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Full text of "Le cantique du doux parler"

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U  dVof  OTTAWA 


39003002026^65 


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in  2011  witli  funding  from 

University  of  Toronto 


littp://www.arcliive.org/details/lecantiquedudouxOOzidl 


Le  Cantique 

du  Doux  Parler 


DU  MÊME  AUTEUR 


Le  Hochet  d'or,  poésies  de  la  famille  et   de  l'entance. 
Bibliothèque  du  Petit   Français.  (Librairie  Armand  Colin.: 
La  Légende  des  Ecoliers  de  France.  Bibliothèque 
d'Education  et  de  Récréation.  (Librairie  Hetzel.) 

Le  Livre  de  la  Douce  Vie  (couronné  par  1  Académie 
franLl^e  Prix  Archon-Despérouses  (1901).  Société  fran- 
çaise d'Imprimerie  et  de  Librairie. 

^  La  Terre  Divine  couronnée  par  1  Académie  fran- 
çaise :  Prix  François  Coppéel909).  Société  française  d  Im- 
primerie et  de  Librairie. 

LOmbre  des  Oliviers,  le  problème  de  la  Paix.  (Li- 
brairie Pion.) 

Triomphe  héroïque,  poème  couronné  pour  le  troi- 
sième centenaire  de  Corneille  (1906).  (Librairie  Eugène  Fas- 
quelle.) 

Les  Deux  Frances,  poésies  franco-canadiennes  (Qué- 
bec, 1908) . 

Four  retrouver  l'Enfant  (1911).  (Librairie  Jouve). 


vJ:: 


Gustave  ZIDLER 

DOCTEUR    ES    LETTRES    DE    l'uNIVERS)TÉ   LA\AL 


4*     -t» 


Le  Cantique 
du  Doux  Parler 


PREFACE 

DE 

Thomas    CHAPAIS 

Membre  de  la  Société  Royale  du  Canada 


(Ouvrage  adopté  comme  Prix  de  Parler  frano^i^aLT  le  CoiniKjpermanent 


^ 


du  Premier  Congrès  de  la  Langue^^nçai;|^|^^mérîqj)e) 

^  % 

uOttawa\ 

PARIS  * 

SOCIÉTÉ  FRANÇAISE  D'IMPRIMERIE  ET  DE  LIBRAIRIE 

ANCIENNE    LIBRAIRIE    LECÈNE,    OLDIN    ET    c'*^ 
75,    rue  de  Cliinv,    1ô 


IV4 


A   LAMÉRIOLE    FKAiNÇAISE 

qui  n'a  rien  oublié, 


la  France  qui  sait  se  soiiumir 


yj>  ^1^  w^^  ^|.  -i^  -|j  --^^  ^1^  v.^^  -I-  -7^  -I-  -I-  -^1-  -I-  -4  >  ^1-  o^p 


PRÉFACE 


«=5°       <:^<= 


Un  poète  de  France,  ami  des  Canadiens 


«=*(''       '=?«'       '=*!'= 


Nous  avons  moins  à  présenter  au  public  le 
poète  Gustave  Zidler,  déjà  bien  connu  au  delà 
comme  en  deçà  de  l'Océan,  qu'à  le  saluer  d'un 
bommage  de  sympathique  admiration,  et  à  le 
remercier,  au  nom  du  Canada,  de  1  œuvre  nou- 
velle qu'il  veut  bien  nous  dédier. 

Pour  les  lecteurs  français,  M.  G.  Zidler  est 
l'auteur  justement  apprécié  de  la  Terre  divine,  du 
Livre  de  la  Douce  Vie,  de  l'Ombre  des  Oliviers,  et 
de  ces  poèmes  d'émotion  poignante  et  d'espoir 
vainqueur,  Pour  retrouver  l'Enfant,  que  lui  dicta 
la  douleur  paternelle  illuminée  par  la  foi  chré- 
tienne. Pour  les  lecteurs  canadiens,  il  est  tout  cela 
sans  doute,  mais   aussi  quelque    chose  de  plus  : 


l'auteur  aimé  des  Deux  Frances,  le  barde  patrio- 
tique dont  les  chants  émouvants  ont  fait  vibrer 
les  milliers  d  auditeurs  du  mémorable  Congrès  de 
la  langue  française,  tenu  à  Québec  en  l'été  de  1912. 
Pour  les  uns  et  les  autres,  enfin,  il  est  un  poète 
de  race,  qui  sait  traduire  en  vers  souples  et  mus- 
clés, en  rythmes  variés  et  choisis,  en  images  écla- 
tantes et  précises,  les  pensées  les  plus  élevées  et 
les  sentiments  les  plus  nobles. 

Nous  devons  cependant  signaler  l'attrayante  et 
captivante  singularité  du  présent  recueil  Les 
vers  qu'on  va  lire  sont  écrits  par  un  Français. 
C'est  un  poète  de  France  qui  célèbre  la  Revanche 
des  Gaules,  le  Français  de  Sormandie,  la  «  prompte 
et  rude  étreinte»  des  barons  francs  en  la  Princée 
d'Achaïe.  le  Français  de  Roland  et  celui  de  Join- 
ville  C'est  un  poète  français  qui  évoque  l  llàiel 
de  Rambouillet,  les  «  beaux  vers  immortels,  aussi 
durs  que  l'airain  »,  de  Malherbe;  «  les  vocables 
choisis  »  et  «  l'ample  période  »  de  Balzac  ;  la 
«  gerbe  de  glaneur,  cueillie  dans  la  moisson  des 
mots  ",  de  Vaugelas  ;  la  «  voix  tour  à  tour  d'or, 
de  cristal  et  d'airain  i)  de  Bossuet  ;  la  «  phrase 
conquérante,  à  la  souple  harmonie,  )>  de  Chateau- 
briand Mais  n'est-ce  pas  un  poète  canadien  qui 
fait  revivre  dans  sa  langue  harmonieuse  et  forte  le 
passé  glorieux  du  Canada  français  ",  qui  suit 
«  dans  un  décor  d'admirable  nature,  les   pas  du 


Uécouvreur  sur  des  bords  inconnus  »  ;  qui  nous  le 
montre  agenouillé  devant  la  Croix  et  jetant  aux 
brises  laurentiennes  «  la  prière  du  Christ  en  syl- 
labes de  France  »  ?  N'est-ce  pas  un  poète  cana- 
dien qui  nous  conduit  en  Acadie  et  nous  intro- 
duit dans  la  compagnie  du  Bon  Temps,  où  nous 
rencontrons  Champlain,  Hébert,  le  sire  de  Pou- 
trincourt.  et  Lescarbot,  l'ami  des  Muses,  surtout 
lorsqu'elles  s'appellent  les  «  Muses  de  la  Nou- 
velle France  »  ?  N'est-ce  pas  un  poète  canadien  qui 
nous  redit  le  martyre  de  «  Jean  de  Brébeuf, 
l'apôtre  à  la  fois  doux  et  fort  »  ;  qui  consacre  à 
l'immortalité  les  dix-sept  héros  dont  Dollard  fut 
le  chef,  et  fait  rayonner  d'un  pur  éclat  leurs  dix- 
sept  noms,  «  noms  français,  dans  la  gloire  à 
jamais  triomphants  »  ;  qui  chante  Marie  de  lln- 
carnation  et  Jeanne  Mance,  François  de  Laval  et 
Frontenac,  Jolliet  et  d'Iberville,  Montcalm  et 
Lévis  ;  qui  nous  raconte  en  vers  claironnants  l'é- 
popée de  Carillon,  «  que  les  siècles  diront  un 
miracle  français  »  ?  N'est-ce  pas  un  poète  cana- 
dien qui.  en  quelques  petits  poèmes  exquis,  fait 
collaborer  à  la  survivance  et  à  la  conservation 
nationales  nos  chères  chansons    populaires?... 

Nous  avons  donc  ici  deux  poètes  en  un  seul,  ou 
mieux  un  poète  à  deux  muses,  la  muse  française 
et  la  muse  canadienne,  dontlessouftles  s'unissent^ 
dont  les  inspirations  se  confondent  et  font    de  ce 


livre  l'hymne  du  verbe  de  la  vieille  et  douce 
France,  répercuté  au  delà  des  mers  par  tous  les 
échos  de  la  France  Nouvelle. 

Henri  de  Bornier,  dans  une  œuvre  dramatique 
où  les  superbes  alexandrins  abondent,  a  écrit 
celui-ci,  qui  nous  semble  le  plus   beau  de  tous  : 

Tout  homme  a  deux  pays,  le  sien,  et  puis  la  France. 

Ce  vers  admirable  n'a  nulle  part  été  plus  applaudi 
que  dans  le  Canada  français.  C  est  pour  nous 
surtout  qu'il  est  vrai  et  d'une  réalité  vivante.  Et 
lorsqu'on  nous  le  redit,  nous  sentons  quelque 
chose  s'émouvoir  en  nous.  Ah  !  oui,  nous  avons 
deux  pays  :  le  nôtre,  notre  Canada  au  passé  plein 
de  gloire  et  à  l'avenir  plein  de  promesses  ;  et  puis 
la  France,  l'ancienne  mère-patrie,  séparée  de  nous 
par  la  nouvelle  allégeance  à  laquelle  nous  sommes 
fidèles,  et  demeurée  pourtant  la  patrie  de  nos 
intelligences  et  de  nos  cœurs.  Mais  pourquoi,  en 
parlant  de  M.  Zidler,  ce  vers  si  heureusement 
Irappé  nous  est-il  revenu  à  la  mémoire  ?  N'en 
voyez-vous  pas  la  raison  très  évidente  ?  C'est  que 
notre  cher  poète  a  voulu  le  refaire  à  sa  façon  et 
prouver  qu'un  Français  peut  avoir  aussi  deux 
pays,  le  sien  et  puis  le  Canada. 

Le  sien  !  cette  France  glorieuse  et  douce,  secou- 
rable  aux  faibles  et  redoutable  aux  forts,  mission- 


M 


naire  de  la  vérité  et  bouclier  du  droit  ;  celte 
héroïque  et  rayonnante  porteuse  de  flambeau, 
avec  quelle  admiration  passionnée  il  suit  les 
traces  de  son  lumineux  passage  à  travers  les 
siècles,  et  avec  quelle  exultation  filiale  il  prête 
l'oreille  aux  échos  immortels  dont  son  Verbe  a 
rempli  le  monde  '.Tout  le  génie  de  la  France  revit 
en  ce  livre,  que  l'on  ne  peut  feuilleter  sans  qu'il 
s'en  échappe  à  chaque  page  des  rayons  de  gloire 
française. 

Et  le  Canada  !  Comment  M.  Zidler  a-t-il  pu  se 
saturer  ainsi    de  son  histoire,  s'inféoder  ses  tra- 
ditions, pénétrer  jusqu'au  plus  intime  de  son  être, 
s  adapter  à  sa  pensée,  à  ses    douleurs,  à  ses  allé- 
gresses, et  le  suivre,  sans    s'égarer,  dans    la  com- 
plexité de  ses  vicissitudes  nationales  ?  On  1  a  dit, 
Tauteur  de  ces  poèmes  sest  fait  une    âme  cana- 
dienne. Il  s'est  penché  sur  nos  annales,  il  a  com- 
pulsé nos  chroniques  ;    il  a  fait  plus  que  les  lire, 
il  les  a  comprises,  il  en  a  absorbé  la  substance  et 
l'esprit.  Et  enfin,  ému  jusqu'au  fond  de  son  cœur 
de  poète  et  de  patriote  par  la  trilogie  sublime  de 
notre  naissance,  de  notre  croissance  et  de    notre 
survivance,  il  nous  a  aimés. 

Ce  livre  est  un  livre  d'amour.  Amour  de  la 
vieille  France  et  du  verbe  prestigieux  dont  les 
nations  ont  reconnu  la  primauté  glorieuse. 
Amour  de  la  France  Nouvelle,  qui  est    une  pro- 


longation  et  une  expansion  de  l'ancienne,  et  qui 
conserve  à  son  doux  parler  une  si  large  sphère 
d  influence  et  d'action  sur  la  terre  d'Amérique. 

Devons-nous  ajouter  que,  dans  ce  recueil,  l'exé- 
cution est  à  la  hauteur  de  l'inspiration  ?  Partout 
le  vers  robuste  et  agile,  majestueux  ou  rapide, 
allègre  ou  grave,  traduit  avec  précision  toutes  les 
nuances  de  la  pensée.  L'œuvre  patriotique  est 
doublée  d'une  œuvre  d'art. 

C'est  donc  pour  nous  une  joie  et  un  honneur 
que  de  souhaiter,  le  premier,  la  bienvenue  à  ce 
livre  en  même  temps  français  et  canadien.  Nous 
sommes  assuré  que  dans  les  deux  patries,  dont  il 
redit  les  gloires,  il  rencontrera  l'accueil  enthou- 
siaste que  mérite  une  haute  conception,  exprimée 
dans  une  langue  harmonieuse  et  éloquente. 

Thomas    Chafais. 
Québec,  9  janvier   1914. 


^       fî       95 


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SONNETS  DEDICATOIRES 

^z     »J/     «^ 


^a   ^Patzie  de  l  oAme, 


Pour  1  "œuvre  du  «  Rullieinenl 
français  en  Amérique  ». 


Deux  pèlerins  vaillants,  dont  les  jours  s'ignorèrent, 
Dans  les  déserts  du  monde  avaient  longtemps  marché. 
Lorsqu'un  soir,  lourds  et  las,  leurs  pas  se  rencontrèrent 
Près  de  la  source  pure  où  filtre  un  flot  caché. 

L'un  dit  :  «  Que  Dieu  vous  garde  au  seul  vrai  bien  cherché  !  » 
L'autre  :  «  Puisse  à  tout  mal  le  Maître  vous  soustraire  !  » 
—  Et  chacun  d'eux,  ravi,  pour  l'étreinte  penché. 
Tendit  ses  bras  vers  l'autre  en  s'écriant  :  «  Mon  frère  !  » 

LE    CASTIQfU  1 


A  sciilendre,  ils  croyaient   rentrer  dans  leur  maison, 
Revoir  le  ciel  natal  et  son  clair  horizon  ; 
Et  c'était  grande  fête  en  leur  âme  attendrie. 

C'était  au  vieux  loyer  le  charme  du  retour  1... 
—  Vive  donc  notre  cher  doux  Parler,  la  patrie 
Où  nos  cœurs  s'unissant  fleurissent  dans  l'amour  ! 


Il 
^ouz  notze  gangue. 


A  la  jeune  France  d'Amérique. 

Pour  notre  Parler,  doux  comme  un   baiser  de  mère, 
Pour  notre  français,  simple  et  gai  comme  un  bonjour, 
Qui  nous  emplit  le  cœur  et  l'esprit  de  lumière... 
Enfants,  disons  ensemble  un  bel  hymne  d'amour  ! 

Disons  ensemble,  enfants,  un  chant  de  gratitude 
Pour  tous  ces  mots  si  prompts,  frères  de  nos  pensers, 
Où  pense,  où  parle  encor  la  sainte  multitude 
De  nos  communs  parents  qui  les  ont  prononcés  ! 

Ln  chant  ne  suffit  pas  :  disons  une  prière 

Pour  l'aieule  au  si  fin  sourire,   l'ouvrière 

De  tant  de  fiers  travaux,   de  tant  d'exploits  sauveurs  ! 

Pour  notre  Langue  —  grâce  et  joie  et  délivrance  — 
Disons,  disons,  enfants,  de  toutes  nos  ferveurs 
Un  cantique  d'amour,  de  gloire  —  et  d'espérance  ! 


Leô  Proueôôeô 

du   Vieux   ^atler 

(DES  ORIGINES  AU  XVe  SIÈCLE) 


A  la  Société  du  «  Parler  français 
au  Canada  »,  et  à  l'éminent 
philologue,  son  Président, 
M.  Adjutor  Rivard  ; 

A  tous  les  «  amés  et  féaux  » 

sujets  de  «  Sa  Majesté 

La  Langue   Française.   » 


t4'rM'fM^4'^4'-M'>M'^4'>±4'^4h 


(La  Revanche  deô  %jaiileô. 


Vercingétorix,  Chef  des  Forts,  dans  un  silence 
Magnifique,  victime  expiatoire,  a  dû. 
Aux  pieds  du  Proconsul  jetant  armure  et  lanee. 
Genoux  ployés,  offrir  aux  fers  son  bras  tendu. 

Lui-même  il  s'est  livré,  rançon  de  la  défaite... 
Mais  non  !  —  César  vainqueur  eut  beau  dicter  ses  lois  : 
Tu  n'avais  pas  menti,  noble  héros,  prophète 
D'universel  empire  à  ton  peuple  Gaulois  ! 

Car  voici  que  tes  fils,  dans  la  langue  romaine, 

A   leur  tour  conquérants,  s'ouvrent  un  fier  domaine. 

Qu'ils  vont  d'un  dur  labour  soumettre  à  leur  façon  ; 

Et  dans  l'aube  nouvelle  au  triomphal  cantique. 
Libre,  —  du  champ  latin,  lourd  d'une  autre  moisson. 
Monte  vers  le  soleil  l'alouette  celtique  ! 


^^^^^^^^^^^^^^^$$^^^^^ 


II 


^a  (ffleuz  fzançaiôe. 


Vne  fleur  naît  parfois  des  ruines C'est  là 

Qu'ont  régné  des  palais,  des  tours  pyramidales, 
Le  temple,  où  l'Univers,  secouant  ses  sandales, 
A  Rome,  aux:  Césars-dieux,  si  longtemps  immola  ; 

Mais  les  autels,  les  arcs  triomphaux,  tout  croula 
Sous  la  torche  et  le  fer  des  Goths  et  des  \'andales. 
Et  l'herbe,  qui  verdit  le  marbre  blanc  des  dalles. 
Nourrit,  un  soir  de  mort,  les  chevaux  d'Attila. 

Et  maintenant,  aux  fûts  des  colonnes  brisées. 
Dans  des  senteurs  d'oeillet  sauvage  et  de  rosées. 
Monte  la  grâce  enlaçante  du  liseron... 

—  Telle,  après  la  rumeur  barbare  qui  s'apaise, 
Sur  tes  débris  confus,  Langue  de  Cicéron, 
Une  fleur  exquise  a  souri,  la  fleur  française  ! 


III 


SN^oize  ^azole. 


Parabole,  parole. 

Ils  s'en  venaient,  nos  saints  Apôtres,  par  les  bourgs, 
Défricheurs  de  la  terre  et  défricheurs  des  âmes  : 
Toute  faiblesse  —  enfants,  esclaves,  pauvres  femmes  — 
Leur  dut  l'Espoir  des  cieux  et  le  pain  des  labours. 

Ils  s'en  venaient,  parmi  le  peuple  famélique, 
Au  fond  des  cœurs  dolents  sous  tant  de  jougs  si  lourds, 
Pour  la  haute  moisson  des  plus  pures  amours, 
Semer  partout  la  Parabole  évangélique... 

—  Et  depuis  ce  temps-là,  du  manant  au  seigneur, 
La  parole  fut  sainte  et  s'appela  «  d'honneur  »  : 
Parole  de  chrétien  n'est  menteuse  ou  frivole. 

Quelque  chose  y  doit  vivre,  à  la  fois  noble   et  doux, 
Et  la  voix  se  fait  grave,  en  songeant  que  chez  nous 
Ta  Parabole^  ô  Christ,  sacra  notre  parole  ! 


IV 


^zéludeô. 


Les  matins  printaniers  ont  des  réveils  charmants. 
On  sent  dans  la  nature  une  joie,  une  envie 
De  s'épandre  au  dehors...  Pour  saluer  la  vie, 
Les  oisillons  partout  essaient  leurs  pépiements  : 

Notes  frêles  d'abord,  vagues  balbutiements, 

Où  pour  des  airs  plus  beaux  ensemble  on  se  convie. 

Redites  et  fredons  sans  cadence  suivie, 

Mais  où  rit  la  rosée  en  perles  par  moments. 

Déjà,  dans  ce  premier  concert,  naïve  ébauche, 
Malgré  l'on  ne  sait  quoi  d'hésitant  et  de  gauche, 
Se  révèlent  de  purs  chanteurs  mélodieux... 

—  Du  printemps  de  la  langue  emblématique  image 
On  l'entend  préluder  aux  lèvres  des  aïeux 
Avec  la  gentillesse  heureuse  d'un  ramage. 


d/lnx  pzemiezô  oAitiôanô 

de  la  (Langue, 


Qui,  brassant  du  latin  la  matière  sonore, 
Fit  au  trésor  français  passer  tant  d'écus  fiers  ? 
Où  sont  les  ouvriers  des  mots  dont  je  me  sers  !' 
Que  ma  voix  les  salue  et  mon  cœur  les  honore  ! 

C'étaient  de  pauvres  gens,  ni  barons  ni  fins  clercs  : 
Mais  d'un  libre  génie  ils  surent  faire  éclore 
Ces   sons  qu'un  souffle  anime  et  que    l'esprit   colore. 
Courts,  faciles,  légers,  —  nos  vocables  si  clairs. 

C'étaient  gens  de  petit  métier,  dans  quelque  échoppe, 
Qui  poussaient  le  marteau,  la  lime  ou  la  varlope... 
—  Et  donc,  je  vous  bénis,  créateurs  ingénus. 

Vous,  du  parler  natal  les  simples  grands  orfèvres, 
Et  je  vous  chante,  ô  mes  vieux  maîtres  inconnus. 
Qui  respirez  encore  et  chantez  sur  mes  lèvres  ! 


VI 


HS^oô  vieux  moiô. 


. .  .Et  les  mots,  sans  effort,  pour  tout,  comme  un  délice, 
Jaillissaient  de  ces  cœurs  si  riches  d'ignorants, 
Pour  l'honneur,  la  pitié,  les  rêves  les  plus  grands, 
Comme  pour  le  déduit  et  la  fine  malice... 

Oh  !  les  chers  mots  si  drus,  si  loyaux  et  si  francs, 
Sous  la  cotte  maillée  ou  la  longue  pelisse, 
Les  jolis  mots  vaillants  et  parés  pour  la  lice, 
Prestes,  courtois,  avec  des  airs  de  conquérants  !... 

Si  beaucoup  dans  l'oubli  dorment,  qui  devraient  vivre, 
Combien,  qu'une  jeunesse  infatigable  enivre. 
Gardent  à  notre  souffle  une  fraîche  couleur  ! 


Combien  disent  encor  nos  saintes  ascendances  ! 
Combien,  vieux  compagnons  de  joie  ou  de  douleur 
Peuvent  nous  chuchoter  d'intimes  confidences  ! 


rM^J^mi^.^î^M^i^^J^^^SSÈfMf^hr^^ 


VII 


^e  ftançaiô  de  SNiozmandie. 


J'ai  lu  tout  ce  long  soir  du  bon  patois  normand. 

—  Et  j'ai  revu  la  cour  herbée  et  ses  aiunailles, 

Sous  les  pommiers  raiisants,  où  cliichentles  poulail/cs. 
Les  vieuillotes  de  fein,  les  tréziaux  de  Journient, 

La  mounièt'ek  làfeiix  allant  sur  sAJeinent, 

Et  le  menestrieux  des  repas  d'épousailles, 

Où  la  neiiche  à  plein  piot  arroase  les  màquailles... 

—  Et  tout  ainsi,  comme  au  vieux  temps,  naïvement, 

De  mot  en  mot,  de  page  en  page  du  cher  livre. 
Mon  village  en  sabots  à  mes  yeux  paraît  vivre... 
0  bon  français  rustique,  à  t'écouter  ce  soir 

Il  me  vient  de  là-bas,  dans  tout  ce  que  tu   nommes. 

Avec  la  voix  des  gens  et  les  bruits  du  pressoir, 

Des  parfums  d'herbe  moite  etdes  senteurs  de  pommes... 


YIII 


(L'oAme  deù  oMottô. 


Nos  Morts  parlent    en  nous   et  nous  pensons  par  eux. 
Les  mots  de  nos  discours,  le  sang  de  nos  artères, 
D'ancêtres  très  lointains  nous  font  les  tributaires  ; 
Mais  ce  sang  et  ces  mots  nous  gardent  «  généreux  ». 

Faisons  parler  nos  Morts  !  Des  sons,  dépositaires 
De  la  race,  restons  les  fervents  amoureux  ! 
Et  nous  nous  sentirons  des  vaillances  de  preux 
En  écoutant  monter  leurs  grandes  voix  austères  ! 

Parlons  français,  le  cœur  tout  orné  des  festons 
De  nos  proverbes  fiers,  de  nos  braves  dictons  ! 
Qu'on  reconnaisse  encor  l'ancien  arbre  à  sa  tige  ! 

Vieux  poètes  sans  nom,  qu'un  beau  souffle  inspira, 
Répétez-nous:  u  Bonsangnemenl  !...  Noblesseoblige! ,. 
Fais  ce  que  dois  toujours,  advienne  que  pourra  !...  » 


^^^^^^^^*^^^^^^^^^^ 


IX 


(ije  giand  t^iivze. 


Oui,  c'est  très  beau  d'avoir  vaillamment  acheté, 
Chevaliers-preux,  avec  votre  épée,   ouvrière 
De  justice,  sans  peur,  sans  un  pas  en  arrière. 
Un  royaume  d'honneur,  fleur  de  la  chrétienté. 

l'^t  c'est  aussi  très  beau,  nobles  tailleurs  de  pierre, 
D'avoir  d'un  commun  rêve,  en  plein  ciel,  exalté 
\  ictorieusement  l'àme  de  la  Cité 
Par  les  deux  tours  de  la  Cathédrale  en  prière  ! 

Mais  que  dire  de  ceux  qui,  dans  l'enchantement 
D  un  parler  neuf,  au  seuil  des  siècles,  finement 
Exprimèrent  la  France  et  son  âme  fleurie  i' 

Ne  méritent-ils  pas  qu  on  leur  dresse  un  autel. 
Ces  obscurs  créateurs  d'un  langage  immortel, 
Qui  firent  les  premiers  la  voix  de  la  Patrie  ? 


;f>^imii^^;?mjfimfii^ 


(ijC  fiançais  de  Roland. 


Mielz  voeill  mûrir  qu'à  hunlage  reuiaigiie 
Terre  de  France,  mult  estes  dulz  païs  ... 


Du  fond  des  temps  lointains  nous  t'écoutons,  Roland. 
Beau  maître  de  l'Honneur  français,  noble  victime, 
Dont  le  cœur  bat  si  pur  sous  le  haubert  sanglant. 
Dire  :  Mieux  vaut  mourir  que  fuite  et  mésestime  ! 

Nul  n'aima  son  pays  d'un  amour  plus  brûlant  : 
Répète-nous  que  France  est  douce,  ô  Magnanime, 
Et  nomme,  nomme  encore,  expirant  et  râlant, 
M  France  douce,  la  belle  »,  en  ton  adieu  sublime  ! 

Parle-nous,  parle-nous  souvent,  mon  fier  seigneur. 
De  tes  trois  grands  amours  :  Dieu,  la  France  et  l'honneur  ! 
Â.pprends-nous  dans  l'épreuve  à  garder  l'espérance, 

A  mettre  la  vertu  plus  haut  que  le  succès... 

Et  devant  tout  péril,  exemple  de  vaillance, 

Qu'avec  loi,  comme  toi,  nous  parlions  bien  français  ! 


XI 


^a  Conquête  de   rcAngletezte. 


Hastings  1  Senlac  !  ...0  jour  de  deuil  et  de  rancœur  I 
Le  fils  du  duc  Robert  et  de  la  pauvre  Ariette 
De  Falaise,  Guillaume  «  à  la  grande  vigueur  », 
A  saisi  l'Ile  Blanche  entre  ses  bras  d'athlète. 

Sur  les  morts,  qu'entassa  la  lance  ou  l'arbalète, 
Les  femmes  ont  penché  leur  lamentable  chœur. 
Et,  sous  un  ciel  de  feu  qu'un  lac  de  sang  reflète. 
La  mère  a  pour  son  fils  supplié  le  vainqueur... 

—  Depuis,    le  libre  Anglais,  retraversant  la  Manche, 
A  su  plus  d'une  fois  s'octroyer  sa  revanche... 
Mais  aux  vieux  conquérants  il  paie  encor  rançon. 

Comme  au  cœur  de  la  place  une  héroïque  bande. 
Les  anciens  mots  français,  mêlés  aux  mots  saxons, 
Sonnent  partout  sans  fin  la  victoire  normande  ! 
r.F.  CANTiQriî.  2 


XII 


(ij'(tnsttument  du  mizacle. 


«  Les  gestes  de  Dieu  par  les  Francs  ». 

Tout  l'Occident  debout,  aux  routes  de  Syrie 
Se  ruant  sous  la  Croix,  vilains,  clercs,  chevaliers. 
Et  sur  les  gonfanons  au  vent,  sur  les  milliers 
De  lances  en  rumeur,  le  même  Espoir  qui  crie  : 

«  Dieu  le  veut  !  Dieu  le  veut!  ...»  Tous  les  maux  oublies 

Vaincus,  la  soif  de  feu,  la  peste  ou  la  tuerie... 

Solyme  enfm  soustraite  à  la  «  mahomerie  », 

]*]t  le  Tombeau  du  Christ   conquis  sur  ses    geôliers  ! 

Miracle  de  la  Foi  !  —  Mais  qui  poussa  ces  âmes  ? 
Aux  cœurs  des  plus  grossiers  qui   mit  ces  pures  flammes 
Qui  sut  les  exaller  pour  l'œuvre  surhumain. 

Et  d'un  si  bel  arroi  mener  la  sainte  guerre  ? 

—  Par  Pierre  l'humble  Ermite  et  le  grand  Pape  Urbain, 

C'est  toi,  cher  vieux  français,  pauvre  «  langue  vulgaire» 


%^^^^^^^^^^^^^^^^^ 


XIII 


(Le   T>éfi  deô    ^zoiôéô 

à  ^onôiantinople  (1204). 


Des  messagers  de  l'Ost.l'épée  à  la  ceinture, 
De  langue  bien  armés,  —  vinrent,  n'étant  que  six. 
Au  palais  de  Blaquerne,  à  la  cour  d'Alexis, 
Pour  le  semondre,  —  en  fort  périlleuse  aventure. 

Là,  devant  toutes  gens  elle  prince  et  son  fils, 
Quesnes,  bon  chevalier  du  pays  de  droiture, 
Osa,  leur  reprochant  mensonge  et  forfaiture, 
Lancer  au  nom  des  Francs  le  plus  fier  des  défis  ! 

Ce  fut  grande  merveille  à  tous  et  grand  outrage... 
Mais  vite,  derrière  eux  laissant  gronder  l'orage. 
Au  camp  sur  leurs  chevaux  les  six  s'en  sont  allés. 

Joyeux  d'avoir  bravé  les  Grecs  et  la  fortune. . . 
Qu'auraient  craint  si  beaux  preux  et  si  bien  emparlés, 
Geoffroi  de   Ville-Hardouin  et  Quesnes  de  Béthune  .•* 


^§?s§^s§§§^s§^s§s§-s^§§§§ss§§g 


XIV 


^n  la  «  pdncée  »  d'oAchaïe. 


«^^^I^^^^^MA^ 


Un  jour  le  pays  grec,  comme  un  fief  de  haut  prix, 
Subit  des  barons  Francs  la  prompte  et  rude  étreinte. 
Et  sur  tous  ses  sommets,  marqués  de  leur  empreinte, 
Dressa  castelset  tours,  donjons  et  grands  pourpris. 

Et  là  l'on  menait  vie  heureuse  et  sans  contrainte 
Par  tournois,  jeu  des  corps,   et   vers,  jeu  des  esprits, 
Et  partout,  chez  les  ducs  d'Athèoe  ou  de  Corinthe, 
On  parlait  galamment  français  comme  à  Paris... 

C'étaient  aussi  souvent  chevauchée  ou  bataille  : 
Et  devant  ces  guerriers  de  gigantesque  taille, 
Ces  glaives  fulgurants  jaillis  hors  des  fourreaux, 

Homère,  s'éveillant  des  morts  dans  l'allégresse, 

Disait  :  «  J'aurais  plaisir  à  louer  ces  héros  1 

«  La  France  a  ramené  les  temps  d'Achille  en  Grèce  I  » 


XV 


(Le  fzançaiô  de  Joinville. 


Bon  Sénéchal,  trésor  d'histoires  qu'on  savoure, 
Causez  au  coin  du  feu   dans  votre  u  biau  chastel  » 
Que,  sous  nos  yeux  contents  levée  à  votre  appel, 
De  vos  vieux  souvenirs  la  foule  aimable  accoure  ! 

Contez-nous,  au  hasard  d'un  récit  immortel, 
A  os  tribulations  d'outre-mer,  la  Massoure, 
Le  j\il,  le  feu  grégeois,  vos  peurs,  votre  bravoure, 
Le  songe  où  le  saint  Roy  vous  demande  un  autel... 


Joignez  à  tous  ces  «  dits  »  la  grâce  et  la  malice  ; 
Comme  aux  tapis  sarrasinois  de  haute  lice, 
Semez  de  votre  esprit  la  joie  et  les  couleurs  I 

Montrez-nous  comment  jeune,  en  dépit  de  vieillesse, 
Toujours  aise  et  léger,  vite  essuyant  ses  pleurs,  . 
Le  naïf  champenois  jase  avec  gentillesse  ! 


XVI 


^eô    «  (Enôeignementô   » 

de   ôaint  ^ouiô. 


Il  parlait,  sagement,  gravement,  comme  on   prie, 
Prêchant  l'amovir  du  juste  et  l'horreur  du  péché, 
Qui  nous  suit,  disait-il,  à  notre    âme  attaché, 
Pire  que  tout  «  méchef  »  et   que  «  mésellerie  ^   ». 

Il  faisait  de  Vertu  sa  royale  duché, 

D'Aumône  aux  plus  «  chétifs  »  sa  haute  seigneurie, 

Prince  d'Humilité,  fleur  de  Chevalerie, 

Mort,  les  yeux  vers  le  ciel,  sur  la  cendre  couché... 

0  droiture  1  ô  candeur,  souriant  sans  contraintes, 
Comme  un  bon  livre,  enluminé  d'images  saintes  !  i 

0  mots  divins  :  «■  Bénis   soient  tous  les  apaiseurs  !  »      ' 

0  voix  de  son  esprit,  qui  conservent  sa  flamme  ! 
O  plus  noble  français  et  plus  riche  en  douceurs 
D'avoir  d'un  tel  «  prud'homme  »  exprimé  la  belle  âme  ! 

I.  Lèpre. 


%?  ^-'  %tr  ^  %tr  Tîur  V»  ^p  ^  %tr  W  "^  "W  ^»-'  '*»s'  "Y"  ^"'  ^/•"' 


XVII 


(La  langue  du  IJtoit. 


Sur  parchemin,  dans  l'or  des   rubriques  précises, 
Les  Seigneurs,  compagnons  subtils  de  Godefroy, 
Sous  la  garde  du  Christ  et    sous  le  sceau  du  Roy, 
Pour  la  première  fois  fixèrent  les  «  assises  »... 

Jean  d  Ibclia.  là-bas,  et  chez  nous  Beaumanoir. 
l'urent  doctes  «  plaideurs  »,  fort  experts  aux  Usages, 
Et  le  français  bien  net,   avec  ces  «  hommes  sages    ». 
Parla  pour  toutes  gens  du  droit  et  du  devoir. 

—  Et  voici  que  la  Loi  qui  s'écrit  —  sous  la  plume 
S'humanise  ;  le  texte  adoucit    la  Coutume, 
Et  j'aime  vous    entendre,  ô  bailli  de  Clermont, 

Déjà  peindre  un  bon  juge,  et,  non  sans  poésie. 

Joindre  à  la  loyauté  grave    d'un  Salomon 

Ces  françaises  vertus  :  »  douceur  »  et  u  courtoisie    ». 


XVIII 


«  ^mptiôeô  »  pacifiqueô. 


Mieux  que  Robert  Guiscard  ou  que  le  duc  Guillaume. 
—  Car  le  fer  s'use  vite  et  se    brise  en  tronçons  — 
\ous  saviez,  o  jongleurs,  trouvères  du    royaume 
De  France,  subjuguer  la  terre  à  vos  chansons. 

^  ous  n'aviez  nul  besoin  de  la  lance  ou  du  heaume  ; 
Maisles  châteaux  s'ouvraientdevantvoussans  soupçons, 
Et  tandis  que  vos  vers  aux  cœurs  fdtraient  leur  baume. 
Les  hanaps  s'égayaient  du  vin  des  échansons. 


L'Europe,  sans  frontière,  applaudissait  ravie, 
Et  la  grave  Allemagne,  et  la  Scandinavie, 
Et  Palerme,  et  Venise,  et  le  pays  hongrois.. 


Et  pour  la  France   ainsi,  par  la  gloire  féconde 

De  Tristan,  Lancelotou  Perceval,  —  ô  rois 

Du  beau  Rêve,  —  en  chantant  vous  conquériez  lemonde  ! 


\IX 


^uz    le 6  Vevzeô 

du  «  "Chantent  de  "Dieu 


Quand  saint  François,  dit-on,  par  Jésus  visité, 
Sur  les  chemins   pierreux  de  la  marche  d'Ancône 
Allait  chantant,  \ètu  du  manteau  de  l'aumône, 
Pèlerin  de  l'Amour  et  de  la  Pauvreté, 

Soit  que  de  sa  main    prompte  il  bâtît  des  églises, 
Soit  qu'il  eût  versé  l'eau  sur  les  pieds  du  lépreux, 
L'hymne  de  fête,  enfant  de  son  génie   heureux. 
Mêlait  des  mots  français  au  cantique  des  brises  ; 

Et  c'est  ainsi  d'abord  qu'il  loua  dans  son  cœur 

Son  frère  le  Soleil  et  la  Lune  sa  sœur... 

—  Si  donc  le  Saintd'Assise,  aux  heures  solennelles. 

Pour  la  langue  de  France  oubliait  sa  cité, 

C'est  qu'il  ne  trouvait  pas  de  paroles  plus  belles 

Pour  peindre  la  douceur,  la  joie  et  la  clarté  ! 


XX 

(iy^  «    '^zédoz  »   Je  (Latini. 


Un  vieux  livre  souvent  plaît  mieux  que  cent  nouveaux . . . 
—  Pour  devenir  u  prud'homme  »  et  riche  en  «  sapience  » , 
J'ai  repris  ce  «  Trésor  »  de  si  «  grande  vaillance  », 
Où  le  maître  de  Dante  entassa  ses  travaux  : 

Vrai    «  trésor  »,  en  effet,  d'histoire    et   de  croyance, 
Où  tout  vit,  terre  et  ciel,  astres    comme  animaux. 
Les  Ames  et  les  corps,  les  choses  et  les  mots, 
Et  les  Vertus,  joyaux  de  bonne  Conscience. 

Mais  surtout  —  ce  qui  garde  à  l'auteur  son  pouvoir, 
C'est  que  l'œuvre  de  Dieu,  ce  qu'il  en  crut  savoir, 
Dans  un  livre  français  il   le  voulut  inclure  ; 

Et  mon    cœur  bat,  tout  fier,  maître  Brunet-Latin, 
Quand  vous  jugez  déjà,  vous,  docte  Florentin, 
Notre  français  la  plus  délitable  parlure  ! 


■^^  *^^  *^^  '*^*'  *^*'  *^^  ^^^  ^^^  ^^*  ^^*  ^^^  '^^^  '^^^  "^^^  '^^*'  '*^^  '^^^  '^^^ 


XXI 

''PoHt  le(Lwie  deù  cMezveilleù  (i2g8). 


Or, sachez  tous  qu'au  temps  de  sa  «  chétiveté  *  », 
A  Messire  Rusta,    son  compagnon  de   veilles, 
Marc  Pol,  bon  citoyen  de  Venise,  a  dicté. 
Sans  mensonge  et  sans  art,  ce  Livre  des  Merveilles. 

Et  sachez  qu'il  apprit  ce  que  jamais  oreilles 
N'ouïrent,  en  la  cour  du  Grand  Khan  —  «  moult  festé  », 
Qu'avec  la  Perse  et  l'Inde  aux  cités  non  pareilles, 
11  vit  Caracoron,  la  reine  du  Cathay. 

El  sachez  bien  qu'Asie  en  richesses  abonde, 

Mais  qu'il  vous  peut  de  là   mener  plus  loin  encor. 

Où  l'extrême  soleil  paraît  sortir   de  l'onde, 

\oir,  en  la  mer  de  Cim,    Sypangu,  l'Ile  d'or... 
—  Et  sachez  que  Marc  Pol  fit  en  français,  d'abord. 
Connaître  au  monde  entier   les  Merveilles  du  Monde. 

I .  Captivité. 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^ 


XXII 


La  divine  «  pazlute  ». 


«Dieu  fit  le  français  si  doux  et 
aimable  principalement  à 
l'honneur  et  louange  de 
Lui-même...  »  (L'auteur  de 
Manière  de  Language,  à 
Bury-St-Edmund's.  1396). 


Et  le  genlil  français,  à  la  cour  favori, 
Parla,  dicta  les  lois,  ou    chanta    le  poème  : 
C'est  lui  qui  trois  cents  ans  garda  le  diadème, 
Roi  de  Londres,  d'Oxford  et  de  Cantorbéry... 

Et  c'est  plaisir  d'entendre  un  maître  anglais,  qui  l'aime 
Et  veut  que  nous  l'aimions,  dire  tout  attendri  : 
((  Dieu  t'a  fait,  doux  français,  si  doux    et  si  fleuri, 
«  Pour  que  tu  serves  mieux  à  L'honorer    Lui-même. 


—  29  — 

u  Pour  ta  grande  douceur  et  ta  grande  beauté 

((  Il  sied  qu'on  te  compare  au  langage  des  Anges  ...  » 

—  O  bon  vieux  maître  anglais,  avec  joie   écouté, 


Du  français  reviens  donc  soutenir  la  fierté. 
Prouver  qu'en  son  essor,  digne  de  tes  louanges. 
Il  reste  un  parler  cher  à  la  Divinité  ! 


^ 


XXIII 

(Leô  %^oix  de  Jehanne. 


Un  clair  midi  d'été,  chez   Jeanne,  à  Domrémy, 
Comme  une  cloche  au  loin  lançait  son  espérance, 
L'Archange  se  montra  dans  une  transparence 
Radieuse,  et  son  cœur  d'enfant  avait    frémi. 

K  Vois  la  pitié,  dit-il,  au  royaume  de  France  : 
«  Jeanne,  il  faut,    de  par  Dieu,  bouter  hors  l'ennemi. 
M  Rendre  au  gentil  Dauphin  son  sceptre  raffermi... 
«  Pars  sans  crainte  accomplir  l'œuvre  de  recouvrance.  » 

—  Etdepuis,  en  tous  lieux,  tous  combats,  —  sans  défaut. 
Elle  avait  entendu  ses  «  frères  »  de  Là-Haut 
L'avertir  et  l'aider  dans  sa  tâche   immortelle... 

Lorsqu'on  lui  demanda  plus  tard,  dans  son  procès, 
Comment  ses  Voix  parlaient  :  «  Eh!  comment,  reprit-elle. 
M'auraient  parlémes  Voix,  sinon  en  pur  français  .►*  »  — 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^ 


XXIV 


(ijû  Plainte  de  H^olze-T^ame (i 45 2 ). 


Voilà  sur  le  Parvis,  pour  le  jeu   du  u  Mystère  », 
Tout  le  peuple   —  artisans,   clercs,  barons  —  réuni, 
Kt  voilà  —  quel  spectacle  et  quel  drame  I  —  la  terre 
Piir  l'Enfer  et  le  Ciel  rejointe  à  llnfini. 

Toute  la  Passion    rédemptrice  s'avère 

Sous  nos  yeux  :  ton  baiser.   Judas,    —  Gelhsémani, 

Et  Caïphe,  etPilate,  et  le  sang  du  Calvaire, 

Et  Jésus  s'écriant    :  Lamma  sabacthani  ! 

Et  tandis  qu'il  expire,  à  l'heure  ténébreuse, 
Debout,  sous  le  gibet,  la  Merge    douloureuse 
Se  lamente  et  s'épanche  en  maternels   effrois. . . 

Et  le  peuple  entier  pleure  :  en  la  plainte  si  tendre, 

Si  doucement    française,  il   croit    lui-même  entendre 

Pleurer  son  Ame  aux  pieds  de  son  Dieu  sur  la  Croix  ! 


XXV 

(iJoAdieu    du   %tonveze, 

E  !  Durendal,  cum  ies  bêle  e  seintisme 


Roland,  près  de  la  mort,  parlant  à  son  épée, 
Disait  tous  les  combats  gagnés,  tous  les  pays 
Que  pour  l'empereur  Karl  son  bras  avait  conquis 
Avec  sa  Durandal  si  blanche  et  bien  trempée. 

Et  je  vous  dis  de  même,  6  mon  français  joli  : 
Quelle  terre  de  Dieu  n'avez-vous  occupée  ? 
L'île  anglaise  en  ses  flots  vous  est-elle  échappée  ? 
Naple  ou  Constantinople,    Athène  ou  Tripoli  P 

Et  quand  le  monde  entier  devint  votre  conquête, 

J'y  mis  de  mes   chansons  l'universelle    fête... 

