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University of Toronto
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LE COÎ^TE DU TONNEAU
T L E C O N T E
TONNEAU,
Contenant tout ce que les
ARTS, & les SCIENCES
Ont de plus SUBLIME,
Et de plus MYSTERIEUX;
Avec plusieurs autres Pieces très-
çurieufes.
Par J o K x^y n am S v/ î f t>
Doïen de St. Patrick en Irlande»
Traduit de i'Anglois,
rOMB P RE Mi EU ^0$^^
ChezîIENRI SCHEURLEElb
M. DCC. XXXII.
A U
TRES NOBLE
ET PUISSANT SEIGNEUR
ADRIEN PIERRE
BARON de HINOJOSA,
PRESIDENT DE LA COUR
DMOLLANDE, ZEELAN-
DE, ET DE WESTFRISE;
&c. &c. &c.
t Nf
^^^4'^^OBLE ET PUISSANT SEIGNEUR,
Offrir à quelqu'un ce que
la Nation du Monde la plus
fpirituelle & la plus fcnfée a
'' 2 pro-
DEDICACE.
produit de plus judicieux & de
plus délicat, c^eû fuppofer in-
dubitablement en celui à qui on
le dédie beaucoup de Penetra-
tion & de grandes Lumières.
Cette Vérité , Nol;/c 8? Puif
Jant Seigneur ^ me m^eneroit na-
turellement aux Eloges qui
font dus à Vos belles Quali-
tés, fij^étois alîe:z imprudent
pour me livrer au Zèle que je
me iens pour tout ce qui eft
efcimable en Vous.
Nous vivons dans un Siè-
cle , où le vrai Mérite doit
confiderer comme une Infulte
les Louanges , qui ne font
qu'^enfîer un Difcours fans lui
donner le moindre Corps; &
qui, à force d'être appliquées
in-
DEDICACE.
indifféremment à toutes fortes
d^Objets 5 ont perdu Je droit
de fignifier quelque chofè.
Quand même les EJoges
feroient aufTi rares que les
Vertus dont ils devroient être
naturellement la Récompenfe ;
je ferois inconfideré , fî je me
donnois les Airs d'entrepren-
dre Votre Panégyrique. Je n'ai
pas afîez de Vanité , pour croi-
re que m.on Approbation fbit
de niveau avec Votre Mérite;
&je fiiis trop vain, pour vouloir
pafîer dans le Monde pour le
Plagiaire de la Voix publique..
Je me contente. Noble 6?
Puïjjant Seigneur , de Vous
prier de recevoir avec Votre
Bonté ordinaire cette foible
"" 3 Mar-
DEDICACE.
Marque de mon Dévoûment :
& 5 en implorant Votre Bien-
veillance, je fbuhaite que cet
Ouvrage puiiîe contribuer à
vous délalîer agréablement
FEfprit 5 quand il efî: fatigué
des Peines infinies que Vous
vous donnez fans relâche5pour
fauver les Biens^ PHonneur, &
la Vie des Hommes, de cette
Mer orageufè de Chicanes, qui
inondent les Tribunaux.
Je fiiis avec un très-profond
Reipeft,
Noble ^ Pitijfant Seigneur^
VOTRE
très-humblc & très-obcïfiant
Serviteur,
n. SCIIEURLEER.
PRE-
A>iU ^i^ *?!■=• ^ viv *^^ ^«^ • <«^ *^v ^i*- iMlf' ^f' »*i<fc
PREFACE
D U
TRADUCTEUR.
l^i^î^IWil jamais Livre a eu befoin
S S ^i ^'une Préface , j'ofe dire que
P^T^^^ ceft celui-ci. 11 ell vrai,
'^^'^-^^ qu'il efl déjà tout chargé de
toutes fortes de Difcours préliminaires j
mais, ce n'eft nullement dans le defleia
de nous faire entrer dans les véritables
Vues de l'Auteur: ce font plutôc àcs
parties de l'Ouvrage même ; & les
Ironies Satiriques , dont ils font tout
remplis, tendent au même But que tout
le Livre,
Les Anglois le confidérent avec rai-
fon comme un Chef-d'Oeuvre de fine
Plaifanterie^ &, m.algré la langueur,
qu'une Traduction doit de necefnté don-
ner à ces fortes de Productions d'Ef.
prit 3 je croi que le Ledleur convien-
dra
PREFACE
dra., qu'il efl: difficile de trouver dans
aucune Langue un Ouvrao;e fi plein de
feu , & d'imagination. Il eft vrai en
mêmetems^ qu'il ne fe peut rien déplus
bifarre. La Narration eft interrompue
continuellement par des DigrefTions , qui
occupent plus de place que le Sujet prin-
cipal ; mais , cette Bifarrerie n'elt point
Ytffct d'un Efprit déréglé , qui s^écha-
pe à foi-même , & dont la Kaifon ne
fauroit maitrifer la fougue : ceDefordre
eft affecle , pour tourner en ridicule les
Auteurs Anglois les plus modernes , qiii
fe plaifent à ces fortes d'Ecarts imperti-
nens, uniquement pour donner du vo-
lume à leurs Productions.
Ces Digreiïions , d'ailleurs , font d'un
Tour fi particulier , ôc pleines d'un Ba-
dinage fi ingénieux, & fi peu commun,
qu'il eft impofïïble qu'un LeCleur ,
qui a allez de pénétration & de juge-
ment , pour developer la délicate Ibli-
dité de ces Ironies , s'impatiente de re-
tourner au Sujet principal.
La plupart de ces DiJ/ertations inci-
dentes fervent h jetter un Ridicule furies
Modernes , & fur-tout fur ceux d'en-
tr'eux qui s'emparent du beau Nom de
Critimes. L'Auteur de cet Ouvrage
eft
DU TRADUCTEUR.
cil grand Partifan des Anciens, & peut-
écre Partifan outré. J aurois tort de
décider là-defîlis , parce que adhuc fuh
Judice Lis eft. Le Procès n'eft pas en-
core vuidé , & peut-être ne le iera-t-il
jamais. Quoiqu'il en foit , jamais le Par«
ti des Anciens n'eut un plus habile De-
fenfeur. Jufqu'ici , les Avocats de cette
Faftion n'ont été gueres que des Sa-
"vantas , qui ne favoient que dire des In-
jures groïïieres, & oppofer à leurs An-
tagonifles unBouvelardfailueux d^ Ci-
tations inutiles, fondé fur un Orgueil pé-
dantefque. C'étoient des gensfl familia-
rifez avec les Langues favantes, qu'ils
Tie favoient qu'à peine tourner une Pério-
de dans leur Langue maternelle >&, par
malheur pour eux , ils avoient à faire à
des gens , qui avoient de l'Efprit , du
feu, du (lile, & qui favoient s'infinuer
dans l'Efprit du Lecteur par un Badinage
élégant , & par une Raillerie délicate.
Notre Auteur efl le premier de ^on
Parti 5 qui ait fu mettre les Rieurs de fon
coté , & combatre les Modernes avec
leurs propres Armes.
Ceux, à qui il en veut le plus, font les
Critiques de profefîîon , Race de petits
Efprits , dont le mince bon-fens animé
* f par
PREFACE
par une bonne doze de malignité, ne s'o-
cupequ'à raflembler les endroits foibles
des Auteurs les plus illuftres, fans leur
rendre la moindre juflice fur l'art qui
anime tout le corps de leurs ouvrages,
& fur les paflages admirables , qui les em-
belliiTent par-tout. C'efl avec raifon,
que lAuteur fait main baOe fur cette
lâche Vermine de Garçons Beanx-E[p'its\
& je fuis perfuadé , que les plus éclai-
rez d'entre les Modernes lui en fauront
autant de gré , que les plus zélez Par-
tifans de la venerable Antiquité.
La Pièce principale, qu'on trouvera
dans ce premier Volume, efl intitulée/.^
Conte du "Tonneau ^^oux les Raifons qu'on
trouvera dans la Préface de l'Auteur. Le
But en eft de tourner en ridicule laSu-
perflition , & leFanatifme, qui desho-
norent abfolument une Religion , qui,
dans fon Inflitution primitive , n'a eu
pour toute Parure qu'ime raifonnahle
Simplicité. Tout cet Ouvrage eft une
Allégorie parfaitement bien foutenue
d'tm bout à l'autre, & très -propre à
faire revenir d'un Paganifme déguifé ,
ceux qui fe font une gloire d'être apel-
lez Chrétiens : elle efl capable de les
faire renoncer à de certaines Subtiîi-
tez
DU TRADUCTEUR.
tez metaphyfiques , qui éblouifTent le
plus ceux qui les comprennent le
moins , & à de certaines Imaginations
creufes , qu'on honore du titre d'Infpi-
rations, quoiqu'elles ne foient réelle-
mentque l'effet de certaines Vapeurs or-
dinaires à des Conflitutions atrabilaires
& hypocondriaques.
Pour mettre le Lecleur au fait de cet
Ouvrage Allégorique, il fera bon, je
crois , de lui en tracer ici un Plan abrégé.
Un Père a trois Fils. Avant que de
mourir, il leur donne à chacun un Habit
neuf d'une grande Simplicité , mais qui
en recompenfe a la propriété de nes'u-
fer jamais , & d'etre toujours juite au
corps de celui qui le porte. Il leur or-
donne fous de grandes peines de le brof^
fer fou vent, mais de n'y rien changer,
ni de le relever par aucun Ornement. Il
leur donne encore un Teftament , qui
contient tous les Préceptes, qu'ils doi-
vent obferver, pour porter leur Habit
conformément à fa volonté , & pour
vivre enfemblé dans une Amitié frater-
nelle. Ils obfèrvent pon61uellement ces
ordres pendant quelque tems ; mais , fe
voïant méprifez, parce qu'ils ne fecon-
formoient pas à la Mode , ils ne négli-
* 6 gent
PREFACE
gent rien pour expliquer les Préceptes
du Teilament d'une manière favorable
à leurs Caprices. Un d'entreux , le plus
verfé dans la Philofophie, leur applanit
toutes les Difficultez, par des Sophif^
mes fubtils , & leur fait charger leurs
Habits de toutes ce s Parures introduites
par la Folie inconftante du Genre-hu-
main : il leur perfuade même à la fin
d'enfermer le Teilament dans un coffre-
fort, pour ^'épargner la fatigue conti-
nuelle de l'Interprétation. Enorgueilli
par fos prétendues Lumières , il s'érige
peu à peu en Tyran, & veut obliger
Tes Frères à foufcrire k Tes imaginations
les plus chimériques & les plus contra-
diftoires: il porte même l'extravagance
jufqu à vouloir être apellé Mylorcl Pierre \
&, voïant que leur foumiflion n'alloit
pas aufTi loin que fes fantaifies , il les
chafTe de la Maifon Paternelle. Avant
que de le quitter, ils font alTez habiles
pour tirer du Teftament une Copie Au-
tentiquci &, dès qu'ils s'en font em-
parez 5 ils prennent l'un le Nom de
Martin , & l'autre celui de Jean,
Ils fe logent dans une même Maifon,
& fe mettent d'abord à réformer leurs
Habits. Martin le fait d'une manière
cal-
DU TRADUCTEUR.
calme & fenfée, & aiaie mieux ylaiffer
quelque Ornement peu elTentiel , que de
le déchirer. Pour , Jean il n'écoute que
Ton Zele ; il le met tout en lambeaux :
& voïant que Ton Frère ne veut pas l'i-
miter, il fe brouille a\"eclui, cherche
un quartier ailleurs , & donne dans les
plus hautes Extravagances.
On voit facilement, que, dans cette
Allégorie, \t% Habits fimples, c'eft la Reli-
gion Chrétienne dans fa premiere Pu-
reté ; le Teftament du Père , les Livres
du Nouveau Teflament ; ces Parures^
\qs Ceremonies & les Dogmes de la
Religion Catholique ; Mylord Pierre ,
le Pape , ou l'Eglife Romaine ; Mar-^
tin ^ la Religion Luthérienne^ Jeari^
la Religion Reformée; & ainu du rei-
te.
L'Auteur paroit favorifer ici Martin^
aux Dépens de Jean^ dont il turlupine
prefque par-tout le Zele inconfideré.
La raifon en ell, qu'il veut plaider la
Caufe de l'Eglife Anglicane, qui, à l'E-
xemple des Luthériens, a garde plufieurs
Cérémonies des Catholiques, dont elle
croïoit la Reforme tropdangereufe: au
lieu que les Calvinifles, pour vouloir re-
former avec trop de rigueur , ont mis
# 7 eux-
PREFACE
eux-mêmes des bornes à leur Réforma-
tion. D'ailleurs, il range fous les Eten-
darts de Jean toutes les différentes Sec-
tes de Fanatiques, qu'il regarde comme
forties du fein de la R. Réformée, telle
qu'elle efl établie en Angleterre fous le
Nom de Presbyterimiifine,
Je fuis perfuadé que ce que je viens
de dire à l'avantage de ce Conte furpren-
dra beaucoup la plupart des perfonnes,
qui en ont entendu parler. Tous les
Dévots en Angleterre regardent cet Ou-
vrage comme le dernier Effort d'une
Imagination libertine , qui ne fonge ,
qu'à fonder l'Irréligion fur la Ruine de
toutes les Seules Chrétiennes. De la
manière dont la maffe générale des hom-
mes, qui ont une Religion, eft faite, il
faut de necefTité qu'elle en forme ce ju-
gement. D'ordinaire, chaque individu
humain embraiTeles opinions de fa Se6te ,
pour ainfi dire, en blQc\ & il croit im-
poiïible d'être d'une telle , ou d'une
telle Religion , fi l'on héfite feulement
fur le moindre Article de fa Confeflîon
de Foi. Nous héritons la Religion de nos
Parens: ils nous en délivrent les Dog-
mes folides & raifonnables pêle-mêle
avec le Fanatifme & la Superftiiion. Hé-
ritiers
DU TRADUCTEUR.
riders crédules , &. inconfiderez , nous
ne diftinguons pas ce qu'il y a de réel-
lement beau 6c d'utile dans ce Tréfor,
d'aveclafauiTemonoye, qui, la plupart
du tems, brille de frappe d'avantage que
l'or pur & veritable. Dans cette maî-
heureufe prévention, un homme, qui
examine , & qui ofe trouver quelque
chofe à redire à la moindre particularité
étrangère de chaque Se6le Chrétienne,
paffe dans notre Efprit pour un Liber-
tin , qui \qs rejette abfolument les unes
& les autres , & qui ell indigne de por-
ter le nom de Chrétien.
Il efl impoiTible , cependant, qu'un
homme, qui a des Lumières, & qui
prend TEvidence pour la feule Règle de
îes Opinions , ne foit pas dans cette
fituation d'Efprit; ôc qu'il trouve quel-
que part un Corps de Doélrine & de
Cérémonies religieufes, où l'attention
la plus ■ forte ne foit pas capable de
fentir le moindre défaut , le moindre
foible.
Tous les Chefs de Secles ont été des
Hommes : il efl naturel , que la vanité ,
le dépit, & l'efprit de contradiélion ,
les aient jettez dans quelque égare-
ment > & qu'un homme, qui fe trouve
dans
PREFACE
dans une afîiette calme & Philofophique j
s'en apperçoive fans peine.
Jôfe promettre à tous ceux, qui font
capables de fentir cette Vérité, qu'ils
ne trouveront rien ici, qui ait le moin-
dre Air de Libertinage, <3c d'Irréligion.
L'Auteur ne touche jamais à aucun de
ces Dogmes , que toutes les Se6les
Chrétiennes regardent comme fondai-
mentaux. Il turlupine, dans l'Eglife
Romaine , ce qu'il confidere , comme
des Doârines inventées , pour aflervir la
Raifon à l'Autorité humaine, & à une flu-
pide Crédulité ; & , par raport aux diffé-
rentes Branches de la Religion ProteA
tante , il tourne en ridicule cet Efpric
d'Enthoufiafme & de Fanatifme, qui
rend la. Pieté incompatible avec le S^ns-
commun. Je m'imagine que toutes les
perfonnes fenfées en feront obligées à
l'Auteur. On ne fauroit rendre vérita-
blement un plus grand fervice à la feule
Religion railbnnable , & digne de \^
Majeflé de Dieu & de l'Excellence de
la Nature humaine , que de la debarafler
de la SuperlUtion , & de la Ch'mere ,
qui, non feulement l'avililTent, mais la
détruifent de fond en comble , en l'arrar
shant de fa baze unique & folide ,. U
DU TRADUCTEUR.
Eaifon £5? le Bon-Sens. La Pieté eft pour
ainfi dire la Sanre de l'Ame: lesSuper-
ilitieux , & les Fanatiques , en font une
Fièvre chaude; & quiconque s'efforce à
y remédier efRcacement mérite les plus
grands éloges.
Certaines perfonnes m'objeâeront
ians doute , qu'il eft contraire à la bien-
féance de railler fur les Matières de Re-
ligion ; & 5 qu'au lieu de turlupiner ,
l'Auteur auroitL bien fait de découvrir
l'Extravagance de ceux qu'il a en vua ,
par des Raifonnemens graves & ierieux.
La Réponfe fuit d'elle-même de ce que
j'ai déjà établi: il ne s'agit point ici de
Matières de Religion \ il s'agit de cer-
taines Extravagances , & de certains E-
garemens d'Efprit, qui n'ont rien de
commun avec la Religion ,, & qui" y
font prefque aufTi contraires que flrre-
ligion même. D'ailleurs , le moïen de
raifonner ferieufement avec des gens,
qui n'admettent pas le bon-fens comme.
juge naturel de leur fentimens , & qui
trouvent du crime à y avoir recours?
S'il y a quelque chofe qui puilTe reveil-
ler leur Raifon de la Léthargie où ils
la jettent de propos délibéré , c'eft le.
ffij piquant de. la. Raillerie,.
PREFACE
J'avoue que l'Auteur auroit bien fait
de badiner un peu plus fagement , &
de ne pas mêler à fes Ironies certains
Tours gaillards, qui révoltent une Ima-
gination un peu délicate. J'ai adouci
ces Endroits autant qu'il m'a été poiïi-
ble ; & j'ofe efperer que la Pudeur du
Public François ne fe gendarmera ja-
mais contre mes Expreffions.
Je conviens encore , qu'à mon avis
l'Auteur auroit agi fagement , en écar-
tant toujours de fes Badinages tout Paf-
fage formel de l'Ecriture Sainte. Il ell
vrai qu'il ne les turlupine jamais dans
leur Sens naturel, qui dans le fond elt
le feul refpeccable ; il n'en tourne en
ridicule quefaplication honteufe , qu'en
font des efprits foibles : mais, tous les
Lecteurs ne ibnt pas capables de faire
cette Di{lin6lion , qui e(l quelquefois
aiïez délicate ^ & il y a de la charité ,
& de la prudence, à leur épargner ces
fortes de Scandales.
Il n'importe gueres , qui foit l'Au-
teur de cet Ouvrage. Je drai pourtant,
que des gens l'ont attribué au célèbre
Chevalier Temple^ mais, que l'Opinion
générale le donne au Docteur Sivift ^ Mi-
niitre Anglican , & un des plus beaux
Efprits
DU TRADUCTEUR.
Efprits de la Grande-Bretagne. Si réel-
lement il y a de grands Lambeaux de ce
Livre qui fe font perdus ; ou bien fî
l'Auteur a afeclé d'y laiiïer un bon
nombre de Lacunes , pour le faire mieux
reffembler à un Manufcrit ancien \ c'efl
ce que j'ignore abfolument: & le Pu-
blic peut l'ignorer avec moi, fans y per-
dre beaucoup.
Je dirai peu de chofesde ma Traduc-
tion. J'ai fait tous mes efforts pour la
rendre bonne, malgré la Difficulté terri-
ble , qu'il y a à faire palier heureufe-
ment d'une Langue dans une autre tout
ce que Tlronie a de plus fin, tout ce
que la Raillerie a de plus vif, & tout ce
que les ExprelTions figurées ont de plus
hardi. Cette Difficulté eft fi grande ,
que jufqu'ici perfonne n'a entrepris de
les furmonter j & que je mérite le titre
de Téméraire , fi je fai tenté fans le
moindre fucccs.
Ce que je fai d'avance , c'efl: que,
quand j'aurois réiiffi autant que je puis
le fouhaiter, les Beaux-Efprits Anglois
ne feront pas trop contens de ma Tra-
duction: du moins, ils ne manqueront
pas d'en parler fur ce pied-là. Ce font
des gens fpirituels, & judicieux,, s'il y
PREFACE
en a au monde ; & il y auroit de la fot-
tife à leur difpater ces qaalitez: mais,
ils excellent du coté de l'amour-propre
autant que du coté du mérite ; & je
n'en ai jamais vu un feul , qui parlât
avec éloge d'un Livre eilimé chez eux,
& traduit dans un autre Langue. Il faut
avouer que leur vanité fe conduit à cet
égard avec beaucoup de finefle : fi un
Ouvrage, dont ils font grand cas, dé-
plaît aux Etrangers , c'ell la faute du
Traducteur j&, s'il eflaprouvé, ils don-
nent la plus haute idée de l'Original, en
faifant croire qu'il a été affoibU par la
Tniduaion.
Ils me permettront pourtant de leur
dire , qu'en parlant avec mépris générale-
ment de tout cequipafle de leur Langue
dans une autre , ils ne peuvent que dé-
crediter leurs Produdlions dans l'Ef-
prit des gens qui réfléchiflent : ils font
penfer, qu'il ell impofîible de bien tra-
duire leurs Ouvrages 5 ce qui fait foup-
çonner naturellement, que ce qui y fra-
p^ le plus confifle plutôt dans l'Expref-
fion, que dans le Sens. Pour moi, qui
fuis au fait, & qui ai lu avec attention
ce qu'ils ont produit de plus eftimé , je ne
fdurois être de cette Opinion ; je fais
que
DU TRADUCTEUR.
que leurs meilleurs Ouvrages ont une
Bonté réelle , qui ne dépend pas du
Langage, & dont on peut rendre à peu
près l'équivalent dans toutes les Langues
du Monde.
Si leurs plaintes, far le fujet en quefl
tion, a encore quelque autre motif que
la vanité, je croi qu'on peut le deviner
fans peine.
Les Anglois font outrez, & libres à
fexcès, dans leur tour d'Efprit , com-
me dans leur Conduite, & dans leurs
Manières: leur Imagination pétulante s'é-
vapore toute entière en Comparaifons,
& en Métaphores^ & je fuis furpris que
leurs plus habiles gens ont une eilime
& une vénération fi grande pour les
Anciens , dont ils imitent fi mal le Na-
turel & la noble Simplicité. J'avoue que
d'ordinaire leurs Exprefiions figurées,
malgré la bifarrerie d'imagination qui
s'y découvre, ont un Sens admirable-
ment exaét ; mais , dans le grand nom-
bre , il s'en trouve d'extrêmement for-
cées , & dont il faut chercher la juflef.
fe. Quoique ces Endroits frapent & char-
ment les Lecteurs Anglois , dont le tour
d'Efprit efl au niveau de celui des Au-
teurs , ils ne fauroient que déplaire à
** 2 des
PREFACE.
des Etrangers d'un Efprit plus exaft, &
moins fougueux ; & , par-là , un Traduc-
teur fenfé fe voit dans l'obligation de
mettre dans Tes Périodes quelque degré
de chaleur de moins. LesBeaux-Efprits
Britanniques s'en aperçoivent ; & ils
prennent un effet de prudence , pour
un défaut de génie , & d'imagination :
ils fe plaignent de ce qui mérite peut-
être des éloges.
Je finirai cette Préface , peut-être
déjà trop longue , en avertiiTant que
j'ai trouvé à propos de faire quelques
Remarques dans les Endroits qui me pa-
roiiTent pouvoir arrêter un Le6leur ju-
dicieux. Si j'avois voulu en faire aiïez
pour rendre tout clair à des gens qui n'ont
niledlure, ni pénétration, le Commen-
taire auroit étouffé le Livre.
C A-
CATALOGUE
DE PLUSIEURS
TRAITEZ,
Faits par le même Auteur ^ ^ dont
il fait mention dans les Dijcoim
Jiiivans^ comme d"" Ouvrages
qui verront bien-tôt le jour.
1 Le Cara6i:ere de rAflbrtiment de
Beaux-Efprits qu'on trouve à prefent
en Angleterre.
2 Un Eflai de Panégyrique fur le
Nombre Trois.
3 Une DifTertation fur lesProduclîon^
principales d'une Rue de Londres
nommée Gruhfireet ^\
4 Des Lettres fur la DifTeclion de la
Nature Humaine.
5* Le Panégyrique du Monde.
6 i:n
* C'dTr une Rue d'où fortent la plupart des
Erocliures fubaltcrncs , & de ces CKanfons
qu'on peut comparer à celles du Pofit-muf*
Tome L A
CATALOGUE.
5 Un Difcours Analytiqoie flir le Zè-
le, confideré Hlfiori-i'heo-Phyfi'Lo*
gicalement.
7 Hifloire Générale des Oreilles.
8 Defenfe modefle de la Conduite de
la Populace dans tous les Ages.
9 Defcription du Roiaume des Ahfur-
ditez,
10 Un Voiage par Y Angleterre , fait
par un Noble de la Terre Juftrak in-
connue' 5 traduit de l'Original.
1 1 Effai Critique fu'r le Jargon dévot ,
confideré Moralement , Phyfique-
ment, & MiiTicalement.
L E
LE CONTE
D U
TONNEAU,
Fait pour r Utilité Générale
du GENRE-HUMAIX, U
Contenant un Abrégé complet de
Tous les ARTS & de toutes les
SCIENCES , propres
A INSTRUIRE £5? j DIVERTIR
LES HO M AI E S.
Par un Membre de I'llluftre Société
de G R u B s T R E E T.
Dlu multumqiie ckjîderat:im>
M. DCC. XXXII.
A 2.
- — Jwuaîque novos decerpere flores ,
Inftgnemque ymo capiti petere inde coro*
nam ,
Vnde prius nuIU "velarunt îempora Mufa,
Lucret.'
D E
f
DEDICACE
Prétendue du Libraire
A
MYLORD SOMMERS ^
/}/ Y LO R D
PTJifque l'Auteur a fait une ample
Dédicace à un Prince 7 donc
aparemment je n'aurai jamais Tlion-
neur d'être connu, & qui ell fort
peu confideré par les Ecrivains de nô-
tre fiécle, me trouvant exempt de l'ef-
clavage que les Auteurs inipofent feu-
vent aux Libraires , je me croi fage dans
maprefomption, en ofant dédier à Vô-
tre Grandeur les Ecrits fuivans , & les
confier à fa protection. Je lailTe au bon
Dieu
* Milord Jean Sommers, Chancch'er d'Angle-
terre, un des hommes les plus ilîuftres de fon
Age ôc de fa Nation. Grand Protcéleur du fi-
voir, ce qui lui attira pludcurs De dicaces , en-
tre autres celle de notre Auteur, quiluiavoit de
grandes obligations.
\ La Dédicace fai\ ante adreilee ^\xPriK,tToj'
terité.
A 3
é DEDICACE
Dieu & à Votre Grandeur , h en connoi-
ti*e le mérite & les défauts: pourmoî,
je n y comprend rien \ & quand tout
je monde ny entendroit pas plus de fi-
îieiTe, que moi, le débit de l'Ouvrage
n'en fera pas moins grand. Le nom de
Votre Grandeur, brillant au frontifpice
du livre en lettres Capitales , me débat-
raflera facilement d'une Edition tout au
moins \ & je ne demanderois pas davan-
tage 5 pour m'élever à la qualité à'Ecbe^
«Lvv/, que le privilege de dediër à Votre
Qrarideiir^ à fexcîufion de tout autre
'i\uteur ou Libraire.
Me prévalant du droit d'unfaifeurde
Dédicaces, je devrois ici vous donner
une lifte de vos propres vertus, fans
avoir pourtant le moindre deiîein de
choquer votre modeftie. Sur-tout , ce
feroit ici le lieu de faire un portrait
pompeux de vou*e générofité pour des
V gens qui joignent de grands talens à
une petite fortune, & de vous faire en-
tendre d'une manière entre groffiere &
délicate , que je m'entends par4à moi-
môme.
Je vous avouerai franchement, My-
lord, que j'ai eu l'intention de fuivre
cette route batue 5 & quej'avois déjà
com-
A MYLORD SUMMERS, j
commencé à extraire d'une centaine
d'Epitres Dédicatoires une Qiiintef^
fence de louanges appliquables à Votre
Grandeur, quand je fus arrêté par un
accident imprevu.Enjettant par hazard
les yeux fur la couverture de ces Ecrits,
j'y trouvai en grandes lettres les mots
fuivans, Detur digm(Jïr,iO -^ & j^ ^^^
foupçonnai auiïï-tôt d'cnveloper un fens
digne d'attention.
11 arriva par hazard, qu'aucun des Au-
teurs que j'emploie n'entendît le La-
tin , quoique je les aïe païez fouvent
pour la traduction de livres écrits en cet-
te langue. Je fus donc obligé d'avoir
recours au Curé de ma ParoilTe , qui
traduifit ces mots ainfi, que ceci foit
donné au plus digne -^ & fon comm_entai-
re me fit comprendre, que rintentioii
de l'Auteur étoit que cet Ouvrage fut
dedié au Génie le plus fublimeduiiecle
pour fefprit, le favoir, le jugement,
l'Eloquence, & la SagefFe.
Là-delTus, je donne un coup de pied
pour aller trouver un Poète , qui travail-
le pour ma boutique, & qui demeura
dans un cu-de-fac proche de ma maifon.
Je lui montre la verfion Angloife des
mots en queflion , & je le prie de me
A 4 gui.
s DEDICACE
guider dans la recherche que je vouîois
faire du perfonnage que l'Auteur a eu
dans FErprit.
Après avoir médité quelques mo-
mens, il me dit, que la Vanité étoit
une chofc qu'il avoit en horreur, mais
qu'il étoit obligé en conscience de m'a-
vouer, qu'il étoit fur que la chofe le re-
gardoit lui-même; & en môme temps
il m'offrit fort obhgeamment de faire
pour moi gratis une Dédicace adref-
féeàfon propre mérite. Ne voulant pas
hii diiputer la fuperiorité qu'il s'attri-
buoit, je le priai de faire une féconde
conjecture : eh mais ! me répondit-il , ce
doit ctre moi , ou Myîord Somers. De-
là, je fus vifiter un grand nom^bre d'au-
tres beaux-efprits de ma connoillance ,
avec grande fatigue , & grand rifque
de mxe cafTer le cou fur tant de degrés
obfcurs qui conduifent aux Galetas.
C'étoit par-tout la même chofe : je
trou vois tous les habit ans du plus haut
étage dans la même admiration d'eux-
mêmes , & de Votre Grandeur.
Ne croyez pas, Mylord , que je
prétende debiter,comme un effet de ma
propre induftrie, ces mefures fi bien
concertées pourrépondre jufte àl'inten-
tion
A MYLORD SUMMERS. 9
tion de mon Auteur; j'avoue ingénu-
ment, que je les dois aune Maxime que
j'ai retenue, & qui dit que celui, à qui
tout le monde ailigne la féconde place
du mérite , a un titre inconteitable pour
occuper la premiere.
Conform.em,ent à cette vérité, mes
vifites me perfuadcrent queVotreGran-
deur étoit la perfonne que je cherchois ;
& auiïi-tôtj'emjploïai mes beaux-elprits
àraflembler dts idées & des ingrediens
propres à entrer dans le Panégyrique de
vos vertus.
Deux jours après , ils m'apportèrent
dix feuilles de papier remiplies de tous
cotez 3 & ils me jurèrent, qu'ils avoient
faccagé tout ce qu'on peut trouver de
beau dans les caracleres de Socrate,
d'ArilHde, d'Epaminondas, deCaton,
de Ciceron, d'Atticus,& d'autres grands.
Noms difficiles à retenir. Je croi pour-
tant que ce font des fourbes , qui en im-
pofoient à mon ignorance \ car , quand
je me mis à examiiner leurs collections,
je n'y vis rien que moi & tout autre ne
fuiTions auiïi bien qu'eux: ce qui m.efit
croire,qu'aulieu de piller les anciens,mes
drolles n'ont fait que copier ce que les
modernes difent unanimiCment fui' votre
A s Cha-
ïo DEDICACE.
Chapitre. De cette manière, MylorJ>
j'en tiens pour mes cinq pifloles , que
j'ai debourfées fans aucune utilité.
Si encore en changeant le titre , je
pou vois faire fervir les mêmes m.ate-
riaux pour une autre Dédicace, com-
me font fouvent plufieurs gens qui me
valent bien, ma perte feroit réparable:
mais des gens fenfez , à qui j'ai commu-
niqué ces préparatifs , y eurent à peine
jette ks yeux, qu'ils m'afiiirerent,
qu'il n'étoit pas faifable d'appliquer tout-
cela à tout autre qu'à Votre Grandeur.
Je m'attendois du moins à y trou-
ver quelque chofe de la conduite de Vo-
tre Grandeur à la tête d'une armée , de
votre intrépidité à monter une brèche^
eu à efcalader une muraille *. Je me flat-
tois d'y voir votre illuflre race def-
cendant en ligne direfte de la maifon
d'Au-
* Mylord Sommers étoit un homme de:
Robbc;, & par confequent de pareilles louan-?
ges ne lui étoient pas applicables : ainfî , l'Au--
teur turlupine ici £nement les faifeurs de Dé-
dicaces , qui penfent faire merv^eillc en entaf^-
{ânt vertus fur vertus , fans fe donner la peine
de di-fcerner , s'il y a la moindre vraiferablance.
K les ajufter ;-u caractère & à la profeflion de
leurs Keros, & s'ils ne les tournent pas ea ri-
dicule ) au Ji€U de le» Jouer..
A MYLORD SOMMERS. u
d'Autriche ; avec vos talens merveil-
leux pour rajullement & pour la danle,
& avec votre profond favoir dans l'Al-
gèbre, les Mathématiques, & les Lan-
gues Orientales: en un mot, je m'atten-
dois à quelque chofe, où ni moi ni le
public ne devions pas naturellement
nous attendre. C'efl-là ce qui m'auroit
accommodé à merveille : car, d'aller jet-
ter à la tète des gens la vieille Hiitoire.
de votre génie, de votre favoir, de vo-
tre fageiTe, de votre juflice, de votre
politefle, de votre candeur, de l'éga-
lité de votre ame dans toutes les revo-
lutions différentes de la vie humaine , de
votre difcernement à déterrer le mé-
rite , & de votre promptitude à Thono-
rer de vos bienfaits, & mille autres lieux
communs , ce feroit en vérité fe moquer
du monde. Qiii peut ignorer, qu'il n'y a
point de vertu qui concerne^ tant ïa vie
pihlique , que la vie particulière, dont
dans les différentes conjondlures de la
vôtre vous n'aïez donné de brillans
exemples ? Il eft bien vrai , que vous
avez un petit nombre de grandes quali-
tez, qui auroient été inconnues à vos
amis , faute d'occaiion de paroitre avec
éclat 3 mais, vos Ennemis ont eu le ibirt
A 6 de
iz DEDICACE
deles étaler, & de les mettre dans leur
plus beau jour, en leur donnant de l'e-
xercice.
Dans le fond , je ferois bien fâché que
ie grand exemple de vos vertus fut per-
du pour nos neveux : ce feroit grand
dom.mage pour eux & pour vous ^fur-
tout, parce qu'il feroit fi propre h fervir
d'ornement à THiftoire du =^ dernier Rè-
gne : mais,c'ert de-là même que je tire
une forte railbn pour garder là-deffus le
filence^ des gens fages m'ont alTuré
que 5 du cours que pren oient les Dédica-
ces depuis quelques années , il y auroic
peu dliiitoriens qui voulufîent y aller
puifer leurs caractères.
Q.uoi que je fois l'homme du monde
]e plus porté à approuver tout , il y a
un feuî petit article fur lequel il me fem-
bleque les faifeurs de Dédicaces nefe-
joientpas mal de changer de plan. Au
lieu de nous étendre fi fort fur la géné-
rofité de nos Mecenas , nous ne ferions
pas mal de dire un petit m.ot de leur
patience. Pour moi, je ne puis pas faire
un meilleur éloge de celle de Votre
Gran-
* C'eft le Règne de Guillaume III., fous
lequel Mshrd Sommers a joué un Rôle conilde-
rablc.
A MITORD SOMMERS. ij
Grandeur, qu'en lui procurant un û
valte champ pour la mettre en œuvre.
Je crains pourtant , que je ne puiffe pas
vous en faire un û grand mérite : la
familiarité que vous avez eue autrefois
avec tant de Harangues ennuïeufes % &
aufïï inutiles pour les moins que la pre-
fente Epitre , vous rendra fans doute
plus promt à me la pardonner ; fur-tout ,
Il vous voulez bien confidérer, qu'elle,
vient de celui qui eil avec toute forte
de reipecl, & de vénération,
M YL O R D,
De Votre Grandeur^ i^c.
* Ce Seigneur 5 ai'ant été Chancelier, avoit en-
tendu dans la Chambre des Seigneurs force Dif-
cours 5 & Harangues , qui n etoient pas toutes
de la même force, & de la même utilité.
A 7 Le^
^ Le Libraire au Lefieirr.
IL y a déjà fix ans que ces Ecrits më
font tombez entre les mains , £5? je
crois qu'il y avait alors à peu près douze
mois qu'ils avaient été faits : car, routeur
nous dit dans la Préface qui précède le
premier 'Traité , quilTavoit define pour
Vannée i<^5>7; i3 il par oit par differ ejis
paffages , qu'il les a compojez environ dans-
ce tems-là.
Pour ce qui régarde ï Aicteur , je nen
puis rien dire avec certitude \ mais, je puis
avancer avec quelque prohabiiité , que cet^
te Edition fe fait fans quil en fâche rien :
jaiapris^ qu il croit fa copie perdue^ l'aiant
prêtée à une perfonm , qui e fi morte de*-
puis , k3 ne ïa'iant jamais revue , depuis
qu'il s'en eft défaifi. De manière quil y
a grande aparence, qu'on ignorera toujours
s'il y a mis la dernière main, ou fi fon^
intention a été d'en remplir les lacunes.
Si je me mettois dans ïefprit de rendre
compte au Le^eur de ï jîvanture qui m'a
rendu poffeffcur de ces Ouvrages, ce fié de
incrédule pr endroit fans doute tout ce que
je pour ois dire là-deffus pour un vrai jar-
gon de commerce: il efthon,par conféquent^
que
* C'eft le Librairç premier Editeiu: de cet
Le Libraire au Lecïeur. t^
que 'f épargne cette ^eine^ i^ à moi^ &? à
mon Le^eur,
On fera curieux , peut-être , de faz'oîr
pourquoi je nal pas plutôt donné ces Ou-*
vrages au public : je réponds^ que c eft pour
deus raïfons. Pre^nierement , faî cru pen^
dant tout ce te/n s pouvoir ni occuper d'une
manière plus lucrative : en fécond liew^/aà
toujours efperé d'entendre quelque nouveUe
de r Auteur , i^ de recevoir de fa part
quelques avis utiles pour mon Edition. Si
je me fuis déteryniné enfin à m'' en pafjW y
€*eft que j' et ois averti qu onmenaçoit jour»
démentie public d'une certaine Copie ^ quun'
des plus beaujc Efprits du fié de s' é toit don^
né la peine de polir , ou , comme parlent
nos Jouteurs à la mode , quil avoit accom^^
mode au goût de notre âge. NiVe^preJfion^
ni la chofe même , ne font pas tout-à-fait
nouvelles : on a déjà pratiqué cette metho^
de avec grand fuccès à l égard de Don
Quichotte , de Boccalini , de la Bruyère ,
Eff d'autres Auteurs diftinguez, Quelque
jolie que foit cette invention^ fiai trouvé
plus de franchife à donner l'Ouvrage ia
puris naturalibus.
Si quelqu'un veut me prccureY une Clef
propre à en découvrir les Mi fi ères , je lui
en ferai très-obligé^ ^ je la fsrai impri-
mer ^vec plaifir, EPI-
16
E P I T R E
Dedicatoire à fon Alteffe Royale
L E
"" PRINCE POSTÉRITÉ.
J'OfFre ici h Votre AltefTe le fruit de
quelques heures de loiHr dérobées
aux occupations importantes dont
m'accable un Emploi fort éloigné de
pareils A mufemens. Cefl la pauvre pro-
duction d'un temps de rebut qui m'a
peféfur les épaules pendant une longue
Prorogation du Parlement, une grande
fterilité de nouvelles étrangères , & une
ennuieufe fuite de jours pluvieux. Pour
cette raifon, & pour pluiieurs autres,
elle
* Comme les Anglois n'cnt point de Genre ,
l'Auteur donne à la Fojrerite le titre de Prince.
La delicatefTeFrançoifeaimeroit mieux Primcffe -^
mais, comme le fens de ce mot n'en détermine
point le Genre , & que ce qu'on en dit ici eft
plutôt appliquabîe à un Souverain , qu'à une
Souveraine, je n'ai rien changé a ce titre. J'efpe-
re que leLeéteur me le pardonnera: lî-non, je
m'en mettrai fort peu en peine.
E pitre Dedkatoîre i3c, 17
clic fe flatte démériter la protection de
Votre AlteiFe , dont les vertus fans nom-
bre , acquires dans un âge il tendre , vous
font confiderer des hommes , comme
l'exemple futur de tous les Princes ave-
nir. A peine Votre Alteffe efi: elle for-
tie du berceau, que déjà tout le monde
favant appelle à fes decifions . avec la re-
fignation la plus humble & la plusfou-
mife> perfuadé,que le fortvousadefti-
né à être Tunique arbitre des produc-
tions d efprit , qui fourmillent dans no-
tre âge, cet âge 11 accomphja qui fe-
diitingue par une fi grande politefTe. Le
nombre des appellans eit 11 prodigieux,
qu'il étonneroit tout autre Juge d'un
Génie plus limité que le vôtre.
Mais , Monfeigneur , il femble qu'on
envie à V. A. des decifions fi glorieu-
fes. Je fai de bonne part que la perfon-
ne =^5 à qui on a confié le foin de votre
éducation , a refolu de vous tenir dans
une ignorance générale de nos favans
efforts , dont l'exam.en vous appartient
par un droit héréditaire. La HardieiTe
de ce perfonnage me paroit étonnante.
Quoi ! II ofera vous perfuader à la face
du Soleil, que notre fiecle eft plongé
dans
* Le Tcms.
l8 Epîre iJcdicaîoîre
dans l'ignorance , & qu'il a produit à
peine un feul Auteur dans quelque Gen-
re d'écrire que ce foit? Je lai fort bien,
que quand Votre AlteiTe fera parvenue
à un âge plus meur, & qu elle parcour-
ra le f avoir de tous les fiecîes , elle aura
trop de curiofité pour ne pas s'informer
des Auteurs de fage qui précède immé-
diatement le fien. Mais , qu arrivera-
t-il? Cet infolent va les réduire, dans
le détail qu'il vous en prepare , à un
nombre {i meprifable, que j'ai honte
de fexprimer. Quand j'y penfe, ma
bile s'échauffe , mon zèle me ronge ,
j'en fuis au defefpoir pour l'amour de ce
corps de Beaux- Efprits aufîi vafle que
fioriifant : je le fuis encor plus pour l'a-
mour de moi-même , contre lequel il
nourrit dans fon cœur des defleins d'une
malignité toute particulière.
Il eft affez vrai- femblable, que lorfqu'un
jour V. A. jettera un œil atentif fur
ce que j'écris à prefent, elle aura quel-
que difpute avec fon * Gouverneur ,
fur la vérité de ce quej'ofe affirmer ici ;
& qu'elle lui commandera d'offrir à fes
yeux quelques-uns de nos fameux Ou-
vrages. Je fuis 11 bien Informé de fes
ma-
A S. A. R. le Prince Pojlerite. i^
malignes intentions , que je fai d'avance
ce qu'il vous dira là-delFus. Pour toute
reponfe , il vous demandera , où font ces
ouvrages, ce qu ils font devenus ; &,
en vous faifant voir qu'ils n'exifisnt pluSy
il prétendra vous démontrer par-là qu'ils
n'ont jamais exiflé. ^i'ils n'exiftefit
plus ! Grand Dieu ! Qui les a égarez ?
Sont-ils abimez dans des goufres impé-
nétrables ? Helas ! ils avoient ailez de
légèreté pour nager éternellement fur
la furface de T Univers. A qui en eil donc
la faute , fi non à celui * qui leur a at-
taché aux talons un fardeau affez pé-
fant pour les enfoncer jufqu'au centre
de la Terre? Leur eifence mêmeefl-el-
le détruite ? Ont-ils été noiez dans des
potions Médicinales? Le feu despippes
allumées leur a-t-il fait foufrir le mar-
tire ? Quel infolent les a dérobez aux
yeux des hommes , pour les faire périr
dans un réduit fecret, au fervice d'un
maître qui ne vit jamais la lumière du
jour?
Il faut queje me décharge le cœur, &
que je mette V. A. au fait de la caufe veri-
table de cette dellru6lion univerfelle. Je-
vous conjure de remarquer cette Faux
lar-
* LeTems.
zo Epitre Dedicatoire
large & redoutable , dont votre Gouver-
neur affecte de s'armer la main; ob-
fervez , je vous prie , la longueur, la for-
ce, la dureté, & le tranchant de Tes
dents & de fes ongles; prenez garde h
fon Haleine empeilée, qui répand la
corruption fur tout ; & jugez , s'il eil
pofïïble au papier & à l'ancre de cette
generation , de Ibutenir un ficge contre
un ennemi qui l'attaque avec tant d'ar-
mes irrefiftibles ? Plût au Ciel, Mon-
feigneur, que vous prifiiez un jour la
genereufe réfolution de defarmer ce fu-
rieux & tyrannique Maire du Palais^ài
que vous miffiez ainii votre Souveraine-
té hors de Page.
Je n'aurois jamais fait , fi je voulois
entrer dans le détail des mefures que
prend votre barbare Gouverneur, pour
réuflir à détruire les plus nobles Ecrits
de ce ^iç.q}.'^ \ il fuffira de dire à V. A. ,
que de plufieurs milliers de livres , qui
paroilTent pendant ime feule année dans
notre fameufe Capitale , il n'y en a pas
un dont on entende parler, après que
le Soleil a achevé fa carrière annuelle.':
Malheureux Enfans , qu'on voit périr
avant qu'ils Lient feulement afîez apris
de leur langue maternelle pour implorer
la
A S. A. R. le Prince Poftcrlté, iv
la pitié de leur Perfecuteur ! Il étouffe
les uns dans leurs berceaux, il effi-aye
tellement les autres qu'ils meurent dans
les couvulfions , il démembre ceux-ci
peu à peu, il écorche tous vifs ceux-
là , il en facrine des bandes entières à
Moloch^ & le refle infecté de Ton Ha-
leine languit & meurt de Confomtion.
Ce qui me touche le plus vivement
dans ce malheur general , c'efl le fort du
corps de nos Verfificateurs , de la part
defquels je prefenterai au premier jour
une Requête à Votre Alteife , fignée de
cent trente fix Suplians du premier
rang, dont pourtant les productions
im^mortelles ne feront peut-être jamais
honorées de vos regards. Le moindre
d'entr'eux ne laiife pas de briguer la
couronne de Laurier avec autant d'hu-
milité , que d'ardeur , 6c de fonder fes
pretentions fur quelques volumes de fort
bonne mine. En dépit d'un droit fi.
bien fondé, votre injufte Gouverneur a
confacré à une mort inévitable les œu-
vres de tant de perfonnages illuftres, ces
œuvres dignes de braver la durée des
fiécles; & pourquoi? C'eft uniquement
pour faire accroire à Votre Altefîê, que
no-
it Epltre Dcdicatoire
notre âge n'a pas donné naiflance à un
feul Poète.
Nous confefTons tous, que l'Immorta-
lité ell une grande Déene, mais, en
vain lui ofFrons-nous nos vœux & nos
iàcrifices. Votre Gouverneur, qui a
ufurpé le façerdoce dans le temple de
cette Divinité, auiïl avide qu'ambi-
tieux, les intercepte & les dévore tous.
Affirmer que notre fiécle efl abfolu-
ment ignorant, & deflitué de toutes
fortes d'Auteurs , me paroit dans le fond
une théfe il fauiTe & il hardie, que je
m'imagine quelquefois, qu'on peut faire
voir le contraire par des démonilra-
tions formelles. Il efl bien vrai, que,
quoique leur nombre foit prodigieux,
& leurs produftions innombrables , ils
diiparoilTent de la Scene avec tant de
rapidité , que non feulement ils échap-
pent à notre mémoire , mais qu'ils fem-
tlent tromper nos yeux.
Pour faire voir à V. A. jufqu'à quel
point ces apparitions font momenta-
nées , je lui dirai que , lorfque je pris le
defîèin de vousadrefferlaprefenteEpi-
tre,j'avois envie de l'accompagner d'un
Catalogue de Titres,comme d'une preu-
ve autentique de ce que je viens d'a-
vancer
A S. J, R. le Prince Pofterité. 15
vancer touchant nos Ecrivains , & leurs
Ouvrages. J'avois vu ces Titres fraiche-
ment attachez au coin de chaque rue ;
mais , quand je revins , quelques heures
après, pour les copier, je les vis tous
déchirez , & leurs SucceiTeurs briller à
leur place. Je m'informai de leurdefli-
née chez les Libraires , & chez les A-
mateurs de la Lecture • mais , mes re-
cherches furent vaines : la mémoire en
étoit perdue parmi les homxUies ; leur
place même n'étoit plus à trouver. L'é-
tonnement, que me donna ce Phéno-
mène, me fit pafTer pour un Campa-
gnard, ou pour un Pedant deilitué de
gout & de politefTe, & peu verfédans
tout ce qui fe pafTe dans les meilleures
Compagnies de laCour&delaVille.
Conformément à cette trille expe-
rience, je puis bien allurer à V. A.,
qu'il y a parmi nous de l'eiprit & du
fa voir copieufement -, mais, pour le prou-
ver en détail , c'ell une entrepriie
trop fcabreufe pour une capacité auiîi
mince que la mienne.
Permettez-moi , Monfeigneur, d'é-
claircir ce que je viens de dire par une
comparaifon. Si, pendant un temps ora-
geux, j'oièfoutenir à Votre Altefle,
que
24 Efitre Dedicatoîre
que près de l'Horizon il y a un grand
nuage de la figure d'un ours , un au-
tre vers le Zenith avec une tête d'ane ,
un troifiéme vers l'Occident avec des
griffes de Dragon ; & fi vous attendez
feulement un petit nombre de minutes
à en examiner la vérité : il efl certain,
que tout ce que je viens de voir fera
changé de figure & de pofition. De
nouveaux nuages fe feront levez; &;la
feule chofe, fur laquelle vous convien-
drez avec moi , c'efl que le ciel efl
couvert de nuées : mais , vous foutien-
drez,que je me fuis mépris groifierement
par rapport à leur forme, & h leur ^i-
tuation. Quoique cette preuve doive
être fufïifante pour fermer la bouche à
Votre Gouverneur, je prévois pourtant,
qu'il infillera , & qu'il vous preiTcra de
nouveau, Qu'eft devenu donc , vous
demandera-t-il, la quantité terrible de
papier , qui doit avoir été employé dans
un fi grand nombre de volumes? O-
dieufe difficulté, à laquelle je ne fai
comment répondre. Il y a trop de dif.
tance entre Votre Altefie&moi, pour
vous envo] er , comme témoin oculaire, à
des Fours , 6c cà certains endroits les plus'
xiecefTaires &, \^^ moins refpeétez des
mai-
A S. J. R. le Prince Pojïerlté, i%
maifons. Prérenterai-je à vos yeux quel-
ques lanternes crafieafes, ou les fenê-
tres de quelque faîe temple de Venus ?
Les livres, Monfeigneur, reflemblenu
à leurs Auteurs : ils n'ont qu'un feul che-
min pour entrer au monde -, mais , ils en
ont dix mille pour en foriir, & pour
n'y retourner plus.
Je protefle à Votre AltefTe , dans l'in-
tégrité de mon cœur , que ce que je
vais dire à prelent eit vrai à la lettre,
dans l'initant môme que j'écris ceci.
Pour les cataflrophes qui peuvent arri-
ver avant qu'il foit en état d'être lu,
je ne fuis garant de rien. Je vousfup-
plie pourtant de l'agréer comme un
échantillon de notre érudition, de no-
tre génie , & de notre politefle.
Je vous afliire donc en homm.e d'hon- -
neur , qu'aéluellem.ent il exiile dans
notre Capitale un homme nommé Jeaii
Drydcn , qui a fait imprimer depuis peu
une traduction de /^/r^/7r,info}., bien re-
liée ^ & fi f on en ' ouloit faire une exafte
recherche, je crois qu'à fheure qu'il efl
on pourroit encore parvenir à la voir.
11 y en a encore un autre intitulé Nahum
*i"ate , qui eil tout prêt à declarer fous
T'orne L B fer-»
* Nom d'un Potte.
z6 Efitrc Dedkatoire
ferment, qu'il a donné au public pki-
fieurs rames de papiers tous chargez de
vers, dont & l'Auteur & le Libraire
font encore en état de produire quelques
copies autentiques; ce qui prouve la
malignité du monde , qui fembie faire
un fecrèt de toute cette affaire. Il y en
a un troifiéme connu fous le nom de
'Thomas d'Urfey ^ Poëte d'une capacité
vafte , d'une érudition immenfe , & d'un
Génie univerlel. Je connois encore un
certain Rymer , & un certain Dennh ,
tous deux Critiques d'une grande Pro-
fondeur. Jaurois tort d'oublier le Doc-
teur Bentley , qui a écrit près de ^ mille
pages d'un favoir infini , pour nous doi\-
ner une idée veritable & exa6le d'une
certaine Querelle de très-grande impor-
tance , qu'il a eue avec un Libraire.
C eii; un Auteur d'un efprit auiïï fubli-
me qu'agréable \ le premier homme
du monde , pour la fine plaifanterie , &
pour les faillies vives.
Je puis protefter encore à V. A. que
j'ai vu, mais vu de mes propres yeux,
!a perionne de Guillaume IVotton, qui
a
* L'Ouvrage de Bentley fur les Epitres dePhf
laris»
A S. J. R. le Prince Pûjlcrité. £7
a fait un volume *= de fort belle taille
contre une des grandest Amies de Votre
Gouverneur, duquel pour cette raifon
il ne doit pas attendre la moindre gra-
ce. Il cil vrai , qu'il s'y efl pris de la ma-
nière la plus civile, la plus polie, la
plus galante, la plus digne d'un Gen-
tilhomme. D'ailleurs , tout cet Ouvrage
eft rempli de découvertes, aulTi eftima-
bles pour leur nouveauté, que pour leur
utilité: il efl embelli & relevé par des
traits defp rit fi vifs , iipiquans, fi con-
venables au fujèt, qu'on lui feroit tort
de ne le pas confiderer comme feul di-
gne de faire un attellp.ge avec le vene-
rable Dofteur dont je viens de parler.
