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Le Cantique
du Doux Parler
DU MÊME AUTEUR
Le Hochet d'or, poésies de la famille et de l'entance.
Bibliothèque du Petit Français. (Librairie Armand Colin.:
La Légende des Ecoliers de France. Bibliothèque
d'Education et de Récréation. (Librairie Hetzel.)
Le Livre de la Douce Vie (couronné par 1 Académie
franLl^e Prix Archon-Despérouses (1901). Société fran-
çaise d'Imprimerie et de Librairie.
^ La Terre Divine couronnée par 1 Académie fran-
çaise : Prix François Coppéel909). Société française d Im-
primerie et de Librairie.
LOmbre des Oliviers, le problème de la Paix. (Li-
brairie Pion.)
Triomphe héroïque, poème couronné pour le troi-
sième centenaire de Corneille (1906). (Librairie Eugène Fas-
quelle.)
Les Deux Frances, poésies franco-canadiennes (Qué-
bec, 1908) .
Four retrouver l'Enfant (1911). (Librairie Jouve).
vJ::
Gustave ZIDLER
DOCTEUR ES LETTRES DE l'uNIVERS)TÉ LA\AL
4* -t»
Le Cantique
du Doux Parler
PREFACE
DE
Thomas CHAPAIS
Membre de la Société Royale du Canada
(Ouvrage adopté comme Prix de Parler frano^i^aLT le CoiniKjpermanent
^
du Premier Congrès de la Langue^^nçai;|^|^^mérîqj)e)
^ %
uOttawa\
PARIS *
SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'IMPRIMERIE ET DE LIBRAIRIE
ANCIENNE LIBRAIRIE LECÈNE, OLDIN ET c'*^
75, rue de Cliinv, 1ô
IV4
A LAMÉRIOLE FKAiNÇAISE
qui n'a rien oublié,
la France qui sait se soiiumir
yj> ^1^ w^^ ^|. -i^ -|j --^^ ^1^ v.^^ -I- -7^ -I- -I- -^1- -I- -4 > ^1- o^p
PRÉFACE
«=5° <:^<=
Un poète de France, ami des Canadiens
«=*('' '=?«' '=*!'=
Nous avons moins à présenter au public le
poète Gustave Zidler, déjà bien connu au delà
comme en deçà de l'Océan, qu'à le saluer d'un
bommage de sympathique admiration, et à le
remercier, au nom du Canada, de 1 œuvre nou-
velle qu'il veut bien nous dédier.
Pour les lecteurs français, M. G. Zidler est
l'auteur justement apprécié de la Terre divine, du
Livre de la Douce Vie, de l'Ombre des Oliviers, et
de ces poèmes d'émotion poignante et d'espoir
vainqueur, Pour retrouver l'Enfant, que lui dicta
la douleur paternelle illuminée par la foi chré-
tienne. Pour les lecteurs canadiens, il est tout cela
sans doute, mais aussi quelque chose de plus :
l'auteur aimé des Deux Frances, le barde patrio-
tique dont les chants émouvants ont fait vibrer
les milliers d auditeurs du mémorable Congrès de
la langue française, tenu à Québec en l'été de 1912.
Pour les uns et les autres, enfin, il est un poète
de race, qui sait traduire en vers souples et mus-
clés, en rythmes variés et choisis, en images écla-
tantes et précises, les pensées les plus élevées et
les sentiments les plus nobles.
Nous devons cependant signaler l'attrayante et
captivante singularité du présent recueil Les
vers qu'on va lire sont écrits par un Français.
C'est un poète de France qui célèbre la Revanche
des Gaules, le Français de Sormandie, la « prompte
et rude étreinte» des barons francs en la Princée
d'Achaïe. le Français de Roland et celui de Join-
ville C'est un poète français qui évoque l llàiel
de Rambouillet, les « beaux vers immortels, aussi
durs que l'airain », de Malherbe; « les vocables
choisis » et « l'ample période » de Balzac ; la
« gerbe de glaneur, cueillie dans la moisson des
mots ", de Vaugelas ; la « voix tour à tour d'or,
de cristal et d'airain i) de Bossuet ; la « phrase
conquérante, à la souple harmonie, )> de Chateau-
briand Mais n'est-ce pas un poète canadien qui
fait revivre dans sa langue harmonieuse et forte le
passé glorieux du Canada français ", qui suit
« dans un décor d'admirable nature, les pas du
Uécouvreur sur des bords inconnus » ; qui nous le
montre agenouillé devant la Croix et jetant aux
brises laurentiennes « la prière du Christ en syl-
labes de France » ? N'est-ce pas un poète cana-
dien qui nous conduit en Acadie et nous intro-
duit dans la compagnie du Bon Temps, où nous
rencontrons Champlain, Hébert, le sire de Pou-
trincourt. et Lescarbot, l'ami des Muses, surtout
lorsqu'elles s'appellent les « Muses de la Nou-
velle France » ? N'est-ce pas un poète canadien qui
nous redit le martyre de « Jean de Brébeuf,
l'apôtre à la fois doux et fort » ; qui consacre à
l'immortalité les dix-sept héros dont Dollard fut
le chef, et fait rayonner d'un pur éclat leurs dix-
sept noms, « noms français, dans la gloire à
jamais triomphants » ; qui chante Marie de lln-
carnation et Jeanne Mance, François de Laval et
Frontenac, Jolliet et d'Iberville, Montcalm et
Lévis ; qui nous raconte en vers claironnants l'é-
popée de Carillon, « que les siècles diront un
miracle français » ? N'est-ce pas un poète cana-
dien qui. en quelques petits poèmes exquis, fait
collaborer à la survivance et à la conservation
nationales nos chères chansons populaires?...
Nous avons donc ici deux poètes en un seul, ou
mieux un poète à deux muses, la muse française
et la muse canadienne, dontlessouftles s'unissent^
dont les inspirations se confondent et font de ce
livre l'hymne du verbe de la vieille et douce
France, répercuté au delà des mers par tous les
échos de la France Nouvelle.
Henri de Bornier, dans une œuvre dramatique
où les superbes alexandrins abondent, a écrit
celui-ci, qui nous semble le plus beau de tous :
Tout homme a deux pays, le sien, et puis la France.
Ce vers admirable n'a nulle part été plus applaudi
que dans le Canada français. C est pour nous
surtout qu'il est vrai et d'une réalité vivante. Et
lorsqu'on nous le redit, nous sentons quelque
chose s'émouvoir en nous. Ah ! oui, nous avons
deux pays : le nôtre, notre Canada au passé plein
de gloire et à l'avenir plein de promesses ; et puis
la France, l'ancienne mère-patrie, séparée de nous
par la nouvelle allégeance à laquelle nous sommes
fidèles, et demeurée pourtant la patrie de nos
intelligences et de nos cœurs. Mais pourquoi, en
parlant de M. Zidler, ce vers si heureusement
Irappé nous est-il revenu à la mémoire ? N'en
voyez-vous pas la raison très évidente ? C'est que
notre cher poète a voulu le refaire à sa façon et
prouver qu'un Français peut avoir aussi deux
pays, le sien et puis le Canada.
Le sien ! cette France glorieuse et douce, secou-
rable aux faibles et redoutable aux forts, mission-
M
naire de la vérité et bouclier du droit ; celte
héroïque et rayonnante porteuse de flambeau,
avec quelle admiration passionnée il suit les
traces de son lumineux passage à travers les
siècles, et avec quelle exultation filiale il prête
l'oreille aux échos immortels dont son Verbe a
rempli le monde '.Tout le génie de la France revit
en ce livre, que l'on ne peut feuilleter sans qu'il
s'en échappe à chaque page des rayons de gloire
française.
Et le Canada ! Comment M. Zidler a-t-il pu se
saturer ainsi de son histoire, s'inféoder ses tra-
ditions, pénétrer jusqu'au plus intime de son être,
s adapter à sa pensée, à ses douleurs, à ses allé-
gresses, et le suivre, sans s'égarer, dans la com-
plexité de ses vicissitudes nationales ? On 1 a dit,
Tauteur de ces poèmes sest fait une âme cana-
dienne. Il s'est penché sur nos annales, il a com-
pulsé nos chroniques ; il a fait plus que les lire,
il les a comprises, il en a absorbé la substance et
l'esprit. Et enfin, ému jusqu'au fond de son cœur
de poète et de patriote par la trilogie sublime de
notre naissance, de notre croissance et de notre
survivance, il nous a aimés.
Ce livre est un livre d'amour. Amour de la
vieille France et du verbe prestigieux dont les
nations ont reconnu la primauté glorieuse.
Amour de la France Nouvelle, qui est une pro-
longation et une expansion de l'ancienne, et qui
conserve à son doux parler une si large sphère
d influence et d'action sur la terre d'Amérique.
Devons-nous ajouter que, dans ce recueil, l'exé-
cution est à la hauteur de l'inspiration ? Partout
le vers robuste et agile, majestueux ou rapide,
allègre ou grave, traduit avec précision toutes les
nuances de la pensée. L'œuvre patriotique est
doublée d'une œuvre d'art.
C'est donc pour nous une joie et un honneur
que de souhaiter, le premier, la bienvenue à ce
livre en même temps français et canadien. Nous
sommes assuré que dans les deux patries, dont il
redit les gloires, il rencontrera l'accueil enthou-
siaste que mérite une haute conception, exprimée
dans une langue harmonieuse et éloquente.
Thomas Chafais.
Québec, 9 janvier 1914.
^ fî 95
)$^^mmm^^^-^')e^^^)i)i^^
SONNETS DEDICATOIRES
^z »J/ «^
^a ^Patzie de l oAme,
Pour 1 "œuvre du « Rullieinenl
français en Amérique ».
Deux pèlerins vaillants, dont les jours s'ignorèrent,
Dans les déserts du monde avaient longtemps marché.
Lorsqu'un soir, lourds et las, leurs pas se rencontrèrent
Près de la source pure où filtre un flot caché.
L'un dit : « Que Dieu vous garde au seul vrai bien cherché ! »
L'autre : « Puisse à tout mal le Maître vous soustraire ! »
— Et chacun d'eux, ravi, pour l'étreinte penché.
Tendit ses bras vers l'autre en s'écriant : « Mon frère ! »
LE CASTIQfU 1
A sciilendre, ils croyaient rentrer dans leur maison,
Revoir le ciel natal et son clair horizon ;
Et c'était grande fête en leur âme attendrie.
C'était au vieux loyer le charme du retour 1...
— Vive donc notre cher doux Parler, la patrie
Où nos cœurs s'unissant fleurissent dans l'amour !
Il
^ouz notze gangue.
A la jeune France d'Amérique.
Pour notre Parler, doux comme un baiser de mère,
Pour notre français, simple et gai comme un bonjour,
Qui nous emplit le cœur et l'esprit de lumière...
Enfants, disons ensemble un bel hymne d'amour !
Disons ensemble, enfants, un chant de gratitude
Pour tous ces mots si prompts, frères de nos pensers,
Où pense, où parle encor la sainte multitude
De nos communs parents qui les ont prononcés !
Ln chant ne suffit pas : disons une prière
Pour l'aieule au si fin sourire, l'ouvrière
De tant de fiers travaux, de tant d'exploits sauveurs !
Pour notre Langue — grâce et joie et délivrance —
Disons, disons, enfants, de toutes nos ferveurs
Un cantique d'amour, de gloire — et d'espérance !
Leô Proueôôeô
du Vieux ^atler
(DES ORIGINES AU XVe SIÈCLE)
A la Société du « Parler français
au Canada », et à l'éminent
philologue, son Président,
M. Adjutor Rivard ;
A tous les « amés et féaux »
sujets de « Sa Majesté
La Langue Française. »
t4'rM'fM^4'^4'-M'>M'^4'>±4'^4h
(La Revanche deô %jaiileô.
Vercingétorix, Chef des Forts, dans un silence
Magnifique, victime expiatoire, a dû.
Aux pieds du Proconsul jetant armure et lanee.
Genoux ployés, offrir aux fers son bras tendu.
Lui-même il s'est livré, rançon de la défaite...
Mais non ! — César vainqueur eut beau dicter ses lois :
Tu n'avais pas menti, noble héros, prophète
D'universel empire à ton peuple Gaulois !
Car voici que tes fils, dans la langue romaine,
A leur tour conquérants, s'ouvrent un fier domaine.
Qu'ils vont d'un dur labour soumettre à leur façon ;
Et dans l'aube nouvelle au triomphal cantique.
Libre, — du champ latin, lourd d'une autre moisson.
Monte vers le soleil l'alouette celtique !
^^^^^^^^^^^^^^^$$^^^^^
II
^a (ffleuz fzançaiôe.
Vne fleur naît parfois des ruines C'est là
Qu'ont régné des palais, des tours pyramidales,
Le temple, où l'Univers, secouant ses sandales,
A Rome, aux: Césars-dieux, si longtemps immola ;
Mais les autels, les arcs triomphaux, tout croula
Sous la torche et le fer des Goths et des \'andales.
Et l'herbe, qui verdit le marbre blanc des dalles.
Nourrit, un soir de mort, les chevaux d'Attila.
Et maintenant, aux fûts des colonnes brisées.
Dans des senteurs d'oeillet sauvage et de rosées.
Monte la grâce enlaçante du liseron...
— Telle, après la rumeur barbare qui s'apaise,
Sur tes débris confus, Langue de Cicéron,
Une fleur exquise a souri, la fleur française !
III
SN^oize ^azole.
Parabole, parole.
Ils s'en venaient, nos saints Apôtres, par les bourgs,
Défricheurs de la terre et défricheurs des âmes :
Toute faiblesse — enfants, esclaves, pauvres femmes —
Leur dut l'Espoir des cieux et le pain des labours.
Ils s'en venaient, parmi le peuple famélique,
Au fond des cœurs dolents sous tant de jougs si lourds,
Pour la haute moisson des plus pures amours,
Semer partout la Parabole évangélique...
— Et depuis ce temps-là, du manant au seigneur,
La parole fut sainte et s'appela « d'honneur » :
Parole de chrétien n'est menteuse ou frivole.
Quelque chose y doit vivre, à la fois noble et doux,
Et la voix se fait grave, en songeant que chez nous
Ta Parabole^ ô Christ, sacra notre parole !
IV
^zéludeô.
Les matins printaniers ont des réveils charmants.
On sent dans la nature une joie, une envie
De s'épandre au dehors... Pour saluer la vie,
Les oisillons partout essaient leurs pépiements :
Notes frêles d'abord, vagues balbutiements,
Où pour des airs plus beaux ensemble on se convie.
Redites et fredons sans cadence suivie,
Mais où rit la rosée en perles par moments.
Déjà, dans ce premier concert, naïve ébauche,
Malgré l'on ne sait quoi d'hésitant et de gauche,
Se révèlent de purs chanteurs mélodieux...
— Du printemps de la langue emblématique image
On l'entend préluder aux lèvres des aïeux
Avec la gentillesse heureuse d'un ramage.
d/lnx pzemiezô oAitiôanô
de la (Langue,
Qui, brassant du latin la matière sonore,
Fit au trésor français passer tant d'écus fiers ?
Où sont les ouvriers des mots dont je me sers !'
Que ma voix les salue et mon cœur les honore !
C'étaient de pauvres gens, ni barons ni fins clercs :
Mais d'un libre génie ils surent faire éclore
Ces sons qu'un souffle anime et que l'esprit colore.
Courts, faciles, légers, — nos vocables si clairs.
C'étaient gens de petit métier, dans quelque échoppe,
Qui poussaient le marteau, la lime ou la varlope...
— Et donc, je vous bénis, créateurs ingénus.
Vous, du parler natal les simples grands orfèvres,
Et je vous chante, ô mes vieux maîtres inconnus.
Qui respirez encore et chantez sur mes lèvres !
VI
HS^oô vieux moiô.
. . .Et les mots, sans effort, pour tout, comme un délice,
Jaillissaient de ces cœurs si riches d'ignorants,
Pour l'honneur, la pitié, les rêves les plus grands,
Comme pour le déduit et la fine malice...
Oh ! les chers mots si drus, si loyaux et si francs,
Sous la cotte maillée ou la longue pelisse,
Les jolis mots vaillants et parés pour la lice,
Prestes, courtois, avec des airs de conquérants !...
Si beaucoup dans l'oubli dorment, qui devraient vivre,
Combien, qu'une jeunesse infatigable enivre.
Gardent à notre souffle une fraîche couleur !
Combien disent encor nos saintes ascendances !
Combien, vieux compagnons de joie ou de douleur
Peuvent nous chuchoter d'intimes confidences !
rM^J^mi^.^î^M^i^^J^^^SSÈfMf^hr^^
VII
^e ftançaiô de SNiozmandie.
J'ai lu tout ce long soir du bon patois normand.
— Et j'ai revu la cour herbée et ses aiunailles,
Sous les pommiers raiisants, où cliichentles poulail/cs.
Les vieuillotes de fein, les tréziaux de Journient,
La mounièt'ek làfeiix allant sur sAJeinent,
Et le menestrieux des repas d'épousailles,
Où la neiiche à plein piot arroase les màquailles...
— Et tout ainsi, comme au vieux temps, naïvement,
De mot en mot, de page en page du cher livre.
Mon village en sabots à mes yeux paraît vivre...
0 bon français rustique, à t'écouter ce soir
Il me vient de là-bas, dans tout ce que tu nommes.
Avec la voix des gens et les bruits du pressoir,
Des parfums d'herbe moite etdes senteurs de pommes...
YIII
(L'oAme deù oMottô.
Nos Morts parlent en nous et nous pensons par eux.
Les mots de nos discours, le sang de nos artères,
D'ancêtres très lointains nous font les tributaires ;
Mais ce sang et ces mots nous gardent « généreux ».
Faisons parler nos Morts ! Des sons, dépositaires
De la race, restons les fervents amoureux !
Et nous nous sentirons des vaillances de preux
En écoutant monter leurs grandes voix austères !
Parlons français, le cœur tout orné des festons
De nos proverbes fiers, de nos braves dictons !
Qu'on reconnaisse encor l'ancien arbre à sa tige !
Vieux poètes sans nom, qu'un beau souffle inspira,
Répétez-nous: u Bonsangnemenl !... Noblesseoblige! ,.
Fais ce que dois toujours, advienne que pourra !... »
^^^^^^^^*^^^^^^^^^^
IX
(ije giand t^iivze.
Oui, c'est très beau d'avoir vaillamment acheté,
Chevaliers-preux, avec votre épée, ouvrière
De justice, sans peur, sans un pas en arrière.
Un royaume d'honneur, fleur de la chrétienté.
l'^t c'est aussi très beau, nobles tailleurs de pierre,
D'avoir d'un commun rêve, en plein ciel, exalté
\ ictorieusement l'àme de la Cité
Par les deux tours de la Cathédrale en prière !
Mais que dire de ceux qui, dans l'enchantement
D un parler neuf, au seuil des siècles, finement
Exprimèrent la France et son âme fleurie i'
Ne méritent-ils pas qu on leur dresse un autel.
Ces obscurs créateurs d'un langage immortel,
Qui firent les premiers la voix de la Patrie ?
;f>^imii^^;?mjfimfii^
(ijC fiançais de Roland.
Mielz voeill mûrir qu'à hunlage reuiaigiie
Terre de France, mult estes dulz païs ...
Du fond des temps lointains nous t'écoutons, Roland.
Beau maître de l'Honneur français, noble victime,
Dont le cœur bat si pur sous le haubert sanglant.
Dire : Mieux vaut mourir que fuite et mésestime !
Nul n'aima son pays d'un amour plus brûlant :
Répète-nous que France est douce, ô Magnanime,
Et nomme, nomme encore, expirant et râlant,
M France douce, la belle », en ton adieu sublime !
Parle-nous, parle-nous souvent, mon fier seigneur.
De tes trois grands amours : Dieu, la France et l'honneur !
Â.pprends-nous dans l'épreuve à garder l'espérance,
A mettre la vertu plus haut que le succès...
Et devant tout péril, exemple de vaillance,
Qu'avec loi, comme toi, nous parlions bien français !
XI
^a Conquête de rcAngletezte.
Hastings 1 Senlac ! ...0 jour de deuil et de rancœur I
Le fils du duc Robert et de la pauvre Ariette
De Falaise, Guillaume « à la grande vigueur »,
A saisi l'Ile Blanche entre ses bras d'athlète.
Sur les morts, qu'entassa la lance ou l'arbalète,
Les femmes ont penché leur lamentable chœur.
Et, sous un ciel de feu qu'un lac de sang reflète.
La mère a pour son fils supplié le vainqueur...
— Depuis, le libre Anglais, retraversant la Manche,
A su plus d'une fois s'octroyer sa revanche...
Mais aux vieux conquérants il paie encor rançon.
Comme au cœur de la place une héroïque bande.
Les anciens mots français, mêlés aux mots saxons,
Sonnent partout sans fin la victoire normande !
r.F. CANTiQriî. 2
XII
(ij'(tnsttument du mizacle.
« Les gestes de Dieu par les Francs ».
Tout l'Occident debout, aux routes de Syrie
Se ruant sous la Croix, vilains, clercs, chevaliers.
Et sur les gonfanons au vent, sur les milliers
De lances en rumeur, le même Espoir qui crie :
« Dieu le veut ! Dieu le veut! ...» Tous les maux oublies
Vaincus, la soif de feu, la peste ou la tuerie...
Solyme enfm soustraite à la « mahomerie »,
]*]t le Tombeau du Christ conquis sur ses geôliers !
Miracle de la Foi ! — Mais qui poussa ces âmes ?
Aux cœurs des plus grossiers qui mit ces pures flammes
Qui sut les exaller pour l'œuvre surhumain.
Et d'un si bel arroi mener la sainte guerre ?
— Par Pierre l'humble Ermite et le grand Pape Urbain,
C'est toi, cher vieux français, pauvre « langue vulgaire»
%^^^^^^^^^^^^^^^^^
XIII
(Le T>éfi deô ^zoiôéô
à ^onôiantinople (1204).
Des messagers de l'Ost.l'épée à la ceinture,
De langue bien armés, — vinrent, n'étant que six.
Au palais de Blaquerne, à la cour d'Alexis,
Pour le semondre, — en fort périlleuse aventure.
Là, devant toutes gens elle prince et son fils,
Quesnes, bon chevalier du pays de droiture,
Osa, leur reprochant mensonge et forfaiture,
Lancer au nom des Francs le plus fier des défis !
Ce fut grande merveille à tous et grand outrage...
Mais vite, derrière eux laissant gronder l'orage.
Au camp sur leurs chevaux les six s'en sont allés.
Joyeux d'avoir bravé les Grecs et la fortune. . .
Qu'auraient craint si beaux preux et si bien emparlés,
Geoffroi de Ville-Hardouin et Quesnes de Béthune .•*
^§?s§^s§§§^s§^s§s§-s^§§§§ss§§g
XIV
^n la « pdncée » d'oAchaïe.
«^^^I^^^^^MA^
Un jour le pays grec, comme un fief de haut prix,
Subit des barons Francs la prompte et rude étreinte.
Et sur tous ses sommets, marqués de leur empreinte,
Dressa castelset tours, donjons et grands pourpris.
Et là l'on menait vie heureuse et sans contrainte
Par tournois, jeu des corps, et vers, jeu des esprits,
Et partout, chez les ducs d'Athèoe ou de Corinthe,
On parlait galamment français comme à Paris...
C'étaient aussi souvent chevauchée ou bataille :
Et devant ces guerriers de gigantesque taille,
Ces glaives fulgurants jaillis hors des fourreaux,
Homère, s'éveillant des morts dans l'allégresse,
Disait : « J'aurais plaisir à louer ces héros 1
« La France a ramené les temps d'Achille en Grèce I »
XV
(Le fzançaiô de Joinville.
Bon Sénéchal, trésor d'histoires qu'on savoure,
Causez au coin du feu dans votre u biau chastel »
Que, sous nos yeux contents levée à votre appel,
De vos vieux souvenirs la foule aimable accoure !
Contez-nous, au hasard d'un récit immortel,
A os tribulations d'outre-mer, la Massoure,
Le j\il, le feu grégeois, vos peurs, votre bravoure,
Le songe où le saint Roy vous demande un autel...
Joignez à tous ces « dits » la grâce et la malice ;
Comme aux tapis sarrasinois de haute lice,
Semez de votre esprit la joie et les couleurs I
Montrez-nous comment jeune, en dépit de vieillesse,
Toujours aise et léger, vite essuyant ses pleurs, .
Le naïf champenois jase avec gentillesse !
XVI
^eô « (Enôeignementô »
de ôaint ^ouiô.
Il parlait, sagement, gravement, comme on prie,
Prêchant l'amovir du juste et l'horreur du péché,
Qui nous suit, disait-il, à notre âme attaché,
Pire que tout « méchef » et que « mésellerie ^ ».
Il faisait de Vertu sa royale duché,
D'Aumône aux plus « chétifs » sa haute seigneurie,
Prince d'Humilité, fleur de Chevalerie,
Mort, les yeux vers le ciel, sur la cendre couché...
0 droiture 1 ô candeur, souriant sans contraintes,
Comme un bon livre, enluminé d'images saintes ! i
0 mots divins : «■ Bénis soient tous les apaiseurs ! » '
0 voix de son esprit, qui conservent sa flamme !
O plus noble français et plus riche en douceurs
D'avoir d'un tel « prud'homme » exprimé la belle âme !
I. Lèpre.
%? ^-' %tr ^ %tr Tîur V» ^p ^ %tr W "^ "W ^»-' '*»s' "Y" ^"' ^/•"'
XVII
(La langue du IJtoit.
Sur parchemin, dans l'or des rubriques précises,
Les Seigneurs, compagnons subtils de Godefroy,
Sous la garde du Christ et sous le sceau du Roy,
Pour la première fois fixèrent les « assises »...
Jean d Ibclia. là-bas, et chez nous Beaumanoir.
l'urent doctes « plaideurs », fort experts aux Usages,
Et le français bien net, avec ces « hommes sages ».
Parla pour toutes gens du droit et du devoir.
— Et voici que la Loi qui s'écrit — sous la plume
S'humanise ; le texte adoucit la Coutume,
Et j'aime vous entendre, ô bailli de Clermont,
Déjà peindre un bon juge, et, non sans poésie.
Joindre à la loyauté grave d'un Salomon
Ces françaises vertus : » douceur » et u courtoisie ».
XVIII
« ^mptiôeô » pacifiqueô.
Mieux que Robert Guiscard ou que le duc Guillaume.
— Car le fer s'use vite et se brise en tronçons —
\ous saviez, o jongleurs, trouvères du royaume
De France, subjuguer la terre à vos chansons.
^ ous n'aviez nul besoin de la lance ou du heaume ;
Maisles châteaux s'ouvraientdevantvoussans soupçons,
Et tandis que vos vers aux cœurs fdtraient leur baume.
Les hanaps s'égayaient du vin des échansons.
L'Europe, sans frontière, applaudissait ravie,
Et la grave Allemagne, et la Scandinavie,
Et Palerme, et Venise, et le pays hongrois..
Et pour la France ainsi, par la gloire féconde
De Tristan, Lancelotou Perceval, — ô rois
Du beau Rêve, — en chantant vous conquériez lemonde !
\IX
^uz le 6 Vevzeô
du « "Chantent de "Dieu
Quand saint François, dit-on, par Jésus visité,
Sur les chemins pierreux de la marche d'Ancône
Allait chantant, \ètu du manteau de l'aumône,
Pèlerin de l'Amour et de la Pauvreté,
Soit que de sa main prompte il bâtît des églises,
Soit qu'il eût versé l'eau sur les pieds du lépreux,
L'hymne de fête, enfant de son génie heureux.
Mêlait des mots français au cantique des brises ;
Et c'est ainsi d'abord qu'il loua dans son cœur
Son frère le Soleil et la Lune sa sœur...
— Si donc le Saintd'Assise, aux heures solennelles.
Pour la langue de France oubliait sa cité,
C'est qu'il ne trouvait pas de paroles plus belles
Pour peindre la douceur, la joie et la clarté !
XX
(iy^ « '^zédoz » Je (Latini.
Un vieux livre souvent plaît mieux que cent nouveaux . . .
— Pour devenir u prud'homme » et riche en « sapience » ,
J'ai repris ce « Trésor » de si « grande vaillance »,
Où le maître de Dante entassa ses travaux :
Vrai « trésor », en effet, d'histoire et de croyance,
Où tout vit, terre et ciel, astres comme animaux.
Les Ames et les corps, les choses et les mots,
Et les Vertus, joyaux de bonne Conscience.
Mais surtout — ce qui garde à l'auteur son pouvoir,
C'est que l'œuvre de Dieu, ce qu'il en crut savoir,
Dans un livre français il le voulut inclure ;
Et mon cœur bat, tout fier, maître Brunet-Latin,
Quand vous jugez déjà, vous, docte Florentin,
Notre français la plus délitable parlure !
■^^ *^^ *^^ '*^*' *^*' *^^ ^^^ ^^^ ^^* ^^* ^^^ '^^^ '^^^ "^^^ '^^*' '*^^ '^^^ '^^^
XXI
''PoHt le(Lwie deù cMezveilleù (i2g8).
Or, sachez tous qu'au temps de sa « chétiveté * »,
A Messire Rusta, son compagnon de veilles,
Marc Pol, bon citoyen de Venise, a dicté.
Sans mensonge et sans art, ce Livre des Merveilles.
Et sachez qu'il apprit ce que jamais oreilles
N'ouïrent, en la cour du Grand Khan — « moult festé »,
Qu'avec la Perse et l'Inde aux cités non pareilles,
11 vit Caracoron, la reine du Cathay.
El sachez bien qu'Asie en richesses abonde,
Mais qu'il vous peut de là mener plus loin encor.
Où l'extrême soleil paraît sortir de l'onde,
\oir, en la mer de Cim, Sypangu, l'Ile d'or...
— Et sachez que Marc Pol fit en français, d'abord.
Connaître au monde entier les Merveilles du Monde.
I . Captivité.
^^^^^^^^^^^^^^^^^^
XXII
La divine « pazlute ».
«Dieu fit le français si doux et
aimable principalement à
l'honneur et louange de
Lui-même... » (L'auteur de
Manière de Language, à
Bury-St-Edmund's. 1396).
Et le genlil français, à la cour favori,
Parla, dicta les lois, ou chanta le poème :
C'est lui qui trois cents ans garda le diadème,
Roi de Londres, d'Oxford et de Cantorbéry...
Et c'est plaisir d'entendre un maître anglais, qui l'aime
Et veut que nous l'aimions, dire tout attendri :
(( Dieu t'a fait, doux français, si doux et si fleuri,
« Pour que tu serves mieux à L'honorer Lui-même.
— 29 —
u Pour ta grande douceur et ta grande beauté
(( Il sied qu'on te compare au langage des Anges ... »
— O bon vieux maître anglais, avec joie écouté,
Du français reviens donc soutenir la fierté.
Prouver qu'en son essor, digne de tes louanges.
Il reste un parler cher à la Divinité !
^
XXIII
(Leô %^oix de Jehanne.
Un clair midi d'été, chez Jeanne, à Domrémy,
Comme une cloche au loin lançait son espérance,
L'Archange se montra dans une transparence
Radieuse, et son cœur d'enfant avait frémi.
K Vois la pitié, dit-il, au royaume de France :
« Jeanne, il faut, de par Dieu, bouter hors l'ennemi.
M Rendre au gentil Dauphin son sceptre raffermi...
« Pars sans crainte accomplir l'œuvre de recouvrance. »
— Etdepuis, en tous lieux, tous combats, — sans défaut.
Elle avait entendu ses « frères » de Là-Haut
L'avertir et l'aider dans sa tâche immortelle...
Lorsqu'on lui demanda plus tard, dans son procès,
Comment ses Voix parlaient : « Eh! comment, reprit-elle.
M'auraient parlémes Voix, sinon en pur français .►* » —
^^^^^^^^^^^^^^^^^^
XXIV
(ijû Plainte de H^olze-T^ame (i 45 2 ).
Voilà sur le Parvis, pour le jeu du u Mystère »,
Tout le peuple — artisans, clercs, barons — réuni,
Kt voilà — quel spectacle et quel drame I — la terre
Piir l'Enfer et le Ciel rejointe à llnfini.
Toute la Passion rédemptrice s'avère
Sous nos yeux : ton baiser. Judas, — Gelhsémani,
Et Caïphe, etPilate, et le sang du Calvaire,
Et Jésus s'écriant : Lamma sabacthani !
Et tandis qu'il expire, à l'heure ténébreuse,
Debout, sous le gibet, la Merge douloureuse
Se lamente et s'épanche en maternels effrois. . .
Et le peuple entier pleure : en la plainte si tendre,
Si doucement française, il croit lui-même entendre
Pleurer son Ame aux pieds de son Dieu sur la Croix !
XXV
(iJoAdieu du %tonveze,
E ! Durendal, cum ies bêle e seintisme
Roland, près de la mort, parlant à son épée,
Disait tous les combats gagnés, tous les pays
Que pour l'empereur Karl son bras avait conquis
Avec sa Durandal si blanche et bien trempée.
Et je vous dis de même, 6 mon français joli :
Quelle terre de Dieu n'avez-vous occupée ?
L'île anglaise en ses flots vous est-elle échappée ?
Naple ou Constantinople, Athène ou Tripoli P
Et quand le monde entier devint votre conquête,
J'y mis de mes chansons l'universelle fête...
— Oh ! mon français, mon cher français si doux-parlant,
Puissez-vous ne souffrir ni dédain ni silence 1
Et, près de m'en aller, je dis comme Roland :
« Seigneur, mon Seigneur Dieu, n'en laissez honnir Franc
La Gloite
deô Deux Ftanceô
(DE JACQUES CARTIER A MONTCALM)
A l'honorable
Sir François Langelier,
Lieutenaut-gouvenieur
de la province de Québec.
