA POESIE ET LA MUSIQUE
24
naturel et chantant qui annonce de loin les récitatifs 4e
Lully.
Les dialogues entre un récitant et le chœur sont
fort nombreux. Déjà, dans la Circé, Fécho de la voûte
dorée répondait aux chants des figurants. Dans la plu-
part des ballets représentés sous les règnes de Henri IV
et de Louis XIII, on trouve des scènes de chœurs avec
soli dont le style fait pressentir l'ordonnance des pom-
peux prologues de la Tragédie en musique ^ Les com-
positeurs ont une tendance marquée à employer les
voix par grandes masses verticales. Les artifices de la
polyphonie fuguée sont peu usités, réservés plutôt aux
morceaux écrits pour trois ou quatre chanteurs experts^.
Souvent une ou deux voix exposent le motif qui e^t
repris en chceur.
i,i.'>\nni\i,p\tim''!ifW'^nî'l\'i
^ C'esttroDcoufirtis eaux Sor-tons de ces ro- seaux (Test tropcourir les eaux Sortons decesro-seai
^
C'esttropcoufirtis eaux Sor-tons de ces ro- seaux (Test tropcourir les eaux Sortor
^Kr;lJ"VlrrrrrrT71^
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Les chœurs sont infiniment variés, ils jouent^ dans 1^
spectacle le même rôle que les récits : tantôt ils célèbrent
les vertus des souverains, tantôt ils se rapportent direc-
tement au sujet; ils préparent l'entrée d'une trowpe (Je
danseurs en commentant leurs actions. Il est fort néces-
saire, dans ces conditions, que les paroles soient distinc-
I. Voir les chœurs du Ballet de Monseigneur le Dauphin en 1610. Airs
en tablature de luth. Livre III, (^ 1 et 17.
1. Voir le curieux récit à quatre du juif errant dans le F* livre des Airs
de Cour d'Estienne Moulinié (Bibl. de Bruxelles) ; c'est un fragment du ballet
de Pierre de Provence (1618).
3. Chœur de Guédron pour le Ballet de Madame. III^ Livre des Airs à
^parties (1618). Bibl. de Bruxelles. Fétis a 3ao.
i6
242
LE BALLET DE COUR EN FRANCE
tement entendues; aussi la diction est-elle presque tou-
jours syllabique.
i
^
quede da-ines,quedeflani-mes.AlluiTientleurs beauxjeux. NonJecroisquelesDieuxnbntriendesibeaudans les Cieux!
<:^i?Pr |r ^^ <^ \U'^'^n\\' ftf J îhrO'UV r ^^
que de da-mes,que de flam-mes.Allumçnlleursbeauxjeux.KonJe crois quelesDieuxnbntriende si beau dans les Cieux!
:2i!^iJijj \i^im:Jas\rm^wm
Cette règle est surtout appliquée très strictement aux
airs polyphoniques mesurés, c'est-à-dire assujettis à un
rythme de danse. Dans ces morceaux, les paroles sont
mieux adaptées à l'air que dans les récits ou les chœurs
de mesure libre. Visiblement les poètes savaient mieux
accommoder leurs vers aux mélodies que les musiciens
leurs mélodies aux vers.
Les ballets s'exécutaient parfois ce aux chansons »
comme on disait alors. Ce n'était pas en France une habi-
tude aussi répandue qu'en Angleterre ^ ou en Italie, mais
les exemples n'en sont point rares. On rencontre, dans
les chœurs destinés à faire danser, les rythmes les plus
variés. Quelques-uns paraissent fort singuliers et presque
impossibles à réduire à nos mesures modernes. Pour les
bien comprendre, il est nécessaire de lire le curieux
chapitre où Mersenne traite des rythmes de danse \ Il
les ramène tous à un certain nombre de formules mé-
triques qu'il dénomme des vocables grecs. C'est là un
souvenir de la musique mesurée à l'antique, mais, ce qui
1. Ballet des Princes ^ Airs à 4 de Guédron, IV® livre.
2. Voir en particulier les Ballets de Thomas Morley, iSqS, édit. Rim-
baud.
3. Livre TI Des chants y p. 177 et suiv.
LA. POÉSIE ET LA MUSIQUE M^
est étrange, c'est que les musiciens continuent à se
servir des mètres grecs, alors que les poètes les ont
abandonnés. On trouve des vers rimes et construits de
la manière la plus classique, scandés comme ceux qu'écri-
vaient naguère Baïf et ses émules. La seule obligation
à laquelle se doivent soumettre les poètes, c'est de
composer tous leurs vers exactement d'égale longueur ;
aussi, le plus souvent, pour éviter les fâcheuses syllabes
muettes des rimes féminines, écrivent-ils des vers mas-
culins.
Voici, par exemple, deux airs construits, le premier sur
le mètre lambique w-^-w..--etle second sur le mètre
composé Kj<j .
P O ff^^-0-0-
4^
V^ g
f*#«-
U
^^
-^-o à o
t
Nos esprils libres et contents Viventdans ces douxpassetemps. tt car de si chastes plaisirs 'Bannissenttousautres désirs
^>^j-J'^JJIwrrlJJrr4r;rJJl^f'rrfl^iaflJj^rrir^r^n
CespipeurssBnvont,d(Iapeurqu'ibiiild'cstrBtocorespnsdurtlsde Cypris ttaistantQievivronltaijoursiuui«nid£omme leHambeauduCielleplosbeai}
Il est d'autres chœurs dansés qui, sans s'assujettir à
aucun mètre particulier, se contentent de suivre la mélo-
die et la mesure d'un ballet sonné par les violons.
^.u'rlr-frrirry/rl°lL^^ifUU,i|.Ni'flrJJJ^l
^^ *■ ' __> ._! --^1.-1-;-- Jt ^ Ma... m... .*»>•»•*« À^ *ï kttMMvn'k* ikifk ■4^n*» ^ Mtn« nmt« fUlc
Mainte - (lantque les cœurs sort pleins (f a - m our
Et qu'un chacun chante eldance nuit et jour
Nous quis(avoDS de ^bcaoxpas Ne danse - rons nous pas.
Les danses chantées passeront avec bien d'autres élé-
ments du ballet de Cour dans Topera dont elles forme-
I. //« livre des Airs en tablature f* 8.
•i. IV° livre des Airs en tablature, i'^ ^o.
3. //« livre des Airs en tablature, f»* 48 {Ballet du Maître à danser).
:>44 LE BAI.LET DE COUR EN FRANCE
rpnt un des principaux attraits. Lully excellera à couper
la mpnotpnie d'un long intermède chorégraphique par
jd'agréables choeurs, aux accents desquels les baladins
traceront des figures variées.
