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Full text of "Le ballet de cour en France avant Benserade et Lully, suivi du Ballet de la délivrance de Renaud. Seize planches hors texts"

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LE 

BALLET  DE  COUR 

EN  FRANGE 

AVANT  BENSERADE  ET  LULLY 


n 


PL   I 


APPAIUTION    DE    LA    NY3IPHE    DES    FONTAINES 

Ballet  de  la  Délivrance  de  Renaud  [1617). 
(Estampe  tirée  du  Discours  au  vray  du  ballet  dansé  par  le  Roy...) 


LE 

BALLET  DE  COUR 

EN  FRANCE 

AVANT  BENSERADE  ET  LULLY 

SUIVI  DU  BALLET  DE  LA  DÉLIVRANCE  DE  RENAUD 


Thèse  complémentaire  pour  le  doctorat  es  lettres, 
présentée  à  la  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de  Paris 


HENRY  PRUNIERES 


fM 


SEIZE  PLANCHES  HORS  TEXTE  '^.  ** 


HENRI  LAURENS,  ÉDITEUR 

6,     RUE    DE    TOURNON,     PARIS 

I9l3 

Tous  droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés 
pour  tous  pays. 


ML 

Pie 


Monsieur  ANDRE  PIRRO 


En  hommage  respectueux. 


AVANT'PROPOS 


Durant  un  siècle^  du  règne  de  Henri  III  à  la  fondation 
de  r Académie  Royale  de  Musique^  le  ballet  de  Cour  jouit 
en  France  d'une  vogue  extraordinaire.  Comme  Topera  en 
Italie^  comme  le  Mask  en  Angleterre^  c'est^  par  essence^  un 
spectacle  de  princes,  mais  le  peuple  ne  laisse  pas  dy 
prendre  aussi  un  plaisir  extrême.  Chaque  carnaval.,  c'est 
en  présence  d'une  foule  compacte  où  gentilshommes  et 
bourgeois  se  pressent  et  se  coudoient.,  que  le  Roi  danse 
son  ballet.  Personne  ne  songe  alors  à  mettre  en  balance 
V intérêt  d'une  telle  représentation  avec  celle  d'une  tragé- 
die ou  dune  comédie  :  le  ballet  a  pour  acteurs  des  grands 
seigneurs  y  de  nobles  dames;  il  fait  intervenir  la  danse.,  la 
pantomime,  la  musique,  ta  poésie,  la  mise  en  scène  ;  il 
charme  les  yeux,  les  oreilles  et  l'esprit  ;  cest,  de  F  aveu  de 
tout  le  monde,  le  plus  magnifique  des  spectacles. 

On  peut  être  surpris  quune  forme  dramatique  si 
curieuse  et  dont  il  est  tant  parlé  dans  les  mémoires  et  les 
correspondances  du  XV IT  siècle,  ri  ait  encore  été  l  objet 
d aucune  étude  spéciale.  Elle  intéresse  pourtant.^  à  plus 
dun  titre,  Vhistoire  générale  du  théâtre.  Issue,  au 
XVP  siècle,  des  essais  de  poètes  humanistes  désireux  de 
reconstituer  la  tragédie  antique  avec  ses  chœurs  dansés  et 
chantés,  elle  ne  tarda  pas  à  évoluer  vers  un  idéal  lyrique. 


II  AVANT-PROPOS 


Elle  fut^  durant  un  demi-siècle^  le  champ  d^ expérience 
oîi  la  musique  dramatique  française  fit  ses  premiers  pas. 
Ce  fut  elle  qui^  en  s' unissant  à  V opéra  italien^  donna  nais- 
sance à  la  tragédie  en  musique  de  Lully,  Il  est  donc  im- 
possible d'étudier  V opéra  français  sans  se  faire,  au  préa- 
lable^ une  juste  idée  du  spectacle  complexe  auquel  il  em- 
prunta une  partie  de  ses  éléments  constitutifs. 

On  ne  s'avisa  qu  assez  tard  d'écrire  V histoire  du  ballet 
de  Cour.  L'abbé  de  Pure^  M.  de  Saint-Hubert,  l'abbé  de 
Marelles,  se  préoccupèrent  plutôt  d'édicter  des  règles  que 
de  décrire  l'éi^olution  du  ballet  à  travers  les  âges.  Le  Père 
Menestrier  eut  cette  noble  ambition.,  mais.,  dépourvu  d'es- 
prit critique.,  il  ne  tarda  pas,  en  cherchant  les  origines  du 
ballet^  à  se  perdre  parmi  les  Grecs,  les  Hébreux  et  les 
Babyloniens,  H  confondit  les  spectacles  les  plus  différents, 
passa  sans  transition  des  ballets  à  entrées  aux  opéras  ita- 
liens, des  chœurs  tragiques  aux  mascarades  de  la  Renais- 
sance. H  brouilla  tout  de  telle  sorte  qu'on  serait  bien 
empêché.,  après  avoir  lu  son  livre,  de  dire  en  quoi  consis- 
tait un  ballet  de  cour. 

Bonnet,  auteur  d'une  médiocre  histoire  de  la  danse 
[il 23),  suivit  les  mêmes  errements.  Le  ballet  de  Cour  avait 
à  peine  disparu  depuis  soixante  ans  qu'on  en  parlait 
déjà  comme  d'un  spectacle  à  la  fois  très  primitif  et  très 
mystérieux.  Au  reste.,  ne  traitait-on  pas  de  même  sorte  les 
œuvres  des  précurseurs  de  Corneille  P  Le  ballet  de  Cour  fut 
un  peu  à  l'opéra  ce  que  les  pastorales  et  les  tragi-comédies 
de  Hardy  furent  à  notre  théâtre  classique  ;  il  tomba  rapi- 
dement dans  le  même  discrédit  que  ces  pièces. 

Beauchamps,  le  premier,  ^KÊÊÊnt  l'importance  histo- 
rique du  ballet  de  Cour.  Il  inséraWans  ses  Recherches  sur 
les  théâtres  de  France  [173^]  un  catalogue  de  tous  les 


AVANT-PROPOS  III 

ballets  dont  il  avait  trouvé  mention  dans  les  mémoires  ou 
dont  il  avait  rencontré  les  livrets  imprimés.  Le  duc  de  la 
V allier e  ajouta  quelques  noms  à  cette  liste  dans  son  livre 
Ballets.  Opéra  et  autres  ouvrages  lyriques,  publié  peu 
d  années  plus  tard. 

Durant  un  siècle^  le  ballet  de  Cour  ne  tenta  plus  aucun 
historien.  En  1866  seulement^  Victor  Fournel  lui  consacra 
une  brillante  notice  qu^ il  plaça  en  tête  de  la  publication  de 
quelques  livrets  dans  le  Tome  second  de  son  recueil:  Les 
contemporains  de  Molière.  Il  faut  rendre  à  V auteur  cette 
justice  quil  apprécie  à  sa  valeur  le  talent  poétique  du 
charmant  Benserade^  mais^  ayant  superficiellement  étu- 
dié la  question^  il  a  confondu  tous  les  genres  de  ballets  : 
ballets  à  récits  déclamés  et  à  récits  chantés^  ballets  à 
entrées.,  ballets  à  grand  spectacle  ;  il  a  cru  que  le  ballet 
de  Benserade  et  Lully  représentait  la  forme  classique  du 
genre  quand.,  en  réalité.,  il  appartient  au  dernier  stade  de 
son  évolution  vers  V opéra.  En  1868.,  Véminent  bibliophile 
Paul  Lacroix  donna  chez  Gay.,  à  Genève^  une  édition  à  faible 
tirage  d'une  multitude  de  ballets^  recueillis  par  lui  dans 
les  bibliothèques  publiques  et  privées.  Les  six  volumes  des 
Ballets  et  Mascarades  de  Cour  de  Henri  III  à  Louis  XIV 
eussent  grandement  facilité  les  recherches  des  historiens 
du  théâtre^  s^ils  avaient  pris  la  peine  de  les  étudier  de 
près,  mais  la  plupart  négligèrent  cet  ouvrage  précieux. 
Abordant  la  question  au  point  de  vue  du  costume  et  de  la 
mise  en  scène,  seul  M.  Bapst,  en  1893,  consacra  au  ballet 
quelques  pages  de  son  Essai  sur  l'histoire  du  théâtre  et 
dressa  une  liste  des  principaux  documents  iconographiques 
conservés  dans  les  colUÊÊ^s  publiques  ou  particulières. 

Restait  à  écrire  unmWrage  d''  ensemble  où  fussent  étu- 
diées  les   origines  et  l'évolution  du  Ballet  de  Cour;  où 


IV  AVANT-PROPOS 

en  fussent  décrits  et  analysés  les  divers  éléments  : 
Danse,  Musique,  Poésie^  Mise  en  scène.  C'est  ce  que 
nous  avons  tenté  sans  nous  dissimuler  la  témérité  de 
notre  entreprise.  Plus  on  étudie  le  ballet  de  Cour  et  plus 
on  demeure  surpris  de  V abondance  d'un  sujet  qui  semble- 
rait, à  première  vue,  fort  limité.  Il  donne,  sur  la  Société 
du  XVI^  et  du  XVIP  siècle,  les  renseignements  les  plus 
curieux,  il  appointe  une  contribution  inattendue  à  V  histoire 
de  la  mise  en  scène,  il  permet  surtout  d' apprécier  les  ten- 
dances et  les  caractères  de  la  musique  profane  en  France 
durant  près  d'un  siècle.  Une  telle  matière  semble  inépui- 
sable :  Il  nous  a  paru  qu'en  V  absence  de  tout  travail  anté- 
rieur sur  la  question,  nous  devions  nous  borner  à  esquis- 
ser à  grands  traits  la  physionomie  en  quelque  sorte  du 
ballet  de  Cour.  Nous  avons  donc  cherché  à  nous  représen- 
ter ce  qu  avait  été  ce  spectacle  fastueux,  dans  quelles 
conditions  il  était  réalisé  scéniquement,  devant  quel  public 
il  se  donnait  et  quels  étaient  les  acteurs  quil  faisait 
intervenir.  Nous  avons  insisté  sur  V intérêt  que  présente  la 
musique  des  ballets  pour  V  histoire  des  origines  du  théâtre 
lyrique,  cette  question  n'ayant  jamais  été  même  effleurée 
avant  nous. 

Prenant  le  ballet  à  ses  origines,  nous  le  quittons  au 
moment  où  il  va  se  trouver  en  contact  avec  !  opéra  italien, 
importé  en  France  par  Mazarin.  Ayant  décrit  en  un  autre 
ouvrage  ^  cette  phase  dernière  de  l'évolution  du  ballet  dra- 
matique, il  nous  a  paru  superflu  d'y  revenir  ici.  Au  reste 
le  ballet  de  Lully  et  de  Benserade  avec  ses  épisodes  et  ses 
intermèdes  en  style  récitatif,  avec  ses  décors  et  ses 
machines,  est  un  spectacle  nouveau,  plus  proche  de  l'opéra 

I.  L'opéra  italien  en  France  avant  Lulli.  Paris,  Champion  édit.,  igiS  (in-8o). 


AVANT-PROPOS 


que  du  ballet  de  cour  classique.  Il  porte  V empreinte  du 
génie  du  Florentin  et  nest  plus,,  comme  au  temps  de 
Louis  XIII,,  une  œuvre  anonyme  et  collective,  V histoire  du 
ballet  de  Cour  après  1655  a  sa  place  marquée  à  !  avance 
dans  un  travail  ^ensemble  sur  V œuvre  de  Lully  :  on  ne 
saurait  V étudier  en  faisant  abstraction  de  la  puissante 
personnalité  du  créateur  de  V Opéra  français. 

Nous  nous  sommes  servis  pour  le  présent  ouvrage  de  tous 
les  matériaux  qu  il  nous  a  été  possible  d'utiliser  :  mémoires,, 
gazettes,,  correspondances,,  pièces  d* archives,  romans^ 
recueils  poétiques,  livrets,,  airs  imprimés  et  manuscrits, 
tablatures  de  luth,,  partitions  manuscrites,  documents 
iconographiques  etc.  Nous  avons  écarté  tous  les  témoi- 
gnages qui  n  étaient  pas  rigoureusement  contemporains 
des  faits  que  nous  exposions.  C^ est  pourquoi  on  ne  trou- 
vera ici  aucune  citation  tirée  des  ballets  de  Benserade  : 
nous  nous  sommes  efforcés  d'oublier  leur  existence.  Nous 
avons  agi  de  même  à  l'égard  des  théoriciens  ;  nous  nous 
sommes  servis  presqu  exclusivement  des  ouvrages  de  Saint- 
Hubert,  de  Marolles,  de  l'abbé  de  Pure,  de  Mersenne,  qui 
nont  pas  été  troublés,  comme  le  Père  Menestrier,  par  la 
vue  des  Opéras  de  Lully.  Nous  avons  surtout  mis  à  contri- 
bution les  livrets  d'innombrables  ballets,  grâce  auxquels 
nous  avons  pu  reconstituer  approximativement  les  procédés 
d' exécution  et  de  mise  en  scène  usités  en  ces  spectacles. 

Il  nous  teste  à  témoigner  notre  gratitude  à  tous  ceux 
qui  nous  ont  assisté  de  leurs  conseils  au  cours  de  nos 
recherches.  MM.  André  Pirro  et  Michel  Brenet  nous  ont 
fait  profiter  à  maintes  reprises  de  leur  profonde  connais- 
sance des  hommes  et  des  choses  du  XVII^  siècle  musical  ; 
M.  Pierre  Marcel,  professeur  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts 
et  M.  Demont,  conservateur  des  dessins  au  Musée  du  Louvre 


VI  AVANT-PROPOS 

ont  facilité  grandement  nos  recherches  iconographiques 
par  leur  inlassable  complaisance  ;  M.  Emile  Picot ^  membre 
de  r Institut^  nous  a  ouvert  les  portes  de  la  bibliothèque 
James  de  Rothschild^  si  riche  en  documents  iconogra- 
phiques sur  la  question  qui  nous  intéressait  ;  M.  Pierre 
Champion^  Vérudit  et  délicat  biographe  de  Charles  d'Or- 
léans et  de  Villon  nous  a  donné  de  précieux  conseils 
bibliographiques  sur  les  fêtes  de  Cour  au  XV"  siècle. 


Mai  igiS. 

H.  P. 


LE 

BALLET  DE  COUR 

EN  FRANCE 


Mascarade  et  cartels  ont  prins  leur  nourriture. 
L'un  des  italiens,  l'autre  des  vieux  françois 
Qui  erroient  tous  armez,  par  déserts  et  par  bois, 
Accompagnez  d'un  nain  cherchant  leur  aventure. 

L'honneur  des  nobles  cœurs,  généreuse  pointure, 
Les  faisoit  par  cartels  desfier  aux  tournois, 
{Ou  nuds  en  un  duel,  ou  armez  du  pavois) 
Ceux  qui  forçoient  les  lois ,  le  peuple  ou  la  droicture. 

L'accord  italien  quand  il  ne  veut  bastir 
Un  théâtre  pompeux,  un  cousteux  repentir 
La  longue  Tragédie  en  Mascarade  change. 

Il  en  est  l'inventeur,  nous  suivons  ses  leçons 
Comme  ses  vestemens,  ses  mœurs  et  ses  façons, 
Tant  l'ardeur  des  François  aime  la  chose  estrange. 

Ronsard. 


CHAPITRE  PREMIER 

LES  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DU  BALLET 

I.  —  Les  fêtes  de  Cour  en  France  et  en  Bourgogne  au  xv®  siècle  : 
Momeries,  Entremets,  Moresques,  Tournois. 

II.  —  Spectacles  et  divertissements  des  Cours  italiennes  :  Trionfi, 
Mascherate,  Intermedi. 

III.  —  La  Mascarade  en  France  au  xvi®  siècle,  ses  formes  diverses  et 
son  évolution. 

I 

L'origine  des  travestis  et  des  masques  se  perd  dans  la 
nuit  des  temps.  Durant  tout  le  moyen  âge,  aux  jours  joyeux 
de  Noël  et  du  Carnaval,  la  foule  s'adonne  avec  ardeur  à 
ce  divertissement  et  des  bandes  bruyantes,  aux  visages 


2  LE  IULLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

barbouillés  de  suie  ou  dissimulés  sous  des  masques  gros- 
siers, courent  les  rues  en  se  livrant  à  mille  facéties  plus 
ou  moins  incongrues.  Nous  n'avons  pas  à  relater  ici  les 
étonnantes  pratiques  de  la  fête  des  fous;  rappelons  seu- 
lement qu'au  milieu  du  xv^  siècle  des  ecclésiastiques  par- 
ticipaient encore  à  ces  saturnales  et  assistaient  à  l'office 
divin  «  les  uns  avec  des  masques  d'une  figure  monstrueuse, 
les  autres  en  habit  de  femmes,  de  gens  insensés  ou 
d'histrions^  ».  Les  ordonnances  royales  et  municipales 
qui  se  succédaient  à  intervalles  réguliers,  restaient  lettre 
morte  et  les  théologiens  avaient  beau  protester  que  le 
Diable  était  l'inventeur  des  Momeries,  que  masquer  était 
une  abominable  idolâtrie,  a  une  hérésie  condamnée  par 
les  Pères,  par  les  Conciles  et  Saints  Décrets  S),  le  peuple 
n'en  continuait  pas  moins  à  s'accoutrer  de  déguisements 
bizarres  et  à  folâtrer  par  les  rues. 

La  noblesse  pratiquait  avec  autant  d'entrain  ce  passe- 
temps  prohibé  par  les  autorités  ecclésiastiques.  Nous 
sommes  malheureusement  assez  mal  renseignés  sur  le 
détail  des  fêtes  de  la  Cour  française  vers  la  fin  du  moyen 
âge.  Les  guerres  civiles  et  étrangères,  qui  ravagent  le 
pays,  absorbent  toute  l'attention  des  chroniqueurs,  et 
nous  ne  connaîtrions  peut-être  aucune  relation  circons- 
tanciée de  Momerie  sans  le  terrible  accident  qui  enleva 
au  pauvre  Charles  VI  le  peu  de  raison  qui  lui  demeurait. 

I.  Du  ïilliot.  Mémoire  pour  servir  à  V histoire  de  la  fête  des  foux.  A 
I-iausanne  et  à  Genève  MDCCLI,  p.   12. 

1.  Traitté  contre  les  Masques  par  M.  Jean  Savaron,  sieur  de   Villars 

A  Paris  chez  Pierre  Chevalier...  1608  (B.  Nat.  Li  19/14),.  Cet  ouvrage  fort 
curieux  énumère  un  grand  nombre  d'ordonnances  et  de  décrets  rendus  contre 
les  Masques,  (c  La  preuve,  dit  Savaron,  que  le  Diable  est  autheur  des 
Masques  et  mommeries  se  tire  de  la  propriété  et  origine  de  ces  mots  de 
Mommon  et  de  Masque  ;  Mommo  en  grec,  Masca  en  toscan  et  lombard  et  en 
latin  Larva  signifient  un  démon  et  un  masque,  » 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  5 

Le  29  janvier  iSpS^  fut  célébré,  en  Thôtel  Saint-Paul, 
le  mariage  d'une  damoiselle  de  la  Reine  et  du  chevalier 
de  Vermandois  :  «  tout  le  jour  qu'ils  épousèrent  on 
dansa  et  mena-t-on  grand  joie  ^  »  Pendant  que  les  méné- 
triers, montés  sur  une  estrade,  sonnaient  de  maints  doux 
instruments  de  musique  et  que  gentilshommes  et  dames 
dansaient  à  corps  perdu  '\  le  sire  Hugonin  de  Guisay, 
écuyer,  qui  cherchait  à  distraire  le  roi  de  ses  sombres 
pensées,  s'avisa  d'un  bel  ébattement  pour  plaire  à 
Charles  VI  et  aux  dames.  Il  fit  préparer  des  chemisettes 
enduites  de  poix  sur  lesquelles  on  sema  à  profusion  du  lin 
délié.  Lorsque  le  roi  et  cinq  autres  seigneurs  eurent  revêtu 
ces  déguisements,  «  ils  se  montroient  être  hommes  sau- 
vages', car  ils  étoient  tous  chargés  de  poil,  du  chef  jus- 
ques  à  la  plante  du  pied  ^  ».  Ainsi  accoutrés  et  le  visage 
caché  sous  un  masque  \  ils  firent  irruption  dans  la  grande 
salle  et  se  mirent  à  courir,  se  tenant  par  la  main  et  pous- 
sant des  hurlements  affreux.  Les  ménétriers  se  turent, 
le  bal  cessa  et  l'on  se  rangea  pour  voir  les  hommes 
sauvages  danser  une  furieuse  moresque  \  Le  Roi  ne  tarda 
pas  à  se  détacher  de  ses  compagnons  et  s'en  vint  vers  les 

I.  Nouveau  style, 

1.   Froissart.  Edit.  Biichon,  III,  176-178. 

3.  Omnes  cum  mirais  el  inslrumeutis  musicis  usque  ad  noctis  médium 
tripudiendo  choreas  continuaverunt  «  Religieux  de  Saint-Denis,  t.  II,  ch.  xvi, 
p.  65  :  «  De  illis  qui  exercendo  illicita  comhusti  fuerunt  ». 

4.  Ce  genre  de  travesti  devait  être  fort  à  la  mode,  car  des  comptes  de  la 
Cour  d'Angleterre,  cités  par  M.  Reyher,  mentionnent  des  «  capita  de  woder- 
vose  »  en  i348  et  1349.  Les  Masques  anglais,  p.  2. 

5.  Froissart.  Edit.  Buchon,  III,  177. 

6.  «  cum  larvis  faciès  abscondissent »    Religieux   de  Saint-Denis. 

7.  <(  Sic  criniti  et  incogniti  aulara  regiam  sunt  ingressi  cum  tam  deformi 
habitu,  et  gestus  deformiores,  hue  illucque  discurrendo  ceperunt  exercere,  et 
tandem  more  lupino  horrissonis  vocibus  ululantes.  Nec  absoni  a  voce  deinde 
motus  fuerunt;  sed  tripudiando  choreas  sarracenicas  inceperunt  »...  Reli- 
gieux de  Saint-Denis,  II,  65. 


/,  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

dames  pour  deviser  joyeusement  avec  elles  et  jouir  de 
leur  surprise  et  de  leur  curiosité,  car  aucune  ne  le  recon- 
naissait. A  ce  moment  le  duc  d'Orléans  fit  son  entrée 
dans  la  salle  du  bal,  accompagné  de  nombreux  porte- 
torches  ;  voulant  distinguer  les  visages  des  danseurs,  il 
s'empara  d'un  flambeau  et  l'approcha  du  groupe  des 
momeurs*.  Le  feu  se  communiqua  à  leurs  vêtements  et  en 
un  instant  les  malheureux  furent  en  flammes,  «  en  la 
salle  de  Saint-Pol  à  Paris,  sur  le  point  de  l'heure  de 
minuit,  avoit  telle  pestillence  et  horribleté  que  c'étoit 
hideur  et  pitié  de  l'ouïr  et  du  voir.  Des  quatre  qui  là 
ardoient,  il  y  en  eut  là  deux  morts  éteints  sur  la  place. 
Les  autres  deux...  moururent  dedans  deux  jours  à  grand' 
peine  et  martire.  Ainsi  se  dérompit  cette  fête  et  assemblée 
de  noces  en  tristesse  et  en  ennui  ^  » 

Gomme  on  voit  par  cette  relation,  la  momerie,  au 
moyen  âge,  consiste  en  une  entrée  de  personnages  déguisés 
et  affublés  de  faux  visages  \  Ils  crient,  gambadent  dansent 
sans  se  mêler  aux  spectateurs*.  D'autres  fois,  la  momerie 
a  pour  objet  un  jeu  de  hasard  ;  dans  ce  cas,  ceux  qui  en 
font  partie  sont  tenus  d'observer  le  silence  et  de  ne  se 
faire  comprendre   que  par   signes  \    Ils   portent    solen- 

1.  Certains  chroniqueurs  l'accusèrent  d'avoir  provoqué  volontairement 
la  catastrophe  dans  l'espoir  de  tuer  le  Roi.  Y.  Monstrelet  S.  II.  F.  I,  233 
et  suiv. 

2.  Froissart.  éd.  Buchon,  III,  178. 

3.  «  A  Piètre  le  painctre  pour  XIII  faus  visaiges  et  XIIII  barbes...  ». 
La  Borde.  Ducs  de  Bourgogne  (année  i436  n*^  1182).  On  disait  aussi  fol- 
visaige  : 

Un  fol  visage  avoit  cascuns 
Que  ne  les  coneust  aucuns. 

J.  de  Gondé.  Poésies,  ëdit.  Scheler,  II.   19. 

4.  C'est  en  cela  que  divers  historiens  des  Masques  anglais  voient  la  dilîé- 
rence  qui  sépare  la  momerie  de  la  Mascarade.  Y.  Sôrgel.  Die  englischen 
Maskenspiele .  Halle,  1882.  —  Evans.  English  Masques.  Londres,   1897. 

5.  C'est  à  une  momerie  de  cette  espèce  que  fait  allusion  la  chronique,  sou- 


LES     ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU     BALLET  O 

nellement  un  jeu  de  cartes  ou  de  dés  et  le  présentent 
successivement  aux  différentes  personnes  de  Tassistance. 
Lorsque  la  fcte  se  donne  dans  un  palais,  il  est  d'usage 
d'employer  des  dés  pipés  *  pour  faire  gagner  les  per- 
sonnes de  distinction  qu'on  invite  à  jouer. 

Dans  le  peuple,  les  jeux  portés  en  momon  sont  sou- 
vent aussi  truqués,  mais  pour  une  raison  exactement 
opposée,  d'où  les  interdictions  réitérées  de  recevoir 
((  gens  qui  momment  '\  »  Au  moyen  âge,  le  mot  est 
employé  dans  les  acceptions  les  plus  diverses;  il  désigne 
tout  cortège  de  personnages  déguisés,  et  même  tout  di- 
vertissement \  Ce  n'est  qu'au  xvi'' siècle,  après  l'importa- 
tion en  France  des  masqueries  et  mascarades,  que  le  sens 
en  devient  plus  défini*.  A  partir  de  cette  époque,  la 
momerie  consiste  en  un  jeu  de  hasard  présenté  par  des 
personnes  masquées  et  conservant  le  plus  absolu 
silence". 

Au  XV®  siècle,  si  le  silence  est  déjà  de  rigueur  dans  ce 


vent  citée,  de  Jehan  Stavelot  (i4o5).  «  Une  vesprée,  les  barons,  prinches, 
contes  et  ducs  s'avisont  qu'ils  yroieut  momeir  et  joueir  aux  dees  al  hostcit 
de  Monsangneur,  de  Lige  »  Edit.  Borguet,  p.  gS,  cité  par  Godefroy  [Dict. 
de  l'Ane,  langue  franc.). 

I.  B.ey\\er.  Masques  Anglais  y  p.  4- 

a.  a  Et  ne  doit-on  recevoir  gens  qui  momment  »  Consiitut.  de  la  Mai- 
son de  Troye  (ii63)  XLVI,  Archives  de  l'Aube.  Godefroy  cite  aussi  un  arrêt 
de  1395  portant  «  Défense  de  mommer  la  nuit  à  tout  faulx  visage  ». 

3.  ((  Luy  mort,  je  feray  momraerye  »  déclare  un  personnage  du  Jugement 
de  Salomon.  Mistere  du  Vieil  Testament,  iv,  333. 

4.  «  Vous  vous  trompez  :  c'estoit  une  femme  desguisée  en  homme  qui  esloit 
venue  pour  voir  ma  fille  et  luy  porter  un  mommon  »  (i583).  Ane.  th.  fr.,  vu, 
p.  225  {Les  Contens). 

5.  Le  silence  gardé  par  les  momeurs  devint  vite  proverbial  : 

Dea  !  J'ay  cuidé  perdre  la  vie 
Pour  vostre  brave  habillement. 
Sans  dire  ni  quoy,  ni  comment 
Mon  plus  qu'en  une  momerie. 

{Les  desguisez,  Ane.  th.  /V-.,  vu,  390.) 


6  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

cas  particulier,  il  n'en  va  pas  de  même  dès  qu'il  ne 
s'agit  que  de  rire  et  de  danser.  Les  momeurs  ne  se  font 
pas  faute  alors  décrier  et  de  chanter,  voire  de  se  présen- 
ter à  l'assistance  par  une  petite  harangue  versifiée  que 
débite  l'un  d'entre  eux  en  s'adressant  aux  dames*.  C'est 
sans  doute  dans  ces  conditions  que  fut  récitée  une  char- 
mante ballade  de  Charles  d'Orléans  visiblement  destinée 
à  introduire  quelque  troupe  de  joyeux  compagnons. 

En  acquittant  nostre  temps  vers  Jeunesse, 
Le  nouvel  an  et  la  saison  jolie, 
Plains  de  plaisir  et  de  toute  liesse, 
Qui  chascun  d'eulx  chierement  nous  en  prie, 
Venuz  sommes  en  ceste  mommerie, 
Belles,  bonnes,  plaisans  et  gracieuses, 
Pretz  de  dancer  et  faire  chiere  lye, 
Pour  resveiller  voz  pensées  joieuses^. 

La  momerie  —  comme  plus  tard  la  mascarade  —  se 
trouve  d'ailleurs  associée  à  un  grand  nombre  de  diver- 
tissements. Elle  joue  un  rôle  fort  important  dans  les 
entremets  donnés  en  spectacle  aux  convives  des  princes 


I.  D'ailleurs  même  dans  le  cas  de  momeries  servant  de  prétextes  à  jeux 
de  hasard,  on  trouve  des  exceptions  à  la  loi  du  silence  et  cela  encore  au 
xvii°  siècle,  alors  que  les  Dictionnaires  en  arrivaient  à  définir  Mommon  : 
«  anneau,  bague,  ou  somme  d'argent  dans  une  tasse  ou  un  bassin  que  portent 
de  nuit  des  personnes  masquées  chés  un  ami,  l'invitans  à  jouer  sans  parler  » 
(Monet,  Inventaire  de  deux  langues  françoise  et  latine,  i635).  Voir  notam- 
ment «  les  vers  récités  en  un  Momon  présenté  à  la  Reyne  le  dimanche  21  de 
février,  à  dix  heures  du  soir  en  présence  du  Roy  »  (1616)  publ.  par  Lacroix. 
Ballets  et  Mascarades,  t.  II,  p.  91. 

a.  Poésies.  Édit.  Charles  d'Héricault,  I,  148.  M.  Pierre  Champion  a  eu 
l'extrême  obligeance  de  m'envoyer  quelques  renseignements  sur  la  date  pro- 
bable de  cette  ballade  :  «  Cette  pièce  se  rencontre  dans  les  manuscrits  qui 
ne  comprennent  que  les  pièces  de  notre  poète,  antérieures  à  1440.  Et  je 
pense  même  que  cette  pièce,  avec  quelques  autres,  doit  trouver  sa  place  dans 
les  morceaux  antérieurs  à  la  captivité  (i4i5)  que  Charles  composa  aux  envi- 
rons de  la  vingtième  année,  » 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  7 

et  des  grands  seigneurs.  Les  chroniqueurs  du  xiv"  et  du 
XV®  siècle  s'étendent  longuement  surTordonnance  de  ces 
banquets  et  nous  en  ont  laissé  plusieurs  descriptions 
fort  complètes.  La  mise  en  scène  est,  à  peu  de  chose 
près,  toujours  la  même  :  on  construit  une  grande  estrade 
qui  occupe  tout  le  fond  delà  salle,  laissant  libres  environ 
les  deux  tiers  de  la  pièce  pour  les  évolutions  des  figurants. 
Sur  cet  échafaud,  on  dresse  de  longues  tables,  chargées 
de  mets  et  de  décorations,  devant  lesquelles  les  convives 
prennent  place  \  De  vastes  dais  en  drap  d'or  et  de  soie 
abritent  les  personnages  d'importance.  Sur  un  signe  du 
maître  de  maison,  les  trompettes  sonnent  d'éclatantes 
fanfares  et  la  momerie  fait  son  entrée,  soit  en  cortège, 
précédée  de  porteurs  de  torches  et  de  musiciens,  soit  mon- 
tée sur  un  char  qui  vient  s'arrêter  vis-à-vis  des  tables  '\ 
La  machine  qui  porte  les  momeurs  est  le  plus  souvent 
artificieusement  construite  en  forme  de  nef,  de  château 
ou  de  monstre.  Les  figurants,  masqués  et  vêtus  de  toiles 


1.  Voir  dans  le  livre  des  fais  et  bonnes  mœurs  sage  du  roy  Charles,  la 
description  que  donne  Christine  de  Pisan  du  festin  offert  par  Charles  Y  à 
«  l'empereur  des  Romains  »  {édit.  Buchon,  ch.  xl  (p.  3oo). 

2.  Dans  le  Mistère  du  Vieil  Testament  (édit.  Picot,  t.  IV,  p.  i43),  on 
trouve  une  curieuse  description  de  momerie  au  cours  d'un  repas. 


Trompettes,  sonnez  haultement 
Pour  resjouir  la  seigneurie. 

Icy  sonnent  les  trompettes.  On  met  les  tables. 


Faites  venir  la  momerie 

Qui  est  dedans  le  char  enclose. 


Sus  tost,  tabourin,  sans  séjour 
Entendez  ù  votre  morisque  ; 
Vous  en  savez  bien  la  pratique. 

Icy  dancent  la  morisque. 


8  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

peintes^,  descendent  du  char  et  dansent  une  moresque  au 
son  des  voix  et  des  instruments. 

Au  xv^  siècle,  la  moresque  est  par  excellence  la  danse 
théâtrale,  c'est  aussi  celle  des  momeurs  et  des  masques, 
car,  pour  l'exécuter,  il  faut  être  déguisé  et  porter  faux 
visage.  Aussi  ceux  qui  veulent  s'y  livrer  à  l'improviste 
se  barbouillent-ils  la  figure  de  suie  ou  de  farine  et  retour- 
nent-ils leurs  vêtements  2.  Dans  les  fêtes  de  cour  ou  les 
représentations  de  Mystères,  la  moresque  est  dansée  par 
des  personnages  magnifiquement  costumés  ^  Aussi  cons- 
titue-t-elle  un  spectacle  infiniment  attrayant  pour  les 
hommes  du  xv^  siècle. 

Qui  est  cellui  qui  d'amer  se  tendroit 
Quant  Beaulté  fait  de  Morisque  l'entrée  * 

s'écrie  Charles  d'Orléans  et  un  autre  poète  à  l'âme  dolente 
supplie. 

Par  une  entrée  telle  quelle  de  morisque 
De  personnages  sus  habis  compétens. 
Allégez  moy...^ 

Le  pas  de  la  moresque  paraît  avoir  été,  au  moyen  âge, 
fort  libre  et  capricieux.  11  consistait  essentiellement  en 
une  marche  sautillante,  entrecoupée    de  battements  des 

1 .  «  A  Piètre  le  Paintre  pour  avoir  paint  et  chargié  d'or  clinquant  XIIII  robes 
et  chapperons  ».  La  Bordo,  Ducs  de  Bourgogne,  n°  1182. 

2.  On  trouve  quelques  détails  curieux  à  ce  sujet  dans  une  pièce  d'archives 
de  Tannée  i479-  «  Se  midrent  à  dancer  par  manière  de  morisque..,  et  se 
habillèrent  les  uns  de  chanvre,  les  autres  retournèrent  leurs  robes  à  l'envers 
et  les  autres  se  habillèrent  diversement,  ainsi  que  à  chascun  venoit  à  son 
appétit.   »  Arch.  Nat.y  J.  J.  2o5,  p.  33i. 

3.  On  trouve  dans  les  comptes  princiers  de  fréquentes  mentions  d'ac- 
coustremens  de  Morisque.  V.  Jacquot.  La  Musique  en  Lorraine,  p.  46. 

4.  OEuvres,  II,  ai6. 

5.  Le  grant  garde  derrière,  édit.  Bijvanck.  Paris.  Champion  1891. 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU     BALLET  9 

talons,  qui  permettait  de  gracieuses  évolutions  à  travers 
la  salle\  Bien  que  dansée  généralement  par  plusieurs  per- 
sonnages, la  moresque  n'est  pas,  comme  le  brando  italien, 
une  danse  figurée  régulièrement  ordonnée.  Chacun  y  suit 
sa  fantaisie  sans  se  préoccuper  de  tracer  des  évolutions 
déterminées  à  Tavance^ 

Nous  aurons  l'occasion,  en  parlant  des  entremets  de 
la  Cour  de  Bourgogne,  au  milieu  du  xv"  siècle,  de  citer 
de  nombreux  exemples  de  moresques  présentées  avec 
une  mise  en  scène  qui  annonce  déjà  celle  des  premiers 
ballets  italiens  dansés  à  la  Cour  de  Catherine  de  Médicis. 
Un  des  exemples  les  plus  caractéristiques  qu'on  puisse 
citer  remonte  au  règne  de  Charles  Vil.  Des  ambassadeurs 
hongrois  étant  venus  rendre  visite  au  roi  de  France, 
l'an  14^7,  ils  furent  magnifiquement  traités  à  Tours,  par 
le  comte  de  Foix,  le  jeudi  d'avant  Noël  en  l'abbaye  de 
Saint-Julien.  Après  le  banquet  il  y  eut  des  entremets  de 
«  moresques,  momeries  et  un  autre  mystère  d'enfans 
sauvages  saillans  d'une  roche  fort  bien  feinte  et  repré- 
sentée avec  des  chantres,  trompettes  et  clairons.  ))^  — 
Nous  verrons  de  même,  un  siècle  plus  tard,  des  nymphes 
ou  des  satyres  sortir  d'un  rocher  pour  danser  un  ballet. 

Dans  les  entremets,  les  momeries  prenaient  souvent  la 
forme  de  pantomimes  dramatiques.  11  en  était  presque 
toujours  ainsi  au  xiv*"  siècle  et  les  Mystères  mimés  cons- 
tituaient le  principal  attrait  du  spectacle.  Aussi,  lorsqu'en 
1877  le  sage  roi  Charles  V  reçut  l'empereur  des  Romains, 

1.  Thoinot  Arbeau.  Orchesographie,  édit.  Laure  Fonta,  p.  95. 

2.  «  Je  te  veuil  monstrer  la  dance  du  second  parcquet  où  tu  verras  diverse 
morisque  ;  car  chacun  y  dance  difTéremmeut  >)  dit  V Entendement  dans  la 
Dance  aux  Aveugles,  édit.  de  1748,  p.  26. 

3.  Jean  Chartier.  Histoire  de  Charles  V//,  édit.  de  i66i,  in-f^  p.  296.  — 
Le  chroniqueur  ajoute  que  «  ce  disner  cousta  bien  dix-huict  cens  escus  ». 


lO  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

il  lui  donna  le  plaisir  d'un  magnifique  entremets.  On  vit 
d'abord  entrer  dans  la  salle  un  grand  char  représentant 
la  ville  de  Jérusalem  «  et  estoit  la  cité  grande  et  belle  de 
bois  painte  à  panoncaulx  et  armes  des  Sarrasins  moult 
bien  faicte.  »  Ensuite  on  admira  la  nef  qui  portait  les  sol- 
dats de  Godefroy  de  Bouillon.  Les  deux  chars  s'étant 
arrêtés  vis-à-vis  de  la  table  du  festin,  les  croisés  se  lan- 
cèrent à  l'assaut  de  Jérusalem  défendue  par  les  Sarrasins, 
et,  après  un  long  combat,  réglé  par  bel  artifice,  s'empa- 
rèrent de  la  ville  et  ce  fut  «  bonne  chose  à  veoir.^  » 

A  la  Cour  fastueuse  des  ducs  de  Bourgogne  les  entre- 
mets prennent  des  proportions  colossales.  Momeries, 
moralités,  mystères,  pantomimes,  danses  et  chants  y 
mettent  en  œuvre  leurs  séductions  variées.  Entre  toutes 
les  fêtes  de  ce  genre,  celle  que  donnèrent  à  Lille,  le 
22  janvier  14^4?  les  ducs  de  Bourgogne  et  de  Glèves, 
avec  l'espoir  de  provoquer  une  nouvelle  croisade  contre 
les  Infidèles,  est  demeurée  justement  célèbre ^  On  y 
trouve  associées  toutes  les  magnificences  auxquelles  se 
pouvaient  récréer  les  esprits,  naïfs  et  raffmés  à  la  fois, 
des  seigneurs  bourguignons,  français  et  flamands. 

La  mise  en  scène  est  luxueuse  et  compliquée.  Dans  la 
vaste  salle,  tendue  de  tapisseries,  sont  dressées  trois 
tables  d'inégale  grandeur.  La  première  porte  à  son  extré- 
mité une  «  église  croisié,  verrée,  et  faicte  de  moult  gente 

1.  Christine  de  Pisan.  Le  livre  des  faitzdu  sage  roy  Charles,  éd.  Buchon, 

ch.  XL. 

2.  Nous  avons  plusieurs  relations  détaillées  des  entremets  du  repas  du 
Faisan.  Elles  ne  diffèrent  entre  elles  que  par  de  menus  détails.  Nous  suivons 
la  relation  de  Mathieu  d'Escouchy  qui  est  la  plus  complète.  On  trouvera  dans 
l'édition  de  la  Société  de  l'histoire  de  France  les  diverses  variantes  qu'on 
peut  relever  entre  ce  récit  et  ceux  d'Olivier  de  la  Marche  et  du  Manuscrit 
Baluze  (t.  II,  i3o  et  suiv.).  V.  aussi  les  comptes  relatifs  à  cette  fête  publiés 
par  La  Borde.  Ducs  de  Bourgogne  [Preuves)  t.  I,  p.  4i3  et  suiv. 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU     BALLET  II 

fachon,  »  en  laquelle  se  tiennent  trois  petits  chantres  et 
un  joueur  d'orgue.  La  seconde  table  supporte  un  gigan- 
tesque pâté  qui  renferme  vingt-huit  «  personnages  vifz, 
juans  de  divers  instrumens  chascun  quand  leur  tour 
venoit.  ^  » 

En  dehors  de  ces  deux  énormes  constructions,  les 
trois  tables  sont  couvertes  de  décorations  hétéroclites. 
On  y  voit  un  château  sur  la  tour  duquel  se  tient  Mélu- 
sine  «  en  fourme  de  serpente  »,  une  «  karacque  ancrée  » 
avec  tout  son  équipage,  un  moulin  à  vent,  ce  ung  dersert 
ainsi  que  terre inhabittée,  ouquelavoit  ung  tigre...  lequel 
se  combatoit  contre  ung  serpent  »  ;  «  ung  fol  monté  sur 
ung  hours  »  ;  «  un  lac  advironné  de  pluseurs  villes  et 
chasteaux,  ouquel  avoit  une  navirre  à  voile  levé  »  enfin, 
une  «  manière  de  la  forest  d'Inde  »,  peuplée  d'animaux 
automates^ 

Durant  tout  le  festin,  c'est  un  dialogue  continuel 
entre  les  musiciens  de  l'église  et  ceux  du  pâté.  Les  pre- 
miers chantent  des  motets  dont  les  paroles  répondent 
autant  que  possible  à  la  situation  dramatique.  Les  con- 
vives n'ont  pas  seulement  à  admirer  les  pièces  montées, 
dressées  sur  les  tables  \  ils  ont   aussi  l'esprit  sollicité 

1.  Matliiou  d'Escouchy,  II,  i34.  Aux  noces  du  duc  de  Bourgogne  à 
Bruges,  en  1468,  il  y  eut  pour  entremets  une  gi-ande  tour,  aux  fenêtres  de 
laquelle  parurent  successivement  deux  sangliers  sonnant  de  la  trompette, 
deux  chèvres  «  jouans  comme  menestreltz  »,  deux  loups  jouant  de  la  flûte, 
enfin  des  ânes  qui  chantèrent  une  chanson  plaisante  après  quoi  sortirent  de  la 
tour,  six  hommes  «  en  guise  de  singes  »  qui  dansèrent  et  firent  merveille. 
(Voy.  Olivier  de  la  Marche  S.  IL  F.  t.  IV,  i24-ia5). 

2.  Du  moins  c'est  ce  que  semble  indiquer  le  texte  de  D'Escouchy  :  «  plu- 
seurs bestes  de  estrange  fachon,  qui  d'eux  meismes  se  mouvoient.  » 
(II,i36). 

3.  On  relève  dans  les  comptes  des  ducs  de  Bourgogne  pour  l'année  i436, 
à  l'occasion  d'un  banquet  offert  au  roi  de  Sicile,  au  duc  de  Bourbon  et  au 
corate  de  Richemont  des  descriptions  de  pièces  de  ce  genre  :  «  6  grans  plas, 
qui  furent  assiz  sur  les  II  grans  tables  et  en  chascun  avoit  ung  arbre  fait  en 


12  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

par  de  continuelles  entrées  de  momeries.  Successivement 
ils  voient  défiler  devant  eux  un  cheval  marchant  à  recu- 
lons, sur  le  dos  duquel  se  tiennent  deux  trompettes  qui 
ont  «  chappeaux  en  leurs  testes  et  faulx  visages  »  et  sont 
suivis  de  «  quinze  ou  seize  chevalliers  vestus  de  robes 
de  la  livrée  »  ;  un  cerf,  aux  cornes  duquel  se  tient  une 
petite  fille  qui  chante  d'esquise  façon  ;  un  monstre 
effroyable*  et  bien  d'autres  spectacles  étranges  et  mer- 
veilleux. Au  moment  où  les  convives  s'y  attendent  le 
moins,  un  dragon  tout  ardent  descend  en  volant  du 
plus  haut  de  la  salle  et  disparaît  sans  que  nul  sache  ce 
qu'il  est  devenu.  Les  chantres  du  pâté  commentent  ces 
divers  épisodes,  ils  saluent  l'arrivée  de  la  petite  fdle  au 
cerf,  de  la  chanson  Je  ne  vis  oncque  la  pareille  ^X.  parti- 
cipent ainsi  à  Taction.  Ce  n'est  pas  tout  :  au  cours  de  ce 
festin,  on  représente  un  mystère  mimé  sur  un  échafaud 
dressé  au-dessus  de  la  porte  de  la  salle.  Un  rideau 
cache  cette  scène.  Le  sujet  choisi  est  l'histoire  de  la 
conquête  de  la  Toison  d'Or  par  Jason.  En  une  série  de 
tableaux  mimés,  on  voit  Jason  dompter  les  taureaux,  com- 
battre le  dragon,  exterminer  les  guerriers  nés  de  la  terre. 
Après  chaque  pantomime,  la  courtine  est  tirée  et  l'on 
affiche  un  rolet  versifié  relatant  ce  qui  vient  d'être  repré- 
senté 2.  Mais  le  principal  intérêt  de  cette  fête  consiste 
en  la  momerie  qui  la  termine. 

manière  d'une  aubespine  chargée  de  fleurs  d'or  et  d'argent  et  de  verdepeaux 
tout  enrichy  d'or  cliquant  et  sur  chascun  arbre  5  bannères  d'or  clinquant 
d'argent  et  de  couleurs.  La  Borde,  of.  cit.,  n°  ii74- 

I.  Aux  fêtes  de  Bruges,  en  1468,  on  vit  entrer  dans  la  salle  du  festin  un 
imposant  dromadaire,  monté  par  un  homme  qui  lâcha  dans  la  salle  une  mul- 
titude de  petits  oiseaux.  Oliv.  de  La  Marche.  S.  H.  F.  IV,  p.  iio. 

a.  On  représente  dans  les  mêmes  conditions  l'histoire  d'Hercule  aux  noces 
du  duc  de  Bourgogne  à  Bruges,  en  1468.  N .  Mémoires  d'Olivier  de  la  Marche 
S.  H.  F.,  t.  III,  143,  et  IV,  119. 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  l3 

L'entrée  de  cette  momerie  est  préparée  par  la  scène 
célèbre  où  la  sainte  Eglise,  conduite  par  un  géant  Sarra- 
sin, vient  supplier  les  seigneurs  bourguignons  de  prendre 
sa  défense.  A  peine  a-t-elle  terminé  sa  longue  harangue 
que  les  serviteurs  enlèvent  les  tables.  Lorsque  la  grande 
salle  est  libre  de  tout  ce  qui  l'embarrassait,  la  momerie 
apparaît  à  la  porte  principale.  En  tête  marchent  des  por- 
teurs de  torches,  puis  viennent  des  joueurs  «  de  divers 
instrumens,  comme  tabourins,  leus,  harpes  »  Ils  .  pré- 
cèdent une  dame  magnifiquement  vêtue  de  satin  blanc 
«  en  fachon  de  religieuse  »,  qui  porte  sur  son  épaule 
senestreun  rolet  où  est  écrit  en  lettres  d'or  :  Grâce-Dieu, 
A  sa  suite  s'avancent  douze  chevaliers  tenant  chacun  une 
dame  par  la  main.  Ils  ont  une  torche  au  poing,  leur 
visage  est  caché  par  un  masque  doré  ^  et  de  grands 
chapeaux  de  velours  noir  brodé  coiffent  leurs  têtes. 
Les  dames  ont  le  visage  couvert  d'un  voile  qui  laisse 
transparaître  leurs  traits.  Elle  figurent  les  douze  vertus 
et,  pour  que  nul  ne  l'ignore,  le  nom  de  chacune  est  écrit 
sur  son  épaule.  Après  avoir  défilé  devant  le  duc  de  Bour- 
gogne, le  cortège  s'arrête,  Grâce-Dieu  tend  au  prince  une 
longue  supplique  que  celui-ci  fait  lire  à  haute  voix  par  le 
Seigneur  de  Gréquy,  puis  elle  présente  une  à  une  les  Ver- 
tus au  duc  en  lisant  le  rolet  que  chacune  lui  donne  à  son 
tour^  Après  quoi  Grâce-Dieu  prend  congé  et  s'en  retourne, 
laissant  dans  la  salle  les  dames  qu'elle  a  amenées.  Celles- 
ci,  après  qu'on  leur  eut  enlevé  «  les  brevetz  que  elles 
portoient  sur  leurs  ezpaulles^  »  commencèrent  aussitôt  a  à 


I.    «  Et  s'y  avoient  faulx  visages  d'or  ». 

a.  Mathieu  d'Escouchy  nous  a   conservé  le  texte  assez  naïf  de  ces  divers 
rolets  versifiés, 

3.  Mathieu  d'Escouchy,  t.  II,  .i35. 


I4  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

dancer  en  guise  de  mommeries  et   à  faire  bonne  chière 
pour  la  feste  plus  joyeusement  parfurnir.  » 

Cette  manière  ingénieuse  d'introduire  les  danseurs 
annonce  tout  à  fait  les  mascarades  à  Fitalienne  du  siècle 
suivant.  Le  procédé  usuel  demeure  toutefois  le  grand 
char  ou  la  machine  qui  amène  les  momeurs  dans  la  salle 
du  festin  ou  du  bal.  Ainsi  aux  fêtes  du  mariage  du  duc 
de  Bourgogne  à  Bruges,  en  i468,  on  vit  entrer  «  une  très 
grande  balaine  gardée  de  deux  jayans,  laquelle  avoit 
dedens  son  ventre  deux  seraines  et  XII  ou  XIII  hommes 
habilliez  estrangement,  lesquelz  hommes  et  seraines  vui- 
dèrent  hors  de  ladicte  balaine  pour  danser,  chanter  et 
esbattre  ;  et  desdiz  hommes  avoit  qui  combattoient  et 
les  aultres  dansoient.  »* 


Nous  trouvons  ainsi,  dès  le  milieu  du  xv®  siècle,  dans  une 
Cour  de  civilisation  franco-flamande,  des  entremets  dont 
la  forme  rappelle  singulièrement  les  fêtes  qui  se  donnent 
à  la  même  époque  de  l'autre  côté  des  Alpes.  La  mise  en 
scène  est  presque  identique,  on  y  voit  ces  combats  fic- 
tifs en  cadence  et  ces  danses  en  masques  qui  font  les 
délices  des  courtisans  ferrarais,  florentins  ou  man- 
touans. 

Les  Italiens  ont  toujours  été  de  grands  maîtres  dans 
l'art  des  spectacles  et  des  fêtes  ;  il  n'est  pas  interdit  de 
croire  à  quelque  influence  exercée  par  eux,  dès  cette 
époque,  sur  les  réjouissances  de  la  Cour  de  Bourgogne. 
Cette  influence  semble  plus  manifeste  encore  sur  un  entre- 
mets dont  Christine  de  Pisan  nous  a  laissé  une  charmante 
description,  dans  \eDit  de  la  Rose\  Ce  n'est  certainement 
pas  une  simple  fiction  poétique,  la  précision  des  détails,  la 

1.  Olivier  de  la  Marche.  S.  H.  F.  IV,  i43. 

2.  Edition  Boy.  T.  IL  p.  32. 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  l5 

sûreté  du  récit  nous  prouvent  qu'en  écrivant  cette  page 
délicate,  Christine  de  Pisan  avait  présent  à  Tesprit  le 
souvenir  d'une  fête  à  laquelle  elle  avait  assisté.  Au  reste, 
elle  prend  soin  elle-même  de  nous  avertir  que  la  scène 
s'est  passée  dans  Thôtel  ce  du  très  noble  duc  d'Orliens*  ». 
Cependant  que  les  convives  tenaient  de  gentils  propos  de 
courtoisie  et  d'honneur,  ils  virent  descendre  du  haut 
de  la  salle,  dans  une  machine^  ornée  de  lumières  à  profu- 
sion, 

Une  dame  de  grant  noblesse 
Qui  s'appella  dame  et  déesse 
De  Loyauté... 

Elle  était  escortée  de  «  nymphes  et  de  puceletes  » 

Qui  chantoient  par  grant  revel 

Hault  et  cler  un  motet  nouvel 

Si  doulcement,  pour  voir  vous  dis, 

Que  bien  sembloit  que  Paradis 

Fut  leur  réduit  et  qu'elz  venissent 

De  cellui  dont  fors  tous  biens  n'issent. 

Au  son  mélodieux  de  ce  chœur,  la  déesse  s'avança  vers 
la  table,  posa  dans  les  coupes  une  brassée  de  roses  odo- 
rantes,   distribua   aux  convives  des   ballades   que   leur 


I.  Il  semble  que  nous  ayons  là  une  description  de  la  fête  au  cours  de 
laquelle  Louis  d'Orléans  prit  l'ordre  de  la  rose,  le  14  février  1401,  jour  de 
la  saint  Valentin.  V.  Pierre  Champion,  Vie  de  Charles  d'Orléans^  Paris, 
Champion  1911,  p.  26. 

a.  Ce  détail  paraît  ressortir  de  ces  vers  : 

«  Car  alors  seurvint  tout  a  point, 
Non  obstant  les  portes  barrées 
Et  les  fenestrcs  bien  sarrées, 

Une  dame 

I.a  descendi  a  grant  lumière 

Si  que  toute  en  resplent  la  sale... 


1,6  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

envoyait  la  déesse  d'amour,  puis  elle  annonça  qu'elle  allait 
rendre  compte  de  sa  mission  à  Gupidon. 

Quand  ce  fut  dit,  lors  s'envola 
Celle  déesse  qui  vint  la. 
Mais  les  nymphes  qui  furent  liez 
De  leurs  doulces  voix  déliez 
Commencierenl  telle  mellodie, 
Ne  cuidez  que  mençonge  die, 
Que  il  sembloit  a  leur  doulz  chant 
Qu'angelz  feussent  ou  droit  enchant. 

Semblables  divertissenients  étaient  en  grande  vogue 
alors  de  l'autre  côté  des  Alpes  et  l'on  peut  se  demander 
si  quelque  machiniste  italien  n'avait  pas  combiné  cette 
ingénieuse  descente  de  Dame  Loyauté  dans  la  salle  du 
festin  *.  Il  ne  faut  pas  oublier  cependant  que  l'art  du  machi- 
niste, encore  que  rudimentaire,n'en  était  pas  moins  arrivé 
en  France  à  un  assez  haut  degré  de  perfectionnement 
et  que,  dans  les  Mystères,  on  voyait  couramment  des 
anges  regagner  le  Paradis  ou  en  descendre  en  volant^. 

On  trouve  ainsi,  dans  ces  diverses  fêtes,  plusieurs  élé- 
ments qui,  plus  ou  moins  transformés,  constitueront  le 
ballet  dramatique.  Les  somptueux  entremets  des  Cours 
de  Bourgogne  et  de  France^,  avec  leurs  entrées  de  per- 
sonnages masqués  et  costumés,  de  danseurs  de  moresque, 

1.  Rappelons  que  la  femme  du  duc  d'Orléans,  la  fameuse  Valentine  de 
Milan,  était  italienne.  Elle  devait  avoir  amené  avec  elle  de  son  pays  un  cer- 
tain nombre  de  serviteurs. 

2.  Sur  la  machinerie  des  mystères.  V.  Cohen.  Histoire  de  la  mise  en  scène 
dans  le  théâtre  religieux  français  du  Moyen  Age.  Paris,  Champion,  1906, — 
Bapst.  Essai  sur  l'histoire  du  théâtre,  p.  40  et  suiv. 

3.  Il  est  à  noter  que  des  fêtes  identiques  se  donnent  à  la  même  époque  à 
la  Cour  d'Angleterre.  Elles  ont  été  l'objet  de  plusieurs  études  approfondies. 
V.  Chambers,  The  Mediaeval  Stage,  Oxford,  1908  —  et  Reyher  les  Masques 
Anglais^  Paris,  Hachette,  1909. 


PI.  1. 


¥ 


BALLET    DE    LA    HEINE    CATIIEUIXE    DE    MEDICIS 
EN     l'iIONNEUH     des    AMBASSADEURS     DE     POLOGNE     (l'>7'i) 

(liblanipe  Urée  de  l'cuvragc  de  Daural  :  Maguificcntissimi  spectaculi...) 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU     BALLET  17 

de  mimes,  de  musiciens,  avec  leur  machinerie  relative- 
ment compliquée,  leurs  vastes  chars  aux  formes  étranges, 
leurs  constructions  décoratives,  annoncent  déjà  les 
entrées  et  la  mise  en  scène  des  premiers  ballets  de  Cour. 
Ce  qui  manque  encore  à  ces  divertissements,  c'est  la 
cohérence,  c'est  l'unité  dramatique.  On  pourrait  peut-être 
trouver  une  certaine  liaison  entre  plusieurs  entrées  allé- 
goriques du  Repas  de  Faisan,  mais  que  viennent  faire 
les  fantasques  décorations  que  nous  avons  décrites  ? 
Quel  rapport  y  a-t-il  entre  les  malheurs  de  l'Eglise  et 
la  chasse  au  héron,  l'enfant  au  cerf  ou  l'histoire  de  Jason  ? 
Ce  sera, ''comme  nous  le  verrons,  l'œuvre  des  humanistes 
de  donner  une  unité  relative  à  ces  spectacles  décousus 
et  de  constituer,  avec  ces  éléments  épars,  un  genre 
dramatique.  On  pourrait  toutefois  considérer  comme  le 
germe  de  l'action  du  ballet  théâtral,  certains  cartels  de 
joutes  et  tournois  du  xv*"  siècle  dont  la  teneur  compli- 
quée n'est  pas  sans  analogie  avec  la  donnée  romanesque 
d'un  grand  nombre  des  ballets  de  Cour.  Nous  verrons 
d'ailleurs  durant  le  règne  des  derniers  Valois  se  déve- 
lopper cet  élément  dramatique  sous  l'influence  de  l'Ita- 
lie et  les  combats  à  la  barrière  préparer  l'avènement  des 
ballets  comiques^, 

11  serait  vain  d'énumérer  les  nombreux  tournois  auxquels 
se  récréa  l'humeur  batailleuse  des  chevaliers  bourgui- 
gnons et  français  durant  le  xv^  siècle.  Au  reste  la  plupart 
d'entre  eux  ne  comportent  qu'une  mise  en  scène  des  plus 
simples  et  conforme  aux  règlements  de  la  chevalerie.  Les 
tenants  font  publier  par  les  cours  voisines  que  tel  iour  en 


I.  Faut-il  rappeler  ici  que  ballet  comique  au  xyi*^  siècle  ne  signifie  nul- 
lement ballet  drolatique,  mais  bien  ballet  traité  comme  une  comédie,  ballet 
théâtral? 


l8  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

tel  lieu  ils  se  tiendront  à  la  disposition  de  ceux  qui  vou- 
dront jouter  contre  eux.  Au  jour  dit,  l'assaillant  se  pré- 
sente à  la  porte  du  champ  et  heurte  de  sa  lance  l'écusson 
du  chevalier  qu'il  désire  combattre.  Aussitôt  celui-ci  sort 
à  sa  rencontre  et,  après  un  certain  nombre  de  lances  rom- 
pues ou  de  coups  échangés,  chacun  se  retire  sous  sa  tentée 
Rien  de  fort  théâtral  en  tout  ceci,  mais  l'imagination 
galante  des  Seigneurs  épris  de  beaux  contes  de  chevale- 
rie, va  parer  ces  antiques  coutumes  d'une  grâce  roma- 
nesque. 

En  1468,  pour  célébrer  dignement  le  mariage  de 
Charles  le  Téméraire  et  de  Marguerite  d'York,  le  bâtard 
de  Bourgogne  décida  de  jouter,  durant  neuf  jours, 
contre  tous  les  seigneurs  qui  se  présenteraient.  Au  lieu 
de  faire  porter  par  ses  héraults  de  simples  cartels,  il  fit 
rédiger  son  défi  en  termes  aussi  obscurs  que  galants.  La 
Dame  de  Fille  cellée  faisait  à  savoir  à  tous  nobles  che- 
valiers qu'elle  avait  été  délivrée  de  l'esclavage  d'un  cruel 
tyran  par  le  bâtard  de  Bourgogne  et  qu'elle  avait  retenu 
ce  chevalier  pour  son  serviteur.  Voulant  le  magnifier,  elle 
le  requérait  de  recevoir  ou  de  donner  pour  l'amour  d'elle 
cent  un  coups  d'épée  et  cent  un  coups  de  lance.  A  cette 
fin,  elle  lui  envoyait  son  héraut  Arbre  d'Or^  accompagné 
du  Géant  de  la  forêt  doubteuse  el  d'un  nain,  chargés  de 
garder  le  fameux  Arbre  d'or,  son  emblème.  Elle  enjoi- 
gnait à  son  chevalier  de  parer  l'arbre  symbolique  de  nom- 
breux trophées  \ . . 

1.  Y.  dans  Froissart  la  minutieuse  description  des  fameuses  joutes  de 
Saint  Ingelleberth  en  iSSg,  édit.  Buchon,  livre  IV,  p.  22. 

2.  On  trouve  dans  le  tome  IV  des  Mémoires  d'Olh'ier  de  la  Marche  la  des- 
cription minutieuse  de  ce  tournoi  et  le  texte  du  cartel  (p.  112  et  suiv).  Rappe- 
lons à  ce  propos  qu'en  1907,  la  municipalité  de  Bruges  organisa  une  reconsti- 
tution du  pas  de  l'Arbre  d'Or  qui  fut  d'un  haut  intérêt  artistique  et  historique. 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  19 

Ce  défi  est  intéressant,  car  nous  trouverons  clans  de 
très  nombreux  ballets  du  xyii^  siècle  un  cartel  d'une 
forme  analogue  pour  sujet  et  pour  prétexte  des  diverses 
entrées.  La  douairière  de  Billehahaut  ou  les  Fées  des  forêts 
de  Saint-Germain  n'auront  pas  d'intrigue  plus  compli- 
quée. Quant  au  tournoi  lui-même,  il  présente  une  mise 
en  scène  singulière  et  comporte  de  véritables  momeries. 

L'arbre  au  feuillage  doié  est  planté  sur  la  grand 
place  du  marché  de  Bruges.  Un  géant,  attaché  à  son 
tronc,  veille  sur  les  écussons  pendus  aux  branches. 
Un  nain,  juché  sur  un  perron,  sonne  du  cor  lorsque  le 
tenant  entre  dans  la  lice  ou  en  sort.  Les  chevaliers  ne  se 
contentent  pas  de  leurs  armures  et  des  somptueux  babil" 
lements  qu'ils  portent  à  l'ordinaire,  beaucoup  d'entre 
eux  revêtent  de  véritables  déguisements.  Messire  Jehan 
de  Chassa,  seigneur  de  Monnet,  s'avisa  même  de  se  cos- 
tumer en  Turc,  il  entra  dans  la  lice  accompagné  d'une 
((  pucelle  vestue  de  drap  de  soye  vert  royée  à  la  manière 
de  Turquie  »  ;  quatre  Moriens  le  précédaient  et  sur  un 
((  gros  cheval  à  panniers  en  avoit  deux  et  ung  fol  »  qui 
jouaient  de  divers  instruments  ^  Il  était  suivi  de  quatre 
gentilshommes  habillés  de  robes  «  à  façon  de  Turcs  ». 
Nous  retrouverons,  au  xvi®  siècle,  des  joutes  semblables 
qui  prépareront  l'invention  du  ballet  dramatique.  Tous 
ces  éléments  légués  à  la  Renaissance  par  le  Moyen  Age 
vont  se  transformer  au  contact  de  la  civilisation  italienne 
avant  de  constituer  le  genre  magnifique  qui,  durant  près 
d'un  siècle,  jouira  d'une  prodigieuse  popularité. 

L'Italie  va  faire  intervenir  dans  l'ordonnance  de  ces 
fêtes  de  Cour  les  souvenirs  de  l'Antiquité  et  de  la  Mytlio- 

I.  Olivier  delà  Marche.   IV,  p.  laS, 


2()  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANGE 

logie.  Elle  remplacera  les  allégories  mystiques  et  roma- 
nesques par  les  divinités  de  la  Grèce  et  de  Rome.  Elle 
substituera  aux  folles  et  désordonnées  moresques  les  gra- 
cieux ballets  exécutés  par  des  nymphes  ou  des  satyres. 
La  transformation  sera  plus  superficielle  que  réelle,  mais 
les  hommes  de  la  Renaissance  ne  reconnaîtront  plus, 
sous  leur  aspect  nouveau,  les  antiques  divertissements 
auxquels  se  récréaient  leurs  pères  et  croiront  de  bonne 
foi  que  tous  ces  plaisirs  leur  auront  été  apportés  d'Italie. 


II 


On  trouve  en  vogue,  durant  tout  le  xv"  siècle,  dans  les 
diverses  villes  de  la  Péninsule,  les  mêmes  divertissements, 
à  peu  de  chose  près,  que  dans  les  Cours  de  France  et  de 
Bourgogne  :  Entremets  fastueux,  mystères  mimés,  défi- 
lés de  personnages  allégoriques,  chars  aux  formes 
étranges  etc.  Toutefois  à  côté  de  ces  spectacles,  qui  à 
cette  époque  sont  communs  à  tous  les  peuples  de  la  chré- 
tienté et  qui  fleurissent  aussi  bien  en  Angleterre  et  en 
Autriche,  qu'en  Espagne  et  en  France,  il  existe  dans  plu- 
sieurs villes  d'Italie  des  divertissements  locaux  fort  carac- 
téristiques dont  Finfluence  ne  tardera  pas  à  se  faire  sen- 
tir sur  les  fêtes  des  Cours  voisines. 

Les  mascarades  florentines  —  Canti  et  Trionfi  —  occu- 
pent une  place  d'honneur  parmi  ces  divertissements  \  Ce 
sont  en  somme  des  formes  dérivées  de  la  momerie  tradi- 

I.  L'uso  délie  mascherate.  che  volgamente  si  dicono  canti  e  rappresen- 
tano  varie  invenzioni,  e  imitano  con  gli  abiti  e  co'versi,  e  con  musica  di  voce 
e  di  strumenti,  si  reputa,  dico,  originato  di  qua,  cioe  da  Firenze  »  Filippo 
Valori,  Z>isco7'so  dell'eccellenza  degli  scrittori  e  nohilta  degli  studi  fiorentini 
(Firenze,  1604.) 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  21 

tionnelle.  Les  figurants,  le  visage  caché  sous  un  masque 
très  fin,  revêtent  un  déguisement  de  bergers,  de  pécheurs, 
de  chasseurs  ou  de  marchands,  accoutrements  fort  peu 
réalistes  d'ailleurs  et  taillés  dans  le  velours,  le  satin  et 
la  soie.  Ainsi  costumés,  ils  sortent  en  bande  et  parcou- 
rent les  rues  de  Florence,  accompagnés  d'une  troupe 
d'instrumentistes,  en  chantant  des  airs  carnavalesques 
dont  les  paroles  commentent  galamment  leurs  états  pré- 
tendus \  Parfois  ils  forment  deux  chœurs  dont  les  voix  se 
répondent.  On  voit  ainsi  s'avancer  un  groupe  de  jeunes 
femmes,  alertes  et  pimpantes",  suivi  d'une  troupe  de 
vieux  maris,  tout  chenus  et  cassés,  qui  échangent  avec 
elles  des  aménités  dans  ce  goût. 

VECCHI 

Deh,  vogliateci  un  po'  dire 
Quai  cagion  vi  fe'  partire? 
Chi  fu  quella  tanto  ardita, 
Che  commesse  questo  errore 
D'aver  fatto  tal  partita 
Che  v'ha  tolto  il  vostro  onore  ? 
D'aver  preso  altro  amadore, 
Vi  farem  tutte  pentire. 

LE    MOGLI    RISPONDONO 

Deh,  andate  con  malanno 
Vecchi  pazzi,  rimbambiti 

I.  Il  existe  à  la  Biblioteca  Nazionale  un  magnifique  recueil  manuscrit  de 
Canti  car?iascialescki j  composé  par  Agricola,  B.  Tromboncino,  Isaak,  Bart. 
Fiorentino,  Philippe  de  Luprano,  Pietro  Michèle,  Jac.  Fogliano,  Alexan- 
der  Coppinius,  etc.  (Rari,  A.  a,  3,  12),  M.  Paul  Marie  Masson  a  publié 
quelques-uns  de  ces  chants  dans  la  collection  de  llnstitut  Français  de  Flo- 
rence (Senart  édit.)  sous  le  titre  :  Chants  de  Carnaval  florentins  de  Vépoque 
de  Laurent  le  Magnifique. 

1.  Ce  sont  apparemment  des  hommes  habillés  en  femmes.  La  perfection 
des  masques  italiens  rendait  vraisemblables  ces  travestis. 


'17,  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Non  ci  date  più  afFanno, 
Ccntentiam  nostri  appetiti: 
Questi  giovanni  puliti 
Ci  danno  altro  che  vestire*. 

Les  masques  qui  participent  aux  canti  vont  généra- 
ment  à  pied,  et,  la  nuit,  se  font  accompagner  de  porteurs 
de  torches  à  cheval.  En  général,  les  chars  sont  réservés 
aux  trionfi^  spectacles  d'une  ordonnance  un  peu  plus 
compliquée.  On  y  voit  trôner  des  personnages  allégo- 
riques ou  mythologiques  auxquels  les  masques  font  cor- 
tège en  célébrant  leurs  louanges.  On  peut  rapprocher  ces 
triomphes  florentins  des  chars  somptueux  qui,  aux  entrées 
des  rois  de  France,  promenaient  par  les  rues  les  Vertus 
Cardinales,  la  Religion  ou  la  Justice^.  Mais,  en  Italie,  ces 
mascarades  ont  en  général  un  caractère  très  paient  on  y 
voit  Paris  et  Hélène,  Ariane  et  Bacchus,  L'Amour  et  la 
Jalousie  ou  les  quatre  Saisons.  En  second  lieu,  les  tableaux 
vivants  qu'on  peut  admirer  en  France  à  cette  époque  ne 
sont  pas  commentés  par  un  chœur  qui  décrit  et  explique 
à  la  foule  le  sens  des  allégories  représentées.  Or,  à  Flo- 
rence, les  canti  carnascialeschi  ne  sont  pas  un  complé- 
ment dont  les  trionfl  et  les  rnascherate  se  pourraient  au 
besoin  passer,  ils  sont  leur  raison  d'être  \  Laurent  le 
Magnifique  paraît  avoir  joué  un  rôle  considérable  dans  la 

1.  «  Tutti  i  trionfl,  carri,  masckerate  o  canti  carnascialeschi  andati  per 
Firenze  dal  tempo  del  Magnifico  Lorenzo  de  Medici  »    (édition  de   1760  en 

2   vol.,    I,    II). 

2.  Y.  Bapst.  Essai  sur  l'histoire  des  théâtres,  chap.  11. 

3.  On  peut  relever  cependant  des  exceptions  :  par  exemple  le  trionfo  délia 
Prudenza  {Tutti  i  ti-ionfi...  p.  35),  ou  le  curieux  «  trionfo  in  dispregio 
delVorOy  delVavarizia  e  del  guadagno  ».  Il  faut  noter  d'ailleurs  qu'avant  le 
règne  de  Laurent  de  Médicis  les  chars  qui  défilaient  le  jour  de  la  saint  Jean 
ne  portaient  exclusivement  que  des  allégories  religieuses. 

4.  On  en  vient  à  désigner  sous  le  nom  de  canti  les  mascarades  elles-mêmes. 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  23 

création  et  le  perfectionnement  de  ces  divertissements*. 
Selon  le  témoignage  du  poète  de  cour  Lasca  —  un  des 
derniers  compositeurs  de  canti  carnascialeschi  —  il  avait 
donné  lui-même  le  premier  modèle  du  genre  nouveau 
avec  le  canto  de  Bericuocolaj  '^  dont  Isaak  avait  com- 
posé la  musique. 

Bericuocoli,  Donne,  e  confortini, 
Se  ne  voleté,  i  nostri  son  de'fini. 

11  semble  donc  que  ce  soit  à  ce  prince  qu'il  faille  attri- 
buer Finvention  de  la  fête  de  cour  qui  nous  occupe  ^  Il 
ne  faut  pas  oublier  en  effet  que  ces  mascarades  gardaient 
toujours  un  caractère  fort  aristocratique,  que  les  princes 
et  les  seigneurs  de  la  Cour  y  prenaient  seuls  part.  C'est 
même  en  cela  principalement  que  ces  cortèges  de  per- 
sonnages masqués  différaient  des  momeries  antérieures 
auxquelles  le  peuple  devait  longtemps  encore  demeurer 
fidèle  \ 

Canti  et  trionfi  exercèrent  sans  aucun  doute  une  grosse 
influence  sur  l'évolution  des  mascarades  et  l'élaboration 
de  l'esthétique  du  ballet  dramatique.  La  plupart  des 
sujets*'  qui  servent  de  prétexte  à  ces  fêtes  seront  repris 

I.  M.  Romain  Rolland  dans  sa  magistrale  étude  :  V Opéra  avant  V Opéra,  a 
bien  mis  en  lumière  le  rôle  de  ce  prince,  restaurateur  des  fêtes  à  l'antique, 
ennemi  déclaré  des  spectacles  religieux  traditionnels.  [Musiciens  d'Autre- 
fois,  p.  36). 

a.  Marchands  de  pain  d'épices. 

3.  M.  Solerti  ne  conteste  pas  le  rôle  attribué  par  la  tradition  à  Laurent 
le  Magnifique  (V.  Alhori  del  melodrainma,  t.  I,  p.  i8). 

4.  Par  un  singulier  retour,  les  canti  seront,  un  siècle  plus  tard,  abandon- 
nés par  les  courtisans  à  la  populace.  V.  Solerti,  op.  cit.f  p.  ai  et  suiv. 

5.  V.  dans  le  Recueil  de  1750  : 

Trionfo  di  Bacco  e  d'Arianna  (p.  i),  de'  sette  Pianeti  (p.  24)  délia  Dea 
Minerva  (p.  iSg),  de  qualtro  Elementi  (p.  i5o),  di  navigant!  (p.  i56),  di  Ninfe 
Cacciatrici  (p.  200),  etc.,  etc. 


'24  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

par  les  librettistes  des  ballets  de  Cour  du  xvf  et  du 
XVII®  siècle  et,  dans  les  ballets,  la  musique  et  la  poésie 
interviendront  souvent  pour  éclairer  Faction  mimée  de 
la  même  manière  que  dans  les  divertissements  florentins. 
On  rencontre  toutefois,  dès  le  début  du  xvi^  siècle,  une 
forme  de  mascherata  plus  compliquée  que  celle  des  canti 
et  d'une  allure  beaucoup  plus  théâtrale.  La  danse,  la 
poésie  et  la  musique,  ingénieusement  associées  à  l'ac- 
tion dramatique,  font  de  ce  spectacle  le  véritable  proto- 
type du  ballet  de  Cour.  Une  lettre  de  Castiglione  nous 
donne  une  description  fort  complète  d'une  fête  de  ce 
genre ^  : 

La  scène  se  passe  à  Rome,  au  carnaval  de  i52i.  Une 
cinquantaine  de  serviteurs,  richement  vêtus  de  satin, 
éclairent  avec  des  torches  la  vaste  cour  intérieure  du  châ- 
teau Saint-Ange.  Le  pape  Léon  X  et  sa  cour  assistent  au 
spectacle  en  regardant  par  les  fenêtres.  Pour  décor,  un 
simple  pavillon  de  soie  dressé  sur  un  côté  de  la  cour. 
Huit  danseuses  siennoises  apparaissent  d'abord  et  exécu- 
tent une  gracieuse  moresque.  Une  d'elles  se  détache  du 
groupe  et,  élevant  la  voix,  prie  Vénus  en  «  rimes  octaves  » 
de  lui  accorder  un  amant  digne  de  sa  beauté.  Huit  moines 
entrent  alors  en  scène  et  dansent  une  seconde  moresque 
au  son  du  tambourin.  Lorsqu'ils  ont  terminé,  ils  voient 
sortir  du  pavillon  Gupidon,  le  dieu  d'Amour;  ils  se  ruent 
aussitôt  à  sa  poursuite  et  vont  l'atteindre  quand  l'en- 
fant divin  implore  sa  mère  qui  survient.  Elle  tend  aux 
moines  une  coupe  remplie  d'un  philtre  magique  et  donne 
à  l'Amour  son  arc  et  ses  flèches.  Celui-ci  ne  les  a  pas 
plutôt  en  main  qu'il  crible  de  ses  traits  les  moines  infor- 

I.  Mantoue.  Arch.  Stor  Gonzaga.  B.  n^  865.  —  V.  Clementi.  //  Carnevale^ 
p.  i68  et  Rodocanachi.  Le  château  Saint-Ange.  Hachette  1909,  in-4'^p.  1^3. 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  25 

tunés  qui  se  lamentent  et  courent  çà  et  là  en  proie  au 
désespoir.  Mais  bientôt  les  blessures  des  flèches  font 
leur  effet  :  les  moines  s'approchent  de  la  belle  danseuse 
et  lui  font  entendre  des  paroles  galantes.  Pour  réponse, 
elle  les  engage  à  montrer  leur  valeur.  Les  saints  hommes 
dépouillent  aussitôt  leurs  cagoules  et  apparaissent 
magnifiquement  vêtus  de  soie  et  de  satin.  Ils  se  livrent 
un  combat  furieux  et  le  dernier  survivant  emmène  la 
belle  en  triomphe...  Il  semblerait,  à  lire  cette  descrip- 
tion, que  l'on  fût,  en  i52i,  à  la  veille  d'inventer  le  bal- 
let dramatique  et  pourtant,  un  demi-siècle  plus  tard,  on 
ne  sera  pas  beaucoup  plus  avancé.  Les  représentations  de 
mascherate  de  ce  genre  seront  même  fort  rares  et  on  leur 
préférera,  durant  tout  le  xvf  siècle,  les  longs  défilés  de 
chars  et  les  intermèdes  des  comédies  et  des  tragédies. 
Canti  et  Mascherate  n'étaient  pas  pour  les  seigneurs 
italiens  les  seules  occasions  de  se  déguiser.  Les  mœurs 
voluptueuses  de  la  Péninsule  s'accommodaient  fort  bien 
de  l'incognito  que  procurait  le  masque.  Aussi  fut-il  bien- 
tôt adopté  pour  courir  les  bals  et  les  fêtes.  Peu  à  peu 
cette  habitude  devint  un  divertissement  ayant  ses  lois 
et  ses  usages.  Les  masqueurs  —  c'est  ainsi  qu'on  les 
nommera  en  France  —  ne  se  contentent  pas  de  dissimu- 
ler leurs  traits,  ils  se  coiffent  d'une  sorte  de  capuchon* 
[cappelletto  alla  ferrarese)  et  revêtent  une  ample  robe 
flottante  ^  Ainsi  vêtus,  ils  pénètrent  dans  les  fêtes  et 
les  bals  où,  sans  révéler  leur  identité,  ils  prient  à  dan- 
ser   les  dames  de  l'assistance  et  leur  tiennent    maints 


1.  Solerti  Ferrara  e  la  Corte  Estense,  p.  cl. 

2.  L  habillement  des  Masqueurs  a  été  fort  minutieusement  décrit  par 
M.  Reyher,  Masques  anglais,  p.  i8  et  suiv.  Il  cesse  d'être  de  rigueur  dans 
les  premières  années  du  xvi*^  siècle. 


Ik 


•l6  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

propos  galants*,  au  grand  dam  des  pauvres  maris  qui 
n'osent  se  fâcher  de  peur  de  faire  rire  à  leurs  dé- 
pens ^ 

Cette  mode,  qui  favorisait  singulièrement  les  licences 
amoureuses,  prit  d'abord  naissance  dans  les  deux  cours 
voisines  de  Modène  et  de  Ferrare%  puis  gagna  toute 
ritalie  et  fut  apportée  en  France,  sans  doute  par  les 
seigneurs  qui  avaient  pris  part  aux  expéditions  de 
Charles  VIII  et  de  Louis  XII.  Ces  monarques  avaient  eu, 
au  cours  de  leurs  voyages,  de  fréquentes  occasions  d'ad- 
mirer les  masques  italiens  ^.  En  particulier  à  Milan,  au 
fameux  banquet  offert  par  «  le  seigneur  Jehan  Jacques 
Trivulzio  »  à  Louis  XII'',  le  3o  mai  i5o7,  on  vit  de  magni- 
fiques et  rares  danses  en  masques  ^  dont  les  compagnons 
du  Roi  gardèrent  un  durable  souvenir.  On  connaissait 
déjà  de  longue  date  en  France  les  bals  travestis,  mais  on 


1.  «  Et  si  puô  sotto  i  panni  délia  maschera  dimostrar  molto  bene  alla 
sua  Donna  il  secreto  del  core  »  Dialogo  del  ballo  di  M.  Rinaldo  Corso.  Vene- 
zia,  i555,  p.  5. 

2.  Ce  sera  pour  les  conteurs  du  xvi®  siècle  un  thème  inépuisable.  V.  no- 
tamment les  Serées  de  Bouchet  (IV®  et  XXXII®),  et  les  Arresia  Amorum, 
éd.  de  1624  :  Ordonnance  sur  le  fait  des  masques. 

3.  Le  Tasse  dans  son  dialogue  :  //  Gianluca  overo  de  le  maschere  vante 
les  masques  ferrarais  et  les  oppose  à  ceux  de  Modène.  Il  les  appelle  «  l'arme 
usate  contro  il  verno  ». 

A  Ferrare  la  fabrication  des  masques  constituait  une  industrie  florissante  : 
on  les  expédiait  par  milliers  à  Rome  et  à  Milan  vers  le  temps  du  carnaval. 
V.  AdemoUo.  Alessandro  F/,  Giulio  11^,  Leone  X  nel  carnevale  di  Roma, 
et  D'Ancona.  Orig.  del  teatro,  II,  438. 

4.  A  Milan  en  i499)  dans  une  fête  donnée  par  Trivulzio  «  erano  assai  ma- 
scheri  travestiti  e  più  belle  foggie  se  potevano  ;  beato  chi  meglio  sapeva  fare. 
Oh,  quanto  piacere  era  a  vedere  !  :  Chron.  de  De  PauUo,  V.  Chr.  de 
Louis  XII.  S.  H.  F.,  t.  I,  p.  389. 

5.  Chr.  de  Jean  d'Auion.  S.  H.  F.,  t.  IV,  p.  307.  Loyal  serviteur.  S.  H.  F., 
p.  i36. 

6.  Nous  avons  signalé  les  danses  en  masques  qui  suivirent  le  repas  du  fai- 
san. Voir  aussi  la  fête  donnée  à  l'occasion  du  mariage  du  comte  de  Genève 
en  1433.  Mémoires  de  Saint-Rémy,  édit.  Buchon,  p.  537. 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  27 

n'en  fut  pas  moins  fort  surpris,  lorsque  la  mode  nou- 
velle fit  son  apparition,  de  voir  ces  masqueurs,  habillés 
à  l'italienne,  qui  pénétraient  incognito  dans  les  maisons 
pour  prendre  part  à  des  fêtes  auxquelles  ils  n'avaient  pas 
été  conviés. 

Nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  ce  divertisse- 
ment qui,  contrairement  à  l'avis  de  plusieurs  historiens  \ 
ne  nous  paraît  avoir  exercé  qu'une  influence  bien  indi- 
recte sur  le  ballet  de  cour.  On  ne  voit  vraiment  pas  quel 
germe  dramatique  renfermait  cette  mode  italienne  plus 
intéressante  pour  l'histoire  des  mœurs  que  pour  celle  du 
théâtre.  Au  moins  les  momeries  des  cours  de  Bourgogne 
et  de  France  comportaient  une  véritable  mise  en  scène, 
elles  constituaient  un  spectacle  et  présentaient  même 
parfois  un  semblant  d'action,  tandis  que  les  masqueurs, 
dont  nous  venons  de  parler,  ne  paraissent  au  bal  que 
pour  y  danser  avec  les  dames  le  plus  simplement  du 
monde.  A  notre  avis  les  historiens,  en  attribuant  une  si 
grande  importance  aux  masqueurs,  se  sont  laissé  abuser 
par  une  similitude  de  nom  2;  ils  ont  plus  ou  moins  con- 
fondu un  usage  mondain  avec  la  mascarade  proprement 
dite,  forme  dramatique  dérivée  des  canti  et  des  trionfi 
florentins  et  qu'on  peut  avec  vraisemblance  considérer 


1.  Ce  sera  la  seule  critique  que  nous  adresserons  à  M,  Reyher,  auteur 
d'un  livre  riche  en  faits  et  en  idées  sur  les  Masques  anglais.  Lorsqu'on  a  ter- 
miné le  chapitre  i*^'"  sur  le  Mask  et  les  fêtes  de  Cour  et  qu'on  commence  le 
chapitre  ii,  Un  ballet  à  la  Cour  d' Angleterre ,  on  n'arrive  pas  à  s'expliquer 
comment  un  genre  dramatique  aussi  déterminé  que  le  Mask  anglais  a  pu 
sortir  d'un  usage  aussi  peu  dramatique  que  celui  de  se  masquer  et  de  se 
déguiser  pour  danser.  Le  disguishing  du  Moyen  âge  (équivalent  de  Ventre- 
mets)  contient  un  germe  dramatique  autrement  intéressant. 

2.  La  plupart  des  historiens  qui  se  sont  occupés  du  Mask  anglais  sont 
tombés  dans  cette  erreur.  De  même  les  historiens  français,  par  une  simi- 
litude de  nom  analogue,  ont  voulu  expliquer  par  le  ballet^  simple  danse 
figurée,  le  ballet  de  cour,  représentation  théâtrale  et  dramatique. 


»8  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

comme  run  des  éléments  constitutifs  du  ballet  de  cour  ^ 
L'influence  des  Intermedi  va  s'exercer,  parallèlement 
à  celle  des  mascherate^  sur  l'évolution  des  spectacles  de 
la  Cour  française.  Les  Italiens  avaient  toujours  réservé 
une  large  place  dans  leurs  représentations  sacrées  aux 
danses  et  aux  chants.  Au  xv''  siècle,  dans  les  mystères 
qui  se  jouaient  en  France,  la  musique  ne  tenait  qu'un  rôle 
secondaire  et  épisodique'^  la  danse  se  réduisait  à  quelques 
entrées  de  moresc|ue  lorsque  le  sujet  s'y  prêtait^  Dans  les 
Sacre  rappresentazioni  au  contraire,  l'élément  spectacle 
débordait  sur  le  reste  de  l'œuvre  et  y  prenait  une  place 
disproportionnée  '\  Toutes  les  occasions  paraissaient 
bonnes  au  poète  pour  introduire  des  fêtes  somptueuses, 
des  banquets  magnifiques  où  se  donnaient  cours  les 
divertissements  les  plus  profanes. 

Beaucoup  de  ces  Sacre  rappresentazioni  étaient  d'un 
bout  à  l'autre  déclamées  musicalement.  Indépendamment 
de  cette  espèce  de  récit  continu,  il  y  avait  aussi  des  chan- 
sons et  des  chœurs  d'une  forme  aussi  peu  religieuse  que 
possible  :  chants  de  buveurs,  de  guerriers,  de  chasseurs. 
Il  y  avait  enfin  des  danses  nombreuses  et  variées.  Cer- 
taines d'entre  elles  constituaient  déjà   une  manière  de 

1.  Si  l'on  veut  que  la  mode  de  prendre  un  masque  pour  se  rendre  au  bal 
ait  exercé  une  influence  sur  le  ballet,  on  peut  en  faire  dériver  la  coutume 
suivant  laquelle  les  figurants  des  ballets  dramatiques,  après  la  fin  des  repré- 
sentations, descendaient  dans  la  salle  pour  danser  avec  les  dames  de  l'assis- 
tance. 