LE CANTIQUE.
oAii ôeuil deô il^ouveaiix cÂgeô.
A lous les maîtres et élèves
des collèges du Canada.
Dites-nous votre gloire, ô cher Parler !... Vous êtes
Le plus ancien rameau du vieil arbre latin ;
Vous avez dû déjà subir bien des tempêtes,
Mais vous gardez toujours la grâce du matin.
Les périls sont vos jeux elles luttes vos fêtes...
Allez donc par le monde et les siècles, certain
De vous enorgueillir de divines conquêtes,
D'entraîner avec vous des âmes pour butin !
Allez, brave et plus fort, vous sachant sans vieillesse :
Grandissez en splendeur et montez en noblesse !...
Pour nous, vos amoureux et fidèles dévots,
0 cher Parler de France ! aidez-nous, — prêts à suivre,
Aux fiers bords d'Amérique, aux grands rêves du Livre,
L'empreinte de vos pas dans les chemins nouveaux !
^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^
EN AMERIQUE
^' »v ^v
q/1u pzeiniet ^oî du ^^ëaiiada.
A l'honorable Sir L. A. Jette,
ancien lieutenant-gouverneur
de la province de Québec.
Sire, on vous admirait, quand, prince-genlilhomnie,
Bardé de fer, avec le glaive qu'on renomme,
Avec l'armet doré, d'escarboucles fleuri.
Vous meniez, plusieurs jours, dans des forêts de piques,
Des combats de géant splendidement épiques
Aux sons d'Unter^vald et d'Uri !
o _
'^7
Sire, vous viviez grand, lorsqu'au ciel de l'Histoire
Vous ajoutiez des noms radieux de victoire, —
Mais peut-être plus grand. Sire, dans le malheur,
Quand le sort eut rompu votre épée à Pavie,
Et qu'aux sombres cachots, consumant votre vie,
« Rien ne vous restait que l'honneur ! »
Plus grand. Sire, plus grand, quand vous rêviez d'étendre
L'emblème tout royal de votre Salamandre
Sur quelque fin palais dans quelque vert décor,
Quand Vinci vous offrait son labeur pacifique.
Ou qu'à Ben venu to vous criiez, magnifique :
« Va I Je t'étoufferai dans l'or ! »
Mais, Sire, roi des preux et des muses, beau prince.
Dont la gloire avec 1 art demeure la province.
Vous doutiez-vous que votre « los » irait plus loin,
Que votre nom, plus grand encor, pourrait survivre
Grâce au hardi voyage, au bref et simple livre
De Jacques Cartier le Malouin !♦
^^^^^^^^^^^^^^^^
II
'^iiz le oMont-^oyal.
A l'honorable
M. Raoul Dandcraxd,
ancien président dit Sénat
fédéral canadien.
« Les pays et roj'aumes de Ho-
chelaga et Canada, appelés
par nous Nouvelle-France... »
J'ai pris pieusement le Livre précieux
Semé de fleurs de lis sur sa basane ancienne,
Et ma pensée, aussi naïve que la sienne,
A refait le voyage aux pays merveilleux.
J'ai couru, sur la « Grande-Hermine », l'aventure,
Et j'ai, parle pouvoir des vieux mots ingénus,
Suivi, dans un décor d'admirable nature,
Les pas du Découvreur sur des bords inconnus.
Oh ! contraindre à sa voix l'écho du vaste fleuve,
Vêtir de noms français ces îles en passant.
Saluer et bénir sur un sol si puissant
Tous ces « arbres si beaux de grande odeur» si neuve !
- 39 -
Joie, orgueil du héros !... Quand de Stadaconé
Il eut vu s'infléchir les splendides rivages,
S'offrir, après la course où sa rame a peiné,
L'accueil d'Hochelaga sous les huttes sauvages,
Quand, fêté par des feux, par la danse et le chant
Et les « aguyazé » des guerriers et des femmes,
Il eut dit l'oraison pour les corps et les âmes
Des enfants et des vieux devant lui se penchant,
11 s'en alla monter sur la hauteur prochaine...
C'était le soir. Très loin, au sud, au nord, courait.
Bleuâtre, et s'estompant dans des brumes, la chaîne
Des grands monts, où moutonne une épaisse l'orèt :
En bas s'ouvrait la plaine immense, où, solitaire
Et glorieux, passait avec tranquillité.
Conscient de sa force et de sa majesté.
Le flot dominateur, seul seigneur de la terre.
— Jacques Cartier songeait, les yeux vers le couchant :
Il vit un peuple actif animer ce silence,
Des vaisseaux sur cette onde et des blés dans ce champ.
Tout le « plaisant » pays de la c( Nouvelle-France»...
Et dans ce même instant d'espérance et d'essor,
— Que de temps embrassés dans cette heure si brève ! —
(^omme pour ajouter plus de faste à son rêve.
Le ciel des soirs profonds ouvrit ses portes d'or..
Tout grand homme ainsi trouve un sommet dans sa vie ;
Et ce mont, fier témoin d'un rêve impérial,
Ce mont, d'où rayonnait sa conquérante envie,
Il l'appela superbement le « Mont-Royal « !
III
(La ^zièie dauô leô boiô.
A l'honorable
Sir A. B. RouTiiiER.
juge de la Cour de Vice-
Amirauté, membre de la Société
royale du Canada.
Lorsqu'avant son départ le vaillant Capitaine
Se fut agenouillé devant la Croix chrétienne
Où se fleurdelisait le royal écusson.
Lentement, gravement, monta dans le silence
Des bois religieux, pleins d'un vague frisson,
La Prière du Christ en syllabes de France.
« Notre Père des Cieux ! »... Pour la première fois
L'immense solitude entendait une voix
— Ai —
Nommer son Créateur : les grands bois, qui vénèrent
Et sentent dans leur sève auguste l'Infini,
Devant les mots sacrés, de leur front s'inclinèrent :
(( Notre Père des Cieux, votre nom soit béni ! »
« Que votre règne arrive 1 »... Et la terre sauvage
Répéta l'appel saint de rivage en rivage...
Et. là-bas, les fiers monts, d'un plus docile accès,
Ici, le puissant fleuve, à présent tributaire.
Tout paraissait redire avec des mots français :
(( Que votre volonté soit faite sur la terre ! ... »
(( Donnez-nous aujourd'hui le pain de chaque jour ...»
Et l'invocation de largesse et d'amour
En bénédictions s'épandit sur les plaines,
Tandis que le Héros, ceint de ses compagnons,
Implorait la Pitié pour les fautes humaines :
« Pardonnez-nous nos torts comme nous pardonnons ! »
a Délivrez-nous du mal ! ...» Etd'innombrables brises
Sur les grands bois émus, sur les plaines surprises.
Sur les monts verts ou roux, sur le flot sombre ou bleu.
S'en allèrent porter, semeuses d'espérance.
Par tout le Canada, reconnaissant son Dieu,
La Prière du Christ en svUabes de France !
^ ^ i^
RENAISSANCE FRANÇAISE
v^ «^ «^
^out en faite une ^eine.
Au poêle Pamphile Le Mav,
de la Société Royale du
Canada.
Or, en ces temps, aux bords et de Seine et de Loire,
Des poètes fervents, de leur Langue amoureux.
Voulurent lui dresser d'un bel art généreux
Un Irone sans rival de splendeur et de gloire.
Pour leur Dame et Princesse ils s'efforçaient entre eux
Sur la cithare antique avec l'archet d'ivoire ;
Pour l'imposer au monde, en grandir la mémoire,
Leurs vers, bons courtisans, portaient des cœurs de preux ;
— 43 —
Et comme, avec l'enceos plus pur de leur poème,
Avec l'orgueil du sceptre et d'un fin diadème,
Ces vaillants la dotaient d'un opulent trésor.
Partout les plus hauts rois, devant la jeune reine
S'inclinant, soulevaient, pour la baiser, la traîne
De son Ion? manteau bleu fleuronné de lis d'or !
^^^^^^^^^^^^^^^^^^
^Poiit la défend te.
Au poète du « Canada chaulé
Albert pEnt.Axn.
C est un crime de lèse-majesté
d'abandonner le langage de
SOQ pays... » (Ronsard.)
Mon fils, il ne sied point à des enfants bien nés,
Pour d'étranges amours, de mépriser leur mère :
]Ne va plus aux jardins de Virgile ou d'Homère
Cueillir des rameaux morts et des bouquets fanés !
Pourquoi d'obscurs tombeaux déterrer quelques cendres!
A tes nouveaux pensers coudre un costume ancien i'
Jaloux de ton parler, laisse à Rome le sien :
Le français pour ton cœur connaît seul des mots tendres..
— '10 —
Les sons les mieux chantants restent ceux du berceau ;
Défends-les !... Pour ta soif, content de ton ruisseau,
Prcndsen, baissé, l'eau \ive et limpide en ton casque !...
La Langue, c'est le clair visage de l'Esprit :
Montre-toi donc entier, sans couvrir d'un vain masque
Ton regard qui se mouille ou ta lèvre qui rit !
^^^^^^^^^^^^^^vâ^^
Au poète Albert Loze\i .
« Prendre pitié, comme bons
enfants, de la pauvre langue
naturelle... ».
Mon fils, des bons vieux mots de nos anciens romans.
Pour en parer tes vers, cueille-moi la guirlande !
Garde bien tout ducber patrimoine, et demande
Les plus doux et jolis au cœur des grand'mamans 1
N'exclus ni le présent des métiers, ni l'offrande
Des provinces: manceaux, poitevins ou normands.
Vivent tous nos vieux mots d'amour et de légende,
Beaux de couleurs, plus beaux encor de sentiments !
Tous ont leur prix : qui veut trop retrancher mutile.
Mais souvent d'un art souple enchâsse dans ton style
Le vieux mot plein de sève et vraiment nourricier :
C'est lui qui raffermit la phrase et la relève,
Comme une humble relique à la garde du glaive
Double de sa vertu la trempe de l'acier !
3è Si Se
/lu barde d'Arlhabaska,
Adolphe Poisson.
J ai comparé nos dialectes aux
maisons qu'un homme fort
riche a aux champs... »
(H. Estiennc.)
Veux -tu sacrifier aux Grâces, gentil maître,
Mon fils .-* Possède en ville une exquise maison,
Où l'art d'un ciseau neuf éjaand la floraison
Des rinceaux en guirlande autour de ta fenêtre.
Mais aime aussi tes prés avec leur fenaison ;
Retourne avec ferveur au vieux manoir champêtre,
Simple, flanqué de tours massives, où l'iVncêtre,
Pour affirmer ses droits, a gravé son blason.
Notre patois, vois-tu, c'est le logis rustique,
Où le cœur se retrempe au passé domestique,
A l'air vif du pays natal... Va donc revoir,
Mon fils, pour mieux t'ébattre en gaillarde jeunesse.
Le champ héréditaire et l'antique manoir.
Qui font ton opulence et disent ta noblesse !
1
^^^^ê^M^SSg-B:',
Au poète de Yaniachiche,
Nérée Beaichemix.
« Défendez votre mère contre
ceux qui veulent faire ser-
vante une damoiselle de
bonne maison...» (Ronsard.)
Mon fils, ne laisse pas Ion toit ou tes vergers
Abriter dans leurs nids trop d'oiseaux de passage
A chacun son domaine et son fief !... Est-ce sage
De soumettre ton cœur à des sons étrangers :*
Pourquoi de mots lointains, par un coupable hommage
Qaand ceux de ton pays se meurent négligés,
Ton esprit se fait-il d'incertains messagers?
Rends à l'arbre français son fier et vrai ramage !
Couve et nourris chez toi tes secrètes chansons...
Puis, un beau matin clair, vers tous les horizons.
Pour égayer l'azur, que leur troupe s'élance !
Et le monde, écoutant leur voix, comme un cristal,
Dira : « Qui peut douter de leur berceau natal ;'
« Ce qui plane là-haut, ce sont purs chants de France ! »
(( Ce gentil esprit de Roy. . .
leur fit entendre qu'il ne
prenait point plaisir d'ouïr
parler en autre langue que
la sienne. » (Ramus.)
Ecoute encor, mon fils. — Au temps du roi François,
Des magistrats voulant selon la mode ancienne
Le haranguer : « Non ! non ! dit-il, je ne reçois
Etn'entends nulle langue en ma cour— hors la mienne.»
— Ils venaient de Provence. — « Eh ! quàcela ne tienne !
Si vous voulez céans vous plaindre de nos lois,
Rien ne vaut pour plaider la façon parisienne :
Allez vite l'apprendre ! » — Au bout de quelques mois,
Nos gens — sans accent presque — exposent leiu- harangue
En français: — «Donc, dit-il, sachant si bien ma langue,
Chez vous, dans vos décrets, ne vous en privez point ! »
— Et sous le dais ainsi, jusqu'aux rives du Rhône,
L'armant du sceptre d'or de la Justice au poing,
Le Roi subtil assit le français sur son trône.. .
^ ^ ^
LE CANTIQUE.
Au poète montréalais
Charles Gill.
Mieux vaudrait comme bon
français ou citoyen recher-
cher et faire un lexicon des
vieux mots d'Artus, Lance-
lot et Gauvain. » (Ronsard.)
Dès qu'un rayon s'argente aux voiles du matin, ^
L'abeille, àme du ciel, rôde des monts aux plames,
Pillant œillets et lis, sauges et marjolaines,
Pour fondre en sa retraite un merveilleux butin.
Toi de même, mon fils, promptement, sans dédain,
Ya cueillir les chers mots naïfs des cantilènes :
Ne sens- tu pas, ému, l'arôme des haleines
Qui semblent nous chercher du fond du vieux jardin
Dans ta ruche soigneuse, au creux des alvéoles,
Amasse le parfum bourdonnant des paroles.
Puis retourne en nos champs, et, souvent à l'essor,j
Distille en un seul miel les fleurs de l'idiome,
Et ce miel, quelque jour puise dans ton « Trésor »,<
Ira d'un vers divin composer le doux baume.
«» ;£s» ;2«i> iSi £«£«;£?» ;zr» 55^ îS^ ^ ;2?^ ïïî^
•S*S^^1s*:?S§S*S^:5i;*S*S*S^'îSS
A Léon Lorrain.
« O dévots amateurs de bonnes
lettres, plùt à Dieu que
quelque noble cœur s'em-
ployât à mettre et ordonner
par règles notre langue
française I » (GeofTroy Tory.)
Apprète-toi, mon fils, pour la belle oraison.
La parole est un peu comme un troupeau de chèvres
Que le pâtre surveille avec la fltite aux lèvres,
Pour retenir leur fuite, autour de sa maison.
Prends garde à tous ces mots trop gaillards et trop mièvres
Avec leurs pieds légers et leur folle toison !
Impose à ce caprice une droite raison.
Des lois à ce désordre et du calme à ces fièvres !
Qu'ils obéissent tous à l'appel des pensers.
Sans jamais te trahir, confus ou dispersés !
Soumets ta phrase égale aux justes disciplines,
Pareil au chevrier, qui module son chant
En descendant le soir la pente des collines
Avec son troupeau sage à ses pas s'atta chant !
^^^^^^^^^^^^^^^^^^
m
^oiiz Villuôtrer.
« Ceux qui l'ont eue en garde
ne l'ont cultivée à suffi-
sance. » (J. du Bellaj' )
Certains, de beauté pure et d'élégance épris,
Jugeant notre « vulgaire «obscur et sans mérites,
Prétendent n'obtenir de la main des Charités
Qu'aux antiques bosquets la rose de Cypris.
Et pourquoi verrions-nous toutes fleurs d'art proscrites,^
Mon fds, du champ français qui pourtantvaut son prix?
Rien n'empêche qu'un jour des plus fameux esprits,
Faisant valoir tes droits, à ton tour tu n'hérites I
— 53 —
Oh ! ne méprise pas notre églantier gaulois
A racine profonde !... Impose- lui des lois,
Si lu veux : va, rêvant sous quelque ancien portique,
Cueillir un beau rameau d'éclat incarnadin;
Puis rentrons chez nous, vite, et dans notre jardin
Sur l'églantier de Gaule entons la rose antique !
f;^^^f;^f^H;^;^|,f;|^|;^^m^j^;^
An poète Jean Charbonneau.
Elever notre vulgaire à l'égal
et parangon des autres plus
fameuses langues »
(J. du Bellay.)
Sois fier de ton parler et songe à le grandir,
Mon fils !... Et donc, avec ferveur, dans la retraite.
Médite, approfondis l'œuvre antique, interprète
Du grand art, dont notre œuvre aussi doit resplendir !
Ecoute la leçon des anciens : ne regrette
Ni tes efforts, ni tes veilles, ni ton plaisir
Sacrifié ! Travaille, ardent ! Cherche à saisir
De l'immortel rayon la puissance secrète!
Imite la vertu robuste du sculpteur
Qui dégrossit le bloc informe... 0 bon lutteur.
Ton airain ne vivra que si tu le cisèles.
Lime, épure, polis ton vers ambitieux,
Sûr gardien de ton àme, — et donne-lui des ailes
Pour parcourir le monde el monter jusqu'aux cieux !
w^si^sës^s!ës^^smës^ii^ssmm.
Au poète Paui, Moiun.
Pillez-moi les sacrés trésors
de ce temple delphique... »
(.1. du Bellay.)
Chante avec moi, nioii fils, un hymne de combat...
Vois-tu ce temple grec à la fme architrave ?
Phœbus et ses trésors appartiendront au brave
Dont le cœur sans eflVoi sous la cuirasse bat...
Le fier peuple gaulois connaît-il une entrave ?
Je voudrais que pour nous ton orgueil dérobât
Et le Drame, et l'Idylle où la flijte s'ébat,
Et la grave Epopée, et l'Ode non moins grave.
Pille-moi ces trésors divins; puis, à ton tour,
Bâtis un sanctuaire au noble et pur contour,
Où sonne un air français sur la lyre d'Orphée !
Fais-toi, cher conquérant, de tant de grands débris
Un monument de gloire, et qu'à tous ses lambris
Resplendisse d'Hellas le merveilleux trophée!
I f f
Au poète ExGLEBERT Gallkze.
« Avril, la douce espérance... »
(Rém\' Belleau.)
C'est l'avi il de la Langue. . . 0 joie I Un souffle, un trait
De Vie a traversé le monde et le soulève...
]\'entends-tu pas, mon fds, partout monter la sève.
Et des voix chuchoter que le printemps est prêt ?
Vois ! vois! L'arbre partout s'émeut ; le bourgeon crève,
Et la feuille si tendre et la fleur apparaît.
C'est fête, du verger neigeux à la forêt,
Et des beaux fruits prochains rien n'empêche le rêve.
C'est l'avril de la Langue... On sent dans ses rameaux,
Où chaque aurore accroît la floraison des mots,
Du soleil qui rayonne et du chant qui s'éveille !
Et déjà sur l'espoir des roses en bouton
On croit entendre errer le vol doux de l'abeille
Qui se posa jadis aux lèvres de Platon !
i^ i^ i^
A M. L. E Cadieux,
de la société historique
franco-américaine .
« Pensez quelle immortalité
les sciences pourraient
apporter à une langue... »
(Pelletier du Mans.)
Puisqu'il présent voici le français, grand seigneur,
Du latin détrôné portant les armoiries,
Dans la jeune saison des Lettres refleuries
Honore ton parler comme il te fait honneur.
Fais passer la sagesse antique en nos hoiries,
La fleur de la pensée humaine, ô moissonneur!
Usant des mots de tous, à tous avec bonheur
Transmets des plus hauts cœurs les hautes rêveries !
l .
Ge que l'Esprit calcule ou ce que l'Ame croit,
Et la Religion, et l'Histoire, et le Droit,
Libre de l'étranger, mets tout hors de tutelle 1
Di'nne au parler natal, instrument de clarté,
- Art, Science ou Devoir — toute Idée immortelle,
Pour lui donner aussi son immortalité !
fpf^pf^p^jpf^^f^i^^^^^^^^p^^p^i^^
POUR QUELQUES BONS FRANÇAIS
DU XVl^ SIÈCLE
^ ^ ^
I
d/la « défenseur »
et « (Hluôtzateut » <ié /a ^angue\
A M. Ephrem Bauthélemy, '
publiciste, à Woonsocket
(E.-V.).
« Il n'est pas de plus grande
gloire que de combattre
pour la langue de la
patrie... » (Jean Dorât à
J. du Bellay.)
Guerroyer et mourir pour son peuple et sa terre.
C'est ua grave devoir comme un rare bonheur :
Et nul n'a, plus joyeux, rempli la tâche austère
Que le gentil Bayart, le « Chevalier sans peur ».
— ^9 —
Mais qui défend sa langue, en étend la frontière,
Combat pour sa beauté, sa gloire et son honneur.
Celui-là près du ciel garde sa race altière,
Celui-là porte aussi des fleurs de lis au cœur !
Louange à tous les fils delà Chevalerie !,..
La Langue, n'est-ce pas l'àme de la Patrie,
Sa pensée et sa voix qui ne doivent périr;*
Toi donc, qui sers ta Langue avec idolâtrie,
Qui, pour la faire grande, es prêt à tout souffrir,
Je t'égale au vaillant qui meurt pour sa patrie 1
wmmmmmmmmmmmm^
II
T*oiir le « ^liitarqae » d'a/^m^or
A l'ami J. A. Favrew,
secrétaire de la société historique
franco-américaine de Boston.
« Il y a tant de plaisir, instruc-
tion et prouflit en la substance
de ce livre... » (Amyot.)
Veux-tu des temps anciens voir les âmes bien nées.
D'un air candide et frais sous tes yeux renaissant,
Venir, parmi les dons des Grâces couronnées,
Dresser à leurs conseils ton cœur d'adolescent ?
Prends-moi cePlutarchus du bourg de Chéronée,
Qu'Amyot l'enchanteur a fait de notre sang,
Bourgeois ou gentilhomme à fraise godronnée,
Brave et bon, si français de costume et d'accent !
Ce maître t'apprendra la vertu coutumière.
Sans peine, en souriant, avec une lumière
Douce, pour éclairer le restant de tes jours !
D'un tour vif, si charmant, t'instruiront ses maximes,
Qu'après, sans le savoir, d'eux-mêmes, tes discours
Fardes chemins fleuris s'en iront vers les cimes!...
m
qAu pzemiet « ^apilaiiie »
des oMiises
« Adonques pour hausser ma langue malernelle,
Indompté du labeur, je travaillai pour elle... »
(Pierre de Rousard.)
Moi, je te glorifie et t'admire, ô Ronsard,
Comme le parangon, le père et le prophète :
Combien pour leur victoire avoueraient ta défaite !
Sur nos fronts plane encor ton royal étendard.
Ton grand cœur, conviant la muse en une fête
Somptueuse, où brillaient la gemme et le brocart,
Jugeait sa mission grave et sainte, et que l'Art
Doit vivre en plein soleil, près de Dieu, sur un faîte !
Le premier tu tentas les généreux émois
De l'Ode, et la splendeur épique, ô Vendômois !
Et si l'outil parfois a trahi ta puissance,
On sent toujours, malgré les défauts du métal,
Ta noblesse héroïque et ta magnificence
Sonner au rude airain du vers sacerdotal !
^^^^^^^^^^^^^^^^^^
oAii ^zand Siècle.
Aux maîtres et élèves
du collège français de Worcester
{E..U.).
0 Dix-Septième Siècle, ô grand Siècle de France.
Dont notre cœur s'exalte, à jamais riche et grand !
Passé de fière gloire et de magnificence,
Par qui chacun de nous se garde en si haut rang 1
Henri, Louis, entre eux le Cardinal : puissance
Rayonnante I... Palais de marbre au ciel s'ouvrant
Villes dans les déserts soudain prenant naissance !..
0 Siècle créateur, multiple conquérant !
Exploits, monuments d'art, floraisons légendaires !
Victoires de la langue étendant ses frontières !
Triomphes de l'esprit, vivante royauté I
Trésors qui ne sauraient tomber en déshérence !...
0 Dix-Septième Siècle, ô grand Siècle de France,
C'est Dieu qui t'associe à son Eternité !
|IMIIIMIIIMIIIII##fll#IMI^
LES MUSES
DE LA NOUVELLE-FRANCE
(en acadie, 1 604-1607)
^ >^ ^
A l'honorable
M. A. -F. AuSENAULT,
ministre dans le gouvernement
de V lle-du-Prince-Edouard-
I
q la (ff ta 11 ce.
France ! tandis qu'ardente à l'œuvre qui se fonde,
S'obstine une rumeur de hache et de rabot,
L'un de vos fils, ami des Muses, Lescarbot,
Vous consacre ces vers, éclos au Nouveau-Monde.
Faites de cette terre, ô France, votre enfant :
Elle s'offre si belle et si digne de l'être !
Suivez l'astre du jour fécond, qui trace en maître
Son sillon glorieux de l'Aurore au Ponant !
- 64 -
« Bel œil de l'univers », « chère mère », « nourrice
Des Lettres et des Arts », « secours des affligés »,
Hàtez-vous sur ces bords trop longtemps négligés
D'étendre vos rayons de clarté rédemptrice !
i^(^
^^^^^^i^^^s^s^^^fe^fe^fe^^
II
(ije ihéâtte de S^epiune,
(al port-royal)
^4 M. le Sénateur
Pascal Poirieiî
Pour fêter le retour du seigneur de ce fief,
Les mousquets en liesse ont fait chanter la poudre
Neptune a dû, quittant ses grottes, se résoudre
-V saluer en \ers, fort galamment, le Chef.
Si loin, la belle humeur gauloise se respire
Parmi les frais rameaux de verdure en festons :
Une fanfare éclate, et le chœur des Tritons
Annonce au Béarnais un « florissant empire ».
Pendant qu'avec ses dieux dépaysés discourt
La Muse allégorique — un peu parfois espiègle —
En sa cour de Micmacs, qu'orne la plume d'aigle,
Sourit, heureux, le bon Sire de Poutrincourt.
LE CANTIQUE 5
m
(L'Vtdte du ^011 ^emps,
(mis en avant premièrement par ciiamplain)
La table est fraternelle et les menus superbes
Avec leurs saupiquets de cerf ou d'orignal.
Monsieur c l'Architriclin », qui donna le signal,
Mais que seconde Hébert, l'adroit « ramasscurd'berbes » .
Serviette au col, baguette en main, surveille tout...
L'hôte ami, qui souvent dans cette pastorale
Vient s'asseoir, pour humer la (( liqueur septembrale »,
C'est le vieux Sagamo. l'illustre Membertou.
Et lorsqu'au cher pays chacun a porté brinde,
Quand l'encens du a pétun » fume des calumets,
L'avocat de Paris verse auN joyeux gourmets
Quelque hymne de Bacchus vendangé sur le Pinde.
IV
T^zeniièze gezbe.
A tous les semeurs acadiens ;
« tous les moissonneurs de
gerbes nouvelles.
. « Pour la posséder, il faut
se camper sur la terre et la
bien cultiver. » Lescarbot.i
Pourtant, gentil poêle, infatigablement
Au gré de la saison — selon les graves règles.
Tu bêchais, tu semais les orges et les seigles
Et le roi des sillons de France, le froment.
I\a^i, chaque matin, penché sur un mystère.
Tu guettais le progrès de tes blés généreux.
Qui, plus hauts et plus drus, de leurs lances de preux
Promettaient vaillamment de conquérir la terre.
Et sur ce sol nouveau, que premier tu rompis,
Il nous plaît de revoir dans un naïf cantique
Ta Muse sans apprêts, moissonneuse rustique,
^■lleversur sa tête une gerbe d'épis !
!-.^^^^^l?^^^^^^*^^^^^^
dédicace du « ^oii de 'Dieu ».
(honfleur, i3 avril 1608)
.4 Mgr Paquet, P. A.,
vicaire général de Québec.
Et provignons au loin une France plus belle-
(Lescarbot.)
Notre-Dame de Grâce, Etoile tutélaire,
Préserve ce vaisseau qui part — de la colère
Du vent, de l'écueil et des flots !
Tant d'ennemis dans l'ombre ourdissent leurs complots!
Notre-Dame de Grâce, appui des matelots.
Mène à bonport lanef de France !
Tu sais ce que sa voile emporte d'espérance
Pour la terre sauvage ! Aide à la délivrance
De tant de misères là-bas !
- 69 -
Tant d'âmes vont mourir, si tu n'y pourvois pas !
La nef de France emporte, instruments de combats.
La sape, le pic et la bêche,
Nos plus braves froments aussi, pour qu'en la brèche
Immense des forêts, sur un sol moins revêche
Montent les humaines moissons 1
Elle emporte — la nef de France — pour rançons
D'un monde, le meilleur de ce que nous pensons.
Les plus fiers trésors de la race.
Le vieux cœur des Croisés, plus fort que leur cuirasse,
Cet idéal chrétien, qui partout teint sa trace
D'un beau sang d'apôtre et de preux,
Et l'oubli de soi-même, et l'honneur, amoureux
Du péril, et ce goût amèrement heureux
De s'offrir à toute détresse.
Et tous ces mots d'amour, dont la douceur caresse,
Et toutes ces vertus de divine allégresse
Qui font mieux vivre et mieux mourir !...
Notre-Dame de Grâce, aide à faire atterrir
Là-bas, pour que notre âme y puisse refleurir,
La nef de France évangélique 1
Que les peuples plus tard répètent cet aveu :
" Ce qu'envoya la France aux rives d'Amérique,
C'était vraiment le Don de Dieu ! »
(Le t eût a me ni de ^hamplain,
(i635)
A l'honorable M. P. Landry.
Président du Sénat du Canada.
. « Qu'avec la langue fran-
çaise , ils conçoivent un
cœur et un courage français. »
(Chaniplain.)
C'est au Fort Saiiil-Louis de Québec, en décembre.
La neige bat la vitre avec rage, et la chambre,
Qu'un long souffle lugubre enclôt dans sa rumeur,
S'assombrit, froide et triste, avec son feu qui meurt,
Comme s'il faut, le maître absent, que tout s'endorme.
vVutour du lit défait, qui garde encor la forme
Du Mort, quelques amis, en silence assemblés,
— Laboureurs et soldats — pleurent, inconsolés,
Pareils à des entants partout cherchant leur père.
Et tous, le cœur désemparé, dans ce mystère
Qui suit un grand départ, ont peine à contenir
Leur intime tourment : — « Qu'allons-nous devenir ?
u Sans lui — quels joursdespoir pouvons-nous nous promettre?
u Que font les serviteurs dans la maison sans maître P
« Maintenantqu'iln'estplus, faut-ilque nous mourions? »— 7
Et leur regard \o'ûé s'attache aux morions.
Aux corselets de fer froissés, à l'arquebuse,
Au mousquet, dont souvent il déjoua la ruse
Iroquoise, au hoyau défricheur, aux compas,
A la carte, où lui-même inscrivit tous ses pas...
Mais alors, médecin de ces âmes blessées,
Le pieux confident des suprêmes pensées
Du Chef, le secourable ami, qui doucement
L'avait fait « naître au Ciel», — leurlit son testament.
II
M Mon Dieu, vous m'appelez à Vous par la souffrance.
L'ombre descend... Notre-Dame de Recouvrance
Me convie au repos de sa cloche du soir...
Maître, me voici prêt. Pour vous bien recevoir.
De votre serviteur la lampe est allumée...
Mais avant de partir. Seigneur, sur l'œuvre aimée,
Sur mon Québec, sur mon jeune peuple très cher,
Laissez se réjouir cncor mes yeux de chair...
?2 - —
Oh 1 ce vaste horizon si doux de tant de lieues,
Ce fleuve de soleil et ces montagnes bleues.
Au regard d'un mourant rien ne s'offre plus beau 1
Où j'ai le plus vécu, je demande un tombeau.
Mon Québec ! c'est pour toi, mon plus glorieux songe,
Que j'ai quitté, là-bas, mon pays de Saintonge,
Pour toi, que j'ai trente ans lutté, versé mon sang !
Mais je m'en vais heureux et tranquille, en pensant
Que mon effort survit, — que sur ce promontoire,
— De France, par delà la mer, une Victoire
Plana, posa son vol d'azur, et dut laisser
L'empreinte de son pas qui ne peut s'effacer. ..
Mon Québec ! c'est d'ici qu'on partait en conquête,
Ici qu'on rapportait pour butin, l'àme en lête,
Quelques secrets surpris de cantons inconnus.
Pendant que mes vaillants, sur ton sol retenus,
S'ouvrant d'âpres sillons aux broussailles voisines.
D'une France rustique y fixaient les racines,
— Moi, je visitais mon royaume, j'explorais
L'immensité des eaux, l'épaisseur des forêts,
Je frayais des chemins aux vieilles solitudes.
J'allais partout, bravant les travaux les plus rudes,
La faim, la soif, et la froidure, et l'Iroquois
Méchant, dont sur moi seul se vidait le carquois...
J'allais avec Jésus, aux pauvres sauvagesses
Essayant d'enseigner les divines sagesses,
A sa couronne — heureux d'ajouter pour fleuron
La naïve àme d'or de mon frère Huron !
Et démon cœur fervent, de mes mains, de ma bouche,
Je donnais une forme à la terre farouche !
Tout le pays, dont j'ai dessiné Jes contours.
Les fleuves, dont ma rame a remonté le cours,
Les lacs, les bois, les monts, qu'une carte nouvelle
Pour la première fois au Vieux Monde révèle.
Avec des noms amis, garants de mes succès,
Tout s'est mis à parler humainement français !