CONCLUSION
Le ballet de Cour et l'opéra ont la même origine. Tous
deux sont sortis du grand mouvement d'idées de la
Renaissance. A Paris, vers iSyo, comme à Florence,
vingt ans plus tard, des poètes, des musiciens, des let-
trés et des savants humanistes sont hantés du désir de
retrouver la formule du drame antique, en lequel la
poésie, la musique et la danse s'unissaient harmonieu-
sement. C'est de l'application peu rigoureuse des doc-
trines de Baif à une fête de Cour qu'est né le Ballet. Bien
qu'il fût composé d'éléments disparates, empruntés aux
spectacles antérieurs de France et d'Italie, les contem-
porains saluèrent son apparition comme la résurrection
de la tragédie antique avec ses danses et ses chants.
L'équilibre réalisé par Beaujoyeulx entre les divers élé-
ments constitutifs du ballet ne tarda pas à être rompu
au profit de la musique et de la danse. Sous l'influence
de la réforme mélodramatique de Florence, dont Rinuc-
cini et Gaccini apportèrent en France la bonne nouvelle,
l'élément littéraire fut sacrifié et le spectacle nouveau
devint une sorte de drame musical où les personnages
s'exprimaient toutefois plus encore par gestes que par
chants, un opéra-pantomime.
Sous cette forme, très différente de celle qu'il avait
CONCLUSION i\S
eue à l'origine, le ballet fleurit dix ans à la Cour de
France. Le florentin Francini le para d'une fastueuse
mise en scène à l'italienne et Guédron renforça l'intérêt
de l'action pastorale et romanesque en multipliant les
récits dramatiques.
Après la mort du connétable de Luynes, le ballet
change d'aspect brusquement. Guédron et Francini
cessent de prendre part à l'organisation des fêtés, la
musique dramatique est délaissée, la mise en scène ita-
lienne disparaît. Le duc de Nemours fait prévaloir la
mode des ballets à entrées dont le plan est emprunté aux
ballets mascarades qui ont continué à prospérer à côté
des grands divertissements royaux. Le ballet de Cour
n'est plus désormais qu'une succession de tableaux et de
scènes de pantomime, un défilé de figurants diversement
costumés, annoncé par des récits enjoués, commenté par
des vers burlesques distribués aUx spectateurs.
Durant quelques années, le luxe des costumes, l'adresse
des danseurs, l'extravagance des déguisements firent
illusion et le ballet de Cour sembla pouvoir subsister
en marge des formes théâtrales modernes qui s'orgà-
iiisent alors définitivement, mais bientôt la décadence
cOinmence. Ce spectacle, sans liaison dramatique, sans
intrigue suivie, devient incohérent; la fatigue se fait
sentir; l'imagination dès librettistes et des musiciens
est épuisée. C'est à ce mortient que nous l'abandonnons.
Louis XIII meurt en i643. Après l'expiration du deliil
royal, ce n'est pas un ballet qu'on donne à la GoUt*,
comme il est de tradition de le faire à chaque carnaval
depuis un demi-siècle, mais un opéra italien. Trois ans
de suite, de i645 à 1647, l'opéra triomphée Paris. Après
la Fronde, profitant de l'hostilité des esprits contre
•Iti6 LE BALLET DE COUR EN FRANCE
tout ce qui est étranger, le ballet qu'on croyait mort,
ressuscite et, paré des ornements et des séductions
extérieures de l'opéra, traverse une nouvelle phase
d'activité ; semblable à ces tisons qui semblent con-
sumés et qui flambent tout à coup avant de s'éteindre
définitivement.
Benserade ne sera pas, comme on l'a dit souvent, le
grand artisan de cette renaissance du genre ; certes il
écrira de délicieux récits et des i^ers pour les person-
nages qui seront des chefs-d'œuvre de verve et d'es-
prit satirique, mais il respectera, dans ses grandes
lignes, l'architecture traditionnelle du Ballet à entrées.
Ce sera Lully qui, à la fois baladin et compositeur
d'airs et de pièces instrumentales, transformera le ballet.
Le Florentin introduira dans ce cadre un peu vide de
longs intermèdes d'abord italiens, puis français, des sym-
phonies développées, des duos, des trios, des scènes
dialoguées, d'imposants finales. Bientôt — les décors de
Torelli et de Vigarani aidant — les entrées d'un ballet
sembleront autant de scènes arbitrairement détachées
d'un opéra. Au reste, lorsqu'en 1672 Lully voudra mon-
ter une pièce nouvelle pour inaugurer la salle de l'Aca-
démie Royale de Musique, il lui suffira de coudre ensemble
des fragments de ballets antérieurs pour composer la
Pastorale des Fêtes de V Amour et de Bacchus.
Le ballet de Cour disparut devant l'opéra. Il ne pouvait
en être autrement. A dater du jour où l'harmonieux équi-
libre entre la poésie, la musique et la danse avait été
rompu au détriment |de ll'élément littéraire, le ballet
devait ou bien se confondre avec l'opéra, s'il se laissait
envahir par la musique, ou bien devenir une simple fête
pour les yeux, incapable d'intéresser et d'émouvoir s'il
CONCLUSION a47
sacrifiait la musique à la danse et à la pantomime. Forme
dramatique, hybride et bâtarde, sans lois certaines, sans
esthétique défini, le ballet de Cour n'en a pas moins
joué un rôle d'une importance capitale dans l'histoire du
théâtre lyrique en France. II fut à l'opéra ce que la pasto-
rale et la tragi-comédie furent aux formes classiques de
notre théâtre. Lorsque Lully voulut créer l'opéra français,
il n'eut qu'à prendre dans le ballet les matériaux néces-
saires à la construction de l'édifice qu'il voulait élever
sur le plan des mélodrames italiens. Sans doute, même
à ses jours les plus glorieux, le ballet de Cour ne fut
jamais en France qu'une ébauche, mais on peut dire, en
lui appliquant le mot de La Bruyère, qu'il fut du moins
« l'ébauche d'un grand spectacle ».
PI.
BALLET DES DEMONS D ARMIDE
BALLET
DE
LA DÉLIVRANCE DE RENAUD
.6.7
Avertissement. — Nous avons puisé à diverses sources pour cette
reconstitution. Le livret imprimé chez Ballard en 1617 : Discours au
vray du ballet dansé par le Roy y le dimanche XXIX^ jour de janvier
M. VP.XVIIy avec les desseins, tant des machines et apparences diffé-
rentes, que de tous les habits des Masques, à Paris, par Pierre Ballard,
imprimeur de la musique du Roy, demeurant rue Saint-Jean-de-Beauvais,
à renseigne du Mont Parnasse, nous a fourni le texte des airs à voix
seule avec l'accompagnement en tablature de luth et celui des chœurs
en parties séparées. Nous avons introduit çà et là quelques variantes
mélodiques en nous autorisant de la version donnée par le //* Livre des
Airs de Cour et de différents autheurs. Il nous a paru intéressant de
comparer la partition des chœurs ainsi établie avec l'arrangement qu'en
a donné Bataille en son VIP livre des Airs mis sur le luth. Les deux
versions ne concordent pas sur tous les points. Néanmoins il nous a
semblé que la réduction de Bataille pouvait donner une idée assez
juste de la manière dont les chœurs étaient accompagnés dans les bal-
lets sur les instruments à cordes pincées. Enfin nous avons trouvé dans
la collection Philidor (tome III) la musique de la plupart des airs de
danse notée pour dessus et basse.
