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Full text of "Le conte du tonneau, contenant tout ce que lse arts, [et] les sciences ont de plus sublime, et de plus mysterieux; avec plusiers autres pièces très-curieuses;"

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in  2011  witii  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.arcliive.org/details/leGontedutonneau01swif 


LE    COÎ^TE    DU  TONNEAU 


T  L  E    C  O  N  T  E 

TONNEAU, 

Contenant  tout  ce  que  les 
ARTS,  &  les  SCIENCES 

Ont  de  plus    SUBLIME, 

Et  de  plus  MYSTERIEUX; 

Avec  plusieurs  autres  Pieces  très- 
çurieufes. 

Par  J  o  K x^y  n  am  S  v/ î  f t> 

Doïen  de  St.  Patrick  en  Irlande» 
Traduit  de  i'Anglois, 
rOMB    P  RE  Mi  EU  ^0$^^ 


ChezîIENRI  SCHEURLEElb 

M.  DCC.  XXXII. 


A  U 

TRES  NOBLE 

ET  PUISSANT  SEIGNEUR 

ADRIEN  PIERRE 

BARON  de  HINOJOSA, 

PRESIDENT  DE  LA  COUR 
DMOLLANDE,  ZEELAN- 
DE,  ET  DE  WESTFRISE; 

&c.  &c.  &c. 

t  Nf 

^^^4'^^OBLE  ET  PUISSANT  SEIGNEUR, 

Offrir  à  quelqu'un  ce  que 

la  Nation  du  Monde  la  plus 

fpirituelle  &  la  plus   fcnfée  a 

''  2  pro- 


DEDICACE. 

produit  de  plus  judicieux  &  de 
plus  délicat,  c^eû  fuppofer  in- 
dubitablement en  celui  à  qui  on 
le  dédie  beaucoup  de  Penetra- 
tion &  de  grandes  Lumières. 

Cette  Vérité ,  Nol;/c  8?  Puif 
Jant  Seigneur  ^  me  m^eneroit  na- 
turellement aux  Eloges  qui 
font  dus  à  Vos  belles  Quali- 
tés, fij^étois  alîe:z  imprudent 
pour  me  livrer  au  Zèle  que  je 
me  iens  pour  tout  ce  qui  eft 
efcimable  en  Vous. 

Nous  vivons  dans  un  Siè- 
cle ,  où  le  vrai  Mérite  doit 
confiderer  comme  une  Infulte 
les  Louanges ,  qui  ne  font 
qu'^enfîer  un  Difcours  fans  lui 
donner  le  moindre  Corps;  & 
qui,  à  force  d'être  appliquées 

in- 


DEDICACE. 

indifféremment  à  toutes  fortes 
d^Objets  5  ont  perdu  Je  droit 
de  fignifier  quelque  chofè. 

Quand  même  les  EJoges 
feroient  aufTi  rares  que  les 
Vertus  dont  ils  devroient  être 
naturellement  la  Récompenfe  ; 
je  ferois  inconfideré ,  fî  je  me 
donnois  les  Airs  d'entrepren- 
dre Votre  Panégyrique.  Je  n'ai 
pas  afîez  de  Vanité ,  pour  croi- 
re que  m.on  Approbation  fbit 
de  niveau  avec  Votre  Mérite; 
&je  fiiis  trop  vain,  pour  vouloir 
pafîer  dans  le  Monde  pour  le 
Plagiaire  de  la  Voix  publique.. 

Je  me  contente.    Noble  6? 

Puïjjant  Seigneur  ,    de  Vous 

prier  de  recevoir  avec  Votre 

Bonté  ordinaire   cette  foible 

""  3  Mar- 


DEDICACE. 

Marque  de  mon  Dévoûment  : 
&  5  en  implorant  Votre  Bien- 
veillance,  je  fbuhaite  que  cet 
Ouvrage  puiiîe  contribuer  à 
vous  délalîer  agréablement 
FEfprit  5  quand  il  efî:  fatigué 
des  Peines  infinies  que  Vous 
vous  donnez  fans  relâche5pour 
fauver  les  Biens^  PHonneur,  & 
la  Vie  des  Hommes,  de  cette 
Mer  orageufè  de  Chicanes,  qui 
inondent  les  Tribunaux. 

Je  fiiis  avec  un  très-profond 
Reipeft, 

Noble  ^  Pitijfant  Seigneur^ 

VOTRE 

très-humblc  &  très-obcïfiant 
Serviteur, 

n.  SCIIEURLEER. 

PRE- 


A>iU  ^i^  *?!■=•  ^  viv  *^^  ^«^  •  <«^  *^v  ^i*-  iMlf'  ^f'  »*i<fc 

PREFACE 

D    U 

TRADUCTEUR. 

l^i^î^IWil  jamais  Livre  a  eu  befoin 
S  S  ^i  ^'une  Préface ,  j'ofe  dire  que 
P^T^^^  ceft  celui-ci.  11  ell  vrai, 
'^^'^-^^  qu'il  efl  déjà  tout  chargé  de 
toutes  fortes  de  Difcours  préliminaires  j 
mais,  ce  n'eft  nullement  dans  le  defleia 
de  nous  faire  entrer  dans  les  véritables 
Vues  de  l'Auteur:  ce  font  plutôc  àcs 
parties  de  l'Ouvrage  même  ;  &  les 
Ironies  Satiriques  ,  dont  ils  font  tout 
remplis,  tendent  au  même  But  que  tout 
le  Livre, 

Les  Anglois  le  confidérent  avec  rai- 
fon  comme  un  Chef-d'Oeuvre  de  fine 
Plaifanterie^  &,  m.algré  la  langueur, 
qu'une  Traduction  doit  de  necefnté  don- 
ner à  ces  fortes  de  Productions  d'Ef. 
prit  3  je  croi  que  le  Ledleur  convien- 


dra 


PREFACE 

dra.,  qu'il  efl:  difficile  de  trouver  dans 
aucune  Langue  un  Ouvrao;e  fi  plein  de 
feu  ,  &  d'imagination.  Il  eft  vrai  en 
mêmetems^  qu'il  ne  fe  peut  rien  déplus 
bifarre.  La  Narration  eft  interrompue 
continuellement  par  des  DigrefTions ,  qui 
occupent  plus  de  place  que  le  Sujet  prin- 
cipal ;  mais ,  cette  Bifarrerie  n'elt  point 
Ytffct  d'un  Efprit  déréglé ,  qui  s^écha- 
pe  à  foi-même  ,  &  dont  la  Kaifon  ne 
fauroit  maitrifer  la  fougue  :  ceDefordre 
eft  affecle ,  pour  tourner  en  ridicule  les 
Auteurs  Anglois  les  plus  modernes  ,  qiii 
fe  plaifent  à  ces  fortes  d'Ecarts  imperti- 
nens,  uniquement  pour  donner  du  vo- 
lume à  leurs  Productions. 

Ces  Digreiïions ,  d'ailleurs ,  font  d'un 
Tour  fi  particulier ,  ôc  pleines  d'un  Ba- 
dinage fi  ingénieux,  &  fi  peu  commun, 
qu'il  eft  impofïïble  qu'un  LeCleur , 
qui  a  allez  de  pénétration  &  de  juge- 
ment ,  pour  developer  la  délicate  Ibli- 
dité  de  ces  Ironies ,  s'impatiente  de  re- 
tourner au  Sujet  principal. 

La  plupart  de  ces  DiJ/ertations  inci- 
dentes fervent  h  jetter  un  Ridicule  furies 
Modernes ,  &  fur-tout  fur  ceux  d'en- 
tr'eux  qui  s'emparent  du  beau  Nom  de 
Critimes.    L'Auteur  de  cet  Ouvrage 

eft 


DU  TRADUCTEUR. 

cil  grand  Partifan  des  Anciens,  &  peut- 
écre  Partifan  outré.  J  aurois  tort  de 
décider  là-defîlis ,  parce  que  adhuc  fuh 
Judice  Lis  eft.  Le  Procès  n'eft  pas  en- 
core vuidé  ,  &  peut-être  ne  le  iera-t-il 
jamais.  Quoiqu'il  en  foit ,  jamais  le  Par« 
ti  des  Anciens  n'eut  un  plus  habile  De- 
fenfeur.  Jufqu'ici ,  les  Avocats  de  cette 
Faftion  n'ont  été  gueres  que  des  Sa- 
"vantas ,  qui  ne  favoient  que  dire  des  In- 
jures groïïieres,  &  oppofer  à  leurs  An- 
tagonifles  unBouvelardfailueux  d^  Ci- 
tations inutiles,  fondé  fur  un  Orgueil  pé- 
dantefque.  C'étoient  des  gensfl  familia- 
rifez  avec  les  Langues  favantes,  qu'ils 
Tie  favoient  qu'à  peine  tourner  une  Pério- 
de dans  leur  Langue  maternelle  >&,  par 
malheur  pour  eux ,  ils  avoient  à  faire  à 
des  gens ,  qui  avoient  de  l'Efprit ,  du 
feu,  du  (lile,  &  qui  favoient  s'infinuer 
dans  l'Efprit  du  Lecteur  par  un  Badinage 
élégant ,  &  par  une  Raillerie  délicate. 

Notre  Auteur  efl  le  premier  de  ^on 
Parti  5  qui  ait  fu  mettre  les  Rieurs  de  fon 
coté  ,  &  combatre  les  Modernes  avec 
leurs  propres  Armes. 

Ceux,  à  qui  il  en  veut  le  plus,  font  les 

Critiques  de  profefîîon ,  Race  de  petits 

Efprits ,  dont  le  mince  bon-fens  animé 

*  f  par 


PREFACE 

par  une  bonne  doze  de  malignité,  ne  s'o- 
cupequ'à  raflembler  les  endroits  foibles 
des  Auteurs  les  plus  illuftres,  fans  leur 
rendre  la  moindre  juflice  fur  l'art  qui 
anime  tout  le  corps  de  leurs  ouvrages, 
&  fur  les  paflages  admirables ,  qui  les  em- 
belliiTent  par-tout.  C'efl  avec  raifon, 
que  lAuteur  fait  main  baOe  fur  cette 
lâche  Vermine  de  Garçons  Beanx-E[p'its\ 
&  je  fuis  perfuadé  ,  que  les  plus  éclai- 
rez d'entre  les  Modernes  lui  en  fauront 
autant  de  gré ,  que  les  plus  zélez  Par- 
tifans  de  la  venerable  Antiquité. 

La  Pièce  principale,  qu'on  trouvera 
dans  ce  premier  Volume,  efl  intitulée/.^ 
Conte  du  "Tonneau ^^oux  les Raifons qu'on 
trouvera  dans  la  Préface  de  l'Auteur.  Le 
But  en  eft  de  tourner  en  ridicule  laSu- 
perflition  ,  &  leFanatifme,  qui  desho- 
norent abfolument  une  Religion ,  qui, 
dans  fon  Inflitution  primitive ,  n'a  eu 
pour  toute  Parure  qu'ime  raifonnahle 
Simplicité.  Tout  cet  Ouvrage  eft  une 
Allégorie  parfaitement  bien  foutenue 
d'tm  bout  à  l'autre,  &  très -propre  à 
faire  revenir  d'un  Paganifme  déguifé  , 
ceux  qui  fe  font  une  gloire  d'être  apel- 
lez  Chrétiens  :  elle  efl  capable  de  les 
faire  renoncer  à  de  certaines  Subtiîi- 

tez 


DU  TRADUCTEUR. 

tez  metaphyfiques  ,  qui  éblouifTent  le 
plus  ceux  qui  les  comprennent  le 
moins ,  &  à  de  certaines  Imaginations 
creufes ,  qu'on  honore  du  titre  d'Infpi- 
rations,  quoiqu'elles  ne  foient  réelle- 
mentque  l'effet  de  certaines  Vapeurs  or- 
dinaires à  des  Conflitutions  atrabilaires 
&  hypocondriaques. 

Pour  mettre  le  Lecleur  au  fait  de  cet 
Ouvrage  Allégorique,  il  fera  bon,  je 
crois ,  de  lui  en  tracer  ici  un  Plan  abrégé. 

Un  Père  a  trois  Fils.  Avant  que  de 
mourir,  il  leur  donne  à  chacun  un  Habit 
neuf  d'une  grande  Simplicité  ,  mais  qui 
en  recompenfe  a  la  propriété  de  nes'u- 
fer  jamais  ,  &  d'etre  toujours  juite  au 
corps  de  celui  qui  le  porte.  Il  leur  or- 
donne fous  de  grandes  peines  de  le  brof^ 
fer  fou  vent,  mais  de  n'y  rien  changer, 
ni  de  le  relever  par  aucun  Ornement.  Il 
leur  donne  encore  un  Teftament ,  qui 
contient  tous  les  Préceptes,  qu'ils  doi- 
vent obferver,  pour  porter  leur  Habit 
conformément  à  fa  volonté  ,  &  pour 
vivre  enfemblé  dans  une  Amitié  frater- 
nelle. Ils  obfèrvent  pon61uellement  ces 
ordres  pendant  quelque  tems  ;  mais ,  fe 
voïant  méprifez,  parce  qu'ils  ne  fecon- 
formoient  pas  à  la  Mode  ,  ils  ne  négli- 
*  6  gent 


PREFACE 

gent  rien  pour  expliquer  les  Préceptes 
du  Teilament  d'une  manière  favorable 
à  leurs  Caprices.  Un  d'entreux ,  le  plus 
verfé  dans  la  Philofophie,  leur  applanit 
toutes  les  Difficultez,  par  des  Sophif^ 
mes  fubtils  ,  &  leur  fait  charger  leurs 
Habits  de  toutes  ce  s  Parures  introduites 
par  la  Folie  inconftante  du  Genre-hu- 
main :  il  leur  perfuade  même  à  la  fin 
d'enfermer  le  Teilament  dans  un  coffre- 
fort,  pour  ^'épargner  la  fatigue  conti- 
nuelle de  l'Interprétation.  Enorgueilli 
par  fos  prétendues  Lumières ,  il  s'érige 
peu  à  peu  en  Tyran,  &  veut  obliger 
Tes  Frères  à  foufcrire  k  Tes  imaginations 
les  plus  chimériques  &  les  plus  contra- 
diftoires:  il  porte  même  l'extravagance 
jufqu  à  vouloir  être  apellé  Mylorcl  Pierre  \ 
&,  voïant  que  leur  foumiflion  n'alloit 
pas  aufTi  loin  que  fes  fantaifies  ,  il  les 
chafTe  de  la  Maifon  Paternelle.  Avant 
que  de  le  quitter,  ils  font  alTez  habiles 
pour  tirer  du  Teftament  une  Copie  Au- 
tentiquci  &,  dès  qu'ils  s'en  font  em- 
parez 5  ils  prennent  l'un  le  Nom  de 
Martin ,  &  l'autre  celui  de  Jean, 

Ils  fe  logent  dans  une  même  Maifon, 
&  fe  mettent  d'abord  à  réformer  leurs 
Habits.  Martin  le  fait  d'une  manière 

cal- 


DU  TRADUCTEUR. 

calme  &  fenfée,  &  aiaie  mieux  ylaiffer 
quelque  Ornement  peu  elTentiel ,  que  de 
le  déchirer.  Pour ,  Jean  il  n'écoute  que 
Ton  Zele  ;  il  le  met  tout  en  lambeaux  : 
&  voïant  que  Ton  Frère  ne  veut  pas  l'i- 
miter, il  fe  brouille  a\"eclui,  cherche 
un  quartier  ailleurs  ,  &  donne  dans  les 
plus  hautes  Extravagances. 

On  voit  facilement,  que,  dans  cette 
Allégorie,  \t%  Habits  fimples,  c'eft  la  Reli- 
gion Chrétienne  dans  fa  premiere  Pu- 
reté ;  le  Teftament  du  Père  ,  les  Livres 
du  Nouveau  Teflament  ;  ces  Parures^ 
\qs  Ceremonies  &  les  Dogmes  de  la 
Religion  Catholique  ;  Mylord  Pierre , 
le  Pape  ,  ou  l'Eglife  Romaine  ;  Mar-^ 
tin  ^  la  Religion  Luthérienne^  Jeari^ 
la  Religion  Reformée;  &  ainu  du  rei- 
te. 

L'Auteur paroit  favorifer  ici  Martin^ 
aux  Dépens  de  Jean^  dont  il  turlupine 
prefque  par-tout  le  Zele  inconfideré. 
La  raifon  en  ell,  qu'il  veut  plaider  la 
Caufe  de  l'Eglife  Anglicane,  qui,  à  l'E- 
xemple des  Luthériens,  a  garde  plufieurs 
Cérémonies  des  Catholiques,  dont  elle 
croïoit  la  Reforme  tropdangereufe:  au 
lieu  que  les  Calvinifles,  pour  vouloir  re- 
former avec  trop  de  rigueur  ,  ont  mis 
#  7  eux- 


PREFACE 

eux-mêmes  des  bornes  à  leur  Réforma- 
tion. D'ailleurs,  il  range  fous  les  Eten- 
darts  de  Jean  toutes  les  différentes  Sec- 
tes de  Fanatiques,  qu'il  regarde  comme 
forties  du  fein  de  la  R. Réformée,  telle 
qu'elle  efl  établie  en  Angleterre  fous  le 
Nom  de  Presbyterimiifine, 

Je  fuis  perfuadé  que  ce  que  je  viens 
de  dire  à  l'avantage  de  ce  Conte  furpren- 
dra  beaucoup  la  plupart  des  perfonnes, 
qui  en  ont  entendu  parler.  Tous  les 
Dévots  en  Angleterre  regardent  cet  Ou- 
vrage comme  le  dernier  Effort  d'une 
Imagination  libertine  ,  qui  ne  fonge  , 
qu'à  fonder  l'Irréligion  fur  la  Ruine  de 
toutes  les  Seules  Chrétiennes.  De  la 
manière  dont  la  maffe  générale  des  hom- 
mes, qui  ont  une  Religion,  eft  faite,  il 
faut  de  necefTité  qu'elle  en  forme  ce  ju- 
gement. D'ordinaire,  chaque  individu 
humain  embraiTeles  opinions  de  fa  Se6te , 
pour  ainfi  dire,  en  blQc\  &  il  croit  im- 
poiïible  d'être  d'une  telle  ,  ou  d'une 
telle  Religion  ,  fi  l'on  héfite  feulement 
fur  le  moindre  Article  de  fa  Confeflîon 
de  Foi.  Nous  héritons  la  Religion  de  nos 
Parens:  ils  nous  en  délivrent  les  Dog- 
mes folides  &  raifonnables  pêle-mêle 
avec  le  Fanatifme  &  la  Superftiiion.  Hé- 
ritiers 


DU  TRADUCTEUR. 

riders  crédules ,  &.  inconfiderez  ,  nous 
ne  diftinguons  pas  ce  qu'il  y  a  de  réel- 
lement beau  6c  d'utile  dans  ce  Tréfor, 
d'aveclafauiTemonoye,  qui,  la  plupart 
du  tems,  brille  de  frappe  d'avantage  que 
l'or  pur  &  veritable.  Dans  cette  maî- 
heureufe  prévention,  un  homme,  qui 
examine  ,  &  qui  ofe  trouver  quelque 
chofe  à  redire  à  la  moindre  particularité 
étrangère  de  chaque  Se6le  Chrétienne, 
paffe  dans  notre  Efprit  pour  un  Liber- 
tin ,  qui  \qs  rejette  abfolument  les  unes 
&  les  autres ,  &  qui  ell  indigne  de  por- 
ter le  nom  de  Chrétien. 

Il  efl  impoiTible ,  cependant,  qu'un 
homme,  qui  a  des  Lumières,  &  qui 
prend  TEvidence  pour  la  feule  Règle  de 
îes  Opinions ,  ne  foit  pas  dans  cette 
fituation  d'Efprit;  ôc  qu'il  trouve  quel- 
que part  un  Corps  de  Doélrine  &  de 
Cérémonies  religieufes,  où  l'attention 
la  plus  ■  forte  ne  foit  pas  capable  de 
fentir  le  moindre  défaut ,  le  moindre 
foible. 

Tous  les  Chefs  de  Secles  ont  été  des 
Hommes  :  il  efl  naturel ,  que  la  vanité , 
le  dépit,  &  l'efprit  de  contradiélion , 
les  aient  jettez  dans  quelque  égare- 
ment >   &  qu'un  homme,  qui  fe  trouve 

dans 


PREFACE 

dans  une  afîiette  calme  &  Philofophique  j 
s'en  apperçoive  fans  peine. 

Jôfe  promettre  à  tous  ceux,  qui  font 
capables  de  fentir  cette  Vérité,  qu'ils 
ne  trouveront  rien  ici,  qui  ait  le  moin- 
dre Air  de  Libertinage,  <3c  d'Irréligion. 
L'Auteur  ne  touche  jamais  à  aucun  de 
ces  Dogmes  ,  que  toutes  les  Se6les 
Chrétiennes  regardent  comme  fondai- 
mentaux.  Il  turlupine,  dans  l'Eglife 
Romaine  ,  ce  qu'il  confidere ,  comme 
des  Doârines  inventées ,  pour  aflervir  la 
Raifon  à  l'Autorité  humaine,  &  à  une  flu- 
pide  Crédulité  ;  & ,  par  raport  aux  diffé- 
rentes Branches  de  la  Religion  ProteA 
tante  ,  il  tourne  en  ridicule  cet  Efpric 
d'Enthoufiafme  &  de  Fanatifme,  qui 
rend  la. Pieté  incompatible  avec  le  S^ns- 
commun.  Je  m'imagine  que  toutes  les 
perfonnes  fenfées  en  feront  obligées  à 
l'Auteur.  On  ne  fauroit  rendre  vérita- 
blement un  plus  grand fervice  à  la  feule 
Religion  railbnnable  ,  &  digne  de  \^ 
Majeflé  de  Dieu  &  de  l'Excellence  de 
la  Nature  humaine ,  que  de  la  debarafler 
de  la  SuperlUtion ,  &  de  la  Ch'mere  , 
qui,  non  feulement  l'avililTent,  mais  la 
détruifent  de  fond  en  comble ,  en  l'arrar 
shant  de  fa  baze  unique  &  folide  ,.  U 


DU  TRADUCTEUR. 

Eaifon  £5?  le  Bon-Sens.  La  Pieté  eft  pour 
ainfi  dire  la  Sanre  de  l'Ame:  lesSuper- 
ilitieux  ,  &  les  Fanatiques ,  en  font  une 
Fièvre  chaude;  &  quiconque  s'efforce  à 
y  remédier  efRcacement  mérite  les  plus 
grands  éloges. 

Certaines  perfonnes  m'objeâeront 
ians  doute ,  qu'il  eft  contraire  à  la  bien- 
féance  de  railler  fur  les  Matières  de  Re- 
ligion ;  &  5  qu'au  lieu  de  turlupiner , 
l'Auteur  auroitL  bien  fait  de  découvrir 
l'Extravagance  de  ceux  qu'il  a  en  vua , 
par  des  Raifonnemens  graves  &  ierieux. 
La  Réponfe  fuit  d'elle-même  de  ce  que 
j'ai  déjà  établi:  il  ne  s'agit  point  ici  de 
Matières  de  Religion  \  il  s'agit  de  cer- 
taines Extravagances ,  &  de  certains  E- 
garemens  d'Efprit,  qui  n'ont  rien  de 
commun  avec  la  Religion  ,,  &  qui"  y 
font  prefque  aufTi  contraires  que  flrre- 
ligion  même.  D'ailleurs ,  le  moïen  de 
raifonner  ferieufement  avec  des  gens, 
qui  n'admettent  pas  le  bon-fens  comme. 
juge  naturel  de  leur  fentimens  ,  &  qui 
trouvent  du  crime  à  y  avoir  recours? 
S'il  y  a  quelque  chofe  qui  puilTe  reveil- 
ler leur  Raifon  de  la  Léthargie  où  ils 
la  jettent  de  propos  délibéré  ,  c'eft  le. 
ffij  piquant  de.  la.  Raillerie,. 


PREFACE 

J'avoue  que  l'Auteur  auroit  bien  fait 
de  badiner  un  peu  plus  fagement ,  & 
de  ne  pas  mêler  à  fes  Ironies  certains 
Tours  gaillards,  qui  révoltent  une  Ima- 
gination un  peu  délicate.  J'ai  adouci 
ces  Endroits  autant  qu'il  m'a  été  poiïi- 
ble  ;  &  j'ofe  efperer  que  la  Pudeur  du 
Public  François  ne  fe  gendarmera  ja- 
mais contre  mes  Expreffions. 

Je  conviens  encore  ,  qu'à  mon  avis 
l'Auteur  auroit  agi  fagement ,  en  écar- 
tant toujours  de  fes  Badinages  tout  Paf- 
fage  formel  de  l'Ecriture  Sainte.  Il  ell 
vrai  qu'il  ne  les  turlupine  jamais  dans 
leur  Sens  naturel,  qui  dans  le  fond  elt 
le  feul  refpeccable  ;  il  n'en  tourne  en 
ridicule  quefaplication  honteufe ,  qu'en 
font  des  efprits  foibles  :  mais,  tous  les 
Lecteurs  ne  ibnt  pas  capables  de  faire 
cette  Di{lin6lion  ,  qui  e(l  quelquefois 
aiïez  délicate  ^  &  il  y  a  de  la  charité , 
&  de  la  prudence,  à  leur  épargner  ces 
fortes  de  Scandales. 

Il  n'importe  gueres  ,  qui  foit  l'Au- 
teur de  cet  Ouvrage.  Je  drai pourtant, 
que  des  gens  l'ont  attribué  au  célèbre 
Chevalier  Temple^  mais,  que  l'Opinion 
générale  le  donne  au  Docteur  Sivift  ^  Mi- 
niitre  Anglican  ,   &  un  des  plus  beaux 

Efprits 


DU  TRADUCTEUR. 

Efprits  de  la  Grande-Bretagne.  Si  réel- 
lement il  y  a  de  grands  Lambeaux  de  ce 
Livre  qui  fe  font  perdus  ;  ou  bien  fî 
l'Auteur  a  afeclé  d'y  laiiïer  un  bon 
nombre  de  Lacunes ,  pour  le  faire  mieux 
reffembler  à  un  Manufcrit  ancien  \  c'efl 
ce  que  j'ignore  abfolument:  &  le  Pu- 
blic peut  l'ignorer  avec  moi,  fans  y  per- 
dre beaucoup. 

Je  dirai  peu  de  chofesde  ma  Traduc- 
tion. J'ai  fait  tous  mes  efforts  pour  la 
rendre  bonne,  malgré  la  Difficulté  terri- 
ble ,  qu'il  y  a  à  faire  palier  heureufe- 
ment  d'une  Langue  dans  une  autre  tout 
ce  que  Tlronie  a  de  plus  fin,  tout  ce 
que  la  Raillerie  a  de  plus  vif,  &  tout  ce 
que  les  ExprelTions  figurées  ont  de  plus 
hardi.  Cette  Difficulté  eft  fi  grande  , 
que  jufqu'ici  perfonne  n'a  entrepris  de 
les  furmonter  j  &  que  je  mérite  le  titre 
de  Téméraire  ,  fi  je  fai  tenté  fans  le 
moindre  fucccs. 

Ce  que  je  fai  d'avance  ,  c'efl:  que, 
quand  j'aurois  réiiffi  autant  que  je  puis 
le  fouhaiter,  les  Beaux-Efprits  Anglois 
ne  feront  pas  trop  contens  de  ma  Tra- 
duction: du  moins,  ils  ne  manqueront 
pas  d'en  parler  fur  ce  pied-là.  Ce  font 
des  gens  fpirituels,  &  judicieux,,  s'il  y 


PREFACE 

en  a  au  monde  ;  &  il  y  auroit  de  la  fot- 
tife  à  leur  difpater  ces  qaalitez:  mais, 
ils  excellent  du  coté  de  l'amour-propre 
autant  que  du  coté  du  mérite  ;  &  je 
n'en  ai  jamais  vu  un  feul  ,  qui  parlât 
avec  éloge  d'un  Livre  eilimé  chez  eux, 
&  traduit  dans  un  autre  Langue.  Il  faut 
avouer  que  leur  vanité  fe  conduit  à  cet 
égard  avec  beaucoup  de  finefle  :  fi  un 
Ouvrage,  dont  ils  font  grand  cas,  dé- 
plaît aux  Etrangers ,  c'ell  la  faute  du 
Traducteur  j&,  s'il  eflaprouvé, ils  don- 
nent la  plus  haute  idée  de  l'Original,  en 
faifant  croire  qu'il  a  été  affoibU  par  la 
Tniduaion. 

Ils  me  permettront  pourtant  de  leur 
dire ,  qu'en  parlant  avec  mépris  générale- 
ment de  tout  cequipafle  de  leur  Langue 
dans  une  autre ,  ils  ne  peuvent  que  dé- 
crediter  leurs  Produdlions  dans  l'Ef- 
prit  des  gens  qui  réfléchiflent  :  ils  font 
penfer,  qu'il  ell  impofîible  de  bien  tra- 
duire leurs  Ouvrages  5  ce  qui  fait  foup- 
çonner  naturellement,  que  ce  qui  y  fra- 
p^  le  plus  confifle  plutôt  dans  l'Expref- 
fion,  que  dans  le  Sens.  Pour  moi,  qui 
fuis  au  fait,  &  qui  ai  lu  avec  attention 
ce  qu'ils  ont  produit  de  plus  eftimé ,  je  ne 
fdurois  être  de  cette  Opinion  ;  je  fais 

que 


DU  TRADUCTEUR. 

que  leurs  meilleurs  Ouvrages  ont  une 
Bonté  réelle  ,  qui  ne  dépend  pas  du 
Langage,  &  dont  on  peut  rendre  à  peu 
près  l'équivalent  dans  toutes  les  Langues 
du  Monde. 

Si  leurs  plaintes,  far  le  fujet  en  quefl 
tion,  a  encore  quelque  autre  motif  que 
la  vanité,  je  croi  qu'on  peut  le  deviner 
fans  peine. 

Les  Anglois  font  outrez,  &  libres  à 
fexcès,  dans  leur  tour  d'Efprit ,  com- 
me dans  leur  Conduite,  &  dans  leurs 
Manières:  leur  Imagination  pétulante  s'é- 
vapore toute  entière  en  Comparaifons, 
&  en  Métaphores^  &  je  fuis  furpris  que 
leurs  plus  habiles  gens  ont  une  eilime 
&  une  vénération  fi  grande  pour  les 
Anciens ,  dont  ils  imitent  fi  mal  le  Na- 
turel &  la  noble  Simplicité.  J'avoue  que 
d'ordinaire  leurs  Exprefiions  figurées, 
malgré  la  bifarrerie  d'imagination  qui 
s'y  découvre,  ont  un  Sens  admirable- 
ment exaét  ;  mais ,  dans  le  grand  nom- 
bre ,  il  s'en  trouve  d'extrêmement  for- 
cées ,  &  dont  il  faut  chercher  la  juflef. 
fe.  Quoique  ces  Endroits  frapent  &  char- 
ment les  Lecteurs  Anglois ,  dont  le  tour 
d'Efprit  efl  au  niveau  de  celui  des  Au- 
teurs ,  ils  ne  fauroient  que  déplaire  à 
**  2  des 


PREFACE. 

des  Etrangers  d'un  Efprit  plus  exaft,  & 
moins  fougueux  ;  & ,  par-là ,  un  Traduc- 
teur fenfé  fe  voit  dans  l'obligation  de 
mettre  dans  Tes  Périodes  quelque  degré 
de  chaleur  de  moins.  LesBeaux-Efprits 
Britanniques  s'en  aperçoivent  ;  &  ils 
prennent  un  effet  de  prudence  ,  pour 
un  défaut  de  génie ,  &  d'imagination  : 
ils  fe  plaignent  de  ce  qui  mérite  peut- 
être  des  éloges. 

Je  finirai  cette  Préface  ,  peut-être 
déjà  trop  longue  ,  en  avertiiTant  que 
j'ai  trouvé  à  propos  de  faire  quelques 
Remarques  dans  les  Endroits  qui  me  pa- 
roiiTent  pouvoir  arrêter  un  Le6leur  ju- 
dicieux. Si  j'avois  voulu  en  faire  aiïez 
pour  rendre  tout  clair  à  des  gens  qui  n'ont 
niledlure,  ni  pénétration,  le  Commen- 
taire auroit  étouffé  le  Livre. 


C  A- 


CATALOGUE 


DE    PLUSIEURS 


TRAITEZ, 

Faits  par  le  même  Auteur  ^  ^  dont 

il  fait  mention  dans  les  Dijcoim 

Jiiivans^  comme  d""  Ouvrages 

qui  verront  bien-tôt  le  jour. 

1  Le  Cara6i:ere  de  rAflbrtiment  de 
Beaux-Efprits  qu'on  trouve  à  prefent 
en  Angleterre. 

2  Un  Eflai  de  Panégyrique  fur  le 
Nombre  Trois. 

3  Une  DifTertation  fur  lesProduclîon^ 
principales  d'une  Rue  de  Londres 
nommée  Gruhfireet  ^\ 

4  Des  Lettres  fur  la  DifTeclion  de  la 
Nature  Humaine. 

5*  Le  Panégyrique  du  Monde. 

6  i:n 

*  C'dTr  une  Rue  d'où  fortent  la  plupart  des 
Erocliures  fubaltcrncs  ,  &  de  ces  CKanfons 
qu'on  peut  comparer  à  celles  du  Pofit-muf* 

Tome  L  A 


CATALOGUE. 

5  Un  Difcours  Analytiqoie  flir  le  Zè- 
le, confideré  Hlfiori-i'heo-Phyfi'Lo* 
gicalement. 

7  Hifloire  Générale  des  Oreilles. 

8  Defenfe  modefle  de  la  Conduite  de 
la  Populace  dans  tous  les  Ages. 

9  Defcription  du  Roiaume  des  Ahfur- 

ditez, 

10  Un  Voiage  par  Y  Angleterre ,  fait 
par  un  Noble  de  la  Terre  Juftrak  in- 
connue' 5  traduit  de  l'Original. 

1 1  Effai  Critique  fu'r  le  Jargon  dévot , 
confideré  Moralement  ,  Phyfique- 
ment,  &  MiiTicalement. 


L  E 


LE  CONTE 

D  U 

TONNEAU, 

Fait  pour  r  Utilité  Générale 
du  GENRE-HUMAIX,  U 

Contenant  un  Abrégé  complet  de 

Tous  les  ARTS  &  de  toutes  les 
SCIENCES  ,  propres 

A  INSTRUIRE  £5?  j  DIVERTIR 
LES     HO  M  AI  E  S. 

Par  un  Membre  de  I'llluftre  Société 

de     G  R  u  B  s  T  R  E  E  T. 

Dlu  multumqiie  ckjîderat:im> 


M.  DCC.   XXXII. 

A  2. 


- —  Jwuaîque  novos  decerpere  flores , 
Inftgnemque  ymo  capiti  petere  inde  coro* 

nam , 
Vnde  prius  nuIU  "velarunt  îempora  Mufa, 

Lucret.' 


D  E 


f 

DEDICACE 

Prétendue  du  Libraire 

A 

MYLORD  SOMMERS  ^ 


/}/  Y  LO  R  D 


PTJifque  l'Auteur  a  fait  une  ample 
Dédicace  à  un  Prince  7  donc 
aparemment  je  n'aurai  jamais  Tlion- 
neur  d'être  connu,  &  qui  ell  fort 
peu  confideré  par  les  Ecrivains  de  nô- 
tre fiécle,  me  trouvant  exempt  de  l'ef- 
clavage  que  les  Auteurs  inipofent  feu- 
vent  aux  Libraires ,  je  me  croi  fage  dans 
maprefomption,  en  ofant  dédier  à  Vô- 
tre Grandeur  les  Ecrits  fuivans ,  &  les 
confier  à  fa  protection.  Je  lailTe  au  bon 

Dieu 

*  Milord  Jean  Sommers,  Chancch'er  d'Angle- 
terre, un  des  hommes  les  plus  ilîuftres  de  fon 
Age  ôc  de  fa  Nation.  Grand  Protcéleur  du  fi- 
voir,  ce  qui  lui  attira  pludcurs  De dicaces ,  en- 
tre autres  celle  de  notre  Auteur,  quiluiavoit  de 
grandes  obligations. 

\  La  Dédicace  fai\ ante  adreilee  ^\xPriK,tToj' 
terité. 

A  3 


é  DEDICACE 

Dieu  &  à  Votre  Grandeur ,  h  en  connoi- 
ti*e  le  mérite  &  les  défauts:  pourmoî, 
je  n  y  comprend  rien  \  &  quand  tout 
je  monde  ny  entendroit  pas  plus  de  fi- 
îieiTe,  que  moi, le  débit  de  l'Ouvrage 
n'en  fera  pas  moins  grand.  Le  nom  de 
Votre  Grandeur,  brillant  au  frontifpice 
du  livre  en  lettres  Capitales ,  me  débat- 
raflera  facilement  d'une  Edition  tout  au 
moins  \  &  je  ne  demanderois  pas  davan- 
tage 5  pour  m'élever  à  la  qualité  à'Ecbe^ 
«Lvv/,  que  le  privilege  de  dediër  à  Votre 
Qrarideiir^  à  fexcîufion  de  tout  autre 
'i\uteur  ou  Libraire. 

Me  prévalant  du  droit  d'unfaifeurde 
Dédicaces,  je  devrois  ici  vous  donner 
une  lifte  de  vos  propres  vertus,  fans 
avoir  pourtant  le  moindre  deiîein  de 
choquer  votre  modeftie.  Sur-tout ,  ce 
feroit  ici  le  lieu  de  faire  un  portrait 
pompeux  de  vou*e  générofité  pour  des 
V  gens  qui  joignent  de  grands  talens  à 
une  petite  fortune,  &  de  vous  faire  en- 
tendre d'une  manière  entre  groffiere  & 
délicate ,  que  je  m'entends  par4à  moi- 
môme. 

Je  vous  avouerai  franchement,  My- 
lord,  que  j'ai  eu  l'intention  de  fuivre 
cette  route  batue  5  &  quej'avois  déjà 

com- 


A  MYLORD  SUMMERS,     j 

commencé  à  extraire  d'une  centaine 
d'Epitres  Dédicatoires  une  Qiiintef^ 
fence  de  louanges  appliquables  à  Votre 
Grandeur,  quand  je  fus  arrêté  par  un 
accident  imprevu.Enjettant  par  hazard 
les  yeux  fur  la  couverture  de  ces  Ecrits, 
j'y  trouvai  en  grandes  lettres  les  mots 
fuivans,  Detur  digm(Jïr,iO -^  &  j^  ^^^ 
foupçonnai  auiïï-tôt  d'cnveloper  un  fens 
digne  d'attention. 

11  arriva  par  hazard,  qu'aucun  des  Au- 
teurs que  j'emploie  n'entendît  le  La- 
tin ,  quoique  je  les  aïe  païez  fouvent 
pour  la  traduction  de  livres  écrits  en  cet- 
te langue.  Je  fus  donc  obligé  d'avoir 
recours  au  Curé  de  ma  ParoilTe  ,  qui 
traduifit  ces  mots  ainfi,  que  ceci  foit 
donné  au  plus  digne -^  &  fon  comm_entai- 
re  me  fit  comprendre,  que  rintentioii 
de  l'Auteur  étoit  que  cet  Ouvrage  fut 
dedié  au  Génie  le  plus  fublimeduiiecle 
pour  fefprit,  le  favoir,  le  jugement, 
l'Eloquence,  &  la  SagefFe. 

Là-delTus,  je  donne  un  coup  de  pied 
pour  aller  trouver  un  Poète ,  qui  travail- 
le pour  ma  boutique,  &  qui  demeura 
dans  un  cu-de-fac  proche  de  ma  maifon. 
Je  lui  montre  la  verfion  Angloife  des 
mots  en  queflion ,  &  je  le  prie  de  me 
A  4  gui. 


s  DEDICACE 

guider  dans  la  recherche  que  je  vouîois 
faire  du  perfonnage  que  l'Auteur  a  eu 
dans  FErprit. 

Après  avoir  médité  quelques  mo- 
mens,  il  me  dit,  que  la  Vanité  étoit 
une  chofc  qu'il  avoit  en  horreur,  mais 
qu'il  étoit  obligé  en  conscience  de  m'a- 
vouer,  qu'il  étoit  fur  que  la  chofe  le  re- 
gardoit  lui-même;  &  en  môme  temps 
il  m'offrit  fort  obhgeamment  de  faire 
pour  moi  gratis  une  Dédicace  adref- 
féeàfon  propre  mérite.  Ne  voulant  pas 
hii  diiputer  la  fuperiorité  qu'il  s'attri- 
buoit,  je  le  priai  de  faire  une  féconde 
conjecture  :  eh  mais  !  me  répondit-il ,  ce 
doit  ctre  moi ,  ou  Myîord  Somers.  De- 
là, je  fus  vifiter  un  grand  nom^bre  d'au- 
tres beaux-efprits  de  ma  connoillance , 
avec  grande  fatigue ,  &  grand  rifque 
de  mxe  cafTer  le  cou  fur  tant  de  degrés 
obfcurs  qui  conduifent  aux  Galetas. 
C'étoit  par-tout  la  même  chofe  :  je 
trou  vois  tous  les  habit  ans  du  plus  haut 
étage  dans  la  même  admiration  d'eux- 
mêmes  ,  &  de  Votre  Grandeur. 

Ne  croyez  pas,  Mylord ,  que  je 
prétende  debiter,comme  un  effet  de  ma 
propre  induftrie,  ces  mefures  fi  bien 
concertées  pourrépondre  jufte  àl'inten- 

tion 


A  MYLORD  SUMMERS.      9 

tion  de  mon  Auteur;  j'avoue  ingénu- 
ment, que  je  les  dois  aune  Maxime  que 
j'ai  retenue,  &  qui  dit  que  celui, à  qui 
tout  le  monde  ailigne  la  féconde  place 
du  mérite ,  a  un  titre  inconteitable  pour 
occuper  la  premiere. 

Conform.em,ent  à  cette  vérité,  mes 
vifites  me  perfuadcrent  queVotreGran- 
deur  étoit  la  perfonne  que  je  cherchois  ; 
&  auiïi-tôtj'emjploïai  mes  beaux-elprits 
àraflembler  dts  idées  &  des  ingrediens 
propres  à  entrer  dans  le  Panégyrique  de 
vos  vertus. 

Deux  jours  après ,  ils  m'apportèrent 
dix  feuilles  de  papier  remiplies  de  tous 
cotez  3  &  ils  me  jurèrent,  qu'ils  avoient 
faccagé  tout  ce  qu'on  peut  trouver  de 
beau  dans  les  caracleres  de  Socrate, 
d'ArilHde,  d'Epaminondas,  deCaton, 
de  Ciceron,  d'Atticus,&  d'autres  grands. 
Noms  difficiles  à  retenir.  Je  croi  pour- 
tant que  ce  font  des  fourbes ,  qui  en  im- 
pofoient  à  mon  ignorance  \  car  ,  quand 
je  me  mis  à  examiiner  leurs  collections, 
je  n'y  vis  rien  que  moi  &  tout  autre  ne 
fuiTions  auiïi  bien  qu'eux:  ce  qui  m.efit 
croire,qu'aulieu  de  piller  les  anciens,mes 
drolles  n'ont  fait  que  copier  ce  que  les 
modernes  difent  unanimiCment  fui'  votre 
A  s  Cha- 


ïo        DEDICACE. 

Chapitre.  De  cette  manière,  MylorJ> 
j'en  tiens  pour  mes  cinq  pifloles  ,  que 
j'ai  debourfées  fans  aucune  utilité. 

Si  encore  en  changeant  le  titre ,  je 
pou  vois  faire  fervir  les  mêmes  m.ate- 
riaux  pour  une  autre  Dédicace,  com- 
me font  fouvent  plufieurs  gens  qui  me 
valent  bien,  ma  perte  feroit  réparable: 
mais  des  gens  fenfez ,  à  qui  j'ai  commu- 
niqué ces  préparatifs ,  y  eurent  à  peine 
jette  ks  yeux,  qu'ils  m'afiiirerent, 
qu'il  n'étoit  pas  faifable  d'appliquer  tout- 
cela  à  tout  autre  qu'à  Votre  Grandeur. 

Je  m'attendois  du  moins  à  y  trou- 
ver quelque  chofe  de  la  conduite  de  Vo- 
tre  Grandeur  à  la  tête  d'une  armée ,  de 
votre  intrépidité  à  monter  une  brèche^ 
eu  à  efcalader  une  muraille  *.  Je  me  flat- 
tois  d'y  voir  votre  illuflre  race  def- 
cendant  en  ligne  direfte  de  la  maifon 

d'Au- 

*  Mylord  Sommers  étoit  un  homme  de: 
Robbc;,  &  par  confequent  de  pareilles  louan-? 
ges  ne  lui  étoient  pas  applicables  :  ainfî ,  l'Au-- 
teur  turlupine  ici  £nement  les  faifeurs  de  Dé- 
dicaces ,  qui  penfent  faire  merv^eillc  en  entaf^- 
{ânt  vertus  fur  vertus ,  fans  fe  donner  la  peine 
de  di-fcerner ,  s'il  y  a  la  moindre  vraiferablance. 
K  les  ajufter  ;-u  caractère  &  à  la  profeflion  de 
leurs  Keros,  &  s'ils  ne  les  tournent  pas  ea  ri- 
dicule )  au  Ji€U  de  le»  Jouer.. 


A  MYLORD  SOMMERS.    u 

d'Autriche  ;  avec  vos  talens  merveil- 
leux pour  rajullement  &  pour  la  danle, 
&  avec  votre  profond  favoir  dans  l'Al- 
gèbre, les  Mathématiques,  &  les  Lan- 
gues Orientales:  en  un  mot,  je  m'atten- 
dois  à  quelque  chofe,  où  ni  moi  ni  le 
public  ne  devions  pas  naturellement 
nous  attendre.  C'efl-là  ce  qui  m'auroit 
accommodé  à  merveille  :  car,  d'aller  jet- 
ter  à  la  tète  des  gens  la  vieille  Hiitoire. 
de  votre  génie,  de  votre  favoir,  de  vo- 
tre fageiTe,  de  votre  juflice,  de  votre 
politefle,  de  votre  candeur,  de  l'éga- 
lité  de  votre  ame  dans  toutes  les  revo- 
lutions différentes  de  la  vie  humaine ,  de 
votre  difcernement  à  déterrer  le  mé- 
rite ,  &  de  votre  promptitude  à  Thono- 
rer  de  vos  bienfaits,  &  mille  autres  lieux 
communs ,  ce  feroit  en  vérité  fe  moquer 
du  monde.  Qiii  peut  ignorer,  qu'il  n'y  a 
point  de  vertu  qui  concerne^  tant  ïa  vie 
pihlique ,  que  la  vie  particulière,  dont 
dans  les  différentes  conjondlures  de  la 
vôtre  vous  n'aïez   donné  de  brillans 
exemples  ?   Il  eft  bien  vrai ,  que  vous 
avez  un  petit  nombre  de  grandes  quali- 
tez,  qui  auroient  été  inconnues  à  vos 
amis ,  faute  d'occaiion  de  paroitre  avec 
éclat  3  mais,  vos  Ennemis  ont  eu  le  ibirt 
A  6  de 


iz         DEDICACE 

deles  étaler,  &  de  les  mettre  dans  leur 
plus  beau  jour,  en  leur  donnant  de  l'e- 
xercice. 

Dans  le  fond ,  je  ferois  bien  fâché  que 
ie  grand  exemple  de  vos  vertus  fut  per- 
du pour  nos  neveux  :  ce  feroit  grand 
dom.mage  pour  eux  &  pour  vous  ^fur- 
tout,  parce  qu'il  feroit  fi  propre  h  fervir 
d'ornement  à  THiftoire  du  =^  dernier  Rè- 
gne :  mais,c'ert  de-là  même  que  je  tire 
une  forte  railbn  pour  garder  là-deffus  le 
filence^  des  gens  fages  m'ont  alTuré 
que  5  du  cours  que  pren oient  les  Dédica- 
ces depuis  quelques  années ,  il  y  auroic 
peu  dliiitoriens  qui  voulufîent  y  aller 
puifer  leurs  caractères. 

Q.uoi  que  je  fois  l'homme  du  monde 
]e  plus  porté  à  approuver  tout ,  il  y  a 
un  feuî  petit  article  fur  lequel  il  me  fem- 
bleque  les  faifeurs  de  Dédicaces  nefe- 
joientpas  mal  de  changer  de  plan.  Au 
lieu  de  nous  étendre  fi  fort  fur  la  géné- 
rofité  de  nos  Mecenas ,  nous  ne  ferions 
pas  mal  de  dire  un  petit  m.ot  de  leur 
patience.  Pour  moi,  je  ne  puis  pas  faire 
un  meilleur  éloge  de  celle  de  Votre 

Gran- 

*  C'eft  le  Règne  de  Guillaume  III.,  fous 
lequel  Mshrd  Sommers  a  joué  un  Rôle  conilde- 
rablc. 


A  MITORD  SOMMERS.    ij 

Grandeur,  qu'en  lui  procurant  un  û 
valte  champ  pour  la  mettre  en  œuvre. 
Je  crains  pourtant ,  que  je  ne  puiffe  pas 
vous  en  faire  un  û  grand  mérite  :  la 
familiarité  que  vous  avez  eue  autrefois 
avec  tant  de  Harangues  ennuïeufes  %  & 
aufïï  inutiles  pour  les  moins  que  la  pre- 
fente  Epitre  ,  vous  rendra  fans  doute 
plus  promt  à  me  la  pardonner  ;  fur-tout , 
Il  vous  voulez  bien  confidérer,  qu'elle, 
vient  de  celui  qui  eil  avec  toute  forte 
de  reipecl,  &  de  vénération, 

M  YL  O  R  D, 

De  Votre  Grandeur^  i^c. 


*  Ce  Seigneur 5  ai'ant  été  Chancelier,  avoit  en- 
tendu dans  la  Chambre  des  Seigneurs  force  Dif- 
cours  5  &  Harangues ,  qui  n  etoient  pas  toutes 
de  la  même  force,  &  de  la  même  utilité. 

A  7  Le^ 


^  Le  Libraire  au  Lefieirr. 

IL  y  a  déjà  fix  ans  que  ces  Ecrits  më 
font  tombez  entre  les  mains  ,  £5?  je 
crois  qu'il  y  avait  alors  à  peu  près  douze 
mois  qu'ils  avaient  été  faits  :  car,  routeur 
nous  dit  dans  la  Préface  qui  précède  le 
premier  'Traité ,  quilTavoit  define  pour 
Vannée  i<^5>7;  i3  il  par  oit  par  differ  ejis 
paffages ,  qu'il  les  a  compojez  environ  dans- 
ce  tems-là. 

Pour  ce  qui  régarde  ï  Aicteur  ,  je  nen 
puis  rien  dire  avec  certitude  \  mais,  je  puis 
avancer  avec  quelque  prohabiiité ,  que  cet^ 
te  Edition  fe  fait  fans  quil  en  fâche  rien  : 
jaiapris^  qu  il  croit  fa  copie  perdue^  l'aiant 
prêtée  à  une  perfonm  ,  qui  e fi  morte  de*- 
puis ,  k3  ne  ïa'iant  jamais  revue ,  depuis 
qu'il  s'en  eft  défaifi.  De  manière  quil  y 
a  grande  aparence,  qu'on  ignorera  toujours 
s'il  y  a  mis  la  dernière  main,  ou  fi fon^ 
intention  a  été  d'en  remplir  les  lacunes. 

Si  je  me  mettois  dans  ïefprit  de  rendre 
compte  au  Le^eur  de  ï jîvanture  qui  m'a 
rendu  poffeffcur  de  ces  Ouvrages,  ce  fié  de 
incrédule  pr endroit  fans  doute  tout  ce  que 
je  pour  ois  dire  là-deffus  pour  un  vrai  jar- 
gon  de  commerce:  il efthon,par conféquent^ 

que 
*  C'eft  le  Librairç  premier  Editeiu:  de  cet 


Le  Libraire  au  Lecïeur.       t^ 

que  'f  épargne  cette  ^eine^  i^  à  moi^  &?  à 
mon  Le^eur, 

On  fera  curieux ,  peut-être ,  de  faz'oîr 
pourquoi  je  nal  pas  plutôt  donné  ces  Ou-* 
vrages  au  public  :  je  réponds^  que  c  eft  pour 
deus  raïfons.  Pre^nierement ,  faî  cru  pen^ 
dant  tout  ce  te/n  s  pouvoir  ni  occuper  d'une 
manière  plus  lucrative  :  en  fécond  liew^/aà 
toujours  efperé  d'entendre  quelque  nouveUe 
de  r  Auteur  ,  i^  de  recevoir  de  fa  part 
quelques  avis  utiles  pour  mon  Edition.  Si 
je  me  fuis  déteryniné  enfin  à  m'' en  pafjW  y 
€*eft  que  j' et  ois  averti  qu  onmenaçoit  jour» 
démentie  public  d'une  certaine  Copie  ^  quun' 
des  plus  beaujc  Efprits  du  fié  de  s' é toit  don^ 
né  la  peine  de  polir ,  ou ,  comme  parlent 
nos  Jouteurs  à  la  mode ,  quil  avoit  accom^^ 
mode  au  goût  de  notre  âge.  NiVe^preJfion^ 
ni  la  chofe  même ,  ne  font  pas  tout-à-fait 
nouvelles  :  on  a  déjà  pratiqué  cette  metho^ 
de  avec  grand  fuccès  à  l  égard  de  Don 
Quichotte ,  de  Boccalini ,  de  la  Bruyère , 
Eff  d'autres  Auteurs  diftinguez,  Quelque 
jolie  que  foit  cette  invention^  fiai  trouvé 
plus  de  franchife  à  donner  l'Ouvrage  ia 
puris  naturalibus. 

Si  quelqu'un  veut  me  prccureY  une  Clef 
propre  à  en  découvrir  les  Mi  fi  ères ,  je  lui 
en  ferai  très-obligé^  ^  je  la  fsrai  impri- 
mer ^vec  plaifir,  EPI- 


16 

E  P  I  T  R  E 

Dedicatoire  à  fon  Alteffe  Royale 
L  E 

""  PRINCE  POSTÉRITÉ. 

J'OfFre  ici  h  Votre  AltefTe  le  fruit  de 
quelques  heures  de  loiHr  dérobées 
aux  occupations  importantes  dont 
m'accable  un  Emploi  fort  éloigné  de 
pareils  A  mufemens.  Cefl  la  pauvre  pro- 
duction d'un  temps  de  rebut  qui  m'a 
peféfur  les  épaules  pendant  une  longue 
Prorogation  du  Parlement,  une  grande 
fterilité  de  nouvelles  étrangères ,  &  une 
ennuieufe  fuite  de  jours  pluvieux.  Pour 
cette  raifon,  &  pour  pluiieurs  autres, 

elle 

*  Comme  les  Anglois  n'cnt  point  de  Genre , 
l'Auteur  donne  à  la  Fojrerite  le  titre  de  Prince. 
La  delicatefTeFrançoifeaimeroit  mieux  Primcffe -^ 
mais,  comme  le  fens  de  ce  mot  n'en  détermine 
point  le  Genre  ,  &  que  ce  qu'on  en  dit  ici  eft 
plutôt  appliquabîe  à  un  Souverain  ,  qu'à  une 
Souveraine,  je  n'ai  rien  changé  a  ce  titre.  J'efpe- 
re  que  leLeéteur  me  le  pardonnera:  lî-non,  je 
m'en  mettrai  fort  peu  en  peine. 


E pitre  Dedkatoîre  i3c,  17 

clic  fe  flatte  démériter  la  protection  de 
Votre  AlteiFe ,  dont  les  vertus  fans  nom- 
bre ,  acquires  dans  un  âge  il  tendre ,  vous 
font  confiderer  des  hommes ,  comme 
l'exemple  futur  de  tous  les  Princes  ave- 
nir. A  peine  Votre  Alteffe  efi:  elle  for- 
tie  du  berceau,  que  déjà  tout  le  monde 
favant  appelle  à  fes  decifions .  avec  la  re- 
fignation  la  plus  humble  &  la  plusfou- 
mife>  perfuadé,que  le  fortvousadefti- 
né  à  être  Tunique  arbitre  des  produc- 
tions d  efprit ,  qui  fourmillent  dans  no- 
tre âge,  cet  âge  11  accomphja  qui  fe- 
diitingue  par  une  fi  grande  politefTe.  Le 
nombre  des  appellans  eit  11  prodigieux, 
qu'il  étonneroit  tout  autre  Juge  d'un 
Génie  plus  limité  que  le  vôtre. 

Mais ,  Monfeigneur ,  il  femble  qu'on 
envie  à  V.  A.  des  decifions  fi  glorieu- 
fes.  Je  fai  de  bonne  part  que  la  perfon- 
ne  =^5  à  qui  on  a  confié  le  foin  de  votre 
éducation ,  a  refolu  de  vous  tenir  dans 
une  ignorance  générale  de  nos  favans 
efforts ,  dont  l'exam.en  vous  appartient 
par  un  droit  héréditaire.  La  HardieiTe 
de  ce  perfonnage  me  paroit  étonnante. 
Quoi  !  II  ofera  vous  perfuader  à  la  face 
du  Soleil,  que  notre  fiecle  eft  plongé 

dans 

*  Le  Tcms. 


l8  Epîre  iJcdicaîoîre 

dans  l'ignorance ,  &  qu'il  a  produit  à 
peine  un  feul  Auteur  dans  quelque  Gen- 
re d'écrire  que  ce  foit?  Je  lai  fort  bien, 
que  quand  Votre  AlteiTe  fera  parvenue 
à  un  âge  plus  meur,  &  qu  elle  parcour- 
ra le  f avoir  de  tous  les  fiecîes  ,  elle  aura 
trop  de  curiofité  pour  ne  pas  s'informer 
des  Auteurs  de  fage  qui  précède  immé- 
diatement le  fien.  Mais ,  qu  arrivera- 
t-il?  Cet  infolent  va  les  réduire,  dans 
le  détail  qu'il  vous  en  prepare  ,  à  un 
nombre  {i  meprifable,  que  j'ai  honte 
de  fexprimer.  Quand  j'y  penfe,  ma 
bile  s'échauffe  ,  mon  zèle  me  ronge  , 
j'en  fuis  au  defefpoir  pour  l'amour  de  ce 
corps  de  Beaux- Efprits  aufîi  vafle  que 
fioriifant  :  je  le  fuis  encor  plus  pour  l'a- 
mour de  moi-même  ,  contre  lequel  il 
nourrit  dans  fon  cœur  des  defleins  d'une 
malignité  toute  particulière. 

Il  eft  affez  vrai- femblable, que  lorfqu'un 
jour  V.  A.  jettera  un  œil  atentif  fur 
ce  que  j'écris  à  prefent,  elle  aura  quel- 
que difpute  avec  fon  *  Gouverneur  , 
fur  la  vérité  de  ce  quej'ofe  affirmer  ici  ; 
&  qu'elle  lui  commandera  d'offrir  à  fes 
yeux  quelques-uns  de  nos  fameux  Ou- 
vrages.    Je  fuis  11  bien  Informé  de  fes 

ma- 


A  S.  A.  R.  le  Prince  Pojlerite.     i^ 

malignes  intentions ,  que  je  fai  d'avance 
ce  qu'il  vous  dira  là-delFus.  Pour  toute 
reponfe ,  il  vous  demandera ,  où  font  ces 
ouvrages,  ce  qu  ils  font  devenus  ;  &, 
en  vous  faifant  voir  qu'ils  n'exifisnt  pluSy 
il  prétendra  vous  démontrer  par-là  qu'ils 
n'ont  jamais  exiflé.  ^i'ils  n'exiftefit 
plus  !  Grand  Dieu  !  Qui  les  a  égarez  ? 
Sont-ils  abimez  dans  des  goufres  impé- 
nétrables ?  Helas  !  ils  avoient  ailez  de 
légèreté  pour  nager  éternellement  fur 
la  furface  de  T  Univers.  A  qui  en  eil  donc 
la  faute ,  fi  non  à  celui  *  qui  leur  a  at- 
taché aux  talons  un  fardeau  affez  pé- 
fant  pour  les  enfoncer  jufqu'au  centre 
de  la  Terre? Leur eifence  mêmeefl-el- 
le  détruite  ?  Ont-ils  été  noiez  dans  des 
potions  Médicinales?  Le  feu  despippes 
allumées  leur  a-t-il  fait  foufrir  le  mar- 
tire  ?  Quel  infolent  les  a  dérobez  aux 
yeux  des  hommes ,  pour  les  faire  périr 
dans  un  réduit  fecret,  au  fervice  d'un 
maître  qui  ne  vit  jamais  la  lumière  du 
jour? 

Il  faut  queje  me  décharge  le  cœur,  & 
que  je  mette  V.  A.  au  fait  de  la  caufe  veri- 
table de  cette  dellru6lion  univerfelle.  Je- 
vous  conjure  de  remarquer  cette  Faux 

lar- 
*  LeTems. 


zo  Epitre  Dedicatoire 

large  &  redoutable ,  dont  votre  Gouver- 
neur affecte  de  s'armer  la  main;  ob- 
fervez ,  je  vous  prie ,  la  longueur,  la  for- 
ce, la  dureté,  &  le  tranchant  de  Tes 
dents  &  de  fes  ongles;  prenez  garde  h 
fon  Haleine  empeilée,  qui  répand  la 
corruption  fur  tout  ;  &  jugez  ,  s'il  eil 
pofïïble  au  papier  &  à  l'ancre  de  cette 
generation ,  de  Ibutenir  un  ficge  contre 
un  ennemi  qui  l'attaque  avec  tant  d'ar- 
mes irrefiftibles ?  Plût  au  Ciel,  Mon- 
feigneur,  que  vous  prifiiez  un  jour  la 
genereufe  réfolution  de  defarmer  ce  fu- 
rieux &  tyrannique  Maire  du  Palais^ài 
que  vous  miffiez  ainii  votre  Souveraine- 
té hors  de  Page. 

Je  n'aurois  jamais  fait ,  fi  je  voulois 
entrer  dans  le  détail  des  mefures  que 
prend  votre  barbare  Gouverneur,  pour 
réuflir  à  détruire  les  plus  nobles  Ecrits 
de  ce  ^iç.q}.'^  \  il  fuffira  de  dire  à  V.  A. , 
que  de  plufieurs  milliers  de  livres ,  qui 
paroilTent  pendant  ime  feule  année  dans 
notre  fameufe  Capitale ,  il  n'y  en  a  pas 
un  dont  on  entende  parler,  après  que 
le  Soleil  a  achevé  fa  carrière  annuelle.': 
Malheureux  Enfans ,  qu'on  voit  périr 
avant  qu'ils  Lient  feulement  afîez  apris 
de  leur  langue  maternelle  pour  implorer 

la 


A  S.  A.  R.  le  Prince  Poftcrlté,     iv 

la  pitié  de  leur  Perfecuteur  !  Il  étouffe 
les  uns  dans  leurs  berceaux,  il  effi-aye 
tellement  les  autres  qu'ils  meurent  dans 
les  couvulfions ,  il  démembre  ceux-ci 
peu  à  peu,  il  écorche  tous  vifs  ceux- 
là  ,  il  en  facrine  des  bandes  entières  à 
Moloch^  &  le  refle  infecté  de  Ton  Ha- 
leine languit  &  meurt  de  Confomtion. 
Ce  qui  me  touche  le  plus  vivement 
dans  ce  malheur  general ,  c'efl  le  fort  du 
corps  de  nos  Verfificateurs ,  de  la  part 
defquels  je  prefenterai  au  premier  jour 
une  Requête  à  Votre  Alteife ,  fignée  de 
cent  trente  fix  Suplians  du  premier 
rang,  dont  pourtant  les  productions 
im^mortelles  ne  feront  peut-être  jamais 
honorées  de  vos  regards.  Le  moindre 
d'entr'eux  ne  laiife  pas  de  briguer  la 
couronne  de  Laurier  avec  autant  d'hu- 
milité ,  que  d'ardeur ,  6c  de  fonder  fes 
pretentions  fur  quelques  volumes  de  fort 
bonne  mine.  En  dépit  d'un  droit  fi. 
bien  fondé,  votre  injufte  Gouverneur  a 
confacré  à  une  mort  inévitable  les  œu- 
vres de  tant  de  perfonnages  illuftres,  ces 
œuvres  dignes  de  braver  la  durée  des 
fiécles;  &  pourquoi?  C'eft uniquement 
pour  faire  accroire  à  Votre  Altefîê,  que 

no- 


it  Epltre  Dcdicatoire 

notre  âge  n'a  pas  donné  naiflance  à  un 
feul  Poète. 

Nous  confefTons  tous,  que  l'Immorta- 
lité ell  une  grande  Déene,  mais,  en 
vain  lui  ofFrons-nous  nos  vœux  &  nos 
iàcrifices.  Votre  Gouverneur,  qui  a 
ufurpé  le  façerdoce  dans  le  temple  de 
cette  Divinité,  auiïl  avide  qu'ambi- 
tieux, les  intercepte  &  les  dévore  tous. 

Affirmer  que  notre  fiécle  efl  abfolu- 
ment  ignorant,  &  deflitué  de  toutes 
fortes  d'Auteurs ,  me  paroit  dans  le  fond 
une  théfe  il  fauiTe  &  il  hardie,  que  je 
m'imagine  quelquefois,  qu'on  peut  faire 
voir  le  contraire  par  des  démonilra- 
tions  formelles.  Il  efl  bien  vrai,  que, 
quoique  leur  nombre  foit  prodigieux, 
&  leurs  produftions  innombrables ,  ils 
diiparoilTent  de  la  Scene  avec  tant  de 
rapidité ,  que  non  feulement  ils  échap- 
pent à  notre  mémoire ,  mais  qu'ils  fem- 
tlent  tromper  nos  yeux. 

Pour  faire  voir  à  V.  A.  jufqu'à  quel 
point  ces  apparitions  font  momenta- 
nées ,  je  lui  dirai  que ,  lorfque  je  pris  le 
defîèin  de  vousadrefferlaprefenteEpi- 
tre,j'avois  envie  de  l'accompagner  d'un 
Catalogue  de  Titres,comme  d'une  preu- 
ve autentique  de  ce  que  je  viens  d'a- 
vancer 


A  S.  J,  R.  le  Prince  Pofterité.     15 

vancer  touchant  nos  Ecrivains ,  &  leurs 
Ouvrages.  J'avois  vu  ces  Titres  fraiche- 
ment  attachez  au  coin  de  chaque  rue  ; 
mais ,  quand  je  revins ,  quelques  heures 
après,  pour  les  copier,  je  les  vis  tous 
déchirez ,  &  leurs  SucceiTeurs  briller  à 
leur  place.  Je  m'informai  de  leurdefli- 
née  chez  les  Libraires ,  &  chez  les  A- 
mateurs  de  la  Lecture  •  mais ,  mes  re- 
cherches furent  vaines  :  la  mémoire  en 
étoit  perdue  parmi  les  homxUies  ;  leur 
place  même  n'étoit  plus  à  trouver.  L'é- 
tonnement,  que  me  donna  ce  Phéno- 
mène, me  fit  pafTer  pour  un  Campa- 
gnard, ou  pour  un  Pedant  deilitué  de 
gout  &  de  politefTe,  &  peu  verfédans 
tout  ce  qui  fe  pafTe  dans  les  meilleures 
Compagnies  de  laCour&delaVille. 

Conformément  à  cette  trille  expe- 
rience, je  puis  bien  allurer  à  V.  A., 
qu'il  y  a  parmi  nous  de  l'eiprit  &  du 
fa  voir  copieufement  -,  mais,  pour  le  prou- 
ver en  détail  ,  c'ell  une  entrepriie 
trop  fcabreufe  pour  une  capacité  auiîi 
mince  que  la  mienne. 

Permettez-moi ,  Monfeigneur,  d'é- 
claircir  ce  que  je  viens  de  dire  par  une 
comparaifon.  Si,  pendant  un  temps  ora- 
geux, j'oièfoutenir  à  Votre  Altefle, 

que 


24  Efitre  Dedicatoîre 

que  près  de  l'Horizon  il  y  a  un  grand 
nuage  de  la  figure  d'un  ours ,  un  au- 
tre vers  le  Zenith  avec  une  tête  d'ane , 
un  troifiéme  vers  l'Occident  avec  des 
griffes  de  Dragon  ;  &  fi  vous  attendez 
feulement  un  petit  nombre  de  minutes 
à  en  examiner  la  vérité  :  il  efl  certain, 
que  tout  ce  que  je  viens  de  voir  fera 
changé  de  figure  &  de  pofition.  De 
nouveaux  nuages  fe  feront  levez;  &;la 
feule  chofe,  fur  laquelle  vous  convien- 
drez avec  moi  ,  c'efl  que  le  ciel  efl 
couvert  de  nuées  :  mais ,  vous  foutien- 
drez,que  je  me  fuis  mépris  groifierement 
par  rapport  à  leur  forme,  &  h  leur  ^i- 
tuation.  Quoique  cette  preuve  doive 
être  fufïifante  pour  fermer  la  bouche  à 
Votre  Gouverneur,  je  prévois  pourtant, 
qu'il  infillera  ,  &  qu'il  vous  preiTcra  de 
nouveau,  Qu'eft  devenu  donc  ,  vous 
demandera-t-il,  la  quantité  terrible  de 
papier ,  qui  doit  avoir  été  employé  dans 
un  fi  grand  nombre  de  volumes?  O- 
dieufe  difficulté,  à  laquelle  je  ne  fai 
comment  répondre.  Il  y  a  trop  de  dif. 
tance  entre  Votre  Altefie&moi,  pour 
vous  envo]  er ,  comme  témoin  oculaire,  à 
des  Fours ,  6c  cà  certains  endroits  les  plus' 
xiecefTaires  &,  \^^  moins  refpeétez  des 

mai- 


A  S.  J.  R.  le  Prince  Pojïerlté,    i% 

maifons.  Prérenterai-je  à  vos  yeux  quel- 
ques lanternes  crafieafes,  ou  les  fenê- 
tres de  quelque  faîe  temple  de  Venus  ? 
Les  livres,  Monfeigneur,  reflemblenu 
à  leurs  Auteurs  :  ils  n'ont  qu'un  feul  che- 
min pour  entrer  au  monde  -,  mais ,  ils  en 
ont  dix  mille  pour  en  foriir,  &  pour 
n'y  retourner  plus. 

Je  protefle  à  Votre  AltefTe ,  dans  l'in- 
tégrité de  mon  cœur  ,  que  ce  que  je 
vais  dire  à  prelent  eit  vrai  à  la  lettre, 
dans  l'initant  môme  que  j'écris  ceci. 
Pour  les  cataflrophes  qui  peuvent  arri- 
ver avant  qu'il  foit  en  état  d'être  lu, 
je  ne  fuis  garant  de  rien.  Je  vousfup- 
plie  pourtant  de  l'agréer  comme  un 
échantillon  de  notre  érudition,  de  no- 
tre génie ,  &  de  notre  politefle. 

Je  vous  afliire  donc  en  homm.e  d'hon-  - 
neur  ,  qu'aéluellem.ent  il  exiile  dans 
notre  Capitale  un  homme  nommé  Jeaii 
Drydcn ,  qui  a  fait  imprimer  depuis  peu 
une  traduction  de  /^/r^/7r,info}.,  bien  re- 
liée ^  &  fi  f  on  en  '  ouloit  faire  une  exafte 
recherche,  je  crois  qu'à  fheure  qu'il  efl 
on  pourroit  encore  parvenir  à  la  voir. 
11  y  en  a  encore  un  autre  intitulé  Nahum 
*i"ate ,  qui  eil  tout  prêt  à  declarer  fous 

T'orne  L  B  fer-» 

*  Nom  d'un  Potte. 


z6  Efitrc  Dedkatoire 

ferment,  qu'il  a  donné  au  public  pki- 
fieurs  rames  de  papiers  tous  chargez  de 
vers,  dont  &  l'Auteur  &  le  Libraire 
font  encore  en  état  de  produire  quelques 
copies  autentiques;  ce  qui  prouve  la 
malignité  du  monde ,  qui  fembie  faire 
un  fecrèt  de  toute  cette  affaire.  Il  y  en 
a  un  troifiéme  connu  fous  le  nom  de 
'Thomas  d'Urfey  ^  Poëte  d'une  capacité 
vafte ,  d'une  érudition  immenfe ,  &  d'un 
Génie  univerlel.  Je  connois  encore  un 
certain  Rymer ,  &  un  certain  Dennh , 
tous  deux  Critiques  d'une  grande  Pro- 
fondeur. Jaurois  tort  d'oublier  le  Doc- 
teur Bentley ,  qui  a  écrit  près  de  ^  mille 
pages  d'un  favoir  infini ,  pour  nous  doi\- 
ner  une  idée  veritable  &  exa6le  d'une 
certaine  Querelle  de  très-grande  impor- 
tance ,  qu'il  a  eue  avec  un  Libraire. 
C  eii;  un  Auteur  d'un  efprit  auiïï  fubli- 
me  qu'agréable  \  le  premier  homme 
du  monde ,  pour  la  fine  plaifanterie ,  & 
pour  les  faillies  vives. 

Je  puis  protefter  encore  à  V.  A.  que 
j'ai  vu,  mais  vu  de  mes  propres  yeux, 
!a  perionne  de  Guillaume  IVotton,  qui 

a 

*  L'Ouvrage  de  Bentley  fur  les  Epitres  dePhf 
laris» 


A  S.  J.  R.  le  Prince  Pûjlcrité.     £7 

a  fait  un  volume  *=  de  fort  belle  taille 
contre  une  des  grandest  Amies  de  Votre 
Gouverneur,  duquel  pour  cette  raifon 
il  ne  doit  pas  attendre  la  moindre  gra- 
ce. Il  cil  vrai ,  qu'il  s'y  efl  pris  de  la  ma- 
nière la  plus  civile,  la  plus  polie,  la 
plus  galante,  la  plus  digne  d'un  Gen- 
tilhomme. D'ailleurs ,  tout  cet  Ouvrage 
eft  rempli  de  découvertes,  aulTi  eftima- 
bles  pour  leur  nouveauté,  que  pour  leur 
utilité:  il  efl  embelli  &  relevé  par  des 
traits  defp rit  fi  vifs ,  iipiquans,  fi  con- 
venables au  fujèt,  qu'on  lui  feroit  tort 
de  ne  le  pas  confiderer  comme  feul  di- 
gne de  faire  un  attellp.ge  avec  le  vene- 
rable Dofteur  dont  je  viens  de  parler. 