Si je voulois entrer dans un plus grand
detail , je pourrois charger un volume
entier d éloges dûs à mes illuftres con-
temporains. J'ai entrepris de leur ren-
dre cette jullice dans un § Ouvrage de
plus longue haleine, où j'ai réfolu de
tracer le cara6t:ere de toute la bande de
nos beaux efpriis: j'y dépeindrai leur
fia;u-
* Re£exions fur le Savoir ancien d moder-
ne.
f L'Antiquité.
$ Voyez, h Catalogue aui precede le T/tre,
B z
i8 Epitre Bedicatolre,
Figure en grand , & leurs Génies en
mignature.
En attendant, je prens ici la liardiefTe,
INlonfeigneur , d'offrir à V. A. un extrait
fidelle , tiré du corps univerfel de tous
les Arts, & de toutes les Sciences; &
je le delline entièrement à votre diver-
tiilement, & à votre inllruclion. Je
ne doute en aucune manière, que Votre
Altelie n'en fafie le même ufage, & n'en
tire les mêmes fruits confiderables , que
plufieurs jeunes Princes de notre Age
ont tiré d'un grand nombre de volu-
mes faits exprès pour faciliter leurs étu-
des ^,
Puiffe V. A, avancer en fa voir & en
vertu , comme elle avance en âge > puif.
*fe-t-elle effacer un jour la reputation de
fes Augulles Ancêtres. Ce font les
vœux ardens & continuels de celui
qui fe fera toujours une gloire d'être ,
JMONSEIGNEUR,
De votre AlteiTe , &c.
Pecemb. 1^97?
* Les Auteurs Clafllqucs in Vfum DeJ^hmL
L A
^9
^**^ <♦*-« -V-^ i*.**- -^^ iv\*« ^j^ -f ♦** ^/-t i>*f« "k***^
»tM-^<^ '-F%l-<^v,^ '«%^^*V> 'tVS-c^v^ ';*^^>j<* j--i^
PREFACE.
LES Beauzv^-Efprits de notre Age
étant fort remarquables, parleur
nombre & par leur pénétration , ils
commencent h caufer des frayeurs mor-
telles aux Matiadors de l'Etat, & de
l'Eglile. Ces homimes vénérables tremi-
blent à lu feule idée que leurs fpirituels
ennemis pourroient bien emploïer le
loifir d'une longue paix à faire des brè-
ches dans les endroits foibles de la Re-
ligion 6c de la Politique. Après avoir
médité long-tenis fur les moiens de
prévenir ces delleins dangereux, d'é
rnouiler les curieufes recherches de ces
ennemis publics, (Se de les détourner d'u-
ne m.atiere il delicate , ils fe font arrêtez
unanimement à un projet dont l'exécu-
tion coûtera beaucoup de temps & de
peines. Le danger cependant s'aug*
mente d'heure en heure j 6c il y atout à
craindre des nouvelles recrues de beaux
efprits , tous équipez d'encre , de papier,
6c de plumes, & prêts à paroitre en
bataille, aupremier ordre, avec leurs
B X ar-
50 PREFACE.
armes oiFenfives, dans la vafte Cam^
\:>:ignedes Brochures. Parconfequent,ce
2i'ell; pas fans raifon qu'on a jugé abib-
lument neceflaire de fe lervir de queîc^ue
promt expédient , en attendant que la
grande entreprife, dont je viens dépar-
ier, foit en état d'être exécutée.
11 y a quelques joui*s, que dans un grand
Commtne ou l'on déliberoit fur ce mjet ,
un homm.e d'un efprit très-fubtil re-
marqua que c'elt une coutume parmi
\^s gens de Mer, quand ils rencontrent
une Baleine, de lui letter un Tonneau
vuidcjpour f amufer & pour la détourner
d'attaquer le vaiiTeau même. On femic
d'abord à interpreter cette Parabole.
Par laBaleine.on entendit le * Leviathan
ile Hchbes^ qui fe plait à fecoiier & à
ballotter tous les Syftêmies de Religion ,
dont il y a plufieurs qui font fees ,
creux, fujèts à corruption, & qui font
d'autant plus de bruit, qu'ils fontvui-
des. Cell de ce jL:v'/^//^^//;, qu'on dit
ique nos redoutables génies empruntent
la plupart de leurs armes pernicieufes.
Le VaiiTeau paffa, comme il eft naturel ,
pour
* Livre très-cfl:-mé de plufieurs perfonnes^^
mais cui paroit trç.î-daî:igereirx a d'autres.
PREFACE. ?i
pour le type de la Société civile. La
grande difficulté fut de donner un fens
Julie d.ii'Tomîeau -^mms^ après un long dé-
bat, il fut refoîu de leconfeiver dans le
fens literal > & , pour empêcher nos Le-
viathans d'aujourd'hui de balotter la So-
ciété humaine, qui d'elle mêm.e n eft
que trop fujette k voguer fans rames &
fans voiles, on décréta, qu'il falloit les
amuferparun Conte du Tonneau. On
me fit l'honneur de m'en donner la com-
mifiion^comme ayant, pour m'en acquit-
ter, des diipoiitions paflablementheu-
reufes.
C'cil dans cette vue, que je donne au
Public le Traité fuivant, qui pourra fer-
vir, pRviriterm, de jouet à notre bande
quiète de Beaux-Elprits, en attendant
qu'on mette la dernière main h notre
grand Ouvrage, fur lequel il eil; bon de
donner ici enpaiTant quelques lumières
au Lecleiu* bénévole.
* Notre intention efî d'ériger un
grand College, capable de contenir neuf
B 4 mil-
* L'intention de l'Auteur eft ici de dépeindre
rignorance , & les mau'aifr^s mœurs, des petits-
maîtres Anglois, qui ne laifTent pas de ù mêler
de décider étourdiment des matières les pl\ii
graves.
qz PREFACE.
mille fept cens & quarante quatre per-
fonnes^ ce qui, par un calcul modefle,
monte à peu près au nombre courant
desBeanx-Gémes de notre Ile. Ils doi-
vent être partagez dans dijfferentes clai-
feS; felon leur diE^erent tour d'elprit.
L'entrepreneur lui-même en doit don-
ner au premier jour unplanexaél, au-
quel je renvoïe le Ledteur curieux ; me
contenant de lui donner ici une foible
idée d'un petit nombre des claiTes prin-
cipales. Telles font: unegrande ClafPv;;
Pederajllque ^ diri^^ée par des maîtres de
Jangue François oc Italiens j Ja Clajfe
pour apprendre à épsïler ^ vaiileau d'une
étendue prodigieufe ^ h Claffe des Lu^
nettes \ U Clajje des Jiiremens ; la Clajfe-
(le la Critique ; la Clajff} de la Salrùation^
la Claffe de la Science d'aller à che^valfur
an BatoTi > la Claffe de la Poefie \ la Claffe
de VArî de foeîer le Sabot ; la Claffe de
THypccondre\ la Claffe du Jeu\ & un
grand nombreid'autres,dont la lifie pour^
roit devenir ennuieule. Perfonne ne
fera admis comme membre de ce Col-
lege, fans apporter un Certificat de Bel-
Efprit, figné par deuxperfonnes capa-
bles d'en juger, ô: à ce commifes.
P R E F x\ C E. 3J
II efl temps de finir cette parenthefe,
pour revenir au but principal de ma
Préface.
Je puis dire fans vanité, qu'unePré-
face ell: une piece d'efprit dont je con-
nois fort bien le point de perfe6lion :
plût au ciel , que j'eulle aflez d'habileté
pour y arriver. Trois fois j'ai mis mon
imagination à la gène, pour en faire une,
dont le tour fut de mon invention ^ &
trois fois mes efforts ont été infru6lueux.
Je ne m'en étonne point : mon génie a
été mis à fee par le Traité même que je
publie ici.
11 n'en efl pas ainfi de m.es féconds
Confreres les Modernes, quinefe laif^
fent jamais échapper une Preface , ou
une Epitre Dedicatoire , fans la diilin-
guer par queique trait propre à étonner
le Leéleur à l'entrée de l'Ouvrage, ôck
exciter en lui ime impatience m^erveil-
leufe pour ce qui va liiivre. Tel était
ce coup de maître d'un Poète fort in-
génieux, qui, pour ne rien dire de com-
mun , fe compare lui-même au Boureau,
& fcn Mecenas au Criminel. Voilà ce
qui s'appelle injlgne ^ rccens^ ùuiiûum
me ^.liênv.
54 PREFACE.
Rare £5? fuhllme effort cYune ïmaginatl'be ,
^l ne h cede en rien à perfonne qui vive,-
Dans mon Cotirs de Prefaces que
j'ai fait, cours aufTi noble qu'utile, j'ai
remarqué plufieurs traits de la même
force. Je ne ferai pas Faifront aux Au-
teurs de tirer ces traits de leur place ,
afin de \ts inférer ici ; je fai trop , que
rien n'efl plus délicat, & moins capa-
ble defoufrir le tranfport, qu'un bon-mot
à la moderne.
Il y a des chofes qui font infiniment
ipirituelles aujourd'hui^ ou à jeun , ou
dans un tel lieu , ou ^ huit heures , ou
entre la poire i^ le fromage^ ou dites -par
Alonfieur un tel^ ou dans une matinée
d'Eté\ qui font anéanties , par le m^oin-
dre changement de fituation, ou d'ap-
plication. Cell ainfi que l'eiprit a fes
promenades limitées , dont il ne fauroit
s'éloigner de répaiffeur d'un cheveu,
fans courir rifque de fe perdre abfolu-
ment. Nos Modernes ont trouvé l'art de
fixer ce Mercure, en l'attachant aux
tems, aux lieux, & aux peribnnes. Il y a
tel trait d'efprit, qui ne fauroit fortir dans
fK)n entier de la place de ^ Covent-gar-
din-,
* Marché dans la VilU 4e Londres,
PREFACE, ^j-
den : il y en a tel , qui n'eft intiîîigible
que dans un coin de Hide-park *
J'avoue que je fuis quelquefois tou^
ché d'une douleur fincere , en fongeane
que tant de pajfages affaifonnez par la
mode^ auxquels je vais donner Peiîbrc
dans mon Ouvrage, feront hors de
vogue , au premier changement de dé-»
corations. Je fuis pourtant trop fince-
re, pour ne pas approuver ce gout de
notre âge : je voudrois bien favoir pour-
quoi nous nous mettrions en frais, pour
fournir d efprit les fiécles futurs : puif«
que les précédens n'ont pas fongé à
faire de pareilles provifions pour nous.
Du moins, c'efl-là mon fcntimenc, parce
quec'efl celui de nos Critiques les plus
modernes , & par confequent les plus
orthodoxes.
L'envie cependant que j'ai , que tou-
tes les pcrfonnes accomplies , qui one
acquis une part dans le gout qui doit
avoir cours dans le prefentmois d'Août
id5?7. , puiiîent pénétrer jufqu'au f-ivd
du fublime, qui règne dans tout mon
Ouvrage , m'obli2:e d'établir ici en leur
"B 6 fa-
* C'eft îe Cours , où les gens ce qualité fc
promener.t en Carofte, dans les mêmes YUiiS qu'en
ic fait par ttut ailleurs.
?5 PREFACE.
faveur la maxime générale que volcî.
Tout Lecteur, qui fouhaite d'entrer
comme il faut dans les penfées d'un Au*
teur5ne fauroit mieux faire, que dele pla-
cer dans lafituarion oufe trùuvoit l'Au-
teur lui-même à mefure que chaque paf-
fageimportantcouloit de fa plume. Rien
neftplu3 propre que cette méthode à
iier l'Auteur & le Lecteur par une cor-
refpondance exacte d'idées. Pour faci-
liter au public cette méthode û delica-
te, autant que les bornes d'une Préfa-
ce le peuvent permettre. Je lui dira
i^'abord, que les Pieces les plus rafinées
de mon Traité ont été miifes au monde
dans un lit placé dans un Galetas. 11
faura encore que, pour des raifonsque
je trouve bon de garder par devers moi,
j'ai jugé à propos d'éguiferfouvent mon
génie par la faim ^ &, que tout l'Ouvra-
ge a été commencé, continué, & fini
pendant un long Cours de Médecine, &
une grande difctte d'argent.
11 faut, par confequent, que leLefteur
bénévole, s'il veut pénétrer dans un
grand nombre de mes plus brillantes
penfées, s'en rende l'entrée facile, en
s'y préparant ducment felon les inllruc-
tions que je viens de lui donner. C'ell-là
mon principal PoJIîilaium^ Com-
PREFACE. ?7
Comme je fais profefTion de m'ac-
commoder en tout au gout des Moder-
nes, j'ai grand' peur qu'on ne me repro-
che d'avoir poufle ma Préface il loin,
fans déclam_cr, felon la coutume, contre
cette multitude d'Ecrivains , de laquelle
toute la multitude des Ecrivains fe plaint
avec tant de raifon. Je viens juilement
de parcourir une centaine de Préfaces ,
qui, ^ès l'entrée, adreflent au public leur
jufles plaintes fur un defordre fi criant.
J'en ai retenu un petit nombre d'exem-
ples,que je vaiexpofèr aux yeux du Lec-
teur avec toute Fexaélitude, que ma
mémoire me voudra permettre. Une
de ces Préface commence ainfi :
Se mettre dans Vefprit d'être Auteur ^
dans un temps ou la PreJJe four mille y (Se
Une autre,
La taxe qtCcn a mife fur le papier ne
diminue pas le nombre des petits Ecrivains
qui infèrent y (sfc.
Une autre,
^and chaque Garçon Bel-Esprit-
B 7 prend
3^5 P R E F ACE,
prend la plume en main, U eft ridicule
d'entrer dam k Catalogue , i^ç.
Une autre ,
LorfqiiOn remarque quelle Friperie acca-
hie à préfent la PreJ/e , i^c.
Une autre,
Monfteur ,
Ceft uniquement pour obéir à vos ordres^
que je me fais imprimer. A moins d'une
raifon de cette force , qui voudrcitfe met"
fre au niveau de cette Populace de petits
Auteurs^ l§c.
J'avoue* que Tobjeclion , qu'une cou-
tume il bien établie fournit contre moi ,
efl forte. On me permettra pourtant
d'y répondre en deux mots. Première-
ment, je fuis fort éloigné de croire , que
le nombre des Auteurs fbit préjudicia-
ble à notre Nation ; & je crois avoir
vigoureusement plaidé pour le contraire
dans plulleurs endroits de monOuvrage.
En fécond lieu, je ne comprens pas
trop bien le procédé qu'on veut me don-
ner pour mo délie. J'ai obfervé qu'un
bon
PREFACE. 5P
bon nombre de ces Préfaces polies font
de la même main , & quelles font com-
pofées juflement par ceux-là , qui acca-
blent le public par les produ6lions les
plus z'oîumineufes. Le Lecteur ne trou-
vera pas mauvais, j'efpere, que je lui
débite là-delTus un petit Conte.
Un Charlatan, s'étant poflé dans la
Place nommée Leicefter-fields , avoit at-
tiré autour de lui une AiTemblée des plus
nombreufes. Un de ceux qui la com-
pofoient étoit un gros drolle, qui. étoic
prefque étouffé par la preife. 11 s'écrioit
à tout moment, Bon Dieu/ quelle chien^
ne de canaille s^eft attroupée ici? Ehy
je 'VOUS prie , bonnes gens , faites un peu de
place, ^el Diable peut avoir mis enfem--
hle cette populace ahonimahle ? Au Diable
[oient les marauts , ajd mepreffent de cette
force ? Homme de bien , au 7wm du Sei-
gneur , ôtez de-là votre coude. Un Tiffe-
ran , qui ie trouvoit tout près de cet
animal plaintif, n'étant à la fin plus
maître de fon indignation , & le re-
gardant de travers : ^ue la pejfe vous
crève , dit-il , B<£uf engraiffé que vous
êtes. Dites-nous , au nom du Diable ,
qui d'entre nous tous contribue autant à
hpre£eque vous? Ne voyez-vous pas que
votre
40 PREFACE.
'•^oire chienne de Figure prend plus déplace
que cinq autres ? La place n'eft-elle pas
autant à mus quà votre bedaine ? Met-
tez vos diables d'inteftins dans une efpa-
ce raifonnable ^ ^ il y aura place pour
nous tous.
En voilà bien afTez fur ce fujet.
Il me relie encor à avertir mes Lec-
teurs, qu'il y a certains privileges com-
muns à tous les Ecrivains, donc je me
flatte qu'on me laiiTera jouir en repos.
Une de ces prerogatives veut que dans
les endroits , où l'on ne m'entendra pas ,
on fuppofera qu'il y a quelque chofe
de profond & d'utile , caché fous ces té-
nèbres : une autre , que tout ce qu'on
verra en lettres italiques fera cenfé
contenir quelque chofe d'extraordinai-
re , ou dans le genre fleuri y ou dans
le genre fublime.
Pour ce qui regarde la Liberté que j'ai
cru pouvoir prendre quelque fois de me
louer moi-même, il nefl pas necefîai-
re de l'excufer; puifque cette pratique
eft fondée fur l'autorité fuffifante d un
grand nombre d'illuftres exemples.
Je dois remarquer, qu'anciennement
FEloge étoit unePénfion, qu'on rece-
voit
PREFACE. 41
voit de la main du public ; mais, les Mo-
dernes, voïânt quil y avoir trop de pei-
ne à la recueillir, ont depuis peu pris
Higement le parti d'acheter le F/ef tout
entier. Depuis ce tems , ils en pofle-
dent le domaine a pur & à plein , &
ils jouïfTent du revenu , comme ils le
trouvent à propos. C'efl pour cette
raifon , que quand un Auteur fait fon
propre Paneg3'rique, il fe fert d'une ef-
pece de formulaire ^v^r lequel il decla-
re le droit qu'il a d'en ufer ainfi , ôc qui
confilte d'ordinaire dans ces paroles ,
je parle fans 'vanité. Ce qui marque
clairement, qu'il fe croit autorifé par
quelque autre titre que r amour -propre.
Comme la repetition de ce formitlairç
pourroit être ennuieufe à la fin, j'aver-
tis ici une fois pour toutes , que dans
toutes les occafions où je rends juflice
à mes propres talens, ledit formulaire
efl fous-enténdu.
Je fens ma confcience fort au hrge
de ce que , dans tout le cours d'un Traité
fi travaillé & fi utile , je n'ai pas donné
l'effor au moindre petit trait de Satire;
ce qui elt l'unique article , fur lequel je
me fuis hazardé à m'éloigner des fa-
meux modelles , que ma Patrie a.produits
dan^
4t PREFACE.
dans notre age. J'ai obfervé , que quel-
ques efprits fatiriques agiflent avec te
public de la même manière, qu'un maî-
tre d'école traite un méchant garçon
qu'il vient fraichement de foéter pour
le rendre meilleur. 11 comm.ence par lui
mettre devant les jeux toutes les parti-
cularitez du cas, qui ell: le motif delà
corre6iion : il s'étend eniuite far la ne-
ceiïité du châtiment-, & il finit chaque
période par un bon coup de verges.
Si j'entens quelque chofe dans les
îiiFaires de ce Monde ,nos Cenfcirs Fe-
roient fort bien de s'épargner la peine
de donner tant de coups de fouet inutile-
ment. Il n'y a pas dans toute la natu-
re un membre plus dur, ù. plus couvert
d'un calus impénétrable, que les parties
poflerieures du public, qui font égale-
ment infenfibles, foit qu'on les attaque
à coups de pied ou à coups de verges.
D'ailleurs, plufieurs de nos Satiriques me
paroiflent être dans une grande erreur,
en s'imaginant, que, parce que les orties
piquent, toutes les autres mauvaifes her-
bes doivent avoir la même propriété.
Cette comparaifon ne tend en aucune
manière à diminuer l'opinion, qu'on
doit avoir du mérite de ce dignes Au-
teurs ^
PREFACE. 4}
teurs; car, cell une chofe trcs-conniië
parmi les Naturalilles, que les mauvaifes
herbes ont la prééminence fur tous les
végétaux. Celt pourquoi le premier ^
■Monarque de toute notre Ile, dont le
gout étoit i\ fubtii &. ii rafmé , fit très-
fagement, en ôtant la Rofe du Collier
de notre Ordre, pour mettre le Chardoii
h la place. De-là de profonds Antiquai-
res ont conjecturé, que la démangeai-
fon fatyrique , qui s'étend fi fort parmi
nous, nous eft venue du Nord deTHe.
Puilfe-t-elle fleurir long-temps ici ; puii^
lè-t-elle regarder de haut en bas le mé*
pris des hom.mes, & égaler fon dédain
pour le public à finfenfibilité qu'il a pour
fes plus rudes coups j que fà propre Itu-
pidité, ni celle defespai*tifans,ne l'em-
pêche pas de pouffer fes généreux def^
feins ^ & qu'elle fe fouvienne toujours
qu'il en ell de l'efprit comme d'un razoir,
qui n'efl jamais fi propre à faire des bala-
fres , que quand il a perdu fon tranchant..
Qu'elle n oubhe pas que ceux , dont
ks Dents font trop pourries, pour pou-
voir
* Jaques premier, grand Dodeur & petit Prince :
on a fort joliment dépeint fon caraftere, & celui
de la Reine Elifabet, dans cefeul vers Latin.
^\,cx crat Elifabet , ?jmic efi K^gina Jaiobus^.
44 PREFACE.
voir mordre vigoureufement, font très-
bien qualifiez pour fuppléer à ce défaut
par leur Haleine.
Je ne fuis pas fufceptible d e cette baffe
jaloufie, qui pouffe le vulgaire à mépri-
fer les talens qui font au-deffus de fa
portée 5 & je fuis très-porté à rendre
juftice à cette Se6le de nos Beaux- Ef.
prits Britanniques. J'efpere auffi, que
ce petit Panégyrique aura l'honneur de
lui plaire, puifque j'y facrifie mes propres
intérêts à fa gloire.
Il faut avouer auffi , que la Nature
même a mis les chofes fur un tel pied ,
que , par la Satire, on acquiert de l'hon-
neur & de la reputation à meilleur mar-
ché, que par aucune autre production
de l'efprit.
Il y a un certain Auteur ancien , qui
propofe comme un problème , Pour-
quoi les Dédicaces, &: d'autres ajforti-
mens de flatterie^ ne roulent que .fur
de vieux lieux-communs tout rouillez,
fans k moindre teinture de nouveauté?
Pourquoi elles font ^\ capables dejetter
le Leèteur Chrétien dans le degout,&
même , il l'on n'en prévient prompte-
ment l'effet , de répandre la léthargie
généralement par tout le Royaume : au
lieu
PREFACE. 4j
lieu qu'il y a fort peu de Satires, qui na-
niment l'attention du public par quel-
que chofe de finguîier ?
On artribue d'ordinaire cette mal-
heureufe deftinée des Eloges à un défaut
d'invention dans ceux qui fe mêlent
de les débiter; mais, à tort: la verita-
ble fblution de cette difficulté efl aifée
& naturelle. Les Matériaux du Pané-
gyrique , étant renfermez dans des bor-
nes trcs-étroites , ont été épuifez il y a
long-tems : car, comme la fanté ell uni-
que , au lieu que les maladies font nom-
breufes, & reçoivent de jour en jour
quelques nouvelles compagnes ; de mê-
me , les vertus font en petit nombre ,
mais les vices & les extravagances font
innombrables, & le tems y ajoute conti-
nuellement quelque nouvelle efpece.
Ainfijtout ce qu'un pauvre Auteur peut
faire , c'eft d'aprendre par cœur une liiie
des Vertus Cardinales , & de les prodi-
guer à fon Héros , ou à fon Mecenas. Il
a beau les accommoder de différentes
manières , & jetter quelque variété dans
fcs Phrafes, le Le6leur eft bientôt au fait;
il voit bientôt au travers de toute cette
difference de fources, que tout cela n' eft
^,6 PREFACE.
^ue du ^ Cochon. L'Auteur n'en peui
mais ; nos expreiTions ne fauroient aller
plus loin que nos idées; &, quand cek
ïes-ci font épuifées , les termes doivent
de neceiTité fubir le même fort.
Mais 5 quand même le fujet du Pa-
îiegyrique feroit aufîî fécond que celui
de la Satire, il ne feroit pas difficile
pourtant de trouver la raifon veritable,
qui rend la dernière plus favoureufe que
l'autre.
L'Eloge ne roulant d'ordinaire que fur
une perfonne à la fois , qu'il nomme ,
ou qu'il defigne clairement , doit par-
là, de necelîité, exciter l'envie de ceux
qui n'ont point de part au gateau , ôl
ibufrir de leur mauvaife humeur. Mais,
la Satire ne nomme point les originaux
de fes portraits : elle femble vifer à tous
les hommes ; & , graces à notre vanité ,
aucun individu humain ne s^n croit
l'objet particulier. Chacun rejette fage-
ment fa part du fardeau fur les épaules
du Monde entier, qui fontaffez larges
dans le fond pour le foutenir.
Cette vérité d'expérience m'a fait rc-
fie-
* L'Auteur fait aîlufion ici à un Repas <dont
parle Plutarque , où tous les mets n'étoieiit
que du Fore diiFerçiaent ailaifonDc.
PREFACE. 47
flecliir plufleurs fois fur Ja difference
qu'il y a à cet égard entre l'Angleterre
& l'ancienne Athènes Dans la Républi-
que d'Athènes c'étoit le droit hérédi-
taire de chaque Citoïen, de chaque
Poète , d'attaquer publiquement, & mê-
me déjouer fur le Theatre, lesperfona-
ges les plus illuflres, ixnCréon, imHy-
perboius ^ un Alcthiade^ un Deynofthene,
On les nommoit même, aiînquelepu-
blic n'en prétendit point caufe d'igno-
rance. Le moindre mot, au contraire,
qui fembloit réfléchir fur le Peuple en
general, étoit aulïï-tôt relevé & s'atti-
roit une punition exemplaire, quelque
diilinguée que fut la perfonne qui eut
eu faudace de le lâcher.
Chez nous, c'efljuflement le Revers
de la Médaille \ on y peut emploïer en
fureté toute la force de fon éloquence
contre la Société en general, & dire en
face à tout un Auditoire même fesveri-
tez les plus odieufes.
Vous pouvez declarer hardiment , q^ue
tous les hommes ont pris des chemins tor^
tus \ quîl ne refle plus au ?Konde un feul
homme intègre \ que notre âge eft la lie
des fiecles\ que la [celer ate Jje l^ Vatheïf-
'me fe répandent parmi nous comme des ma-
ladies
48 PREFACE.
Icu!iescontagieuJes\ que Jahonne-foia qmï'^
îé la Ter-fC ai'ec Aftrée, Vous pouvez
vous étendre fur de pareils lieux-com-
muns aufTi nouveaux que brillans , au-
tant que votre éloquente bile le trouve
à propos ; & , quand vous aurez fini ,
tous les auditeurs vous en fauront gré ,
comme à un Orateur, qui vient de ré-
pandre un beau jour fur les veritez les
plus utiles, & les plus precieufes.
Je dis plus: vous ne courrez aucun
rifque, que celui d'épuifer vos poumons,
en préchant dans l'Eglife de Covent-
garden contre \ts Airs petits-maîtres ,
contre la Fornication, & quelque chofe
de pis encore. Vous avez la liberté, en
celle de Wbithall ^ , de déclamer contre
rOrgeuil, la Dilïïmulation, &la BaflelTe
de fe iailTer gagner par des préfens: dans
celle, qui eil la plus fréquentée par les
gens de Robbe, vous pouvez attaquer
avec fureur l'Injuftice & la Rapine; &
dans une Chaire bourgeoifejau milieu de
la Cité , perfonne ne vous contellera le
droit de vous emporter contre l'Avarice,
l'Hypocrifie, & rExtoriicn. Ce n'ell
quime balle \^xx,iç, à tout hazard au mi-
lieu
•* L'EgliTc de la Cour»
F R E F A C E. 49
liC-u du Peuple j chaque Auditeur eft
armé d'une raauête , & fait habilement
éloigner la balle de lui & la renvoïer
dans la multitude.
Mais, d'un autrecôt-é, n'allez pas vous
tromper aflez groûlerement fur la natu-
re des chofesjpour vous laiiTer échaper
en public le moindre met touchant un
tel^ qui a fait mourir de faim la moitié
d'une Armée navale, & qui a cmpoi-
fonné le relie ; ni touchant un autre ,
qui s'atache aiTez aux véritables prin-
cipes de l'amour & de l'honneur, pour
nepaïer aucunes dettes, excepté celles
qui concernent le Jeu, & les Courtifa-
nés. Ne dites rien d'un troidéme , qui
troque les grands biens de les Ancêtres
contre les maladies les plus infâmes,
Taifez-vous fur le Chapitre de Paris,qui,
gagné également par Fenus^^ parj/^-
7ion, écoute tout leur plaidoïé en dor-
mant. Ne vous émancipez pas fur le
chapitre de cet Orateur , qui fait de lon-
gues Harangues dans le Sénat, avec
beaucoup de méditation, très-peu de
fens, ëc fort mx9.1-à~propos. Qiiiconque
ofe entrer étourdiment dans un pareil
d -tail doit s'attendre à être em.prifonné ,
pourfuivi en juicice, comme un Ca-
'ïome L C -lom-
^o PREFACE.
iomniateur , & declare coupable du cri-
me qu'on nomme * Scandalum Magna*
turn.
Mais, je ne fonge pas que je m'étends
fur un fujet, où je ne fuis nullement in-
térelTé, puifque je n'ai, ni talent, ni in-
clination, pour la Satire. A cela près, je
fuis fi fatisfait de tout le cours préfent
des affaires humaines , que je prépare dé-
jà depuis plufieurs années les Matériaux
^nn Panégyrique du Genre Humain^ au-
quel j'ai defTein d'ajouter une féconde
Partie intitulée,!)^/^ /^T^ modefle du Procc*
dé de la Populace dans tous les Ages.
J'avois quelque envie de joindre fun
& fautrede ces Traitez à cet Ouvrage-
'^ C'eft le Crime de médire de« gens titrez »
contre lequel les Loix de l'Angleterre font trcs-
fevères ; mais , comme on n'obferve dans ce Païs
que la lettre des Loix , on a trouvé un moïen
très-facile de dire pis que pendre d'un Grand
Seigneur, ou de fa Famille j fans avoir rien à
craindre. On le nomme même ; mais , on a foin
de mettre des points à la place de quelques lettres;
par exemplcjvoulez-vous dépeindre un Duc d'Or-
mond des couleurs les plus noires ; mettez feule-
ment Or. .nd, faites le rimer même fî vous vou-
iez avec un terme duméme fon : laLoi n'a point
de prife fur vous, quoi qu'il foit certain, de la
dernière certitude, que c'çft CÇ SçiêUeUT qUSTOUS
m%it eu Qa ^n?»
PREFACE. ft
ci 5 en qualité d' Appendix ^ mais, voïani
que mon livre de Lieux-communs fe rem-
plit plus lentement que jen'avoiseipe-
ré, j'ai trouvé bon de différer cette af-
faire jufques a quelque occafion plus fa-
vorable. D'ailleurs, j'ai été détourné de
Texécution de ce deflein par un malheur
domeftique , dont , felon la coutume des
Modernes, je devrois ici informer le
Leéteur bénévole. Cette particularité
feroit d'un grand fecours , pour donner
h ma Préface le volume , qui efl à pré^
fenten vogue , & qui doit ctre étendu
à proportion que f'Ouvrage même cft
petit. Néanmoins, malgré toutes ces
coniiderations , je n'arrêterai pas plus
long-temps, dans le Veilibule, l'impa-
tience de mon Lecteur; &, lui aïant
ducment préparé l'efprit par ce Difcours
préliminaire , je fuis prêt à l'introduire
dans les fublimes Myltéres qui iiiivenc
LE
fi
<% r^ c$ .% .^ a^ .% .^ S • 'Sh S^ -^ •f' ':^ ^f? S S ^
^^ ^' ^ ^^^ ^^ -^^ -^ ^^"^ ^ ^^ -^ ^ ^^ ^ «^ ^ ^
LE CONTE
TONNEAU,
SECTION L
InîrQdudion,
Quiconque a l'ambition de ie faire
entendre dans une grande prefTe
"ell obligé de pouffer, de remuer
les coudes , & de grimper jufqu'à ce qu'il
puiffe s'élever à un certain degré de
hauteur au-deffas de la multitude.
Or, toutes les Affemblées , quelques
ferrées qu'elles foient, ont cette pro-
priété particulière , qu'il y a de la place
de relie au-deffus d'elles. La difficulté
eft d'y parvenir; puifqu'il eft aufîî mal
aifé de gagner le deffusfur le vulgaire,
que de fe tirer des Enfers.
Evadere ad auras ^
HocOpiSy hlcJLahoreft,
Pouf
LE CONTE DU TONNEAU. ^
Pour y réulTir pourtant, les Philoib-
phes de tous les âges ont pris le parti
d'ériger certains édifices dans l'air;
mais, malgré la réputation dont ces for-
tes de batimens ont été de tout tems
en poiTefïïon , je crois ( en foumettant
mes lumières à celles des autres) que
tous 5 fans en excepter le pannier ou fe
fufpendit Socrate, pour faciliter fes Me-
ditations, ont étéfujets àdeuxinconve-
niens. Premièrement , leur baze étant
pofée trop haut, ils ont été d'ordinai-
re hors de la portée des yeux, & tou-
jours hors de la portée des oreilles: en
fécond lieu , leurs matériaux étant de
leur nature fort '^ tra?ifitoires ont toujours
fouffert beaucoup des injures de l'air,
fur-tout dans nos pais iituez du côté du
Nord-Ouefb
Pour
* Je crois que l'Auteur a en vue les Idées Me-
tapKifiques de la plupart des rhilolophes, qui fem-
blent le prerdre dans les nues, ou elles ne fauroient
être atteintes par les fimplcs notions du fens-
commun: c'cfl pour cette raifon , qu'il appelle
leurs édiûc&s ti-anfîtoiyes , parce que les nuées
•païïentvite. Si un autre entend ce pafTîige mieux
que moi, je l'en félicite: Ôi û l'Auteur elldans
cet endroit inintelligible , ou que Ion .'Ulegorie
foit peu juile, tant pis pour lui.
f4 L E C O N T E
Pour furmonter ces obftacles , nos
ancêtres out trouvé bon dans leur gran-
de fagelTe , afin d'encourager tous les
avanturiers, qui afpirent à l'élévation
dont il s'agit , d'inventer trois Machi-
nes de Bois 5 très-utiles pour tous ceux
qui veulent parler fans être interrom-
pus: ce font la Chaire ^ Y Echelle ^ & le
ffhéatre anibidant *.
Pour ce qui regarde le Barreau, quoi-
qu'il foit de la même matière, & delli-
île au mém.e ufage , on ne fauroit ce-
pendant lui attribuer avec juflice une
quatrième place; parce qu'il efl à rès
de chauffée avec /'^/^^//é?/V^ 5 & par-là
fiijet à une interruption collatérale f.
Le Tribunal lui-même , quoique placé
dans une hauteur convenable, brigue-
roit en vain cet honneur ; car , fi l'on
veut remonter à fon Origine, on recon-
noiirafins peine, que l'ufage , auquel on
le deltine à préfent, répond avec une
parfaite exactitude à fon inllitution pri-
mitive ,
* Il s'agit ici des Harangues des Prédicateurs ,
des futurs Pendus, & des Charlatans.
f II eft permis & ordinaire aux Avocats , qui
dans un Barreau font placez à la même hauteur
les uns des J.utresj de s'interrompre très fou-
DU TONNEAU. sf
mitive , & que Fun & rautre ont une
conformité entière avec F Etymologic
da mot ^\ Il Vient de la Langue Phéni-
cienne , dans laquelle il eit très-fignifi-
catif, pQifqu'expliqué à la lettre il dé-
figne u'/i lieu deftiné au fommeil. Sa fi-
gnification ordinaire parmi nous ne s'é-
loigne pas trop de ce fens original : car,
ce terme de Tribunal exprime parm.i
nous un fiége duément renverfé, & four-
ni de couiTins , pour la commodité de
inembrcs goûteux &affoiblis par Fâgc|
Senes ut in otîa tuta recédant,
Kien dans le fond n'ell mieux entendu ,
& plus juRe : il eil naturel que ceux ,
qui, dans leur jeunefle ont parlé long-
tems 5 pendant que les autres dormoient,
aient la permiiîion de dormir à leur ai-
fe auiïï long -tems que les autres ba-
billent.
D'ailleurs , quand il me feroit impoffi-
ble de trouver la moindre raifon folide,
pour
* Bench veut dire en Anglois un Tribunal.
S'il y a efl-eâ:ivement , dans la Langue Phéni-
cienne, un terme compofé il peu près des mômes
lettres, c'cft ce que j'ignore ; & j 'aime mieux le
croire , que d'y aller voir.
C4
S6 L E C O N T E
. poar bannir \q Barreau ^le T'ribunalà^
là liile des Machines Oratoires , il me
fuffiroit , pour leur donner l'exclufion ,
que je ne veux pas m'écarter d'un cer-
tain nombre que j'ai refolu d'établir dans
toutes mes Divifions , en dépit de tout
ce qu'il en pourra coûter à mon bon-
iens. Je ne ferai qu'imiter là- dedans plu-.
lieurs Philofophes , & autres génies fu^
blimes, qui s'attachent avec pafîlon à
im certain Nombre myllique , que leur
imagination a confacré à un tel point,
qu'ils forcent la Raifon h lui trouver pla-
ce dans chaque partie de la Nature. Ils
y reduifentj ils yajuflent, chaque gen-
re 5 chaque efpéce : ils en joignent quel-
ques-uns enfemble, en dépit d'eux & de
leur dents ^ & ils exilent de leur Syilê-
me ceux qui ne veulent abfolumentpas
fe fôumettre àun-enchainement pareil
Pourmoi5c'ert leNombre Trois,c'ell ce
nombre />ri?/(9;;^, qui a toujours occupé
mes contemplations les plus fiiblimes ,
& qui m'a dedoroagé de mes pénibles
recherches, par des délices infimes. Auffi,
le public verra-t-il bien- tôt fortir de k
prelle -^mon ElTay de Panégyrique tait-
chant
* Voyez le Catalogue des Livres que l'Auteur
promet au public.
DU TONNEAU. $j
chant ce Nombre. Je me flatte d'y avoir
démontré , par les preuves les plus con-
vaincantes, que tous les Sens &tous les
Elemens doivent être rangez fous les
étendartsde ce Nombre Sacré ^ & déjà
j'ai caufé une terrible defertion parmi
tous ceux qui ont affecté jufqu ici de
fuivre la bannière de fes deux rivaux.
Sept 5 & Neuf. Je retourne à mon fu-
jet.
De ces Macloims Oratoires., la premie-
re en élévation , auiïï bien qu'en digni-
té, c'eil la Chaire. Il y en a différentes
fortes dans notre Ile ; mais, celles que
j'eftime uniquement font faites d'un bois
coupé dans la Forêt CaIydo?nenne *. Plus
elles font veilles , & meilleures elles fonr^
à'caufe de la direction à\xSon^ &: pour
d'au-
* LTcoïïe s'appello/t anciennement Calyd9ryi.a ;
& notre Auteur recoraandc le bois de ce païs
pour les Chaires , parce que les Kon-conformii^
tes , qui font la plus grande ngure en Angleterrty
font les Presbytériens , qui ont la même difci-
pline, 6clesm.èmes opinions, que ceux delà Re-
ligion dominante de l'EcoJJe.- Au reile , il loue ici
la £gurc fimple & unie de ces Chaires ,. parc&
que les Presbytériens , qui prétendeat à une plu»
grande Sp'ritu.i/ite quo les .'i;/^//r,.'s;;j,rc font ur.cf
affaire-de Confcience de bannir tout ornement d^'
leurs Tçmples,
f8 E E C O N T E
d'autres raifons qui feront mentionnées:
dans le moment. Leur degré de perfec-
tion, par rapport à la taille &àlafigure,
confilte , à mon avis , à être extrême-
ment étroites 5 & deilituées de tout or-
nemient.Il efl bon m.emejqu'elles n'ayent
pas une eipece de Dais au deflus d'elles3
car, félon la règle ancienne, ce doit être
le feul l'aij/eau découvert ^ dans toy tes
les AiTemxblées où Ton en fait un legi-
tim.e ufage. De cette manière, elles au-
ront une reifemblance aifez grande avec
im Pilori \ ce qui leur donnera une in-
fluence eiricace fur les oreilles humai-
nes.
La féconde Machine en que[lion,c'e{l
\ Echelle , fur laquelle je ne m'étendrai
pas. Les étrangers même ont remarqué , .
ri la gloire de notre Patrie, que nous,
furpafîbns tous les peuples par rapporta
l'intelligence, & au veritable ufage , de-
cette Machine..
Les Orateurs , qui s'y élèvent par dé-
grez, n'obligent pas feulement leur au-
ditoire par la charmante manière dont
ils débitent leurs Harangues ; ils favo-
rifent même tout le monde en les ren-
dant publiques de bonne heuxe , avant
que de les prononcer. .
h
Du TONNEAU. f^
Je regarde ces difcours comme le'
trefor le plus choifi de notre éloquence
Britannique: &aj'apprends avec joïe,
que notre digne Citoyen & Libraire, le
SitwvJeanDiiîton^ en a fait une fidelle
& pénible Collection, quil adefleinde
publier au premier jour en douze volu-
mes in folio enrichis de figures • Ouvra-
ge, aufîi curieux qu'utile, (Se digne de
la main qui nous le communique.
La dernière Machine des Orateurs
ell le l^béaîre amhida 'it, drefle avec beau-
coup de Ç2ig2iCité^fubJo'vepluv}o^ i/ttri^
*vlis^ t? quadriviis. C'ell le grand le-
minaire des deux autres ^: &. les Ora-
teurs , qui y montent , font quelque-
fois admis à figurer fur la premiere, &
quelquefois fur la féconde , felon leur dif-
ferent mérite, la liaifon, qu'il y a entre
ces
* Il paroit d'abord difficile de comprendre
comment les Theatres des Charlatans font lefemV
naire des Prédicateurs, & des Pendus. Mais, il
faut entendre ceci d'une manière figurée. La
Char'atanerie influe eiîe<fi:ivem<;nt,non feulement
fur la conduite des Voleurs, qui dupent fouvent
les hommes par une faulTe Ofientation, mais'
encore fur certains Miniiires de l'Evangile, qui
parviennent a la fortune & à la reputation par-
une fa'iiTç Parade de Lumières Qp de FietSy
c 6
€o LEG O N T E^
ces- trois Machines , étant auiTi étroite
qu il ell pofîîble de fe l'imaginer.
Il paroit évidemm«^,t , par ce que je
viens de dire , que l'élévation du lieu eil
abfolument requife pour s'attirer l'atten-
tion du public : mais , quoique tout le
monde convienne du fait, les opinions
font fort diférentes fur la caufe ; & je
penfe , quant à moi, que peu de Philoio-
phes ont eu le bonheur de trouver une
explication aifée & naturelle de ce
Phénomène. Voici celle qui me paroit
la plus profonde , & la mieux fuivie.
L'air étant un corps pefant, &, par
confequent, felon le Syfleme d'Epi^
cure 5 tendant toujours vers la terre,
doit indubitablement defcendre avec
plus de force, quand il ell chargé de
paroles, autres corps d'un poids confide-^
rable , comme il paroit évidemment par
les profondes impreifions qu'elles font
fur nous. Il fuit de-là, que ces paroles
doivent être répandues d'une hauteur
fufhfante , fi l'on veut qu'elles parviens
nent à leur but, & qu'elles tombent avec
allez de force.
DU TONNEAU, ëi
Corpoream enim vomn conftare fatendum
Et fonitum qiioraam pojfunt i?npelkre fe}>
fus, Lucret; lib. 4.
Cette raifon acquiert encore un noi>
veau degré de force par une obfervaticn
très-commune ; favoir que , dans tous les
auditoires des différentes elpécesd'Ora^
teurs 5 la nature elle-même enfeigne à
ceux qui compofent rAfTemblée , à fe
tenir la bouche ouverte, dans une po-
fition parallèle à l'horifon , de manière
qu'ils font coupez par une ligne perpen-
diculaire qui tombe du zenith vers le
centre de notre globe. Dans cette, ii-
tuation , fi rAlTemblée eft compacte (^
ferrée comme il faut, rien ne fauroit
tom.ber à terre , & chaque Auditeur
emporte chez foi fa portion de la Ha-
rangue.
11 faut avouer , qu'il y a quelque
choie de plus rafiné encore dans l' Archi-
te6luredesBatimens modernes deftinez
aux Ouvrages Dramatiques. Première-
ment, le Parterre s'abbaiile devant le
Theatre, afin que, felon nos Remarques
grécédentes , toutes les matières de
C 7 poids
€z LE C Off TE
poids qui fe répandent de-Ià , qu'elles:
foienc or , owplomb , puillent tomber tout
droit dans les mâchoires de certains ani-
maux nommez Critiques , qui les atten-^
dent la gueule béante, pour les dévorer.
Les Loges , qu'en faveur des Dames
on a placées de niveau avec le Théâtre ,
font arrangées en cercle, parce qu'on a
obfervé que cette grande dozed'elprit,
qu'on emploie à exciter parmi le beau
Sexe certaines démangeaifons, fuivent
ordinairement une route circulaire ^,
Cer-
* L'Efprît, qu'on emploie dans les obfcenitezj
eft très-commun , & aifé à attrapper : c'efl
prefque toujours la même chofe parmi les Au-
teurs Dramatiques , qui veulent ahfolument fai-
re rire, & qui remplacent} par ces fottifes, le
fel comique qui doit régner dans les Comedies.
C'eft pour cette raifon, que l'Auteur fait rouler
cette forte d'elprit eii cercle. Il dit proprement
^ans l'Original , que cet efprit s'avance en ligne
droite^ & va toujours dans un cercle. Peut-être
veut-il dire quelquechofe, que je n'ofe exprimer'
ici 5 & qu'on devinera de refte. J'ai pourtant
trouvé à propos de préférer la premierre idée
dans ma tradudlion. Quoi qu'il en foit , il a
grand' raifon de ccnlùrer la licence des Auteurs
Dramatiques de fa Nation : licence fi effrénée ,
que la manière de garder fa contenance eft de-
venue un Art dau§ ks formes p.arrui Jç beau Sa-»
xe-Anglois,
DU TON^^EAU. €^
Certains fentimens langoureux , & cer-
taines penfées minces & étiques, s'élè-
vent tout doucement par leur extrême
légèreté jufqu'à la moienne region de
la fale ; & là elles fe gèlent par le mo-
ïen de l'entendement froid deshabitans
des fécondes loges.
Le Galimathias & la Boufonnerie,
qui font encore d'une plus grande légè-
reté , montent avec aflez de précipita-
tion au deffus de Faii' qui eft plus pefant,
& fe pcrdroient certainement dans la
voûte, fi le prudent Architecte n'avoit
pas eu la précaution d'y pratiquer un
quatrième étage , appelle le Paradis ,
& fi l'on n'y avoit placé une Colonie
bigarrée, qui les arrête dans leur paf^
fage 5 & qui s'en failit avec ardeur.
Le Lecteur faura, que ce Sylleme
Phyfico-Logical des Alacblnes Oratoires
cache de grands Milléres , & que c'ell
un type, unfigne, une emblème, une
ombre , un fmibole , qui a une analo-
gie exacle avec la République des Au-
teurs, & avec les mefures qu'ils doi-
vent prendre pour s'élever au deffus du;
vulgaire.
Par la Chaire,doivent être entendus les
Ecrits des Sayits moderaes de la Gran-
de.
^4 LE CONTE
de Bretagne ; écrits ipiritualifez , épu*
rez , debarailez de la craffe des fens &
de la raifon humaine. Le bois pourri
doit être , comme j'ai dit , la matière
de cette machine, pour deux raifons;
premièrement , parce que le bois pourri
a la qualité d'éclairer dans les ténèbres;
& eniecond lieu, parce que les cavitez
en font remplies de vers: deux types,
qui, maniez avec raddrefTe ordinaire des
Commentateurs, fignilient clairement
les deux qualitez principales requifes
dans rOrateur, & les deux Deftinées
qui attendent fes Ouvrages.
Pour l'Echelle, c'efl un fymbole natu-
rel de la FaClion, & delà Poefie, aux-
quelles un fi grand nombre de perfon-
nes illullres font redevables de leur ré-
putation. Elle eil le fimbole-de laFac-
tion , parce que . . .
Hiatus in MS. * ♦ * * -^
Elleelllefimbole de la Poefie, par-
ce que les Orateurs de cette efpece iî*
aiflent toujours leur Harangue par une
Piece de PoèTie *, qu'ils montent les
■r dé.
f^'L^S futurs Pçndits cbanteiit dçs Pfçaucies
DU TONNEAU. (Sf
dégrez de cette machine avec lenteurj^c
que le Sort les précipite du haut enbas
Jong-tems avant qu'ils en aient gagné
lefommet. Enfin, FEchelle efluntype
delà Poèfie, parce qu'on parvient d'or-
dinaire à ce polie de diflin6lion,parun
tranfport de propriété^ Se en confon-
dant le mien ôclttien"^.
Parle Théâtre ambulant, font dépein-
tes toutes les productions de l'elprit, qui
ont une relation particulière avec le di-
vertilTement des mortels. Telles font ces
Pieces aimables intitulées , De TEfprit
à deux liards ^ Grotefques de TVcftmiinfter'^
Contes facétieux-^ Les parfait s Railleurs^ &
d'autres femblables -f.C'eil par elles, que
les Ecrivains de Gruhftreet ont depuis
quelques années fi noblement triomphé
du tems, qu'ils ont coupé fes ailes,
rogné fes ongles , limé fes dents , émoul-
fé
en Angleterre , quand ils font fur le pomt Je
paffer le pas.
* Les Poètes font prefque tous Plagiaires.
f Le Lefteur François n'a qu'à mettre, à la
place de ces livres , plufieurs ouvrages du cru de
fon terroir , qui font du même acabit : il trouvera
aflez facilement, fur-tout dans l'Etat florifTant où
îe bel efprit eft à préfent en France , à quoi ap-
pliquer avecjufteite ce que l'Auteur va dirçdçU
Socictt de Qrvhfmçt ti. de k% Rivales.
£6 LE CONTE
fé fa faux, & reculé fon fatal Clepiydre.
Cefl dans le Catalogue de ces fa-
meux Ouvrages , que j'ai laprefomtioii
d'enregiflrer ce livre-ci, aïant eu de-
23uis peu l'honneur d'être choifi mem-
bre de cette focieté fi vantée.
Je ne fai que trop les pernicieux def-
feins qui ont été machinez dans ces der-
nières années contre cet illuilre corps,
par deuxfocietez nouvellement érigées,
qui ont fait tous leurs ettorts , pour tour-
ner nos Auteurs en ridicule , comme in-
dignes du rang qu'ils occupent dans ia
République des Lettres. Ceux, qui en
font coupables , aprendront d'abord par
leur propre confcience, quec'eil eux y.
que j'indique. Le public n'a pas été
Speâateur aifez indifferent de leurs ja-
loux projets pour Ibufrir avec patience
que les Academies de Gresham^ 13 de
fFills ^jfondent leur reputation fur la rui-
ne
^'Le College de Gresham^ &le Cafféde Wiïïs, Af-
femblées de beaux Efprits , qui ne font gueres
fuperieurs, que par la vanité, aux Auteurs de Grub-
fii-eety à qui la Nation Angloife eft redevable de
ies Vanx-de-Villes ^ Contes borgnes ^ en un mot de
toutes les produ(5tions de l'efprit du plus bas ordre.
L'Auteur va donner dans le moment quelques
^hLautiUons de leur iàvoir-faire»
DU TONNEAU. ^j
ne de la nôtre. Notre douleur devient
plus fenfible & plus violente , quand
nous confiderons leur procède à notre
égard , non feulement comme injufle ,
mais encore comme ingrat, & contrai-
re à la nature même. Le monde peut-il
oublier , ces corps peuvent-ils oublier
eux-mêmes , quand nos annales ne fe-
roient pas aulïï formelles là-defllis qu'el-
les le font 5 que l'un & l'autre ils font des
pépinières que nou5 avons, non feule*
ment plantées , mais encore arrofées ?
On m'a informé que ces deux rivaux
cnt dreifé les préliminaires d'une ligue
contre nous , &: qu'ils ont refolu d'unir
leurs forces, pour nous défier , par un
Cartel , d'entrer avec eux dans une cora-
paraifon de Livres produits de part &
d'autre, tant par rapport au nombre qif à
regard du poids. Comme notre Préûr
dent m'a chargé de leur répondre , je
vais m'en acquitteriez En premier lieu,
je Ibutiens que leurpropofitionreffem-
bîe à celle , qu'Archimede fit dans un
cas moins important, & que l'exécu-^-
tion en ell abfolument impoflible. Où
trouver des balances d'une capacité af-
iez vafle pour pefer ces volumes de
part&d'auu*e?. Quel Arithméticien fe-
68 LE CONTE
ra affez audacieux , pour entreprendre
d'en calculer le nombre ? En fécond lieu,
je dis que nous acceptons le défi, à con-
dition, qu'on nous défigne une perfon-
ne impartiale, pour décider à quelle fo-
cieté chaque livre, chaque traité, & cha-
que brochure, doivent être attribuez.
La décifion n'en efî: rien moins que fa*
cile. Nous Ibmmes prêts à produire un
Catalogue de plufieurs milliers de vo-
lumes 5 fur lefquels notre Corps a un
droit incontellable , âc que pourtant
certains Auteurs révoltez ont l'audace
d'approprier à nos ennemis. Ce ferok
donc à nous une imprudence impar-
donnable de reconnoitre pour nos Ju-
ges ces mêmes Auteurs , dans un
tems où les cabales & les intri-
gues de nos adverfaires ont caufé une
révolte fi générale contre nous , que
les plus intimes amjs, qui nous refient
encore , fe tiennent éloignez de nous ,
comme s'ils avoient honte de nous
connoître.
Voilà tout ce que je fuis autorifé à
dire fur un fujet fi mortifiant & fi mé-
lancolique. Nous ne fommes nullement
portez à nourrir une haine , qui pour-
roit être égalem^ent fatale à tous les par-
tis.