BALLET DE LA DÉLIVRANCE DE RENAUD
« Rien n'estoit encores paru qu'une grande perspective de palais et paysage recullé...
quand on entendit un grand concert de musique, dont les concertans estoyent cachez...
il sembloit que ce fussent ces oiseaux qu'Armide laissoit à l'entour de Renault pour
l'entretenir en son absence, ayant pouvoir de contrefaire les voix humaines, et de chanter
les plaisirs de l'Amour, a\^ec les persuasions contenues en ces vers, (faits et mis en
musique par le sieur Guedron, intendant de la musique de sa Majesté.)
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BALLET DE LA DELIVI^i^NCE DE RENAUD
a53
• Ceste musique cessant... » se perdit la perspective première... et parut une montaigne....
Renault {représenté par M. de Luynes...) estait couché sur l'herbe et sur les fleurs, au
dedans d'une grotte enfoncée dans le milieu de cette montaigne : Au-dessus et à l'entour
de cette grotte estoit sa Majesté, accompagné de douze Seigneurs, représentant autant
de Démons laissez par Armide à la garde de son bien aymé, avec charge de luy faire
passer le temps en tous les délices imaginables ...
Sa Majesté descendit les degrez d'un petit théâtre eslevé de trois pieds seulement, au
son de vingt quatre violons, représentant autant d'esprits, logez en une niche séparée...
et comme si sa Majesté eust repris Renault d'estre sorty sans son congé {parce que desja
il s'estoit avancé dans la salle) elle le ramena jusques au milieu, et dança avec luy jus-
qu'à ce que Monsieur le chevalier de Vendosme, {représentant le Démon des eaux) et
Monsieur de MompouHan (un Esprit de l'air) descendirent de la montaigne pour les venir
joindre.... I-Qup entrée fut ornée de si Celles dances, si diverses figures et si fo//asfre§
actions, qu'ils laissèrent à ceux qui /es veirent une créance de ne pouvoir rien yoip çfe
mieux....
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Tandis qu'ils achevoyent leur Ballet, et que desjà Renault, se voulant reposer, s'achemi-
noit vers sa grotte. Monsieur le comte de la Roche Guy on... et M. le général des Gallères...
descendirent de la mesme montaigne.... On douta longtemps s'ils n'avoyent point apris
quelque chose des pemons mesmes, et si les hommes pouvoyent avoir autant de prompti-
tude et de conduitte tout ensemble....
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LE BALLET DE COUR EN FRANCE
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Ma/s qfuand ces seconds cessèrent de dancer et que Monsieur de Liancourt... Monsieur
de Blinville... Monsieur de Challais... et Monsieur de Humieres... descendirent de leur mon-
taigne pour venir chercher Renault qu'ils ne voyaient plus..., l'extraordinaire disposition
des personnes, joincte à la bizarre rencontre des habits, avec la difficulté des pas
facillement surmontée, firent avouer à tous que la merveille surpassoit de bien loing la
créance qu'ils avoyent eue de leur perfection....
Encores la bonne fortune de l'assemblée ne s'arrestat elle pas au plaisir que leur donna
cette troisiesme entrée; une quatriesme... la suyvit... Monsienr le marquis de Courtan-
vault... Monsieur le comte de la Rochefoucaut... Monsieur de Brantes et Monsieur le baron
de Palluau furent les quatres qui sortirent les derniers de la montaigne....
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... Renault ressortit de sa grotte avec tous les Démons qui l'avoyent cherché ou suivy,
et se joignands tous avec'Jes quatre restans, dancerent un Ballet de quatorze, si différent
des premiers en nombre et en beauté qu'il eut tout seul les aplaudissemens qu'avoyent
eu tous les autres....
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Tous les Démons s'eyanouïrent et lors se commença la délivrance de.Renault : carcle^x
c^valliers... l'un portant une baguette et l'autre une carte avec un escu argenté... entrèrent...
et dancerent quelque temps sous un air de trompette... Ceè chevalliers (n'ayant autre but
que la délivrance de Renault)... se retournèrent vers la grotte première où cet héros avoit
paru. Armide... leur m voir à l'abbort le premier effect de ses charmes : car ceste /rjp/?-
taigne se tourna d'elle mesime... tput ch?ingea d'un Instant et en leur place parurent... de
beaux jardinages... et dans ces Jardins.trois grandes fonteynes rustiques....
La nouveauté de cet aspec arresta quelque temps les cavalliers : mais se resouvenant
des advis qu'on leur avoit donnez, ils se servirent de leur ba^yette ppup destruire ces
magiques puissances d' Armide. Au premier coup que ses fonteynes en reçeurent... l'eau
cessa mesfne de couller.... Un nouveau charme encore leur donna nouvel esionnenient,
car une Nymphe eschevellée et toute nûe sortit du bassin de la fonteyne du milieu et...
chanta ces vers faits par Bordier....
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Qui sont dans les champs Idumées;
Il doit, jeune qu'il est, donner à son désir
Moins de gloire et plus de plaisir.
Amour, dont son cœur est le temple,
L'empesche de suivre l'exemple
De ces foibles esprits qui rendent leur bonheur
Subject aux lois du poinct d'honneur.
Il doit plustost faire la guerre
Sous Amour qui peuple la terre,
Que de perdre la fleur de ses jours les plus beaux,
Sous Mars qui peuple les tombeaux.
D'autres que ces cavalliers eussent esté arrestez par la douceur de la voix ou la beauté
de la Nimphe ; mais leurs oreilles et les veues estoyent bouchées... ils la forcèrent de se
replonger en l'eau....
Aussitost parurent six differens Monstres... deux [desquels avoyent la teste, les ayles et
les pieds de hiboux, avec le reste du corps couvert d'un habit de jurisconsulte... deux
autres avoyent la teste, les bras et les jambes de chien, le reste du corps rapportant à un
païsan ; et les deux derniers ayant teste, bras et jambes de singe, representoyent une fille
de chambre, jeune et parée selon l'usage présent. Ces monstres... attaquèrent les deux
cavalliers... et eux leur résistant par les armes..., leur contraste donna lieu à un Ballet de
bouffonnerie et de gravité entremesiée....