Si  je  voulois  entrer  dans  un  plus  grand 
detail ,  je  pourrois  charger  un  volume 
entier  d  éloges  dûs  à  mes  illuftres  con- 
temporains. J'ai  entrepris  de  leur  ren- 
dre cette  jullice  dans  un  §  Ouvrage  de 
plus  longue  haleine,  où  j'ai  réfolu  de 
tracer  le  cara6t:ere  de  toute  la  bande  de 
nos  beaux  efpriis:  j'y  dépeindrai  leur 

fia;u- 

*  Re£exions  fur  le  Savoir  ancien  d  moder- 
ne. 

f  L'Antiquité. 

$  Voyez,  h  Catalogue  aui  precede  le  T/tre, 

B  z 


i8  Epitre  Bedicatolre, 

Figure  en  grand ,  &  leurs  Génies  en 
mignature. 

En  attendant,  je  prens  ici  la  liardiefTe, 
INlonfeigneur ,  d'offrir  à  V.  A.  un  extrait 
fidelle ,  tiré  du  corps  univerfel  de  tous 
les  Arts,  &  de  toutes  les  Sciences;  & 
je  le  delline  entièrement  à  votre  diver- 
tiilement,  &  à  votre  inllruclion.  Je 
ne  doute  en  aucune  manière,  que  Votre 
Altelie  n'en  fafie  le  même  ufage,  &  n'en 
tire  les  mêmes  fruits  confiderables ,  que 
plufieurs  jeunes  Princes  de  notre  Age 
ont  tiré  d'un  grand  nombre  de  volu- 
mes faits  exprès  pour  faciliter  leurs  étu- 
des ^, 

Puiffe  V.  A,  avancer  en  fa  voir  &  en 
vertu ,  comme  elle  avance  en  âge  >  puif. 
*fe-t-elle  effacer  un  jour  la  reputation  de 
fes  Augulles  Ancêtres.  Ce  font  les 
vœux  ardens  &  continuels  de  celui 
qui  fe  fera  toujours  une  gloire  d'être , 

JMONSEIGNEUR, 

De  votre  AlteiTe  ,  &c. 

Pecemb.  1^97? 

*  Les  Auteurs  Clafllqucs  in  Vfum  DeJ^hmL 

L  A 


^9 

^**^  <♦*-«  -V-^  i*.**-  -^^  iv\*«  ^j^  -f  ♦**  ^/-t  i>*f«  "k***^ 
»tM-^<^  '-F%l-<^v,^  '«%^^*V>  'tVS-c^v^  ';*^^>j<*  j--i^ 

PREFACE. 

LES  Beauzv^-Efprits  de  notre  Age 
étant  fort  remarquables,  parleur 
nombre  &  par  leur  pénétration  ,  ils 
commencent  h  caufer  des  frayeurs  mor- 
telles aux  Matiadors  de  l'Etat,  &  de 
l'Eglile.  Ces  homimes  vénérables  tremi- 
blent  à  lu  feule  idée  que  leurs  fpirituels 
ennemis  pourroient  bien  emploïer  le 
loifir  d'une  longue  paix  à  faire  des  brè- 
ches dans  les  endroits  foibles  de  la  Re- 
ligion 6c  de  la  Politique.  Après  avoir 
médité  long-tenis  fur  les  moiens  de 
prévenir  ces  delleins  dangereux,  d'é 
rnouiler  les  curieufes  recherches  de  ces 
ennemis  publics,  (Se  de  les  détourner  d'u- 
ne m.atiere  il  delicate ,  ils  fe  font  arrêtez 
unanimement  à  un  projet  dont  l'exécu- 
tion coûtera  beaucoup  de  temps  &  de 
peines.  Le  danger  cependant  s'aug* 
mente  d'heure  en  heure  j  6c  il  y  atout  à 
craindre  des  nouvelles  recrues  de  beaux 
efprits ,  tous  équipez  d'encre ,  de  papier, 
6c  de  plumes,  &  prêts  à  paroitre  en 
bataille,  aupremier  ordre,  avec  leurs 
B  X  ar- 


50        PREFACE. 

armes  oiFenfives,  dans  la  vafte  Cam^ 
\:>:ignedes  Brochures.  Parconfequent,ce 
2i'ell;  pas  fans  raifon  qu'on  a  jugé  abib- 
lument  neceflaire  de  fe  lervir  de  queîc^ue 
promt  expédient ,  en  attendant  que  la 
grande  entreprife,  dont  je  viens  dépar- 
ier, foit  en  état  d'être  exécutée. 

11  y  a  quelques  joui*s,  que  dans  un  grand 
Commtne  ou  l'on  déliberoit  fur  ce  mjet , 
un  homm.e  d'un  efprit  très-fubtil  re- 
marqua que  c'elt  une  coutume  parmi 
\^s  gens  de  Mer,  quand  ils  rencontrent 
une  Baleine,  de  lui  letter  un  Tonneau 
vuidcjpour  f  amufer  &  pour  la  détourner 
d'attaquer  le  vaiiTeau  même.  On  femic 
d'abord  à  interpreter  cette  Parabole. 
Par  laBaleine.on  entendit  le  *  Leviathan 
ile  Hchbes^  qui  fe  plait  à  fecoiier  &  à 
ballotter  tous  les  Syftêmies  de  Religion , 
dont  il  y  a  plufieurs  qui  font  fees  , 
creux,  fujèts  à  corruption,  &  qui  font 
d'autant  plus  de  bruit,  qu'ils  fontvui- 
des.  Cell  de  ce  jL:v'/^//^^//;,  qu'on  dit 
ique  nos  redoutables  génies  empruntent 
la  plupart  de  leurs  armes  pernicieufes. 
Le  VaiiTeau  paffa,  comme  il  eft  naturel , 

pour 

*  Livre  très-cfl:-mé  de  plufieurs  perfonnes^^ 

mais  cui  paroit  trç.î-daî:igereirx  a  d'autres. 


PREFACE.  ?i 

pour  le  type  de  la  Société  civile.  La 
grande  difficulté  fut  de  donner  un  fens 
Julie  d.ii'Tomîeau -^mms^  après  un  long  dé- 
bat, il  fut  refoîu  de  leconfeiver  dans  le 
fens  literal  >  & ,  pour  empêcher  nos  Le- 
viathans d'aujourd'hui  de  balotter  la  So- 
ciété humaine,  qui  d'elle  mêm.e  n eft 
que  trop  fujette  k  voguer  fans  rames  & 
fans  voiles,  on  décréta,  qu'il falloit  les 
amuferparun  Conte  du  Tonneau.  On 
me  fit  l'honneur  de  m'en  donner  la  com- 
mifiion^comme  ayant,  pour  m'en  acquit- 
ter, des  diipoiitions  paflablementheu- 
reufes. 

C'cil  dans  cette  vue,  que  je  donne  au 
Public  le  Traité  fuivant,  qui  pourra  fer- 
vir,  pRviriterm,  de  jouet  à  notre  bande 
quiète  de  Beaux-Elprits,  en  attendant 
qu'on  mette  la  dernière  main  h  notre 
grand  Ouvrage,  fur  lequel  il  eil;  bon  de 
donner  ici  enpaiTant  quelques  lumières 
au  Lecleiu*  bénévole. 

*  Notre  intention  efî  d'ériger   un 

grand  College,  capable  de  contenir  neuf 

B  4  mil- 

*  L'intention  de  l'Auteur  eft  ici  de  dépeindre 
rignorance  ,  &  les  mau'aifr^s  mœurs,  des  petits- 
maîtres  Anglois,  qui  ne  laifTent  pas  de  ù  mêler 
de  décider  étourdiment  des  matières  les  pl\ii 
graves. 


qz         PREFACE. 


mille  fept  cens  &  quarante  quatre  per- 
fonnes^  ce  qui,  par  un  calcul  modefle, 
monte  à  peu  près  au  nombre  courant 
desBeanx-Gémes  de  notre  Ile.  Ils  doi- 
vent être  partagez  dans  dijfferentes  clai- 
feS;  felon  leur  diE^erent  tour  d'elprit. 
L'entrepreneur  lui-même  en  doit  don- 
ner au  premier  jour  unplanexaél,  au- 
quel je  renvoïe  le  Ledteur  curieux  ;  me 
contenant  de  lui  donner  ici  une  foible 
idée  d'un  petit  nombre  des  claiTes  prin- 
cipales. Telles  font:  unegrande  ClafPv;; 
Pederajllque  ^  diri^^ée  par  des  maîtres  de 
Jangue  François  oc  Italiens  j  Ja  Clajfe 
pour  apprendre  à  épsïler  ^  vaiileau  d'une 
étendue  prodigieufe  ^  h  Claffe  des  Lu^ 
nettes  \  U  Clajje  des  Jiiremens  ;  la  Clajfe- 
(le  la  Critique  ;  la  Clajff}  de  la  Salrùation^ 
la  Claffe  de  la  Science  d'aller  à  che^valfur 
an  BatoTi  >  la  Claffe  de  la  Poefie  \  la  Claffe 
de  VArî  de  foeîer  le  Sabot  ;  la  Claffe  de 
THypccondre\  la  Claffe  du  Jeu\  &  un 
grand  nombreid'autres,dont  la  lifie  pour^ 
roit  devenir  ennuieule.  Perfonne  ne 
fera  admis  comme  membre  de  ce  Col- 
lege, fans  apporter  un  Certificat  de  Bel- 
Efprit,  figné  par  deuxperfonnes  capa- 
bles d'en  juger,  ô:  à  ce  commifes. 


P  R  E  F  x\  C  E.         3J 

II  efl  temps  de  finir  cette  parenthefe, 
pour  revenir  au  but  principal  de  ma 
Préface. 

Je  puis  dire  fans  vanité,  qu'unePré- 
face  ell:  une  piece  d'efprit  dont  je  con- 
nois  fort  bien  le  point  de  perfe6lion  : 
plût  au  ciel ,  que  j'eulle  aflez  d'habileté 
pour  y  arriver.  Trois  fois  j'ai  mis  mon 
imagination  à  la  gène,  pour  en  faire  une, 
dont  le  tour  fut  de  mon  invention  ^  & 
trois  fois  mes  efforts  ont  été  infru6lueux. 
Je  ne  m'en  étonne  point  :  mon  génie  a 
été  mis  à  fee  par  le  Traité  même  que  je 
publie  ici. 

11  n'en  efl  pas  ainfi  de  m.es  féconds 
Confreres  les  Modernes,  quinefe  laif^ 
fent  jamais  échapper  une  Preface ,  ou 
une  Epitre  Dedicatoire ,  fans  la  diilin- 
guer  par  queique  trait  propre  à  étonner 
le  Leéleur  à  l'entrée  de  l'Ouvrage,  ôck 
exciter  en  lui  ime  impatience  m^erveil- 
leufe  pour  ce  qui  va  liiivre.  Tel  était 
ce  coup  de  maître  d'un  Poète  fort  in- 
génieux, qui,  pour  ne  rien  dire  de  com- 
mun ,  fe  compare  lui-même  au  Boureau, 
&  fcn  Mecenas  au  Criminel.  Voilà  ce 
qui  s'appelle  injlgne  ^  rccens^  ùuiiûum 
me  ^.liênv. 


54         PREFACE. 

Rare  £5?  fuhllme  effort  cYune  ïmaginatl'be , 
^l  ne  h  cede  en  rien  à  perfonne  qui  vive,- 
Dans  mon  Cotirs  de  Prefaces  que 
j'ai  fait,  cours  aufTi  noble  qu'utile,  j'ai 
remarqué  plufieurs  traits  de  la  même 
force.  Je  ne  ferai  pas  Faifront  aux  Au- 
teurs de  tirer  ces  traits  de  leur  place , 
afin  de  \ts  inférer  ici  ;  je  fai  trop ,  que 
rien  n'efl  plus  délicat,  &  moins  capa- 
ble defoufrir  le  tranfport,  qu'un  bon-mot 
à  la  moderne. 

Il  y  a  des  chofes  qui  font  infiniment 
ipirituelles  aujourd'hui^  ou  à  jeun ,  ou 
dans  un  tel  lieu ,  ou  ^  huit  heures ,  ou 
entre  la  poire  i^  le  fromage^  ou  dites  -par 
Alonfieur  un  tel^  ou  dans  une  matinée 
d'Eté\  qui  font  anéanties ,  par  le  m^oin- 
dre  changement  de  fituation,  ou  d'ap- 
plication. Cell  ainfi  que  l'eiprit  a  fes 
promenades  limitées ,  dont  il  ne  fauroit 
s'éloigner  de  répaiffeur  d'un  cheveu, 
fans  courir  rifque  de  fe  perdre  abfolu- 
ment.  Nos  Modernes  ont  trouvé  l'art  de 
fixer  ce  Mercure,  en  l'attachant  aux 
tems,  aux  lieux,  &  aux  peribnnes.  Il  y  a 
tel  trait  d'efprit,  qui  ne  fauroit  fortir  dans 
fK)n  entier  de  la  place  de  ^  Covent-gar- 

din-, 
*  Marché  dans  la  VilU  4e  Londres, 


PREFACE,  ^j- 

den  :  il  y  en  a  tel ,  qui  n'eft  intiîîigible 
que  dans  un  coin  de  Hide-park  * 

J'avoue  que  je  fuis  quelquefois  tou^ 
ché  d'une  douleur  fincere ,  en  fongeane 
que  tant  de  pajfages  affaifonnez  par  la 
mode^  auxquels  je  vais  donner  Peiîbrc 
dans  mon  Ouvrage,  feront  hors  de 
vogue ,  au  premier  changement  de  dé-» 
corations.  Je  fuis  pourtant  trop  fince- 
re, pour  ne  pas  approuver  ce  gout  de 
notre  âge  :  je  voudrois  bien  favoir  pour- 
quoi nous  nous  mettrions  en  frais,  pour 
fournir  d  efprit  les  fiécles  futurs  :  puif« 
que  les  précédens  n'ont  pas  fongé  à 
faire  de  pareilles  provifions  pour  nous. 
Du  moins,  c'efl-là  mon  fcntimenc,  parce 
quec'efl  celui  de  nos  Critiques  les  plus 
modernes ,  &  par  confequent  les  plus 
orthodoxes. 

L'envie  cependant  que  j'ai ,  que  tou- 
tes les  pcrfonnes  accomplies ,  qui  one 
acquis  une  part  dans  le  gout  qui  doit 
avoir  cours  dans  le  prefentmois  d'Août 
id5?7. ,  puiiîent  pénétrer  jufqu'au  f-ivd 
du  fublime,  qui  règne  dans  tout  mon 
Ouvrage ,  m'obli2:e  d'établir  ici  en  leur 
"B  6  fa- 

*  C'eft  îe  Cours ,  où  les  gens  ce  qualité  fc 
promener.t  en  Carofte,  dans  les  mêmes  YUiiS  qu'en 
ic  fait  par  ttut  ailleurs. 


?5          PREFACE. 

faveur  la  maxime  générale  que  volcî. 
Tout  Lecteur,  qui  fouhaite  d'entrer 
comme  il  faut  dans  les  penfées  d'un  Au* 
teur5ne  fauroit  mieux  faire,  que  dele  pla- 
cer dans  lafituarion  oufe  trùuvoit  l'Au- 
teur lui-même  à  mefure  que  chaque  paf- 
fageimportantcouloit  de  fa  plume.  Rien 
neftplu3  propre  que  cette  méthode  à 
iier  l'Auteur  &  le  Lecteur  par  une  cor- 
refpondance  exacte  d'idées.  Pour  faci- 
liter au  public  cette  méthode  û  delica- 
te, autant  que  les  bornes  d'une  Préfa- 
ce le  peuvent  permettre.  Je  lui  dira 
i^'abord,  que  les  Pieces  les  plus  rafinées 
de  mon  Traité  ont  été  miifes  au  monde 
dans  un  lit  placé  dans  un  Galetas.  11 
faura encore  que,  pour  des  raifonsque 
je  trouve  bon  de  garder  par  devers  moi, 
j'ai  jugé  à  propos  d'éguiferfouvent  mon 
génie  par  la  faim  ^  &,  que  tout  l'Ouvra- 
ge a  été  commencé,  continué,  &  fini 
pendant  un  long  Cours  de  Médecine,  & 
une  grande  difctte  d'argent. 

11  faut,  par  confequent,  que  leLefteur 
bénévole,  s'il  veut  pénétrer  dans  un 
grand  nombre  de  mes  plus  brillantes 
penfées,  s'en  rende  l'entrée  facile,  en 
s'y  préparant  ducment  felon  les  inllruc- 
tions  que  je  viens  de  lui  donner.  C'ell-là 
mon  principal  PoJIîilaium^  Com- 


PREFACE.  ?7 

Comme  je  fais  profefTion  de  m'ac- 
commoder  en  tout  au  gout  des  Moder- 
nes, j'ai  grand' peur  qu'on  ne  me  repro- 
che d'avoir  poufle  ma  Préface  il  loin, 
fans  déclam_cr,  felon  la  coutume,  contre 
cette  multitude  d'Ecrivains ,  de  laquelle 
toute  la  multitude  des  Ecrivains  fe  plaint 
avec  tant  de  raifon.  Je  viens  juilement 
de  parcourir  une  centaine  de  Préfaces , 
qui,  ^ès  l'entrée,  adreflent  au  public  leur 
jufles  plaintes  fur  un  defordre  fi  criant. 
J'en  ai  retenu  un  petit  nombre  d'exem- 
ples,que  je  vaiexpofèr  aux  yeux  du  Lec- 
teur avec  toute  Fexaélitude,  que  ma 
mémoire  me  voudra  permettre.  Une 
de  ces  Préface  commence  ainfi  : 

Se  mettre  dans  Vefprit  d'être  Auteur  ^ 
dans  un  temps  ou  la  PreJJe  four  mille  y  (Se 

Une  autre, 

La  taxe  qtCcn  a  mife  fur  le  papier  ne 
diminue  pas  le  nombre  des  petits  Ecrivains 
qui  infèrent  y  (sfc. 

Une  autre, 

^and  chaque  Garçon  Bel-Esprit- 
B  7  prend 


3^5  P  R  E  F  ACE, 

prend  la  plume  en  main,    U  eft  ridicule 
d'entrer  dam  k  Catalogue ,  i^ç. 

Une  autre , 

LorfqiiOn  remarque  quelle  Friperie  acca- 
hie  à  préfent  la  PreJ/e ,  i^c. 

Une  autre, 

Monfteur , 

Ceft  uniquement  pour  obéir  à  vos  ordres^ 
que  je  me  fais  imprimer.  A  moins  d'une 
raifon  de  cette  force ,  qui  voudrcitfe  met" 
fre  au  niveau  de  cette  Populace  de  petits 
Auteurs^  l§c. 

J'avoue*  que  Tobjeclion ,  qu'une  cou- 
tume il  bien  établie  fournit  contre  moi , 
efl  forte.  On  me  permettra  pourtant 
d'y  répondre  en  deux  mots.  Première- 
ment, je  fuis  fort  éloigné  de  croire ,  que 
le  nombre  des  Auteurs  fbit  préjudicia- 
ble à  notre  Nation  ;  &  je  crois  avoir 
vigoureusement  plaidé  pour  le  contraire 
dans  plulleurs  endroits  de  monOuvrage. 
En  fécond  lieu,  je  ne  comprens  pas 
trop  bien  le  procédé  qu'on  veut  me  don- 
ner pour  mo délie.    J'ai  obfervé  qu'un 

bon 


PREFACE.         5P 

bon  nombre  de  ces  Préfaces  polies  font 
de  la  même  main ,  &  quelles  font  com- 
pofées  juflement  par  ceux-là ,  qui  acca- 
blent le  public  par  les  produ6lions  les 
plus  z'oîumineufes.  Le  Lecteur  ne  trou- 
vera pas  mauvais,  j'efpere,  que  je  lui 
débite  là-delTus  un  petit  Conte. 

Un  Charlatan,  s'étant  poflé  dans  la 
Place  nommée  Leicefter-fields ,  avoit  at- 
tiré autour  de  lui  une  AiTemblée  des  plus 
nombreufes.  Un  de  ceux  qui  la  com- 
pofoient  étoit  un  gros  drolle,  qui.  étoic 
prefque  étouffé  par  la  preife.  11  s'écrioit 
à  tout  moment,  Bon  Dieu/  quelle  chien^ 
ne  de  canaille  s^eft  attroupée  ici?  Ehy 
je  'VOUS  prie ,  bonnes  gens ,  faites  un  peu  de 
place,  ^el  Diable  peut  avoir  mis  enfem-- 
hle  cette  populace  ahonimahle  ?  Au  Diable 
[oient  les  marauts ,  ajd  mepreffent  de  cette 
force  ?  Homme  de  bien ,  au  7wm  du  Sei- 
gneur ,  ôtez  de-là  votre  coude.  Un  Tiffe- 
ran ,  qui  ie  trouvoit  tout  près  de  cet 
animal  plaintif,  n'étant  à  la  fin  plus 
maître  de  fon  indignation  ,  &  le  re- 
gardant de  travers  :  ^ue  la  pejfe  vous 
crève  ,  dit-il ,  B<£uf  engraiffé  que  vous 
êtes.  Dites-nous  ,  au  nom  du  Diable  , 
qui  d'entre  nous  tous  contribue  autant  à 
hpre£eque  vous?  Ne  voyez-vous  pas  que 

votre 


40         PREFACE. 

'•^oire  chienne  de  Figure  prend  plus  déplace 
que  cinq  autres  ?  La  place  n'eft-elle  pas 
autant  à  mus  quà  votre  bedaine  ?  Met- 
tez vos  diables  d'inteftins  dans  une  efpa- 
ce  raifonnable  ^  ^  il  y  aura  place  pour 
nous  tous. 

En  voilà  bien  afTez  fur  ce  fujet. 

Il  me  relie  encor  à  avertir  mes  Lec- 
teurs, qu'il  y  a  certains  privileges  com- 
muns à  tous  les  Ecrivains,  donc  je  me 
flatte  qu'on  me  laiiTera  jouir  en  repos. 
Une  de  ces  prerogatives  veut  que  dans 
les  endroits ,  où  l'on  ne  m'entendra  pas , 
on  fuppofera  qu'il  y  a  quelque  chofe 
de  profond  &  d'utile ,  caché  fous  ces  té- 
nèbres :  une  autre  ,  que  tout  ce  qu'on 
verra  en  lettres  italiques  fera  cenfé 
contenir  quelque  chofe  d'extraordinai- 
re ,  ou  dans  le  genre  fleuri  y  ou  dans 
le  genre  fublime. 

Pour  ce  qui  regarde  la  Liberté  que  j'ai 
cru  pouvoir  prendre  quelque  fois  de  me 
louer  moi-même,  il  nefl  pas  necefîai- 
re  de  l'excufer;  puifque  cette  pratique 
eft  fondée  fur  l'autorité  fuffifante  d  un 
grand  nombre  d'illuftres  exemples. 

Je  dois  remarquer,  qu'anciennement 
FEloge  étoit  unePénfion,  qu'on  rece- 

voit 


PREFACE.         41 

voit  de  la  main  du  public  ;  mais,  les  Mo- 
dernes, voïânt  quil  y  avoir  trop  de  pei- 
ne à  la  recueillir,  ont  depuis  peu  pris 
Higement  le  parti  d'acheter  le  F/ef  tout 
entier.  Depuis  ce  tems ,  ils  en  pofle- 
dent  le  domaine  a  pur  &  à  plein  ,  & 
ils  jouïfTent  du  revenu  ,  comme  ils  le 
trouvent  à  propos.  C'efl  pour  cette 
raifon ,  que  quand  un  Auteur  fait  fon 
propre  Paneg3'rique,  il  fe  fert  d'une  ef- 
pece  de  formulaire  ^v^r  lequel  il  decla- 
re le  droit  qu'il  a  d'en  ufer  ainfi ,  ôc  qui 
confilte  d'ordinaire  dans  ces  paroles  , 
je  parle  fans  'vanité.  Ce  qui  marque 
clairement,  qu'il  fe  croit  autorifé  par 
quelque  autre  titre  que  r amour -propre. 
Comme  la  repetition  de  ce  formitlairç 
pourroit  être  ennuieufe  à  la  fin,  j'aver- 
tis ici  une  fois  pour  toutes ,  que  dans 
toutes  les  occafions  où  je  rends  juflice 
à  mes  propres  talens,  ledit  formulaire 
efl  fous-enténdu. 

Je  fens  ma  confcience  fort  au  hrge 
de  ce  que ,  dans  tout  le  cours  d'un  Traité 
fi  travaillé  &  fi  utile ,  je  n'ai  pas  donné 
l'effor  au  moindre  petit  trait  de  Satire; 
ce  qui  elt  l'unique  article ,  fur  lequel  je 
me  fuis  hazardé  à  m'éloigner  des  fa- 
meux modelles ,  que  ma  Patrie  a.produits 

dan^ 


4t         PREFACE. 

dans  notre  age.  J'ai  obfervé ,  que  quel- 
ques efprits  fatiriques  agiflent  avec  te 
public  de  la  même  manière,  qu'un  maî- 
tre d'école  traite  un  méchant  garçon 
qu'il  vient  fraichement  de  foéter  pour 
le  rendre  meilleur.  11  comm.ence  par  lui 
mettre  devant  les  jeux  toutes  les  parti- 
cularitez  du  cas,  qui  ell:  le  motif  delà 
corre6iion  :  il  s'étend  eniuite  far  la  ne- 
ceiïité  du  châtiment-,  &  il  finit  chaque 
période  par  un  bon  coup  de  verges. 

Si  j'entens  quelque  chofe  dans  les 
îiiFaires  de  ce  Monde  ,nos  Cenfcirs  Fe- 
roient  fort  bien  de  s'épargner  la  peine 
de  donner  tant  de  coups  de  fouet  inutile- 
ment. Il  n'y  a  pas  dans  toute  la  natu- 
re un  membre  plus  dur,  ù.  plus  couvert 
d'un  calus  impénétrable,  que  les  parties 
poflerieures  du  public,  qui  font  égale- 
ment infenfibles,  foit  qu'on  les  attaque 
à  coups  de  pied  ou  à  coups  de  verges. 
D'ailleurs,  plufieurs  de  nos  Satiriques  me 
paroiflent  être  dans  une  grande  erreur, 
en  s'imaginant,  que,  parce  que  les  orties 
piquent,  toutes  les  autres  mauvaifes  her- 
bes doivent  avoir  la  même  propriété. 
Cette  comparaifon  ne  tend  en  aucune 
manière  à  diminuer  l'opinion,  qu'on 
doit  avoir  du  mérite  de  ce  dignes  Au- 
teurs ^ 


PREFACE.         4} 

teurs;  car,  cell  une  chofe  trcs-conniië 
parmi  les  Naturalilles,  que  les  mauvaifes 
herbes  ont  la  prééminence  fur  tous  les 
végétaux.  Celt  pourquoi  le  premier  ^ 
■Monarque  de  toute  notre  Ile,  dont  le 
gout  étoit  i\  fubtii  &.  ii  rafmé ,  fit  très- 
fagement,  en  ôtant  la  Rofe  du  Collier 
de  notre  Ordre,  pour  mettre  le  Chardoii 
h  la  place.  De-là  de  profonds  Antiquai- 
res ont  conjecturé,  que  la  démangeai- 
fon  fatyrique ,  qui  s'étend  fi  fort  parmi 
nous,  nous  eft  venue  du  Nord  deTHe. 
Puilfe-t-elle  fleurir  long-temps  ici  ;  puii^ 
lè-t-elle  regarder  de  haut  en  bas  le  mé* 
pris  des  hom.mes,  &  égaler  fon  dédain 
pour  le  public  à  finfenfibilité  qu'il  a  pour 
fes  plus  rudes  coups  j  que  fà  propre  Itu- 
pidité,  ni  celle  defespai*tifans,ne  l'em- 
pêche pas  de  pouffer  fes  généreux  def^ 
feins  ^  &  qu'elle  fe  fouvienne  toujours 
qu'il  en  ell  de  l'efprit  comme  d'un  razoir, 
qui  n'efl  jamais  fi  propre  à  faire  des  bala- 
fres ,  que  quand  il  a  perdu  fon  tranchant.. 
Qu'elle  n  oubhe  pas  que  ceux  ,  dont 
ks  Dents  font  trop  pourries,  pour  pou- 
voir 

*  Jaques  premier,  grand  Dodeur  &  petit  Prince  : 
on  a  fort  joliment  dépeint  fon  caraftere,  &  celui 
de  la  Reine  Elifabet,  dans  cefeul  vers  Latin. 
^\,cx  crat  Elifabet ,  ?jmic  efi  K^gina  Jaiobus^. 


44         PREFACE. 

voir  mordre  vigoureufement,  font  très- 
bien  qualifiez  pour  fuppléer  à  ce  défaut 
par  leur  Haleine. 

Je  ne  fuis  pas  fufceptible  d  e  cette  baffe 
jaloufie,  qui  pouffe  le  vulgaire  à  mépri- 
fer  les  talens  qui  font  au-deffus  de  fa 
portée  5  &  je  fuis  très-porté  à  rendre 
juftice  à  cette  Se6le  de  nos  Beaux- Ef. 
prits  Britanniques.  J'efpere  auffi,  que 
ce  petit  Panégyrique  aura  l'honneur  de 
lui  plaire,  puifque  j'y  facrifie  mes  propres 
intérêts  à  fa  gloire. 

Il  faut  avouer  auffi ,  que  la  Nature 
même  a  mis  les  chofes  fur  un  tel  pied , 
que ,  par  la  Satire,  on  acquiert  de  l'hon- 
neur &  de  la  reputation  à  meilleur  mar- 
ché, que  par  aucune  autre  production 
de  l'efprit. 

Il  y  a  un  certain  Auteur  ancien ,  qui 
propofe  comme  un  problème  ,  Pour- 
quoi les  Dédicaces,  &:  d'autres  ajforti- 
mens  de  flatterie^  ne  roulent  que  .fur 
de  vieux  lieux-communs  tout  rouillez, 
fans  k moindre  teinture  de  nouveauté? 
Pourquoi  elles  font  ^\  capables  dejetter 
le  Leèteur  Chrétien  dans  le  degout,& 
même ,  il  l'on  n'en  prévient  prompte- 
ment  l'effet ,  de  répandre  la  léthargie 
généralement  par  tout  le  Royaume  :  au 

lieu 


PREFACE.         4j 

lieu  qu'il  y  a  fort  peu  de  Satires,  qui  na- 
niment  l'attention  du  public  par  quel- 
que chofe  de  finguîier  ? 

On  artribue  d'ordinaire  cette  mal- 
heureufe  deftinée  des  Eloges  à  un  défaut 
d'invention  dans  ceux  qui  fe  mêlent 
de  les  débiter;  mais,  à  tort:  la  verita- 
ble fblution  de  cette  difficulté  efl  aifée 
&  naturelle.  Les  Matériaux  du  Pané- 
gyrique ,  étant  renfermez  dans  des  bor- 
nes trcs-étroites ,  ont  été  épuifez  il  y  a 
long-tems  :  car,  comme  la  fanté  ell  uni- 
que ,  au  lieu  que  les  maladies  font  nom- 
breufes,  &  reçoivent  de  jour  en  jour 
quelques  nouvelles  compagnes  ;  de  mê- 
me ,  les  vertus  font  en  petit  nombre  , 
mais  les  vices  &  les  extravagances  font 
innombrables,  &  le  tems  y  ajoute  conti- 
nuellement quelque  nouvelle  efpece. 
Ainfijtout  ce  qu'un  pauvre  Auteur  peut 
faire ,  c'eft  d'aprendre  par  cœur  une  liiie 
des  Vertus  Cardinales ,  &  de  les  prodi- 
guer à  fon  Héros ,  ou  à  fon  Mecenas.  Il 
a  beau  les  accommoder  de  différentes 
manières ,  &  jetter  quelque  variété  dans 
fcs  Phrafes,  le  Le6leur  eft  bientôt  au  fait; 
il  voit  bientôt  au  travers  de  toute  cette 
difference  de  fources,  que  tout  cela  n' eft 


^,6         PREFACE. 

^ue  du  ^  Cochon.  L'Auteur  n'en  peui 
mais  ;  nos  expreiTions  ne  fauroient  aller 
plus  loin  que  nos  idées;  &, quand  cek 
ïes-ci  font  épuifées ,  les  termes  doivent 
de  neceiTité  fubir  le  même  fort. 

Mais  5  quand  même  le  fujet  du  Pa- 
îiegyrique  feroit  aufîî  fécond  que  celui 
de  la  Satire,  il  ne  feroit  pas  difficile 
pourtant  de  trouver  la  raifon  veritable, 
qui  rend  la  dernière  plus  favoureufe  que 
l'autre. 

L'Eloge  ne  roulant  d'ordinaire  que  fur 
une  perfonne  à  la  fois ,  qu'il  nomme  , 
ou  qu'il  defigne  clairement ,  doit  par- 
là,  de  necelîité,  exciter  l'envie  de  ceux 
qui  n'ont  point  de  part  au  gateau  ,  ôl 
ibufrir  de  leur  mauvaife  humeur.  Mais, 
la  Satire  ne  nomme  point  les  originaux 
de  fes  portraits  :  elle  femble  vifer  à  tous 
les  hommes  ;  & ,  graces  à  notre  vanité  , 
aucun  individu  humain  ne  s^n  croit 
l'objet  particulier.  Chacun  rejette  fage- 
ment  fa  part  du  fardeau  fur  les  épaules 
du  Monde  entier,  qui  fontaffez  larges 
dans  le  fond  pour  le  foutenir. 

Cette  vérité  d'expérience  m'a  fait  rc- 

fie- 

*  L'Auteur  fait  aîlufion  ici  à  un  Repas  <dont 
parle  Plutarque  ,  où  tous  les  mets  n'étoieiit 
que  du  Fore  diiFerçiaent  ailaifonDc. 


PREFACE.  47 

flecliir  plufleurs  fois  fur  Ja  difference 
qu'il  y  a  à  cet  égard  entre  l'Angleterre 
&  l'ancienne  Athènes  Dans  la  Républi- 
que d'Athènes  c'étoit  le  droit  hérédi- 
taire de  chaque  Citoïen,  de  chaque 
Poète ,  d'attaquer  publiquement,  &  mê- 
me déjouer  fur  le  Theatre,  lesperfona- 
ges  les  plus  illuflres,  ixnCréon,  imHy- 
perboius  ^  un  Alcthiade^  un  Deynofthene, 
On  les  nommoit  même,  aiînquelepu- 
blic  n'en  prétendit  point  caufe  d'igno- 
rance. Le  moindre  mot,  au  contraire, 
qui  fembloit  réfléchir  fur  le  Peuple  en 
general,  étoit  aulïï-tôt  relevé  &  s'atti- 
roit  une  punition  exemplaire,  quelque 
diilinguée  que  fut  la  perfonne  qui  eut 
eu  faudace  de  le  lâcher. 

Chez  nous,  c'efljuflement  le  Revers 
de  la  Médaille  \  on  y  peut  emploïer  en 
fureté  toute  la  force  de  fon  éloquence 
contre  la  Société  en  general,  &  dire  en 
face  à  tout  un  Auditoire  même  fesveri- 
tez  les  plus  odieufes. 

Vous  pouvez  declarer  hardiment ,  q^ue 
tous  les  hommes  ont  pris  des  chemins  tor^ 
tus  \  quîl  ne  refle  plus  au  ?Konde  un  feul 
homme  intègre  \  que  notre  âge  eft  la  lie 
des  fiecles\  que  la  [celer ate Jje  l^  Vatheïf- 
'me  fe  répandent  parmi  nous  comme  des  ma- 
ladies 


48  PREFACE. 

Icu!iescontagieuJes\  que  Jahonne-foia  qmï'^ 
îé  la  Ter-fC  ai'ec  Aftrée,  Vous  pouvez 
vous  étendre  fur  de  pareils  lieux-com- 
muns  aufTi  nouveaux  que  brillans ,  au- 
tant que  votre  éloquente  bile  le  trouve 
à  propos  ;  & ,  quand  vous  aurez  fini , 
tous  les  auditeurs  vous  en  fauront  gré , 
comme  à  un  Orateur,  qui  vient  de  ré- 
pandre un  beau  jour  fur  les  veritez  les 
plus  utiles,  &  les  plus  precieufes. 

Je  dis  plus:  vous  ne  courrez  aucun 
rifque,  que  celui  d'épuifer  vos  poumons, 
en  préchant  dans  l'Eglife  de  Covent- 
garden  contre  \ts  Airs  petits-maîtres  , 
contre  la  Fornication,  &  quelque  chofe 
de  pis  encore.  Vous  avez  la  liberté,  en 
celle  de  Wbithall  ^ ,  de  déclamer  contre 
rOrgeuil,  la  Dilïïmulation,  &la  BaflelTe 
de  fe  iailTer  gagner  par  des  préfens:  dans 
celle,  qui  eil  la  plus  fréquentée  par  les 
gens  de  Robbe,  vous  pouvez  attaquer 
avec  fureur  l'Injuftice  &  la  Rapine;  & 
dans  une  Chaire  bourgeoifejau  milieu  de 
la  Cité ,  perfonne  ne  vous  contellera  le 
droit  de  vous  emporter  contre  l'Avarice, 
l'Hypocrifie,  &  rExtoriicn.  Ce  n'ell 
quime  balle  \^xx,iç,  à  tout  hazard  au  mi- 
lieu 

•*  L'EgliTc  de  la  Cour» 


F  R  E  F  A  C  E.  49 

liC-u  du  Peuple  j  chaque  Auditeur  eft 
armé  d'une  raauête ,  &  fait  habilement 
éloigner  la  balle  de  lui  &  la  renvoïer 
dans  la  multitude. 

Mais,  d'un  autrecôt-é,  n'allez  pas  vous 
tromper  aflez  groûlerement  fur  la  natu- 
re des  chofesjpour  vous  laiiTer  échaper 
en  public  le  moindre  met  touchant  un 
tel^  qui  a  fait  mourir  de  faim  la  moitié 
d'une  Armée  navale,  &  qui  a  cmpoi- 
fonné  le  relie  ;  ni  touchant  un  autre , 
qui  s'atache  aiTez  aux  véritables  prin- 
cipes de  l'amour  &  de  l'honneur,  pour 
nepaïer  aucunes  dettes,  excepté  celles 
qui  concernent  le  Jeu,  &  les  Courtifa- 
nés.  Ne  dites  rien  d'un  troidéme ,  qui 
troque  les  grands  biens  de  les  Ancêtres 
contre  les  maladies  les  plus  infâmes, 
Taifez-vous  fur  le  Chapitre  de  Paris,qui, 
gagné  également  par  Fenus^^  parj/^- 
7ion,  écoute  tout  leur  plaidoïé  en  dor- 
mant. Ne  vous  émancipez  pas  fur  le 
chapitre  de  cet  Orateur ,  qui  fait  de  lon- 
gues Harangues  dans  le  Sénat,  avec 
beaucoup  de  méditation,  très-peu  de 
fens,  ëc  fort  mx9.1-à~propos.  Qiiiconque 
ofe  entrer  étourdiment  dans  un  pareil 
d  -tail  doit  s'attendre  à  être  em.prifonné , 
pourfuivi  en  juicice,  comme  un  Ca- 

'ïome  L  C  -lom- 


^o  PREFACE. 

iomniateur ,  &  declare  coupable  du  cri- 
me qu'on  nomme  *  Scandalum  Magna* 
turn. 

Mais,  je  ne  fonge  pas  que  je  m'étends 
fur  un  fujet,  où  je  ne  fuis  nullement in- 
térelTé,  puifque  je  n'ai,  ni  talent,  ni  in- 
clination, pour  la  Satire.  A  cela  près,  je 
fuis  fi  fatisfait  de  tout  le  cours  préfent 
des  affaires  humaines ,  que  je  prépare  dé- 
jà depuis  plufieurs  années  les  Matériaux 
^nn Panégyrique  du  Genre  Humain^  au- 
quel j'ai  defTein  d'ajouter  une  féconde 
Partie  intitulée,!)^/^ /^T^  modefle  du  Procc* 
dé  de  la  Populace  dans  tous  les  Ages. 

J'avois  quelque  envie  de  joindre  fun 
&  fautrede  ces  Traitez  à  cet  Ouvrage- 

'^  C'eft  le  Crime  de  médire  de«  gens  titrez  » 
contre  lequel  les  Loix  de  l'Angleterre  font  trcs- 
fevères  ;  mais ,  comme  on  n'obferve  dans  ce  Païs 
que  la  lettre  des  Loix ,  on  a  trouvé  un  moïen 
très-facile  de  dire  pis  que  pendre  d'un  Grand 
Seigneur,  ou  de  fa  Famille j  fans  avoir  rien  à 
craindre.  On  le  nomme  même  ;  mais ,  on  a  foin 
de  mettre  des  points  à  la  place  de  quelques  lettres; 
par  exemplcjvoulez-vous  dépeindre  un  Duc  d'Or- 
mond  des  couleurs  les  plus  noires  ;  mettez  feule- 
ment Or.  .nd,  faites  le  rimer  même  fî  vous  vou- 
iez avec  un  terme  duméme  fon  :  laLoi  n'a  point 
de  prife  fur  vous,  quoi  qu'il foit  certain,  de  la 
dernière  certitude,  que  c'çft  CÇ  SçiêUeUT  qUSTOUS 

m%it  eu  Qa  ^n?» 


PREFACE.  ft 

ci  5  en  qualité  d' Appendix  ^  mais,  voïani 
que  mon  livre  de  Lieux-communs  fe  rem- 
plit plus  lentement  que  jen'avoiseipe- 
ré,  j'ai  trouvé  bon  de  différer  cette  af- 
faire jufques  a  quelque  occafion  plus  fa- 
vorable. D'ailleurs,  j'ai  été  détourné  de 
Texécution  de  ce  deflein  par  un  malheur 
domeftique ,  dont ,  felon  la  coutume  des 
Modernes,  je  devrois  ici  informer  le 
Leéteur  bénévole.  Cette  particularité 
feroit  d'un  grand  fecours ,  pour  donner 
h  ma  Préface  le  volume ,  qui  efl  à  pré^ 
fenten  vogue  ,  &  qui  doit  ctre  étendu 
à  proportion  que  f'Ouvrage  même  cft 
petit.  Néanmoins,  malgré  toutes  ces 
coniiderations ,  je  n'arrêterai  pas  plus 
long-temps,  dans  le  Veilibule,  l'impa- 
tience de  mon  Lecteur;  &,  lui  aïant 
ducment  préparé  l'efprit  par  ce  Difcours 
préliminaire ,  je  fuis  prêt  à  l'introduire 
dans  les  fublimes  Myltéres  qui  iiiivenc 


LE 


fi 

<%  r^  c$ .%  .^  a^ .%  .^  S  •  'Sh  S^  -^  •f'  ':^  ^f?  S  S  ^ 

^^  ^'  ^  ^^^  ^^  -^^  -^  ^^"^   ^  ^^  -^  ^  ^^  ^  «^  ^  ^ 

LE  CONTE 

TONNEAU, 

SECTION    L 

InîrQdudion, 

Quiconque  a  l'ambition  de  ie  faire 
entendre  dans  une  grande  prefTe 
"ell  obligé  de  pouffer,  de  remuer 
les  coudes ,  &  de  grimper  jufqu'à  ce  qu'il 
puiffe  s'élever  à  un  certain  degré  de 
hauteur  au-deffas  de  la  multitude. 

Or,  toutes  les  Affemblées ,  quelques 
ferrées  qu'elles  foient,  ont  cette  pro- 
priété particulière ,  qu'il  y  a  de  la  place 
de  relie  au-deffus  d'elles.  La  difficulté 
eft  d'y  parvenir;  puifqu'il  eft  aufîî  mal 
aifé  de  gagner  le  deffusfur  le  vulgaire, 
que  de  fe  tirer  des  Enfers. 


Evadere  ad  auras  ^ 

HocOpiSy  hlcJLahoreft, 

Pouf 


LE  CONTE  DU  TONNEAU.  ^ 

Pour  y  réulTir  pourtant,  les  Philoib- 
phes  de  tous  les  âges  ont  pris  le  parti 
d'ériger  certains  édifices  dans  l'air; 
mais,  malgré  la  réputation  dont  ces  for- 
tes de  batimens  ont  été  de  tout  tems 
en  poiTefïïon ,  je  crois  (  en  foumettant 
mes  lumières  à  celles  des  autres)  que 
tous  5  fans  en  excepter  le  pannier  ou  fe 
fufpendit  Socrate,  pour  faciliter  fes  Me- 
ditations, ont  étéfujets  àdeuxinconve- 
niens.  Premièrement ,  leur  baze  étant 
pofée  trop  haut,  ils  ont  été  d'ordinai- 
re hors  de  la  portée  des  yeux,  &  tou- 
jours hors  de  la  portée  des  oreilles:  en 
fécond  lieu ,  leurs  matériaux  étant  de 
leur  nature  fort  '^  tra?ifitoires  ont  toujours 
fouffert  beaucoup  des  injures  de  l'air, 
fur-tout  dans  nos  pais  iituez  du  côté  du 
Nord-Ouefb 

Pour 

*  Je  crois  que  l'Auteur  a  en  vue  les  Idées  Me- 
tapKifiques  de  la  plupart  des  rhilolophes,  qui  fem- 
blent  le  prerdre  dans  les  nues,  ou  elles  ne  fauroient 
être  atteintes  par  les  fimplcs  notions  du  fens- 
commun:  c'cfl  pour  cette  raifon ,  qu'il  appelle 
leurs  édiûc&s  ti-anfîtoiyes ,  parce  que  les  nuées 
•païïentvite.  Si  un  autre  entend  ce  pafTîige  mieux 
que  moi,  je  l'en  félicite:  Ôi  û  l'Auteur  elldans 
cet  endroit  inintelligible  ,  ou  que  Ion  .'Ulegorie 
foit  peu  juile,  tant  pis  pour  lui. 


f4  L  E    C  O  N  T  E 

Pour  furmonter  ces  obftacles ,  nos 
ancêtres  out  trouvé  bon  dans  leur  gran- 
de fagelTe  ,  afin  d'encourager  tous  les 
avanturiers,  qui  afpirent  à  l'élévation 
dont  il  s'agit ,  d'inventer  trois  Machi- 
nes de  Bois  5  très-utiles  pour  tous  ceux 
qui  veulent  parler  fans  être  interrom- 
pus: ce  font  la  Chaire  ^  Y  Echelle  ^  &  le 
ffhéatre  anibidant  *. 

Pour  ce  qui  regarde  le  Barreau,  quoi- 
qu'il foit  de  la  même  matière, &  delli- 
île  au  mém.e  ufage ,  on  ne  fauroit  ce- 
pendant lui  attribuer  avec  juflice  une 
quatrième  place;  parce  qu'il  efl  à  rès 
de  chauffée  avec /'^/^^//é?/V^  5  &  par-là 
fiijet  à  une  interruption  collatérale  f. 
Le  Tribunal  lui-même ,  quoique  placé 
dans  une  hauteur  convenable,  brigue- 
roit  en  vain  cet  honneur  ;  car ,  fi  l'on 
veut  remonter  à  fon  Origine,  on  recon- 
noiirafins  peine,  que  l'ufage ,  auquel  on 
le  deltine  à  préfent,  répond  avec  une 
parfaite  exactitude  à  fon  inllitution  pri- 
mitive , 

*  Il  s'agit  ici  des  Harangues  des  Prédicateurs , 
des  futurs  Pendus,  &  des  Charlatans. 

f  II  eft  permis  &  ordinaire  aux  Avocats  ,  qui 
dans  un  Barreau  font  placez  à  la  même  hauteur 
les  uns  des  J.utresj  de  s'interrompre  très  fou- 


DU    TONNEAU.       sf 

mitive ,  &  que  Fun  &  rautre  ont  une 
conformité  entière  avec  F  Etymologic 
da  mot  ^\  Il  Vient  de  la  Langue  Phéni- 
cienne ,  dans  laquelle  il  eit  très-fignifi- 
catif,  pQifqu'expliqué  à  la  lettre  il  dé- 
figne  u'/i  lieu  deftiné  au  fommeil.  Sa  fi- 
gnification  ordinaire  parmi  nous  ne  s'é- 
loigne pas  trop  de  ce  fens  original  :  car, 
ce  terme  de  Tribunal  exprime  parm.i 
nous  un  fiége  duément  renverfé,  &  four- 
ni de  couiTins  ,  pour  la  commodité  de 
inembrcs  goûteux  &affoiblis  par  Fâgc| 

Senes  ut  in  otîa  tuta  recédant, 

Kien  dans  le  fond  n'ell  mieux  entendu , 
&  plus  juRe  :  il  eil  naturel  que  ceux , 
qui,  dans  leur  jeunefle  ont  parlé  long- 
tems  5  pendant  que  les  autres  dormoient, 
aient  la  permiiîion  de  dormir  à  leur  ai- 
fe  auiïï  long -tems  que  les  autres  ba- 
billent. 

D'ailleurs ,  quand  il  me  feroit  impoffi- 
ble  de  trouver  la  moindre  raifon  folide, 

pour 

*  Bench  veut  dire  en  Anglois  un  Tribunal. 
S'il  y  a  efl-eâ:ivement ,  dans  la  Langue  Phéni- 
cienne, un  terme  compofé  il  peu  près  des  mômes 
lettres,  c'cft  ce  que  j'ignore  ;  &  j 'aime  mieux  le 
croire  ,  que  d'y    aller  voir. 

C4 


S6         L  E    C  O  N  T  E 

.  poar  bannir  \q  Barreau  ^le  T'ribunalà^ 
là  liile  des  Machines  Oratoires ,  il  me 
fuffiroit ,  pour  leur  donner  l'exclufion , 
que  je  ne  veux  pas  m'écarter  d'un  cer- 
tain nombre  que  j'ai  refolu  d'établir  dans 
toutes  mes  Divifions ,  en  dépit  de  tout 
ce  qu'il  en  pourra  coûter  à  mon  bon- 
iens.  Je  ne  ferai  qu'imiter  là- dedans  plu-. 
lieurs  Philofophes ,  &  autres  génies  fu^ 
blimes,  qui  s'attachent  avec  pafîlon  à 
im  certain  Nombre  myllique ,  que  leur 
imagination  a  confacré  à  un  tel  point, 
qu'ils  forcent  la  Raifon  h  lui  trouver  pla- 
ce dans  chaque  partie  de  la  Nature.  Ils 
y  reduifentj  ils  yajuflent,  chaque  gen- 
re 5  chaque  efpéce  :  ils  en  joignent  quel- 
ques-uns enfemble,  en  dépit  d'eux  &  de 
leur  dents  ^  &  ils  exilent  de  leur  Syilê- 
me  ceux  qui  ne  veulent  abfolumentpas 
fe  fôumettre  àun-enchainement  pareil 
Pourmoi5c'ert  leNombre  Trois,c'ell  ce 
nombre />ri?/(9;;^,  qui  a  toujours  occupé 
mes  contemplations  les  plus  fiiblimes , 
&  qui  m'a  dedoroagé  de  mes  pénibles 
recherches,  par  des  délices  infimes.  Auffi, 
le  public  verra-t-il  bien- tôt  fortir  de  k 
prelle  -^mon  ElTay  de  Panégyrique  tait- 
chant 

*  Voyez  le  Catalogue  des  Livres  que  l'Auteur 
promet  au  public. 


DU    TONNEAU.      $j 

chant  ce  Nombre.  Je  me  flatte  d'y  avoir 
démontré ,  par  les  preuves  les  plus  con- 
vaincantes, que  tous  les  Sens  &tous  les 
Elemens  doivent  être  rangez  fous  les 
étendartsde  ce  Nombre  Sacré  ^  &  déjà 
j'ai  caufé  une  terrible  defertion  parmi 
tous  ceux  qui  ont  affecté  jufqu  ici  de 
fuivre  la  bannière  de  fes  deux  rivaux. 
Sept  5  &  Neuf.  Je  retourne  à  mon  fu- 
jet. 

De  ces  Macloims  Oratoires.,  la  premie- 
re en  élévation ,  auiïï  bien  qu'en  digni- 
té, c'eil  la  Chaire.  Il  y  en  a  différentes 
fortes  dans  notre  Ile  ;  mais,  celles  que 
j'eftime  uniquement  font  faites  d'un  bois 
coupé  dans  la  Forêt  CaIydo?nenne  *.  Plus 
elles  font  veilles ,  &  meilleures  elles  fonr^ 
à'caufe  de  la  direction  à\xSon^  &:  pour 

d'au- 

*  LTcoïïe  s'appello/t  anciennement  Calyd9ryi.a  ; 
&  notre  Auteur  recoraandc  le  bois  de  ce  païs 
pour  les  Chaires ,  parce  que  les  Kon-conformii^ 
tes ,  qui  font  la  plus  grande  ngure  en  Angleterrty 
font  les  Presbytériens ,  qui  ont  la  même  difci- 
pline,  6clesm.èmes  opinions,  que  ceux  delà  Re- 
ligion dominante  de  l'EcoJJe.-  Au  reile  ,  il  loue  ici 
la  £gurc  fimple  &  unie  de  ces  Chaires ,.  parc& 
que  les  Presbytériens  ,  qui  prétendeat  à  une  plu» 
grande  Sp'ritu.i/ite  quo  les  .'i;/^//r,.'s;;j,rc  font  ur.cf 
affaire-de  Confcience  de  bannir  tout  ornement  d^' 
leurs  Tçmples, 


f8  E  E    C  O  N  T  E 

d'autres  raifons  qui  feront  mentionnées: 
dans  le  moment.  Leur  degré  de  perfec- 
tion, par  rapport  à  la  taille  &àlafigure, 
confilte ,  à  mon  avis ,  à  être  extrême- 
ment étroites  5  &  deilituées  de  tout  or- 
nemient.Il  efl  bon  m.emejqu'elles  n'ayent 
pas  une  eipece  de  Dais  au  deflus  d'elles3 
car,  félon  la  règle  ancienne,  ce  doit  être 
le  feul  l'aij/eau  découvert  ^  dans  toy  tes 
les  AiTemxblées  où  Ton  en  fait  un  legi- 
tim.e  ufage.  De  cette  manière,  elles  au- 
ront une  reifemblance  aifez  grande  avec 
im  Pilori  \  ce  qui  leur  donnera  une  in- 
fluence eiricace  fur  les  oreilles  humai- 
nes. 

La  féconde  Machine  en  que[lion,c'e{l 
\ Echelle ,  fur  laquelle  je  ne  m'étendrai 
pas.  Les  étrangers  même  ont  remarqué , . 
ri  la  gloire  de  notre  Patrie,  que  nous, 
furpafîbns  tous  les  peuples  par  rapporta 
l'intelligence,  &  au  veritable  ufage ,  de- 
cette  Machine.. 

Les  Orateurs ,  qui  s'y  élèvent  par  dé- 
grez,  n'obligent  pas  feulement  leur  au- 
ditoire par  la  charmante  manière  dont 
ils  débitent  leurs  Harangues  ;  ils  favo- 
rifent  même  tout  le  monde  en  les  ren- 
dant publiques  de  bonne  heuxe  ,  avant 
que  de  les  prononcer. . 

h 


Du    TONNEAU.      f^ 

Je  regarde  ces  difcours  comme  le' 
trefor  le  plus  choifi  de  notre  éloquence 
Britannique:  &aj'apprends  avec  joïe, 
que  notre  digne  Citoyen  &  Libraire,  le 
SitwvJeanDiiîton^  en  a  fait  une  fidelle 
&  pénible  Collection,  quil  adefleinde 
publier  au  premier  jour  en  douze  volu- 
mes in  folio  enrichis  de  figures  •  Ouvra- 
ge, aufîi  curieux  qu'utile,  (Se  digne  de 
la  main  qui  nous  le  communique. 

La  dernière  Machine  des  Orateurs 
ell  le  l^béaîre  amhida  'it,  drefle  avec  beau- 
coup de  Ç2ig2iCité^fubJo'vepluv}o^  i/ttri^ 
*vlis^  t?  quadriviis.  C'ell  le  grand  le- 
minaire  des  deux  autres  ^:  &.  les  Ora- 
teurs ,  qui  y  montent ,  font  quelque- 
fois admis  à  figurer  fur  la  premiere,  & 
quelquefois  fur  la  féconde ,  felon  leur  dif- 
ferent mérite,  la liaifon, qu'il  y  a  entre 

ces 

*  Il  paroit  d'abord  difficile  de  comprendre 
comment  les  Theatres  des  Charlatans  font  lefemV 
naire  des  Prédicateurs,  &  des  Pendus.  Mais,  il 
faut  entendre  ceci  d'une  manière  figurée.  La 
Char'atanerie  influe  eiîe<fi:ivem<;nt,non feulement 
fur  la  conduite  des  Voleurs,  qui  dupent  fouvent 
les  hommes  par  une  faulTe  Ofientation,  mais' 
encore  fur  certains  Miniiires  de  l'Evangile,  qui 
parviennent  a  la  fortune  &  à  la  reputation  par- 
une  fa'iiTç  Parade  de  Lumières  Qp  de  FietSy 

c  6 


€o         LEG  O  N  T  E^ 

ces-  trois  Machines ,  étant  auiTi  étroite 
qu  il  ell  pofîîble  de  fe  l'imaginer. 

Il  paroit  évidemm«^,t ,  par  ce  que  je 
viens  de  dire ,  que  l'élévation  du  lieu  eil 
abfolument  requife  pour  s'attirer  l'atten- 
tion du  public  :  mais ,  quoique  tout  le 
monde  convienne  du  fait,  les  opinions 
font  fort  diférentes  fur  la  caufe  ;  &  je 
penfe ,  quant  à  moi,  que  peu  de  Philoio- 
phes  ont  eu  le  bonheur  de  trouver  une 
explication  aifée  &  naturelle  de  ce 
Phénomène.  Voici  celle  qui  me  paroit 
la  plus  profonde ,  &  la  mieux  fuivie. 

L'air  étant  un  corps  pefant,  &,  par 
confequent,  felon  le  Syfleme  d'Epi^ 
cure  5  tendant  toujours  vers  la  terre, 
doit  indubitablement  defcendre  avec 
plus  de  force,  quand  il  ell  chargé  de 
paroles,  autres  corps  d'un  poids  confide-^ 
rable ,  comme  il  paroit  évidemment  par 
les  profondes  impreifions  qu'elles  font 
fur  nous.  Il  fuit  de-là,  que  ces  paroles 
doivent  être  répandues  d'une  hauteur 
fufhfante ,  fi  l'on  veut  qu'elles  parviens 
nent  à  leur  but,  &  qu'elles  tombent  avec 
allez  de  force. 


DU    TONNEAU,      ëi 

Corpoream  enim  vomn  conftare  fatendum 

Et  fonitum  qiioraam  pojfunt  i?npelkre  fe}> 
fus,     Lucret;  lib.  4. 

Cette  raifon  acquiert  encore  un  noi> 
veau  degré  de  force  par  une  obfervaticn 
très-commune  ;  favoir  que ,  dans  tous  les 
auditoires  des  différentes  elpécesd'Ora^ 
teurs  5  la  nature  elle-même  enfeigne  à 
ceux  qui  compofent  rAfTemblée ,  à  fe 
tenir  la  bouche  ouverte,  dans  une  po- 
fition  parallèle  à  l'horifon ,  de  manière 
qu'ils  font  coupez  par  une  ligne  perpen- 
diculaire qui  tombe  du  zenith  vers  le 
centre  de  notre  globe.  Dans  cette,  ii- 
tuation ,  fi  rAlTemblée  eft  compacte  (^ 
ferrée  comme  il  faut,  rien  ne  fauroit 
tom.ber  à  terre  ,  &  chaque  Auditeur 
emporte  chez  foi  fa  portion  de  la  Ha- 
rangue. 

11  faut  avouer  ,  qu'il  y  a  quelque 
choie  de  plus  rafiné  encore  dans  l' Archi- 
te6luredesBatimens  modernes  deftinez 
aux  Ouvrages  Dramatiques.  Première- 
ment, le  Parterre  s'abbaiile  devant  le 
Theatre,  afin  que,  felon  nos  Remarques 
grécédentes ,  toutes  les  matières  de 
C  7  poids 


€z  LE    C  Off  TE 

poids  qui  fe  répandent  de-Ià  ,  qu'elles: 
foienc  or ,  owplomb ,  puillent  tomber  tout 
droit  dans  les  mâchoires  de  certains  ani- 
maux nommez  Critiques ,  qui  les  atten-^ 
dent  la  gueule  béante,  pour  les  dévorer. 
Les  Loges ,  qu'en  faveur  des  Dames 
on  a  placées  de  niveau  avec  le  Théâtre , 
font  arrangées  en  cercle,  parce  qu'on  a 
obfervé  que  cette  grande  dozed'elprit, 
qu'on  emploie  à  exciter  parmi  le  beau 
Sexe  certaines  démangeaifons,  fuivent 
ordinairement  une  route  circulaire  ^, 

Cer- 

*  L'Efprît,  qu'on  emploie  dans  les  obfcenitezj 
eft  très-commun  ,  &  aifé  à  attrapper  :  c'efl 
prefque  toujours  la  même  chofe  parmi  les  Au- 
teurs Dramatiques  ,  qui  veulent  ahfolument  fai- 
re rire,  &  qui  remplacent}  par  ces  fottifes,  le 
fel  comique  qui  doit  régner  dans  les  Comedies. 
C'eft  pour  cette  raifon,  que  l'Auteur  fait  rouler 
cette  forte  d'elprit  eii  cercle.  Il  dit  proprement 
^ans  l'Original ,  que  cet  efprit  s'avance  en  ligne 
droite^  &  va  toujours  dans  un  cercle.  Peut-être 
veut-il  dire  quelquechofe,  que  je  n'ofe  exprimer' 
ici  5  &  qu'on  devinera  de  refte.  J'ai  pourtant 
trouvé  à  propos  de  préférer  la  premierre  idée 
dans  ma  tradudlion.  Quoi  qu'il  en  foit  ,  il  a 
grand'  raifon  de  ccnlùrer  la  licence  des  Auteurs 
Dramatiques  de  fa  Nation  :  licence  fi  effrénée , 
que  la  manière  de  garder  fa  contenance  eft  de- 
venue un  Art  dau§  ks  formes  p.arrui  Jç  beau  Sa-» 
xe-Anglois, 


DU    TON^^EAU.      €^ 

Certains  fentimens  langoureux ,  &  cer- 
taines penfées  minces  &  étiques,  s'élè- 
vent tout  doucement  par  leur  extrême 
légèreté  jufqu'à  la  moienne  region  de 
la  fale  ;  &  là  elles  fe  gèlent  par  le  mo- 
ïen  de  l'entendement  froid  deshabitans 
des  fécondes  loges. 

Le  Galimathias  &  la  Boufonnerie, 
qui  font  encore  d'une  plus  grande  légè- 
reté ,  montent  avec  aflez  de  précipita- 
tion au  deffus  de  Faii'  qui  eft  plus  pefant, 
&  fe  pcrdroient  certainement  dans  la 
voûte,  fi  le  prudent  Architecte  n'avoit 
pas  eu  la  précaution  d'y  pratiquer  un 
quatrième  étage  ,  appelle  le  Paradis , 
&  fi  l'on  n'y  avoit  placé  une  Colonie 
bigarrée,  qui  les  arrête  dans  leur  paf^ 
fage  5  &  qui  s'en  failit  avec  ardeur. 

Le  Lecteur  faura,  que  ce  Sylleme 
Phyfico-Logical  des  Alacblnes  Oratoires 
cache  de  grands  Milléres ,  &  que  c'ell 
un  type,  unfigne,  une  emblème,  une 
ombre ,  un  fmibole  ,  qui  a  une  analo- 
gie exacle  avec  la  République  des  Au- 
teurs, &  avec  les  mefures  qu'ils  doi- 
vent prendre  pour  s'élever  au  deffus  du; 
vulgaire. 

Par  la  Chaire,doivent  être  entendus  les 
Ecrits  des  Sayits  moderaes  de  la  Gran- 
de. 


^4  LE    CONTE 

de  Bretagne  ;  écrits  ipiritualifez ,  épu* 
rez ,  debarailez  de  la  craffe  des  fens  & 
de  la  raifon  humaine.  Le  bois  pourri 
doit  être  ,  comme  j'ai  dit ,  la  matière 
de  cette  machine,  pour  deux  raifons; 
premièrement ,  parce  que  le  bois  pourri 
a  la  qualité  d'éclairer  dans  les  ténèbres; 
&  eniecond  lieu,  parce  que  les  cavitez 
en  font  remplies  de  vers:  deux  types, 
qui,  maniez  avec  raddrefTe  ordinaire  des 
Commentateurs,  fignilient  clairement 
les  deux  qualitez  principales  requifes 
dans  rOrateur,  &  les  deux  Deftinées 
qui  attendent  fes  Ouvrages. 

Pour  l'Echelle,  c'efl  un  fymbole  natu- 
rel de  la  FaClion,  &  delà  Poefie,  aux- 
quelles un  fi  grand  nombre  de  perfon- 
nes  illullres  font  redevables  de  leur  ré- 
putation. Elle  eil  le  fimbole-de  laFac- 
tion ,  parce  que  .  .  . 

Hiatus  in  MS.      *      ♦      *      *        -^ 


Elleelllefimbole  de  la  Poefie,  par- 
ce que  les  Orateurs  de  cette  efpece  iî* 
aiflent  toujours  leur  Harangue  par  une 
Piece  de  PoèTie  *,  qu'ils  montent  les 

■r  dé. 

f^'L^S  futurs  Pçndits  cbanteiit  dçs  Pfçaucies 


DU   TONNEAU.        (Sf 

dégrez  de  cette  machine  avec  lenteurj^c 
que  le  Sort  les  précipite  du  haut  enbas 
Jong-tems  avant  qu'ils  en  aient  gagné 
lefommet.  Enfin,  FEchelle  efluntype 
delà  Poèfie,  parce  qu'on  parvient  d'or- 
dinaire à  ce  polie  de  diflin6lion,parun 
tranfport  de  propriété^  Se  en  confon- 
dant le  mien  ôclttien"^. 

Parle  Théâtre  ambulant,  font  dépein- 
tes toutes  les  productions  de  l'elprit,  qui 
ont  une  relation  particulière  avec  le  di- 
vertilTement  des  mortels.  Telles  font  ces 
Pieces  aimables  intitulées ,  De  TEfprit 
à  deux  liards  ^  Grotefques  de  TVcftmiinfter'^ 
Contes  facétieux-^  Les  parfait  s  Railleurs^  & 
d'autres  femblables  -f.C'eil  par  elles,  que 
les  Ecrivains  de  Gruhftreet  ont  depuis 
quelques  années  fi  noblement  triomphé 
du  tems,  qu'ils  ont  coupé  fes  ailes, 
rogné  fes  ongles ,  limé  fes  dents ,  émoul- 

fé 

en  Angleterre ,  quand  ils  font  fur  le  pomt  Je 
paffer  le  pas. 

*  Les  Poètes  font  prefque  tous  Plagiaires. 

f  Le  Lefteur  François  n'a  qu'à  mettre,  à  la 
place  de  ces  livres ,  plufieurs  ouvrages  du  cru  de 
fon  terroir  ,  qui  font  du  même  acabit  :  il  trouvera 
aflez  facilement,  fur-tout  dans  l'Etat  florifTant  où 
îe  bel  efprit  eft  à  préfent  en  France ,  à  quoi  ap- 
pliquer avecjufteite  ce  que  l'Auteur  va  dirçdçU 
Socictt  de  Qrvhfmçt  ti.  de  k%  Rivales. 


£6  LE  CONTE 

fé  fa  faux,  &  reculé  fon  fatal  Clepiydre. 

Cefl  dans  le  Catalogue  de  ces  fa- 
meux Ouvrages ,  que  j'ai  laprefomtioii 
d'enregiflrer  ce  livre-ci,  aïant  eu  de- 
23uis  peu  l'honneur  d'être  choifi  mem- 
bre de  cette  focieté  fi  vantée. 

Je  ne  fai  que  trop  les  pernicieux  def- 
feins  qui  ont  été  machinez  dans  ces  der- 
nières années  contre  cet  illuilre  corps, 
par  deuxfocietez  nouvellement  érigées, 
qui  ont  fait  tous  leurs  ettorts ,  pour  tour- 
ner nos  Auteurs  en  ridicule ,  comme  in- 
dignes du  rang  qu'ils  occupent  dans  ia 
République  des  Lettres.  Ceux,  qui  en 
font  coupables ,  aprendront  d'abord  par 
leur  propre  confcience,  quec'eil  eux  y. 
que  j'indique.  Le  public  n'a  pas  été 
Speâateur  aifez  indifferent  de  leurs  ja- 
loux projets  pour  Ibufrir  avec  patience 
que  les  Academies  de  Gresham^  13  de 
fFills  ^jfondent  leur  reputation  fur  la  rui- 
ne 

^'Le  College  de  Gresham^  &le  Cafféde  Wiïïs,  Af- 
femblées  de  beaux  Efprits ,  qui  ne  font  gueres 
fuperieurs,  que  par  la  vanité,  aux  Auteurs  de  Grub- 
fii-eety  à  qui  la  Nation  Angloife  eft  redevable  de 
ies  Vanx-de-Villes  ^  Contes  borgnes ^  en  un  mot  de 
toutes  les  produ(5tions  de  l'efprit  du  plus  bas  ordre. 
L'Auteur  va  donner  dans  le  moment  quelques 
^hLautiUons  de  leur  iàvoir-faire» 


DU    TONNEAU.      ^j 

ne  de  la  nôtre.  Notre  douleur  devient 
plus  fenfible  &  plus  violente ,  quand 
nous  confiderons  leur  procède  à  notre 
égard ,  non  feulement  comme  injufle , 
mais  encore  comme  ingrat,  &  contrai- 
re à  la  nature  même.  Le  monde  peut-il 
oublier ,  ces  corps  peuvent-ils  oublier 
eux-mêmes ,  quand  nos  annales  ne  fe- 
roient  pas  aulïï  formelles  là-defllis  qu'el- 
les le  font  5  que  l'un  &  l'autre  ils  font  des 
pépinières  que  nou5  avons,  non  feule* 
ment  plantées ,  mais  encore  arrofées  ? 
On  m'a  informé  que  ces  deux  rivaux 
cnt  dreifé  les  préliminaires  d'une  ligue 
contre  nous ,  &:  qu'ils  ont  refolu  d'unir 
leurs  forces,  pour  nous  défier ,  par  un 
Cartel ,  d'entrer  avec  eux  dans  une  cora- 
paraifon  de  Livres  produits  de  part  & 
d'autre,  tant  par  rapport  au  nombre  qif  à 
regard  du  poids.  Comme  notre  Préûr 
dent  m'a  chargé  de  leur  répondre ,  je 
vais  m'en  acquitteriez  En  premier  lieu, 
je  Ibutiens  que  leurpropofitionreffem- 
bîe  à  celle  ,  qu'Archimede  fit  dans  un 
cas  moins  important,  &  que  l'exécu-^- 
tion  en  ell  abfolument  impoflible.  Où 
trouver  des  balances  d'une  capacité  af- 
iez  vafle  pour  pefer  ces  volumes  de 
part&d'auu*e?.  Quel  Arithméticien  fe- 


68  LE    CONTE 

ra  affez  audacieux ,  pour  entreprendre 
d'en  calculer  le  nombre  ?  En  fécond  lieu, 
je  dis  que  nous  acceptons  le  défi,  à  con- 
dition, qu'on  nous  défigne  une  perfon- 
ne  impartiale,  pour  décider  à  quelle fo- 
cieté  chaque  livre,  chaque  traité,  &  cha- 
que brochure,  doivent  être  attribuez. 
La  décifion  n'en  efî:  rien  moins  que  fa* 
cile.  Nous  Ibmmes  prêts  à  produire  un 
Catalogue  de  plufieurs  milliers  de  vo- 
lumes 5  fur  lefquels  notre  Corps  a  un 
droit  incontellable  ,  âc  que  pourtant 
certains  Auteurs  révoltez  ont  l'audace 
d'approprier  à  nos  ennemis.  Ce  ferok 
donc  à  nous  une  imprudence  impar- 
donnable de  reconnoitre  pour  nos  Ju- 
ges ces  mêmes  Auteurs  ,  dans  un 
tems  où  les  cabales  &  les  intri- 
gues de  nos  adverfaires  ont  caufé  une 
révolte  fi  générale  contre  nous ,  que 
les  plus  intimes  amjs,  qui  nous  refient 
encore ,  fe  tiennent  éloignez  de  nous , 
comme  s'ils  avoient  honte  de  nous 
connoître. 

Voilà  tout  ce  que  je  fuis  autorifé  à 
dire  fur  un  fujet  fi  mortifiant  &  fi  mé- 
lancolique. Nous  ne  fommes  nullement 
portez  à  nourrir  une  haine  ,  qui  pour- 
roit  être  égalem^ent  fatale  à  tous  les  par- 
tis. 


DU    TONNEAU.      69 

tis,  &nous  aimerions  beaucoup  mieux 
que  ce  different  fût  accommodé  à  l'a- 
miable. Notre  corps  eil  tout  prêt  à 
recevoir  à  bras  ouverts  ces  deux  enfans 
prodigues ,  pourvu  qu'ils  renoncent  à 
leurs  Proftitîiées  &  à  manger  avec  les 
Cochons,  je  veux  dire,  à  leurs  indignes 
occupations^  &,  comme  un  père  indul- 
gent, il  ne  manquera  pas  de  leur  rendre 
ià  tendrefTe ,  &  fa  benedi6lion.  Après 
rinconflance  de  toutes  les  chofes  fublu- 
naires ,  rien  n'a  plus  decredité  les  pro- 
ductions de  notre  focieté ,  que  ce  tour 
d'efprit  fuperficiel,  qui  règne  généra- 
lement parmi  les  Lecteurs  de  cet  âge , 
qui  font  tropindolens  pour  creufer  dans 
les  entrailles  des  matières. 