DU TONNEAU. 69
tis, &nous aimerions beaucoup mieux
que ce different fût accommodé à l'a-
miable. Notre corps eil tout prêt à
recevoir à bras ouverts ces deux enfans
prodigues , pourvu qu'ils renoncent à
leurs Proftitîiées & à manger avec les
Cochons, je veux dire, à leurs indignes
occupations^ &, comme un père indul-
gent, il ne manquera pas de leur rendre
ià tendrefTe , & fa benedi6lion. Après
rinconflance de toutes les chofes fublu-
naires , rien n'a plus decredité les pro-
ductions de notre focieté , que ce tour
d'efprit fuperficiel, qui règne généra-
lement parmi les Lecteurs de cet âge ,
qui font tropindolens pour creufer dans
les entrailles des matières.
La Sagelfe pourtant eft un Renard , à
qui fouvent on donne envainlachaife,
Çi on ne. le force pas à fortir de fa tan-
niere- c'efl un Fromage, qui efl d'autant
meilleur, qu'il eft couvert d'une croûte
épailfe, coriaiïe, & dégoûtante; c'efl
du Ciiocolat , qui devient plus excellent
a mefure qu'on approche du fond. La
Sagelfe elt une Poule,dont il faut eiTuïer
le chant defagréable , parce qu'il eft
fuivi d'un œuf elle reffemble ï une noix,
qui, fi elle n' eft pas choifie judicieufe-
ment
70 LE CONTE ^
m^nt , peut vous coûter une dent , &
ne vous païer que d'un ver.
Cefl conformément à ces veritez ,
que nos fages Grubéem '^ ont toujours
voulu conduire leurs préceptes vers
notre efprit dans le Véhicule des fables
&: des types. Peut-être les ont-ils plus
ornées quelque fois, qu'il étoit necef-
faire \ & par-là ces Véhicules ont eu le
fort de ces Caroffes fi bien peints &
dorez , dont l'éclat éblouit tellement
les Spectateurs, qu'ils ne remarquent pas
feulement celui qui en occupe le.fond.
Nous nous confolons pourtant de ce mal-
heur , parce qu'il nous efl commun avec
Pitagore , Efope^ Socrate^ & plufieurs au-
tres de nos iliuitres PrédéceiTeurs.
Néanmoins , afin que ,nile public, ni
nous, ne foufrions pas davantage de ce
défaut de pénétration, je me fuis laifle
vaincre par Fimportunité de quelques
amis^ &j'ai refolu d'entreprendre une
DiiTertation laborieufe furies principa-
les produ6lions de notre Société, qui,
fous un extérieur alTez brillant pour con-
tenter un Lecteur fuperficiel, ont envelo^
pé les plans les plus finis de tousles Arts
&
* Auteurs de CrulpcsU
D U T O N N E A U. 71
& de toutes les Sciences. Jeme fai fort
de les expofer aux yeux des Curieux;
(Se, s'ils font trop embaraiîez dans leurs
enveloppes , je faurai bien les en tirer
par le moyen de Vincifion^ ou de /Va.-
^nîlcition ^.
11 y a quelques années, qu'un de nos
plus habiles Membres entreprit cet Ou*
vrage important. Il commença par
l'Hiitoii-e de Maître Renard \ mais, il
ne vécut pas affez long-temps, pour pu-
blier un traité fi utile, ni pour aller
plus loin dans un fi grand deffein. On
ne fauroit trop regretter ce grand
homme , ne fut-ce que pour la découver-
te qu'il avoit faite fur ce fujet , & com-
muniquée à fes amis. La îbhdité n'en
ell conteflée à préfentparaucim Savant
de quelque Reputation^ <& perfonne ne
doute que ladite Hilloire ne contienne
un Corps complet , ou plutôt une Reve-
lation, une Apocalypfe, de tous les Se-
crets de la Politique.
Pour moi, j'ai pouffé cette entreprife
beaucoup plus loin, ayant déjà mis la
dernière main à mes Commentaires fur
plu-
* Moyen de faire fortir de quelque ^ndr<îit
Tairou l'eau, par le moyen de la pomps.
ijt L E C O N T E
plufieurs douzaines de Traitez d'une pa-
reille force. Je crois obliger le Lec-
teur, en lui en donnant ici quelques
idées fuffifantes pour le mettre au fait.
La premiere Piece *, à laquelle je me
fuis attaché , c'efl le petit Poucet , dont
l'Auteur étoit de la Secte de Pythagore,
C'efl un traité ténébreux , qui contient
tout le plan de la Metampficofe , & qui
conduit l'âme dans toutes fes différentes
revolutions.
Le fécond efl le Docteur Faufius , écrit
par Artephius ^ un Auteur hon^ not ce
& un adepte. Il le publia dans fa neuf-
cent-quatre- vingt-quatrième année. Ce
Sage procède entièrement par la voye
de la réincrudatlon^ ou par la 'voye humide-.
Le Mariage entre Fauflus & Hélène ne
fertqu'à répandre du jour fur \2i fermen-
tation du Dragon wâle^ ^ du Dragon
femelle,
îVhitùngton £5? [on Chat efl l'Ou-
vrage du miflerieux Rabbin Jehuda
Han-
* Les François n'ont qu'à fubilîtuer , à plufieurs
âeces livrer ,163 Ouvrages parallèles de la façon
de leurs Auteurs; les Contes de Peau d^ Ane -, les
Contes de Fees y le Marcv de FeneJIe, Tabarin y
DU TONNEAU. 75
Hannafi , contenant la d^fenfe de
Ja Gueriiara de la Mijha de Jerufaîetiz ,
ëi prouvant fa fiiperiorité fur celle de
Bahilonc, contre l'opinion reçue.
La Bïche '^ la PanibercCei le Chef-
d'œuvre d'un fameux Savant ^^ui exifte
encore : le but de cet Ouvrage eft de
nous donner un extrait iidéle de feize
mille Auteurs Scholailiques, depuis Scot
jufqu h BellaiTfîi^î.
Le Flacû?i de Grcmre. C'eft une Pi é-
ce qu on iupole être ae la même main,
& u'on regarde comme un Siiplém.enc
du Traité qui precede.
Le Sage de Gotham^ cum Appendice,
Ceft-là vericablemenr Un Traité d'une
érudition immenfe: on peut l'apeller
la fource originale de ces argUmens,
quon poulfeapréfent avec tant de vi-
gueur , en France & en Angleterre ,
pour défendre le favoir & lelprit des
^iodernes, contre la préfomption, l'or-
gueil, Ôc Tignorance des Anciens. Cet
Auteur a tellement épuifé cette matiè-
re , que tout ce qu'on a écrit là-dcfuis
depuis ne fauroit pafler que pour pure
repétition, chez un Lecteur un peu pé-
né«
* Jiiin Dryden,
Tome L D
74 L E C O N T E
nétrant. Un Membre diilingué de
notre Société a publié depuis peu un
Abrégé de cette excellente Piece ^.
Ces petits échantillons fuffifent , pour
faire entrer le public dans le goût de
tout rOuvrage : il occupe à préfent
toutes mes penfées,cc toutes mes études;
& fi je puis y mettre la dernière main
avant ma mort, je croirai avoir parfaite-
ment bien emploie les pauvres refies
dîme vie infortunée.
-j- Helasijen'aipasraifon d'attendre
encore tant de vigueur d'une plume ufée
au fervice de l'Etat , dans des DilTerta-
tions pour & contre , fur les Confpira-
tions des Papilles , fur les Loix d'ex-
clufion, fur robéiffance pafiive, fur la
liberté de confcience, &c. Je n'ai pas
lieu de fattendre d'une confcience, qui
tombe en lambeaux, & qui montre par-
tout la corde à force d'etre retournée ;
d une tète fracaffée par les coups de
barre
* M. Wotton : c'eft fon livre fur le {avoir
ancien & moderne.
f C'eft ici une fanglante Satyre de plufieurs Au-
teurs Mercenaires , dont Londres fourmille , &
qui 5 vendant leur plume au plus offrant , écrivent
tantôt pour une Faction , & tantôt pour une
autre , & toujours avec une égale vehemence.
DU TONNEAU. 7$
barre de la fa6lion contraire ; ni d uiî
corps confumé par certaines maladies
mal guéries , graces à quelques Don-
zelles & à quelques Chirurgiens, qui,
comme il a paru dans la fuite, étoient
les ennemis déclarez de l'Etat, & les
miens , & qui foutenoient les intérêts
de leur parti , aux dépens de mes jambes
& de mon nez.
J'ai mis au jour quatre-vingt-onze
brochures , fous trois règnes , ôc en fa-
veur de trente-fjx factions : mais, voïant
que l'Etat n'a plus befoin de mon encre,
je me retire pour la répandre dans des
Speculations plus affcrties au caraftere
d'un Philofophe ; fatisfait de pouvoir
me rendre cette juftice , que j'ai pafTé
une longue vie Jàm offenfe envers Dieu
i3 Jes Hommes.
Pour en revenir à mon fujet , j'at-
tends de la juflice du public , que l'é-
chantillon du Commentaire que je viens
de lui doner , fufHra pour effacer de
toutes les prod u6lions de notre Société
une tache qui ne leur ell venue , que par
l'envie & fignorance de nos Adverlài-
res. Je me flatte , qu'on le perfuadera à
la fm , que le mérite de cet Ouvrage s'é-
tend plus loin 5 que les fimples agremens
D i de
^6 L E C O N T E
de rerpnt& du ilile, que nos plus har-
dis Calomniateurs neleur ont jamais ol£
difpuier.
Pour faire fentir cette beauté exté-
rieure , aufîi-bien que le fens caché &
myitique, j'ai fuivi exaclement les O-
riginaux le plus généralement aprou-
vez^ &, pour quil n'y manque rien ,
î'ai fait en forte , à force de donner la
torture à mon efprit , que le titre % fous
lequel cet excellent Commentaire doit
être connu à la Cour & daus la Ville ,
réponde exaélement aux heureux modè-
les que notre Société me fournit fi abon-
damment.
• Je conviens que j'ai été un peu pro-
digue à en multiplier les titres; mais,
fai remarqué que ceft-là le grand goût
parmi certains Auteurs , que jerefp^cte
fcjxtraordinairement.
Ont-ils t-onr ^^eil-il pas raiibnnable ,
que les Livres.ces Fils du cerveau, aient
rhonneur de briller par une grande va-
riété de noms, aufîi-bien que les autres
iinfans d'une qu-tlité dillinguée? No-
ire
* ïl y a eu un temps 5 où en Angleterre on fe
pîciifoit fort à donner aux livre? les titres les plus
bilarres, C'cit encore le grand goCk en Aile-
jnagne.
DU TONNEAU. 77
tre hmQuxDrrde^i s'efl hazardé même
d'aller plus loin , en failant tous Tes ef-
forts, pour introduire fulage de donner
au même Livre plufieurs Parains '^.
C'ed une pitié , que cette belle inven-
tion n'ait pas été mieux foutenue par
une imitation exacte, autorifée par un
exemple de cette force : j'ai fait de
mon mieux, quanta moi, pour donner
la vogue à cette mode:, mais, je ne Ton-
geois pas alors , qu'il y a une malheureu-
fe dtpenfe attachée à l'honneur de pro-
curer des Parains \\ Tes Enfans, dépen-
fedont on tire d'ordinaire de forts mai-
gres revenus. La raifon m'en eft abfo-
Uiment cachée: tout ce que je puis di-
re, c'eil que, dans le cas dont il s'agit ici ,
j'ai perdu <& mes frais ô: la gloire que
j e voulois m'acquerir par ce moïen . } 'a-
vois emploie des meditations, 6c des
efforts d'efprit prodigieux , pour couper*
le Traité fuivant en quarante Sections ;
mais, aïantfupplié autant de Lords de
ma connoiflance d'en vouloir bien être
les Parains , ils s'en font excufez tous ,
enm'envoïant dire, qu'ils s'en faifoient
un cas deConfcience.
D 3 SEC-
* Ildcdîoit un même livre h plufîeurs gr:>nds
Soigneurs.
78 LECONTE
SECTION II.
Commencement du Conte.
IL y avoit un jour un homme , qui
avoit trois Fils delà même Femme,
& d'une mêmie couche , ils étoient ve-?
nus au monde d'une manière limiracu-
leufe , que la Sage- Femme elle-même
ne pouvoit pas dire, qui des trois étoin
Y^iné. Le Père m.ourur , lorfqu ils
étoient encore fort jeunes. Mais, avant
que de rendre l'ame , il les fit ap-
procher de Ton lit, & leur tint le dis-
cours fuivant:
Aies Fils Je n ai j ardai s cherché les biens
de ce Monde , i3 je n'en ai -point hérité de
mes Pérès. C eft pourquoi,]' ai rêvé long-,
tenis en vain fur les moïens de vous laijjer
quelque chofe de bon {jf d"* utile, A la fin^
à force de foins 13 de dépenfes fje vous ai
pourvus chacun d'un bon habit neuf ^^; les
'voici tous trois. Vous faurez , mes En-
fans y
* Les habits , c'ell la Religion Chrétienne ; & le.
Teftament, qui contient des préceptes fur la ma.
niere de les porter, (Se de les conferverj c'cft
Ixcriturc Sainte,
DU TONNEAU. 79
fjins^ que ces babils ont deux qualïtcz,
particulières, La premiere eft , ([u^en les
[oignant comme il faut^ ils auront tou-
jours ce même air neuf ^ que -vous leur voïez
à cette heure: la féconde ^ qu ils croit r ont
dans la même proportion avec vos corps ^
s' étendant iy sélargijjant d'une manière
a sajufter toujours à vos tailles, ivieîtez
les^ mes Fils ^ afin que je les voie fur vous
avant que de mourir — Fort bien-yfoïez
propres^ je vous en prie ^ £5? aïe z foin de
les vergeterfouvent. Vous trouverez dans
mon F'eftament ,, que voici ^ toutes les inf-
truciions nécéjjdires touchant la manière
de Ici po'rter ^ ^ de les ménager : obfer-
vez les exactement , ft vous voulez éviter
les chatvmens attachez à la moindre tranf-
greffon de ?nes ordres , £5? ft vous avez à
cœur votre bonheur futur. J'ai ordonné
encore dans ?non Teftament , que vous de^
meuriez tous trois cnfemble^ comme amis^
y corame Frères \ c'eft- là V unique moien
Dour vous de profpcrer dans le monde.
Après avoir fini ce Difcours, le bon-
homme moLirci;, à ce que ditriiilloire;
& Tes trois Fils s'en allèrent enlemble
chercher des avantures.
Je ne vous importunerai pas par le
D 4 récit
So L E C O N T E
recit de celles , qu'ils rencontrèrent pen-
dant les premieres fept années ^. Je dirai
feulement , qu'ils fe conformèrent exac-
tement au Teftament de leur Père,
<& qu'ils gardèrent leurs habits en fort
bon état. Au refte , ils parcoururent
pluileurs pais, eurent a faire à un grand
nombre de Géants, & eurent le bon-
heur de déikire le monde de pluHeurs
Dragons.
Parvenus à lagede fe produire dans
le Monde, ils prirent maifon en ville,
& fe mirent à faire l'amour aux Dames,
iur- tout à trois d'entfelles, quiavoient
la vogue, à favoir à la DucheiTe d'Ar-
gent, à Madamie de Grands-Titres, &
à la ComteiTe d'Orgueuil.
Ils furent d'abord affez mal reçus;
mais, en aïant déterré lacaufeavec une
grande pénétration , ils attrapèrent
bientôt les bonnes manières. En moins
de rien, on les vit écrire, rimer, rail-
ler , chanter , parler & ne rien dire :
ils beuvoient, fe battoient, juroient,
prenoientdu tabac, &couroientlebon
bord. Ils aîloient à la premiere reprè-
fentation des Pièces de Théâtre , bat-
toient
* LTglife Primitive
DU TONNEAU. 8r
toient le Guet, fe divertiffoient avec
les belles , & s'en trouvoient fort mal.
Ils donnoient aux Fiacres des coups
de baton , au lieu d'argent. Ils s'en-
dettoient chez les marclïans , ôc cou-
choient avec leurs Femmes. Ils rof^
foient les Sergens, jettoient les vio-
lons par la fenêtre , dinoient chez ^e
plus fameux traiteur , & faifoient la
digefljon au Café des petits Maîtres,
Ils parloient des apparteniens , où ils
n'avoient jamais mis le pied; dinoienc
avec des Mylords, fans \ç.s voir; par-
loient à l'oreille a une Duchefle , fans
lui dire le moindre mot ; failbient paf^
fer le griffonnage de leurs blanchilTeuîes,
pour des billets doux de qualité. Ils ne
faifoient que revenir de la Cour, fans y
avoir jamais été vus; iîs étoient au le-
vé du Roi fîib tlio'^ dans une Compa-
gnie iîs apprenoient par cœur une liile
des Pairs du Roïaume , & dans une
autre ils en farcilloient leurs difcours ,
d'un petit air foit famlîier.
Ils ne negligcoient pas fur-toui de
comparoitre régulièrement dans l'Ai-
femblée de qqs Sénateurs^ qui n'ont rien
à dire dans le Parlement, o: qui par-
ient haut au Caifé , où ils s'ajourmnt
D f tûu$
SI L E C O N T E
tous les foirs pour remâcher les affîiires
politiques, entourez d'un cercle de cu-
rieux promts à ramafler leurs miet-
tes.
Les trois Frères avoient acquis mille
autres belles manières, dont le détail
feroit ennuieux ; & , par confequent ,
ils paflbient avec juftice pour les Ca-
valiers les plus accomplis de la ville.
Mais, tout cela ne faifoit que blanchir;
leurs Maitreflesreitoient toujours infen-
fibles.
Pour en faire bien fentir la raiibn , il
faut qu'avec la permiiïlon du patient
Lefteur je m'étende un peu fur un
point d'importance , qui n'a pas été
funfamment éclairci par les Auteurs de
ce fiecle-là.
Une nouvelle Secle s'éleva environ
ces tems , & fes adlierans fe répandirent
au long & au large , far - tout parmi le
beau monde. Ils adreifoient leur culte
à une certaine Divinité =^5 qui, felon
leur Doctrine , s'occupoit journelle-
ment à créer les hommes par une ope-
ration mechamque. Elle étoitplacée,dans
la partie la plus élevée de la maifon, fur
un
* Ufj Titi/lcffTe
DU TONNEAU. 85
un Alltel haut environ de trois pieds.
La Divinité y étoîtafTife dans lapof-
ture d'un Empereur Oriental, avec les
jambes croifées fous lui*.
A main gauche de l'Autel , Y Enfer
fembloit ouvrir fa Gueule, pour dévorer
les animaux, à la création defquels le
l^ieu s'occupoit> mais, pour en rallen-
tir la faim infatiable , certains Prêtres y
jettoient detems en tems quelques pie-
ces de -matière infcrme , & fouvent mê-
me des membres entiers déjà vivifiez,
que ce goufre afreux avaloit d'une ma-
nière terrible k voir.
Cette Divinité paflbit pour avoir in-
ven-
* Il y a ici dans l'Original un pafTage qu'il
n'efl pas poflible de mettre en François, parce
que c'eft un badinage qui roule iur un mot
équivoque. L'Auteur dit que ce Dieu ctoit
accompagné d'un Oye , & que cet animal étoit
honore dans ^on temple comme une Divinité
fubalterne. Or le terme Go^j, Oye , fignine f.ul-
{i le Clin-eau dont les tailleurs fe fervent pour
aplatir les coutures. J'avertirai ici en même
tems , pour rendre plus clair le pafTage qui
fuit, que les Anglois donnent le nom d'Enfer
à l'endroit où les tailleurs jettent les pieces d'é-
toffe, qu'ils trouvent bon de s'approprier, &
que nous nommons en François, par bad:n.îge>
lail du tailleur,
D 6 ^
S4 L E C O N T B
venté la * verge , & Péguilk : û c'eH
en qualité de Dieu des Mariniers , ou
s'il faut prendre cette exprefTion dans
un autre fens milterieux & allegori-
qu 5 c'eit un point fur lequel jufqu'icî
on n'a pas répandu le jour necelTaire.
Les Adorateurs de ce Dieu avoient un
Syiténie deDcclrine, quirouîoit à peu
près fur les Dogmes Fondamentaux ,
que voici.
L'Univers , difoient-ils , n'efl autre
chofe, qu un habillement complet, qui
revêt toutes chofes : la terre eit habillée
par Fair , Fair par les Etoiles , & les
Etoiles par le primuin mobile. Jettez les
3v^eux fur notre Globe, vous verrez que
Veil un habit dans les formes, & d'un
^rès-bon goût ; ce que certaines gens
■apellent la T^r/^n'elt autre chofe, qu'un
fur- tout avec des paremens verds.
Qii'ell-ce que la mer, fi-nonune vefle
d'un beau tabist Examinez chaque ou-
vrage particulier de la création , vous
verrez quelle habile couturière la natu-
re a été, enhabilanttcusles i-egetaux à
la Cavalière. De quelle perruque galan-
te
* Une mcfur^ de trois pieds ; c'eil l'aunç A^ï*
DU TONNEAU ^f
te n a-t-ellepas coefféle betre? De quel
beau pourpoint de fatin blanc n'a-t-elle
pas ajullé le boalcan ? Pour faire court,
l'homme lui-même eft-il autre chofe
qu'une Micrci'cfie^ ou, pour mieux di-
re 5 un habit complet , avec toutes ^ts
fournitures ? Par rapport au corps, la
chofe eilinconteltable; mais, à exami-
ner même toutes les qualitez de fon ame ,
on n'y trouvera rien , qui n'ait one re-
lation étroite avec les différentes piér
ces qui compofent notre ajuftement.
La Religion eit un manteau ; f inté-
grité eft une paire de fouliers ufez à for-
ce de marcher dans les boucs; l'amour-
propreeil un fur-tout, la vanité , une
chemife : pour la confcience , c'efl un
haut-de-chaufe , deftiné à couvrir la vo-
lupté & l'ordure ; mais, qu'on lahTe
tomber fort promtem^ent , quand on fc
veut livrer à l'une , ou à fautre.
Ctspoftulata étant admis , il s'enfuit,
par une confequence legitime, que les
éires, appeliez improprement par les
hommes habits , compofent réellement
réfpece la plus finie des animaux , ou
pour aller encore plus loin, font réelle-
ment hommes , ou animaux raifonna-
bles, N'elî-il pas évident , qu'ils fe meu-
1) 7 ventj
S(5 L E C O N T E
vent , qu'ils vivent , qu'ils parlent , 5:
qu'ils s'acquittent de tous les autres de-
voirs de la vie humaine ? Ces êtres ne fe
promenent-ilspas dans les ruës?Nerem-
plillent-ils pa« le Parlement , les cafFés ,
les téatres, & les temples de Cytheret 11
ell vrai, que ces annimaux, nommez vul-
gairement habits , doivent être appeliez
difFerement , felon la difference de la ma-
tière & de la forme, qui les compofent.
L'Alfemblage d'une chaine d'or , d'u-
ne robbe d'écarlatte doublée d'hermi-
nes, & d'une baguette blanche, placé
fur un grand cheval , efl un Lord-Mai-
re. Certaines autres fourures , accom-
modées d'une certaine maniere5Compo-
fent un Juge ; & un mélange de toile
fine , & de fatin noir , eil un E'vêque.
Il y avoit des Profefleurs parmi cet-
te Secle, qui , quoi qu'ils admifTent effcn-
tiellcment le même Syflême, ne laif-
foient pas de raffiner fur certains points.
Ils foutenoient que l'homme efl com-
pofé de deux habillemens differens ,
l'un celejîe ^ Vautre artijiciel-^ dont le pre-
mier elt le Corps , & le fécond FAme ;
que Pâme étoit fhabit extérieur , & le
corps rhabit intérieur -, que le dernier
ell ex traduce^ mais que l'autre proce-
doic
DU TONNEAU. B7
doit d'une création , & d'une circomfu^
Jîon quotidienne. Ils prouvoient cette
dernière partie de la propolition, par
l'Ecriture , parce que dans eux nous nous
mowoons , nous 'vi'vons., G? nous avons F être y
cz par la Philofophie, parce que ces
habits extérieurs font tout dans le tout,
l^ tout dans cheque -partie. D'ailleurs ,
difoient-ils , feparez ces deujc habille-
mens , & vous trouverez que le corps
n'efl qu'une vile carcalledeltituéed m-
telligence; &, par confequent, il ell clair
que ce qu'on nomme h rihlt extérieur ào'it
être Vanie, A ce Syitéme de Religion
étoient attachez certains dogmes fubal-
ternes , qui av' oient.une grande vogue.
Les Savans fe diitinguoient fur-tout à
déduire de-là les différentes facuîtez de
lame. Chez eux, la broderie étoit
grand fond à'efprit\ les franges d'or,
agréable converfation-^ les galons d'ar-
gent, repartie vive ; la perruque carrée ,
î^n tour d' efpr it particulier \ & un habit,
chargé de poudre du haut enbas,étoic
fine plaijlmterie. Ils foutenoient , d'ail-
leurs, que tous cestalensvouloient être
maniez avec une extrême delicateffe ^S>C,
dirigez 'à.y<^Q grand jugement ^ felon les
tems, & les modes.
Cefl
8S LE CONTE
C'efl avec beaucoup de peines, & par
le moïen d'une Lefture infatigable, que
jairamafle, chez les anciens Auteurs ,
ce Syflême de Théologie, & de Philofo-
phie, qui paroit avoir eu fa fburcedans
une manière de penfer, qui n'a rien de
commun, ni avec les Syilcmes anciens ,
ni avec les modernes. En m'engageant
dans ces pénibles recherches, mon but a
été , moins de fatisfaire la cariofité du
Le6leur, que de lui faciliter fintelligen-
ce de pluiieurs particularitez de l' His-
toire fuivante -, car, a moins d'être in-
fbruitdesdifpofitions oùfe font trouvez
les hommes, & des opinions, qui ont
régné parmi eux, dans un fiéclefi éloi-
gné, il ne fera pas en état de compren-
dre les grands événemens, qui en font
dérivez comme de leur fource.
Celt pourquoi, je ne puis trop l'aver-
tir de lire & de relire , avec toute l'at-
tention imaginable, ce que je viens d'é-
crire fur ce fujet.
Je reprens le û\ de mon Hifloire.
Nos trois Frères n'étoient pas dans un
petit embarras, en voïant les fufdites
opinions li généralement reçues & fui-
vies par tout ce que la Cour & la Ville
avoit de plus poli. Leurs maîtreffes ea
itoient:
DU TONNEAU. 8^
étoient tellement imbues , qu'elles
étoient toujours au plus haut faite delà
mode, & quelles avoient un profond
mépris,pour tout ce qui relloit au delTous
d'elle de répaiOeur d\m feul cheveu.
Cependant , le Père de nos Cavaliers
leur avoit ordonné formellement, fous
peine des châtimens les plus rigoureux,
de ne rien ajouter à leurs habits, & de
n'en rien oter, fans un ordre exprès con-
tenu dans ledit Teftament. Il eft vrai,
que ces habits étoient d'un bon drap, &
d'ailleurs coufu fi délicatement, qu'on
auroit juré, qu'ils étoient tout d'une
pièce; mais, ils étoient fort unis,&pre{^
que deflituez de tout ornement.
A peine avoient-ils été un mois dan»
la ville , que tout d'un coup la mode vint
de porter des Nœuds d'Epaule : d'abord
tout le monde devint nœud d'Epaule; il
n'y avoit pas moïen d'aprocher des ruel-
les , fans cette marque de diftinction.
Une trille experience aprit bientôt aux
trois Avanturiers, jufqu'à quel point
cette piece leur étoit neceflaire : ils ne
faifoient pas un tour de promenade ,
qu'ils ne reçuffent mille mortifications.
Quand ils alloient à la Comédie, le
Portier leur demandoit , s'ils ne vou-
Ipient
5?o LECONTE
loient pas fe mettre au Paradis ; appel-
loient-ils un fiacre, le cocher les prioit de
monter fur le derrière en attendant leur
maître; lorfquils entroient dans un
Cabaret, le Garçon leur difoit obligeam-
ment, on ne 'vend point de h'iere ici ^ mei
amis\ & s'ils vouloient rendre vifite à
quelque Dame, le Laquais les arrétoit
à la porte , pour les prier de lui dire
feulement leur meiTage, & qu'il leur
rendroit réponfe dans le moment.
Dans cette malheureufe fituation, ils
ne manquèrent pas de confulterleTef-
lament de leur Père. M.2i\s ^ahum filen-
tium furies Nœuds d: Epaule, D'un côté,
robéiffance étoit un point abfolument
necelTaire; mais, de l'autre , fans les
îsl'œuds d'Epaule^ point de falut.
- Après une meure deliberation, un des
Frères , plus lettré que les autres, s'avifa
d'un expédient. Ileil vrai, dit-il, que
le Teftament ne fait point mention des
Nœuds d'Ep aille ^totide ni verbis \ mais, je
conjeélure , qu'il en parle incluiivement,
ou totidem fiilahis ^'\ Cette diflinclion
fut
* Les fuSîi'litez de l'Ecole, & les diftinclions re-?
cherchées, font fort propres à eloigner les hommes
du bon-lens.& n'ont pas peu contribué à introduire
Jçi abus dans la Religion Chrétienne,
crm Z ^:fiz^.^i
DU TONNEAU. pt
fat d'abord goûtée, & l'on fe mit de
nouveau à examiner ; mais, une malheu*
reufe étoile avoit tellement influé là-
delTus,que la premiiere fyîlabe ne fe trou-
voit pas dans tout l'écrit: néanmoins,
celui qui étoit l'Auteur de cette inven-
tion reprit courage. Mes Frères , dit-
il , ne vous affligez pas : l'affaire n'eft
pas encor tout-a-fait defeipérée. Si
nous ne trouvons pas ce que nous cher-
chons, tot idem "verbis^ mtotidrmfillahis^
je me fais fort de le trouver , totîdem Ut^
ter is. L'expédient parut merveilleux,&
les voilà aufli-tôt à l'ouvrage. En moins
de rien, ils firent un recueil des lettres
fuivantes N,U,D,S,D,E ,P, A,U,
L; E; mais, ils avoientbeau///r^/fr par-
tout, la féconde lettre 0£ neparoilfoit
nulle-part *. La difficulté fembla d'abord
importante j mais, le Frère à diilinclions,.
qui
* Nœud d^ Epaule c^ ex'pnmé ■p^r Shoulder-Knot
en Anglois: c'efl dans ronginalfur h Lettre K^
qu'on ne prononce point , que roule la fubtile dii-
tin<ftion du plus grand Clerc d'entre les Frères. Il
eft impoiTible de rendre tout ce qui fe dit là-dcfTus,
en François; mais, pour y fubftituer un Equiva-
lent, je me fuis attaché à l'a-, quin'eftpas tout-a-
fait utile dans le mot Nœud , qu'on peut écrire
tout de même par un e fimple.
5>ï L E C O N T E
qui étoit en train de faire merveille,
trouva bientôt de quoi remédier à cet
inconvenient. Selon lui, rO£ étoit une
lettre pedantefque, qui n'étoit d'aucu-
ne utilité , & qu'on poiivoit remplacer
facilement par un E iimple, qui faifoit
dans le fond le même effet.
Voilà la difficulté évanouie : ils font
évidemment autorifez, àfuivrelamode,
jurepaierno'^ & mes Damoifeauxfe car-
rent dans les rues avec des Neuds d'E-
paule auffi copieux & auili flottants,
que ceux d'aucun Fils de bonne Mere.
Comme le bonheur de ce monde eil
fujètà pafler comme un éclair, les mo-
des, dont ce bonheur dépend entière-
ment, étoient foumifes à la même in-
conilance dans ce iiécle-là ^ & le règne
des Neuds d'épaule fut de courte du-
rée.
Un Seigneur,arrivé nouvellement de
la Cour de France, s'étala en public, tout
couvert d'une cinquantaine d'aunes de
galons d'or parcourant exaclement les
Méandres^ où les conduifoit la mode
deflinée à régner à Paris pendant le mois
courant. Deux jours après, tout le mon-
de parut habillé d'or en barre: quicon-
que ôfoit paroitre en compagnie fans
DU TONNEAU. §^
celte perfeclion , avoit l'air au fîî hon-
teux qu'un Eunuque, &étoittoutaufli
mal reçu des Femmes. Qiiel parti pren-
dront ici mes gaians? Ils ont donné
déjà une entorfe aiTez violente à la der-
nière volonté de leur Père. Elle ne dit
rien du tout fur ce nouvel article bien
plus important que le premier. Le Neud"
d^ Epaule^ n'étoit qu'un petit ornement
détaché & fuperficieliau heu que le galon
d'or caufe une alteration plus confi-
derable , puifqu'il adhère en quelque
forte à la llibitance même de la choie.
Le m.oyen donc d'en porter fans un or-
dre pofitifl
Il arriva heureufementdanscetems,
que le Frère favant venoit de lire les
JJlalecfiques d'Arillote , & particulière-
ment fon merveilleux traité de r interpre-
tation , qui nous enfeigne h trouver en
tout palîlige tous les fens du monde, ex-
cepté celui de FAuteur^ Ouvrage utile
par conlequentaux Commentateurs des
Révélations, qui expliquent les Prophé-
ties , fans entendre un mot du texte Ori-
ginal.
Eclairé de ces nouvelles lumières, il
apoltrophe fes Frères de la manière fui-
vante.
94 LECONTE
vante *. apprenez ^ mes chers Frères.,
qu'il y a deux fortes de Teftamens , Nun-
cupatorium,£5f Scriptoriumj que le Tejla^
ment écrit , que nous avons devant nos y eu x^
ne fait pas mention de galons d'or , bien
loin d'en ordonner pofttivement Tufage»
Conceditur. Mais ^fi on foutient la même
chofe par raport à une dernière volonté ex^
primée de vive voix '^ negatar: car^ mes
Frères^ vous vous fouvenez bien fans dou^
te , que , dans notre enfance , nous avons
entendu dire par un certain quida'm^ qiiil
avoit entendu dire d'un valet de notre Pe^
re , qu'il avoit entendu dire de notre Père
lui-même , que nous ferions bien de char»
ger nos habits de galons d'or , des que nous
aurions af/ez d'argent^ pour en acheter.
Sur mon Dieu , il n''y a rien déplus vrai ,
s'écria un autre Frère. Je'menfouviens
par-'
* L'Auteur badine ici avec tout refprit imagi-
nable fur la Tradition fur la quelle l'Eglifc Romai-
ne appuie toutes les impertinences , pour icfquel-
les elle ne trouve pas la moindre baze dans la Ré-
vélation. Cette Tradition, quoi qu'aime qui vive ne
fâche ce que c'eft, nice qu'elle nous dit de bon j
pafTe pourtant pour avoir une autorité égale a
celle des Livres facrez. Il eft bon même, qu'elle ne
dife rien du tout : c'eft le vrai xnojen de lui faire
dire tout ce que l'on veut.
DU TONNEAU, pf
parfaitement bien , ajoute le troifiéme ;
&, fans s'alambiquer le cerveau d'avan-
tage, ils fe mirent à acheter le galon
d'or le plus large de tout le quartier,
& fe firent braves comme des Mi-
lords.
Qiieîque tems après, la mode vint
de doubler \qs habits d une petite étoffe
de fatin couleur de feu *. AufTi-tôt un mar-
chand en porta un échantillon a nos Ca-
valiers. Reverence parler ^ MeJJlcurs ^ leur
dit-il , Mylord Cuts ^ le Che'valier Walter
ont fris hier au foir des doublures de la
même pièce : ^'ous ne /auriez croire la
quan^
* Il eft apparent que, par cette doublure de fa-
tin couleur de feu , on entend ici la doctrine
du Purgatoire , avec toutes fes dépendances , de
laquelle les livres facrez ne difent rien, quoique
cefoitunpoint tres-eflentiel. Le PaiTage duTef-
tament, qui ordonue aux Frères de fe precau-
tionner contre le feu , fait alluflon à un palTage
de St. Pierre , oîi il efl fait mention de feu ,
mais d'une manière qui n'eft nullement appli-
quable aux flammes du Purgatoire. Le Codi-
cille, que le Frère Lettre hit ajouter au Teftamcnt ,
& qui , a ce qu'il dit , fut écrit par un Palfrenier
de fon Grand- Père, defigne les Livres Apocr)--
phes, qui n' nt aucune autorité. IJs comman-
dent de prier pour les morts ; & en voila aiTcz
pour les mettre dans le rang ^ es Livres facrez^
quoiqu'ils en renverfent les Préceptes.
P5 LE CONTE
quantité que f en 'vends '^ (^ je fuis fur , que
demain matin à dix heures il ne m'en refie^
ra pas de quoi faire un Pelotton à ma
Femme,
Là-defllis , nouvel examen du Tefla-
ment. Le cas demandoit un ordre pofl-
tif j aujfïï bien que le précédent; puifque
la doublure eft confiderée par tous les
Auteurs orthodoxes, comme étant de
l'efTence de l'habit. Tout ce qui parue
les favorifer en quelque forte étoit un
Avertiflemxent contenu dans ladite der^
niere 'volonté de le précautionner con-
tre le feu , & d'avoir foin d'éteindre
leurs chandelles , en fe couchant. Ces
mots , reclifiez par un Commentateur
adroit, pouvoient bien aller jufqu'à ap-
procher aflez d'un commandement po-
iitif; mais, comme ils ne tranquilhfoient
pas encor tout-à-fait ces confciences ti-
morées, le Frère Dodîeur^ refolu de re-
médier une fois pour toutes aux incon-
veniens prefèns & futurs , fe mit à ha-
ranguer de nouveau. Je me fouviens,
dit-il, d'az'oir 'vu plufieursTeftamens ^ oh
il étoit fait inention d'un Codicille annexe^
qui eft ccnfé faire partie du Teftament^ i3
avoir la même jiuiorité. Or , le Teftament
de notre Père n'^ft pas accompagné d'un
tvl
DU TONNExVU. 5)7
tel Codicille , f> , par confequent^ de ce coté*
là , il eft ma-nifeftiment défeclueu'^.
Ceft pour cette rai f on , que f ai refolud^y
en attacher un habilement. Jen fuis déjà,
en pojfejjlon depuis long-terns : il a étédrejjé
par un F alf renier de notre Grand-Pcre-^
iy 5 par le plus grand bonheur du 7nonde , //
y eft parlé fort au long de ce même Jdtiît
couleur de feu.
Ce projet paiTa avec le même con^
lentement unanime. Un vieux parche-.
min ridé eil attaché au Teftamicnt en
guifede Codicille: on achette lefatin^
éc on le porte.
L'Hyver fuiA^ant, unAcïeur, gagné
exprès par le corps des Faifcurs de Fran-
ges^ joua ion role dans une Pièce nou^
velle 5 tout couvert de franges d'argent ;
& , par-là , conformément à la louable
coutinue , il en introduifit la mode.
Les trois Frères confultant là-defllis de
nouveau le Tellament en queflion, ils
y trouvèrent à leur grand étonnement
ces paroles accablantes : y ordonne £5?
commande à mes trois Fils de ne porter ja-
mais des franges d'argent fur leurs habits ^
ni à Ventour dlceux. Ces mots étoient
fuivis d'une longue lifte de punitions ,
dont ils étoient menacez , en cas de d^s-
tome L E obcif-
^8 L E C O N T E
obeifTance. Plus les difficiiltez font
grandes , plus il y a de gloire à les fur-
mo nter. Un Article fi foudroïant ne
découragea pas celui des Frères , dont
j'ai déjà fi fouvent loué l'érudition. C'é-
toit un homme expert dans la Critique,
& il avoit trouvé dans un certain Au-
teur, qu'il nenommoit pas pour certai-
nes raifons, que le itvmQ frange ^ men-
tionné dans le Teflament , fignifie aufîi
un manche-à-halai \ & , felon lui , c'étoit
dans ce fens-là qu'il falloit le prendre en
cette occafion. Un de fes Frères dé-
clara avec humilité , qu'il n'étoit pas de
cet avis-là , à caufe que l'Epithéte , cC ar-
gent , ne lui paroilloit pas tout-à-fait
applicable à un manche à-balai. Il eut
pourréponfe, que cette Epithétc de-
voit ctre entendue dans un fens miile-
rieux & allégorique ^ mais, il ne lailTa pas
d'objeéler de nouveau , qu'il ne com-
prenoit pas pourquoi fon Père leur au-
roit défendu de porter des manches-à-
* Il s'agit ici probablement de l'etabliffement
^u Culte des Images, que les Dofteurs de TEglife
Romaine fauvent par la merveilleufe diftinction
entre ditlie Si, latrie , deux termes compofez de
différentes lettres: & en voilà aflez pour aller di-
rectement contre une Loi formelle de D^eu.
DU TONNEAU. ^j
halaï fur leurs habits ; précaution inu-
tile , & même impertinente. Son Frè-
re là-deilus prit un air grave, & l'arrê-
ta tout court , comme un homme qui
parloit avec irrévérence d'un mifiere ,
quijfans doutCjétoit très-fignificatif , &
très-utile 3 mais, dans lequel il n'étoit pas
permis à la Raiion humaine de creufer
trop avant.
Cette réponfe fenfée mit fin à îadil^
pute \ & comme le Teflament du Père
perdoit chaque jour quelque chofe de
fon Autorité , on prit d'une manière
docile ce joli tour de Critique, dont je
viens de parler , pour une PermifTion
dans les formes de fe jettera corps per-
du dans les franges d'argent.
Quelque tems après, une vieille miode
fut remife fur pied. C'étoit une bro-
derie à la Chinoife chargée de Figures
d'f ïommes , de Femmes , & d'Enfans ^'^
Dans cette occafion, il ne s'agiiToit
pas feulement de confulter la dernière
volonté du Père: les Damoifeaux ne
fe reffouvenoient que trop de l'horreur
qu'il
* On voit aflez qu'il s'agit ici de l'Adoration
des Saints mis a la placodes Divinitez nombreu-
ses du Paganiime.
E 4
100 L E C O N T E
qu'il avoit toujours témoignée contre
cette mode. Ils favoient que , dans plu-
fieurs Articles drelTez exprès , il l'avoit
deteitée ^ & qu'il leur avoit donné fa
maledièlion éternelle, s'ils étoient jamais
aflez hardis pour lafuivre. Malgré tant
■de déclarations 11 formelles , il ne fe
pafla pas deux jours , qu'ils neportalfent
cette mode jufqu'à l'excès. Ils alle-
guoientenleur faveur, que ces Figures
n'étoient point du tout les mêmes , qui
avoient été en vogue autrefois , &
dont le teflateur avoit voulu parler :
d'ailleurs, ilsneportoientpas cette bro-
derie , dans le fens dans lequel elle leur
avoit été défendue ; mais , uniquement ,
pour fuivre une coutume , qui tendoit
au bien public. A leur avis, ces Arti-
cles duTeilament dévoient être inter-
prétez cum granç falls.
Les modes étant fujettes à une revo-
lution perpétuelle, le Frère à diil:in6tions
fe laifa à la fin de chercher des échap-
patoires , & de iuter contre des obfta-
clés, qui fefuccedoientfansceffelesuns
aux autres. Il voïoit ^qs Frères , aufli
bien que lui , refolus à s'afTujettir à la
mode , à quelque prix que ce fût : ainfi ,
il ne lui fut pas difficile de ksdétermi^
ner
DtJ TONNEAU. lot
lier a renfermer le Teltament fatal ,
dans un Coffre -fort , qui leur étoit venu
de Grèce ou dlta]ie3 & à ne l'alléguer
déformais, que dans les cas où il s'ac-
corderoit avec leurs intérêts.
Conformément à cette refolution ,
quand la mode vint de porter un nom-
bre infini d'éguillettes ferrées d'argent,
notre favant Critique prcilonça ex Ca-
ihedra , qu'ils étoient autorifez à porter
'de ces éguillettes, Jure Paterno. Qj.i"il
étoit bien vrai, que la mode aîioit un
peu au delà de la permiiïïon que leur
aecordoit le Teilament : mais , qu'en
qualité de Succeffeurs de leur Père , ils
avoient le pouvoir d'y ajouter certaines
claufes , pour l'accommoder au bien pu-
blic 3 &, quand même ces claufes nau-
roient pas une liaifon exaéle avec le Tef-
tament , qu'il falloit pourtant les admet-
tre, de peur de tomber dans certaines
incongruitez , ne multa ahfurda fequc-^
rentur. Cette décifion pafTa aufii-tôt
pour Cano'/iicale ^ & , le Dimanche fui-
vant, ils parurent à lEglife tous lar^
dez d'éguillettes.
Ce Frère avoir acquis par fon favoir
une {\ grande reputation , que fes affai-
re.5 aét^nt pas en irop bon état , il
E \ eut
102 L E C O N T E
eut le bonheur d'etre placé chez un
certain Lord , pour avoir foin de Té-
ducation de Tes Enfans. Ce Seigneur
étant mort quelque tems après : il fut
donner un tour fi adroit à quelques paf-
iages du Tellament de fon Père , qu'il
y trouva un titre pour s'approprier les
biens de feu fon Maître. 11 en prit auffi-
tôt poiTeiTion: il en chalTa les élevés ^
& donna leurs appartemens à fes Frè-
res *.
* Ceci fait allufîon à la Proteârion que les Em-
pereurs ont accordée jadis aux Papes , qui , peur
récompenfe, fe font nichez dans leur Ville Ca-
pitale , & ont uiurpé peu à peu ces Provinces.
d'Italie^ dont ils font encore jufqu'ici Princes
Temporels,
SEC-
DU TONNEAU. 10}
SECTION III.
'Digrejfion touchant Mejjieiirs les
Critiques,
Quoique jiifqu'ici j'aye pris toute
^ Ja précaution polllble, pour flii-
vre exactement les règles, & la maniè-
re d'écrire, de nos llluitres JModernes,
je me vois cependant, par un tour que
me joue ma malheureufe mémoire ,
dans un égarement, dont il faut que je
me tire, avant que jepuifle avecbien-
féance continuer la tractation de mon
fujet. J'avoue avec honte, que c'eft
une négligence impardonnable d'y être
entré fi avant, fans avoir adreiïe à nos
Seigneurs les Critiques les difcours ufi-
tez, tant expojiulaîoires^ &i JuppUcatoi'
res ^ que àép^écatoires.
Pour les en dédommager, je prends
ici humblement la hardieife de leur pre-
fenter une courte DiiTertation fur eux-
mêmes, & fur leur art. Je vais en exami-
ner brièvement l'Etimologie &laGéné-
alogie , & le confidérer, tant par rapport
k l'état, où il fetrouvoit autrefois, qu'à
E 4 ré-
IG4 LE CONTE
l'égard de celui où nous le voïons pré-
lentement.
Par le mot Crkiques^ fi ufité dans nos
converfatioris d'aujourdhui , on a enr
tendu autrefois trois elpeces d'hommes
fort différentes, felon ce que jen ai pu
découvrir dans les livres , & dans les
brochures des Anciens. Ce terme defi-
gna d'abord desperfonnes, qui s'occu-
poient h inventer & à établir certaines
règles, pour eux-mêmes, &pour le pu-
blic, par l'obfervation defquelles un Lec-
teur judicieux pouvoir fe rendre capa-
ble de décider des produ6lions des fa-
vans , entrer dans le vrai goût du fu-
blime & du merveilleux, &diflinguer
les véritables beautez du flile ou de
la matière 5 d'avec le faux brillant qui le^
imite. Ils s'efforcoient , dans leurs Lec-
tures, à remarquer ce que les livres a-
voient de àèÏQdL^itux^t mutilité ,\d. fadeur^
Vabfurclité. Mais, ils s'y prenoient avec la'
même précaution , dont fe fert un hom-
me, qui paiTe par une ruëfale. S'il jet-
te un œil attentif fur les tas de boue
qu'il rencontre en fon chemin, ce n eft
pas dans le deffein d'en examiner la cou-
leur, d'en prendre les dimenfions, d'y
goûter, ou de s'y vautrer j c'efl uni-
que-
DU TONNEAU. lof
quement pour s'en tirer le plus propre-
ment qu'il lui efl pollîble.
On prétend, mais à tort, que ces
perfbnnes-là ont véritablement compris
\q ferîs littéral do, \cnv dérwmination^ &
qu'une partie confiderable du devoir
d'un Critique eft de rendre juflice au
mérite. Un Critique, dit-on, qui ne
lit, que pour chercher les occalionsde
cenfurer , reflembleà un Juge, qui pren-
droit la refolution de condamner h. la
potence tous ceux qui paroitroient
devant fon tribunal.
En fécond lieu, on a deligné , par le
terme de Critiques^ ces Reilaurateurs
du favoir , ces hommes fa vans , qui ont
tiré les belles Lettres du tom.beau, qui
les ont délivrées ào^Fersj &:qui ont fe-
coué la poufTiere qui couvroit les Ma-
nu fcrits.
Il y a déjà quelques fiécles, que ces
deux races ont été abfoiument étein-
tes > &, par confequent, il ieroit fort
inutile d'en parler plus au long.
La troifiéme & la plus noble efpc--
ce efl celle des véritables Critiques , dont
Torigine efL bien plus illuflrc que celle
des autres. Chaque veritable Critique
eft un Demi-Dieu de naiiTance , puifqu'i 1
E s à^-
îO(^ L E C O N T E
defcend en ligne direcle de Momus &
de Hybris , qui engendrèrent Zoïk y
qui engendra Tigellius ^ qui engendra
fc? Ci£tera premier du nom , qui engen-
dra Bentley , Rymer , Perrault , & Z)(?«-
7?/j , qui engendra t3 cetera fécond du
nom.
Ce font-là ces Critiques , qui de tous
tems ont prodigué tellement leurs bien-
faits à la République des Lettres, que
la reconnoiffance de leurs Admirateurs
eft allé jufqu'à leur chercher une origi-
ne dans le Ciel , à côté de celle de Thé-
fée, dePerfée, d'Hercule, & d'autres
Bienfaiteurs du Genre-Humain.
Mais , la Vertu Héroïque même n'a
pas toujours été exemte de la Calom-
nie. On a ofé obfcurcir la gloire de
tous ces grands hommes, en foutenant,
que , fam.eux par leurs combats contre
ies Geans , les Dragons , & les Bri-
gands , ils avoient été plus nuifibles eux-
mêmes à la Société humaine , que les
Monftres qu'ils avoient vaincus \ & ,
qu'après les avoir détruits , ils auroient
bien fait d'exercer la même juftice fur
leurs propres indi'vichis. Hercule Fa fait
avec beaucoup de generofité 5 ce qui
lui a procuré plus de temples, & plus
d'en-
DU T O N N E A U. Ï07
d'encens , que n'en ont obtenu les plus
ilkiilres de ihs compagnons.
Ceit pour cette raifon, je croi, que
certaines gens fe font mis dans Tefprit,
que chaque z-eritable Critique , après
avoir achevé fa tache , feroit une œu-
vre très-méritoire & très-utile pour le
bien public du monde favant , s'il vou-
loit bien s'attacher à une corde un peu
forte , ou fe précipiter d'une hauteur
un peu raifonnable. Ils font même d\i
fentiment, qu'il nefaudroit donner pla-
ce à perfonne dans le Catalogue des
l'-ais Critiques , avant qu'il eut mis
fin à cette perilleufe avanture.
De cette origine celefte d'un art fl
noble , & de fon étroite analogie avec
la Vertu Héroïque , on peut déduire ai-
fément les devoirs d'un 'vrai Critique.
Il doit parcourir la Republique des Let-
tres, pour donner la chaffe aux défauts
monftrueux , qu elle nourrit dans fon
fein^ forcer les erreurs à fortir de leurs
niches, comme Cacus de fa Caverne.
Il faut qifil les multiplie, comme les
tctes de l'Hydre; & quil les ramaile,
comme le fumier de l'Etable d'Augée.
11 faut 5 fur -tout , qu'il pourfuivc fansre-
E 6 la-
îog LE e O N T E
lâche certains oifeaux., qui ont rii>
cîination perverfe d'arracher des bran-
ches entières de Vj^rbre de Science , com-
me les oifeaux StymphalicyiS ^ qui pri-
voient les vergers de leurs meilleurs,
fruits *.
Il fuit de-lh, que la plus parfaite déii-^
nition qu'on puifle donner d'un 'vrai
Critique eft celle-ci. Un 'vrai Critique
efl unho'fjune^qui découvre^ l^ quiraffcm^-
bk^ les fautes des jouteurs. Qiiiconque.
voudra examiner toutes les elpeces d'ou^-
vrages , dont cette Secte ar.cienne a favo-
rifé le m.onde , verra d'abord par toute,
leur teneur , que les penfées de leurs.
Auteurs fe font uniquement attachées
aux fautes & aux négligences des autres.
Ecrivains. Quelque fajet qu'ils traitent,
leur imagination eft tellement remplie.
& occupée de tous ces paflages défec-
tueux, que la quinteifence mcme de.
ce qu'ils ont remarqué de mauvais fe
diftile dans leurs propres écrits , & que.
leurs ouvrages d'un bout à Tauire ne pa-
roif-
* Par CCS oifeaux l'Auteur' entend les gens
rtiifonnablcs , dont le but principal cft de pro-
fiter de leur Lefture , & de s'amafTer un tréfox.
de conuoiiranccs utiles.
DU TGNNNEAU. to^
roilTent qu'un extrait de tout ce qui a
fervi de matière à leurs réfle>dons.
Après avoir ainfl coniideré l'origine
& les occupations d'un Critique , à pren-
dre ce mot dans le fens le. plus general
& le plus noble , il eft terns de réfuter
les objeftions de ceux , qui prétendent
prouver par le filence des Auteurs, que
l'Art Critique, comme il efl exercé à
préfent, & comme je viens de l'expli-
quer , eft tout-à-fait moderne ^ & que^.
par conféquent, nos Critiques Anglois
& François, ne font pas d'une Noblef^
fe auiïï ancienne , que celle dont je les ai
mis en pofTeiïîon.
Or, Il je. fais voir clairem.ent, que
l'Antiquité la plus reculée nous a dépeint
îè 'vrai Critique &: fes devoirs , d'une
manière, qui répond exactement à ma
définition , on m'avouera , que cetta
grande objeélion, tirée du filence des
Auteurs , doit tomber nécelîairement.
Je confefle, que j'ai été long-tems moi-
même dans une erreur fi pernicieufe,.
& que je ne m'en fuis tiré, que par le
fecours de nos illuflres Modernes, dont-
je creufie jour & nuit les volumes édi-
fians, pour mon propre bien, &pour
celui de. ma Patrie. Ce font ces grands
E 7 honi^-
110 L E C O N T E
hommes, dont les travaux infatigables
ont découvert les endroits foibles des
Anciens, & nous en ont donné un Ca-
talogue copieux. Ce font eux , qui ont
démontré , que les plus belles chofes , qui
nous font communiquées parl'Antiqui-
té,ont été inventées & mifes en lumière
par des plumes beaucoup plus récentes -,
& que les plus grandes découvertes,
qu on lui attribue par raport à la Natu-
re & aux Sciences , avoient déjà été trou-
vées par le Génie tranfcendant de nos
contemporains: ce qui montre évidem-
mentjCombien le mérite des Anciens ell
mince, &, doit mettre des bornes à
cette admiration aveugle dont ils font
honorez par des gens enfevelis dans la
poulîiere du Cabinet , & aiTez malheu-
reux pour ignorer ce qui fe palTe à pré-
fent dans le Monde.
En délibérant meurement fur toutes
ces chofes, & fur les proprietez elTen-
tielles de lefprit humain, je n'ai pu
m'empêcher d'en conclure , que les An-
ciens,perfuadez fortement de leurs nom-
breufes imxperfe6tions , doivent s'ctre
efforcez dans quelques paiTagcs de leurs
livres , à l'imitation de leurs Maîtres les
IModernes, à détourner ou à adoucir
les
DU TONNEAU, m
les elpriis Cenfeurs, en faifant l'Eloge
ou la Satyre des irais Critiquer. Ini^
truit de cet ufage moderne, par la lon-
gue & utile étude que j'ai faite à^^
Prefaces à la mode, je me fuis déterminé
à déterrer la même loiiable coutume
dans les Ecrits anciens, & fur-tout dans
ceux des premiers iiécles. Par ces re-
cherches , j'ai trouvé à mon grand éton-
nement, qu'ils nous ont laiifé tous des
portraits du vrai Critique , plus ou moins
favorables , felon que leur plume étoit
guidée par lefperance , ou par la crain-
te 5 mais, qu'ils s'y font pris avec la der-
nière précaution , envelopant tout
ce qu'ils avoient à dire fur ce fujet,
dans des Fables ^ & dans des Hierogly^
fes. ^
C'efl aparemment cette circonfpec-
tion , qui a donné lieu à des Le6leurs
fupei^ciels de faire valoir le filence des
Auteurs contre l'Antiquité des 'urais
Critiques, Cependant, les types , que ces
Auteurs ont emploïez , font fi juites , &
l'application en eft fi naturelle, qu'il
ell difficile à comprendre, comment il
eft faifable, qu'un Lecleur d'un gout
& d'une pénétration m.oderne ne s'en
aperçoive pas. Je me contenterai de
choi-
HZ LEG O iVT E
choifir un petit nombre d'échantillons'
de cette immenfe quantité de types ôc
d'allégories, dont il s'agit ici ^ & je fuis-
convaincu , qu'ils feront capables de
mettre fin à cette difpute.
Ce qui mérite bien d'être remarqué ,.
c'efl que tous ces Auteurs anciens , en-
voulant traiter ce fujet d'une manière
énigmatique, fe font rencontrez tous dans
la même Allégorie, dont ils ont feule-
ment varié la fuperiicie, conformément
à leurs pafîîons, ou à leur tour d'ef.
prit.
D'abord , Paufanias eft du fentiment;
que la perfection de l'Art d'écrire ell
due à l'établiiTem.ent des Critiques. Et-
il eft évident, qu'il a en vue les ^urais
Critiques ^ par la defcription qu'il en.
fait dans les mots fui vans. Ceft, dit-
il, une race d'hommes qm fe pJait à 'ué--
tiller fur les fuperfluitez i:j fur les ex-
crefcences des Hires \ ce qui aïarit été à
la fin remarqué par lesSavans^ ils ont re^-
folu, de leur propre mouve?nerit ^ de re^
trancher, de leurs ouvrages , les branche s
pourries, mortes^ défi it ué es de fuc, iy
celles-là même do'it F unique défaut étoitde
f puffer trop,
Ë. envelope ce fait adroitement dans.
una
DU TONNEAU, nj
une Allégorie , en difant que les Nau-
fliens^ dans ï Argie , a'voient appris des
Anes V Art de îafUer les vignes \ en ohfer-
lant , que quand ces animaux en avoient
rongé quelques branches , elles en croif-
[oient mieux ^ ^ en port oient de meilleur
fruit.
Herodote,en fe fervant du même Hie^
roglyfe , s'exprime encor plus claire-
ment. Il eflbienalTez hardi, pour taxer
les Critiques ouvertement de malignité
& d'ignorance ^ car, il nous rapporte ea
pleins termes , que dans la partie occiden-
tale de la Libye il je trowce des Anes avec
des cornes. Sur quoi Cteftas renchérit en-
core 5 en faifant mention de certains
ânes de la même figure , qui font dans les
Indes : au lieu^ dit-il, que tous les autres
Anes n^ ont point de fiel ^ ces Anes cornus en
ont une telle abondance , qu^il n'eft paspof^
fible d'en manger la chair , à cauje de fonr
extrême amertume.
La raifon, pourquoi les Anciens n'ont
traii;é ce grand fujet que figurément^ ^
étoit la crainte qulls avoient des atta-"*
ques d'un parti auiïl redoutable que ce-
lui que formoient les Critiques de ces"
tems. Le Ton terrible de leur voix étoic
capable de faire trembler une legion en-
tierQ
IÎ4 L E C O N T E
tiere d'Auteurs , & de leur faire tomber
la plume des mains : ce qu'Hérodote
exprime clairement, en nous contant
qu un jour une grande Armée de Scy-
thes a voit été mife en déroute , par la ter-
reur panique qu'y répandit le braire
d'un ane. C'eit même de-là que cer-
tains profonds Litterateurs ont conjectu-
re 5 que le relpecl , que nos Auteurs An-
glois paient aux vrais Critiques , nous
eil venu de nos Ancêtres les Scythes.
Cette terreur des écrivains de l'anti-
quité devint peu à peu 11 générale, &
s'augmenta fi fort , que ceux , qui avoient
envie de parler librement fur le Chapi-
tre des 'vrais Critiques , furent obligez
de renoncer à cette ancienne Allegarie ,
comme trop approchante àa Prototype y
& de fe fervir de figures plus cachées &
plus miflerieufes. Cell aind que Dio-
dore jVoulant déclarer fon fentiment fur
la même matière, fe hazarde feulement à
nous débiter , que fur les 7nontagiies de
ï Helicon il n- oit une mawuaife berbe , dont
la fleur eft d^une odeur fi abominable , qu'elle
empoifonne ceux qui la fentent. Lucre-
ce en donne précifement la même def-
cription.
Eft
DU TONNEAU, ii^
EJi eîiam in magnis Helkonis monîibus
arbos ,
Floris odorc bominem retro confueta necare.
Pour Cteflas , dont j'ai déjà parlé,
il étoit beaucoup plus hardi : il avoit
été fort mal traité par les vrais Criti^
qiics de ^on âge \ & il étoit bien aife de
lailTer à la pofterité une marque feniible
de fa vengeance contre toute cette tri-
hii. Le fens en efl fi clair, que je ne
conçois pas comment il a pu relier ca-
ché à ceux qui nient l'Antiquité de
cette illuflre race.
C ell en traçant le portrait de pîti-
fleurs animaux des Indes , qu'il s'efl
fervi de ces expreïïlons remarquables. Il
y a entre autres un Serpent, qui ne [aurait
mordre , parce qu^il n'a point de dents ;
772ais , en récornpenje , quand il vomit , ce
qiiil fait très-fouvent , // caufe une cor^
ruption générale dans toutes les 'matières ,
fur le [quelle s il répand ce qui lui fort des
entrailles. Ces Serpens fe trouvent d'or-
dinaire fur les montagnes ou croisent les
Pierres precieufes : ils font fort fujcts à
jetter de leur gueule une liqueur empoifon-
née ; £^ fi quelqu'un s'avife d'en boire
qucU
116 LE CONTE
quelques goûtes , fa cerieîle lui fort auffi-tùt
'pay les narines.
Il y avoit encore parmi les x^nciens
une forte de Critiques qui ne differoienc
pas des premiers en cypece^ mais feule-
ment en taille , & en de^-é. Il y a de
l'apparence, qu'ils étoient comme les
a-pprentifs des autres \ & cependant on
en fait mention, d'ordinaire. commue d'u-
ne Secle h part, à caufedela drfleren-
ce de leurs occupations. L'exercice
ordinaire de ces Etudians étoit de fre-
quenter les Spectacles , & d'y épier les-
plus mau' ais endroits des pieces de théâ-
tre , defquels ils étoient obligés de ren-
dre un conte exa6l à leurs Gou^ccrneurs^
Mis en goût par cette petite proie,
comme déjeunes Loups , ils acqueroient
avec le tems aifez de force & de vigueur,-
pour iè jetter fur une proie plus confi-
derable: car , il a été obfervé parles an-
ciens, auffi bien que parmi \k^i moder-
nes 5 qu'un vrai Critique a de com-
mun avec un Echcvin & avec une Cour^
tifane , qu'il ne perd jamais fon titre ;
& quun Critique en gerbe a toujours
été un Critique en herbe : fes talens na-
turels aïant été feulement augmentez
par fes lumières acquifes j femblable
ait
DU TONNEAU. 117
au chanvre , dont lafémence même , fe-
lon les Xaturaliites, donne des fuffo ca-
tions. C'eft à cette race de Garçons Critic
qnes , qu'on eft redevable de l'invention,
ou du moins du rafinement, des Prolo^
gués des pieces de théâtre * ; & ce font
eux 5 dont Terence a fait fi fouvent men-
tion fous le nom â^Male^'oIL
Il eft certain que rétabliffement de
la race Critique eft d une neceiïïté ab-
foluë pour le monde favant • car , toutes
les actions humaines ont une relation
exacte avec les Talens de Thémillocle ,
ôc de fon Compagnon. L'un fait ra^
ckr le hoiaii , & l'autre fait faire cîiin
petit Bourg une grande Ville ; & celui
qui ne fait faire, ni Fim, nifautre, mé-
rite d'etre chafle de l'univers à coups
de pied. C'eft fans doute l'envie d'évi-
ter une pareille punition , qui a donné
nailîance au Peuple Critique , &: une
occaiionaux Calomniatein*s de débiter,
que chaque membre de ce corps eflime
e&
* Les anciens Comiques faifoîent précéder
leurs Pieces d'un Prologue , dans lequel ils s'ef-
forçoient a captiver ]a bienveillance des Spefta-
tcurs. La môme coutume règne encore ^Jr le
téatre Anglois,
îi8 L E C O N T E
efpece d'ouvrier, qui levé boutique,
avec la même facilité qu un tailleur,
Aufîi , felon ces detra6leurs du méri-
te ," il y a une étroite conformité entre
les talens & les outils de fun & de
l'autre. UOeil du tailleur * eil un type
parfait des Lieux-comynuns d'un Critique :
& le Carreau du premier reprefente
fort au jufle felprit & le favoir du fé-
cond -j-. Leur courage eil de la même
nature, & leurs armes font d'une figu-
re fort reiTemblante §.
On peut repondte plufieurs chofes
très-folides à toutes ces odieufes ob-
je6tions. Rien au monde n'eft plus faux
que ce qu'on ofe avancer fur la facilité ,
qu'il y a 5 à s'ériger en ''jrai Critique,
Au contraire , rien n'ell plus difficile ;&
il faut fe mettre plus en frais, pour être
membre privilégié de ce corps, que de
tout autre ; car , tout de même que , pour
bri-
* L'Endroit où il jette les lambeaux qu'il
vole.
f Le Carreau du tailleur applanit les coutu-
res : Tefpnt & le favoir du Ciiique confiile à
cacher la manière dont il a coufu enfembie les
lambeaux de cqs 'Lieux-Communs.
$ Les Tailleurs rognent , & piquent; les Criti-
ques en fout autant.
DU TONNEAU, up
briguer l'honneur d'être un Gueux dans
les formes^ il en courte au plus riche af-
pirant jufqu à fon dernier fou ; ainfi,
pour qu'un homme puifTe s'établir dans
Je monde fur le pied d'un 'vrai Critique^
il lui en coûte toutes les bonnes quali-
tez de fon efprit. Ce qui feroit un aflez
Jût marché ^ s'il s'agiiToit de toute autre
acquifition moins, importante.
Après avoir prouvé de cette manière
\ Antiquité de la Critique , & dépeint fon
état primitif, il me refte d'entrer dans
Texamen de fétat préfent de ce florif-
fant Empire, & de faire voir Fexacte
conformité de l'un & de fautre.
Un certain Auteur, dont les Ouvra-
ges ont été entièrement perdus depuis
plufieurs fiécles , en parlant des Criti-
ques , dans fon Livre f. Chap. 8. ap-
pelle leurs Ouvrages les Miroirs de l E^
rudition'^. Or, quiconque fait, que les
miroirs des anciens étoit faits de cuivre,
& fine Mercurio , doit comprendre par-
là d'abord les deux principales qualitez
d'un veritable Critique moderne , & être
convaincu , qu'elles ont toujours été les
mê-
* Citation imitée d'un Auteur illuflre. Voyez
la Differtation de Bentley.
îio L E C O N T E
mêmes5& doivent refier les mêmes éter-
nellement. Car, le cuivre efl l'emblème
d'mie longue durée ^ &, quand il eiî: ar-
tiftement bruni, les reflétions fe font
fur fa propre fuperficie , fans qu'il foit
befoin qu'il ait du Mercure derrière
lui ^.
Les autres talens d'un Critique ne
méritent pas un détail particulier , étant
renfermez dans ceux dont je viens de
faire mention, ou pouvant en être dé-
duits fans peine. Je ne veux pas finir,
pourtant , fans établir ici trois maxi-
mes , qui ferviront de marques carac-
térifliques , pour diflinguer un vrai Cri-
tique moderne , d'avec un Ufurpateur
de ce titre ; & qui feront d'un grand
ufage , pour ceux qui veulent s'enga-
ger dans une carrière fi utile , & fi
agréable,
La premiere efl , que la Critique ,op-
pofée en cela diam.etralement à toutes
les autres Facultez de l'Ame , pafTe tou-
jours pour la plus veritable , & pour la
meilleure , quand elle fort fraîchement
de l'efprit de fon Auteur. Il en efl
com-
* Décidons appuiees fur la témérité y fans
être fécondées par le fàvoir.
DU TONNEAU, iir
comme de la premiere vifée d'un char-
leur , qui eil d'ordinaire la plus feure ;
s'il ne s'en tient pas-la , il y a mille
contre un qu'il n'attrapera pas le but.
Seconde Maxi'me. Les \:rah Critiques
font connus par leur penchant à volti-
ger autour des plus nobles Ouvrages,
à quoi ils fontllmplement portez parle
même inilinct , qui guide les fouris vers
le fromage le plus gras , & les guêpes
vers le plus excellent fruit. Cell ainfî ,
que quand le Roi eil h cheval, il peut
compter d'etre le plus file perfonnage
de toute la calvalcade , puifque ceux ,
qui lui font le mieux la Cour , font pré-
cifement ceux , qui féclabouiTent le
plus.
Troifiéme Alaxiyne. Un vrai Critique
rcffemble à un Dogue , qui eft à un
Feicin , & qui attend la Gueule béante
ce que les convives jettent à terre , &
qui ne gronde jamais tant , que lorfqu'il
y a peu d'os.
Je me flatte que ce Difcours aura
l'honneur de contenter mes Patrons les
vrais Critiques înodernes , & de les dé-
dommager du filence , où jufqu'ici je
fuis demeuré à leur égard , auiîl bien que
de celui que je poin*i*ois bien obferver
l'orne L F ^ à
i2Z L E C O N T E
à l'avenir. Je crois en avoir aflezbien
ufé avec tout leur illullre corps , pour
en pouvoir elperer une genereufe in-
dulgence.
Dans cette attente, je m'en vais pour-
fuivre hardiment FHilloire , que j'ai 11
Ijeureufement commencée.
SEC-
DU TONNEAU. nj
SECTION IV.
Continuation du Conte du Ton-
neau.
J'Ai déjà condiik le Lefteur avec de
grands efforts jufqu'à un période ,
où il doit s'attendre à de grands
événemens.
A peine notre Frère DoBeiir fe vit-il
propriétaire d'une bonne maifon , qu'il
commença à faire le gros dos , & à fe
donner de grands airs ^ en forte que, il
le Lecteur n'a pas la bonté d'étendre uii
peu l'idée que j'en ai donnée jufqu'ici,
je crains fort , qu'il ne reconnoiile plus
notre Héros , tant il y a de changement
dans fon roll e, dans fes ajuftemens , &:
dans fa mine.
Il commença par dire à les Frères ,
qu'il vouloit bien qu'ils fuiïent, qu'il
étoit famé, & par confequent l'unique
héritier de leur Père. Q_uelque tems
après, il ne voulut plus , qu'ils l'apellaf^
fcnt leur Frère ^ il vouloit être nom^m-é
'/feux Monficur Pierre^ ou Perc Pierre^
ëz quelquefois même , Mrlord Pierre.
F 2 ' Pour
114 LE CONTE
Pour foutenir ces grands airs , qui
ctoient fort au-deiTtis de Tes moïens , ii
s'établit dans le monde far le pied d'un
Fhtuofo , ou In"jcnteur de Projets, Il
fit ce nouveau métier avec tant defuc-
ccs , que plufieurs fiimeufès découver-
tes, & un grand nombre de machines,
qui font encore à prefent en vogue , doi-
vent leur naiflance au fubtil efprit de
My lord Pierre. Je donnerai ici un dé-
tail des principales,fans me mettre beau-
coup en peine de l'ordre des tems où
elles ont été inventées : aufîi bien les
Auteurs ne font-ils pas trop bien d'ac-
cord fur ce point.
Comme j'ôfe afleurer que ce préfent
Ouvrage eil d'un mérite confiderable ,
par les peines , qu'il m'en a coûté , pour
en am.aiïer les matériaux , par la fidé-
lité de la relation , & par l'utilité du
fjjct, je ne doute pas qu'on ne me ren-
de la juftice de le traduire dans toutes
les Langues étrangères. Je me flatte en
ce cas 5 que les dignes membres de toutes
les Academies de l'Europe, & fur-tout
celles de France & d'Italie , confidere-
ront cet ellai , co mm e un des gran d s fe-
cours, pour parvenir à la connoiiTance
uni-
Du TONNEAU, n;
univerfclle de tout ce qui mérite d'e-
tre fù.
Je dois avertir encor ici les Reverends
Peres des Milhons Orientales ,« que,
pour Tamour d'eux , j'ai choifi exprès
les Tours & les Plirafes les plus propres
à être traduites facilement dans les Lan-
gues de rOricnt , & fur-tout en Chi-
nois. Après cette petite Digrellion , je
vais mon chemin , extafié par la contem-
plation des fruits confiderables , que tous
les ILibitans de notre Globe recueil-
leront aparemment de mes travaux.
La premiere entreprife de Mylord
Pierre tendit h. fe m^ettre en poHeirion
d'un continent fort étendu fitué dans
tm pais nommé- l^erra Jujfralis inco-
gyiita^. Il l'acheta pour peu de chofe de
ceux qui fa voient découvert, quoi qu'il
y ait des gens qui foutiennent , que les
icudcirrs n'y ont jamais mis le pied. Il
le partagea en diiferens Cantons , & les
revendit en détail a plufieurs Marchands,
qui y voulurent conduire des Colonies,
mais qui périrent tous dans le Voiage.
Enfuite,AIylord Pierre vendit de nou-
veau ce même continent à d'autres ,
F 3 puis
* Le Civl, ouj fclon d'autres, le Purgatoire*
126 LE CONTE
puis à d'autres , & puis encore à d'aU"
très 3 6c toujours avec le mêmefuccès,
demeurant toujours PoiTeileur de ce
qu'il avoit vendu.
Son fécond projet étoit le débit d'un
remède fouverain contre les vers, &
fur-tout contre ceax , qui ont leur fejour
dans la ratte '^. Ce remède étoit fort
aifé à prendre : il s'agiffoit feulement
d'être trois nuits fans manger quoique
ce foit après foupé ; d'avoir foin en fe
couchant de fe mettre fur un coté , &
de fe tourner, dès qu'on étoit las de cet-
te fîtuation. Il falloit encore attacher
en même tems les deux yeux fur le mê-
me objet, & fe garder avec foin de lâ-
cher des vents par devant & par derriè-
re, dans le même inllant. Par l'obfer-
vation exacte de cette recette , les vers
fortoientimperceptibIementpar/r^;^y/?/-
ration au travers du cerveau.
Sa trcifiéme invention fut FétablifTe-
nient d'un Bureau pour le bien commun
des Hypocondriaques -f ; & de ceux qui
étoient tourmentez de la Cohque,des eu-.
vieux
* Scrupules de Confcience, Remords 6cc. Ce
remède confiile en abiblutions , pardons , le.
gcrcs penitences, &c.
"j: La ConfclÏÏQn..
DU TONNEAU. 117
rteux impertinens^ des Médecins , des Sages-
Femmes^ des Politiques du ha s ordre ^ des
Poètes plagiaires 3 des amis brouillez , des
amans heureux eu defefperez , des Cour-
îifanes^ des P age '>^ des Parajites^ iy des
Bouffons'^ en un mot ^ de tous ceux qui
courent ri [que de crever à force de l'ent.
Dans ce Bureau la tête d'un Ane étoic
placée avec tant d'adrelTe 5 que le mala-
de pcuvoit aiiemenc apliquer fa bouche
à l'une ou à l'autre oreille de cet ani-
mal *. Lorfqu il s'étoit tenu dans cette
pollure pendant quelques momens , il
le trouvoit d'abord foulage par une Fa-
culte attra6li-ve particulière aux oreilles
de cette Béce, qui lui faifoit vuider la
fource de fon mal par éructation^ cxpi^
ration , ou e^-jomiîion.
Un autre projet fort utile de Mylord
Pierre étoit féredlion d'un Bureau
d'Aifurance 7 en faveur des pipes- à-
F 4 ta-
* Par cette tète d'^r//^ cfl entendu le Prêtre qui
eil place dans le Confefllcnal , & dans l'oreille
duquel les Penitens vuident leur fac d'ordures.
7 11 y a à Londres un Bureau d'AfTurance ,
ou, pour une certaine fommc , on fait aiTurer les
maiions contre les dommaf^os , qu'elles pourroient
recevoirpar l'incendie. De la mcme manière, le
Pape
ii§ L E C O N T E
tabac , des Martirs clu zèle moderne,
des recueils de Poclies , des ombres
& des rivieres ; tendani
à les garantir contre les dommages qu ils
pciirroient recevoir par le feu.
Il paroit de-là, quenosSocietez, éta-
blies dans des vues femblables, ne font
que des Copies de Milord Pierre, quoi-
qu elles ne s'en trouvent pas mal , non
plus que lui.
Le même Seigneur Pierre paflc en-
core pour l'Inventeur des Marionettes^ &
des Curiofitcz'^' ^ dont Futilité efc trop
reconnue dans le monde , pour qif il foit
neceflairc de m'y étendre.
J'aurois tort de paffcr ici fous fiîence
une autre découverte , qui lui acquit
une
Pape a une Boutique de pardons , 6i d'indul-
gences j pour alicurer les âmes contre les flammes
du Pur£;atoire. L'Auteur fait ici mention de plu-
fieurs chofes , qui ne valient pas la peine d'être
ailurécs contre le feu, ou qui ne font pas d'u-
ne Nature à avoir befoin d'une pareille afTu-
rance. W turlupine par la :a fottife de precaution-
ner contre le feu du Purgatoire les âmes , qui
font immatérielles, & qui pr;r confequent n'ont
pas befoin d'un pareil oiîguent contre la brû-
lure.
* Les Ornemens porppeux , qui font un fi beau
Spedacle dans IT.g'ife Koinaine»
DU TOKiVEAU. up
nnc grande réputation : c'efl Ç-àfcimcw
Je Saur,:uye umvcrfeLle ^.
Aïant remarque , que notre fiumu-
re ordinaire n'avoit pas d'autre ufage ,
que de conferver la viande morte , &
quelques efpeces de végétaux , il trou-
va le moïen, avec beaucoup d'art & de
dépenfe , d'en étendre l'utilité. Il ea
compofa une propre à garantir de tout
mal, Maifons, Jardins, Villes, Fem-
mes , Hommes , Enfans , & Bétail;
& il y conferv^oit tout cela aulTi fain (Se
auiTi entier , que les Infectes font con-
fervez dans FAmbre.
Cette faumure paroilToit au goût, à
rodeur,& à la vue, prccifement la mê-
me, que celle, où nous mettons notre
bœuf, notre beure , & nosharangs;
mais , c'étoit bien autre chofe , par ra-
port à ^cs rares quaiitez. Des que Pier-
re y avoit mis une petite pincée de fa
^owàx'Q. preîimpi/npim ^ elle changeoitde
nature, &produifoit des effets miracu-
leux.
L'Opération étoit faite par <^'/>.";;/75;;;
& , pour être fur du fucccs , il falloit la
mettre en œuvre dans un certain tems
F s tie
* L'Eau bcnitc.
I
ija L E C O KT T E
de la Liine ^. Si le Patient qu il fal^»
loit aiTofer etoit une Maifon , elle étoit
par cette operation en fureté contre les
rats, les belettes , & les arragnées. Si
c'étoit un chien , il étoit garanti de la
gale, de la rage, & de la faim. Elle
delivroit aufTi fans faute les Enfans des
poux &: de la rogne.
Mais, de toutes les pieces que Pierre
pofledoit , celles , qu'il eilimoit le plus ,
étoit une certaine race de Taureaux^
defcendus en ligne droite de ceux, qui
gardèrent jadis la Toifon d'Or f. 11 eil
vrai que certaines gens , qui les av oient
examinez avec attention , prétendoient,
que quelque fang roturier devoit s'être
giiffé furtivement dans les veines de ces
animaux , parce qu'ils avoient fort de-
*I1 faut être bien lunatique, en effet, pour
<îonner dans des fottifes pareilles.
I L'Auteur parle dans cet Article des Bulles
du Pape. On pourroit s'étonner qu'il les defîgne
par l'emblème des Taureaux ; mais , outre que la
<îngularitë affedée de fa. manière d'écrire fuffit
pour rendre pardonnable une figure fîpeuufîtée,
le Lefteur l'aprouvera fans doute, quand il faura
qu'en Anglois le mot Bu// fignifie une bulk 8c un
'Taureau. Je n'ai pas eu l'efprit afTez inventif,
pour trouver en François quelque chofe d'équi-
valent.
DU TONNEAU. 151
gênerez, par raport h certaines qualicez
de leurs Ancêtres , & qu'ils en avoient
acquis d'autres fort extraordinaires.
On fait que les Taureaux de Colchos
étoient fameux par leurs pieds d'ai-
rain ^ mais, il étoit arrivé, ou par la mau-
vaife nourriture, ou par quelques in-
trigues de leurs Aïeules, ou par quel-
que affoibliflement accidentel dans h
femence, ou par la fuite des terns, qui
a fi fort abâtardi toute la Nature dans
ces derniers malheureux fiécles ; enfin
il étoit arrivé, dis-je, que le métail de
leurs pieds avoit fort baifTé en valeur,
& que ce n'étoit plus que du plomb
ordinaire.
D'un autre côté, ils avoient confervc
ces horribles mugiflercens fi particuliers
à leurs premiers Parens , aulfi-bien que
le Don defoufler le feu parles Narines,
que quelques Calomniateurs taxoienc
de n'ctre qu'un pur artifice^ foutenant
que ce Phénomène n'étoit pas ^i terri-
ble quil paroiiToit, <S:quil n'étoit cau-
fé, que par la nourriture de ces ani-
maux , qui confiiioit en fujc'es ôc en
fêtards,
Qiîoi
^ JLc Sceau attache au bas cTcs Bulles»
F 6
i^i L E C O N T E
Qiioi qu'il en foit, il efl certain,
qu'ils avoicnc deux marques, qui les
diitinguoient extrêmement de leurs Pe-
res contemporains de Jafon, & que je
n'ai jamais trouvées dans la defcription
d'aucun monltre, excepté celui dont
parle liorace. Farias inducere plumas ^
atru'ûi dejhiit in pifcem. Ils avoient ef»
feclivement des queues depoiilbn^^ &
cependant , en certaines occafions , ils
voloient avec plus de rapidité, qu'au-
cun oifeau au monde.
P/ar^fe 1er voit de ces Taureaux avec
beaucoup de fuccès. Il les faifoit mu--
gir quelquefois pour effraïer & pour
faire taire /c'^ En fans qui nétoient pas jo-
lis]. D'autres fois , il leur envoïoit faire
des commilfions fort importantes. Mais,
ce qu'il y avoit de remarquable dans
toutes leurs actions , & que le Lecleur
prudent aura de la peine à croire , ils
faifoient voir un amour enragé pour
VOr. C'étoit aparemment un inflincl,
qui ctoit paiïc dans toute la race de
leurs nobles Ancêtres les Gardiens de la
Toi-
Suh anmih fifcatorii,
Les Princes qui n'on
fc pour plier fous i'Autoritc du Sî. Pcrc»
1 Les Princes qui n'ont p.is a/Tez de Soupki^
DIT TONNEAU. 135
Toifon. Ils Hiivoient cet inflincl avec
tant de fureur , que quand Pierre les
envoïoit feulement faire uncompliment
h quelqu'un , ils fe mettoient à rotter , à
jetter du feu par les narines , à mugir par
devant &par derrière : en un mot, ils
faifoient le diable à quatre, jufqu'à ce
qu'on leur eut jette une bouchée d'or
dans la gueule > mais alors, puh'eris
exiguija^ii^ ils devenoient doux comme
des agneaux.
Cette prodigieufe avidité pour l'Or,
encouragée , à ce qu'on prétend , parla
connivencedeleurMaitre, les faifoient
regarder par-tout comme une troupe de
Gueux infolens: c'étoit avec grande
raifon> car, par-tout où on leur refii-
foit raumone,iIs faifoient un tintamar-
re à faire avorter les Femmes, & àjet-
terlesEnfans dans des convulfions. Ils
pouffèrent enfin leur effronterie fi loin,
qu'elle devint infuportable à tout le
voifmage, &que certains Habitans du
Nord-(Jueft envoïérent contre eux une
meute de Dogues iVnglois ^, qui leur
donnèrent des coups de dents li terri-
bles,
* Henry 8. le premier Roi qui ait fccoué le
Tçug du Pape,
F7
IÎ4 L E C O T E
bles , qu'ils s'en reffentirent toute leuf
vie.
II faut 5 avant que de finir , que je fafle
encore mention d un Rutveprojet de My-
lord Pierre , qui fait bien voir , que c'efl
un Maître homme , & d'une imagina-
tion très-riche , & très - féconde *.
Quand il arrivoit que quelque Scélérat
étoit condamné à être pendu, Pierre
le donnoit les airs de lui offrir le par-
don, pour une fomme d'argent. Lorf-
quele pauvre Diable avoit fait tousfes
efforts pour la ramaffer , & qu il l'avoit
envolée h. fa Grandeur ^ il en recevoit
pour recompenfe un Papier contenant le
Formulaire fuivant.
A tous Baillifs^ Prez'ôts^ Geôliers ^
Sergens , Archers , £5^. Salut.
Comme rious fo77rme s informez que le nom^
mé N. étant fous fentcnce de mort fe trou-^
ve aBuellement entre vos mains, nous
'voulons y £5? ordonnons, qu'à la vue de
la pre fente , vous aïez à relâcher le dit
prifonnier , {$ h le laifjer retourner libre-
ment à fa demeure^ quel que puiffe être le
cas ^ pour lequel il eft condamné , Meurtre ^
Fol,
* Ceci fait allufion aux TaxA CameUari'A "ho-
rnnn& , cù les crimes les plus affreux font taxer
à une légère foîumçr
DU TONNEAU. r^f
Fdï ^ Blafpheme ^ Incefie ^ Sacrilege^ Tra-^
hîfon^ Sodomie 'y i^c. Etfivousétes ajfez
hardis y pour y inanquer ^ que le Ciel
'VOUS punijfe "jous fi? hs '■cotres éternelle-
ment. Dieu 'vous ait en fa faint e i^ dign-c^
Garde,
Le tres-hurnUe Ser'viteur
de 'VOS Serviteurs ^
L'Empereur PIERRE;
Qu'arrivoit-il? Les malheureux, qui fe
fioientà ces bellos patentes , perdoient
leur argent , & leur vie par-defllis le
marché "*.
Avant que de palTer outre , je dois
avertir ceux , à qui la Poflerité favante
confiera l'honneur de commenter ce
Traité ymr'veilkus ^ d'en manier avec
beaucoup de précaution certains points
obfcurs , defquels ceux , qui ne font pas
'verèadepti^ pourroient tirer certaines
conclurions trop précipitées. Ce danger
efl fur- tout à craindre par rapport à
cer-
* Les pardons achetez pour une femme il
modique n'empêchent pas le Criminel, s'il eft
faifi par le Bras fecuh'er , d'être pendu OU roué,
en dépit de l'Autorité Papale.
135 L E C O N T E
certaines périodes Myftiques , où Yon
2l joint ^ pour l'amour de la brièveté y
certains ^;t^;^.^ , qui doivent être divi^
fez dans l'opération. Je ne doute pas
que les Fils futurs du grand Art ne paient
à ma mémoire des refpe6ls reconnoif-
fans, pour un avertilTiment d'une aufîl
grande utilité.
' Il ne fera pas difficile de perfuader
aux Le6leurs5qiie tant de grandes de-
couvertes de My lord Pierre eurent un
fuccès prodigieux dans le monde. Je
puis proteiler cependant , que je n'en ai
raporté que la moindre partie. Mon
intention n'a été que de vous commu-
niquer celles 5 qui méritent le plus d'être
imitées , & qui font les plus propres à
donner une idée exaéle du Génie de
Y hrcentcur.
Il eft aifé de s'imaginer, qu elles lui
avoient procuré des richeifes immenfes.
Mais , helas ! le pauvre Seigneur s'étoit
donné une entorfe au cerveau , à force de
mettre fon efprit à la torture. Son or-
gueil & fes projets de Scelerateffe l'a-
voient rendu fou à lier ; & fon imagi-
nation s'étoit remplie des plus bifarres
reveries qu'on puiiTe concevoir. Dans
les plus terribles accès , ( comme il ar-
rive
DU TONNEAU. 1^7
rivefouvent à ceux, à qui la vanité fait
tourner Felprit) il s'appelloit quelque-
fois le Monarque de l'Univers, le Dieu
tout-puiilant.
Je fai vu un jour, dit mon Auteur y
prendre trois vieux Chapeaux en pain
de fucre, & fe les planter fur la tète
rundelTus fautre, comme une Couron-
ne h triple étage. Dans cet état, je fai
vu fe montrer aux hommes, avec une
Ligne à pécher à la main , & avec un
énorme trouiieau de Clefs pendu à la
ceinture.
Dans cette venerable pollure , û
quelqu'un vouloitlui donner lamain en-
figne d'Amitié , il lui tendoit galam-
ment la jambe; & fi l'autre ne prenoit
pas goût à cette civilité , il la levoit allez,
haut, pour lui fangler un vigoureux coup
de pied furies mâchoires. Voilà ce qu it
apelloit filuer les gens. Qiiand quel-
qu'un paffoit devant lui , fans fonger à
lui faire la reverence, il lui faifoit tom-
ber le chapeau dans la boue, en fou^
Jlant delTus; car, il avoit Icfouflc d'une
force étonnante.
Au milieu de toutes ces extravagan-
ces , les affciires de famille ctoient dans
un defordre pitoiable , & fes Frères
pai-
i}8 L E C O N T E
paflbient fort mal leur terns. La pre-
miere boutade par laquelle il s'étoit ii-
gnalé à leur égard , c'eft de chaiTer un
beau matin de la maifon leurs Fem-
mes, aufli bien que la Tienne 5 & d'y fai-
re entrer à leur place trois franches Don-
zelles , qu'il avoit ramafTées dans les
rues ^. Qiielques jours après, ilfemit
dans l'efprit de clouer la porte de la
Cave 5 pour faire manger fes pauvres
Frères , fans leur donner à boire -|".
Dinant un un jour en Ville chez u^
Eche^vin , il l'écouta avec attention ha-
ranguer fur un alloyau de bœuf.
Le bœuf , difoit ce fage Magiflrat ,
eji le Roi des mets : le bœuf contient
la ^uintejjence dn perdreau , du fai*
fan , de la caille , de toutes fortes de
'venaifon \ i^ même du pdding^ {^ du
flan.
11 ne lailTa pas tomber à terre cette
belle penfée ; & , dès qu'il fut revenu
chez lui, il fut y donner un fi bon tour,
qu'il en fit un dogme très-utile pour
lui 5 en la rendant apphquable au pain.
U
* Le Mariage défendu aux Prêtres 5 & le Con-
cubinage permis.
t La défenfe de la Coupe dans laStc. Cenc.
DU TONNEAU. 159
Le Pain , dit-il , mes chers Frères eft le
foutien de la vie : dans le Pain font ren^
fermez inclufivè , le mouton , le veau ,
le gibier , le flan , i^ le podding '^. Et
même^ pour en faire un aliment complet^
il y a unedozenéceffaire d'eau, qui, aiant
perdu fa crudité par la chaleur £5? p^r la
fermentation , efi devenue une liqueur ex^^
trémement faine répandue par toute la maffe.
Conformément à ces beaux principes,
un grand pain fut fervi le lendemain à
dîner,avec toute la formalité d'une Noce
Bourgeoife. Allons , mes Frères , dit
Pierre , n épargnez pas ces mets. Je vous
garent is ce mouton excellent. Servez-vous
s'il vous plaît \ ou bien , je m'en vais vous
fervir moi-ynême, puifque fy fuis. En mê-
me tems,avec beaucoup de Cérémonies,
armé d'un couteau & d'une fourchette,
il leur coupe à chacun une tranche mal^
five de ce pain , & il la leur préfente
fur une afTiette. L'aîné des deux, n'en-
trant pas d'abord dans l'idée de Mylord
Pierre , commença d'une manière fort
humble à lui demander le fens de ce
Miflere. Mylord , dit-il , avec tout le
refpedl que je vous dois , il me femble quil
y a quelque méprife ici. Comment donc\
* La Tranfubftantiatfon.
I40 LE CONTE
repondit brufquement Pierre. Nous al-
lez-vous débiter ici quelque pîaifanterie de
*votre façon? Nullerâent ^ Mylord ^ répli-
qua le pauvre garçon. Jemétoisimaginé^
que Foîre Grayideur avoit parle d'une piè-
ce de mouton -, (^ je ne fer ois pas fâché
delà voir paroi tre fur la table, ^te vou-
iez-vous dire? repartit Pierre d'un air
fort furpris. Je veux mourir , ft je vous
comprends. Le plus jeune trouva h pro-
pos là-deiTus de fe mêler de la conver-
làtion, afin d'éclaircir la matière. Aïy-
lord^ dit-il, mon Frère a faim .^ aparem-
ment \ ^ il voudroit bien tater de ce mor-
ceau de mouton , que Votre Grandeur
vient de nous promettre, ^uel pejle de
jargon eft ceci ? repartit Pierre. Avez-vous
le Ùiable au corps Vun £5? Vautre ? "ïreve
de railleries , s il vous plait. Si vous , qui
avez commencé cette farce , yf aimez p^as
votre morceau Je m'en vais vous en couper
un autre , quuiquà mon avis ce foit le
plus friand ^obet d" appétit de toute ÏE^
paule. Comment donc^ Alylord! répon-
dit le premier. Ccft donc -là une Epaule
de moût on y à votre avis ? Monfieur , Mon^
fieur mon Frère ^ repartit Pierre aigre-
ment 5 vuidez votre afjiette , s' il vous plait.
Je ne juii point du tout en humeur defoufrir
vos
DU TONNEAU. 14.1
t
"■j OS fades houfonneries. Pouffe à bout par
la gravité affeclée de Pierre, le pauvre
Cadet ne put s'empêcher de fortir du
refpecl. Parbleu^ Mylord^ dit-il, tout
ce que je puis l'ous dire^ cefi quà en juger
par mes yeux , mes doits , mes dents , £5?
mon nez^ ceci n'eft autre chofe quiin gros
^Àgnon de pain. A quoi lautre ajouta ,
que de [es jours il nosjoit '•ou un morceau
de mouton^ qui rejjhnblàt fi fort à une
tranche d'un pain de douze fols. Ecou-
tez^ Mejfîcurs^ s'écria Pierre là- defl us
d'un ton furieux. Pour vous faire i:oir^
que 'VOUS ifétes qu^in couple de fats^ aveu-
gles^ ignorans., 6? decififs^ je ne me fer-
virai que de ce feul Argument. Ceci eji
d\iujfi bon £5? d''aujfi veritable mouton^
qu'il y en a dans toute la boucherie :
(J Dieu vous darnne éternellement ^ fi
vous êtes ajjèz hardis , pour n'y pas ajou-
ter foi.
Une preuve aufli foudroïante que
celle-là ne laiffa aucun lieu à de nou-
velles objections , & les pauvres gens
rentrèrent dans leur coquille tout au
plus vite. En cjfet^ dit le premier, en
confiulerant la chofe plus meurement. . . .
. jipres y avoir mieux fongé^ interrompit
l'autre, // ?ne Cemble que F être Grandeur %
rai-
14Z L E C O N T E.
raifonne avec beaucoup de juftejfe. Bon cela^
repondit Pierre. Je fuis bien-aize de 'vous
'voir rentrer ft-tôt en 'vous mêmes. He\
Garçon^ remplijjez-moi un verre à bierre
de 'vin rouge. A'vous^ Mejjïeurs ^ de tout
mon cœur.
Les deux Frères, ravis de voir cet
orage paiïe, le remercièrent très-hum-
blement , & lui firent entendre , qu'ils
ièroient bien-aifes de lui faire raifon.
Ceft bien-là mon intention^ leur dit
Pierre. Je m fuis pas homme à vous
refufer rien qui foit raifonnable. Le
vin pris avec ?noderation eft le plus exceU
lent de cordiaux, 'Tenez , prenez chacun
votre verre. Ceft le jus naturel de la grap-
pe : il ri a point pafj^é par la brafjhie de
nos Empoifonneurs ^ je vous en reponds.
Aïant prononcé ces dignes paroles,
il leur tendit à chacun une autre
croûte feche. §ue honte ne vous fafje
point dommage , mes Enfans , dit-il.
Buvez hardiment : il ne vous monicra
pas à la téte\ croyez-moi. Les deux
Frères , après avoir emploie quelques
minutes à s'acquiter d'un devoir très-
naturel dans une conjoncture fi delica-
te^ je veux dire, après avoir regardé
fixement Mylord Pierre, & s'être en-
tre-
DU TONNEAU. 14}
treregardez l'an Tautre avec la même at-
tention; plièrent les épaules, voïanc
bien qu'il étoit inutile d'entrer là-deflus
dans une nouvelle difpute. Ils remar-
quoient aflez, que Mylord étoit dans un
de fes accès d'extravagance; 6c que,
le contrarier, c'étoit vouloir le rendre
infiniment plus intraitable.
J'ai trouvé néceilaire de raporter ici
cette affaire importante dans toutes fes
circonltances ; parce que ce fut-là l'o-
rigine principale de la rupture , qui ar-
riva environ ce tems entre ces Frères ,
qu'on n'a jamais pu racomoder dans la
fuite. Mais, j'aurai occafion de parler
plus au long de ce fujèt dans une des
Sections fui vantes. Il ne faut pas croi-
re que Mylord Pierre n'eut de tems en
tems de bons intervalles; mais, dans ce
tems-là même, il étoit fort libertin dans
fes exprefîions, chicaneur, decifif,
porté plutôt à fe crever hs poumons
en difputant, qu'à convenir qu'il s'étoit
trompé dans la moindre chofe. D'ail-
leurs, il avoit un abominable talent de
débiter de gros micnfonges palpables,
qu'il appuïoitpar des Sermens afreux,
en maudilTant tous ceux qui refufoient
de
144 L E C O N T E
de les croire , ôc en les donnant à tous
les cent mille Diables.
11 jura un jour, qu'il avoit vu une
Vache , qui donnoit aiTez de lait en une
feule fois, pour en remplir trois mille
Eglifes ; & que ce lait ne devenoit
jamais aigre , quand on le garderoit pen-
dant dix ou douze llécles ^^. Une autre
fois, il conta que fon Père avoit un vieux
Poteau , capable de fournir allez de
bois & de fer pour conllruire fix grands
Vaiffeaux de Guerre f.
Dans une Compagnie, où Ton s'en-
tretenoit de certains petits chariots Chi-
nois capables d'aller à la voile par-delfus
les montagnes , il fe mit à rire. jBû^i /
dit-il 5 'voi/â une belle merveille. J'ai
*vu^ moi , qui vous parle , une graride
mai fon , faite de chaux ^ de briques ,
faire un volage , par mer ij par terre ,
de plus de deux mille lieues d' Allemagne.
Il eft vrai quelle fe repofoit de tems en
tems dans quelque gitc §. Il lardoit ce beau
Conte de mille Sermens afi-eux , qui
tendoient à perfaader aux Auditeurs,
qu'il
* Le lait de la Vierge.
f Le bois de la croix, qui ne cede en rien au'
lait de la Vierge dans laFaTulte de f; multiplier.
§ La Chapelle de N. D. de Loreiti.
DU TONNEAU. 14^
qu'il n avoit jamais menti de fa vie.
En confcicnce , Mejfieurs ^à^\{6\x.~A à cha-
que moment , je m 'voiis dis que la pure
njerîté. ^le le Diable broie éternelleynent
tous ceux qui ne ^veulent pas m'en croire.
Pour faire court , la Conduite de Pier-
re de\dnt à la fin fi fcandaleufe , que
tout le voifmage le traita unanim.e-
ment du plus grand maraut de la terre
habitable 3 &, que fes Frères , fatiguez
depuis long-tems de fes impertinences,
refolurent de le planter-là : mais , avant
que d'exécuter ce deflein, ils lui deman-
dèrent honnêtement une Copie du Tes-
tament de leur Père , dont ils avoient eu
tout le tems d'oublier le contenu. Au
lieu de leur accorder une chofe fi julte ,
il leur donna les noms de fils de chien-
ne 5 de coquins , de traitres , en un mot
les plus vilains que fa mémoire fut ca-
pable de lui fournir.
Néanmoins , un jour qu'il étoit foril
pour travailler à faire réiifiîr quelques-
uns de fes projets , ils prirent leur tems ,
fe glifierent dans l'endroit où le Tefla-
ment en quelUon étoit renfermé , de
ils en firent une Copie autentique, qui
leur fit voir en moins de rien les erreurs
Tome L G afreu-
i4<^ LE CONTE
afreufes dans lefquelles Pierre les avoit
engagez.
Leur Père leur avoit laiiTë à tous trois
fon héritage à poitions égales , avec un
ordre pofitif, que tout ce qu'ils gagne-
roient feroit en commun. Autoriièz par-
là , ils enfoncèrent la porte de la Cave ,
(S: en tirèrent un peu de vin, pour s'é-
gaïer le cœuj- , & pour rétablir leur
eitomac.
En copiant le Teftament de leur Pè-
re , ils y avoient remarqué un Article
formel , contre la paillardife , & contre
le divorce -, c'efl pourquoi, leur premier
foin fut de faire revenir leurs Femmes,
& de chaffer leurs Concubines.
Pendant qu'ils écoient dans toutes ces
occupations, certain (S'c/Z/Vi/é'/^r de Procès
entra dans la mailon , dansledeffeinde
demandera Mylcrd Pierre un acte de
pardon pourun \''r'eur, qui devoit être
pendu le lendemain.
Les deux Frères lui dirent qu'il étoit
un grand fat de vouloir obtenir un pa-
reil afte d'un f::quin, qui méritoit lapo-
tence hii-mcme ; ils lui déveîopérent
toutte l'impolture, de la manière que
je l'ai déduite ci-deiTus , & lui confeil-
lerenc
"^m .J', ^aa. 14-6^.
DU TONNEAU. 147
lérent de s'adrefTer au Roi, &non pas
à leur fourbe de Frère.
Au milieu de cette converfation Voilà
Pierre qui entre brufquement, fuivi d'u-
ne troupe de Dragons; &, après les
avoir accablez de piufieurs mDlions d'in-
jures, & de rnaledidions canailleules ,
qu'il n'efl pas trop néceiTaire de répéter
ici , il les fait fortir de la maifbn à grands
coups de pieds , avec menaces de les
traiter encor bien plus mal , fi jamais ils
avoient la hardi elle d'y revenir: aufîi
s'en font-ils bien gardez depuis ce tems-
Ja jafqu à l'heure prefente.
"m-
SEC-
148 L E C O N T E
SECTION V.
Digreffion à la moderne.
NOus, que le monde honore du titre
ai Auteurs Modernes^ nous ne nous
mettrions jamais dans Fefprit la flatteufe
idée d'une réputation immortelle, fi nous
n'étions perfuadez de l'utilité infinie,
que nos favans efforts procurent au
genre-humain.
O vous, vafle Univers 5 c'efl: ce glo-
rieux deffein de vous prodiguer mes
bienfaits , qui m'oblige à prendre le titre
de 'votre Secretaire, C'efl ce but , qui
— ^uemvîs per ferre labor era
Suadet , G? indue it no et es ^vigilare ferenas,
C'efl dans cette vue, que je travaille
il y a quelque tems , avec des peines in-
exprimables , à la diffection de la nature
humaine , & que j'ai fait plufieurs le-
çons curieufes fur fes différentes parties,
tant contenantes , que contenues , julqu'à ce
qu'enfin ce corps a commencé à fentir
Il mauvais , qu'il m'a été impoiîîble de
le
DU TONNEAU. 149
le conferver pliislong-tems. J'ai pour-
tant réu(]i,noni:ms des frais conildera-
blés , à en placer tous les os dans leur
connexion, & dans leur iimétrie natu-
relle ; en forte que je fuis tout prêt à
en faire voirie Squelette complet à tous
les curieux.
Mais, pour ne m'écarter pas davan-
tage au milieu d'une Digreiîion, à fe-
xemplede piufieurs Auteurs, qui met-
tent les Digreflions les unes dans les au-
tres, comme un nid de boetes,ou comme
les peaux d'un oignon ; je me conten-
terai de déclarer ici, qu'en m'occupanc
à cette Anaîornie , j'ai fait une décou-
verte audi extraordinaire qu importan-
te : favoir, qu'il n'y a que deux moïens
d'être utile à la Société humaine ,
V Inftrii^fion^ & le Dli'crtijjernent. Pour-
vu que les leçons que j'ai faites fur ce
fujèt foient affez fortunées pour être
volées par quelqu'un , ou qu'un ami
me force par fes impotcunitez cà les ren-
dre publiques , on y verra clairement
démontré que le genre humain, difpofé
comme il eit à prefent , a plus bcfoin
d'être diverti , que d'etre inilruit. La
raifon en eil , que fes maladies \qs plus
G 3 ordi-
1/0 LE CONTE
ordinaires font le dégoût , Tennui, 6c
l'indolence.
Néanmoins , j'ai voulu fuivre un pré-
cepte fort ancien &; d'une grande Au-
torité , & j'y ai réiifli dans la dernière
perfeélion dans toute l'étendue de ce di-
vin Ouvrage. Je veux dire, que j'y ai mis
par-tout, avec une proportion exa6le,
tantôt une couche d'utile, & tantôt une.
couchz cV agréable.
Nos illuilres Modernes ont écli-pfé &
écarté du Commerce du monde poli
les foibles lumières des Anciens , jufqu'à
un tel point , que nos beaux elprits les
plus diilinguez révoquent en doute fi
les Anciens ont jamais exifcé *. Ceft
un Problème , fur lequel nous attendons
de grands éclairciilemens de la favante
plume du fameux Bentley • & je n"y
réfléchis jamais, fans m'étonner, qu'au-
cun Moderne jpour faire valoir la prodi-
gieufe fupériorite de notre fiécle, n'ait
pas en trepris de renfeiTner , dans qu elque
"^tulTulk-fve de pQchc . un Syileme géné-
ral de tout ce qu'il Ï2i\it J avoir ^ aoirey.
(^
* Certains Partifans des Modernes. Fonteneîïe y.
par exemple , prétend que nous fommes les An^-
cicns. Je ne fais pas trop s'il a tort.
DU TONNEAU. lyr
13 'fzeîîre en pratique. Je dois avouer
pourtant, que j'en ai vu une légère idée,
dans récrit d un grand Philofophe du
Brezil Oriental , qu'on a trouvé parmi
Tes papiers après la mort. C eft une
eipece de Recepte , que la tendreiTe que
je mie fens pour les Savans Modernes,
me porte a leur communiquer, afin d'ani-
mer quelqu'un dentreux à la m.ettre
en œuvre, & à rafiner furies ufages
qu'on en peut tirer.
Prenez de belles Editions^ bien reliées
en i;eau , ayant leur titres au dos en lettres
d^or^ (y contenant toutes fortes de matiè-
res ^ en toutes fortes de langue s \ faites les
fondre enfembie an Bain Marie : infufez
y une doze fuffi f ante de la ^uintejjh:ce de
Pavots , avec Pinte d'eau de Le thé ,
qu'on peut trouver chez tous les ylpoticai-
res : otez en foigneuj entent le Caput m or--
tuum , {jf laifjez évaporer tout ce qjÎ'ïI y
a de vciatîi.
Vous n^en garderez que le premier ex-
trait , que vous difiik; ez de nouveau di^-
fept fois , jujquà ce que le refte ne mon-
tera qu^a aemi-chopiyhc. Vous le conferve-
rez^ dans une bouteille hermétiquement fer-
mée ^ perulaht vingt (y un jours. Apres
G 4 c^iay
isz L E C O NT E
cda^ I'ous parjez co?nmencer lotre Traité
Univerfel , en prenant tous les matins à
jeun trois goûtes de cet Elixir. Notez
qu'il faut pre?72ierement bien Jccouer la
bouteille^ ^ prendre îefdiîes trois goûtes
par le nez. Elles fe dilateront par toute
'votre cer'velk^ fi 'vous en avez^ en qua-
torze 'minutes de tcms \ £5^5 tout d'un coup^
l'DUS aurez rimagination remplie d'ex-
traits.^ defcmmaires^ d' abrégez^ de recueils^
de Médaille, Excerpta, Florilegiaj&c.
tous dilpofez dans l'ordre nécelTaire, &
prêts à s'arranger fur le papier.
Je fais obligé de convenir, que c'eft
par le fecours de ce fecrèt, que, malgré
mon incapacité naturelle, je me fuis ha-
fardé à entreprendre ce préfent Ouvra-
ge, qu'on peut apeller réellement la
Moelle de toutes les ConnoilTances ima-
ginables.
Ce hardi delTein n ajamais été formé,
que je fâche , avant moi , fi-non par ua
certain Homère , dans lequel , quoi
qu'il eut quelque talens, & que fon ge-
nie fut paffabie pour un Ancien, j'ai
découvert quantité de fautes groiîleres.,
qu'on ne fauroit pardonner à fes cendres
fi elles exiltent encore. On
nous
DU TONNEAU. i;;
nous aillire que fon Ouvrage a été
defliné h faire un corps complet de
SciencQS divines çj hwuiaines , politiques
(^ mechaniques ^-mais, il ell évident,qu'il
y a des fujcts qu'il a négligez entière-
ment, & d'autres qu'il n'a touché qu'en
paÛant. Premièrement , il faut avouer,
que, pour un aufïï grand CahaVfie qu'on
prétend qu'il a été , ce qu'il nous dit
du grayid œuvre ell pauvre & défec-
tueux. On diroit qu'il n'a lu que fu-
perficiellementtout ce qu'on trouve là-
delTus dans Sendi-vogus^ dans Behnmi^
ôc dans V jintropofopbia T'hcomagica §.
D'ailleurs, il fe trompe fur la Sphère Py-
roplafiique^ d'une manière fi impardon-
nable, que (le Lecleur me permettra
bien une cenfure 11 févére ) vix credereni
Author eni hune unquam audivijje ignis
vocera.
Ses meprifes ne font pas moins lour-
des à l'égard de plulieurs parties des
Mechaniques j car,aïant lu les Ouvra-
G f ges
* L'Auteur, quoique Partifân zelc des Anciens,
ne laifTe pas de turlupiner vivement la pré-
tention ridicule de fes Collègues , qui prétendent
tout trouver dans Homère.
$ Auteurs, qui ont écrit des Rêveries fur Is
Pierre Philofopiule.
1/4 LE CONTE
ges, avec toute l'attention ufitce par-
mi mes illuilres contemporains, je n'y
ai rien trouvé du tout fur la itruélure
de cet inftrument utile qu'on apelle un
B'inet'^ &, fans les lumières des Moder-
nes , nous ferions encore dans de pro-
fondes ténèbres à cet égard.
Mais, voici une négligence tout au-
trement importante. Cet Auteur il van-
té n'a pas dit un mot touchant les Loin
Co'mmunes de ce Roïaume, non plus
que fiir la Dcëfrine i^ fur le Ceremoniel
de rEgUfe Anglicane : omifiion pour la-
quelle, & Homère, & tous les autres
Anciens, font cenfurez avec beaucoup
de jullice , par mon grand & ilJullre ami
M. Wotton, Bachelier en Théologie,-
dans fon Traité incomparable fur !'£-
rudiîion ancienne l^ modey-yie. C'efl un
Livre , qu'on ne fauroit jamais affez eili-
mer, de quelque côté qu'on le confi-
dere. Ses tours d'efprit ingénieux , fes
découvertes lliblimes fur les mouches
& fur laffiive, l'éloquence labcrieufe
de fon ilile, tout en ell merveilleux. Et
Je ne faurois m'empécher de témoigner
ici publiquement ma reconnoilfance à
r Auteur 5 pour les fecours que j'ai tiré
dc-
DU TONNEAU, iff
de cette Pièce fans pareille , encompo-
fant le préfent Traité.
Il eil aifé de découvrir plufieiirs au-»
très négligences dans les Oeuvres du fa--
meux Hoïncre-. mais, je croi qu'il n'en
doit pas être auiïï reiponfable , que du
refte;, parce que, depuis fonfiecle, cha-
que branche des Sciences s'efl étendue
d'une manière très-coniiderable , parti-
culièrement dans ces trois dernières
années. Ce qui fait voir évidemment,
qu'il n'a pas pu pénétrer auiïï avanc
dans nos découvertes modernes , que
fes Partiians le prétendent.
Nous le reconnoilTons avec plaifir
pour l'Inventeur de la boufTole , de h
poudre à Canon, & de la circulation
du fang y mais , je défie tous fes Adora-
teurs de me faire voir dans tous fes Ou--
vrages un détail exaél de la Ram, Nous-
dit-il feulement un mot touchant les^
Charlaîanerles Politiques ; & y a-t-ii rien'
de plus défeélueux, & de moins fatis-
faifant, que fa grande Diflertation fur'
le 7'hé'i Pour ce qui regarde fi metho--
de de faliver fans Mercure , je puis in--
former le public, que j'ai appris à mes"
propres dépens, qu'il ntiï pas bon- de-
s'y fier,
G 6' Gq
JS6 LE CONTE
Ce n'a été que pour fuppléer à des
défe6luolitez fi importantes , que j'ai
mis la main à la plume, après en avoir
été longtems follicité ^ & j'ôfe afTeu-
rer le Le6leur judicieux , qu'il trouve-
ra ici tout ce qui peut être de la moin-
dre utilité , dans toutes les circonflances
de la vie. Je fuisperfuadé d'avoir épui-
fé & renfermé dans mon Ouvrage tout
ce qui peut être contenu dans l'efpace
immenfe de l'imagination humaine. Je
recommande fur-tout h la méditation
des Savans certaines découvertes de ma
façon , auxquelles mes PrédecelTeurs
n ont pasfongé feulement: telle eil en-
tr'autres mon nouveau fecours pour la
teinture du fa'voîr , ou Varî de devenir
profondément [avant , par une Le6lure fu-
p}erficielle\ une invention curieufe concer^
nant les fouricieres ; une règle univerfelle
deraifonnement^ autremeut intitulée ^ cha^
que hornme [on propre Ecuier tranchant ;
tme Machine utile pour prendre les hi-
houy.\ &plu(ieurs autres que leLefteur
curieux verra expofées au large dans les
diflferentes parties de ce Livre.
Je me crois obligé d'aider le public ,
autant qu il m'eit pofTible , à fentir tou-
tes les beautez de ce que j'écris , parce
que
DU TONxNEAU. 15:7
que c'ell-Ià la coutume des plus fameux
Ecrivains de cet âge poli & favant ,
quand ils veulent corriger le mauvais
naturel à\i Lecteur Critique^ ou remé-
dier à l'ignorance du Lecteur Bene^-jole.
D'ailleurs, on a rendu publiques depuis
peu plufieurs pièces en vers & enprofe,
dans lefquelles , fi les Auteurs , poufTez
par la charité qu'on doit au public , ne
nous avoient pas donné un détail exacl
du merveilleux qu'elles contenoient, il
y a à parier milles contre un , que nous
n'en aurions pas apperçu un feul grain.
J'avoue que tout ce que je viens de
dire, conformément à cette mxode, au-
roit paru dans une Préface avec beau-
coup plus de bienfeance: mais, je trou-
ve apropos de me mettre ici en pofTef-
lion du privilege attaché au bonheur
d'écrire , après tous les autres j &, com-
me le plus moderne entre les modernes,
je me fers du pouvoir defpotique, que
cette qualité me donne fur tous les Au-
teurs mes devanciers. Autorifé par ce
titre, je declare, que je defaprouve cette
coutume pernicieufe de détailler dans
une Préface tous Iqs matériaux qui doi-
vent compofer fOuvrage qui le fuit. J'y
trouve la même extravagance , qu'il y a
G 7 dans
T/s L E C O N T Ê
dans la conduite de ceux, qui vont pro-
mener, dans les Foires, des monflres&
des animaux étrangers , &: qui placent
au-deiîus de leur porte un grand ta-
bleau de ce qu'ils ont à nous montrer,
avec une ample & éloquente defcription
de toutes fes proprietez. J'avoue que
cet ufage m'a fauve mainte pièce de
deux fols. Il fatisfait m.acurioiité, au
lieu de l'exciter d'avantage ^ & je re-
fifle fans peine à la Rhétorique preiTan-
te de l'Orateur, quand il m'attaqueroit
par ce trait pathétique : fur ma parole y
Monfieur^ nous allons cûmmcnccr dans le
viomeîit.
Voilà précifement laDellinée de nos
Prefaces , Eptres , Inîroducllons , Dé-
dicaces^ Avert iffe-mens aux Licteurs , Dlf-
cours prélhriimires , tf autres Avant-cou-
reurs des Livres. C'étoit d'abord un
expédient admirable 3 & notre grand
Dryden en a nré tout le fervice pofïï-
ble. Il m'a dit fbuvent en confidence ,
que les hommes ne l'auroient jamais
foupçonné d'être un Poète du premier"
ordre, s'il ne le leur avoir pas fi fou-
vent apris dans fes Préfaces , qu'il
leur étoit impoiFible d'en douter , ou-
de l'oiiblier»
DU TONNEAU. lyp
Je n'ai garde de lui donner un dé-
mentir là-delTus^ mais, je crains bien ,
qu'à force de fe fer vir de cet expédient,
il n'ait rendu à la fin les Lecteurs plus
habiles , qu'il ne le fouhaitoit. Ils ont
été fi fouvent les Dupes de ces grands-
préparatiis , qu'il eil douloureux de
voir à prefent , avec quel air dédaigneux
on faute , commue (ï c'étoit autant de
Latin , les cinquante ou foixante pages ,
qui font à peu près l'étendue moderne
d'une Préface, ou d'une Epitre Dedi-
catoire.
Onnelauroitnier pourtant, d'un au-
tre côté, qu'un nombre confiderable de
perfonnes ne deviennent Critiques &
Beaux-Elprits, par cette ièule Lecture.-
La chofe elt inconteilabie ; & l'on peut
avec beaucoup de jultefie pai'tager tous
les Le6teurs d'à-préient dans ces deux
Clafifes. Les uns ne lifent que les Dis-
cours préliminaites 5 & les autres n'en
lifènt jamais. Pour moi, je fais profef-
fion d'être de la dernière; &, pour cette
raiibn , me fentant la démangeaifon
moderne de m'étendre fur le mérite de-
mes propres productions 5 & d'endéve--
loper les parties les plus brillantes, j'ai
jugé à propos de le faire dans le corpse
d^
i5o L E C O N T E
de rOuvrage même, ce qui en augmen-
te coniidérablement le volume: profit,
qui n'ell point du tout à négliger pour
un Auteur qui fait un peu fes intérêts.
C'eft ainii , que j'ai cru devoir mar-
quer mon refpeél pour la loiiable cou-
tume des Auteurs de cet âge,par une Di-
greiïïon, que perfonne ne me deman-
doit , & par une Cenfure générale , qu'a-
me qui vive n'avoit méritée de moi.
C'eft ainfi, que j'ai trouvé nécefiaire
d'étaler, par un travail pénible, avec
autant de charité pour moi-même, que
de franchife pour mon prochain , mes
propres perfe6lions, &les défauts d au-
trui. A prefent, m'étant acquité de ce
devoir important, je reprends le fil de
mon Hiftoire , à la grande fatisfaclion
de l'Auteur & du Public.
^iS.i);^
SEO
DU TO XX EAU. 1^1
SECTION V L
Continuation du Conte du Tonneau.
NOus avons laiiTé Mylorcl Pierre
dans une rupture ouverte avec
fes Frères , chafTez tous deux de fa mai-
fon , & envoïez chercher fortune dans
ce vaite Univers, fans avoir fur quoi la
fonder. Trifles circonflances , qui les
rendent les iiijèts naturels de la plume
charitable d\in Auteur de bien , pour
qui d'ordinaire les Scenes les plus déplo-
rables préparent une moilFon de grandes
& belles avantures.
C'efl ici qu'on doit remarquer ladii^
ference , qu'il y a entre un Ecrivain gé-
néreux , & un Ami ordinaire. Le der-
nier s'attache inviolablement à la proC
perité; mais, il décampe au plus vite, à
la moindre révolution. L'Auteur géné-
reux , au contraire , fe plait à trouver fon
Héros fur le fumier , à l'en tirer, & à
l'élever, par dégrez, jufque fur le Trô-
ne. Il fe retire enfuite,fans attendre feu-
lement qu'on le remercie de fes bontez.
Pour imiter un II bel exemple, j'ai
place Mykrd Pierre dans une bonne
mai-
ï6z L E C O N T E
maifon , je lui ai donné un titre & de
l'argent pour fes menus plaifirs. C'eft-
là que je le lailTerai pour un tems , pour
aller charitablement au fecours de iës
pauvres Frères , que la fortune a mis au
plus bas de fa roue. Ma charité ne fe-
ra pas aflez aveugle pourtant, pour me
détourner du devoir d un fidelle liifto-
rien ; & je fuis refolu defuivre l'exaéle
vérité , de quelque coté qu'elle puiife
diriger mes pas.
Nos deux exilez, fi étroitement unis
par le fang ôc par les intérêts , prirent
le parti de fe loger dans une même
chambre, où ils eurent tout leloifirde
fonger aux malheurs de leur vie pafTée.
Ils eurent de la peine à comprendre à
quelle irrégularité dans leur conduite
ils dévoient les imputer , jufqu à ce
qu'ils euffent porté leurs réflexions iur
la Copie du Teltament de leur Père ,
qu'ils avoient fi heure ufement atrapce.
L'aiant examinée avec la plus grande
attention, ils fe déterminèrent d'abord
à rectifier tout ce qu'il y avok eu juf-
ques-là de défe6lueux dans leurs aftions,
& h prendre pour l'avenir toutes les
mefures nécellâires pour fe conformer
exac-
DU TONNEAU. 1^5
exaftement aux ordres que ledit Tella-
ment leur prefcrivoit.
Le Lefteur n'aura pas oublié, j'ei^
père , qu'il rouloit prefque tout entier
fur leurs habits , & fur la manière d'en
faire ufage. Quand les deux Frères fe
mirent à confronter, Article par Arti-
cle , la doctrine avec la pratique , ja-
mais on ne vit une difference plus gran-
de entre deux chofes : il n'y avoit pas
un feul point à l'égard duquel la con-
duite , & les préceptes, ne fuifent dia-
métralement opofez. Cette faclieufe
découverte les fit travailler fans délai ,
à corriger toutes leurs fautes palfées ,
& à conformer leurs habits ex a6lement
au modelle, que leur Père leur en avoit
tracez.
Il efl bon d'arrêter ici un moment le
Ledleur précipité , toujours impatient
pour voir la fin d'une avanture , avant
que nous autres Auteurs Vy puiffent duë-
ment préparer.
II faut qu'il fâche, qu'environ ce tems,
nos deux Chevaliers malencontreux
commencèrent à être dillinguez par
certains noms: l'un fefitappeller Mar»
ti/i^ & l'autre prit le nom de Jean,
IJs avoient vécu enfemble dans une
gran--
1(^4 LE C O NT E
grande harmonie fous la Tyrannie de
Pierre ; comme il efl afTez ordinaire
aux Compagnons de foufrance. Les
hommes , qui font dans rinforrune,ref-
femblent à ceux qui font environnez de
ténèbres , & h qui toutes les couleurs pa-
roilTent abfolument les mêmes. Mais,
à peine ces deux Frères furent-ils for-
tis de ce goufre de miferes, qu'ils fe
déveîopérent, non feulement aux yeux
Tun de l'autre , mais encore aux yeux
du public. Leurs humeurs parurent ex-
trêmement différentes , & la fituation
de leurs affaires leur en fit donner bien-
tôt les plus fortes preuves.
Je crains bien , dans cet endroit, les
julles réprimandes d'un Lecteur fevere,
qui me taxera fans doute d'un défaut de
memoire,auquel dans le fond il n'ell gue-
res poffible qu'un Ecrivain moderne ne
foit un peu fujet. J'en dirai la raifon eu
paifant. Comme la mémoire efl une
Faculté qui s'exerce fur les chofes paf^
fées , elle doit de neceffité fe rouiller
dans rinaclion,parmi lesSavans de notre
âge , qui, ne fe mêlant que de Finven-
tion , font fortir toutes leurs produc-
tions d'eux-mêmes , ou du moins du
frotlcment de leur propre efprit , contre
ce-
DU TONNEAU. i5>-
celui de leurs contemporains. C'eft
conformément à cette vérité d expe-
rience , que nous croïons très-juile
d'alléguer notre peu de Mémoire, com-
me une preuve inconteftable de notfe
Génie, & de nos Lumières naturelles.
Quoi qu'ilenfoit,je confelTe que, fe-
lonies regies ordinaires de la Méthode,
■j'aurois dû initruire mes Lecteurs une
cinquantaine de pages plus haut d'une
Fantaifie de My lord Pierre , qu'il eut l'a-
drelTe de communiquer à Tes Cadets,
nies avoit portez à charger leurs habits
de tous les ornemens, qu'il avoit plu à
la mode de mettre en vogue , & à les
entafler hs uns furies autres, fans que
les premiers Ment jamais place aux fui-
vans; ce qui fit, avec letems,la figure
la plus grotefque qu'on puifTe s'imagi-
ner. Dans le tems de leur rupture, il
n'y avoit pas moïen d'entrevoir feule-
ment le fond de leurs habits * : ce n'é-
toit qu'un cahos de galons , de rubans ,
de franges , & d'égiulletes ferrées d'ar-
gent
* Du tems de la Reformation , les nouvelles
Inftitutions des Papes s'étoient fi fort augmen-
tées , qu'on avoit de la peine à entrevoir feule-
ment la Religion de J. Chriit a travers tout
ce Fatras,
i66 L E C O N T E
gent *, car , les autres étoient tombées
peu à peu.
Voilà cette particularité importante ,
dont j'avois oublié de parler dans fon
veritable lieu. Mais, le malheur n'eil pas
grand : elle vient ici comme de cire ;
puifqueje vais parler de la Reforme, que
nosdeux A vanturiers tachèrent de don-
ner à leurs habillemens, après avoir fe-
coué le joug de Mylord Pierre.
Ils s'appliquèrent unanimement à cet
Ouvrage, enjettant les yeux, tantôt fur
leurs Habits, & tantôt fur le Tellamenu
Martin y mit la main le premier. D'un
feul coup 5 il abatit toute une poignée
d'égu Ueîtes *,& d'un autre il arrachaplus
de
* Par ces Eguiilettes ferrées d'argent , que le
Tailleur avoit attachez à l'habit d'un double point,
& dont Martin arrache une poignée au grand
détriment de fon pauvre Juftau:crp{ , je ne doute
point qu'il ne faille entendre les grandes Char-
ges de l'Eglifc Romaine , qui font fi lucratives,
& qui donnent tant d'attachement ôc de tendrelTc
pour cette Eglife à ceux, qui poiTedent ces Char-
ges , & qui croygnt être en droit d'y prétendre.
Luther , après avoir aboli le trafic des Indulgeuccs
avec beaucoup de faeces, br.nnit aufli de la Reli-
gion le Pontificat fuprême , & le Cardinalat;
mais, fa premiere chaleur étant pafTee, âcvoiant
que toucher aux autres Dignitez Ecclefiaftic^ues
c'ctoit
DU TONNEAU, is-j
de douze aunes de frange ; mais, après
cette éxecution vigoureufe, il s'arrêta
pendant quelques momens. Ce n'eil
pas qu'il ne fut très-perfuadé , qu'il lui
reiloit encore beaucoup à faire; mais,
fa grande chaleur s'étant évaporée, il
refolut d'y aller plus modérément. II
n'avoit pas tort, puifqu'il avoit failli
déchirer une grande partie du drap,
en arrachant cette poignée d'éguillettes ,
qui, étant ferrées d'argent, avoient été
attachées d'un double point par le pru-
dent tailleur , afin de les empêcher de
tomber. Il les îailTa donc-là , & fe mit
en devoir de débarafferfon habit d'une
quantité prodigieufe de galon d'or: il
commença à les découdre avec beau-
coup de précaution, en épluchant les
fils détachez à mefure qu'il avançoit \
ce qui étoit un ouvrage de longue ha-
leine.
Ua-
c'étoit riTquer de tout perdre, il aima mieux
lai/Tcr les chofes à z^t égard-lpi dans leur état,
que de ruiner de fond en comble fbn pro-
jet de Reformation. La Reine Eîifalet a imité
cette prudence avec beaucoup de fucces: & il
cft fort aparent, que fi Calvin ie fut {èrvi de cette
Politique, qui, dans le fond, ne fait aucun mal
cfTentiel à la pureté de notre Culte, nous ver-
rions à préfent toute l'Europe dégagée du Joug
de fa Sainteté.
î<^8 L E C O N T E
L'aïant achevé, il tomba fur la bro-
derie chinoife chargée de figures d'hom-
mes, de femmes 5 & d*enfans; contre
laquelle, comme vous avez apris ci-
deffus , le Teflament fe déclaroit d'une
manière trcs-claire , & trcs-vigoureufe.
Il en vint abfolument à bout , à force d'a-
drefle & d'application. Pour la bro-
derie d'or, ou d'argent, il y travailla
avec moins de fuccès, quoiqu'avec la
même prudence. Dans certains endroits,
elle étoit fi épaifle , qu'il étoit impofli-
ble de la défaire fans endommager Fha-
bit même : dans d'autres ,q]\q fervoit à
fortifier l'étoffe , & en cachoit certai-
nes parties foibles, ufées à force de
paffer par les mains des Ouvriers. Le
bon Martin crut que le meilleur parti
étoit de n'y pas toucher '^, & qu'il faloit
plu-
* Par la Broderie il faut entendre, comme j'ai
déjà remarqué , la Pompe du Culte religieux.
Martin trouva à propos d'en diminuer feulement
l'excès, & l'abus, pour ne pas choquer les yeux
du Peuple trop acoutumez à cet éclat , pour y
renoncer fans regret. L'Eglife Anglicane en a
ufé te même : & c'efl pour cette raifon, que
l'Auteur en attribue plutôt la fondation à Mar-
tm , qu'à Jean ; quoique, par raport aux Articles
de Foi , Jean en foit plutôt le Fondateur , que
Martin.
"Tom . Z^a^. J 6^8.
DU TONNEAU. i6^
plutôt laifler la Réforme imparfaite , que
de gâter fon habit de fond en comble.
Cétoit-là, à fon avis, la meilleure mé-
thode, pour fe conformer à l'intention
& au véritable fens des ordres de fon
Père. Voilà la relation la plus exafte ,
que mes laborieufes recherches m'onc
mis en état de vous donner du procé-
dé de Martin , dans uneconjon6ture H
delicate.
Pour fon Frère Jean , dont les Avan-
tures extraordinaires abforberont une
grande partie de ce qui me relie a écri-
re , il travailla à la déconfit are * de fes
ajuflemens fuperflus dans des diipoii-
tions
* Il doit paroi tre d'abord Airprenant, qu'on
atribue ici tant de Chaleur k Jean , & tant de
Flegme à Martin. Il eft certain , que ce der-
nier pouiToit la confiance jufqu'à robftination y
& h force d'efprit jufqu'a la férocité. Atro)C
nnirnus Catonis. Calvin, au contraire, paroiïïbit
d'un temperament plus doux ; &, d'ailleurs, c'é-
toit un Génie tout autrement tranfcendant que /.?/-
ther. Mais, il étoit plus bigot,- &peut-être l'en-
vie de n'être pas un fimple Imitateur & de fc
faire Chef de Scde l'a pu porter à faire des In-
novations ) Evangeliques dans le fond , mais
imprudentes, & dangereufes. Enfin, quel que
fût fon naturel , plufieurs de fes aftions avoient
le même caraftere, <]uc fi elles. étoient l'effet
d'un zcle inconfideré.
Tome L \\
ijo L E C O N T E
tions fort différentes , & dans tout iia
autre efprit. II y donna tête baiffée.
Le fouvenir des injuflices de Mylord
Pierre le porta à un tel degré d'indigna-
tion & de haine, qu'il influa beaucoup
plus fur fes a6lions , que les ordres du
Père, qui ne fervirent chez lui, que
d'un motif fubakerne , propre à fécon-
der & à pallier les autres. A ce mé-
lange de motifs il ménagea un nom fort
prévenant , en l'honorant du titre de
ZêIe,\Q. terme le plus lignificatif , qu'au-
cune langue puiffe jamais produire.
C'eftce que j'ai prouvé invinciblement
dans mon excellent 'Traité yîmiy tique ,
où je donne un détail Hi/ïori-Tb£G'Ph\--
JîcO'Lcgical du Zèle : faifant voir, de
quelle manière, de Notion^ il étoit de-
venu Mot \ & comment , parvenu enfui-
te à fa pleine maturité , pendant une
Automne excefiivement chaude il s'é-
toit changé en fubjfance palpable. Cet
Ouvrage fait trois grands volumes in
folio, & en peu de jours je prétends
îe rendre public, par la voie moderne
àt^foufcription\ convaincu que laNo-
blelTe , 6l les gens riches du Pais , mis
en goût par ce qu'ils ont déjà lu de ma
fajon 5 ne négligeront rkn j pour encou-
rager
DU T ONNEAU. 171
rager mon Génie à de nouveaux ef-
forts.
Frère 7m;?,p]ein comme un œuf de cet-
te merveilleufe compoiition nommée
Zêle^ fongeant avec fureur à la tyrannie
de Pierre, & poufîeàbout par le Fleg-
me de Martin , s'animoit lui-même à
faire le Diable à quatre. Comment !
difoit-il : un Maraut qui nous a îaijj'ez
mourir de foif, qui a chajje nos Femmes
à grands coups de pied dans le 'ventre , qui
nous a 'voulu faire paffer [es maudites croû-
tes de pain noir pour du mouton ! Un
fourbe , qui nous a fraudé de -notre hérita^
ge ! Un coquin^ d'ailleurs, dont tout le
inonde connoit la Scelerateffe I Et je fer ois
ajfez lâche , pour fuivre encore fes abomi-
nables modes ! yaimrrois -mieux qi^il fut
pendu , le double chien,
Aïant de cette manière enflammé fa
bile au plus haut degré, & par confe-
quent fe trouvant dans une charmante
humeur pour commencer une Réforma-
tion, il mit la main à l'œuvre > &, en
trois minutes, il dépêcha plusd'ouv.ra-
ge, que Martin n'avoit fait dans un
jour entier. Le Lecteur bénévole faura,
s'il lui plait 5 qu'on ne peut jamais rendre
un plus grand feivice au Zèle, que quand
II 2. on
171 L E C O N T E
on remploie à déchirer ; & , par-là , il
comprendra fans peine, que Jcan^ qui
regardoit le zélé comme fa meilleure
qualité , étoit dans Ion veritable élé-
ment 5 en fe livrant tout entier à cette no-
ble ôc divertiflante occtipation. En ef-
fet, il s'y abandonna tellement , qu'en
voulant arracher un morceau de Galon ,
il déchira fon habit depuis le haut jufl
qu'au bas ; & , comme il n'étoit pas fort
habile à rentaire le drap , il fe conten-
ta d'en raccrocher les Lambeaux, avec
delà groife corde & une éguille à em-
baller. C'étoit bien pis encor, & je ne
faurois m'en reflbu venir fans larmes; c'é-
toit bien pis encore , dis-je , quand il
tomba fur la broderie. Le pauvre gar-
çon 5 qui étoit naturellement aufii mal
adroit qu'impatient , voïant à ^qs yeux
un milhon de points à défaire , ce qui
demandoit beaucoup de flegme & une
main très-délicate; & perfuadé, qu'il
ji'en fortiroit pas à fon honneur ; fe mit
dans une telle rage, qu'il arracha toute
la pièce , tant drap que broderie , &
qu'il la jetta dans la rue. ylh ! mon cher
Frcre , dit-il en s'applaudiflant de cet-
te belle expedition, faites comme mui^
tirez y arrachez^ déchirez^ afin q^ue rten
ne
DU TONNEAU. 175
ne paroiJJ'e fur nous , qui nous donne la mol ri-
dre refjhnblance aucc ce double marauî de
Pierre. Je fer ois au defefpoir de porter la
moindre chofc qui put faire foupçoHiier dans
le voifinage , que je fujje des Parens de ce
Diable incarné.
Martin^ qui par bonheur étoit alors
dans une humeur fort Pàoderée, pria f^Jii
Frère d'avoir foin d'épargner fon habit,
puifqu'il lui étoit impofiîble d'en trou-
ver un autre de cette bonté-lk. li le
fuppliadeconfiderer, qu'ils ne dévoient
pas régler leurs aétions fur leurs jufles
reflentimens contre jp/>rrf , mais fur les
maximes établies dans le TePaiment.
Souvenez-vous , continua-t-il , que Pierrs
eji toujours notre propre Frère , 7niilgré
fis Injujtices c> fi^ Tyrannie \ (y évitez ,
autant quil vous ejîpojfji-bk , de vous croi-
re innocent ou coupable ^ à mefurequc vous
ferez vos efforts , pour te contrarier.
Il eft certain, a-outa-t-il, que les or^
dre s de notre Père font formels , pour ce qui
regarde la manière de nous fervir de nos
habits ; mais , ils ne le font pas moins , par
rapport à l'affeélioî'i fraternelle , qui doit
régner parmi nous : &? , s'il y a quelque
précepte dans le l'^eftarnent., dont la trans-
n 3 ^ref
174 LE CONTE
grejjïon puijfe être pardonnable , €e fera
fliiîQt ^ fi elle tend à ferrer les liens de no--
tre amitié mutuelk , que fi elle a pour but
de nous de funir pour jamais,
Martin alioit continuer avec la mê-
me gravité , & il nous auroit laiiTé fans
doute un admirable difcours, propre à
procurer à nies Lecteurs le repos du
corps & de lame , le veritable but de
Ja bonne Morale \ mais, Jean avoit per-
du patience : il n'étoit plus en état de
récouter, bien éloigné de pouvoir pro-
fiter de les leçons, On remarque que
dans les difputes de l'Ecole, rien n'é-
chauffe davantage la bile de celui qui
argumente , qu'un certain calme pe-
danceHjue dans le Répondant. 11 en eit
comme de deux balances chargées d'un
poids inér^ai: la pefanteur de l'une aug-
mente la légèreté de l'autre- &, plus la
premiere defcend, plus l'autre vole en
haut avec rapidité. Ceil juilement le
cas dont il s'agit ici : la gravité des
raifonnemens de Martin augmentoit
la vivacité de Jean^ & lefaifoit regim-
ber contre la moderation de fon Frerc.
En un mot, le flegme de l'un jettoit
l'autre dans les derniers emportemens.
11 enrageoit fur-tout , en voiant l'habit
de
DU TONNEAU. ijf
de Martin fi bien remis dans l'état de
fimplicité & d'innocence primitive^ au
lieu que le fien etoit tout en lambeaux,
& qu'il continuoit toujours à porter la-
livrée de Pierre, dans les endroits qui
avoient échappé à Tes cruelles griffes.
Dans cet équipage , il avoit tout Fair
d'un petit Maître ivre, qui fort d'entre
les mains de quelques Breteurs ; ou
d'un nouvel Habitant de Ncji'gate ,
qui a manqué de païer la bienvenue
à fes Compagnons*; ou d'une Maque-
relle en vieille jupe de veloiu*s , livrée au
bras feculier de la Canaille -, ou d'un
Voleur de boutique pris fur le fliit, ëc
abandonné à la merci des marchands
de la foire. Le pauvre Jean relTembloit
à chacun de ces malheureux, & même
h tous enfemble , couvert de ce noble af-
fortiment de guenilles , de déchirures,
de vieux galons , & de franges à moitié
arrachées. Il auroit été ravi de voir
fon habit femblable à celui de fon Frè-
re ; mais , il auroit été infiniment plus
charmé de voir celui de fon Frère dans
ré-
* FameufePrifon à Londres, où les nouvcauîi
venus font obligez de doiînerpour boire à leurs
Compagnons , s'ils ne veulent pas être maltraitez
d'une manière afreufe.
H 4
\'j6 LE CONTE
l'état où il venoit de réduire le fîen.
Mais 5 remarquant qu'il n y avoit point
de remède , il fit de fon mieux pour
donner un air de vertu à ce qui étoit un
effet nécefTaire defbn imprudente pré-
cipitation. Il emploïa toute fa Rhéto-
rique , pour porter Martin à Timiter.
Jamais le Renard de la Fable n'aporta
plus d'argumens fubtils , pour porter tou-
te fon eipéce àfe faire couper la queue ,
que Jean en décocha contre fonFrerc,
pour le m.ettre àlaraifonj c'eft-à-dire,
pour le réduire aux mêmes Lambeaux,
dont il fe voïoit couvert lui-même.
Mais, helasî il ne fit que tirer fa pou-
dre aux moineaux^ ce qui le mit dans
une telle fureur, qu'étouffant de dépit
<k d'indignation , il accabla Martin de
mille invectives canaiîleufes. Pour faire
court , voilà une brèche irréparable
dans l'amitié des deux Frères. Jean fut
le loger dans une chambre à part} &,
quelques jours après , un bruit fe répan-
dit, qu'il étoit devenu Fou à lier. Il eut
bientôt foin de confirmer ce bruit , en
courant les rues , & en tombant dans
les fantaifies les plus burlefques , qui
aient jamais été produites par un cer^
veau malade.
Bien-
DU TONNEAU. 1-7
Bientôt les PolifTons des rues Tho-
norérent de plafieurs Sobriquets. Tan-
tôt ils l'appelloient , ^can le Pelé ,
tantôt Jean le Flamand , quelquefois
Jean le Lanternier , d'autrefois Jean k
Gueux , & fouvent le furieux Jean du
Nord ^^ : & ce fut fous une de ces deno-
minations , ou bien fous toutes enfem-
ble , tout comme il plaira au favant
Lefteur de le déterminer , qu'il donna
l'origine à la très-illuftre & très-épide-
mique Secle des jEoliftes -j-, qui hono-
rent encore, avec reconnoiiTance , le
fameux Jean comme leur Fondateur.
Je ne fais ici que glifler fur cette ma-
tière, parce que je me prépare à grati-
fier le public au p'-emier jour d'une
ample DilTertation fur l'Origine, les
Principes, & les Dogmes de cette Secte,
McU^o c ont ingens cuncla hj)ore.
* Dans une nutre Seâ:ion zçXt^ matière cil
traitée d'une manière fort étendue.
t L'Auteur a \z\ en vue les dinerentes fortes-
des Nomonformij^Cî,
H f SE c
178 L E C O N T E
SECTION VII.
Bigrejfion a la louange des
DigreJJions,
J'Ai entendu parler quelquefois d'u-
ne Iliade dans une Coque de noix * j
mais, je puis dire avoir vu fouyent
moi- même tme Coque, de noix dans
une Iliade^. Ilefl certain, que le genre-
humain a reçu de grands avantages de
l'un, & de l'autre; mais, à laquelle des
deux il a les plus fortes obligations ,
c'eft un problème que j'abandonne aux
curieux , comme très-digne de leurs
do61es Lucubrations, Pour ce quiregarde
la dernière, j'ôfe avancer, que le Mon-
de favant en ell fur-tout redevable à la
grande vogue que les Modernes ont don-
née aux Digrellîons. Nos rafinemensen
matière de fav^oir font exaclement pa-
rallèles à ceux de notre cuiline , dont
la delicateife , du confentement unanime
de tous les Palais judicieux , confifle
dans
* Beaucoup de fens dans un petit volume.
\ Peu dj f.ns daiis uji grand ygliime.
DU TONNEAU. tyç)
dans la variété des ingrediens , qui corn-
pofent les foupes , les fricajjees , les fa-'
gouts j ^ les potS'pourris.
Il eil vrai , qu'on trouve une certaine
race mal élevée, medifante, & mifan-
tropique , qui prétend tourner en ridi-
cule ces innovations polies, quife font
gliflees dans la République des Lettres*
Ils admettent la comparaifon tirée delà
CLiifme \ mais, ils font allez hardis , pour
déclarer que nos ragouts mêmes fonc
une preuve de la corruption de notre
gout. Ils nous débitent , que la m.ode
d'entafler pêle-mêle, dans un même plat,
cent chofes de différente nature , n a été
introduite , qu'en faveur de certains ap-
pétits deregleZîCaufez par unemauvaife
Conftitution; & qu'un homime, qui dans
un Pot-pourri va à la chafie d'une tétô
d'0y^5 ou d'une aile de Cocq de Bruie-
re , ou d'un ris de veau , prouve qu'il
n'a pas l'eltomac aflez robuite , pour di-
gérer des mets plus fimpîes, & plus ib-
lides. Ils foutiennent encore , que des
Digreffions dans un Livre reflemblent àr
des troupes étrangères dans un Etat; qui
fontroupçonner,que les Habitans même
manquent de force & de courage ; &
qui, bien fouvent, ks mettent fous k
H 6 joug
iSo L E C O N T Ë
joug , ou les chaiTent dans les Cantons
les plus fteriîes.
En dépit de toutes ces objedlionsde
quelques Cenfeurs dédaigneux , il eil
evident que la Société des Auteurs le-
roit bientôt réduite à un très-petit nom-
bre, il l'on vouloit emprifonner le Ge-
nie de ceux , qui compofent les Li-
vres, dans les bornes étroites de leur
fujet.
J'avoue que , fi nous étions dans le
même cas , où fe trouvoient les Grecs &
les Romains du tems que le favoir étoit
encore au berceau , & qu'il falloit le
Tiaurrïr & VemmatUotter par le moïen
de Yin'venîion^ il ieroit aifé de faire des
volumes entiers, fans s'écarter du fujet,
que par de petites courfes néceflaires
pour avancer le delTein principal. Mais, il
en a été des Sciences,comme d'une nom-
breufe armée campée dans un Pais ferti-
ie.Pendant quelque tems, elle fubfifle par
les productions mêmes du terroir; mais,
dans la fuite, elle eft forcée d'aller en fou-
lage àplufieurs lieues de-là,parmi les amis
ouïes ennemis , tout comme elle peut.
Les terres voilines cependant font entiè-
rement foulées 5 & ravagées; elles de^
viennent nues & feches , & ne pro-
dui-
DU TONNEx\U. i8i
duifent plus rien , que des nuages de
poufîiere.
L'Etat de la République des Lettres
étant ainfi changé par une revolution
totale, les fag es Modernes, qui en font
parfaitement inltruitSjOnt découvert une
méthode plus courte & plus prudente
de devenir favans & beaux efprits. La
lecture & la méditation y entrent pour
rien; & il n'y a plus que deux manières
parfaites de fefervir d'un Livre comme
il faut. La premiere eft la même dont
plufieurs gensufent à l'égard des grands
Seigneurs ^ ils aprennent par cœur
leurs titres , & enfuite ils fe vantent
d'en être les amis intimes. La féconde ,
qui eft la mieux choilie, & la plus pro-
fonde , confide à s'atacher à la Table
des Matières, par laquelle un Livre efl
dirigé, comme un VailFeau par le Gou-
vernail.
Pour entrer dans le Palais des Scien-
ces par la grande porte, il faut dutems
& des foins : c'eft pourquoi, les perfon-
nes expeditives, & ennemies du Céré-
monial, fe contentent d'y entrer par la
porte de derrière. N'ont-elîes pas rai'
fbn ? Les Sciences reffemblent à des
troupes en marche, qu'on ne batjamais
Il 7 plus
iSz LE CONTE
plus facilement , qu'en tombant fur lar-
riere-garde. Cell: par la même métho-
de, que les Médecins jugent de laConi^
titution de tout un corps , en confultant
ce qui en découle par en bas. C'eflainfi
que les Enfans attrapent les moneaux ,
en leur mettant un peu de fel fur la
queue. C'eft ainfi que , pour fe condui-
re fagement , il faut, felon la maxime
d'un Philofophe, prendre toujours garde
fur la fin. On fe met en polleiïïon des
Sciences comme Hercule trouva fes tau-
reaux, en les remenant vers leurs traces ,
& non pas en les fuivant ^. Enfin, le fa-
voir doit être effilé comme un vieux bas,
en commençant par le pied.
D'ailleurs, toute l'armée des Sciences
a été rangée depuis peu, par l'effort le
plus pénible de la difcipline militaire,
dans un ordre û ferré , qu'on peut la
pafTer en revue en moins de rien. Nous
fom-
* Ceux, qui ont lu les Fables, favent que C.^cu r ,
fameux Brigand , aïant volé les Bœufs d'Her-
cule , les tira vers fa Caverne à reculons , afin
que ce Héros ne les put pas trouver en fuivant
leurs traces mais. Hercule s'apperçut bientôt de
cette fineife ,• ce qui dans le fend n'eîoit pas fort
difficile, fur-tout étant aidé par les mugillcmcns
de fes taureauîQ.
DU TONNEAU, igj
fommes redevables de ce bonheur aux
Syftemes c& aux Abrégez, quQles Peres
modernes du /avoir ont drelTez à la Tueur
de leur corps , pour la commodité de
leurs chers Enfans. Le travail n'eil
autre chofe, quela femencedelaparet.
fe ; & c'efi le bonheur particulier de
notre âge de jouir paifiblement du fruit
produit par c^tt^hienheureufe femence.
Or, la méthode de parvenir à un fa-
voir profond & fublime , étant devenue
il régulière, ScÇi fyilematique, il faut
de neceiïlté , que le nombre des Auteurs
augmente à proportion, <&■ que leur ha-
bileté parvienne à une certaine hau-
teur , qui rend abfolument nécellaire
leur Commerce mutuel. Déplus, on a
calculé, qu'il ne re (le plus dans la nature
une quantité fuffifante de fujets nou-
veaux , pour fournir à retendue d'un
feul volume. Jepuisafleurer le Le6leur
que j'en ai vu une demonftration dans
les formes , fondée fur les principes in-
con ellables de l'Arithmétique.
Ce que je viens d'avancer pourroit
bien être combatu par certains Philo-
fophes 5 qui foutiennent V infinité de la
matière , & qui , pour cette raifon ,
.prétendent, qu'aucune ef^ece nefauroit
eue
iS4 L E C O N T E
être entièrement épuifée. Pour voir la
futilité de cette objeftion , examinons
la branche la plus noble del'efprit & de
l'invention moderne , û bien cultivée
dans cet heureux fiécle, qu'elle a porté
des fruits plus beaux & plus nombreux
qu'aucune de fes Compagnes. Je fai
qu'on trouve quelques échantillons de
cette forte d'efprit parmi les Anciens :
mais , ils n'ont j amais été ramaflez , que
je fâche , dans quelque Recueil pour fu-
fage des Modernes ; (S:, par confequent,
nous pouvons foutenir à notre honneur
& gloire , que nous en fommes les In-
venteurs , & que nous l'avons portée juf.
qu'au plus haut degré de perfe6lion.
La forte d'elprit, dont je parle ici, efl
ce talent merveilleux d'inventer des
comparaifons & des allufions fort agréa-
bles 5 furprenantes , (^ appliquables , à
regard de toutes les matières , qui con-
cernent la propagation du genre-hu-
main; fujet, dont la politeile éloigne
abfolument la propriété des termes.
(Quelquefois , en confiderant , que
c'étoit-là le feul fujet , fur lequel on puif.
fe briller à préfent du côté de Finven-
tion, je mefuis hnaginé que fheureux
Génie, qui éclate, cet égard, dans ce
fie-
DU TONNEAU. i8y
fiecle & dans cette nation , a été prophé-
tiquement dépeinte , fous le type de cer-
tains Pygmées Indiens , dont la taille ne
palToit pas la hauteur de deux pieds ,
fed (luorum pudenda erant crajja , £5? ad
talos ufque pertingenîia.
Quand j'examine nos dernières pro-
du6tions , où les beautez de cette natu-
re brillent avec le plus grand éclat, je
vois bien, que la fource en a été extrême-
ment abondante; mais, quoiqu'on fafTe
tous fes efforts , pour la tenir ouverte ,
&pour la dilater à la manière des Scy-
thes, accoutumez à foufler dans les
parties honteufes de leurs cavalles, pour
qu'elles donnaffent plus de lait , je crains
bien qu'elle ne foit prête à fe tarir pour
jamais.
Ln ce cas-là , fi l'on ne trouve pas
un nouveau fond d'efprit , adieu la nou-
veauté \ il faudra recourir à la répéti-
tion fur cette matière, comme fur tou-
tes les autres.
On m'avouera, je crois, que ce que
je viens de dire prouve invinciblement ,
qu'il ne faut pas compter fur finfinité
de la matière, comme fur une fource
intariflabîe d'invention. Que nous ref-
te-t-il donc, que d'avoir recours aux
grands
iS6 L E C O N T E
grands Indices , aux petits Abrégez , &
auxReciieils de citations rangées par or-
dre Alphabétique. Pour y réiidir, il
elt peu utile de coniulter les Auteurs,
mais abfolumentnéceiTaire des'adrefler
aux Critiques , aux Commentateurs , &
aux DiElio flaires : fur-tout faut-il loi-
gneufement feuilleter certaines Collec-
tions de Fleurs de Rhétoriques^ & de
Perifées ingenieufes^ qu'on apelle, par
une figure très-jufle, les Tamis & les
Bluteaux du fa voir & de Fefprit. Il eft
vrai qu'on laiife indécis s'il faut eftimer
le plus ce qui y paiTe, ou bien ce qui
y relie.
Par le moïen de cette méthode , quel-
ques femaines d'application font capa-
bles de produire un Auteur propre a
manier les fujets les plus profonds & les
plus étendus. Qii'importe que fa tête
foit vuide , pourvu que fon Recueil de
Lieux-conmiuns foit bien rempli ? Il n'en
faut pas davantage , pourvu qu'on lui
paffe l'Invention, la Méthode, le Srile,
& la Grammaire • & qu'on lui accorde
le privilège de copier les autres , & de
s'écarter de fon fujet. Le voilà en état
de compofer un Traité propre à faire
im^ fort jolie figure dans la boutique
d'un
DU TON NE AU. 1S7
à\m Libraire; un Traité d'un mérite
allez confiderable pour y être confervé
long-tems, dans une grande propreté,
fans courir rifquc d'être engraille parles
mains des étudians , ni d'etre condam-
nez aux chaines & à l'obfcurité dans
une Bibliothèque *. Sa deftinée fera bien
plus heureufe; letems feul triomphera
d'un volume fi précieux; il ne ferafujet
qu'a fubir le Purgatoire , pour monter
enfuite vers le Firmament }.
Je n'ai attribué à cet Auteur Cham*
fîgïion que des prerogatives , qui doi-
vent être communes à tous les Ecri-
vains modernes. Sans elles,le moïen d'in-
troduire dans le monde nos Coïlediiom^
qui roulent fur tant de matières de dif-
férente nature ? Si l'on nous envouloic
priver injuflement, quelle perte d'amu-
îemens & d'inilru6lions pour le monde
favant ! Qiielle perte pour nous mêmes,
qui ferions enfevelis pour jamais dans
un honteux oubh 5 avec toute la mafle
du vulgaire !
Les
* Dans les plus fameufes Bibliothèques d'An-
gleterre les livres font enchaînez.
t Ilfervira à la fin à alumer des pipes à Tabac
& a s'évaporer en l'air.
188 L E C O N T E
Les principes , que j'ai établis ci-deC
fus, me font efpérer de voir encore le
jour , où le Corps des Auteurs fera en état
de furmonrer en rafe Campagne tous les
autres corps de m.étier. Ce grand talent
de faire des livres efl derivéjufqu'à nous ,
avec plufieurs autres heureufès difpofi-
tions 5 de nos Ancêtres les Scythes,
parmi lefquels les plumes étoientfi abon-
dantes, que l'Eloquence Grecque n'a
pas trouvé de figure plus pathétique
pour l'exprimer, que de dire, qu'il
étoit impojjible de voiager dans leurs Pais ,
à caufe de la prodigieufe quantité de plu-
mes , qui y voltigeoit dans Vair ^.
La nécefiité de cette DigrefTion en
excufera facilement retendue. Je l'ai
placée dans le lieu le plus propre que
j'ai pu trouver d'abord^ &file Lefteur
fait lui affigner une place plus convena-
ble, je Ten lailTe le Maître, & je l'au-
torife à la rejetter dans quelque coin du
livre, tout comme il le trouvera apro-
pos. Pour moi , je me hâte d en venir à
une matière plus importante.
* C'eft, Ç{]ç^ ne me trompe, Hérodote, qui
s'exprime aiiiii , pour d'écrire la quantité de nege ,
qm tombe dans les Faïs Septentrionaux.
SEC-
. DU TONNEAU. i8^
SECTION VIIJ.
ContiniMtion du Conte du Tonneau.
LEs fa vans Moliftes ^ ib atiennent
que le Vent eli Télement unique
de toutes chofes -, que c'eft îe principe,
par lequel tout l'Univers a été produit,
& dans lequel il doit fe réfbudre ; & que
le même foufle , par lequel la Nature a
été animée, doit à laiin des fiécles l'é-
teindre.
^od procul à nohis fieciat Forîuna gu*
bermns,
Cefl-là cette Caufe premiere, que les
Adeptes t appellent Anima Mundi^ c'efl-
à-dire, \q. JoufieoM le vent du monde \ &
fi l'on examine tout ce Syflême dans
chaque partie de la Nature, on verr^
qu'il
* Par -Moliftes l'Auteur entend les Quaquers,
Moliniftes , PietWes , Q^uietiJ^es , Qp autres Fana-
ticjues , qui dëtniifent la Raifon , pour mettre à
fa place une prétendue Infpiration.
I Ceux qui font initiez dans le« Myfteres du
jgrand osuvre.
ipo L E C O TSF T E/
qu'il efl appuie fur la baze la plus fbli-
de. D'abord, de quelque manière qu'on
veuille appeller cet être , qui diftingue
rhomme d'avec les brutes, fpiritusy
animus^ afflatus^ anima \ il elt certain,
que ce ne font qu'autant de deyiomina-
fions du Vent, qui efl l'élément, qui
domine dans tous les êtres compofez^ &
dans lequel ils doivent rentrer un jour.
Qu'elt-ce quec'ell que la Vie même,
fi-non , conformément à fon nom le
plus ordinaire , le foufle de nos narines ?
Et c'eftde-là que lesNaturaiiiles ont obr
iervé, que dans CQXtdins myfteres ^ qui
ont avec la vienne relation fort étroite,
ie vent eft d'un fort grand fecours,
comme il ell évident par les heureufes
épithetes de turgidus , & àHnflatus ,
auiïi appliquables ^\\^ organes^ qui reçoi-
vent quà celks , qui donnent.
Selon tout ce que j'ai pu trouver
dans les anciennes Chroniques, tou-
chant la doclrine'des ^î'.ohlles , elle rou-
loit fur trente deux points *, fur chacun
defquels je ne faurois m'étendre , fans
courir rifque de devenir cimuïeux. Mais,
je n'ai gai'de de paifer fous filence ua
petit
* Allufîon aux 3i. points du vent.
DU TONNEAU, i^r
petit Nombre de Dogmes Fondamen-
taux, qu'ils en déduilbient.
Leur premiere Maxime étoit , que',
puifque le Vent dominoit dans la for-
mation & dans les operations de tous
les êtres compofez^ ceux-là devoientetre
de la plus grande excellence , dans lef^
quels ce Principe éclatoit avec la plus
grande fuperiorité.
UHomme, par confequent, efl la plus
parfaite des creatures , puifque les Phi-
lofophes , par leur grande bonté , font
pourvu de trois jïmes , ou de . trois
JQiifles difFerens j aufquels les fages ^Eo-
liftes joignent libéralement un quatriè-
me, pour lervir de fecours & d'ornem.ent
aux autres , & pour en égaler le nombre
aux parties du Monde *; ce qui a donné
occafion à ce fameux Cabaliiie Vcnti-
dius QaVmathias de placer le Corps de
rHomme dans une pofition relative aux
quatre Vents Cardinaux.
Coi>
* Les rhilofopKcs ont doué l'Iiomine de trois
Ames, la iegcî.'{ti-ie.)\2i fenjtî^'iie^ Se la raifonnalle.
Les Fanatique* y ont ajouté l'Ame IpiritucMc.
Et de ces quatre , qui répondent aux quatre Points
Cardinaux du Vent , ils ont tiré une Quinte/Tence,
qu'ils nomment dans leur jargon, la Zz/w/^re /«-
terienre, la Fi^ ivUrUmc.
I
ipi L E C O N T E
Confequemment à ce principe^ ils fou-
tenoient , que chaque homme apporte
avec \nï dans le Alonde une certaine
portion de /^^mf , qu'on peut apeller une
^inte£ence extraite des quatre autres.
Cette QLiintefFence efl d'un ufage uni-
verfel , dans toutes les circonltances de
la vie: elle influe fur tous les Arts, &
fur toutes les Sciences \ & elle peut être
merveilleufement augmentée & rafinée
par l'éducation.
Dès qu'on areiiffi à l'enfler, jufqu'au
point de fa perfection , on ne doit pas
la renfermer , & la referver avaricieufe-
ment pour foi-méme: au contraire, il
faut la prodiguer généreufement à touc
le genre-humain.
Fondez fur ces raifons , & fur d'autres
du même poids, les jEolifies les plus
illuminez alTeurent , que Y Eru5lation *
efl ra6le le plus noble de la Creature hu-
maine; &, pour en cultiver le talent ^
en faveur de toute la Société des hom.-
mes, ils fe font fervis de plufieurs dif-
férentes méthodes. Dans certaines Sai-
fons de fsuinée , on peut voir les Prêtres
d'en-
* La Faculté de lâcher les vents par la bou-
che.
DU TONNEAU. ic^3
d'entr'eux fe placer à l'oppoiite d'une
lempête , la bouche béante. En d'au-
tres tems, vous les verrez arrangez en
cer-cle , armez chacun d'un fouflet ,
qu'ils appliquent aux parties pofcerieu-
res de leur plus proche voifin, jufquà
ce qu'à force de Feniier ils lui aient
donné la ligure d'un tonneau. De-là
vient, que, dans leur langage ordinai-
re, ils appellent leurs corps, d'une ma-
nière fort propre , leurs Faijeaiix,
Dêsque par cette cérémonie, & par
d'autres femblables , ils font duèment
remplis , ils s'en vont dans le moment ;
& 5 pour l'utilité publique , ils le déchar-
gent d'une portion copieufc de leurs
nouvelles acquifitions dans les mâchoi-
res d^ leurs difciples. Car , il faut re-
marquer ici , qu'ils font d'opinion que
tout ie favoir procède de ce même pin-
cipe uni-ver fel. ils le prouvent en pre-
mier heu par cette vérité inconteilable,
que la fcience enfle : & , en fécond heu ,
ils fe fervent du Syllogifme fuivant.
Les paroles ne font que au "■jcnt-.
Le favoir ne confifte qu'en paroles-^
Ergo , Le favoir n^efl que du venL
Cell pourcette raifon , que leurs Doc-
"Tome L I tcurs
iP4 L E C O N T E
teurs ne commun iquoient leurs précep-
tes à leurs Ecoliers , que par voie d'£-
ru^iatioîi: ce qu'ils faifoient avec une
grande éloquence , & avec une varie-
té inexprimable.
Mais , le cara6lere principal , qui dif-
tinguoit le plus leurs fages du premier
ordre ^ étoit une certaine contenance ,
qui faifoit comprendre , jufqu'à quel dé-
gré le foufle Tfîyfterieux les agico it inté-
rieurement. Ce 'vent meri:eUleux ^ après
avoir caufé d'abord des tranchées , &
des convuliions ; après avoir produit ,
pour ainfi dire , un tremblement de terre
dans le Mîcrocojme du Philofophe ; s'é-
îevoit en haut par degré, tordoit la bou-
che, rendoit les joues bourfoufiées , &
donnoit un horrible éclat aux yeux.
L'Eruélation fuivoit ces grimaces de
près. Tous les vents qui leur fortoient
de la bouche paflbient pouriacrez: fur-
tout, ceux , dont l'odeur étoit la plus for-
te; &leurs maigres dévots les a valoient
avec une confolation inexprimable. Pour
rendre la chofe encore plus touchante,
les '■cents les mieux choills, les plus cdi^
fians^ & les plus vivifiais, étoient lâchés
par le nez, dont ils prenoientuneelpe-
ce de teinture, C« qui leur donnoit
ce
DU TONNEAU, ipf
ce nouveau degré de perfeftioii 5 c'étoic
le fentiment généralement reçu , que
ie fou fie de la vie eft dans nos ijarmes.
Leurs Divinitez étoient les quatre
Vents ^ qu'ils adoroient comme lesEl^
prits, qui parcourent , &; qui animent
tout rUniverSj & defquels, à propre-
ment parler, toute Infpiration tire fon
origine.
Cependant, le Chefde ces Dieux, &
celui qu'ils honoroient du Culte de La-
trie^ étoit le grand 7?^r6'f, une Divinité
ancienne , qu'autrefois les liabitans de
Megalopolis, dans la Grèce, adoroient
avec la plus profqnde vénération. Om-
nium Deorum Boream ma'xi'me celebrant ^
dit Paufanias. Ce Dieu, quoique pre-
fent par-tout, étoit pourtant cenfé ,
parmi les plus favants ^olilles , avoir
un féjour particulier , une efpece de
Ciel Empyrée , où fon pouvoir éclatoit
particulièrement. Cet endroit étoit (itué
dans un certain Pais très-connu des an-
ciens Grecs fous le nom de ^xct.* =^ ou
Pais de Ténèbres. 11
* Ce mot Grec figniiîe effedîvement Ohfatri-
te. Ceil: uneallufion àrEcoJTe, qui eft au Nord
de l'Angleterre, & le centre des Presbytériens 5
qui donnent k plus dans le luinatifme»
I 1
io6 L E C O N T E
11 eft vrai qu'il s'efl levé fur ce fujet
un grand nombre de controverfes : mais,
toutes les parties conviennent , comme
à\m po'mt inccnteftabîe ^ que d'une con-
trée du même nom les ^Èolifles les plus
rafinez tirent leur origine ; & que c'eft
de-là, que, dans tous les fiecles, les plus
zélez d entre leurs Prêtres ont ap-
porté rinlpiration la plus choifie. Ils
le font un devoir de l'aller recueillir
eux-mêmes àlafource, dans certaines
veffies , qu'ils ouvrent enfuite au mi-
lieu de leurs Sectaires répandus dans
toutes les Nations , lefquels hrayyient
après ce vent facré , & l'attendent la
bouche ouverte.
C'efl une chofe très-connue parmi les
favans, que ItsFirtuofi des fiecles paf^
fez avoient inventé un moïen de con-
ferver les %-cnts dans des Tonneaux; ce
qui étoit très-avantageux pour les voïa-
ges de long cours. La perte d'un art fi
utile ne fauroit jamais être aflez déplo-
rée; quoique je ne comprenne pas, par
quelle negligence inpardonnable , Pan-
ciroUus l'a palTé abfolument fous filen-
ce. Cette invention a été atribuéé h
j^oJe lui-même , dont toute la Se6le a
tiré fon nom, & j pour célébrer la mé-
moire
DU TONNEAU. 197
moire de leur Fondateur , ils ont encore
confer vé jufqu'àpréfent un grand nom-
bre de ces Tonneaus ^ , jadis dépoii-
taires du vent , dont ils en placent un
dans chacun de leurs Temples , après
l'avoir enfoncé par en haut.
Ceftdans ce Tonneau^ que leur Prê-
tre entre dans certains jours folennels,
après s'y être duëment préparé , de la
manière que j'ai dépeinte ci-delTus. Un
entonnoir caché s'étend de Tes parties
pofterieures vers le fond dudit Ton-
neau ^ jufqu'à uue certaine Fente Sep-
tentrionale, par où il fe fournit conti-
nuellement de nouveaux "i^cnts de la
meilleure efpéce.
Peu à peu vous le voïez s'étendre ^c
s'élargir à la même GroiTeur de fon
Tonneau , qu'il remplit à la fin exacte-
ment: &, dans cette pofture, il lâche ilir
fon auditoire des te?npcîes forrûelles^ à
proportion de la violence du foufle, qui
lui vient d'embas, & qui, fortant d'un
pailùge étroit, e:< adytis ^ ne fait pas
fon devoir fins lui eau fer de douîoureu-
fes tranchées. Qiiand ce vent eft par-
venu
* Ce font les Chaires ùwî, ornement à la Pres-
bytérienne»
I
î^8 L E C O N T E
venu jufqu'a fon vifage, il y fait les
mêmes iinprefiions, qu'il produit fur la
ruer. 11 le noircit d'abord: il le ride
ènfuite ; & à la fin il en fait fortir une
épaifle fumée.
C'eil précifement de cette manière,
que les ^oliftes facrez communiquent
IcrnsEru^atmis Prophétiques à leurs dil^
ciples haletans. Quelques membres de
l'auditoire tiennent cependant la hou-,
che ouverte , pour avaler avec avidité
le foufle fand^ifimt ^ tandis que d'autres,
chantant \^^ éloges de leurs Dieux ,
imitent par leur bourdonnement, tantôt
plus tantôt moins élevé , les foufles
agréables de leurs Divinitez appaifées.
Ce culte, pratiqué parmi les iEoliftes,
donne heu à plufieurs Auteurs de four
tenir , que leur Se6le eft des plus ancien-
nes, parce que leur Eructation Propbe^
tique reilemble fort à d'autres anciens
Oracles, dont on étoit redevable à cer-
taines bouffées de Vent fout err ai'ri^ qui
faifoient les mêmes imprefîîons fur le
Prêtre , & qui avoient la même influen-
ce fur l'efprit du Peuple. Il eft vrai ,
que ces Oracles paiToient fbuvent jufqu'à
la multitude, parle canal des Femmes,.
Laraifonenétoit, felon toutes les appa-
reu-
DU TONNEAU. ipp
rences , que leurs organes paroiflbient
mieux difpofez , que ceux des hommes,
pour donner entrée h, qqs tourbillons pro-
pbétiques , qui , paffant à leur aife par un
receptacle de plus grande capacité, eau-
foient en chemin faifanc certaines dé-
mangeaifons propres à produire des ex-
tafes charnelles , qu'on pouvoit pour-
tant y/j/y/V/^^/(/^r 5 par un ménagement
un peu adroit.
Cette favante conjecture eft confir-
mée parla coutume, qui règne encore
aujourd'hui parmi les iEoliltes les plus
épurez , de confier le Sacerdoce à des
PrétreiTes , & de fe plaire à recevoir
l'Infpiration par les mêmes conduits ,
par où les Sybilles & les Pythies les
transmettoient à leurs dévots.
Lorfque Tefprit humain lâche la bride
à fes penfées, il ne s'arrête jamais, mais il
traverfe , par une courfe continuelle , les
extrémitez du haut C5? du bas y dubon<3
du mauvais. Les premieres faillies de
l'imagination le portent d'ordinaire
aux idées de ce qu'il y a de plus parfait
& de plus accompli : mais, quand il s'e-
leve au deifusde fa portée, il n'efl plus
capable de diftinguer les limites qui
réparent la hauteur d'avec la profondeur ;
I 4 &
zoo L E C O N T E
& bientôt, continuant fon vol avec la
même précipitation, mais fans connoî-
.ire fa route , il tombe jufqu'au fond
des abimies : femblable à un voïageur ,
qui parcourt les mers de l'Eft jufqu'à
rOuefl > ou à une grande perche d un
bois-ibuple , qui , plus il efl étendu , &
plus il fe courbe en arc de cercle.
La caufe de ce dérèglement de nôtre
efprit eiï peut-être dans ce fond de ma-
lice né avec nous, qui nous porte d'or-
dinaire à joindre aux idées les plus no-
bles celles , qui leur font précifement
contraires. Peut-être eit-elle , dans les
bornes de notre Raifon , qui, portant fes
reflexions fjr toute la malle des cho fes,
refîemble au Soleil , qui, n'éclairant que
la moitié de notre Globe , laiile fautre
couverte de ténèbres. Peut-être la faut-
il chercher dans la foibleife de notre
Imagination, qui, emploïant toutes fes
forces pour s'élever à ce qu'il y a de
plus grand &de meilleur, fatigué, à la
iin , ai n'en pouvant plus , tombe tout
d'un coup à terre, commeunoifeau.de
paradis qui vient de mourir au milieu
de l'air.
Peut-être aufli, que parmi toutes ces
Conjeclures Metaphyfiqiies il n'y en a
paa
DU TONNNEAU. 201
pas une feule de fondée^ mais, cela n'em-
pêche pas , queje n'avance une propor-
tion très- vraie, endifanique, files plus
groffiers mêmes d'entre les humains
ont porté leurs Lumières naturelles à l'i-
dée d'un Dieu , ou d'un Etre fuprême;
ils n'ont auITi jamais oublié d'occuper
leurs fraïeurs de quelques notions afreu-
fes très-propres à leur feryir de Diables,
quand il n'y en auroit point au monde.
Il n'y a rien-là, dans le fond, qui ne foit
fort naturel; car, il en eft d'un homme, .
dont f imagination prend l'elfor vers le
Ciel, comme d'un autre dont le corps
efl élevé à une grande hauteur. Plus
ils fe plaifent tous deux à voir de plus
près ce qui efl au-deillis d'eux, plus ils
font efFraïez par le précipice qu'ils dé-
couvrent en bas. Cell ainfi que, dans
le choix d'un Diable, le Genre-humain a
toujours eu la méthode de jetter les
yeux fur quelque être réel ou fantaili-
que, dont il confidéroit toutes les qua-
litez comme diamétralement oppofées
aux attributs qu'il concevoit dans la Di-
vinité.
Cell encore de la même manière , que
la Secte des yEoliftcs a toujours craint,
& haï, deux ^//Tj- d'une nature maligne,
I f cnire
2C1 L E C O N T E
entre lefquels , & fes Dieux , il y a eu
une inimitié mortelle , depuis le com-
mencement du monde. Le premier eil
le Caméléon^ l'antipode de l'Infpirationj
&qui,par pure haine, dévore continuel-
lement les influences précieufes de ces
JDi'vimteZyikns s'en déchargerjamais par
Yéru6tation, L'autre eft un Monftre
afreux 5 d'une taille plus que gigantei^
que, nommé Moulin-à-vent^ qui, avec fes
quatre bras horribles, livre aces Dieux
\me Guerre éternelle, les tournant avcC
•ùdrefle, pour les dérober aux coups dô
ces ennemis , ou pour les leur rendre
avec intérêt.
S'étant ainfi fournie de Dieux & de
Diables , la Se6i:e des .'Eoliftes conti-
nue jufqu'h ce jour à faire une grande
ligure dans le m.onde. Je ne doutepas,
aurefte, que la Nation polie des Lapons
ne doive paiTer pour en être une des
plus illuftres branches. Je ferois fort
injufte à leur égard , (i je négligeois
cette occafion d'en parler avantageufe-
ment ; puifqu'ils font û unis , par l'in-
térêt , & par les inclinations , à leurs Frè-
res les jEoUfies , qui habitent parmi
nous. Non feulement ils prennent les
Ventf en gros , chez les mêmes mar-
chanda ,
DU TONNEAU, loj
ehands , mais ils les débitent en détail ,
dune manière toute femblable , & à
des chalands , qui font à peu près du
même naturel que ceux qui donnent
leur pratique à nos tempétueux compel^
îrïottes.
Si ce Syfteme de Religion a été en-
tièrement formé par notre Ami Jean\
ou 11, comme il elt plus vraifemblabîe,
il l'a copié de l'Original, qui fe trouve
h Delphes^ en y mettant des additions
& des coiTections propres à Tajuder
aux tems & aux circonilances • c'efl:-
là un point , fur lequel je n ai pas la
hardieiTe de décidier. ^iai3, je crois pou-
voir affeurer, que c^elt Jean en propre
perfonne , qui y a donné un tour nou-
veau , (S: qui Fa précifement mis dans
l'état dont je viens de tracer un fidèle
tableau.
Au refte, il y aîong-tems que je cher-
che une occafion favorable de rendre
jufticeà cette Société d'Hommes, que
j'honore extrémem.ent , & dont les
opinions, aufïïbien que les cérémonies,
ont été entièrement défigurées par la
malice , ou par fignorance, de leurs
adverfaires. Jecroi, pour moi, qu'une
des meilleures actions d'un honnétc-
I 6 liom-
204 LE C a N T E
homme , c'ell de déraciner les préju-
gez , & de mettre les chofes dans leur
veritable jour. Je viens de m'acquiter
de ce grand devoir ,. fans aucune vue
d'intérêt; excepté le plaifir defatisfaire
à ma confcience , d'acquérir de la gloir-
re 3 &: de m'attirer des remerciraens.
SEC.
DU TONNEAU, log
SECTION IX.
D/Jfertûtion fur Torigine £3? fur
les progrès de la Folie , comme
aufft furfon utilité danslaSocié-^
té humaine.
JE crains bien que certains Leéieurs
fuperficiels ne regardent d'un œil
de mépris la Secle des y^/i/^é-j, par
ce qu'elle reconnoit pour fon Fonda-
teur un homme comme Jean , dont , de
mon propre aveu, le cerveau s'étoitab-
folument dérangé , & qui étoit tombé
dans l'état que nous defignons par le
mot de Folle , ou de Frénézie, Leur
mépris feroit très-mal fondé \ & ils en
feront convaincus eux-mêmes, s'ils veu-
lent bien réfléchir fur les plus grandes
allions , qui ont jamais été faites dans
le monde , fous la dire6lion d'un leul
homme. Telles font l'établiffcment de
nouveaux Empires fait par la force des
armes , finvention de nouveaux Syllê-
mes de Philofophie , & fintroduéliou
de Religions nouvelles. Il ell certain-,
^ue tous les grands hommes , à qui on eft
I 7 10-
loé L E C O N T E
redevable de toutes ces fameufes révo-
lutions , ont foufert de grandes altera-
xions dans leur bon-fens, par leur nour-
riture ^ par leur éducation , par une
certaine inclination dominante , ou par
une influence particulière de l'air qu'ils
relpiroient , ou du cîin^at fous iequd ils
ont été obligez de vivre.
D'ailleurs, il y a dans fefprit humain
quelque chofe de lingulier 6l à" indivis
diid^ qui fe reveiilefouventpar le choc
accidentel de certaines circonitances ,
■<|ui, minces & peu confiderables^^n el-
•}es-mêmes, ne laiilent pas d-e produire
ibuvent les évenemens les plus m-erveil-
leux. Les grandes revolutions n'ont
pas toujours de grandes iources , ■& il
importe peu par quelle caufe les paC-
fions font enflammées, pourvu -que les
fumées s'en élèvent jufqii'au cerveau.
La Région fti^c-fiewe de notre t-éte eft
<ians la mem^efituation , que lamoïenne
Region de l'air : les matières , qui s'y
conduifent, en font d'une nature très -dit
fe-rentes3 niais, elles y deviennenctoutes
-de -la-méme fubftance , & produifent les
mêmes efets. Les 'i^^/^^-j-s'éleveîK de
'la terre , les cxhalaiivns de la mer , & la
■ ' /«-
DU TONNEAU, lof
fumée du feu. Cependant , toutes les
nuées font de la même nature 3 & l'o-
deur, qui fort à' Vin fumier ^ fait un nua-
ge d un auiTi grand mérite , que celle
qui fe répand d'une malle précieufe
iencens.
De ces veritez de fait , qu'on ne fau*
toit me contefler , il fuit évidemment ,
que comme Fair ne produit jamais de la
pluie , que lorfqu'il ell troublé & fur-
chargé d'exhalailbns ; de la même ma-
nière , i'efprit humain , qui habite le
cerveau , doit être troublé , & accablé de
vapeurs exhalées des parties inférieures,
pour produire quelque chofe d'extraor-
dinaire.
Or, quoique ces vapeurs 5 comme je
fai déjà dit , fortent d'autant de diffé-
rentes fources que celles qui montent
vers le Ciel, l'effet, qu'elles produifent,
ne fe fent point de cette difference.
Il eft feulement varié , tant par rapport
à l'efpece , qu'au degré , felon la diffé-
rente fituation du cerveau , dans lequel
jl efl formé. Je me fervirai ici de deux
fameux exemples , pour prouver , &
pour éclaircir ce que je viens d'avan-
cer.
Un
2o8 L E C O N T E
Un certain Prince de par le mon-
de leva un jour une grande armée , rem-
plit fes coffres de trefors immenfes,- &
arma une Flotte invincible , fans com-
muniquer Ton deflein , ni à fes plus habi-
les Miniftres , ni à fes plus chers Favo-
ris. Ces grands préparatifs allarmerent
d'abord tout le monde: les Monarques
voifms attendirent , en tremblant , de
quel côté forage devoit crever; & les
Politiques fubalternes y trouvèrent la
matière de mille profondes fpécula-
tions *. L'un fe mettoit dans f elprit^, que
ce
* Ce Prince eft Kenry IV. qui , peu de tems
avant fa mort, fît tous ces Préparatifs dont l'Au-
teur parle. On les attribua aux deffeins les plus
vailes 5 qui font dépeints ici; mais ^ l'Auteur ou>-
blie un des Projets qu'on attribue à ce Grand
Roi ; c'ctoit d'établir une Taix prptuelle dans
le Monde, en mettant tous les états dePEuTope
dans certaines bornes. C'eil ce deflein , qui dans
nos jours a donné naiiïance à un Livre très-cu-
rieux 5 qui établit toutes les Maximes neceflaires ,
pour parvenir à un but il fouKaitable , & q ui s'ef-
force d'applanir toutes les difficultez, qui pour-
roient s'y oppofer. Cet Ouvrrge mérite d'être lu
avec la plus graruie attention. Quand il fcroit
deftitué de fblidité , ce que perfonne jufqu'ici n'a
entrepris défaire voir, il nous domieroit toujours
la Chimère la mieux formée qu'on puiffe s'inxigi-
Dcr» Il eft de l'Abbé de St. Pkrre,
DU TONNEAU. 20^
ce Prince en vouloit h la Monarchie uni-
verfelle. Un autre , après une meure dé-
libération , concluoit , qu'il s'agillbitde
détrôner le Pape , & d'établir la Religion
Proteflante , dont ce Prince avoit fait
autrefois profeiïion. Un troifiéme, d'une
fagacité encore plus étonnante, envoïoit.
notre Fieros dans TAiie , pour détruire
l'Empire Ottoman, & pour conquérir
la Terre Sainte *.
Au milieu de tous ces beaux Raifon-
nemens , un certain Chirurgien d'Etat
vint à connoitre , que tous ces grands
Projets n'étoient que l'effet d'uacerveau
malade. Il en fut pleinement convaincu
par les Syntomes du mal ^ & il entre-
prit de le guérir. Il fit Toperation né-
ceflai-
* Des gens-, quiraffinoient moins furies projets
de Souverains , ont débité , que la caufe de tous
ces Préparatifs étoit la PrincelTe de Condé ^ qui
avoit donné de l'amour à ce Monarque fufcep-
tibîe 5 & qui , pour m.ettre fon honneur à l'abri
de fes pourfuites , s'étoit retirée dans les Païs-Bas
Catholiques. Ils prétendent , que Çow Amant
avoit ramailé toutes ces forces redoutables , pour
c nquerir cette Maitrefle cruelle,, en l'arracliant
d'entre les mains des Efpagnols. Le grand def-
ït'm dont je viens de parler, & ce Projet bas &
mëprifablcj ne font pas incompatibles dans le
fgiad.
210 LE CONTE
ceflaire d'un feul coup: la vejjie fe crè-
ve 5 la vapeur fe diiïipe ^ & rien n'au-
roit manqué à Theureufe guérifon du
Prince , s'il n'étoic pas mort au beau mi-
lieu de la cure.
Le Ledleur efl fort curieux appa-
remment de favoir , de quelle fource
étoit venue cette vapeur , qui avoit
effraie fi long-tems tous les Peuples de
l'Europe , & quel reffort fecret avoit
mis en mouvement une machine fi ter-
rible; mais, il fera bien furpris, quand je
lui dirai, que c'étoit uniquememt une
Femme abfente , dont les yeux avoyent
caufé chez le pauvre Prince une certaine
tumeur^ & qui s'étoit retirée dans le
Pais ennemi, avant que cette tumeur
fe fut mife ^[uppurer. Quel parti pou-
voit prendre le malheureux Monarque,
dans une conjon6lure fi délicate? Il eut
beau effaïer le remède prefcrit par un
Poète , qui foutient , que la maladie,
qu'une Femme nous caufe , peut être
giierie par toute autre Femme. Il n'en
reçut pas le moindre foulagement-, par
ce <iue, felon Lucrèce^
U-
r
DU TONNEAU, zit
Idque petit Corpus , mens unde eft faucta
amore ,
Uyiàe feritur , eo tendit , geftitque coin,
La matière entaflee dans les vajafe^
mlnalia s'enflamma bientôt , devint a-
dufle , fe changea en bile , prit fon
cours vers \z conduit j pi nal ^ & m.onta
de-là dans le cerveau.
Ceft ainfi que le même Principe, qui
porte un Breteur àcafler les vitres d\i-
ne Femme de mediocre vertu dont il a
été la dupe , anime un grand Prince à
mettre des Armées en Campagne , & à
ne fe remplir la tête que de Sièges , de
Batailles, & de Vi6toires.
Cunnus teterrima helïi
Caufa
Mon fécond exemple eft un trait^
d'Hiiloire que j'ai lu dans une Chro-
nique très-ancienne. Le voici.
Il y avoit autrefois un Roi fort
puilTant , qui dans l'efpace de trente
années confécutives s'étoit amufé à
prendre & à perdre des Villes , h bat-
tre
%\i L E C O NT E
tre des armées & à fe laifler battre,
à chaffer les Princes de leurs Etats , à
éfraier les Enfans d'une manière à leur
faire tomber les tartines des mains \ en
un mot 5 à brûler , à ravager , h dragon-
ner, à faccager, à maffacrer,fLijets & en-
nemis ^ maies & femelles ^. Les Philofo-
phes Contemporains de ce Prince met-
toient leur efprit à la gène, pour trou-
ver les caufesPZ/)/%//rj, Politique: ^ &:
Morales ^ dont il ïalloitdédaii-e ce Phé-
nomène fuprénant. A la fin , la vapeur,
qui troubloit le cerveau de ce Conqué-
rant ^ s'étant mifeà circuler, fe fixa fur
cet endroit du Corps humain fi renom-
mé, par fon talent de produire la Z/-
heta Occiàentalis f ^ & , fe raffemblant-
là dans une ///^/^^/^r , lailTa dans cet inter-
valle l'Univers en repos.
On voit par-là de quelle confequen-
ce efl le cours que prennent ces exha-
lailbns , & comme il importe peu de
quelle origine elles dérivent. Les mê-
mes
* C'efl: Louis Xir,
^ t Ziheta Ovkntalis , c'eft le Mufc. Zibeta Oc-
cidentalis, c'eft quelque chofe de fort contraire
au Mufc j <^uoi qu'elle forte d'une fource touta
pareille.
DU TONNEAU. 21?
mes fîrûjées^qni^s'élevdint vers le cerveau,
font capables de conquérir des Roïau-
mes , n'ont qu'à fe jetter fur Vjînus^
pour aboutir à une Fifiide ^.
Palîbns àpréfent à ces Grands Intro-
dufteurs de nouveaux S y lié mes de Phi-
lofophie : voyons de quelle Faculté de
Tame fe levé Hnclination de pouffer
dans le monde, avec un zèle il opiniâ-
tre , de nouvelles idées , à l'égard de
certaines chofes , dont, de l'aveu de tout
le monde , il eil: impolTible de connoitre
la nature j examinons, de quelle iburce
dérive ce penchant,& à quelle propriété
de Fefprit-humain ces Illuftres doivent
leur gloire , & leurs difcipies.
11 eil certain , que pluiieurs des prin-
cipaux d'entr'eux^tant anciens , que mio-
dernes, ont été pris par leurs adverfai-
res, &5 û vous en exceptez leurs Par-
tifans, par tout le Genre humain, pour
des gens qui avoient le cerveau boule-
verlé. 11 efl fur mém.e , qu'ils fe font
écartez extrêmement des m^imes du
fens-commun , dans leur manière ordi-
naire d'agir & de parler , & qu'ils ont
été
. * L'Auteur a en vue la fameufe Fiftuls de
i^eiiii le Grand,
iLi4 L E C O N T E
été des types exa6ls de leurs legitimes
SuccelTeurs , qui peuplent à préfent VU-
niverfité moderne de Bedlam *.
Tels ont été jadis Epicure , Dioge-
ne , Apollonius , Lucrèce , Paracelfe ,
Defcartes , qui , s'ils étoient dans le
Monde à l'heure qu'il eil , arachez , &
leparez de leurs Difciples , feroient ex-
pofez fans doute à la Phîebotomie , aux
coups de nerfs de bœuf, aux ténèbres,
& à la paille. Auiïï , comment fe peut-
il qu'un homme, en fuivant les fmiples
& pures lumières du bon fens, fe mette
dans la tête de jetter les idées de tout
ie Genre-humain dans le moule de fes
propres conceptions? Cell pourtant-
là l'humble & l'obligeante prétenfion
de tous les Inno'vateurs dans l'Empire de
laRaifon. Epicure, par exemple, efpe-
Toit modeftement, que , par uncertain
concours fortuit des opinions humaines,
après un choc perpétuel des poin-
tues & des unies , des légères & des
péfantes, des rondes & des quarrées y,
tous
* L'Hôpkal des Fous à Londres.
I Ce choc des opinions pointues , unies ,
rondes , quarrces , eft fort inutile dans cette
Allé gov U -^xï çxi dépîaife aux Admirateurs de cet Ou-
vrage , parmi lefquels je me range très- volon-
tiers.
DU TOxMNEAU. zif
tous les hommes s'uniroient à la fin,
par certaines bidinailons , dans les no-
tions du vtiide ^ des atomes^ tout de
même que ceux-ci fe font accrochez ,
en formant cet Uni\^ers.
E efl évident que Defcartes ne fe
flattoit pas moins , ëc qu'il contoit bien
de voir, avant fa mort, tous les Philo-
fophes , comme autant à' étoiles de moindre
grandeur ^ attirez & abforbez dans fon
propre tourbillon.
Or , je voudrois bien favoir, comment
il efl pofïïble de rendre raifon de pareil-
les Fantaifies , fans avoir recours à mon
Syjîéme des Vapeurs ^ qui, montant dans
le cerveau, s'y condenfent & fediflillent
en certaines conceptions , que la fle-
riiité de notre langue ne fauroit déligner,
que par les noms de Frénézie^ & d'£x-
tra'vagance.
Examinons à préfent d'où peut venir ,
qu'aucun de ces Innwoateurs ne manque
jamais de gagner à les nouvelles idées
un grand nombre de Difciples prêts à
recevoir les plusbifarres opinions,parle
moïen de la foi implicite, La raifon en
efl
tiers. Ce n'efl: pas le fcul endroit où Timagina-
tion de l'Auteur s'écarte de lajuHcfic d'efpritja
force d'outrer les cho&s.
^i6 LE CONTE
eft auiïi facile à trouver qu'elle eft fo-
lide. La voici.
" iDans V Harmonie de V Entendement hu^
main , il y a une certaine corde particu-
Here j qui, chez plullers individus foi-
difant raifonnables , eft montée précifé-
ment fur le même ton. Dès que quel-
qu'un eft affez heureux , pour tirer du
Ion de cette corde parmi \qs eiprits à
runiffon , il arrive par une fimpathie
néceffaire , qu'ils produifent les mêmes
tons , avec la dernière exa6litude. C'eft
en cela feul, qui confifte tout le bon-
heur , ou toute rhabileté , de nos Au-
teurs de Syftémes ; car, fi par hazard
vous donnez quelque coup d'archet en
préfence de ceux dont la corde cft mon-
tée trop haut, ou trop bas, pour s'accor-
der avec la vôtre , bien loin de goûter
vos tons, ils vous traiteront de Fou, ils
vous enchaineront,&vous mettront au
pain & à l'eau. C'eft par conféquenc
une affaire fort délicate à ménager j &
il faut une grande circonfpection , pour
ajufter ce talent , comme il faut , aux dif-
férentes'conjonélures des tems, & aux
différentes dilpofitions des perfonnes.
Ckerôn-3, raiibnné fort jufte là-deffus ,
^ans une Lettre , qu'il écrit à un de fes
Amis
DU TONNEAU. 217
Amis en Angleterre , où , parmi d'autres
avis trcs-importans , il le précautionnc
contre la fourberie des fiacres^ qui étoienr;
aparem.ment alors d'auiïi grands fa-
quins , qu'ils le font à préfent.
Il fe fert dans cette Epitre de ces
exprefllons très-remarquables, efv quod
gaudcas îe in ifia locci voiiffe , ubi aliquid
japerc viderere: _yQUS êtes heureux d'e-
tre venu dans un Païs, où vous nefau-
riez manquer de palier poux un elprit
fuperieur.
Cette Sentence eft pleine de fens, ëc
de jufteiTe- car, pour dire ici une véri-
té un peu hardie , le peut-il un plus
grand défaut de conduite , que d'aller
pafTer dans une Compagnie pour un
e.xtrai'agaiîî , quand on elt le ?'îaître de
fe faire confidérer dans un autre com-
me un PbiÎQfopbe'': Je prens ici la liber-
té de conjurer quelques MelUeurs de
ma connoiilance , de s'en fouvenir en
tems & lieux , comme d'un avertif^
fement , dont ils peuvent tirer de
grands ufiges.
Telle a été la faute de mon digne
ami M. Wotton, un perionnage delti-
né à former dv à exécuter heureuf^ment
les plus grands defleins ,ri Ton en peut
ironie L K ju-
2iS LE CONTE
juger par Tes Regards , &'par fon Gcnic.
Plut au Ciel que fes heureux Taleiis,
perclus dans les ipéculations d'une vaine
Pliilofophie , fe fufîent exercez fur les
ibnges , & fur les vifions , où refpà ^
fair égarez font d'un il grand ufage.
Onauroit vu, que jamais homme nefe
produifit dans le public avec de plus
grandes difpofidons de l'ame & du corps,
pour rétabliiïement d'une nouvelle Re-
ligion. S'il avoit enfilé cette noble
route , jamais le monde medifant &
calomniateur n'auroit ofé débiter, que
le cerveau de ce grand homnie eft ab-
folument détracqué ; jamais fes Frères
les Modernes n'auroient poude l'ingra-
titude jufqii'h s'entredire cette nouvel-
le h l'oreille, mais afiez haut pourtant,
pour que je lepuille entendre du Gale-
tas où j'enfante ce Divin l^raiîê.
Je reviens à mon Syftême des Va-
peurs. Quiconque réliechira fur cette
iburce de fenthcufiafme qu'elles pro-
dilifent dans le cerveau, & de laquelle
dans tous les fiécles font fortis des ruif.
féaux fi abondanj , remarquera que les
eaux en font aulTi troubles &aufii char-
gées de boucs au commencement
qu'au milieu de leur cours. Cette vérité
,n em-
DU TONNEAU, ii^
n empêche pas , qu'il n'y aie rien de plus
utile 5 qu'une force doze de ces i;j-.
fei'.rs, nommées par les hommes ext-ra-
"vag.ïncc. Sans elle le 3Ionde ne feroir
pas privé feulement de ces deux grands
avantages, les Conq'étes ^-tj^lcs SyfténuSy
mais, tout le Genre-humain feroitmal-
heureufement borné dans la niêm.e
croïance touchant les chofes invifibles.
Après avoir prouvé , qu'il eft indilTe-
rent de quelle origine les vapeurs fuf-
dites procèdent , mais qu'il importe
beaucoup de quelle nature eft le cerveait
qu'elles accablent , & fur quelle partie
du cerveau elles le jettent, il me refte
encore à developer un point de la der-
nière delicatefTe. Il s'agit de faire voir
au Lecleur curieux & fubtil la raifon
propre & fpécifique, pourquoi les mêmes
cxhalaifons font capables de produire
une 11 grande variété d'effets , dans \i:is
cerveaux d'une différente Conftitution ;
il s'agit d'entrer dans le détail des cau-
fus qui font fortir des mêmes vapeurs
les Carafteres d'un Alexayzdre le Grand ,
d'un Jean de Leyden *, & d'un Def-
cartes.
^ * Ce Jean ce Leyden e'toitun TaMîeur, quife
'It Chef d'une S€<^c de Fanatiques , dans le com-
220 L E C O N T E
cartes. C'eft-là la matière la plus abflrai-
te, qui ait jamais occupé mes reflexions :
elle exige de mon génie les derniers ef-
forts; & je conjure le Le6leur de me
prêter l'attention la pius forte , & de
ne me pas perdre un moment de vue,
pendant que je travaillerai à défaire ce
Nœud Gordien,
Il y a dans le Genre-humain
hic muîîa defideranîur
Voilà juflement la Solu-
tion de cette Difficulté capable d'éton-
ner tout autre Génie.
M'en étant débaralTé avec tant de
fuccès, je ne doute point que le Lec-
teur ne m'accorde la conclufion où
aboutiflent tous mes raifonnemens pré-
cédens, favoir, que, 'ii les Modernes
en-
mencement de la Reformation. Soutenu d'une
trcupe nombrcufc de Tes Partifans , il s'empara
de la Ville de J///,v/^ >• , & prit le titre de Roi: il
y foutint le Siege, avec beaucoup d'opiniâtreté;
rnais , la Ville étant prilc a la iin , il fut puni de
mort, comme fon Fanatifmt ambiiieHX l'avoit
très-bien mérite.
DU TONNEAU. 211
entendent ^ir Exîravagance\QS troubles
caufez dans le cerveau par les vapeurs ,
c'eil à V ExîravagaKce , qu'on ell rede-
vable de toutes les refolutions , qui font,
jamais arrivées dans les Eimires , dans
la Philofopiiie , & dans la Religion.
L'entendement humain , dans fa iitua-
tion calme (Scnatiu'elle, porte l'homme
à palFer fa vie uniment, fans le moindre
deiïein d'afllijettir Izs autres à Çonpoii-'
voir ^ à Tes raifoyis ,' & â fes chimères.
Plus quelqu'un s'applique à former fou
efprit par l'érudition, & moins il a du
penchant à procurer des Partifans à fes
Opinions particulières ; parce qu'elle
l'inftruit auiïi bien de fa propre foibîef.
fe , que de la ftiipide ignorance du vul-
gaire.
x^ïais, quand la fantaifie d'un homme îà
met à caiiforchon fur fa raifon , quand fon
imagination fait le coup de poing avec
fes fens, le pauvre [cm-commiin eît jette
par les fenêtres. Cet homme devient
Ici-mc: me fon pre-.aier Profelyte : d:, dès
qu'il en eit une fois venu à bout, il lui
eit fort aifé d'en faire d'autres > puif-
qu'une forte illufion opère avec autant
de vigueur au cUhcrso^xtxvdedaiïS. Car,
\q jargon y & les chimères, procure^lt la
K 3 me-
HZ L E C O N T E
même volupté aux oreilles & aux yeux ,
que le chatouillement produit fur le
/j/t ; & les divertiiTemens , qui nous cau-
fent dans la vie les plaiflrs les plus pi-
qiians , font precifément ceux qui du-
pent nos fens , & qui font des Tcurs de
G cl? de t déniant eux.
Si nous examinons attentivement ce
qu'on entend en general par bonheur ,
tant par raport à i'efprit , qu'à l'égard
des fens, nous verrons évidemment,
que toutes les proprietez en font ren-
fermées dans cette courte définition.
Le bonheur efi la pjjejfion tranquille
du plaïfir d^ être bien îs) diicrnent trompé.
Par raport à I'efprit , il efl certain
que la fiction a un avantage très-con-
fiderable fur la vérité 5 & i! n'en faut
pas chercher la raifon bien loin.
Qiielque effort que faiTent la Nature
& la Fortune, elles ne fmroient jamais
égaler, par leurs productions , les Pbeno^
Tf^enes admirables ^ ôz Iqs lùvolutio/is mer-
'ueilkufcs , que l'imagination efl capa-
ble de produire. Et dans le fond l'hom-
me eft-il fi fort à blâmer de préférer
l'une aux autres ? La vérité place des
notions dans la mémoire: la fiftion
introduit des idées da;is l'imagination.
• I!
DU TONNEAU. 223
li s'agit feulement de fa voir fi les der-
nières n'exiilent pas aulU -réellement que
les premieres. Il n efl pas poiïible d'en
dijconvenir: on peut foutenir même,
que rimagination l'emporte fur la mé-
moire, parce qu elle eft, pourainfidire ,
h matrice des chofes , au lieu que l'autre
n'en eft que le îo77ihea!L
IMa définition n'eft pas moinsjufteà
regard des fens. Qiiei air fade, 6c infi-
pide 5 ne trouvons - nous pas dans tous
les objets qui fe prefentent à nos
yeux fans l'en vel ope de nilufion ? Il
n'y a rien de fi plat , que tout ce que
nous découvrons dans le miroir de la
Nature 5 &, fi nous n'avions pas l'adreife
de le relever par de faux jours , par du
vernis , & par du fard , il n'y auroit
dans la plus grande félicité de l'Hom.-
me 5 qu'une grande & ennnieufe Unifor-
mité. Sijepcuvoisperfiiader au Genre-
humain de faire là-deifus de ferieufes ré-
flexions , ils ne regarderoient plus , com-
miCun des plus hauts degrèsdeSagcffe,
l'art d'expofer aux yeux du public les
cotez foibles , & les defecluoficez , des
chofes : ils y trouveroient autant d'impo-
liteffe , que dans la brutalité d'aracher
le mafque à quelqu'un \ ce qui pafte pour
K 4 un
224 L E C O N T E
\m fi grand affront parmi ceux qui fa-
vent leur monde.
Je vais phis loin. Dans la même pro-
portion , que la crédulité t^ une fituation
d'eiprit plus tranquille que la curioji^
ié \ la SageJ/e , qui s'amufb à la furfacc
ÙQs cliofes , doit être préférée à la Pbi-
lofophie , qui en pénétre les entrailles,
& qui , pour toute découverte , s'en
vient nous dire enfiiite , avec beaucoup
de gravité , que Fintérieur n'en vaut
rien.
Les deux fens, auxquels tous les objets
s'adreiTent d abord , font la 'uue^ & le
tacl , qui n'examinent jamais que les
qualitez que l'Art ou la Nature éta-
lent fur la fuperficie de corps. Dans le
tems qu'ils s'y amufent , voilà la Rai-
ÎQVi impertinemment officieufe , qui,
munie d'outils propres à couper , tran-
cher , percer , diflequer , s'offre à nous
faire voir évidemment, que le dedans
efl fort différent du dehors.
Celanes'apperie-.t-il pas pêcher grof-
Herement contre la Nature , qui, confor-
mément à une de fes Loix éternelles,
fe pare extérieurement de ce qu'elle a
de plus beau. Cell pourquoi Je me crois
obligé en confcience de fauver aux hom-
mes
DU TONNEAU, iis
mes les frais d'une pareille Jiîaîomie^
en les avertilTanc, que, dans cette occa-
fion, laRaifon a le plus grand tort du
monde; puifqu'il eft certain, que tous
les êtres corporels, autant que j'en coa-
nois , ne brillent que du côté de Ta-
juflement. Rien ne m'a confirmé d'a-
vantage dans cette Opinion, que quel-
ques Experiences , que j'ai faites depuis
peu.
J'ai vu la femaine pallee le corps d'u-
ne Femme , qu'on avc^t écorché ; &
vous ne fauriez croire,combien elle étoit
mife à ion Qeiavantage,dans cette efpece
de deshabillé. Je lis dépouiller hier en
ma préfence le cadavre d'un Petit-Maî-
tre;, & c'étoit une chofe étonnante da
trouver un il grand nombre de défec-
tuoîitez fous un ièu! ôc même habit.
J'en ouvris enfuite le cerveau, le cœur,
& la ratte; mais, je m'aperçus h chaque
opei at .on , qae plus j'y allois en avant ,
& plus les défauts croiflbient en nom-
bre, & en volume. J'en conclus , qu'un
Philofophe, qui trouveroit l'arc de pal-
lier 6c de plarter les imperfe£t:ionsdekl
Nature , obligeroitle Genre-humain in-
finiment d'avantage, que ceux, qii'on
cTtime tant , & dont tout le Sivoir coi-
K y nib
116 LE CONTE
ilite cependant à ouvrir ces playes ^&c a
expofer ces taches aux yeux de tout le
îMonde. Peut-on nier, qu ils ne foient
nulii ridicules qu'un certain homme , qui
foutenoit que \ Jnatomk ejî le But p-in-
àpal ds la Médecine ?
A mon avis 5 un homme , qui pcffede-
roit r.\rt merveilleux & fatisfaifant
dont je viens de parler ; & qui , avec E-
pcure, fluiroit fe contenter de ces ima-
ges , que la fuperiicie des chofes envoie
vers nos fens j^feroit feul digne du titre
de Sage, Il ecremeroit la Nature , &
laifTeroit à la Raifon , & à la Philofo-
phie , à en avaler la lie. C'eft-là ce qui
s'appelle le véritable point delà Félicite
humaine ; voilà cette pcj/cffi on tranquilk
élupUiîfr d'être bien f> duement trompé^
qu'on peut nommer autrement la f,-
t nation cahne d'un fou environné de j ri-
pons.
Pour en revenir à X Extravagance , il
eil évident, felon le Syltcme que j'ai
établi fur tant de fortes raifons , que
chacune des différentes elpeces doit
fon origine à Fabondance excefîive de
certaines vapeurs. Or, comme certaines
frenezies redoublent la force des nerfs,
c'âutres augmentent la vigueur & la
?iva-
DU TO X V E A U 2Z7
vivacité de riniarrination. Il arrive nflez
fouvent,que ces e f pr. i' s ûclif s, qm en pren-
nent poliefiion , relleniblent à certains
cfprits foicts , qui hantent d'antres babi-
taîîons lîildcs , <& qui , faute d occupa-
tion , en diiparoiirant , en emportent
nne partie avec eux, ou bien y relten>
pour jetter les maifoils par les fenê-
tres, piece à piece.
On peut confiderer la conduite de ces
Lutins comme un type d<^s deux prin-
cipales branches de X Extravagance , que
quelques Fhiîofcpbcs, par uneméprife
groiïlére, ont attribuées , àdeuxcaufes
différentes , iavoir, àlâdilette, & à l'a-
bondance exceiïlve des EfpritSj au lieu
que j'ai fait voir clairèm.ent , qu'elles
doivent la naifîance à une feule & même
caufe.
Il fuit de-lh manifeitement , que pour
ttre heureux dans fbn extravagance,
toute l'habileté de l'homme confiile à
fournir de l'exercice à cette abondance
de vapeurs , & h leur donner l'elTor dans
le tems convenable. Conformément zi
cette vérité , un homme, faifilfantune
occafion favorable, le jette dans un gou-
fi'e ; c'eit un Héros , c'eft le Sauveur
de [a Patrie : un autre tente la ménvo^
K 6 entré-
ii8 LE CONTE
entreprife- mais, il prend mal fontems,
& le titre de Fou couvre fa mémoire
d'une honte éternelle. Fondez fur une
diftnclion 11 délicate, nous prononçons
le Nom de Curtius avec tendrefle &
avec refpeél, mais celui à'Empcdode
^vec haine & avec mépris \ & nous
concevons fans peine , que Brutus ne fit
Vexîra'vagaîît ^ que pour le bien publie.
Qiiant -h moi , je fuis convaincu , que
rextravagance de ce grand homme
étoit veritable , & que c'étoit une
abondance de vapeurs m.al appliquée
jufqu'alors , que les Latins appellent
ingeniu7n par negoùis \ m-^is, que cette
/;V^///?^ ne revêtit les apparences de la
Sagejje , que quand elle trouva fon
veritable élément dans les Affaires
d'Etat.
Toutes ces raifons im.portantes , &
plufieurs autres du même poids , quoi
que moins curieufes, mie font faillr cet-
te occafion de recommander un Projet
fort utile aux foins des Clievaliers jE-
-àouard Seymour , Chrijlothle Miifgra'vey
Jean Bovjîs , 6? de M. Hoiv Ecuïer ,
& d'autres Amateurs de la Patrie *. Je
les
* C'etoient dan^ ce tents les Chiens à grâljd
CoUiîT daiis là Ciumbredes Conxmuîiss,
DU TONNEAU, itp
les conjure d'emploïer tout leur crédit,
pour faire nommer des Commiflaires
deflinez à avoir infpeftion fur Bedlam^
& fur les lieux voifms , & autorifez à
examiner le mérite, les qualitez,lesdii^
pofitions 5 & la conduite de chaque
Membre de cette ilIuftreSocieté. Silef-
dits CommifTaires ont foind'enbiendi^
tinguer les difFerens talcns, & de les em-
ploier a des occupations convenables,
je ne doute point qu'on n'y trouve
une pépinière de fujets admirables ,
pour remplir les Charges de FEtat , Ec-
clefiafliques, Politiques , Civiles, &
Militaires. On n'aura qu'à s'y pren-
dre de la manière , que je vais indi-
quer ici ^ & l'efpere que le Le6leur
bénévole ne defaprouvera pas le mou-
vement 5 que je me donne ici , pour
faire reufTir ce deiTein important, en
faveur d'un corps renommé , dont j'ai
eu autrefois le bonlieiir d'être memh'Q
indigne.
Si un Habitant de ce lieu jure , blaf-
phême , brife fa paille , & la met en
pouffiere, en jettant l'écume parla bou-
che ^ s'il mord dans la grille de fon ca-
chot , & viiide fon pot-de-chambre dans
le nez des Spe6tateurs. Qiie Meiïieurs
K 7 les
230 L E C O N T E
les CommifTaires le mettent à la tcte
d'un Regiment de Dragons , & l'en-
voient en Flandre ; je réponds du fuc-
cès.
Un autre s'occupe fans relâche à ba-
biller , cacqueter , criailler , fans pro-
duire aucun fon articulé ; que de talens
cachez fous terre ! Qu'au plus vite on
lui fourniiîe du papier, un fac vert, &
qu'avec trois fols dans fa poche on l'en-
voie vers la Sale de Wefimunfler ^\
En veici un autre qui prend gra-
vem.ent les dimenfions de fon apparte-
ment. Quoi que condamné à l'obfcurî-
té, il a l'air pénétrant & prévoïant, il
marche d'une m.aniere pofée , il vous
demande l'aumône avec gravité & céré-
monie > il parle de la corruption du
fiécle , des taxes , & de la grande pail-
larde \ il barre fa cellule précifement à
huit heures du foir ; la nuit il ne rêve
que d'incendies , de voleurs , de cha-
lands de la Cour, & des lieux privilé-
giez pour les gens infolvables. Qiielle
ligu-
* Qu'on en faffc un Avocat. La Sale de Weft-
munftcr ell le lieu où l'on plaide: les jeunes Ju-
ris-Confultes , qui fréquentent cet endroit , y
vont d^ordinatre quatre à quatre dans un lîacrc;
qui leur coûte 3 fols à chacun.
DU TOXXEAU. 2^1
figure ne feroit pas cet homme pourvu
de tant de qualitez éminentes , fi on
l'envoi oit au milieu de f^s Frères les
jEoIiftes NégGtians '\ ?
Prenez garde à ce quatrième. Il fem-
ble enfoncé dans une ferieufe converfa-
tion avec lui-mem.e ; il fe mord les
pouces à des intervalles réglez ; de
grandes affaires , à^^^ projets , font peints
dans toute fa mine^ il marche d'un pas
précipité, les yeux fixez fur un papier;
c'eftunperfonnage , qui aime k épargner
le tems \ il a fouie dure , la vue cour-
te, & peu de mémoire j, il efc toujours
en hâte, toujours accablé d'affaires \ il a
un talent merveilleux poiu* parler àl'o-
, reiile , du beau tems , &; de la pluie:
c ell un grand Partifan des monofylla-
bes , & des delays \ fi prêt à donner
fa parole, qu'il ne la garde jamais; il a
oublié le fens ordinaire de mots , mais
il en retient admirablemicnt bien le fon ;
jamais ilnes'atachelong-tem.s aux mê-
mes fajets 5 fes grandes occupations l'en
détournent à tout moment , femblablc
a
\ Cet article fait alliîfion aux gros Ncî^ocians ,
Ou^jcres Sc Presbytériens , auiTi graves daiisleXir
contenance, & réguliers dans l'extérieur de leur
conduits, qu'avidi'S d^G;anj & aUcKez a l'Ar-
gent,
z^z L E C O N T E
à un homme qui a pris médecine : fî
vous approchez de fa grille dans les in-
tervalles de familiarité , Mo'fifieur^ dit-
il , donnez moi un fou , ^ je 'vcus chan-
terai un air , mais donnez moi le fou au^
para'vant ; dès qu il a atrapé fargent,
il fe replonge dans fei* diftraclions. Ne
voila-t-il pas une defcription complette
de la Science de la Cour dans toutes fes
branches \ ik n'eft-ce pas dommage , que
des difpoiidons li merveilleufes relient
inutiles, faute d'etre bien appliquées?
Avancez vers un autre Cachot , mais
aïez la précaution de vous boucher le
nez auparavant, vous y décou virez un
mortel fombre , arrogant, d:mauffadc,
fe vautrant dans fes propres ordures.
Ses alirnens digérez font fes mets les plus
délicieux, qui, après une longue circu-
lation 5 rentrent peu à peu dans le fein de
la matière par exhalaifon. Il a le teint
d'un jaune tané , & une barbe foible ,
lemblable à celle qui couvre fa nourri-
ture quand elle commence à perdre fa
fraicheur. 11 elt femblable à certains
infecles , qui empruntent la couleur &
l'odeur de l'excrément , auquel ils doi-
vent leur naiiTance, &leur nourriture:
il eft fort fobre en paroles , mais en re-
CQm-
DU TONNEAU, ij}
compenfe fort prodigue de fon haleine.
Il tend fa main pour recevoir votre fou;
& 5 dès qu'il le tient , il le renfonce dans
fes occupations ordinaires. N'eft-ce pas
une chofe furprenante, que la Société de
J^y^avwkk'Iane * , fe donne fi peu de
mouvemens , pour recouvrer un Mem-
bre , qui pourroit lui êu*e d'une fi grande
utilité, & qui vraifemblablement pour-
roit devenir un jour le plus grand orne-
ment de cet illuilre corps.
Un autre Citoïen fe carre devant
vous d'un air fier , il enfle fes joues ,
fes yeux lui fembîent fortir de la tête à
force de vous régarder du haut en bas :
il eil pourtant affez gracieux pour vous
donner fa main à baiier. Le Châtelain
vous avertit de n'en avoir pas peur , &
vous aiTure , que c'ell un garçon qui
ne fait du mal à perfonne : aufïï efl-il
le feul qui ait la permifïïon de fe prome-
ner dans l'antichambre. On vous ap-
prend que ce fier perfonnage eil un
Tailleur, à qui l'orgueil a tourné la cer-
velle. Je pafi^e fous filence un grand
nombre de Çts autres rares qualitez. J'en
ai dit afifez, pour vous faire compren-
dre >
♦ Aflcmbléç de Médecins..
i]A- LE CONTE
cire , qu'il feroit fort propre a
Tes airs & (hs manières
me trompent fort, fi ce n'eir pas là fon
veritable element , & s'il n y feroit pas
une figure admirable f.
Je n'entrerai pas dans un aflez grand
détail, pour faire voir le grand nombre
de Petits -Maîtres, de Muficiens , de
Poètes, & de Politiques, quenotreNa-
tion gagneroitpar une Reformation de
cette nature, j'en ai dit affez, pour don-
ner une idéedugain , que feroit la So-
ciété, parl'acquifition d'un grand nom-
bre de perfonnes, dont les talens, en-
fouis à prefent , ou du moins s'enrouil-
lant faute d'exercice , pourroient être
très-utilement emploïez.
Ce qu'il y a de plus confiderable en-
core, c'eft que toutes ces perfonnes ne
manqueroient pas d'exceller chacim
dans fon genre , & de parvenir au plus
haut point de perfeftion j ce qui paroit
clairement par ce que j'ai déjà dit, &
qui paroitra encore avec plus d'éviden-
Cri
f L'Auteur ne s'explique point clairement
ici. Si j'ofois hazarder une conjecture , je devi-
nerois que leCaradere de cet Habitant de l'Ko-
pital d'.s Fous fait aîlufion à quelque Favori à
qui 1 orgueil avoit fait tourner la tête.
DU TONNEAU. 235-
ce, par un feul Exemple remarquable,
que je vais vous alléguer. Le Lecteur
bénévole faura s'il lui plaie , que moi-
même , m^oi qui lui communique des
veritez fi importantes , je fuis un per-
Tonnage dont Vimf.glnaîmi^ aïanc la bou-
che fort dure, eil extrêmement fujette
à em.porter à travers champs moripau^
ire bon-fens , qui , com.me j'ai appris
par une longue experience ^ eft un allez
"{fianvais Cavaliey.
Mes Amis , qui me connoifTent là-
défais , nofent jamais me laiffer feul^lans
me faire promettre folemnellement , que
je donnerai de fair aux exhalaiibns qui
portent mon cerveau à prerdre le mords
aux dents ^ & que je leslaiiferai évapo-
rer dans quelques ipeculations utiles au
public, &femxblables à celle-ci. Qj-iand
je tiens ma parole , tout va bien , & je
f.iis un des premiers hommes du mon-
de.
Je m'imagine que le public, voïant les
grandes choies dont je fuis capable , aura
de la peine à fe perfuader, que je fois
fjfceptible de pareilles Extravagances ^
lorfque mes talens merveilleux fortenc
de leur Sphere , & s'exercent fur des
fuieis oui ne leur conviennent pas.
236 L E C O N T E
Extrait , Sommaire , ou Abrégé
de ce qui fuit dans le Manufcript 5
après la Sedion IX.
Comment Jean & Martin , s'étanc
feparez, refolurent défaire chacun
leurs affaires à part. Comment-ils voïa-
gerent par Monts, & par Vaux , ren-
contrèrent de fortmauvaifes avantures,
foufrirent beaucoup pour la bonne cau-
fe , & luterent long-tems contre la di*
fette^ par où ils prétendirent prouver
enfuite , qu ils étoient les feuls Fils legi-
times de leur Père , & que Pierre n'étoit
qu'un Bâtard. Comment, ne trouvant
aucime reflburce dans les Domiaines de
Pierre , Martin tira du coté du Nord ;
& , trouvant les Thuringiens & autres
Peuples dilpofez à le favorifer , il drelTa
parmi eux un Théâtre de Charlatan, dé-
criant les poudres , les emplâtres , les on-
gîients , y ks drogues de Pierre , qu'il
avoit vendues jufque-là fort cher, fans
donner à Martin aucune part du profit ,
quoi qu'il eut été emploie fouvent à les
débiter, & à leur donner Cours. Com-
ment le bon Peuple, ravi d'épargner fon
ar-
DU TONNEAU. 237
argent , commença h fe fier à Martin ,
& à lui donner fa chalandife. Comment
plufieurs Seignem's fe lailTerent empor-
ter au courant , un entre autres * , qui ,
n'aïant pas allez d'une feule Femme,
& fouhaitant d'en avoir une féconde ,
fans vouloir donner , pour en avoir la
permiiTion, le prix exorbitant que Pierre
en demandoit, fit fon marché avec Mar-
tin, qui prétendoit avoir le même droit
de l'accorder, que Pierre. Comment
plufîcurs autres Seigneurs du Nord ,
pour leurs propres intérêts, fefeparérent
avec leurs Familles de Pierre, &fe liè-
rent avec Martin. Comment Pierre, en-
ragé de la perte de tous ces territoires
& de leurs revenuSjfuîmina contre Mar-
tin , & envoia contre lui \qs plus terri-
bles de fes Taureaux 5 fans beaucoup de
fuccès: cSl comment il le déclara rebelle
& traître, avec tous les adhéranis;ordon-
nant à tous les fidèles fujets de fon em-
pire de prendre les armes, & les animant
par de grandes pron:ieffes à tuer , brû-
ler , & détruite fes ennemis , ce qui Rit
l'origine de grandes & fanglantes gue-
res.
Corn-
* Le Landgrave de Hciïc.
X38 L E CONTE
(Comment Henri Bra'vache , Sei-
gneur de laParoilTe d'AIbion '^5 un des
plus grands Breteurs defon liecle, en-
voia un Cartel à Martin , pour le défier
au combat en champ clos> d'où ell ve-
nue la mode des Gladiateurs en Angle-
terre 5 fi fameux dans ce païs-là, & ^\
inconnus par tout ailleurs. Comment
Martinjétant un hardi compere, accepta
le défi : com^m^ent ils combatirent , au
grand divertiilem.ent de Spectateurs >
<& comment , après s'être donné maintes
belles taillades 5 ils furent tous deux vic-
torieux : exemple, qui a été plufieurs
fois imité par de fort habiles gens.
Comment les Partifans de Martin le
congratulèrent fur fa victoire, & com.-
ment les Amis de Henri lui f rent de
pareils complimens , fur-tout Mylord
Pierre , qui, lui envoïa une belle Aigret-
te f, pour être portée furfon bonnet &
fur celui de fes Succeffeurs , en mémoire
du
* Henri VI II. Roi d'Angleterre.
"f Cette belle Aigrette cil Je Titre àtDe'fenfeiir
de la Foi, que Henri VIII. n'a pas kiflc de por-
ter, Jors même qu'il eut fecouc ic Jcug du 'Pa-
pe , & dont les Succc/Ti-v'-îï fcnr encore par:.dc
aujourd'hui. *
DU TONNEAU. 239
du beau combat qu il avoit foutenu pour
les intérêts cludii Pierre.
Comment Henri, bouffi d'orgueil à
caufe de fa prétendue victoire , com-
mença à chercher noife à Pierre même ;
(Se comment ils fe querellèrent , pour l'a-
mour d'une Donzeile de médiocre
vertu *. Comment quelques Sujets de
I ienri , aimant la nouveauté , com.men-
cerent à dire du bien de Martin, & com-
ment ce Seigneur les châtia vigoureu-
fement ^ comme il fit encore à Tégard
de ceux , qui tenoient le parti de Pierre :
(Se commuent il chaiTa , bruIa , & pendit ,
les uns & les autres "j--
Comment Henri Bravache , après
plufleurs fanfaronnades, querelles, &
débauches , mourut, &fat fuccedé par
un bon Garçon 5 ; qui , fe laiiTanr em.por-
ter par la foule de fes fujets , permit à
Mar-
* j4?!!:e Eoule??^ caufe de la rupture fameufe en-
tre ce Roi & le Pape.
t La Perfscution de Henri VIII. , e'gderrient
furisufe contre les Protcflans , & contre ceux
qui ne vouloient pas reconnoitre laSupreraaiie
au lieu de celle du .St. Père.
§ Ceftle jeune E.-iiWiîr^, Prince, qui avoit de
fort bonnes inclinations, mais qui ne régna pas
aiïcz long-tems pour faire le bonheur de ics
Peuples.
240 L E C O N T E
Martin de répandre Ces drogues par-tout
Albion. Comment , après fa mort , la
ParoifTe tomba entre les mains d'une
Dame , qui étoit violemment amoureu-
fe de Pierre > & comment elle réiblut
de purger tout Ton domaine des Par-
tifans de Martin, & d'en exterminer juC-
qu'au nom ^» Comment Pierre triom-
pha , & débita de nouveau fes poudres^
emplâtres^ l^ onguvr.ts ^ comme les feuls
véritables , ceux de Martin aïant été
tous déclarez contrefaits. Comment
plufieurs des Amis de Martin aban-
donnèrent le Païs , & voïageant dans les
Regions étrangères firent connoiiTan-
ce avec plufieurs Partifans de Jean ,
dont ils prirent les modes & les maniè-
res de vivre , qu'ils introduifirent en-
fuite dans leur Paroifle , qui étoit alors
tombée en partage a une autre Dame
plus modérée & plus politique j. Com-
ment elle fit de fon mieux , pour entre-
tenir Commerce en même tems , avec
Pierre , & avec Martin , non fans faire
du
* C'eft la Reine Marie , Femme de Thiïipfe H.
Roi dTfpagne , fort attachée au St. Siege , &per-
fecutricc cruelle des Protcftans.
t La Reine Elifjihtth,
DU TONNEAU. 241
du bien k quelques Partifans de Jean:
ëc comment elle eiTaïa en vain de ré-
concilier les trois Frères 5 parce que
chacun d'eux vouloit faire le Maître y
& défendre aux autres de débiter leiirs
onguents & leurs drogues.
Comment elle les chaifa tous trois ,
& leva elle-mêiiie une Boutique bien
fournie de toutes fortes de beaumes &
onguens, tous bons & véritables, com-
pofez par des Médecins & des Apothi-
caires établis par elle-même, & qui en
avoient dérobé les recept^s- dans les
Livres de Pie-rre , de Martii^& de Jean.
Comment , poiu* mieux débiter ce P/?/-
pomrl de remèdes, elle défendit la v^n-
tç de ceux des trois Frères , fur-tout
de Pierre , des inventions duquel elle
avoit le plus profité. Comment Dame
Elife, pour mieux affermir fon nouvel
établilTem.ent , imitant fagement fon.
Père , dégrada Pierre de fon prétendu
Droit d'Aineffe, & fe fit reconnoitre
elle-même pour Chef de la Famille,
Comment elle ne laiffa pas pour cela de
porter le beau Bonnet de fon Père , avec
la, ùelle *y^igrctîe , qu'il avoit reçue de
Pierre y pour avoir combatu pour lui;
en quoi elle a été imitée par fesSuccef^
Torîie L L feiirs
241 L E C O N T E
feurs , quoi qu'Ennemis jurez de Pierre ,
iSc de fes Parti (ans. Comment Dame
Elife , & fes Médecins, informez du
mauvais eiret de plufieurs de leurs re-
mèdes 5 refolurent de réformer leur bou-
tique, & de la purger d'une quantité de
TÎleriies, & d'onguenspernicieux,com-
pofez d'après les receptes de Pierre, &
comme elle en fut empêchée par la mort.
Comment la Paroîfie tomba en par-
tage au Seigneur d'un petit Village
dans le. Nord * , qui prétendit en faire
mieux ^^^^tâJF J^s revenus qu'un autre ,
quoi qu-'i^iR à peiîïe -Capable de-bied
;3.dminiil"rer Ton pauvre petit Patrimoine.
Commuent ce nouveau Seigneur, pour
montrer fon adreile& fa valeur, fe ba-
nt contre des Enchantenrs , deS Géants,
&des Aloulins-h-vent, &fe vanta fort
de fes victoires, quoique, fans le
moindre danger , il fui fouvent fu;et à in-
lùlter h doublure de fon haut de chauiTef.
Comment fon SuccefTeur § ne fut pas
plus fage que lui , & caufa de grands
defoi*dres , par les-nouvelles coutumes ,
q"u'iK''cmîoit introduire parmi fes fujets:
• corn-
* Jajties Premier.
f II a toujours pfiflcpour un Prince foiblc> &
Icuveroinement poîtrcn.
$ CkAr!es Premier.
DU TONNEAU. 245
comment il entreprit d'établir, dans le
Village du N'jrd^ une Boutique d'Apo-
thicaire femblabk à celle , qui avoit la
vogue dans \^Paroi[ie au Suà\ oc com»
ment il y échoua, àcaufè qu'on y avoit
beaucoup de Foi poiu* les drogues de
Jean.
L'Auteur fe trouve embarafTé ici, pour
avoir fait entrer dans fbn Hiftoire une
Secle différente des trois dont il avoit
refolu de parler \ ce qui eil: fort con-
traire à fon refpecl inviolable pour le
nombre trots, pour remédier à cet in-
convenient, il prend le parti de neplus
parler de la Boutique de Martin^ & de
mettre celle de Madam.e Elife h la pla-
ce; avertifTint le Lecleur, que défor-
mais , par les Partifans de Martin , il faut
entendre la nouvelle Secle fondée par
kdite Dame. Ce point important étant
duèment éclairci , il reprend le fil de
fon Hiftoire , (Se nous décrit les gran-
des querelles & batailles de Jmn &
de Martin , dont tantôt lun avoit le
defiiis, & tantôt l'autre , à la grande dé-
flation de la Paroifle ; & comment
ils s'accordèrent à la fin à faire pendre
le fufdit Seigjiem' , qui prétendit foufrii^
le Martire pour Martin , quoi qu'il eut
L 2 été
244 LE CONTE
été infidelle à l'un & à l'autre Parti ,
ëc fort foupçonné de favorifer Pierre.
Abrégé d^une BigreJJiofi fur la na-
ture ^V utilité ^^ la nécejjité des
Guerres :, £5? des Qiier elles.
Cette matière étant d'une grande im-
portance, l'Auteur, refoludela traiter,
d'une manière étendue,dans un Ouvra-
ge à part , fe contente ici d'en donner
quelques idées.
L'état de Guerre efl naturel à tous
les Animaux; & la Guerre n'efl autre
chofe, que le deflein de prendre, par
force, ce que d'autres ont, & que nous
voudrions avoir. Chaque homme , plei-
nement convaincu de Ion mérite , & ne
le voïant pas aiTezconfideré des autres,
a un droit naturel de leur aracher tout
ce dont il fe croit plus digne qu'eux >&
chaque Animal, croïant fes befoins les
plus grands, ell autorifé par la nature à
s'approprier tout ce qu'il croit propre à
y fatis faire.
Les E:utes font plus modefles dans
leurs prétenfions à cet égard; que les
Hommes; & le vulgaire l' ell d'avanta-
gé
DU TONNEAU. 24;
ge, que les gens de diflinction. Plus
un homme étend ces fortes de préten-
tions, plus il fait de fracas dans le mon-
de ^ plus il a de fuccès , & plus il mé-
rite le titre de Héros. Les âmes .les
plus grandes, qui font de la fuperiorité
de leur mérite la mcfare de leurs befoins,
ont un droit abfolu de prendre chez le
Peuple tout ce qui leur manque: c'eft-
là la baze de la Grandeur, Ôc de l'Ilé-
roïfme, comme auili de leurs differens
dégrez. La guerre, par confequent, ell
néceilaire, pourétabhr la fubordination
parmi les hommes y pour fonder les
Villes , les Etats , & les Empires ; &
pour purger les Corps Politiques des
humeurs fuperflues. Les Princes fages
ont toujours foin de nourrir les Guerres
en dehors , pour avoir la Paix en de-
dans.- La Guerre ^h Fami/'ie y&, hPe/fe^
font les remèdes ordinaires de la cor-
ruption , que l'Abondance caufe dans
hs Corps Politiques, L'Auteur promet
un Panagyrique formel de chacune des
trois. La plus grande partie du Genre-
humain aime mieux la Guerre que la
Paix -, ceil- là f inclination générale
des hommes : & ceux , qui n'ont pas
le pouvoir , ou le courage , de faire
L 5 la
2^6 L E C O N T E
la Guerre eux-mêmes , paient des gen&,
afin de la faire pour eux. Voilà ce qui
entretient dans le Monde 'les Breteurs,
les Braves , les AlTailms de profeiïïon ,
les Avocats, &]es Guerriers. La plus
grande partie des Metiers ieroit inutile,
■ dans une Paix perpétuelle. De-là vient
que parmi les Brutes , il n'y a- ni For-
gerons , ni Procureurs , ni Ingénieurs ,
ni Magiftrats , ni Chirugiens. Les
Brutes, aiant des dellrs fort bornez, font
incapables de perpétuer la Guerre con«
tre leurs propres efpeces, & déformer
des Armxées pour les détruire. Ces pré-
rogatives apartiennent àTHommefeuL
L'Excellence de la Nature humaine
éçlaççe dans la multitude des defirs, des
paillons, & desbefoins, dont nous fom-
mes environnez. L'Auteur le propofe
de traiter ce fujet plus au long dans Ion
Panégyrique du Genre-Humahi.
Suite du Sommaire de VHifloire "
de Martin,
Comment ^can , aiant mis à la pla-
cé du Fie ux' Seigneur un de Çqs intimes
Amis * 5 fe querella de nouveau avec
* Cromwel.
DU TONNEAU. 247
Martin, le chalTa de la Paroiile , pilla
fa Bcutique,^ la ruina de fond en com-
ble. Comment le nouveau Seigneur
lit du pis qu'il pouvoir , roua Pierre de
coups ,hourpiIla Mavtin, & fit trembler
tout le -vcifinage. Comment les Amis de
Jean fe diviferent en mille partis , mirent
tout fens-deiHis-delfcus , & fe rendi-
rent inlupportabîcs à tout le monde.-
Comment ce Sei^j^e^ir impétueux étant
venu, a mourir , Jean fut chaiTé de la
Paroiffe, à grands coups de pied, pas
le nouveau Seigneiu* * , qui rétablie
Martin , & lui lailTa faire tout ce qu il
vouloit. Commuent Martin, en récom-
penfe, refolut de fe conformer en tout
aux defirsde ce bon Seigneur, pourvu
que Jean fût tenu bas. Diffère n s elf or ts
de Jca'/î, pour relever latéteym.ais tous
fans fuccès, jufquàce qu^après la morn
dudit Seigneiu' ., la Paroiffe tomba en-
tre les miains d'un grand Ami de Pier-
re + , qui, pour humilier M-^r/i/i, traita
Jean avec allez de douceur. Commuent
3Iartin, enragé de cette Irmovation^ in-
tro-
♦ Charles II.
f Jaques II,
248 LE CONTÉ
jLroduifit dans l'Héritage un Etranger =^,
aidé par Jean , qui haïiToit mortelle-
îTicnt le vieux Seigneur , à caufe de ^ts
iiaifons étroites avec Pierre, dans les
bras duquel ce pauvre exilé trouva bon
de fe jetter. Comment le nouveau Sei-
gneur rétablit Martin dans la pleine
pofleiTion de Tes droits , fans lui per-
• mettre pourtant de détruire J^^^/, qu'il
avoit toujours aimé. Comment Jean
s'acquit dans le Nord une Province en-
tière, au grand déplaifir àe Martin, qui,
voïant encore , que dans le Sud on per-
mettoit aux Amis de Jean de gagner
pailiblem-ent leur vie , fut très-mécon-
tent du Seigneur étranger , qu'il avoit
apellé à fon lecours. Comment ledit
Seigneur mit ordre à la conduite de
IMartin , qui, de rage, tombant dans une
fièvre chaude , jura qu'il fe pendr oit ,
ou qu'il s'allieroit avec Pierre, à moins
qu'on ne fit mourir de faim tous les
Adhérants de Jean. Pîufieurs projets ,
quon fit pour guérir Martin , & pour
le reconcilier avec Jean , afin de \q.^
unir enfemble contre Pierre-^ mais, '
rendus tous infructueux, par certains
Allais
* GulUaumc IIL
DU TONNEAU. 24^
Amis de Pierre , qui fe cachoient
parmi ceux de Martin , &: qui pareil^
îbient les plus zélez pour fcs intérêts*^.
Com^mënt Martin , dansun.violent aceès
de fa lièvre, s'étant échapédeceux qui
le gardoient , parut dans les rues fi
ièmblable à Pierre dans fon air , dans
^QS habits, & dans fesdifcours, queles
voifins avoient de la peine à l'endiflin-
guer ; fur-tout lorfqu'il fe fut couvert
de la Cuiraiie de Pieri'e , qu'il avoic
empruntée pour combattre Jean. Quels
remèdes on emp.loïa , pour la guerifon
du pauvre Martin, &c.
NB. Certawes chofes qui fuïvrnt ceci
ne fe trouvent pas dans le Mann fer it , £5*
femhîent a'voir été écrites depuis pour rem-
plir kl place de ce qu'ion ne tropsua pas à
propos de faire imprimer alors.
Remarque du Traducleiir.
Pour moi ^ je crois plutôt , que VAhrcgé
que
* Il arrive aiTcz fouvent, que des Prêtres Pa-
piftcs, &fur-tout des Jeluites , fc mcicnt parmi
le Cierge' Anglican ; & que , faifant profclTion de
k Religion Protcftante , ils ne nejrligent n«i>^
pour fapp^r fburdemeiit l'Etat «Se l'Églile»
^ S
2^0 L E C O N T E
^ que mus I'eKons de 'voir efl un entrait en
Tair ; fe^ qu-e Tjluteur du rjfie de rOwvra-
gs rH o/jamais fait un D ifcours ^ dent ce que
nous lenons de voir puij/e être le Sommai-
re. L'Editeur A'nglois place ce prétendu
Difcours après la S.cîicn 9. ^ le poujje
julqu'au tems du Roi Guillaume, Cepen-
dant^ dans la Section cnziéine ^ C Hiftoire
ri eft étendue que jufques au Rogne de Ja-
ques Second.
On dira peut-être . que deft prccifemcnt
eette' Sediion , qtic la petite Note de VEdir
teur Anglois a en vue , . iy que par ccnfe-
quent elle ne [e trouve point dans le Ma-
nufcript ^ mais , cette Objeclien fer oit des
plus frivoles , puifquil eft aifé de remar-
quer , que c^ft par-tcut le même ftile., k
même tour d'efprit , la mê?ne invention ,
qui brille dans tout le rejte de ÏQu-
vrage.
Il n'en eft pas d^ même , à mon avis , du
Sommaire. Il y a de ïejprit infiniment 5
mais 5 ce n eft pas la même forte d'efprit fi
particulier à ï Auteur du Conte. LAI--
îegorie yiy efi pas par-tout également bien
foutenuê , 13 elle eft de beaucoup trop dé-
veloppe pour répondre à tout le refte. Tou-
tes les Revolutions^ que la Religion a ejfuiées
tn Angleterre , y ^aroijfent fi clairement^
^uil
DU TONNEAU, ifi
quil Juffit d'avoir une légère idée de THf-
to'ire ^pour 'ft* y trouver rien d' Enigmatique ;
ce qui eft fort éloigné du tour , qui 'règne
généralement dans le refie de r Ouvrage.
Pour ce qui regarde la juftcjfe de T Allé-
gorie , je crois que tout le Public verra
avec moi , que tous les trouJjlcs , £5? les
changcmens , qui font arrivez dans la,
Grande-Bretagne far raporî à la Religior^
ne font gueres appliquables à une fimpk
ParoiiTe, bien moins encore à ////^f Ferme,
ou Métairie 3 car ^c' eft l'idée dont on s eft
fervi dans /'Abrégé Anglois. Auffï, F Au-
teur de cette Piece s'y trouve-î-il trop fer-
ré 'y il en fort plus d'une fois , f^ entre
autres Jorfqii il parle aune Province entie^^e
dans le Nord , dont Jean s' et oit 7ms en
pojjeffon. Il dépeint k Corps de Do5îrt-.e-
de chacundes Frères ^ fous l Emblème £ un^
Boutique cï Apothicaire \ mais cet P^'mblê'
me eft trop bor'né : il 71 y refte pas , parce
quil n'y f dur oit rcfter , fans donner vifible -
ment la torture à fa matière , fjf à fori
efprit. Ce que f en dis n'' eft pas pour rien
àter au mérite de cet Extrait, je le trou*
ve plein de feu , i^ de fine pfaifanterie^
£5? je crois que le Public doit [avoir gré à
V Editeur Anglois de le lui avoir com'mu-
i»qué , ij à moi de lavoir traduit, j 'y
h 6 " ai
zfz L E C O N T E
^d laiffé le même tour , qu'il a dans fa
Langue originale , i^ je fiai pas craint de
devenir ennukux par rumformité des
Périodes , ([ui commencent prefque toutes
pur Comment &c.
// s'agit ici d'une efpece de Roman > £5?
ceux , qui auront lu les Rolans , £5? les
Am.adis, fe fouviendront fa?îs doute ^ que
les Som^maires, qui pré cèdent chaque Livre
de ces merveilleux Ouvrages , Jont écrits
dans le même gout : Com.me Lafcaris
combatk le Dragon du Lac, &c. Com-
me le Damoifel de l'ardente Epée défit
en combat fingiilier , &c. Comme le
Soudan Zair & Tlnfante Abra fa Sœur
le firent chrêtienner, &c.
J'avois même quelque démangeai/on de
-traduire ce Sommaire en Gaulois , pour
le relever davantage par le gout de ce
vieux ftile Rom.anejque j mais , je ri ai pas
tfé le bazarder^ parce que ce langage riefl.
pas conforme à celui que j'ai employé dam
k rejîc de jna "Traduction,
^vSP
SEC-
DU TONNEAU, zfi
SECTION X
Compliment de rAutettr au
Public.
ON trouve une preuve inconteftable
de la politelTe de notre âge, dans
le commerce de civilité , qui fe fait
depuis quelques années , entre les
Auteurs , & le Public. On ne voit plus
une pièce de Théâtre , une brochure , un
petit Poëmejparoitre dans le monde,fans
une Préface pleine de reconnoiiTance
pour TAplaudiiTement general , avec
lequel F Ouvrage a été reçu. Par qui,
quand ^ ou de quelle ynanïere? c'efllebon
Dieufeul qui le fait. Suivant un exemple
fi digne d'être imité , je rends ici de
très-humbles Graces àSaMajefté, aux
deux Chambres du Parlement , aux
Seigneurs du Confeil privé, aux véné-
rables Juges, à laNoblefle, au Clergé,
& au tiers Etat de ce Roïaume , vS:
fpecialement à mes très dignes Frères
du Caffé de Guillaume^ du Collège de Gres^
ham 5 de la Société de JVar--jjic'lane , de
MoQrsficldSy de Scoîland-yard^ de Guild *
h 7 . , baU
1S4 L E C O N T E
hal^ y de la Sale deWefimunfter ^, en
un mot à tous les Habitans de la Gran-
de-Bretagne , qui fe trouvent à la Cour,
àFEglife, à l'Armée, à la Campagne,
& dans la Ville \ je les remercie très-
humblement ,dis-je, du favorable Ac-
cueil , qu'ils ont fait à ce divin Traité. Je
les aflure , que leur aprobaticn , & la
bonne opinion , qu'il leur a plu de con-
cevoir de mes petits talens, me touche
de la manière la plus fenfible ; & que je
fuis prêt à me fervir de toutes les Fa-
cultez de mon amCjpcur leur faire voir
dans Toccafion , que fingratitude n'eft
pas mon vice.
Que je fuis heureux encore de faire
briller mon Génie, dans unfiécle fi fa-
meux pour la félicité que fe procurent
mutuellement les Auteurs & les Librai-
res, qui font à riieurequ'ileftles feules
perfonnes dans la. Grande-Bretagne qui
foient contente» de leur fort. Dem.an-
dez à un Auteur , comment a reiifli
fon dernier Ouvrage • il dira que , graces
à Jon étoile , le Public l'a traité a(jez fa'uo^
rahkment , £5? qtCil ri a pas la moindre
rai fon de regretter fes 'peines : (y^ cependant^
cefl
* Aïïemblécs diiTcrcntes de Savans , & de
Seaux-Eiprits,
DU TONNEAU, isf
ce fi un Ouvrage , qiCïl a expédié dans une
feule [emaine^ a batons rompus ^ dans cer^
tains q^uart -d'heur es , qu'il a pu dérober à
fes occupations prejfantes. Vous décou-
vrirez la même fatisfaclion dans la Pré-
face^ &, fi vous voulez favoir, jufquà
quel point elle ell fmcere , vous n'avez
qu'à vous en rapporter au témoignage
autentique de celui qui a imprimé cet
heureux Ouvrage. Graces à Dieu^ di-
ra-t-il , la Pièce eft généralement goûtée :
fen fais déjà une nouvelle Edition \ i^ je
nen ai plus que trois Exemplaires dans met
Boutique.
Si vous voulez rabatre quelque chofc
du prix, il vous dira généreufement
quiJ n'y regarde pas défi près, dans l'ei^
perance d'avoir une autrefois votre pra-
tique; (S:, enmêmetems, il vous prie
de dixe à vos Amis , qu'il leur donne-
ra la pièce en queftion pour le même
argent.
Je croi , qu'on n'a pas examiné avec
aflez d'attention, à quelles caufes, &à
quels accidens, le monde efl redevable
de la plus grande partie de ces illultres
Ouvrages , qui , pour le divertir , partent
de la prelîe à chaque heure du jour.
Amon avis , ce qui les eucoui'age à s'ex-
poler
t$6 LE CONTE
pofer à la lumière , c'efl un jour plw
vieux , le lendemain d'une débauche , un
accès d'affe^ion Hypocondriaque , un cours
de Médecine^ un Dimanche oii Von ne fait
que faire , un malheureux coup de dez , un
compte peu laconique du tailleur^ une bourfe
l'uide^ une tête chargée de vapeurs fac--
tieufes , une chaleur exceffive , un ventre
conftipé , la difette de bons livres , £5? tm
jufte mépris du javoir ; en un mot , tout
accident de la vie, qui porte l'homme
à fe diflraire , ou à fe tirer de l'ennui*,
fens. Ibrtir de l'indolence. Sans ces
raifons , & d'autres trop longues à dé-
duire ici 5 on verroit le nombre des
Auteurs, & des Ouvrages, diminuer
t-ellement, que la chofe feroit pitoïable
h voir. Si vous voulez favoir uue au-
tre raifon de la multitude de ces fortes
de Produ6tions , écoutez avec atten-
tion les paroles du fameux Philofophe
troglodyte.
Il eft démontré ^ dit-il , quil y a ccr^
tains grains de folie , qui femhlent entrer
dans la compofition de la Nature humaine^
Nous ne forâmes pas les maîtres de nous en
défaire : nous ri avons que le choix de les
garder au dedans de nous , ou de les étaler
au dehors -^ -^ il eft facile de comprendre.
à
DU TONNEAU, ifj
à quel parti ce choix fe détermine cV or-
dinaire , quanà on foyige que les facultez de^
notre efprit rejjhnblo-it aux liqueurs , dont
ks plus légères s'élèvent toujours au-dejjus
des autres.
Il y a dans notre Ile fameufe un pi-
toïabîe petit Auteur , ennemi juré du
Stile Laconique. Je m'aiîure que fou
impertinent Caraàere doit être alTez
connu du Lecteur : \\ fe mêle d'une
pernicieufe forte d'Ouvrages intitulez
fécondes parties y & il prend d'ordinaire
Je nom des Auteurs des preynicres. Je
prévois, que, dès que j'aurai mis bas la
plume, ce Compagnon alerte s'en faiii-
ra; & qu'il me traitera aufîi inhumai-
nement, qu'il a déjà traité le Doéku)^
Blackmore ^ le Sieur FEftrange^ & d'au-»
très , qu'il ell inutile de nommer ici.
Cette juile crainte me fait déjà avoir
recours par avance à cet Amateur du
Genre-humain, ce grand Redrelîeur des
Torts , le Docîcur Bentley. Je le prie de
couvrir mon Traité fous les ailes de fa
Charité Moderne \ &,s'il arrive par ha-
sard , que, pour mes péchez, la peau
d'un Ane me foit apphquée fur le dos, en
guife ào, féconde partie ^ je le conjure de
m'en décharger à la face de tout le.
mon-
2f 8 LE CO N T E
monde , & de la garder chez lui, juf-
qu'à ce que la veritable bete trouve à
propos de la reclamer.
Cependant , afin que le fufdit animal
ne fe liatte pas de trouver bientôt occa-
fion de me jouer ce tour , j'avertis le
Public , que j'ai réfolu de prodiguer dans
le prêtent Ouvrage tous les matériaux
que j'ai préparez depuis un grand nom-
bre d'années. Je n'en ferai pas h deux
fois: puifquema veine eft ouverte, je
fuis d'iiumeur à répuifer tout de fuite
en faveur de ma chère Patrie, & pour
le bien de toute la Société humaine.
Mes conv'ives font nombreux , & je
veux, comme un bon Hôte, mettre tout
par écuelles, fans me foncier de mettre
les relies dans le garde-manger : ce qu'ils
lailTeront dans les plats fera pour les pau-
vres ; permis aux chiens, qui fe trouve-
ront fous la table , de ronger les os. Je
trouve cette manière d'agir plus noble,
que de donner mal au cœur à la Com-
pagnie , en la priant de revenir le len-
demain manger les bribes.
Si le Lecteur veut bien confiderer at-
tentivement la force de ce que j'ai dit
dans ma Seclion qui rou](î fur V Extra-
vagance^ je fuis fur qu'il fentira une ré-
vo-
DU TONNEAU, i^p
volution extraordinaire dans Tes idées,
& dans fes opinions -, & qu il en fera
infiniment plus propre à goûter le plai-
flr, que le relie de cet Ouvrage eil ca-
pable de lui donner.
On peut partager tous les Leéleurs
en t rois Cî aile s . 1 i y en a de fuperficieîs ,
(f idiots , &: de far-ayis. Le Lecîeur fu^
;perficiel^ en parcourant ce Livre, fera fort
porté à faire de grands éclats de rire.
Rien de plus excellent, pour donner de
la liberté à la poitrine , & aux pou-
mons : c'ell d'ailleurs le plus innocent
de tous les Diurétiques , & un remède
fouverain contre tous les maux , qui ont
leur fource dans la ratte. Le Lecfeur igno-
rant , entre lequel & le premier , la
difference efl fi délicate, fe fendra dii-
pofé à chaque période à ouvrir de grands
yeux. Ceil un remède admirable pour
diiTiper les mauvaifes humeurs , qui tom-
bent fur foeil : il'donne de la vigueur
6c de la vivacité aux efprits animaux , de
contribue merveilleufement à la tranf-
piration.
Quant au Lecîeur f avant , pour quî
particulièrement je veille lorfque les
autres dorment , & je dors quand les
autres font éveillez , il trouvera ici des
ma-
i^o LE COxNTE
matières fuffifantes, pour occuper toutes
fes fpeculations pendant le refte de la
vie. Ce feroit une chofe fort fouhaitable
pour l'utilité publique , que chaque Sou-
verain voulût bien choilirdans tous fes
Etats fept des plus profonds Sa'vans , &
qu il les fit enfermer pendant fept anSj
d^ns fept différentes Ch ambre s\ avec or-
dre de ïdSxQfept amples Commentaires fur
cet Ouvrage miflerieux. J'ôfe foutenir,
que, quelque différentes que puifTent ê-
tre leurs conjedtures, elles pourront être
toutes déduites du texte évidemment,
& fans tordre en aucune manière la fi-
gnification ordmaire des termes. Je de-
fire ardemment, que, s'il plait à Leurs
Majeilez , on commence au pliitôt
l'exécution d'un projet ^i utile ; parce
que je ferois chanPxé de jouir, avant
que de quitter ce monde, d'un bon-
heur , où nous ne faurions atteindre
d'ordinaire, nous autres Ecrivans my-
ftiques , avant que d'etre couchez dans
le tombeau.
Laraifon en efl peut-être , que la Re-
nommée eft un fruit enté fur le Corps
humain, & qu'il ne fauroit croitre , bien
loin de parvenir à maturité , avant que
le tronc foit mis en terre. Peut-être.
ell-
DU TONNEAU. i6i
- cft-ce un oifeaii de proie , qui ne fuit que
Todeur des cadavres. Peut-être encore
s'imagine- 1- elle , que fa trompette ne
donne jamais un Ton plus fort , & plus
propre à fe répandre par -tout , que
quand il part de Félevation d'une z^//;?^^^
& qu'il efl fécondé par les Echos d'une
voûte étendue.
Il efl certain que tous les Auteurs
obfcurs , depuis qu'ils fe font avifez de
l'expédient merveilleux de mourir, ont
été extraordinairement heureux , dans
la .variété , auiïi bien que dans retendue ,
de leur réputation. Comme la Nuit efl
la Mere de toutes les chofes , les plus
fages Philofophes eftiment tous les Li-
vres féconds en merveilles , à proportion
de leur obfcurité > &5pour cette raifon ,
les adeptes^ les ^Tûis illuminez , c'eft-à-
dire les plus obfcurs de tous , fe font at-
tiré des Commentateurs fans nombre,
qui, comme habiles ^accoucheurs Scolal^
tiques, les ont ^<?7/V^z d'un grand nom-
bre de fens differens , que les Auteurs
eux-mêmes n'avoient jamais eu garde
de concevoir. Cela n'empêche pas qu'il
nefoitjufte de les mettre fur leur comp-
te ; car , les expreïTions de pareils Ecri-
vains font comme la femence , qu'on
ré-
t6i LE C O NTE
répand h tout hazard , & qui , rencon-
trant un terroir fertile , produit une
vafte moiflbn , où le femeur lui-même
ne fe feroit jamais attendu.
Aïant bien pefé toutes ces confidera-
tions 5 je crois utile d'établir ici cer-
taines Règles 5 qui pourront être d'un
grand iècours aux efpritsfublimes, qu'on
choifira pour faire un Commentaire uni-
verfel de ce merveilleux Ouvrage. Ils
fauront d'abord , que j'ai caché un
grand myflere dans le nombre des O ,
quife trouvent dans ce Traité, multi-
pliez ^zxfept^ & di vifez par neuf. De cet-
te manière ^ fi un dévot Frère de la Ro-
fe-Croix *, veut bien prier ardemment,
& avec une foi vive , pendant foitsante
& trois matinées , & enfuite tranipofer
felon les règles de l'Art certaines Let-
tres & certaines Syllabes, dans les Sec-
tions féconde & cinquième , il peut
être perfuadé qu'il enrefultera une Re-
cete fonnelle & complete du grand
œuvre. De plus , quiconque voudra fe
donner la peine de calculer exactement
le nombre "de fois que chaque Lettre fe
trouve dans ce Traité 5 avec la difference
qu'il
♦ Un Adepte, un Partifan du grand oeuvre*
DU TONNEAU. k^j
qu'il y a entre tous ces nombres; & de
chercher la caufe véritable Ôc naturelle
de chacune de ces di;^erences\û trouvera,
dans le produit ^ des découvertes , qui
paieront fès peines avec ufure. Qu'il
foit pourtant averti de fe précautionner
contre Bythus , & Si^é , & de bien re-
tenir les qualitez d'Acamoth *. ^ cuju^
lacrymis humecta prodît fuhftantia , à
rifu lucida^ à trifihia folida ^ (y à timoré
mohîUs, C'eft à cet égard o^-i Eugene
Pilalethe f elt tombé dans une erreur
impardonnable.
* Ce fout quelques Expreffions mîftsrieufee
écs Adaptes.
f 11 a fait un Livre fur cet Art merveilleux
appelle Anima Ma^ica ahfconàita.
s EG
0
z^4 LE CONTE
SECTION XI.
Continuation du Conte du Ton-
neau,
A Près m'étre jette dans de fi valles
détours , je me remets dans le che-
min 5 refolu de fuivre déformais mon
fujet pas à pas , jufqu à la fin de mon
Voïage, à moins que quelque agréable
perlpe6live ne fe prefenteà m.avuë, &
ne m'invite à l'examiner de plus près.
S'il nvarriveun pareil accident, où juf-
qu'ici je n'ai pas la moindre raifon de
m'attendre, je demande à mon Lecleur
par avance la grace de voulour bien
m'accompagner , & de me permettre
de le conduire avec moi vers tous les
objets , qui me paroitront valoir la peine
des'y arrêter pendant quelques momens.
Il en eil de ceux qui écrivent , comme
des Voyageurs. Si un homme fe hâte
pour revenir chez lui, (ce quin'efl pas
mon cas, car je ne fuis jamais fi defœu-
vré que dans ma maiibn), &fi fon che-
val efi: fatigué par la longueur du voïa-
ge , ou par de mauvais chemins , ou
parce
DU TONNEAU. i6i
parce que c'ell une mazette , je lui
confeilledeHiivre la route la plus cour-
te & la plus batue, quelque fale qu'elle
puiffe être. 11 eil vrai qu'un tel hom-
me eit un aflez mauvais Compagnon de
Voïage : à chaque pas , il s'éclaboufTe
lui-mcme , & fes camarades. Leurs
penfées, leurs deiirs , leurs converfa-
tions, ne roulent que fur le gite\ &, à
chaque embaras, à chaque tas de boue,
à chaque fois qu un des chevaux bron-
che , ils fe donnent mutuellement à
tous les Diables du meilleur de leur
cœur.
Mais, quand un Voyageur & fon Cour-
fier font Tun & l'autre gais & vigou-
reux , quand le premier à la bourfe
pleine , & qu'il a le jour entier à fa
difpofition , il ne choifit que les che-
mins les plus propres & les plus agréa-
blés ; il fait des contes borgnes à fes
compagnons, & les amené avec lui de
quelque côté où un effet agréable de
fart ou de la nature , ou de tous les
deux , s'offre à fa vue : s'ils font trop
flupides , ou trop fatiguez , pour le fui-
vre, il les plante-là, bien fur de les ra-
traper cà la Ville la plus proche. Dès
qu'il y arrive , il y paffe au grand ga-
l'ûme L M lop,
266 L E C O N T E
lop , tous les Habitans , Homines ,
Femmes , Poliflbns , fortent pour le
voir. Une centaine de Chiens aboient
après lui^ 6i,s'û en favorife les plus hardis
d'un coup de fouet, c'ell plutôt par di-
vertiiîement, que par vengeance : mais ,
û quelque Dogue hargneux l'approche
de trop près , un coup de pied acci-
dentel du courfier, qui par-là ne perd
pas un pouce de terrain , Fenvoie chez
lui boiteux , & à demi-mort. L'appli-
cation en efl aifée à faire ^.
J'en reviens aux Avantures du fameux
Jea?!. Les Le6leurs fe fou viendront
fans doute, de létat , & des diipofi-
ticns, où je l'ai lailTé à la fin d'une des
précédentes Sections. Ils n'ont qu'à ex-
traire de tout ce que j'en ai dit ci-dell
fus une ^to^ d'idées, propre à mettre
leur efprit dans la fituation néceflaire ,
pour goûter , comme il faut , ce qui
va fuivre.
Non
* J*avoue qxC'û n'en efl pas aind à mon e'gard.
Le commencement de cette DigrefTion s'entend
de refte : mais , ce Cavalier , qui galoppc par la
\'iile 5 qui s'atrire les yeux du Peuple , & l'a-
fcoïement des Chiens , tout cela eft un miftèrc
pour moi ; Scfcn laiiTe l'explication aux adepte*^
OU aux Commentateurs dç profeflion«
DU TONNEAU, i^j
Non feulement Jean avoit afTez bien
ménagé larévolution arrivée dans fa cer«
veJle, pour devenir Auteur de la fa-
îiieufe Se6le des jEoliftes \ mais , graces
à la nouvelle fécondité , que fa folie
donnoit à fon imagination , il avoit con-
çu encore une grande quantité d'idées,
qui , quoi qu'en apai'ence fans rime &
fans raifon , ne laiiToient pas de cacher
certains myfleres , & de s'attirer des
Partifans zélez.
J'en raporterai les exemples les plus
remarquables que j'ai pu ramafTer , ou
dans une tradition inconteftablejOudans
une immenfé leéture. Je les décrirai
avec toute la fimp'licité poilible , & a-
vec toute la claité dont des fujets auiîî
profonds & auffi abftraits peuvent être
fufceptibles. Je ne doute pas, qu'ils ne
fourniflent une ample & noble matiè-
re à tous ceux , qui , dans le creufet de
leur imagination, favent changer les rea-
litez en types , qui ont l'habileté de
former des ombres fans le fecours de
la lumière , & de les transformer en
fubilances fans en être redevables à la
Philofophie; en un mot, à ceux qui
poifedent l'heureux talent d'attacher à
un ï^m clair des Emblèmes 5 & des Al-
M z lego^
268 L E C O N T E
îegories , & de metamorphofer tout ce
qui ell littéral & fimple en figures &
en myfteres.
Jean s'étoit fourni d'une belle copie
du Teftamenc de fon Père, écrite fur une
grande feuille de parchemi/i ; & , ' pour
jouer le rolle d'un bon Fils, il devint
amoureux à la folie de ce parchemin
relpeclable *.
Qiioi que le Tefcament , comme j'ai
déjà dit plufieurs fois , ne contint que
des Règles claires & aifées , touchant la
manière de porter, & de ménager, les
trois Habits^ foutenues & fortifiées par
des prom.efies & par des menaces, le
bon-homme Jean ie mit dans Pefprit ,
qu'il y avoit quelque fens profond &
obicur , & que , fous cette écorce de
fmiplicité 5 elles cachoient de grands
Myfleres t- Mejjlcurs ^ difoit-il à fcs
Dif-
* Il y a un bon nombre de Dévots fuperfti-
tîeux, cjui ont une vénération particulière pour
la figure extérieure de la Bible , à l'imitation
des Mahometans , qui témoignent le plus pro-
fond refped pour leur Alcoran.
•j- Il eft certain , qu'il y a des Chrétiens afTez
fous, pour ne trouver rien de littéral dans la Bi-
ble 5 & pour chercher des Myfteres dans les Ré-
cits les plus fimples. Tel eft un ProfefTeur fa-
meux
DU TONNEAU. ±69
Difciples, je "jous ferai volr^ que ce me-
me -parchemin ^ que 'vous 'voiez-là^ contient
du pain , du vin , £5? des habits ; que
c'eft la Pierre Philojuphale , iy la Ivîé^
decine umverfelle, Confequemment à
cette fancaiiîe, il reiblut de s'en fervir
dans les plus viles , auiTi bien que dans
les plus grandes circonihmces delà vie.
Il avoic trouvé l'Art de le changer en
toutes fortes de figures. Qj-iand il vou-
loit dormir , il s'en faifoit un bonnet de
nuit j & quand il faifoit de la pluie , il
s'en fervoit en-guife de Parafol. Il
étoit homme à en mettre un petit mor-
ceau autour d'un orteuil blefle ; &,
quand il avoit un accès de vapeurs , il
s^en faifoit brûler un petit brin fous le
nez.
méux dans nos Provinces, qui a fait un gros Li-
vre , pour prouver que tous les Miracles de Jefus-
Chrift font autant de Types. D'autres Extrava-
gans cherchent dans les Livrée facrez la Recèpte
de la Pierre Philofophale ; & d'autres , moins grof-
fiers dans leur Folie, Me. Dacier par exemple,
les regardent comme un Traité de Rhétorique. Il
y en a même, qui y cherchent leur bonne avan-
ture , en confultantà l'ouverture du Livre le pre-
mier pafHige , qui s'offre a leurs yeux, de la mê-
me manière que les Païens cherchcient leur fort
futur dans Virgile, Ce qu'on appelloit Sortes Vi;-
giliana,
M 3
i-jo LE CONTE
liez. S'il avoit mal à reflomac, il eîî
avaloit autant de raclure , qu'il en pou-
voit tenir fur la fuperficie d'un foL
Tous ces remèdes paflbient chez lui
pour infaillibles.
Par une Analogie exaelement confor-
me à ces rafinemens , tout fon Langage
étoit emprunté du Itile du Teflament:
toute fon éloquence étoit renfermée dans
fes bornes ; & il n'ofoit pas fe lailTer
échaper une fyllabe, qui ne tirât de-là
fon autorité \.
Un jourjfe trouvant dans une maifon
étrangère , preffé d'une certaine necefli-
té , fur laquelle il n efl pas néceffairede
s'étendre, & ne fe reffouvenant pas avec
aifez de promtitude de quelque phraze
fanclifiée, pour demander le chemin d'un
certain petit apartement y il préfera à
f Rien au monde n'eft plus ridicule que l'af-
fcftation de ce jargon dévot, qui exprime les.
çhofes les plus ordinaires de la vie par des ter-
mes empruntez de l'Ecriture Sainte, qui certai-
nement ne nous eft pas donnée pour cet ufage-
là. D'ailleurs , il n'y a aucune bonté réelle , au-
cune fainteté , dans ces exprcHTions. C'eft leur
fens , qui eft facré & utile. 11 s'enfuit de- là ,
•que la profanation n'eft pas tout- à-fait aufti.coiîir-
iRUne, q^ue.l£ croiapt \ss bigots..
DU TONNEAU. 271
la mondanité de fe fenûr du terme ordi-
naire , le parti defagréable que le Lec-
teur devinera fans peine. Ce n'ell pas
tout : la Rhétorique de toute la Com-
pagnie ne fut pas capable de le porter
à fe faire nettoïer ; parce qu'aïanc
confulté le Teflament fur un cas de
cette confequence , il y crut trouver un
paiTage, qui s'y étoit gliiTé , peut-être
parFignorancedes Copiiles, par lequel
une pareille propreté paroiilbit être dé-
fendue '^.
Il fe fit auITi un Dogme de ne dire
jamais Graces après avoir diné; & tout
r Univers n'auroit pas pu lui perfuader
de manger comme un Chrétien , felon
la phraze vulgaire f.
lî
* L'Auteur tourne ici en ridicule certains
Saints mauffades , qui trouvent du crime à tenir
leur Vaijfe au propre-^ & qui s'imaginent, que la
Sainteté ell incompatible avec la complaifance
de s'habiller com.rae le refle du Genre-humain.
Us feroient bien de fon.^er qu'il y a plus d'or--
gucil à fe diftinguer des hommes de ce côte-là ,
qu'a fe confondre avec eux. \jn Philcfophe
dit un jour di Diogem , qu'il vo'ioit {on cœur or-
gueilleux au travers de Ces habits déchires.
t II y a des Seftes , qui trouvent du crime à
prier Dieu en fc mettant a table,
M 4
vji L E C O N T E
II trouvoit un délice extraordinai-
re à fe bourrer de Salpêtre, aufîi bien
que de mèches d'une chandelle allumée ,
qu'il favoit atraper & avaler avec une
adrefle inconcevable '^. De cette maniè-
re , il entrenoit dans Ion ventre une flam-
me perpétuelle , qui, fortant comme une
vapeur embrazée, de les yeux, de Ïq.?> na-
rines, & de fa bouche, faifoit refplen-
dir fa tête dans Fobfcurite, comme le
fquelette d'une tète de veau , où quel-
que efpiegle.d'Ecolier a mis une chan-
delle d'im hard pour efFraïer \t^ loïaux
fujets de Sa Majefte : c'étoit le feul
expedient, dont Maître Jean fe fervoit ,
pour fe conduire le foir chez lui • étant
acoutumé de dire, que ï homme fage doit
'être fa p'opre Lateryie,
Il fe promenoit d'ordinaire dans
les rues , les yeux fermez : & , s'il lui arri-
voit dç donner de la tête contre un po-
teau, ou de tomber dans la boue, deux
petit accidens , qui lui étoient fort or-
dinaires, il difoit aux^Z/T^^/z/i, qui le
regardoient de tous leurs yeux , qu'il
fe
* Ce PrJI-ige fait aîluficn à la chaleur du Zèle ,
que k*3 Dévots s'efforcent d'entretenir dans une
vivacité perpétuelle.
DU TONNEAU. 17;
ie foumettoit avec refignation h Ton
malheur , comrx'ie .1 un effet de la Del'ti-
née , avec laquelle il favoit par expe-
rience , qu'il n'étoit pas fur de luter;
puifque ceux , qui s'y hazardoient , é-
toient bienheureux de n'y gagner, qu'un
nez fanglant, & un œil poché au heure
noir f.
// a été ordonné , quelques jours avant
la Création^ difoit-il, que mon nez. 13 ce
poteau aur oient une Ye7ic entre enfernhle :
y , pour cet effet , la Providence nous a
envGÏez au Moitié îiin (3 l'autre dans
le 7nême âge , pour être compaîriottes (3
conclîoicns. Or , ftfavois tenu mes yeux
ouverts , le malheur auroit été bien plus
grand , felon toi/.tes les apparences ; car ,
quels
t Toutes les perfonn es, qui admettent la Pre'-
deftination dans toute fa rigueur , n'en tirent p^
des Confequcnces également impertinentes. IPf
en a qui croient , que les Décrets de Dieu ne doi-
vent pas nous empocher d'agir en Etres raifon-
nables , & de nous déterminer vers le parti , qui
nous paroit le meilleur; mais, d'autres abjureîit
entièrement l'excellence de leur Nature, & s'i-
m^'.gincnt , qu'il y a de la Vertu , & de la Saj^cffe ,
à fe conduire en ilmples Machines , & à fe lievear
d'ime manière purement pafHve à l'Aârion de U
Divinité.
M s
274 Ï^E^ COWT^
^ lie Is terribles faux -pas ne font point
les hommes tous les jours , a^oec toute
leur mondaine pré voïance ? D ailleurs , les
yeux de l'entendement 'voient le mieux ,
quand ceux de la chair font écartez du^
ehemin : cefi pourquoi l'on ohferve , que
les aveugles marchent avec plus de con-
duite^ plus de précaution^ ^ plus de ju^
gementy que ceux ^ qui mettent tantdecon^
fiance dans leur Faculté vifuelk , que
le moindre accident dérange , £5? que la
moindre humeur , la moindre membrane y,
détruifent pour jamais, La vue reffemble
k une lanterne , rencoyitrée dans a rue par
une bande de Bréteurs ivres , £5? qui
expofe celui qui la porte , £5? fin propre
individu^ à desfouflets^ ^ à des coups de-
fied^ qiCilsaur oient évitez P un ^ Vautre y
ft l'envie de paroitre leur avoit permis-
de marcher dans les ténèbres, Helas!'
utes ces lumières , dont on vante tant
utilité , méritent^ par leur mauvaift
conduite un fort encor plus malheureux:
que celui quails s attirent journellement,^
M efi vrai^ que je viens de me cajfer
le nez contre ce poteau , parce que la-
Providence na pas trouvé bon de me ti^
rer par la manche , i^ de m^ avertir
$m éviter h rencontre , fmis , que cer
DU TONN'ÉAU. 27J
sccîdetit n'encourage pas les hommes de ce
Jïécïe ^ ni leur pofterïté ^ de donner leur nez.-
à garder à leurs yeux : cefi le vrai mo'ien
de le perdre une fois pour toutes, O vous ,
foibles yeux , ô vous aveugles Guides de nos
corps aveugles , que vous êtes de pauvres
Gardiens de nos nez fragile s ; vous , dis-je ,^
^ui vous fxez fur le premier précipice qus'
vous trouvez en chemin \ qui tirez enfuit e
après vous nos mi fer able s corps trop promts-
à vous obéir ^ jufques fur le bord même de
la defiruélion :■ mais , ce bord ef- d'un bois
pourri , le pied nous gUfje , ^ nous f ornâ-
mes précipitez dans le goufre , fans ren^'
contrer le moindre arbrijjeau officieux^ qui
pttiffe rompre le ccup. Chute ofreufe! à^
laquelle aucun nez de fabrique mwtelle
rCeji capable de reftfter^ excepté celui dw
Géant Laurcalco , qui étoit Seigneur
du Pent d' Argent *. Ainfi' donc , o vour
foibles yeux , avec g-rande raifon- vous-
peut -on comparer à ces feux follets ,■ quir-
conduifent ï homme à travers V ordure £5?
les ténèbres , pour le faire tomber dans uyy
puits profond y ou dans un goufre empoi"'
jonné.
Voilà un échantillon de l'éloquence'
^ Vo):e£ Don Qukhotte,
27^ L E C O N T E
de Jean , & de la force de Ton raifonnc-
ment fur ces fortes de matières ablbu-
fes.
II avoit d'ailleurs de grandes vues par
raport àla dévotion, & il ne négligeoic
rien pour en étendre les bornes, il in-
troduint une nouvelle Divinité, à laquel-
le il concilia un grand nombre d'Ado-
rateurs. Les uns l'appellent Babel ;
les autres , Chaos ^. Il y a un Tem.ple
fort ancien,& d'une ftrucîure Gothique,
^ii'on a érigé à fon honneur dans la
Plaine de Saîisburi , fameux par fon Re-
liquaire honoré par de frequens pèleri-
nages f.
Lorfqu'il avoit dans Fefprit de jouer
à quelqu'un quelque tour fcelerat , il
fe jettoit à genoux, quand ç'auroit été
au beau milieu du ruiffeau ; &, les yeux
levez vers le Ciel , il fe mettoit à prier.
AuiTi-tôt, ceux5qui connoiilbient fes fail-
lies 5 avoient foin de s'en éloigner au
plus vite 5 mais ,11 quelques étrangers at-
tirez
* Ceux de l'Eglife Anglicane accufcnt* les
Presbytériens d'être ennemis de l'Ordre dans le
Culte.
t C'cft une pièce monftrueufe de Pierres en-
tamées fans ordre avec des. peines infinies; iâus
qu'en en puiiTe deviner le but.
DU TONNEAU. 177
lirez par la rareté du fait , s'approchoient
pour récouter , ou prénoient la liberté
de rire de Tes contorlions , il ne man-
quoit pas de leur lâcher fon urine dans
le nez, & de leur jetter la boue à plei-
nes poignées §.