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... Les Monstres s'enfuyrent, tandis que Renault, transporté d'ayse, en la possession de
son Armide, estoit couché sur les fleurs que l'eau de ses fonteynes arrosoit en tombant,
et chantoit ces vers faits par Durand ;
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s'arresterent tout court à l'entrée de ce jardin, et faisant voir Renault a Uiy-mesme dans
l'escu de cristal qu'ils avoyent apporté, l'emmenèrent hors de ce lieu enchanté....
Armide accourt esplorée sur les lieux que Renault a laissez, elle voit ses fonteynes
taries, ses Nymphes muettes, ses monstres chassez, et bref tout son jardin changé de ce
qu'il estoit auparavant...
Le dépit luy fait appeler ses Démons par des conjurations toutes nouvelles : mais il
sembla que ces malicieux ministres.,, prissent plaisir à se mocquer de son inquiétude...
Trois en forme d'escrevisse, deux en tortues et deux en //massons... sortirent de dessous
des antres obscurs...
L'enchanteresse dépitée de voir ses Démons sous ces formes moqueuses... chanta ces
vers faits par Bordier
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C'est un faire le faut,
Parlez, Démons, Armide vous demande
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A l'avril de ses ans quel accident funeste,
Seroit-il arrivé.
Ou Jupiter, en la maison céleste
L'auroit-il enlevé ?
Won, non, l'amour du change où l'humaine malice
Se laisse aller souvent.
Fait qu'à mon dam son cœur plein d'artifice
A mis la voile au vent.
Quoy donc ? ny la beauté, ny les faveurs d' Armide
(0 cruel souvenir!)
Ny les sermens de son âme perfide,
Ne l'ont sçeu retenir !
A la fin de ces vers, les Démons sortirent de leurs coques et parurent en forme de
vieilles... bottées et esperonnées, et se peut dire que (jusques icy) rien ne s'est veu de si
bizarre et si plaisant que ce ballet. Marais estoit celuy qui représentoit Armide en ses
furies et ses chants, et Belleville {qui généralement avoit fait tous les airs et toutes les
dances du ballet) estoit encore le particulier conducteur de tous les Démons invoquez.
BALLET DE LA DELIVRANCE DE RENAUD
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... Armide se fit emporter par ses Démons... tout trembla et changea tout ensemble, au
transport de cette sorcière et... tous les ballets d'entrée finirent en ce changement.
Après un moment de relasche.... entra dans la salle un petit bois... dans lequel chan-
toyent seize personnes vestOesen cavalliers antiques... Le bois et les hommes sembloyent
estre esmeus par la puissance d'un hermite, représenté par Le Bailly... et cet hermite
tenoit la place du vieil Pierre, par la science duquel Renault fut délivré de sa prison. Les
autres cavalliers representoyent les soldats de l'armée de Godefroy, qui, impatiens de
l'eslongnement de Renault, le cherchoyent en chantant ces vers, faits par Guedron :
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Renault.
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Les Soldats ; Un noble cœur sauve sa gloire,
Et met ses plaisirs au tombeau.
Et ce dialogue fini se faisoit une grande Musique du concert du sieur Guedron, et de
l'autre qui premièrement s'estoit fait admirer sous la conduitte du sieur IVlauduit... Cha-
cun avoua que l'Europe n'a jamais rien ouy de si ravissant et le nombre de quatre vingt
douze VOIX et de plus de quarente cinq instrumens estant joincts ensemble, faisoit un si
doux bruict qu'il ne semblait pas revenir au quart de ce doht il estoH composé. Les vers
qui suyvent, faits et mis en air par Guedron furent ceux qu'ils chantèrent ensemble.
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Tout se changea de soy-mesme à mesure que ce petit bois se retira... la face du milieu
(du théâtrej où Godefroy et les chefs de son armée estoyent assemblez pour se réjouir de
l'heureux retour de Renaut, atira tant d'yeux à soy, qu'il n'en resta plus pour les tro-
phées.... Le Roy, comme un autre Godefroy, estoit sur un trosne dans ce pavillon de toille
d'or, regardant au dessous de luy les mesmes seigneurs de sa cour qui l'avoyent accom-
pagné en la représentation des Démons.
...le Roy donna le signal, chascun descendit pour luy faire place, et tandis qu'il
s'avança sur le devant du théâtre, les violons jouèrent le Grand Ballet.
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ne se peut vanter de la mesme beauté.... Ainsi le Ballet se finit et M passer une nuit plus
délicieuse que la plus belle journée du Printemps....
BIBLIOGRAPHIE
AVERTISSEMENT
Les ouvrages de musique pratique ne figurent pas dans cette bibliographie. On
en trouvera la description au cours des chapitres. Il en va de même des livrets
de ballets, dont l'index alphabétique permettra de retrouver rapidement la des-
cription. Exception est faite pour quelques relations de ballets dont nous connais-
sons les auteurs.
Nous nous en sommes tenus à une bibliographie générale n'indiquant que les
principaux ouvrages cités au cours de notre étude.
Actes de François /«'' [Catalogue
des); Paris, 1887 et suiv, (10 vol.
in-4^),
Ancona. (d'). — Origini del teatro
italiano, 2^ ediz. ; Roma Loes-
cher, 1891 ; 2 vol, in-8'',
AuBiGNÉ (d') , — Histoire Univer-
selle ; Soc. Hist. de France et édit.
de 1626, Amsterdam ;
Mémoires; édit. Lalanne,
Augé-Chiquet. — La Fie, les idées et
Vœuvre de Jean-Antoine de Baîf;
Paris, 1909, in-8*^.
AuTON (Jean d'). — Chroniques de
Louis Xll ; Soc. Hist. de France.
Paris, 1899, 4 vol. in-8''.
Baif. — OEuvres; édition Marty-La-
veaux. Paris 1881-1890 (5 vol.).
Bapst (Germain). — Essai sur l'his-
toire du théâtre. La mise en scène,
le décor, le costume, l'architecture,
l'éclairage, l'hygiène ; Paris, i883,
in-40.
Bassompierre, — Journal de ma vie.
Soc. Hist. de France, 4 vol. in-8*^.
Beauchamps (de). — Recherches sur
les théâtres de France; Paris
MDCCXXXV. Edition in-40, 3 livres
en un volume ; édition in-8^ en 3 vo-
lumes.
Beaujoyeulx. — Balet comique de la
Royne fait aux noces de M. le duc
de Joyeuse et Mademoiselle de Vau-
demont sa sœur; Paris, Ballard,
i582, in-4°.
Benserade. — OEuvres ; Paris, de
Sercy, 1698, 2 vol..
Bonnet, — Histoire générale de la
danse; Paris, 1723, in-8<*.
BoissART (Robert). — Mascarades
recueillies et mises en taille-douce,
1597.