2.  Les  instruments  servent  à  introduire  les  personnages  importants  [sileie), 
ils  sont  aussi  sonnés  dans  les  Paradis.  Les  voix  chantent  le  plus  souvent  des 
airs  ayant  un  caractère  liturgique.  Les  anges  entonnent  le  Regina  coeli  ou 
le  Stahat  Mater.  Voy.  Cohen,  la  Mise  en  scène  dans  le  théâtre  religieux 
français  du  Moyen  âge. 

3.  Cî.  Mystère  du  Vieil  testament,  édit.  Picot,  IV,  p.  i43.  Dans  le  mystère 
de  saint  Louis,  les  jeunes  seigneurs  et  dames  qui  assistent  au  mariage  du 
saint  dansent  «  l'Orléanoise  ou  autre  »  édit.  Michel,  p.  4o- 

4.  Romain  Rolland.  Musiciens  d' autrefois ,  p.  27. 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU     BALLET  29 

ballet.  C'est  ainsi  que  dans  la  Santa  JJlwa  quatre  mat- 
taccini  dansaient  avec  des  sonnailles  aux  pieds  en  bran- 
dissant des  épées  nues  \ 

Lorsque  le  souffle  païen  de  la  Renaissance  eut  fait 
paraître  <(  gothiques  »  les  fêtes  religieuses  du  moyen  âge 
et  suscité  les  comédies  et  les  tragédies  à  l'Antique,  on 
eut  soin  de  faire  bonne  place  aux  intermedi  en  les  accom- 
modant seulement  au  goût  du  jour.  En  vain  le  poète 
Lasca  objectait-il  que  les  intermèdes  absorbaient  toute 
l'attention  et  faisaient  paraître  la  pièce  elle-même  pauvre 
et  dénuée  de  grâce  ^,  en  vain  le  Trissino  dans  sa  Poé- 
tique ^  constatait-il  avec  mélancolie  que  les  divertisse- 
ments de  musique  et  de  danse  et  les  canevas  qui  en 
étaient  le  prétexte,  finissaient  par  constituer  une  comédie 
dans  la  comédie  et  par  détruire  toute  unité,  les  Inter- 
medi ne  s'en  développaient  pas  moins  et  envahissaient 
toutes  les  œuvres  dramatiques  qui  se  représentaient  dans 
les  diverses  villes  de  l'Italie. 

Les  Intermedi  occupent  déjà  une  place  considérable 
dans  les  premières  comédies  et  tragédies  inspirées  de 
l'antique.  VOrfeo  du  Politien  *  comporte  une  scène  où 
le  chantre  divin  vient  célébrer,  en  s'accompagnant  sur  la 
lyre,  les  louanges  du  cardinal  de  Mantoue.  Cette  pièce 
est  le  prototype  des  pastorales  et  nous  verrons  au  cours 
de  cette  étude  quelle  influence  exerça  la  pastorale  ita- 

1.  V.  Alcssandro  D'Ancona.  Origini  del  teatro  italiano,  t.  I,  p.  5 16. 

2.  Prologue  de  la  Strega,  fragment  cite  par  Solerti.  Alhori  del  mclo- 
dvaniina^  I,  p.  9. 

3.  Poetica,  divis.  VI.  a  Nelle  cominedie  che  oggidi  si  rappreseutano,  s'in- 
ducono  suoni  e  balli  e  altre  cose,  le  quali  diinaudano  intermedi  :  e  talora 
S'iuducono  tanti  buIToui  e  giocolari,  che  fanno  un'altra  commcdia  ;  cosa  incon- 
venientissiraa,  c  che  non  lascia  gustare  la  dottrina  délia  commedia.  » 

4.  V.  les  curieux  documents  publiés  par  Alessandro  d'Ancona,  op.  cit., 
t.  11,  p.  358  et  suiv. 


3o  LE     BALLET    DE     COUR    EN    FRAÎ^CE 

lienne  sur  la  structure  du  ballet  de  Cour.  Quelques  années 
plus  tard,  en  1487,  le  Cefalo  de  Nicole  da  Gorreggio  est 
déjà  encombré  d'intermèdes  lyriques  ^  :  chœur  de 
Nymphes  en  présence  de  l'Aurore,  églogue  de  Coridone 
et  de  Tirsi,  danse  de  faunes  au  son  d'instruments 
«  strani  et  disusati  »,  Larnento  des  Muses,  Ballo  des 
Nymphes. 

A  Ferrare  on  représente,  en  i5o2,  dans  la  même 
semaine,  cinq  comédies  de  Plante  ornées  d'intermèdes. 
On  y  trouve  comme  un  premier  modèle  de  ces  combat- 
timentl^  de  ces  balletti^  qui  auront  par  la  suite  une 
si  grande  importance  dans  toutes  les  fêtes  de  Cour. 
Ces  spectacles  portent  encore  les  noms  consacrés  d,e 
moresche  ou  de  brandi  mais  diffèrent  singulièrement 
des  danses  théâtrales  antérieures.  Des  guerriers  costu- 
més à  l'antique,  le  casque  en  tète  et  le  glaive  en  main, 
miment  un  combat  en  cadence  [battendo  il  tempo)  et  des 
Maures,  en  agitant  des  torches,  font  une  entrée  sensa- 
tionnelle ^  Lorsqu'on  lit  les  comptes  rendus  détaillés  de 
ces  fêtes,  on  sent  quel  abîme  sépare  ces  divertissements 
raffinés,  des  combats  en  pantomime  auxquels  se  récréaient 
les  compagnons  de  Charles  le  Téméraire. 

Au  début  du  xvi^  siècle  il  n*est  pas  encore  question  de 
balletti^  au  sens  du  moins  que  nous  attachons  à  ce  mot  % 
mais,  à  défaut  du  nom,  la  chose  existe  déjà  et  il  est  facile 
de  reconnaître  dans  les  descriptions  de  moresche  et  de 
brandi^  le  ballet  sous  les  deux  formes  qui  lui  sont 
propres  :  la  danse  figurée,  exécutée  par  des  personnages 

1.  Y.  Marsan.  La  Pastorale  dramatique,  p.    i3. 

2.  D'Arco.  Archivi  storici  Append.  II,  3o6,  et  Alessandro  d'Ancona,  II, 
p.  384. 

3.  Balletto  est  un  simple  diminutif  de  Ballo. 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  3l 

costumés,  accomplissant  certaines  évolutions  détermi- 
nées à  l'avance,  et  la  pantomime  rythmée  par  la  musique. 
Cette  dernière  forme  est  la  plus  usuelle;  à  Rome,  en 
iDiS,  on  représente  devant  le  pape  Léon  X  les  Supposai 
de  l'Arioste,  agrémentés  de  plusieurs  intermèdes,  dont  le 
dernier  figure  la  fable  de  Gorgone  \  Vers  le  même  temps, 
on  joue  à  Urbino,  chez  le  duc  Guidubaldo  la  comédie  du 
cardinal  Bibbiena  :  la  Calandra^^  accompagnée  d'inter- 
mèdes aussi  fastueux  qu'étrangers  au  sujet  '\  A  la  fin  de 
chaque  acte  de  cette  comédie,  inspirée  par  le  théâtre 
de  Plante,  se  représentent  des  scènes  mythologiques  : 
Jason  en  armes  danse  une  moresque  guerrière,  il  dompte 
les  taureaux  aux  naseaux  de  flamme,  sème  les  dents 
du  dragon,  combat  et  extermine  les  fils  de  la  Terre. 
En  i454j  on  avait  vu  mimer  à  la  Cour  de  Bourgogne  les 
mêmes  épisodes,  mais  alors  les  acteurs  du  mystère  muet 
n'avaient  pas  assujetti  leurs  mouvements  au  rythme 
de  la  musique,  tandis  qu'à  Urbino,  c'est  en  dansant  au 
son  des  instruments  que  Jason  accomplit  ses  exploits. 
Le  second  intermède  montrait  Vénus  toute  nue,  un 
flambeau  à  la  main,  assise  sur  un  char  traîné  par  des 
colombes  *,    spectacle   qui  rappelait   de   bien    près    les 


1.  «  L'ultimo  intermedio  fu  la  moresca,  che  si  rappresento  la  favola  di 
Gorgou,  et  fu  assai  bella.  »  Lettre  de  Paulucci  au  duc  de  Ferrare  du 
8  mars  i5i8  (citée  par  D'Ancona,  II,  90). 

2.  Une  édition  de  i5.i6  de  cette  pièce  se  trouve  à  la  Bibl.  Nat.  Réserve, 
p.  Yd.  75. 

3.  V.  la  lettre  de  Balthazar  Castiglione  partiellement  traduite  par  Romain 
Rolland,  Musiciens  d'autrefois,  p.  87  et  38. 

4.  En  lisant  les  descriptions  de  ces  intermèdes,  on  pense  à  certaines 
scènes  mythologiques  ou  allégoriques  peintes  vers  le  même  temps  par  Bot- 
ticelli  ou  G.  Bellini.  Il  est  d'ailleurs  probable  que  ces  spectacles  magnifiques 
ont  précisé  les  conceptions  des  peintres  comme,  au  moyen  âge,  les  repré- 
sentations des  Mystères  inspiraient  les  imagiers  qui  sculptaient  les  porches 
de  nos  cathédrales. 


3'2  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANGE 

triomphes  carnavalesques,  enfin  Neptune  paraissait  suivi 
de  dieux  marins,  qui  exécutaient  un  brando.  La  pièce 
finissait  par  un  récit  de  l'Amour  et  par  un  concert  de  voix 
et  d'instruments  célébrant  son  pouvoir.  Par  l'importance 
de  l'élément  plastique  et  de  la  mise  en  scène  un  tel  spec- 
tacle annonce  l'esthétique  du  ballet  dramatique  plus 
encore  que  celle  de  l'opéra.  11  faut  avouer  que  la  comédie 
de  mœurs  du  cardinal  Bibbiena  devait  s'accommoder  fort 
mal  de  tout  ce  faste  et  l'on  comprend  les  réclamations 
des  écrivains  du  temps  ^  Il  se  trouva  d'ailleurs  bientôt 
quelques  poètes  pour  tenter  d'incorporer  au  drame  les 
intermèdes  qui  l'écrasaient  de  leur  faste. 

Le  Sacrificio  d'Agostino  Beccari  ^  est  l'exemple  le  plus 
caractéristique  de  cette  prise  de  possession  des  inter- 
mèdes par  l'action  dramatique.  L'intermède  où  le  Sacer- 
dote  célèbre  le  sacrifice  est  déjà  une  scène  d'opéra  parfai- 
tement constituée.  On  trouve  des  épisodes  semblables 
dans  la  plupart  des  tragédies  à  l'antique  du  même  temps, 
œuvres  de  Giraldi  Ginzio,  de  Ludovico  Dolce,  de  Giusti- 
niani  et  surtout  dans  les  drames  pastoraux  d'Alberto 
Lollio,  d'Agostino  Argenti  et  de  l'illustre  TorquatoTasso. 
La  musique  et  la  mise  en  scène  prennent  dans  le  théâtre 
italien  du  xvf  siècle  une  place  exorbitante.  Il  y  a  à  cela, 
comme  l'a  fort  éloquemment  montré  M.  Romain  Rolland^, 
de  graves  raisons  politiques  et  morales  :  la  réforme  reli- 
gieuse, la  conquête  de  l'Italie  par  les  bandes  impériales,  le 

I.  L'auteur  anonyme  du  Cocchio  se  désole  de  ce  que  dans  les  comédies 
«  si  facciano  eccessivi  intermedj  e  stupendi  sproporziouati  all'azioue  princi- 
pale, trattandola  in  questa  parle  corne  Tragedia...  altro  non  chicggano  gli 
speUatori  che  l'intermedio,  e  la  povera  comedia,  che  è  l'azione  principale  e 
la  base  di  lutto  il  rappresentato,  è  con  tedio  lasciata  passare  ». 

a.  Représenté  le  ii  février  i554.  V.  Solerti.  Albori  del  Melodranimay 
p.  12  et  suiv. 

3.   L'Opéra  avant  l'Opéra  [Musiciens  d'autrefois,  p.  ^i  suiv.). 


PI.   3, 


Bo(Mj;o  de  l'un. 


BALLET-COMIQUE    DE    LA    REINE    (l58l) 
ff(iran(/U(;  du  ijenlilliomme  fugitif  (se.  1). 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  33 

despotisme  des  princes  déchaînent  une  violente  réaction 
contre  le  libre  esprit  de  la  Renaissance.  L'Inquisition 
sévit*.  Les  beaux-arts,  le  théâtre,  la  poésie  sont  suspects. 
Les  grands  seigneurs  patronnent  une  sorte  de  poésie 
officielle  et  servile  qui  fleurit  dès  lors  dans  toutes  les 
cours  italiennes  :  le  théâtre  n'est  plus  qu'un  prétexte  à 
magnificences  scéniques  et  à  flatteries  ingénieuses  à 
l'adresse  des  mécènes.  La  tragédie  tombe  en  discrédit, 
on  croit  superstitieusement  qu'elle  porte  malheur  2.  La 
comédie  semble  trop  frondeuse.  On  en  revient  alors  tout 
naturellement  au  genre  le  plus  factice  par  définition  qui 
puisse  exister,  au  genre  pastoral,  qui  ne  met  en  scène  que 
des  personnages  d'allure  et  de  sentiments  conventionnels, 
mais  telle  est  Tardeur  du  feu  qui  couve  sous  les  ruines 
de  la  Renaissance  qu'il  va  transfigurer  cette  forme  insi- 
gnifiante et  créer,  avec  les  aventures  anodines  de  bergers 
amoureux,  des  chefs-d'œuvre. 

Il  n'entre  pas  dans  le  cadre  de  cette  étude  de  retra- 
cer l'histoire  de  la  pastorale  italienne  ;  au  reste,  son 
développement  étant  contemporain  de  la  création  en 
France  du  ballet  dramatique,  nous  serons  amenés  à  en 
parler  lorsque  nous  analyserons  la  structure  du  ballet 
comique  de  la  Reitie^ .  Mais  il  était  nécessaire  de  déter- 

I.  Les  pièces  à  sujets  mythologiques  ne  seront  plus  imprimées  sans  un 
avertissement  dans  ce  goût  :  «  Si  protesta  che  le  parole  Dio  d'Amore,  Dea 
d'Amore,  Deita,  Divinità,  Paradiso,  Adorare,  Beato  et  altri  simili  s'inten- 
dono  conforme  all'uso  de'  Poeti  et  non  mai  in  senso,  che  ofFenda  in  parte 
alcuna  imaginabile  i  sensi  e  i  Dogmi  purissimi  délia  Religione  Catholica.  » 

a.  Catherine  de  Mcdicis  était  persuadée  que  la  Sofonisbe,  représentée  en 
1559,  lui  avait  porté  malheur  et  ne  voulait  plus  voir  d'autres  tragédies. 
Cf.  Brantôme.   Vie  des  dames  galants^  édit.  Lalanne,  VII,  p.  371. 

3.  L'histoire  de  la  pastorale  italienne  a  été  l'objet  d'études  si  complètes 
et  si  approfondies  dans  ces  dernières  années  que  nous  ne  pouvons  que  ren- 
voyer aux  magnifiques  travaux  de  MM,  D'Ancona  et  Solertl  que  nous  avons 
déjà  eu  si  souvent  l'occasion  de  citer  et  où  l'on  trouvera  toutes  les  réfé- 
rences désirables. 

3 


34  LE     lîALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

miner  dès  maintenant  la  force  du  courant  qui  entraîna  le 
théâtre  italien  vers  la  forme  mélodramatique,  car  nous 
allons  sentir  son  influence  s'exereer  par-dessus  les  Alpes 
sur  les  inventions  des  poètes  et  des  artistes  de  la  Cour 
française,  durant  tout  le  xvi®  siècle. 

D'Italie  vont  passer  en  France  deux  catégories  de 
divertissements  qui,  peu  à  peu,  se  substitueront  aux 
spectacles  désuets  de  la  Cour  :  les  Mascarades,  avec  leurs 
entrées  de  masques  sérieux  ou  grotesques,  leurs  chars 
couverts  de  divinités  païennes  ou  d'allégories,  qui  rem- 
placeront les  antiques  momeries  ;  les  Intermèdes,  avec 
leurs  récits  chantés,  leurs  danses  mimées  ou  figurées, 
leurs  personnages  pastoraux,  dieux,  satyres,  nymphes, 
bergers,  qui  feront  vite  mettre  au  rebut  le  matériel 
défraîchi  des  entremets  du  moyen  âge.  C'est  de  tous  ces 
éléments  disparates  que  va  sortir  le  ballet  de  Cour  fran- 
çais. 


III 


L'Italie  exerça  sur  les  compagnons  de  Charles  VIII,  de 
Louis  XII  et  de  François  P",  au  cours  de  leurs  expéditions 
vers  le  royaume  de  Naples  ou  dans  le  Milanais,  une  sin- 
gulière fascination.  Les  seigneurs  français  ne  comprirent 
certainement  pas  toute  la  beauté  des  œuvres  d'art  qui 
leur  étaient  montrées  ;  la  grossièreté  de  leur  culture  les 
privait  du  charme  des  délicates  impressions  esthétiques, 
mais  ils  furent  dès  l'abord  séduits  par  la  douceur  du 
climat,  la  splendeur  des  palais  de  marbre  et  le  faste, 
inoui  pour  eux,  des  Cours  princières  où  ils  étaient  reçus. 
Les  fêtes  données  en  leur  honneur  dépassaient  en  ma- 
gnificence tout  ce  qu'ils  avaient  jamais  pu  imaginer  en 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  35 

rêve  \  Ce  n'étaient  que  bals,  que  festins,  que  mascarades. 
La  beauté  des  femmes,  l'élégance  des  gentilshommes,  le 
luxe  des  costumes  de  drap  d'or  et  de  soie  les  enchantèrent. 
Les  fresques  de  Ghirlandajo,  de  Botticelli,  du  Pinturic- 
chio  les  troublèrent  moins  que  la  nouveauté  des  usages 
qui  se  révélaient  à  eux.  La  mode  des  masques  les  ravit, 
ils  s'extasièrent  sur  la  diversité  des  danses  auxquelles  se 
livrait  la  noblesse  italienne  :  au  lieu  des  quelques  basses 
danses  usitées  à  la  Cour  de  France  ^  ils  découvraient  une 
infinie  variété  de  pas,  de  gestes,  d'attitudes  qui  les  con- 
fondaient par  leur  grâce  et  leur  harmonie.  A  Sienne,  ils 
avaient  vu  baller,  en  l'honneur  de  Charles  VIII,  cinquante 
dames  choisies  parmi  les  plus  belles  et  les  mieux  nées  de 
la  ville  ^  ;  elles  avaient  exécuté  sous  leurs  yeux  émerveillés, 
des  évolutions  savamment  cadencées. 

Epris  de  magnificence  plus  qu'aucun  de  ses  prédéces- 
seurs, François  I"  fut  enthousiasmé  par  le  faste  et 
Tapparat  des  Cours  italiennes.  Il  appela  en  France  une 
véritable  armée  d'artistes  ultramontains  :  peintres,  sculp- 
teurs, baladins,  musiciens  \  Bientôt  dans  les  salles  de 
son  palais  de  Fontainebleau,  décorées  des  fresques  du 
Rosso  et  du  Primatice,  se  déroulèrent  des   fêtes   iden- 


1.  V.  en  particulier  la  Chronique  de  Jean  d'Anton.  S.  H.  F.,  t.  IV,  p.  3o6 
et  suiv.  «  D'ung  banquet  sumptueulx  que  le  seigneur  Jehan  Jacques  list  au 
Roy  a  Millan  (3o  mai  i5o7). 

i.  Pour  la  danse  en  France  et  en  Lorraine  au  milieu  du  xv«  siècle,  voyez 
la  liste  des  danses  données  au  Bal  de  la  reine  de  Sicile  à  Nancy,  en  i445.  On 
y  trouve  non  seulement  les  noms  des  diverses  basses  danses^  mais  aussi  la 
description  en  termes  techniques  des  pas  de  chacune  d'elles.  Ce  document 
capital  pour  l'histoire  de  la  danse  a  été  publié  d'après  le  Mss.  fr.  10297  de 
la  Bibl.  Nal.  dans  la  Chronique  de  la  Pucelle,  édit.  de  Vallet  de  Vireville, 
Paris,  iSSg. 

3.  Chronique  manuscrite  de  Tizio,  (^  a55.  v^,  Bibl.  Chigi  (Rome). 

4.  Henry  Prunières.  La  Musique  de  la  Chambre  et  de  l'Écurie  sous  Fran- 
çois I^"^.  {Année  musicale  1911,  Paris.  Alcan,  1912}. 


36  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

tiques  à  celles  qu'il  avait  pu  admirer  dans  la  Péninsule. 
Nous  n'avons  malheureusement  pas  de  relations  minu- 
tieuses de  ces  spectacles*,  mais  les  comptes  des  Menus 
Plaisirs  en  leur  concision  nous  fournissent  de  précieuses 
indications  ^  Nous  y  trouvons  mention  de  toiles  d'or  et 
d'argent,  de  draps  de  soie,  d'écarlate,  de  damas,  des 
houppes  et  boutons  d'or  faux  a  pour  façon  d'habillement 
de  masques  ))^..  En  i534,  l'italien  Nicolas  de  Modène 
a  peintre,  sculpteur  et  faiseur  de  masques  »  avait  la 
charge  de  dessiner  les  costumes  somptueux  et  bizarres 
que  revêtaient  le  Roi  et  les  seigneurs  de  sa  Cour.  Nous 
le  voyons  ainsi  recevoir  une  somme  de  35  livres  tournois 
pour  ((  six  accoustremens   de  masques  en  déguisement 

I.  Seulement  des  phrases  vagues  comme  celle-ci  :  «  Pendant  qu'il  (Le 
Roi)  estoit  à  Paris,  il  alloit  quasi  tous  les  jours  faire  des  mommons  en 
masque  et  habitz  dissimulez  et  incognuz  »  Année  i5i6.  [Journal  d'un  Bour- 
geois de  Paris ^  édit.  Lalanne,  p,  43. 

a.  Arch.  Nat.  K.  K.  loo  et  J.  960-962.  V.  aussi  Actes  de  François  Z^"", 
tomes  III,  695,  IV,  2'i3,  VII,  7^9,  VIII,  114,  i58  et  173.  —  Comptes  des 
Bâtiments  du  Roi,  publ.  par  Laborde,  t.  II,  pp.  149,  202,  284,  242,  etc. 

3.  Estât  de  deux  acoutremens  de  masques  que  le  Roy  a  ordonné  estre  pré- 
sentement levez  en  son  argenterie  : 

«  Vingt  aulnes  damas  rouge  pour  faire  partie  desdits  acous- 

tremens  à  IIII  1.  l'aulne ÏIIIxx  1. 

«  Six  aulnes  satin  vert XVII  1.  X  s. 

Sept  aulnes  toille  d'or  faulx XXXI  1.  X  s. 

Deux  aulnes   et    demye    satin   turquin    pour   couvrir  deux 

payres  de  brodequins VIII 1.  XVII  s.  VI  d. 

Quatre  pièces  bougran  pour  doubler  les  dits  acoustremens.  VI  1. 

Cinquante  aulnes  taffetas  blanc,  bleu  et  incarnat VII^x^  X  I. 

Quatre  aulnes  toille  d'argent  faulx XVIII 1. 

Cent  houppes  III  c.  aulnes  petite  frange XXV 

Grant  frange,  III  c.  aulnes  de  cordon  de  fil  d'or  faulx.    ,    .  V  c.  1. 

Six  douzaines  de  bouttons  de  fil  d'or  faulx  ronds  et  longs   .  IX  1.  XVI  s. 

Deux  panaches  de  plumes  blanches IX  1. 

Façons  de  tailleurs XXX  1. 

Une  aulne  et  demye  toille  d'or  faulx IX  1.  XV  s. 

Deux  paires  de  brodequins  de  maroquin, VI  1. 

Deux  masques  argentez  par  dedans IV  1.  X  s. 

Façons  de  deux  acoustremens  de  tête,  comprins  les  cartons, 

chappeaulx,  botynes  et  tour  d'embas IIIIxx  1.  X  s. 

(Fait  à  Paris  le  XVII«  jour  de  janvier  l'an  mil  cinq  cens  trente-huit).  Comptes 
des  bâtiments  du  Roi.  Il,  242. 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  87 

de  corsaires,  faits  à  Toccasion  des  noces  du  comte  de 
Saint-Paul  »  \ 

La  mode  des  masqueries  fait  fureur.  On  en  profite 
bientôt  pour  commettre  impunément  des  abus  de  toutes 
sortes  dans  les  maisons  où  Ton  pénètre,  sous  couvert  de 
venir  masquer^.  Aussi  François  I"  se  voit-il  contraint,  en 
1539,  ^^  rendre  un  arrêt  interdisant  le  port  des  armes 
secrètes,  des  masques  et  des  déguisements  ^  Mais  cette 
ordonnance  restera  sans  effet  et,  peu  d'années  plus  tard, 
Martial  d'Auvergne  se  contentera  plaisamment  de  limiter 
cette  prohibition  «  aux  marchands  et  gens  de  basse  con- 
dition ».  * 

Henri  II  se  livre  avec  entrain  à  ce  divertissement  nou- 
veau, Brantôme  nous  le  montre  parcourant  les  rues  à 
cheval,  un  jour  de  mardi  gras,  avec  de  jeunes  seigneurs, 
princes  et  gentilshommes  de  sa  Cour,  tous  masqués  et 
déguisés  et  rivalisant  entre  eux  «  à  qui  fairait  plus  de 
follies   )).   Ce  jour-là,   M.  de  Nemours,  s'amusa  à  faire 

1.  Ms.  fr.  i5632,  n»  583.  (Acte  daté  du  17  mars  i534.  Evreux).  Voir  aussi 
Arch.  Nat.,  J.  961,  (^  118. 

2.  Il  se  passe  aussi  des  scènes  scandaleuses  dans  les  bals  où  les  mas- 
queurs  entraînent  les  femmes  derrière  les  tapisseries.  Voy.  Les  Sérées  de 
Guillaume  Bouchot,  édit.  de  i6i5,  in-S»,  p.  200  et  suiv.  (Réserve  Ya/aoaS). 

3.  Lettre  royale  du  9  mai  i539.  V.  Isambert,  t.  XII,  p.  557. 

4.  Ordonnances  sur  le  faict  des  masques  dans  les  Arresta  Amorum. 

La  différence  entre  la  mode  ancienne  des  momeries  et  la  mode  nouvelle 
est  bien  marquée  par  le  passage  qui  suit  celui  que  nous  venons  de  citer  «  Et 
u'entend-on  par  ce  les  priver  d'aller  en  momon,  en  robbes  retournées,  bar- 
bouillés de  farine  ou  de  charbon,  faulx  visaiges  de  papier,  portant  argent  à 
la  mode  ancienne.  »  Il  est  à  noter  que  le  mot  masque  et  ses  dérivés  Masque- 
ries, Masqueurs,  Masquiers,  Masquarades  n'apparaissent  pas  avant  les  pre- 
mières années  du  xvi*^  siècle  en  France.  Désormais  le  mot  mumerie  signifie 
presque  exclusivement  le  cortège  burlesque  qui  porte  de  maison  en  maison 
un  jeu  de  dés  ou  de  cartes.  La  difi'érence  qui  sépare  la  mascarade  aristocra- 
tique de  la  populaire  momerie  se  manifeste  assez  nettement  dans  les  Epi- 
thètes  de  M.  De  La  Porte,  parisien  (1571)  (Rés.  X,  1964).  ha  Masquarade  y 
est  dite  nocturne,  brave...  joïeuae,  plaisante,  folâtre,  cousteuse...  la  Momerie 
basteleuse,  subtile,  farceuse... 


38  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

monter  son  cheval  par  le  grand  degré  du  Palais  de  Jus- 
tice et  à  redescendre  par  le  degré  de  la  Sainte  Chapelle, 
exploit  qui  fut  déclaré  inimitable*. 

Plus  tard,  Charles  IX  et  Henri  III  continueront  à  pra- 
tiquer ce  passe-temps  avec  ardeur  ^  Ils  iront  par  les  rues 
vêtus  ((  de  jupes  à  la  matelotte,  »  portant  «  habillemens  de 
testes  de  velours  noir  chamarré  de  parement  d'argent,  » 
accompagnés  de  leurs  mignons,  le  visage  caché  sous  de 
fins  masques  de  Venise,  déguisés  en  femmes,  pour  la 
plupart,  avec  des  voiles  de  gaze  d'or  et  d'argent,  suivis 
d'une  troupe  nombreuse  de  musiciens,  de  chanteurs,  de 
joueurs  de  luth  magnifiquement  travestis  et  escortés  de 
pages  portant  des  torches  enflammées  ^ 

Les  promenades  nocturnes,  fort  intéressantes  sous  le 
rapport  du  costume  *  et  des  mœurs,  n'ont  à  vrai  dire 
qu'un  rapport  lointain  avec  le  ballet  dramatique,  mais 
elles  montrent  déjà  cette  passion  du  déguisement  qui  se 
manifestera  si  fortement  dans  les  ballets.  Au  reste,  vers 
le  même  temps,  on  assistait  déjà  à  la  cour  de  France  à 
des  spectacles  qui  présageaient  la  venue  du  genre  nou- 
veau. 

La  mascarade  à  grand  spectacle,  dérivée  des  canti  et 
des  trion/i,  apparaît  en  France  sous  le  règne  d'Henri  II. 


I.  Brantôme.  S.  H.  F.,  t.  IV,  p.   i6i. 

1.  «  Le  Roy  (Henri  III)  faisoit  force  mascarades  où  il  se  trouvoit  ordinai- 
rement habillé  en  femme,  ouvroit  son  pourpoint  et  decouvroit  sa  gorge,  y 
portant  un  collier  de  perles.  »  V.  Mémoires  de  lEstoile,  édit.  Poujoulat, 
p.  169,  246  et  passim. 

3.  Comptes  des  dépenses  de  Henri  III  (i58o).  ArcJi.  cur.  de  l'hist.  de 
France  par  Cimber  et  Danjou,  i^^  série,  t.  X,  p,  427  et  suiv, 

4.  Pour  les  costumes  portés  dans  ces  mascarades,  voy.  .Robert  Boissard. 
Mascarades  recueillies  et  mises  en  taille  douce,  1597.  Voir  en  particulier, 
p.  3,  le  beau  travesti  turc,  p.  20,  un  cavalier  et  une  dame  se  démasquant, 
p.  9,  i5  et  18  les  déguisements  grotesques.  (Bibl.  Nat.  Réserve  J,  i834). 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  Sg 

Ce  divertissement  a  beaucoup  évolué  depuis  le  temps  de 
Léon  X  et  de  Laurent  le  Magnifique;  la  mise  en  scène 
s'est  développée  au  détriment  de  l'élément  poétique  et 
musical  qui  longtemps  en  avait  été  Tâme.  Maintenant  la 
mascherata  apparaît  comme  un  long  cortège  de  chars  et 
de  groupes  travestis  qui  figurent  des  allégories  ou  des 
scènes  mythologiques  diverses  ^  Ils  défilent  lentement 
devant  les  tribunes  où  siègent  les  Princes  et  leur  cour  et 
s'arrêtent  au  passage  pour  se  faire  admirer.  Le  plus  sou- 
vent les  personnages  qui  montent  les  chars  profitent  de 
cette  halte  pour  célébrer  en  chantant  les  louanges  du 
héros  de  la  fête  ou  pour  lui  adresser  de  longues  tirades. 
L'habitude  se  répand  également  de  faire  composer  des 
vers  par  les  poètes  de  la  Cour  pour  commenter  les 
diverses  allégories  représentées.  Ces  petites  pièces  sont 
imprimées  et  distribuées  aux  dames  de  l'assistance  et 
quelquefois  déclamées  à  haute  voix  au  fur  et  à  mesure 
que  les  chars  se  présentent  ^ 

Gesare  Negri  nous  a  laissé  une  curieuse  description 
d'une  fête  de  ce  genre  ^  Toutes  les  passions  de  l'àme 
y  sont  représentées  avec  leurs  attributs  classiques  : 
C Audace  chevauche  un  lion,  le  Soupçon  brandit  un  ser- 
pent, r Inquiétude^  nue,  gît  sur  un  buisson  d'épines,  la 
Persévérance   se   cramponne  à   un  écueil  au  milieu  des 


1.  V,  par  exemple  le  «  Discorso  sopra  \  La  Mascherata  \  Délia  Geneolo- 
gia  1  DegHàdei  De  \  Geniili.  \  Mandata  fuori  dalilllustrissimo  et  Ec-  \  cel- 
lentiss.  S.  Diica  di  Firenze  et  Siena  \  Il  giorno  11  di  Fehhraio  (MDLXV-In 
Firenze  appresso  i  Giunti  MDLXV  (in-S*",  i32  p.). 

2.  Cesare  Negri  Gratie  d'Amore,  p.  10.  C'est  de  celte  coutume  que  vien- 
dra plus  tard  l'usage  des  vers  pour  les  personnages  du  ballet  qui  durera 
aussi  longtemps  que  le  ballet  dramatique  lui-même. 

3.  Mascherata  delV Autore  fatta  a  di  '26  Giugno  ÎSJ^i  in  honore  dell'Al- 
tezza  Seren'"'^  il  Sig^^  Don  Giovanni  d'Ausiria  —  [Gratie  d'Amore,  p.  9  et 
suiv.). 


40  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

flots  en  courroux  ^  Des  musiciens  déguisés  en  bergers 
accompagnent  ces  personnages  en  jouant  de  leurs  instru- 
ments*. Enfin  s'avancent  quatre  Rois  et  quatre  Reines 
pompeusement  vêtus  à  l'antique,  se  tenant  deux  à  deux 
par  la  main  et  portant  comme  symboles  des  quatre  élé- 
ments, le  premier,  la  perle,  attribut  de  l'eau  ;  le  second, 
la  rose,  attribut  de  la  terre  ;  le  troisième,  la  flèche,  attribut 
de  l'air  et  le  dernier,  le  brandon,  attribut  du  feu.  Quatre 
nains  servent  de  pages  aux  Reines  et  quatre  hommes  sau- 
vages, armés  de  gros  bâtons  noueux  et  portant  des 
coquilles  marines  en  guise  de  boucliers,  tiennent  par  la 
bride  les  chevaux  des  Rois.  Le  groupe  s'étant  arrêté,  les 
Rois  et  les  Reines  descendent  de  cheval  pour  danser  un 
brando  à  huit,  les  sauvages  s'escriment  plaisamment  de 
leurs  gourdins  et  les  nains  font  les  matassins  pour  la  plus 
grande  joie  des  spectateurs.  Pour  conclure  dignement 
cette  fête,  on  vit  tous  les  personnages  de  la  mascarade, 
au  nombre  de  quatre-vingt  deux,  danser  ensemble  un 
brando  gigantesque.  De  même,  à  la  fin  des  ballets  de 
Cour,  nous  verrons  exécuter  le  grand  ballet  par  tous  les 
personnages  de  marque  qui  auront  pris  part  à  la  repré- 
sentation. 

On  trouve  en  France,  vers  le  milieu  du  xvf  siècle,  des 
défdés  à  grand  spectacle  qui  forment  la  transition  entre 
les  cortèges  et  exhibitions  de  tableaux  vivants  du  Moyen- 
Age  et  les  somptueuses  mascarades  italiennes.  A  ce  point 
de  vue,  l'entrée  de  Henri  II  à  Rouen,  en  i5Gi,  offre  pour 

1.  «  La  Perseveranza  sopra  un  scoglio  in  mezzo  al  mare  turbato.  » 

2,  La  liste  en  est  fort  longue  :  d'abord  5  tromhetti  ouvrent  le  cortège, 
puis  on  trouve  mention  des  instruments  suivants  :  cornetto,  trombone,  corna- 
jHusa,  fifrCy  dolzana,  flauto,  diana,  spiiietta,  viola  di  gamba,  violino,  liuto, 
lira,  cetera,  piva,  dolcemele,  contralto  di  viola,  triangolo,  tamburino  e  zufolo, 
arpa,  buttafoco,  sordina  e  mantica,  tiorba,  quàttro  viole  da  braccio . 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  4i 

nous  un  vif  intérêt.  On  y  voit  circuler  des  chars  où  sont 
représentées  les  aventures  crHercule  et  autres  scènes 
allégoriques  et  mythologiques.  Sur  un  rocher,  Orphée 
touche  une  harpe  et  les  Muses  l'accompagnent  en  jouant 
de  la  viole.  Le  char  de  la  Religion  porte  cinq  dames 
magnifiquement  costumées  qui  a  après  avoir  humblement 
salué  le  Roy  »  commencent  «  ensemble  à  chanter  mélo- 
dieusement, chascune  tenant  sa  partie  de  musique,  un 
plaisant  cantique  de  louanges  »  \  La  mise  en  scène  de 
cette  entrée  manifeste  la  préoccupation  de  concilier  les 
usages  traditionnels  avec  le  goût  néo-antique  importé 
d'Italie.  De  même  il  est  aisé  de  reconnaître  l'influence 
ultramontaine  dans  ce  combat  donné  à  Lyon,  en  1549? 
((  de  douze  gladiateurs,  vestus  de  satin  blanc  les  six,  et 
les  autres  de  satin  cramoisy  faist  à  l'antique  romain  »  ^ 
ou  dans  cette  joute  faite  à  Bruxelles,  en  i544î  en  l'honneur 
de  la  Reine  de  France^  où  paraissent  douze  amazones 
habillées  de  toile  d'or  qui  dansent  une  sorte  de  ballet  \ 
Mais,  à  dire  vrai,  l'influence  italienne  ne  s'exerce  d'une 
manière  décisive  qu'à  partir  du  moment  où  les  poètes  de 
la  Cour  prennent  en  main  la  conduite  des  fêtes.  Jodelle, 
Mellin  de  Saint-Gelais,  Daurat,  Ronsard  et  Baïf  vont  col- 
laborer efficacement  avec  les  chorégraphes  italiens  qui 
servent  le  roi  :  il  ne  se  donnera  plus  un  festin,  un 
tournoi  ou  un  ballet  sans  leur  participation. 

1.  C'est  la  déduction  du  sumptueux  ordre,  plaisantz  spectacles  et  magni- 
fiques théâtres  dressés  et  exhibés  par  les  citoiens  de  Rouen.  i55i.  (Rés. 
Lb  3i/a5.)  La  musique  du  chœur  est  notée  à  la  lin  du  volume. 

2.  Brantôme.  S.  H.  F.  III,  iSo. 

3.  Eléonore  d'Autriche. 

4.  Li  gran  triomphi  et  [este  faite  alla  Carte  de  la  Cesarea  Maestà  per  la 

pace  f'atta  tra  Sua  Maestà  et  il  lie  christianissimo (Novembre  i544). 

Réserve  Lb  30/247. 


42  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

On  peut,  pour  plus  de  clarté,  répartir  les  diverses  mas- 
carades représentées  en  France,  à  partir  du  règne  de 
Henri  II,  en  deux  catégories:  i^  les  mascarades  à  grand 
spectacle  qui  accompagnent  le  plus  souvent  des  fêtes 
données  en  plein  air  et  sur  de  vastes  espaces  —  défilés 
aux  entrées  royales,  tournois  et  courses  de  bague  — 
2°  les  mascarades  ayant  pour  objet  un  récit  ou  une  danse 
figurée  qui  se  déroulent  à  l'intérieur  du  palais  et  parfois 
dans  le  jardin  qui  en  dépend. 

Nous  avons,  par  avance,  décrit  les  cortèges  à  grand 
spectacle  en  parlant  des  mascherate  et  des  trion/i  dlisAïe. 
Jodelle  s'inspire  visiblement  de  ces  spectacles  étrangers 
dans  la  mascarade  qu'il  invente  pour  l'entrée  de  Henri  II 
à  Paris,  en  i558\  On  y  vit  Orphée  «  sonnant  et  chantant 
une  petite  chanson  en  la  louange  du  Roy  »  suivi  d'énor- 
mes rochers,  peuplés  de  chantres  invisibles  qui  lui  répon- 
daient ^ 

Il  est  assez  curieux  de  noter  qu'en  France  on  ne  goûta 
jamais  beaucoup  la  mascarade  pour  elle-même  ;  elle  fut 
le  plus  souvent  un  prétexte  à  d'autres  divertissements, 
un  ornement,  un  accessoire  magnifique.  Nous  la  trouvons 
ainsi  de  bonne  heure  associée  aux  tournois  et  aux  joutes. 
Au  XV®  siècle,  à  la  Cour  des  ducs  de  Bourgogne,  nous  avons 
vu  que  les  déguisements  étaient  usités  déjà  pour  les  com- 
battants et  leur  suite.  Au  xvi''  siècle,  l'influence  des  mas- 
carades amène  quelques  modifications  dans  la  mise  en 
scène  mais  le  fond  change  fort  peu.  Les  seigneurs  font 
assaut  de  magnificence  et  se  ruinent  en  accoutrements 


I.  Recueil  des  inscriptions,  figures,  devises  et  mascarades,  ordonnées  en 
Vhostel  de  Ville  à  Paris,  le  jeudi  il  de  fehvricr  1558. 

-i.   De  même   dans  le  Ballet   Comique  de  la   Reine  les  échos  de    la   voûte 
dorée  répondront  aux  choeurs  des  sirènes  et  des  satyres. 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU     BALLET  43 

fastueux.  En  i538,  François  P''  paie  une  somme  considé- 
rable pour  la  fourniture  de  «  draps  de  soye  et  de  layne, 
fil  d'or  et  d'argent,  faulx panaches  et  plumatz...  et  autres 
choses  servant  à  faire  habillement  pour  le  tournoy  ^  »  et 
Brantôme  nous  montre  François  de  Lorraine,  quelques 
années  plus  tard,  prenant  part  à  une  course  de  bagues, 
((  habillé  fort  gentiment  en  femme  égyptienne  avec  son 
grand  chapeau  rond  ou  capeline  en  teste  »  et  en  son  bras 
gauche «  une  petite  singesse plaisante  et  emmail- 
lotée comme  un  petit  enfant  »  cependant  que  M.  de  Ne- 
mours, son  concurrent,  masqué  comme  lui,  est  costumé 
en  «  femme  bourgeoise  de  ville  »  avec  à  «  sa  saincture 
une  grand'bourse  de  mesnage  avec  un  grand  clavier  de 
clefs  ^  »  De  même  à  une  course  de  bague  faite  à  Bayonne 
en  i565,  les  diverses  bandes  de  cavaliers  sont  accoustrés 
qui  à  Tégyptienne,  qui  à  «  Thespaignolle  »,  qui  à  la 
«  vieille  françoise  »,  qui  à  la  mauresque  ou  à  la  tartares- 
que.  On  y  voit  aussi  des  Amazones  vêtues  de  toiles  d'or 
et  d'argent,  des  Anges  «  portant  ailes  de  papillon  sur  le 
dos  et  masques  dorez  »  sur  le  visage,  des  Nymphes  habil- 
lées ((  de  fines  toiles  d'argent  à  la  mode  italienne^  ». 

Durant  les  fêtes  données  à  Bayonne  à  l'occasion  de  l'en- 
trevue de  Catherine  de  Médicis  et  de  sa  fille,  Madame, 
épouse  de  Philippe  II,  il  se  fit  plusieurs  tournois  accom- 
pagnés de  mascarades  *  dont  les  courtisans  devaient  long- 
temps garder  le  souvenir.  Une  de  ces  joutes  fut  précédée 
d'une  sorte  de  triomphe  à  l'italienne  :  «  les  quatre  Eléments 

1.  Arch.  Nat.,  J.  960,  n»  i63. 

2.  Brantôme.   Grands    capitaines  français.  Œuvres,   t.  IX,  p.  160, 

3.  Ample  discours  de  l'arrivée  de  la  Royne  catholique,  sœur  du  Roy,  à 
Saint-Jehan-de-Luz.  Paris,  Jean  Dallier  i565  (Bibl.  Nat.  Lb  33/75). 

4.  Brantôme.  Dames  galantes,  t.  IV,  370. 


44  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANGE 

y  furent  portez  sur  quatre  grands  chariots  de  triomphe 
faitz  à  l'Antique  et  enrichis  d'un  nombre  de  statues  et 
effigies  bronzées,  dorées  et  argentées^  ».  A  une  autre 
joute,  donnée  peu  de  jours  après,  on  vit  entrer  dans  le 
champ  ce  un  grand  et  riche  chariot  triomphal  tout  revestu 
de  toilles  d'or  lequel  cheminoit  dans  les  nues  et  estoit 
mené  avec  quatre  belles  hacquenées  blanches;  au  plus 
haut  d'iceluy  estoit  la  déesse  Vénus  tenant  son  brandon 
de  feu  et  au  plus  bas  estoient  de  jeunes  enfants  habillez 
en  Mercures  chantans  »,  qui  jetaient  au  passage  des  vers 
célébrant  les  vertus  du  Roi^ .  Le  char  qui  le  suivait  portait 
«Gupido  le  dieu  d'Amour,  avec  d'autres  Mercures  qui  tous 
alloyent  chantant  et  en  faisant  le  tour  du  camp  envoyoient 
pareillement  aux  dames  et  damoiselles  les  faveurs  de 
celuy  à  qui  estoit  ledit  chariot^  ». 

La  mode  de  distribuer  aux  dames  des  pièces  de  vers 
de  circonstance  ou  de  leur  présenter  des  objets  ornés  de 
devises  galantes  se  retrouve  dans  toutes  les  mascarades 
du  temps  et  passera  dans  le  ballet  de  Cour.  Un  des 
exemples  les  plus  anciens  en  France  de  cette  coutume, 
qui  semble  d'origine  italienne,  remonte  à  i548.  Au  cours 
d'une  joute  donnée  à  Paris  pour  célébrer  l'entrée  de  la 
reine  Catherine,  des  «  masques  vestus  en  Amazones  » 
après  avoir  mené  les  chevaliers  sur  les  rangs  du  tour- 
noi, offrirent  aux  dames  «  des  escus  d'or  entaillés,  des- 
quels le  chef  estoit  une  teste  de  dame  et  le  dedans 
une  porte  double  dont  la  moitié  pouvoit  s'ouvrir,  l'autre 

1.  Ample  discours  de  V arrivée...  L'année  précédente,  à  Bar-le-Duc,  on 
avait  également  vu  une  mascarade  des  quatre  éléments.  V.  Œuvres  de  Ron- 
sard. Cartels  et  Marcarades. 

2.  Recueil  et  Discours  du  voyage  du  Roy  Charles  IX...  es  années  156i  à 
1565  (p.  49).  Bibl.  Nat.  Lb  33/i56. 

3.  Monsieur,  frère  du  Roi. 


LES  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DU  BALLET  4$ 

non  *  »  et  sur  lesquels  étaient  gravées  des  maximes 
d'amour. 

Si  Ton  excepte  ces  quelques  innovations  d'origine 
étrangère,  les  tournois  du  xvf  siècle  continuent  la  tra- 
dition des  pas  d'armes  de  la  Cour  de  Bourgogne.  L'élé- 
ment romanesque  domine  toujours  dans  les  intrigues 
imaginées  pour  motiver  ces  luttes  courtoises.  Gomme 
au  temps  de  Charles  le  Téméraire,  on  y  voit  figurer  des 
géants,  des  nains,  des  fées,  des  ermites.  Témoin  la 
curieuse  joute  donnée  par  Charles  IX,  au  carnaval  de 
Fontainebleau,  l'an  i564.  A  l'entrée  du  camp  se  dresse 
un  ermitage  dont  la  cloche  annonce  la  venue  des  assail- 
lants. A  côté  s'élève  le  château  enchanté^  défendu  par 
une  troupe  de  démons,  et  dont  la  porte  est  gardée  par  un 
géant  et  un  nain.  Six  dames,  dont  la  beauté  est  l'objet  du 
cartel,  paraissent  «  habillées  en  Nymphes  à  cheval  »  et 
après  avoir  fait  le  tour  du  camp  vont  se  ranger  sous  la 
tribune  royale.  Alors  commence  la  joute  au  cours  de 
laquelle  les  défenseurs  du  château  résistent  aux  assail- 
lants ^  Ce  dispositif  se  retrouve  avec  de  très  légères 
variantes  dans  la  plupart  des  tournois  de  la  même  épo- 
que ^  Nous  le  reconnaîtrons  dans  les  grandes  masca- 
rades à  récits  qui  vont  préparer  l'avènement  du  ballet  de 
Cour. 

L'imagination  des  inventeurs  de  mascarades  est  d'ail- 
leurs inépuisable.  Aux  fêtes  de  Rayonne  qui  comptèrent 


I.  OEuvres  poétiques  de  Mellin  de  S  ainct- Gelai  s,  Lyon  i574,  p-  lo  (in-8'^). 

a.    Voyage  de  Charles  IX,  p.  6  et  7. 

3.  A  Bayonne,  en  i565,  il  y  eut  un  «  combat  à  picques  »  entre  des  cheva- 
liers qui  attaquaient  des  diables  et  un  géant  qui  retenaient  captives  deux 
belles  demoiselles.  V.  Ample  discours  de  Varri\'ée  de  la  Reyne...  et  «  Li 
grnndissimi  apparati  e  reali  trionfi  fatti  per  il  Rè  ed  Regina  di  Franza  nella 
città  di  Baiona.  Milano  i565  (Rés.  Lb  33/470). 


46  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

parmi  les  plus  somptueuses  du  siècle,  la  Cour  admira 
un  spectacle  nautique  des  plus  étranges.  Sur  la  rivière 
s'avançaient  en  nageant  une  baleine  et  une  tortue  gigan- 
tesque, portant  sur  leur  dos  de  nombreuses  sirènes 
chantant  les  louanges  de  la  Reine,  cependant  qu'Orphée 
célébrait  sur  la  lyre  les  vertus  de  Philippe  II.  Neptune 
enfin  parut  tiré  dans  son  char  par  des  chevaux  marins  et 
accompagné  de  tritons*.  Nous  retrouverons  ces  mêmes 
personnages  dans  le  ballet  de  Cour  et  dans  Topera  à 
machines. 

Dans  les  différentes  mascarades  que  nous  venons  de 
décrire,  le  spectacle  est  l'élément  essentiel.  Les  haran- 
gues poétiques,  les  chansons,  les  chœurs,  les  danses  ne 
font  que  contribuer  pour  une  part  secondaire  à  l'impres- 
sion générale.  On  admire  la  beauté  et  la  richesse  des  cos- 
tumes, la  hardiesse  et  l'ingéniosité  de  la  machinerie,  on 
se  préoccupe  peu  de  la  musique,  de  la  danse  et  de  la 
poésie.  Ces  trois  arts  au  contraire  prennent  une  grande 
importance  dans  ce  qu'on  pourrait  appeler  les  mascara- 
des de  palais.  Celles-ci,  bien  qu'infiniment  variées  dans  le 
détail,  peuvent  se  ramener  à  deux  grandes  catégories  : 
les  mascarades  ayant  pour  objet  un  récit  et  les  mascara- 
des prétextes  à  danses  et  à  ballets. 

Les  premières  sontindifféremmentdiurnes  ounocturnes 
et  se  déroulent  dans  une  salle  du  château  ou  dans  un 
jardin.  Elles  forment  un  des  éléments  essentiels  des 
réceptions  princières.  Faire  souhaiter  à  un  souverain,  ou 
à  quelque  puissant  seigneur,  la  bienvenue  par  une  divi 
nité  sortie  à  propos  de  derrière  un  bosquet,  est  une  atten- 

I.  Li  \  grandissimi  \  apparati  e  reali  \  Trionfi  \  fatti  per  il  Re  e  Regina 
di  Franza  nel  \  la  Cittd  di  Baiona,  nelV  ahhoccamento  |  délia  Regina  Catho- 
licadi  Spagna  \  ...  lu  Padova  MDLXV  (in-8o)  (Collect.  H.  Prunières). 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  47 

tion  qui  ne  saurait  manquer  d'être  extrêmement  goûtée. 
Henri  11,  à  son  entrée  à  Lyon,  en  i549»  ^^^  ainsi  le  plaisir 
de  voir  apparaître  au  milieu  d'un  jardin  peuplé  d'animaux 
par  bel  artifice  «  Diane  chassant  avec  ses  compagnes  et 
vierges  forestières  ;  elle  tenoit  à  la  main  un  riche  arc  tur- 
quois  avec  sa  trousse  pendante  au  costé,  accoustrée  en 
atour  de  Nymphe  à  la  mode  que  l'antiquité  nous  la  répré- 
sente *.  »   Elle  tenait  en  laisse  un  lion  qu'elle   offrit  au 
Roi  ((  par  un  dixain  en  rime  »  puis  s'en  retourna.  Parfois 
une  troupe  de  Nymphes  sort  brusquement  de  derrière  un 
rocher  et  s'en  vient  présenter  au   Roi  une  collation  de 
confitures  avec  des  compliments  infinis  ^  Il  arrive  aussi 
que  les  Masques  profitent  de  l'occasion  pour  adresser  au 
monarque  une  harangue  faisant  allusion  aux  événements 
politiques  contemporains.  C'est  ainsi  qu'à  Toulouse,  au 
carnaval  de  i565,  une  mascarade  conduite  par  Mars  s'en 
vient  trouver  Charles   IX  et  lui  remet  solennellement 
«  les  armes  et  piliers  de  Justice  »  ;  le  dieu  de  la  guerre 
prend  la  parole  et  déclame  une  longue  tirade  en  vers  sur 
les    querelles    intestines    qui    viennent   de   déchirer    la 
France  ^  La  mascarade  à  récit  sert  souvent  aussi  à  rehaus- 
ser l'éclat  d'un  festin  :  le  22  avril  i556,  le  Cardinal  de 
Lorraine  donne  à  Blois  un  magnifique  banquet  aux  reines  : 
on  y  vit  un  «  masque  vestu  en  Amphion  marchant  devant 
douze  masques  servans,  vestus  en  six  sortes  de  six  diffé- 
rentes nations  deux  à  deux,  accompagnés  de  douze  dames 
vestues  de  même  eux.  »  Arrivé  devant  Catherine,  Am- 
phion lui  débite  un  compliment  qui  est  aussitôt   «  des 
chantres  réitéré  en   musique  et  puis  encore  sonné  par 

1.  Brantôme.  OEuvres  S.  //.  F.,  l.  IX.  p.  Sai. 

2.  V.  la  réception  de   Charles  IX  à  Saint-Privas.  Voyage  de  Charles  IX. 

3.  Voyage  de  Charles  IX. 


48  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

divers  instrumens  à  diverses  fois^  »  La  même  cérémo- 
nie se  répète  pour  chaque  service. 

Dans  les  mascarades  de  palais,  le  récit  prend  une  im- 
portance considérable.  Les  meilleurs  poètes  de  la  Cour 
rivalisent  en  ce  genre.  On  trouve  dans  leurs  œuvres 
d'innombrables  pièces  de  vers  destinées  à  ces  divertisse- 
ments ;  malheureusement  les  descriptions  de  ces  specta- 
cles sont  rares.  11  n'est  d'ailleurs  pas  difficile  de  recons- 
tituer, par  la  pensée,  des  fêtes  comme  cette  «  mascarade 
de  neuf  fdles  de  la  reine  aux  couches  de  Madame  de  Mar- 
tigues  »  divisée  en  trois  bandes  dont  la  première  adressa 
sa  harangue  versifiée  au  Roi,  la  seconde  à  la  Reine  et  la 
troisième  à  Madame  sœur  du  Roi^  ;  ou  comme  cette 
autre  «  mascarade  de  six  dames  jeunes  et  petites,  habil- 
lées en  sibylles  »  ordonnée  par  Catherine  de  Médicis  un 
soir  «  pour  donner  passe-temps  au  Roy  à  son  retour 
d'un  voyage  faict  à  Saint-Germain-en-Laye,  l'an  i555.  » 
Madame  Elisabeth  de  France  qui  tenait,  avec  la  dignité 
de  ses  neuf  ans,  le  rôle  de  «  Sibille  Gumane  Amalthée  » 
s'adressa  à  Henri  11.  La  signora  Glarice  Strozzi  —  douze 
ans  —  célébra  les  vertus  de  la  Reine  sous  le  nom  de  «  Si- 
bille  Tiburtine  »  et  la  jeune  Marie  Stuart,  âgée  de  douze 
ans,  prédit  au  Dauphin  mille  prospérités.  Marguerite  de 
Valois  fut  haranguée  par  Mademoiselle  de  Flamy  en  Sibylle 
Erythrée  et  Monsieur  de  Lorraine  par  Madame  Glaude  de 
France  —  sept  ans  —  en  Sibylle  Libyque.  Enfin  la  Sibylle 
Phrygienne  parla  à  Catherine  de  Médicis  «  pour  Tenfant 
dont  elle  étoit  grosse  ^  » 

I.   Œuvres  poétiques  de  Mellin  de  Sainct-Gelais.  Lyon  i574,  p.  17. 

•2.  Vers  i55o.  Mellin  de  Saint-Gelais,  op.  cit.  —  V.  BeAuchamip,  Recherches 
sur  les  théâtres  —  Ballets,  Mascarades,  p.  2. 

3.  François,  duc  d'Alençon,  né  le  18  mars  i554.  La  mascarade  n'est  donc 
pas  de  i555. 


LES     ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU     BALLET  49 

La  mode  des  mascarades  de  ce  genre  fait  fureur  en  France 
à  partir  de  i55o^;  il  y  en  a  d'innombrables  chaque  année 
à  la  Cour,  les  unes  en  quelque  sorte  improvisées,  les 
autres  montées  avec  grand  apparat.  Des  Nymphes  des 
fontaines  souhaitent  la  bienvenue  à  Henri  II  à  son  arrivée 
à  Saint-Germain^,  les  Neuf  Muses  célèbrent  le  mariage  de 
Marie  Stuart  et  du  Dauphin  François^.  Deux  sirènes  à 
Fontainebleau,  nageant  sur  le  canal,  célèbrent  les  vertus 
naissantes  de  Charles  IX  et  lui  prédisent  un  règne  pros- 
père et  glorieux*.  Il  serait  aisé  de  multiplier  les  exemples 
en  extrayant  des  recueils  poétiques  du  temps  les  pièces 
de  circonstance  destinées  à  des  mascarades. 

Les  récits  étaient  parfois  d'une  forme  un  peu  plus 
compliquée.  Dans  la  grande  mascarade  de  Bar-le-Duc, 
en  i564,  les  quatre  Eléments  montés  sur  autant  de  chars 
magnifiques  s'adressaient  au  Roi.  La  Terre,  la  Mer,  l'Air 
et  le  Feu  se  vantaient  tour  à  tour  d'avoir  fait  de  lui  le 
plus  grand  roi  du  monde.  Les  quatre  planètes  :  le  Soleil, 
Mercure,  Saturne  et  Mars,  survenaient  alors  et  reven- 
diquaient, pour  leurs  influences  bienfaisantes,  un  tel 
honneur.  Jupiter  leur  imposait  silence  et  proclamait  que 

I.  Rappelons  à  ce  propos  les  vers  évocateurs  de  Ronsard  : 

«  Quand  voirrons-noiis  par  tout  Fontainebleau 

De  chambre  en  chambre  aller  les  Mascarades  ? 

Quand  voirrons-nous  le  matin  les  aubades 

De  divers  luths  mariez  a  la  voix, 

Et  les  cornets,  les  fifres,  les  hautbois 

Les  tabourins,  violons,  épineltes 

Sonner  ensemble  avecque  les  trompettes  ? 

Boccafie  Royal,  éd.  Blanchemain,  III,  384. 
1.  Le  11  décembre  i557.  Mellin  de  Saint-Gelais,  op.  cit. 

3.  Adieu  des  neuf  Muses  aux  rois,  princes  et  princesses  de  France  à  leur 
département  du  festin  nuptial  de  François  de  Valois...  par  Jean  de  la  Mai- 
son-Neuve (80)  p.  558. 

4.  Ronsard.  Les  Mascarades,  combats  et  cartels...  f.cs  sereines  représen- 
tées au  Canal  de  Fontainebleau.  ^ 

4 


5o  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

lui  seul  avait  ce  mis  en  ce  Roy  tant  de  vertus  parfaites*  ». 

A  côté  de  ces  spectacles  où  les  personnages  prenaient 
part  à  Faction  en  déclamant  et  en  chantant,  il  y  avait 
aussi  des  mascarades  de  palais  où  les  figurants,  après  avoir 
dansé,  se  bornaient  à  distribuer  aux  dames  de  l'assistance 
des  feuilles  volantes  sur  lesquelles  étaient  imprimés  des 
vers  sérieux  ou  burlesques,  obcènes  ou  galants,  qui  com- 
mentaient leurs  déguisements  ou  vantaient  la  beauté  des 
dames.  On  rencontre  ainsi  à  la  cour  des  Valois  des  mas- 
carades muettes  de  foulons^,  de  laboureurs,  de  sauvages. 
Les  vers  pour  les  personnages  de  la  mascarade  consti- 
tuent un  des  principaux  attraits  de  ces  divertissements, 
où  Ton  reconnaît  Forigine  des  ballets-mascarades  et  des 
ballets  à  entrées  dn  xv!!**  siècle.  Les  inventeurs  rivalisaient 
d'ingéniosité  dans  la  manière  de  faire  parvenir  à  l'assis- 
tance ces  petits  poèmes.  Par  une  attention  charmante,  ce 
sont  des  oisillons  lâchés  dans  la  salle  par  des  matassins 
qui,  en  i557,  vont  porter,  attachés  à  leurs  pattes,  de 
galants  compliments  aux  belles  spectatrices  ^ 

Sous  les  règnes  des  derniers  Valois,  les  intermèdes  à 
l'italienne  font  leur  apparition  sur  la  scène  française. 
Ronsard  et  ses  collaborateurs  Jodelle  et  Baif  semblent 
avoir  été  les  premiers  à  sacrifier  à  cette  mode  étrangère. 

Au  célèbre  carnaval  de  Fontainebleau,  en  i565\  Cathe- 
rine de  Médicis  fit  jouer  «  par  Madame  d'Angoulesme  et 

1 .  Il  concluait  ainsi  son  jugement  : 

«  J'auray  pour  moi  les  cieux  et  le  tonneri-e 
Et  pour  sa  part  ce  prince  aura  la  terre 
Ainsi  tous  deux  partirons  l'Univers.  » 

Ronsard,  op.  cit. 

1.  V.  Lestoile.  Journal,  édit.  Michaud,  p.  93. 

3.  Mellin  de  Saint-Gelais.   OEm'res  poétiques,  p.  119. 

4.  Cf.  l'article  de  Jacques  Madeleine  dans  La  Provincey  1901  (Sept.-Nov.), 
Le  Havre. 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU     BALLET  5l 

par  ses  plus  honnestes  et  belles  princesses,  et  dames  et 
filles  de  sa  court  »  une  «  comédie  sur  le  subject  de  la 
belle  Genièvre  de  TArioste*  ».  A  la  fin,  et  pour  conclure 
dignement  cette  représentation,  on  vit  paraître  FAmour, 
un  arc  à  la  main,  qui  chanta  son  pouvoir  en  des  strophes 
enflammées  \  Mais  le  char  triomphal  de  la  Charité  étant 
survenu,  il  fut  dépouillé  de  ses  armes  et  chargé  de  liens  ^ 
cependant  que  la  Charité  célébrait  sa  victoire  par  un  récit  : 

Pour  mon  trophée  en  ce  char  triomphant 
Pris  et  captif,  je  mène  cest  enfant, 
Qui  des  mortels  a  surmonté  la  gloire  *. 

Dès  lors  les  exemples  de  mascarades  théâtrales  et  d'in- 
termèdes se  multiplient.  En  i5G6,  le  jeune  Charles  IX  et 
sa  mère  s'étant  arrêtés,  dans  leur  voyage  à  travers  la 
France,  au  château  de  Gaillon,  y  furent  magnifiquement 
traités\  On  leur  donna  le  plaisir  d'une  pastorale,  intitulée 
les  Ombres^  de  Nicolas  Filleul  de  Rouen,  suivie  d'une  mas- 
carade où  paraissait  Pluton  qui  adressait  à  la  Reine  un 
compliment  dithyrambique^  : 

Combien  que  de  longtemps  j'ayme  ma  Proserpine 
Je  la  voulus  quitter  pour  ceste  Catherine 
Qui  de  tout  fUnivers  a  pillé  les  beautcz 
Et  qui  a  les  vertuz  toujours  à  ses  cotez. 

1.  Brantôme.  Dames  Galantes.  OEuvres,  t.  VII,  p.  370. 

2.  Le  recueil  des  Airs  de  Cour  mis  sur  le  luth  d'Adrien  Ballard,  i57i, 
nous  a  conservé  la  musique  de  ce  récit. 

3.  Ce  genre  de  mascarade  dérive  visiblement  des  fêtes  italiennes  du  genre 
de  celle  que  nous  avons  décrite  p.  19. 

4.  Ronsard.  Cartels  et  Mascarades.  Le  trophée  d'Amour  à  la  Comédie  de 
Fontainebleau.  —  Le  trophée  de  la  Charité  en  la  mesme  Comédie,  édit. 
Blanchcmain,  t.  IV,  p.  i3i  et  i32. 

5.  Los  fêtes  durèrent  du  26  au  29  septembre  i566. 

6.  f.es  théâtres  de  (maillon  à  la  Boyne  à  Rouen  chez  Georges  Loyselct 
i566  (Réserve  Ye,  426). 


Sa  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Nous  entendrons  des  couplets  semblables,  dans  les  bal- 
lets de  Cour  et  ensuite  dans  les  prologues  des  opéras,  à 
la  louange  des  Souverains  et  des  Grands. 

Sous  Tinfluence  de  l'Italie,  les  intermèdes  lyriques 
devinrent  vite  d'un  usage  habituel^  et,  en  1367,  Baïf,  en 
publiant  sa  pièce  le  Brave^^  ne  manque  pas  d'y  joindre 
((  les  chants  récitez  entre  les  actes  de  la  comédie^  ».  Il 
est  pourtant  assez  singulier  de  remarquer  que  les  danses 
figurées,  qui  jouent  un  si  grand  rôle  dans  le  théâtre  de 
Cour  en  Italie,  à  cette  époque,  n'y  paraissent  point  ou 
que  d'une  manière  tout  à  fait  effacée  ;  en  revanche  elles 
triomphent  dans  les  mascarades  de  Palais. 

La  conquête  du  Milanais  avait  eu  sur  la  danse  française 
une  répercussion  aussi  immédiate  qu'imprévue.  De  même 
que  Ferrare,  Mantoue  et  Florence  étaient  les  berceaux 
de  la  mascarade  et  de  la  pastorale  de  Cour,  Milan  était  en 
quelque  sorte  l'école  où  se  venaient  former  les  choré- 
graphes de  toute  l'Italie.  Vers  i55o,  le  célèbre  Pompeo  Dio- 
bono  y  enseignait  son  art  et  comptait  parmi  ses  nombreux 
élèves  le  futur  auteur  des  Grade  cC Âmore  :  Gesare  Negri*. 
En  i554,  Monseigneur  le  Maréchal  de  Brissac  qui  avait 
conquis  et  administrait  le  Piémont,  engagea  le  baladin  à 
passer  les  Alpes  et  l'emmena  avec  lui^  en  France.  Il  y  fut 

1.  En  i556,  au  château  de  Blois,  on  représenta  la  Sophonisbe  de  Mellin 
de  Saint-Gelais  avec  entremets  à  l'italienne.  V.  Lanson.  Revue  d'hist.  litt.  de 
la  France,  igoS,  p.  196-197. 

2.  P.  Toldo.  La  Comédie  française  de  la  Renaissance  [Revue  d'hist.  lit- 
tér.  de  la  France,  1897  (p.  366)  et  1898  (pp.  220  et  554). 

3.  Le  Brave,  Comédie...  i567  (ï»^éserve  Yf.  3902). 

4.  Sur  la  foi  d'une  note  du  baron  Piclion,  citée  par  M.  Picot  dans  sa  belle 
étude  sur  les  Italiens  en  France  au  XVI^  siècle,  y rï  affirmé  la  venue  à  Paris 
de  Cesare  Negri  en  i56o  [Année  Musicale,  191 1,  p.  298).  Je  dois  recon- 
naître que  dans  son  autobiographie,  Cesare  Negri  ne  fait  aucune  allusion  à 
ce  fait. 

5.  Cesare  Negri.  Gratte  d^Amore,  p.  3, 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  53 

le  bienvenu,  car  Henri  II  se  plaisait  à  la  danse  comme  à 
tous  les  exercices  physiques.  Comblé  d'honneurs  et  de 
présents,  Pompeo  Diobono  occupa  à  la  Cour  une  haute 
situation  sous  les  règnes  successifs  de  Henri  II,  Fran- 
çois II,  Charles  IX  et  Henri  III  qui  le  tinrent  tous  en  par- 
ticulière estime  ^ .  Virgilio  Bracesco '^  et  Ludovico  Palvello  ^, 
venus  eux  aussi  de  Milan  à  la  Cour  de  Henri  II,  ne  furent 
pas  moins  fêtés.  Un  peu  plus  tard,  Giovanni  Pietro  Gal- 
lino\  Gio.  Francesco  Giera,  Gio.  Paolo  Ernandès^et  Ber- 
nardo  TetoniMeur  succédèrent  dans  les  bonnes  grâces  des 
Souverains  de  France. 

La  présence  à  la  Cour  de  tous  ces  étrangers  durant  la 
seconde  moitié  du  x\f  siècle  explique  la  vogue  soudaine 
des  danses  figurées  italiennes,  jusque-là  inconnues  ou  du 
moins  peu  pratiquées  en  France.  Les  plus  caractéristiques 
étaient  alors  le  Brando  et  le  Balletto. 

Ces  danses  n'étaient  pas,  comme  les  Corrente  ou  les 
Gagliarde^  assujetties  à  des  formes  fixes.  Le  chorégraphe 
était  libre  d'inventer  sans  cesse  de  nouvelles  évolutions. 
Les  diverses  figures  se  succédaient  sur  des  airs  de  mou- 

1.  «  Ma  chi  potrebbe  creder  gl'honori,  che  gli  furono  fatti  et  i  gradi  che 
gli  furono  dati  nella  corte  del  Re  Enrico  Seconde,  che  pur  governatore  lo 
costilui  del  suo  secundo  figliuolo  Carlo  Duca  d'Orléans,  e  stipendii  gl'asse- 
gnô  di  ballerino  di  200  franchi  e  di  valletto  da  caméra  di  260  ?  Che  piu  : 
Havea  mille  franchi  ancora  di  pensione  e  160  per  lo  vestire  ;  ne  potrei  cosi 
tosto  annoverar  i  gran  presenti,  che  da  diversi  principi  furongli  in  poco 
tempo  fatti  »  Grade  d'Amore,  p.  4-  Un  acte  du  22  octobre  i56o  confirme  par- 
tiellement le  témoignage  de  Cesare  Negri  «  A  Pompée  Diebon,  millanois, 
balladin  et  vallet  de  chambre  de  Messeigneurs  d'Orléans  et  d'Angoulesme, 
25o  liv.  tournois,  »  .  ..Arch,  Nat.,  K.  K.   127,  p.  227. 

2.  Gratie  d'Amore,  p.  3  et  Jal.  Dictionnaire  Critique,  p.  97  (Série  d'actes 
d'archives  le  concernant). 

3.  De  i559  à  1572  (?)  Il  se  maria  en  i566.  Gratie  d'Amore,  p.  4. 

4.  Jal.,  p.  98  et  Archives  Curieuses  de  l'hist.  de  France  X,  4^7- 

5.  Gratie  d'Amore,  p.  3  et  4. 

6.  Il  se  maria  en  i582.  Arch.  Nat.  Y.  124  f^  i3o. 


54  LE  BALLET  DE  COLR  EN  FRANCE 

vements  variés  et  les  rythmes  binaires  et  ternaires  se  suc- 
cédaient selon  les  nécessités  delà  danse.  Le Brando  était 
un  véritable  ballet  théâtral.  Comme  la  Moresca^  il  ne  se 
dansait  guère  en  société*.  Au  contraire,  les  diverses  sortes 
deBalli  et  de  Balletti  —  équivalents  des  contredanses  du 
xviif  siècle  et  de  nos  quadrilles  —  faisaient  fureur  dans 
les  salons.  Vers  le  milieu  du  xv!""  siècle,  les  noms  se  con- 
fondirent et  les  Français  baptisèrent  Z/a//^/5  sans  distinc- 
tion les  Balli^  les  Brandi  et  les  Balletti. 

Catherine  de  Médicis  aimait  la  danse  «  où  elle  avoit  très 
belle  grâce  et  majesté^  »,  elle  se  mêlait  même  d'inventer 
des  pas  de  ballets  et  d'imaginer  de  nouvelles  figures  ^  Avec 
une  si  puissante  protection  et  le  concours  des  meilleurs 
chorégraphes  de  l'Italie,  les  ballets  ne  pouvaient  manquer 
de  conquérir  une  place  d'honneur  dans  les  divertissements 
de  la  Cour.  Au  reste  on  a  bien  l'impression,  en  lisant  des 
descriptions  de  ces  danses  de  Nymphes,  d'Amazones  et 
de  Sirènes,  vêtues  de  toile  d'or  et  d'argent,  d'assister  à 
la  floraison  d'un  genre  étranger.  Non  seulement  les  maîtres 
de  ballets  viennent  du  Milanais,  mais  les  figurantes  sont 
presque  invariablement  les  filles  d'honneur  de  la  Reine, 
italiennes  pour  la  plupart*,  et  les  violons  qui  sonnent  ces 
danses  sont  piémontais\ 

1.  Castiglione  dans  son  Cortegiano  (i53i)  déclare  :  «  Benchè  in  caméra 
privatamente,  corne  or  noi  ci  troviamo,  penso  che  licito  gli  sia  e  queslo,  e 
ballar  moresche  e  brandi  ;  ma  in  publico  non  cosi  »,  t.  II,  p.  73. 

2.  Brantôme,  S.  H.  F.,  t.  VII,  346. 

3.  «  Elle  inventoil  tousjours  quelques  nouvelles  dances  ou  quelques  beaux 
ballets  »  ihid.,  p.  346. 

4.  V  Picot.  Les  Italiens  en  France  au  A'F/°  siècle,  Bull.  ital.  de  la  Faculté 
des  lettres  de  Bordeaux,  t.  IV,  p.  3 10  et  suiv. 

5.  Le  maréchal  de  Brissac  qui,  en  i554,  envoyait  à  la  Cour  de  France  le 
baladin  Pompeo  Diobono,  fit  également  présent  à  la  Reine  vers  le  même 
temps  d'une  bande  de  violonistes  «  très  exquise  »,  conduite  par  le  fameux 
Balthazar  de  Beaujoyeux. 


LES    ELEMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  55 

Le  plus  célèbre  des  ballets  dansés  à  la  Cour  sous  le 
règne  de  Charles  IX  est  sans  doute  celui  dont  Catherine 
de  Médicis  fit  les  honneurs  aux  ambassadeurs  polonais, 
en  1573  \  Il  empruntait  à  la  mascarade  de  Cour  son  appa- 
reil ordinaire,  comme  on  en  peut  juger  par  la  minutieuse 
description  que  nous  en  a  laissé  Brantôme  ^  La  Reine, 
après  avoir  festiné  fort  superbement  les  Polonais  aux  Tui- 
leries, leur  représenta  ((  dans  une grand'sallefaicteà'poste^ 
et  toute  entournée  d'une  infinité  de  flambeaux  »  «  le  plus 
beau  ballet  qui  fust  jamais  faict  au  monde...  lequel  fust 
composé  de  seize  dames  et  damoiselles  des  plus  belles  et 
des  mieux  apprises  des  siennes,  qui  comparurent  dans  un 
grand  roch  tout  argenté,  où  elles  estoient  assises  dans 
des  niches  en  forme  de  nuées  de  tous  costez*.  Ces  seize 
dames  représentoient  les  seize  provinces  de  la  France, 
avecques  une  musique  la  plus  mélodieuse  qu'on  eust 
sceu  voir*  ;  et  après  avoir  faict  dans  ce  roch  le  tour  de  la 
salle  par  parade  comme  dans  un  camp%  et  après  s'estre 
bien  faict  voir  ainsi,  elles  vindrent  toutes  à  descendre  de 
ce  roch  et  s'estant  mises  en  forme  d'un  petit  bataillon 
bizarrement  invanté,  les  violons  montans  jusques  à  une 

1.  Le  19  août.  V.  planche  II. 

2.  Œuvres,  VII,  371-372. 

3.  D'Aubigné  affirme  que  «  la  Roine  avoit  fait  couper  un  bois  de  haute 
fuslaye  »  pour  y  dresser  le  «  pavillon  d'excessive  grandeur  »  où  se  donna  la 
fête.  Hist.  Univ.,  1626,  t.  I,  p.  665. 

4.  On  trouvera  une  description  très  détaillée  de  la  mise  en  scène  dans  la 
plaquette  composée  par  Daurat  à  cette  occasion  :  «  Magnificentissimi  spec- 
taculi,  a  regina,  regum  maire  in  hortis  suhurbanis  editi,  in  Ilenrici  Régis 
Poloniae  invictissinii  nuper  renitnciati  gratulationem,  descripiio...  (Rés.  m. 
Yc.  748). 

5.  Chaque  nymphe  fit  un  long  récit  comme  on  peut  voir  dans  la  description 
de  Daurat.  D'Aubigné  prétend  que  les  vers  étaient  «  bien  chantez  et  mal 
composez  ». 

6.  Tellement  on  était  habitué  à  voir  les  chars  de  mascarades  associés  aux 
tournois  ! 


56  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

trentaine,  sonnans  quasy  un  air  de  guerre  fort  plaisant*, 
elles  vindrent  marcher  soubs  l'air  de  ces  violons,  et  par 
une  belle  cadance  sans  en  sortir  jamais,  s'approcher  et 
s'arrester  devant  Leur  Maj estez,  et  puis  après  danser  leur 
ballet  si  bizarrement^  invanté,  et  par  tant  de  tours,  con- 
tours et  destours,  d'entrelasseures  etmeslanges,  affronte- 
ments et  arrests,  qu'aucune  dame  jamais  ne  faillit  de  se 

trouver  à  son  poinct,  ny  à  son  rang Et  dura  ce  ballet 

bizarre  pour  le  moins  une  heure  %  lequel  estant  achevé, 
toutes  ces  dames  vindrent  à  présenter  au  roy,  à  la  reyne, 
au  roy  de  Polongne,  à  Monsieur  son  frère  et  aux  roy  et 
reyne  de  Navarre,  et  autres  Grands  et  de  France  et  de 

Polongne,  chacune  à  chacun  une  placque  toute  d'or, 

bien  esmaillé  et  gentiment  en  œuvre,  où  estoient  gra- 
vez les  fruicts  et  les  singularitez  de  chasque  province*  ». 
On  ne  saurait  se  méprendre,  en  lisant  cette  relation,  sur 
le  caractère  réel  de  cette  fête.  Elle  marque,  non,  comme 
on  l'a  dit,  l'avènement  du  ballet  de  Cour,  mais  plus  modes- 
tement la  vogue  et  le  triomphe  en  France  de  la  danse 
figurée.  Le  ballet  des  Polonais  ne  nous  apprend  vraiment 
rien  de  nouveau.  Nous  connaissons  déjà  les  chars  en  forme 
de  montagne,  les  nuées  en  gaze  d'argent,  les  récits  chan- 
tés par  des  nymphes  et  les  figures  de  ballet.  Le  ballet 


I.  Ou  trouve  dans  le  premier  mouvement  de  la  plupart  des  entrées  de  bal- 
lets un  rythme  de  marche  à  deux  temps  très  guerrier. 

a.  L'épithète  bizarre  vient  naturellement  à  la  plume  des  chroniqueurs 
quand  ils  parlent  de  ballets.  Le  mot  est  pris  par  eux  dans  le  sens  d'ingé- 
nieux, d'original. 

3.  D'Aubigné  ajoute  ces  détails  intéressants  :  «  Les  Nymphes  descendirent 
pour  danser  un  ballet  deux  fois  premièrement  masquées  et  puis  sans  masque... 
Les  Polonais  admirèrent  les  confusions  bien  desmelées,  les  chiffres  bien  for- 
mez du  ballet,  les  musiques  différentes  et  dirent  que  le  bal  de  France  estoit 
chose  impossible  à  contrefaire  à  tous  les  Rois  de  la  terre.  » 

4.  On  en  trouve  la  description  dans  l'ouvrage  de  Daurat. 


LES    ÉLÉMENTS    CONSTITUTIFS    DU    BALLET  57 

comique  de  la  Reine  sera  au  contraire  une  invention  ori- 
ginale. Certes  les  grandes  joutes-mascarades,  organisées 
par  les  futurs  créateurs  du  ballet  dramatique,  peuvent 
expliquer  et  faire  prévoir  sa  venue  prochaine,  comme  les 
premiers  essais  des  musicien  de  la  Gamerata  Bardi  annon- 
cent X Euridice ^  mais  la  Circé  est  le  premier  ballet  de 
Cour  où  se  manifeste  une  intention  théâtrale  ;  où  l'on 
trouve  une  intrigue,  certes  fort  vague,  mais  suivie  néan- 
moins ;  où  les  diverses  entrées,  les  récits,  les  chants, 
les  danses  concourent  également  à  l'action  dramatique. 
Gomme  nous  le  verrons  à  l'analyse,  tous  les  matériaux 
dont  est  construit  le  Ballet  comique  se  retrouvent  dans 
les  Mascarades,  les  Intermèdes,  les  Joutes,  mais  le  plan 
en  est  entièrement  nouveau.  On  y  sent  une  volonté  créa- 
trice qui  ordonne  de  son  mieux  les  éléments  disparates 
empruntés  aux  fêtes  antérieures.  Nous  verrons  que  si 
l'on  ne  peut  attribuer  aux  poètes  humanistes  de  la  Gour, 
et  en  particulier  à  Jean  Antoine  de  Baïf,  la  création  du 
ballet  dramatique,  c'est  néanmoins  à  leur  influence  et  à 
leurs  théories  sur  le  théâtre  et  la  danse  de  l'Antiquité 
qu'il  faut  en  faire  revenir  l'honneur. 


CHAPITRE  II 

L'INVENTION  DU  BALLET  DE   COUR 


I.  —  Idées  de  la  Pléiade  sur  la  musique.  —  L'Académie  de  Baïf.  — 
Les  danses  mesurées. 

II.  —  Participation  des  poètes  humanistes  aux  fêtes  de  la  Cour.  — 
Mascarade  duduc  de  Longueville  (i565).  — Le  Paradis  d^  Amour  (iT^'j'i). 
—  Baltazarini,  interprète  des  idées  de  Baïf. 

III.  —  Influence  de  l'Italie  sur  les  fêtes  françaises  au  xvi*  siècle.  —  La 
Pastorale  dramatique.  —  Comédies  à  intermèdes  représentées  par 
les  Gelosi. 

IV.  —  Le  Ballet  comique  de  la  Reine.  —  Caractère  humaniste  de  la 
tentative  de  Beaujoyeulx.  —  Les  collaborateurs  :  La  Chesnaye, 
Beaulieu  et  Salmon,  Jacques  Patin. 

V.  —  La  Représentation  du  i5  octobre  i58i. 

VI.  —  Les  Imitations.  —  Ballets  à  récits  déclamés  de  la  fin  du 
XVI®  siècle.  —  Le  Ballet  de  Cour,  importé  en  Angleterre,  y  devient 
un  genre  littéraire. 


1 

Le  triomphe  de  la  Pléiade  eut  pour  conséquence  une 
véritable  révolution  musicale.  Jusque  vers  i55o,  la  poésie 
et  la  musique  ne  se  prêtaient  point  un  appui  réciproque. 
Janequin  n'accordait  aucune  attention  à  la  qualité  des 
vers  qu'il  prenait  pour  prétexte  de  ses  compositions.  Il 
brossait  le  plus  souvent  ses  vastes  fresques  sonores  au 
moyen  de  vocalises  et  d'onomatopées.  De  son  côté,  un 
poète  comme  Clément  Marot,  bien  que  faisant  grand  cas 


L  INVENTION    DU    BALLET    DE    COUR  5g 

de  la  musique,  se  préoccupait  fort  peu  de  «  marier  ses 
vers  aux  accords  du  luth  »  \ 

Konsard  et  les  poètes  de  sa  génération  sont  d'un  tout 
autre  avis,  ils  appellent  la  musique  «  la  sœur  puisnée  de 
la  poésie  »  et  affirment  que  sans  elle  la  poésie  est 
((  presque  sans  grâce,  comme  la  musique  sans  la  mélodie 
des  vers,  inanimée  et  sans  \ie\  »  Jodelle  résume  en  deux 
vers  toute  cette  esthétique  : 

Mesme  l'air  des  beaux  chantz  inspirez  dans  les  vers 
Est,  comme  en  un  beau  corps,  une  belle  âme  infuse^ . 

En  proclamant  ainsi  la  nécessité  d'animer  la  poésie 
par  la  musique,  les  poètes  de  la  Pléiade  préparent  incons- 
ciemment la  ruine  de  l'art  madrigalesque.  Hantés  par 
cette  idée  que  les  vers  doivent  être  chantés  sur  la  lyre 
à  la  manière  antique,  ils  encouragent  les  essais  de  mo- 
nodie.  L'Air  de  Cour  et  le  Récit  vont  sortir  de  ces  tenta- 
tives. 

Il  semble  que  des  musiciens  de  second  ordre,  luthistes 
et  maîtres  à  chanter,  aient  joué  dans  cette  révolution  un 
rôle  beaucoup  plus  actif  que  les  illustres  compositeurs 
du  temps.  On  sent  pourtant  chez  quelques-uns  de  ces 
derniers,  chez  Roland  de  Lassus,  par  exemple,  ou  chez 
Gosteley,  qui  furent  en  rapport  direct  avec  les  poètes  de 
la  Pléiade^  le  désir  de  faire  entendre  distinctement  les 
paroles,  de  disloquer  le  moins  possible  les  phrases  et  les 
mots.  L'habitude  se  répand  de  chanter  à  voix  seule  les 
madrigaux,  en  réduisant  les  parties  sur  le  luth.  Les  Airs 

1.  V.  Auge  Chiquel.    La   Vie,   les  Idées  et  VOEuvre  d'Antoine  de  Baif. 
Paris,  1909,  in-8'', 

2.  Binet.    Vie  de  Ronsard  dans  les  OEuvres.  Paris  1697,  t.  IX,  p.  177. 

3.  Œuvres,  édit.  Marty-Laveaux,  II,  191. 


6()  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

de  Cour^  publiés  en  1571  par  Adrien  Le  Roy  \  attestent  la 
vogue  de  ces  arrangements  et  Thabileté  des  luthistes  à 
mettre  en  valeur  les  poésies  de  Ronsard  ou  de  Desportes. 
Mais  on  avait  composé  durant  trop  de  siècles  sans  tenir 
compte  des  lois  de  la  prosodie  pour  pouvoir  brusque- 
ment s'y  assujettir.  La  plupart  des  musiciens  de  la 
seconde  moitié  du  xvi®  siècle  sont  persuadés  qu'ils  ont 
observé  le  rythmique  des  vers  quand  ils  ont  placé  une 
note  sous  chaque  syllabe.  Fabrice  Gajetan  compose  bra- 
vement un  air  ce  pour  chanter  tous  sonets  ^  »  et  n'a  aucun 
soupçon  de  l'hérésie  qu'il  commet. 

Il  était  indispensable  de  faire  l'éducation  des  musi- 
ciens et  du  public,  si  Ton  voulait  le  triomphe  durable 
des  idées  nouvelles.  C'est  à  cet  effet  que  Baïf  fonda,  en 
1571,  avec  le  compositeur  Thibaut  de  Gourville,  \  Aca- 
démie de  musique  et  de  poésie.  Cette  institution  ayant 
été  déjà  l'objet  de  plusieurs  études  approfondies^,  nous 
n'avons  pas  ici  à  en  retracer  l'histoire,  mais  à  signaler 
l'influence  des  doctrines  qui  y  furent  enseignées  sur 
l'esthétique  musicale  et  chorégraphique  de  la  Renais- 
sance. 

Baïf,  en  créant  l'Académie  désirait  accomplir  par  la 
pratique  des  vers  mesurés  une  réforme  à  la  fois  musi- 
cale et  littéraire.  Plusieurs  poètes,  tant  italiens  que 
français,  avaient  eu  déjà  l'idée  d'appliquer  aux  vers 
qu'ils  composaient  les  lois  de  la  métrique  latine  et 
grecque,  mais  aucun  ne  s'était  encore  proposé  de  réali- 


I.  Bibl.  Roy.  de  Bruxelles.  Fonds  Fétis,  n^  2379. 

a.  Airs  mis  en  musique  à  4  parties  sur  les  poésies  de  P.  de  Ronsard  et 
autres  excelens  poètes.  Paris,  iSyS  (Bruxelles,  fonds.  Fétis,  23i3). 

3.  V.  Fremy.  Académies  des  derniers  Valois.  Romain  Rolland.  L'Opéra 
en  Europe,  p.  240  et  »uiv.  et  surtout  Auge  Chiquet,  op.  cit.,  chap.  x. 