— Oh  !  mon  français,  mon  cher  français  si  doux-parlant, 

Puissez-vous  ne  souffrir  ni  dédain  ni  silence  1 
Et,  près  de  m'en  aller,  je  dis  comme  Roland  : 
«  Seigneur,  mon  Seigneur  Dieu,  n'en  laissez  honnir  Franc 


La  Gloite 

deô  Deux  Ftanceô 

(DE  JACQUES  CARTIER   A    MONTCALM) 


A    l'honorable 

Sir  François  Langelier, 

Lieutenaut-gouvenieur 

de  la  province  de  Québec. 


LE    CANTIQUE. 


oAii  ôeuil  deô  il^ouveaiix  cÂgeô. 


A  lous  les  maîtres  et  élèves 
des  collèges  du  Canada. 


Dites-nous  votre  gloire,  ô   cher  Parler  !...   Vous  êtes 
Le  plus  ancien  rameau  du  vieil  arbre  latin  ; 
Vous  avez  dû  déjà  subir  bien  des  tempêtes, 
Mais  vous  gardez  toujours  la  grâce  du  matin. 

Les  périls  sont  vos  jeux  elles  luttes  vos  fêtes... 
Allez  donc  par  le  monde  et  les  siècles,   certain 
De  vous  enorgueillir  de  divines  conquêtes, 
D'entraîner  avec  vous  des  âmes  pour  butin  ! 

Allez,  brave  et  plus  fort,  vous  sachant  sans  vieillesse  : 
Grandissez  en  splendeur  et  montez  en  noblesse  !... 
Pour  nous,  vos  amoureux  et  fidèles  dévots, 


0  cher  Parler  de  France  !  aidez-nous,  —  prêts  à  suivre, 
Aux  fiers  bords  d'Amérique,  aux  grands  rêves  du  Livre, 
L'empreinte  de  vos  pas  dans  les  chemins  nouveaux  ! 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ 


EN  AMERIQUE 
^'  »v  ^v 


q/1u  pzeiniet   ^oî  du  ^^ëaiiada. 


A  l'honorable  Sir  L.  A.  Jette, 
ancien  lieutenant-gouverneur 
de  la  province  de  Québec. 


Sire,  on  vous  admirait,   quand,  prince-genlilhomnie, 
Bardé  de  fer,  avec  le  glaive  qu'on  renomme, 
Avec  l'armet  doré,  d'escarboucles  fleuri. 
Vous  meniez,  plusieurs  jours,  dans  des  forêts  de  piques, 
Des  combats  de  géant  splendidement  épiques 
Aux  sons  d'Unter^vald  et  d'Uri  ! 


o  _ 

'^7 


Sire,  vous  viviez  grand,  lorsqu'au  ciel  de  l'Histoire 
Vous  ajoutiez  des  noms  radieux  de  victoire,  — 
Mais  peut-être  plus  grand.  Sire,  dans  le  malheur, 
Quand  le  sort  eut  rompu  votre  épée  à  Pavie, 
Et  qu'aux  sombres  cachots,  consumant  votre  vie, 
«  Rien  ne  vous  restait  que  l'honneur  !   » 

Plus  grand.  Sire,  plus  grand,  quand  vous  rêviez  d'étendre 
L'emblème  tout  royal  de  votre  Salamandre 
Sur  quelque  fin  palais  dans  quelque  vert  décor, 
Quand  Vinci  vous  offrait  son  labeur  pacifique. 
Ou  qu'à  Ben  venu  to  vous  criiez,  magnifique  : 
«  Va  I  Je  t'étoufferai  dans  l'or  !  » 

Mais,   Sire,  roi  des  preux  et  des  muses,   beau  prince. 
Dont  la  gloire  avec  1  art  demeure  la  province. 
Vous  doutiez-vous  que  votre  «  los  »  irait  plus  loin, 
Que  votre  nom,  plus  grand  encor,    pourrait  survivre 
Grâce  au  hardi  voyage,  au  bref  et  simple  livre 
De  Jacques  Cartier  le  Malouin  !♦ 


^^^^^^^^^^^^^^^^ 


II 
'^iiz  le  oMont-^oyal. 


A    l'honorable 

M.  Raoul  Dandcraxd, 

ancien  président  dit  Sénat 

fédéral  canadien. 

«  Les  pays  et  roj'aumes  de  Ho- 
chelaga  et  Canada,  appelés 
par  nous  Nouvelle-France...  » 


J'ai  pris  pieusement  le  Livre  précieux 

Semé  de  fleurs  de  lis  sur  sa  basane  ancienne, 

Et  ma  pensée,  aussi  naïve  que  la  sienne, 

A  refait  le  voyage  aux  pays  merveilleux. 

J'ai   couru,   sur   la    «  Grande-Hermine  »,  l'aventure, 

Et  j'ai,  parle  pouvoir  des  vieux  mots  ingénus, 

Suivi,  dans  un  décor  d'admirable  nature, 

Les  pas  du  Découvreur  sur  des  bords  inconnus. 

Oh  !  contraindre  à  sa  voix  l'écho  du  vaste  fleuve, 

Vêtir  de  noms  français  ces  îles  en  passant. 

Saluer  et  bénir  sur  un  sol  si  puissant 

Tous  ces  «  arbres  si  beaux  de  grande  odeur»  si  neuve  ! 


-  39  - 

Joie,  orgueil  du  héros  !...  Quand  de  Stadaconé 
Il  eut  vu  s'infléchir  les  splendides  rivages, 
S'offrir,  après  la  course  où  sa  rame  a  peiné, 
L'accueil  d'Hochelaga  sous  les  huttes  sauvages, 
Quand,  fêté  par  des  feux,  par  la  danse  et  le  chant 
Et  les  «  aguyazé  »  des  guerriers  et  des  femmes, 
Il  eut  dit  l'oraison  pour  les  corps  et  les  âmes 
Des  enfants  et  des  vieux  devant  lui  se  penchant, 
11  s'en  alla  monter  sur  la  hauteur  prochaine... 

C'était  le  soir.  Très  loin,  au  sud,  au  nord,  courait. 

Bleuâtre,  et  s'estompant  dans  des  brumes,  la    chaîne 

Des  grands  monts,   où  moutonne  une  épaisse    l'orèt  : 

En  bas  s'ouvrait  la  plaine  immense,  où,  solitaire 

Et  glorieux,  passait  avec  tranquillité. 

Conscient  de  sa  force  et  de  sa  majesté. 

Le  flot  dominateur,  seul  seigneur  de  la  terre. 

—  Jacques  Cartier  songeait,  les  yeux  vers  le  couchant  : 
Il  vit  un  peuple  actif  animer  ce  silence, 

Des  vaisseaux  sur  cette  onde  et  des  blés  dans  ce  champ. 
Tout  le  «  plaisant  »  pays  de  la  c(  Nouvelle-France»... 
Et  dans  ce  même  instant  d'espérance  et  d'essor, 

—  Que  de  temps  embrassés  dans  cette  heure  si  brève  !  — 
(^omme  pour  ajouter  plus  de  faste  à  son  rêve. 

Le  ciel  des  soirs  profonds  ouvrit  ses  portes  d'or.. 

Tout  grand  homme  ainsi  trouve  un  sommet  dans  sa  vie  ; 
Et  ce  mont,  fier  témoin  d'un  rêve  impérial, 
Ce  mont,  d'où  rayonnait  sa  conquérante  envie, 
Il  l'appela  superbement  le  «  Mont-Royal  «  ! 


III 


(La    ^zièie  dauô  leô  boiô. 


A   l'honorable 
Sir  A.  B.  RouTiiiER. 
juge  de  la  Cour  de   Vice- 
Amirauté,  membre  de  la  Société 
royale  du    Canada. 


Lorsqu'avant  son  départ  le  vaillant  Capitaine 
Se  fut  agenouillé  devant  la  Croix  chrétienne 
Où  se  fleurdelisait  le  royal  écusson. 
Lentement,  gravement,  monta  dans  le  silence 
Des  bois  religieux,  pleins  d'un  vague  frisson, 
La  Prière  du  Christ  en  syllabes  de  France. 

«  Notre  Père  des  Cieux  !    »...    Pour  la  première  fois 
L'immense  solitude  entendait  une  voix 


—  Ai  — 

Nommer  son  Créateur  :  les  grands  bois,  qui  vénèrent 
Et  sentent  dans  leur  sève  auguste  l'Infini, 
Devant  les  mots  sacrés,  de  leur  front  s'inclinèrent  : 
((  Notre  Père  des  Cieux,  votre  nom  soit  béni  !  » 

«  Que  votre  règne  arrive  1   »...  Et  la  terre  sauvage 
Répéta  l'appel  saint  de  rivage  en  rivage... 
Et.  là-bas,  les  fiers  monts,  d'un  plus  docile  accès, 
Ici,  le  puissant  fleuve,  à  présent  tributaire. 
Tout  paraissait  redire  avec  des  mots  français  : 
((  Que  votre  volonté  soit  faite  sur  la  terre  !  ...  » 

((  Donnez-nous  aujourd'hui  le  pain  de  chaque  jour  ...» 

Et  l'invocation  de  largesse  et  d'amour 

En  bénédictions  s'épandit  sur  les  plaines, 

Tandis  que  le  Héros,  ceint  de  ses  compagnons, 

Implorait  la  Pitié  pour  les  fautes  humaines  : 

«  Pardonnez-nous  nos  torts  comme  nous  pardonnons  !  » 

a  Délivrez-nous  du  mal  !  ...»  Etd'innombrables  brises 
Sur  les  grands  bois  émus,    sur  les   plaines   surprises. 
Sur  les  monts  verts  ou  roux,  sur  le  flot  sombre  ou  bleu. 
S'en  allèrent  porter,  semeuses  d'espérance. 
Par  tout  le  Canada,  reconnaissant  son  Dieu, 
La  Prière  du  Christ  en  svUabes  de  France  ! 

^    ^    i^ 


RENAISSANCE  FRANÇAISE 

v^      «^      «^ 


^out  en  faite   une  ^eine. 


Au   poêle    Pamphile    Le    Mav, 
de  la   Société  Royale  du 
Canada. 


Or,  en  ces  temps,  aux  bords  et  de  Seine  et  de  Loire, 
Des  poètes  fervents,  de  leur  Langue  amoureux. 
Voulurent  lui  dresser  d'un  bel  art  généreux 
Un  Irone  sans  rival  de  splendeur  et  de  gloire. 

Pour  leur  Dame  et  Princesse  ils  s'efforçaient  entre  eux 
Sur  la  cithare  antique  avec  l'archet  d'ivoire  ; 
Pour  l'imposer  au  monde,  en  grandir  la  mémoire, 
Leurs  vers,  bons  courtisans,  portaient  des  cœurs  de  preux  ; 


—  43  — 

Et  comme,  avec  l'enceos  plus  pur  de  leur  poème, 
Avec  l'orgueil  du  sceptre  et  d'un  fin  diadème, 
Ces  vaillants  la  dotaient  d'un  opulent  trésor. 

Partout  les  plus  hauts  rois,  devant  la  jeune  reine 
S'inclinant,  soulevaient,  pour  la  baiser,  la  traîne 
De  son  Ion?  manteau  bleu  fleuronné  de  lis  d'or  ! 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^ 


^Poiit  la  défend  te. 


Au  poète  du   «  Canada  chaulé 
Albert  pEnt.Axn. 

C  est  un  crime  de  lèse-majesté 
d'abandonner  le  langage  de 
SOQ  pays...  »  (Ronsard.) 


Mon  fils,  il  ne  sied  point  à  des  enfants  bien  nés, 
Pour  d'étranges  amours,  de  mépriser  leur  mère  : 
]Ne  va  plus  aux  jardins  de  Virgile  ou  d'Homère 
Cueillir  des  rameaux  morts  et  des  bouquets  fanés  ! 

Pourquoi  d'obscurs  tombeaux  déterrer  quelques  cendres! 
A  tes   nouveaux  pensers  coudre  un  costume  ancien  i' 
Jaloux  de  ton  parler,  laisse  à  Rome  le  sien  : 
Le  français  pour  ton  cœur  connaît  seul  des  mots  tendres.. 


—    '10    — 

Les  sons  les  mieux  chantants  restent  ceux  du  berceau  ; 
Défends-les  !...  Pour  ta  soif,  content  de  ton  ruisseau, 
Prcndsen,  baissé,  l'eau  \ive  et  limpide  en  ton  casque  !... 

La  Langue,  c'est  le  clair  visage  de  l'Esprit  : 
Montre-toi  donc  entier,  sans  couvrir  d'un  vain  masque 
Ton  regard  qui  se  mouille  ou  ta  lèvre  qui  rit  ! 


^^^^^^^^^^^^^^vâ^^ 


Au  poète  Albert  Loze\i  . 

«  Prendre  pitié,  comme  bons 
enfants,  de  la  pauvre  langue 
naturelle...  ». 


Mon  fils,  des  bons  vieux  mots  de  nos  anciens  romans. 
Pour  en  parer  tes  vers,  cueille-moi  la  guirlande  ! 
Garde  bien  tout  ducber  patrimoine,  et  demande 
Les  plus  doux  et  jolis  au  cœur  des  grand'mamans  1 

N'exclus  ni  le  présent  des  métiers,  ni  l'offrande 
Des  provinces:  manceaux,  poitevins  ou  normands. 
Vivent   tous    nos  vieux  mots  d'amour  et  de  légende, 
Beaux  de  couleurs,  plus  beaux  encor  de   sentiments  ! 

Tous  ont  leur  prix  :  qui  veut  trop  retrancher  mutile. 
Mais  souvent  d'un  art  souple  enchâsse  dans  ton  style 
Le  vieux  mot  plein  de    sève  et  vraiment  nourricier  : 

C'est  lui  qui  raffermit  la  phrase  et  la  relève, 
Comme  une  humble  relique  à  la  garde  du  glaive 
Double  de  sa  vertu  la  trempe  de  l'acier  ! 


3è  Si  Se 


/lu  barde  d'Arlhabaska, 
Adolphe  Poisson. 

J  ai  comparé  nos  dialectes  aux 
maisons  qu'un    homme  fort 
riche    a    aux    champs...    » 
(H.  Estiennc.) 


Veux -tu  sacrifier  aux  Grâces,  gentil  maître, 
Mon  fils  .-*  Possède  en  ville  une  exquise  maison, 
Où  l'art  d'un  ciseau  neuf  éjaand  la  floraison 
Des  rinceaux  en  guirlande  autour  de  ta  fenêtre. 


Mais  aime  aussi  tes  prés  avec  leur  fenaison  ; 
Retourne    avec  ferveur  au   vieux   manoir  champêtre, 
Simple,  flanqué  de  tours  massives,  où  l'iVncêtre, 
Pour  affirmer  ses  droits,  a  gravé  son  blason. 

Notre  patois,  vois-tu,  c'est  le  logis  rustique, 
Où  le  cœur  se  retrempe  au  passé  domestique, 
A  l'air  vif  du  pays  natal...  Va  donc  revoir, 

Mon  fils,  pour  mieux  t'ébattre  en   gaillarde  jeunesse. 
Le  champ  héréditaire  et  l'antique  manoir. 
Qui  font  ton  opulence  et  disent  ta  noblesse  ! 


1 


^^^^ê^M^SSg-B:', 


Au  poète  de  Yaniachiche, 
Nérée  Beaichemix. 

«  Défendez  votre  mère  contre 
ceux  qui  veulent  faire  ser- 
vante une  damoiselle  de 
bonne  maison...»  (Ronsard.) 


Mon  fils,  ne  laisse  pas  Ion  toit  ou  tes  vergers 
Abriter  dans  leurs  nids  trop  d'oiseaux  de  passage 
A  chacun  son  domaine  et  son  fief  !...  Est-ce  sage 
De  soumettre  ton  cœur  à  des  sons  étrangers  :* 


Pourquoi  de  mots  lointains,  par  un  coupable  hommage 
Qaand  ceux  de  ton  pays  se  meurent  négligés, 
Ton  esprit  se  fait-il  d'incertains  messagers? 
Rends  à  l'arbre  français  son  fier  et  vrai  ramage  ! 

Couve  et  nourris  chez  toi  tes  secrètes  chansons... 
Puis,  un  beau  matin  clair,  vers  tous  les  horizons. 
Pour  égayer  l'azur,  que  leur  troupe  s'élance  ! 

Et  le  monde,  écoutant  leur  voix,   comme  un   cristal, 

Dira  :  «  Qui  peut  douter  de  leur  berceau  natal  ;' 

«  Ce  qui  plane  là-haut,  ce  sont  purs  chants  de  France  !  » 


((  Ce  gentil  esprit  de  Roy. . . 
leur  fit  entendre  qu'il  ne 
prenait  point  plaisir  d'ouïr 
parler  en  autre  langue  que 
la  sienne.   »  (Ramus.) 


Ecoute  encor,  mon  fils.  —  Au  temps  du  roi  François, 
Des  magistrats  voulant  selon  la  mode  ancienne 
Le  haranguer  :  «  Non  !  non  !  dit-il,  je  ne  reçois 
Etn'entends  nulle  langue  en  ma  cour—  hors  la  mienne.» 

—  Ils  venaient  de  Provence.  —  «  Eh  !  quàcela  ne  tienne  ! 
Si  vous  voulez  céans  vous  plaindre  de  nos  lois, 

Rien  ne  vaut  pour  plaider  la  façon  parisienne  : 
Allez  vite  l'apprendre  !  »  —  Au  bout  de  quelques  mois, 

Nos  gens  — sans  accent  presque  —  exposent  leiu-  harangue 
En  français:  — «Donc,  dit-il,  sachant  si  bien  ma  langue, 
Chez  vous,  dans  vos  décrets,  ne  vous  en  privez  point  !  » 

—  Et  sous  le  dais  ainsi,  jusqu'aux  rives  du  Rhône, 
L'armant  du  sceptre  d'or  de  la  Justice  au  poing, 

Le  Roi  subtil  assit  le  français  sur  son  trône.. . 


^       ^       ^ 


LE  CANTIQUE. 


Au  poète  montréalais 
Charles  Gill. 


Mieux  vaudrait  comme  bon 
français  ou  citoyen  recher- 
cher et  faire  un  lexicon  des 
vieux  mots  d'Artus,  Lance- 
lot  et  Gauvain.  »  (Ronsard.) 


Dès  qu'un  rayon  s'argente  aux  voiles  du  matin,    ^ 
L'abeille,  àme  du  ciel,    rôde  des  monts    aux  plames, 
Pillant  œillets  et  lis,  sauges  et  marjolaines, 
Pour  fondre  en  sa  retraite  un  merveilleux  butin. 

Toi  de  même,   mon  fils,  promptement,  sans  dédain, 
Ya  cueillir  les  chers  mots  naïfs  des  cantilènes  : 
Ne  sens- tu  pas,  ému,  l'arôme  des  haleines 
Qui  semblent  nous  chercher  du  fond  du  vieux  jardin 

Dans  ta  ruche  soigneuse,  au  creux  des  alvéoles, 

Amasse  le  parfum  bourdonnant  des  paroles. 

Puis  retourne  en  nos  champs,    et,   souvent  à  l'essor,j 

Distille  en  un  seul  miel  les  fleurs  de  l'idiome, 

Et  ce  miel,  quelque  jour  puise  dans  ton   «  Trésor  »,< 

Ira  d'un  vers  divin  composer  le  doux  baume. 


«»  ;£s»  ;2«i>  iSi  £«£«;£?»  ;zr»  55^  îS^  ^  ;2?^  ïïî^ 


•S*S^^1s*:?S§S*S^:5i;*S*S*S^'îSS 


A  Léon  Lorrain. 


«  O  dévots  amateurs  de  bonnes 
lettres,  plùt  à  Dieu  que 
quelque  noble  cœur  s'em- 
ployât à  mettre  et  ordonner 
par  règles  notre  langue 
française  I  »  (GeofTroy  Tory.) 


Apprète-toi,  mon  fils,  pour  la  belle  oraison. 
La  parole  est  un  peu  comme  un  troupeau  de  chèvres 
Que  le  pâtre  surveille  avec  la  fltite  aux  lèvres, 
Pour  retenir  leur  fuite,  autour  de  sa  maison. 

Prends  garde  à  tous  ces  mots  trop  gaillards  et  trop  mièvres 

Avec  leurs  pieds  légers  et  leur  folle  toison  ! 

Impose  à  ce  caprice  une  droite  raison. 

Des  lois  à  ce  désordre  et  du  calme  à  ces  fièvres  ! 

Qu'ils  obéissent  tous  à  l'appel  des  pensers. 
Sans  jamais  te  trahir,  confus  ou  dispersés  ! 
Soumets  ta  phrase  égale  aux  justes  disciplines, 

Pareil  au  chevrier,  qui  module  son  chant 
En  descendant  le  soir  la  pente  des  collines 
Avec  son  troupeau  sage  à  ses  pas  s'atta chant  ! 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^ 


m 


^oiiz  Villuôtrer. 


«  Ceux  qui  l'ont  eue  en  garde 
ne  l'ont  cultivée  à  suffi- 
sance. »  (J.  du  Bellaj'  ) 


Certains,  de  beauté  pure  et  d'élégance  épris, 
Jugeant  notre  «  vulgaire  «obscur  et  sans  mérites, 
Prétendent  n'obtenir  de  la  main  des  Charités 
Qu'aux  antiques  bosquets  la  rose  de  Cypris. 

Et  pourquoi  verrions-nous  toutes  fleurs  d'art  proscrites,^ 
Mon  fds,  du  champ  français  qui  pourtantvaut  son  prix? 
Rien  n'empêche  qu'un  jour  des  plus  fameux  esprits, 
Faisant  valoir  tes  droits,  à  ton  tour  tu  n'hérites  I 


—  53  — 

Oh  !  ne  méprise  pas  notre  églantier  gaulois 

A  racine  profonde  !...  Impose- lui  des  lois, 

Si  lu  veux  :  va,    rêvant  sous  quelque  ancien  portique, 

Cueillir  un  beau  rameau  d'éclat  incarnadin; 
Puis  rentrons  chez  nous,  vite,  et  dans  notre  jardin 
Sur  l'églantier  de  Gaule  entons  la  rose  antique  ! 


f;^^^f;^f^H;^;^|,f;|^|;^^m^j^;^ 


An  poète  Jean  Charbonneau. 

Elever  notre  vulgaire  à  l'égal 
et  parangon  des  autres  plus 
fameuses  langues   » 

(J.  du  Bellay.) 


Sois  fier  de  ton  parler  et  songe  à  le  grandir, 
Mon  fils  !...  Et  donc,  avec  ferveur,  dans  la  retraite. 
Médite,  approfondis  l'œuvre  antique,  interprète 
Du  grand  art,  dont  notre  œuvre  aussi  doit  resplendir  ! 

Ecoute  la  leçon  des  anciens  :  ne  regrette 
Ni  tes  efforts,  ni  tes  veilles,  ni  ton  plaisir 
Sacrifié  !  Travaille,  ardent  !  Cherche  à  saisir 
De  l'immortel  rayon  la  puissance  secrète! 

Imite  la  vertu  robuste  du  sculpteur 

Qui  dégrossit  le  bloc  informe...  0  bon  lutteur. 

Ton  airain  ne  vivra  que  si  tu  le  cisèles. 

Lime,  épure,  polis  ton  vers  ambitieux, 

Sûr  gardien  de  ton  àme,  —  et  donne-lui  des  ailes 

Pour  parcourir  le  monde  el  monter  jusqu'aux  cieux  ! 


w^si^sës^s!ës^^smës^ii^ssmm. 


Au  poète  Paui,  Moiun. 

Pillez-moi  les  sacrés  trésors 

de   ce  temple  delphique...   » 

(.1.  du  Bellay.) 


Chante  avec  moi,  nioii  fils,  un  hymne  de  combat... 
Vois-tu  ce  temple  grec  à  la  fme  architrave  ? 
Phœbus  et  ses  trésors  appartiendront  au  brave 
Dont  le  cœur  sans  eflVoi  sous  la  cuirasse  bat... 

Le  fier  peuple  gaulois  connaît-il  une  entrave  ? 
Je  voudrais  que  pour  nous  ton  orgueil  dérobât 
Et  le  Drame,  et  l'Idylle  où  la  flijte  s'ébat, 
Et  la  grave  Epopée,  et  l'Ode  non  moins  grave. 

Pille-moi  ces  trésors  divins;    puis,  à  ton  tour, 
Bâtis  un  sanctuaire  au  noble  et  pur  contour, 
Où  sonne  un  air  français  sur  la  lyre  d'Orphée  ! 

Fais-toi,  cher  conquérant,  de  tant  de  grands  débris 
Un  monument  de  gloire,  et  qu'à  tous  ses  lambris 
Resplendisse  d'Hellas  le  merveilleux  trophée! 


I   f   f 


Au  poète  ExGLEBERT   Gallkze. 

«  Avril,  la  douce  espérance...  » 
(Rém\'  Belleau.) 


C'est  l'avi  il  de  la  Langue. . .  0  joie  I  Un  souffle,  un  trait 
De  Vie  a  traversé  le  monde  et  le  soulève... 
]\'entends-tu  pas,  mon  fds,  partout  monter  la  sève. 
Et  des  voix  chuchoter  que  le  printemps  est  prêt  ? 

Vois  !  vois!  L'arbre  partout  s'émeut  ;  le  bourgeon  crève, 

Et  la  feuille  si  tendre  et  la  fleur  apparaît. 

C'est  fête,  du  verger  neigeux  à  la  forêt, 

Et  des  beaux  fruits  prochains  rien  n'empêche  le  rêve. 

C'est  l'avril  de  la  Langue...  On  sent  dans  ses  rameaux, 
Où  chaque  aurore  accroît  la  floraison  des  mots, 
Du  soleil  qui  rayonne  et  du  chant  qui  s'éveille  ! 

Et  déjà  sur  l'espoir  des  roses  en  bouton 

On  croit  entendre  errer  le  vol  doux  de  l'abeille 

Qui  se  posa  jadis  aux  lèvres  de  Platon  ! 


i^    i^    i^ 


A  M.  L.  E   Cadieux, 
de    la    société    historique 
franco-américaine . 

«  Pensez    quelle  immortalité 
les      sciences      pourraient 
apporter  à  une  langue...  » 
(Pelletier  du  Mans.) 


Puisqu'il  présent  voici  le  français,  grand  seigneur, 
Du  latin  détrôné  portant  les  armoiries, 
Dans  la  jeune  saison  des  Lettres  refleuries 
Honore  ton  parler  comme  il  te  fait  honneur. 

Fais  passer  la  sagesse  antique  en  nos  hoiries, 
La  fleur  de  la  pensée  humaine,  ô  moissonneur! 
Usant  des  mots  de  tous,  à  tous  avec  bonheur 
Transmets  des  plus  hauts  cœurs  les  hautes  rêveries  ! 

l  . 

Ge  que  l'Esprit  calcule  ou  ce  que  l'Ame  croit, 
Et  la  Religion,  et  l'Histoire,  et  le  Droit, 
Libre  de  l'étranger,  mets  tout  hors  de  tutelle  1 

Di'nne  au  parler  natal,  instrument  de  clarté, 
-  Art,    Science  ou  Devoir  —  toute  Idée  immortelle, 
Pour  lui  donner  aussi  son  immortalité  ! 


fpf^pf^p^jpf^^f^i^^^^^^^^p^^p^i^^ 


POUR  QUELQUES  BONS   FRANÇAIS 

DU  XVl^  SIÈCLE 

^  ^  ^ 

I 

d/la  «  défenseur  » 

et  «  (Hluôtzateut  »  <ié  /a  ^angue\ 


A    M.  Ephrem  Bauthélemy,  ' 
publiciste,    à  Woonsocket 
(E.-V.). 

«  Il  n'est  pas  de  plus  grande 
gloire  que  de  combattre 
pour  la  langue  de  la 
patrie...  »  (Jean  Dorât  à 
J.  du  Bellay.) 


Guerroyer  et  mourir  pour  son  peuple  et  sa  terre. 
C'est  ua  grave  devoir  comme  un  rare  bonheur  : 
Et  nul  n'a,  plus  joyeux,  rempli  la  tâche  austère 
Que  le  gentil  Bayart,  le  «  Chevalier  sans  peur  ». 


—  ^9  — 

Mais  qui  défend  sa  langue,  en  étend  la  frontière, 
Combat  pour  sa  beauté,  sa  gloire  et  son  honneur. 
Celui-là  près  du  ciel  garde  sa  race  altière, 
Celui-là  porte  aussi  des  fleurs  de  lis  au  cœur  ! 

Louange  à  tous  les  fils  delà  Chevalerie  !,.. 
La  Langue,  n'est-ce  pas  l'àme  de  la  Patrie, 
Sa  pensée  et  sa  voix  qui  ne  doivent  périr;* 

Toi  donc,  qui  sers  ta  Langue  avec  idolâtrie, 
Qui,  pour  la  faire  grande,  es  prêt  à  tout  souffrir, 
Je  t'égale  au  vaillant  qui  meurt  pour  sa  patrie  1 


wmmmmmmmmmmmm^ 


II 


T*oiir  le   «    ^liitarqae  »    d'a/^m^or 


A   l'ami  J.  A.  Favrew, 

secrétaire  de  la  société  historique 

franco-américaine  de  Boston. 

«  Il  y  a  tant  de  plaisir,  instruc- 
tion et  prouflit  en  la  substance 
de  ce  livre...  »  (Amyot.) 


Veux-tu  des  temps  anciens  voir  les  âmes  bien  nées. 
D'un  air  candide  et  frais  sous  tes  yeux  renaissant, 
Venir,  parmi  les  dons  des  Grâces  couronnées, 
Dresser  à  leurs  conseils  ton  cœur  d'adolescent  ? 

Prends-moi  cePlutarchus  du  bourg  de  Chéronée, 
Qu'Amyot  l'enchanteur  a  fait  de  notre  sang, 
Bourgeois  ou  gentilhomme  à  fraise  godronnée, 
Brave  et  bon,  si  français  de  costume  et  d'accent  ! 

Ce  maître  t'apprendra  la  vertu  coutumière. 
Sans  peine,  en  souriant,  avec  une  lumière 
Douce,  pour  éclairer  le  restant  de  tes  jours  ! 

D'un  tour  vif,  si  charmant,  t'instruiront  ses  maximes, 
Qu'après,  sans  le  savoir,  d'eux-mêmes,  tes  discours 
Fardes  chemins  fleuris  s'en  iront  vers  les  cimes!... 


m 

qAu  pzemiet  «    ^apilaiiie  » 

des  oMiises 


«  Adonques  pour  hausser  ma  langue  malernelle, 
Indompté  du  labeur,  je  travaillai  pour  elle...  » 
(Pierre  de  Rousard.) 


Moi,  je  te  glorifie  et  t'admire,  ô  Ronsard, 
Comme  le  parangon,  le  père  et  le  prophète  : 
Combien  pour  leur  victoire  avoueraient  ta  défaite  ! 
Sur  nos  fronts  plane  encor  ton  royal  étendard. 

Ton  grand  cœur,  conviant  la  muse  en  une  fête 
Somptueuse,  où  brillaient  la  gemme  et  le  brocart, 
Jugeait  sa  mission  grave  et  sainte,  et  que  l'Art 
Doit  vivre  en  plein  soleil,  près  de  Dieu,  sur  un  faîte  ! 

Le  premier  tu  tentas  les  généreux  émois 

De  l'Ode,  et  la  splendeur  épique,  ô  Vendômois  ! 

Et  si  l'outil  parfois  a  trahi  ta  puissance, 

On  sent  toujours,  malgré  les  défauts  du  métal, 
Ta  noblesse  héroïque  et  ta  magnificence 
Sonner  au  rude  airain  du  vers  sacerdotal  ! 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^ 


oAii  ^zand  Siècle. 


Aux   maîtres  et    élèves 

du  collège  français  de  Worcester 

{E..U.). 


0  Dix-Septième  Siècle,  ô  grand  Siècle  de  France. 
Dont  notre  cœur  s'exalte,  à  jamais  riche  et  grand  ! 
Passé  de  fière  gloire  et  de  magnificence, 
Par  qui  chacun  de  nous  se  garde  en  si  haut  rang  1 

Henri,  Louis,  entre  eux  le  Cardinal  :  puissance 
Rayonnante  I...   Palais  de  marbre  au  ciel  s'ouvrant 
Villes  dans  les  déserts  soudain  prenant  naissance  !.. 
0  Siècle  créateur,  multiple  conquérant  ! 

Exploits,  monuments  d'art,  floraisons  légendaires  ! 
Victoires  de  la  langue  étendant  ses  frontières  ! 
Triomphes  de  l'esprit,  vivante  royauté  I 

Trésors  qui  ne  sauraient  tomber  en  déshérence  !... 
0  Dix-Septième  Siècle,  ô  grand  Siècle  de  France, 
C'est  Dieu  qui  t'associe  à  son  Eternité  ! 


|IMIIIMIIIMIIIII##fll#IMI^ 


LES  MUSES 
DE    LA    NOUVELLE-FRANCE 

(en   acadie,    1 604-1607) 
^  >^  ^ 


A    l'honorable 

M.    A. -F.    AuSENAULT, 

ministre  dans  le  gouvernement 
de  V  lle-du-Prince-Edouard- 


I 

q  la  (ff ta  11  ce. 


France  !   tandis   qu'ardente  à   l'œuvre  qui  se  fonde, 
S'obstine  une  rumeur  de  hache  et  de  rabot, 
L'un  de  vos  fils,  ami  des  Muses,  Lescarbot, 
Vous  consacre  ces  vers,  éclos  au  Nouveau-Monde. 

Faites  de  cette  terre,  ô  France,  votre  enfant  : 
Elle  s'offre  si  belle  et  si  digne  de  l'être  ! 
Suivez  l'astre  du  jour  fécond,  qui  trace  en  maître 
Son  sillon  glorieux  de  l'Aurore  au  Ponant  ! 


-  64  - 

«  Bel  œil  de  l'univers  »,  «  chère  mère  »,  «  nourrice 
Des  Lettres  et  des  Arts  »,  «  secours  des  affligés  », 
Hàtez-vous  sur  ces  bords  trop  longtemps  négligés 
D'étendre  vos  rayons  de  clarté  rédemptrice  ! 


i^(^ 


^^^^^^i^^^s^s^^^fe^fe^fe^^ 


II 


(ije  ihéâtte  de  S^epiune, 


(al  port-royal) 


^4  M.  le  Sénateur 

Pascal  Poirieiî 


Pour  fêter  le  retour  du  seigneur  de  ce  fief, 
Les  mousquets  en  liesse   ont  fait  chanter   la  poudre 
Neptune  a  dû,  quittant  ses  grottes,  se  résoudre 
-V  saluer  en  \ers,  fort  galamment,  le  Chef. 

Si  loin,  la  belle  humeur  gauloise  se  respire 
Parmi  les  frais  rameaux  de  verdure  en  festons  : 
Une  fanfare  éclate,  et  le  chœur  des  Tritons 
Annonce  au  Béarnais  un  «  florissant  empire  ». 

Pendant  qu'avec  ses  dieux  dépaysés  discourt 
La  Muse  allégorique  —  un  peu  parfois  espiègle  — 
En  sa  cour  de  Micmacs,  qu'orne  la  plume  d'aigle, 
Sourit,  heureux,  le  bon  Sire  de  Poutrincourt. 

LE    CANTIQUE  5 


m 


(L'Vtdte  du  ^011   ^emps, 

(mis  en   avant  premièrement  par  ciiamplain) 


La  table  est   fraternelle  et  les  menus  superbes 
Avec  leurs  saupiquets  de  cerf  ou  d'orignal. 
Monsieur  c  l'Architriclin  »,   qui  donna  le  signal, 
Mais  que  seconde  Hébert,  l'adroit  «  ramasscurd'berbes  » . 

Serviette  au  col,  baguette  en  main,  surveille  tout... 
L'hôte  ami,  qui  souvent  dans  cette  pastorale 
Vient  s'asseoir,  pour  humer  la  ((  liqueur  septembrale  », 
C'est  le  vieux  Sagamo.  l'illustre  Membertou. 

Et  lorsqu'au  cher  pays  chacun  a  porté  brinde, 
Quand  l'encens  du  a  pétun  »  fume  des  calumets, 
L'avocat  de  Paris  verse  auN  joyeux  gourmets 
Quelque  hymne  de  Bacchus  vendangé  sur  le  Pinde. 


IV 

T^zeniièze  gezbe. 


A  tous  les  semeurs  acadiens  ; 
«  tous  les  moissonneurs  de 
gerbes  nouvelles. 

.  «  Pour  la  posséder,  il  faut 
se  camper  sur  la  terre  et  la 
bien  cultiver.  »    Lescarbot.i 


Pourtant,  gentil  poêle,  infatigablement 
Au  gré  de  la  saison  —  selon  les  graves  règles. 
Tu  bêchais,  tu  semais  les  orges  et  les  seigles 
Et  le  roi  des  sillons  de  France,  le  froment. 

I\a^i,  chaque  matin,  penché  sur  un  mystère. 

Tu  guettais  le  progrès  de  tes  blés  généreux. 

Qui,  plus  hauts  et  plus  drus,  de  leurs  lances  de  preux 

Promettaient  vaillamment  de  conquérir  la  terre. 

Et  sur  ce  sol  nouveau,  que  premier  tu  rompis, 
Il  nous  plaît  de  revoir  dans  un  naïf  cantique 
Ta  Muse  sans  apprêts,  moissonneuse  rustique, 
^■lleversur  sa  tête  une  gerbe  d'épis  ! 


!-.^^^^^l?^^^^^^*^^^^^^ 


dédicace  du  «  ^oii  de  'Dieu  ». 

(honfleur,  i3  avril  1608) 


.4  Mgr  Paquet,  P.  A., 
vicaire   général  de  Québec. 

Et  provignons  au  loin  une  France  plus  belle- 

(Lescarbot.) 


Notre-Dame  de  Grâce,  Etoile  tutélaire, 
Préserve  ce  vaisseau  qui  part  —  de  la  colère 
Du  vent,  de  l'écueil  et  des  flots  ! 

Tant  d'ennemis  dans  l'ombre  ourdissent  leurs  complots! 
Notre-Dame  de  Grâce,  appui  des  matelots. 
Mène  à  bonport  lanef  de  France  ! 

Tu  sais  ce  que  sa  voile  emporte  d'espérance 
Pour  la  terre  sauvage  !  Aide  à  la  délivrance 
De  tant  de  misères  là-bas  ! 


-  69  - 

Tant  d'âmes  vont  mourir,  si  tu  n'y  pourvois  pas  ! 
La   nef  de  France  emporte,  instruments  de  combats. 
La  sape,  le  pic  et  la  bêche, 

Nos  plus  braves  froments  aussi,  pour  qu'en  la  brèche 
Immense  des  forêts,  sur  un  sol  moins  revêche 
Montent  les  humaines  moissons  1 

Elle  emporte  —  la  nef  de  France  —  pour  rançons 
D'un  monde,  le  meilleur  de  ce  que  nous  pensons. 
Les  plus  fiers  trésors  de  la  race. 

Le  vieux  cœur  des  Croisés,  plus  fort  que  leur  cuirasse, 
Cet  idéal  chrétien,  qui  partout  teint  sa  trace 

D'un  beau  sang  d'apôtre  et  de  preux, 

Et  l'oubli  de  soi-même,  et  l'honneur,  amoureux 
Du  péril,  et  ce  goût  amèrement  heureux 
De  s'offrir  à  toute  détresse. 

Et  tous  ces  mots  d'amour,  dont  la  douceur   caresse, 
Et  toutes  ces  vertus  de  divine  allégresse 

Qui  font  mieux  vivre  et  mieux  mourir  !... 

Notre-Dame  de  Grâce,  aide  à  faire  atterrir 
Là-bas,  pour  que  notre  âme  y  puisse  refleurir, 
La  nef  de  France  évangélique  1 

Que  les  peuples  plus  tard  répètent  cet  aveu  : 
"  Ce  qu'envoya  la  France  aux  rives  d'Amérique, 
C'était  vraiment  le  Don  de  Dieu  !   » 


(Le  t  eût  a  me  ni  de  ^hamplain, 

(i635) 


A  l'honorable  M.  P.  Landry. 
Président  du  Sénat  du  Canada. 

.  «  Qu'avec  la  langue  fran- 
çaise ,  ils  conçoivent  un 
cœur  et  un  courage  français.  » 

(Chaniplain.) 


C'est  au  Fort  Saiiil-Louis  de  Québec,  en  décembre. 

La  neige  bat  la  vitre  avec  rage,  et  la  chambre, 
Qu'un  long  souffle  lugubre  enclôt  dans  sa  rumeur, 
S'assombrit,  froide  et  triste,  avec  son  feu  qui  meurt, 
Comme  s'il  faut,  le  maître  absent,  que  tout  s'endorme. 
vVutour  du  lit  défait,  qui  garde  encor  la  forme 
Du  Mort,  quelques  amis,  en  silence  assemblés, 
—  Laboureurs  et  soldats  —  pleurent,  inconsolés, 


Pareils  à  des  entants  partout  cherchant  leur  père. 
Et  tous,  le  cœur  désemparé,  dans  ce  mystère 
Qui  suit  un  grand  départ,  ont  peine  à  contenir 
Leur  intime  tourment  :  —  «  Qu'allons-nous  devenir  ? 
u  Sans  lui  —  quels  joursdespoir  pouvons-nous  nous  promettre? 
u  Que  font  les  serviteurs  dans  la  maison  sans  maître  P 
«  Maintenantqu'iln'estplus,  faut-ilque nous  mourions?  »— 7 
Et  leur  regard  \o'ûé  s'attache  aux  morions. 
Aux  corselets  de  fer  froissés,  à  l'arquebuse, 
Au  mousquet,  dont  souvent  il  déjoua  la  ruse 
Iroquoise,  au  hoyau  défricheur,  aux  compas, 
A  la  carte,  où  lui-même  inscrivit  tous  ses  pas... 
Mais  alors,  médecin  de  ces  âmes  blessées, 
Le  pieux  confident  des  suprêmes  pensées 
Du  Chef,  le  secourable  ami,  qui  doucement 
L'avait  fait  «  naître  au  Ciel», — leurlit  son  testament. 


II 


M  Mon  Dieu,  vous  m'appelez  à  Vous  par  la  souffrance. 
L'ombre  descend...  Notre-Dame  de  Recouvrance 
Me  convie  au  repos  de  sa  cloche  du  soir... 
Maître,  me  voici  prêt.  Pour  vous  bien  recevoir. 
De  votre  serviteur  la  lampe  est  allumée... 
Mais  avant  de  partir.  Seigneur,  sur  l'œuvre  aimée, 
Sur  mon  Québec,  sur  mon  jeune  peuple  très  cher, 
Laissez  se  réjouir  cncor  mes  yeux  de  chair... 


?2    -  — 


Oh  1  ce  vaste  horizon  si  doux  de  tant  de  lieues, 

Ce  fleuve  de  soleil  et  ces  montagnes  bleues. 

Au    regard  d'un   mourant  rien  ne  s'offre  plus   beau  1 

Où  j'ai  le  plus  vécu,  je  demande  un  tombeau. 

Mon  Québec  !  c'est  pour  toi,  mon  plus  glorieux  songe, 

Que  j'ai  quitté,  là-bas,  mon  pays  de  Saintonge, 

Pour  toi,  que  j'ai  trente  ans  lutté,  versé  mon  sang  ! 

Mais  je  m'en  vais  heureux  et  tranquille,  en  pensant 

Que  mon  effort  survit,  —  que  sur  ce  promontoire, 

—  De  France,  par  delà  la  mer,  une  Victoire 
Plana,  posa  son  vol  d'azur,  et  dut  laisser 
L'empreinte  de  son  pas  qui  ne  peut  s'effacer. .. 

Mon  Québec  !  c'est  d'ici   qu'on   partait  en   conquête, 
Ici  qu'on  rapportait  pour  butin,  l'àme  en  lête, 
Quelques  secrets  surpris  de  cantons  inconnus. 
Pendant  que  mes  vaillants,  sur  ton  sol  retenus, 
S'ouvrant  d'âpres  sillons  aux  broussailles  voisines. 
D'une  France  rustique  y  fixaient  les  racines, 

—  Moi,  je  visitais  mon  royaume,  j'explorais 
L'immensité  des  eaux,  l'épaisseur  des  forêts, 
Je  frayais  des  chemins  aux  vieilles  solitudes. 
J'allais  partout,  bravant  les  travaux  les  plus  rudes, 
La  faim,  la  soif,  et  la  froidure,  et  l'Iroquois 
Méchant,  dont  sur  moi  seul  se  vidait  le  carquois... 
J'allais  avec  Jésus,  aux  pauvres  sauvagesses 
Essayant  d'enseigner  les  divines  sagesses, 

A  sa  couronne  — heureux  d'ajouter  pour  fleuron 
La  naïve  àme  d'or  de  mon  frère  Huron  ! 
Et  démon  cœur  fervent,  de  mes  mains,  de  ma  bouche, 
Je  donnais  une  forme  à  la  terre  farouche  ! 


Tout  le  pays,  dont  j'ai  dessiné  Jes  contours. 
Les  fleuves,  dont  ma  rame  a  remonté  le  cours, 
Les  lacs,  les  bois,  les  monts,  qu'une  carte  nouvelle 
Pour  la  première  fois  au  Vieux  Monde  révèle. 
Avec  des  noms  amis,  garants  de  mes  succès, 
Tout  s'est  mis  à  parler  humainement  français  ! 