BoucHET (Guillaume). — Les Scrées.
i6i5, in-8«.
Brantôme. — OEuvres complètes :
édit. Lalanne, Soc. Hist. de France,
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Brenet (Michel). — Notes sur l'his-
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(tiré à 100 exemplaires).
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6 vol. in-80.
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Amorum). — Sensuit les cinquante
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(Nous citons d'après l'édition de
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3® édit. Garnier, 10 vol. in-12.
Thoinot-Arbeau. — Orchéso graphie f
édit. LaureFonta, Paris, 1888, in-8'*.
Tutti i Trionfiy carri, mascherate o
canti carnascialeschi andati per
Firenze dal tempo del Magnifico
Lorenzo de Medici; 1750, 2 vol.
in-80.
VioLLET-LE-Duc. — Ancien théâtre
français ; collection elzévirienne.
INDEX'
Adventure de Tancrède en la forest
enchantée (/,'), 119-1-21, 122, i55-
i57, 160, 166, 170, i83, i85, 187,
188, 210, 2i5, 216, 229, 236, 237.
Agricola, 21.
Alcine [B. d'), jio-ii3, 137, 147-148,
164, 166, i83, 235, 237.
Alençon (Duc d'), 66, 78.
Aminta, 79-80.
Amoureux contrefaits, 24.
Ancona (D'), 33.
Ancre (Maréchal d'). Cf. Concini.
Andromède {B. d'), io5.
Angoulênie (Duc d') , Cf, Valois
(Charles de).
Angoulême (Madame d'), 5o,
Anne d'Autriche, 121, 12a, 161, 162.
Apollon {B. d')j 122, i53, 190, 197, 238.
Arbaut (D'), 99.
.Vrgenti (Agostino), 32.
Argonautes {B. des), ii4, 149.
Arimène, i46-i47'
Arioste, 3i.
Aubigné (Agrippa d'), 55, 73, 76, 82,
86-87, 89-
Auger (Paul), 227, 233.
Aumale (Duchesse d'), 91.
B
Bacchanales {B. des)^ 124, 177.
Baif (Jean-Antoine), 5o, 52, 67, 60-71,
76. 77> 79. 80, 82, 84-86, 88, n5,
192, 220, 232, 233, 234, 243, 244.
Bailly (Henry), 188-189, 2.17, 239.
Ballard (Pierre), 227.
Ballard (Robert), iio, 186,211, 222,
224, 225.
Ballet Comique de la Royne. Cf.
Circé.
Baltazarini. Cf. Beaujoyeulx.
Bapst, III.
Bar (Madame de), 95-96, i65.
Barbonnat, 176.
Bardi, 57.
Barradas, i85.
Bartolomeo Fiorentino, 21,
Bartolomeo Tromboncino, 11.
Bassompierre, 174.
Bataille (Gabriel), ii5, 227, 234, 239.
Beauchamps, 11, 149, 211.
Beaujoyeulx (Balthazar), 68, 71, 78-
79, 82-94, 109, i35, 164, 208,232,
244.
Beaujoyeulx (Charles de), 78.
Beaulieu (Lambert de), 87-88, 91,
173, 232.
Beaulieu (Demoiselle de), 91, 173.
Beccari (Agostino), 32.
Beffara, 209, 229.
Belleville, 176, 177, ^09, 210.
Bollini(G.),3i.
Ben Jonson, 96, 195.
Benserade, iii-v, 14a, igS, 2o5-2o8, 246.
Bertaut, 107, 193, 196, 199.
Bibbiena, 3i, 32.
i. Les chiffres gras indiquent les passages les plus importants pour la biogra-
phie des personnages ou l'analyse de» œuvres.
272
INDEX
Billard, 84.
Blainville, 174.
Bocan, 176, 209, 210.
Boesset (Antoine), n5, 122, 226, 228-
23i, 233, 234, 238, 240.
Bois-Robert, 142, lyS, 193.
Bonnet, 11.
Bordier, 193, 194, 204, 20.'>, 207, 208.
Botticelli, 3i, 35,
Bourgogne (Ducs de'i. Cf. Philippe
le Bon, Charles le Téméraire,
Bourgogne (Bâtard de), 18,
Boyer, 227.
Bracesco (Virgilio), 53, 67,
Brantôme, 37, 43, 55, 73,
Brave [Le), 52.
Brenet (Michel), v, 62, 108.
Brienne, 209.
Brissac (Maréchal de), 52, 78.
Brotin, 171.
Bureau d'adresses [B. du)^ 172.
Cabou, 174.
Caccini (Giulio), 61, 77, 106-107, 229,
237, 244-
Cajetan (Fabrice), 60, 188.
Calandra {La), 3i.
Cambefort, 208, 227,
Caproli (Carlo), i63,
Cardelin, 171,
Caroso (Fabritio), 66-67.
Cassandre {B. de), 172,
Castiglione, 24, 3i, 54.
Catherine de Médicis, 33, 43, 45, 47,
48, 5o, 5i, 55,69, 76,78, 89,90, i63.
Cavalière (Emilio del), 77,
Cefalo, 3o, 79.
Chalais, 174.
Chambonnières, 175,
Champion (Pierre), vi, 6,
Chancy, 189,
Charles V, 7, 9.
Charles VI, 2-4.
Charles VII, 9.
Charles VIII, 26, 34, 35.
Charles IX, 38, 44-47, 49, 5i, 53, 6i,
67, 68, 70, 72, 73, 78,
Charles le Téméraire, 12, 18, 3o, 45.
Chassa (Jehan de), 19,
Château de Bicêtre {B. du), 137-140,
142, 159, 169, 171, 176, 178, 193,
Chefdeville (Radegonde), 175.
Chevalier, 108, 109, 209, 210, 227.
Chienne {B. de la), 2i5.
Christine de Pisan, p. 7, 14, i5.
Cinq sens delà nature [B. des), 161.
Cinzio (Giraldi), 32.
Circé, 42, 57, 75, 76, 78, 80, 81, 82-
94, 114, i34, i35, 187, 144, 164,
i65, 166, 173, 182, 186, 196, 208,
2i3, 225, 232, 241.
Claude de France, 48.
Clinchamps, 174.
Cocchio, 32.
Coffin, 227.
Colletet, 168, 193.
Comédie des proverbes, 174.
Concini, 197.
Condé (Prince de), 99, 196.
Constantin (Louis), 209.
Coppinius (Alexander), 21,
Coqs {B. des), 218.
Corbinelli, 80.
Cordier (Gabriel), 175.
Cordier (Jacques), cf. Bocan.
Cordier (Jean), 175,
Corneille, 193.
Correggio (Nicolô da), 3o, 79.
Costé (Angubte), 84.
Costeley, 59.
Courtenvaux, 174.