L INVENTION    DU     BALLET    DE     COUR  OI 

ser  par  ce  moyen  l'idéale  union  de  la  poésie  et  de  la 
musique  qu'avaient  connue  les  Anciens  \ 

Ce  fut,  nous  dit  Baïf,  le  musicien  Thibault  de  Courville 
((  Maistre  de  l'art  de  bien  chanter  »  qui  lui  fit  : 

pour  l'art  de  Musique 

Réformer  à  la  mode  antique, 
Les  vers  mesurez  inventer  ^. 

Deux  autres  compositeurs  vinrent  bientôt  seconder  les 
efforts  de  Baïf  et  de  Thibault  : 

An  la  dans'apres  é  du  For  é  Klôdin 

Ozéret  antrér. 
For,  ki  son  dgs  lut  maniét  savanment, 
Klôdin,  ô  bel  art  de  la  Musik'  instruit. 
Ont  d'accors  çoezis  onoré  de  se-vers 

Lez  mezurés  çans^. 

Des  trois  musiciens  qui  collaborèrent  dès  le  début  avec 
Baïf,  nous  ne  connaissons  bien  que  Claude  Lejeune.  Thi- 
bault de  Courville*  était  un  excellent  chanteur  au  luth, 
un  maître  de  musique  comme  on  en  rencontre  à  l'origine 
de  la  plupart  des  réformes  mélodramatiques.  Avec  moins 
d'ampleur,  il  fut  le  Giulio  Caccini  du  cénacle  de  Baïf, 
chantant  des  vers  français  en  observant  la  quantité  des 
syllabes  et  en  les  accompagnant  d'accords  délicats  sur  la 
lyre^  On  en  peut  dire  autant  de  Jacques  du  Faur  qui  ne 

I.  Paul-Marie  Masson  :   L'humanisme  musical  en  France  au  XVI^  siècle 
(deux  articles  dans  le  Mercure  Musical,  en  1907). 
a.  OEuvres.  Marty-Laveaux,  II,  46. 

3.  Mersenne,  Quaestiones  celeherrimae  in  Genesim,  Lutetiae.  Cramoisy, 
MDCXXIII  (in  f«>),  p.  1686.  —  B.  N.  A.|ia47. 

4.  M.  Auge  Chiquet  place  le  début  de  la  collaboration  de  Thibault  et  de 
Baif  au  milieu  de  l'année  i567  i^f-  dt-i  P-  4oo). 

5.  Le  6  octobre  1572,  Charles  IX  lui  fait  don  d'une  somme  de  laS  livres 


62  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

put  rendre  de  longs  services  à  Y  Académie  puisqu'il 
quitta  Paris,  en  i573,  pour  se  retirer  en  province  et  ravir 
de  son  luth  «  le  bal  des  Garonnides  sœurs.  ^  »  Si  la  mu- 
sique mesurée  à  l'Antique  n'avait  eu  d'autres  interprètes 
que  ces  deux  artistes,  elle  eut  expiré  après  avoir  charmé 
les  oreilles  de  quelques  humanistes.  Nous  la  connaîtrions 
seulement  par  les  rares  pièces  qui  nous  ont  été  conser- 
vées de  Thibault  ^  Mais,  par  bonheur,  le  grand  musicien 
Claude  Lejeune^  s'enthousiasma  pour  l'idée  de  Baïf  et 
mit  son  génie  au  service  de  cette  cause.  Ses  Psaumes 
et  son  Printemps  montrèrent  aux  musiciens  tout  le  parti 
qu'ils  pouvaient  tirer  de  cette  idée.  Jacques  Mauduit*  ne 
tarda  pas  à  suivre  l'exemple  de  Lejeune  et  composa  sur 
des  vers  de  Baïf  ses  délicieuses  chansonnettes  m^esurées. 
A  dire  vrai,  ni  Glaudin,  ni  Mauduit  n'eurent  de  disciples 
fidèles  ;  pourtant  leurs  efforts  ne  furent  pas  stériles. 
A  leur  école,  les  musiciens  apprirent  à  respecter  les  lois 
de  la  prosodie  et  à  forger  la  mélodie  sur  le  rythme  du 


tournois  «  A  Joachira  Thibault  dict  Corville,  joueur  de  lire  dudict  sei- 
gneur »...  «  pour  luy  donner  moyen  de  parachever  la  composition  de  musique 
par  luy  commencée,  pour  chanter  à  plusieurs  voix  des  vers  en  rhitme  et 
musicque,  qui  se  réciteront  sur  la  lire  et  le  luth  »  (Cimber  et  Daujou. 
Arch.  curieuses,  t.  VIII,  p.  355).  —  Thibault  mourut  non  comme  le  veut  Mer- 
senne  vers  1571,  mais  entre  i58o  et  i585.  V.  Michel  Brenet.  Jacques  Mau- 
duit. Musiciens  .de  la  Vieille  France,  p.  214. 

1.  Jacques  Du  Faur,  de  la  branche  cadette  des  seigneurs  de  Saint-Jory. 
Cf.  S.  Macary.  Généalogie  de  la  maison  du  Faur.  Toulouse,  D'Ecos,  1907, 
(in-40). 

2.  Trois  airs  de  Cour  du  recueil  de  Bataille  (F^  livre,  1614,  p.  5i,  55,67). 
—  Deux  chansonnettes  et  un  reça«<  du  recueil  de  Marin  (p.  17,  18,  19). 

3.  La  vie  de  Claude  Lejeune  est  mal  connue.  Il  naquit  à  Valenciennes 
entre  i520  et  i53o  et  mourut  en  1600.  Il  fut  enseveli,  le  26  septembre  1600, 
dans  le  cimetière  protestant  de  la  Trinité,  rue  Saint-Denis  (V.  Douen,  Clé- 
ment Marot  et  le  psautier  huguenot,  II,  66).  Le  père  Mersenne  a  rapporté 
plusieurs  anecdotes  curieuses  sur  ce  grand  musicien. 

4.  Sur  Jacques  Mauduit,  V.  la  belle  étude  de  Michel  Brenet.  Musique  et 
Musiciens  de  la  Vieille  France,  p.  198  et  suiv. 


l'invention     du     liALLET    DE    COUR  63 

vers.  L'Air  de  Cour  fut,  pour  une  grande  part,  le  fruit 
de  leurs  peines.  Ils  rendirent  possible  la  création  du 
récit  dramatique,  première  ébauche  du  récitatif  français 
auquel  Lully  devait  donner  sa  forme  parfaite  près  d'un 
siècle  plus  tard. 

A  Paris  comme  à  Florence,  poètes,  musiciens,  huma- 
nistes se  préoccupaient  de  retrouver  le  secret  de  la  mélo- 
pée antique.  Mais  tandis  que  les  italiens,  en  hommes  de 
théâtre,  cherchaient  un  nouveau  mode  de  déclamation 
lyrique  qui  leur  permît  de  chanter  des  tragédies  sur  la 
scène,  les  réformateurs  français  ne  songeaient  qu'à  con- 
former strictement  la  musique  aux  exigences  de  la  pro- 
sodie, sans  tenir  compte  de  Taccent  pathétique.  C'est 
pourquoi  une  nouvelle  forme  mélodramatique  ne  pou- 
vait sortir  de  l'application  rigoureuse  de  ces  idées  d'hu- 
manistes K 

Baïf  et  ses  collaborateurs  songeaient  à  faire  repré- 
senter une  pièce  en  vers  mesurés  à  la  mode  antique, 
lorsque  les  guerres  de  religion  éclatèrent  et  empêchèrent 
la  réalisation  de  ce  projet \  Faut-il  vraiment  le  déplo- 
rer? Un  tel  spectacle  eût  réjoui  le  cœur  de  quelques 
doctes  poètes,  mais  n'eût  certainement  pas  eu  de  lende- 
main. Au  contraire  les  idées  de  V Académie^  interprétées 
et  mises  en  pratique  par  des  musiciens  et  des  choré- 
graphes affranchis  de  préjugés  pédantesques  et  plus  sou- 
cieux de  créer  une    œuvre  vivante  que   de   procéder  à 

1.  M.  Auge  Ghiquct,  dans  la  conclusion  de  sou  beau  livre  sur  Bail',  a  bien 
mis  en  lumière  cette  impuissance  de  l'humanisme  à  créer  des  œuvres 
vivantes  :     * 

«  Qu'a-t-il  servi  à  Baif  d'être  aussi  docte  que  Dorât,  plus  fécond  que  Ron- 
sard, plus  riche  d'invention  et  plus  hardi  en  ses  initiatives  que  tout  le  reste 
de  la  Pléiade?  Sa  science  lui  devint  funeste...  en  sorte  que  l'effort  entier  de 
cette  vie  si  active  et  si  pleine  semble  frappé  de  stérilité  »  (p.  587). 

2.  Sauvai.  Antiquités  de  la  Ville  de  Paris,  t.  II,  p.  49a. 


64  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

une  reconstitution  historique,  provoquèrent  l'invention 
du  Ballet  de  Cour. 

Baïf  était  un  esprit  trop  curieux  de  nouveauté  pour  ne 
pas  s'intéresser  aux  inventions  des  chorégraphes  ita- 
liens. Il  comprit  vite  le  parti  qu'on  pouvait  tirer  des 
danses  figurées.  Hanté  par  le  souvenir  des  spectacles  de 
l'antiquité,  il  se  remémora  ce  qu'il  avait  lu  touchant  les 
chœurs  tragiques  et  leurs  évolutions  dans  Torchestre. 
Bientôt  se  précisa  dans  son  esprit  un  plan  de  réforme 
chorégraphique,  complément  nécessaire  de  la  révolution 
poético-musicale  qu'il  avait  entreprise. 

Pour  comprendre  en  quoi  consistait  la  danse  mesurée 
de  Baïf,  il  est  indispensable  de  rappeler  brièvement  les 
règles  qui  présidaient  à  la  composition  de  la  musique 
mesurée  à  l'antique.  La  théorie  en  est  fort  simple  :  les 
vers  ayant  été  scandés  suivant  un  mètre  grec  ou  latin, 
le  compositeur  fait  épouser  à  la  mélodie  le  rythme  du 
vers.  Par  exemple  le  mètre  choriambique 

—  \j^  —  \j  —  \j  — 

reçoit  pour  traduction  musicale  le  rythme  : 

JJJJJJJJ 

ce  qui  donne  sous  la  plume  de  Mauduit  ^  l'air  : 


Ul 


Vous  me  lu-ei      si  dou  -  ce-tncnt 

Le  musicien  restait  libre  de  donner  à  sa  composition 
la  ligne  mélodique  et  les  harmonies  c[ui  lui  plaisaient, 
mais  il  devait  se  conformer  rigoureusement  aux  indica- 
tions métriques  du  vers. 

I.   Chansonnettes  mesurées,  cdit.  Expert,  p,  2. 


PI.    A. 


«    LA    LIBERAZIONE    DI    TIRRENO    )) 
Ballet    dansé    à    Florence    le    G    février    iGi 
(Kstampe  de  Jacques  Cal  lot.) 


L  INVENTION  DU  BALLET  DE  COUR  65 

La  danse  obéira  aux  mêmes  principes.  Déjà  tout  natu- 
rellement les  danseurs  ne  mettent-ils  pas  en  rapport  leurs 
pas  avec  la  cadence  des  instruments?  Le  rythme  de  la 
Gaillarde  composé  de  six  notes  de  valeur  égale  : 

JJJJ-J 

ne  se  traduit-il  pas  tout  simplement  par  quatre  pas 
d'égale  durée,  un  saut  coïncidant  avec  la  pause  et  une 
posture  sur  la  dernière  note*  ?  Et  n'en  va-t-il  pas  de 
même  pour  toutes  les  danses,  qu'elles  soient  jouées  sur 
les  instruments  ou  chantées  par  les  voix?  En  partant  de 
ce  principe  élémentaire  :  l'équivalence  de  la  durée  des 
pas  et  des  notes,  Baïf  concluait  à  la  possibilité  de  tra- 
duire plastiquement  les  rythmes  les  plus  variés  de  la 
métrique  grecque  et  de  mettre  en  harmonie  les  gestes 
et  les  pas  des  danseurs  avec  les  chœurs  qu'ils  chante- 
raient ^  Ainsi  serait  réalisée  cette  admirable  union  de  la 
poésie,  de  la  musique  et  de  la  danse,  qu'avaient  autre- 
fois pratiquée  les  Grecs  dans  leurs  tragédies. 

Ce  n'était  point  là  pour  le  poète  une  utopie  destinée  à 
demeurer  dans  le  royaume  des  songes;  nous  en  avons 
la  preuve  dans  une  pièce  de  vers,  datée  du  i^*"  février  1571, 
où  Baïf  rend  compte  au  Roi  des  travaux  de  la  naissante 
Académie  : 

Après  je  vous  disoy  comment  je  renouvelle 
Non  seulement  des  Vieux  la  gentillesse  belle 
Aux  chansons  et  aux  vers  :  mais  que  je  remettoys 
En  usage  leur  dance  :  et  comme  j'en  estoys 

I.  Thoinot-Arbeau.  Orchesographie,  édit.  Laure  Fonta,  p.  53. 

a.  Mersenne  obsei^'e  que  les  baladins  usent  des  «  raesmes  pieds  qu'Ana- 
créon,  Pindare,  Tiiéocrite  et  les  autres  poètes,  encore  quils  ne  suivent  autre 
chose  que  leur  génie  et  qu'ils  n'en  ayent  point  ouï  parler  ».  Harmonie  Uni- 
verselle, yV>  livre,  4"  part.,  p.  Sgi. 

5 


66  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Encores  en  propos  vous  contant  Tentreprise 

D'un  ballet  que  dressions,  dont  la  démarche  est  mise 

Selon  que  va  marchant  pas  à  pas  la  chanson 

Et  le  parler  suivi  d'une  propre  façon  *. 

En  1573,  il  traçait  au  duc  d'Alençon  un  tableau  sédui- 
sant du  théâtre  des  Anciens  : 

Car  leurs  vers  avoyent  la  mesure 
Qui  d'une  plaisante  bature 
Frapoit  l'oreille  des  oïans 
Et  des  chores  la  belle  dance, 
En  chantant,  gardoit  la  cadance, 
Au  son  des  hauboys  s'égayans^. 

«  Les  hommes  du  siècle  barbare  »  ont  hélas!  détruit 
cette  merveilleuse  harmonie,  mais  lui,  Baïf,  et  ses  colla- 
borateurs de  TAcadémie,  ne  désespèrent  pas  de  la 
remettre  en  honneur. 

«  Nous  avons  la  musique  preste  : 
Que  Tibaud  et  le  Jeune  apreste, 
Qui  leur  labeur  ne  déniront  : 
Quand  mon  Roy  bénin  et  sa  Mère 
Et  ses  frères,  d'un  bon  salere 
Nos  beaux  désirs  enhardiront.  » 

Cette  idée  de  ballet  accommodé  aux  rythmes  variés  de 
la  métrique  grecque  était  elle  absolument  nouvelle  et 
originale?  Baïf  le  premier  lavait-il  conçue  ou  bien  ne 
l'avait-il  pas  empruntée  à  quelqu'un  des  grands  choré- 
graphes italiens  qui  vivaient  à  la  Cour  de  France?  La 
question  se  pose,  car  on  trouve  dans  les  traités  de  danse 
publiés  par  Fabritio  Caroso,  dans  les  dernières  années  du 

1.  OEuvres,  édit.  Marty-Laveaux,  II,  23o. 

2.  OEiivres,   III,  2. 


L  INVENTION  DU  BALLET  DE  COUR  67 

xvf  siècle,  comme  un  reflet  des  théories  de  l'Académie. 
Il  y  est  sans  cesse  parlé  de  la  manière  de  traduire  choré- 
graphiquement  le  dactyle,  le  spondée^  et  les  diverses 
combinaisons  métriques  de  l'Antiquité.  Garosonous  donne 
la  description  d'un  Ballo  delFiore^  mesuré  en  dactyles  et 
spondées,  et  même  d'un  contrapasso  fatto  com^eramathe- 
matica  sopra  i  i^ersi  d'Oi>idw\  mais,  il  faut  l'avouer,  ce 
sont  là  des  termes  pédantesques  qui  ne  répondent  à 
aucune  réalité.  Si  l'on  jette  les  yeux  sur  la  musique,  on 
est  surpris  de  la  trouver  fort  banale  et  rythmée  de  la 
manière  la  plus  plate  du  monde  \  Les  danses  décrites 
au  moyen  de  cette  phraséologie  compliquée  sont  de 
simples  contredanses  de  salon  qui  n'ont  avec  les  évolu- 
tions choriques  rêvées  par  Baïf  que  de  lointains  rap- 
ports. 

On  peut  donc  se  demander  si  le  traité  de  Caroso  enre- 
gistre en  les  défigurant  les  innovations  de  Baïf,  ou  si 
celui-ci  n'a  pas  été  mis  sur  la  voie  par  les  baladins  ita- 
liens qu'il  entendait  parler  de  dactyles,  de  spondées  et 
de  «  saphiques  »  pour  désigner  certaines  successions  de 
pas. 

Quoiqu'il  en  soit,  il  paraît  évident  que  des  maîtres  de 
ballets  italiens  durent  collaborer  à  la  réforme  de  Baïf. 
Nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  parler  du  fameux  Pom- 
peo  Diobono  et  de  Virgilio  Bracesco,  tous  deux  chéris  de 
Charles  IX.  Il  semble  difficile  qu'ils  n'aient  pas  fréquenté 


I.  Caroso.  Nohiltà  di  Dame.  In  Venetia  MDC  —  B.  Nat.  Réserve  m.  V.  8a. 
—  p.  59.  Del  Uattile,  corne  si  faccia  e  donde  sia  derivato  —  p.  60  et  suiv. 
Del  modo  da  far  Jo  Spondeo,  il  Saffice,  il  Destice,  il  Corinto,  etc. 

u.  Ihid.,  pp.  3 14  et  342. 

3.  Il  est  facile  de  s'en  assurer  en  jetant  les  yeux  sur  l'édition  qu'en  a  don- 
née M.  Oscar  Chilcsotti  sous  le  titre  Danze  delSecolo  XVI,  t.  I  delà  Bihlio- 
teca  di  Rariià  miisicali,  chez  Ricordi. 


68  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

V Acadéjiiie  où  s'élaborait  une  si  importante  réforme  de 
leur  art,  surtout  si  l'on  songe  qu'à  plusieurs  reprises  ils 
avaient  eu  à  régler  leurs  ballets  et  leurs  mascarades  sur 
les  indications  de  Baïf,  de  Ronsard  et  des  autres  familiers 
de  la  maison  du  faubourg  Saint-Victor. 

V Académie^  il  ne  faut  pas  l'oublier,  avait  été  fondée 
sur  le  patronage  effectif  du  Roi  qui  ne  dédaignait  pas 
d'honorer  de  sa  présence  les  séances  de  l'assemblée. 
Beaucoup  de  musiciens,  chanteurs  et  instrumentistes  de 
la  Chambre  et  de  la  Chapelle  en  faisaient  partie.  On  ne 
saurait  donc  s'étonner  de  retrouver  dans  différents  traités 
musicaux  et  chorégraphiques,  les  idées  plus  ou  moins 
défigurées  de  Fécole  de  Baïf.  Ces  idées,  tous  les  musi- 
ciens et  les  baladins  au  service  du  Roi  en  étaient  en 
quelque  sorte  imprégnés  et,  s'ils  ne  les  comprenaient  pas 
toujours  très  bien,  ils  croyaient  du  moins  les  connaître. 
Le  curieux  manifeste  placé  par  Baltazarini  en  tète  de  la 
Circé  nous  en  donnera  une  preuve  singulière. 


II 


Sauvai,  qui  s'est  fait  Técho  des  traditions  relatives  à 
V Académie^  sans  se  soucier  autrement  d'exactitude  chro- 
nologique, a  enregistré  le  souvenir  de  l'influence  exercée 
par  Baïf  et  ses  collaborateurs  sur  les  fêtes  de  la  Cour  : 
((  depuis,  écrit-il,  il  ne  se  fit  plus  de  Balets  ni  de  Masca- 
rades que  sous  la  conduite  de  Baïf  et  de  Mauduit.  Aussi 
les  Récits  et  les  Chœurs  étoient  ce  qui  s'y  trouvoit  tou- 
jours de  plus  divertissant,  tant  ils  savoient  bien  accorder 
la  mesure  de  leurs  vers  et  de  leur  musique  avec  les  pas 
et  les  mouvemens  des  danseurs,  ce  qui  ravissoit  à  cause 


l'invention  du   ballet  de   cour  69 

de  la  nouveauté \  »  Si  Mauduit,  né  en  i557  %  ne  put 
prendre  une  part  active  aux  travaux  de  V Académie  de 
Poésie  et  de  Musique^  il  est  certain  que  dès  le  début  du 
règne  de  Charles  IX,  Baïf  fut  plus  d'une  fois  chargé  d'or- 
ÊTaniser  des  mascarades.  Rien  d'étonnant  d'ailleurs  à  cela 
puisque  Ronsard,  Jodelle,  Daurat  étaient  également  mis 
à  contribution  pour  ces  fêtes.  Mais  il  est  assez  curieux  de 
trouver,  en  i565,  le  nom  de  Baïf  attaché  à  une  mascarade 
qui  marque  une  étape  de  l'évolution  du  genre  vers  le 
ballet  de  Cour.  Elle  fut  commandée  au  poète  par  le  duc 
de  Longueville  pour  solenniser  la  royale  entrevue,  en  la 
ville  de  Bayonne,  de  Catherine  de  Médicis  et  de  sa  fille, 
mariée  à  Philippe  II. 

Comme  la  plupart  des  ballets  dramatiques,  la  repré- 
sentation commençait  par  un  récit,  chanté  par  la  Fée 
des  Pyrénées.  Le  refrain  : 

Bois  et  rochers,  suyvez  le  son 
De  mu  charmeiesse  chanson. 

donne  à  penser  que  la  fée  était  suivie  de  chars  portant 
de  grands  rochers  et  des  arbres  %  dispositif  fort  usité  à 
cette  époque  \  S'étant  arrêtée  en  face  de  la  noble 
assemblée,  la  fée  déclamait  une  longue  tirade  pour  exposer 
le  sujet  et  le  plan  de  la  mascarade.  Ces  rochers,  que  voient 
les  spectateurs,  enferment  six  infortunés  chevaliers  ainsi 


1.  Antiquités  de  la  Ville  de  Paris,  t.  II,  492. 

2.  Merseime.  Éloge  de  Jacques  Mauduit.  {Ilarm.  Univ. y  livre  VII),  réim- 
primé par  Michel  Brenel  dans  son  étude  sur  Mauduit.  Musiciens  de  la 
Vieille  France,  p.  201. 

3.  De  charmants  quatrains  composés  par  Baif  étaient  attachés  au  tronc 
des  arbres  et  sur  les  rochers.  OEuvres,  II,  33i. 

4.  Il  était  de  mise  chaque  fois  qu'on  voulait  représenter  Orphé«  charmant 
de  sa  voix  les  rochers  et  les  bois. 


70  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRÂiNCE 

métamorphosés  par  cruel  maléfice  et  ces  arbres  retien- 
nent des  nymphes  prisonnières.  C'est  au  Roi  à  rompre  le 
sortilège  : 

«  Qui  par  vostre  vouloir,  de  ces  verges  dorées 
Touchera  par  trois  fois  les  masses  empierrées 
Fera,  miracle  grand,  saillir  de  ces  rochers 
Armez  pour  le  combat,  six  braves  chevaliers.  » 

Le  monarque  fait  alors  le  geste  attendu  et  nymphes 
de  s'échapper  du  tronc  des  arbres,  chevaliers  de  sortir 
du  flanc  des  rochers  pour  danser  et  combattre  à  la  grande 
joie  des  spectateurs.  Après  quoi  les  personnages  de  la 
mascarade  s'en  viennent  offrir  au  Roi,  aux  deux  Reines, 
à  Monsieur,  au  duc  d'Albe  et  aux  plus  illustres  seigneurs 
et  dames  de  l'assistance,  des  pommes  d'or  sur  lesquelles 
sont  gravés  des  compliments  en  runes  \ 

Le  dispositif  de  cette  mascarade  annonce  de  près  celui 
des  premiers  ballets  dramatiques.  Nous  trouverons  dans 
ceux-ci  une  action  analogue  et  une  mise  en  scène  iden- 
tique. Un  récitant  viendra  de  même  exposer  aux  specta- 
teurs le  sujet  du  divertissement. 

Il  est  assez  vraisemblable  que  Baïf  et  les  artistes  de 
son  Académie  prirent  part  aux  magnificences  qui  se 
firent  à  la  Cour,  au  mois  d'août  1572,  pour  le  mariage  du 
roi  de  Navarre  et  de  la  princesse  Marguerite  de  Valois. 
A  cette  date,  V Académie  est  en  pleine  prospérité  et  tra- 
vaille avec  ardeur  à  la  restauration  de  la  musique,  de 
la  poésie  et  de  la  danse  à  l'antique.  Le  Roi  la  protège 
ouvertement  contre  les  attaques  de  ses  détracteurs  et 
honore  de  sa  présence  les  concerts  qui  se  donnent  en  la 
maison  du  Faubourg  Saint-Victor  et  au  collège  de  Bon- 

1,    OEmres  de  Baif,  édit.  Marty-Laveaux,  il,  33i. 


L  INVENTION  DU  BALLET  DE  COUR  71 

cour*.  Aussi  est-il  probable  que  Baïf,  Thibault  de  Cour- 
ville  et  Claude  Lejeune  ne  furent  pas  étrangers  à  la  com- 
position de  la  musique  chantée  en  la  grande  joute-mas- 
carade qu'on  représenta,  le  20  août  1572,  pour  célébrer 
les  noces  du  roi  de  Navarre  et  la  réconciliation  apparente 
des  Huguenots  et  des  Catholiques.  Sans  doute  Baltaza- 
rini,  qui  depuis  quelques  années  déjà  vivait  en  France, 
prèta-t-il  la  main  à  l'organisation  de  la  fête.  Par  sa  mise 
en  scène  et  son  plan  cette  mascarade  fait  si  bien  pres- 
sentir la  prochaine  création  du  ballet  dramatique  qu'il 
est  permis  de  le  supposer.  Toutefois,  en  l'absence  de 
comptes  royaux  détaillés,  nous  sommes  réduits  à  des 
conjectures  sur  les  auteurs  de  ce  fastueux  divertisse- 
ment et  savons  seulement  que  les  vers  étaient  l'œuvre 
de  Ronsard. 

Nous  sommes  mieux  instruits  de  la  fête  elle-même. 
Une  relation  contemporaine^  nous  fournit  quelques  ren- 
seignements sur  l'action  dramatique  et  de  minutieux 
détailssur  la  mise  en  scène  qui  est  des  plus  intéressantes. 
On  saisit  fort  bien  en  quoi  consistait  la  nouveauté  du 
spectacle  en  comparant  la  description  de  la  fête  du 
20  août  à  celle  de  la  mascarade  donnée  deux  jours  plus 
tôt  en  la  Grand'Salle  du  Louvre.  Celle-ci  consistait, 
comme  les  masclierate  italiennes,  en  un  somptueux 
défilé  de  chars.  D'abord  paraissaient  «  trois  grands  cha- 
riots qui  estoyent  trois  grands  rochers  ou  escueils  de 
mer  tous  argentez  »  peuplés  de  musiciens  «  jouans  de 
diverses  sortes  d'instrumens  ».  A  la  cime  de  l'un  d'eux 


I.  V.  Auge  Chiquet.  Op.  cit.,  p.  439  ot  sniv.  —  Sauvai.  Antiquités...  II, 
491- 

a.  Mémoires  de  l'estat  de  France  sous  Charles  Neuviesme.  A  Meidelbourg. 
MDLXXVIII,  t.  I,  p.  190  et  suiv.  Bibl.  Nat.  Lb  33/5.  A. 


72  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

((  estoit  ce  chantre  tant  renommé,  Estienne  le  Roy  *,  qui 
faisoit  retentir  toute  la  salle  de  sa  voix  harmonieuse.  » 
Puis  s'avançaient  sept  chars  hérissés  de  coquillages  et 
portant  à  leur  sommet,  assis  sur  des  trônes  à  l'aspect 
bizarre,  des  divinités  marines.  Un  char  doré  en  forme 
de  gigantesque  cheval  marin  portait  Charles  IX  costumé 
en  ((  Neptune,  Roy  de  la  mer  ».  Les  princes  qui  se 
tenaient  sur  les  chars  y  firent  monter  quelques  dames 
et  dansèrent  avec  elles,  puis  la  mascarade  se  retira. 

Nous  avons  déjà  décrit  maintes  fêtes  de  ce  genre  ;  au 
contraire  la  mascarade-joute  du  20  août  offre  quelques 
traits  originaux  et  curieux.  Il  ne  s'agit  plus  d'un  divertis- 
sement improvisé,  mais  de  «  jeux  de  longtemps  pré- 
parez ».  La  mise  en  scène,  qui  rappelle  celle  des  joutes 
que  nous  avons  déjà  décrites,  est  assez  compliquée.  La 
vaste  salle  de  Bourbon  a  été  aménagée  pour  ce  spec- 
tacle de  la  façon  suivante  :  A  droite  on  a  dressé  un 
((  paradis  »,  grand  arc  triomphal  auquel  on  accède  par 
quelques  marches  et  au  travers  duquel  on  aperçoit  les 
Champs-Elysées  «  à  savoir  un  jardin  embelly  de  verdure 
et  de  toutes  sortes  de  fleurs  :  etiecielempyrée,  qui  estoit 
une  grand'roue  avec  les  douze  signes,  sept  planettes,  et 
une  infinité  de  petites  estoilles  faites  à  jour,  rendans  une 
grande  lueur  et  clarté,  par  le  moyen  de  lampes  et  flam- 
beaux... acommodez  par  derrière.  Ceste  roue  estoit  en 
continuel   mouvement,    faisant   aussi  tourner  ce  jardin. 


I.  Estienne  Leroy,  abbé  de  Saint-Laurent,  était  un  castrat  que  Charles  IX 
tenait  en  particulière  affection.  Sur  ce  personnage.  Voy.  Brantôme,  cdit. 
Lalanne,  V,  284.  —  Sorbin.  Vie  de  Charles  IX  [Arch.  cur.  de  Ciniber  et 
Danjou,  t.  VIII,  3oo).  —  En  167^,  il  figure  sur  les  états  royaux  comme 
chantre  de  la  chambre  et  reçoit  400  livres  «  pour  le  desroy  du  logis  de  trois 
petitz  chantres,  nourriture  et  despense  de  leurs  montures  et  dung  serviteur 
qui  porte  et  nettoyé  leurs  besongnes  ».  Arch.  Nat.,  K.  K.  i34  (°  5i.  V®. 


L  INVENTION     DU     BALLET    DE    COUR  78 

dans  lequel  estoyent  douze  nymphes  fort  richement 
acoustrées  ^  ». 

A  gauche  se  voyait  l'Enfer,  représenté  apparemment 
suivant  l'usage  par  quelque  monstrueuse  gueule  béante, 
((  dans  lequel  y  avoit  un  grand  nombre  de  diables  et  petis 
diabloteaux,  faisans  infinies  singeries  et  tintamarres 
avec  une  grande  roue  tournant  en  ledit  enfer,  toute  envi- 
ronnée de  clochettes  ». 

Une  rivière  coulait  entre  ces  deux  constructions;  elle 
portait  la  barque  de  Gharon  «  nautonnier  d'enfer  ». 
Le  décor  était  donc  dispersé.  Il  comportait  une  ma- 
chinerie assez  compliquée  et  des  effets  d'éclairage  par 
transparence  que  ne  dédaigneront  pas  les  siècles  sui- 
vants. 

L'action  dramatique  était  simple^  :  plusieurs  troupes 
de  chevaliers  errans,  armez  de  toutes  pièces  et  vestus 
de  diverses  livrées  »  tentaient  l'assaut  du  Paradis  pour 
s'emparer  des  nymphes,  mais  le  Roi  et  ses  frères  les 
repoussaient  et  «  ayans  rompu  la  picque  contre  lesdits 
assaillans  et  donné  le  coup  de  coustelas,  les  renvoyoyent 
vers  l'enfer  où  ils  estoyent  trainez  par  ces  diables  ».  Or, 
et  c'est  là  un  fait  historique  fort  singulier,  ces  chevaliers 
errants,  rejetés  en  enfer  par  Charles  IX,  n'étaient  autres 
que  le  Roi  de  Navarre  et  ses  compagnons  huguenots. 
«  Tout  cela,  écrit  d'Aubigné,  fut  interprété  prophétique- 

I.  Estât  de  France^  l,  p.  193-195. 

1.  Est  ce  à  cette  fête  que  fait  allusion  le  passage  suivant  de  Brantôme  ? 
Cela  semble  peu  probable  .  «  Ce  fust  une  (ille  de  nostro  court  qui  inventa  et 
lit  jouer  ceste  belle  comédie  intitulée  le  Paradis  d'Amour  dans  la  Salle  de 
Bourbon  à  huys  clos  où  il  n'y  avoit  que  le  commcdians  et  commcdiantes  qui 
servirent  de  joueurs  et  d'espectateurs  tout  ensemble.  Ceux  qui  entendent 
l'histoire  m'entendent  bien.  (Elle  fut)  jouée  par  six  personnages  de  trois 
hommes  et  trois  femmes,  l'un  estoit  prince  qui  avoit  sa  dame  qui  estoit 
grande...   »  (T.  IX,  553). 


74  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

ment  par  ceux  qu'on  appeloit  fols  ^  »...  Il  semble  difficile 
pourtant  de  voir  une  menace  de  massacre  et  comme 
lannonce  de  la  Saint-Barthélémy  dans  Tintrigue  de  cette 
mascarade.  Il  eût  été  vraiment  trop  maladroit  de  mettre 
en  garde  les  huguenots  contre  le  coup  qui  se  préparait 
à  Finsu  du  Roi.  D'ailleurs  les  prisonniers  de  l'Enfer 
allaient  être  délivrés  et  conduits  aux  Champs-Elysées 
grâce  à  l'intervention  des  dames,  allusion  à  l'union  du 
Roi  de  Navarre  avec  Marguerite  de  Valois  qui  ramenait  la 
paix  dans  le  royaume.  Voici  comment  se  déroulait  cette 
seconde  partie  de  la  mascarade  :  lorsque  tous  les  cheva- 
liers errants  eurent  été  défaits,  l'Enfer  où  ils  avaient  été 
traînés  par  les  diables,  «  fut  clos  et  fermé.  »  a  A  l'instant 
descendirent  du  ciel,  Mercure  et  Gupido,  portez  par  un 
coq,  chantansetdansans^  Le  Mercure  estoit  cest  Estienne 
le  Roy,  chantre  tant  renommé,  lequel  descendu  en  terre 
se  vint  présenter  aux  trois  chevaliers,  et,  après  un  chant 
mélodieux,  leur  fit  une  harangue  %  laquelle  parachevée,  il 
remonta  sur  son  coq  tousjours  chantant,  et  fut  reporté  au 
ciel.  Lors  les  trois  chevaliers  se  levèrent  de  leurs  sièges, 


1.  Histoire  Universelle.  S.  H.  F.,  t.  III,  3o3. 

2.  Ronsard.  Mascarades  et  Cartels  :  {Dialogue  pour  une  mascarade). 
Amour  et  Mercure .  Le  dialogue  se  compose  de  quatrains  se  répondant  et 
chantés  vraisemblablement  sur  le  même  air  : 


Héraut  des  Dieux  qu'une  fille  d'Atlas 
Gonceut  léger,  prend  tes  ailes  cognties, 
Et  traversant  le  long  chemin  des  ntles 
Laisse  le  Ciel  et  t'en-vole  là-bas. 

MERCURE 

Fils  de  Vénus  qui  portes  en  tes  mains 
L'Arc  qui  aux  Dieux  et  aux  hommes  commande. 
Pour  quoy  veux-tu  que  du  Ciel  je  descende 
Pour  aller  voir  la  terre  des  humains  ? 

3.  V.   Monologue  de  Mercure  aux   Damet 
Atlantide...  {ihid.). 


l/iNVENTION    DU     BALLET    DE    COUR  75 

et  traversans  le  Paradis,  allesrent  aux  champs  Elysées 
quérir  les  douze  Nymphes,  lesquelles  ils  menèrent  au 
milieu  de  la  salle  où  elles  se  mirent  à  danser  un  bal  fort 
diversifié,  et  qui  dura  plus  d'une  grosse  heure.  Le  bal 
parachevé,  les  chevaliers  qui  estoyent  dans  TEnfer  furent 
délivrez,  et  se  mirent  à  combatre  et  rompre  les  picques 
en  foule.  »  Un  magnifique  feu  d'artifice  terminait  ce  spec- 
tacle. 

On  avait  déjà  vu  à  Fontainebleau  et  à  Bayonne  des 
chevaliers  combattre  pour  délivrer  des  belles  captives, 
mais  jamais  encore  la  pantomime,  la  musique  et  la  danse 
n'avaient  été  associées  aussi  heureusement  en  vue  d'une 
action  dramatique.  11  faut  reconnaître  cependant  que  la 
poésie  lyrique  ne  jouait  dans  cette  mascarade  qu'un  rôle 
bien  effacé.  Un  seul  récit  chanté  par  Mercure  donnait  la 
raison  de  ces  combats  et  de  ces  ballets.  Néanmoins  on 
était  en  bonne  voie  et  le  ballet  dramatique  allait  naître 
quand  la  Saint-Barthélémy  vint  détourner  les  esprits  des 
fêtes  et  des  plaisirs.  Si  l'on  excepte  les  divertissements 
qui  récréèrent  la  Cour  au  mois  d'août  1572  et  le  magni- 
fique festin  offert  au  Roi  par  Messieurs  de  la  Ville  de 
Paris,  le  6  février  i5^S\  il  n'y  eut  plus  de  grande  fête  en 
France  avant  la  Circé  de  i58i.  Durant  près  de  dix  ans, 
les  arts  sont  en  deuil,  les  poètes  cessent  de  chanter  leurs 
amours  pour  écrire  des  satires  politiques  et  religieuses. 
\J Académie  de  poésie  et  de  musique^  privée  des  subsides 
royaux,  se  voit  contrainte  de  suspendre  ses  séances. 
Néanmoins  l'idée   d'un   genre   dramatique   nouveau  où 


I.  y .Eglogue  latine  et  française  avec  autres  vers  recitez  devant  le  Roy  au 
Festin  de  Messieurs  de  la  Ville  de  Paris  le  VI^  de  février  1578,  ensemble 
l'oracle  de  Pan  présenté  au  Roy  pour  Estrennes...  Jean  Daurat...  et  J.  Ant. 
de  Baif  aucteurs.  Paris,  Morel  1578  [Réserve  mYc/945  (b). 


76  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

s'uniraient,  à  la  mode  antique,  la  poésie,  la  musique  et  la 
danse,  idée  sans  doute  issue  de  l'Académie  de  Baïf,  con- 
tinue à  préoccuper  les  esprits.  D'AuLigné,  dans  un  passage 
fort  obscur  de  son  Histoire  Universelle,  affirme  que  le 
plan  de  la  Circé  avait  été  dressé  par  lui  *,  à  Toccasion  de 
la  visite  des  ambassadeurs  polonais,  mais  que  la  Reine 
avait  reculé  devant  la  perspective  d'avoir  à  débourser 
trois  cent  mille  écus  pour  la  réalisation  de  ce  projet  fas- 
tueux et  s'était  contentée  du  ballet  donné  aux  Tuileries. 
Dans  ses  Mémoires,  il  affirme  avec  plus  de  netteté  encore, 
avoir,  dès  iSyS,  «  dressé  le  poinct  de  la  Circé ^  ».  Faut-il 
entendre  par  cette  phrase  que  d'Aubigné  fut  le  véritable 
auteur  du  ballet-comique?  il  ne  semble  pas.  L'idée  était 
en  l'air  et  sans  doute  plusieurs  poètes,  vers  1570,  avaient 
en  portefeuille  des  projets  semblables.  Peut-être  tout  au 
plus  d'Aubigné  fut-il  le  premier  à  songer  à  la  fable  de 


I.  «  Durant  les  entreprises  de  ballets  et  autres  galanteries  où  j'ai  dit  que 
nous  nous  employions,  la  Roine  mère  voulant  estonner  les  étrangers  de  la 
magnificence  françoise  eut  entre  d'autres  progès  celuy  d'une  Circé.  Geste 
Circé  présentée  à  la  Royne  par  un  mémoire  bien  ample,  accompagné  des 
stances,  des  odes  et  cartels  que  N.,  l'inventeur,  emporta  avec  le  Roy  de  Navarre, 
le  tout  plust  merveilleusement  à  la  Roine  et  au  Roy,  hormis  que  la  Roine  de 
Navarre  étoit  l'idée  d'un  tel  poème  et  le  but  de  1  invention,  mais  quand  la 
Roine  apprit  qu'il  falloit  3oo.ooo  escus  pour  l'exécuter,  cela  luy  lit  peur  et 
se  contenta  de  ce  qui  se  fit  aux  ïuilleries.  Mais  le  Roy  mémoratif  de  ce  qu'il 
avoit  ouy,  fit  recerclier  en  Gascongne  des  personnes  qu'il  n'aimoit  pas,  et 
multiplia  tellement  les  despences  que  l'on  escrivit  au  Roi  de  Navarre  que  les 
Musicques  et  ce  qui  les  accompagnoit  avoit  passé  400,000  escus  en  despence.  » 

Hist.  Universelle.  Amsterdam  1626,  t.  III,  liv.  I,  ch.  xiv,  p.  66  et  67. 
[S.  H.F.yi.  VII,  p.  118). 

a.  Le  roy  de  Navarre  et  le  duc  de  Guise  «  couchoient,  mangeoient  et  fai- 
soient  leurs  mascarades  ensemble,  balets  et  carrouzels,  desquels  Aubigné 
seul  estoit  inventeur;  et  dès  ce  temps  il  dressa  le  point  de  la  Circé  que  la 
Royne  mère  ne  voulut  pas  exécuter  pour  la  despence  ;  et  depuis  le  roy 
Henri  troisième  l'exécuta  aux  nopces  du  duc  de  Joyeuse  ».  Mémoires,  édit. 
Lalanne,  p.  3o. 

C  est  évidemment  d  après  ce  passage  que  Nicéron  a  écrit  c  ce  fut  quelque 
temps  après  (la  paix  de  La  Rochelle  en  i573)  qu'il  fit  la  tragédie  de  Circé», 
Hommes  illustres,  1734,  XXYIII,  p.  214. 


77 

Gircé  pour  sujet  de  ce  divertissement  et  écrivit-il  quelques 
tirades.  Mais  nous  sommes  sur  ce  point  réduits  à  des 
conjectures. 

Il  en  est  du  ballet  de  Cour  comme  de  l'opéra  italien, 
on  ne  saurait  dire  qui  en  fut  l'inventeur.  Que  voyons- 
nous  à  Florence  dans  les  dernières  années  du  x\f  siècle? 
un  groupe  de  poètes  humanistes,  de  musiciens  et  de  chan- 
teurs possédés  du  désir  de  reconstituer  la  tragédie  musi- 
cale de  l'Antiquité.  Emilio  del  Cavalière,  Jacopo  Péri, 
Giulio  Caccini,  d'autres  encore,  ont  exactement  le  même 
idéal  ;  ils  savent  où  ils  vont  et  pourtant  il  leur  faut  de 
longs  essais  avant  d'arriver  à  donner  coup  sur  coup 
VEuridice^  le  Rapimento  di  Cefalo  et  la  Rappresentatione 
di  anima  e  di  corpo.  Un  genre  dramatique  nouveau  ne 
saurait  sortir  tout  armé  du  cerveau  d'un  seul  homme,  il 
faut  que  les  recherches  et  les  tâtonnements  d'une  foule 
d'artistes  en  précisent  peu  à  peu  les  tendances  nécessaires, 
en  construisent  en  quelque  sorte  l'esthétique  à  laquelle 
l'inventeur  devra  se  conformer  pour  réaliser  l'œuvre 
rêvée.  Il  en  sera  ainsi  pour  le  ballet  de  Cour.  L'idéal 
vainement  poursuivi  par  Baïf  et  ses  collaborateurs  de 
\ Académie^  va  inspirer  les  efforts  de  tout  un  groupe  de 
musiciens  obscurs,  de  chorégraphes,  de  poètes.  Un  jour, 
les  diverses  parties  de  l'œuvre  étant  au  point,  un  homme 
viendra  qui  saura  les  assembler  et  donnera  le  premier 
modèle  de  la  forme  dramatique  depuis  si  longtemps 
désirée.  Ainsi  LuUy  résumera  en  son  premier  opéra  tous 
les  efforts  et  toutes  les  aspirations  de  musiciens  qui, 
depuis  quinze  ans,  essayaient,  sans  y  parvenir,  de  donner 
à  la  France  la  tragédie  lyrique.  Mais  LuUy  sera  un  homme 
de  génie. . .  On  n'en  saurait  dire  autant  de  celui  qui  semble 
avoir  été  le  véritable  créateur  du  ballet  dramatique. 


78  LjE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Venu  en  France,  vers  i555\  avec  la  bande  de  violons 
«très  esquise,  toute  complette  »  du  Maréchal  deBrissac, 
Baldassarino  da  Belgiojoso,  qui  francisa  son  nom  en  Bal- 
thasard  de  Beaujoyeulx^  ne  tarda  pas  à  attirer  sur  lui  les 
faveurs  des  souverains,  tant  par  son  talent  de  violoniste 
que  par  d'aimables  qualités  d'homme  du  monde.  «  Il 
n'estoit  pas  parfait  seuUement  en  son  art,  ny  en  la 
musique,  mais  il  estoit  de  fort  gentil  esprit  et  scavoit 
beaucoup  et  surtout  de  fort  belles  histoires  et  beaux 
contes  ».  Il  avait  eu  en  son  temps  de  belles  aventures 
d'amour,  nous  confie  Brantôme,  qui  s'honorait  d'être  son 
ami  et  l'estimait  bien  haut  «  le  meilleur  violon  de  la 
chrestienté^  ».  En  1567,  il  était  valet  de  chambre  de 
Catherine  de  Médicis*.  Il  servit  successivement  en  cette 
qualité  Marie  Stuart,  Charles  IX,  le  duc  d'Alençon, 
Henri  III  et  mourut  officier  de  Catherine  de  Médicis  vers 
1587.  Il  était  alors  écuyer  et  «  seigneur  des  Landes  ». 

En  somme,  autant  qu'on  peut  en  juger  par  les  rares 
témoignages  contemporains,  c'était  un  bon  musicien,  un 
adroit  courtisan  et  un  esprit  ingénieux.  Ce  sont  là  des 
qualités  dont  on  trouvera  la  trace  à  tout  moment  dans  le 
Ballet  comique  de  la  Reine.  Ce  ne  sera  pas,  à  beaucoup 
près,  une  œuvre  profonde,  mais  une  adroite  adaptation 


I.  Peut-être  la  bande  du  maréchal  de  Brissac  vint-elle  en  France  en  i554, 
en  même  temps  que  le  fameux  chorégraphe  milanais  Pompeo  Diobono. 

1.  Em.  Picot.  Les  Italiens  en  France  au  XVI^  siècle.  Bulletin  de  la  Faculté 
des  lettres  de  Bordeaux,  t.  IV,  p.  3io  et  suîv. 

3.  Brantôme,  édit.  Lalanne,  IX,  669. 

4.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis.  Imprimerie  Nationale,  1909,  t.  X, 
p.  535.—  Ms.  fr.  7866  p.  i238,  i3i8,  i338,  1399  et  Ms.  Clair.  836  p.  295. 
—  Ms.  fr.  7835  p.  24.  Il  quitta  la  maison  d'Henri  III  en  i584;  en  i585,  il 
figure  avec  son  fils  Charles  de  Beaujoyeulx,  reçu  en  survivance,  parmi  les 
valets  de  chambre  de  Catherine  (Arch,  Nat.  K.  387,  fol.  xxxii-v^).  Sa  veuve 
se  remaria  en  i595.  Arch.  Nat.  Y.  i34,  f'^  244* 


L  INVENTION    DU    BALLET    DE    COUR  79 

au  goût  des  courtisans  français  des  théories  humanistes 
sur  le  drame  antique.  Disposant  des  seuls  moyens  de 
réalisation  scénique  dont  se  servent  depuis  vingt  ans  les 
chorégraphes  royaux  pour  leurs  mascarades,  Beaujoyeulx 
crée  une  œuvre  originale  en  mettant  ces  éléments  usés 
au  service  de  Festhétique  éclose  en  V Académie  de  Baïf. 


m 

11  est  indispensable  de  tenir  compte  de  l'influence  des 
întermedi  italiens  en  étudiant  la  création  du  ballet  dra- 
matique français.  Nous  avons  déjà  parlé  de  ces  danses 
figurées,  de  ces  pantomimes,  de  ces  récits  chantés,  de  ces 
chœurs  qui  s'intercalaient  entre  les  actes  des  pièces  tra- 
giques ou  comiques,  représentées  sur  les  scènes  d'Ita- 
lie, et  pénétraient  parfois  jusqu'au  cœur  de  Faction.  A 
mesure  que  le  théâtre  de  Cour  se  développait  dans  la 
Péninsule,  cette  mode  devenait  envahissante.  En  même 
temps  le  genre  pastoral,  qui  avait  fait  ses  premiers  pas 
avec  VOrfeo  du  Politien  et  le  Cefalo  de  Nicole  da  Gorreg- 
gio,  trouvait  son  expression  la  plus  haute  dans  VAminta 
de  Torquato  Tasso  K 

Le  succès  de  cette  œuvre,  représentée  pour  la  première 
fois,  le  3i  juillet  iSyS,  dans  File  du  Belvédère,  en  présence 
d'Alphonse  II  d'Esté  et  de  sa  Cour^,  eut  un  immense 
retentissement  en  Italie  et  dans  toute  FEurope.  Le  Tasse 
eut  tout  de  suite  des  imitateurs  et  VAminta  fut  rapide- 
ment traduite  en  diverses  langues. 

i.Sur  les  intermèdes  des  Pastorales  italiennes,  V.  Carducci,  Storia  del- 
l'Aniintai]^.  io3).  —  Aless.  d'Ancona,  Giornale  Storico  délia  lett.  ital.,  VII, 
p.  54.  — A.  Neri.  Glintermezzi  del  Pastor  Fido.  Giorn.  stor.,  XI,  4o5. 

'2.  V.  Angelo  Solerti.  Vita  di  Torquato  Tasso.  Loescher,  1896,  t.  I, 
p.  184.  —  Teatro  di  Torquato  Tasso,  edizione  critica.  Bologna,  1895. 


8<>  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

A  Paris,  on  savait  fort  bien  ce  qui  se  passait  de  l'autre 
côté  des  Alpes.  Non  seulement  les  lettrés  italiens,  comme 
Del  Bene  ou  Gorbinelli,  étaient  fort  nombreux  à  la  Cour 
mais  les  poètes  français  entretenaient  des  rapports 
épistolaires  avec  les  artistes  de  la  Péninsule.  Baïf  avait 
voyagé  en  Italie,  comme  d'ailleurs  la  plupart  des  membres 
de  la  Pléiade,  et  le  Tasse  était  venu  à  Paris,  en  1571, 
avec  le  cardinal  Luigi  d'Esté  \  Gorbinelli  avait  dû  le  pré- 
senter aux  poètes  de  la  Cour  française  et  le  mener  à 
Y  Académie  alors  dans  tout  son  éclat. 

Dès  son  retour  en  Italie,  Torquato  Tasso  avait  com- 
mencé VAminta  et,  deux  ans  plus  tard,  l'avait  fait  repré- 
senter au  Belvédère  par  les  Comici  Gelosi.  Or  nous  trou- 
vons cette  troupe  installée  peu  après  à  Paris.  Qu'elle  y 
ait  donné  en  spectacle  des  tragédies  et  des  pastorales 
avec  intermèdes  lyriques,  rien  n'est  plus  probable 
puisque  les  pièces  avec  musique  formaient  le  fond  de 
son  répertoire  et  qu'elle  excellait  à  les  interpréter.  11  est 
même  fort  possible  qu'elle  ait  joué  VAminta  qui  était 
alors  célèbre  par  le  monde.  On  peut  donc  supposer  que 
Beaujoyeulx  avait  eu  connaissance  de  cette  œuvre  ou  de 
quelqu'une  des  imitations  qu'elle  avait  suscitées,  quand 
il  travailla  à  la  6r>C(?,  en  i58i.  Certes  la  présence  des 
nymphes,  des  satyres  et  des  divinités  champêtres  dans 
le  Ballet-comique  s'explique  fort  bien  sans  cela  :  ils 
étaient,  depuis  longtemps  déjà,  les  héros  de  toutes  les 
mascarades  et  de  tous  les  intermèdes  ;  mais  il  règne  dans 
les  discours  des  personnages  de  la  Circé  un  ton  de 
galanterie   qui  trahit  l'influence  du  genre   pastoral.    La 

I.  Torquato  Tasso  ne  fit  d'ailleurs  qu'un  très  court  séjour  à  Paris.  Arrivé 
le  10  février  1671,  il  repartit  le  20  mars.  V.  Solerti.  Vita  di  T.  Tasso,  p.  14a- 
148. 


3  'S    « 

su    '^       — 

W        ce         "ai 


L  INVENTION    DU    BALLET    DE    COUR  8l 

mise  en  scène,  qui  offre  un  bel  exemple  de  décor  dispersé, 
se  ressent  également  de  cette  influence  et  l'on  reconnaît 
en  ces  treilles,  en  ces  bocages,  en  cette  grotte  de  Pan, 
les  accessoires  ordinaires  de  la  Pastorale  italienne\ 

Nous  n'avons  sur  les  fêtes  théâtrales  données  à  Paris 
par  les  Gelosi^  sous  le  règne  de  Henri  III,  que  des  indi- 
cations fort  vagues.  Nous  ne  connaissons  ni  les  noms  des 
pièces  qu'ils  jouèrent,  ni  les  conditions  dans  lesquelles 
il  les  présentèrent  au  public  français.  On  ne  saurait  assez 
le  déplorer.  Sans  doute  trouverait-on  dans  les  intrigues 
mythologiques  de  leurs  tragédies,  dans  leurs  intermèdes 
musicaux  et  chorégraphiques,  dans  leurs  procédés  de 
réalisation  scénique,  l'explication  de  maints  détails  du 
Ballet  comique  de  la  Reine.  Ce  que  furent  ces  représen- 
tations, on  peut  toutefois  l'imaginer  en  étudiant  les  pièces 
qui  formaient  le  répertoire  des  Gelosi  en  Italie  :  c'étaient 
pour  la  plupart  des  œuvres  à  grand  spectacle,  entre- 
mêlées de  musique  et  de  danse.  Il  leur  arrivait  aussi  de 
donner  des  sortes  d'opéras  où  tout  était  chanté.  Ainsi, 
pour  la  venue  du  roi  de  France,  Henri  III,  à  Venise  %  ils 
interprétèrent  devant  le  monarque  une  pièce  de  circons- 
tance composée  par  le  poète  Gornelio  Frangipane  et  mise 
en  musique  par  Claudio  Merulo.  Prothée  chantait  le 
prologue  sur  la  lyre,  puis,  tour  à  tour,  Iris,  Mars,  Pallas, 
Mercure  célébraient  les  louanges  du  souverain  français. 
Des  chœurs  séparaient  les  divers  récits  et  un  ensemble 
madrigalesque  terminait  cette  sorte  de  gigantesque  can- 

I.  En  i584,  '«  Fiammella  de  Balholommeo  Rossi  sera  représent<5e  devant 
Joyeuse  avec  une  mise  en  scène  italienne,  décor  du  type  de  celui  dont  Serlio 
donne  un  exemple  dans  le  IP  livre  de  l'Architecture.  V.  Revue  Littéraire  de 
la  France  y  1903  ^  l'article  de  M,  Lanson. 

•i.  De  Nolhac  et  Solerti.  //  viaggio  in  Italia  di  Enrico  III  re  di  Francia  e 
le  l'esté  a  Venezia,  Ferrara  e  Torino.,  1890,  Torino  in-8"^. 

6 


82  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

tate  dramatique'.  Il  est  curieux  de  voir  une  telle  œuvre 
interprétée  par  des  acteurs  et  non  par  des  chanteurs  pro- 
fessionnels. Il  en  sera  pourtant  longtemps  encore  ainsi. 
Ce  seront  des  comédiens  qui  créeront  plusieurs  rôles 
fameux  des  opéras  de  Monteverde. 

Ce  fut  sous  la  double  influence  des  théories  huma- 
nistes de  V Académie  et  des  spectacles  italiens,  que  Beau- 
joyeulx  conçut  le  projet  du  Ballet  comique  de  la  Reine. 
Est-ce  en  vérité  bien  à  lui  que  doit  en  revenir  l'honneur? 
fit-il  autre  chose  que  de  reprendre  un  vieux  projet  de 
Baïf  ou  de  d'Aubigné?  on  ne  sait.  Dans  le  doute  nous 
devons  le  croire  sur  parole  quand  il  se  donne  pour  l'in- 
venteur du  ballet  dramatique^  Ce  qui  semble  certain, 
c'est  que  l'auteur  de  la  Circé  avait  d'abord  simplement 
l'intention  d'écrire  une  pastorale  allégorique  entremêlée 
d'intermèdes  lyriques  et  chorégraphiques,  à  la  mode  ita- 
lienne. Mais,  peu  à  peu,  à  ce  premier  projet  se  substitua 
l'idée,  bien  autrement  intéressante,  de  faire  concourir  éga- 
lement à  l'action  dramatique  la  poésie,  la  musique  et  la 
danse.  C'est  ainsi  que  naquit  le  premier  ballet  de  Cour. 


IV 


Dans  le  curieux  manifeste  placé  par  lui  en  tète  de  la 
Circé^^  Beaujoyeulx   célèbre  en  termes  dithyrambiques 

1.  Tragedia  del  S.  Cl.  Cornelio  Frangipane  al  ckristianissimo  Henrico  lll 
Re  di  Francia  e  di  Polonia,  recitata  nella  Sala  del  gran  Consilio  di  Vene- 
zia.  Bibl.  Nat,  Ms.  Ital.  799. 

2.  Il  déclare  avec  assurance  dans  la  Préface  du  Ballet  Comique  :  «  Moy- 
mesme  qui  suis  ignorant  des  loix,  scaurois  bien  rechercher  celles  qui  ont 
esté  introduictes  contre  les  plagiaires,  si  quelqu'un  vouloit  estre  larron  de 
mes  propres  inventions.  » 

3.  Balet  comique  de  la  Royne  faict  aux  nopces   de  Monsieur  le  Duc  de 


l'invention  du   ballet  de  cour  83 

l'ingéniosité  de  son  invention.  Celle-ci  tient  tout  entière 
dans  ces  deux  mots  :  ballet  comique^  c'est-à-dire  ballet 
comédie.  Le  lecteur  s'étonnera  sans  doute  d'un  titre  véri- 
tablement sans  exemple  \  Qu'est  ce  en  effet  qu'un  ballet 
sinon  «  des  meslanges*  géométriques  de  plusieurs  per- 
sonnes dansans  ensemble  sous  une  diverse  harmonie  de 
plusieurs  instruments  ?  »  Mais  lui,  Beaujoyeulx,  a  accom- 
pli ce  prodige  de  dramatiser  le  ballet.  Il  s'est  avisé  qu'il 
ne  serait  point  indécent  de  mêler  la  musique  et  la  comé- 
die ((  ensemblement,  et  diversifier  la  musique  de  poésie, 
et  entrelacer  la  poésie  de  musique,  et  le  plus  souvent  les 
confondre  toutes  deux  ensemble  :  ainsi  que  l'antiquité 
ne  récitoit  point  ses  vers  sans  musique,  et  Orphée  ne 
sonnoit  jamais  sans  vers.  »  S'il  a  intitulé  la  substance 
comique^  c'est  plus  «pour  la  belle,  tranquille  et  heureuse 
conclusion  où  elle  se  termine,  que  pour  la  qualité  des 
personnages  qui  sont  presque  tous  dieux  et  déesses,  ou 
autres  personnes  héroïques  »  . 

Il  ne  pouvait,  ajoute-t-il  «  tout  attribuer  au  Balet,  sans 
faire  tort  à  la  Comédie,  distinctement  représentée  par 
ses  scènes  et  actes  :  ny  à  la  Comédie  sans  perjudicier 
au  Balet,  qui  honore,   esgaye  et  remplit  d'harmonieux 

Joyeuse  et  de  Mademoiselle  de  Vaudemont  sa  sœur.  Par  Baltasar  de  Beau- 
joyeulx,  valet  de  chambre  du  Roy  et  de  la  Boyne,  sa  mère.  Paris,  Adr.  le  Roy. 
Rob.  Ballard  et  Mamert  Pâtisson,  i58:i.  »  Bibl.  Nat.  Réserve  Ln'^''  io436  {iii-4'*). 
I.  «  Pour  autant,  amy  lecteur,  que  le  tiltre  et  inscription  de  ce  livre  est 
sans  exemple,  et  que  l'on  n'a  point  veu  par  cy  devant  aucun  Balet  avoir  esté 
imprimé,  ny  ce  mot  comique  y  estre  adapté  :  je  vous  prieray  de  ne  trouver  ny 
l'un  ny  l'autre  estrange,  »  ...La  plupart  des  musicologues  qui  ont  parlé  du 
Ballet  comique  de  la  Reine  se  sont  bien  gardés  d'étudier  de  près,  ni  même 
de  lire  l'œuvre  dont  ils  s'occupaient.  Aussi  tous  à  l'envi  ont-il  cru  que  Bal- 
let comique  signifiait  ballet  bouflbn.  Il  est  à  noter  que  la  Circé  eut  été  sans 
doute  appelée  Ballet  tragique  sans  la  superstition  de  Catherine  de  Médicis 
qui,  comme  les  Italiens  de  son  temps,  croyait  que  les  tragédies  portaient 
malheur.  (V.  Angelo  Ingegneri  Délia  poesia  rappreseniativa.  {Œuvres  de 
Guarini).   Vérone^  1737,  III,  484)- 


84  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

récits  le  beau  sens  de  la  Comédie.  »  C'est  pourquoi  le 
titre  définit  très  exactement  ce  cju'il  a  voulu  faire  et 
les  lecteurs  auraient  tort  de  s'effaroucher  de  ce  nom. 
«  Ainsi,  conclut-il  triomphalement,  j'ay  animé  et  fait  par- 
ler le  Balet,  et  chanter  et  resonner  la  Comédie  :  et  y 
adjoustant  plusieurs  rares  et  riches  représentations  et 
ornements,  je  puis  dire  avoir  contenté  en  un  corps  bien 
proportionné,  Toeil,  l'oreille  et  Tentendement.  » 

Il  est  intéressant  de  rapprocher  de  ce  manifeste  les 
vers  composés  par  les  poètes  de  la  Cour  pour  célébrer 
l'invention  du  Ballet  dramatique.  Eux,  qui  sont  depuis 
longtemps  au  courant  des  recherches  de  Baïf,  compren- 
nent tout  de  suite  l'idée  d'humaniste  qui  a  présidé  à 
l'éclosion  de  ce  spectacle  nouveau. 

Beaujoyeux,  qui  premier  des  cendres  de  la  Grèce, 
Fais  retourner  au  jour  le  dessein  et  l'adresse 
Du  Balet  compassé  en  son  tour  mesuré, 

s'écrie  l'un  d'eux  ^  et  Auguste  Costé  insiste  sur  l'intérêt 
que  présente,  pour  les  érudits,  l'œuvre  deBeaujoyeulx  : 

Mon  esprit  (Beaujoyeulx)  esperdûment  s'esgare 
Dedans  tes  hauts  projets  doctement  recherchez, 
Et  des  vieux  monuments  de  la  Grèce  arrachez, 
Pour  esjouir  nos  Rois  d'un  spectacle  si  rare... 

Tu  as,  à  la  façon  des  Perses, 
Ce  Balet  nouveau  inventé. 

admire  un  troisième  poète  qui  félicite  Beaujoyeulx 
d'avoir  rendu  :  ((  le  balet  confus  mesuré.  » 

Il  faut  faire  la  part  du   pédantisme  sévissant  en  cette 

I.  Le  poète  Billard. 


l'invention  du  ballet  de  cour  85 

fin  du  XVI''  siècle  et  surtout  de  Texagération  poétique. 
Toutefois,  si  on  lit  attentivement  le  livret  du  Ballet 
comique,  en  ayant  présentes  à  Tesprit  les  idées  de  Baïf  sur 
la  danse  mesurée  et  sur  le  rôle  des  chœurs  dans  le  drame, 
on  ne  manquera  pas  d'y  reconnaître  à  tout  instant  l'in- 
fluence de  ces  théories.  Rien  d'ailleurs  de  plus  naturel 
si  l'on  songe  aux  conditions  dans  lesquelles  l'œuvre  fut 
composée  et  à  quels  collaborateurs  s'adressa  Beaujoyeulx. 
((  Le  Roy  ayant  conclu  et  arresté  le  mariage  d'entre 
monsieur  le  Duc  de  Joyeuse  Pair  de  France,  et  madamoy- 
selle  de  Vaudemont,  sœur  de  la  Royne  :  délibéra  solenniser 
les  nopces,  de  touteespèce  de  triomphe  et  magnificence*.  » 
Il  ordonna  l'appareil  de  «  délicieux  festins  et  somp- 
tueuses mascarades...  courses  et  superbes  combats... 
avec  des  balets  à  pied  et  à  cheval,  pratiquez  à  la  mode 
des  anciens  Grecs  »,  «  le  tout  accompagné  de  concerts 
de  musiques  excellentes  et  non  encores  jamais  ouyes^  ». 
Ronsard,  Baïf  et  leurs  amis  reçurent  l'ordre  de  travailler 
aux  vers  des  tournois  et  mascarades^  cependant  que  Claude 
Lejeune  '  et  les  musiciens  de  la  Cour  s'employaient  acti- 

1.  Balct  comique,  i^  i. 

2.  V.  Ronsard.  Mascarades  pour  les  nopces  de  Monseigneur  de  Joyeuse, 
Admirai  de  France. 

3.  Lestoile,  d'autre  part,  nous  apprend  que  le  Roi  donna  à  cette  occasion 
à  Baïf  et  à  Ronsard  «  pour  les  vers  qu'ils  firent  pour  les  mascarades,  com- 
bats, tournois  et  autres  magnificences  des  nopces  et  pour  la  belle  musique 
par  eux  ordonnée  et  chantée  avec  les  instrumens,  à  chacun  deux  mil  escus, 
et  donna  en  son  nom  et  de  sa  bourse  les  livrées  des  draps  de  soie  à  chacun. 
Journal,  édit.  Brunet,  II,  23. 

4-  On  connaît  l'anecdote  souvent  citée  du  gentilhomme  qui,  entendant 
chanter  un  air  que  Claude  Lejeune  avait  composé  dans  le  mode  phrygien 
«  avec  les  parties...  pour  les  magnificences  qui  furent  faites  aux  noces  du  feu 
duc  de  Joyeuse,  »  voulut  à  toute  force  aller  se  battre  ». 

On  a  conclu  de  ce  récit  que  Lejeune  avait  travaillé  au  Ballet  comique. 
Cela  n'est  point  prouvé.  La  Circé  ne  fut  point  la  seule  fête  donnée  pour  le 
mariage  de  Joyeuse,  et  Lejeune,  comme  Baif,  son  ami,  ne  semble  pas  y 
avoir  pris  part  personnellement. 


86  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

vement  à  composer  les  airs  de  ces  divertissements.  Ce  fut 
alors,  si  l'on  en  croit  Beaujoyeulx,  que  la  Reine  «  voyant 
tant  de  préparatif  se  faire  pour  honorer  le  mariage  de  sa 
sœur,  ))  «  voulut  bien  de  sa  part  se  disposer  à  faire 
chose  qui  fust  digne  de  sa  majesté.  »  Elle  manda  Beau- 
joyeulx, lui  exposa  quels  étaient  «  les  appareils  ja  ordon- 
nez »  et  lui  enjoignit  d'inventer  quelque  chose  qui  ne  le 
cédât  en  rien  aux  magnificences  entreprises  par  lesautres. 
Beaujoyeulx  se  retira  aussitôt  de  la  Cour  et  médita  sur 
ce  qu'il  pourrait  bien  imaginer  jusqu'à  ce  qu'il  se  fût 
arrêté  «  sur  le  dessein  qui  depuis  a  esté  mis  à  exécu- 
tion ». 

De  retour  à  la  Cour,  Beaujoyeulx  présenta  son  projet 
et  expliqua  commenta  il  estoit  composé  de  trois  parties, 
sçavoir  des  poésies,  qui  devoyent  estre  recitées  :  de  la 
diversité  de  musiques,  qui  devoyent  estre  chantées  :  et 
de  la  variété  des  choses,  qui  devoyent  estre  représen- 
tées par  la  peinture  ;  »  et  supplia  la  Reine  de  donner  «  la 
charge  des  poésies,  musiques  et  peintures,  à  personnes 
qui  peussent  dignement  s'en  acquicter*  ». 

C'était  là  le  point  difficile.  Baïf,  Ronsard  et  les  meil- 
leurs poètes  de  la  Cour  étaient  absorbés  par  la  composi- 
tion des  mascarades  et  des  cartels  et  ne  pouvaient  se  char- 
ger d'un  nouveautravail.il  en  était  de  même  des  meilleurs 
musiciens  de  la  Chambre  et  de  la  Chapelle.  Force  fut  de 
se  rabattre  sur  des  artistes  de  moindre  importance.  Le 
«  sieur  de  la  Chesnaye,  Aumosnier  du  Roy,  »  fut  chargé 
de  rédiger  en  vers  les  tirades  dont  le  canevas  lui  était  fourni 
par  Beaujoyeulx.  A  ce  propos,  on  a  prétendu  que  les  vers 
de  la  Circé  étaient  Toeuvre  de  d'Aubigné  et  que  La  Ches- 

I,  Balet  comique,  f°  a,  v^. 


l'invention  du   ballet  de   cour  87 

naye  n'était  qu'un  prête-nom.  C'est  interpréter  bien 
largement  le  passage  si  obscur  où  d'Aubigné  revendique 
l'honneur  d'avoir  «  dressé  le  poinct  de  la  Circé  ».  Beaujo- 
yeulx,  sachant  fort  bien  «  comme  chacun  est  jaloux  de 
conserver  les  fruits  de  son  jardin  »  et  ne  voulant  pas 
paraître  «  s'accommoder  des  plumes  d'autruy  »  mentionne 
loyalement  tous  ses  collaborateurs  ;  il  ne  paraît  pas 
homme  à  prendre  les  vers  de  d'Aubigné  sans  le  nommer. 
D'Aubigné  qui  avait  sans  doute  eu,  avant  Beaujoyeulx, 
l'idée  d'une  pièce  allégorique  à  grand  spectacle  ayant 
Circé  pour  sujet,  n'a  pas  été  fâché  de  le  rappeler  dans  ses 
écrits  sans  pour  cela  prétendre  que  le  texte  représenté 
fût  le  sien.  C'est  ainsi  très  probablement  qu'il  faut 
entendre  le  passage  contestée 

Pour  la  musique,  la  Reine  commanda  «  au  sieur  de 
Beaulieu^  (qui  est  à  elle)  qu'il  fist  et  dressast  en  son  logis 
tout  ce  qui  se  pouvoit  dire  deparfaicten  musique,  sur  les 
inventions  qui  luy  seroient  communiquées  »  par  Beau- 
joyeulx.  De  Beaulieu,  nous  savons  peu  de  choses.  S'il 
emporta  un  prix  au  puy  de  Musique  d'Evreux  comme 
compositeur,  il  était  surtout  estimé  pour  sa  belle  voix  de 
basse  et  l'art  avec  lequel  il  s'en  servait.  Beaulieu  était  un 
ami  de  Thibault  de  Courville  et  sans  doute  il  avait  fait 
partie  de  \ Académie  de  poésie  et  de  musique.  En  tout  cas, 


I.  Avouons  d'ailleurs  que  les  vers  de  la  Circé  sont  bien  médiocres  pour 
être  de  d'Aubigné  et  reconnaissons  que  dans  ses  œuvres  le  poète  huguenot 
ne  s'est  pas  montré  si  modeste  qu'on  puisse  trouver  naturelle  la  manière 
dédaigneuse  dont  il  traite  une  pièce  dont  il  aurait  été  l'auteur.  Il  ne  sait 
d'ailleurs  de  la  représentation  que  ce  qu'on  en  a  écrit  au  roi  de  Navarre . 
C'est  être  bien  mal  informé  d'une  œuvre  qui  vous  appartient  ! 

a.  Il  s'appelait  Lambert  de  Beaulieu.  Une  lettre  de  l'empereur  Rodolphe  II 
à  son  ambassadeur  à  Paris  (citée  par  Fétis)  parle  de  lui  en  termes  très 
flatteurs  :  a  un  bassiste  d'une  voix  admirable  et  qui  s'accompagnait  sur  le 
luth...  » 


88  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

il  enseignait  les  théories  chères  à  Baïf,  relatives  à  la 
métrique  musicale  ;  le  compositeur  Fabrice  Gajetan  nous 
en  a  laissé  un  précieux  témoignage.  «  J'ay  fréquenté 
Tescole  de  Messieurs  de  Gourville  et  Beaulieu,  l'ung 
Orphée,  l'autre  l'Arion  de  France...  car  ils  ne  sont  seu- 
lement excellents  aux  récits  de  la  lyre,  mais  très  doctes 
en  Tart  de  musique...  Suivant  leurs  avertissements  et 
bons  avis,  j'ay  corrigé  la  plupart  des  fautes  que  j'avoy 
pu  faire  en  n'observant  les  longues  et  brèves  de  la 
lettre  ^  » 

Beaulieu  s'adjoignit  plusieurs  collaborateurs  choisis 
parmi  les  musiciens  de  la  chambre  royale  et  «  spéciale- 
ment maistre  Salmon^  »  chantre  et  valet  de  chambre  du 
Roi,  qui  avait,  en  i^yS,  remporté  un  prix  au  Puy  de  mu- 
sique à' Èwenyi^ .  Nous  ignorons  comment  se  fit  la  division 
du  travail.  Assurément  Beaulieu  prit  pour  lui  la  compo- 
sition des  principaux  airs  et  récits  du  ballet;  quant  à 
Salmon,  peut-être  se  chargea-t-il  de  la  musique  instru- 
mentale*. Au  xv!!"*  siècle,  ce  seront  très  rarement  les  mêmes 
artistes  qui  écriront  les  chants  et  les  danses  des  ballets. 
Peut-être  en  fut-il  déjà  ainsi  pour  la  Circé  ? 

Les  magnifiques  décorations  projetées  par  Beaujoyeulx 
furent  exécutées  par  «  Maistre  Jacques  Patin,  peintre  du 
Roy  »,  qui  se  surpassa  lui-même. 

Avec  une  activité  fiévreuse,  musiciens,  peintres  et 
poètes  se  mirent  au  travail  sous  la  surveillance  de  Beau- 
joyeulx qui  tenait  la  main  à  ce  qu'aucune  fantaisie  indivi- 

1.  Préface  des  airs  mis  enmixsique. 

2.  V.  sur  Salmon.  Michel  Brenet.  Musiciens  delà  Sainte-Chapelle,  p.  i38. 
et  189. 

3.  Bonnin  et  Chassant.  Puy  de  Musique  érigé  à  Evreux,  p.  53. 

4.  Supposition  vraisemblable  si,  comme  l'assure  Fétis,  Salmon  était  aussi 
violoniste. 


L  INVENTION    DU    BALLET    DE    COUR  89 

duelle  ne  vînt  compromettre  Téquilibre  et  Tunité  de  l'œu- 
vre. On  dépensa  l'argent  sans  compter.  Le  Roi  désirait 
éblouir  la  Cour  par  son  faste  et  prouver  aux  yeux  du  monde 
que  la  France  n  était  pas  à  bout  de  ressources.  Catherine 
de  Médicis,  dans  une  lettre  écrite  peu  après  les  fêtes,  laisse 
bien  voir  l'intention  des  souverains.  Elle  déplore  que  les 
envoyés  du  Grand  Seigneur  n'aient  pu  arriver  à  Paris  à 
temps  pour  jouir  «  des  triomphes  et  magnificences  qui  se 
font  sur  l'occasion  des  nopces  du  duc  de  Joyeuse  et  de 
M^"°  de  Vaudemont,  en  quoy  ils  se  fussent  bien  aper- 
ceus  que  la  France  n'est  pas  tant  abaissée  de  pauvreté 
que  aucun  des  estrangers  l'estime  \  »  Henri  III  n'hésita 
pas  à  dépenser  quatre  cent  mille  écus  en  cette  occasion, 
si  l'on  en  croit  d'Aubigné.  Le  chiffre  doit  être  fort  exa- 
géré, mais  il  fallut,  sans  aucun  doute,  une  somme  énorme 
pour  exécuter  le  projet  grandiose  de  Beaujoyeulx. 


Bien  que  poussés  avec  activité,  les  préparatifs  de  la 
Circé  ne  purent  être  terminés  à  temps  pour  les  noces 
du  duc  de  Joyeuse  et  Ton  dut  se  contenter,  du  i8  au 
24  septembre  i58i,  des  mascarades,  bals  et  tournois 
ordonnés  par  le  Roi  et  la  Reine  mère.  Le  ballet  comique 
de  la  reine  Louise  ne  fut  représenté  que  le  dimanche 
i5  octobre. 

Le  bruit  de  ces  apprêts  magnifiques  attira,  dès  le  point 
du  jour,  une  foule  de  peuple  à  toutes  les  portes  de  la 
grande  salle  de  Bourbon  où  devait  se  donner  le  spectacle. 

I.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  édit.  Baguenault  de  Puchesse,  VII, 
401.  (Lettre  à  M.  du  Perrier,  en  date  du  a8  sept,  i58i). 


go  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

«  Les  archers  des  gardes  du  Roy,  lieutenans  et  exempts  » 
avaient  reçu  l'ordre  de  ne  laisser  pénétrer  que  «  person- 
nes de  marque  et  cogneuës  :  néantmoins  (lorsque  le  Roy 
accompagné  de  la  Royne  sa  mère,  des  princes  et  princes- 
ses, seigneurs  et  dames  de  sa  court,  entrèrent  en  la  salle) 
on  remarqua  facilement  qu'il  y  avoit  de  neuf  à  dix  mille 
spectateurs  assemblez*.  » 

«  L'appareil  »  de  la  salle  occupa  d'abord  l'attention  du 
public.  Le  Roi  et  la  Reine  mère  étaient  assis  sur  une 
estrade  couverte  d'un  dais.  Ils  voyaient,  à  leur  droite,  le 
bocage  de  Pan^  et,  un  peu  en  retrait,  la  grotte  entourée 
d'arbres  illuminés.  A  leur  gauche,  la  voûte  dorée^  entou- 
rée de  nuages  à  l'extérieur,  toute  resplendissante  de 
lumière  en  dedans,  arrêtait  les  regards.  Elle  contenait 
des  chantres  qui  devaient  répondre  en  écho  aux  airs  des 
figurants.  Le  jardin  de  Gircé  et  son  palais  occupaient 
le  fond  de  la  salle,  laissant  à  droite  et  à  gauche  un  pas- 
sage pour  l'entrée  et  la  sortie  des  personnages  et  des 
chars. 

((  Sur  les  dix  heures  du  soir,  le  silence  ayant  esté 
imposé,  on  ouit  aussitost  derrière  le  chasteau  une  note 
de  hautsboys,  cornets,  sacquebouttes,  et  autres  doux 
instrumens  de  musique.  »  Après  cette  ouverture  le 
spectacle  commença. 

Un  gentilhomme  sortit  en  courant  du  jardin  de  Gircé 
et,  témoignant  par  sa  mimique  d'une  vive  frayeur,  s'en 
vint  jusqu'au  pied  du  trône  où  siégeait  le  Roi  et  expli- 
qua, en  une  longue  tirade  versifiée,  les  causes  de  sa 
terreur  :  la  redoutable  magicienne  Gircé  l'a  attiré  dans 
ses  jardins  enchantés  et  l'y  retient  captif.  Il  supplie  le  roi 

1.  Balet  comique,  f°  7,  v**. 


L  INVENTION  DU  BALLET  DE  COUR  91 

de  combattre  la  sorcière  et  de  mettre  fin  à  ses  exploits 
funestes.  A  peine  a-t-il  achevé  que  Gircé  paraît,  furieuse 
et  regardant  en  tous  sens  si  elle  n'aperçoit  pas  le  fugitif. 
Elle  exhale  sa  douleur  en  une  complainte  et  s'en  retourne 
«  avec  une  contenance  de  femme  fort  irritée  ». 

Des  sirènes  et  des  tritons  entrent  alors  en  chantant 
dans  la  salle.  Un  char  s'avance  à  leur  suite,  construit  en 
forme  de  fontaine  et  portant  des  divinités  marines  : 
Thétis  et  Glaucus  entourés  de  néréides.  Sur  des  sièges 
d'or,  au  pied  de  la  fontaine,  sont  assises  des  naïades 
magnifiquement  vêtues.  Les  courtisans  reconnaissent  en 
elles  les  danseuses  du  ballet,  les  héroïnes  de  la  fête  :  la 
reine  Louise,  la  princesse  de  Lorraine,  les  duchesses  de 
Guise,  de  Nevers,  de  Joyeuse,  de  Mercœur,  d'Aumale  et 
autres  dames  d'illustre  naissance.  Un  chœur  de  huit  tri- 
tons représenté  par  les  «  chantres  de  la  chambre  du  Roy 
joûans  de  lyres,  lutz,  harpes,  flustes  et  autres  instrumens 
avec  les  voix  meslees  »  ferme  la  marche.  Le  cortège  s'ar- 
rête, Thétis  et  Pelée*  dialoguent  en  musique  et  les 
naïades,  descendues  de  leur  char,  se  livrent  au  plaisir  de 
la  danse  au  son  des  violons,  mais  Gircé  survient  et  d'un 
coup  de  sa  baguette  magique  frappe  tous  les  figurants 
d'immobilité. 

A  peine  la  sorcière  s'est-elle  retirée  qu'on  voit  descen- 
dre du  haut  de  la  salle  un  nuage  portant  Mercure.  Le 
dieu  chante  dans  les  airs  un  long  récit  et,  avant  de  tou- 
cher terre,  asperge  de  la  liqueur  du  Moly  les  violons  et  les 
nymphes  qui,  à  l'instant,  reprennent  la  danse  interrom- 
pue ;  mais  Gircé,  furieuse,  de  nouveau  les  fige  sur  place  ; 
elle  enchante  môme  Mercure  et,  après  avoir  triomphé  en 

I.   Rôles  tenus  par  le  compositeur  Beaulieu  et  sa  femme. 


92  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

un  long  monologue,  ellel  es  emmène  tous  captifs  dans  son 
jardin.  Un  tel  crime  ne  peut  rester  impuni.  De  toutes 
parts  des  satyres  et  des  nymphes  dryades  accourent 
pour  délivrer  les  filles  de  la  mer.  La  nymphe  Opis  adjure 
Pan  Bocager  de  les  aider  dans  leur  entreprise  et  celui-ci 
promet  son  appui. 

Les  quatre  Vertus  arrivent  à  la  rescousse.  Minerve  fait 
son  entrée  sur  un  char  traîné  par  un  monstrueux  ser- 
pent et  déclare  au  Roi  qu'elle  va  : 

ce  Chasteau,  charmes,  liens,  à  la  Circé  ravir  ». 

Appelé  par  elle,  Jupiter  descend  du  ciel  sur  un  aigle, 
aux  accents  du  chœur  de  la  f  otite  dorée.  Pan  sort  de  son 
bocage  accompagné  de  satyres  armés  de  gros  bâtons 
((  nouailleux  et  espineux  »  et  tous  marchent  en  troupe  à 
l'assaut  du  palais.  Circé  les  accueille  par  une  harangue 
((  fière  et  pleine  d'arrogance  »  mais  les  dieux  se  ruent  sur 
le  jardin  et  y  pénètrent.  Jupiter  frappe  Circé  de  son  foudre 
et  la  mène  prisonnière  à  travers  la  salle  pour  la  remettre 
entre  les  mains  du  Roi  auquel  il  présente  ses  deux  en- 
fants, Minerve  et  Mercure,  enfin  délivrés.  Les  dryades, 
en  signe  de  réjouissance,  commencent  à  danser  et  vont 
ainsi  jusqu'au  jardin  de  Circé  pour  chercher  leurs  sœurs. 
Les  nayades  «  désenchantées  »  paraissent  alors  et,  se 
joignant  aux  autres  nymphes,  forment  le  Grand  ballet  au 
son  des  violons. 

Après  une  infinité  de  figures  et  d'évolutions  à  travers 
la  salle,  «  les  Naïades  et  les  Dryades  firent  une  grande 
révérence  à  sa  Majesté  »  et  la  Reine  ayant  remis  à  son 
époux  une  médaille  d'or  «  où  il  y  avoit  dedans  un  Dau- 
phin qui  nageoit  en  la  mer  »,  les  autres  dames  offri- 
rent pareillement  des  médailles,  ornées  d'emblèmes  et  de 
devises,  aux  principaux  seigneurs  de  la  Cour.  Puis  elles 


l'invention  du  ballet  de  cour  93 

menèrent  les  Princes  danser  le  grand  bal  «  et  iceluy  fini, 
on  se  meit  aux  bransles  et  autres  dances  accoustumées 
es  grands  festins  et  èsjouïssemens.  Ce  qu'estant  achevé, 
les  majestez  des  Roy  et  Roynes  se  retirèrent,  estant 
desjà  la  nuict  fort  advancée  :  veu  que  ce  Ballet  Comique 
dura  depuis  les  dix  heures  du  soir,  jusqu'à  trois  heures  et 
demie  après  minuict,  sans  que  telle  longueur  ennuyast,  ny 
despleust  aux  assistans ^  » 

On  peut  se  demander  si  les  spectateurs  comprirent  bien 
toute  la  portée  de  l'invention  de  Beaujoyeulx.  Le  genre 
nouveau,  paré  de  toutes  les  grâces  et  de  toutes  les  séduc- 
tions des  fêtes  de  Cour  antérieures,  emprunte  au  drame 
son  intrigue  suivie  et  son  unité.  La  musique  et  la  danse 
cessent  d'interrompre  l'action  pour  y  participer.  Récits, 
airs,  ballets,  pantomimes  ont  leur  raison  d'être  au  seul 
point  de  vue  de  l'expression  dramatique  Nous  sommes 
loin  des  mascarades  italiennes  ou  françaises  aux  intrigues 
rudimentaires  ;  ici  la  poésie,  la  musique  et  la  danse  con- 
courent également  à  l'elïet  scénique. 