Mais  chaque  fois,  après  l'aventure,  —  fidèle 
Et  joyeux,  vers  toi,  mon  Québec,  la  citadelle 
De  ma  race,  si  bien  assise  à  ton  rocher 
Que  nulle  main  jamais  ne  l'en  doit  détacher, 
Vers  toi,   l'abri  sacré,  le  foyer  domestique, 
J'accourais  réclamer,  comme  une  aide  mystique, 
Sous  l'aile  lutélaire  et  blanche  des  drapeaux, 
Le  rafraîchissement,  la  force  et  le  repos  1 

A  présent  —  grâce  àDieu — j'ai  fini  ma  journée... 
La  nuit  vient  :  près  de  la  faucille  abandonnée, 
Sur  l'amas  des  épis  croulants,  avec  bonheur, 
S'incline  et  va  dormir  le  front  du  moissonneur. 
A  vous  mes  compagnons,  qu'à  ma  place  j'enrôle. 
Ce  patrimoine  !  A  vous,  sur  votre  mâle  épaule 
De  charger  mon  fardeau  de  rêve  et  d'avenir  1 
A  vous,  de  bien  défendre,  en  sachant  vous  unir, 
L'honneur  de  ma  maison...  une  maison  de  France  [ 
—  Et  n'ayez  peur  de  rien.  Mais  pour  plus  d'assurance. 
Mes  iils,  dites  chacun  toujours  :   «  Je  me  souviens  ! 
«  Voilà  ce  que   Champlain  croyait,  disait.  Ses  biens, 
1«  Son  langage  et  sa  foi,  sont  demeurés  les  nôtres  : 
«Tels qu'il  nous  les  transmit,  nouslesdevons  à  d'autres. 


-   74  - 

<(  Aujourd'hui  comme  hier,  demain  comme  aujourd'hui 
<(  Je  me  souviens  1  Je  parle  et  je  crois  comme  lui.  » 
Dites  cela,  mes  fils,  et  je  puis  vous  promettre 
De  ma  tombe,  qu'avec  l'aide  du  Divin  Maître, 
Vivants  et  morts  ensemble  associant  nos  cœurs, 
Sur  le  roc  de  Québec  nous  régnerons  vainqueurs  I  » 


m 


—  C'est  ainsi  qu'à  genoux,  en  ce  soir  de  décembre, 
Les  amis  du  Héros,  réunis  dans  sa  chambre. 
Comme  ils  s'y  rassemblaient  pour  prier  chaque  soir 
Crurent  l'entendre  encor  ranimer  leur  espoir. 
La  cloche  de  Notre-Dame  de  Recouvrance 
Tintait...  Il  leur  revint  une  grande  vaillance. 
La  mort,  c'est  aux  croyants  le  seuil  d'éternité  : 
Champlain  dans  tous  ses  fils  vivait  ressuscité  ! 


4- 


CONQUÊTES     FRANÇAISES. 


«4/    \}/    ^/ 


(L'hôtel  de  ^ambonïllef. 


A  Laure  Conax. 


a  Chambre  Bleue,  où  c(  l'Incomparable  Arthénlce  » 
Trône...  Autour  du  haut  lit  de  parade  rangés, 
L>'Astrée  a  réuni  ses  plus  galants  bergers  : 
Pour  le  tournoi  badin  l'esprit  ouvre  sa  lice. 


\ssauts,  feinte,  riposte,  et  coups  droits  échangés: 
De  toutes  parts  jaillit  l'étincelle...  Délice, 
(.'.<  Ame  du  rond  »,  pimpant,  pétillant  de  malice, 
ji'  Valère  »  se  prodigue  en  mille  traits  légers... 


-  76- 

Révérences  de  cour...  Bel  air...  Grâce  jolie.  . 
Parfums  subtils  de  la  «  Guirlande  de  Julie  »... 
Rares  sonnets  d'un  soir,  dont   on  discourt  dix  ans  .. 

Soyez  loués  1   — •  Ce  sont  vos  «  Précieux  »,  Marquise, 
Dont  le  français  reçoit  le  plus  fin  des  présents, 
Sa  première  leçon  de  politesse  exquise... 


ofe 


II 

dMalliezbe. 


A   l'auteur  des 

Visions  gaspésiennes, 

M"«  Blanche    L\moxtagxe. 

Les  meilleurs  esprits  vous 
doivent  cet  hommage  d'ap- 
prouver ce  qui  vient  de  vous 
comme  parfait.  » 

(Richelieu.) 


On  n'aime  pas  toujours  voire  sèche  froideur 
Ni  votre  morgue,  ô  vieux  poète  u  pédagogue  », 
'!  Tyran  »  bourru  des  mots  et  des  rimes,  grondeur 
largneuxcomme  un  chardon,  piquantcomme  uneboguel 

;/otre  férule,  hostile  à  tous  les  noms  en  vogue, 
Sifflait,  et  vous  dictiez  vos  lois  avec  raideur... 
dais  qu'importe  à  nos  cœurs  votre  ton  brusque  etrogue, 
ii  votre  strophe  exacte  a  connu  la  grandeur. 


-  78  - 

Si  votre  œuvre,  pénible  et  lente,  courte  et  triste, 
Mais  fîère,  sut  forger,  ô  gentilhomme  artiste, 
De  beaux  vers  immortels,  aussi  durs  que  l'airain 

^  ous  croyiez  justement,  ô  François  de  Malherbe, 

A  la  pérennité  du  labeur  souverain  : 

Gloire  à  qui  s'efforça  pour  la  gloire  du  verbe  1 


ms^i&^m:^m!s^jê^m^smBmm 


lïi 

Balzac, 


A  M.  Edouard  Moxtpetit, 
Professeur  à  l'Université  Laval. 

«  La    diction    de  vos  lettres  est 
pure,  les  paroles   choisies.,, 
et  les  périodes   accomplies 
de  tout  leur  nombre.  » 

^Richelieu.) 


Non  moins  que   les  beaux  vers  chante  la  belle  prose. 
L'éloquence  a  son  art,  ses  mystères  sacrés, 
Ses  vocables  choisis,  que  l'oreille  dispose 
En  rythmes  vifs  ou  lents,  sagement  mesurés. 

La  pensée  en  musique,  au  gré  du  virtuose, 
Monte,  épandant  son  flux  sonore,  par  degrés  ; 
Et  l'ample  période  ouvre,  comme  une  rose, 
•Sou  cœur  épanoui  de  pétales  pourprés. 


i 


—  8o  — 

C'est  toi,  Balzac,  qui  mis  dans  nos  discours  le  nombre,] 
Les  jeux  de  la  lumière  alternant  avec  l'ombre, 
Des  grands  balancements  la  pompe  et  le  décor. 

Mais  d'où  vient  le  secret  de  ta  phrase  vibrante  ? 

?S 'en  as- tu  pas  perçu  l'harmonieux  accord 

Dans  les  hauts  peupliers  des  bords  de  ta  Charente  !' 


IV 

%^  auge  lad. 


A  M.    Sylva    Ci 

«  Le  plus   soge  écrivain  de 
noire  langue.  »  (Boileau.) 


Claude  Favre,  baron  de  Pérores,  seigneur 
De  \augelas,  trente  ans,  méticuleux  et  sa^-e, 
A  la  ville,  à  la  Cour,  cueille  sur  son  passage 
Dans  la  moisson  des  mots  sa  gerbe  de  glaneur. 

Trente  ans,  gra^e,  il  écoule,  et  trouve  un  grand  lionneur 

A  se  dire  «  greffier  des  arrêts  de  l'Usage  ». 

De  la  parole  ailée  il  fixe  le  visaf^e  ; 

Il  épure  son  grain  an  crible  du  vanneur. 

SaNoisien,  sur  la  foi  d'oracles  qu'il  consulte, 
pu  français  le  plus  noble  il  conserve  le  culte... 
Tel  l'ami  de  nos  champs,  qui  des  plus  rares  fleurs 

Nous  compose  un  herbier...  Tel,  sous  la  transparence 
Du  verre,  le  chasseur  de  papillons  de  France 
Qui  du  butin  du  ciel  nous  garde  les  couleurs... 

LE   CANTIQUE  P 


^'oAcadémie  fzauçaiôe. 


A  M.  Ferdinand  Roy, 

ancien  président  de  l'Institut 

canadien  de  Québec. 

Sa  principale  fonction  est  d'é- 
tablir des  règles  certaines 
pour  le  langage  français.  » 
(Lettres  patentes  de   1635). 


Le  Ministic,  qui  songe  à  gouverner  la  Langue 
Comme  l'Etat,  étend  la  main  et  dit  :  «  Le  Roi 
«  Au  peuple  obscur  des  mois  doit  iin]ioser  sa  loi  : 
u  La  langue  a  trop  flotté  conmie  un  vaisseau  qui  tangue. 

«  Aux  dévots  du  français  il  ne  faut  qu'une  foi. 

«  Que  tous,  aux  soins  du  vers  comme  de  la  harangue, 

«  Usent  du  même  or  pur  délivre  de  la  gangue  : 

((  Je  parlerai  comme  eux,  mais  eux  tous  comme  moi.  » 


—  SS- 
II dit...  Pour  que  les  mots  ne  forment  qu'un  royaume, 
Les  Quarante,  savants  juges  de  l'idiome, 
Ont  cité  les  suspects  devant  leur  tribunal. 

Tout  semble  soumis...  Plus  de  rebelle  qui  bouge  !... 
Notre  Langue  a  senti  sur  elle,  ô  Cardinal, 
Passer  superbement  ta  longue  robe  rouge  !... 


-1^ 


1 


YI 


(En   Canada, 


An  savant  historien  de  La  Race 
française  aux  Etats-Unis, 
M.  ^at^é  D. -M. -A.  Magnan. 


Va,  mon  français,  aussi  sur  de  lointains  rivages 
Dans  renchevêtrement  ténébreux  des  grands  bois, 
Au  bord  des  lacs,  parmi  les  huttes  des  sauvages, 
Etendre  et  propager  l'écho  fier  de  ta  voix. 

Ne  crains  pas,  mon  français,  les  rudes  hivernages. 
Les  pénibles  labours  et  les  sanglants  exploits  : 
C'est  toi,  dans  la  vertu  des  saints  pèlerinages, 
Qui  dois  partout  prêcher  l'Evangile  et  ses  lois. 

C'est  toi...  c'est  vous,   ô  ma  Langue,  qui  la  première 
Devez  porter  la  paix  et  la  douce  lumière. 
Par  l'àpre  solitude  où  le  Christ  vous  attend. 

Là-bas,  ô  mon  français,  sans  calcul  et  lyrique, 
Allez  vivre  et  prier  et  combattre  en  chantant 
Dans  le  décor  d'un  beau  paysage  héroïque  1 


(iJ (invocation  pont  'Ville-oMazie, 


A  Sa  Grandeur  Mgr  P.  Hruchési, 
archevêque  de  Montréal. 

«  Ces  âmes  d'élite  s'étaient 
rassemblées  en  la  grande 
église  de  Notre-Dame  de 
Paris  ..  0/1  sollicitera  tant 
le  Ciel  en  l'une  et  Vautre 
France  qu'enfin  Dieu  don- 
nera sa  bénédiction  à  celte 
pauvre   terre.    » 

(Relation  de  16i2.) 


L'œuvre  lointaine  —  ici,  dans  celte  cathédrale, 
Est  née  en  des  cœurs  purs,  d'amour  divin  fleuris, 
Au  pied  de  ton  autel,  ici.  sur  cette  dalle, 
0  Notre-Dame  de  Paris  I 

Miracle  de  la  Foi  I  Loin,  très  loin  de  cette  île 
Du  Saint-Laurent,  là-bas,  — sans  connaître  le  lieu, 
C'est  ici  qu'ont  prié  ces  fondateurs  de  ville 
Qui  ne  travaillaient  qu'avec  Dieu  ! 


—  86  — 

Nous  croyons  les  entendre  encor...  «  Sainte  Marie, 

Mère  de  la  France  et  du  Ciel, 
Protégez  tendrement  la  naissante  patrie 

De  votre  grand  nom  maternel  ! 

0  très  Sage,  6  très  Douce,  ô  secourable  Etoile, 

Sur  la  vaste  mer  sans  chemin, 
Soutien  de  vos  enfants,  —  sans  orage  en  leur  voile. 

Guidez-les  au  port  par  la  main  ! 

Seuil  du  Ciel,  Temple  d'or,  Tour  d'ivoire,  ô  Sublime. 

Sur  la  terre  au  sauvage  accueil. 
Pour  vos  fervents  Croisés,   de  la  jeune  Solyme 

Bénissez  les  tours  et  le  seuil  ! 

Rose  mystique  !  Fleur  de  l'Aurore  !  ô  Bénigne, 

Soyez  l'aube  d'un  nouveau  jour  ! 
Au  peuple  des  gentils  imposant  votre  signe, 

Ouvrez-leur  la  porte  d'amour  ! 

Peut-être  y  souffriront  ceux  que  la  Croix  attire  : 

0  Princesse  des  Sept  Douleurs, 
Donnez-leur,  s  il  le  faut,  la  palme  du  martyre. 

Accordez-nous  le  don  des  pleurs  ! 

Mais  pour  briser  le  Mal,  notre  Avocate  aimée, 

Pour  avoir  raison  des  bourreaux. 
Priez  !  et  votre  appui,  qui  vaut  mieux  qu'une  armée, 

Nous  fera  des  cœurs  de  héros  ! 


-  -^7  - 

Et  grâce  à  Vous,  ô  Triomphante,  ù  Salutaire, 

Reine  des  soirs  victorieux, 
Le  grain  de  sénevé  pourra  couvrir  la  terre 

Sous  l'apaisé  regaixl  des  cieux  I  » 

—  Ainsi  priaient  tes  fils,  magnifique  Ouvrière  1 
Et  -Maisonneuve  aidant,  ton  chevalier  féal. 
Ta  ville  en  même  temps  naissait  de  leur  prière, 
^Îotre-Dame  de  Montréal  ! 


^ 


(Les  'Consolations, 

(a  l'hôpital   de  VILLE-MARIE  VERS    l645) 


A  son  Honneur  le  Maire  de  Montréal, 
M.  Oscar  Lavallée. 


Une  lueur  s'épand,  très  douce,  par  la  salle, 
Sur  les  lits  blancs,  le  long  des  lambris,  d'où  s'exhale, 
Fraîche  encor,  la  senteur  de  la  grande  forêt... 
Le  blessé  se  réveille  et  suit  le  pas  discret 
De  celle  qui  va,  vient,  et  le  panse,  et  l'exhorte. 
Et  dont  il  guette,  ému,  le  retour,  par  la  porte 
Du  petit  oratoire  où  Dieu  veille  présent. 
Oh  !  le  cher  abri  sûr  et  calme  et  reposant  ! 
—  Et  pourtant,  songe-t-il,  par  delà  l'estacade 
Des  murs  de   bois,  la   Mort  s'arme  dans  l'embuscade 
De  riroquois  rampant  sous  les  taillis  épais. 
C'est  un  royaume,  ici,  d'évangélique  Paix, 
D'Espérance  berceuse  et  de  Miséricordes  ; 
—  Et  là,  dehors,  tout  près,  se  déchaînent  les  hordes 


-89  - 

Furieuses,  inexorables  de  l'Enfer  !... 
Quand  l'aube  va  rayer  bientôt  l'horizon  clair, 
L'aboîment  de  nos  chiens,  flairant  la  piste  fraîche. 
Répétera,  pressant,  ses  appels,  et  la  flèche 
Criblera  de  partout  les  feuillages  brisés, 
Et  sur  sa  proie,  avec  ses  couteaux  aiguisés, 
Bondissant,  le  chasseur  fauve  de  chevelures, 
Pu  scalpe  en  la  chair  vive  imprimant  les  brûlures. 
Sur  les  yeux  aveuglés,  sur  le  corps  frémissant, 
Fera  descendre  en  pleurs  la  couronne  de  sang  ! 
0  vision  horrible  !  —  et  le  Montréaliste 
Tressaille,  appelle,  ébauche  un  geste  d'exorciste, 
Ou,  se  souvenant  trop,  lève  un  bras  affaibli 
A  son  front  de  martyr,  sous  le  bandeau  pâli... 
Mais  voilà  que  sur  lui  sa  gardienne  fidèle. 
Accourant,  s'est  penchée,  —  et  lui,  soudain,  près  d'elle, 
Sitôt  qu'il  a  senti  du  fond  de  son  malheur 
Des  doigts  de  Véronique  essuyer  sa  douleur, 
,11  laisse  fuir  sa  crainte  et  se  calmer  sa  fièvre... 
S'il  ne  la  voit,  qu'importe?  Il  l'entend...  De  sa  lèvre 
Des  mots  consolateurs,  qu'elle  trouve  d'instinct, 
Coulent,  fraiscomme  uneonde  et  clairs  comme  un  riiatin. 
Il  lui  sourit,  les  yeux   fermés...  Ces   mots  de  France 
Ont  d'un  charme  subit  éloigné  sa  souffrance  : 
Oesmots  ont  remué  son  cœur  si  tendrement... 
N'est-ce  pas  quelque  sœur  ou  sa  vieille  maman 
^u'il  entend  lui  parler,  si  simple  et  si  profonde  ? 
D'est  tout  le  vieux  pays,  avec  ce  que  le  monde 
i\enferme  de  meilleur,  qu'évoque  son  esprit. 
[[-■a  vie  est  bonne  encore...  Il  écoute,  et  sourit... 


—  90  — 

Oh  !  soyez  donc  bénie  à  jamais,  Jeanne  Mance, 
Cœur  catholique,  cœur  de  femme,   cœur  de  France, 
Qui  pour  tant  de  détresse  avec  joie  apportez  , 

Tant  d'héroïques,  tant  de  suaves  bontés  1 


I 


^ 


g®^®«®®®®s®®®®«>®® 


^ozneille  à   Québec. 

(3l    DÉCEMBRE    l646) 


A  Son  Honneur  le  Maire  de  Québec, 
M.  Napoléon  Drouis. 

«  Le  dernier  jour  de  l'an,  on 
représenta  dans  le  Magasin 
une  action  du  Cid.  Nos 
Pères  y  assistèrent  par  con- 
sidération de  M.  le  Gouver- 
neur qui  y  avait  de  l'afFec- 
tion,et  les  Sauvages  aussi... 
Le  tout  se  passa  bien, 
et  n'y  eut  rien  qui  put  mal 
édifier.   » 

{Journal  des  Jésuites,  1646.) 


.e  n'est  point,  Mondorv,  ta  scène  du  Marais, 

■It  certains  spectateurs,  fils  naïfs  des  forets, 

lUx  derniers  bancs,  peut-être  auront  peine  à  comprendre. 

lais  tout  cœur  de  Français  aux  vertus  sait  se  rendre, 


Et  le  peuple,  à  l'accent  des  beaux  vers  surhumains, 
Avec  «  Onontliio  *  »,  charmé,  battra  des  mains. 


! 

i 


Voici  Rodrigue,  fleur  de  la  Chevalerie. 

Qui  porte  en  lui  son  Dieu,  l'Honneur  et  la  Patrie, 

Vengeur  de  son  vieux  père  et  du  nom  castillan  ; 

El  quel  humble  auditeur,  à  l'aveu  du  vaillant  : 

((  Je  le  ferais  encor,  si  j'avais  à  le  faire  », 

Ravi  dans  mie  haute  et  candide  atmosphère, 

Dans  un  monde  idéal  très  pur.  ne  s'est  senti 

Par  l'admiration  jusqu'au  héros  grandi, 

Prêt  aussi  dans  son  cœur,  de  prouesses  prodigue. 

Si  le  devoir  parlait,  à  créer  un  Rodrigue  ? 

Et  quand  don  Diègue  encor,  le  fier  vieillard  chenu, 
Près  du  vainqueur  sans  joie  à  propos  revenu, 
Lui  montre  le  «  moyen  pour  regagner  Chimène  », 
Et,  sortant  du  devoir,  au  devoir  le  ramène, 
—  Quand,  les  Mores  défaits, —  «  d'une  si  belle  nuit  » 
Le  Cid,  devant  le  Roi,  hii-même  nous  instruit. 
Et  prompt,  comme  il  l'obtint,  nous  chante  sa  victoire, 
Vous  avez  cru  revivre  un  peu  de  votre  histoire, 
^'est-ce  pas,  ô  soldats  sans  peur  de  Montmagny. 
Qui  fondez  si  souvent  sur  le  païen  honni, 
Sur  les  Cinq-Nations  dont  se  leva  la  hache  ; 
Et  vous  applaudissez,  ô  jeunesse  sans  tache 
Qui  devez  comme  lui  vivre  dans  le  danger. 
Cette  bravoure,  où  rien  ne  sonne  d'étranger.. 

I.  Le  gouverneur  Huault  de  Montmagny. 


—  90  — 

Corneille,  ù  Canadiens,  Corneille  est  bien  des  vôtres, 
El  sur  ce  sol  tout  neuf  de  lutteurs  et  d'apôtres, 
^ui  doit  vous  demander  tant  de  rares  vigueurs, 
?/est  lui  dont  le  grand  souffle  élèvera  vos  cœurs  ! 


(H^mne  d'un  mart^z  de  (ff tance, 

(l6   MARS    16/49) 


A  M.  l'abbé  Antonio  Huot. 

«  Je  vous  promets,  mou  Dieu, 
si  jamais  dans  votre  misé- 
ricorde vous  m'oifrez  la 
grâce  du  martyre,  de  ne 
m'en  rendre  pas  indigne.  » 

(Jean  de  Brébeuf.) 


L'œuvre  de  Dieu  grandit,  dans  l'épreuve  affirmée. 
De  toutes  parts,  sur  des  liorizons  de  fumée, 
Les  villages  hurons  flambaient...  Les  prisonniers, 
Sous  l'épieu  sans  merci  des  farouches  Agniers, 
Se  pressaient,  douloureux,  vers  le  lieu  de  torture. 
Droit,  les  dominant  tous  de  sa  haute  stature, 
Jean  de  Brébeuf.  l'apôtre  à  la  fois  doux  et  fort, 
D'un  cœur  ferme,  en  chantant,  s'en  allait  à  la  mort. 


—  9J  — 

—  «  Puisque  vous  m'exaucez,  o  Maîlre  de  la  vie, 
\ln  daignant  accepter  l'offrande  de  mon  sang, 

,1e  vous  loue,  ô  mon  Christ,  et  je  vous  magnifie  : 

\  votre  Passion  toute  ma  chair  consent. 

Vous  pouvez  m'infliger  l'angoisse  et  le  supplice 
De  votre  Croix  et  de  vos  clous  : 
Du  suprême  honheur  — jaloux, 
—  Celui  de  votre  amer  calice  — 
Le  soldat  de  votre  Milice 
Saura  souffrir,  digne  de  Vous  1  «  — 

Près  des  poteaux  dresses  la  torche  ardente  est  prête  : 
Calme,  devant  le  sien  s'humihe  et  s'ariête 
Jean  de  Bréheuf,  l'apôtre  à  la  fois  fort  et  doux. 
Pour  baiser  l'instrument  de  sa  peine  —  à  genoux. 
Le  feu  s'allume.  —  o  Echon,  veille  sur  nous  et  prie  1  » 

—  «  Frères,  ne  craignez  rien.  La  céleste  patrie 
Va  s'ouvrir,  éternelle,  après  ce  court  tourment.  » 

—  u  Echon,  invoque  encor  le  grand  Esprit  clément  !  » 

—  «  Seigneur,  monbeau  Seigneur  Jésus,  par  la  souffrance 
De  votre  front  royal,  d'épines  déchiré. 

Par  le  sang  de  vos  mains,  par  le  trou  de  la  lance 
Qui  s'enfonce  à  nos  yeux  dans  votre  flanc  sacré, 
Par  toutes  nos  douleurs  qui  disent  vos  louanges. 

Si,  comme  il  sied,  je  vous  servis. 

Parmi  ces  cœurs  simples,  ravis. 

Envoyez  vos  cohortes  d'Anges 

Cueillir  les  divines  vendanges 

Pour  les  lètes  de  vos  Parvis!   » 


-  90  - 

Brébeuf,  fidèle  au  Maître  et  pareil  aux  Apôtres, 
Oublie  ainsi  ses  maux  en  ne  songeant  qu'aux  autres  ;■ 
Mais  la  horde  implacable,  attachée  à  son  corps, 
Ravive  dans  ses  chairs  mille  petites  morts, 
Enflamme  sur  son  front  des  couronnes  d'écorce... 
Tandis  qu'émerveillant  ses  bourreaux  par  sa  force, 
Lui,  magnifiquement  soutenu  par  son  Dieu, 
Chante  encore,  indomptable,  auréolé  de  feu  ! 


—  ((  Douleur,  joie  1  Ohl  merci,  Jésus,  de  celte  insigne 
Grâce  de  mon  Calvaire  avec  Vous  et  pour  Vous  1 
Vous  venez  au-devant  de  moi,  me  faisant  signe 
Que  le  Ciel  n'est  plus  clos  pour  le  pécheur  absous... 
Et  je  vais  donc  laisser  ce  pays  tributaire 

Du  Dieu  Sauveur  en  qui  je  crois  : 
Qui  pourra  jamais,  Roi  des  Rois, 
Forcer  vos  enfants  à  se  taire, 
Déraciner  de  cette  terre 
L'arbre  vainqueur  de  votre  Croix  ?  » 


Jean  de  Brébeuf,  chantant,  résiste  et  s'encourage, 
Mais  des  chiens  de  l'Enfer  irrite  encor  la  rage. 
Ils  bondissent  sur  lui,  s'acharnent,  lui  tranchant 
Les  lèvres,  dont  paraît  les  défier  son  chant, 
Lui  plongeant  dans  la  gorge  une  cuisante  empreinte. 
Rien  ne  peut  l'émouvoir,  lui  tirer  une  plainte. 
Dépecé  par  le  fer,  arrosé  d'eau  qui  bout. 
Le  soldat  de  Jésus,  impassible  cl  debout. 


—  97  — 

Semble  dans  sa  poiliine  encor  rythmer  un  psanme... 
Jusqu'à  ce  que,  d'un  coup  au  cœur  hâtant  son  vœu, 
Comme  une  fleur  fauchée  exhale  son  arôme, 
Sa  belle  àme  en  plein  ciel  jaillisse  aux  pieds  de  Dieu  ! 


I.E    CANTlglE 


f;ff;^;^mi|f;^mWfH^^^ 


(Les    dix-sept  noms 

(inscrits    al    REGISTUK   MOUTIAIRE  DE  VIELEAIARIE 
LE    3    JllN    l()Go) 


A  M.  J.-B.   L\GACÉ, 
Professeur  à  l'Unioersité  Laual. 

«  Il  faut  ici  donner  la  gloire 
à  ces  dix-sept  Français  de 
Montréal  et  honorer  leurs 
cendres  d'un  éloge  qui  leur 
est  dû  avec  justice...  Tout 
était  perdu,  s'ils  n'eussent 
péri,  et  leur  malheur  a  sauvé 


c(^  pays. 


(Rclalion  de  1660.) 


Dix-sepl  sont  morts  pour  tous,  volontaires  victimes. 
—  Le  prêtre  *,  qui  connut  leurs  vaillances  intimes, 
Pieusement,  du  Chef  et  de  ses  compagnons 
Sur  l'humble  obituaire  éternise  les  noms... 


L'ahbé   Souart. 


—  <)!)  — 

Lu  mois  plus  loi,  ici  même,  en  Aiile-Marie, 
Que  menaçait  un  flot    montant  de  barbarie. 
C'est  lui  qui  dans  son  cœur,  devant  ce  même  autel, 
Reçut  de  ces  soldats  le  serment  immortel, 
Lui  qui  les  confessa,  leur  remit  toute  faute, 
Et  qui,  donnant  Jésus  à  leur  âme  pour  hôte, 
Leur  dit  :    u  Allez,  mes  fds,  bravement...  Le  chrétien 
Qui  porte  en  soi  son  Dieu  ne  peut  plus  craindre  rien...  » 
Et  maintenant  qu'ils  sont  tombés  pour  la  patrie, 
Le  prêtre,  avec  des  mots  de  prière  attendrie 
Qu'il  laisse,  comme  une  eau  sainte,  goutter  sur  eux, 
Inscrit  dans  la  splendeur  les  noms  des  dix-sept  preux. 

—  (I  Le  chef,  Adam DoUard des.  0/v»t'aHx...Labelleâme 
Fervente,  enthousiaste,  et  dont  la  jeune  flamme 
Fit  pour  notre  jeunesse  un  sublime  entraîneur  ! 
Que  Dieu  le  garde  en  grâce  et  nos  fils  en  honneur  !... 
JacfjLies:  Brassier,  Jean  Tavernier  dit  Hochetière, 
Nicolas  TiUeinoiil...  Toute  une  fleur  très  fière. 
Très  pure,  de  la  race,  et  dont  les  vingt-cinq  ans 
Promettaient  tant  de  fruits  au  bout  de  leur  printemps. .. 
Laurent  Hébert,  si  grave,  Alonié  de  lEstres, 
Si  haut,  que  leurs  pensers  ne  semblaient  plus  terrestres. . . 
Nicolas  Josselin,  de  candeur  revêtu... 
Ayant  bien  su  prier,  tous  ont  bien  combattu... 
Jacques  Boisseau,  Louis  Martin,  Robert  Jurée... 
De  ces  noms  que  j'écris  chaque  lettre  est  sacrée  : 
Qu'ils  vivent  grands  et  beaux,  autant  que  leur  dessein  I 
Simon  Genêt,  Franrois  Crusson,  Hené  Doussin, 


lOO    — 

Rohiii,  Chrislophe  A  iic/ier,  Jean  1  alels,  Jean  Le  Compte. . . 
Noms  simples,  radieux  !  Que  chacun   d'eux  raconte. 
Si  notre  peuple  un  jour  souffre  un  pareil  assaut, 
Ce  que  put  l'héroïsme  au  péril  du  Long-Sault, 
Qu'il  faut  tout  espérer,  tant  que  la  juste  cause 
Trouve  pour  la  détendre  un  Français  qui  s'expose  !... 
Et  puisqu'en  cet  instant  mon  devoir  bien  rempli 
Vous  a  mis  en  lumière,  exhumés  de  l'oubli. 
Avec  vos  dix-sept  noms  que  notre  amour  admire, 
Noms  aspergés  d'hysope  et  parfumés  de  myrrhe, 
Noms  français,  dans  la  gloire  à  jamais  triomphants... 
Laissez-moi  vous  donner  quelques  pleurs, — mes  enfants!  w 


^^^^K^^^^^^^^^^^^^^ 


(Les  qA dieux  d'une  oMète, 

(3o  AVRIL    1672) 


A  Mgr  Mardis,   P.  A., 
vicaire    général  de    Québec. 

«  Je  voudrais  faire  sortir  mon 
cœur  par  ma  langue  pour 
dire  à  mes  chères  néo- 
phytes ce  qu'il  sent  de 
l'amour  de  Dieu... 

Je  ne  regarde  pas  le  présent, 
mais  l'avenir,  m'estimant 
heureuse  d'être  emploj-ée 
dans  le  fondement  d'un  si 
grand  édifice.  »  Mère  Marie 
de  l'Incarnation.) 


Déjà  le  crépuscule,  au  fond  du  monastère 
Silencieux,  baignait  de  son  troublant  mystère 
La  cellule,  où,  docile  au  souverain  Décret, 
Sur  un  grabat  de  pauvre,  au  Ciel  se  préparait 


102 


La  Servanle  du  Dieu  d'auiour  :  surnaturelle. 

La  mort  semblait  descendre  avec  le  soir  sur  elle  ; 

Et  plus  l'âpre  souffrance  aurait  dû  la  briser, 

Plus  doux  au  Crucifix  s'attachait  son  baiser, 

Plus  calme  sur  ses  Sœurs  s'épaudait  son  sourire... 

—  «  Laissez  entrer,  dit-elle  enfin  :  pourquoi  proscrire 

(I  Mes  fidèles  Hurons.  que  j'entends  dans  l'enclos, 

((  En  bas,  me  désirer  avec  tant  de  sanglots  ? 

«  Laissez-les  entrer  tous  :  donnez-nous  cette  joie 

«  Qu'une  dernière  fois  encor  je  les  revoie...  » 

Et  tout  d'abord,  autour  de  leur  sainte  Maman 
La  troupe  des  enfants  sauvages,  sagement, 
S'agenouilla,  craintive  et  dolente,  en  couronne, 
Tandis  que,  plus  hardie,  une  jeune  Huronne, 
\int,  lui  baisant  sa  main  de  marbre,  lui  parler  : 
«  —  Est-ce  vrai,  comme  on  dit,  que  tu  vas  t'en  aller, 
«  Mère,  et  quitter  ton  cher  abri  des  Ursulines  ?... 
<(  Tu  ne  peux  pourtant  pas  nous  laisser  orphelines, 
((  Seules  ainsi  !  Sans  toi,  le  soleil  de  l'été 
«  N'aura  plus  rien  pour  nous,  ni  chaleur  ni  clarté. 
«  Et  nous  faudra-t-il  voir  reverdir  le  grand  frêne, 
«  Sans  qu'à  son  ombre  encor  ta  bonté  nous  apprenne 
((  Les  beaux  cheminsd'amour  qui  conduisent  au  Ciel  ?  »  - 

Un  vieux  chef  montagnais  s'avança,  solennel. 

—  ((  Mère  des  Canadiens,  reprit-il.  sainte  femme, 

c(  Cela  ne  te  fait  rien  de  partir  :  car  ton  àme, 

(I  A  toi,  va  vivre  heureuse  avec  le  Grand  Esprit. 

((  Mais  nous,  seuls,  qu'allons-nous  devenir.^  Qui  nourrit 


lOO    — 

((  Les  enfants,  quand  s'en  \a  la  mère,  ou  les  console  ? 

((  Et  tes  yeux  l)ons,  la  bouche  à  la  chaude  parole, 

«  Tes  secourables  mains,  ton  cœur  qui  s'immola 

<(  Plus  de  trente  ans,  si  Dieu  nous  reprend  tout  cela, 

((  Comment  veux-tu  sans  toi  que  nous  goûtions  la  vie  ? 

('   Mais  avant  que  le  Roi  de  Gloire  t'ait  ravie, 

«  Pour  te  montrer  combien  nous  t'aimons,  je  voudrais 

«  Te  donner  une  offrande  égale  à  nos  regrets  : 

«  Tiens!  prends-moi  mon  plus  beau  collier  de  porcelaines. 

((  Pendant  que  toi  Là-Haut  tu  t'en  vas,  les  mains  pleines 

«  De  tout  Ion  pur  froment  recueilli  grain  par  grain, 

((  Nous,  nous  restons  ici.  prisonniers  du  chagrin  1...  » 

Elle  étendit  la  main  pour  bénir  sa  famille  : 

—  «Merci!...  Mais  quand  le  Père  appelle  à  Lui  sa  fille, 

«  Ne  pleurez  pas  devant  l'Ange  libérateur  !... 

«  Mes  petites  enfants,  délices  de  mon  cœur, 

«  Quand  le  Seigneur  Jésus  m'ouvre  son  bleu  portique, 

«  Il  faut  vous  réjouir  et  chanter  un  cantique... 

<|  Et  puis,  mes  Canadiens,  sachez  que  le  trépas, 

((  Parmi  les  vrais  croyants,  ne  les  sépare  pas  .. 

«  Allez  ! . . .  Que  le  méchant,  seul,  se  lamente  et  tremble  I 

«  Vous  ici,  moi  Là-Haut,  nous  resterons  ensemble 

«  Toujours,  dans  la  prière  et  dans  l'amour  unis... 

«  Allez  !  priez  en  chœur,  pleins  d'espoir,  —  mes  bénis  !  »^  - 

Comme  clic  avait  dit,  tous  s'en  allèrent  sans  plainte. 
Et  quand,  la   nuit  tombée,  eut  expiré  la  sainte, 
Ils  sentirent,  levant  aux  étoiles  leurs  yeux. 
Qu'une  Mère  veillait  encor  du  haut  des  Cieux. 


LES  «  AMBASSADEURS  DE  DIEU  » 
*ir  *ii'  ■^ 

I 
^  os  su  et. 


A  Mgr  Albert  Guértin, 
éoêque  de  Manchester  (E.-U.). 

«  Le  prédicateur  évangélique 
est  celui  gui  fait  parler 
Jésus- Chvisl.    » 


Comme  vos  pieds  sonl  beaux,  hérauts  de  l'Evangile  !. 
—  Voici  l'homme  de  Dieu,  l'auguste  pèlerin, 
Qui  vient  avec  la  paix,  quand  notre  foi  vacille. 
Apporter  le  salut  du  Christ,  son  Suzerain. 

Aux  folles  passions  c'est  lui  qui  donne  un  frein, 
Aux  farouches  douleurs,  lui  qui  donne  un  asile  : 
Sa  voix  tour  à  tour  d'or,  de  cristal  ou  d'airain, 
Pétrit  comme  il  lui  plaît  nos  faibles  cœurs  d'argile. 


—    lOJ   — - 

Des  sagesses  du  Ciel  interprète  sacré, 

Il  fait  passer  en  toi,  le  sublime  inspiré, 

0  cher  parler  de  France,  un  grand  souffle  oratoire 

Sa  lèvre,  qu'Isaïe  embrasa  de  son  feu. 

Te  remporte  à  jamais  ta  plus  haute  victoire, 

Celle  qu'un  cœur  d'apôtre  a  pu  gagner  pour  Dieu  ! 


...  Mon  discours,  dont  vous 
vous  croyez  les  juges,  vous 
iugora  au  dernier  jour  !... 


Il  parle,  et  l'Ame  écoute...  Il  poursuit  de  ses  traits- 
L'orgueil  qui  s'enhardit,  l'erreur  qui  se  déguise. 
Tout  le  feu  des  désirs  qui  dans  la  chair  s'attise 
Pourne  laisser  bientôt  que  cendre  et  que  regrets. 

\ainement,  ô  pécheur  endurci,  tu  voudrais. 
Comme  se  pend  la  chèvre  à  la  fleur  du  cytise, 
Suivre  ta  folle  erreur,  ta  vaine  convoitise... 
Du  Dieu,  juge  infaillible,  il  t'apprend  les  décrets. 

Dieu  seul  règne...  Aux  accents  des  prophétiques  lyres. 
Il  couvre  d'un  linceul  de  pourpre  les  empires, 
Comme  il  ensevelit  le  vainqueur  de  Rocroy  : 

Tranquille  justicier,  qui  frappe  sans  riposte. 
De  toutes  nos  grandeurs,  sacrificateur- roi. 
Il  offre  à  l'Eternel  le  suprême  holocauste  ! 


io6 


«  Une  puissance  surnaturelle... 
Des  éclairs  qui  percent,  un 
tonnerre  qui  émeuve,  un 
foudre  qui  brise  les  cœurs...  » 


Il  parle,  et  sans  effort  sa  glorieuse  phrase 

Nous  ravit,  nous  soulève  en  un  large  frisson 

D'Infini,  par  delà  notre  bref  horizon, 

Sur  des  sommets,  aux  pieds  du  Seigneur,  dans  l'extase. 

Il  parle,  impérieux...  Sa  voix  pénètre,  embrase. 
Contraint  notre  Ame  à  la  sublime  floraison, 
Nous  épanche  avec  lui,  comme  un  parfum  du  vase 
De  la  Magdaléenne,  en  contrite  oraison... 

Sur  la  sainte  montagne  où  l'apôtre  nous  mène. 
C'est  Dieu  même  qui  pense  en  la  parole  humaine. 
Dispensateur  du  blâme  ou  du  grave  conseil  ; 

Et  tandis  qu'il  traduit  les  célestes  maximes, 

Nos  cœurs  n'habitent  plus  que  sur  de  blanches  cimes 

Où  plane  en  l'azur  libre  un  grand  aigle  au  soleil  ! 


lO' 


«  ...  Ainsi  cette  vertu  céleste 
conserve  toute  la  vigueur 
qu'elle  apporte  du  ciel  d'où 
elle  descend.  » 


Parfois  sa  grande  éloquence  sacerdotale, 
Qu'attendrit  la  pitié  de  l'Homme-Dieu,  consent 
A  se  faire  humble  avec  les  petits,  et  descend 
Près  de  nous,  simple  et  plus  doucement  amicale, 

Pourtant  pareille  encore  au  fleuve,  dont  s'étale 
Dans  la  plaine  le  flot  magnifique  et  puissant, 
Toujours  prêt  à  montrer,  lorsqu'il  gronde  en  passant, 
Qu'il  sait  se  souvenir  de  la  cime  natale. 

Mais  l'apôtre  s'abaisse  alin  de  saisir  mieux  ; 

Il  nous  prend,  et  bientôt  remonte  vers  les  cieux... 

Chez  lui  toute  parole  a  la  force  d'un  acte. 

L'Ambassadeur  du  Christ  ne  s'estime  content 
Que  lorsqu'il  nous  ramène  enchaînés   à  son  pacte 
Et  jette  aux  pieds  de  Dieu  notre  cœur  repentant  1 


^^^^^^^^^^^^^^^t^^^ 


II 


(gzançois  de   oMontmotencv- Laval 

(séminaire    de   QUÉBEC     MAI     I708) 


A    Sa    Grandeur  Mgr   Bégix, 
archevêque  de  Québec. 

«  Quoi  de  plus  beau  que  de  se 
dévouer,  de  se  dépenser  tout 
entier  pour  le  salut  des 
âmes  ?  C'est  la  grâce  que 
je  demande,  que  j'espère, 
que  j'aime...  » 


C'était  un  de  ces  soirs  mourants  de  la  semaine. 
Où  l'artisan  courbé  d'une  âpre  tâche  humaine. 
Vendangeur  de  la  vigne  ou  grave  moissonneur. 
Voit  approcher,  joyeux,  le  repos  du  Seigneur, 
Mais  se  retourne,  et  jette  un  regard  en  arrière 
Sur  tous  les  pas  saignants  de  sa  longue  carrière.. 
Vieux  serviteur  du  Christ,  comme  il  avait  lutté 
Pour  parfaire  ici-bas  l'oeuvre  d'éternité  !... 


lOQ    

Aux  veilles  des  départs,  l'heure  est  plus  solennelle, 
l:t  la  petite  lampe,  à  ses  yeux  maternelle. 
Devant  son  Crucifix,  dorait  un  dernier  vol 
|)e  méditations  aux  pages  de  saint  Paul, 
leur  à  tour  il  lisait,  priait,  et  ses  pensées, 
A  celles  du  royal  Apôtre  entrelacées. 
Montaient  dans  un  encens  de  cantiques  chrétiens 
Comme  un  adieu  suprême  à  ses  chers  Canadiens. 

—  ((0  mes  petits  enfants,  vous  que  j'ai  mis  au  monde, 

«  Dieu  m'est  témoin,  qui  voit  tous  les  cœurs  et  les  sonde, 

((  Combien  je  vous  aimai,  comme  pour  vous  bénir 

«  En  cet  instant  s'en  va  mon  plus  doux  souvenir. 

«  Depuis  plus  de  vingt  ans  ma  vie  est  demeurée, 

«  Telle  que  je  l'ai  faite,  obscure  et  retirée  ; 

(I  Mais,  posant  sa  houlette  et  ses  plus  fiers  habits, 

«  Le  bon  pasteur  jamais  n'oublia  ses  brebis. 

«  Loin  des  miens,  parmi  vous  toujours,  — par  la  prière, 

«  De  tout  labeur  la  plus  efficace  ouvrière, 

«  Pour  que  Dieu  d'un  trésor  de  grâces  vous  comblât, 

«  J'ai  poursuivi,  fervent,  mon  cher  apostolat. 

((  Canadiens,  fils  de  France,  et  vous,  race  huronne, 

«  0  mes  petits  enfants,  ma  joie  et  ma  couronne, 

«(  Dont  les  succès,  les  maux,  sont  mes  maux,  mes  succès, 

«  Vous  gardez  tout  mon  cœur  de  Prêtre  et  de  Français  !  » 

Il  s'arrêtait,  ému,   dans  le  vaste  silence. 
N'écoutant  que  son  cœur  battre  avec  violence. 
Son  cœur  patriarcal  qui  bientôt  se  tairait. 
Puis  sur  sa  lèvre  encor  la  gloire  respirait  : 


Moi  qui  de  votre  temple  ai  bâti  les  murailles, 

Comment,  pour  vous  chérir,  n'aurais-je  les  entrailles 

De  mon  Seigneur  Jésus  i*  N'ctes-vous  point  les  fils 

De  la  Grâce,  que  j'ai  fait  naître  et  bien  servis? 

IN'ai-je  pas  en  vertus  changé  votre  faiblesse  ? 

Et  n'ai-je  point  conquis  ma  plus  belle  noblesse, 

Celle  qui  dure  autant  que  la  Divinité, 

En  vous  créant^  ô  forte  et  pure  Chrétienté, 

Mère  des  Chrétientés  à  venir  d'Amérique  ?. .. 

Victorieux  orgueil  de  l'œuvre  évangélique  ! 

C'est  moi,  sur  cette  terre  inculte  à  féconder, 

Que  Christ  daigna  choisir  —  ô  bonheur  1  —  pour  fonder 

Une  Eglise  I...  Construire  une  Eglise  nouvelle. 

Un  édifice,  où  Dieu  se  donne  et  se  révèle. 

Avec  des  cœurs  humains  pour  pierres,  pour  ciment 

Un  amour  qui  s'épanche  intarissablement  1... 

Faire  une  Eglise  1  ouvrir  cette  source  de  vie. 