Courtisan {Bouffonnerie du), 202.
Courville (Thibaut de), 60-62, 66, 71,
87,88, 232, 233.
Cramail (Comte de), 174.
Créquy (Seigneur de), i3.
Créquy (Duc de), 174.
Dafne, 106.
Dames toutes couvertes d'estoiles {B.
des), 107,
Dames représentant les vertus {B.
des), 107.
Dauphin {B. de Monseigneur le), 109-
iio, T98, 241.
Daurat, 41, 55, 63, 69, 192,
INDEX
273
Del Bene, 80.
Delfin, 176.
Délivrance de Renaud (£a), 115-
119, 153-157, 166, 172, 173, 176,
i83, 187, 189, 225, 227, 229, 237.
Demont, v.
Dérèglement des passions [B. du),
218, 219, 221.
Descartes, i3o.
Desguisez [Les), 5,
Desmarets, 193.
Desportes, 60, 192.
Deux Magiciens {B. des), 178.
Diobono (Pompeo) , 52-53, 67, 78.
Divers entretiens de la Fontaine de
Vaucluse [Les), 159.
Dolce (Ludovico), 32,
Dorat. Cf. Daurat.
Douairière de Billebahaut, 19, 127-
129, 139-140, 142, 159, 160, 169,
176, 177, 180, 181, i85, 194,201-204.
Doubles femmes [B. des), 107.
Dubos (Abbé), 214.
Du Pont, 173.
Durand, ii5, 119, 194.
Du Vivier, 193.
Echecs {B. des), 101-102.
Ecorcheville, 175.
Eff'ets de Nature {B. des), 160.
Elbeuf (Duc d'), 174, 2o5.
Eléonore d'Autriche, p. 4ï.
Elisabeth de France (i545-i568), 43,
48, 69.
Elisabeth de France (1602-1644), ii5,
i35, i5i, 2o3.
Entrée d'Henri II à Lyon, 41, 47.
Entrée d'Henri II à Rouen, 41 •
Entrée d'Henri II à Paris, 42.
Ernandès (Gio. Paolo), 53.
Este (Luigi d'), cardinal, 80.
Euridice, 57, 77, io6.
Evelyn (John), i63.
Expilly, 192.
Fabry (Michel), 228.
Faur (Jacques du), 61-62.
Fées des forests de Saint-Germain
[Les), 19, io3, 126-129, 171, 174,
176, 177, i83, i85, 190.
Félicité [B. de la), 176, 178.
Femme sans teste {B. de la), io3.
Fêtes de l'Amour et de Bacckus, 248.
Fétis, 209.
Fiammella {La), 8i.
Filleul (Nicolas), 5i.
Flamy(M^i« de), 48.
Fogliano (Jacomo), 21.
Foire Saint-Germain [La)^ loi, io3-
104, 198.
Foix (Comte de), 9.
Folie de Roland [La), 119, 177.
Fossard, 222.
Fournel (Victor), m, io8, 141, 207.
Francini (Tomaso), 107, n5, i48-i5o.
i53, 157, 245.
Francini (Alessandro), 149.
François P^ 34, 35, 37, 43.
François II, 49. 53.
François, duc d'Alençon, 48.
Frangipane (Cornelio), 81.
Furetière, 207.
Gallino (Gio. Pietro), 53.
Gantez, 227.
Ghirlandajo, 35.
Giera (Gio. Francesco), 53.
Giustiniani, 32.
Gombaud, 193, 23o.
Gramont (De), 210.
Grand Démo gorgon [B. du), 161.
Grand Magicien [B. du), Cf. Advan-
ture de Tancrède.
Guédron, 114, ii5, 122, 187, 226,
228-229, 23i, 233-238, 241, 245.
Guidubaldo, 3i.
Guise (Duc de), 76.
Guise (Duchesse de), 91.
n
Haiuaut, 171, 176.
Harcourt (comte do), i85.
Hardy, 11, i3o.
Harmonie [B. de /'), 160,
^74
INDEX
Hénaut, cf. Hainaut.
Henri IT, 37, 40, 4i, 47. 48, 49» 53.
Henri III, 38, 53, 76, 78, 81 , 89, 90, 92.
Henri IV, 70-74, 76, 87, 109, îio, i45
i65, 2i8, 241.
Henry (Michel), 210.
Hugonin de Guisay, 3.
I
Imbert, 193.
Improviste {B. de V), 218.
Ingrate [Mascherata délie), 106, i52,
214.
Isaak (Heinrich, 21, 23.
Issue du Cabaret [Bouffonnerie de V),
202.
Janequin (Clément), 58, 218.
Jodelle, 41, 42, 5o, 59, 69, 192.
Joyeuse (Duc de), 76, 81, 85, 89.
Joyeuse (Duchesse de), 91.
Justice, 189.
Juvigny, 173.
La Barre, 176, 177.
La Barre (Pierre de), 210.
La Bruyère, 247.
La Chesnaye (de) 86.
Lacroix, m, 122.
La Fontaine, 207.
La Force, 171.
La Mothe, 189.
La Roche, 173.
Lasca, 23, 29.
Lassus (Roland de), 59.
Latone [B. de), io5, 211, 234.
Laurent le Magnifique, cf. Medici,
(Lorenzo de).
La Vallière, m, 209, 211.
Le Camus, 176.
Le Goys, 171.
Lejeune (Claude), 61-62, 66, 71, 85,
232, 233.
Léon X, 24, 3i, 39-
Le Roy (Adrien), 60.
Le Roy (Estienne), 72, 74.
L'Estoile, 85, 193, 201, 207.
Liancourt, 174, 176.
LoUio (Alberto), 32.
Longueville (Duc de), 69, 174.
Longueville [Mascarade du Duc de),
69, ii3.
Loret, 139.
Lorraine (François de), 43, 48.
Lorraine (Cardinal de), 47.
Louis XII, 26, 34.
Louis XIII, 116, 119, i38, 139, i4o,
i53, i59, 160, 161, 172, i85, ao3,
23o, 241, 245.
Louise, reine de France, 86, 87, 91, 92.
LuUy, ii-v, 63, 77, 128, 143, 197, 208,
209, 214, 218, 219, 225, 227, 229,
23o, 23i, 235, 241, 244, 246, 247.
Luprano (Philippus da), 21.
Luynes (De), 116, 119, 122, 124, i58,
174, 188, 197, 204, 245.
M
Madame (fille de Henri II). Cf. Elisa-
beth de France.
Madame (sœur d'Henri IV). Cf. Bar,
(Madame de).
Madame (fille de Henri IV) Cf. Elisa-
beth de France.
Madame [B. de). Cf. Triomphe de
Minerve .
Mairesse, 176,
Maistre à danser [B. du), 243.
Maistre de l'Académie d'Hyrlande
[Le), 102.