A  ne  jeter  sur  l'œuvre  qu'un  coup  d'œil  superficiel,  rien 
ne  semble  nouveau  :  on  connaît  déjà  ces  décors  boca- 
gers,  ces  entrées  de  nymphes  et  de  faunes,  ces  chars  où 
se  pressent  des  divinités  païennes,  ces  récits  et  ces  chants 
à  la  louange  du  prince.  Ce  sont  là  les  ornements  ordinai- 
res des  pastorales  de  Ferrare,  des  mascarades  de  Flo- 
rence, des  intermèdes  de  Venise.  Jamais  pourtant  ces 
divers  éléments  n'ont  servi  à  traduire  une  intrigue  suivie 
comme  celle  de  la  Circé.  Le  ballet- comique^  né  de  la 
fusion  de  la  comédie  et  la  mascarade,  est  en  son  genre 
une  création  aussi  originale  que  le  mélodrame  florentin, 

I.  Balet  Comique j  f"  64. 


9+  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Aussi  comprend-on  Fenthousiasme  des  poètes  humanis- 
tes qui  crurent  voir  ressusciter  en  lui  la  tragédie  antique 
avec  ses  tirades  déclamées,  ses  chants  et  ses  danses.  Cette 
conception  peut  nous  sembler  étrange  aujourd'hui  ;  il 
suffit  pourtant  de  consulter  les  théoriciens  du  ballet  pour 
voir  qu'au  xvif  siècle,  ils  croyaient  encore  reconnaître 
dans  le  ballet  une  image,  affaiblie  mais  exacte,  des 
chœurs  de  la  tragédie  antique.  * 


VI 


La  forme  nouvelle  fut  bien  vite  célèbre  par  le  monde  et 
la  Circè  engendra  un  grand  nombre  d'imitations.  Si  Beau- 
joyeulx  avait  mis  à  exécution  les  menaces  qu'il  proférait 
dans  sa  préface  contre  les  plagiaires,  il  aurait  eu  fort  à 
faire.  La  Ci;>c<? avait  coûté  des  sommes  considérables,  aussi, 
vu  l'état  des  finances,  il  ne  fut  plus  question  à  la  cour  de 
donner  un  autre  spectacle  de  ce  genre  ;  on  dut  se  con- 
tenter de  ballets-comiques  de  proportions  plus  modestes  ^ 

Les  guerres  de  religion  qui  sévissent  alors  et  ruinent  le 
pays,  empêchent,  durant  toute  cette  fin  du  xv!"*  siècle,  de 
grands  déploiements  de  magnificence.  Les  chroniqueurs, 
occupés  à  narrer  les  intrigues  politiques  et  les  combats 
incessants,  ne  songent  guère  à  nous  donner  des  détails 
sur  les  rares  fêtes  qu'ils  mentionnent  incidemment.  Pour- 
tant la  vogue  du  genre  nouveau  est  attestée  par  la  pré- 
sence de  nombreuses  poésies  destinées  à  des  ballets  dans 
les  recueils  publiés  à  cette  époque.  C'est  là  un  fait  nou- 
veau :  avant  la  Circé  nul  ne  se  fût  avisé  d'employer  le 

I.  V.  Ménestrier.  Ballets  anciens  et  modernes. 
1.  \ .  Journal  de  Lestoile,  édit.  Michaud,  p.  i8i. 


l'invention  du  ballet  de  cour  95 

mot  ballet^  pour  désigner  une  représentation  dramatique-. 
En  1592,  nous  rencontrons  le  livret  d'un  Ballet  de  Che- 
valiers François  et  Béarnois^  représenté  dei^ant  Madame^ 
à  Pau^  le  23'  jour  d'aoust  1592  ^  L'action  est  d'une 
extrême  simplicité  ;  les  chevaliers  Français  et  les  cheva- 
valiers  Béarnais  viennent  vanter  à  Madame  leur  loyalisme 
et  se  défient  mutuellement.  Ils  mettent  déjà  Tépée  à  la 
main  et  combattent,  quand  un  coup  de  tonnerre  éclate  et 
Mercure  paraît  tandis  que  «  le  luth  et  autres  instrumens 
jouent  une  passemeze.  »  Le  Dieu  prononce  un  long  dis- 
cours* pour  les  apaiser  et  leur  expose  les  ordres  de  Ju- 
piter :  des  nymphes  guerrières  vont  venir  combattre 
Gupidon.  Si  elle^ont  la  victoire, 

Les  chevaliers  Bearnois  emporteront  la  gloire 
Du  combat  entrepris,  et  Madame  toujours 
Vivra  sans  savourer  le  breuvage  d'Amours. 

mais,  si  Gupidon  est  vainqueur,  Madame  épousera  «  quel- 
qu'un des  demy  Dieux  du  royaume  Gaulois  ».  Les  Nymphes, 
armées  d'arcs  et  de  flèches  luttent  alors  contre  l'Amour 
en  dansant.  Mises  en  déroute  par  lui,  elles  se  réfugient 
auprès  des  chevaliers  bearnois.  De  nouveau  le  tonnerre 
gronde,  une  suave  musique  se  fait  entendre,  Mercure 
paraît.  Il  célèbre  la  victoire  de  Gupidon  et  engage  les 

I.  Notons  que  l'orthographe  du  mot  est  peu  fixée  :  on  écrit  tantôt  baletet 
tantôt  ballet. 

■1.  Pour  éviter  la  confusion  qui  pourrait  se  produire  dans  l'esprit  du  lec- 
teur entre  le  sens  original  et  le  sens  dérivé  du  mot  ballet,  désormais  nous 
l'écrirons  en  italique  lorsque  nous  voudrons  parler  de  la  danse  figurée  et  en 
caractères  ordinaires,  lorsque  nous  lui  donnerons  la  signification  de  repré- 
sentation théâtrale. 

3.  Balletz  représentez  devant  le  Roy  à  la  venue  de  Madame  à  Tours  en 
1593.  Tours.  Jamet  Métayer  iSgJ  (réirap.  par  Lacroix,  I,  p.  89  et  suiv.). 

4.  Eu  soixante-douze  vers  ! 


96  LE    lîALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

chevaliers  à  s'entendre  pour  combattre  les  ennemis  du 
dedans  et  du  dehors. 

Finissez  vos  débats,  tournez  vostre  fureur 
Sur  les  perturbateurs  du  repos  de  la  France... 
Passez  les  Pyrénées  et  domptez  la  furie 
Des  traistres  nourrissons  de  la  fière  Ibérie... 

«  Ceci  faict,  Mercure  demeura  auprès  de  Madame,  luy 
d'un  costé  et  Amour  de  l'autre  et  lors  les  Chevaliers  Bear- 
nois  rendirent  les  armes  aux  François.  »  Après  quoi  les 
nymphes  furent  désarmées  par  l'Amour.  Celui-ci  décocha 
une  flèche  à  Madame  et  les  nymphes,  ayant  entonné  une 
chanson  en  l'honneur  de  l'hymen  projeté,  se  joignirent 
aux  chevaliers  pour  danser  un  ballet. 

Deux  ballets  royaux,  représentés  à  Tours  l'année  sui- 
vante, comportent  également  de  longs  récits  déclamés, 
des  chants,  des  combats-  et  des  danses.  Dans  le  Ballet 
de  Madame  de  Rohan^  on  voit  Médée  qui  par  ses  sorti- 
lèges s'efforce  vainement  de  ravir  aux  Français  leur 
liberté.  Tous  ces  ballets  sont  construits  sur  des  sujets 
allégoriques  et  patriotiques.  La  musique  y  est  en  géné- 
ral très  sacrifiée  à  la  poésie,  les  récits  chantés  sont 
rares  et  les  airs  ont  peu  de  part  à  l'action.  Visiblement 
le  Ballet  de  Cour  tend  à  cette  date  à  devenir  un  genre 
littéraire. 

Par  une  fortune  singulière,  ce  fut  en  Angleterre  que  le 
ballet-comédie  continua  l'évolution  commencée  en  France, 
Importé  dans  ce  pays  durant  les  dernières  années  du 
XVI*  siècle,  il  ne  tarda  pas  être  l'occasion  de  véritables 
chefs-d'œuvre  poétiques  ^  Ben  Jonson  et  Milton   s'illus- 

I.  Brotanek.  Die  englischen  Maskcnspiele.  Wien,  190'i.  — Maurice  Caste- 
lain.  Ben  Jonson,  Paris,  1907.  —  Paul  Reyher  Les  Masques  anglais,  Paris, 
1909- 


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L  INVENTION    DU    BALLET    DE    COUR  97 

trèrent  dans  ce  genre  aristocratique.  Traité  par  eux,  le 
Mask  devint  une  sorte  de  comédie  versifiée  dont  Tin- 
trigue  motivait  le  plus  ingénieusement  possible,  l'entrée 
des  danseurs.  Les  chants  ajoutaient  à  l'action  une  séduc- 
tion déplus,  mais  ne  lui  étaient  pas  indispensables. 

Ce  sera  une  conception  toute  différente  qui  triom- 
phera en  France  et  en  Italie  dès  le  début  du  xv!!*"  siècle. 
La  forme  poétique  y  sera  sacrifiée  à  la  musique  et  à  la 
danse.  Les  personnages  ne  s'exprimeront  plus  que  par 
gestes  ou  en  chantant.  En  un  mot,  le  ballet  dramatique 
se  rapprochera  par  sa  forme  beaucoup  plus  de  TOpéra 
que  de  la  comédie. 


CHAPITRE  III 

ÉVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR 


I.  —  Les  Ballets-Mascarades  sous  le  règne  de  Henri  IV.  —  Substitu- 
tion du  chant  à  la  déclamation  dans  les  Ballets  de  Cour  (1600-1610). 

II.  —  Les  Ballets  Mélodramatiques.  —  Du  ballet  d'Alcine  au  ballet 
d'Apollon  (16 10- 163 1). 

III.  —  Le  Ballet  à  entrées.  —  Décadence  du  genre  (i62i-i65o). 


I 


Le  triomphe  du  Ballet  dramatique  avait  provoqué  la 
décadence  de  la  Mascarade  à  grand  spectacle  dont  il  était 
issu,  mais  non  de  la  Mascarade  de  société.  Celle-ci  est 
plus  en  faveur  que  jamais  au  début  du  règne  de  Henri  IV. 
Gomme  par  le  passé,  le  seigneurs  se  déguisent  et  se  mas- 
quent pour  porter  des  momons  dans  les  assemblées 
joyeuses.  Ils  pénètrent  en  bandes  bruyantes  dans  les 
salles  où  se  tient  la  compagnie,  avec  leur  cortège  de 
porte-torches  et  de  musiciens.  On  a  vu  qu'à  l'origine  la 
mascarade  ne  comporte  nécessairement  ni  danses  ni 
chants.  Ce  n'est,  suivant  la  définition  de  M.  de  Saint- 
Hubert,  qu'  ((  une  chose  impourveuë  de  gens  qui  se 
déguisent  sans  dessein  et  suivant  leurs  fantaisies,  aussi 
n'est-elle  faicte  que  pour  porter  momons  et  se  on  y 
dance,  ce  sont  airs  et  pas  à  vollonté  et  plus  commune- 


EVOLUTION    DU     BALLET    DE    COUR  99 

ment  les  dances  ordinaires  avec  les  dames  qui  si  ren- 
contrent S). 

Très  rapidement,  sous  TinHuence  du  ballet  dramatique, 
la  mascarade  va  se  transformer.  Le  ballet  nécessitait  l'em- 
ploi d\m  appareil  théâtral  compliqué,  il  mettait  en  mou- 
vement des  poètes,  des  musiciens,  des  chorégraphes,  des 
peintres,  des  acteurs,  des  chanteurs,  des  danseurs,  des 
machinistes.  On  ne  pouvait  songer  à  donner  souvent  à 
la  Cour  un  divertissement  si  coûteux,  en  un  temps  où 
Sully  faisait  régner  sur  les  finances  une  sage  économie  *. 
On  en  vint  donc  rapidement  à  combiner  la  mascarade  et 
le  ballet  de  manière  à  former  un  spectacle  dépourvu  d'in- 
térêt dramatique  mais  plaisant  et  peu  dispendieux.  C'est 
de  ce  genre  hybride  qu'il  est  si  souvent  question  dans  les 
mémoires  historiques  et  les  correspondances  du  temps. 
Pour  plus  de  clarté,  nous  l'appellerons  :  le  ballet-masca- 
rade. 11  ne  demandait  pas  de  bien  longs  préparatifs  ;  un 
jour  quelques  courtisans  se  réunissaient  et  décidaient  de 
danser  un  ballet  ;  ils  convenaient  d'abord  du  choix  des 
déguisements  :  sorciers,  maures,  barbiers,  garçons  de 
taverne,  juifs,  etc.  Les  travestis  nobles  et  galants  étaient 
réservés  de  préférence  aux  grands  ballets  dramatiques. 


1.  La  manière  de  composer  et  faire  réussir  les  ballets.  A  Paris,  chez  Fran- 
çois Targa  au  Palais,  dans  la  Graiid'Salle,  au  Soleil  d'or  près  la  Chapelle. 
MDCXH.  (Seul  exemplaire  connu  à  la  Bibliothèque  Mazarine.  Réserve  68.146 
(in-8^)  pp.  5  et  6. 

2.  Les  seigneurs  parvenaient  non  sans  peine  à  faire  payer  les  dépenses  des 
ballets  et  le  Roi  devait  intervenir  :  «  A  propos  de  ballet,  conte  Tallemant, 
M.  le  Prince  en  dansa  un  et  le  lloy  commanda  à  M.  de  Sully  de  donner  une 
ordonnance  pour  cela.  M.  de  Sully  enrageoit,  et,  comme  pour  se  moquer,  il 
mit  eu  bas  :  «  Et  autant  pour  le  brodeur  ».  Pour  le  faire  enrager  encore  plus, 
M.  le  Prince  se  lit  payer  le  double,  en  disant  qu'il  y  en  auroit  la  moitié  pour 
le  brodeur.  11  alla  avec  toute  sa  maison  chez  M,  d'Arbaut,  ti'ésorier  de 
l'épargne,  et  n'en  sortit  qu'il  n'eût  reçu  l'argent...  »  Historiettes.  III®  édition 
Garnier,  éd.  Tome  I,  p.  148. 


lOO  LE     BALLET    DE     COUR     EN    FRANCE 

Après  que  vêtements  et  masques  avaient  été  confection- 
nés et  que  les  seigneurs  avaient  appris  les  pas  qu'ils 
devaient  exécuter,  ils  se  rendaient  dans  le  château  où  se 
donnait  la  fête.  Il  n'était  point  rare  qu'un  ballet  concerté 
à  Paris  fût  représenté  à  Saint-Germain  ou  à  Fontaine- 
bleau ;  dans  ce  cas,  les  figurants  emmenaient  avec  eux 
les  musiciens  en  carrosse \  Aucun  théâtre,  aucun  décor 
n'était  nécessaire  à  un  tel  spectacle,  n'importe  quelle 
grand'salle  suffisait.  Les  violons  formaient  la  première 
entrée  ;  ils  étaient  bizarrement  vêtus  et  masqués  ;  parfois 
ils  paraissaient  jouer  de  leurs  instruments  derrière  leur 
dos^  Puis  venaient  les  pages,  porteurs  de  flambeaux,  qui 
se  rangeaient  en  cadence  autour  de  la  place  réservée  aux 
baladins.  Le  premier  groupe  ou  quadrille  faisait  alors  son 
apparition  ;  après  avoir  dansé,  il  laissait  la  place  à  un 
second  quadrille  et  ainsi  de  suite.  A  la  fin  tous  les  per- 
sonnages de  la  mascarade  se  réunissaient  pour  le  grand 
ballet.  La  représentation  terminée,  chacun  enlevait  son 
masque  et  allait  prendre  une  dame  de  l'assistance  pour 
le  bal  qui  durait  jusqu'au  matin. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  qu'on  dansât  uniquement  dans 
les  divertissements  de  ce  genre.  Souvent  des  scènes  de 
pantomime  ou  des  tours  d'acrobatie  alternaient  avec  les 
danses  figurées.  Les  sauts  périlleux,  les  pyramides 
humaines^,  les  luttes  à  main  plate  trouvaient  leur  place 
dans  ces  spectacles*.  On  y  mimait  aussi  parfois  de  petites 
farces  :  dans  un  certaia  ballet  des  singes^   une  femme, 

I.  Bassompierre.  Mémoires.  S.  H.  F.  Tome  I,  p.  6i-63. 
a.  «  Mais  c'est  qu'en  effet  ils  avançoient  à  reculons  et  avoient  des  masques 
au  derrière  de  la  tête...  »  Marolles.  Mémoires  I,  p.  70. 

3.  V.  en  particulier  les  curieux  dessins  de  l'album  de  la  Collection  James 
de  Rothschild. 

4.  Lacroix.  Ballets  et  Mascarades  de  Cour  I  p.  170. 


EVOLUTION    DU    BALLET    DE    COUR  loi 

après  avoir  débité  un  récit  aux  dames,  conduisait  dans  la 
salle  la  troupe  des  danseurs  déguisés  en  magots  et  «  les 
aidoit  à  desrober  un  mercier  qui  estoit  endormy  %. 

Souvent  le  ballet-mascarade^  au  lieu  de  ne  faire  inter- 
venir que  des  personnages  de  même  costume,  mettait  en 
action  des  troupes  de  danseurs  portant  divers  déguise- 
ments. Une  mascarade  rustique  faisait  défiler  des  labou- 
reurs, des  moissonneurs,  des  vanneurs,  des  batteurs  ^  La 
mascarade  de  la  foire  Saint-Germain  montrait  successi- 
vement des  peintres,  des  opérateurs,  des  coupeurs  de 
bourses ^  On  ne  tarda  pas  à  justifier  par  une  action  rudi- 
mentaire  Tentrée  de  ces  personnages.  Toutefois  le  ballet- 
mascarade  demeura  toujours  fort  éloigné  de  l'idéal  dra- 
matique qui  inspirait,  vers  le  même  temps,  les  grands 
ballets  de  Cour.  Il  a  bien  un  sujet,  mais  pas  d'action  sui- 
vie. On  en  peut  juger  par  la  description  de  ce  ballet  des 
Echecs^  dansé  au  carnaval  de  1607,' que  Bassompierre 
proclame  «  plus  ingénieux  qu'aucun  autre*  ».  «  L'ordre 
estoit  tel,  que  deux  hommes  masquez  estendirent  un 
grand  eschiquier  de  toile  sur  la  place...  Après  cela  les 
violons  commençoient  à  sonner  et  deux  habillez  à  l'Es- 
pagnole, avec  chacun  une  longue  baguette  à  la  main, 
entroient  dançant  un  ballet  d'une  mesure  grave,  et  se 
plaçoient  chacun  sur  une  escabelle,  des  deux  costez  de 
la  salle,  vis-à-vis  l'un  de  l'autre **  ».  Alors  entraient  suc- 

i.Jiecueil  des  plus  excellens  ballets  de  ce  temps.  Paris,  Toussaint  Du  Bray 
i6ia.  (in-8").  —  Lacroix,  Ballets  et  Mascarades  de  cour.  Tome  I  p.  197. 

1.  Fleurettes  du  premier  meslange  de  N.  Le  Digne,  sieur  de  l'Espine-Fonte- 
ney.  Paris.  Jeremie  Périer,  1601  (in-12). 

3.  Lacroix,  I,  p.  ao4  et  suiv. 

4.  Mémoires,  I,  p.  191. 

5.  Recueil  des  Masquarades  et  jeux  de  prix  à  la  Course  du  Sarasin  faits 
ce  Karesme-prenant  en  la  présence  de  Sa  Majesté  à  Paris.  Paris,  G.  Morette 
1607  in-80.  —  Bibl.  Mazarine.  34.6i3  '^^  pièce  7. 


I02  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

cessivement  les  huit  pions  incarnats,  les  pions  blancs, 
et  les  autres  figures  du  jeu  d'échecs.  Chacune,  après 
avoir  dansé,  prenait  place  sur  le  grand  damier  étendu  à 
terre  ;  alors  les  violons  sonnaient  le  grand  ballet  a  à  l'air 
duquel  toutes  les  pièces,  de  part  et  d'autre,  dançoient, 
comme  s'ils  eussent  joué  et  prestement,  à  la  cadence,  les 
deux  Espagnols  les  frappoient  suivant  Tordre  qu'il  falloit 
pour  les  faire  desmarer  ». 

La  même  année,  une  mascarade  inventée  par  le  duc  de 
Nemours  ^  grand  docteur  en  l'art  de  ces  divertissements, 
faisait  paraître  un  «  Maistre  de  l'Académie  d'Hyrlande  » 
qui  débitait  un  récit  en  plaisant  jargon   : 

Moy  je  vous  amener  d'Irlande 

Ces  huit  naveaux  dedans  une  bande 

Par  toner  à  vous  passe-temps... 

Il  faisait  entrer  ses  élèves  :  deux  baladins  qui  dan- 
saient à  contre-temps,  deux  lutteurs  qui  se  livraient  à 
«  mille  extra vagans  efforts  de  luittes  »,  deux  escrimeurs, 
deux  cavaliers  qui  faisaient  des  tours  de  voltige  ^ 

Ainsi,  vers  i6o5,  nous  trouvons  à  la  Cour  de  France,  à 
côté  des  ballets  comiques  dont  les  intrigues  mytholo- 
giques et  pastorales  se  représentent  sur  un  théâtre,  le 
ballet-mascarade^  qui  se  danse  dans  une  salle  quel- 
conque, fait  intervenir  à  l'occasion  un  acteur  ou  un 
chanteur  pour  débiter  un  récit,  mais  ne  nécessite  aucun 
appareil  compliqué  et  garde  de  ses  origines  carnavales- 
ques un  caractère  drolatique.  Ce  spectacle  peu  raffiné 
va  exercer  une  grande  influence  sur  l'évolution  du  ballet 

I.  Henri  de  Savoie,  duc,  de  Nemours,  mort  en  i63a. 
a.  Lacroix,  I.  p.  169. 


ÉVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR  Io3 

théâtral  jusqu'au  jour  où,  en  se  fondant  avec  lui,  il  don- 
nera naissance  au  ballet  à  entrées. 

L'histoire  du  ballet  est  fort  difficile  à  écrire  pour  la 
période  qui  s'étend  de  1600  à  i6i5  environ.  On  rencontre, 
à  cette  époque,  toutes  les  variétés  possibles  de  fêtes  de 
Cour  :  ballets  dramatiques  à  sujets  allégoriques,  grandes 
mascarades  à  l'italienne,  bouffonneries  de  toute  espèce. 
Ces  différents  genres  ne  laissent  pas  de  s'influencer  et 
parfois  de  s^unir  de  la  manière  la  plus  inattendue.  Ainsi 
dans  la  mascarade  de  la  foire  Saint-Germain  (vers  1606), 
un  petit  garçon  se  présente  d'abord  et  chante  un  récit  : 

Je  suis  Toracle 

Du  Miracle 
De  la  foire  Saint-Germain, 

C'est  une  bornasse 

Qui  surpasse 
Les  efFects  du  genre  humain. 

((  Après  ce  récit  entra  un  habillé  en  sage-femme  qui  sur 
un  air  de  ballet  assez  propre,  fît  un  tour  de  par  la  salle*  ». 
Alors  parut  Vhomasse  annoncé  par  le  récit  ;  c'était 
un  mannequin  d'osier  représentant  une  grosse  femme 
((  richement  habillée,  farcie  de  toutes  sortes  de  babioles, 
comme  miroirs,  peignes,  tabourins,  moulinets  et  autres 
choses  semblables^.  De  ce  colosse,  la  sage-femme  tira 
quatre  astrologues  avec  des  sphères  et  compas  à  la  main 
qui  dansèrent  entre  eux  un  ballet  et  donnèrent  aux  dames 
un  Almanach...  puis  se  retirèrent.  Et  d'elle  sortirent 
encore  quatre  peintres...  et  chacun  en  cadence  faisoitsem- 

I.  Lacroix,  I,  p.  ao4. 

a.  Comparer  :  B.  de  la  Femme  sans  teste.  Airs  en  tablature  de  luth  de 
Bataille  III«  livre  (i6i  i)  p.  28.  —  ci  B.  des  Fées  des  Forests  de  Saint-Germain 
(i^«  entrée).  (16a 5). 


Io4  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Liant  de  peindre...  »  puis  quatre  opérateurs  qui  distri- 
buèrent en  dansant  des  fioles  de  parfum  aux  dames.  Enfin 
«  quatre  coupeurs  de  bourse  qui  se  firent  arracher  les 
dents  »  par  les  opérateurs  «  et  au  mesme  instant  leur 
couppoient  la  bourse...  Après  qu'ils  furent  sortis  de  la 
compagnie...  entra  un  Mercure  richement  habillé,  avec  un 
luth  à  la  main  qui  récita  le  sujet  de  la  grande  masqua- 
rade  en  ces  vers  : 

L'amour  volage,  plein  de  gloire 
Poursuyvant  l'Amour  arresté, 
Luy  débat  des  cœurs  la  victoire 
Et  les  feux  et  les  traits  que  donne  la  beauté. 

Tous  deux  ont  les  courages  braves, 
A  coups  de  traicts  ils  le  font  voir  ; 
Et  chacun  arme  ses  esclaves 
A  qui  pour  toute  paye,  il  donne  de  l'espoir. 


Après  entra  TAmour  volage,  accompagné  de  huict  che- 
valiers, armez  d'arcs  et  de  flesches^  qui  firent  un  ballet 
par  haut  avec  force  dispositions.  Là  dessus  les  violons 
changèrent  d'air  et  l'Amour  constant  ou  arresté  parut  à 
la  tète  de  huict  autres  chevaliers,  avec  des  petits  javelots 
à  la  main,  et  plus  gravement  que  les  premiers,  mais  avec 
beaucoup  de  grâce  et  d'agilité,  ils  firent  une  fort  belle 
entrée.  Gomme  les  deux  trouppes  furent  vis-à-vis  l'une  de 
l'autre,  des  deux  costez  de  la  salle,  on  commença  à  sonner 
l'air  du  grand  Ballet  et,  à  la  cadence,  ils  firent  cent  diffé- 
rentes figures  les  unes  contre  les  autres,  avec  autant  de 
sortes  de  combats,  si  bien  c[u'à  la  fin  l'Amour  constant 
triompha  de  l'Amour  volage  ». 

Ce  contraste  voulu  entre  la  mascarade  bouffonne  qui 


EVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR  lo5 

coQimence  le  spectacle  et  le  ballet  noble  qui  la  termine  fait 
songer  à  la  structure  du  ballet  de  Cour  anglais  avec  son 
antimask  servant  d'introduction  et,  en  quelque  sorte,  de 
repoussoir  au  Mask  proprement  dit*.  Mais  tandis  qu'en 
Angleterre  le  ballet,  fidèle  à  ses  origines,  garde  un  carac- 
tère nettement  théâtral,  les  mascarades  françaises  du 
genre  de  celle-ci  sont  de  simples  fêtes  pour  les  yeux  où  la 
raison  n'a  que  peu  de  part,  elles  ne  constituent  pas  un 
progrès  sur  les  divertissements  en  usage  au  xvi^  siècle. 

Tandis  que  ces  formes  désuètes  survivaient  au  triomphe 
du  ballet  dramatique,  le  genre  nouveau  ne  cessait  d'évo- 
luer. Nous  n'avons  malheureusement,  pour  la  plus 
grande  partie  du  règne  de  Henri  IV,  que  des  fragments 
poétiques  et  musicaux  trop  insuffisants  pour  pouvoir 
nous  faire  une  idée  exacte  des  ballets  de  cour  repré- 
sentés alors.  Vers  1607,  nous  trouvons  des  récits  et  des 
danses  se  rapportant  à  l'histoire  de  Latone  et  des 
paysans  changés  en  grenouilles  pour  l'avoir  insultée^; 
vers  1610,  un  ballet  d'Andromède"^,  vers  i6i4,  un  ballet 
mettant  en  scène  la  capture  d'Amour  par  des  nymphes 
et  sa  délivrance*.  Ces  divers  ballets  témoignent  de  l'idéal 
mythologique  qui  inspirait  les  musiciens  et  les  poètes  de 
la  Cour  de  Henri  IV. 

Les  ballets  burlesques  eux-mêmes  ne  laissent  pas 
d'associer  parfois  des  dieux  et  des  déesses  à  leurs  inven- 
tions bizarres.   Un  ballet  d'usuriers^  commence  par  un 

I.  Reyher,  Les  Masques  anglais.  Hachette,  1909,  in-S*^,   page  171  et  suiv. 

1.  V.  Récit  de  l'Amour  :  Je  suis  le  Monarque  des  deux.  Muses  ralliées  (1618). 
Airs  en  tablature  de  luth  de  Bataille,  Livre  P"",  pp.  34  et  3$.  —  Philidor, 
Tome II,  p.  61.  —  Ballard.  Tablature  de  luth  (Bibl.  Mazarinc  4761.  B). 

3.  Airs  en  tablature  de  luth,  III,  p.  62.  Philidor,  Tome  II,  p.  81. 

4.  Airs  en  tablature,  Tome  V,  p.  54-62. 

5.  V.  les  récits  :  Je  le  cherche  le  meschant  et  Nous  languissons  pour  la 
richesse  dans  les  Airs  en  tablature,  IIP  livre,  p.  18  et  19. 


I06  LE  KALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

récit  de  Vénus  qui  cherche  Gupidon  pour  lui  annoncer 
qu'elle  vient  de  rendre  amoureux  de  cupides  usuriers. 
Le  ballet  des  matrones  a  pour  prologue  un  long  récit  de 
la  déesse  Lucine  ^  On  pourrait  multiplier  les  exemples. 
A  cette  époque,  le  ballet  de  Cour  n'obéit  à  aucune  loi, 
à  aucune  règle,  à  aucune  tradition.  Il  est  impossible,  au 
milieu  d'une  telle  confusion,  d'établir  avec  certitude  vers 
quelle  date  s'opéra  la  substitution  des  récits  chantés  aux 
récits  parlés.  On  peut  toutefois  se  demander  si  des 
influences  italiennes  ne  contribuèrent  pas  à  orienter  le 
ballet  vers  un  idéal  mélodramatique.  De  1601  à  i6o5,  on 
trouve  à  la  Cour  de  Marie  de  Médicis  les  deux  hommes 
qui  firent  le  plus  pour  Tavènement  du  style  récitatif  et 
de  la  tragédie  lyrique  :  Ottavio  Rinuccini,  l'auteur  de  la 
Dafne  et  de  VEuridice  et  le  fameux  musicien  Giulio 
Caccini^  Il  est  en  tous  cas  bien  établi  que  Rinuccini  se 
passionna  pour  le  ballet  de  Cour  français,  puisqu'au 
témoignage  de  son  fils,  il  fut  le  premier  à  importer  en  Ita- 
lie ce  genre  nouveau.  Le  ballet  des  Dames  Ingrates  [Mas- 
cherata  delV  Ingrate  ^) ,  représenté  à  Mantoue  le  4  j uin  1 608 , 
nous  montre  le  ballet  de  Cour  français  habilement  adapté 
aux  ressources  de  la  musique  récitative.  Les  récits  parlés 
ont  disparu,  tout  ce  qui  n'est  pas  exprimé  par  des  gestes 
est  chanté. 

Il  est  impossible  de  faire  l'histoire  du  ballet  de  Cour 
sans  tenir  compte  des  échanges  entre  la  France  et  l'Italie. 


1.  I^acroix,  Tome  I,  p.  aga. 

2.  Henry  Prunières.  L Opéra  italien  en  France  avant  Lulli.  Paris.  Cham- 
pion, 191 3,  in-80  [Introduction,  p.  XXVIII-XXXIY). 

3.  Mascherata  delV  Ingrate,  Ballo  del  Sereniss.  Sig.  Duca,  Danzato  per  le 
Nozze  de'  Serenissimi  Principe  di Mantova  et  infanta  di  Savoia  In  Mantova... 
Osanna  1608.  (Collect.  Prunières).  — V.  Solerti  Gli  alhori  del  nielodramma. 
Tome  II.  p.  248. 


ÉVOLUTION    DU    BALLET    DE    COUR  107 

Si  Rinuccini  met  à  la  mode,  à  Florence  et  à  Mantoue,  le 
genre  du  ballet  dramatique  et  même  la  musique  des 
danses  françaises*,  c'est  le  machiniste  Francini  qui  intro- 
duit en  France  le  dispositif  théâtral  usité  en  Italie  pour 
les  représentations  de  ballets.  11  est  donc  bien  permis  de 
supposer  que  Rinuccini  ne  se  trouva  pas,  durant  près  de 
cinq  ans,  en  contact  avec  les  musiciens  et  les  poètes  de 
la  Cour  d'Henri  IV,  sans  les  entretenir  de  la  réforme 
mélodramatique  accomplie  à  Florence  et  sans  leur  sug- 
gérer ridée  de  remplacer  par  des  chants  expressifs  les 
longues  tirades  des  ballets  comiques. 

On  peut  voir  par  le  recueil  de  quelques  vers  amoureux 
de  Bertaut,  publié  en  1602  \  qu'à  cette  date  des  récits 
déclamés  servaient  encore  d'introduction,  et,  en  quelque 
sorte,  de  prologue  à  tous  les  ballets  dansés  à  la  Cour  : 
Ballet  de  douze  dames  toutes  couvertes  d' estoilles .,  ballet 
des  princes  vestus  de  fleurs  en  broderie^  ballet  de  seize 
dames  représentans  les  vertus^  ballet  des  princes  de  la 
Chine.,.  A  partir  de  iGo5,  au  contraire,  on  ne  rencontre 
plus  dans  lès  ballets  royaux  que  des  récits  destinés  à  être 
chantés.  En  province,  l'usage  des  tirades  déclamées  sub- 
sistera encore  quelques  années^  et,  en  1626,  le  duc  de 
Nemours  cherchera  à  ressusciter  cette  forme  désuète 
dans  son  ballet  burlesque  des  doubles  femmes'',  mais  ce 
sera  là  une  tentative  sans  lendemain,  A  dater  du  séjour 
à  la  Cour  de  Gaccini  et  de  Rinuccini,  le  genre  du  ballet 

1.  Riuuccini.  Poésie.  Giunti  MDGXXII  (in-80).  Préface. 

2.  V.  Recueil  de  quelques  vers  amoureux.  Paris.  Maraert  Pâtisson,  i6o5, 
(in-80)  pp.  81-87. 

3.  Cf.  Balet  dansé  en  la  présence  du  Boy,.,  en  la  ville  de  Bordeaux  au  ChaS" 
teau  Trompette  le  27  septembre  1620...  Bibl.  Mazarine  87,273,  pièce  44. 

4.  Saint-Hubert,  Op.  cit.  p.  28.  —  MaroUes.  Mémoires.  Tome  III,  p.  114  et 
tome  I,  170.  Le  livret  de  ce  ballet  semble  perdu. 


Io8  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

comique  a  vécu  en  France.  En  1608,  chaque  entrée  du 
ballet  des  trois  âges  est  commentée  par  un  chœur  déve- 
loppé*. En  1609,  le  ballet  de  la  Reine  comporte  des  récits 
à  voix  seule  d'un  grand  intérêt  dramatique  ^  Ce  spectacle 
fut  monté  avec  une  magnificence  ^  dont  s'émerveillèrent 
les  contemporains  ;  malheureusement  il  ne  subsiste  de  ce 
ballet  que  de  brefs  fragments  poétiques  et  musicaux,  insuf- 
fisants pour  nous  donner  une  juste  idée  du  sujet  et  de 
l'action.  Nous  savons  seulement  que  la  Reine  incarnait  la 
Beauté  et  ses  suivantes  des  nymphes  *.  La  représentation 
commençait  par  l'arrivée  d'une  naïade,  portée  sur  un  dau- 
phin, qui  chantait  en  s'accompagnant  sur  un  luth^  : 

Ces  Ninfes  pleines  de  mespris, 
Voyant  tant  de  pauvres  esprits 
Qui  bruslent  d'une  ardeur  profane, 
Quittent  leurs  antres  et  leurs  bois 
Et  viennent  avec  leur  Diane 
Vous  donner  de  nouvelles  lois... 

1.  La  musique  est  de  Vincent,  Airs  en  tablature  de  luth  de  Bataille.  Livre  V 
(1614)  p.  26-28.  —  On  trouve  ces  morceaux  notés  à  plusieurs  parties  dans 
les  Airs  à  quatre  de  Différents  autheurs,  Paris,  Pierre  Ballard,  i6i3,  Bibl. 
Roy.  de  Bruxelles,  fonds  Fétis  23i8. 

2.  La  musique  des  trois  récits  publiés  dans  les  Airs  en  tablature  de  luth 
de  Bataille  est  de  Chevalier,  Livre  II  (1604)  p.  6-8,  Plusieurs  danses  de  ce 
ballet  se  trouvent  dans  le  précieux  recueil  de  Robert  Ballard.  Bibl,  Mazarine, 
4.761  B. 

3.  Bassompierre,  Mémoires  I,  p.  2i3  et  223.  —  Lestoile.  Journal  du  "ii  jan- 
vier 1609.  —  Hérouard,  Journal  de  Louis  XIII,  I,  33o.  —  Malherbe.  Lettre 
datée  du  soir  de  la  Chandeleure  (édit.  Lalanne  III,  81).  —  Victor  Fournel  a 
affirmé,  après  Victor  Cousin  et  Livet,  que  M^^^  de  Scudéry  avait  décrit  ce  ballet 
dans  le  Grand  Cyrus  (VII,  229).  En  réalité  le  passage  du  Grand  Cyrus  ne  s'ap- 
plique nullement  au  ballet  de  1609.  Née  en  ^607,  M}^^  de  Scudéry  n'avait 
d'ailleurs  que  deux  ans  quand  il  fut  représenté  ! 

4.  Recueil  des  Vers  du  Balet  de  la  Royne  représentant  la  Beauté  et  ses 
Nymphes,  dansé  le  3i  janvier  1609.  Paris,  Toussaint  Du  Bray,  1609.  B.  Nat. 
Yf.  1829.  —  Mazarine  35202  pièce  22. 

5.  M,  Michel  Brenet  dit  dans  ses  Notes  sur  l'histoire  du  luth  que  ce  rôle 
était  tenu  par  Angélique  Paulet. 


ÉVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR  109 

Les  nymphes  conduites  par  la  Reine  entraient  alors  et 
dansaient  leur  ballet.  Un  chœur  accompagnait  une  des 
figures  de  leur  danse  :  la  chaisne. 

Nos  esprits  libres  et  contens 
Vivent  en  ces  doux  passe-temps 
Et,  par  de  si  chastes  plaisirs, 
Bannissent  tous  autres  désirs. 

Le  ballet  finissait  sans  doute  par  l'arrivée  de  la 
Renommée  qui  s'avançait  dans  la  salle  jusque  devant  le 
trône  du  Roi  et  chantait  les  nombreuses  strophes  d'un 
récit,  écrit  par  Malherbe  et  mis  en  musique  par  Chevalier. 

Pleine  de  langues  et  de  voix, 

0  Roy,  le  miracle  des  rois, 

Je  viens  de  voir  toute  la  terre 

Et  publier  en  ses  deux  bouts 

Que  pour  la  paix  ny  pour  la  guerre 

Il  n'est  rien  de  pareil  à  vous. 

A  en  juger  par  ce  ballet,  il  semble  que  la  tradition  du 
ballet  dramatique  se  fût  singulièrement  afTaiblie  sous  le 
règne  de  Henri  IV  et  que  la  vogue  des  ballets-masca- 
rades eût  entraîné  la  décadence  du  genre  créé  par  Beau- 
joyeulx.  En  réalité,  l'abandon  des  dialogues  et  des  tirades 
déclamés  avait  détourné  le  ballet,  pour  quelques  années 
seulement,  de  la  voie  dramatique  ;  il  fallait  attendre  que 
la  musique  eût  pris  assez  confiance  en  ses  forces  pour 
pouvoir  assumer,  à  elle  seule,  la  tâche  qu'elle  partageait 
auparavant  avec  la  poésie.  On  peut  juger  du  chemin  par- 
couru en  lisant  les  fragments  du  Ballet  de  Monseigneur 
le  Dauphin^  dansé  en  1610*.  Ce  ballet,  dont  l'intrigue  est 

I.  Y.  Iléroard.  Journal  de  Louis  AJII  à  la  claie  du  a8  février  1610.  Répé- 
titions les  10,  22,  25,  et  27  février.  Le  ballet  fut  dansé  à  l'Arsenal. 


IIO  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

impossible  à  reconstituer,  commence  par  un  grand  pro- 
logue patriotique^  La  Victoire  célèbre  en  chantant  la  gloire 
de  Henri  IV  et  prédit  à  la  France  mille  prospérités.  Après 
ce  long  récit,  la  Victoire  entonne,  à  la  louange  du  Dauphin, 
des  couplets  qui  alternent  avec  le  chœur  de  la  musique 
royale. 

LA    VICTOIRE 

C'est  à  moy  qui  suis  la  Victoire 
Eslevant  des  Roys  le  penser, 
D'aller  aux  peuples  annoncer 
Que  ce  prince,  enfant  de  la  Gloire, 
Par  tous  les  destins  attendu, 
D'entre  les  Dieux  est  descendu. 

LA    MUSIQUE 

Que  pour  luy  le  soleil  sans  nuages  esclaire  ! 
Sous  luy  puisse  la  paix  de  soucis  nous  priver. 
Ou  si  nous  en  avons,  que  ce  soit  de  luy  plaire 
Autant  comme  il  en  a  de  nous  bien  conserver  ^  ! 

Cette  même  année  (1610)  \e  Ballet  (TAlcine  renoue  la 
tradition  dramatique  du  Ballet  comique  de  la  Reine  et 
montre  d'autre  part  que  la  substitution  du  chant  à  la 
déclamation  est  désormais  un  fait  accompli. 


II 

Le  ballet  de  Monseigneur  le  duc  de  Vendosnie  fut  repré* 
sente  au  Louvre  le  17  janvier  I6IO^  Il  associait  adroite- 

I.  Publié  par  Lacroix  (1,  i83)  d'après  le  Ms,  original  de  l'auleur  (Motin) 
provenant  de  la  Coll.  La  Yallière. 

a.  La  musique  de  ce  chœur,  arrangée  pour  une  voix  avec  accompagne- 
ment de  luth  se  trouve  dans  le  livre  III  du  Recueil  de  Bataille  (1611)  p.  17. 
Plusieurs  danses  du  halLet  de  Monseigneur  le  Dauphin  se  trouvent  dans  la 
tablature  de  luth  de  Robert  Ballard  à  la  Bibl.  Mazarine. 

3.  Journal  d'Héroard  17  et  18  janvier  î6io. 


EVOLUTION     DU     BALLET    DE     COUR  III 

ment  les  entrées  burlesques  des  ballets-mascarades  aux 
entrées  nobles  et  à  l'intrigue  des  ballets  comiques  ^ 

Le  rideau,  en  tombant,  découvrit  un  décor  représentant 
une  forêt.  Un  singulier  personnage  en  sortit  ;  c'était 
((  Messire  Gobbemagne,  grand  confallottier  de  Tlsle  des 
Singes  »  suivi  de  trois  violons  «  vestus  en  Turcs  qui  dan- 
çoient  en  sonnant  ».  Gobbemagne  fît  sortir  de  la  forêt  deux 
pages  porte-flambeaux  déguisés  en  magots  verts  qui  se  livrè- 
rent à  mille  singeries  en  cadence.  Les  uns  après  les  autres 
tous  les  violons  et  tous  les  porte-flambeaux  entrèrent  ainsi 
dans  la  salle.  Les  violons  montèrent  sur  leur  estrade  et  les 
magots  verts,  après  avoir  dansé  bizarrement,  se  retirèrent» 
Après  ce  prologue  burlesque,  l'action  commença  :  la  ma- 
gicienne Alcine  sortit  de  la  forêt  ;  «  elle  sonnoit  d'un  luth  » 
et  était  «  suivie  d'une  de  ses  Nymphes  qui  luy  portoit  la 
queue  de  sa  robe,  et  de  dix  autres  après  séparées  en  deux 
rangs,  jouans  de  plusieurs  instrumensetdançans  d'un  pas 
grave  et  doux  »,  Alcine  s'avançait  ainsi  presque  devant  le 
trône  du  Roi  et  «  récitoit  seulement  en  chantant  les  vers 
qui  s'ensuivent  et  le  chœur  des  Nymphes  reprenoit  en 
sonnant  et  chantant  le  dernier  vers  de  chaque  couplet  : 

Rien  ne  s'oppose  à  mes  lois, 
Je  suis  l'effroy  de  ces  bois, 
Alcine,  au  inonde  cognûe, 
Qui  vais  marchant  sur  l'onde  et  sur  la  nue  ^.. 

Alcine  racontait  qu'elle  avait  métamorphosé  de  pauvres 
chevaliers    en    objets    hideux   et   grotesques   et   invitait 

I.  V.  Ballet  de  Monseigneur  le  Duc  de  Vandosme  dansé  par  luy  Douziesme^ 
en  la  >>ille  de  Paris  dans  la  Grande  salle  de  la  Maison  lloyalle  du  Louvre, 
puis  en  celle  de  V Arsenal,  le  dix-sept  et  dix-huitiesme  jour  de  janvier  1610. 
Paris,  Jean  de  Henqucvillc  1610.  (Bibl.  Mazarinc  346i3  ^*  pièce  19).  —  Le 
Recueil  des  plus  excellents  ballets  de  ce  temps  (1612)  contient  le  Dessein  du 
Ballet  de  Monseigneur  le  Duc  de  Vendosme  (public  par  Lacroix,  I,  p.  200). 


112  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

ceux-ci  à  sortir  de  la  forêt,  puis  elle  se  retirait  avec 
sa  suite.  On  voyait  alors  venir  en  se  dandinant  deux 
grosses  tours  et  deux  ce  damoiselles  géantes  ».  Ces  man- 
nequins s'ouvraient  et  il  en  sortait  quatre  Naïades  qui 
dansaient  un  gracieux  ballet  ^  De  la  même  façon,  quatre 
Nymphes  s'échappaient  de  l'enveloppe  grotesque  de  deux 
pots  de  fleurs  et  de  deux  hiboux  et  quatre  Dryades  de 
deux  grandes  violes  et  de  deux  moulins  à  vent.  Après 
quoi  les  douze  Nymphes  s'unissaient  pour  danser  un 
beau  ballet.  Huit  nains  survenaient  qui  exécutaient  des 
pas  boufforis,  faisaient  mille  cabrioles,  se  chamaillaient, 
se  gourmaient  en  cadence. 

Alcine  et  ses  Nymphes  revenaient  alors  «  regardant 
de  çà  et  de  là  avec  des  gestes  furieux  et  menaçans.  » 
Arrivée  devant  le  Roi,  la  magicienne  «  récitoit  en 
chantant  et  sonnoit  d'une  pandore  (que  lui  présentoit 
une  de  ses  Nymphes)  »,  une  longue  apostrophe  à  ses 
démons  : 

Noires  fureurs,  ombres  sans  corps, 
L'efFroy  des  vivans  et  des  morts, 
Trompeuse  bande  que  j'appelle 
Impuissante,  ou  bien  infidelle  : 
Allez,  démons,  foibles  esprits, 
Je  vous  quitte  avec  du  mespris*^. 

Elle  expliquait  que  ses  prisonniers  allaient  lui  échap- 
per par  l'intervention  du  plus  grand  roi  de  la  terre  et 
qu'elle  préférait  abandonner  la  partie. 


1.  La  Musique  de  danse  du  Ballet  du  duc  de  Vendôme  a  été  conservée 
dans  la  collection  Philidor  sous  ce  titre  :  Ballet  des  Moulins  à  Vent  et  des 
Pots  à  bouquets  dansé  par  Mons.  de  Vandosme,  l'an  1610.  Tome  II,  p.  99. 
—  Les  récits  se  trouvent  dans  le  IIP  livre  de  Airs  de  Bataille. 

2.  Airs  en  tablature  de  luth  de  Bataille,  livre  III,  p.  35. 


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ÉVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR  ll3 

J'ayme  bien  mieux  dans  les  enfers, 
Entre  les  flammes  et  les  fers, 
Me  voir,  sans  mourir,  embrasée 
Que  vivre  et  me  voir  mesprisée. 

Les  nymphes  s'enfuyaient  alors  en  désordre  «  comme 
tristes  et  esperdues  »  et  «  alors  elles  et  ladite  forest  dis- 
paroissoient,  et  se  voyoit  au  mesme  instant  le  Palais 
Enchanté  »  et  «  une  pyramide  sur  laquelle  on  lisait  cette 
prophétie  »  : 

Le  fameux  lynx  seulement 
Défera  cest  enchantement. 

Devant  la  façade  du  palais,  les  douze  chevaliers  se 
tenaient  immobiles  comme  statues;  mais  ils  s'animaient 
soudain  et  sautaient  sur  place.  Le  palais  s'abîmait  et  l'on 
entendait  dans  le  lointain  les  suivantes  d'Alcine  qui  se 
lamentaient  : 

Où  sont  nos  Palais  dorez? 
Sont-ils  des  flammes  dévorez  ? 
O  bois,  ô  lieu  si  doux, 
Pourquoy  vous  perdons-nous  *  ? 

Les  chevaliers  désenchantés  dansaient  alors  le  grand 
ballet  qui  terminait  la  représentation. 

Le  Ballet  d'Alcine  ouvre  le  cycle  des  ballets  qu'on 
peut  appeler  mélodramatiques  en  ce  que  leur  forme 
n'est  pas  sans  analogie  avec  celle  de  l'opéra.  La  musique 
va  tenir  dans  ces  représentations  une  place  de  plus  en  plus 
importante.  Quant  à  l'action,  elle  sera  assez  variée  dans 
le  détail,  mais  la  donnée  elle-même  ne  changera  guère. 
Gomme  dans  la  Mascarade  du  duc  de  Longueville^  comme 

I.  Bataille  :  Airs  en  tablature  de  luth,  livre  III  p.  36. 


Il4  LE     BALLET    DE     COUR    EN    TRANCE 

dans  le  Ballet  comique  de  la  Reine ^  on  verra  une  magi- 
cienne retenir  captifs  des  prisonniers  qui,  à  la  fin,  recon- 
querront leur  liberté. 

Dans  le  ballet  des  Argonautes^ ^  monté  en  i6i4,  Gircé 
évoque  en  chantant  les  démons  aériens,  figurés  par  les 
violons,  et  leur  commande  «  de  venir  agiter  et  troubler 
par  leurs  discordantes  voix  et  musiques,  les  esprits  des 
Argonautes,  qu'elle  tient  enchantez  »  dans  son  antre  ^ 
Appelés  par  elle,  d'autres  démons  font  leur  entrée  sous 
forme  de  pages  porteurs  de  flambeaux.  On  voit  qu'en 
tous  ces  ballets  le  souvenir  subsistait  de  la  mascarade 
primitive  qui  pénétrait  dans  la  salle  précédée  de  porte- 
torches  et  de  musiciens. 

Après  cette  sorte  de  prologue,  les  enchantés  sortent 
de  Fantre,  «  chacun  dans  une  machine  qui  représente 
leur  fantasque  imagination  »,  et  dansent  avec  extrava- 
gance avant  de  regagner  leur  prison.  Amphion  survient; 
il  a  résolu  pour  plaire  au  Roi  de  vaincre  la  magicienne  \ 
A  sa  voix,  les  rochers  dont  est  formée  la  caverne  de  Gircé 
se  changent  en  hommes  qui  dansent  un  ballet.  A  Amphion 
succède  Médéequi  vient,  «  suivie  de  douze  harpies  jouans 
du  luth  et  dançans  »,  avertir  charitablement  Gircé  que  les 
Argonautes  vont  lui  échapper.  Gircé  s  avoue  vaincue  en 
un  récit  à  la  louange  du  Roi  et  rend  leur  première  forme 
aux  Argonautes  qui  paraissent  «  habillés  en  parade  »  pour 
danser  le  grand  ballet. 

La  donnée  du  Triomphe  de  Minerve^  représenté  l'année 


1.  V.  les  lettres  de  Malherbe  à  Pereisc  du  i3  janvier  et  du  27  janvier  1614. 

2.  Ballet  des  Argonautes...  Paris,  Fleury  Boussiquaut  1614.  Bibl.  Maza- 
rine  37279  pièce  3o.  Lacroix,  tome  II,  p.  3. 

3.  Le  récit  d'Amphion  par  Guédron  se  trouve  dans  le  F*^  livre  des  Airs  en 
tablature  de  luth,  p.  63. 


EVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR  1j5 

suivante,  est  difficilement  intelligible  \  La  reine  avait 
pourtant  choisi  ce  sujet  «  comme  le  plus  haut  et  le  moins 
embrouillé  et  se  rapportant  le  plus  à  la  condition  et  qua- 
lité de  Madame,  qu'il  faisoit  estre  une  Minerve,  et  tout  le 
ballet  un  triomphe  qu'elle  faisoit  d'avoir  captivé  le  roi 
d'Espagne".  En  somme  ce  ballet  allégorique,  en  dépit  de 
sa  mise  en  scène  fastueuse,  de  sa  musique  excellente  et 
des  vers  de  Malherbe,  marque  un  arrêt  dans  l'évolution 
du  ballet  de  cour.  Tout  le  succès  alla  aux  «  machines, 
mutations  de  scènes  et  disposition  des  danseurs  ».  Le 
poète  Durand,  contrôleur  provincial  des  guerres,  était 
Virwenteur  de  ce  ballet  d'un  si  médiocre  intérêt  drama- 
tique ;  il  devait  prendre  sa  revanche  deux  ans  plus  tard. 
Le  livret  de  la  Délivrance  de  Renaud^  est  telle- 
ment supérieur  à  celui  du  Triomphe  de  Minerve  qu^on 
peut  se  demander  si  Durand  en  fut  vraiment  l'au- 
teur ou  s'il  se  contenta  de  dresser  le  plan  du  spectacle 
d'après  les  conseils  et  les  indications  de  l'architecte 
Francini,  chargé  de  la  mise  en  scène,  et  des  musi- 
ciens Guédron,  GabrielBataille,  Boesset  et  Mauduit\  qui 


I.  Les  Oracles  français  ou  explication  allégorique  du  Ballet  de  Madame... 
Paris,  Chevalier  i6i5. —  Lacroix  (II,  p.  6i  et  suiv.) — V.  surtout  la  description 
minutieuse  de  ce  ballet  dans  le  tome  IV  du  Mercure  français  p.  9  et  suiv.  et 
les  lettres  de  Malherbe  de  février  et  mars  i6i5. 

1.  Fragment  de  la  description  citée  par  Beauchamp.  Recherches  sur  les 
théâtres  en  France,  tome  III.  p.  70. 

3.  Discours  au  vray  du  ballet  dansé  par  le  Roy  le  dimanche  XXIX^  jour  de 
jan\>ierM.  VP.  XVII.  Avec  les  desseins,  tant  des  machines  et  apparences  diffé- 
rentes, que  de  tous  les  habits  des  Masques .. .  Paris,  Pierre  Ballard,  161 7,  in-40. 
Bibl.  Nat.  Réserve  Yf.  1204.  et  Bibl.  du  Conservatoire.  —  Lacroix  II  p.  97. 

4.  Il  est  intéressant  de  noter  la  part  prise  à  l'exécution  de  ce  ballet  par 
le  vieux  Jacques  Mauduit,  le  directeur  de  l'Académie  de  Sainte-Cécile,  der- 
nier refuge  des  musiciens  humanistes  et  des  théoriciens  du  cénacle  de  Baïf. 
Mauduit,  à  cette  époque,  n'avait  rien  abandonné  des  doctrines  baïfîennes.  On 
en  peut  juger  par  ce  passage  du  Mercure  français  racontant  l'entrée  du  Roi 
à  Paris,  en  1614  :   «  Parvenu  à  la  Porte   Saint-Jacques,   la    musique  de  voix 


Il6  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

travaillèrent  aux  récits,  aux  dialogues  et  aux  chœurs  ^ 
La  Délivrance  de  Renaud  fut  représentée  au  Louvre  le 
29  janvier  161 7  ^  Le  jeune  Roi  y  dansa  plusieurs  entrées 
aux  côtés  de  son  favori,  De  Luynes,  qui  jouait  et  chan- 
tait^ le  rôle  de  Renaud.  Nous  aurons  à  revenir  sur  la 
curieuse  disposition  de  la  mise  en  scène;  disons  seule- 
ment que  l'action  se  déroulait  sur  un  théâtre  qui  com- 
muniquait avec  la  salle  par  des  plans  inclinés.  Des  deux 
côtés  du  théâtre,  de  grands  bosquets  abritaient  les  cho- 
ristes et  les  instrumentistes.  Avant  le  lever  du  rideau,  on 
ouït  d'abord  un  tendre  chœur  amoureux  : 

Puisque  les  ans  n^ont  qu'un  printemps 
Passez  amans  doucement  vostre  temps... 

Après  cette  sorte  d'ouverture,  la  scène  fut  découverte. 
Sur  un  lit  de  gazon,  au  pied  d'une  colline  plantée 
d'arbres,  Renaud  se  reposait,  entouré  par  les  esprits  qui 
le  gardaient.  Ces  démons,  magnifiquement  vêtus,  dansè- 
rent longuement,  puis  rentrèrent  avec  Renaud  dans  une 
grotte  creusée  au  flanc  de  la  montagne.  Deux  chevaliers 
survinrent  en  dansant  sur  un  air  de  trompette  et  s'effor- 
cèrent de  pénétrer  dans  la  grotte,  mais  aussitôt,  comme 


de  luths  et  de  violes,  composée  de  six  à  sept  vingts  personnes,  chanta  cette 
Ode  choriambique  tetrametre  catalectique,  composée  par  Maudhuit,  l'un  des 
excellens  musiciens  de  son  temps  : 

Peuples  accourez  hastivement  voir  vostre  Roy  qui  s'en  vient 
Victorieux  et  courageux,  plein  de  nouvelle  grandeur...  » 

{Mercure  françois).  —  Année  1614.  Tome  III.  p.  491 

I.  Nous  publions  la  musique  de  ce  ballet  en  appendice. 

a.  Journal  d'Héroard.  29  janvier  1617.  Répétitions  les  a3  décembre  1616, 
4  et  19  janvier  1617. 

3.  Le  livret  le  dit  expressément.  On  peut  toutefois  se  demander  si  De 
Luynes  fit  autre  chose  que  mimer  le  rôle  et  si  un  chanteur  ne  fît  pas  entendre 
à  sa  place  le  bel  air  ;  Déliez  qui  libres  d'ennui... 


EVOLUTION    DU    BALLET    DE    COUR  II7 

par  magie,  le  décor  changea.  La  nouvelle  scène  repré- 
sentait les  jardins  enchantés  d'Armide,  ornés  de  fontaines 
jaillissantes.  Les  chevaliers,  armés  de  baguettes  magiques, 
arrêtèrent,  en  les  touchant,  les  divers  jets  d'eau  ;  soudain, 
une  nymphe  toute  nue  et  échevelée  s'élança  d'une  des 
fontaines  et,  en  un  récit  musical,  les  supplia  de  laisser 
Renaud  et  Armide  en  paix  ;  les  chevaliers,  impitoyables, 
la  contraignirent  à  rentrer  dans  la  fontaine.  Six  monstres 
sortirent  des  jardins  d'Armide  et  s'efforcèrent  de  les 
arrêter,  mais  après  un  long  combat  en  cadence  les  che- 
valiers les  mirent  en  déroute.  Ils  s'arrêtèrent  alors,  inter- 
dits, voyant  au  fond  de  la  scène  Renaud  couché  sur  un 
lit  de  fleurs,  qui  célébrait  son  bonheur  en  chantant  : 

Déitez  qui  libres  d'ennuis 
N'avez  rien  de  sujet  aux  maux  de  nostre  vie, 

Contant  de  Testât  où  je  suis. 

Je  ne  vous  porte  point  d'envie  : 
Car  Amour  me  donnant  ce  qu'il  a  de  plus  doux 
D'un  mortel  comme  moy  fait  un  Dieu  comme  vous. 

S'approchant  du  héros,  les  chevaliers  lui  montrent 
l'écu  de  cristal  qui  lui  rend  la  conscience  de  son  indi- 
gnité. Aussitôt  Renaud  brise  ses  fers  et  quitte  les  jardins 
enchantés.  «  Armide  accourt  esplorée  sur  les  lieux  que 
Renault  a  laissez;  elle  voit  ses  fonteynes  taries,  ses 
Nymphes  muettes,  ses  monstres  chassez  »  elle  appelle 
ses  démons  «  par  des  coaj.uratio.ns  toutes  nouvelles  » 
mais  ceux-ci,  comme  pour  se  moquer  d'elle,  se  présen- 
tent sous  forme  d'écrevisses,  de  tortues  et  de  limaçons. 
Armide,  à  cette  vue,  sent  redoubler  sa  colère  : 

Quel  subit  changement  !  quelle  dure  nouvelle  ! 
Dieux,  qu'est-ce  que  je  vc^y  ? 


Il8  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Osez-vous  bien,  ô  démons  infidelles, 
Paroistre  devant  moy? 

Parlez,  démons,  Armide  vous  demande 
Qu'est  devenu  Renaud  ? 

Mais,  pour  toute  réponse,  les  démons  sortent  de  leur 
enveloppe  et  paraissent  costumés  en  vieilles  «  bottées  et 
esperonnées  ».  Ils  dansent  ainsi  un  ballet  bizarre  puis 
se  retirent  emmenant  Armide,  pendant  que  le  palais  et 
le  jardin  se  changent  en  «  une  caverne  déserte  et 
affreuse  ». 

ce  Après  un  moment  de  relasche  »  entra  dans  la  salle 
une  sorte  de  char,  figurant  un  petit  bois,  dans  lequel  se 
tenaient  «  seize  personnes  vestues  en  cavaliers  antiques.  » 
C'étaient  les  soldats  de  Renaud  partis  à  la  recherche  de 
leur  général.  Ils  chantaient  : 

Allez,  courez,  cherchez  de  toutes  pars 
Allons,  courons,  cherchons  de  toutes  pars 
Ce  superbe  Renault,  le  fier  vainqueur  de  Mars 
Dont  le  cœur  généreux  en  un  lointain  séjour, 
Par  l'efFort  d'un  bel  œil  est  esclave  d'amour. 

Un  mage,  habillé  en  ermite,  qui  se  trouvait  parmi 
eux,  leur  annonçait  la  délivrance  du  héros.  Aussitôt  écla- 
tait un  grand  hymne  de  réjouissance,  chanté  par  toute  la 
musique  : 

Enfin  le  Ciel  a  retiré 
Ce  Renault  qu'Amour  avait  attiré. 
Ce  tiran  n'est  plus  son  vainqueur. 
Ses  feux  ne  bruslent  plus  son  cœur. 

Pendant  ce  temps,  le  décor  du  théâtre  changeait;  deux 
grands  palmiers  se  dressaient  à  droite  et  à  gauche  d'une 


EVOLUTION    DU    BALLET    DE    COUR  II9 

vaste  tente  où  siégeaient  les  chevaliers  de  Godefroid  de 
Bouillon  qui  se  levèrent  pour  danser  le  Grand  ballet. 

La  Délivrance  de  Renaud  présente  le  type  achevé  du 
ballet  mélodramatique .  Une  action  suivie,  exposée  par  la 
pantomime  et  par  les  récits  chantés,  sert  de  prétexte  à  un 
certain  nombre  d'entrées,  sérieuses  ou  bouffonnes,  et  se 
termine  par  le  Grand  ballet  traditionnel  exécuté  par  tous 
les  nobles  danseurs  masqués,  habillés  de  vêtements 
somptueux  et  portant  sur  leur  tète  des  aigrettes  de 
plumes  et  de  clinquant  \ 

La  mort  tragique  du  poète  Durand,  exécuté  en  place  de 
Grève  pour  un  pamphlet  contre  de  Luynes  %  n'arrêta  pas 
l'essor  du  ballet  mélodramatique .  En  1618,  le  Roi  prit  pour 
sujet  de  son  ballet  :  la  Folie  de  Roland^  et,  en  16 19,  \ A.d- 
vantuj^e  de  Tancrède  en  la  forest  enchantée'*.  Nous  avons 
une  description  détaillée  de  ce  dernier  ballet  dont  l'inven- 
tion était  attribuée  à  Porchères,  le  fameux  intendant  des 
plaisirs  nocturnes  de  Louis  XIIP.  Ce  spectacle  est  encore 
en  progrès  sur  les  précédents,  au  point  de  vue  stricte- 
ment théâtral.  On  pourrait,  sans  trop  d'arbitraire,  le  divi- 
ser en  trois  actes  de  durée  à  peu  près  égale. 

Le  premier  acte  se  passait  dans  une  forêt.  Le  magicien 

1,  Abbé  de  Marolles,  Mémoires.  Amsterdam  1755.  Tome  III.  Disc.  IX, 
p.  112. 

a.  Durand  fut  condamné  à  être  rompu  et  brûlé  après  avoir  fait  amende 
honorable.  Le  Mercure  français ,  en  rendant  compte  de  cette  horrible  exécution, 
le  16  juillet  1618,  appelle  Dtirand  «  l'un  des  gentils  poêles  de  son  temps, 
inventif  à  dresser  des  ballets  ».  Tome  V  (1618)  p.  268. 

3.  Lacroix,  tome  II,  p.  i5o, 

4.  Relation  du  Grand  Ballet  du  Roy  dancé  en  la  salle  du  Louvre,  le  12  fé- 
vrier 1619  sur  l adventure  de  Tancrède  en  la  forest  enchantée .. .  Paris,  Jean 
Sara,    1619,   in-8°.    (Bibl.  Mazarine  87. 27^  pièce  a5). 

Pour  les  comptes  rendus  de  ce  ballet,  voir  aussi  le  Mercure  français^ 
tome  VI,  p.  86.  —  Héroard.  Journal  du  12  février.  (Répétitions  les  9  janvier 
et  i  février). 

5.  Tallemant  des  Réaux.  Historiettes,  VI,  40. 


I20  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Ismène  se  préparait  à  combattre  les  chrétiens  par  ses 
enchantements.  Il  exposait  son  dessein  infernal  en  un 
long  récit,  puis  obligeait,  par  ses  sortilèges,  les  divinités 
bocagères  à  quitter  les  bois.  Celles-ci  paraissaient  et 
dansaient  un  ballet*.  Ensuite  il  appelait  à  lui  des  mons- 
tres et  des  démons  qui,  après  avoir  dansé,  s'emparaient  de 
la  forêt. 

A  lacté  II,  les  démons  mettaient  en  fuite  des  troupes 
de  bûcherons  et  de  sagittaires.  Tancrède  paraissait  avec 
trois  chevaliers  et  après  avoir  dansé  noblement,  combat- 
tait les  esprits  en  cadence.  Le  théâtre  s  embrasait,  puis 
tout  à  coup  les  ténèbres  envahissaient  la  scène,  les 
monstres  vaincus  s'enfuyaient  et  un  chœur  d'esprits 
invisibles  se  lamentait. 

ce  Le  chant  finy,  le  théâtre  reprit  sa  clarté  et  fut  à 
l'instant  changé  en  amphithéâtre...  et  comme  Tancrède 
commençoit  à  faire  quelque  cadence,  il  vit  naistre  à  ses 
pieds  un  grand  cyprez  qui  s'esleva  tout  à  coup  au  milieu 
du  théâtre  ».  Tancrède  ayant  coupé  une  branche  avec 
son  épée,  une  voix  sortit  de  l'arbre  et  chanta  : 

Toy,  de  qui  la  rigueur  m'a  fait  cesser  de  vivre, 

Ne  te  suffit-il  pas 
De  m'avoir  mise  à  mort,  sans  me  venir  poursuivre 

Mesme  après  le  trespas? 

Fay  ce  qu'il  te  plaira  ;  je  ne  puis  à  mes  plainctes 

Rien  adjouster,  sinon 
Que  lorsque  je  reçeus  tes  mortelles  attaintes, 

Clorinde  estoit  mon  nom  ^. 


I.  Les  airs  do  danse  se  trouvent  dans  la  Collection  Philidor. 

a.  La  musique  de  celte  plainte  se  trouve  dans  le  livre  IV  des  Airs  de  Cour 
et  de  différents  autkeurs,  p,  9. 


EVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR  lai 

A  ce  nom,  Tancrède  jeta  son  épée,  «  puis  s'approcha 
en  dançant  et  ouvrant  les  bras  pour  embrasser  Glorinde 
en  ce  cyprez.  Il  le  void  tout  à  coup  disparoistre  devant 
luy  ».  Les  écuyers  de  Tancrède  surviennent  et  emmènent 
leur  maître  dans  la  salle  pour  danser  un  ballet  avec  les 
chevaliers,  les  bûcherons  et  les  sagittaires. 

Au  dernier  acte,  «  la  scène  se  changea  en  temple  »,  le 
ciel  s'ouvrit  «  de  deux  costez  où  parurent  quantité  d'Anges 
chantans  mélodieusement  »...  Une  nue  s'abaissa  portant 
vingt-huit  anges  qui  descendirent  sur  le  théâtre  et  de  là 
dans  la  salle  où  ils  dansèrent,  puis  le  chœur  angélique 
alla  complimenter  la  jeune  Reine  et  remonta  au  cieî. 
Le  décor  changea  une  dernière  fois  :  dans  le  fond  de  la 
scène  apparut  un  amphithéâtre  sur  lequel  étaient  assis 
les  Conquérants  de  la  Palestine  qui  dansèrent  le  grand 
ballet^  après  que  les  anges  eurent  exalté  leur  gloire  dans 
les  Gieux. 

Le  ballet  de  Psyché\  dansé  par  la  Reine  quelques 
semaines  après  celui  de  Tancrède^  témoigne  du  même 
idéal  mélodramatique.  L'action  en  est  claire,  exposée 
par  un  grand  nombre  de  récits,  de  dialogues,  de  chœurs 
et  de  scènes  de  pantomime. 

Vers  1620,  le  ballet  de  Cour  constitue  donc  un  genre  dra- 
matique bien  défini.  Intermédiaire  entre  l'opéra  et  le  bal- 
let-mascarade^ il  répond  à  l'amour  des  français  pour  la 
danse  expressive  et  pour  le  théâtre.  II  est  rationnel,  volup- 
tueux et  magnifique  ;  il  séduit  les  yeux,  les  oreilles  et  les 
esprits.  On  pourrait  croire,  dans  ces  conditions,  que  le 
ballet  a  trouvé  en  France  sa  forme  quasi  définitive  et 
que,  durant  de  longues  années,  poètes  et  musiciens  vont 

I .  Discours  du  ballet  de  la  Reyne,  tiré  de  la  fable  de  Psyché  avec  les 
vers  y  Paris,  Jean  Sara.  —  Lacroix,  II,  aoi. 


laa  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

S'inspirer  des  œuvres  que  nous  venons  de  décrire.  Il  n'en 
est  rien.  Brusquement,  au  lendemain  des  représentations 
de  Tancrède  et  de  Psyché^  la  décadence  du  genre  com- 
mence. 

En  162 1,  le  Ballet  d'Apollon  '  marque  une  régression 
au  point  de  vue  dramatique.  L'intrigue  mythologique  et 
allégorique  en  est  obscure,  fastidieuse,  dépourvue  de  Tat- 
trait  fantastique  des  ballets  de  Renaud  et  de  Tancrède. 
La  musique  d'Antoine  Boesset  n'a  pas  le  caractère,  en 
quelque  sorte  récitatif,  de  celle  de  Guédron.  Les  récits  se 
succèdent  sans  donner  pour  cela  plus  de  clarté  à  l'action. 
Ils  sont  en  si  grand  nombre  que  l'énumération  des  scènes 
musicales  suffît  à  exposer  le  sujet  confus  du  spectacle  : 
Récit  d' Amphion  qui  par  les  accords  de  sa  lyre  attire  des 
rochers.  Récit  des  Sereines  enfermées  dans  les  rochers. 
Récit  d' Amphion  et  des  Sereines.  Uécit  de  la  Pythie.  Récit 
de  Castor  et  Pollux.  Récit  de  Mnémosyne,  assistée  de  dix 
musiciens  de  V Antiquité.  Deux  récits  pour  les  Muses. 
Récit  d'Apollon  qui  vient  de  tuer  le  serpent  Python.  Récit 
des  Muses  dans  le  Ciel. . .  Tous  ces  personnages  entrent 
arbitrairement  les  uns  après  les  autres  et  viennent  célébrer 
les  louanges  d'Apollon,  incarné  en  la  personne  de  Luynes. 

Le  Ballet  de  la  Reyne  représentant  le  Soleil^ ^  dansé  la 


I .  Vers  pour  le  ballet  d'Apollon  que  le  Roy  a  dansé  en  Vannée  i621.  Paris, 
René  Giffart  MDCXXI  (in-12).  (B.  de  l'Arsenal  B.  J..  11475).  Cet  intéressant 
livret  a  échappé  à  Paul  Lacroix  qui  a  publié  seulement  une  confuse  analyse 
du  B.  d'Apollon  en  trois  pages.  (Tome  II,  p.  271). 

Les  récits  se  trouvent  dans  le  X^  livre  de  la  collection  des  Airs  en  tabla- 
ture de  luth  consacré  aux  oeuvres  d'Antoine  Boesset  et  dans  le  livre  V  des 
Airs  de  Cour  et  de  différents  autheurs.  Ballard,  1623  (in-8*^). 

Les  danses  ont  été  recueillies  par  Philidor  (II,  164)- 

1.  Grand  ballet  de  La  Reyne  représentant  le  Soleil  dancé  en  la  salle  du 
petit  Bourbon  en  l'année  mil  six  cens  vingt  et  un,  à  Paris  chez  René  Giffart. 
MDCXXI  (in-80)  B.  N.  Réserve  Yf  4464. 

La  musique  se  trouve  dans  les  mêmes  recueils  que  celle  du  B.  d'Aoollun. 


ÉVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR  123 

même  année,  témoigne  des  mêmes  tendances.  Les  récits 
et  les  danses  alternent  avec  les  chœurs  et  les  concerts, 
sans  être  déterminés  par  aucune  intrigue  proprement 
dite.  Après  une  longue  scène  lyrique  servant  de  Pro- 
logue, le  ballet  se  divise  à  peu  près  en  quatre  parties, 
chacune  représentant  une  saison;  il  a,  pour  apothéose 
finale,  le  Grand  ballet  dansé  par  les  douze  heures  du 
jour.  C'est  déjà  là  le  plan  du  Ballet  à  entrées.  Visible- 
ment le  ballet  de  cour  incline  vers  une  forme  lyrique  et 
chorégraphique  de  plus  en  plus  dépourvue  d'intérêt  dra- 
matique. 


III 


Nous  avons  été  obligés,  pour  nous  reconnaître  dans  le 
dédale  des  formes  issues  de  la  mascarade,  de  procéder  à 
une  sélection.  Nous  nous  sommes  attachés  à  un  petit 
nombre  d'œuvres  qui,  par  l'éclat  de  leurs  représentations 
et  leur  renommée,  nous  semblaient  avoir  exercé  sur  les 
destinées  du  ballet  de  Cour  une  influence  véritable. 
Nous  les  avons  divisées  en  deux  catégories  :  Les  ballets- 
comiques  ou  ballets  à  scènes  déclamées,  les  ballets  mélo- 
dramatiques ou  ballets  à  récits  chantés  et  nous  avons 
cherché  à  montrer  que  ces  deux  genres  étaient  unis  par 
un  lien  commun,  l'intérêt  dramatique,  et  qu'ils  se  succé- 
daient logiquement.  Quant  à  la  multitude  des  spectacles 
de  cour  sans  caractère  théâtral  bien  marqué,  nous  les 
avons  dénommés  d'un  terme  général  :  les  ballets-masca- 
rades. 

Le  ballet  mélodramatique  à  action  pastorale  et  roma- 
nesque triompha,  durant  dix  années,  à  la  Cour  de  nos  rois, 
mais  les  ballets-mascarades  n'en  continuèrent  pas  moins 


I2/|  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

à  divertir  les  Grands  comme  les  bom^geois.  On  ne  repré- 
sentait à  Paris  chaque  année  qu'un  seul  ballet  royal, 
deux  au  plus,  on  dansait  plusieurs  centaines  de  ballets- 
mascarades  dans  les  hôtels  des  princes  et  les  maisons 
particulières.  Il  suffira  que  De  Luynes,  qui  aimait  les 
sujets  héroïques,  disparaisse  et  c|ue  le  duc  de  Nemours 
ou  tout  autre  seigneur,  amateur  de  divertissements  bur- 
lesques, prenne  l'intendance  des  plaisirs  de  la  Cour  pour 
que,  sans  cause  apparente,  le  ballet  mélodramatique 
cesse  d'exister  ^ 

Les  ballets-mascarades  qui,  sous  Henri  IV,  consistaient 
le  plus  souvent  en  quelques  entrées  précédées  d'un  récit, 
vont  profiter  de  la  ruine  du  ballet  mélodramatique  ;  ils 
vont  s'enrichir  de  ses  dépouilles,  lui  emprunter  ses  scènes 
lyriques  et  parfois  même  sa  mise  en  scène. 

Dès  1623,  le  ballet  royal  des  Bacchanales  adopte, 
à  peu  de  chose  près^  le  plan  des  ballets-mascarades . 
Bacchus  chante  deux  airs  à  boire-,  en  manière  de  pro- 
logue, puis  les  entrées  se  déroulent  :  on  voit  des  tireurs 
de  laines,  des  coureurs  de  nuit^  des  donneurs  de  séré- 
nades^ des  amoureux,  des  faiseurs  de  mascarades^  des 
cavaliers  débauchés.  Après  quoi,  un  grand  chœur  dialogué 
entre  les  Sacrificateurs  et  les  Esclaves  de  Bacchus  et  un 
récit  du  Dieu  du  Vin  terminent  la  représentation. 

Le  ballet  de  Cour  classique  ou  ballet  à  entrées  sera 
composé  de  plusieurs  parties,  reliées  entre  elles  par  une 
vague  idée  commune.  Chaque  partie  conservera  la  struc- 
ture   du   ballet- mascarade   avec  son    récit   initial   suivi 

1.  Le  dernier  ballet  mélodramatique  est  dansé  au  carnaval  de  162 1.  De 
Luynes  meurt  quelques  mois  plus  tard. 

2.  Lacroix  II,  827.  Mercure  français  1623,  p.  4217-  —  ^^®  Livre  des  airs  de 
Cour  et  de  différents  autheurs.  15allard  1624  ff»  i,  2  et  3.  XI^  Livre  des  airs  mis 
en  tablature  de  luth.  1623. 


ÉVOLUTION    DU    BALLET    DE    COUR  Iî5 

d'entrées.  Pour  conclure,  un  chœur  viendra  annoncer  en 
chantant  la  venue  des  danseurs  du  grand  ballet. 

On  voit  déjà  ce  plan  apparaître  dans  le  ballet  des  Voleurs 
dansé  par  le  Roi,  au  Louvre,  au  carnaval  de  1624*.  Un 
prologue  musical  ouvre  la  représentation.  Le  Temps 
chante  un  couplet  et  le  chœur  des  mois  lui  «  fait  un 
refrain  ». 

LE    TEMPS 

Je  fais  de  toutes  parts  la  guerre 
Et  suis  toujours  victorieux. 
Je  la  commence  sur  la  terre 
Pour  l'achever  dedans  les  Gieux. 

LES    MOIS 

Bien  que  tu  puisses  tout,  la  gloire  d'un  grand  Roy 
Durera  toujours  malgré  toy. 

Après  ce  prologue.  Mercure  survient  et,  s'adressant 
aux  dames,  leur  déclare  que  tout  dieu  des  voleurs  qu'il 
est,  les  voleurs  qu'il  amène  «  ne  tendent  qu'aux  larcins 
d'amour  ». 

Les  entrées  de  la  première  partie  se  succèdent  alors  : 
capitaine  hollandais,  dame  hollandaise,  quatorze  pirates, 
un  alchimiste,  un  «  emplumé  »,  un  diseur  de  bonne 
aventure,  six  corsaires  biscayens...  Un  récit  de  la  nuit 
favorable  aux  voleurs.,  avec  refrain  des  Astres  qui  l'ac- 
compagnent, commence  la  seconde  partie.  On  y  voit  des 
scènes  de  pantomimes  :  des  gens  viennent  donner  une 
sérénade  ;  attaqués  par  des  voleurs,  ils  s'enfuient  en 
appelant  au  secours   «   en  musique  »^.   Le  ballet  finit 

I.  Lacroix  III  p.  i  et  suiv.  Mercure  français  16*24  p.  SSg. 
•1.  Airs  de  Cour  et  de  différents  autheurs  VII^  livre  (1628),  Les  donneurs 
de  sérénade  :  «  Aux  voleurs!  ». 


ia6  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

par  un  épilogue  musical  très  développé  :  «  Récit  de  la 
Gloire  accompagnée  de  la  Victoire,  de  la  Renommée  et 
des  Bruits  qui  font  un  refrein  et  ameinent  dix-huict  che- 
valiers, volleurs  de  palmes  et  de  lauriers,  qui  est  la 
troupe  du  Roy  pour  le  Grand  Ballet  », 

L'année  suivante,  le  ballet  des  Fées  des  forests  de 
Saint-Germain^  dansé  en  la  salle  du  Louvre,  le  ii  fé- 
vrier 1625,  marque  l'organisation  quasi  définitive  du 
ballet  classique.  Il  est  un  des  premiers  ballets  royaux 
inventés  par  le  Duc  de  Nemours,  qui,  jusqu'à  sa  mort,  en 
i632,  aura  la  charge  officieuse  de  régler  les  spectacles 
de  la  Cour.  Le  sujet  n'a  rien  de  dramatique.  «  Cinq  fées 
bouffonnes  des  forests  de  Saint-Germain...  viennent  en 
la  présence  des  Reynes  et  des  Dames  de  Paris...  pour 
admirer  leurs  beautez  et  leurs  mérites...  Et  comme  cha- 
cune d'elles  préside  bouffonnesquement  sur  cjuelque 
science  particulière,  leur  humeur  railleuze  qui  se  mocque 
des  ballets  sérieux,  les  convie  de  venir  l'une  après  l'autre 
offrira  la  compagnie  un  plat  de  leur  mestier  »*.  Le  ballet 
va  donc  se  diviser  en  cinq  parties  constituant  chacune 
un  ballet-mascarade  bien  déterminé. 

Guillemine  la  quinteuze,  fée  de  la  musique,  préside  au 
premier  ballet.  Elle  «  envoyé  son  Récit  devant  elle  », 
puis  effectue  elle-même  son  entrée.  Elle  fait  venir  un 
immense  mannequin  symbolisant  la  Musique,  portant  à 
son  vertugadin  des  luths  et  des  théorbes  et  battant  bizar- 

I.  Les  fées  des  forests  de  S.  Germain,  ballet  dansé  par  Sa  Majesté.  De 
l'imprimerie  de  René  GifFart,  rue  des  Carmes,  MDCXXV,  (in-80  de  8  pages) 
ce  livret  inconnu  à  Lacroix  et  dont  je  ne  connais  que  l'exemplaire  de  ma 
bibliothèque,  donne  une  description  très  complète  du  ballet.  L'autre  livret, 
réédité  par  Lacroix,  contient  seulement  les  vers  pour  les  personnages  du 
ballet:  les  fées  des  forests  de  S.  Germain,  ballet  dansé  par  le  Boy  en  la 
salle  du  Louvre  le  9^  jour  de  février  162S.  A  Paris  par  Jean  Sara...  MDCXXV 
(in-S»  de  16  pages)  Lacroix  III,  p.  33. 


ÉVOLUTION     DU     BALLET    DE     COUR  1-27 

rement  la  mesure  des  ballets  suivants*.  Les  entrées  se 
succèdent  alors  :  des  musiciens  de  campagne  viennent 
danser  en  jouant  du  cor.  Une  troupe  de  chaconistes  espa- 
gnols les  remplacent  qui  «  ajustent  le  son  des  cordes  de 
leurs  guitarres  avec  Tagilité  de  leurs  pieds'.  » 

Gillette  la  Hazardeuse,  fée  des  joueurs,  entre  alors, 
après  avoir  été  annoncée  par  un  récit  ;  elle  «  attire  hors 
du  bois  un  Torniquet  mobille  autour  duquel  des  Laquais 
et  des  Bertrans  dansent  un  Ballet.  )>  On  voit  défiler  ensuite 
des  «  Esprits  folets,  joueurs  de  balle  forcée  »,  des  esprits 
qui  apportent  un  «  marelier  »,  sorte  d'échiquier  sur  lequel 
des  personnages  figurant  les  pions  du  jeu  du  Renard  et 
des  Poules  viennent  se  poser. 

Jacqueline  l'entendue,  fée  des  Estropiez  de  cervelle, 
dirige  les  ébats  des  Embabouinez,  des  Demy  Poux,  des 
Fantasques  et  des  Eperlucates^  Alizon  la  Hargneuze,  ceux 
des  Vaillans  Combattants,  des  Gouppetestes  et  des  Méde- 
cins sur  leurs  mules  *  ;  enfin  Macette  la  Gabrioleuse,  fée 
de  la  Danse,  ceux  des  bilboquets  inanimez  et  des  bilbo- 
quets escamotez".  » 

Le  plan  de  ce  ballet  se  retrouve  exactement  dans  celui 
de  la  Douairière  de  Billebahaut^    monté   avec  magnifi- 


I.  V.  le  curieux  compte  publié  par  Cimber  et  Daujou.  Arch.  Ciir.  II«  série 
Tom  VI,  p,  66  :  «  i5  aunes  de  taiTetas  pour  faire  une  grande  robe  à  un 
grand  colosse  en  forme  de  femme  représentant  la  musique  45  livres  ». 

a.  Un  magnifique  recueil  de  dessins  de  costumes  de  ballet  conservé  au 
Louvre,  recueil  que  nous  nous  réservons  d'étudier  un  jour,  renferme  la 
reproduction  de  tous  les  costumes  des  figurants  du  ballet  des  fées  des 
fores ts  de  S.  Germain.  Des  dessins  de  ces  mêmes  costumes  se  trouvent 
aussi  au  cabinet  des  Estampes  à  la  Bibl.  Nat.  Coll.  Histoire  de  France  Qb32 
(Ces  dessins  sont  rapportés  par  erreur  au  ballet  des  ridicules). 

3.  V.  planche  V, 

4.  V.  Marolles,  Mémoires  III,  116  et  110. 

5.  V.  la  musique  de  ce  ballet  dans  Philidor,  tome  III,  p.  i  et  suiv. 


Iîà8  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

cence  au  carnaval  de  l'année  suivante  \  Les  quatre  par- 
ties du  monde  :  l'Amérique ''^,  l'Asie,  l'Afrique  et  l'Europe 
envoient  des  délégations  au  bal  de  la  Douairière  de  Bil- 
lebahaut,  fiancée  à  Fanfan  de  Sotteville.  Chaque  partie 
du  monde  est  Foccasion  d'un  ballet  distinct,  précédé  d'un 
récit  et  composé  de  plusieurs  entrées  ^  Un  récit,  chanté 
par  la  musique  royale,  sert  d'introduction  au  Grand  bal- 
let'" qui  termine  la  réprésentation. 

Les  Fées  des  Forests  de  Saint-Germain  et  la  Douairière 
de  Billebahaut^  marquent  le  triomphe  du  ballet  à  entrées 
sur  le  ballet  mélodramatique .  Durant  près  de  trente  an- 
nées, jusqu'à  l'avènement  de  LuUy,  le  ballet  de  Cour  ne 
prendra  plus  ses  sujets  dans  la  tragi-comédie  ou  la  pasto- 
rale. Il  n'accordera  plus  à  la  musique  qu'un  rôle  très  limité, 
la  reléguera  dans  les  récits  au  commencement  de  chaque 
partie,  ou  l'associera  à  certaines  entrées  bouffonnes. 
Quant  à  la  mise  en  scène,  il  s'en  passera  le  plus  souvent. 
Le  ballet  de  Cour  perdra  ainsi  son  caractère  théâtral.  Il 
y  aura  quelques  essais  de  réaction.  En  1682,  un  certain 
Horace  Morel  obtiendra  un  privilège  pour  des  représen- 
tations de  ballets  publics  et  payants  \   Il  en  profitera 

I.  Grand  bal  de  la  Douairière  de  Billehahaut,  ballet  dansé  par  le  Roy  au 
mois  de  février  1626  de  l'imprimerie  du  Louvre  1626.  —  B.  Nat. 

B.  Arsenal  ii475,  B.  L.  — B.  Ma/arine  36.5oo,  pièce  i5  —  réimprimé  par 
Lacroix  III,  p.  i5i  et  suiv.  V.  aussi  les  Œuvres  de  Lestoile. 

a.  L'Amérique  était  représentée  par  le  roi  «  Atabalipa  suivy  des  peuples  et 
coustumes  de  l'Amérique  »  .  Sans  aucun  doute,  Bordier  avait  emprunté  ce 
personnage  à  l'ouvrage  d'Adriano  Banchieri.  u  La  nobiltà  delV  asino  di 
AUabalippa  (iSgg)  dont  une  traduction  française  avait  paru  en  1606  (B.  N. 
Réserve  Y2  2885). 

3.  Le  Mercure  françois  note  bien  que  «  le  dessein  du  balet  estoit  de 
représenter  divers  balets  en  un  balet  ».  Année  1626,  p.  191  et  suiv. 

4.  V.  les  costumes  de  ces  diverses  entrées  dans  le  Rec.  déjà  cité  du 
Louvre  et  le  Tome  Qb^^  de  la  Coll.  de  VHist.  de  France  à  la  B.  Nat, 

5.  Lacroix,  tome  IV,  192,  208,  229,  243,  565.  Les  représentations  avaient 
lieu  ((  au  jeu  de  paume  du  Petit  Louvre,  au  marais  du  Temple  ». 


PI.  8. 


(^  trUnU.     Ili^J^iô 


«    ENTREE    DES    COUPPE-TESTES    )) 

Les  Fées   des  Forêts    de  Saint-Germain. 

(J.ouvre.  Dessin  n»  32.68(). 


BALLET    DE    LUTINS    APPORTANT    UN    <(    MAIŒLLIER    )) 
Les   Fées   des   Forets    de  Saint-Germain. 

(Cabinet  dos  estamiics  Ob.  32). 


EVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR  129 

pour  multiplier,  comme  par  le  passé,  les  machines  com- 
pliquées et  les  décors  à  Titalienne,  mais  sa  tentative  sera 
sans  lendemain.  En  i64i,  quand  Richelieu  utilisera  les 
machines  de  Mirante  pour  son  ballet  de  la  Prospérité 
des  armes  de  France^  il  excitera  un  étonnement  univer- 
ser.. 

Il  serait  vain  de  passer  en  revue  et  d'analyser  les  in- 
nombrables ballets  dansés  durant  cette  longue  période  ; 
mieux  vaut  essayer  de  dégager,  dans  ses  grandes  lignes, 
l'esthétique  du  ballet  de  Cour  classique.  Cette  tâche  est 
difficile  :  le  ballet  ne  connut  jamais  d'autre  loi  que 
celle  du  plaisir  et,  à  la  même  époque,  nous  trouvons  un 
grand  nombre  de  ballets  de  plans  assez  différents.  Les 
plus  importants  s'inspirent  en  général  de  la  division  en 
parties  que  nous  avons  décrite  en  parlant  des  Fées  des 
Forêts  de  Saint-Germain  et  de  la  Douairière  de  Billeba- 
haut^  mais  beaucoup  d'autres  conservent  la  liberté  des 
anciens  ballets-mascarades  et  se  composent  d'un  nombre 
arbitraire  d'entrées,  entremêlées  de  récits.  Au  reste, 
quels  que  soient  les  sujets  de  ces  ballets  et  leur  forme, 
ils  sont  aussi  dépourvus  les  uns  que  les  autres  d'intérêt 
dramatique. 