En hyver , il marchoit toujours
riiabit déboutonné , oc aufîi peu cou-
vert qu'il étoit pofiible , pour donner
un libre paiTage à la chaleur répandue
dans lair qui Tenvironnoit^ &, en Eté,
il
§ Rien n'eft plus ordinaire aux Dévots de
profcflion , que de couvrir leurs mauvais dcC
feins du voile de la pieté ; & ils ne font jamais
plus à craindre , que lorfqu'ils font dans les plus
grands accès de leurs extafes devotes. On dit
que Crom-zue/j fameux Pf.rtifan de Jea/2 , fe fer-
voit quelquefois d'une Ruze a/Tez particulière,
pour duper les Ambailadeurs , Efpions privilé-
giez des Souverains. Quand il fav oit. que quel-
qu'un de ces Meilleurs étoit dans fon Anticham-
bre pour avoir Audience , il fe metoit à prier
tout haut le bon Dieu, avec toute la ferveur pof-
fible j de favorifer tel ou tel deffein. Le pauvre
Ambafladeur , ne croïant pas qu'un homme fût
capable de fe moquer du Ciel, pour mieux trom-
per les hommes , ne manquoitpas de donner dans
le Panneau ; & , par-là , fon Maître , fe prccaution-
nant contre un Projet chim.eriquc, ferendoit in-
capable de prévenir les véritables deiTeins de cet
îllultre Fourbe.
M 7
ij% LE C O N T E
il s'accabîoit d'habits , pour lui fermer
l'entrée f.
Dans certaines Revolutions extra-
ordinaires 5 il follicitoit l'emploi de
Bourreau general : il montroit une
grande adrefle à en faire les fonftions ;
&:,comme quelques-uns de fes Collègues
iè couvrent le vifage dun mafque,
quand ils exercent ce noble emploi, no-
re Ami Jean croïoit fe déguifer de rela-
te par de longues & favantes Prie-^
ïes *.
Sa Langue étoit ii mufculeufe , & ^i
flibtile dans fes mouvemens, qu'il favoit
l'entortiller dans fon nez , d'où il fai-
foit ibrtir enfuite un langage tout parti-
culier , & fort pathétique.
Il faut lui rendi'e encor cette juflice,
qu'il a été le premier de ces Roïaumes,^
qui a fongé à perfectionner le talent
de
f Les Dévots font d'ordinaire fajets aux fan-
taifies les plus bifarres: ils croient fe fanélifier ^
par des manières diamétralement opofees à cel-
3cs des autres hommes.
* Il n'y a point de gens plus cruels , en ge«
neral , que ceux qui fe couvrent du mafque de
3a Devotion. Toujours prêts àprofcrire, & même"
à damner éternellement 5 ceux qui n'adoptent, JH'
feurs fentimens , ni leurs manières.
DU TONNEAU. 179
de braire , par lequel le grand Sancho fe
fignala jadis fi noblement tnEfpagne\.
Ses oreilles larges étoient toujours ex--
pofées à l'air , & dreiïees en haut^ &
par leur fecours 5 il porta Ton art à un
tel degré , qu'il étoit difficile , pour ne
pas dire impofTible , de dillinguer la Co-^
pie de Y Original.
Il étoit attaqué d'une maladie tout-à-^
feit contraire à celle , qui vient de la mor--
lure de a 'Tarentule , il devenoit tout fu--
rieux au fon d'un inilrument de Mufi^
que, & fur-tout d'une Mufette=^: mais,.
il s'en guériilbit aifément, en faifanc"
quelques tours dans la Sale de JVcft^-
munfter , dans Billing-gate , dans une
Ecole , à la Bourfe , ou bien dans UQ<
Qaffé rempli de Nou'VelUftes f.
11 ne craignoit pas les couleurs, mais
ili
t Ceci réfléchit fur ces tons de voix lamen--
tabJcs, & ces cris ridicules, dont plufieurs Pré-
dicateurs dévots touchent les fens de leurs au-
diteurs 5 au lieu de convaincre leur raifon par de
bonnes preuves.
* Certains Dévots, partifans de fean^ ont la Mu-
fique en horreur, comme la plus affreufe mon--
danité; quoi que rien au monde ne foit plus in-
nocent: ils la trouvent fur-tout abominable dans
îc Culte religieux.
t Ce font tous des lieux, où ilfe fait unbruir-
îkufiî grand; <jiie defagréabiçv
lEo L E C O N T E
il les haïlToit mortellement ; & , par con-
fequent , il avoit une grande averfion ,
pour toutes fortes de ^^/>//^r^j*. Quel-
quefois même , dans quelqu'un de fes
accès , il fe promenoit dans les rues,
les poches chargées de pierres , pour
abatre les e/ife igné s des boutiques.
Sa manière de vivre , telle que je
viens de la dépeindre , lui donnant fort
fouvent occafion de fe laver, il fe jet-
toit quelquefois jufqu'aux oreilles dans
feau , même au beau milieu de FHyver :
mais, on a remarqué , qu'il en fôrtoit plus
fale qu'il n'y étoit entré "f.
Ilaétéleprem.ier, qui ait trouvé l'Art
de donner un rem.ede foporifique par
les oreilles. C'étoit im compofé de fou-
^ Les Presbytériens ont une Kaine furieufè
contre toutes fortes de peintures expofies dans les
EglifeSj dans quelque vue que ce foit.
f Cet endroit paroit un peu obfcur; je croi^
l'entendre pourtant. Cert^^ins Dévots, pieux par
grimace , & réellement criminels , comme les
Pharifîens, fe croient nettoïer de leurs défauts,
par des jeunes , & des penitences extérieures,
qui 5 ne venant pas d'un bon principe , & étant
mêlées d'Hypocrifîe , deviennent des crimes elles-
mêmes. De cette manière, le Dévot devient plu*
fale , à force de fe laver.
DU TONNEAU. i8i
fre, de beaiimede Galaad, & de Ton-
guent du Samaritain §.
II portoic fur Ton ellomac une large
emplattre caufcique , par le moïen de
laquelle il jectoit des foupirs , &
pouffoit des gemiffemens , capables de
fendre le cœur de ceux qui les enten-.
doienc ^.
Qiielquefois , il fe plaçoit au coin d'u-
ne rue- &, s'adrcfTantàceux, quipaC
foient , il difoit à l'un , Je vous prie y
mon bon Moyifieur , favortfez-rnoi d'un
bon coup de poing dans les dents. A quel-
que autre , Mon cher /Irai , oh l je vous
conjure , faite s -7:101 U grace de me don--
mr un vigoureux coup de pied dans le ven-
tre. Madame^ oferois-je de7nanckr àvoîre
Gran-
§ Ce font les SermonSjdont quelqucixis la Rhé-
torique efl un mélange de chaleur , d'aigreur,
& de douceur.
* Tout le monde connoit les Soupirs ci les Ge-
miffemens continuels des Bigots. On diroi t que ces
gens-la prennent k vertu pour une difpoiîon ë-
trangere de Fame , qui lui donne latcriurc. Ce
qui cfl très-faux, fur-tout par raport à une Pie-
té avancée. Elle met Tanie dans ion plus haut
degré deperreflion; &, lui Faifantfentir fortement
Texcellencede fa nature, elle doit la remplir dç
fàtisfaclion & de joye: elle doit même répandre
la tranquillité 5 & le contentement; dans rout
l'extérieur.
282 L E C O N T E
Grandeur de me donner de cette petite
wain -potelée un petit [oujlet bien apliqué ?
Mon hra've Capitaine , vous , quiparoijjez
avoir le bras fi nerveuse , pour P amour de
Dieu^ fanglez-moi une demi douzaine de
coups de canne \.
Quand, par des folîicitations fi pref-
fantes , il avoit rélifii à s'enfler le corps
& l'imagination , il s'en retournoit chez
lui contenc comme un Roi \ & faiibit
mille Contes terribles de tous les mal-
heurs, qu il avoit foufert pour la Caufe
Commune ^. Voyez un peu ce coup-là ,
difoit-il , en fe découvrant les épaules ;
un maudit Janijjairè me le donna ce ma^
tin à fept heures , dans le tems q^ui je fai-
fois
t Le fauxZêle porte fourent les Dévots à s'ex-
J>ofer fans nëceflité à la Perfecution , contre la
premiere loi de la nature , qui eft le principe de
toute la morale , & contre les ordres câpres de
notre Sauveur. La Vanité a fouventbe^.ucoup de
part à cette conduite. C'eft un beau titrcj.que celui
de Martir de la Vérité , c'eft un titre fort flatteur ;
mais 5 le nombre de ceux qui le méritent eft
bien petit.
*■ 11 n'eft pas rare de trouver des gens , qui fe
vantent de ce qu'ils ont foufert pour l'Eglife , &
qui par-la veulent fe faire confiderer , comme les
grands boulevards de la Religion.
DU TONNEAU. 28^5
fois tous mes efforts , pour repouffer le
grand Turc. Aies chers Voifins , cette
tête caffée mérite bien une emplâtre , ce me
femble. Si Je pauvre Jean a^voit fait grand
cas de fa caboche^ vous auriez vu des au*
jourd'huileVdL"^^ ^ le Roi de France /^i-
re rage dans vos familles, Helcis I Peu*
pie Chrétien , le Grand Mogol s'étoit
déjà avancé jufquaux Fauxbourgs de la
Fille , i^ vous navez q^iCà remercier ces
pauvres cotes ^ de ce qu il ne vous a pasdéjci
mangés à la poivrade^ avec vos Femmes ^
(â vos Enfans, ^
Rien n'étoit plus remarquable, que
l'Ave rfion (^iitJean&iPierre avoieiit l'un
pour l'autre, jufqu'à raffedlation. P/>r-
re avoit fait depuis peu quelques tours
de fripon, qui leforçoient à fe cacher^
& à ne marcher que de nuit, pour évi-
ter les griffes dts Sergens. Ils s'é-
toient logez exprès aux deux extremi-
tez oppoiees de la Ville; &, quand ils
fortoient, ils prenoient les detours du
monde les plus bifarres pour s'éviter :
mais 5 malgré tous ces foins , c'étoit leur
deftinee perpétuelle de fe rencontrer.
La raifon en eft ailée à découvrir : les
fardai fies &V extravagance de l'un & de
l'au»
2S4 L E C O N T E
l'autre étoient fondées iiir la même baze;
& on peut les confiderer, comme deux
compas de la même grandeur & égale-
ment ouverts. Si vous les fixez l'un &
l'autre dans le même centre & fi vous
les tournez enfuite des deux cotez op-
pofez, il eil certain , qu'ils doivent de
necefîité fe rencontrer quelque part dans
la circonférence. D'ailleurs , le malheur
de Jean vouloit qu'il relTemblât à Fier^
re comme deux goûtes d'eau , du côté
de l'humeur , . du tour d'elprit , de la
taille , & de la mine'^ Enfin , cette rei^
fembîance étoit il parfaite , qu'il étoit
fort ordinaire à quelque Sergent de fài-
fiY Jean au collet , en lui difant , Maître
Pierre , je 'vous arrête de la part du Roi .
D'autres fois, quelqu'un des plus intimes
de
* II eft certain quelesPapiftes, & les Persby-
tericns , fe conirrecarrent avec plus d'?.fFedation ,
que ks mêmes rapiftes,^ les autres Sectes d'entre
les Proteftans. Cependant, leur pieté eft plus fem-
blable quelquefois , qu'ils ne penient : ils font fort
étroilement unis par une certaine Devction Mo-
nachale, parle Ouietifme, parles Aufteritez, &
par ces marques extérieures de pieté , qui font le
•vrai Phariféifme, N'oublions pas l'Intolérance,
qui eft aufll incompatible avec une Vertu raifonnée
qu'inféparable de la Bigotterie.
DU TONNEAU. 28^
de Pierre venoit embralTer Jean bras
deiïïis bras dcPious , en le conjurant de
lui envoier un de [es meilleurs remèdes
(ontre les 'vers. C'étoit-là afieurement
une trille recompence de toutes les pei-
nes , quil avoit prifes depuis fi long-
tems 5 pour n'avoir rien de commun
avec ce Frère, pour lequel il avoit con-
çu une haine Ci opiniâtre : il ne pouvoit
qu'être cruellement mortifié de voir que
le fuccès étoit 11 opofë à fon intention;
& les pauvres refces de fon Habit en
portèrent la folle enchère. Jamais le
Soleil necommençoitfa Courfe journa-
lière , ians trouver à ces pauvres
Guenilles une nouvelle pièce à redire.
Maître /^.î;;porta à la fin fon Zélé il loin,
quil païa un tailleur pour étrelïïr le
col de fon îlabit, jufqu à un tel point,
qu'il étoit capable de l'étouffer ; & qu'il
lui fit tellement fortir les yeux de la
tète, qu'on n'en pouvoit voir que le
l;lanc§. Tout ce qui relloit encore du fond
de l'Habit étoit froté régulièrement tous
les
§ Les Dcvots ont bien fouvent un air aifez
femblable à celui d'un homme conftipé ; & ils
mettent une Dévotion toute particulière dans une
certaine tournure afreufc^ qu'ils favent donner a
leurs yeux.*
285 L E C O N T E
les jours pendant deux heures , contre
une muraille rabotteule , afin d'en ôter
les reftes du galon , & de la broderie:
ôc Maitre Jean s'y prit d'une telle vio-
lence , qu'il eut bientôt Fair d'un Phi-
lofophe Indien. Mais , malgré tous fes
foins , le fuccès continua à tromper fbn
attente. Les Guenilles ont une certai-
ne reflemblance comique avec les Ajuf-
temens , à caufe de quelque chofe àt flot-
tant 5 & de voltigeant , qu'il y a dans
les uns & dans les autres , & qui n'ell
diflingué qu'avec peine de loin , dans
l'obfcurité , ou par une vue courte. Cefl
ainfi que les lambeaux de Jean offroient
à la premiere vue un petit air ridicule-
ment dégagé 5 qui , fécondé par la taille ,
& par la mine , traverfoit tous fes def-
feins , & contribuoit à le faire prendre
pour Pierre , par les Partifans mêmes
de l'un & de l'autre.
défunt nonnuUa
Un vieux Proverbe Sclavonien dit
par-
DU TONNEAU. 287
parfaitement bien , qu'il en eft des hom-
mes, comme des ânes, qu'on ne retient
jamais mieux, qu'en les faififlant parles
oreilles. L'expérience fait voir pourtant,
que cette règle à fes exceptions :
Effugiet îamen hac feeler aï us 'vincla
Protheus.
Ce qui prouve , qu'en lifant les Maxi-
mes des Anciens il faut donner quelque
chofe aux tems & aux lieux ^ car, iî
nousrecouronsauxplus anciennes Chro-
niques , nous y apprendrons, que rien n'a
été fujètàdes revolutions auiïi grandes,
&aufli fréquentes , que les oreilles hu-
maines.
Il yavoit autrefois une invention cu-
rieufe, pour faifir & pour retenir quel-
qu'un par les oreilles ; mais, j e croi qu'on
peut la mettre au nombre des arts per-
dus.Il n'eft pas poiTible même que la cho-
fe foit autrement^ puifque, dans ces der-
niers fiécles, toute l'elpéce s'eft dimi-
nuée jufqu'à un degré déplorable, &
que ce qui en refte eft fi fort dégénéré ,
qu'il femble fe moquer de ceux , qui veu-
lent en prendre pofFeflion. Si l'on a
jugé^qu'une fente dans l'oreille d'un feul
Cerf
288 L E C O N T E
Cerf etoit capable d'étendre cette imper-
feélion fur tout une forêt , comment
pourrions-nous nous étonner de l'aba-
tardilTemient des oreilles humaines ; con-
fequence naturelle delà mutilation, où
les oreilles de nos Peres , &les nôtres,
ont été expofées depuis quelque tems ?
Il eft vrai que , depuis que notre Ile
a été illuminée par la Grace , il y a eu
un tems, où l'on a fait de grands efforts
pour porter cette partie du Corps hu-
main à fa grandeur primitive. Son éten-
due & fa proportion étoit alors regar-
dée, non feulement comme un ornement
de ïh'ormie extérieur , mais en cor com-
me un type de la Grace intérieure. De
plus, les Naturalilles nous afîeurent , que
quand il y a une grandeur exceffive ,
dans quelque partie faperieure du corps
humain, comme dans le nez & dans les
oreilles , il faut de nécellité que certaines
parties inférieures y répondent. Pour
cette raifon , c' étoit la coutimie dans
cet âge véritablement pieux , que dans
les AfTemblées chaque homme,à propor-
tion qu'il avoit été favorifé de ce côté-
là par la Nature, étoit fort porté à faire
parade de fes oreilles , & de leurs dépen-
dances. Ils étoientfi libéraux à les don-
ner
DU TONNEAU. 287
ner en ipeélacle , à caufe d'un Apho-
rifme à'Hypocrate ^5 qui nous enfeigne ,
que r homme devient Eu:-mque , dès quon
lui a coupé la 'veine qui eft derrière roj^eil-
le. Les femelles de cet heureux fiécle
n'étoient pas moins portées à les con-
templer , & à s'édifier par cette con-
templation. Celles, qui avoient déjà
ufé des maiens "}", J^s regardoient avec
une forte attention, dans leiperance,
que cette vue feroit fur leuj- cerveau une
imprellion avantageuie , pour le fruit fu-
tur de leurs faintes amoUij. pour ce!--
-les , qui ne faifoient encû"e qu'afpirer au
bénéfice du mariage, elies trouvoient-
.'là dequoi choifir ; bienrefoiuës de don--
jier /leur inclination aux oreilles les
inieux fournies , pour empêcher leur rar
ce de dégénérer de ce côté-là. A l'é-
gard des Sœurs diftinguées par leuîf: Dé-
votion , elles confideroient l'étendue
-extraordinaire de ce membre, comme
des excrefconces fp'mîudks \ & elles ho-
noroient les têtes, qui en étoient char-
gées, comme des têtes [anclifiées, C'é-
; .' 'y. toit
" '. * i^r; de aère , Jocis , ô® /?y;r/V.-
t C-eftuneExprefTion devote, pour dire fain*-
xçment," avoir Commerce avec un Homme.-
...ïï'Qme L N
288 L E C O N T E
toit particulièrement au Prédicateur,
qu'elles accordoient cette veneration re^
ligieufe\ parce que fes oreilles étoient
d'ordinaire de la premiere Grandeur,
& que dans fes Ac cens de Rhétorique il
ëtoit fort exa6l à les étaler à la vue du
Peuple , de la manière la plus avanta-
geufe, les expofant tantôt d'un côté, &
tantôt de l'autre. De-là vient que la
Prédication xvàm^ elt exprimée par cer-
tains Dévots, jufqUwS dans nos jours,
par le terme à' Expo/itio-u
Tels furent le foins des Saints de ce
iîécle-là , pour augmenter le volume des
■oreilles 5 & il efl probable que lefuccès
y auroit répondu , fi dans la fuite du
tems il nes'étoitpaslevé un Roi craeU
Perfecuteur de toutes les oreilles qui
alloient au de-là d'une certaine mefure.
Là-deiTus quelques-uns cachèrent une
partie de leurs oreilles trop pouffantes fous
un bandeau noir , d'autres furent em-
prifonnées fous une peruque , d'autres
furent , ou fendues , ou rognées , tni
coupées jufqu à la racine.
J*en parlerai plus au long dans mon
Hilloire générale dts Oreilles , que je
rendrai publique au premier jour.
De cette courte Relation delà Déca-
dence
DU TONNEAU. iSp
dence des Oreilles, dans les fiécles paf-
fez; & du peu de mouvement, qu'on
fe donne dans celui-ci, pour les réta-
blir dans leur ancienne Grandeur; il
fait évidement , qu'on efpéreroit eu
vain d'arrêter les hommes par un mem-
bre û petit, fi foible, fi glifrant;& que,
pour réiiffir à fe rendre leur Maître, il
taut inventer quelque autre moïen.Or,
celui , qui voudra examiner la nature
humaine avec attention , y trouvera des
anfes de refle. Chacun des fix Sens f
en fournit une. Il y en a un grand nom-
bre , qui rendent les parlons maniables ;
& il y en a quelques-unes attachées k
l'entendement.
Parmi les dernières eft la curiofité, qui
fe laifTe mieux empoigner que toute au-
tre. C'eil'là, dis-je, cet éperofi ferré
contre le flanc, cette hide dans la bou-
che, cet anneau dans la narine du pu-
blic parefTeux, impatient, & grognard^
c'eft par cette anje^ qu'un Ecrivain in-
telligent doit faillr fes Le6leurs. Dès
qu'il en eft une fois le Maître, toute leur
réfiftance eft vaine ; ils font {çis prifon-
niers , jufqu'à ce que , parlaffitude, ou
par
I Scaligtr en établit un fixiéme,
N 2
2^0 L E G ON TE
par flupidité, il veut bien les reîaî
cher.
C'efl par ce moïenque moi, Auteur
de ce Traité miraculeux , je me fuis' ren-
du jufqu'ici îe Maître abfoludu Leéteur
bénévole j & c'ell à mon grand regret,
que je me vois forcé de lâcher prife, en
lui laiiTant la liberté , par rapport à ce
qui me relie à dire , de fe replonger dans
fon indolence naturelle. Ce que je puis
vous dire , Ami Le6leur , pour votre
Confolation & pour la mienne , c'efl
que nous fommes tous deux également
intérefTez dans la malheureufe perte
du.refle de ces Mémou'es pleins de tours:
defprit , d'accidens , & d'évenemens
agréables, nouveaux, furprenans, &
par conféquent tout-à-fait proportion-
nez au gput déhcat du fiécîe.
Avec tous les efforts, dont ma mé-
moire eft capable, je n'en ai pu retenir
t^n un petit nombre de Chefs, Il y a^oit ,
entre autres , une Relation exafte delà
manière , dont Pierre ^obtint un Sauf^
conduit du Banc Royal , & d'une Re-
conciliation faite entre lui & Jea^i , à
j'occalion d'un deflein qu'ils avoient de
trépanerM7rr/»j pendant une nuit plu-
vieiife^
DU TONNEAU, i^^
.vieufe , dans la maifon d'un Sergent , &
deledépouillerjulqu àla peau*. Com-
ment A/^/7/> à grand peine leur montra
une belle paire^e talons. Comment un
.nouvel Arrêt fortit contre Pierre^ fur
quoi Jean le laiffa dans la nalTe , lui dé-
roba fon Sauf-condtàt ^ &s'en fervit lui.
iPiéme t. Comment les guenilles de Jean
-vinrent à la mode à la Cour, 6c dans
Ja Ville- & comment ihnonta unfupcrbe
Coity-fter ^ & mangea du pain ^épke.
Les particularitez, contenues fous tous
ces Chefs , me font abfolument forties
de la mémoire j &, par confequent , elles
font perdues fans reffource. Force m'ell
idonc de laiHer mes Lecteurs fe faire l'un
à l'autre des complimens de condoléan-
ce , autant que F humeur de chacun y
poura fournir. Je les conjure pourtant.,
par ce commerce d'amitié, qu'il y a eu
■parmi nous , depuis le titre , jufqu à cette
page-
* Ce PaÏÏage faitallufîon au Règne de Jauuei
77. , qui abolit les L&/'Xj&f;Aî/fj faites contre ceux
lie l'Egliie de Rome, û: coatr^ les ÎSonconfor-
miftes.
t Guillaume III remit en vigueur les Loix
^contre le Papifine; mais, il trouva a propos de
tolérer les Presb'jUYityns,
ir- L E C O N T E
page-ci incluflvernent , de ne ie pas al-
térer la fante, pour un malheur qiii ell
fans remède.
Pour moi, je vais m'acquitter d'un
devoir de civilité, qu'un Auteur mo-
derne, poli & inftruit dans les belles
manières, ne fauroit négliger, fans fe
rendre coupable d'une irrégularité crian-
te. Je veux dire, que je vais prendre
congé du public , avec toutes les for-
malitez requifes.
La Conclufion.
POrter fon fruit au de-là du terme
efl une caufe réelle de faufles cou-
ches, aufli-bien que de ne le pas por-
ter aflez long-tems , quoi qu'elle foit
moins fréquente. Cette vérité a fur-tout
lieu parraport auxprodu6lions de l'ef-
prit, qui, pour être accomplies, doi-
vent paroitre comm:e à point nommé.
Béni foit donc ce noble Jefuite f , qui
le premier des Auteurs s'elt hazardé à
déclarer pubiiquenient , que les Livres
ont leurs propres Saifons , comme les
mets,
t Le Père d'Orléans,
DU TONNEAU, ipj
mets , les habits , & les plaifirs. Plus
bénie foit encore notre brave Nation ,
qui a rafiné fi fort fur cette Mode Fran-
çoife. Il ne fera pas néceflaire que je
vive fort long-tems pour voir le tems ,
qu'un Livre , qui ne paroitra pas dans fa
Saifon, reffemblera à un nigaud d'A-
mant, qui manque Xheure du berger \ &
qu'on n'en fera non plus de cas, que de la
Lune pendant le jour , & des Maqueraux
qui viennent dix ou douze jours après
que la faifon en ell paffée.
Perfonne n'a jamais été à cet égard
un Obfervateur des tems plus éxa6l ,
ni un plus fin Connciiîéur de notre Cli-
mat, que le Libraire , qui m'a acheté
cette Copie. Il fait fur le bout du doigt
quels fujets .pouiTent le mieux , dans
une année fêclie; ^ quels autres il faut
femer dans \ç. Pu^jc, quand le Ther-
momètre efl )i grande pluie. Après avoir
vu ce Livre, & confulté fon Almanac
fur fa dellinée , il me fit entendre ,
qu'aïant meurement réfléchi fur les
principales qualitez de mon Ouvrage ,
javoir , lefujet , k3 le 'vclume , il trouvoit
qu'il ne reuïîîroit janaais ^ finon après de
longues vacances , .&rdans une mau-
vailê année pour \qs na^vcîs, Là-defTus ,
N 4 preffé
2P4 LE CONTE
preffé par mes néceiïltez urgentes , je
le priai de me dire , quelle forte de
Pièce pourroit être propre pour le mois
courant. Après avoir tourné ihs yeux
du côté de l'Oued , Je crois , dit-il,
^ue nous aurons quelque orage \ ^ ft 'vous
pouviez faire au plus l'ite quelque fc*
tiîe Drollerie , mais foint en 'vers-^ lu
bien quelque petit 7'raité jur ; ceU
courrcit comme le feu Grégeois : mais , // le
tems s' éclair cit-^ fai un y^uteur à mes ga^
ges , , qui me fera, quelque chofe contre
le Dotleur Bentley , ij je fuis fur d'y
faire mes petites affaires.
A la fin pourtant, il fît fon marché
avec moi; &, pour corriger les mauvai-
fes influences du Ciel, nous convinmes
d'un expedient. Si un de fes Chalands
vient lui demander un Exemplaire de
mon Livre , & qu'il fo^haite de favoir de
lui confideram.ent le nom de l'Auteur ,
il lui nommera à l'oreille le Bel-Eiprit ,
qui fera en vogue cette fcmainc-là : &
li la dernière Comédie du Sieur Durfey
a cours alors, j'aime autant porter pour
ce tems ce nom-là, que celui de Congreve.
Je ne fais mention de ces bagatelles , que
pour donner 11 laPofcerité une idée du
gout de nos Lëfteurs. On pourroit les
com-
DU TONNEAU. 19$
comparer, cemefemble, à une mou-
che, qui, chaflee d'un pot de confitu-
res , fe jette avec avidité fur un ex-
crément, pour y achever fon diner,
avec le même appétit qu'elle Ta com-
mencé.
Avant que de finir . j'ai encor un mot
à dire fur les Auteurs profonds , dans la
clafle defquels le pubHc judicieux me
placera, félon toutes les aparences. 11
en efl à mon avis , de ces Ecrivains com.-
nie d'un puits. Un homme, qui a les
yeux bons , verra le fond du puits qui
a le plus de profondeur , pourvu qu'il
y ait de l'eau; mais , s'il n y arien que
de la boue, quand le fond n'en feroic'
qu'à une toife & demie en terre , il pa-
roitra extrêmement profond , parce
qu'il cil extraordinairement obfcur.
■ J'ai pris depuis peu la réfolution de
faire une experience , qui a fort bien
réiifTi à plufieurs Auteurs modernes ;
c'efl d'écrire fiir rien , & de laiifer tou-
jours aller la plume fon grand chemin,
quoique le fujet foit abfolument épuifé.
C'eft comme l'ombre de l'efprit , qui fe
plait encore à fe promener fur le tom-
beau, où le cadavre efl enterré. Pour
dire la vérité, il n'y a point de talent
N f plus
29^ LE CONTE
plus rare, que celui de favoir bien diftin-
guer quand il faut finir quelque chofe.
Lorfqu'un Auteur aproche des frontiè-
res de fonLî vrejl croit qu'en chemin fai-
fant, lui &fesLe6teurs font devenus de
vieilles connoifTances, & qu'ils doivent
être au defelpoir defeféparer; de forte
que certains Ouvrages reilemblent à des
vifites de cérémonie, ouïes complimens,
qu'on fait en fe féparant, font quelquefois
plus longs que toute la converfation qui
les a précédez. On peut comparer la
Conclufion d'un Traité à celle de la Vie
humaine , qui peut être comparée à
fon tour à la fin d'un Repas, que peu de
'convives quittent dès qu'ils ont afilez
mangé, uî CQr/vivafatiir, Ne voit-on pas
mille fois 5 après leFeftin le plus abon-
dant , les gens relier afiis , quand ce ne
feroit que pour rêver , ou pour dormir
le refle du jour. A cet égard-là , je fuis
fort different des autres Auteurs , capa-
bles de trouver à redire à un pareil aifou-
pifi^ement dans leurs Lecteurs. Pour
moi, je ferai charmé , fi, par mes tra-
vaux infatigables , je puis avoir contri-
bué quelque chofe au Repos du Genre-
humam, dans un age fi tumultueux. Je
ne croi pas même un pareil effet fi éloi-
gnas
DU TONNEAU. 297
gné, qu'on diroit bien , des vues que
doit avoir un Bel-Efprit : puifque jadis
un Peuple fort poli dans la Grèce * a-
voit drefle les mêmes Temples aux Mu-
fes 5 & au Sommeil ; perfuadé qu il y
ïivoit entre ces Divinitez des liaiibns
d'amitié fort étroites.
Je ne faurois me réfoudre à quitter
îa plume, fans demander encore une gra-
ce au Lecteur : c'ell: de ne s'attendre
pas à être également inftruit , & di-
verti^ à chaque ligne , ■& à chaque pa-
ge de ce Traité. 11 eft naturel qu'il
donne quelque chofe à la ratte de
l'Auteur, & à quelques courts inter-
valles de péfanteur , & de ftupidité.
Ce font de petits accidens , où il pour-
roit être fujet lui-même en pareil cas.
Qu'il me dile , fi , fe promenant dans
des rues fales, pendant un tems plu-
vieux, il trouveroit fort poli, à des
gens qui le regarderoient àleuraifepar
la fenêtre, de critiquer fa demarche ,
& de tourner en ridicule fes habits
mouillez?
Qu'il foit averti d'ailleurs , qu'en
dif.
* C'étolent les Habitans de Trezene,
N 6
2p8 1. E C O N T E
difpofant mon cerveau h la compofl-
tion de cet Ouvrage, j'ai fait \"Inven-
iion MaîtreiTe de tout, & que je lui ai
donné la Raïfon , ^ la Alethode , pour
Demoifelles fuivantes. J'ai pris cet ar-
rangement, parce que j'ai toujours ob-
iervé en moi-même, comme une qua-
lité particulière, une démangeaifon per-
pétuelle d'avoir de l'efprit , dans des
-occafions où il s'agilToit d'être raifon-
nable , fenfé , -& méthodique. J'ai
toujours été trop dévoué aux coutumes
modernes , pour négliger la moindre
aparence d'un bon-mot , qui fe levât
dans mon efprit , quelques peines que
je dufTe emploïer, pour le forcer à en-
trer dans la converfation. 11 efl vrai
.que le fuccès n'a pas toujours répondu
à mon attente; car, aïant fait avec des
peines immenfes une ColleUlon de fept
cens trente huit Fleurs d'Eloquence^ ou
Saillies fpiriîuelles , je n'ai pu en em-
ploïer , pendant cinq ans de tems , qu'u-
Jie leule douzaine , malgré tous mes
efforts , pour faifir les vuides de la con-
-verfation, aiin deles y fourrer comme
des chevilles. Pour la moitié encore _,
ce fut autant d'eiprit femé dans la Rivie-
re,
DU TONNEAU. 25?^
re 'y les Compagnies, que j'en vouloir
honorer, étant incapables de m'en fa-
voir gré. Pour les' autres, il en coiita
tant de tortures à mon pauvre eipriu
pour leur ménager une heureufe en-
trée, que je fus enfin forcé de renon-
cer au metier pénible d'un difeur de
bons-mots. C'efl à ce mauvais fuccès
pourtant, que je fuis redevable delà
prémierre idée, qui m'eftv^enuë dem'é-
riger en Auteur; & il a produit le mê-
me eiîet lur pluiieurs de mes Amis , qui
ne s'en repentent pas , non plus que
moi. Combien defoisn'arrive-t-il pas,
qu'un tour d'efprit déplacé' a fait pitié
dans un entretien , & qu'enfuite recti-
fié par l'imprefiion il a fait merveilles
dans un Livre ?
A préfent que, par la liberté de la
PreiTe, je iliis devenu Maitre abfolu
des occafions propres à faire briller ;;fé'i-
Lumières acquifes^ je commence déjà à
m'apperçevoir , que mon Capital dimi-
nue, & que ma dépenfe va beaucoup
plus loin , que ma recette. Je ferai bien ,
par confequent , d'etre un peu pi us éco=
nome , & de faire de nouvelles épar-
gnes 5, jufqu'à ce que mes moiens , fe
trou-.-
300 LE CONTE DU TONNEAU
trouvant dans une heureufe harmo-
nie avec les befoins du Public , m'o-
bligent de nouveau à me mettre en
frais.
Fin du Tome premier.
TA-
i:±%t^ '% S ^' ^- ^ -^^ 'S • -^^ -^ 't- '^ ît- 4t' '% r% i:é
«te ^' -^^ f - ^' ^^ ^' -^^^ -^ • ^-^^ ^^ ^^ ^^^ ^ -^ ^ 8^
TABLE
DES
MATIERES.
^;^^^^.^j^gEdicac€ prétendue du Libraire à
^3 TA ^^ Myjlord Summers. De queUe
f^ U ^1 manière il i découvert , que c'eft
à ce Seigneur que l'Auteur a trou-
vé bon que l'Ouvrage fût dédié.
pag. 7. 8. & p.
Le Ridicule des Faifeurs de Dédicaces , qui
donnent à leurs patrons des Eloges, quinccon-
rienncnt pao à leur Caraâ:«re. 10, 11,
AvertiiTement du Libraire. Il rend compte
au Public du tcms qu'il a gardé ces Ouvrages
chez lui; de l'année , où , felon lui , ils ont été
compofcz ; & des raifons , qui le déterminent
à les donner au Public.
EpiTHE Dedicatoire à S. A, R. le
Prince Postérité'.
L'Auteur , craignant que le Te?72S , Gouverneur
de ce Prince , ne détruife bientôt toutes les pro-
duftions du Siècle, fe plaint de la Malignité de
ce Pedagogue, qui fait pafier les Ouvrages les
plus eftimez comme des éclairs. 17. Jufques 22.
Il s'efforce à perfundcr a S. Alteffe , qu'en
dépit de fbn Gouverneur , il y a aiTâUreraent
4ans le fiéclc prêtent de l'Eijprit, du Savoir, &
des
TABLE
des Auteurs; & il protefle, qu'il en a vu pla-
iîeurs de fts propres yeux. zf. Si, {[liv^ni.
Preface. Occailon & D;2irein de cet Ou-
trage. 29. 30. 31.
Projet pour dernier de l'Employ aux Beaux-
Efprits Petits-Maîtres 5 afin de les détourner d'at-
taquer la Religion & le Gouvernement. 32
Préfaces Modernes. 33
DelicatefTe des Traits d'Efprit modernes, qai
ne foufrent pas le tranfport. 34.
Méthode pour pénétrer fans peine" dans les
Penfécs les plus mifterieufes d'un Auteur. 36
Juftes Plaintes de la multitude des Auteurs,
faite par la multitude même des Auteurs. Echan-
tillons de CQS Plaintes. 37. 38
Ce Sujet eft éclairci par le Gonte d'un hom-
me à grofTe bedaine prefque étouffé dans une
foule. 39
L'Auteur prétend fe prévîdoir des" Prérogati-
ves accordées à tous les Ecrivains Modernes":
■ favoir , de dire quelque chofe de beau & de
fiiblime , quand on ne le comprend pas , & de
iè louer foi-même fans façon. 40. 41
La raifon pourquoi aucun Trait, Satyriquç
n'entre dans tout cet Ouvrage , contre la lou^
blc coutume de^ Livres modernes. 42. 43
Raifon veritable & nouvelle pourquoi H'Sa-
i^'re eft plus goûtée que le Famgyri^ue, 44. 45^.
La Difference qu'il y a entre la République
^'Athènes, & la Grande-Bretagne, par rapport
à la Satyre générale qui regarde tout un Peuple,
& la Sat)r^ qui a pour objet quelque Particu-
lier. 47.48.49.-
Deffein de l'Auteur de donner au Public ifn
Tanegyrique du C€ftre-Hnmam & une Defenfe
mo*
DES M A T I E H E S.
modefte du procédé de la Populace d.ins tous
les âges. fO
I. SECT. Introduction^ au Conte du
T o N N E A u. DilTertation Fhyfîco - Mythologi-
que, fur les JLîcbnies 0>\ttoires. Il y en a trois
fortes 5 la Chaire , r Echelle , & les Théâtres des
Charlatan:. 5" 3* 5!+
Du Barreau j & du Trihunal. 5-^
Tendrcilc de l'Auteur pour le nombre trois y
dont il promet le Panégyrique. ^6. 5-7
Des Chaires, la matière 5c la forme les plus
convenables. 5-7. çS
De V Echelle, Machine Oratoire, fur laquelle
les Orateurs Anglois effacent ceux de toutes les
autres Nations dans le même genre. ibid.
Du Théâtre ambulant ^ Séminaire des deux au-
tres Machines Oratoires. ^9
Raifon Phyfique pourquoi toutes ces Machi-
nes ont ime certr.rne élévation. 6a
Ménagement délicat & judicieux de l'Archi-
tcdlure dont on fe fert dans les Theatres Dra-
matiques. 61. 6i. 63
Les Machines Oratoires rcpreientent emble-
matiquement les dirfcrens tours d'efprit de ceux
qui y montent , & même de toutes fortes d'Au-
teurs & d'Ouvrages. 64. 6<^
Apologie des Auteurs de Cruhjlreet contre les
Societez révoltées de Gresbam & du Cafté ds
Cuillaume, 66. 6j . 63
Les Lecteurs fuperiîciels ne fauroient déterrer
la SagefTe, qui reffemble a un Renard, à un
Fromage , & a beaucoup d'autres chofes > qu'oM
lie foiige gueres à y comparer. 6^
L'Auteur promet des Commentaires ponr é-
claircir plufîeurs Ouvrages mifterieux de TAca-
demie de Grubftreet , comme Docteur Faujltts ,
J:etit Paiijfet^ &C» 70. 71. -2. 75
ToT2:e I, G La
TABLE
La perfonne & la plume de l'Auteur ufécs au
fcrvice du public. 74. 7f
Utilité de pluiîeurs Titres & de plufieurs Dé-
dicaces devant le même Ouvrage. 7^« ''T
II. SEC T. Commencement du Conte du
Tonneau. Difcours d'un Père mourant à
ies trois Fils , il leur donne des Habits , & un
Teltament. ^ 78. 79
De la conduite de ces trois Cavaliers dans
leur premiere jeunelTe , & des belles qualité^
qu'ils acquirent en fréquentant les petits maî-
tres & les coquetes de la Ville. 80 81. 8 a
Defcription d une Scde , qui recornioilToit
un Tailleur pour le Créateur & leur Divinité
tutelaire ; du culte de ces 5eâ:aires & de leur
Syiicme de Religion. ^ 83. & fuivant.
Comme les trois Frères lùivent les modes , &
mettent des Nœuds d'épaules , contre le Tefta-
n^nt de leur Père 5 qu'ils fe rendent favorables
par la fubtilité de quelques diftindions Scolafti-
^es. 8p. po. 51
Us couvrent leurs habits de Galons d'or, en
fe fondant contre ledit Ttûament fur la Trad/"
Ils y mettent des doublures de Satin couleur
de feu 5 s'autorifint d'un Codicille, qui n'eft
pus de la façon de leur Père. pf. p^. 97
11« les chargent de franges d'argent , en fc
prévalant de la finefTe d'une interpretation Cri-'
titjue dudit Teilament. ^ , . ^^* ^^
ils y ajoutent une broderie Chinoife , en
léJudant le lens naturel à literal du Teftament.
Us le renferment dans un Coffre-fort. lor
Le plus habile des Frères, nommé Pierre,
.s'introduit adroitement dans la maifon d'un
grand Seigneur pour élever fes L.nfiuis j âpre»
DES MATIERES,
h mort de ce Seigneur il chaile les Fils & doi:=i
ne leurs appartcmens à fes Frères. loi
III. SECT. Digrejfion tombant Mejpeurs les
Critiques, 10}
Trws efpeces de Critiques > dont les deux
premieres font éteintes. 104. lOf
Généalogie du vrai Critique. 10^
Son occupation , fcs devoirs 3 & fa definition.
107. loS
Son antiquité. Les Auteurs les plus ancien*
en ont parlé d'une manière Emblématique, iio.
III*
Paufanias en parle fous le type d'un Ane qui
broute les vignes. 1 1 &
Hérodote fous celui des x^nes qui ont des cor-
nes , & d'un autre Ane dont le braire mit cr
déroute toute une Armée de Scythes, 1 1 j
Diodort fe fcrt de l'Emblème d'une herbe em-
poifonnée. 114.
Et Ctefîas de celui d'un Serpent qui vomit à.%
'^oiron & qui n'a point de dents. 11^
Garçoni-Criîiqmi indiquez par Terence fous le
nom de M.%k-voli, 116. 117
Le veritable Critique comparé à un Tailleur ,
& a un Mendiant. 118. 119
Trois marques Charaderifliques du vrai Cri-
tique Moderne. 120. 121
IV. SECT. Continuation du Conte d-4
Tonneau. izj
Pierre fait le gros dos, fe donne des titres,
& pour pouvoir foutenir 'Çt^s grands airs, il s'ë.
rige en Inventeur de Projets. 124.
L'Auteur fe flatte d'être bientôt traduit dans
toutes langues étrangères. I2f
Pierre acheté pour une fomme modique la
Terre Jujîrale ^ il la vend en détail à plufieurs
O 2 gens
TABLE
gens fans les en mettre en pofTeflion. Il débite
un remède contre les Vers. 126
11 établit un Bureau en faveur des Hypocon-
driaques & des gens tourmentez des vents. 127
Un bureau d'afTurance contre la brûlure. 128
Il invente la faumure univcrfeile. 1 29
Il nourrit une race de Taureaux, defcendus
de ceux de Colcbos, mais dont les pieds étoient
de plomb, au lieu que leurs Ancêtres les avoient
d'airain. 130. 131. 132. 133
Il vend des pardons k des criminels , qui ne
laiiTcnt pas d'etre pendus. 134. 13^
Il reçoit un coup de hache à la tête , donne
dans les plus grandes chimères , & dans les fri-
ponneries les plus infâmes. i 36. i 37
Il chaiTe de la maifon fa femme & celles de
fss Frères. i 38
Il leur donne du pain pour du mouton & pour
du vin. 339. 140. 141. 14a
Il débite les plus horribles menfonges , &
prétend avoir vu une Vache , qui donnoir aiTez
de lait pour en remplir 3000. Eglifes , un
Poteau aiîez grand pour en faire fix Vaifleaux
de Guerre , & une Maifon qui faifoit un Voiagc
par mer & par terre de plus de 2000. lieues
d'Allemagne. 143. 144
Les deux Frères s'emparent par fînefle d'une
Copie du TejQ:ament, forcent la cave, boivent
un doit de vin pour fe fortifier le cœur , &
font chaûez par Pierre à grands coups de pied.
145-. 146. 147
V. SECT. Digrejpon à la Moderne. 148
L'Auteur s'étend fort au large fur les peines
qu'il fc donne pour rendre fervice au public en
l'inftruifant 5 & fur-iout en le divertiiTant. 149.
H donne aux modernes une rccepte pour
en-
DES MATIERES.
«enfermer dans un petit volume de poche , !e
"Syfteme de tous les Arts , & de toutes les
Sciences. 15-1. jfs
Defectuofitez à' Homère, & fa craiïe ingnoran-
cc par raport aux inventions des modernes*
L'Auteur n'écrit que pour fuppléer à ce qui
manque aux Oeuvres de cet ancien. 15-6. 15-7
Il excufè les louanges qu'il fe donne par l'e-
xemple des plus fameux Modernes, iy8. 15-9.
160
VI. SECT. Continuation du Conte du
Tonneau. 161
Les deux Frères cliafTez prennent unanime-,
ment la refolution de réformer leurs habits &
leur conduite. Us prennent l'un le nom de
liartin , l'autre celui de Jian , & bien-tôt ils
font voir qu'ils ont des Inclinations fort diffé-
rentes. 164.. i^j-
Martin , ayant commencé la réforme de fou
habit d'une manière trop rude & trop impe-
tueufe , fe refoud de s'y prendre avec plus de
précaution. 166. 167. 168
Jean 5 emporté par Ton zèle, tire, arrache, &
met tout fon habit en Lambeaux. i6p. 170
Il emploie toute fon éloquence pour porter
Martin a ia même fougue 3 mais n'y aïant pas
ré'ufli, il fe fepare de lui. 171. 172, 173. 174..
Jean devient fou a lier, il s'attire un grand
nombre de fobriquets, 6c invente la SeCte des
JEolifies, 1 7 r. 176. 177
VII. SECT. Digrejponàla louangjedes Digre£ïoî2s,
Rien n'eft plus fort dans 'c gout moderne que
les DigrelTions. Le gout moderne en matière
«d'efprit comparé au gout moderne en matières
dQ ragouts & de fricaitces. 178. 179
Tome U O j £)i-
TABLE
Digrefïïons abfolument nece/Taires dans le
genre d'écrire des Modernes. i8a
Deux méthodes d'acquérir rerudition , qui
ont à préfent la vogue , la Leé^ure des Titres ,
& celle des Index. Les avantages confiderable»
de la dernière de tes méthodes. i8i
L'utilité des Syfiemes & des Abrégez.'^ le nom-
bre des Auteurs furpa/Tent de beaucoup celui
des fujets propres à être traitez dans un Livre ,
rend abrdument neceflaires les Abrégez & le»
Recueils. 182. 183
Réponfe a une objection théc de Vinfnite
de la matière. L'obfcenitc eft la feule fource de
bel efprit , fur laquelle l'invention des moder-
nés fe fignale ; elle ne lailTe pourtant pas de
s'épuifer & de fe perdre peu à peu, 184. i8f
Moîens faciles de fe rendre capable d'écrire
fur toute forte des fujets. 186. 187
Si le Ledeur ne trouve pas cette Digrefi'ion
bien placée, il eft Maître de la reléguer dans
quelque autre coin du Livre. 188
V 1 1 L SECT, Continuation du Contée
T o N N E A u. Syftème des JEoHJies, Ils foutien-
nent que le Vent ou le foufle eft l'origine de
toutes chofes, & qu'il domine dans la ^compofl*
tien de tous les êtres. 189. 190
Les iEoliftes donnent aux hommes jufqu'à
cinq âmes. ipi
Leurs Harangues ott Eructations. 19a
Leur manière de s'enfler pour «'y rendre pro-
pres. 193. 194.
Bore'e eft leur plus grande Divinité. Ils reçoi-
vent leurs infpirations du meilleur Acabit d'un
pais apelé ^yxn-ta.. 19^
Ils fe fervent de tonneaux enfoncez en guife
de chaires. J9<S. 197^
Inipirations coi^muniquécs au public par le
canal
BES MATIERES.
csnai des femmes , & pourquoi. 198. 199
Les notions la plus oppofies aux attributs Di-
vins font les plus propres à former i'idce d'un
Diable, llii'y a peint de Sede -qui puiiTe s'en
paffer. 200. 201
Les Diables des iEoliftes font le Caméléon,
& un Géant nommé Moulin-a-vent. Les Lapons
font étroitement liez a3:ec les -Eolifles Britanni-
ques. 202. 20}
Le profond refpedl de l'Auteur pour cette
Sede. 204.
IX. SECT. Dijfertaîionfurrortgifze ^ fur V uti-
lité de la Folie ; on lui eft redevable des con-
querans , & des diefs de Sede , tant par raport
à la Religion, qu'a Philofophie. 20f. 2o5
La moindre vapeur qui monte dans le cer-
veau eft capable de caufer les entrepriies , les
revolutions , & les CataftropKes les plus mer*
veilleufes. 207
Cette vérité eft confirmée par l'exemple de
i:Umy le xjr.mva qui T'A ies pius ^ranuô pjl^paratifs
pour la guerre à caufe de l'abfence de fa Maî-
trelTe. 208. 209. 210
Elle eft confirmée encore par l'exemple de
Io«/i A"/;^. <i ont les vapeurs, qui avoient été la
caufe des plus vaftes deffeins , aboutirent à la
£n à une fîftule. 211. 2i2i
Les Syftémes des PhilofopKes ont la même
fource. 213. 214.. 215'. i\6
Il faut à l'homme un gout fin, beaucoup de
difcernement , & des occafions très-heureufes
pour faire pafler Ton extravagance pour force
d'efprit. M. IVotton a groffiereraent manqué de
ce côté-là. 217. 218
Explication détaillée de la manière dont la
"folie produit les Syftémes , & les conquêtes.
21^. 210- 221
O 4. 1^5
TABLE
Les dehors de toutes les parties de la nature
vallenfmieux que les dedans. 223. 224. 225*
L'abondance des vapeurs eft l'unique fource
de toutes fortes d'extravagances , & les difFe*
rentes efpcces ne dependent que de la manière
dont le cerveau en eft touché. 236. 227. 228
Projet de nommer des gens habiles pour aller
vifîter l'Hôpital des Foux , afin d'apliquer chaque
efpece de folie à fon propre objet , & de la ren-
dre utile au public. 228. jufques 234
L'Auteur fait par fa propre experience que ce
projet eft très^praticable. Extrait de ce qui fuit
dans le Munufcript après la Sedlion I X. Conte-
nant différentes Avantures des trois Frères arrivées
dans la ParoifTe d'Albion fous plufieurs differeni
Seigneurs de ladite Paroilîc. 1^6^ jufyues 243
Sommaire d'une DigrefTion fur la nature, l'u-
tilité j & la neceftlté des Guerres, & des Que-
relles. 244. 24^. 2^6
Suite du Sommaire de VHiftoire des trois Fre-
«^««« :;;. i;*. 24^
Remarque du Tradttâ:cur fur ce Sommaire.
25-0. 25-1. 25'a
X. SECT. Conrplîment de l'Auteur au Public,
La grande civilité qui règne entre les Autcièrs,
& les Ledeurs , & remercimens du nôtre adref-
itz à tout le corps de la Nation. 25-3. 1^^
Perfonne n'eft plus fatisfait de (on fort que les
Auteurs & les Libraires. 25'f
Les caufes auxquelles nous fommcs redevables
de la plûpa t des Ouvrages modernes. 1^6
Plaintes de l'Auteur contre un certain Bar-
bouilleur de papier apellé Auteur des fécondes
parties ; il implore contre ce miferable la Pro-
">eâ:ion du D odeur Bentley ^ le grand Redrefleur
des torts de la Republique des Lettres. 2^7
L'Auteur en veritable prodigue regale fes -con-
vi-
DES MATIERES.
vîves en dépenfant tout fon hÎQU à un feuî re-
pas 2f8
Ufages que peuvent tirer de ce Traité toutes
les différentes efpeccs de Lecteurs. Les fuper-
ficiels, les ignorans , & les favans. i^g
Projet de faire fept amples Commentaires fur
le prefent Ouvrages. 260
L'utilité des Commentaires pour les Auteurs
profonds. 261
Quelques idées très-utiles à ceux qui voudront
entreprendre de commenter ce Livre merveil-
leux. 262. 263
XL SECT. Continuation du Conte du Ton-
neau. L'Auteur fe deleûe à faire encore quel-
ques tours de promenade avant que de gagner
le gite. Difference entre un Voïageur fatigué
qui fe prefTe de revenir chez lui , & un Voïa-
geur qui ne voïage que pour fon plaifiir. 26^,
26<;. 26S
La fuite des Avantures de ^ea». Son refpedt
fuperftitieux pour l'extérieur de la Bible , & les
ufages burlefques qu'il en fait. 267. 268. 269.270
Il ne fe fert jamais que de phrazes tirées des
Livres facrcz. Avanture plaifante qui lui arrive à
cette occafion. i-jt
Son zèle & fa foumiflion pour les décrets ab-
folus. 27»
Sa Harangue en faveur de la Prédeftination,
, 273.274.275'
Il cache des tours Icelerats fous un extérieur
de devotion, & affede une grande fingularité
dans fes manières , & dans fes difcours. 276.
277. 278. 279
Son averfîon pour la Muiîque , & pour la
Teinture. tb/'d. éy» 280
Il invente un foporifiquc propre à être don-
né par les oreilles ; fes Jercmiadcs, & fon af-
fec«
TABLE DES MATIERES.
feftation de vouloir foufFrir pour la bonne cauf^,
281. 282. 283
L'averfion prodigieufe qui règne entre Jean &
Tierre les fait fe rencontrer fouvent à force der
s'éloigner l'un de l'autre. 284.
Jean reflemble extrêmement à Pierre 5 malgré
tous les foins qu'il prend pour ne hii reflembler
en rien. 285-. 286
Les oreilles abâtardies de ce iîécle ne four-
nifTent pa? une anfe fuffifante à ceux qui veu-
lent retenir les hommes par-là. 287
Grandeur & Sainteté emblématique des oreil-
les des fiécles palTez. 288. 289. 290
Les paflions & les fens font d'autres anfes par
011 Ion peut arrêter les hommes avec fuccès.
C'eft par la curiofitc , que l'Auteur à trouvé à
propos d'arrêter le public. 2pi. 2921
Sommaire du refte de cette Hifloire , qui s'eft
malheureufement perdu. 3P3
La Conclnf.on. Les Livres ont leurs Saifons ,
comme les fruits. 29-4.. 2pf. 196
' Defcription des profonds Auteurs , & de
l'ombre de l'Efprit. 297. 298
Etroite relation qu'il y a entre les Mufes &
le fommeil. 299
• Apologie de certains endroits foibles du Li-
Tre. ihi(^»
La Méthode & la Raifbn doivent être les
Filles fui vantes de l'Inveiiiion, joo
Recueil Az Fleurs de Rhétorique, qui n'eft
v-enu à propos à l'Auteur qu'en compofant foii
Livre dans lc<ju?l il l'a entièrement épuifé. 30 r.
Tin du Tome premier.