Malherbe, 109, 114, ii5, i38, 177,
193» 194» 227, 228.
Mantoue (Cardinal de), 29,
Marais, 177, 178, 188.
Marcel (Pierre), v.
Margherite d'York, 18.
Marguerite de Valois, 48, 70, 74.
Mariage de Pierre de Provence [B.
du), 217, 227, 241.
Marie de Médicis, 106, 108, i38, 224,
228.
Marie Stuart, 48, 49, 78.
Marolles (Michel de), 11, v, 129, i3o,
161, 171, 177, i83.
Marot (Clément), 58.
INDEX
^75
Martial d'Auvergne, 37.
Martigues (M"»» de), 48.
Mascherata délia Geneologia degV
Iddei De'Gentiliy 39-40.
Masson (P. -M.), 21.
Matrones {B. des), 106.
Mauduit (Jacques), 62,64» 68-69, 11 5,
116, 187, 226, 233.
Maynard, 196.
Mazarin, iv, i33, i63.
Medici (Lorenzo de), 22-23, 39.
Ménage, 177.
Menestrier, 11, v, 129, i3i, 2o5,
Mercœur (duchesse de), 91.
Merlaison {B. de la), 172, 174, 178.
Mersenne v, 61-62, 65, 189, 212, 2i3,
2i5, 220, 242.
Merulo (Claudio), 81.
Météores [B. des) , 2o3 .
Metz (Duc de), 174.
Michèle (Pietro), 21.
Milton, 96.
Mirante, 161.
Molière, i43, 197.
Monteverde, 82, i52, 214.
Montmorency (Duc de), 174, 179.
MontpouUian, 174.
Montreuil (Nicolas de), 146.
Morel (Horace), 128, 167, 160-161.
Morel, 176.
Morley (Thomas), 24a.
Mortemart (de), i85, 189.
Motin, iio, 193.
Moulinié (Est.), 189, 227, 241.
N
Navarre (Roi de), cf. Henri IV.
Negr* (Cesare), 39, 62.
Nemours (Charles-Emmanuel de Sa-
voie, duc de), 37, 43.
Nemours( Henri de Savoie, Duc de),
io3, 107, 124, 126, 174, 176,204,245.
Nevers (Duchesse de), 91.
Niccron, 76.
Nicolas de Modène, 36.
ONozze di Peleo {Le), i63, 175.
Nyert (Pierre de) 189, 235.
Nymphes bocagères de la Forêt Sacrée
(Les), i85.
Nuit {B.de la), 171.
Ombres {Les), 5i.
Orfeo (du Politien), 29, 79.
Orfeo (de Luigi Rossi), 162.
Orléans (Charles d') vi, 6, 8.
Orléans (Gaston d') 142, 174.
Orléans (Louis d') 4» i5.
Paluan, 174.
Palvello (Ludovico), 53.
'^Paradis d'Amour {Mascarade du),
72-75.
Passerat, 192.
Patin (Jacques), 88.
Paulet (Angélique), 108, 190.
Paysans et des Grenouilles (j5. des)
cf. B. de Latone.
Peiresc, ii4, 193.
Péri (Jacopo), 77.
Perrault, 208.
Petits Mores [B. des), 176.
Philidor, 210, 211, 2i3, 2i5, 221.
Philippe le Bon, 10, i3.
Philippe II, 46.
Pichon (baron), 52.
Picot (Emile), vi, 52, 176.
Pierre de Provence {B. de) cf. Ma-
riage de Pierre de Provence.
Pierre du Puis {B.de), 218.
Pinturicchio, 35.
Pirro (André), v.
Plainville, i38.
Plante, 3o, 3i.
Politien, 29, 79.
Polonais (Ballet dit des) [i573] 55-57.
Porchères, 119, 193, 194, 199.
Poyanne, 176.
Prévost, 176
Primatice, 35.
Prince {Ballet de Monseigneur le),
176, 189.
Prince de Condé {B. du), 217.
Princes {B. des), 242.
Princes de la Chine {B. des), 107.
Princes vestus de fleurs {B. des), 107.
Prospérité des armes de France, 129,
i3o, i^'i 161-162, 171, 217, 219.
276
INDEX
Psyché {B. de), 121, laa, i58, i85,
210, 229.
Puissance d'amour [B. de la), 161.
Pure (de), 11, v, iSg, 214, 219, 226,
23l.
Quatre éléments [Mascarade des),
49.
Quatre monarchies chrétiennes {B.
des), i85.
Racan, igS, 194, 196-
Rapimento di Cefalo, 77.
Rappresentatione di anima e di corpo,
11-
Reyher, 26, 27, 172.
Reyne {B. de la) représentant la
Beauté, [1609] 108, 190, 193, 195,
227.
Reyne représentant le soleil [B . de
la), 122-123, i53.
Richelieu, 129, 142, 144, 161, 162.
Rinuccini (Ottavio), 106-107, 162,
244.
Robichon, 176.
Rochefort (Julie de), i38.
Rohan (Anne de), 96, 173.
Rohan [B. de Madame de), 96, 147-
Rolland (Romain), 23, 32.
Rondray (du), 211.
Ronsard, 4i» 44? 49» So, 69, 60, 63,
68, 69, 71, 85, 86, 192.
Rosset (de), 193.
Rossi (Bartolomeo), 81.
Rossi (Luigi), 23o.
Rosso, 35.
Rothschild (Edm. de), 168.
Rothschild, (James de) vi, i52, 160,
168, 172, 176.
Roussillon (Comte de). 2o3.
Ruggieri, 146.
Sacrificio, (//) 32.
Sainctot, 176.
Saint-Amand, 193, 223,
Saint-Gelais (Mellin de), 41, 52, 192.
Saint-Hubert, 11, v, 98, 129, i3i, i32,
167, 172, 178, 179.
Saint-Laurens, 173.
Saint-Mesme (M^^® de), 173.
Saint-Paul (Comte de), 37,
Salmon, 88, 208, 232.
Samant, 207.
Santa Uliva, 29,
Sauvai, 68.
Savornin, 173.
Scudéry (M"e jg), 108.
Senecé, 214.
Sérieux et du Grotesque [B. du), 174,
233.
Serlio, 81.
Sévigné (M™^ de), 207.
Sigongnes, 193.
Singes (Ballet des), loo-ioi.
Soissons (Comte de), 140, 174.
Solerti, 23, 33.
Sophonisbe, 52.
Sorel, i36, i43, i83, 193.
Souvray, i85,
Strozzi (Clarice), 48.
Sully, 99, 141.
Suppositi, 3i,
Tallemant des Réaux, 99, i38, 174,
179, 190» 196.
Tasso (Torquato), 26, 32, 79-80.
Termes (Baron de), 174.