De  lumière,  où  sans  fin  chaque  âme  inassouvie. 

Contemplant  un  Sauveur  sur  ses  douleurs  penché. 

Vient  puiser  l'espérance  et  la  mort  du  péché, 

Et  la  paix  fraternelle,  et  toutes  les  richesses 

Du  pur  Esprit.  Pudeurs,  Charités  ou  Sagesses, 

Et  passe  sans  efforts  —  avec  Christ  au  milieu  — 

De  la  cité  terrestre  à  la  Cité  de  Dieu  1 

Et  de  celte  Eglise,  œuvre  éternelle  et  profonde, 

Qu'enracina  ma  main  fragile  au    Nouveau-Monde. 

C'est  moi  —  merci  d'un  tel  honneur,  o  Dieu  clément!  — . 

Qui  me  liens  pierre  d'angle  et  premier  fondement! ...» 


1 1 1 


Et  le  ^rand  Vieillard,  mains  jointes,  dans  le  m}stère 
Du  pieux  monument  qu'il  laissait  à  la  terre, 
Mais  dont  il  embrassait  tout  le  secret  connu, 
Sous  le  souffle  de  Dieu  baissa  son  front  cbenu. 

Puis  très  lent,  d'une  voix  de  plus  en  plus  éteinte. 
Il  reprit  :   «  Mes  petits  enfants,  vivez  sans  crainte... 

C'est  vrai  que  je  m'en  vais  au  Père  qui  m'attend  ; 

Mais  puisqu'il  nous  appelle,  allons  d'un  cœur  content 

A  Celui  qui  promet  le  ciel  comme  salaire... 

Moi.  je  vous  resterai  fidèle  et  tutélaire, 

Si  vous  priez,  si  vous  demeurez  avec  moi 

Tous  au  sein  de  lEglise  et  de  la  même  foi... 
:<  Mes  chers  petits  enfants,  que  mon  zèle  réclame, 
<  >»e  formez  qu'un  esprit,  qu'une  bouche  etqu'uneàme  ! 
.(  Aidés  des  saints  amis,  qui,  marqués  de  mon  sceau, 
(  Veillent  sur  le  cercueil  comme  sur  le  berceau, 

Conliants,  du  Seigneur  célébrez  les  louanges  ; 

Mangez  le  pain  des  forts  à  la  table  des  Anges  ; 
(  Tous  purs,  tous  dans  le  Christ  unis  et  dans  le  bien, 
(  Aimez-vous,  mes  petits  enfants,  aimez-vous  bien  ! 
(  Croyez  comme  je  crois,  priez  comme  je  prie, 
(  Et  sur  toi,  Canada,   ma  suprême  patrie, 
(  Dieu  répandra  sans  fin,  nous  payant  de  retour, 

Ses  bénédictions  de  justice  et  d'amour  !...  » 


Tel,  sur  sa  terre  cpiscopale,  un  soir  biblique, 
En  levant  vers  le  Ciel  sa  gerbe  apostolique. 
S'en  alla,  glorieux,  dans  la  paix  du  Seigneur, 
Montmorency-Laval,  le  divin  moissonneur  ! 


?^^?i^^?#?r%^§5^^^^«»^^?#?#l^ 


TROPHEES     ROYAUX 
^  *jf  ^ 

I 

X/it  pzocèô-vezbal. 

(au     SALLT  SAINTE-MAHIE   1 4     JUIN     l6~l.) 


A  l'honorable 

M.  WiLFUID  Gaiuépy, 

ministre  dans  le  gouvernement 

de    l'Alberla. 

...  Celte  partiede  la  monar- 
chie    française    deviendra 
quelque  chose  de  grand.  » 
;Talon.) 


Auprès  de  l'écusson  royal,  la  Croix  s'élève. 
Quatorze  peuples,  fils  des   Grands  Lacs,  Miamis, 
Noquets,  Outaouais,  se  pressent,  tous  soumis, 
Pour  le  discours  de  paix  oii  les  groupe   un  beau  rèvc. 


—  ii3  — 

Daiimontde  Saint-Lusson,  devant  les  Chefs  amis 
Dont  Tapplaudissement  dans  les  psaumes  s'achève, 
De  la  terre  en  sa  gauche  et  dans  la  droite  un   glaive, 
Dit  les  pays  de  l'Ouest  à  la  France   promis  : 

Et  pour  mieux  proclamer  que  ce  monde  appartient, 
Plaines,  fleuves,  forêts,  au  très  haut  Roi  chrétien, 
H  a  soin  de  sceller  à  la  hampe,  où  scintillent 

Sur  un  champ  d'azur  clair  les  trois  fleurs  de  lis  d'or. 
Lacté  de  primauté  française,  qu'apostillent 
LOurs  et  le  Caribou,  la  Loutre  et  le  Castor  I 


* 


LE    CANTIQUE 


II 


^iiz  le  ^laiid  (fleuve. 

(juin   1673) 


A  M.  le  D'   Bédard, 

de     Lynn   (E.-U.), 

ancien  président 

de  la  Société  historique 

franco- américaine  de  Boston. 

«  ...  Nous  entrons  heureuse- 
ment dans  le  Mississipi  avec 
une  joie  que  je  ne  peux  pas 
m'expliquer. . .  » 

(Journal  DE  M.^rquette.) 


Vers  le  lever  sans  fin  de  nouveaux  horizons, 
Tantôt  sous  des  rocs  noirs,  tantôt  par  la  clairière 
De  4a  vaste    savane   accueillante  aux  bisons, 
La  barque  s'avançait,    glorieuse  :    à  l'arrière, 

Sur  les  flots  limoneux  de  la  large  rivière, 
Où   se   baignaient  parfois  d'épaisses  frondaisons, 
Le  héraut  de  la  paix,  armé  du  bréviaire, 
Lançait  aux  bords  surpris  l'appel  des  oraisons. 


I  10    

Et  le  Chef  illinois,  pour  fêter  sa  venue. 

Faisait,  grave,  debout,  les  deux  mains  vers  la  nue. 

Au  crible  de  ses  doigts  des  rayons  d'or  pleuvoir  : 

«  Français,  lui  disait-il,  j'admire  ton  pouvoir  : 
((  Toi  qui  connais  le  Grand  Esprit,  je  te  saluée 
((  Que  le  soleil  est  beau,  quand  ton  cœur  nous  vient  voir 


S5^^^^^^^^^!^^^^^^^1^ 


III 


(La  cade  de  (Loais  Jolliet. 

(novemure   167 '|.) 


A  M.  Hexri  Gvillet, 
avocat,    président     général 
des  Forestiers  franco- 
américains. 


Longtemps  j'ai  contemplé  cette  carte,  qu'inspire 
L'orgueil  d'un  monde  immense  à  notre  race  ouvert. 
Ni  villes  ni  chemins  dans  ce  sauvage  empire  : 
Rien  que  le  AvigAvam    rouge  ou  rien  que  l'arbre  vert. 

Ce  désert,  Jolliet,  ton  cœur  la  recouvert 
De  noms  seuls  d'amitié  que  notre  cœur  désire  : 
Avec  toi  je  descends  sur  «  Divine  *  «  et  «  Colbert  ^  » 
Pour  rejoindre  avec  loi    lArkansas,  ton  «  Bazire  ^  ». 

I.  Ou   rOulrelaise,  VIlUnois. 

a.  D'abord  «  Ri^iè^e  Buade  »,  h'  Mississiiji. 

3    Charles  Basire^  receveur  général     des  droits  du  Roi  à  Qué- 
bec, dont  il  devait  épouser  la  jeune  parente  en  1O75. 


1  !■ 


Que  je  partage  encor  ta  joie  et  ta  fierté. 

Quand,  premiers  témoins  sûrs  d'un  pays  enchanté, 

Tes  yeux  de  trésors    neufs  nous  peignent  l'opulence. 

Quand  sur  le  vaste  espace,  à  nos  droits  imparti. 
Ta  main  signe  le  nom  de  la  «  Nouvelle-France  » 
Si  fièrement. —  futur  seigneur  d'Anticosti  1 


IV 


^'oActe    de  prise. 

(mars    1682) 


A  l'honorable  M.  H. -T.  Ledovx, 
de  Nashua  (Zv.-L.),  avocat, 

président  de  l'Union 
St-Jean-Baptiste  d'Amérique. 

...  Monsieur  de  La  Salle 
prononça  à  haute  voix  en 
français  :  Je...  prends  pos- 
session au  nom  de  Sa 
Majesté...  du  pays  de  la 
Louisiane...  et  demande 
qu'il  m'en  soit  délivré  acte 
par  Jacques  de  la  Métai- 
rie. ..  » 


Quand  Robert   Cavelier  de  La  Salle,  embrassant 

Le  rêve  de  sa  vie    ardente   et  solitaire, 

Consacra  pour  toujours  la  virginale  terre 

((  Au  nom  du  Roi  chrétien  très  haut  et  très  puissant  ». 


-   119  — 

>'y  voulant  qu'un  seul  maître  et  qu'un  seul  dignitaire, 
Il  attesta  son  droit  d'un  grave  et  mâle  accent, 
Puis  devant  ses  Français  et  l'Indien  qui  consent 
Il  s'en  fit  délivrer  acte  par  son  notaire... 

Et  l'acte  encor  se  lit,  garant  du  fier  labeur  : 

De  la  prose  naïve  et  robuste    il  s'exhale 

Un  souffle    d'allégresse  et  d'épique  grandeur. 

Quel  passé  1  L'Amérique  à  nous,  notre  vassale  !... 
Dans  ces  vieux  mots  pâlis  je  sens  battre  ton  cœur. 
Beau  paladin  normand,  Cavelier  de  la  Salle  I 


4. 


(La   (Leitze. 

(mars  1699) 


A  M.  BcssiKRK  Rouen, 

secrétaire  perpétuel  de  l'Athénée 

loiiisianais . 

«  ..  Quoique  nous  n'ayons  pas 
entendu  de  vos  nouvelles 
ni  vu  de  vos  marques,  je 
ne  désespère  pas  que  Dieu 
ne  donne  un  bon  succès  à 
votre  entreprise.  Je  le  sou- 
haite de  tout  mon  cœur...  » 

(Lettre  de  Tonty  à  Cavelier 
de  La  Salle.l  informant  qu'il 
est  descendu  du  paj's  des 
Illinois  pour  lui  donner 
secours  —    avril    1688.) 


Qui  va  donc,  explorant  la  bouche  du  Grand  Fleuve. 
Reconquérir  d'en  bas  la  conquête  d'en  haut, 
Relier  les  deux  bouts    de  notre    empire  ?  —  Il  faut. 
Où  succomba  La  Salle,   un  cœur  à  toute   épreuve... 


12  1 


C'est  le    héros  d'Hudson,  vainqueur  de  Terre-Neuve, 
Qui,  maître  du  secret  que  ce  rivage  enclôt, 
Dans  les  flots  bleus  du  golfe  a  vu  le  jaune  flot: 
Il  le  suit,  le  remonte,  et  tient  enfin  la  preuve. 

0  joie  I  il  lit  les  bons  vœux  français,  queTonty 
Laissa  là  pour  son  chef  dans  l'attente  inutile... 
Qu'importent  les  destins?  Ces  vœux  n'ont  point  menti  : 

La  lettre  pour  La  Salle  est  aux  mains  d'Iberville, 

Du  cher  salut  ancien  savamment  averti... 

La  France  à  ce  désert  peut  donner  une  ville  I 


^1 


VI 


(La  ((  (Langue  humaine  » 

(depuis   le   traité   de   mmègue    —   1678) 


A  M.  James  Geddes, 
le  savant  prefesseur  de  langues 
romanes  à  Université  de 
Boston. 

'>  Tandis  que  nous  nous  appli- 
quons     à      l'embellir,      vos 
armes    victorieuses    la    font 
passer  chez  les  étrangers  ..   » 
(Dédicace    au    Roi  de    la  pre- 
mière   édition  du    diction- 
naire de  l'Académie.) 


Avec  Louis,  vainqueur  qui  commande  au  Destin, 
Le  français  glorieux  parle  en  maitre  à  la    terre  : 
Des  ordres  de  Versaille  à  présent   tributaire, 
La  Paix  ne  scelle  plus  ses  accords  en  latin. 

Le  français  parle  franc,  sans  détour  ni  mystère, 
Probe  et  net,  dans  un  jour  lumineux  et  certain  : 
Il  déjoue  et  confond  tout  calcul  clandestin, 
Défend  que  d'un  seul  mot  la  vérité  s'altère. 


I20 


Aussi  le  monde  entier,   son  disciple  soumis. 
Change  en  admirateurs  zélés  ses   ennemis, 
Donne   à  l'esprit  humain   sa  règle  protectrice  ; 

Le  français,  clair,  poli,  chez  tous  étend  ses  droits. 
Langue  des  Cours,  universelle  ambassadrice. 
C'est  la  langue  d'Etat,  reine  de  tous  les  rois  ! 


3^ 


VII 


(Les  ((    temples  vivants  ». 


A    M.    l'abbé    L.-A.    Groilx, 
professeur  à  Valley field. 

«  Ces  écoles,  dans  lesquelles  on 
enseigne  à  lire  et  à  écrire  .  , 
ont  fait  plus  de  bien  qu'on 
n'eût  pu  en  attendre  de  fon- 
dations plus  ambitieuses.  » 

(Garneau.) 


Au  tempsoù,  dans  son  faste  et  son  haut  apparat. 
France  régnait,  la  fine  héritière  de  Grèce, 
Quand,  Yersaille  imposant  sa  cour  enchanteresse, 
Il  semblait  qu'à   ses  feux  l'univers  s'éclairât, 

Vous,  maîtres,  bienfaiteurs  obscurs,  dans  la  détresse 
Canadienne,  héros  du  long  labeur  ingrat. 
Besogniez  sans  salaire  et  sans  autre   contrat 
Que  le  pacte  avec  Dieu  d'une  ferme  tendresse. 


120 


Saintes  femmes,  miroirs  de  vertus,  purs  rayons, 
Soldats  de  Carignan  blanchis,  tabellions, 
Prêtres,  qui  donniez  tout  votre  cœur  à  la  classe, 

Salut  1  —  Quand  votre  zèle  instruisait  les  enfants, 
Maîtres,  vous  prépariez  la  grandeur  de  la  race, 
Bâtissant,  disiez-vous,  de  beaux  «  temples  vivants  », 


lïtlA  <fe>  CfcA  ffe-l  CTiA  tti4   <Ti;i  (TiA  <T»A  ctlA  tTUl  «TiA  CviA  CVi*  ttlA  ftlA  ïtiA 

VIII 

oJ^obîesse    canadienne. 


Au  sculpteur  Philippe  Hébert, 

glorificateur  des  héros 

de  la  race. 


Canadiens,  montrez-nous  ces  poudreux  parchemins 
Dont  la  faveur  royale  orna  votre  roture  : 
Tel,  fils  de  l'hôtelier  dieppois,  toi,  dont  les  mains 
T'ont  gagné  ton  brevet  de  noble  investiture. 

Mais  pour  parer  ton  nom,  mieux  qu'un  peu  d'écriture, 
Le  Moyne  deLongueil,   rival  des  vieux  Romains, 
Tu  montres  tes  dix  fds,  ta  fière  «  nourriture  », 
Que  l'Amérique  a  vus  vainqueurs  par  tous  chemins... 

Tes  dix  fds,  comme  toi  tous  nobles  1  Car,  Le  Moyne. 
La  bravoure  et  l'honneur,  c'est  le  pur  patrimoine 
Dont  ta  simplicité  les  avait  revêtus... 

Et  voilà,  Canadiens,  vos  titres  de  noblesse, 

Ceux  qu'on  ne  veut    devoir  qu'aux   coûteuses  vertus, 

Ceux  qu'à  sa  race    entière  avec  l'exemple  on  laisse  1 


(La  QJVlalle  de  (M.   de  (ffzoïitenac. 

(SOIU  DE    VICTOIRE  7  NOVEMBRE    1 69O) 


^4  r honorable  M.  Cyrille  DélÀge^ 

président    de   l'Assemblée 

législatiue  de  Québec. 


Monsieur  de  Frontenac,  ce  soir,  a  l'àme  en  fête. 

William  Phips  a  reçu  réponse  à  sa  requête 
Comme  la  lui  devaient  nos  canons  bien  parlant  : 
Aussi,  pourfendre  hommage  à  son  adieu  galant, 
Québec  chante,    Québec   de  mille  feux   s'étoile... 
Tandis  qu'au  port  natal  le  Bostonnais  fait   voile. 
Moins  fier,  un  mât  brisé,  son    pavillon  perdu, 
Trophée  au  mur    d'un   temple  à  nos  yeux    suspendu, 

Monsieur  de  Frontenac  sent  son  cœur  en  liesse. 
Dans  une  floraison  degaîtés...  Sa  vieillesse 
-Dément  par  sa  verdeur  le  nombre  de  ses  ans... 
lia  congédié  plus  tut  ses  courtisans, 


—    128   — 

Et  ce  soir,  au  Châleaii  Saiut-Louis,  dans  son  Louvre, 
Prétend  s'épanouir,   seul,  tout  à  l'aise...  Il  ouvre 
Un  huis  discret,  se  glisse    en  sa  chambre,  et  s'y  met 
A  danser  plaisamment  le  pas  du  calumet... 

Monsieur  de  Frontenac,  que  la   Fortune  choie, 
Sent  par  tout  son  esprit  flamber  des  feux  de  joie. . . 

Sur  la  pointe  du  pied,  furtif.  il  va  chercher 
Quelque  chose,  qu'il  dut  sous  ce  rideau  cacher, 
Et  voici  qu'à  deux  mains  il  tire  :  ce  doit  être 
Très  lourd...  Il  tire  encore,  et  fait  enfin  paraître 
Devant  le  foyer  clair,  où  brûle  un  arbre  entier, 
Une  malle  de  cuir  énorme,  à  clous  d'acier, 
A  fleurs  de  lis,  mystérieuse...  Tout   indique 
Sous  ses  dehors  fermés  l'objet  diplomatique  : 
Le  profane,  intrigué,  d'abord  soupçonnerait 
Dans  ses  étranges  flancs  quelque  étrange  secret... 

jNIonsieur  de  Frontenac,  un  peu  las,    se  repose, 
Et  contemple  d'un  œil  fervent  la  malle  close, 
Comme  quelqu'un  qui  sait,  et  sans   hâte,  à  loisir. 
D'avance,  en  le  traînant,   savoure   son  plaisir  : 
Sûr  d'un  régal  de  choix,  le  fin   gourmet  prolonge 
L'instant  de  son  délice...  Ils'est  assis,  et  songe. 
Ainsi  qu'on  peut  songer  un  soir  victorieux, 
Avec  de  chauds  rayons  de  gloire  dans  les  yeux  ! 

Il  songe  à  ce  que  fut  sa  vie  :  il  se  rappelle 
Comme  il  la  dépensa  pour  son  Roi,  brave  et  belle, 


—   129  — 

Ses  combats,  Saiiit-Ciothard,  Candie,  Orbitello, 

Ses  douze  ans  de  labeurs  de  ce  coté  de  l'Eau, 

Ses  douze  ans  de  bonbcur...  Ali!  sans  doute,  l'Histoire 

N'inscrit  pas  à  son  nom  d'éclatante  victoire 

Comme  Fleurus.  Rocrov,  Nordlingen   ou    Fribourg  : 

Mais  au  siècle  où  Condé,  Turenne  et  Luxembourg 

Du  bruit  de  leurs  exploits  remplissent  le  Vieux  Monde. 

Lui.  d'un  bras  qui  s'efforce  et  d'un  vouloir  qui  fonde. 

Par  Marquette  et  La  Salle  étendant  ses  succès, 

A  fait  de  l'Amérique  un  empire  fran(;ais. 

Qu'on  s'enfonce  aujourd'hui  vers  le  Couchant,  qu'on  pousse 

Aussi  loin  qu'il  plaira  par  delà  la  Mer  Douce, 

Qu'on  passe  aux  Illinois,  qu'au  midi  large  ouvert 

On  descende  le  cours  du  long  fleuve  Colbert, 

Par  l'immense  foret  ou  l'immense  savane. 

Jusqu'au  golfe  où  tu  dois   linir,  Louisiane  :   . 

Partout,  près  de  la    Croix,  défiant  tout    rival, 

Fleurit  du  Roi  français  le  grand  Lis  triomphal  ! 

Et  voilà  pourquoi,  fier  ce  soir  de  sa   besogne, 

—  ^lonsieur  de  Frontenac,  subtil  fils  de  Gascogne, 

Songeant  de  quels  destins  il  reste  l'oinrier, 

Joyeux,  tresse  à   sa    tempe  un  beau  brin  de  laurier  I 


Monsieur  de  Frontenac,  pourtant,  preste  se  lève, 
N'oubliant  pas,  malgré  l'enchantement  du  rêve, 
Qu'un  festin  sans  pareil  l'attend,  qu'il  s  est  promis 
Les  délicats  propos  de  ses  plus  chers  amis... 
Sur  sa  malle  il  se  penche,  il  la  décadenasse 
Pieusement,  disjoint  la    ferrure  tenace, 

LE   CANTIQUE  9 


—   i3o  — 

Hausse  le  lourd  couvercle,  et  de  son  doigt  zélé 

Palpe  enfin  le  trésor  trop    longtemps    recelé  : 

Et  voilà  qu'à  genoux  devant  le  vaste  coffre. 

Il  cueille  tour  à  tour  quelque  livre,  qui  s'offre 

Sous  la  basane  fauve  et  l'or  de  ses  blasons  ; 

Et  les  tapis,  autour,  les  moelleuses  toisons 

Se  jonchent  au  hasard  décent  et  cent  volumes. 

Dernière  moisson  d'art  des  plus  illustres  plumes. 

A  chacun  il  adresse  un  salut  amical  : 

Voici  Boileau...    voici   Bossuet  et   Pascal... 

L'auteur  du  Misanthrope...  et  l'auteur  des  Maximes... 

Tes  fables,   La  Fontaine...  et  tes  drames  sublimes, 

Corneille,  conseiller  d'héroïques   splendeurs... 

Et  ton  Britannicus,  Racine,  et  tes  Plaideurs  !... 

Prodiges  des  beaux  vers  !  merveilles  oratoires  ! 

La  France  groupe  ici  ses  plus  pures  Victoires, 

Celles  qui  de  l'oubli  n'ont  rien  à  redouter. 

Mais  qui  peuvent  partout  —  toujours  —  en  remporter  ! 

Victoires  de  la  Langue  et  de  l'Ame  de  France  ! 

L'Epée  abat  le  mal,  aide  à  la  délivrance, 

Dompte  le  sol  rebelle  et  garde  les  sillons  : 

Gloire  au  Fer,  artisan  de  nos  rédemptions  ! 

Mais  le  Livre  —  l'Idée  —  autre  bon  capitaine. 

Qu'aucun  rempart  n'arrête  en  sa  course  lointaine. 

Lutte  et  triomphe  aussi,  maître  de  ceux  qu'il  prend  : 

Gloire  au  Livre,  à  l'Esprit,  l'éternel  conquérant  ! 


Monsieur  de    Frontenac    lient  un  livre  et   déclame. 
Il  porte  tout  l'orgueil  de  son  pays  dans  l'âme  : 


—    loi   — 

Jamais,  depuis  les  Grecs  et  les  Latins  vantés, 

Langue  humaine  n'offrit  de  si  hautes  beautés  ! 

Dans  son  enthousiasme  il  ouvre  une  fenêtre 

Qui  domine  le  fleuve  :  il  veut  faire    connaître 

Aux  échos  de  la  nuit    ce  qu'il  lit  et  ressent. 

11  parle  au  vent  ailé  qui  l'effleure  en  passant 

Et  qui  va,  répétant  sa  voix  tragique  ou  tendre, 

Sur  tout  le  Canada  silencieux  s'épandre... 

Par  l'air  prompt,  qui  s'émeut  à  chacun  de  ses  sons. 

Il  enseigne  et  transmet  d'éternelles  leçons  ; 

Il  semble  dire  :  ((  Allez,  chefs-d'œuvre  de  l'étude, 

«  Transformez  le  désert,  charmez    la  solitude  ! 

«  Allez,  héros  du  verbe  impeccable,  vainqueurs 

((  De  la  sainte  éloquence  où  se  rendent  les  cœurs  ! 

<(  Allez,  divins  peusers  et  mots  exquis  de  France, 

(I  Puissants  semeurs  d'amour,  deforce  ou  d'espérance  ! 

«  Faites  vaincre  à  jamais  dans  cette  humanité 

(I  Toute  ma  noble  race,  Art.  Biavoure  et  Gaîté     « 


ê 


(La  défende  du   capitaine  ^authiet 
"Vatenneô  de   La  "Vézendzye 

(174^)' 


A  Sa  Grandeur  Mgr  Lxngevin, 
archevêque  de  Saint-Boni- 
face  (Maniloba)  ; 

A  tous  les  Canadiens- français 
du  Grand-Ouest. 

Depuis  plusieurs  anuées 
uniquement  occupé  de  ses 
aflaires.il  n'a  rien  fait  pour 
le  service  :  car  tous  ses 
voj'ages  n'ont  réellement 
abouti  qu'à  la  traite  avec 
les  nations  sauvages  qu'il  a 
l'réquentées...  »  (\'ersailles, 

12  mai  1745.) 


...  Et  voilà  donc  le  prix  de  mes  quinze  ans  de  lutte 
L'honneur  si  cher  payé,    le  soupçon  le  discute  ! 
L'ignorance  et  l'envie  accusent  la  lenteur 
De  qui  fut  de  son  Roi  l'assidu  serviteur  ! 


—  i33  — 

Connaît-on  mes  travaux  ? —  L'injustice  hypocrite, 

Qui  défigure  une  œuvre  et  salit  le  mérite, 

Où  mon  audace  fonde  un  empire  français, 

Ne  songe  qu'à  me  perdre  au  plus  vil  des  procès  ! 

—  «  Mon  labeur  n'a  visé  qu'aux    profits  de  la  traite, 
Dit  un  sage,  là-bas  tranquille,  qui  me  prête 

Son  àme  de  marchand  !.,.  J'amasse  des  trésors  ! 

Je  n'ai  jamais  conquis  que  des  peaux  de  castors  ! . . .  » 

—  Sans  doute  il  vit  dans  l'or,  l'homme  dont  l'indigence 
Ne  peut  des  créanciers  apaiser  l'exigence, 

Comme  autrefois  déjà  sans  doute  il    trafiquait 

Le  blessé  sous  mon  nom  atteint  à  Malplaquet  ! 

Je  m'enrichis,  rafleur  de  castors  et  de  martes   ! 

Voilà  tout  ce  qu'on  sait  !  —  Mon  journal  et  mes  cartes 

N'ont  pas  assez  décrit,  quelquefois  de  mon  sang, 

La  conquête  des  Lis  au  Grand-Ouest    s'avançant  1 

De  la  hache  et  des  mains  se  frayer  une  route 
Dans  l'ombre  des  forêts  où  le  pied  butte  et  doute, 
Egarer  l'aviron  dans  les  mille  réseaux 
Des  fleuves  et  des  lacs  encombrés  de  roseaux. 
Marcher,  marcher  sans  fin  dans  les  déserts  sans  bornes 
Où  rôdent   les  tribus  des  grands  troupeaux  à  cornes. 
Souffrir,  se  dépenser,  corps  et  biens,  sans  repos, 
Bâtir  des  forts,  planter  des  croix  et  des  drapeaux, 
Donner  un  air  de  France  à  de  mornes  rivages, 
Parmi  les  chocs  sanglants  de  cent  hordes  sauvages 
Etablir  une  paix,  mettre  une  chrétienté  : 
Rien,  rien  de  tout  cela  ne  m'est  encor  compté  ! 
J'offre,  sans  coûter  rien,  un  immense  royaume  : 
—  Non!  non!  je  n'ai  rien  fait,  je  m'attarde  et  je  chôme  I 


—  i34  — 

J'ai  ruiné  les  miens  pour  l'austère  devoir  : 

— Non  I  je  brocante,  et  c'est  tout  ce  qu'on  veut  savoir  !  — 

Et  le  blâme  outrageux  de  son  fiel  noir  m'abreuve  !... 

Et  pourtant  chaque  jour  peut  produire  sa  preuve, 
Que  sans   calcul,  sans  goût  de  lucre  ou  de  larcin, 
Un  beau  songe  très  pur  inspira  mon  dessein  ! . . . 
Et  pourtant  l'Eternel,  qui  de  nos  cœurs  dispose, 
Qui  sait  y  lire  aussi,  connaît  la  sainte  cause, 
Où  par  mes  quatre  fils,  mon  amour  le  plus  cher. 
Je  me  suis  tout  donné,  sans  réserve,  âme  et  chair!... 
Et  pourtant,  Lac  des  Bois,  qu'a  labouré  ma  rame, 
Tu  peux  redire  à  tous  l'inoubliable  drame 
Où  l'enfant,  mon  orgueil,  dans  un  conseil  trompeur. 
Tomba  sous   les    couteaux  de   l'ignoble  scalpeur  !.,. 
Et  pourtant  loin,  très  loin,  vers  le  couchant  extrême, 
]\os  yeux  ont  contemplé  le  neigeux  diadème 
Des  monts,  qui,  par  delà,  je  le  sais,  je  le  sens. 
Regardent  du  Japon  les  flots  éblouissants  !.., 
Et  pourtant,  j'en  suis  sûr,  si  la  haine  fait  trêve, 
Je  puis  encore  unir  —  mon  seul  but  !  mon  seul  rêve  1  — 
Pour  la  France  et  pour  Dieu,  par  qui  croit  son   destin. 
Les  rives  du  couchant  aux  pays   du  matin  !... 

Peut-être  trop  d'espoir  magnifique  me  leurre... 
Peut-être  me  faut-il  disparaître  avant  l'heure... 
Mais  si  l'historien,  quêteur  de  vérités. 
Scrute  un  jour  nos  tombeaux,  —  témoins  ressuscites, 
Nos  restes  *  lui  diront  jusqu'où  La   Vérendrye 
Vers  la  porte  du  Soir  étendit  la  patrie, 

I.  Les  ossements  de  Jean-Baptiste  de  La  Vérendrye,  ainsi  que 


—  i35  — 

Jusqu'où  son  geste  ardent  essaya  de  s'ouvrir 
Pour  montrer  à  sa  race  un  monde  à  conquérir  ! 

ceux  du  Père  Aulneau  et  de  leurs  dix-neuf  compagnons,  massacrés 
par  les  Sioux,  ont  été  retrouvés  du  6  au  ii  août  1908  dans  les 
ruines  du  Fort  Saint-Charles  au  Lac  des  Bois  par  les  soins  de  la 
Société  historique  de  Saint-Boniface. 


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'tatillon 

MODÈLE    DE    VICTOIRE      FRANÇAISE 

(8     JUILLET     1758) 

Fragment   de  journal  d'un  milicien  de  Lévis. 


A    l'honorable 
M.  Thomas  Chapais, 
l'éloquent  historien  du 
«  Marquis   de   Montcalra. 

«  Quelle  journée  pour  la  France  !  » 
(Montcalm.) 


...  Carillon,  nom    mystique  où   sonne  la  victoire 

Avec  les  Te  Deum  !  —  Quand,  sur    ce  promontoire. 

Lotbinière  eut  tracé  le  fort,  gardien  du  lac, 

Dans  les  propos  du  soir,  aux  feux  clairs  du  bivac, 

Le  Chef  interpella  gaîment  l'un  de  ses  hommes  : 

«Ce  fort,  dis-moi  donc,  toi,  de  quel  nom  tu  le  nommes...  »! 

—  Maisl'autre,  un  Canadien  d'espritvif,  sanschercher. 

Poète  que  hantaient  les  voix  de    son  clocher 

Dans  la  proche  rumeur  des  grandes  eaux  chantantes. 

Dit:  «  Quel  beau  carillon  1  »  —  Et  la  nuit,  sous  les  tentes. 


Aux  rêves  de  nos  gens,  le  vaillant  bastion 

Se  dressa,  joliment  baptisé  :  «  Carillon  !  »... 

Carillon,    nom  mystique    où  sonne  la  victoire  !.,. 


Midi  :  le  plein  soleil  saluait  notre  histoire. 
Tous  prêts,    sur  la  hauteur  —  à  l'abri  des  remparts 
Où  la  forêt  couchée  enchevêtrait,  épars, 
Hérissait  de  dards  fins  ses  pins  et  ses  érables  — 
Un  contre  six,  mais  sûrs  de  nous,   invulnérables 
Dans  l'asile,  où  veillaient    nos  triples  rangs  masqués, 
Oreille  et  cœur  tendus,  œil  et  fusil  braqués, 
Nous  attendions...  Montcalm,  au  centre,  tête  nue, 
Souriant,  préparait  le  mot  de  bienvenue. 
Et  des  rayons  joyeux  caressaient  sans  repos 
T.e  canon  des  mousquets  et   les  lis  des  drapeaux... 


Sous  nos  pieds,  cependant,  sur  la  pente  encombrée 
Montait  à  grands  Ilots  lourds,  menaçants,  la  marée 
D'habits  rouges  ou  bleus  et  d'acier  bien  fourbi, 
Que  pour  nous  submerger  lançait  Abercromby. 
Nous  attendions,  muets. . .  Fifres  et  cornemuses 
Rapprochaient,  rapprochaient  leurs  notes  moins  confuses  ; 
Déjà  sifflaient  vers  nous  des  respirations 
Haletantes..    Muets,  calmes,  nous   attendions. 
Quand,  le  premier  Anglais  surgissant  à  la  crête, 
I/ordre  brusque  éclata  :  «  Feu  !  »  —  Signal  de  la  fête  : 
D'une  seule  décharge   ensemble   s'embrasant, 
Nos  trois  mille  mousquets  répondirent  :  u  Présent!  »... 


—  i38  — 

...  En  vain,  le  chef,  malgré  la  farouche    hécatombe, 

Où  tant  des  siens  frappés  voyaient  s'ouvrir  leur  tombe. 

Six  fois,  impérieux,  vers  nos  sommets  fumants 

S'efiforça  de  pousser  ses  hardis  régiments  ; 

Six  fois,  sur  la  tragique  et  fatale  descente, 

Oii  croulait  dans  l'horreur  leur  vague  frémissante, 

Nos  rafales  de  fer  près  des  troncs  abattus 

Renversèrent  la  fleur  des  bataillons  têtus... 

Lutte  épique  1  Montcalm,  soldat  et  capitaine, 

A  tous  portant  l'ardeur  de   son  âme   hautaine. 

Du  geste  et  de  la  voix  multipliait  les  coups  : 

Dieu  semblait  l'inspirer,  le   couvrir  ..Quant  à  nous. 

Dès  que  Lévis,    parmi    la  chaude  fusillade, 

Des  géants  de  Campbell    nous  montre  l'escalade, 

Et  nous  crie  :  «  En  avant,   Canadiens,  en  avant  !  » 

De  quel  bond,  par-dessus  nos  murs  nous    soulevant, 

Et  de  la  baïonnette  aux  flancs  et  de  la  crosse 

Nous  brisâmes  le  choc  des  montagnards  d'Ecosse, 

Tandis  que,  dans  le  vent  des  balles,  redressé, 

S'enflait  notre  étendard  d'azur  fleurdelisé 

Où  la  Vierge  en  ses  bras  tient  l'Enfant  qui  nous  aide  ! . . . 

Et  maintenant,    là-bas,    l'Anglais  s'éloigne  et  cède... 

Carillon  !  Carillon  !  beau  nom  prédestiné  ! 

Notre  camp  dans  la  nuit,    d'étoiles   couronné. 

Croit  ouïr  nos  clochers  chanter  dans  les  eaux  proches. 

Carillon  !  Carillon  !  sonnez,  toutes  les   cloches 

De  mon  pays!  Sans  fin  sonnez  le  fier  succès 

Que  les  siècles  diront  un  miracle   français  ! 


—   f39  — 

Sonnez  pour  tous  nos  fils  1  Gravez  dans  leurs  mémoires 
Par  son  exemple  heureux  le  secret  des  victoires  ! 
Dites-leur  qu'il  ne  fut  de  défaite  jamais 
Pour  qui  se  défend,  près  de  Dieu,  sur  les    sommets, 
Que  le  nombre  n'est  rien  où   vibre  une  croyance  ! 
Jetez-leur  de  Lévis,  parangon   de    vaillance, 
L'appel  irrésistible  :   «  En  avant,  Canadiens  !  » 
Et,  donnant  à  la  race  entière  pour  soutiens, 
Avec  nos  grands  amours  et  nos  saintes  colères. 
Les  noms  de  tous  nos  preux  de  France  tutélaires, 
Béarn,  Berry,  Guyenne  et  Royal-Roussillon, 
Faites  de  chaque  lutte  un  nouveau  «  Carillon  »  1 


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Noô  Victoiteô  d^cAmérique 

(DEPUIS    1760) 


A    rhonorable 
sir    LoMER     GouiN, 
premier  ministre 
de  la  province  de  Québec. 


aA^oë/  j  ni  une 
(1760). 


A  M.  l'abbé  Camille  Roy, 
de  la  Société  royale  du  Canada  ; 

A  tous  les  bons  «  Habitants  », 
fidèles  gardiens  du  français. 


C'est  Noël,  et  pourtant  sur  la  morne  étendue 
Toute  blanche  —  la  cloche  obstinément  s'est  tue  ; 
Pourtant  dans  cette  nuit,   où  les  seuils  restent  clos, 
Pas  un  traîneau  ne  glisse  agitant  ses  grelots, 
Pas  une  ombre  ne  court  sur  la  raquette  agile. 
C'est  Noël,  et  pourtant  le  Dieu  de  l'Evangile 
Ne  reçoit  point  chez  lui  ses  dévots  pèlerins... 
Jean-Baptisle.  ce  soir,  ruminant  ses  chagrins. 
Grave,  tiifjae  à  l'oreille  et  les  jambes   croisées, 
Suit  à  son  foyer  clair  le  jeu  des  attisées. 
Tandis  que  sa  Josette,  arrêtant  le  rouet, 
Dans  les  plis  de  son  front  suit  son  rêve  inquiet. 
Parfois,  près  de  la  corne  à  poudre  familière. 
Son  regard  cherche  au  mur  son  bon  fusil  à  pierre, 


—  lU  - 

Trésor  qu'il  dut  livrer  en  prêtant  le  serment... 

Depuis  le  jour  d'avril,  où,  Lévis  l'enflammanl, 
Aux  plaines  d'Abraham  il  défit  la  défaite 
Dans  un  dernier  rayon  de  triomphe  et  de  fête. 
Quel  drame  il  a  vécu,  sur  son  fleuve  penché  : 
L'Anglais  dans  sa  conquête  à  son  tour  retranché, 
Québec  presque  reprise,  aux  Lis  bientôt  rendue, 
Le  guet  à  l'horizon  d'une  voile  attendue... 
Quand  apparaît —  ô  rage  !  o  poignantes  douleurs  !  — 
L'essaim  des  lourds  vaisseaux  battant  d'autres  couleurs, 
Puis  ton  beau  désespoir,  \auquelin,  —  XAtalante 
jN'offrant  avec  ses  morts  qu'une  épave  brûlante, 
L'invasion  qui  monte  et  force  à  reculer, 
Montréal  aux  abois  qui  doit  capituler. 
Enfin,  là-bas,  sur  l'eau  frémissante  du  fleuve. 
Qu'attriste  la  suprême  et  déchirante  épreuve, 
L'adieu  des  tillacs  pleins,  à  jamais  remportant 
La  France,  qu'on  arrache  à  son  cœur  palpitant  1 


Alors  de  quelle  joie  amère  il  vit  descendre 
Sur  les  débris  fumants  de  la  patrie  en  cendre 
Le  linceul  protecteur  de  l'Hiver  canadien  ! 
Que  ton  brutal  baiser,  Nordel,  lui  fit   du  bien  ! 
Qu'il  fut  aise,  au  premier  //-a^/Y,  sur  les  haltures. 
De  voir  dans  le  brouillard  s'enfoncer  les  mâtures. 
Où  ne  pouvait  flotter  qu'un  autre  pavillon  ! 
Qu'il  fut  aise  encor  plus,  lorsqu'à  gros  tourbillon 
Farouche,  par  bordée  immense,  avec  furie, 
Sans  trêve,  plusieurs  jours,  l'aveugle  poudrerie, 


i!iO   — 


Où  s'enferme  et  défend  l'habitant  isolé. 
Etendit  sur   le  sol  tout  un  ciel  écroulé, 
EfTaça  les  chemins  et  les  traces  anglaises, 
Autour  des  toits  masqués  souleva  des  falaises, 
Sur  tout,  bois,  champs,  royalement  ensevelis, 
Déversa  des  blancheurs  vengeresses  de  lis  ! 
Et  dans  sa  maison  chaude  en  hâte  réparée. 
Les  châssis  doubles  clos  et  la  porte  embarrée, 
Comme  il  se  sentit  fier  et  libre  et  courageux 
Dans  l'infini  silence  au  grand  désert  neigeux  ! 

Et  ce  soir,  c'est  Noël  :  un  Sauveur  est  né  !.., 

,^.    .,     ,  —  «  Femme, 

Dit-il,  n'entends-tu  pas  jusqu'au  fond  de  ton  âme 
Sonner  dans  notre  ennui  les  noëls  du  passé  ? 
Au  gîte  du   bon  Dieu  l'autel  est  renversé. 
Nous  n'adorerons  pas  dans  sa  crèche,  —  fidèles, 
Le  beau  Jésus,  vêtu  de  rose  et  de  dentelles  ; 
Mais  rien,  rien  n'est  changé  dans  nos  cœurs  et  nos  voix- 
Femme,  j'entends  sonner  les  noëis  d'autrefois. 
Mets  dans  l'âtre  une  bûche  encor  pour  la  veillée, 
Et  fais-moi  tôt  venir  la  troupe  bien  grevée    ' 
Des  enfants  :  pour  l'amour  du  Seigneur,  avec  eux 
Nous  formerons  ce  soir  un  chœur  de  beaux  chanleiix.  « 
—  X  J'y  pensais,  dit  Josette  ;  ils  sont  parés,  n  —  La  bande. 
^  ite  autour  des  parents  se  déploie  en   guirlande, 
Tous  forts,  résoins,  tous  farauds,  grands  et  petits,  ' 
Dans  leurs  habits  de  bonne  étoffe  du  pays. 
Jean-Baptiste  se  dresse,  et,  content,  les  regarde, 

LÉ   CANTIQUE  j/j 


—  i46  — 

Gomme  un  homme  qui  sait  qu'en  sa  lignée  il  garde 

L'espérance  de  son  Canada  tout  entier... 

Debout,  front  découvert,  il  ouvre  son  psautier, 

Son  livre  unique,  etcherche  un  vieux,  très  vieux  cantique,  ' 

Dont  le  berça  d'abord  l'air  naïf  et  rustique. 

Dont  il  aime  déjà  qu'à  son  tour  soit  bercé 

Aux  genoux  maternels  son  dernier  baptisé. 

«  Chantons  tous  à  la  naissance 
«  Du  Rédempteur  incarné  »... 

Il  chante  avec  ses  fds  l'ancien  nocl  de  France. 

((  Chantons  tous  à  la  naissance 
«  Du  Rédempteur  incarné  : 
((  Noé  !  Noé  !  Noé  !  Noé  I 
«  Puisque  c'est  notre  croyance, 
«  Entonnons-lui  :  Kyrie  ^  !  » 

Il  chante  avec  ses  fds  le  noël  populaire, 
Emu,  mieux  que  jamais,  sans  doute  afin  de  plaire 
Là-Haut,  —  parce  qu'aussi  sur  sa  lèvre,  joyeux, 
Se  ranime  l'esprit  de  tous  les  grands  aïeux. 

«  Il  est  né  dans  une  étable 
«  Pauvre,  faible  et  tout  glacé  : 


I.  Dans  le  journal  des  Jésuites, on  peut  lire  que  le  a5  décembre 
1645,  c'est  ce  noël  qui  fut  chanté  à  la  maison  delà  Compagnie 
à  Québec. 


-   ''.7  - 

«  iSoé  1  Noé  I  iNoc  I  >'oc  ! 
«  Il  aura  pour  agréable 
((  Qu'on  répète  :  Kyrie  !  » 

Jean-Baplisle,  parmi  ses  fils,  fervent  et  grave, 
Chante...  L'hymne  jamais  ne  vibra  plus  suave, 
Plus  parfumé  du  miel  des  grâces  de  jadis  : 
Il  semble  lui  rouvrir  de  lointains  paradis. 
Rendre  à  sa  confiance  et  le  ciel  et  la  terre. 
Christ,  dont  le  peuple  franc  s'est  fait  le  mandataire, 
iSe  peut  laisser  mourir  son  peuple  abandonné  ; 
Ce  vieux  chant  le  dit  bien  :  son  Rédempteur  est  né 


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DANS  L'ASILE 

«^    «^    vV 

(La  lectute  du  tzaité. 

MAI    1763. 


A  Mgr  O.    E.   Mathiêo, 
évêque  de  Régiiia. 

«La  religion  est  la  sauvegarde 
des  peuples.  Quelle  recon- 
naissance la  race  cana- 
dienne-française ne  doit- 
elle  pas  à  son  clergé  ?  Si 
elle  a  conservé  sa  nationa- 
lité, sa  langue,  ses  institu- 
tions, à  qui  le  doit-elle,  si- 
non à  ce  corps  vénérable  ?  » 
(Georges-Etienne  Cartier.) 


Depuis  trois  ans,  fidèle  aux  missions  anciennes, 
Sur  les  blanches  maisons  des  rives  laurentiennes, 
Sur  les  granges,  sur  les  froments  et  les  troupeaux, 
Sur  l'été  qui  travaille  et  l'hiver  en  repos. 


—  1/19  — 

La  cloche  de  paroisse,  ignorant  les  défaites, 
Constante,  avait  sonné  les  midis  et  les  fêtes, 
Sans  que  rien  altérât  son  timbre  et  son  accent. 

Pourtant,  ce  matin-là,  plus  tendre  et  plus  pressant, 
L'airain  dominical  appelait  pour  la  messe, 
Plus  pressant  et  plus  tendre,  avec  une  promesse 
De  révéler  au  prône  un  important  secret. 
Avec  un  trouble  étrange  où  le  son  soupirait, 
Un  tremblement  de  voix,  auquel  devaient  répondre 
Les  battements  des  cœurs  qu'il  excelle  à  confondre. . . 
Aussi,  ce  matin-là,  dans  l'église,  empressés. 
Tous  remplissaient  les  bancs,  vieillards,  enfants,  blessés 
Dont  le  front  montre  encor  la  glorieuse  empreinte  ; 
Tous  muets,  recueillis,  attendaient  avec  crainte 
Les  mots  qui  tout  à  l'heure  allaient  tomber  sur  eux, 
Décret  de  grâce,  —  arrêt  de  mort  peut-être  affreux  1 


Et  déjà  vers  la  chaire,  où  venait  d'apparaître, 

Haut  et  droit,  couronné  de  cheveux  blancs,  le  Prêtre, 

Tous  les  regards  montaient,  tous  les  cœurs  haletants... 

C'était  lui,  leur  pasteur,  qui,  fils  du  sol,   des  temps 

De  Frontenac  et  de  Louis  le  Quatorzième, 

Comme  un  bon  laboureur  connaît  sa  terre  et  sème. 

N'a  pas  cessé,  selon  leurs  vœux  et  leurs  besoins, 

De  leur  distribuer  la  vie  avec  ses  soins. 

Ce  fut  lui  soixante  ans  l'inspirateur,  le  père, 

Lui  qui,  dans  la  tourmente  où  le  deuil  s'exaspère, 

A  l'heure  où  tous  les  chefs  quittaient  le  gouvernail, 

Seul  en  le  consolant  rassembla  le  bercail. 


-^   i5o  -T- 
Tous  les  yeux  s'attachaient  au  pasteur  qui  leur  reste. 

Là-haut,  le  vieillard  blanc,  grave,  d'un  ample  geste 

Fit,  par  tous  imité,  le  signe  de  la  croix  ; 

Puis  il  dit  :  «  Mes  enfants,  prions  d'abord.  Je  crois 

Qu'à  l'instant  du  conseil  suprême  —  la  prière 

Peut  attirer  le  plus  de  force  et  de  lumière 

Prions  pour  tous  nos  morts  :  qu'ils  régnent  triomphants! 

Avec  les  morts  aussi  prions  pour  les  vivants  : 

Les  pères  pour  les  fils  dans  le  ciel  intercèdent. 

Disons,  avec  nos  saints,  nos  héros,  —  pour  qu'ils  aident 

Près  du  Dieu  Rédempteur  à  nous  gagner  l'accès, 

L'oraisondu  Christ  même  en  leurschers  mots  français!  » 

Il  dit,  et  quand  l'élan  de  la  ferveur  publique 
Eut  fait  vibrer  l'autel  du  verbe  évangélique. 
Répétant  sur  les  fronts  le  signe  du  salut, 
Lentement,  d'une  voix  qu'il  voulait  ferme,  il  lut  : 

«  Traité  de  paix  et  d'amitié  entre  Sa  Majesté  Rri- 
tannique  et  le  Roi  Très  Chrétien,  signé  à  Paris  le 
lo  février  1763...  » 

«  Article  IV.  —  Sa  Majesté  Très  Chrétienne  renonce 
à  toutes  les  prétentions  qu'elle  a  pu  former  à  la  Nou- 
velle-Ecosse ou  à  l'Acadie  en  toutes  ses  parties,  et  la 
garantit  tout  entière  avec  toutes  dépendances  au  Roi 
de  la  Grande-Bretagne...  » 


—    IDI    

«  Pour  le  peuple  acadien,  martyr  que  Dieu  couronne, 
«  Pour  Israël,  au  bord  des  eaux  de  Babylone, 
«  Pour  nos  frères,  qu'un  vol  inique  expatria, 
«  Disons  pieusement  un  Ave,  Maria  !  n 

—  Et  l'adjuration  s'éleva,  monotone, 
Comme  dans  la  forêt  une  plainte  d'automne, 
Puis  le  lecteur  reprit  :  mais  les  mots,  malaisés. 
Sortaient,  de  plus  en  plus  hésitants  et  brisés. 

((  ...  De  plus  Sa  Majesté  Très  Chrétienne...  cède... 
et  garantit...  à  sa  dite  Majesté  Britannique...  en  toute 
propriété...  le  Canada...  » 

Au  nom  de  son  pays,  sa  voix,  comme  étranglée. 
S'arrêta  ;  tout  son  corps  tremblait...  Sur  l'assemblée 
Pesait  une  stupeur,  un  silence  de  mort... 
Et  le  Prêtre  acheva  dans  un  dernier  effort  : 

<(   ...  le   Canada...  avec  toutes  ses  dépendances..., 
avec  souveraineté...    propriété...    possession...,    tous 
droits...  que  le  Roi  Très  Chrétien  et  la  Cour  de  France 
ont  eus  jusqu'à  présent  sur  lesdits  pays,  îles,  terres, 
lieux,  côtes...  et  leurs  habitants...  » 

Il  se  tut...  Et  les  yeux  soudain  voilés  d'une  ombre, 
Comme  celle  où  descend  le  naufragé  qui  sombre, 
Tous  sentirent  ensemble  en  leur  cœur  torturé 
Quelque  chose  douloureusement  déchiré... 

—  Quoi  ?  c'était  bien  fini  sans  retour  ?  L'impossible 
Avait  pu  s'accomplir  ;'  D'un  pacte  irrémissible 


102 


Vous  vous  trouviez  trahis,  livrés  par  votre  Roi, 
Cœurs  de  preux,  de  Français,  vainqueursde  Sainte-Foy  ! 
Vous  vous  trouviez  livrés,  cédés  avec  la  terre 
Qu'un  long  passé  d'exploits  fit  votre  tributaire, 
Avec  tout  ce  que  France  y  sut  créer  de  bien, 
Y  sut  mettre  de  doux,  de  noble  et  de  chrétien  !  — 
Les  mères  étreignaient  leurs  fils  avec  des  plaintes  ; 
L'église  en  sanglotant  peuplait  ses  voûtes  saintes 
Des  cris  de  désespoir  qui  montaient  de  Rama  ; 
Les  rudes  miliciens,  que  Montcalm  enflamma, 
De  leurs  gros  doigts  calleux ,  qui  chargèrent  tant  d'armes, 
Vainement  refoulaient  le  flot  amer  des  larmes  : 
Tous  unirent  leur  peine  en  un  grand  chœur  sacré 
De  voix  de  litanie  et  de  miserere  1... 

Mais  alors,  sous  un  clair  rayon  de  la  verrière. 
Le  Prêtre  redressa  sur  le  peuple  en  prière 
Son  front  méditatif  qu'il  tenait  dans  ses  mains. 
L'interprète  du  Ciel,  qui  montre  les  chemins, 
Maintenant  calme  et  fort,  aux  troubles,  aux  faiblesses, 
S'apprêtait  à  verser  le  baume  des  Sagesses  : 
—  ((  Mes  enfants,  mes  petits   enfants,  apaisez-vous  1 
Un  chrétien  doit  souffrir  d'un   cœur  contrit  et  doux  : 
Pour  lui,  désespérer  est  chose  impie  et  folle, 
Car  le  Dieu  qui  le  frappe  est  le  Dieu  qui  console. 
Votre  Dieu,  Canadiens,  ne  vous  a  pas  quittés  : 
Il  demeure  avec  vous,  secourable...  Ecoutez  !  » 

«  ...  Sa  Majesté   Britannique  convient   d'accorder 
aux  habitants  du  Canada  la  liberté  de  la  Religion 
Catholique.  En  conséquence  elle  donnera  les  ordres 


—  i53  — 

les  plus  précis  et  les  plus  effectifs  pour  que  ses  nou- 
veaux sujets  Catholiques  Romains  puissent  professer 
le  culte  de  leur  religion  selon  le  rite  de  l'Eglise  ro- 
maine... » 


«  Rendez  grâces,  mes  fils,  au  Seigneur  qui  vous  mène, 

Catholiques  français  de  l'Eglise  romaine, 

Sous  un  autre  drapeau,  mais  libres  !  —  Gloire  et  los 

Au  Tout-Puissant  qui  dit  :  «  Disponam  populos. 

Des  peuples  je  ferai  ce  que  veut  ma  justice  !   » 

Ce  temple,  où  votre  vie  aux  doigts  divins  se  tisse, 

De  la  patrie  absente  aujourd'hui  vous  tient  lieu. 

César  seul  est  changé,  mais  non  point  votre  Dieu. 

Nous  rendrons  à  César  ce  que  César  réclame  ; 

Mais  le  Christ  gardera  pour  lui  notre  vieille  âme, 

De  façon,  Canadiens,  que  vous  la  transmettiez. 

Pure,  des  fiers  aïeux  à  vos  fiers  héritiers. 

Qui  déserte  sa  foi,  seul,  s'expose  et  s'exile  : 

L'église,  c'est  l'abri  familial,  l'asile 

Où  les  persécuteurs  n'ont  jamais  fait  plier  : 

Gloire  à  Dieu,  notre  force  et  notre  bouclier, 

Qui  de  l'iniquité  des  hommes  nous  délivre. 

Et  qui,  si  nous  savons  dans  sa  paix  toujours  vivre. 

Rendra  chez  vos  enfants  vos  pères  immortels  I 

Confiez,  tous  unis  autour  de  vos  autels. 

L'insigne  patrimoine  au  Dieu  des  tabernacles  : 

Le  Dieu  qui  vous  protège  est  un  Dieu  de  miracles, 

De  résurrections  !...   Donnez-lui,  Canadiens, 

Pour  les  mieux  préserver,  les  plus  chers  de  vos  biens, 


—    104   — 

Vos  souvenirs,  raisons  d'espérer,  vos  tendresses, 
Vos  us,  ceux  des  aïeux,  et  toutes  les  richesses 
De  pensée,  et  tous  les  trésors  de  sentiment, 
Dont  votre  doux  parler  vous  transmet  l'aliment  ! 
Donnez  au  Christ  Sauveur  le  beau  cœur  de  la  race. 
Et  dès  que  vous  craindrez  dehors  une  menace, 
Sur  vous  dès  que  des  fers  voudront  s'appesantir. 
Rentrez  au  sanctuaire  ici  vous  garantir  ! 
Ici  refleurira  sans  fm,  dans  le  silence, 
Un  coin  de  vieux  pays,  de  paradis  de  France. 
Où  Dieu  vous  laissera,  quittes  d'un  joug  brutal, 
De  tout  votre  désir  respirer  l'air  natal  ! 
Puis  de  là,  plus  dispos,  les  forces  retrempées. 
Vous  courrez  aux  combats,  oîi,  mieux  que  les  épé<' 
L'acier  de  vos  vouloirs,  le  fil  de  vos  esprits. 
Trancheront  les  complots  de  vos  tyrans  surpris. 
Et,  sans  verser  de  sang,  toutes  sans  tache  et  blanche 
Par  Christ,  je  vous  promets  les  suprêmes  revanches 
Dont  le  Maître  des  temps  honore  ses  lutteurs, 
Les  revanches  du  droit  sur  ses  blasphémateurs  !  » 


PRIERES  CANADIENNES 

«^    4/    1^ 
I 


qAu  ^ieu  de  V^uchaziùtie. 


A  M.  Vabbc  V.   F.  Jutras. 


Je  veux  ce  qui  Vous  plaît,  Seigneur,  et  je  m'incline... 
Mais  voulez- Vous  changer  mon  cœur  dans  ma  poitrine? 
Qu'arme  au  poing,  jour  et  nuit,  veille  contre  mon  gré 
Sur  ma  lèvre,  en  mon  âme,  un  soldat  de  Murray.'' 
Je  ne  puis  Vous  prier  autrement  que  mon  père 
Avec  les  mots  français  qu'il  a  reçus  de  Vous  : 
Et  ces  mots  si  longtemps  ont  prié,  purs  et  doux, 
Que  Vous  seriez  surpris  qu'on  les  force  à  se  taire. 
Je  Vous  prends  à  témoin  Vous-même,  o  Christ,  mort 
En  croix  pour  la  justice  et  pour  l'honneur  de  l'homme  : 
Votre  gloire  ne  peut  consentir  qu'on  me  somme 
De  mettre  avec  mon  cœur  ma  bouche  en  désaccord. 


—  i56  — 

Que  transfuge,  à  moi-même  étranger,  je  Vous  mente. 
Dans  les  repas  divins  que  Vous  m'avez  permis 
Vous  ne  voudriez  pas,  le  meilleur  des,  amis, 
D'une  âme  violée,  amoindrie  et  dolente... 
Mais  pour  monter  plus  haut,  pour  Vous  mériter  mieux, 
L'âme  veut  être  libre,  heureuse  et  respectée. 
Du  banni  d'une  langue  on  fait  vite  un  athée, 
Puisqu'il  ne  voit  plus  clair  sur  la  route  des  cieux. 
La  langue  en  notre  esprit,  c'est  le  sang  dans  nos  veines  : 
Laissez-moi  vivre  entier  !  Laissez-moi  pour  soutiens 
Les  mots  du  catéchisme  et  des  vieux  paroissiens  ! 
Ma  langue   à  moi,  qu'on  dit  la  plus  belle  des  reines, 
Qui  Vous  a  tant  servi  pour  prêcher  Votre  Loi, 
Dont  Vous  priait  encor  Montcalm  à  l'agonie, 
Jamais,  pour  Vous  bénir,  que  je  ne  la  renie  !... 
Gardez-moi  mon  Parler  pour  me  garder  ma  Foi  I 


feMÉiiiiii^^âÈ^ittâi^^ttfe 


II 

(?A   la   'Vieille   oMaman  défunte. 


A    Afme  W.    A.    HVGUENIN 

(Madeleine). 


Je  viens  à  vous  sans  peur  ni  reproche,  ô  ma  mère  ; 
Pas  un  son  de  ma  voix  n'est  fait  pour  vous  déplaire, 
Les  mots  de  mon  berceau  bercent  tous  mes  petits. 

Les  Anglais  sont  venus,  mais  je  vous  garantis 

Que  nos  chers  mots  français,  eux,  ne  sont  point  partis, 

Tous  les  vieux  mots  d'amour  qui  vous  ont  caressée... 

J'aurais  trop  de  chagrin  de  vous  avoir  blessée  : 
Toujours  la  même  robe  habille  ma  pensée, 
Robe  couleur  de  ciel  du  pays  de  l'aïeul  I 

Du  Paradis,  où  Dieu  vous  tira  du  linceul, 
Pa"lez-moi  bien  français,  longuement,  seule  à  seul, 
Et  je  vous  répondrai  de  même,  en  mots  de  France. 


—  i58  — 

Ces  mots,  par  qui  mon  cœur  vers  le  vôtre  s'élance, 

Ont  seuls  assez  d'essor,  de  joie  et  de  vaillance, 

Pour  vous  rejoindre  au  fond  de  vos  bleus  firmaments. 

Aidez  à  leur  salut  !...  Oh  !  nos  saintes  mamans, 
Sur  tous  nos  chapelets,  de  tous  vos  cœurs  aimants, 
Pour  soustraire  la  race  aux  menaces  mauvaises, 

A  la  Mère  du  Christ  dans   toutes  nos  maisons 
Demandez  en  grand  nombre,  armés  de  voix  françaises, 
Pour  la  gloire  de  Dieu  de  bons  petits  garçons  ! 


^ 


g|^<S^#^^^^##^#^#^^### 


PETITES  VICTOIRES  CHANTANTES 

^»/.     ^^      V/ 


fondes  cf  enfants. 


A  M.  Ernest  Gagnox, 
sauveur  it  rénovateur  des 
vieilles    «  Chansons    popu- 
laires du  Canada  ». 


Québec  songea  renaître  et  panse  ses  blessures... 
Quoique  son  front  vaillant  montre  encor  les  morsures 
Du  trait  incendiaire  ou  du  rude  boulet, 
Son  vieux  cœur  recommence  à  battre  —  tel  qu'il  est. 
Avec  tous  les  égards  qu'il  doit  au  nouveau  maître. 
Mais  juste,  sans  donner  plus  qu'il  n'a    pu  promettre. 
Courtois,  mais  sans décboir,  loyal,  mais  sans  oublis... 
Au  faîte  du  Château  se  déroule  à  grands  plis, 
Souverain  tout-puissant,  l'Etendard  britannique. 
Baguette  en  main,  sanglés  dans  la  rouge  tunique 


—  i6o  — 

Passenten  s'admirant  Majors  et  Colonels, 
Magnifiques  et  hauts,  rogues  et  solennels, 
Bottés,  empanachés,  scintillants  d'aiguillettes... 

Cependant  sur  la  place  un  chœur  vif  de  fillettes, 
Cotillon  court  au  vent  et  croix  d'argent  au  col. 
Danse  et  fait  de  vieux  airs  tournoyer  tout  un  vol. 

Sur    le  pont   cV Avignon 
Tout  le  monde  y  passe. 
Les  messieurs  font  comm'  ci, 
Les  dames  font  comm'  ça  ! 

L'on  ôte  son  chapeau,  l'on  fait  sa  révérence 

«  Sur  le  pont  d'Avignon»  où  l'on  prend  l'air  de  France, 

—  Tandisque,  commeilsied  aux  conquérants plusforts. 

S'en  vont,  bombant  le  torse  et  compassés,  Majors 

Et  Colonels  de  Sa  Majesté  le  Roi  George... 

Puis  la  gentille  troupe  espiègle,  à  pleine  gorge, 

Sur  les  talons  des  beaux  guerriers,  plus  ou  moins  craints. 

Lance  en  se  trémoussant  un  de  ses  gais  refrains. 

Bonhomme,  bonhomme. 
Que  sais-tu  donc  faire  ? 
Sais-tu  bien  jouer  du  genou  par  terre  ? 
Terre  '  terre  !  terre  ! 

A  h  !  ah  '  ah  ' 
Du  genou  par  terre  ! 

Par  l'huis  mystérieux  du  Château  redouté 
Ils  ont  disparu  tous  :  dans  l'immobilité 


—   iGi   — 

Seule,  raide,  arme  au  bras,  veille  la  sentinelle, 
Ella  ronde  en  sautant  poursuit  sa  ritournelle. 

Ce  ii'esl  point  du  raisin  pourri. 
C'est  le  bon  vin  qui  danse, 
C'est  le  bon  vin  qui  danse  ici, 
C'esl  le  bon  vi/i  qui  danse  .'... 

Le  Château  glorieux  n'entend  rien  des  couplets  ; 
Mais,  tandis  qu'à  nous  faire  un  pays  bien  anglais. 
Politique  profond,  gravement  tu  t'occupes, 
Dans  un  cercle  léger  d'humbles  petites  jupes 
L'esprit  de  nos  chansons  rit  et  nargue  l'assaut 
Sous  le  noble  Etendard  britannique,  là-haut  1 


^ 


I.K   CANTIQUE  11 


\mmmmmmmmj^^kjrik!j^^^iii&k!2k^^k^k0 


II 

'bonnes  berceuses 


A  M.  O.  AssiiLix, 

Président  de  l'Association 

St-Jean-Baptistc  de  Montréal. 


Il  se  nomme  \A  arren. . .  ou  Blackbuin. . .  ouMac  Neil . . . 

Ecossais,  bon  sergent  de  AYolfe,  —  le  soleil 

Aux  plaines  d'Abraham  l'a  vu  mener  la  charge... 

Maintenant  il  défriche  à  la  Malbaie,  en  marge 

Du  flot  laurentien  qui  bat  presque  son  fief, 

Quelques  arpents  de  bois,  don  de  Murray,  son  chel". 

Il  vit  heureux  :  sa  foi  catholique-chrétienne 

Conquit  à  son  foyer  un  cœur  de  Canadienne, 

Qui,  soumise  à  la  loi  divine,  sans  rigueur. 

Ne  craint  pas  de  bercer  des  fds  pour  son  vainqueur  1 

Il  vit  heureux...  Pourtant,  quand, la  tâche  achevée. 

Il  regagne  le  soir  son  toit  et  sa  couvée. 

Souvent,  aux  premiers  temps,  sans  quitter  son  fuseau. 

La  mère  le  laissait  consoler  le  berceau... 

Mais  en  vain  du  pibroch,  dont  sa  voix  s'accompagne. 

Il  chantait  au  petit  un  air  de  sa  montagne  ; 


—  i63  — 

Plus  il  scandai l  les  mois  de  son  parler  natal. 

Plus  le  petit,  rebelle  à  lair  sentimental. 

Se  débattait,  pleurait,  criait...  Alors  la  mère, 

C-hez  qui  le  cœur  suffit  à  mettre  une  lumière. 

Pour  olTrir  à  l'instant  un  ange  qui  se  tait. 

Se  pencbait.  lenlaçait  dans  ses  bras,  et  chantait 

«  Pimpa/iipolc  »  ou  «  Pipandor  à  la  balance  »... 

Pipandor  à  la  balance. 
A'v  a-l-il  que  loi-z-et  nioi-z-en  France  ? 

Et  lenfant.  apaisé  soudain,  faisait  silence. 

Pipandor,  chapeau  d'épinelles. 
Pipandor,  niels  Ion  nez  dehors  .'... 

Et  l'enfant  en  gaîté  riait  de  tout  son  corps... 

Puis  l'endormant,  d'un  ton  qui  se  voile  et  gazouille. 
Tout  gentiment,  c'était  «  Pinson  avec  Cendrouille  »  ; 
Plus  bas,  plus  doucement  encor,  c'était  parfois 

Une  perdriole 

Qui  vient,  cjui  vole. 

Une  perdriole 
Qui  vole  dans  ces  bois... 

Et  chaque  fois  à  point  renaissait  le  prodige 
D'un  enfant  sage  :  tel  s'imposait  le  prestige 
De  l'incantation  dont  tu  le  caressais, 
U  mère,  ù  magicienne  !...  Et  le  brave  Ecossais. 


—  i6\  — 

Séduit  par  ton  pouvoir  secret,  à  ton  école, 
Répéta  «  Pipandor  »  avec  «  Piinpanipole  » 
De  son  mieux,  du  plus  pur  accent  de  son  gosier  : 
Si  bien  qu'à  son  effort,  pour  le  remercier, 
L'enfant  se  laissa  prendre,  accepta  sa  caresse  ; 
Et  depuis,  s'appliquant  de  toute  sa  tendresse. 
Le  soldat  de  Murray  chante,  docile,  absous. 
Près  de  sa  Canadienne  aux  si  jolis  yeux  doux. 
Dès  que  son  dernier  pleure,  il  le  calme  et  l'enjôle 
Par  le  charme  des  mots  appris,  et  rien  n'est  drôle 
Gomme  ce  géant  tendre —  avec  l'accent  saxon 
Rythmant  des  airs  de  France  au  l'rèle  nourrisson. 

C'est  le  poiiléile  hroùne 

Qui  pond  dans  le  loàne  ; 
Il  va  pondre  oiin'bell'pe'tit'  côcô 
Pour  son  p' lit'  qui  va  fair'  dôdiche  ; 
Il  va  pondre  oun  beW  pe'iW  côcô 
Pour  son  p'iit'  qui  va  fair   dôdô, 
Dôdiche,  dôdô. 

Et  l'enfant  dort,  content,  aux  bras  du  bon  colosse  ; 
Tous  ses  fils  en  naissant   parlent  français...  L'Ecosse 
Sans  regret  avec  eux  reconnaît  son  vainqueur  : 
La  langue  de  la  mère  est  la  langue  du  cœur  ! 


^       ^      )0 


Leô  Gtandô  Ttiompheô 

du    X)eibe 


Au  magnifique  orateur 
Henri  Bolrassa. 

Au  savant  juriste,  l'honorable 

M.  N.-A.  Belcoirt, 

Sénateur 

de  la  province  d'Ontario. 


t^  >4«  v  t^  t^  r^  t^t^  »4ji  f^  y  i>4<  y  >4i  o^ji  y  y  r^ji  »4,'i  »4,«  i>^<i  »^  >^  t^  t^  t^  t^  tfi  t^  y  o^*  t^  *^  t^  t^  f^ 


1791 


^^ezô  pont    'diateaubtiaii'?, 

poêle  de  l'aA  nié  tique. 


An  poète  des   grands   paysages 
canadiens,  W.  Chapmax. 

«  Nous    aperçûmes  la    terre... 

Le  cœur  me  ballit,  quand  le 

eapilaine    me   la    montra  : 

1  Amérique  !... 
C'est  dans  ces  nuits  quem'ap- 
parut  une  muse  inconnue  : 
je  recueillis  quelques-uns 
de  ses  accents  ;je  les  mar- 
quai sur  mon  livre,  à  la 
clarté  des  étoiles...  »  (10 
juillet-10  décembre  1791). 


I 


La  Nature  héroïque  en  ses  vieux:  bois  sauvages, 
Sans  ride  et  sans  atTront,  gardait  sa  royauté  : 
Reflet  du  Créateur,  sa  naïve  beauté 
Ne  portait  pas  encor  l'empreinte  des  servages. 


—  i68  — 

Et  la  chaste  forêt,  que  troublait  seul  le  vent. 
Ouvrait  aux  Libertés  son  ténébreux  refuge  ; 
Sous  les  mêmes  soleils,  à  leur  gré  se  levant, 
Lesmcmes  fleuves  purs  roulaient  l'eau  du  déluge. 
Mais  les  nuits  succédaient  aux  jours,  les  jours  aux  nuits. 
Sans  qu'un  cœur  d'homme,  ému  de  leur  magnificence . 
Sans  qu'un  pinceau  d'artiste,    égalant  leur  puissance. 
Eût  traduit  ces  couleurs,  ces  parfums  et  ces  bruits. 
L'Amérique  attendait  son  sublime  interprète... 
Lorsqu'enfin,  ô  René,  merveilleux  enchanteur, 
Attestant  de  tous  deux  l'alTinité  secrète. 
Ton  rêve  au   Nouveau   Monde  assortit  sa  splendeur  ! 


II 


Tu  vins,  tu  vis,  lu  fus  vainqueur.  Ton  âme,  ô  maître. 
Dans  l'âme  des  déserts  qui  la  sut  reconnaître 

Sentit  la  sœur  de  sa  fierté  : 
C'est  loi  qui  mieux  que  tous  la  compris,  cette  terre. 
Quand  tu  passais,    chantant,  prêtre  de   son  mystère. 

Partout  triomphant  et  fêté  ! 

Ta  voix  servit  d'oracle  aux  graves  sohtudes. 
Ton  verbe,  souverain  des  mots,  dès  ses  préludes. 

S'épandant  sur  cet  univers. 
Lui  prit  tout  son  trésor  de  charme  grandiose 
Pour  l'enfermer,  vibrant.  au\  strophes  d'une  prose 

Plus  séductrice  (pie  des  vers  ! 


—  1^9  — 

0  pèlerin  d'art  pur,  que  ne  peut  point  la  phrase. 
Soit  que  le  premier  feu  d'une  aurore  l'embrase, 

Soit  qu'une  calme  nuit  d'été. 
Mélancoliquement,  loin  des  rumeurs  profanes, 
La  caresse,  au  repos  des  immenses  savanes, 

D'un  jour  bleuâtre  et  velouté  ? 


Ta  phrase  conquérante  à  la  souple  harmonie. 
Par  quel  subtil  pouvoir  ne  l'as-tu  pas  unie 

Au  ciel  vaste,  aux  vastes  forêts  ') 
Et  dans  l'ampleur  du  rythme  auquel  tu  la  balances, 
Murmures,  plaintes,  chants,  formidables  silences, 

N'as-tu  point  mis  tous  leurs  secrets  :' 


Comme  elle  s'élargit,  ta  belle  phrase  neuve, 
Sonore,  en  nous  peignant  la  majesté  du  fleuve. 

Des  grands  lacs  où  tu  t'égaras  ! 
Comme  on  la  sent  couler  forte  et  dominatrice. 
Pour  s'être  un  jour  penchée  en  son  hardi  caprice 

Au  goulTre  des  Magaras  !... 


Puis,  comme  en  nos  sentiers  tout  pas  humain  s'efface, 
Ton  hymne  adorateur  monta  jusqu'à  la  face 

Du  Seigneur  de  toute  clarté. 
Pour  qu'un  peu  d'Infuii  se  joigne  à  sa  faiblesse. 
Que  l'Eternel,  le  Dieu  de  tous  soleils,  lui  laisse 

Un  peu  d'ardente  éternité  ! 


170 


"Sois  loué,  fastueux  songeur,  dout  l'art  console  ! 
De  l'empire  ravi,  que  nous  rend  ta  parole, 

Qui  peut  nous  dire  encore  exclus  ? 
Dans  la  splendeur  des  mots  de  France,  ô  roi  du  verl) 
Gomme  un  Meschacebé,  tu  reflètes,  superbe, 

L'Amérique  —  qu'on  ne  perd  plus  I 


& 


5/ 


II 

1792 


Au  peintre  héroïque  du  «  Pre- 
mier Parlement  Canadien  » 
M.  Chaules  Huot. 

C'est  la  France  qui  nous  a 
donné  cette  belle  langue.  Ce 
sont  les  Canadiens  qui  l'ont 
conservée  ;  ce  sont  eux  qui 
ont  forcé  le  vainqueur  à  la 
reconnaître  comme  langue 
de    gouvernement.  » 

^Tardivel.) 


0  prodige  1  o  bonheur  I  c'est  vrai?. . .  Tu  n'es  pas  morte.'' 
C'est  toi,  langue  de   France,   après  un  long  tourment 
Dès  les  premiers  -débats  du  premier  Parlement, 
Toi  dont  Québec  ravie  applaudit  la  voix  forte  ? 

^ainement  tes  bourreaux,  enflés  de  leurs  exploits. 
Pressaient  le  dur  bâillon  sur  ta  bouche  meurtrie  ; 
Vainement  pensaient-ils,  mère  de  la  patrie, 
T'élrangler  par  surprise  au  lacet  de  leurs  lois  ! 


Ils  ignoraient  sans  doute,  en  leur  brutal  caprice, 
Que  tu  portes  en  loi  ce  que  nul  fer  ne  vainc, 
Ne  peut  saisir,  tuer,  —  le  grand  souille  divin 
D'une  âme  toujours  libre  et  partout  rédemptrice  ! 

Vis,  ma  langue  de  France,  au  Canada  !...  Tes  preux. 
Pierre  de  Rocheblave,  Alain  de  Lolbinière, 
Bédard,   Papineau,     trente  autres,    sous    ta  bannièp', 
T'ont  su  vite  arracher  aux  complots  ténébreux  1 

Contre  tes  oppresseurs  s'élançant  dans  la  lice, 
Vengeurs  et  justiciers,  de  quel  zèle  joyeux 
Autour  de  toi  —  l'esprit  et  le  cœur  des  aïeuv  !  — 
Ils  ont  mis  le  rempart  de  leur  sainte  milice  ! 

Pour  la  cause  en  leurs  voix  de  quel  feu  tu  brûlais  ! 
Chez  toi  qui  permettrait  qu'un  décret  le  retranche, 
Quand  te  prê taienthom mage,  ô langue  noble  et  franche, 
Tant  de  barons  normands  et  tant  de  rois  anglais  ?. . . 

Comme  ils  lu  liaient,  tes  fils!  De  quel  soin  tendre,  ô  mère, 
Ainsi  que  des  porteurs  antiques  de  flambeaux, 
Leurs  mains  du  vent  de  mort,  qui  se  plait  aux  tombeaux, 
Pour  leur  postérité  protégeaient  la  lumière  ! 

Tu  triomphes...  lu  vis  1  Toutes  les  piétés 
Canadiennes  devraient  encenser  ta  vaillance  ; 
Car  l'Anglais  même  ici  te  doit,  langue  de  France, 
Le  trésor  de  ses  libertés  ! 


4 


III 

1806-1831 


A  M.  le  D    J.  DoiuoN. 

>•  Sousla  conslilution  d'Angle- 
terre le  peuple  aie  droit  de 
se  faire  connaître  lui-même 
par  le  moyen  de  la  liberté 
de  la  presse,  —  et  par  l'ex- 
pression libre  de  ses  senti- 
ments toute  la  nation  de- 
vient pour  ainsi  dire  le 
conseiller  privé  du  (îouver- 
nement.   » 

(Prospectus  du  Canadien  \ 
]3  novembre  1806.) 


Pour  le  commun  salut,  pour  la  fierté  commune. 

Que  menace  ou  que  blesse  un  criminel  pouvoir, 

C'est  le  droit  devant  tous,  —  plus  qu'un  droit  —  le  devoir, 

Qu'une  Presse  sincère  élève  sa  tribune. 


1.  Le  Canadien,  premier  journal  qui  défendit  les  droits  delà 
nationalité,  fondé  en  i8o(3  par  P.  Bédard,  supprimé  en  i8io 
par  le  gouverneur  sir  James   Craig,  ressuscité    et   disparu   plu- 


■ 


-  17-1  - 

Un  peuple  doil  montrer  ce  qu'il  est,  ce  qu'il  vaut, 
Ou  tend  son  bras  lui-même  à   la  chaîne  d'un   maîtn  . 
Qui  s'estime  bien  né  doit  se  faire  connaître. 
Savoir  vivre  au  pleinjour,  oser  penser  tout  haut  ! 

Louange  au  guide  sûr  dont  le  bon  sens  éclaire 
Sur  les  routes  du  bien  et  de  la  vérité, 
Qui  s'indigne  et  proteste  au  nom  de  la  Cité, 
Intègre  justicier  de  l'honneur  populaire  ! 

Car  pour  cette  œuvre   il  faut  un  esprit  droit,  il  faut 
Une  âme  ardente,  un  cœur  intrépide  — un  cœur  d'homme 
Qui,  plus  du  sang  public  que  du  sien  économe, 
?se  craigne  pas  pour  soi  les  fers  et  l'échafaud  ! 

Louange  à  toi  d'abord  dont  le  nom  se  prononce, 
Le  premier  qui  parlas  en  libre  citoyen, 
Fervent  et  vigoureux  lutteur,  vieux  «  Canadien  d, 
Qui  le  premier  vengeas  Y  Erable  de  la  Ronce  '  ! 

Tu  sus  être  français,  bien  français  :  sel  gaulois. 
Lumineuse  raison,  style  robuste  et  sobre, 
Nul  don  ne  t'a   manqué  pour   soustraire  à  l'opprobre 
a  Nos  institutions,  notre  langue  et  nos  lois  I   » 


sieurs  fois,  mena  surtout  une  campagne  vigoureuse  à  partir  de 
i83i  sous  la  direction  de  l'éminent  publiciste  Etienne  Parent. 
Bédard  et  Parent  durent  à  leur  patriotisme  l'honneur  de  la  pri- 
son en  1810  et i837-i838. 

I.  Allusion  à  une  fable  du  Canadien  du  29  novembre  1806. 


Forgeron,  tu  fis  bien  étincclcr  l'enclume  !... 
—  Aussi,  loi  qui  longtemps  t'ortifias,  unis, 
Ancêtre  vénérable  aux  noirs  feuillets  jaunis, 
Puisse  encor  t'écouter  ([uiconque  tient  la  plume  ! 

!  Héraut  des  libertés  énergique  et  vibrant, 
i  Fais  toujours  dans  les  cœurs  tinter  ta  même  note. 
■  "Noix  du  vieux  «  Canadien  »  française  et  patriote. 
Voix  de  Pierre  Bédard  et  d'Etienne  Parent  ! 


^ 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^ 


IV 

1842-1849. 


A  M.  Armand  Lwergne,  député 
à  l'Assemblée  législative  de 
Québec. 

Quand  même  la  connaissance  de 
la  langue  anglaise  me  serait 
aussi  familière  que  celle  de  la 
langue  française,  je  n'en  ferais 
pas  moins  un  premier  discours 
dans  la  langue  de  mes  compa- 
trioles  français  -  canadiens,  ne 
fût-ce  que  pour  protester  solen- 
nellement contre  cette  cruelle 
injustice  de  cette  partie  de 
l'Acte  dUnion  qui  tend  à  pros- 
crire la  langue  maternelle  d'une 
moitié  de  la  population  du  Ca- 
nada. Je  le  dois  à  mes  compa- 
triotes, je  le  dois  à  moi-même.  » 
(H.  Lafontaine,  1842.) 

. .  Le  Parlement  impérial  a  passé 
un  acte  révoquant  la  clause  de 
l'Acle  d'Union  qui  imposait  des 
restrictions  à  l'usage  de  la  Langue 
française.  (Lord  Elgin,  1849.) 


Jours  d'épreuve  et  de  deuil,  de  tragiques  reculs, 
Où,  dans  le  désespoir  farouche  de  la  race, 


—  177  — 

Les  belles  Libellés,  dout  se  Aoilail  la  face, 
S'exilaient  sans  appel  au  gré  des  Proconsuls  I 

Des  crimes  irritants  naissent  les  résistances, 
D'où  naissent  à  leur  tour  d'autres  brutalités  : 
Quelle  funèbre  histoire  aux  yeux  \ous  racontez, 
Chemins  où  l'écliafaud  a  dressé  ses  potences, 

Murs  des  prisons,   témoins  d'héroïques  douleurs  1 
Villages  dont  la  torche  a  fait  un  désert  morne  ! 
Tombes  des  «  Bonnets  Bleus  »  qu'a  fusillés  Colborne  ! 
Flots  qui  vîtes  s'enfuir  les  Libertés  en  pleurs  ! 

Un  nuage  de  sang  planait  sur  l'agonie 

D'un  peuple  que  son  droit  condamnait  à  la  mort, 

Et  ses  persécuteurs  exultaient  sans  reniord 

A  sa  langue  frappée  et  du  forum  bannie  1 

^lais  tout,  plutôt  que  rendre  un  son  d'âme  étranger, 
Tout,  plutôt  qu'abdiquer,  trahir  son  sang  I...  Superbe, 
Tranquille,  le  tribun  se  lève,  et,  noble  verbe, 
Bravant  l'unique  arrêt,  t'emploie  à  te  venger  !... 

Qu'alors  tu  parais  beau,  libérateur  des  âmes  ! 

Devant  tes  ennemis  confus  et  se  troublant. 

Tu  règnes,  simple,  vrai,  magnifique,  brûlant 

Sur  les  lèvres  d'un  seul  de  cinq  cent  mille  flammes  1  .. 

LE  CANTIQUE  12 


-  178  - 

Si  bien  qu'admirateur  du  courage  loyal, 

Elgin,  fils  d'Albion  dont  l'équité  te  prône. 

Pour  te  rendre  ta  place,  —  en  son  discours  du  trône 

Te  couronne  et  t'assied  sous  le  ijrand  daisroval  '  1 


I.  Georges-Etienne  Cartier,  le  grand  ministre,  fondateur  du 
Canada  moderne,  fit  consacrer,  en  i8C7,le  triomphe  définitif  de  la 
Langue  française,  reconnue  l'égale  de  l'anglaise,  dans  l'Acte  dv 
l'Amérique  britannique  du  Nord  (article  i33)  :  «  Dans  les  Cham- 
bres du  Parlement  du  Canada  et  les  Chambres  de  la  Législature 
de  Québec,  l'usage  de  la  langue  française  ou  de  la  langue  anglaise 
dans  les  débats  sen  facidlatif  ;  mais  dans  la  rédaction  des  archives, 
procès-verbaux  et  journaux  respectifs  de  ces  Chambres,  l'usag' 
de  ces  deux  langues  sera  ol)U(jaloire .  » 

La  Loi  Lavergne  (du  /»  juin  1910;  a  complété  cette  obligation 
en  l'étendant  à  toute  la  vie  administrative  et  économique  de  la 
Province  de  Québec. 


<- 


l»^îa:j^^ë^?$i^^^'3:^^Ki|gri^§»^^ 


(Les   faisons 
d'un     (F^zaiico-oAméticaiii 

à  son  fie  te  de   Québec. 


Aux  Chevaliers  de  J.  Cartier. 

A  l'Union  Saint-Jean-  Bap- 
tiste d'Amérique, 

Aux  Forestiers  franco-améri- 
cains, 

A  l  Association  cnnado  améri- 
caine. 

Aux  Artisans  canadiens, 

A  mes  hôtes  et  amis  de  la  So- 
ciété historique  franco-amé- 
ricaine de  Boston. 

Votre  mission,  Canadiens-Fran- 
çais, est  de  donner  à  l'Amérique 
tout  ce  que  la  vieille  France 
avait  d'admirable  et  ce  que  vous 
avez  si  bien  conservé.  » 
(Mgr  QciGLEY,  archevêque  de 
Chicago). 

Nous  voulons  apporter  à  l'àme 
américaine  les  beautés  de  l'idéal 
français  et  1  énergique  formation 
de  la  philosophie  calholique...  ». 
iH.-T.  Leuoix,  Président  do 
1  Union  Saint-Jean-Baptiste  d'A- 
mérique.) 


Daignez  me  pardonner,  —  vous  rassurer,  mon  frère, 
Si  j'ai  suivi,  i<  transfuge  à  vos  yeux  téméraire, 


—  i8o  — 

L'exode  canadien  chez  vos  voisins  yankees  ». 
Dans  vos  craintes  déjà  vous  nous  voyez  conquis, 
(I  Battus  et  submergés  par  la  vague  saxonne  », 

—  Et  votre  esprit  s'alarme  et  votre  cœur  frissonne  . 
A  nous  croire,  en  un  risque  où  l'âme  sert  d'enjeu. 
Perdus  pour  vous,  perdus  pour  la  race  et  pour  Dieu  ! 

—  ?son  !  non  !  pour  l'avenir  que  votre  zèle  embrasse, 
Fiez  vous  plus,  mon  frère,  aux  vertus  de  la  race. 
Aux  vœux  de  l'Eternel,  qui,  maître  de  nos  cœurs, 
Prédestine  et  conduit  les  peuples  migrateurs  ! 

Et  d'abord,  pourquoi  donc,  en  franchissant  d  les  lignes 
Vous  paraîtraient  «  vos  gens  »  étrangerset  moins  dignes? 
En  quoi  mon  sang  bat-il  moins  français  et  moins  beau, 
Où  vainquit  La  Fayette,  où  brilla  RochambeauP 
Pourquoi  mettre  entre  nousdes  remparts  ou  des  digues  ? 
jNous  n'avons  point  non  plus  déserté,  fils  prodigues, 
Les  foyers  paternels  ni  les  autels  sacrés  : 
Au  pays  des  aïeux  nous  vivons  tous  rentrés  ; 
Le  Français  est  partout  chez  lui  dans  l'Amérique  ! 
De  partout  le  passé  lui  tend  quelque  relique, 
Qu'il  reprend  et  qu'il  baise,  amoureux  pèlerin. 
Sur  le  sol  dcsLanglade  '  et  des  Aital  Guérin  -  1 
Nous  pouvons,  aux  deux  bords  du  fleuve  de  Marquette, 
Restaurer  pas  à  pas  Ihomérique  conquête, 
Des  huttes  des  Natchez  aux  uigAvams  michigans 
Ranimer  dans  les  bois  mille  échos  éloquents  ; 

I.  «  Le  père  du  AA  isconsiii.  » 

a.  Le  fondateur  de  la  ville  de  Sainl-Puid  dans  le  Mimicsola. 


—   i8i    — 

(j'esl  nous  (|ui  prélendons  au  ^e^mont  comme  au  Maine 
De  Qiiéhec  élarfii  rélal)Iir  le  domaine. 
Sur  le  lac  historique  où  (Ihamplain  navigua 
Défendre  «  Carillon  »  dans  Ticondéroga  ! 


Cette  maison  nous  plaît  que  Dieu  nous  a  choisie» 
Mais  sans  nous  dégrader  dans  une  apostasie, 
Sans  les  sombres  remords  et  les  cruels  dégâts 
Que  la  trahison  laisse  au  cœur  des  renégats. 
\enez  ici  nous  voir,  vous  pencher  sur  nos  âmes  : 
Vous  Y  verrez  brûler  encor  les  mêmes  flammes, 
Partout  se  propager,  sans  oublis  et  vibrants, 
Cent  i<  petits  Canadas  »,  prêts  à  devenir  grands  ! 
Nos  séparations  ne  sont  point  des  divorces  : 
Loin  devons — avec  vous  toujours —  toutes  nos  forces 
Travaillent  à  sauver  le  pays  de  nos  cœurs. 
L'idéale  patrie  auv  divines  douceurs  ! 