La  Sagelfe  pourtant  eft  un  Renard ,  à 
qui  fouvent  on  donne  envainlachaife, 
Çi  on  ne.  le  force  pas  à  fortir  de  fa  tan- 
niere-  c'efl  un  Fromage,  qui  efl  d'autant 
meilleur,  qu'il  eft  couvert  d'une  croûte 
épailfe,  coriaiïe,  &  dégoûtante;  c'efl 
du  Ciiocolat ,  qui  devient  plus  excellent 
a  mefure  qu'on  approche  du  fond.  La 
Sagelfe  elt  une  Poule,dont  il  faut  eiTuïer 
le  chant  defagréable  ,  parce  qu'il  eft 
fuivi  d'un  œuf  elle  reffemble  ï  une  noix, 
qui,  fi  elle  n' eft  pas  choifie  judicieufe- 

ment 


70  LE    CONTE  ^ 

m^nt ,  peut  vous  coûter  une  dent ,  & 
ne  vous  païer  que  d'un  ver. 

Cefl  conformément  à  ces  veritez  , 
que  nos  fages  Grubéem  '^  ont  toujours 
voulu  conduire  leurs  préceptes  vers 
notre  efprit  dans  le  Véhicule  des  fables 
&:  des  types.  Peut-être  les  ont-ils  plus 
ornées  quelque  fois,  qu'il  étoit  necef- 
faire  \  &  par-là  ces  Véhicules  ont  eu  le 
fort  de  ces  Caroffes  fi  bien  peints  & 
dorez  ,  dont  l'éclat  éblouit  tellement 
les  Spectateurs,  qu'ils  ne  remarquent  pas 
feulement  celui  qui  en  occupe  le.fond. 
Nous  nous  confolons  pourtant  de  ce  mal- 
heur ,  parce  qu'il  nous  efl  commun  avec 
Pitagore ,  Efope^  Socrate^  &  plufieurs  au- 
tres de  nos  iliuitres  PrédéceiTeurs. 

Néanmoins ,  afin  que  ,nile  public,  ni 
nous,  ne  foufrions  pas  davantage  de  ce 
défaut  de  pénétration,  je  me  fuis  laifle 
vaincre  par  Fimportunité  de  quelques 
amis^  &j'ai  refolu  d'entreprendre  une 
DiiTertation  laborieufe  furies  principa- 
les produ6lions  de  notre  Société,  qui, 
fous  un  extérieur  alTez  brillant  pour  con- 
tenter un  Lecteur  fuperficiel,  ont  envelo^ 
pé  les  plans  les  plus  finis  de  tousles  Arts 

& 

*  Auteurs  de  CrulpcsU 


D  U  T  O  N  N  E  A  U.     71 

&  de  toutes  les  Sciences.  Jeme  fai  fort 
de  les  expofer  aux  yeux  des  Curieux; 
(Se,  s'ils  font  trop  embaraiîez  dans  leurs 
enveloppes ,  je  faurai  bien  les  en  tirer 
par  le  moyen  de  Vincifion^  ou  de  /Va.- 
^nîlcition  ^. 

11  y  a  quelques  années,  qu'un  de  nos 
plus  habiles  Membres  entreprit  cet  Ou* 
vrage  important.  Il  commença  par 
l'Hiitoii-e  de  Maître  Renard \  mais,  il 
ne  vécut  pas  affez  long-temps,  pour  pu- 
blier un  traité  fi  utile,  ni  pour  aller 
plus  loin  dans  un  fi  grand  deffein.  On 
ne  fauroit  trop  regretter  ce  grand 
homme ,  ne  fut-ce  que  pour  la  découver- 
te qu'il  avoit  faite  fur  ce  fujet ,  &  com- 
muniquée à  fes  amis.  La  îbhdité  n'en 
ell  conteflée  à  préfentparaucim  Savant 
de  quelque  Reputation^  <&  perfonne  ne 
doute  que  ladite  Hilloire  ne  contienne 
un  Corps  complet ,  ou  plutôt  une  Reve- 
lation, une  Apocalypfe,  de  tous  les  Se- 
crets de  la  Politique. 

Pour  moi,  j'ai  pouffé  cette  entreprife 
beaucoup  plus  loin,  ayant  déjà  mis  la 
dernière  main  à  mes  Commentaires  fur 

plu- 

*  Moyen  de  faire  fortir  de  quelque  ^ndr<îit 
Tairou  l'eau,  par  le  moyen  de  la  pomps. 


ijt         L  E    C  O  N  T  E 

plufieurs  douzaines  de  Traitez  d'une  pa- 
reille force.  Je  crois  obliger  le  Lec- 
teur, en  lui  en  donnant  ici  quelques 
idées  fuffifantes  pour  le  mettre  au  fait. 

La  premiere  Piece  *,  à  laquelle  je  me 
fuis  attaché ,  c'efl  le  petit  Poucet ,  dont 
l'Auteur  étoit  de  la  Secte  de  Pythagore, 
C'efl  un  traité  ténébreux ,  qui  contient 
tout  le  plan  de  la  Metampficofe ,  &  qui 
conduit  l'âme  dans  toutes  fes  différentes 
revolutions. 

Le  fécond  efl  le  Docteur  Faufius ,  écrit 
par  Artephius  ^  un  Auteur  hon^  not  ce 
&  un  adepte.  Il  le  publia  dans  fa  neuf- 
cent-quatre- vingt-quatrième  année.  Ce 
Sage  procède  entièrement  par  la  voye 
de  la  réincrudatlon^  ou  par  la  'voye  humide-. 
Le  Mariage  entre  Fauflus  &  Hélène  ne 
fertqu'à  répandre  du  jour  fur  \2i  fermen- 
tation du  Dragon  wâle^  ^  du  Dragon 
femelle, 

îVhitùngton  £5?  [on  Chat  efl  l'Ou- 
vrage du  miflerieux  Rabbin  Jehuda 

Han- 


*  Les  François  n'ont  qu'à  fubilîtuer ,  à  plufieurs 
âeces  livrer  ,163  Ouvrages  parallèles  de  la  façon 
de  leurs  Auteurs;  les  Contes  de  Peau  d^  Ane  -,  les 
Contes  de  Fees  y   le  Marcv  de  FeneJIe,    Tabarin  y 


DU    TONNEAU.       75 

Hannafi  ,  contenant  la  d^fenfe  de 
Ja  Gueriiara  de  la  Mijha  de  Jerufaîetiz , 
ëi  prouvant  fa  fiiperiorité  fur  celle  de 
Bahilonc,  contre  l'opinion  reçue. 

La  Bïche  '^  la  PanibercCei  le  Chef- 
d'œuvre  d'un  fameux  Savant  ^^ui  exifte 
encore  :  le  but  de  cet  Ouvrage  eft  de 
nous  donner  un  extrait  iidéle  de  feize 
mille  Auteurs  Scholailiques,  depuis  Scot 
jufqu  h  BellaiTfîi^î. 

Le  Flacû?i  de  Grcmre.  C'eft  une  Pi é- 
ce  qu  on  iupole  être  ae  la  même  main, 
&  u'on  regarde  comme  un  Siiplém.enc 
du  Traité   qui  precede. 

Le  Sage  de  Gotham^  cum  Appendice, 
Ceft-là  vericablemenr  Un  Traité  d'une 
érudition  immenfe:  on  peut  l'apeller 
la  fource  originale  de  ces  argUmens, 
quon  poulfeapréfent  avec  tant  de  vi- 
gueur ,  en  France  &  en  Angleterre  , 
pour  défendre  le  favoir  &  lelprit  des 
^iodernes,  contre  la  préfomption,  l'or- 
gueil, Ôc  Tignorance  des  Anciens.  Cet 
Auteur  a  tellement  épuifé  cette  matiè- 
re ,  que  tout  ce  qu'on  a  écrit  là-dcfuis 
depuis  ne  fauroit  pafler  que  pour  pure 
repétition,  chez  un  Lecteur  un  peu  pé- 

né« 

*  Jiiin  Dryden, 

Tome  L  D 


74  L  E    C  O  N  T  E 

nétrant.  Un  Membre  diilingué  de 
notre  Société  a  publié  depuis  peu  un 
Abrégé  de  cette  excellente  Piece  ^. 

Ces  petits  échantillons  fuffifent ,  pour 
faire  entrer  le  public  dans  le  goût  de 
tout  rOuvrage  :  il  occupe  à  préfent 
toutes  mes  penfées,cc  toutes  mes  études; 
&  fi  je  puis  y  mettre  la  dernière  main 
avant  ma  mort,  je  croirai  avoir  parfaite- 
ment bien  emploie  les  pauvres  refies 
dîme  vie  infortunée. 

-j-  Helasijen'aipasraifon  d'attendre 
encore  tant  de  vigueur  d'une  plume  ufée 
au  fervice  de  l'Etat ,  dans  des  DilTerta- 
tions  pour  &  contre  ,  fur  les  Confpira- 
tions  des  Papilles ,  fur  les  Loix  d'ex- 
clufion,  fur  robéiffance  pafiive,  fur  la 
liberté  de  confcience,  &c.  Je  n'ai  pas 
lieu  de fattendre d'une  confcience,  qui 
tombe  en  lambeaux,  &  qui  montre  par- 
tout la  corde  à  force  d'etre  retournée  ; 
d  une  tète  fracaffée  par  les  coups  de 

barre 

*  M.  Wotton  :  c'eft  fon  livre  fur  le  {avoir 
ancien  &    moderne. 

f  C'eft  ici  une  fanglante  Satyre  de  plufieurs  Au- 
teurs Mercenaires ,  dont  Londres  fourmille  ,  & 
qui  5  vendant  leur  plume  au  plus  offrant ,  écrivent 
tantôt  pour  une  Faction ,  &  tantôt  pour  une 
autre ,  &  toujours  avec  une  égale  vehemence. 


DU    TONNEAU.       7$ 

barre  de  la  fa6lion  contraire  ;  ni  d  uiî 
corps  confumé  par  certaines  maladies 
mal  guéries ,  graces  à  quelques  Don- 
zelles  &  à  quelques  Chirurgiens,  qui, 
comme  il  a  paru  dans  la  fuite,  étoient 
les  ennemis  déclarez  de  l'Etat,  &  les 
miens ,  &  qui  foutenoient  les  intérêts 
de  leur  parti ,  aux  dépens  de  mes  jambes 
&  de  mon  nez. 

J'ai  mis  au  jour  quatre-vingt-onze 
brochures ,  fous  trois  règnes ,  ôc  en  fa- 
veur de  trente-fjx  factions  :  mais,  voïant 
que  l'Etat  n'a  plus  befoin  de  mon  encre, 
je  me  retire  pour  la  répandre  dans  des 
Speculations  plus  affcrties  au  caraftere 
d'un  Philofophe  ;  fatisfait  de  pouvoir 
me  rendre  cette  juftice ,  que  j'ai  pafTé 
une  longue  vie  Jàm  offenfe  envers  Dieu 
i3  Jes  Hommes. 

Pour  en  revenir  à  mon  fujet ,  j'at- 
tends de  la  juflice  du  public  ,  que  l'é- 
chantillon du  Commentaire  que  je  viens 
de  lui  doner  ,  fufHra  pour  effacer  de 
toutes  les  prod u6lions  de  notre  Société 
une  tache  qui  ne  leur  ell  venue ,  que  par 
l'envie  &  fignorance  de  nos  Adverlài- 
res.  Je  me  flatte ,  qu'on  le  perfuadera  à 
la  fm ,  que  le  mérite  de  cet  Ouvrage  s'é- 
tend plus  loin  5  que  les  fimples  agremens 
D  i  de 


^6         L  E    C  O  N  T  E 

de  rerpnt&  du  ilile,  que  nos  plus  har- 
dis Calomniateurs  neleur  ont  jamais  ol£ 
difpuier. 

Pour  faire  fentir  cette  beauté  exté- 
rieure ,  aufîi-bien  que  le  fens  caché  & 
myitique,  j'ai  fuivi  exaclement  les  O- 
riginaux  le  plus  généralement  aprou- 
vez^  &,  pour  quil  n'y  manque  rien  , 
î'ai  fait  en  forte ,  à  force  de  donner  la 
torture  à  mon  efprit ,  que  le  titre  %  fous 
lequel  cet  excellent  Commentaire  doit 
être  connu  à  la  Cour  &  daus  la  Ville , 
réponde  exaélement  aux  heureux  modè- 
les que  notre  Société  me  fournit  fi  abon- 
damment. 

•  Je  conviens  que  j'ai  été  un  peu  pro- 
digue à  en  multiplier  les  titres;  mais, 
fai  remarqué  que  ceft-là  le  grand  goût 
parmi  certains  Auteurs ,  que  jerefp^cte 
fcjxtraordinairement. 

Ont-ils  t-onr  ^^eil-il  pas  raiibnnable , 
que  les  Livres.ces  Fils  du  cerveau,  aient 
rhonneur  de  briller  par  une  grande  va- 
riété de  noms,  aufîi-bien  que  les  autres 
iinfans  d'une  qu-tlité  dillinguée?  No- 
ire 

*  ïl  y  a  eu  un  temps  5  où  en  Angleterre  on  fe 
pîciifoit  fort  à  donner  aux  livre?  les  titres  les  plus 
bilarres,  C'cit  encore  le  grand  goCk  en  Aile- 
jnagne. 


DU    TONNEAU.      77 

tre  hmQuxDrrde^i  s'efl  hazardé  même 
d'aller  plus  loin ,  en  failant  tous  Tes  ef- 
forts, pour  introduire  fulage  de  donner 
au  même  Livre  plufieurs  Parains  '^. 

C'ed  une  pitié ,  que  cette  belle  inven- 
tion n'ait  pas  été  mieux  foutenue  par 
une  imitation  exacte,  autorifée  par  un 
exemple  de  cette  force  :  j'ai  fait  de 
mon  mieux,  quanta  moi,  pour  donner 
la  vogue  à  cette  mode:,  mais,  je  ne  Ton- 
geois  pas  alors ,  qu'il  y  a  une  malheureu- 
fe  dtpenfe  attachée  à  l'honneur  de  pro- 
curer des  Parains  \\  Tes  Enfans,  dépen- 
fedont  on  tire  d'ordinaire  de  forts  mai- 
gres revenus.  La  raifon  m'en  eft  abfo- 
Uiment  cachée:  tout  ce  que  je  puis  di- 
re, c'eil  que,  dans  le  cas  dont  il  s'agit  ici , 
j'ai  perdu  <&  mes  frais  ô:  la  gloire  que 
j e  voulois  m'acquerir  par  ce  moïen .  } 'a- 
vois  emploie  des  meditations,  6c  des 
efforts  d'efprit  prodigieux ,  pour  couper* 
le  Traité  fuivant  en  quarante  Sections  ; 
mais,  aïantfupplié  autant  de  Lords  de 
ma  connoiflance  d'en  vouloir  bien  être 
les  Parains ,  ils  s'en  font  excufez  tous , 
enm'envoïant  dire,  qu'ils  s'en  faifoient 
un  cas  deConfcience. 

D  3  SEC- 

*  Ildcdîoit  un  même   livre  h  plufîeurs  gr:>nds 
Soigneurs. 


78  LECONTE 

SECTION    II. 

Commencement  du  Conte. 

IL  y  avoit  un  jour  un  homme ,  qui 
avoit  trois  Fils  delà  même  Femme, 
&  d'une  mêmie  couche ,  ils  étoient  ve-? 
nus  au  monde  d'une  manière  limiracu- 
leufe ,  que  la  Sage- Femme  elle-même 
ne  pouvoit  pas  dire,  qui  des  trois  étoin 
Y^iné.  Le  Père  m.ourur  ,  lorfqu  ils 
étoient  encore  fort  jeunes.  Mais, avant 
que  de  rendre  l'ame  ,  il  les  fit  ap- 
procher de  Ton  lit,  &  leur  tint  le  dis- 
cours fuivant: 

Aies  Fils  Je  n  ai j ardai  s  cherché  les  biens 
de  ce  Monde ,  i3  je  n'en  ai  -point  hérité  de 
mes  Pérès.  C  eft  pourquoi,]' ai  rêvé  long-, 
tenis  en  vain  fur  les  moïens  de  vous  laijjer 
quelque  chofe  de  bon  {jf  d"* utile,  A  la  fin^ 
à  force  de  foins  13  de  dépenfes  fje  vous  ai 
pourvus  chacun  d'un  bon  habit  neuf  ^^;  les 
'voici  tous  trois.  Vous  faurez ,  mes  En- 
fans  y 

*  Les  habits  ,  c'ell  la  Religion  Chrétienne  ;  &  le. 
Teftament,  qui  contient  des  préceptes  fur  la  ma. 
niere  de  les  porter,  (Se  de  les  conferverj  c'cft 
Ixcriturc  Sainte, 


DU    TONNEAU.       79 

fjins^  que  ces  babils  ont  deux  qualïtcz, 
particulières,  La  premiere  eft ,  ([u^en  les 
[oignant  comme  il  faut^  ils  auront  tou- 
jours ce  même  air  neuf  ^  que  -vous  leur  voïez 
à  cette  heure:  la  féconde  ^  qu  ils  croit r ont 
dans  la  même  proportion  avec  vos  corps  ^ 
s' étendant  iy  sélargijjant  d'une  manière 
a  sajufter  toujours  à  vos  tailles,  ivieîtez 
les^  mes  Fils  ^  afin  que  je  les  voie  fur  vous 
avant  que  de  mourir —  Fort  bien-yfoïez 
propres^  je  vous  en  prie  ^  £5?  aïe  z  foin  de 
les  vergeterfouvent.  Vous  trouverez  dans 
mon  F'eftament ,,  que  voici  ^  toutes  les  inf- 
truciions  nécéjjdires  touchant  la  manière 
de  Ici  po'rter  ^  ^  de  les  ménager  :  obfer- 
vez  les  exactement ,  ft  vous  voulez  éviter 
les  chatvmens  attachez  à  la  moindre  tranf- 
greffon  de  ?nes  ordres ,  £5?  ft  vous  avez  à 
cœur  votre  bonheur  futur.  J'ai  ordonné 
encore  dans  ?non  Teftament ,  que  vous  de^ 
meuriez  tous  trois  cnfemble^  comme  amis^ 
y  corame  Frères  \  c'eft-  là  V unique  moien 
Dour  vous  de  profpcrer  dans  le  monde. 

Après  avoir  fini  ce  Difcours,  le  bon- 
homme moLirci;,  à  ce  que  ditriiilloire; 
&  Tes  trois  Fils  s'en  allèrent  enlemble 
chercher  des  avantures. 

Je  ne  vous  importunerai  pas  par  le 
D  4  récit 


So         L  E    C  O  N  T  E 

recit  de  celles ,  qu'ils  rencontrèrent  pen- 
dant  les  premieres  fept  années  ^.  Je  dirai 
feulement ,  qu'ils  fe  conformèrent  exac- 
tement au  Teftament  de  leur  Père, 
<&  qu'ils  gardèrent  leurs  habits  en  fort 
bon  état.  Au  refte ,  ils  parcoururent 
pluileurs  pais,  eurent  a  faire  à  un  grand 
nombre  de  Géants,  &  eurent  le  bon- 
heur de  déikire  le  monde  de  pluHeurs 
Dragons. 

Parvenus  à  lagede  fe  produire  dans 
le  Monde,  ils  prirent  maifon  en  ville, 
&  fe  mirent  à  faire  l'amour  aux  Dames, 
iur- tout  à  trois  d'entfelles,  quiavoient 
la  vogue,  à  favoir  à  la  DucheiTe  d'Ar- 
gent, à  Madamie  de  Grands-Titres,  & 
à  la  ComteiTe  d'Orgueuil. 

Ils  furent  d'abord  affez  mal  reçus; 
mais,  en  aïant  déterré  lacaufeavec  une 
grande  pénétration ,  ils  attrapèrent 
bientôt  les  bonnes  manières.  En  moins 
de  rien,  on  les  vit  écrire, rimer,  rail- 
ler ,  chanter ,  parler  &  ne  rien  dire  : 
ils  beuvoient,  fe  battoient,  juroient, 
prenoientdu  tabac,  &couroientlebon 
bord.  Ils  aîloient  à  la  premiere  reprè- 
fentation  des  Pièces  de  Théâtre  ,  bat- 
toient 

*  LTglife  Primitive 


DU    TONNEAU.      8r 

toient  le  Guet,  fe  divertiffoient  avec 
les  belles ,  &  s'en  trouvoient  fort  mal. 
Ils  donnoient  aux  Fiacres  des  coups 
de  baton  ,  au  lieu  d'argent.  Ils  s'en- 
dettoient  chez  les  marclïans  ,  ôc  cou- 
choient  avec  leurs  Femmes.  Ils  rof^ 
foient  les  Sergens,  jettoient  les  vio- 
lons par  la  fenêtre  ,  dinoient  chez  ^e 
plus  fameux  traiteur  ,  &  faifoient  la 
digefljon  au  Café  des  petits  Maîtres, 
Ils  parloient  des  apparteniens  ,  où  ils 
n'avoient  jamais  mis  le  pied;  dinoienc 
avec  des  Mylords,  fans  \ç.s  voir;  par- 
loient à  l'oreille  a  une  Duchefle ,  fans 
lui  dire  le  moindre  mot  ;  failbient  paf^ 
fer  le  griffonnage  de  leurs  blanchilTeuîes, 
pour  des  billets  doux  de  qualité.  Ils  ne 
faifoient  que  revenir  de  la  Cour,  fans  y 
avoir  jamais  été  vus;  iîs  étoient  au  le- 
vé du  Roi  fîib  tlio'^  dans  une  Compa- 
gnie iîs  apprenoient  par  cœur  une  liile 
des  Pairs  du  Roïaume  ,  &  dans  une 
autre  ils  en  farcilloient  leurs  difcours  , 
d'un  petit  air  foit  famlîier. 

Ils  ne  negligcoient  pas  fur-toui  de 
comparoitre  régulièrement  dans  l'Ai- 
femblée  de  qqs  Sénateurs^  qui  n'ont  rien 
à  dire  dans  le  Parlement,  o:  qui  par- 
ient haut  au  Caifé ,  où  ils  s'ajourmnt 
D  f  tûu$ 


SI         L  E    C  O  N  T  E 

tous  les  foirs  pour  remâcher  les  affîiires 
politiques,  entourez  d'un  cercle  de  cu- 
rieux promts  à  ramafler  leurs  miet- 
tes. 

Les  trois  Frères  avoient  acquis  mille 
autres  belles  manières,  dont  le  détail 
feroit  ennuieux  ;  & ,  par  confequent , 
ils  paflbient  avec  juftice  pour  les  Ca- 
valiers les  plus  accomplis  de  la  ville. 
Mais,  tout  cela  ne  faifoit  que  blanchir; 
leurs  Maitreflesreitoient  toujours  infen- 
fibles. 

Pour  en  faire  bien  fentir  la  raiibn ,  il 
faut  qu'avec  la  permiiïlon  du  patient 
Lefteur  je  m'étende  un  peu  fur  un 
point  d'importance  ,  qui  n'a  pas  été 
funfamment  éclairci  par  les  Auteurs  de 
ce  fiecle-là. 

Une  nouvelle  Secle  s'éleva  environ 
ces  tems ,  &  fes  adlierans  fe  répandirent 
au  long  &  au  large ,  far  -  tout  parmi  le 
beau  monde.  Ils  adreifoient  leur  culte 
à  une  certaine  Divinité  =^5  qui,  felon 
leur  Doctrine  ,  s'occupoit  journelle- 
ment à  créer  les  hommes  par  une  ope- 
ration  mechamque.  Elle  étoitplacée,dans 
la  partie  la  plus  élevée  de  la  maifon,  fur 

un 

*  Ufj  Titi/lcffTe 


DU    TONNEAU.       85 

un  Alltel  haut  environ  de  trois  pieds. 

La  Divinité  y  étoîtafTife  dans  lapof- 
ture  d'un  Empereur  Oriental,  avec  les 
jambes  croifées  fous  lui*. 

A  main  gauche  de  l'Autel  ,  Y  Enfer 
fembloit  ouvrir  fa  Gueule,  pour  dévorer 
les  animaux,  à  la  création  defquels  le 
l^ieu  s'occupoit>  mais,  pour  en  rallen- 
tir  la  faim  infatiable ,  certains  Prêtres  y 
jettoient  detems  en  tems  quelques  pie- 
ces  de  -matière  infcrme ,  &  fouvent  mê- 
me des  membres  entiers  déjà  vivifiez, 
que  ce  goufre  afreux  avaloit  d'une  ma- 
nière terrible  k  voir. 

Cette  Divinité  paflbit  pour  avoir  in- 

ven- 

*  Il  y  a  ici  dans  l'Original  un  pafTage  qu'il 
n'efl  pas  poflible  de  mettre  en  François,  parce 
que  c'eft  un  badinage  qui  roule  iur  un  mot 
équivoque.  L'Auteur  dit  que  ce  Dieu  ctoit 
accompagné  d'un  Oye ,  &  que  cet  animal  étoit 
honore  dans  ^on  temple  comme  une  Divinité 
fubalterne.  Or  le  terme  Go^j,  Oye ,  fignine  f.ul- 
{i  le  Clin-eau  dont  les  tailleurs  fe  fervent  pour 
aplatir  les  coutures.  J'avertirai  ici  en  même 
tems  ,  pour  rendre  plus  clair  le  pafTage  qui 
fuit,  que  les  Anglois  donnent  le  nom  d'Enfer 
à  l'endroit  où  les  tailleurs  jettent  les  pieces  d'é- 
toffe, qu'ils  trouvent  bon  de  s'approprier,  & 
que  nous  nommons  en  François,  par  bad:n.îge> 
lail  du  tailleur, 

D  6  ^ 


S4  L  E    C  O  N  T  B 

venté  la  *  verge ,  &  Péguilk  :  û  c'eH 
en  qualité  de  Dieu  des  Mariniers  ,  ou 
s'il  faut  prendre  cette  exprefTion  dans 
un  autre  fens  milterieux  &  allegori- 
qu  5  c'eit  un  point  fur  lequel  jufqu'icî 
on  n'a  pas  répandu  le  jour  necelTaire. 

Les  Adorateurs  de  ce  Dieu  avoient  un 
Syiténie  deDcclrine,  quirouîoit  à  peu 
près  fur  les  Dogmes  Fondamentaux  , 
que  voici. 

L'Univers ,  difoient-ils  ,  n'efl  autre 
chofe,  qu  un  habillement  complet,  qui 
revêt  toutes  chofes  :  la  terre  eit  habillée 
par  Fair ,  Fair  par  les  Etoiles  ,  &  les 
Etoiles  par  le  primuin  mobile.  Jettez  les 
3v^eux  fur  notre  Globe,  vous  verrez  que 
Veil  un  habit  dans  les  formes,  &  d'un 
^rès-bon  goût  ;  ce  que  certaines  gens 
■apellent  la  T^r/^n'elt  autre  chofe,  qu'un 
fur- tout  avec  des  paremens  verds. 
Qii'ell-ce que  la  mer,  fi-nonune  vefle 
d'un  beau  tabist  Examinez  chaque  ou- 
vrage particulier  de  la  création ,  vous 
verrez  quelle  habile  couturière  la  natu- 
re a  été,  enhabilanttcusles  i-egetaux  à 
la  Cavalière.  De  quelle  perruque  galan- 
te 

*  Une  mcfur^  de  trois  pieds  ;  c'eil  l'aunç  A^ï* 


DU    TONNEAU      ^f 

te  n  a-t-ellepas  coefféle  betre?  De  quel 
beau  pourpoint  de  fatin  blanc  n'a-t-elle 
pas  ajullé  le  boalcan  ?  Pour  faire  court, 
l'homme  lui-même  eft-il  autre  chofe 
qu'une  Micrci'cfie^  ou,  pour  mieux  di- 
re 5  un  habit  complet ,  avec  toutes  ^ts 
fournitures  ?  Par  rapport  au  corps,  la 
chofe  eilinconteltable;  mais,  à  exami- 
ner même  toutes  les  qualitez  de  fon  ame , 
on  n'y  trouvera  rien ,  qui  n'ait  one  re- 
lation étroite  avec  les  différentes  piér 
ces   qui  compofent  notre  ajuftement. 

La  Religion  eit  un  manteau  ;  f  inté- 
grité eft  une  paire  de  fouliers  ufez  à  for- 
ce de  marcher  dans  les  boucs;  l'amour- 
propreeil  un  fur-tout,  la  vanité  ,  une 
chemife  :  pour  la  confcience ,  c'efl  un 
haut-de-chaufe ,  deftiné  à  couvrir  la  vo- 
lupté &  l'ordure  ;  mais,  qu'on  lahTe 
tomber  fort  promtem^ent ,  quand  on  fc 
veut  livrer  à  l'une ,  ou  à  fautre. 

Ctspoftulata  étant  admis ,  il  s'enfuit, 
par  une  confequence  legitime,  que  les 
éires,  appeliez  improprement  par  les 
hommes  habits ,  compofent  réellement 
réfpece  la  plus  finie  des  animaux  ,  ou 
pour  aller  encore  plus  loin,  font  réelle- 
ment hommes  ,  ou  animaux  raifonna- 
bles,  N'elî-il  pas  évident ,  qu'ils  fe  meu- 
1)  7  ventj 


S(5  L  E    C  O  N  T  E 

vent ,  qu'ils  vivent ,  qu'ils  parlent ,  5: 
qu'ils  s'acquittent  de  tous  les  autres  de- 
voirs de  la  vie  humaine  ?  Ces  êtres  ne  fe 
promenent-ilspas  dans  les  ruës?Nerem- 
plillent-ils  pa«  le  Parlement ,  les  cafFés , 
les  téatres,  &  les  temples  de  Cytheret  11 
ell  vrai, que  ces  annimaux,  nommez  vul- 
gairement habits ,  doivent  être  appeliez 
difFerement ,  felon  la  difference  de  la  ma- 
tière &  de  la  forme,  qui  les  compofent. 

L'Alfemblage  d'une  chaine  d'or ,  d'u- 
ne robbe  d'écarlatte  doublée  d'hermi- 
nes, &  d'une  baguette  blanche,  placé 
fur  un  grand  cheval ,  efl  un  Lord-Mai- 
re. Certaines  autres  fourures ,  accom- 
modées d'une  certaine  maniere5Compo- 
fent  un  Juge  ;  &  un  mélange  de  toile 
fine ,  &  de  fatin  noir ,  eil  un  E'vêque. 

Il  y  avoit  des  Profefleurs  parmi  cet- 
te Secle,  qui ,  quoi  qu'ils  admifTent  effcn- 
tiellcment  le  même  Syflême,  ne  laif- 
foient  pas  de  raffiner  fur  certains  points. 
Ils  foutenoient  que  l'homme  efl  com- 
pofé  de  deux  habillemens  differens  , 
l'un  celejîe  ^  Vautre artijiciel-^  dont  le  pre- 
mier elt  le  Corps ,  &  le  fécond  FAme  ; 
que  Pâme  étoit  fhabit  extérieur  ,  &  le 
corps  rhabit  intérieur -,  que  le  dernier 
ell  ex  traduce^  mais  que  l'autre  proce- 

doic 


DU   TONNEAU.       B7 

doit  d'une  création ,  &  d'une  circomfu^ 
Jîon  quotidienne.  Ils  prouvoient  cette 
dernière  partie  de  la  propolition,  par 
l'Ecriture ,  parce  que  dans  eux  nous  nous 
mowoons ,  nous  'vi'vons.,  G?  nous  avons  F  être  y 
cz  par  la  Philofophie,  parce  que  ces 
habits  extérieurs  font  tout  dans  le  tout, 
l^  tout  dans  cheque  -partie.  D'ailleurs , 
difoient-ils ,  feparez  ces  deujc  habille- 
mens ,  &  vous  trouverez  que  le  corps 
n'efl  qu'une  vile  carcalledeltituéed  m- 
telligence;  &,  par  confequent,  il  ell  clair 
que  ce  qu'on  nomme  h rihlt  extérieur  ào'it 
être  Vanie,  A  ce  Syitéme  de  Religion 
étoient  attachez  certains  dogmes  fubal- 
ternes ,  qui  av' oient.une  grande  vogue. 
Les  Savans  fe  diitinguoient  fur-tout  à 
déduire  de-là  les  différentes  facuîtez  de 
lame.  Chez  eux,  la  broderie  étoit 
grand  fond  à'efprit\  les  franges  d'or, 
agréable  converfation-^  les  galons  d'ar- 
gent, repartie  vive  ;  la  perruque  carrée , 
î^n  tour  d' efpr it  particulier  \  &  un  habit, 
chargé  de  poudre  du  haut  enbas,étoic 
fine  plaijlmterie.  Ils  foutenoient ,  d'ail- 
leurs, que  tous  cestalensvouloient  être 
maniez  avec  une  extrême  delicateffe ^S>C, 
dirigez  'à.y<^Q  grand  jugement  ^  felon  les 
tems,  &  les  modes. 

Cefl 


8S         LE    CONTE 

C'efl  avec  beaucoup  de  peines,  &  par 
le  moïen  d'une  Lefture  infatigable,  que 
jairamafle,  chez  les  anciens  Auteurs , 
ce  Syflême  de  Théologie,  &  de  Philofo- 
phie,  qui  paroit  avoir  eu  fa  fburcedans 
une  manière  de  penfer,  qui  n'a  rien  de 
commun,  ni  avec  les  Syilcmes  anciens , 
ni  avec  les  modernes.  En  m'engageant 
dans  ces  pénibles  recherches,  mon  but  a 
été ,  moins  de  fatisfaire  la  cariofité  du 
Le6leur,  que  de  lui  faciliter  fintelligen- 
ce  de  pluiieurs  particularitez  de  l' His- 
toire fuivante  -,  car,  a  moins  d'être  in- 
fbruitdesdifpofitions  oùfe  font  trouvez 
les  hommes,  &  des  opinions,  qui  ont 
régné  parmi  eux,  dans  un  fiéclefi éloi- 
gné, il  ne  fera  pas  en  état  de  compren- 
dre les  grands  événemens,  qui  en  font 
dérivez   comme  de  leur  fource. 

Celt  pourquoi,  je  ne  puis  trop  l'aver- 
tir de  lire  &  de  relire ,  avec  toute  l'at- 
tention imaginable,  ce  que  je  viens  d'é- 
crire fur  ce  fujet. 

Je  reprens  le  û\  de  mon  Hifloire. 
Nos  trois  Frères  n'étoient  pas  dans  un 
petit  embarras,  en  voïant  les  fufdites 
opinions  li  généralement  reçues  &  fui- 
vies  par  tout  ce  que  la  Cour  &  la  Ville 
avoit  de  plus  poli.  Leurs  maîtreffes  ea 

itoient: 


DU   TONNEAU.        8^ 

étoient  tellement  imbues ,  qu'elles 
étoient  toujours  au  plus  haut  faite  delà 
mode,  &  quelles  avoient  un  profond 
mépris,pour  tout  ce  qui  relloit  au  delTous 
d'elle  de  répaiOeur  d\m  feul  cheveu. 

Cependant ,  le  Père  de  nos  Cavaliers 
leur  avoit  ordonné  formellement,  fous 
peine  des  châtimens  les  plus  rigoureux, 
de  ne  rien  ajouter  à  leurs  habits,  &  de 
n'en  rien  oter,  fans  un  ordre  exprès  con- 
tenu dans  ledit  Teftament.  Il  eft  vrai, 
que  ces  habits  étoient  d'un  bon  drap,  & 
d'ailleurs  coufu  fi  délicatement,  qu'on 
auroit  juré,  qu'ils  étoient  tout  d'une 
pièce;  mais,  ils  étoient  fort  unis,&pre{^ 
que  deflituez  de  tout  ornement. 

A  peine  avoient-ils  été  un  mois  dan» 
la  ville ,  que  tout  d'un  coup  la  mode  vint 
de  porter  des  Nœuds  d'Epaule  :  d'abord 
tout  le  monde  devint  nœud  d'Epaule;  il 
n'y  avoit  pas  moïen  d'aprocher  des  ruel- 
les ,  fans  cette  marque  de  diftinction. 
Une  trille  experience  aprit  bientôt  aux 
trois  Avanturiers,  jufqu'à  quel  point 
cette  piece  leur  étoit  neceflaire  :  ils  ne 
faifoient  pas  un  tour  de  promenade  , 
qu'ils  ne  reçuffent  mille  mortifications. 

Quand  ils  alloient  à  la  Comédie,  le 
Portier  leur  demandoit ,  s'ils  ne  vou- 

Ipient 


5?o  LECONTE 

loient  pas  fe  mettre  au  Paradis  ;  appel- 
loient-ils  un  fiacre,  le  cocher  les  prioit  de 
monter  fur  le  derrière  en  attendant  leur 
maître;  lorfquils  entroient  dans  un 
Cabaret,  le  Garçon  leur  difoit  obligeam- 
ment, on  ne 'vend  point  de  h'iere  ici ^  mei 
amis\  &  s'ils  vouloient  rendre  vifite  à 
quelque  Dame,  le  Laquais  les  arrétoit 
à  la  porte ,  pour  les  prier  de  lui  dire 
feulement  leur  meiTage,  &  qu'il  leur 
rendroit  réponfe  dans  le  moment. 

Dans  cette  malheureufe  fituation,  ils 
ne  manquèrent  pas  de  confulterleTef- 
lament  de  leur  Père.  M.2i\s  ^ahum  filen- 
tium  furies  Nœuds  d:  Epaule,  D'un  côté, 
robéiffance  étoit  un  point  abfolument 
necelTaire;  mais,  de  l'autre  ,  fans  les 
îsl'œuds  d'Epaule^  point  de  falut. 
-  Après  une  meure  deliberation,  un  des 
Frères ,  plus  lettré  que  les  autres,  s'avifa 
d'un  expédient.  Ileil  vrai,  dit-il,  que 
le  Teftament  ne  fait  point  mention  des 
Nœuds  d'Ep aille ^totide ni  verbis \  mais,  je 
conjeélure ,  qu'il  en  parle  incluiivement, 
ou  totidem  fiilahis  ^'\   Cette  diflinclion 

fut 

*  Les  fuSîi'litez  de  l'Ecole,  &  les  diftinclions  re-? 
cherchées, font  fort  propres  à  eloigner  les  hommes 
du  bon-lens.&  n'ont  pas  peu  contribué  à  introduire 
Jçi  abus  dans  la  Religion  Chrétienne, 


crm  Z  ^:fiz^.^i 


DU    TONNEAU.        pt 

fat  d'abord  goûtée,  &  l'on  fe  mit  de 
nouveau  à  examiner  ;  mais,  une  malheu* 
reufe  étoile  avoit  tellement  influé  là- 
delTus,que  la  premiiere fyîlabe  ne  fe  trou- 
voit  pas  dans  tout  l'écrit:  néanmoins, 
celui  qui  étoit  l'Auteur  de  cette  inven- 
tion reprit  courage.  Mes  Frères ,  dit- 
il  ,  ne  vous  affligez  pas  :  l'affaire  n'eft 
pas  encor  tout-a-fait  defeipérée.  Si 
nous  ne  trouvons  pas  ce  que  nous  cher- 
chons, tot  idem  "verbis^  mtotidrmfillahis^ 
je  me  fais  fort  de  le  trouver ,  totîdem  Ut^ 
ter  is.  L'expédient  parut  merveilleux,& 
les  voilà  aufli-tôt  à  l'ouvrage.  En  moins 
de  rien,  ils  firent  un  recueil  des  lettres 
fuivantes  N,U,D,S,D,E  ,P,  A,U, 
L;  E;  mais,  ils  avoientbeau///r^/fr  par- 
tout, la  féconde  lettre  0£  neparoilfoit 
nulle-part  *.  La  difficulté  fembla  d'abord 
importante  j  mais,  le  Frère  à  diilinclions,. 

qui 

*  Nœud d^ Epaule  c^  ex'pnmé  ■p^r  Shoulder-Knot 
en  Anglois:  c'efl  dans  ronginalfur  h  Lettre  K^ 
qu'on  ne  prononce  point ,  que  roule  la  fubtile  dii- 
tin<ftion  du  plus  grand  Clerc  d'entre  les  Frères.  Il 
eft  impoiTible  de  rendre  tout  ce  qui  fe  dit  là-dcfTus, 
en  François;  mais,  pour  y  fubftituer  un  Equiva- 
lent, je  me  fuis  attaché  à  l'a-,  quin'eftpas  tout-a- 
fait  utile  dans  le  mot  Nœud ,  qu'on  peut  écrire 
tout  de  même  par  un  e  fimple. 


5>ï         L  E    C  O  N  T  E 

qui  étoit  en  train  de  faire  merveille, 
trouva  bientôt  de  quoi  remédier  à  cet 
inconvenient.  Selon  lui, rO£  étoit  une 
lettre  pedantefque,  qui  n'étoit  d'aucu- 
ne utilité ,  &  qu'on  poiivoit  remplacer 
facilement  par  un  E  iimple,  qui  faifoit 
dans  le  fond  le  même  effet. 

Voilà  la  difficulté  évanouie  :  ils  font 
évidemment  autorifez,  àfuivrelamode, 
jurepaierno'^  &  mes  Damoifeauxfe  car- 
rent dans  les  rues  avec  des  Neuds  d'E- 
paule auffi  copieux  &  auili  flottants, 
que  ceux  d'aucun  Fils  de  bonne  Mere. 

Comme  le  bonheur  de  ce  monde  eil 
fujètà  pafler  comme  un  éclair,  les  mo- 
des, dont  ce  bonheur  dépend  entière- 
ment, étoient  foumifes  à  la  même  in- 
conilance  dans  ce  iiécle-là  ^  &  le  règne 
des  Neuds  d'épaule  fut  de  courte  du- 
rée. 

Un  Seigneur,arrivé  nouvellement  de 
la  Cour  de  France,  s'étala  en  public,  tout 
couvert  d'une  cinquantaine  d'aunes  de 
galons  d'or  parcourant  exaclement  les 
Méandres^  où  les  conduifoit  la  mode 
deflinée  à  régner  à  Paris  pendant  le  mois 
courant.  Deux  jours  après,  tout  le  mon- 
de parut  habillé  d'or  en  barre:  quicon- 
que ôfoit  paroitre  en  compagnie  fans 


DU    TONNEAU.        §^ 

celte  perfeclion ,  avoit  l'air  au fîî  hon- 
teux qu'un  Eunuque,  &étoittoutaufli 
mal  reçu  des  Femmes.  Qiiel  parti  pren- 
dront ici  mes  gaians?  Ils  ont  donné 
déjà  une  entorfe  aiTez  violente  à  la  der- 
nière volonté  de  leur  Père.  Elle  ne  dit 
rien  du  tout  fur  ce  nouvel  article  bien 
plus  important  que  le  premier.  Le  Neud" 
d^ Epaule^  n'étoit  qu'un  petit  ornement 
détaché  &  fuperficieliau  heu  que  le  galon 
d'or  caufe  une  alteration  plus  confi- 
derable  ,  puifqu'il  adhère  en  quelque 
forte  à  la  llibitance  même  de  la  choie. 
Le  m.oyen  donc  d'en  porter  fans  un  or- 
dre pofitifl 

Il  arriva  heureufementdanscetems, 
que  le  Frère  favant  venoit  de  lire  les 
JJlalecfiques  d'Arillote ,  &  particulière- 
ment fon  merveilleux  traité  de  r interpre- 
tation ,  qui  nous  enfeigne  h  trouver  en 
tout  palîlige  tous  les  fens  du  monde,  ex- 
cepté celui  de  FAuteur^  Ouvrage  utile 
par  conlequentaux  Commentateurs  des 
Révélations,  qui  expliquent  les  Prophé- 
ties ,  fans  entendre  un  mot  du  texte  Ori- 
ginal. 

Eclairé  de  ces  nouvelles  lumières,  il 
apoltrophe  fes  Frères  de  la  manière  fui- 

vante. 


94  LECONTE 

vante  *.  apprenez ^  mes  chers  Frères., 
qu'il  y  a  deux  fortes  de  Teftamens ,  Nun- 
cupatorium,£5f  Scriptoriumj  que  le  Tejla^ 
ment  écrit ,  que  nous  avons  devant  nos  y  eu  x^ 
ne  fait  pas  mention  de  galons  d'or ,  bien 
loin  d'en  ordonner  pofttivement  Tufage» 
Conceditur.  Mais  ^fi  on  foutient  la  même 
chofe  par  raport  à  une  dernière  volonté  ex^ 
primée  de  vive  voix '^  negatar:  car^  mes 
Frères^  vous  vous  fouvenez  bien  fans  dou^ 
te ,  que ,  dans  notre  enfance ,  nous  avons 
entendu  dire  par  un  certain  quida'm^  qiiil 
avoit  entendu  dire  d'un  valet  de  notre  Pe^ 
re ,  qu'il  avoit  entendu  dire  de  notre  Père 
lui-même ,  que  nous  ferions  bien  de  char» 
ger  nos  habits  de  galons  d'or ,  des  que  nous 
aurions  af/ez  d'argent^  pour  en  acheter. 

Sur  mon  Dieu ,  il  n''y  a  rien  déplus  vrai , 
s'écria  un  autre  Frère.  Je'menfouviens 

par-' 

*  L'Auteur  badine  ici  avec  tout  refprit  imagi- 
nable fur  la  Tradition  fur  la  quelle  l'Eglifc  Romai- 
ne appuie  toutes  les  impertinences ,  pour  icfquel- 
les  elle  ne  trouve  pas  la  moindre  baze  dans  la  Ré- 
vélation. Cette  Tradition,  quoi  qu'aime  qui  vive  ne 
fâche  ce  que  c'eft,  nice  qu'elle  nous  dit  de  bon  j 
pafTe  pourtant  pour  avoir  une  autorité  égale  a 
celle  des  Livres  facrez.  Il  eft  bon  même,  qu'elle  ne 
dife  rien  du  tout  :  c'eft  le  vrai  xnojen  de  lui  faire 
dire  tout  ce  que  l'on  veut. 


DU    TONNEAU,      pf 

parfaitement  bien ,  ajoute  le  troifiéme  ; 
&,  fans  s'alambiquer  le  cerveau  d'avan- 
tage, ils  fe  mirent  à  acheter  le  galon 
d'or  le  plus  large  de  tout  le  quartier, 
&  fe  firent  braves  comme  des  Mi- 
lords. 

Qiieîque  tems  après,  la  mode  vint 
de  doubler  \qs  habits  d  une  petite  étoffe 
de  fatin  couleur  de  feu  *.  AufTi-tôt  un  mar- 
chand en  porta  un  échantillon  a  nos  Ca- 
valiers. Reverence  parler  ^  MeJJlcurs  ^  leur 
dit-il ,  Mylord  Cuts  ^  le  Che'valier  Walter 
ont  fris  hier  au  foir  des  doublures  de  la 
même  pièce  :    ^'ous  ne  /auriez  croire  la 

quan^ 

*  Il  eft  apparent  que,  par  cette  doublure  de  fa- 
tin couleur  de  feu  ,  on  entend  ici  la  doctrine 
du  Purgatoire ,  avec  toutes  fes  dépendances ,  de 
laquelle  les  livres  facrez  ne  difent  rien,  quoique 
cefoitunpoint  tres-eflentiel.  Le  PaiTage  duTef- 
tament,  qui  ordonue  aux  Frères  de  fe  precau- 
tionner  contre  le  feu ,  fait  alluflon  à  un  palTage 
de  St.  Pierre  ,  oîi  il  efl  fait  mention  de  feu  , 
mais  d'une  manière  qui  n'eft  nullement  appli- 
quable  aux  flammes  du  Purgatoire.  Le  Codi- 
cille, que  le  Frère  Lettre  hit  ajouter  au  Teftamcnt , 
&  qui ,  a  ce  qu'il  dit ,  fut  écrit  par  un  Palfrenier 
de  fon  Grand- Père,  defigne  les  Livres  Apocr)-- 
phes,  qui  n'  nt  aucune  autorité.  IJs  comman- 
dent de  prier  pour  les  morts  ;  &  en  voila  aiTcz 
pour  les  mettre  dans  le  rang  ^  es  Livres  facrez^ 
quoiqu'ils  en  renverfent  les  Préceptes. 


P5  LE    CONTE 

quantité  que f  en 'vends '^  (^  je  fuis  fur  ,  que 
demain  matin  à  dix  heures  il  ne  m'en  refie^ 
ra  pas  de  quoi  faire  un  Pelotton  à  ma 
Femme, 

Là-defllis ,  nouvel  examen  du  Tefla- 
ment.  Le  cas  demandoit  un  ordre  pofl- 
tif  j  aujfïï  bien  que  le  précédent;  puifque 
la  doublure  eft  confiderée  par  tous  les 
Auteurs  orthodoxes,  comme  étant  de 
l'efTence  de  l'habit.    Tout  ce  qui  parue 
les  favorifer  en  quelque  forte  étoit  un 
Avertiflemxent  contenu  dans  ladite  der^ 
niere  'volonté  de  le  précautionner  con- 
tre le  feu  ,  &  d'avoir  foin  d'éteindre 
leurs  chandelles ,  en  fe  couchant.  Ces 
mots ,  reclifiez  par  un  Commentateur 
adroit,  pouvoient  bien  aller  jufqu'à  ap- 
procher aflez  d'un  commandement  po- 
iitif;  mais,  comme  ils  ne  tranquilhfoient 
pas  encor  tout-à-fait  ces  confciences  ti- 
morées, le  Frère  Dodîeur^  refolu  de  re- 
médier une  fois  pour  toutes  aux  incon- 
veniens  prefèns  &  futurs  ,  fe  mit  à  ha- 
ranguer de  nouveau.     Je  me  fouviens, 
dit-il,  d'az'oir  'vu plufieursTeftamens ^  oh 
il  étoit  fait  inention  d'un  Codicille  annexe^ 
qui  eft  ccnfé  faire  partie  du  Teftament^  i3 
avoir  la  même  jiuiorité.  Or ,  le  Teftament 
de  notre  Père  n'^ft  pas  accompagné  d'un 

tvl 


DU    TONNExVU.      5)7 

tel  Codicille ,  f> ,  par  confequent^  de  ce  coté* 
là ,  il  eft  ma-nifeftiment  défeclueu'^. 

Ceft pour  cette  rai f on ,  que  f  ai  refolud^y 
en  attacher  un  habilement.  Jen  fuis  déjà, 
en  pojfejjlon  depuis  long-terns  :  il  a  étédrejjé 
par  un  F alf renier  de  notre  Grand-Pcre-^ 
iy  5  par  le  plus  grand  bonheur  du  7nonde ,  // 
y  eft  parlé  fort  au  long  de  ce  même  Jdtiît 
couleur  de  feu. 

Ce  projet  paiTa  avec  le  même  con^ 
lentement  unanime.  Un  vieux  parche-. 
min  ridé  eil  attaché  au  Teftamicnt  en 
guifede  Codicille:  on  achette  lefatin^ 
éc  on  le  porte. 

L'Hyver  fuiA^ant,  unAcïeur,  gagné 
exprès  par  le  corps  des  Faifcurs  de  Fran- 
ges^ joua  ion  role  dans  une  Pièce  nou^ 
velle  5  tout  couvert  de  franges  d'argent  ; 
& ,  par-là ,  conformément  à  la  louable 
coutinue ,  il  en  introduifit  la  mode. 
Les  trois  Frères  confultant  là-defllis  de 
nouveau  le  Tellament  en  queflion,  ils 
y  trouvèrent  à  leur  grand  étonnement 
ces  paroles  accablantes  :  y  ordonne  £5? 
commande  à  mes  trois  Fils  de  ne  porter  ja- 
mais  des  franges  d'argent  fur  leurs  habits  ^ 
ni  à  Ventour  dlceux.  Ces  mots  étoient 
fuivis  d'une  longue  lifte  de  punitions  , 
dont  ils  étoient  menacez ,  en  cas  de  d^s- 

tome  L  E  obcif- 


^8         L  E    C  O  N  T  E 

obeifTance.  Plus  les  difficiiltez  font 
grandes  ,  plus  il  y  a  de  gloire  à  les  fur- 
mo  nter.  Un  Article  fi  foudroïant  ne 
découragea  pas  celui  des  Frères ,  dont 
j'ai  déjà  fi  fouvent  loué  l'érudition.  C'é- 
toit  un  homme  expert  dans  la  Critique, 
&  il  avoit  trouvé  dans  un  certain  Au- 
teur, qu'il  nenommoit  pas  pour  certai- 
nes raifons,  que  le  itvmQ  frange  ^  men- 
tionné dans  le  Teflament ,  fignifie  aufîi 
un  manche-à-halai  \  & ,  felon  lui ,  c'étoit 
dans  ce  fens-là  qu'il  falloit  le  prendre  en 
cette  occafion.  Un  de  fes  Frères  dé- 
clara avec  humilité ,  qu'il  n'étoit  pas  de 
cet  avis-là ,  à  caufe  que  l'Epithéte ,  cC ar- 
gent ,  ne  lui  paroilloit  pas  tout-à-fait 
applicable  à  un  manche  à-balai.  Il  eut 
pourréponfe,  que  cette  Epithétc  de- 
voit  ctre  entendue  dans  un  fens  miile- 
rieux  &  allégorique  ^  mais,  il  ne  lailTa  pas 
d'objeéler  de  nouveau  ,  qu'il  ne  com- 
prenoit  pas  pourquoi  fon  Père  leur  au- 
roit  défendu  de  porter  des  manches-à- 

*  Il  s'agit  ici  probablement  de  l'etabliffement 
^u  Culte  des  Images,  que  les  Dofteurs  de  TEglife 
Romaine  fauvent  par  la  merveilleufe  diftinction 
entre  ditlie  Si,  latrie  ,  deux  termes  compofez  de 
différentes  lettres:  &  en  voilà  aflez  pour  aller  di- 
rectement contre  une  Loi  formelle  de  D^eu. 


DU    TONNEAU.      ^j 

halaï  fur  leurs  habits  ;  précaution  inu- 
tile ,  &  même  impertinente.  Son  Frè- 
re là-deilus  prit  un  air  grave,  &  l'arrê- 
ta tout  court ,  comme  un  homme  qui 
parloit  avec  irrévérence  d'un  mifiere , 
quijfans  doutCjétoit  très-fignificatif ,  & 
très-utile  3  mais,  dans  lequel  il  n'étoit  pas 
permis  à  la  Raiion  humaine  de  creufer 
trop  avant. 

Cette  réponfe  fenfée  mit  fin  à  îadil^ 
pute  \  &  comme  le  Teflament  du  Père 
perdoit  chaque  jour  quelque  chofe  de 
fon  Autorité  ,  on  prit  d'une  manière 
docile  ce  joli  tour  de  Critique,  dont  je 
viens  de  parler  ,  pour  une  PermifTion 
dans  les  formes  de  fe  jettera  corps  per- 
du dans  les  franges  d'argent. 

Quelque  tems  après,  une  vieille  miode 
fut  remife  fur  pied.  C'étoit  une  bro- 
derie à  la  Chinoife  chargée  de  Figures 
d'f  ïommes ,  de  Femmes ,  &  d'Enfans  ^'^ 

Dans  cette  occafion,  il  ne  s'agiiToit 
pas  feulement  de  confulter  la  dernière 
volonté  du  Père:  les  Damoifeaux  ne 
fe  reffouvenoient  que  trop  de  l'horreur 

qu'il 

*  On  voit  aflez  qu'il  s'agit  ici  de  l'Adoration 
des  Saints  mis  a  la  placodes  Divinitez  nombreu- 
ses du  Paganiime. 

E  4 


100        L  E    C  O  N  T  E 

qu'il  avoit  toujours  témoignée  contre 
cette  mode.  Ils  favoient  que ,  dans  plu- 
fieurs  Articles  drelTez  exprès ,  il  l'avoit 
deteitée  ^  &  qu'il  leur  avoit  donné  fa 
maledièlion  éternelle,  s'ils  étoient  jamais 
aflez  hardis  pour  lafuivre.  Malgré  tant 
■de  déclarations  11  formelles  ,  il  ne  fe 
pafla  pas  deux  jours ,  qu'ils  neportalfent 
cette  mode  jufqu'à  l'excès.  Ils  alle- 
guoientenleur  faveur,  que  ces  Figures 
n'étoient  point  du  tout  les  mêmes ,  qui 
avoient  été  en  vogue  autrefois  ,  & 
dont  le  teflateur  avoit  voulu  parler  : 
d'ailleurs,  ilsneportoientpas  cette  bro- 
derie ,  dans  le  fens  dans  lequel  elle  leur 
avoit  été  défendue  ;  mais ,  uniquement , 
pour  fuivre  une  coutume ,  qui  tendoit 
au  bien  public.  A  leur  avis,  ces  Arti- 
cles duTeilament  dévoient  être  inter- 
prétez cum  granç  falls. 

Les  modes  étant  fujettes  à  une  revo- 
lution perpétuelle,  le  Frère  à  diil:in6tions 
fe  laifa  à  la  fin  de  chercher  des  échap- 
patoires ,  &  de  iuter  contre  des  obfta- 
clés,  qui  fefuccedoientfansceffelesuns 
aux  autres.  Il  voïoit  ^qs  Frères  ,  aufli 
bien  que  lui  ,  refolus  à  s'afTujettir  à  la 
mode ,  à  quelque  prix  que  ce  fût  :  ainfi , 
il  ne  lui  fut  pas  difficile  de  ksdétermi^ 

ner 


DtJ    TONNEAU.     lot 

lier  a  renfermer  le  Teltament  fatal  , 
dans  un  Coffre -fort ,  qui  leur  étoit  venu 
de  Grèce  ou  dlta]ie3  &  à  ne  l'alléguer 
déformais,  que  dans  les  cas  où  il  s'ac- 
corderoit  avec  leurs  intérêts. 

Conformément  à  cette  refolution  , 
quand  la  mode  vint  de  porter  un  nom- 
bre infini d'éguillettes  ferrées  d'argent, 
notre  favant  Critique  prcilonça  ex  Ca- 
ihedra ,  qu'ils  étoient  autorifez  à  porter 
'de  ces  éguillettes,  Jure  Paterno.  Qj.i"il 
étoit  bien  vrai,  que  la  mode  aîioit  un 
peu  au  delà  de  la  permiiïïon  que  leur 
aecordoit  le  Teilament  :  mais ,  qu'en 
qualité  de  Succeffeurs  de  leur  Père ,  ils 
avoient  le  pouvoir  d'y  ajouter  certaines 
claufes ,  pour  l'accommoder  au  bien  pu- 
blic 3  &,  quand  même  ces  claufes  nau- 
roient  pas  une  liaifon  exaéle  avec  le  Tef- 
tament ,  qu'il  falloit  pourtant  les  admet- 
tre, de  peur  de  tomber  dans  certaines 
incongruitez  ,  ne  multa  ahfurda  fequc-^ 
rentur.  Cette  décifion  pafTa  aufii-tôt 
pour  Cano'/iicale  ^  & ,  le  Dimanche  fui- 
vant,  ils  parurent  à  lEglife  tous  lar^ 
dez  d'éguillettes. 

Ce  Frère  avoir  acquis  par  fon  favoir 

une  {\  grande  reputation ,  que  fes  affai- 

re.5  aét^nt  pas  en  irop  bon  état  ,   il 

E  \  eut 


102        L  E    C  O  N  T  E 

eut  le  bonheur  d'etre  placé  chez  un 
certain  Lord ,  pour  avoir  foin  de  Té- 
ducation  de  Tes  Enfans.  Ce  Seigneur 
étant  mort  quelque  tems  après  :  il  fut 
donner  un  tour  fi  adroit  à  quelques  paf- 
iages  du  Tellament  de  fon  Père ,  qu'il 
y  trouva  un  titre  pour  s'approprier  les 
biens  de  feu  fon  Maître.  11  en  prit  auffi- 
tôt  poiTeiTion:  il  en  chalTa  les  élevés  ^ 
&  donna  leurs  appartemens  à  fes  Frè- 
res *. 

*  Ceci  fait  allufîon  à  la  Proteârion  que  les  Em- 
pereurs ont  accordée  jadis  aux  Papes ,  qui ,  peur 
récompenfe,  fe  font  nichez  dans  leur  Ville  Ca- 
pitale ,  &  ont  uiurpé  peu  à  peu  ces  Provinces. 
d'Italie^  dont  ils  font  encore  jufqu'ici  Princes 
Temporels, 


SEC- 


DU   TONNEAU.        10} 

SECTION     III. 

'Digrejfion  touchant  Mejjieiirs  les 
Critiques, 

Quoique  jiifqu'ici  j'aye  pris  toute 
^  Ja  précaution  polllble,  pour  flii- 
vre  exactement  les  règles,  &  la  maniè- 
re d'écrire,  de  nos  llluitres  JModernes, 
je  me  vois  cependant,  par  un  tour  que 
me  joue  ma  malheureufe  mémoire  , 
dans  un  égarement,  dont  il  faut  que  je 
me  tire,  avant  que  jepuifle  avecbien- 
féance  continuer  la  tractation  de  mon 
fujet.  J'avoue  avec  honte,  que  c'eft 
une  négligence  impardonnable  d'y  être 
entré  fi  avant,  fans  avoir  adreiïe  à  nos 
Seigneurs  les  Critiques  les  difcours  ufi- 
tez,  tant  expojiulaîoires^  &i  JuppUcatoi' 
res  ^  que  àép^écatoires. 

Pour  les  en  dédommager,  je  prends 
ici  humblement  la  hardieife  de  leur  pre- 
fenter  une  courte  DiiTertation  fur  eux- 
mêmes,  &  fur  leur  art.  Je  vais  en  exami- 
ner brièvement  l'Etimologie  &laGéné- 
alogie ,  &  le  confidérer,  tant  par  rapport 
k  l'état,  où  il  fetrouvoit  autrefois,  qu'à 

E  4  ré- 


IG4        LE    CONTE 

l'égard  de  celui  où  nous  le  voïons  pré- 
lentement. 

Par  le  mot  Crkiques^  fi  ufité  dans  nos 
converfatioris  d'aujourdhui ,  on  a  enr 
tendu  autrefois  trois  elpeces  d'hommes 
fort  différentes,  felon  ce  que  jen  ai  pu 
découvrir  dans  les  livres ,  &  dans  les 
brochures  des  Anciens.  Ce  terme  defi- 
gna  d'abord  desperfonnes,  qui  s'occu- 
poient  h  inventer  &  à  établir  certaines 
règles,  pour  eux-mêmes,  &pour  le  pu- 
blic, par  l'obfervation  defquelles  un  Lec- 
teur judicieux  pouvoir  fe  rendre  capa- 
ble de  décider  des  produ6lions  des  fa- 
vans  ,  entrer  dans  le  vrai  goût  du  fu- 
blime  &  du  merveilleux,  &diflinguer 
les  véritables  beautez  du  flile  ou  de 
la  matière  5  d'avec  le  faux  brillant  qui  le^ 
imite.  Ils  s'efforcoient ,  dans  leurs  Lec- 
tures,  à  remarquer  ce  que  les  livres  a- 
voient  de  àèÏQdL^itux^t mutilité ,\d. fadeur^ 
Vabfurclité.  Mais,  ils  s'y  prenoient  avec  la' 
même  précaution  ,  dont  fe  fert  un  hom- 
me, qui  paiTe  par  une  ruëfale.  S'il  jet- 
te un  œil  attentif  fur  les  tas  de  boue 
qu'il  rencontre  en  fon chemin,  ce n  eft 
pas  dans  le  deffein  d'en  examiner  la  cou- 
leur, d'en  prendre  les  dimenfions,  d'y 
goûter,  ou  de  s'y  vautrer j  c'efl  uni- 
que- 


DU   TONNEAU.       lof 

quement  pour  s'en  tirer  le  plus  propre- 
ment qu'il  lui  efl  pollîble. 

On  prétend,  mais  à  tort,  que  ces 
perfbnnes-là  ont  véritablement  compris 
\q  ferîs  littéral  do,  \cnv  dérwmination^  & 
qu'une  partie  confiderable  du  devoir 
d'un  Critique  eft  de  rendre  juflice  au 
mérite.  Un  Critique,  dit-on,  qui  ne 
lit,  que  pour  chercher  les  occalionsde 
cenfurer ,  reflembleà  un  Juge,  qui  pren- 
droit  la  refolution  de  condamner  h.  la 
potence  tous  ceux  qui  paroitroient 
devant  fon  tribunal. 

En  fécond  lieu,  on  a  deligné ,  par  le 
terme  de  Critiques^  ces  Reilaurateurs 
du  favoir ,  ces  hommes  fa  vans ,  qui  ont 
tiré  les  belles  Lettres  du  tom.beau,  qui 
les  ont  délivrées  ào^Fersj  &:qui  ont  fe- 
coué  la  poufTiere  qui  couvroit  les  Ma- 
nu fcrits. 

Il  y  a  déjà  quelques  fiécles,  que  ces 
deux  races  ont  été  abfoiument  étein- 
tes >  &,  par  confequent,  il  ieroit  fort 
inutile  d'en  parler  plus  au  long. 

La  troifiéme  &  la  plus  noble  efpc-- 
ce  efl  celle  des  véritables  Critiques ,  dont 
Torigine  efL  bien  plus  illuflrc  que  celle 
des  autres.  Chaque  veritable  Critique 
eft  un  Demi-Dieu  de  naiiTance ,  puifqu'i  1 
E  s  à^- 


îO(^       L  E    C  O  N  T  E 

defcend  en  ligne  direcle  de  Momus  & 
de  Hybris ,  qui  engendrèrent  Zoïk  y 
qui  engendra  Tigellius  ^  qui  engendra 
fc?  Ci£tera  premier  du  nom ,  qui  engen- 
dra Bentley ,  Rymer ,  Perrault ,  &  Z)(?«- 
7?/j ,  qui  engendra  t3  cetera  fécond  du 
nom. 

Ce  font-là  ces  Critiques ,  qui  de  tous 
tems  ont  prodigué  tellement  leurs  bien- 
faits à  la  République  des  Lettres,  que 
la  reconnoiffance  de  leurs  Admirateurs 
eft  allé  jufqu'à  leur  chercher  une  origi- 
ne dans  le  Ciel ,  à  côté  de  celle  de  Thé- 
fée,  dePerfée,  d'Hercule,  &  d'autres 
Bienfaiteurs  du  Genre-Humain. 

Mais ,  la  Vertu  Héroïque  même  n'a 
pas  toujours  été  exemte  de  la  Calom- 
nie. On  a  ofé  obfcurcir  la  gloire  de 
tous  ces  grands  hommes, en  foutenant, 
que ,  fam.eux  par  leurs  combats  contre 
ies  Geans ,  les  Dragons ,  &  les  Bri- 
gands ,  ils  avoient  été  plus  nuifibles  eux- 
mêmes  à  la  Société  humaine  ,  que  les 
Monftres  qu'ils  avoient  vaincus  \  & , 
qu'après  les  avoir  détruits ,  ils  auroient 
bien  fait  d'exercer  la  même  juftice  fur 
leurs  propres  indi'vichis.  Hercule  Fa  fait 
avec  beaucoup  de  generofité  5  ce  qui 
lui  a  procuré  plus  de  temples,  &  plus 

d'en- 


DU    T  O  N  N  E  A  U.       Ï07 

d'encens ,  que  n'en  ont  obtenu  les  plus 
ilkiilres  de  ihs  compagnons. 

Ceit  pour  cette  raifon,  je  croi,  que 
certaines  gens  fe  font  mis  dans  Tefprit, 
que  chaque  z-eritable  Critique  ,  après 
avoir  achevé  fa  tache ,  feroit  une  œu- 
vre très-méritoire  &  très-utile  pour  le 
bien  public  du  monde  favant ,  s'il  vou- 
loit  bien  s'attacher  à  une  corde  un  peu 
forte  ,  ou  fe  précipiter  d'une  hauteur 
un  peu  raifonnable.  Ils  font  même  d\i 
fentiment,  qu'il  nefaudroit  donner  pla- 
ce à  perfonne  dans  le  Catalogue  des 
l'-ais  Critiques ,  avant  qu'il  eut  mis 
fin  à  cette  perilleufe  avanture. 

De  cette  origine  celefte  d'un  art  fl 
noble ,  &  de  fon  étroite  analogie  avec 
la  Vertu  Héroïque  ,  on  peut  déduire  ai- 
fément  les  devoirs  d'un  'vrai  Critique. 
Il  doit  parcourir  la  Republique  des  Let- 
tres, pour  donner  la  chaffe  aux  défauts 
monftrueux  ,  qu  elle  nourrit  dans  fon 
fein^  forcer  les  erreurs  à  fortir  de  leurs 
niches,  comme  Cacus  de  fa  Caverne. 
Il  faut  qifil  les  multiplie,  comme  les 
tctes  de  l'Hydre;  &  quil  les  ramaile, 
comme  le  fumier  de  l'Etable  d'Augée. 
11  faut  5  fur -tout ,  qu'il  pourfuivc  fansre- 
E  6  la- 


îog         LE    e  O  N  T  E 

lâche  certains  oifeaux.,  qui  ont  rii> 
cîination  perverfe  d'arracher  des  bran- 
ches entières  de  Vj^rbre  de  Science ,  com- 
me  les  oifeaux  StymphalicyiS  ^  qui  pri- 
voient  les  vergers  de  leurs  meilleurs, 
fruits  *. 

Il  fuit  de-lh,  que  la  plus  parfaite  déii-^ 
nition  qu'on  puifle  donner  d'un  'vrai 
Critique  eft  celle-ci.  Un  'vrai  Critique 
efl  unho'fjune^qui  découvre^  l^  quiraffcm^- 
bk^  les  fautes  des  jouteurs.  Qiiiconque. 
voudra  examiner  toutes  les  elpeces  d'ou^- 
vrages ,  dont  cette  Secte ar.cienne  a  favo- 
rifé  le  m.onde  ,  verra  d'abord  par  toute, 
leur  teneur  ,  que  les  penfées  de  leurs. 
Auteurs  fe  font  uniquement  attachées 
aux  fautes  &  aux  négligences  des  autres. 
Ecrivains.  Quelque  fajet  qu'ils  traitent, 
leur  imagination  eft  tellement  remplie. 
&  occupée  de  tous  ces  paflages  défec- 
tueux, que  la  quinteifence  mcme  de. 
ce  qu'ils  ont  remarqué  de  mauvais  fe 
diftile  dans  leurs  propres  écrits ,  &  que. 
leurs  ouvrages  d'un  bout  à  Tauire  ne  pa- 

roif- 

*  Par  CCS  oifeaux  l'Auteur'  entend  les  gens 
rtiifonnablcs ,  dont  le  but  principal  cft  de  pro- 
fiter de  leur  Lefture  ,  &  de  s'amafTer  un  tréfox. 
de  conuoiiranccs  utiles. 


DU    TGNNNEAU.   to^ 

roilTent  qu'un  extrait  de  tout  ce  qui  a 
fervi  de  matière  à  leurs  réfle>dons. 

Après  avoir  ainfl  coniideré  l'origine 
&  les  occupations  d'un  Critique ,  à  pren- 
dre ce  mot  dans  le  fens  le.  plus  general 
&  le  plus  noble ,  il  eft  terns  de  réfuter 
les  objeftions  de  ceux ,  qui  prétendent 
prouver  par  le  filence  des  Auteurs,  que 
l'Art  Critique,  comme  il  efl  exercé  à 
préfent,  &  comme  je  viens  de  l'expli- 
quer ,  eft  tout-à-fait  moderne  ^  &  que^. 
par  conféquent,  nos  Critiques  Anglois 
&  François,  ne  font  pas  d'une Noblef^ 
fe  auiïï  ancienne ,  que  celle  dont  je  les  ai 
mis  en  pofTeiïîon. 

Or,  Il  je.  fais  voir  clairem.ent,  que 
l'Antiquité  la  plus  reculée  nous  a  dépeint 
îè  'vrai  Critique  &:  fes  devoirs  ,  d'une 
manière,  qui  répond  exactement  à  ma 
définition ,  on  m'avouera  ,  que  cetta 
grande  objeélion,  tirée  du  filence  des 
Auteurs ,  doit  tomber  nécelîairement. 

Je  confefle,  que  j'ai  été  long-tems  moi- 
même  dans  une  erreur  fi  pernicieufe,. 
&  que  je  ne  m'en  fuis  tiré,  que  par  le 
fecours  de  nos  illuflres  Modernes,  dont- 
je  creufie  jour  &  nuit  les  volumes  édi- 
fians,  pour  mon  propre  bien,  &pour 
celui  de.  ma  Patrie.  Ce  font  ces  grands 
E  7  honi^- 


110        L  E    C  O  N  T  E 

hommes,  dont  les  travaux  infatigables 
ont  découvert  les  endroits  foibles  des 
Anciens,  &  nous  en  ont  donné  un  Ca- 
talogue copieux.  Ce  font  eux ,  qui  ont 
démontré ,  que  les  plus  belles  chofes ,  qui 
nous  font  communiquées  parl'Antiqui- 
té,ont  été  inventées  &  mifes  en  lumière 
par  des  plumes  beaucoup  plus  récentes  -, 
&  que  les  plus  grandes  découvertes, 
qu  on  lui  attribue  par  raport  à  la  Natu- 
re &  aux  Sciences ,  avoient  déjà  été  trou- 
vées par  le  Génie  tranfcendant  de  nos 
contemporains:  ce  qui  montre  évidem- 
mentjCombien  le  mérite  des  Anciens  ell 
mince,  &,  doit  mettre  des  bornes  à 
cette  admiration  aveugle  dont  ils  font 
honorez  par  des  gens  enfevelis  dans  la 
poulîiere  du  Cabinet ,  &  aiTez  malheu- 
reux pour  ignorer  ce  qui  fe  palTe  à  pré- 
fent  dans  le  Monde. 