Tetoni (Bernardo), 53.
Théophile 193, 202.
Tireurs de Buttes {B. des), 239.
Torelli (Jacomo), 162, 246.
Trissino, 29.
Triomphe de la Beauté, 204.
Triomphe de Minerve ii4-ii5, i35,
i36, 148, 149-153, i56, 157, 177,
187, 199, 241.
Triomphes [B. des), 174, 176, 178.
Trivulce, 26.
Trois Ages {B. des), 108, 21 5, 227.
U
Usuriers {B. des), io5-io6.
INDEX
'77
Valéntine de Milan, i6.
Valois (Charles de) i85, 206, 227,
Vaudemont (M"« de), 85, 89.
Vautret, 177.
Vendôme (Duc de), 174.
Vendôme [B. du Duc de), cf. Al-
cine.
Vermandois (Chevalier de), 3.
Verpré, 176.
Vieille cour {B. delà), 137.
Vigarani, 146.
Villedan, 206.
Villon, VI. "
Vincent, 108, 227.
Vitry, 174.
Vitry (Mii« de), 173.
Voleurs {B. des), i25, 174, 188.
Voltaire, 23o.
TABLE DES PLANCHES
I. Apparition de la Nymphe des fontaines. Ballet de la déli-
vrance de Renaud (1617). Estampe tirée du Discours au vray
du ballet dansé par le roy Frontispice.
II. Ballet de la reine Catherine de Médicis en l'honneur des am-
bassadeurs de Pologne (i573). Estampe tirée de l'ouvrage de
DorAt : Magnificentissimi spectaculi 17
III. Ballet comique de .la reine (i58i). Harangue du gentilhomme
fugitif, scène I 33
IV. La Liberazione di Tirreno. Ballet dansé à Florence le 6 février
161 7 (Estampe de Jacques Callot) 65
V. Ballet des « Esperlucatts ». Les fées des forêts de Saint-Germain
(Louvre, dessin n° 32 616) 81
VI. « Entrée de l'hoste, de l'hostesse et leur valet ». Château de
BicètrCy i63a (Louvre, dessin n^ 32 654) 97
VII. Grand Ballet. (Louvre, dessin n^ 32 65 1) ii3
VIII. « Entrée des couppe testes ». Les fées des forêts de Saint-Ger-
main (Louvre, dessin n°'i2 680). — Ballet des lutins apportant
un (I marellier ». Les fées des forêts de Saint-Germain. (Ca-
binet des estampes, Qb. 32) 129
IX. Entrée de la douairière et de ses dames. Ballet de la douai-
rière de Bille bahaut. {Cabinet des estampes. Qb. 32). . . . 145
X. Entrée de Mahomet et des docteurs de la loy. Douairière de
Billebahaut, 1626. (Louvre, dessin n° 32627) 161
XI. Entrée des faux monnayeurs. Château de Bicêtre (Louvre, dessin
n» 32 675) 177
XII. Musique servant de récit au Grand Ballet (Louvre dessin
nO 32 652) 193
XIII. Entrée de la musique de l'Amérique. Douairière de Billebahaut
(Louvre, dessin n» 32618) 209
iSo TABLE DES PLANCHES
XIV. Récit de la musique. Les fées des forêts de Saint-Germain. (Ca-
binet des estampes). — Un magicien (Le sieur Marais). Le
château de Bicêtre (Louvre, dessin n° 32 665) 225
XV. Le ballet des démons d'Armide [Discours au vray du ballet
dansé par le Roy) 248
XVI. Dialogue entre un mage et les soldats [Discours au vray) . . . 257
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE PREMIER
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU BALLET
I, — Les fêtes de Cour en France et en Bourgogne au xv« siècle :
Momeries, Entremets, Moresques, Tournoi i
II, — Spectacles et divertissements des Cours italiennes : Trionfi,
Mascherate, Intermedi ao
III, — La Mascarade en France au xvi® siècle, ses formes diverses et
son évolution ... 34
CHAPITRE II
L'INVENTION DU BALLET DE COUR
I. — Idées de la Pléiade sur la musique, — L'Académie de Baïf. —
Les danses mesurées 5°
IL — Participation des poètes humanistes aux fêtes de la Cour. —
Mascarade du duc de Longueville (i565). — Le Paradis d'Amour
[iS'j'i.). — Baltazarini, interprète des idées de Baïf 68
III. — Influence de l'Italie sur les fêtes françaises au xvi® siècle. — La
Pastorale dramatique. — Comédies à intermèdes représentées par
les Gelosi 79
IV. _ Le Ballet comique de la Reine. — Caractère humaniste de la
tentative de Beaujoyeulx. — Les collaborateurs : La Chesnaye, Beau-
lieu et Salmon, Jacques Patin °^
V. — La Représentation du i5 octobre i58i 89
VI. — Les Imitations. — Ballets à récits déclamés de la fin du xvio siècle.
'— Le Ballet de Cour, importé en Angleterre, y devient un genre lit-
téraire 9^
aSa TABLE DES MATIÈRES
CHAPITREIII
ÉVOLUTION DU BALLET DE COUR
I. — hes Ballets- Mascarades sous le règne de Henri IV. — Substitu-
tion du chant à la déclamation dans les Ballets de Cour (1600- 1610). 98
II. — Les Ballets Mélodramatiques . — Du ballet d'Alcine au ballet
d'Apollon (1610-1621) iio
III. — Le Ballet à entrées. — Décadence du genre (i6ao-i65o). . . . i23
CHAPITRE IV
LE BALLET A LA SCÈNE
I. — La salle et le public i34
II. — La mise en scène i44
III. — Exécution chorégraphique et musicale i63
CHAPITRE V
LA POÉSIE ET LA MUSIQUE DANS LES BALLETS
DE COUR
I. — Poètes de Cour sous Henri IV et Louis XIII. — Les vers récités
ou chantés. — Les vers destinés à la lecture 19a
II. — Compositeurs de la musique instrumentale. — Ballets. — Entrées.
Caractère descriptif de ces compositions ao8
III. — Compositeurs de la musique vocale. — Les airs monodiques et
polyphoniques. — Les Récits. — Origine du récitatif dramatique
français aaS
Conclusion 244
Ballet de la délivrance de Renaud 249
Bibliographie 267
Index alphabétique 271
Table des planches , 279
ÉVREUX, imprimerie CH. HÉRISSEY, PAUL HÉRISSE Y, 8UCC'
Vu : Vu
le 7 juillet igiS ET PERMIS d'imprimer
Le doyen de la Faculté des Lettres Lq i>ice recteur
de V Université de Paris, de V Académie de Paris,
A. Croiset. L. Liard.
I
f
ML
3^60
P78
cop.2
Prunières, Henry
Le ballet de cour en
France avant Ben se rade ei
Lully
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY