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Full text of "Le duc d'Aumale 1822-1837"

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LE 



DUC D'AUMALE 

1822 — 1897 



ERNEST DAUDET 



Avec deux 'portraits en héliogravure 




PARIS 

LIBRAIRIE PLON 
E. PLON, NOURRIT et G'% IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

RUE GAnANCl ERE, 10 



1898 
Toui droits réservés 



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LE 



DUC D'AUMÂLE 



Les auteurs et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de 
reproduction et de traduction en France et dans tous les pays 
étrangers, y compris la Suède et la Norvège. 

Ce volume a été déposé au ministère de l'intérieur (section de la 
librairie) en février 4898. 



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La Police et les Chouans sous le Consulat et l'Empire. {Cou- 

ronné par l'Académie français*' , prix Gobert.) l vol. 

Le Cardinal Consalvi. (Épuisé,) 1 vol. 

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PARIS. TYPOGRAPHIE UE E. PLON, NOURRIT ET C'% 8, RUE GARANCIÈRE. — 3177. 



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DUC D'AUMALE 



1822 — 1897 



ERNEST DAUDET 



Avec deux 'portraits en héliogravure 




PARIS 

LIBRAIRIE PLON 
E. PLON, NOURRIT et C'% IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

RUE GARANCIÈRE, 10 



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1898 
Tous droits réservés 



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INTRODUCTION 



Sans tenir la première place dans les événements qui ont 
marqué les temps où il a vécu, le duc d'AumMe en a occupé 
une considérable. Il la devait non seulement à sa naissance, 
mais encore à cette impression, qu'il donna sans cesse à ceu^ 
qui rapprochaient, qm s'il lui eût été permis d'exercer qu£l- 
qu£ influence sur ces événements, peut-être en eût-il changé 
le cours et les eût-il fait aboutir à d'heureuses issues. Parfois, 
quand on V écoutait, il semblait dater d'un autre âge et appar- 
tenir à ces époques où les âmes françaises apparaissent plus 
hautes, plus fières, plus ardentes que de nos jours. Cependant 
tel que nous l'avons connu, avec son vibrant patriotisme, son 
libéralisme dépensée et d'action, l'universalité de ses connais- 
sances, sa vivacité intellectuelle, sa bravoure militaire, ses 
goûts de grand seigneur et d'artiste, il était certes le plus m,o- 
derne des princes, — une sorte de trait d'union entre le pré- 
sent et le passé. 

Comme pour grandir sa physionomie et la rendre digne de 
figurer au premier rang dans l'histoire, le destin mit sur sa 
route, en une suite d'événements privés ou publics, tout ce 



II INTRODUCTION. 

qui contribue à créer les légendes : la gloire précoce, les deuils 
cruels, Vexil amer, les rigueurs imméritées, celles du sort et 
celles des hommes. Il porta en chrétien, en prince, en Fran-- 
çais, le faisceau de ses trop rares joies et le fardeau de ses 
trop nombreuses tribulations. Une fois rentré dans son pays, 
il parlait sans amertume de ceux qui, par deux fois, Vavaient 
proscrit, comme si, en touchant le sol natal, il s'était trouvé 
subitement consolé, guéri, et avait pardonné aux proscrip- 
leurs, A la fin de sa vie surtout, tout en lui témoignait de 
cette généreuse clémence, et, de même aussi, ses paroles, ses 
actes trahissaient l'immense joie qu'il ressentait à vivre dans 
sa patrie et à fouler de ses pieds « la poussière de France » . 

Cependant, comme s'il n'eût pas épuisé toutes les douleurs 
du prince, du patriote, du fils, de l'époux, du père, du sol- 
dat, la destinée lui en réservait une autre dont, heureusement, 
il n'eut pas le temps de souffrir : celle d'expirer loin de cette 
patrie bieh-aimée à laquelle, dès qu'il put sentir et compren- 
dre, il avait donné tout son esprit et tout son cœur. 

Ainsi tout a contribué, — ses origines, sa valeur person- 
nelle, les circonstances de sa vie, — à lui créer un piédestal, 
d'où, vivant, il ne descendit jamais une fois qu'il y fut hissé 
et où, mort, il semblera de plus en plus grandi. On a pu déjà 
prévoir ces choses au moment de son trépas, dans les regrets 
et dans les hommages prodigués autour de son cercueil. L'his- 
toire leur donnera plus de précision, un relief plus accusé. 
Peu d'hommes, depuis cinquante ans, ont été autant que le 
duc d'Aumalè, un « personnage historique ». 

Le premier souvenir que j'ai gardé de lui remonte à l'épo- 
que de sa rentrée en France, en 1871, Depuis, je le revis sou- 



INTRODUCTION. m 

vent, et j'ai toujours vécu parmi quelques-uns de ses amis les 
plus intimes et les plus chers. Historien, familiarisé par des 
études antérieures avec les grands épisodes où figurèrent ses 
parents, Vidée devait naturellement m'étre suggérée d'écrire 
nn livre en guise d'hommuge à sa mémoire. Ce livre, mes 
souvenirs personnels et la bienveillance des amis du prince 
m'ont permis de V entreprendre. J'adresse ici à tous ceux qui 
in apportèrent leur concours le témoignage de ma vive et sin- 
cère gratitude. 

Je n'ai pas la prétention d'avoir écrit sur le dm d'Aumale 
r œuvre définitive à laquelle a droit sa mémoire^ ni par consé- 
quent d'avoir élevé le monument qu'elle mérite et qui perpé- 
tuera son souvenir. Comment aurais-je pu nourrir pareille 
ambition quand le dépouillement des volumineux papiers 
qu'il a laissés n'est pas achevé, et lorsque des années sans 
doute s'écouleront avant que, ces précieux documents étant mis 
au jour, son histoire puisse s'éclairer de leur lumière? Moins 
prétentieuse a été ma tentative. Au lendemain de la mort du 
prince, lorsque tant de témoins de ses actions vivent encore et 
peuvent confirmer ou rectifier mes récits, je n'ai voulu, en le 
suivant dans sa longue carrière, qu'en fixer les principaux: 
traits avant qus le temps les effaçât. 

Tel qu'est ce travail, quelque incomplet qu'il soit, je me 
rends ce témoignage que, dans son exécution, mon cœur n'a 
pas eu une moindre part que mon esprit. Entraîné par une 
admiration à laquelle venaient, à chaque pas, se mêler des 
regrets nés du spectacle de tant de dons rares et merveilleux 
inutilisés trop tôt et perdus pour la patrie, j'ai mis à écrire 
ce livre une ardeur passionnée, dévoré du souci de ne m'in- 



IV INTRODUCTION. 

spirer qm de la vérité, de l'exprimer telle qu'elle n'apparais- 
sait et de ne rien négliger pour la découvrir au milieu de 
dires parfois confus et souvent contradictoires. Durant six 
mois, il m'a pris tout entier, ce livre; il a été mon tourment et 
mu joie. 

En le présentant au public sans me dissimuler ce qui y 
manqua, j'ose déclarer que quiconque sera plus tard en état 
d'entreprendre l'œuvre définitive dont je parlais plus haut, 
et le tentera, devra nécessairement ouvrir la mienne et se docu- 
menter peu ou prou dans ces pages sincères où, pour la pre- 
mière fois, est présentée dans son cadre, de son commencement 
d sa fin, dans un ensemble imposant de pièces historiques et 
tout au moins avec ses grandes étapes, sinon dans tous ses 
détails, la vie du duc d'Aumale. Sans doute, pourra-t-on la. 
faire mieux connaître. Mais je ne pense pas qu'on parvienne 
à modifier sensiblement l'opinion que les lecteurs auront pu 
s'en faire diaprés mes récits. Fort de cette conviction dont il . 
m'a suffi de me sentir animé pour être payé de mes efforts 
et de ma peine, j'espère qu'on ne me contestera pas, à défaut 
d'autres mérites, celui d'avoir tracé et jalonné la route par 
laquelle le duc d'Aumale entrera dans l'histoire. 

E. D. 

15 décembre 1897. 



LE DUC D'AUMALE 



CHAPITRE PREMIER 

ANNÉES d'enfance ET DE JEUNESSE 

La naissance. — Milieu familial. — Louis XVIII et le duc d'Orléans. 

— Mme de Genlis. — Le premier spectacle. — Éducation. — Les 
fils du roi, fonctionnaires. — Guvillier-FIeury, précepteur du duc 
d'Aumale. — Le ducd'Aumale au collège. — Épisodes de ce temps. 

— Le goût pour l'histoire. — La famille d'Orléans aux Tuileries. 

— Un prince patriote. — - Extraits de correspondances. — La 
folie de l'épée. — Ambition d'un sous-lieutenant. — Soldat et 
cocardier. — Fin des études. — La grâce de Barbés. — Le duc 
d'Orléans et le duc d'Aumale. — En vue de la Terre promise. — 
Départ pour l'Algérie. 

Il existe aux Archives nationales un registre in-folio^ 
doré sur tranches, relié en velours bleu, orné sur sa cou- 
verture d'un écusson fleurdelisé. C'est sur ce registre, 
confié à la garde des pairs du royaume, qu'étaient inscrits, 
au temps de la monarchie, les actes de l'état civil des 
princes de la maison de France. On y voit figurer, à la 
date du 16 janvier 1822, l'acte de naissance de Henri- 
Eugène-Philippe-Louis d'Orléans, duc d'Aumale, cin- 
quième fils de Son Altesse Sérénissime Monseigneur le 
duc d'Orléans et de Son Altesse Royale Madame la 
duchesse d'Orléans (1). 

(1) En sa qualité de fille du roi de Naples, la duchesse d'Orléans 

1 



î LE DUC D'AUMALE. 

La naissance a été constatée, aux termes de l'ordon- 
nance du roi du 23 mars 1816, par M. le chancelier de 
France, accompap^né du marquis de Sémonville, pair de 
France, grand référendaire de la Chambre des pairs, et 
du chevalier Cauchy, garde des archives de ladite 
chambre, greffier de l'état civil de la maison royale, en 
présence du marquis de Lauriston, pair de France, 
ministre secrétaire d'État de la maison du roi, et du 
marquis de Brézé, pair de France, grand maître des 
cérémonies de France. 

Les témoins désignés par le roi et qui ont signé, en 
cette qualité, tant le procès-verbal que l'acte de nais- 
sance, sont : M. le marquis de Lally-Tollendal, pair de 
France, ministre d'État, et M. le prince duc de Poix, 
pair de France, capitaine des gardes du corps du roi. 
L'un et l'autre de ces actes ont été inscrits sur le double 
registre de l'état civil de la maison royale, déposé aux 
archives de la Chambre des pairs. 

Le lendemain, 17 janvier, le Moniteur annonce dans sa 
partie officielle l'accouchement de la duchesse d'Orléans. 
Le 18, la partie non officielle ajoute : « Son Altesse 
Sérénissime Monseigneur le duc d'Orléans est venu 
annoncer au roi l'heureuse délivrance de Son Altesse 

était traitée d'Altesse Royale, tandis que son mari, à qui le roi 
Louis XVIII refusait obstinément le même titre, n'avait que celui 
d'Altesse Sérénissime. 

Lorsqu'ils allaient ensemble aux Tuileries, un huissier ouvrait la 
porte à deux battants et annonçait : 

€ Son Altesse Royale Madame la duchesse d'Orléans. » 
Puis, refermant un des battants, il reprenait : 
c Son Altesse Sérénissime Monseigneur le duc d'Orléans. » 
Ils se plaignirent à plusieurs reprises, l'un et l'autre, de cette dif- 
férence de traitement. Mais le roi, qui n'aimait pas le duc d'Orléans, 
refusa toujours de faire droit à ses réclamations comme à celles de 
la princesse. C'est Charles X qui. lors de son avènement, mit fin à 
cette anomalie* 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 3 

Royale, son épouse, qui est accouchée d'un garçon. 
Madame (1), les princes (2) et Son Altesse Royale Madame 
la duchesse de Berry se sont rendus au Palais-RoyaJ 
pour rendre visite à Madame la duchesse d'Orléans. » Le 
même jour, le roi envoie le duc d'Avaray complimenter 
les parents du nouveau-né. Il sera tenu sur les fonts 
baptismaux par Mademoiselle d'Orléans et par le duc 
de Bourbon, fils du prince de Condé et père du duc 
d'Ënghien. En attendant la cérémonie du baptême, il a 
été ondoyé par le curé de Saint-Roch. 

Avant d'entrer dans le récit qui complétera ce qu'on 
sait déjà du prince dont les formalités d'une antique éti- 
quette accueillaient ainsi la naissance,' il convient de 
décrire le foyer familial où il allait vivre. 

« Au milieu des grandeurs de la cour, disait-il plus 
tard en parlant de ses parents, le duc et la duchesse 
d'Orléans vivaient en gens simples. Montés sur le trône, 
ils se firent honneur de persévérer dans cette simplicité 
d'aspirations, de manières, de goûts, qui rendait leur 
intérieur agréable et charmant et qu'ils communiquèrent 
à leurs enfants. Un esprit de famille régnait parmi eux, 
créait entre eux cette solidarité qui naît de la tendresse 
réciproque de ceux qui vivent au même foyer. Les leçons 
d'urbanité, de modestie, de noble fierté, sortaient tout 
naturellement, grâce à la ferme bonté des parents, de 
cette existence où tout aboutissait à la conclusion que la 
valeur personnelle développée par le travail est néces- 
saire à tous (3). » 

Il est aisé de comprendre, après avoir lu ces lignes, 



(i) La duchesse d'Angoulême. 
(2) Le comte d'Artois et le duc d'Atigoulême. 
(3| Propos tenus à l'auteur par le duc d'Aumale, à l'issue d<un 
déjeuner à Chantilly. 



4 LE DUC D'AUMALE. 

quels principes le duc d'Aumale suça avec le lait. Aussi 
garda-t-il toujours de son enfance, de la sollicitude dont 
elle avait été enveloppée par son père, sa mère, ses 
frères, ses sœurs, un souvenir attendri en même temps 
qu'une admiration profonde pour ceux à qui il devait « le 
meilleur de lui-même » et de qui il aurait pu dire comme 
le poète : 

Car en moi rien n'est bon qui ne vous appartienne (1). 

La vie du duc et de la duchesse d'Orléans, quand il 
vint au monde, était aussi paisible qu'elle était simple, 
l'hiver au Palais-Royal, l'été à Neuilly, presque une vie- 
bourgeoise, relevée par ces goûts rares et délicats que 
Louis-Philippe, quand il fut roi, manifesta en restaurant 
le palais de Versailles et en en faisant un musée histo- 
rique et national. Le futur souverain des Français vivait 
à cette époque très en dehors de la politique. Louis XVIII 
l'en tenait systématiquement éloigné. Les relations entre 
les Tuileries et le Palais-Royal restaient correctes, mais 
sans cordialité. Les souvenirs de la Révolution pesaient 
toujours sur elles. 

Bien que pendant l'émigration le roi eût exigé et 
accepté la soumission des princes d'Orléans et qu'elle eût 
été, de la part de ceux-ci, entière et complète, le seul 
d'entre eux qui fût encore vivant était toujours l'objet 
d'une défiance et de rancunes que ni le temps ni son atti-» 
tude n'avaient effacées. Il ne paraissait donc à la cour 
que lorsque le roi ou les formalités d'une étiquette méti- 
culeuse l'y appelaient. Il vivait chez lui, entouré de quel- 
ques amis fidèles, très soucieux de garder son rang, 
mais également préoccupé de ne pas paraître s'imposer 

(1) Victor DE Lapîiade, Dédicace des Poèmes évangéliquesé 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 5 

aux Tuileries, suivant de haut et de loin les incidents de 
la vie publique, dissimulant de son mieux combien ils le 
passionnaient, se consacrant à sa femme et à ses enfants 
en homme pour qui les joies du foyer domestique sont 
les plus grandes qu'on se puisse donner ici-bas. 

Tel est le milieu dans lequel le duc d'Aumale passa ses 
premières années, entendant parler à toute heure des 
devoirs auxquels, aux hauteurs où l'avait mis sa nais- 
sance, il était plus tenu que d'autres, et rarement des 
droits qu'elle lui donnait. 

Le duc d'Orléans était soucieux de ne pas élever ses 
enfants ainsi qu'il avait été lui-même. Il avait trop souf- 
fert de l'abandon de son père, de l'intrusion, dans la vie 
de celui-ci, de femmes dont l'influence était une injure à 
sa mère et des singuliers procédés d'éducation qu'em- 
ployait à son égard Mme de Genlis, pour ne pas craindre 
d'imposer à ses fils le même supplice. 

Il se rappelait avec amertume le temps où, absolument 
livré à l'autorité de cette éducatrice, privé de tendresse 
et de conseils affectueux, il était contraint à mille servi- 
tudes qui le blessaient et l'humiliaient sans lui rien 
apprendre d'utile à l'état qui l'attendait dans le monde, 
sans améliorer son esprit et son cœur(l). Pourquoi 
Mme de Genlis exigeait qu'avec sa sœur il montât le 
bois, allât puiser de l'eau, cultivât un jardin et portât à 
ses chaussures des semelles de plomb, il ne l'avait jamais 
bien compris, et quand lui-même eut des enfants à 
élever, il se promit, d'accord avec la duchesse d'Orléans, 
et tout en leur donnant des maîtres, de ne jamais oublier 
que les meilleurs éducateurs sont encore le père et la 

(1) Il en parlait avec amertume, et, dans ses papiers inédits, on 
retrouve fréquemment l'impression pénible et douloureuse qu'il 
avait gardée de ces premiers temps de sa vie. 



6 LE DUC D'AUMALE. 

mère, quand ils sont pénétrés des obligations que leur 
imposent la conscience et la loi naturelle. 

Il entendait que leur intelligence et leur âme fussent 
cultivées dans une atmosphère familiale, dans la douceur 
fécondante des foyers unis. A toute heure, même quand 
il fut roi, il faisait trêve aux soucis, aux occupations dont 
il était accablé, pour s'occuper de ses euiants, se rendre 
compte des développements de leur raison, de leurs pro- 
grès intellectuels, de leur santé. Il ne dédaignait pas de 
partager leurs jeux, ou de les associer à ce qu'il conôidé- 
rait comme un plaisir pour lui-même. 

« Le plus ancien souvenir que je conserve du théâtre 
est celui-ci, racontait un jour le duc d'Aumale dans l'ate- 
lier d'un peintre qui faisait son portrait. J'étais tout petit 
et je jouais, après dîner, sur le tapis du salon, au Palais- 
Royal. Mon père entra et dit à ma mère : 

« Je vais emmener Henri voir Talma (1). » 

« Il me prit dans ses bras et, par le corridor qui reliait 
le Palais-Royal à la loge de la cour, me fit faire ma pre- 
mière entrée à la Comédie-Française. Il m'installa dans 
un coin de la loge, en me recommandant d'être bien 
sage. Je le lui promis, et d'abord je n'eus pas grand'- 
peine à tenir ma promesse. J'étais ravi d'apercevoir 
devant la rampe à quinquets se promener de belles dames 
qui s'avançaient majestueusement, en faisant des gestes 
magnifiques pour raconter des choses que je ne com- 
prenais pas. Hélas I à l'entrée de Talma, tout se gâta. Le 
sublime artiste jouait Oreste. Au moment de ses fureurs, 
je me mis à pousser des cris horribles à la vue de cet 
homme terrifiant. Mon père n'eut que le temps de me 
rapporter au plus vite près de ma mère, qui, avec beau- 

(1) On l'appelait Henri, mais plus communément Mimi. 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 7 

coup de peine, réussit à me consoler. Telle fut ma pre- 
mière et tragique apparition au Théâtre-Français (1). » 

Le duc d'Aumale goûta donc, en venant au monde, et 
dans toute sa douceur, le miel des tendres caresses qui, 
non moins que l'exemple et mieux que les trop dures 
leçons, façonnent l'âme et la préparent à la vie, quand 
elles ont pour contrepoids une discipline morale de tous 
les instants, d'autant plus efficace qu'elles sont assez 
intelligemment prodiguées pour en alléger le poids et la 
rigueur. A cet égard, on peut dire que Louis-Philippe 
était passé maître. Nul n'eut à un plus haut degré que 
lui l'art de corriger, par la discipline, dans sa famille, 
les excès de la tendresse, et de tempérer, par les témoi- 
gnages incessants de cette tendresse, les sévérités 
nécessaires. Pour remplir ce devoir, il trouva dans la 
noble princesse qu'il avait associée à sa vie une collabo- 
ratrice intelligente qui toujours l'approuva dans ses 
vues sur leurs fils et n'eut jamais à le désavouer. 

Un des anciens condisciples du duc d'Aumale (2) a 

(i) Communiqué par M. Henri Gain, auteur d'un beau portrait du 
prince, au pastel, et qui tient de lui diverses anecdotes de sa vie, 
racontées au cours des séances de pose. 

(2) M. Buisson, ancien député de l'Aude à l'Assemblée nationale 
de 4871, jadis condisciple du duc d'Aumale au lycée Henri IV et 
auteur d'une très attachante étude intitulée : Henri d'Orléans duc 
d'Aumale. Quoique publiée depuis la mort du prince, elle avait été 
écrite de son vivant. L'auteur voulut la lui lire, ce à quoi se prêta le 
duc d'Aumale avec sa bonne grâce accoutumée. 

€ Pendant que je la lui lisais, m'a écrit M. Buisson, il la souli- 
gnait de coups de tête approbatifs, précisément aux passages rela- 
tifs à ses sentiments et à sa conduite dans l'Assemblée nationale.* 
Après ma lecture, je lui dis : 

« — Monseigneur, si vous vous trouvez ressemblant, je vous de- 
mande un signe. J'ai cité Macaulay; je ne sais pas l'anglais et j'ai pris 
la traduction je ne sais où. J'aimerais à l'avoir traduite par vous et 
écrite de votre main. Ce sera la preuve que j'ai dit de vous ce qu'il 
fallait en dire. 

« Je reçus la traduction le surlendemain. » 



8 LE DUC D'AUMALE. 

raconté que Texpérience du roi Louis-Philippe avait 
établi, pour le bien commun de son intérieur et de l'État, 
une hiérarchie sérieuse entre ses fils. Rien n'est plus 
vrai. Il ne voulait pas que l'aîné, l'héritier de son trône, 
pût être gêné par les autres. D'après les lois de cette 
hiérarchie, cet aîné, le duc d'Orléans, celui qu'on appelait 
le Prince royal, avait seul le droit de s'occuper des 
questions courantes de la politique. Seul il était admis 
à les discuter, à en poursuivre l'étude, à les critiquer, le 
cas échéant. 

D'autre part, ses frères, dans la pensée de leur père, 
lui devaient le respect. Ils le lui accordèrent sans peine 
et sans cesser de l'aimer. Le duc d'Aumale, notamment, 
conçut pour son aîné, doué de qualités si variées et si 
fortes, une déférence mêlée de fraternel amour, qui le 
lui fit toujours considérer comme un chef digne de vé- 
nération. Après le tragique événement où périt ce prince 
sur qui reposaient tant de légitimes et radieux espoirs, 
cette déférence se transforma en une sorte de culte que 
le duc d'Aumale a conservé toujours aussi vivace jusqu'à 
la fin de sa vie. On peut dire que son frère fut le modèle 
qu'il s'était proposé et de la conduite duquel il lui était 
doux de s'inspirer dans les diverses circonstances de sa 
longue carrière, où il eut à prendre des résolutions 
importantes. Il aimait alors à se demander : « Qu'aurait 
fait d'Orléans? Que m'eût-il conseillé? » 

Du reste, il avait ce bonheur de pouvoir se reporter 
avec la même confiance au souvenir de ses parents. Il 
savait que de là aussi n'auraient pu lui venir que de bons 
conseils, et ces conseils il les eût suivis avec la docilité 
d'un enfant plié à l'obéissance dès le berceau. Plus tard, 
le roi Louis-Philippe résumera comme suit les effets de 
l'éducation qu'il a donnée à ses fils. 



ANNEES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 9 

« Ne VOUS y trompez pas, dira-t-il uq jour à M. Guizot, 
mes fils sont d'excellents fonctionnaires (i). » 

Et c'est bien là ce qu'il avait voulu qu'ils fussent, à 
l'exception du duc d'Orléans, qui, devant régner un jour, 
avait droit à une initiative que ses parents n'eussent pas 
tolérée de la part de ses frères. Fonctionnaires! Ceux-ci 
ne considéraient pas que l'épithète fût offensante pour 
eux. Il est arrivé au duc d'Aumale de se l'appliquer à lui- 
même dans des entretiens avec ses amis, sans croire se 
diminuer en se qualifiant de la sorte. Plusieurs actes de 
sa vie que nous aurons à rappeler au cours de ce récit, 
lesquels ont surpris ou affligé ceux de ses familiers qui 
auraient voulu le voir alors plus net et plus résolu, se 
peuvent expliquer par cette première éducation. Elle le 
poussa à considérer que sa volonté devait céder à celle 
des dépositaires du pouvoir. Il s'est toujours énergi- 
quement prononcé à ce sujet. Et sans doute est-ce là ce 
qui a pu faire supposer parfois, à l'étudier à travers cer- 
tains de ses actes, qu'il était dépourvu de résolution. 

Il ne serait pas cependant impossible d'établir que ce 
défaut de résolution n'existait chez lui qu'en apparence. 
Il lui a été surtout reproché par ceux qui trouvaient mau- 
vais qu'il se fût refusé à jouer un rôle de prétendant 
ou d'aspirant au gouvernement, alors qu'élevé en cadet, 
destiné à obéir à l'aîné de la famille, il n'était qu'un prince 
de sang royal sans droits personnels. On en pourrait mieux 
juger s'il se fût trouvé, de par sa naissance, le chef de sa 
maison et, par exemple, à la place du comte de Cham- 
bord. Un jour, comme il revenait de Versailles en chemin 
de fer, un de ses compagnons de route citait devant lui 
cette parole de l'auguste exilé de Frohsdorf : 

(i) Raconté par M. Guizot chez le duc de Broglie. 



10 LE DUC D'ÂUMÂLE. 

(( Je ne peux oublier que je suis le descendant de saint 
Louis. » 

— Eh I sacrebleu! s'écria le duc d'Aumale, il devrait bien 
aussi ne pas oublier qu'il est le descendant de Henri IV (i) . 

On peut en conclure que lui ne l'eût pas oublié. Mais 
s'il fut trop hiérarchisé, au gré de quelques-uns de ses 
amis, on ne saurait perdre de vue que c'était le fait de son 
éducation, des leçons qu'il avait reçues de son père, lequel 
avait voulu qu'il en fût ainsi. 

Le duc d'Aumale venait d'atteindre sa cinquième année, 
lorsque, en 1827, Louis-Philippe, encore duc d'Orléans, 
songea à lui donner un maître qui devait commencer son 
instruction et la continuer jusqu'au bout. Trouver ce 
maître digne d'élever son fils n'était pas chose aisée. Mais 
la difficulté fut promptement vaincue. Le hasard amena 
au Palais-Royal, du premier coup, l'homme qui convenait 
le mieux à ces fonctions. C'était un jeune professeur, 
nommé Cuvillier-Fleury, naguère attaché comme secré- 
taire particulier au roi Louis, frère de l'empereur Napo- 
léon (2). « Vous étiez un enfant, disait, quarante-six ans 
plus tard, au duc d'Aumale, Cuvillier-Fleury, en le rece- 
vant à l'Académie française; j'étais un jeune homme. 
Nous allions être, vous, mon disciple, moi, votre maître. 
Nous avons vécu ainsi douze ans, tout le cours d'une édu- 
cation classique, dans ces rapports où la subordination 
vous était facile, moins par mon fait que par le vôtre. 
J'avais accepté une tâche, celle d'élever un prince fran- 



(i) Cité par le Times. 

(2) J'ai trouvé dans les papiers du premier duc Decazes un billet 
de l'ex-roi de Hollande, en date du 15 août 1814, et ainsi conçu : 
t Je prie M. Fournier et M. Decazes de donner en mon nom, sur les 
fonds qu'ils ont à moi, des secours proportionnés à leurs besoins : 
1" à la famille Cuvillier-Fleury; 2** à la fille du colonel Donnât, mon 
ancien aide de camp. — Louis. » 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 11 

çais, que les plus grands docteurs de l'Église chrétienne 
n'abordaient qu'en tremblant; l'Université me prétait la 
force qui m'eût manqué. Vous aviez une mère admirable 
qui a fait l'éducation de votre âme. Le roi Louis-Philippe 
vous apprenait la vie humaine, dont il avait l'expérience 
déjà longue et la pratique toujours active. L'Université 
était la véritable institutrice de votre esprit. » 

Ces quelques lignes ne contribuent pas peu à caracté- 
riser l'enseignement du jeune maître à son élève. Ce fut 
au plus haut degré un enseignement universitaire et 
démocratique, ce dernier mot étant pris dans son sens le 
plus juste et le plus élevé. Louis-Philippe avait en ces 
matières, on Ta vu, des idées très personnelles, très 
audacieuses même pour le temps où il les exprimait et les 
pratiquait. 

« Il faut que mes fils restent princes, disait-il à M. Cuvil- 
lier-Fleury; le métier est rude aujourd'hui; je ne veux 
pas, sous prétexte de renoncer à quelques avantages de 
leur état, qu'ils échappent à ses devoirs ou à ses dangers ; 
mais il faut élever les princes comme s'ils ne l'étaient 
pas. » 

La doctrine était téméraire autant que neuve. « Les 
grands, prêchait jadis Massillon, ne doivent leur élévation 
qu'aux besoins publics... et ils sont faits pour le peuple. » 
A la faveur de ces paroles, il est permis de se demander 
si Louis-Philippe, lorsqu'il souhaitait que les princes 
fussent élevés comme s'ils ne l'étaient pas, n'anticipait 
pas sur son temps; si, même encore aujourd'hui, il n'est 
pas nécessaire qu'un prince soit élevé comme tel et spé- 
cialement pour sa fonction, pour son office social, avec 
ridée supérieure que, de la place oîi ils sont, les princes 
voient des motifs de décision et d'action qui sortent de la 
règle commune, dans les circonstances critiques. Mais 



12 LE DUC D'AUMALE. 

ceci est la doctrine aristocratique, et Louis-Philippe en 
professait une toute différente qui, mise en pratique à 
l'égard de tous ses fils, lui a si bien réussi qu'on ne sau- 
rait le blâmer, après l'expérience faite pour l'afné, d'avoir 
continué pour les autres. Le duc d'Orléans avait été mis 
au collège. Ses frères y allèrent après lui, et le collège 
Henri IV s'ouvrit pour le duc d'Aumale, quand il eut l'âge 
d'y entrer, comme il s'était ouvert pour eux (1). Il en 
devint bientôt un des plus brillants élèves, toujours à la 
tête de sa classe et, à partir de 1834 jusqu'en 1839, annuel- 
lement nommé ou couronné au concours général. Il y 
obtint, étant en rhétorique, le deuxième prix d'histoire et 
le deuxième prix de discours français. Cette année-là, le 
roi se rendit à la Sorbonne pour voir couronner son fils. 
Quant à la reine, elle ne manquait jamais à la distribu- 
tion du grand concours (2) 

Très assidu et très appliqué, le prince était adoré de ses 
camarades. Mêlé à eux à toutes les heures de la vie sco- 
laire, il donnait libre cours à son exubérante jeunesse, 

(1) Le système d'éducation que Louis-Philippe, alors duc d'Orléans, 
adopta pour ses fils, rencontra d'abord la plus vive opposition de la 
part de Louis XYIIl. Il combattit les idées de son cousin sans pou- 
voir les lui faire abandonner. Dans un des entretiens qui eurent lieu 
entre eux sur ce sujet, le duc d'Orléans rappela que le grand Gondé 
avait été élevé comme il voulait faire élever ses fils. 

« Sans doute répliqua le roi; aussi lui arriva-t-il d'être un fac- 
tieux. » 

De cette opposition du roi et de la résistance du duc d'Orléans 
j'ai retrouvé, dans les archives Decazes, des traces bien curieuses : 
une lettre de Louis-Philippe et des billets du roi à son ministre. 
Voir à la fin du volume : Pièces historiques,' I. 

(2) Extrait de l'éloquent Éloge historique écrit par M. Georges 
Picot, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et 
politiques, et lu par lui à la séance annuelle de cette académie, le 
27 novembre 1897. En sa qualité d'exécuteur testamentaire, 
M. Georges Picot a eu connaissance des manuscrits du duc d'Aumale 
et en a tiré les détails les plus attachants qui font de son opuscule 
un document très précieux. 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 13 

aussi ardent au plaisir qu'au travail. Ses maîtres lui 
reprochaient même de troubler par d'incessantes conver- 
sations le silence des classes. « Conduite légère, écrivait 
sur le cahier de notes Victor Duruy, son professeur d'his- 
toire, qui néanmoins savait rendre justice à son applica- 
tion; beaucoup trop de gaieté et de mouvement. » Un 
autre de ses maîtres disait : « Bien, sauf qu'il aime trop 
les oreilles de ses voisins (1). » 

Il y a de ces temps quelques jolis souvenirs. Comment 
ne pas rappeler celui que, dans un discours prononcé le 
2 juillet 1870, à la tribune du Corps législatif impérial, 
évoquait un vaillant défenseur des princes d'Orléans pro- 
scrits? « Leur éducation a été celle de tous les citoyens. 
Vous les avez vus se mêler sur les bancs de nos écoles 
aux jeunes gens de leur âge, et, il y a quelque temps, 
siégeait dans cette enceinte un ministre qui, au collège, 
avait pu dire à l'un d'eux : « Monsieur d'Aumale, vous 
« ne savez pas votre leçon; allez-vous-en à votre place! » 
Et des hommes qui sont aujourd'hui dans l'armée, dans 
la magistrature, et j'en vois même ici, pouvaient dire 
aussi : « Montpensier, passe-moi ton dictionnaire 1 — 
a Join ville, prête-moi ta balle (2) t » 

M. Cuvillier-Fleury avait quelquefois à réprimer les 
révoltes de son élève, soit que celui-ci lui tînt tête avec 
opiniâtreté, soit qu'il lui présentât des devoirs mal faits. 
Alors le professeur se fâchait, affectait de l'appeler 

(i) Éloge historique du duc d'Aumale par M. Georges Picot. 

(2) Discours de M. Ëstancelin. député de la Seine-Inférieure, pro- 
noncé à Fappui d'une pétition des princes demandant l'abrogation 
des lois d'exil. Ce discours, où s'exprimait le dévouement passionné 
qu'a toujours témoigné à la famille d'Orléans M. Ëstancelin, est un 
des plus courageux qui aient été entendus à la tribune française. Il 
ne précéda que de quelques semaines la guerre et la chute de l'Em- 
pire, et cette circonstance achève de lui donner le caractère d'un 
acte de rare grandeur. 



14 LE DUC D'AUMALE. 

« Monsieur d'Aumale », d'un ton sévère et dédaigneux, 
ce qui indignait le jeune Estancelin, camarade du prince. 
Il eût voulu que M. Cuvillier-Fleury témoignât plus 
d'égards à son élève. Un jour que le duc d'Aumale avait 
été traité avec la plus grande dureté par son précepteur, 
il se plaignit à son ami : 

« A ta place, s'écria ce dernier, je l'enverrais faire 
lanlair et je lui flanquerais mon dictionnaire à la 
figure. » 

Le mot ayant été entendu et répété, Estancelin, à la 
demande de M. Cuvillier-Fleury, fut séparé de son con- 
disciple pour la durée d'un mois et privé de l'occasion de 
lui donner de mauvais conseils (1). Ce n'étaient là, d'ail- 
leurs, que des crises accidentelles. Le prince .était intel- 
ligent, docile, studieux, appliqué, et ses rapports avec 



(4) A côté de ce souvenir, il en est d'autres par où s'affirme encore 
le caractère démocratique de l'éducation que reçut le duc d'Aumale. 

Citons celui-ci, que lui-même aimait à rappeler. Au lycée, il avait 
pour ami intime Emile Augier et saisissait toutes les occasions de 
causer avec lui. Bavai'ds tous deux, leurs entretiens commencés en 
récréation se continuaient souvent en classe, en dépit des fréquentes 
remontrances du surveillant. Un jour leur colloque est soudain 
interrompu par un appel du maître. 

« Descendez Henri d'Orléans, descendez Augier. Venez devant ma 
chaire. t> 

Penauds et inquiets, ils obéissent. 

« Vous serez donc toujours des causeurs incorrigibles? reprend le 
maître. 

— Mais, monsieur... 

— Silence! apprenez ce qui vous attend. Vous finirez comme un 
de mes anciens élèves... un travailleur, mais bavard, lui aussi... 
Savez-vous où il en est arrivé ? 

— Non, monsieur. 

— Eh bien, je l'ai retrouvé second violon au Théâtre-Historique! 
Allez à la porte. » 

Nos deux écoliers vont vers la porte sans mot dire. Mais là, Emile 
Augier se penche vers son camarade et murmure : 

« Vous qui avez de belles connaissances, peut-être passerez-vous 
premier violon. » 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 15 

son maître, surtout au fur et à mesure qu'il entrait plus 
avant dans la période des hautes études, empreints de 
cordialité (1). 

Déjà le jeune collégien manifestait un goût prononcé 
pour l'histoire et pour les littératures étrangères. « J'ai 
grandi en France, disait-il plus tard à des savants an- 
glais dans la compagnie desquels il cherchait quelque 
allégement aux douleurs de l'exil, j'ai grandi avec une 
des premières générations qui ont commencé à étudier 
les littératures étrangères. On commentait, on citait 
Shakespeare ; on l'imitait même quand il se trouvait quel- 
qu'un d'assez audacieux pour tenter l'épreuve. Vos livres 
étaient dans toutes les mains, et je me souviens que plus 
d'une fois, au collège, j'ai]caché un des romans de Walter 
Scott sous mon pupitre. Tel est notre goût en France 
pour ce que nous appelons le fruit défendu. » 

Aimer Walter Scott, c'était aimer l'histoire plus encore 
que le roman. Dès son adolescence, le duc d'Aumale se 
passionnait pour les études historiques, pour ces visions 
du passé dont il a tenté avec tant de succès la reconstitu- 
tion dans son livrç sur les princes de Condé.Mais, quelle 
que fût sa passion pour les grandes choses d'autrefois» 
celles du présent et de l'avenir le captivaient aussi. La 
politique même, bien qu'il lui fût interdit d'y toucher, 
l'attirait. Entre temps, son père avait ceint la couronne. 
Les incidents de la vie publique arrivaient au duc d'Aumale, 
à toute heure, sous mille formes ; il les suivait à travers les 

(1) 11 n'a j€unais cessé de lui témoigner sa reconnaissance, sa 
vie durant. 11 Tavait nommé secrétaire de ses commandements. 
M. Cuvillier-Fleury étant mort, le prince continua à combler sa 
famille d'attentions et de soins, Mme Cuvillier-Fleury surtout. Il 
avait pris l'habitude, quand il était en France, d'aller lui faire une 
visite toutes les semaines. Avant de partir pour ce voyage de Sicile 
d'où il ne devait pas revenir, il ne manqua pas à ce devoir. Elle 
reçut ses adieux. Elle mourut peu de jours après lui. 



16 LE DUC D'AUMALE. 

préoccupations de ses parents, dont il recueillait les 
échos aux heures où la vie familiale le réunissait à eux. 
Quoi d'étonnant qu'il lui soit arrivé souvent de lire en 
cachette les débats des Chambres ou les articles à sensa- 
tion que publiaient les journaux? 

Quoique son père fût devenu roi, rien n'était changé 
au foyer, rien, si ce n'est le cadre. On avait quitté le 
Palais-Royal ; on était maintenant aux Tuileries ; mais là 
encore, en dépit de tant d'impérieux devoirs qui les 
absorbaient, le roi et la reine ne semblaient pas en avoir 
de plus impérieux que ceux qu'ils avaient contractés 
envers leurs enfants (1). Malgré les criminels attentats 
dirigés contre Louis-Philippe et auxquels toujours il 
échappait miraculeusement (2), malgré les troubles de la 
rue, malgré les violences de la tribune, malgré les in- 
nombrables méfaits commis contre la couronne au nom 
de la liberté, le roi ne tenait jamais à ses fils un langage 
moins libéral, moins humain, moins modéré que celui 
qu'il leur avait toujours tenu. Il les élevait dans le goût 
et le culte de la liberté. Peut-être eurent-ils l'occasion 
d'entendre dans sa bouche ces grandes paroles de Mon- 
tesquieu : « Les dieux, qui ont donné à la plupart des 



(4) Madame Adélaïde, sœur du roi, qui vivait aux Tuileries, s'oc- 
cupait avec beaucoup de sollicitude des enfants de son frère. Très 
maternelle surtout pour le prince de Joinville et le duc d'Aumale, 
elle était pleine de bonté pour eux, d'indulgence aussi, et lorsque par 
des fredaines de jeune homme ils s'étaient mis dans l'embarras, 
c'était elle qui leur venait en aide, de sa bourse, à l'insu de leurs 
parents. 

(2) C'est après un de ces attentats contre son père que le duc 
d'Aumale écrivait : « Quand je vois sa poitrine exposée à la rage des 
fanatiques, j'admire son dévouement si grand et si simple, et je suis 
heureux d'appartenir à cette famille de parias qu'on isole de plus en 
plus chaque jour, que tous les partis veulent s'offrir en holocauste, 
mais à qui ils n'ôteront jamais sa pureté et son courage. > Cité par 
M. Georges Picot. 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 17 

hommes une lâche ambition, ont attaché à la liberté près- 
qu'autant de malheurs qu'à la servitude. Mais, quel que 
doive être le prix de cette noble liberté, il faut bien le 
payer aux dieux. » 

Le duc d'Aumale n'eût-il pas été convaincu de cette 
vérité par renseignement et les exemples qui lui étaient 
donnés qu'il s'en serait bien rapidement pénétré au con- 
tact de Taîné de ses frères, le duc d'Orléans. Il est cer- 
tain que c'est de cet aîné, qu'il vénérait, autant que de 
son père, qu'il apprit à être le libéral qu'il a toujours été. 
A l'âge qu'il avait alors, les idées libérales creusent na- 
turellement dans les âmes généreuses une empreinte 
plus profonde que les idées autocratiques. Quand on se 
souvient du testament du duc d'Orléans, de cette recom- 
mandation faite à ses fils, et surtout à celui qui devait 
hériter de la couronne, « d'être avant tout des hommes 
de leur temps et de la nation », et quand on sait quelle 
aveugle foi avait le duc d'Aumale dans son frère aîné, 
on n'a pas besoin de chercher longtemps pour découvrir 
quels étaient les principes auxquels il s'était attaché 
sous l'influence des fréquentations de collège, à la faveur 
de l'atmosphère en laquelle il vivait aux Tuileries, comme 
des formules dont il était en quelque sorte quotidienne- 
ment nourri. 

C'est encore là qu'il puisa, en même temps que son 
libéralisme de pensée et d'action, ce patriotisme ardent 
et éclairé qui a dominé toute sa vie, inspiré tous ses 
actes, toutes ses paroles, et auquel il les a tous subor- 
donnés. Washington disait : « J'ai toujours dormi, parce 
que je n'ai jamais rien écrit qui ne pût être lu sur la 
place publique. » Le duc d'Aumale eût été en droit de 
tenir le même langage, et il aurait eu raison d'ajouter : 
« Je n'ai jamais rien fait dont le patriotisme le plus ri- 



18 LE DUC D'AUMALE. 

goureux aurait pu s'offenser. » Non seulement il a per- 
sonnifié ce que, dans la langue du dix-huitième siècle, 
on appelait un prince, mais encore il a été le patriote qui 
met au-dessus de tout les intérêts de son pays. C'est 
ainsi qu'il a conquis ce titre de bon Français en qui 
semblent, quand on regarde sa vie. du commencement 
à la fin, se résumer les mérites par lesquels il s'est dis- 
tingué. On le verra, à toutes les heures de cette vie si 
pleine, dans les crises les plus graves, en 1848, en 1870, 
dans l'exil, partout, se souvenir toujours qu'il est 
Français. 