En  délibérant  meurement  fur  toutes 
ces  chofes,  &  fur  les  proprietez  elTen- 
tielles  de  lefprit  humain,  je  n'ai  pu 
m'empêcher  d'en  conclure ,  que  les  An- 
ciens,perfuadez  fortement  de  leurs  nom- 
breufes  imxperfe6tions  ,  doivent  s'ctre 
efforcez  dans  quelques  paiTagcs  de  leurs 
livres ,  à  l'imitation  de  leurs  Maîtres  les 
IModernes,  à  détourner  ou  à  adoucir 

les 


DU    TONNEAU,     m 

les  elpriis  Cenfeurs,  en  faifant  l'Eloge 
ou  la  Satyre  des  irais  Critiquer.  Ini^ 
truit  de  cet  ufage  moderne,  par  la  lon- 
gue &  utile  étude  que  j'ai  faite  à^^ 
Prefaces  à  la  mode,  je  me  fuis  déterminé 
à  déterrer  la  même  loiiable  coutume 
dans  les  Ecrits  anciens,  &  fur-tout  dans 
ceux  des  premiers  iiécles.  Par  ces  re- 
cherches ,  j'ai  trouvé  à  mon  grand  éton- 
nement,  qu'ils  nous  ont  laiifé  tous  des 
portraits  du  vrai  Critique ,  plus  ou  moins 
favorables ,  felon  que  leur  plume  étoit 
guidée  par  lefperance ,  ou  par  la  crain- 
te 5  mais,  qu'ils  s'y  font  pris  avec  la  der- 
nière précaution ,  envelopant  tout 
ce  qu'ils  avoient  à  dire  fur  ce  fujet, 
dans  des  Fables  ^  &  dans  des  Hierogly^ 
fes.  ^ 

C'efl  aparemment  cette  circonfpec- 
tion ,  qui  a  donné  lieu  à  des  Le6leurs 
fupei^ciels  de  faire  valoir  le  filence  des 
Auteurs  contre  l'Antiquité  des  'urais 
Critiques,  Cependant,  les  types ,  que  ces 
Auteurs  ont  emploïez , font  fi  juites ,  & 
l'application  en  eft  fi  naturelle,  qu'il 
ell  difficile  à  comprendre,  comment  il 
eft  faifable,  qu'un  Lecleur  d'un  gout 
&  d'une  pénétration  m.oderne  ne  s'en 
aperçoive  pas.    Je  me  contenterai  de 

choi- 


HZ       LEG  O  iVT  E 

choifir  un  petit  nombre  d'échantillons' 
de  cette  immenfe  quantité  de  types  ôc 
d'allégories,  dont  il  s'agit  ici  ^  &  je  fuis- 
convaincu  ,  qu'ils  feront  capables  de 
mettre  fin  à  cette  difpute. 

Ce  qui  mérite  bien  d'être  remarqué ,. 
c'efl  que  tous  ces  Auteurs  anciens ,  en- 
voulant  traiter  ce  fujet  d'une  manière 
énigmatique,  fe  font  rencontrez  tous  dans 
la  même  Allégorie,  dont  ils  ont  feule- 
ment varié  la  fuperiicie, conformément 
à  leurs  pafîîons,  ou  à  leur  tour  d'ef. 
prit. 

D'abord  ,  Paufanias  eft  du  fentiment; 
que  la  perfection  de  l'Art  d'écrire  ell 
due  à  l'établiiTem.ent  des  Critiques.  Et- 
il  eft  évident,  qu'il  a  en  vue  les  ^urais 
Critiques  ^  par  la  defcription  qu'il  en. 
fait  dans  les  mots  fui  vans.     Ceft,  dit- 
il,  une  race  d'hommes  qm  fe  pJait  à  'ué-- 
tiller  fur  les  fuperfluitez  i:j  fur  les  ex- 
crefcences  des  Hires  \  ce  qui  aïarit  été  à 
la  fin  remarqué  par  lesSavans^  ils  ont  re^- 
folu,  de  leur  propre  mouve?nerit  ^  de  re^ 
trancher,  de  leurs  ouvrages ,  les  branche  s 
pourries,  mortes^   défi  it  ué  es  de  fuc,    iy 
celles-là  même  do'it  F  unique  défaut  étoitde 
f puffer  trop, 

Ë.  envelope  ce  fait  adroitement  dans. 

una 


DU  TONNEAU,      nj 

une  Allégorie  ,  en  difant  que  les  Nau- 
fliens^  dans  ï Argie  ,  a'voient  appris  des 
Anes  V Art  de  îafUer  les  vignes  \  en  ohfer- 
lant ,  que  quand  ces  animaux  en  avoient 
rongé  quelques  branches  ,  elles  en  croif- 
[oient  mieux  ^  ^  en  port  oient  de  meilleur 
fruit. 

Herodote,en  fe  fervant  du  même  Hie^ 
roglyfe  ,  s'exprime  encor  plus  claire- 
ment. Il  eflbienalTez  hardi,  pour  taxer 
les  Critiques  ouvertement  de  malignité 
&  d'ignorance  ^  car,  il  nous  rapporte  ea 
pleins  termes ,  que  dans  la  partie  occiden- 
tale de  la  Libye  il  je  trowce  des  Anes  avec 
des  cornes.  Sur  quoi  Cteftas  renchérit  en- 
core 5  en  faifant  mention  de  certains 
ânes  de  la  même  figure ,  qui  font  dans  les 
Indes  :  au  lieu^  dit-il,  que  tous  les  autres 
Anes  n^  ont  point  de  fiel  ^  ces  Anes  cornus  en 
ont  une  telle  abondance ,  qu^il  n'eft  paspof^ 
fible  d'en  manger  la  chair ,  à  cauje  de  fonr 
extrême  amertume. 

La  raifon,  pourquoi  les  Anciens  n'ont 
traii;é  ce  grand  fujet  que  figurément^  ^ 
étoit la  crainte  qulls  avoient  des  atta-"* 
ques  d'un  parti  auiïl  redoutable  que  ce- 
lui que  formoient  les  Critiques  de  ces" 
tems.  Le  Ton  terrible  de  leur  voix  étoic 
capable  de  faire  trembler  une  legion  en- 

tierQ 


IÎ4        L  E    C  O  N  T  E 

tiere  d'Auteurs ,  &  de  leur  faire  tomber 
la  plume  des  mains  :  ce  qu'Hérodote 
exprime  clairement,  en  nous  contant 
qu  un  jour  une  grande  Armée  de  Scy- 
thes a  voit  été  mife  en  déroute ,  par  la  ter- 
reur panique  qu'y  répandit  le  braire 
d'un  ane.  C'eit  même  de-là  que  cer- 
tains profonds  Litterateurs  ont  conjectu- 
re 5  que  le  relpecl ,  que  nos  Auteurs  An- 
glois  paient  aux  vrais  Critiques  ,  nous 
eil  venu  de  nos  Ancêtres  les  Scythes. 

Cette  terreur  des  écrivains  de  l'anti- 
quité devint  peu  à  peu  11  générale,  & 
s'augmenta  fi  fort ,  que  ceux ,  qui  avoient 
envie  de  parler  librement  fur  le  Chapi- 
tre des  'vrais  Critiques  ,  furent  obligez 
de  renoncer  à  cette  ancienne  Allegarie , 
comme  trop  approchante  àa  Prototype  y 
&  de  fe  fervir  de  figures  plus  cachées  & 
plus  miflerieufes.  Cell  aind  que  Dio- 
dore  jVoulant  déclarer  fon  fentiment  fur 
la  même  matière,  fe  hazarde  feulement  à 
nous  débiter  ,  que  fur  les  7nontagiies  de 
ï Helicon  il  n- oit  une  mawuaife  berbe ,  dont 
la  fleur  eft  d^une  odeur  fi  abominable ,  qu'elle 
empoifonne  ceux  qui  la  fentent.  Lucre- 
ce  en  donne  précifement  la  même  def- 
cription. 

Eft 


DU  TONNEAU,     ii^ 

EJi  eîiam  in  magnis  Helkonis  monîibus 

arbos , 
Floris  odorc  bominem  retro  confueta  necare. 

Pour  Cteflas  ,  dont  j'ai  déjà  parlé, 
il  étoit  beaucoup  plus  hardi  :  il  avoit 
été  fort  mal  traité  par  les  vrais  Criti^ 
qiics  de  ^on  âge  \  &  il  étoit  bien  aife  de 
lailTer  à  la  pofterité  une  marque  feniible 
de  fa  vengeance  contre  toute  cette  tri- 
hii.  Le  fens  en  efl  fi  clair,  que  je  ne 
conçois  pas  comment  il  a  pu  relier  ca- 
ché à  ceux  qui  nient  l'Antiquité  de 
cette  illuflre  race. 

C  ell  en  traçant  le  portrait  de  pîti- 
fleurs  animaux  des  Indes  ,  qu'il  s'efl 
fervi  de  ces  expreïïlons  remarquables.  Il 
y  a  entre  autres  un  Serpent,  qui  ne  [aurait 
mordre  ,  parce  qu^il  n'a  point  de  dents  ; 
772ais ,  en  récornpenje  ,  quand  il  vomit ,  ce 
qiiil  fait  très-fouvent ,  //  caufe  une  cor^ 
ruption  générale  dans  toutes  les  'matières , 
fur  le  [quelle  s  il  répand  ce  qui  lui  fort  des 
entrailles.  Ces  Serpens  fe  trouvent  d'or- 
dinaire fur  les  montagnes  ou  croisent  les 
Pierres  precieufes  :  ils  font  fort  fujcts  à 
jetter  de  leur  gueule  une  liqueur  empoifon- 
née  ;   £^  fi  quelqu'un  s'avife  d'en  boire 

qucU 


116        LE    CONTE 

quelques  goûtes ,  fa  cerieîle  lui  fort  auffi-tùt 
'pay  les  narines. 

Il  y  avoit  encore  parmi  les  x^nciens 
une  forte  de  Critiques  qui  ne  differoienc 
pas  des  premiers  en  cypece^  mais  feule- 
ment en  taille  ,  &  en  de^-é.  Il  y  a  de 
l'apparence,  qu'ils  étoient  comme  les 
a-pprentifs  des  autres  \  &  cependant  on 
en  fait  mention,  d'ordinaire. commue  d'u- 
ne Secle  h  part,  à  caufedela  drfleren- 
ce  de  leurs  occupations.  L'exercice 
ordinaire  de  ces  Etudians  étoit  de  fre- 
quenter les  Spectacles ,  &  d'y  épier  les- 
plus  mau' ais  endroits  des  pieces  de  théâ- 
tre ,  defquels  ils  étoient  obligés  de  ren- 
dre un  conte  exa6l  à  leurs  Gou^ccrneurs^ 
Mis  en  goût  par  cette  petite  proie, 
comme  déjeunes  Loups ,  ils  acqueroient 
avec  le  tems  aifez  de  force  &  de  vigueur,- 
pour  iè  jetter  fur  une  proie  plus  confi- 
derable:  car ,  il  a  été  obfervé  parles  an- 
ciens, auffi  bien  que  parmi  \k^i  moder- 
nes 5  qu'un  vrai  Critique  a  de  com- 
mun avec  un  Echcvin  &  avec  une  Cour^ 
tifane  ,  qu'il  ne  perd  jamais  fon  titre  ; 
&  quun  Critique  en  gerbe  a  toujours 
été  un  Critique  en  herbe  :  fes  talens  na- 
turels aïant  été  feulement  augmentez 
par  fes  lumières  acquifes  j  femblable 

ait 


DU  TONNEAU.      117 

au  chanvre ,  dont  lafémence  même ,  fe- 
lon les  Xaturaliites,  donne  des  fuffo ca- 
tions. C'eft  à  cette  race  de  Garçons  Critic 
qnes ,  qu'on  eft  redevable  de  l'invention, 
ou  du  moins  du  rafinement,  des  Prolo^ 
gués  des  pieces  de  théâtre  *  ;  &  ce  font 
eux  5  dont  Terence  a  fait  fi  fouvent  men- 
tion fous  le  nom  â^Male^'oIL 

Il  eft  certain  que  rétabliffement  de 
la  race  Critique  eft  d  une  neceiïïté  ab- 
foluë  pour  le  monde  favant  •  car ,  toutes 
les  actions  humaines  ont  une  relation 
exacte  avec  les  Talens  de  Thémillocle , 
ôc  de  fon  Compagnon.  L'un  fait  ra^ 
ckr  le  hoiaii  ,  &  l'autre  fait  faire  cîiin 
petit  Bourg  une  grande  Ville  ;  &  celui 
qui  ne  fait  faire,  ni  Fim,  nifautre,  mé- 
rite d'etre  chafle  de  l'univers  à  coups 
de  pied.  C'eft  fans  doute  l'envie  d'évi- 
ter une  pareille  punition ,  qui  a  donné 
nailîance  au  Peuple  Critique  ,  &:  une 
occaiionaux  Calomniatein*s  de  débiter, 
que  chaque  membre  de  ce  corps  eflime 

e& 

*  Les  anciens  Comiques  faifoîent  précéder 
leurs  Pieces  d'un  Prologue  ,  dans  lequel  ils  s'ef- 
forçoient  a  captiver  ]a  bienveillance  des  Spefta- 
tcurs.  La  môme  coutume  règne  encore  ^Jr  le 
téatre  Anglois, 


îi8        L  E    C  O  N  T  E 

efpece  d'ouvrier,  qui  levé  boutique, 
avec  la  même  facilité  qu  un  tailleur, 
Aufîi  ,  felon  ces  detra6leurs  du  méri- 
te ,"  il  y  a  une  étroite  conformité  entre 
les  talens  &  les  outils  de  fun  &  de 
l'autre.  UOeil  du  tailleur  *  eil  un  type 
parfait  des  Lieux-comynuns  d'un  Critique  : 
&  le  Carreau  du  premier  reprefente 
fort  au  jufle  felprit  &  le  favoir  du  fé- 
cond -j-.  Leur  courage  eil  de  la  même 
nature,  &  leurs  armes  font  d'une  figu- 
re fort  reiTemblante  §. 

On  peut  repondte  plufieurs  chofes 
très-folides  à  toutes  ces  odieufes  ob- 
je6tions.  Rien  au  monde  n'eft  plus  faux 
que  ce  qu'on  ofe  avancer  fur  la  facilité , 
qu'il  y  a  5  à  s'ériger  en  ''jrai  Critique, 
Au  contraire  ,  rien  n'ell  plus  difficile  ;& 
il  faut  fe  mettre  plus  en  frais,  pour  être 
membre  privilégié  de  ce  corps,  que  de 
tout  autre  ;  car ,  tout  de  même  que ,  pour 

bri- 

*  L'Endroit  où  il  jette  les  lambeaux  qu'il 
vole. 

f  Le  Carreau  du  tailleur  applanit  les  coutu- 
res :  Tefpnt  &  le  favoir  du  Ciiique  confiile  à 
cacher  la  manière  dont  il  a  coufu  enfembie  les 
lambeaux  de  cqs  'Lieux-Communs. 

$  Les  Tailleurs  rognent ,  &  piquent;  les  Criti- 
ques en  fout  autant. 


DU  TONNEAU,      up 

briguer  l'honneur  d'être  un  Gueux  dans 
les  formes^  il  en  courte  au  plus  riche  af- 
pirant  jufqu  à  fon  dernier  fou  ;  ainfi, 
pour  qu'un  homme  puifTe  s'établir  dans 
Je  monde  fur  le  pied  d'un  'vrai  Critique^ 
il  lui  en  coûte  toutes  les  bonnes  quali- 
tez  de  fon  efprit.  Ce  qui  feroit  un  aflez 
Jût  marché ^  s'il  s'agiiToit  de  toute  autre 
acquifition  moins, importante. 

Après  avoir  prouvé  de  cette  manière 
\  Antiquité  de  la  Critique ,  &  dépeint  fon 
état  primitif,  il  me  refte  d'entrer  dans 
Texamen  de  fétat  préfent  de  ce  florif- 
fant  Empire,  &  de  faire  voir  Fexacte 
conformité  de  l'un  &  de  fautre. 

Un  certain  Auteur,  dont  les  Ouvra- 
ges ont  été  entièrement  perdus  depuis 
plufieurs  fiécles ,  en  parlant  des  Criti- 
ques ,  dans  fon  Livre  f.  Chap.  8.  ap- 
pelle leurs  Ouvrages  les  Miroirs  de  l  E^ 
rudition'^.  Or,  quiconque  fait,  que  les 
miroirs  des  anciens  étoit  faits  de  cuivre, 
&  fine  Mercurio ,  doit  comprendre  par- 
là  d'abord  les  deux  principales  qualitez 
d'un  veritable  Critique  moderne  ,  &  être 
convaincu ,  qu'elles  ont  toujours  été  les 

mê- 

*  Citation  imitée  d'un  Auteur  illuflre.  Voyez 
la  Differtation  de  Bentley. 


îio        L  E    C  O  N  T  E 

mêmes5&  doivent  refier  les  mêmes  éter- 
nellement. Car,  le  cuivre  efl  l'emblème 
d'mie  longue  durée  ^  &,  quand  il  eiî:  ar- 
tiftement  bruni,  les  reflétions  fe  font 
fur  fa  propre  fuperficie  ,  fans  qu'il  foit 
befoin  qu'il  ait  du  Mercure  derrière 
lui  ^. 

Les  autres  talens  d'un  Critique  ne 
méritent  pas  un  détail  particulier ,  étant 
renfermez  dans  ceux  dont  je  viens  de 
faire  mention,  ou  pouvant  en  être  dé- 
duits fans  peine.  Je  ne  veux  pas  finir, 
pourtant ,  fans  établir  ici  trois  maxi- 
mes ,  qui  ferviront  de  marques  carac- 
térifliques ,  pour  diflinguer  un  vrai  Cri- 
tique moderne  ,  d'avec  un  Ufurpateur 
de  ce  titre  ;  &  qui  feront  d'un  grand 
ufage  ,  pour  ceux  qui  veulent  s'enga- 
ger dans  une  carrière  fi  utile  ,  &  fi 
agréable, 

La  premiere  efl ,  que  la  Critique  ,op- 
pofée  en  cela  diam.etralement  à  toutes 
les  autres  Facultez  de  l'Ame ,  pafTe  tou- 
jours pour  la  plus  veritable ,  &  pour  la 
meilleure  ,  quand  elle  fort  fraîchement 
de  l'efprit   de  fon  Auteur.     Il  en  efl 

com- 

*  Décidons  appuiees  fur  la  témérité  y  fans 
être  fécondées  par  le  fàvoir. 


DU  TONNEAU,      iir 

comme  de  la  premiere  vifée  d'un  char- 
leur  ,  qui  eil  d'ordinaire  la  plus  feure  ; 
s'il  ne  s'en  tient  pas-la  ,  il  y  a  mille 
contre  un  qu'il  n'attrapera  pas  le  but. 

Seconde  Maxi'me.  Les  \:rah  Critiques 
font  connus  par  leur  penchant  à  volti- 
ger autour  des  plus  nobles  Ouvrages, 
à  quoi  ils  fontllmplement  portez  parle 
même  inilinct ,  qui  guide  les  fouris  vers 
le  fromage  le  plus  gras  ,  &  les  guêpes 
vers  le  plus  excellent  fruit.  Cell  ainfî , 
que  quand  le  Roi  eil  h  cheval,  il  peut 
compter  d'etre  le  plus  file  perfonnage 
de  toute  la  calvalcade  ,  puifque  ceux  , 
qui  lui  font  le  mieux  la  Cour ,  font  pré- 
cifement  ceux  ,  qui  féclabouiTent  le 
plus. 

Troifiéme  Alaxiyne.  Un  vrai  Critique 
rcffemble  à  un  Dogue  ,  qui  eft  à  un 
Feicin ,  &  qui  attend  la  Gueule  béante 
ce  que  les  convives  jettent  à  terre ,  & 
qui  ne  gronde  jamais  tant ,  que  lorfqu'il 
y  a  peu  d'os. 

Je  me  flatte  que  ce  Difcours  aura 
l'honneur  de  contenter  mes  Patrons  les 
vrais  Critiques  înodernes ,  &  de  les  dé- 
dommager du  filence  ,  où  jufqu'ici  je 
fuis  demeuré  à  leur  égard ,  auiîl  bien  que 
de  celui  que  je  poin*i*ois  bien  obferver 

l'orne  L  F   ^  à 


i2Z        L  E    C  O  N  T  E 

à  l'avenir.  Je  crois  en  avoir  aflezbien 
ufé  avec  tout  leur  illullre  corps  ,  pour 
en  pouvoir  elperer  une  genereufe  in- 
dulgence. 

Dans  cette  attente, je  m'en  vais  pour- 
fuivre  hardiment  FHilloire  ,  que  j'ai  11 
Ijeureufement  commencée. 


SEC- 


DU  TONNEAU.      nj 

SECTION     IV. 

Continuation  du  Conte  du  Ton- 
neau. 

J'Ai  déjà  condiik  le  Lefteur  avec  de 
grands  efforts  jufqu'à  un  période , 
où  il  doit  s'attendre  à  de  grands 
événemens. 

A  peine  notre  Frère  DoBeiir  fe  vit-il 
propriétaire  d'une  bonne  maifon ,  qu'il 
commença  à  faire  le  gros  dos  ,  &  à  fe 
donner  de  grands  airs  ^  en  forte  que,  il 
le  Lecteur  n'a  pas  la  bonté  d'étendre  uii 
peu  l'idée  que  j'en  ai  donnée  jufqu'ici, 
je  crains  fort ,  qu'il  ne  reconnoiile  plus 
notre  Héros ,  tant  il  y  a  de  changement 
dans  fon  roll e,  dans  fes  ajuftemens ,  &: 
dans  fa  mine. 

Il  commença  par  dire  à  les  Frères , 
qu'il  vouloit  bien  qu'ils  fuiïent,  qu'il 
étoit  famé,  &  par confequent l'unique 
héritier  de  leur  Père.  Q_uelque  tems 
après,  il  ne  voulut  plus  ,  qu'ils  l'apellaf^ 
fcnt  leur  Frère  ^  il  vouloit  être  nom^m-é 
'/feux  Monficur  Pierre^  ou  Perc  Pierre^ 
ëz  quelquefois  même ,  Mrlord  Pierre. 

F  2    '  Pour 


114        LE     CONTE 

Pour  foutenir  ces  grands  airs  ,  qui 
ctoient  fort  au-deiTtis  de  Tes  moïens ,  ii 
s'établit  dans  le  monde  far  le  pied  d'un 
Fhtuofo  ,  ou  In"jcnteur  de  Projets,  Il 
fit  ce  nouveau  métier  avec  tant  defuc- 
ccs  ,  que  plufieurs  fiimeufès  découver- 
tes, &  un  grand  nombre  de  machines, 
qui  font  encore  à  prefent  en  vogue ,  doi- 
vent leur  naiflance  au  fubtil  efprit  de 
My  lord  Pierre.  Je  donnerai  ici  un  dé- 
tail des  principales,fans  me  mettre  beau- 
coup en  peine  de  l'ordre  des  tems  où 
elles  ont  été  inventées  :  aufîi  bien  les 
Auteurs  ne  font-ils  pas  trop  bien  d'ac- 
cord fur  ce  point. 

Comme  j'ôfe  afleurer  que  ce  préfent 
Ouvrage  eil  d'un  mérite  confiderable , 
par  les  peines ,  qu'il  m'en  a  coûté ,  pour 
en  am.aiïer  les  matériaux ,  par  la  fidé- 
lité de  la  relation  ,  &  par  l'utilité  du 
fjjct,  je  ne  doute  pas  qu'on  ne  me  ren- 
de la  juftice  de  le  traduire  dans  toutes 
les  Langues  étrangères.  Je  me  flatte  en 
ce  cas  5  que  les  dignes  membres  de  toutes 
les  Academies  de  l'Europe,  &  fur-tout 
celles  de  France  &  d'Italie ,  confidere- 
ront  cet  ellai ,  co mm e  un  des  gran d s  fe- 
cours,  pour  parvenir  à  la  connoiiTance 

uni- 


Du   TONNEAU,      n; 

univerfclle  de  tout  ce  qui  mérite  d'e- 
tre fù. 

Je  dois  avertir  encor  ici  les  Reverends 
Peres  des  Milhons  Orientales  ,«  que, 
pour  Tamour  d'eux  ,  j'ai  choifi  exprès 
les  Tours  &  les  Plirafes  les  plus  propres 
à  être  traduites  facilement  dans  les  Lan- 
gues de  rOricnt ,  &  fur-tout  en  Chi- 
nois. Après  cette  petite  Digrellion ,  je 
vais  mon  chemin ,  extafié  par  la  contem- 
plation des  fruits  confiderables ,  que  tous 
les  ILibitans  de  notre  Globe  recueil- 
leront aparemment  de  mes  travaux. 

La  premiere  entreprife  de  Mylord 
Pierre  tendit  h.  fe  m^ettre  en  poHeirion 
d'un  continent  fort  étendu  fitué  dans 
tm  pais  nommé-  l^erra  Jujfralis  inco- 
gyiita^.  Il  l'acheta  pour  peu  de  chofe  de 
ceux  qui  fa  voient  découvert,  quoi  qu'il 
y  ait  des  gens  qui  foutiennent ,  que  les 
icudcirrs  n'y  ont  jamais  mis  le  pied.  Il 
le  partagea  en  diiferens  Cantons ,  &  les 
revendit  en  détail  a  plufieurs  Marchands, 
qui  y  voulurent  conduire  des  Colonies, 
mais  qui  périrent  tous  dans  le  Voiage. 
Enfuite,AIylord  Pierre  vendit  de  nou- 
veau ce  même  continent  à  d'autres  , 
F  3  puis 

*  Le  Civl,  ouj  fclon  d'autres,  le  Purgatoire* 


126        LE    CONTE 

puis  à  d'autres  ,  &  puis  encore  à  d'aU" 
très  3  6c  toujours  avec  le  mêmefuccès, 
demeurant  toujours  PoiTeileur  de  ce 
qu'il  avoit  vendu. 

Son  fécond  projet  étoit  le  débit  d'un 
remède  fouverain  contre  les  vers,  & 
fur-tout  contre  ceax ,  qui  ont  leur  fejour 
dans  la  ratte  '^.  Ce  remède  étoit  fort 
aifé  à  prendre  :  il  s'agiffoit  feulement 
d'être  trois  nuits  fans  manger  quoique 
ce  foit  après  foupé  ;  d'avoir  foin  en  fe 
couchant  de  fe  mettre  fur  un  coté  ,  & 
de  fe  tourner,  dès  qu'on  étoit  las  de  cet- 
te fîtuation.  Il  falloit  encore  attacher 
en  même  tems  les  deux  yeux  fur  le  mê- 
me objet,  &  fe  garder  avec  foin  de  lâ- 
cher des  vents  par  devant  &  par  derriè- 
re, dans  le  même  inllant.  Par  l'obfer- 
vation  exacte  de  cette  recette ,  les  vers 
fortoientimperceptibIementpar/r^;^y/?/- 
ration  au  travers  du  cerveau. 

Sa  trcifiéme  invention  fut  FétablifTe- 
nient  d'un  Bureau  pour  le  bien  commun 
des  Hypocondriaques  -f  ;  &  de  ceux  qui 
étoient  tourmentez  de  la  Cohque,des  eu-. 

vieux 

*  Scrupules  de  Confcience,  Remords  6cc.  Ce 
remède  confiile  en  abiblutions ,  pardons ,  le. 
gcrcs  penitences,  &c. 

"j:  La  ConfclÏÏQn.. 


DU    TONNEAU.      117 

rteux  impertinens^  des  Médecins ,  des  Sages- 
Femmes^  des  Politiques  du  ha  s  ordre  ^  des 
Poètes  plagiaires  3  des  amis  brouillez ,  des 
amans  heureux  eu  defefperez ,  des  Cour- 
îifanes^  des  P age '>^  des  Parajites^  iy  des 
Bouffons'^  en  un  mot ^  de  tous  ceux  qui 
courent  ri  [que  de  crever  à  force  de  l'ent. 
Dans  ce  Bureau  la  tête  d'un  Ane  étoic 
placée  avec  tant  d'adrelTe  5  que  le  mala- 
de pcuvoit  aiiemenc  apliquer  fa  bouche 
à  l'une  ou  à  l'autre  oreille  de  cet  ani- 
mal  *.  Lorfqu  il  s'étoit  tenu  dans  cette 
pollure  pendant  quelques  momens ,  il 
le  trouvoit  d'abord  foulage  par  une  Fa- 
culte  attra6li-ve  particulière  aux  oreilles 
de  cette  Béce,  qui  lui  faifoit  vuider  la 
fource  de  fon  mal  par  éructation^  cxpi^ 
ration ,  ou  e^-jomiîion. 

Un  autre  projet  fort  utile  de  Mylord 

Pierre    étoit    féredlion    d'un   Bureau 

d'Aifurance  7  en  faveur  des  pipes- à- 

F  4  ta- 

*  Par  cette  tète  d'^r//^  cfl  entendu  le  Prêtre  qui 
eil  place  dans  le  Confefllcnal  ,  &  dans  l'oreille 
duquel  les  Penitens  vuident  leur  fac  d'ordures. 

7  11  y  a  à  Londres  un  Bureau  d'AfTurance  , 
ou,  pour  une  certaine  fommc  ,  on  fait  aiTurer  les 
maiions  contre  les  dommaf^os ,  qu'elles  pourroient 
recevoirpar  l'incendie.   De  la  mcme  manière,  le 

Pape 


ii§         L  E    C  O  N  T  E 

tabac  ,  des  Martirs  clu  zèle  moderne, 
des  recueils  de  Poclies  ,   des  ombres 

&  des  rivieres  ;  tendani 

à  les  garantir  contre  les  dommages  qu  ils 
pciirroient  recevoir  par  le  feu. 

Il  paroit  de-là,  quenosSocietez,  éta- 
blies dans  des  vues  femblables,  ne  font 
que  des  Copies  de  Milord  Pierre,  quoi- 
qu  elles  ne  s'en  trouvent  pas  mal ,  non 
plus  que  lui. 

Le  même  Seigneur  Pierre  paflc  en- 
core pour  l'Inventeur  des  Marionettes^  & 
des  Curiofitcz'^'  ^  dont  Futilité  efc  trop 
reconnue  dans  le  monde ,  pour  qif  il  foit 
neceflairc  de  m'y  étendre. 

J'aurois  tort  de  paffcr  ici  fous  fiîence 
une  autre  découverte  ,   qui  lui  acquit 

une 

Pape  a  une  Boutique  de  pardons  ,  6i  d'indul- 
gences j  pour  alicurer  les  âmes  contre  les  flammes 
du  Pur£;atoire.  L'Auteur  fait  ici  mention  de  plu- 
fieurs  chofes ,  qui  ne  valient  pas  la  peine  d'être 
ailurécs  contre  le  feu,  ou  qui  ne  font  pas  d'u- 
ne Nature  à  avoir  befoin  d'une  pareille  afTu- 
rance.  W  turlupine  par  la  :a  fottife  de  precaution- 
ner  contre  le  feu  du  Purgatoire  les  âmes ,  qui 
font  immatérielles,  &  qui  pr;r  confequent  n'ont 
pas  befoin  d'un  pareil  oiîguent  contre  la  brû- 
lure. 

*  Les  Ornemens  porppeux  ,  qui  font  un  fi  beau 
Spedacle  dans  IT.g'ife  Koinaine» 


DU    TOKiVEAU.     up 

nnc  grande  réputation  :  c'efl  Ç-àfcimcw 
Je  Saur,:uye  umvcrfeLle  ^. 

Aïant  remarque  ,  que  notre  fiumu- 
re  ordinaire  n'avoit  pas  d'autre  ufage , 
que  de  conferver  la  viande  morte  ,  & 
quelques  efpeces  de  végétaux ,  il  trou- 
va le  moïen,  avec  beaucoup  d'art  &  de 
dépenfe  ,  d'en  étendre  l'utilité.  Il  ea 
compofa  une  propre  à  garantir  de  tout 
mal,  Maifons,  Jardins,  Villes,  Fem- 
mes ,  Hommes  ,  Enfans  ,  &  Bétail; 
&  il  y  conferv^oit  tout  cela  aulTi  fain  (Se 
auiTi  entier ,  que  les  Infectes  font  con- 
fervez  dans  FAmbre. 

Cette  faumure  paroilToit  au  goût,  à 
rodeur,&  à  la  vue,  prccifement  la  mê- 
me, que  celle,  où  nous  mettons  notre 
bœuf,  notre  beure ,  &  nosharangs; 
mais ,  c'étoit  bien  autre  chofe ,  par  ra- 
port  à  ^cs  rares  quaiitez.  Des  que  Pier- 
re y  avoit  mis  une  petite  pincée  de  fa 
^owàx'Q.  preîimpi/npim  ^  elle  changeoitde 
nature,  &produifoit  des  effets  miracu- 
leux. 

L'Opération  étoit  faite  par  <^'/>.";;/75;;; 

& ,  pour  être  fur  du  fucccs ,  il  falloit  la 

mettre  en  œuvre  dans  un  certain  tems 

F  s  tie 

*  L'Eau  bcnitc. 


I 


ija        L  E    C  O  KT  T  E 

de  la  Liine  ^.    Si  le  Patient  qu  il  fal^» 

loit  aiTofer  etoit  une  Maifon ,  elle  étoit 
par  cette  operation  en  fureté  contre  les 
rats,  les  belettes  ,  &  les  arragnées.  Si 
c'étoit  un  chien  ,  il  étoit  garanti  de  la 
gale,  de  la  rage,  &  de  la  faim.  Elle 
delivroit  aufTi  fans  faute  les  Enfans  des 
poux  &:  de  la  rogne. 

Mais,  de  toutes  les  pieces  que  Pierre 
pofledoit ,  celles ,  qu'il  eilimoit  le  plus , 
étoit  une  certaine  race  de  Taureaux^ 
defcendus  en  ligne  droite  de  ceux,  qui 
gardèrent  jadis  la  Toifon  d'Or  f.  11  eil 
vrai  que  certaines  gens ,  qui  les  av oient 
examinez  avec  attention ,  prétendoient, 
que  quelque  fang  roturier  devoit  s'être 
giiffé  furtivement  dans  les  veines  de  ces 
animaux  ,  parce  qu'ils  avoient  fort  de- 

*I1  faut  être  bien  lunatique,  en  effet,  pour 
<îonner  dans  des  fottifes  pareilles. 

I  L'Auteur  parle  dans  cet  Article  des  Bulles 
du  Pape.  On  pourroit  s'étonner  qu'il  les  defîgne 
par  l'emblème  des  Taureaux  ;  mais  ,  outre  que  la 
<îngularitë  affedée  de  fa.  manière  d'écrire  fuffit 
pour  rendre  pardonnable  une  figure  fîpeuufîtée, 
le  Lefteur  l'aprouvera  fans  doute,  quand  il  faura 
qu'en  Anglois  le  mot  Bu//  fignifie  une  bulk  8c  un 
'Taureau.  Je  n'ai  pas  eu  l'efprit  afTez  inventif, 
pour  trouver  en  François  quelque  chofe  d'équi- 
valent. 


DU    TONNEAU.     151 

gênerez, par raport  h  certaines  qualicez 
de  leurs  Ancêtres ,  &  qu'ils  en  avoient 
acquis  d'autres  fort  extraordinaires. 

On  fait  que  les  Taureaux  de  Colchos 
étoient  fameux  par  leurs  pieds  d'ai- 
rain ^  mais,  il  étoit  arrivé,  ou  par  la  mau- 
vaife  nourriture,  ou  par  quelques  in- 
trigues de  leurs  Aïeules,  ou  par  quel- 
que affoibliflement  accidentel  dans  h 
femence,  ou  par  la  fuite  des  terns,  qui 
a  fi  fort  abâtardi  toute  la  Nature  dans 
ces  derniers  malheureux  fiécles  ;  enfin 
il  étoit  arrivé,  dis-je,  que  le  métail  de 
leurs  pieds  avoit  fort  baifTé  en  valeur, 
&  que  ce  n'étoit  plus  que  du  plomb 
ordinaire. 

D'un  autre  côté,  ils  avoient  confervc 
ces  horribles  mugiflercens  fi  particuliers 
à  leurs  premiers  Parens ,  aulfi-bien  que 
le  Don  defoufler  le  feu  parles  Narines, 
que  quelques  Calomniateurs  taxoienc 
de  n'ctre  qu'un  pur  artifice^  foutenant 
que  ce  Phénomène  n'étoit  pas  ^i  terri- 
ble quil  paroiiToit,  <S:quil  n'étoit  cau- 
fé,  que  par  la  nourriture  de  ces  ani- 
maux ,  qui  confiiioit  en  fujc'es  ôc  en 
fêtards, 

Qiîoi 

^  JLc  Sceau  attache  au  bas  cTcs  Bulles» 

F  6 


i^i       L  E    C  O  N  T  E 

Qiioi  qu'il  en  foit,  il  efl  certain, 
qu'ils  avoicnc  deux  marques,  qui  les 
diitinguoient  extrêmement  de  leurs  Pe- 
res contemporains  de  Jafon,  &  que  je 
n'ai  jamais  trouvées  dans  la  defcription 
d'aucun  monltre,  excepté  celui  dont 
parle  liorace.  Farias  inducere  plumas  ^ 
atru'ûi  dejhiit  in  pifcem.  Ils  avoient  ef» 
feclivement  des  queues  depoiilbn^^  & 
cependant ,  en  certaines  occafions ,  ils 
voloient  avec  plus  de  rapidité,  qu'au- 
cun oifeau  au  monde. 

P/ar^fe  1er  voit  de  ces  Taureaux  avec 
beaucoup  de  fuccès.  Il  les  faifoit  mu-- 
gir  quelquefois  pour  effraïer  &  pour 
faire  taire /c'^  En  fans  qui  nétoient  pas  jo- 
lis]. D'autres  fois ,  il  leur  envoïoit  faire 
des  commilfions  fort  importantes.  Mais, 
ce  qu'il  y  avoit  de  remarquable  dans 
toutes  leurs  actions ,  &  que  le  Lecleur 
prudent  aura  de  la  peine  à  croire ,  ils 
faifoient  voir  un  amour  enragé  pour 
VOr.  C'étoit  aparemment  un  inflincl, 
qui  ctoit  paiïc  dans  toute  la  race  de 
leurs  nobles  Ancêtres  les  Gardiens  de  la 

Toi- 


Suh  anmih  fifcatorii, 
Les  Princes  qui  n'on 
fc  pour  plier  fous  i'Autoritc  du  Sî.  Pcrc» 


1   Les  Princes  qui  n'ont  p.is  a/Tez  de  Soupki^ 


DIT    TONNEAU.     135 

Toifon.  Ils  Hiivoient  cet  inflincl  avec 
tant  de  fureur ,  que  quand  Pierre  les 
envoïoit  feulement  faire  uncompliment 
h  quelqu'un ,  ils  fe  mettoient  à  rotter ,  à 
jetter  du  feu  par  les  narines ,  à  mugir  par 
devant  &par  derrière  :  en  un  mot,  ils 
faifoient  le  diable  à  quatre,  jufqu'à  ce 
qu'on  leur  eut  jette  une  bouchée  d'or 
dans  la  gueule >  mais  alors,  puh'eris 
exiguija^ii^  ils  devenoient  doux  comme 
des  agneaux. 

Cette  prodigieufe  avidité  pour  l'Or, 
encouragée ,  à  ce  qu'on  prétend ,  parla 
connivencedeleurMaitre,  les  faifoient 
regarder  par-tout  comme  une  troupe  de 
Gueux  infolens:  c'étoit  avec  grande 
raifon>  car,  par-tout  où  on  leur  refii- 
foit  raumone,iIs  faifoient  un  tintamar- 
re à  faire  avorter  les  Femmes, &  àjet- 
terlesEnfans  dans  des  convulfions.  Ils 
pouffèrent  enfin  leur  effronterie  fi  loin, 
qu'elle  devint  infuportable  à  tout  le 
voifmage,  &que  certains  Habitans  du 
Nord-(Jueft  envoïérent  contre  eux  une 
meute  de  Dogues  iVnglois  ^,  qui  leur 
donnèrent  des  coups  de  dents  li  terri- 
bles, 

*  Henry  8.  le  premier  Roi  qui  ait  fccoué  le 
Tçug  du  Pape, 

F7 


IÎ4  L  E    C  O  T  E 

bles ,  qu'ils  s'en  reffentirent  toute  leuf 
vie. 

II  faut  5  avant  que  de  finir ,  que  je  fafle 
encore  mention  d  un  Rutveprojet  de  My- 
lord  Pierre ,  qui  fait  bien  voir ,  que  c'efl 
un  Maître  homme ,  &  d'une  imagina- 
tion très-riche  ,  &  très  -  féconde  *. 
Quand  il  arrivoit  que  quelque  Scélérat 
étoit  condamné  à  être  pendu,  Pierre 
le  donnoit  les  airs  de  lui  offrir  le  par- 
don, pour  une  fomme  d'argent.  Lorf- 
quele  pauvre  Diable  avoit  fait  tousfes 
efforts  pour  la  ramaffer ,  &  qu  il  l'avoit 
envolée  h.  fa  Grandeur  ^  il  en  recevoit 
pour  recompenfe  un  Papier  contenant  le 
Formulaire  fuivant. 

A  tous  Baillifs^  Prez'ôts^  Geôliers  ^ 
Sergens ,   Archers  ,    £5^.  Salut. 

Comme  rious fo77rme  s  informez  que  le  nom^ 
mé  N.  étant  fous  fentcnce  de  mort  fe  trou-^ 
ve  aBuellement  entre  vos  mains,  nous 
'voulons y  £5?  ordonnons,  qu'à  la  vue  de 
la  pre  fente ,  vous  aïez  à  relâcher  le  dit 
prifonnier ,  {$  h  le  laifjer  retourner  libre- 
ment à  fa  demeure^  quel  que  puiffe  être  le 
cas  ^  pour  lequel  il  eft  condamné ,  Meurtre  ^ 

Fol, 

*  Ceci  fait  allufion  aux  TaxA  CameUari'A  "ho- 
rnnn& ,  cù  les  crimes  les  plus  affreux  font  taxer 
à  une  légère  foîumçr 


DU   TONNEAU.       r^f 

Fdï ^  Blafpheme ^  Incefie ^  Sacrilege^  Tra-^ 
hîfon^  Sodomie 'y  i^c.  Etfivousétes  ajfez 
hardis  y  pour  y  inanquer  ^  que  le  Ciel 
'VOUS  punijfe  "jous  fi?  hs  '■cotres  éternelle- 
ment.  Dieu  'vous  ait  en  fa  faint e  i^  dign-c^ 
Garde, 

Le  tres-hurnUe  Ser'viteur 
de  'VOS  Serviteurs  ^ 

L'Empereur  PIERRE; 

Qu'arrivoit-il?  Les  malheureux,  qui  fe 
fioientà  ces  bellos  patentes ,  perdoient 
leur  argent ,  &  leur  vie  par-defllis  le 
marché  "*. 

Avant  que  de  palTer  outre ,  je  dois 
avertir  ceux ,  à  qui  la  Poflerité  favante 
confiera  l'honneur  de  commenter  ce 
Traité  ymr'veilkus  ^  d'en  manier  avec 
beaucoup  de  précaution  certains  points 
obfcurs ,  defquels  ceux ,  qui  ne  font  pas 
'verèadepti^  pourroient  tirer  certaines 
conclurions  trop  précipitées.  Ce  danger 
efl  fur- tout  à  craindre  par  rapport  à 

cer- 

*  Les  pardons  achetez  pour  une  femme  il 
modique  n'empêchent  pas  le  Criminel,  s'il  eft 
faifi  par  le  Bras  fecuh'er ,  d'être  pendu  OU  roué, 
en  dépit  de  l'Autorité  Papale. 


135        L  E    C  O  N  T  E 

certaines  périodes  Myftiques ,  où  Yon 
2l  joint  ^  pour  l'amour  de  la  brièveté  y 
certains  ^;t^;^.^  ,  qui  doivent  être  divi^ 
fez  dans  l'opération.  Je  ne  doute  pas 
que  les  Fils  futurs  du  grand  Art  ne  paient 
à  ma  mémoire  des  refpe6ls  reconnoif- 
fans,  pour  un  avertilTiment  d'une  aufîl 
grande  utilité. 

'  Il  ne  fera  pas  difficile  de  perfuader 
aux  Le6leurs5qiie  tant  de  grandes  de- 
couvertes  de  My  lord  Pierre  eurent  un 
fuccès  prodigieux  dans  le  monde.  Je 
puis  proteiler  cependant ,  que  je  n'en  ai 
raporté  que  la  moindre  partie.  Mon 
intention  n'a  été  que  de  vous  commu- 
niquer celles  5  qui  méritent  le  plus  d'être 
imitées ,  &  qui  font  les  plus  propres  à 
donner  une  idée  exaéle  du  Génie  de 
Y  hrcentcur. 

Il  eft  aifé  de  s'imaginer,  qu  elles  lui 
avoient  procuré  des  richeifes  immenfes. 
Mais ,  helas  !  le  pauvre  Seigneur  s'étoit 
donné  une  entorfe  au  cerveau ,  à  force  de 
mettre  fon  efprit  à  la  torture.  Son  or- 
gueil &  fes  projets  de  Scelerateffe  l'a- 
voient  rendu  fou  à  lier  ;  &  fon  imagi- 
nation s'étoit  remplie  des  plus  bifarres 
reveries  qu'on  puiiTe  concevoir.  Dans 
les  plus  terribles  accès ,  (  comme  il  ar- 
rive 


DU    TONNEAU.     1^7 

rivefouvent  à  ceux,  à  qui  la  vanité  fait 
tourner  Felprit)  il  s'appelloit  quelque- 
fois le  Monarque  de  l'Univers,  le  Dieu 
tout-puiilant. 

Je  fai  vu  un  jour,  dit  mon  Auteur  y 
prendre  trois  vieux  Chapeaux  en  pain 
de  fucre,  &  fe  les  planter  fur  la  tète 
rundelTus  fautre,  comme  une  Couron- 
ne h  triple  étage.  Dans  cet  état,  je  fai 
vu  fe  montrer  aux  hommes,  avec  une 
Ligne  à  pécher  à  la  main ,  &  avec  un 
énorme  trouiieau  de  Clefs  pendu  à  la 
ceinture. 

Dans  cette  venerable  pollure  ,  û 
quelqu'un  vouloitlui  donner  lamain  en- 
figne  d'Amitié ,  il  lui  tendoit  galam- 
ment la  jambe;  &  fi  l'autre  ne  prenoit 
pas  goût  à  cette  civilité ,  il  la  levoit  allez, 
haut,  pour  lui  fangler  un  vigoureux  coup 
de  pied  furies  mâchoires.  Voilà  ce  qu  it 
apelloit  filuer  les  gens.  Qiiand  quel- 
qu'un paffoit  devant  lui ,  fans  fonger  à 
lui  faire  la  reverence,  il  lui  faifoit tom- 
ber le  chapeau  dans  la  boue,  en  fou^ 
Jlant  delTus;  car,  il  avoit  Icfouflc  d'une 
force  étonnante. 

Au  milieu  de  toutes  ces  extravagan- 
ces ,  les  affciires  de  famille  ctoient  dans 
un  defordre  pitoiable  ,   &  fes  Frères 

pai- 


i}8         L  E    C  O  N  T  E 

paflbient  fort  mal  leur  terns.  La  pre- 
miere boutade  par  laquelle  il  s'étoit  ii- 
gnalé  à  leur  égard  ,  c'eft  de  chaiTer  un 
beau  matin  de  la  maifon  leurs  Fem- 
mes, aufli  bien  que  la  Tienne  5  &  d'y  fai- 
re entrer  à  leur  place  trois  franches  Don- 
zelles  ,  qu'il  avoit  ramafTées  dans  les 
rues  ^.  Qiielques  jours  après,  ilfemit 
dans  l'efprit  de  clouer  la  porte  de  la 
Cave  5  pour  faire  manger  fes  pauvres 
Frères ,  fans  leur  donner  à  boire  -|". 

Dinant  un  un  jour  en  Ville  chez  u^ 
Eche^vin ,  il  l'écouta  avec  attention  ha- 
ranguer fur  un  alloyau  de  bœuf. 

Le  bœuf ,  difoit  ce  fage  Magiflrat , 
eji  le  Roi  des  mets  :  le  bœuf  contient 
la  ^uintejjence  dn  perdreau  ,  du  fai* 
fan  ,  de  la  caille  ,  de  toutes  fortes  de 
'venaifon  \  i^  même  du  pdding^  {^  du 
flan. 

11  ne  lailTa  pas  tomber  à  terre  cette 
belle  penfée  ;  & ,  dès  qu'il  fut  revenu 
chez  lui,  il  fut  y  donner  un  fi  bon  tour, 
qu'il  en  fit  un  dogme  très-utile  pour 
lui  5  en  la  rendant  apphquable  au  pain. 

U 

*  Le  Mariage  défendu  aux  Prêtres  5  &  le  Con- 
cubinage permis. 

t  La  défenfe  de  la  Coupe  dans  laStc.  Cenc. 


DU    TONNEAU.     159 

Le  Pain  ,  dit-il ,  mes  chers  Frères  eft  le 
foutien  de  la  vie  :  dans  le  Pain  font  ren^ 
fermez  inclufivè  ,  le  mouton  ,  le  veau , 
le  gibier ,  le  flan  ,  i^  le  podding  '^.  Et 
même^  pour  en  faire  un  aliment  complet^ 
il  y  a  unedozenéceffaire  d'eau,  qui,  aiant 
perdu  fa  crudité  par  la  chaleur  £5?  p^r  la 
fermentation  ,  efi  devenue  une  liqueur  ex^^ 
trémement faine  répandue  par  toute  la  maffe. 
Conformément  à  ces  beaux  principes, 
un  grand  pain  fut  fervi  le  lendemain  à 
dîner,avec  toute  la  formalité  d'une  Noce 
Bourgeoife.  Allons  ,  mes  Frères  ,  dit 
Pierre ,  n  épargnez  pas  ces  mets.  Je  vous 
garent  is  ce  mouton  excellent.  Servez-vous 
s'il  vous  plaît  \  ou  bien ,  je  m'en  vais  vous 
fervir  moi-ynême,  puifque  fy  fuis.  En  mê- 
me tems,avec  beaucoup  de  Cérémonies, 
armé  d'un  couteau  &  d'une  fourchette, 
il  leur  coupe  à  chacun  une  tranche  mal^ 
five  de  ce  pain  ,  &  il  la  leur  préfente 
fur  une  afTiette.  L'aîné  des  deux,  n'en- 
trant pas  d'abord  dans  l'idée  de  Mylord 
Pierre  ,  commença  d'une  manière  fort 
humble  à  lui  demander  le  fens  de  ce 
Miflere.  Mylord ,  dit-il  ,  avec  tout  le 
refpedl  que  je  vous  dois ,  il  me  femble  quil 
y  a  quelque  méprife  ici.     Comment  donc\ 

*  La  Tranfubftantiatfon. 


I40  LE    CONTE 

repondit  brufquement  Pierre.  Nous  al- 
lez-vous débiter  ici  quelque  pîaifanterie  de 
*votre façon?  Nullerâent ^  Mylord ^  répli- 
qua le  pauvre  garçon.  Jemétoisimaginé^ 
que  Foîre  Grayideur  avoit  parle  d'une  piè- 
ce de  mouton  -,  (^  je  ne  fer  ois  pas  fâché 
delà  voir  paroi tre  fur  la  table,  ^te  vou- 
iez-vous  dire?  repartit  Pierre  d'un  air 
fort  furpris.  Je  veux  mourir ,  ft  je  vous 
comprends.  Le  plus  jeune  trouva  h  pro- 
pos là-deiTus  de  fe  mêler  de  la  conver- 
làtion,  afin  d'éclaircir  la  matière.  Aïy- 
lord^  dit-il,  mon  Frère  a  faim .^  aparem- 
ment  \  ^  il  voudroit  bien  tater  de  ce  mor- 
ceau de  mouton  ,  que  Votre  Grandeur 
vient  de  nous  promettre,  ^uel  pejle  de 
jargon  eft  ceci  ?  repartit  Pierre.  Avez-vous 
le  Ùiable  au  corps  Vun  £5?  Vautre  ?  "ïreve 
de  railleries ,  s  il  vous  plait.  Si  vous ,  qui 
avez  commencé  cette  farce ,  yf aimez  p^as 
votre  morceau  Je  m'en  vais  vous  en  couper 
un  autre  ,  quuiquà  mon  avis  ce  foit  le 
plus  friand  ^obet  d" appétit  de  toute  ÏE^ 
paule.  Comment  donc^  Alylord!  répon- 
dit le  premier.  Ccft  donc -là  une  Epaule 
de  moût  on  y  à  votre  avis  ?  Monfieur ,  Mon^ 
fieur  mon  Frère  ^  repartit  Pierre  aigre- 
ment 5  vuidez  votre  afjiette ,  s' il  vous  plait. 
Je  ne  juii point  du  tout  en  humeur  defoufrir 

vos 


DU   TONNEAU.       14.1 


t 


"■j OS  fades  houfonneries.  Pouffe  à  bout  par 
la  gravité  affeclée de  Pierre,  le  pauvre 
Cadet  ne  put  s'empêcher  de  fortir  du 
refpecl.  Parbleu^  Mylord^  dit-il,  tout 
ce  que  je  puis  l'ous  dire^  cefi  quà  en  juger 
par  mes  yeux ,  mes  doits ,  mes  dents ,  £5? 
mon  nez^  ceci  n'eft  autre  chofe  quiin  gros 
^Àgnon  de  pain.  A  quoi lautre  ajouta , 
que  de  [es  jours  il  nosjoit  '•ou  un  morceau 
de  mouton^  qui  rejjhnblàt  fi  fort  à  une 
tranche  d'un  pain  de  douze  fols.  Ecou- 
tez^ Mejfîcurs^  s'écria  Pierre  là- defl us 
d'un  ton  furieux.  Pour  vous  faire  i:oir^ 
que  'VOUS  ifétes  qu^in  couple  de  fats^  aveu- 
gles^ ignorans.,  6?  decififs^  je  ne  me  fer- 
virai  que  de  ce  feul  Argument.  Ceci  eji 
d\iujfi  bon  £5?  d''aujfi  veritable  mouton^ 
qu'il  y  en  a  dans  toute  la  boucherie  : 
(J  Dieu  vous  darnne  éternellement  ^  fi 
vous  êtes  ajjèz  hardis ,  pour  n'y  pas  ajou- 
ter foi. 

Une  preuve  aufli  foudroïante  que 
celle-là  ne  laiffa  aucun  lieu  à  de  nou- 
velles objections ,  &  les  pauvres  gens 
rentrèrent  dans  leur  coquille  tout  au 
plus  vite.  En  cjfet^  dit  le  premier,  en 
confiulerant  la  chofe  plus  meurement.  .  . . 
.  jipres  y  avoir  mieux  fongé^  interrompit 
l'autre,  //  ?ne  Cemble  que  F  être  Grandeur  % 


rai- 


14Z        L  E    C  O  N  T  E. 

raifonne  avec  beaucoup  de  juftejfe.  Bon  cela^ 
repondit  Pierre.  Je  fuis  bien-aize  de  'vous 
'voir  rentrer  ft-tôt  en 'vous  mêmes.  He\ 
Garçon^  remplijjez-moi  un  verre  à  bierre 
de 'vin  rouge.  A'vous^  Mejjïeurs  ^  de  tout 
mon  cœur. 

Les  deux  Frères,  ravis  de  voir  cet 
orage  paiïe,  le  remercièrent  très-hum- 
blement ,  &  lui  firent  entendre ,  qu'ils 
ièroient  bien-aifes  de  lui  faire  raifon. 
Ceft  bien-là  mon  intention^  leur  dit 
Pierre.  Je  m  fuis  pas  homme  à  vous 
refufer  rien  qui  foit  raifonnable.  Le 
vin  pris  avec  ?noderation  eft  le  plus  exceU 
lent  de  cordiaux,  'Tenez ,  prenez  chacun 
votre  verre.  Ceft  le  jus  naturel  de  la  grap- 
pe :  il  ri  a  point  pafj^é  par  la  brafjhie  de 
nos  Empoifonneurs  ^  je  vous  en  reponds. 
Aïant  prononcé  ces  dignes  paroles, 
il  leur  tendit  à  chacun  une  autre 
croûte  feche.  §ue  honte  ne  vous  fafje 
point  dommage  ,  mes  Enfans ,  dit-il. 
Buvez  hardiment  :  il  ne  vous  monicra 
pas  à  la  téte\  croyez-moi.  Les  deux 
Frères ,  après  avoir  emploie  quelques 
minutes  à  s'acquiter  d'un  devoir  très- 
naturel  dans  une  conjoncture  fi  delica- 
te^ je  veux  dire,  après  avoir  regardé 
fixement  Mylord  Pierre,  &  s'être  en- 
tre- 


DU    TONNEAU.       14} 

treregardez  l'an  Tautre  avec  la  même  at- 
tention; plièrent  les  épaules,  voïanc 
bien  qu'il  étoit  inutile  d'entrer  là-deflus 
dans  une  nouvelle  difpute.  Ils  remar- 
quoient  aflez,  que  Mylord  étoit  dans  un 
de  fes  accès  d'extravagance;  6c  que, 
le  contrarier,  c'étoit  vouloir  le  rendre 
infiniment  plus  intraitable. 

J'ai  trouvé  néceilaire  de  raporter  ici 
cette  affaire  importante  dans  toutes  fes 
circonltances  ;  parce  que  ce  fut-là  l'o- 
rigine principale  de  la  rupture ,  qui  ar- 
riva environ  ce  tems  entre  ces  Frères , 
qu'on  n'a  jamais  pu  racomoder  dans  la 
fuite.  Mais,  j'aurai  occafion  de  parler 
plus  au  long  de  ce  fujèt  dans  une  des 
Sections  fui  vantes.  Il  ne  faut  pas  croi- 
re que  Mylord  Pierre  n'eut  de  tems  en 
tems  de  bons  intervalles;  mais,  dans  ce 
tems-là  même,  il  étoit  fort  libertin  dans 
fes  exprefîions,  chicaneur,  decifif, 
porté  plutôt  à  fe  crever  hs  poumons 
en  difputant,  qu'à  convenir  qu'il  s'étoit 
trompé  dans  la  moindre  chofe.  D'ail- 
leurs, il  avoit  un  abominable  talent  de 
débiter  de  gros  micnfonges  palpables, 
qu'il  appuïoitpar  des  Sermens  afreux, 
en  maudilTant  tous  ceux  qui  refufoient 

de 


144        L  E    C  O  N  T  E 

de  les  croire ,  ôc  en  les  donnant  à  tous 
les  cent  mille  Diables. 

11  jura  un  jour,  qu'il  avoit  vu  une 
Vache ,  qui  donnoit  aiTez  de  lait  en  une 
feule  fois,  pour  en  remplir  trois  mille 
Eglifes  ;  &  que  ce  lait  ne  devenoit 
jamais  aigre ,  quand  on  le  garderoit  pen- 
dant dix  ou  douze  llécles  ^^.  Une  autre 
fois,  il  conta  que  fon  Père  avoit  un  vieux 
Poteau  ,  capable  de  fournir  allez  de 
bois  &  de  fer  pour  conllruire  fix  grands 
Vaiffeaux  de  Guerre  f. 

Dans  une  Compagnie,  où  Ton  s'en- 
tretenoit  de  certains  petits  chariots  Chi- 
nois capables  d'aller  à  la  voile  par-delfus 
les  montagnes  ,  il  fe  mit  à  rire.  jBû^i  / 
dit-il  5  'voi/â  une  belle  merveille.  J'ai 
*vu^  moi  ,  qui  vous  parle  ,  une  graride 
mai  fon ,  faite  de  chaux  ^  de  briques  , 
faire  un  volage ,  par  mer  ij  par  terre , 
de  plus  de  deux  mille  lieues  d' Allemagne. 
Il  eft  vrai  quelle  fe  repofoit  de  tems  en 
tems  dans  quelque  gitc  §.  Il  lardoit  ce  beau 
Conte  de  mille  Sermens  afi-eux  ,  qui 
tendoient  à  perfaader  aux  Auditeurs, 

qu'il 

*  Le  lait  de  la  Vierge. 

f  Le  bois  de  la  croix,  qui  ne  cede  en  rien  au' 
lait  de  la  Vierge  dans  laFaTulte  de  f;  multiplier. 
§  La  Chapelle  de  N.  D.  de  Loreiti. 


DU   TONNEAU.     14^ 

qu'il  n  avoit  jamais  menti  de  fa  vie. 
En  confcicnce  ,  Mejfieurs ^à^\{6\x.~A  à  cha- 
que moment ,  je  m  'voiis  dis  que  la  pure 
njerîté.  ^le  le  Diable  broie  éternelleynent 
tous  ceux  qui  ne  ^veulent  pas  m'en  croire. 

Pour  faire  court ,  la  Conduite  de  Pier- 
re de\dnt  à  la  fin  fi  fcandaleufe  ,  que 
tout  le  voifmage  le  traita  unanim.e- 
ment  du  plus  grand  maraut  de  la  terre 
habitable  3  &,  que  fes  Frères ,  fatiguez 
depuis  long-tems  de  fes  impertinences, 
refolurent  de  le  planter-là  :  mais ,  avant 
que  d'exécuter  ce  deflein,  ils  lui  deman- 
dèrent honnêtement  une  Copie  du  Tes- 
tament de  leur  Père ,  dont  ils  avoient  eu 
tout  le  tems  d'oublier  le  contenu.  Au 
lieu  de  leur  accorder  une  chofe  fi julte , 
il  leur  donna  les  noms  de  fils  de  chien- 
ne 5  de  coquins ,  de  traitres ,  en  un  mot 
les  plus  vilains  que  fa  mémoire  fut  ca- 
pable de  lui  fournir. 

Néanmoins ,  un  jour  qu'il  étoit  foril 
pour  travailler  à  faire  réiifiîr  quelques- 
uns  de  fes  projets ,  ils  prirent  leur  tems , 
fe  glifierent  dans  l'endroit  où  le  Tefla- 
ment  en  quelUon  étoit  renfermé ,  de 
ils  en  firent  une  Copie  autentique,  qui 
leur  fit  voir  en  moins  de  rien  les  erreurs 

Tome  L  G  afreu- 


i4<^        LE    CONTE 

afreufes  dans  lefquelles  Pierre  les  avoit 
engagez. 

Leur  Père  leur  avoit  laiiTë  à  tous  trois 
fon  héritage  à  poitions  égales ,  avec  un 
ordre  pofitif,  que  tout  ce  qu'ils  gagne- 
roient  feroit  en  commun.  Autoriièz  par- 
là  ,  ils  enfoncèrent  la  porte  de  la  Cave , 
(S:  en  tirèrent  un  peu  de  vin,  pour  s'é- 
gaïer  le  cœuj-  ,  &  pour  rétablir  leur 
eitomac. 

En  copiant  le  Teftament  de  leur  Pè- 
re ,  ils  y  avoient  remarqué  un  Article 
formel ,  contre  la  paillardife ,  &  contre 
le  divorce  -,  c'efl  pourquoi,  leur  premier 
foin  fut  de  faire  revenir  leurs  Femmes, 
&  de  chaffer  leurs  Concubines. 

Pendant  qu'ils  écoient  dans  toutes  ces 
occupations,  certain  (S'c/Z/Vi/é'/^r  de  Procès 
entra  dans  la  mailon  ,  dansledeffeinde 
demandera  Mylcrd  Pierre  un  acte  de 
pardon  pourun  \''r'eur,  qui  devoit  être 
pendu  le  lendemain. 

Les  deux  Frères  lui  dirent  qu'il  étoit 
un  grand  fat  de  vouloir  obtenir  un  pa- 
reil afte  d'un  f::quin,  qui  méritoit  lapo- 
tence  hii-mcme  ;  ils  lui  déveîopérent 
toutte  l'impolture,  de  la  manière  que 
je  l'ai  déduite  ci-deiTus ,  &  lui  confeil- 

lerenc 


"^m  .J',  ^aa.  14-6^. 


DU  TONNEAU.      147 

lérent  de  s'adrefTer  au  Roi,  &non  pas 
à  leur  fourbe  de  Frère. 

Au  milieu  de  cette  converfation  Voilà 
Pierre  qui  entre  brufquement,  fuivi  d'u- 
ne troupe  de  Dragons;  &,  après  les 
avoir  accablez  de  piufieurs  mDlions  d'in- 
jures, &  de  rnaledidions  canailleules , 
qu'il  n'efl  pas  trop  néceiTaire  de  répéter 
ici ,  il  les  fait  fortir  de  la  maifbn  à  grands 
coups  de  pieds  ,  avec  menaces  de  les 
traiter  encor  bien  plus  mal ,  fi  jamais  ils 
avoient  la  hardi  elle  d'y  revenir:  aufîi 
s'en  font-ils  bien  gardez  depuis  ce  tems- 
Ja  jafqu  à  l'heure  prefente. 


"m- 


SEC- 


148        L  E    C  O  N  T  E 

SECTION     V. 

Digreffion  à  la  moderne. 

NOus,  que  le  monde  honore  du  titre 
ai  Auteurs  Modernes^  nous  ne  nous 
mettrions  jamais  dans  Fefprit  la  flatteufe 
idée  d'une  réputation  immortelle,  fi  nous 
n'étions  perfuadez  de  l'utilité  infinie, 
que  nos  favans  efforts  procurent  au 
genre-humain. 

O  vous,  vafle  Univers  5  c'efl:  ce  glo- 
rieux deffein  de  vous  prodiguer  mes 
bienfaits ,  qui  m'oblige  à  prendre  le  titre 
de  'votre  Secretaire,   C'efl  ce  but ,  qui 

— ^uemvîs  per  ferre  labor  era 

Suadet ,  G?  indue  it  no  et  es  ^vigilare  ferenas, 

C'efl  dans  cette  vue,  que  je  travaille 
il  y  a  quelque  tems ,  avec  des  peines  in- 
exprimables ,  à  la  diffection  de  la  nature 
humaine  ,  &  que  j'ai  fait  plufieurs  le- 
çons curieufes  fur  fes  différentes  parties, 
tant  contenantes ,  que  contenues ,  julqu'à  ce 
qu'enfin  ce  corps  a  commencé  à  fentir 
Il  mauvais ,  qu'il  m'a  été  impoiîîble  de 

le 


DU   TONNEAU.     149 

le  conferver  pliislong-tems.  J'ai  pour- 
tant réu(]i,noni:ms  des  frais  conildera- 
blés  ,  à  en  placer  tous  les  os  dans  leur 
connexion,  &  dans  leur  iimétrie  natu- 
relle ;  en  forte  que  je  fuis  tout  prêt  à 
en  faire  voirie  Squelette  complet  à  tous 
les  curieux. 

Mais,  pour  ne  m'écarter  pas  davan- 
tage au  milieu  d'une  Digreiîion,  à  fe- 
xemplede  piufieurs  Auteurs,  qui  met- 
tent les  Digreflions  les  unes  dans  les  au- 
tres, comme  un  nid  de  boetes,ou  comme 
les  peaux  d'un  oignon  ;  je  me  conten- 
terai de  déclarer  ici,  qu'en  m'occupanc 
à  cette  Anaîornie  ,  j'ai  fait  une  décou- 
verte audi  extraordinaire  qu  importan- 
te :  favoir,  qu'il  n'y  a  que  deux  moïens 
d'être  utile  à  la  Société  humaine , 
V Inftrii^fion^  &  le  Dli'crtijjernent.  Pour- 
vu que  les  leçons  que  j'ai  faites  fur  ce 
fujèt  foient  affez  fortunées  pour  être 
volées  par  quelqu'un  ,  ou  qu'un  ami 
me  force  par  fes  impotcunitez  cà  les  ren- 
dre publiques  ,  on  y  verra  clairement 
démontré  que  le  genre  humain,  difpofé 
comme  il  eit  à  prefent ,  a  plus  bcfoin 
d'être  diverti ,  que  d'etre  inilruit.  La 
raifon  en  eil ,  que  fes  maladies  \qs  plus 
G   3  ordi- 


1/0        LE     CONTE 

ordinaires  font  le  dégoût ,  Tennui,  6c 
l'indolence. 

Néanmoins ,  j'ai  voulu  fuivre  un  pré- 
cepte fort  ancien  &;  d'une  grande  Au- 
torité ,  &  j'y  ai  réiifli  dans  la  dernière 
perfeélion  dans  toute  l'étendue  de  ce  di- 
vin Ouvrage.  Je  veux  dire,  que  j'y  ai  mis 
par-tout,  avec  une  proportion exa6le, 
tantôt  une  couche  d'utile,  &  tantôt  une. 
couchz  cV agréable. 

Nos  illuilres  Modernes  ont  écli-pfé  & 
écarté  du  Commerce  du  monde  poli 
les  foibles  lumières  des  Anciens ,  jufqu'à 
un  tel  point ,  que  nos  beaux  elprits  les 
plus  diilinguez  révoquent  en  doute  fi 
les  Anciens  ont  jamais  exifcé  *.  Ceft 
un  Problème ,  fur  lequel  nous  attendons 
de  grands  éclairciilemens  de  la  favante 
plume  du  fameux  Bentley  •  &  je  n"y 
réfléchis  jamais,  fans  m'étonner,  qu'au- 
cun Moderne  jpour  faire  valoir  la  prodi- 
gieufe  fupériorite  de  notre  fiécle,  n'ait 
pas  en trepris  de renfeiTner ,  dans  qu elque 
"^tulTulk-fve de pQchc .  un  Syileme géné- 
ral de  tout  ce  qu'il  Ï2i\it  J avoir ^  aoirey. 

(^ 

*  Certains  Partifans  des  Modernes.  Fonteneîïe  y. 
par  exemple ,  prétend  que  nous  fommes  les  An^- 
cicns.     Je  ne  fais  pas  trop  s'il  a  tort. 


DU    TONNEAU.      lyr 

13  'fzeîîre  en  pratique.  Je  dois  avouer 
pourtant,  que  j'en  ai  vu  une  légère  idée, 
dans  récrit  d  un  grand  Philofophe  du 
Brezil  Oriental ,  qu'on  a  trouvé  parmi 
Tes  papiers  après  la  mort.  C  eft  une 
eipece  de  Recepte ,  que  la  tendreiTe  que 
je  mie  fens  pour  les  Savans  Modernes, 
me  porte  a  leur  communiquer,  afin  d'ani- 
mer quelqu'un  dentreux  à  la  m.ettre 
en  œuvre,  &  à  rafiner  furies  ufages 
qu'on  en  peut  tirer. 

Prenez  de  belles  Editions^  bien  reliées 
en  i;eau ,  ayant  leur  titres  au  dos  en  lettres 
d^or^  (y  contenant  toutes  fortes  de  matiè- 
res ^  en  toutes  fortes  de  langue  s  \  faites  les 
fondre  enfembie  an  Bain  Marie  :  infufez 
y  une  doze  fuffi f ante  de  la  ^uintejjh:ce  de 
Pavots ,  avec  Pinte  d'eau  de  Le  thé  , 
qu'on  peut  trouver  chez  tous  les  ylpoticai- 
res  :  otez  en  foigneuj entent  le  Caput  m or-- 
tuum ,  {jf  laifjez  évaporer  tout  ce  qjÎ'ïI  y 
a  de  vciatîi. 

Vous  n^en  garderez  que  le  premier  ex- 
trait ,  que  vous  difiik;  ez  de  nouveau  di^- 
fept  fois ,  jujquà  ce  que  le  refte  ne  mon- 
tera qu^a  aemi-chopiyhc.  Vous  le  conferve- 
rez^  dans  une  bouteille  hermétiquement  fer- 
mée ^  perulaht  vingt  (y  un  jours.  Apres 
G  4  c^iay 


isz         L  E    C  O  NT  E 

cda^  I'ous  parjez  co?nmencer  lotre  Traité 
Univerfel ,  en  prenant  tous  les  matins  à 
jeun  trois  goûtes  de  cet  Elixir.  Notez 
qu'il  faut  pre?72ierement  bien  Jccouer  la 
bouteille^  ^  prendre  îefdiîes  trois  goûtes 
par  le  nez.  Elles  fe  dilateront  par  toute 
'votre  cer'velk^  fi  'vous  en  avez^  en  qua- 
torze 'minutes  de  tcms  \  £5^5  tout  d'un  coup^ 
l'DUS  aurez  rimagination  remplie  d'ex- 
traits.^ defcmmaires^  d' abrégez^  de  recueils^ 
de  Médaille,  Excerpta,  Florilegiaj&c. 
tous  dilpofez  dans  l'ordre  nécelTaire,  & 
prêts  à  s'arranger  fur  le  papier. 

Je  fais  obligé  de  convenir,  que  c'eft 
par  le  fecours  de  ce  fecrèt,  que,  malgré 
mon  incapacité  naturelle,  je  me  fuis  ha- 
fardé  à  entreprendre  ce  préfent  Ouvra- 
ge, qu'on  peut  apeller  réellement  la 
Moelle  de  toutes  les  ConnoilTances  ima- 
ginables. 

Ce  hardi  delTein  n  ajamais  été  formé, 
que  je  fâche ,  avant  moi ,  fi-non  par  ua 
certain  Homère ,  dans  lequel  ,  quoi 
qu'il  eut  quelque  talens,  &  que  fon  ge- 
nie fut  paffabie  pour  un  Ancien,  j'ai 
découvert  quantité  de  fautes  groiîleres., 
qu'on  ne  fauroit  pardonner  à fes  cendres 
fi  elles  exiltent  encore.     On 

nous 


DU    TONNEAU.       i;; 

nous    aillire  que  fon  Ouvrage  a  été 
defliné  h  faire  un   corps  complet  de 
SciencQS  divines  çj  hwuiaines  ,  politiques 
(^  mechaniques  ^-mais,  il  ell  évident,qu'il 
y  a  des  fujcts  qu'il  a  négligez  entière- 
ment, &  d'autres  qu'il  n'a  touché  qu'en 
paÛant.   Premièrement ,  il  faut  avouer, 
que,  pour  un  aufïï  grand  CahaVfie  qu'on 
prétend  qu'il  a  été ,  ce  qu'il  nous    dit 
du  grayid  œuvre  ell  pauvre  &  défec- 
tueux.    On  diroit  qu'il  n'a  lu  que  fu- 
perficiellementtout  ce  qu'on  trouve  là- 
delTus  dans  Sendi-vogus^  dans  Behnmi^ 
ôc   dans  V jintropofopbia  T'hcomagica   §. 
D'ailleurs, il  fe  trompe  fur  la  Sphère  Py- 
roplafiique^  d'une  manière  fi  impardon- 
nable,  que  (le  Lecleur  me  permettra 
bien  une  cenfure  11  févére  )  vix  credereni 
Author eni    hune  unquam  audivijje  ignis 
vocera. 

Ses  meprifes  ne  font  pas  moins  lour- 
des à  l'égard  de  plulieurs   parties  des 
Mechaniques  j  car,aïant  lu  les  Ouvra- 
G  f  ges 

*  L'Auteur,  quoique  Partifân  zelc  des  Anciens, 
ne  laifTe  pas  de  turlupiner  vivement  la  pré- 
tention ridicule  de  fes  Collègues ,  qui  prétendent 
tout  trouver  dans  Homère. 

$  Auteurs,  qui  ont  écrit  des  Rêveries  fur  Is 
Pierre  Philofopiule. 


1/4  LE    CONTE 

ges,  avec  toute  l'attention  ufitce  par- 
mi mes  illuilres  contemporains,  je  n'y 
ai  rien  trouvé  du  tout  fur  la  itruélure 
de  cet  inftrument  utile  qu'on  apelle  un 
B'inet'^  &,  fans  les  lumières  des  Moder- 
nes ,  nous  ferions  encore  dans  de  pro- 
fondes ténèbres  à  cet  égard. 

Mais,  voici  une  négligence  tout  au- 
trement importante.  Cet  Auteur  il  van- 
té n'a  pas  dit  un  mot  touchant  les  Loin 
Co'mmunes  de  ce  Roïaume,  non  plus 
que  fiir  la  Dcëfrine  i^  fur  le  Ceremoniel 
de  rEgUfe  Anglicane  :  omifiion  pour  la- 
quelle, &  Homère,  &  tous  les  autres 
Anciens,  font  cenfurez  avec  beaucoup 
de  jullice ,  par  mon  grand  &  ilJullre  ami 
M.  Wotton,  Bachelier  en  Théologie,- 
dans  fon  Traité  incomparable  fur  !'£- 
rudiîion  ancienne  l^  modey-yie.  C'efl  un 
Livre ,  qu'on  ne  fauroit  jamais  affez  eili- 
mer,  de  quelque  côté  qu'on  le  confi- 
dere.  Ses  tours  d'efprit  ingénieux ,  fes 
découvertes  lliblimes  fur  les  mouches 
&  fur  laffiive,  l'éloquence  labcrieufe 
de  fon  ilile,  tout  en  ell merveilleux.  Et 
Je  ne  faurois  m'empécher  de  témoigner 
ici  publiquement  ma  reconnoilfance  à 
r  Auteur  5  pour  les  fecours  que  j'ai  tiré 

dc- 


DU    TONNEAU,     iff 

de  cette  Pièce  fans  pareille ,  encompo- 
fant  le  préfent  Traité. 

Il  eil  aifé  de  découvrir  plufieiirs  au-» 
très  négligences  dans  les  Oeuvres  du  fa-- 
meux  Hoïncre-.  mais,  je  croi  qu'il  n'en 
doit  pas  être  auiïï  reiponfable ,  que  du 
refte;,  parce  que,  depuis  fonfiecle,  cha- 
que branche  des  Sciences  s'efl  étendue 
d'une  manière  très-coniiderable ,  parti- 
culièrement dans  ces  trois  dernières 
années.  Ce  qui  fait  voir  évidemment, 
qu'il  n'a  pas  pu  pénétrer  auiïï  avanc 
dans  nos  découvertes  modernes  ,  que 
fes  Partiians  le  prétendent. 

Nous  le  reconnoilTons  avec  plaifir 
pour  l'Inventeur  de  la  boufTole ,  de  h 
poudre  à  Canon,  &  de  la  circulation 
du  fang  y  mais ,  je  défie  tous  fes  Adora- 
teurs de  me  faire  voir  dans  tous  fes  Ou-- 
vrages  un  détail  exaél  de  la  Ram,  Nous- 
dit-il  feulement  un  mot  touchant  les^ 
Charlaîanerles  Politiques  ;  &  y  a-t-ii  rien' 
de  plus  défeélueux,  &  de  moins  fatis- 
faifant,  que  fa  grande  Diflertation  fur' 
le  7'hé'i  Pour  ce  qui  regarde  fi  metho-- 
de  de  faliver  fans  Mercure ,  je  puis  in-- 
former  le  public,  que  j'ai  appris  à  mes" 
propres  dépens,  qu'il  ntiï  pas  bon-  de- 
s'y  fier, 

G  6'  Gq 


JS6       LE    CONTE 

Ce  n'a  été  que  pour  fuppléer  à  des 
défe6luolitez  fi  importantes  ,  que  j'ai 
mis  la  main  à  la  plume,  après  en  avoir 
été  longtems  follicité  ^  &  j'ôfe  afTeu- 
rer  le  Le6leur  judicieux ,  qu'il  trouve- 
ra ici  tout  ce  qui  peut  être  de  la  moin- 
dre utilité  ,  dans  toutes  les  circonflances 
de  la  vie.  Je  fuisperfuadé  d'avoir  épui- 
fé  &  renfermé  dans  mon  Ouvrage  tout 
ce  qui  peut  être  contenu  dans  l'efpace 
immenfe  de  l'imagination  humaine.  Je 
recommande  fur-tout  h  la  méditation 
des  Savans  certaines  découvertes  de  ma 
façon  ,  auxquelles  mes  PrédecelTeurs 
n  ont  pasfongé  feulement:  telle  eil  en- 
tr'autres  mon  nouveau  fecours  pour  la 
teinture  du  fa'voîr ,  ou  Varî  de  devenir 
profondément  [avant ,  par  une  Le6lure  fu- 
p}erficielle\  une  invention  curieufe  concer^ 
nant  les  fouricieres  ;  une  règle  univerfelle 
deraifonnement^  autremeut  intitulée  ^  cha^ 
que  hornme  [on  propre  Ecuier  tranchant  ; 
tme  Machine  utile  pour  prendre  les  hi- 
houy.\  &plu(ieurs  autres  que  leLefteur 
curieux  verra  expofées  au  large  dans  les 
diflferentes  parties  de  ce  Livre. 

Je  me  crois  obligé  d'aider  le  public , 
autant  qu  il  m'eit  pofTible ,  à  fentir  tou- 
tes les  beautez  de  ce  que  j'écris ,  parce 

que 


DU    TONxNEAU.     15:7 

que  c'ell-Ià  la  coutume  des  plus  fameux 
Ecrivains  de  cet  âge  poli  &  favant , 
quand  ils  veulent  corriger  le  mauvais 
naturel  à\i Lecteur  Critique^  ou  remé- 
dier à  l'ignorance  du  Lecteur  Bene^-jole. 
D'ailleurs,  on  a  rendu  publiques  depuis 
peu  plufieurs  pièces  en  vers  &  enprofe, 
dans  lefquelles ,  fi  les  Auteurs ,  poufTez 
par  la  charité  qu'on  doit  au  public  ,  ne 
nous  avoient  pas  donné  un  détail  exacl 
du  merveilleux  qu'elles  contenoient,  il 
y  a  à  parier  milles  contre  un ,  que  nous 
n'en  aurions  pas  apperçu  un  feul  grain. 
J'avoue  que  tout  ce  que  je  viens  de 
dire,  conformément  à  cette  mxode,  au- 
roit  paru  dans  une  Préface  avec  beau- 
coup plus  de  bienfeance:  mais,  je  trou- 
ve apropos  de  me  mettre  ici  en  pofTef- 
lion  du  privilege  attaché  au  bonheur 
d'écrire ,  après  tous  les  autres  j  &,  com- 
me le  plus  moderne  entre  les  modernes, 
je  me  fers  du  pouvoir  defpotique,  que 
cette  qualité  me  donne  fur  tous  les  Au- 
teurs mes  devanciers.  Autorifé  par  ce 
titre,  je  declare,  que  je  defaprouve  cette 
coutume  pernicieufe  de  détailler  dans 
une  Préface  tous  Iqs  matériaux  qui  doi- 
vent compofer  fOuvrage  qui  le  fuit.  J'y 
trouve  la  même  extravagance ,  qu'il  y  a 
G  7  dans 


T/s  L  E    C  O  N  T  Ê 

dans  la  conduite  de  ceux,  qui  vont  pro- 
mener, dans  les  Foires,  des  monflres& 
des  animaux  étrangers ,  &:  qui  placent 
au-deiîus  de  leur  porte  un  grand  ta- 
bleau de  ce  qu'ils  ont  à  nous  montrer, 
avec  une  ample  &  éloquente  defcription 
de  toutes  fes  proprietez.  J'avoue  que 
cet  ufage  m'a  fauve  mainte  pièce  de 
deux  fols.  Il  fatisfait  m.acurioiité,  au 
lieu  de  l'exciter  d'avantage  ^  &  je  re- 
fifle  fans  peine  à  la  Rhétorique  preiTan- 
te  de  l'Orateur,  quand  il  m'attaqueroit 
par  ce  trait  pathétique  :  fur  ma  parole  y 
Monfieur^  nous  allons  cûmmcnccr  dans  le 
viomeîit. 

Voilà  précifement  laDellinée  de  nos 
Prefaces  ,  Eptres ,  Inîroducllons ,  Dé- 
dicaces^ Avert iffe-mens  aux  Licteurs ,  Dlf- 
cours prélhriimires ,  tf  autres  Avant-cou- 
reurs  des  Livres.  C'étoit  d'abord  un 
expédient  admirable  3  &  notre  grand 
Dryden  en  a  nré  tout  le  fervice  pofïï- 
ble.  Il  m'a  dit  fbuvent  en  confidence , 
que  les  hommes  ne  l'auroient  jamais 
foupçonné  d'être  un  Poète  du  premier" 
ordre,  s'il  ne  le  leur  avoir  pas  fi  fou- 
vent  apris  dans  fes  Préfaces  ,  qu'il 
leur  étoit  impoiFible  d'en  douter ,  ou- 
de  l'oiiblier» 


DU   TONNEAU.       lyp 

Je  n'ai  garde  de  lui  donner  un  dé- 
mentir là-delTus^  mais,  je  crains  bien  , 
qu'à  force  de  fe fer vir  de  cet  expédient, 
il  n'ait  rendu  à  la  fin  les  Lecteurs  plus 
habiles ,  qu'il  ne  le  fouhaitoit.  Ils  ont 
été  fi  fouvent  les  Dupes  de  ces  grands- 
préparatiis  ,  qu'il  eil  douloureux  de 
voir  à  prefent ,  avec  quel  air  dédaigneux 
on  faute  ,  commue  (ï  c'étoit  autant  de 
Latin ,  les  cinquante  ou  foixante  pages , 
qui  font  à  peu  près  l'étendue  moderne 
d'une  Préface,  ou  d'une  Epitre  Dedi- 
catoire. 

Onnelauroitnier  pourtant,  d'un  au- 
tre côté,  qu'un  nombre  confiderable  de 
perfonnes  ne  deviennent  Critiques  & 
Beaux-Elprits,  par  cette  ièule  Lecture.- 
La  chofe  elt  inconteilabie  ;  &  l'on  peut 
avec  beaucoup  de  jultefie  pai'tager  tous 
les  Le6teurs  d'à-préient  dans  ces  deux 
Clafifes.  Les  uns  ne  lifent  que  les  Dis- 
cours préliminaites  5  &  les  autres  n'en 
lifènt  jamais.  Pour  moi,  je  fais  profef- 
fion  d'être  de  la  dernière;  &,  pour  cette 
raiibn  ,  me  fentant  la  démangeaifon 
moderne  de  m'étendre  fur  le  mérite  de- 
mes  propres  productions  5  &  d'endéve-- 
loper  les  parties  les  plus  brillantes,  j'ai 
jugé  à  propos  de  le  faire  dans  le  corpse 

d^ 


i5o        L  E    C  O  N  T  E 

de  rOuvrage  même,  ce  qui  en  augmen- 
te coniidérablement  le  volume:  profit, 
qui  n'ell  point  du  tout  à  négliger  pour 
un  Auteur  qui  fait  un  peu  fes  intérêts. 

C'eft  ainii ,  que  j'ai  cru  devoir  mar- 
quer mon  refpeél  pour  la  loiiable  cou- 
tume des  Auteurs  de  cet  âge,par  une  Di- 
greiïïon,  que  perfonne  ne  me  deman- 
doit ,  &  par  une  Cenfure  générale ,  qu'a- 
me  qui  vive  n'avoit  méritée  de  moi. 
C'eft  ainfi,  que  j'ai  trouvé  nécefiaire 
d'étaler,  par  un  travail  pénible,  avec 
autant  de  charité  pour  moi-même,  que 
de  franchife  pour  mon  prochain ,  mes 
propres  perfe6lions,  &les  défauts  d  au- 
trui. A  prefent,  m'étant  acquité  de  ce 
devoir  important,  je  reprends  le  fil  de 
mon  Hiftoire ,  à  la  grande  fatisfaclion 
de  l'Auteur  &  du  Public. 


^iS.i);^ 


SEO 


DU    TO  XX  EAU.     1^1 

SECTION    V  L 

Continuation  du  Conte  du  Tonneau. 

NOus  avons  laiiTé  Mylorcl  Pierre 
dans  une  rupture  ouverte  avec 
fes  Frères ,  chafTez  tous  deux  de  fa  mai- 
fon ,  &  envoïez  chercher  fortune  dans 
ce  vaite  Univers,  fans  avoir  fur  quoi  la 
fonder.  Trifles  circonflances  ,  qui  les 
rendent  les  iiijèts  naturels  de  la  plume 
charitable  d\in  Auteur  de  bien  ,  pour 
qui  d'ordinaire  les  Scenes  les  plus  déplo- 
rables préparent  une  moilFon  de  grandes 
&  belles  avantures. 

C'efl  ici  qu'on  doit  remarquer  ladii^ 
ference ,  qu'il  y  a  entre  un  Ecrivain  gé- 
néreux ,  &  un  Ami  ordinaire.  Le  der- 
nier s'attache  inviolablement  à  la  proC 
perité;  mais,  il  décampe  au  plus  vite, à 
la  moindre  révolution.  L'Auteur  géné- 
reux ,  au  contraire ,  fe  plait  à  trouver  fon 
Héros  fur  le  fumier  ,  à  l'en  tirer,  &  à 
l'élever,  par  dégrez,  jufque  fur  le  Trô- 
ne. Il  fe  retire  enfuite,fans  attendre  feu- 
lement qu'on  le  remercie  de  fes  bontez. 

Pour  imiter  un  II  bel  exemple,  j'ai 
place  Mykrd  Pierre  dans  une  bonne 

mai- 


ï6z         L  E    C  O  N  T  E 

maifon  ,  je  lui  ai  donné  un  titre  &  de 
l'argent  pour  fes  menus  plaifirs.  C'eft- 
là  que  je  le  lailTerai  pour  un  tems ,  pour 
aller  charitablement  au  fecours  de  iës 
pauvres  Frères ,  que  la  fortune  a  mis  au 
plus  bas  de  fa  roue.  Ma  charité  ne  fe- 
ra pas  aflez  aveugle  pourtant,  pour  me 
détourner  du  devoir  d  un  fidelle  liifto- 
rien  ;  &  je  fuis  refolu  defuivre  l'exaéle 
vérité ,  de  quelque  coté  qu'elle  puiife 
diriger  mes  pas. 

Nos  deux  exilez,  fi étroitement  unis 
par  le  fang  ôc  par  les  intérêts  ,  prirent 
le  parti  de  fe  loger  dans  une  même 
chambre,  où  ils  eurent  tout  leloifirde 
fonger  aux  malheurs  de  leur  vie  pafTée. 
Ils  eurent  de  la  peine  à  comprendre  à 
quelle  irrégularité  dans  leur  conduite 
ils  dévoient  les  imputer  ,  jufqu  à  ce 
qu'ils  euffent  porté  leurs  réflexions  iur 
la  Copie  du  Teltament  de  leur  Père , 
qu'ils  avoient  fi  heure ufement  atrapce. 
L'aiant  examinée  avec  la  plus  grande 
attention,  ils  fe  déterminèrent  d'abord 
à  rectifier  tout  ce  qu'il  y  avok  eu  juf- 
ques-là  de  défe6lueux  dans  leurs  aftions, 
&  h  prendre  pour  l'avenir  toutes  les 
mefures  nécellâires  pour  fe  conformer 

exac- 


DU    TONNEAU.     1^5 

exaftement  aux  ordres  que  ledit  Tella- 
ment  leur  prefcrivoit. 

Le  Lefteur  n'aura  pas  oublié,  j'ei^ 
père  ,  qu'il  rouloit  prefque  tout  entier 
fur  leurs  habits ,  &  fur  la  manière  d'en 
faire  ufage.  Quand  les  deux  Frères  fe 
mirent  à  confronter,  Article  par  Arti- 
cle ,  la  doctrine  avec  la  pratique  ,  ja- 
mais on  ne  vit  une  difference  plus  gran- 
de entre  deux  chofes  :  il  n'y  avoit  pas 
un  feul  point  à  l'égard  duquel  la  con- 
duite ,  &  les  préceptes,  ne  fuifent  dia- 
métralement opofez.  Cette  faclieufe 
découverte  les  fit  travailler  fans  délai , 
à  corriger  toutes  leurs  fautes  palfées  , 
&  à  conformer  leurs  habits  ex a6lement 
au  modelle,  que  leur  Père  leur  en  avoit 
tracez. 

Il  efl  bon  d'arrêter  ici  un  moment  le 
Ledleur  précipité  ,  toujours  impatient 
pour  voir  la  fin  d'une  avanture  ,  avant 
que  nous  autres  Auteurs  Vy  puiffent  duë- 
ment  préparer. 

II  faut  qu'il  fâche,  qu'environ  ce  tems, 
nos  deux  Chevaliers  malencontreux 
commencèrent  à  être  dillinguez  par 
certains  noms:  l'un  fefitappeller  Mar» 
ti/i^  &  l'autre  prit  le  nom  de  Jean, 

IJs  avoient  vécu  enfemble  dans  une 

gran-- 


1(^4        LE    C  O  NT  E 

grande  harmonie  fous  la  Tyrannie  de 
Pierre  ;  comme  il  efl  afTez  ordinaire 
aux  Compagnons  de  foufrance.  Les 
hommes ,  qui  font  dans  rinforrune,ref- 
femblent  à  ceux  qui  font  environnez  de 
ténèbres ,  &  h  qui  toutes  les  couleurs  pa- 
roilTent abfolument  les  mêmes.  Mais, 
à  peine  ces  deux  Frères  furent-ils  for- 
tis  de  ce  goufre  de  miferes,  qu'ils  fe 
déveîopérent,  non  feulement  aux  yeux 
Tun  de  l'autre  ,  mais  encore  aux  yeux 
du  public.  Leurs  humeurs  parurent  ex- 
trêmement différentes ,  &  la  fituation 
de  leurs  affaires  leur  en  fit  donner  bien- 
tôt les  plus  fortes  preuves. 

Je  crains  bien ,  dans  cet  endroit,  les 
julles  réprimandes  d'un  Lecteur  fevere, 
qui  me  taxera  fans  doute  d'un  défaut  de 
memoire,auquel  dans  le  fond  il  n'ell  gue- 
res  poffible  qu'un  Ecrivain  moderne  ne 
foit  un  peu  fujet.  J'en  dirai  la  raifon  eu 
paifant.  Comme  la  mémoire  efl  une 
Faculté  qui  s'exerce  fur  les  chofes  paf^ 
fées ,  elle  doit  de  neceffité  fe  rouiller 
dans  rinaclion,parmi  lesSavans  de  notre 
âge  ,  qui,  ne  fe  mêlant  que  de  Finven- 
tion  ,  font  fortir  toutes  leurs  produc- 
tions d'eux-mêmes ,  ou  du  moins  du 
frotlcment  de  leur  propre  efprit ,  contre 

ce- 


DU    TONNEAU.     i5>- 

celui  de  leurs  contemporains.  C'eft 
conformément  à  cette  vérité  d  expe- 
rience ,  que  nous  croïons  très-juile 
d'alléguer  notre  peu  de  Mémoire,  com- 
me une  preuve  inconteftable  de  notfe 
Génie,  &  de  nos  Lumières  naturelles. 
Quoi  qu'ilenfoit,je  confelTe que, fe- 
lonies regies  ordinaires  de  la  Méthode, 
■j'aurois  dû  initruire  mes  Lecteurs  une 
cinquantaine  de  pages  plus  haut  d'une 
Fantaifie  de  My  lord  Pierre ,  qu'il  eut  l'a- 
drelTe  de  communiquer  à  Tes  Cadets, 
nies  avoit  portez  à  charger  leurs  habits 
de  tous  les  ornemens,  qu'il  avoit  plu  à 
la  mode  de  mettre  en  vogue ,  &  à  les 
entafler  hs  uns  furies  autres,  fans  que 
les  premiers  Ment  jamais  place  aux  fui- 
vans;  ce  qui  fit,  avec  letems,la  figure 
la  plus  grotefque  qu'on  puifTe  s'imagi- 
ner. Dans  le  tems  de  leur  rupture,  il 
n'y  avoit  pas  moïen  d'entrevoir  feule- 
ment le  fond  de  leurs  habits  *  :  ce  n'é- 
toit  qu'un  cahos  de  galons ,  de  rubans , 
de  franges ,  &  d'égiulletes  ferrées  d'ar- 
gent 

*  Du  tems  de  la  Reformation  ,  les  nouvelles 
Inftitutions  des  Papes  s'étoient  fi  fort  augmen- 
tées ,  qu'on  avoit  de  la  peine  à  entrevoir  feule- 
ment la  Religion  de  J.  Chriit  a  travers  tout 
ce  Fatras, 


i66        L  E    C  O  N  T  E 

gent  *,  car ,  les  autres  étoient  tombées 
peu  à  peu. 

Voilà  cette  particularité  importante , 
dont  j'avois  oublié  de  parler  dans  fon 
veritable  lieu.  Mais,  le  malheur  n'eil  pas 
grand  :  elle  vient  ici  comme  de  cire  ; 
puifqueje  vais  parler  de  la  Reforme,  que 
nosdeux  A  vanturiers  tachèrent  de  don- 
ner à  leurs  habillemens,  après  avoir  fe- 
coué  le  joug  de  Mylord  Pierre. 

Ils  s'appliquèrent  unanimement  à  cet 
Ouvrage,  enjettant  les  yeux,  tantôt  fur 
leurs  Habits,  &  tantôt  fur  le  Tellamenu 
Martin  y  mit  la  main  le  premier.  D'un 
feul  coup  5  il  abatit  toute  une  poignée 
d'égu  Ueîtes  *,&  d'un  autre  il  arrachaplus 

de 

*  Par  ces  Eguiilettes  ferrées  d'argent ,  que  le 
Tailleur  avoit  attachez  à  l'habit  d'un  double  point, 
&  dont  Martin  arrache  une  poignée  au  grand 
détriment  de  fon  pauvre  Juftau:crp{ ,  je  ne  doute 
point  qu'il  ne  faille  entendre  les  grandes  Char- 
ges de  l'Eglifc  Romaine ,  qui  font  fi  lucratives, 
&  qui  donnent  tant  d'attachement  ôc  de  tendrelTc 
pour  cette  Eglife  à  ceux,  qui  poiTedent  ces  Char- 
ges ,  &  qui  croygnt  être  en  droit  d'y  prétendre. 
Luther  ,  après  avoir  aboli  le  trafic  des  Indulgeuccs 
avec  beaucoup  de  faeces,  br.nnit  aufli  de  la  Reli- 
gion le  Pontificat  fuprême  ,  &  le  Cardinalat; 
mais,  fa  premiere  chaleur  étant  pafTee,  âcvoiant 
que  toucher  aux  autres  Dignitez  Ecclefiaftic^ues 

c'ctoit 


DU    TONNEAU,     is-j 

de  douze  aunes  de  frange  ;  mais,  après 
cette  éxecution  vigoureufe,  il  s'arrêta 
pendant  quelques  momens.  Ce  n'eil 
pas  qu'il  ne  fut  très-perfuadé ,  qu'il  lui 
reiloit  encore  beaucoup  à  faire;  mais, 
fa  grande  chaleur  s'étant  évaporée,  il 
refolut  d'y  aller  plus  modérément.  II 
n'avoit  pas  tort,  puifqu'il  avoit  failli 
déchirer  une  grande  partie  du  drap, 
en  arrachant  cette  poignée  d'éguillettes , 
qui,  étant  ferrées  d'argent,  avoient  été 
attachées  d'un  double  point  par  le  pru- 
dent tailleur  ,  afin  de  les  empêcher  de 
tomber.  Il  les  îailTa  donc-là ,  &  fe  mit 
en  devoir  de  débarafferfon  habit  d'une 
quantité  prodigieufe  de  galon  d'or:  il 
commença  à  les  découdre  avec  beau- 
coup de  précaution,  en  épluchant  les 
fils  détachez  à  mefure  qu'il  avançoit  \ 
ce  qui  étoit  un  ouvrage  de  longue  ha- 
leine. 

Ua- 

c'étoit  riTquer  de  tout  perdre,  il  aima  mieux 
lai/Tcr  les  chofes  à  z^t  égard-lpi  dans  leur  état, 
que  de  ruiner  de  fond  en  comble  fbn  pro- 
jet de  Reformation.  La  Reine  Eîifalet  a  imité 
cette  prudence  avec  beaucoup  de  fucces:  &  il 
cft  fort  aparent,  que  fi  Calvin  ie  fut  {èrvi  de  cette 
Politique,  qui,  dans  le  fond,  ne  fait  aucun  mal 
cfTentiel  à  la  pureté  de  notre  Culte,  nous  ver- 
rions à  préfent  toute  l'Europe  dégagée  du  Joug 
de  fa  Sainteté. 


î<^8        L  E    C  O  N  T  E 

L'aïant  achevé,  il  tomba  fur  la  bro- 
derie chinoife  chargée  de  figures  d'hom- 
mes, de  femmes  5  &  d*enfans;  contre 
laquelle,  comme  vous  avez  apris  ci- 
deffus ,  le  Teflament  fe  déclaroit  d'une 
manière  trcs-claire ,  &  trcs-vigoureufe. 
Il  en  vint  abfolument  à  bout ,  à  force  d'a- 
drefle  &  d'application.  Pour  la  bro- 
derie d'or,  ou  d'argent,  il  y  travailla 
avec  moins  de  fuccès,  quoiqu'avec  la 
même  prudence. Dans  certains  endroits, 
elle  étoit  fi  épaifle ,  qu'il  étoit  impofli- 
ble  de  la  défaire  fans  endommager  Fha- 
bit  même  :  dans  d'autres  ,q]\q  fervoit  à 
fortifier  l'étoffe  ,  &  en  cachoit  certai- 
nes parties  foibles,  ufées  à  force  de 
paffer  par  les  mains  des  Ouvriers.  Le 
bon  Martin  crut  que  le  meilleur  parti 
étoit  de  n'y  pas  toucher  '^,  &  qu'il  faloit 

plu- 

*  Par  la  Broderie  il  faut  entendre,  comme  j'ai 
déjà  remarqué  ,  la  Pompe  du  Culte  religieux. 
Martin  trouva  à  propos  d'en  diminuer  feulement 
l'excès,  &  l'abus, pour  ne  pas  choquer  les  yeux 
du  Peuple  trop  acoutumez  à  cet  éclat ,  pour  y 
renoncer  fans  regret.  L'Eglife  Anglicane  en  a 
ufé  te  même  :  &  c'efl  pour  cette  raifon,  que 
l'Auteur  en  attribue  plutôt  la  fondation  à  Mar- 
tm  ,  qu'à  Jean  ;  quoique,  par  raport  aux  Articles 
de  Foi ,  Jean  en  foit  plutôt  le  Fondateur ,  que 
Martin. 


"Tom  .  Z^a^.  J  6^8. 


DU    TONNEAU.      i6^ 

plutôt  laifler  la  Réforme  imparfaite ,  que 
de  gâter  fon  habit  de  fond  en  comble. 
Cétoit-là,  à  fon  avis,  la  meilleure  mé- 
thode, pour  fe  conformer  à  l'intention 
&  au  véritable  fens  des  ordres  de  fon 
Père.  Voilà  la  relation  la  plus  exafte , 
que  mes  laborieufes  recherches  m'onc 
mis  en  état  de  vous  donner  du  procé- 
dé de  Martin  ,  dans  uneconjon6ture  H 
delicate. 

Pour  fon  Frère  Jean ,  dont  les  Avan- 
tures  extraordinaires  abforberont  une 
grande  partie  de  ce  qui  me  relie  a  écri- 
re ,  il  travailla  à  la  déconfit  are  *  de  fes 
ajuflemens  fuperflus  dans  des  diipoii- 

tions 

*  Il  doit  paroi tre  d'abord  Airprenant,  qu'on 
atribue  ici  tant  de  Chaleur  k  Jean ,  &  tant  de 
Flegme  à  Martin.  Il  eft  certain ,  que  ce  der- 
nier pouiToit  la  confiance  jufqu'à  robftination  y 
&  h  force  d'efprit  jufqu'a  la  férocité.  Atro)C 
nnirnus  Catonis.  Calvin,  au  contraire,  paroiïïbit 
d'un  temperament  plus  doux  ;  &,  d'ailleurs,  c'é- 
toit  un  Génie  tout  autrement  tranfcendant  que  /.?/- 
ther.  Mais,  il  étoit  plus  bigot,-  &peut-être  l'en- 
vie de  n'être  pas  un  fimple  Imitateur  &  de  fc 
faire  Chef  de  Scde  l'a  pu  porter  à  faire  des  In- 
novations )  Evangeliques  dans  le  fond  ,  mais 
imprudentes,  &  dangereufes.  Enfin,  quel  que 
fût  fon  naturel ,  plufieurs  de  fes  aftions  avoient 
le  même  caraftere,  <]uc  fi  elles. étoient  l'effet 
d'un  zcle  inconfideré. 

Tome  L  \\ 


ijo         L  E    C  O  N  T  E 

tions  fort  différentes ,  &  dans  tout  iia 
autre  efprit.  II  y  donna  tête  baiffée. 
Le  fouvenir  des  injuflices  de  Mylord 
Pierre  le  porta  à  un  tel  degré  d'indigna- 
tion &  de  haine,  qu'il  influa  beaucoup 
plus  fur  fes  a6lions ,  que  les  ordres  du 
Père,  qui  ne  fervirent  chez  lui,  que 
d'un  motif  fubakerne ,  propre  à  fécon- 
der &  à  pallier  les  autres.  A  ce  mé- 
lange de  motifs  il  ménagea  un  nom  fort 
prévenant ,  en  l'honorant  du  titre  de 
ZêIe,\Q.  terme  le  plus  lignificatif ,  qu'au- 
cune langue  puiffe  jamais  produire. 
C'eftce  que  j'ai  prouvé  invinciblement 
dans  mon  excellent  'Traité yîmiy tique  , 
où  je  donne  un  détail  Hi/ïori-Tb£G'Ph\-- 
JîcO'Lcgical  du  Zèle  :  faifant  voir,  de 
quelle  manière,  de  Notion^  il  étoit  de- 
venu Mot  \  &  comment ,  parvenu  enfui- 
te  à  fa  pleine  maturité ,  pendant  une 
Automne  excefiivement  chaude  il  s'é- 
toit  changé  en  fubjfance  palpable.  Cet 
Ouvrage  fait  trois  grands  volumes  in 
folio,  &  en  peu  de  jours  je  prétends 
îe  rendre  public,  par  la  voie  moderne 
àt^foufcription\  convaincu  que  laNo- 
blelTe ,  6l  les  gens  riches  du  Pais ,  mis 
en  goût  par  ce  qu'ils  ont  déjà  lu  de  ma 
fajon  5  ne  négligeront  rkn  j  pour  encou- 
rager 


DU    T  ONNEAU.     171 

rager   mon  Génie  à  de  nouveaux  ef- 
forts. 

Frère  7m;?,p]ein  comme  un  œuf  de  cet- 
te merveilleufe  compoiition  nommée 
Zêle^  fongeant  avec  fureur  à  la  tyrannie 
de  Pierre,  &  poufîeàbout  par  le  Fleg- 
me de  Martin  ,  s'animoit  lui-même  à 
faire  le  Diable  à  quatre.  Comment  ! 
difoit-il  :  un  Maraut  qui  nous  a  îaijj'ez 
mourir  de  foif,  qui  a  chajje  nos  Femmes 
à  grands  coups  de  pied  dans  le  'ventre ,  qui 
nous  a  'voulu  faire  paffer  [es  maudites  croû- 
tes de  pain  noir  pour  du  mouton  !  Un 
fourbe ,  qui  nous  a  fraudé  de  -notre  hérita^ 
ge !  Un  coquin^  d'ailleurs,  dont  tout  le 
inonde  connoit  la  Scelerateffe  I  Et  je  fer  ois 
ajfez  lâche ,  pour  fuivre  encore  fes  abomi- 
nables modes  !  yaimrrois  -mieux  qi^il  fut 
pendu ,  le  double  chien, 

Aïant  de  cette  manière  enflammé  fa 
bile  au  plus  haut  degré,  &  par  confe- 
quent  fe  trouvant  dans  une  charmante 
humeur  pour  commencer  une  Réforma- 
tion, il  mit  la  main  à  l'œuvre  >  &,  en 
trois  minutes,  il  dépêcha  plusd'ouv.ra- 
ge,  que  Martin  n'avoit  fait  dans  un 
jour  entier.  Le  Lecteur  bénévole  faura, 
s'il  lui  plait  5  qu'on  ne  peut  jamais  rendre 
un  plus  grand  feivice  au  Zèle,  que  quand 
II  2.  on 


171        L  E    C  O  N  T  E 

on  remploie  à  déchirer  ;  & ,  par-là ,  il 
comprendra  fans  peine,  que  Jcan^  qui 
regardoit  le  zélé  comme  fa  meilleure 
qualité  ,  étoit  dans  Ion  veritable  élé- 
ment 5  en  fe  livrant  tout  entier  à  cette  no- 
ble ôc  divertiflante  occtipation.  En  ef- 
fet, il  s'y  abandonna  tellement ,  qu'en 
voulant  arracher  un  morceau  de  Galon , 
il  déchira  fon  habit  depuis  le  haut  jufl 
qu'au  bas  ;  & ,  comme  il  n'étoit  pas  fort 
habile  à  rentaire  le  drap ,  il  fe  conten- 
ta d'en  raccrocher  les  Lambeaux,  avec 
delà  groife  corde  &  une  éguille  à  em- 
baller. C'étoit  bien  pis  encor,  &  je  ne 
faurois  m'en  reflbu venir  fans  larmes;  c'é- 
toit bien  pis  encore  ,  dis-je  ,  quand  il 
tomba  fur  la  broderie.  Le  pauvre  gar- 
çon 5  qui  étoit  naturellement  aufii  mal 
adroit  qu'impatient ,  voïant  à  ^qs  yeux 
un  milhon  de  points  à  défaire  ,  ce  qui 
demandoit  beaucoup  de  flegme  &  une 
main  très-délicate;  &  perfuadé,  qu'il 
ji'en  fortiroit  pas  à  fon  honneur  ;  fe  mit 
dans  une  telle  rage,  qu'il  arracha  toute 
la  pièce ,  tant  drap  que  broderie  ,  & 
qu'il  la  jetta  dans  la  rue.  ylh  !  mon  cher 
Frcre ,  dit-il  en  s'applaudiflant  de  cet- 
te belle  expedition,  faites  comme  mui^ 
tirez  y  arrachez^  déchirez^  afin  q^ue  rten 

ne 


DU    TONNEAU.     175 

ne  paroiJJ'e  fur  nous ,  qui  nous  donne  la  mol  ri- 
dre  refjhnblance  aucc  ce  double  marauî  de 
Pierre.  Je  fer  ois  au  defefpoir  de  porter  la 
moindre  chofc  qui  put  faire  foupçoHiier  dans 
le  voifinage ,  que  je  fujje  des  Parens  de  ce 
Diable  incarné. 

Martin^  qui  par  bonheur  étoit  alors 
dans  une  humeur  fort  Pàoderée,  pria  f^Jii 
Frère  d'avoir  foin  d'épargner  fon  habit, 
puifqu'il  lui  étoit  impofiîble  d'en  trou- 
ver un  autre  de  cette  bonté-lk.  li  le 
fuppliadeconfiderer,  qu'ils  ne  dévoient 
pas  régler  leurs  aétions  fur  leurs  jufles 
reflentimens  contre  jp/>rrf ,  mais  fur  les 
maximes  établies  dans  le  TePaiment. 
Souvenez-vous ,  continua-t-il ,  que  Pierrs 
eji  toujours  notre  propre  Frère  ,  7niilgré 
fis  Injujtices  c>  fi^  Tyrannie  \  (y  évitez  , 
autant  quil  vous  ejîpojfji-bk ,  de  vous  croi- 
re innocent  ou  coupable  ^  à  mefurequc  vous 
ferez  vos  efforts ,  pour  te  contrarier. 

Il  eft  certain,  a-outa-t-il,  que  les  or^ 
dre  s  de  notre  Père  font  formels ,  pour  ce  qui 
regarde  la  manière  de  nous  fervir  de  nos 
habits  ;  mais ,  ils  ne  le  font  pas  moins ,  par 
rapport  à  l'affeélioî'i  fraternelle  ,  qui  doit 
régner  parmi  nous  :  &? ,  s'il  y  a  quelque 
précepte  dans  le  l'^eftarnent.,  dont  la  trans- 
n  3  ^ref 


174        LE    CONTE 

grejjïon  puijfe  être  pardonnable  ,  €e  fera 
fliiîQt  ^  fi  elle  tend  à  ferrer  les  liens  de  no-- 
tre  amitié  mutuelk  ,  que  fi  elle  a  pour  but 
de  nous  de funir  pour  jamais, 

Martin  alioit  continuer  avec  la  mê- 
me gravité ,  &  il  nous  auroit  laiiTé  fans 
doute  un  admirable  difcours,  propre  à 
procurer  à  nies  Lecteurs  le  repos  du 
corps  &  de  lame  ,  le  veritable  but  de 
Ja  bonne  Morale  \  mais,  Jean  avoit  per- 
du patience  :  il  n'étoit  plus  en  état  de 
récouter,  bien  éloigné  de  pouvoir  pro- 
fiter de  les  leçons,  On  remarque  que 
dans  les  difputes  de  l'Ecole,  rien  n'é- 
chauffe davantage  la  bile  de  celui  qui 
argumente  ,  qu'un  certain  calme  pe- 
danceHjue  dans  le  Répondant.  11  en  eit 
comme  de  deux  balances  chargées  d'un 
poids  inér^ai:  la  pefanteur  de  l'une  aug- 
mente la  légèreté  de  l'autre-  &,  plus  la 
premiere  defcend,  plus  l'autre  vole  en 
haut  avec  rapidité.  Ceil  juilement  le 
cas  dont  il  s'agit  ici  :  la  gravité  des 
raifonnemens  de  Martin  augmentoit 
la  vivacité  de  Jean^  &  lefaifoit  regim- 
ber contre  la  moderation  de  fon  Frerc. 
En  un  mot,  le  flegme  de  l'un  jettoit 
l'autre  dans  les  derniers  emportemens. 
11  enrageoit  fur-tout ,  en  voiant  l'habit 

de 


DU    TONNEAU.      ijf 

de  Martin  fi  bien  remis  dans  l'état  de 
fimplicité  &  d'innocence  primitive^  au 
lieu  que  le  fien  etoit  tout  en  lambeaux, 
&  qu'il  continuoit toujours  à  porter  la- 
livrée  de  Pierre,   dans  les  endroits  qui 
avoient  échappé  à  Tes  cruelles  griffes. 
Dans  cet  équipage ,  il  avoit  tout  Fair 
d'un  petit  Maître  ivre,  qui  fort  d'entre 
les  mains  de  quelques  Breteurs  ;   ou 
d'un    nouvel   Habitant  de   Ncji'gate , 
qui  a  manqué  de  païer  la  bienvenue 
à  fes Compagnons*;  ou  d'une  Maque- 
relle  en  vieille  jupe  de  veloiu*s ,  livrée  au 
bras  feculier  de  la  Canaille  -,   ou  d'un 
Voleur  de  boutique  pris  fur  le  fliit,  ëc 
abandonné  à  la  merci  des  marchands 
de  la  foire.  Le  pauvre  Jean  relTembloit 
à  chacun  de  ces  malheureux,  &  même 
h  tous  enfemble ,  couvert  de  ce  noble  af- 
fortiment  de  guenilles ,  de  déchirures, 
de  vieux  galons ,  &  de  franges  à  moitié 
arrachées.     Il  auroit  été  ravi   de  voir 
fon  habit  femblable  à  celui  de  fon  Frè- 
re ;  mais ,  il  auroit  été  infiniment  plus 
charmé  de  voir  celui  de  fon  Frère  dans 

ré- 

*  FameufePrifon  à  Londres,  où  les  nouvcauîi 
venus  font  obligez  de  doiînerpour  boire  à  leurs 
Compagnons ,  s'ils  ne  veulent  pas  être  maltraitez 
d'une  manière  afreufe. 

H  4 


\'j6       LE    CONTE 

l'état  où  il  venoit  de  réduire  le  fîen. 
Mais  5  remarquant  qu'il  n  y  avoit  point 
de  remède  ,  il  fit  de  fon  mieux  pour 
donner  un  air  de  vertu  à  ce  qui  étoit  un 
effet  nécefTaire  defbn  imprudente  pré- 
cipitation. Il  emploïa  toute  fa  Rhéto- 
rique ,  pour  porter  Martin  à  Timiter. 
Jamais  le  Renard  de  la  Fable  n'aporta 
plus  d'argumens  fubtils ,  pour  porter  tou- 
te fon  eipéce  àfe  faire  couper  la  queue , 
que  Jean  en  décocha  contre  fonFrerc, 
pour  le  m.ettre  àlaraifonj  c'eft-à-dire, 
pour  le  réduire  aux  mêmes  Lambeaux, 
dont  il  fe  voïoit  couvert  lui-même. 
Mais,  helasî  il  ne  fit  que  tirer  fa  pou- 
dre aux  moineaux^  ce  qui  le  mit  dans 
une  telle  fureur,  qu'étouffant  de  dépit 
<k  d'indignation  ,  il  accabla  Martin  de 
mille  invectives  canaiîleufes.  Pour  faire 
court  ,  voilà  une  brèche  irréparable 
dans  l'amitié  des  deux  Frères.  Jean  fut 
le  loger  dans  une  chambre  à  part}  &, 
quelques  jours  après ,  un  bruit  fe  répan- 
dit, qu'il  étoit  devenu  Fou  à  lier.  Il  eut 
bientôt  foin  de  confirmer  ce  bruit ,  en 
courant  les  rues  ,  &  en  tombant  dans 
les  fantaifies  les  plus  burlefques  ,  qui 
aient  jamais  été  produites  par  un  cer^ 
veau  malade. 

Bien- 


DU    TONNEAU.     1-7 

Bientôt  les  PolifTons  des  rues  Tho- 
norérent  de  plafieurs  Sobriquets.  Tan- 
tôt ils  l'appelloient  ,  ^can  le  Pelé , 
tantôt  Jean  le  Flamand  ,  quelquefois 
Jean  le  Lanternier  ,  d'autrefois  Jean  k 
Gueux  ,  &  fouvent  le  furieux  Jean  du 
Nord  ^^  :  &  ce  fut  fous  une  de  ces  deno- 
minations ,  ou  bien  fous  toutes  enfem- 
ble  ,  tout  comme  il  plaira  au  favant 
Lefteur  de  le  déterminer  ,  qu'il  donna 
l'origine  à  la  très-illuftre  &  très-épide- 
mique  Secle  des  jEoliftes  -j-,  qui  hono- 
rent encore,  avec  reconnoiiTance  ,  le 
fameux  Jean  comme  leur  Fondateur. 

Je  ne  fais  ici  que  glifler  fur  cette  ma- 
tière, parce  que  je  me  prépare  à  grati- 
fier le  public  au  p'-emier  jour  d'une 
ample  DilTertation  fur  l'Origine,  les 
Principes,  &  les  Dogmes  de  cette  Secte, 

McU^o  c  ont  ingens  cuncla  hj)ore. 


*  Dans  une  nutre  Seâ:ion  zçXt^  matière  cil 
traitée  d'une  manière  fort  étendue. 

t  L'Auteur  a  \z\  en  vue  les  dinerentes  fortes- 
des  Nomonformij^Cî, 


H  f  SE  c 


178       L  E    C  O  N  T  E 

SECTION    VII. 

Bigrejfion  a  la  louange  des 
DigreJJions, 

J'Ai  entendu  parler  quelquefois  d'u- 
ne Iliade  dans  une  Coque  de  noix  *  j 
mais,  je  puis  dire  avoir  vu  fouyent 
moi-  même  tme  Coque,  de  noix  dans 
une  Iliade^.  Ilefl  certain,  que  le  genre- 
humain  a  reçu  de  grands  avantages  de 
l'un,  &  de  l'autre;  mais,  à  laquelle  des 
deux  il  a  les  plus  fortes  obligations  , 
c'eft  un  problème  que  j'abandonne  aux 
curieux  ,  comme  très-digne  de  leurs 
do61es  Lucubrations,  Pour  ce  quiregarde 
la  dernière,  j'ôfe  avancer,  que  le  Mon- 
de favant  en  ell  fur-tout  redevable  à  la 
grande  vogue  que  les  Modernes  ont  don- 
née aux  Digrellîons.  Nos  rafinemensen 
matière  de  fav^oir  font  exaclement  pa- 
rallèles à  ceux  de  notre  cuiline  ,  dont 
la  delicateife ,  du  confentement  unanime 
de  tous  les  Palais  judicieux  ,   confifle 

dans 

*  Beaucoup  de  fens  dans  un  petit  volume. 
\  Peu  dj  f.ns  daiis  uji  grand  ygliime. 


DU   TONNEAU.       tyç) 

dans  la  variété  des  ingrediens ,  qui  corn- 
pofent  les  foupes  ,  les  fricajjees  ,  les  fa-' 
gouts  j  ^  les  potS'pourris. 

Il  eil  vrai ,  qu'on  trouve  une  certaine 
race  mal  élevée,  medifante,  &  mifan- 
tropique  ,  qui  prétend  tourner  en  ridi- 
cule ces  innovations  polies,  quife  font 
gliflees  dans  la  République  des  Lettres* 
Ils  admettent  la  comparaifon  tirée  delà 
CLiifme  \  mais,  ils  font  allez  hardis ,  pour 
déclarer  que  nos  ragouts  mêmes  fonc 
une  preuve  de  la  corruption  de  notre 
gout.  Ils  nous  débitent  ,  que  la  m.ode 
d'entafler  pêle-mêle,  dans  un  même  plat, 
cent  chofes  de  différente  nature ,  n  a  été 
introduite ,  qu'en  faveur  de  certains  ap- 
pétits deregleZîCaufez  par  unemauvaife 
Conftitution;  &  qu'un  homime,  qui  dans 
un  Pot-pourri  va  à  la  chafie  d'une  tétô 
d'0y^5  ou  d'une  aile  de  Cocq  de  Bruie- 
re  ,  ou  d'un  ris  de  veau  ,  prouve  qu'il 
n'a  pas  l'eltomac  aflez  robuite ,  pour  di- 
gérer des  mets  plus  fimpîes,  &  plus  ib- 
lides.  Ils  foutiennent  encore  ,  que  des 
Digreffions  dans  un  Livre  reflemblent  àr 
des  troupes  étrangères  dans  un  Etat;  qui 
fontroupçonner,que  les  Habitans  même 
manquent  de  force  &  de  courage  ;  & 
qui,  bien  fouvent,  ks  mettent  fous  k 
H  6  joug 


iSo        L  E    C  O  N  T  Ë 

joug  ,  ou  les  chaiTent  dans  les  Cantons 
les  plus  fteriîes. 

En  dépit  de  toutes  ces  objedlionsde 
quelques  Cenfeurs  dédaigneux  ,  il  eil 
evident  que  la  Société  des  Auteurs  le- 
roit  bientôt  réduite  à  un  très-petit  nom- 
bre, il  l'on  vouloit  emprifonner  le  Ge- 
nie de  ceux  ,  qui  compofent  les  Li- 
vres, dans  les  bornes  étroites  de  leur 
fujet. 

J'avoue  que ,  fi  nous  étions  dans  le 
même  cas ,  où  fe  trouvoient  les  Grecs  & 
les  Romains  du  tems  que  le  favoir  étoit 
encore  au  berceau  ,  &  qu'il  falloit  le 
Tiaurrïr  &  VemmatUotter  par  le  moïen 
de  Yin'venîion^  il  ieroit  aifé  de  faire  des 
volumes  entiers,  fans  s'écarter  du  fujet, 
que  par  de  petites  courfes  néceflaires 
pour  avancer  le  delTein  principal.  Mais,  il 
en  a  été  des  Sciences,comme  d'une  nom- 
breufe  armée  campée  dans  un  Pais ferti- 
ie.Pendant  quelque  tems,  elle  fubfifle  par 
les  productions  mêmes  du  terroir;  mais, 
dans  la  fuite,  elle  eft  forcée  d'aller  en  fou- 
lage àplufieurs  lieues  de-là,parmi  les  amis 
ouïes  ennemis ,  tout  comme  elle  peut. 
Les  terres  voilines  cependant  font  entiè- 
rement foulées  5  &  ravagées;  elles  de^ 
viennent  nues  &  feches ,  &  ne  pro- 

dui- 


DU    TONNEx\U.      i8i 

duifent  plus  rien  ,  que  des  nuages  de 
poufîiere. 

L'Etat  de  la  République  des  Lettres 
étant  ainfi  changé  par  une  revolution 
totale,  les  fag es  Modernes,  qui  en  font 
parfaitement  inltruitSjOnt  découvert  une 
méthode  plus  courte  &  plus  prudente 
de  devenir  favans  &  beaux  efprits.  La 
lecture  &  la  méditation  y  entrent  pour 
rien;  &  il  n'y  a  plus  que  deux  manières 
parfaites  de  fefervir  d'un  Livre  comme 
il  faut.  La  premiere  eft  la  même  dont 
plufieurs  gensufent  à  l'égard  des  grands 
Seigneurs  ^  ils  aprennent  par  cœur 
leurs  titres  ,  &  enfuite  ils  fe  vantent 
d'en  être  les  amis  intimes.  La  féconde , 
qui  eft  la  mieux  choilie,  &  la  plus  pro- 
fonde ,  confide  à  s'atacher  à  la  Table 
des  Matières,  par  laquelle  un  Livre  efl 
dirigé,  comme  un  VailFeau  par  le  Gou- 
vernail. 

Pour  entrer  dans  le  Palais  des  Scien- 
ces par  la  grande  porte,  il  faut  dutems 
&  des  foins  :  c'eft  pourquoi,  les  perfon- 
nes  expeditives,  &  ennemies  du  Céré- 
monial, fe  contentent  d'y  entrer  par  la 
porte  de  derrière.  N'ont-elîes  pas  rai' 
fbn  ?  Les  Sciences  reffemblent  à  des 
troupes  en  marche,  qu'on  ne  batjamais 
Il  7  plus 


iSz        LE    CONTE 

plus  facilement ,  qu'en  tombant  fur  lar- 
riere-garde.  Cell:  par  la  même  métho- 
de, que  les  Médecins  jugent  de  laConi^ 
titution  de  tout  un  corps ,  en  confultant 
ce  qui  en  découle  par  en  bas.  C'eflainfi 
que  les  Enfans  attrapent  les  moneaux , 
en  leur  mettant  un  peu  de  fel  fur  la 
queue.  C'eft  ainfi  que ,  pour  fe  condui- 
re fagement  ,  il  faut,  felon  la  maxime 
d'un  Philofophe,  prendre  toujours  garde 
fur  la  fin.  On  fe  met  en  polleiïïon  des 
Sciences  comme  Hercule  trouva  fes  tau- 
reaux, en  les  remenant  vers  leurs  traces , 
&  non  pas  en  les  fuivant  ^.  Enfin,  le  fa- 
voir  doit  être  effilé  comme  un  vieux  bas, 
en  commençant  par  le  pied. 

D'ailleurs,  toute  l'armée  des  Sciences 
a  été  rangée  depuis  peu,  par  l'effort  le 
plus  pénible  de  la  difcipline  militaire, 
dans  un  ordre  û  ferré  ,  qu'on  peut  la 
pafTer  en  revue  en  moins  de  rien.  Nous 

fom- 

*  Ceux,  qui  ont  lu  les  Fables,  favent  que  C.^cu  r , 
fameux  Brigand  ,  aïant  volé  les  Bœufs  d'Her- 
cule ,  les  tira  vers  fa  Caverne  à  reculons  ,  afin 
que  ce  Héros  ne  les  put  pas  trouver  en  fuivant 
leurs  traces  mais.  Hercule  s'apperçut  bientôt  de 
cette  fineife  ,•  ce  qui  dans  le  fend  n'eîoit  pas  fort 
difficile,  fur-tout  étant  aidé  par  les  mugillcmcns 
de  fes  taureauîQ. 


DU   TONNEAU,     igj 

fommes  redevables  de  ce  bonheur  aux 
Syftemes c& aux  Abrégez,  quQles Peres 
modernes  du /avoir  ont  drelTez  à  la  Tueur 
de  leur  corps  ,  pour  la  commodité  de 
leurs  chers  Enfans.  Le  travail  n'eil 
autre  chofe,  quela  femencedelaparet. 
fe  ;  &  c'efi  le  bonheur  particulier  de 
notre  âge  de  jouir  paifiblement  du  fruit 
produit  par  c^tt^hienheureufe  femence. 

Or,  la  méthode  de  parvenir  à  un  fa- 
voir  profond  &  fublime ,  étant  devenue 
il  régulière,  ScÇi  fyilematique,  il  faut 
de  neceiïlté ,  que  le  nombre  des  Auteurs 
augmente  à  proportion,  <&■  que  leur  ha- 
bileté parvienne  à  une  certaine  hau- 
teur ,  qui  rend  abfolument  nécellaire 
leur  Commerce  mutuel.  Déplus,  on  a 
calculé,  qu'il  ne  re (le  plus  dans  la  nature 
une  quantité  fuffifante  de  fujets  nou- 
veaux ,  pour  fournir  à  retendue  d'un 
feul  volume.  Jepuisafleurer  le  Le6leur 
que  j'en  ai  vu  une  demonftration  dans 
les  formes  ,  fondée  fur  les  principes  in- 
con  ellables  de  l'Arithmétique. 

Ce  que  je  viens  d'avancer  pourroit 
bien  être  combatu  par  certains  Philo- 
fophes  5  qui  foutiennent  V infinité  de  la 
matière ,  &  qui  ,  pour  cette  raifon  , 
.prétendent,  qu'aucune  ef^ece  nefauroit 

eue 


iS4         L  E    C  O  N  T  E 

être  entièrement  épuifée.  Pour  voir  la 
futilité  de  cette  objeftion  ,  examinons 
la  branche  la  plus  noble  del'efprit  &  de 
l'invention  moderne  ,  û  bien  cultivée 
dans  cet  heureux  fiécle,  qu'elle  a  porté 
des  fruits  plus  beaux  &  plus  nombreux 
qu'aucune  de  fes  Compagnes.  Je  fai 
qu'on  trouve  quelques  échantillons  de 
cette  forte  d'efprit  parmi  les  Anciens  : 
mais ,  ils  n'ont  j  amais  été  ramaflez ,  que 
je  fâche ,  dans  quelque  Recueil  pour  fu- 
fage  des  Modernes  ;  (S:,  par  confequent, 
nous  pouvons  foutenir  à  notre  honneur 
&  gloire ,  que  nous  en  fommes  les  In- 
venteurs ,  &  que  nous  l'avons  portée  juf. 
qu'au  plus  haut  degré  de  perfe6lion. 

La  forte  d'elprit,  dont  je  parle  ici,  efl 
ce  talent  merveilleux  d'inventer  des 
comparaifons  &  des  allufions  fort  agréa- 
bles 5  furprenantes  ,  (^  appliquables  ,  à 
regard  de  toutes  les  matières ,  qui  con- 
cernent la  propagation  du  genre-hu- 
main; fujet,  dont  la  politeile  éloigne 
abfolument  la  propriété  des  termes. 

(Quelquefois  ,  en  confiderant ,  que 
c'étoit-là  le  feul  fujet ,  fur  lequel  on  puif. 
fe  briller  à  préfent  du  côté  de  Finven- 
tion,  je  mefuis  hnaginé  que  fheureux 
Génie,  qui  éclate,  cet  égard,  dans  ce 

fie- 


DU    TONNEAU.      i8y 

fiecle  &  dans  cette  nation ,  a  été  prophé- 
tiquement dépeinte ,  fous  le  type  de  cer- 
tains Pygmées  Indiens ,  dont  la  taille  ne 
palToit  pas  la  hauteur  de  deux  pieds , 
fed  (luorum  pudenda  erant  crajja ,  £5?  ad 
talos  ufque  pertingenîia. 

Quand  j'examine  nos  dernières  pro- 
du6tions ,  où  les  beautez  de  cette  natu- 
re brillent  avec  le  plus  grand  éclat,  je 
vois  bien,  que  la  fource  en  a  été  extrême- 
ment abondante;  mais,  quoiqu'on  fafTe 
tous  fes  efforts ,  pour  la  tenir  ouverte , 
&pour  la  dilater  à  la  manière  des  Scy- 
thes, accoutumez  à  foufler  dans  les 
parties  honteufes  de  leurs  cavalles,  pour 
qu'elles  donnaffent  plus  de  lait ,  je  crains 
bien  qu'elle  ne  foit  prête  à  fe  tarir  pour 
jamais. 

Ln  ce  cas-là ,  fi  l'on  ne  trouve  pas 
un  nouveau  fond  d'efprit ,  adieu  la  nou- 
veauté \  il  faudra  recourir  à  la  répéti- 
tion fur  cette  matière,  comme  fur  tou- 
tes les  autres. 

On  m'avouera,  je  crois,  que  ce  que 
je  viens  de  dire  prouve  invinciblement , 
qu'il  ne  faut  pas  compter  fur  finfinité 
de  la  matière,  comme  fur  une  fource 
intariflabîe  d'invention.  Que  nous  ref- 
te-t-il  donc,  que  d'avoir  recours  aux 

grands 


iS6       L  E    C  O  N  T  E 

grands  Indices ,  aux  petits  Abrégez ,  & 
auxReciieils  de  citations  rangées  par  or- 
dre Alphabétique.  Pour  y  réiidir,  il 
elt  peu  utile  de  coniulter  les  Auteurs, 
mais  abfolumentnéceiTaire  des'adrefler 
aux  Critiques ,  aux  Commentateurs ,  & 
aux  DiElio flaires  :  fur-tout  faut-il  loi- 
gneufement  feuilleter  certaines  Collec- 
tions de  Fleurs  de  Rhétoriques^  &  de 
Perifées  ingenieufes^  qu'on  apelle,  par 
une  figure  très-jufle,  les  Tamis  &  les 
Bluteaux  du  fa  voir  &  de  Fefprit.  Il  eft 
vrai  qu'on  laiife  indécis  s'il  faut  eftimer 
le  plus  ce  qui  y  paiTe,  ou  bien  ce  qui 
y  relie. 

Par  le  moïen  de  cette  méthode ,  quel- 
ques femaines  d'application  font  capa- 
bles de  produire  un  Auteur  propre  a 
manier  les  fujets  les  plus  profonds  &  les 
plus  étendus.  Qii'importe  que  fa  tête 
foit  vuide ,  pourvu  que  fon  Recueil  de 
Lieux-conmiuns  foit  bien  rempli  ?  Il  n'en 
faut  pas  davantage ,  pourvu  qu'on  lui 
paffe  l'Invention,  la  Méthode,  le  Srile, 
&  la  Grammaire  •  &  qu'on  lui  accorde 
le  privilège  de  copier  les  autres ,  &  de 
s'écarter  de  fon  fujet.  Le  voilà  en  état 
de  compofer  un  Traité  propre  à  faire 
im^  fort  jolie  figure  dans  la  boutique 

d'un 


DU    TON  NE  AU.     1S7 

à\m  Libraire;  un  Traité  d'un  mérite 
allez  confiderable  pour  y  être  confervé 
long-tems,  dans  une  grande  propreté, 
fans  courir  rifquc  d'être  engraille  parles 
mains  des  étudians ,  ni  d'etre  condam- 
nez aux  chaines  &  à  l'obfcurité  dans 
une  Bibliothèque  *.  Sa  deftinée  fera  bien 
plus  heureufe;  letems  feul  triomphera 
d'un  volume  fi  précieux; il  ne  ferafujet 
qu'a  fubir  le  Purgatoire  ,  pour  monter 
enfuite  vers  le  Firmament }. 

Je  n'ai  attribué  à  cet  Auteur  Cham* 
fîgïion  que  des  prerogatives ,  qui  doi- 
vent être  communes  à  tous  les  Ecri- 
vains modernes. Sans  elles,le  moïen  d'in- 
troduire dans  le  monde  nos  Coïlediiom^ 
qui  roulent  fur  tant  de  matières  de  dif- 
férente nature  ?  Si  l'on  nous  envouloic 
priver  injuflement, quelle  perte d'amu- 
îemens  &  d'inilru6lions  pour  le  monde 
favant  !  Qiielle  perte  pour  nous  mêmes, 
qui  ferions  enfevelis  pour  jamais  dans 
un  honteux  oubh  5  avec  toute  la  mafle 
du  vulgaire  ! 

Les 

*  Dans  les  plus  fameufes  Bibliothèques  d'An- 
gleterre les  livres  font  enchaînez. 

t  Ilfervira  à  la  fin  à  alumer  des  pipes  à  Tabac 
&  a  s'évaporer  en  l'air. 


188        L  E    C  O  N  T  E 

Les  principes ,  que  j'ai  établis  ci-deC 
fus,  me  font  efpérer  de  voir  encore  le 
jour ,  où  le  Corps  des  Auteurs  fera  en  état 
de  furmonrer  en  rafe  Campagne  tous  les 
autres  corps  de  m.étier.  Ce  grand  talent 
de  faire  des  livres  efl  derivéjufqu'à  nous , 
avec  plufieurs  autres  heureufès  difpofi- 
tions  5  de  nos  Ancêtres  les  Scythes, 
parmi  lefquels  les  plumes  étoientfi  abon- 
dantes, que  l'Eloquence  Grecque  n'a 
pas  trouvé  de  figure  plus  pathétique 
pour  l'exprimer,  que  de  dire,  qu'il 
étoit  impojjible  de  voiager  dans  leurs  Pais , 
à  caufe  de  la  prodigieufe  quantité  de  plu- 
mes ,  qui  y  voltigeoit  dans  Vair  ^. 

La  nécefiité  de  cette  DigrefTion  en 
excufera  facilement  retendue.  Je  l'ai 
placée  dans  le  lieu  le  plus  propre  que 
j'ai  pu  trouver  d'abord^  &file  Lefteur 
fait  lui  affigner  une  place  plus  convena- 
ble, je  Ten  lailTe  le  Maître,  &  je  l'au- 
torife  à  la  rejetter  dans  quelque  coin  du 
livre,  tout  comme  il  le  trouvera  apro- 
pos. Pour  moi ,  je  me  hâte  d  en  venir  à 
une  matière  plus  importante. 

*  C'eft,  Ç{]ç^  ne  me  trompe,  Hérodote,  qui 
s'exprime  aiiiii ,  pour  d'écrire  la  quantité  de  nege  , 
qm  tombe  dans  les  Faïs  Septentrionaux. 

SEC- 


.     DU   TONNEAU.      i8^ 

SECTION    VIIJ. 

ContiniMtion  du  Conte  du  Tonneau. 

LEs  fa  vans  Moliftes  ^  ib  atiennent 
que  le  Vent  eli  Télement  unique 
de  toutes  chofes  -,  que  c'eft  îe  principe, 
par  lequel  tout  l'Univers  a  été  produit, 
&  dans  lequel  il  doit  fe  réfbudre  ;  &  que 
le  même  foufle ,  par  lequel  la  Nature  a 
été  animée,  doit  à  laiin  des  fiécles  l'é- 
teindre. 

^od  procul  à  nohis  fieciat  Forîuna  gu* 
bermns, 

Cefl-là  cette  Caufe  premiere,  que  les 
Adeptes  t  appellent  Anima  Mundi^  c'efl- 
à-dire,  \q.  JoufieoM  le  vent  du  monde  \  & 
fi  l'on  examine  tout  ce  Syflême  dans 
chaque  partie  de  la  Nature,  on  verr^ 

qu'il 

*  Par  -Moliftes  l'Auteur  entend  les  Quaquers, 
Moliniftes ,  PietWes ,  Q^uietiJ^es ,  Qp  autres  Fana- 
ticjues ,  qui  dëtniifent  la  Raifon ,  pour  mettre  à 
fa  place  une  prétendue  Infpiration. 

I  Ceux  qui  font  initiez  dans  le«  Myfteres  du 
jgrand  osuvre. 


ipo        L  E    C  O  TSF  T  E/ 

qu'il  efl  appuie  fur  la  baze  la  plus  fbli- 
de.  D'abord,  de  quelque  manière  qu'on 
veuille  appeller  cet  être ,  qui  diftingue 
rhomme  d'avec  les  brutes,  fpiritusy 
animus^  afflatus^  anima \  il  elt certain, 
que  ce  ne  font  qu'autant  de  deyiomina- 
fions  du  Vent,  qui  efl  l'élément,  qui 
domine  dans  tous  les  êtres  compofez^  & 
dans  lequel  ils  doivent  rentrer  un  jour. 

Qu'elt-ce  quec'ell  que  la  Vie  même, 
fi-non  ,  conformément  à  fon  nom  le 
plus  ordinaire ,  le  foufle  de  nos  narines  ? 
Et  c'eftde-là  que  lesNaturaiiiles  ont  obr 
iervé,  que  dans  CQXtdins  myfteres  ^  qui 
ont  avec  la  vienne  relation  fort  étroite, 
ie  vent  eft  d'un  fort  grand  fecours, 
comme  il  ell  évident  par  les  heureufes 
épithetes  de  turgidus ,  &  àHnflatus , 
auiïi  appliquables  ^\\^ organes^  qui  reçoi- 
vent quà  celks ,  qui  donnent. 

Selon  tout  ce  que  j'ai  pu  trouver 
dans  les  anciennes  Chroniques,  tou- 
chant la  doclrine'des  ^î'.ohlles ,  elle  rou- 
loit  fur  trente  deux  points  *,  fur  chacun 
defquels  je  ne  faurois  m'étendre ,  fans 
courir  rifque  de  devenir  cimuïeux.  Mais, 
je  n'ai  gai'de  de  paifer  fous  filence  ua 

petit 

*  Allufîon  aux  3i.  points  du  vent. 


DU  TONNEAU,     i^r 

petit  Nombre  de  Dogmes  Fondamen- 
taux, qu'ils  en  déduilbient. 

Leur  premiere  Maxime  étoit ,  que', 
puifque  le  Vent  dominoit  dans  la  for- 
mation &  dans  les  operations  de  tous 
les  êtres  compofez^  ceux-là  devoientetre 
de  la  plus  grande  excellence ,  dans  lef^ 
quels  ce  Principe  éclatoit  avec  la  plus 
grande  fuperiorité. 

UHomme,  par  confequent,  efl  la  plus 
parfaite  des  creatures ,  puifque  les  Phi- 
lofophes ,  par  leur  grande  bonté ,  font 
pourvu  de  trois  jïmes  ,  ou  de  .  trois 
JQiifles  difFerens  j  aufquels  les  fages  ^Eo- 
liftes  joignent  libéralement  un  quatriè- 
me, pour  lervir  de  fecours  &  d'ornem.ent 
aux  autres ,  &  pour  en  égaler  le  nombre 
aux  parties  du  Monde  *;  ce  qui  a  donné 
occafion  à  ce  fameux  Cabaliiie  Vcnti- 
dius  QaVmathias  de  placer  le  Corps  de 
rHomme  dans  une  pofition  relative  aux 
quatre  Vents  Cardinaux. 

Coi> 

*  Les  rhilofopKcs  ont  doué  l'Iiomine  de  trois 
Ames,  la  iegcî.'{ti-ie.)\2i  fenjtî^'iie^  Se  la  raifonnalle. 
Les  Fanatique*  y  ont  ajouté  l'Ame  IpiritucMc. 
Et  de  ces  quatre  ,  qui  répondent  aux  quatre  Points 
Cardinaux  du  Vent ,  ils  ont  tiré  une  Quinte/Tence, 
qu'ils  nomment  dans  leur  jargon,  la  Zz/w/^re  /«- 
terienre,  la  Fi^  ivUrUmc. 


I 


ipi        L  E    C  O  N  T  E 

Confequemment  à  ce  principe^  ils  fou- 
tenoient ,  que  chaque  homme  apporte 
avec  \nï  dans  le  Alonde  une  certaine 
portion  de  /^^mf ,  qu'on  peut  apeller  une 
^inte£ence  extraite  des  quatre  autres. 
Cette  QLiintefFence  efl  d'un  ufage  uni- 
verfel ,  dans  toutes  les  circonltances  de 
la  vie:  elle  influe  fur  tous  les  Arts,  & 
fur  toutes  les  Sciences  \  &  elle  peut  être 
merveilleufement  augmentée  & rafinée 
par  l'éducation. 

Dès  qu'on  areiiffi  à  l'enfler,  jufqu'au 
point  de  fa  perfection ,  on  ne  doit  pas 
la  renfermer ,  &  la  referver  avaricieufe- 
ment  pour  foi-méme:  au  contraire,  il 
faut  la  prodiguer  généreufement  à  touc 
le  genre-humain. 

Fondez  fur  ces  raifons ,  &  fur  d'autres 
du  même  poids,  les  jEolifies  les  plus 
illuminez  alTeurent ,  que  Y Eru5lation  * 
efl  ra6le  le  plus  noble  de  la  Creature  hu- 
maine; &,  pour  en  cultiver  le  talent  ^ 
en  faveur  de  toute  la  Société  des  hom.- 
mes,  ils  fe  font  fervis  de  plufieurs  dif- 
férentes méthodes.  Dans  certaines  Sai- 
fons  de  fsuinée ,  on  peut  voir  les  Prêtres 

d'en- 

*  La  Faculté  de  lâcher  les  vents  par  la  bou- 
che. 


DU    TONNEAU.     ic^3 

d'entr'eux  fe  placer  à  l'oppoiite  d'une 
lempête ,  la  bouche  béante.  En  d'au- 
tres tems,  vous  les  verrez  arrangez  en 
cer-cle  ,  armez  chacun  d'un  fouflet , 
qu'ils  appliquent  aux  parties  pofcerieu- 
res  de  leur  plus  proche  voifin,  jufquà 
ce  qu'à  force  de  Feniier  ils  lui  aient 
donné  la  ligure  d'un  tonneau.  De-là 
vient,  que,  dans  leur  langage  ordinai- 
re, ils  appellent  leurs  corps,  d'une  ma- 
nière fort  propre ,  leurs  Faijeaiix, 

Dêsque  par  cette  cérémonie,  &  par 
d'autres  femblables ,  ils  font  duèment 
remplis ,  ils  s'en  vont  dans  le  moment  ; 
&  5  pour  l'utilité  publique ,  ils  le  déchar- 
gent d'une  portion  copieufc  de  leurs 
nouvelles  acquifitions  dans  les  mâchoi- 
res d^  leurs  difciples.  Car ,  il  faut  re- 
marquer ici ,  qu'ils  font  d'opinion  que 
tout  ie  favoir  procède  de  ce  même  pin- 
cipe  uni-ver fel.  ils  le  prouvent  en  pre- 
mier heu  par  cette  vérité  inconteilable, 
que  la  fcience  enfle  :  & ,  en  fécond  heu , 
ils  fe  fervent  du  Syllogifme  fuivant. 

Les  paroles  ne  font  que  au  "■jcnt-. 
Le  favoir  ne  confifte  qu'en  paroles-^ 
Ergo ,  Le  favoir  n^efl  que  du  venL 

Cell  pourcette  raifon ,  que  leurs  Doc- 
"Tome  L  I  tcurs 


iP4        L  E    C  O  N  T  E 

teurs  ne  commun iquoient  leurs  précep- 
tes à  leurs  Ecoliers ,  que  par  voie  d'£- 
ru^iatioîi:  ce  qu'ils  faifoient  avec  une 
grande  éloquence ,  &  avec  une  varie- 
té  inexprimable. 

Mais ,  le  cara6lere  principal ,  qui  dif- 
tinguoit  le  plus  leurs  fages  du  premier 
ordre  ^  étoit  une  certaine  contenance  , 
qui  faifoit  comprendre ,  jufqu'à  quel  dé- 
gré  le  foufle  Tfîyfterieux  les  agico  it  inté- 
rieurement. Ce  'vent  meri:eUleux  ^  après 
avoir  caufé  d'abord  des  tranchées ,  & 
des  convuliions  ;  après  avoir  produit , 
pour  ainfi  dire ,  un  tremblement  de  terre 
dans  le  Mîcrocojme  du  Philofophe  ;  s'é- 
îevoit  en  haut  par  degré,  tordoit  la  bou- 
che, rendoit  les  joues  bourfoufiées ,  & 
donnoit  un  horrible  éclat  aux  yeux. 
L'Eruélation  fuivoit  ces  grimaces  de 
près.  Tous  les  vents  qui  leur  fortoient 
de  la  bouche  paflbient  pouriacrez:  fur- 
tout,  ceux ,  dont  l'odeur  étoit  la  plus  for- 
te; &leurs  maigres  dévots  les  a valoient 
avec  une  confolation  inexprimable. Pour 
rendre  la  chofe  encore  plus  touchante, 
les  '■cents  les  mieux  choills,  les  plus  cdi^ 
fians^  &  les  plus  vivifiais,  étoient  lâchés 
par  le  nez,  dont  ils  prenoientuneelpe- 
ce  de  teinture,    C«  qui  leur  donnoit 

ce 


DU    TONNEAU,     ipf 

ce  nouveau  degré  de  perfeftioii  5  c'étoic 
le  fentiment  généralement  reçu  ,  que 
ie  fou  fie  de  la  vie  eft  dans  nos  ijarmes. 

Leurs  Divinitez  étoient  les  quatre 
Vents  ^  qu'ils  adoroient  comme  lesEl^ 
prits,  qui  parcourent ,  &;  qui  animent 
tout  rUniverSj  &  defquels,  à  propre- 
ment parler,  toute  Infpiration  tire  fon 
origine. 

Cependant,  le  Chefde  ces  Dieux,  & 
celui  qu'ils  honoroient  du  Culte  de  La- 
trie^ étoit  le  grand  7?^r6'f,  une  Divinité 
ancienne ,  qu'autrefois  les  liabitans  de 
Megalopolis,  dans  la  Grèce,  adoroient 
avec  la  plus  profqnde  vénération.  Om- 
nium Deorum  Boream  ma'xi'me  celebrant ^ 
dit  Paufanias.  Ce  Dieu,  quoique  pre- 
fent  par-tout,  étoit  pourtant  cenfé  , 
parmi  les  plus  favants  ^olilles ,  avoir 
un  féjour  particulier  ,  une  efpece  de 
Ciel  Empyrée  ,  où  fon  pouvoir  éclatoit 
particulièrement.  Cet  endroit  étoit  (itué 
dans  un  certain  Pais  très-connu  des  an- 
ciens Grecs  fous  le  nom  de  ^xct.*  =^  ou 
Pais  de  Ténèbres.  11 

*  Ce  mot  Grec  figniiîe  effedîvement  Ohfatri- 
te.  Ceil:  uneallufion  àrEcoJTe,  qui  eft  au  Nord 
de  l'Angleterre,  &  le  centre  des  Presbytériens 5 
qui  donnent  k  plus  dans  le  luinatifme» 

I  1 


io6        L  E    C  O  N  T  E 

11  eft  vrai  qu'il  s'efl  levé  fur  ce  fujet 
un  grand  nombre  de  controverfes  :  mais, 
toutes  les  parties  conviennent ,  comme 
à\m po'mt  inccnteftabîe ^  que  d'une  con- 
trée du  même  nom  les  ^Èolifles  les  plus 
rafinez  tirent  leur  origine  ;  &  que  c'eft 
de-là,  que,  dans  tous  les  fiecles,  les  plus 
zélez  d  entre  leurs  Prêtres  ont  ap- 
porté rinlpiration  la  plus  choifie.  Ils 
le  font  un  devoir  de  l'aller  recueillir 
eux-mêmes  àlafource,  dans  certaines 
veffies ,  qu'ils  ouvrent  enfuite  au  mi- 
lieu de  leurs  Sectaires  répandus  dans 
toutes  les  Nations  ,  lefquels  hrayyient 
après  ce  vent  facré ,  &  l'attendent  la 
bouche  ouverte. 

C'efl  une  chofe  très-connue  parmi  les 
favans,  que  ItsFirtuofi  des  fiecles  paf^ 
fez  avoient  inventé  un  moïen  de  con- 
ferver  les  %-cnts  dans  des  Tonneaux;  ce 
qui  étoit  très-avantageux  pour  les  voïa- 
ges  de  long  cours.  La  perte  d'un  art  fi 
utile  ne  fauroit  jamais  être  aflez  déplo- 
rée; quoique  je  ne  comprenne  pas,  par 
quelle  negligence  inpardonnable ,  Pan- 
ciroUus  l'a  palTé  abfolument  fous  filen- 
ce.  Cette  invention  a  été  atribuéé  h 
j^oJe  lui-même ,  dont  toute  la  Se6le  a 
tiré  fon  nom,  &  j  pour  célébrer  la  mé- 
moire 


DU    TONNEAU.       197 

moire  de  leur  Fondateur ,  ils  ont  encore 
confer vé  jufqu'àpréfent  un  grand  nom- 
bre de  ces  Tonneaus  ^  ,  jadis  dépoii- 
taires  du  vent  ,  dont  ils  en  placent  un 
dans  chacun  de  leurs  Temples  ,  après 
l'avoir  enfoncé  par  en  haut. 

Ceftdans  ce  Tonneau^  que  leur  Prê- 
tre entre  dans  certains  jours  folennels, 
après  s'y  être  duëment  préparé  ,  de  la 
manière  que  j'ai  dépeinte  ci-delTus.  Un 
entonnoir  caché  s'étend  de  Tes  parties 
pofterieures  vers  le  fond  dudit  Ton- 
neau ^  jufqu'à  uue  certaine  Fente  Sep- 
tentrionale, par  où  il  fe  fournit  conti- 
nuellement de  nouveaux  "i^cnts  de  la 
meilleure  efpéce. 

Peu  à  peu  vous  le  voïez  s'étendre  ^c 
s'élargir  à  la  même  GroiTeur  de  fon 
Tonneau ,  qu'il  remplit  à  la  fin  exacte- 
ment: &,  dans  cette  pofture,  il  lâche  ilir 
fon  auditoire  des  te?npcîes  forrûelles^  à 
proportion  de  la  violence  du  foufle,  qui 
lui  vient  d'embas,  &  qui,  fortant  d'un 
pailùge  étroit,  e:<  adytis  ^  ne  fait  pas 
fon  devoir  fins  lui  eau  fer  de  douîoureu- 
fes  tranchées.  Qiiand  ce  vent  eft  par- 
venu 

*  Ce  font  les  Chaires  ùwî,  ornement  à  la  Pres- 
bytérienne» 


I 


î^8        L  E    C  O  N  T  E 

venu  jufqu'a  fon  vifage,  il  y  fait  les 
mêmes  iinprefiions,  qu'il  produit  fur  la 
ruer.  11  le  noircit  d'abord:  il  le  ride 
ènfuite  ;  &  à  la  fin  il  en  fait  fortir  une 
épaifle  fumée. 

C'eil  précifement  de  cette  manière, 
que  les  ^oliftes  facrez  communiquent 
IcrnsEru^atmis  Prophétiques  à  leurs  dil^ 
ciples  haletans.  Quelques  membres  de 
l'auditoire  tiennent  cependant  la  hou-, 
che  ouverte ,  pour  avaler  avec  avidité 
le  foufle  fand^ifimt ^  tandis  que  d'autres, 
chantant  \^^  éloges  de  leurs  Dieux , 
imitent  par  leur  bourdonnement,  tantôt 
plus  tantôt  moins  élevé  ,  les  foufles 
agréables  de  leurs  Divinitez  appaifées. 

Ce  culte,  pratiqué  parmi  les  iEoliftes, 
donne  heu  à  plufieurs  Auteurs  de  four 
tenir ,  que  leur  Se6le  eft  des  plus  ancien- 
nes, parce  que  leur  Eructation  Propbe^ 
tique  reilemble  fort  à  d'autres  anciens 
Oracles,  dont  on  étoit  redevable  à  cer- 
taines bouffées  de  Vent  fout  err  ai'ri^  qui 
faifoient  les  mêmes  imprefîîons  fur  le 
Prêtre ,  &  qui  avoient  la  même  influen- 
ce fur  l'efprit  du  Peuple.  Il  eft  vrai  , 
que  ces  Oracles  paiToient  fbuvent  jufqu'à 
la  multitude,  parle  canal  des  Femmes,. 
Laraifonenétoit,  felon  toutes  les  appa- 

reu- 


DU   TONNEAU.       ipp 

rences ,  que  leurs  organes  paroiflbient 
mieux  difpofez ,  que  ceux  des  hommes, 
pour  donner  entrée  h,  qqs  tourbillons  pro- 
pbétiques ,  qui ,  paffant  à  leur  aife  par  un 
receptacle  de  plus  grande  capacité,  eau- 
foient  en  chemin  faifanc  certaines  dé- 
mangeaifons  propres  à  produire  des  ex- 
tafes  charnelles  ,  qu'on  pouvoit  pour- 
tant y/j/y/V/^^/(/^r  5  par  un  ménagement 
un  peu  adroit. 

Cette  favante  conjecture  eft  confir- 
mée parla  coutume,  qui  règne  encore 
aujourd'hui  parmi  les  iEoliltes  les  plus 
épurez  ,  de  confier  le  Sacerdoce  à  des 
PrétreiTes  ,  &  de  fe  plaire  à  recevoir 
l'Infpiration  par  les  mêmes  conduits  , 
par  où  les  Sybilles  &  les  Pythies  les 
transmettoient  à  leurs  dévots. 

Lorfque  Tefprit  humain  lâche  la  bride 
à  fes  penfées,  il  ne  s'arrête  jamais,  mais  il 
traverfe ,  par  une  courfe  continuelle ,  les 
extrémitez  du  haut  C5?  du  bas  y  dubon<3 
du  mauvais.  Les  premieres  faillies  de 
l'imagination  le  portent  d'ordinaire 
aux  idées  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  parfait 
&  de  plus  accompli  :  mais,  quand  il  s'e- 
leve  au  deifusde fa  portée,  il  n'efl  plus 
capable  de  diftinguer  les  limites  qui 
réparent  la  hauteur  d'avec  la  profondeur  ; 
I  4  & 


zoo        L  E    C  O  N  T  E 

&  bientôt,  continuant  fon vol  avec  la 

même  précipitation,  mais  fans  connoî- 
.ire  fa  route  ,  il  tombe  jufqu'au  fond 
des  abimies  :  femblable  à  un  voïageur , 
qui  parcourt  les  mers  de  l'Eft  jufqu'à 
rOuefl  >  ou  à  une  grande  perche  d  un 
bois-ibuple ,  qui ,  plus  il  efl  étendu ,  & 
plus  il  fe  courbe  en  arc  de  cercle. 

La  caufe  de  ce  dérèglement  de  nôtre 
efprit  eiï  peut-être  dans  ce  fond  de  ma- 
lice né  avec  nous,  qui  nous  porte  d'or- 
dinaire à  joindre  aux  idées  les  plus  no- 
bles celles ,  qui  leur  font  précifement 
contraires.  Peut-être  eit-elle ,  dans  les 
bornes  de  notre  Raifon ,  qui,  portant  fes 
reflexions  fjr  toute  la  malle  des  cho fes, 
refîemble  au  Soleil ,  qui,  n'éclairant  que 
la  moitié  de  notre  Globe  ,  laiile  fautre 
couverte  de  ténèbres.  Peut-être  la  faut- 
il  chercher  dans  la  foibleife  de  notre 
Imagination,  qui,  emploïant  toutes  fes 
forces  pour  s'élever  à  ce  qu'il  y  a  de 
plus  grand  &de  meilleur,  fatigué,  à  la 
iin ,  ai  n'en  pouvant  plus ,  tombe  tout 
d'un  coup  à  terre,  commeunoifeau.de 
paradis  qui  vient  de  mourir  au  milieu 
de  l'air. 

Peut-être  aufli,  que  parmi  toutes  ces 
Conjeclures  Metaphyfiqiies  il  n'y  en  a 

paa 


DU    TONNNEAU.  201 

pas  une  feule  de  fondée^  mais,  cela  n'em- 
pêche pas ,  queje  n'avance  une  propor- 
tion très- vraie,  endifanique,  files  plus 
groffiers  mêmes  d'entre  les  humains 
ont  porté  leurs  Lumières  naturelles  à  l'i- 
dée d'un  Dieu  ,  ou  d'un  Etre  fuprême; 
ils  n'ont  auITi  jamais  oublié  d'occuper 
leurs  fraïeurs  de  quelques  notions  afreu- 
fes  très-propres  à  leur  feryir  de  Diables, 
quand  il  n'y  en  auroit  point  au  monde. 
Il  n'y  a  rien-là,  dans  le  fond,  qui  ne  foit 
fort  naturel;  car,  il  en  eft  d'un  homme,  . 
dont  f  imagination  prend  l'elfor  vers  le 
Ciel,  comme  d'un  autre  dont  le  corps 
efl  élevé  à  une  grande  hauteur.  Plus 
ils  fe  plaifent  tous  deux  à  voir  de  plus 
près  ce  qui  efl  au-deillis  d'eux,  plus  ils 
font  efFraïez  par  le  précipice  qu'ils  dé- 
couvrent en  bas.  Cell  ainfi  que,  dans 
le  choix  d'un  Diable,  le  Genre-humain  a 
toujours  eu  la  méthode  de  jetter  les 
yeux  fur  quelque  être  réel  ou  fantaili- 
que,  dont  il  confidéroit  toutes  les  qua- 
litez  comme  diamétralement  oppofées 
aux  attributs  qu'il  concevoit  dans  la  Di- 
vinité. 

Cell  encore  de  la  même  manière ,  que 

la  Secte  des  yEoliftcs  a  toujours  craint, 

&  haï,  deux  ^//Tj- d'une  nature  maligne, 

I  f  cnire 


2C1       L  E    C  O  N  T  E 

entre  lefquels ,  &  fes  Dieux ,  il  y  a  eu 
une  inimitié  mortelle ,  depuis  le  com- 
mencement du  monde.  Le  premier  eil 
le  Caméléon^  l'antipode  de  l'Infpirationj 
&qui,par  pure  haine,  dévore  continuel- 
lement les  influences  précieufes  de  ces 
JDi'vimteZyikns  s'en  déchargerjamais  par 
Yéru6tation,  L'autre  eft  un  Monftre 
afreux  5  d'une  taille  plus  que  gigantei^ 
que,  nommé  Moulin-à-vent^  qui,  avec  fes 
quatre  bras  horribles,  livre  aces  Dieux 
\me  Guerre  éternelle,  les  tournant  avcC 
•ùdrefle,  pour  les  dérober  aux  coups  dô 
ces  ennemis ,  ou  pour  les  leur  rendre 
avec  intérêt. 

S'étant  ainfi  fournie  de  Dieux  &  de 
Diables  ,  la  Se6i:e  des  .'Eoliftes  conti- 
nue jufqu'h  ce  jour  à  faire  une  grande 
ligure  dans  le  m.onde.  Je  ne  doutepas, 
aurefte,  que  la  Nation  polie  des  Lapons 
ne  doive  paiTer  pour  en  être  une  des 
plus  illuftres  branches.  Je  ferois  fort 
injufte  à  leur  égard  ,  (i  je  négligeois 
cette  occafion  d'en  parler  avantageufe- 
ment  ;  puifqu'ils  font  û  unis ,  par  l'in- 
térêt ,  &  par  les  inclinations ,  à  leurs  Frè- 
res les  jEoUfies  ,  qui  habitent  parmi 
nous.  Non  feulement  ils  prennent  les 
Ventf  en  gros ,  chez  les  mêmes  mar- 
chanda , 


DU  TONNEAU,     loj 

ehands ,  mais  ils  les  débitent  en  détail , 
dune  manière  toute  femblable  ,  &  à 
des  chalands  ,  qui  font  à  peu  près  du 
même  naturel  que  ceux  qui  donnent 
leur  pratique  à  nos  tempétueux  compel^ 
îrïottes. 

Si  ce  Syfteme  de  Religion  a  été  en- 
tièrement formé  par  notre  Ami  Jean\ 
ou  11,  comme  il  elt  plus  vraifemblabîe, 
il  l'a  copié  de  l'Original,  qui  fe  trouve 
h  Delphes^  en  y  mettant  des  additions 
&  des  coiTections  propres  à  Tajuder 
aux  tems  &  aux  circonilances  •  c'efl:- 
là  un  point ,  fur  lequel  je  n  ai  pas  la 
hardieiTe  de  décidier.  ^iai3,  je  crois  pou- 
voir affeurer,  que  c^elt  Jean  en  propre 
perfonne  ,  qui  y  a  donné  un  tour  nou- 
veau ,  (S:  qui  Fa  précifement  mis  dans 
l'état  dont  je  viens  de  tracer  un  fidèle 
tableau. 

Au  refte,  il  y  aîong-tems  que  je  cher- 
che une  occafion  favorable  de  rendre 
jufticeà  cette  Société  d'Hommes,  que 
j'honore  extrémem.ent  ,  &  dont  les 
opinions,  aufïïbien  que  les  cérémonies, 
ont  été  entièrement  défigurées  par  la 
malice  ,  ou  par  fignorance,  de  leurs 
adverfaires.  Jecroi,  pour  moi,  qu'une 
des  meilleures  actions  d'un  honnétc- 
I  6  liom- 


204        LE    C  a  N  T  E 

homme  ,  c'ell  de  déraciner  les  préju- 
gez ,  &  de  mettre  les  chofes  dans  leur 
veritable  jour.  Je  viens  de  m'acquiter 
de  ce  grand  devoir  ,.  fans  aucune  vue 
d'intérêt;  excepté  le  plaifir  defatisfaire 
à  ma  confcience ,  d'acquérir  de  la  gloir- 
re  3  &:  de  m'attirer  des  remerciraens. 


SEC. 


DU  TONNEAU,     log 

SECTION     IX. 

D/Jfertûtion  fur  Torigine  £3?  fur 
les  progrès  de  la  Folie  ,  comme 
aufft  furfon  utilité  danslaSocié-^ 
té  humaine. 

JE  crains  bien  que  certains  Leéieurs 
fuperficiels  ne  regardent  d'un  œil 
de  mépris  la  Secle  des  y^/i/^é-j,  par 
ce  qu'elle  reconnoit  pour  fon  Fonda- 
teur un  homme  comme  Jean ,  dont ,  de 
mon  propre  aveu,  le  cerveau  s'étoitab- 
folument  dérangé  ,  &  qui  étoit  tombé 
dans  l'état  que  nous  defignons  par  le 
mot  de  Folle  ,  ou  de  Frénézie,  Leur 
mépris  feroit  très-mal  fondé  \  &  ils  en 
feront  convaincus  eux-mêmes,  s'ils  veu- 
lent bien  réfléchir  fur  les  plus  grandes 
allions ,  qui  ont  jamais  été  faites  dans 
le  monde  ,  fous  la  dire6lion  d'un  leul 
homme.  Telles  font  l'établiffcment  de 
nouveaux  Empires  fait  par  la  force  des 
armes ,  finvention  de  nouveaux  Syllê- 
mes  de  Philofophie  ,  &  fintroduéliou 
de  Religions  nouvelles.  Il  ell  certain-, 
^ue  tous  les  grands  hommes ,  à  qui  on  eft 
I  7  10- 


loé      L  E    C  O  N  T  E 

redevable  de  toutes  ces  fameufes  révo- 
lutions ,  ont  foufert  de  grandes  altera- 
xions  dans  leur  bon-fens,  par  leur  nour- 
riture ^  par  leur  éducation  ,  par  une 
certaine  inclination  dominante ,  ou  par 
une  influence  particulière  de  l'air  qu'ils 
relpiroient ,  ou  du  cîin^at  fous  iequd  ils 
ont  été  obligez  de  vivre. 

D'ailleurs,  il  y  a  dans  fefprit  humain 
quelque  chofe  de  lingulier  6l  à" indivis 
diid^  qui  fe  reveiilefouventpar  le  choc 
accidentel  de  certaines  circonitances , 
■<|ui,  minces  &  peu  confiderables^^n  el- 
•}es-mêmes,  ne  laiilent  pas  d-e  produire 
ibuvent  les  évenemens  les  plus  m-erveil- 
leux.  Les  grandes  revolutions  n'ont 
pas  toujours  de  grandes  iources  ,  ■&  il 
importe  peu  par  quelle  caufe  les  paC- 
fions  font  enflammées,  pourvu -que  les 
fumées  s'en  élèvent  jufqii'au  cerveau. 
La  Région  fti^c-fiewe  de  notre  t-éte  eft 
<ians  la  mem^efituation ,  que  lamoïenne 
Region  de  l'air  :  les  matières ,  qui  s'y 
conduifent,  en  font  d'une  nature  très -dit 
fe-rentes3  niais,  elles  y  deviennenctoutes 
-de  -la-méme fubftance ,  &  produifent les 
mêmes  efets.  Les 'i^^/^^-j-s'éleveîK  de 
'la  terre ,  les  cxhalaiivns  de  la  mer ,  &  la 

■   '  /«- 


DU    TONNEAU,     lof 

fumée  du  feu.  Cependant ,  toutes  les 
nuées  font  de  la  même  nature  3  &  l'o- 
deur, qui  fort  à' Vin  fumier  ^  fait  un  nua- 
ge d  un  auiTi  grand  mérite  ,  que  celle 
qui  fe  répand  d'une  malle  précieufe 
iencens. 

De  ces  veritez  de  fait ,  qu'on  ne  fau* 
toit  me  contefler ,  il  fuit  évidemment , 
que  comme  Fair  ne  produit  jamais  de  la 
pluie ,  que  lorfqu'il  ell  troublé  &  fur- 
chargé  d'exhalailbns  ;  de  la  même  ma- 
nière ,  i'efprit  humain  ,  qui  habite  le 
cerveau ,  doit  être  troublé ,  &  accablé  de 
vapeurs  exhalées  des  parties  inférieures, 
pour  produire  quelque  chofe  d'extraor- 
dinaire. 

Or,  quoique  ces  vapeurs  5  comme  je 
fai  déjà  dit  ,  fortent  d'autant  de  diffé- 
rentes fources  que  celles  qui  montent 
vers  le  Ciel,  l'effet,  qu'elles  produifent, 
ne  fe  fent  point  de  cette  difference. 
Il  eft  feulement  varié ,  tant  par  rapport 
à  l'efpece ,  qu'au  degré ,  felon  la  diffé- 
rente fituation  du  cerveau ,  dans  lequel 
jl  efl  formé.  Je  me  fervirai  ici  de  deux 
fameux  exemples  ,  pour  prouver  ,  & 
pour  éclaircir  ce  que  je  viens  d'avan- 


cer. 


Un 


2o8        L  E    C  O  N  T  E 

Un  certain  Prince  de  par  le  mon- 
de leva  un  jour  une  grande  armée ,  rem- 
plit fes  coffres  de  trefors  immenfes,-  & 
arma  une  Flotte  invincible ,  fans  com- 
muniquer Ton  deflein ,  ni  à  fes  plus  habi- 
les Miniftres ,  ni  à  fes  plus  chers  Favo- 
ris. Ces  grands  préparatifs  allarmerent 
d'abord  tout  le  monde:  les  Monarques 
voifms  attendirent ,  en  tremblant ,  de 
quel  côté  forage  devoit  crever;  &  les 
Politiques  fubalternes  y  trouvèrent  la 
matière  de  mille  profondes  fpécula- 
tions  *.  L'un  fe  mettoit  dans  f  elprit^,  que 

ce 

*  Ce  Prince  eft  Kenry  IV.  qui ,  peu  de  tems 
avant  fa  mort,  fît  tous  ces  Préparatifs  dont  l'Au- 
teur parle.  On  les  attribua  aux  deffeins  les  plus 
vailes  5  qui  font  dépeints  ici;  mais  ^  l'Auteur  ou>- 
blie  un  des  Projets  qu'on  attribue  à  ce  Grand 
Roi  ;  c'ctoit  d'établir  une  Taix  prptuelle  dans 
le  Monde,  en  mettant  tous  les  états  dePEuTope 
dans  certaines  bornes.  C'eil  ce  deflein ,  qui  dans 
nos  jours  a  donné  naiiïance  à  un  Livre  très-cu- 
rieux 5  qui  établit  toutes  les  Maximes  neceflaires  , 
pour  parvenir  à  un  but  il  fouKaitable ,  &  q  ui  s'ef- 
force d'applanir  toutes  les  difficultez,  qui  pour- 
roient  s'y  oppofer.  Cet  Ouvrrge  mérite  d'être  lu 
avec  la  plus  graruie  attention.  Quand  il  fcroit 
deftitué  de  fblidité ,  ce  que perfonne  jufqu'ici  n'a 
entrepris  défaire  voir,  il  nous  domieroit  toujours 
la  Chimère  la  mieux  formée  qu'on  puiffe  s'inxigi- 
Dcr»  Il  eft  de  l'Abbé  de  St.  Pkrre, 


DU    TONNEAU.     20^ 

ce  Prince  en  vouloit  h  la  Monarchie  uni- 
verfelle.  Un  autre ,  après  une  meure  dé- 
libération ,  concluoit ,  qu'il  s'agillbitde 
détrôner  le  Pape ,  &  d'établir  la  Religion 
Proteflante ,  dont  ce  Prince  avoit  fait 
autrefois  profeiïion.  Un  troifiéme,  d'une 
fagacité  encore  plus  étonnante,  envoïoit. 
notre  Fieros  dans  TAiie ,  pour  détruire 
l'Empire  Ottoman,  &  pour  conquérir 
la  Terre  Sainte  *. 

Au  milieu  de  tous  ces  beaux Raifon- 
nemens ,  un  certain  Chirurgien  d'Etat 
vint  à  connoitre  ,  que  tous  ces  grands 
Projets  n'étoient  que  l'effet  d'uacerveau 
malade.  Il  en  fut  pleinement  convaincu 
par  les  Syntomes  du  mal  ^  &  il  entre- 
prit de  le  guérir.   Il  fit  Toperation  né- 

ceflai- 

*  Des  gens-,  quiraffinoient  moins  furies  projets 
de  Souverains ,  ont  débité ,  que  la  caufe  de  tous 
ces  Préparatifs  étoit  la  PrincelTe  de  Condé ^  qui 
avoit  donné  de  l'amour  à  ce  Monarque  fufcep- 
tibîe  5  &  qui ,  pour  m.ettre  fon  honneur  à  l'abri 
de  fes  pourfuites ,  s'étoit  retirée  dans  les  Païs-Bas 
Catholiques.  Ils  prétendent  ,  que  Çow  Amant 
avoit  ramailé  toutes  ces  forces  redoutables ,  pour 
c  nquerir  cette  Maitrefle  cruelle,,  en l'arracliant 
d'entre  les  mains  des  Efpagnols.  Le  grand  def- 
ït'm  dont  je  viens  de  parler,  &  ce  Projet  bas  & 
mëprifablcj  ne  font  pas  incompatibles  dans  le 
fgiad. 


210       LE    CONTE 

ceflaire  d'un  feul  coup:  la  vejjie  fe  crè- 
ve 5  la  vapeur  fe  diiïipe  ^  &  rien  n'au- 
roit  manqué  à  Theureufe  guérifon  du 
Prince ,  s'il  n'étoic  pas  mort  au  beau  mi- 
lieu de  la  cure. 

Le  Ledleur  efl  fort  curieux  appa- 
remment de  favoir  ,  de  quelle  fource 
étoit  venue  cette  vapeur  ,  qui  avoit 
effraie  fi  long-tems  tous  les  Peuples  de 
l'Europe  ,  &  quel  reffort  fecret  avoit 
mis  en  mouvement  une  machine  fi  ter- 
rible; mais,  il  fera  bien  furpris,  quand  je 
lui  dirai,  que  c'étoit  uniquememt  une 
Femme  abfente ,  dont  les  yeux  avoyent 
caufé  chez  le  pauvre  Prince  une  certaine 
tumeur^  &  qui  s'étoit  retirée  dans  le 
Pais  ennemi,  avant  que  cette  tumeur 
fe  fut  mife  ^[uppurer.  Quel  parti  pou- 
voit  prendre  le  malheureux  Monarque, 
dans  une  conjon6lure  fi  délicate?  Il  eut 
beau  effaïer  le  remède  prefcrit  par  un 
Poète ,  qui  foutient  ,  que  la  maladie, 
qu'une  Femme  nous  caufe  ,  peut  être 
giierie  par  toute  autre  Femme.  Il  n'en 
reçut  pas  le  moindre  foulagement-,  par 
ce  <iue,  felon  Lucrèce^ 


U- 


r 


DU    TONNEAU,     zit 

Idque  petit  Corpus  ,   mens  unde  eft  faucta 

amore , 
Uyiàe  feritur ,  eo  tendit ,  geftitque  coin, 

La  matière  entaflee  dans  les  vajafe^ 
mlnalia  s'enflamma  bientôt  ,  devint  a- 
dufle  ,  fe  changea  en  bile  ,  prit  fon 
cours  vers  \z  conduit  j pi nal  ^  &  m.onta 
de-là  dans  le  cerveau. 

Ceft  ainfi  que  le  même  Principe,  qui 
porte  un  Breteur  àcafler  les  vitres  d\i- 
ne  Femme  de  mediocre  vertu  dont  il  a 
été  la  dupe  ,  anime  un  grand  Prince  à 
mettre  des  Armées  en  Campagne ,  &  à 
ne  fe  remplir  la  tête  que  de  Sièges ,  de 
Batailles,  &  de  Vi6toires. 

Cunnus  teterrima  helïi 

Caufa 

Mon  fécond  exemple   eft  un  trait^ 
d'Hiiloire  que  j'ai  lu  dans  une  Chro- 
nique très-ancienne.  Le  voici. 

Il  y   avoit  autrefois  un   Roi    fort 
puilTant ,   qui  dans  l'efpace  de  trente 
années   confécutives   s'étoit    amufé   à 
prendre  &  à  perdre  des  Villes ,  h  bat- 
tre 


%\i        L  E    C  O  NT  E 

tre  des  armées  &  à  fe  laifler  battre, 
à  chaffer  les  Princes  de  leurs  Etats ,  à 
éfraier  les  Enfans  d'une  manière  à  leur 
faire  tomber  les  tartines  des  mains  \  en 
un  mot  5  à  brûler ,  à  ravager ,  h  dragon- 
ner,  à  faccager,  à  maffacrer,fLijets  &  en- 
nemis ^  maies  &  femelles  ^.  Les  Philofo- 
phes  Contemporains  de  ce  Prince  met- 
toient  leur  efprit  à  la  gène,  pour  trou- 
ver les  caufesPZ/)/%//rj,  Politique:  ^  &: 
Morales  ^  dont  il  ïalloitdédaii-e  ce  Phé- 
nomène fuprénant.  A  la  fin ,  la  vapeur, 
qui  troubloit  le  cerveau  de  ce  Conqué- 
rant ^  s'étant  mifeà  circuler,  fe  fixa  fur 
cet  endroit  du  Corps  humain  fi  renom- 
mé, par  fon  talent  de  produire  la  Z/- 
heta  Occiàentalis  f  ^  & ,  fe  raffemblant- 
là  dans  une ///^/^^/^r ,  lailTa  dans  cet  inter- 
valle l'Univers  en  repos. 

On  voit  par-là  de  quelle  confequen- 
ce  efl  le  cours  que  prennent  ces  exha- 
lailbns ,   &  comme  il  importe  peu  de 
quelle  origine  elles  dérivent.    Les  mê- 
mes 

*  C'efl:  Louis  Xir, 
^  t  Ziheta  Ovkntalis ,  c'eft  le  Mufc.  Zibeta  Oc- 
cidentalis,  c'eft  quelque  chofe  de  fort  contraire 
au  Mufc  j  <^uoi  qu'elle  forte  d'une  fource  touta 
pareille. 


DU   TONNEAU.       21? 

mes  fîrûjées^qni^s'élevdint  vers  le  cerveau, 
font  capables  de  conquérir  des  Roïau- 
mes  ,  n'ont  qu'à  fe  jetter  fur  Vjînus^ 
pour  aboutir  à  une  Fifiide  ^. 

Palîbns  àpréfent  à  ces  Grands  Intro- 
dufteurs  de  nouveaux  S  y  lié  mes  de  Phi- 
lofophie  :  voyons  de  quelle  Faculté  de 
Tame  fe  levé  Hnclination  de  pouffer 
dans  le  monde,  avec  un  zèle  il  opiniâ- 
tre ,  de  nouvelles  idées  ,  à  l'égard  de 
certaines  chofes ,  dont,  de  l'aveu  de  tout 
le  monde ,  il  eil:  impolTible  de  connoitre 
la  nature j  examinons,  de  quelle iburce 
dérive  ce  penchant,&  à  quelle  propriété 
de  Fefprit-humain  ces  Illuftres  doivent 
leur  gloire  ,  &  leurs  difcipies. 

11  eil  certain ,  que  pluiieurs  des  prin- 
cipaux d'entr'eux^tant  anciens ,  que  mio- 
dernes,  ont  été  pris  par  leurs  adverfai- 
res,  &5  û  vous  en  exceptez  leurs  Par- 
tifans,  par  tout  le  Genre  humain,  pour 
des  gens  qui  avoient  le  cerveau  boule- 
verlé.  11  efl  fur  mém.e  ,  qu'ils  fe  font 
écartez  extrêmement  des  m^imes  du 
fens-commun  ,  dans  leur  manière  ordi- 
naire d'agir  &  de  parler  ,  &  qu'ils  ont 

été 

.  *  L'Auteur  a  en  vue  la  fameufe  Fiftuls  de 
i^eiiii  le  Grand, 


iLi4        L  E    C  O  N  T  E 

été  des  types  exa6ls  de  leurs  legitimes 
SuccelTeurs ,  qui  peuplent  à  préfent  VU- 
niverfité  moderne  de  Bedlam  *. 

Tels  ont  été  jadis  Epicure  ,  Dioge- 
ne ,  Apollonius ,  Lucrèce  ,  Paracelfe , 
Defcartes  ,  qui  ,  s'ils  étoient  dans  le 
Monde  à  l'heure  qu'il  eil ,  arachez ,  & 
leparez  de  leurs  Difciples ,  feroient  ex- 
pofez  fans  doute  à  la  Phîebotomie  ,  aux 
coups  de  nerfs  de  bœuf,  aux  ténèbres, 
&  à  la  paille.  Auiïï ,  comment  fe  peut- 
il  qu'un  homme,  en  fuivant  les  fmiples 
&  pures  lumières  du  bon  fens,  fe  mette 
dans  la  tête  de  jetter  les  idées  de  tout 
ie  Genre-humain  dans  le  moule  de  fes 
propres  conceptions?  Cell  pourtant- 
là  l'humble  &  l'obligeante  prétenfion 
de  tous  les  Inno'vateurs  dans  l'Empire  de 
laRaifon.  Epicure,  par  exemple,  efpe- 
Toit  modeftement,  que ,  par  uncertain 
concours  fortuit  des  opinions  humaines, 
après  un  choc  perpétuel  des  poin- 
tues &  des  unies ,  des  légères  &  des 
péfantes,  des  rondes  &  des  quarrées  y, 

tous 

*  L'Hôpkal  des  Fous  à  Londres. 

I  Ce  choc  des  opinions  pointues  ,  unies  , 
rondes  ,  quarrces  ,  eft  fort  inutile  dans  cette 
Allé  gov U -^xï  çxi  dépîaife  aux  Admirateurs  de  cet  Ou- 
vrage ,  parmi  lefquels  je  me  range  très- volon- 
tiers. 


DU  TOxMNEAU.     zif 

tous  les  hommes  s'uniroient  à  la  fin, 
par  certaines  bidinailons  ,  dans  les  no- 
tions du  vtiide  ^  des  atomes^  tout  de 
même  que  ceux-ci  fe  font  accrochez , 
en  formant  cet  Uni\^ers. 

E  efl  évident  que  Defcartes  ne  fe 
flattoit  pas  moins ,  ëc  qu'il  contoit  bien 
de  voir,  avant  fa  mort,  tous  les  Philo- 
fophes ,  comme  autant  à' étoiles  de  moindre 
grandeur  ^  attirez  &  abforbez  dans  fon 
propre  tourbillon. 

Or ,  je  voudrois  bien  favoir,  comment 
il  efl  pofïïble  de  rendre  raifon  de  pareil- 
les Fantaifies ,  fans  avoir  recours  à  mon 
Syjîéme  des  Vapeurs  ^  qui,  montant  dans 
le  cerveau,  s'y  condenfent  &  fediflillent 
en  certaines  conceptions  ,  que  la  fle- 
riiité  de  notre  langue  ne  fauroit  déligner, 
que  par  les  noms  de  Frénézie^  &  d'£x- 
tra'vagance. 

Examinons  à  préfent  d'où  peut  venir , 
qu'aucun  de  ces  Innwoateurs  ne  manque 
jamais  de  gagner  à  les  nouvelles  idées 
un  grand  nombre  de  Difciples  prêts  à 
recevoir  les  plusbifarres  opinions,parle 
moïen  de  la  foi  implicite,    La  raifon  en 

efl 

tiers.  Ce  n'efl:  pas  le  fcul  endroit  où  Timagina- 
tion  de  l'Auteur  s'écarte  de  lajuHcfic  d'efpritja 
force  d'outrer  les  cho&s. 


^i6        LE     CONTE 

eft  auiïi  facile  à  trouver  qu'elle  eft  fo- 
lide.  La  voici. 

"  iDans  V Harmonie  de  V Entendement  hu^ 
main  ,  il  y  a  une  certaine  corde  particu- 
Here  j  qui,  chez  plullers  individus  foi- 
difant  raifonnables ,  eft  montée  précifé- 
ment  fur  le  même  ton.  Dès  que  quel- 
qu'un eft  affez  heureux  ,  pour  tirer  du 
Ion  de  cette  corde  parmi  \qs  eiprits  à 
runiffon  ,  il  arrive  par  une  fimpathie 
néceffaire ,  qu'ils  produifent  les  mêmes 
tons ,  avec  la  dernière  exa6litude.  C'eft 
en  cela  feul,  qui  confifte  tout  le  bon- 
heur ,  ou  toute  rhabileté ,  de  nos  Au- 
teurs de  Syftémes  ;  car,  fi  par  hazard 
vous  donnez  quelque  coup  d'archet  en 
préfence  de  ceux  dont  la  corde  cft  mon- 
tée trop  haut,  ou  trop  bas,  pour  s'accor- 
der avec  la  vôtre  ,  bien  loin  de  goûter 
vos  tons,  ils  vous  traiteront  de  Fou,  ils 
vous  enchaineront,&vous  mettront  au 
pain  &  à  l'eau.  C'eft  par  conféquenc 
une  affaire  fort  délicate  à  ménager  j  & 
il  faut  une  grande  circonfpection ,  pour 
ajufter  ce  talent ,  comme  il  faut ,  aux  dif- 
férentes'conjonélures  des  tems,  &  aux 
différentes  dilpofitions  des  perfonnes. 
Ckerôn-3,  raiibnné  fort  jufte  là-deffus  , 
^ans  une  Lettre ,  qu'il  écrit  à  un  de  fes 

Amis 


DU    TONNEAU.     217 

Amis  en  Angleterre ,  où ,  parmi  d'autres 
avis  trcs-importans ,  il  le  précautionnc 
contre  la  fourberie  des  fiacres^  qui  étoienr; 
aparem.ment  alors  d'auiïi  grands  fa- 
quins ,  qu'ils  le  font  à  préfent. 

Il  fe  fert  dans  cette  Epitre  de  ces 
exprefllons  très-remarquables,  efv  quod 
gaudcas  îe  in  ifia  locci  voiiffe ,  ubi  aliquid 
japerc  viderere: _yQUS  êtes  heureux  d'e- 
tre venu  dans  un  Païs,  où  vous  nefau- 
riez  manquer  de  palier  poux  un  elprit 
fuperieur. 

Cette  Sentence  eft  pleine  de  fens,  ëc 
de  jufteiTe- car,  pour  dire  ici  une  véri- 
té un  peu  hardie  ,  le  peut-il  un  plus 
grand  défaut  de  conduite  ,  que  d'aller 
pafTer  dans  une  Compagnie  pour  un 
e.xtrai'agaiîî ,  quand  on  elt  le  ?'îaître  de 
fe  faire  confidérer  dans  un  autre  com- 
me un  PbiÎQfopbe'':  Je  prens  ici  la  liber- 
té de  conjurer  quelques  MelUeurs  de 
ma  connoiilance  ,  de  s'en  fouvenir  en 
tems  &  lieux  ,  comme  d'un  avertif^ 
fement  ,  dont  ils  peuvent  tirer  de 
grands  ufiges. 

Telle  a  été  la  faute  de  mon  digne 
ami  M.  Wotton,  un  perionnage  delti- 
né  à  former  dv  à  exécuter  heureuf^ment 
les  plus  grands  defleins  ,ri  Ton  en  peut 

ironie  L  K  ju- 


2iS  LE    CONTE 

juger  par  Tes  Regards ,  &'par  fon  Gcnic. 
Plut  au  Ciel  que  fes  heureux  Taleiis, 
perclus  dans  les  ipéculations  d'une  vaine 
Pliilofophie ,  fe  fufîent  exercez  fur  les 
ibnges ,  &  fur  les  vifions ,  où  refpà ^ 
fair  égarez  font  d'un  il  grand  ufage. 
Onauroit  vu,  que  jamais  homme  nefe 
produifit  dans  le  public  avec  de  plus 
grandes  difpofidons  de  l'ame  &  du  corps, 
pour  rétabliiïement  d'une  nouvelle  Re- 
ligion. S'il  avoit  enfilé  cette  noble 
route  ,  jamais  le  monde  medifant  & 
calomniateur  n'auroit  ofé  débiter,  que 
le  cerveau  de  ce  grand  homnie  eft  ab- 
folument  détracqué  ;  jamais  fes  Frères 
les  Modernes  n'auroient  poude  l'ingra- 
titude jufqii'h  s'entredire  cette  nouvel- 
le h  l'oreille,  mais  afiez  haut  pourtant, 
pour  que  je  lepuille  entendre  du  Gale- 
tas où  j'enfante  ce  Divin  l^raiîê. 

Je  reviens  à  mon  Syftême  des  Va- 
peurs. Quiconque  réliechira  fur  cette 
iburce  de  fenthcufiafme  qu'elles  pro- 
dilifent  dans  le  cerveau,  &  de  laquelle 
dans  tous  les  fiécles  font  fortis  des  ruif. 
féaux  fi  abondanj ,  remarquera  que  les 
eaux  en  font  aulTi  troubles  &aufii  char- 
gées de  boucs  au  commencement 
qu'au  milieu  de  leur  cours.  Cette  vérité 

,n  em- 


DU  TONNEAU,      ii^ 

n  empêche  pas ,  qu'il  n'y  aie  rien  de  plus 
utile  5  qu'une  force  doze  de  ces  i;j-. 
fei'.rs,  nommées  par  les  hommes  ext-ra- 
"vag.ïncc.  Sans  elle  le  3Ionde  ne  feroir 
pas  privé  feulement  de  ces  deux  grands 
avantages,  les  Conq'étes ^-tj^lcs  SyfténuSy 
mais,  tout  le  Genre-humain  feroitmal- 
heureufement  borné  dans  la  niêm.e 
croïance  touchant  les  chofes  invifibles. 
Après  avoir  prouvé ,  qu'il  eft  indilTe- 
rent  de  quelle  origine  les  vapeurs  fuf- 
dites  procèdent  ,  mais  qu'il  importe 
beaucoup  de  quelle  nature  eft  le  cerveait 
qu'elles  accablent ,  &  fur  quelle  partie 
du  cerveau  elles  le  jettent,  il  me  refte 
encore  à  developer  un  point  de  la  der- 
nière delicatefTe.  Il  s'agit  de  faire  voir 
au  Lecleur  curieux  &  fubtil  la  raifon 
propre  &  fpécifique,  pourquoi  les  mêmes 
cxhalaifons  font  capables  de  produire 
une  11  grande  variété  d'effets ,  dans  \i:is 
cerveaux  d'une  différente  Conftitution  ; 
il  s'agit  d'entrer  dans  le  détail  des  cau- 
fus  qui  font  fortir  des  mêmes  vapeurs 
les  Carafteres  d'un  Alexayzdre  le  Grand  , 
d'un  Jean  de  Leyden  *,   &  d'un  Def- 

cartes. 

^  *  Ce  Jean  ce  Leyden  e'toitun  TaMîeur,  quife 
'It  Chef  d'une  S€<^c  de  Fanatiques ,  dans  le  com- 


220         L  E    C  O  N  T  E 

cartes.  C'eft-là  la  matière  la  plus  abflrai- 
te,  qui  ait  jamais  occupé  mes  reflexions  : 
elle  exige  de  mon  génie  les  derniers  ef- 
forts; &  je  conjure  le  Le6leur  de  me 
prêter  l'attention  la  pius  forte ,  &  de 
ne  me  pas  perdre  un  moment  de  vue, 
pendant  que  je  travaillerai  à  défaire  ce 
Nœud  Gordien, 

Il  y  a  dans  le  Genre-humain 


hic  muîîa  defideranîur 


Voilà  juflement  la  Solu- 
tion de  cette  Difficulté  capable  d'éton- 
ner tout  autre  Génie. 

M'en  étant  débaralTé  avec  tant  de 
fuccès,  je  ne  doute  point  que  le  Lec- 
teur ne  m'accorde  la  conclufion  où 
aboutiflent  tous  mes  raifonnemens  pré- 
cédens,  favoir,  que,  'ii  les  Modernes 

en- 

mencement  de  la  Reformation.  Soutenu  d'une 
trcupe  nombrcufc  de  Tes  Partifans ,  il  s'empara 
de  la  Ville  de  J///,v/^  >• ,  &  prit  le  titre  de  Roi:  il 
y  foutint  le  Siege,  avec  beaucoup  d'opiniâtreté; 
rnais ,  la  Ville  étant  prilc  a  la  iin ,  il  fut  puni  de 
mort,  comme  fon  Fanatifmt  ambiiieHX  l'avoit 
très-bien  mérite. 


DU    TONNEAU.      211 

entendent  ^ir Exîravagance\QS  troubles 
caufez  dans  le  cerveau  par  les  vapeurs , 
c'eil  à  V ExîravagaKce ,  qu'on  ell  rede- 
vable de  toutes  les  refolutions ,  qui  font, 
jamais  arrivées  dans  les  Eimires ,  dans 
la  Philofopiiie ,  &  dans  la  Religion. 

L'entendement  humain ,  dans  fa  iitua- 
tion  calme  (Scnatiu'elle,  porte  l'homme 
à  palFer  fa  vie  uniment,  fans  le  moindre 
deiïein  d'afllijettir  Izs  autres  à  Çonpoii-' 
voir  ^  à  Tes  raifoyis  ,'  &  â  fes  chimères. 
Plus  quelqu'un  s'applique  à  former  fou 
efprit  par  l'érudition,  &  moins  il  a  du 
penchant  à  procurer  des  Partifans  à  fes 
Opinions  particulières  ;  parce  qu'elle 
l'inftruit  auiïi  bien  de  fa  propre  foibîef. 
fe ,  que  de  la  ftiipide  ignorance  du  vul- 
gaire. 

x^ïais,  quand  la  fantaifie  d'un  homme  îà 
met  à  caiiforchon  fur  fa  raifon ,  quand  fon 
imagination  fait  le  coup  de  poing  avec 
fes  fens,  le  pauvre  [cm-commiin  eît  jette 
par  les  fenêtres.  Cet  homme  devient 
Ici-mc: me  fon  pre-.aier  Profelyte  :  d:,  dès 
qu'il  en  eit  une  fois  venu  à  bout,  il  lui 
eit  fort  aifé  d'en  faire  d'autres  >  puif- 
qu'une  forte  illufion  opère  avec  autant 
de  vigueur  au  cUhcrso^xtxvdedaiïS.  Car, 
\q  jargon  y  &  les  chimères,  procure^lt  la 
K  3  me- 


HZ         L  E    C  O  N  T  E 

même  volupté  aux  oreilles  &  aux  yeux , 
que  le  chatouillement  produit  fur  le 
/j/t  ;  &  les  divertiiTemens ,  qui  nous  cau- 
fent  dans  la  vie  les  plaiflrs  les  plus  pi- 
qiians ,  font  precifément  ceux  qui  du- 
pent nos  fens ,  &  qui  font  des  Tcurs  de 
G  cl?  de  t  déniant  eux. 

Si  nous  examinons  attentivement  ce 
qu'on  entend  en  general  par  bonheur , 
tant  par  raport  à  i'efprit ,  qu'à  l'égard 
des  fens,  nous  verrons  évidemment, 
que  toutes  les  proprietez  en  font  ren- 
fermées dans  cette  courte  définition. 

Le  bonheur  efi  la  pjjejfion  tranquille 
du  plaïfir  d^  être  bien  îs)  diicrnent  trompé. 

Par  raport  à  I'efprit ,  il  efl  certain 
que  la  fiction  a  un  avantage  très-con- 
fiderable  fur  la  vérité  5  &  i!  n'en  faut 
pas  chercher  la  raifon  bien  loin. 

Qiielque  effort  que  faiTent  la  Nature 
&  la  Fortune,  elles  ne  fmroient jamais 
égaler,  par  leurs  productions ,  les  Pbeno^ 
Tf^enes admirables  ^  ôz  Iqs  lùvolutio/is  mer- 
'ueilkufcs ,  que  l'imagination  efl  capa- 
ble de  produire.  Et  dans  le  fond  l'hom- 
me eft-il  fi  fort  à  blâmer  de  préférer 
l'une  aux  autres  ?  La  vérité  place  des 
notions  dans  la  mémoire:  la  fiftion 
introduit  des  idées  da;is  l'imagination. 

•   I! 


DU    TONNEAU.     223 

li  s'agit  feulement  de  fa  voir  fi  les  der- 
nières n'exiilent  pas  aulU -réellement  que 
les  premieres.  Il  n  efl  pas  poiïible  d'en 
dijconvenir:  on  peut  foutenir  même, 
que  rimagination  l'emporte  fur  la  mé- 
moire, parce  qu  elle  eft,  pourainfidire  , 
h  matrice  des  chofes ,  au  lieu  que  l'autre 
n'en  eft  que  le  îo77ihea!L 

IMa  définition  n'eft  pas  moinsjufteà 
regard  des  fens.  Qiiei  air  fade,  6c  infi- 
pide  5  ne  trouvons  -  nous  pas  dans  tous 
les  objets  qui  fe  prefentent  à  nos 
yeux  fans  l'en vel ope  de  nilufion  ?  Il 
n'y  a  rien  de  fi  plat ,  que  tout  ce  que 
nous  découvrons  dans  le  miroir  de  la 
Nature  5  &,  fi  nous  n'avions  pas  l'adreife 
de  le  relever  par  de  faux  jours ,  par  du 
vernis  ,  &  par  du  fard  ,  il  n'y  auroit 
dans  la  plus  grande  félicité  de  l'Hom.- 
me  5  qu'une  grande  &  ennnieufe  Unifor- 
mité. Sijepcuvoisperfiiader  au  Genre- 
humain  de  faire  là-deifus  de  ferieufes  ré- 
flexions ,  ils  ne  regarderoient  plus ,  com- 
miCun  des  plus  hauts  degrèsdeSagcffe, 
l'art  d'expofer  aux  yeux  du  public  les 
cotez  foibles  ,  &  les  defecluoficez ,  des 
chofes  :  ils  y  trouveroient  autant  d'impo- 
liteffe  ,  que  dans  la  brutalité  d'aracher 
le  mafque  à  quelqu'un  \  ce  qui  pafte  pour 
K  4  un 


224        L  E    C  O  N  T  E 

\m  fi  grand  affront  parmi  ceux  qui  fa- 
vent  leur  monde. 

Je  vais  phis  loin.  Dans  la  même  pro- 
portion ,  que  la  crédulité  t^  une  fituation 
d'eiprit  plus  tranquille  que  la  curioji^ 
ié  \  la  SageJ/e ,  qui  s'amufb  à  la  furfacc 
ÙQs  cliofes ,  doit  être  préférée  à  la  Pbi- 
lofophie  ,  qui  en  pénétre  les  entrailles, 
&  qui ,  pour  toute  découverte  ,  s'en 
vient  nous  dire  enfiiite ,  avec  beaucoup 
de  gravité ,  que  Fintérieur  n'en  vaut 
rien. 

Les  deux  fens,  auxquels  tous  les  objets 
s'adreiTent  d  abord  ,  font  la  'uue^  &  le 
tacl ,  qui  n'examinent  jamais  que  les 
qualitez  que  l'Art  ou  la  Nature  éta- 
lent fur  la  fuperficie  de  corps.  Dans  le 
tems  qu'ils  s'y  amufent ,  voilà  la  Rai- 
ÎQVi  impertinemment  officieufe  ,  qui, 
munie  d'outils  propres  à  couper ,  tran- 
cher ,  percer ,  diflequer ,  s'offre  à  nous 
faire  voir  évidemment,  que  le  dedans 
efl  fort  différent  du  dehors. 

Celanes'apperie-.t-il  pas  pêcher  grof- 
Herement  contre  la  Nature ,  qui,  confor- 
mément à  une  de  fes  Loix  éternelles, 
fe  pare  extérieurement  de  ce  qu'elle  a 
de  plus  beau.  Cell  pourquoi  Je  me  crois 
obligé  en  confcience  de  fauver  aux  hom- 
mes 


DU   TONNEAU,      iis 

mes  les  frais  d'une  pareille  Jiîaîomie^ 
en  les  avertilTanc,  que,  dans  cette  occa- 
fion,  laRaifon  a  le  plus  grand  tort  du 
monde;  puifqu'il  eft  certain,  que  tous 
les  êtres  corporels,  autant  que  j'en  coa- 
nois ,  ne  brillent  que  du  côté  de  Ta- 
juflement.  Rien  ne  m'a  confirmé  d'a- 
vantage dans  cette  Opinion, que  quel- 
ques Experiences ,  que  j'ai  faites  depuis 
peu. 

J'ai  vu  la  femaine  pallee  le  corps  d'u- 
ne Femme  ,  qu'on  avc^t  écorché  ;  & 
vous  ne  fauriez  croire,combien  elle  étoit 
mife  à  ion  Qeiavantage,dans  cette  efpece 
de  deshabillé.  Je  lis  dépouiller  hier  en 
ma  préfence  le  cadavre  d'un  Petit-Maî- 
tre;, &  c'étoit  une  chofe  étonnante  da 
trouver  un  il  grand  nombre  de  défec- 
tuoîitez  fous  un  ièu!  ôc  même  habit. 
J'en  ouvris  enfuite  le  cerveau, le  cœur, 
&  la  ratte;  mais,  je  m'aperçus  h  chaque 
opei  at  .on ,  qae  plus  j'y  allois  en  avant , 
&  plus  les  défauts  croiflbient  en  nom- 
bre, &  en  volume.  J'en  conclus ,  qu'un 
Philofophe,  qui  trouveroit  l'arc  de  pal- 
lier 6c  de  plarter  les  imperfe£t:ionsdekl 
Nature ,  obligeroitle  Genre-humain  in- 
finiment d'avantage,  que  ceux,  qii'on 
cTtime  tant ,  &  dont  tout  le  Sivoir  coi- 
K  y  nib 


116        LE     CONTE 

ilite  cependant  à  ouvrir  ces playes ^&c  a 
expofer  ces  taches  aux  yeux  de  tout  le 
îMonde.  Peut-on  nier,  qu  ils  ne  foient 
nulii  ridicules  qu'un  certain  homme ,  qui 
foutenoit  que  \  Jnatomk  ejî  le  But  p-in- 
àpal  ds  la  Médecine  ? 

A  mon  avis  5  un  homme ,  qui  pcffede- 
roit  r.\rt  merveilleux  &  fatisfaifant 
dont  je  viens  de  parler  ;  &  qui ,  avec  E- 
pcure,  fluiroit  fe  contenter  de  ces  ima- 
ges ,  que  la  fuperiicie  des  chofes  envoie 
vers  nos  fens  j^feroit  feul  digne  du  titre 
de  Sage,  Il  ecremeroit  la  Nature ,  & 
laifTeroit  à  la  Raifon  ,  &  à  la  Philofo- 
phie ,  à  en  avaler  la  lie.  C'eft-là  ce  qui 
s'appelle  le  véritable  point  delà  Félicite 
humaine  ;  voilà  cette  pcj/cffi on  tranquilk 
élupUiîfr  d'être  bien  f>  duement  trompé^ 
qu'on  peut  nommer  autrement  la  f,- 
t nation  cahne  d'un  fou  environné  de  j ri- 
pons. 

Pour  en  revenir  à  X Extravagance  ,  il 
eil  évident,  felon  le  Syltcme  que  j'ai 
établi  fur  tant  de  fortes  raifons  ,  que 
chacune  des  différentes  elpeces  doit 
fon  origine  à  Fabondance  excefîive  de 
certaines  vapeurs.  Or,  comme  certaines 
frenezies  redoublent  la  force  des  nerfs, 
c'âutres  augmentent  la  vigueur  &  la 

?iva- 


DU  TO  X  V  E  A  U      2Z7 

vivacité  de  riniarrination.  Il  arrive  nflez 
fouvent,que  ces  e f pr. i' s  ûclif s, qm  en  pren- 
nent poliefiion  ,  relleniblent  à  certains 
cfprits  foicts ,  qui  hantent  d'antres  babi- 
taîîons  lîildcs  ,  <&  qui ,  faute  d  occupa- 
tion ,  en  diiparoiirant ,  en  emportent 
nne  partie  avec  eux,  ou  bien  y  relten> 
pour  jetter  les  maifoils  par  les  fenê- 
tres, piece  à  piece. 

On  peut  confiderer  la  conduite  de  ces 
Lutins  comme  un  type  d<^s  deux  prin- 
cipales branches  de  X Extravagance ,  que 
quelques  Fhiîofcpbcs,  par  uneméprife 
groiïlére,  ont  attribuées  ,  àdeuxcaufes 
différentes ,  iavoir,  àlâdilette,  &  à  l'a- 
bondance exceiïlve  des  EfpritSj  au  lieu 
que  j'ai  fait  voir  clairèm.ent  ,  qu'elles 
doivent  la  naifîance  à  une  feule  &  même 
caufe. 

Il  fuit  de-lh  manifeitement ,  que  pour 
ttre  heureux  dans  fbn  extravagance, 
toute  l'habileté  de  l'homme  confiile  à 
fournir  de  l'exercice  à  cette  abondance 
de  vapeurs ,  &  h  leur  donner  l'elTor  dans 
le  tems  convenable.  Conformément  zi 
cette  vérité  ,  un  homme,  faifilfantune 
occafion  favorable,  le  jette  dans  un  gou- 
fi'e  ;  c'eit  un  Héros ,  c'eft  le  Sauveur 
de  [a  Patrie  :  un  autre  tente  la  ménvo^ 
K  6  entré- 


ii8       LE    CONTE 

entreprife-  mais,  il  prend  mal  fontems, 
&  le  titre  de  Fou  couvre  fa  mémoire 
d'une  honte  éternelle.  Fondez  fur  une 
diftnclion  11  délicate, nous  prononçons 
le  Nom  de  Curtius  avec  tendrefle  & 
avec  refpeél,  mais  celui  à'Empcdode 
^vec  haine  &  avec  mépris  \  &  nous 
concevons  fans  peine ,  que  Brutus  ne  fit 
Vexîra'vagaîît  ^  que  pour  le  bien  publie. 
Qiiant  -h  moi ,  je  fuis  convaincu  ,  que 
rextravagance  de  ce  grand  homme 
étoit  veritable  ,  &  que  c'étoit  une 
abondance  de  vapeurs  m.al  appliquée 
jufqu'alors  ,  que  les  Latins  appellent 
ingeniu7n  par  negoùis  \  m-^is,  que  cette 
/;V^///?^  ne  revêtit  les  apparences  de  la 
Sagejje  ,  que  quand  elle  trouva  fon 
veritable  élément  dans  les  Affaires 
d'Etat. 

Toutes  ces  raifons  im.portantes  ,  & 
plufieurs  autres  du  même  poids ,  quoi 
que  moins  curieufes,  mie  font  faillr  cet- 
te occafion  de  recommander  un  Projet 
fort  utile  aux  foins  des  Clievaliers  jE- 
-àouard  Seymour  ,  Chrijlothle  Miifgra'vey 
Jean  Bovjîs  ,  6?  de  M.  Hoiv  Ecuïer , 
&  d'autres  Amateurs  de  la  Patrie  *.  Je 

les 

*  C'etoient  dan^  ce  tents  les  Chiens  à  grâljd 
CoUiîT  daiis  là  Ciumbredes  Conxmuîiss, 


DU    TONNEAU,    itp 

les  conjure  d'emploïer  tout  leur  crédit, 
pour  faire  nommer  des  Commiflaires 
deflinez  à  avoir  infpeftion  fur  Bedlam^ 
&  fur  les  lieux  voifms  ,  &  autorifez  à 
examiner  le  mérite,  les  qualitez,lesdii^ 
pofitions  5  &  la  conduite  de  chaque 
Membre  de  cette  ilIuftreSocieté.  Silef- 
dits  CommifTaires  ont  foind'enbiendi^ 
tinguer  les  difFerens  talcns,  &  de  les  em- 
ploier  a  des  occupations  convenables, 
je  ne  doute  point  qu'on  n'y  trouve 
une  pépinière  de  fujets  admirables  , 
pour  remplir  les  Charges  de  FEtat ,  Ec- 
clefiafliques,  Politiques ,  Civiles,  & 
Militaires.  On  n'aura  qu'à  s'y  pren- 
dre de  la  manière  ,  que  je  vais  indi- 
quer ici  ^  &  l'efpere  que  le  Le6leur 
bénévole  ne  defaprouvera  pas  le  mou- 
vement 5  que  je  me  donne  ici ,  pour 
faire  reufTir  ce  deiTein  important,  en 
faveur  d'un  corps  renommé  ,  dont  j'ai 
eu  autrefois  le  bonlieiir  d'être  memh'Q 
indigne. 

Si  un  Habitant  de  ce  lieu  jure ,  blaf- 
phême  ,  brife  fa  paille  ,  &  la  met  en 
pouffiere,  en jettant l'écume  parla  bou- 
che ^  s'il  mord  dans  la  grille  de  fon  ca- 
chot ,  &  viiide  fon  pot-de-chambre  dans 
le  nez  des  Spe6tateurs.  Qiie  Meiïieurs 
K  7  les 


230        L  E    C  O  N  T  E 

les  CommifTaires  le  mettent  à  la  tcte 
d'un  Regiment  de  Dragons  ,  &  l'en- 
voient en  Flandre  ;  je  réponds  du  fuc- 
cès. 

Un  autre  s'occupe  fans  relâche  à  ba- 
biller ,  cacqueter  ,  criailler ,  fans  pro- 
duire aucun  fon  articulé  ;  que  de  talens 
cachez  fous  terre  !  Qu'au  plus  vite  on 
lui  fourniiîe  du  papier,  un  fac  vert,  & 
qu'avec  trois  fols  dans  fa  poche  on  l'en- 
voie vers  la  Sale  de  Wefimunfler  ^\ 

En  veici  un  autre  qui  prend  gra- 
vem.ent  les  dimenfions  de  fon  apparte- 
ment. Quoi  que  condamné  à  l'obfcurî- 
té,  il  a  l'air  pénétrant  &  prévoïant,  il 
marche  d'une  m.aniere  pofée  ,  il  vous 
demande  l'aumône  avec  gravité  &  céré- 
monie >  il  parle  de  la  corruption  du 
fiécle ,  des  taxes ,  &  de  la  grande  pail- 
larde \  il  barre  fa  cellule  précifement  à 
huit  heures  du  foir  ;  la  nuit  il  ne  rêve 
que  d'incendies ,  de  voleurs  ,  de  cha- 
lands de  la  Cour,  &  des  lieux  privilé- 
giez pour  les  gens  infolvables.  Qiielle 

ligu- 
*  Qu'on  en  faffc  un  Avocat.  La  Sale  de  Weft- 
munftcr  ell  le  lieu  où  l'on  plaide:  les  jeunes  Ju- 
ris-Confultes ,  qui  fréquentent  cet  endroit  ,  y 
vont  d^ordinatre  quatre  à  quatre  dans  un  lîacrc; 
qui  leur  coûte  3  fols  à  chacun. 


DU    TOXXEAU.    2^1 

figure  ne  feroit  pas  cet  homme  pourvu 
de  tant  de  qualitez  éminentes  ,  fi  on 
l'envoi  oit  au  milieu  de  f^s  Frères  les 
jEoIiftes  NégGtians  '\  ? 

Prenez  garde  à  ce  quatrième.  Il  fem- 
ble  enfoncé  dans  une  ferieufe  converfa- 
tion  avec  lui-mem.e  ;  il  fe  mord  les 
pouces  à  des  intervalles  réglez  ;  de 
grandes  affaires ,  à^^^  projets ,  font  peints 
dans  toute  fa  mine^  il  marche  d'un  pas 
précipité,  les  yeux  fixez  fur  un  papier; 
c'eftunperfonnage ,  qui  aime  k épargner 
le  tems  \  il  a  fouie  dure  ,  la  vue  cour- 
te, &  peu  de  mémoire  j,  il  efc  toujours 
en  hâte,  toujours  accablé  d'affaires  \  il  a 
un  talent  merveilleux  poiu*  parler  àl'o- 
,  reiile  ,  du  beau  tems  ,  &;  de  la  pluie: 
c  ell  un  grand  Partifan  des  monofylla- 
bes  ,  &  des  delays  \  fi  prêt  à  donner 
fa  parole,  qu'il  ne  la  garde  jamais;  il  a 
oublié  le  fens  ordinaire  de  mots ,  mais 
il  en  retient  admirablemicnt  bien  le  fon  ; 
jamais  ilnes'atachelong-tem.s  aux  mê- 
mes fajets  5  fes  grandes  occupations  l'en 
détournent  à  tout  moment ,  femblablc 

a 
\  Cet  article  fait  alliîfion  aux  gros  Ncî^ocians  , 
Ou^jcres  Sc  Presbytériens  ,  auiTi  graves  daiisleXir 
contenance,  &  réguliers  dans  l'extérieur  de  leur 
conduits,  qu'avidi'S  d^G;anj  &  aUcKez  a  l'Ar- 
gent, 


z^z       L  E    C  O  N  T  E 

à  un  homme  qui  a  pris  médecine  :  fî 
vous  approchez  de  fa  grille  dans  les  in- 
tervalles de  familiarité ,  Mo'fifieur^  dit- 
il  ,  donnez  moi  un  fou  ,  ^  je  'vcus  chan- 
terai un  air  ,  mais  donnez  moi  le  fou  au^ 
para'vant  ;  dès  qu  il  a  atrapé  fargent, 
il  fe  replonge  dans  fei*  diftraclions.  Ne 
voila-t-il  pas  une  defcription  complette 
de  la  Science  de  la  Cour  dans  toutes  fes 
branches  \  ik  n'eft-ce  pas  dommage ,  que 
des  difpoiidons  li  merveilleufes  relient 
inutiles,  faute  d'etre  bien  appliquées? 
Avancez  vers  un  autre  Cachot ,  mais 
aïez  la  précaution  de  vous  boucher  le 
nez  auparavant,  vous  y  décou virez  un 
mortel  fombre ,  arrogant,  d:mauffadc, 
fe  vautrant  dans  fes  propres  ordures. 
Ses  alirnens  digérez  font  fes  mets  les  plus 
délicieux,  qui,  après  une  longue  circu- 
lation 5  rentrent  peu  à  peu  dans  le  fein  de 
la  matière  par  exhalaifon.  Il  a  le  teint 
d'un  jaune  tané  ,  &  une  barbe  foible , 
lemblable  à  celle  qui  couvre  fa  nourri- 
ture quand  elle  commence  à  perdre  fa 
fraicheur.  11  elt  femblable  à  certains 
infecles  ,  qui  empruntent  la  couleur  & 
l'odeur  de  l'excrément ,  auquel  ils  doi- 
vent leur  naiiTance,  &leur  nourriture: 
il  eft  fort  fobre  en  paroles ,  mais  en  re- 

CQm- 


DU    TONNEAU,     ij} 

compenfe  fort  prodigue  de  fon  haleine. 
Il  tend  fa  main  pour  recevoir  votre  fou; 
&  5  dès  qu'il  le  tient ,  il  le  renfonce  dans 
fes  occupations  ordinaires.  N'eft-ce  pas 
une  chofe  furprenante,  que  la  Société  de 
J^y^avwkk'Iane  *  ,  fe  donne  fi  peu  de 
mouvemens ,  pour  recouvrer  un  Mem- 
bre ,  qui  pourroit  lui  êu*e  d'une  fi  grande 
utilité,  &  qui  vraifemblablement pour- 
roit devenir  un  jour  le  plus  grand  orne- 
ment de  cet  illuilre  corps. 

Un  autre  Citoïen  fe  carre  devant 
vous  d'un  air  fier  ,  il  enfle  fes  joues , 
fes  yeux  lui  fembîent  fortir  de  la  tête  à 
force  de  vous  régarder  du  haut  en  bas  : 
il  eil  pourtant  affez  gracieux  pour  vous 
donner  fa  main  à  baiier.  Le  Châtelain 
vous  avertit  de  n'en  avoir  pas  peur ,  & 
vous  aiTure  ,  que  c'ell  un  garçon  qui 
ne  fait  du  mal  à  perfonne  :  aufïï  efl-il 
le  feul  qui  ait  la  permifïïon  de  fe  prome- 
ner dans  l'antichambre.  On  vous  ap- 
prend que  ce  fier  perfonnage  eil  un 
Tailleur,  à  qui  l'orgueil  a  tourné  la  cer- 
velle. Je  pafi^e  fous  filence  un  grand 
nombre  de  Çts  autres  rares  qualitez.  J'en 
ai  dit  afifez,  pour  vous  faire  compren- 
dre > 

♦  Aflcmbléç  de  Médecins.. 


i]A-       LE    CONTE 

cire ,  qu'il  feroit  fort  propre  a 

Tes  airs  &  (hs  manières 

me  trompent  fort,  fi  ce  n'eir  pas  là  fon 
veritable  element ,  &  s'il  n  y  feroit  pas 
une  figure  admirable  f. 

Je  n'entrerai  pas  dans  un  aflez  grand 
détail,  pour  faire  voir  le  grand  nombre 
de  Petits -Maîtres,  de  Muficiens  ,  de 
Poètes,  &  de  Politiques,  quenotreNa- 
tion  gagneroitpar  une  Reformation  de 
cette  nature,  j'en  ai  dit  affez,  pour  don- 
ner une  idéedugain  ,  que  feroit  la  So- 
ciété, parl'acquifition  d'un  grand  nom- 
bre de  perfonnes,  dont  les  talens,  en- 
fouis à  prefent ,  ou  du  moins  s'enrouil- 
lant  faute  d'exercice  ,  pourroient  être 
très-utilement  emploïez. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  confiderable  en- 
core, c'eft  que  toutes  ces  perfonnes  ne 
manqueroient  pas  d'exceller  chacim 
dans  fon  genre ,  &  de  parvenir  au  plus 
haut  point  de  perfeftion  j  ce  qui  paroit 
clairement  par  ce  que  j'ai  déjà  dit,  & 
qui  paroitra  encore  avec  plus  d'éviden- 

Cri 

f  L'Auteur  ne  s'explique  point  clairement 
ici.  Si  j'ofois  hazarder  une  conjecture  ,  je  devi- 
nerois  que  leCaradere  de  cet  Habitant  de  l'Ko- 
pital  d'.s  Fous  fait  aîlufion  à  quelque  Favori  à 
qui  1  orgueil  avoit  fait  tourner  la  tête. 


DU    TONNEAU.       235- 

ce,  par  un  feul  Exemple  remarquable, 
que  je  vais  vous  alléguer.  Le  Lecteur 
bénévole  faura  s'il  lui  plaie ,  que  moi- 
même  ,  m^oi  qui  lui  communique  des 
veritez  fi  importantes ,  je  fuis  un  per- 
Tonnage  dont  Vimf.glnaîmi^  aïanc  la  bou- 
che fort  dure,  eil  extrêmement fujette 
à  em.porter  à  travers  champs  moripau^ 
ire  bon-fens  ,  qui  ,  com.me  j'ai  appris 
par  une  longue  experience  ^  eft  un  allez 
"{fianvais  Cavaliey. 

Mes  Amis  ,  qui  me  connoifTent  là- 
défais ,  nofent  jamais  me  laiffer  feul^lans 
me  faire  promettre  folemnellement ,  que 
je  donnerai  de  fair  aux  exhalaiibns  qui 
portent  mon  cerveau  à  prerdre  le  mords 
aux  dents  ^  &  que  je  leslaiiferai  évapo- 
rer dans  quelques  ipeculations  utiles  au 
public,  &femxblables  à  celle-ci.  Qj-iand 
je  tiens  ma  parole ,  tout  va  bien ,  &  je 
f.iis  un  des  premiers  hommes  du  mon- 
de. 

Je  m'imagine  que  le  public,  voïant  les 
grandes  choies  dont  je  fuis  capable ,  aura 
de  la  peine  à  fe  perfuader,  que  je  fois 
fjfceptible  de  pareilles  Extravagances  ^ 
lorfque  mes  talens  merveilleux  fortenc 
de  leur  Sphere  ,  &  s'exercent  fur  des 
fuieis  oui  ne  leur  conviennent  pas. 


236        L  E    C  O  N  T  E 

Extrait  ,  Sommaire  ,  ou  Abrégé 
de  ce  qui  fuit  dans  le  Manufcript  5 
après  la  Sedion  IX. 

Comment  Jean  &  Martin ,  s'étanc 
feparez, refolurent  défaire  chacun 
leurs  affaires  à  part.  Comment-ils  voïa- 
gerent  par  Monts,  &  par  Vaux  ,  ren- 
contrèrent de  fortmauvaifes  avantures, 
foufrirent  beaucoup  pour  la  bonne  cau- 
fe  ,  &  luterent  long-tems  contre  la  di* 
fette^  par  où  ils  prétendirent  prouver 
enfuite ,  qu  ils  étoient  les  feuls  Fils  legi- 
times de  leur  Père ,  &  que  Pierre  n'étoit 
qu'un  Bâtard.  Comment,  ne  trouvant 
aucime  reflburce  dans  les  Domiaines  de 
Pierre  ,  Martin  tira  du  coté  du  Nord  ; 
& ,  trouvant  les  Thuringiens  &  autres 
Peuples  dilpofez  à  le  favorifer ,  il  drelTa 
parmi  eux  un  Théâtre  de  Charlatan,  dé- 
criant les  poudres ,  les  emplâtres  ,  les  on- 
gîients  ,  y  ks  drogues  de  Pierre  ,  qu'il 
avoit  vendues  jufque-là  fort  cher,  fans 
donner  à  Martin  aucune  part  du  profit , 
quoi  qu'il  eut  été  emploie  fouvent  à  les 
débiter,  &  à  leur  donner  Cours.  Com- 
ment le  bon  Peuple,  ravi  d'épargner  fon 

ar- 


DU    TONNEAU.       237 

argent ,  commença  h  fe  fier  à  Martin  , 
&  à  lui  donner  fa  chalandife.  Comment 
plufieurs  Seignem's  fe  lailTerent  empor- 
ter au  courant ,  un  entre  autres  * ,  qui , 
n'aïant  pas  allez  d'une  feule  Femme, 
&  fouhaitant  d'en  avoir  une  féconde , 
fans  vouloir  donner  ,  pour  en  avoir  la 
permiiTion,  le  prix  exorbitant  que  Pierre 
en  demandoit,  fit  fon  marché  avec  Mar- 
tin, qui  prétendoit  avoir  le  même  droit 
de  l'accorder,  que  Pierre.  Comment 
plufîcurs  autres  Seigneurs  du  Nord , 
pour  leurs  propres  intérêts,  fefeparérent 
avec  leurs  Familles  de  Pierre,  &fe  liè- 
rent avec  Martin.  Comment  Pierre,  en- 
ragé de  la  perte  de  tous  ces  territoires 
&  de  leurs  revenuSjfuîmina  contre  Mar- 
tin ,  &  envoia  contre  lui  \qs  plus  terri- 
bles de  fes  Taureaux  5  fans  beaucoup  de 
fuccès:  cSl  comment  il  le  déclara  rebelle 
&  traître,  avec  tous  les  adhéranis;ordon- 
nant  à  tous  les  fidèles  fujets  de  fon  em- 
pire de  prendre  les  armes,  &  les  animant 
par  de  grandes  pron:ieffes  à  tuer  ,  brû- 
ler ,  &  détruite  fes  ennemis ,  ce  qui  Rit 
l'origine  de  grandes  &  fanglantes  gue- 
res. 

Corn- 

*  Le  Landgrave  de  Hciïc. 


X38        L  E    CONTE 

(Comment  Henri  Bra'vache  ,  Sei- 
gneur de  laParoilTe  d'AIbion  '^5  un  des 
plus  grands  Breteurs  defon  liecle,  en- 
voia  un  Cartel  à  Martin ,  pour  le  défier 
au  combat  en  champ  clos>  d'où  ell  ve- 
nue la  mode  des  Gladiateurs  en  Angle- 
terre 5  fi  fameux  dans  ce  païs-là,  &  ^\ 
inconnus  par  tout  ailleurs.  Comment 
Martinjétant  un  hardi  compere,  accepta 
le  défi  :  com^m^ent  ils  combatirent  ,  au 
grand  divertiilem.ent  de  Spectateurs  > 
<&  comment ,  après  s'être  donné  maintes 
belles  taillades  5  ils  furent  tous  deux  vic- 
torieux :  exemple,  qui  a  été  plufieurs 
fois  imité  par  de  fort  habiles  gens. 
Comment  les  Partifans  de  Martin  le 
congratulèrent  fur  fa  victoire,  &  com.- 
ment  les  Amis  de  Henri  lui  f  rent  de 
pareils  complimens  ,  fur-tout  Mylord 
Pierre ,  qui,  lui  envoïa  une  belle  Aigret- 
te f,  pour  être  portée  furfon  bonnet  & 
fur  celui  de  fes  Succeffeurs ,  en  mémoire 

du 

*  Henri  VI II.  Roi  d'Angleterre. 

"f  Cette  belle  Aigrette  cil  Je  Titre  àtDe'fenfeiir 
de  la  Foi,  que  Henri  VIII.  n'a  pas  kiflc  de  por- 
ter, Jors  même  qu'il  eut  fecouc  ic  Jcug  du 'Pa- 
pe ,  &  dont  les  Succc/Ti-v'-îï  fcnr  encore  par:.dc 
aujourd'hui.  * 


DU  TONNEAU.      239 

du  beau  combat  qu  il  avoit  foutenu  pour 
les  intérêts  cludii  Pierre. 

Comment  Henri,  bouffi  d'orgueil  à 
caufe  de  fa  prétendue  victoire ,  com- 
mença à  chercher  noife  à  Pierre  même  ; 
(Se  comment  ils  fe  querellèrent ,  pour  l'a- 
mour d'une  Donzeile  de  médiocre 
vertu  *.  Comment  quelques  Sujets  de 
I ienri ,  aimant  la  nouveauté ,  com.men- 
cerent  à  dire  du  bien  de  Martin,  &  com- 
ment ce  Seigneur  les  châtia  vigoureu- 
fement  ^  comme  il  fit  encore  à  Tégard 
de  ceux ,  qui  tenoient  le  parti  de  Pierre  : 
(Se  commuent  il  chaiTa  ,  bruIa ,  &  pendit , 
les  uns  &  les  autres  "j-- 

Comment  Henri  Bravache  ,  après 
plufleurs  fanfaronnades,  querelles,  & 
débauches ,  mourut,  &fat  fuccedé  par 
un  bon  Garçon  5  ;  qui ,  fe  laiiTanr  em.por- 
ter  par  la  foule  de  fes  fujets ,  permit  à 

Mar- 

*  j4?!!:e  Eoule??^  caufe  de  la  rupture  fameufe  en- 
tre ce  Roi  &  le  Pape. 

t  La  Perfscution  de  Henri  VIII. ,  e'gderrient 
furisufe  contre  les  Protcflans  ,  &  contre  ceux 
qui  ne  vouloient  pas  reconnoitre  laSupreraaiie 
au  lieu  de  celle  du  .St.  Père. 

§  Ceftle  jeune  E.-iiWiîr^,  Prince,  qui  avoit  de 
fort  bonnes  inclinations,  mais  qui  ne  régna  pas 
aiïcz  long-tems  pour  faire  le  bonheur  de  ics 
Peuples. 


240        L  E    C  O  N  T  E 

Martin  de  répandre  Ces  drogues  par-tout 
Albion.  Comment ,  après  fa  mort ,  la 
ParoifTe  tomba  entre  les  mains  d'une 
Dame ,  qui  étoit  violemment  amoureu- 
fe  de  Pierre  >  &  comment  elle  réiblut 
de  purger  tout  Ton  domaine  des  Par- 
tifans  de  Martin,  &  d'en  exterminer  juC- 
qu'au  nom  ^»  Comment  Pierre  triom- 
pha ,  &  débita  de  nouveau  fes  poudres^ 
emplâtres^  l^ onguvr.ts ^  comme  les  feuls 
véritables  ,  ceux  de  Martin  aïant  été 
tous  déclarez  contrefaits.  Comment 
plufieurs  des  Amis  de  Martin  aban- 
donnèrent le  Païs ,  &  voïageant  dans  les 
Regions  étrangères  firent  connoiiTan- 
ce  avec  plufieurs  Partifans  de  Jean  , 
dont  ils  prirent  les  modes  &  les  maniè- 
res de  vivre  ,  qu'ils  introduifirent  en- 
fuite  dans  leur  Paroifle ,  qui  étoit  alors 
tombée  en  partage  a  une  autre  Dame 
plus  modérée  &  plus  politique  j.  Com- 
ment elle  fit  de  fon  mieux ,  pour  entre- 
tenir Commerce  en  même  tems ,  avec 
Pierre ,  &  avec  Martin ,  non  fans  faire 

du 

*  C'eft  la  Reine  Marie ,  Femme  de  Thiïipfe  H. 
Roi  dTfpagne ,  fort  attachée  au  St.  Siege ,  &per- 
fecutricc  cruelle  des  Protcftans. 

t  La  Reine  Elifjihtth, 


DU   TONNEAU.     241 

du  bien  k  quelques  Partifans  de  Jean: 
ëc  comment  elle  eiTaïa  en  vain  de  ré- 
concilier les  trois  Frères  5  parce  que 
chacun  d'eux  vouloit  faire  le  Maître  y 
&  défendre  aux  autres  de  débiter  leiirs 
onguents  &  leurs  drogues. 

Comment  elle  les  chaifa  tous  trois , 
&  leva  elle-mêiiie  une  Boutique  bien 
fournie  de  toutes  fortes  de  beaumes  & 
onguens,  tous  bons  &  véritables,  com- 
pofez  par  des  Médecins  &  des  Apothi- 
caires établis  par  elle-même,  &  qui  en 
avoient  dérobé  les  recept^s-  dans  les 
Livres  de  Pie-rre ,  de  Martii^&  de  Jean. 
Comment ,  poiu*  mieux  débiter  ce  P/?/- 
pomrl  de  remèdes,  elle  défendit  la  v^n- 
tç  de  ceux  des  trois  Frères ,  fur-tout 
de  Pierre  ,  des  inventions  duquel  elle 
avoit  le  plus  profité.  Comment  Dame 
Elife,  pour  mieux  affermir  fon  nouvel 
établilTem.ent  ,  imitant  fagement  fon. 
Père ,  dégrada  Pierre  de  fon  prétendu 
Droit  d'Aineffe,  &  fe  fit  reconnoitre 
elle-même  pour  Chef  de  la  Famille, 
Comment  elle  ne  laiffa  pas  pour  cela  de 
porter  le  beau  Bonnet  de  fon  Père ,  avec 
la,  ùelle  *y^igrctîe ,  qu'il  avoit  reçue  de 
Pierre  y  pour  avoir  combatu  pour  lui; 
en  quoi  elle  a  été  imitée  par  fesSuccef^ 

Torîie  L  L  feiirs 


241        L  E    C  O  N  T  E 

feurs ,  quoi  qu'Ennemis  jurez  de  Pierre , 
iSc  de  fes  Parti  (ans.  Comment  Dame 
Elife  ,  &  fes  Médecins,  informez  du 
mauvais  eiret  de  plufieurs  de  leurs  re- 
mèdes 5  refolurent  de  réformer  leur  bou- 
tique, &  de  la  purger  d'une  quantité  de 
TÎleriies,  &  d'onguenspernicieux,com- 
pofez  d'après  les  receptes  de  Pierre,  & 
comme  elle  en  fut  empêchée  par  la  mort. 

Comment  la  Paroîfie  tomba  en  par- 
tage au  Seigneur  d'un  petit  Village 
dans  le.  Nord  * ,  qui  prétendit  en  faire 
mieux  ^^^^tâJF  J^s  revenus  qu'un  autre , 
quoi  qu-'i^iR  à  peiîïe -Capable  de-bied 
;3.dminiil"rer Ton  pauvre  petit  Patrimoine. 
Commuent  ce  nouveau  Seigneur,  pour 
montrer  fon  adreile&  fa  valeur,  fe  ba- 
nt contre  des  Enchantenrs ,  deS  Géants, 
&des  Aloulins-h-vent,  &fe  vanta  fort 
de  fes  victoires,  quoique,  fans  le 
moindre  danger ,  il  fui  fouvent  fu;et  à  in- 
lùlter  h  doublure  de  fon  haut  de  chauiTef. 

Comment  fon  SuccefTeur  §  ne  fut  pas 
plus  fage  que  lui  ,  &  caufa  de  grands 
defoi*dres ,  par  les-nouvelles  coutumes , 
q"u'iK''cmîoit  introduire  parmi  fes  fujets: 

•    corn- 

*  Jajties  Premier. 

f  II  a  toujours  pfiflcpour  un  Prince  foiblc>  & 
Icuveroinement  poîtrcn. 
$  CkAr!es  Premier. 


DU    TONNEAU.     245 

comment  il  entreprit  d'établir,  dans  le 
Village  du  N'jrd^  une  Boutique  d'Apo- 
thicaire femblabk  à  celle  ,  qui  avoit  la 
vogue  dans  \^Paroi[ie  au  Suà\  oc  com» 
ment  il  y  échoua,  àcaufè  qu'on  y  avoit 
beaucoup  de  Foi  poiu*  les  drogues  de 
Jean. 

L'Auteur  fe  trouve embarafTé  ici,  pour 
avoir  fait  entrer  dans  fbn  Hiftoire  une 
Secle  différente  des  trois  dont  il  avoit 
refolu  de  parler  \  ce  qui  eil:  fort  con- 
traire à  fon  refpecl  inviolable  pour  le 
nombre  trots,  pour  remédier  à  cet  in- 
convenient, il  prend  le  parti  de  neplus 
parler  de  la  Boutique  de  Martin^  &  de 
mettre  celle  de  Madam.e  Elife  h  la  pla- 
ce; avertifTint  le  Lecleur,  que  défor- 
mais ,  par  les  Partifans  de  Martin  ,  il  faut 
entendre  la  nouvelle  Secle  fondée  par 
kdite  Dame.  Ce  point  important  étant 
duèment  éclairci ,  il  reprend  le  fil  de 
fon  Hiftoire  ,  (Se  nous  décrit  les  gran- 
des querelles  &  batailles  de  Jmn  & 
de  Martin  ,  dont  tantôt  lun  avoit  le 
defiiis,  &  tantôt  l'autre ,  à  la  grande  dé- 
flation de  la  Paroifle  ;  &  comment 
ils  s'accordèrent  à  la  fin  à  faire  pendre 
le  fufdit  Seigjiem' ,  qui  prétendit  foufrii^ 
le  Martire  pour  Martin  ,  quoi  qu'il  eut 
L  2  été 


244        LE    CONTE 

été  infidelle   à  l'un  &  à  l'autre  Parti , 
ëc  fort  foupçonné  de  favorifer  Pierre. 

Abrégé  d^une  BigreJJiofi  fur  la  na- 
ture ^V  utilité  ^^  la  nécejjité  des 
Guerres  :,  £5?  des  Qiier elles. 

Cette  matière  étant  d'une  grande  im- 
portance, l'Auteur,  refoludela  traiter, 
d'une  manière  étendue,dans  un  Ouvra- 
ge à  part  ,  fe  contente  ici  d'en  donner 
quelques  idées. 

L'état  de  Guerre  efl  naturel  à  tous 
les  Animaux;  &  la  Guerre  n'efl  autre 
chofe,  que  le  deflein  de  prendre,  par 
force,  ce  que  d'autres  ont,  &  que  nous 
voudrions  avoir.  Chaque  homme ,  plei- 
nement convaincu  de  Ion  mérite ,  &  ne 
le  voïant  pas  aiTezconfideré des  autres, 
a  un  droit  naturel  de  leur  aracher  tout 
ce  dont  il  fe  croit  plus  digne  qu'eux  >& 
chaque  Animal,  croïant  fes  befoins  les 
plus  grands,  ell  autorifé  par  la  nature  à 
s'approprier  tout  ce  qu'il  croit  propre  à 
y  fatis faire. 

Les  E:utes  font  plus  modefles  dans 
leurs  prétenfions  à  cet  égard;  que  les 
Hommes;  &  le  vulgaire  l' ell  d'avanta- 


gé 


DU    TONNEAU.     24; 

ge,  que  les  gens  de  diflinction.  Plus 
un  homme  étend  ces  fortes  de  préten- 
tions, plus  il  fait  de  fracas  dans  le  mon- 
de ^  plus  il  a  de  fuccès  ,  &  plus  il  mé- 
rite le  titre  de  Héros.  Les  âmes  .les 
plus  grandes,  qui  font  de  la  fuperiorité 
de  leur  mérite  la  mcfare  de  leurs  befoins, 
ont  un  droit  abfolu  de  prendre  chez  le 
Peuple  tout  ce  qui  leur  manque:  c'eft- 
là  la  baze  de  la  Grandeur,  Ôc  de  l'Ilé- 
roïfme,  comme  auili  de  leurs  differens 
dégrez.  La  guerre,  par  confequent,  ell 
néceilaire,  pourétabhr  la  fubordination 
parmi  les  hommes  y  pour  fonder  les 
Villes ,  les  Etats ,  &  les  Empires  ;  & 
pour  purger  les  Corps  Politiques  des 
humeurs  fuperflues.  Les  Princes  fages 
ont  toujours  foin  de  nourrir  les  Guerres 
en  dehors  ,  pour  avoir  la  Paix  en  de- 
dans.- La  Guerre  ^h  Fami/'ie  y&,  hPe/fe^ 
font  les  remèdes  ordinaires  de  la  cor- 
ruption ,  que  l'Abondance  caufe  dans 
hs  Corps  Politiques,  L'Auteur  promet 
un  Panagyrique  formel  de  chacune  des 
trois.  La  plus  grande  partie  du  Genre- 
humain  aime  mieux  la  Guerre  que  la 
Paix  -,  ceil-  là  f inclination  générale 
des  hommes  :  &  ceux  ,  qui  n'ont  pas 
le  pouvoir  ,  ou  le  courage  ,  de  faire 
L  5  la 


2^6        L  E    C  O  N  T  E 

la  Guerre  eux-mêmes ,  paient  des  gen&, 
afin  de  la  faire  pour  eux.  Voilà  ce  qui 
entretient  dans  le  Monde  'les  Breteurs, 
les  Braves ,  les  AlTailms  de  profeiïïon , 
les  Avocats,  &]es  Guerriers.  La  plus 
grande  partie  des  Metiers  ieroit  inutile, 
■  dans  une  Paix  perpétuelle.  De-là  vient 
que  parmi  les  Brutes ,  il  n'y  a-  ni  For- 
gerons ,  ni  Procureurs ,  ni  Ingénieurs , 
ni  Magiftrats  ,  ni  Chirugiens.  Les 
Brutes,  aiant  des  dellrs  fort  bornez,  font 
incapables  de  perpétuer  la  Guerre  con« 
tre  leurs  propres efpeces,  &  déformer 
des  Armxées  pour  les  détruire.  Ces  pré- 
rogatives apartiennent  àTHommefeuL 
L'Excellence  de  la  Nature  humaine 
éçlaççe  dans  la  multitude  des  defirs,  des 
paillons,  &  desbefoins,  dont  nous  fom- 
mes  environnez.  L'Auteur  le  propofe 
de  traiter  ce  fujet  plus  au  long  dans  Ion 
Panégyrique  du  Genre-Humahi. 

Suite  du  Sommaire  de  VHifloire    " 
de  Martin, 

Comment  ^can ,  aiant  mis  à  la  pla- 
cé du  Fie ux'  Seigneur  un  de  Çqs  intimes 
Amis  *  5  fe  querella  de  nouveau  avec 

*  Cromwel. 


DU    TONNEAU.     247 

Martin,  le  chalTa  de  la  Paroiile  ,  pilla 
fa  Bcutique,^  la  ruina  de  fond  en  com- 
ble. Comment  le  nouveau  Seigneur 
lit  du  pis  qu'il  pouvoir ,  roua  Pierre  de 
coups  ,hourpiIla  Mavtin,  &  fit  trembler 
tout  le  -vcifinage.  Comment  les  Amis  de 
Jean  fe  diviferent  en  mille  partis ,  mirent 
tout  fens-deiHis-delfcus  ,  &  fe  rendi- 
rent inlupportabîcs  à  tout  le  monde.- 
Comment  ce  Sei^j^e^ir  impétueux  étant 
venu,  a  mourir  ,  Jean  fut  chaiTé  de  la 
Paroiffe,  à  grands  coups  de  pied,  pas 
le  nouveau  Seigneiu*  *  ,  qui  rétablie 
Martin  ,  &  lui  lailTa  faire  tout  ce  qu  il 
vouloit.  Commuent  Martin,  en  récom- 
penfe,  refolut  de  fe  conformer  en  tout 
aux  defirsde  ce  bon  Seigneur,  pourvu 
que  Jean  fût  tenu  bas.  Diffère n s  elf or ts 
de  Jca'/î,  pour  relever  latéteym.ais  tous 
fans  fuccès,  jufquàce  qu^après  la  morn 
dudit  Seigneiu' .,  la  Paroiffe  tomba  en- 
tre les  miains  d'un  grand  Ami  de  Pier- 
re +  ,  qui,  pour  humilier  M-^r/i/i, traita 
Jean  avec  allez  de  douceur.  Commuent 
3Iartin,  enragé  de  cette  Irmovation^  in- 

tro- 

♦  Charles  II. 
f  Jaques  II, 


248        LE    CONTÉ 

jLroduifit  dans  l'Héritage  un  Etranger  =^, 
aidé  par  Jean  ,   qui  haïiToit  mortelle- 
îTicnt  le  vieux  Seigneur  ,  à  caufe  de  ^ts 
iiaifons  étroites  avec  Pierre,  dans  les 
bras  duquel  ce  pauvre  exilé  trouva  bon 
de  fe  jetter.  Comment  le  nouveau  Sei- 
gneur rétablit  Martin  dans  la  pleine 
pofleiTion  de  Tes  droits  ,   fans  lui  per- 
•  mettre  pourtant  de  détruire  J^^^/,  qu'il 
avoit  toujours  aimé.     Comment  Jean 
s'acquit  dans  le  Nord  une  Province  en- 
tière, au  grand  déplaifir  àe Martin, qui, 
voïant  encore ,  que  dans  le  Sud  on  per- 
mettoit  aux  Amis  de  Jean  de  gagner 
pailiblem-ent  leur  vie  ,  fut  très-mécon- 
tent du  Seigneur  étranger  ,    qu'il  avoit 
apellé  à  fon  lecours.     Comment  ledit 
Seigneur  mit  ordre  à  la  conduite  de 
IMartin ,  qui,  de  rage,  tombant  dans  une 
fièvre  chaude  ,  jura  qu'il  fe  pendr oit , 
ou  qu'il  s'allieroit  avec  Pierre,  à  moins 
qu'on  ne  fit  mourir  de  faim  tous  les 
Adhérants  de  Jean.   Pîufieurs  projets , 
quon  fit  pour  guérir  Martin  ,  &  pour 
le  reconcilier  avec   Jean  ,  afin  de  \q.^ 
unir    enfemble   contre   Pierre-^   mais,  ' 
rendus  tous  infructueux,  par  certains 

Allais 
*  GulUaumc  IIL 


DU    TONNEAU.     24^ 

Amis  de  Pierre  ,  qui  fe  cachoient 
parmi  ceux  de  Martin  ,  &:  qui  pareil^ 
îbient  les  plus  zélez  pour  fcs  intérêts*^. 
Com^mënt  Martin ,  dansun.violent  aceès 
de  fa  lièvre,  s'étant  échapédeceux  qui 
le  gardoient  ,  parut  dans  les  rues  fi 
ièmblable  à  Pierre  dans  fon  air  ,  dans 
^QS  habits,  &  dans  fesdifcours,  queles 
voifins  avoient  de  la  peine  à  l'endiflin- 
guer  ;  fur-tout  lorfqu'il  fe  fut  couvert 
de  la  Cuiraiie  de  Pieri'e  ,  qu'il  avoic 
empruntée  pour  combattre  Jean.  Quels 
remèdes  on  emp.loïa  ,  pour  la  guerifon 
du  pauvre  Martin,  &c. 

NB.  Certawes  chofes  qui  fuïvrnt  ceci 
ne  fe  trouvent  pas  dans  le  Mann  fer  it ,  £5* 
femhîent  a'voir  été  écrites  depuis  pour  rem- 
plir kl  place  de  ce  qu'ion  ne  tropsua  pas  à 
propos  de  faire  imprimer  alors. 

Remarque  du  Traducleiir. 

Pour  moi  ^  je  crois  plutôt ,  que  VAhrcgé 

que 

*  Il  arrive  aiTcz  fouvent,  que  des  Prêtres  Pa- 
piftcs,  &fur-tout  des  Jeluites ,  fc  mcicnt  parmi 
le  Cierge'  Anglican  ;  &  que  ,  faifant  profclTion  de 
k  Religion  Protcftante ,  ils  ne  nejrligent  n«i>^ 
pour  fapp^r  fburdemeiit  l'Etat  «Se  l'Églile» 

^  S 


2^0        L  E    C  O  N  T  E 

^  que  mus  I'eKons  de  'voir  efl  un  entrait  en 
Tair  ;  fe^  qu-e  Tjluteur  du  rjfie  de  rOwvra- 
gs  rH o/jamais  fait  un  D ifcours  ^  dent  ce  que 
nous  lenons  de  voir  puij/e  être  le  Sommai- 
re. L'Editeur  A'nglois  place  ce  prétendu 
Difcours  après  la  S.cîicn  9.  ^  le  poujje 
julqu'au  tems  du  Roi  Guillaume,  Cepen- 
dant^ dans  la  Section  cnziéine  ^  C Hiftoire 
ri  eft  étendue  que  jufques  au  Rogne  de  Ja- 
ques Second. 

On  dira  peut-être .  que  deft  prccifemcnt 
eette'  Sediion ,  qtic  la  petite  Note  de  VEdir 
teur  Anglois  a  en  vue ,  .  iy  que  par  ccnfe- 
quent  elle  ne  [e  trouve  point  dans  le  Ma- 
nufcript  ^  mais ,  cette  Objeclien  fer  oit  des 
plus  frivoles  ,  puifquil  eft  aifé  de  remar- 
quer ,  que  c^ft  par-tcut  le  même  ftile.,  k 
même  tour  d'efprit ,  la  mê?ne  invention , 
qui  brille  dans  tout  le  rejte  de  ÏQu- 
vrage. 

Il  n'en  eft  pas  d^  même  ,  à  mon  avis ,  du 
Sommaire.  Il  y  a  de  ïejprit  infiniment  5 
mais  5  ce  n  eft  pas  la  même  forte  d'efprit  fi 
particulier  à  ï Auteur  du  Conte.  LAI-- 
îegorie  yiy  efi  pas  par-tout  également  bien 
foutenuê  ,  13  elle  eft  de  beaucoup  trop  dé- 
veloppe pour  répondre  à  tout  le  refte.  Tou- 
tes les  Revolutions^  que  la  Religion  a  ejfuiées 
tn  Angleterre  ,  y ^aroijfent fi  clairement^ 

^uil 


DU    TONNEAU,    ifi 

quil  Juffit  d'avoir  une  légère  idée  de  THf- 
to'ire  ^pour  'ft*  y  trouver  rien  d' Enigmatique  ; 
ce  qui  eft  fort  éloigné  du  tour  ,  qui  'règne 
généralement  dans  le  refie  de  r Ouvrage. 
Pour  ce  qui  regarde  la  juftcjfe  de  T  Allé- 
gorie ,  je  crois  que  tout  le  Public  verra 
avec  moi ,  que  tous  les  trouJjlcs  ,  £5?  les 
changcmens  ,  qui  font  arrivez  dans  la, 
Grande-Bretagne  far  raporî  à  la  Religior^ 
ne  font  gueres  appliquables  à  une  fimpk 
ParoiiTe,  bien  moins  encore  à  ////^f  Ferme, 
ou  Métairie  3  car  ^c' eft  l'idée  dont  on  s  eft 
fervi  dans  /'Abrégé  Anglois.  Auffï,  F  Au- 
teur de  cette  Piece  s'y  trouve-î-il  trop  fer- 
ré 'y  il  en  fort  plus  d'une  fois  ,  f^  entre 
autres  Jorfqii  il  parle  aune  Province  entie^^e 
dans  le  Nord ,  dont  Jean  s' et  oit  7ms  en 
pojjeffon.  Il  dépeint  k  Corps  de  Do5îrt-.e- 
de  chacundes  Frères  ^  fous  l  Emblème  £ un^ 
Boutique  cï Apothicaire \  mais  cet  P^'mblê' 
me  eft  trop  bor'né  :  il  71  y  refte  pas  ,  parce 
quil  n'y  f dur  oit  rcfter ,  fans  donner  vifible  - 
ment  la  torture  à  fa  matière  ,  fjf  à  fori 
efprit.  Ce  que  f  en  dis  n'' eft  pas  pour  rien 
àter  au  mérite  de  cet  Extrait,  je  le  trou* 
ve plein  de  feu  ,  i^  de  fine pfaifanterie^ 
£5?  je  crois  que  le  Public  doit  [avoir  gré  à 
V  Editeur  Anglois  de  le  lui  avoir  com'mu- 
i»qué  ,  ij  à  moi  de  lavoir  traduit,  j 'y 
h  6  "  ai 


zfz         L  E    C  O  N  T  E 

^d  laiffé  le  même  tour ,  qu'il  a  dans  fa 
Langue  originale ,  i^  je  fiai  pas  craint  de 
devenir  ennukux  par  rumformité  des 
Périodes  ,  ([ui  commencent  prefque  toutes 
pur  Comment  &c. 

//  s'agit  ici  d'une  efpece  de  Roman  >  £5? 
ceux ,  qui  auront  lu  les  Rolans ,  £5?  les 
Am.adis,  fe  fouviendront  fa?îs  doute  ^  que 
les  Som^maires,  qui  pré  cèdent  chaque  Livre 
de  ces  merveilleux  Ouvrages  ,  Jont  écrits 
dans  le  même  gout  :  Com.me  Lafcaris 
combatk  le  Dragon  du  Lac,  &c.  Com- 
me le  Damoifel  de  l'ardente  Epée  défit 
en  combat  fingiilier  ,  &c.  Comme  le 
Soudan  Zair  &  Tlnfante  Abra  fa  Sœur 
le  firent  chrêtienner,  &c. 

J'avois  même  quelque  démangeai/on  de 
-traduire  ce  Sommaire  en  Gaulois  ,  pour 
le  relever  davantage  par  le  gout  de  ce 
vieux  ftile  Rom.anejque  j  mais ,  je  ri  ai  pas 
tfé  le  bazarder^  parce  que  ce  langage  riefl. 
pas  conforme  à  celui  que  j'ai  employé  dam 
k  rejîc  de  jna  "Traduction, 


^vSP 


SEC- 


DU    TONNEAU,      zfi 

SECTION     X 

Compliment    de    rAutettr    au 
Public. 

ON  trouve  une  preuve  inconteftable 
de  la  politelTe  de  notre  âge,  dans 
le  commerce  de  civilité  ,  qui  fe  fait 
depuis  quelques  années  ,  entre  les 
Auteurs ,  &  le  Public.  On  ne  voit  plus 
une  pièce  de  Théâtre ,  une  brochure ,  un 
petit  Poëmejparoitre  dans  le  monde,fans 
une  Préface  pleine  de  reconnoiiTance 
pour  TAplaudiiTement  general ,  avec 
lequel  F  Ouvrage  a  été  reçu.  Par  qui, 
quand ^  ou  de  quelle  ynanïere?  c'efllebon 
Dieufeul  qui  le  fait.  Suivant  un  exemple 
fi  digne  d'être  imité  ,  je  rends  ici  de 
très-humbles  Graces  àSaMajefté,  aux 
deux  Chambres  du  Parlement  ,  aux 
Seigneurs  du  Confeil privé,  aux  véné- 
rables Juges,  à  laNoblefle,  au  Clergé, 
&  au  tiers  Etat  de  ce  Roïaume  ,  vS: 
fpecialement  à  mes  très  dignes  Frères 
du  Caffé  de  Guillaume^  du  Collège  de  Gres^ 
ham  5  de  la  Société  de  JVar--jjic'lane  ,  de 
MoQrsficldSy  de  Scoîland-yard^  de  Guild  * 
h  7       .    ,      baU 


1S4         L  E    C  O  N  T  E 

hal^  y  de  la  Sale  deWefimunfter  ^,  en 
un  mot  à  tous  les  Habitans  de  la  Gran- 
de-Bretagne ,  qui  fe  trouvent  à  la  Cour, 
àFEglife,  à  l'Armée,  à  la  Campagne, 
&  dans  la  Ville  \  je  les  remercie  très- 
humblement  ,dis-je,  du  favorable  Ac- 
cueil ,  qu'ils  ont  fait  à  ce  divin  Traité.  Je 
les  aflure  ,  que  leur  aprobaticn ,  &  la 
bonne  opinion ,  qu'il  leur  a  plu  de  con- 
cevoir de  mes  petits  talens,  me  touche 
de  la  manière  la  plus  fenfible  ;  &  que  je 
fuis  prêt  à  me  fervir  de  toutes  les  Fa- 
cultez  de  mon  amCjpcur  leur  faire  voir 
dans  Toccafion  ,  que  fingratitude  n'eft 
pas  mon  vice. 

Que  je  fuis  heureux  encore  de  faire 
briller  mon  Génie,  dans  unfiécle  fi fa- 
meux pour  la  félicité  que  fe  procurent 
mutuellement  les  Auteurs  &  les  Librai- 
res, qui  font  à  riieurequ'ileftles  feules 
perfonnes  dans  la.  Grande-Bretagne  qui 
foient  contente»  de  leur  fort.  Dem.an- 
dez  à  un  Auteur  ,  comment  a  reiifli 
fon  dernier  Ouvrage  •  il  dira  que ,  graces 
à  Jon  étoile ,  le  Public  l'a  traité  a(jez  fa'uo^ 
rahkment  ,  £5?  qtCil  ri  a  pas  la  moindre 
rai  fon  de  regretter fes 'peines  :  (y^  cependant^ 

cefl 

*  Aïïemblécs  diiTcrcntes  de  Savans  ,  &  de 
Seaux-Eiprits, 


DU  TONNEAU,      isf 

ce  fi  un  Ouvrage ,  qiCïl  a  expédié  dans  une 
feule  [emaine^  a  batons  rompus  ^  dans  cer^ 
tains  q^uart -d'heur es ,  qu'il  a  pu  dérober  à 
fes  occupations  prejfantes.  Vous  décou- 
vrirez la  même  fatisfaclion  dans  la  Pré- 
face^ &,  fi  vous  voulez  favoir,  jufquà 
quel  point  elle  ell  fmcere ,  vous  n'avez 
qu'à  vous  en  rapporter  au  témoignage 
autentique  de  celui  qui  a  imprimé  cet 
heureux  Ouvrage.  Graces  à  Dieu^  di- 
ra-t-il ,  la  Pièce  eft  généralement  goûtée  : 
fen  fais  déjà  une  nouvelle  Edition  \  i^  je 
nen  ai  plus  que  trois  Exemplaires  dans  met 
Boutique. 

Si  vous  voulez  rabatre  quelque  chofc 
du  prix,  il  vous  dira  généreufement 
quiJ  n'y  regarde  pas  défi  près,  dans  l'ei^ 
perance  d'avoir  une  autrefois  votre  pra- 
tique; (S:,  enmêmetems,  il  vous  prie 
de  dixe  à  vos  Amis  ,  qu'il  leur  donne- 
ra la  pièce  en  queftion  pour  le  même 
argent. 

Je  croi ,  qu'on  n'a  pas  examiné  avec 
aflez  d'attention,  à  quelles  caufes,  &à 
quels  accidens,  le  monde  efl  redevable 
de  la  plus  grande  partie  de  ces  illultres 
Ouvrages ,  qui ,  pour  le  divertir ,  partent 
de  la  prelîe  à  chaque  heure  du  jour. 
Amon  avis ,  ce  qui  les  eucoui'age  à  s'ex- 

poler 


t$6        LE    CONTE 

pofer  à  la  lumière  ,  c'efl  un  jour  plw 
vieux  ,  le  lendemain  d'une  débauche  ,    un 
accès  d'affe^ion  Hypocondriaque ,  un  cours 
de  Médecine^  un  Dimanche  oii  Von  ne  fait 
que  faire ,  un  malheureux  coup  de  dez ,  un 
compte  peu  laconique  du  tailleur^  une  bourfe 
l'uide^  une  tête  chargée  de  vapeurs  fac-- 
tieufes ,  une  chaleur  exceffive  ,  un  ventre 
conftipé ,  la  difette  de  bons  livres  ,   £5?  tm 
jufte  mépris  du  javoir  ;  en  un  mot ,  tout 
accident  de  la  vie,  qui  porte  l'homme 
à  fe  diflraire ,  ou  à  fe  tirer  de  l'ennui*, 
fens.  Ibrtir  de  l'indolence.     Sans  ces 
raifons ,  &  d'autres  trop  longues  à  dé- 
duire ici  5   on  verroit  le  nombre  des 
Auteurs,  &  des  Ouvrages,  diminuer 
t-ellement,  que  la  chofe  feroit  pitoïable 
h  voir.     Si  vous  voulez  favoir  uue  au- 
tre raifon  de  la  multitude  de  ces  fortes 
de  Produ6tions  ,  écoutez  avec  atten- 
tion les  paroles  du  fameux  Philofophe 
troglodyte. 

Il  eft  démontré  ^  dit-il ,  quil  y  a  ccr^ 
tains  grains  de  folie  ,  qui  femhlent  entrer 
dans  la  compofition  de  la  Nature  humaine^ 
Nous  ne  forâmes  pas  les  maîtres  de  nous  en 
défaire  :  nous  ri  avons  que  le  choix  de  les 
garder  au  dedans  de  nous ,  ou  de  les  étaler 
au  dehors -^  -^  il  eft  facile  de  comprendre. 

à 


DU    TONNEAU,     ifj 

à  quel  parti  ce  choix  fe  détermine  cV or- 
dinaire ,  quanà  on  foyige  que  les  facultez  de^ 
notre  efprit  rejjhnblo-it  aux  liqueurs ,  dont 
ks  plus  légères  s'élèvent  toujours  au-dejjus 
des  autres. 

Il  y  a  dans  notre  Ile  fameufe  un  pi- 
toïabîe  petit  Auteur  ,  ennemi  juré  du 
Stile  Laconique.  Je  m'aiîure  que  fou 
impertinent  Caraàere  doit  être  alTez 
connu  du  Lecteur  :  \\  fe  mêle  d'une 
pernicieufe  forte  d'Ouvrages  intitulez 
fécondes  parties  y  &  il  prend  d'ordinaire 
Je  nom  des  Auteurs  des  preynicres.  Je 
prévois,  que, dès  que  j'aurai  mis  bas  la 
plume,  ce  Compagnon  alerte  s'en  faiii- 
ra;  &  qu'il  me  traitera  aufîi  inhumai- 
nement, qu'il  a  déjà  traité  le  Doéku)^ 
Blackmore  ^  le  Sieur  FEftrange^  &  d'au-» 
très ,  qu'il  ell  inutile  de  nommer  ici. 

Cette  juile  crainte  me  fait  déjà  avoir 
recours  par  avance  à  cet  Amateur  du 
Genre-humain,  ce  grand  Redrelîeur  des 
Torts ,  le  Docîcur  Bentley.  Je  le  prie  de 
couvrir  mon  Traité  fous  les  ailes  de  fa 
Charité  Moderne \  &,s'il  arrive  par  ha- 
sard ,  que,  pour  mes  péchez,  la  peau 
d'un  Ane  me  foit  apphquée  fur  le  dos,  en 
guife  ào,  féconde  partie  ^  je  le  conjure  de 
m'en  décharger  à  la  face  de  tout  le. 

mon- 


2f  8        LE    CO  N  T  E 

monde  ,  &  de  la  garder  chez  lui,  juf- 
qu'à  ce  que  la  veritable  bete  trouve  à 
propos  de  la  reclamer. 

Cependant ,  afin  que  le  fufdit  animal 
ne  fe  liatte  pas  de  trouver  bientôt  occa- 
fion  de  me  jouer  ce  tour  ,  j'avertis  le 
Public ,  que  j'ai  réfolu  de  prodiguer  dans 
le  prêtent  Ouvrage  tous  les  matériaux 
que  j'ai  préparez  depuis  un  grand  nom- 
bre d'années.  Je  n'en  ferai  pas  h  deux 
fois:  puifquema  veine  eft  ouverte,  je 
fuis  d'iiumeur  à  répuifer  tout  de  fuite 
en  faveur  de  ma  chère  Patrie,  &  pour 
le  bien  de  toute  la  Société  humaine. 
Mes  conv'ives  font  nombreux  ,  &  je 
veux,  comme  un  bon  Hôte,  mettre  tout 
par  écuelles,  fans  me  foncier  de  mettre 
les  relies  dans  le  garde-manger  :  ce  qu'ils 
lailTeront  dans  les  plats  fera  pour  les  pau- 
vres ;  permis  aux  chiens,  qui  fe  trouve- 
ront fous  la  table ,  de  ronger  les  os.  Je 
trouve  cette  manière  d'agir  plus  noble, 
que  de  donner  mal  au  cœur  à  la  Com- 
pagnie ,  en  la  priant  de  revenir  le  len- 
demain manger  les  bribes. 

Si  le  Lecteur  veut  bien  confiderer  at- 
tentivement la  force  de  ce  que  j'ai  dit 
dans  ma  Seclion  qui  rou](î  fur  V Extra- 
vagance^  je  fuis  fur  qu'il  fentira  une  ré- 

vo- 


DU    TONNEAU,     i^p 

volution  extraordinaire  dans  Tes  idées, 
&  dans  fes  opinions  -,  &  qu  il  en  fera 
infiniment  plus  propre  à  goûter  le  plai- 
flr,  que  le  relie  de  cet  Ouvrage  eil  ca- 
pable de  lui  donner. 

On  peut  partager  tous  les  Leéleurs 
en  t  rois  Cî  aile  s .  1  i  y  en  a  de  fuperficieîs , 
(f  idiots ,  &:  de  far-ayis.  Le  Lecîeur  fu^ 
;perficiel^  en  parcourant  ce  Livre,  fera  fort 
porté  à  faire  de  grands  éclats  de  rire. 
Rien  de  plus  excellent,  pour  donner  de 
la  liberté  à  la  poitrine  ,  &  aux  pou- 
mons :  c'ell  d'ailleurs  le  plus  innocent 
de  tous  les  Diurétiques  ,  &  un  remède 
fouverain  contre  tous  les  maux ,  qui  ont 
leur  fource  dans  la  ratte.  Le  Lecfeur  igno- 
rant ,  entre  lequel  &  le  premier  ,  la 
difference  efl  fi  délicate,  fe fendra  dii- 
pofé  à  chaque  période  à  ouvrir  de  grands 
yeux.  Ceil  un  remède  admirable  pour 
diiTiper  les  mauvaifes  humeurs ,  qui  tom- 
bent fur  foeil  :  il'donne  de  la  vigueur 
6c  de  la  vivacité  aux  efprits  animaux ,  de 
contribue  merveilleufement  à  la  tranf- 
piration. 

Quant  au  Lecîeur  f  avant  ,  pour  quî 
particulièrement  je  veille  lorfque  les 
autres  dorment ,  &  je  dors  quand  les 
autres  font  éveillez ,  il  trouvera  ici  des 

ma- 


i^o         LE    COxNTE 

matières  fuffifantes,  pour  occuper  toutes 
fes  fpeculations  pendant  le  refte  de  la 
vie.  Ce  feroit  une  chofe  fort  fouhaitable 
pour  l'utilité  publique ,  que  chaque  Sou- 
verain voulût  bien  choilirdans  tous  fes 
Etats  fept  des  plus  profonds  Sa'vans ,  & 
qu  il  les  fit  enfermer  pendant  fept  anSj 
d^ns  fept  différentes  Ch ambre s\  avec  or- 
dre de  ïdSxQfept  amples  Commentaires  fur 
cet  Ouvrage  miflerieux.  J'ôfe  foutenir, 
que,  quelque  différentes  que  puifTent  ê- 
tre  leurs  conjedtures,  elles  pourront  être 
toutes  déduites  du  texte  évidemment, 
&  fans  tordre  en  aucune  manière  la  fi- 
gnification  ordmaire  des  termes.  Je  de- 
fire  ardemment,  que, s'il  plait  à  Leurs 
Majeilez  ,  on  commence  au  pliitôt 
l'exécution  d'un  projet  ^i  utile  ;  parce 
que  je  ferois  chanPxé  de  jouir,  avant 
que  de  quitter  ce  monde,  d'un  bon- 
heur ,  où  nous  ne  faurions  atteindre 
d'ordinaire,  nous  autres  Ecrivans  my- 
ftiques ,  avant  que  d'etre  couchez  dans 
le  tombeau. 

Laraifon  en  efl  peut-être ,  que  la  Re- 
nommée eft  un  fruit  enté  fur  le  Corps 
humain,  &  qu'il  ne  fauroit  croitre ,  bien 
loin  de  parvenir  à  maturité ,  avant  que 
le  tronc  foit  mis  en  terre.  Peut-être. 

ell- 


DU   TONNEAU.       i6i 

-  cft-ce  un  oifeaii  de  proie ,  qui  ne  fuit  que 
Todeur  des  cadavres.  Peut-être  encore 
s'imagine- 1- elle  ,  que  fa  trompette  ne 
donne  jamais  un  Ton  plus  fort ,  &  plus 
propre  à  fe  répandre  par -tout  ,  que 
quand  il  part  de  Félevation  d'une  z^//;?^^^ 
&  qu'il  efl  fécondé  par  les  Echos  d'une 
voûte  étendue. 

Il  efl  certain  que  tous  les  Auteurs 
obfcurs ,  depuis  qu'ils  fe  font  avifez  de 
l'expédient  merveilleux  de  mourir,  ont 
été  extraordinairement  heureux ,  dans 
la  .variété ,  auiïi  bien  que  dans  retendue  , 
de  leur  réputation.  Comme  la  Nuit  efl 
la  Mere  de  toutes  les  chofes  ,  les  plus 
fages  Philofophes  eftiment  tous  les  Li- 
vres féconds  en  merveilles ,  à  proportion 
de  leur  obfcurité >  &5pour  cette  raifon , 
les  adeptes^  les  ^Tûis  illuminez  ,  c'eft-à- 
dire  les  plus  obfcurs  de  tous ,  fe  font  at- 
tiré des  Commentateurs  fans  nombre, 
qui, comme  habiles  ^accoucheurs  Scolal^ 
tiques,  les  ont  ^<?7/V^z  d'un  grand  nom- 
bre de  fens  differens  ,  que  les  Auteurs 
eux-mêmes  n'avoient  jamais  eu  garde 
de  concevoir.  Cela  n'empêche  pas  qu'il 
nefoitjufte  de  les  mettre  fur  leur  comp- 
te ;  car ,  les  expreïTions  de  pareils  Ecri- 
vains font  comme  la  femence ,  qu'on 

ré- 


t6i  LE    C  O  NTE 

répand  h  tout  hazard  ,  &  qui ,  rencon- 
trant un  terroir  fertile  ,  produit  une 
vafte  moiflbn  ,  où  le  femeur  lui-même 
ne  fe  feroit  jamais  attendu. 

Aïant  bien  pefé  toutes  ces  confidera- 
tions  5  je  crois  utile  d'établir  ici  cer- 
taines Règles  5  qui  pourront  être  d'un 
grand  iècours  aux  efpritsfublimes,  qu'on 
choifira  pour  faire  un  Commentaire  uni- 
verfel  de  ce  merveilleux  Ouvrage.  Ils 
fauront  d'abord  ,  que  j'ai  caché  un 
grand  myflere  dans  le  nombre  des  O  , 
quife  trouvent  dans  ce  Traité,  multi- 
pliez ^zxfept^  &  di  vifez  par  neuf.  De  cet- 
te manière  ^  fi  un  dévot  Frère  de  la  Ro- 
fe-Croix  *,  veut  bien  prier  ardemment, 
&  avec  une  foi  vive ,  pendant  foitsante 
&  trois  matinées ,  &  enfuite  tranipofer 
felon  les  règles  de  l'Art  certaines  Let- 
tres &  certaines  Syllabes,  dans  les  Sec- 
tions féconde  &  cinquième ,  il  peut 
être  perfuadé  qu'il  enrefultera  une  Re- 
cete  fonnelle  &  complete  du  grand 
œuvre.  De  plus ,  quiconque  voudra  fe 
donner  la  peine  de  calculer  exactement 
le  nombre  "de  fois  que  chaque  Lettre  fe 
trouve  dans  ce  Traité  5  avec  la  difference 

qu'il 
♦  Un  Adepte,  un  Partifan  du  grand  oeuvre* 


DU   TONNEAU.      k^j 

qu'il  y  a  entre  tous  ces  nombres;  &  de 
chercher  la  caufe  véritable  Ôc  naturelle 
de  chacune  de  ces  di;^erences\û  trouvera, 
dans  le  produit  ^  des  découvertes  ,  qui 
paieront  fès  peines  avec  ufure.  Qu'il 
foit  pourtant  averti  de  fe  précautionner 
contre  Bythus  ,  &  Si^é  ,  &  de  bien  re- 
tenir les  qualitez  d'Acamoth  *.  ^  cuju^ 
lacrymis  humecta  prodît  fuhftantia ,  à 
rifu  lucida^  à  trifihia  folida  ^  (y  à  timoré 
mohîUs,  C'eft  à  cet  égard  o^-i  Eugene 
Pilalethe  f  elt  tombé  dans  une  erreur 
impardonnable. 


*  Ce  fout  quelques  Expreffions  mîftsrieufee 
écs  Adaptes. 

f  11  a  fait  un  Livre  fur  cet  Art  merveilleux 
appelle  Anima  Ma^ica  ahfconàita. 


s  EG 


0 


z^4       LE     CONTE 

SECTION     XI. 

Continuation  du  Conte  du  Ton- 
neau, 

A  Près  m'étre  jette  dans  de  fi  valles 
détours ,  je  me  remets  dans  le  che- 
min 5  refolu  de  fuivre  déformais  mon 
fujet  pas  à  pas  ,  jufqu  à  la  fin  de  mon 
Voïage,  à  moins  que  quelque  agréable 
perlpe6live  ne  fe  prefenteà  m.avuë,  & 
ne  m'invite  à  l'examiner  de  plus  près. 
S'il  nvarriveun  pareil  accident,  où  juf- 
qu'ici  je  n'ai  pas  la  moindre  raifon  de 
m'attendre,  je  demande  à  mon  Lecleur 
par  avance  la  grace  de  voulour  bien 
m'accompagner  ,  &  de  me  permettre 
de  le  conduire  avec  moi  vers  tous  les 
objets ,  qui  me  paroitront  valoir  la  peine 
des'y  arrêter  pendant  quelques  momens. 
Il  en  eil  de  ceux  qui  écrivent ,  comme 
des  Voyageurs.  Si  un  homme  fe  hâte 
pour  revenir  chez  lui,  (ce  quin'efl  pas 
mon  cas,  car  je  ne  fuis  jamais  fi  defœu- 
vré  que  dans  ma  maiibn),  &fi  fon  che- 
val efi:  fatigué  par  la  longueur  du  voïa- 
ge ,   ou  par  de  mauvais  chemins  ,  ou 

parce 


DU    TONNEAU.      i6i 

parce  que  c'ell  une  mazette  ,  je  lui 
confeilledeHiivre  la  route  la  plus  cour- 
te &  la  plus  batue,  quelque  fale  qu'elle 
puiffe  être.  11  eil  vrai  qu'un  tel  hom- 
me eit  un  aflez  mauvais  Compagnon  de 
Voïage  :  à  chaque  pas ,  il  s'éclaboufTe 
lui-mcme  ,  &  fes  camarades.  Leurs 
penfées,  leurs  deiirs  ,  leurs  converfa- 
tions,  ne  roulent  que  fur  le  gite\  &,  à 
chaque  embaras,  à  chaque  tas  de  boue, 
à  chaque  fois  qu  un  des  chevaux  bron- 
che ,  ils  fe  donnent  mutuellement  à 
tous  les  Diables  du  meilleur  de  leur 
cœur. 

Mais,  quand  un  Voyageur  &  fon  Cour- 
fier  font  Tun  &  l'autre  gais  &  vigou- 
reux ,  quand  le  premier  à  la  bourfe 
pleine  ,  &  qu'il  a  le  jour  entier  à  fa 
difpofition ,  il  ne  choifit  que  les  che- 
mins les  plus  propres  &  les  plus  agréa- 
blés  ;  il  fait  des  contes  borgnes  à  fes 
compagnons,  &  les  amené  avec  lui  de 
quelque  côté  où  un  effet  agréable  de 
fart  ou  de  la  nature  ,  ou  de  tous  les 
deux ,  s'offre  à  fa  vue  :  s'ils  font  trop 
flupides ,  ou  trop  fatiguez ,  pour  le  fui- 
vre,  il  les  plante-là,  bien  fur  de  les  ra- 
traper  cà  la  Ville  la  plus  proche.  Dès 
qu'il  y  arrive  ,  il  y  paffe  au  grand  ga- 
l'ûme  L  M  lop, 


266        L  E    C  O  N  T  E 

lop  ,  tous  les  Habitans  ,  Homines  , 
Femmes ,  Poliflbns ,  fortent  pour  le 
voir.  Une  centaine  de  Chiens  aboient 
après  lui^  6i,s'û  en  favorife  les  plus  hardis 
d'un  coup  de  fouet,  c'ell  plutôt  par  di- 
vertiiîement,  que  par  vengeance  :  mais , 
û  quelque  Dogue  hargneux  l'approche 
de  trop  près  ,  un  coup  de  pied  acci- 
dentel du  courfier,  qui  par-là  ne  perd 
pas  un  pouce  de  terrain ,  Fenvoie  chez 
lui  boiteux ,  &  à  demi-mort.  L'appli- 
cation en  efl  aifée  à  faire ^. 

J'en  reviens  aux  Avantures  du  fameux 
Jea?!.  Les  Le6leurs  fe  fou  viendront 
fans  doute,  de  létat ,  &  des  diipofi- 
ticns,  où  je  l'ai  lailTé  à  la  fin  d'une  des 
précédentes  Sections.  Ils  n'ont  qu'à  ex- 
traire de  tout  ce  que  j'en  ai  dit  ci-dell 
fus  une  ^to^  d'idées,  propre  à  mettre 
leur  efprit  dans  la  fituation  néceflaire  , 
pour  goûter  ,  comme  il  faut ,  ce  qui 
va  fuivre. 

Non 

*  J*avoue  qxC'û  n'en  efl  pas  aind  à  mon  e'gard. 
Le  commencement  de  cette  DigrefTion  s'entend 
de  refte  :  mais ,  ce  Cavalier ,  qui  galoppc  par  la 
\'iile  5  qui  s'atrire  les  yeux  du  Peuple ,  &  l'a- 
fcoïement  des  Chiens ,  tout  cela  eft  un  miftèrc 
pour  moi  ;  Scfcn  laiiTe  l'explication  aux  adepte*^ 
OU  aux  Commentateurs  dç  profeflion« 


DU  TONNEAU,     i^j 

Non  feulement  Jean  avoit  afTez  bien 
ménagé  larévolution  arrivée  dans  fa  cer« 
veJle,  pour  devenir  Auteur  de  la  fa- 
îiieufe  Se6le  des  jEoliftes  \  mais ,  graces 
à  la  nouvelle  fécondité  ,  que  fa  folie 
donnoit  à  fon  imagination ,  il  avoit  con- 
çu encore  une  grande  quantité  d'idées, 
qui ,  quoi  qu'en  apai'ence  fans  rime  & 
fans  raifon ,  ne  laiiToient  pas  de  cacher 
certains  myfleres ,  &  de  s'attirer  des 
Partifans  zélez. 

J'en  raporterai  les  exemples  les  plus 
remarquables  que  j'ai  pu  ramafTer  ,  ou 
dans  une  tradition  inconteftablejOudans 
une  immenfé  leéture.  Je  les  décrirai 
avec  toute  la  fimp'licité  poilible ,  &  a- 
vec  toute  la  claité  dont  des  fujets  auiîî 
profonds  &  auffi  abftraits  peuvent  être 
fufceptibles.  Je  ne  doute  pas,  qu'ils  ne 
fourniflent  une  ample  &  noble  matiè- 
re à  tous  ceux ,  qui ,  dans  le  creufet  de 
leur  imagination,  favent  changer  les  rea- 
litez en  types ,  qui  ont  l'habileté  de 
former  des  ombres  fans  le  fecours  de 
la  lumière  ,  &  de  les  transformer  en 
fubilances  fans  en  être  redevables  à  la 
Philofophie;  en  un  mot,  à  ceux  qui 
poifedent  l'heureux  talent  d'attacher  à 
un  ï^m  clair  des  Emblèmes  5  &  des  Al- 
M  z  lego^ 


268        L  E    C  O  N  T  E 

îegories ,  &  de  metamorphofer  tout  ce 
qui  ell  littéral  &  fimple  en  figures  & 
en  myfteres. 

Jean  s'étoit  fourni  d'une  belle  copie 
du  Teftamenc  de  fon  Père,  écrite  fur  une 
grande  feuille  de  parchemi/i  ;  & ,  '  pour 
jouer  le  rolle  d'un  bon  Fils,  il  devint 
amoureux  à  la  folie  de  ce  parchemin 
relpeclable  *. 

Qiioi  que  le  Tefcament ,  comme  j'ai 
déjà  dit  plufieurs  fois  ,  ne  contint  que 
des  Règles  claires  &  aifées ,  touchant  la 
manière  de  porter, &  de  ménager,  les 
trois  Habits^  foutenues  &  fortifiées  par 
des  prom.efies  &  par  des  menaces,  le 
bon-homme  Jean  ie  mit  dans  Pefprit , 
qu'il  y  avoit  quelque  fens  profond  & 
obicur  ,  &  que ,  fous  cette  écorce  de 
fmiplicité  5  elles  cachoient  de  grands 
Myfleres  t-    Mejjlcurs  ^   difoit-il  à  fcs 

Dif- 

*  Il  y  a  un  bon  nombre  de  Dévots  fuperfti- 
tîeux,  cjui  ont  une  vénération  particulière  pour 
la  figure  extérieure  de  la  Bible  ,  à  l'imitation 
des  Mahometans  ,  qui  témoignent  le  plus  pro- 
fond refped  pour  leur  Alcoran. 

•j-  Il  eft  certain  ,  qu'il  y  a  des  Chrétiens  afTez 
fous,  pour  ne  trouver  rien  de  littéral  dans  la  Bi- 
ble 5  &  pour  chercher  des  Myfteres  dans  les  Ré- 
cits les  plus  fimples.  Tel  eft  un  ProfefTeur  fa- 
meux 


DU    TONNEAU.    ±69 

Difciples,  je  "jous  ferai  volr^  que  ce  me- 
me  -parchemin  ^  que  'vous  'voiez-là^  contient 
du  pain ,  du  vin  ,  £5?  des  habits  ;  que 
c'eft  la  Pierre  Philojuphale ,  iy  la  Ivîé^ 
decine  umverfelle,  Confequemment  à 
cette  fancaiiîe,  il  reiblut  de  s'en  fervir 
dans  les  plus  viles ,  auiTi  bien  que  dans 
les  plus  grandes  circonihmces  delà  vie. 
Il  avoic  trouvé  l'Art  de  le  changer  en 
toutes  fortes  de  figures.  Qj-iand  il  vou- 
loit  dormir ,  il  s'en  faifoit  un  bonnet  de 
nuit  j  &  quand  il  faifoit  de  la  pluie ,  il 
s'en  fervoit  en-guife  de  Parafol.  Il 
étoit  homme  à  en  mettre  un  petit  mor- 
ceau autour  d'un  orteuil  blefle  ;  &, 
quand  il  avoit  un  accès  de  vapeurs  ,  il 
s^en  faifoit  brûler  un  petit  brin  fous  le 

nez. 

méux  dans  nos  Provinces,  qui  a  fait  un  gros  Li- 
vre ,  pour  prouver  que  tous  les  Miracles  de  Jefus- 
Chrift  font  autant  de  Types.  D'autres  Extrava- 
gans  cherchent  dans  les  Livrée  facrez  la  Recèpte 
de  la  Pierre  Philofophale  ;  &  d'autres ,  moins  grof- 
fiers  dans  leur  Folie,  Me.  Dacier  par  exemple, 
les  regardent  comme  un  Traité  de  Rhétorique.  Il 
y  en  a  même,  qui  y  cherchent  leur  bonne  avan- 
ture  ,  en  confultantà  l'ouverture  du  Livre  le  pre- 
mier pafHige  ,  qui  s'offre  a  leurs  yeux,  de  la  mê- 
me manière  que  les  Païens  cherchcient  leur  fort 
futur  dans  Virgile,  Ce  qu'on  appelloit  Sortes  Vi;- 
giliana, 

M  3 


i-jo         LE    CONTE 

liez.  S'il  avoit  mal  à  reflomac,  il  eîî 
avaloit  autant  de  raclure ,  qu'il  en  pou- 
voit  tenir  fur  la  fuperficie  d'un  foL 
Tous  ces  remèdes  paflbient  chez  lui 
pour  infaillibles. 

Par  une  Analogie  exaelement  confor- 
me à  ces  rafinemens ,  tout  fon  Langage 
étoit  emprunté  du  Itile  du  Teflament: 
toute  fon  éloquence  étoit  renfermée  dans 
fes  bornes  ;  &  il  n'ofoit  pas  fe  lailTer 
échaper  une  fyllabe,  qui  ne  tirât  de-là 
fon  autorité  \. 

Un  jourjfe  trouvant  dans  une  maifon 
étrangère ,  preffé  d'une  certaine  necefli- 
té ,  fur  laquelle  il  n  efl  pas  néceffairede 
s'étendre,  &  ne  fe  reffouvenant  pas  avec 
aifez  de  promtitude  de  quelque  phraze 
fanclifiée,  pour  demander  le  chemin  d'un 
certain  petit  apartement  y  il  préfera  à 

f  Rien  au  monde  n'eft  plus  ridicule  que  l'af- 
fcftation  de  ce  jargon  dévot,  qui  exprime  les. 
çhofes  les  plus  ordinaires  de  la  vie  par  des  ter- 
mes empruntez  de  l'Ecriture  Sainte,  qui  certai- 
nement ne  nous  eft  pas  donnée  pour  cet  ufage- 
là.  D'ailleurs ,  il  n'y  a  aucune  bonté  réelle  ,  au- 
cune fainteté ,  dans  ces  exprcHTions.  C'eft  leur 
fens  ,  qui  eft  facré  &  utile.  11  s'enfuit  de-  là  , 
•que  la  profanation  n'eft  pas  tout- à-fait  aufti.coiîir- 
iRUne,  q^ue.l£  croiapt  \ss  bigots.. 


DU    TONNEAU.     271 

la  mondanité  de  fe  fenûr  du  terme  ordi- 
naire ,  le  parti  defagréable  que  le  Lec- 
teur devinera  fans  peine.  Ce  n'ell  pas 
tout  :  la  Rhétorique  de  toute  la  Com- 
pagnie ne  fut  pas  capable  de  le  porter 
à  fe  faire  nettoïer  ;  parce  qu'aïanc 
confulté  le  Teflament  fur  un  cas  de 
cette  confequence ,  il  y  crut  trouver  un 
paiTage,  qui  s'y  étoit  gliiTé  ,  peut-être 
parFignorancedes  Copiiles,  par  lequel 
une  pareille  propreté  paroiilbit  être  dé- 
fendue '^. 

Il  fe  fit  auITi  un  Dogme  de  ne  dire 
jamais  Graces  après  avoir  diné;  &  tout 
r Univers  n'auroit  pas  pu  lui  perfuader 
de  manger  comme  un  Chrétien  ,  felon 
la  phraze  vulgaire  f. 

lî 


*  L'Auteur  tourne  ici  en  ridicule  certains 
Saints  mauffades ,  qui  trouvent  du  crime  à  tenir 
leur  Vaijfe  au  propre-^  &  qui  s'imaginent,  que  la 
Sainteté  ell  incompatible  avec  la  complaifance 
de  s'habiller  com.rae  le  refle  du  Genre-humain. 
Us  feroient  bien  de  fon.^er  qu'il  y  a  plus  d'or-- 
gucil  à  fe  diftinguer  des  hommes  de  ce  côte-là  , 
qu'a  fe  confondre  avec  eux.  \jn  Philcfophe 
dit  un  jour  di  Diogem ,  qu'il  vo'ioit  {on  cœur  or- 
gueilleux au  travers  de  Ces  habits  déchires. 

t  II  y  a  des  Seftes ,  qui  trouvent  du  crime  à 
prier  Dieu  en  fc  mettant  a  table, 

M  4 


vji  L  E    C  O  N  T  E 

II  trouvoit  un  délice  extraordinai- 
re à  fe  bourrer  de  Salpêtre,  aufîi  bien 
que  de  mèches  d'une  chandelle  allumée , 
qu'il  favoit  atraper  &  avaler  avec  une 
adrefle  inconcevable  '^.  De  cette  maniè- 
re ,  il  entrenoit  dans  Ion  ventre  une  flam- 
me perpétuelle ,  qui,  fortant  comme  une 
vapeur  embrazée,  de  les  yeux,  de  Ïq.?>  na- 
rines, &  de  fa  bouche,  faifoit  refplen- 
dir  fa  tête  dans  Fobfcurite,  comme  le 
fquelette  d'une  tète  de  veau  ,  où  quel- 
que efpiegle.d'Ecolier  a  mis  une  chan- 
delle d'im  hard  pour  efFraïer  \t^  loïaux 
fujets  de  Sa  Majefte  :  c'étoit  le  feul 
expedient,  dont  Maître  Jean  fe  fervoit , 
pour  fe  conduire  le  foir  chez  lui  •  étant 
acoutumé  de  dire,  que  ï homme  fage  doit 
'être  fa  p'opre  Lateryie, 

Il  fe  promenoit  d'ordinaire  dans 
les  rues ,  les  yeux  fermez  :  & ,  s'il  lui  arri- 
voit  dç  donner  de  la  tête  contre  un  po- 
teau, ou  de  tomber  dans  la  boue,  deux 
petit  accidens  ,  qui  lui  étoient  fort  or- 
dinaires, il  difoit  aux^Z/T^^/z/i,  qui  le 
regardoient  de  tous  leurs  yeux  ,  qu'il 

fe 

*  Ce  PrJI-ige  fait  aîluficn  à  la  chaleur  du  Zèle , 
que  k*3  Dévots  s'efforcent  d'entretenir  dans  une 
vivacité  perpétuelle. 


DU    TONNEAU.    17; 

ie  foumettoit  avec  refignation  h  Ton 
malheur ,  comrx'ie  .1  un  effet  de  la  Del'ti- 
née  ,  avec  laquelle  il  favoit  par  expe- 
rience ,  qu'il  n'étoit  pas  fur  de  luter; 
puifque  ceux ,  qui  s'y  hazardoient ,  é- 
toient  bienheureux  de  n'y  gagner,  qu'un 
nez  fanglant,  &  un  œil  poché  au  heure 
noir  f. 

//  a  été  ordonné  ,  quelques  jours  avant 
la  Création^  difoit-il,  que  mon  nez.  13  ce 
poteau  aur oient  une  Ye7ic entre  enfernhle  : 
y ,  pour  cet  effet ,  la  Providence  nous  a 
envGÏez  au  Moitié  îiin  (3  l'autre  dans 
le  7nême  âge  ,  pour  être  compaîriottes  (3 
conclîoicns.  Or ,  ftfavois  tenu  mes  yeux 
ouverts  ,  le  malheur  auroit  été  bien  plus 
grand ,  felon  toi/.tes  les  apparences  ;   car , 

quels 

t  Toutes  les  perfonn  es,  qui  admettent  la  Pre'- 
deftination  dans  toute  fa  rigueur ,  n'en  tirent  p^ 
des  Confequcnces  également  impertinentes.  IPf 
en  a  qui  croient ,  que  les  Décrets  de  Dieu  ne  doi- 
vent pas  nous  empocher  d'agir  en  Etres  raifon- 
nables  ,  &  de  nous  déterminer  vers  le  parti ,  qui 
nous  paroit  le  meilleur;  mais,  d'autres  abjureîit 
entièrement  l'excellence  de  leur  Nature,  &  s'i- 
m^'.gincnt ,  qu'il  y  a  de  la  Vertu  ,  &  de  la  Saj^cffe  , 
à  fe  conduire  en  ilmples  Machines  ,  &  à  fe  lievear 
d'ime  manière  purement  pafHve  à  l'Aârion  de  U 
Divinité. 

M  s 


274       Ï^E^   COWT^ 

^  lie  Is  terribles  faux -pas  ne  font  point 
les  hommes  tous  les  jours  ,  a^oec  toute 
leur  mondaine  pré voïance  ?  D  ailleurs ,  les 
yeux  de  l'entendement  'voient  le  mieux  , 
quand  ceux  de  la  chair  font  écartez  du^ 
ehemin  :  cefi  pourquoi  l'on  ohferve  ,  que 
les  aveugles  marchent  avec  plus  de  con- 
duite^  plus  de  précaution^  ^ plus  de  ju^ 
gementy  que  ceux  ^  qui  mettent  tantdecon^ 
fiance  dans  leur  Faculté  vifuelk  ,  que 
le  moindre  accident  dérange  ,  £5?  que  la 
moindre  humeur ,  la  moindre  membrane  y, 
détruifent  pour  jamais,  La  vue  reffemble 
k  une  lanterne ,  rencoyitrée  dans  a  rue  par 
une  bande  de  Bréteurs  ivres  ,  £5?  qui 
expofe  celui  qui  la  porte  ,  £5?  fin  propre 
individu^  à  desfouflets^  ^  à  des  coups  de- 
fied^ qiCilsaur oient  évitez  P un  ^  Vautre  y 
ft  l'envie  de  paroitre  leur  avoit  permis- 
de  marcher  dans  les  ténèbres,  Helas!' 
utes  ces  lumières  ,  dont  on  vante  tant 
utilité  ,  méritent^  par  leur  mauvaift 
conduite  un  fort  encor  plus  malheureux: 
que  celui  quails  s  attirent  journellement,^ 
M  efi  vrai^  que  je  viens  de  me  cajfer 
le  nez  contre  ce  poteau  ,  parce  que  la- 
Providence  na  pas  trouvé  bon  de  me  ti^ 
rer  par  la  manche  ,  i^  de  m^ avertir 
$m  éviter  h  rencontre ,  fmis ,  que  cer 


DU  TONN'ÉAU.     27J 

sccîdetit  n'encourage  pas  les  hommes  de  ce 
Jïécïe  ^  ni  leur  pofterïté  ^  de  donner  leur  nez.- 
à  garder  à  leurs  yeux  :  cefi  le  vrai  mo'ien 
de  le  perdre  une  fois  pour  toutes,  O  vous , 
foibles  yeux ,  ô  vous  aveugles  Guides  de  nos 
corps  aveugles  ,  que  vous  êtes  de  pauvres 
Gardiens  de  nos  nez  fragile  s  ;  vous ,  dis-je  ,^ 
^ui  vous  fxez  fur  le  premier  précipice  qus' 
vous  trouvez  en  chemin  \  qui  tirez  enfuit e 
après  vous  nos  mi  fer  able  s  corps  trop  promts- 
à  vous  obéir  ^  jufques  fur  le  bord  même  de 
la  defiruélion  :■  mais ,  ce  bord  ef-  d'un  bois 
pourri ,  le  pied  nous  gUfje ,  ^  nous  f ornâ- 
mes précipitez  dans  le  goufre  ,  fans  ren^' 
contrer  le  moindre  arbrijjeau  officieux^  qui 
pttiffe  rompre  le  ccup.  Chute  ofreufe!  à^ 
laquelle  aucun  nez  de  fabrique  mwtelle 
rCeji  capable  de  reftfter^  excepté  celui  dw 
Géant  Laurcalco  ,  qui  étoit  Seigneur 
du  Pent  d' Argent  *.  Ainfi'  donc ,  o  vour 
foibles  yeux  ,  avec  g-rande  raifon-  vous- 
peut -on  comparer  à  ces  feux  follets  ,■  quir- 
conduifent  ï homme  à  travers  V ordure  £5? 
les  ténèbres  ,  pour  le  faire  tomber  dans  uyy 
puits  profond  y  ou  dans  un  goufre  empoi"' 
jonné. 

Voilà  un  échantillon  de  l'éloquence' 

^  Vo):e£  Don  Qukhotte, 


27^         L  E    C  O  N  T  E 

de  Jean ,  &  de  la  force  de  Ton  raifonnc- 
ment  fur  ces  fortes  de  matières  ablbu- 
fes. 

II  avoit  d'ailleurs  de  grandes  vues  par 
raport  àla dévotion,  &  il  ne  négligeoic 
rien  pour  en  étendre  les  bornes,  il  in- 
troduint  une  nouvelle  Divinité,  à  laquel- 
le il  concilia  un  grand  nombre  d'Ado- 
rateurs. Les  uns  l'appellent  Babel  ; 
les  autres ,  Chaos  ^.  Il  y  a  un  Tem.ple 
fort  ancien,&  d'une  ftrucîure  Gothique, 
^ii'on  a  érigé  à  fon  honneur  dans  la 
Plaine  de  Saîisburi ,  fameux  par  fon  Re- 
liquaire honoré  par  de  frequens  pèleri- 
nages f. 

Lorfqu'il  avoit  dans  Fefprit  de  jouer 
à  quelqu'un  quelque  tour  fcelerat ,  il 
fe  jettoit  à  genoux,  quand  ç'auroit  été 
au  beau  milieu  du  ruiffeau  ;  &,  les  yeux 
levez  vers  le  Ciel ,  il  fe  mettoit  à  prier. 
AuiTi-tôt,  ceux5qui  connoiilbient  fes  fail- 
lies 5  avoient  foin  de  s'en  éloigner  au 
plus  vite  5  mais  ,11  quelques  étrangers  at- 
tirez 

*  Ceux  de  l'Eglife  Anglicane  accufcnt*  les 
Presbytériens  d'être  ennemis  de  l'Ordre  dans  le 
Culte. 

t  C'cft  une  pièce  monftrueufe  de  Pierres  en- 
tamées fans  ordre  avec  des. peines  infinies;  iâus 
qu'en  en  puiiTe  deviner  le  but. 


DU    TONNEAU.      177 

lirez  par  la  rareté  du  fait ,  s'approchoient 
pour  récouter  ,  ou  prénoient  la  liberté 
de  rire  de  Tes  contorlions  ,  il  ne  man- 
quoit  pas  de  leur  lâcher  fon  urine  dans 
le  nez,  &  de  leur  jetter  la  boue  à  plei- 
nes poignées  §. 