\enez.  pour  éprouvep  notre  foi  canadienne. 
\isiter  l'humble  chambre,  où  la  mère  chrétienne 
Dans  le  français  sacré  du  ((  \otre  Père  »  — -  unit 
Les  mains  de  ses  enfants  sous  le  rameau  bénit  ; 
L'église,  don  du  pauvre  artisan,  où  la  chaire 
N'admet  pas  pour  son  Christ  une  voix  étrangèrCr 
Source  de  haute  vie,  où  nos  morts  triomphants 
Chantent  leurs  vieux  noëls  aux  lèvres  des  enfants  ; 
L'agape,  où  dans  la  joie,  aux  fêtes  fraternelles, 
^  otre  Saint-Jean-Baptiste  assemble  ses  fidèles  ; 
L'asile  de  l'étude  ou  l'abri  du  secours. 
Qui  raconte  en  français  de  sublimes  amours  \ 


—    l82    — 

Si  les  loups  onl  ravi  des  brebis  disparues. 
Louez  plus  le  troupeau  pour  ses  vigueurs  accrues  : 
La  race  ne  meurt  point,  coupée  en  deux  tronçons, 
Mais  s'épanouit  mieux  sous  deux  drapeaux  saxons  ! 

On  court plusde  dangers  peut-être  aux  avant-postes: 
Tant  mieux!  Nous  braverons  la  peur  des  holocaustes, 
En  soldats,  dont  le  zèle  a  l'honneur  redouté 
De  garder  le  plus  loin  les  clés  delà  cité  ! 

Baigné  de  toutes  parts  aux  vastes   flots  hostiles. 
On  peut  s'égarer,  jouet  de  puissances  subtiles, 
Comme  au  gré  des  ressacs  quelque  léger  fétu  ? 
—  Tant  mieux!  car  aux   périls  mesurant  leur  vertu. 
Sur  le  goulTre  incertain  veillent  mieux  les  pilotes  ; 
Stimulé,  notre  cœur  plus  chaud  de  patriotes, 
Grâce  au  rude  ennemi  qu'il  sent  le  menacer, 
Au  lieu  de  s'engourdir,  voudra  se  surpasser  ! 

Ici,  non  moins  que  vous,  en  ces  larges  frontières, 
Nous  ferons  bonne  garde  autour  des  sanctuaires. 
Où  notre  culte  met  sous  l'aile  de  la  Croix 
Tous  nos  trésors  de  cœur,  notre  langue  et  nos  droits. 
Non  moins  que  vous,  ici,  quand  l'avenir  se  fonde 
Au  creuset  bouillonnant  des  nations  du  monde. 
Nous   croyons  que  le  Christ,  d'après  un  plan  divin. 
Nous  a  dû  réserver  comme  un  ferme  levain. 
Nous  croyons  — notre  cher  passé  nous  le  persuade  — 
Que  le  Maître  a  voulu  pour  sa  longue  croisade. 
Partout  où  souiTre  une  âme  en  peine,  où  pleure  un  glas, 
Nous  joindre  à  de  joyeux  et  prompts  apostolats; 
Qu'il  a  besoin  de  nous  pour  que  Son  règne  advienne, 
Pour  rallumer  au  cœur  d'une  foule  païenne, 


—     I  (S.>    — 

OÙ  s'est  lro[)  de  liimièro  évaiigôliquc  éteint, 
lii  peu  de  l'idéal  callioliqiie  et  latin  1 

Et  plus  tard,  loisquici  de  hautes  cathédrales. 
Mieux  que   d'un  ail  fameux  les  beautés  sculpturales, 
Dans  une' floraison  de  l'erventes  candeurs 
Des  saintes  Charités  montreront  les  splendeurs 
Comme  seule  en  produit  notre  race  d'apôtres, 
\os  fils  se  lèveront  pour  saluer  les  nôtres, 
Et,  bras  ouverts,  diront  :  «  Entre  nous  Canadiens, 
Canadiens  des  «  Etats  »  ou  des    bourgs   laurentiens. 
Nul  schisme  douloureux  n'a  dressé  sa  barrière  : 
A  nos  lèvres  s'embrase  une  même  prière. 
Dans  nos  cœurs  le  désir  des  mêmes  saints  exploits. 
Rameaux  drus  et  pareils  du  vieil  arbre  gaulois, 
Qui  n'ont  point  démenti  la  souche  originelle, 
Nous  servons  tous  de  même  une  France  éternelle, 
Cette  France  de  l'àme,  où  l'ancêtre  a  gravé 
Au  Dieu  de  l'Espérance  un  magnifique  Avé  !  » 


J^t  T^^  ^^^  "T^^  ^^'  "T^^  T^^  '^^^  T^^  'T^^  '^^^  "^^^  T^^'T^^  "^^^  T^^  ^^^  T^^ 


^e  'Cantique  à  r(Etoile  deô  oMerô. 


A  Mgr  Leblanc, 
premier   évéque  acadien, 

A  l'Acadie  ressuscitée. 


Soleil  d'Assomption  dont  la  gloire  irradie 
Sur  la  moire  des  flots  et  le  frisson  des  blés  ! 
Fête  de  Notre-Dame  et  fête  d'Acadie 
Dans  un  vivant  éveil  de  drapeaux  étoiles  1... 
L'essor  des  carillons  soulève  des  vols  d'âmes 
Dans  les  alléluias  dont  se  peuplent  les  airs. 
Le  long  des  chemins  gais,  plantés  d'érables  verts. 
Oii  le  feston  de  fleurs  s'enlace  aux  oriflammes. 
Sur  les  reposoirs  blancs  et  les  arcs  triomphaux. 
Dont  les  fiers  écussons,  les  hautes  banderoles 
Disent  à  tous  les  cœurs,  plus  unis  et  plus  chauds. 
Espoir  et  Charité,  vos   divines  paroles  ! 


—  i85  — 

i  Et  la  procession  se  déroule  en  chantant  : 

Hérauts,  gardes  d'honneur  sous  les  armes,  fanfare. 
Enfants  aux:  rubans  bleus,  dont  la  candeur  se  pare 
De  la  rose  en  couronne  et  du  voile  flottant  ; 
Long  chœur  de  pèlerins  des  mystiques  agapes, 
Artisans,  défricheurs  de  sauvages  cantons, 
Femmes  au  front  voilé  de  veuves  —  sous  leurs  capes, 
Pêcheurs  aux  yeux  couleur  de  mer,  aux  cœurs  bretons, 
—  CeuxdeRichibouctou,  de  Grande  Anse  ondes  Iles, 
Ceux  qui  nomment  Saint-Jean,  Memramcouk  pour  berceau. 
Qui  sous  un  ciel  brumeux,  de  Tousquet  à  Canseau, 
Aux  replis  de  la  côte  ont  fixé  leurs  asiles,  — 
Vigoureuses  tribus  du  sang  de  Razilly 
Dont  les  noms  sans  rudesse  annoncent  l'origine, 
Beau  peuple  catholique,  ardent  et  recueilli. 
Chez  qui  patrie  et  foi  confondent  leur  racine  .. 
Tous  vont,  graves  et  doux,  tandis  que  l'encensoir 
Enveloppe  d'azur  la  bannière  ou  le  cierge. 
Que  plane  en  souriant  l'image  de  la  Vierge, 
Que  glisse  sur  les  fronts  l'éclair  de  l'ostensoir... 
Et  la  brise  du  large,  avec  leur  voix  fervente, 
A  leurs  frères  lointains,  que  la  haine  exila, 
Répète,  en  proclamant  la  race  triomphante. 
Le  cantique  de  grâce  :  Ave,  maris  Stella  !... 


i86 


II 


Dans  la  grancVsalle,  d'or  et  de  pourpre  baignée, 
L'Aïeul,  majestueux  et  beau  comme  le  soir, 
Au  haut  bout  de  la  table  est  revenu  s'asseoir 
Et  contemple  l'honneur  de  sa  forte  lignée, 
Ses  enfants,  et  les  fds  de  ses  fds,  si  nombreux 
Qu'il  ne  se  souvient  plus  de  leurs  noms   de  baptême, 
Mais  dont  il  sait,  sans  trouble,  à  son  fier  diadème 
Patriarcal,  compter  les  fleurons  généreux. 
Tout  l'exalte  à  cette  heure  et  tout  le  magnifie  : 
L'Eté,  des  quatre  points  de  son  vaste  horizon. 
Par  l'appel  du  troupeau,  l'odeur  de  la  moisson, 
Au  labeur  de  ses  mains  chante  un  hymne  de  vie. 
Sa  vieillesse  héroïque  embrasse  d'un  coup  d'œil. 
Avec  les  sûrs  garants  de  sa  tâche  féconde, 
L'immense  table,  —  chêne  autrefois  roi  d'un  monclr. 
Oui  de  tant  de  rameaux  connut  aussi  l'orgueil... 

Derrière  les  deux  rangs  des   rustiques  convives. 
Qui  d'un  geste  pieux  rompent  le  même  pain, 
Mères  ou  jeunes  sœurs  vont,  viennent,  sans  bruit  vain. 
Présentant  les  plats  lourds  ou  les  corbeilles  vives  ; 
—  Et  l'Ancêtre  sourit.4ans  la  sérénité 
De  ses  jours  pleins,  vaillants,  sans  œuvres  décevante?  I 
Il  voit  autour  de  lui  s'empresser  ces  servantes, 
La  Paix,  la  Conscience  heureuse  et  la  Bonté  !... 
Puis,  se  levant,  d'un  ton  de  chef  et  de  prophète 
Il  conseille,  il  prie. 

—  ((  Oui,  c'est  victoire  et  c'est  fête. 


—    iS;   — 

Dil-il  ;  mais  sans  voiler  le  deuil  des  anciens  ans, 
Rendons  grâces  à  Dieu,  l'auteur  des  biens  présents  I 
Saluons  son  miracle  et  sa  haute  pensée  : 
La  famille  acadienne.  à  tous  vonts  dispersée. 
Grâce  à  Lui  se  rassemble  et  reconstruit  son  nid. 
Souvenons-nous,  mes  fds  :  le  souvenir  unit  ! 
Mes  fds,  souvenons-nous:  le  souvenir  fait  vivre  1 
Songeons  pieusement  que  Celui  qui  délivre, 
Pour  nous  glorifier,  nous  marquant  de  son  sceau, 
V  fait  de  la  douleur  notre  premier  berceau  1 

D'autres  vantent  peut-être  un  passé  d'allégresses  : 
Nous  n'avons  à  montrer  que  l'exil,  des  détresses. 
Des  outrages  sans  nom,  — d'un  doux  peuple  innocent 
Les  sueurs  d'agonie  et  les  larmes  de  sang  1 
Mais  nous  la  vénérons,  notre  chère  souffrance. 
Comme  un  trésor  à  nous,  notre  unique  opulence, 
Sans  rancœur,  sans  tirer  le  glaive  des  fourreaux, 
En  sachant  pardonner  aux  fureurs  des  bourreaux. 
Le  mal,  le  divin  mal,  notre  culte  l'embrasse, 
Fervent,  comme  un  témoin  des  vertus  de  la  race. 
Comme  les  instruments  des  conquêtes  du  Ciel, 
La  couronne  d'épine  ou  l'éponge  de  fiel. 
Christ — honneur  que  sa  Grâce  à  bien  peu  daigne  faire  — 
Nous  a  laissés  gravir  tout  entier  son  Calvaire  : 
Aussi,  fiers  des  martyrs  nos  pères,  à  genoux, 
Souvenons-nous  toujours,  mes  fils  I  Souvenons-nous  !  » 


i     Les  deux  bras  de  l'Aïeul  comme  pour  une  étreinte 
S'avancent  :  on  dirait  que  des  temps  douloureux 


—  i8S  — 

Il  voit  venir  vers  lui  les  grands  Morts  bienheureux... 
De  suprêmes  rayons  s'éteignent...   L'heure  est  .saint*-, 
L'heure  crépusculaire  aux  mystiques  douceurs. 
Les  fronts  se  sont  penchés  au  silence  du  rêve. 
Des  lèvres  du  Vieillard  à  voix  lente  s'élève 
L'adjuration  grave  aux  chers  intercesseurs. 

—  ((  Aidez-nous,  confesseurs  vaillants  du  Christ,  nos  Pèr' 

Agrestes  bûcherons,  durs  façonneurs  de  terres. 
Pauvres  gens,  dont  le  sang  français  fit  des  héros  1 

Victimes  de  Grand-Pré,  du  bord  des  Gaspareaux, 
Qui   partiez,  enchaînés,  chantant  encor  des  psaumes  ! 

Captifs  dépossédés,  meurtris,  —  hâves  fantômes 
Qui  n'emportiez  plus  rien  qu'un  cœur  plein  d'oraison> 

Morne  bétail  pensant,  funèbres  cargaisons. 
Dont  parfois  dans  la  mer  se  délestait  la  cale  ! 

Débris  d'humanité,  qui  d'escale  en  escale 

Ne  trouviez  pas  au  monde  un  seul  rivage  humain  ! 

Chrétiens,  que  des  chrétiens  laissaient  tendre  la  main. 
Sans  secours,  dans  la  neige,  à  la  porte  des  villes  I 

Innocents,  condamnés  aux  tâches  les  plus  viles. 
Avec  ignominie  aux  carrefours  fouettés  ! 


-  iSg  - 

rioscrits,  race  d'AbcIs  comme  Gain  traités, 

(  hii  mêliez  votre  plainte  à  la  plainte  des  grèves  ! 

\  agabonds  qui  tombiez,  percés  de  mille  glaives, 
Aux  sentiers  des  l'orêts  que  vos  os  ont  blanchis, 

Qui  mouriez,  étrangers,  au  seuil  de  vos  logis, 
Suspects  comme  un  complot,  maudits  conmie  une  peste  1 

.Pères,  seigneurs  très  hauts,  dont  le  pouvoir  s'atteste 
Aux  cœurs  multipliés  de  vos  fds  survivants  I 

Crucifiés,  amis  du  Christ,  tous  triomphants 
Dans  l'escorte  d'honneur  de  la  A  ierge  sa  Mère, 

Assistez-nous  !  Comme  un  effeuillement  de  fleurs, 
Répandez  sur  nos  fronts,  milice  tutélaire, 

Les  bénédictions  de  vos  saintes  douleurs  1  »  — 


Il  dit.  L'ombre  à  présent  gagne  et  cherche  à  s'étendre. 
Devant  lui,  dans  la  pièce  au  vague  clair-obscur, 
Une  fenêtre  encadre  un  morceau  de  ciel  pur 
Comme  un  pan  de  bannière  au  beau  velours  bleu  tendre, 
Et  sur  le  fond  d'azur  du  céleste  velours 
S'argente  en  scintillant  la  perle  d'une  étoile... 

Alors,  sur  le  conseil  que  le  soir  lui  dévoile, 
H  appelle  l'enfant,  charme  de  ses  vieux  jours, 


- —  igo  — ■ 

Fille  duii  petit-fils,  plus  douce  et  plus  câline, 

Dont  lui  sourit  le  nom,  celui-là  bien  connu, 

Que  toujours  aisément  son  cœur  a  retenu. 

—  «  Vois  l'étoile,  là-haut,  qui   brille'....  Evangélinc, 

C'est  l'heure  d'invoquer  pour  nous,  pour  les  errants,    1 

La  Vierge  Mère,  Fleur  suave  d'Espérance, 

Reine  du  Bon  Secours,  Dame  de  Recouvrance, 

Soutien  des  naufragés  et  salut  des  mourants  ! 

C'est  Elle  qui  sauva  nos  pores...  Qu'elle  empêche 

De  s'abattre  sur  nous  tous  les  souilles  de  mort  : 

Qu'elle  enlle  notre  voile  et  la  conduise  au  port  1 

Ave.  maris  Stella  1  »  — 

D'une  voix  pure  et  fraîche, 
Qu'écoulent  les  Aïeux,  vainqueurs  des  flots  amers, 
La  jeune  Evangéline,  en  ce  soir  sans  nuage. 
Pour  le  peuple  Acadien,  qu'attend  un  beau\oyage. 
Entonne  le  cantique  à  l'Etoile  des  mers... 


^ 


qA  un  (Lonisianais  fidèle. 


A    M.    AlcÉE   FoitTIER. 

professeur  à    l'Uniuersilé 

Tulune, président  de  l'Athénée 

louisianais. 

«Qu'à  l'avenir  les  Louisianais 
se  souviennent  qu'ils  ont 
été  Français.  Qu  ils  con- 
servent pour  nous  des  sen- 
timents dafi'ection,  et  que 
l'origine  commune,  la  pa- 
renté, le  langage,  les 
mœurs,  perpétuent  l'ami- 
tié... "  (Bonaparte,  30  avril 
1803.) 


Je  pense  à  VOUS  souvent,  à    ce  soir  ttop  court,  maître 
Louisianais.  là-bas,  près  de  cette  fenêtre 
D'où  pouvait  tout  Québec  clans  un  regard  tenic  ; 
Je  pense  au  soir  de  fête,  où  votre  causerie 
M'ouvrit,  tantôt  riante  et  tantôt  attendrie, 
Son  riche  écrin  du  Souvenir. 

J'écoutais  vos  mots  lents  pétale  par  pétale 
M'ctTeuiller  les  beautés  de  la  terre  natale, 


—  192  — 

Me  compter  tous  Jes  grains  du  vigoureux  épi  ; 
Votre  cœur  m'emportait —  de  quel  bond  1  par  quelle  arche  '■{ 
Des  bords  du    Saint-Laurent,  superbe  patriarche, 
Aux  bords  du  Roi  des  Eaux,   votre  Mississipi  1 

Parmi  les  chers  trésors  de  votre  patrimoine, 
Heureux,  vous  rappeliez  ce  qu'auxmains  des  Le  Moyiif 
Le  Canada  pour  vous  de  gloire  avait  conquis, 
Comme  aux  fastes  sacrés  de  votre  noble  ville 
Régnait  encore,  auprès  du  «  Père  »,  de  Rienvilie, 
Vaudreuil  nommé  le  «  Grand  Marquis  »  1 

i 
Vous  évoquiez  l'ancien  colon,  toujours  fidèle  | 

A  sa  race  ;  trahi,  vendu,  —  pour  l'amour  d'elle. 

Comment  il  protesta,   comment  il    s'est  battu  ; 

Comment,  beau  révolté.   Chauvin  de  la  Fresnière,  : 

O  France,    en  expirant  embrassait  ta  bannière, 

Jusqu'au  dernier  soupir    t'immolait  sa  vertu  1 

Vous  disiez  l'émoi  pur  qu'en  vos  cœurs  fait  éclore. 
Joint  aux  plis  étoiles,   l'emblème  tricolore  ; 

Vous  disiez,  sûr  garant  du  vieux  parler  charmeur, 

Que  chez  vous,  en  dépit    d'une  fortune  adverse,  ., 

Constamment,  en  français  on  prie,  on  aime,  on  berce,    I 
En  français  l'on  naît  et  l'on  meurt  1 


Vous  parliez  :  et  soudain  m'apparut,  réveillée, 
Une  province  du  français  ensoleillée. 


—  i9«>  — 

Sous  les  cotonniers  blancs,  soyeux,  un  gazouillis 
Doux,  infiniment  doux,  plein  de  grâce   créole, 
Avec  une  senteur  lointaine,  et  l'auréole 
Des  rayons  et  des  fleurs  du  moite  et  chaud  pays  ! 

—  Ah  !  que  vos  piétés  m'ont  touché,  maître,  apôtre 
D'àme  française  !...  Et  j'ai  mis  ma  main  dans  la  vôtre, 
Tandis  que  j'admirais,  plus  que  tous  vos  exploits, 
La  fleur  du  doux  français  de  la  Louisiane 
Enlaçant  d'amitié  sa  flexible  liane 

Au  tronc   du   vieux  chêne  gaulois  ! 


LE  CANTIQUE  13 


Oiiaiorze  luôcriptions 
pour  r Ecole  Canadienne 


A  l'honorable 

M.  P.  Boucher  de  la  Brlkre, 

surintendant 

de  rinstruction  publique 

dans  la  province  de    Québec 

A  M.  C.  J.  Magnan, 
Inspecteur  général  des  écoles. 

A  tous  les  Maîtres,  à  toutes 
les  Inslilutrices,  Mission- 
naires   de  la  Bonne  Parole. 


^out  la  oMaiôon. 


A    M.   l'abbé    P.   Peurieh. 


Passant,  qui  viens  du  vieux  pays  de  France,  arrête 

Un  instant,  et  vénère  en  inclinant  la  tête. 

Comme  un  verger  en  fleur  qui  prépare  le  fruit, 

L'inviolable  asile  où  la  race  s'instruit. 

Je  suis  simple  ;  mais  rien  n'est  plus  beau,  plusaugustc. 

Quelque  chose  d'infiniment   tendre  et  robuste. 

Grâce  à  moi,  pour  ton  nom  que  j'aime  et  je  défends, 

Croît  dans  l'ombre  sans  bruit,  —  de  gentils  cœurs  d'enfant- 

Honore-moi  :  bénis  l'humble  école,  édifice 

Du  suprême  avenir...  Songe  au  long  sacrifice 

De  ces  maîtres,  de  tous  ces  apôtres  joyeux. 

Zélés  dispensateurs  du  trésor  des  aïeux. 

Songe  aux  fiers  «   habitants»,  dont  le  rude  salaire, 

Pour  garder  à  leurs  fils  leur  langue  séculaire, 


—  198  — 

Sut  lui  bâtir  ce  temple  où  chaque  âme  est  autel, 
Où  le  feu   se  transmet,  par  moi  seule  immortel. 
Songe  combien  de  même,  en  tous  lieux  dispersées, 
Nous  demeurons  des  morts  les  vivantes    pensées. 
Combien,  jusqu'aux  confins  des  plus  obscurs  cantons, 
Pour  les  plus  saints  des  droits  sans  trêve  nous  luttons. 
Derniers  remparts  des    Libertés  de  la  Patrie. 
Songe  au  bien,   mon  labeur,  passant  :    salue    et  prie. 
Pour  que  Dieu  me  protège  et  qu'il  m'aide  à  mûrir 
La  moisson  des  esprits  que  ton  vœu  doit  chérir. 


^^^^ç^^^^^^^^^^^^^ 


II 
Tour  le   ^Seiul. 


A  M.  l'abbé  P.  Fillion, 
secrétaire  de  ri'iiiitersité  Laval. 


Bonjour,  mes  clicrs  petits  I  Entrez  sans  peur  ni  doute, 

Tous,  nombreux  1  Secouez  la  neige  de  la  route 

Et  les  flocons  glacés  qui  givrent  vos  '(  capots  ». 

C'est  bien.  Entrez,  les  mains  nettes.  l'esprit  dispos, 

Le  cœur  pur.  Mon  salut  dit  à  tous  :  espérance  ! 

Sûrs  qu'ici  chaque  etîort  supprime  une  ignorance, 

Braves,  sans  que  leurs  jougs  vous  semblent  trop  pesants, 

\  l'appel  des  devoirs  répondez   tous  :  Présents  1 

Entrez  sans  crainte.  Il   fait   doux  et  bon.  Lue  flamme 

Chaude,  familiale,  éclairera  votre  àme. 

L  Ecole,  vous  verrez,  c'est  "comme   une  maman 

Qui  parfois  gronde,  mais  délicieusement, 

Parce  qu'on  sent  qu'elle  aime  et  quelle  veut  qu'on  monte. 

Travaillez  :  le    travail  grandit    seul,    sans  mécompte, 


—     200    — 

Et  chaque  soir,  enfants,  vous  partirez  un  peu 

Plus  dignes  du  Pays  et  plus  proches  de  Dieu. 

Et  dans  l'ombre,  au  retour  chez  vous,  vous  pourrez  croire, 

Le  long  des  chemins  blancs,  qu'une  jeune  Victoire, 

Discrète,  sans  souffler  au  cuivre  des  clairons, 

\ous  suit  en  étendant  son  aile  sur  vos  fronts. 


^ 


iiâiÉiiÈÉfeiÉÉiiiiàiiâi 


III 


^oiit  le    ^zucifix. 


A  M.  l'abhé  Dexys  Lamy. 


Pour  faire  de  vos  cœurs,  enfants,  des  sanctuaires, 

Levez  d'abord  vers  Moi  vos  yeux  et  vos  prières  : 

J'aime,  parmi  les  fils  des  laboureurs,  parmi 

Les  petits  écoliers,  parler   comme  un  ami. 

Tel,  vous  le   savez  bien,  qu'avec  vos   grands    Ancêtres 

Je  parlais,  —  le  plus  sûr  et  le  plus  doux   des  maîtres. 

Qui  pour  guide  me  prend  connaît  tous  les  essors. 

Je  vous  révélerai  les  plus  riches  trésors. 

Les  secrets  du  bonheur  durable  delà  vie  ; 

J'écarterai  de  vous  le  mensonge  et  l'envie 

Et  tout  l'abject  troupeau  des  péchés  oppresseurs. 

Je  vous  enseignerai  l'Amour  pur,  les  douceurs 

Du  pardon,  les  vertus  de  l'heureuse  souffrance. 

Mon  Evangile  à  tous  porte  la  délivrance 


302    

Des  peurs,  des  passions,  des  plus  viles  laideurs. 
Et  quand  j'aurai  béni  vos  ferventes  candeurs, 
Seconde  vos  travaux,  corrigé  vos  faiblesses, 
O  chers  fils,  tous  vêtus  de  joie  et  de  noblesses, 
—  Comme  vos  lacs  d'été  l'infini  du  ciel  bleu, 
Au  miroir  de  vos  cœurs  vous  refléterez  Dieu  I 


IV 

^out  r(Eôizade  du  oMaitze, 


A  M.    l  ahbé    X.    Degagxé, 
professeur  à  Chicoiitinii. 

«  C'est  l'insliluteur,  et  non 
plus  le  canon,  qui  sera 
désormais  l'arbitre  des  des- 
tinées du    monde.   » 

(Lord    Brougham.) 

«  Le  titre  d'instituteur  est  un 
titre denoblesse.  «(Mercier.) 


\  i<ns,   maître  :  que  je  t'aide  à  monter   !  Ta  parole 
i»  it  enseigner  de  haut  dans  ce  temple  :  l'Ecole. 
\  icns,  monte  1  Que  vers  toi  ceux  qui  t'écouteront 
\pprennent    de   bonne  heure  à  redresser  leur  front  1 
'^our  ((  élever  »  l'enfant  —  mission  noble  et  chère  — 
Miître,  apôtre,  il  te  faut  la  tribune  ou  la  chaire. 
."  bon  soleil  qui  plane  épand  mieux  ses  rayons  ; 
La  main  du  laboureur  s'ouvrant  sur  les  sillons 


20ji    — 

Dispense  mieux  à  tous  les  semences  de  vie  : 
De  même  à  la  jeunesse  assidue  et  ravie 
\erse  de  haut  sans  cesse, ô  maître,  ô  créateur, 
Les  levains  de  l'esprit,  les  lumières  du  cœur  ! 
Mais,  grave,  avec  ferveur,  remplis    ton  sacerdoce: 
Songe,  sur  ce  degré  modeste  qui  t'exhausse, 
Que  c'est  toi,  sans  fracas,  par  tes  efforts  lointains. 
Qui  peux  faire  un  grand  peuple  et  ses  puissants  destins! 
Songe  qu'en  ta  voix,  ô  le  plus  pauvre  des  maîtres. 
Parle  tout  le  passé  glorieux  des  Ancêtres, 
Parlent  tous  les  Foyers  sacrés,  dont  tu  tiens  lieu. 
Parlent  tous  les  Devoirs  et  la  Patrie  et  Dieu  ! 


^onz  la  (ffenêtze. 


Aux    cliers    écoliers    des  cam- 
pagnes laurentiennes . 


Enfant,  ne  te  crois  pas  un  captif  dans   sa   geôle: 
Rassure-toi.  Je  veux,  par-dessus  ton  épaule, 
i  »r»ucement,  que  d'un  large  et  généreux  cristal 
Sur  ton  labeur  descende  un  coin  de  ciel  natal. 
Soit  que  l'hiver  glacé    me  lleurisse   de  givre, 
^  il  qu'un  tiède  printemps,  qui  réveille  et  délivre, 
Jiuuvre  aux  gais  rayons  d'or  des  clairières  d'azur. 
C'est  moi    qui  t'apprendrai  de    mes  jeux  sur  lemur 
l.a  marche  pas  à  pas  des  saisons   et  de  l'Heure... 

Mais  surtout  j'aurai  soin    que   t'arrive  et  t'effleure 
Va  l'enveloppe,  voile  invisible  et  flottant, 
Ln  de  ces  souffles  purs  qui  font  le  cœur  content. 
M  vieudrade  très  loin,  des  Laurentides  bleues, 
■  liargé  de  tout  un  cher  trésor  :    pendant  des  lieues. 


—  2o6  

11  aura  sur  les  eaux,  les  bois  et  les    sillons, 
Dans  les  clochers  d'argent  peuplés  de   carillons, 
Fait  sa  glane  de  vie  auguste  et  maternelle... 
Et  je  l'appellerai  :   qu'il  pose  ici  son  aile, 
Que  dans  les  forts  parfums  qu'il  t'aura  recueillis 
Ton  âme  aspire  entier  l'amour  du  grand  Pays  ! 


VI 

"PoiJt  le  "Poêle. 


A  Antoine  Rivaru. 


I    A  chacun  son  devoir,  sa  noblesse  et  ses  titres  1... 
Simple  et  bon,  je  préside  au  travail  des  pupitres, 
Ainsi  qu'un  sage  aïeul  eu  un  cercle  d'enfants  : 

,  Les  cœurs  les  plus  heureux  sont  les  plus  réchauffants. 
Petit,   ne  laisse  pas  tes   pensers  romanesques 
Jouer  dans  mes  dessins  aux  folles   arabesques. 
Ton  œil  trop  se  distraire  à  l'œil  de  mon  fover 
'  Où  l'arbre  de  nos  bois  se  plaità  flamboyer. 
Poursuis  ton  œuvre,  ainsi  que  j'accomplis  la  mienne. 

Pourtant  de  mes  bienfaits,  parfois, qu'il  te  souvienne 
Songe  à  Ihùte,  à  l'ami,  qui  dans  l'hiver  glacé, 

j   Quand  tout  transit  dehors,  soudain,  ce  seuil  passé, 
ïe  baigne  en  une  tiède  atmosphère,  rallume 
La  vie  à  tes  doigts  lents  où  vacillait  la    plume, 
Fait  chanter  pour  ta  joie  à  son  regard   vermeil 
Toute  la  poésie  ardente  du  soleil... 


—    208    — 


Prends  exemple  sur  rnoi  :que  l'école  en  ton  ànie 
Eveille,  Dieu  taidant,  l'inextinguible  flamme, 
Puis  rayonne,  et  répands  en  effluves  de  bien 
Les  plus  douces  chaleurs  de  ton  cœur  canadien  1 


f 


YII 

^oiiz  le   Zahlean  iioiz. 


A  tous  nos    petits    amis  sage» 
et    studieux. 


\\r  parle  aux  yeux  :  je  suis  la  parole  fixée 

(Jui  pénètre  et    se  grave  au   fond  de  la  pensée. 

Page  unique  et  diverse  aux  multiples  Jeçi^ns 

Dont   les  cahiers  soigneux  transcrivent    tous   les  sons, 

Modèle  de  lecture  et  de  calligraphie, 

.1  <A]'ve  aussi  comme  il  sied  des  modèles  de  vie, 

<  U'i  le  maître,  qui  songe  aux   hommes  de  demain, 

;  Mit  son  cœur  le  meilleur  dans  sa  plus  belle  main. 

;  J'explique  ou  j'avertis,  j'exhorte  ou  je  redresse. 

'J'exalte  le  courage  et  flétris  la  paresse. 
De  maximes  d'honneur,  de  vers  d'or  revêtu, 
<îrave  ou  gai,  chaque  jour  j'invite  une   Vertu, 
i  iinpérance  ou  Bonté,  Franchise  ou  Politesse, 
A.  visiter  les  cœurs,  à  rester  leur  hôtesse. 

LE    CANTigUE  14 


2IO 


Je  parle,  et  les   enfants  sentent  grandir  en  eux 
Ton  image,  o  Patrie,  en  traits  plus  lumineux. 
Chaque  syllabe  vit,  chaque  lettre,   plus  chère, 
Quand  j'épelle  Champlain,  Maisonneuveou  Yerchère. 
Leurs  noms  parleraient  moins,   si  je   ne  les    traçais  : 
Des  mots  français  écrits    parlent  plus    haut  français. 


0755 


di5ç*!7çi4^çiîî^i;?çjJ5çi^^ 


Mil 

^Pont  la    ^azte  du    Canada. 


Aux  historiens  de  La  Race 
française  en  Amérique, 
MM.  Desrosiers  et  Fournet. 


Contemple  cette  terre  au  merveilleux  labeur. 

Si  large,  qu'en  son  vol  la  plus  prompte  ^  apeur, 

De  longs  jours,  peut  montrer,  sans  cpie  tu  t'expatries, 

La  fuite  des  forêts,  des  lacs  et  des  prairies. 

Oui,  cette  zone  immense  entre  deux  Océans, 

Enfant,  c'est    ton  pays  ..    Seuls,  des   bras  de  géants. 

Seuls,  descœurs  surhumains  semblent  pouvoir  l'étreindre; 

—  Et  pourtant,  de  l'Aurore  au  Couchant,  pour  atteindre, 

Par  delà  l'infini  des  jeunes  mers  de  blés. 

L'extrême  mur  de  rocsaux  créneaux  dentelés, 

Sulïit  le  bel  élan  des  hommes  de  ta  race. 

Ton  pas  partout  des  tiens  recouvrirait  la  trace 

Jusqu'au  fond  du  Grand  Ouest,..  De  l'ancien  sol  soumis 

Ils  pourraient  ranimer  leurs  os    blancs  endormis, 

D'universels  exploits  évoquer  le  miracle, 

Te  dire  :  «  Tout  cela,  tout  ce  vaste    habitacle 


2li 


Fut  à  nous,  est  à  toi  1  D'un  continent  entier 

—  Tes  droits  n'ont  point  péri  —  tu  restes  l'héritier.  » 

.Mais  il  s'offre  un  domaine,  au  dessin  de  ma  carte, 
Dont,  enfant,  il  sied  moins   que  ton    amour  s'écarte. 
Dont  tu  dois;  plus  fervent,    embrasser  les  contours   : 
C'est  Québec,  le  foyer  souriant,  le  secours 
De  ce  qui  lutte  ailleurs,  plus  faible  et  vulnérable, 
La  terre  de  Champlain,    la    terre  de  1  érable, 
L'abri,  la  forteresse,  où  le  flot  étranger, 
Malgré  tout  son  effort,  ne  peut  te  submerger. 
C'est  qu'ici  chaque  jour  l'Habitant,  sans  recrues 
Que  ses  fds,  parle  soc   pénétrant   des  charrues. 
S'enracine  un  peu  plus  dans  laglèbe  qu  il  prend  : 
Dans  chaque  défricheur  triomphe  un  conquérant. 

Vois  aux  bords  du  grand  fleuve,  —  égrené  par  tes  pères, 
Ce  double  chapelet  de  paroisses  prospères 
Sous  leurs  vieux  noms  français  si  joliment  ileuris. 
Vois  ces  «  Cantons  de  l'Est  »,  d'où  tes  parents  proscrits 
Par  l'œuvre  de  la  hache  ont  refoulé  leurs  maîtres, 
Ces  royaumes  du  Nord,  où,  conduits  par  leurs  prêtres. 
Les  rustiques  héros  du  paisible  progrès 
Font  reculer  la  nuit  des  profondes  forets... 
Grave-moi  dans  ton  cœur  :  en  ma  géogra})hie 
Tout  ton  peuple  vivant  s'affirme  et  glorifie. 
Pour  remplir  ton  devoir  t'apprend  ce  que  lu  vaux. 
Quand  s'élèvent    partout  tant  de   clochers   nouveaux, 
Regarde,  enfant,  ton  siècle  avec  fière  assurance. 
Dans  Québec,  grâce  à  Dieu,    l'Amérique  a  sa  France. 


IX 


^out  F(Histoite  nationale. 


A  M.   Hector  Garneal. 

«  \'ous  avez  été  longtemjjs  mé- 
connus, mes  anciens  frères 
du  Canada  !  \'^ous  avez  été 
indignement  calomniés  ! 
Honneur,  cent  fois  honneur 
à  François-Xavier  Garneau 
qui  a  déchiré  le  voile  qui 
couvrait  vos  exploits  !  » 

(De  (iaspé.) 


Les  morts  ne  dorment  plus  dans  l'oubli  méprisant, 
Car  du  passé  j'ai  fait  un  éternel  présent. 
Nul  ne  m'a  vue  ici,   furtive  et  taciturne. 
Recueillir  en  pleurant  des  cendres  dans  une  urne. 
Puis,  inutile  à  tous,  le  front  d'ombre  voilé, 
Accouder  ma  douleur  sur  un  tombeau  scellé. 
Moi,  je  ne  me  perds  pas  en  vains  regrets  funèbres  ; 
Il  faut  agir...  Au  cœur  des  aveugles  ténèbres 


J'ai  fait  jaillir  partout  de  longs  traits  de  clartés; 

Partout  ne  découvrant  que  vertus  et  fiertés. 

J'ai  rendu  tout  au  jour,  à  la  joie,  à  la  vie, 

iV  l'espoir...  De  beaux  noms  m'escortent...  Je  convie 

Trois  cents  ans  de  vaillance,  enfant,  à  soutenir 

Dans  ta  petite  main  les  siècles  à  venir  ! 

Ecoule  les  grands  Morts  que  je  t'ai  fait  connaître. 
Qui  doivent  désormais,  mêlés  à  tout  ton  être, 
Respirant  dans  ton  souffle  ou  marchant  dans  tes  pas, 
J3ans  tes  songes  rêver,  lutter  dans  tes  combats. 
Ecoute-les,  vainqueurs,  te  dire  :  «  Enfant,  relève 
Le  front.  Parla  parole  autant  que  par  le  glaive. 
Tes  pères,  de  leur  Dieu  défendant  le  parvis. 
Ne  subirent  jamais  la  peur  d'être  asservis. 
Sois  fier.  Ta  noble  race  est  libre,  toujours  libre  : 
Si  ce  titre  d'orgueil  fait  tressaillir  ta  fibre. 
Ta  conscience  aussi  doit  t'aider  à  savoir 
Qu'un  si  grand  patrimoine  impose  un  grand  devoir. 
Apprends  de  nous,. apprends,  salutaire  et  féconde, 
La  loi  de  ton  destin  :  que  Dieu  t'a  mis  au  monde, 
Non  point  pour  rechercher  ton  plaisir  d'un  moment. 
Mais  pour  vivre  avec  tous  les  tiens  —  royalement, 
Non  pour  l'aise  et  pour  l'or,  mais  pour  l'honneur  plus  rude 
Qu'il  n'est  point  de  victoire  où   l'effort  ne  prélude 
Comme  il  n'est  point  d'effort  que  n'achève  un  succès  ;         ' 
Que  tu  dois  avec  nous,  soutiens  du  nom  français,  j 

Apôtres,  défricheurs,  maîtres  et  saintes  femmes,  ' 

Ou  conquérir  du  sol  ou  conquérir  des  âmes...  j 

((  Crois-nous,  crois  tes  parents,  tes  plus  siirs  conseillers  ;     ,i 
Marche  aux  seuls  chemins  droits  que  nos  cœurs  t'ont  frayéfj 


Qui  s'ouvrent  à  les  pas  si  clairs  et  si  faciles. 
Ne  crains  rien  :  nous  veillons  sur  toi...  Si  tu  vacilles 
Dans  un  tournant  obscur  souston  fardeau  pluslourd. 
Tu  verras  luire  au  ciel  nos  étoiles  d'amour  !  » 


^ 


X 


^ouz  le  (Liçze  de  fiançais. 

(la.  légende  du  doux  parler) 


Au    dclical     styliste     d'Eaux- 
fortes  et  tailles-douces. 
Henri  d'Arles. 


L'Archange,  un  clair  matin,  s'en  allant  parle  monde, 
Cueillit  ce  qui  s'offrait  de  grâce  ou  de  beauté. 

Il  prit  de  chauds  rayons  de  soleil,  l'eau  profonde, 
Limpide,   où  se  contemple  un  nuage  argenté, 
Des  fleurs  des  champs,  le  miel  de  la  ruche,  une  haleiii. 
Qui  court  sur  les  moissons  ou  dans  les  frais  roseaux. 
Un  soupir  dans  les  bois,  un  peu  de  blanche  laine. 
Quelques  légers  duvets  tombés  d'un  nid  d'oiseaux. 

Il  prit  encor  l'éclair  des  forges,  l'étincelle 
D'un  vin  prompt  pétillant  dans  le  fond  d'un  cristal, 
Une  corde  de  harpe  où  le  trille  ruisselle, 
Un  glaive  droit  et  net  au  ferme  et  franc  métal. 


-    217  — 

Le  grelot  d'un  enfanl  folâtre,  la  caresse 
1)  une  mère,  un  salut  de  châtelaine,  un  cœur 
D'évangéliste,  tout  débordant  de  tendresse. 
Un  regard  de  ciel  bleu,  d'amour  consolateur., 


Lors  l'Ange  dit  à  Dieu  :  u  Donnez-moi  la  puissance 
«  De  fondre  tout  cela  dans  un  joyau  d'or  fin, 
«  Puis,  pour  parfaire  l'œuvre  en  sa  magnificence. 
«  Ajoutez-y,  Seigneur,  un  sourire  divin  !  » 

Dieu  sourit.  Et  ce  fut  le  doux  Parler  de  France. 


-M 


W 


XI 

^ouzune  ^Anthologie  canadienne. 


A  M.  l'abbé  Elie  Avclaiiî, 
professeur  à  l'inioersitc  Laval. 


Un  jour,  de  nobles  lords,  dédaigneux  et  moqueurs. 
Savants  qui  n'ont  pas  su  lire  au  fond  de  grands  cœurs. 
Ont  osé  dire,  enfant,  aux  laboureurs  tes  pères  : 
«    Qu'êtes-vous,  pauvres  gens,  lourds  remueurs  de  terres? 
(<   De  vos  prétendus  droits  qui  vous  rend  si  jaloux  ? 
«  Qu'avez-vous  à  défendre,  à  montrer  i^  Qu'ètes-vous? 
«  Nommez  vos  écrivains,  vos  conteurs,  vos  poètes  ! 
«  Vous  n'avez  qu'à  prier  sur  des  tombes  muettes  ! 
«  Est-ce  un  peuple,  la  plèbe  où  nul  art  ne  fleurit, 
«  Des  rustres  sans  liistoire  et  sans  œuvres  d'esprit  '  ?  » 

Sous  l'outrage,  aussitôt,  libre  Muse  de  France, 
J'ai  voulu  relever  le  défi  qui  m'olTense, 


I.  C'est  ce  que  Lord  Dnrham  disait  des  Canadiens  Français  en 
1889  •  "  ï^®  ^^^^  ^"  peuple  sans  histoire  et  sans  littérature.  » 


I 


—    2  19       — 

l"t  j'ai  posé  mon  vol,  un  malin  de  printemps, 

l*;ile  et  grave,  parmi  les  fils  des  Habitants. 

.lai  dit  :  «  Qui  veut  venger  d'aveugles  injustices? 

Mener  le  combat,  plume  en  main,  sous  mes  auspices, 
«   Pour  les  autels,  pour  les  foyers,  soldat-martyr? 
i  Dans  de  nouveaux cbamps  clos  —  bon  sangne  peut  mentir 
<  Qui  vient  faire  avec  moi,  rompant  de  nobles  lances. 

De  vos  grands  souvenirs  de  grandes  espérances  ?  » 
Vibrants,  à  mon  appel  vous  avez  répondu, 
Ciours  généreux,  héros  du, labeur  attendu 
Par  qui  la  pure  gloire  à  si  haut  prix  s'achète, 
Cnsgrain,  Parent,  Gaspé,  Crémazie  ou  Fréchette, 
Vustères  ouvriers  de  la  prose  ou  du  vers  ! 
N  ous  avez  les  premiers  cueilli  les  rameaux  verts, 
I  'S  premiers  su  rouvrir  les  sources  transparentes  : 
^  yez  loués,  bénis  !  Vos  œuvres-  conquérantes 
Ont  fait  d'un  même  accord  entendre  à  vos  rivaux 
Des  hymnes  de  combat  ou  des  chants  triomphaux. 
il  i.  parmi  la  poudre  et  les  arquebusades, 
le  prêche  et  j'accomplis  d'éternelles  croisades, 
Ijasquailleurs,  dans  la  joie  et  des  rêves  d'azur, 
le  n'ai  qu'à  célébrer  des  fêtes  de  l'art  pur... 

Et  maintenant,  mon  fils,  viens  visiter  mon  temple, 
I! Viens  écouter  les  voix  de  ton  pays  !...  Contemple 

La  Muse  canadienne  à  son  premier  rayon. 

Telle  qu^il  sied,  sévère  et  ceinte  de  l'épée, 
'  Simple,  mais  héroïque  et  chaste,  enveloppée 
;  Dans  un  drapeau  de  Carillon  ! 


XII 


'T^oiit  un  Recueil 

de  Chansons  popnlaiies. 


A  M.   Georges  Bellerivb. 

M  Mieux  que  tout  autre,  ce 
livre  me  rappellerait  la  pa- 
trie absente.  «  (L'auteur 
d'[';i  Canadien  errant.  An  t. 
Gérin-Lajoie.) 


Gai  loii  la  !  les  Chansons  de  France,  ^ai  Ion  la 


o^ 


Ici,  là-bas,  partout,  fredonnent  :  nous  voilà  ! 
Faluron  !  les  Chansons  de  France,  falurette  ! 
Rendent  partout  au   cœur  ce  qu'il  aime  et  regrette... 

A  nous  le  frais  ramage  et  l'aile  de  l'oiseau  ! 
Pour  nous  venir  pencher,  enfant,  sur  ton  berceau, 


—     2  21     — 

adiï^,  du  doux  pays,  légères  voyageuses, 
Vous  avous  IVanchi  l'oude  et  la  nue  orageuses, 
vioueltes  de  Gaule  à  l'intrépide  essor, 
;i  de  la  vieille  race  héroïque  au  cœur  d'or, 
Mil  les  premiers  réveils,  aux  lèvres  de  ta  mère, 
)ix(illé,  comme  un  miel,  la  joie  et  la  lumière... 
«1  limandes  ou  d'Anjou,  de  Saintonge  ou  d'Artois, 
/importe,  —  nous  aimons.  Canadiens,  sous  vos  toits, 
uix  Noëls,  aux  «  agets  *  »,  aux  fêles  d'  ((  épluchettes  -  » , 
iiir  les  voix  d'argent  de  nos  fines  clochettes, 
)  accord  avec  l'archet   dansant  des  violons 
irier  la  belle  humeur  de  nos  simples  flonflons. 

Mais  aussi  sur  les  lacs,  aux  bois,  par  les  montagnes, 
.  »ù  la  rame  et  la  hache  ont  en  nous  des  compagnes, 
Nous  faisons  refleurir  dans  tout  ciel  embrumé 
^a  rose  u  du  rosier  des  jolis  moi  de  mai  »... 
^e  c<  Canadien  errant  »  sur  des  rives  lointaines 
Vvec  nous  peut  rêver  près  des  «  claires  fontaines  » , 
vMitir  des  mains  de  sœurs  s'enlacer  à  sa  main  ; 
Sous  chantons,  et  sur  l'heure,  au  détour  du  chemin, 
L'exilé,  qui  tressaille  aux  tendres  résonances, 
-roit  voir,  dans  l'essaim  blond  des  chères  souvenances, 
apparaître  à  ses  yeux,  qu'un  bonheur  vient  mouiller, 
Je  qu'on  aime  toujours  sans  jamais  l'oublier  ! 


1.  Les  douze  jours  de  Noël  à  l'Epiphanie, 

2.  Réunions  de  parents   et  d'amis  convoqués  pour  enlever  au 
)lc  d'Inde  ses  feuilles. 


îï»i2ï» 


XIII 


"^ouz   le    ^Pzjx 

de   ^^azlet  fzauçais. 


A  M.  l'abbé  E.  Chartier, 
professeur  à  Saint-Hyacinthe 

«  Aimons,  respectons,  faisons 
respecter  notre  langage  ca- 
nadien. Parlons-le  partout. 
C'est  notre  drapeau  natio- 
nal. »  (Tardivel.) 


Jadis  le  défricheur,  fusil  en  bandoulière, 
Poussait  l'effort  du  soc  sur  l'hostile  clairière, 
Toujours  prêt  à  l'alerte  au  milieu  du  sillon. 
Son  œil  partout  guettait  la  brusque  irruption 
Du  sauvage  rôdant  sous  l'épaisse  ramure. 
Tout  cœur  de  Canadien  portait  alors  l'armure. 
Les  femmes,  les  enfants,  d'un  même  élan  viril. 
Tous  s'enrôlaient  soldats,  unis  par  le  péril  ; 


220    

Va.  lorsqu'un  Habilanl  pour  sa  bravoure  insigne 
>  était  d'une  faveur  de  haut  prix  montré  digne, 
i'ar  des  «  lettres  royaux  »  Monsieur  le  Gouverneur 
Sur  parchemin  scellé  le  proclamait  «  seigneur  ». 

De  même  encore,  enfant,  jeune  espoir  de  la  race. 
Il  faut  ceindre  le  glaive  et  vêtir  la  cuirasse  : 
D'innombrables  combats  t'attendent,  toi  qui  sais 
One  c'est  un  grand  honneur  de  bien  parler  français  ! 
(lorde  ta  langue  intacte,  harmonieuse  et  probe, 
1'  n  trésor  pur  !  Que  rien  d'étranger  n'en  dérobe 
J.a  tranquille  ordonnance  et  la  limpidité  ! 
Plus  belle  est  la  richesse  aux  mains  de  ta  fierté, 
IMus,  pour  la  bien  défendre,  il  te  faut  d'héroïsme. 
Sus  à  l'envahisseur  !  Sus  à  !'((  algonquinisme  », 
A  tout  mot  grimaçant,  barbare  et  rocailleux, 
Uni- porte  un  déshonneur  au  bon  goût  des  aïeux  I 
frappe,  mais  sache  bien  qu'en  ce  travail  d'Hercule 
Kien  ne  vaut  pour  frapper  le  trait  du  ridicule  : 
Sans  trêve  ni  merci  sur  l'horrible  iroquois 
Que  ta  brave  gaîté  vide  son  plein  carquois  I... 

"  Et  puis,  si  la  victoire  en  ton  discours  claironne. 

[  Pour  prix  de  ta  vertu,  mon  vaillant  écolier, 
j  Je  te  fais  noble  et  prince  et  t'olTre  une  couronne, 
Je  te  sacre  à  jamais  mon  féal  chevalier  ! 


^      ^      ^ 


fJU  f^  4^  t;?^»  <^  j^  4?  4?  4?  4?  fî?  4?  4?  4?  ♦$?  ♦!$?  *^  ♦$? 


XIV 

^out  r (Ecole  onta tienne. 


A  l'honorable 

il.    A.    COXSTANTIXEAU, 

iuge  de  la  Cour  d'Ontario. 


On  m'a  dit  :  «  Prends  ces  cœurs  d'écoliers,  molle  cire 
Que  tu  façonneras  comme  un  Saxon  désire  : 
Ces  petits  Français-là,  tu  vas  nous  les  changer. 
Leur  fixer  un  esprit  à  leur  race  étranger! 
Leurs  pères,  pauvres  gens  écrasés  sous  le  nombre, 
Ne  sauraient  conserver  ce  qui  n'est  plus  qu'une  ombre. 
Ces  hommes,  qui  voudraient  survivre  en  leurs  enfants, 
Tu  les  vas  en  leurs  lils  exterminer  vivants  !  » 

Et  moi,  j'ai  répondu  :  «  Jamais  d'un  tel  supplice 
Ton  caprice,  tyran,  ne  me  rendra  complice  1 
Jamais  !  Jamais  !  —  Reprends  tes  bâillons,  tes  étau\, 
Ces  cordes  et  ces  fers,  ces  clous  et  ces  marteaux, 


1'  ur  lorturer  des  cœurs  clans  une  apostasie  ! 
(    iiiper  la  langue  sied  aux  despotes  d'Asie  ! 
M'ù.  je  ne  porte  pas  les  ciels  dune  prison  ! 
I     ne  sais  point  verser  l'insidieux  poison 
I  '  nue  doctrine  hostile  à  de  saintes  croyances  ! 
t  Ml  ne  me  verra  pas,  bourreau  des  consciences, 
Ivivir  ce  qui  fait  l'homme,  outrager  l'équité, 
Ijiseigner  l'infamie  ou  la  servilité. 
Faire  de  Canadiens  de  tristes  choses  mortes  ! 
Moi,  je  forge  avec  Dieu  des  âmes  libres,  fortes, 
liiches  de  vie,  —  honneur  de  la  Cité  1  J'apprends 
Que  le  nombre,  que  l'or,  ne  peuvent  rien,  moins  grands 
i}\\e  la  vertu  du  droit  dans  l'abri  d'un  cœur  brave  1 
.1  "apprends  à  voir  du  ciel,  à  briser  toute  entrave  ; 
.1'    montre,  triomphante,  au-dessus  des  tombeaux, 
l.<^  chœur  des  Libertés  élevant  leurs  flambeaux  ! 
Du  plus  pur  sang  français  je  veux  rester  gardienne... 
—  Et  si  plus  tard,  enfant,  quelque  conteur  d'exploits 
11'  dit:  «  Qui  lutta  mieux  pour  ta  langue  et  ses  droits?  » 
lu'ponds  avec  fierté  :    «  L'Ecole  ontarienne  1  » 


•^^ 


LK    CASTIQVE  15 


La  Croisade 

du    Doux  Parler 


A  Mgr  P.-E.  Roy, 

Auxiliaire    de    Quéljec, 

Président    du  Comité   permanent 

du  premier  Congrès  de  la  Langue 

Française  en  Amérique. 

A  toutes  lesMèrescanadiennes. 


i 


'ZJn  fils  de  (Lotzaine  dn  Canada. 


A  mes  amis  de  dilection, 
Adjutou  RtVARD  et  J.-E.  Prince, 
avocats,  professeurs  à  l Université 
Laval. 


I 


Parlez,  amis  !  parlez  !  Le  fils  de  la  Lorraine 
Ne  sent  plus  les  chagrins  de  l'exil  avec  vous. 
Parlez  encor  !  Mon  ciel  soudain  se  rassérène,. 
Je  renais  à  l'accueil  de  ce  parler  si  doux  1 
0  France  occidentale,  ô  lointaine  Neustrie, 
Tu  sais  te  souvenir  comme  je  me  souviens  ; 
Et  Dieu  donc  soit  loué,  qui  me  rend  ma  patrie 
Sur  vos  lèvres,  ô  Canadiens  I 

Vous  savez  comme  on  sent  s'attacher  sa  racine 
Au  sol  où  s'endormit  l'aïeul  à  cheveux  blancs. 
Ah  !  comme  j'ai  souffert  sur  ma  terre  messine  !... 
Et  pourtant  ils  sont  beaux,  mes  coteaux mosellans  !, 
Et  pourtant  lair.  là-bas,  est  si  léger,  si  tendre  1... 
Mais  c'est  l'exil  chez  moi  qui  me  vient  affliger. 


—   23o  

Depuis  que  mes  chemins,  mon  seuil,  doivent  entendre 
Le  langage  de  l'étranger  ! 

Ah  !  l'accent  de  ces  mots  si  durs  à  l'âme  !...  Certe, 
Mon  enfance  a  connu  l'effroi  du  conquérant, 
Quand,  dans  l'ombre  des  nuits,  parla  Irontière  ouverte 
Des  régiments  casqués  grondait  le  lourd  torrent. 
Mais  plus  que  le  hulan,  messager  de  conquête. 
Dont  s'enfonça  la  lance  en  la  chair  du  pays. 
Chaque  mot  abhorré,  tyran  que  rien  n'arrête. 
Nous  lient  toujours  plus  envahis  ! 

Oh  I  ces  mots  de  la  rue,  écrits  comme  des  chiffres, 
Ces  mots  sans  grâce,  aux  pas  cadencés  et  massifs, 
Bruits  de  tambours,  que  vrille  un  jappement  de  fifres. 
Que  heurte  un  cliquetis  de  sabres  agressifs  ! 
Oh  !  ces  voix,  toutautour,  qui  font  mal  !  Cette  phrase, 
Que  l'on  subit,  avec  l'orgueil  de  son  vainqueur. 
Qui,  pareille  aux  canons  sous  qui  le  sol  s'écrase. 
Passe  roulant  sur  votre  cœur  1 

Vous,  du  moins.  Canadiens  français,  je  vous  envie  ! 
L'école  ne  vous  a  jamais  dépaysés  '  1 
Et  vous  répétez  tous  la  chanson  de  la  vie 
Par  vos  mères  apprise  en  leurs  premiers  baisers  1 
De  l'àme  de  vos  fils  vous  demeurez  les  maîtres 
Par  votre  langue  pure  aux  vieux  sons  musicaux. 
Et  tous  les  mouvements  de  lèvres  des  ancêtres 
Font  encor  vibrer  vos  échos  ! 


I.  Dans  la  province  de  (Québec. 


■2ùl 


II 


Et  moi.  j'ai  Iraversc  de  grandes  eaux  sauvages, 
J'ai  demandé  du  calme  au  désert  des  forêts, 
Et  je  n'ai  fait  qu'errer  de  regrets  en  regrets, 
Seul  sur  la  vaste  mer,  seul  sur  tous  les  rivages. 

Pourtant  je  n'ai  jamais  senti  d'immensités 
Plus  muettes,  de  plus  affreuses  solitudes. 
Que  ballotté  sans  guide  au  sein  des  multitudes 
Dans  l'énorme  Babel  des  lointaines  cités. 

Nos  voix  s'entrechoquaient,  folles,  sans  se  comprendre. 
Entre  nous  se  dressait  une  sourde  cloison, 
Jusqu'au  jour,  où,  perçant  les  murs  de  ma  prison, 
J'ai  bégayé  des  mots  que  j'essayais  d'apprendre. 

Vains  efforts  !  Car  mon  cœur  sentait  le  même  froid  : 
Ces  syllabes  sonnaient  sans  àme,  et  ma  pensée. 
Travestie,  à  tâtons,  flottait,  embarrassée 
Aux  plis  d'un  vêtement  trop  large  ou  trop  étroit. 

Tout  langage,  imposé  d'ailleurs,  nous  expatrie. 
J'allais,  le  cœur  serré  d'un  éternel  départ. 
Seul,  sans  trouver,  au  coin  de  1  àtre.  nulle  part, 
D'un  ami  qui  répond  l'accorte  causerie. 


232    


Les  matins  d'autres  cieux  s'éveillaient  sans  éclat. 
Les  soirs    m'enveloppaient  de   leur   linceul  tragiqno. 
Et  partout  j'allais  seul,  proscrit  et  nostalgique. 
Cherchant  à  mon  désir  un  écho  qui  parlât  1 


III 


Mais  voici  qu'avec  vous,    Canadiens,  dont  la  houche 
Garde  un  naïf  accent  de  France  qui  me  touche. 

Je  fêle  au  pays  mon  retour  ; 
Yosbras  s'ouvrent,  vos  mains  me  font  signe  et  se  tendent. 
Comme  au  village,  où  tous  en  patoisant  s'entendent. 

Où  tous  se  disent  le  bonjour  1 

Vous  causez,  et  ces  mots,  que  mon    cœur  interprète, 
Ont  pour  moi  des  parfums  de  province  discrète, 

Tous  chers,  connus  et  familiers  ; 
Vos  filles,  en  chantant  quelque  ancien  air  de  France, 
M'ont  rendu  mon  ciel  clair  avec  sa  transparence. 

Mes  horizons  inoubliés. 

^  ous  causez,  et  la  joie  exquise  me  pénètre. 
Comme  si  mon  logis,  là-bas,  d'une  fenêtre 

M'ouvrant  la  nuit  les  contrevents. 
Me  montrait,  réunis  au  cercle  de  la  lampe. 
Qui  d'un  même  rayon  auréole  leur  tempe. 

Ma  vieille  mère  et  mes  enfants  ! 


—  2.33   — 

Nous  causez,  et  je  rentre  en  la  maison  natale. 
V  la  table  qui  rit.  simple  et  patriarcale, 

.M'asseoir  au  fraternel  banquet  ; 
Pas  n'est  besoin  pour  moi  d'éloquence  superbe, 
Si  quelque  fui  dicton,  quelque  malin  proverbe 

M'ulTrent  leur  rustique  bouquet  ! 

Ces  mots,  dits  en  commun,  fondent  nos  ascendances  ; 
Ils  mettent  entre  nous  d'intimes  confidences, 

Des  secrets  pour  nous  rapprocher  : 
■  N'ont-ils  pas  les  regards,  les  gestes  de  nos  pères, 
Qui  depuis  très  longtemps  ont  fermé  leurs  paupières. 

Là-bas,  sous  le  même  clocher  ? 

Comme  on  respire  à  l'aise  avec  leur  chaud  costume  ! 
i.omme  entre  nos  esprits,  d'où  s'enfuit  toute  brume. 

Ils  rattachent  d'heureux  chaînons  1 
Et  qu'ils  nous  semblent  prendre  et  de  charmeet  de  grâce. 
Quand  ainsi,  n'est  ce  pas.''  seuls,  tout  seuls,  à  voix  basse. 

A  mi-mot  nous  nous  comprenons  ! 


IV 


Merci  de  vos  leçons,  ô  Canadiens  fidèles  ! 
Il  est  donc  des  remparts  qu'aucun  fer  n'asservit  1 
Vous  n'avez  pas  rendu  ces  libres  citadelles 
Où  l'âme  héréditaire  avec  le  droit  survit  I 


204    

Vous  l'avez  su  montrer  :  la  langue  est  le  refuge 
Où  tout  un  peuple  attend  l'heure  de  refleurir  : 
Qui  renonce  à  sa  langue  agonise  en  transfuge, 
Qui  la  défend  ne  peut  mourir  ! 

Vous  n'avez  rien  quitté  du  patrimoine  antique, 

De  ces  vieux  mots  tout  francs  que  Jeanne  a  prononcés. 

Braves  comme  une  épée  et  doux  comme  un  cantique, 

Qui,  toujours  prompts  et  vifs,  ne  semblent  pas  lassés! 

La  même  sève  encor  circule  sous  l'ccorce  : 

Ils  vous  parlent  d'honneur  et  d'amour,    sans   déclin  ; 

Ils  sont  de  votre  esprit  et  la  forme  et  la  force, 

Vous  gardant  vrais  fils  de  Champlain  ! 

Et  de  quels  soins  pieux,  aussi  jaloux  qu'avares, 
Vous  couvez  le  trésor  qui  vous  sert  de  rançon. 
Pesant,  limant,  triant  des  vocables  barbares 
Les  bons  mis  à  l'épreuve  et  marqués  du  poinçon  ! 
Et  vous  ne  souffrez  pas  qu'au   creuset  de  la  langue. 
D'où  ne  doivent  sortir  que  pièces  sans  défauts, 
Se  mêlent  à  l'or  pur  la  scorie  ou  la  gangue 
D'un  métal  qui  sonnerait  faux  ! 

Alerci  de  vos  leçons,  et  que  Dieu  vous  protège  1 
A  ceux  de  mon  pays  qui  voudraient  émigrer  : 
Voyez  les  Canadiens,  imitez-les,  dirai-je  ; 
Chez  eux  ils  ont  su  vaincre,  ayant  su  demeurer. 
La  langue  est  l'instrument  d'ultime  délivrance. 
Qui  se  transmet  sans  bruit  par  la  mère  à  l'enfant  : 
Qu'àMetz  comme  à  Québec,  aux  deux  boutsde  la  France, 
Plane  un  seul  Verbe  triomphant  ! 


!>0.)     


Et  quand  nous  aurons  tous  rempli  nos  deslinées, 
Surs  que  nos  pelits-fils  font  vivre  en  leurs  propos 
Ce  qui  vit  de  l'aïeul  en  nous,  quand  les  années 
Nous  mèneront  au  seuil  du  suprême  repos, 
S'il  est  «  plusieurs  maisons    au  royaume  du  Père  », 
Si  notre  bon  vouloir  jusqu'à  Dieu  donne  accès, 
Nous    irons,    Canadiens    et  Lorrains,  tous,    i'espère. 
Dans  celle  où  l'on  pense  français  ! 


* 


f  f  f  f  f  f  f  ^^f  f  ^^.-|5^^.vÇ-^^^^ 


'^onz    leô  bond  Vavzietô 
de    la 
Société    du  ^azler  françaiô. 


A  mes  maîtres  d'amitié  canadienne. 


A    AujUDOR-HlVAIiD  . 

L'homme  mystérieux  de  cette  vieille  estampe 
Penche  un  profil  d'avare  et  de  conquistador  ; 
Des  piles  de  sequins  et  de  carolus  d'or 
S'écroulent  sur  la  table   au  plein  jour  de  la    lampe. 

Qu'est-il  ?  —  Un  trébuchet  complète  le  décor, 
Près  du  poinçon  d'acier  qu'on   sent  de  forte  trempo  ; 
L'homme  examine,  heureux,  un  éclair  à  la  tempe. 
La  belle  pièce  lourde  où  le  coin  reste  encor. 


■io 


—  Tel  vous,  gardien  zélé  du  trésor  de  la  langue, 

Pi  sant   les  mois,    qu'attend  le  vers  ou    la  harangue, 

\    us  rendez,  à  leur  son,  l'arrêt  qui  fera  loi  ; 

jr  I  je  vous  vois,  ami,  saluer  d'un  sourire 
L'  \ocable  d'or  pur  et  d'authentique  aloi. 
\  i[ui  seul  votre  cœur  si  français  peut  souscrire... 


-         II 

A  J.-E.  Prixcr. 

Mon  cœur  vous  suit,  ému,  quand  je  vous  vois  là-bas, 
Tandis  qu'autour  de  nous  notre  langue  s'altère, 
Garder  d'un  soin  pieux  la  gerbe  héréditaire, 
Aux  fléaux    du    bon    grain    livrer  d'ardents  combats. 

Les  sarcleurs  dilit-ents  font  l'œuvre  salutaire. 
Chacun  dans  son  sillon  travaillant  sans  fracas  ; 
D  autres,  pour  les  herbiers  aux  parfums  délicats, 
Cueillent  dans  les  patois,  fds  de  l'ancienne  terre. 

Pour  que    le    champ    français,     savamment    cullixé, 
Chasse  l'ivraie  hostile  et  l'impur  sénevé, 
Poursuivez.  Canadiens,  la  tâche  ardue  et  saine  ; 

Rendez  au  vieux  parler  de  chez  nous  son  haut   rang. 
Et  nous  irons   bientôt  des  rives  de    la    Seine 
Rapprendre  notre  langue  aux  bords  du  Saint-Laurent. 

f*       $       t 


M^.byb^,^^^^bfe^^^^^i^^^ 


(Le  T>oiix  ^atlet. 


'  A    M.    PlKHUE    HoMIER, 

,4  tous  les  vaillants  qui  luttent 
I  j)our    les    Droits    du   français 

{  dans  la  Confédération  bilingue 

'•  du  Canada. 


Un  livre,  un  entre  tous,  nous  est  cher  :  le  voici. 
C'est  un   simple    recueil  de  mots,  —  en  raccourci. 
L'image,  l'écho  clair  du  passé  qu'il  retrace, 
Archives  de  l'Idée  et  trésor  de  la  Race  : 
C'est  un  simple  recueil  de  mots. 

Qui  n'est  entré 
Dans  la  forêt  tranquille  au  mystère  sacré  i* 
Qui  n'a  vu  de  l'étang  la  grande  eau  calme  et    lisse  > 
Toutsemhle  dormir:  mais  qu'un  souffle  vienne  et  glisse 
Sur  le  miroir  des   eaux,  sur  les  bois  qu'il   surprend. 
Et  chaque  feuille,  émue,  et  chaque  flot,  vibrant, 
Parle,  et  toutes  ces    voix,    qu'enfle   un   même  génie-. 
Font  en  se  propageant  une  vaste  harmonie. 


2'iO   — 

—  Ainsi,  dans  ce  lexique,   œuvre  des  siècles   morts. 
Où  tous  vocables,    vieux  ou  récents,  doux   ou  forts. 
Nobles  ou  roturiers,  ensemble  fraternisent. 
Où  l'esprit  des  aïeux  et  leur  cœur  s'éternisent, 
La  même  âme,  agitant  l'arbre  aux  mille  rameaux. 
Fait  vivre  et  tressaillir  la  nation  des  mots. 
Ces  mots  vivent,  puissants,  en  libre  république, 
Les  uns,  croisant  l'épée,  ardents  à  la  réplique. 
D'autres,  pimpants,  parés  de  dentelle  et  courtois, 
D'autres,  en  sabots,  fils  des  rustiques  patois, 
Tous  frais  et  souriants  dans  leur  verte  vieillesse, 
Tous  prompts,  tous  au  bon  sens  joignant  la  gentillesse, 
Tous  français.  Nets  et  purs,  tintant  comme  un  cristal. 
Ils  ont  bien  tous  l'accent  de  leur  pays  natal. 
Qu'ils  viennent  s'animer  aux  lèvres  des  poètes, 
Des  mères, — et  soudain  leurs  syllabes  muettes 
Nous  disent  la  pitié,  l'amour,  l'espoir  divin  ; 
Ils  pénètrent  l'esprit  de  leur  subtil  levain, 
Donnent  l'aile  joyeuse  à  l'âme  prisonnière, 
L'exaltent  dans  le  rêve  au  sein  de  la  lumière. 
Et  nous  font  pressentir  avec  leurs  frêles  sons 
De  l'infini  des  cieux  les  sublimes  frissons  ! 


Parle,  unis-nous  toujours,  sans  peur  ni  défiance  ; 
Parle-nous  grave  et  droit  comme  une  conscience. 
Verbe  limpide  et  franc,  verbe  de  vérité  I 


—    2^1     — 

L  iils-nous,  cher  langage,  avec  tes  grâces  vives  ; 
\iix  fêles  de  l'esprit  charme  tous  tes  convives, 
\  erbe  de  joie  exquise  et  de  fine  gaité  ! 

Pour  nous  unir  encor,  dis-nous  ton  fier  cantique, 
Tes  vers  mélodieux,  drapés  de  pourpre  antique, 
(.)  glorieux  langage,  à  verbe  de  beauté  ! 

Dis-nous  Roland,   dis-nous,  après  le   vieux  trouvère, 
l)  héroïsme  et  d'honneur  l'hymne  mâle  et  sévère, 
\  erbe  cornélien,  verbe  de  loyauté  ! 

(  .liante,  chante  surtout  comme  un  baiser  !  émousse 
La  haine  !  apaise,  unis  nos  cœurs  de  ta  voix  douce, 
0  verbe  d'amour  juste  et  de  fraternité  ! 


Et  ces  mots,  motssacrés,  qui  vont  de  bouche  en  bouche, 
( Jue  le  vers  a  sertis  dans  son  noble  contour, 
<  le  mot  clair  qui  sourit,  ce  mot  qui  pleure  et  touche, 
Avec  dévotion  je  les  dis  à  mon  tour  ! 

Près  de  nos  chers  petits  dont  la  parole  hésite, 
Près  des  berceaux  naïfs  aux  ramages  jolis, 
J'écoute,  et  parmi  nous  croit  revoir  en  visite 
Nos  ancêtres  du  fond  des  âges  abolis  ! 

LE  CAXTIQVE  16 


—    2/|2    — - 

Aimons  notre  idiome,  ô  fils  de  celte  terre  ! 
Les  rêves  sont  si  beaux  qu'il  sut  toujours  bercer  1 
C'est  lui  le  gardien  sûr  de  l'âme  héréditaire  : 
Qui  français  parle  bien  en  Français  doit  penser! 

C'est  notre  doux  parler  qui  nous  conserve  frères  '. 
Nous  pouvons  succomber,  par  le  nombre  envahis  : 
Tant  que  sur  nos  tombeaux,  dans  ces  jours  funéraires, 
Deux  enfants  rediront  les  mots  du  cher  pays, 

Aussi  longtemps  vivront  l'esprit  vengeur  qui  crie 
Justice,  l'espérance  aux  vaillantes  douceurs, 
L'immortelle  cité,  l'idéale  patrie 
Où  des  chaînes  d'amour  vont  des  lèvres  aux  cœurs  I 


1.  Vers  qui  figure  en  exergue  sur  la  médaille  du  premier  Con- 
grès de  la  Langue  française  au  Canada,  œuvre  du  sculpteur  et 
graveur  parisien,  M.  Alexandre  Morlon. 


mu 


Pour  la  plus  grande  gloire 

du  Parler  français'. 


9^     <-9^     <-a^ 


«ïs;»^    ^- 


I 


Vezô  le  ^Taôôé. 


A    la     mémoire 

de  M.    iabbé  Sta>tslas  Lortië, 

promoteur  du  premier    Congrès 

de  Langue  française. 

«  Defuncti  adliuc  loquuatur.  » 


AU    BERCEAU    DE    LA   RACE. 

Quand    Champlain,    d'une  brave  et  royale    assurance 
Pas  à  pas  chaque  année  inscrivant  un  succès, 
Traçait  au  ?Souveau  Monde  une  carte  de  France 
Qui  n'offrait  de  l'Ancien  que  de  purs  noms   français, 

I .  Poèmes  dits  à  Québec    au  premier  Clongrès    de  la  Langue 
française  en  Amérique  (25,  39  et  3o  juin  1912). 


—  De  quelle  joie,  après  l'aventure  et  l'épreuve, 
Las  d'avoir  du  longtemps  courir  ou  guerroyer, 
Il  revenait  dans  son  Québec,  sa  cité  neuve, 
A  la  flamme  de  son  foyer  ! 

Tous  de   même,  héritiers  d'une    grandeur  commune, 
Nobles  fds  de  Champlain  par  l'amour  rassemblés, 
Bien  qu'en  cent  lieux  épars,  au  gré  delà  fortune, 
Sous  la  croix  de  Saint-George  ou  les  plis  étoiles. 
Sans  qu'avec  le  Passé  nul  n'admette  un  divorce. 
Vous  rentrez  dans  Québec,   la  ville  au  large   accueil. 
Gomme  un  sang  généreux  vient  réparer  sa  force 
Au  cœur  qui  bat,  tout  chaud  d'orgueil  ! 

Québec,  cœur  de  Ghamplaio,  cœur  de  France  la  Haute, 
Qu'un  jour  vint  bénir  Dieu  des  rivages  normands  ! 
Québec,  cœurlibre  etfier,  cœur  sans  crainteetsansfaute. 
Parmi  tant  de  combats  fidèle  aux  beaux  serments  ! 
Québec,  la  ville  sainte,  où  tout  monte  et  s'élève, 
Où,  loin  des  vils  calculs  et  de  l'or  des  péchés, 
L'àme  du  vieux  pays  vers  le  Giel  dans  un  rêve 
Suit  la  flèche  de  ses  clochers  1 

Digne  fille  de  France,  aïeule  d'Amérique, 
Quelle  autre  mieux  que  toi,  qui  sais  «  te  souvenir  », 
Nous  faisant  signe  à  tous,  sur  ton  roc  historique 
Au  fraternel  festin  pouvait  nous  réunir  ?    ■ 
Temple  du  Souvenir  comme  de  l'Espérance, 
Gime  où  le  pèlerin  doit  fléchir  ses  genoux, 
Tu  pouvais  seule  offrir  à  tous  les  cœurs  de  France 
La  fête  du  Parler  si  doux  ! 


243    — 


L  INVOCATION    AUX    ANCETRES 

Et  donc  ensemble  ici.  sur  la  grave  colline, 
Comme  en  un  sanctuaire  où  notre  front  s'incline 

Aux  grands  souilles  de  T Au-delà. 
Conversons  tous,  émus,  avec  la  race  entière  : 
Champ  de  bataille,  école,  asile  de  prière. 

Notre  langue,  c'est  tout  cela  ! 

C'est  la  langue  de  France,  idéale  patrie, 
Qu'aucun  brutal  acier  n'a  jamais  amoindrie 

Sous  le  rempart  des  cœurs  fervents  : 
Parlons,  et  qu'avec  nous  parlent  les  Morts,  nos  maîtres  ! 
Que  toute  la  pensée  intime  des  Ancêtres 

S'anime  aux  lèvres  des  vivants  ! 

Joie  !  orgueil  1  —  Notre  cœur,  celte  petite  chose. 
Des  trésors  infinis  de  vingt  siècles  dispose 

Par  tous  ces  vieux  mots  généreux. 
Qu'un  seul  mot  vibre,  et  tout  un  peuple  nous  protège: 
Nous  revoyons  en  nous  resplendir  le  cortège 

De  nos  martyrs  et  de  nos  preux  ! 

Ah  1  oui  1  dans  cet  instant  des  loyales  revanches. 
Quand  l'érable  natal  a  rajusté  ses  branches 


—    2^6    — 

Toutes  à  son  cimier  jaloux. 
Quand  les  fils  dispersés  confondent  leurs  étreintes, 
Pères  !  Pères  !...  vous  tous,  nos  Héros  et  nos  Saintes, 

Vous  parlez,  présents,  parmi  nous  ! 

Présents,  vous  nous  parlez  :  ces  mots  de  notre  bouche 
Les  premiers  ont  nommé  cette  terre  farouche, 

Les  premiers  exploré  si  loin , 
Comme  aux  pages  du  livre  ils  disent  ton  histoire, 
Du  «  Mont-Royal  »  conquis  ils  chantent  la   victoire, 

0  Jacques  Cartier  le  Malouin  ! 

Chaque  homme  est  une  idée.  0  Français  de  Saintonge, 
Champlain,  toi  qui  gravas  sur  ce  cap  ton  beau  songe, 

Tu  nous  dictes  les  plus  fiers  mots, 
«  Sagesse  et  fermeté  »,  «  droiture  et  confiance  », 
Autant  que  Maisonneuve  à  tous  prêche  «  vaillance  », 

«  Dévouement  »  Dollard  des  Ormeaux  I 

Vous  nous  parlez  aussi,  Laval,  conquérant  d'àmes, 
Brébeuf  et  Lalemant,  qui  dressiez  dans  les  flammes 

Vos  fronts  vainqueurs  nimbés  de  feu  ; 
Vous  montrez  notre  langue  à  ces  bords  la  première 
Apportant  le  salut  de  paix  et  de  lumière 

Avec  vous,  Messagers  de  Dieu  ! 

Et  vous,  dont  tour  à  tour  le  mousquet  et  la  bêche 
Domptaient  l'Indien  barbare  et  la  forêt  revêche. 
Laboureurs,  les  nobles  d'ici. 


Vous,  les  rudes  soldats  de  Carignan-Salière, 
Dont  la  poudre  chantait,  au  péril  familière. 
Sous  Frontenac  ou  de  Tracy  ! 

Et  vous,  les  Découvreurs,  les  Fondateurs  de  ville, 
Marquette  et  JoUiet,  La  Salle  et  d'Iberville, 

Princes  d'un  empire  tombé. 
Braves  qui  combattiez  l'Envie  ou  Tlgnorance, 
En  contraignant  la  Gloire  à  ne    nommer  que   France 

Tout  le  long  du  Meschacebé  I 

Et  vous,  simples  Vertus,  ô  mères  canadiennes, 
Berceuses  d'éternelle  espérance,  gardiennes 

Du  meilleur  sang  de  la  Cité, 
Vous,  des  jours  les  plus  durs  compagnes  les  plus  chères, 
L'Ursuline  au  grand  cœur,  Jeanne  Mance  ou  Verchères, 

Bravoure,  Grâce  et  Charité  ! 

Et  vous,  sanglants  acteurs  de  l'extrême  épopée. 
Que  Montcalm  et  Lévis  signaient  de  leur  épée, 

Pour  l'honneur  encor  vous  levant. 
Vainqueurs  de  Carillon,  vainqueurs  de    Sainte-Foye, 
Qui  ne  vous  comptiez  pas,  mais  chargiez  avec  joie 

Au  seul  cri  français  d'((  En  avant  !   » 

Et  vous,  qui   des  vieux  temps  portiez  l'àme  hautaine, 
Vous,  le  verbe  vengeur,  Papineau,  Lafontaine, 

Toi,  l'histoire  et  la  vérité, 
Garneau  1  —  vous  tous,  les  grands  Patriotes  fidèles, 
Remparts  du  Nom,  soutiens  de  la  Foi,  citadelles 

Du  Droit  et  de  la  Liberté  ! 


—  248  — 

Tous,  tous,  eu   ce  moment,  Morts  vénérés,  nos  Pèros. 
Douloureux  artisans  de  destins  plus  prospères, 

Qu'embrasait lardeur  des  Croisés, 
Tous,  tous,  ici,  sur  nous  penchés  avec  tendresse. 
Vous  venez  de  vos  fils  partager  l'allégresse, 

Unis  à  nos  cœurs  pavoises  ! 

Et  courbés  devant  vous,  sauveurs,  briseurs  d'entraves. 
Nous  écoutons  monter  l'accord  de  vos  voix  graves, 

Dont  jamais  l'effort  ne  fut  vain. 
Et  qui,  nous  enseignant  à  lutter  comme  à  croire. 
Seules  doivent  fleurir  d'un  cantique  de  gloire 

La  fête  du  Parler  divin  ! 


LE    CANTIQUE    DE    LA    LAXGLE. 

—  ((  Notre  parler  sourit  d'une  accorte  jeunesse. 
Pourtant  le  plus  ancien  et  d'antique  maison  : 
Nul  ne  saurait  montrer  des  titres  de  noblesse 
Plus  fiers,  plus  fastueux  que  ceux  de  son  blason. 
Quand  par  nos  fortes  mains  pour  une  œuvre  féconde 
Sur  le  sol  d'Amérique  il  reverdit  greffé, 
Il  avait  déjà  fait  tout  le  tour  du  vieux  monde 
Et  sous  tous  les  cieux  triomphé  1 


«  Voix  de  la  Chrétienté,  de  la  Chevalerie, 
Il  avait  ceint  pour  Dieu  le  glaive  de  Roland, 
Pour  rendre  au  Seigneur  Christ  sa  tombe  et  sa  patrie. 
Pousse  les  nations  de  son  souffle  brûlant, 
Soumis  parsesjongleursà  ses  chants  tout  cœur  d'homme- 
Et  tous  méchants  bravés,  tous  péchés  combattus, 
Posé  par  saint  Louis,  le  parfait  Roi  -Prudhomme. 
La  couronne  au  front  des  Vertus  ! 

(i  II  avait  même  un  jour  avec  le  duc  Guillaume. 
Maître  qui  l'enseigna  d'une  brève  leçon, 
A  Londres,  dans  Oxford,  établi  son  royaume, 
Tel  qu'il  s'impose  encore  au  langage  saxon  ; 
Il  avait  saintement,  à  1  heure  trop  amère, 
Aux  Voix  de  Jeanne  d'Arc  mis  son  aménité, 
Comme  à  Rayard  prôné  par  la  voix  de  sa  mère 
Dieu,  l'Honneur  et  la  Charité  ! 

((  Longtemps  le  cher  Parler  qu'ici  nous  apportâmes. 
Au  pays  des  Aïeux,  sous  leur  doux  joli  ciel, 
Riche  et  lourd  des  meilleurs  pensers  de  milliers  d'âmes, 
De  province  en  province  avait  cueilli  son  miel. 
Ses  mots,  qui  tous  avaient  baigné  dans  l'air  de  France, 
Des  fleurs  de  ses  coteaux  encor  tout  parfumés, 
Du  bel  azur  natal  gardant  la  transparence, 
Qui   de  nous  ne  les  eût  aimés  ? 

(I  Et  quand  par  ses  héros,  ses  poètes  sublimes, 

Le  Grand  Siècle,  imposant  au  monde  ses  splendeurs. 


30O    

Envoyait,  pour  ravir  les  esprits  sur  des  cimes, 
Corneille  et  Bossiiet,  ses  deux  ambassadeurs, 
—  Nous  ici,  pour  la  Croix  menant  le  combat  rude, 
Magnifiant  notre  âme  avec  d'autres  succès. 
Nous  cliercliions  à  couvrir  l'immense  solitude 

D'un  clair  manteau  de  noms  français  ! 

«  0  fier  Parler  de  France,  alors  que  de  victoires 
Avec  nous  remporta  ton  verbe  avant-coureur  ! 
Et  sur  combien  deniers,  de  vastes  territoires, 
Nous  avons  promené  ton  sceptre  d'empereur  I... 
Jusqu'au  jour  où.  vainqueurs  réduits  à  nous  soumettre, 
Malgré  tant  de  sillons  de  noire  sang  rougis, 
Nous  avons  dû,  trahis,  aux  mains  d'un  nouveau  maître 
Livrer  la  clé  du  cher  logis  ! 

«  Nous  avons  dû  livrer,  avec  nos  murs  de  pierre. 
Un  continent,  d'un  trait  de  plume  ailleurs  perdu  : 
Mais  nul  ne  peut  lier  une  àme  prisonnière  ; 
Un  abri  nous  restait  qui  ne  s'est  pas  rendu  1 

«  Chacun  de  nous  gardait  sa  sainte  forteresse, 
Bâtie  avec  amour  d'inexpugnable  airain, 
Où.  sur  un  faîte  altier  dominant  sa  détresse, 
Le  cœur  libre  arborait  son  drapeau  souverain  ! 

«  Chacun  de  nous  gardait  sa  forteresse  sainte, 
Fermée  aux  quatre  vents  de  remparts  sourcilleux, 
Sans  autre  jour,  qu'en  haut  de  la  jalouse  enceinte 
Un  grand  trou  vers  l'azur  pour  contempler  les  cieux  ! 


201    — 

(  Et  là,  devant  l'autel  qui  défend  la  relique, 
\Iieux  armés  et  plus  sûrs  en  ployant  les  genoux, 
Siius  avons  tous  redit  l'oraison  catholique 
\\oc  les  mots  sacrés,  les  seuls  mots  de  chez  nous  ! 

En  vain  nos  ennemis  nous  criblaient  de  leurs  flèches, 
il  niaient  sournoisement  des  coups  multipliés  : 
Imprenables,  debout,  sans  fissure  et  sans  brèches, 
Les  murs  ne  bougeaient  pas  sous  l'assaut  des  béliers  1 

I 

|(f  Quand  ils  croyaient  déjà   nous  traiter  en  conquête. 
Soudain  fondaient  sur  eux,  à  leur  tour  assaillis, 
Aiis  mots,  nos  braves  mots,  la  tiicjue  sur  la  tète, 
^ètusd'un  bon  cnpol  d'étofîe  du  pays  ! 

«  Vainement  cherchaient-^Vi' à  sevrer  par  contrainte 
L  âme  de  nos  enfants  de  son  parler  natal  : 
Plus  ils  frappaient  la  langue,  hostile  à  leur  étreinte. 
Plus  les  vieux  mots  émus  tintaient  comme  un  cristal  ! 

<(  En  vain  redoublaient-//*'  les  fureurs  de  leurs  haines, 
An  réseau  de  leurs  lois  partout  nous  enserrant  : 
On  peut  dans  des  cachots  charger  les  corps  de  chaînes, 
On  n'asservit  pas  l'àme  en  son  parler  vibrant  ! 

—  «Etpuisque  maintenant,  fils  qu'instruit  notreexemple, 
Nous  avons  reconquis  votre  place  au  soleil, 
Puisque  du  cher  Parler  nous  avons  fait  un  temple 
Où  tout  le  grand  Passé  s'exalte  à  votre  éveil, 


20O    

Envoyait,  pour  ravir  les  esprits  sur  des  cimes, 
Corneille  et  Bossuet,  ses  deux  ambassadeurs, 
—  Nous  ici,  pour  la  Croix  menant  le  combat  rude, 
Magnifiant  notre  àme  avec  d'autres  succès. 
Nous  cherchions  à  couvrir  l'immense  soUtude 

D'un  clair  manteau  de  noms  français  ! 

(I  0  fier  Parler  de  France,  alors  que  de  victoires 
Avec  nous  remporta  ton  verbe  avant-coureur  ! 
Et  sur  combien  deniers,  de  vastes  territoires, 
Nous  avons  promené  ton  sceptre  d'empereur  1... 
Jusqu'au  jour  où.  vainqueurs  réduits  à  nous  soumettre, 
^lalgré  tant  de  sillons  de  noire  sang  rougis, 
Nous  avons  du,  trahis,  aux  mains  d'un  nouveau  maître 
Livrer  la  clé  du  cher  logis  ! 

«  Nous  avons  dû  livrer,  avec  nos  murs  de  pierre. 
Un  continent,  d'un  trait  de  phime  ailleurs  perdu  : 
Mais  nul  ne  peut  lier  une  àme  prisonnière  ; 
Un  abri  nous  restait  qui  ne  s'est  pas  rendu  1 

«  Chacun  de  nous  gardait  sa  sainte  forteresse, 
Bâtie  avec  amour  d'inexpugnable  airain, 
Où,  sur  un  faîte  altier  dominant  sa  détresse, 
Le  cœur  libre  arborait  son  drapeau  souverain  ! 

«  Chacun  de  nous  gardait  sa  forteresse  sainte, 
Fermée  aux  quatre  vents  de  remparts  sourcilleux. 
Sans  autre  jour,  qu'en  haut  de  la  jalouse  enceinte 
Un  grand  trou  vers  l'azur  pour  contempler  les  cieux  1 


20  1     

(  Et  là,  devant  l'autel  qui  défend  la  relique, 
\Iieux  armés  et  plus  sûrs  en  ployant  les  genoux, 
V  us  avons  tous  redit  l'oraison  catholique 
\\oc  les  mots  sacrés,  les  seuls  mots  de  chez  nous  1 

En  vain  nos  ennemis  nous  criblaient  de  leurs  llèches, 
ICntaient  sournoisement  des  coups  multipliés  : 
Imprenables,  debout,  sans  fissure  et  sans  brèches. 
Les  murs  ne  bougeaient  pas  sous  l'assaut  des  béliers  1 

tt  Quand  ils  croyaient  déjà   nous  traiter  en  conquête. 
Soudain  fondaient  sur  eux,  à  leur  tour  assaillis, 
Nos  mots,  nos  braves  mots,  la  iuqiie  sur  la  tète, 
Vêtus  d'un  bon  capol  d'étoffe  du  pays  ! 

«  Vainement  cherchaient-i/à"  à  sevrer  par  contrainte 
L'âme  de  nos  enfants  de  son  parler  natal  : 
Plus  «75  frappaient  la  langue,  hostile  à  leur  étreinte. 
Plus  les  vieux  mots  émus  tintaient  comme  un  cristal  I 

((  En  vain  redoublaient-//^'  les  fureurs  de  leurs  haines, 
Au  réseau  de  leurs  lois  partout  nous  enserrant  : 
On  peut  dans  des  cachots  charger  les  corps  de  chaînes, 
On  n'asservit  pas  l'àme  en  son  parler  vibrant  ! 

—  «Etpuisque  maintenant, filsqu'instruitnotreexemple, 
Nous  avons  reconquis  votre  place  au  soleil, 
Puisque  du  cher  Parler  nous  avons  fait  un  temple 
Où  tout  le  grand  Passé  s'exalte  à  votre  éveil. 


Puisqu'en  vous  nous  restons  d'activés  providences, 
Allez  sans  crainte,  où  Dieu  réclame  des  lutteurs. 
A  vos  frères  meurtris  comme  à  vos  descendances 
Porter  les  mots  libérateurs  ! 

((  Votre  œuvre  est  belle  encor  sur  ce  sol  d'Amérique, 
Hommes  de  sang  français  par  votre  langue  unis  ! 
Poursuivez,  confiants,  votre  tàclie  héroïque 
Sur  tous  nos  pas  marqués  aux  chemins  infinis. 
Vos  pères  à  vos  cœurs  montrent  de  hautes  cibles. 
Que  vos  fils,  sinon  vous,  quelque  jour  atteindront  : 
Messagers  et  soutiens  des  choses  invisibles. 
Dieu  mit  un  sione  à  votre  front  I 


«  Croyez-vous  des  Elus,  si  vous  n'êtes  le  nombre, 
Les  nobles  champions  d'un  suprême  tournoi  : 
Faites  luire  l'Idée  où  s'obstinait  une  ombre, 
Prêchez  l'Art,  la  Bonté,  la  Justice  et  la  Foi  I 
La  langue  est  une  épée  autant  qu'une  cuirasse  : 
Dites-vous,   en  luttant  pour  rompre  tous  les  jougs, 
Que  l'esprit  des  aïeux,  que  le  cœur  de  la  race 
Combat  et  veut  vaincre  avec  vous  !  »> 


)g      «8     ^ 


II 

%'^ezô  ro/Jçeiîiz. 


A  Mgr  Amédée  Gosselix, 
Recteur  de  IL'niuersilé  Laval. 


LA  REVUE  DES  FRANÇAIS  D  AMERIQUE. 

Cest  l'heure  des  adieux,  mais  sans  regrets  ni  larmes, 

<  .1  imme  il  sied  à  des  gens  de  cœur,  aux  frères  d'armes 
Qui  vont  se  séparer  pour  faire  leur  devoir  ; 

C  est  l'heure  des  adieux,  mais  joyeuse  et  sans  crainte, 

<  tiiime  il  siedaux  croyants,  qui  dans  quelque  autre  étreinte 

Savent  quelque  part  se  revoir  I 


Et  quand  on  vient  d'unir  ses  forces  dispersées, 
Qu'on  a  pour  la  même  œuvre  accordé  ses  pensées, 
Baignés  au  même  flot  d'enthousiaste  ardeur^ 
Lorsqu'au  même  banquet,  dans  la  même  allégresse. 
Tous  à  la  même  coupe  ont  bu  \a  même  ivresse 
D  un  même  rêve  de  grandeur, 


204    

Qui  ne  sent  dans  son  cœur  battre  les  cœurs  des  autres, 
Des  cœurs  entreprenants  de  soldats  et  d'apôtres 
INe  voulant  plus  s'ouvrir  qu'aux  raisons  d'espérer? 
Et  qui,  seul,  au  dessein  généreux  qu'il  embrasse, 
INe  croit  porter  en  soi  tout  l'esprit  de  sa  race, 
Du  monde  avec  lui  s'emparer? 

Et  donc,  à  l'heure  grave  où  s'achèvent  ces  fêtes, 
Pour  que  chacun  s'en  aille  aux  prochaines  conquêtes 
Plus  vaillant  et  plus  sûr  par  l'appui  fraternel, 
Pour  qu'il  allume  en  lui  des  millions  de  flammes, 
Ici  de  tout  un  peuple  associons  les  âmes 
Au  même  serment  solennel  ! 

Et  d'abord  évoquons  ceux  de  la  vieille  terre 
De  Québec,  tout  le  long  du  fleuve  héréditaire 

Conservant  la  blanche  maison, 
Touslesbons  a  habitants  )^,  esprits  nets,  cœurs  candides, 
Qui  n'ont,  les  yeux  fixés  là-bas  aux  Laurentides, 

Qu'un  amour  comme  un  horizon  ! 

Et  vous,  Ontariens  Français,  je  vous  salue, 
Filsd'Essex,  dePrescott,  de  Russell,  troupe  élue, 

Avant-garde  qui  nous  défends, 
Combattants  des  Grands  Lacs  ou  du  Témiscamingue, 
Qui  voulez  que  la  Loi  d'un  juste  honneur  distingue 

Lécher  parler  de  vos  enfants  ! 

Vous  aussi,  conquérants  de  la  grande  Px-airie, 
Qui  sur  les  pas  fameux  du  vieux  La  Yérendrye, 


I 


—    200 


Songez  à  de  liers  lendemains, 
Vous  qui  revendiquez  l'antique  patrimoine 
Aux  bords  du  Winnipeg  ou  de  l'Assiniboine, 

Semeurs  des  blés  manitobains  1 

Et  voici  devant  vous  que  notre  front  s'incline, 
Saint  peuple  Acadien,  neveu  d'Evangcline, 

Que  Christ  des  Sept  Douleurs  marqua, 
Dont  les  jours  tourmentés  ressemblent  aux  rivages, 
Pêcheurs  de  Shédiac,  amis  des  flots  sauvages, 

Défricheurs  de  Madawaska  ! 

Et  je  vous  nomme  encor,  vivantes  citadelles, 
Français  de  l'Union,  qui  nous  gardez,  fidèles, 

Avec  la  langue  une  âme  sœur, 
Ilots  qui  surnagez,  paroisses  catholiques 
Qui  menez  au  combat  vos  jeunes  républiques 

Sous  l'emblème  du  Précurseur  1 

L'amitié  qui  vous  cherche  avec  nous  vous  ramène. 
Frères  de  l'Ouisconsin.  de  Détroit  ou  du  Maine. 

De  Boston  ou  du  Missouri. 
Postes  d'honneur  veillant  au  cœur  de  chaque  ville. 
Et  vous,  Louisianais  du  pays  de  Bienville, 

Dernier  rameau  toujours  fleuri  '. 

Et  tous  les  descendants  de  nos  grands  noms  épiques 
De  la  mer  boréale  à  la  mer  des  Tropiques. 
D'Halifax  à  San-Francisco. 


—  258  — 

<c  Puisses-tu  triompher  du  Icmps  et  de  l'espace. 
0  verbe  merveilleux,  si  riche  d'Infini  1 
Par  moi  du  moins,  toujours  chantant  et  rajeuni. 
Tu  ne  passeras  pas  de  ce  monde  où  tout  passe  1... 

Et  puisse,  par  delà  même  l'ultime  adieu. 
Mon  cœur  que  je  te  doime,  ô  cher  Parler  de  France. 
Travailler  dans  mes  fils  à  quelque  délivrance, 
Accomplir  avec  toi  la  grande  œuvre  de  Dieu  1  » 


VERS    LES    VICTOIRES 

Comme  avant  la  bataille,  en  des  airs  de  fanfare, 

Montcahn  fit  défiler  les  siens, 
Ses  beaux  régiments  blancs,  Roussillon  ou  La  Sarre. 

Et  la  fleur  de  nos  miliciens, 
Vous  de  même,  à  l'instant,  nos  braves  de  tout  grade. 

Mots  de  nos  glossaires  sacrés, 
Défilez  sous  nos  yeux,  comme  au  pas  de  parade, 

Dispos,  pimpants  et  bien  guêtres  1 
\enez  nous  rassurer,  belle  armée  aguerrie, 

Mois  vainqueurs  de  tant  de  hasards  I 
Venez  faire  parler  l'espoir  de  la  pairie 

.Vux  frissons  de  vos  étendards  ! 


—  2^9  — 

\  oiis  voici,  tous  nos  mots  bien  nés,  aux  clairs  visages, 

Fleurant  si  bon  le  vieux  terroir, 
Oui  reflétez  encor  nos  anciens  paysages 

Comme  un  flot  pur  en  son  miroir  ; 
Vous  voici,  tous  nos  mots  simples,  nos  mots  rustiques, 

Si  drus,  si  francs,  ensoleillés, 
Fidèles  compagnons  des  tâches  domestiques, 

Chers  confidents  de  nos  foyers  ! 
Venez,  riez,  les  mots  de  la  maman  berceuse. 

Dans  nos  nuits  toujours  nous  berçant. 
Les  mots  des  jeux,  de  notre  enfance  insoucieuse, 

Qu'on  aime  entendre  en  vieillissant  I 
Venez,  priez,  les  mots  qui  calmez  la  misère. 

Doux,  parfumés  comme  le  miel, 
r.cux  que  l'aïeule  égrène  aux  grains  de  son  rosaire. 

Pleins  de  confiance  et  de  Ciel  ! 
\  cnez,  aimez,  les  mots  de  la  Miséricorde, 

De  la  divine  Charité  ! 
Faites  une  harmonie  avec  toute  discorde. 

De  toute  haine  une  bonté  ! 
\  cnez,  vibrez  les  mots  du  tribun  et  du  prêtre, 

Nobles  conseillers  ou  vengeurs, 
<  hii  frappez  le  coupable  et  flétrissez  le  traître, 

En  poussant  au  front  des  rougeurs  1 
\  enez,  chantez,  les  mots  des  œuvres  immortelles, 

Qui  dites  à  l'Humanité, 
De  bouche  en  bouche,  avec  des  frémissements  d'ailes. 

Le  cantique  de  la  Beauté  ! 
\  enez,  luttez,  les  mots  dont  crépite  la  poudre, 

\étérans  chevronnés  d'exploits, 


—  26o    — 

Qm,  pour  les  Libertés  réservant  votre  foudre, 
Dictez  à  tous  les  justes  Lois  ! 

Venez,  venez,  tous   nos  vieux  mots,  notre  espérance  ! 

Et  demain,  dans  un  fier  réveil. 
Vous  irez  tous  donner,  superbes,  pour  la  France, 

Lui  gagner  sa  place  au  soleil  ! 
Vous  irez  donner  tous  dans  les  luttes  d'idées 

Où  notre  race  doit  fleurir, 
Et  vos  clartés  vaincront,  dans  la  paix  fécondées, 

Car  vous  ne  pouvez  pas  mourir  ! 
Des  Monongahéla,  Carillon,  Sainte-Foye, 

Vous  en  obtiendrez  chaque  jour  : 
îl  vous  suffit  que  Dieu  dans  tout  logis  envoie 

Des  fils,  une  mère  et  l'amour  ! 
Et  vous  accomplirez  votre  œuvre  héréditaire, 

Mots  si  vaillants  de  nos  Aïeux. 
Chaque  jour  un  peu  plus  conquérants  de  la  terre, 

Parce  que  vous  songez  aux  cieux  ! . . . 
Et  peut-être —  qui  sait  ?  —  Parler  de  ma  patrie. 

Gomme  le  «  Roi  des  Eaux  »  puissant, 
Qui  baigne  en  son  grand  flot  de  lumière  et  charrie 

Des  mondes  qu'il  cueille  en  passant. 
Vous,  à  travers  les  temps  pour  l'éternel  voyage, 

Chers  mots  de  France  séducteurs, 
0n  vous  verra  traîner  dans  votre  heureux  sillage 

La  conquête  de  tous  les  cœurs  ! 


m 
^oiit  le  "  datiez  des  (lAïeux  ». 

{Toste). 

A  M.  AmjIdée  Denault. 


Pourquoi,  cheis  Canadiens,  nous  les  Français  de  France., 
Sentons-nous  notre  cœur  battre  avec  déférence, 
Vers  vous,  à  votre  voix,  s'incliner  nos  esprits  ? 
Lorsque  vous  nousparlez,  d'où  vient  donc  votre  charme? 
D'où  notre  émoi  si  grave  et  profond,  qu'une  larme 
^  oile  presque  nos  yeux  surpris  !* 

Ah  !  c'est  que  sans  oubli,  pères,  enfants,  épouses, 
Vos  lèvres  ont  gardé,  fidèles  et  jalouses, 
L'accent  du  vieux  pays  qui  vibre  sous  vos  toits  ; 
C'est  qu'on  peut,  tout  au  long  des  rives  laurentines. 
Cueillir,  comme  des  fleurs  naïves  d'églantines. 
Les  richesses  de  nos  patois  I 

C'est  qu'ici  de  la  France  ancienne  —  ailleurs  caduque  — 
0  «  bonnes  gens  » .  sous  la  ((  câline  »  et  sous  la  «  tuqu;e  »  ^ 


202    — 

Nous  sourit  avec  vous  dans  sa  simplicité  ; 
C'est  que  par  vos  chansons,  apprises  de  vos  mères. 
Avec  nos  grands  Aïeux,  nous,  passants  éphémères, 
Nous  vivons,  mêlés  tous  à  de  l'éternité  ! 

Les  mots,  que  notre  souffle  en  cet  instant  ranime. 
Débordent  notre  cœur  d'un  jour,  frêle  et  minime. 
Par  l'infini  pouvoir  de  leur  vaste  passé  ; 
Chaque  mot  porte  en  lui  son  âme  universelle, 
Riche  et  mystérieuse,  où  couve  une  parcelle 
D'âme  des  millions  d'hommes  qui  l'ont  pensé. 

Les  mots  sont  des  reflets  de  l'antique  patrie  : 
Et  c'est  pourquoi  si  loin  notre  oreille  attendrie 
Aime  en  reprendre  ici  le  patrimoine  entier. 
Je  t'admire  et  te  loue,  ô  Canadien,  mon  frère, 
Qui,  n'en  voulant  rien  perdre,  en  rien  laisser  distraire. 
En  restas  l'intègre  argentier  ! 

Je  t'écoute,  et  voici,  loyal  dépositaire, 
Que  tous  les  purs  trésors  du  verbe  héréditaire, 
Soudain  dans  tes  discours  je  les  ai  recouvrés. 
Mots  délicats  ou  fiers  de  bourgeois  ou  de  princes. 
Mots  ingénus  aussi  des  rustiques  provinces, 
Louis  d'or  ou  gros  sous  cuivrés  1 

Et  ces  mots,  même  ceux  de  la  pauvre  chaumière, 
Qui  baignèrent  dans  l'air  de  France  et  sa  lumière, 


—  2  63   — 

Qui  clianleiil  uiaiulcnaiU  aux  berceaux  canadieus. 
Nous  disent,  vieux  français,  tout  pleinsdesainteschoses, 
Fleurant  encor  nos  blés,  nos  vergers  et  nos  roses  : 
«  Souviens-toi  I  souviens-toi,  commeje  me  souviens  1   » 

L'un  dit  :  «  Aux  bords  de  la  Charente, 
«  Qui  dut  voir  là-bas  mon  déclin, 
«  Moi,  je  suis  né  :  je  m'apparente 
«  A  la  conquête  de  Champlain.  » 

—  «  Et  moi,  dit  un  autre,  on  devine 

((  Le  nid  d'où  sort  mon  chant  d'oiseau  : 
((  De  l'humble  aïeule  Poitevine 
«  Mes  fredons  aidaient  le  fuseau.  » 

Un  autre  reprend  :   u  Ma  paroisse, 
u  C'est  Mortagne  :  si  j'y  vieillis, 
«  S'il  faut  que  j'y  meure  ou  décroisse, 
«  Nul  n'est  prophète  en  son  pays.  » 

Tel  autre  encor  :  u  Ma  jNormandie 

«   Me  répéta  dans  ses  échos  : 

((  Qu'importe  la  scène  agrandie  ? 

«  Je  songe  au  ciel  d'Auge  ou  de  Caux.  » 

—  «  Moi,  j'ai  l'allure  cavalière, 

«  Voyez  !...  Je  fus  le  compagnon 
«  D'un  joyeux  «  Carignan-Salière  ), 
«  Moite  encol"  de  vin  bourguignon,  o 


Ceux-ci  parlent  de  prés,  d'établcs, 
De  granges  pleines,  et  des  soirs 
Où  les  noces,  le  coude  aux;  tables, 
Humaient  le  parfum  des  pressoirs. 

Ceux-ci  rythmèrent  les  cadences 
Des  bergers  chanteurs  de  noëls, 
Firent  tourbillonner  les  danses 
Autour  des  grands  feux  fraternels  ; 


Ceux-là  jaillirent  en  prières. 
Peut- être  même  teints  de  sang, 
Mêlés  aux   luttes  meurtrières, 
Aux  cris  d'un  héros  frémissant  ! 


Tous  ces  mots,  fds  divers  des  campagnes  de  France, 
Votre  cœur.  Canadiens,  les  garde  unis,  fixés, 
D'un  même  souvenir,  pour  la  même  espérance, 
Dévotement,  autour  de  l'érable  enlacés. 

Tous  ces  vieux  mots,  miroirs  de  nos  communs  ancêtres 
Avec  vous,  Canadiens,  se  maintiennent  vivants. 
Et,  si  leur  grâce  simple  ailleurs  trouve  des  traîtres, 
Vous  ne  leur  dresse/,  vous,  que  des    autels  fervent? 

Aussi  bien  t'écoutant,  fils  d'une  race  élue, 

Qui  n'as  rien  renié  de  tes  anciennes  fois, 

Mon  frère  Canadien,  je  m'incline,  et  salue 

Tous  ceux  de  mes  Aïeux  qui  parlent  dans  la  voix  1 


2  60    


Kt  donc,  ô  cher  Parler  natal,  dont  la  mémoire 

Ici  se  fond  en  piété, 
Jo  veux  lever  la  coupe  en  ton  honneur,  et  boire, 

Parler  de  France,  à  ta  santé  ! 
A  ta  santé,  non  pas  pour  qu'au  hasard  tu  vives, 

Toléré  seulement  ce   soir, 
Non  point  par  grâce  admis,  comme  un  de  ces  convives 


Qui  doivent  manger  sans  s'asseoir 


Non  pas  pour  végéter  misérahle,  risée 

Ou  du  rival  ou  du  félon. 
Non  comme  un  bibelot  curieux  de  musée 

Ou  comme  une  fleur  de  salon  ! 
.le  bois  à  ta  santé,  cher  Parler  de  mes  pères, 

Digne  roi  d'un  trône  perdu, 
Pour  que  tes  jours  sans  fin  se  poursuivent;  prospères. 

Avec  le  haut  rang  qui  t'est  dû  ! 
A  ta  santé,  non  pas  pour  d'âpres  servitudes, 

Mais  pour  la  joie  et  la  fierté, 
Pour  que  puisse  ton  souflle  emplir  les  solitudes 

Au  plein  air  de  la  liberté, 
Que  puisse  en  cette  terre,  où  Dieu  te  sert  de  guide. 

Ta  voix,  ta  généreuse  voix, 
Se  mêler  à  la  vie  héroïque  et  splendide 

Des  grandes  eaux  et  des  grands  bois  1 

Et  je  bois  à  ta  gloire,  ù  mon  cher  Parler,  verbe 
Aussi  doux  et  beau  que  le  jour. 


—  266  — 

Pour  que  ce  monde  t'offre,  ô  moissonneur,  la  gerbe 

De  noble  allégresse  et  d'amour, 
Pour  que,  regard  levé,  les  âmes,  les  hôtesses, 

Par  ton  irrésistible  attrait, 
S'ouvrent  avec  vaillance  à  des  délicatesses 

Dont  seul  tu  connais  le  secret  I 
A  ta  gloire  !  à  ta  plus  grande  gloire,  ô  mon  tendre, 

Mon  joli  Parler  si  plaisant, 
Pour  qu'au  lieu  de  la  tombe,  où  l'on  croyait  l'étendre, 

Tu  tiennes  la  palme  en  présent  ! 
Pour  qu'heureux  messagers  des  hautes  ambassades 

Que  l'homme  accomplit  pour  le  Ciel, 
Tu  fasses  triompher  dans  d'ardentes  croisades 

Le  dessein  providentiel  ! 
Pour  que  par  l'univers,  —  comme  une  brise  égrène. 

Répand  les  semences  des  fleurs,  — 
De  même,  d'une  force  aimable  et  souveraine. 

Avec  nos  rêves  les  meilleurs. 
Un  grand  souffle  divin,  dont  tressaillent  les  moelles, 

Emportant  tes  mots  radieux, 
T'épande,  te  propage,  et  t'exalte  aux  étoiles... 

Cher  doux  Parler  de  nos  Aïeux  ! 


r 


"S*  "n*  'n*  'o''  'a'*  'o*  "S*  "o''  "o*  "S*  "a*  "S*  *?"  "S*  'o''  "o*  ''o"  *?''  "o"  *?''  *?''  "o*  *?*  *'?''  ^*  "o"  'S''  "S*  *?*  "o*  "o*  "o*  "S*  "o''  "o**  *?* 


^oHt  l'(Echo  du  'Sagiiena^ 


A  MM.  Berthimme  c/  Rivet. 


Je  songe  à  ce  premier  vaillant  de  noire  race, 
Dont  aujourd'hui  la  prompte  hélice  suit  la  trace 
En  l'âpre  paysage  où  tant  ont  frissonné  ; 
Je  songe  à  ce  premier  héraut  de  l'Evangile, 
Dont  la  foi  n'a  pas  craint,  sur  la  barque  fragile, 
De  remonter  ton  gouffre  étrange,  ô  Saguenay  ! 

Lorsqu'il  voguait,  chétif,  entre  tes  deux  murailles 
Titanesques,  témoins  des  tumultes  passés. 
Où  menacent  sans  fin  les  granits  entassés, 
Pleurant,  drapés  de  noir,  comme  à  des  funérailles 


I.  Vers  dits  le  ler  juillet  1912,  pendant  le  voyago  des  congres- 
sistes au  Saguenay. 


—   '>.(JS  — 

Dans  ce  chaos  d'apocalypse,  pour  lui  seul. 
Quand,  tour  à  tour,  le  soir  saignait  sur  ton  eau  brune. 
Miroir  de  AÏsions  terribles,  où  la  lune 
Jetait  les  plis  glacés  de  son  blême  linceul  ; 

O  Saguenay,  théâtre  effrayant  d'un  grand  drame 
Planétaire,  sur  tes  abîmes  se  penchant. 
Dans  ce  silence,  où  nul  oiseau  n'essaie  un  chant, 
Gomme  son  cœur  dut  battre,  auseulbruit  de  sa  rame  ! 

Où  Dieu  paraît  plus  grand,  l'homme  se  sent  petit, 
Le  farouche  infini  de  tristesse  l'accable... 
Pourtant  ton  premier  hôte,  Erèbe  inexplicable, 
iN'eut  point  peur,  sur  tes  bords,  que  sa  voix  retentît. 

Il  voulut,  pour  s'armer  d'espoir  et  d'assurance. 
Tandis  qu'il  sillonnait  ton  flot  d'encre  fatal, 
Entonner  un  noël  de  son  pays  natal, 
Peupler  ta  solitude  avec  des  mots  de  France... 

Et  voilà  qu'en  effet  les  chers  sons  familiers, 
Qui,  nous  rendant  l'amour,  nous  remettent  à  l'aise. 
Soudain,  de  roc  en  roc,  de  falaise  en  falaise. 
Jaillirent,  tout  autour  de  lui,  multipliés... 

Les  rives  s'animaient,  de  partout  palpitantes... 
Des  échos,  réveillés  dans  des  antres  lointains, 
Vccouraient^  frémissants. . .  passaient. . .  puis,  plus  éteints, 
Allaient  mourir,  là-bas,  sur   des  grèves  chantantes... 


—  269  — 

l]t  le  couplet  fini,  succédaient  d'autres  airs, 
D'autres  airs  en  réponse  escortaient  son  sillage  ; 
C'était,  lui  scniblait-il,  la  Patrie  en  voyage, 
Dont  les  voix  par  milliers  enchantaient  ces  déserts. 

Tous  les  monls  tressaillaient  dans  leurs  rudes  vertèbres, 
Surpris  de  s'émouvoir  aux  accents  du  rameur  : 
Lui-même,  souriant  à  son  pouvoir  charmeur, 
Chantait  pour  conjurer  les  esprits  de  ténèbres. 

Et  les  chers  mots  vibrants  roulaient  répercutés. 
Montaient  ou  descendaient  en  torrents  d'harmonies, 
Et,  tout  en  s'épanchant,  les  syllabes  bénies 
Dans  son  esprit  en  fête  allumaient  des  clarté^  ! 


II 

Depuis  les  premiers  soirs  de  France  dans  ce  monde, 
Bien  des  ans  ont  glissé,  Saguenay,  sur  ton  onde  ; 
Mais  nous  de  même  encore,  assidus  pèlerins, 
Nous  venons,  le  cœur  plein  de  l'orgueil  le  plus  tendre, 
Saguenay,  Saguenay  mystérieux,  tentendre 
Magnifier  nos  mots  de  France  souverains  1 

\  ois,  nous  venons  de  loin  pour  t'honorer  ;  moi-même, 
.l'ai  laissé  ma  maison,  là-bas,  —  tout  ce  qui  m'aime, 
Et,  pour  que  nos  désirs  soient  plus  vite  obéis, 
Penchant  la  coupe  pleine,  où  la  mousse  scintille^ 
Saguenay,  nous  t'ofl'rons,  au  festin  de  famille, 
Lne  libation  de  vin  du  vieux  pays  1 


2-0    

Et  maintenant  reçois,  pour  qu'elles  s'amplifient, 
Les  implorations  que  nos  cœurs  te  confient, 
L'appel  des  bénédictions  sur  notre  sang  ; 
Et  jusqu'au  fond  de  tes  insondables  abîmes, 
Comme  au  granit,  aux  bois  frissonnants  de  tes  cimes, 
Répète-les  sans  lin,  fleuve  à  l'écho  puissant  1 

—  c  Dieu  veuille  protéger  la  France  d'Amérique, 
Exalter  ce  qui  dort  de  forces  dans  son  sein, 
Propager,  à  grands  flots  de  jeunesse  lyrique, 
Sa  vie  associée  à  l'éternel  dessein  ! 

c(  Puissent  sur  des  sols  neufs  qu'ont  gagnés  les  charrues, 
Partout,  pour  les  couteaux    des   riches  fauchaisons, 
Avec  une  rumeur  sourde  de  vastes  crues, 
La  houle  des  froments  monter  aux  horizons  ! 

«  Puissent  sans  se  tarir,  dans  les  érablières, 
Les  arbres  distiller  le  baume  de  leurs  flancs  1 
Puissent  les  lents  troupeaux  des  vaches  familières 
Traîner  sur  les  prés  verts  leurs  pis  plus  ruisselants  1 

{(  Puissent,  autour  du  poêle,  et  les  fils  et  les  filles, 
Dont  le  bras  doit  plus  loin  refouler  les  déserts, 
Dans  le  cercle  élargi  des  chrétiennes  familles, 
Ensemble  à  l'unisson  rajeunir  les  vieux  airs  1 

«  Qu'avec  le  creur  humain  le  règne  de  Dieu  croisse. 
Avec  le  Dieu  vivant,  les  fraternels  exploits  ; 
Que  plus  avant  toujours,  de  paroisse  en  paroisse, 
Sur  la  croix  des  clochers  luise  le  coq  gaulois  1 


—  271  — 

"  Et  tandis  que  le  bronze  égrène  ses  prières, 
l'uisseiit,  dans  la  splendeur  des  soirs  victorieux, 
Plus  d'entants  au  foyer,  à  genoux  près  des  mères, 
Dire  pour  le  pays  l'oraison  des  aïeux  !  » 

— ■  Tel  pour  le  Canada  reçois  notre  cantique  ; 
Tel  aussi,  Saguenay  fidèle  et  prophétique, 
Képèle-le  bien  haut  avec  mysticité  1 
Seconde-nous  de  tous  tes  échos  1  Fais-nous  croire 
Que  nos  lèvres  n'ont  pas  sans  proht  et  sans  gloire 
Lancé  les  mots  de  France  au  Gap  Eternité  1 


^ 


^®®®®®.®®^S®®g3!8®®®' 


qAux  oAzbies  ''ëanadiens^. 


Au  distingué  publiciste, 
M.  Omer  Héuoux.  . 


Arbres,  (ils  des  grands  bois  aussi  vieux  que  le  moude. 
Qu'au  flanc  des  monts  chenus  la  hache  a  massacres, 
Vous  pourtant  qu'un  front  haut,  la  racine  profonde. 
Semblaient  rendre  deux  fois  sacrés  I 

Arbres,  dont  le  torrent  déchaîné  lit  sa  proie. 
Dont  jusqu'au  cœur  la  chair  palpitante  frémit 
Sous  les  dents  de  l'acier  qui  la  happe  et  la  broie 
Aux  moulins  de  Chicoutimi  1 

Arbres  du  (Canada,  martyrs  de  la  patrie, 
Vous  ne  voudriez  pas  de  ces  plaintifs  émois 
Que  jadis  soupirait  sur  sa  foret  meurtrie 
Notre  Ronsard  le  Yendômois  I 

I.  Vers  dits  au   Monument    ?SatioiiaI,   à  Montréal,  le  8  juilit'l 
1912. 


Héroïques  enfants,  dont  l'épaisse  fourrure 
Si  longtemps  de  la  mère  a  défendu  le  sein, 
Dontlhomme  a  fait  tomber  la  sauvage  parure 
Pour  vous  unir  à  son  dessein  1 

Non  !  vous  ne  voulez  pas  des  pleurs  d'une  élégie, 
D'ime  aveugle  pitié  sans  courage  —  ô  vaillants  ! 
Mais  un  hymne  d'espoir,  de  joyeuse  énergie, 
(lomme  il  en  faut  à  des  croyants  ! 

0  fiers  sacrifiés  qu'ennoblit  le  supplice, 
Vous  mourez  sans  regrets,  glorieux  et  contents  ; 
Le  trépas,  n'est-ce  point  un  passage,  une  lice, 
Qui  mène  à  d'éternels  printemps  ? 

Vous  mourez,  c'est  vrai ,  beaux  Arbres,  mais  pour  revivre 
Peut-être  en  belle  prose,  en  beaux  vers  cadencés, 
Pour  vous  épanouir  aux  feuillets  blancs  du  livre 
En  des  floraisons  de  pensers  ! 

\lors,  fils  qu'a  nourris  la  plus  chaste  des   terres, 
Vieux  Arbres  canadiens,  graves  dépositaires 
Des  secrets  assoupis  dans  vos  troncs  abattus, 
Au  livre,  où  le  conseil  des  Sagesses  se  trace, 
\  l'œuvre  de  l'esprit,  tutrice  de  la  race, 
Joignez  vos  natives  vertus  ! 

Alors,  mieux  qu'autrefois  sous  la  rugueuse  écorce, 
Secourables,  — versez  à  l'âme  votre  force, 

LE   CANTIQUE  18 


-  27/,  - 

Voire  innocence  au  groupe  liarmonieux  des  mots  ; 
A  chaque  page  auguste,  où  frémissent  vos  fibres, 
Arbres  religieux  des  vastes  forêts  libres. 
Protégez  l'homme  encor  de  vos  puissants  rameaux  ! 

Dans  l'hymne  du  poète,  avec  vos  rudes  sèves, 
De  la  fraîche  Nature  épanchez  tous  les  rêves, 
Et  ceux  de  l'aube  tendre  et  ceux  du  soir  vermeil  ; 
Aux  chants  de  la  veillée,  aux  contes  des  dimanches, 
Offrez  tout  ce  qu'ailleurs  ont  recueilli  vos  branches 
D'azur,  de  neige  et  de  soleil  ! 

Régénérez  les  cœurs  dolents  1  Calmez  les  fièvres  ! 
Distillez  vos  parfums  balsamiques  aux  lèvres. 
Les  salubres  vigueurs  du  pur  llux  végétal  ! 
Enseignez,  fils  très  bons,  très  simples,  de  la  terre, 
Avec  l'apaisement  des  choses  —  salutaire, 
L'attachement  indestructible  au  sol  natal  1 

Qu'avec  vous  la  jeunesse,  Arbres  saints,  se  recueille  ! 
Distribuez-lui,  goutte  à  goutte,  feuille  à  feuille, 
Les  largesses  du  ciel  dont  Dieu  vous  féconda  ! 
Qu'au  livre,  où  se  maintient  votre  rustique  empire, 
Dun  trait,  pieusement,  l'àme  du  peuple  aspire 
Tout  son  splentliile  Canada  ! 


|M4MmiMIIIIIIIMIIIMIMII^ 


"PoHE  mon  (Lac,  en  ^anaday 


Au  Iniii  (jcotjraplw 

de    la     iioiiDelh'    carte 

des  amitiés    françaises 

et  canadiennes, 

M.     EuGÎiNli   UOUILLAUD. 


Mou  nom  va  vivre  —  o  joie  —  en  terre  canadienne. 
Et  la  belle  pairie,  accueillante  gardienne, 
Parmi  ses  meilleurs  (ils  choisit   mes  compagnons  ; 
Là-bas,  Rivard,  Le  May,  Fréclictle  et  Crémazie, 
Vont  enlacer  au  mien,  en  (leurs  de  poésie, 

La  guirlande  de  leurs  cliers  noms  ! 

Moi,  j'ai  mieux  qu'une  rue  aux  cités  que  l'or  londe  : 
C'est,  dans  les  bois  lointains  à  l'agreste  senteur, 
Un  lacqui  semble,  ainsi  qu'aux  premiers  joursdu  m  onde. 
Sortir  des  mains  du  Créateur  ! 


I.  \crsdils  à  Montréal  le  8  juillet   1912. 


-  .76  - 

Mon  nom,  mon  humble  nom  de  mortel  éphémère, 
Va  pour  toujours  se  joindre  à  cette  France,  mère 
D'un  passé  de  vertus  que  rien  n'a  pu  ternir  ! 
Mon  nom  va  se  confondre,  en  l'immense  ÎNature, 
Avec  l'eau  d'un  lac  frais,  une  eau  de  neige  pure, 
Source  de  vie  et  d'avenir  ! 

Mon  nom  ne  revêt  point  quelque  fier  promontoire, 
Le  roc  dur  et  hautain  d'un  mont  ambitieux  ; 
Non,  il  ne  lui  fallait,  paisible  et  sans  histoire. 

Qu'un  beau  lac  clair,  miroir  des  cieux  I 

Gloire  douce  au  poète  :  être  une  âme  des  choses, 
Un  reflet  des  matins  pâles,  des  couchants  roses, 
Ce  qui  dit  des  Saisons  le  salut  ou  l'adieu  ; 
Monter  dans  un  rayon,  redescendre  en  rosée, 
Sentir  à  chaque  souffle  en  la  vague  bercée 
La  respiration  de  Dieu  ! 

S'insinuer  partout,  grâce  subtile,  force 

Qui  s'offre  inépuisable  à  tous  labeurs  humains, 

Seconder  le  réveil  des  sèves  sous  l'écorce, 

Calmer  les  soifs  au  creux  des  mains  ! 

Voir  par  l'effort  sacré  d'un  peuple  qui  défriche 
S'épandre  autour  de  soi  sur  la  glèbe  plus  riche 
La  bénédiction  féconde  des  semeurs  ; 
Au  vol  de  l'aviron  rythmer  sa  rêverie. 
Croire  ouïr  les  aïeux  de  la  vieille  patrie 

Passer  dans  un  chant  de  rameurs  ! 


—  '-Il  — 

Moudre  le  blé,  tremper  le  ter,  blanchir  les  toiles, 
Tout  le  jour,  —  puis,  à  l'heure  où  brunit  l'horizon, 
Rallumer  dans  ses  flots  les  cierges  des  étoiles 
En  chuchotant  une  oraison  !... 

Puisqu'à  de  tels  destins  l'amitié  me  convie, 
Avec  vous,  Canadiens,  aux  conquêtes  de  vie 
Où  votre  ardente  foi  dit  le  Siirsum  corda. 
Puisse,  parmi  les  noms  plus  hauts  de  votre  Histoire, 
Mon  humble  nom  fervent  gagner  quelque  victoire. 
Faire  aimer  plus  le  Canada  ! 


ERRATA 


Lire  p.  32,  v.  l'2  :  Puissiez-vous... 

—  p.  88,  pour  la  dédicace  :  M.  L.  A.  Lavallée. 

—  p.  229,  dans  le  titre  :  Un  fils  de  Lorraine  au  Canada. 

—  p.  236,  pour  la  dédicace  :  Adju^or  Rivard. 

—  p.  268,  V.  3  :  ou  la  lune. 


Table. 


Tgi  7^  7^  yp  Tp  7^  7^  7^  7^  7^  Tj^  Tj^i  7^  Tfi  7^  y^  7^  y^  7^  y^  y^  y^  y^  7^ 


^able^. 


SONETS    DliDIC.VTOlUES, 


I.   —  La  Patrie   de    l'Ame i 

II.   —  Pour    notre    Langue 3 


PREMIERE  PARTIE 

LES    PROLESSES    Di:     VIEUX    PARLER. 

I.  —  La  Revanche  des  Gaules 7 

II.   —  La  Fleur  française 8 

III.  —  Notre    Parole C) 

IV.  —   Préludes lO 

\.   —   Aux  Premiers  Artisans  de  la  Langue,     .      .  ii 

\T    —  Nos  Vieux  Mots 12 

VII.    —  Le  français   de  Normandie i3 

VIII.  —  L'Ame  des  morts i4 

IX.  —  Le  Grand  Œuvre i5 

X.   —   Le  français  de  Roland 16 

XI.   —   La  Conquête  de   l'Angleterre 17 


—     2»2    — 

XII,  —  L'Instrument  du  Miracle 18 

XIII.  —   Le  Défi  des  Croisés  à  Constantinoplc      .      .  19 

XIV.  —   En  la  Princée  d'Achaïe. 30 

XV.  —  Le  franrais  de  Joinville 21 

XVI.  —  Les  Enseignements    de    saint  Louis.      .      .  22 

XVII.  —   La  Langue  du  Droit 2H 

XVIII.   —   «   Emprises   »  pacifiques 2^ 

XIX.  —  Sur  les  lèvres  du  Chanteur  de  Dieu.     ,      .  2fi 

XX.   —  Le  «  Trésor  »    de  Latini 2r> 

XXI  —  Pour  le  <(  Livre  des  Merveilles  ».      .      .      .  27 

XXII.   —  La  Divine  «  Parlure  » 28 

XXIII.  —    Les  Voix   de    Jehanne So 

XXIV.  —  La  Plainte  de  Notre-Dame 3i 

XXV.    —   L'Adieu    du     Trouvère 32 


DEUXIÈME  PARTIE 

L\    GLOIRE     DES    DEUX    FR.VNCES    (dE    J.     CARTIER    A     MOXTC.VLm). 

Au  seuil  des   Nouveaux    Ages 3.i 

En  Amérique  : 

I.   —  Au  premier  Roi  du  Canada 30 

II.  —  Sur    le  Mont-Royal 3S 

III.   —   La  Prière  dans  les  bois '|i' 

Renaissance  française  : 

I.   —  Pour  en  faire  une  Reine V2 

II.  —  Pour   la    défendre !\!i 

1.  Mon  fils,  il  ne  sied  point 44 

2.  Mon   fils,  des  bons    vieux  mots 40 

3.  Veux- tu  sacrifier  aux  Grâces k~ 

4.  Mon  fils,  ne  laisse   pas   ton   toil 48 

5.  Ecoute  encor,  mon  fils 49 

G.  Dès  qu'un  rayon  s'argentc 5o 

7.  Apprète-toi,  mon  fils ôi 


—  283  — 

Il  F.   —   Pour   l'illustrer 03 

I.   Certains,  de  beauté  pure ôa 

:j.   Sois  fier  de  ton  parler 54 

3.  Chante  avec  moi,  mon  fils 55 

4.  (>'ost  l'avril   de    la  Langue 50 

5.  Puisqu'à  présent    voici  le   français.      ...  ô~ 

IN  .  —  Pour  quelques  bons  Français  ilu  XV I'  siècle.  58 
1 .   Au  «    Défenseur  »  et  «  Illustrateur  »  de  la 

Langue 58 

a.   Pour  le  Plutarque  d'Amyot 6o 

3.   Au  premier  «   Capitaine  des  Cluses   »...  6i 

Au  Grand  Siècle 6a 

Les  Muses  en  Acadie  [ICO^t-lGO/)  : 

T.   —  A  la  France 63 

II.   —  Le  Thcàlre  de    Neptune 65 

III.  —  L'Ordre  du  Bon  Temps 66 

IV.  —  Première    Gerbe 67 

Dédicace  du  «  Don  de  Dieu  » 68 

Le  Testament  de  Chamijlain 70 

Conquêtes  françaises  : 

I.   —  L'Hôtel  de   Rambouillet 75 

II.  —  Malherbe 77 

III.  —  Balzac 79 

IV.  —  Vaugelas 81 

N  .   —  LAcadémie 82 

^  I.   —   En  Canada 8A 

L'Invocation  pour  Ville-Marie 85 

Les  Consolations  (Jeanne-Mancc 88 

Corneille  à    Québec 91 

Hymne  d'un   martyr  de  France  (Brébeuf) 9/1 

Les  dix-sept    Xoms 98 

Les  Adieux  d'une  Mère    (Marie  de  l'Incarnation).      .      .      .  101 


—    28A    — 

Les  Ambassadeurs  de  Dieu  : 

I.   —  Bossuet io4 

II.  —  Fr.  de  Montmorency-Laval io8 

Trophées  royaux  : 

I.  —  Un  procès-verbal 112 

II.  —  Sur  le  Grand  Fleuve ii4 

III.  —  La  Carte  de    Louis    Joliiet 116 

IV.  —  L'Acte   de    prise it8 

V.  —  La  Lettre 120 

VI.  —  La    «   Langue    humaine     » 122 

VII.  —  Les  «  Temples  vivants  » 12^ 

VIII.  —  Noblesse   canadienne ia6 

La  malle  de  M.  de   Frontenac  (1690) 127 

La  défense  de  La  Vérendrye  (i'j\o) 182 

Carillon,  modèle  de    victoire  française  (1758) i36 


TROISIEME  PARTIE 

>'0S    VICTOIRES    d'aMÉRIQUE    (dEPUIS    I760). 

Noël  intime  (1760) i43 

Dans  l'Asile  (La  lecture  du  traité,  1768) iA8 

Prières  canadiennes  : 

I.  —  Au  Dieu  de  l'Eucharistie i55 

II.  —  A  la  vieille  Maman  défunte i57 

Petites   Victoires  chantantes  : 

I.  —  Rondes   d'enfants 169 

II.  —  Bonnes  berceuses 162 

Les  Grands  Triomphes  du  Verbe  : 

I.  —  i791   (Vers  pour  Chateaubriand,  poète  de 

l'Amérique) 167 

II.  —   / 792  (Au  premier  Parlement) 171 


—  285  — 

m.  _    1806-1831  (La  Voix  du  «   Canadien   »)   .  178 

IV.  _    18ft2-i8U9   (Lafontaine  —  L.    Elgin).      .  17(3 

Les  Raisons  d'un   Franco-Américain 179 

f^c  Cantique  à  l'Etoile  des  Mers  iPoèvae  \cadien-.    .      .      .  18^ 

,4   un  Louisianais  Jidèle 19' 

Quator:e  inscriptions  pour  l'Ecole  canadienne  : 

I.  —  Pour  la  Maison 197 

II.  —  Pour  le    Seuil       .      .      .^ I99 

III     _   Pour  le    Crucifix 201 

IV.    —    Pour  l'Estrade    du    Mailre 2o3 

\  .   —   Pour  la    Fenêtre 2o5 

VI.  —  Pour  le  Poêle 207 

VII.   —  Pour  le  Tableau  noir 209 

VIII.  —  Pour  la  Carte    du    Canada 211 

IX.  —  Pour  l'Histoire    Nationale 2i3 

\.   —   Pour    le    Livre  de    français.     La    Légende 

du  Doux  Parler) 216 

XL    —   Pour  une  Anthologie  canadienne.    .      .      .  218 

XII.   —   Pour  un  Recueil  de  Chansons 220 

XIII.  —  Pour  le  Prix   de  Parler  français.       .      .      .  222 

XIV.  —  Pour    l'Ecole  Ontarienne 22^ 

La   Croisade    du    Doux   Parler. 

Un  Fils  de  Lorraine  au  Canada.      ........  229 

Pour  la  Société  du  Parler  français 286 

Le  Doux  Parler 289 

A  u  Congrès  de  1912  : 

I.   —  Vers  le    Passé 2^3 

II.  —    Vers  l'Avenir.      . 203 

III.   —   Pour  le  «  Parler  des  Aïeux  » 261 

Pour  l'Echo  du  Saguenay 2G7 

Aux  Arbres  canadiens 272 

Pour  mon  Lac  en  Canada 27.} 


Poitiers.  —  Société  fraii{aise  d'lin|>rimciic. 


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La  BZbZÂXJtk^qao, 
Université  d'Ottawa 
Echéance 


T^e  LÂ,bnÀ 

University  Oi 

'    Date  Du( 


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39003    002026i46Sb 


PQ         2651  .I32C3         1914 

ZXDLERi  ÇUSTAVEt 

CANTIQUE         DU         DOUX         PQR 


CE    PQ       2651 

.I5C3    1914      ^^ 

COC      Z1CLE>,    GUST    CANTICIE    DU 

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U  D'  /  OF  OTTAWA 


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333    02      10       03      21     12   5