Mais chaque fois, après l'aventure, — fidèle
Et joyeux, vers toi, mon Québec, la citadelle
De ma race, si bien assise à ton rocher
Que nulle main jamais ne l'en doit détacher,
Vers toi, l'abri sacré, le foyer domestique,
J'accourais réclamer, comme une aide mystique,
Sous l'aile lutélaire et blanche des drapeaux,
Le rafraîchissement, la force et le repos 1
A présent — grâce àDieu — j'ai fini ma journée...
La nuit vient : près de la faucille abandonnée,
Sur l'amas des épis croulants, avec bonheur,
S'incline et va dormir le front du moissonneur.
A vous mes compagnons, qu'à ma place j'enrôle.
Ce patrimoine ! A vous, sur votre mâle épaule
De charger mon fardeau de rêve et d'avenir 1
A vous, de bien défendre, en sachant vous unir,
L'honneur de ma maison... une maison de France [
— Et n'ayez peur de rien. Mais pour plus d'assurance.
Mes iils, dites chacun toujours : « Je me souviens !
« Voilà ce que Champlain croyait, disait. Ses biens,
1« Son langage et sa foi, sont demeurés les nôtres :
«Tels qu'il nous les transmit, nouslesdevons à d'autres.
- 74 -
<( Aujourd'hui comme hier, demain comme aujourd'hui
<( Je me souviens 1 Je parle et je crois comme lui. »
Dites cela, mes fils, et je puis vous promettre
De ma tombe, qu'avec l'aide du Divin Maître,
Vivants et morts ensemble associant nos cœurs,
Sur le roc de Québec nous régnerons vainqueurs I »
m
— C'est ainsi qu'à genoux, en ce soir de décembre,
Les amis du Héros, réunis dans sa chambre.
Comme ils s'y rassemblaient pour prier chaque soir
Crurent l'entendre encor ranimer leur espoir.
La cloche de Notre-Dame de Recouvrance
Tintait... Il leur revint une grande vaillance.
La mort, c'est aux croyants le seuil d'éternité :
Champlain dans tous ses fils vivait ressuscité !
4-
CONQUÊTES FRANÇAISES.
«4/ \}/ ^/
(L'hôtel de ^ambonïllef.
A Laure Conax.
a Chambre Bleue, où c( l'Incomparable Arthénlce »
Trône... Autour du haut lit de parade rangés,
L>'Astrée a réuni ses plus galants bergers :
Pour le tournoi badin l'esprit ouvre sa lice.
\ssauts, feinte, riposte, et coups droits échangés:
De toutes parts jaillit l'étincelle... Délice,
(.'.< Ame du rond », pimpant, pétillant de malice,
ji' Valère » se prodigue en mille traits légers...
- 76-
Révérences de cour... Bel air... Grâce jolie. .
Parfums subtils de la « Guirlande de Julie »...
Rares sonnets d'un soir, dont on discourt dix ans ..
Soyez loués 1 — • Ce sont vos « Précieux », Marquise,
Dont le français reçoit le plus fin des présents,
Sa première leçon de politesse exquise...
ofe
II
dMalliezbe.
A l'auteur des
Visions gaspésiennes,
M"« Blanche L\moxtagxe.
Les meilleurs esprits vous
doivent cet hommage d'ap-
prouver ce qui vient de vous
comme parfait. »
(Richelieu.)
On n'aime pas toujours voire sèche froideur
Ni votre morgue, ô vieux poète u pédagogue »,
'! Tyran » bourru des mots et des rimes, grondeur
largneuxcomme un chardon, piquantcomme uneboguel
;/otre férule, hostile à tous les noms en vogue,
Sifflait, et vous dictiez vos lois avec raideur...
dais qu'importe à nos cœurs votre ton brusque etrogue,
ii votre strophe exacte a connu la grandeur.
- 78 -
Si votre œuvre, pénible et lente, courte et triste,
Mais fîère, sut forger, ô gentilhomme artiste,
De beaux vers immortels, aussi durs que l'airain
^ ous croyiez justement, ô François de Malherbe,
A la pérennité du labeur souverain :
Gloire à qui s'efforça pour la gloire du verbe 1
ms^i&^m:^m!s^jê^m^smBmm
lïi
Balzac,
A M. Edouard Moxtpetit,
Professeur à l'Université Laval.
« La diction de vos lettres est
pure, les paroles choisies.,,
et les périodes accomplies
de tout leur nombre. »
^Richelieu.)
Non moins que les beaux vers chante la belle prose.
L'éloquence a son art, ses mystères sacrés,
Ses vocables choisis, que l'oreille dispose
En rythmes vifs ou lents, sagement mesurés.
La pensée en musique, au gré du virtuose,
Monte, épandant son flux sonore, par degrés ;
Et l'ample période ouvre, comme une rose,
•Sou cœur épanoui de pétales pourprés.
i
— 8o —
C'est toi, Balzac, qui mis dans nos discours le nombre,]
Les jeux de la lumière alternant avec l'ombre,
Des grands balancements la pompe et le décor.
Mais d'où vient le secret de ta phrase vibrante ?
?S 'en as- tu pas perçu l'harmonieux accord
Dans les hauts peupliers des bords de ta Charente !'
IV
%^ auge lad.
A M. Sylva Ci
« Le plus soge écrivain de
noire langue. » (Boileau.)
Claude Favre, baron de Pérores, seigneur
De \augelas, trente ans, méticuleux et sa^-e,
A la ville, à la Cour, cueille sur son passage
Dans la moisson des mots sa gerbe de glaneur.
Trente ans, gra^e, il écoule, et trouve un grand lionneur
A se dire « greffier des arrêts de l'Usage ».
De la parole ailée il fixe le visaf^e ;
Il épure son grain an crible du vanneur.
SaNoisien, sur la foi d'oracles qu'il consulte,
pu français le plus noble il conserve le culte...
Tel l'ami de nos champs, qui des plus rares fleurs
Nous compose un herbier... Tel, sous la transparence
Du verre, le chasseur de papillons de France
Qui du butin du ciel nous garde les couleurs...
LE CANTIQUE P
^'oAcadémie fzauçaiôe.
A M. Ferdinand Roy,
ancien président de l'Institut
canadien de Québec.
Sa principale fonction est d'é-
tablir des règles certaines
pour le langage français. »
(Lettres patentes de 1635).
Le Ministic, qui songe à gouverner la Langue
Comme l'Etat, étend la main et dit : « Le Roi
« Au peuple obscur des mois doit iin]ioser sa loi :
u La langue a trop flotté conmie un vaisseau qui tangue.
« Aux dévots du français il ne faut qu'une foi.
« Que tous, aux soins du vers comme de la harangue,
« Usent du même or pur délivre de la gangue :
(( Je parlerai comme eux, mais eux tous comme moi. »
— SS-
II dit... Pour que les mots ne forment qu'un royaume,
Les Quarante, savants juges de l'idiome,
Ont cité les suspects devant leur tribunal.
Tout semble soumis... Plus de rebelle qui bouge !...
Notre Langue a senti sur elle, ô Cardinal,
Passer superbement ta longue robe rouge !...
-1^
1
YI
(En Canada,
An savant historien de La Race
française aux Etats-Unis,
M. ^at^é D. -M. -A. Magnan.
Va, mon français, aussi sur de lointains rivages
Dans renchevêtrement ténébreux des grands bois,
Au bord des lacs, parmi les huttes des sauvages,
Etendre et propager l'écho fier de ta voix.
Ne crains pas, mon français, les rudes hivernages.
Les pénibles labours et les sanglants exploits :
C'est toi, dans la vertu des saints pèlerinages,
Qui dois partout prêcher l'Evangile et ses lois.
C'est toi... c'est vous, ô ma Langue, qui la première
Devez porter la paix et la douce lumière.
Par l'àpre solitude où le Christ vous attend.
Là-bas, ô mon français, sans calcul et lyrique,
Allez vivre et prier et combattre en chantant
Dans le décor d'un beau paysage héroïque 1
(iJ (invocation pont 'Ville-oMazie,
A Sa Grandeur Mgr P. Hruchési,
archevêque de Montréal.
« Ces âmes d'élite s'étaient
rassemblées en la grande
église de Notre-Dame de
Paris .. 0/1 sollicitera tant
le Ciel en l'une et Vautre
France qu'enfin Dieu don-
nera sa bénédiction à celte
pauvre terre. »
(Relation de 16i2.)
L'œuvre lointaine — ici, dans celte cathédrale,
Est née en des cœurs purs, d'amour divin fleuris,
Au pied de ton autel, ici. sur cette dalle,
0 Notre-Dame de Paris I
Miracle de la Foi I Loin, très loin de cette île
Du Saint-Laurent, là-bas, — sans connaître le lieu,
C'est ici qu'ont prié ces fondateurs de ville
Qui ne travaillaient qu'avec Dieu !
— 86 —
Nous croyons les entendre encor... « Sainte Marie,
Mère de la France et du Ciel,
Protégez tendrement la naissante patrie
De votre grand nom maternel !
0 très Sage, 6 très Douce, ô secourable Etoile,
Sur la vaste mer sans chemin,
Soutien de vos enfants, — sans orage en leur voile.
Guidez-les au port par la main !
Seuil du Ciel, Temple d'or, Tour d'ivoire, ô Sublime.
Sur la terre au sauvage accueil.
Pour vos fervents Croisés, de la jeune Solyme
Bénissez les tours et le seuil !
Rose mystique ! Fleur de l'Aurore ! ô Bénigne,
Soyez l'aube d'un nouveau jour !
Au peuple des gentils imposant votre signe,
Ouvrez-leur la porte d'amour !
Peut-être y souffriront ceux que la Croix attire :
0 Princesse des Sept Douleurs,
Donnez-leur, s il le faut, la palme du martyre.
Accordez-nous le don des pleurs !
Mais pour briser le Mal, notre Avocate aimée,
Pour avoir raison des bourreaux.
Priez ! et votre appui, qui vaut mieux qu'une armée,
Nous fera des cœurs de héros !
- -^7 -
Et grâce à Vous, ô Triomphante, ù Salutaire,
Reine des soirs victorieux,
Le grain de sénevé pourra couvrir la terre
Sous l'apaisé regaixl des cieux I »
— Ainsi priaient tes fils, magnifique Ouvrière 1
Et -Maisonneuve aidant, ton chevalier féal.
Ta ville en même temps naissait de leur prière,
^Îotre-Dame de Montréal !
^
(Les 'Consolations,
(a l'hôpital de VILLE-MARIE VERS l645)
A son Honneur le Maire de Montréal,
M. Oscar Lavallée.
Une lueur s'épand, très douce, par la salle,
Sur les lits blancs, le long des lambris, d'où s'exhale,
Fraîche encor, la senteur de la grande forêt...
Le blessé se réveille et suit le pas discret
De celle qui va, vient, et le panse, et l'exhorte.
Et dont il guette, ému, le retour, par la porte
Du petit oratoire où Dieu veille présent.
Oh ! le cher abri sûr et calme et reposant !
— Et pourtant, songe-t-il, par delà l'estacade
Des murs de bois, la Mort s'arme dans l'embuscade
De riroquois rampant sous les taillis épais.
C'est un royaume, ici, d'évangélique Paix,
D'Espérance berceuse et de Miséricordes ;
— Et là, dehors, tout près, se déchaînent les hordes
-89 -
Furieuses, inexorables de l'Enfer !...
Quand l'aube va rayer bientôt l'horizon clair,
L'aboîment de nos chiens, flairant la piste fraîche.
Répétera, pressant, ses appels, et la flèche
Criblera de partout les feuillages brisés,
Et sur sa proie, avec ses couteaux aiguisés,
Bondissant, le chasseur fauve de chevelures,
Pu scalpe en la chair vive imprimant les brûlures.
Sur les yeux aveuglés, sur le corps frémissant,
Fera descendre en pleurs la couronne de sang !
0 vision horrible ! — et le Montréaliste
Tressaille, appelle, ébauche un geste d'exorciste,
Ou, se souvenant trop, lève un bras affaibli
A son front de martyr, sous le bandeau pâli...
Mais voilà que sur lui sa gardienne fidèle.
Accourant, s'est penchée, — et lui, soudain, près d'elle,
Sitôt qu'il a senti du fond de son malheur
Des doigts de Véronique essuyer sa douleur,
,11 laisse fuir sa crainte et se calmer sa fièvre...
S'il ne la voit, qu'importe? Il l'entend... De sa lèvre
Des mots consolateurs, qu'elle trouve d'instinct,
Coulent, fraiscomme uneonde et clairs comme un riiatin.
Il lui sourit, les yeux fermés... Ces mots de France
Ont d'un charme subit éloigné sa souffrance :
Oesmots ont remué son cœur si tendrement...
N'est-ce pas quelque sœur ou sa vieille maman
^u'il entend lui parler, si simple et si profonde ?
D'est tout le vieux pays, avec ce que le monde
i\enferme de meilleur, qu'évoque son esprit.
[[-■a vie est bonne encore... Il écoute, et sourit...
— 90 —
Oh ! soyez donc bénie à jamais, Jeanne Mance,
Cœur catholique, cœur de femme, cœur de France,
Qui pour tant de détresse avec joie apportez ,
Tant d'héroïques, tant de suaves bontés 1
I
^
g®^®«®®®®s®®®®«>®®
^ozneille à Québec.
(3l DÉCEMBRE l646)
A Son Honneur le Maire de Québec,
M. Napoléon Drouis.
« Le dernier jour de l'an, on
représenta dans le Magasin
une action du Cid. Nos
Pères y assistèrent par con-
sidération de M. le Gouver-
neur qui y avait de l'afFec-
tion,et les Sauvages aussi...
Le tout se passa bien,
et n'y eut rien qui put mal
édifier. »
{Journal des Jésuites, 1646.)
.e n'est point, Mondorv, ta scène du Marais,
■It certains spectateurs, fils naïfs des forets,
lUx derniers bancs, peut-être auront peine à comprendre.
lais tout cœur de Français aux vertus sait se rendre,
Et le peuple, à l'accent des beaux vers surhumains,
Avec « Onontliio * », charmé, battra des mains.
!
i
Voici Rodrigue, fleur de la Chevalerie.
Qui porte en lui son Dieu, l'Honneur et la Patrie,
Vengeur de son vieux père et du nom castillan ;
El quel humble auditeur, à l'aveu du vaillant :
(( Je le ferais encor, si j'avais à le faire »,
Ravi dans mie haute et candide atmosphère,
Dans un monde idéal très pur. ne s'est senti
Par l'admiration jusqu'au héros grandi,
Prêt aussi dans son cœur, de prouesses prodigue.
Si le devoir parlait, à créer un Rodrigue ?
Et quand don Diègue encor, le fier vieillard chenu,
Près du vainqueur sans joie à propos revenu,
Lui montre le « moyen pour regagner Chimène »,
Et, sortant du devoir, au devoir le ramène,
— Quand, les Mores défaits, — « d'une si belle nuit »
Le Cid, devant le Roi, hii-même nous instruit.
Et prompt, comme il l'obtint, nous chante sa victoire,
Vous avez cru revivre un peu de votre histoire,
^'est-ce pas, ô soldats sans peur de Montmagny.
Qui fondez si souvent sur le païen honni,
Sur les Cinq-Nations dont se leva la hache ;
Et vous applaudissez, ô jeunesse sans tache
Qui devez comme lui vivre dans le danger.
Cette bravoure, où rien ne sonne d'étranger..
I. Le gouverneur Huault de Montmagny.
— 90 —
Corneille, ù Canadiens, Corneille est bien des vôtres,
El sur ce sol tout neuf de lutteurs et d'apôtres,
^ui doit vous demander tant de rares vigueurs,
?/est lui dont le grand souffle élèvera vos cœurs !
(H^mne d'un mart^z de (ff tance,
(l6 MARS 16/49)
A M. l'abbé Antonio Huot.
« Je vous promets, mou Dieu,
si jamais dans votre misé-
ricorde vous m'oifrez la
grâce du martyre, de ne
m'en rendre pas indigne. »
(Jean de Brébeuf.)
L'œuvre de Dieu grandit, dans l'épreuve affirmée.
De toutes parts, sur des liorizons de fumée,
Les villages hurons flambaient... Les prisonniers,
Sous l'épieu sans merci des farouches Agniers,
Se pressaient, douloureux, vers le lieu de torture.
Droit, les dominant tous de sa haute stature,
Jean de Brébeuf. l'apôtre à la fois doux et fort,
D'un cœur ferme, en chantant, s'en allait à la mort.
— 9J —
— « Puisque vous m'exaucez, o Maîlre de la vie,
\ln daignant accepter l'offrande de mon sang,
,1e vous loue, ô mon Christ, et je vous magnifie :
\ votre Passion toute ma chair consent.
Vous pouvez m'infliger l'angoisse et le supplice
De votre Croix et de vos clous :
Du suprême honheur — jaloux,
— Celui de votre amer calice —
Le soldat de votre Milice
Saura souffrir, digne de Vous 1 « —
Près des poteaux dresses la torche ardente est prête :
Calme, devant le sien s'humihe et s'ariête
Jean de Bréheuf, l'apôtre à la fois fort et doux.
Pour baiser l'instrument de sa peine — à genoux.
Le feu s'allume. — o Echon, veille sur nous et prie 1 »
— « Frères, ne craignez rien. La céleste patrie
Va s'ouvrir, éternelle, après ce court tourment. »
— u Echon, invoque encor le grand Esprit clément ! »
— « Seigneur, monbeau Seigneur Jésus, par la souffrance
De votre front royal, d'épines déchiré.
Par le sang de vos mains, par le trou de la lance
Qui s'enfonce à nos yeux dans votre flanc sacré,
Par toutes nos douleurs qui disent vos louanges.
Si, comme il sied, je vous servis.
Parmi ces cœurs simples, ravis.
Envoyez vos cohortes d'Anges
Cueillir les divines vendanges
Pour les lètes de vos Parvis! »
- 90 -
Brébeuf, fidèle au Maître et pareil aux Apôtres,
Oublie ainsi ses maux en ne songeant qu'aux autres ;■
Mais la horde implacable, attachée à son corps,
Ravive dans ses chairs mille petites morts,
Enflamme sur son front des couronnes d'écorce...
Tandis qu'émerveillant ses bourreaux par sa force,
Lui, magnifiquement soutenu par son Dieu,
Chante encore, indomptable, auréolé de feu !
— (( Douleur, joie 1 Ohl merci, Jésus, de celte insigne
Grâce de mon Calvaire avec Vous et pour Vous 1
Vous venez au-devant de moi, me faisant signe
Que le Ciel n'est plus clos pour le pécheur absous...
Et je vais donc laisser ce pays tributaire
Du Dieu Sauveur en qui je crois :
Qui pourra jamais, Roi des Rois,
Forcer vos enfants à se taire,
Déraciner de cette terre
L'arbre vainqueur de votre Croix ? »
Jean de Brébeuf, chantant, résiste et s'encourage,
Mais des chiens de l'Enfer irrite encor la rage.
Ils bondissent sur lui, s'acharnent, lui tranchant
Les lèvres, dont paraît les défier son chant,
Lui plongeant dans la gorge une cuisante empreinte.
Rien ne peut l'émouvoir, lui tirer une plainte.
Dépecé par le fer, arrosé d'eau qui bout.
Le soldat de Jésus, impassible cl debout.
— 97 —
Semble dans sa poiliine encor rythmer un psanme...
Jusqu'à ce que, d'un coup au cœur hâtant son vœu,
Comme une fleur fauchée exhale son arôme,
Sa belle àme en plein ciel jaillisse aux pieds de Dieu !
I.E CANTlglE
f;ff;^;^mi|f;^mWfH^^^
(Les dix-sept noms
(inscrits al REGISTUK MOUTIAIRE DE VIELEAIARIE
LE 3 JllN l()Go)
A M. J.-B. L\GACÉ,
Professeur à l'Unioersité Laual.
« Il faut ici donner la gloire
à ces dix-sept Français de
Montréal et honorer leurs
cendres d'un éloge qui leur
est dû avec justice... Tout
était perdu, s'ils n'eussent
péri, et leur malheur a sauvé
c(^ pays.
(Rclalion de 1660.)
Dix-sepl sont morts pour tous, volontaires victimes.
— Le prêtre *, qui connut leurs vaillances intimes,
Pieusement, du Chef et de ses compagnons
Sur l'humble obituaire éternise les noms...
L'ahbé Souart.
— <)!) —
Lu mois plus loi, ici même, en Aiile-Marie,
Que menaçait un flot montant de barbarie.
C'est lui qui dans son cœur, devant ce même autel,
Reçut de ces soldats le serment immortel,
Lui qui les confessa, leur remit toute faute,
Et qui, donnant Jésus à leur âme pour hôte,
Leur dit : u Allez, mes fds, bravement... Le chrétien
Qui porte en soi son Dieu ne peut plus craindre rien... »
Et maintenant qu'ils sont tombés pour la patrie,
Le prêtre, avec des mots de prière attendrie
Qu'il laisse, comme une eau sainte, goutter sur eux,
Inscrit dans la splendeur les noms des dix-sept preux.
— (I Le chef, Adam DoUard des. 0/v»t'aHx...Labelleâme
Fervente, enthousiaste, et dont la jeune flamme
Fit pour notre jeunesse un sublime entraîneur !
Que Dieu le garde en grâce et nos fils en honneur !...
JacfjLies: Brassier, Jean Tavernier dit Hochetière,
Nicolas TiUeinoiil... Toute une fleur très fière.
Très pure, de la race, et dont les vingt-cinq ans
Promettaient tant de fruits au bout de leur printemps. ..
Laurent Hébert, si grave, Alonié de lEstres,
Si haut, que leurs pensers ne semblaient plus terrestres. . .
Nicolas Josselin, de candeur revêtu...
Ayant bien su prier, tous ont bien combattu...
Jacques Boisseau, Louis Martin, Robert Jurée...
De ces noms que j'écris chaque lettre est sacrée :
Qu'ils vivent grands et beaux, autant que leur dessein I
Simon Genêt, Franrois Crusson, Hené Doussin,
lOO —
Rohiii, Chrislophe A iic/ier, Jean 1 alels, Jean Le Compte. . .
Noms simples, radieux ! Que chacun d'eux raconte.
Si notre peuple un jour souffre un pareil assaut,
Ce que put l'héroïsme au péril du Long-Sault,
Qu'il faut tout espérer, tant que la juste cause
Trouve pour la détendre un Français qui s'expose !...
Et puisqu'en cet instant mon devoir bien rempli
Vous a mis en lumière, exhumés de l'oubli.
Avec vos dix-sept noms que notre amour admire,
Noms aspergés d'hysope et parfumés de myrrhe,
Noms français, dans la gloire à jamais triomphants...
Laissez-moi vous donner quelques pleurs, — mes enfants! w
^^^^K^^^^^^^^^^^^^^
(Les qA dieux d'une oMète,
(3o AVRIL 1672)
A Mgr Mardis, P. A.,
vicaire général de Québec.
« Je voudrais faire sortir mon
cœur par ma langue pour
dire à mes chères néo-
phytes ce qu'il sent de
l'amour de Dieu...
Je ne regarde pas le présent,
mais l'avenir, m'estimant
heureuse d'être emploj-ée
dans le fondement d'un si
grand édifice. » Mère Marie
de l'Incarnation.)
Déjà le crépuscule, au fond du monastère
Silencieux, baignait de son troublant mystère
La cellule, où, docile au souverain Décret,
Sur un grabat de pauvre, au Ciel se préparait
102
La Servanle du Dieu d'auiour : surnaturelle.
La mort semblait descendre avec le soir sur elle ;
Et plus l'âpre souffrance aurait dû la briser,
Plus doux au Crucifix s'attachait son baiser,
Plus calme sur ses Sœurs s'épaudait son sourire...
— « Laissez entrer, dit-elle enfin : pourquoi proscrire
(I Mes fidèles Hurons. que j'entends dans l'enclos,
(( En bas, me désirer avec tant de sanglots ?
« Laissez-les entrer tous : donnez-nous cette joie
« Qu'une dernière fois encor je les revoie... »
Et tout d'abord, autour de leur sainte Maman
La troupe des enfants sauvages, sagement,
S'agenouilla, craintive et dolente, en couronne,
Tandis que, plus hardie, une jeune Huronne,
\int, lui baisant sa main de marbre, lui parler :
« — Est-ce vrai, comme on dit, que tu vas t'en aller,
« Mère, et quitter ton cher abri des Ursulines ?...
<( Tu ne peux pourtant pas nous laisser orphelines,
(( Seules ainsi ! Sans toi, le soleil de l'été
« N'aura plus rien pour nous, ni chaleur ni clarté.
« Et nous faudra-t-il voir reverdir le grand frêne,
« Sans qu'à son ombre encor ta bonté nous apprenne
(( Les beaux cheminsd'amour qui conduisent au Ciel ? » -
Un vieux chef montagnais s'avança, solennel.
— (( Mère des Canadiens, reprit-il. sainte femme,
c( Cela ne te fait rien de partir : car ton àme,
(I A toi, va vivre heureuse avec le Grand Esprit.
(( Mais nous, seuls, qu'allons-nous devenir.^ Qui nourrit
lOO —
(( Les enfants, quand s'en \a la mère, ou les console ?
(( Et tes yeux l)ons, la bouche à la chaude parole,
« Tes secourables mains, ton cœur qui s'immola
<( Plus de trente ans, si Dieu nous reprend tout cela,
(( Comment veux-tu sans toi que nous goûtions la vie ?
(' Mais avant que le Roi de Gloire t'ait ravie,
« Pour te montrer combien nous t'aimons, je voudrais
« Te donner une offrande égale à nos regrets :
« Tiens! prends-moi mon plus beau collier de porcelaines.
(( Pendant que toi Là-Haut tu t'en vas, les mains pleines
« De tout Ion pur froment recueilli grain par grain,
(( Nous, nous restons ici. prisonniers du chagrin 1... »
Elle étendit la main pour bénir sa famille :
— «Merci!... Mais quand le Père appelle à Lui sa fille,
« Ne pleurez pas devant l'Ange libérateur !...
« Mes petites enfants, délices de mon cœur,
« Quand le Seigneur Jésus m'ouvre son bleu portique,
« Il faut vous réjouir et chanter un cantique...
<| Et puis, mes Canadiens, sachez que le trépas,
(( Parmi les vrais croyants, ne les sépare pas ..
« Allez ! . . . Que le méchant, seul, se lamente et tremble I
« Vous ici, moi Là-Haut, nous resterons ensemble
« Toujours, dans la prière et dans l'amour unis...
« Allez ! priez en chœur, pleins d'espoir, — mes bénis ! »^ -
Comme clic avait dit, tous s'en allèrent sans plainte.
Et quand, la nuit tombée, eut expiré la sainte,
Ils sentirent, levant aux étoiles leurs yeux.
Qu'une Mère veillait encor du haut des Cieux.
LES « AMBASSADEURS DE DIEU »
*ir *ii' ■^
I
^ os su et.
A Mgr Albert Guértin,
éoêque de Manchester (E.-U.).
« Le prédicateur évangélique
est celui gui fait parler
Jésus- Chvisl. »
Comme vos pieds sonl beaux, hérauts de l'Evangile !.
— Voici l'homme de Dieu, l'auguste pèlerin,
Qui vient avec la paix, quand notre foi vacille.
Apporter le salut du Christ, son Suzerain.
Aux folles passions c'est lui qui donne un frein,
Aux farouches douleurs, lui qui donne un asile :
Sa voix tour à tour d'or, de cristal ou d'airain,
Pétrit comme il lui plaît nos faibles cœurs d'argile.
— lOJ — -
Des sagesses du Ciel interprète sacré,
Il fait passer en toi, le sublime inspiré,
0 cher parler de France, un grand souffle oratoire
Sa lèvre, qu'Isaïe embrasa de son feu.
Te remporte à jamais ta plus haute victoire,
Celle qu'un cœur d'apôtre a pu gagner pour Dieu !
... Mon discours, dont vous
vous croyez les juges, vous
iugora au dernier jour !...
Il parle, et l'Ame écoute... Il poursuit de ses traits-
L'orgueil qui s'enhardit, l'erreur qui se déguise.
Tout le feu des désirs qui dans la chair s'attise
Pourne laisser bientôt que cendre et que regrets.
\ainement, ô pécheur endurci, tu voudrais.
Comme se pend la chèvre à la fleur du cytise,
Suivre ta folle erreur, ta vaine convoitise...
Du Dieu, juge infaillible, il t'apprend les décrets.
Dieu seul règne... Aux accents des prophétiques lyres.
Il couvre d'un linceul de pourpre les empires,
Comme il ensevelit le vainqueur de Rocroy :
Tranquille justicier, qui frappe sans riposte.
De toutes nos grandeurs, sacrificateur- roi.
Il offre à l'Eternel le suprême holocauste !
io6
« Une puissance surnaturelle...
Des éclairs qui percent, un
tonnerre qui émeuve, un
foudre qui brise les cœurs... »
Il parle, et sans effort sa glorieuse phrase
Nous ravit, nous soulève en un large frisson
D'Infini, par delà notre bref horizon,
Sur des sommets, aux pieds du Seigneur, dans l'extase.
Il parle, impérieux... Sa voix pénètre, embrase.
Contraint notre Ame à la sublime floraison,
Nous épanche avec lui, comme un parfum du vase
De la Magdaléenne, en contrite oraison...
Sur la sainte montagne où l'apôtre nous mène.
C'est Dieu même qui pense en la parole humaine.
Dispensateur du blâme ou du grave conseil ;
Et tandis qu'il traduit les célestes maximes,
Nos cœurs n'habitent plus que sur de blanches cimes
Où plane en l'azur libre un grand aigle au soleil !
lO'
« ... Ainsi cette vertu céleste
conserve toute la vigueur
qu'elle apporte du ciel d'où
elle descend. »
Parfois sa grande éloquence sacerdotale,
Qu'attendrit la pitié de l'Homme-Dieu, consent
A se faire humble avec les petits, et descend
Près de nous, simple et plus doucement amicale,
Pourtant pareille encore au fleuve, dont s'étale
Dans la plaine le flot magnifique et puissant,
Toujours prêt à montrer, lorsqu'il gronde en passant,
Qu'il sait se souvenir de la cime natale.
Mais l'apôtre s'abaisse alin de saisir mieux ;
Il nous prend, et bientôt remonte vers les cieux...
Chez lui toute parole a la force d'un acte.
L'Ambassadeur du Christ ne s'estime content
Que lorsqu'il nous ramène enchaînés à son pacte
Et jette aux pieds de Dieu notre cœur repentant 1
^^^^^^^^^^^^^^^t^^^
II
(gzançois de oMontmotencv- Laval
(séminaire de QUÉBEC MAI I708)
A Sa Grandeur Mgr Bégix,
archevêque de Québec.
« Quoi de plus beau que de se
dévouer, de se dépenser tout
entier pour le salut des
âmes ? C'est la grâce que
je demande, que j'espère,
que j'aime... »
C'était un de ces soirs mourants de la semaine.
Où l'artisan courbé d'une âpre tâche humaine.
Vendangeur de la vigne ou grave moissonneur.
Voit approcher, joyeux, le repos du Seigneur,
Mais se retourne, et jette un regard en arrière
Sur tous les pas saignants de sa longue carrière..
Vieux serviteur du Christ, comme il avait lutté
Pour parfaire ici-bas l'oeuvre d'éternité !...
lOQ
Aux veilles des départs, l'heure est plus solennelle,
l:t la petite lampe, à ses yeux maternelle.
Devant son Crucifix, dorait un dernier vol
|)e méditations aux pages de saint Paul,
leur à tour il lisait, priait, et ses pensées,
A celles du royal Apôtre entrelacées.
Montaient dans un encens de cantiques chrétiens
Comme un adieu suprême à ses chers Canadiens.
— ((0 mes petits enfants, vous que j'ai mis au monde,
« Dieu m'est témoin, qui voit tous les cœurs et les sonde,
(( Combien je vous aimai, comme pour vous bénir
« En cet instant s'en va mon plus doux souvenir.
« Depuis plus de vingt ans ma vie est demeurée,
« Telle que je l'ai faite, obscure et retirée ;
(I Mais, posant sa houlette et ses plus fiers habits,
« Le bon pasteur jamais n'oublia ses brebis.
« Loin des miens, parmi vous toujours, — par la prière,
« De tout labeur la plus efficace ouvrière,
« Pour que Dieu d'un trésor de grâces vous comblât,
« J'ai poursuivi, fervent, mon cher apostolat.
(( Canadiens, fils de France, et vous, race huronne,
« 0 mes petits enfants, ma joie et ma couronne,
«( Dont les succès, les maux, sont mes maux, mes succès,
« Vous gardez tout mon cœur de Prêtre et de Français ! »
Il s'arrêtait, ému, dans le vaste silence.
N'écoutant que son cœur battre avec violence.
Son cœur patriarcal qui bientôt se tairait.
Puis sur sa lèvre encor la gloire respirait :
Moi qui de votre temple ai bâti les murailles,
Comment, pour vous chérir, n'aurais-je les entrailles
De mon Seigneur Jésus i* N'ctes-vous point les fils
De la Grâce, que j'ai fait naître et bien servis?
IN'ai-je pas en vertus changé votre faiblesse ?
Et n'ai-je point conquis ma plus belle noblesse,
Celle qui dure autant que la Divinité,
En vous créant^ ô forte et pure Chrétienté,
Mère des Chrétientés à venir d'Amérique ?. ..
Victorieux orgueil de l'œuvre évangélique !
C'est moi, sur cette terre inculte à féconder,
Que Christ daigna choisir — ô bonheur 1 — pour fonder
Une Eglise I... Construire une Eglise nouvelle.
Un édifice, où Dieu se donne et se révèle.
Avec des cœurs humains pour pierres, pour ciment
Un amour qui s'épanche intarissablement 1...
Faire une Eglise 1 ouvrir cette source de vie.
De lumière, où sans fin chaque âme inassouvie.
Contemplant un Sauveur sur ses douleurs penché.
Vient puiser l'espérance et la mort du péché,
Et la paix fraternelle, et toutes les richesses
Du pur Esprit. Pudeurs, Charités ou Sagesses,
Et passe sans efforts — avec Christ au milieu —
De la cité terrestre à la Cité de Dieu 1
Et de celte Eglise, œuvre éternelle et profonde,
Qu'enracina ma main fragile au Nouveau-Monde.
C'est moi — merci d'un tel honneur, o Dieu clément! — .
Qui me liens pierre d'angle et premier fondement! ...»
1 1 1
Et le ^rand Vieillard, mains jointes, dans le m}stère
Du pieux monument qu'il laissait à la terre,
Mais dont il embrassait tout le secret connu,
Sous le souffle de Dieu baissa son front cbenu.
Puis très lent, d'une voix de plus en plus éteinte.
Il reprit : « Mes petits enfants, vivez sans crainte...
C'est vrai que je m'en vais au Père qui m'attend ;
Mais puisqu'il nous appelle, allons d'un cœur content
A Celui qui promet le ciel comme salaire...
Moi. je vous resterai fidèle et tutélaire,
Si vous priez, si vous demeurez avec moi
Tous au sein de lEglise et de la même foi...
:< Mes chers petits enfants, que mon zèle réclame,
< >»e formez qu'un esprit, qu'une bouche etqu'uneàme !
.( Aidés des saints amis, qui, marqués de mon sceau,
( Veillent sur le cercueil comme sur le berceau,
Conliants, du Seigneur célébrez les louanges ;
Mangez le pain des forts à la table des Anges ;
( Tous purs, tous dans le Christ unis et dans le bien,
( Aimez-vous, mes petits enfants, aimez-vous bien !
( Croyez comme je crois, priez comme je prie,
( Et sur toi, Canada, ma suprême patrie,
( Dieu répandra sans fin, nous payant de retour,
Ses bénédictions de justice et d'amour !... »
Tel, sur sa terre cpiscopale, un soir biblique,
En levant vers le Ciel sa gerbe apostolique.
S'en alla, glorieux, dans la paix du Seigneur,
Montmorency-Laval, le divin moissonneur !
?^^?i^^?#?r%^§5^^^^«»^^?#?#l^
TROPHEES ROYAUX
^ *jf ^
I
X/it pzocèô-vezbal.
(au SALLT SAINTE-MAHIE 1 4 JUIN l6~l.)
A l'honorable
M. WiLFUID Gaiuépy,
ministre dans le gouvernement
de l'Alberla.
... Celte partiede la monar-
chie française deviendra
quelque chose de grand. »
;Talon.)
Auprès de l'écusson royal, la Croix s'élève.
Quatorze peuples, fils des Grands Lacs, Miamis,
Noquets, Outaouais, se pressent, tous soumis,
Pour le discours de paix oii les groupe un beau rèvc.
— ii3 —
Daiimontde Saint-Lusson, devant les Chefs amis
Dont Tapplaudissement dans les psaumes s'achève,
De la terre en sa gauche et dans la droite un glaive,
Dit les pays de l'Ouest à la France promis :
Et pour mieux proclamer que ce monde appartient,
Plaines, fleuves, forêts, au très haut Roi chrétien,
H a soin de sceller à la hampe, où scintillent
Sur un champ d'azur clair les trois fleurs de lis d'or.
Lacté de primauté française, qu'apostillent
LOurs et le Caribou, la Loutre et le Castor I
*
LE CANTIQUE
II
^iiz le ^laiid (fleuve.
(juin 1673)
A M. le D' Bédard,
de Lynn (E.-U.),
ancien président
de la Société historique
franco- américaine de Boston.
« ... Nous entrons heureuse-
ment dans le Mississipi avec
une joie que je ne peux pas
m'expliquer. . . »
(Journal DE M.^rquette.)
Vers le lever sans fin de nouveaux horizons,
Tantôt sous des rocs noirs, tantôt par la clairière
De 4a vaste savane accueillante aux bisons,
La barque s'avançait, glorieuse : à l'arrière,
Sur les flots limoneux de la large rivière,
Où se baignaient parfois d'épaisses frondaisons,
Le héraut de la paix, armé du bréviaire,
Lançait aux bords surpris l'appel des oraisons.
I 10
Et le Chef illinois, pour fêter sa venue.
Faisait, grave, debout, les deux mains vers la nue.
Au crible de ses doigts des rayons d'or pleuvoir :
« Français, lui disait-il, j'admire ton pouvoir :
(( Toi qui connais le Grand Esprit, je te saluée
(( Que le soleil est beau, quand ton cœur nous vient voir
S5^^^^^^^^^!^^^^^^^1^
III
(La cade de (Loais Jolliet.
(novemure 167 '|.)
A M. Hexri Gvillet,
avocat, président général
des Forestiers franco-
américains.
Longtemps j'ai contemplé cette carte, qu'inspire
L'orgueil d'un monde immense à notre race ouvert.
Ni villes ni chemins dans ce sauvage empire :
Rien que le AvigAvam rouge ou rien que l'arbre vert.
Ce désert, Jolliet, ton cœur la recouvert
De noms seuls d'amitié que notre cœur désire :
Avec toi je descends sur « Divine * « et « Colbert ^ »
Pour rejoindre avec loi lArkansas, ton « Bazire ^ ».
I. Ou rOulrelaise, VIlUnois.
a. D'abord « Ri^iè^e Buade », h' Mississiiji.
3 Charles Basire^ receveur général des droits du Roi à Qué-
bec, dont il devait épouser la jeune parente en 1O75.
1 !■
Que je partage encor ta joie et ta fierté.
Quand, premiers témoins sûrs d'un pays enchanté,
Tes yeux de trésors neufs nous peignent l'opulence.
Quand sur le vaste espace, à nos droits imparti.
Ta main signe le nom de la « Nouvelle-France »
Si fièrement. — futur seigneur d'Anticosti 1
IV
^'oActe de prise.
(mars 1682)
A l'honorable M. H. -T. Ledovx,
de Nashua (Zv.-L.), avocat,
président de l'Union
St-Jean-Baptiste d'Amérique.
... Monsieur de La Salle
prononça à haute voix en
français : Je... prends pos-
session au nom de Sa
Majesté... du pays de la
Louisiane... et demande
qu'il m'en soit délivré acte
par Jacques de la Métai-
rie. .. »
Quand Robert Cavelier de La Salle, embrassant
Le rêve de sa vie ardente et solitaire,
Consacra pour toujours la virginale terre
(( Au nom du Roi chrétien très haut et très puissant ».
- 119 —
>'y voulant qu'un seul maître et qu'un seul dignitaire,
Il attesta son droit d'un grave et mâle accent,
Puis devant ses Français et l'Indien qui consent
Il s'en fit délivrer acte par son notaire...
Et l'acte encor se lit, garant du fier labeur :
De la prose naïve et robuste il s'exhale
Un souffle d'allégresse et d'épique grandeur.
Quel passé 1 L'Amérique à nous, notre vassale !...
Dans ces vieux mots pâlis je sens battre ton cœur.
Beau paladin normand, Cavelier de la Salle I
4.
(La (Leitze.
(mars 1699)
A M. BcssiKRK Rouen,
secrétaire perpétuel de l'Athénée
loiiisianais .
« .. Quoique nous n'ayons pas
entendu de vos nouvelles
ni vu de vos marques, je
ne désespère pas que Dieu
ne donne un bon succès à
votre entreprise. Je le sou-
haite de tout mon cœur... »
(Lettre de Tonty à Cavelier
de La Salle.l informant qu'il
est descendu du paj's des
Illinois pour lui donner
secours — avril 1688.)
Qui va donc, explorant la bouche du Grand Fleuve.
Reconquérir d'en bas la conquête d'en haut,
Relier les deux bouts de notre empire ? — Il faut.
Où succomba La Salle, un cœur à toute épreuve...
12 1
C'est le héros d'Hudson, vainqueur de Terre-Neuve,
Qui, maître du secret que ce rivage enclôt,
Dans les flots bleus du golfe a vu le jaune flot:
Il le suit, le remonte, et tient enfin la preuve.
0 joie I il lit les bons vœux français, queTonty
Laissa là pour son chef dans l'attente inutile...
Qu'importent les destins? Ces vœux n'ont point menti :
La lettre pour La Salle est aux mains d'Iberville,
Du cher salut ancien savamment averti...
La France à ce désert peut donner une ville I
^1
VI
(La (( (Langue humaine »
(depuis le traité de mmègue — 1678)
A M. James Geddes,
le savant prefesseur de langues
romanes à Université de
Boston.
'> Tandis que nous nous appli-
quons à l'embellir, vos
armes victorieuses la font
passer chez les étrangers .. »
(Dédicace au Roi de la pre-
mière édition du diction-
naire de l'Académie.)
Avec Louis, vainqueur qui commande au Destin,
Le français glorieux parle en maitre à la terre :
Des ordres de Versaille à présent tributaire,
La Paix ne scelle plus ses accords en latin.
Le français parle franc, sans détour ni mystère,
Probe et net, dans un jour lumineux et certain :
Il déjoue et confond tout calcul clandestin,
Défend que d'un seul mot la vérité s'altère.
I20
Aussi le monde entier, son disciple soumis.
Change en admirateurs zélés ses ennemis,
Donne à l'esprit humain sa règle protectrice ;
Le français, clair, poli, chez tous étend ses droits.
Langue des Cours, universelle ambassadrice.
C'est la langue d'Etat, reine de tous les rois !
3^
VII
(Les (( temples vivants ».
A M. l'abbé L.-A. Groilx,
professeur à Valley field.
« Ces écoles, dans lesquelles on
enseigne à lire et à écrire . ,
ont fait plus de bien qu'on
n'eût pu en attendre de fon-
dations plus ambitieuses. »
(Garneau.)
Au tempsoù, dans son faste et son haut apparat.
France régnait, la fine héritière de Grèce,
Quand, Yersaille imposant sa cour enchanteresse,
Il semblait qu'à ses feux l'univers s'éclairât,
Vous, maîtres, bienfaiteurs obscurs, dans la détresse
Canadienne, héros du long labeur ingrat.
Besogniez sans salaire et sans autre contrat
Que le pacte avec Dieu d'une ferme tendresse.
120
Saintes femmes, miroirs de vertus, purs rayons,
Soldats de Carignan blanchis, tabellions,
Prêtres, qui donniez tout votre cœur à la classe,
Salut 1 — Quand votre zèle instruisait les enfants,
Maîtres, vous prépariez la grandeur de la race,
Bâtissant, disiez-vous, de beaux « temples vivants »,
lïtlA <fe> CfcA ffe-l CTiA tti4 <Ti;i (TiA <T»A ctlA tTUl «TiA CviA CVi* ttlA ftlA ïtiA
VIII
oJ^obîesse canadienne.
Au sculpteur Philippe Hébert,
glorificateur des héros
de la race.
Canadiens, montrez-nous ces poudreux parchemins
Dont la faveur royale orna votre roture :
Tel, fils de l'hôtelier dieppois, toi, dont les mains
T'ont gagné ton brevet de noble investiture.
Mais pour parer ton nom, mieux qu'un peu d'écriture,
Le Moyne deLongueil, rival des vieux Romains,
Tu montres tes dix fds, ta fière « nourriture »,
Que l'Amérique a vus vainqueurs par tous chemins...
Tes dix fds, comme toi tous nobles 1 Car, Le Moyne.
La bravoure et l'honneur, c'est le pur patrimoine
Dont ta simplicité les avait revêtus...
Et voilà, Canadiens, vos titres de noblesse,
Ceux qu'on ne veut devoir qu'aux coûteuses vertus,
Ceux qu'à sa race entière avec l'exemple on laisse 1
(La QJVlalle de (M. de (ffzoïitenac.
(SOIU DE VICTOIRE 7 NOVEMBRE 1 69O)
^4 r honorable M. Cyrille DélÀge^
président de l'Assemblée
législatiue de Québec.
Monsieur de Frontenac, ce soir, a l'àme en fête.
William Phips a reçu réponse à sa requête
Comme la lui devaient nos canons bien parlant :
Aussi, pourfendre hommage à son adieu galant,
Québec chante, Québec de mille feux s'étoile...
Tandis qu'au port natal le Bostonnais fait voile.
Moins fier, un mât brisé, son pavillon perdu,
Trophée au mur d'un temple à nos yeux suspendu,
Monsieur de Frontenac sent son cœur en liesse.
Dans une floraison degaîtés... Sa vieillesse
-Dément par sa verdeur le nombre de ses ans...
lia congédié plus tut ses courtisans,
— 128 —
Et ce soir, au Châleaii Saiut-Louis, dans son Louvre,
Prétend s'épanouir, seul, tout à l'aise... Il ouvre
Un huis discret, se glisse en sa chambre, et s'y met
A danser plaisamment le pas du calumet...
Monsieur de Frontenac, que la Fortune choie,
Sent par tout son esprit flamber des feux de joie. . .
Sur la pointe du pied, furtif. il va chercher
Quelque chose, qu'il dut sous ce rideau cacher,
Et voici qu'à deux mains il tire : ce doit être
Très lourd... Il tire encore, et fait enfin paraître
Devant le foyer clair, où brûle un arbre entier,
Une malle de cuir énorme, à clous d'acier,
A fleurs de lis, mystérieuse... Tout indique
Sous ses dehors fermés l'objet diplomatique :
Le profane, intrigué, d'abord soupçonnerait
Dans ses étranges flancs quelque étrange secret...
jNIonsieur de Frontenac, un peu las, se repose,
Et contemple d'un œil fervent la malle close,
Comme quelqu'un qui sait, et sans hâte, à loisir.
D'avance, en le traînant, savoure son plaisir :
Sûr d'un régal de choix, le fin gourmet prolonge
L'instant de son délice... Ils'est assis, et songe.
Ainsi qu'on peut songer un soir victorieux,
Avec de chauds rayons de gloire dans les yeux !
Il songe à ce que fut sa vie : il se rappelle
Comme il la dépensa pour son Roi, brave et belle,
— 129 —
Ses combats, Saiiit-Ciothard, Candie, Orbitello,
Ses douze ans de labeurs de ce coté de l'Eau,
Ses douze ans de bonbcur... Ali! sans doute, l'Histoire
N'inscrit pas à son nom d'éclatante victoire
Comme Fleurus. Rocrov, Nordlingen ou Fribourg :
Mais au siècle où Condé, Turenne et Luxembourg
Du bruit de leurs exploits remplissent le Vieux Monde.
Lui. d'un bras qui s'efforce et d'un vouloir qui fonde.
Par Marquette et La Salle étendant ses succès,
A fait de l'Amérique un empire fran(;ais.
Qu'on s'enfonce aujourd'hui vers le Couchant, qu'on pousse
Aussi loin qu'il plaira par delà la Mer Douce,
Qu'on passe aux Illinois, qu'au midi large ouvert
On descende le cours du long fleuve Colbert,
Par l'immense foret ou l'immense savane.
Jusqu'au golfe où tu dois linir, Louisiane : .
Partout, près de la Croix, défiant tout rival,
Fleurit du Roi français le grand Lis triomphal !
Et voilà pourquoi, fier ce soir de sa besogne,
— ^lonsieur de Frontenac, subtil fils de Gascogne,
Songeant de quels destins il reste l'oinrier,
Joyeux, tresse à sa tempe un beau brin de laurier I
Monsieur de Frontenac, pourtant, preste se lève,
N'oubliant pas, malgré l'enchantement du rêve,
Qu'un festin sans pareil l'attend, qu'il s est promis
Les délicats propos de ses plus chers amis...
Sur sa malle il se penche, il la décadenasse
Pieusement, disjoint la ferrure tenace,
LE CANTIQUE 9
— i3o —
Hausse le lourd couvercle, et de son doigt zélé
Palpe enfin le trésor trop longtemps recelé :
Et voilà qu'à genoux devant le vaste coffre.
Il cueille tour à tour quelque livre, qui s'offre
Sous la basane fauve et l'or de ses blasons ;
Et les tapis, autour, les moelleuses toisons
Se jonchent au hasard décent et cent volumes.
Dernière moisson d'art des plus illustres plumes.
A chacun il adresse un salut amical :
Voici Boileau... voici Bossuet et Pascal...
L'auteur du Misanthrope... et l'auteur des Maximes...
Tes fables, La Fontaine... et tes drames sublimes,
Corneille, conseiller d'héroïques splendeurs...
Et ton Britannicus, Racine, et tes Plaideurs !...
Prodiges des beaux vers ! merveilles oratoires !
La France groupe ici ses plus pures Victoires,
Celles qui de l'oubli n'ont rien à redouter.
Mais qui peuvent partout — toujours — en remporter !
Victoires de la Langue et de l'Ame de France !
L'Epée abat le mal, aide à la délivrance,
Dompte le sol rebelle et garde les sillons :
Gloire au Fer, artisan de nos rédemptions !
Mais le Livre — l'Idée — autre bon capitaine.
Qu'aucun rempart n'arrête en sa course lointaine.
Lutte et triomphe aussi, maître de ceux qu'il prend :
Gloire au Livre, à l'Esprit, l'éternel conquérant !
Monsieur de Frontenac lient un livre et déclame.
Il porte tout l'orgueil de son pays dans l'âme :
— loi —
Jamais, depuis les Grecs et les Latins vantés,
Langue humaine n'offrit de si hautes beautés !
Dans son enthousiasme il ouvre une fenêtre
Qui domine le fleuve : il veut faire connaître
Aux échos de la nuit ce qu'il lit et ressent.
11 parle au vent ailé qui l'effleure en passant
Et qui va, répétant sa voix tragique ou tendre,
Sur tout le Canada silencieux s'épandre...
Par l'air prompt, qui s'émeut à chacun de ses sons.
Il enseigne et transmet d'éternelles leçons ;
Il semble dire : (( Allez, chefs-d'œuvre de l'étude,
« Transformez le désert, charmez la solitude !
« Allez, héros du verbe impeccable, vainqueurs
(( De la sainte éloquence où se rendent les cœurs !
<( Allez, divins peusers et mots exquis de France,
(I Puissants semeurs d'amour, deforce ou d'espérance !
« Faites vaincre à jamais dans cette humanité
(I Toute ma noble race, Art. Biavoure et Gaîté «
ê
(La défende du capitaine ^authiet
"Vatenneô de La "Vézendzye
(174^)'
A Sa Grandeur Mgr Lxngevin,
archevêque de Saint-Boni-
face (Maniloba) ;
A tous les Canadiens- français
du Grand-Ouest.
Depuis plusieurs anuées
uniquement occupé de ses
aflaires.il n'a rien fait pour
le service : car tous ses
voj'ages n'ont réellement
abouti qu'à la traite avec
les nations sauvages qu'il a
l'réquentées... » (\'ersailles,
12 mai 1745.)
... Et voilà donc le prix de mes quinze ans de lutte
L'honneur si cher payé, le soupçon le discute !
L'ignorance et l'envie accusent la lenteur
De qui fut de son Roi l'assidu serviteur !
— i33 —
Connaît-on mes travaux ? — L'injustice hypocrite,
Qui défigure une œuvre et salit le mérite,
Où mon audace fonde un empire français,
Ne songe qu'à me perdre au plus vil des procès !
— « Mon labeur n'a visé qu'aux profits de la traite,
Dit un sage, là-bas tranquille, qui me prête
Son àme de marchand !.,. J'amasse des trésors !
Je n'ai jamais conquis que des peaux de castors ! . . . »
— Sans doute il vit dans l'or, l'homme dont l'indigence
Ne peut des créanciers apaiser l'exigence,
Comme autrefois déjà sans doute il trafiquait
Le blessé sous mon nom atteint à Malplaquet !
Je m'enrichis, rafleur de castors et de martes !
Voilà tout ce qu'on sait ! — Mon journal et mes cartes
N'ont pas assez décrit, quelquefois de mon sang,
La conquête des Lis au Grand-Ouest s'avançant 1
De la hache et des mains se frayer une route
Dans l'ombre des forêts où le pied butte et doute,
Egarer l'aviron dans les mille réseaux
Des fleuves et des lacs encombrés de roseaux.
Marcher, marcher sans fin dans les déserts sans bornes
Où rôdent les tribus des grands troupeaux à cornes.
Souffrir, se dépenser, corps et biens, sans repos,
Bâtir des forts, planter des croix et des drapeaux,
Donner un air de France à de mornes rivages,
Parmi les chocs sanglants de cent hordes sauvages
Etablir une paix, mettre une chrétienté :
Rien, rien de tout cela ne m'est encor compté !
J'offre, sans coûter rien, un immense royaume :
— Non! non! je n'ai rien fait, je m'attarde et je chôme I
— i34 —
J'ai ruiné les miens pour l'austère devoir :
— Non I je brocante, et c'est tout ce qu'on veut savoir ! —
Et le blâme outrageux de son fiel noir m'abreuve !...
Et pourtant chaque jour peut produire sa preuve,
Que sans calcul, sans goût de lucre ou de larcin,
Un beau songe très pur inspira mon dessein ! . . .
Et pourtant l'Eternel, qui de nos cœurs dispose,
Qui sait y lire aussi, connaît la sainte cause,
Où par mes quatre fils, mon amour le plus cher.
Je me suis tout donné, sans réserve, âme et chair!...
Et pourtant, Lac des Bois, qu'a labouré ma rame,
Tu peux redire à tous l'inoubliable drame
Où l'enfant, mon orgueil, dans un conseil trompeur.
Tomba sous les couteaux de l'ignoble scalpeur !.,.
Et pourtant loin, très loin, vers le couchant extrême,
]\os yeux ont contemplé le neigeux diadème
Des monts, qui, par delà, je le sais, je le sens.
Regardent du Japon les flots éblouissants !..,
Et pourtant, j'en suis sûr, si la haine fait trêve,
Je puis encore unir — mon seul but ! mon seul rêve 1 —
Pour la France et pour Dieu, par qui croit son destin.
Les rives du couchant aux pays du matin !...
Peut-être trop d'espoir magnifique me leurre...
Peut-être me faut-il disparaître avant l'heure...
Mais si l'historien, quêteur de vérités.
Scrute un jour nos tombeaux, — témoins ressuscites,
Nos restes * lui diront jusqu'où La Vérendrye
Vers la porte du Soir étendit la patrie,
I. Les ossements de Jean-Baptiste de La Vérendrye, ainsi que
— i35 —
Jusqu'où son geste ardent essaya de s'ouvrir
Pour montrer à sa race un monde à conquérir !
ceux du Père Aulneau et de leurs dix-neuf compagnons, massacrés
par les Sioux, ont été retrouvés du 6 au ii août 1908 dans les
ruines du Fort Saint-Charles au Lac des Bois par les soins de la
Société historique de Saint-Boniface.
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'tatillon
MODÈLE DE VICTOIRE FRANÇAISE
(8 JUILLET 1758)
Fragment de journal d'un milicien de Lévis.
A l'honorable
M. Thomas Chapais,
l'éloquent historien du
« Marquis de Montcalra.
« Quelle journée pour la France ! »
(Montcalm.)
... Carillon, nom mystique où sonne la victoire
Avec les Te Deum ! — Quand, sur ce promontoire.
Lotbinière eut tracé le fort, gardien du lac,
Dans les propos du soir, aux feux clairs du bivac,
Le Chef interpella gaîment l'un de ses hommes :
«Ce fort, dis-moi donc, toi, de quel nom tu le nommes... »!
— Maisl'autre, un Canadien d'espritvif, sanschercher.
Poète que hantaient les voix de son clocher
Dans la proche rumeur des grandes eaux chantantes.
Dit: « Quel beau carillon 1 » — Et la nuit, sous les tentes.
Aux rêves de nos gens, le vaillant bastion
Se dressa, joliment baptisé : « Carillon ! »...
Carillon, nom mystique où sonne la victoire !.,.
Midi : le plein soleil saluait notre histoire.
Tous prêts, sur la hauteur — à l'abri des remparts
Où la forêt couchée enchevêtrait, épars,
Hérissait de dards fins ses pins et ses érables —
Un contre six, mais sûrs de nous, invulnérables
Dans l'asile, où veillaient nos triples rangs masqués,
Oreille et cœur tendus, œil et fusil braqués,
Nous attendions... Montcalm, au centre, tête nue,
Souriant, préparait le mot de bienvenue.
Et des rayons joyeux caressaient sans repos
T.e canon des mousquets et les lis des drapeaux...
Sous nos pieds, cependant, sur la pente encombrée
Montait à grands Ilots lourds, menaçants, la marée
D'habits rouges ou bleus et d'acier bien fourbi,
Que pour nous submerger lançait Abercromby.
Nous attendions, muets. . . Fifres et cornemuses
Rapprochaient, rapprochaient leurs notes moins confuses ;
Déjà sifflaient vers nous des respirations
Haletantes.. Muets, calmes, nous attendions.
Quand, le premier Anglais surgissant à la crête,
I/ordre brusque éclata : « Feu ! » — Signal de la fête :
D'une seule décharge ensemble s'embrasant,
Nos trois mille mousquets répondirent : u Présent! »...
— i38 —
... En vain, le chef, malgré la farouche hécatombe,
Où tant des siens frappés voyaient s'ouvrir leur tombe.
Six fois, impérieux, vers nos sommets fumants
S'efiforça de pousser ses hardis régiments ;
Six fois, sur la tragique et fatale descente,
Oii croulait dans l'horreur leur vague frémissante,
Nos rafales de fer près des troncs abattus
Renversèrent la fleur des bataillons têtus...
Lutte épique 1 Montcalm, soldat et capitaine,
A tous portant l'ardeur de son âme hautaine.
Du geste et de la voix multipliait les coups :
Dieu semblait l'inspirer, le couvrir ..Quant à nous.
Dès que Lévis, parmi la chaude fusillade,
Des géants de Campbell nous montre l'escalade,
Et nous crie : « En avant, Canadiens, en avant ! »
De quel bond, par-dessus nos murs nous soulevant,
Et de la baïonnette aux flancs et de la crosse
Nous brisâmes le choc des montagnards d'Ecosse,
Tandis que, dans le vent des balles, redressé,
S'enflait notre étendard d'azur fleurdelisé
Où la Vierge en ses bras tient l'Enfant qui nous aide ! . . .
Et maintenant, là-bas, l'Anglais s'éloigne et cède...
Carillon ! Carillon ! beau nom prédestiné !
Notre camp dans la nuit, d'étoiles couronné.
Croit ouïr nos clochers chanter dans les eaux proches.
Carillon ! Carillon ! sonnez, toutes les cloches
De mon pays! Sans fin sonnez le fier succès
Que les siècles diront un miracle français !
— f39 —
Sonnez pour tous nos fils 1 Gravez dans leurs mémoires
Par son exemple heureux le secret des victoires !
Dites-leur qu'il ne fut de défaite jamais
Pour qui se défend, près de Dieu, sur les sommets,
Que le nombre n'est rien où vibre une croyance !
Jetez-leur de Lévis, parangon de vaillance,
L'appel irrésistible : « En avant, Canadiens ! »
Et, donnant à la race entière pour soutiens,
Avec nos grands amours et nos saintes colères.
Les noms de tous nos preux de France tutélaires,
Béarn, Berry, Guyenne et Royal-Roussillon,
Faites de chaque lutte un nouveau « Carillon » 1
ir
m
Noô Victoiteô d^cAmérique
(DEPUIS 1760)
A rhonorable
sir LoMER GouiN,
premier ministre
de la province de Québec.
aA^oë/ j ni une
(1760).
A M. l'abbé Camille Roy,
de la Société royale du Canada ;
A tous les bons « Habitants »,
fidèles gardiens du français.
C'est Noël, et pourtant sur la morne étendue
Toute blanche — la cloche obstinément s'est tue ;
Pourtant dans cette nuit, où les seuils restent clos,
Pas un traîneau ne glisse agitant ses grelots,
Pas une ombre ne court sur la raquette agile.
C'est Noël, et pourtant le Dieu de l'Evangile
Ne reçoit point chez lui ses dévots pèlerins...
Jean-Baptisle. ce soir, ruminant ses chagrins.
Grave, tiifjae à l'oreille et les jambes croisées,
Suit à son foyer clair le jeu des attisées.
Tandis que sa Josette, arrêtant le rouet,
Dans les plis de son front suit son rêve inquiet.
Parfois, près de la corne à poudre familière.
Son regard cherche au mur son bon fusil à pierre,
— lU -
Trésor qu'il dut livrer en prêtant le serment...
Depuis le jour d'avril, où, Lévis l'enflammanl,
Aux plaines d'Abraham il défit la défaite
Dans un dernier rayon de triomphe et de fête.
Quel drame il a vécu, sur son fleuve penché :
L'Anglais dans sa conquête à son tour retranché,
Québec presque reprise, aux Lis bientôt rendue,
Le guet à l'horizon d'une voile attendue...
Quand apparaît — ô rage ! o poignantes douleurs ! —
L'essaim des lourds vaisseaux battant d'autres couleurs,
Puis ton beau désespoir, \auquelin, — XAtalante
jN'offrant avec ses morts qu'une épave brûlante,
L'invasion qui monte et force à reculer,
Montréal aux abois qui doit capituler.
Enfin, là-bas, sur l'eau frémissante du fleuve.
Qu'attriste la suprême et déchirante épreuve,
L'adieu des tillacs pleins, à jamais remportant
La France, qu'on arrache à son cœur palpitant 1
Alors de quelle joie amère il vit descendre
Sur les débris fumants de la patrie en cendre
Le linceul protecteur de l'Hiver canadien !
Que ton brutal baiser, Nordel, lui fit du bien !
Qu'il fut aise, au premier //-a^/Y, sur les haltures.
De voir dans le brouillard s'enfoncer les mâtures.
Où ne pouvait flotter qu'un autre pavillon !
Qu'il fut aise encor plus, lorsqu'à gros tourbillon
Farouche, par bordée immense, avec furie,
Sans trêve, plusieurs jours, l'aveugle poudrerie,
i!iO —
Où s'enferme et défend l'habitant isolé.
Etendit sur le sol tout un ciel écroulé,
EfTaça les chemins et les traces anglaises,
Autour des toits masqués souleva des falaises,
Sur tout, bois, champs, royalement ensevelis,
Déversa des blancheurs vengeresses de lis !
Et dans sa maison chaude en hâte réparée.
Les châssis doubles clos et la porte embarrée,
Comme il se sentit fier et libre et courageux
Dans l'infini silence au grand désert neigeux !
Et ce soir, c'est Noël : un Sauveur est né !..,
,^. ., , — « Femme,
Dit-il, n'entends-tu pas jusqu'au fond de ton âme
Sonner dans notre ennui les noëls du passé ?
Au gîte du bon Dieu l'autel est renversé.
Nous n'adorerons pas dans sa crèche, — fidèles,
Le beau Jésus, vêtu de rose et de dentelles ;
Mais rien, rien n'est changé dans nos cœurs et nos voix-
Femme, j'entends sonner les noëis d'autrefois.
Mets dans l'âtre une bûche encor pour la veillée,
Et fais-moi tôt venir la troupe bien grevée '
Des enfants : pour l'amour du Seigneur, avec eux
Nous formerons ce soir un chœur de beaux chanleiix. «
— X J'y pensais, dit Josette ; ils sont parés, n — La bande.
^ ite autour des parents se déploie en guirlande,
Tous forts, résoins, tous farauds, grands et petits, '
Dans leurs habits de bonne étoffe du pays.
Jean-Baptiste se dresse, et, content, les regarde,
LÉ CANTIQUE j/j
— i46 —
Gomme un homme qui sait qu'en sa lignée il garde
L'espérance de son Canada tout entier...
Debout, front découvert, il ouvre son psautier,
Son livre unique, etcherche un vieux, très vieux cantique, '
Dont le berça d'abord l'air naïf et rustique.
Dont il aime déjà qu'à son tour soit bercé
Aux genoux maternels son dernier baptisé.
« Chantons tous à la naissance
« Du Rédempteur incarné »...
Il chante avec ses fds l'ancien nocl de France.
(( Chantons tous à la naissance
« Du Rédempteur incarné :
(( Noé ! Noé ! Noé ! Noé I
« Puisque c'est notre croyance,
« Entonnons-lui : Kyrie ^ ! »
Il chante avec ses fds le noël populaire,
Emu, mieux que jamais, sans doute afin de plaire
Là-Haut, — parce qu'aussi sur sa lèvre, joyeux,
Se ranime l'esprit de tous les grands aïeux.
« Il est né dans une étable
« Pauvre, faible et tout glacé :
I. Dans le journal des Jésuites, on peut lire que le a5 décembre
1645, c'est ce noël qui fut chanté à la maison delà Compagnie
à Québec.
- ''.7 -
« iSoé 1 Noé I iNoc I >'oc !
« Il aura pour agréable
(( Qu'on répète : Kyrie ! »
Jean-Baplisle, parmi ses fils, fervent et grave,
Chante... L'hymne jamais ne vibra plus suave,
Plus parfumé du miel des grâces de jadis :
Il semble lui rouvrir de lointains paradis.
Rendre à sa confiance et le ciel et la terre.
Christ, dont le peuple franc s'est fait le mandataire,
iSe peut laisser mourir son peuple abandonné ;
Ce vieux chant le dit bien : son Rédempteur est né
f
t^?«^?<l?«^?^?«l?^??^?<$?<^?^??l?^?^??^^^
DANS L'ASILE
«^ «^ vV
(La lectute du tzaité.
MAI 1763.
A Mgr O. E. Mathiêo,
évêque de Régiiia.
«La religion est la sauvegarde
des peuples. Quelle recon-
naissance la race cana-
dienne-française ne doit-
elle pas à son clergé ? Si
elle a conservé sa nationa-
lité, sa langue, ses institu-
tions, à qui le doit-elle, si-
non à ce corps vénérable ? »
(Georges-Etienne Cartier.)
Depuis trois ans, fidèle aux missions anciennes,
Sur les blanches maisons des rives laurentiennes,
Sur les granges, sur les froments et les troupeaux,
Sur l'été qui travaille et l'hiver en repos.
— 1/19 —
La cloche de paroisse, ignorant les défaites,
Constante, avait sonné les midis et les fêtes,
Sans que rien altérât son timbre et son accent.
Pourtant, ce matin-là, plus tendre et plus pressant,
L'airain dominical appelait pour la messe,
Plus pressant et plus tendre, avec une promesse
De révéler au prône un important secret.
Avec un trouble étrange où le son soupirait,
Un tremblement de voix, auquel devaient répondre
Les battements des cœurs qu'il excelle à confondre. . .
Aussi, ce matin-là, dans l'église, empressés.
Tous remplissaient les bancs, vieillards, enfants, blessés
Dont le front montre encor la glorieuse empreinte ;
Tous muets, recueillis, attendaient avec crainte
Les mots qui tout à l'heure allaient tomber sur eux,
Décret de grâce, — arrêt de mort peut-être affreux 1
Et déjà vers la chaire, où venait d'apparaître,
Haut et droit, couronné de cheveux blancs, le Prêtre,
Tous les regards montaient, tous les cœurs haletants...
C'était lui, leur pasteur, qui, fils du sol, des temps
De Frontenac et de Louis le Quatorzième,
Comme un bon laboureur connaît sa terre et sème.
N'a pas cessé, selon leurs vœux et leurs besoins,
De leur distribuer la vie avec ses soins.
Ce fut lui soixante ans l'inspirateur, le père,
Lui qui, dans la tourmente où le deuil s'exaspère,
A l'heure où tous les chefs quittaient le gouvernail,
Seul en le consolant rassembla le bercail.
-^ i5o -T-
Tous les yeux s'attachaient au pasteur qui leur reste.
Là-haut, le vieillard blanc, grave, d'un ample geste
Fit, par tous imité, le signe de la croix ;
Puis il dit : « Mes enfants, prions d'abord. Je crois
Qu'à l'instant du conseil suprême — la prière
Peut attirer le plus de force et de lumière
Prions pour tous nos morts : qu'ils régnent triomphants!
Avec les morts aussi prions pour les vivants :
Les pères pour les fils dans le ciel intercèdent.
Disons, avec nos saints, nos héros, — pour qu'ils aident
Près du Dieu Rédempteur à nous gagner l'accès,
L'oraisondu Christ même en leurschers mots français! »
Il dit, et quand l'élan de la ferveur publique
Eut fait vibrer l'autel du verbe évangélique.
Répétant sur les fronts le signe du salut,
Lentement, d'une voix qu'il voulait ferme, il lut :
« Traité de paix et d'amitié entre Sa Majesté Rri-
tannique et le Roi Très Chrétien, signé à Paris le
lo février 1763... »
« Article IV. — Sa Majesté Très Chrétienne renonce
à toutes les prétentions qu'elle a pu former à la Nou-
velle-Ecosse ou à l'Acadie en toutes ses parties, et la
garantit tout entière avec toutes dépendances au Roi
de la Grande-Bretagne... »
— IDI
« Pour le peuple acadien, martyr que Dieu couronne,
« Pour Israël, au bord des eaux de Babylone,
« Pour nos frères, qu'un vol inique expatria,
« Disons pieusement un Ave, Maria ! n
— Et l'adjuration s'éleva, monotone,
Comme dans la forêt une plainte d'automne,
Puis le lecteur reprit : mais les mots, malaisés.
Sortaient, de plus en plus hésitants et brisés.
(( ... De plus Sa Majesté Très Chrétienne... cède...
et garantit... à sa dite Majesté Britannique... en toute
propriété... le Canada... »
Au nom de son pays, sa voix, comme étranglée.
S'arrêta ; tout son corps tremblait... Sur l'assemblée
Pesait une stupeur, un silence de mort...
Et le Prêtre acheva dans un dernier effort :
<( ... le Canada... avec toutes ses dépendances...,
avec souveraineté... propriété... possession..., tous
droits... que le Roi Très Chrétien et la Cour de France
ont eus jusqu'à présent sur lesdits pays, îles, terres,
lieux, côtes... et leurs habitants... »
Il se tut... Et les yeux soudain voilés d'une ombre,
Comme celle où descend le naufragé qui sombre,
Tous sentirent ensemble en leur cœur torturé
Quelque chose douloureusement déchiré...
— Quoi ? c'était bien fini sans retour ? L'impossible
Avait pu s'accomplir ;' D'un pacte irrémissible
102
Vous vous trouviez trahis, livrés par votre Roi,
Cœurs de preux, de Français, vainqueursde Sainte-Foy !
Vous vous trouviez livrés, cédés avec la terre
Qu'un long passé d'exploits fit votre tributaire,
Avec tout ce que France y sut créer de bien,
Y sut mettre de doux, de noble et de chrétien ! —
Les mères étreignaient leurs fils avec des plaintes ;
L'église en sanglotant peuplait ses voûtes saintes
Des cris de désespoir qui montaient de Rama ;
Les rudes miliciens, que Montcalm enflamma,
De leurs gros doigts calleux , qui chargèrent tant d'armes,
Vainement refoulaient le flot amer des larmes :
Tous unirent leur peine en un grand chœur sacré
De voix de litanie et de miserere 1...
Mais alors, sous un clair rayon de la verrière.
Le Prêtre redressa sur le peuple en prière
Son front méditatif qu'il tenait dans ses mains.
L'interprète du Ciel, qui montre les chemins,
Maintenant calme et fort, aux troubles, aux faiblesses,
S'apprêtait à verser le baume des Sagesses :
— (( Mes enfants, mes petits enfants, apaisez-vous 1
Un chrétien doit souffrir d'un cœur contrit et doux :
Pour lui, désespérer est chose impie et folle,
Car le Dieu qui le frappe est le Dieu qui console.
Votre Dieu, Canadiens, ne vous a pas quittés :
Il demeure avec vous, secourable... Ecoutez ! »
« ... Sa Majesté Britannique convient d'accorder
aux habitants du Canada la liberté de la Religion
Catholique. En conséquence elle donnera les ordres
— i53 —
les plus précis et les plus effectifs pour que ses nou-
veaux sujets Catholiques Romains puissent professer
le culte de leur religion selon le rite de l'Eglise ro-
maine... »
« Rendez grâces, mes fils, au Seigneur qui vous mène,
Catholiques français de l'Eglise romaine,
Sous un autre drapeau, mais libres ! — Gloire et los
Au Tout-Puissant qui dit : « Disponam populos.
Des peuples je ferai ce que veut ma justice ! »
Ce temple, où votre vie aux doigts divins se tisse,
De la patrie absente aujourd'hui vous tient lieu.
César seul est changé, mais non point votre Dieu.
Nous rendrons à César ce que César réclame ;
Mais le Christ gardera pour lui notre vieille âme,
De façon, Canadiens, que vous la transmettiez.
Pure, des fiers aïeux à vos fiers héritiers.
Qui déserte sa foi, seul, s'expose et s'exile :
L'église, c'est l'abri familial, l'asile
Où les persécuteurs n'ont jamais fait plier :
Gloire à Dieu, notre force et notre bouclier,
Qui de l'iniquité des hommes nous délivre.
Et qui, si nous savons dans sa paix toujours vivre.
Rendra chez vos enfants vos pères immortels I
Confiez, tous unis autour de vos autels.
L'insigne patrimoine au Dieu des tabernacles :
Le Dieu qui vous protège est un Dieu de miracles,
De résurrections !... Donnez-lui, Canadiens,
Pour les mieux préserver, les plus chers de vos biens,
— 104 —
Vos souvenirs, raisons d'espérer, vos tendresses,
Vos us, ceux des aïeux, et toutes les richesses
De pensée, et tous les trésors de sentiment,
Dont votre doux parler vous transmet l'aliment !
Donnez au Christ Sauveur le beau cœur de la race.
Et dès que vous craindrez dehors une menace,
Sur vous dès que des fers voudront s'appesantir.
Rentrez au sanctuaire ici vous garantir !
Ici refleurira sans fm, dans le silence,
Un coin de vieux pays, de paradis de France.
Où Dieu vous laissera, quittes d'un joug brutal,
De tout votre désir respirer l'air natal !
Puis de là, plus dispos, les forces retrempées.
Vous courrez aux combats, oîi, mieux que les épé<'
L'acier de vos vouloirs, le fil de vos esprits.
Trancheront les complots de vos tyrans surpris.
Et, sans verser de sang, toutes sans tache et blanche
Par Christ, je vous promets les suprêmes revanches
Dont le Maître des temps honore ses lutteurs,
Les revanches du droit sur ses blasphémateurs ! »
PRIERES CANADIENNES
«^ 4/ 1^
I
qAu ^ieu de V^uchaziùtie.
A M. Vabbc V. F. Jutras.
Je veux ce qui Vous plaît, Seigneur, et je m'incline...
Mais voulez- Vous changer mon cœur dans ma poitrine?
Qu'arme au poing, jour et nuit, veille contre mon gré
Sur ma lèvre, en mon âme, un soldat de Murray.''
Je ne puis Vous prier autrement que mon père
Avec les mots français qu'il a reçus de Vous :
Et ces mots si longtemps ont prié, purs et doux,
Que Vous seriez surpris qu'on les force à se taire.
Je Vous prends à témoin Vous-même, o Christ, mort
En croix pour la justice et pour l'honneur de l'homme :
Votre gloire ne peut consentir qu'on me somme
De mettre avec mon cœur ma bouche en désaccord.
— i56 —
Que transfuge, à moi-même étranger, je Vous mente.
Dans les repas divins que Vous m'avez permis
Vous ne voudriez pas, le meilleur des, amis,
D'une âme violée, amoindrie et dolente...
Mais pour monter plus haut, pour Vous mériter mieux,
L'âme veut être libre, heureuse et respectée.
Du banni d'une langue on fait vite un athée,
Puisqu'il ne voit plus clair sur la route des cieux.
La langue en notre esprit, c'est le sang dans nos veines :
Laissez-moi vivre entier ! Laissez-moi pour soutiens
Les mots du catéchisme et des vieux paroissiens !
Ma langue à moi, qu'on dit la plus belle des reines,
Qui Vous a tant servi pour prêcher Votre Loi,
Dont Vous priait encor Montcalm à l'agonie,
Jamais, pour Vous bénir, que je ne la renie !...
Gardez-moi mon Parler pour me garder ma Foi I
feMÉiiiiii^^âÈ^ittâi^^ttfe
II
(?A la 'Vieille oMaman défunte.
A Afme W. A. HVGUENIN
(Madeleine).
Je viens à vous sans peur ni reproche, ô ma mère ;
Pas un son de ma voix n'est fait pour vous déplaire,
Les mots de mon berceau bercent tous mes petits.
Les Anglais sont venus, mais je vous garantis
Que nos chers mots français, eux, ne sont point partis,
Tous les vieux mots d'amour qui vous ont caressée...
J'aurais trop de chagrin de vous avoir blessée :
Toujours la même robe habille ma pensée,
Robe couleur de ciel du pays de l'aïeul I
Du Paradis, où Dieu vous tira du linceul,
Pa"lez-moi bien français, longuement, seule à seul,
Et je vous répondrai de même, en mots de France.
— i58 —
Ces mots, par qui mon cœur vers le vôtre s'élance,
Ont seuls assez d'essor, de joie et de vaillance,
Pour vous rejoindre au fond de vos bleus firmaments.
Aidez à leur salut !... Oh ! nos saintes mamans,
Sur tous nos chapelets, de tous vos cœurs aimants,
Pour soustraire la race aux menaces mauvaises,
A la Mère du Christ dans toutes nos maisons
Demandez en grand nombre, armés de voix françaises,
Pour la gloire de Dieu de bons petits garçons !
^
g|^<S^#^^^^##^#^#^^###
PETITES VICTOIRES CHANTANTES
^»/. ^^ V/
fondes cf enfants.
A M. Ernest Gagnox,
sauveur it rénovateur des
vieilles « Chansons popu-
laires du Canada ».
Québec songea renaître et panse ses blessures...
Quoique son front vaillant montre encor les morsures
Du trait incendiaire ou du rude boulet,
Son vieux cœur recommence à battre — tel qu'il est.
Avec tous les égards qu'il doit au nouveau maître.
Mais juste, sans donner plus qu'il n'a pu promettre.
Courtois, mais sans décboir, loyal, mais sans oublis...
Au faîte du Château se déroule à grands plis,
Souverain tout-puissant, l'Etendard britannique.
Baguette en main, sanglés dans la rouge tunique
— i6o —
Passenten s'admirant Majors et Colonels,
Magnifiques et hauts, rogues et solennels,
Bottés, empanachés, scintillants d'aiguillettes...
Cependant sur la place un chœur vif de fillettes,
Cotillon court au vent et croix d'argent au col.
Danse et fait de vieux airs tournoyer tout un vol.
Sur le pont cV Avignon
Tout le monde y passe.
Les messieurs font comm' ci,
Les dames font comm' ça !
L'on ôte son chapeau, l'on fait sa révérence
« Sur le pont d'Avignon» où l'on prend l'air de France,
— Tandisque, commeilsied aux conquérants plusforts.
S'en vont, bombant le torse et compassés, Majors
Et Colonels de Sa Majesté le Roi George...
Puis la gentille troupe espiègle, à pleine gorge,
Sur les talons des beaux guerriers, plus ou moins craints.
Lance en se trémoussant un de ses gais refrains.
Bonhomme, bonhomme.
Que sais-tu donc faire ?
Sais-tu bien jouer du genou par terre ?
Terre ' terre ! terre !
A h ! ah ' ah '
Du genou par terre !
Par l'huis mystérieux du Château redouté
Ils ont disparu tous : dans l'immobilité
— iGi —
Seule, raide, arme au bras, veille la sentinelle,
Ella ronde en sautant poursuit sa ritournelle.
Ce ii'esl point du raisin pourri.
C'est le bon vin qui danse,
C'est le bon vin qui danse ici,
C'esl le bon vi/i qui danse .'...
Le Château glorieux n'entend rien des couplets ;
Mais, tandis qu'à nous faire un pays bien anglais.
Politique profond, gravement tu t'occupes,
Dans un cercle léger d'humbles petites jupes
L'esprit de nos chansons rit et nargue l'assaut
Sous le noble Etendard britannique, là-haut 1
^
I.K CANTIQUE 11
\mmmmmmmmj^^kjrik!j^^^iii&k!2k^^k^k0
II
'bonnes berceuses
A M. O. AssiiLix,
Président de l'Association
St-Jean-Baptistc de Montréal.
Il se nomme \A arren. . . ou Blackbuin. . . ouMac Neil . . .
Ecossais, bon sergent de AYolfe, — le soleil
Aux plaines d'Abraham l'a vu mener la charge...
Maintenant il défriche à la Malbaie, en marge
Du flot laurentien qui bat presque son fief,
Quelques arpents de bois, don de Murray, son chel".
Il vit heureux : sa foi catholique-chrétienne
Conquit à son foyer un cœur de Canadienne,
Qui, soumise à la loi divine, sans rigueur.
Ne craint pas de bercer des fds pour son vainqueur 1
Il vit heureux... Pourtant, quand, la tâche achevée.
Il regagne le soir son toit et sa couvée.
Souvent, aux premiers temps, sans quitter son fuseau.
La mère le laissait consoler le berceau...
Mais en vain du pibroch, dont sa voix s'accompagne.
Il chantait au petit un air de sa montagne ;
— i63 —
Plus il scandai l les mois de son parler natal.
Plus le petit, rebelle à lair sentimental.
Se débattait, pleurait, criait... Alors la mère,
C-hez qui le cœur suffit à mettre une lumière.
Pour olTrir à l'instant un ange qui se tait.
Se pencbait. lenlaçait dans ses bras, et chantait
« Pimpa/iipolc » ou « Pipandor à la balance »...
Pipandor à la balance.
A'v a-l-il que loi-z-et nioi-z-en France ?
Et lenfant. apaisé soudain, faisait silence.
Pipandor, chapeau d'épinelles.
Pipandor, niels Ion nez dehors .'...
Et l'enfant en gaîté riait de tout son corps...
Puis l'endormant, d'un ton qui se voile et gazouille.
Tout gentiment, c'était « Pinson avec Cendrouille » ;
Plus bas, plus doucement encor, c'était parfois
Une perdriole
Qui vient, cjui vole.
Une perdriole
Qui vole dans ces bois...
Et chaque fois à point renaissait le prodige
D'un enfant sage : tel s'imposait le prestige
De l'incantation dont tu le caressais,
U mère, ù magicienne !... Et le brave Ecossais.
— i6\ —
Séduit par ton pouvoir secret, à ton école,
Répéta « Pipandor » avec « Piinpanipole »
De son mieux, du plus pur accent de son gosier :
Si bien qu'à son effort, pour le remercier,
L'enfant se laissa prendre, accepta sa caresse ;
Et depuis, s'appliquant de toute sa tendresse.
Le soldat de Murray chante, docile, absous.
Près de sa Canadienne aux si jolis yeux doux.
Dès que son dernier pleure, il le calme et l'enjôle
Par le charme des mots appris, et rien n'est drôle
Gomme ce géant tendre — avec l'accent saxon
Rythmant des airs de France au l'rèle nourrisson.
C'est le poiiléile hroùne
Qui pond dans le loàne ;
Il va pondre oiin'bell'pe'tit' côcô
Pour son p' lit' qui va fair' dôdiche ;
Il va pondre oun beW pe'iW côcô
Pour son p'iit' qui va fair dôdô,
Dôdiche, dôdô.
Et l'enfant dort, content, aux bras du bon colosse ;
Tous ses fils en naissant parlent français... L'Ecosse
Sans regret avec eux reconnaît son vainqueur :
La langue de la mère est la langue du cœur !
^ ^ )0
Leô Gtandô Ttiompheô
du X)eibe
Au magnifique orateur
Henri Bolrassa.
Au savant juriste, l'honorable
M. N.-A. Belcoirt,
Sénateur
de la province d'Ontario.
t^ >4« v t^ t^ r^ t^t^ »4ji f^ y i>4< y >4i o^ji y y r^ji »4,'i »4,« i>^<i »^ >^ t^ t^ t^ t^ tfi t^ y o^* t^ *^ t^ t^ f^
1791
^^ezô pont 'diateaubtiaii'?,
poêle de l'aA nié tique.
An poète des grands paysages
canadiens, W. Chapmax.
« Nous aperçûmes la terre...
Le cœur me ballit, quand le
eapilaine me la montra :
1 Amérique !...
C'est dans ces nuits quem'ap-
parut une muse inconnue :
je recueillis quelques-uns
de ses accents ;je les mar-
quai sur mon livre, à la
clarté des étoiles... » (10
juillet-10 décembre 1791).
I
La Nature héroïque en ses vieux: bois sauvages,
Sans ride et sans atTront, gardait sa royauté :
Reflet du Créateur, sa naïve beauté
Ne portait pas encor l'empreinte des servages.
— i68 —
Et la chaste forêt, que troublait seul le vent.
Ouvrait aux Libertés son ténébreux refuge ;
Sous les mêmes soleils, à leur gré se levant,
Lesmcmes fleuves purs roulaient l'eau du déluge.
Mais les nuits succédaient aux jours, les jours aux nuits.
Sans qu'un cœur d'homme, ému de leur magnificence .
Sans qu'un pinceau d'artiste, égalant leur puissance.
Eût traduit ces couleurs, ces parfums et ces bruits.
L'Amérique attendait son sublime interprète...
Lorsqu'enfin, ô René, merveilleux enchanteur,
Attestant de tous deux l'alTinité secrète.
Ton rêve au Nouveau Monde assortit sa splendeur !
II
Tu vins, tu vis, lu fus vainqueur. Ton âme, ô maître.
Dans l'âme des déserts qui la sut reconnaître
Sentit la sœur de sa fierté :
C'est loi qui mieux que tous la compris, cette terre.
Quand tu passais, chantant, prêtre de son mystère.
Partout triomphant et fêté !
Ta voix servit d'oracle aux graves sohtudes.
Ton verbe, souverain des mots, dès ses préludes.
S'épandant sur cet univers.
Lui prit tout son trésor de charme grandiose
Pour l'enfermer, vibrant. au\ strophes d'une prose
Plus séductrice (pie des vers !
— 1^9 —
0 pèlerin d'art pur, que ne peut point la phrase.
Soit que le premier feu d'une aurore l'embrase,
Soit qu'une calme nuit d'été.
Mélancoliquement, loin des rumeurs profanes,
La caresse, au repos des immenses savanes,
D'un jour bleuâtre et velouté ?
Ta phrase conquérante à la souple harmonie.
Par quel subtil pouvoir ne l'as-tu pas unie
Au ciel vaste, aux vastes forêts ')
Et dans l'ampleur du rythme auquel tu la balances,
Murmures, plaintes, chants, formidables silences,
N'as-tu point mis tous leurs secrets :'
Comme elle s'élargit, ta belle phrase neuve,
Sonore, en nous peignant la majesté du fleuve.
Des grands lacs où tu t'égaras !
Comme on la sent couler forte et dominatrice.
Pour s'être un jour penchée en son hardi caprice
Au goulTre des Magaras !...
Puis, comme en nos sentiers tout pas humain s'efface,
Ton hymne adorateur monta jusqu'à la face
Du Seigneur de toute clarté.
Pour qu'un peu d'Infuii se joigne à sa faiblesse.
Que l'Eternel, le Dieu de tous soleils, lui laisse
Un peu d'ardente éternité !
170
"Sois loué, fastueux songeur, dout l'art console !
De l'empire ravi, que nous rend ta parole,
Qui peut nous dire encore exclus ?
Dans la splendeur des mots de France, ô roi du verl)
Gomme un Meschacebé, tu reflètes, superbe,
L'Amérique — qu'on ne perd plus I
&
5/
II
1792
Au peintre héroïque du « Pre-
mier Parlement Canadien »
M. Chaules Huot.
C'est la France qui nous a
donné cette belle langue. Ce
sont les Canadiens qui l'ont
conservée ; ce sont eux qui
ont forcé le vainqueur à la
reconnaître comme langue
de gouvernement. »
^Tardivel.)
0 prodige 1 o bonheur I c'est vrai?. . . Tu n'es pas morte.''
C'est toi, langue de France, après un long tourment
Dès les premiers -débats du premier Parlement,
Toi dont Québec ravie applaudit la voix forte ?
^ainement tes bourreaux, enflés de leurs exploits.
Pressaient le dur bâillon sur ta bouche meurtrie ;
Vainement pensaient-ils, mère de la patrie,
T'élrangler par surprise au lacet de leurs lois !
Ils ignoraient sans doute, en leur brutal caprice,
Que tu portes en loi ce que nul fer ne vainc,
Ne peut saisir, tuer, — le grand souille divin
D'une âme toujours libre et partout rédemptrice !
Vis, ma langue de France, au Canada !... Tes preux.
Pierre de Rocheblave, Alain de Lolbinière,
Bédard, Papineau, trente autres, sous ta bannièp',
T'ont su vite arracher aux complots ténébreux 1
Contre tes oppresseurs s'élançant dans la lice,
Vengeurs et justiciers, de quel zèle joyeux
Autour de toi — l'esprit et le cœur des aïeuv ! —
Ils ont mis le rempart de leur sainte milice !
Pour la cause en leurs voix de quel feu tu brûlais !
Chez toi qui permettrait qu'un décret le retranche,
Quand te prê taienthom mage, ô langue noble et franche,
Tant de barons normands et tant de rois anglais ?. . .
Comme ils lu liaient, tes fils! De quel soin tendre, ô mère,
Ainsi que des porteurs antiques de flambeaux,
Leurs mains du vent de mort, qui se plait aux tombeaux,
Pour leur postérité protégeaient la lumière !
Tu triomphes... lu vis 1 Toutes les piétés
Canadiennes devraient encenser ta vaillance ;
Car l'Anglais même ici te doit, langue de France,
Le trésor de ses libertés !
4
III
1806-1831
A M. le D J. DoiuoN.
>• Sousla conslilution d'Angle-
terre le peuple aie droit de
se faire connaître lui-même
par le moyen de la liberté
de la presse, — et par l'ex-
pression libre de ses senti-
ments toute la nation de-
vient pour ainsi dire le
conseiller privé du (îouver-
nement. »
(Prospectus du Canadien \
]3 novembre 1806.)
Pour le commun salut, pour la fierté commune.
Que menace ou que blesse un criminel pouvoir,
C'est le droit devant tous, — plus qu'un droit — le devoir,
Qu'une Presse sincère élève sa tribune.
1. Le Canadien, premier journal qui défendit les droits delà
nationalité, fondé en i8o(3 par P. Bédard, supprimé en i8io
par le gouverneur sir James Craig, ressuscité et disparu plu-
■
- 17-1 -
Un peuple doil montrer ce qu'il est, ce qu'il vaut,
Ou tend son bras lui-même à la chaîne d'un maîtn .
Qui s'estime bien né doit se faire connaître.
Savoir vivre au pleinjour, oser penser tout haut !
Louange au guide sûr dont le bon sens éclaire
Sur les routes du bien et de la vérité,
Qui s'indigne et proteste au nom de la Cité,
Intègre justicier de l'honneur populaire !
Car pour cette œuvre il faut un esprit droit, il faut
Une âme ardente, un cœur intrépide — un cœur d'homme
Qui, plus du sang public que du sien économe,
?se craigne pas pour soi les fers et l'échafaud !
Louange à toi d'abord dont le nom se prononce,
Le premier qui parlas en libre citoyen,
Fervent et vigoureux lutteur, vieux « Canadien d,
Qui le premier vengeas Y Erable de la Ronce ' !
Tu sus être français, bien français : sel gaulois.
Lumineuse raison, style robuste et sobre,
Nul don ne t'a manqué pour soustraire à l'opprobre
a Nos institutions, notre langue et nos lois I »
sieurs fois, mena surtout une campagne vigoureuse à partir de
i83i sous la direction de l'éminent publiciste Etienne Parent.
Bédard et Parent durent à leur patriotisme l'honneur de la pri-
son en 1810 et i837-i838.
I. Allusion à une fable du Canadien du 29 novembre 1806.
Forgeron, tu fis bien étincclcr l'enclume !...
— Aussi, loi qui longtemps t'ortifias, unis,
Ancêtre vénérable aux noirs feuillets jaunis,
Puisse encor t'écouter ([uiconque tient la plume !
! Héraut des libertés énergique et vibrant,
i Fais toujours dans les cœurs tinter ta même note.
■ "Noix du vieux « Canadien » française et patriote.
Voix de Pierre Bédard et d'Etienne Parent !
^
^^^^^^^^^^^^^^^^^^
IV
1842-1849.
A M. Armand Lwergne, député
à l'Assemblée législative de
Québec.
Quand même la connaissance de
la langue anglaise me serait
aussi familière que celle de la
langue française, je n'en ferais
pas moins un premier discours
dans la langue de mes compa-
trioles français - canadiens, ne
fût-ce que pour protester solen-
nellement contre cette cruelle
injustice de cette partie de
l'Acte dUnion qui tend à pros-
crire la langue maternelle d'une
moitié de la population du Ca-
nada. Je le dois à mes compa-
triotes, je le dois à moi-même. »
(H. Lafontaine, 1842.)
. . Le Parlement impérial a passé
un acte révoquant la clause de
l'Acle d'Union qui imposait des
restrictions à l'usage de la Langue
française. (Lord Elgin, 1849.)
Jours d'épreuve et de deuil, de tragiques reculs,
Où, dans le désespoir farouche de la race,
— 177 —
Les belles Libellés, dout se Aoilail la face,
S'exilaient sans appel au gré des Proconsuls I
Des crimes irritants naissent les résistances,
D'où naissent à leur tour d'autres brutalités :
Quelle funèbre histoire aux yeux \ous racontez,
Chemins où l'écliafaud a dressé ses potences,
Murs des prisons, témoins d'héroïques douleurs 1
Villages dont la torche a fait un désert morne !
Tombes des « Bonnets Bleus » qu'a fusillés Colborne !
Flots qui vîtes s'enfuir les Libertés en pleurs !
Un nuage de sang planait sur l'agonie
D'un peuple que son droit condamnait à la mort,
Et ses persécuteurs exultaient sans reniord
A sa langue frappée et du forum bannie 1
^lais tout, plutôt que rendre un son d'âme étranger,
Tout, plutôt qu'abdiquer, trahir son sang I... Superbe,
Tranquille, le tribun se lève, et, noble verbe,
Bravant l'unique arrêt, t'emploie à te venger !...
Qu'alors tu parais beau, libérateur des âmes !
Devant tes ennemis confus et se troublant.
Tu règnes, simple, vrai, magnifique, brûlant
Sur les lèvres d'un seul de cinq cent mille flammes 1 ..
LE CANTIQUE 12
- 178 -
Si bien qu'admirateur du courage loyal,
Elgin, fils d'Albion dont l'équité te prône.
Pour te rendre ta place, — en son discours du trône
Te couronne et t'assied sous le ijrand daisroval ' 1
I. Georges-Etienne Cartier, le grand ministre, fondateur du
Canada moderne, fit consacrer, en i8C7,le triomphe définitif de la
Langue française, reconnue l'égale de l'anglaise, dans l'Acte dv
l'Amérique britannique du Nord (article i33) : « Dans les Cham-
bres du Parlement du Canada et les Chambres de la Législature
de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise
dans les débats sen facidlatif ; mais dans la rédaction des archives,
procès-verbaux et journaux respectifs de ces Chambres, l'usag'
de ces deux langues sera ol)U(jaloire . »
La Loi Lavergne (du /» juin 1910; a complété cette obligation
en l'étendant à toute la vie administrative et économique de la
Province de Québec.
<-
l»^îa:j^^ë^?$i^^^'3:^^Ki|gri^§»^^
(Les faisons
d'un (F^zaiico-oAméticaiii
à son fie te de Québec.
Aux Chevaliers de J. Cartier.
A l'Union Saint-Jean- Bap-
tiste d'Amérique,
Aux Forestiers franco-améri-
cains,
A l Association cnnado améri-
caine.
Aux Artisans canadiens,
A mes hôtes et amis de la So-
ciété historique franco-amé-
ricaine de Boston.
Votre mission, Canadiens-Fran-
çais, est de donner à l'Amérique
tout ce que la vieille France
avait d'admirable et ce que vous
avez si bien conservé. »
(Mgr QciGLEY, archevêque de
Chicago).
Nous voulons apporter à l'àme
américaine les beautés de l'idéal
français et 1 énergique formation
de la philosophie calholique... ».
iH.-T. Leuoix, Président do
1 Union Saint-Jean-Baptiste d'A-
mérique.)
Daignez me pardonner, — vous rassurer, mon frère,
Si j'ai suivi, i< transfuge à vos yeux téméraire,
— i8o —
L'exode canadien chez vos voisins yankees ».
Dans vos craintes déjà vous nous voyez conquis,
(I Battus et submergés par la vague saxonne »,
— Et votre esprit s'alarme et votre cœur frissonne .
A nous croire, en un risque où l'âme sert d'enjeu.
Perdus pour vous, perdus pour la race et pour Dieu !
— ?son ! non ! pour l'avenir que votre zèle embrasse,
Fiez vous plus, mon frère, aux vertus de la race.
Aux vœux de l'Eternel, qui, maître de nos cœurs,
Prédestine et conduit les peuples migrateurs !
Et d'abord, pourquoi donc, en franchissant d les lignes
Vous paraîtraient « vos gens » étrangerset moins dignes?
En quoi mon sang bat-il moins français et moins beau,
Où vainquit La Fayette, où brilla RochambeauP
Pourquoi mettre entre nousdes remparts ou des digues ?
jNous n'avons point non plus déserté, fils prodigues,
Les foyers paternels ni les autels sacrés :
Au pays des aïeux nous vivons tous rentrés ;
Le Français est partout chez lui dans l'Amérique !
De partout le passé lui tend quelque relique,
Qu'il reprend et qu'il baise, amoureux pèlerin.
Sur le sol dcsLanglade ' et des Aital Guérin - 1
Nous pouvons, aux deux bords du fleuve de Marquette,
Restaurer pas à pas Ihomérique conquête,
Des huttes des Natchez aux uigAvams michigans
Ranimer dans les bois mille échos éloquents ;
I. « Le père du AA isconsiii. »
a. Le fondateur de la ville de Sainl-Puid dans le Mimicsola.
— i8i —
(j'esl nous (|ui prélendons au ^e^mont comme au Maine
De Qiiéhec élarfii rélal)Iir le domaine.
Sur le lac historique où (Ihamplain navigua
Défendre « Carillon » dans Ticondéroga !
Cette maison nous plaît que Dieu nous a choisie»
Mais sans nous dégrader dans une apostasie,
Sans les sombres remords et les cruels dégâts
Que la trahison laisse au cœur des renégats.
\enez ici nous voir, vous pencher sur nos âmes :
Vous Y verrez brûler encor les mêmes flammes,
Partout se propager, sans oublis et vibrants,
Cent i< petits Canadas », prêts à devenir grands !
Nos séparations ne sont point des divorces :
Loin devons — avec vous toujours — toutes nos forces
Travaillent à sauver le pays de nos cœurs.
L'idéale patrie auv divines douceurs !
\enez. pour éprouvep notre foi canadienne.
\isiter l'humble chambre, où la mère chrétienne
Dans le français sacré du (( \otre Père » — - unit
Les mains de ses enfants sous le rameau bénit ;
L'église, don du pauvre artisan, où la chaire
N'admet pas pour son Christ une voix étrangèrCr
Source de haute vie, où nos morts triomphants
Chantent leurs vieux noëls aux lèvres des enfants ;
L'agape, où dans la joie, aux fêtes fraternelles,
^ otre Saint-Jean-Baptiste assemble ses fidèles ;
L'asile de l'étude ou l'abri du secours.
Qui raconte en français de sublimes amours \
— l82 —
Si les loups onl ravi des brebis disparues.
Louez plus le troupeau pour ses vigueurs accrues :
La race ne meurt point, coupée en deux tronçons,
Mais s'épanouit mieux sous deux drapeaux saxons !
On court plusde dangers peut-être aux avant-postes:
Tant mieux! Nous braverons la peur des holocaustes,
En soldats, dont le zèle a l'honneur redouté
De garder le plus loin les clés delà cité !
Baigné de toutes parts aux vastes flots hostiles.
On peut s'égarer, jouet de puissances subtiles,
Comme au gré des ressacs quelque léger fétu ?
— Tant mieux! car aux périls mesurant leur vertu.
Sur le goulTre incertain veillent mieux les pilotes ;
Stimulé, notre cœur plus chaud de patriotes,
Grâce au rude ennemi qu'il sent le menacer,
Au lieu de s'engourdir, voudra se surpasser !
Ici, non moins que vous, en ces larges frontières,
Nous ferons bonne garde autour des sanctuaires.
Où notre culte met sous l'aile de la Croix
Tous nos trésors de cœur, notre langue et nos droits.
Non moins que vous, ici, quand l'avenir se fonde
Au creuset bouillonnant des nations du monde.
Nous croyons que le Christ, d'après un plan divin.
Nous a dû réserver comme un ferme levain.
Nous croyons — notre cher passé nous le persuade —
Que le Maître a voulu pour sa longue croisade.
Partout où souiTre une âme en peine, où pleure un glas,
Nous joindre à de joyeux et prompts apostolats;
Qu'il a besoin de nous pour que Son règne advienne,
Pour rallumer au cœur d'une foule païenne,
— I (S.> —
OÙ s'est lro[) de liimièro évaiigôliquc éteint,
lii peu de l'idéal callioliqiie et latin 1
Et plus tard, loisquici de hautes cathédrales.
Mieux que d'un ail fameux les beautés sculpturales,
Dans une' floraison de l'erventes candeurs
Des saintes Charités montreront les splendeurs
Comme seule en produit notre race d'apôtres,
\os fils se lèveront pour saluer les nôtres,
Et, bras ouverts, diront : « Entre nous Canadiens,
Canadiens des « Etats » ou des bourgs laurentiens.
Nul schisme douloureux n'a dressé sa barrière :
A nos lèvres s'embrase une même prière.
Dans nos cœurs le désir des mêmes saints exploits.
Rameaux drus et pareils du vieil arbre gaulois,
Qui n'ont point démenti la souche originelle,
Nous servons tous de même une France éternelle,
Cette France de l'àme, où l'ancêtre a gravé
Au Dieu de l'Espérance un magnifique Avé ! »
J^t T^^ ^^^ "T^^ ^^' "T^^ T^^ '^^^ T^^ 'T^^ '^^^ "^^^ T^^'T^^ "^^^ T^^ ^^^ T^^
^e 'Cantique à r(Etoile deô oMerô.
A Mgr Leblanc,
premier évéque acadien,
A l'Acadie ressuscitée.
Soleil d'Assomption dont la gloire irradie
Sur la moire des flots et le frisson des blés !
Fête de Notre-Dame et fête d'Acadie
Dans un vivant éveil de drapeaux étoiles 1...
L'essor des carillons soulève des vols d'âmes
Dans les alléluias dont se peuplent les airs.
Le long des chemins gais, plantés d'érables verts.
Oii le feston de fleurs s'enlace aux oriflammes.
Sur les reposoirs blancs et les arcs triomphaux.
Dont les fiers écussons, les hautes banderoles
Disent à tous les cœurs, plus unis et plus chauds.
Espoir et Charité, vos divines paroles !
— i85 —
i Et la procession se déroule en chantant :
Hérauts, gardes d'honneur sous les armes, fanfare.
Enfants aux: rubans bleus, dont la candeur se pare
De la rose en couronne et du voile flottant ;
Long chœur de pèlerins des mystiques agapes,
Artisans, défricheurs de sauvages cantons,
Femmes au front voilé de veuves — sous leurs capes,
Pêcheurs aux yeux couleur de mer, aux cœurs bretons,
— CeuxdeRichibouctou, de Grande Anse ondes Iles,
Ceux qui nomment Saint-Jean, Memramcouk pour berceau.
Qui sous un ciel brumeux, de Tousquet à Canseau,
Aux replis de la côte ont fixé leurs asiles, —
Vigoureuses tribus du sang de Razilly
Dont les noms sans rudesse annoncent l'origine,
Beau peuple catholique, ardent et recueilli.
Chez qui patrie et foi confondent leur racine ..
Tous vont, graves et doux, tandis que l'encensoir
Enveloppe d'azur la bannière ou le cierge.
Que plane en souriant l'image de la Vierge,
Que glisse sur les fronts l'éclair de l'ostensoir...
Et la brise du large, avec leur voix fervente,
A leurs frères lointains, que la haine exila,
Répète, en proclamant la race triomphante.
Le cantique de grâce : Ave, maris Stella !...
i86
II
Dans la grancVsalle, d'or et de pourpre baignée,
L'Aïeul, majestueux et beau comme le soir,
Au haut bout de la table est revenu s'asseoir
Et contemple l'honneur de sa forte lignée,
Ses enfants, et les fds de ses fds, si nombreux
Qu'il ne se souvient plus de leurs noms de baptême,
Mais dont il sait, sans trouble, à son fier diadème
Patriarcal, compter les fleurons généreux.
Tout l'exalte à cette heure et tout le magnifie :
L'Eté, des quatre points de son vaste horizon.
Par l'appel du troupeau, l'odeur de la moisson,
Au labeur de ses mains chante un hymne de vie.
Sa vieillesse héroïque embrasse d'un coup d'œil.
Avec les sûrs garants de sa tâche féconde,
L'immense table, — chêne autrefois roi d'un monclr.
Oui de tant de rameaux connut aussi l'orgueil...
Derrière les deux rangs des rustiques convives.
Qui d'un geste pieux rompent le même pain,
Mères ou jeunes sœurs vont, viennent, sans bruit vain.
Présentant les plats lourds ou les corbeilles vives ;
— Et l'Ancêtre sourit.4ans la sérénité
De ses jours pleins, vaillants, sans œuvres décevante? I
Il voit autour de lui s'empresser ces servantes,
La Paix, la Conscience heureuse et la Bonté !...
Puis, se levant, d'un ton de chef et de prophète
Il conseille, il prie.
— (( Oui, c'est victoire et c'est fête.
— iS; —
Dil-il ; mais sans voiler le deuil des anciens ans,
Rendons grâces à Dieu, l'auteur des biens présents I
Saluons son miracle et sa haute pensée :
La famille acadienne. à tous vonts dispersée.
Grâce à Lui se rassemble et reconstruit son nid.
Souvenons-nous, mes fds : le souvenir unit !
Mes fds, souvenons-nous: le souvenir fait vivre 1
Songeons pieusement que Celui qui délivre,
Pour nous glorifier, nous marquant de son sceau,
V fait de la douleur notre premier berceau 1
D'autres vantent peut-être un passé d'allégresses :
Nous n'avons à montrer que l'exil, des détresses.
Des outrages sans nom, — d'un doux peuple innocent
Les sueurs d'agonie et les larmes de sang 1
Mais nous la vénérons, notre chère souffrance.
Comme un trésor à nous, notre unique opulence,
Sans rancœur, sans tirer le glaive des fourreaux,
En sachant pardonner aux fureurs des bourreaux.
Le mal, le divin mal, notre culte l'embrasse,
Fervent, comme un témoin des vertus de la race.
Comme les instruments des conquêtes du Ciel,
La couronne d'épine ou l'éponge de fiel.
Christ — honneur que sa Grâce à bien peu daigne faire —
Nous a laissés gravir tout entier son Calvaire :
Aussi, fiers des martyrs nos pères, à genoux,
Souvenons-nous toujours, mes fils I Souvenons-nous ! »
i Les deux bras de l'Aïeul comme pour une étreinte
S'avancent : on dirait que des temps douloureux
— i8S —
Il voit venir vers lui les grands Morts bienheureux...
De suprêmes rayons s'éteignent... L'heure est .saint*-,
L'heure crépusculaire aux mystiques douceurs.
Les fronts se sont penchés au silence du rêve.
Des lèvres du Vieillard à voix lente s'élève
L'adjuration grave aux chers intercesseurs.
— (( Aidez-nous, confesseurs vaillants du Christ, nos Pèr'
Agrestes bûcherons, durs façonneurs de terres.
Pauvres gens, dont le sang français fit des héros 1
Victimes de Grand-Pré, du bord des Gaspareaux,
Qui partiez, enchaînés, chantant encor des psaumes !
Captifs dépossédés, meurtris, — hâves fantômes
Qui n'emportiez plus rien qu'un cœur plein d'oraison>
Morne bétail pensant, funèbres cargaisons.
Dont parfois dans la mer se délestait la cale !
Débris d'humanité, qui d'escale en escale
Ne trouviez pas au monde un seul rivage humain !
Chrétiens, que des chrétiens laissaient tendre la main.
Sans secours, dans la neige, à la porte des villes I
Innocents, condamnés aux tâches les plus viles.
Avec ignominie aux carrefours fouettés !
- iSg -
rioscrits, race d'AbcIs comme Gain traités,
( hii mêliez votre plainte à la plainte des grèves !
\ agabonds qui tombiez, percés de mille glaives,
Aux sentiers des l'orêts que vos os ont blanchis,
Qui mouriez, étrangers, au seuil de vos logis,
Suspects comme un complot, maudits conmie une peste 1
.Pères, seigneurs très hauts, dont le pouvoir s'atteste
Aux cœurs multipliés de vos fds survivants I
Crucifiés, amis du Christ, tous triomphants
Dans l'escorte d'honneur de la A ierge sa Mère,
Assistez-nous ! Comme un effeuillement de fleurs,
Répandez sur nos fronts, milice tutélaire,
Les bénédictions de vos saintes douleurs 1 » —
Il dit. L'ombre à présent gagne et cherche à s'étendre.
Devant lui, dans la pièce au vague clair-obscur,
Une fenêtre encadre un morceau de ciel pur
Comme un pan de bannière au beau velours bleu tendre,
Et sur le fond d'azur du céleste velours
S'argente en scintillant la perle d'une étoile...
Alors, sur le conseil que le soir lui dévoile,
H appelle l'enfant, charme de ses vieux jours,
- — igo — ■
Fille duii petit-fils, plus douce et plus câline,
Dont lui sourit le nom, celui-là bien connu,
Que toujours aisément son cœur a retenu.
— « Vois l'étoile, là-haut, qui brille'.... Evangélinc,
C'est l'heure d'invoquer pour nous, pour les errants, 1
La Vierge Mère, Fleur suave d'Espérance,
Reine du Bon Secours, Dame de Recouvrance,
Soutien des naufragés et salut des mourants !
C'est Elle qui sauva nos pores... Qu'elle empêche
De s'abattre sur nous tous les souilles de mort :
Qu'elle enlle notre voile et la conduise au port 1
Ave. maris Stella 1 » —
D'une voix pure et fraîche,
Qu'écoulent les Aïeux, vainqueurs des flots amers,
La jeune Evangéline, en ce soir sans nuage.
Pour le peuple Acadien, qu'attend un beau\oyage.
Entonne le cantique à l'Etoile des mers...
^
qA un (Lonisianais fidèle.
A M. AlcÉE FoitTIER.
professeur à l'Uniuersilé
Tulune, président de l'Athénée
louisianais.
«Qu'à l'avenir les Louisianais
se souviennent qu'ils ont
été Français. Qu ils con-
servent pour nous des sen-
timents dafi'ection, et que
l'origine commune, la pa-
renté, le langage, les
mœurs, perpétuent l'ami-
tié... " (Bonaparte, 30 avril
1803.)
Je pense à VOUS souvent, à ce soir ttop court, maître
Louisianais. là-bas, près de cette fenêtre
D'où pouvait tout Québec clans un regard tenic ;
Je pense au soir de fête, où votre causerie
M'ouvrit, tantôt riante et tantôt attendrie,
Son riche écrin du Souvenir.
J'écoutais vos mots lents pétale par pétale
M'ctTeuiller les beautés de la terre natale,
— 192 —
Me compter tous Jes grains du vigoureux épi ;
Votre cœur m'emportait — de quel bond 1 par quelle arche '■{
Des bords du Saint-Laurent, superbe patriarche,
Aux bords du Roi des Eaux, votre Mississipi 1
Parmi les chers trésors de votre patrimoine,
Heureux, vous rappeliez ce qu'auxmains des Le Moyiif
Le Canada pour vous de gloire avait conquis,
Comme aux fastes sacrés de votre noble ville
Régnait encore, auprès du « Père », de Rienvilie,
Vaudreuil nommé le « Grand Marquis » 1
i
Vous évoquiez l'ancien colon, toujours fidèle |
A sa race ; trahi, vendu, — pour l'amour d'elle.
Comment il protesta, comment il s'est battu ;
Comment, beau révolté. Chauvin de la Fresnière, :
O France, en expirant embrassait ta bannière,
Jusqu'au dernier soupir t'immolait sa vertu 1
Vous disiez l'émoi pur qu'en vos cœurs fait éclore.
Joint aux plis étoiles, l'emblème tricolore ;
Vous disiez, sûr garant du vieux parler charmeur,
Que chez vous, en dépit d'une fortune adverse, .,
Constamment, en français on prie, on aime, on berce, I
En français l'on naît et l'on meurt 1
Vous parliez : et soudain m'apparut, réveillée,
Une province du français ensoleillée.
— i9«> —
Sous les cotonniers blancs, soyeux, un gazouillis
Doux, infiniment doux, plein de grâce créole,
Avec une senteur lointaine, et l'auréole
Des rayons et des fleurs du moite et chaud pays !
— Ah ! que vos piétés m'ont touché, maître, apôtre
D'àme française !... Et j'ai mis ma main dans la vôtre,
Tandis que j'admirais, plus que tous vos exploits,
La fleur du doux français de la Louisiane
Enlaçant d'amitié sa flexible liane
Au tronc du vieux chêne gaulois !
LE CANTIQUE 13
Oiiaiorze luôcriptions
pour r Ecole Canadienne
A l'honorable
M. P. Boucher de la Brlkre,
surintendant
de rinstruction publique
dans la province de Québec
A M. C. J. Magnan,
Inspecteur général des écoles.
A tous les Maîtres, à toutes
les Inslilutrices, Mission-
naires de la Bonne Parole.
^out la oMaiôon.
A M. l'abbé P. Peurieh.
Passant, qui viens du vieux pays de France, arrête
Un instant, et vénère en inclinant la tête.
Comme un verger en fleur qui prépare le fruit,
L'inviolable asile où la race s'instruit.
Je suis simple ; mais rien n'est plus beau, plusaugustc.
Quelque chose d'infiniment tendre et robuste.
Grâce à moi, pour ton nom que j'aime et je défends,
Croît dans l'ombre sans bruit, — de gentils cœurs d'enfant-
Honore-moi : bénis l'humble école, édifice
Du suprême avenir... Songe au long sacrifice
De ces maîtres, de tous ces apôtres joyeux.
Zélés dispensateurs du trésor des aïeux.
Songe aux fiers « habitants», dont le rude salaire,
Pour garder à leurs fils leur langue séculaire,
— 198 —
Sut lui bâtir ce temple où chaque âme est autel,
Où le feu se transmet, par moi seule immortel.
Songe combien de même, en tous lieux dispersées,
Nous demeurons des morts les vivantes pensées.
Combien, jusqu'aux confins des plus obscurs cantons,
Pour les plus saints des droits sans trêve nous luttons.
Derniers remparts des Libertés de la Patrie.
Songe au bien, mon labeur, passant : salue et prie.
Pour que Dieu me protège et qu'il m'aide à mûrir
La moisson des esprits que ton vœu doit chérir.
^^^^ç^^^^^^^^^^^^^
II
Tour le ^Seiul.
A M. l'abbé P. Fillion,
secrétaire de ri'iiiitersité Laval.
Bonjour, mes clicrs petits I Entrez sans peur ni doute,
Tous, nombreux 1 Secouez la neige de la route
Et les flocons glacés qui givrent vos '( capots ».
C'est bien. Entrez, les mains nettes. l'esprit dispos,
Le cœur pur. Mon salut dit à tous : espérance !
Sûrs qu'ici chaque etîort supprime une ignorance,
Braves, sans que leurs jougs vous semblent trop pesants,
\ l'appel des devoirs répondez tous : Présents 1
Entrez sans crainte. Il fait doux et bon. Lue flamme
Chaude, familiale, éclairera votre àme.
L Ecole, vous verrez, c'est "comme une maman
Qui parfois gronde, mais délicieusement,
Parce qu'on sent qu'elle aime et quelle veut qu'on monte.
Travaillez : le travail grandit seul, sans mécompte,
— 200 —
Et chaque soir, enfants, vous partirez un peu
Plus dignes du Pays et plus proches de Dieu.
Et dans l'ombre, au retour chez vous, vous pourrez croire,
Le long des chemins blancs, qu'une jeune Victoire,
Discrète, sans souffler au cuivre des clairons,
\ous suit en étendant son aile sur vos fronts.
^
iiâiÉiiÈÉfeiÉÉiiiiàiiâi
III
^oiit le ^zucifix.
A M. l'abhé Dexys Lamy.
Pour faire de vos cœurs, enfants, des sanctuaires,
Levez d'abord vers Moi vos yeux et vos prières :
J'aime, parmi les fils des laboureurs, parmi
Les petits écoliers, parler comme un ami.
Tel, vous le savez bien, qu'avec vos grands Ancêtres
Je parlais, — le plus sûr et le plus doux des maîtres.
Qui pour guide me prend connaît tous les essors.
Je vous révélerai les plus riches trésors.
Les secrets du bonheur durable delà vie ;
J'écarterai de vous le mensonge et l'envie
Et tout l'abject troupeau des péchés oppresseurs.
Je vous enseignerai l'Amour pur, les douceurs
Du pardon, les vertus de l'heureuse souffrance.
Mon Evangile à tous porte la délivrance
302
Des peurs, des passions, des plus viles laideurs.
Et quand j'aurai béni vos ferventes candeurs,
Seconde vos travaux, corrigé vos faiblesses,
O chers fils, tous vêtus de joie et de noblesses,
— Comme vos lacs d'été l'infini du ciel bleu,
Au miroir de vos cœurs vous refléterez Dieu I
IV
^out r(Eôizade du oMaitze,
A M. l ahbé X. Degagxé,
professeur à Chicoiitinii.
« C'est l'insliluteur, et non
plus le canon, qui sera
désormais l'arbitre des des-
tinées du monde. »
(Lord Brougham.)
« Le titre d'instituteur est un
titre denoblesse. «(Mercier.)
\ i<ns, maître : que je t'aide à monter ! Ta parole
i» it enseigner de haut dans ce temple : l'Ecole.
\ icns, monte 1 Que vers toi ceux qui t'écouteront
\pprennent de bonne heure à redresser leur front 1
'^our (( élever » l'enfant — mission noble et chère —
Miître, apôtre, il te faut la tribune ou la chaire.
." bon soleil qui plane épand mieux ses rayons ;
La main du laboureur s'ouvrant sur les sillons
20ji —
Dispense mieux à tous les semences de vie :
De même à la jeunesse assidue et ravie
\erse de haut sans cesse, ô maître, ô créateur,
Les levains de l'esprit, les lumières du cœur !
Mais, grave, avec ferveur, remplis ton sacerdoce:
Songe, sur ce degré modeste qui t'exhausse,
Que c'est toi, sans fracas, par tes efforts lointains.
Qui peux faire un grand peuple et ses puissants destins!
Songe qu'en ta voix, ô le plus pauvre des maîtres.
Parle tout le passé glorieux des Ancêtres,
Parlent tous les Foyers sacrés, dont tu tiens lieu.
Parlent tous les Devoirs et la Patrie et Dieu !
^onz la (ffenêtze.
Aux cliers écoliers des cam-
pagnes laurentiennes .
Enfant, ne te crois pas un captif dans sa geôle:
Rassure-toi. Je veux, par-dessus ton épaule,
i »r»ucement, que d'un large et généreux cristal
Sur ton labeur descende un coin de ciel natal.
Soit que l'hiver glacé me lleurisse de givre,
^ il qu'un tiède printemps, qui réveille et délivre,
Jiuuvre aux gais rayons d'or des clairières d'azur.
C'est moi qui t'apprendrai de mes jeux sur lemur
l.a marche pas à pas des saisons et de l'Heure...
Mais surtout j'aurai soin que t'arrive et t'effleure
Va l'enveloppe, voile invisible et flottant,
Ln de ces souffles purs qui font le cœur content.
M vieudrade très loin, des Laurentides bleues,
■ liargé de tout un cher trésor : pendant des lieues.
— 2o6
11 aura sur les eaux, les bois et les sillons,
Dans les clochers d'argent peuplés de carillons,
Fait sa glane de vie auguste et maternelle...
Et je l'appellerai : qu'il pose ici son aile,
Que dans les forts parfums qu'il t'aura recueillis
Ton âme aspire entier l'amour du grand Pays !
VI
"PoiJt le "Poêle.
A Antoine Rivaru.
I A chacun son devoir, sa noblesse et ses titres 1...
Simple et bon, je préside au travail des pupitres,
Ainsi qu'un sage aïeul eu un cercle d'enfants :
, Les cœurs les plus heureux sont les plus réchauffants.
Petit, ne laisse pas tes pensers romanesques
Jouer dans mes dessins aux folles arabesques.
Ton œil trop se distraire à l'œil de mon fover
' Où l'arbre de nos bois se plaità flamboyer.
Poursuis ton œuvre, ainsi que j'accomplis la mienne.
Pourtant de mes bienfaits, parfois, qu'il te souvienne
Songe à Ihùte, à l'ami, qui dans l'hiver glacé,
j Quand tout transit dehors, soudain, ce seuil passé,
ïe baigne en une tiède atmosphère, rallume
La vie à tes doigts lents où vacillait la plume,
Fait chanter pour ta joie à son regard vermeil
Toute la poésie ardente du soleil...
— 208 —
Prends exemple sur rnoi :que l'école en ton ànie
Eveille, Dieu taidant, l'inextinguible flamme,
Puis rayonne, et répands en effluves de bien
Les plus douces chaleurs de ton cœur canadien 1
f
YII
^oiiz le Zahlean iioiz.
A tous nos petits amis sage»
et studieux.
\\r parle aux yeux : je suis la parole fixée
(Jui pénètre et se grave au fond de la pensée.
Page unique et diverse aux multiples Jeçi^ns
Dont les cahiers soigneux transcrivent tous les sons,
Modèle de lecture et de calligraphie,
.1 <A]'ve aussi comme il sied des modèles de vie,
< U'i le maître, qui songe aux hommes de demain,
; Mit son cœur le meilleur dans sa plus belle main.
; J'explique ou j'avertis, j'exhorte ou je redresse.
'J'exalte le courage et flétris la paresse.
De maximes d'honneur, de vers d'or revêtu,
<îrave ou gai, chaque jour j'invite une Vertu,
i iinpérance ou Bonté, Franchise ou Politesse,
A. visiter les cœurs, à rester leur hôtesse.
LE CANTigUE 14
2IO
Je parle, et les enfants sentent grandir en eux
Ton image, o Patrie, en traits plus lumineux.
Chaque syllabe vit, chaque lettre, plus chère,
Quand j'épelle Champlain, Maisonneuveou Yerchère.
Leurs noms parleraient moins, si je ne les traçais :
Des mots français écrits parlent plus haut français.
0755
di5ç*!7çi4^çiîî^i;?çjJ5çi^^
Mil
^Pont la ^azte du Canada.
Aux historiens de La Race
française en Amérique,
MM. Desrosiers et Fournet.
Contemple cette terre au merveilleux labeur.
Si large, qu'en son vol la plus prompte ^ apeur,
De longs jours, peut montrer, sans cpie tu t'expatries,
La fuite des forêts, des lacs et des prairies.
Oui, cette zone immense entre deux Océans,
Enfant, c'est ton pays .. Seuls, des bras de géants.
Seuls, descœurs surhumains semblent pouvoir l'étreindre;
— Et pourtant, de l'Aurore au Couchant, pour atteindre,
Par delà l'infini des jeunes mers de blés.
L'extrême mur de rocsaux créneaux dentelés,
Sulïit le bel élan des hommes de ta race.
Ton pas partout des tiens recouvrirait la trace
Jusqu'au fond du Grand Ouest,.. De l'ancien sol soumis
Ils pourraient ranimer leurs os blancs endormis,
D'universels exploits évoquer le miracle,
Te dire : « Tout cela, tout ce vaste habitacle
2li
Fut à nous, est à toi 1 D'un continent entier
— Tes droits n'ont point péri — tu restes l'héritier. »
.Mais il s'offre un domaine, au dessin de ma carte,
Dont, enfant, il sied moins que ton amour s'écarte.
Dont tu dois; plus fervent, embrasser les contours :
C'est Québec, le foyer souriant, le secours
De ce qui lutte ailleurs, plus faible et vulnérable,
La terre de Champlain, la terre de 1 érable,
L'abri, la forteresse, où le flot étranger,
Malgré tout son effort, ne peut te submerger.
C'est qu'ici chaque jour l'Habitant, sans recrues
Que ses fds, parle soc pénétrant des charrues.
S'enracine un peu plus dans laglèbe qu il prend :
Dans chaque défricheur triomphe un conquérant.
Vois aux bords du grand fleuve, — égrené par tes pères,
Ce double chapelet de paroisses prospères
Sous leurs vieux noms français si joliment ileuris.
Vois ces « Cantons de l'Est », d'où tes parents proscrits
Par l'œuvre de la hache ont refoulé leurs maîtres,
Ces royaumes du Nord, où, conduits par leurs prêtres.
Les rustiques héros du paisible progrès
Font reculer la nuit des profondes forets...
Grave-moi dans ton cœur : en ma géogra})hie
Tout ton peuple vivant s'affirme et glorifie.
Pour remplir ton devoir t'apprend ce que lu vaux.
Quand s'élèvent partout tant de clochers nouveaux,
Regarde, enfant, ton siècle avec fière assurance.
Dans Québec, grâce à Dieu, l'Amérique a sa France.
IX
^out F(Histoite nationale.
A M. Hector Garneal.
« \'ous avez été longtemjjs mé-
connus, mes anciens frères
du Canada ! \'^ous avez été
indignement calomniés !
Honneur, cent fois honneur
à François-Xavier Garneau
qui a déchiré le voile qui
couvrait vos exploits ! »
(De (iaspé.)
Les morts ne dorment plus dans l'oubli méprisant,
Car du passé j'ai fait un éternel présent.
Nul ne m'a vue ici, furtive et taciturne.
Recueillir en pleurant des cendres dans une urne.
Puis, inutile à tous, le front d'ombre voilé,
Accouder ma douleur sur un tombeau scellé.
Moi, je ne me perds pas en vains regrets funèbres ;
Il faut agir... Au cœur des aveugles ténèbres
J'ai fait jaillir partout de longs traits de clartés;
Partout ne découvrant que vertus et fiertés.
J'ai rendu tout au jour, à la joie, à la vie,
iV l'espoir... De beaux noms m'escortent... Je convie
Trois cents ans de vaillance, enfant, à soutenir
Dans ta petite main les siècles à venir !
Ecoule les grands Morts que je t'ai fait connaître.
Qui doivent désormais, mêlés à tout ton être,
Respirant dans ton souffle ou marchant dans tes pas,
J3ans tes songes rêver, lutter dans tes combats.
Ecoute-les, vainqueurs, te dire : « Enfant, relève
Le front. Parla parole autant que par le glaive.
Tes pères, de leur Dieu défendant le parvis.
Ne subirent jamais la peur d'être asservis.
Sois fier. Ta noble race est libre, toujours libre :
Si ce titre d'orgueil fait tressaillir ta fibre.
Ta conscience aussi doit t'aider à savoir
Qu'un si grand patrimoine impose un grand devoir.
Apprends de nous,. apprends, salutaire et féconde,
La loi de ton destin : que Dieu t'a mis au monde,
Non point pour rechercher ton plaisir d'un moment.
Mais pour vivre avec tous les tiens — royalement,
Non pour l'aise et pour l'or, mais pour l'honneur plus rude
Qu'il n'est point de victoire où l'effort ne prélude
Comme il n'est point d'effort que n'achève un succès ; '
Que tu dois avec nous, soutiens du nom français, j
Apôtres, défricheurs, maîtres et saintes femmes, '
Ou conquérir du sol ou conquérir des âmes... j
(( Crois-nous, crois tes parents, tes plus siirs conseillers ; ,i
Marche aux seuls chemins droits que nos cœurs t'ont frayéfj
Qui s'ouvrent à les pas si clairs et si faciles.
Ne crains rien : nous veillons sur toi... Si tu vacilles
Dans un tournant obscur souston fardeau pluslourd.
Tu verras luire au ciel nos étoiles d'amour ! »
^
X
^ouz le (Liçze de fiançais.
(la. légende du doux parler)
Au dclical styliste d'Eaux-
fortes et tailles-douces.
Henri d'Arles.
L'Archange, un clair matin, s'en allant parle monde,
Cueillit ce qui s'offrait de grâce ou de beauté.
Il prit de chauds rayons de soleil, l'eau profonde,
Limpide, où se contemple un nuage argenté,
Des fleurs des champs, le miel de la ruche, une haleiii.
Qui court sur les moissons ou dans les frais roseaux.
Un soupir dans les bois, un peu de blanche laine.
Quelques légers duvets tombés d'un nid d'oiseaux.
Il prit encor l'éclair des forges, l'étincelle
D'un vin prompt pétillant dans le fond d'un cristal,
Une corde de harpe où le trille ruisselle,
Un glaive droit et net au ferme et franc métal.
- 217 —
Le grelot d'un enfanl folâtre, la caresse
1) une mère, un salut de châtelaine, un cœur
D'évangéliste, tout débordant de tendresse.
Un regard de ciel bleu, d'amour consolateur.,
Lors l'Ange dit à Dieu : u Donnez-moi la puissance
« De fondre tout cela dans un joyau d'or fin,
« Puis, pour parfaire l'œuvre en sa magnificence.
« Ajoutez-y, Seigneur, un sourire divin ! »
Dieu sourit. Et ce fut le doux Parler de France.
-M
W
XI
^ouzune ^Anthologie canadienne.
A M. l'abbé Elie Avclaiiî,
professeur à l'inioersitc Laval.
Un jour, de nobles lords, dédaigneux et moqueurs.
Savants qui n'ont pas su lire au fond de grands cœurs.
Ont osé dire, enfant, aux laboureurs tes pères :
« Qu'êtes-vous, pauvres gens, lourds remueurs de terres?
(< De vos prétendus droits qui vous rend si jaloux ?
« Qu'avez-vous à défendre, à montrer i^ Qu'ètes-vous?
« Nommez vos écrivains, vos conteurs, vos poètes !
« Vous n'avez qu'à prier sur des tombes muettes !
« Est-ce un peuple, la plèbe où nul art ne fleurit,
« Des rustres sans liistoire et sans œuvres d'esprit ' ? »
Sous l'outrage, aussitôt, libre Muse de France,
J'ai voulu relever le défi qui m'olTense,
I. C'est ce que Lord Dnrham disait des Canadiens Français en
1889 • " ï^® ^^^^ ^" peuple sans histoire et sans littérature. »
I
— 2 19 —
l"t j'ai posé mon vol, un malin de printemps,
l*;ile et grave, parmi les fils des Habitants.
.lai dit : « Qui veut venger d'aveugles injustices?
Mener le combat, plume en main, sous mes auspices,
« Pour les autels, pour les foyers, soldat-martyr?
i Dans de nouveaux cbamps clos — bon sangne peut mentir
< Qui vient faire avec moi, rompant de nobles lances.
De vos grands souvenirs de grandes espérances ? »
Vibrants, à mon appel vous avez répondu,
Ciours généreux, héros du, labeur attendu
Par qui la pure gloire à si haut prix s'achète,
Cnsgrain, Parent, Gaspé, Crémazie ou Fréchette,
Vustères ouvriers de la prose ou du vers !
N ous avez les premiers cueilli les rameaux verts,
I 'S premiers su rouvrir les sources transparentes :
^ yez loués, bénis ! Vos œuvres- conquérantes
Ont fait d'un même accord entendre à vos rivaux
Des hymnes de combat ou des chants triomphaux.
il i. parmi la poudre et les arquebusades,
le prêche et j'accomplis d'éternelles croisades,
Ijasquailleurs, dans la joie et des rêves d'azur,
le n'ai qu'à célébrer des fêtes de l'art pur...
Et maintenant, mon fils, viens visiter mon temple,
I! Viens écouter les voix de ton pays !... Contemple
La Muse canadienne à son premier rayon.
Telle qu^il sied, sévère et ceinte de l'épée,
' Simple, mais héroïque et chaste, enveloppée
; Dans un drapeau de Carillon !
XII
'T^oiit un Recueil
de Chansons popnlaiies.
A M. Georges Bellerivb.
M Mieux que tout autre, ce
livre me rappellerait la pa-
trie absente. « (L'auteur
d'[';i Canadien errant. An t.
Gérin-Lajoie.)
Gai loii la ! les Chansons de France, ^ai Ion la
o^
Ici, là-bas, partout, fredonnent : nous voilà !
Faluron ! les Chansons de France, falurette !
Rendent partout au cœur ce qu'il aime et regrette...
A nous le frais ramage et l'aile de l'oiseau !
Pour nous venir pencher, enfant, sur ton berceau,
— 2 21 —
adiï^, du doux pays, légères voyageuses,
Vous avous IVanchi l'oude et la nue orageuses,
vioueltes de Gaule à l'intrépide essor,
;i de la vieille race héroïque au cœur d'or,
Mil les premiers réveils, aux lèvres de ta mère,
)ix(illé, comme un miel, la joie et la lumière...
«1 limandes ou d'Anjou, de Saintonge ou d'Artois,
/importe, — nous aimons. Canadiens, sous vos toits,
uix Noëls, aux « agets * », aux fêles d' (( épluchettes - » ,
iiir les voix d'argent de nos fines clochettes,
) accord avec l'archet dansant des violons
irier la belle humeur de nos simples flonflons.
Mais aussi sur les lacs, aux bois, par les montagnes,
. »ù la rame et la hache ont en nous des compagnes,
Nous faisons refleurir dans tout ciel embrumé
^a rose u du rosier des jolis moi de mai »...
^e c< Canadien errant » sur des rives lointaines
Vvec nous peut rêver près des « claires fontaines » ,
vMitir des mains de sœurs s'enlacer à sa main ;
Sous chantons, et sur l'heure, au détour du chemin,
L'exilé, qui tressaille aux tendres résonances,
-roit voir, dans l'essaim blond des chères souvenances,
apparaître à ses yeux, qu'un bonheur vient mouiller,
Je qu'on aime toujours sans jamais l'oublier !
1. Les douze jours de Noël à l'Epiphanie,
2. Réunions de parents et d'amis convoqués pour enlever au
)lc d'Inde ses feuilles.
îï»i2ï»
XIII
"^ouz le ^Pzjx
de ^^azlet fzauçais.
A M. l'abbé E. Chartier,
professeur à Saint-Hyacinthe
« Aimons, respectons, faisons
respecter notre langage ca-
nadien. Parlons-le partout.
C'est notre drapeau natio-
nal. » (Tardivel.)
Jadis le défricheur, fusil en bandoulière,
Poussait l'effort du soc sur l'hostile clairière,
Toujours prêt à l'alerte au milieu du sillon.
Son œil partout guettait la brusque irruption
Du sauvage rôdant sous l'épaisse ramure.
Tout cœur de Canadien portait alors l'armure.
Les femmes, les enfants, d'un même élan viril.
Tous s'enrôlaient soldats, unis par le péril ;
220
Va. lorsqu'un Habilanl pour sa bravoure insigne
> était d'une faveur de haut prix montré digne,
i'ar des « lettres royaux » Monsieur le Gouverneur
Sur parchemin scellé le proclamait « seigneur ».
De même encore, enfant, jeune espoir de la race.
Il faut ceindre le glaive et vêtir la cuirasse :
D'innombrables combats t'attendent, toi qui sais
One c'est un grand honneur de bien parler français !
(lorde ta langue intacte, harmonieuse et probe,
1' n trésor pur ! Que rien d'étranger n'en dérobe
J.a tranquille ordonnance et la limpidité !
Plus belle est la richesse aux mains de ta fierté,
IMus, pour la bien défendre, il te faut d'héroïsme.
Sus à l'envahisseur ! Sus à !'(( algonquinisme »,
A tout mot grimaçant, barbare et rocailleux,
Uni- porte un déshonneur au bon goût des aïeux I
frappe, mais sache bien qu'en ce travail d'Hercule
Kien ne vaut pour frapper le trait du ridicule :
Sans trêve ni merci sur l'horrible iroquois
Que ta brave gaîté vide son plein carquois I...
" Et puis, si la victoire en ton discours claironne.
[ Pour prix de ta vertu, mon vaillant écolier,
j Je te fais noble et prince et t'olTre une couronne,
Je te sacre à jamais mon féal chevalier !
^ ^ ^
fJU f^ 4^ t;?^» <^ j^ 4? 4? 4? 4? fî? 4? 4? 4? ♦$? ♦!$? *^ ♦$?
XIV
^out r (Ecole onta tienne.
A l'honorable
il. A. COXSTANTIXEAU,
iuge de la Cour d'Ontario.
On m'a dit : « Prends ces cœurs d'écoliers, molle cire
Que tu façonneras comme un Saxon désire :
Ces petits Français-là, tu vas nous les changer.
Leur fixer un esprit à leur race étranger!
Leurs pères, pauvres gens écrasés sous le nombre,
Ne sauraient conserver ce qui n'est plus qu'une ombre.
Ces hommes, qui voudraient survivre en leurs enfants,
Tu les vas en leurs lils exterminer vivants ! »
Et moi, j'ai répondu : « Jamais d'un tel supplice
Ton caprice, tyran, ne me rendra complice 1
Jamais ! Jamais ! — Reprends tes bâillons, tes étau\,
Ces cordes et ces fers, ces clous et ces marteaux,
1' ur lorturer des cœurs clans une apostasie !
( iiiper la langue sied aux despotes d'Asie !
M'ù. je ne porte pas les ciels dune prison !
I ne sais point verser l'insidieux poison
I ' nue doctrine hostile à de saintes croyances !
t Ml ne me verra pas, bourreau des consciences,
Ivivir ce qui fait l'homme, outrager l'équité,
Ijiseigner l'infamie ou la servilité.
Faire de Canadiens de tristes choses mortes !
Moi, je forge avec Dieu des âmes libres, fortes,
liiches de vie, — honneur de la Cité 1 J'apprends
Que le nombre, que l'or, ne peuvent rien, moins grands
i}\\e la vertu du droit dans l'abri d'un cœur brave 1
.1 "apprends à voir du ciel, à briser toute entrave ;
.1' montre, triomphante, au-dessus des tombeaux,
l.<^ chœur des Libertés élevant leurs flambeaux !
Du plus pur sang français je veux rester gardienne...
— Et si plus tard, enfant, quelque conteur d'exploits
11' dit: « Qui lutta mieux pour ta langue et ses droits? »
lu'ponds avec fierté : « L'Ecole ontarienne 1 »
•^^
LK CASTIQVE 15
La Croisade
du Doux Parler
A Mgr P.-E. Roy,
Auxiliaire de Quéljec,
Président du Comité permanent
du premier Congrès de la Langue
Française en Amérique.
A toutes lesMèrescanadiennes.
i
'ZJn fils de (Lotzaine dn Canada.
A mes amis de dilection,
Adjutou RtVARD et J.-E. Prince,
avocats, professeurs à l Université
Laval.
I
Parlez, amis ! parlez ! Le fils de la Lorraine
Ne sent plus les chagrins de l'exil avec vous.
Parlez encor ! Mon ciel soudain se rassérène,.
Je renais à l'accueil de ce parler si doux 1
0 France occidentale, ô lointaine Neustrie,
Tu sais te souvenir comme je me souviens ;
Et Dieu donc soit loué, qui me rend ma patrie
Sur vos lèvres, ô Canadiens I
Vous savez comme on sent s'attacher sa racine
Au sol où s'endormit l'aïeul à cheveux blancs.
Ah ! comme j'ai souffert sur ma terre messine !...
Et pourtant ils sont beaux, mes coteaux mosellans !,
Et pourtant lair. là-bas, est si léger, si tendre 1...
Mais c'est l'exil chez moi qui me vient affliger.
— 23o
Depuis que mes chemins, mon seuil, doivent entendre
Le langage de l'étranger !
Ah ! l'accent de ces mots si durs à l'âme !... Certe,
Mon enfance a connu l'effroi du conquérant,
Quand, dans l'ombre des nuits, parla Irontière ouverte
Des régiments casqués grondait le lourd torrent.
Mais plus que le hulan, messager de conquête.
Dont s'enfonça la lance en la chair du pays.
Chaque mot abhorré, tyran que rien n'arrête.
Nous lient toujours plus envahis !
Oh I ces mots de la rue, écrits comme des chiffres,
Ces mots sans grâce, aux pas cadencés et massifs,
Bruits de tambours, que vrille un jappement de fifres.
Que heurte un cliquetis de sabres agressifs !
Oh ! ces voix, toutautour, qui font mal ! Cette phrase,
Que l'on subit, avec l'orgueil de son vainqueur.
Qui, pareille aux canons sous qui le sol s'écrase.
Passe roulant sur votre cœur 1
Vous, du moins. Canadiens français, je vous envie !
L'école ne vous a jamais dépaysés ' 1
Et vous répétez tous la chanson de la vie
Par vos mères apprise en leurs premiers baisers 1
De l'àme de vos fils vous demeurez les maîtres
Par votre langue pure aux vieux sons musicaux.
Et tous les mouvements de lèvres des ancêtres
Font encor vibrer vos échos !
I. Dans la province de (Québec.
■2ùl
II
Et moi. j'ai Iraversc de grandes eaux sauvages,
J'ai demandé du calme au désert des forêts,
Et je n'ai fait qu'errer de regrets en regrets,
Seul sur la vaste mer, seul sur tous les rivages.
Pourtant je n'ai jamais senti d'immensités
Plus muettes, de plus affreuses solitudes.
Que ballotté sans guide au sein des multitudes
Dans l'énorme Babel des lointaines cités.
Nos voix s'entrechoquaient, folles, sans se comprendre.
Entre nous se dressait une sourde cloison,
Jusqu'au jour, où, perçant les murs de ma prison,
J'ai bégayé des mots que j'essayais d'apprendre.
Vains efforts ! Car mon cœur sentait le même froid :
Ces syllabes sonnaient sans àme, et ma pensée.
Travestie, à tâtons, flottait, embarrassée
Aux plis d'un vêtement trop large ou trop étroit.
Tout langage, imposé d'ailleurs, nous expatrie.
J'allais, le cœur serré d'un éternel départ.
Seul, sans trouver, au coin de 1 àtre. nulle part,
D'un ami qui répond l'accorte causerie.
232
Les matins d'autres cieux s'éveillaient sans éclat.
Les soirs m'enveloppaient de leur linceul tragiqno.
Et partout j'allais seul, proscrit et nostalgique.
Cherchant à mon désir un écho qui parlât 1
III
Mais voici qu'avec vous, Canadiens, dont la houche
Garde un naïf accent de France qui me touche.
Je fêle au pays mon retour ;
Yosbras s'ouvrent, vos mains me font signe et se tendent.
Comme au village, où tous en patoisant s'entendent.
Où tous se disent le bonjour 1
Vous causez, et ces mots, que mon cœur interprète,
Ont pour moi des parfums de province discrète,
Tous chers, connus et familiers ;
Vos filles, en chantant quelque ancien air de France,
M'ont rendu mon ciel clair avec sa transparence.
Mes horizons inoubliés.
^ ous causez, et la joie exquise me pénètre.
Comme si mon logis, là-bas, d'une fenêtre
M'ouvrant la nuit les contrevents.
Me montrait, réunis au cercle de la lampe.
Qui d'un même rayon auréole leur tempe.
Ma vieille mère et mes enfants !
— 2.33 —
Nous causez, et je rentre en la maison natale.
V la table qui rit. simple et patriarcale,
.M'asseoir au fraternel banquet ;
Pas n'est besoin pour moi d'éloquence superbe,
Si quelque fui dicton, quelque malin proverbe
M'ulTrent leur rustique bouquet !
Ces mots, dits en commun, fondent nos ascendances ;
Ils mettent entre nous d'intimes confidences,
Des secrets pour nous rapprocher :
■ N'ont-ils pas les regards, les gestes de nos pères,
Qui depuis très longtemps ont fermé leurs paupières.
Là-bas, sous le même clocher ?
Comme on respire à l'aise avec leur chaud costume !
i.omme entre nos esprits, d'où s'enfuit toute brume.
Ils rattachent d'heureux chaînons 1
Et qu'ils nous semblent prendre et de charmeet de grâce.
Quand ainsi, n'est ce pas.'' seuls, tout seuls, à voix basse.
A mi-mot nous nous comprenons !
IV
Merci de vos leçons, ô Canadiens fidèles !
Il est donc des remparts qu'aucun fer n'asservit 1
Vous n'avez pas rendu ces libres citadelles
Où l'âme héréditaire avec le droit survit I
204
Vous l'avez su montrer : la langue est le refuge
Où tout un peuple attend l'heure de refleurir :
Qui renonce à sa langue agonise en transfuge,
Qui la défend ne peut mourir !
Vous n'avez rien quitté du patrimoine antique,
De ces vieux mots tout francs que Jeanne a prononcés.
Braves comme une épée et doux comme un cantique,
Qui, toujours prompts et vifs, ne semblent pas lassés!
La même sève encor circule sous l'ccorce :
Ils vous parlent d'honneur et d'amour, sans déclin ;
Ils sont de votre esprit et la forme et la force,
Vous gardant vrais fils de Champlain !
Et de quels soins pieux, aussi jaloux qu'avares,
Vous couvez le trésor qui vous sert de rançon.
Pesant, limant, triant des vocables barbares
Les bons mis à l'épreuve et marqués du poinçon !
Et vous ne souffrez pas qu'au creuset de la langue.
D'où ne doivent sortir que pièces sans défauts,
Se mêlent à l'or pur la scorie ou la gangue
D'un métal qui sonnerait faux !
Alerci de vos leçons, et que Dieu vous protège 1
A ceux de mon pays qui voudraient émigrer :
Voyez les Canadiens, imitez-les, dirai-je ;
Chez eux ils ont su vaincre, ayant su demeurer.
La langue est l'instrument d'ultime délivrance.
Qui se transmet sans bruit par la mère à l'enfant :
Qu'àMetz comme à Québec, aux deux boutsde la France,
Plane un seul Verbe triomphant !
!>0.)
Et quand nous aurons tous rempli nos deslinées,
Surs que nos pelits-fils font vivre en leurs propos
Ce qui vit de l'aïeul en nous, quand les années
Nous mèneront au seuil du suprême repos,
S'il est « plusieurs maisons au royaume du Père »,
Si notre bon vouloir jusqu'à Dieu donne accès,
Nous irons, Canadiens et Lorrains, tous, i'espère.
Dans celle où l'on pense français !
*
f f f f f f f ^^f f ^^.-|5^^.vÇ-^^^^
'^onz leô bond Vavzietô
de la
Société du ^azler françaiô.
A mes maîtres d'amitié canadienne.
A AujUDOR-HlVAIiD .
L'homme mystérieux de cette vieille estampe
Penche un profil d'avare et de conquistador ;
Des piles de sequins et de carolus d'or
S'écroulent sur la table au plein jour de la lampe.
Qu'est-il ? — Un trébuchet complète le décor,
Près du poinçon d'acier qu'on sent de forte trempo ;
L'homme examine, heureux, un éclair à la tempe.
La belle pièce lourde où le coin reste encor.
■io
— Tel vous, gardien zélé du trésor de la langue,
Pi sant les mois, qu'attend le vers ou la harangue,
\ us rendez, à leur son, l'arrêt qui fera loi ;
jr I je vous vois, ami, saluer d'un sourire
L' \ocable d'or pur et d'authentique aloi.
\ i[ui seul votre cœur si français peut souscrire...
- II
A J.-E. Prixcr.
Mon cœur vous suit, ému, quand je vous vois là-bas,
Tandis qu'autour de nous notre langue s'altère,
Garder d'un soin pieux la gerbe héréditaire,
Aux fléaux du bon grain livrer d'ardents combats.
Les sarcleurs dilit-ents font l'œuvre salutaire.
Chacun dans son sillon travaillant sans fracas ;
D autres, pour les herbiers aux parfums délicats,
Cueillent dans les patois, fds de l'ancienne terre.
Pour que le champ français, savamment cullixé,
Chasse l'ivraie hostile et l'impur sénevé,
Poursuivez. Canadiens, la tâche ardue et saine ;
Rendez au vieux parler de chez nous son haut rang.
Et nous irons bientôt des rives de la Seine
Rapprendre notre langue aux bords du Saint-Laurent.
f* $ t
M^.byb^,^^^^bfe^^^^^i^^^
(Le T>oiix ^atlet.
' A M. PlKHUE HoMIER,
,4 tous les vaillants qui luttent
I j)our les Droits du français
{ dans la Confédération bilingue
'• du Canada.
Un livre, un entre tous, nous est cher : le voici.
C'est un simple recueil de mots, — en raccourci.
L'image, l'écho clair du passé qu'il retrace,
Archives de l'Idée et trésor de la Race :
C'est un simple recueil de mots.
Qui n'est entré
Dans la forêt tranquille au mystère sacré i*
Qui n'a vu de l'étang la grande eau calme et lisse >
Toutsemhle dormir: mais qu'un souffle vienne et glisse
Sur le miroir des eaux, sur les bois qu'il surprend.
Et chaque feuille, émue, et chaque flot, vibrant,
Parle, et toutes ces voix, qu'enfle un même génie-.
Font en se propageant une vaste harmonie.
2'iO —
— Ainsi, dans ce lexique, œuvre des siècles morts.
Où tous vocables, vieux ou récents, doux ou forts.
Nobles ou roturiers, ensemble fraternisent.
Où l'esprit des aïeux et leur cœur s'éternisent,
La même âme, agitant l'arbre aux mille rameaux.
Fait vivre et tressaillir la nation des mots.
Ces mots vivent, puissants, en libre république,
Les uns, croisant l'épée, ardents à la réplique.
D'autres, pimpants, parés de dentelle et courtois,
D'autres, en sabots, fils des rustiques patois,
Tous frais et souriants dans leur verte vieillesse,
Tous prompts, tous au bon sens joignant la gentillesse,
Tous français. Nets et purs, tintant comme un cristal.
Ils ont bien tous l'accent de leur pays natal.
Qu'ils viennent s'animer aux lèvres des poètes,
Des mères, — et soudain leurs syllabes muettes
Nous disent la pitié, l'amour, l'espoir divin ;
Ils pénètrent l'esprit de leur subtil levain,
Donnent l'aile joyeuse à l'âme prisonnière,
L'exaltent dans le rêve au sein de la lumière.
Et nous font pressentir avec leurs frêles sons
De l'infini des cieux les sublimes frissons !
Parle, unis-nous toujours, sans peur ni défiance ;
Parle-nous grave et droit comme une conscience.
Verbe limpide et franc, verbe de vérité I
— 2^1 —
L iils-nous, cher langage, avec tes grâces vives ;
\iix fêles de l'esprit charme tous tes convives,
\ erbe de joie exquise et de fine gaité !
Pour nous unir encor, dis-nous ton fier cantique,
Tes vers mélodieux, drapés de pourpre antique,
(.) glorieux langage, à verbe de beauté !
Dis-nous Roland, dis-nous, après le vieux trouvère,
l) héroïsme et d'honneur l'hymne mâle et sévère,
\ erbe cornélien, verbe de loyauté !
( .liante, chante surtout comme un baiser ! émousse
La haine ! apaise, unis nos cœurs de ta voix douce,
0 verbe d'amour juste et de fraternité !
Et ces mots, motssacrés, qui vont de bouche en bouche,
( Jue le vers a sertis dans son noble contour,
< le mot clair qui sourit, ce mot qui pleure et touche,
Avec dévotion je les dis à mon tour !
Près de nos chers petits dont la parole hésite,
Près des berceaux naïfs aux ramages jolis,
J'écoute, et parmi nous croit revoir en visite
Nos ancêtres du fond des âges abolis !
LE CAXTIQVE 16
— 2/|2 — -
Aimons notre idiome, ô fils de celte terre !
Les rêves sont si beaux qu'il sut toujours bercer 1
C'est lui le gardien sûr de l'âme héréditaire :
Qui français parle bien en Français doit penser!
C'est notre doux parler qui nous conserve frères '.
Nous pouvons succomber, par le nombre envahis :
Tant que sur nos tombeaux, dans ces jours funéraires,
Deux enfants rediront les mots du cher pays,
Aussi longtemps vivront l'esprit vengeur qui crie
Justice, l'espérance aux vaillantes douceurs,
L'immortelle cité, l'idéale patrie
Où des chaînes d'amour vont des lèvres aux cœurs I
1. Vers qui figure en exergue sur la médaille du premier Con-
grès de la Langue française au Canada, œuvre du sculpteur et
graveur parisien, M. Alexandre Morlon.
mu
Pour la plus grande gloire
du Parler français'.
9^ <-9^ <-a^
«ïs;»^ ^-
I
Vezô le ^Taôôé.
A la mémoire
de M. iabbé Sta>tslas Lortië,
promoteur du premier Congrès
de Langue française.
« Defuncti adliuc loquuatur. »
AU BERCEAU DE LA RACE.
Quand Champlain, d'une brave et royale assurance
Pas à pas chaque année inscrivant un succès,
Traçait au ?Souveau Monde une carte de France
Qui n'offrait de l'Ancien que de purs noms français,
I . Poèmes dits à Québec au premier Clongrès de la Langue
française en Amérique (25, 39 et 3o juin 1912).
— De quelle joie, après l'aventure et l'épreuve,
Las d'avoir du longtemps courir ou guerroyer,
Il revenait dans son Québec, sa cité neuve,
A la flamme de son foyer !
Tous de même, héritiers d'une grandeur commune,
Nobles fds de Champlain par l'amour rassemblés,
Bien qu'en cent lieux épars, au gré delà fortune,
Sous la croix de Saint-George ou les plis étoiles.
Sans qu'avec le Passé nul n'admette un divorce.
Vous rentrez dans Québec, la ville au large accueil.
Gomme un sang généreux vient réparer sa force
Au cœur qui bat, tout chaud d'orgueil !
Québec, cœur de Ghamplaio, cœur de France la Haute,
Qu'un jour vint bénir Dieu des rivages normands !
Québec, cœurlibre etfier, cœur sans crainteetsansfaute.
Parmi tant de combats fidèle aux beaux serments !
Québec, la ville sainte, où tout monte et s'élève,
Où, loin des vils calculs et de l'or des péchés,
L'àme du vieux pays vers le Giel dans un rêve
Suit la flèche de ses clochers 1
Digne fille de France, aïeule d'Amérique,
Quelle autre mieux que toi, qui sais « te souvenir »,
Nous faisant signe à tous, sur ton roc historique
Au fraternel festin pouvait nous réunir ? ■
Temple du Souvenir comme de l'Espérance,
Gime où le pèlerin doit fléchir ses genoux,
Tu pouvais seule offrir à tous les cœurs de France
La fête du Parler si doux !
243 —
L INVOCATION AUX ANCETRES
Et donc ensemble ici. sur la grave colline,
Comme en un sanctuaire où notre front s'incline
Aux grands souilles de T Au-delà.
Conversons tous, émus, avec la race entière :
Champ de bataille, école, asile de prière.
Notre langue, c'est tout cela !
C'est la langue de France, idéale patrie,
Qu'aucun brutal acier n'a jamais amoindrie
Sous le rempart des cœurs fervents :
Parlons, et qu'avec nous parlent les Morts, nos maîtres !
Que toute la pensée intime des Ancêtres
S'anime aux lèvres des vivants !
Joie ! orgueil 1 — Notre cœur, celte petite chose.
Des trésors infinis de vingt siècles dispose
Par tous ces vieux mots généreux.
Qu'un seul mot vibre, et tout un peuple nous protège:
Nous revoyons en nous resplendir le cortège
De nos martyrs et de nos preux !
Ah 1 oui 1 dans cet instant des loyales revanches.
Quand l'érable natal a rajusté ses branches
— 2^6 —
Toutes à son cimier jaloux.
Quand les fils dispersés confondent leurs étreintes,
Pères ! Pères !... vous tous, nos Héros et nos Saintes,
Vous parlez, présents, parmi nous !
Présents, vous nous parlez : ces mots de notre bouche
Les premiers ont nommé cette terre farouche,
Les premiers exploré si loin ,
Comme aux pages du livre ils disent ton histoire,
Du « Mont-Royal » conquis ils chantent la victoire,
0 Jacques Cartier le Malouin !
Chaque homme est une idée. 0 Français de Saintonge,
Champlain, toi qui gravas sur ce cap ton beau songe,
Tu nous dictes les plus fiers mots,
« Sagesse et fermeté », « droiture et confiance »,
Autant que Maisonneuve à tous prêche « vaillance »,
« Dévouement » Dollard des Ormeaux I
Vous nous parlez aussi, Laval, conquérant d'àmes,
Brébeuf et Lalemant, qui dressiez dans les flammes
Vos fronts vainqueurs nimbés de feu ;
Vous montrez notre langue à ces bords la première
Apportant le salut de paix et de lumière
Avec vous, Messagers de Dieu !
Et vous, dont tour à tour le mousquet et la bêche
Domptaient l'Indien barbare et la forêt revêche.
Laboureurs, les nobles d'ici.
Vous, les rudes soldats de Carignan-Salière,
Dont la poudre chantait, au péril familière.
Sous Frontenac ou de Tracy !
Et vous, les Découvreurs, les Fondateurs de ville,
Marquette et JoUiet, La Salle et d'Iberville,
Princes d'un empire tombé.
Braves qui combattiez l'Envie ou Tlgnorance,
En contraignant la Gloire à ne nommer que France
Tout le long du Meschacebé I
Et vous, simples Vertus, ô mères canadiennes,
Berceuses d'éternelle espérance, gardiennes
Du meilleur sang de la Cité,
Vous, des jours les plus durs compagnes les plus chères,
L'Ursuline au grand cœur, Jeanne Mance ou Verchères,
Bravoure, Grâce et Charité !
Et vous, sanglants acteurs de l'extrême épopée.
Que Montcalm et Lévis signaient de leur épée,
Pour l'honneur encor vous levant.
Vainqueurs de Carillon, vainqueurs de Sainte-Foye,
Qui ne vous comptiez pas, mais chargiez avec joie
Au seul cri français d'(( En avant ! »
Et vous, qui des vieux temps portiez l'àme hautaine,
Vous, le verbe vengeur, Papineau, Lafontaine,
Toi, l'histoire et la vérité,
Garneau 1 — vous tous, les grands Patriotes fidèles,
Remparts du Nom, soutiens de la Foi, citadelles
Du Droit et de la Liberté !
— 248 —
Tous, tous, eu ce moment, Morts vénérés, nos Pèros.
Douloureux artisans de destins plus prospères,
Qu'embrasait lardeur des Croisés,
Tous, tous, ici, sur nous penchés avec tendresse.
Vous venez de vos fils partager l'allégresse,
Unis à nos cœurs pavoises !
Et courbés devant vous, sauveurs, briseurs d'entraves.
Nous écoutons monter l'accord de vos voix graves,
Dont jamais l'effort ne fut vain.
Et qui, nous enseignant à lutter comme à croire.
Seules doivent fleurir d'un cantique de gloire
La fête du Parler divin !
LE CANTIQUE DE LA LAXGLE.
— (( Notre parler sourit d'une accorte jeunesse.
Pourtant le plus ancien et d'antique maison :
Nul ne saurait montrer des titres de noblesse
Plus fiers, plus fastueux que ceux de son blason.
Quand par nos fortes mains pour une œuvre féconde
Sur le sol d'Amérique il reverdit greffé,
Il avait déjà fait tout le tour du vieux monde
Et sous tous les cieux triomphé 1
« Voix de la Chrétienté, de la Chevalerie,
Il avait ceint pour Dieu le glaive de Roland,
Pour rendre au Seigneur Christ sa tombe et sa patrie.
Pousse les nations de son souffle brûlant,
Soumis parsesjongleursà ses chants tout cœur d'homme-
Et tous méchants bravés, tous péchés combattus,
Posé par saint Louis, le parfait Roi -Prudhomme.
La couronne au front des Vertus !
(i II avait même un jour avec le duc Guillaume.
Maître qui l'enseigna d'une brève leçon,
A Londres, dans Oxford, établi son royaume,
Tel qu'il s'impose encore au langage saxon ;
Il avait saintement, à 1 heure trop amère,
Aux Voix de Jeanne d'Arc mis son aménité,
Comme à Rayard prôné par la voix de sa mère
Dieu, l'Honneur et la Charité !
(( Longtemps le cher Parler qu'ici nous apportâmes.
Au pays des Aïeux, sous leur doux joli ciel,
Riche et lourd des meilleurs pensers de milliers d'âmes,
De province en province avait cueilli son miel.
Ses mots, qui tous avaient baigné dans l'air de France,
Des fleurs de ses coteaux encor tout parfumés,
Du bel azur natal gardant la transparence,
Qui de nous ne les eût aimés ?
(I Et quand par ses héros, ses poètes sublimes,
Le Grand Siècle, imposant au monde ses splendeurs.
30O
Envoyait, pour ravir les esprits sur des cimes,
Corneille et Bossiiet, ses deux ambassadeurs,
— Nous ici, pour la Croix menant le combat rude,
Magnifiant notre âme avec d'autres succès.
Nous cliercliions à couvrir l'immense solitude
D'un clair manteau de noms français !
« 0 fier Parler de France, alors que de victoires
Avec nous remporta ton verbe avant-coureur !
Et sur combien deniers, de vastes territoires,
Nous avons promené ton sceptre d'empereur I...
Jusqu'au jour où. vainqueurs réduits à nous soumettre,
Malgré tant de sillons de noire sang rougis,
Nous avons dû, trahis, aux mains d'un nouveau maître
Livrer la clé du cher logis !
« Nous avons dû livrer, avec nos murs de pierre.
Un continent, d'un trait de plume ailleurs perdu :
Mais nul ne peut lier une àme prisonnière ;
Un abri nous restait qui ne s'est pas rendu 1
« Chacun de nous gardait sa sainte forteresse,
Bâtie avec amour d'inexpugnable airain,
Où. sur un faîte altier dominant sa détresse,
Le cœur libre arborait son drapeau souverain !
« Chacun de nous gardait sa forteresse sainte,
Fermée aux quatre vents de remparts sourcilleux,
Sans autre jour, qu'en haut de la jalouse enceinte
Un grand trou vers l'azur pour contempler les cieux !
201 —
( Et là, devant l'autel qui défend la relique,
\Iieux armés et plus sûrs en ployant les genoux,
Siius avons tous redit l'oraison catholique
\\oc les mots sacrés, les seuls mots de chez nous !
En vain nos ennemis nous criblaient de leurs flèches,
il niaient sournoisement des coups multipliés :
Imprenables, debout, sans fissure et sans brèches,
Les murs ne bougeaient pas sous l'assaut des béliers 1
I
|(f Quand ils croyaient déjà nous traiter en conquête.
Soudain fondaient sur eux, à leur tour assaillis,
Aiis mots, nos braves mots, la tiicjue sur la tète,
^ètusd'un bon cnpol d'étofîe du pays !
« Vainement cherchaient-^Vi' à sevrer par contrainte
L âme de nos enfants de son parler natal :
Plus ils frappaient la langue, hostile à leur étreinte.
Plus les vieux mots émus tintaient comme un cristal !
<( En vain redoublaient-//*' les fureurs de leurs haines,
An réseau de leurs lois partout nous enserrant :
On peut dans des cachots charger les corps de chaînes,
On n'asservit pas l'àme en son parler vibrant !
— «Etpuisque maintenant, fils qu'instruit notreexemple,
Nous avons reconquis votre place au soleil,
Puisque du cher Parler nous avons fait un temple
Où tout le grand Passé s'exalte à votre éveil,
20O
Envoyait, pour ravir les esprits sur des cimes,
Corneille et Bossuet, ses deux ambassadeurs,
— Nous ici, pour la Croix menant le combat rude,
Magnifiant notre àme avec d'autres succès.
Nous cherchions à couvrir l'immense soUtude
D'un clair manteau de noms français !
(I 0 fier Parler de France, alors que de victoires
Avec nous remporta ton verbe avant-coureur !
Et sur combien deniers, de vastes territoires,
Nous avons promené ton sceptre d'empereur 1...
Jusqu'au jour où. vainqueurs réduits à nous soumettre,
^lalgré tant de sillons de noire sang rougis,
Nous avons du, trahis, aux mains d'un nouveau maître
Livrer la clé du cher logis !
« Nous avons dû livrer, avec nos murs de pierre.
Un continent, d'un trait de phime ailleurs perdu :
Mais nul ne peut lier une àme prisonnière ;
Un abri nous restait qui ne s'est pas rendu 1
« Chacun de nous gardait sa sainte forteresse,
Bâtie avec amour d'inexpugnable airain,
Où, sur un faîte altier dominant sa détresse,
Le cœur libre arborait son drapeau souverain !
« Chacun de nous gardait sa forteresse sainte,
Fermée aux quatre vents de remparts sourcilleux.
Sans autre jour, qu'en haut de la jalouse enceinte
Un grand trou vers l'azur pour contempler les cieux 1
20 1
( Et là, devant l'autel qui défend la relique,
\Iieux armés et plus sûrs en ployant les genoux,
V us avons tous redit l'oraison catholique
\\oc les mots sacrés, les seuls mots de chez nous 1
En vain nos ennemis nous criblaient de leurs llèches,
ICntaient sournoisement des coups multipliés :
Imprenables, debout, sans fissure et sans brèches.
Les murs ne bougeaient pas sous l'assaut des béliers 1
tt Quand ils croyaient déjà nous traiter en conquête.
Soudain fondaient sur eux, à leur tour assaillis,
Nos mots, nos braves mots, la iuqiie sur la tète,
Vêtus d'un bon capol d'étoffe du pays !
« Vainement cherchaient-i/à" à sevrer par contrainte
L'âme de nos enfants de son parler natal :
Plus «75 frappaient la langue, hostile à leur étreinte.
Plus les vieux mots émus tintaient comme un cristal I
(( En vain redoublaient-//^' les fureurs de leurs haines,
Au réseau de leurs lois partout nous enserrant :
On peut dans des cachots charger les corps de chaînes,
On n'asservit pas l'àme en son parler vibrant !
— «Etpuisque maintenant, filsqu'instruitnotreexemple,
Nous avons reconquis votre place au soleil,
Puisque du cher Parler nous avons fait un temple
Où tout le grand Passé s'exalte à votre éveil.
Puisqu'en vous nous restons d'activés providences,
Allez sans crainte, où Dieu réclame des lutteurs.
A vos frères meurtris comme à vos descendances
Porter les mots libérateurs !
(( Votre œuvre est belle encor sur ce sol d'Amérique,
Hommes de sang français par votre langue unis !
Poursuivez, confiants, votre tàclie héroïque
Sur tous nos pas marqués aux chemins infinis.
Vos pères à vos cœurs montrent de hautes cibles.
Que vos fils, sinon vous, quelque jour atteindront :
Messagers et soutiens des choses invisibles.
Dieu mit un sione à votre front I
« Croyez-vous des Elus, si vous n'êtes le nombre,
Les nobles champions d'un suprême tournoi :
Faites luire l'Idée où s'obstinait une ombre,
Prêchez l'Art, la Bonté, la Justice et la Foi I
La langue est une épée autant qu'une cuirasse :
Dites-vous, en luttant pour rompre tous les jougs,
Que l'esprit des aïeux, que le cœur de la race
Combat et veut vaincre avec vous ! »>
)g «8 ^
II
%'^ezô ro/Jçeiîiz.
A Mgr Amédée Gosselix,
Recteur de IL'niuersilé Laval.
LA REVUE DES FRANÇAIS D AMERIQUE.
Cest l'heure des adieux, mais sans regrets ni larmes,
< .1 imme il sied à des gens de cœur, aux frères d'armes
Qui vont se séparer pour faire leur devoir ;
C est l'heure des adieux, mais joyeuse et sans crainte,
< tiiime il siedaux croyants, qui dans quelque autre étreinte
Savent quelque part se revoir I
Et quand on vient d'unir ses forces dispersées,
Qu'on a pour la même œuvre accordé ses pensées,
Baignés au même flot d'enthousiaste ardeur^
Lorsqu'au même banquet, dans la même allégresse.
Tous à la même coupe ont bu \a même ivresse
D un même rêve de grandeur,
204
Qui ne sent dans son cœur battre les cœurs des autres,
Des cœurs entreprenants de soldats et d'apôtres
INe voulant plus s'ouvrir qu'aux raisons d'espérer?
Et qui, seul, au dessein généreux qu'il embrasse,
INe croit porter en soi tout l'esprit de sa race,
Du monde avec lui s'emparer?
Et donc, à l'heure grave où s'achèvent ces fêtes,
Pour que chacun s'en aille aux prochaines conquêtes
Plus vaillant et plus sûr par l'appui fraternel,
Pour qu'il allume en lui des millions de flammes,
Ici de tout un peuple associons les âmes
Au même serment solennel !
Et d'abord évoquons ceux de la vieille terre
De Québec, tout le long du fleuve héréditaire
Conservant la blanche maison,
Touslesbons a habitants )^, esprits nets, cœurs candides,
Qui n'ont, les yeux fixés là-bas aux Laurentides,
Qu'un amour comme un horizon !
Et vous, Ontariens Français, je vous salue,
Filsd'Essex, dePrescott, de Russell, troupe élue,
Avant-garde qui nous défends,
Combattants des Grands Lacs ou du Témiscamingue,
Qui voulez que la Loi d'un juste honneur distingue
Lécher parler de vos enfants !
Vous aussi, conquérants de la grande Px-airie,
Qui sur les pas fameux du vieux La Yérendrye,
I
— 200
Songez à de liers lendemains,
Vous qui revendiquez l'antique patrimoine
Aux bords du Winnipeg ou de l'Assiniboine,
Semeurs des blés manitobains 1
Et voici devant vous que notre front s'incline,
Saint peuple Acadien, neveu d'Evangcline,
Que Christ des Sept Douleurs marqua,
Dont les jours tourmentés ressemblent aux rivages,
Pêcheurs de Shédiac, amis des flots sauvages,
Défricheurs de Madawaska !
Et je vous nomme encor, vivantes citadelles,
Français de l'Union, qui nous gardez, fidèles,
Avec la langue une âme sœur,
Ilots qui surnagez, paroisses catholiques
Qui menez au combat vos jeunes républiques
Sous l'emblème du Précurseur 1
L'amitié qui vous cherche avec nous vous ramène.
Frères de l'Ouisconsin. de Détroit ou du Maine.
De Boston ou du Missouri.
Postes d'honneur veillant au cœur de chaque ville.
Et vous, Louisianais du pays de Bienville,
Dernier rameau toujours fleuri '.
Et tous les descendants de nos grands noms épiques
De la mer boréale à la mer des Tropiques.
D'Halifax à San-Francisco.
— 258 —
<c Puisses-tu triompher du Icmps et de l'espace.
0 verbe merveilleux, si riche d'Infini 1
Par moi du moins, toujours chantant et rajeuni.
Tu ne passeras pas de ce monde où tout passe 1...
Et puisse, par delà même l'ultime adieu.
Mon cœur que je te doime, ô cher Parler de France.
Travailler dans mes fils à quelque délivrance,
Accomplir avec toi la grande œuvre de Dieu 1 »
VERS LES VICTOIRES
Comme avant la bataille, en des airs de fanfare,
Montcahn fit défiler les siens,
Ses beaux régiments blancs, Roussillon ou La Sarre.
Et la fleur de nos miliciens,
Vous de même, à l'instant, nos braves de tout grade.
Mots de nos glossaires sacrés,
Défilez sous nos yeux, comme au pas de parade,
Dispos, pimpants et bien guêtres 1
\enez nous rassurer, belle armée aguerrie,
Mois vainqueurs de tant de hasards I
Venez faire parler l'espoir de la pairie
.Vux frissons de vos étendards !
— 2^9 —
\ oiis voici, tous nos mots bien nés, aux clairs visages,
Fleurant si bon le vieux terroir,
Oui reflétez encor nos anciens paysages
Comme un flot pur en son miroir ;
Vous voici, tous nos mots simples, nos mots rustiques,
Si drus, si francs, ensoleillés,
Fidèles compagnons des tâches domestiques,
Chers confidents de nos foyers !
Venez, riez, les mots de la maman berceuse.
Dans nos nuits toujours nous berçant.
Les mots des jeux, de notre enfance insoucieuse,
Qu'on aime entendre en vieillissant I
Venez, priez, les mots qui calmez la misère.
Doux, parfumés comme le miel,
r.cux que l'aïeule égrène aux grains de son rosaire.
Pleins de confiance et de Ciel !
\ cnez, aimez, les mots de la Miséricorde,
De la divine Charité !
Faites une harmonie avec toute discorde.
De toute haine une bonté !
\ cnez, vibrez les mots du tribun et du prêtre,
Nobles conseillers ou vengeurs,
< hii frappez le coupable et flétrissez le traître,
En poussant au front des rougeurs 1
\ enez, chantez, les mots des œuvres immortelles,
Qui dites à l'Humanité,
De bouche en bouche, avec des frémissements d'ailes.
Le cantique de la Beauté !
\ enez, luttez, les mots dont crépite la poudre,
\étérans chevronnés d'exploits,
— 26o —
Qm, pour les Libertés réservant votre foudre,
Dictez à tous les justes Lois !
Venez, venez, tous nos vieux mots, notre espérance !
Et demain, dans un fier réveil.
Vous irez tous donner, superbes, pour la France,
Lui gagner sa place au soleil !
Vous irez donner tous dans les luttes d'idées
Où notre race doit fleurir,
Et vos clartés vaincront, dans la paix fécondées,
Car vous ne pouvez pas mourir !
Des Monongahéla, Carillon, Sainte-Foye,
Vous en obtiendrez chaque jour :
îl vous suffit que Dieu dans tout logis envoie
Des fils, une mère et l'amour !
Et vous accomplirez votre œuvre héréditaire,
Mots si vaillants de nos Aïeux.
Chaque jour un peu plus conquérants de la terre,
Parce que vous songez aux cieux ! . . .
Et peut-être — qui sait ? — Parler de ma patrie.
Gomme le « Roi des Eaux » puissant,
Qui baigne en son grand flot de lumière et charrie
Des mondes qu'il cueille en passant.
Vous, à travers les temps pour l'éternel voyage,
Chers mots de France séducteurs,
0n vous verra traîner dans votre heureux sillage
La conquête de tous les cœurs !
m
^oiit le " datiez des (lAïeux ».
{Toste).
A M. AmjIdée Denault.
Pourquoi, cheis Canadiens, nous les Français de France.,
Sentons-nous notre cœur battre avec déférence,
Vers vous, à votre voix, s'incliner nos esprits ?
Lorsque vous nousparlez, d'où vient donc votre charme?
D'où notre émoi si grave et profond, qu'une larme
^ oile presque nos yeux surpris !*
Ah ! c'est que sans oubli, pères, enfants, épouses,
Vos lèvres ont gardé, fidèles et jalouses,
L'accent du vieux pays qui vibre sous vos toits ;
C'est qu'on peut, tout au long des rives laurentines.
Cueillir, comme des fleurs naïves d'églantines.
Les richesses de nos patois I
C'est qu'ici de la France ancienne — ailleurs caduque —
0 « bonnes gens » . sous la (( câline » et sous la « tuqu;e » ^
202 —
Nous sourit avec vous dans sa simplicité ;
C'est que par vos chansons, apprises de vos mères.
Avec nos grands Aïeux, nous, passants éphémères,
Nous vivons, mêlés tous à de l'éternité !
Les mots, que notre souffle en cet instant ranime.
Débordent notre cœur d'un jour, frêle et minime.
Par l'infini pouvoir de leur vaste passé ;
Chaque mot porte en lui son âme universelle,
Riche et mystérieuse, où couve une parcelle
D'âme des millions d'hommes qui l'ont pensé.
Les mots sont des reflets de l'antique patrie :
Et c'est pourquoi si loin notre oreille attendrie
Aime en reprendre ici le patrimoine entier.
Je t'admire et te loue, ô Canadien, mon frère,
Qui, n'en voulant rien perdre, en rien laisser distraire.
En restas l'intègre argentier !
Je t'écoute, et voici, loyal dépositaire,
Que tous les purs trésors du verbe héréditaire,
Soudain dans tes discours je les ai recouvrés.
Mots délicats ou fiers de bourgeois ou de princes.
Mots ingénus aussi des rustiques provinces,
Louis d'or ou gros sous cuivrés 1
Et ces mots, même ceux de la pauvre chaumière,
Qui baignèrent dans l'air de France et sa lumière,
— 2 63 —
Qui clianleiil uiaiulcnaiU aux berceaux canadieus.
Nous disent, vieux français, tout pleinsdesainteschoses,
Fleurant encor nos blés, nos vergers et nos roses :
« Souviens-toi I souviens-toi, commeje me souviens 1 »
L'un dit : « Aux bords de la Charente,
« Qui dut voir là-bas mon déclin,
« Moi, je suis né : je m'apparente
« A la conquête de Champlain. »
— « Et moi, dit un autre, on devine
(( Le nid d'où sort mon chant d'oiseau :
(( De l'humble aïeule Poitevine
« Mes fredons aidaient le fuseau. »
Un autre reprend : u Ma paroisse,
u C'est Mortagne : si j'y vieillis,
« S'il faut que j'y meure ou décroisse,
« Nul n'est prophète en son pays. »
Tel autre encor : u Ma jNormandie
« Me répéta dans ses échos :
(( Qu'importe la scène agrandie ?
« Je songe au ciel d'Auge ou de Caux. »
— « Moi, j'ai l'allure cavalière,
« Voyez !... Je fus le compagnon
« D'un joyeux « Carignan-Salière ),
« Moite encol" de vin bourguignon, o
Ceux-ci parlent de prés, d'établcs,
De granges pleines, et des soirs
Où les noces, le coude aux; tables,
Humaient le parfum des pressoirs.
Ceux-ci rythmèrent les cadences
Des bergers chanteurs de noëls,
Firent tourbillonner les danses
Autour des grands feux fraternels ;
Ceux-là jaillirent en prières.
Peut- être même teints de sang,
Mêlés aux luttes meurtrières,
Aux cris d'un héros frémissant !
Tous ces mots, fds divers des campagnes de France,
Votre cœur. Canadiens, les garde unis, fixés,
D'un même souvenir, pour la même espérance,
Dévotement, autour de l'érable enlacés.
Tous ces vieux mots, miroirs de nos communs ancêtres
Avec vous, Canadiens, se maintiennent vivants.
Et, si leur grâce simple ailleurs trouve des traîtres,
Vous ne leur dresse/, vous, que des autels fervent?
Aussi bien t'écoutant, fils d'une race élue,
Qui n'as rien renié de tes anciennes fois,
Mon frère Canadien, je m'incline, et salue
Tous ceux de mes Aïeux qui parlent dans la voix 1
2 60
Kt donc, ô cher Parler natal, dont la mémoire
Ici se fond en piété,
Jo veux lever la coupe en ton honneur, et boire,
Parler de France, à ta santé !
A ta santé, non pas pour qu'au hasard tu vives,
Toléré seulement ce soir,
Non point par grâce admis, comme un de ces convives
Qui doivent manger sans s'asseoir
Non pas pour végéter misérahle, risée
Ou du rival ou du félon.
Non comme un bibelot curieux de musée
Ou comme une fleur de salon !
.le bois à ta santé, cher Parler de mes pères,
Digne roi d'un trône perdu,
Pour que tes jours sans fin se poursuivent; prospères.
Avec le haut rang qui t'est dû !
A ta santé, non pas pour d'âpres servitudes,
Mais pour la joie et la fierté,
Pour que puisse ton souflle emplir les solitudes
Au plein air de la liberté,
Que puisse en cette terre, où Dieu te sert de guide.
Ta voix, ta généreuse voix,
Se mêler à la vie héroïque et splendide
Des grandes eaux et des grands bois 1
Et je bois à ta gloire, ù mon cher Parler, verbe
Aussi doux et beau que le jour.
— 266 —
Pour que ce monde t'offre, ô moissonneur, la gerbe
De noble allégresse et d'amour,
Pour que, regard levé, les âmes, les hôtesses,
Par ton irrésistible attrait,
S'ouvrent avec vaillance à des délicatesses
Dont seul tu connais le secret I
A ta gloire ! à ta plus grande gloire, ô mon tendre,
Mon joli Parler si plaisant,
Pour qu'au lieu de la tombe, où l'on croyait l'étendre,
Tu tiennes la palme en présent !
Pour qu'heureux messagers des hautes ambassades
Que l'homme accomplit pour le Ciel,
Tu fasses triompher dans d'ardentes croisades
Le dessein providentiel !
Pour que par l'univers, — comme une brise égrène.
Répand les semences des fleurs, —
De même, d'une force aimable et souveraine.
Avec nos rêves les meilleurs.
Un grand souffle divin, dont tressaillent les moelles,
Emportant tes mots radieux,
T'épande, te propage, et t'exalte aux étoiles...
Cher doux Parler de nos Aïeux !
r
"S* "n* 'n* 'o'' 'a'* 'o* "S* "o'' "o* "S* "a* "S* *?" "S* 'o'' "o* ''o" *?'' "o" *?'' *?'' "o* *?* *'?'' ^* "o" 'S'' "S* *?* "o* "o* "o* "S* "o'' "o** *?*
^oHt l'(Echo du 'Sagiiena^
A MM. Berthimme c/ Rivet.
Je songe à ce premier vaillant de noire race,
Dont aujourd'hui la prompte hélice suit la trace
En l'âpre paysage où tant ont frissonné ;
Je songe à ce premier héraut de l'Evangile,
Dont la foi n'a pas craint, sur la barque fragile,
De remonter ton gouffre étrange, ô Saguenay !
Lorsqu'il voguait, chétif, entre tes deux murailles
Titanesques, témoins des tumultes passés.
Où menacent sans fin les granits entassés,
Pleurant, drapés de noir, comme à des funérailles
I. Vers dits le ler juillet 1912, pendant le voyago des congres-
sistes au Saguenay.
— '>.(JS —
Dans ce chaos d'apocalypse, pour lui seul.
Quand, tour à tour, le soir saignait sur ton eau brune.
Miroir de AÏsions terribles, où la lune
Jetait les plis glacés de son blême linceul ;
O Saguenay, théâtre effrayant d'un grand drame
Planétaire, sur tes abîmes se penchant.
Dans ce silence, où nul oiseau n'essaie un chant,
Gomme son cœur dut battre, auseulbruit de sa rame !
Où Dieu paraît plus grand, l'homme se sent petit,
Le farouche infini de tristesse l'accable...
Pourtant ton premier hôte, Erèbe inexplicable,
iN'eut point peur, sur tes bords, que sa voix retentît.
Il voulut, pour s'armer d'espoir et d'assurance.
Tandis qu'il sillonnait ton flot d'encre fatal,
Entonner un noël de son pays natal,
Peupler ta solitude avec des mots de France...
Et voilà qu'en effet les chers sons familiers,
Qui, nous rendant l'amour, nous remettent à l'aise.
Soudain, de roc en roc, de falaise en falaise.
Jaillirent, tout autour de lui, multipliés...
Les rives s'animaient, de partout palpitantes...
Des échos, réveillés dans des antres lointains,
Vccouraient^ frémissants. . . passaient. . . puis, plus éteints,
Allaient mourir, là-bas, sur des grèves chantantes...
— 269 —
l]t le couplet fini, succédaient d'autres airs,
D'autres airs en réponse escortaient son sillage ;
C'était, lui scniblait-il, la Patrie en voyage,
Dont les voix par milliers enchantaient ces déserts.
Tous les monls tressaillaient dans leurs rudes vertèbres,
Surpris de s'émouvoir aux accents du rameur :
Lui-même, souriant à son pouvoir charmeur,
Chantait pour conjurer les esprits de ténèbres.
Et les chers mots vibrants roulaient répercutés.
Montaient ou descendaient en torrents d'harmonies,
Et, tout en s'épanchant, les syllabes bénies
Dans son esprit en fête allumaient des clarté^ !
II
Depuis les premiers soirs de France dans ce monde,
Bien des ans ont glissé, Saguenay, sur ton onde ;
Mais nous de même encore, assidus pèlerins,
Nous venons, le cœur plein de l'orgueil le plus tendre,
Saguenay, Saguenay mystérieux, tentendre
Magnifier nos mots de France souverains 1
\ ois, nous venons de loin pour t'honorer ; moi-même,
.l'ai laissé ma maison, là-bas, — tout ce qui m'aime,
Et, pour que nos désirs soient plus vite obéis,
Penchant la coupe pleine, où la mousse scintille^
Saguenay, nous t'ofl'rons, au festin de famille,
Lne libation de vin du vieux pays 1
2-0
Et maintenant reçois, pour qu'elles s'amplifient,
Les implorations que nos cœurs te confient,
L'appel des bénédictions sur notre sang ;
Et jusqu'au fond de tes insondables abîmes,
Comme au granit, aux bois frissonnants de tes cimes,
Répète-les sans lin, fleuve à l'écho puissant 1
— c Dieu veuille protéger la France d'Amérique,
Exalter ce qui dort de forces dans son sein,
Propager, à grands flots de jeunesse lyrique,
Sa vie associée à l'éternel dessein !
c( Puissent sur des sols neufs qu'ont gagnés les charrues,
Partout, pour les couteaux des riches fauchaisons,
Avec une rumeur sourde de vastes crues,
La houle des froments monter aux horizons !
« Puissent sans se tarir, dans les érablières,
Les arbres distiller le baume de leurs flancs 1
Puissent les lents troupeaux des vaches familières
Traîner sur les prés verts leurs pis plus ruisselants 1
{( Puissent, autour du poêle, et les fils et les filles,
Dont le bras doit plus loin refouler les déserts,
Dans le cercle élargi des chrétiennes familles,
Ensemble à l'unisson rajeunir les vieux airs 1
« Qu'avec le creur humain le règne de Dieu croisse.
Avec le Dieu vivant, les fraternels exploits ;
Que plus avant toujours, de paroisse en paroisse,
Sur la croix des clochers luise le coq gaulois 1
— 271 —
" Et tandis que le bronze égrène ses prières,
l'uisseiit, dans la splendeur des soirs victorieux,
Plus d'entants au foyer, à genoux près des mères,
Dire pour le pays l'oraison des aïeux ! »
— ■ Tel pour le Canada reçois notre cantique ;
Tel aussi, Saguenay fidèle et prophétique,
Képèle-le bien haut avec mysticité 1
Seconde-nous de tous tes échos 1 Fais-nous croire
Que nos lèvres n'ont pas sans proht et sans gloire
Lancé les mots de France au Gap Eternité 1
^
^®®®®®.®®^S®®g3!8®®®'
qAux oAzbies ''ëanadiens^.
Au distingué publiciste,
M. Omer Héuoux. .
Arbres, (ils des grands bois aussi vieux que le moude.
Qu'au flanc des monts chenus la hache a massacres,
Vous pourtant qu'un front haut, la racine profonde.
Semblaient rendre deux fois sacrés I
Arbres, dont le torrent déchaîné lit sa proie.
Dont jusqu'au cœur la chair palpitante frémit
Sous les dents de l'acier qui la happe et la broie
Aux moulins de Chicoutimi 1
Arbres du (Canada, martyrs de la patrie,
Vous ne voudriez pas de ces plaintifs émois
Que jadis soupirait sur sa foret meurtrie
Notre Ronsard le Yendômois I
I. Vers dits au Monument ?SatioiiaI, à Montréal, le 8 juilit'l
1912.
Héroïques enfants, dont l'épaisse fourrure
Si longtemps de la mère a défendu le sein,
Dontlhomme a fait tomber la sauvage parure
Pour vous unir à son dessein 1
Non ! vous ne voulez pas des pleurs d'une élégie,
D'ime aveugle pitié sans courage — ô vaillants !
Mais un hymne d'espoir, de joyeuse énergie,
(lomme il en faut à des croyants !
0 fiers sacrifiés qu'ennoblit le supplice,
Vous mourez sans regrets, glorieux et contents ;
Le trépas, n'est-ce point un passage, une lice,
Qui mène à d'éternels printemps ?
Vous mourez, c'est vrai , beaux Arbres, mais pour revivre
Peut-être en belle prose, en beaux vers cadencés,
Pour vous épanouir aux feuillets blancs du livre
En des floraisons de pensers !
\lors, fils qu'a nourris la plus chaste des terres,
Vieux Arbres canadiens, graves dépositaires
Des secrets assoupis dans vos troncs abattus,
Au livre, où le conseil des Sagesses se trace,
\ l'œuvre de l'esprit, tutrice de la race,
Joignez vos natives vertus !
Alors, mieux qu'autrefois sous la rugueuse écorce,
Secourables, — versez à l'âme votre force,
LE CANTIQUE 18
- 27/, -
Voire innocence au groupe liarmonieux des mots ;
A chaque page auguste, où frémissent vos fibres,
Arbres religieux des vastes forêts libres.
Protégez l'homme encor de vos puissants rameaux !
Dans l'hymne du poète, avec vos rudes sèves,
De la fraîche Nature épanchez tous les rêves,
Et ceux de l'aube tendre et ceux du soir vermeil ;
Aux chants de la veillée, aux contes des dimanches,
Offrez tout ce qu'ailleurs ont recueilli vos branches
D'azur, de neige et de soleil !
Régénérez les cœurs dolents 1 Calmez les fièvres !
Distillez vos parfums balsamiques aux lèvres.
Les salubres vigueurs du pur llux végétal !
Enseignez, fils très bons, très simples, de la terre,
Avec l'apaisement des choses — salutaire,
L'attachement indestructible au sol natal 1
Qu'avec vous la jeunesse, Arbres saints, se recueille !
Distribuez-lui, goutte à goutte, feuille à feuille,
Les largesses du ciel dont Dieu vous féconda !
Qu'au livre, où se maintient votre rustique empire,
Dun trait, pieusement, l'àme du peuple aspire
Tout son splentliile Canada !
|M4MmiMIIIIIIIMIIIMIMII^
"PoHE mon (Lac, en ^anaday
Au Iniii (jcotjraplw
de la iioiiDelh' carte
des amitiés françaises
et canadiennes,
M. EuGÎiNli UOUILLAUD.
Mou nom va vivre — o joie — en terre canadienne.
Et la belle pairie, accueillante gardienne,
Parmi ses meilleurs (ils choisit mes compagnons ;
Là-bas, Rivard, Le May, Fréclictle et Crémazie,
Vont enlacer au mien, en (leurs de poésie,
La guirlande de leurs cliers noms !
Moi, j'ai mieux qu'une rue aux cités que l'or londe :
C'est, dans les bois lointains à l'agreste senteur,
Un lacqui semble, ainsi qu'aux premiers joursdu m onde.
Sortir des mains du Créateur !
I. \crsdils à Montréal le 8 juillet 1912.
- .76 -
Mon nom, mon humble nom de mortel éphémère,
Va pour toujours se joindre à cette France, mère
D'un passé de vertus que rien n'a pu ternir !
Mon nom va se confondre, en l'immense ÎNature,
Avec l'eau d'un lac frais, une eau de neige pure,
Source de vie et d'avenir !
Mon nom ne revêt point quelque fier promontoire,
Le roc dur et hautain d'un mont ambitieux ;
Non, il ne lui fallait, paisible et sans histoire.
Qu'un beau lac clair, miroir des cieux I
Gloire douce au poète : être une âme des choses,
Un reflet des matins pâles, des couchants roses,
Ce qui dit des Saisons le salut ou l'adieu ;
Monter dans un rayon, redescendre en rosée,
Sentir à chaque souffle en la vague bercée
La respiration de Dieu !
S'insinuer partout, grâce subtile, force
Qui s'offre inépuisable à tous labeurs humains,
Seconder le réveil des sèves sous l'écorce,
Calmer les soifs au creux des mains !
Voir par l'effort sacré d'un peuple qui défriche
S'épandre autour de soi sur la glèbe plus riche
La bénédiction féconde des semeurs ;
Au vol de l'aviron rythmer sa rêverie.
Croire ouïr les aïeux de la vieille patrie
Passer dans un chant de rameurs !
— '-Il —
Moudre le blé, tremper le ter, blanchir les toiles,
Tout le jour, — puis, à l'heure où brunit l'horizon,
Rallumer dans ses flots les cierges des étoiles
En chuchotant une oraison !...
Puisqu'à de tels destins l'amitié me convie,
Avec vous, Canadiens, aux conquêtes de vie
Où votre ardente foi dit le Siirsum corda.
Puisse, parmi les noms plus hauts de votre Histoire,
Mon humble nom fervent gagner quelque victoire.
Faire aimer plus le Canada !
ERRATA
Lire p. 32, v. l'2 : Puissiez-vous...
— p. 88, pour la dédicace : M. L. A. Lavallée.
— p. 229, dans le titre : Un fils de Lorraine au Canada.
— p. 236, pour la dédicace : Adju^or Rivard.
— p. 268, V. 3 : ou la lune.
Table.
Tgi 7^ 7^ yp Tp 7^ 7^ 7^ 7^ 7^ Tj^ Tj^i 7^ Tfi 7^ y^ 7^ y^ 7^ y^ y^ y^ y^ 7^
^able^.
SONETS DliDIC.VTOlUES,
I. — La Patrie de l'Ame i
II. — Pour notre Langue 3
PREMIERE PARTIE
LES PROLESSES Di: VIEUX PARLER.
I. — La Revanche des Gaules 7
II. — La Fleur française 8
III. — Notre Parole C)
IV. — Préludes lO
\. — Aux Premiers Artisans de la Langue, . . ii
\T — Nos Vieux Mots 12
VII. — Le français de Normandie i3
VIII. — L'Ame des morts i4
IX. — Le Grand Œuvre i5
X. — Le français de Roland 16
XI. — La Conquête de l'Angleterre 17
— 2»2 —
XII, — L'Instrument du Miracle 18
XIII. — Le Défi des Croisés à Constantinoplc . . 19
XIV. — En la Princée d'Achaïe. 30
XV. — Le franrais de Joinville 21
XVI. — Les Enseignements de saint Louis. . . 22
XVII. — La Langue du Droit 2H
XVIII. — « Emprises » pacifiques 2^
XIX. — Sur les lèvres du Chanteur de Dieu. , . 2fi
XX. — Le « Trésor » de Latini 2r>
XXI — Pour le <( Livre des Merveilles ». . . . 27
XXII. — La Divine « Parlure » 28
XXIII. — Les Voix de Jehanne So
XXIV. — La Plainte de Notre-Dame 3i
XXV. — L'Adieu du Trouvère 32
DEUXIÈME PARTIE
L\ GLOIRE DES DEUX FR.VNCES (dE J. CARTIER A MOXTC.VLm).
Au seuil des Nouveaux Ages 3.i
En Amérique :
I. — Au premier Roi du Canada 30
II. — Sur le Mont-Royal 3S
III. — La Prière dans les bois '|i'
Renaissance française :
I. — Pour en faire une Reine V2
II. — Pour la défendre !\!i
1. Mon fils, il ne sied point 44
2. Mon fils, des bons vieux mots 40
3. Veux- tu sacrifier aux Grâces k~
4. Mon fils, ne laisse pas ton toil 48
5. Ecoute encor, mon fils 49
G. Dès qu'un rayon s'argentc 5o
7. Apprète-toi, mon fils ôi
— 283 —
Il F. — Pour l'illustrer 03
I. Certains, de beauté pure ôa
:j. Sois fier de ton parler 54
3. Chante avec moi, mon fils 55
4. (>'ost l'avril de la Langue 50
5. Puisqu'à présent voici le français. ... ô~
IN . — Pour quelques bons Français ilu XV I' siècle. 58
1 . Au « Défenseur » et « Illustrateur » de la
Langue 58
a. Pour le Plutarque d'Amyot 6o
3. Au premier « Capitaine des Cluses »... 6i
Au Grand Siècle 6a
Les Muses en Acadie [ICO^t-lGO/) :
T. — A la France 63
II. — Le Thcàlre de Neptune 65
III. — L'Ordre du Bon Temps 66
IV. — Première Gerbe 67
Dédicace du « Don de Dieu » 68
Le Testament de Chamijlain 70
Conquêtes françaises :
I. — L'Hôtel de Rambouillet 75
II. — Malherbe 77
III. — Balzac 79
IV. — Vaugelas 81
N . — LAcadémie 82
^ I. — En Canada 8A
L'Invocation pour Ville-Marie 85
Les Consolations (Jeanne-Mancc 88
Corneille à Québec 91
Hymne d'un martyr de France (Brébeuf) 9/1
Les dix-sept Xoms 98
Les Adieux d'une Mère (Marie de l'Incarnation). . . . 101
— 28A —
Les Ambassadeurs de Dieu :
I. — Bossuet io4
II. — Fr. de Montmorency-Laval io8
Trophées royaux :
I. — Un procès-verbal 112
II. — Sur le Grand Fleuve ii4
III. — La Carte de Louis Joliiet 116
IV. — L'Acte de prise it8
V. — La Lettre 120
VI. — La « Langue humaine » 122
VII. — Les « Temples vivants » 12^
VIII. — Noblesse canadienne ia6
La malle de M. de Frontenac (1690) 127
La défense de La Vérendrye (i'j\o) 182
Carillon, modèle de victoire française (1758) i36
TROISIEME PARTIE
>'0S VICTOIRES d'aMÉRIQUE (dEPUIS I760).
Noël intime (1760) i43
Dans l'Asile (La lecture du traité, 1768) iA8
Prières canadiennes :
I. — Au Dieu de l'Eucharistie i55
II. — A la vieille Maman défunte i57
Petites Victoires chantantes :
I. — Rondes d'enfants 169
II. — Bonnes berceuses 162
Les Grands Triomphes du Verbe :
I. — i791 (Vers pour Chateaubriand, poète de
l'Amérique) 167
II. — / 792 (Au premier Parlement) 171
— 285 —
m. _ 1806-1831 (La Voix du « Canadien ») . 178
IV. _ 18ft2-i8U9 (Lafontaine — L. Elgin). . 17(3
Les Raisons d'un Franco-Américain 179
f^c Cantique à l'Etoile des Mers iPoèvae \cadien-. . . . 18^
,4 un Louisianais Jidèle 19'
Quator:e inscriptions pour l'Ecole canadienne :
I. — Pour la Maison 197
II. — Pour le Seuil . . .^ I99
III _ Pour le Crucifix 201
IV. — Pour l'Estrade du Mailre 2o3
\ . — Pour la Fenêtre 2o5
VI. — Pour le Poêle 207
VII. — Pour le Tableau noir 209
VIII. — Pour la Carte du Canada 211
IX. — Pour l'Histoire Nationale 2i3
\. — Pour le Livre de français. La Légende
du Doux Parler) 216
XL — Pour une Anthologie canadienne. . . . 218
XII. — Pour un Recueil de Chansons 220
XIII. — Pour le Prix de Parler français. . . . 222
XIV. — Pour l'Ecole Ontarienne 22^
La Croisade du Doux Parler.
Un Fils de Lorraine au Canada. ........ 229
Pour la Société du Parler français 286
Le Doux Parler 289
A u Congrès de 1912 :
I. — Vers le Passé 2^3
II. — Vers l'Avenir. . 203
III. — Pour le « Parler des Aïeux » 261
Pour l'Echo du Saguenay 2G7
Aux Arbres canadiens 272
Pour mon Lac en Canada 27.}
Poitiers. — Société fraii{aise d'lin|>rimciic.
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Université d'Ottawa
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