En  hyver ,  il  marchoit  toujours 
riiabit  déboutonné  ,  oc  aufîi  peu  cou- 
vert qu'il  étoit  pofiible  ,  pour  donner 
un  libre  paiTage  à  la  chaleur  répandue 
dans lair qui Tenvironnoit^  &,  en  Eté, 

il 

§  Rien  n'eft  plus  ordinaire  aux  Dévots  de 
profcflion  ,  que  de  couvrir  leurs  mauvais  dcC 
feins  du  voile  de  la  pieté  ;  &  ils  ne  font  jamais 
plus  à  craindre  ,  que  lorfqu'ils  font  dans  les  plus 
grands  accès  de  leurs  extafes  devotes.  On  dit 
que  Crom-zue/j  fameux  Pf.rtifan  de  Jea/2  ,  fe  fer- 
voit  quelquefois  d'une  Ruze  a/Tez  particulière, 
pour  duper  les  Ambailadeurs ,  Efpions  privilé- 
giez des  Souverains.  Quand  il  fav  oit.  que  quel- 
qu'un de  ces  Meilleurs  étoit  dans  fon  Anticham- 
bre pour  avoir  Audience  ,  il  fe  metoit  à  prier 
tout  haut  le  bon  Dieu,  avec  toute  la  ferveur pof- 
fible  j  de  favorifer  tel  ou  tel  deffein.  Le  pauvre 
Ambafladeur  ,  ne  croïant  pas  qu'un  homme  fût 
capable  de  fe  moquer  du  Ciel,  pour  mieux  trom- 
per les  hommes ,  ne  manquoitpas  de  donner  dans 
le  Panneau  ;  & ,  par-là ,  fon  Maître ,  fe  prccaution- 
nant  contre  un  Projet  chim.eriquc,  ferendoit  in- 
capable de  prévenir  les  véritables  deiTeins  de  cet 
îllultre  Fourbe. 

M  7 


ij%       LE    C  O  N  T  E 

il  s'accabîoit  d'habits  ,  pour  lui  fermer 
l'entrée  f. 

Dans  certaines  Revolutions  extra- 
ordinaires 5  il  follicitoit  l'emploi  de 
Bourreau  general  :  il  montroit  une 
grande  adrefle  à  en  faire  les  fonftions  ; 
&:,comme  quelques-uns  de  fes  Collègues 
iè  couvrent  le  vifage  dun  mafque, 
quand  ils  exercent  ce  noble  emploi,  no- 
re  Ami  Jean  croïoit  fe  déguifer  de  rela- 
te par  de  longues  &  favantes  Prie-^ 
ïes  *. 

Sa  Langue  étoit  ii  mufculeufe ,  &  ^i 
flibtile  dans  fes  mouvemens,  qu'il  favoit 
l'entortiller  dans  fon  nez  ,  d'où  il  fai- 
foit  ibrtir  enfuite  un  langage  tout  parti- 
culier ,  &  fort  pathétique. 

Il  faut  lui  rendi'e  encor  cette  juflice, 
qu'il  a  été  le  premier  de  ces  Roïaumes,^ 
qui  a  fongé  à  perfectionner  le  talent 

de 

f  Les  Dévots  font  d'ordinaire  fajets  aux  fan- 
taifies  les  plus  bifarres:  ils  croient  fe  fanélifier  ^ 
par  des  manières  diamétralement  opofees  à  cel- 
3cs  des  autres  hommes. 

*  Il  n'y  a  point  de  gens  plus  cruels  ,  en  ge« 
neral  ,  que  ceux  qui  fe  couvrent  du  mafque  de 
3a  Devotion.  Toujours  prêts  àprofcrire,  &  même" 
à  damner  éternellement  5  ceux  qui  n'adoptent,  JH' 
feurs  fentimens ,  ni  leurs  manières. 


DU    TONNEAU.     179 

de  braire ,  par  lequel  le  grand  Sancho  fe 
fignala  jadis  fi  noblement  tnEfpagne\. 
Ses  oreilles  larges  étoient  toujours  ex-- 
pofées  à  l'air  ,  &  dreiïees  en  haut^  & 
par  leur  fecours  5  il  porta  Ton  art  à  un 
tel  degré ,  qu'il  étoit  difficile ,  pour  ne 
pas  dire  impofTible ,  de  dillinguer  la  Co-^ 
pie  de  Y  Original. 

Il  étoit  attaqué  d'une  maladie  tout-à-^ 
feit  contraire  à  celle ,  qui  vient  de  la  mor-- 
lure  de  a  'Tarentule ,  il  devenoit  tout  fu-- 
rieux  au  fon  d'un  inilrument  de  Mufi^ 
que,  &  fur-tout  d'une  Mufette=^:  mais,. 
il  s'en  guériilbit  aifément,  en  faifanc" 
quelques  tours  dans  la  Sale  de  JVcft^- 
munfter  ,  dans  Billing-gate  ,  dans  une 
Ecole  ,  à  la  Bourfe  ,  ou  bien  dans  UQ< 
Qaffé  rempli  de  Nou'VelUftes  f. 

11  ne  craignoit  pas  les  couleurs, mais 

ili 

t  Ceci  réfléchit  fur  ces  tons  de  voix  lamen-- 
tabJcs,  &  ces  cris  ridicules,  dont  plufieurs  Pré- 
dicateurs dévots  touchent  les  fens  de  leurs  au- 
diteurs 5  au  lieu  de  convaincre  leur  raifon  par  de 
bonnes  preuves. 

*  Certains  Dévots,  partifans  de  fean^  ont  la  Mu- 
fique  en  horreur,  comme  la  plus  affreufe  mon-- 
danité;  quoi  que  rien  au  monde  ne  foit  plus  in- 
nocent: ils  la  trouvent  fur-tout  abominable  dans 
îc  Culte  religieux. 

t  Ce  font  tous  des  lieux,  où  ilfe  fait  unbruir- 
îkufiî  grand;  <jiie  defagréabiçv 


lEo        L  E    C  O  N  T  E 

il  les  haïlToit  mortellement  ;  & ,  par  con- 
fequent ,  il  avoit  une  grande  averfion , 
pour  toutes  fortes  de  ^^/>//^r^j*.  Quel- 
quefois même  ,  dans  quelqu'un  de  fes 
accès  ,  il  fe  promenoit  dans  les  rues, 
les  poches  chargées  de  pierres ,  pour 
abatre  les  e/ife  igné  s  des  boutiques. 

Sa  manière  de  vivre  ,  telle  que  je 
viens  de  la  dépeindre ,  lui  donnant  fort 
fouvent  occafion  de  fe  laver,  il  fe  jet- 
toit  quelquefois  jufqu'aux  oreilles  dans 
feau ,  même  au  beau  milieu  de  FHyver  : 
mais,  on  a  remarqué ,  qu'il  en  fôrtoit  plus 
fale  qu'il  n'y  étoit  entré  "f. 

Ilaétéleprem.ier,  qui  ait  trouvé  l'Art 
de  donner  un  rem.ede  foporifique  par 
les  oreilles.   C'étoit  im  compofé  de  fou- 

^  Les  Presbytériens  ont  une  Kaine  furieufè 
contre  toutes  fortes  de  peintures  expofies  dans  les 
EglifeSj  dans  quelque  vue  que  ce  foit. 

f  Cet  endroit  paroit  un  peu  obfcur;  je  croi^ 
l'entendre  pourtant.  Cert^^ins  Dévots,  pieux  par 
grimace  ,  &  réellement  criminels  ,  comme  les 
Pharifîens,  fe  croient  nettoïer  de  leurs  défauts, 
par  des  jeunes  ,  &  des  penitences  extérieures, 
qui  5  ne  venant  pas  d'un  bon  principe ,  &  étant 
mêlées  d'Hypocrifîe ,  deviennent  des  crimes  elles- 
mêmes.  De  cette  manière,  le  Dévot  devient  plu* 
fale ,  à  force  de  fe  laver. 


DU    TONNEAU.    i8i 

fre,  de  beaiimede  Galaad,  &  de  Ton- 
guent  du  Samaritain  §. 

II  portoic  fur  Ton  ellomac  une  large 
emplattre  caufcique  ,  par  le  moïen  de 
laquelle  il  jectoit  des  foupirs  ,  & 
pouffoit  des  gemiffemens ,  capables  de 
fendre  le  cœur  de  ceux  qui  les  enten-. 
doienc  ^. 

Qiielquefois ,  il  fe  plaçoit  au  coin  d'u- 
ne rue-  &,  s'adrcfTantàceux,  quipaC 
foient ,  il  difoit  à  l'un  ,  Je  vous  prie  y 
mon  bon  Moyifieur  ,  favortfez-rnoi  d'un 
bon  coup  de  poing  dans  les  dents.  A  quel- 
que autre  ,  Mon  cher  /Irai ,  oh  l  je  vous 
conjure  ,  faite  s -7:101  U  grace  de  me  don-- 
mr  un  vigoureux  coup  de  pied  dans  le  ven- 
tre. Madame^  oferois-je  de7nanckr  àvoîre 

Gran- 
§  Ce  font  les  SermonSjdont  quelqucixis  la  Rhé- 
torique efl  un  mélange  de  chaleur  ,  d'aigreur, 
&  de  douceur. 

*  Tout  le  monde  connoit  les  Soupirs  ci  les  Ge- 
miffemens continuels  des  Bigots.  On  diroi t  que  ces 
gens-la  prennent  k  vertu  pour  une  difpoiîon  ë- 
trangere  de  Fame  ,  qui  lui  donne  latcriurc.  Ce 
qui  cfl  très-faux,  fur-tout  par  raport  à  une  Pie- 
té avancée.  Elle  met  Tanie  dans  ion  plus  haut 
degré  deperreflion;  &,  lui  Faifantfentir  fortement 
Texcellencede  fa  nature,  elle  doit  la  remplir  dç 
fàtisfaclion  &  de  joye:  elle  doit  même  répandre 
la  tranquillité  5  &  le  contentement;  dans  rout 
l'extérieur. 


282        L  E    C  O  N  T  E 

Grandeur  de  me  donner  de  cette  petite 
wain  -potelée  un  petit  [oujlet  bien  apliqué  ? 
Mon  hra've  Capitaine ,  vous ,  quiparoijjez 
avoir  le  bras  fi  nerveuse ,  pour  P amour  de 
Dieu^  fanglez-moi  une  demi  douzaine  de 
coups  de  canne  \. 

Quand,  par  des  folîicitations  fi  pref- 
fantes ,  il  avoit  rélifii  à  s'enfler  le  corps 
&  l'imagination ,  il  s'en  retournoit  chez 
lui  contenc  comme  un  Roi  \  &  faiibit 
mille  Contes  terribles  de  tous  les  mal- 
heurs, qu  il  avoit  foufert  pour  la  Caufe 
Commune  ^.  Voyez  un  peu  ce  coup-là , 
difoit-il ,  en  fe  découvrant  les  épaules  ; 
un  maudit  Janijjairè  me  le  donna  ce  ma^ 
tin  à  fept  heures  ,  dans  le  tems  q^ui  je  fai- 

fois 


t  Le  fauxZêle  porte  fourent  les  Dévots  à  s'ex- 
J>ofer  fans  nëceflité  à  la  Perfecution  ,  contre  la 
premiere  loi  de  la  nature ,  qui  eft  le  principe  de 
toute  la  morale  ,  &  contre  les  ordres  câpres  de 
notre  Sauveur.  La  Vanité  a  fouventbe^.ucoup  de 
part  à  cette  conduite.  C'eft  un  beau  titrcj.que  celui 
de  Martir  de  la  Vérité ,  c'eft  un  titre  fort  flatteur  ; 
mais  5  le  nombre  de  ceux  qui  le  méritent  eft 
bien  petit. 

*■  11  n'eft  pas  rare  de  trouver  des  gens ,  qui  fe 
vantent  de  ce  qu'ils  ont  foufert  pour  l'Eglife  ,  & 
qui  par-la  veulent  fe  faire  confiderer ,  comme  les 
grands  boulevards  de  la  Religion. 


DU    TONNEAU.     28^5 

fois  tous  mes  efforts  ,  pour  repouffer  le 
grand  Turc.  Aies  chers  Voifins  ,  cette 
tête  caffée  mérite  bien  une  emplâtre ,  ce  me 
femble.  Si  Je  pauvre  Jean  a^voit  fait  grand 
cas  de  fa  caboche^  vous  auriez  vu  des  au* 
jourd'huileVdL"^^  ^  le  Roi  de  France /^i- 
re  rage  dans  vos  familles,  Helcis  I  Peu* 
pie  Chrétien  ,  le  Grand  Mogol  s'étoit 
déjà  avancé  jufquaux  Fauxbourgs  de  la 
Fille ,  i^  vous  navez  q^iCà  remercier  ces 
pauvres  cotes  ^  de  ce  qu  il  ne  vous  a  pasdéjci 
mangés  à  la  poivrade^  avec  vos  Femmes ^ 
(â  vos  Enfans,  ^ 

Rien  n'étoit  plus  remarquable,  que 
l'Ave  rfion  (^iitJean&iPierre  avoieiit  l'un 
pour  l'autre,  jufqu'à  raffedlation.  P/>r- 
re  avoit  fait  depuis  peu  quelques  tours 
de  fripon,  qui  leforçoient  à  fe  cacher^ 
&  à  ne  marcher  que  de  nuit,  pour  évi- 
ter les  griffes  dts  Sergens.  Ils  s'é- 
toient  logez  exprès  aux  deux  extremi- 
tez  oppoiees  de  la  Ville;  &,  quand  ils 
fortoient,  ils  prenoient  les  detours  du 
monde  les  plus  bifarres  pour  s'éviter  : 
mais  5  malgré  tous  ces  foins ,  c'étoit  leur 
deftinee  perpétuelle  de  fe  rencontrer. 
La  raifon  en  eft  ailée  à  découvrir  :  les 
fardai  fies  &V  extravagance  de  l'un  &  de 

l'au» 


2S4        L  E    C  O  N  T  E 

l'autre  étoient  fondées  iiir  la  même  baze; 
&  on  peut  les  confiderer,  comme  deux 
compas  de  la  même  grandeur  &  égale- 
ment ouverts.  Si  vous  les  fixez  l'un  & 
l'autre  dans  le  même  centre  &  fi  vous 
les  tournez  enfuite  des  deux  cotez  op- 
pofez,  il  eil  certain  ,  qu'ils  doivent  de 
necefîité  fe  rencontrer  quelque  part  dans 
la  circonférence.  D'ailleurs ,  le  malheur 
de  Jean  vouloit  qu'il  relTemblât  à  Fier^ 
re  comme  deux  goûtes  d'eau  ,  du  côté 
de  l'humeur  , .  du  tour  d'elprit ,  de  la 
taille ,  &  de  la  mine'^  Enfin ,  cette  rei^ 
fembîance  étoit  il  parfaite  ,  qu'il  étoit 
fort  ordinaire  à  quelque  Sergent  de  fài- 
fiY  Jean  au  collet ,  en  lui  difant ,  Maître 
Pierre ,  je  'vous  arrête  de  la  part  du  Roi . 
D'autres  fois,  quelqu'un  des  plus  intimes 

de 


*  II  eft  certain  quelesPapiftes,  &  les  Persby- 
tericns ,  fe  conirrecarrent  avec  plus  d'?.fFedation  , 
que  ks  mêmes  rapiftes,^  les  autres  Sectes  d'entre 
les  Proteftans.  Cependant,  leur  pieté  eft  plus  fem- 
blable  quelquefois ,  qu'ils  ne  penient  :  ils  font  fort 
étroilement  unis  par  une  certaine  Devction  Mo- 
nachale,  parle  Ouietifme,  parles  Aufteritez,  & 
par  ces  marques  extérieures  de  pieté ,  qui  font  le 
•vrai  Phariféifme,  N'oublions  pas  l'Intolérance, 
qui  eft  aufll  incompatible  avec  une  Vertu raifonnée 
qu'inféparable  de  la  Bigotterie. 


DU    TONNEAU.     28^ 

de  Pierre  venoit  embralTer  Jean  bras 
deiïïis  bras  dcPious  ,  en  le  conjurant  de 
lui  envoier  un  de  [es  meilleurs  remèdes 
(ontre  les  'vers.  C'étoit-là  afieurement 
une  trille  recompence  de  toutes  les  pei- 
nes ,  quil  avoit  prifes  depuis  fi  long- 
tems  5  pour  n'avoir  rien  de  commun 
avec  ce  Frère,  pour  lequel  il  avoit  con- 
çu une  haine  Ci  opiniâtre  :  il  ne  pouvoit 
qu'être  cruellement  mortifié  de  voir  que 
le  fuccès  étoit  11  opofë  à  fon  intention; 
&  les  pauvres  refces  de  fon  Habit  en 
portèrent  la  folle  enchère.  Jamais  le 
Soleil  necommençoitfa  Courfe  journa- 
lière ,  ians  trouver  à  ces  pauvres 
Guenilles  une  nouvelle  pièce  à  redire. 
Maître  /^.î;;porta  à  la  fin  fon  Zélé  il  loin, 
quil  païa  un  tailleur  pour  étrelïïr  le 
col  de  fon  îlabit,  jufqu  à  un  tel  point, 
qu'il  étoit  capable  de  l'étouffer  ;  &  qu'il 
lui  fit  tellement  fortir  les  yeux  de  la 
tète,  qu'on  n'en  pouvoit  voir  que  le 
l;lanc§. Tout  ce  qui  relloit  encore  du  fond 
de  l'Habit  étoit  froté  régulièrement  tous 

les 

§  Les  Dcvots  ont  bien  fouvent  un  air  aifez 
femblable  à  celui  d'un  homme  conftipé  ;  &  ils 
mettent  une  Dévotion  toute  particulière  dans  une 
certaine  tournure  afreufc^  qu'ils  favent  donner  a 
leurs  yeux.* 


285        L  E    C  O  N  T  E 

les  jours  pendant  deux  heures ,  contre 
une  muraille  rabotteule ,  afin  d'en  ôter 
les  reftes  du  galon  ,  &  de  la  broderie: 
ôc  Maitre  Jean  s'y  prit  d'une  telle  vio- 
lence ,  qu'il  eut  bientôt  Fair  d'un  Phi- 
lofophe  Indien.  Mais ,  malgré  tous  fes 
foins ,  le  fuccès  continua  à  tromper  fbn 
attente.  Les  Guenilles  ont  une  certai- 
ne reflemblance  comique  avec  les  Ajuf- 
temens ,  à  caufe  de  quelque  chofe  àt flot- 
tant 5  &  de  voltigeant ,  qu'il  y  a  dans 
les  uns  &  dans  les  autres  ,  &  qui  n'ell 
diflingué  qu'avec  peine  de  loin  ,  dans 
l'obfcurité ,  ou  par  une  vue  courte.  Cefl 
ainfi  que  les  lambeaux  de  Jean  offroient 
à  la  premiere  vue  un  petit  air  ridicule- 
ment dégagé  5  qui ,  fécondé  par  la  taille , 
&  par  la  mine ,  traverfoit  tous  fes  def- 
feins  ,  &  contribuoit  à  le  faire  prendre 
pour  Pierre ,  par  les  Partifans  mêmes 
de  l'un  &  de  l'autre. 

défunt  nonnuUa 


Un  vieux  Proverbe  Sclavonien  dit 

par- 


DU    TONNEAU.      287 

parfaitement  bien ,  qu'il  en  eft  des  hom- 
mes, comme  des  ânes,  qu'on  ne  retient 
jamais  mieux,  qu'en  les  faififlant  parles 
oreilles.  L'expérience  fait  voir  pourtant, 
que  cette  règle  à  fes  exceptions  : 

Effugiet  îamen  hac  feeler  aï  us  'vincla 
Protheus. 

Ce  qui  prouve ,  qu'en  lifant  les  Maxi- 
mes des  Anciens  il  faut  donner  quelque 
chofe  aux  tems  &  aux  lieux  ^  car,  iî 
nousrecouronsauxplus  anciennes  Chro- 
niques ,  nous  y  apprendrons,  que  rien  n'a 
été  fujètàdes  revolutions  auiïi grandes, 
&aufli  fréquentes ,  que  les  oreilles  hu- 
maines. 

Il  yavoit  autrefois  une  invention  cu- 
rieufe,  pour  faifir  &  pour  retenir  quel- 
qu'un par  les  oreilles  ;  mais,  j  e  croi  qu'on 
peut  la  mettre  au  nombre  des  arts  per- 
dus.Il  n'eft  pas  poiTible  même  que  la  cho- 
fe foit  autrement^  puifque,  dans  ces  der- 
niers fiécles,  toute  l'elpéce  s'eft  dimi- 
nuée jufqu'à  un  degré  déplorable,  & 
que  ce  qui  en  refte  eft  fi  fort  dégénéré , 
qu'il  femble  fe  moquer  de  ceux ,  qui  veu- 
lent en  prendre  pofFeflion.  Si  l'on  a 
jugé^qu'une  fente  dans  l'oreille  d'un  feul 

Cerf 


288        L  E    C  O  N  T  E 

Cerf  etoit  capable  d'étendre  cette  imper- 
feélion  fur  tout  une  forêt ,  comment 
pourrions-nous  nous  étonner  de  l'aba- 
tardilTemient  des  oreilles  humaines  ;  con- 
fequence naturelle  delà  mutilation,  où 
les  oreilles  de  nos  Peres  ,  &les  nôtres, 
ont  été  expofées  depuis  quelque  tems  ? 
Il  eft  vrai  que ,  depuis  que  notre  Ile 
a  été  illuminée  par  la  Grace  ,  il  y  a  eu 
un  tems,  où  l'on  a  fait  de  grands  efforts 
pour  porter  cette  partie  du  Corps  hu- 
main à  fa  grandeur  primitive.  Son  éten- 
due &  fa  proportion  étoit  alors  regar- 
dée, non  feulement  comme  un  ornement 
de  ïh'ormie  extérieur  ,  mais  en  cor  com- 
me un  type  de  la  Grace  intérieure.  De 
plus,  les  Naturalilles  nous  afîeurent ,  que 
quand  il  y  a  une  grandeur  exceffive , 
dans  quelque  partie  faperieure  du  corps 
humain,  comme  dans  le  nez  &  dans  les 
oreilles ,  il  faut  de  nécellité  que  certaines 
parties  inférieures  y  répondent.  Pour 
cette  raifon  ,  c' étoit  la  coutimie  dans 
cet  âge  véritablement  pieux ,  que  dans 
les  AfTemblées  chaque  homme,à  propor- 
tion qu'il  avoit  été  favorifé  de  ce  côté- 
là  par  la  Nature,  étoit  fort  porté  à  faire 
parade  de  fes  oreilles ,  &  de  leurs  dépen- 
dances. Ils  étoientfi libéraux  à  les  don- 
ner 


DU    TONNEAU.     287 

ner  en  ipeélacle  ,  à  caufe  d'un  Apho- 
rifme  à'Hypocrate  ^5  qui  nous  enfeigne , 
que  r homme  devient  Eu:-mque ,  dès  quon 
lui  a  coupé  la  'veine  qui  eft  derrière  roj^eil- 
le.  Les  femelles  de  cet  heureux  fiécle 
n'étoient  pas  moins  portées  à  les  con- 
templer ,  &  à  s'édifier  par  cette  con- 
templation. Celles,  qui  avoient  déjà 
ufé  des  maiens  "}",  J^s  regardoient  avec 
une  forte  attention,  dans  leiperance, 
que  cette  vue  feroit  fur  leuj-  cerveau  une 
imprellion  avantageuie ,  pour  le  fruit  fu- 
tur de  leurs  faintes  amoUij.  pour  ce!-- 
-les ,  qui  ne  faifoient  encû"e  qu'afpirer  au 
bénéfice  du  mariage,  elies  trouvoient- 
.'là  dequoi  choifir  ;  bienrefoiuës  de  don-- 
jier /leur  inclination  aux  oreilles  les 
inieux  fournies ,  pour  empêcher  leur  rar 
ce  de  dégénérer  de  ce  côté-là.  A  l'é- 
gard des  Sœurs  diftinguées  par  leuîf: Dé- 
votion ,  elles  confideroient  l'étendue 
-extraordinaire  de  ce  membre,  comme 
des  excrefconces  fp'mîudks \  &  elles  ho- 
noroient  les  têtes, qui  en  étoient  char- 
gées, comme  des  têtes  [anclifiées,  C'é- 
;  .'    'y.  toit 

"  '.  *  i^r;  de  aère ,  Jocis ,  ô®  /?y;r/V.- 

t  C-eftuneExprefTion  devote,  pour  dire  fain*- 
xçment,"  avoir  Commerce  avec  un  Homme.- 

...ïï'Qme  L  N 


288        L  E    C  O  N  T  E 

toit  particulièrement  au  Prédicateur, 
qu'elles  accordoient  cette  veneration  re^ 
ligieufe\  parce  que  fes  oreilles  étoient 
d'ordinaire  de  la  premiere  Grandeur, 
&  que  dans  fes  Ac  cens  de  Rhétorique  il 
ëtoit  fort  exa6l  à  les  étaler  à  la  vue  du 
Peuple ,  de  la  manière  la  plus  avanta- 
geufe,  les  expofant  tantôt  d'un  côté,  & 
tantôt  de  l'autre.  De-là  vient  que  la 
Prédication  xvàm^  elt  exprimée  par  cer- 
tains Dévots,  jufqUwS  dans  nos  jours, 
par  le  terme  à' Expo/itio-u 

Tels  furent  le  foins  des  Saints  de  ce 
iîécle-là ,  pour  augmenter  le  volume  des 
■oreilles  5  &  il  efl  probable  que  lefuccès 
y  auroit  répondu  ,  fi  dans  la  fuite  du 
tems  il  nes'étoitpaslevé  un  Roi  craeU 
Perfecuteur  de  toutes  les  oreilles  qui 
alloient  au  de-là  d'une  certaine  mefure. 
Là-deiTus  quelques-uns  cachèrent  une 
partie  de  leurs  oreilles  trop  pouffantes  fous 
un  bandeau  noir ,  d'autres  furent  em- 
prifonnées  fous  une  peruque  ,  d'autres 
furent ,  ou  fendues ,  ou  rognées ,  tni 
coupées  jufqu  à  la  racine. 

J*en  parlerai  plus  au  long  dans  mon 
Hilloire  générale  dts  Oreilles ,  que  je 
rendrai  publique  au  premier  jour. 

De  cette  courte  Relation  delà  Déca- 
dence 


DU    TONNEAU.     iSp 

dence  des  Oreilles,  dans  les  fiécles  paf- 
fez;  &  du  peu  de  mouvement,  qu'on 
fe  donne  dans  celui-ci,  pour  les  réta- 
blir dans  leur  ancienne  Grandeur;  il 
fait  évidement ,  qu'on  efpéreroit  eu 
vain  d'arrêter  les  hommes  par  un  mem- 
bre û  petit, fi  foible,  fi  glifrant;&  que, 
pour  réiiffir  à  fe  rendre  leur  Maître,  il 
taut  inventer  quelque  autre  moïen.Or, 
celui ,  qui  voudra  examiner  la  nature 
humaine  avec  attention ,  y  trouvera  des 
anfes  de  refle.  Chacun  des  fix  Sens  f 
en  fournit  une.  Il  y  en  a  un  grand  nom- 
bre ,  qui  rendent  les  parlons  maniables  ; 
&  il  y  en  a  quelques-unes  attachées  k 
l'entendement. 

Parmi  les  dernières  eft  la  curiofité,  qui 
fe  laifTe  mieux  empoigner  que  toute  au- 
tre. C'eil'là,  dis-je,  cet  éperofi  ferré 
contre  le  flanc,  cette  hide  dans  la  bou- 
che, cet  anneau  dans  la  narine  du  pu- 
blic parefTeux,  impatient,  &  grognard^ 
c'eft  par  cette  anje^  qu'un  Ecrivain  in- 
telligent doit  faillr  fes  Le6leurs.  Dès 
qu'il  en  eft  une  fois  le  Maître,  toute  leur 
réfiftance  eft  vaine  ;  ils  font  {çis  prifon- 
niers ,  jufqu'à  ce  que ,  parlaffitude,  ou 

par 

I  Scaligtr  en  établit  un  fixiéme, 
N   2 


2^0       L  E    G  ON  TE 

par  flupidité,   il   veut  bien   les  reîaî 
cher. 

C'efl  par  ce  moïenque  moi,  Auteur 
de  ce  Traité  miraculeux ,  je  me  fuis'  ren- 
du jufqu'ici  îe  Maître  abfoludu  Leéteur 
bénévole  j  &  c'ell  à  mon  grand  regret, 
que  je  me  vois  forcé  de  lâcher  prife,  en 
lui  laiiTant  la  liberté ,  par  rapport  à  ce 
qui  me  relie  à  dire ,  de  fe  replonger  dans 
fon  indolence  naturelle.  Ce  que  je  puis 
vous  dire  ,  Ami  Le6leur  ,  pour  votre 
Confolation  &  pour  la  mienne  ,  c'efl 
que  nous  fommes  tous  deux  également 
intérefTez  dans  la  malheureufe  perte 
du.refle  de  ces  Mémou'es  pleins  de  tours: 
defprit ,  d'accidens  ,  &  d'évenemens 
agréables,  nouveaux,  furprenans,  & 
par  conféquent  tout-à-fait  proportion- 
nez au  gput  déhcat  du  fiécîe. 

Avec  tous  les  efforts,  dont  ma  mé- 
moire eft  capable,  je  n'en  ai  pu  retenir 
t^n  un  petit  nombre  de  Chefs,  Il  y  a^oit , 
entre  autres ,  une  Relation  exafte  delà 
manière ,  dont  Pierre  ^obtint  un  Sauf^ 
conduit  du  Banc  Royal ,  &  d'une  Re- 
conciliation faite  entre  lui  &  Jea^i ,  à 
j'occalion  d'un  deflein  qu'ils  avoient  de 
trépanerM7rr/»j  pendant  une  nuit  plu- 

vieiife^ 


DU    TONNEAU,     i^^ 

.vieufe ,  dans  la  maifon  d'un  Sergent ,  & 
deledépouillerjulqu  àla  peau*.  Com- 
ment A/^/7/>  à  grand  peine  leur  montra 
une  belle  paire^e  talons.  Comment  un 
.nouvel  Arrêt  fortit  contre  Pierre^  fur 
quoi  Jean  le  laiffa  dans  la  nalTe  ,  lui  dé- 
roba fon  Sauf-condtàt  ^  &s'en  fervit  lui. 
iPiéme  t.  Comment  les  guenilles  de  Jean 
-vinrent  à  la  mode  à  la  Cour,  6c  dans 
Ja  Ville-  &  comment  ihnonta  unfupcrbe 
Coity-fter  ^  &  mangea  du  pain  ^épke. 

Les  particularitez,  contenues  fous  tous 
ces  Chefs ,  me  font  abfolument  forties 
de  la  mémoire  j  &,  par  confequent ,  elles 
font  perdues  fans  reffource.  Force  m'ell 
idonc  de  laiHer  mes  Lecteurs  fe  faire  l'un 
à  l'autre  des  complimens  de  condoléan- 
ce ,  autant  que  F  humeur  de  chacun  y 
poura fournir.  Je  les  conjure  pourtant., 
par  ce  commerce  d'amitié,  qu'il  y  a  eu 
■parmi  nous ,  depuis  le  titre ,  jufqu  à  cette 

page- 

*  Ce  PaÏÏage  faitallufîon  au  Règne  de  Jauuei 
77. ,  qui  abolit  les  L&/'Xj&f;Aî/fj  faites  contre  ceux 
lie  l'Egliie  de  Rome,  û:  coatr^  les  ÎSonconfor- 
miftes. 

t  Guillaume  III  remit  en  vigueur  les  Loix 
^contre  le  Papifine;  mais,  il  trouva  a  propos  de 
tolérer  les  Presb'jUYityns, 


ir-       L  E    C  O  N  T  E 

page-ci  incluflvernent ,  de  ne  ie  pas  al- 
térer la  fante,  pour  un  malheur  qiii  ell 
fans  remède. 

Pour  moi,  je  vais  m'acquitter  d'un 
devoir  de  civilité,  qu'un  Auteur  mo- 
derne, poli  &  inftruit  dans  les  belles 
manières,  ne  fauroit  négliger,  fans  fe 
rendre  coupable  d'une  irrégularité  crian- 
te. Je  veux  dire,  que  je  vais  prendre 
congé  du  public  ,  avec  toutes  les  for- 
malitez  requifes. 

La  Conclufion. 

POrter  fon  fruit  au  de-là  du  terme 
efl  une  caufe  réelle  de  faufles  cou- 
ches, aufli-bien  que  de  ne  le  pas  por- 
ter aflez  long-tems  ,  quoi  qu'elle  foit 
moins  fréquente.  Cette  vérité  a  fur-tout 
lieu  parraport  auxprodu6lions  de  l'ef- 
prit,  qui,  pour  être  accomplies,  doi- 
vent paroitre  comm:e  à  point  nommé. 
Béni  foit  donc  ce  noble  Jefuite  f  ,  qui 
le  premier  des  Auteurs  s'elt  hazardé  à 
déclarer  pubiiquenient ,  que  les  Livres 
ont  leurs  propres  Saifons ,   comme  les 

mets, 

t  Le  Père  d'Orléans, 


DU    TONNEAU,     ipj 

mets  ,  les  habits  ,  &  les  plaifirs.  Plus 
bénie  foit  encore  notre  brave  Nation  , 
qui  a  rafiné  fi  fort  fur  cette  Mode  Fran- 
çoife.  Il  ne  fera  pas  néceflaire  que  je 
vive  fort  long-tems  pour  voir  le  tems , 
qu'un  Livre ,  qui  ne  paroitra  pas  dans  fa 
Saifon,  reffemblera  à  un  nigaud  d'A- 
mant, qui  manque  Xheure  du  berger  \  & 
qu'on  n'en  fera  non  plus  de  cas,  que  de  la 
Lune  pendant  le  jour ,  &  des  Maqueraux 
qui  viennent  dix  ou  douze  jours  après 
que  la  faifon  en  ell  paffée. 

Perfonne  n'a  jamais  été  à  cet  égard 
un  Obfervateur  des  tems  plus  éxa6l , 
ni  un  plus  fin  Connciiîéur  de  notre  Cli- 
mat, que  le  Libraire  ,  qui  m'a  acheté 
cette  Copie.  Il  fait  fur  le  bout  du  doigt 
quels  fujets  .pouiTent  le  mieux ,  dans 
une  année  fêclie;  ^  quels  autres  il  faut 
femer  dans  \ç.  Pu^jc,  quand  le  Ther- 
momètre efl  )i  grande  pluie.  Après  avoir 
vu  ce  Livre,  &  confulté  fon  Almanac 
fur  fa  dellinée  ,  il  me  fit  entendre  , 
qu'aïant  meurement  réfléchi  fur  les 
principales  qualitez  de  mon  Ouvrage  , 
javoir ,  lefujet ,  k3  le  'vclume  ,  il  trouvoit 
qu'il  ne  reuïîîroit  janaais  ^  finon  après  de 
longues  vacances ,  .&rdans  une  mau- 
vailê  année  pour  \qs  na^vcîs,  Là-defTus , 
N  4  preffé 


2P4        LE    CONTE 

preffé  par  mes  néceiïltez  urgentes  ,  je 
le  priai  de  me  dire  ,  quelle  forte  de 
Pièce  pourroit  être  propre  pour  le  mois 
courant.  Après  avoir  tourné  ihs  yeux 
du  côté  de  l'Oued  ,  Je  crois ,  dit-il, 
^ue  nous  aurons  quelque  orage  \  ^  ft  'vous 
pouviez  faire  au  plus  l'ite  quelque  fc* 
tiîe  Drollerie  ,   mais  foint  en  'vers-^    lu 

bien  quelque  petit  7'raité  jur ;  ceU 

courrcit  comme  le  feu  Grégeois  :  mais ,  //  le 
tems  s' éclair cit-^  fai  un  y^uteur  à  mes  ga^ 
ges  ,  ,  qui  me  fera,  quelque  chofe  contre 
le  Dotleur  Bentley  ,  ij  je  fuis  fur  d'y 
faire  mes  petites  affaires. 

A  la  fin  pourtant,  il  fît  fon  marché 
avec  moi;  &,  pour  corriger  les  mauvai- 
fes  influences  du  Ciel,  nous  convinmes 
d'un  expedient.  Si  un  de  fes  Chalands 
vient  lui  demander  un  Exemplaire  de 
mon  Livre ,  &  qu'il  fo^haite  de  favoir  de 
lui  confideram.ent  le  nom  de  l'Auteur  , 
il  lui  nommera  à  l'oreille  le  Bel-Eiprit , 
qui  fera  en  vogue  cette  fcmainc-là  :  & 
li  la  dernière  Comédie  du  Sieur  Durfey 
a  cours  alors,  j'aime  autant  porter  pour 
ce  tems  ce  nom-là,  que  celui  de  Congreve. 
Je  ne  fais  mention  de  ces  bagatelles ,  que 
pour  donner  11  laPofcerité  une  idée  du 
gout  de  nos  Lëfteurs.  On  pourroit  les 

com- 


DU    TONNEAU.     19$ 

comparer,  cemefemble,  à  une  mou- 
che, qui,  chaflee  d'un  pot  de  confitu- 
res ,  fe  jette  avec  avidité  fur  un  ex- 
crément, pour  y  achever  fon  diner, 
avec  le  même  appétit  qu'elle  Ta  com- 
mencé. 

Avant  que  de  finir .  j'ai  encor  un  mot 
à  dire  fur  les  Auteurs  profonds ,  dans  la 
clafle  defquels  le  pubHc  judicieux  me 
placera,  félon  toutes  les  aparences.  11 
en  efl  à  mon  avis ,  de  ces  Ecrivains  com.- 
nie  d'un  puits.  Un  homme,  qui  a  les 
yeux  bons ,  verra  le  fond  du  puits  qui 
a  le  plus  de  profondeur ,  pourvu  qu'il 
y  ait  de  l'eau;  mais ,  s'il n y  arien  que 
de  la  boue,  quand  le  fond  n'en  feroic' 
qu'à  une  toife  &  demie  en  terre ,  il  pa- 
roitra  extrêmement  profond  ,  parce 
qu'il  cil  extraordinairement  obfcur. 
■  J'ai  pris  depuis  peu  la  réfolution  de 
faire  une  experience  ,  qui  a  fort  bien 
réiifTi  à  plufieurs  Auteurs  modernes  ; 
c'efl  d'écrire  fiir  rien ,  &  de  laiifer  tou- 
jours aller  la  plume  fon  grand  chemin, 
quoique  le  fujet  foit  abfolument  épuifé. 
C'eft  comme  l'ombre  de  l'efprit ,  qui  fe 
plait  encore  à  fe  promener  fur  le  tom- 
beau, où  le  cadavre  efl  enterré.  Pour 
dire  la  vérité,  il  n'y  a  point  de  talent 
N  f  plus 


29^       LE    CONTE 

plus  rare,  que  celui  de  favoir  bien  diftin- 
guer  quand  il  faut  finir  quelque  chofe. 
Lorfqu'un  Auteur  aproche  des  frontiè- 
res de  fonLî vrejl  croit  qu'en  chemin  fai- 
fant,  lui  &fesLe6teurs  font  devenus  de 
vieilles  connoifTances,  &  qu'ils  doivent 
être  au  defelpoir  defeféparer;  de  forte 
que  certains  Ouvrages  reilemblent  à  des 
vifites  de  cérémonie,  ouïes  complimens, 
qu'on  fait  en  fe  féparant,  font  quelquefois 
plus  longs  que  toute  la  converfation  qui 
les  a  précédez.  On  peut  comparer  la 
Conclufion  d'un  Traité  à  celle  de  la  Vie 
humaine  ,  qui  peut  être  comparée  à 
fon  tour  à  la  fin  d'un  Repas,  que  peu  de 
'convives  quittent  dès  qu'ils  ont  afilez 
mangé,  uî  CQr/vivafatiir,  Ne  voit-on  pas 
mille  fois  5  après  leFeftin  le  plus  abon- 
dant ,  les  gens  relier  afiis ,  quand  ce  ne 
feroit  que  pour  rêver  ,  ou  pour  dormir 
le  refle  du  jour.  A  cet  égard-là ,  je  fuis 
fort  different  des  autres  Auteurs ,  capa- 
bles de  trouver  à  redire  à  un  pareil  aifou- 
pifi^ement  dans  leurs  Lecteurs.  Pour 
moi,  je  ferai  charmé  ,  fi,  par  mes  tra- 
vaux infatigables ,  je  puis  avoir  contri- 
bué quelque  chofe  au  Repos  du  Genre- 
humam, dans  un  age  fi  tumultueux.  Je 
ne  croi  pas  même  un  pareil  effet  fi  éloi- 
gnas 


DU   TONNEAU.       297 

gné,  qu'on  diroit  bien ,  des  vues  que 
doit  avoir  un  Bel-Efprit  :  puifque  jadis 
un  Peuple  fort  poli  dans  la  Grèce  *  a- 
voit  drefle  les  mêmes  Temples  aux  Mu- 
fes  5  &  au  Sommeil  ;  perfuadé  qu  il  y 
ïivoit  entre  ces  Divinitez  des  liaiibns 
d'amitié  fort  étroites. 

Je  ne  faurois  me  réfoudre  à  quitter 
îa  plume,  fans  demander  encore  une  gra- 
ce au  Lecteur  :  c'ell:  de  ne  s'attendre 
pas  à  être  également  inftruit  ,  &  di- 
verti^ à  chaque  ligne ,  ■&  à  chaque  pa- 
ge de  ce  Traité.  11  eft  naturel  qu'il 
donne  quelque  chofe  à  la  ratte  de 
l'Auteur,  &  à  quelques  courts  inter- 
valles de  péfanteur  ,  &  de  ftupidité. 
Ce  font  de  petits  accidens ,  où  il  pour- 
roit  être  fujet  lui-même  en  pareil  cas. 
Qu'il  me  dile ,  fi ,  fe  promenant  dans 
des  rues  fales,  pendant  un  tems  plu- 
vieux, il  trouveroit  fort  poli,  à  des 
gens  qui  le  regarderoient  àleuraifepar 
la  fenêtre,  de  critiquer  fa  demarche  , 
&  de  tourner  en  ridicule  fes  habits 
mouillez? 

Qu'il  foit  averti  d'ailleurs  ,   qu'en 

dif. 

*  C'étolent  les  Habitans  de  Trezene, 

N  6 


2p8       1.  E    C  O  N  T  E 

difpofant  mon  cerveau  h  la  compofl- 
tion  de  cet  Ouvrage,  j'ai  fait  \"Inven- 
iion  MaîtreiTe  de  tout,  &  que  je  lui  ai 
donné  la  Raïfon ,  ^  la  Alethode  ,  pour 
Demoifelles  fuivantes.  J'ai  pris  cet  ar- 
rangement, parce  que  j'ai  toujours  ob- 
iervé  en  moi-même,  comme  une  qua- 
lité particulière,  une  démangeaifon  per- 
pétuelle d'avoir  de  l'efprit ,  dans  des 
-occafions  où  il  s'agilToit  d'être  raifon- 
nable  ,  fenfé  ,  -&  méthodique.  J'ai 
toujours  été  trop  dévoué  aux  coutumes 
modernes  ,  pour  négliger  la  moindre 
aparence  d'un  bon-mot ,  qui  fe  levât 
dans  mon  efprit ,  quelques  peines  que 
je  dufTe  emploïer,  pour  le  forcer  à  en- 
trer dans  la  converfation.  11  efl  vrai 
.que  le  fuccès  n'a  pas  toujours  répondu 
à  mon  attente;  car,  aïant  fait  avec  des 
peines  immenfes  une  ColleUlon  de  fept 
cens  trente  huit  Fleurs  d'Eloquence^  ou 
Saillies  fpiriîuelles ,  je  n'ai  pu  en  em- 
ploïer ,  pendant  cinq  ans  de  tems ,  qu'u- 
Jie  leule  douzaine  ,  malgré  tous  mes 
efforts ,  pour  faifir  les  vuides  de  la  con- 
-verfation,  aiin  deles  y  fourrer  comme 
des  chevilles.  Pour  la  moitié  encore _, 
ce  fut  autant  d'eiprit  femé  dans  la  Rivie- 
re, 


DU    TONNEAU.     25?^ 

re  'y  les  Compagnies,  que  j'en  vouloir 
honorer,  étant  incapables  de  m'en  fa- 
voir  gré.  Pour  les' autres,  il  en  coiita 
tant  de  tortures  à  mon  pauvre  eipriu 
pour  leur  ménager  une  heureufe  en- 
trée, que  je  fus  enfin  forcé  de  renon- 
cer au  metier  pénible  d'un  difeur  de 
bons-mots.  C'efl  à  ce  mauvais  fuccès 
pourtant,  que  je  fuis  redevable  delà 
prémierre  idée, qui m'eftv^enuë  dem'é- 
riger  en  Auteur;  &  il  a  produit  le  mê- 
me eiîet  lur  pluiieurs  de  mes  Amis ,  qui 
ne  s'en  repentent  pas ,  non  plus  que 
moi.  Combien  defoisn'arrive-t-il  pas, 
qu'un  tour  d'efprit  déplacé'  a  fait  pitié 
dans  un  entretien ,  &  qu'enfuite  recti- 
fié par  l'imprefiion  il  a  fait  merveilles 
dans  un  Livre  ? 

A  préfent  que,  par  la  liberté  de  la 
PreiTe,  je  iliis  devenu  Maitre  abfolu 
des  occafions  propres  à  faire  briller  ;;fé'i- 
Lumières  acquifes^  je  commence  déjà  à 
m'apperçevoir ,  que  mon  Capital  dimi- 
nue, &  que  ma  dépenfe  va  beaucoup 
plus  loin ,  que  ma  recette.  Je  ferai  bien , 
par  confequent ,  d'etre  un  peu  pi  us  éco= 
nome ,  &  de  faire  de  nouvelles  épar- 
gnes 5,  jufqu'à  ce  que  mes  moiens ,  fe 

trou-.- 


300  LE  CONTE  DU  TONNEAU 

trouvant  dans  une  heureufe  harmo- 
nie avec  les  befoins  du  Public ,  m'o- 
bligent de  nouveau  à  me  mettre  en 
frais. 


Fin  du  Tome  premier. 


TA- 


i:±%t^  '%  S  ^'  ^-  ^  -^^  'S  •  -^^  -^  't-  '^  ît-  4t'  '%  r%  i:é 

«te  ^' -^^  f  -  ^' ^^  ^' -^^^ -^  •  ^-^^  ^^  ^^  ^^^  ^ -^  ^  8^ 

TABLE 

DES 

MATIERES. 


^;^^^^.^j^gEdicac€  prétendue  du  Libraire  à 
^3  TA  ^^  Myjlord  Summers.  De  queUe 
f^  U  ^1  manière  il  i  découvert  ,    que  c'eft 


à  ce  Seigneur  que  l'Auteur  a  trou- 
vé bon  que  l'Ouvrage  fût  dédié. 

pag.  7.  8.  &  p. 

Le  Ridicule  des  Faifeurs  de  Dédicaces ,  qui 
donnent  à  leurs  patrons  des  Eloges,  quinccon- 
rienncnt  pao  à  leur  Caraâ:«re.  10,  11, 

AvertiiTement  du  Libraire.  Il  rend  compte 
au  Public  du  tcms  qu'il  a  gardé  ces  Ouvrages 
chez  lui;  de  l'année  ,  où ,  felon  lui ,  ils  ont  été 
compofcz  ;  &  des  raifons ,  qui  le  déterminent 
à  les  donner  au  Public. 

EpiTHE  Dedicatoire  à  S.  A,  R.  le 
Prince  Postérité'. 

L'Auteur ,  craignant  que  le  Te?72S ,  Gouverneur 
de  ce  Prince  ,  ne  détruife  bientôt  toutes  les  pro- 
duftions  du  Siècle,  fe  plaint  de  la  Malignité  de 
ce  Pedagogue,  qui  fait  pafier  les  Ouvrages  les 
plus  eftimez  comme  des  éclairs.    17.  Jufques  22. 

Il  s'efforce  à  perfundcr  a  S.  Alteffe  ,  qu'en 
dépit  de  fbn  Gouverneur  ,  il  y  a  aiTâUreraent 
4ans  le  fiéclc  prêtent  de  l'Eijprit,  du  Savoir,  & 

des 


TABLE 

des  Auteurs;  &  il  protefle,  qu'il  en  a  vu  pla- 
iîeurs  de  fts  propres  yeux.  zf.  Si,  {[liv^ni. 

Preface.  Occailon  &  D;2irein  de  cet  Ou- 
trage. 29.  30.  31. 

Projet  pour  dernier  de  l'Employ  aux  Beaux- 
Efprits  Petits-Maîtres  5  afin  de  les  détourner  d'at- 
taquer la  Religion  &  le  Gouvernement.  32 

Préfaces  Modernes.  33 

DelicatefTe des  Traits  d'Efprit  modernes,  qai 
ne  foufrent  pas  le  tranfport.  34. 

Méthode  pour  pénétrer  fans  peine"  dans  les 
Penfécs  les  plus  mifterieufes  d'un  Auteur.        36 

Juftes  Plaintes  de  la  multitude  des  Auteurs, 
faite  par  la  multitude  même  des  Auteurs.  Echan- 
tillons de  CQS  Plaintes.  37.  38 

Ce  Sujet  eft  éclairci  par  le  Gonte  d'un  hom- 
me à  grofTe  bedaine  prefque  étouffé  dans  une 
foule.  39 

L'Auteur  prétend  fe  prévîdoir  des" Prérogati- 
ves accordées  à  tous  les  Ecrivains  Modernes": 
■  favoir  ,  de  dire  quelque  chofe  de  beau  &  de 
fiiblime ,  quand  on  ne  le  comprend  pas  ,  &  de 
iè  louer  foi-même  fans  façon.  40.  41 

La  raifon  pourquoi  aucun  Trait,  Satyriquç 
n'entre  dans  tout  cet  Ouvrage  ,  contre  la  lou^ 
blc  coutume  de^  Livres  modernes.  42.  43 

Raifon  veritable  &  nouvelle  pourquoi  H'Sa- 
i^'re  eft  plus  goûtée  que  le  Famgyri^ue,  44.  45^. 

La  Difference  qu'il  y  a  entre  la  République 
^'Athènes,  &  la  Grande-Bretagne,  par  rapport 
à  la  Satyre  générale  qui  regarde  tout  un  Peuple, 
&  la  Sat)r^  qui  a  pour  objet  quelque  Particu- 
lier. 47.48.49.- 

Deffein  de  l'Auteur  de  donner  au  Public  ifn 
Tanegyrique  du  C€ftre-Hnmam  &  une  Defenfe 

mo* 


DES    M  A  T  I  E  H  E  S. 

modefte  du  procédé  de   la  Populace  d.ins  tous 
les  âges.  fO 

I.  SECT.  Introduction^  au  Conte  du 
T  o  N  N  E  A  u.  DilTertation  Fhyfîco  -  Mythologi- 
que, fur  les  JLîcbnies  0>\ttoires.  Il  y  en  a  trois 
fortes  5  la  Chaire  ,  r Echelle  ,  &  les  Théâtres  des 
Charlatan:.  5"  3*  5!+ 

Du  Barreau j  &  du  Trihunal.  5-^ 

Tendrcilc  de  l'Auteur  pour  le  nombre  trois  y 
dont  il  promet  le  Panégyrique.  ^6.  5-7 

Des  Chaires,  la  matière  5c  la  forme  les  plus 
convenables.  5-7.  çS 

De  V Echelle,  Machine  Oratoire,  fur  laquelle 
les  Orateurs  Anglois  effacent  ceux  de  toutes  les 
autres  Nations  dans  le  même  genre.  ibid. 

Du  Théâtre  ambulant  ^  Séminaire  des  deux  au- 
tres Machines  Oratoires.  ^9 

Raifon  Phyfique  pourquoi  toutes  ces  Machi- 
nes ont  ime  certr.rne  élévation.  6a 

Ménagement  délicat  &  judicieux  de  l'Archi- 
tcdlure  dont  on  fe  fert  dans  les  Theatres  Dra- 
matiques. 61.  6i.  63 

Les  Machines  Oratoires  rcpreientent  emble- 
matiquement  les  dirfcrens  tours  d'efprit  de  ceux 
qui  y  montent ,  &  même  de  toutes  fortes  d'Au- 
teurs &  d'Ouvrages.  64.  6<^ 

Apologie  des  Auteurs  de  Cruhjlreet  contre  les 
Societez  révoltées  de  Gresbam  &  du  Cafté  ds 
Cuillaume,  66.  6j .  63 

Les  Lecteurs  fuperiîciels  ne  fauroient  déterrer 
la  SagefTe,  qui  reffemble  a  un  Renard,  à  un 
Fromage ,  &  a  beaucoup  d'autres  chofes  >  qu'oM 
lie  foiige  gueres  à  y  comparer.  6^ 

L'Auteur  promet  des  Commentaires  ponr  é- 
claircir  plufîeurs  Ouvrages  mifterieux  de  TAca- 
demie  de  Grubftreet  ,  comme  Docteur  Faujltts , 
J:etit  Paiijfet^  &C»  70.  71.  -2.  75 

ToT2:e  I,  G  La 


TABLE 

La  perfonne  &  la  plume  de  l'Auteur  ufécs  au 
fcrvice  du  public.  74.  7f 

Utilité  de  pluiîeurs  Titres  &  de  plufieurs  Dé- 
dicaces devant  le  même  Ouvrage.  7^«  ''T 

II.  SEC  T.  Commencement  du  Conte  du 
Tonneau.  Difcours  d'un  Père  mourant  à 
ies  trois  Fils ,  il  leur  donne  des  Habits ,  &  un 
Teltament.  ^     78.  79 

De  la  conduite  de  ces  trois  Cavaliers  dans 
leur  premiere  jeunelTe  ,  &  des  belles  qualité^ 
qu'ils  acquirent  en  fréquentant  les  petits  maî- 
tres &  les  coquetes  de  la  Ville.  80    81.  8  a 

Defcription  d  une  Scde  ,  qui  recornioilToit 
un  Tailleur  pour  le  Créateur  &  leur  Divinité 
tutelaire  ;  du  culte  de  ces  5eâ:aires  &  de  leur 
Syiicme  de  Religion.  ^         83.  &  fuivant. 

Comme  les  trois  Frères  lùivent  les  modes ,  & 
mettent  des  Nœuds  d'épaules ,  contre  le  Tefta- 
n^nt  de  leur  Père  5  qu'ils  fe  rendent  favorables 
par  la  fubtilité  de  quelques  diftindions  Scolafti- 
^es.  8p.  po.  51 

Us  couvrent  leurs  habits  de  Galons  d'or,  en 
fe  fondant  contre  ledit  Ttûament  fur  la  Trad/" 

Ils  y  mettent  des  doublures  de  Satin  couleur 
de  feu  5  s'autorifint  d'un  Codicille,  qui  n'eft 
pus  de  la  façon  de  leur  Père.  pf.  p^.  97 

11«  les  chargent  de  franges  d'argent  ,  en  fc 
prévalant  de  la  finefTe  d'une  interpretation  Cri-' 
titjue  dudit  Teilament.  ^  ,     .   ^^*  ^^ 

ils  y  ajoutent  une  broderie  Chinoife  ,  en 
léJudant  le  lens  naturel  à  literal  du  Teftament. 

Us  le  renferment  dans  un  Coffre-fort.         lor 

Le   plus    habile  des   Frères,  nommé   Pierre, 

.s'introduit    adroitement    dans    la    maifon    d'un 

grand  Seigneur  pour  élever   fes  L.nfiuis  j    âpre» 


DES    MATIERES, 

h  mort  de  ce  Seigneur  il  chaile  les  Fils  &  doi:=i 
ne  leurs  appartcmens  à  fes  Frères.  loi 

III.  SECT.  Digrejfion  tombant  Mejpeurs  les 
Critiques,  10} 

Trws  efpeces  de  Critiques  >  dont  les  deux 
premieres  font  éteintes.  104.  lOf 

Généalogie  du  vrai  Critique.  10^ 

Son  occupation  ,  fcs  devoirs  3  &  fa  definition. 

107.  loS 

Son  antiquité.  Les  Auteurs  les  plus  ancien* 
en  ont  parlé  d'une  manière  Emblématique,  iio. 

III* 

Paufanias  en  parle  fous  le  type  d'un  Ane  qui 
broute  les  vignes.  1 1  & 

Hérodote  fous  celui  des  x^nes  qui  ont  des  cor- 
nes ,  &  d'un  autre  Ane  dont  le  braire  mit  cr 
déroute  toute  une  Armée  de  Scythes,  1 1  j 

Diodort  fe  fcrt  de  l'Emblème  d'une  herbe  em- 
poifonnée.  114. 

Et  Ctefîas  de  celui  d'un  Serpent  qui  vomit  à.% 
'^oiron  &  qui  n'a  point  de  dents.  11^ 

Garçoni-Criîiqmi  indiquez  par  Terence  fous  le 
nom  de  M.%k-voli,  116.  117 

Le  veritable  Critique  comparé  à  un  Tailleur , 
&  a  un  Mendiant.  118.  119 

Trois  marques  Charaderifliques  du  vrai  Cri- 
tique Moderne.  120.  121 

IV.  SECT.  Continuation  du  Conte  d-4 
Tonneau.  izj 

Pierre  fait  le  gros  dos,  fe  donne  des  titres, 
&  pour  pouvoir  foutenir  'Çt^s  grands  airs,  il  s'ë. 
rige  en  Inventeur  de  Projets.  124. 

L'Auteur  fe  flatte  d'être  bientôt  traduit  dans 
toutes  langues  étrangères.  I2f 

Pierre   acheté   pour  une    fomme   modique  la 

Terre  Jujîrale  ^  il  la   vend  en  détail  à  plufieurs 

O  2  gens 


TABLE 

gens  fans  les  en  mettre  en  pofTeflion.     Il  débite 
un  remède  contre  les  Vers.  126 

11  établit  un  Bureau  en  faveur  des  Hypocon- 
driaques &  des  gens  tourmentez  des  vents.     127 

Un  bureau  d'afTurance  contre  la  brûlure.    128 

Il  invente  la  faumure  univcrfeile.  1 29 

Il  nourrit  une  race  de  Taureaux,  defcendus 
de  ceux  de  Colcbos,  mais  dont  les  pieds  étoient 
de  plomb,  au  lieu  que  leurs  Ancêtres  les  avoient 
d'airain.  130.  131.  132.  133 

Il  vend  des  pardons  k  des  criminels ,  qui  ne 
laiiTcnt  pas  d'etre  pendus.  134.  13^ 

Il  reçoit  un  coup  de  hache  à  la  tête  ,  donne 
dans  les  plus  grandes  chimères ,  &  dans  les  fri- 
ponneries les  plus  infâmes.  i  36.  i  37 

Il  chaiTe  de  la  maifon  fa  femme  &  celles  de 
fss  Frères.  i  38 

Il  leur  donne  du  pain  pour  du  mouton  &  pour 
du  vin.  339.  140.  141.  14a 

Il  débite  les  plus  horribles  menfonges  ,  & 
prétend  avoir  vu  une  Vache ,  qui  donnoir  aiTez 
de  lait  pour  en  remplir  3000.  Eglifes  ,  un 
Poteau  aiîez  grand  pour  en  faire  fix  Vaifleaux 
de  Guerre ,  &  une  Maifon  qui  faifoit  un  Voiagc 
par  mer  &  par  terre  de  plus  de  2000.  lieues 
d'Allemagne.  143.  144 

Les  deux  Frères  s'emparent  par  fînefle  d'une 
Copie  du  TejQ:ament,  forcent  la  cave,  boivent 
un  doit  de  vin  pour  fe  fortifier  le  cœur  ,  & 
font  chaûez  par  Pierre  à  grands  coups  de  pied. 

145-.  146.  147 

V.  SECT.  Digrejpon  à  la  Moderne.  148 

L'Auteur  s'étend  fort  au  large  fur  les  peines 
qu'il  fc  donne  pour  rendre  fervice  au  public  en 
l'inftruifant  5    &  fur-iout  en  le  divertiiTant.  149. 

H  donne  aux    modernes    une   rccepte  pour 

en- 


DES    MATIERES. 

«enfermer  dans  un  petit  volume  de  poche  ,  !e 
"Syfteme  de  tous  les  Arts  ,  &  de  toutes  les 
Sciences.  15-1.  jfs 

Defectuofitez  à' Homère,  &  fa  craiïe  ingnoran- 
cc  par  raport  aux    inventions    des   modernes* 

L'Auteur  n'écrit  que  pour  fuppléer  à  ce  qui 
manque  aux  Oeuvres  de  cet  ancien.        15-6.  15-7 

Il  excufè  les  louanges  qu'il  fe  donne  par  l'e- 
xemple des  plus  fameux  Modernes,     iy8.  15-9. 

160 

VI.  SECT.  Continuation  du  Conte  du 
Tonneau.  161 

Les  deux  Frères  cliafTez  prennent  unanime-, 
ment  la  refolution  de  réformer  leurs  habits  & 
leur  conduite.  Us  prennent  l'un  le  nom  de 
liartin  ,  l'autre  celui  de  Jian ,  &  bien-tôt  ils 
font  voir  qu'ils  ont  des  Inclinations  fort  diffé- 
rentes. 164..  i^j- 

Martin  ,  ayant  commencé  la  réforme  de  fou 
habit  d'une  manière  trop  rude  &  trop  impe- 
tueufe ,  fe  refoud  de  s'y  prendre  avec  plus  de 
précaution.  166.  167.  168 

Jean  5 emporté  par  Ton  zèle,  tire,  arrache,  & 
met  tout  fon  habit  en  Lambeaux.  i6p.  170 

Il  emploie  toute  fon  éloquence  pour  porter 
Martin  a  ia  même  fougue  3  mais  n'y  aïant  pas 
ré'ufli,  il  fe  fepare  de  lui.       171.  172,  173.  174.. 

Jean  devient  fou  a  lier,  il  s'attire  un  grand 
nombre  de  fobriquets,  6c  invente  la  SeCte  des 
JEolifies,  1 7  r.  176.  177 

VII.  SECT.  Digrejponàla  louangjedes  Digre£ïoî2s, 
Rien  n'eft  plus  fort  dans  'c  gout  moderne  que 
les  DigrelTions.  Le  gout  moderne  en  matière 
«d'efprit  comparé  au  gout  moderne  en  matières 
dQ  ragouts  &  de  fricaitces.  178.  179 

Tome   U  O  j  £)i- 


TABLE 

Digrefïïons  abfolument  nece/Taires  dans  le 
genre  d'écrire  des  Modernes.  i8a 

Deux  méthodes  d'acquérir  rerudition  ,  qui 
ont  à  préfent  la  vogue ,  la  Leé^ure  des  Titres , 
&  celle  des  Index.  Les  avantages  confiderable» 
de  la  dernière  de  tes  méthodes.  i8i 

L'utilité  des  Syfiemes  &  des  Abrégez.'^  le  nom- 
bre des  Auteurs  furpa/Tent  de  beaucoup  celui 
des  fujets  propres  à  être  traitez  dans  un  Livre  , 
rend  abrdument  neceflaires  les  Abrégez  &  le» 
Recueils.  182.  183 

Réponfe  a  une  objection  théc  de  Vinfnite 
de  la  matière.  L'obfcenitc  eft  la  feule  fource  de 
bel  efprit  ,  fur  laquelle  l'invention  des  moder- 
nés  fe  fignale  ;  elle  ne  lailTe  pourtant  pas  de 
s'épuifer  &  de  fe  perdre  peu  à  peu,        184.  i8f 

Moîens  faciles  de  fe  rendre  capable  d'écrire 
fur  toute  forte  des  fujets.  186.  187 

Si  le  Ledeur  ne  trouve  pas  cette  Digrefi'ion 
bien  placée,  il  eft  Maître  de  la  reléguer  dans 
quelque  autre  coin  du  Livre.  188 

V 1 1 L  SECT,  Continuation  du  Contée 
T  o  N  N  E  A  u.  Syftème  des  JEoHJies,  Ils  foutien- 
nent  que  le  Vent  ou  le  foufle  eft  l'origine  de 
toutes  chofes,  &  qu'il  domine  dans  la  ^compofl* 
tien  de  tous  les  êtres.  189.  190 

Les  iEoliftes  donnent  aux  hommes  jufqu'à 
cinq  âmes.  ipi 

Leurs  Harangues  ott  Eructations.  19a 

Leur  manière  de  s'enfler  pour  «'y  rendre  pro- 
pres. 193.  194. 

Bore'e  eft  leur  plus  grande  Divinité.  Ils  reçoi- 
vent leurs  infpirations  du  meilleur  Acabit  d'un 
pais  apelé  ^yxn-ta..  19^ 

Ils  fe  fervent  de  tonneaux  enfoncez  en  guife 
de  chaires.  J9<S.  197^ 

Inipirations  coi^muniquécs  au  public  par  le 

canal 


BES    MATIERES. 

csnai  des  femmes ,  &  pourquoi.  198.  199 

Les  notions  la  plus  oppofies  aux  attributs  Di- 
vins font  les  plus  propres  à  former  i'idce  d'un 
Diable,  llii'y  a  peint  de  Sede  -qui  puiiTe  s'en 
paffer.  200.  201 

Les  Diables  des  iEoliftes  font  le  Caméléon, 
&  un  Géant  nommé  Moulin-a-vent.  Les  Lapons 
font  étroitement  liez  a3:ec  les  -Eolifles  Britanni- 
ques. 202.    20} 

Le  profond  refpedl  de  l'Auteur  pour  cette 
Sede.  204. 

IX.  SECT.  Dijfertaîionfurrortgifze  ^  fur  V uti- 
lité de  la  Folie  ;  on  lui  eft  redevable  des  con- 
querans ,  &  des  diefs  de  Sede ,  tant  par  raport 
à  la  Religion,  qu'a  Philofophie.  20f.  2o5 

La  moindre  vapeur  qui  monte  dans  le  cer- 
veau eft  capable  de  caufer  les  entrepriies  ,  les 
revolutions  ,  &  les  CataftropKes  les  plus  mer* 
veilleufes.  207 

Cette  vérité  eft  confirmée  par  l'exemple  de 
i:Umy  le  xjr.mva  qui  T'A  ies  pius  ^ranuô  pjl^paratifs 
pour  la  guerre  à  caufe  de  l'abfence  de  fa  Maî- 
trelTe.  208.  209.  210 

Elle  eft  confirmée  encore  par  l'exemple  de 
Io«/i  A"/;^.  <i ont  les  vapeurs,  qui  avoient  été  la 
caufe  des  plus  vaftes  deffeins  ,  aboutirent  à  la 
£n  à  une  fîftule.  211.  2i2i 

Les  Syftémes  des  PhilofopKes  ont  la  même 
fource.  213.  214..  215'.  i\6 

Il  faut  à  l'homme  un  gout  fin,  beaucoup  de 
difcernement  ,  &  des  occafions  très-heureufes 
pour  faire  pafler  Ton  extravagance  pour  force 
d'efprit.  M.  IVotton  a  groffiereraent  manqué  de 
ce  côté-là.  217.  218 

Explication  détaillée  de  la  manière  dont  la 
"folie  produit  les    Syftémes  ,     &  les  conquêtes. 

21^.  210-  221 
O   4.  1^5 


TABLE 

Les  dehors  de  toutes  les  parties  de  la  nature 
vallenfmieux  que  les  dedans.         223.  224.  225* 

L'abondance  des  vapeurs  eft  l'unique  fource 
de  toutes  fortes  d'extravagances  ,  &  les  difFe* 
rentes  efpcces  ne  dependent  que  de  la  manière 
dont  le  cerveau  en  eft  touché.       236.  227.  228 

Projet  de  nommer  des  gens  habiles  pour  aller 
vifîter  l'Hôpital  des  Foux ,  afin  d'apliquer  chaque 
efpece  de  folie  à  fon  propre  objet ,  &  de  la  ren- 
dre utile  au  public.  228.  jufques  234 

L'Auteur  fait  par  fa  propre  experience  que  ce 
projet  eft  très^praticable.  Extrait  de  ce  qui  fuit 
dans  le  Munufcript  après  la  Sedlion  I X.  Conte- 
nant différentes  Avantures  des  trois  Frères  arrivées 
dans  la  ParoifTe  d'Albion  fous  plufieurs  differeni 
Seigneurs  de  ladite  Paroilîc.         1^6^  jufyues  243 

Sommaire  d'une  DigrefTion  fur  la  nature,  l'u- 
tilité j  &  la  neceftlté  des  Guerres,  &  des  Que- 
relles. 244.  24^.  2^6 

Suite  du  Sommaire  de  VHiftoire  des  trois  Fre- 

«^«««  :;;.  i;*.  24^ 

Remarque  du  Tradttâ:cur  fur  ce  Sommaire. 

25-0.  25-1.  25'a 

X.  SECT.  Conrplîment  de  l'Auteur  au  Public, 
La  grande  civilité  qui  règne  entre  les  Autcièrs, 
&  les  Ledeurs ,  &  remercimens  du  nôtre  adref- 
itz  à  tout  le  corps  de  la  Nation.  25-3.  1^^ 

Perfonne  n'eft  plus  fatisfait  de  (on  fort  que  les 
Auteurs  &  les  Libraires.  25'f 

Les  caufes  auxquelles  nous  fommcs  redevables 
de  la  plûpa  t  des  Ouvrages  modernes.  1^6 

Plaintes  de  l'Auteur  contre  un  certain  Bar- 
bouilleur de  papier  apellé  Auteur  des  fécondes 
parties  ;  il  implore  contre  ce  miferable  la  Pro- 
">eâ:ion  du  D  odeur  Bentley  ^  le  grand  Redrefleur 
des  torts  de  la  Republique  des  Lettres.  2^7 

L'Auteur  en  veritable  prodigue  regale  fes  -con- 

vi- 


DES    MATIERES. 

vîves  en  dépenfant  tout  fon  hÎQU  à  un  feuî  re- 
pas 2f8 

Ufages  que  peuvent  tirer  de  ce  Traité  toutes 
les  différentes  efpeccs  de  Lecteurs.  Les  fuper- 
ficiels,    les  ignorans ,  &  les  favans.  i^g 

Projet  de  faire  fept  amples  Commentaires  fur 
le  prefent  Ouvrages.  260 

L'utilité  des  Commentaires  pour  les  Auteurs 
profonds.  261 

Quelques  idées  très-utiles  à  ceux  qui  voudront 
entreprendre  de  commenter  ce  Livre  merveil- 
leux. 262.  263 

XL  SECT.  Continuation  du  Conte  du  Ton- 
neau. L'Auteur  fe  deleûe  à  faire  encore  quel- 
ques tours  de  promenade  avant  que  de  gagner 
le  gite.  Difference  entre  un  Voïageur  fatigué 
qui  fe  prefTe  de  revenir  chez  lui ,  &  un  Voïa- 
geur qui  ne  voïage  que  pour  fon  plaifiir.     26^, 

26<;.  26S 

La  fuite  des  Avantures  de  ^ea».  Son  refpedt 
fuperftitieux  pour  l'extérieur  de  la  Bible ,  &  les 
ufages  burlefques  qu'il  en  fait.  267.  268.  269.270 

Il  ne  fe  fert  jamais  que  de  phrazes  tirées  des 
Livres  facrcz.  Avanture  plaifante  qui  lui  arrive  à 
cette  occafion.  i-jt 

Son  zèle  &  fa  foumiflion  pour  les  décrets  ab- 
folus.  27» 

Sa  Harangue  en  faveur  de  la  Prédeftination, 
,     273.274.275' 

Il  cache  des  tours  Icelerats  fous  un  extérieur 
de  devotion,  &  affede  une  grande  fingularité 
dans  fes  manières  ,   &  dans  fes   difcours.   276. 

277.  278.  279 

Son  averfîon  pour  la  Muiîque  ,  &  pour  la 
Teinture.  tb/'d.  éy»  280 

Il  invente  un  foporifiquc  propre  à  être  don- 
né par  les  oreilles  ;  fes  Jercmiadcs,  &  fon  af- 

fec« 


TABLE    DES   MATIERES. 

feftation  de  vouloir  foufFrir  pour  la  bonne  cauf^, 

281.  282.  283 

L'averfion  prodigieufe  qui  règne  entre  Jean  & 
Tierre  les  fait  fe  rencontrer  fouvent  à  force  der 
s'éloigner  l'un  de  l'autre.  284. 

Jean  reflemble  extrêmement  à  Pierre 5  malgré 
tous  les  foins  qu'il  prend  pour  ne  hii  reflembler 
en  rien.  285-.  286 

Les  oreilles  abâtardies  de  ce  iîécle  ne  four- 
nifTent  pa?  une  anfe  fuffifante  à  ceux  qui  veu- 
lent retenir  les  hommes  par-là.  287 

Grandeur  &  Sainteté  emblématique  des  oreil- 
les des  fiécles  palTez.  288.  289.  290 

Les  paflions  &  les  fens  font  d'autres  anfes  par 
011  Ion  peut  arrêter  les  hommes  avec  fuccès. 
C'eft  par  la  curiofitc ,  que  l'Auteur  à  trouvé  à 
propos  d'arrêter  le  public.  2pi.  2921 

Sommaire  du  refte  de  cette  Hifloire ,  qui  s'eft 
malheureufement  perdu.  3P3 

La  Conclnf.on.  Les  Livres  ont  leurs  Saifons , 
comme  les  fruits.  29-4..  2pf.  196 

'  Defcription  des  profonds  Auteurs  ,  &  de 
l'ombre  de  l'Efprit.  297.  298 

Etroite  relation  qu'il  y  a  entre  les  Mufes  & 
le  fommeil.  299 

•  Apologie  de  certains  endroits  foibles  du  Li- 
Tre.  ihi(^» 

La  Méthode  &  la  Raifbn  doivent  être  les 
Filles  fui  vantes  de  l'Inveiiiion,  joo 

Recueil  Az  Fleurs  de  Rhétorique,  qui  n'eft 
v-enu  à  propos  à  l'Auteur  qu'en  compofant  foii 
Livre  dans  lc<ju?l  il  l'a  entièrement  épuifé.  30  r. 

Tin  du  Tome  premier.