Il  semble  difficile  de  découvrir  la  cause  de  cet  aban- 
don de  la  tradition  du  ballet- comique .  Les  théori- 
ciens^ continueront  par  routine  à  définir  le  ballet  une 
comédie  muette^  mais,  en  vérité,  quelle  singulière  pièce 
que  ce  spectacle  où  une  vague  idée  commune  sert 
de  lien  factice  aux  diverses  entrées  !  Il  semble  que  le 
ballet  à  intrigue  pastorale  ait  été  victime  de  l'avènement 

1.  Sur  les  ballets  de  Richelieu,  voir  Delochc,  La  maison  du  Cardinal  de 
Richelieu.  Paris,  Champion,  1912  (in-8*^)  p.  3oo  et  suiv. 

2.  De  Pure,  Ménestrier,  MaroUes,  Saint-Hubert,  etc. 

9 


l3o  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

des  formes  théâtrales  classiques.  Au  temps  de  Hardy, 
lorsque  la  tragédie,  la  comédie,  la  pastorale  ne  consti 
tuaient  pas  encore  des  genres  bien  définis,  mais  empié- 
taient et  débordaient  en  quelque  sorte  les  uns  sur  les 
autres  S  lorsque  l'influence  italieane  inclinait  les  fêtes 
de  la  Cour  vers  un  idéal  mélodramatique,  le  ballet  pou- 
vait affecter  une  forme  intermédiaire  entre  l'antique  mas- 
carade, la  tragi-comédie  et  le  moderne  opéra.  Vers  i6'25, 
quand  la  tragédie  et  la  comédie  classiques  commencent 
à  s'assujettir  aux  règles  des  unités,  quand  le  grand  mou- 
vement rationaliste,  qui  va  si  fortement  s'exprimer  avant 
peu  dans  l'œuvre  de  Descartes,  commence  à  agiter  les 
esprits,  le  ballet  de  Cour  doit  abandonner  la  voie  où 
Pavaient  engagé  les  novateurs  de  l'Académie  et  prendre 
position  en  marge  du  théâtre  que  la  tragédie  et  la 
comédie  réclament  pour  elles  seules  désormais. 

Par  une  contradiction  assez  singulière,  à  partir  du 
jour  où  le  ballet  eut  définitivement  renoncé  aux  sujets 
dramatiques,  les  librettistes  s'ingénièrent  à  le  plier  à 
quelques-unes  des  règles  qui  régissaient  le  théâtre  classi- 
que. ((  Les  ballets  sont  des  comédies  muettes  %  affirme 
l'un  deux,  et  doivent  estre  divisez  de  mesme  par  actes  et 
par  scènes.  Les  récits  séparent  les  actes  et  les  entrées 
de  danseurs  sont  autant  de  scènes  \  »  Mais  cette  belle 
définition  est  une  simple  déclaration  de  principes  ;  pra- 
tiquement, le  nombre  des  parties  reste  fort  variable*.  Il 

I.  Rigal.  Alexandre  Hardy  et  les  origines  du  théâtre  classique. 

1.  De  MaroUes  emploie  cette  même  expression.  Mémoires  tome  III,  p.  ii3. 

3.  Ballet  de  la  prospérité  des  Armes  de  France  (1641)  édit.  Lacroix,  t.  VI, 
p.  34. 

4.  «  Le  nombre  des  actes,  quand  il  y  en  a  plusieurs,  n'est  pas  limité  ;  il 
suffit  néanmoins  de  n'y  en  mettre  que  trois,  chacun  rempli  de  dix  ou  douze 
entrées,  servant  toutes  au  sujet  de  l'invention,  mais  avec  une  telle  diversité 


ÉVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR  l3l 

n'y  en  a  jamais  plus  de  cinq,  mais  beaucoup  de  bal- 
lets n'en  ont  que  deux  ;  quant  aux  entrées,  on  peut 
les  multiplier  à  volonté.  «  Un  grand  Ballet,  que  nous 
appelons  un  Ballet  Boyal,  déclare  M.  de  Saint-Hubert, 
est  ordinairement  de  trente  entrées.  Un  beau  Ballet,  de 
vingt  entrées  au  moins,  et  un  petit  Ballet,  de  dix  ou  douze. 
Non  pas  qu'il  soit  nécessaire  de  s'asubjetir  à  cette 
reigle,  mais  au  subjet  qui  obligera  à  les  augmenter  ou  à 
les  diminuera  »  Sur  ce  point,  les  théoriciens  sont  una- 
nimes :  tout  dépend  du  sujet.  «  Aussi  esse  le  principal 
pour  faire  un  beau  ballet,  que  de  chercher  un  beau  sub- 
ject  qui  est  la  chose  la  plus  difficile ^  » 

La  recette  naïve  que  nous  donne  le  père  Ménestrier 
pour  faire  un  ballet,  nous  dispensera  d'insister  longue- 
ment sur  la  nature  des  sujets  du  ballet  à  entrées  :  ce  Tout 
le  secret  de  la  conduite  d'un  ballet  consiste  au  choix  du 
sujet,  car  ils  n'est  point  de  sujets  de  quelque  nature 
qu'ils  puissent  estre  qui  ne  soient  un  tout  composé  de 
plusieurs  parties  ou  actuelles,  comme  parlent  les  philo- 
sophes, ou  virtuelles...  Ainsi  la  Nuit  estant  une  étendue 
de  temps  de  plusieurs  heures,  durant  lesquelles  plusieurs 
choses  différentes  se  font  ou  se  peuvent  faire  par  le 
monde,  on  trouve  naturellement  la  conduite  d'un  ballet 
sur  ce  sujet,  en  représentant  par  des  danses  figurées 
tout  ce  qui  se  fait  ou  peut  se  faire  durant  la  nuit...  Qui 
voudroit  faire  un  ballet  sur  cette  proposition  que  tout 


qu'on  n'ait  pas  le  loisir  de  s'en  ennuyer,  c'osl-à-diro  qu'il  ne  les  faut  pas 
faire  trop  longues  et  qu'elles  doivent  être  inégales,  quelques-unes  d'un  seul 
personnage,  d'autres  de  deux  ou  de  trois,  ou  de  quatre  et  quelques  autres  de 
cinq  ou  de  six...  »  De  MaroUes,  Mémoires  III,  p.  ii3. 

1.  La  manière  de  composer  et  faire  réussir  les  ballets...  MDCXLI.  Bibl. 
Mazarine.  Réserve  68,416  /^p.  5). 

2.  [Ihid.,  p.  6). 


l32  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

obéit  à  Targent  ou  que  l'intérest  est  l'âme  du  monde,  il 
faut  considérer  Y  Argent,  Obéir  et  Toutes  choses  qui  sont 
les  trois  parties  de  la  proposition  et  représenter  V Argent 
avec  son  autorité,  sa  puissance,  son  crédit.  Ce  mot  Ar- 
gent est  un  tout  dont  les  parties  sont  les  pistoles,  les 
écus,  les  deniers,  les  monnoyes  de  divers  pays  avec 
les  images  des  Princes,  leurs  symboles,  leurs  armoiries, 
les  lettres  de  change,  les  brevets  d'affaires,  les  assigna- 
tions, les  billets  d'épargne.  Sous  le  mot  d'Obéir  se  peu- 
vent ranger  toutes  les  Soumissions,  les  Servitudes,  les 
Adorations,  les  Dépendances  et  sous  Toutes  choses  on 
peut  mettre  la  Flatterie,  les  Arts,  les  Sciences,  toutes 
les  Conditions,  tous  les  États  et  cela  fait  un  corps  qui 
composeroit  le  ballet  \  » 

Gomme  on  voit,  le  champ  est  vaste  qui  est  laissé  à 
l'imagination  des  librettistes.  Saint-Hubert  précise  un  peu 
les  qualités  nécessaires  d'un  bon  sujet  de  ballet.  «  Pour 
estre  beau,  il  faut  qu'il  n'ay  jamais  esté  fait,  qu'il  soit 
bien  suivy,  que  pas  une  entrée  ne  sorte  du  subject,  qu'elle 
soit  si  bien  appropriée  que  s'il  y  a  du  sérieux  et  du  gro- 
tesque, que  l'on  n'en  voie  pas  deux  grotesques  de  suitte, 
s'il  se  peut,  qu'elles  soit  meslées  parmi  les  sérieuses, 
elles  en  seront  bien  plus  divertissantes  et  Ton  aura  plus 
de  loisir  d'admirer  les  unes  et  de  rire  des  autres  ^  »  En 
disant  que  le  ballet  doit  n'avoir  jamais  encore  été  vu, 
Saint-Hubert  entend  parler  «  du  corps  du  subject  seule- 
ment, car  pour  les  entrées,  il  est  impossible  d'en  faire  que 
fort  peu  qui  n'ayent  esté  faites.  Par  comparaison,  si 
dans  la  suitte  du  subject  il  y  falloit  des  Suisses,  des  Turcs 

1.  Des  ballets  anciens  et  modernes  selon  les  règles  du  théâtre.  A   Paris 
chez  René  Guignard...  MDCIiXXXII  (in-8o)  pp.  92  et  94. 
2    La  manière  de  composer... ^  p.  7. 


ÉVOLUTION    DU    BALLET    DE    COUR  l33 

OU  des  Damoiselles,  il  ne  faudroit  pas  laisser  de  les  y 
mettre,  encore  que  l'on  en  aye  représenté  en  plusieurs 
ballets.  )) 

Cette  remarque  explique  comment,  malgré  l'étonnante 
diversité  des  sujets,  tous  les  ballets  finissent  par  se  res- 
sembler. On  ne  sort  pas  d'un  certain  nombre  des  scènes 
consacrées  qui  se  répètent  indéfiniment.  Que  le  ballet 
expose  les  délices  de  la  navigation  maritime  ou  les  aven- 
tures des  chevaliers  errants,  qu'il  célèbre  le  triomphe 
de  la  Beauté  ou  la  prospérité  des  armes  de  France,  qu'il 
évoque  la  vallée  de  misère  ou  les  ruines  hantées  du  châ- 
teau de  Bicètre,  il  contiendra  des  entrées  d'amours, 
d'indiens,  de  parties  du  monde,  de  juges,  de  démons, 
de  fous,  de  voleurs,  de  médecins,  de  valets,  de  bour- 
geois... L'imagination  des  librettistes  est  épuisée.  Quant 
aux  musiciens,  ils  ont  abdiqué  toute  tendance  novatrice 
ou  dramatique.  On  dirait  leurs  récits  coulés  dans  le 
même  moule.  La  musique  vocale  tient  d'ailleurs  de  moins 
en  moins  de  place  dans  le  ballet  ;  le  temps  est  loin  où 
elle  donnait  au  spectacle  l'apparence  d'un  petit  opéra. 
Heureusement  pour  les  destinées  de  notre  théâtre  lyri- 
que, le  bienfaisant  contact  des  opéras  italiens,  sous  le 
ministère  de  Mazarin,  va  réveiller  et  stimuler  l'imagina- 
tion créatrice  de  nos  artistes  et  orienter  de  nouveau  le 
ballet  de  Cour  dans  la  voie  du  mélodrame*. 

I.  V.  V Opéra  italien  en  France  avant  Lulliy  chap.  vu. 


CHAPITRE  IV 

LE    BALLET  A  LA  SCÈNE 


l.  La  salle  et  le  public.  —  IL  La  mise  en  scène.  —  lll.  Exécution 
chorégraphique  et  musicale. 


I 

Les  ballets  de  Cour  eurent,  dès  l'origine,  comme  les 
grandes  mascarades  auxquelles  ils  succédaient,  le  carac  - 
tère  de  représentations  publiques.  Au  dire  d'un  chroni- 
queur quelque  peu  gascon,  dix  mille  personnes  auraient 
contemplé,  en  i58i,  les  merveilles  du  Ballet  comique  de 
la  Reine^  en  la  salle  de  Bourbon.  Ce  nombre  doit  être 
très  exagéré,  mais  il  est  certain  que  l'annonce  des  ballets 
dansés  par  le  Roi  ou  par  la  Reine  à  chaque  carnaval  fai- 
sait grand  bruit  dans  Paris  et  qu'il  n'était  petit  bour- 
geois qui  ne  rêvât  de  pénétrer  dans  la  salle  du  spectacle  . 
Et  pourtant  que  de  peines,  que  d'embarras,  que  de 
tracas  il  fallait  supporter  pour  voir  le  ballet  du  Roi, 
quand  on  n'était  pas  grand  seigneur  ou  prince  du  sang. 
Le  Petit-Bourbon^  était  une  des  plus  vastes  parmi  les 

1.  «  On  remarqua  facilement  qu'il  y  avoit  de  neuf  à  dix  mille  spectateurs 
assemblez  ».  Bolet  comique,  ï^  7.  V^. 

2.  La  salle  était  située  à  l'intérieur  de  l'Hôtel  de  Bourbon,  rue  des  Poulies, 
en  face  du  cloître  Saint-Germain-l'Auxerrois,  à  peu  près  sur  l'emplacement 
occupé  aujourd'hui  par  la  colonnade  du  Louvre. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  l35 

salles  où  se  donnaient  ordinairement  les  ballets.  Elle 
mesurait  dix-huit  toises  de  longueur  sur  huit  de  largeur  % 
plus,  à  son  extrémité,  une  sorte  d'hémicyle  «  un  demy 
rond  de  sept  toises  de  profond  sur  huit  toises  et  demie 
de  large '^  La  disposition  de  la  salle  en  vue  des  repré- 
sentations variait  selon  les  circonstances.  Pour  le  Ballet 
comique  de  la  Reine,  Beaujoyeulx  avait  fait  élever  des 
gradins  en  amphithéâtre  qui  montaient  par  quarante 
degrés  du  plancher  à  une  galerie,  au-dessus  de  laquelle 
courait  une  seconde  galerie.  Le  trône  du  Roi,  couvert 
d'un  dais,  faisait  face  aux  diverses  décorations  disper- 
sées par  la  salle  ^ 

En  i6i5,  pour  le  magnifique  ballet  du  Triomphe  de 
Minerve,  dansé  par  Madame  avant  son  départ  pour  l'Es- 
pagne, le  Petit-Bourbon  avait  été  arrangé  de  la  façon 
suivante  :  un  grand  théâtre,  élevé  à  six  pieds*  du  sol, 
«  de  huit  toises  de  largeur  et  d'autant  de  profondeur^  », 
occupait  tout  le  fond^  Un  grand  espace  libre  s'éten- 
dait devant  ce  théâtre  pour  les  évolutions  des  danseurs. 
Les  spectateurs  s'entassaient  dans  les  galeries  et  dans  le 
reste  de  la  salle,  quelques-uns  assis,  la  plupart  debout. 
On  accédait  au  Petit-Bourbon  par  diverses  entrées.  Celle 
par  laquelle  pénétrait  la  foule  se  trouvait  à  une  grande 
distance  de  la  salle  et  il  fallait,  pour  y  parvenir,  traverser 
une  enfilade  de  pièces,  de  corridors  et  de  galeries  dont 
les  portes  étaient  jalousement  défendues  par  des  gardes 

1.  Environ  35  mètres  sur  i5,5o. 

2.  i3,5o  sur  i6,5o  environ.  Voir  la  description  contenue  dans  le  IV*^  tome 
du  Mercure  françois,  i6i5,  p.  9  et  suiv. 

3.  Ballet  Comique,  édit.  Lacroix,  I,  aa. 

5.  iS'^jSode  côté. 

6.  Mercure  françois,  t.  IV,  p.  9  et  suiv. 


l36  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

et  des  archers.  Sorel  décrit  dans  son  roman  de  Francion 
toutes  les  difficultés  que  rencontre  son  héros  pour 
assister  à  un  ballet  \  probablement  le  Triomphe  de 
Minerve  (i6i5).  Francion  réussit  à  franchir  le  seuil  de 
rhôtel  de  Bourbon  en  montrant  au  capitaine  des  gardes 
des  vers  qu'il  a  composés  et  fait  imprimer  à  la  louange 
des  personnages  du  ballet  et  qu'il  veut  distribuer  dans  la 
salle.  En  même  temps  que  lui  pénètrent  différentes  gens 
«  de  la  connoissance  des  baladins,  les  uns  portans  en 
leurs  mains  un  masque,  les  autres  un  bonnet  à  l'antique 
et  les  autres  quelque  robbe  de  gaze,  et  il  ne  leur  estoit 
point  fâcheux  de  faire  l'office  de  valets,  pourvu  que  l'on 
leur  ouvrît  librement.  Quand  je  fus  entré  avec  toute 
cette  bande,  ce  ne  fut  pas  encore  la  fin  de  mes  peines  ; 
il  me  fallut  passer  tant  de  portes  et  tant  traverser  de 
chambres  que  je  croyois  que  ce  ne  seroit  jamais  fait.  Je 
trouvois  de  la  difficulté  partout  et  mon  passeport  ^ 
m'étoit  bien  nécessaire.  Outre  cela,  la  presse  étoit  si 
grande  qu'elle  me  défendoit  autant  l'entrée  comme  les 
archers.  Enfin  je  me  trouvay  dans  cette  longue  galerie 
de  Bourbon  qui  jette  sur  la  rivière,  où  il  se  fallut  arrêter.  » 
Après  une  longue  attente,  Francion  voit  enfin  s'ouvrir  les 
portes  de  la  salle...  il  se  précipite  et  trouve  toutes  les 
places  occupées  par  les  courtisans.  Il  ne  sait  où  se  caser 
et  finit  par  se  hisser  sur  l'estrade  des  violons  qui  s'em- 
pressent de  le  prendre  pour  un  pupitre  vivant  et  d'ac- 
crocher à  ses  vêtements  les  feuilles  de  leur  tablature. 
Au  Louvre,  dans  la  grande  salle  où  se  dansent  la  plu- 


I.  La  vraye  histoire  comique  de  Francion,  composée  par  N.  de  Moulinet... 
A  Rouen  chez  Clément  Malassis,  MDCLXXIII  (la  première  édition  est  de 
i6a3)  (livre  IV,  p.  aSi). 

a.  Les  vers  imprimés  qu'il  porte  sous  son  bras. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  l37 

part  des  ballets  durant  le  règne  de  Louis  XIII,  l'encom- 
brement est  effroyable  S  La  salle  avait  pourtant  de  vastes 
proportions.  Elle  formait  un  rectangle  de  cent  cinquante 
pieds  sur  quarante-cinq  ^  Entre  les  nombreuses  fenêtres 
qui  éclairaient  cette  longue  salle  étaient  placées  des 
estrades  et  des  «  galleries  à  trois  estages,  remplies  de 
sièges  partout  ^  »  A  un  bout  de  la  salle  se  voyaient  les 
décorations  nécessaires  au  spectacle,  à  l'autre  le  trône 
royal,  élevé  de  trois  marches,  couvert  d'un  immense 
dais  de  velours  rouge  cramoisi.  Au  plafond  pendaient  un 
grand  nombre  de  lustres  garnis  de  flambeaux  de  cire 
blanche  et  jaune  qui  répandaient  une  vive  clarté*.  De 
grandes  barrières  défendaient  l'accès  de  l'enceinte  réser- 
vée aux  évolutions  des  baladins  ;  parfois  la  poussée  était 
si  forte  qu'elles  se  rompaient.  La  foule  se  précipitait 
alors  dans  le  milieu  de  la  salle  d'où  les  archers  avaient 
grand  peine  à  l'expulser  à  coups  de  bâtons  et  de  manches 

1.  Au  ballet  du  château  de  Bicêtre,  en  i63a,  «  il  n'y  avoit  gueres  moins 
de  quatre  mille  spectateurs,  la  plupart  personnes  de  remarque  ».  Gazette 
du  12  mars,  année  i632,  p.  io4  et  suiv. 

2.  Environ  49  mètres  sur  i5.  Voir  la  Description  de  la  Grande  Salle  du 
Louvre  dans  le  Ballet  de  Monseigneur  le  duc  de  Vandosme.  Paris,  Jean  de 
Henqueville,  1610  (Bibl.  Mazarine  3461 3'^  pièce  19). 

3.  Le  Ballet  du  Roy  ou  la  vieille  Cour  (publié  dans  V extraordinaire  de  la 
Gazette  de  février  i635),  donne  de  la  salle  la  description  suivante  :  «  La 
grande  salle  du  Louvre,  appelée  la  salle  du  bal,  accrue  par  ses  galleries  et 
degrez  allans  en  forme  d'amphithéâtre  jusqu'au  feste  de  son  plancher,  comme 
vous  scavez  grandement  exhaussé...  »  Le  livret  de  Tancrède,  en  1619,  donne 
à  peu  près  les  mêmes  détails.  «  La  salle  du  bal  estoit  toute  eschafaudée  à 
degrez  rampans,  qui  prenoient  depuis  le  bas  jusques  au  haut  du  plancher 
avec  deux  galleries  de  deux  costez.  Au  bout  estoit  dressé  un  eschafaut  en 
amphithéâtre  où  estoit  la  Reyne,  Monsieur...  », 

4.  Voir  Ballet  du  Duc  de  Vendôme.  Le  Ballet  de  la  vieille  Cour  mentionne 
«  huit  cens  flambeaux  de  cire  blanche  en  huit  cens  chandeliers  d'argent  enri- 
chis de  cristal.  »  Pour  la  Circé  de  i58i  au  Petit-Bourbon,  si  on  en  croit 
Beaujoyeulx  «  le  nombre  infini  de  flambeaux,  qui  esloient  au-dessus  de  la 
salle  et  tout  à  l'entour,  donnoit  telle  et  si  grande  clairté,  qu'elle  pouvoit  faire 
honte  au  plus  beau  et  serein  jour  de  l'année.  » 


l38  LE    BA.LLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

de  hallebardes  ^  Il  arrivait  même  qu'ils  n'y  parvenaient 
point  et  que  le  Roi  devait  donner  ordre  à  l'assistance  de 
se  retirer  sans  avoir  vu  danser  le  ballet  ^  Deux  ans  de 
suite,  en  i6i4et  en  i6i5%  les  choses  se  passèrent  ainsi 
au  Petit-Bourbon,  aussi  décida-t-on  de  ne  laisser  péné- 
trer, en  dehors  des  princes  et  des  seigneurs,  que  les 
personnes  munies  d'invitations,  de  «  mereaux  ».  Malgré 
cette  précaution  les  plus  grands  désordres  ne  laissaient 
pas  de  se  produire.  Le  29  janvier  1617,  le  Roi,  arrivant 
vers  deux  heures  du  matin  à  la  grande  salle  du  Louvre,  en 
trouve  rentrée  obstruée  par  une  foule  si  compacte  qu'il 
a  toutes  les  peines  du  monde  à  se  frayer  un  passage.  Une 
demoiselle  passablement  effrontée  «  se  prend  à  ses 
chausses,  disant  :  «  Si  vous  entrez,  j'entretrai*  ». 

A  la  porte,  le  capitaine  des  gardes  avait  fort  à  faire 
pour  repousser  l'assaut  de  la  foule  qui  se  ruait  pour  voir 
danser  le  Roi.  De  sanglantes  bagarres  se  produisaient 
parfois.  Dans  une  Historiette^  Tallemant  des  Réaux  nous 
montre  la  douce  Julie  de  Rochefort  exhortant  par  ses 
cris  les  gardes  à  frapper  et  à  tuer  les  pauvres  gens 
qu'une  belle  ardeur  engageait  à  se  bousculer  pour  en- 

1.  En  i632,  au  Ballet  du  château  de  Bicctre  :  «  Pour  faire  place  il  fallut 
employer  quelques  descendans  de  hallebardes  et  des  feintes  qui  n'estoient 
pas  du  Balet.  »  Gazette  du  12  mars  i632,  p.  106. 

2.  Voir  la  lettre  de  Malherbe  du  27  janvier  à  Pereisc.  «  M.  de  Plainville, 
capitaine  des  gardes  ne  voulant  désobliger  personne,  laissa  entrer  tout  ce 
qui  se  présenta  et  se  trouva  l'enceinte  des  barrières  si  pleine  qu'un  homme 
seul  eût  eu  de  la  peine  à  y  passer.  La  Reine  à  son  arrivée,  voyant  une  telle 
multitude,  se  mit  en  la  plus  grande  colère  où  je  la  vis  jamais  et  s'en  alla, 
résolue  qu'il  ne  seroit  point  dansé.  »  Voir  aussi  Bassompierre.  Mémoires , 
S.II.F.,t.  II,  p.  I. 

3.  Sur  la  difficulté  qu'il  y  avait  parfois  à  se  procurer  des  invitations,  cf. 
Tallemant  des  Réaux.  Historiettes,  3®  édition,  t.  IV,  p.  i32  et  t.  1,  p.  i65- 
166. 

4.  Héroard.  Journal  sur  l'enfance  et  la  Jeunesse  de  Louis  XIII,  t.  II, 
p.  ao8. 


LE     BALLET    A    LA    SCENE  l39 

trer  dans  la  salle  du  ballet  ^  Il  était  bien  rare  qu'on  vît 
le  ballet  sans  être  foulé,  pressé,  incommodé  de  mille 
manières  ^  Et  quelle  patience  il  fallait  à  ces  spectateurs 
qui  faisaient  queue  dès  le  matin  pour  assister  à  un  spec- 
tacle qui  ne  commençait  que  fort  avant  dans  la  nuit  ^  î 
On  peut  s'en  faire  une  idée  par  la  relation  officielle  de 
la  représentation  à  l'Hôtel  de  Ville,  en  1626,  du  ballet  de 
la  douairière  de  Billebahaut'* .  Louis  XIII,  fort  satisfait 
de  son  ballet  donné  au  Louvre  avec  succès,  avait  décidé 
de  l'aller  danser  à  l'Hôtel  de  Ville.  Il  faisait  ainsi  grand 
honneur  au  peuple  de  Paris,  aussi  le  Prévôt  des  mar- 
chands et  les  échevins  ne  ménagèrent-ils  rien  pour 
accueillir  leur  hôte  royal  avec  magnificence.  Sur  leur 
ordre,  des  maçons,  menuisiers  et  charpentiers  élevèrent 
des  ((  eschafauds,  théâtres,  galeries  dans  la  grande 
salle  »  afin  d'offrir  des  sièges  confortables  aux  «  plus 
belles  dames  et  bourgeoises  de  la  Ville  »  conviées  en 
foule  à  ce  spectacle.  On  commanda  à  «  l'espicier  »  de  tenir 
prêts  grande  quantité  de  flambeaux  blancs,  tant  grands 
que  petits,  pour  mettre  dans  les  chandeliers  et  croisés... 
et  de  préparer  «  grandes  quantités  de  confitures  pour  la 
collation  des  Princes,  masques  et  autres  compagnies  ». 


I.  «  Comme  on  dansoit  un  ballet  au  Petit-Bourbon  et  qu'il  y  avoit  un  grand 
désordre  à  la  porte,  on  ouït  cette  femme  crier  à  haute  voix  :  «  Soldats  des 
gardes,  frappez,  tuez,  je  vous  en  ferai  avouer  par  votre  colonel  en  toutes 
choses.  »  Tallemant,  VI,  p.  20. 

a.  Voir,  presque  à  chaque  relation  de  ballet,  les  doléances  du  gazetier 
Loret  dans  la  Muze  historique.  Au  ballet  du  château  de  Bicêtre  il  se 
«  rencontra  plus  d'accidens  qu'on  n'en  vouloit  représenter,  car  il  y  eut  une 
enseingne  et  autres  choses  perdues  jusques  à  la  valeur  de  quinze  mille  escus. 
Une  comtesse  y  accoucha.  »  Gazette,  i632,  p.  106. 

3.  Aussi  plus  d'un  grand  seigneur  refusait  pour  cette  raison  d'assister 
aux  ballets.  Voir  Tallemant.  Historiettes,  1,  99. 

4.  Elle  a  été  publiée  en  appendice  à  l'édition  des  Mémoires  de  Loménie  de 
Brienne  par  Barrière  (in-8^)  1828,  t.  I,  p.  337  ^^  suiv. 


1/fO  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

Une  cuisinière  fut  mandée  pour  préparer  des  festins  de 
poissons,  car  le  ballet  se  devait  danser  dans  la  nuit  du 
carême  prenant. 

Au  jour  dit,  les  gardes  du  Roi  s'emparèrent,  dès  le 
matin,  de  THôtel-de- Ville  et  y  organisèrent  un  important 
service  d'ordre.  La  nombreuse  assistance  vint  prendre 
place  sur  les  estrades  durant  toute  la  journée  et  y  attendit 
stoïquement  plus  de  douze  heures  c[ue  le  ballet  com- 
mençât. Pour  distraire  les  esprits,  les  vingt  violons  de  la 
Ville  jouèrent,  de  quatre  heures  de  l'après-midi  à  cinq 
heures  du  matin,  des  airs  et  des  danses...  Enfin,  à  quatre 
heures  du  matin,  les  masques  commencèrent  à  arriver.  Le 
Roi  fut  harangué  par  le  Prévôt  sur  les  degrés  de  THôtel- 
de-Ville.  Il  s'excusa  d'être  en  retard  et  entra  dans  une 
salle  pour  s'habiller.  A  cinq  heures,  les  violons  du  Roi 
firent  leur  entrée  et  montèrent  sur  l'estrade  que  quittè- 
rent les  violons  de  la  Ville  et  le  ballet  commença.  Il  dura 
trois  grandes  heures,  puis  le  Roi  et  les  seigneurs  de  sa 
suite  dansèrent  les  branles  avec  les  principales  bour- 
geoises de  l'assistance.  Les  échevins  firent  ensuite  aux 
masques  les  honneurs  d'une  superbe  collation  sur  laquelle 
ceux-ci  se  jetèrent  avec  avidité;  après  quoi  Louis  XIII, 
toujours  costumé,  monta  en  carrosse  pour  rentrer  au 
Louvre  salué  par  les  cris  de  «  Vive  le  Roi  !  »  poussés  par 
la  foule  massée  sur  la  place  de  Grève. 

Les  ballets  se  représentaient  en  général  fort  tard  à 
l'Hôtel-de-Ville.  II  arrivait  qu'une  même  troupe  de  sei- 
gneurs allât  danser,  en  divers  lieux,  deux  et  même  trois 
fois  le  même  ballet  au  cours  d'une  seule  nuit.  Il  était 
alors  d'usage  de  finir  par  l'Hôtel-de-Ville  où  se  faisait  la 
collation.  En  i632,  le  duc  de  Soissons  dansa  au  Louvre, 
en  présence  du  Roi,  le  ballet  du  Château  de  Bicêtre  à 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  l4l 

huit  heures  du  soir.  Vers  minuit,  le  spectacle  étant  ter- 
miné, les  baladins  se  transportèrent  à  l'Arsenal  où  les 
attendait  une  nombreuse  assemblée  et  y  recommencèrent 
leurs  danses  ;  enfin,  vers  quatre  heures  du  matin,  ils  arri- 
vèrent à  l'Hôtel-de- Ville  où  la  troisième  représentation 
fut  donnée  ^  Elle  ne  finit  qu'à  huit  heures  du  matin. 

La  grande  salle  de  l'Arsenal  qu'avait  fait  aménager 
Sully ^  était  fort  bien  disposée  pour  les  ballets.  De  spa- 
cieuses galeries  permettaient  aux  spectateurs  de  voir  en 
demeurant  assis.  Le  Petit-Bourbon,  la  Grande  Salle  du 
Louvre,  l'Hôtel-de- Ville  et  l'Arsenal  étaient,  sous 
Louis  XIII,  les  quatre  lieux  où  se  représentaient  ordinai- 
rement les  ballets  royaux,  mais  il  s'en  dansait  aussi  dans 
diverses  résidences  princières  :  à  Saint-Germain,  à  Vin- 
cennes,  à  Fontainebleau,  à  Chantilly.  Nous  nous  sommes 
presque  exclusivement  attachés  dans  le  précédent  chapitre 
à  décrire  les  ballets  royaux  montés  chaque  année  au  temps 
du  carnavaP.  C'est  que  ceux-là  seuls  avaient  un  véritable 
intérêt  pour  l'histoire  du  théâtre.  Les  petits  ballets,  les 
boutades,  dansés  dans  les  maisons  particulières,  n'en 
offraient  que  des  répliques  très  affaiblies  et  ne  nous 
apprenaient  rien  de  nouveau.  Tout  au  plus  convient-il  de 
noter  l'étonnante  grossièreté  des  vers  qui  étaient  com- 
posés à  l'occasion  de  ces  divertissements.  Ils  montrent 
qu'en  dépit  des  Précieuses  les  mœurs  avaient  conservé 

1.  Voir  Gazette.  Année  i63a,  n^  du  ii  mars  (p.  io4  et  suiv.) 

2.  «  Sully  gardoit  lui-même  la  porte  de  la  salle  à  double  rang  de  galeries 
qu'il  avoit  fait  faire  à  l'Arsenal  pour  les  ballets...  C'étoit  une  de  ses  folies  que 
la  danse...  »  Tallemant.  Historiettes,  I,  p.  148  et  147.  — Voir  aussi  Oecono- 
mies  royales f  édit.  Michaud,  I,  p.  641,  H,  p.  aaa  et  suiv. 

3.  Comme  le  remarque  Fournel,  les  ballets  servaient  aussi  à  célébrer  la 
plupart  des  circonstances  heureuses  :  «  Un  mariage,  une  naissance,  un  traité 
de[  paix,  la  visite  d'un  souverain  ou  d'un  grand  personnage  qu'on  voulait 
honorer.  »  Contemporains  de  Molière,  II,  2o3. 


14^  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

toute  leur  brutalité  et  que  les  courtisans  de  Louis  XIII 
n'aimaient  pas  moins  les  plaisanteries  ordurières  que 
ceux  de  Henri  IV ^.  Les  ballets  du  duc  d'Orléans  surpas- 
saient tous  les  autres  en  obscénité.  D'ailleurs  c'est  au 
Luxembourg  que  sera  conservée  la  tradition  des  ballets 
burlesques,  longtemps  après  queBenserade  aura  introduit 
et  fait  régner  dans  les  spectacles  de  cour  un  ton  de  spiri- 
tuelle galanterie  et  de  noble  enjouement. 

A  partir  de  i636,  date  à  laquelle  est  achevé  le  palais 
Cardinal,  c'est  dans  la  salle  des  comédies  que  se  repré- 
sentent un  grand  nombre  de  ballets  '\  Ces  spectacles  pro- 
fitent de  la  machinerie  du  théâtre  et  prennent  un  carac- 
tère de  représentations  scéniques  un  peu  différent  de  celui 
qu'ils  avaient  eu  jusqu'alors.  Un  ballet  comme  celui  de 
la  Prospérité  des  Armes  de  France^  en  164 1,  n'aurait  pu, 
comme  celui  de  la  Douairière  de  Billebahaut  ou  du  Châ- 
teau  de  Bicêtre^  être  dansé  successivement  dans  plusieurs 
salles  différentes.  La  mise  en  scène  en  était  trop  compli 
quée  pour  cela.  Quant  à  la  salle,  ses  magnificences  ont 
été  assez  souvent  décrites  pour  qu'il  soit  nécessaire  que 
nous  nous  y  arrêtions  longuement  ^  Rappelons  seulement 
qu'elle  n'était  pas  fort  grande  et  que  le  cardinal  de  Riche- 
lieu limitait  strictement  le  nombre  des  invitations*.  On 

1.  On  en  pourra  juger  en  feuilletant  les  six  volumes  du  recueil  de  Paul 
Lacroix  :  Ballets  et  Mascarades  de  Cour,  Genève,  Gay,  1868,  in-12.  On  ne 
rencontre  pas  en  moyenne  un  ballet  sérieux  pour  dix  ballets  mascarades  à 
intentions  obscènes. 

2.  Voir  Maximin  Delocbe.  La  Maison  du  cardinal  de  Richelieu,  Cham- 
pion, 191 1,  in-8<^. 

3.  Voir  Sauvai.  Antiquités  de  la  Ville  de  Paris  :  «  Ce  lieu  est  une  longue 
salle  parallélogramme,  large  de  9  toises  en  dedans...  la  scène  est  élevée  à  un 
des  bouts  et  le  reste  aussi  par  27  degrés  de  pierres  qui  montent  mollement  et 
insensiblement  et  qui  sont  terminés  par  une  espèce  de  portique  ou  d'arcade.  » 

4.  Voir  l'aventure  de  Bois-Robert  dans  les  Historiettes  de  Tallemant  de 
Réaux,  III,  i53,  i54. 


LE     BALLET    A    LA    SCÈNE  l43 

y  pénétrait  par  un  corridor  fort  étroit  et  fort  sombre  où 
l'on  s'étouffait  \  Ces  ballets  du  palais  Cardinal  émerveil- 
lèrent plusieurs  années  la  Cour  et  la  Ville  et  les  préparè- 
rent aux  splendeurs  scéniques  des  opéras  italiens  qui 
allaient,  trois  ans  de  suite,  de  i645  à  1648,  être  repré- 
sentés sur  ce  même  théâtre  2. 

Quelle  que  fût  la  salle  oii  le  ballet  se  donnât,  le  public 
était  toujours  composé  à  peu  près  de  la  même  façon. 
Certes,  au  Louvre,  les  courtisans  étaient  en  majorité  et, 
à  l'Hôtel-de-Ville,  les  bourgeois  triomphaient,  mais  on 
retrouvait  un  peu  partout  les  mêmes  types  :  le  vieux  bour- 
geois grondeur,  furieux  d'être  bousculé  et  n'en  revenant 
pas  avec  moins  d'ardeur  à  tous  les  ballets  ;  les  gens  du 
bel  air  voulant  paraître  des  courtisans  accomplis^;  les 
poètes  faméliques  et  crottés  errant  dans  la  salle,  les  bras 
encombrés  de  gros  rouleaux  de  papier  contenant  les  vers 
qu'ils  distribuaient*;  les  Gascons  querelleurs  et  bruyants; 
les  pages  insolents.  Parfois  le  public  ordinaire  des  ballets 
était  mis  en  gaieté  par  l'arrivée  de  quelque  provincial, 
peu  au  courant  des  usages  parisiens.  Tel  cet  avocat  dont 
parle  Sorel.  Il  s'était  mis  en  tête  de  voir  le  ballet  du  Roi 
et  se  présenta  à  la  porte  du  Petit-Bourbon  accompagné 
de  sa  femme,  qui,  pour  la  circonstance,  avait  revêtu  «  ses 
habits  nuptiaux  »,  et  d'une  nourrice  portant    un  enfant 

1.  Il  en  sera  encore  ainsi  du  temps  de  Lully,  lorsque  l'Opéra  aura  pris 
possession  de  la  salle  du  Palais-Royal.  Voir  Dufresny.  Amusements  sérieux 
et  comiques  [Œuvres  complètes,  1747,  in-8*^,  t.  IV,  p.  21).  —  Voir  aussi  les 
plans  de  la  salle  dans  le  Recueil  de  l'Ilist.  de  France,  année  i636,  au  cabinet 
des  Estampes.  Qb.  35  et  aux  Archives  Nationales.  Seine,  3*^  classe,  n*^  545 
et  546. 

2.  Cf.  L'Opéra  italien  en  France  avant  Lulli.  Paris,  Champion,  191 3 
(in-8<^)  chapitres  11  et  m. 

3.  Voir  l'étonnante  scène  du  donneur  de  livres  de  ballets,  placée  par  Molière 
en  tôle  du  Ballet  des  Nations,  qui  sert  d'épilogue  au  Bourgeois  gentilhomme . 

4.  Sorel.  Francion,  cdit,  de  1673,  p.  246  et  suiv. 


•44  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

dans  les  bras,  cependant  qu'un  autre  trottait  à  ses  côtés, 
la  tenant  par  la  cotte.  En  dépit  d'une  pédantesque 
harangue,  préparée  dès  longtemps,  le  pauvre  homme  dut 
s'enfuir  sous  les  huées,  avec  les  pages  à  ses  trousses*. 
Ces  petits  événements  égayaient  la  longue  attente  de  la 
foule  à  la  porte  de  la  salle.  Une  fois  entré,  on  se  distrayait 
en  lisant  les  vers  remplis  d'allusions  burlesques  que  les 
poètes  jetaient  à  la  volée.  Au  Louvre,  il  arrivait  parfois 
qu'on  fît  circuler  dans  l'assistance  des  rafraîchissements 
et  des  sucreries,  mais  les  plateaux  étaient  pillés  en  un 
clin  d'œil  avec  une  révoltante  brutalité.  Au  Palais  Car- 
dinal, dont  la  salle  était  apparemment  moins  bien  illu- 
minée que  celles  du  Petit-Bourbon  et  du  Louvre,  on 
distribuait  des  bougies  aux  spectateurs.  Ceux-ci  les  allu- 
maient pour  lire  le  livret  du  ballet.  Les  lueurs  vacillantes 
de  ces  lumignons  trouaient  seules  les  ténèbres  de  Tam- 
phithéàtre,  fort  recherchées  des  amoureux. 


II 


La  mise  en  scène  du  ballet  dramatique  évolua  et  se 
transforma  comme  le  genre  lui-même.  Le  décor  simultané 
et  dispersé  servit  aux  ballets-comiques ^  le  décor  suc- 
cessif, aux  ballets  mélodramatiques.  Le  ballet  à  entrées  se 
passa  de  mise  en  scène  jusqu'au  jour  où  Richelieu,  en  le 
parant  des  séductions  des  machines  théâtrales,  prépara 
l'avènement  des  ballets  à  grand  spectacle. 

On  a  vu  que  le  ballet  comique  de  la  Reine  avait  été  joué, 
chanté,  mimé,  dansé,  non  sur  un  théâtre  mais  dans  toute 
l'étendue  de  la   salle.  La  mise  en  scène  était  donc   dis- 

I.  Sorel.  0/7.  cit.^  p.  247-250. 


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^  ^«  a 


LE    BALLET    A    LA    SCENE  l/|5 

persée.  Au  fond  de  la  salle,  sur  une  grande  toile  peinte, 
représentant  une  ville  en  perspective,  se  détachait  une 
construction  figurant  un  château.  Devant  cet  édifice 
s'étendait  un  parterre  fleuri^  :  château  et  jardin  étaient 
en  quelque  sorte  emprisonnés  sous  une  haute  voûte  de 
verdure,  contre  laquelle  s'appuyaient  à  droite  et  à  gauche 
deux  voûtes  semblables  mesurant  près  de  4  mètres  de 
large  et  7  mètres  de  haut.  C'est  par  là  que  s'effectuaient 
l'entrée  et  la  sortie  des  figurants  et  des  chars.  Plus  avant 
dans  la  salle,  se  trouvaient  disséminés  :  une  grotte  abritant 
des  orgues,  une  longue  voûte  en  bois  (d'environ  6  mètres 
sur  3)  renfermant  des  concerts  de  musique,  enfin  le  bocage 
de  Pan^  orné  d'arbres  aux  fruits  dorés  semblables  à  ceux 
des  entremets  du  xv^  siècle.  Au  plafond,  une  nuée  argen- 
tée, éclairée  en  dedans,  permettait  de  faire  descendre  du 
ciel  les  divinités.  Cette  même  nuée  avait  déjà  servi  pour 
les  grandes  mascarades  représentées  au  mariage  du  roi 
de  Navarre.  En  somme,  rien  de  bien  original  n'apparaît 
dans  cette  mise  en  scène.  Il  faut  noter  seulement  quelques 
artifices  ingénieux.  Ainsi  le  jardin  et  le  château  de  Circé 
sont  couverts  d'un  voile  épais  au  commencement  de 
l'action.  Lorsque  Circé  emmène  les  nymphes  captives,  ils 
apparaissent  brillamment  illuminés  par  une  multitude  de 
verres  de  couleur  dans  lesquels  brûlent  des  mèches  ^  De 
même  le  bocage  de  Pan  n'est  dévoilé  qu'au  deuxième  acte, 
à  l'arrivée  de  la  nymphe  Opis. 

Ces  procédés  devaient  être  employés  couramment  dans 

1.  Il  mesurait  environ  S*", 90  en  arrière  et  5'^,90  sur  le  devant.  Il  était  contre 
le  château  élevé  à  un  mètre  du  sol  et  s'abaissait  jusqu'à  o™,3o  du  plancher 
sur  le  devant.  V.  planche  III. 

2.  Il  mesurait  environ  2°*,85  X  3"*, 90. 

3.  Ce  procédé  d'éclairage  est  encore  en  honneur  aujourd'hui  dans  les  fêtes 
de  village. 

10 


i/|6  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

les  spectacles  de  la  Cour:  mascarades  ou  pastorales ^  Ils 
étaient  seulement  plus  ou  moins  simplifiés.  En  1093,  le 
ballet  de  i/"'  de  Rohan  nécessite  seulement  l'emploi  de 
deux  praticables  :  un  trône  sous  un  dais,  pour  la  magi- 
cienne Médée,  au  fond  de  la  salle,  et  une  caverne  pour  la 
Sibylle  sur  un  des  côtés  ^ 

La  première  apparition  en  France  du  décor  successif 
date  de  iSgô.  Encore  ne  s'agit-il  que  d'une  tentative  peu 
concluante  et  qui  porte  la  marque  du  génie  italien.  On  en 
a  attribué  Flionneur  au  fameux  astrologue  Ruggieri^ 
Quel  qu'il  fût,  l'auteur  des  décorations  théâtrales  qui 
accompagnèrent  la  représentation  à  Nantes,  le  25  février 
1596,  de  VArimène^  pastorale  de  Nicolas  de  Montreuil%a 
résolu  de  manière  originale  le  problème  du  décor  suc- 
cessif. Se  souvenant  des  périactes  de  l'Antiquité,  il  dis- 
pose au  fond  de  la  scène  quatre  charpentes  mobiles  autour 
d'un  axe  vertical  ;  ces  charpentes  affectent  la  forme  de 
polyèdres  pentagonaux  et  les  quatre  faces  qu'elles  présen- 
tent à  la  fois  au  public  sont  peintes  de  manière  à  consti- 
tuer un  même  décor.  Quand  on  fait  tourner,  au  moyen 
d'un  arbre  central,  ces  quatres  charpentes,  les  faces  offertes 
aux  spectateurs  changent  et  font  paraître  un  autre  tableau . 
Le  seul  inconvénient  de  ce  système,  c'est  que  des  espaces 
libres  sont  nécessaires  entre  les  périactes  pour  leur  per- 

I,  Voir  Lanson.  Revue  dliistoire  littéraire  de  la  France,  igoS,  p.  177  et 
suiv.  —  Jules  Marsan.  La  Pastorale  dramatique  en  France,  Paris,  igoS,  in-S^. 
—  Rigal.  De  Jodelle  à  Molière,  Hachette,  in-i2. 

a.  Lacroix,  I,  p,  118  et  suiv. 

3.  Louis  Lacour  :  Un  opéra  au  XVl^  siècle.  Revue  française,  i858,  t.  XII, 
p.  90  et  suiv.  —  Remarquons  en  passant  que  le  terme  opéra  appliqué  à 
V Arimène  est  tout  à  fait  impropre.  Il  ne  s'agit  que  d'une  pastorale  à  inter- 
mèdes, genre  fort  éloigné  de  l'opéra. 

4.  V Arimène  d'Olenix  du  Mont  Sacré,  gentilhomme  du  Maine,  Pastorale. 
A  Monseigneur  le  duc  de  Mercœur  et  devant  luy  représentée.  A  Nantes  chez 
Pierre  Dorion...  MDXGVII. 


LE    BALLET    A    LA    SCENE  147 

mettre  de  se  mouvoir.  Le  décor  est  ainsi  troué  par  trois 
brèches  qui  servent  à  Feutrée  et  à  la  sortie  des  person- 
nages. 

Sur  le  théâtre,  sont  disposés,  d'un  côté,  une  grotte 
en  praticable  et,  de  Tautre,  un  «  antique  rocher  ».  Les 
machines  des  intermèdes  sont  fort  compliquées  et  dignes 
des  théâtres  italiens.  A  V intramède  du  combat  des  Dieux 
et  des  Géants^  Jupiter  paraît  au  ciel  «  en  un  globe  tour- 
nant, qui  venant  à  s'ouvrir  fait  voir  ce  Dieu  assiz  sur  l'arc 
du  ciel,  vestu  d'une  robe  de  toille  d'or  avec  sa  couronne 
et  son  sceptre  ;  à  ses  costez  Pallas  et  Mercure  habillez 
en  leurs  habitz  ordinaires  ».  Le  ciel  s'ouvrit  de  même  au 
cours  de  plusieurs  autres  intermèdes  pour  découvrir  des 
divinités  portées  sur  des  nuages.  Ce  dispositif,  depuis 
longtemps  usité  en  Italie^,  sera  fort  en  honneur  dans  les 
ballets  mélodramatiques .  Enfin  il  convient  de  noter 
l'emploi  assez  hardi  des  feux  d'artifice  dans  la  plupart 
de  ces  intermèdes. 

Il  ne  semble  pas  que  la  représentation  à'Arimène^  à 
Nantes,  ait  été  une  révélation  pour  les  machinistes  des 
ballets  de  Cour.  Nous  ne  Pavons  mentionnée  que  parce 
qu'elle  trahit  la  préoccupation  de  substituer  au  décor 
dispersé  le  décor  successif.  Au  reste,  le  dispositif  des 
périactes  sera  abandonné  et  nous  allons  voir,  en  1610, 
dans  le  Ballet  d'Alcine^  le  décor  successif  réalisé  au 
moyen  de  procédés  plus  modernes,  encore  qu'assez  pri- 
mitifs. 

Nous  avons  déjà  décrit  la  salle  du  Louvre  où  se  repré- 
sente ce  ballet  :  c'est  un  vaste  rectangle  de  cin- 
quante mètres  de  long  sur  quinze  de  large.  A  l'extré- 

I.  Cf.  Alessandro  d'Ancona.  Origini  del  teatro  italiano.  Roma,  Lœscher 
1"^  cdit.,  (2  vol.  in-80). 


I48  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

mité  de  la  salle,  vis-à-vis  du  trône  royal,  sont  dressés  les 
décors  qui  reposent  directement  sur  le  plancher  et  non 
sur  un  théâtre.  Le  librettiste  ^  ne  nous  a  pas  donné  de 
grands  détails  sur  les  procédés  de  la  machinerie,  mais  il 
semble  bien  qu'il  faille  ainsi  reconstituer  la  mise  en 
scène  :  trois  grandes  toiles  étaient  tendues  Tune  devant 
l'autre.  Chacune  d'elles  «  tomboit  en  terre  »  au  moment 
voulu,  pour  être  sans  doute  aussitôt  tirée  sur  le  côté  et 
enlevée  ^  Au  lever,  ou  plus  exactement  à  la  chute  du 
rideau,  le  décor  représentait  une  forêt;  il  était  percé  de 
trois  grandes  ouvertures  par  lesquelles  s'effectuaient  les 
entrées  des  baladins.  Ce  décor,  tombant  à  son  tour, 
découvrait  un  palais  en  forme  d'amphithéâtre  devant 
lequel  était  posée  une  pyramide.  On  pourrait  se  deman- 
der si  ces  décorations  architecturales  étaient  peintes, 
ou  si  elle  n'étaient  pas  réalisées  en  relief  au  moyen  de 
charpentes  de  bois,  comme  le  palais  de  Circé  en  i58i  ; 
mais  le  livret  dit  expressément  que  le  palais  d'Alcine 
s'évanouit  tout  à  coup  :  aussi  l'hypothèse  d'une  toile 
peinte,  facile  à  faire  disparaître,  est-elle  la  plus  vraisem- 
blable. 

Le  nom  du  machiniste  du  ballet  d'Alclne  ne  nous  est 
pas  connu  par  des  témoignages  certains,  mais  on  peut, 
jusqu'à  preuve  du  contraire,  en  attribuer  l'honneur  à 
celui  des  frères  Francini  qui,  peu  d'années  plus  tard,  réa- 
lisa les  merveilles  scéniques  du  Ballet  de  Madame  et  de 
la  Délwrance  de  Renaud.  Né  à  Florence,  le  5  mars  1571, 

1.  Voir  les  deux  relations  publiées  par  Lacroix,  t.  I,  p.  289-269  et  p.  200- 
ao4. 

2.  A  moins  qu'une  fente  n'ait  été  ménagée  dans  le  plancher  pour  la  rece- 
voir. Il  est  à  remarquer  que  même  sur  les  théâtres  construits  pour  les  repré- 
sentations de  ballets  mélodramatiques,  la  toile  ne  se  levait  pas,  mais  tom- 
bait. 


LE    BALLET    A    LA    SCENE  I 49 

Tomaso  Francini*  était  venu  se  fixer  en  France,  vers  iSgS, 
et  avait  obtenu  sa  naturalisation,  au  mois  de  février  1600. 
Il  avait  épousé  une  française,  en  1606,  et  jouissait  à  cette 
date  de  la  charge  d'Intendant  général  des  eaux  et  fon- 
taines. En  161 7,  il  prenait  sur  un  document  le  titre  d'in- 
génieur du  Roi  et  contrôleur  de  la  Maison  de  la  Reine. 
Tomaso  avait  un  frère,  Alessandro  Francini,  comme  lui 
ingénieur  expert  en  Part  des  fontaines  :  aussi  peut-on  se 
demander  auquel  des  deux  frères  doit  être  attribuée  la 
machinerie  des  ballets  royaux.  Il  semble  pourtant  que 
Tomaso,  dont  la  réputation  d'architecte  est  mieux  établie 
et  dont  les  talents  étaient  plus  variés,  en  fut  le  véritable 
inventeur  ^ 

Le  ballet  des  Argonautes  (i6i4),  ne  comprenait  pas  de 
décors  successifs.  Le  fond  de  la  salle  était  occupé  par  la 
caverne  de  Gircé,  formée  de  gros  blocs  de  rochers.  — 
C'étaient,  semble-t-il,  des  carcasses  en  bois  couvertes 
de  toiles  peintes.  A  la  voix  d'Orphée,  les  rochers  se 
mouvaient  et  les  figurants  qui  y  étaient  renfermés  quit- 
taient leur  prison  pour  danser  un  ballet.  Avant  cette 
métamorphose,  on  voyait  sortir  de  la  caverne  des  chars 
en  forme  d'animaux  fantastiques  ou  d'objets  grotesques 
portant  les  «  enchantés  ». 

L'année  suivante,  le  ballet  du  Triomphe  de  Minerve^ 
dont  les  décorations  étaient  sans  aucun  doute  l'œuvre  de 
Francini  %   fut  l'occasion  d'un  déploiement  de  mise  en 

1.  Sur  Tomaso  et  Alessandro  Francini  consulter  la  substantielle  notice  de 
M.  Bart.  Recherches  historiques  sur  les  Francine  et  leur  œuvre  (Paris,  1897) 
et  divers  documents  publics  dans  les  Nouvelles  Archives  de  VArt  Français 
(1872,  p.  23-27,  1876,  p.  228)  ainsi  que  l'article  de  Jal  dans  le  Dictionnaire 
critique. 

2.  Le  livret  de  l'aventure  de  Tancrède,  en  1619,  appelle  le  sieur  Francine 
fl  grand  architecte  et  ingénieur  du  Roy.  » 

3.  Mercure  français,  t.   IV,  p.  9  et  suiv,  Beauchamp  donne  une    longue 


l5o  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

scène  nouveau  en  France.  Adoptant  un  dispositif  déjà  en 
usage  à  Florence  et  à  Mantoue  pour  les  fêtes  de  Cour, 
Francini  éleva  un  théâtre  et  le  relia  à  la  salle  par  des 
degrés  en  pente  douce  pour  permettre  aux  baladins  d'y 
descendre  danser  après  avoir  fait  leur  entrée.  La  scène 
proprement  dite  formait  un  carré  d'environ  seize  mètres 
de  côté*;  elle  était  élevée  à  une  hauteur  de  près  de 
deux  mètres  au-dessus  du  plancher  de  la  salle.  A  droite  et 
à  gauche  du  théâtre  se  trouvaient  les  plans  inclinés  qui 
conduisaient  de  la  scène  dans  la  salle;  ils  étaient  ornés 
de  rocailles  et  reposaient  sur  trois  antres  par  où  se  reti- 
raient les  danseurs  ^  Les  décors  étaient  magnifiques.  Le 
premier,  qui  représentait  un  paysage  montagneux  avec  des 
rochers  couverts  d'arbrisseaux,  faisait  place  subitement 
à  un  grand  bois^  Celui-ci  disparaissait  à  son  tour  devant 
un  décor  maritime  :  «  ce  qui  estoit  bois  auparavant, 
devint  rochers  aboutissans  en  branches  de  coral,  escailles, 
mousses  maritimes  et  représentans  des  escueils  battus 
des  vagues.  Dans  la  mer  passoit  une  musique  de  Tri- 
tons... »  Enfin  des  nuages  envahissaient  la  scène,  les 
cieux  s'ouvraient  et  montraient  des  anges  musiciens... 

La  machinerie   n'était  pas   moins  compliquée    :    Une 
grande   nuée*  dissimulait  sous  ses  ondulations  toute  la 

relation  de  ce  ballet  :  «  Le  sieur  Francini,  ingénieur  ordinaire  du  Pioi  et 
super-intendant  de  ses  fontaines,  eut  la  direction  générale  de  toutes  les 
machines  ;  il  en  fit  même  un  petit  modèle,  réduisant  la  toise  au  pied,  qui 
satisfit  la  Reine.  »  Les  théâtres  de  France,  Paris,  i735,  in-8o,  t.  III,  p.  70. 

1.  he  Mercure  français  dit  en  effet  que  le  théâtre  était  haut  de  six  pieds, 
large  de  huit  toises  et  profond  d'autant. 

2.  «  Pour  descendre  de  ladite  scène  dans  la  Grande  Salle,  y  avoit  deux 
descentes  desdits  rochers,  renfoncées  par  dessous  de  trois  grottes...  » 

3.  Sans  doute  par  le  procédé  que  nous  avons  décrit  plus  haut. 

4.  Sans  doute  en  gaze  d'argent  comme  on  les  faisait  alors  en  Italie.  Voir 
Sabbattini.  Pratica  di  fabricar  îuachine  né  teatri,  Ravenne  i638,  in-S** 
(a«  édit.  augm.). 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  l5l 

scène  et  servait  de  rideau.  «  Cette  nuée  s'entrouvrit  bas 
par  le  milieu  et  de  l'ouverture  sortit  une  autre  nuée,  assez 
petite...  mais  à  mesure  qu'elle s'avançoit,  elle  s'agrandis- 
soit  en  largeur  et  hauteur  sans  qu'on  apperceust  qui  causoit 
ce  mouvement,  ny  qui  la  faisoit  advancer  dans  la  Salle  », 
et,  qui  plus  est,  si  artificieusement  composée,  qu'on  ne 
savait  discerner  «  si  c'étoit  un  vray  nuage  ou  non  qui  flot- 
toit  *  ».  A  l'intérieur  de  cette  nue,  qui  finissait  par  s'ouvrir, 
«  estoit  représentée  la  Nuict,  vestiie  d'une  lame  d'argent, 
et  noire  ^...  »  Le  livret  ne  nous  dit  pas  ce  que  devenait  la 
nue,  il  indique  seulement  qu'elle  finissait  par  se  perdre. 
Elle  se  retirait  sans  doute  dans  les  combles,  suivant  en 
sens  inverse  le  chemin  qu'elle  avait  pris  pour  venir. 

Le  dessous  du  théâtre  était  aussi  machiné  que  le 
dessus.  A  la  première  scène,  un  rocher  d'une  hauteur  de 
4  mètres  surgissait,  portant  les  dix  Sibylles,  et  s'abîmait 
ensuite.  Mais,  comme  en  Italie,  c'étaient  les  vols,  les 
descentes  de  divinités  qui  faisaient  surtout  les  frais  du 
spectacle.  Une  nuée,  à  la  troisième  scène,  planait  au- 
dessus  d'un  bois  ;  elle  supportait  dans  les  airs  l'Aurore 
semant  des  fleurs  et  «  suivie  d'un  chariot  flamboiant  et 
doré,  avec  des  roues  tournantes  d'un  mouvement  esgal 
et  continuel,  dans  lequel  estoit  le  Soleil  ».  A  la  dernière 
scène,  les  nuées  envahissaient  tout  le  fond  et  les  côtés  du 
théâtre.  La  Victoire  et  la  Renommée  descendaient,  cha- 
cune sur  un  nuage,  et  tendaient  des  couronnes  à  Madame, 
portée  dans  un  char  triomphal. 

Le  Ballet  de  Madame  fut  représenté  sur  un  théâtre 
élevé  au-dessus  du  niveau  de  la  salle  et  relié  avec  elle 
par  des  plans  inclinés.  Ce  dispositif  qui,  en  i6i5,  semble 

1.  Mercure  françois,  i6i5,  t.  IV,  p.  lo. 

2.  Explication  allégorique  du  triomphe  de  Madame.  Lacroix,  II,  p.  63. 


l5'2  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

nouveau  en  France,  était,  depuis  plusieurs  années  déjà 
usité  en  Italie*  et  aussi  en  Angleterre.  Lorsque  Rinuccini 
avait,  aux  environs  de  i6o5,  importé  à  Florence  le  ballet 
parisien,  il  Tavait  adapté  aux  ressources  scèniques  dont 
ritalie  disposait  pour  les  spectacles  de  Cour.  Un  décor 
dispersé  eût  semblé  un  anachronisme.  On  fit  donc  mimer 
l'action  du  ballet  et  chanter  les  récits  sur  la  scène,  et 
danser  les  ballets  dans  la  salle.  Le  ballo  délie  Ingrate'^ ^ 
un  des  premiers  ballets  italiens  construits  par  Rinuccini 
sur  le  plan  des  ballets  français  et  mis  en  musique  par 
Monteverde,  en  1608,  pour  la  Cour  de  Mantoue,  nous 
ofFre  un  bel  exemple  de  ce  qu'était  devenu  le  ballet 
français  entre  les  mains  des  machinistes  italiens.  La  toile 
s  étant  levée,  la  bocca  cCinferno  apparaît.  On  connaît 
ce  décor,  classique  dans  l'opéra  italien  du  xvii*  siècle  : 
une  gueule  gigantesque  et  béante  occupe  toute  la 
scène  ^  Entre  ses  mâchoires  immenses  paraît  en  éloigne- 
ment  un  paysage  infernal,  illuminé  par  les  rouges  lueurs 
des  feux  de  bengale  et  autres  artifices.  Après  un  prologue 
chanté,  les  Dames  ingrates  sortent  deux  à  deux  de  l'En- 
fer, s'avancent  sur  le  devant  du  théâtre  et  s'y  livrent  à 
une  pantomime  expressive,  puis  descendent  par  des 
escaliers  latéraux  dans  la  salle  pour  danser  leur  ballet. 
En  Angleterre,  où,  de  bonne  heure,  le  ballet-comédie 
avait  évolué  dans  un  sens  nettement  littéraire  et  drama- 

I.  L'estampe  de  Callot,  représentant  une  scène  du  ballet  :  La  liberazione 
di  Tirreno  —  1617  —  montre  bien  ce  dispositif.  V.  Planche  IV. 

u.  Voir  Solerti.  Gli  albori  del  melodramma,  t.  II,  p.  246. 

3.  On  en  trouvera  un  bel  exemple  dans  les  estampes  qui  illustrent  la  Porno 
d'Oro  de  Gesti,  représentée  à  Vienne  en  1669.  (Reproduites  dans  l'édition 
des  Denktnâler  der  Tonkunst  in  Ôsterreich  p.  167.)  La  collection  James  de 
Rothschild  possède  un  dessin  donnant  la  coupe  d'une  bocca  d'inferno  et  mon- 
trant l'ingénieux  dispositif  qui  lui  permettait  de  s'avancer  en  se  déployant  du 
fond  de  la  scène  sur  le  devant. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈ>'E  l53 

tique,  un  théâtre  avait  été  bien  vite  reconnu  nécessaire 
pour  la  représentation  des  scènes  dialoguées.  Les  Mas- 
quers^  après  avoir  fait  leur  apparition  sur  la  scène,  en 
descendaient  pour  gagner  une  estrade  élevée  au  milieu 
de  la  salle,  the  dancing  place  ^  sur  laquelle  ils  exécutaient 
leur  ballet  *.  En  France,  les  danseurs  se  contentaient  de 
descendre  de  la  scène  dans  la  partie  de  la  salle  qui  était 
consacrée  à  leurs  évolutions  et  que  de  longues  barrières 
défendaient  contre  la  foule  des  spectateurs. 

Le  théâtre  du  Petit  Bourbon,  qui  avait  servi  aux  repré- 
sentations du  Triomphe  de  Minerve^  ne  fut  plus  utilisé 
durant  de  longues  années^  Le  jeune  Louis  XllI  lui  pré- 
féra la  Grande  Salle  du  Louvre  où  se  dansèrent  doréna- 
vant la  plupart  des  ballets.  En  1617,  Francini  y  cons- 
truisit un  théâtre  curieusement  machiné  pour  l'exécution 
du  Ballet  de  la  délivrance  de  Renaud  dont  l'action  com- 
portait quatre  changements  à  vue.  Ceux-ci  n'étaient  plus 
obtenus  par  les  procédés  assez  rudimentaires  que  nous 
avons  décrits,  mais  grâce  à  un  système  aussi  nouveau 
qu'ingénieux  ^  Sur  la  scène,  au  premier  plan,  étaient  posés 
deux  châssis  latéraux  auxquels  s'ajustaient,  à  angles  droits, 
deux  châssis,  perpendiculaires  au  fond  du  théâtre.  Entre 
ces  sortes  de  cubes,  le  décor  s'apercevait  en  perspective 
comme  sur  les  théâtres  italiens,  mais  Francini  avait  subs- 
titué au  châssis,  qui  d'ordinaire  fermait  cette  perspec- 
tive, des  décorations  praticables  reposant  sur  la  moitié 
d'une  plaque  tournante.  Pour  opérer  un  changement  à 

I.  Parfois  une  sorte  de  plate-forme  roulante  transportait  les  danseurs  de 
la  scène  sur  l'estrade.  Voir  Reyher,  Les  Masques  Anglais,  p.  357  ^^  ^uiv. 

1.  Il  servit  encore  pourtant,  en  162 1,  pour  le  Ballet  d'Apollon  et  pour  le 
Ballet  de  la  Reyne  représentant  le  Soleil. 

3.  Voir  le  Discours  au  vray  du  Ballet  dansé  par  le  Roy  (B.  N.  Réserve 
Yf.  iao4  et  Conservatoire)  et  les  planches  I  et  XVI. 


l54  LE     BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

vue,  il  suffisait  de  faire  mouvoir  rapidement  cette  plaque. 
La  scène  était  beaucoup  moins  élevée  que  celle  du 
Petit  Bourbon.  Trois  marches  d'un  pied  de  haut  la  réunis- 
saient à  la  salle.  A  la  droite  du  spectateur  se  voyaient  sur 
le  côté  quelques  rochers,  à  gauche  une  longue  galerie  de 
verdure  ou  treille,  par  où  les  figurants  entraient  en  scène. 
Un  rideau  masquait  le  théâtre  avant  le  commencement 
du  spectacle  ;  il  était  peint  et  représentait  des  palais 
émergeant  de  verdures.  En  tombant,  il  découvrait  le 
premier  décor.  Au  centre,  sur  la  plaque  mobile,  se  voyait 
une  grotte,  au  pied  d'une  montagne  sur  laquelle  étaient 
assis  les  démons  d'Armide.  Lorsque  les  chevaliers  arri- 
vaient pour  délivrer  Renaud,  la  plaque  tournait^  et  mon- 
trait le  second  décor  disposé  d'avance  derrière  la  mon- 
tagne :  un  jardin  orné  de  trois  grandes  vasques  où 
jaillissait  de  l'eau.  A  mesure  que  la  montagne  tournait, 
les  rochers  des  côtés  étaient  retirés  et  des  bosquets  les 
remplaçaient.  Un  nouveau  changement  à  vue  se  produi- 
sait à  la  fin  de  cette  scène  :  le  «  jardin  qui,  para  vaut 
estoit  si  beau,  ne  devint  plus  qu'une  caverne  déserte... 
tout  trembla  et  changea  tout  ensemble  ».  On  aimerait  à 
avoir  quelques  détails  sur  la  manière  dont  s'opérait  cette 
transformation.  11  est  probable  qu'une  fois  de  plus  la 
plaque  tournait  et  montrait  le  décor  du  premier  acte 
lé  gèrement  modifié  ou  un  autre  qui  lui  avait  été  substitué. 
Logiquement,  l'apothéose  finale  eût  dû  suivre  immédia- 
tem  ent  la  ruine  du  palais  d'Armide,  mais  les  machinistes 
n'av  aient  pas  eu  le  loisir  de  préparer  le  nouveau  décor 
sur  l'arrière  de   la   plaque,    aussi   dut-on  recourir  à  un 

I.  «  Celte  montaigne  se  tourna  d'elle  mesme,  les  rochers  des  costez 
secoue  rent  leurs  testes  qui  serabloyent  immobiles,  tout  changea  d'un  ins- 
tant... »  Page  10. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  1 55 

expédient  pour  leur  donner  le  temps  de  remplacer  les 
fontaines  et  les  parterres  du  jardin  d'Armide  par  un 
pavillon  en  toiles  d'or.  Dans  la  salle  s'avança  donc  une 
sorte  de  plate-forme  roulante,  mue  par  des  hommes  ou 
des  animaux  invisibles.  Elle  était  hérissée  d'arbres  et 
de  buissons  et  portait  les  soldats  de  Renaud  qui  dialo- 
guaient avec  un  ermite  \  Cet  intermède  ayant  permis  aux 
machinistes  de  procéder  à  la  mise  en  place  du  décor 
final,  «  le  grand  pavillon  se  tourna  »,  précise  le  livret,  et 
découvrit  aux  yeux  des  spectateurs  les  danseurs  du 
Grand  ballet  qui  s'y  tenaient  assis. 

En  1619,  pour  les  représentations  de  V Advaniure  de 
Tancrede  en  la  forest  enchantée^  on  revint  au  système 
des  châssis  mobiles,  alors  usité  en  Italie  et  en  Angleterre 
pour  les  fêtes  de  Cour. 

La  scène,  qui  formait  un  vaste  carré  de  près  de  douze 
mètres  de  côté,  offraitceci  de  particulier,  qu'au  lieu  d'être 
partout  de  niveau,  elle  allait  en  s'inclinant  d'arrière  en 
avant  selon  une  pente  assez  forte.  Élevée  à  2"',6o  du 
sol  au  fond  du  théâtre,  elle  n'en  était  qu'à  1*^,80  sur  le 
devant.  Le  théâtre  lui-même  était  fort  magnifique,  «  les 
frises  et  bordures  estoient  escaillées  en  rochers  d'or  par- 
semés de  mousse  verte.  Il  estoit  couvert  d'un  ciel  turquin, 
semé  de  quelques  nuages,  par  le  haut  duquel  régnoit  tout 
au  long  un  feston  large  de  trois  pieds  et  demy  où  les 
cornes  d'abondance  versoient  mille  sortes  de  fleurs  et  de 
fruits  \  »  Le  bas  du  théâtre,  l'espace  compris  entre  le 
plancher  de  la  salle  et  la  scène,    était  comme  pour   le 


I.  V.  Planche  XVI. 

•1.  Relation  du  Grand  Ballet  du  Roy.  Dancé  en  la  Salle  du  Louvre,  le 
12  février  1619,  sur  L'Advanture  de  Tancrede  en  la  forest  enchantée.  (Bibl. 
Mazarine  37. 27*^,  pièce  iS,  page  9.) 


l56  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Ballet  de  Madame^  percé  de  plusieurs  ouvertures,  «  une 
à  chaque  costé  et  la  plus  grande  au  millieu  »,  par  où 
s'effectuaient  la  sortie  et  l'entrée  des  figurants  et  bala- 
dins \  Deux  plans  inclinés  réunissaient  le  théâtre  à  la 
salle.  Une  grande  toile  peinte,  mesurant  près  de  dix  mè- 
tres de  haut,  couvrait  toute  la  face  du  théâtre.  Elle  mon- 
trait Jérusalem  «  assiégée  et  une  forest  à  côté  ».  En 
s'abattant,  elle  découvrit  la  scène  qui  représentait  une 
épaisse  forêt.  Le  décor  du  fond  et  les  châssis  latéraux 
étaient  peints  et  figuraient  des  arbres.  Au  milieu  étaient 
rangés  ce  huit  arbres  en  reliefs  »  ;  ceux-ci  ne  devaient  pas 
être  d'un  grand  poids  puisque  les  monstres  les  empor- 
taient avec  eux  dans  leur  fuite.  Pour  changer  de  décor 
on  profitait  de  l'obscurité  qui  succédait  à  l'embrase- 
ment de  la  forêt.  La  scène  représentait  un  amphithéâtre. 
Le  troisième  décor  figurait  un  temple.  Enfin  un  quatrième 
changement  à  vue  fit  paraître  les  conquérants  de  la 
Palestine  «  dans  un  tabernacle  en  demy  rond...  enrichy 
de  pyramides,  trophées  d'armes,  palmes  et  lauriers.  » 

L'originalité  du  spectacle  résidait  surtout  dans  la  machi- 
nerie qui  atteignait  un  degré  de  perfection  où  elle  ne 
devait  pas  longtemps  se  maintenir  en  France.  Le  magi- 
cien Ismène,  semblant  sortir  des  enfers,  s'élevait  insen- 
siblement sur  une  trappe  ;  un  grand  cyprès  se  dressait 
au  milieu  de  l'amphithéâtre  et  disparaissait  non  moins 
vite  ^  ;  du  sang  coulait  d'une  branche  coupée  par  Tan- 


i.Les  personnages  qui  sont  censés  venir  du  bois  entrent  par  la  scène,  ceux 
qui  paraissent  venir  du  dehors  entrent  par  la  salle.  Lorsqu'Ismène  chasse 
de  la  forêt  les  divinités  bocagères,  celles-ci  descendent  du  théâtre  et  sortent 
par  la  salle,  au  contraire  les  chevaliers  viennent  par  la  salle  et  montent  sur 
le  théâtre,  etc. 

2.  Dans  la  Délivrance  de  Renaud  deux  grands  palmiers  étaient  de  même 
sortis  du  sol  au  moment  de  l'apothéose  finale.  Discours  au  vray,  p.  a4. 


LE     BALLET    A    LA    SCÈNE  167 

crède  ;  enfin  les  nuées  mobiles,  chères  aux  Italiens, 
avaient  été,  pour  Francini,  l'occasion  de  se  surpasser.  A 
la  scène  du  temple,  on  voyait  le  ciel  s'ouvrir  d'abord 
sur  les  deux  côtés  et  découvrir  des  anges,  assis  sur  des 
échafaudages  dissimulés  sous  de  la  gaze  argentée.  Après 
quoi  le  ciel  se  fendait  par  le  milieu  et  une  grande  ma- 
chine, représentant  une  nuée,  descendait  doucement  sur 
le  théâtre  avec  vingt-huit  musiciens  et  baladins  qu'elle 
remportait  ensuite  dans  les  airs. 

Francini  s'était  adjoint,  pour  les  feux  d'artifice,  un  col- 
laborateur nommé  Horace  Morel  *  qui  avait  fait  merveille. 
Les  divinités  infernales  dansaient  leur  ballet  avec  des 
sceptres  enflammés  et  des  couronnes  qui  brûlaient  sans  se 
consumer.  Vers  la  fin  du  combat  entre  Tancrède  et  les 
monstres,  on  voyait  des  éclairs,  on  entendait  le  tonnerre, 
des  rugissements,  des  hurlements.  A  un  moment  «  la 
scène  parut  tout  enflammée  par  une  palissade  de  feu 
que  l'on  y  vit  représentée  ».  Puis  l'obscurité  se  fit  brus- 
quement sur  le  théâtre.  On  se  demande  comment  on 
pouvait  obtenir  de  tels  effets  sans  le  secours  de  nos 
puissants  et  dociles  moyens  d'éclairage  modernes.  Il  suf- 
fit de  parcourir  l'ouvrage  de  Sabbattini^  pour  voir  que  les 
machinistes  arrivaient  à  des  résultats  prodigieux^  grâce 
à  un  complet  mépris  du  danger  :  on  faisait  brûler  sur 
la  scène  une  palissade  ou  une  cabane  de  paille,  on  tirait 
des  fusées.  Pour  toute  précaution,  on  peignait  les  décors 
avec  des  couleurs  ignifuges. 

I.  Horace  Morel  était  chevau-léger.  Il  était  renommé  pour  son  adresse 
d'artificier.  Cf.  Discours  sur  les  triomphes  de  la  feste  de  S.  LouiSy 
Paris  i6i3.  — B.  Maz.  37.272,  pièce  10. 

a.  Praticadi  fabricar  scène  e  machine  né  teatri.  Ravenne  i638,  in-40. 

3.  On  connaissait  d'ailleurs  l'art  d'éclairer  la  scène  de  manière  à  mettre 
en  valeur  les  objets  qui  importaient  le  plus.  «  La  disposition  des  lumières 


l56  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

Le  Ballet  de  la  Rei/ne  tiré  de  la  fable  de  Psyché, 
représenté  quelques  jours  après  celui  de  Tancrède,  ne 
comportait  pas  de  moins  grandes  merveilles  scéniques. 
Il  y  avait  quatre  tableaux  :  I.  Un  jardin  orné  de  grottes 
et  de  fontaines  en  relief  comme  celui  d'Armide,  en  1617. 
—  II.  Le  Palais  de  l'Amour.  —  III.  Un  décor  maritime 
rappelant  celui  du  Triomphe  de  Minerve  avec  des 
rochers,  des  coraux,  des  grottes.  «  La  mer  avoit  un  mou- 
vement artificiel  et  représentoit  si  bien  les  flots  esmeus 
et  des  ondes  bleues  qui  haussoient  et  baissoient,  qu'on 
n'eust  pas  creu  que  cela  se  peust  représenter  sans  eau  ^  » 
Enfin  Tapotliéose  de  Psyché  se  déroulait  au  milieu  des 
nuages  dorés  qui  avaient  déjà  servi  pour  T ancre  de,  A  la 
première  scène,  un  char  traîné  par  des  cygnes  porte 
Vénus  et  Gupidon  jusque  dans  la  salle  ;  à  la  deuxième  le 
char  de  Vénus,  tiré  par  des  dauphins,  sort  de  l'onde  suivi 
par  des  troupes  de  tritons  et  de  nymphes  qui  émergent 
par  degré  du  sein  des  flots. 

A  partir  de  cette  époque,  la  mise  en  scène  à  l'ita- 
lienne disparaît  rapidement  et  pour  longtemps  des  bal- 
lets royaux.  On  en  ignore  la  cause  :  sans  doute  après  la 
mort  de  Luynes  qui  avait  le  goût  de  la  magnificence,  le 
Roi  jugea-t-il  plus  à  propos  de  consacrer  l'argent  de  l'Etat 
à  entretenir  son  armée  qu'à  récréer  la  Cour.  Toujours 
est-il  que,  durant  vingt  années,  les  ballets  à  entrées  vont 
se  dérouler  devant  des  décors  d'une  extrême  simplicité. 

C'est  d'ailleurs  par  habitude  et  par  routine  qu'on  con- 
tinue  à   faire  paraître  les   personnages  et   chanter  les 

sert  beaucoup  au  succès.  Il  y  en  a  de  cachées  qui  éclairent  sans  être  veiies, 
et  qui  font  voir  l'objet  par  des  jours  réfléchis.  Il  y  en  a  que  l'on  dispose  en 
sorte  que  l'on  laisse   en    ténèbres  l'endroit  des    ressorts    des  machines    » . 
Menestrier.  Des  ballets  anciens  et  modernes,  p.  aSo, 
I.  Discours  du  ballet  de  la  Reyne...  Lacroix,  II,  p.  2o5. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  l59 

récits  sur  un  théâtre  :  les  ballets  à  entrées  se  pourraient 
passer  de  mise  en  scène  aussi  facilement  que  les  hallets- 
mascarades  du  règne  d'Henri  IV.  En  général  il  n'y  a  qu'un 
seul  décor  fort  imprécis  qui  sert  de  fond  au  théâtre.  On 
note,  comme  une  curiosité  extraordinaire,  en  i632,  pour 
le  ballet  du  château  de  Bicêtre^  qu'il  y  eut  deux  décors, 
le  premier  représentant  le  château  en  ruines  «  ayant  le 
soleil  sur  son  horizon  et  autour  de  son  faiste  des  grues, 
faisans,  faucons  et  autres  oiseaux,  comme  au  bas  toutes 
sortes  debestes  à  quatre  pieds  ^  »  le  second  montrant  «  le 
mesme  château  de  Bissestre...  ombragé  d'une  nuict  qui 
n'avoit  point  d'autre  clarté  que  celle  d'un  démon  qui 
sortoit  tout  confus  de  la  plus  haute  de  ses  fenêtres^». 

Souvent,  au  lieu  d'un  théâtre,  on  se  contentait  d'une 
estrade  avec  ou  sans  toile  de  fond.  On  faisait  parfois 
dresser  sur  un  côté  une  construction  en  planches  et  toiles 
peintes  qui  servait  au  ballet.  C'est  ainsi  qu'en  1626  la 
Douairière  de  Billebahaut  comportait,  pour  unique  mise 
en  scène,  une  sorte  de  grande  guérite  que  nous  appre- 
nons être,  grâce  à  son  enseigne,  V auberge  de  Clamart^. 
Le  Roi  se  retirait  à  l'intérieur  de  cet  édicule  pour  voir 
danser  les  entrées  dans  lesquelles  il  ne  figurait  pas\ 

1.  Gazette  du  12  mars  lôSa,  p.  104.  On  voit  ces  deux  décors  reproduits 
dans  le  recueil  des  costumes  du  Ballet  de  Bicêtre  au  Cabinet  des  Estampes. 
[Histoire  de  France,  Qb.  33).  V.  planche  VI. 

2.  On  retrouve  un  effet  semblable  dans  un  ballet  provincial,  danse  eu  1649  • 
Les  divers  entretiens  de  la  Fontaine  de  Vaucluse.  On  y  voit  un  sabbat  de 
sorcières  «  elles  ne  reçoivent  autre  clarté  que  celle  que  leur  fournissoit  un 
Démon  assis  sur  un  toit  d'une  masure...  De  la  main,  de  la  bouche  et  des 
yeux  de  ce  lutin  sortirent  des  flammes  effroyables  .  »  Lacroix  VI,  p.  198. 

3.  On  la  voit  reproduite  sur  un  des  dessins  du  recueil  du  Louvre. 

4.  «  Et  pendant  que  les  premiers  masques  faisoient  leurs  entrées,  Sa 
Majesté,  Monsieur  et  les  autres  princes  se  sont  mis  dans  la  loge  de  charpen- 
terie  faite  exprès  à  l'entrée  de  la  salle  et  que  le  ballet  appeloit  la  ville  de 
Clamart,  proprement  une  taverne,  pour  le  voir  danser.  »  Relat.  déjà  citée. 
Loménics  de  Brienne.  Mémoires,  édit.  Barrière  1828,  I,   337. 


l6o  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Quant  aux  machines,  elles  ne  sont  pas  moins  rudimen- 
taires.  Les  mannequins  géants  qui  battent  la  mesure,  ou 
des  jupes  desquels  s'échappent  des  troupes  de  danseurs, 
sont  fort  en  vogue  ^  On  affectionne  aussi  les  simulacres 
d'animaux  exotiques  :  chameaux^,  éléphants,  rhinocéros, 
perroquets,  crocodiles,  singes.  Enfin,  très  souvent,  les 
personnages  apportent  avec  eux  des  objets  qui  intro- 
duisent quelque  variété  dans  leurs  évolutions  :  tourni- 
quets, tables,  buts  pour  courses  de  bagues  et  autres 
accessoires  souvent  volumineux  et  encombrants. 

Tous  ces  spectacles,  en  dépit  du  luxe  des  costumes, 
étaient  misérables  au  regard  des  merveilles  auparavant 
réalisées  par  Francini.  Horace  Morel,  l'artificier  du  Ballet 
de  Tanerède^  chercha,  sans  revenir  à  la  forme  du  ballet 
mélodramatique ^  à  parer  le  ballet  à  entrées  d'une  mise 
en  scène  à  l'italienne.  Au  mois  de  décembre  1682,  il  fit 
représenter  deux  ballets,  devant  un  public  payant,  au  Jeu 
de  Paume  du  Petit  Louvre,  transformé  en  salle  de  spec- 
tacle avec  parterre,  galeries  et  amphithéâtre.  Le  Ballet 
de  V Harmonie  ^  comportait  un  grand  nombre  de  machines 
et  de  changements  de  décors  :  on  voyait  le  ciel  où  trô- 
nait Apollon  sur  une  nuée,  la  grotte  des  Vents,  un 
paysage  maritime.  Le  Ballet  des  Effets  de  Nature'*  faisait 
paraître  successivement  «  une  salle  à  faire  noces  », 
décorée   de  tapisseries  et  resplendissante  de    lumière, 

1.  Un  dessin  de  l'album  de  la  collection  James  de  Rothschild  représente 
une  femme  géante,  dont  la  robe  est  percée  de  trois  portes  par  où  sortent  les 
danseurs  (f^  40.  v°). 

2 .  Un  dessin  de  la  collection  de  James  de  Rothschild  montre  le  dispositif 
employé  pour  figurer  le  chameau  qui  porte  le  cacique  au  ballet  de  la  douai- 
rière de  Billebahaut  [^  40)  • 

3.  Lacroix,  IV,  p.  208. 

4.  Lacroix,  IV,  191. 


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LE    BALLET    A    LA    SCENE  l6l 

un  «  désert  plein  d'horreur  »  avec  des  montagnes  de 
neige,  des  rochers...,  l'Etna  qui  vomissait  des  flammes, 
enfin  un  bocage  émaillé  de  fleurs.  Ces  représentations 
durent  avoir  un  certain  succès  puisque,  Tannée  suivante, 
Morel  fit  encore  représenter  le  ballet  des  Cinq  Sens  de 
la  Nature^  et  celui  de  la  Puissance  d'Amour^  mdiis,  à 
partir  de  cette  époque  il  n'est  plus  question  de  l'entre- 
prise de  MoreP. 

Ce  n'est  qu'en  i64i  que  Richelieu  reprit  l'idée  de 
Morel  et  fit  représenter  un  ballet  à  entrées^  sur  le  théâtre 
de  son  palais,  avec  une  superbe  mise  en  scène.  Le  ballet 
de  la  Prospérité  des  armes  de  France  fut  donné,  le 
7  février  164 1,  en  spectacle  au  Roi  et  à  la  Reine*.  Si  l'on 
en  croit  Marolles,  «  on  employa  pour  ce  ballet  les  mêmes 
machines  qui  avoient  servi  au  même  lieu  le  i4  jan- 
vier 1641  »  pour  Mirante  «  avec  de  nouvelles  inventions 
pour  faire  paroitre  tantôt  les  campagnes  d'Arras  et  la 
plaine  de  Casai  et  tantôt  les  Alpes  couvertes  de  neiges, 
puis  la  mer  agitée,  le  gouffre  des  enfers  et  enfin  le  ciel 
ouvert^  ».  En  réalité,  toute  la  machinerie  du  Ballet  de  la 
Prospérité  est  fort  simple.  Au  P"^  acte,  le  théâtre  repré- 
sente un  bocage.  A  un  moment  donné,  le  fond  du  théâtre, 
qui  est  constitué  par  deux  châssis  mobiles,  suivant  la 
méthode  italienne,  s'entr'ouvre  et  l'on  aperçoit  l'enfer 
((  dans  l'enfoncement  »  \  A  l'acte  II,  on  voit  les  Alpes 
couvertes  de  neige  :  de  nouveau  les  châssis  s'écartent  et 

I.  Bibl.  Nat.  Réserve  Yf,  iSag.  (Lacroix,  IV,  23o). 
i.  Lacroix,  IV,  244- 

3.  Le  Ballet  du  Grand  Demogorgon  fut  sans  doute  aussi  représenté  au 
Jeu  de  Paume  du  Petit  Louvre,  en  i633.  (Bibl.  Mazarine  35.  aôa,  pièce  3i.) 

4.  Gazette  de  février  1641. 

5.  Mémoires,  t.  I,  p.  a36-a37. 

6.  Lacroix,  t.  VI,  p.  35. 

II 


Iba  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

c(  Gasal  paroist  dans  resloignement,  les  tentes  et  retran- 
chements des  Espagnols  et  le  camp  des  Français  ».  Il  en 
va  de  môme  jusqu'à  la  fin.  Quand  on  songe  aux  tours  de 
force  accomplis,  la  même  année,  au  Teatro  JSovissimo  de 
Venise*,  par  Jacomo  Torelli,  le  fameux  architecte,  qui, 
quatre  ans  plus  tard,  allait  venir  émerveiller  les  Parisiens^ 
les  machines  de  la  Prospérité  des  armes  de  France  parais- 
sent bien  timides  et  insignifiantes.  Torelli  avait  inventé 
un  système  de  contrepoids,  déclanchés  par  un  levier, 
grâce  auquel  il  pouvait  faire  changer  d'un  seul  coup, 
presque  instantanément,  le  décor  le  plus  compliqué^. 

La  nécessité,  pour  les  danseurs,  d'évoluer  sur  la  scène 
du  Palais  Cardinal  sans  descendre  dans  la  salle,  occupée 
tout  entière  par  les  spectateurs,  eut  des  conséquences 
inattendues  pour  le  Ballet  de  Cour.  On  s'accoutuma  à  le 
considérer  comme  un  divertissement  proprement  théâ- 
tral, caractère  qu'il  avait  depuis  longtemps  perdu. 
Quand,  après  la  mort  de  Richelieu,  Anne  d'Autriche 
s'installa  au  Palais  Cardinal,  ce  fut  dans  la  Salle  des 
Comédies,  transformée  par  Jacomo  Torelli  et  pourvue 
d'une  admirable  machinerie  ^,  que,  durant  plusieurs 
années,  furent  représentés  des  opéras  italiens  et  des 
ballets  à  grand  spectacle. 

Au  milieu  de  ce  cadre,  tout  différent  de  celui  pour 
lequel  il  semblait  fait,  le  ballet  d  entrées  se  modifia,  il 
prit  un  caractère  plus  dramatique  et  peu  à  peu  se  rap- 
procha de  l'opéra  auquel  il  empruntait  déjà  ses  machines 
et  ses  décors,  auquel  il  était  même  parfois  étroitement 

I.  Voir  Galvaoi.  Teatri  musicali  di  Venezia,  Ricordi. 

1.  Francesco  Miliiia.  Memorie  degli  architetti  antichi  e  nioderni. 
Parma  1781,  t.  II,  p.  2i3. 

3.  Pour  les  représentations  de  l'Orfeo  en  1647.  ^f-  L'opéra  italien  en 
France  avant  Lulli^  chap.  m. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  l63 

Dès  i65i,  la  ressemblance  est  si  frappante 
que  l'anglais  Evelyn  qui  assiste  à  la  représentation  des 
Festes  de  Bacchus^  sur  le  théâtre  du  Palais -Royal,  au 
milieu  de  décors  à  Fitalienne,  ne  sait  trop  s'il  admire  un 
ballet  ou  un  opéra  ".  Ainsi  la  mise  en  scène  joua,  dans 
révolution  du  ballet  de  Cour  vers  FOpéra,  un  rôle  aii 
moins  égal,  peut-être  supérieur,  à  celui  de  la  musique 
dramatique.  Au  reste,  ces  deux  courants  d'influences 
émanaient  l'un  et  Tautre  des  mélodrames  italiens  repré- 
sentés à  Paris  sous  le  ministère  de  Mazarin^. 


III 


Que  le  sujet  d'un  ballet  de  Cour  soit  noble  ou  bur- 
lesque, mythologique  ou  romanesque,  allégorique  ou 
réaliste,  qu'il  soit  exposé  par  des  récits  et  des  chœurs  ou 
par  des  tableaux  successifs,  il  n'a  jamais  qu\m  objet  : 
préparer  le  plus  ingénieusement  possible  la  venue  des 
danseurs  aux  masques  noirs,  aux  diadèmes  d'aigrettes 
et  de  plumes,  aux  tuniques  enrichies  d'or  et  de  clinquant, 
qui  traceront  dans  la  salle  les  diverses  figures  du  Grand 
ballet.  C'est  là  une  curieuse  survivance.  Le  Grand  ballet 
reproduit  très  exactement  le  type  de  ces  danses  figurées 
italiennes  que  des  dames  ou  des  seigneurs,  masqués  et 
déguisés,  exécutaient  à  la  Cour  de  Catherine  de  Médicis. 
La  Mascarade,   puis  la   Pastorale  se  sont   emparées   du 

I.  Notamment,  en  i654,  pour  les  représentations  de  l'opéra  de  Carlo 
Caproli  Le  Nozze  di  Pelco. 

1.  Il  se  sert  du  terme  :  «  Royal  masque  or  opéra  »,  pour  désigner  le 
spectacle  qui  se  déroule  sous  ses  yeux.  Mémoires,  London  18*27,  in-8*^,  II,  Sa. 

3.  Sur  linfluence  exercée  par  la  machinerie  italienne  sur  lé  ballet  de  Cour 
après  i65o.  Cf.  le  chapitre  VII  de  Y  Opéra  italien  en  France  avant  Lulli. 


l64  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

ballet,  mais  le  caractère  original  de  ce  spectacle  apparaît 
toujours  dans  le  divertissement  final.  Seuls,  de  nobles 
personnages  y  prennent  part  et  le  costume  qu'ils  portent 
est,  à  peu  de  chose  près,  toujours  le  même  :  en  dehors 
du  masque  noir  (parfois  doré)  et  des  aigrettes  qui  sont 
de  rigueur  \  les  danseurs  sont  vêtus  de  tuniques  décou- 
pées dans  le  bas  qui  laissent  à  découvert  la  jambe 
nue,  chaussée  d'un  brodequin  montant  jusqu'au  mollet  ^ 

En  quoi  consistaient  exactement  les  danses  du  Grand 
ballet  ?  Nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  renvoyer  à  la 
description  de  Beaujoyeulx  pour  la  Circé  de  i58i,  elle  en 
donne  une  idée  fort  exacte  :  «  Ce  fut  lors  que  les  violons 
changèrent  de  son  et  se  prindrent  à  sonner  l'entrée  du 
grand  Balet,  composé  de  quinze  passages,  disposez  de 
telle  façon  qu'à  la  fin  du  passage,  toutes  tournoyent  tous- 
jours  la  face  vers  le  Roy  :  devant  la  majesté  duquel  estans 
arrivées,  dansèrent  le  grand  balet  à  quarante  passages 
ou  figures  géométriques  et  icelles  toutes  justes  et  consi- 
dérées en  leur  diamètre,  tantost  en  quarré  et  ores  en  rond, 
et  de  plusieurs  et  diverses  façons,  et  aussitost  en  triangle, 
accompagné  de  quelque  autre  petit  quarré,  et  austres 
petites  figures"^...  A  la  moitié  de  ce  Balet  se  feit  une 
chaisne  composée  de  quatre  entrelacemens  différents  »  *. . . 

Un  livret  imprimé  nous  a  conservé  le  graphique  du 
Grand  ballet  à'Alcine^  en   1610.    Les  douze  figures  qui 

1.  «  Tous  les  danseurs,  avec  des  masques  noirs,  sont  également  parés 
d'aigrettes,  de  plumes  et  de  clinquant.  »  MaroUes,  Mémoires,  t.  III,  p,  112. 

2.  Voir  dans  le  recueil  de  dessins  du  Louvre  les  planches  32.602,  32.649, 
32.65 1.  —  Tous  les  danseurs  d'un  même  grand  ballet  sont  vêtus  d'un  cos- 
tume identique.  Le  Prince,  pour  être  distingué  de  ses  compagnons,  porte  au 
bras  un  nœud  de  ruban.  V.  planche  VI. 

3.  Balet  comique  de  la  Roy  ne,  f°  55,  v°. 

4.  Balet  comique,  P  56. 


LE     BALLET    A    LA    SCÈNE  l65 

le  composent  sont  ingénieusement  diversifiées  et  devaient 
produire  un  effet  gracieux  ^  On  s'arrangeait  parfois 
pour  que  chaque  figure  représentât  une  lettre  de  l'al- 
phabet %  on  écrivait  ainsi  le  nom  du  Roi  ou  de  la  Reine, 
mais  le  plus  souvent  cette  attention  délicate  passait  ina- 
perçue des  assistants"'. 

Le  Grand  ballet  était  dansé  soit  par  les  dames  —  et 
alors  le  spectacle  prenait  le  nom  de  la  princesse  qui  les 
conduisait  —  soit  par  des  seigneurs.  Les  ballets  mixtes 
avaient  eu  une  courte  vogue  durant  les  dernières  années 
du  XVI®  siècle*,  mais  on  n'en  rencontre  plus  aucun  sous  le 
règne  de  Louis  XIII.  Dans  les  ballets  du  Roi  et  des  grands 
seigneurs,  aucune  femme,  noble  ou  non,  ne  paraît.  Dans 
les  ballets  de  la  Reine  et  des  Princesses,  des  hommes 
peuvent  prendre  part  à  la  représentation,  mais  ce  sont 
exclusivement  des  baladins  professionnels  qui  miment  et 
dansent  les  entrées  de  caractère. 

Dans  les  ballets  antérieurs  à  1620  environ,  on  trouve 
quelques  intermèdes  de  danse  figurée  qui  permettent 
aux  seigneurs  ou  aux  dames  de  faire  admirer  leur  grâce 
et  leur  légèreté  avant  Tépreuve  du  Grand  ballet.  Déjà, 
en  i58i,  dans  la  Circé,  une  troupe  de  Naiades  se  livre  à 
des  évolutions  géométriques,  vers  le  milieu  de  la  repré- 
sentation, et  quitte  la  salle  pour  ne  reparaître  qu'à  la  fin. 

1.  Ces  figures  sont  reproduites  par  Lacroix,  I,  a65-268. 

2 .  Lacroix,  I,  256. 

3.  M^^  de  Bar  «  fit  danser  une  fois  un  ballet  dont  toutes  les  figures  faisoient 
les  lettres  du  nom  du  Roi.  «  Eh  bien  !  Sire,  lui  dit-elle  après,  n'avez-vous  pas 
remarqué  comme  ces  figures  composoient  bien  toutes  les  lettres  du  nom  de 
Votre  Majesté  ?  —  Ah  !  ma  sœur,  lui  dit-il,  ou  vous  n'écrivez  guère  bien,  ou 
nous  ne  savons  guère  bien  lire  ;  personne  ne  s'est  aperçu  de  ce  que  vous 
dites.  »  Tallemant  des  Réaux.  Historiettes,  I,  p.  92. 

4.  Voir  les  ballets  de  Madame,  publiés  par  Lacroix,  I,  p.  92,  112,  117  et 
suiv. 


l66  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

De  même  dans  Renaud^  les  courtisans  de  Louis  XIII, 
figurant  les  esprits  aériens,  après  avoir  dansé  par  petits 
groupes  successifs  au  commencement  du  spectacle,  se 
reposent  ensuite  jusqu'au  Grand  ballet.  A  cette  époque, 
les  gentilshommes  ne  pouvaient  encore  prendre  part  qu'à 
des  danses  nobles  dans  les  ballets  royaux  ;  mais  la  vogue 
croissante  des  ballets-mascarades ^  où  les  courtisans  révê- 
taient les  déguisements  les  moins  glorieux,  ne  tarda  pas 
à  apporter  quelque  tempérament  à  la  rigueur  de  cette 
règle. 

Dès  1619,  dans  Tancrède.,  les  futurs  danseurs  du  Grand 
ballet  font  leur  entrée,  par  groupes  de  quatre,  sous  des 
accoutrements  de  bûcherons,  de  scieurs  de  bois  et  de 
sagittaires  ;  ils  tracent  quelques  figures  dans  la  salle  puis 
montent  sur  le  théâtre  et  s'y  livrent  à  une  pantomime 
cadencée.  A  partir  de  1625,  le  Grand  Ballet  demeure 
la  dernière  danse  réservée  aux  seigneurs  ;  dans  les 
entrées,  nobles  et  professionnels  se  coudoient.  Seuls, 
les  ballets  de  la  Reine  conservent  encore  quelque  temps 
l'antique  division  des  danses  figurées  et  des  ballets  d'en- 
trées. 

A  l'origine,  le  ballet  dramatique  ne  comportait  que 
des  entrées  sérieuses.  Dans  la  Circé.,  des  chars  font  le 
tour  de  la  salle,  escortés  de  figurants  qui  chantent  et  jouent 
des  instruments.  Sous  Henri  IV,  la  mode  des  mascarades 
eut  pour  effet  d'introduire  dans  le  ballet,  à  côté  des  danses 
nobles,  des  entrées  bouffonnes  dont  on  confia  d'abord 
l'exécution  à  des  baladins  de  profession. 

En  1610,  dans  ^/cw^,  des  pages  porte-flambeaux  «  vestus 
en  magots  verts  »  viennent  «  saultans  à  petits  bonds  » 
jusqu'au  More  qui  les  a  fait  entrer.  Celui-ci  leur  donne 
des  confitures  et  des   dragées   qu'ils  mangent,  puis  ils 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  167 

dansent  leur  ballet  «  en  dix  façons,  tousjours  en  cadence 
avec  saults,  gambades,  gestes  et  grimaces  différentes*  ». 

Les  théoriciens  du  ballet  se  contentent  de  distinguer 
les  entrées  en  sérieuses  et  en  comiques^  et  recommandent 
de  les  entremêler  de  manière  à  ce  qu'elles  se  fassent 
valoir  les  unes  les  autres.  Les  entrées  sérieuses^  ce  sont, 
par  exemple,  les  entrées  de  guerriers,  de  bergers,  de 
nymphes,  de  chevaliers,  de  magiciens,  de  dieux;  les 
entrées  bouffonnes  font  intervenir  des  estropiés,  des 
avocats,  des  démons  sous  les  formes  les  plus  baroques, 
des  satyres,  des  monstres,  des  personnages  de  la  comédie 
italienne  et  française,  des  matrones,  des  indiens  et, 
d'une  manière  générale,  tous  les  êtres  réels  ou  imaginaires 
susceptibles  d'être  représentés  de  manière  burlesque. 
Tous  ces  figurants  arrivent  en  scène  avec  leurs  attributs  : 
les  chevaliers  agitent  leur  épée  et  leur  rondache,  les 
boiteux  s'appuient  sur  des  béquilles,  les  villageois  ont 
un  panier  à  la  main,  les  avocats  brandissent  leurs  rôles. 
Lorsque  le  ballet  est  bien  réglé,  tous  ces  personnages, 
après  s'être  avancés  dans  la  salle,  dansent  avec  leurs 
divers  accessoires,  mais  bien  souventils  n'ont  pas  esquissé 
quatre  pas  qu'ils  envoient  promener  tout  ce  qui  les  gêne. 
Saint-Hubert  s'en  scandalise  fort  :  «  Je  trouve  que  cela 
n'est  nullement  à  propos  de  voir  entrer  des  gens  d'une 
façon  et  sortir  d'une  autre  !  ^  » 

Ce  qui  distingue  les  entrées  des  ballets  proprement 
dits,  c'est  qu'elles  ont  toujours  un  caractère  expressif. 
Beaucoup  d'entre  elles  sont  de  véritables  pantomimes 
cadencées  et  celles-là  même  qui  comportent  des  évo- 
lutions géométriques  n'en  gardent  pas  moins  un  carac- 

I.  Lacroix,  I,  244. 

a.  La  manière  de  composer  et  faire  réussir  les  ballets^  MDCXLI,  p.  i5. 


l68  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

tère  descriptif  qui  contraste  avec  l'admirable  fête  des 
yeux,  sans  signification  dramatique,  du  Grand  ballet. 
Ce  sont  les  entrées  qui  constituent  la  comédie  muette, 
l'action  du  ballet  de  Cour;  les  danses  figurées  du  Grand 
ballet  et  de  certains  intermèdes  n'ont  qu'un  intérêt 
purement  plastique.  Dans  les  entrées,  «  les  gestes  et  les 
mouvements  signifient  ce  qu'on  pourroit  exprimer  par 
des  paroles*  ».  «  Si  les  Anciens,  déclare  CoUetet,  ont 
appelé  la  Poésie  une  peinture  parlante  et  la  Peinture 
une  poésie  muette,  à  leur  exemple  nous  pouvons  appeler 
la  Danse  et  surtout  celle  qui  se  pratique  dans  nos  Bal- 
lets une  peinture  mouvante  ou  une  poésie  animée.  Car 
comme  la  Poésie  est  un  vray  tableau  de  nos  passions 
et  la  Peinture  un  discours  muet  véritablement,  mais 
capable  néanmoins  de  réveiller  tout  ce  qui  tombe  dans 
nostre  imagination,  ainsi  la  Danse  est  une  image  vivante 
de  nos  actions  et  une  expression  artificielle  de  nos  secrettes 
pensées 2  ». 

Il  est  impossible  de  ramener  à  quelques  types  la  variété 
infinie  des  entrées.  A  côté  des  danses  de  caractère,  il  y 
avait  des  défilés,  des  scènes  de  pantomimes,  voire  des 
tours  d'acrobatie.  Nous  pouvons  nous  faire  une  idée  de 
tout  cela,  moins  par  les  rares  descriptions  contemporaines 
que  par  les  recueils  de  dessins  du  temps  \  En  les  parcou- 
rant, on  est  frappé  de  l'originalité  et  du  caractère  expres- 
sif des  attitudes  et  des  pas  des  baladins  :  ce  sont,  par 
exemple,  des  ce  amériquains  »  qui  chassent  en  cadence  des 

I.  De  Pure.  Idée  des  spectacles  anciens  et  nouveaux^  MDCLXVIII  (in-ia) 
(B.  Nat.  J.  i54i6). 

a.  Préface  du  Grand  Ballet  des  Effects  de  la  Nature  (Lacroix,  IV, 
p.  191). 

3.  Les  principaux  sont  conservés  au  Louvre,  au  cabinet  des  Estampes,  à 
la  BibL  de  l'Institut,  dans  les  collections  James  et  Edmond  de  Rothschild. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  169 

perroquets  et  les  font  prisonniers  dans  des  filets*;  des 
follets^  en  costumes  collants  et  bariolés,  qui  courent  en 
tous  sens,  jouant  «  à  la  balle  forcée^  »  ;  des  laquais  et 
des  singes  formant  diverses  figures  autour  d'un  tourni- 
quet^; des  dames  turques  se  disputant  le  mouchoir  que 
leur  a  jeté  le  Grand  Seigneur,  avec  maintes  plaisantes 
postures*.  Les  esprits  qui  hantent  la  forêt  de  Saint-Ger- 
main  bondissent  à  demi  nus,  les  cheveux  au  vent,  avec 
une  légèreté  surprenante  \  Les  chevaliers  qui  viennent 
délivrer  Renaud  dansent  «  sous  un  air  de  trompette  »  un 
pas  martial  en  brandissant  leur  bouclier  et  leur  baguette 
enchantée^ 

Beaucoup  d'entrées  ne  sont  même  pas,  à  proprement 
parler,  des  danses.  L'amoureux  sexagénaire  de  la  douai- 
rière de  Billebahaut  s'avance  pesamment,  suivi  de  quatre 
barbons  que  des  bottes  immenses,  aux  éperons  trop 
longs,  embarrassent  et  font  trébuchera  Un  juge  accom- 
pagné de  son  greffier  se  dandine  avec  une  gravité  ridi- 
cule ^  Mahomet,  une  plume  à  la  main,  un  turban  gigan- 
tesque sur  la  tète,  marche  derrière  deux  enfants  qui  por- 
tent le  Coran  ouvert  sur  leurs  dos^  Le  Cacique  fait  son 

1.  Douairière  de  Billebahaut.  Album  du  Louvre.  Dessins  32.6a3  et  82.624. 
—  Les  mêmes  dessins  se  retrouvent  dans  le  Recueil  du  cabinet  des  Estampes, 
Qb.  32. 

2.  Louvre  32.672.  —  Reproduit  par  Bapst.  Essai  sur  l'histoire  du  théâtre, 

p.   225. 

3.  Louvre  32.685. 

4.  Mercure  franqois.  Année  1626,  p.  191  et  suiv. 

5.  Louvre  32.671  et  Cabinet  des  Estampes  Qb.  33.  V.  planche  VIL 

6.  B.  Nat.  Réserve  Yf.  1204. 

7.  Louvre  82.607.  V.  aussi  l'entrée  de  la  douairière,  pi.  VIIL 

8.  Louvre  82.647.  Le  Ballet  du  château  de  Bicétre  abonde  en  scènes  réa- 
listes fort  curieuses.  Voir  notamment  le  dessin  représentant  F  «  Entrée  du 
maquereau  et  des  deux  garces.  »  Louvre  82.660. 

9.  Louvre  32.627.  —  \.  planche  IX. 


I^O  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

entrée  monté  sur  un  éléphant,  précédé  de  trois  nègres 
qui  frappent  sur  de  petits  tambours,  et  suivi  de  cinq 
Africains  gesticulant  et  gambadant*. 

En  dehors  de  ces  danses  ou  de  ces  défilés,  beaucoup 
d'entrées  sont  de  véritables  pantomimes  :  dans  Tancrède^ 
le  magicien  Ismène  fait  ses  conjurations  en  cadence  au 
son  des  violons  qui  sonnent  un  air  mélancolique,  (c  II 
fait  un  cercle  et  des  charactères  avec  sa  verge,  se  plante 
au  milieu  du  cercle,  ayant  un  pied  nud.  Trois  fois  se 
tourna  vers  l'Orient,  et  trois  fois  vers  le  couchant  ;  trois 
fois  secoua  sa  baguette  et  trois  fois  du  pied  nud  frappa 
la  terre  M) . 

Les  jeux  de  scène  de  ce  genre  abondent  dans  les  ballets 
mélodramatiques.  Les  chevaliers  présentent  Fécu  de 
cristal  à  Renaud  :  aussitôt  celui-ci  «  honteux  et  furieux 
tout  ensemble  »  brise  ses  chaînes  ^  Tancrède  en  enten- 
dant le  nom  de  Glorinde  jette  son  épée  «  que  les  vents 
emportèrent  hors  de  la  forest,  et  recula  de  quelques  pas 
tout  estonné  de  Faccident,  puis  s'approcha  en  dançant 
et  ouvrant  les  bras  pour  embrasser  Glorinde*  ».  Dans  ce 
même  ballet,  les  bûcherons  «  faisoient  des  actions  de 
couper  du  bois  en  cadence  »,  les  sagittaires  après  avoir 
effectué  leur  entrée  «  avec  des  arcs  et  des  flèches,  faisans 
gestes  et  contenances  guerrières...  montèrent  sur  le 
théâtre,  tirans  aux  monstres  armez ^  )>... 

Dans  les  ballets  à  entrées^  les  scènes  réalistes  ou 
burlesques  sont  en  grand  nombre  :  Dans  les  Fées  des 

1.  Louvre  Sa.ôSg. 

2.  Lacroix,  II,  p.  170. 

3.  Lacroix,  II,  p.  na. 

4.  Lacroix,  II,  i83. 

5.  Ihid.,  II,  178-179. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  171 

forêts  de  Saint-Germain,  des  médecins  sur  leurs  mules 
courent  la  quintaine  \  Dans  \q  Château  de  Bicêtre^  trois 
faux  monnayeurs  se  livrent  à  leur  dangereux  métier,  un 
d'eux  forge  le  métal,  un  autre  le  travaille  avec  une  pincer 
On  verra  même  dans  le  ballet  de  la  Nuit,  en  i653,  toute 
la  Cour  des  Miracles  avec  ses  gueux,  ses  estropiés,  ses 
aveugles,  ses  culs-de-jatte  et  ses  manchots^. 

Ces  tableaux  et  ces  pantomimes  n'ont  qu'un  rapport 
très  éloigné  avec  la  danse  théâtrale  traditionnelle  ;  on 
rencontre  pourtant  dans  les  ballets  des  scènes  qui  s'en 
éloignent  encore  davantage.  Ce  sont  de  véritables  tours 
d'acrobatie.  Ainsi,  en  i64i,  dans  le  ballet  de  la  Prospérité 
des  Armes  de  France,  un  italien,  nommé  «  Gardelin*  » 
exécutait  cent  tours  d'adresse.  Dans  le  ballet  du  château 
de  Bicêtre,  un  Espagnol  faisait  la  roue  «  encore  qu'il  fust 
vestu  en  pèlerin,  le  roquet  sur  les  espaules  et  la  petite 
boëte  de  fer  blanc  à  sa  ceinture  ».  Il  était  suivi  de  son 
valet  qui  «  passoit  par  humilité  en  dansant  sous  les 
caprioles  de  son  maistre*  ».  Dans  les  Fées  des  forêts  de 
Saint-Germain,  l'entrée  des  couppes  testes  était  un  prétexte 
à  scènes  de  clowneries.  Les  figurants  se  livraient  combat 

1.  Louvre  32. 681.  MaroUcs  fait  allusion  à  cette  scène.  MémoireSy  III, 
p.  116. 

2.  liOuvre  32.675.  —  V.  planche  X. 

3.  Voir  Henry  Prunières  et  La  Laurencie  :  ta  jeunesse  de  Lully,  S.  I.  M. 
1909,  p.  33o.  —  H.  Prunières.  Lully-y  coll.  Laurena,  1910  (in-S»),  p.  17. 

4.  Gardelin  devait  figurer  Vaigle  au  IV®  acte.  Il  paraissait  au  V®  acte  dans 
la  111°  entrée.  L'entrée  précédente  montrait:  «  Les  sieurs  Henaut,  Le  Goys, 
Brotin  et  des  Airs,  représentans  les  réjouissances  par  des  danses,  sauts  et 
postures  ridicules.  »  «  Le  sieur  Gardelin  avec  ses  compagnons  vient  au  milieu 
des  précédens  faire  des  sauts  périlleux  et  admirables,  lesquels  ceux-là  veu- 
lent imiter,  mais  épouvantés  par  le  dernier  saut  du  sieur  Gardelin,  ils  se 
retirent  tout  confus.  »  MaroUcs  prétend  que  Gardelin  dansait  sur  la  corde 
en  représentant  la  Victoire.  Il  fait  erreur.  C'est  un  certain  La  Force  qui 
s'acquittait  de  ce  rôle  (Lacroix,  VI,  p.  45). 

5.  Lacroix,  IV,  p.  223. 


172  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

en  cadence*,  d'un  coup  de  sabre  ils  faisaient  voler  en 
Tair  la  tête  ou  le  bras  (en  carton)  de  leur  adversaire  qui 
continuait  à  ferrailler  comme  si  de  rien  n'était.  Enfin 
la  collection  James  de  Rothschild  nous  a  conservé  une 
série  de  représentations  de  pyramides  humaines^,  exé- 
cutées au  cours  d'un  ballet  que  nous  n'avons  pu  iden- 
tifier. 

Ni  les  livrets,  ni  les  mémoires  n'autorisent  à  croire, 
comme  on  le  fait  souvent  ^  que  des  danses  ordinaires, 
pavanes,  gaillardes,  voltes  ou  branles,  aient  trouvé  place 
dans  les  entrées  de  manière  habituelle  *.  On  ne  les 
employait  que  fort  rarement  et  seulement  lorsque  la 
situation  dramatique  l'exigeait.  Des  paysans,  conviés  à 
une  noce,  exécutaient  plaisamment  un  branle  de  village^ ^ 
ou  bien  des  Espagnols  esquissaient  un  pas  de  sarabande 
en  jouant  de  la  guitare  ^  La  danse  propre  aux  ballets 
n'avait  rien  de  commun  avec  la  danse  du  bal  ;  les  pas 
n'étaient  point  assujettis  à  des  règles  traditionnelles  ; 
ils  variaient  à  l'infini.  Le  soin  de  régler  les  évolutions 
des  figurants  était  confié  à  des  chorégraphes  profession- 
nels. Quelques  seigneurs  ne  laissaient  pourtant  pas  de 
s'en  mêler  et  l'on  sait  combien  Louis  XIII  était  fier  du 
ballet  de  la  Merlaison  dont  il   avait    lui-même  inventé 


1.  Louvre  32,68 1.  —  V.  planche  VII. 

2.  Recueil  de  costumes  de  ballets,  fF,  43-45. 

3.  M.  Reyher,  en  particulier,  dans  son  bel  ouvrage  sur  le  Mask  anglais 
témoigne  quelque  surprise  de  ne  pas  voir  nommer  les  danses  exécutées  dans 
les  ballets  de  Cour.  La  raison  en  est  simple,  on  n'exécutait  des  danses  de 
bal  que  dans  des  cas  tout  à  fait  exceptionnels. 

4.  Les  indications  des  livrets  concernent  seulement  l'allure  et  le  caractère 
de  la  danse.  Les  chevaliers,  venus  pour  délivrer  Renaud,  dansent  wn  bal  grave. 

5.  Balet  du  Bureau  d'adresses.  Lacroix,  VI,  25.  —  Dans  le  ballet  de 
Cassandre  on  danse  les  tricoleis  poitevins^  VI,  274. 

Q.  Douairière  de  Billebahaut.  Lacroix,  III,   127, 


LE  BALLET  A  LA  SCÈNE  17^ 

«  les  pas,  les  airs  et  la  façon  des  habits-  ».  Ce  n'était 
pas  une  petite  affaire  que  d'enseigner  aux  courtisans  ce 
qu'ils  avaient  à  faire  ;  aussi  Saint-Hubert  conseille-t-il 
d'avoir  un  maître  à  danser  «  pour  trois  ou  quatre 
entrées  »  seulement  et  de  s'y  prendre  un  peu  à  l'avance  : 
«  Ce  n'est  pas  trop  de  quinze  jours  pour  un  grand  ballet 
et  huict  pour  un  petit^  » 

A  l'origine,  il  n'y  avait  que  les  dames  et  les  seigneurs 
de  la  Cour  qui  prissent  part  aux  danses  des  ballets  dra- 
matiques. Les  acteurs  mêmes  de  la  Circé  sont  nobles^  ; 
seuls,  les  musiciens  sont  des  professionnels*.  Il  en  était 
encore  ainsi  en  iSgS,  dans  les  ballets  représentés  à 
Tours,  et  M^^^  Anne  de  Rohan  y  déclamait  elle-même  plu- 
sieurs tirades  ^  Dans  les  ballets  mélodramatiques^  non 
seulement  les  chanteurs  sont  presque  tous  des  musiciens 
de  métier,  mais,  à  côté  des  gentilshommes  qui  dansent 
les  ballets  proprement  dits  et  certaines  entrées  de  carac- 
tère noble,  on  trouve  de  nombreux  roturiers  qui  figurent 
dans  les  scènes  bouffonnes  et  grotesques.  Enfin  dans  les 
ballets  à  entrées^  courtisans  et  baladins  dansent  ensemble, 
confondus. 

L'organisation  et  l'exécution  des  ballets  royaux  demeu- 
raient entre  les  mains  d'un  petit  groupe  de  seigneurs, 
toujours  les  mêmes.  De  1610  à  1640,  on  retrouve  sans 
cesse  les  mêmes  noms  dans  les  livrets  et  les  relations  : 

I.  Gazette  du  aa  mars  i635.  {Extraordinaire).  La  musique  de  ce  ballet  se 
trouve  dans  la  collection  Philidor,  t.  III,  p.  aS. 
a.  La  manière  de  composer...,  p.  17, 

3.  Mi'«  de  Saint-Mesme  joue  le  rôle  de  Circé.  M.  de  La  Roche,  gentil- 
homme de  la  Reine,  celui  du  fugitif.  Du  Pont,  gentilhomme  servant  du  Roi 
représente  Mercure,  M"*^  de  Vitry  une  Dryade,  le  sieur  Juvigny,  écuyer  du 
Roi  :  Pan... 

4.  Savornin,  Saint-Laurens,  Beaulieu  et  sa  femme,  etc. 

5.  Lacroix,  I,  p.  iia  et  suiv. 


174  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

c'est  le  duc  de  Nemours  ^  Tintendant  suprême  des  fêtes 
de  Cour,  qui,  sur  ses  vieux  jours,  goutteux  et  perclus, 
ne  laissera  pas  de  paraître  encore  sur  la  scène  dans  des 
rôles  convenables  à  son  état.  Ce  sont  les  ducs  de  Ven- 
dôme et  de  Metz,  le  maréchal  de  Bassompierre,  le  comte 
de  Cramail,  grand  amateur  de  théâtre^,  ^itry,  le  baron 
de  Termes  %  le  baron  de  Clinchamps*,  M.  de  Liancourt 
dont  Fagilité  est  célèbre,  Montpouillan,  Chalais,  Paluau, 
Blainville,  Courtenvaux,  le  comte  de  Soissons,  les  ducs 
de  Longueville,  de  Créquy,  de  Montmorency,  d'Elbeuf... 
Gaston  d'Orléans  raffole  des  petits  ballets-mascarades 
et  excelle  dans  les  rôles  bouffons  \  Le  Roi,  après  la  mort 
de  Luynes,  s'y  complait  aussi;  il  se  déguise  en  femme*, 
en  musicien  de  charivari \  en  capitaine  hollandais*,  en 
combattant  grotesque^  en  fermier^"!  Il  «  dansoit  assez 
bien  en  ballet,  assure  Tallemant,  mais  il  ne  faisoit  jamais 
que  des  personnages  ridicules  ^^  » 

1.  Henri  de  Savoie,  duc  de  Nemours  était  né  en  1572,  il  mourut  le  10  juil- 
let i632.  Tallemant  dit  de  lui  qu'il  «  était  un  des  plus  galants  de  la  Cour  et  le 
premier  qui  se  soit  adonné  à  faire  des  galanteries  en  vers,  et  qui  se  soit 
mis  en  peine  de  se  rendre  capable  de  faire  des  dessins  de  carrousels  et  de 
ballets  »  [Historiettes ,  I,  p.  209).  «  Ce  M.  de  Nemours  avoit  étudié  l'art  de 
faire  des  ballets  ;  il  en  avoit  fait  plusieurs  et  avoit  eu  la  curiosité  d'en  faire 
de  grands  livres  ou  toutes  les  entrées  étoient  peintes  en  miniature.  »  [Ibid., 
II,  194) ■  Il  est  à  remarquer  que  les  albums  qui  nous  ont  été  conservés  repro- 
duisent pour  la  plupart  des  entrées  de  ballets  inventés  par  le  duc  de  Nemours. 

2.  Auteur  de  la  Comédie  des  proverbes^  publiée  sous  le  pseudonyme  de 
Montluc  et  qui  eut  les  honneurs  de  plusieurs  éditions. 

3.  Tallemant.  Historiettes,  I,  118. 

4.  Marolles.  Mémoires,  III,  208. 

5.  En  1627,  il  paraît  sur  la  scène  figurant  «  un  petit  vieillard  porté  dans 
une  roulloire  d'enfant.  »  Lacroix,  III,  809. 

6.  Ballet  des  triomphes,  Ballet  de  la  Merlaizon. 

7.  Ballet  du  Sérieux  et  du  Grotesque. 

8.  Ballet  des  Voleurs. 

9.  Fées  des  forest  de  Saint-Germain. 

10.  Ballet  de  la  Merlaizon. 

11.  Historiettes,  III,  56. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  1^5 

Il  n'y  avait  qu'un  petit  nombre  de  baladins  de  métier 
employés  aux  ballets  du  Roi.  Les  maîtres  à  danser  se 
contentaient  de  surveiller  les  répétitions  et  ne  prenaient 
que  fort  rarement  part  à  l'exécution.  Bocan^  célèbre 
dans  l'Europe  entière*,  n'est  pas  nommé  une  seule  fois 
dans  les  livrets  de  ballets.  Les  plus  renommés  parmi  les 
danseurs  étaient,  pour  la  plupart,  des  amateurs  qu'un  long 
entraînement  et  des  dispositions  particulières  avaient 
mis  en  mesure  de  rivaliser  avec  les  professionnels.  Ils 
appartenaient  un  peu  à  tous  les  milieux.  Beaucoup 
étaient  musiciens,  mais  on  en  recrutait  aussi  dans  la  bour- 
geoisie et  jusque  dans  le  Parlement.  Le  titre  de  «  danseur 
ordinaire  des  ballets  du  Roi  »  était  fort  convoité.  Ceux-là 
même  qui  ne  prenaient  part  que  d'une  manière  irrégulière 
aux  représentations  étaient  fiers  d'y  paraître  et  excitaient 
l'envie.  Aussi  relève-t-on  sur  les  listes  des  danseurs  les 
noms  d'un  musicien  comme  Ghambonnière%  d'un  avocat 
au  conseil  comme  Gabou^,  d'un  poète  comme  Boisrobel't. 

1.  Jacques  Cordier  dit  Bocan,  maître  à  danser  de  la  Reine  et  de  Madame 
Henriette,  en  1622,  (Ms.  fr.  7854,  ^^  263,  v*^)  semble  avoir  débuté  en  Angle- 
terre, aux  environs  de  1610,  comme  maître  de  danse  et  chorégraphe  (Reyher, 
Les  Masques  anglais,  p.  78).  «  Il  étoit  le  miracle  de  son  siècle  non  seule- 
ment pour  la  danse,  mais  pour  le  violon.  »  (Sauvai.  Antiquités,  I,  829).  En 
1621,  il  avait  épousé  Radegonde  Chefdeville  (Ms.  fr.  10,411,  f*^  67).  Sur  soii 
contrat,  il  est  qualifié  «  Jacques  Cordier  dit  Bocquain,  maistre  à  danser  de 
la  Reine,  logé  au  chasteau  du  Louvre  »  (Catalogue  de  la  Libr.  Saffroy,  n*^  65, 
janvier  191 2).  En  1667,  il  figure  parmi  les  officiers  de  la  feue  Reine  sur  l'état 
imprimé  de  la  Bibl.  Nat.  Lc'^^/gS.  —  Notons  que  contrairement  à  l'avis 
do  M.  Ecorchevillc  [Vingt  suites  d'orchestre,  p.  12),  on  ne  saurait  identi- 
fier Jacques  Cordier  avec  «  Jean  Cordier  maître  à  danser  des  filles  de  la 
Reine  »  (Arch.  Nat.  Y.  177  f»  Si).  Voir  en  effet  le  don  fait  à  Marguerite 
Gruel,  veuve  Jean  Cordier,  maistre  à  danser  des  filles  damoiselles...  pour 
faire  voiageavec  ses  enfants  aux  Isles  d'Amérique,  4  août  i653  (Ms.  fr.  28.945 
f°  54).  Jacques  Cordier  avait  fait  recevoir  son  fils  Gabriel  en  survivance  de 
sa  charge  (Bibl.  Nat.  Etat  de  i653.  Lc'-8/93,  p.  18). 

2.  Ballet  de  la  Marine  (i635),  Lacroix,  V,  p.  72.  Il  représentera  encore 
un  Héraut,  en  i654,  dans  les  Nozze  di  Peleo. 

3.  Tallemant  des  Réaux.  Historiettes,  VII,  204. 


l']t>  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

M.  de  Belleville,  «  le  premier  homme  de  sa  profession  » 
fut  Tordonnateur  des  ballets  de  Louis  XIII,  durant  de 
longues  années*.  Il  était  bon  musicien^  et  nous  savons 
qu'il  avait  composé  «  généralement  tous  les  airs  et  tous 
les  pas  ))  de  la  Délwrance  de  Renaud  et  de  Tancrède^. 
Dans  le  ballet  de  1617,  il  conduisait  la  troupe  des 
démons*.  En  1622,  il  représente  un  fou  niais  dans  le 
ballet  de  Monseigneur  le  Prince^ ^  et,  en  i632,  rHôte  du 
château  de  Bicêtre. 

Le  duc  de  Nemours  avait  à  son  service  le  baladin  La 
Barre  ^  dont  le  nom  revient  sans  cesse  dans  les  livrets  ' 
où  il  voisine  avec  ceux  des  autres  danseurs  habituels  des 
ballets  de  Cour  :  Picot,  Delfîn,  Verpré,  Sainctot,  Morel, 
Le  Camus,  Mairesse,  Barbonnat,  Robichon,  Poyanne, 
Prévost,  Hénaut%  etc..  Le  noble  M.  de  Liancourt  est 
si  féru  de  ballet  qu'il  dispute  aux  professionnels  leurs 
emplois  ordinaires  et  se  mêle  à  leur  troupe.  Il  mime  le 
rôle  de  Jacqueline  V Entendue  dans  les  Fées  des  Forests 
de  Saint-Germain  ;  celui  du  Grand  Cam  monté  sur  un 
chameau,  en  1626  ^  et,  dans  le  Château  de  Bicêtre^  se 

1.  Sur  Belleville  Cf.  Ecorcheville.  Vingt  suites  d'orchestre  du  XVII^  siècle 
français,  p.  ii  et  i-î. 

2.  Il  jouait  de  divers  instruments,  surtout  de  la  mandore.  MaroUes.  Mé- 
moires^ t.  III,  p.  207. 

3.  Lacroix,  t.  II,  ii5  et  i88.  —  Belleville  avait  composé,  en  i6i5,  la 
musique  du  Ballet  des  Petites  Mores.  Ms.  fr.  24.357. 

4.  Lacroix,  II,  3o8. 

5.  Lacroix,  IV,  2. 

6.  Sur  La  Barre.  Cf.  Tallemant  des  Réaux,  t.  V,  192.  MaroUes,  III,  208. 

7.  Ballets  du  château  de  Bicêtre^  des  Triomphes,  de  la  Félicité,  etc. 

8.  Sur  les  baladins  ordinaires  de  ce  temps  voir  MaroUes.  Mémoires^  III, 
p.  208  et  l'index  des  noms  des  personnages  figurants  dans  les  ballets  de  la 
collection  James  de  Rothschild,  publié  en  appendice  au  t.  IV  du  catalogue 
de  cette  bibliothèque  par  M.  Emile  Picot. 

9.  Douairière  de  Billebahaut. 


C/3        >N 

H 


LE    BALLET    A    LA    SCENE  177 

contente  de  Temploi  de  Valet  de  Vhôte  et  de  Vhôtesse^ 
personnages  représentés  par  Belleville  et  La  Barre*. 
Mais  le  héros  de  tous  les  ballets  du  règne  de  Louis  XIII, 
c^est  l'incomparable  Marais  ^  Marais  était  un  homme 
d'armes  de  la  compagnie  du  grand  Ecuyer  ^  Marolles 
l'appelle  «  un  danseur  fameux  de  ce  temps-là  ».  Il  paraît 
pour  la  première  fois  sur  la  scène  dans  le  ballet  de 
Madame^  en  i6i5,  et  y  fait  merveille*.  Ce  Marais  semble 
avoir  été  un  mime  prodigieux,  doublé  d'un  bon  musicien. 
En  161 7,  il  représente  «  Armide  en  ses  furies  et  ses 
chants  »  ;  en  1623,  costumé  en  Bacchus,  il  entonne  un 
air  à  boire";  en  1625,  il  se  fait  applaudir  sous  les  traits 
de  Guillemine  la  quinteuse^^  puis  «  courre  la  quintaine 
habillé  en  docteur  et  chevauchant  une  «  mule  contre- 
faite ^  »  L'année  suivante,  il  figure  le  Grand  Turc  dans  la 
Douairière  de  Billebahaut  et  fait  son  entrée,  monté  cette 
fois  sur  un  cheval  véritable'.  Marolles  nous  apprend 
même  qu'il  ne  s'en  put  servir  «  comme  il  eût  bien  voulu 
à  la  lueur  des  flambeaux,  parmi  beaucoui|)  de  monde  et 
dans  le  bruit  d'un  grand  concert  de  violons,  de  sorte  que 
l'acteur  parfaitement  adroit  et  dispos,  fut  contraint  de 

I.  Voir  la  planche  V. 

1,  Appelé  aussi  Marest  et  Le  Marest. 

3.  Ménage  dit  que  Marais  était  «  porte-manteau  »  de  Louis  XIII.  C'est  à 
sa  prière  que  Malherbe  aurait  écrit  la  chanson  :  Cette  Anne  si  belle.  Quoi 
qu'il  en  soit,  Marais  était  une  sorte  de  bouffon  de  Cour  et  jouissait  d'une 
véritable  renommée.  Une  pièce  satyrique  associe  son  nom  à  celui  de  l'ac- 
teur Vautret  :  «  Vautray  est  chancelier,  Marais  garde  des  sceaux  »  [Variétés 
historiques  et  littéraires,  IV,  337). 

4.  Mercure  français^  t.  IV,  p.  19  et  22. 

5.  Ballet  des  Bacchanales. 

6.  Fées  des  forests  de  Saint-Germain. 

7.  Marolles.  Mémoires,  III,  116.  —  En  1618,  il  montait,  dans  la  Folie  de 
Roland,  «  un  petit  cheval  artificiel  ».  Ms.  fr.   24,357.  p.  186. 

8.  Dessin  du  Louvre  32.628  et  32.63o. 


178  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

mettre  pié  à  terre  plutôt  qu'il  n'eût  fait  pour  danser,  et 
le  cheval  étonné  et  de  fort  mauvaise  grâce,  aiant  même 
gâté  la  place,  fut  promptement  retiré*  »...  Marais  tient 
les  premiers  rôles  bouffes  dans  tous  les  ballets  de  ce 
temps  ;  il  se  fait  applaudir  dans  le  rôle  du  Magicien  du 
château  de  Bicêtre'^,  Il  paraît,  en  i635,  dans  le  ballet  des 
Triomphes  et  dans  le  ballet  de  la  Merlaizon,  en  i636, 
dans  le  ballet  des  deux  Magiciens  et,  en  lôSg,  pour  la 
dernière  fois,  dans  le  ballet  de  la  Félicité. 

A  partir  de  i63o  environ,  toute  idée  de  préséance  dis- 
paraît. En  dehors  du  Grand  ballet.,  réservé  aux  seuls 
gentilshommes,  les  baladins  roturiers  prennent  part  à 
toutes  les  entrées.  Il  est  même  d'usage  d'encadrer  les 
grands  seigneurs,  dont  l'adresse  à  danser  n'est  pas 
toujours  extrême,  de  quelques  baladins  exercés  qui  les 
tirent  au  besoin  d'un  mauvais  pas,  les  guident  et  les 
entraînent.  Saint-Hubert  remarque  que  ce  l'on  peut  faire 
dancer  en  ballet  toutes  sortes  de  personnes,  mesmes 
jusques  à  des  boiteux,  et  réussiront  en  de  certaines 
choses  aussi  bien  que  d'autres.  Ce  n'est  pas  que  de  bons 
danseurs  ne  réussissent  encore  mieux,  mais  il  y  a  des 
entrées  où  c'est  dommage  de  les  employer,  il  les  faut 
réserver  pour  la  belle  dance  et  les  meilleurs  pas,  estant 
très  nécessaire  qu'il  y  aye  de  bons  danceurs  et  des 
entrées  parfaitement  bien  dancées^  ».  Cette  préoccupa- 
tion devait  guider  l'ordonnateur  du  ballet  dans  la  distri- 
bution des  rôles  et  la  composition  des  diverses  entrées. 

Saint-Hubert  paraît  avoir  fort  à  cœur  la  création  d'un 

1.  Mémoires,  III,  116. 

2.  Il  est  représenté  dans  ce  rôle  sur  un  dessin  du  Louvre  32.665. 
V.  planche  XIV. 

3.  La  manière  de  composer..,,  p.  i3. 


LE    BALLET    A    LA    SCENE  179 

office  particulier  dans  les  Ballets  de  Cour,  celui  du 
Maistre  de  V Ordre ^  sorte  de  régisseur  chargé  de  faire 
partir  à  temps  les  entrées,  d'arrêter  les  violons  au 
moment  voulu,  de  donner  au  machiniste  le  signal  des 
changements  de  scène,  etc.  Il  semble  ressortir  de  ses 
doléances  que,  de  son  temps,  Finventeur  du  ballet  devait 
remplir  lui-même  cet  emploi  et  ne  s'en  acquittait  pas 
toujours  à  son  honneur.  Saint-Hubert  confie  également 
au  Maistre  de  V Ordre  le  soin  de  commander  les  costumes, 
les  masques  et  les  divers  accessoires. 

On  peut  se  faire  une  idée  de  la  magnificence  et  de  la 
fantaisie  des  costumes  de  ballets  d'après  les  nombreux 
recueils  de  dessins  qui  nous  ont  été  conservés  et  les  des- 
criptions minutieuses  des  livrets.  Les  grands  seigneurs 
dépensaient  des  fortunes  pour  porter  des  habillements 
dignes  d'eux  ^  Aussi  bien  rarement  les  figurants  étaient- 
ils  vêtus  de  manière  rationnelle.  Un  baladin  jouait  le 
personnage  d'un  ambassadeur  avec  un  costume  de  toile 
et  un  gentilhomme  celui  d'un  mendiant  avec  un  vête- 
ment de  soie  et  de  velours.  Saint-Hubert  proteste  contre 
cette  habitude  :  «  W  faut  exactement  que  chacun  soit 
vestu  suivant  ce  qu'il  représente.  Quelqu'un  me  dira  que 
si  l'on  habilloit  un  cuisinier  suivant  son  mestier,  qu'il  luy 
faudroit  donner  un  habit  et  une  serviette  grasse  qui 
feroit  mal  au  cœur  à  la  compagnie.  J'ay  à  répondre  que 
l'on  le  peut  habiller  avec  peu  d'ornement  et  au  lieu  de 
serviette  grasse,  luy  en  donner  une  de  taffetas  blanc  ou 
de  gaze  ^ . .  »  On  voit  que  de  toute  façon  le  réalisme  n'était 


I.  Tallemant  nous  montre  M,  de  Montmorency  obligé  d'emprunter  au 
financier  Puget  pour  pouvoir  figurer  dans  le  ballet  du  Roi.  Historiettes, 
YIII,  p.  116. 

a.  La  manière  de  composer,  p.  19. 


l8o  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

pas  de  mise  dans  les  costumes  de  ballet.  Il  faut  pourtant 
noter  quelques  tentatives  de  couleur  locale  assez  réus- 
sies. Dans  la  Douairière  de  Billehahaut^  paraissent  des 
lapons  et  des  orientaux  dont  les  costumes  sont  assuré- 
ment moins  fantaisistes  que  ceux  que  porteront,  dans  des 
rôles  semblables,  les  chanteurs  d'opéras  au  xyiii*  siècle. 
Un  goût  singulier  pour  les  couleurs  voyantes  préside 
au  choix  des  étoffes.  Les  rouges,  les  bleus  et  les  verts 
sont  souvent  associés  de  manière  barbare,  surtout  dans 
les  habillements  destinés  aux  musiciens,  aux  porte- 
flambeaux  et  autres  figurants  qui  ne  peuvent  faire  les 
frais  de  vêtements  somptueux.  Le  burlesque  de  certaines 
entrées  consiste  uniquement  dans  le  costume  des  dan- 
seurs. Les  démons  d'Armide  portent  de  grands  chappe- 
rons,  «  un  corcet  de  satin  noir  »,  des  culottes  à  l'antique 
et  des  bottes  «  esperonnées  *.  »  Dans  la  Douairière  de 
Blllebahaut  des  Hocriccanes  sont  vêtus  d'une  seule  veste 
rouge  qui  leur  tombe  aux  pieds  et  les  Hofnaques  de  hauts- 
de-chausses  verts  qui  leur  montent  au  menton ^  Dans 
presque  tous  les  ballets,  on  voit  des  personnages  doubles, 
des  androgynes,  par  exemple,  dont  un  côté  du  corps  est 
viril,  l'autre  féminin,  dont  le  bras  droit  brandit  une  masse 
d'armes  et  le  gauche  une  quenouille  ^  Mais  ce  sont  les 
masques  qui  donnent  aux  figurants  leur  véritable  carac- 
tère. Il  y  en  a  de  toutes  les  sortes,  depuis  le  simple  loup 
qui  cache  le  milieu  de  la  figure,  jusqu'au  masque  de 
Venise  qui  reproduit  finement  tous  les  traits  d'un 
visage  ;  depuis  les  faux  nez  jusqu'aux  têtes  postiches  en 
carton  ou  toile  peinte.  Cette  variété  était  nécessaire  puis- 

1.  Lacroix,  II,  ii5.  V.  pi.  XV. 

2.  Dessin  du  Louvre  32.635. 

3.  Louvre  32.692. 


LE    BALLET    A    LA    SCENE  loi 

qu'aucun  danseur  ne  paraissait  dans  un  ballet  sans  être 
masqué.  On  s'explique  mieux  dès  lors  l'usage  des  tra- 
vestis féminins.  Dans  les  ballets  du  Roi  on  trouve  en 
effet  mention  d'entrées  de  nymphes  ou  de  déesses.  Or, 
les  dames  ne  sont  admises  à  paraître  que  dans  les  ballets 
des  Princesses  en  compagnie  desquelles  elles  exécutent 
des  danses  figurées.  Ce  sont  donc  toujours  des  hommes 
qui  tiennent  les  rôles  de  femmes  dans  les  ballets  du  Roi. 
Souvent  les  masques  sont  si  bien  faits  et  les  vêtements 
si  adroitement  ajustés  que  ces  travestis  ne  paraissent 
nullement  ridicules  \  Il  en  sera  encore  longtemps  ainsi 
et,  à  l'Opéra,  ce  seront  des  baladins  qui,  jusqu'en  1681, 
danseront  les  entrées  de  nymphes,  de  prêtresses,  etc. 
La  question  des  travestis  se  complique  parfois  de 
façon  singulière  ;  c'est  ainsi  qu'en  161 7  une  naïade 
ce  toute  nue  »,  précise  le  livret,  sort  d'une  fontaine  et, 
deux  lignes  plus  loin,  nous  apprenons  qu'elle  était 
représentée  par  un  page  de  la  musique,  ce  qui  permet 
de  douter  de  l'exactitude  de  la  relation  ^  En  i6o4,  un 
enfant  avait  joué  nu  le  rôle  de  Gupidon  %  mais  c'était 
une  exception  :  en  général,  les  figurants  étaient 
((  habillés  comme  s'ils  étaient  nus*  »,  c'est-à-dire  revê- 
tus de  maillots. 

Les  musiciens  étaient  associés,  de  la  façon  la  plus 
étroite,  aux  danseurs  dans  les  ballets  de  Cour.  Ils 
réglaient  leurs  évolutions,  les  accompagnaient  en  leurs 
entrées  et  exposaient  par  des  récits  et  des  chœurs  le 

I.  Voir  l'entrée  des  Sultanes  dans  la  Douairière  de  Billehahaut.  Louvre 
3^.629. 

2  .  Lacroix,  II,  109. 

3.  Hérouard.  Journal  sur  l'enfance  et  la  jeunesse  de  Louis  XIII,  t.  I,  p.  117. 

4.  VP  Intermède  des  Amants  Magnifiques,  éd.  de  1682. 


l82  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

sujet  du  spectacle.  Il  n'était  point  rare  qu'un  ballet 
royal  nécessitât  Tintervention  des  musiques  réunies  de 
la  Chambre,  de  la  Chapelle  et  de  l'Ecurie.  Tous  ces 
artistes,  pour  prendre  part  à  l'exécution  du  ballet,  se 
séparaient  en  plusieurs  groupes  ayant  chacun  ses  attri- 
butions, sa  fonction  particulière  :  les  violons^  terme  géné- 
rique sous  lequel  on  englobait  tous  les  instruments  à 
archets,  jouaient  les  ballets  proprement  dits,  les  instru- 
ments à  vent  ou  à  cordes  pincées  accompagnaient  sur 
la  scène  les  figurants  ou  soutenaient  de  leurs  accords  la 
voix  des  récitants  ;  enfin  les  chanteurs  se  divisaient  en 
solistes,  jouant  et  actionnant,  et  en  choristes  qui  tantôt 
paraissaient  sur  le  théâtre  et  tantôt  demeuraient  invi- 
sibles. 

Déjà  dans  les  mascarades  de  la  fin  du  xvf  siècle  les 
chars  sont  escortés  de  chantres  et  d'instrumentistes  et 
les  seuls  violons  sonnent  les  danses  figurées.  Dans  la 
Circé  de  i58i,  il  en  est  ainsi  :  le  char  de  la  fontaine  est 
suivi  de  chanteurs  déguisés  en  tritons  qui  jouent  «  lyres, 
luths,  harpes,  flustes,  et  autres  doux  instruments  avec 
les  voix  meslées  ».  Ailleurs  un  satyre  chante  seul  avec 
accompagnement  de  sept  flûtes.  Quant  à  la  bande  des 
violons,  elle  ne  paraît  que  pour  annoncer  l'arrivée  des 
nobles  naïades  ;  elle  les  fait  danser  et  se  retire  avec  elles 
pour  revenir  en  leur  compagnie  au  moment  du  Grand 
ballet. 

Lorsque,  vers  1610,  des  livrets  imprimés  et  des  rela- 
tions nous  donnent  une  idée  de  l'organisation  matérielle 
du  ballet  de  Cour,  1  orchestre  de  danse  qui,  en  i58i, 
accompagnait  dans  la  salle  l'entrée  des  danseurs,  est 
isolé  sur  une  estrade  placée  à  quelque  distance  de  la 
scène.  Il  arrive  pourtant  que,  par  une  survivance  de  l'an- 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  l83 

cienne  coutume,  les  violons  fassent  d'abord  leur  entrée 
avant  de  gagner  leur  échafaud  ^  Ainsi,  da.ns  A  Ici  ne,  les 
violons,  déguisés  en  esclaves  turcs,  font  leur  apparition 
sur  la  scène  par  groupes  de  trois.  La  première  troupe 
joue   la   partie  de    dessus,    la  seconde  celle    de   haute- 
contre,  la  troisième  celle  de  quinte,  la  quatrième  celle  de 
quinta  pars  et  la  dernière  celle  basse-contre.  Une  fois  au 
complet,   ils  reprennent   leur   morceau   tous    ensemble 
avant  de  monter  sur  Testrade  où  ils  vont  se  tenir  jus- 
qu'à la  fin  du  spectacle.  En  1617,  pour  la  Délivrance  de 
Renaud,  ils  sont  logés  en  une  «  niche  séparée  ^  »  sur  le 
théâtre  même,  semble-t-il,  mais,  en  général,  leur  estrade 
est  dressée  au  milieu  de  la  salle.  Marolles  recommande 
qu'elle   soit   orientée   de  manière  à   ce  qu'ils   puissent 
«  voir  commodément  les  Danseurs  et  les    Machines... 
afin  d'y  ajuster  leurs  concerts  ^  ».   Si  Ton  en  croit  Sorel, 
les  musiciens    n'avaient    pas    toujours    leurs    aises,    on 
oubliait  parfois  de  leur  donner  des   pupitres  et  ils   ne 
savaient  après  quoi  suspendre  leurs  tablatures  manus- 
crites*. 


1.  Il  est  d'ailleurs  à  noter  que  même  lorsque  les  violons  ne  quittent  pas 
leur  estrade,  ils  sont  toujours  costumés.  On  trouve  le  compte  suivant  relatif 
à  l'exécution  du  ballet  des  Fées  des  forests  de  Saint-Germain  : 

«  Cent  soixante  huit  aunes  de  taffetas  incarnadin  pour  24  grandes  robes  pour 

habiller  les  24  violons  du  Roy 67a  livres  tournois. 

Quarante-huict   aunes  de  bougran  incarnadin  pour 

servir  aux  dictes  robes 28             — 

36o  aunes  de  passementerie  d'or  et  d'argent  pour  les 

dictes  robes 73             — 

24  aunes  de  gance  d'or 3  livres,   12  sols. 

16  onces  de  soye  incarnadin  à  coudre  aux  dictes  robes  14       —        8     — 

Cimber  et  Daujon.  Archives  curieuses  de  Vhistoire  de  France,  2®  série, 
t.  VI,  p.  66. 

2.  Discours  au  vray,  p.  6. 

3.  Mémoires,  III,  11 5. 

4.  Francion,  livre  V,  édit.  de  1673,  p.  253. 


l84  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

A  la  Cour,  l'orchestre  de  danse  était  constitué  par  la 
bande  des  «  Vingt-quatre  violons  du  Roy  »,  célèbre 
en  Europe  par  l'agrément  des  diminutions,  ornements  et 
enjolivements  dont  elle  brodait  avec  art  la  trame  un  peu 
nue  des  airs  de  ballets  \  Ils  jouaient  toutes  les  danses 
figurées  et  les  entrées  que  n'accompagnait  pas  un 
orchestre  de  scène  ;  encore  arrivait-il  que  ce  dernier  se 
contentât  d'escorter  les  baladins  dans  la  salle  où  les  vio- 
lons les  faisaient  dansera  II  en  était  de  même  pour  les 
chœurs  qui  saluaient  de  leurs  chants  l'arrivée  des  figu- 
rants puis  se  taisaient  pour  les  laisser  commencer  leur 
ballet  au  son  des  violons  ^  Souvent  l'orchestre  de  danse 
rythmait  les  gestes  des  pantomimes  dans  les  scènes  dra- 
matiques. Dan»  V Aventure  de  Tancrède,  par  exemple,  le 
magicien  Ismène  faisait  «  ses  conjurations  en  cadence 
au  son  des  violons  qui  sonnoient  un  Jair  mélancolique  », 

La  composition  des  orchestres  de  scène  était  assez 
hétérocR^le.  Des  artistes  de  la  Chambre  et  de  l'Ecurie  y 
voisinaient  et  toutes  les  variétés  d'instruments  à  vent  ou 
à  cordes  pincées,  flûtes,  hautbois,  musettes,  cornets, 
cors  de  chasse,  luths,  lyres,  guitares,  théorbes,  etc.,  y 
étaient  représentées. 

On  a  vu  que  les  musiciens,  déguisés  et  masqués, 
accompagnaient  en  jouant  les  personnages  de  l'entrée 
jusque  dans  la  salle,  puis  laissaient  aux  violons  le  soin 
de  les  faire  danser.  Pourtant,  dans  certaines  entrées  de 
caractère,   les  baladins  dansaient   aux  accents  de  l'or- 

1.  Ecorcheville.  Vingt  suites  d'orchestre  du  XVI I*^  siècle  français. 

2.  On  lit  fréquemment  dans  les  livrets  des  indications  de  ce  genre  :  «  Puis 
entrèrent  des  bergers  conduits  par  des  musettes  jusques  dans  la  salle,  où 
les  violions  les  firent  danser.  »  Ballet  du  Roy  ou  la  vieille  Cour...  Lacroix, 
V,  p.  64. 

3.  Tanarède.  Lacroix,  II,  i86. 


LE    BALLET    A   LA    SCÈNE  l85 

chestre  de  scène.  Dans  Tancrède^  quatre  cornets,  joués 
par  des  satyres,  rythment  les  pas  de  quatre  silvains, 
quatre  hautbois  ceux  de  quatre  silènes  et  six  flûtes  ceux 
de  quatre  dryades  \  Dans  la  Douairière  de  Billebahaut^ 
des  guitaristes  grattent  une  sarabande  qu'exécutent  des 
ce  grenadins  »  ^  Dans  les  Nymphes  bocagéres  de  la  forêt 
sacrée^  des  bergers  dansent  au  son  des  flûtes  ^  Mais  c'était 
l'exception.  Il  arrivait  aussi  qu'un  instrumentiste  sur 
la  scène  jouât  en  s'accordant  avec  les  violons.  Dans  le 
ballet  de  quatre  monarchies  chres tiennes^  pour  l'entrée 
delà  République  de  Berne,  deux  tambours  battaient  ce  à  la 
mode  du  païs  avec  un  fiphre  qui  jouoit  l'air  avec  les  vio- 
lons du  Roy*.  X) 

Souvent  les  musiciens  formaient  à  eux  seuls  une  entrée 
de  ballet.  Dans  les  Fées  des  forests  de  Saint-Germain  y 
des  chasseurs  campagnards  «  viennent  dansans  un  ballet 
sous  le  chant  qui  sort  de  leurs  cors  »  puis  s'approchant  du 
mannequin  figurant  la  Musique,  ils  «prennent  leurs  luths 
accrochez  autour  de  son  vertugadin...  et  dansent  un 
autre  ballet  aux  doux  chants  de  leurs  voix  et  de  leurs 
luths*  ».  D'autres  fois  les  musiciens  se  contentent  de 
faire  le  tour  de  la  salle  en  sonnant  de  leurs  instru- 
ments.  Dans  la  Douairière  de  Billebahaut^  la  musique 


I.  Lacroix,  II,  171,  17a. 

1.  Entrée  des  grenadins  :  «  les  uns  jouoient  de  la  guy terre  scavoir  le  Roy, 
M.  le  grand  Prieur  et  M.  de  Barradas  ;  deux  dansoient  la  sarabande,  le  comte 
d'Harcourt  et  le  commandeur  de  Souvray  ;  et  le  marquis  de  Mortemar 
représentoit  un  musicien  de  Grenade,  Mercure  de  France,  i6'i6,  p.  191  et 
suiv.  —  Cette  scène  est  représentée  sur  les  dessins  du  Louvre  n°  32.643-7. 

3.  Lacroix,  IV,  146.  Dans  le  Ballet  de  Psyché,  1619,  des  Néréides  «  dan- 
cèrent  leur  Ballet  sous  les  haubois  desguisez  en  tritons.  »  Lacroix,  II,  2o5. 

4.  Lacroix,  V,  io5. 

5.  Les  Fées  des  forests  de  Saint- Germain.  René  GifTart,  MDCXXV  (in-40), 
p.  4. 


l86  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

de  TAmérique  est  composée  d'un  Indien  qui  frappe 
sur  des  gongs  et  de  quatre  joueurs  de  cornemuse- ;  les 
musiciens  de  la  douairière  défilent  vêtus  de  costumes 
extravagants  ;  quatre  soufflent  dans  des  hautbois,  deux 
dans  des  bassons  '^  On  trouve  aussi  dans  les  ballets  de 
nombreuses  scènes  de  charivaris  :  telle,  en  1627,  cette 
«  sérénade  des  grotesques  dont  les  instruments  sont  des 
vielles,  trompes  marines,  lanternes,  grils,  jambons  et 
pieds  de  pourceaux  ^  Les  entrées  de  hautbois,  de  flûtes, 
de  musettes  et  de  luths  sont  innombrables  dans  les 
ballets  dansés  sous  Louis  XIII. 

Les  entrées  de  luth  avaient  le  caractère  d'un  véritable 
concert,  destiné  à  délasser  l'assistance  du  spectacle  des 
danses.  On  trouve  la  musique  de  beaucoup  de  ces  entrées 
dans  la  tablature  de  Robert  Ballard*  et  les  recueils  de 
costumes  nous  en  montrent  quelquefois  l'ordonnance 
scénique.  Les  exécutants  sont  au  nombre  d'une  douzaine, 
ils  portent  des  vêtements  assez  peu  recherchés,  par 
exemple,  une  veste  bleue  unie  et  une  longue  jupe  rouge. 
Ils  avancent  lentement  en  grattant  leurs  instruments  ^  Il 
est  rare  que  des  luths  seuls  composent  l'orchestre;  le 
plus  souvent  des  théorbes,  des  mandores,  parfois  des 
guitares  prennent  part  à  l'exécution. 

Dans  la  Circé  de  i58i,  les  musiciens  de  la  Chambre  et 
de  la  Chapelle  étaient  scindés  en  deux  groupes.  Les  uns 
au  nombre  de  quarante  —  voix  et  instruments  —  demeu- 
raient invisibles  sous  la  Voûte  dorée^  les  autres  compo- 

1.  Dessin  du  Louvre  32.6i8.  V.  planche  XIII. 

2.  Louvre  32.6o5. 

3.  Lacroix,  III,  3ii . 

4.  Bibl.  Mazarine  4761,  B.  Voir  Michel  Brenet.  Notes  sur  l'histoire  du 
luth.  Bocca  frat.  Turin, 

5.  Dessin  du  Louvre  32.663. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  187 

saient  les  diverses  entrées.  Nous  retrouvons  un  dispositif 
analogue  pour  la  représentation  de  la  Délivrance  de 
Renaud  en  1617.  Des  deux  côtés  de  la  scène,  l'encadrant 
en  quelque  sorte,  sont  placés  deux  orchestres  que  dissi- 
mulent des  feuillages.  Soixante-quatre  voix,  vingt-huit 
violles  et  quatorze  luths  s'y  trouvent  réunis  sous  la  direc- 
tion de  Jacques  Mauduit  \  Ces  musiciens,  au  lever  du 
rideau,  faisaient  entendre  un  chœur  qui  servait  d'ouverture 
à  la  représentation.  Vers  la  fin  du  spectacle,  lorsque  les 
seize  chanteurs  et  luthistes  dirigés  par  Guédron  avaient 
achevé  dans  la  salle  leur  dialogue  avec  le  Mage,  il  «  se 
faisoit  une  grande  musique  du  concert  du  sieur  Guédron 
et  de  l'autre  qui  premièrement  s'estoit  fait  admirer  sous 
la  conduite  du  sieur  Mauduit.  Chacun  avoua  que  l'Europe 
n'a  jamais  rien  ouy  de  si  ravissant,  et  si,  le  nombre  de 
quatre-vingt-douze  voix  et  de  plus  quarante-cinq  instru- 
mens  faisoit  un  si  doux  bruit  qu'il  ne  sembloit  point 
revenir  au  quart  de  ce  dont  il  estoit  composé"^  ». 

Dans  Tancrède^  les  choristes  interviennent  de  manière 
plus  théâtrale.  Ils  se  tiennent  dans  le  ciel,  costumés  en 
anges,  et  vingt  d'entre  eux  descendent  sur  une  nuée  dans 
la  salle  chanter  un  compliment  à  la  Reine.  Ce  dispositif 
rappelle  un  peu  celui  du  ballet  de  Madame  en  i6i5.  Le 
théâtre  représentait  une  scène  maritime.  «  Dans  ceste 
mer  passoit  une  musique  de  tritons  qui  sonnoit  un  air  sur 
des  hautbois  et  après  eux  venoit  encore  en  ladite  mer  la 
Musique  de  la  Chambre  du  Roy,  vestue  en  Tritonnides. 
Ceste  musique  sortoit  peu  à  peu  de  la  mer  et  vint  chanter 
des  vers  sur  la  scène.  Ayant  achevé,  le  Ciel  s'ouvrit  en 
deux  et  là  dedans  parut  la  musique  de  la  Chapelle  du  Roy 

I.  Lacroix,  II,  p.  102. 
a.  Lacroix,  II,   117. 


l88  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

composée  de  trente  musiciens  tous  suspendus  dans  ledit 
Ciel  et  ceste  musique  avec  celle  de  la  Chambre  chantèrent 
ce  dialogue  ^)... 

La  Chapelle  : 

Nymphes  des  Eaux,  arrestez-vous. 
Demeurez,  belles  tritonnides. 
Vous  n'avez  plus  besoin  de  guides. 
Minerve  vient  avecques  vous 

La  Chambre  : 

Esprits  ou  Dieux,  puisqu'il  vous  plaist 
Nous  apporter  ceste  nouvelle 
Du  retour  de  nostre  immortelle, 
Dittes-nous  en  quel  lieu  elle  est  *? 

Avec  les  ballets  mélodramatiques  disparurent  ces 
grands  ensembles,  vraiment  dignes  des  opéras  qui  floris- 
saient  alors  en  Italie.  Dans  les  ballets  à  entrées^  les 
chœurs  accompagnent  de  temps  à  autre  les  solistes  sur 
la  scène  pour  «  faire  le  refrain  »  des  récits  \  mais  le  plus 
souvent  ils  ne  paraissent  que  pour  annoncer,  par  un 
concert  vocal,  la  venue  des  danseurs  du  Grand  ballet. 
Plusieurs  dessins  nous  montrent  «  la  Musique  servant  de 
récit  au  Grand  Ballet  H  .  Ils  confirment  les  indications 
des  livrets  et  nous  prouvent  qu'on  ne  chantait  jamais 
a  capella  dans  les  ballets  de  Cour.  Les  musiciens  nous 
apparaissent  rangés  en  belle  ordonnance  et  vêtus  d'une 
veste  bleue  et  d'une  jupe  rouge  découpée  dans  le  bas. 
Deux,  trois  ou  quatre  pages  sont  au  premier  rang  ;  der- 

1.  Mercure  français  y  t.  IV,  p.  i8. 

2.  Dans  le  Ballet  des  voleurs  par  exemple,  en  i624' 

3.  Dessin  du  Louvre  3a.6o3,  32.652,  32,678.  —  V.  planche  XII. 


LE    BALLET    A    LA    SCÈNE  189 

rière  eux  se  tient  un  joueur  de  basse  de  viole  et  une  dou- 
zaine d'artistes  qui  chantent  en  s'accompagnant  sur  des 
luths,  des  théorbes,  des  mandores  et  autres  instruments 
à  cordes  pincées.  Ce  récit  polyphonique  final  se  retrouve 
dans  tous  les  ballets  à  entrées  de  quelque  importance 
dansés  sous  le  règne  de  Louis  XIII. 

Les  récits  étaient  chantés  soit  par  des  professionnels^ 
soit  par  des  amateurs  de  talent.  Il  n'y  avait  aucune  règle 
précise  à  ce  sujet.  Dans  la  Délivrance  de  Renaud^  Marais 
jouait  le  rôle  d'Armide,  De  Luynes  chantait  un  air  et 
le  fameux  Le  Bailly  «  qui  se  peut  glorifier  d'avoir  et 
d'avoir  eu  la  plus  belle  et  plus  charmeuse  voix  de  son 
temps  ))  ^  chantait  le  court  dialogue  de  l'hermite  avec  les 
soldats.  Ce  même  artiste  devait  représenter  le  magi- 
cien Ismène  dans  Tancrède  ;  il  était  alors  assez  âgé.  Il 
semble  être  monté  sur  la  scène,  pour  la  dernière  fois,  en 
1622,  dans  le  ballet  de  Monseigneur  le  Prince'^, 

Vers  i63o,  les  noms  de  Ghancy,  de  Moulinié  et  de  Jus- 
tice reparaissent  souvent  sur  les  livrets  ;  on  y  trouve 
aussi  ceux  du  duc  de  Mortemart  et  de  Pierre  de  Nyert,  qui 
ne  dédaignaient  pas  de  se  faire  entendre  dans  les  ballets. 
Sous  Louis  XIII,  il  n'est  pas  question  de  femme  ayant 
chanté  sur  la  scène.  Au  temps  de  Henri  IV,  la  jeune  Angé- 


1 ,  Discours  au  vray,  p.  20.  Henry  Bailly  était  un  compositeur  remarquable. 
«  On  se  persuade,  assure  La  Mothe  (dans  son  Discours  sceptique  sur  la 
Musique)  que  les  airs  modernes  du  Bailly...  valent  bien  ceux  de  Phemius  et 
de  Demodocus  dans  Homère  »,  Œuvres,  t.  IV,  p.  a5o.  Mersenne  célèbre  sa 
méthode  de  chanter  et  le  loue  de  faire  sonner  toutes  les  syllabes.  Harmonie 
Universelle.  —  Des  chants,  356  et  passim.  En  1617,  il  était  «  Musicien  ordi- 
naire du  Roy  »  (Ms.  fr.  i2.5a6  P  433).  Il  mourut,  le  24  septembre  1637, 
surintendant  de  la  Musique  de  la  Chambre  du  Roy  »  et  fut  inhumé  à  Saint- 
Eustache  (Ms.  fr.  ia.5a6  f*^  127  b. 

2.  Il  chantait  le  récit  de  la  Folie  imprimé  dans  le  Livre  XI  des  Airs  de 
différents  autheurs  avec  la  tablature  de  luth.  Paris  1623,  in-40  (45).  B.  ]N, 
Réserve  Vm7  669,  Le  livret  est  à  la  Bibl.  Mazarine  35.202  pièce  28. 


igo  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

lique  Paulet^  s^était  pourtant  fait  entendre  dans  le  Ballet 
delà  Reine^  en  1609,  ^vec  un  très  grand  succès ^ 

Dans  les  ballets  mélodramatiques  ^\q^  récits  surgissaient 
de  manière  irrégulière  toutes  les  fois  que  les  nécessités 
de  l'action  le  commandaient.  Au  contraire,  dans  les  ballets 
à  entrées^  la  place  des  récits  est  presque  invariable.  Il  y 
en  a  un  au  commencement  de  chaque  partie  et  un  autre, 
généralement  polyphonique,  avant  le  Grand  ballet.  Les 
récits  ne  sont  pas  toujours  chantés  par  les  personnages 
qui  sont  censés  les  prononcer.  Il  arrive  que  le  figurant  de 
la  première  entrée  envoie  devant  lui  son  récit^  suivant 
l'expression  consacrée.  Ainsi,  dans  les  Fées  des  forests  de 
Saint- Germain^  Guillemine  la  quinteuse  et  ses  sœurs 
sont  précédées  par  des  musiciens  qui  chantent  à  leur 
place.  Il  en  va  de  même  dans  la  plupart  des  ballets  à 
entrées. 

L'artiste  chargé  du  récit  est  masqué  et  costumé  ;  il  est 
souvent  accompagné  d'une  petite  troupe  de  musiciens 
qui  soutiennent  sa  voix  du  son  de  leurs  instruments  et 
reprennent  en  chœur  le  refrain.  D'autres  fois  il  paraît 
seul  et  s'accompagne  lui-même  sur  un  luth,  une  guitare 
ou  un  théorbe.  Les  costumes  des  chanteurs  sont  d'un 
symbolisme  puériP.  Le  récit  d'Alizon  la  Hargneuse  est 

1.  Célèbre  sous  le  nomàe  Parthénie.  Voir  Grand  Dictionnaire  des  pré- 
cieuses de  Somaize.  Paris,  Jean  Ribou  1661,  a®  partie,    p.  83. 

2.  Historiettes,  t.  IV,  p.  8.  Tallemant  confond  d'ailleurs  le  ballet  de  la 
Reine  (1609)  avec  le  Ballet  d' Apollon  (1621).  C'est  à  ce  dernier  qu'appar- 
tient le  récit  :  je  suis  cet  Amphion  auquel  il  fait  allusion.  M^'^'  Paulet,  en 
1609,  ne  représentait  pas  Amphion  mais,  une  nymphe  montée  sur  un  dau- 
phin, d'où  le  vaudeville  : 

Qui  fit  le  mieux  du  ballet  ? 
Ce  fut  la  petite  Paulet 
Montée  sur  le  dauphin,  etc. 

3.  Les  déguisements  baroques  de  chanteurs  abondent  dans  les  recueils  de 
dessins  qui  nous  ont  été  conservés,  aussi  préférons-nous    y   renvoyer    sans 


LE    BALLET    A    LA    SCENE  191 

débité  par  un  personnage  à  Taspect  guerrier.  Un  canon 
le  coiffe,  des  mousquets  et  des  épées  s'entrecroisent 
autour  de  ses  épaules  et  de  sa  taille,  de  lourdes  bottes 
lui  montent  à  la  ceinture  ;  tout  cet  attirail  devait  être  fort 
gênant  pour  jouer  du  luth  *  I 

insister  davantage  sur  leur  naïveté  grossière  qui  contraste  avec  l'élégance 
pittoresque  des  costumes  des  ballets  mélodramatiques .  (V.  planche  XIV,  et 
dans  le  recueil  du  Louvre  les  dessins  32. 610,  619,  62$,  632,  637,  642,  653, 
683,  687,  etc. 

I.  Louvre,  dessin  32.679. 


CHAPITRE  V 

LA  POÉSIE  ET  LA  MUSIQUE  DANS  LES  BALLETS 
DE  COUR 


I.  Poètes  de  Cour  sous  Henri  IV  et  Louis  XIII.  —  Les  vers  récités  ou 
chantés.  —  Les  vers  destinés  à  la  lecture.  —  II.  Compositeurs  de  la 
musique  instrumentale.  —  Ballets.  —  Entrées^  caractère  descriptif 
de  ces  compositions,  —  III.  Compositeurs  de  la  musique  vocale.  — 
Les  airs  monodiques  et  polyphoniques. —  Les  Récits.  —  Origine  du 
récitatif  dramatique  français. 


I 

On  pourrait  difficilement  trouver,  durant  la  première 
moitié  du  xvii®  siècle,  un  poète  qui  n'ait  écrit  quelques 
vers  pour  les  ballets  du  Roi.  De  même  que  Mellin  de 
Saint-Gelais,  Ronsard,  Baïf,  Jodelle,  Dorât,  Passerat, 
Desportes,  Expilly  avaient  composé  d'innombrables  pièces 
pour  les  mascarades  auxquelles  se  récréait  l'humeur  des 
derniers  Valois,  de  même,  au  temps  de  Henri  IV  et  de 
Louis  XIII,  les  plus  illustres  comme  les  plus  obscurs 
parmi  les  poètes,  apportent  leur  pierre  à  ces  ouvrages 
collectifs  que  sont  les  ballets  dramatiques.  Si  l'on  par- 
court les  livrets  et  les  recueils  du  temps  \  on  trouve,  en 
tête  de  fragments  poétiques  destinés  à  des  ballets,  les 

I.  Voir  en  particulier  le  Recueil  des  plus  beaux  vers  de  Messieurs  de 
Malherbe  y  Racan,  Monfuron,  Maynard,  Bois-Robert,  L'Estoile,  Lingendes, 
Touvant,  Motin^Mareschal...  Paris,  Toussaint  Du  Bray,  MDCXXXVI,  in-4'' 
(955  p.). 


§1 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  ig'i 

noms  de  Jean  Bertaut,  Malherbe,  Gombaud,  L'Estoile, 
Motin,  Sorel\  Porchères,  Bordier,  Racan,  Golletet, 
Théophile,  Bois-Robert,  Sigongues,  Desmarets,  Imbert, 
de  Rosset,  Du  Vivier,  Voiture,  Saint-Amand,  voire  Cor- 
neille. Or,  si  l'on  reconnaît  en  ces  pièces  de  caractère 
varié  le  style  particulier  à  chacun  de  ces  écrivains,  il  ne 
paraît  pas  qu'aucun  d^entre  eux  ait  influé  sur  l'évolution 
du  ballet  dramatique. 

Le  précieux  Bertaut,  le  rude  et  pompeux  Malherbe, 
le  grossier  Sigongnes,  l'héroïque  Pierre  Corneille,  le 
médiocre  Bordier  mettent  leurs  talents,  si  différents,  au 
service  du  même  idéal  ;  aucun  d'entre  eux  ne  tente  d'ériger 
le  ballet  de  Cour  à  la  hauteur  d'un  genre  littéraire.  Ils  font 
ce  que  faisaient  les  autres  avant  eux,  sans  se  préoccuper 
de  nouveauté.  Les  raisons  de  ce  manque  d'initiative  sont 
multiples.  Il  est  évident  que,  seuls,  les  poètes  de  second 
et  de  troisième  rang  travaillent  avec  zèle  aux  ballets 
depuis  que  les  récits  déclamés  en  ont  été  exclus^;  les 
écrivains  de  quelque  renom  ne  s'en  mêlent  que  pour  obéir 
à  des  ordres  reçus  et  aussi  parce  que  c'est  là  pour  eux 
le  meilleur  moyen  de  se  maintenir  dans  les  bonnes  grâces 
du  souverain,  de  se  faire  bien  voir  des  puissants  du  jour. 
Malherbe,  qui,  durant  dix  ans,  écrit  des  vers  pour  tous  les 
ballets,  ne  cache  pas  son  dédain  pour  ce  genre  de  spec- 
tacle. Il  affecte  de  ne  collaborer  à  ces  divertissements 
que  contraint  et  forcé  ^. 

1.  Voir  les  vers  pour  les  personnages  du  ballet  de  la  Douairière  de 
Billebahaut.  Lacroix,  III,  p.  i65  et  suiv. 

2.  Corneille  n'écrit  durant  sa  vie  que  le  seul  Récit  du  château  de  Bicêtre. 
Voiture,  dont  le  talent  semblait  si  bien  fait  pour  réussir  dans  les  vers  pour 
les  personnages  du  ballet,  ne  nous  a  laissé  qu'une  seule  pièce  de  ce  genre. 
Pour  Minerve  en  un  ballet  :  Vous  qui  chassiez  de  vostre  Cour...  OEuvres, 
V^  édition,  Paris,  Courbé,  MDCLVIII.  Poésies,  p.  26-27. 

3.  €  Je  ne  vous  mande  rien  du  Ballet  de  la  Reyne,  écrit  Malherbe  à  Peiresc, 

i3 


194  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

Les  ballets  sont  la  ressource  suprême  des  rimeurs 
faméliques,  en  quête  de  pensions,  et  des  débutants  avides 
de  gloire.  Etre  désigné  pour  écrire  les  vers  d'un  ballet 
royal  «  c'est  une  fortune  que  les  poètes  doivent  autant 
briguer  que  les  peintres  font  le  tableau  du  May  qu'on 
présente  à  Nostre-Dame  ))\  Francion,  pour  ce  s'acquérir 
quelques  habitudes  à  la  Cour  »  ^,  compose  des  vers  sur  le 
personnage  de  la  Reine,  les  fait  imprimer  et  les  distribue 
dans  la  salle  en  même  temps  que  les  poètes  «  qui  estoient 
payés  pour  en  faire  ». 

Il  y  avait,  en  effet,  en  dehors  des  poètes  illustres  qui 
de  temps  à  autre  consentaient  à  produire  des  vers  pour 
les  ballets,  et  des  médiocres  qui  apportaient  dans  la  salle 
leurs  élucubrations  avec  l'espoir,  généralement  déçu, 
d'une  gratification,  quelques  heureux  mortels  qui  déte- 
naient tout  ou  «  partie  de  la  charge  des  ballets  ».  Cette 
charge,  successivement  Durand,  puis  Porchères,  enfin 
Bordier  l'exercèrent.  Ce  dernier  en  fut  le  seul  titulaire 
durant  une  partie  du  règne  de  Louis  XIIF.  S'il  eût  eu 
quelque  génie,  il  eût  pu,  trente  ans  plus  tôt,  jouer  le  rôle 


pour  ce  que  je  me  connois  fort  peu  aux  descriptions  de  telles  choses  ;  et  sans 
le  commandement  que  la  Reyne  me  fit  de  le  voir,  je  ne  fusse  pas  sorti  de  mon 
logis...  »  OEuvres  de  Malherbe,  édit.  Lalanne,  III,  8i.  —  Voir  aussi  Talle- 
mant.  Historiettes,  I,  264.  H  ne  faut  pas  d'ailleurs  oublier  qu'à  en  croire  Racan, 
«  Malherbe  avoit  un  grand  mespris  pour  les  sciences,  particulièrement  pour 
celles  qui  ne  servent  que  pour  le  plaisir  des  yeux  et  des  oreilles,  comme  la 
peinture,  la  musique  et  même  la  poésie  ».  Ce  mépris  ne  l'empêchait  point 
d'être  fort  orgueilleux  de  son  talent  poétique  et  de  composer  sans  cesse  des 
couplets  de  chansons,  des  récits  et  des  vers  pour  les  personnages  des  ballets. 

1.  Fure tière.  i?om«Ai  bourgeois^  p.  122. 

2.  La  Vraye  histoire  comique  de  Francion,  livre  IV,  édit,  de  Rouen, 
MDCLXXIII,  p.  246. 

3.  Dans  le  Ballet  de  la  Douairière  de  Billebahaut  ses  vers  sont  imprimés 
avec  un  petit  avertissement  rappelant  qu'il  a  «  charge  de  la  poésie  près  de 
Sa  Majesté  »,  à  la  suite  on  \ii  Recueil  des  vers  de  quelques  beaux  esprits  qui 
ont  travaillé  pour  les  particuliers .  Même  dans  le  livret  subsiste  donc  bien 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  igS 

de  Benserade,  mais  il  était  trop  dépourvu  d'originalité 
pour  se  risquer  tant  soit  peu  hors  des  voies  frayées 
et  n'avait  pas  un  talent  suffisant  pour  porter  un  genre 
à  sa  perfection.  Il  est  donc  possible  d'étudier  le  ballet 
de  Cour,  au  point  de  vue  littéraire,  sans  se  préoccuper 
de  la  personnalité  des  écrivains  qui,  avant  Benserade, 
s'y  distinguèrent. 

Alors  qu'en  Angleterre  les  ballets  dramatiques  étaient, 
pour  un  Ben  Jonson,  l'occasion  de  petits  chefs-d'œuvre 
poétiques*,  en  France,  depuis  l'abandon  des  récits 
déclamés,  il  n'y  avait  plus  à  proprement  parler  de  véri- 
tables livrets.  On  continuait  à  appeler  de  ce  nom  les 
brochures  où  se  trouvaient  réunis  l'argument,  la  descrip- 
tion du  spectacle,  les  paroles  chantées  au  cours  de  la 
représentation  et  les  vers  destinés  à  être  lus  par  les 
spectateurs.  Les  relations,  rédigées  en  style  de  gazette, 
ne  méritent  pas  de  nous  arrêter  un  instant,  non  plus  que 
les  arguments  en  prose,  tantôt  enjoués,  tantôt  amphigou- 
riques et  toujours  ennuyeux.  Quant  aux  scénarios  en 
vers,  ils  sont,  sans  exception,  d'une  extrême  platitude. 
On  en  pourra  juger  par  ce  début  de  l'un  d'eux  choisi 
parmi  les  meilleurs  2. 

nette  la  division  entre  les  poètes  payes  et  ceux  qui  ne  le  sout  pas  pour  écrire 
des  vers, 

La  charge  des  ballets  n'avait  d'ailleurs  pas  enrichi  Bordier  à  en  juger  par 
cette  épigramme  de  Théophile  : 

Vous  commettrez  un  grand  abus 
En  prenant  Bordier  pour  Phœbus, 
Il  est  trop  mal  dans  la  fortune 
Pour  souffrir  ces  comparaisons. 
Car  Phœbus  a  douze  maisons. 
Et  le  coquin  n'en  a  pas  une, 

Let,  œuvres  de  Théophile.  A  Paris,  Jean  de  la  Mare,  MDCXXXVI,  p,  3ii) 
(in-80) . 

1,  Castelain,  Ben  Jonson,  Paris,  1907,  in-S», 

2,  Ballet  de  la  Reyne  dansé  par  les  Nymphes  des  jardins  en  la  grande 


196  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Sujet  du  Ballet  des  Nymphes  des  Jardins 

ENTRÉE  :       Mercure,  Messager  des  Dieux, 
Descend  du  Ciel  et  fend  la  nue 
Pour  annoncer  Tagréable  venue 
Des  Déïtez  des  jardins  en  ces  lieux. 

MUSIQUE  :     Après  luy,  les  Nymphes  des  arbres 
Invitent,  de  tout  leur  pouvoir, 
Le  gay  Vertumne  à  les  venir  revoir, 
Par  leurs  chansons  qui  raviroient  des  marbres... 

Le  texte  poétique  des  scènes  déclamées  ou  chantées 
n'offre  aucun  détail  technique  qui  soit  particulier  aux 
ballets  de  Cour.  Les  monologues  de  la  Circé  sont  écrits  en 
lourds  alexandrins  à  rimes  plates,  dans  le  plus  médiocre 
style  tragique  de  ce  temps.  La  stance  de  six  vers  règne  dans 
les  récits  déclamés  de  Bertaut  et  de  ses  rivaux,  au  début  du 
XVII*  siècle.  Quant  aux  vers  destinés  à  la  musique,  la  forme 
en  est  si  variée  que  nous  ne  saurions  entrer  dans  des 
détails  techniques  sans  entreprendre  une  étude  d'ensemble 
sur  la  poésie  lyrique  au  xvii^  siècle,  ce  qui  nous  entraînerait 
loin  de  notre  sujet.  Notons  seulement  que  les  vers  irré- 
guliers de  certaines  pièces  s'expliquent  par  ce  fait  qu'ils 
sont  ((  accommodés  à  l'air  qui  estoit  fait  »,  que,  dans  les 
dialogues,  les  tirades  alternent  avec  une  symétrie  cadencée 
un  peu  fatigante,  enfin  que  la  plupart  des  récits  sont  des 
stances  de  mètres  variés  et  de  six  vers  dont  le  dernier 
forme  parfois  refrain  \ 

salle  du  Louvre,  au  mois  de  février  1624-  A-  Paris,  chez  Jehan  de  Bordeaux 
(in-80).  Bibl.  du  Conservatoire. 

I,  Dans  les  ballets,  les  poètes  observent  généralement  de  faire  une  pause 
au  troisième  vers  des  stances.  Tallemant  attribue  à  Maynard  cette  innovation  : 
«  Racan  qui  jouoit  un  peu  du  luth  et  aimoit  la  musique,  se  rendit  en  faveur 
des  musiciens  qui  ne  pouvoient  faire  leur  reprise  aux  stances  de  six  s'il  n'y 
avoit  un  arrêt  au  troisième  vers...  »  Historiettes.  3^  édit.,  I,  268. 


LA    POESIE    ET    LA    MUSIQUE  197 

Les  exemples  que  nous  avons  cités  en  analysant  les 
ballets  suffiront  à  donner  idée  des  formes  ordinaires  de 
la  poésie  lyrique  en  ces  spectacles.  Les  louanges  des 
souverains,  les  compliments  aux  dames,  une  exposition 
plus  ou  moins  claire  du  sujet  forment  le  fond  habituel 
des  récits  quand  ils  ne  se  rapportent  pas  directement  à 
l'action  comme  dans  les  ballets  mélodramatiques .  Nom- 
breux sont  les  récits  burlesques  écrits  en  jargon  de  fan- 
taisie. Longtemps  avant  Molière  et  LuUy,  les  spectateurs 
s'égayaient  d'entendre  chanter  des  vers  inintelligibles 
dans  le  genre  de  ceux-ci  ^  : 

Récit  du  Nord  et  des  régions  froides. 

Toupan  mepchico,  doulon 

Tartanilla  Norveguen  laton, 

El  bino  fortan  nil  goufongo 

Gan  tourpin  noubla  rabon  torbengo. 

Enfin  les  allusions  aux  événements  contemporains 
sont  fréquentes  ^  Non  seulement  certains  récits  célèbrent 
en  longues  strophes  des  victoires  ou  des  événements 
diplomatiques,  mais  parfois  des  scènes  d'actualité  sont 
insérées  dans  les  ballets,  comme  encore  aujourd'hui  dans 
les  revues  de  nos  music-halls.  En  1616,  l'arrestation  du 
prince  de  Gondé  fut  commentée  en  une  sorte  d'intermède 
sans  rapport  avec  le  sujet  du  ballet.  On  vit  paraître  «  le 
berger  Damon  et  la  bergère  Sylvie  qui  récitèrent  ce 
dialogue'^  : 

I.  Lacroix,  III,  p.  174. 

a.  Les  sujets  mêmes  des  ballets  sont  généralement  allégoriques.  Le  Ballet 
d'Apollon,  en  1621,  a  pour  objet  de  montrer  la  victoire  de  Luynes,  identifié 
avec  le  Dieu  de  la  lumière,  sur  le  maréchal  d'Ancre,  personnifié  par  le  ser- 
pent Pithon. 

3.  Mercure  françois,  1616,  p.  3oi, 


98  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 


DAMON 


Dois-je  perdre  tout  mon  aage 
Sans  repos  ni  liberté  ? 


SILVIE 


Berger  vous  étiez  volage 
Mais  vous  estes  arresté. 


DAMON 


Au  moins  qu'on  me  fasse  entendre 
Pourquoy  je  suis  détenu. 


SILVIE 


Berger  vous  me  vouliez  prendre 
Mais  je  vous  ay  prévenu,  etc...  » 

Par  un  paradoxe  assez  singulier,  les  vers  chantés  ou 
déclamés  dans  les  ballets  de  Cour  ne  constituaient  pas, 
au  point  de  vue  littéraire,  la  partie  la  plus  intéressante 
de  ces  divertissements.  Au  xvi®  siècle,  les  masques  faisaient 
voler  du  haut  de  leurs  chars  des  feuilles  imprimées  sur 
lesquelles  se  lisaient  des  maximes  galantes.  Cette  coutume 
avait  passé  dans  le  ballet.  Dans  nombre  d'entrées  du 
début  du  xvii^  siècle,  on  voit  les  figurants,  après  avoir 
dansé,  offrir  aux  dames  des  livrets.  Certains  de  ces 
opuscules  sont  de  simples  badinages  galants,  en  vers  ou 
en  prose,  sans  grand  rapport  avec  l'action.  Dans  le  ballet 
de  la  foire  Saint-Germain^  vers  1606,  des  opérateurs  don- 
nent aux  dames  des  «  receptes  merveilleuses  »  rédigées 
en  termes  rabelaisiens  ;  des  astrologues  jettent  dans  la 
salle  des  almanachs,  aux  prédictions  facétieuses.  Dans  le 
ballet  de  Monseigneur  le  Dauphin  (t6io),  deux  person- 
nages burlesques,  Guillemin  Tribard  et  Pacquette  Cour- 


LÀ    POESIE    ET    LA    MUSIQUE  199 

talon,  offrent  aux  spectateurs  les  articles  ridicules  de  leur 
contrat  de  mariage.  Il  en  va  de  même  dans  les  ballets 
sérieux.  Six  cent  trente  vers  servent  à  commenter  sous 
forme  d'odes,  de  prosopopées,  de  prophéties  héroïques, 
les  entrées  du  ballet  de  Madame^  en  I6I5^  Des  pasteurs 
paraissent-ils  sur  la  scène,  le  poète  s'empresse  de  les 
assimiler  aux  maréchaux,  gardiens  du  territoire  : 

Pasteurs,  ouy,  estes-vous,  grands  mareschaux  de  France, 
Vrais  pasteurs  de  nos  champs..,^ 

Au  début  du  xvii^  siècle,  les  vers  imprimés  dans  le  livret 
ont  pour  principal  objet  de  représenter  les  discours  que 
tiendraient  les  divers  personnages,  s'ils  rompaient  le 
silence  auquel  ils  sont  condamnés.  Dans  les  ballets-mas- 
carades^ ce  sont  presque  toujours  les  mômes  équivoques 
ordurières^;  aussi  est-il   difficile  de  citer  desexemples. 

Voici  pourtant  de  jolis  vers  de  Bertaut  :  Pour  des 
Masques  assez  hideux  et  sauvages'*. 

Ces  visages  si  peu  semblables 
A  ceux  dont  les  traits  agréables 
Prennent  conseil  de  vos  miroirs, 
Trompent  vos  esprits,  belles  dames; 
Nous  ne  sommes  pas  en  nos  âmes. 
Si  diables  que  nous  sommes  noirs... 


ï.  Les  Oracles  français  ou  Explication  allégorique  du  Ballet  de  Madame. 
Paris,  Chevalier,  i6i5,  in -8°. 
1.  Lacroix,  II,  p.  83. 

3.  Voir  Bibliothèque  dramatique  de  M.  de  Soleinne...,  t.  III,  p,  85,  89  et 
suiv. 

4.  Recueil  de  quelques  vers  amoureux,  Paris.  Mainert  Pâtisson,  i6o5, 
in-8*^.  —  On  trouve  aussi  des  récits  de  ballet  d'un  sentiment  précieux  et  lin 
dans  le  recueil  intitulé  :  Les  Muses  ralliées.  A  Paris,  chez  Mathieu  Guillemot 
(vers  1607),  p.  ti/jo  et  suiv.  (On  y  trouve  des  vers  de  Bertaut  et  de  Porchères). 


200  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Le  destin  devroit,  ce  me  semble, 
Déjoindre  et  désunir  d'ensemble 
Vos  beautez  et  vostre  rigueur  ; 
Et  faisant  un  autre  partage, 
Ou  nous  donner  vostre  visage, 
Ou  bien  vous  donner  nostre  cœur. 

Mais  au  lieu  d'espérer  ce  change, 
Qui  seroit  doucement  estrange, 
Le  ciel  fera  par  sa  rigueur, 
Que  sur  nous  tombe  le  dommage  : 
Nous  n'aurons  pas  vostre  visage 
Et  si,  vous  aurez  nostre  cœur. 

Les  strophes  suivantes  présentent  au  public  l'entrée 
en  scène  d'une  troupe  de  «  couppeurs  de  bourses*  »  : 

Voicy  les  enfans  sans  soucy 

Tout  de  mesme  ailleurs  comme  icy, 

C'est  leur  nature. 
Un  trésor  ne  leur  semble  rien, 
Car  ils  n'ont  pour  souverain  bien 

Que  l'avanture. 


Jamais  ne  sont  las  ne  perclus, 
Aux  doigts  leur  tient  certaine  glus, 

Où  tout  s'attrape, 
Et  sans  faire  semblant  de  rien, 
Il  n'est  fille  ou  femme  de  bien 

Qui  s'en  eschappe. 

Quand  ils  sont  le  soir  de  retour, 
C'est  qui  dira  le  meilleur  tour 


I.  Lacroix,  I,  234. 


LA    POESIE    ET    LA    MUSIQUE 

De  leur  souplesse  : 
Si  l'un  descouvre  le  poulet, 
L'autre  a  relancé  le  valet 

Et  la  maistresse. 


Les  personnages  qui  dansent  sur  la  scène  sont  sou- 
vent censés  prendre  la  parole  pour  faire  aux  spectateurs 
des  aveux  naïfs  ou  cyniques.  En  une  entrée  paraissent 
ensemble  le  mari,  la  femme  et  l'amant,  on  lit  sur  le  livret  : 

LE    MARY 

Sans  faire  de  mauvais  mesnage, 
Je  trompe  ma  femme  aisément. 

l'amy 

Et  moy  bien  plus  facilement 
Je  trompe  un  mary  trop  volage. 

LA    FEMME 

Mais  moy  bien  plus  subtile  qu'eux 
Je  sais  les  abuser  tous  deux  *. 

Del'Estoile  imagine  le  dialogue  suivant  entre  la  Douai- 
rière de  Billebahaut  et  son  Fanfan  de  Sotte-Ville  : 

LA    DOUAIRIÈRE 

Que  l'on  doit  bien  craindre  mes  coups, 
Est-il  rien  que  je  n'emprisonne  ? 

LE    FANFAN 

Certes  tous  vos  traits  sont  si  doux, 
Qu'ils  n'ont  jamais  blessé  personne. 

I.  Les  res\'eries  d'un  extravagant.  Lacroix,  V,  p.  26. 


202  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 


LA  DOUAIRIERE 


L'on  doit  m'aymer  uniquement, 
Car  je  suis  parfaitement  belle. 

LE    FANFAN 

f 

Vos  feux  m'eschauffent  tellement, 
Que  je  n'ay  froid  que  quand  il  gèle... 

Enfin  nous  devons  mentionner  certains  petits  ballets 
nommés  bouffonneries^^  dont  l'action  burlesque  était 
représentée  par  une  succession  de  scènes  de  pantomime. 
Le  livret  de  ces  divertissements  contenait  les  discours 
prétendus  des  différents  personnages. 

Un  garçon  de  cabaret  qui  met  le  couçert  à  deux  soldats. 

Montez,  Messieurs,  à  la  grand'chambre. 
Je  vay  vous  apporter  du  vin  : 
Voyez  ce  que  vous  voulez  prendre 
Ce  chapon,  perdrix  ou  lapin. 

Les  soldats  s'en  vont  sans  payer. 

Serviteur  bien  humblement, 

Le  logis  est  vostre. 
Quand  nous  aurons  de  l'argent 

Vous  compterez,  l'hoste^  ». 

C'était,  pour  les  poètes,  un  jeu  de  rechercher  des  ana- 
logies entre  la  qualité  d'un  noble  personnage  et  celle  que 
lui  attribuait  l'action  du  ballet  ^  Us  y  trouvaient  matière 

1.  Voir  en  particulier  la  curieuse  bouffonnerie  du  courtisan.  Lacroix,  I, 
p.  374  et  suiv. 

2.  Bouffonnerie  de  l'Issue  du  Cabaret.  Lacroix,  t.  VI,  p.  i55. 

3.  Voir  les  vers  de  Théophile  :  Le  Forgeron  parlant  pour  le  Roy  :  Je  ne 
suis  point  industrieux...  Œuvres,  Paris,  Jean  de  la  Marc,  MDCXXXVI,  p.  3o5. 


LA.    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  2o3 

à  éloges  hyperboliques  et  à  railleries  piquantes.  En  i6i3, 
la  jeune  Madame  paraît  dans  le  Ballet  des  Météores  sous 
les  traits  d'Iris,  la  messagère  des  dieux;  aussitôt  le 
poète  lui  adresse  ce  compliment  où  il  fait  allusion  à  son 
union  projetée  avec  le  roi  d'Espagne  : 

Je  suis  le  cher  gaige  des  cieux 

Et  l'espoir  du  monde  où  nous  sommes; 

Paroissant,  j'asseure  les  hommes 

Qu'ils  ont  paix  avecques  les  Dieux  : 

Et  les  deux  plus  grands  de  la  terre, 

Pour  chasser  à  jamais  la  guerre 

Et  leurs  peuples  bien  réunir, 

Ont  de  leur  amour  fraternelle 

Accordé  que  pour  l'avenir 

J'en  seray  la  chaisne  éternelle  *. 

Dans  le  ballet  de  la  Douairière  de  Billehahaut^ 
Louis  XIII,  costumé  en  Persan,  s'excuse  en  ces  termes  : 

Je  viens  comme  Persan,  Docteur  et  Gentilhomme, 
Ne  m  en  croyez  pas  moins  de  la  Foy  protecteur. 
Un  turban  sur  le  chef  du  fils  aisné  de  Rome 
Est  tel  qu'un  mauvais  livre  en  la  main  d'un  Docteur  ^. 

Le  ton  des  vers  pour  les  personnages  du  ballet  est  en 
général  enjoué  et  galant. 

Pour  M.  le  comte  de  Roiissillon  représentant 
un  vendeur  de  poudre. 

Puisqu'il  faut  faire  un  jour  entier 
Ce  pauvre  et  malheureux  mestier, 

1.  Ballet  de  Madame,  seiir  du  Boy,  devant  le  Roy  et  la  JRoyne,  ou  sont 
représentez  les  Météores,  par  quatorze  Nymphes  de  Junon...  Paris,  i6i3. 
Bibl.  Mazarine,  3a. 26a,  pièce  aS. 

2.  Lacroix,  III,  164. 


•204  LE     BALLET    DE     COUR    EN    FRANCE 

Amour,  il  faut  bien  s'y  résoudre, 
Mes  rivaux  n'en  seront  pas  mieux 
Car  je  ne  porte  de  la  poudre 
Que  pour  leur  en  jeter  aux  yeux^ 

Pour  M.  le  duc  de  Nemours 
représentant  le  Baillif  du  Groenland, 

En  tout  temps  je  suis  juste  et  de  facile  accez, 

Je  sers  aux  vertus  de  refuge, 

Et  je  suis  un  excellent  juge 
Qui  scais  juger  de  tout,  excepté  de  procez^. 

Parfois,  lorsque  le  poète  fait  parler  le  Roi  ou  quelque 
grand  seigneur,  il  trouve  des  accents  nobles  et  héroïques  ; 
Bordier  se  surpasse  dans  les  vers  où  il  identifie  De 
Luynes,  vainqueur  de  ses  ennemis,  et  Tancrède  : 

Eschappé  des  périls  de  la  flamme  et  du  fer 
Où  mon  courage  alloit  chercher  mes  funérailles, 
Je  sors  d'une  forest  que  les  monstres  d'Enfer 
Défendoient  remparez  de  flambantes  murailles. 


Au  lieu  que  mille  feux,  mille  morts,  mille  horreurs 
Me  dévoient  empescher  d'achever  ma  poursuitte, 
J'ay  contrainst  tout  le  camp  de  ces  noires  fureurs 
De  chercher  son  salut  dans  la  honte  ou  la  fuitte. 

Et  le  poète  conclut  par  ces  deux  vers  cornéliens  : 

Je  plains  mes  ennemis  qui  gisent  au  tombeau 
Et  cède  à  la  pitié  quand  la  force  me  cède^. 

I.  Ballet  du  Triomphe  de  la  Beauté ,  1640.  Lacroix,  V,  p.  293. 
1.  Ballet  de  la  Douairière  de  Billebahaut.  Lacroix,  III,  176  (vers  de  l'Es 
toile). 

3.  Lacroix,  II,  p.  194-195. 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  'io5 

Lorsque  les  vers  du  ballet  ne  célèbrent  pas  les  louanges 
des  Grands,  ils  chantent  leurs  amours.  C'est  leur  prin- 
cipal objet,  observe  le  père  Ménestrier\  «  que  de  décou- 
vrir des  passions  secrètes  et  de  les  faire  connoistre  aux 
personnes  »,  pour  qui  se  donne  la  fête.  Le  plus  souvent 
le  poète  se  tient  à  de  vagues  déclarations  amoureuses 
sans  se  risquer,  comme  le  fera  plus  tard  Benserade,  à 
désigner  par  des  allusions  transparentes  la  personne  qui 
se  dissimule  sous  les  noms  supposés  de  Sylvie  ou  de 
Parthénie. 

M.  le  duc  d* Elbeuf  repj'ésentant  un  demy-fou. 

Ce  n'est  donc  pas  assez  d'avoir  perdu  mon  cœur, 
Esclave  du  bel  œil  qu'amour  fit  mon  vainqueur, 
Il  faut  que  la  raison  me  soit  aussi  ravie, 
0  Dieux  !  qui  vit  jamais  de  si  divins  appas? 
C'est  n'avoir  point  d'esprit  de  ne  le  perdre  pas 
Pour  l'amour  de  Sylvie  -. 

Les  contemporains  de  Bordier  n'ont  pas  l'audace 
agressive  d'un  Benserade.  Leurs  plaisanteries  satiriques 
demeurent  générales  et  impersonnelles.  Un  baladin 
parait-il  sur  le  théâtre  représentant  un  homme  «  moitié 
procureur  et  moitié  soldat  »,  aussitôt  le  poète  lui  prête 
ce  langage  : 

Vous  qui  cherchez  les  biens  qui  font  aimer  la  terre, 
Soiéz  ce  que  je  suis,  faictes  ce  que  je  faicts, 
Avec  aucthorité  vous  pillerez  en  guerre, 
Avec  impunité  vous  voilerez  en  paix^. 

I.  Des  Ballets  anciens  et  modernes,  p,  292. 

a.  Fées  des  forests  de  Saint-Germain.  Lacroix,  III,  p.  4'J'. 

3,  Lacroix,  t.  V,  p.  11. 


io6  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

Il  est  rare  de  trouver  des  allusions  précises  à  quelque 
trait  de  mœurs  des  personnages  qui  figurent  dans  les 
ballets.  Celles  qu'on  rencontre  sont  aimables  et  bien- 
veillantes. 

Pour  M,  le  duc  d! Angoulesme 
représentant  le  Père  de  V Epousée  de  Vaugirard. 

Semblable  à  ces  grands  capitaines 
Qui  logeoient  dans  les  champs  leur  front  victorieux, 
Naguère  chef  d'armée  et  Prince  glorieux, 
Je  donne  à  mes  désirs  les  bois  et  les  fontaines. 

Là,  quelques  beautés  chérissant, 

Je  rajeunis  en  vieillissant  ; 
En  parle  qui  voudra,  je  me  ris  de  l'envie 
Mars,  Amour  et  Diane  ont  partagé  ma  vie  ^ 

Parfois  le  poète  se  hasarde  à  rappeler  quelque  mésa- 
venture arrivée  à  celui  qu'il  met  en  scène,  mais  il  le  fait 
toujours  sur  un  ton  fort  courtois.  Un  ballet  faisant  inter- 
venir «  des  gens  cherchant  la  cadence  que  le  vin  leur  a 
fait  perdre  »,  on  lit  dans  le  livret  : 

Pour  Villedan^  chercheur  de  cadence. 

Attraper  la  cadence  est  un  pénible  ouvrage  : 
Je  perds  en  cette  enqueste  et  ma  peine  et  mes  pas  ; 
Je  la  cherchay  jadis  dedans  le  mariage 
Et  ne  Ty  trouvay  pas^. 

Nous  sommes  encore  loin  de  Benserade  et  des  traits 
acérés  dont  il  crible  les  tares  physiques  et  morales  des 
gens  de  Cour.  Il  est  vrai  que  le  délicieux  poète  saura  tout 

1.  Ballet  des  Triomphes  dansé  par  le  Roy  en  la  salle  du  Louvre  les  i8  et 
20  février  de  Vannée  i635.  Paris,  Sara,  in-4*^  (Bibl,  du  Conservatoire).  Ces  vers 
sont  de  Bordier. 

2.  Festes  de  Bacchus.  Lacroix,  VI,  p.  286. 


LA    POESIE    ET    LA    MUSIQUE  207 

dire  avec  grâce  et  que  la  forme  fera  tout  passer.  Les  con- 
temporains de  Bordier,  lorsque  par  hasard  ils  s'attaquent 
à  quelque  pauvre  baladin  sans  défense,  le  font  avec  une 
brutalité  choquante.  Un  ballet,  dansé  vers  i6i5,  mettait 
en  scène  un  proxénète.  Son  rôle,  nous  apprend  le  livret, 
était  dévolu  à  «  M.  Samant  qui,  de  la  science  d'autruy, 
en  fait  marchandise  en  la  Court  »  *  : 

On  me  cognoist  pour  homme  entier 
Franchement  je  faicts  le  mestier,  etc. 

On  comprend  mieux,  lorsqu'on  a  lu  un  grand  nombre 
de  vers  de  cette  sorte,  l'enthousiasme  des  gens  de  goût 
pour  les  vers  de  Benserade  ^  Non  seulement,  comme  le 
note  Victor  Fournel,  «  la  distance  est  énorme  entre  les 
ballets  de  l'époque  précédente  et  les  siens;  mais,  en  dépit 
des  analogies  matérielles  créées  par  les  lois  du  genre,  il  est 
presque  impossible  de  les  rattacher  à  la  même  famille  ^  » 
Et  pourtant  si  l'on  examine  de  près  les  vers  d'un  Bordier 
ou  d'un  l'Estoile  et  si  on  les  compare  à  ceux  de  Benserade, 
on  constate  que  ce  dernier  n'a  rien  inventé,  il  n'a  fait  que 
mettre  son  talent  prestigieux,  son  esprit  étincelant,  au 
service  d'un  genre  poétique  délaissé  jusque-là  et  aban- 


1 .  Recueil  des  Balets  qui  ont  esté  jouez  devant  la  Majesté  du  Roy...  par 
P.  B.  S,  D.  V.  historiographe  du  Roy  (in-S*^),  édit.  par  Lacroix,  II,  5i. 

2.  Voir  en  particulier  la  belle  lettre  de  M'^^  de  Sévigaé  où  elle  s'indigne 
des  attaques  de  Furetière  contre  Benserade  :  «  On  ne  fait  point  entrer  cer- 
tains esprits  durs  dans  la  facilité  des  ballets  de  Benserade  et  des  fables  de 
La  Fontaine  :  cette  porte  leur  est  fermée  et  la  mienne  aussi  :  ils  sont  indignes 
de  jamais  comprendre  ces  sortes  de  beautés,  et  sont  condamnés  au  malheur 
de  les  improuver.  —  C'est  le  sentiment  que  j'aurai  toujours  pour  un  homme 
qui  condamne  le  beau  feu  et  les  vers  de  Benserade  dont  le  Roy  et  toute  la 
Cour  a  fait  ses  délices...  Je  ne  m'en  dédis  pas,  il  n'y  a  qu'à  prier  Dieu  pour 
un  tel  homme  et  qu'à  souhaiter  de  n'avoir  pas  commerce  avec  luy.  »  Ed.  des 
Grands  écrivains,  VII,  5o4. 

3.  Contemporains  de  Molière  y  II,  190. 


208  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

donné  à  des  poètes  de  second  ordre.  Les  vers  pour  les 
acteurs  du  ballet  existaient  un  demi  siècle  avant  Ben- 
serade  et  Ton  s'y  permettait  déjà  des  allusions  à  la 
personnalité  de  ceux  qui  dansaient  sous  le  masque.  La 
phrase  de  Perrault  «  le  coup  pprtoit  sur  le  personnage  et 
le  contre-coup  sur  la  personne,  ce  qui  donnoit  un  double 
plaisir^  en  donnant  à  entendre  deux  choses  à  la  fois,  qui, 
belles  séparément,  devenoient  encore  plus  belles  estant 
jointes  ensembles  »  peut  s'appliquer  aux  vers  de  Bor- 
dier  comme  à  ceux  de  Benserade.  Il  y  a  seulement  entre 
ces  poètes  la  même  différence  de  talent  —  nous  n'osons 
dire  de  génie  —  qu'entre  un  Gambefort  et  un  LuUy. 


II 


Le  soin  de  composer  la  musique  des  entrées  était 
laissé  le  plus  souvent  à  ceux-là  même  qui  en  réglaient 
les  pas  et  en  ordonnaient  les  figures.  Les  artistes  de 
réputation  qui  dirigeaient  la  Musique  de  la  Chambre  du 
Roi  rivalisaient  entre  eux  lorsqu'il  s'agissait  d'écrire 
pour  les  ballets  des  récits  à  une  ou  plusieurs  voix,  mais 
ils  eussent  cru  déchoir  en  se  mêlant  des  danses,  cela 
était  bon  «  pour  Messieurs  les  Violons  ». 

Nous  ignorons  qui  de  Salmon  ou  de  Beaujoyeulx  fut 
l'auteur  des  ballets  de  la  Circé^  en  i58i,  mais  il  est  infi- 
niment probable  que  le  Piémontais  en  avait  lui-même 
inventé  les  airs,  car,  par  la  suite,  la  musique  instrumen- 

I.  Les  Hommes  illustres  qui  ont  paru  en  France  pendant  le  XVIP  siècle. 
La  Haye,  1736,  in-S^,  t.  II,  p.  i83.  —  «  Avant  luy,  dit  Perrault,  les  vers 
d'un  Ballet  ne  parloient  que  des  personnages  que  Ion  y  faisoit  entrer  et 
point  du  tout  des  personnes  qu'ils  représentoient.  »  Nous  avons  vu  au  con- 
traire que  ces  sortes  d'équivoques  étaient  déjà  en  vogue  au  début  du 
xvn°  siècle. 


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LA    POESIE    ET    LA    MUSIQUE  209 

taie  des  ballets  est  presque  toujours  Tœuvre  d'un  violon 
ou  d'un  baladin.  C'est  la  «  Grande  Bande  des  Vingt- 
Quatre  »  qui  fournit  la  plupart  des  compositeurs  de  danse, 
sous  Henri  IV  et  Louis  XÏÏI.  Celui  dont  le  nom  est  cité 
le  plus  fréquemment,  durant  les  premières  années  du 
siècle,  est  le  sieur  Chevalier,  joueur  de  quinte  de  viole, 
qui  écrivit  de  i587  à  1617  environ,  la  musique  d'innom- 
brables ballets  et  boutades  :  Les  enfants  fourrés  de  ma- 
lice^ les  Tirelaines ^  la  Mariée^  les  Garçons  de  taverne^ 
les  Juifs ^  les  Souffleurs  d'alchimie^  le  Roy  Arthur ^  etc.*. 
Après  lui,  Belleville  et  Bocan  luttèrent  d'émulation  et 
se  couvrirent  de  gloire.  Tous  deux  étaient  baladins  de 
métier,  mais  sonnaient  le  violon  en  perfection  ^.  Enfin 
on  ne  saurait  passer  sous  silence  Louis  Constantin 
auquel  échut,  le  12  décembre  1624,  le  sceptre  de  Roi  des 
Violons  et  dont  les  danses  jouirent  d'une  grande  vogue 
en  leur  temps  ^  La  collaboration  entre  les  baladins  et 


1.  Fétis  donne  la  liste  tout  au  long  à  l'article  Chevalier.  Il  devait  la  con- 
naître par  Beffara  qui  avait  parcouru  les  papiers  du  fonds  La  Vallière  aux 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  Nationale. 

2.  Pour  les  contemporains,  Bocan  était  surtout  un  joueur  prodigieux  de 
violon. 

...  Colin  nous  jure 
Qu'il  est  aussi  bien  Apollon 
Que  Boccan  est  bon  violon. 

{Les  œuures  du  sieur  de  Saint-Amant.  Rouen. 
Jean  Boullay,  MDCXLII,  p.  216). 

Dans  l'histoire  comique  de  Francioriy  les  a4  violons  sont  appelés  «  les 
disciples  de  Bocan  »>  {Op.  cit.,  p.  254).  Brienne  dans  ses  mémoires  déclare  : 
«  Boccan  qui  étoit  le  Baptiste  d'alors  et  jouoit  admirablement  du  violon..,  w 
{édit.  Barrière,  1828,  I,  274).  Pourtant  Bocan  professait,  comme  d'ailleurs 
plus  tard  Lully,  un  grand  mépris  pour  les  artistes  qui  composaient  la  Grande 
bande.  Voir  Sauvai.  Antiquités...,  I,  329. 

3.  La  pacifique  de  Constantin  (Philidor,  I,  32)  fut  très  célèbre.  Voir  sur 
Louis  Constantin  :  Ecorchcville.  Vingt  suites  d'orchestre...,  p.  20.  — 
Michel  Brenet.  Les  concerts  en  France,  p.  5i,  57  et  61.  —  MaroUes. 
Mémoires,  1755,  t.  III,  p.  207.  Constantin  mourut  le  aS  octobre  1657,  il  fai- 
sait partie  de  la  Grande  bande,  a  «moins  depuis  1619. 

14 


2IO  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

les  instrumentistes  était  fort  étroite,  il  arrivait  souvent 
qu'un  membre  de  la  Grande  bande  ou  même  quelque 
musicien  de  la  Chambre  harmonisât  un  thème  que  lui 
chantait  un  chorégraphe  peu  versé  dans  la  science  du 
contrepoint.  On  voit  ainsi  souvent  nommer  dans  les 
recueils  l'auteur  de  la  mélodie  et  l'auteur  des  parties^ 
comme  on  disait  alors*. 

Ce  qui  frappe  surtout  lorsqu'on  parcourt  la  musique 
des  ballets  de  cette  époque,  c'est  sa  monotonie  ou,  pour 
ainsi  dire,  son  immobilité.  Il  ne  semble  pas  qu'il  soit  pos- 
sible de  discerner  un  style  particulier  à  Bocan,  à  Cheva- 
lier ou  à  Belleville.  Les  milliers  de  thèmes  que  renferme 
la  collection  Philidor  paraissent  sortis  de  l'imagination 
d'un  même  artiste.  Il  y  en  a  de  gais,  de  mélancoliques, 
de  vifs  et  de  lents,  de  spirituels  et  de  langoureux,  mais 
tous  ont  comme  un  air  de  famille  et  se  ressemblent.  Entre 
1600  et  i65o,  c'est  à  peine  si  l'on  observe  un  léger  chan- 
gement de  manière  dans  les  partitions  des  ballets. 

Il  faut  toutefois  ne  pas  s'abandonner  trop  aveuglé- 
ment à  cette  impression.  Nous  ne  connaissons  pas  les 
œuvres  dans  leur  texte  original  et,  à  moins  que  le 
fameux  recueil  de  Michel  Henry  ne  se  retrouve  quelque 
jour  ^,  il  faut  perdre  l'espoir  de  les  pouvoir  juger  autre- 


I.  Dans  la  relation  du  Ballet  de  Tancrède  par  De  Gramont,  on  lit  que  «  les 
airs  des  violons  et  les  pas  merveilleusement  bien  concertez  »  avaient  été  donnés 
par  «  M.  de  Belleville...  »  Puis  dans  le  livret  de  Psyché,  dansé  quelques  jours 
plus  tard,  on  voit  que  ce  ballet  réussit  «  très  heureusement  parle  soinget  la 
diligence  de  ceux  qui  s'estoient  employez  au  Ballet  du  Roy,  soit  pour 
l'ordre,  les  pas,  la  musique  et  les  airs  des  violons  dont  M .  de  la  Barre,  très 
excellent  organiste,  avoit  composé  les  parties,  comme  encore  celles  du  Ballet 
du  Roy.  »  Il  semble  qu'il  faille  interpréter  ainsi  cette  contradiction  apparente 
entre  les  deux  relations  de  Gramont  :  Belleville  avait  inventé  les  airs  et  le 
docte  La  Barre  les  avait  harmonisés.  Sur  La  Barre,  voir  Michel  Brenet.  Con- 
certs en  France. 

'1.  Ce  recueil  d'airs  (qui  semble  bien  avoir  été  l'original  d'après  lequel 


LA    POESIE    ET    LA    MUSIQUE  2  11 

ment  que  par  la  version  de  Philidor  et  les  arrangements 
pour  luth.  Ces  derniers  sont  malheureusement  en  fort 
petit  nombre  et  il  n'est  pas  souvent  possible  de  les  iden- 
tifier. Ils  suffisent  néanmoins  à  nous  rendre  sensible 
l'infidélité  des  copies  du  Conservateur  de  la  Bibliothèque 
du  Roi.  Que  l'on  compare  l'entrée  du  Ballet  des  paysans 
changés  en  grenouilles^  telle  que  nous  la  donne  Ballard 
dans  sa  tablature*,  avec  la  transcription  de  Philidor^,  et 
l'on  sera  surpris  de  la  manière  dont  celui-ci  a  alourdi  et 
défiguré  ce  morceau  ^  On  doit  donc  considérer  la  collec- 
tion Philidor  plutôt  comme  un  précieux  répertoire  théma- 
tique que  comme  un  recueil  d'airs  copiés  avec  exactitude. 


Version  Ballard. 


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Philidor  a  établi  le  texte  de  sa  collection)  était  au  commencement  du 
xviii*'  siècle  «  entre  les  mains  de  M.  du  Rondray  ;  il  a  été  vendu  au  mois 
d'avril  lySS,  il  est  à  présent  à  M...  »  écrit  Beauchamps  dans  son  Essai  sur 
l'histoire  du  théâtre.  Ballets,  Mascarades,  p.  i8  de  l'édition  in-4'>  (i735).  Il 
semble  que  l'acquéreur  ait  été  le  duc  de  La  Vallièrc  qui  cite  souvent  cette 
partition  dans  son  livre  :  Opéra,  ballets  et  autres  ouvrages  lyriques.  Il  en 
parle  également  en  un  endroit  de  ses  manuscrits.  Voir  Ms.  fr.  a5.465,  p.  ao. 

1 .  Bibliothèque  Mazarine.  Réserve  B .  4761 .  Nous  espérons  pouvoir  publier 
un  jour  cette  intéressante  tablature  que  nous  avons  entièrement  transcrite. 

2.  ï.  II,  p.  61. 

3.  La  comparaison  entre  les  deux  versions  de  Ballard  et  de  Philidor  du 
ballet  des  Amoureux  contrefaits  n'est  pas  moins  à  l'avantage  du  luthiste. 


212  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

Version  Philidor. 


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Les  origines  du  ballet^  considéré  comme  danse,  sans 
caractère  de] représentation  dramatique,  remontent  fort 
haut.  Dès  le  xv''  siècle,  des  danses  figurées  se  rencontrent 
en  Italie  sous  le  nom  de  brandi  et  sont  caractérisées, 
comme  les  futurs  ballets^  par  la  succession  et  la  liaison 
de  divers  segments,  de  mesure  et  de  mouvements  diffé- 
rents*. 

((  Les  balets,  écrit  Mersenne,  ne  sont  autre  chose 
qu'un  meslange  de  toutes  sortes  d'airs,  de  mouvemens  et 
de  pieds  à  discrétion,  et  selon  que  la  science  conduit 
Tesprit  de  Fauteur  de  ces  dances-.  » 

Le  musicien  n'a  pas,  en  effet,  à  se  préoccuper  pour  les 
ballets,  comme  pour  les  danses  ordinaires,  d'assujettir 
la  mélodie  à  des  formules  rythmiques  invariables  et 
déterminées.  Suivant  les  figures  et  les  pas  qu'il  imagine, 
il  varie  à  l'infini  les  combinaisons  :  il  fait  alterner  les 
mesures  binaires  et  ternaires,  presse  ou  ralentit  les 
mouvements,  change  de  ton  au  besoin.  La  musique  d'un 
ballet  prend  ainsi  l'aspect  d'un  mélange  —  comme  dit 
Mersenne  —  de  plusieurs  morceaux  dont  chacun  corres- 


1.  Cf.  Cesare  Negri.  Le  Gratie  d'amore  (1602).  Caroso.  IlBallerino  {i58i). 

2.  Mersenne.  Harmonie  uni\>erselle .  Des  chants^  T.  II,  p*  170. 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  2l3 

pond  à  une  phase  de  Texécution  chorégraphique.  Ces 
divers  fragments,  soudés  les  uns  aux  autres,  gardent 
pourtant  une  indépendance  relative.  On  joue  les  uns  une 
seule  fois,  les  autres  deux,  trois  fois  ou  davantage,  selon 
les  besoins  de  la  réalisation  plastique.  Mersenne  qui 
donne,  dans  son  Harmonie  Universelle^  un  intéressant 
exemple  de  ballet  «  composé  de  seize  mouvemens  » 
explique  que  ceux-ci  «  sont  exprimez  par  les  nombres 
qui  suivent  chaque  clef,  car  2  signifie  que  le  mouvement 
est  deux  fois  plus  viste  que  le  précédent,  et  3,  4?  etc., 
qu'il  est  trois,  quatre  fois  plus  vite...  »  Voici  les  pre- 
mières mesures  de  ce  ballet  *  : 


y^^'^\"  iJJiJjrf]^mfffiTfrrnfr^fe^rif-r^N:.. 


Dans  la  Circé^  le  Grand  Ballet  comportait  une  petite 
entrée  à  4  temps  à  laquelle  succédait  la  Grand' Entrée 
composée  de  sept  mouvements  différents.  Les  Grands 
ballets  de  la  collection  Philidor  sont  en  général  moins 
développés,  car  ils  servent,  pour  la  plupart,  de  conclu- 
sion à  des  boutades  ou  ballets-mascarades  de  peu  d'im- 
portance. On  en  trouve  quelques-uns  qui  se  déroulent 
sur  un  rythme  invariable,  mais  c'est  l'exception  et  d'or- 
dinaire les  divers  tronçons  qui  constituent  le  Grand 
ballet  obéissent  à  des  mesures  différentes. 

Les  airs  des  entrées  se  divisent  souvent  en  deux  par- 
ties, la  première,  de  mesure  binaire,  scande  la  marche  des 
figurants,  la  seconde,  à  2,  3  ou  4  temps,  accompagne 
leurs  évolutions  cadencées.  On  est  frappé,  en  parcourant 
la  collection  Philidor,  de  la  brièveté  des  entrées  qui  y 
sont   notées,  mais   il   ne  faut   pas   oublier  qu'elles    n'y 

I.  Des  chants,  T.  II,  p.  178. 


2l4  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

sont  presque  jamais  transcrites  sans  coupures  ^  et  que 
chaque  reprise  était  sonnée  un  grand  nombre  de  fois. 
C'était  l'habitude,  pour  rendre  cette  répétition  moins 
choquante,  de  varier  le  thème  et  de  Torner  de  diminu- 
tions %  ce  qui  ne  laissait  pas  d'embarrasser  parfois 
les  danseurs.  C'est  contre  cet  usage  que  s'élève  l'abbé 
de  Pure  ^  :  «  celui  qui  a  la  direction  du  ballet  doit 
prendre  un  soin  exact  de  faire  jouer,  note  pour  note, 
l'air  du  ballet  sans  permettre  ni  redouble,  ni  batterie 
qu'alors  qu'on  ne  danse  point  ;  car  aussitôt  que  l'en- 
trée est  commencée,  la  gloire  du  violon  n'est  plus  qu'à 
jouer  juste  de  mesure  et  de  mouvement  sans  vouloir 
affecter  n'y  passage,  n'y  diminution...  Il  y  en  a  toutefois 
d'incorrigibles  et  qui,  éblouis  de  la  vitesse  de  leurs 
doigts,  ne  regardent  plus  aux  pieds  du  danseur  ni  au 
ballet  ».  Remarquons,  à  ce  propos,  qu'on  a  eu  tort  de 
croire  sur  parole  l'abbé  Dubos,  lorsqu'il  écrivait,  en  17 19  : 
((  Il  y  a  quatre-vingts  ans  que  le  mouvement  de  tous  les 
airs  de  ballet  étoit  un  mouvement  lent  et  leur  chant 
marchoit  posément,  même  dans  sa  plus  grande  gaieté*  »  ; 
Les  contemporains  de  Louis  XIII  étaient  d'un  tout  autre 
avis  :  à  les  en  croire,  les  violons  français  exécutaient 
leurs  airs  de  ballet  avec  une  vivacité  extrême.  Les  étran- 
gers, assure  l'abbé  de  Pure,  «  sont  étourdis  de  la  pres- 

1.  On  peut  se  faire  une  idée  de  la  manière  dont  un  thème  d'entrée  était 
développé  en  lisant  la  partition  du  Ballo  dell Ingrate  de  Monteverde  où  un 
seul  motif  mélodique  est  longuement  varié  et  développé  durant  toute  la  durée 
de  la  représentation.  Voir  Torchi.  Varie  musicale  in  Italia,  t.  VII. 

2.  C'est  Lully  qui  réagira  contre  cet  usage.  Voir  Bauderon  de  Senecé. 
Lettre  de  Clément  Marot  à  M.  de  ***  touchant  ce  qui  s'est  passé  à  l'arrivée 
de  J.  B.  de  Lulli  aux  Champs-Elysées.  A  Cologne,  chez  Pierre  Marteau, 
MDCLXXXVII,  p.  a5  et  26. 

3.  Idée  des  spectacles  anciens  et  modernes ^  p.  ayS. 

4.  Réflexions  critiques  sur  la  poésie  et  sur  la  peinture^  4®  édit.,  Paris, 
1740  (in-8°),  t.  III,  p.  168. 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  2l5 

tesse  de  nos  violons  et  de  ces  chants  et  de  ces  tirades 
de  Farchet  à  chaque  demy-mesure  ou  à  chaque  note 
blanche  »  \  Enlin,  dès  i635,  Mersenne  proclamait  :  «On 
expérimente  que  les  airs  des  balets  et  des  violons 
excitent  davantage  à  raison  de  leur  gayeté  qui  vient  de 
la  promptitude  de  leurs  mouvemens^  » 

Nous  avons  vu,  en  parlant  de  la  danse,  que  les  entrées 
comprenaient  des  scènes  de  pantomime  cadencée  et  des 
évolutions  figurées.  La  musique  reflète  ces  divers  carac- 
tères. Les  airs  qui  accompagnent  les  entrées  à  figures 
géométriques  ne  sont  pas,  en  général,  fort  expressifs  ; 
les  mouvements  changent  suivant  les  nécessités  de  la 
danse,  mais  on  ne  devine  pas,  à  lire  la  partition,  les  gestes 
et  les  pas  des  baladins.  Les  rythmes  saccadés  en  notes 
pointées  sont  d'un  usage  continuel  et  Ton  ne  peut  rien 
imaginer  de  plus  fastidieux  que  les  successions  ininter- 
rompues de  motifs  de  ce  genre. 


pTnj-^'rf^'îrtira'^. 


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En  revanche,  les  scènes  de  pantomime  et  certains  pas 
de  caractère  présentent  un  vif  intérêt  au  point  de  vue  de 
la  musique  descriptive.  Voici,  par  exemple,  «  l'air  mélan- 
colique »  qui  accompagnait  les  gestes  mystérieux  du 
magicien   Ismène  procédant  à   ses  incantations*.   Cette 


I,  Idée  des  spectacles,  p.  264. 

1.  Harmonie  universelle .  Des  chants,  T.  II,  p.  172. 

3.  Ballet  de  la  Chienne  (1604).  Philidor,  II,  26. 

4.  Ballet  des  Trois  Ages  (1608).  Philidor,  II,  74. 

5.  Philidor  a  noté  par  erreur  deux  fois  la  plupart  des  airs  du  Ballet  de 
VAvanture  de  Tancrède  ;  dans  le  t.  II  avec  le  titre  :   Ballet  du  Roy   dansé 


i6 


LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 


musique  est  infiniment  suggestive  et  nous  n'avons  pas 
besoin  du  livret  pour  savoir  qu'à  la  fin  Ismène  frappait 
du  pied  la  terre  par  trois  fois. 


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Le  caractère  expressif  d'un  grand  nombre  d'entrées 
nous  échappe,  faute  de  savoir  exactement  quels  étaient 
les  gestes  des  danseurs.  Néanmoins  on  se  rend  bien 
compte  de  l'intérêt  burlesque  de  certaines  entrées  d'avo- 
cats, de  notaires,  de  procureurs,  de  juges  et  autres 
personnages  austères.  Les  contrastes,  les  alternances  de 
mouvements  graves  et  vifs  donnent  à  penser  que  les  figu- 
rants s'avançaient  avec  une  majesté  affectée,  puis  brus- 
quement se  livraient  à  quelques  entrechats  joyeux  avec 
leurs  robes,  leurs  perruques  et  leurs  grands  chapeaux, 
avant  de  reprendre  leur  maintien  ordinaire. 


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Les  motifs  accompagnant  l'entrée  de  personnages 
semblables  en  des  ballets  fort  différents  présentent  sou- 
vent des   caractères   communs.   Ainsi   les    combattants. 


Van  1619  (p.  iSî).  Dans  le  t.  III  avec  le  titre  :  Ballet  du  Grand  Magicien 
(p.  10),  Cette  seconde  version  est  plus  complète  que  la  première. 

I.  Ballet  du  Roy.  Philidor,  III,  45.  Les  Avocats. 

a.  Ballet  de  Pierre  de  Provence.  Philidor,  III,  'ji.  Un  Advocat  et  deux 
Notaires. 


LA    POESIE    ET    LA    MUSIQUE 


217 


sérieux  ou  burlesques,   sont  invariablement  salués  par 


des  motifs  d'allure  guerrière, 


Joueurs  d'espadons 


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Combat  de  piques 


Combat,  de  rondaches 


Entrée  de  Bellone 


Les  paysans  sont  caractérisés  par  des  thèmes  pesants 
et  qui  semblent  parfois  empruntés  à  des  chants  popu- 
laires de  provinces^Iointaines. 


>Hrrrirrrirrrr---irTirrrir  r 


Ne  serait-ce  pas  un  air  flamand  authentique  qui  accom- 
pagne ï  entrée  du  Marchand  flamand  en  ce  même  ballet? 


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Au  reste,  il  est  évident  que  les  compositeurs  puisaient 
largement  dans  le  fonds   de  la  musique   populaire.  Le 

1.  Ballet  du  Prince  de  Condé  (1626).  Philidor,  II,  iSg 

2.  Ballet  du  Mariage  de  Pierre  de  Provence.  Philidor,  III,  6a. 

3.  Ihid. 

4.  Ballet  de  la  Prospérité  des  Armes  de  France.  Philidor,  II,  i55. 

5.  Ballet  du  Prince  de  Condé  (i6ao).  Philidor,  III,  io3. 


2^18 


LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 


thème  de  Ventrée  de  la  crieuse  cC allumettes  reproduit  le 
cri  de  la  marchande  : 


É 


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Il  est  probable  que  les  musiciens  recherchaient  des 
effets  de  couleur  locale  en  écrivant  des  entrées  de  Turcs, 
de  Maures,  de  Nègres  ou  d'Egyptiens,  mais  ces  essais, 
fort  timides,  nous  échappent  presque  toujours.  Voici 
pourtant  une  entrée  de  Polacres  dont  le  rythme  obstiné 
trahit  une  préoccupation  d'exotisme  2  : 


fvr^  \\^^\^^mr^tm^ 


L'imitation  des  bruits  naturels  :  cris  d'animaux,  siffle- 
ment du  vent  etc.,  s'observe  aussi  bien  dans  la  musique 
des  ballets  de  Cour  que  dans  les  madrigaux  de  Clément 
Jannequin  ou  les  symphonies  de  Lully.  Des  personnages 
costumés  e^^  coqs  paraissent  sur  la  scène,  aussitôt  l'or- 
chestre fait  entendre  une  sorte  de  cocorico  : 


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rr  irrrcfif 


Les  exemples  de  ce  genre  sont  rares  et  la  description 
demeure  généralement  plastique.  La  musique  peint,  par 
exemple,  la  démarche  pesante  et  incertaine  des  Titans 
qui  tentent  d'escalader  le  ciel. 


4Hi,jj.;jUa4-::rrmffrT 


1.  Ballet  de  Pierre  du  Puis,  II,  170. 

2.  Ballet  de  VImproviste,  i636.  Philidor,  t.  III,  p.  48. 

3.  Ballet  des  Coqs.  Philidor,  II,  19. 

4.  Ballet  du  Dérèglement  des  passions.  Collect.  Philidor,  IV,  6. 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  219 

Les  Furies  dansent  au  son  d'un  air  dont  les  croches 
montent,  descendent  et  tourbillonnent  avec  impétuosité. 


a^ 


a'-f^^tfftff'^^^ 


^bv''\rr^fr'W^^^^ 


Lully  se  servira  de  motifs  semblables  dans  ses  opéras 
lorsqu'il  voudra  exprimer,  par  des  symphonies,  les  pas- 
sions déchaînées  de  l'âme  :  rage,  jalousie,  fureur...  Ainsi 
les  thèmes,  qui,  à  Torigine,  ne  faisaient  que  guider  les 
pas  et  les  évolutions  des  danseurs,  prendront,  en  quelque 
sorte,  une  valeur  sentimentale.  La  musique  instrumen- 
tale de  l'opéra  français  est  redcA^able  au  ballet  de  Cour 
de  la  plupart  de  ses  formules  mélodiques  et  rythmiques  ; 
c'est  d'ailleurs  en  écrivant  et  en  ordonnant  lui-même 
d'innombrables  entrées  de  ballet  que  Lully  s'assimila  le 
goût  français.  ,^ 

Les  historiens  du  théâtre  et  de  la  musique  confondent 
trop  souvent  la  danse  dramatique,  pratiquée  dans  les 
ballets,  et  la  danse  du  bal.  Gomme  le  note  l'abbé  de  Pure, 
le  pas  de  ballet  est,  avant  tout,  une  mimique  ;  il  «  com- 
prend tout  ce  qu'un  corps  bien  adroit  et  bien  instruit 
peut  avoir  de  gestes  ou  d'actions  pour  exprimer  quelque 
chose  sans  paroles"'  ».  On  rencontre  pourtant  des  danses 
ordinaires  dans  les  partitions  de  ballets.  Elles  sont  de 
plusieurs  sortes.  Les  unes  tirent  leur  raison  d'être  du 
sujet  lui-même  :  ainsi  une  mariée  de  village  danse  un 
branle  avec  les  gens  de  la  noce  ou  bien  les  courtisans 

1.  Prospérité  des  Armes  de  France^  t.  III,  p,  io5. 

2.  Dérèglement  des  passions,  IV,  41  • 

3.  Idée  des  spectacles,  p.  249. 


2.'lO  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

de  la  belle  Maguelonne  se  livrent  à  une  pavane  com- 
passée et  ridicule*.  Les  autres  sont  des  danses  d'une 
si  grande  difficulté  qu'elles  ne  peuvent  être  exécutées 
que  par  des  professionnels;  ainsi  les  Canaries,  la  Passe- 
mèze,  ^Allemande^ ^Encore  faut-il  bien  se  garder  de 
croire  que  ces  danses  étaient  exécutées  à  la  scène 
comme  on  les  trouve  décrites  dans  les  traités  du  temps. 
Le  chorégraphe,  tout  en  conservant  le  pas  caractéristique 
de  chacune  d'elles,  variait  à  l'infini  les  figures,  comme 
font  encore  aujourd'hui  les  maîtres  de  ballets  lorsqu'ils 
ont  à  régler  les  évolutions  d'une  troupe  de  danseurs  sur 
un  mouvement  de  mazurka  ou  de  valse.  Il  en  était  de 
même  pour  les  autres  danses  dont  les  noms  paraissent 
parfois  dans  les  ballets  :  branles,  voltes,  gaillardes  ou 
courantes.  Ce  sont  là  surtout  des  indications  de  mouve- 
ment. Mersenne,  après  avoir  pédantesquement  exposé  la 
théorie  du  ballet  mesuré^  en  honneur  à  l'Académie  de 
Baïf,  et  expliqué  que  tous  les  rythmes  musicaux  peuvent 
être  exprimés  au  moyen  des  mètres  poétiques  de  l'anti- 
quité, donne  la  liste  des  principaux  mouvements  simples 
et  composés,  usités  dans  les  danses  :  Pyrrique,  lambique, 
Trochaique,  Spondaique,  Tibraque,  Dactylion,  Preceleu- 
matique,  Choriambique,  etc.,  etc.  a  Si,  ajoute-t-il,  nos 
compositeurs  ont  l'oreille  si  délicate  qu'ils  craignent  que 
ces  vocables  ne  la  blessent,  ils  peuvent  user  de  tous  noms 
qu'il  leur  plaira,  par  exemple  de  ceux  qu'ils  donnent  à  leurs 
airs  dont  ils  disent  que  ceux-ci  ont  le  mouvement  de  la 
Courante,  ceux-là  de  la  Sarabande  et  ainsi  des  autres  »  ^ 
Il  nous  resterait  à  dire  quelques  mots  de  la  technique 

I.  Ballet  de  Pierre  de  Provence  (i638).  Philidor,  III,  6a. 
1.  Mersenne.  Des  chants,  L.  II,  p.  164  et  i65. 
3.  Livre  II  Des  chants,  p.  178. 


LA    POESIE    ET    LA    MUSIQUE  îàièl 

musicale  des  ballets  :  malheureusement  cela  nous  est  à 
peu  près  impossible.  Jusqu'en  1648,  la  collection  Philidor 
ne  nous  donne  que  les  seules  parties  de  dessus  et  de 
basse.  On  ne  peut  se  fier  aux  tablatures  de  luth,  car 
les  transcripteurs  bouleversent  la  polyphonie  originale 
pour  l'adapter  aux  ressources  de  l'instrument.  Nous 
devons  donc  nous  faire  une  idée  de  la  construction  har- 
monique des  ballets  d'après  un  petit  nombre  d'entrées, 
de  date  relativement  tardive  (i648-i653),  dont  Philidor 
nous  a  conservé  les  cinq  parties.  Encore  suffit-il  d'y 
jeter  les  yeux  pour  douter  de  la  fidélité  du  copiste.  On 
ne  peut,  en  effet,  rien  imaginer  de  plus  plat,  de  plus  insi- 
gnifiant que  l'harmonie  de  ces  entrées.  La  mélodie  se 
détache  à  la  partie  supérieure,  supportée  par  les  accords 
massifs  des  autres  instruments. 


Si  Ton  songe  à  la  polyphonie,  barbare  mais  curieuse, 
des  pièces  instrumentales  françaises  de  la  même  époque 
et  de  la  même  école,  conservées  à  la  Landes-Bibliothek 
de  Gassel-,  on  ne  peut  manquer  de  se  demander  si  Phili- 
dor n'a  pas  maladroitement  simplifié  le  style  harmonique 
de  ces  œuvres  dont  personne  ne  pouvait  déjà  plus  goûter 
le  charme  à  l'époque  où  il  s'employait  à  les  recueillir  ». 


1.  Ballet  du  Dérèglement  des  passions  (1648),  p.  8. 

2.  Voir  Ecorcheville.  Vingt  suites  d'orchestre  du  XVII'^  siècle  français. 

3.  La  collection  dite  de  Philidor  a  été  formée,  entre  1680  et  1700  environ, 


LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANGE 


En  dehors  des  danses,  les  ballets  comprenaient  par- 
fois des  pièces  instrumentales  qui  servaient  d'intermèdes. 
De  ce  nombre  étaient  les  entrées  de  luth  que  venaient 
exécuter  un  grand  nombre  de  musiciens,  jouant  tous 
ensemble,  à  la  façon  des  modernes  troupes  de  guitaristes 
et  mandolinistes  espagnols.  Contrairement  à  Pidée  qu'on 
pourrait  s'en  faire,  ces  œuvres  n'étaient  ni  brillantes,  ni 
entraînantes,  mais  tristes  et  élégiaques.  On  en  pourra 
juger  par  l'exemple  que  nous  prenons,  un  peu  au  hasard, 
dans  la  tablature  de  Robert  Ballard  ^ 

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par  les  soins  de  Philidor  l'aîné  et  de  son  collègue  Fossard,  dont  il  a  jalouse- 
ment gratté  le  nom  sur  la  plupart  des  partitions. 
I.  Première  entrée  de  luth,  p.  i. 


LA    POESIE    ET    LA    MUSIQUE 


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Quelle  singulière  impression  devait  produire  sur  l'es- 
prit des  auditeurs  l'exécution  de  ces  airs  alanguis,  aux 
rythmes  paresseux,  aux  inflexions  mourantes,  après  les 
danses  joyeuses  sonnées  par  les  violons?  De  tels  con- 
trastes n'étaient  point  pour  déplaire  aux  contemporains 
de  Saint-Amand\  La  sombre  harmonie  d'une  entrée  de 
luth  émouvait  leur  cœur,  elle  faisait  naître  en  eux  une 
voluptueuse  rnélancolie  et  les  préparait  à  jouir  du  spec- 
tacle magnifique  des  princes  vêtus  d'or  et  de  soie,  dan- 
sant le  Grand  ballet  avec  majesté. 

Les  entrées  de  luth  présentent  pour  la  plupart  un  aspect 


I.  Rappelons  les  beaux  vers  de  Saint-Amatid    qui    expriment    si   bien  le 
caractère  élégiaque  et  sensuel  de  la  musique  du  luth  : 

«  Mes  doigts  suivans  l'humeur  de  mon  triste  génie, 

Font  languir  les  accens,  et  plaindre  l'harmonie. 

Mille  tons  délicats,  lamentables  et  clairs. 

S'en  vont  à  longs  soupirs  se  perdre  dans  les  airs. 

Et  tremblans  au  sortir  de  la  corde  animée 

Qui  s'est  dessous  ma  main  au  deuil  accoustumée  : 

Il  semble  quà  leur  mort,  d'une  voix  de  douleur, 

Ils  chantent  en  pleurant  ma  vie  et  mon  malheur.  » 


Les  Visions.  Les  Œuvres  du  sieur  de  Saint-Amand.   Rouen,    MDCXLIII 
(in-8^),p.  93. 


11  f\ 


LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 


nettement  polyphonique.  On  peut  suivre  assez  exacte- 
ment la  marche  des  diverses  voix. 


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Ig^^.Quelques-unes  pourtant  offrent  des  successions  d'ac- 
cords battus  qui  rappellent  le  style  propre  à  la  guitare. 


Les  entrées  de  luth  n'étaient  pas  l'œuvre  des  instru- 
mentistes qui  composaient  les  danses,  mais  des  luthistes 
et  musiciens  de  la  Chambre  du  Roi.  Il  est  probable  qu'une 
partie  de  celles  du  rarissime  recueil  imprimé  de  la  Biblio- 
thèque Mazarine^  sont  de  la  façon  de  Robert  Ballard, 
«  Maistre  joueur  de  luth  de  la  reine  »  Marie  de  Médicis,  mais 
nous  sommes  réduits  sur  ce  point  à  des  conjectures  ^ 

I.  i?eserve,  4-76i.  B.  Sur  ce  recueil,  v.  Michel  Brenet.  Notes  sur  Vhistoire 
du  luth  en  France^  p.  45. 

i.  Il  est,  en  effet,  possible  que  Ballard  ait  fait  seulement  œuvre  de  trans- 
cripteur. 

Nos  recherches  personnelles  nous  ont  permis  d'identifier  le  mystérieux 
auteur  du  recueil  de  la  Mazarind  qtii  A  signé  la  dédicace  à  Marie  de  Médicis, 
en  i6ii,  R.  Ballard,  avec  le  luthiste  Robert  Ballard  au  service  de  cette  Reine, 
en  i6io,  comme  en  fait  foi  u  l'état  de  mutation  des  officiers  de  la  Maison  de 
la  Reyne  Mère  en  Testât  de  la  musique  de  Sa  Majesté  »  :  «  Robert  Ballard 
joueur  de  luth  aux  gages  et  entretenement  de  XII  cens  livres  tournois,  les- 
quels Sa  Majesté  a  voulu  estre  ostez  de  Testât  afin  de  luy  en  faire  délivrer 
ses  ordonnemens  selon  le  service  qu'il  y  rendra...  XII  c.  1.  t.  »  (Bibl.  Nat. 
Cinq  cents  Colbert  94,  p.  194?  ^^)-  Robert  Ballard  avait  dû  entrer  au  service 
de  la  Reine  à  la  suite  de  la  publication  de  sa  tablature,  en  161 1,  comme 
semble  l'indiquer  le  mandement  suivant  :  «  Trésorier   général...   Nous  vou- 


s-    a 


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LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  aaS 

Les  seules  symphonies  dont  on  trouve  trace  dans  les 
ballets  avant  l'avènement  de  Lully  sont  les  ouvertures. 
On  se  souvient  que  déjà,  en  i58i,  la  représentation  de  la 
Circé  avait  commencé  par  une  «  note  de  haut-bois,  cor- 
nets, sacquebouttes  et  autres  doux  instrumens  de 
musique  »  sonnés  derrière  le  théâtre.  Depuis,  cette  mode 
avait  été  abandonnée  ;  c'est  un  chœur  qui  se  fait  entendre 
avant  le  lever  du  rideau,  au  ballet  de  Renaud^  en  1617.  A 
partir  de  i64o,  les  ouvertures  reparaissent  régulièrement 
en  tète  des  grands  ballets.  Vers  cette  époque,  ces  pièces 
se  composent  de  deux  parties  de  mesure  binaire  et  de 
rythme  saccadé  s'unissant  sur  la  dominante.  En  i656, 
Lully  aura  l'idée  de  remplacer  la  seconde  partie,  notée  en 
harmonies  compactes,  par  un  fugato  léger  qui  contras- 
tera heureusement  avec  l'allure  majestueuse  du  premier 
mouvement.  C'est  de  cette  ingénieuse  pensée  que  naîtra 
la  forme  de  V ouverture  française^  pratiquée  par  les  plus 
grands  musiciens  de  l'Europe  durant  plus  d'un  siècle  \ 


III 

«  Le  récit  est  un  ornement  étranger  au  ballet  mais  que 
la  mode  a  naturalisé  et  qu'elle  a  rendu  comme  néces- 

lons  et  nous  mandons  que  des  deniers  de  votre  charge  de  la  présente  année, 
vous  payez  et  délivriez  comptant  à  Robert  Ballart  M°  joueur  de  luth  que 
nous  avons  retenu  près  de  nous  pour  nostre  plaisir  et  service,  la  somme  de 
six  cents  livres  de  laquelle  nous  luy  avons  faict  don  tant  en  considération  de 
ses  services  que  pour  luy  donner  moyen  de  s'entretenir  près  de  nous  et  à 
nostre  suitte  durant  les  quartiers  de  janvier  à  avril  de  la  présente  année.  Et 
rapportant  par  nous  la  présente  avec  quittence  dud.  Balart  sur  ce  suffisante, 
ladicte  somme  sera  passée,  etc.,  faict  à  Paris  le  XIP  jour  d'Avril  1612  {Mss. 
cinq  cents  Colhert  93  f^  96.  V°.  Le  compte  de  juillet-octobre,  en  date  du 
aa  octobre  1612,  donne  la  même  somme  à  Pierre  Ballart  [ibid.  (°  iio.  V*^). 
Ce  doit  être  une  simple  erreur  du  scribe, 

I.  Voir  Henry  Prunières,  Notes  sur  les  origines  de  Vomerture  française. 
Bulletin  trimestriel  de  VI.  M.  G.  XIP  année,  4®  numéro. 

i5 


2^6  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

saire  »  K  Cette  assertion  de  Tabbé  de  Pure  est  inexacte.  La 
musique  vocale  ne  fut  jamais  un  élément  étranger  au 
ballet  dramatique  ;  sans  elle,  il  n'eût  pas  existé.  En  fait, 
les  entrées,  les  danses  figurées,  les  vers  imprimés  et  les 
récits  chantés  forment  un  bloc  dont  on  ne  saurait  déta- 
cher la  moindre  parcelle  sans  anéantir  le  tout.  L'abbé  de 
Pure  lui-même  l'a  d'ailleurs  fort  bien  dit  dans  un  autre 
passage  de  son  Idée  des  spectacles,  où  il  critique  «  la 
défectuosité  de  ces  ballets  où  Ton  ne  conçoit  rien  que  par 
les  récits  qu'on  y  chante,  que  par  les  livres  qu'on  y  dis- 
tribue et  que  par  les  vers  qu'on  y  insère  pour  en  débrouiller 
le  sujet  et  pour  en  faire  voir  l'idée,  lie  tissu  et  la  liaison 
de  l'un  et  de  l'autre  ))^ 

€'est  la  musique  vocale  qui  donne  à  chaque  ballet  soîi 
caractère  particulier,  c'est  d'après  le  rôle  qu'elle  assume 
dans  le  spectacle  qu'il  est  possible  de  le  rattacher  à  tel  ôti 
tel  genre  déterminé.  Alors  qti'aucun  violon,  aucun  bala- 
din ne  paraît  avoir  exercé  une  influence  réelle  sur  l'évo- 
lution du  ballet  de  Cour,  il  semble  bien  que  des  tempéra- 
ments artistiques  aussi  originaux  que  ceux  de  Guédron 
et  d'Antoine  Boesset  n'ont  pas  laissé  de  marquer  de  leur 
empreinte  les  œuvres  auxquelles  ils  ont  eu  part.  En  dehors 
de  ces  deux  grands  musiciens,  nous  ne  trouvons,  au  début 
du  xvii"*  siècle,  parmi  les  auteurs  de  ballets,  que  des  com- 
parses. Jacques  Mauduit  paraît  se  désintéresser  quelque 
peu  de  musique  profane;  du  moins,  dans  les  recueils,  ne 
trouve-t-on  aucun  récit  qui  lui  puisse  être  attribué  ^  Ce 
sont  souvent  des  joueurs  d'instruments,  comme  Gheva- 

1.  Idée  des  spectacles  anciens  et  modernes ^  p.  267. 

2.  Ihid.,  p.  210. 

3.  Jacques  Mauduit  mourut  le  21  août  1627.  Voir  Michel  Brenet.  Musi- 
ciens de  la  Vieille  France,  p.  2^6. 


Ï.A    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  aa^ 

lier,  qui  écrivent  ies  airs,  à  une  et  plusieurs  voix,  chantés 
dans  les  ballets  \  A  partir  de  ï6io  environ,  pareil  fait  ne 
se  produira  plus  à  la  Cour  et,  jusqu'à  i'avènement  de 
Lully,  les  compositeurs  demeureront  étroitement  spécia- 
lisés dans  le  vocal  ou  dans  l'instrumental.  Un  des  plus 
illustres  musiciens  dont  on  rencontre  des  l:^écits  dans  les 
premières  années  <lu  siècle,  est  Vincent,  artiste  de  valeur, 
attaché  aoi  servioe  du  duc  d'Angio^ulème,  «  i'nn  des  pltrs 
fameux  et  affamez  maistres  de  Paris  »  assure  Gantez'';  il 
était  fort  recherché,  aussi  bien  comme  luthiste  que  comme 
maître  de  musique,  et  donnait  des  leçons  de  chant  et  de 
composition^.  Les  noanbreux mo-rceaux  de  sa  façon,  à  une 
ou  plusieurs  parties,  que^ious  «Oint  con&ervés  ies  recueils 
imprimés  chez  Ballard*,  noius  révèlent  plutôt  wel  habile 
homme  connaissant  parfaitement  les  ressources  de  son 
art  et  écrivant  avec  élégance  et  facilité,  qu'un  artiste 
de  grande  envergure.  Au  reste,  nombreux  sont  les  bons 
musiciens  qui  travaillent  aux  ballets  du  Roi  :  Vincent, 
Gabriel  Bataille,  Henry  Bailly,  un  peu  plus  tard  Auger, 
Ooffin,  Boyer,  Est.  Moulinié%  Cambefort*'  sont  des  oom- 

1 .  On  lit  sur  le  livret  du  Ballet  de  la  Reyiie  représentant  la  Beauté  et  ses 
Nymphes  (1609)  l'indication  suivante  :  «  les  parties  sont  de  Monsieur  Cheva- 
lier ».  B.  Nat.  Yf.,  1829,  40. 

2.  Entretien  des  Musiciens,  édit.  Thoinan  119  et  120. 

3.  Voir  Michel  Brenet.  Concerts  en  France,  ,p.  58. 

4.  Voir  en  particulier  les  récits  du  Ballet  des  trois  âges  (dans  Bataille, 
F°  livre  en  tablature  de  luth,  p.  26-28)  et  le  chœur  composé  sur  des  vers  de 
Malherbe  :  Donc  auprès  un  si  long  séjour  (dans  les  Airs  à  4  de  différents 
Autheurs).  Pierre  Ballard  i6i3  (Bibl.  Roy.  de  Bruxelles,  fonds  Fétis  2318 
p.  34). 

5.  Moulinié  est,  à  partir  de  i635  environ,  l'auteur  d'un  très  grand  nombre 
de  récits,  en  particulier  de  ceux  du  Mariage  de  Pierre  de  Provence  et 
de  la  Belle  Maguelonne.  V.  le  V^  livre  des  Airs  de  Cour  à  4  parties  «par 
Estienne  Moulinié  (Bibl,  de  Bruxelle.  Fétis  7326.) 

6.  Cf.  Henry  Prunières  :  Jean  de  Camhefort  surintendant  de  la  Musique 
du  Roi.  Année  musicale  1912.  Alcan,  191 3. 


228  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

positeurs  de  réel  talent,  ayant  tous  de  belles  qualités 
d'invention  mélodique,  mais  aucun  d'entre  eux  ne  peut 
entrer  en  comparaison  avec  Guédron  ou  Boesset. 

Pierre  Guédron  était  né,  en  i565,  à  Beauce  en  Nor- 
mandie. Sa  belle  voix  l'avait  fait  admettre,  en  iSqo,  parmi 
les  chantres  de  la  Chapelle  royale.  Il  n'y  était  d'ailleurs 
pas  fort  longtemps  demeuré,  car  nous  le  trouvons,  dès 
les  premières  années  du  siècle,  en  possession  du  titre  de 
«  valet  de  chambre  du  roy,  compositeur  et  maistre  des 
enfants  de  la  Musique  de  ladite  Chambre*  ».  Par  la  suite 
il  devait  se  faire  encore  nommer  «  Maistre  en  la  Musique 
de  la  Reyne  »  Marie  de  Médicis^  Henri  IV  le  tenait  en 
particulière  affection.  Dans  une  lettre,  Malherbe  raconte 
qu'il  a  montré  de  ses  vers  au  monarque  qui  a  envoyé 
quérir  Guédron  «  sur  l'heure  mesme  pour  les  lui  faire 
mettre  en  musique  »  ;  l'air  terminé,  ce  tout  le  monde  le 
trouve  fort  bon  et  surtout  le  Roy  ^  » .  Malherbe  et  Guédron 
eurent  ainsi  très  souvent  à  collaborer  pour  les  ballets  de 
Cour.  C'est  sur  un  air  de  Guédron  que  le  poète  écrivit  les 
mauvais  vers  qui  devaient  lui  attirer  de  si  justes  raille- 
ries* : 

Cette  Anne  si  belle 
Qu'on  vante  si  fort 
Pourquoi  ne  vient-elle  ? 
Vrayment  elle  a  torl^. 


1.  Acte  baptistaire  de  Daniel  Guédron  du  3  février  i6o3.  Ms.  fr.  12.526 
(fonds  BefiFara).  Voir  aussi  Ms.  fr,  7.835  pièce  29  et  3i. 

2.  Cinq  cents  Colbert  940.  Il  succédait  à  Michel  Fabry. 

3.  Voir  les  lettres  à  Peiresc  du  18  février  et  24  mars  1610. 

4.  Voir  Tallemant.  Historiettes,  I,  264. 

5.  On  trouve  la  musique  de  cette  pièce  dans  les  Airs  de  Cour  et  de  diffé- 
rents autheurs.  Ballard  i6i5  (in-8°  p.  5  et  6  et  dans  le  III®  livre  des  Airs  à 
4  parties  de  Guédron  (1618)  Bibl.  de  Bruxelles,  Fétis  2.320. 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  229 

Guédron  méritait  grandement  l'opinion  qu'avaient  de 
lui  ses  contemporains.  Sa  musique  a  une  vigueur  singu- 
lière et  une  force  dramatique  qui  contrastent  avec  le  style 
un  peu  languissant  des  autres  compositeurs  de  la  Cour. 
Guédron,  qui  dirigeait  la  musique  de  la  Chambre  à  l'époque 
où  Gaccini  vint  séjourner  en  France,  subit-il  l'influence 
du  grand  novateur  florentin  ?  Gela  nous  semble  probable, 
non  que  la  musique  de  Guédron  trahisse  l'imitation  des 
procédés  de  Gaccini,  mais  elle  atteste  un  efl'ort  vers  un 
idéal  d'expression  dramatique  et  de  déclamation  lyrique 
que  nous  ne  trouvons,  à  un  degré  semblable,  chez  aucun 
autre  compositeur  français  de  ce  temps. 

Guédron  est  un  dramaturge  ;  il  a  le  sens  de  l'effet  théâ- 
tral. Peut-être  eût-il  réussi  à  créer,  cinquante  ans  avant 
LuUy,  l'opéra  français,  s'il  avait  été  soutenu  et  encouragé. 
Du  moins  a-t-il  eu  le  mérite  de  donner  au  ballet  la  forme 
mélodramatique  la  plus  intéressante  qu'il  ait  jamais  eue 
en  notre  pays.  Ge  fut  Guédron  qui  écrivit  la  plus  grande 
et  la  meilleure  partie  de  la  musique  des  ballets  repré- 
sentés à  la  Gour  entre  1610  et  1620  :  Délivrance  de 
Renaud^  Tancrède^  Psyché^  etc.. 

Antoine  Boesset,  qui  hérita  des  charges  de  Guédron 
dont  il  avait  épousé  la  fille,  s'était  déjà  fait  connaître  du 
vivant  du  vieux  maître;  mais  ce  fut  à  partir  de  1620  qu'il 
donna  toute  la  mesure  de  son  talent.  Peu  d'artistes  eurent 
une  carrière  plus  brillante  et  plus  heureuse*.  Vénéré  par 
tous  les  musiciens  de  son  temps,  comblé  d'honneurs  par 
les  souverains,  conseiller  du  roi,  surintendant  des  musi- 
ques du  roi  et  de  la  reine,  il  mourut,  le  9  novembre  i643, 

I.  Voir  ^eX,  Dictionnaire  critique  y  article  Boesset.  Beffara,  papiers  et  notes 
concernant  les  Boesset  Ms.  fr,  laSaB  [passim]  Ms.  ïv.  7.835  pièce  4o  et  41, 
les  comptes  royaux,  etc. 


a!io  LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 

après  avoir  transmis  ses  diverses  fonctions  à  ses  fils.  Sa 
mémoire  fut  longtemps  respectée.  Lully  se  réclamait  de 
lui*,  le  grand  compositeur  italien  Luigi  Rossi  disait  bien 
haut  son  admiration  pour  ses  œuvres  ^  Les  écrivains  du 
XVIII®  siècle  eux-mêmes,  si  durs  à  l'ordinaire  et  si  injustes 
pour  les  précurseurs  de  Lully  ^,  citent  son  nom  avec  des 
commentaires  bienveillants  qui  prouvent  que  ses  airs  se 
chantaient  encore  volontiers. 

Antoine  Boesset  est  avant  tout  un  mélodiste.  Les 
paroles  ont  à  ses  yeux  une  importance  secondaire^  il  ne 
s'attache  jamais  à  la  lettre  du  texte,  mais  à  l'esprit.  Il 
néglige  la  prosodie  et  même  la  déclamation  et  émeut  par 
la  seule  vertu  de  la  musique.  Ses  airs  de  Cour  sont 
empreints  d'une  mélancolie  souriante  et  parfois  d'une 
tristesse  passionnée.  On  comprend  que  le  taciturne 
Louis  XIII  ait  aimé  de  tels  accents.  «  Tes  airs  ont  un 
charme  puissant*  »  déclare  à  Boesset  le  poète  Gombaud  ; 
l'expression  est  juste  et  il  suffit  d'entendre  chanter  quel- 
ques mesures  d'une  œuvre  de  Boesset  pour  s'en  rendre 
compte. 

Ces  qualités  n'allaient  pas  sans  défauts.  Cette  musique 
en  quelque  sorte  immobile^  sans  éclats,  sans  contrastes 
marqués,  est  aussi  peu  théâtrale  que  possible.  Aussi  doit- 
on  rendre  Antoine  Boesset  responsable  pour  une  bonne 
part  de  la  décadence  du  ballet  de  Cour.  Incapable  de 
traiter  les  sujets  véhéments,  d'exprimer  les  sentiments 

I.  Lecerf  de  La  Vieville.  Comparaison  de  la  Musique  italienne  et  de  la 
Musique  française  i7o5,  édit.  Bourdelot,  t.  II,  p.  1S4. 
a.  V opéra  italien  en  France  avant  Lulli,  p.  96. 

3 .  Rappelons  la  phrase  de  Voltaire  «  On  ne  connaissoît  presque  en  ce 
temps-là  qu'une  espèce  de  faux  bourdon,  qu'un  contrepoint  grossier,  c'étoit 
une  espèce  de  chant  d'église...  »  [Commentaire  d" Andromède .) 

4.  Les  poésies  de  Gom&a«i/fi.  A  Paris,  chea  Augustin  Courbé  MDCXXXXYI 
{in-4). 


LA    POÉSIE    ET   l.\    MUSIQUE  ^3% 

tumultueux,  Boesset  préféra  aux  ballets-opéras  du  vieux 
Guédron,  la  forme  des  ballets  à  entrées  dont  les  récits, 
régulièrement  espacés  en  tête  de  chaque  partie,  ne  sur- 
gissaient pas  du  fond  même  de  l'a^ction.  Les  disciples  de 
Boesset  continueront  dans  cette  voie  et  lorsque  Lully 
commencera  à  travailler  aux  ballets  du  roi,  personne  ne 
se  souviendra  plus  des  pages  frémissantes  que  Guédrojj 
avait  écrites  dans  les  premières  années  du  siècle. 

La  musique  vocale  des  ballets  de  Cour  comprend  trois 
sortes  de  chants  :  les  récits  monodiques  et  polypho- 
niques qui  servent  à  exposer  et  à  commente^  le  sujet  du 
spectacle  —  les  chansons  mesurées,  à  une  ou  plusieurs 
voix,  qui  accompagnent  les  danses  —  enfin,  quelquefois 
aussi,  des  airs  dont  les  paroles  n'ont  aucun  rapport  avec 
Faction  et  qui  n'interviennent  dans  la  représentation  que 
de  manière  épisodique  :  couplets  bachiques,,  chansons 
galantes  ou  sérénades.  Nous  laisserons  de  coté  ces  der- 
niers dont  la  forme  n'est  pas  particulière  aux  ballets  de 
Cour  et  nous  étudierons  seulement  les  récits  et  les  chants 
mesurés. 

Le  récit,  explique  l'abbé  de  Pure,  a  tiré  son  nom  «  de 
ce  que  Faction  muète  de  soy  et  qui  a  fait  vœu  et  serme»t 
de  garder  le  silence,  emprunte  la  voix  du  Récitateur, 
pour  luy  faire  chanter  ce  qu'elle  n  oseroit  dire  et  pour 
lever  l'embarras  que  la  simple  dance  pourroit  causer  à 
Fintelligence  du  sujet*  ».  Le  récit  sert  donc  de  truche- 
ment au  ballet.  C'est  du  moins  le  rôle  qu'il  assume  dans 
dans  le  ballet  à  entrées,  car  nous  avons  vu  que,  dans  les 
ballets  mélodramatiques ,  il  permet  aux  divers  person- 
nages d'exprimer  eux-mêmes  leurs  pensées. 

I .  Idée  des  spectacles,  p.  •J67. 


232 


LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANGE 


Les  récits  musicaux  de  la  Circé  n'étaient  point  fort 
dramatiques.  Cette  œuvre,  nous  l'avons  vu,  avait  été 
d'abord  conçue  comme  une  pastorale  avec  intermèdes 
de  musique  et  de  danse,  et  les  personnages  déclamaient 
de  longs  monologues  pour  narrer  aux  spectateurs  les 
péripéties  de  Fintrigue.  Néanmoins  certains  chants  à 
voix  seule  ont  déjà  bien  le  caractère  narratif  propre 
aux  récits  :  par  exemple,  l'air  de  Mercure  :  Je  suis  de 
tous  les  Dieux  le  commun  messager^  ou  celui  de  Jupiter  : 
En  ta  faveur  je  viens  icy  des  cieux. 

On  a  exagéré  l'intérêt  de  ces  morceaux  au  point  de 
vue  de  l'histoire  du  théâtre  lyrique.  Nul  doute,  si  les 
collaborateurs  ordinaires  de  Baïf  avaient  pu  y  consacrer 
leurs  veilles,  qu'ils  n'eussent  réussi  à  donner  aux  airs  de 
la  Circé  une  forme  plus  récitative  et  plus  conforme  aux 
intentions  novatrices  de  Beaujoyeulx.  Pressés  par  le 
temps,  Beaulieu  et  Salmon  ont  écrit  des  œuvres  qui 
retardent  sur  ce  que  faisaient  à  la  même  époque  Claude 
Lejeune  et  Thibaut  de  Courville.  On  ne  peut  relever 
dans  toute  la  partition  un  seul  essai  de  déclamation 
notée,  et  la  prosodie  est,  à  tout  moment,  violée  de 
façon  grossière.  Il  est  visible  que,  seule,  la  ligne  mélo- 
dique intéresse  le  compositeur  et  qu'il  y  adapte  tant 
bien  que  mal  les  paroles,  sans  se  soucier  d'exactitude 
métrique. 


^^ 


GlauqueJe  scay 


rrrirrtfwcg;- 


bien  .    c'est      Vé 


xr 


Dans  la  Circé^  les  récits  gardent,  en  somme,  le  caractère 
de  chansons  aux  formes  arrêtées;  il  n'en  sera  plus  de 
même   lorsque   les    tirades,    monologues    et    dialogues 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  233 

déclamés  auront  disparu  du  ballet  et  que  les  personnages 
se  trouveront  dans  la  nécessité  de  se  faire  comprendre  et 
de  s'exprimer  par  les  seuls  moyens  du  chant  et  du  geste. 
La  musique  ne  sera  plus  assujettie  à  une  mesure  régu- 
lière, on  chantera  note  contre  note,  c'est-à-dire  en  don- 
nant à  chaque  note  sa  valeur  absolue  sans  se  préoccu- 
per de  marquer  le  temps.  Ces  rythmes  vagues  et  indé- 
terminés sont  fort  déconcertants  pour  nos  oreilles 
modernes,  mais  non  dépourvus  de  charme.  Il  faut 
seulement  se  résigner  à  l'absence  de  carrure  et  ne 
pas  chercher  à  couper  la  ligne  par  des  barres  de  mesure, 
car  on  n'y  parviendrait  qu'en  altérant  le  caractère 
essentiellement  libre  de  ces  compositions.  Lorsque  la 
mode  d'indiquer  les  changements  de  mesures  s'introduira 
en  France,  voici  comme  on  sera  obligé  de  noter  l'air 
d'un  récit  : 


$ 


:t-  •  \'-i--    l'-A  J.  J  ^Y  -Jf^ 


Le      fils     ais  —  né     delà  pru-den   ce 

La  musique  mesurée  à  l'antique  de  Baïf,  Gourville,  Le- 
jeune,  Mauduit  et  de  leurs  disciples,  avait  accoutumé  les 
oreilles  à  ces  flottantes  mélopées,  mais  du  moins,  chez 
les  musiciens  de  TAcadémie,  la  mélodie  épousait  exacte- 
ment le  rythme  du  vers.  Au  contraire  les  contempo- 
rains de  Guédron  et  de  Boesset  traitent  la  prosodie  sans 
aucun  ménagement.  Ils  placent  invariablement  une  note 
longue  sur  la  dernière  et  souvent  sur  l'avant-dernière 
syllabe  de  chaque  vers.  Il  en  résulte  des  chants  forts 
singuliers,  où  la  mélodie  semble  craindre  de  s'appuyer 

I .  Récit  d'Auger  pour  le  Ballet  du  Sérieux  et  du  Grotesque.  Airs  de  Cour  et 
de  différents  auteurs.  Livre  VIII,  1°  5, 


îaS/» 


LE    BAJLLE'K    DE    COUR    EN    ÏRANCE 


sur  le  vers,  tel   un  estropié   qui  voudrait   courir    sans 
béquilles. 


Pjei  ne  de  lanques    et       de  veux. 0   Roy.lemi-ra de  des 


qu'avons  noua  commis   coa-tre 


/^m    Q *^ 


Fran- çois  re  ve  rés     tes    Dieux... 

La  Musique  et  la  Poésie,  dont  Baïf  et  ses  collaborateurs 
avaient  naguère  célébré  l'union,  se  séparaient  violem- 
ment. La  solution  des  vers  mesurés  étant  définitivement 
écartée,  il  fallait  dès  lors,  ou  bien  que  la  mélodie  drama- 
tique prît  une  forme  assez  arrêtée  pour  pouvoir  s'im- 
poser au  texte  poétique,  ou  du  moins  —  puisqu'elle  ne 
pouvait  s'astreindre  à  observer  la  prosodie  —  qu'elle  tînt 
compte  de  l'accent  de  la  déclamation.  L'évolution  du  récit 
à  voix  seule  s'accomplit  dans  ce  double  sens.  Guédron 
subordonna  l'élémentplastique  à  l'expression  dramatique, 
Boesset  au  contraire  sacrifia  la  déclamation  lyrique  à  la 
beauté  de  la  forme. 

Les  tendances  nouvelles  se  manifestent,  dès  1608,  dans 
plusieurs  récits  de  ballets,  recueillis  par  Gabriel  Bataille. 
Deux  d'entre  eux*  témoignent   d'une   belle  inspiration. 

I.  Ballet  de  la  Reine  (1609).  Airs  en  tajblature  de  luth,  II,  8. 
u.  Dialogue  de  rhyvev  et  de  la  nuit,  par  Boesset.  Airs  de   Cour  (1623), 
Livre  V,  fo  16. 

3.  Ihid,  f«  5. 

4.  Livre  I  des  Airs  en  tablature  de  luth  f<^  34  et  35.  Ces  deux  récits  font 
partie  du  Ballet  des  paysans  changés  en  grenouille  dont  nous  avons  cité  des 
fragments  en  parlant  de  la  Musique  instrumentale  pp.  21 1-2 12. 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  %i^ 

Latone,  errante  et  lasse,  arrive  en  scène  et  se  lamente  sur 
son  sort. 


de  retrai-teaumonde  qui  puis —    se  ar-res-ter  ma        chau-teup? 


Elle  s'apprête  à  boire  t^eau  d'une  source  quand  une 
troupe  de  paysans  lyciens  s'approche  en  dansant  et,  par 
gestes,  l'en  empêche.  La  malheureuse  s'indigne  de  cette 
cruauté. 


i 


^ 


77-77 


j  j^..rr7T~°rrF/°^u 


Jié   —    las  a  mis     que  faites        vous  qui  veit  ja  mais      on  trfou-tra-ge? 


Dieux!  me  def-fen  —  dre  l'u-sa-ge  D'un  t    —   lement  coraroun     a    tous. 


L'accent  de  ces  plaintes  est  juste,  la  déclamation  n'est 
pas  encore  assez  accusée,  mais  à  cela  il  y  a  une  raison. 
L'habitude  des  couplets  est  telle  que,  jusqu'aux  réformes 
de  LuUy,  un  motif  mélodique  de  quelques  mesures  servira 
à  chanter  vingt  ou  trente  vers.  Le  compositeur  accommode 
la  musique  aux  paroles  du  premier  verset,  mais,  pour  les 
autres,  il  ne  s'en  occupe  pas.  Tant  que  la  forme  demeure 
un  peu  vague,  comme  dans  les  deux  morceaux  que  nous 
venons  de  citer,  il  n'y  a  que  demi  mal,  mais  lorsqu'em- 
porté  par  son  tempérament  théâtral,  Guédron  donnera 
à  ses  récits  un  tour  de  déclamation  lyrique,  les  divers 
couplets  s'adapteront  souvent  fort  mal  à  la  mélodie. 
Qu'on  en  juge  par  cet  exemple  :  la  magicienne  Alcine 


'236 


LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 


évoque  les    démons  et   complimente   les   dames   sur  le 


même  air 


»  <" 


r  fr"  "  r  pr^ 


^ 


"TT-^ 


tti^ 


^^ 


içr    Noi-res  fu-reurs      ombres  sans  cctrps.  L'effrqy' des  vi  vans     et  des  morts  Trompeuse  ban- 
2?     l3     présence        de    ce  grand  Roy   Et  tant    de  beauté     que  je    voj     En  charmes  di- 


1 


f  ccrf'pr'pr  rfr  "  °  ■^■■r^ 


de  quejap-  pel     le 
vins  si  fer    til     les 


Im    —    ^uissanteoubien  in  —  fi  -  de 

Ont  rendu  les  miens  in  -'  u  -  ti  -  les 


Al- lés 


I 


^ 


^m 


r  f  r  u  f  çr. 


Dé  -  mons^    faibles  es 


ppits        je  vousquit—   te  et 


tiens  3  mespris 


Ici  c'est  le  sens  général  de  la  seconde  strophe  qui  est 
en  désaccord  avec  l'expression  musicale,  mais  d'autres 
fois  la  prosodie  seule  est  cruellement  maltraitée.  L'ombre 
de  Glorinde  parlant  à  Tancrède  s'écrie  :  Toi  de  qui  la 
rigueur  ma  fait  cesser  de  vivre!. .  Guédron,  dans  une  inten- 
tion dramatique,  accentue  fortement  le  premier  mot  de 
cette  phrase  sans  prévoir  que  le  vers  qui  commence  le 
deuxième  couplet  sera  scandé  de  la  manière  la  plus  sau- 
grenue. 


Tqy         de   qui      la   rigueur 
Au         cercueil     où  je   sui« 


ma    fait  ces  -  ser    de     vt  -  vre 
quel  -  le    f  u  -  reur    te    por  -  te 


Cette  habitude  pervertira  l'oreille  des  auditeurs  et  les 
empêchera  d'exiger  des  musiciens  une  diction  plus 
nuancée  et  mieux  adaptée  à  la  quantité  de  syllabes.  Ce  sera 
l'honneur  de  Pierre  de  Nyert,  à  son  retour  de  Rome,  vers 
i635,  de  réformer  le  chant  français  et  de  rappeler  les  com- 


1.  Livre  III  des  airs  en  tablature  de  luth,  p.  35. 

2.  IV^  livre  d'Airs  de  cour  et  de  différents  autkeurs,  f^  14. 


LA    POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  287 

positeurs  au  respect  de  la  prosodie  ^  Pour  étudier  les 
essais  de  musique  dramatique  de  Guédron,  nous  sommes 
donc  obligés  de  ne  considérer  que  la  première  strophe 
de  chaque  récit  poétique,  puisque  le  musicien  écrivait 
son  air  sur  celle-là  seule. 

Les  récits  des  ballets  d'Alcine^  de  Renaud  et  de  Tan- 
crède  marquent  un  grand  progrès  sur  tous  ceux  qui  les 
précèdent.  Le  tour  en  est  plus  libre,  plus  pathétique, 
la  déclamation  est  plus  nuancée,  plus  variée  aussi,  les 
croches  viennent  accentuer  heureusement  certains  mots, 
mettre  un  peu  d'imprévu  dans  la  marche  de  la  mélodie, 
rompre  la  monotonie  des  lourdes  successions  de  blanches 
et  de  rondes.  Peut-être  la  manière  dont  Caccini  et  ses 
filles  récitaient  en  chantant  avait-elle  frappé  les  compo- 
siteurs de  la  Cour  et  Guédron  en  particulier.  Avant  la 
venue  des  Florentins,  le  récit  à  voix  seule  n'était  vérita- 
blement qu'une  partie  isolée  de  madrigal  polyphonique  ; 
au  contraire,  après  i6o5,  il  prend  un  caractère  plus  indé- 
pendant, plus  original,  non  dépourvu  parfois  d'une  cer- 
taine bizarrerie. 


^m 


Ri -en     nesop-po  seà  mes  lois     je  suisl'effroy  de  ces  boi5«. 


^ 


I»— >■ 


le  cherche      le  mes 


chant     A  -  mour. 


É 


P'    f    p 


rT  °  ^nrr-'& 


tz.t 


quel  su-  bit       change- ment'  quel-lcs  du  -  resnou -vel  -  les' 


1.  L Opéra  italien  en  France  avant  Lully.  Introduction,  p.  XLIV  et  suiv. 

2.  Récit  d'Alcine.  Airs  en  tablature,  III,  34» 

3.  Récit  de  Vénus,  ibid,  f>  18. 

4.  Récit  d'Armide.  Cf.  Appendice. 


238 


LE    BXO^T    DC    CO€R    EN    Ï^RÀNGE 


Gra  -  vés  en  lettres       d'or 

42 0  0  0  0 Û 


^^ 


dans  lea  mar  —  bres  du    Lou 


m 


Q    0    i>i0  0 


'^=¥- 


^ 


tt:^^ 


Vous 


qui  contre  I9  Mont 


neuf    sœurs  sont        re-clu  -  ses 


Malgré  ces  imperfections,  la  musique  théâtrale  faisait 
en  France  de  rapides  et  incessants  progrès  quand  le 
ballet  à  entrées  détrôna  le  ballet  mélodramatique .  La 
décadence  fut  alors  rapide.  Non  que  la  mélodie  deBoesset 
n'eût  pas  la  beauté  de  celle  de  Guédron,  mais  le  récit  perdit 
son  aspect  de  déclamation  musicale.  La  mesure  disciplina 
le  rytlime  de  la  phrase  qui  prit  une  certaine  carrure.  En 
un  mot,  le  récit  devint  un  air,  au  sens  moderne  du  mot, 
au  lieu  de  demeurer  ce  qu'il  devait  être  par  essence,  un 
récitatif. 


•^  o_--__         ; 1. •        o: I...  t-ll. ^_l..,  .-k-><4'i>n..«     ...nii.   Aejfi^    Hi  _  wm  flamhpaiinnnnsrp.i 


Revne     quejesfirsrfque  je  cognqyBienpIusbclleetpluschasteque  moy;  As-trç  di -ïin.flambeau  non  pareil, 

3 


Pardonnez  moj    si  je   vousprenspourjnonso-leil 


Le  récit  ne  garde  son  caractère  narratif  que  lorsqu'il 
sert  à  présenter  aux  spectateurs  une  troupe  de  bala- 
dins ;  encore  revèt-il,  aux  environs  de  1623,  une  forme 
mélodique  beaucoup  plus  accusée  que  par  le  passé. 
Reconnaissons  qu'il  acquiert  en  même  temps  de  précieuses 
qualités  d'esprit  et  de  légèreté. 


I.  Récit  de  la  prêtresse.  Ballet  d'Apollon  (l'Gai)  (par  Boessct)  Airs  de 
Cour,  V,  fo  4. 
a.  Récit  d'Apollon  Archer,  ihid,  fo  8. 
3.  Récit  de  Diane  par  Boesset.  Airs  de  Co'ur^  VIII®  livre,  i*  ii. 


1\    POESIE    ET    L.\    MUSIQUE 


•ï» 


y'.W'J'i.Ji-ppr'f"  '^■^f^.^*"\^l'"  ■^^"  f"  Jz"t'^fri 


i 


Oe-li-vrés  des  hoireorsdeMars  et    de  BeHon-ne.     Exempt  d&  crainte  et  fle  danger  .        ces 


m 


rryrp^-^rp 


à 


^ 


'^t^t^^éoisleors  maux  veulent  chaîner  Aux  es-^jats  que    ta    paix  leur  don -ne. 

Les  récits  à  voix  seule  étaient  toujours  accompagnés. 
Tantôt  une  troupe  d'instrumentistes  soutenait  de  ses 
accords  la  voix  du  chanteur,  tantôt  celui-ci  tirait  lui-même 
quelques  sons  d'un  lutli  ou  d'un  théorbe.  Les  accompa- 
gnements que  nous  ont  conservés  les  tablatures  sont  d'-une 
simplicité  rudinaentaire.  Les  accords  s'y  succèdent  mas- 
sifs, gauches  et  lourds.  En  général,  le  transcripteur  a 
négligé  de  nous  conserver  le  texte  des  ritournelles  qui 
préparaient  le  public  à  l'exécntion  du  morceau.  Potir- 
tant  le  V"  livre  de  Bataille'  contient  un  récit  espagnt^l 
qui  est  précédé  d  un  court  prélude  instrumentai,  joué 
sans  doute  sur  une  guitare.  Ce  récit  n'a  d'espagnol  que 
les  paroles,  la  musique  est  l'œuvre  d'Henry  Bailly.  La 
persistance  du  rythme  à  la  base  est  curieuse.  On  relève 
aussi  des  frôlements  d'iiarmonies  un  peu  barbares  mai-s 
savoureux. 


1.  Récit  dn  hallet  des  tireurs  de  huttes.  Livre  XI  des  Airs  en  tablature 
de  luth,  p.  32. 

2.  Fo  livre  des  Airs  en  tablature  de  luth,  Récit  de  la  Folie. 


•24o 


LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 


^ 


flrrrl"  JtJ~p 


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Laque  so-la  in  fun-do       Pla-ier  Plazer^  dul-çu     ra      ï  con-terv  -  toalmondô. 


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Cet  exemple  nous  dispense  d'insister  sur  les  modes 
d'accompagnements  des  airs  à  voix  seule.  Au  reste  les 
chœurs  étaient,  eux  aussi,  soutenus  par  de  nombreux 
instruments  à  cordes  pincées  et  il  ne  semble  pas  que  le 
chant  a  capella  ait  été  jamais  en  faveur  dans  les  ballets 
de  Cour. 

Les  dialogues,  si  nombreux  dans  les  recueils  d'airs  du 
début  du  xvii"  siècle,  sont  fort  rares  dans  les  ballets,  ou 
plutôt  l'on  y  rencontre  bien  des  dialogues  entre  un  per- 
sonnage et  le  chœur,  mais  il  est  presque  sans  exemple 
de  voir  deux  héros  d'un  ballet  mélodramatique  converser 
entre  eux  en  chantant.  Il  devait  y  avoir  à  cela  quelque 
raison  mystérieuse.  Pourquoi  les  musiciens  se  seraient-ils 
abstenus  sans  motif  d'introduire  dans  les  spectacles 
dramatiques  quelqu'un  de  ces  morceaux  à  deux  voix  qu'ils 
multiplaient  dans  les  concerts  privés.  On  connaît  pour- 
tant un  superbe  fragment  de  ballet*,  œuvre  de  Boesset, 
qui  renferme  un  dialogue  entre  l'Amour  et  Car  on.  Ce 
morceau  ayant  été  déjà  publié^,  nous  nous  contente- 
rons d'y  renvoyer  le  lecteur  en  faisant  remarquer  que, 
cette  fois,  Boesset  a  su  unir  les  qualités  du  dramaturge 
à  celles  du  mélodiste  et  donner  au  récit  un  tour  à  la  fois 


1.  C'est  à  ce  même  ballet  qu'est  emprunté  le  récit  de  la  Folie  cité  plus  haut, 

2.  Henry  Quittard.   La  première  pastorale  en  musique   S.    I.    M.    1909, 
mai,  Juin. 


LA    POESIE    ET    LA    MUSIQUE 


24 


naturel  et  chantant  qui  annonce  de  loin  les  récitatifs  4e 
Lully. 

Les  dialogues  entre  un  récitant  et  le  chœur  sont 
fort  nombreux.  Déjà,  dans  la  Circé,  Fécho  de  la  voûte 
dorée  répondait  aux  chants  des  figurants.  Dans  la  plu- 
part des  ballets  représentés  sous  les  règnes  de  Henri  IV 
et  de  Louis  XIII,  on  trouve  des  scènes  de  chœurs  avec 
soli  dont  le  style  fait  pressentir  l'ordonnance  des  pom- 
peux prologues  de  la  Tragédie  en  musique  ^  Les  com- 
positeurs ont  une  tendance  marquée  à  employer  les 
voix  par  grandes  masses  verticales.  Les  artifices  de  la 
polyphonie  fuguée  sont  peu  usités,  réservés  plutôt  aux 
morceaux  écrits  pour  trois  ou  quatre  chanteurs  experts^. 
Souvent  une  ou  deux  voix  exposent  le  motif  qui  e^t 
repris  en  chceur. 


i,i.'>\nni\i,p\tim''!ifW'^nî'l\'i 

^  C'esttroDcoufirtis  eaux   Sor-tons  de  ces  ro- seaux  (Test  tropcourir  les  eaux    Sortons  decesro-seai 


^ 


C'esttropcoufirtis  eaux   Sor-tons  de  ces  ro- seaux  (Test  tropcourir  les  eaux    Sortor 


^Kr;lJ"VlrrrrrrT71^ 


m 


Les  chœurs  sont  infiniment  variés,  ils  jouent^  dans  1^ 
spectacle  le  même  rôle  que  les  récits  :  tantôt  ils  célèbrent 
les  vertus  des  souverains,  tantôt  ils  se  rapportent  direc- 
tement au  sujet;  ils  préparent  l'entrée  d'une  trowpe  (Je 
danseurs  en  commentant  leurs  actions.  Il  est  fort  néces- 
saire, dans  ces  conditions,  que  les  paroles  soient  distinc- 


I.  Voir  les  chœurs  du  Ballet  de  Monseigneur  le  Dauphin  en  1610.  Airs 
en  tablature  de  luth.  Livre  III,  (^  1  et  17. 

1.  Voir  le  curieux  récit  à  quatre  du  juif  errant  dans  le  F*  livre  des  Airs 
de  Cour  d'Estienne  Moulinié  (Bibl.  de  Bruxelles)  ;  c'est  un  fragment  du  ballet 
de  Pierre  de  Provence  (1618). 

3.  Chœur  de  Guédron  pour  le  Ballet  de  Madame.  III^  Livre  des  Airs  à 
^parties  (1618).  Bibl.  de  Bruxelles.  Fétis  a  3ao. 

i6 


242 


LE    BALLET    DE    COUR  EN    FRANCE 


tement  entendues;  aussi  la  diction  est-elle  presque  tou- 
jours syllabique. 


i 


^ 


quede  da-ines,quedeflani-mes.AlluiTientleurs  beauxjeux.  NonJecroisquelesDieuxnbntriendesibeaudans  les  Cieux! 


<:^i?Pr |r ^^  <^  \U'^'^n\\'  ftf  J îhrO'UV  r  ^^ 


que  de  da-mes,que  de  flam-mes.Allumçnlleursbeauxjeux.KonJe  crois   quelesDieuxnbntriende  si  beau  dans  les  Cieux! 


:2i!^iJijj  \i^im:Jas\rm^wm 


Cette  règle  est  surtout  appliquée  très  strictement  aux 
airs  polyphoniques  mesurés,  c'est-à-dire  assujettis  à  un 
rythme  de  danse.  Dans  ces  morceaux,  les  paroles  sont 
mieux  adaptées  à  l'air  que  dans  les  récits  ou  les  chœurs 
de  mesure  libre.  Visiblement  les  poètes  savaient  mieux 
accommoder  leurs  vers  aux  mélodies  que  les  musiciens 
leurs  mélodies  aux  vers. 

Les  ballets  s'exécutaient  parfois  ce  aux  chansons  » 
comme  on  disait  alors.  Ce  n'était  pas  en  France  une  habi- 
tude aussi  répandue  qu'en  Angleterre  ^  ou  en  Italie,  mais 
les  exemples  n'en  sont  point  rares.  On  rencontre,  dans 
les  chœurs  destinés  à  faire  danser,  les  rythmes  les  plus 
variés.  Quelques-uns  paraissent  fort  singuliers  et  presque 
impossibles  à  réduire  à  nos  mesures  modernes.  Pour  les 
bien  comprendre,  il  est  nécessaire  de  lire  le  curieux 
chapitre  où  Mersenne  traite  des  rythmes  de  danse  \  Il 
les  ramène  tous  à  un  certain  nombre  de  formules  mé- 
triques qu'il  dénomme  des  vocables  grecs.  C'est  là  un 
souvenir  de  la  musique  mesurée  à  l'antique,  mais,  ce  qui 

1.  Ballet  des  Princes ^  Airs  à  4  de  Guédron,  IV®  livre. 

2.  Voir    en    particulier  les  Ballets  de  Thomas  Morley,  iSqS,  édit.    Rim- 
baud. 

3.  Livre  TI  Des  chants  y  p.  177  et  suiv. 


LA.   POÉSIE    ET    LA    MUSIQUE  M^ 

est  étrange,  c'est  que  les  musiciens  continuent  à  se 
servir  des  mètres  grecs,  alors  que  les  poètes  les  ont 
abandonnés.  On  trouve  des  vers  rimes  et  construits  de 
la  manière  la  plus  classique,  scandés  comme  ceux  qu'écri- 
vaient naguère  Baïf  et  ses  émules.  La  seule  obligation 
à  laquelle  se  doivent  soumettre  les  poètes,  c'est  de 
composer  tous  leurs  vers  exactement  d'égale  longueur  ; 
aussi,  le  plus  souvent,  pour  éviter  les  fâcheuses  syllabes 
muettes  des  rimes  féminines,  écrivent-ils  des  vers  mas- 
culins. 

Voici,  par  exemple,  deux  airs  construits,  le  premier  sur 
le  mètre  lambique  w-^-w..--etle  second  sur  le  mètre 
composé  Kj<j . 


P  O  ff^^-0-0- 


4^ 


V^  g 


f*#«- 


U 


^^ 


-^-o  à  o 


t 


Nos  esprils  libres  et  contents  Viventdans  ces  douxpassetemps.  tt  car  de  si  chastes  plaisirs  'Bannissenttousautres  désirs 


^>^j-J'^JJIwrrlJJrr4r;rJJl^f'rrfl^iaflJj^rrir^r^n 


CespipeurssBnvont,d(Iapeurqu'ibiiild'cstrBtocorespnsdurtlsde  Cypris  ttaistantQievivronltaijoursiuui«nid£omme  leHambeauduCielleplosbeai} 


Il  est  d'autres  chœurs  dansés  qui,  sans  s'assujettir  à 
aucun  mètre  particulier,  se  contentent  de  suivre  la  mélo- 
die et  la  mesure  d'un  ballet  sonné  par  les  violons. 


^.u'rlr-frrirry/rl°lL^^ifUU,i|.Ni'flrJJJ^l 

^^     *■    '  __>       ._! --^1.-1-;--  Jt  ^       Ma...  m...   .*»>•»•*«       À^    *ï    kttMMvn'k*  ikifk  ■4^n*»    ^    Mtn«  nmt«  fUlc 


Mainte  -  (lantque  les  cœurs  sort  pleins       (f  a  -  m  our 
Et  qu'un  chacun  chante  eldance  nuit      et  jour 


Nous     quis(avoDS  de  ^bcaoxpas  Ne  danse  -  rons  nous  pas. 


Les  danses  chantées  passeront  avec  bien  d'autres  élé- 
ments du  ballet  de  Cour  dans  Topera  dont  elles  forme- 


I.  //«  livre  des  Airs  en  tablature  f*  8. 

•i.  IV°  livre  des  Airs  en  tablature,  i'^  ^o. 

3.  //«  livre  des  Airs  en  tablature,  f»*  48  {Ballet  du  Maître  à  danser). 


:>44  LE    BAI.LET    DE    COUR    EN    FRANCE 

rpnt  un  des  principaux  attraits.  Lully  excellera  à  couper 
la  mpnotpnie  d'un  long  intermède  chorégraphique  par 
jd'agréables  choeurs,  aux  accents  desquels  les  baladins 
traceront  des  figures  variées. 


CONCLUSION 

Le  ballet  de  Cour  et  l'opéra  ont  la  même  origine.  Tous 
deux  sont  sortis  du  grand  mouvement  d'idées  de  la 
Renaissance.  A  Paris,  vers  iSyo,  comme  à  Florence, 
vingt  ans  plus  tard,  des  poètes,  des  musiciens,  des  let- 
trés et  des  savants  humanistes  sont  hantés  du  désir  de 
retrouver  la  formule  du  drame  antique,  en  lequel  la 
poésie,  la  musique  et  la  danse  s'unissaient  harmonieu- 
sement. C'est  de  l'application  peu  rigoureuse  des  doc- 
trines de  Baif  à  une  fête  de  Cour  qu'est  né  le  Ballet.  Bien 
qu'il  fût  composé  d'éléments  disparates,  empruntés  aux 
spectacles  antérieurs  de  France  et  d'Italie,  les  contem- 
porains saluèrent  son  apparition  comme  la  résurrection 
de  la  tragédie  antique  avec  ses  danses  et  ses  chants. 

L'équilibre  réalisé  par  Beaujoyeulx  entre  les  divers  élé- 
ments constitutifs  du  ballet  ne  tarda  pas  à  être  rompu 
au  profit  de  la  musique  et  de  la  danse.  Sous  l'influence 
de  la  réforme  mélodramatique  de  Florence,  dont  Rinuc- 
cini  et  Gaccini  apportèrent  en  France  la  bonne  nouvelle, 
l'élément  littéraire  fut  sacrifié  et  le  spectacle  nouveau 
devint  une  sorte  de  drame  musical  où  les  personnages 
s'exprimaient  toutefois  plus  encore  par  gestes  que  par 
chants,  un  opéra-pantomime. 

Sous  cette  forme,  très  différente  de  celle  qu'il  avait 


CONCLUSION  i\S 

eue  à  l'origine,  le  ballet  fleurit  dix  ans  à  la  Cour  de 
France.  Le  florentin  Francini  le  para  d'une  fastueuse 
mise  en  scène  à  l'italienne  et  Guédron  renforça  l'intérêt 
de  l'action  pastorale  et  romanesque  en  multipliant  les 
récits  dramatiques. 

Après  la  mort  du  connétable  de  Luynes,  le  ballet 
change  d'aspect  brusquement.  Guédron  et  Francini 
cessent  de  prendre  part  à  l'organisation  des  fêtés,  la 
musique  dramatique  est  délaissée,  la  mise  en  scène  ita- 
lienne disparaît.  Le  duc  de  Nemours  fait  prévaloir  la 
mode  des  ballets  à  entrées  dont  le  plan  est  emprunté  aux 
ballets  mascarades  qui  ont  continué  à  prospérer  à  côté 
des  grands  divertissements  royaux.  Le  ballet  de  Cour 
n'est  plus  désormais  qu'une  succession  de  tableaux  et  de 
scènes  de  pantomime,  un  défilé  de  figurants  diversement 
costumés,  annoncé  par  des  récits  enjoués,  commenté  par 
des  vers  burlesques  distribués  aUx  spectateurs. 

Durant  quelques  années,  le  luxe  des  costumes,  l'adresse 
des  danseurs,  l'extravagance  des  déguisements  firent 
illusion  et  le  ballet  de  Cour  sembla  pouvoir  subsister 
en  marge  des  formes  théâtrales  modernes  qui  s'orgà- 
iiisent  alors  définitivement,  mais  bientôt  la  décadence 
cOinmence.  Ce  spectacle,  sans  liaison  dramatique,  sans 
intrigue  suivie,  devient  incohérent;  la  fatigue  se  fait 
sentir;  l'imagination  dès  librettistes  et  des  musiciens 
est  épuisée.  C'est  à  ce  mortient  que  nous  l'abandonnons. 

Louis  XIII  meurt  en  i643.  Après  l'expiration  du  deliil 
royal,  ce  n'est  pas  un  ballet  qu'on  donne  à  la  GoUt*, 
comme  il  est  de  tradition  de  le  faire  à  chaque  carnaval 
depuis  un  demi-siècle,  mais  un  opéra  italien.  Trois  ans 
de  suite,  de  i645  à  1647,  l'opéra  triomphée  Paris.  Après 
la    Fronde,    profitant    de  l'hostilité  des  esprits    contre 


•Iti6  LE    BALLET    DE    COUR    EN    FRANCE 

tout  ce  qui  est  étranger,  le  ballet  qu'on  croyait  mort, 
ressuscite  et,  paré  des  ornements  et  des  séductions 
extérieures  de  l'opéra,  traverse  une  nouvelle  phase 
d'activité  ;  semblable  à  ces  tisons  qui  semblent  con- 
sumés et  qui  flambent  tout  à  coup  avant  de  s'éteindre 
définitivement. 

Benserade  ne  sera  pas,  comme  on  l'a  dit  souvent,  le 
grand  artisan  de  cette  renaissance  du  genre  ;  certes  il 
écrira  de  délicieux  récits  et  des  i^ers  pour  les  person- 
nages qui  seront  des  chefs-d'œuvre  de  verve  et  d'es- 
prit satirique,  mais  il  respectera,  dans  ses  grandes 
lignes,  l'architecture  traditionnelle  du  Ballet  à  entrées. 
Ce  sera  Lully  qui,  à  la  fois  baladin  et  compositeur 
d'airs  et  de  pièces  instrumentales,  transformera  le  ballet. 
Le  Florentin  introduira  dans  ce  cadre  un  peu  vide  de 
longs  intermèdes  d'abord  italiens,  puis  français,  des  sym- 
phonies développées,  des  duos,  des  trios,  des  scènes 
dialoguées,  d'imposants  finales.  Bientôt —  les  décors  de 
Torelli  et  de  Vigarani  aidant  —  les  entrées  d'un  ballet 
sembleront  autant  de  scènes  arbitrairement  détachées 
d'un  opéra.  Au  reste,  lorsqu'en  1672  Lully  voudra  mon- 
ter une  pièce  nouvelle  pour  inaugurer  la  salle  de  l'Aca- 
démie Royale  de  Musique,  il  lui  suffira  de  coudre  ensemble 
des  fragments  de  ballets  antérieurs  pour  composer  la 
Pastorale  des  Fêtes  de  V Amour  et  de  Bacchus. 

Le  ballet  de  Cour  disparut  devant  l'opéra.  Il  ne  pouvait 
en  être  autrement.  A  dater  du  jour  où  l'harmonieux  équi- 
libre entre  la  poésie,  la  musique  et  la  danse  avait  été 
rompu  au  détriment  |de  ll'élément  littéraire,  le  ballet 
devait  ou  bien  se  confondre  avec  l'opéra,  s'il  se  laissait 
envahir  par  la  musique,  ou  bien  devenir  une  simple  fête 
pour  les  yeux,  incapable  d'intéresser  et  d'émouvoir  s'il 


CONCLUSION  a47 

sacrifiait  la  musique  à  la  danse  et  à  la  pantomime.  Forme 
dramatique,  hybride  et  bâtarde,  sans  lois  certaines,  sans 
esthétique  défini,  le  ballet  de  Cour  n'en  a  pas  moins 
joué  un  rôle  d'une  importance  capitale  dans  l'histoire  du 
théâtre  lyrique  en  France.  II  fut  à  l'opéra  ce  que  la  pasto- 
rale et  la  tragi-comédie  furent  aux  formes  classiques  de 
notre  théâtre.  Lorsque  Lully  voulut  créer  l'opéra  français, 
il  n'eut  qu'à  prendre  dans  le  ballet  les  matériaux  néces- 
saires à  la  construction  de  l'édifice  qu'il  voulait  élever 
sur  le  plan  des  mélodrames  italiens.  Sans  doute,  même 
à  ses  jours  les  plus  glorieux,  le  ballet  de  Cour  ne  fut 
jamais  en  France  qu'une  ébauche,  mais  on  peut  dire,  en 
lui  appliquant  le  mot  de  La  Bruyère,  qu'il  fut  du  moins 
«  l'ébauche  d'un  grand  spectacle  ». 


PI. 


BALLET    DES    DEMONS    D  ARMIDE 


BALLET 


DE 


LA  DÉLIVRANCE  DE  RENAUD 

.6.7 


Avertissement.  —  Nous  avons  puisé  à  diverses  sources  pour  cette 
reconstitution.  Le  livret  imprimé  chez  Ballard  en  1617  :  Discours  au 
vray  du  ballet  dansé  par  le  Roy  y  le  dimanche  XXIX^  jour  de  janvier 
M.  VP.XVIIy  avec  les  desseins,  tant  des  machines  et  apparences  diffé- 
rentes, que  de  tous  les  habits  des  Masques,  à  Paris,  par  Pierre  Ballard, 
imprimeur  de  la  musique  du  Roy,  demeurant  rue  Saint-Jean-de-Beauvais, 
à  renseigne  du  Mont  Parnasse,  nous  a  fourni  le  texte  des  airs  à  voix 
seule  avec  l'accompagnement  en  tablature  de  luth  et  celui  des  chœurs 
en  parties  séparées.  Nous  avons  introduit  çà  et  là  quelques  variantes 
mélodiques  en  nous  autorisant  de  la  version  donnée  par  le  //*  Livre  des 
Airs  de  Cour  et  de  différents  autheurs.  Il  nous  a  paru  intéressant  de 
comparer  la  partition  des  chœurs  ainsi  établie  avec  l'arrangement  qu'en 
a  donné  Bataille  en  son  VIP  livre  des  Airs  mis  sur  le  luth.  Les  deux 
versions  ne  concordent  pas  sur  tous  les  points.  Néanmoins  il  nous  a 
semblé  que  la  réduction  de  Bataille  pouvait  donner  une  idée  assez 
juste  de  la  manière  dont  les  chœurs  étaient  accompagnés  dans  les  bal- 
lets sur  les  instruments  à  cordes  pincées.  Enfin  nous  avons  trouvé  dans 
la  collection  Philidor  (tome  III)  la  musique  de  la  plupart  des  airs  de 
danse  notée  pour  dessus  et  basse. 


BALLET  DE  LA  DÉLIVRANCE  DE  RENAUD 


«  Rien  n'estoit  encores  paru  qu'une  grande  perspective  de  palais  et  paysage  recullé... 
quand  on  entendit  un  grand  concert  de  musique,  dont  les  concertans  estoyent  cachez... 
il  sembloit  que  ce  fussent  ces  oiseaux  qu'Armide  laissoit  à  l'entour  de  Renault  pour 
l'entretenir  en  son  absence,  ayant  pouvoir  de  contrefaire  les  voix  humaines,  et  de  chanter 
les  plaisirs  de  l'Amour,  a\^ec  les  persuasions  contenues  en  ces  vers,  (faits  et  mis  en 
musique  par  le  sieur  Guedron,  intendant  de  la  musique  de  sa  Majesté.) 


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1 


P«is-que     les       ans   n'ont  qu'un  Printemps     Pas  -  sez     a-mans  doucement. 

r:Jfr\frnrrni  r  |ff  nrfn 


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Puis-que     les      ans    n'ont  qu'un  Printemps    Pas  -  sez  a -mans  doucement 


"y-m^ï  rij  f>  icr^^Jir  r  itj^^^ 


Puisque      les      ans   n'ont  qu'un  Printemps  Pas  -  sez  a -mans  doucement 


^,Hj.hJ.J^|^^J^|.IJ,^Jh/,,M^J^lJ    ^ 


Luth 


A     ,  A    A   A  ,    ,    j_ 


?  icoifjr  pj^^ 


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LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 


/  f  f  f  'f*f  f  'li  rr  Tf"  T  ' 


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vos-tre  temps    Yosjourssen  vont   et  n  ont  point  de  re  -tour  Emploj 


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i^  ^^j  J  v-i^ 


ez  -les 


f^ifitân 


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vostre  temps    Vos  jours  sen  vont  et  n'ont  point  de  re  -tour 


h  j  I  j  ir^n^ 


te 


vostre  temps     Vosjourssen  vont  et  n'ont  point  de   re -tour. 


^^NiJ  ii^JJiJJ/i^.^i/^-ji^^^ 


jn   ij    r 


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It-rJ  f    IJJ  I  N  i4   h!  MH-^'^UJ 


aux  délices       d'amour       Employez       les  aux    dé  -  li  -  ces  d"A 


f^^^Yf^yM^ 


-  moup 


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ff  i^f^ri  p 


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Lmplojei      les  aux  de  -  li  -  ces  d'A  -  mour 


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Employez      les   aux  dé  -  li-ces  dA  -  mour 


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WW^-h'^rl,^^ 


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fiUff  ir  P 


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BALLET  DE  LA  DELIVI^i^NCE  DE  RENAUD 


a53 


•  Ceste  musique  cessant...  »  se  perdit  la  perspective  première...  et  parut  une  montaigne.... 
Renault  {représenté  par  M.  de  Luynes...)  estait  couché  sur  l'herbe  et  sur  les  fleurs,  au 
dedans  d'une  grotte  enfoncée  dans  le  milieu  de  cette  montaigne  :  Au-dessus  et  à  l'entour 
de  cette  grotte  estoit  sa  Majesté,  accompagné  de  douze  Seigneurs,  représentant  autant 
de  Démons  laissez  par  Armide  à  la  garde  de  son  bien  aymé,  avec  charge  de  luy  faire 
passer  le  temps  en  tous  les  délices  imaginables  ... 

Sa  Majesté  descendit  les  degrez  d'un  petit  théâtre  eslevé  de  trois  pieds  seulement,  au 
son  de  vingt  quatre  violons,  représentant  autant  d'esprits,  logez  en  une  niche  séparée... 
et  comme  si  sa  Majesté  eust  repris  Renault  d'estre  sorty  sans  son  congé  {parce  que  desja 
il  s'estoit  avancé  dans  la  salle)  elle  le  ramena  jusques  au  milieu,  et  dança  avec  luy  jus- 
qu'à ce  que  Monsieur  le  chevalier  de  Vendosme,  {représentant  le  Démon  des  eaux)  et 
Monsieur  de  MompouHan  (un  Esprit  de  l'air)  descendirent  de  la  montaigne  pour  les  venir 
joindre....  I-Qup  entrée  fut  ornée  de  si  Celles  dances,  si  diverses  figures  et  si  fo//asfre§ 
actions,  qu'ils  laissèrent  à  ceux  qui  /es  veirent  une  créance  de  ne  pouvoir  rien  yoip  çfe 
mieux.... 


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Tandis  qu'ils  achevoyent  leur  Ballet,  et  que  desjà  Renault,  se  voulant  reposer,  s'achemi- 
noit  vers  sa  grotte.  Monsieur  le  comte  de  la  Roche  Guy  on...  et  M.  le  général  des  Gallères... 
descendirent  de  la  mesme  montaigne....  On  douta  longtemps  s'ils  n'avoyent  point  apris 
quelque  chose  des  pemons  mesmes,  et  si  les  hommes  pouvoyent  avoir  autant  de  prompti- 
tude et  de  conduitte  tout  ensemble.... 


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LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 


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Ma/s  qfuand  ces  seconds  cessèrent  de  dancer  et  que  Monsieur  de  Liancourt...  Monsieur 
de  Blinville...  Monsieur  de  Challais...  et  Monsieur  de  Humieres...  descendirent  de  leur  mon- 
taigne  pour  venir  chercher  Renault  qu'ils  ne  voyaient  plus...,  l'extraordinaire  disposition 
des  personnes,  joincte  à  la  bizarre  rencontre  des  habits,  avec  la  difficulté  des  pas 
facillement  surmontée,  firent  avouer  à  tous  que  la  merveille  surpassoit  de  bien  loing  la 
créance  qu'ils  avoyent  eue  de  leur  perfection.... 

Encores  la  bonne  fortune  de  l'assemblée  ne  s'arrestat  elle  pas  au  plaisir  que  leur  donna 
cette  troisiesme  entrée;  une  quatriesme...  la  suyvit...  Monsienr  le  marquis  de  Courtan- 
vault...  Monsieur  le  comte  de  la  Rochefoucaut...  Monsieur  de  Brantes  et  Monsieur  le  baron 
de  Palluau  furent  les  quatres  qui  sortirent  les  derniers  de  la  montaigne.... 


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...  Renault  ressortit  de  sa  grotte  avec  tous  les  Démons  qui  l'avoyent  cherché  ou  suivy, 
et  se  joignands  tous  avec'Jes  quatre  restans,  dancerent  un  Ballet  de  quatorze,  si  différent 
des  premiers  en  nombre  et  en  beauté  qu'il  eut  tout  seul  les  aplaudissemens  qu'avoyent 
eu  tous  les  autres.... 


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Tous  les  Démons  s'eyanouïrent  et  lors  se  commença  la  délivrance  de.Renault  :  carcle^x 
c^valliers...  l'un  portant  une  baguette  et  l'autre  une  carte  avec  un  escu  argenté...  entrèrent... 
et  dancerent  quelque  temps  sous  un  air  de  trompette...  Ceè  chevalliers  (n'ayant  autre  but 
que  la  délivrance  de  Renault)...  se  retournèrent  vers  la  grotte  première  où  cet  héros  avoit 
paru.  Armide...  leur  m  voir  à  l'abbort  le  premier  effect  de  ses  charmes  :  car  ceste  /rjp/?- 
taigne  se  tourna  d'elle  mesime...  tput  ch?ingea  d'un  Instant  et  en  leur  place  parurent...  de 
beaux  jardinages...  et  dans  ces  Jardins.trois  grandes  fonteynes  rustiques.... 

La  nouveauté  de  cet  aspec  arresta  quelque  temps  les  cavalliers  :  mais  se  resouvenant 
des  advis  qu'on  leur  avoit  donnez,  ils  se  servirent  de  leur  ba^yette  ppup  destruire  ces 
magiques  puissances  d' Armide.  Au  premier  coup  que  ses  fonteynes  en  reçeurent...  l'eau 
cessa  mesfne  de  couller....  Un  nouveau  charme  encore  leur  donna  nouvel  esionnenient, 
car  une  Nymphe  eschevellée  et  toute  nûe  sortit  du  bassin  de  la  fonteyne  du  milieu  et... 
chanta  ces  vers  faits  par  Bordier.... 

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PI.  16. 


DIALOGUE    ENTRE    UN    MACÎE    ET    LES    SOLDATS 


BALLET    DE    LA    DELIVRANCE    DE    RENAUD 


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Qui  sont  dans  les  champs  Idumées; 

Il  doit,  jeune  qu'il  est,  donner  à  son  désir 

Moins  de  gloire  et  plus  de  plaisir. 

Amour,  dont  son  cœur  est  le  temple, 
L'empesche  de  suivre  l'exemple 
De  ces  foibles  esprits  qui  rendent  leur  bonheur 
Subject  aux  lois  du  poinct  d'honneur. 

Il  doit  plustost  faire  la  guerre 
Sous  Amour  qui  peuple  la  terre, 
Que  de  perdre  la  fleur  de  ses  jours  les  plus  beaux, 
Sous  Mars  qui  peuple  les  tombeaux. 


D'autres  que  ces  cavalliers  eussent  esté  arrestez  par  la  douceur  de  la  voix  ou  la  beauté 
de  la  Nimphe  ;  mais  leurs  oreilles  et  les  veues  estoyent  bouchées...  ils  la  forcèrent  de  se 
replonger  en  l'eau.... 

Aussitost  parurent  six  differens  Monstres...  deux  [desquels  avoyent  la  teste,  les  ayles  et 
les  pieds  de  hiboux,  avec  le  reste  du  corps  couvert  d'un  habit  de  jurisconsulte...  deux 
autres  avoyent  la  teste,  les  bras  et  les  jambes  de  chien,  le  reste  du  corps  rapportant  à  un 
païsan  ;  et  les  deux  derniers  ayant  teste,  bras  et  jambes  de  singe,  representoyent  une  fille 
de  chambre,  jeune  et  parée  selon  l'usage  présent.  Ces  monstres...  attaquèrent  les  deux 
cavalliers...  et  eux  leur  résistant  par  les  armes...,  leur  contraste  donna  lieu  à  un  Ballet  de 
bouffonnerie  et  de  gravité  entremesiée.... 


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...  Les  Monstres  s'enfuyrent,  tandis  que  Renault,  transporté  d'ayse,  en  la  possession  de 
son  Armide,  estoit  couché  sur  les  fleurs  que  l'eau  de  ses  fonteynes  arrosoit  en  tombant, 
et  chantoit  ces  vers  faits  par  Durand  ; 


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Les  Cavalliers,  plains  d'ayse  ef  d'ardeur  en  la  rencontre  de  ce  qu'ils  cherchoyent, 
s'arresterent  tout  court  à  l'entrée  de  ce  jardin,  et  faisant  voir  Renault  a  Uiy-mesme  dans 
l'escu  de  cristal  qu'ils  avoyent  apporté,  l'emmenèrent  hors  de  ce  lieu  enchanté.... 

Armide  accourt  esplorée  sur  les  lieux  que  Renault  a  laissez,  elle  voit  ses  fonteynes 
taries,  ses  Nymphes  muettes,  ses  monstres  chassez,  et  bref  tout  son  jardin  changé  de  ce 
qu'il  estoit  auparavant... 

Le  dépit  luy  fait  appeler  ses  Démons  par  des  conjurations  toutes  nouvelles  :  mais  il 
sembla  que  ces  malicieux  ministres.,,  prissent  plaisir  à  se  mocquer  de  son  inquiétude... 
Trois  en  forme  d'escrevisse,  deux  en  tortues  et  deux  en  //massons...  sortirent  de  dessous 
des  antres  obscurs... 

L'enchanteresse  dépitée  de  voir  ses  Démons  sous  ces  formes  moqueuses...  chanta  ces 
vers  faits  par  Bordier 


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Espritz  les  plus  trompeurs  de  l'infernale  bande, 

C'est  un  faire  le  faut, 
Parlez,  Démons,  Armide  vous  demande 

Qu'est  devenu  Renault  7 

A  l'avril  de  ses  ans  quel  accident  funeste, 

Seroit-il  arrivé. 
Ou  Jupiter,  en  la  maison  céleste 

L'auroit-il  enlevé  ? 

Won,  non,  l'amour  du  change  où  l'humaine  malice 

Se  laisse  aller  souvent. 
Fait  qu'à  mon  dam  son  cœur  plein  d'artifice 

A  mis  la  voile  au  vent. 

Quoy  donc  ?  ny  la  beauté,  ny  les  faveurs  d' Armide 

(0  cruel  souvenir!) 
Ny  les  sermens  de  son  âme  perfide, 

Ne  l'ont  sçeu  retenir  ! 


A  la  fin  de  ces  vers,  les  Démons  sortirent  de  leurs  coques  et  parurent  en  forme  de 
vieilles...  bottées  et  esperonnées,  et  se  peut  dire  que  (jusques  icy)  rien  ne  s'est  veu  de  si 
bizarre  et  si  plaisant  que  ce  ballet.  Marais  estoit  celuy  qui  représentoit  Armide  en  ses 
furies  et  ses  chants,  et  Belleville  {qui  généralement  avoit  fait  tous  les  airs  et  toutes  les 
dances  du  ballet)  estoit  encore  le  particulier  conducteur  de  tous  les  Démons  invoquez. 


BALLET  DE  LA  DELIVRANCE  DE  RENAUD 


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...  Armide  se  fit  emporter  par  ses  Démons...  tout  trembla  et  changea  tout  ensemble,  au 
transport  de  cette  sorcière  et...  tous  les  ballets  d'entrée  finirent  en  ce  changement. 

Après  un  moment  de  relasche....  entra  dans  la  salle  un  petit  bois...  dans  lequel  chan- 
toyent  seize  personnes  vestOesen  cavalliers  antiques...  Le  bois  et  les  hommes sembloyent 
estre  esmeus  par  la  puissance  d'un  hermite,  représenté  par  Le  Bailly...  et  cet  hermite 
tenoit  la  place  du  vieil  Pierre,  par  la  science  duquel  Renault  fut  délivré  de  sa  prison.  Les 
autres  cavalliers  representoyent  les  soldats  de  l'armée  de  Godefroy,  qui,  impatiens  de 
l'eslongnement  de  Renault,  le  cherchoyent  en  chantant  ces  vers,  faits  par  Guedron  : 


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BALLET  DE  LA  DELIVRANCE  DE  RENAUD 


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Renault. 


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L'object  du  monde  le  filus  beau. 

Les  Soldats  ;     Un  noble  cœur  sauve  sa  gloire, 
Et  met  ses  plaisirs  au  tombeau. 


Et  ce  dialogue  fini  se  faisoit  une  grande  Musique  du  concert  du  sieur  Guedron,  et  de 
l'autre  qui  premièrement  s'estoit  fait  admirer  sous  la  conduitte  du  sieur  IVlauduit...  Cha- 
cun avoua  que  l'Europe  n'a  jamais  rien  ouy  de  si  ravissant  et  le  nombre  de  quatre  vingt 
douze  VOIX  et  de  plus  de  quarente  cinq  instrumens  estant  joincts  ensemble,  faisoit  un  si 
doux  bruict  qu'il  ne  semblait  pas  revenir  au  quart  de  ce  doht  il  estoH  composé.  Les  vers 
qui  suyvent,  faits  et  mis  en  air  par  Guedron  furent  ceux  qu'ils  chantèrent  ensemble. 


264 


LE  BALLET  DE  COUR  EN  FRANCE 


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rè,  Ce  tyran  nest  plus  son  vainqueursesfeux  ne  brûlent    soni      cœur  cœur 


at-ti   -  ré  -    ré  Ce  tj-ran  n'est  plus  son  vainqueur  ses  feux  ne  brûlent     son     cœur   cœur 


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Tout  se  changea  de  soy-mesme  à  mesure  que  ce  petit  bois  se  retira...  la  face  du  milieu 
(du  théâtrej  où  Godefroy  et  les  chefs  de  son  armée  estoyent  assemblez  pour  se  réjouir  de 
l'heureux  retour  de  Renaut,  atira  tant  d'yeux  à  soy,  qu'il  n'en  resta  plus  pour  les  tro- 
phées.... Le  Roy,  comme  un  autre  Godefroy,  estoit  sur  un  trosne  dans  ce  pavillon  de  toille 
d'or,  regardant  au  dessous  de  luy  les  mesmes  seigneurs  de  sa  cour  qui  l'avoyent  accom- 
pagné en  la  représentation  des  Démons. 

...le  Roy  donna  le  signal,  chascun  descendit  pour  luy  faire  place,  et  tandis  qu'il 
s'avança  sur  le  devant  du  théâtre,  les  violons  jouèrent  le  Grand  Ballet. 


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Ce  ^rand  ba//et  fut  dancé  avec  tant  d'ordre  et  de  disposition' qu'aucun  autre  devant  lu  y 
ne  se  peut  vanter  de  la  mesme  beauté....  Ainsi  le  Ballet  se  finit  et  M  passer  une  nuit  plus 
délicieuse  que  la  plus  belle  journée  du  Printemps.... 


BIBLIOGRAPHIE 


AVERTISSEMENT 

Les  ouvrages  de  musique  pratique  ne  figurent  pas  dans  cette  bibliographie.  On 
en  trouvera  la  description  au  cours  des  chapitres.  Il  en  va  de  même  des  livrets 
de  ballets,  dont  l'index  alphabétique  permettra  de  retrouver  rapidement  la  des- 
cription. Exception  est  faite  pour  quelques  relations  de  ballets  dont  nous  connais- 
sons les  auteurs. 

Nous  nous  en  sommes  tenus  à  une  bibliographie  générale  n'indiquant  que  les 
principaux  ouvrages  cités  au  cours  de  notre  étude. 


Actes  de  François  /«''  [Catalogue 
des);  Paris,  1887  et  suiv,  (10  vol. 
in-4^), 

Ancona.  (d').  —  Origini  del  teatro 
italiano,  2^  ediz.  ;  Roma  Loes- 
cher,  1891  ;  2  vol,  in-8'', 

AuBiGNÉ  (d')  ,  —  Histoire  Univer- 
selle ;  Soc.  Hist.  de  France  et  édit. 
de  1626,  Amsterdam  ; 

Mémoires;  édit.  Lalanne, 

Augé-Chiquet.  —  La  Fie,  les  idées  et 
Vœuvre  de  Jean-Antoine  de  Baîf; 
Paris,  1909,  in-8*^. 

AuTON  (Jean  d').  —  Chroniques  de 
Louis  Xll ;  Soc.  Hist.  de  France. 
Paris,  1899,  4  vol.  in-8''. 

Baif.  —  OEuvres;  édition  Marty-La- 
veaux.  Paris  1881-1890  (5  vol.). 

Bapst  (Germain).  —  Essai  sur  l'his- 
toire du  théâtre.  La  mise  en  scène, 
le  décor,  le  costume,  l'architecture, 
l'éclairage,  l'hygiène  ;  Paris,  i883, 
in-40. 

Bassompierre,  —  Journal  de  ma  vie. 
Soc.  Hist.  de    France,  4  vol.  in-8*^. 


Beauchamps  (de).  —  Recherches  sur 
les  théâtres  de  France;  Paris 
MDCCXXXV.  Edition  in-40,  3 livres 
en  un  volume  ;  édition  in-8^  en  3  vo- 
lumes. 

Beaujoyeulx.  —  Balet  comique  de  la 
Royne  fait  aux  noces  de  M.  le  duc 
de  Joyeuse  et  Mademoiselle  de  Vau- 
demont  sa  sœur;  Paris,  Ballard, 
i582,  in-4°. 

Benserade.  —  OEuvres  ;  Paris,  de 
Sercy,  1698,  2  vol.. 

Bonnet,  —  Histoire  générale  de  la 
danse;  Paris,  1723,  in-8<*. 

BoissART  (Robert).  —  Mascarades 
recueillies  et  mises  en  taille-douce, 
1597. 

BoucHET  (Guillaume).  — Les  Scrées. 
i6i5,  in-8«. 

Brantôme.  —  OEuvres  complètes  : 
édit.  Lalanne,  Soc.  Hist.  de  France, 
II  vol.  in-8^. 

Brenet  (Michel).  — Notes  sur  l'his- 
toire du  luth  en  France.  Turin 
Bocca,  édit,  in-8^. 


268 


BIBLIOGRAPHIE 


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Paris,  Alcan,  1912,  m-12. 

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Les  Musiciens  de  la  Sainte-Cha- 
pelle du  Palais  ;  Paris,  1910,  in-S^. 

Brienne  (Loménie  de).  —  Mémoires  ; 
édit.  Barrière,   1828,  in-8<^. 

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Catalogue  de  la  Bibliothèque  de  F.- 
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et  la  mise  en  scène  au  xvii®  siècle  ; 
Paris,  1869,  in-12. 

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d'Orléans  ;  Paris,  Champion,  1911, 
in-80. 

Charles  d'Orléans.  — Poésies  ;  édit. 
Charles  d'Héricault,  a  vol.. 

Christine  de  Pisan.  —  Le  livre  des 
faitz  du  sage  roy  Charles;  édition 
Buchon. 

Le  Dit  de  la  Rose  (Poésies),  édi- 
tion Roy. 

Cimber  et  Danjou.  —  Comptes  des 
dépenses  de  Henri  III ;  Archives 
curieuses  de  l'histoire  de  France  ; 
i""^  série,  X,  427  etsuiv. 

Cohen.  —  Histoire  de  la  mise  en 
scène  dans  le  théâtre  religieux  du 
moyen  âge.  —  Paris,  Champion, 
1906,  in-12. 

CoLLETET  (Guillaume).  —  Le  Grand 
Ballet  des  Effets  de  la  nature  ;  Paris 
i636.  Préface. 

Deloche.  —  La  maison  du  cardinal 
de  Richelieu  ;  Paris,  Champion, 
1911,  in-8^. 

Durand.  —  Discours  au  vray  du  Bal- 
let dansé  par  le  Roy,  le  dimanche 
XXI X^  jour  dejanvierMVI^XVII. . . 
Paris,  Ballard,  16 17,  in-4'^. 

Du  TiLLiOT.  —  Mémoire  pour  servir 
à  V histoire  de  la  fête  des  foux; 
Lausanne,  I75i,in-i2. 

Egorcheville.  —  Vingt  suites  d'or- 
chestre du  xvii«  siècle  français, 
Paris,  1906,  in-40. 

EiTNER.  —   Biographisch-Bibliogra- 


phischen    Quellen-Lexikon  ;  Leip- 
zig, 1900,  10  vol.  in-8*^. 

Escouchy  (Mathieu  d').  —  Chronique 
Soc.  Hist.  de  France,  3  vol.. 

Evelyn  (John).  —  Memoirs ;  London, 
1827,  in-80. 

Fétis.  —  Biographie  Universelle  des 
Musiciens,  Paris,  1868,  8  vol.. 

FouRNEL  (Victor).  —  Les  Contem- 
porains de  Molière;  Paris,  1876, 
3  vol.  in-80. 

Froissard  .  —  Chroniques  ;  édit . 
Buchon,  Paris,  1846,  3  vol. 

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cienne langue  française;  Paris, 
1880. 

Gramont(de).  —  Relation  du  Grand 
ballet  du  Roy,  sur  l'adventure  de 
Tancréde  en  la  forest  enchantée  ; 
Paris,  Jean  Sara,  1619,  in-8''. 

Discours  du  Ballet  de  la  Reyne 
tiré  de  la  fable  de  Psyché^  Paris, 
i6i9,in-8o. 

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musicians  :  London,  1900  (5  vol. 
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fance  et  la  jeunesse  de  Louis  XIII; 
Paris,  1868,  2  vol.  in-80. 

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graphie et  d'histoire;  Paris,  1867, 
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Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous 
François  Z®""  Soc.  Hist.  de  France, 
Paris',  i854,  in-80. 

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gogne ;  Paris  1849-1852,  3  vol. 
in-80. 

Comptes  des  bâtiments  du  Roi  ; 
Paris,  1878-1880,  2vol.in-8^. 

Lacroix.  —  Ballets  et  mascarades  de 
Cour,  de  Henri  III  à  Louis  XIV; 
Genève,  Gay,  i868,  6  vol.  pet.  in-ia 
(tiré  à  100  exemplaires). 

Bibliothèque  dramatique  de 
Monsieur  de  Soleinne;  Paris,  i843 
6  vol.  in-80. 


BIBLIOGRAPHIE 


269 


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musique  au  XVII^  siècle  en  France 
avant  Lully  et  leur  influence  sur 
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La  Marche  (Olivier  de).  —  Mémoi- 
res ;  Edit,  de  la  Société  d'histoire 
de  France,  Paris,  i883,  4  vol. 
in-80. 

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de  la  Tragédie  classique  en  France. 
Revue  d'histoire  littéraire  de  la 
France,  igoS. 

La  Vallière.  —  Ballets^  opéra  et 
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MDCCLX,  in-80. 

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édition  Lalanne,  Paris,  1862  (5  vol. 
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Amsterdam,  MDCCLX,  3  vol.  pet. 
in-80. 

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tique; VAris,  igoS,  in-80. 

Martial  d  'Auvergne.  —  {Arresta 
Amorum).  —  Sensuit  les  cinquante 
et  ung  et  le  cinquante  deuxième 
arretz  donnez  au  grand  Conseil 
d'amour  avec  les  Ordonnances  sur 
le  faict  des  masques. 

Masson  (Paul-Marie)  .  —  L'huma- 
nisme musical  en  France  au  xvi« 
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Charles  Neuviesme.  AMeidelbourg, 
MDLXXVin. 

Ménestrier.  —  Des  représentations 
en  musique;  Paris,  René  Gui- 
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Des  ballets  anciens  et  modernes 
selon  les  règles  du  théâtre,  1682, 
pet.  in-80. 

Mercure  francois  {Le).  —  Paris, 
i6o5  et  années  suivantes. 

Mersenne.  —  Harmonie  Universelle  ; 
Paris,  i636,  in-fo. 

Quaestiones  celeberrimse  in  Gene- 
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in-t^. 


Mistère  du  Vieil  Testament  ;  édit. 
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Picot),  Paris,  1882,  80,  (T.  IV). 

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1604,  in-40. 

Picot  (Emile).  —  Catalogue  de  la 
bibliothèque  James  de  Rothschild  ; 
4  vol.  in-80 

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en  France  avant  Lulli,  Paris,  Cham- 
pion,  191 3,  in-8®. 

Lully  ;  Paris,  Laurens,  19 10, 
in-80. 

La  musique  de  la  Chambre  et 
de  V Écurie  sous  François  Z®""  et 
Henri  II;  Année  musicale  191 1, 
Paris,  1912,  in-80. 

Notes  sur  les  origines  de  V Ouver- 
ture Française  ;  Sammelbande  der 
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cale 1912,  Paris,  Alcan,  1913,  in-8o, 

Pure  (Michel  de).  — Idée  des  spec- 
tacles anciens  et  nouveaux  ;  Paris, 
MDCLVIII,  in-i2. 

QuiTTARD  (Henry).  —  La  première 
comédie  française  en  musique  ; 
S.  I.  M.,  1909. 

Recueil  et  discours  du  voyage  du 
Roy  Charles  IX...  es  années  i564 
à  i565. 

Reyher  (Paul)  .  —  Les  masques 
anglais;  Paris,  1909,  gr.  in-80. 

RiGAL  (Eugène).  —  Le  théâtre  fran- 
çais avant  la  période  classique; 
Paris,  1901,  in-i2. 

De  Jodelle  à  Molière  ;  Paris', 
I9ii,in-i2. 

Rolland  (Romain).  —  L'opéra  avant 
l'opéra  ;  Musiciens  d'autrefois, 
Paris,  Hachette,  in-12. 

Histoire  de  l'opéra  en  Europe 
avant  Lully  et  Scarlatti;  Paris, 
1895,  in-80. 


'À'JO 


BIBLIOGRAPHIE 


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Chronique  du  règne  de  Charles  VI. 

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France,  6  vol.  iu-S**. 
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composer  et  faire  réussir  les  bal- 
lets;     Paris,      François      Targa, 

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in-i2<». 
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dramma,  Milano,  s.  d.,  3  vol.  in-4^. 

Ferrara  e  la   Corte  Estense   nella 

seconda  meta  del    secolo   decimo- 

setto  ;  190Û. 


Le  origini  del  melodramma  ; 
Turin,  1908,  in-8°. 

Vita  di  Torquato  Tasso.  Torino, 
Lœscher,  1899  (3  vol.  in-8o). 

Musica,  ballo  e  dramatica  alla 
corte  mediceu  dal  1600  al  1637y 
Firenze,  1905,  in-8'*. 

Sorel  (Charles)  .  —  La  vraye  histoire 
comique  de  Francion,  Paris,  1623. 
(Nous  citons  d'après  l'édition  de 
Rouen,  1678.) 

Tallemant  des  Réaux.  —  Histo- 
riettes ;  publ.  par  Monmerqué, 
3®  édit.  Garnier,  10  vol.  in-12. 

Thoinot-Arbeau.  —  Orchéso  graphie  f 
édit.  LaureFonta, Paris,  1888,  in-8'*. 

Tutti  i  Trionfiy  carri,  mascherate  o 
canti  carnascialeschi  andati  per 
Firenze  dal  tempo  del  Magnifico 
Lorenzo  de  Medici;  1750,  2  vol. 
in-80. 

VioLLET-LE-Duc.  —  Ancien  théâtre 
français  ;  collection  elzévirienne. 


INDEX' 


Adventure  de  Tancrède  en  la  forest 
enchantée  (/,'),  119-1-21,  122,  i55- 
i57,  160,  166,  170,  i83,  i85,  187, 
188,  210,  2i5,  216,  229,  236,  237. 

Agricola,  21. 

Alcine  [B.  d'),  jio-ii3,  137,  147-148, 
164,  166,  i83,  235,  237. 

Alençon  (Duc  d'),  66,  78. 

Aminta,  79-80. 

Amoureux  contrefaits,  24. 

Ancona  (D'),  33. 

Ancre  (Maréchal  d').  Cf.  Concini. 

Andromède  {B.  d'),  io5. 

Angoulênie  (Duc  d') ,  Cf,  Valois 
(Charles  de). 

Angoulême  (Madame  d'),  5o, 

Anne  d'Autriche,  121,  12a,  161,  162. 

Apollon  {B.  d')j  122,  i53, 190, 197, 238. 

Arbaut  (D'),  99. 

.Vrgenti  (Agostino),  32. 

Argonautes  {B.  des),  ii4,  149. 

Arimène,  i46-i47' 

Arioste,  3i. 

Aubigné  (Agrippa  d'),  55,  73,  76,  82, 
86-87,  89- 

Auger  (Paul),  227,  233. 

Aumale  (Duchesse  d'),  91. 


B 


Bacchanales  {B.  des)^  124,  177. 
Baif  (Jean-Antoine),  5o,  52, 67, 60-71, 


76.  77>  79.  80,  82,  84-86,  88,  n5, 
192,  220,  232,  233,  234,  243,  244. 

Bailly  (Henry),  188-189,  2.17,  239. 

Ballard  (Pierre),  227. 

Ballard  (Robert),  iio,  186,211,  222, 

224,   225. 

Ballet   Comique    de   la   Royne.    Cf. 

Circé. 
Baltazarini.  Cf.  Beaujoyeulx. 
Bapst,  III. 

Bar  (Madame  de),  95-96,  i65. 
Barbonnat,  176. 
Bardi,  57. 
Barradas,  i85. 
Bartolomeo  Fiorentino,  21, 
Bartolomeo  Tromboncino,  11. 
Bassompierre,  174. 
Bataille  (Gabriel),  ii5,  227,  234,  239. 
Beauchamps,  11,  149,  211. 
Beaujoyeulx  (Balthazar),  68,  71,  78- 

79,  82-94,  109,  i35, 164,  208,232, 

244. 
Beaujoyeulx  (Charles  de),  78. 
Beaulieu   (Lambert   de),    87-88,    91, 

173,    232. 

Beaulieu  (Demoiselle  de),  91,  173. 

Beccari  (Agostino),  32. 

Beffara,  209,  229. 

Belleville,  176,  177,  ^09,  210. 

Bollini(G.),3i. 

Ben  Jonson,  96,  195. 

Benserade,  iii-v,  14a,  igS,  2o5-2o8, 246. 

Bertaut,  107,  193,  196,  199. 

Bibbiena,  3i,  32. 


i.  Les  chiffres  gras  indiquent  les  passages  les  plus  importants  pour  la  biogra- 
phie des  personnages  ou  l'analyse  de»  œuvres. 


272 


INDEX 


Billard,  84. 

Blainville,  174. 

Bocan,  176,  209,  210. 

Boesset  (Antoine),  n5,  122,  226,  228- 

23i,  233,  234,  238,  240. 
Bois-Robert,  142,  lyS,  193. 
Bonnet,  11. 

Bordier,  193,  194,  204,  20.'>,  207,  208. 
Botticelli,  3i,  35, 
Bourgogne    (Ducs   de'i.  Cf.  Philippe 

le  Bon,  Charles  le  Téméraire, 
Bourgogne  (Bâtard  de),  18, 
Boyer,  227. 

Bracesco  (Virgilio),  53,  67, 
Brantôme,  37,  43,  55,  73, 
Brave  [Le),  52. 
Brenet  (Michel),  v,  62,  108. 
Brienne,  209. 

Brissac  (Maréchal  de),  52,  78. 
Brotin,   171. 
Bureau  d'adresses  [B.  du)^  172. 


Cabou,  174. 

Caccini  (Giulio),  61,  77,  106-107,  229, 

237,  244- 
Cajetan  (Fabrice),  60,  188. 
Calandra  {La),  3i. 
Cambefort,  208,  227, 
Caproli  (Carlo),  i63, 
Cardelin,  171, 
Caroso  (Fabritio),  66-67. 
Cassandre  {B.  de),  172, 
Castiglione,  24,  3i,  54. 
Catherine  de  Médicis,  33,  43,  45,  47, 

48,  5o,  5i,  55,69,  76,78,  89,90,  i63. 
Cavalière  (Emilio  del),  77, 
Cefalo,  3o,  79. 
Chalais,  174. 
Chambonnières,  175, 
Champion  (Pierre),  vi,  6, 
Chancy,  189, 
Charles  V,  7,  9. 
Charles  VI,  2-4. 
Charles  VII,  9. 
Charles  VIII,  26,  34,  35. 
Charles  IX,  38,  44-47,  49,  5i,  53,  6i, 

67,  68,  70,  72,  73,  78, 
Charles  le  Téméraire,  12,  18,  3o,  45. 


Chassa  (Jehan  de),  19, 

Château  de  Bicêtre  {B.  du),  137-140, 

142,  159,  169,   171,  176,   178,  193, 
Chefdeville  (Radegonde),  175. 
Chevalier,    108,    109,  209,    210,   227. 
Chienne  {B.  de  la),  2i5. 
Christine  de  Pisan,  p.    7,  14,  i5. 
Cinq  sens  delà  nature  [B.  des),  161. 
Cinzio  (Giraldi),  32. 
Circé,  42,  57,  75,  76,  78,  80,  81,  82- 

94,  114,    i34,   i35,   187,   144,  164, 

i65,  166,  173,   182,  186,  196,  208, 

2i3,  225,  232,  241. 
Claude  de  France,  48. 
Clinchamps,    174. 
Cocchio,  32. 
Coffin,  227. 
Colletet,  168,  193. 
Comédie  des  proverbes,  174. 
Concini,  197. 

Condé  (Prince  de),  99,    196. 
Constantin  (Louis),  209. 
Coppinius  (Alexander),  21, 
Coqs  {B.  des),  218. 
Corbinelli,  80. 
Cordier  (Gabriel),    175. 
Cordier  (Jacques),  cf.  Bocan. 
Cordier  (Jean),  175, 
Corneille,  193. 

Correggio  (Nicolô  da),  3o,  79. 
Costé   (Angubte),  84. 
Costeley,  59. 
Courtenvaux,   174. 
Courtisan  {Bouffonnerie  du),  202. 
Courville  (Thibaut  de),  60-62,  66,  71, 

87,88,  232,    233. 

Cramail  (Comte  de),  174. 
Créquy  (Seigneur  de),  i3. 
Créquy  (Duc  de),  174. 


Dafne,  106. 

Dames  toutes  couvertes  d'estoiles  {B. 

des),  107, 
Dames  représentant  les   vertus    {B. 

des),  107. 
Dauphin  {B.  de  Monseigneur  le),  109- 

iio,  T98,  241. 
Daurat,  41,  55,  63,  69,  192, 


INDEX 


273 


Del  Bene,  80. 

Delfin,  176. 

Délivrance  de  Renaud  (£a),  115- 
119, 153-157, 166,  172, 173,  176, 
i83,  187,  189,  225,  227,  229,  237. 

Demont,  v. 

Dérèglement  des  passions  [B.  du), 
218,  219,   221. 

Descartes,  i3o. 

Desguisez  [Les),  5, 

Desmarets,  193. 

Desportes,  60,   192. 

Deux  Magiciens  {B.  des),  178. 

Diobono    (Pompeo) ,    52-53,   67,    78. 

Divers  entretiens  de  la  Fontaine  de 
Vaucluse  [Les),  159. 

Dolce  (Ludovico),  32, 

Dorat.  Cf.  Daurat. 

Douairière  de  Billebahaut,  19,  127- 
129,  139-140,  142,  159,  160,  169, 
176, 177, 180, 181,  i85,  194,201-204. 

Doubles  femmes  [B.  des),  107. 

Dubos  (Abbé),  214. 

Du  Pont,  173. 

Durand,  ii5,  119,   194. 

Du  Vivier,  193. 


Echecs  {B.  des),  101-102. 
Ecorcheville,  175. 
Eff'ets  de  Nature  {B.  des),  160. 
Elbeuf  (Duc  d'),  174,  2o5. 
Eléonore  d'Autriche,  p.  4ï. 
Elisabeth  de  France  (i545-i568),  43, 

48,  69. 
Elisabeth  de  France  (1602-1644),  ii5, 

i35,  i5i,  2o3. 
Entrée  d'Henri  II  à  Lyon,  41,  47. 
Entrée  d'Henri  II  à  Rouen,  41  • 
Entrée  d'Henri  II  à  Paris,  42. 
Ernandès  (Gio.  Paolo),  53. 
Este  (Luigi  d'),  cardinal,  80. 
Euridice,  57,  77,  io6. 
Evelyn  (John),  i63. 
Expilly,  192. 


Fabry  (Michel),  228. 
Faur  (Jacques  du),  61-62. 


Fées  des  forests   de    Saint-Germain 

[Les),  19,   io3,  126-129,   171,  174, 

176,  177,  i83,  i85,  190. 
Félicité  [B.  de  la),  176,  178. 
Femme  sans  teste  {B.  de  la),  io3. 
Fêtes  de  l'Amour  et  de  Bacckus,  248. 
Fétis,  209. 
Fiammella  {La),  8i. 
Filleul  (Nicolas),  5i. 
Flamy(M^i«  de),  48. 
Fogliano  (Jacomo),  21. 
Foire  Saint-Germain  [La)^   loi,  io3- 

104,  198. 
Foix  (Comte  de),  9. 
Folie  de  Roland  [La),  119,  177. 
Fossard,  222. 

Fournel  (Victor),  m,  io8,   141,  207. 
Francini  (Tomaso),  107,  n5,  i48-i5o. 

i53, 157,  245. 
Francini  (Alessandro),  149. 
François  P^  34,  35,  37,  43. 
François  II,  49.  53. 
François,  duc  d'Alençon,  48. 
Frangipane  (Cornelio),  81. 
Furetière,  207. 


Gallino  (Gio.  Pietro),  53. 

Gantez,  227. 

Ghirlandajo,  35. 

Giera  (Gio.  Francesco),  53. 

Giustiniani,  32. 

Gombaud,  193,  23o. 

Gramont  (De),  210. 

Grand  Démo gorgon  [B.  du),  161. 

Grand  Magicien  [B.  du),  Cf.  Advan- 

ture  de  Tancrède. 
Guédron,    114,    ii5,    122,    187,    226, 

228-229,  23i,  233-238,  241, 245. 
Guidubaldo,  3i. 
Guise  (Duc  de),  76. 
Guise  (Duchesse  de),  91. 


n 


Haiuaut,  171,  176. 
Harcourt  (comte  do),  i85. 
Hardy,  11,  i3o. 
Harmonie  [B.  de  /'),  160, 


^74 


INDEX 


Hénaut,  cf.  Hainaut. 
Henri  IT,  37,  40,  4i,  47.  48,  49»  53. 
Henri  III,  38,  53,  76,  78,  81 ,  89,  90,  92. 
Henri  IV,  70-74,  76,  87,  109,  îio,  i45 

i65,  2i8,  241. 
Henry  (Michel),  210. 
Hugonin  de  Guisay,  3. 


I 


Imbert,  193. 

Improviste  {B.  de  V),  218. 

Ingrate  [Mascherata  délie),  106,  i52, 

214. 
Isaak  (Heinrich,  21,  23. 
Issue  du  Cabaret  [Bouffonnerie  de  V), 

202. 


Janequin  (Clément),  58,  218. 
Jodelle,  41,  42,  5o,  59,  69,  192. 
Joyeuse  (Duc  de),  76,  81,  85,  89. 
Joyeuse  (Duchesse  de),  91. 
Justice,  189. 
Juvigny,  173. 


La  Barre,  176,  177. 

La  Barre  (Pierre  de),  210. 

La  Bruyère,  247. 

La  Chesnaye  (de)  86. 

Lacroix,  m,  122. 

La  Fontaine,  207. 

La  Force,  171. 

La  Mothe,  189. 

La  Roche,  173. 

Lasca,  23,  29. 

Lassus  (Roland  de),  59. 

Latone  [B.  de),  io5,  211,  234. 

Laurent  le    Magnifique,   cf.    Medici, 

(Lorenzo  de). 
La  Vallière,  m,  209,  211. 
Le  Camus,  176. 
Le  Goys,  171. 
Lejeune  (Claude),  61-62,  66,  71,  85, 

232,   233. 

Léon  X,  24,  3i,  39- 

Le  Roy  (Adrien),  60. 

Le  Roy  (Estienne),  72,  74. 


L'Estoile,  85,  193,  201,  207. 
Liancourt,  174,  176. 
LoUio  (Alberto),  32. 
Longueville  (Duc  de),  69,  174. 
Longueville  [Mascarade  du  Duc  de), 

69,  ii3. 
Loret,  139. 

Lorraine  (François  de),  43,  48. 
Lorraine  (Cardinal  de),  47. 
Louis  XII,  26,  34. 
Louis  XIII,  116,   119,   i38,  139,  i4o, 

i53,   i59,  160,  161,  172,  i85,  ao3, 

23o,  241,  245. 
Louise,  reine  de  France,  86, 87,  91, 92. 
LuUy,  ii-v,  63,  77,  128,  143,  197,  208, 

209,  214,  218,  219,  225,  227,  229, 

23o,  23i,  235,  241,  244,  246,  247. 
Luprano  (Philippus  da),  21. 
Luynes  (De),  116,  119,  122,  124,  i58, 

174,  188,  197,  204,  245. 


M 


Madame  (fille  de  Henri  II).  Cf.  Elisa- 
beth de  France. 

Madame  (sœur  d'Henri  IV).  Cf.  Bar, 
(Madame  de). 

Madame  (fille  de  Henri  IV)  Cf.  Elisa- 
beth de  France. 

Madame    [B.   de).  Cf.    Triomphe  de 
Minerve . 

Mairesse,  176, 

Maistre  à  danser  [B.  du),  243. 

Maistre   de   l'Académie   d'Hyrlande 
[Le),  102. 

Malherbe,  109,   114,  ii5,   i38,   177, 
193»  194»  227,  228. 

Mantoue  (Cardinal  de),  29, 

Marais,  177,  178,  188. 

Marcel  (Pierre),  v. 

Margherite  d'York,  18. 

Marguerite  de  Valois,  48,  70,  74. 

Mariage  de  Pierre  de  Provence  [B. 
du),  217,  227,  241. 

Marie  de  Médicis,  106,  108,  i38,  224, 
228. 

Marie  Stuart,  48,  49,  78. 

Marolles  (Michel  de),  11,  v,  129,  i3o, 
161,  171,  177,  i83. 

Marot  (Clément),  58. 


INDEX 


^75 


Martial  d'Auvergne,  37. 
Martigues  (M"»»  de),  48. 
Mascherata  délia   Geneologia  degV 

Iddei  De'Gentiliy  39-40. 
Masson  (P. -M.),  21. 
Matrones  {B.  des),  106. 
Mauduit  (Jacques),  62,64»  68-69,  11 5, 

116,  187,  226,  233. 
Maynard,  196. 
Mazarin,  iv,  i33,  i63. 
Medici  (Lorenzo  de),  22-23,  39. 
Ménage,  177. 

Menestrier,  11,  v,   129,  i3i,  2o5, 
Mercœur  (duchesse  de),  91. 
Merlaison  {B.  de  la),  172,  174,  178. 
Mersenne  v,  61-62, 65,  189,  212,  2i3, 
2i5, 220,  242. 

Merulo  (Claudio),  81. 

Météores  [B.  des) ,  2o3 . 

Metz  (Duc  de),  174. 

Michèle  (Pietro),  21. 

Milton,  96. 

Mirante,  161. 

Molière,  i43,  197. 

Monteverde,  82,  i52,  214. 

Montmorency  (Duc  de),  174,  179. 

MontpouUian,  174. 

Montreuil  (Nicolas  de),  146. 

Morel  (Horace),  128,  167,  160-161. 

Morel,  176. 

Morley  (Thomas),  24a. 

Mortemart  (de),  i85,  189. 

Motin,  iio,  193. 

Moulinié  (Est.),  189,  227,  241. 

N 

Navarre  (Roi  de),  cf.  Henri  IV. 

Negr*  (Cesare),  39,  62. 

Nemours  (Charles-Emmanuel  de  Sa- 
voie, duc  de),  37,  43. 

Nemours(  Henri  de  Savoie,  Duc  de), 
io3, 107, 124, 126,  174, 176,204,245. 

Nevers  (Duchesse  de),  91. 

Niccron,  76. 

Nicolas  de  Modène,  36. 
ONozze  di  Peleo  {Le),  i63,  175. 

Nyert  (Pierre  de)  189,  235. 

Nymphes  bocagères  de  la  Forêt  Sacrée 
(Les),  i85. 

Nuit  {B.de  la),  171. 


Ombres  {Les),  5i. 
Orfeo  (du  Politien),  29,  79. 
Orfeo  (de  Luigi  Rossi),  162. 
Orléans  (Charles  d')  vi,  6,  8. 
Orléans  (Gaston  d')  142,  174. 
Orléans  (Louis  d')  4»  i5. 


Paluan,  174. 
Palvello  (Ludovico),  53. 
'^Paradis   d'Amour   {Mascarade  du), 
72-75. 
Passerat,  192. 
Patin  (Jacques),  88. 
Paulet  (Angélique),  108,  190. 
Paysans  et  des  Grenouilles  (j5.  des) 

cf.  B.  de  Latone. 
Peiresc,  ii4,  193. 
Péri  (Jacopo),  77. 
Perrault,  208. 
Petits  Mores  [B.  des),  176. 
Philidor,  210,  211,  2i3,  2i5,  221. 
Philippe  le  Bon,  10,  i3. 
Philippe  II,  46. 
Pichon  (baron),  52. 
Picot  (Emile),  vi,  52,  176. 
Pierre  de  Provence  {B.  de)  cf.  Ma- 
riage de  Pierre  de  Provence. 
Pierre  du  Puis  {B.de),  218. 
Pinturicchio,  35. 
Pirro  (André),  v. 
Plainville,  i38. 
Plante,  3o,  3i. 
Politien,  29,  79. 

Polonais  (Ballet  dit  des)  [i573]  55-57. 
Porchères,  119,  193,  194,  199. 
Poyanne,  176. 
Prévost,  176 
Primatice,  35. 
Prince  {Ballet  de  Monseigneur  le), 

176,  189. 
Prince  de  Condé  {B.  du),  217. 
Princes  {B.  des),  242. 
Princes  de  la  Chine  {B.  des),  107. 
Princes  vestus  de  fleurs  {B.  des),  107. 
Prospérité  des  armes  de  France,  129, 
i3o,   i^'i     161-162,  171,  217,  219. 


276 


INDEX 


Psyché  {B.  de),  121,   laa,   i58,  i85, 

210,  229. 

Puissance  d'amour  [B.  de  la),  161. 

Pure  (de),  11,  v,   iSg,   214,   219,  226, 

23l. 


Quatre  éléments    [Mascarade  des), 

49. 

Quatre  monarchies  chrétiennes    {B. 

des),  i85. 


Racan,  igS, 194,  196- 
Rapimento  di  Cefalo,  77. 
Rappresentatione  di  anima  e  di  corpo, 

11- 
Reyher,  26,  27,  172. 
Reyne    {B.    de    la)    représentant    la 

Beauté,  [1609]  108,   190,  193,  195, 

227. 
Reyne  représentant  le  soleil  [B .  de 

la),  122-123,  i53. 
Richelieu,  129,  142,  144,  161,  162. 
Rinuccini     (Ottavio),     106-107,     162, 

244. 
Robichon,  176. 
Rochefort  (Julie  de),  i38. 
Rohan  (Anne  de),  96,  173. 
Rohan  [B.  de  Madame  de),  96,  147- 
Rolland  (Romain),  23,  32. 
Rondray  (du),  211. 
Ronsard,  4i»  44?  49»  So,  69,  60,  63, 

68,  69,  71,  85,  86,  192. 
Rosset  (de),  193. 
Rossi  (Bartolomeo),  81. 
Rossi  (Luigi),  23o. 
Rosso,  35. 

Rothschild  (Edm.  de),  168. 
Rothschild,  (James  de)  vi,   i52,  160, 

168,  172,   176. 
Roussillon  (Comte  de).  2o3. 
Ruggieri,  146. 


Sacrificio,  (//)  32. 
Sainctot,  176. 
Saint-Amand,  193,  223, 


Saint-Gelais  (Mellin  de),  41,  52,  192. 
Saint-Hubert,  11,  v,  98,  129,  i3i,  i32, 

167,  172,  178,  179. 
Saint-Laurens,  173. 
Saint-Mesme  (M^^®  de),  173. 
Saint-Paul  (Comte  de),  37, 
Salmon,  88,  208,  232. 
Samant,  207. 
Santa  Uliva,  29, 
Sauvai,  68. 
Savornin,  173. 
Scudéry  (M"e  jg),  108. 
Senecé,  214. 
Sérieux  et  du  Grotesque  [B.  du),  174, 

233. 
Serlio,  81. 

Sévigné  (M™^  de),  207. 
Sigongnes,  193. 
Singes  (Ballet  des),  loo-ioi. 
Soissons  (Comte  de),  140,  174. 
Solerti,  23,  33. 
Sophonisbe,  52. 
Sorel,  i36,  i43,  i83,  193. 
Souvray,   i85, 
Strozzi  (Clarice),  48. 
Sully,  99,  141. 
Suppositi,  3i, 


Tallemant  des  Réaux,  99,  i38,  174, 

179,  190»  196. 
Tasso  (Torquato),  26,  32,  79-80. 
Termes  (Baron  de),  174. 
Tetoni  (Bernardo),  53. 
Théophile  193,  202. 
Tireurs  de  Buttes  {B.  des),  239. 
Torelli  (Jacomo),  162,  246. 
Trissino,   29. 

Triomphe  de  la  Beauté,  204. 
Triomphe  de  Minerve  ii4-ii5,    i35, 

i36,  148,  149-153,  i56,  157,  177, 

187,  199,  241. 
Triomphes  [B.  des),  174,  176,  178. 
Trivulce,  26. 
Trois  Ages  {B.  des),  108,  21 5,  227. 


U 


Usuriers  {B.  des),  io5-io6. 


INDEX 


'77 


Valéntine  de  Milan,  i6. 

Valois  (Charles  de)  i85,  206,  227, 

Vaudemont  (M"«  de),  85,  89. 

Vautret,  177. 

Vendôme  (Duc  de),  174. 

Vendôme    [B.   du    Duc   de),   cf.    Al- 

cine. 
Vermandois  (Chevalier  de),  3. 


Verpré,   176. 

Vieille  cour  {B.  delà),  137. 

Vigarani,  146. 

Villedan,  206. 

Villon,  VI.  " 

Vincent,  108,  227. 

Vitry,  174. 

Vitry  (Mii«  de),  173. 

Voleurs  {B.  des),  i25,  174,  188. 

Voltaire,  23o. 


TABLE  DES  PLANCHES 


I.  Apparition  de   la  Nymphe  des   fontaines.   Ballet   de    la    déli- 

vrance de  Renaud  (1617).  Estampe  tirée  du  Discours  au  vray 

du  ballet  dansé  par  le  roy Frontispice. 

II.  Ballet  de  la  reine  Catherine  de   Médicis  en  l'honneur  des  am- 

bassadeurs de  Pologne  (i573).  Estampe  tirée  de  l'ouvrage  de 
DorAt  :  Magnificentissimi  spectaculi 17 

III.  Ballet  comique  de  .la  reine  (i58i).  Harangue  du  gentilhomme 

fugitif,  scène  I 33 

IV.  La  Liberazione  di  Tirreno.  Ballet  dansé  à  Florence  le  6  février 

161 7  (Estampe  de  Jacques  Callot) 65 

V.  Ballet  des  «  Esperlucatts  ».  Les  fées  des  forêts  de  Saint-Germain 

(Louvre,  dessin  n°  32  616) 81 

VI.  «  Entrée   de  l'hoste,  de  l'hostesse  et  leur  valet  ».   Château  de 

BicètrCy  i63a  (Louvre,  dessin  n^  32  654) 97 

VII.  Grand  Ballet.  (Louvre,  dessin  n^  32  65 1) ii3 

VIII.  «  Entrée  des  couppe  testes  ».  Les  fées  des  forêts  de  Saint-Ger- 

main (Louvre,  dessin  n°'i2  680).  —  Ballet  des  lutins  apportant 
un  (I  marellier  ».  Les  fées  des  forêts  de  Saint-Germain.  (Ca- 
binet des  estampes,  Qb.  32) 129 

IX.  Entrée  de  la  douairière  et  de  ses  dames.  Ballet  de  la  douai- 

rière de  Bille  bahaut.  {Cabinet  des  estampes.  Qb.  32).    .    .    .      145 

X.  Entrée  de  Mahomet  et  des  docteurs  de  la  loy.  Douairière  de 

Billebahaut,  1626.  (Louvre,  dessin  n°  32627) 161 

XI.  Entrée  des  faux  monnayeurs.  Château  de  Bicêtre  (Louvre,  dessin 

n»  32  675) 177 

XII.  Musique    servant    de    récit  au   Grand    Ballet   (Louvre    dessin 

nO  32  652) 193 

XIII.  Entrée  de  la  musique  de  l'Amérique.  Douairière  de  Billebahaut 

(Louvre,  dessin  n»  32618) 209 


iSo  TABLE    DES    PLANCHES 

XIV.  Récit  de  la  musique.  Les  fées  des  forêts  de  Saint-Germain.  (Ca- 

binet des  estampes).  —  Un  magicien  (Le  sieur  Marais).  Le 
château  de  Bicêtre  (Louvre,  dessin  n°  32  665) 225 

XV.  Le  ballet  des  démons  d'Armide    [Discours   au   vray  du  ballet 

dansé  par  le  Roy) 248 

XVI.  Dialogue  entre  un  mage  et  les  soldats  [Discours  au  vray)    .    .    .      257 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CHAPITRE  PREMIER 
LES  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DU  BALLET 

I,  —  Les  fêtes  de  Cour  en  France  et  en  Bourgogne  au  xv«  siècle  : 
Momeries,  Entremets,  Moresques,  Tournoi i 

II,  —  Spectacles  et  divertissements  des  Cours  italiennes  :  Trionfi, 
Mascherate,  Intermedi ao 

III,  —  La  Mascarade  en  France  au  xvi®  siècle,  ses  formes  diverses  et 

son  évolution   ...        34 

CHAPITRE  II 
L'INVENTION  DU  BALLET  DE  COUR 

I.  —  Idées  de  la  Pléiade  sur  la  musique,  —  L'Académie  de  Baïf.  — 
Les  danses  mesurées 5° 

IL  —  Participation  des  poètes  humanistes  aux  fêtes  de  la  Cour.  — 
Mascarade  du  duc  de  Longueville  (i565).  —  Le  Paradis  d'Amour 
[iS'j'i.).  —  Baltazarini,  interprète  des  idées  de  Baïf 68 

III.  —  Influence  de  l'Italie  sur  les  fêtes  françaises  au  xvi®  siècle.  —  La 
Pastorale  dramatique.  —  Comédies  à  intermèdes  représentées  par 

les  Gelosi 79 

IV.  _  Le  Ballet  comique  de  la  Reine.  —  Caractère  humaniste  de  la 
tentative  de  Beaujoyeulx.  —  Les  collaborateurs  :  La  Chesnaye,  Beau- 
lieu  et  Salmon,  Jacques  Patin °^ 

V.  —  La  Représentation  du  i5  octobre  i58i 89 

VI.  —  Les  Imitations.  —  Ballets  à  récits  déclamés  de  la  fin  du  xvio  siècle. 
'—  Le  Ballet  de  Cour,  importé  en  Angleterre,  y  devient  un  genre  lit- 
téraire        9^ 


aSa  TABLE  DES  MATIÈRES 

CHAPITREIII 
ÉVOLUTION  DU  BALLET  DE  COUR 

I.  —  hes  Ballets- Mascarades  sous  le  règne  de  Henri  IV. —  Substitu- 
tion du  chant  à  la  déclamation  dans  les  Ballets  de  Cour  (1600- 1610).       98 

II.  —  Les  Ballets  Mélodramatiques .  —  Du  ballet  d'Alcine  au  ballet 
d'Apollon  (1610-1621) iio 

III.  —  Le  Ballet  à  entrées.  — Décadence  du  genre  (i6ao-i65o).   .    .    .     i23 

CHAPITRE  IV 
LE  BALLET  A  LA  SCÈNE 

I.  —  La  salle  et  le  public i34 

II.  —  La  mise  en  scène i44 

III.  — Exécution  chorégraphique  et  musicale i63 

CHAPITRE  V 

LA  POÉSIE  ET  LA  MUSIQUE  DANS  LES  BALLETS 
DE  COUR 

I.  —  Poètes  de  Cour  sous  Henri  IV  et  Louis  XIII.  —  Les  vers  récités 

ou  chantés.  —  Les  vers  destinés  à  la  lecture 19a 

II.  —  Compositeurs  de  la  musique  instrumentale.  —  Ballets.  — Entrées. 
Caractère  descriptif  de  ces  compositions ao8 

III.  —  Compositeurs  de  la  musique  vocale.  —  Les  airs  monodiques  et 
polyphoniques.  —  Les  Récits.  —  Origine  du  récitatif  dramatique 
français aaS 

Conclusion 244 

Ballet  de  la  délivrance  de  Renaud 249 

Bibliographie 267 

Index  alphabétique 271 

Table  des   planches , 279 


ÉVREUX,    imprimerie    CH.    HÉRISSEY,    PAUL    HÉRISSE  Y,    8UCC' 


Vu  :  Vu 

le  7  juillet  igiS  ET  PERMIS  d'imprimer 
Le  doyen  de  la  Faculté  des  Lettres  Lq  i>ice  recteur 

de  V Université  de  Paris,  de  V Académie  de  Paris, 
A.  Croiset.  L.  Liard. 


I 
f 


ML 

3^60 
P78 
cop.2 


Prunières,   Henry 

Le  ballet  de  cour  en 
France  avant  Ben se rade  ei 
Lully 


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