Aux jours les plus sombres, quand tout est autour de 
lui défaites sanglantes, catastrophes irréparables, amers 
découragements, il aura foi dans l'avenir de sa patrie; il 
dira : « La France est cassée; mais les morceaux en sont 
bons », et il répétera le cri qu'un de ses aïeux poussait 
au lendemain d'Azincourt « le cri chrétien et français : 
Espérance! » Et en agissant, en parlant ainsi, il ne fera 
que révéler et trahir ce que l'éducation qu'il a reçue, les 
exemples des siens, les leçons qu'ils lui prodiguaient, 
ont mis dans son cœur d'admiration pour sa patrie, d'or- 
gueilleuse confiance dans ses destinées. Fils respectueux, 
il honorera toujours en elle, môme quand elle le traitera 
durement, le sol natal que ses aïeux ont arrosé de leur 
sang et dont, par de glorieuses conquêtes, ils ont inces- 
samment reculé les frontières, Valma mater à qui on ne 
donne jamais assez de dévouement et d'amour, la terre 
sacrée loin de laquelle on ne peut vivre heureux et pour 
laquelle il est doux de mourir. 

Dans l'exil auquel elle Ta condamné, oublieuse de ses 
services et de sa patriotique abnégation, loin de chercher 
à tirer vengeance de ceux qui la gouvernent et qui l'ont 
si cruellement méconnu, loin d'intriguer contre eux, il 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 19 

suivra, anxieux, ému, troublé parfois, comme disait 
Mme de Sévigné, « au delà de la raison », les péripéties 
de son histoire. Il refusera énergiquement de conspirer 
contre elle (1) ; il s'associera à ses douleurs comme à ses 
joies, saignera de ses blessures, appellera Fheure des 
suprêmes revanches et du relèvement final, incapable de 
se résigner à rester indifférent à ses maux ou à n'être 
plus pour elle qu'un étranger. 

Le 9 août 1855, tandis que sa pensée attentive accom- 
pagne sur les rivages de Crimée l'armée française, il 
écrit : « La guerre de Crimée absorbe en ce moment 
toute l'attention, et je fais un peu comme tout le monde; 
je ne pense guère qu'à cela. Vous qui nous connaissez, 
vous devez comprendre ce que nous souffrons en assistant 
de si loin à ces batailles livrées sans nous, en voyant 
nos soldats se couvrir de gloire, nos amis tomber sans 
que nous soyons là. J'ai tout supporté en philosophe 
depuis 1848; mais cette épreuve-ci a passé mes forces; 
l'exil n'a pas changé mon cœur; il est inséparable du 
drapeau. Il y aurait cependant beaucoup à dire sur 
l'expédition de Crimée. Je crois, quoi qu'on en dise, que 
le commandement local a fait à peu près ce qu'il pouvait; 
l'armée a fait peut-être plus qu'on ne pouvait attendre; 
jamais la France n'en a eu de meilleure. Mais tout le 



(1) « Depuis treize ans, si je ne me trompe, les princes d'Orléans 
vivent à l'étranger, sur une terre hospitalière pour tous les exilés, 
dans une retraite profonde, dignes, calmes et respectés, groupés 
autour d'une sainte et vénérable mère.que couronne la triple auréole 
de la grandeur passée, du malheur et des plus touchantes vertus. 
N'est-ce pas là la vie qu'ils mènent depuis plus de treize ans?... 
Pendant ce temps, quels murmures ont-ils fait entendre, quels 
signes de conspirateurs ont-ils donnés? » (Plaidoirie de M. Dufaure, 
prononcée en 4861, devant la sixième chambre du tribunal correc- 
tionnel, où avaient été traduits l'éditeur et l'imprimeur de la célèbre 
Lettre sur l'Histoire de France.) 



20 LE DUC D'AUMALE. 

monde est-il aussi à l'abri de la critique? Ce n'est pas à 
moi qu'il appartient de prononcer. Le détail du siège de 
Sébastopol doit vivement vous intéresser. Mon Dieu! 
que j'aimerais à en causer avec vous; car, malgré tout, 
je suis soldat dans l'âme (1). » 

En 1859, au moment où se prépare la guerre d'Italie, 
son patriotisme éclate encore dans sa correspondance. 
(( Aurons-nous la paix ou la guerre? Dépenserons-nous 
le plus pur de notre sang? Exposera-t-on la France aux 
plus grands périls sous le prétexte d'importer en Italie 
les libertés que nous n'avons pas et qu'en fin de compte 
on se garderait bien d'établir ailleurs? Je crains fort que 
la réponse ne soit affirmative. Je dis : Je crains, et ce- 
pendant, si je n'étais qu'un ennemi passionné de l'em- 
pereur, je désirerais la guerre. Mais je suis bon Français 
avant tout, et en ce moment je forme des vœux ardents 
pour le maintien de la paix (2). » 

Enfin, lorsque la guerre a éclaté, c'est encore un 
patriotique souci qui le poursuit dans sa retraite de 
Twickenham. « J'avoue qu'en ce moment un seul souci 
m'absorbe et m'ôte toute liberté d'esprit. Je n'ai nul goût 
pour les airs de bravache, et je n'ai pas l'habitude de 
m'exciter à froid. Mais l'idée que mon pays est lancé 
dans toutes les incertitudes delà guerre et que je ne puis 
le servir, que l'armée française se bat et que je ne suis 
pas avec elle, cette idée est un ver rongeur qui ne me 
laisse pas de repos (3). » 

En tenant ce langage, le duc d'Aumale ne parlait pas 
seulement en patriote, il parlait aussi en soldat. Soldai! 



(1) Documents inédits communiqués par le baron de Chabaud La 
Tour et extraits des papiers de son père. 

(2) Documents inédits : Papiers du général de Chabaud La Tour. 

(3) Documents inédits : Archives de Broglie. 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 21 

il Tétait « dans Fàme »; il Tétait jusqu'aux moelles. Sur 
les bancs du collège, avant même d'avoir revêtu Tuni- 
forme auquel le destinaient, comme tous les princes de 
son nom, les traditions séculaires de sa race, il avait 
déjà la « folie de Tépée (1) ». Ses camarades, pour qui 
c'était une récompense de jouer avec lui^ — cette ré- 
compense n'était accordée qu'aux dix premiers de la 
classe, — nous le montrent choisissant, durant les 
récréations, et préférablement à d'autres jeux, ceux qui 
simulent la guerre. Il se grisait au récit des batailles. Il 
aimait à en mettre en action les épisodes, à feindre les 
résistances désespérées ou les attaques héroïques. Il 
s'élançait à Tassant de forteresses improvisées ou défen- 
dait le drapeau qui flottait à leur sommet, et sa jeune 
imagination parait de grandeur et de poésie ces simu- 
lacres d'épopées guerrières. 

Encore quelques mois et quand, au moment d'at- 
teindre ses quinze ans, il recevra en guise d'étrennes — 
le 1" janvier 1837 — le grade de sous-lieutenant d'in- 
fanterie et pourra enfin revêtir cet uniforme si passion- 
nément souhaité, on l'entendra formuler ce souhait : 

« Moi, je n'ai d'autre ambition que d'être le quarante- 
troisième Bourbon tué sur le champ de bataille. » 

Il se sent entraîné par un attrait de nature « pour la 
guerre, pour cette vieille passion de ses pères qui avait 
conquis son âme ». « Vois-tu, écrit-il à un ami, je ne le 
dis qu'à toi, parce que, toi seul, tu ne me trouveras ni 
vain ni ridicule; quand, confondu dans le rang, j'entends 
tonner le canon, quand mes naseaux s'ouvrent à Todeur 
de la poudre, j'oublie que nous jouons la comédie, une 
sorte de délire s'empare de moi; il me semble que j'au- 

(4) Buisson (de TAude), Henri d'Orléans, dite d'Aumale, 



22 LE DUC D'AUMALE. 

rais dans les batailles cette fièvre qui fait réussir, et je 
reste en extase jusqu'à ce que la voix monotone du chef 
de bataillon me rappelle à la réalité (1). » 

Et ces paroles ne sont point une fanfaronnade, un air 
de bravoure chanté en un jour d'enthousiasme où la gloire 
de ses ancêtres échauffait son sang et électrisait sa jeu- 
nesse. Souvent, encore, il les répétera, et plus tard, beau- 
coup plus tard, quand la neige des ans commencera à 
blanchir ses cheveux, les fatigues des campagnes africaines 
à bronzer sa peau, à sillonner son visage de rides précoces, 
à assombrir ses yeux bleus; quand, par de mémorables 
actions d'éclat, il aura prouvé qu'il était digne des grades 
qu'il ne dut, au début de sa carrière, qu'à sa naissance et 
à la faveur; quand, revenu d'exil, réintégré dans le rang, 
il sera parvenu au sommet des honneurs militaires; quand 
il commandera le corps d'armée le plus proche de la 
frontière, celui qu'en cas de guerre il devra conduire à 
l'ennemi, on l'entendra encore formuler ce même vœu 
d'une mort glorieuse, les armes à la main. 

« Oui, certes, c'est beau de commander une armée, 
dira-t-il un soir à quelques-uns de ses officiers réunis 
autour de lui. Mais, commander une division de cavalerie 
et tomber comme un Condé, en menant une charge, voilà 
qui est encore plus beau (2). » 

Ce n'est pas qu'il aime à verser le sang ; c'est l'amour 
de l'armée, amour du métier. Il est « cocardier (3) ». Ce 
mot revient souvent dans sa bouche, ce qui ne l'empêche 
pas de ne pas vouloir que le sang soit inutilement versé. 
Il professe ce principe qu' « à la guerre, on ne doit tuer 

(1) Cité par M. Georges Picot. 

(2) Raconté à l'auteur par l'un de ces officiers. 

(3) En parlant du prince Jean d'Orléans, second fils du duc de 
Chartres, officier dans l'armée danoise, il disait : « Celui-là, je 
l'aime. Il est « cocardier » comme son père, comme moi. » 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 23 

que par nécessite (1) ». Mais il est soldat. Il le fut dès 
l'âge le plus tendre, il le sera toujours, et lorsque d'abo- 
minables et arbitraires lois l'auront dépouillé de son 
uniforme et privé du droit de porter Tépée, il pleurera de 
douleur et ne se consolera jamais. 

Avant que ses q ûnze ans fussent révolus, il avait été, 
nous l'avons dit, nommé sous-lieutenant d'infanterie; 
l'année suivante, il reçut le grade de lieutenant. En cette 
qualité, il suivait les manœuvres du camp de Fontai- 
nebleau, dirigeait l'école de tir de Vincennes, ne faisant 
d'ailleurs qu'un peu accidentellement, comme un surnu- 
mériat, son apprentissage de la vie militaire. Ses études 
classiques, coupées de quelques voyages en compagnie 
de M. Cuvillier-Fleury et qui contribuaient à son instruc- 
tion, le retenaient encore. Il apparaissait souvent à la 
Faculté des lettres, consacrant plusieurs heures par jour 
à la littérature, à l'histoire, aux arts, complétant son 
éducation intellectuelle en commençant son éducation de 
soldat, non encore entièrement émancipé de cette vie de 
famille (2) à laquelle d'autres devoirs allaient bientôt le 

(4) c Dans une escarmouche africaine, le prince avise de loin un 
sous-lieutenant qui prend le fusil des mains d'un soldat en embuscade 
et semble rectifier son tir. 11 vise sur un gros de Kabyles, un homme 
tombe, le groupe s'enfuit. Le soldat recharge, l'officier tire toujours; 
il a pris goût à la besogne. Le duc d'Aumale arrive sur lui au galop : 

« Reprenez votre épée, monsieur. A chacun son arme; à la guerre 
même on ne tue que par nécessité. » (Buisson, Henri d'Orléans, duc 
d^AumaU.) 

(2) On ne saurait trop mettre en lumière la simplicité de cette 
existence de famille. A Paris et à Fontainebleau, où, durant la belle 
saison, résidait le roi, les enfants des hauts fonctionnaires de la 
cour et des officiers de L.ouis-Philippe étaient admis à partager les 
jeux des princes. C'est là que le duc d'Aumale connut Mlle de La- 
borde, devenue plus tard Mme Odier, et Mlle Bernard, filles de géné- 
raux, l'un aide de camp du roi, l'autre ministre de la guerre. Le 
mardi gras, la reine conduisait la joyeuse bande au Théâtre- Fran- 
çais voir le Malade imaginaire. 

« Mettez-vous là, disait le prince à ses petites amies en les appelant 



24 LK DUC D'AUMALE. 

soustraire, vie très douce dont il nous a permis d'entre- 
voirie cadre souvent traversé par les émotions, les deuils, 
les alarmes, et de deviner le caractère tendre, confiant et 
affectueux, dans un récit qu'il a écrit aux derniers temps 
de sa vie, en mémoire de son père : 

« Le 12 mai 1839, — c'était un dimanche, — mon frère 
Montpensier et moi nous faisions une partie à Neuilly 
avec nos camarades de classe. En montant en char à bancs 
pour retourner aux Tuileries, nous vîmes un peloton de 
lanciers qui venait nous chercher. Un mouvement révo- 
lutionnaire avait éclaté; le chef du poste du Palais de 
justice, le lieutenant Drouineau, venait d'être assassiné 
par le chef d'une bande d'insurgés. Barbes, auteur du 
crime, fut condamné à mort par la (jOur des pairs. Le 
conseil des ministres insistait pour l'exécution. Un 
dimanche après midi, j'étais dans le petit cabinet de ma 
mère qu'on appelait la Scrivania, Mon père entra tout en 
larmes; il me tendit un papier : « Tiens! lis cela à ta 
« mère. » Et je lus : 

Par votre ange envolée ainsi qu'une colombe, 
Par ce royal enfant, doux et frêle roseau, 
Grâce encore une fois I Grâce au nom de la tombe ! 
Grâce au nom du berceau ! 

Victor Hugo. 
12 juillet, minuit. 

« Le comte de Paris n'avait pas un an ; ma sœur Marie, 
l'artiste inspirée, venait de mourir (1). » 

Ce n'est pas pour rappeler que le roi des Français, à la 

sur le devant de la loge, noiïs allons rire au ballet des seringues. » 
Jusqu'à sa mort, il resta l'ami de Mme Odier. 11 retrouva Mlle Ber- 
nard à Besançon, mariée à M. Boysson d'École, trésorier-payeur 
général du Doubs. 

(i) Le roi Louis-Philippe et le droit de grâce, étude lue à l'Académie 
française le 48 mars 4897. On verra dans la suite de ces souvenirs à 
quelles piquantes remarques, venues des endroits les plus opposés, 
donna lieu la publication de ce travail. 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 25 

prière du poète, fit grâce à Barbes que nous avons repro- 
duit, d'après le duc d'Aumale, cet émouvant épisode, mais 
parce que ces quelques lignes, en même temps qu'elles 
constituent un délicieux et vivant tableau de l'intérieur 
delà famille royale, nous prouvent combien les membres 
de cette famille vivaient solidaires, associés et étroitement 
unis dans la joie et dans la douleur, et qu'ils permettent 
de préciser ce qu'était alors la vie du duc d'Aumale. 

A la date où se place son récit, il avait été promu depuis 
quelques mois capitaine au 4" de ligne. Mais il ne semble 
pas qu'il fût encore autre chose qu'un officier honoraire, 
ni qu'en dehors des écoles spéciales il eût figuré ailleurs 
qu'aux revues où souvent l'emmenait le roi. En dépit de 
ses épaulettes, il n'avait pas renoncé aux jeux de son âge. 
La surveillance maternelle s'exerçait toujours sur lui. A 
la première alerte, il redevenait l'enfant à qui la solli- 
citude des parents est encore nécessaire, et on l'envoyait 
chercher « par un peloton de lanciers » . N'empêche qu'il 
touchait au moment où cette période de la première 
jeunesse allait se clore pour lui. L'Afrique, où depuis dix 
ans l'armée française, au milieu de difficultés et de périls, 
se couvrait de gloire, attirait et fascinait le prince. Il 
brûlait d'y faire ses premières armes et d'y gagner ses 
éperons. Ce désir ne devait pas tarder à être exaucé. 

Vers la fin de 1839, le duc d'Orléans, qui avait exercé 
déjà un commandement en Algérie, se préparait à y 
retourner, lorsque à sa demande le roi décida que le duc 
d'Aumale s'y rendrait avec lui. « Je partirai d'ici avec 
mon frère d'Aumale, qui fera ses premières armes sous 
vos ordres », écrivait, le 4 décembre, le duc d'Orléans au 
maréchal Valée, gouverneur général de l'Algérie. Et 
quelques semaines plus lard, le 17 mars 1840, il ajoutait : 
« Excepté le général Baudrand, j'aurai les mêmes officiers; 



26 LE DUC D'AUMALE. 

et mon frère, le duc d'Aumale, ne sera accompagné que 
par un des officiers d'ordonnance du roi. » C'était le 
quatrième fils de Louis-Philippe qui entrait en ligne, et, 
comme le disait son frère aîné, il entrait par la bonne 
porte : « Il tiendra toujours bien sa place, car je vous le 
donne comme étant des plus solides et des plus intel- 
ligents (1). » 

Durant les quelques mois qui précédèrent son départ, 
le duc d'Aumale vécut comme en une sorte d'exaltation et 
de griserie. Avec plus de passion que jamais, il suivait la 
marche de nos soldats sur la terre africaine, se figurant 
déjà qu'il partageait leurs dangers et leur gloire, étudiant 
la topographie algérienne, suivant sur les cartes géogra- 
phiques les itinéraires qu'il espérait parcourir bientôt en 
combattant. Le cabinet de travail qu'il occupait au second 
étage des Tuileries regardant la Seine du côté du Pont- 
Royal était rempli de livres techniques, de cahiers sur le 
tir, les marches en campagne, les fortifications, la tactique 
militaire. Il y passait de longues heures, impatient de 
partir, franchissant par la pensée la route des mers et 
puisant, dans une incessante préparation à la destinée qui 
s'ouvrait pour lui, la force de se résigner à l'attente. 

Parfois, dans le silence de ce cabinet, une voix jeune 
et mâle s'élevait. C'était le prince qui répétait les for- 
mules de commandement ou qui chantait joyeusement : 
la Casquette du père Bugeaud. Peut-être marquait-il le pas 
en la chantant. Ses amis venaient-ils le voir, il ne pouvait 
les entretenir d'autre chose que de l'Algérie, du voyage 
qu'il allait y faire, de l'espoir qu'il caressait de prendre 
part, dès son arrivée, à quelque action militaire, à quelque 
combat qui le mettrait en face d'Abd-el-Kader. 

(1) Le duc d'Orléans au général Aupick, 2 juin 1840. 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 27 

« Pourvu qu'une fois là-bas, sous prétexte que je suis 
trop jeune, on ne veuille pas me retenir, m'empêcher 
d'aller de l'avant! » disait-il. 

Le fait est qu'il avait à peine dix-sept ans, et, quoiqu'il 
eût été décidé par le roi qu'il verrait le feu, on n'enten- 
dait pas le laisser encore se jeter au plus épais des mêlées. 
Mais il se promettait bien de tromper la surveillance dont 
il serait l'objet et de n'en faire qu'à sa tête. Cela, il ne le 
confiait qu'à de rares amis, les amis de cœur, choisis 
parmi ses condiciples de Henri IV. et qu'il conviait sou- 
vent à venir le voir aux Tuileries. 

L'un d'eux nous rapporte le trait suivant, qui nous 
ouvre le cabinet de travail du prince et nous permet de 
l'y surprendre au milieu de ses camarades, venus à son 
appel pour y passer quelques heures auprès de lui. 

a Ce jour-là, nous étions à peine réunis, lorsque son 
valet de chambre, Damonville, frappa discrètement à la 
porte. 

« — Entrez, s'écria le prince. 

« Et, reconnaissant son serviteur, il reprit : 

« — Qu'est-ce? 

« — Monseigneur, c'est le tailleur qui vient essayer 
les habits que Monseigneur désire emporter en Afrique. 

« — Qu'il attende. 

(c Le prince était en verve, heureux de se trouver 
parmi ses amis de collège, et il eut bientôt oublié qu'il 
était attendu. Une demi-heure s'écoula, et Damonville de 
revenir : 

« — Monseigneur, le tailleur est toujours là. 

« Cette fois, le prince se fâcha : 

« — Je n'aime pas à être dérangé quand je suis avec 
des Henri IV. 

a Et il reprit l'entretien; il parlait de la guerre d'Alger, 



28 LE DUC D'AUMALE. 

Dieu sait avec quelle émotion profonde et communica- 
tive. Puis, comme son récit amenait l'histoire de l'inci- 
dent à propos duquel fut inventée « la casquette à Bu- 
geaud » 5 il se mit à chanter la chanson populaire chère 
aux soldats africains. Damon ville, qui était resté dans 
l'antichambre 5 eut alors une inspiration. Il ouvrit à 
moitié la porte, et, dans l'entre-bàillement, on l'aperçut 
tendant au prince une casquette : 

« — Monseigneur demande sa casquette? fit-il. 

« Le duc d'Aumale ne put s'empêcher de rire, et, se 
levant, il dit : 

« — Allons essayer nos habits, puisque Damonville le 
veut (1). » 

Quelques jours après, il voguait vers Alger, sous la 
protection de ce frère aîné qu'il admirait autant qu'il 
l'aimait et que déjà guettait ironiquement la mort impi- 
toyable. J'aime à me les figurer tous deux, à cette heure 
fortunée, où le plus jeune rêve de gloire et d'aventures 
de guerre, où l'ainé, le prince royal, homme déjà depuis 
longtemps, par conséquent plus grave, de raison plus 
mûre, envisage les pesants soucis du pouvoir qui lui 
est destiné, à cette heure qui précède de si peu de jours 
celle d'un nouveau et irréparable deuil (2). Je les vois 
l'un et l'autre, assis, le soir venu, à la proue du navire 
qui les emporte vers les terres lointaines. A la clarté des 
étoiles qui deviennent plus brillantes du côté de l'orient, 
au bruit monotone des flots qui s'ouvrent devant eux, ils 
causent librement, en amis, en frères. 

L'aîné développe cette idée que la guerre d'Afrique est 
aujourd'hui la première affaire de laFrance, non seulement 
parce que l'honneur de nos armes y est engagé, non seu- 

(i) Documents inédits communiqués par M. Buisson. 
(2) La famille royale pleurait la princesse Marie. 



ANNÉES D'ENFANCE ET DE JEUNESSE. 29 

lement par l'importance intrinsèque de la question, mais 
aussi par le contre-coup qu'elle aura sur toutes les autres 
questions qui touchent le pays et oii se trouvent mêlés 
des intérêts français. Et il dit les incidents, les épisodes, 
les périls de cette guerre si nouvelle, si différente de 
toutes celles où la patrie a été jusque-là engagée : les 
marches dans les gorges sauvages, l'ennemi surgissant à 
rimproviste de derrière chaque buisson, la barbarie de 
ses coutumes; il en célèbre les héros, morts ou vivants, 
cet Abd-el-Kader, grandiose figure, guerrier indomp- 
table, champion de patriotisme et de fanatisme religieux, 
avec ses allures d'insaisissable sphinx, si souvent vaincu 
et jamais abattu, dont l'héroïsme n'est égalé que par 
celui des adversaires qu'on lui oppose : Bugeaud, Du- 
vivier. Négrier, Baraguey d'Hilliers, Lamoricière, Be- 
deau, Changarnier, Cavaignac, Yusuf et tant d'autres, 
phalange glorieuse que grossiront les années qui vien- 
nent et qui ajoutera aux fastes de la France des pages 
immortelles. 

Le plus jeune des deux frères écoute l'autre. Électrisé 
par ce qu'il entend, l'âme gonflée de l'espoir de se montrer 
égala ses aïeux et aux chefs dont il connaît les prouesses, 
il s'exalte à ces récits. Sa taille svelte, serrée dans la 
tunique d'uniforme, se redresse, et, sous le képi d'où 
s'échappent les boucles de ses cheveux blonds, son jeune 
visage à l'expression martiale, aux yeux bleus, trahit 
toutes les émotions qui se pressent dans son cœur. 

Et peut-être, au même moment, là-bas, bien loin, dans 
une chambre du palais des Tuileries, leur père et leur 
mère les suivent-ils par la pensée. Peut-être, au fond, 
tout au fond d'eux-mêmes, le roi et la reine mau- 
dissent-ils la loi compensatrice qui fait des fils des rois 
des otages et des victimes expiatoires sacrifiés aux 



30 LE DUC D'AUMALE. 

intérêts de la couronne et au bonheur des peuples. Mais, 
s'ils ressentent quelque tristesse en songeant à ces fils 
chéris qui s'éloignent d'eux, à celui surtout qui n'avait 
pas encore quitté le foyer et qui vient d'en partir pour la 
première fois, ils savent du moins que dans ce cadet, 
comme dans l'aîné, tout est nobles aspirations, grandeur, 
dévouement à la patrie. Ils se rassurent, convaincus 
qu'ils n'auront jamais à rougir de l'avoir mis au monde. 
Et partagée entre la crainte des dangers qu'il va courir 
et l'espérance de son heureux retour, la mère s'agenouille 
et elle prie Dieu pour ses enfants. 



CHAPITRE II 

l'africain (1) 

Arrivée du duc d'Aumale en Algérie. — Signes caractéristiques de 
sa personnalité militaire. — Ses premières armes. — Le col de 
Mouzaïa. — Chevalier de la Légion d'honneur. — Une lettre du 
général Ducrot. — Bugeaud gouverneur général. — Colonel du 
47* léger. — L'attentat Quénisset. — Retour en Algérie comme 
maréchal de camp. — Une lettre du roi. — Ascendant du prince 
sur les troupes. — La prise de la smalah. — Lieutenant général 
et commandant de la province de Constantine. — Un voyage en 
Italie. — Séjour à Turin et à Naples. — Le duc d'Aumale fiancé 
à la fille du prince de Salerne. — Nouveaux combats. — Son 
mariage. — 11 est nommé gouverneur général de l'Algérie. — Son 
portrait à cette époque. — La reddition d'Abd-el-Kader. — Les 
dernières semaines du gouvernement du duc d'Aumale. — Résumé 
de sa carrière en Algérie. 



Le 13 avril 1840, à la suite du duc d'Orléans, son 
frère, le duc d'Aumale débarquait à Alger. Alger! nom 
magique pour lui, terre promise si souvent entrevue, 
théâtre grandiose où, dans une chevaleresque épopée, 
allait fleurir sa jeune gloire. Là, il fera sa moisson de 
lauriers en révélant les brillantes qualités dont sa jeu- 
nesse relève l'éclat et qui lui vaudront l'admiration de 
tous les hommes de guerre de son temps I 



(1) Ce livre n'est point une histoire de l'Algérie. De mes recherches 
aux Archives du dépôt de la guerre et dans les ouvrages qui ont 
raconté cette histoire, je n'ai retenu que ce qui a trait au duc d'Au- 
male, et j'ai passé brièvement sur le reste. 



32 LE DUC D'AUMALE. 

Le maréchal Valée, gouverneur général de la colonie, 
était venu au débarcadère recevoir les fils du roi. Au 
bruit des salves d'artillerie, ils montèrent en voiture 
avec lui pour se rendre au palais du Gouvernement. Der- 
rière eux se pressaient les officiers de leur état-major : 
le baron de Marbot, aide de camp de Louis-Philippe, un 
des survivants des guerres de l'empire qu'il se préparait 
à raconter en d'inoubliables et parfois romanesques 
Mémoires, le chef de bataillon du génie de Chabaud La 
Tour, déjà le confident et le fidèle ami du duc d'Aumale, 
les chefs d'escadron d'Elchingen et Bertin de Vaux, les 
lieutenants-colonels Gérard et Jamin, toute une élite. 
On traversa ainsi la ville d'Alger, entre deux haies de 
soldats, derrière lesquelles se pressait une foule qui ac- 
clamait les princes. Le duc d'Aumale goûta, ce jour-là, à 
l'aube de son rêve en train de se réaliser, la première des 
ivresses que lui réservait l'avenir. 

Chef de bataillon du 4* léger, nommé officier d'ordon- 
nance de son frère, il entrait en campagne dès le lende- 
main. Bientôt, aux environs de Médéah et de Blidah, il 
prenait part aux divers combats, étapes incessantes et 
périlleuses de la conquête, qu'à tout instant il fallait 
livrer aux Arabes. C'est à grands traits qu'il convient de 
retracer ces glorieux souvenirs. Ils ont eu plusieurs nar- 
rateurs (1), et les détails en sont trop connus pour qu'il 
y ait lieu de les raconter à nouveau, si ce n'est sous une 
forme sommaire. Ce qui importe dans ce livre où se 
déroule rapidement la vie du duc d'Aumale, c'est de le 
montrer sur les champs de bataille, tel qu'il apparut dès 
le premier jour aux troupes et à leurs chefs. 

(1) Notamment Camille Rousset dans ses consciencieuses études 
sur la Conquête d'Alger, et le général nu Bar ail dans ses attachants 
Mémoires, 



L'AFRICAIN. 33 

Les signes caractéristiques de sa personnalité militaire 
étaient son impatience toujours bouillonnante, son ar- 
deur, sa témérité. Les responsabilités du général ne 
pesaient pas encore sur lui; il n'avait ni les obligations, 
ni les devoirs du commandement. Il marchait dans le 
rang. Rien, par conséquent, ne pouvait le détourner de 
donner carrière à son impétuosité. Il se mettait donc 
toujours en avant, se dérobant sans cesse à la surveil- 
lance qu'on exerçait sur lui et arrachant en quelque sorte 
à ses chefs les missions les plus périlleuses que d'abord 
ils voulaient lui refuser, par égard pour son âge et dans 
la crainte qu'il ne s'exposât par excès d'audace. 

« Nous sommes responsables de vous devant le roi, 
mon prince », lui disaient-ils. 

Ces paroles, témoignage d'une sollicitude qui lui pe- 
sait, avaient le don de l'exaspérer. S'il fut jamais tenté 
d'enfreindre les lois de la discipline, c'est bien en ces 
circonstances où l'on semblait douter non de son cou- 
rage, mais de sa vigueur et do son sang-froid. D'ailleurs, 
en peu de temps, il devint impossible de le contenir. Il 
devait à sa naissance d'avoir obtenu, sans coup férir, ses 
premiers grades. Il tenait à prouver que son mérite éga- 
lait la faveur qui les lui avait donnés. 

Cette preuve, il la fit, et de telle sorte que son avan- 
cement ne souleva ni protestations ni critiques parmi les 
témoins de sa belle vaillance. On pouvait déjà pressentir 
que, soldat dans l'âme, nature de héros, avide de faire 
acte d'héroïsme, inspiré par une foi robuste dans son 
étoile, dominé par les influences héréditaires, il irait 
toujours au delà du devoir. 

Dès son premier contact avec les Arabes, il gagne ses 
éperons. C'est le 27 avril. La division que commande le 
duc d'Orléans a reçu l'ordre de marcher à l'ennemi, au 

3 



34 LE DUC D'AUMALE. 

delà de la Chîffa. Après douze heures de marche, on ne 
Fa pas rencontré. Les soldats exténués espèrent un repos 
bien gagné, quand soudain apparaissent les troupes 
du bey de Milianah, trois à quatre mille hommes. On 
court aux armes. « Là, je vis avec admiration cette poi- 
gnée de braves gens, harassés par une longue marche et 
par une nuit sans sommeil, secouer leur fatigue en pré- 
sence de l'ennemi et courir aux armes avec une ardeur, 
une gaieté qui faisaien battre le cœur(l). » Le duc d'Or- 
léans fiait ordonner à la cavalerie de hâter le pas et d'aller 
en avant. 

a C'était à moi de porter l'ordre, écrit encore le duc 
d'Aumale. Je ne me le fis pas dire deux fois; quand 
j'arrivai aux chasseurs, ils marchaient en bataille au 
galop. Je cherchai le colonel, je ne le vis pas. La charge 
commençait. Ma foi! je ne pouvais ni ne voulais m'en 
aller. Je poussai mon cheval et je tâchai d'aller de mon 
mieux. C'était magnifique; tous les hommes, l'œil en 
feu, le sabre à la main, couchés sur leurs chevaux; de- 
vant nous, à cinq ou six pas, les burnous blancs des 
Arabes qui se retournaient pour nous tirer des coups de 
fusil ou de pistolet. La charge fut très brillante. On 
l'arrêta au moment où nous allions tenter le passage de 
la rivière. Je trouvai derrière moi Jouve, sous-lieutenant 
de spahis, qui avait cherché à m' arrêter et qui m'avait 
constamment suivi; Jamin; un peu après, Gérard, Mont- 
guyon, toute la compagnie que mon frère avait mise à 
mes trousses. Je revins alors à mon poste, où je n'eus 
pas de peine à me disculper (2). » 

(1) Notes du duc d'Aumale, citées par M. Georges Picot. 

(2) Notes du duc d'Aumale, citées par M. Georges Picot. Le prince 
y raconte sa première rencontre avec Lamoricière : « Nous avons 
trouvé, écrit-il, Lamoricière, qui arrivait de Koléah avec un batail- 
lon de zouaves. Le cœur na'a battu quand j'ai vu ces visages bronzé^ 



L'AFRICAIN. 35 

Quand, au bout de quelques semaines, prirent fin ses 
débuts militaires, il fut, comme chef de bataillon du 
4' léger, mis à Tordre du jour de l'armée « pour avoir, 
à Texpédition de Médéah : 1" chargé volontairement le 
27 avril (combats de TAffroun) à la tête du i*' régiment 
de chasseurs d'Afrique; 2* le 12 mai, donné son cheval 
au colonel Gueswiller démonté, et marché avec les gre- 
nadiers du 23* à l'assaut du col de Mouzaïa (1). » 

Ce que cet ordre du jour ne dit pas, c'est que le jeune 
officier arriva sur le col avec les premiers soldats qui y 
plantèrent le drapeau tricolore. Écoutons-le, d'ailleurs, 
raconter lui-même ce glorieux épisode du 12 mai, l'en- 
lèvement de la formidable redoute au sommet de laquelle 
s'était établi Abd-el-Kader avec cinq mille hommes pour 
empêcher les Français de s'établir à Médéah. 

Durant la nuit, le duc d'Orléans avait placé ses troupes 
à leur poste de combat, et, au lever du jour, il les lance 
sur les hauteurs que défendent six pièces de canon. « On 
fit poser les sacs, et nos admirables soldats partirent 
pleins de joie, bondissant comme des chèvres, avec une 
ardeur qu'on ne peut décrire, mais qu'on n'oublie pas. 
A peine étaient-ils lancés dans la montagne qu'une fusil- 
lade épouvantable se fit entendre sur le pic de Mouzaïa 
et, en levant la tête, nous vîmes la brigade Duvivier 
s'avancer au pas de course au milieu d'un nuage de 
fumée. Un instant, on crut l'attaque compromise ; on ne 

par le soleil, ces figures martiales où la gravité du soldat éprouvé se 
mêlait à là gaieté française ; mon frère me serrait le bras en me 
disant : c Je nage dans la joie. > Le soir, j'ai beaucoup causé avec 
Lamopicière. C'est un homme bien remarquable. « Nous avons ici, 
« dit-il, des hommes de mérite près desquels je cherche à m'in- 
t stniire de tout ce qui a été fait et de ce qu'il faudrait faire dans 
« ce pays. » 

(i) Extrait des états de service du duc d'Aumale. Voir aux Pièces 
historiques, II. 



36 LK DUC D'AUMALE. 

voyait plus nos troupes ; mais la fusillade continuait der- 
rière un pli de terrain ; le feu plongeant de l'artillerie et 
de la mousqueterie arabe infligeait des pertes cruelles à 
nos soldats, mais n'arrêtait pas leur élan. On les vit 
reparaître. On battit la marche du 23% et nos petits fan- 
tassins débouchèrent, grandis par le danger, plus droits 
qu'à la parade, l'œil en feu, le jarret tendu, comme s'ils 
allaient à la fête. Quand on arriva à la montée la plus 
raide, le 2* bataillon monta tout droit au milieu des 
broussailles; les tambours et les clairons battaient la 
charge, et les derniers coups de feu leur servaient de 
basse : c'était superbe. Je trouvai Gueswiller épuisé, 
assis par terre, sans pouvoir avancer; je me jetai à bas 
de mon cheval, je le forçai d'y monter, et, me fiant à mes 
jambes de dix-huit ans, je rejoignis à la course les gre- 
nadiers qui marchaient en avant des tambours. J'arrivai 
au moment où l'on plantait sur la position le drapeau du 
23*; l'autre colonne débouchait en môme temps par la 
gauche. Quand je vis ces braves soldats de tous les régi- 
ments confondus, courant encore pour lancer quelques 
derniers coups de feu aux ennemis qui s'enfuyaient, 
quand je vis avec cela cette scène imposante de la nature 
éclairée par le soleil couchant, le délire me prit comme 
les autres... 

« J'assistai alors à une scène magnifique. Lamori- 
cière, Duvivier, Changarnier arrivaient à pied , débrail- 
lés, sans col, couverts de sueur et de poussière, leurs 
habits criblés de balles, pêle-mêle avec des soldats de 
toutes armes. Dès qu'ils virent mon frère, ils fondi- 
rent en larmes, et pendant cinq minutes : « Vive le roi ! 
« Vive le duc d'Orléans I » fut tout ce qu'on put tirer 
d'eux. On échangea alors quelques paroles brèves et 
franches comme on en dit en ces grandes circonstances. 



L'AFRICAIN. 37 

Ce sont de ces émotions qu'on n'oublie jamais (1). » 
A la suite de cette expédition, il fut fait chevalier de 
la Légion d'honneur. Plus tard, d'autres insignes s'éta- 
leront sur sa poitrine : le grand cordon de l'ordre, des 
décorations étrangères. Mais aucun d'eux n'aura pour 
lui le môme prix que sa croix de chevalier, celle qu'il a 
gagnée en Afrique, et on l'entendra, aux approches de sa 
fin, déclarer qu'il veut que cette croix brille sur son uni- 
forme lorsqu'on le déposera dans son cercueil. 

Le 26 mai 1840, après ce premier et court séjour en 
Algérie, il était revenu à Paris pour embrasser ses pa- 
rents. Mais il n'y fît qu'une halte. L'amour du drapeau 
le rappelait sur la terre africaine. Il y reparut comme 
lieutenant-colonel du 24* de ligne, un peu plus mûr, 
quoiqu'il n'eût que dix:*-huit ans, avec un peu plus do 
prestige. Ce n'était déjà plus un débutant. Il avait vu le 
feu. Le colonel Gentil, qui commandait le 24% se louait 
partout, en toute occasion, de son lieutenant-colonel. 
Un officier placé sous ses ordres, qu'attendait une bril- 
lante fortune militaire, le lieutenant Ducrot, écrivant à 
son père, disait : 

« Il est impossible de trouver un jeune homme plus 
aimable, plus gracieux que Henri d'Orléans. Comme 
lieutenant-colonel, il est parfait. Administration, comp- 
tabilité, discipline, il s'occupe de tout, et, ce qui paraîtra 
plus extraordinaire, en homme entendu. Il est brave 
autant qu'un Français peut l'être et désireux de prouver 
à la France qu'un prince peut faire autre chose que pa- 
rader. En expédition, il n'emmène aucune suite et vit 
avec nos officiers supérieurs. Tout ce que je demande, 
c'est que le régiment prenne sa bonne part de combats 

(1) Notes du duc d'Aumale, citées par M. Georges Picot. 



38 LE DUC D'AUMALE. 

et de succès. Avec un lieutenant-colonel tel que le nôtre, 
personne ne peut rester en arrière (1). » 

Quand le lieutenant Ducrot traçait ces lignes élo- 
gieuses, il avait vingt-cinq ans. Il ne croyait pas que sa 
lettre, destinée à sa famille, dût jamais devenir un docu- 
ment historique. Il est donc permis de croire qu'il parlait 
en toute franchise et disait la vérité. 

Une fois encore, après un second séjour en Algérie, le 
duc d'Aumale était rentré en France. Il s'y trouvait 
quand le général Bugeaud fut nommé gouverneur gé- 
néral en remplacement du maréchal Valée. A tort ou à 
raison, on reprochait à ce dernier un peu d'hésitation et 
de mollesse et de ne pas assez tenir dans sa main ses 
lieutenants. On le trouvait aussi plus préoccupé de con- 
quêtes que de colonisation. Le général Bugeaud arrivait 
avec d'autres vues. Député, il les avait exposées à la 
Chambre. D'abord opposé à l'extension de nos posses- 
sions africaines, il était d'avis qu'on devait se fortifier 
solidement dans celles qu'on avait conquises. C'était 
aussi l'opinion du duc d'Aumale, qui, malgré son jeune 
âge, avait déjà ses idées sur la politique suivie en Algérie, 
conforme en tout à celles du prince royal. Il accueillit 
donc comme un acte habile et fécond la nomination du 
général Bugeaud. 

L'histoire a enregistré déjà la lettre qu'il lui écrivit et 
la réponse qu'il reçut. Ces documents doivent nécessaire- 
ment figurer dans une étude consacrée au duc d'Anmale, 
et c'est à ce titre que, bien qu'ils soient connus, nous les 
reproduisons : 

« Mon général, disait le duc d'Aumale, le roi m' ayant 
désigné pour remplir un emploi de mon grade vacant au 

(i) Camille RoussET : la Conquête de l'Algèi'ie, 



L'AFRICAIN. 89 

24* de ligne, d'ici à peu de jours je vais me rendre en 
Afrique pour rejoindre mon corps, et j'y resterai long- 
temps, je l'espère. J'ai tenu à vous dire moi-même, et le 
plus tôt possible, combien j'étais heureux et fier de servir 
sous les ordres d'un chef aussi distingué que vous, et 
que je ferai de mon mieux pour justifier votre estime et 
mériter l'honneur qui m'est fait. Je vous prierai, mon 
général, de ne m'épargner ni fatigues, ni quoi que ce 
soit. Je suis jeune et robuste, et, en vrai cadet de Gas- 
cogne, il faut que je gagne mes éperons. Je ne vous 
demande qu'une chose, c'est de ne pas oublier le régi- 
ment du duc d'Aumale quand il y aura des coups à 
donner et à recevoir. » 

C'était, on peut s'en convaincre, toujours même souci, 
même crainte d'être ménagé parce qu'il n'avait pas vingt 
ans et que le sang des Bourbons coulait dans ses veines. 
Le général Bugeaud s'empressa de le rassurer : 

« Mon prince, vraiment le roi me gâte cette année! 
Ce n'était pas assez de m'avoir donné une mission d'au- 
tant plus honorable qu'elle est plus difficile. Sa Majesté 
veut encore me confier deux des fils de France! C'est 
trop d'honneur à la fois. Mais, si j'en suis confus, je n'en 
suis pas alarmé. Je ne redoute point la responsabilité que 
m'imposent de si grandes marques de confiance. Ma 
tâche est d'ailleurs allégée par la présence des deux 
princes ; elle augmentera l'émulation déjà si remarquable 
de l'armée d'Afrique; c'est là un gage de succès. 

a Vous ne voulez pas être ménagé, mon prince! Je 
n'en eus jamais la pensée. Je vous ferai votre juste part 
de fatigues et de dangers ; vous saurez vous-même vous 
faire votre part de gloire (1). » 

(1) H. dIdeville : le maréchal Bugeaud^ 



40 LE DtïC D'AUMÀLE. 

C'est au commencement de février 1841 que ces lettres 
s'échangeaient. Le 22 du même mois, le général Bugeaud 
prenait possession de son commandement. Quelques jours 
plus tard, le duc d'Aumale réapparaissait à Alger, retour 
de France. Cette fois, le duc d'Orléans n'était pas avec 
lui. Les péripéties de la politique le retenaient à Paris. 
Mais bientôt à sa place arrivait le duc de Nemours, mis 
à la tête d'une division. 

Le duc d'Aumale rentrait à ce moment d'une expédi- 
tion surMédéah. Cette ville conquise et occupée, il s'agis- 
sait d'en assurer le ravitaillement, en même temps que 
celui de Milianah, et d'en fortifier la défense contre les 
entreprises d'Abd-el-Kader. L'émir cherchait à isoler d'Al- 
ger les deux viUes qui lui avaient été arrachées et à en 
réduire à merci les garnisons. Une expédition nouvelle 
s'organisait pour les secourir. Le duc de Nemours et le 
duc d'Aumale en faisaient partie, sous les ordres du géné- 
ral Bugeaud. Mais leur colonne ne fut qu'accidentellement 
engagée. 

Le duc d'Aumale, cependant, eut à payer de sa 
personne. Il concourut à la défense de Milianah. C'est 
encore à ses états de service qu'il faut demander un 
compte rendu de sa conduite en ces circonstances. 
En 1841, il est cité à l'ordre du jour « pour la manière 
dont il a dirigé son régiment aux combats du bois des 
Oliviers, 3 et 4 avril, et à ceux de la plaine du Chéliff, 
3 et 5 mai, ainsi que pour la part prise par lui à la 
marche de la division Baraguey-d'Hilliers sur Thaza ». 
Une fois de plus , le « cadet de Gascogne » avait 
fait montre des plus fortes qualités militaires. Comme, 
à la suite de cette campagne, le colonel Bedeau, du 
17* léger, était nommé maréchal de camp, c'est le jeune 
prince qui fut appelé à lui succéder; à la tête de ce 



L'AFRICAIN. 41 

régiment, qu'il devait maintenant ramener en France. 

Débarqué à Toulon à la fin du mois d'août, le 17' léger 
se mit en route pour Paris, voyageant par étapes. Le 
nouveau colonel, quoique invité à prendre les devants et 
à aller attendre ses soldats dans la capitale, n'avait pas 
voulu se séparer d'eux durant leur marche à travers la 
France. Ce fut une marche triomphale. Ce régiment 
s'était couvert de gloire. Partout où il passait, les po- 
pulations l'acclamaient. Une part de ces acclamations 
enthousiastes allait au colonel, fils du roi. 

A Mâcon, il trouva les autorités aux portes de la ville. 
En sa qualité de président du conseil général de Saône- 
et-Loire, l'illustre poète Lamartine était à leur tête. 
Chargé de recevoir le prince, il le fit avec une éloquence 
entraînante : « Vous venez de servir votre pays, dit-il; 
il grandit tout ce qui le sert. » Ce noble langage remua 
profondément le duc d'Aumale. L'impression qu'il en 
garda fut ineffaçable. Plus tard, il racontait souvent com- 
bien il avait été troublé en entendant Lamartine le dési- 
gner ainsi à l'admiration de la France. 

Le 13 septembre, le régiment, son colonel en tète, 
arrivait devant Paris. Le duc d'Orléans et le duc de 
Nemours étaient venus recevoir leur frère. Ils voulaient 
l'entraîner sur-le-champ aux Tuileries, où attendaient 
avec impatience le roi et la reine. Mais il s'était promis 
de ne paraître aux Tuileries qu'avec ses soldats. Il mar- 
chait devant eux, entre ses deux aînés, quand on entra 
dans la capitale, au milieu des joyeux et bruyants saints 
des groupes populeux, qui se formaient sur le passage du 
régiment. Comme on débouchait à la hauteur de la rue 
Traversière-Saint-Antoine, la détonation d'un pistolet se 
fit entendre. On venait de tirer sur le duc d'Aumale, 
mais sans l'atteindre, ni lui, ni ses frères, ni personne de 



42 LE DUC D'AUMALE. 

l'escorte. Il n'y eut qu'un cheval tué. L'assassin se nom- 
mait Quénisset (1). 

Le régiment poursuivit sa marche parmi des cris de 
bienvenue qu'avait excités et déchaînés la nouvelle de 
cet attentat. A son entrée dans la cour des Tuileries, le 
roi, qui stationnait au seuil du palais, s'avança vers son 
fils et l'embrassa devant le front des troupes, aux accla- 
mations de la foule. On se dirigea tout aussitôt sur 
Neuilly. Là était préparé un banquet auquel prirent part 
les nouveaux arrivants, qu'étaient venus rejoindre des 
députations des différents corps formant la garnison de 
Paris. 

Le duc d'Aumale, à ce moment pathétique de sa vie, 
avait dix-neuf ans. Encore adolescent, il s'était conduit 
comme un homme d'expérience et de valeur. Les espé- 
rances qu'il donnait naguère, il les avait déjà tenues; 
tout annonçait qu'il tiendrait de même celles que pouvait 
faire concevoir la précocité de sa légitime gloire. Cette 
précocité ne rappelait-elle pas celle de Louis de Bourbon, 
prince de Condé, le grand Condé, qu'il prenait déjà pour 
modèle et dont il devait êtreun jour l'historien? Comment 
s'étonner, en le voyant tel qu'il se révélait alors, que 
quelques-uns de ses contemporains le considérassent 
comme destiné à accomplir de grandes choses, et que les 
témoins de ses premiers exploits aient pensé qu'il éga- 
lerait, avec le temps, les plus illustres princes de sa 
maison? 



(1) Il fut arrêté aussitôt et traduit devant la Cour des pairs, qui le 
condamna à mort. Louis-Philippe lui fit grâce, ainsi qu'à ses com- 
plices. Quant au duc d'Aumale, deux jours après l'attentat, il écri- 
vait : € On m'a salué d'un coup de pistolet pour mon arrivée à 
Paris. Je ne m'en plains pas; mon orgueil en a même été plus flatté 
que de toutes les ovations qu'on m'a faites. On ne cherche à tuer 
que ceux qui en valent la peine. » — Cité par M. Georges Picot. 



L'AFRICAIN. 43 

L'hypothèse était, dès ce moment, aussi fondée qu'elle 
le fut plus tard. Toutes les fois que le duc d'Aumale s'est 
montré sous l'uniforme et a fait acte de soldat, de 1840 à 
1848 d'abord, sur cette terre d'Afrique où son souvenir 
perpétué parla tradition reste toujours vivant; à Trianon, 
ensuite, quand il présidait les débats du procès Bazaine, 
et enfin, durant ce commandement de Besançon qui le 
remit en lumière avec éclat, il a donné l'impression qu'il 
possédait au plus haut degré toutes les qualités de 
l'homme de guerre. Dans les trop rares occasions qui 
s'ofiFrirent à lui de les révéler, elles apparurent telles, à 
travers ses actions et ses ordres, qu'on peut affirmer qu'il 
n'eût été inférieur à aucune des tâches que d'autres 
occasions auraient pu lui donner à remplir. On n'en peut 
douter lorsqu'on le suit dans ces campagnes d'Afrique 
dont nous avons résumé les débuts, et qu'il reprenait au 
mois de novembre 1842, en qualité de maréchal de camp. 
C'était peu de temps après la fin tragique du duc d'Or- 
léans, ce frère adoré autant qu'admiré, dont les exemples 
demeurèrent éternellement gravés dans sa mémoire et 
dont son cœur porta toujours le deuil. Cette fois, plus 
encore que lors de ses précédents départs pour l'Algérie, 
le roi et la reine ne s'étaient séparés de lui qu'étreints 
par d'indicibles angoisses. Déjà si cruellement éprouvés 
par la mort de leur fils aîné, ils ne livraient le plus jeune 
aux périls de la guerre qu'en tremblant pour sa vie. Une 
lettre de Louis-Philippe au général Bugeaud, datée de 
Saint-Cloud, 6 octobre, exprime leurs craintes en des 
formes émouvantes et touchantes, en même temps qu'elle 
trahit la noble confiance du roi dans son fils, dans tous 
ses fils : 

« Mon cher général, c'est mon bien-aimé fils le duc 
d'Aumale qui vous remettra cette lettre. Il va reprendre 



44 LE DUC D'AUMALE. 

SOUS VOS ordres le service que vous lui avez fait com- 
mencer si glorieusement. Quelle que soit la peine que 
j'éprouve de voir mes enfants s'éloigner de moi, peine 
douloureusement aggravée par la perte de ce fils chéri 
qui avait aussi glorieusement et tant de fois combattu en 
Afrique, leur zèle et leur empressement à reprendre nos 
drapeaux, partout où ils peuvent s'associer à la gloire de 
notre brave armée, sont une des plus douces consolations 
que je puisse trouver au malheur qui m'accable. 

« J'espère que l'armée d'Afrique reportera sur mon 
fils d'Aumale l'affection si vive qu'elle avait vouée à son 
frère aine, et qu'il continuera à partager avec celui que la 
Providence m'a conservé, mon bien-aimé fils le duc de 
Nemours. 

« Elle trouvera toujours les princes dignes de son 
estime et de sa confiance. Vous connaissez, mon cher 
général, celle que j'ai en vous. Je ne peux vous en donner 
une preuve plus éclatante que celle de vous envoyer 
mon fils, et je sens que je n'ai pas besoin de vous recom- 
mander de veiller sur lui (1). » 

Si dans cette lettre éloquente, témoignage de sollici- 
tude paternelle, quelque chose pouvait déplaire au duc 
d'Aumale, c'était le dernier mot, cette recommandation 
adressée au général Bugeaud de le garder des dangers 
auxquels il allait être exposé. Il n'admettait pas qu'on 
ne le livrât pas à lui-même et qu'il pût être empêché de 
se jeter à son gré, à ses risques et périls,, comme ses 
autres camarades, dans les entreprises guerrières et 
dans les mêlées. Aussi, avant même de remettre au 
général Bugeaud, venu à sa rencontre, le message dont 
il était chargé, ayant appris qu'une importante opération 

(1) H. d'Ideville : le Maréchal Bugeaud, 



L'AFRICAIN. 45 

allait être tentée, déclara-t-il « qu'il voulait en être » , et 
il plaida avec tant de chaleur et d'éloquence qu'il gagna 
sa cause. 

« Nous partons aujourd'hui pour opérer entre le 
Ghélif et la Mena, écrivait au roi le 20 novembre le 
général Bugeaud. Le duc d'Aumale, avant de débarquer, 
m'avait déclaré qu'il voulait en être. J'y ai consenti d'au- 
tant plus volontiers que sa santé m'a paru parfaite. Il 
commandera l'infanterie de la colonne que je conduirai 
moi-même, car nous devons nous diviser pour attaquer 
les montagnes de l'Ouarensenis. J'espère que Son Altesse 
Royale y trouvera de la gloire (1). » 

A peine débarqué à Alger, le prince repartit pour Bli- 
dah, où s'était formé le corps expéditionnaire dont le 
commandement lui était confié. Dès ce moment se dé- 
roule toute une suite de faits de guerre qui dénotent 
chez ce jeune homme de vingt ans les aptitudes les plus 
rares et, par-dessus tout, déjà visibles, la sûreté du coup 
d'œil, la rapidité des conceptions devant l'ennemi, une 
intrépidité qui ne doute de rien, encore que peu à peu 
elle se tempère, grâce à ces instincts de vigilance et de 
prudence qu'on voit se développer en lui, au fur et à 
mesure qu'il est contraint de lutter de ruse avec un 
ennemi dont les coups éclatent presque toujours non 
moins violents qu'inattendus. 

Dès son arrivée à l'armée d'Afrique, le duc d'Aumale 
s'était inquiété des habitudes de négligence qu'avaient 
contractées dans cette guerre, si différente des autres 
guerres, les généraux et les soldats. Il avait été frappé 
par le spectacle des troupes s'exposant à plaisir, sans 
nécessité, se laissant surprendre faute de savoir se garder, 

(1) H. d'Ideville, le Maréchal Bugeaud. 



46 LE DUC D'AUMALE. 

et il pensait qu'à persister dans ces fautes, on ferait de 
l'Algérie une mauvaise école pour les soldats en les pré- 
parant mal aux guerres continentales. Sur ceux qu'il com- 
mandait, il exerçait déjà un ascendant remarquable. Il 
appliquait son influence à les mettre en garde contre ces 
périls. Lui-même donnait l'exemple d'une surveillance 
de tous les instants. Durant les années qu'il passa en 
Algérie, il lui arriva de surprendre les Arabes. Quant à 
lui, il ne fut jamais surpris. 

Ce n'est cependant pas faute de s'être trouvé aux prises 
avec eux. Le gouverneur général Bugeaud ne le ména- 
geait pas. A toute heure, il lui confiait les entreprises les 
plus périlleuses. C'est ainsi qu'en entrant «n campagne, 
il nomme le jeune maréchal de camp commandant supé- 
rieur de la province de Tittery. A ce titre, le duc d'Au- 
male est lancé dans l'Ouarensenis, oii de toutes parts Abd- 
el-Kader a soulevé les tribus. En quelques mois, il porte 
à l'ennemi de terribles coups. En janvier 1843, il soumet 
les Ouled Auteur et rejette jusqu'au delà de Boghar Si 
Embarck, le principal lieutenant de l'émir. En mars, il 
châtie les Béni Djaad et les Negliona, sur les confins de 
la Kabylie du Durdjura. Dans ces actions successives, il 
devient l'égal de Lamoricière, de Changarnier, de Be- 
deau et de tant d'autres, bien qu'à côté d'eux il ne soit 
qu'un enfant. 

Enfin, en mai de la même année, il accomplit un fait 
d'armes qui serait considéré comme le plus glorieux de la 
conquête, s'il n'y avait, parmi tant de mémorables épi- 
sodes dont le souvenir en est inséparable, l'héroïque 
retraite de Constantine. Avec cinq cents cavaliers, il 
enlève la smalah d'Abd-el-Kader, la smalah, c'est-à-dire la 
ressource suprême de l'émir, ses tentes, ses réguliers, 
sa famille, celles de ses lieutenants, ses trésors, ses 



L'AFRICAIN. 47 

dépôts d'armes et de munitions, ses troupeaux, en un 
mot sa capitale mouvante et errante, depuis longtemps 
signalée et toujours insaisissable comme lui. 

En prenant le gouvernement de l'Algérie dans des cir- 
constances critiques, alors que les premiers résultats de 
la conquête semblaient compromis et la puissance fran- 
çaise menacée, le général Bugeaud avait compris que 
tant qu'Abd-el-Kader serait debout, en état de combattre, 
le pays où flottait notre drapeau ne pourrait être déflni- 
tivement pacifié. Déjà redoutable par sa valeur person- 
neUe, son fanatisme religieux, son prestige aux yeux 
des Arabes, l'émir ne Tétait pas moins par l'immensité des 
espaces qui s'ouvraient devant lui, et qui ne nous per- 
mettaient pas dé l'atteindre, lorsque, ses coups frappés, il 
se dérobait à nos représailles. C'était donc lui qu'il fallait 
poursuivre incessamment, sans merci, jusqu'à ce qu'on 
l'eût définitivement abattu, et, en attendant qu'on parvînt 
à le cerner, il importait de paralyser ses moyens d'action, 
de le désarmer, de manière à détruire son influence en 
prouvant aux Arabes, dont il excitait l'enthousiasme ou 
la terreur, qu'il n'était pas invincible. 

Ainsi s'était formé dans la pensée du général Bugeaud 
le projet de lui prendre sa smalah, et de le déposséder 
des points d'appui qu'elle ofiFrait à sa résistance. Mais, où 
était-elle cette ville nomade? En quoi consistait-elle? 
Quelle en était l'importance? On l'ignorait, personne ne 
Tayant vue, de telle sorte qu'en lançant après elle, d'une 
part, le duc d'Aumale, de l'autre, le général de Lamori- 
cière, Bugeaud n'avait pu leur dire en quel lieu elle s'était 
établie, ni les forces qu'elle pouvait leur opposer. C'est à 
eux qu'il appartenait de la découvrir. 

Quel appât pour les chevaleresques ambitions du jeune 
prince 1 Qu'eût-il pu rêver de plus tentant, de plus eni- 



48 LE DUC D'AUMALE. 

vrant, que ce but donné à son étourdissante activité, à 
son indomptable bravoure? Aussi considérait-il que le 
général Bugeaud lui faisait la plus belle part. « Il me 
reste à vous remercier de la belle mission que vous avez 
bien voulu me donner, lui dit-il le 10 mai, alors qu'il bat 
la campagne à la recherche de la smalah. Croyez que je 
ferai tous mes efforts pour légitimer votre confiance, et 
pour contribuer à Theureuse issue de la guerre que vous 
poursuivez si vivement (1). » 

C'est de Médéah qu'il envoyait à son général ces actions 
de grâce. Il venait d'y rentrer, après avoir poussé une 
pointe dans le pays de Chabonniah, après avoir châtié au 
passage la tribu des Rhaman, fidèle à Abd-el-Kader, pris 
en route douze mille moutons et cinq cents chameaux, 
capturé des rebelles, rassuré d'autres tribus qui nous de- 
mandaient de les protéger contre les exactions de l'émir, 
et commencé l'approvisionnement de Boghar, petite place 
qu'il avait choisie comme base de ses opérations. 

Se contentant de toucher barre à Médéah, il en repar- 
tait aussitôt, sur la foi de renseignements qui représen- 
taient la smalah comme errant dans TOuarensenis. Le 
même jour, le ministre de la guerre, répondant à ce que 
le général Bugeaud, dans ses rapports, lui avait dit du 
concours qu'il attendait du duc d'Aumale, lui écrivait : 
« Je vous invite de nouveau, de la manière la plus parti- 
culière, à veiller à ce que le prince ne puisse être exposé, 
et encore moins compromis (2). » 

Tardive était la recommandation. Le prince piquait 
droit devant lui avec une ardeur mêlée de prudence, brû- 
lant du. désir de s'emparer de la smalah et de ne laisser 
à aucun autre la gloire de cette brillante conquête. Deux 

(1) Archives du dépôt de la guerre, 

(2) Ibid. 



L'AFRICAIN. 49 

des aides de camp qui raccompagnaient, les colonels 
Jamin et de Beaufort, avaient été choisis, par son père, 
comme les plus capables de l'empêcher de courir de trop 
grands risques. Mais, s'il savait de quelle mission ils 
étaient chargés, il savait aussi qu'à l'heure de l'action il 
saurait tromper leur surveillance et se montrer digne de 
la conflance que, moins craintif que le roi, le général 
Bugeaud avait mise en lui. 

Revenu à Boghar le 10 mai, il en sortait le même jour 
avec une colonne de treize cents hommes, choisis dans 
les 33* et 64* de ligne et parmi les zouaves. Cette colonne 
se grossissait de six cents cavaliers appartenant aux 
corps des spahis et des chasseurs, et d'un goum fort de 
deux cents combattants. Le jeune général, renseigné par 
un Arabe fidèle à la France, l'aga des Ouled Ayad, se diri- 
geait sur le village de Goudgillah, aux environs duquel 
la smalah avait été vue. Le 14 mai, il y arrivait, et apprit 
qu'elle campait à quinze lieues au sud-ouest. Il se porta 
de ce côté. Mais, durant la nuit suivante, on ramassa des 
traînards. On sut par eux qu'elle marchait vers les mon- 
tagnes de Djebel Amour, où elle devait trouver de l'eau 
et des pâturages, et que, sans doute, elle ferait halte aux 
sources de Taguine, qui se trouvaient sur sa route (1). Elle 
opérait sa marche sous la garde d'Abd-el-Kader. L'émir, 
avec une troupe de cavaliers, rayonnait à plusieurs lieues 
autour d'elle^ tantôt la précédant et tantôt la suivant. Il 
ne se savait pas poursuivi par le duc d'Aumale. Con- 
vaincu que le prince était resté à Boghar, il ne songeait 
qu'à se défendre contre le général de Lamoricière. C'est 
de celui-ci seulement qu'il épiait les allées et venues, 
cherchant à le dépister. 

(1) Ces détails sont extraits du rapport officiel du duc d'Aumale, 
qui est reproduit en entier aux Pièces historiques, IIl. 

4 



50 LE DUC D'AUMALE. 

L'occasion était donc bonne pour le surprendre lui- 
même. Le duc d'Aumale se remit en chemin dans la 
direction de Taguine, dès le matin du 16 mai, à la pointe 
du jour, après avoir subdivisé sa colonne en deux par- 
ties, Tune formée de la cavalerie, de l'artillerie et des 
zouaves, l'autre composée de deux bataillons d'infanterie 
et de cinquante chevaux, plus spécialement destinée à 
protéger les approvisionnements. Les deux troupes par- 
tirent en même temps. Comme elles allaient forcément 
se séparer, on prit rendez- vous à Taguine. Le duc d'Au- 
male espérait y rencontrer la smalah. Si elle n'y était 
déjà plus, il la poursuivrait l'épée dans les reins vers le 
Djebel Amour, où, prise entre deux colonnes parties de 
Médéah et de Mascara, elle ne pourrait plus échapper. 

Les renseignements sur la foi desquels il avait élaboré 
son plan étaient exacts. C'est bien vers Taguine qu'Abd- 
el-Kader poussait sa smalah, ne cherchant qu'à fuir 
Lamoricière, et loin de se douter qu'il allait rencontrer le 
duc d'Aumale. Composée de trois cent soixante-huit 
douars comprenant chacun une trentaine de tentes, la 
smalah, par son organisation intérieure, symbolisait les 
antiques traditions de k vie des tribus nomades d'autre- 
fois. En voyage, elle formait une immense procession de 
gens et de bêtes, hommes et femmes, vieillards et en- 
fants, chariots et cavaliers, soldats et troupeaux. Lors- 
qu'elle campait, elle se divisait en quatre enceintes. Au 
centre était placé le douar d'Abd-el-Kader, habité par sa 
famille, sa mère, ses femmes, ses enfants, ses secrétaires 
et ses serviteurs (1). D'autres douars se déployaient 
autour du sien en un triple alignement de tentes, de 
façon à le rendre inabordable. Nul individu étranger à 

(1) Tous ces détails sont extraits d'un rapport du colonel Daumas. 
(Archives du dépôt de la guerre.) 



I 



L'AFRICAIN. 51 

la smalah ne pouvait arriver à la tente de l'émir sans 
être découvert. Il n'était pas plus aisé de s'enfuir, grâce 
à tout un système d'espionnage qui ne laissait place à 
aucun complot. 

Une troupe d'environ cinq cents fantassins, hommes 
fidèles, sûrs et résolus, gardait le douar et le trésor 
d'Abd-el-Kader. Elle disposait de quelques canons. Les 
otages que lui livraient par force les tribus qu'il rançon- 
nait étaient sous la surveillance de cette troupe, qui, d'ail- 
leurs, en toutes circonstances, pillait pour son compte. 
D'autres bandes armées, une cavalerie régulière bien 
montée, grâce aux razzias de chevaux qu'on opérait sur 
les tribus, complétaient les forces de l'émir et portaient 
l'effectif des combattants à un peu plus de deux mille 
hommes. Tout le reste n'était que cohue, gens sans res- 
source, ouvriers préposés à la fabrication des armes et 
delà poudre, marchands de denrées ou prêteurs sur gages, 
juifs pour la plupart, des bijoutiers, des tailleurs, des 
selliers, des maréchaux ferrants. 

Abd-el-Kader résidait rarement à sa smalah. Au 
moment où elle allait être prise, il n'y avait pas séjourné 
deux mois en deux ans. A la tête de ses réguliers, il par- 
courait les tribus afin de les maintenir dans l'obéissance, 
s'attachant à soulever ou à châtier celles qui s'étaient 
soumises aux Français. En son absence, la smalah était 
commandée par son beau-frère, Mustapha-Ben-Thami , 
ou par ceux de ses parents demeurés fidèles à sa fortune. 
Us étaient d'ailleurs en petit nombre, la plus grande partie 
de sa famille, lasse de son despotisme et de ses échecs, 
l'ayant abandonné. Ses frères et ses cousins s'étaient 
réfugiés au Maroc, les autres dans des tribus lointaines. 
Le chef qui commandait la smalah était également 
chargé de pourvoir à ses besoins et à sa sûreté. Elle se 



$2 LE DUC D'AUMALE. 

ravitaillait en grains, grâce à des marchands qui les lui 
apportaient, grâce à des achats efifectués dans les tribus 
amies, ou grâce au pillage qu'on exerçait sur les tribus 
rebelles. Quand la smalah campait quelque part , les 
étrangers y affluaient. Les uns étaient des plaignants, les 
autres des délateurs. Il venait aussi des courriers, por- 
teurs de nouvelles recueillies sur les marchés. 

La vie, au reste, était dure pour les habitants de cette 
ville errante. L'eau et les vivres manquaient fréquem- 
ment. A ces privations s'ajoutaient les fatigues résultant 
des marches et des contre-marches. La mortalité ne lais- 
sait pas d'être considérable. En ces heures de décourage- 
ment, tous les moyens étaient bons pour relever le moral 
de la population. De fausses rumeurs, habilement répan- 
dues, lui prédisaient la chute imminente de la puissance 
française. On lui racontait un jour que la France venait 
d'être vaincue par l'Angleterre, un autre jour que l'émir 
avait infligé aux oppresseurs une défaite sanglante, ou 
encore qu'ils étaient décimés par les maladies. Quoiqu'il 
fût de notoriété publique que l'empereur du Maroc avait 
cessé tout envoi de secours à Abd-el-Kader, les chefs de 
la smalah annonçaient tout à coup sa prochaine arrivée, à 
la tète d'une grande armée destinée à chasser les Fran- 
çais. Chacune de ces nouvelles donnait lieu à des réjouis- 
sances, à des fantasias. Les chefs n'en étaient pas dupes; 
mais le peuple était crédule et reprenait courage. 

En réalité, Abd-el-Kader touchait à la crise la plus 
grave de sa carrière. Jadis alimenté par d'innombrables 
présents en argent, en armes, en munitions, en grains, 
son trésor, par suite de la rareté progressive de ces dons 
volontaires, rapidement diminuait. A peine s'élevait-il 
encore à quelques centaines de mille francs. L'empereur 
du Maroc, qui naguère soutenait l'émir, ayant pris om- 



L'AFRICAIN. 53 

brage de propos imprudents où il avait cru voir une 
menace, lui était devenu hostile. En lui écrivant, il ne 
le traitait plus de sultan ni de khalifa. Dans une lettre 
récente, il lui avait conseillé de déposer les armes. 

Divers chefs, dont l'influence sur les populations du 
désert était grande, avaient déserté la cause d'Abd-el- 
Kader. Ses approvisionnements d'armes et de munitions 
s'épuisaient. Pour les remplacer, il n'avait que celles 
qu'il faisait fabriquer dans sa smalah, et qui étaient de 
qualité inférieure. Battu dans toutes ses rencontres avec 
les Français, empêché sur tous les points de reprendre 
l'offensive, il voyait diminuer son autorité et son pres- 
tige. La confiance que, durant tant d'années, il avait 
inspirée, et qui faisait sa force, se dissipait de jour en 
jour. De toutes parts, les secours qu'il avait espérés lui 
faisaient défaut. 

Le seul qui lui eût été offert l'était par son plus cruel 
ennemi, Mohamed Ould Tidjiny, qu'en 1838 il avait 
chassé de sa ville d'Aaïn-Mady, après l'avoir détruite, et 
qui, y étant rentré et l'ayant relevée de ses ruines, y avait 
recouvré tout son pouvoir. « Tant que vous avez été 
heureux, lui écrivait Tidjiny, je n'ai rien fait pour me 
rapprocher de vous. Mais, aujourd'hui que le m.alheur 
est venu vous atteindre, je vous offre dans ma ville, et 
au nom de notre sainte religion, un asile pour vous, 
votre famille et vos biens. Vous y serez à l'abri de l'at- 
teinte des Français. » Offre ironique et dérisoire qui 
cachait sans doute, venant d'un fanatique, de haineux 
desseins, et qu'Abd-el-Kader se garda bien d'accepter. 

Quelques encouragements lui venaient aussi des ulé- 
mas de la Mecque. Là, on priait pour lui. On le considé- 
rait comme le seul musulman qui fût pur de toute alliance 
avec les chrétiens. Il avait d'ailleurs comblé les ulémas 



54 LE DUC D'AUMALE. 

de présents. Ils lui conservaient toujours une vive grati- 
tude. Malheureusement, elle ne se traduisait qu'en des 
formes inefficaces. Entouré de périls toujours grandis- 
sants, il n'en était pas moins résolu à ne pas désarmer. 
A ceux qui lui conseillaient de cesser la guerre, il répon- 
dait : 

« Jamais je ne quitterai la partie, et tant qu'il me 
restera un fusil et un souffle de vie, je combattrai le 
chrétien. » 

En ces circonstances, il apprit que les Français s'étaient 
jetés à la poursuite de sa smalah. De loin, il veillait sur 
elle, et comme elle venait d'errer durant trois semaines 
dans le désert, manquant d'eau et de pâturages, il envoya 
à Ben-Thami l'ordre de la conduire à El Benyaa, à quatre 
journées de Tekedempt, où elle devait trouver des res- 
sources. Elle campa en ce lieu durant quarante- trois 
jours. Le souvenir des souffrances qu'elle avait endurées 
s'affaiblit. On reprit confiance. A ce moment , Abd-el- 
Kader rejoignit sa famille. Il rapportait quelque argent 
prélevé sur des tribus. Il le fit distribuer aux soldats et 
aux indigents. Il chantait victoire, et communiqua à ceux 
qui l'entouraient la joie vraie ou feinte dont il était 
animé. 

Bientôt l'herbe manqua pour les troupeaux. Il dirigea 
la smalah sur El Nador, dans le pays des Harrars Cherzaga. 
Mais, ayant reçu, au moment d'y faire halte, des nouvelles 
alarmantes, il partit avec la moitié de ses troupes, tandis 
que la smalah, sous les ordres de Ben-Thami, allait plus 
loin vers l'est. 

Abd-el-Kader y revint bientôt après, suivi de plusieurs 
tribus qu'il avait contraintes à marcher avec lui. Con- 
vaincu qu'il était maintenant en état de la défendre, il la 
ramena à El Nador. En y arrivant, il eut une heureuse 



L'AFRICAIN. 55 

surprise. La tribu des Hachems se présenta pour se réu- 
nir volontairement à ses troupes. Il demeurait là sur le 
qui-vive, lorsqu'à portée de son camp, trois courriers 
qui cherchaient à tromper la surveillance des sentinelles 
furent tués. Des papiers qu'on trouva sur eux il résul- 
tait qu'ils étaient envoyés aux Français par les chefs des 
tribus Harrars, afin de demander aide et protection contre 
lui. Il fit décapiter et éventrer les trois cadavres, et comme 
les Harrars s'enfuyaient, il suivit leurs traces avec sa 
smalah tout entière, voulant opérer sur eux une razzia. 
Mais ils liii échappèrent; au point où il croyait les ren- 
contrer, il ne trouva que des bivouacs abandonnés. 

La smalah rebroussa chemin, se dirigeant vers Taguine, 
d'où elle devait gagner [les vastes et fertiles montagnes 
du Djebel Amour, habitées par des tribus de race noble, 
riches en argent et en terres cultivées, où il lui serait 
facile de vivre dans l'abondance et en sûreté. Quant à 
l'émir, il se portait avec une troupe de cavaliers d'élite 
dans la direction de Mascara. C'est de cette place qu'était 
sortie une des colonnes dont Lamoricière avait pris le 
commandement. Ses allées et venues inquiétaient Abd- 
el-Kader. 

Dans la soirée du 15 mai, la smalah arrivait à Taguine. 
L'obscurité empêchant de procéder à une installation 
définitive, on campa tant bien que mal jusqu'au lende- 
main. Le bruit s'était répandu qu'on avait vu des Fran- 
çais du côté de l'est; la population fut terrifiée. Les chefs 
la rassurèrent en affirmant qu'Abd-el-Kaher surveillait 
l'ennemi, et la nuit se passa sans alerte. Au lever du jour, 
on commença à procéder au campement, au pied des 
collines, dans des prairies, proche la source qui les 
fertilise. 

Sous la surveillance des réguliers de l'émir, largement 



S6 LE DUC D'AUMALE. 

espacés, dans un tumulte de voix humaines et de cris de 
bêtes, avec une lenteur qui témoignait de la tranquillité 
générale, on déchargeait les mulets, les chameaux, les 
chariots, et on dressait les tentes. Quelques-unes s'éle- 
vaient déjà toutes blanches, au centre de l'emplacement 
choisi. Les femmes d'Abd-el-Kader et de ses lieutenants 
en prenaient possession. Plus loin, au bord de l'eau, bêtes 
et gens se désaltéraient. Tout était confusion et pêle-mêle 
à travers la vaste étendue qu'allait occuper la smalah. 

Soudain, au sommet du mamelon qui la dominait, 
apparurent des cavaliers couverts de burnous rouges. 
Ceux qui les virent ne s'alarmèrent pas. Loin de s'alar- 
mer, on les accueillit par des cris d'allégresse. N'était-ce 
pas Abd-el-Kader qui rentrait au camp avec son escorte? 
Les Arabes furent soudain détrompés. Subitement gros- 
sie, cette troupe s'élançait, descendait comme un ouragan 
les escarpements et fondait, les armes à la main, sur la 
smalah. C'étaient les spahis et les chasseurs du duc 
d'Aumale. 

Nous avons laissé le prince, dans la matinée du 16 mai, 
après six jours de marche, en route pour Taguine. Sur la 
foi de renseignements inexacts, il s'était un moment 
détourné de cette route pour opérer, avec sa cavalerie, 
une reconnaissance vers le sud. Mais, après un trajet de 
quatre lieues, n'ayant rien découvert et craignant de 
fatiguer inutilement ses soldats, il était revenu sur ses 
pas et avait repris la direction de Taguine, où toutes ses 
troupes devaient se retrouver. 

Il n'avait en ce moment sous la main que cinq cents 
cavaliers. Les zouaves, marchant moins vite que lui, 
étaient restés à quelques lieues en arrière. Il n'espérait 
plus, du reste, rencontrer l'ennemi ce jour-là. Il n'avan- 
çait encore que pour trouver de l'eau, décidé à faire 



L'AFRICAIN. 57 

halte dès qu'on l'aurait trouvée. Il avait même envoyé 
en avant, à cet effet, Taga des Ouled Ayad, qui lui servait 
de guide. 

A rimproviste, on vit Taga revenir au galop penché 
sur son cheval, pâle et haletant. Il s'arrêta devant le 
colonel Yusuf, qui commandait l' avant-garde, et mur- 
mura : 

« La smalah! La smalah! Elle est là tout entière, 
au pied de ces collines! Fuyez! Fuyez! avant qu'on 
s'aperçoive de votre présence. S'ils vous voient, vous 
êtes perdus. Ils sont au moins soixante mille. » 

Le colonel Yusuf eut la plus grande peine à calmer cet 
effroi. Il se fit répéter et préciser les renseignements 
qu'il venait d'entendre; puis, tandis que par son ordre 
le sous-lieutenant du Barail allait prévenir le duc d'Au- 
male, lui-même, avec le lieutenant Fleury et l'aga Moha- 
med-ben-Ayad, se portait en avant pour voir de ses yeux 
la smalah. Le prince et son état-major, les colonels Jamin, 
de Beaufort et Morris, l'eurent bientôt rejoint. Ils embras- 
sèrent d'un regard cette ville de tentes. Elle couvrait un 
immense espace et l'emplissait de rumeurs. 

a Nous en étions tout au plus à mille mètres, dit le duc 
d'Aumale dans son rapport; c'est àpeine si elle s'était déjà 
aperçue de notre approche. Il n'y avait pas à hésiter : les 
zouaves, que le lieutenant-colonel Chasseloup amenait 
rapidement avec l'ambulance du docteur Beuret, et l'ar- 
tillerie du capitaine Aubac ne pouvaient pas, malgré 
toute leur énergie, arriver avant deux heures, et, une 
demi-heure de plus, les femmes et les troupeaux étaient 
hors de notre portée ; les nombreux combattants de cette 
ville de tentes auraient eu le temps de se rallier et de 
s'entendre; le succès devenait improbable et notre situa- 
tion très critique. » 



58 « LE DUC D'AUMALE. 

Le duc d'Aumale était donc résolu à attaquer sur-le- 
champ. Il le dit dans le conseil qui s'improvisa sur 
l'heure, entre lui et ses officiers. Le colonel de Beaufort 
combattit sa résolution. 

« Nous sommes ici, dit-il, le colonel Jamin et moi, 
responsables vis-à-vis du roi, et nous devons veiller, 
monseigneur, sur Votre Altesse Royale. Ce que vous 
voulez faire est bien imprudent. Il y a là quelques milliers 
de combattants, et nous sommes cinq cents cavaliers. 
L'infanterie est loin, elle est fatiguée par de longues 
marches. Attendez au moins que les zouaves et l'artillerie 
soient arrivées. » 

L'aga des Ben Ayad et ses Arabes tenaient le même lan- 
gage. Ils estimaient à cinq mille réguliers la force armée 
qui gardait la smalah; il y avait en outre une immense 
population, plusieurs tribus. Attaquer en de telles condi- 
tions, c'était courir à un désastre. 

Le prince coupa court à ces objections. 

« Je suis d'une race qui n'a jamais reculé, dit-il. Je ne 
donnerai pas l'exemple (i) ». 

Sur son ordre, chaque chef se rend à son poste de 
combat. Cette petite cavalerie s'élance. Le prince, le 
colonel Morris et ses chasseurs prennent par la droite 
pour traverser le camp dans sa longueur, Yusuf et ses 
spahis par la gauche, piquant droit sur le douar d'Abd- 
el-Kader, autour duquel les réguliers se sont rangés à 
la première alerte, et qu'ils défendent avec intrédipité. 
Mais rien ne tient devant la furia des Français. 

Les femmes, les vieillards, les enfants s'enfuient en 



(1) Cette réponse devenue historique est affirmée par de nombreux 
témoins et notamment par le général du Barail dans ses Mémoires, 
et par le général Fleury dans un récit que reproduit H. d'ideville 
dans son livre sur le général Bugeaud. 



L'AFRICAIN. 5» 

poussant des cris de terreur. Les combattants arabes 
sont poursuivis et sabrés. Les uns se font tuer, les autres 
jettent leurs armes, se rendent ou se dérobent. Un esclave 
fidèle fait monter sur un mulet la mère et la femme 
d'Abd-el-Kader, et profite de ce désordre pour les entraî- 
ner. En quelques instants, la petite troupe que com- 
mande le duc d'Aumale, et qu'il électrise par sa présence, 
reste maîtresse de la smalah. Les cinq mille combattants 
sont pris, fugitifs ou morts. Trois cents d'entre eux gisent 
sur le sol. Le trésor d'Abd-el-Kader, ses troupeaux, ses 
armes, ses tentes et plus de trois mille prisonniers sont 
en notre pouvoir. Tout ce qui de cette population a pu 
échapper aux Français marche en désordre au hasard, et 
c'est par centaines que ces fuyards sont ramassés, dans 
leur course éperdue, par les troupes de Lamoricière, 
contre lesquelles ils vont se jeter à quelques lieues du 
théâtre de leur ruine. 

Après sa victoire, le duc d'Aumale établit son camp à 
la place qu'avait occupée la smalah. Vers quatre heures, 
quand depuis longtemps tout était fini, il eut la joie de 
voir arriver son infanterie. Elle avait franchi trente 
lieues en trente-six heures, sans laisser un homme en 
arrière. 

La journée du lendemain fut consacrée au recen- 
sement des prisonniers. Ils représentaient deux cent 
quatre-vingt-trois familles. Dans ce nombre se trouvaient 
celles des lieutenants d'Abd-el-Kader. Quelques-uns de 
ceux-ci figuraient parmi les captifs. En considérant à quel 
faible eflfectif numérique s'élevait la troupe qui les avait 
vaincus, ils étaient stupéfaits. Us ne pouvaient se résoudre 
à croire qu'ils s'étaient laissé battre par cette poignée de 
soldats. 

« Si chaque homme de la smalah, déclaraient-ils, avait 



60 LE DUC D'AUMALE. 

voulu combattre avec un bâton seulement, les vainqueurs 
eussent été vaincus. Mais les décrets de Dieu ont dû 
s'accomplir. » 

On rassembla les troupeaux, on brûla les tentes arabes 
ainsi que le butin qu'on ne pouvait emporter. Enfin, le 
18 mai, au lever du jour, on se remit en route pour ren- 
trer à Boghar. La marche fut lente et difficile. Dix-huit 
cents hommes étaient tenus de ramener trois mille pri- 
sonniers, d'innombrables troupeaux, et de se garder contre 
un retour offensif d'Abd-el-Kader. Les étapes marquées 
par Teau étaient longues. Chaque soir, on dressait les 
tentes et on allumait des feux. 

C'est du bivouac de Chabonnyan, sur l'oued Ouerk, 
qu'est daté le rapport officiel du vainqueur de la smalah. 
Après avoir rendu compte de l'événement auquel son 
nom était désormais attaché, et signalé au général de Bar, 
commandant en chef à Alger, en l'absence du général 
Bugeaud parti en expédition de son côté, les officiers qui 
s'étaient distingués par leur bravoure, il annonçait qu'il 
ramenait sa prise dans la Mitidja. Le 23 mai, il rentrait 
à Boghar sans avoir brûlé une amorce. 

Abd-el-Kader n'avait osé l'attaquer. L'émir, battu par- 
tout, ne songeait qu'à se défendre. Poursuivi par Lamo- 
ricière, abandonné par les tribus qui jusqu'à ce moment 
lui étaient demeurées fidèles, il s'efforçait de paraître 
consolé de son infortune aussitôt après l'avoir apprise, 
parce qu'elle « le laissait plus libre de ses mouvements » . 

« Tous les musulmans qui sont morts ou prisonniers 
des chrétiens, disait-il, je les considère comme une 
offrande agréable que j'ai faite à notre Seigneur Mohamed 
le prophète de Dieu. Quant à ceux qui restent, avec mon 
infanterie et ma cavalerie régulière, je les emmènerai 
soit à Djebel Amour, soit à El-Byodd, chez les Oulad Sidi 



L'AFRICAIN. 61 

Cheggz OÙ leurs familles seront en sûreté. Us se bat- 
tront encore pour la religion. Je purifierai les récalci- 
trants avec le fer de mes soldats. De ma personne, 
vinssé-je à perdre mon propre cheval, je continuerai à 
faire la guerre sainte à pied et jusqu'à ma mort. Du reste, 
le temps des chrétiens va finir, car les livres saints qui en 
ont prédit l'arrivée en fixent également le départ à la 
quinzième année. » 

Ces discours et ces bravades ne trompaient plus per- 
sonne. Les derniers partisans d'Abd-el-Kader se disper- 
saient. Il ne lui restait plus que quelques cavaliers qui 
avaient lié leur sort au sien. Avec eux, il se jetait dans le 
désert, attendant l'heure de provoquer de nouveaux sou- 
lèvements et de reprendre l'offensive. Il commençait 
l'existence obscure et misérable qui devait, à quatre ans 
de là, le contraindre à s'avouer vaincu et à venir se livrer 
au duc d'Aumale. 

Pendant ce temps, la nouvelle de la conquête de la 
smalah arrivait en France. En la recevant à Alger, le 
général de Bar avait expédié un navire à Toulon. Le 
préfet maritime de cette ville s'était empressé d'avertir 
télégraphiquement le maréchal Soult, ministre de la 
guerre. Sa dépèche, datée du 26 mai, reproduisait presque 
textuellement celle du prince. Elle portait : « La smalah 
d'Abd-el-Kader est prise, son trésor pillé, ses fantassins 
réguliers tués ou dispersés. Quatre drapeaux, un canon, 
deux aflfûts, un butin immense, des populations et des 
troupeaux considérables sont tombés en notre pouvoir. » 
Envoyée sur l'heure aux Tuileries, cette dépêche y 
provoqua l'émotion la plus vive. Depuis la mort du duc 
d'Orléans, le roi etlareine, accablés par la douleur, étaient 
demeurés insensibles à toute cause de joie. Cette fois, 
devant ce succès retentissant que venait de remporter 



62 LE DUC D'AUMALE. 

leur fils, ils sentirent leur cœur se fondre et s'ouvrir au 
bonheur. L'émotion qu'ils éprouvaient, la France la par- 
tagea. Elle s'enthousiasma pour le jeune prince dont la 
vaillance venait d'accomplir ce prodige. L'opinion per- 
sonnelle du général Bugeaud, exprimée avec Tindépen- 
dance et la netteté de parole qui caractérisaient ce noble 
soldat, soulignait cet enthousiasme et le justifiait : 

« J'écrivais, il y a quelques jours, disait-il, que malgré 
les bonnes dispositions prises et quelle que fût l'intelligence 
du prince, il fallait encore une faveur de la fortune pour 
saisir cette smalah si mobile, si bien avertie, si bien gardée. 
Eh bien, la fortune a été pour peu de chose dans ce bril- 
lant succès. Il est dû à la décision du chef, à l'audace et 
àFimpétuositéde l'attaque. lia saisil'occasion aux cheveux. 
La moindre hésitation pouvait faire échapper cette proie. 
C'était une de ces occasions où la témérité même est de 
la prudence. Attendre pour frapper plus fort eût donné 
le temps aux guerriers de sortir de cette multitude désor- 
donnée, de mettre de l'ensemble dans leur défense, et si la 
smalah n'eût pas été sauvée, la victoire eût coûté fort 
cher (1). » 

Au même moment, un officier encore peu connu et 
qu'attendait le bâton de maréchal de France, Saint- 
Arnaud, disait dans une lettre privée : « Le prince vient 
de faire un coup de maître exécuté avec autant de 
vigueur que d'habileté. Toute la smalah d'Abd-el-Kader, 
après laquelle j'ai tant couru l'automne et l'hiver derniers, 
est tombée en son pouvoir, et c'est avec cinq cents che- 
vaux qu'il a obtenu ce brillant résultat... C'est bien, c'est 
intrépide, c'est habile (2). » 

A citer encore l'appréciation de Charras, alors colonel : 

(1) Archives du dépôt de la guerre. 

(2) Ibid, 



L'AFRICAIN. 63 

« Pour entrer comme Ta fait le duc d'Aumale avec cinq 
cents hommes au milieu d'une pareille population, il 
fallait avoir vingt-trois ans, ne pas savoir ce que c'est que 
le danger, ou bien avoir le diable dans le ventre. Les 
femmes seules n'avaient qu'à tendre les cordes des tentes 
sur le chemin des chevaux pour les culbuter, et qu'à jeter 
leurs pantoufles à la tête des soldats pour les exterminer 
tous, depuis le premier jusqu'au dernier. » 

Alors que les hommes de guerre célébraient en de tels 
termes ce fait d'armes, comment les Français l'eussent-ils 
jugé différemment? Il y eut donc unanimité d'hommages 
et d'actions de grâces, et l'opinion, dès cet instant, se 
forma telle qu'elle nous a été transmise. Le duc d'Aumale 
et la famille royale en reçurent de nombreux témoi- 
gnages. Ni dans la nation, ni dans l'armée, nulle protes- 
tation ne s'éleva, lorsqu'au mois de juillet suivant, le 
prince fut élevé au grade de lieutenant général. Quelques 
jours plus tard, la dignité de maréchal de France était 
conférée au général Bugeaud. Il méritait bien cette récom- 
pense, celui dont l'habileté avait préparé ces grands 
résultats et en relevait le prix. 

Peu de temps avant la prise de la smalah, le gouver- 
neur général, à qui l'excès de ses fatigues commandait 
quelque repos, avait demandé un congé de deux mois. Le 
ministre de la guerre ne s'était pas pressé de lui répondre. 
Le roi, souhaitant que son fils fût chargé de l'intérim du 
gouvernement de l'Algérie, avait pris le temps de le con- 
sulter. Mais le prince ne se souciait pas d'endosser si 
vite les lourdes responsabilités. Préférant garder son 
commandement de Tittery, il avait répondu aux offres de 
son père par un refus. Après la prise de la smalah, le 
maréchal Soult écrivait à Bugeaud : 

« Peut-être a-t-elle changé ses projets et finira-t-il par 



64 LE DUC D'AUMALE. 

reconnaître que le moment est venu de consentir à ce 
que le roi le mette plus en évidence. S'il en était ainsi, je 
ne doute pas que vous le premier n'y applaudissiez, et en 
même temps que vous ne fassiez des efforts pour le déter- 
miner. Cependant, je dois vous prévenir que le roi^ la 
reine et toute la famille royale désirent beaucoup qu'après 
la campagne terminée, le prince revienne en France, ne 
serait-ce que pour y passer quelques semaines (1). » 

Bugeaud, qui désirait rentrer en France, désignait lui- 
même comme son successeur le duc d'Aumale. Il le disait 
et le répétait à qui voulait l'entendre. Il eût donc souhaité 
que le prince, en le remplaçant provisoirement, s'accou- 
tumât aux hautes fonctions dont, malgré sa jeunesse, il 
le jugeait digne. Mais le prince persévérant dans son 
refus, il fallut ajourner la combinaison. 

« Le colonel de la Rue vous apporte la certitude très 
prochaine du bâton que vous avez si bien gagné, écrivait 
Guizot au gouverneur général, le 19 juillet. Vous resterez 
un an de plus en Afrique comme maréchal, et vous en 
reviendrez dans un an, après avoir tout préparé pour le 
jeune mais très digne successeur qui vous est destiné. Il 
fait preuve lui-même d'un grand sens, en voulant encore 
une année de préparation pour la difficile tache qu'il aura 
à accomplir en vous succédant (2). » 

En attendant, le duc d'Aumale, devenu lieutenant 
général, devait prendre à son retour en Algérie — car il 
allait partir pour la France — le commandement de la 
province de Constantine (3). Il quittait Alger à la fin de 

(1) Archives du dépôt de la guerre. 

(2) Lettres de M. Guizot. 

(3) Il convient de mentionner qu'en montant en grade, le duc 
d'Aumale n'oubliait pas ses camarades. C'est à lui que le colonel 
Eugène Cavaignac dut sa nomination de maréchal de camp, méritée 
à tant de titres et que retardaient ses opinions républicaines. Le 



L'AFRICAIN. 65 

septembre. Quelques jours plus tard, il arrivait à Paris, 
où il recueillait, en de touchantes manifestations, en 
même temps que les preuves de la tendresse de ses 
parents, celles de la reconnaissance nationale. 

Ce qui frappe, à cette heure de son existence, c'est la 
maturité de sa raison, sa précoce gravité, sa sagesse, 
qualités qui semblent au premier abord incompatibles 
avec son impétueuse témérité à la guerre et qu'il possède 
cependant au plus haut degré. S'il s'entretient avec les 
vieux généraux, il les étonne par son langage, ses avis, 
ses remarques, la fermeté des opinions qu'il exprime sur 
les hommes et sur les choses. Il se révèle administrateur 
habile autant que vaillant soldat. Quand le maréchal 
Bugeaud, pour hâter l'œuvre de la colonisation, appelait 
les trappistes à Staouëli, le duc d'Aumale a encouragé 
cette tentative. Les moines trouvent en lui, à toute heure, 
un appui, et lorsque leur supérieur vient se plaindre au 
prince des difficultés que rencontre sa courageuse entre- 
prise, ce jeune homme de vingt et un ans relève le cou- 
rage du vieux religieux : 

« Sera-ce aux religieux de la Trappe qu'il faudra prê- 
cher la patience et la persévérance? lui dit-il. Vous datez 
d'hier et vous voulez déjà avoir réussi ! C'est trop tôt 
vous décourager. Soyez ici constants comme vous l'avez 
été ailleurs; soyez-le plus qu'ailleurs, et vous réussirez. » 

Croirait-on, à entendre ce langage, que c'est celui d'un 
adolescent? Ne dirait-on pas plutôt le conseil d'un homme 
d'âge et d'expérience? Tout est de même dans les paroles 
et les actes du duc d'Aumale. L'éducation qu'il a reçue, la 

prince écrivait à son père, en. 1843 : « 11 sera difficile de ne pas le 
faire bientôt maréchal de camp. Autrement, on aurait l'air de lui 
donner de mauvaise grâce des grades que tout le monde sait qu'il a 
gagnés... Il a dans l'armée une popularité réelle. » Cette lettre n'est 
qu'un long éloge de Gavaignac. 

5 



66 LE DUC D'AUMALE. 

culture de son esprit avide de savoir, sa science de This- 
toire, ses ambitions militaires, tout conspire pour le 
placer à la hauteur des plus lourdes responsabilités. Il est 
éclatant que, quelle que soit la situation qu'on lui confie, il 
n'y sera pas inférieur. Aussi ses parents jugent-ils qu'il 
est en état de se marier et de devenir chef de famille. 

Sous le ciel de Naples est née et a grandi la princesse 
qu'ils lui destinent. Fille du prince Léopold de Salerne, 
second fils de Marie-Caroline reine des Deux-Siciles et 
frère de Marie-Amélie, elle est la cousine germaine du 
duc d'Aumale. On la dit accomplie, et sur-le-champ la 
pensée de ce mariage sourit au prince. Mais il ne connaît 
pas encore la jeune fille, et, à peine rentré d'Algérie, il 
part pour Naples, afin de la voir et de se faire connaître 
d'elle. Il quitte Paris dans le courant d'octobre, accom- 
pagné de son ancien précepteur Cuvillier-Fleury, devenu 
secrétaire de ses commandements, et de son aide de 
camp le colonel de Beaufort (1). 

Le 20, il est à Turin, où la famille royale de Piémont a 
désiré qu'il s'arrêtât. Elle donne, durant trois jours, des 
fêtes en son honneur. Parmi ces fêtes, une revue fournit à 
la population de la capitale l'occasion d'admirer la belle 
prestance et la fière mine du fils du roi des Français. Le 
jeune général, que la prise de la snjalah a rendu populaire 
dans le monde, reçoit partout sur sa route des témoignages 
de l'estime en laquelle on le tient. Partout on l'acclame. 
Lorsqu'à cheval, aux côtés du roi et des princes de la 

(1) Quand le duc d'Aumale quitta Paris, la reine chargea Cuvillier- 
Fleury de la tenir chaque jour au courant des faits et gestes de son 
fils. J'ai sous les yeux quatre des lettres inédites que lui écrivit de 
Turin le secrétaire des commandements. Elles rendent minutieuse- 
ment compte des détails de la réception faite au prince dans la capi- 
tale du Piémont. Cuvillier-Fleury, tombé subitement malade, ne put 
du reste aller plus loin. Il laissa le duc d'Aumale continuer son 
voyage, vint se rétablir à Nice et rentra en France. 



L'AFRICAIN. 67 

maison de Savoie, il traverse la ville pour assister aux 
manœuvres militaires données en son honneur, il excite 
Tenthousiasme. 

En quittant Turin, il se rend à Govone, où réside sa 
tante, la reine Marie-Christine, que son état maladif tient 
éloignée de la cour. Il la charme, la captive, et elle le 
comble d'attentions. Il part ensuite pour Gènes et de là 
pour Naples, d'où il ira voir son palais de Palerme, et qui 
est à vrai dire le but de son voyage. 

A la cour napolitaine, il est présenté à sa cousine. Avec 
sa grâce juvénile, paré du prestige de sa gloire précoce, 
il n'a qu'à se montrer pour plaire. Depuis longtemps il 
était attendu. Comme il réalise et dépasse toutes les espé- 
rances qu'avait éveillées la nouvelle de son arrivée, le 
cœur qu'il vient interroger se donne à lui sans retour. Lui- 
même est conquis par ce qu'il découvre, dans cette âme 
candide et pure, de sentiments fiers, délicats et tendres. 
C'est une heure enivrante, l'heure des rêves du foyer, 
qu'il associe dans sa pensée aux rêves de gloire qui la 
hantaient presque exclusivement avant ce jour. Il tient 
le bonheur et ne le laissera pas s'échapper. Le mariage 
est décidé; il sera célébré l'année suivante. 

Le duc d'Aumale retourne en Afrique, où l'attend le 
commandement de la province de Constantine. Ul'exerce 
durant onze mois. Comment il les emploie, demandons-le 
à ses états de service. Ils sont éloquents dans leur brièveté . 

Au mois de février 1844, accompagné de son jeune 
frère le duc de Montpensier, qui est venu le rejoindre et 
dont il protège les débuts militaires, comme le duc 
d'Orléans protégea les siens, il poursuit dans les Zibans 
le chef arabe Ahmed-bey . Le premier, il entre dans Biskra, 
avance dans l'Aurès et enlève Mechonnèche après un rude 
combat où son frère et le colonel Jamin sont blessés à ses 



68 LE DUC D'AUMALE. 

côtés. En avril, il est dans les montagnes d'Ouled-Saltan. 
Il y livre de nouveaux combats. Dans l'un d'eux, son 
cheval reçoit deux blessures. Victorieux de ce côté, il 
revient rapidement sur ses pas, dégage Batna et Biskra, 
entourés par les Arabes. Par cette suite de faits de guerre 
heureusement conduits et dénoués, il achève la soumis- 
sion de la province confiée à son commandement. 

Ayant gagné de nouveaux titres à l'estime de son 
pays et à la confiance de ses soldats, il peut songer à son 
bonheur privé. Il rentre en France, et, après un court 
séjour à Paris, il va s'embarquer à Toulon pour les Deux- 
Siciles. Son frère Joinville est avec lui. Le navire qui les 
transporte dans les États napolitains est escorté par une 
escadre. Pendant la durée des fêtes qui se préparent, elle 
stationnera dans les eaux de Naples. Le mariage est 
célébré le 25 novembre. Le 2 décembre, on remet à la 
voile, et les nouveaux époux gagnent la France. Le 5 dé- 
cembre, ils débarquent à Marseille, d'où ils se rendent à 
Paris en s'arrêtant en route, dans les grandes villes. 
Partout ils sont reçus avec les honneurs royaux. 

Pendant une année, le duc d'Aumale, tout à son amour, 
vécut en famille, dans cette intimité douce et charmante 
que le roi et la reine avaient su créer autour d'eux. Ce 
n'est qu'en 1846 qu'il retourna en Afrique comme com- 
mandant des subdivisions de Médéah et de Milianah. 
Cette situation n'était que provisoire. Il se considérait 
comme créé pour de plus hautes destinées. La pacifica- 
tion de l'Ouarensenis, acte capital de sa vie militaire à 
cette époque, n'avait été que le prélude d'une carrière 
nouvelle. Le gouvernement général de l'Algérie, devant 
lequel il avait si longtemps reculé, tout en le désirant (1), 

(4 ) « M. le duc d'Aumale ne pourrait consentir à exercer rintérim de 
gouverneur général. Mais Son Altesse Royale ne renonce pas pour 



L'AFRICAIN. 6î) 

il l'accepterait maintenant, après s'y être longuement et 
consciencieusement préparé. 

Ce poste éminent, tout le monde, dans les régions offi- 
cielles, souhaitait le voir dans ses mains. Le plus compé- 
tent des juges, le maréchal Bugeaud, se déclarait à cet 
égard, dès la fin de 1843, avec une netteté significative. 
Il écrivait au député Blanqui : a Je désire qu'un prince 
me remplace ici, non pas dans l'intérêt de la monarchie 
constitutionnelle, mais dans celui de la question; on lui 
accordera ce qu'on me refuserait. Le duc d'Aumale est et 
sera chaque jour davantage un homme capable. Je lui 
laisserai, j'espère, une besogne en bon train; mais il y 
aura longtemps beaucoup à faire encore; c'est une œuvre 
de géant et de siècles. » 

Vers le même temps, un soir, au bivouac, causant avec 
ses officiers, il accentuait son opinion : 

« Je place très haut, disait-il, les talents militaires et 
administratifs de mes trois lieutenants : Changarnier, 
Lamoricière et Bedeau. Eh bien, si j'avais à faire le choix 
de mon successeur au gouvernement de l'Algérie, je 
n'hésiterais pas à désigner le duc d'Aumale, dans lequel 
se trouvent réunis les qualités qui constituent le chef 
d'armée et l'administrateur. Il a la décision prompte, le 
courage entraînant, le corps infatigable et l'amour du 
travail, le tout dirigé par une haute intelligence et un 
ferme bon sens. Joignez à cela le prestige dont l'entoure 
aux yeux de tous, et des Arabes surtout, son titre de fils 
de France, et vous aurez en lui le gouverneur qui fera de 
l'Algérie un royaume prospère (i). » 

l'avenir à en devenir titulaire. Jusque-là, son désir serait d'aller 
commander au mois d'octobre prochain la province de Gonstantine 
et d'y servir sous vos ordres. » Soult à Bugeaud, 17 juillet 1843. 
— Archives du dépôt de la guerre. 
(1) H. d'Ideville, le Maréchal Bugeaud. 



70 LE DUC D'AUMALE. 

Enfin, il écrivait à Guizot : « Quant au gouvernement 
du duc d'Aumale, je n'y vois d'inconvénients que pour la 
monarchie, qui prendra une responsabilité de plus. Le 
jeune prince est capable, et il va vite en expérience. Je 
pense que, dès le début, il administrera bien et deviendra 
un ministre très distingué. Sur ce point, il ne lui faut 
qu'un peu plus d'expérience et de méditation. » 

Plus tard, dans ses Mémoires^ Guizot complétera ce 
jugement. On peut y lire : « Le duc d'Aumale avait pris 
part avec distinction, quelquefois avec éclat, à quelques- 
unes des campagnes les plus actives ; il était aimé autant 
qu'estimé dans l'armée. Son nom et son rang avaient sur 
les Arabes un sérieux prestige; ils se rangeaient sous la 
main du fils du sultan de France plus aisément que sous 
la main d'un général vainqueur. » 

L'ancien ministre fait également justice du reproche 
adressé à Louis-Philippe par quelques mécontents d'avoir 
imposé son fils au cabinet et à l'Algérie, par faveur, dans 
un intérêt de famille : « Il n'a jamais eu à ce sujet, dit-il, 
ni exigence ni impatience et il n'a mis ses fils en avant 
que lorsqu'il les a jugés capables de bien servir leur 
pays (1). » 

Quant au duc d'Aumale, il est intéressant de marquer 
en quelles dispositions d'esprit il acceptait les redoutables 
responsabilités qui allaient peser sur lui. C'est au maré- 
chal Bugeaud que, en un langage témoignant à la fois de 
son admiration et de sa reconnaissance, il confiait ses 
perplexités et ses résolutions : 

« Je ne me fais aucune illusion sur les difficultés, sur 
les attaques dont je serai l'objet, sur les déceptions qui 
m'attendent. Mais j'apporterai à l'accomplissement de 

1) Guizot, Mémoires. 



L'AFRICAIN. 71 

mes devoirs une entière abnégation personnelle et un 
dévouement de tous les instants. Je conserverai précieu- 
sement le souvenir de ce que je vous ai vu faire d'utile 
et de grand sur cette terre d'Afrique, et je ferai tous 
mes efforts pour suivre vos traces et y continuer votre 
œuvre (1). — Vous voulez, dites-vous, marcher sur 
mes traces? répondait Bugeaud; moi, je veux que vous 
les élargissiez et je serai bien heureux si vous faites 
mieux que moi ; je ne serai pas le dernier à le procla- 
mer. » 

Ainsi toutes les opinions, tous les jugements des con- 
temporains contribuent à justifier la nomination du duc 
d'Aumale au gouvernement de l'Algérie . Elle ne fut 
blâmée que par les représentants et les organes des partis 
systématiquement hostiles à la maison d'Orléans. La 
masse de la nation approuva et applaudit, devançant 
l'enthousiasme que firent éclater les Arabes soumis à la 
France en apprenant qu'ils allaient être gouvernés par le 
fils du roi Louis-Philippe, le sultan des Français, comme 
ils disaient. 

Le maréchal Bugeaud avait quitté son gouvernement 
au mois de juin 1847, en confiant au général de Bar 
l'intérim, qui passa trois semaines plus tard aux mains 
du général Bedeau. L'ordonnance royale nommant le 
duc d'Aumale fut promulguée le 11 septembre 1847. Le 
3 octobre, il montait sur la frégate le Labrador^ qui 
l'attendait à Toulon, et le 5, à trois heures, il débarquait 
à Alger (2). 

Sur le quai, contenue par les troupes rangées en haie, 



(1) H. d'Ideville, le Maréchal Bugeaud. 

(2) La duchesse d*AumaIe vint le rejoindre le 9 novembre, avec le 
fils qui leur était né. Un peu plus tard arrivèrent le prince et la 
princesse de Joinville. 



72 LE DUC D'AUMALE. 

Tattendait une foule immense, colons et Arabes. Tandis 
que de toutes parts s'élevaient des acclamations et que 
le canon se faisait entendre, le prince était reçu par le 
général Bedeau entouré de nombreux officiers, parmi 
lesquels se trouvaient la plupart des chefs des tribus 
soumises depuis longtemps, ou d'autres que l'arrivée du 
fils du roi avait décidés à se soumettre, après une longue 
résistance. Us lui apportaient leurs hommages et leurs 
protestations de fidélité. 

Dès le lendemain, le duc d'Aumale rappelait le géné- 
ral Changarnier, qu'un diflFérend assez grave avec Bu- 
geaud, résultant d'une regrettable incompatibilité d'hu- 
meur, avait éloigné précédemment de la colonie. Le prince 
estimait à un très haut prix les talents militaires du héros 
de la retraite de Constantine. Il tenait à le voir figurer 
dans cette brillante pléiade de généraux et d'officiers 
supérieurs que les guerres d'Afrique avaient déjà mis ou 
devaient mettre en jlumière : Lamoricière, Cavaignac, 
Yusuf, Pélissier, Renault, Saint-Arnaud, Canrobert, 
Mac Mahon. 

Le général Bedeau, qui lui remettait ses pouvoirs, allait 
aussi rester sous ses ordres. Le duc d'Aumale, toujours 
empressé à faire rendre justice à qui l'avait mérité, écri- 
vait à son sujet au ministre de la guerre : « Au moment 
où le général Bedeau va quitter le commandement intéri- 
maire qu'il a ici parfaitement exercé, je crois devoir vous 
demander de lui écrire une lettre qui exprime la haute 
satisfaction du gouvernement du roi (i). » C'est par de 
tels procédés qu'il s'attachait les cœurs. 

A citer encore son ordre du jour aux troupes : « En 
prenant le commandement de l'armée d'Afrique, le gou- 

(1) Archives du dépôt de la guerre. 



L'AFRICAIN. 73 

verneur général de l'Algérie croit devoir témoigner aux 
officiers, sous-offlciers et soldats qui la composent, com- 
bien il est fier de se trouver à leur tête. Appelé déjà cinq 
fois à rhonneur de servir dans leurs rangs, il sait depuis 
longtemps ce qu'on peut attendre de leur dévouement au 
roi et à la France. Confiant dans leur courage, confiant 
dans le mérite éprouvé de valeureux généraux, il ne 
doute pas que le succès ne continue de couronner tant 
de nobles efforts. L'armée qui vient d'accomplir tant de 
grandes choses a salué d'universels regrets l'illustre chef 
à qui elle doit tant de gloire et sous les ordres duquel 
j'aurais tant aimé à me retrouver encore. Qu'il reçoive 
ici l'expression du bien vif et bien reconnaissant souvenir 
que lui conservera toujours l'armée d'Afrique (1). » 

En prenant possession de son gouvernement, le duc 
d'Aumale eut pour premier souci de l'organiser et d'im- 
primer aux trois divisionnaires placés sous ses ordres, 
Changarnier à Alger, Lamoricière à Oran, Bedeau à 
Constantine, l'activité et les idées dont il était lui-même 
animé. Il eut avec eux, durant les huit jours qui suivirent 
son arrivée, des conférences quotidiennes où furent exa- 
minées, au triple point de vue politique, militaire et admi- 
nistratif, toutes les questions qu'on avait à résoudre dans 
l'intérêt de la colonisation. 

De l'aveu de ses lieutenants, le nouveau gouverneur 
général révéla dans ces conférences un esprit judicieux, 
prudent et hardi. Il avait sur toutes choses des idées 
arrêtées. Mais il ne lui déplaisait pas de les entendre 
contredire. Il possédait au plus haut degré l'art d'écouter 
et de se pénétrer des objections de ses contradicteurs. 
Lorsque ses divisionnaires se séparèrent de lui pour 

(i) Archives du dépôt de la guerre. 



74 LE DUC D'AUMALE, 

retourner au siège de leur commandement, l'accord 
existait complet et absolu sur la marche à suivre pour 
hâter la solution des problèmes coloniaux. 

Le 4 novembre, il entreprit une tournée du côté de 
Blidah et de Médéah. Il poussa jusqu'au col de Mouzaïa, 
théâtre d'un brillant succès de nos armes dans lequel il 
avait eu sa part. On avait commencé de grands travaux 
à travers ces contrées afin d'en assurer la viabilité. Il 
tenait à se rendre compte de la manière dont ils étaient 
conduits. Partout il fut triomphalement reçu par les 
Arabes et par les colons. Comme don d'avènement, il 
apportait aux premiers une large amnistie; les seconds 
lui savaient gré d'avoir sacrifié le séjour de Paris aux 
rudes et difficiles aflfaires d'Algérie. 

Des souvenirs qui restent de la vie du duc d'Aumale à 
cette époque, il en est un qu'a conservé le musée de Ver- 
sailles, son portrait en général de division, peint par 
Winterhalter. Quiconque le verra sera frappé de la fière 
attitude du jeune gouverneur et ce qu'oflfre de séduisant 
sa physionomie. Il est debout, botté, éperonné, son 
chapeau à la main, la poitrine traversée par le grand 
cordon de la Légion d'honneur. Sa taille haute et svelte, 
ses cheveux blonds, ses moustaches fines et tombantes, 
ses yeux bleus font revivre sur son visage le type gau- 
lois le plus pur, embelli par l'éclat d'une jeunesse radieuse 
dont les ardeurs se devinent sous un regard mélanco- 
lique et rêveur. Rien de vulgaire dans cette silhouette 
charmante. On ne se figure pas autrement les héros de 
notre histoire, à leur entrée dans la vie. A voir ce por- 
trait, il est aisé de comprendre l'ascendant que le prince 
ne tarda pas à prendre sur les Arabes. Ils saluaient en 
lui le plus illustre et le plus haut placé de leurs vain- 
queurs. 




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L'AFRICAIN. 75 

En cette fin de l'année 1847, on eût pu considérer l'Al- 
gérie comme entièrement soumise à la France, n'eussent 
été les suprêmes efforts que tentait l'émir Abd-el-Kader 
pour ressaisir sa puissance perdue. Dernier témoignage 
de son indomptable confiance dans son étoile et d'un 
fanatisme au-dessus de tous les revers, ces efforts ne 
semblaient pas devoir engendrer de complications bien 
redoutables. Nous tenions trop fortement les populations 
et le sol pour qu'ils pussent nous être arrachés. Mais, Abd- 
el-Kader debout, des révoltes partielles étaient toujours 
à craindre. La pacification n'aurait un caractère définitif 
que lorsqu'il serait abattu. C'est donc à l'abattre que le 
duc d'Aumale, déjà victorieux de lui en une circonstance 
mémorable, allait désormais se consacrer. 

Après la prise de sa smalah, l'émir avait paru devoir 
réparer ce désastre, et à Sidi-Brahim, notamment, le 
23 septembre 1845, il s'était rendu maître d'un petit 
corps de troupes envoyé contre lui. Mais ce triomphe avait 
été éphémère, et, depuis, il menait une vie misérable, 
victime tout à la fois des défaites que lui avaient infli- 
gées les Français et de ses différends avec l'empereur du 
Maroc. Fidèle à sa cause lorsqu'il avait des soldats, des 
armes, un trésor et tenait tète à l'envahisseur, le prince 
marocain l'avait un jour abandonné, sans attendre qu'il 
fût vaincu. Il s'était inquiété des propos menaçants pour 
sa puissance tenus par Abd-el-Kader. Dès ce moment, 
jaloux de son prestige et le redoutant, sans cesser de 
professer pour les chrétiens la même haine que lui, il 
l'avait traité en ennemi. Plus tard, à la bataille d'Isly, le 
général Bugeaud lui avait porté à lui-même le coup le 
plus terrible et donné un de ces avertissements qu'on 
n'oublie pas. Définitivement éclairé par ce sanglant 
désastre, contraint de subir la paix, l'empereur ne s'était 



76 LE DUC D'AUMALE. 

plus préoccupé que de ne pas attirer sur sa tète de nou- 
velles calamités. Sa rupture définitive avec Abd-el-Kader, 
son désir plus ardent de le voir disparaître, avaient été 
la conséquence de sa défaite. 

L'émir, cependant, s'obstinait à ne pas comprendre. 
Traqué de toutes parts, abandonné de la plupart de ses 
anciens partisans, réfugié sur le territoire marocain, oii 
il restait encore, en dépit des dangers qui le menaçaient, 
n'osant revenir sur le territoire algérien, où il en aurait 
couru de plus grands, il s'efforçait d'opérer un rappro- 
chement entre l'empereur et lui. Il poursuivait une récon- 
ciliation qui pouvait seule lui fournir les moyens de sortir 
de la situation critique en laquelle il se débattait et de 
reprendre l'offensive. 

Au commencement de novembre, de Zaion, non loin 
de Mellilia, au pied des montagnes du Riff, où il s'était 
installé avec sa daïra — un diminutif de la smalah — 
et environ deux mille cavaliers, tout ce qui lui restait 
de ses troupes, il envoyait à l'empereur émissaires sur 
émissaires, afin de lui démontrer « combien il était funeste 
que le prince des croyants, à l'instigation des chrétiens, 
songeât à écraser un vrai musulman (1) ». Il eut même 
recours aux cérifs de la tribu des DjebeUa, dont l'in- 
fluence était considérable. Il les chargea de porter au 
Maroc ses conseils et des paroles de paix. 

En attendant leur retour, il agissait auprès des auto- 
rités espagnoles de Mellilia pour tâcher d'obtenir des 
Anglais, par l'intermédiaire d'agents plus ou moins 
louches, des secours en armes et en argent et leurs 
bons offices auprès de l'empereur. Mais ces tentatives 
échouaient toutes piteusement. Il en était de même des 

(1) Archiyes du dépôt de la guerre. 



L'AFRICAIN. 77 

efforts qu'il tentait pour attirer à lui les tribus du Riff. A 
peu d'exceptions près, « elles lui montraient la bouche 
de leurs fusils (1) » . Le temps était passé où tous les 
musulmans africains se levaient à sa voix. 

Cependant il ne perdait pas courage. Tenu au courant 
des événements qui préparaient la chute de l'émir, le 
général Lamoricière, après les avoir portés à la connais- 
sance du gouverneur général, s'était décidé à se rappro- 
cher de la frontière du Maroc. Vers la mi-novembre, il 
expédiait sur ce point deux bataillons du 9* de ligne, un 
du 5% le 8* de chasseurs à pied et quatre escadrons de 
cavalerie : chasseurs et spahis ; il donnait l'ordre au géné- 
ral Renault et aux colonels de Mac Mahon et Cousin- 
Montauban de se rallier à ces troupes avec celles qu'ils 
commandaient. Lui-même s'embarquait à Oraii, le 21 no- 
vembre, pour se rendre à Nemours, d'où il allait prendre 
le commandement de la colonne expéditionnaire, grossie 
par deux bataillons du 44% deux escadrons de chasseurs 
d'Afrique, et forte de plus de cinq mille hommes. 

L'émir, s'il rentrait sur le territoire algérien, était 
donc certain de rencontrer devant lui une barrière in- 
franchissable. Il eut alors la pensée de demander aux 
Français le libre passage, offrant de prendre le formel 
engagement de désarmer et d'aller vivre à la Mecque. 
Ayant écrit au duc d'Aumale, à Lamoricière et à Cavai- 
gnac pour demander une entrevue, il chargea un homme 
sûr de porter les trois lettres au camp français le plus 
rapproché de la frontière. Il ne se faisait aucune illusion 
sur le résultat de cette démarche. Mais, en envoyant 
ainsi des courriers aux commandants des troupes fran- 
çaises, il faisait croire qu'il entretenait des relations 

(1) Archives du dépôt de le guerre. 



78 LE DUC D'AUMALE. 

amicales avec eux et qu'il traitait pour la paix. C'était un 
aliment donné à la crédulité des Arabes. Par malheur 
pour lui, ses desseins avaient été devinés. Son émis- 
saire ayant rencontré, au delà de la frontière, le général 
Renault, commandant de la subdivision de Tlemcen, 
lui présenta ses messages. Le général en prit possession ; 
mais après avoir déclaré que les Français ne consenti- 
raient à traiter avec Abd-el-Kader que sur les bases 
d'une soumission sans conditions, il ajouta que, si de 
nouveaux courriers se présentaient, ils seraient passés 
par les armes. 

L'infatigable adversaire de la France, après quinze ans 
de luttes obstinées, se trouvait donc acculé à une situa- 
tion désespérée, immobilisé entre les Français et les 
Marocains, lesquels, encore qu'ils ne se fussent pas con- 
certés pour s'emparer de lui, poursuivaient également 
ce but. Il ne voulait pas néanmoins s'avouer vaincu. Les 
derniers défenseurs de sa cause, résolus à partager son 
sort, trompés par ses incessantes bravades, alléchés aussi 
par l'espoir de saisir, au cours de leurs déplacements, 
l'occasion d'opérer des razzias sur les sauvages tribus du 
Rifif, ces défenseurs étaient en petit nombre, mais doués 
de plus d'audace et de courage que les guerriers maro- 
cains. Convaincu qu'avec leur aide il pouvait réussir un 
coup de main, il décida de le tenter tel qu'il l'avait conçu. 
Il ne s'agissait de rien moins que d'aller enlever un des 
fils de l'empereur, au milieu des troupes qu'ils comman- 
daient. En possession d'un tel otage, il pourrait, à son 
tour, dicter des lois au sultan des croyants africains. 

Le 9 décembre, il s'établit en un lieu nommé Gherma, 
protégé, d'un côté, par une rivière : la Moulaïa, de l'autre, 
par les montagnes. Le 10, il réunit ses soldats; il leur 
communiqua son projet, en le leur exposant avec l'élo- 



L'AFRICAIN. 79 

quence et l'habileté qu'il savait mettre en ses paroles. 
Quand ils se furent engagés à le suivre, il leur fit jurer 
de ne pas tirer un coup de fusil avant d'arriver à la tente 
des princes impériaux. Le même jour, ses fantassins se 
mirent en route, et le lendemain, à cinq heures du soir, 
il les rejoignait avec sa cavalerie, laissant sa daïra der- 
rière lui. 

Il voulait surprendre le camp marocain pendant la 
nuit, précédé de quatre chameaux enduits de goudron et 
chargés de fascines goudronnées, qu'on lancerait en 
flammes à travers les tentes. A deux heures, il donna 
Tassant, tout surpris de ne pas rencontrer d'obstacles. 
C'est qu'en eflFet le camp était vide. Les Marocains aver- 
tis l'avaient évacué. Il s'en empara. Mais, au matin, il put 
voir l'armée impériale, environ quarante mille hommes, 
rangée sur les hauteurs voisines et l'enveloppant. C'en 
était fait de lui si ses troupes eussent faibli ou seulement 
perdu le sang-froid. Mais, confiantes dans leur chef, eUes 
ne l'abandonnèrent pas et parvinrent à se frayer une 
issue à travers les rangs ennemis. Abd-el-Kader put ainsi 
rejoindre sa daïra. Il la fît aussitôt passer sur la rive 
droite de la Moulaïa, c'est-à-dire en terre algérienne, par 
un gué proche de la mer. 

Pendant que s'effectuait ce passage, lui-même, à la 
tête de ses réguliers, combattait avec un indomptable 
courage, contenant l'ennemi et lui infligeant des pertes 
énormes. Il eut trois chevaux tués sous lui, et, après le 
combat, son burnous se trouva criblé de balles. Mais l'opé- 
ration avait réussi; la daïra était sauvée; lui-même avait 
pu la rejoindre. Il est vrai que cette affaire lui coûtait la 
moitié de son effectif. Alors il fit ses adieux aux siens, 
les invitant à aller se rendre aux Français. Pour lui, il 
se dirigeait vers le sud. Il cherchait à gagner le désert. 



80 LE DUC D'AUMALE. 

Il ne savait pas encore que, tout le long de la route 
qu'il devait suivre, le général de Lamoricière, « se 
conformant aux instructions très précises du duc d'Au- 
male (1) », avait échelonné ses troupes. Au col de Ker- 
bous, qu'il devait nécessairement franchir, il se heurta 
aux spahis qui l'attendaient. A la faveur de la nuit plu- 
vieuse et sombre, il essaya de forcer le passage. Il fut 
repoussé. C'était la fin de son odyssée. Il n'avait plus 
qu'à se rendre. Il le comprit, et, après un court entretien 
avec les officiers qui lui barraient le chemin, il envoya 
deux de ses cavaliers à Lamoricière en demandant 
l'aman. 

Le général s'était mis en route durant la même nuit 
pour gagner le col de Kerbous et allait y arriver quand 
les envoyés d'Abd-el-Kader le rencontrèrent. Us s'étaient 
munis, en guise de lettre de créance, d'un morceau de 
papier mouillé par la pluie portant l'empreinte de son 
cachet. Le gouverneur général avait envoyé par avance 
à Lamoricière une lettre d'aman. Celui-ci put donc 
répondre affirmativement à la demande qui lui était faite, 
et son sabre qu'il envoya au vaincu fut le gage de sa 
promesse. A ce moment, la daïra s'était mise sous la 
protection des Français, et les combattants qui s'y trou- 
vaient avaient fait leur soumission. 

Au matin, le général reçut une lettre de l'émir qui ne 
s'était pas encore livré. Il remerciait Lamoricière, lui 
recommandait sa famille, ses serviteurs et son escorte. 
En ce qui le concernait, il demandait à être transporté à 
Alexandrie ou à Saint-Jean d'Acre. Il réclamait, à cet 
égard, un formel engagement. La réponse de Lamori- 
cière lui ayant donné satisfaction, il vint, le 23 décembre, 

(4) Archives du dépôt de la guerre. 



L'AFRICAIN. 81 

se soumettre à lui devant le marabout de Sidi-Brahim, 
là même où, deux ans avant, il avait remporté, sur la 
colonne Montagnac, une sanglante et dernière victoire. 

Tandis que se déroulaient ces événements, le duc 
d'Aumale arrivait à Nemours. Parti d'Alger le 18 dé- 
cembre, afin de les suivre de plus près, il avait été 
retardé dans son voyage par une tempête furieuse. Obligé 
de faire deux fois relâche, d'abord à Mers-el-Kebir, puis 
à Rachgoum, à l'embouchure de la Tafna, il n'avait pu 
débarquer à Nemours qu'à l'aube de cette journée du 
23 décembre, durant laquelle devait se consommer le plus 
éclatant revers de l'indomptable ennemi des Français. 
Le duc d'Aumale amenait avec lui le'général Cavaignac, 
qui venait remplacer provisoirement Lamoricière, appelé 
à Paris, en sa qualité de député, par la session des 
Chambres. 

En débarquant, il apprit la grande nouvelle. Elle ne le 
surprit pas. Elle était prévue depuis plusieurs mois, et 
toutes les opérations ordonnées par lui en prenant pos- 
session du gouvernement étaient combinées en vue de 
rendre inévitable la reddition d'Abd-el-Kader. Mais elle 
lui causa une patriotique joie. Sans attendre l'arrivée de 
Lamoricière, il chargea Cavaignac de lui porter ses féli- 
citations, que quelques jours plus tard il lui présenta lui- 
même en lui annonçant qu'il ratifiait les engagements 
pris envers l'émir et notamment celui de le transporter 
en Egypte ou en Syrie. 

« Vous serez attaqués, dit alors Cavaignac qui était 
présent, très vivement attaqués, soyez-en sûrs, vous sur- 
tout, prince. Plus le succès est grand, plus on s'eflForcera 
de l'amoindrir et même de le retourner contre vous. 

— Eh bien, répliqua en riant le duc d'Aumale, le gé- 
néral de Lamoricière est député de la gauche et vous 

6 



82 LE DUC D'AUMALE. 

n'êtes pas, je crois, sans avoir quelques amis dans le 
parti républicain ; à vous deux de parer (1) , » 

Il ne prévoyait pas alors que la parole donnée à Abd- 
el-Kader par Lamoricière et ratifiée par lui ne serait pas 
tenue. Plus tard, quand il sut que le ministère entendait 
garder l'émir prisonnier, il protesta. Il rappela qu'au 
nom de la France il lui avait promis la liberté. Souvent, 
depuis, il se plut à expliquer pourquoi il s'était déterminé 
à maintenir cette promesse faite par le général dans les 
mains duquel le vaincu avait remis ses armes. 

« Abd-el-Kader, quand il fit ses conditions, disait-il, 
n'était pas encore en notre pouvoir. Grâce à ces réactions 
si fréquentes dans sa vie, il pouvait, par suite de la mobilité 
du caractère arabe, trouver une voie de salut, perpétuer 
un foyer de désordres et de troubles. En ces graves con- 
jonctures, il valait mieux courir le risque des embarras 
que pourrait causer, dans l'avenir, son retour d'ailleurs 
improbable, que rejeter ses propositions. » 

Ces raisons, il les avait fait valoir en annonçant au 
gouvernement français la reddition d' Abd-el-Kader; il y 
revint à plusieurs reprises, et il n'est pas douteux que, si 
la monarchie de Juillet n'eût pas été emportée par la 
révolution, il aurait fini par gagner sa cause. 

Dans la soirée du 23 décembre, Abd-el-Kader, arrivé 
à Nemours, fut mis en sa présence. 

« Tu devais désirer depuis longtemps ce qui arrive, 
lui dit l'émir; l'événement s'est accompli à l'heure que 
Dieu avait marquée. 

^ Le général m'a fait part de ce qui s'est passé entre 
toi et lui, répondit le duc d'Aumale. Il t'a assuré que tu 
ne serais pas retenu en captivité et que tu serais conduit 

(1) Camille Rousskt, la Conquête de l'Algérie. 



L'AFRICAIN. 83 

à Saint- Jean d'Acre ou à Alexandrie. Je confirme cet 
engagement et j'approuve tout ce que le général t'a dit. 
Il sera ainsi fait, s'il plaît à Dieu; mais, il faut l'approba- 
tion du roi et de ses ministres, qui seuls peuvent décider 
sur l'exécution de ce qui est convenu entre nous trois. 
Quant à moi, je ne puis que rendre compte de ce qui s'est 
passé et t'envoyer en France pour y attendre les ordres 
du roi. 

— Que la volonté de Dieu soit faite, soupira Abd-el- 
Kader; je me confie à toi (1). » 

Tout cependant n'était pas dit. Il fallait, pour que la 
soumission produisît tous ses effets, que le vaincu amenât 
au vainqueur un cheval de soumission. Le lendemain, il 
vint présenter au gouverneur général , devant un brillant 
état-major auquel s'étaient réunis les chefs arabes restés 
nos amis, « sa bonne jument », la seule monture qui 
lui restât. C'était l'acte final de son abdication. Vingt- 
quatre heures plus tard il s'embarquait pour la France, 
où une dépêche du duc d'Aumale au ministre de la 
guerre, expédiée d'urgence à Toulon, avait annoncé son 
arrivée : 

« Abd-el-Kader est dans notre camp, écrivait le gouver- 
neur général. Battu par les Marocains, abandonné de la 
plupart des siens, il cherchait à gagner le Sud par le pays 
des Benisnassas. Mais cerné de ce côté par la cavalerie 
du général de Lamoricière , il s'est rendu sous la condi- 
tion d'être envoyé à Alexandrie ou à Saint-Jean d'Acre. 
Il s'embarque demain avec moi pour Oran, d'où il sera 
envoyé à Toulon aux ordres du gouvernement (2). » 

Huit jours plus tard, le 2 janvier, rentré à Alger, le 
duc d'Aumale se hâtait d'écrire au maréchal Bugeaud, 

(1) Archives du dépôt de la guerre. 
(^)Ihid. 



84 >LE DUC D'AUMALE. 

auquel, dans l'élan de sa naturelle et généreuse droiture, 
il reportait le mérite du grand événement qui venait de 
s'accomplir : « Lorsqu'il s'est accompli, votre nom a été 
dans tous les cœurs. Chacun s'est rappelé avec reconnais- 
sance que c'est vous qui aviez mis fin à la lutte, que c'est 
l'excellente direction que vous aviez donnée à la guerre 
et à toutes les affaires de l'Algérie qui a amené la ruine 
morale et matérielle d'Abd-el-Kader. Qu'il soit permis à 
un de vos anciens et modestes lieutenants de vous offrir, 
à l'occasion du renouvellement de l'année, ses vœux per- 
sonnels et ceux de toute l'armée que vous avez si bril- 
lamment commandée pendant sept ans. » 

Cette lettre alla droit au cœur du maréchal. 

« Mon prince, j'étais certain d'avance, répondit-il, que 
vous pensiez ce que vous m'écrivez sur la chute d'Abd-el- 
Kader. Vous avez l'esprit trop juste pour ne pas appré- 
cier les véritables causes de cet événement et l'àme trop 
élevée pour ne pas rendre justice à chacun. Comme tous 
les hommes capables de faire de grandes choses, vous ne 
voulez que votre juste part de gloire, et, au besoin, vous 
en céderiez un peu aux autres. Dans cette circonstance, 
mon prince, vous m'avez beaucoup honoré; mais vous 
vous êtes honoré bien davantage (1). » 

A l'heure où s'échangeaient ces lettres, le duc d'Aumale 
était depuis trois mois à peine gouverneur général de 
l'Algérie, et déjà, par des débuts aussi heureux qu'ines- 
pérés, il était en état d'imposer silence aux attaques dont 
lès parties hostiles à la monarchie avaient salué sa nomi- 
nation. Abd-el-Kader disparu, c'était l'Algérie conquise 
et pacifiée, la plupart des difficultés résolues; c'était sur- 
tout l'influence du duc d'Aumale pour longtemps établie 

(1) H. d'Idkville, le Maréchal Bugeaud. 



L'AFRICAIN. 85 

sur les Arabes et la possibilité d'organiser admînistrative- 
mentla colonie. Répandue de tous côtés dans nos pos- 
sessions, la nouvelle de la reddition d'Abd-el-Kader jetait 
jusque parmi les tribus encore rebelles un salutaire effroi, 
et on pouvait croire que, dans un avenir prochain, le gou- 
verneur général soumettrait la Grande Kabylie, encore 
insoumise, et achèverait ainsi la conquête. 

Cette perspective hantait sa jeune imagination. Avec 
cet ardent entrain dont il avait donné tant de preuves , il 
étudiait les moyens de la réaliser. Dès le mois de février 
il arrêtait, avec ses lieutenants, les bases de l'expédition 
qu'il voulait envoyer contre les tribus kabyles. Il en avait 
fixé la date au mois de mai. En attendant, il remaniait, 
pour en améliorer les rouages, l'administration civile, 
procédait à des essais de régime municipal, réorganisait 
les tribunaux de commerce, établissait en Algérie une 
succursale de la Banque de France , ouvrait des voies de 
communication, et, en même temps qu'il étudiait les plans 
du port d'Alger, il assurait la défense des côtes. 

Quelques jours plus tard, au moment où, le trône de 
son père étant renversé, il se préparera à quitter Alger, il 
pourra écrire au ministre de la guerre qu'à la nouvelle 
des événements révolutionnaires d'Italie, ayant prévu 
que la France pourrait avoir besoin de transporter dans 
la péninsule une partie de son armée d'Afrique, il a pres- 
crit aux commandants des divisions d'Alger et d'Oran de 
prendre secrètement des mesures pour que quinze mille 
hommes choisis parmi les vieilles troupes pussent être 
embarqués en quatre jours, et il y ajoutera, non sans un 
légitime orgueil : « La France peut compter sur son 
armée d'Afrique ; elle trouvera ici des troupes disciplinées, 
braves, aguerries; elles sauront donner partout l'exemple 
de toutes les vertus militaires et du plus pur dévouement 



86 LE DUC D'AUMALE. 

au pays (1). » Quand il parlait ainsi de l'armée, il décri- 
vait sa propre image. 

Rappeler, en les résumant, ces lointains souvenirs, 
c'est faire comprendre pourquoi le nom du duc d'Aumale 
est impérissablement lié à l'histoire de la conquête afri- 
caine. C'est en Algérie qu'il passa, ainsi qu'il se plaisait 
à le dire, les plus belles années de sa vie. Colonel, maré- 
chal de camp, divisionnaire, gouverneur général, il révéla 
en des circonstances d'un incomparable éclat et qui l'ont 
illustré à l'âge où tant d'autres cherchent encore leur 
voie, les qualités de l'homme de guerre et du colonisa- 
teur. Adolescent et inconnu quand il mettait le pied sur 
le sol algérien, il lui fut donné d'accomplir d'admirables 
choses. Il semblait destiné à en accomplir de plus grandes 
encore, et, quoique toutes les joies que l'homme peut sou- 
haiter lui eussent été précocement départies, personne 
n'eût pu dire sans injustice qu'il n'en était pas digne. 

Entre temps, il avait associé à sa vie une compagne 
selon son cœur. Un fils grandissait à son foyer. Tout lui 
souriait. Il était mûr maintenant pour les grandes épreuves, 
les amertumes et les douleurs de l'exil. 

(d) Archives du dépôt de la guerre. 



CHAPITRE III 

l'exil 

Injustices de la révolution de 1848. — Le roi refuse de résister. — 
Ce que pouvaient faire ses fils. — Leur soumission. — Proposi- 
tions du maréchal Bugeaud. — Le duc d'Aumale à Twickenham. 

— Extraits de sa correspondance. — Jugements sur les affaires 
d'Algérie et la politique intérieure. — État d'âme du prince en 
1861. — Sa Lettre sur l'histoire de France. — Sa vie en Angles- 
terre. — Le Zucco. — Activité du duc d'Aumale. — Rencontre 
avec le maréchal Pélissier. — Le duc de Chartres dans l'armée 
italienne. — Le foyer familial. — Le prince de Condé, son voyage 
autour du monde, sa mort. — Comment ses parents l'apprirent. 

— Une lettre sur les protestants. — Le poids de l'exil. 

Aujourd'hui que, depuis longtemps, sont éteintes les 
passions sous lesquelles succomba le gouvernement de 
Juillet, on peut affirmer, sans crainte d'être démenti, que 
sa chute, aussi foudroyante qu'inattendue, eut le double 
caractère d'une surprise et d'une injustice. Déjà le roi 
Louis-Philippe s'était enfui de Paris que, dans les pro- 
vinces où arrivait la nouvelle de la révolution qui venait 
de le renverser, on refusait encore de se rendre à l'évi- 
dence et de croire qu'il eût cessé de régner. Amis et 
ennemis se demandaient avec stupéfaction pourquoi, 
comment il n'avait pas résisté à l'émeute, pourquoi, com- 
menV. il avait abdiqué. Ses partisans blâmaient les con- 
seillers funestes qui, malgré la reine, malgré la princesse 
Clémentine, malgré les serviteurs les plus dévoués de la 



88 LE DUC D'AUMALE. 

royauté, avaient arraché cette abdication à son effare- 
ment et entraîné la duchesse d'Orléans au Palais-Bourbon, 
au lieu de la laisser mettre ses fils sous la protection de 
l'armée, ainsi qu'elle en avait eu d'abord le dessein. 

Il s'étonnait surtout qu'en ces circonstances tragiques, 
on n'eût pas songé au duc d'Aumale. Gouverneur général 
de l'Algérie, il disposait de quatre-vingt mille hommes 
solides, fidèles, accoutumés à le suivre, à lui obéir, et 
qu'il tenait dans sa main. Le prince de Joinville se trou- 
vait en ce moment dans les eaux d'Alger avec l'escadre 
qu'il commandait et qui professait pour lui les mêmes 
sentiments que l'armée pour son frère (1). Leur inter- 
vention eût peut-être sauvé la monarchie, non qu'il leur 
fût possible de ramener en France la totalité de leurs 
troupes, mais parce qu'il leur eût suffi, pour tenir la 
République en échec, de refuser de la reconnaître et de 
déclarer qu'ils ne remettraient les pouvoirs que leur 
avait donnés un gouvernement légal qu'à un gouverne- 
ment régulièrement établi. 

On a su plus tard que, dans l'affolement général qui 
favorisa la victoire de l'émeute, quelques amis de la 
famille royale avaient été hantés par la pensée de faire 
appel au duc d'Aumale. Il y eut notamment un jeune 
homme qui déployait déjà pour la cause des d'Orléans 
un dévouement dont il n'a cessé depuis de fournir des 
preuves éclatantes, et qui, soutenu par la princesse Clé- 
mentine, sollicita du roi un ordre qu'il se chargeait de 

(1) Témoignage du capitaine de frégate Jaurès — devenu depuis 
l'amiral Jaurès, — qui commandait le Solon, et transporta les princes 
en Angleterre. Il disait plus tard : 

— Partout où ils auraient voulu aller, je les aurais conduits. 

On retrouve les mêmes sentiments dans les propos recueillis alors 
parmi les équipages de la flotte et dans la garnison d'Alger. Jus- 
qu'à la fin de sa vie, l'amiral Jaurès resta l'ami du prince de Join- 
ville. 



L'EXIL. 89 

porter aux princes. Cet ordre leur eût enjoint de ne pas 
reconnaître la République. Le roi le refusa (l).Il cour- 
bait le front sous la tempête, aussi docile à la soi-disant 
volonté nationale quand elle le précipitait du pouvoir 
que lorsque, dix-huit ans avant, elle l'y avait porté, — 
préoccupé surtout de ne pas provoquer par sa résistance 
la guerre civile et l'effusion du sang, ne comprenant pas 
que sa faiblesse les rendait inévitables. 

Mais le roi était un vieillard, tandis que ses fils étaient 
jeunes et ardents, et s'il est aisé d'admettre les raisons 
qui le déterminèrent à ne pas résister, il serait plus diffi- 
cile de comprendre que des princes, populaires dans le 
pays, chéris des soldats et des marins, respectés des 
chefs, aient imité son 'abnégation et, disposant d'une 
force immense, renoncé à y recourir, si l'on ne tenait 
compte de cette éducation première dont nous parlions 
plus haut, et qui les avait hiérarchisés. 

Lorsque la nouvelle de la révolution arriva à Alger, la 
pensée ne leur vint même pas de protester. Il est vrai 
que le gouvernement, trop habile pour tenter de les con- 
traindre ou de les menacer, s'était contenté de s'adresser 
à leur patriotisme (2). En touchant cette corde, il était 
sûr d'être entendu. Un patriotisme peut-être trop désin- 
téressé dicta seul les lettres et les proclamations qu'ils 

(1) Communiqué par M. Estancelin. C'est lui qui avait le plus 
iûsisté pour qu'on recourût au duc d*Aumale et qui s'était offert 
pour lui porter les ordres du roi. 

(2) « Paris, 25 février 1848, huit heures et demie du soir. — Prince, 
le salut de la patrie exige que vous ne fassiez aucune tentative pour 
détourner les équipages et les soldats de la marine de l'obéissance 
qu'ils doivent au Gouvernement provisoire. 11 importe que vous 
renonciez, jusqu'à nouvel ordre, à mettre le pied sur le sol de la 
France et à ne communiquer avec aucun navire de la flotte. Prince, 
votre cœur patriotique saura se résigner à ce sacrifice et l'accom- 
plira sans hésiter. Tel est l'espoir que le gouvernement provisoire 
ïneten vous. Signé : Arago. » Lettre au prince de Joinville. 



90 LE DUC D'AUMALE. 

écrivirent alors. Ils avaient décidé de se soumettre. Vai- 
nement, autour d'eux, on disait : 

« Restez! restez! Nous vous suivrons partout; nous 
vous obéirons aveuglément. » 

Ils aimaient trop leur pays pour songer « à y porter la 
discorde » . D'ailleurs, en se soumettant, ils étaient con- 
vaincus d'être en communauté de pensée avec leur 
père (1). 

La nouvelle de la révolution de Paris ne fut définitive- 
ment connue à Alger que le 28 février. Elle arriva sous 
la forme d'une circulaire adressée à tous les chefs de 
corps par le général Subervie le nouveau ministre de la 
guerre : 

« Général, disait cette lettre, un grand acte national 
vient de s'accomplir. La royauté a disparu devant la 
souveraineté du peuple. Tous les bons citoyens, tous les 
hommes de cœur doivent se réunir autour du gouverne- 
ment provisoire de la République. Le gouvernement 
compte que l'armée, fidèle à ses devoirs, restera toujours 
dans le chemin de l'honneur. » 

Le duc d'Aumale, au reçu de cet arrêt de mort de la 
monarchie, n'hésita pas quant à la réponse que lui com- 
mandait son patriotisme. Il ne traça que deux lignes. 
Mais quelles lignes ! 

« Quoi qu'il arrive, le dévouement de l'armée d'Afrique 
et de ses chefs à la patrie est inaliénable. » 

Autant signer une abdication. Et comme il redoutait 

(d) Ils ne se trompaient pas. M. Estancelin a raconté depuis com- 
ment, se trouvant à Glaremont au moment où le roi et la reine 
venaient d'y arriver, ils reçurent en sa présence les journaux qui 
racontaient le départ des princes et reproduisaient la proclamation 
du duc d'Aumale au moment de quitter Alger. A chacune des phrases 
de cette proclamation, le roi disait : « Très bien ! très bien ! » Ce 
pathétique récit a été inséré dans un livre trop peu connu : les Der- 
nières heures d'une monarchie. 



L'EXIL. 91 

que les divisions intestines de sa patrie n'excitassent à 
quelque folie les ennemis de la France à l'étranger, il 
appelait l'attention du ministre sur la nécessité de pré- 
parer la défense des côtes d'Alger, à laquelle lui-même 
n'avait cessé de travailler. Il ajoutait ensuite : 

a J'ai porté à la connaissance de la population et de 
l'armée les nouvelles arrivées hier et avant-hier de Paris. 
Je me suis borné à prescrire aux officiers généraux toutes 
les mesures nécessaires pour la défense du territoire et le 
maintien du bon ordre, de la discipline et delà tranquillité 
générale. Citoyens et soldats, tous attendent avec calme 
les ordres de la mère patrie. Quoi qu'il arrive, leur dévoue- 
ment à la France est inébranlable. L'armée d'Afrique 
soutiendra hautement ici comme partout ailleurs le dra- 
peau national, quels que soient les cliefs qui pourraient 
être appelés à l'honneur de la commander. » 

Enfin, le 3 mars, le général Cavaignac étant désigné 
pour lui succéder^ il remettait les pouvoirs au général 
Changarnier, chargé de l'intérim, et adressait la procla- 
mation suivante à son armée : 

« En me séparant d'une armée modèle d'honneur et de 
courage, dans les rangs de laquelle j'ai passé les plus 
beaux jours de ma vie, je ne puis que lui souhaiter de 
nouveaux succès. Une nouvelle carrière va peut-être 
s'ouvrir à sa valeur; elle la remplira glorieusement, j'en 
ai la ferme croyance. 

« Officiers, sous-officiers, soldats, j'avais espéré com- 
battre avec vous pour la patrie... Cet honneur m'est refusé, 
mais, du fond de l'exil, mon cœur vous suivra partout où 
vous appellera la volonté nationale, il triomphera de vos 
succès; tous ses vœux seront toujours pour la gloire et le 
bonheur de la France. » 

Le 3 mars, les habitants d'Alger furent témoins d'un 



92 LE DUC D'AUMALE. . 

spectacle inoubliable : les deux princes, leurs femmes, 
leurs enfants portés dans les bras des serviteurs, traver- 
sant la ville à pied, sous la pluie glacée, dans la boue, 
escortés du général Ghangarnier, gouverneur par intérim, 
et d'un brillant état-major qui semblait conduire un deuil, 
et suivis d'une foule attendrie, respectueuse, où des 
mains se tendaient vers eux, tandis que sur les joues 
coulaient des larmes. Ils allaient s'embarquer à bord du 
Solon, qui devait les transporter en Angleterre. Lorsque, 
quelques jours plus tard, le navire, après avoir traversé 
le détroit de Gibraltar, voguait dans les eaux de Brest, 
et que les princes, debout sur le pont, jetaient un dernier 
regard vers les côtes de France, le commandant Jaurès 
s'approcha d'eux, et leur désignant le port qu'on voyait 
à travers la brume : 

« Eh bien, y entrons-nous? » demanda-t-il (1). 

Ils courbèrent la tète sans répondre; leur sacrifice 
était fait. 

A peu de temps de là, ils eurent une autre occasion de 
reconquérir le trône de leur père. Le plus illustre soldat 
de ce temps, le maréchal Bugeaud, était résolu à les y 
aider. Il les en fit avertir. Ils écartèrent ses propositions. 
Il ne se découragea pas, alla trouver Berryer, et, dans 
une entrevue secrète qu'ils eurent aux environs de Paris, 
il lui dit que, si le comte de Chambord voulait se réunir 
aux princes d'Orléans dans une ville de la frontière du 
Nord, il irait les y chercher à la tète d'un régiment dont 
il était sûr. Il se faisait fort de les conduire aux Tuile- 
ries. Il résuma ces offres et son plan dans une note 
qu'après l'avoir signée, il laissa dans les mains de Ber- 
ryer (2). Nous ignorons si la proposition fut soumise au 

(1) Communiqué par M. Estancelin. 

(2) Documents inédits : Paul Andral, exécuteur testamentaire de 



L'EXIL. 93 

comte de Chambord. Quant aux princes d'Orléans, ils y 
répondirent par un nouveau refus. Ils ne voulaient pas 
aller contre la volonté de leur pays. 

C'est du même sentiment de déférence pour cette 
volonté qui leur était sacrée que s'inspirait le prince de 
Joinville, à la veille du renouvellement des pouvoirs pré- 
sidentiels exercés alors par le prince Louis-Napoléon. Le 
roi Louis-Philippe était mort. Avant d'expirer, s'adres- 
sant à ses fils groupés autour de lui, il leur avait dit : 

« Tenez- vous toujours prêts à servir votre pays, à 
quelque titre que ce soit. Quant à toi, Joinville, con- 
tinua-t-il, sache bien, que si Ton t'offre la présidence de 
la République, tu dois l'accepter. » 

Le prince de Joinville, que les amis de son père espé- 
raient faire élire en remplacement de Louis-Napoléon, ne 
recula pas devant le devoir qui s'imposait à lui. Il le 
considérait comme pénible. Mais il saurait l'accomplir, 
non qu'il songeât, s'il était élu, à préparer le retour de la 
monarchie, mais parce qu'il espérait sauver son pays de 
« l'humiliation de l'Empire » et brûlait du désir de se 
dévouer à lui. 

« Je ne suis pas républicain, disait-il alors. Mais si je 
suis nommé président de la République, je tiendrai mon 
serment. Mon but sera de maintenir l'ordre, de rétabhr 
la confiance. Je ne tolérerai ni manœuvre électorale, ni 
tentative de corruption. Je serai un président loyal. A 
l'expiration de mon mandat, je me retirerai (1). » 

Il est aisé de comprendre, à la révélation de traits 

Berryer, qui raconta ces détails à diverses personnes, et notamment 
à la duchesse Decazes, née de Saint-Aulaire, disait que le plan écrit 
par Bugeaud se trouvait encore dans les papiers de l'illustre avocat. 
— Archives Decazes. 

(1) Propos tenus par le prince à la duchesse Decazes, durant un 
séjour qu'elle fit à Londres à cette époque. — Archives Decazes. 



94 LE DUC D'AUMALE. 

pareils, pourquoi le duc d'Aumale et lui, après la révo- 
lution de Février, renoncèrent à tirer parti des forces que 
l'Algérie laissait à leur disposition. A ces tentatives de 
résistance, que de toutes parts on leur conseillait, ils 
préféraient une soumission patriotique. C'est ainsi qu'ils 
se résignèrent à l'exil. 

« L'exil! s'écriait, vingt-cinq ans plus tard, le duc 
d'Aumale, en une circonstance mémorable, que de sou- 
venirs ce mot réveille dans mon cœur (1) ! » Il eût pu 
ajouter qu'entre tant d'autres qui attristaient son retour 
en France, celui de son calvaire de proscrit n'était pas le 
moins douloureux. La blessure ne se cicatrisa jamais, 
tant elle avait été large et profonde. Il ne pouvait se 
rappeler sans une sorte d'horreur tout ce qu'il avait alors 
souffert dans ses sentiments de patriote et de Français. 
A ses yeux, l'exil était le pire des maux. Un jour qu'à 
Chantilly un de ses intimes, parlant de son neveu. Mon- 
sieur le duc d'Orléans, reprochait à ce prince avec trop 
de sévérité quelques frasques de jeunesse, le duc d'Au- 
male, qui d'abord avait écouté en silence, se leva soudain : 

« Vous n'êtes pas juste, protesta-t-il. Vous oubliez 
que ce malheureux enfant a eu tout contre lui^ oui, tout, 
puisqu'il a eu l'exil. » 

Et sa voix, s'assombrissant sur ces derniers mots, 
parut gonflée d'indignation (2). 

Cependant, encore qu'il eût eu aussi « tout contre 
lui », il revint de son long séjour à l'étranger sans être 
aigri. Loin que ses qualités morales fussent altérées et 
dépréciées par la proscription, elles parurent s'être déve- 
loppées. C'est qu'il n'avait jamais perdu la confiance et 
l'espoir. Il avait adopté pour devise cette simple parole : 

(1) Discours de réception à l'Académie française. 

(2) Raconté par un témoin. 



L'EXIL. 95 

« J'attendrai. » Il attendait du temps un dédommage- 
ment, une revanche, la réparation d'une abominable 
injustice. A Claremont, où il résida avec sa famille jusqu'à 
la mort de son père (1), à Tvs^ickenham, où il s'installa 
ensuite en des conditions conformes à sa fortune et à 
son rang, il vécut toujours comme un hôte qui ne fait 
que passer, prêt à en partir pour rentrer dans son pays. 
Il affectait d'y rester entouré des signes visibles de la 
grandeur de la France. Dans son cabinet de travail, des 
drapeaux tricolores, des étendards africains, l'épée du 
grand Condé, des fusils et des sabres de fantassins lui 
parlaient sans cesse d'elle. A côté de ces glorieuses 
reliques, ses archives, ses livres, ses tableaux, quelques 
rares meubles envoyés de Chantilly, les journaux et les 
re\iies de Paris lui donnaient à toute heure l'illusion de 
la patrie absente. Lorsqu'il entreprit d'occuper les loisirs 
de sa nouvelle existence et de demander au travail un 
allégement à sa douleur, c'est à retracer quelques-uns 
des grands épisodes de notre vie nationale qu'il se 
consacra. Tous ses écrits, conçus dans cette atmosphère 
vibrante, sont comme des plaidoyers pour la France, où 
il a versé tout chaud le patriotique amour qu'elle lui 
inspirait, cet amour toujours inassouvi qui se manifes- 

(1) Claremont, acheté en 1816 par le futur roi des Belges, et cédé 
ensuite par lui à Louis-Philippe, est situé à vingt-cinq kilomètres 
de Londres, dans le comté de Surrej. Twickenham n'en est qu'à 
seize kilomètres, dans le comté de Middlesex. Le duc d'Aumale 
acheta cette propriété à lord Glarendon. Disons tout de suite, pour 
n'y plus revenir, qu'à l'époque de la chute du gouvernement de Juillet, 
le duc d'Aumale était, depuis longtemps, en possession de l'opulent 
héritage des Condé, qu'il tenait du duc de Bourhon, le dernier d'entre 
eux, dont il était le filleul. Je renonce à discuter ici les accusations 
odieuses dont fut l'objet la famille d'Orléans, en 1830, quand le duc 
de Bourhon mourut. Le temps, les documents historiques, le témoi- 
gnage des hommes les plus intègres en ont fait justice. Voir, entre 
autres, les Mémoires du chancelier Pasquier. 



96 LE DUC D'AUMALE. 

tait en ces années de malheur, jusque dans les plus 
minces détails de la vie. 

A la chasse, pour se donner Tair plus français, il 
endossait la blouse bleue de nos paysans. Les visiteurs 
qui venaient le saluer à Twickenham, par quelque belle 
journée, pouvaient voir, en entrant à Orléans-House, 
sur les pelouses du parc, des uniformes militaires étalés 
au soleil. C'étaient les uniformes du prince, pieusement 
conservés dans Texil, qu'on étendait fréquemment au 
grand air par son ordre, sous sa surveillance, afin de les 
préserver des vers. Souvent on le surprenait tout près 
de là, debout, immobile, comme cloué au sol et hypno- 
tisé; il les regardait (1). Et si le visiteur auquel avait 
été donné ce spectacle était un Français et arrivait de 
France, le prince aussitôt s'emparait de lui, l'entraînait 
pour l'entretenir des choses de la patrie, l'interroger, le 
pousser à parler de cette patrie dont rien ne pouvait 
détourner sa pensée. 

Il y avait laissé des amis fidèles dont ni le temps, ni 
l'absence, ni la mauvaise fortune n'ébranlèrent la fidé- 
lité (2). Leurs voyages en Angleterre étaient fréquents. 

(1) Raconté par un témoin. 

(2) Parmi ceux qu'a connus la génération présente et dont plu- 
sieurs sont vivants, il faut citer les deux ducs de Broglie, le duc 
d'Audiffret-Pasquier, le duc Decazes, le comte d'Haussonville, 
M. Edouard Bocher, M. Guvillier-Fleury, Mme Odier, le général de 
Chabaud La Tour, et d'autres que j'oublie. Je dois à l'amitié de cer- 
tains d'entre eux d'avoir eu dans les mains le témoignage écrit de 
l'affection qu'en retour de leur dévouement leur portait le duc d'Au- 
male. En 1870, au moment où le prince Albert de Broglie, depuis 
duc de Broglie, venait de perdre son père, le duc d'Aumale lui écri- 
vait : « Comment vous exprimer ce que j'éprouve I Toute douleur 
ravive les plaies si fraîches de mon cœur, et le coup qui vous frappe 
est pour moi un vrai chagrin de famille. Votre père était nôtre. 
C'était un ami, un conseil, presque un tuteur. » On trouvera à la fin 
de ce volume d'autres lettres adressées à ces fidèles amis, courtisans 
de son exil. A son retour en France, il allait à tout instant s'asseoir 



L'EXIL. 97 

A défaut d'eux, leurs lettres tenaient le prince au courant 
des événements. Chaque jour, un volumineux courrier 
partait de Twickenham, emportant ses réponses, ses 
appréciations sur les actes du gouvernement impérial, 
sur les incidents de la politique européenne. Il jugeait 
les uns et les autres avec une rare sagacité, à la faveur 
des renseignements que la grande situation qu'il avait 
en Angleterre lui permettait de recueillir et dont s'éclai- 
raient ses jugements. Que de fois c'est de lui que sont 
venus les encouragements et la lumière à ses amis de 
France, troublés et déconcertés par le caractère arbitraire 
du régime de ce temps! Nulle question, nul fait ne le 
trouvaient indifférent. Quand on dépouillera sa corres- 
pondance, on sera surpris par la quantité de sujets aux- 
quels il a touché : lettres, arts, politique, guerre, et 
toujours avec autorité, en homme que l'expérience et 
l'étude ont conduit au fond de toutes les questions. 

Nous avons cité plus haut ses jugements sur les 
grandes guerres du second Empire. En combien d'autres 
encore il a révélé sa compétence et trahi la passion 
qu'excitaient en lui les questions françaises . Celles 
d'Algérie tenaient la première place dans ses préoccu- 
pations. 

« Je porte toujours, écrit-il en 1855, le plus vif intérêt 

à leur foyer. Chez M. Edouard Bocher, chez le duc d'Audiffret- 
Pasquier, chez Mme Odier, ses visites, jusqu'à la fin de sa vie, étaient 
hebdomadaires. 

A citer encore parmi ces amis, M. Guizot. Il n'alla pas cependant 
aux obsèques de la duchesse d'Orléans, ce qui surprit. Comme on 
lui demandait la cause de son absence, il répondit : 

« Je ne pouvais y aller sans parler aux princes de leurs devoirs 
envers le comte de Chambord. Leur en parler, quand leur mère, 
qui s'opposa toujours à la fusion, venait de mourir, c'eût été leur 
manquer de respect. Garder le silence eût été adhérer aux idées 
qu'ils tenaient de leur mère. J'ai préféré m'abstenir. » — Documents 
inédits : Archives Decazes. 



98 LE DUCl D'AUMALE. 

aux affaires de ce pays, qui est tout mon passé et dont la 
conquête reste une des principales gloires du règne de 
mon père, de ce gouvernement constitutionnel qui était 
pacifique, il est vrai, mais qui, cependant, savait mener 
à bien ses entreprises militaires... 

« Après la domination des Arabes, la question essen- 
tielle est, à mon avis, celle des travaux publics. C'est là 
qu'est le nerf, la vraie base de la colonisation. Or, leur 
exécution immédiate, simultanée et rapide en doublerait 
incontestablement l'importance et l'utilité. Trois cents 
millions dépensés tout d'un coup changeraient la face du 
pays, et, selon moi, la France ne saurait mieux placer 
l'argent dont il paraît qu'elle regorge. Le gouvernement 
actuel aurait, à cet égard, des facilités qu'aucun autre n'a 
possédées et ne possédera probablement. Mais le malheur 
et le châtiment des gouvernements absolus, qui peuvent 
tout ce qu'ils veulent, est de ne pas toujours vouloir ce 
qu'il faut (1). » 

Au commencement de 1860, alors que depuis quelques 
mois le prince Napoléon, après une tentative avortée, 
avait cessé d'être ministre de l'Algérie, le prince Albert 
de Broglie publia une magistrale élude sur la situation 
de notre colonie, où il venait de résider durant plusieurs 
mois. Il rappelait la gloire qu'y avait acquise le gouver- 
nement de Juillet, les rapides progrès imprimés par ce 
gouvernement à la conquête et à la colonisation; il 
rendait un hommage mérité au jeune gouverneur géné- 
ral de 1847, dont la révolution de Février avait soudai- 
nement arrêté l'œuvre à peine commencée. Ce remar- 
quable travail valut à son auteur une belle lettre du duc 
d'Aumale. Comme celles que nous avons déjà citées, elle 

(1) Documents inéclitg : Papiers du général de Ghabaud La Tour. 



L'EXIL. 99 

témoigne de l'attention passionnée avec laquelle il sui- 
vait les affaires de France. 

Après avoir remercié le prince de Broglie « au nom de 
cette Algérie où il avait passé les meilleures années de 
sa vie, et au nom de cette armée d'Afrique à laquelle il 
était fier d'avoir appartenu », il exposait le but qu'il se 
proposait alors, ce qu'il eût voulu faire pour notre grande 
colonie, s'il en avait eu le temps. 

« J'étais un peu effrayé de la bienveillance qu'on 
m'accordait et des espérances qu'on voulait bien faire 
reposer sur moi. J'étais bien certain de ne pouvoir obte- 
nir des résultats aussi complets ni surtout aussi prompts 
que ceux qu'on voulait bien attendre alors. Le temps est 
un élément dont on ne tenait pas assez de compte. Je me 
serais certainement retiré plutôt que de me prêter à 
l'essai de révolution si brusque, si radicale, j'ajouterai 
si impossible, tentée plutôt qu'exécutée par le premier 
ministre de l'Algérie. Mais nous aurions cherché à mettre 
le temps mieux à profit qu'on ne l'a fait de 1848 à 1858. 
A part les opérations militaires, et malgré le mérite, 
l'aptitude de la plupart des gouverneurs généraux, du 
maréchal Randon en particulier, il est incontestable que 
les secousses révolutionnaires d'abord, et ensuite l'apa- 
thie administrative, grande de tout temps, mais singu- 
lièrement augmentée par l'absence de discussion publique, 
ont maintenu l'Algérie, pendant ces dix années, dans un 
état de stagnation à peu près complète. Les allures de 
l'autorité militaire ont eu certainement, comme vous le 
dites, une certaine influence sur cette absence de pro- 
grès; mais le système des concessions, les mille restric- 
tions, le manque de toute liberté, la nuée de fonction- 
naires qu'il fallait occuper, n'étaient pas le fait de 
l'autorité militaire. Mon but était de soustraire les Euro- 



100 LE DUC D'AUMALE. 

péens à Tautorité militaire, mais de les affranchir en 
même temps, autant que possible, du joug des fonction- 
naires civils, moins brutal, mais, plus constant, plus 
minutieux et au fond aussi lourd que celui des traîneurs 
de sabre (1). » 

Toute la lettre est sur ce ton; elle passe en revue les 
questions qu'il y a lieu de résoudre pour assurer l'avenir 
de la colonie; elle discute les plus importantes : l'aliéna- 
tion des terres, l'émancipation des indigènes, les bureaux 
arabes. Elle constitue en quelque sorte un testament 
politique. 

Du reste, cette question algérienne était peut-être celle 
qui passionnait le plus le duc d'Aumale. On ne pouvait 
associer son nom à celui de l'Algérie, rappeler le rôle 
qu'il y avait joué, sans le faire tressaillir, sans qu'il s'émût 
et s'excitât. Un discours de Jules Favre où se trouvait 
une allusion à ce passé que le prince regrettait toujours, 
à ses intentions, à ses efforts, quand il gouvernait la 
colonie, aux souvenirs qu'il y avait laissés, lui arrachait 
un cri de gratitude qu'il soulignait d'une avance signifi- 
cative à l'orateur de l'opposition. 

« Sans avoir la moindre envie de copier ce que l'empe- 
reur a écrit à son cousin, je suis forcé d'avouer que je ne 
suis pas sur tous les points d'accord avec M. Jules Favre. 
Mais je puis déclarer hautement que la péroraison de son 
premier discours m'a été au cœur, et qu'en m'associant 
aux sentiments qu'il a exprimés, au vœu qu'il a émis, je 
suis, j'ose le dire, plus sincère que M. Baroche. Légalité 
et honnêteté, voilà notre vrai cri de ralliement. Il faut 
que nous formions tous un grand parti, une opinion qui 

(d) Documents inédits : Archives de Broglie. La longueur de cette 
lettre ne me permet pas de la donner ici in extenso. Mais on la 
trouvera aux Pièces historiques, IV, 



L'EXIL. 101 

domine toutes les autres : ropiiiion libérale, qui a soif de 
garanties, de régime légal, qui a horreur de toute espèce 
de servitude, de tyrannie, de révolution. Si vous trouvez 
une occasion de faire connaître mes sentimens à M. Jules 
Favre, je vous en serai reconnaissant (1). » 

L'armée ne le préoccupait pas moins que l'Algérie. 
« Avez-vous lu, demandait-il le 12 juin 1860, l'exposé des 
motifs du projet de loi modifiant la fameuse loi de l'exo- 
nération et de la dotation de l'armée? C'est un document 
curieux par ce qu'il dit et par ce qu'il ne dit pas. 
39,000 hommes exonérés en 1859; 8,000 remplaçants, — 
je prends les chiffres ronds, — obtenus par la voie admi- 
nistrative, c'est-à-dire en substituant l'État aux com- 
pagnies dans cette traite des blancs qu'on voulait abolir. 
Différence : 32,000. Or, on ne nous dit pas si ni comment 
cette différence a été couverte. Du chiffre des renga- 
gements, pas un mot. Y a-t-il eu déficit sur le contingent? 
A-t-il été comblé? Comment? Il y a là une série de pro- 
blèmes qui mériteraient d'être étudiés. La loi ne fonc- 
tionne pas bien, voilà ce qui est certain. Les palliatifs 
qu'on propose ne seront pas un remède. Mais ils augmen- 
teront la confusion et Tobscurité des opérations. Est-ce 
là ce qu'on veut (2)? » Dix ans avant nos désastres, où 
la désorganisation militaire apparut en toute sa nudité, 
la question n'a-t-elle pas un caractère prophétique? 

Après l'Algérie et l'armée, les élections. A chacune de? 
périodes où elles se reproduisaient, il y cherchait avec 
anxiété la marche et les modifications de l'opinion. A la 
veille de 1863, il s'en montrait plus particulièrement 
préoccupé. 

(1) Documents inédits : Papiers d'Haussonville, communiqués par 
son fils. 

(2) Documents inédits : Papiers d'Haussonville. 



102 LE DUC D'AUMALE. 

a Nous touchons aux élections. C'est une époque cri- 
tique, un moment d'épreuve. Hélas! je ne crois pas que 
nous en sortions très brillamment; je suis loin de compter 
sur une victoire, même sur un semblant de victoire. Mais 
tout vaut mieux que l'inaction. Si le parti libéral peut 
sortir de sa catalepsie, s'il peut seulement donner signe 
de vie et au moins sur quelques points marcher un peu 
d'accord, ce sera déjà un grand point de gagné (1). » 

Bientôt après, il lui semblait que le parti libéral se 
réveillait; il reprenait espoir. 

« Divers étrangers que j'ai rencontrés sur ma route 
m'ont paru très frappés du mouvement électoral. Je ne 
veux guère espérer de résultats positifs, afin d'éviter les 
déboires. Mais, quoi qu'il arrive, un grand pas aura été 
fait. Sous le régime actuel, le triomphe électoral du gou- 
vernement n'ajoutera rien à sa force, et le moindre succès 
du parti libéral sera une grande victoire. Enfin, tout ce 
qui sera semé portera ses fruits un jour, sinon main- 
tenant. Ne nous laissons pas décourager par les incidents ; 
acceptons tous les bons vouloirs. Ne témoignons aucune 
humeur des boutades ou abstentions plus ou moins 
gênantes. 11 me semble qu'on a fait au centre tout ce 
qu'on pouvait ou devait faire; plus serait peut-être trop. 
Selon moi, il ne reste qu'à encourager l'action locale par 
la publicité, — ce qui est déjà bien commencé, — et à 
l'assister par tous les moyens (2). » 

Le 15 juin, les élections ayant eu lieu, ces fameuses 
élections de 1863 qui sont une daté dans l'histoire de la 
liberté sous l'Empire, il exultait. 

a Vous vous rappelez que j'ai toujours été partisan 
déclaré de l'action légale, convaincu que, même dans les 

(1) Documents inédits : Archives de Broglie. 

(2) Id. : Papiers d'Haussonville. 



L'EXIL. 103 

circonstances les plus défavorables, elle était préférable 
à l'abstention. Mais le pays, il y a six semaines encore, 
semblait si endormi que le résultat m'a pris par surprise 
et a dépassé mes plus hardies espérances. Par une contra- 
diction naturelle à l'esprit humain, le succès de ce mou- 
vement si vif et si inattendu redouble, en quelque sorte, 
les regrets que m'ont causés certains échecs. J'aurais 
voulu voir sur les bancs de l'opposition nouvelle la grande 
figure libérale de Barrot; j'aurais voulu voir rendre à la 
politique la parole mordante de Dufaure, qui va toujours 
droit au but et frappe comme une hache; je regrette la 
voix puissante et passionnée de Montalembert, l'énergie 
spirituelle et infatigable de Lasteyrie, le talent si élevé 
de Rémusat, la science économique et le grand nom de 
Périer, et les nouveaux venus, comme Paradol, qui 
devaient rajeunir le vieux sang parlementaire. J'en passe, 
et des meilleurs. Mais ne faut-il pas saluer aussi le 
triomphe de Marie, de Simon, de Berryer, des Cinq, et 
celui de Thiers, dont on pourrait dire ce que Louis XIV 
disait du maréchal de Montai, que sa présence valait une 
armée? J'entends répéter : « Nous sommes battus; les 
« amis du gouvernement se réjouissent, il leur sera tou- 
« jours facile de s'entendre avec les rouges. » Si le gou- 
vernement se croit vainqueur, il a bien caché son jeu à 
l'avance ; je me borne à lui souhaiter beaucoup de victoires 
semblables. Je cherche les rouges, et je ne les vois pas. 
Je vois une déinocratie puissante, disciplinée, redoutable 
si l'on veut, mais qui se transforme aussi et qui gagne 
chaque jour en lumière et en modération. Le gouver- 
nement du Deux-Décembre prétendait être le véritable 
représentant de la démocratie française ; le scrutin démo- 
cratique de Paris lui a répondu : non. Les quelques succès 
et le grand nombre de voix que, malgré tout, l'opposition 



404 LE DUC D'AUMALE. 

a réunis sur tant de points attestent l'aspiration vers un 
gouvernement contrôlé, vers un changement de système, 
le progrès d'un libéralisme pratique. Dans tout cela, je 
ne vois rien que de rassurant pour l'avenir (1). » 

Les incidents de là politique étrangère ne lui laissaient 
pas plus de repos. En 1860, lors du coup de main de 
Garibaldi sur les Deux-Siciles , il était à Londres. Il 
regardait, il observait, et, ce qui le frappait, c'était l'en- 
thousiasme des Anglais pour le grand agitateur de l'Italie. 

« Cet engouement passera, ajoutait-il, comme tous ceux 
qui saisissent successivement ce grand pays, souvent si 
léger et si mobile malgré sa gravité. Pour moi, je réserve 
mon jugement. Bien que le gouvernement des Deux-Siciles 
ne soit pas aussi noir qu'on le représente et qu'il pèche 
surtout par inintelligence, il n'est pas de nature à com- 
mander les sympathies libérales, et il achèvera de se perdre 
s'il se jette in extremis, comme on l'assure, sous la protec- 
tion dérisoire et perfide de Louis-Napoléon. Mais l'entre- 
prise de Garibaldi a été une violation éclatante du droit 
des gens. S'il fonde quelque chose d'honnête, de sensé et 
de libéral, il méritera l'absolution. S'il se borne à créer 
le gouvernement révolutionnaire avec tout son cortège 
de violences et à livrer la Sicile à tous les patriotes inoc- 
cupés et embarrassants qu'on lui enverra du nord de 
l'Italie, ce n'est qu'un hardi et vaillant entrepreneur de 
bouleversements... Quel rôle le gouvernement français 
a-t-il joué et va-t-il jouer dans tout ceci (2)? » 

Ce rôle, il l'avait depuis longtemps deviné et pressenti, 
car, dès 1859, il écrivait : « L'empereur a trop dit qu'il 
voulait le rétablissement des petits souverains italiens 
pour ne pas être décidé à les sacrifier; il va les offrir en 

(i) Documents inédits : Papiers d'Haussonville. 
(2) Ibid. 



L'EXIL. 105 

holocauste sur Tautel de Tentente cordiale; à ce prix, 
TAngleterre le tirera d'embarras et deviendra vis-à-vis 
des conservateurs européens le bouc émissaire de la 
révolution italienne (1). » 

Il jugera de même l'expédition du Mexique : « Voilà 
Puebla pris. Je n'ai jamais cru à un échec de nos armées, 
et je me réjouis cordialement de leur succès. Les vœux 
dont nous accompagnons toujours notre drapeau ne nous 
empêchent pas de juger la conduite de ceux qui l'en- 
gagent, et les victoires de nos soldats ne justifient pas 
les entreprises injustifiables (2). » 

Ainsi, bien qu'éloigné de sa patrie, il ne pouvait se 
désintéresser des événements qui s'y déroulaient ni de 
ceux qui, quoique s'accomplissant au delà de ses fron- 
tières, devaient exercer nécessairement leur influence 
sur ses destinées. Il en subissait tous les contre-coups, 
joies ou tristesses, avec une sensibilité par où se 
trahissaient les incessantes exaltations de son patrio- 
tisme. Ses jugements étaient souvent sévères. Mais on a 
pu voir, dans les extraits que nous venons d'en donner, 
qu'ils ne respiraient pas la haine. La haine lui fut tou- 
jours étrangère. Elle coulait entre ses doigts (3). De 
quelque indignation que s'emplît parfois, au spectacle 
de grandes fautes, son cœur de patriote et de libéral, 
elle ne l'empêchait pas d'exprimer, sous des formes 
modérées, mesurées, sereines, les protestations que lui 
arrachait une politique qui choquait les opinions de 

(1) Documents inédits : Papiers d'Haussonville. 

(2) Ibid. 

(3) Après les incidents de 1886 et quand il avait tant à se plaindre 
de l'ingratitude du général Boulanger, il ne tolérait pas qu'on 
essayât, en y faisant allusion, d'exciter les ressentiments qu'on 
devait lui supposer, et qu'en réalité il n'éprouvait pas. On verra 
qu'il fut étranger à la publication des lettres du général attestant 
cette ingratitude. 



106 LE DUC D'AUMALE. 

toute sa vie et dont il entrevoyait clairement les périls. 

Pour fajlre comprendre les impressions du duc d'Aumale 
à cette époque, il faut se rappeler qu'il eut toujours pour 
la Révolution française des indulgences infinies et qu'il 
n'admettait pas qu'on mît en doute la'légitimité de celle 
de 1830. La révolution de 1848 elle-même, bien qu'il en 
fût la victime, lui était moins odieuse que le coup d'État 
qui excitait en lui une indignation véhémente. Et ce n'est 
pas parce que l'auteur de ce coup d'État avait confisqué 
les biens des princes d'Orléans. Ce point, quoi qu'on en 
ait dit, était secondaire à leurs yeux. Sans doute le duc 
d'Aumale en voulait à l'empereur de l'acte inqualifiable 
qui avait dépouillé sa maison; mais il en voulait bien 
plus à l'Empire, toute sa correspondance en fait foi. Ce 
qui provoquait son ressentiment, c'était non pas la per- 
sonne du souverain, mais le régime. De là sa modération 
relative quand il parlait des Bonaparte. 

Il y eut un jour cependant où cette modération, si 
visible en tous ses écrits, fut mise tout à coup à une trop 
dure épreuve et où le soldat d'Afrique se retrouva avec 
sa fougue juvénile et son esprit de décision. L'épisode 
vaut qu'on s'y arrête. Il n'en est pas, durant cette triste 
période de l'exil que nous essayons de reconstituer, qui 
révèle mieux ni sous un jour plus éclatant et plus favo- 
rable l'homme de résolution et de courage qu'était le duc 
d'Aumale dans les circonstances où le devoir lui appa- 
raissait dégagé de ces ombres trompeuses dont l'enve- 
loppe trop souvent la politique. 

C'était en 1861, en ces heures, les plus brillantes de 
l'Empire, qui précédaient tant d'autres heures sombres 
et tragiques. Le régime impérial pouvait alors défier sans 
crainte ses ennemis du dedans comme ceux du dehors. 
Encore soutenu par la faveur populaire, deux fois vain- 



L'EXIL. i07 

queur en ses entreprises guerrières, il semblait avoir 
atteint Tapogée de la puissance et de son ascendant sur 
l'Europe. Quand on est heureux, il est doux et aisé d'être 
magnanime. La générosité est alors facile à exercer; elle 
naît naturellement dans les consciences droites et dans 
les âmes généreuses. C'est cependant le moment que 
choisit celui des membres de la famille impériale qui 
était le plus en vue, le prince Napoléon, pour monter à 
la tribune du Sénat et s'y livrer à une sortie, aussi 
déplacée qu'intempestive, contre les princes de la maison 
de France. 

Le 1" mars, dans la discussion de l'Adresse, exaspéré 
sans doute par les éloges qu'au Corps législatif, et à 
propos de l'Algérie, Jules Favre avait accolés au nom 
du duc d'Aumale, il oublia tout à la fois les bienfaits que 
le gouvernement de Juillet avait prodigués à ses parents^ 
ce que ce souvenir, le malheur des Bourbons, l'humanité, 
lui commandaient; il oublia qu'ils avaient été dépouillés 
par l'Empire, qu'ils étaient dans l'exil, désarmés et im- 
puissants. Sans utilité pour le régime impérial, sans 
nécessité, ne cherchant que la basse satisfaction d'as- 
souvir des ressentiments qu'on ne lui soupçonnait pas, 
il fit entendre des paroles injurieuses qui affligèrent 
d'ailleurs ses amis, et dont personne ne lui sut gré, pas 
même l'empereur. Le prince Napoléon avait parfois de 
ces saccades. 

Comme tous ceux de sa famille, le duc d'Aumale sentit 
l'outrage. La première nouvelle lui en fut donnée par 
un ami fidèle, M. Edouard Bocher, qui lui apporta à 
Twickenham le discours prononcé à la tribune du Sénat, 
en lui disant : 

a II faut répondre, monseigneur. » 

Il répondit. La fameuse Lettre sur l'histoire de France, 



iiô LE DUC D'AUMALE. 

écrite à Twickenham en trois jours, fut littéralement 
improvisée. Très enfiévré en la composant, le prince 
lisait le soir à sa famille, et aux quelques amis accourus 
de France sur sa demande, les pages écrites dans la 
journée. M. Edouard Bocher emporta à Paris le précieux 
manuscrit, avec Tordre de le remettre au comte d'Haus- 
sonville, qui se chargeait de le faire imprimer. Celui-ci 
trouva, pour le publier, deux hommes courageux, et peu 
de jours après le scandaleux discours du Sénat, on vit 
apparaître un matin aux vitrines des librairies la réplique 
foudroyante du duc d'Aumale, portant la date du 15 mars, 
sans nom d'auteur sur la couverture, mais signée Henri 
d'Orléans (1). Le retentissement en fut aussi considé- 
rable qu'il pouvait l'être sous un régime césarien. Beau- 

(1) Le comte d'Haussonville s'acquitta de son mandat avec cet 
entrain et cette belle humeur qui le caractérisaient, excité en cette 
circonstance par son attachement aux d'Orléans. L'imprimeur qu'il 
choisit se nommait Henri Beau et avait ses ateliers À Saint-Germedn. 
La brochure composée et tirée secrètement portait le nom du libraire- 
éditeur Dumineray. Les épreuves en furent corrigées par M. de 
Guérie, qui avait été précepteur du fils de M. d'Haussonville et qui 
fut plus tard préfet, puis trésorier-payeur général. Il s'était installé 
à Saint-Germain à cet effet. Un des premiers exemplaires, grand 
format, couverture jaune, fut enfermé dans une boite de dragées et 
déposé chez le préfet de police avec, dans la boîte, une carte por- 
tant ces mots : « Dragée amère. » On n'avait mis chez les libraires 
qu'un petit nombre d'exemplaires, par crainte d'une saisie probable. 
On en distribua plus d'un millier à la Bourse, où, en quelques 
instants, elle fut dans toutes les mains. Le reste du tirage avait été 
réparti entre diverses personnes sûres. L'une d'elles, par suite d'un 
malentendu, prit peur avant même que la saisie eût été opérée, et 
brûla trois mille exemplaires. On en avait imprimé un certain nombre 
à l'étranger, qui furent ensuite introduits en France. Un navire an- 
glais en apporta à Gaen une malle pleine, à l'adresse de M. de la 
Germoniére, que nous avons connu député à l'Assemblée nationale 
et qui, se trouvant peu de temps avant à Londres, avait offert au duc 
d'Aumale, bien qu'il s'exposât à trois ans de prison, à contribuer à 
cette propagande. Indépendamment de la première édition, introu- 
vable aujourd'hui, la Lettre sur Vhistoii'e de France figure dans les 
Ecrits politiques du duc d'Aumale publiés à Bruxelles sous l'Empire. 



L'EXIL. 109 

coup de journaux étrangers la reproduisirent; en France, 
elle circula sous le manteau, après qu'elle eut été saisie, 
car elle le fut quelques heures après sa mise en vente (1). 
Il existe, à la date du 18 août, une curieuse lettre du duc 
d'Aumale, adressée au prince de Joinville et qui révèle 
son état d'âme après cette éclatante manifestation : 

« Je trouve à l'instant une occasion, mon cher ami, 
écrivait-il. L'effet me paraît avoir été bon à Paris ; c'est 
le principal. Pas mauvais ici, surtout dans le monde non 
officiel; on me compare à Junius; c'est énorme ici. Pas 
de critique blessante; les plus sévères mêlées d'éloges. Le 
monde officiel dit : « C'est vrai, mais il aurait mieux fait 
« de se taire. » J'ai eu avec d'Azeglio une explication 
satisfaisante et amicale. La seule injustice est qu'on me 
présente comme un réactionnaire; or, je ne crois pas 
avoir mérité ce reproche. Mais la France I la France ! là 
est l'essentiel. 

« J'espère qu'on s'occupe de parer à tout ce que le 
gouvernement peut entreprendre. S'il y a procès, je 
désire qu'avant tout on tâche de s'assurer Dufaure ; à son 
défaut, quelque autre bleu; je n'aimerais pas Berryer 
pour cela. Si, ce que je crois plutôt, on se borne à lâcher 



. (1) Quand le commissaire de police se présenta chez l'éditeur Dumi- 
neray pour opérer la saisie des exemplaires en magasin, il fut reçu 
par Mme Dumineraj, dont le mari était absent, et qui causait en ce 
moment avec le comte d'Haussonville. Celui-ci, s'écartant, se mit à 
regarder des livres tandis que le commissaire instrumentait. Brus- 
quement, il s'approcha de Mme Dumineraj : 
« Prenez garde, madame, peut-être monsieur est-il un voleur? 

— Monsieur! » s'écria le commissaire. 
Mais le comte continuant : 

« Il n'a ni mandat, ni écharpe. 

— Les voici. » 

Le comte d'Haussonville enveloppa d'un regard impertinent le 
commissaire et ses insignes et reprit : 
« Je n'avais jamais vu les gens qui font ce métier-là. » 



110 LE DUC D'AUMALE. 

la meute des pamphlétaires à gages, je suis bien décidé 
à ne pas reprendre la plume; il faudrait seulement exa- 
miner si, dans l'hypothèse de telle ou telle attaque, la 
mort du duc de Bourbon ou autre chose, il y aurait à 
faire répondre ou rectifier ; il faudrait songer à cela dès 
maintenant, se préparer, réunir des matériaux au besoin. 
A première vue, il me semble qu'il n'y aura rien à faire 
ou à dire. 

« Si le principal intéressé prenait la plume lui-même, 
je suis aussi bien décidé à ne pas accepter la controverse, 
tout au plus, selon les circonstances, une lettre de quatre 
ou cinq lignes. Et encore! Enfin, s'il se décidait à une 
démarche directe, je tâcherais de le recevoir convena- 
blement. Cette lettre s'adresse à on (1), encore plus qu'à 
toi; fais-la-lui voir. Je ne peux lui exprimer combien je 
suis reconnaissant. Il comprendra pourquoi je ne lui 
écris pas directement. Veut-on des exemplaires sur 
papier fin? Je demande qu'oN profite de la première occa- 
sion pour me tenir au courant et me dire ce qu'oN fait, 
ce qu'oN prépare, ce qu'oN conseille. Santés bonnes ici. 
Tout à toi. » 

Puis, en post-scriptum : 

« Je vois dans les journaux belges que le gouver- 
nement s'est décidé à poursuivre l'éditeur et Timprimeur. 
Qu'on ne perde pas de temps pour organiser la défense : 
Dufaure et, si on le juge convenable, Barrot. Faire bien 
sentir que je n'ai abandonné nulle part le terrain libéral, 
même sur l'Italie. D'Azeglio lui-même en convient. Pas 
de réclame dynastique, pas d'excitation à la révolte, la 
sympathie partout pour la cause des libertés constitu- 
tionnelles. » 

(1) On était le comte d'Haussonville. 



L*EXIL. iil 

L'éditeur etrimprimeur(l) furent défendus parDufaure 
et, à défaut d'Odilon Barrot, par le bâtonnier Hébert. 
Le tribunal les condamna. Mais les vaincus ne furent pas 
ceux qu'on frappait. Le procès venait de rappeler à la 
France que les princes d'Orléans existaient toujours et que 
celui d'entre eux dont l'armée n'oubliait pas la glorieuse 
carrière savait manier la plume aussi bien que Tépée. 

On fit grand bruit, au cours du procès, d'une lettre 
que, à la nouvelle des poursuites, le prince Napoléon avait 
adressée à l'empereur pour obtenir qu'elles fussent 
arrêtées. En réalité, cette lettre, à y regarder de près, 
n'était qu'un acte de fausse et perfide mansuétude. Ainsi 
que le fit remarquer Dufaure dans sa défense, le prince 
Napoléon, en présentant l'écrit du duc d'Aumale non 
comme une attaque personnelle, mais comme une 
attaque contre le gouvernement impérial, « un manifeste 
orléaniste », avait rendu les poursuites inévitables. 

Quant à cet écrit, les quarante-cinq ans qui ont passé 
sur lui n'ont pu en éteindre la fougue et la jeunesse. Il 
est toujours vibrant dans son éloquence mâle et concise. 
Il raille et il flagelle; il résume avec d'éclatantes couleurs, 
en termes inoubliables, en tableaux saisissants, toute une 
période de notre histoire. Depuis longtemps le discours 
qui mit la plume aux mains du duc d'Aumale est oublié : 
on lit toujours, on relira longtemps la Lettre sur Vhis- 
toire de France, C'est une page accablante et vengeresse, 
parée de toute la grandeur des circonstances qui l'in- 
spirèrent et que prennent forcément, sous un régime 
arbitraire, les manifestations libérales. 



(1) Pour rimprimeur, c'était la ruine. Le duc d'Aumale vint à son 
secours. Plus tard, il pensionna sa veuve et sa fille. Celle-ci touche 
encore aujoiœd'hui la rente viagère qui lui avait été maintenue après 
la mort de sa mère. 



Ii2 LE DUC D*AUMALE. 

Après l'avoir écrite, le duc d'Aumale s'attendait à 
recevoir les témoins du prince Napoléon. En prévision 
de leur arrivée, il désigna les siens. Mais son adversaire 
ne fit pas mine de vouloir demander raison. A Orléans- 
House, on attendit en vain son cartel. On racontait, 
entre temps, qu'au plus fort des émotions auxquelles 
donnait lieu l'événement, le prince s'était présenté ua 
soir aux Tuileries, et qu'en le voyant entrer, l'impéra- 
trice l'avait salué de ces mots : 

« Tiens! c'est vous? Je vous croyais à Londres. » 

Des incidents aussi retentissants étaient rares dans la 
vie des exilés. Voilée de mélancolie, traversée par des 
deuils cruels, elle eût été intolérable pour le duc d'Aumale 
s'il n'avait su la remplir par son activité intellectuelle. 
Comme le grand Condé, dont il a raconté l'histoire, 
« c'était un esprit auquel il fallait de l'emploi ». Aussi 
s'ingéniait-il sans cesse à en alimenter les ardentes curio- 
sités et les nobles appétits. Il s'était affilié aux sociétés 
savantes d'Angleterre. Il entretenait des relations per- 
manentes avec les plus hautes personnalités du Royaume- 
Uni, se mêlait volontiers à toutes les manifestations de 
la vie sociale anglaise, acceptait des invitations dans les 
demeures aristocratiques, dont les opulents propriétaires 
se faisaient honneur de le recevoir et de déployer pour 
lui toutes les splendeurs de leur faste traditionnel. Il 
était respectueusement accueilli et, quand il prenait la 
parole, religieusement écouté. Il s'imposait par le tour 
naturel de son esprit si cultivé, si plein de souvenirs 
qu'il évoquait en toute occasion au fur et à mesure que 
les entretiens sur les questions qui préoccupaient alors 
l'Europe leur donnait quelque actualité. 

Il n'était pas moins aimé dans la famille royale d'An- 
gleterre. On l'y voyait souvent, quoique, à cette époque. 



L'EXIL, 413 

il y eût partie liée entre la politique anglaise et la poli- 
tique impériale, et que le palais de Windsor et le palais 
des Tuileries entretinssent des rapports affectueux. En 
ces circonstances, il faisait trêve. aux critiques que lui 
suggéraient les actes du gouvernement impérial. Il était 
Français, et il eût craint en blâmant l'Empire dans des 
cercles cosmopolites de porter atteinte au prestige de la 
France. Partout, dans les fréquents voyages qu'il faisait 
à travers TEurope et surtout là où l'appelaient les liens 
de parenté, en Italie, en Espagne, en Belgique, en Alle- 
magne, il s'inspirait des mêmes scrupules. Si l'on croyait 
le flatter en lui disant du mal du gouvernement de son 
pays, on était bientôt détrompé. Bon entre compatriotes 
de récriminer, d'attaquer, de critiquer, de prédire des 
catastrophes qu'une politique aveugle ne permettait que 
trop de prévoir; mais, devant des étrangers, jamais. 

Lorsque, après ces excursions au dehors, il rentrait à 
Orléans-House, il se hâtait de reprendre la plume, ayant 
toujours quelque œuvre en train. Dès 1855, c'est des 
souvenirs des guerres d'Afrique, des exploits des zouaves 
et des chasseurs à pied qu'il s'était inspiré. Ces récits à 
travers lesquels on croit entendre résonner le clairon et 
qui sentent la poudre parurent sans signature dans la 
Revue des Deux Mondes d'abord, en volume ensuite, et sous 
ces deux formes obtinrent le même succès. Il parlait de 
ces épopées africaines avec tant d'enthousiasme, avec 
une chaleur si communicative qu'il en faisait aimer le 
décor et admirer les héros. 

Puis, ce fut l'histoire des princes de Condé qu'il entre- 
prit d'écrire. Dans leur héritage, il avait trouvé leurs 
archives, dont l'étude le passionna. Comme Victor Cousin 
pour les héroïnes de la Fronde, il s'éprit d'eux, du plus 
illustre d'entre eux surtout, dans lequel il avait pu re- 

8 



1 



114 LE DUC D'AUMALE. 

lever plus d'un trait de caractère par où il lui ressem- 
blait (1). Toute la première partie de cette œuvre consi- 
dérable, le livre sur les zouaves, l'admirable travail sur 
les Institutions militaires de la France^ trois courtes études 
écrites pour la Société de l'histoire de France, consacrées 
à Mazarin, au roi Jean, au siège d'Alésia, et enfin une 
série de lettres sur la politique impériale, publiée dans 
un journal belge sous le pseudonyme de Verax, repré- 
sentent le travail littéraire, la tâche d'historien qui rem- 
plirent et charmèrent les journées de l'exil. 

L'administration de sa grande fortune y tenait aussi 
une large place. Ses biens de France avaient été con- 
fisqués. Mais il en possédait de considérables à l'étranger, 
en Sicile notamment, pays de sa mère et de la duchesse 
d'Aumale, où le petit palais de Palerme, habité par ses 
parents de 1806 à 1814, après leur mariage, lui était 
échu. Il avait acquis, en Sicile, ce domaine de Zucco 
maintenant consacré par sa mort. Sa présence y était 
souvent nécessaire, car il avait entrepris de le trans- 
former en vignobles. Et puis, la beauté de ce site incom- 
parable l'attirait : le golfe de Castellamare, ses collines 
d'or, sa mer toute bleue, ses buissons de roses et de 
géraniums, ses bois d'orangers et ses avenues d'oliviers 
vingt fois séculaires. Jusqu'à la fin de sa vie, il aima par- 
dessus tout son cher Zucco, où nous le suivrons plus 
tard, durant ces journées, à tant de titres émouvantes, 
qui précédèrent sa mort. 

Ce qui caractérise la vie du duc d'Aumale durant la 
période que nous racontons, c'est son incomparable acti- 



(1) On sait que, lorsque parurent les deux premiers volumes de 
V Histoire de Condéy la police les saisit, on n'a jamais su pourquoi, et 
prétendit en empêcher la vente. L'auteur et l'éditeur durent s'adres- 
ser aux tribunaux, qui leur donnèrent raison. 



L'EXIL. 115 

vite. Il est jeune, il est vigoureux; sa santé robuste défie 
toutes les fatigues. Levé tôt et couché tard, il va, vîent^ 
circule, s'ingéniant à combler, tant au point de vue intel- 
lectuel qu'au point de vue matériel, le vide irritant des 
trop longues heures de l'exil. De plus en plus dominé 
par ses instincts de soldat, il parcourt les champs de 
bataille de la guerre de Trente ans, ceux de la Révolu- 
tion et de TEmpire, un jour à Rocroy, à Fribourg en 
Brisgau, à Nordlingue, au défilé de Saint-Péter, théâtre 
des exploits de Condé et de Turenne, un autre jour à 
léna, à Friedland, à Waterloo, afin d'y reconstituer, 
pour son instruction personnelle, les mémorables actions 
qui s'y sont jadis déroulées. 

Il lui est interdit de franchir les frontières de France, 
mais les pays étrangers sont ouverts à ses études. Les 
campagnes des armées françaises en Allemagne, en Italie, 
en Espagne, n'ont plus de secrets pour lui. Dans les pays 
cil le besoin de voir et de savoir le conduit, les hommes 
de guerre les plus éminents se mettent à sa disposition 
pour lui servir de guides. Il les étonne par sa compétence, 
la variété de sa science historique et technique, la sûreté 
de sa mémoire. Ils l'ont accompagné afin de lui apprendre 
ce que, vraisemblablement, il ignore. Mais souvent il 
arrive qu'il en sait plus qu'eux sur leur histoire natio- 
nale. Il rectifie ou complète leurs dires ; il leur révèle des 
faits qu'ils ne connaissaient pas. 

Il profite de ces excursions pour étudier l'organisation 
des armées étrangères, leurs effectifs, leurs manœuvres. 
Le soir venu, à la table où il s'assied avec ses compa- 
gnons de la journée, il achève de les captiver en leur 
racontant quelques-uns des souvenirs dont sa mémoire 
est pleine. Il laisse ainsi à tous ceux qui l'approchent 
l'impression d'un brillant soldat et d'un grand charmeur. 



116 LE DUC D'AUMALE. 

Mais, encore une fois, ce qui les surprend et les dé- 
concerte, c'est son activité de corps et d'esprit. Hier, il 
était en Allemagne ou dans les Pays-Bas, lassant les plus 
infatigables, prenant sur les heures de sa nuit pour écrire 
ce qu'il a vu, ce qu'on lui a dit, car il tient depuis l'en- 
fance et il tiendra jusqu'à sa mort le journal quotidien de 
ce qu'il fait. Aujourd'hui, le voici rentré en Angleterre, 
et ceux qui le croyaient très loin sont tout surpris de voir 
sa voiture, cocher et valet de pied à la cocarde tricolore, 
traverser Hyde-Park, le ramenant à Twickenham. 

C'est dans ce même Hyde-Park qu'au printemps de 
1858, un soir, se rendant à l'Opéra avec M. et 
Mme Edouard Bocher, son équipage, une voiture décou- 
verte, en dépasse un autre dont les gens, comme les siens, 
portent à leur chapeau la cocarde aux couleurs fran 
çaises. 

« C'est le maréchal Pélissier», observe M. Edouard 
Bocher, qui a reconnu l'illustre soldat. 

Le maréchal Pélissier, duc de MalakofF, nommé récem- 
ment ambassadeur de France à Londres, a servi jadis 
sous les ordres du prince. Mais ils ne se sont pas revus 
depuis l'Afrique. L'a-t-il reconnu lui aussi, et, s'il Fa 
reconnu, osera-t-il se souvenir et ne craindra-t-il pas de 
le saluer? 

Au même moment, comme pour répondre à cette ques- 
tion, la voiture du maréchal rejoint celle du duc d'Aumale, 
et, sous les dernières lueurs du jour déclinant, le prince 
constate que les yeux du vainqueur des Russes cherchent 
ses yeux. Alors, très ému, il se lève. Le maréchal fait 
comme lui. 

a C'est donc vous, mon vieux camarade? 

« Oui, monseigneur, et bien heureux de vous revoir. » 

A cela se borne cette première rencontre. Le duc 



L'EXIL. 117 

d'Aumale a donné Tordre à son cocher de pousser ses 
chevaux. Il ne veut pas compromettre l'ambassadeur 
impérial. Mais, à quelques jours de là, celui-ci ayant 
manifesté le désir de le revoir, ils se retrouvent de nou- 
veau et peuvent causer plus longuement. 

« Monseigneur, dit alors le maréchal, je sers la France 
sous Napoléon III comme je l'ai servie sous votre père ; 
mais je n'ai rien oublié. Votre portrait est resté dans mon 
cabinet de travail. Je porte toujours la croix de Saint- 
Louis que les Bourbons m'ont donnée, et j'ai bien soin de 
la mettre en évidence quand je vais voira mon padischah » . 
C'est ainsi qu'il appelait l'empereur. — Et il n'ignore pas 
l'attachement que je vous ai voué », ajoute-t-il (1). 

Ce sont là les rares joies de l'exil et les plus douces. 
Quand arrive un de ces événements, le duc d'Aumale en 
a pour longtemps l'àme réchauffée et réconfortée. 

Tel était donc dans celui que nous essayons de faire 
revivre le prince, le patriote, le soldat et, pour tout dire, 
l'homme public qui brillait partout, qui, par sa naissance, 
ses mérites, ses actions, ses services, appartient à l'his- 
toire. Le portrait que nous traçons de lui serait incom- 
plet si nous ne dressions sur le même piédestal l'homme 
de famille qui doublait l'homme public, celui qu'on vit 
sans cesse prendre à un si haut degré souci du bonheur 
des siens tant qu'il put leur prodiguer son amour et qui, 
jusqu'à la fin de sa vie, en dépit des occupations dont il 
la remplissait, demeura inconsolable de les avoir perdus. 
Fils, époux, père, l'homme de famille en lui est à la 
hauteur de tous les devoirs. Si nombreux et si lourds que 
fussent ceux qui lui incombaient à ce titre, il ne les 
oubliait pas. Il ne les négligea jamais. 

(i) Récit d'un témoin. 



4i8 LE DUC D'AUMALE. 

Le roi et la reine recueillaient dans leur vieillesse le 
prix de l'infatigable sollicitude dont ils avaient entouré 
leurs enfants et de la forte éducation qu'ils leur avaient 
donnée. Ceux-ci les chérissaient et les vénéraient. Il y 
avait assaut entre eux pour répandre incessamment aux 
pieds de leurs parents, tant qu'ils vécurent, les témoi- 
gnages de leur filiale tendresse. Le duc d'Aumale avait sa 
part dans ce concert. Comme ses frères, comme sa sœur, 
il était digne des bénédictions que leur père, en mourant, 
versa sur eux, récompense suprême que sa paternelle 
gratitude distribuait à ceux qiii étaient nés de lui et dont 

avait tant de fois éprouvé le cœur. 

Après la mort du roi, nous l'avons dit, le duc d'Aumale 
s'était installé à Twickenham, à deux lieues de Clare- 
mont, où la reine était restée. Presque tous les jours, il 
venait la voir. Il partait à cheval d'Orleans-House. Un 
temps de galop, et il était auprès d'elle, et Dieu sait com- 
bien affectueux, respectueux, attentif. C'est à Claremont 
que, chaque dimanche, il allait entendre la messe. Le 
jour de Pâques, cet homme jeune, svelte, vigoureux, qu'on 
voyait, botté et éperonné, s'approcher de la table sainte 
avec tous les membres de la famille royale, c'était lui (i). 
A cette époque, il y avait là, à côté de ses enfants (2), 
deux adolescents qu'il se plaisait à combler de soins. 

(1) Récit d'un témoin. A Claremont, la messe était servie par un 
valet de chambre de la reine, originaire de Franche-Comté. Plus 
tard, cet homme se retira dans son pays. Bien des années après, le 
duc d'Aumale, pendant son commandement de Besançon, dirigeait 
les grandes manœuvres, quand, un matin, son ordonnance entra et 
lui dit : 

« Mon général, il y a là l'ancien sacristain de votre maman qui 
vient pour vous voir. > 

C'était, en effet, l'ex-valet de chambre de la reine qui venait 
saluer le maître qu'il avait jadis servi. 

(2) Il en avait eu neuf. Deux seulement, le prince de Condé et le 
duc de Guise, arrivèrent à l'âge d'homme. 



L'EXIL. 119 

C'étaient les fils de son frère aîné : l'un, le comte de Pa- 
ris, déjà traité comme le chef de la maison d'Orléans ; 
l'autre, le duc de Chartres, plus vif, plus pétulant, et dont 
il disait : 

« Il est bien Bourbon celui-là I » 

Quand ils eurent perdu leur mère, il s'occupa d'eux 
comme s'ils eussent été siens, de leur carrière, de leur 
avenir. Le duc de Chartres avait alors dix-huit ans, — 
c'était en 1858; — il brûlait du désir d'être soldat. Sol- 
dat 1 Où, puisqu'il ne pouvait l'être en France? Son oncle 
lui conseilla de prendre du service en Piémont. Il voulut 
aller lui-môme demander au roi Victor-Emmanuel d'ou- 
vrir au jeune prince les rangs de l'armée piémon- 
taise (1). 

Le roi accueillit joyeusement le duc d'Aumale. Sa 
demande faite, le prince ajouta : 

« Je ne me dissimule pas que c'est difficile, à cause de 
l'empereur. Mais si Votre Majesté le veut, cela sera. 

— Je serai très fier d'avoir un d'Orléans dans mon 
armée, répondit Victor-Emmanuel. Je vais tâcher d'ar- 
ranger les choses. Mais, surtout, gardez-vous d'en parler 
àCavour. » 

Le duc d'Aumale remercia sans comprendre pourquoi 
le roi désirait faire mystère à Cavour de l'objet de tleur 
entrevue. Il eut soin de ne rien promettre, n'ignorant pas 
que l'influence du premier ministre était toute-puissante 
et qu'il importait de se l'assurer. En quittant le palais 

(4) J'ai lieu de croire, d'après une note trouvée dans les Archives 
Decazes, que la visite du duc d'Aumale au roi Victor-Emmanuel 
avait été précédée d'une demande écrite, après laquelle le comte de 
Cavour aurait écrit à Paris pour pressentir l'effet que produirait aux 
Tuileries l'admission du duc de Chartres dans l'armée italienne. 
L'empereur aurait alors répondu : 

« De ce que les princes d'Orléans sont exilés, ce n'est pas une 
raison pour que la carrière militaire leur soit fermée partout. » 



120 LE DUC D'AUMALE. 

royal, il se rendit chez le prince de Carignan, auquel il 
fit part de sa démarche. 

« Voyez Cavour, lui dit le frère du roi ; ça ira tout seul. » 

Placé entre la recommandation du souverain et le con- 
seil du prince de Carignan, c'est ce conseil que le duc 
d'Aumale se décida à suivre. Le comte de Cavour, mis au 
courant de son désir et des dispositions favorables du 
roi, se fît fort d'avoir raison des difficultés qui pourraient 
venir du côté du gouvernement impérial, bien que, à vrai 
dire, il n'en craignît pas. Il se réserva, pour la forme, un 
délai de quelques jours avant de donner une réponse défi- 
nitive que, dès ce moment, d'ailleurs, il faisait pressentir 
favorable. 

« Je vais l'attendre chez mon cousin le roi de Naples, 
lui dit le duc d'Aumale en prenant congé de lui. C'est-là 
que je vous prie de me la faire tenir. 

On ne pouvait mieux indiquer que, si le gouvernement 
piémontais refusait les services du duc de Chartres, ils 
seraient agréés parla cour de Naples. Le comte de Ca- 
vour parut le comprendre ainsi. La crainte d'une solution 
qui lui déplaisait facilita celle que désiraient les princes 
français. On fut très ému, dans la famille royale de Naples, 
en apprenant que le duc de Chartres entrait dans l'armée 
piémontaise. 

« Pouquoi pas dans la nôtre? demanda-t-on à son 
oncle. Nous eussions été si heureux de l'y recevoir! » 

Mais la question était résolue; il n'y avait pas à y reve- 
nir (1). C'est ainsi que, grâce au duc d'Aumale, le duc 
de Chartres prit du service en Piémont et que, en qualité 



(1) Est-ce à cette date qu'il faut placer le petit épisode que voici? 
Pendant le séjour qu'il fit à Napleâ, le duc d'Aumale, un soir, à une 
réception de la cour, se trouva nez à nez, dans l'embrasure d'une 
porte, avec le comte de Sartiges, qui représentait alors la France à 



L'EXIL. 121 

de sous-lieutenant dans le régiment Royal-cavalerie, il 
eut sa part dans la campagne d'Italie, en goûtant la joie 
de combattre à côté du drapeau tricolore (1). 

Le ducd'Aumale, en ce temps-là, jouissait du plus rare 
bonheur domestique. La duchessse était l'épouse idéale, 
la compagne fidèle des bons et des mauvais jours, celle 
dont la raison conseille, dont le courage réconforte et 
dont la tendresse console. Initiée aux pensées de son 
mari, associée parfois à ses travaux, lui servant tour à 
tour de lecteur et de secrétaire, elle ne le quittait que 
rarement. Dieu avait béni leur union en la rendant 
féconde. Il l'avait attristée en laissant la mort moissonner 
dans des berceaux. Du moins, après des pertes cruelles, 
deux enfants maintenant grandissaient au foyer. L'aîné, 
le prince de Condé, s'annonçait, dès l'adolescence, comme 
un homme du plus haut mérite. La délicatesse de son 
cœur, sa simplicité, son intelligence affinée et ouverte, 

Turin et voyageait beaucoup en Italie. Le diplomate s'inclina et dit, 
à défaut de mieux : 

« Je vois avec plaisir, monseigneur, que Votre Altesse Royale 
jouit d'une santé parfaite. 

— Oui, ça ne se confisque pas >, répondit le duc d'Aumale. 

Le mot était dur, adressé à un homme qui n'en pouvait mais. Le 
prince le comprit, et, dès le lendemain, il faisait porter à M. de Sar- 
tiges l'expression de son regret et ses excuses pour n'avoir pu retenir 
une phrase désobligeante. 

(1) Récit d'un témoin. — Ce qu'il y eut de plus piquant, c'est que, 
lorsque le duc d'Aumale, repassant par Turin, alla remercier le roi, 
celui-ci lui dit, moitié plaisant, moitié grondeur : 

« Vous, vous êtes un jésuite. Vous avez parlé à Gavour, malgré 
ma recommandation. 

— Ah! Sire, je n'avais rien promis. » 

Victor-Emmanuel aimait beaucoup le duc d'Aumale. Rendant un 
jour visite au roi, à l'un de ses passages à Florence, celui-ci mit 
aussitôt la conversation sur les femmes et dit : 

« Voyons, parlez-moi de vos péchés. 

— Mais, Sire, je ne me permettrai pas d'en commettre dans votre 
capitale. 

— Mais si, mais si; soyez sincère, j'en commets bien, moi ! » 



122 LE DUC D'AUMALE. 

embellissaient sa belle jeunesse, attrayant écrin de ses 
brillantes qualités. Il se faisait gloire de ne penser en 
rien autrement que son père. En 1861, on offrit au duc 
d'Aumale la couronne de Grèce. Il n'hésita pas à la refu- 
ser. Français il était, Français il voulait rester. Mais, 
après avoir pris sa décision, il se crut tenu envers son 
fils aîné, qui avait seize ans, — le cadet, le duc de Guise, 
était encore un enfant, — de lui rendre compte des motifs 
qui l'avaient dictée. 

Le prince de Condé étant à ce moment éloigné de lui, 
il lui écrivit. La réponse arriva quelques jours plus tard. 
C'est la ducHesse d'Aumale qui la reçut en l'absence de 
son mari. Elle la lut, et ses yeux s'emplirent de larmes. 
Le fils approuvait son père, partageait ses sentiments 
patriotiques ; il le remerciait d'avoir voulu que ses enfants 
restassent Français, et ces choses étaient si bien dites, 
sous une forme si clairement révélatrice d'une âme admi- 
rable, que la mère, soudain exaltée et toute vibrante 
d'orgueil maternel, se tourna vers une amie qui se trou- 
vait là et s'écria : 

« Tenez, écoutez cette lettre et dites-moi si Dieu ne 
nous a pas fait la part la plus belle en nous donnant un 
tel enfant et si nous n'avons pas le droit, son père et moi, 
d'être fiers de lui (1). » 

Ce fils qu'ils idolâtraient, ils songeaient cependant à 
s'en séparer. Dans l'intérêt de son avenir, et pour fortifier 
son instruction militaire déjà commencée, le duc d'Aumale 
avait résolu de le livrer à lui-même en le transplantant 
dans un autre milieu. La question de savoir où on l'en- 
verrait et à qui on le confierait fut longuement débattue 
entre les parents. Elle n'était pas encore résolue, quand 

(1) Récit d'un témoin. 



L'EXIL. 123 

un de leurs amis de Paris, le comte d'Haussonville, les 
mit en rapport avec un notable habitant de Genève, M. de 
La Rive (1). Consulté par eux, M. de La Rive leur désigna 
Lausanne comme le séjour le plus favorable aux études 
et à la santé de leur fils. Il pourrait prendre part aux 
manœuvres de l'armée suisse, qui étaient alors intéres- 
santes. Il fut décidé que le prince de Condé s'établirait à 
Renan, près de Lausanne, chez le colonel fédéral Aubert, 
qui se chargeait de veiller sur lui et de le diriger. 

L'heure de la séparation suivit de près ces décisions. 
Le duc d'Aumale voulut préparer lui-même l'installation 
de son fils à Renan. A son retour, le 20 octobre 1862, il 
écrivait au comte d'Haussonville : « Me voici de retour 
de Suisse, mon cher ami, et avant d'y retourner encore, 
je veux vous remercier de m'avoir mis en rapport avec 
M. de La Rive. C'est, je crois, une bonne connaissance 
de toute façon; de plus, fort aimable homme. Il a été 
d'une obligeance extrême, et, grâce à lui, j'ai pu arranger 
à peu près ce que je voulais. Je vais jeter mon fils à la 
mer, comme disait le duc de Broglie, pas encore tout à 
fait sans pilote. Mais, enfin, je vais l'enlever à la douce et 
un peu assoupissante discipline du toit paternel et le livrer 
à peu près à lui-même. En deux ans, il pourra apprendre 
tout.ce qu'il aurait appris dans une école militaire, sans 
être aussi exclusivement absorbé qu'on y a coutume de 
l'être par l'X et la broutille, mais aussi avec quelques 

(4) Auteur d'un beau livre sur le comte de Gavour. Son fils devint 
l'ami du duc d'Aumale. Cette amitié ne s'est brisée qu'à la mort du 
prince. J*ai inséré aux Pièces historiques y IV, une lettre de ce der- 
nier, qui prouve avec quelle sollicitude il s'occupa, dans les moindres 
détails, de l'installation du prince de Condé en Suisse. Je dois, d'ail- 
leurs, à M. de La Rive fils des informations qui m'ont été précieuses. 
11 a connu le duc d'Aumale à Genève, en 4862. De cette époque jus- 
qu'en 1870, il le vit souvent, tantôt en Angleterre, tantôt en Suisse, 
et, depuis, il allait à Chantilly toutes les fois qu'il venait en France. 



124 LE DUC D'AUMALE. 

infériorités inévitables. De plus, il vivra dans un pays 
neutre, au milieu d'hommes libres et jusqu'à un certain 
point dans un milieu français (1). » 

Le prince de Condé resta durant deux années sous la 
direction du colonel Aubert. Il y fit des progrès rapides. 
Il se lia avec quelques-uns des hommes les plus distingués 
de la Confédération helvétique, des militaires surtout, et 
entre autres le général fédéral Lecomte, auteur de savants 
ouvrages de stratégie. Quelquefois, il interrompait ses 
études pour aller embrasser ses parents à Londres; plus 
souvent, ils venaient le voir. 

Cet apprentissage terminé, il retourna auprès d'eux. 
Mais il devait y rester peu. D'accord avec son père, il 
avait conçu le projet d'un grand voyage d'outre-mer. Ce 
n'était pas seulement pour son instruction qu'il l'entre- 
prenait. Il avait conçu le sentiment le plus tendre pour sa 
cousine, la princesse Marguerite, fille du duc de Nemours, 
qui devint plus tard princesse Czartoryska. Il avait fait 
part à ses parents de ses espérances, et le duc d'Aumale, 
pour mettre à l'épreuve ce délicat et sincère amour, avait 
imposé cette excursion d'une année. Le prince y avait 
joyeusement consenti, avec la certitude de recevoir à son 
retour le prix de sa soumission et de sa constance. Le 
respect qui est dû aces épisodes de cœur commande à l'his- 
torien de se contenter de les effleurer. Quoique de con- 
stitution délicate, le prince de Condé semblait cependant 
en état de supporter les fatigues de cette longue excursion, 
durant laquelle il devait être accompagné par un jeune 
médecin de Paris (2). 



(4) Documents inédits : Papiers d'Haussonville. 

(2) Le docteur Paul Gingeot, auteur d'une relation du voyage 
publiée par le Correspondant, en 1867, et qui lui valut de touchants 
remerciements du duc d'Aumale. 



L'EXIL. 125 

Nous avons eu la bonne fortune de retrouver une lettre 
de lui, écrite le 21 janvier 1866, à son futur compagnon 
de voyage. Elle témoigne des heureuses dispositions en 
lesquelles il se trouvait au moment de partir. 

« Je vous écris, Monsieur, afin d'avoir fait un peu con- 
naissance d'une façon quelconque, avant de nous mettre 
à faire ensemble un voyage d'un an, et aussi pour vous 
annoncer que notre départ a été définitivement fixé hier 
au 4 février, de Southampton. Je partirai donc de chez 
mon père le 3, et j'espère que vous nous arriverez le 1" ou 
le 2, afin de pouvoir faire un peu connaissance avec ma 
famille avant de nous en aller. » 

Après avoir chargé son compagnon de divers achats de 
boussoles et de chronomètres à faire à Paris, « où malheu- 
reusement il ne pouvait se rendre lui-même » , le prince 
ajoutait : « J'emporte des boîtes à insectes, car l'entomo- 
logie a été de tout temps une grande passion chez moi, et 
aussi tout ce qu'il faut pour empailler des animaux et 
collectionner des œufs, comptant profiter de ce voyage 
pour avancer mes connaissances dans l'histoire naturelle, 
tant passée que présente, et qui nous offre, je crois, de 
bien grands trésors en Australie et dans les îles de la 
Sonde. Je compte aller jusqu'à Ceylan avec mon cousin 
Alençon, qui va aux Philippines faire du service militaire. 
Le temps qu'il passera au service, je voudrais le passer 
en Australie, où j'irai de Ceylan. D'Australie à Java, de 
Java aux Philippines, de là en Chine, et peut-être au 
Japon, avec le retour par l'Inde et l'Egypte, voilà en gros 
traits le plan de mon voyage, dont nous nous entretien- 
drons plus en détail à votre arrivée ici et pendant les 
longues traversées qui nous séparent de notre but. 

« Je me suis fait préparer une assez grande quantité 
de livres pour lire à bord, traitant des pays que nous 



126 LE DUC D'AUMALE. 

devons visiter, de sorte que je crois que vous aurez suffi- 
samment de lectures avec, et nous pourrons les étudier 
ensemble, ce qui sera très utile, si... les fantasques mou- 
vements du navire ne me forcent pas à interrompre le 
cours de mes occupations. La mer vous dompte-t-elle 
aussi (1)? » 

Au jour du départ du prince de Condé, son père, sa 
mère, son jeune frère le duc de Guise, ses oncles, ses 
cousins, plusieurs amis venus de France, l'accompa- 
gnèrent jusque sur le navire. Cette seconde séparation 
fut plus cruelle à ses parents et à lui-même que ne Favait 
été la première. La mère, si vaillante en une circonstance 
précédente, sentit cette fois son cœur défaillir. Le père, 
au dernier moment, eut besoin de tout son courage pour 
écarter la tentation de retenir son fils. Était-ce pressen- 
timent de ne pas le revoir? 

Les débuts du voyage furent heureux. Le père écri- 
vait : « Merci de ce que vous me dites pour mon fils. Il 
est parti en high spirits et j'ai eu la satisfaction de le savoir 
hors de l'Atlantique et des effroyables tempêtes qui l'agitent 
cet hiver. J'espère que la Méditerranée, le Pacifique, et 
surtout le climat des tropiques, lui seront cléments (2). » 
Partout où passait le prince, il était reçu avec les égards 
dus à un petit-fils de roi, et partout il séduisait et charmait 
ceux qui, sans le connaître, venaient vers lui pour rendre 
hommage au nom qu'il portait. Mais, à Ceylan, l'excès 
des fatigues qu'entraînaient son voyage et les fêtes qu'on 
lui donnait tous les jours se manifesta en des conditions 
alarmantes. Les soins qui lui furent prodigués eurent 
d'abord raison du mal. Lorsque, vers la mi-avril, il arriva 
à Sydney, en Australie, sa santé semblait rétablie. Brus- 

(1 ) Documents inédits, communiqués par le docteur Gingeot. 
(2) Id. : Papiers d'Haussonville. 



L'EXIL. 127 

quement, au commencement de mai, elle fut de nouveau 
compromise par une partie de pêche, cause visible et 
déterminante de la crise qui se préparait. Cédant à une 
sorte d'émulation juvénile, le prince, à l'exemple de ses 
compagnons natifs du pays, était resté durant plusieurs 
heures dans l'eau jusqu'à mi-corps. La nuit qui suivit fut 
toute d'insomnie et de fièvre. Il dut demeurer alité le 
lendemain et les jours suivants. Puis survint une amélio- 
ration. On put le transporter à la campagne. L'air des 
bois parut hâter son rétablissement. 

Mais, le 12 mai, il apprit à l'improviste, par un journal, 
la mort de sa grand'mère. La reine Marie-Amélie avait 
succombé le 24 mars. Il l'adorait; il fut au désespoir de 
n'avoir pu assister à ses derniers moments et recevoir 
sa bénédiction. La commotion fut trop forte pour sa 
nature sensible et frêle. Il dut reprendre le lit, et, en peu 
de jours, il tombait au plus bas. Une fièvre typhoïde 
s'était déclarée, le mal que sa mère redoutait le plus 
pour lui. 

« La fièvre typhoïde est toujours terrible dans la 
famille d'Orléans », disait-elle. 

Il n'en devait pas guérir. Malgré les dévouements qui 
l'entouraient, malgré les efforts de la science, il mourut 
le 24 mai (1). 



(1) La ville de Sidney rendit aux restes du prince de Condé, au 
moment où le cercueil fut embarqué pour l'Angleterre, les honneurs 
royaux. C'est le docteur Gingeot qui le ramena à Londres, où, le 
44 septembre, le duc d'Aumale, entouré du duc de Guise, du comte 
de Paris et du duc de Nemours, vint le recevoir. Il dit au docteur 
Gingeot : 

« Je sais que vous avez fait tout ce qu'on pouvait faire, et comme 
dévouement, et comme savoir. > 

Enterré d'abord en Angleterre, le corps du prince de Condé fut 
ramené à Dreux, en 4872, avec ceux du roi, de la reine et de la 
duchesse d'Orléans. 



128 LE DUC D'AUMALE. 

Il n'est rien de plus poignant que les circonstances 
en lesquelles le duc et la duchesse d'Aumale apprirent 
leur malheur. Un matin, le prince quittait gaiement 
Twickenham pour se rendre à Londres, par le chemin 
de fer. Il était à la station, arpentant le quai en attendant 
le train, quand de celui qui venait de Londres à la même 
heure il vit descendre le docteur Guéneau de Mussy. 

« Eh I docteur, comme vous êtes matinal I Mais vous 
avez l'air tout bouleversé. Y a-t-il du nouveau? 

— Oui, Monseigneur, un bien triste événement. 

— Ahl mon Dieu, est-ce que ce serait quelqu'un des 
vôtres? Mon pauvre amil J'en serais désolé. 

— Ce n'est pas moi qui suis frappé. Monseigneur; 
c'est vous. 

— Moi! » s'écria le prince avec effroi. Et soudain il 
reprit : « Condé I vous avez des nouvelles? 

— Oui, Monseigneur, et bien mauvaises. Il y a peu 
d'espoir... Je crains que tout ne soit fini. » 

Le prince chancelait. Le docteur Guéneau de Mussy le 
ramena à Twickenham. Là, dans son cabinet, il dut s'as- 
seoir. Il s'était jeté sur une photographie de son fils, et, 
l'étreignant de ses doigts crispés, il l'embrassait en mur- 
murant d'une voix que brisaient les sanglots : 

« Mon pauvre enfant I mon pauvre Condé I Je ne te 
verrai plus I » 

Pendant ce temps, une des personnes de sa maison se 
rendait auprès de la duchesse d'Aumale pour la préparer 
à recevoir un coup si terrible. Du seuil d'un sgdon, elle 
la vit venir, joyeuse elle aussi, et soudain s'arrêter en 
disant : 

« Mais qu'avez-vous donc, ma chère? vous êtes toute 
pâle I » Et comme enveloppée soudainement par la cruelle 
réalité qui pesait sur elle, elle s'écria : 



L'EXIL. i29 

« Condél il est mort (1)! » 

C'était la quatrième catastrophe qui frappait la famille 
royale depuis l'exil : le roi, la duchesse d'Orléans, la 
reine; maintenant, le prince de Condé. Le coup fut 
effroyable pour les infortunés parents. Le 26 juillet 1866, 
de Ramsgate, où il passait l'été, le père écrivait à un ami 
cher entre tous, frappé dans le passé d'une douleur 
pareille à la sienne : 

« Ah I mon cher général, je comprends maintenant ce 
que vous avez dû éprouver il y a quelques années, ce 
que vous ressentez encore, ce que nous ressentirons 
toujours. Je ne prévois pas de terme ni d'adoucissement 
à mes regrets, à ma douleur. Le fils que j'ai perdu était 
déjà mon meilleur ami ; il ne m'a pas donné un chagrin ; 
il était bon et brave; il avait toutes les qualités de l'esprit 
et du cœur. J'ai la foi que son âme noble et pure est 
retournée au ciel, où celle de ma mère l'a de si peu pré- 
cédée. Puissé-je les y retrouver un jour (2). » 

Ne semble-t-il pas qu'on sente, à travers cette lettre 
éplorée et dans toute sa plénitude, cet amour que Mon- 
talembert définissait avec tant d'éloquence dans son 
éloge de Lacordaire, « cet amour qui est de tous le plus 
pur et le plus ardent^ le plus tendre et le plus légitime, 
qui, né le dernier, l'emporte sur tout et survit à tout, 
la passion du père pour l'enfant »? Elle est admirable 
cette page de Montalembert, encore qu'elle révèle une 
entière ignorance de cet autre amour, vrai maître du 
inonde, qui soude deux êtres faits l'un pour l'autre et 
de leurs deux chairs fait une seule chair, comme de 
leurs deux âmes une seule âme, — l'amour, en un mot, 
artisan de tous les héroïsmes et de toutes les lâchetés j 

(1) Récit d'un témoin. 

(2) Documents inédits : Papiers du général de Chabaud Là Tour* 

9 



430 LE DUC D'AUMALE. 

de toutes les féKcités et de toutes les catastrophes. 

Le duc d'Aumale la cita tout entière, le 3 avril 1873, 
en prenant séance à TAcadémie française. Elle était 
alors redevenue pour lui d'une cruelle actualité. Depuis 
quelques mois, il pleurait son second fils, le dernier, ce 
charmant duc de Guise qui semblait n'être apparu dans 
la patrie de ses ancêtres que pour y mourir, — six ans 
après le prince de Condé. Les auditeurs du duc d'Aumale 
à l'Académie se souviennent encore de l'accent d'acca- 
blement et de douleur que prit sa voix quand il prononça 
la dernière phrase de la citation, celle qui couronne cette 
magnifique apologie des joies paternelles : « Je m'arrête, 
de peur que ces lignes n'aillent navrer quelque cœur 
désespéré de n'avoir pas connu cette félicité, ou, l'ayant 
connue, de l'avoir perdue sans retour. » C'est que, dans 
cette phrase, il retrouvait un écho de son âme, une 
image de sa douleur inconsolée. 

Après la mort du prince de Condé, la maison de Twic- 
kenham, dont il avait été la lumière, s'enveloppa de 
ténèbres et de deuil. |Si charmeur et si tendre que fût 
l'enfant qui survivait à son frère, il ne pouvait le faire 
oublier ni tenir la place de deux. On entoura le duc de 
Guise d'un peu plus de sollicitude; mais l'amour qu'on 
lui prodiguait n'allait pas sans alarmes. La crainte de le 
voir partir aussi, comme l'autre, ne laissait à ses parents 
ni trêve ni repos. Leur vie, assombrie par d'implacables 
regrets, fut alors empoisonnée par ces cuisants soucis, 
par ces tourments de toutes les heures que cause au père 
et à la mère la santé d'un fils unique quand elle est déli- 
cate et quand la mort a déjà fauché autour d'eux. Les cœurs 
déchirés sont plus sensibles, plus prompts à trembler. 

Le duc d'Aumale, à travers de si dures épreuves, 
.déploya un mâle courage. Quoiqu'il souffrît en son cœur, 



L'EXIL. 131 

il resta debout et tête haute, durant les années qui sui- 
virent. Il s'était jeté avec une ardeur nouvelle dans le 
travail, dans ses occupations accoutumées, dans l'étude. 
De graves événements s'accomplissaient en Europe. La 
victoire de la Prusse sur l'Autriche était devenue une 
menace pour la France, dont le gouvernement n'avait 
pas su l'empêcher. L'ère des péripéties commençait, 
annonçant aux esprits clairvoyants des troubles pro- 
chains dont les conséquences pouvaient être redoutables. 
Il y avait là de quoi remplir la vie et absorber l'attention 
du prince, mieux placé que d'autres pour suivre, en leur 
marche rapide et logique, tant de faits précurseurs de 
catastrophes. 

Puis, d'autres soucis l'absorbaient. En 1869, les deux 
premiers volumes de l'Histoire des princes de Condé, publiés 
en 1863, saisis par la police impériale au moment de leur 
apparition, iniquement détenus durant six ans, furent 
enfin délivrés par un arrêt de justice et soumis à l'ap- 
préciation des lecteurs français. L'auteur suivait avec 
une attention de père leur marche à travers le monde. 
Il écoutait les critiques, toujours prêt à y répondre, dis 
posé à en tenir compte dans la suite de son œuvre. Il 
répliquait aux observations, s'attachant avec ténacité à 
défendre ses opinions ou à les justifier. 

Nous trouvons encore, dans sa correspondance à cette 
époque, une lettre qui nous le montre aussi net en ses 
théories historiques qu'il était bon soldat. Elle est datée 
de Twickenham. 

« En rentrant ici, mon cher général, je trouve votre 
bonne et cordiale lettre. Je veux vous en remercier tout 
de suite, et, me laissant aller à causer avec vous comme 
jadis autour d'un feu de bivouac, je répondrai à une de 
vos observations. 



132 LE DUC D'AUMALE. 

a On trouve, me dites-vous, que je suis sévère pour 
les protestants. Presque au moment où je recevais votre 
lettre, je lisais dans une Revue catholique 'que j'étais 
injuste pour les États de la Ligue, pour les Guise, 
pour Philippe II, etc. Ces reproches ne me surprennent 
pas. Au seizième siècle, comme bien souvent de nos 
jours, je crois que la vérité se trouve entre les opinions 
extrêmes; je suis pour le juste milieu, comme mon 
père, et quand on professe ces opinions, on s'expose, 
vous le savez, à être attaqué de droite comme de gauche. 

« Mes aspirations d'historien s'accordent avec mes 
aspirations politiques. Impartial autant qu'il m'est donné 
de l'être, j'ai taché de rester patriote, laïque et libéral. 
Si vous prenez la peine de lire mes deux volumes d'un 
bout à l'autre, vous y trouverez, je crois, à mainte page, 
l'expression de ma sympathie, souvent de mon admira- 
tion pour les réformés de France et aussi de mon indi- 
gnation contre leurs persécuteurs. Mais, tout comme je 
réprouve la conduite des ligueurs, je blâme et dénonce 
les huguenots lorsqu'ils se montrent intolérants et de- 
viennent le jouet des influences cléricales, lorsqu'ils 
veulent briser l'unité de la patrie ou qu'ils ouvrent ses 
portes à l'étranger. Si vous rencontrez, çà et là, une 
appréciation (que pour moi je crois vraie) des travers de 
caractère et des fautes de Coligny, vous trouverez ailleurs 
l'éloge de ses grandes qualités et de ses grandes actions. 

a Non seulement je suis de ceux qui regardent la Saint- 
Barthélémy et la révocation de l'édit de Nantes comme 
des actes aussi exécrables qu'impolitiques (ceci est 
presque un lieu commun), mais je considère que, du jour 
où les réformés avaient renoncé à former un corps poli- 
tiquC) le jour où ils avaient cessé d'être l'instrument de 
passions et d'ambitions diverses, ils étaient devenus un 



L'EXIL. 133 

élément essentiel de la nation; groupe d'hommes aus-- 
tères, éclairés, bons citoyens, bons soldats, âpres au 
travail, fermes et limités dans leurs desseins, ayant tou- 
jours certains travers particuliers, mais doués, en somme, 
de vertus que beaucoup de leurs compatriotes n'avaient 
pas toutes au même degré. Et lorsque la nation a été 
comme jetée dans le creuset pendant le dix-huitième 
siècle pour en sortir refondue au jour où la Révolution 
a brisé le vase qui contenait tant de métaux en fusion, 
je crois que le vieil élément réformé a fait défaut dans 
cet alliage qu'on appelle la France moderne. C'est ce 
que j'essayerai d'indiquer dans un de mes prochains 
volumes. Pour aujourd'hui, je me borne à vous souhaiter 
le bonsoir (1). » 

On peut voir à ces traits sous l'empire de quelles 
nobles préoccupations vivait le duc d'Aumale. L'esprit 
chez lui dominait incessamment le corps. Plus le destin 
l'abreuvait d'épreuves, plus, à la faveur d'une rare force 
d'âme et d'un goût passionné pour l'étude, il se raidis- 
sait, recevant sans faiblir les coups qui se succédaient. 
En dépit d'une admirable et bien chrétienne résignation, 
la duchesse d'Aumale ne pouvait opposer à son malheur 
le même courage. Elle était femme, elle était mère. Ce 
qui occupait le père, ce qui le détournait de ses chagrins, 
ne s'exerçait pas sur elle au même degré. Elle pleurait 
toujours l'un de ses fils et toujours s'inquiétait pour 
l'autre. A pleurer et à s'inquiéter ainsi, elle usait lente- 
ment mais sûrement toutes les forces vives de son être, 
et bientôt on la vit décliner. La mort la guettait, elle 
aussi. Son mari, désespéré, lui ferma les yeux le 6 dé- 
cembre 1869, après avoir voulu se charger seul de lui 

(i) Documents inédits : Papiers du général de Ghabaud La Tour. 



134 LE DUC D'AUMALE. 

annoncer qu'elle était condamnée et devait se préparer à 
paraître devant Dieu. 

Ainsi, l'exil en se prolongeant s'aggravait pour lui de 
toute une suite de maux amers et cuisants qui le lui ren- 
daient plus lourd, plus intolérable, plus sombre. C'est à 
cette époque que se place ce jugement qu'un homme qui 
le connaissait bien émettait sur lui : « Il est de la forte 
race des taciturnes. Mais quel étrange taciturne qui traite 
de tous les sujets, avec quelle supériorité et quel éclat 1 » 

Un ami des princes d'Orléans, qui était allé les voir 
vers ce temps, rapportait de son voyage des impressions 
qu'il exprimait en ces termes : « L'exil leur est devenu 
extrêmement pénible, aux jeunes comme aux vieux. Ils 
sont à bout de patience. Le prince de Joinville se ronge; 
le séjour de l'Angleterre et les Anglais lui sont insup- 
portables. Le duc d'Aumale, depuis qu'il a perdu sa 
femme, est sans intérieur et devenu mélancolique et ner- 
veux. Le comte de Paris est très distingué d'esprit, très 
Français de sentiments. Il brûle de faire connaissance 
avec un pays qui est le sien, qu'il n'a jamais vu et dont 
toutes les affaires l'intéressent par l'intelligence et par le 
cœur. Le duc de Chartres est une nature toute bouillante, 
dont les instincts sont très militaires. Il ne rêve que de 
brandir une épée à la tête d'un régiment de cavalerie (1). » 

Pour le duc d'Aumale, non moins que pour ses frères 

(1) Documents inédits. — Indépendamment des papiers du comte 
d'Haussonville, que son fils m'a ouverts avec une libéralité qui lui 
assure toute ma reconnaissance, il m'a permis de consulter le jour- 
nal manuscrit que son père a tenu, du 28 juillet 1870 au 27 jan- 
vier 1871, et où se trouvent racontés, par un des observateurs les 
plue attentifs et les plus pénétrants de ce temps, les événements qui 
précédèrent et suivirent le 4 septembre, et notamment les principaux 
incidents du siège de Paris. J'ai tiré de ce précieux document, pour 
la suite de ce récit, les plus intéressantes informations en ce qui 
touche les princes d'Orléans. 



L'EXIL. 135 

et ses neveux, cette description traduisait avec exacti- 
tude un état d'âme auquel il n'était qu'un remède : l'air 
apaisant du ciel natal. A travers l'exil, il avait passé par 
tant d'étapes douloureuses qu'il pouvait à bon droit se 
demander si les épreuves subies ne constituaient pas une 
rançon suffisante, le prix de sa délivrance, de ce retour 
dans sa patrie qu'il avait si passionnément souhaité 
quand les êtres chers à son cœur pouvaient en partager 
la joie avec lui, et qu'il souhaitait encore, non seulement 
pour lui-même, comme un bienfait réparateur, mais aussi 
pour le fils qui lui restait et qu'il espérait alors conserver 
pour sa vieillesse. 



CHAPITRE IV 

LE PROLOGUE DU RETOUR 

La politique impériale en 1870. — Pétition des princes d'Orléans. — 
Discours de M. Estancelin. — Emile Ollivier, Jules Favre, Grévy. 
— Les dernières lettres de l'exil. — La déclaration de guerre. — 
Les princes en Belgique. — Ils demandent à servir. —Démarches 
de M. Edouard Bocher et du comte d'Hausson ville. — Chez 
M. Thiers. — Une lettre du prince de Joinville. — La séance du 
12 août. — Ouvertures inattendues de M. Thiers. — La journée 
du 3 septembre à Bruxelles. — Ce qui se passe chez M. Thiers le 
surlendemain. — Ils sont ici! 

Au commencement de 1870, la politique impériale 
subissait une transformation profonde. Un peu à Timpro- 
yiste, Napoléon III s'était décidé à faire droit aux exi- 
gences que, depuis plusieurs années, formulait, à la tri- 
bune et dans la presse, cette opposition libérale dont il 
n'avait pu conjurer les audaces et à laquelle s'associait 
l'élite du pays; il tentait l'essai d'un gouvernement li- 
béral. A la faveur d'une manifestation plébiscitaire qui 
semblait consolider sa puissance et la rajeunir, et sous 
rinfluence d'un ministre sorti du groupe des Cinq, il 
promettait, dans un ensemble de réformes, ce que Thiers 
avait appelé les libertés nécessaires. 

Ces solennelles promesses furent très diversement 
accueillies. Les amis du régime de 1852 étaient effarés; 
dans leur effarement, ils proclamaient que c'en était fait 
des institutions et de la dynastie impériales. Les adver- 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 137 

saires de ce régime ne montraient pas un moindre affo- 
lement. Ils contestaient la sincérité des promesses réali- 
sées ou annoncées, déclaraient qu'elles cachaient quelque 
piège, alarmés en réalité par ce qui, dans cette transfor- 
mation inattendue, leur semblait de nature à consolider 
le trône des Napoléon. Néanmoins, on vit quelques-uns 
d'entre eux se rapprocher du pouvoir. D'illustres vété- 
rans des luttes parlementaires donnèrent à entendre 
qu'ils croyaient à la bonne foi de l'auteur de ces bien- 
faits si peu prévus. Ils acceptaient avec reconnaissance 
la liberté restituée, sans regarder à la main qui venait de 
s'ouvrir. M. Guizot lui-même apparut dans un salon offi- 
ciel. On put supposer que de vieilles haines allaient enfin 
désarmer. 

Les princes d'Orléans crurent alors que l'heure était 
opportune pour demander l'abrogation des lois qui les 
avaient exilés. A leur instigation, deux Français rési- 
dant en France, l'un, M. Degouve-Denuncques, ancien 
préfet; l'autre, M. Crousillat, propriétaire provençal, 
sollicitèrent du Corps législatif, par voie de pétition, 
l'abrogation des lois votées contre les princes. Ceux-ci 
approuvèrent cette demande, et ils s'y associèrent en 
adressant eux-mêmes aux membres du Corps législatif 
une requête à l'effet d'obtenir d'être autorisés à rentrer 
dans leur pays. 

« Messieurs les députés, disaient-ils, vous êtes saisis 
de la demande d'abroger les mesures d'exception qui 
nous frappent. En présence de cette proposition, nous 
ne devons pas garder le silence. Dès 1848, sous le gou- 
vernement de la République, nous avons protesté contre 
la loi qui nous exile, loi de défiance que rien ne justifiait 
alors. Rien ne l'a justifiée depuis, et nous venons renou- 
veler nos propositions devant les représentants du pays. 



138 LE DUC D'AUMALE. 

Ce n'est pas une grâce que nous réclamons, c'est notre 
droit, le droit qui appartient à tous les Français et dont 
nous sommes seuls dépouillés. C'est notre pays que nous 
redemandons, notre pays que nous aimons, que notre 
famille a toujours loyalement servi, notre pays dont 
aucune tradition ne nous sépare et dont le seul nom fait 
toujours battre nos cœurs, car, pous les exilés, rien ne 
remplace la patrie absente. » 

Avant d'être expédiée, cette pétition fut soumise à un 
petit nombre d'amis dont il importait avant tout de con- 
naître l'opinion. Tous n'approuvèrent pas. Si quelques- 
uns étaient d'avis qu'il était bon de protester de temps 
en temps contre les lois d'exil, d'autres redoutaient que 
cette manifestation des princes, quelle qu'en fût la légiti- 
mité, fît par trop contraste avec l'attitude qu'ils avaient 
toujours gardée et les exposât à perdre le bénéfice du 
calme si digne et du silence de bon goût qu'ils obser- 
vaient depuis vingt ans. Mais les princes, nous l'avons 
dit, étaient à bout de patience. Ils avaient hâte de se 
rappeler à leur pays, et de quelque prudence que s'inspi- 
rassent les conseils qui leur étaient donnés, ils passèrent 
outre. 

Ce fut une émouvante séance que celle du 2 juillet 1870, 
où leur pétition fut discutée. On s'attendait à voir paraître 
parmi leurs défenseurs quelque vieil orléaniste, Thiers 
notamment. Il n'en fut rien. On remarqua et on com- 
menta cette abstention. C'est un ami personnel des 
princes, M. Estancelin, qui se fit leur avocat et soutint 
leur demande (1). Avant lui, un de ses collègues siégeant 

(1) Il était déjà monté à la tribune pour eux dans rassemblée 
de 1849, dont il était membre. Le marquis de La Rochejaquelin 
demandait compte d'une somme de cent mille francs affectée, par le 
prince de Condé, à ses anciens compagnons d'armes. Ce don avait 
été annulé par le Conseil d'État comme illégal. Le duc d'Aumale avait 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 139 

à son côté dans le groupe des libéraux, le comte de 
Kératry, adjura le garde des sceaux, M. Emile OUivier, 
de déclarer avant tout, « au nom de la vérité, au nom de 
la justice », s'il existait dans les archives de son dépar- 
tement ministériel une seule preuve attestant que, depuis 
1848, les princes d'Orléans eussent jamais conspiré ou 
essayé de conspirer. Le garde des sceaux refusa de 
répondre; il se réservait. Son silence n'en était pas 
moins un aveu et comme une justification de la requête 
des exilés. 

M. Estancelin prit alors la parole. Il faut relire cette 
harangue pour se rendre compte de l'effet qu'elle pro- 
duisit. En termes d'une rare éloquence, il fit l'apologie 
des princes d'Orléans. Pour louer leur vaillance, leur 
patriotisme, leur attachement à la France, pour signaler 
et célébrer les services qu'elle avait reçus d'eux, il trouva 
des tours heureux, des accents superbes. Il fut écouté 
dans un respectueux recueillement. 

Il s'en fallut de peu, d'ailleurs, que cette séance ne 
donnât lieu au plus bruyant incident. Comme tous les 
partisans des d'Orléans, M. Estancelin avait gardé sur le 
cœur la malencontreuse sortie du prince Napoléon au 
Sénat, en 1861. Le 2 juillet, comme la séance où il 
devait prendre la parole allait s'ouvrir, on vint lui dire 
que le cousin de l'empereur y était attendu ; il avait fait 
retenir sa place dans la tribune de la maison impériale. 
C'était une occasion inespérée de tirer vengeance de ses 
paroles d'autrefois. M. Estancelin résolut de ne pas la 
laisser échapper. Sans écrire à l'avance son discours, il 

recouvré la disponibilité de la somme, et l'orateur voulait savoir ce 
qu'il en faisait. Ce fut M. Estancelin qui lui répondit, et fit connaître 
qu'elle était distribuée tous les ans à d'anciens militaires et à leur 
famille, et que les intentions du prince de Gondé se trouvaient ainsi 
réalisées dans la mesure que permettait la législation. 



140 LE DUC D'AUMALE. 

en avait tracé les grandes lignes en des notes qu'il comp- 
tait avoir sous ses yeux, tandis qu'il le prononcerait. Il 
s'enferma dans un des bureaux de la Chambre, et là, en 
marge de ces notes, à la suite de la description du 
cabinet de travail du duc d'Aumale à Twickenham, il 
improvisa cette phrase qu'il se proposait de jeter comme 
un défi à la face du prince Napoléon, en le montrant du 
doigt : 

« C'est dans ce cabinet qu'en face de l'épée du grand 
Condé, le duc d'Aumale écrivit cette brochure célèbre 
que vous avez tous lue et qui, sifflant comme un coup de 
cravache, est venue s'abattre sur la joue d'un homme 
que je n'ai pas à vous nommer ici (1). » 

Toute la vie de M. Estancelin témoigne de son esprit 
de résolution et de son énergie. On peut donc croire que 
cette phrase ne lui eût rien coûté, qu'il l'eût courageu- 
sement lancée, prêtàen accepter toutes les conséquences. 
Mais le prince Napoléon avait changé d'avis. Il ne vint 
pas à la séance, et la phrase ne fut pas dite, à la grande 
satisfaction de quelques amis de M. Estancelin, qu'il avait 
avertis de son projet. 

Au surplus, cette manifestation offensante n'était pas 
nécessaire pour grandir l'effet de son discours. Prononcé 
à la veille des événements qui allaient emporter les Bo- 
naparte et, à la suite de sanglantes défaites, les frapper 
de cet exil dont ils avaient maintenu et aggravé contre 
les d'Orléans les impitoyables rigueurs, ce discours, à 
vingt-sept ans de distance, apparaît comme un drama- 
tique prologue de la juste vengeance des dieux. Il 
apprenait au pays ce que valait cette réserve de princes 
proscrits qu'un malheur immérité avait séparés de lui et 

(1) Documents inédits : Note de M. Estancelin. 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 141 

qui brûlaient du désir d'être associés de nouveau à ses 
destinées. 

Personne ne s'était fait illusion sur l'issue de ce solen- 
nel débat, ni ceux qui l'avaient provoqué, ni ceux qui 
l'écoutèrent. Le ministre Emile OUivier prit la parole 
après M. Estancelin pour combattre les pétitions des 
princes et de leurs partisans. S'il eut été libre d^écouter 
sou cœur, sa générosité naturelle, la pitié que devait lui 
inspirer, à lui, fils d'un proscrit, les victimes d'une pro- 
scription non moins inique et non moins cruelle que celle 
dont son père avait souffert, il eut plaidé pour elles ; mais 
chef du ministère, il ne pouvait se déterminer par des 
raisons de sentiment. La fatalité de sa situation le con- 
damnait à défendre des lois arbitraires. Il invoqua la 
raison d'État. Les princes d'Orléans auraient beau dire 
et beau faire, ils étaient et seraient toujours des pré- 
tendants. Ils ne reconnaissaient pas les institutions 
actuelles de la France. L'avenir de ces institutions 
exigeait qu'ils ne rentrassent pas. Après tout, se trouvant 
dans une situation privilégiée, ils devaient en supporter 
les fatalités. Et le ministre, dont le discours témoignait 
d'un noble respect pour l'infortune des Bourbons, rap- 
pela cette parole de Berryer en 1848 : « Un Bourbon ne 
peut entrer en France que comme roi ou à la suite du 
roi. » 

Après une réplique de Jules Favre et diverses obser- 
vations présentées à droite et à gauche en faveur des 
princes, les pétitions, qui rencontrèrent devant elles les 
paroles acerbes de Jules Grévy, partisan des lois d'exil, 
furent repoussées par cent soixante-quatorze voix contre 
trente et une. On compta près de cent abstentions. La 
partie était perdue. Il n'en est pas moins vrai qu'il y 
avait quelque chose de changé dans l'Empire, puisque le 



142 LE DUC D'AUMALE. 

droit de la justice venait d'être proclamé contre le droit 
de la force. 

Le retentissement de la journée du 2 juillet fut con- 
sidérable. Les journaux du temps en conservent la 
preuve. L'un d'eux disait : « Le 2 juillet, si nous ne 
nous trompons, sera Tune des dates mémorables du 
régime actuel. Depuis vingt-deux ans, personne ne son- 
geait plus aux princes exilés; on les avait oubliés; on ne 
savait même plus leurs noms. Rentrés en France, ils 
auraient passé inaperçus au milieu de nous, comme de 
simples citoyens. Le vote des cent soixante et quatorze 
vient de les élever sur le pavois, de leur mettre au front 
une auréole. Le gouvernement et le Corps législatif 
viennent de les sacrer prétendants. » La dernière phrase 
était de trop. Elle dépassait la vérité. Il eût été plus juste 
de dire que les éloquentes et courageuses paroles pro- 
noncées à la tribune du Corps législatif, non moins que 
l'attention respectueuse qu'on leur avait prêtée et les 
émotions qu'elles éveillaient dans les âmes généreuses, 
prenaient, vu les circonstances, un caractère prophé- 
tique. Évidemment, on entrait dans des temps nouveaux. 
On put penser ce jour-là que, si le gouvernement impérial 
persévérait dans les dispositions libérales que manifes- 
tait le ministère OUivier, le retour des exilés s'imposerait 
dans un avenir rapproché. L'exil et la proscription ne 
sont guère compatibles avec un régime de liberté. On ne 
pouvait prévoir alors par suite de quels événements 
tragiques s'ouvriraient, à trois semaines de là, pour les 
princes d'Orléans les portes de la patrie. 

Ils se firent tous un devoir d'écrire à M. Estancelin, 
afin de lui exprimer leur reconnaissance. Le duc de 
Chartres le remerciait de l'avoir présenté au pays comme 
et un soldat». Quant au duc d'Aumale, il lui disait: 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 143 

a Mon noble et courageux ami, je viens de vous lire; 
j'ai les larmes aux yeux. Je vous remercie et je vous 
félicite. Vous vouliez remplir un devoir d'honnête 
homme et de fidèle ami : Dieu vous a inspiré et récom- 
pensé. Vous avez eu un succès, un très grand succès, 
non seulement de cœur, mais de talent. Vos belles 
paroles sont des semences qui porteront leurs fruits un 
jour. Je vous écris bien en hâte^ entre deux trains. Je 
serai à Wiesbaden, hôtel des Quatre-Saisons, jusqu'au 
19 et 20 juillet. Je vous embrasse du fond du cœur. — 
H. d'Orléans. (1) » 

Cette lettre est une des dernières que le duc d'Aumale 
ait datées de l'exil. C'est à Wiesbaden que le surprirent 
les préliminaires de la guerre. Il se hâta de rentrer à 
Twickenham, où ses frères et ses neveux l'attendaient. 
Ils avaient maintenant d'importantes résolutions à pren- 
dre; elles devaient être prises en commun. Quand ils les 
eurent arrêtées, trois d'entre eux, le prince de Joinville, 
le duc d'Aumale, le duc de Chartres, repassèrent la mer 
et vinrent s'installer à Bruxelles, où nous allons main- 
tenant les suivre. A ce moment de leur histoire, il est 
impossible de parler de l'un sans parler des deux autres. 
Pour saisir de quels mobiles ils s'inspiraient en ces 
circonstances, il ne suffit pas de se souvenir que tous les 
trois étaient soldats, que le prince de Joinville avait 
commandé une escadre, le duc d'Aumale l'armée d'Afri- 
que, que le duc de Chartres avait fait campagne en Italie 

(1) Il adressa aussi des lettres de remerciement aux députés qui 
avaient voté pour l'abrogation des lois d'exil. Voici celle que reçut 
le comte de la Sizeranne : 

« Nous avez, Monsieur, voté samedi selon votre conscience, et il 
n'est permis à personne de venir, après le scrutin, vous féliciter ou 
vous blâmer. Mais ceux auxquels vous vouliez, par votre vote, rendre 
le droit commun et rouvrir les portes de la patrie, ceux-là peuvent 
bien au moins vous dire : Merci, i 



144 LE DUC D'AUMALE. 

et aux États-Unis; il faut aussi se rappeler les pathé- 
tiques débuts de la guerre qui venait d'éclater entre la 
Prusse et la France. 

Après l'insignifiant engagement de Sarrebruck, que le 
gouvernement s'imagina de grossir parce que le prince 
impérial y avait vu le feu pour la première fois, surve- 
nait, le lendemain, cette incroyable affaire de Wissem- 
bourg, où une brigade de la division Abel Douay se laissa 
surprendre par l'ennemi qu'elle devait surveiller. Trois 
jours plus tard, à Frœschwiller, la première bataille 
livrée se transformait, pour nos armes, malgré d'héroï- 
ques efforts, en une sanglante défaite. Elle ouvrait aux 
Allemands la route de Paris. Les princes d'Orléans 
étaient arrivés à Bruxelles avec le formel dessein de 
demander à servir leur patrie, même sous le gouverne- 
ment impérial, si la guerre menaçait de mal tourner. 
Après Frœschwiller, il n'y avait plus à hésiter. C'est à ce 
moment, ou jamais, qu'ils devaient donner suite à leurs 
projets. 

Dès le 8 août, le prince de Joinville, qui avait appris à 
Spa, où il se trouvait pour quelques heures, ces tristes 
nouvelles, adressait à l'amiral Rigault de Genouilly, mi- 
nistre de la marine, le télégramme suivant : 

« En présence du danger de la patrie, je demande à 
l'Empereiu* d'être employé à n'importe quel titre à l'armée 
active, et à mon ancien camarade de m' aider à l'obtenir. 
— François d'Orléans. » 

Ce télégramme expédié, le prince rejoignait en toute 
hâte à Bruxelles son frère et son neveu. Ensemble, ils 
attendaient une réponse à cette première démarche. Au 
bout de vingt-quatre heures, ils se décidaient à la renou- 
veler. Le prince de Joinville confirmait par lettre au 
ministre de la marine son télégramme de la veille. Le 



LE lîROLOGUE DU RETOUR, 145 

duc d'Aumale, de son côté, écrivait au ministre de la 
guerre : 

(c Monsieur le ministre, vous venez d'appeler tous les 
Français à combattre pour la défense de la patrie. Je suis 
Français, soldat et valide. J'ai le grade de général de 
division. Je demande à être employé dans l'armée active, 
— Henri d'Orléans. » 

A l'exemple de ses oncles, le duc de Chartres formulait 
la môme sollicitation : 

Monsieur le ministre, comme Français, comme an- 
cien officier des guerres d'Italie et d'Amérique, j'ai 
l'honneur de vous demander un emploi à l'armée active. 
Mon vœu le plus ardent est de combattre pour la défense 
du sol de la patrie, fût-ce même comme simple volon- 
taire. — Robert d'Orléans. » 

Remises en des mains sûres, ces trois lettres parve- 
naient, le même soir, à Paris, à M. Edouard Rocher (1), 
l'homme de confiance des princes, l'ami des jours de joie 
et l'ami des jours de tristesse, le serviteur admirable en 
qui s'incarnaient depuis un quart de siècle et devaient 
s'incarner longtemps encore, cultivés à l'égal d'une rare 
et délicate vertu, un incomparable dévouement à la 
maison d'Orléans et la plus touchante fidélité à tous ceux 
qui portent ce nom glorieux. Les instructions données 
à M. Edouard Rocher étaient précises. Elles lui prescri- 
vaient de tenir la démarche des princes rigoureusement 
secrète, tant pour leurs amis que pour les journaux, 
aussi longtemps qu'il n'aurait pas reçu de réponse. Si la 
réponse était conforme à leurs désirs, ils se rendraient 
là où ils seraient envoyés. Si elle était négative ou si 
M. Edouard Rocher restait trois jours sans rien recevoir, 

(1) Documents inédits. Ces détails et ceux qui suivent sont tirés 
du Jovmal du comte d'Hausson ville. 

40 



146 , LE DUC D'AUMALE. 

il était autorisé à communiquer les lettres aux amis des 
princes et aux journaux, sans en demander et sans en 
interdire non plus la publication. 

A l'heure où elles lui arrivaient, il ne pouvait plus 
guère se faire illusion quant au sort qui leur était ré* 
serve. Il connaissait déjà l'accueil fait au télégramme 
envoyé de Spa par le prince de Join ville au ministre de 
la marine. En le recevant des mains de l'amiral Tou- 
chard, l'amiral Rigault de Genouilly en avait référé au 
conseil des ministres, lequel avait répondu que « cela était 
bien généreux de la part des princes, mais que les lois 
d'exil ne permettaient pas d'acquiescer à leur demande ». 
M. Edouard Bocher n'en était pas moins résolu à se 
conformer aux instructions qui lui avaient été données 
et à remettre les lettres à leur adresse. 

Quoiqu'il fût également décidé à les tenir secrètes 
durant trois jours, il ne crut pas cependant devoir en 
faire mystère au comte d'Haussonville, qui se présenta 
chez lui comme il les recevait. Le comte d'Haussonville, 
qui venait d'arriver à Copet, en Suisse, au moment de 
la déclaration de guerre, comptant y passer l'été, s'était 
hâté de rentrer à Paris en apprenant les premiers re- 
vers (1). A peine débarqué, il se rendait chez M. Edouard 
Bocher. Il le trouva livré à toutes les émotions que com- 
portaient les circonstances et la grave mission qu'il avait 
à remplir. Il en reçut de lui la confidence. Le comte 
d'Haussonville était aussi l'ami des princes. En toutes les 
circonstances critiques de leur exil, ils avaient eu recours 
à ses conseils. Sa proverbiale sincérité, sa droiture, ses 
allures franches et décidées, servies par une parole ori- 

(1) Il y arriva le 9 août, résolu à n'en plus partir. Il y paàsa tout 
le temps du siège, dont il a raconté les péripéties dans son Journal. 
Malgré son Âge, il entra volontairement dans la garde nationale. 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 147 

ginale et volontiers ironique, son libéralisme sans com- 
promis ni défaillance, sa grande expérience de la vie 
publique, sa science d'historien, le rang social qu'il occu- 
pait dans le pays et la considération dont il jouissait dans 
tous les partis, tout contribuait à faire de lui un conseiller 
précieux et utile, toujours bon à écouter. M. Edouard 
Bocher lui ayant communiqué les trois lettres princières, 
le comte d'Haussonville fut également d'avis qu'elles 
devaient être portées le même jour — c'était le 9 août 
— au ministre de la guerre. 

Il était dans la voiture de M. Edouard Bocher, quand 
celui-ci se rendit au ministère. Le général Decaen venait 
d'être remplacé par le général de Montauban, comte de 
Palikao, Il ne résidait plus à l'hôtel de la rue Sain^ 
Dominique, où son successeur n'était pas encore arrivé. 
M. Edouard Bocher fut reçu par l'un des officiers d'or- 
donnance du ministre démissionnaire, qui, très poliment, 
mais très positivement, refusa de prendre possession des 
lettres qu'on voulait lui laisser. Le comte de Palikao 
avait seul qualité pour les recevoir. Il fut convenu que 
M. Edouard Bocher les lui porterait. 

Le lendemain^ dès la première heure, le comte d'Haus- 
sonville se rendait chez M. Thiers, avec qui il était depuis 
longtemps lié. Pendant toute la durée de l'Empire et 
surtout dans les dernières années, l'ancien ministre de 
Louis-Philippe avait tenu dans le parti libéral une place 
considérable, à vrai dire la première. Il la devait à son 
passé, à son âge, à sa popularité , à son expérience et 
surtout aux importants et lumineux discours qui avaient 
marqué sa rentrée dans la vie publique. A cette heure, 
alors que, dès les premiers échecs de l'armée française, 
chacun avait pressenti que, s'ils se renouvelaient, la 
dynastie régnante ne résisterait pas au choc populaire. 



448 LE DUC D'AUMALE. 

M. Thiers seul conservait assez d'influence au dedans et 
au dehors pour prendre utilement la direction de ce gou- 
vernement anonyme dont, en prévision de la chute de 
l'Empereur, bien des gens considéraient déjà l'avène- 
ment comme certain. Par la force des choses, dans les 
ténèbres où la France menaçait de s'enfoncer, il com- 
mençait à apparaître comme un phare, tous les regards 
à se tourner vers lui. 

Depuis quelques jours, son salon ordinairement si fré- 
quenté ne désemplissait plus. Tout ce qui comptait dans 
le parti libéral, orléanistes et républicains, se faisait 
honneur d'y venir. Les nouvelles y affluaient. On les 
discutait, on en examinait la portée et les conséquences. 
Tel était alors le crédit du maître de la maison, qu'aux 
Tuileries, dans l'affolement qu'y causait le malheur de 
nos armes, on songeait à s'adresser à lui pour obtenir 
qu'il prît le pouvoir, comme s'il était homme à endos- 
ser la responsabilité d'une situation que non seulement 
il n'avait pas créée, mais dont, afin de le conjurer, il 
s'était maintes fois évertué à signaler les périls dans ses 
discours. 

Le comte d'Haussonville n'ignorait pas à quel point 
M. Thiers était mêlé aux événements. Il considérait qu'il 
importait de le tenir au courant de tout ce qui se passait, 
et encore qu'on ne lui en eût pas donné mandat, il avait 
voulu lui faire connaître l'attitude prise par les princes 
d'Orléans. Quand il arriva à l'hôtel de la place Saint- 
Georges, M. Thiers, en toilette du matin, se promenait 
dans son jardin avec M. Nefftzer, le directeur du journal 
le Temps. Au premier mot que lui dit le comte d'Hausson- 
ville touchant la démarche des princes, sa figure se con- 
tracta. Un haussement d'épaules acheva de traduire son 
mécontentement. Il entraîna dans son cabinet ses deux 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 149 

visiteurs. Là, donnant carrière à son irritation et s' adres- 
sant au comte d'Haussonville, il s'écria : 

« Il paraît que c'est ma destinée de prêcher toujours 
à tout le monde le bon sens et la bonne conduite et de 
n'être écouté de personne. Les princes ont mille fois tort, 
leurs amis les conseillent très mal. C'est funeste, c'est 
coupable de faire en ce moment une démarche qui va 
causer beaucoup d'ombrage et de compromettre, par suite 
de préoccupations personnelles , tous les efforts pénibles 
que je tente pour tirer notre pays d'une passe affreuse. » 

Il parla longtemps sur ce ton. Sa colère était manifeste 
et violente. « Il en avait une sourde contre moi, dit le 
comte d'Haussonville en retraçant cette scène, parce qu'il 
supposait que j'avais conseillé la démarche des princes et 
que je voulais savoir ce qu'il en pensait. » Il continuait à 
parcourir à pas rapides son cabinet, comme il avait cou- 
tume de faire quand il était agité. Le comte d'Hausson- 
ville l'écoutait sans l'interrompre, attendant l'occasion de 
placer son mot. M. Thierg s'étant arrêté, il lui répondit 
de ce ton bref, un peu cassant, qui était dans ses habi- 
tudes : 

« Est-ce que vous vous imaginez que je viens ici vous 
tàter le pouls, comme on dit vulgairement, de la part de 
ces personnes dont vous parlez avec tant de mauvaise 
humeur? Je n'accepte pas ces rôles-là. Si elles m'avaient 
chargé de vous dire quoi que ce soit de leur part^ je 
l'aurais fait tout uniment, en vous prévenant que je vous 
parlais de leur part. Il n'en est rien. J'ai été informé de 
ce qu'elles ont décidé de faire, de ce qui a déjà. été fait 
en leur nom, et j'ai cru devoir vous mettre au fait de cet 
incident, pour votre gouverne personnelle, entendez bien, 
et pour que vous soyez en mesure d'en penser et d'en 
dire, à l'occasion, ce que bon vous semblera, » 



150 LE DUC D*AUMALE. 

Après ce préambule, le prudent avocat des princes 
entreprit de défendre la démarche que leur reprochait 
M. Thiers. Quant à lui, il ne l'approuvait pas, pas plus 
qu'il n'avait approuvé, le mois précédent, leur protesta- 
tion contre les lois d'exil. Il leur en avait même démon- 
tré les inconvénients. Mais, s'il n'avait pas conseillé ces 
actes, il ne se croyait pas le droit de les juger sévère- 
ment. Il fallait pourtant savoir se mettre à la place des 
gens. L'exil était devenu odieux aux princes, « aux oncles 
aussi bien qu'aux neveux ». C'était bien aisé à dire, qu'ils 
devaient supporter les inconvénients de leur situation, 
après tout privilégiée. L'argument eût été compréhen- 
sible de la part de personnes qui se seraient considérées 
elles-mêmes comme liées vis-à-vis des membres d'une 
dynastie royale. Logiquement, les partisans de la branche 
ainée étaient en droit d'imposer une certaine ligne de 
conduite au comte de Chambord, parce qu'il pouvait à 
son tour leur en imposer une. Mais tout autres étaient 
les relations des libéraux avec les princes d'Orléans. 

« Nous avons gardé notre liberté d'action, disait le 
comte d'Haussonville ; il faut trouver simple qu'ils gardent 
aussi la leur. Ont-ils tort? Ont-ils raison d'agir comme ils 
font? Je n'en sais rien; l'avenir nous l'apprendra. Mais 
leur droit est entier... Vous supposez des habiletés, des 
manœuvres là où il y a surtout beaucoup de malaise, de 
souffrance... Les uns et les autres cèdent à un mouve- 
ment sincère, impétueux, je dirais presque involontaire, 
quand ils expriment l'envie de rentrer à tout prix en 
France. » 

M. Thiers avait gardé le silence pendant que le comte 
d'Haussonville s'abandonnait ainsi aux entraînements de 
son cœur, en présence de M. Nefftzer, seul témoin de ce 
débat* Il parut alors regretter sa vivacité. 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 151 

« J'ai été peut-être un peu vif dans mon langage, dit-il; 
mais tout ce qui se passe est si gros 1 La moindre démarche 
fausse pourrait faire tant de mal 1 » 

On se sépara en se promettant de se revoir souvent. 
M. Thiers prévoyait, comme tout le monde, le grand 
rôle auquel le destinaient les événements. Il s'y préparait 
et émettait à toute heure le désir de rester en communi- 
cation constante avec ses amis. Il voulait des témoins 
qui pourraient témoigner un jour de ses patriotiques 
efforts. Nul témoignage ne pouvait lui être plus précieux 
que celui du comte d'Haussonville , dont il avait apprécié 
la sagesse , la franchise , l'esprit de décision, la sponta- 
néité. Il lui disait : 

« C'est vous qui écrirez mes Mémoires. » 

A la môme heure, M. Edouard Bocher était reçu par le 
ministre de la guerre, comte de Palikao, et s'acquittait 
de son message. Au vu des lettres des princes qui lui 
étaient présentées par leur envoyé, le général « fit comme 
un bond d'effroi en arrière ». Il refusa, lui aussi, de les 
recevoir, et, quoi que pût lui dire M. Edouard Bocher, il 
persista dans son refus. Cependant, dans l'après-midi, 
un haut fonctionnaire du ministère, que la relation à 
laquelle nous empruntons ces détails ne nomme pas, vint, 
autorisé ou non, trouver M. Edouard Bocher. 

« Donnez-moi ces lettres, lui dit-il. Je me charge de 
les faire parvenir à leur adresse. » 

Il les emporta. M. Edouard Bocher en avait naturelle- 
ment gardé des copies. Convaincu de plus en plus que le 
gouvernement ne répondrait pas ou que, s'il répondait, 
la réponse serait négative , il était décidé, d'accord avec 
le comte d'Haussonville et conformément aux instructions 
des princes, à rendre publiques ces lettres si honorables 
pour eux. Le lendemain dans la matinée, le comte 



152 LE DUC D'AUMALE. 

d'Haussonville était chez M. Edouard Bocher pour régler 
avec lui les détails de la communication à faire aux amis 
et aux journaux, quand arriva de Bruxelles une nouvelle 
lettre signée du prince de Joinville. Elle a sa place dans 
le récit de ces incidents, si propres à mettre en lumière 
Tardent patriotisme de ces fils de France qui atten- 
daient, impatients, à la frontière, les armes qu'ils avaient 
demandées. 

« Je dévore les journaux, mon cher monsieur Bocher; 
ils ne m'apprennent rien de nouveau. Oq se prépare évi- 
demment, de part et d'autre, pour une lutte suprême. Nous 
avons encore de grandes ressources, car, après tout, il 
n'y a que le corps de Mac Mahon hors de service. Celui 
de Frossard a peu souffert et les autres sont intacts. Il 
y a en plus la rage de voir l'ennemi sur le territoire. Mais 
il faut être commandé. Le serons-nous? 

« Le bruit de Paris me fait horreur. Je ne comprends 
rien à la Chambre; je ne comprends pas qu'il se prononce 
un mot, qu'il se fasse un acte ayant un autre but que de 
venir en aide aux armées, seul espoir de la France aujour- 
d'hui. Quel que soit le gouvernement actuel, il vaut mieux, 
tant qu'on a chance de résister , que le provisoire , par le 
seul fait qu'il est organisé. Et si la résistance ne peut se 
prolonger, c'est lui seul qui doit avoir à subir la loi du 
vainqueur. Mais tout plutôt que cette alternative. 

« Je n'ai reçu aucune réponse à ma demande d'aller 
servir à l'armée sous l'empereur. J'attends avec une 
anxiété que vous comprendrez. Je viens de lire que les 
bourgeois de Wissembourg ont tiré sur l'ennemi pendant 
le combat. Les braves gens I Si tout le monde fait de 
même, si on réussit à mettre Paris en état de défense, si 
enfin notre brave armée trouve un chef pour la diriger, 
les efforts des Allemands viendront s'épuiser au centre 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 153 

de la France, et ils y trouveront leur Borodino. Rien n'est 
perdu, et je rêve encore un grand mouvement national 
par lequel la France rejettera l'ennemi de son sein. Les 
heures, les minutes sont précieuses, je ne vis plus... » 

Cette lettre complétait et commentait éloquemment 
celles qui étaient depuis la veille entre les mains des 
ministres. Il convenait d'en donner connaissance aux 
journaux en même temps que des autres. Le comte 
d'Haussonville offrit d'aller porter le tout dans les princi- 
pales rédactions, au Journal de Paris, au Temps, au Siècle 
et aux Débats, Il devait laisser partout copie des trois 
demandes. Quant à la dernière lettre du prince de Join- 
ville, il était seulement autorisé à en donner lecture à 
qui il jugerait bon. 

Au Journal de Paris ^ le directeur, M. Edouard Hervé, 
se déclara prêt à les publier, quelque danger qu'il pût 
courir. 

« Mais il vaudrait mieux être plusieurs pour risquer cela, 
observa-t-il. Voulez-vous que nous allions au Temps? » 

Au Temps, les choses furent vite arrangées au gré du 
prince, grâce à M. Nefftzer. Au Siècle, les rédacteurs 
politiques étaient absents. C'est à un rédacteur littéraire 
que le comte d'Haussonville exposa le but de sa visite 
et laissa les lettres. Aux Débats, ce fut autre chose. Le 
directeur, Edouard Bertin, remercia le comte d'Hausson- 
ville de sa communication. Mais il redoutait d'en faire 
usage avant que d'autres journaux lui eussent donné 
l'exemple. N'accusait- on pas déjà les Débats d'être le 
moniteur de l'orléanisme? 

« Nous les insérerons quand elles auront paru ail- 
leurs, promit-il. 

— J'y compte bien , répliqua malicieusement le comte 
d'Haussonville. Si vous étiez seul à ne les pas donner, il 



154 LE DUC D'AUMALE. 

y aurait là une sorte d'affectation qui pourrait vous com- 
promettre. » 

Tous les grands organes de la presse non inféodés au 
gouvernement se firent un honneur de ^ les publier le 
même soir, et le lendemain, les Débats^ qui paraissaient le 
matin, s'exécutèrent. Nul journal n'eût osé, quinze jours 
avant, se faire complice d'une manifestation aussi subver- 
sive et partant aussi dangereuse. Mais le régime impé- 
rial allait s'effondrant. On parlait presque ouvertement 
de sa chute prochaine. On ne le redoutait plus. 

L'affaire, au surplus, en resta là. Comme M. Edouard 
Bocher l'avait prévu, le gouvernement s'en tint à la 
réponse officieuse qu'il avait donnée au reçu du télé- 
gramme du prince de Joinville, par l'entremise de l'amiral 
Touchard. Il n'en restait pas moins à l'actif des d'Orléans 
qu'à la nouvelle des périls que courait leur pays, ils 
s'étaient offerts pour concourir à sa défense et servir 
« sous l'empereur » . 

Cet épisode émouvant eut, au surplus, un épilogue 
qui contribua singulièrement à le répandre. Au Corps 
législatif, durant la séance du 12 août, tandis que les 
lettres des princes donnaient lieu aux incidents qui 
viennent d'être racontés, on remit à M. Estancelin une 
enveloppe de laquelle il retira une copie de la dépêche 
du prince de Joinville au ministre de la marine. A ce 
même moment, l'amiral Rigault de Genouilly était à la 
tribune. 

M. Estancelin s'approcha de M. Thiers, assis à son 
banc, et lui communiqua le papier qu'il avait reçu. 
M. Thiers le lut et le rendit en disant : 

« C'est absurde, ça n'a pas le sens commun. Ne vous 
en mêlez pas. » 

Pour toute réponse, M. Estancelin demanda la parole. 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 155 

et s' élançant à la tribune d'où l'amiral descendait au 
milieu des applaudissements : 

« Messieurs, dit-il, les applaudissements par lesquels 
vous venez d'accueillir les paroles si patriotiques de M. le 
ministre de la marine me donnent l'espoir que vous vous 
associerez à l'esprit et aux sentiments de la dépêche sui- 
vante, que je viens de recevoir et dont je vais donner con- 
naissance à la Chambre. Elle est adressée au ministre de 
la marine. » 

Et il lut ce télégramme, qui témoignait, dans sa conci- 
sion, du patriotisme de celui qui l'avait signé. Il n'avait 
pas encore achevé ni pu lire la signature que des appro- 
bations s'élevaient de toutes parts. Alors il prononça le 
nom du prince de Joinville, qui fut accueilli par des mur- 
mures et détermina la plus vive agitation. 

« Messieurs, continua l'orateur, des lettres à peu près 
semblables ont été adressées par les autres princes aux 
ministres de l'intérieur et de la marine. En conséquence, 
j'ai l'honneur de déposer la proposition suivante : « La 
« loi de bannissement contre les princes d'Orléans, votée 
« le 20 mai 1848 estrapportée. » Et dans le tapage que pro- 
voquait ses paroles, il ajouta : « Ce n'est pas une ques- 
tion dynastique, c'est une question civique. » Les pro- 
testations redoublaient. De sa place, Gambetta cria : « Ce 
qui prouve, messieurs, qu'il faut faire une guerre répu- 
blicaine et civique (1). » 

La proposition ne fut pas même mise aux voix. Mais 
Feffet était produit. Quelques minutes plus tard, dans 
les couloirs du Palais-Bourbon, M. Thiers apostrophait 
M. Estancelin : 

« Ce que vous venez de faire est insensé. Je le dirai ; 

(1) Officiel du 13 août. 



456 LE DUC D*AUMALE. 

je veux qu'on sache que je ne suis pour rien dans tout 
cela. 

— Je n'ai de conseils à recevoir de personne, répliqua 
M. Estancelin. Je fais ce qui me convient. » 

Quelques jours plus tard, M. Thiers, qui devenait de 
plus en plus le point de mire et le conseiller du parti libé 
rai, avouait au comte d'Haussonville que des négociants 
de Paris d'opinions très diverses étaient venus lui décla- 
rer qu'ils étaient prêts à se battre et à se faire tuer, mais 
qu'ils ne voulaient pas que ce fût au profit de l'Empire. 
Ils avaient ajouté qu'ils étaient les uns monarchistes, les 
autres républicains, mais qu'ils accepteraient la branche 
d'Orléans si lui-même croyait qu'il fallût faire appel aux 
princes de cette famille. 

« Toute la bourgeoisie de Paris, disaient-ils, est dans 
ces dispositions. » 

Peut-être M. Thiers se trouvait-il sous l'impression de 
ces démarches, lorsque, dans la seconde quinzaine d'août, 
il chargea le vicomte d'Haussonville de faire à son père 
une ouverture très inattendue et que ne pouvait laisser 
prévoir la colère qu'il avait ressentie en apprenant que 
les princes d'Orléans demandaient à entrer dans l'armée. 

« Je n'ai pas approuvé leurs dernières démarches, 
dit-iL Suivant moi, elles étaient inutiles, et tout ce qui 
est inutile est nuisible. Mais il serait également fâcheux 
pour eux de négliger l'occasion favorable qui peut-être 
se présente aujourd'hui. L'idée d'un gouvernement ano- 
nyme est celle qui rallie à présent le plus de monde. 
Cependant l'envie de se débarrasser de la dynastie impé- 
riale est si grande que, peut-être, à un moment donné, 
elle fera tourner les yeux du côté des d'Orléans. Il ne fau- 
drait pas qu'à ce moment on ne les trouvât pas sous la 
main. Beaucoup de personnes me parlent d'eux. Une idée 



LE UROLOGUE DU RETOUR. 457 

m'a traversé que je voudrais leur faire transmettre, mais 
non point par les complaisants de leur entourage, qui 
bâtiraient là-dessus des espérances peu raisonnables. 
Est-ce que le prince de Joinville, le duc d'Aumale, le duc 
de Chartres, ne pourraient pas lever un corps franc, en 
prendre le commandement, et venir guerroyer sur les 
flancs de notre armée? Il n'y a pas un préfet ni un gé- 
néral qui oserait les faire arrêter. Quand ils auraient fait 
brillamment le coup de fusil, les soldats français fini- 
raient par se dire les uns aux autres : « Vous savez qui 
est là, c'est le duc d'Aumale. » Bien entendu, ce n'est 
pas un conseil positif que je donne. C'est une possibilité 
que j'entrevois, et, cherchant tout ce qui pourrait utile- 
ment être fait pour mon pays, je me crois obligé par con- 
science d'indiquer les diverses chances de salut qui s'of- 
frent à mon esprit. Mais ce que je désire surtout, c'est 
que ma pensée ne soit traduite aux princes qu'avec beau- 
coup de prudence et avec toutes les restrictions dont je 
l'entoure. 

Venant de .M. Thiers, la communication avait son im- 
portance et son intérêt. Le comte d'Haussonville jugea 
qu'elle devait être transmise aux princes. Il s'empressa 
de la leur faire tenir à Bruxelles, où ils s'étaient établis 
en permanence pour être plus à portée des nouvelles de 
Paris et de celles du théâtre de la guerre. 

Le conseil qui leur était donné les étonna plus qu'il ne 
les séduisit, non qu'ils le jugeassent absolument inexé- 
cutable, mais parce qu'il les exposait, quoi qu'en eût dit 
M. Thiers, à être mis hors la loi par le gouvernement 
français et à devenir des artisans de guerre civile en pré- 
sence de l'ennemi. C'est au grand jour, dans les rangs de 
l'armée, qu'ils voulaient servir et défendre leur pays. Ils 
espéraient, d'ailleurs, le faire bientôt, en dépit de tous 



158 LE DUC D'AUMALE. 

les obstacles. La chute du régime impérial devenait de 
plus en plus probable. Dans leur pensée, l'abrogation 
des lois d'exil serait la conséquence naturelle de Tévéne- 
ment. Ils pourraient alors rentrer dans leur patrie et rem- 
plir leurs devoirs de citoyens et de soldats. Ils restèrent 
donc dans l'attente, guettant l'occasion propice pour 
donner suite à leurs desseins. 

Pendant ce temps, sur le théâtre de la guerre, se suc- 
cédaient d'émouvantes péripéties dont le contre-coup se 
faisait sentir dans Paris, où la population en prenait con- 
naissance, frémissante et exaspérée, au milieu des pré- 
paratifs du siège qui, maintenant, semblait inévitable. 
La capitulation de Sedan, connue dans la capitale le 
3 septembre, fit éclater la crise qui, depuis un mois, s'an- 
nonçait. La journée du lendemain est une des grandes 
dates de notre histoire, la date de l'effondrement du ré- 
gime impérial. Ce même jour, alors que le Corps légis- 
latif allait être saisi d'une proposition de déchéance, le 
comte d'Hausson ville étant venu chez M. Thiers, celui-ci, 
de nouveau, lui parla des princes d'Orléans. 

« Que vont-ils faire? lui demanda-t-il. 

— Je n'en sais rien, répondit le comte d'Haussonville. 
Je m'imagine que si vous décrétez un gouvernement ano- 
nyme, ils viendront aussitôt s'offrir à lui pour combattre 
l'étranger. 

— Cela sera gênant, très gênant ! s'écria M. Thiers. 
Comprenez-moi; au fond, je désire que cela tourne pour 
eux, mais, pas à présent, pas tout de suite; il faut abso- 
lument, pour je ne sais combien de temps, le terraia 
neutre. » 

Le comte d'Haussonville en tomba d'accord avec son 
interlocuteur. Mais restait pour les princes le droit de 
faire, comme citoyens, comme Français, comme mili- 



LE PROLOGUE DU RETOUR, 159 

taîres, ce qu'ils jugeaient être leur devoir, « ou si vous 
voulez, rectifia-t-il, ce qu'ils pensent être de leur inté- 
rêt, quoique je les croie plus portés à se déterminer par 
le sentiment du devoir qu'en vue de leur intérêt » . Il pen- 
sait que M. Thiers n'avait pas de conseil à leur donner et 
qu'eux-mêmes n'avaient pas à lui en demander. 

« Certainement, il importe que vous puissiez dire en 
toute vérité, à tout le monde, particulièrement au parti 
avancé, que vous avez été étranger à leur résolution, 
quelle qu'elle soit. Làissez-les donc faire ce que leur esprit 
et leur cœur leur dicteront. 

— Oui, laissons faire, conclut M. Thiers. Mais je crois 
que leur retour en ce moment serait très fâcheux. » 

On ne saurait contester qu'il fut sincère en tenant ce 
langage. Ses objections avaient leur source dans des rai- 
sons dont sa conduite ultérieure permet de mettre en 
doute le désintéressement, mais que l'attitude des hommes 
de désordre qui s'agitaient, à la même heure, dans Paris ne 
justifiait que trop. Soit qu'il redoutât que le retour des 
princes d'Orléans ne devînt le prétexte de manifestations 
dangereuses, soit que, ambitionnant le pouvoir et certain 
qu'à, un jour prochain on le lui offrirait, il craignît de 
trouver parmi eux un compétiteur, il se prononçait contre 
leur rentrée avec d'autant plus de vivacité que la situa- 
tion se présentait de plus en plus confuse et troublée. 
Mais les princes ne pouvaient se déterminer par des 
motifs analogues. 

Depuis que la guerre avait éclaté, ils ne se tenaient 
plus. Paris les attirait invinciblement. S'ils avaient dompté 
jusque-là la tentation d'y venir, elle devenait trop puis- 
sante, après la chute du gouvernement impérial, pour 
qu'il leur fût possible d'y résister plus longtemps, malgré 
l'opinion contraire de M. Thiers qui leur avait été trans- 



160 LE DUC D'AUMALE. 

mise. Comme iie cessait de le répéter le comte d'Haus-? 
sonville, ils étaient à bout de résignation. C'était leur 
rêve « de faire brèche dans la barrière qui les retenait 
hors de leur pays » . Au mois de juillet, ils avaient pro- 
testé contre les lois d'exil; au mois d'août, à l'entrée des 
Prussien» sur le territoire, ils avaient publiquement offert 
de venir se battre sous les ordres de l'empereur. Cette 
double démarche ayant été généralement approuvée, ils 
étaient conséquents avec eux-mêmes si, de la même ma-^ 
nière, par les mêmes raisons, avec bien plus d'opportu- 
nité, puisque le péril du pays était devenu plus grand, ils 
venaient offrir de combattre les Prussiens sous les ordres 
du gouvernement de la Défense nationale. 

Telles étaient leurs dispositions au moment où ils 
apprenaient la capitulation de Sedan. Durant la journée 
du 3 septembre, alors que cette sinistre nouvelle venait 
d'arriver à Bruxelles et qu'on n'en connaissait que ce 
qu'en disaient les premières dépêches, le duc d'Aumale, 
le prince de Join ville et le duc de Chartres, qui résidaient 
à l'Hôtel de Flandre étaient réunis vers la fin de l'après- 
midi dans une chambre de leur appartement au premier 
étage. Parla croisée ouverte, le prince de Joinville regar- 
dait au dehors, causant avec M. Auguste Laugel (1), secré- 
taire de son frère, quand son regard fut attiré par deux 



(1) M. Auguste Laugel, après avoir longtemps rempli auprès du 
duc d'Aumale, en quelque sorte en ami plus encore qu'en subor- 
donné, des fonctions de confiance, les délaissa pour des motifs 
tirés de ses convenances personnelles. Mais le prince résidant alors 
en France, les relations ne se ralentirent pas, et leur caractère, si 
flatteur pour M. Laugel, ne fut pas altéré. Elles restèrent ce qu'elles 
avaient été pendant tant d'années. On peut donc affirmer que nul 
n'a pu mieux que lui connaître le prince qui l'aimait pour son grand 
dévouement, son tact, sa discrétion, et aussi pour sa science et son 
talent littéraire. Son nom figure parmi ceux des exécuteurs testa- 
mentaires du duc d'Aumale. 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 161 

piétons qui traversaient la place, avec l'air fatigué de 
voyageurs qui viennent de faire une longue route. 

« Je reconnais Fun d'eux, dit-il. C'est M. Antonin 
Proust, un journaliste français. On me l'a présenté à 
Spa, voici quinze jours. 

— L'autre est M. Jules Claretie, reprit M. Laugel. 

— Appelez-les donc, reprit le prince de Joinville. Peut- 
être arrivent-ils de Sedan et par eux aurons-nous des 
nouvelles. » 

M. Laugel se précipita, tête nue sur la place, et 
rejoignit les deux Français, Ils avaient débarqué ensem- 
ble à Bruxelles, revenant, l'un, M. Antonin Proust, de 
Bouillon, l'autre, M. Jules Claretie, de Sedan. Ils se 
rendaient à VHdtel de Bellevue^ où leur logement était 
retenu, pressés de secouer la poussière de leur voyage 
afin d'aller dîner ensuite chez Victor Hugo. L'illustre 
poète habitait encore Bruxelles et y attendait l'écroule- 
ment déjà prévu de l'Empire pour rentrer en France. 

En apprenant que trois princes d'Orléans étaient à 
Bruxelles et désiraient s'entretenir avec eux, MM. Jules 
Claretie et Antonin Proust s'empressèrent de se rendre 
àcet appel. Ils suivirent M. Laugel, qui les conduisit dans 
la chambre qu'il venait de quitter et où ils étaient atten- 
dus. Interrogés par le duc d'Aumale, après que les pré- 
sentations eurent été faites, ils racontèrent ce qu'ils 
avaient vu et entendu. Le prince de Joinville et le duc 
de Chartres se tenaient assis, l'oreille attentive. Le duc 
d'Aumale, debout, accoudé à la cheminée, écoutait, grave, 
nerveux, l'œil assombri. M. Jules Claretie ayant dit qu'on 
avait emporté sous ses yeux le général Margueritte, le 
prince, par deux fois, murmura : o Mon pauvre Mar- 
gueritte I mon pauvre Margueritte I » 

Puis il interrogea aussi, comme s'il eût voulu se con- 



462 , LE DUC D'AUMALE. 

vaincre que ce n'était pas l'armée qu'il fallait accuser, 
mais le gouvernement, dont la négligence, l'impéritie, 
l'imprévoyance avaient laissé venir cette guerre sans 
l'avoir préparée et qui, par des plans conçus à la hâte, 
sous l'empire de préoccupations dynastiques, venait d'im- 
poser à la France la honte du plus humiliant revers. 

Quand ses deux interlocuteurs eurent épuisé ce qu'ils 
avaient à dire, le duc d'Aumale prit la parole. Les mains 
dans ses poches, arpentant la chambre, il parlait main- 
tenant des ressources qui pouvaient rester encore à la 
patrie après ce désastre. Il en parlait en homme qui a 
fait une étude approfondie du théâtre de la guerre, des 
forces de l'ennemi, des effectifs mobilisés ou mobilisa- 
bles qu'on pouvait lui opposer, de leur valeur, de celle 
des chefs, des approvisionnements, en un mot, des moyens 
d'action que le vaincu avait encore à déployer contre le 
vainqueur. Les campagnes de la Révolution, citées en 
passant, lui fournissaient des exemples. Il considérait 
que tous les efforts de la défense devaient se concentrer 
sur Paris. Quant aux généraux à mettre à la tête des 
troupes, il en était peu qui lui inspirassent confiance. 
Cependant, il nomma Ladmirault, dont il avait apprécié 
les mérites en Algérie. Il ne connaissait pas Trochu, ou 
le connaissait peu. Il ne s'en souvenait que pour l'avoir 
vu jadis dans l' état-major du maréchal Bugeaud. 

Il s'expliquait ainsi sur tout et sur tous avec une com- 
pétence, une science militaire, une clairvoyance dont 
ses auditeurs restèrent profondément impressionnés. 11 
récriminait peu sur le passé. Il semblait ne songer qu'aux 
périls du lendemain. Il n'y eut dans ses propos aucune 
allusion au désir qu'on pouvait logiquement lui supposer, 
ainsi qu'à son frère et à son neveu, d'obtenir un comman- 
dementj de jouer un rôle. Il ne pensait ni à lui, ni à eux; 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 163 

il ne pensait qu'à la France. Ses interlocuteurs ayant 
donné à entendre, d'après des nouvelles qu'ils venaient 
de recevoir, qu'une révolution était imminente à Paris, 
que peut-être elle était accomplie déjà, les princes ne 
sourcillèrent pas et ne trahirent ni d'un mot, ni d'un 
geste, qu'ils attendaient ce moment pour se diriger vers 
Paris (1). 

Le duc d'Aumale reprit ensuite : 

« Comment durant tant d'années le peuple Français 
a-t-il pu supporter l'empire? Un peuple qui a fait 89, qui a 
fait 92, qui a fait 1830! » Et sans altération ni défaillance 
dans la voix, il acheva : « qui a fait 1848. » 

Quant au duc de Chartres, qu'avait excité cet entre- 
tien, il ramena les visiteurs jusque sur la place devant la 
statue de Godefroy de Bouillon, et là, au moment de se 
séparer d'eux, il dit : 

« Moi, je veux me battre. Je ne suis pas un pré- 
tendant, je suis Français; je suis soldat; je veux me 
battre (2). » 

Ainsi leur parti était déjà pris. Lorsque arriva, le 
lendemain, la nouvelle de la chute de l'Empire, encore 
qu'ils n'eussent pas souhaité cette révolution en présence 
de l'ennemi, ils se tenaient prêts à partir. L'heure qu'ils 
prévoyaient et attendaient sonnait enfin. La France 
maintenant s'ouvrait devant eux; il eût été au-dessus 
de leurs forces de renoncer à y entrer. 

Leur décision, M. Thiers la prévoyait et s'en inquié- 
tait. Le 5 septembre, à une réunion qui eut lieu chez lui 
et à laquelle assistait le comte d'Haussonville, ses préoc- 
cupations se trahirent une fois de plus et de nouveau 
donnèrent lieu à une scène d'une extrême vivacité. Quel- 

(4) Récits de MM. Jules Glaretie et Antonin Proust. 
(2) Récit de M. Jules Glaretie. 



164 LE DUC D'AUMALE. 

qu'un ayant demandé s'il y avait des nouvelles de Lon* 
dres, si les princes songeaient à se montrer en France, 
et ayant observé que « ce serait bien le moment », 
M. Thiers, en entendant leur nom, ne put se maîtriser : 

« Quoi! ils penseraient à venir à cette heure? fit-il. 
Mais ce serait absurde, ce serait coupable. C'est nous 
jeter en plein dans la guerre civile. Mon Dieu! tout cela 
finira probablement par eux, je le prévois et je le souhaite. 
Mais, actuellement, il faut se rallier au gouvernement de 
la République, et non lui créer des embarras. Voyez 
l'effet de la présence des d'Orléans à Paris : les légiti- 
mistes deviendront ombrageux; les républicains crieront 
à la trahison du Comité de la Défense nationale, et les 
cinquante mille faubouriens s'apprêteront à tirer sur les 
partisans des princes au lieu de tirer sur les Prussiens 
du haut des remparts. » 

Il s'échauffait et s'exaltait. Il y avait là, indépendam- 
ment du comte d'Haussonville, des hommes considé- 
rables, ses amis, ses familiers : Odilon Barrot, Nefftzer, 
ChamboUe, Daulnoy, gendre de M. Asseline secrétaire 
des commandements du comte de Paris. Il les interpel- 
lait, et si, tandis qu'il parlait, entraient de nouveaux 
venus, il recommençait pour eux son discours, les dévi- 
sageant, s'adressant à eux, quémandant leur approba- 
tion. Ahl l'on parlait de la venue des princes! Il ne 
voulait pas de surprises ni d'ambiguïté de conduite. Il 
fallait convoquer sur-le-champ Rémusat, Bocher, Pisca- 
tory, Roger. Il entendait s'expliquer devant eux comme 
il s'expliquerait devant le public... Il dirait tout haut ce 
qu'il pensait de cette démarche des princes (1). 

(1) « Je dirai à tout le monde, je veux qu'on le sache », étaient 
des mots qu'il répétait sans cesse. Dans la matinée du 4 septembre, 
le duc de Broglie, qui entretenait encore avec lui des relations de 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 165 

a S'ils poursuivent, dans les circonstances oîi nous 
sommes, un but égoïste, j'en penserai et j'en dirai ce que 
je pense et ce que je dis des Bonaparte. Comment I je 
me serai exténué à parer au jour le jour au danger d'une 
affreuse situation, j'aurai usé mes forces à préserver 
notre pays des dernières calamités, et l'on viendra me 
jeter de pareils bâtons dans les jambes! On ne le fera 
point sans que je proteste. N'ai-je pas raison, monsieur 
Barrot, cent fois raison ? » 

Interpellant ensuite M. Daulnoy, qu'il savait en rela- 
tions constantes avec les princes, il reprit : 

« Entendez bien, monsieur, ce que je viens de dire, 
et faites-le savoir à qui de droit. » 

M. Daulnoy ayant timidement hasardé quelques obser- 
vations, ce fut de la part de M. Thiers une nouvelle 
explosion de colère accompagnée de gestes de désespoir. 

confiance, vint lui dire combien il regrettait de voir quelques-uns 
de leurs amis pousser en ce moment à la chute de l'Empire. Il consi- 
dérait qu'une révolution en de telles circonstances n'aurait rien de 
très digne, ne nous grandirait pas aux jeux de l'Europe, et que 
mieux vaudrait l'éviter. 

M. Thiers déclara que tel était son avis, et qu'il comptait bien 
monter à la tribune pour tenter de conjurer un tel dénouement. 

« Venez à la Chambre aujourd'hui, ajouta-t-il, et vous verrez que 
je pense comme vous. » 

La Chambre fut envahie le même jour, la déchéance du gouver- 
nement prononcée. Le duc de Broglie revit M. Thiers le lendemain. 
Loin d'entendre le même langage que la veille, il n'eut à enre- 
gistrer que la joyeuse satisfaction qu'éprouvait le futur président de 
la République. 11 se félicitait du changement de régime. C'est alors 
que le nom des princes d'Orléans ayant été prononcé, M. Thiers 
s'emporta et revint à sa locution favorite : 

t Je réunirai mes amis; je dirai devant eux ce que je pense de la 
conduite des princes... Il faut qu'on le sache. » En même temps, il 
se tournait vers le duc de Broglie, et, se rappelant ses classiques, il 
lui dit : « ... Vous y serez, ma fille I » 

M. de Broglie se retira, et, quelques instants après, eut lieu la 
scène avec MM. d'Haussonville, Barrot, Neftzer, etc. — Récit du duc 
de Broglie. 



166 LE DUC D'AUMALE. 

Personne ne soufflait mot. Alors le comte d'Hausson ville 
essaya de mettre un terme à cette virulente sortie. Il 
convint que les raisons qu'avait développées M. Thiers 
étaient graves. Venant de lui, en un tel moment, elles 
devaient peser d'un grand poids sur les déterminations 
des princes. Il se pouvait cependant qu'ils se crussent 
obligés à ne pas s'y conformer. Et le comte d'Hausson- 
ville reproduisit en leur faveur l'argumentation qu'il 
avait déjà fait valoir dans ses précédents entretiens avec 
M. Thiers. 

« Vous ne voulez voir que l'effet politique de leur 
démarche, ses inconvénients, ses dangers^, que je ne 
méconnais pas, quoique peut-être vous les exagériez un 
peu. Mais considérez aussi les motifs qui poussent les 
princes. Ils sont moins égoïstes, moins personnels, 
moins politiques, beaucoup plus sincères que vous ne 
pensez... Vous avez connu leur père, le roi Louis-Phi- 
lippe, quand il était déjà âgé, devenu un peu sceptique. 
Songez à ce qu'il était à vingt ans, aux jours de Jem- 
mapes et de Fleurus. Souvenez-vous du duc d'Orléans, 
des termes de son testament. Rappelez-vous aussi la 
duchesse d'Orléans. Les pères et les fils sont éminem- 
ment Français, Français jusqu'au bout des ongles. On 
se bat pour repousser l'ennemi. A toute force, ils veulent 
en être, comme nous le voudrions tous si nous avions 
leur position et leur âge. C'est leur droit, c'est presque 
leur devoir. » 

Mais vainement le comte d'Haussonville s'évertuait à 
convaincre M. Thiers, à lui faire partager son opinion. 
Il prêchait dans le désert. Comme il émettait l'idée que 
très vraisemblablement, au moment où il parlait, les 
princes étaient en route pour Paris, M. Thiers se récria. 
Il ne voulait pas admettre qu'ils pussent arriver d'un 



LE PROLOGUE DU RETOUR. 167 

moment à l'autre, comme le supposait le comte d'Haus- 
sonville. Alors celui-ci suggéra Tidée d'envoyer au-devant 
d'eux, en Belgique, quelqu'un de leurs amis, un homme 
sûr, qui leur ferait connaître la manière de voir de 
M. Thiers. Il désigna même le comte de Jarnac, M. Daul- 
noy et M. Pougny, comme éminemment propres à cette 
mission de confiance. M. Thiers accepta la proposition, 
et, finalement, il fut décidé que deux de ces messieurs 
partiraient aussitôt, afin d'arrêter en chemin les trois 
princes, dont l'arrivée à Paris lui semblait si dangereuse. 

Le comte d'Haussonville, dont le journal nous a permis 
de reconstituer le récit de ces curieux incidents, raconte 
que le même soir, s'étant couché tôt, il dormait, lorsque, 
à onze heures, M. Edouard Bocher se fit annoncer chez 
lui et, entrant dans sa chambre, le réveilla en lui disant : 

« Us sont ici ! » 

Et après lui avoir donné cette nouvelle, il ajouta : 

« Réfléchissez à ce qu'il serait bon pour eux de faire 
ou d'écrire. Je viendrai vous chercher demain de bonne 
heure. Ils désirent vous voir. » 



CHAPITRE V 

LA PATRIE ENTREVUE 

De Bruxelles à Paris. — Arrivée des princes d'Orléans. — Le duc 
d'Aumale et le comte d'Haussonville. — Visite à Jules Favre et à 
ïrochu. — Le préfet de police. — Patriotique résolution des 
princes. — Ils exigent des passeports. — Promenade nocturne du 
duc de Chartres. — Mauvaise humeur de M. Thiers. — Le prince 
de Joinville à l'armée. — L'épopée de Robert le Fort. — Un mot 
du duc d'Aumale. — Le général Bourbaki à Londres. — Opinion 
du duc d'Aumale sur Bazaine. 

Le duc d'Aumale, le prince de Joinville et le duc de 
Chartres avaient quitté Bruxelles dans la matinée du 
5 septembre pour se rendre à Paris. M. Auguste Laugel 
les accompagnait ; c'est chez lui qu'ils devaient prendre 
domicile en arrivant. Leur départ réalisait les prévisions 
du comte d'Haussonville. En apprenant la chute du gou- 
vernement impérial, ils avaient entrevu sur l'heure le 
devoir que leur imposait cet événement. Soucieux de 
tout tenter pour l'accomplir, considérant que les lois 
d'exil disparaissaient avec le régime qui les avait dé- 
crétées, ils s'étaient mis en route sans même se préoc- 
cuper de savoir comment ils seraient accueillis. 

Dans le train qui les ramenait en France se trou- 
vait un autre exilé, Victor Hugo. Lui aussi retournait à 
Paris, après avoir, durant dix-huit ans, vécu proscrit. Sa 
famille était avec lui. MM. Jules Claretie et Antonin 



LA PATRIE ENTREVUE. 169 

Proust avaient pris place dans le compartiment qu'il 
occupait (1). II ne semble pas qu'il ait été ému ni surpris 
que ces fils de roi osassent reprendre le chemin de leur 
pays au moment où l'insurrection venait d'y proclamer 
la République. Il n'ignorait pas avec quelle douloureuse 
impatience ils supportaient l'exil. Outre qu'il pouvait 
juger de leurs sentiments par les siens, peu de temps 
avant, allant de Guemesey à Ostende, il avait rencontré 
sur le navire le prince de Join ville. Le prince s'était 
présenté à lui et n'avait pas caché de quel ardent désir 
de revenir dans sa patrie il était obsédé (2). 

Victor Hugo ne témoigna donc d'aucune surprise en 
apprenant que les fils et le petit-fils de Louis-Philippe 
voyageaient dans le même train que lui. En revanche, il 
y trouva prétexte pour parler aux personnes qui l'entou- 
raient de ses anciennes relations avec la famille d'Or- 
léans, quand il était pair de France, de ses rencontres en 
Angleterre avec le duc d'Aumale, de la bonté de la reine 
Marie-Amélie, de l'accueil qu'elle lui faisait et du plaisir 
qu'elle semblait prendre à lui prouver, en lui récjlaiit ses 
vers, qu'elle les savait par cœur, attention délicate et 
flatteuse dont il ressentait encore un certain orgueil. 

(4) Je n'ai pu tirer au clair la question de savoir si les princes 
connurent cette circonstance. Il y a contradiction entre les souve- 
nirs auxquels j'ai recouru pour m'en assurer. D'après certains de 
ces souvenirs, le train qui ramenait les princes à Paris n'était pas 
celui qui ramena Victor Hugo. J'ai adopté la version contraire, cer- 
tifiée par MM. Jules Glaretie et Antonin Proust, parce qu'elle m'a 
paru s'appuyer sur une certitude absolue. 

(2) Victor Hugo racontait que, durant la traversée, comme on pas- 
sait en vue des côtes de France, le prince de Joinville s'écria : 

« Oh! j'espère bien remettre un jour le pied sur ce sol sacré. 

— Le pied, oui, monseigneur, mais pas la main », aurait répliqué 
Victor Hugo. 

Je suis tenté de croire que l'illustre poète se vantait. Pareil mot 
au prince de Joinville, après la noble conduite qu'avaient tenue, 
en 4848, le duc d'Aumale et lui, n'eût été qu'une impertinence. 



170 LE DUC D'AUMALE. 

A la station de Landrecies attendaient quelques cen- 
taines de soldats, hâves, fatigués, les vêtements pou- 
dreux et en désordre. Ils appartenaient au corps du 
général Vinoy et rentraient en hâte à Paris. Le duc d'Au- 
male, le prince de Joinville et le duc de Chartres eurent 
le cœur serré en relevant à divers traits le décourage- 
ment de ces hommes accablés et démoralisés. Ils sem- 
blaient mûrs pour d'autres défaites. Les wagons dans 
lesquels ils étaient montés furent attachés au train qui 
ramenait les princes et Victor Hugo. 

Vers la fin de l'après-midi, les princes arrivaient chez 
M. Auguste Laugel, rue de la Ville-l'Évéque, mandaient 
aussitôt M. Edouard Bocher et le chargeaient d'inviter 
le comte d'Haussonville à se rendre auprès d'eux. Le 
prince de Joinville était allé s'installer chez un ecclésias- 
tique de ses amis. Le duc d'Aumale et le duc de Chartres 
passèrent la soirée et la nuit chez M. Laugel, renonçant 
à la joie de se promener dans Paris, de peur d'être recon- 
nus et de devenir pour le gouvernement de la Défense 
nationale un embarras ou un danger, poussant le scru- 
pule jusqu'à s'abstenir d'aller serrer la main à leurs plus 
intimes amis (1). 

Le 6 septembre, dès le matin, le comte d'Hausson- 
ville, conduit par M. Edouard Bocher, vint les trouver. 
Il y eut beaucoup d'émotion de part et d'autre. Combien 
poignantes et douloureuses pour des cœurs de patriotes 
les circonstances en lesquelles on se retrouvait! On 
s'embrassa ; d'amicales poignées de main furent échan- 
gées. Puis, de ce ton résolu que connaissaient bien ses 



(1) Je continue à suivre, pour le récit de ce premier séjour des 
princes à Paris, la relation manuscrite du comte d'Haussonville, 
complétée par les renseignements que m'ont fournis M. Estancelin 
et le comte de Kératry, qui était alors préfet de police. 



LA PATRIE ENTREVUE. 171 

compagnons d'Afrique et qui caractérisait sa parole, où 
si volontiers il mettait des images, le duc d'Aumale dit : 

« Eh bien I vous le voyez, d'Hausson ville, nous avons 
rallié au canon. Voici ce que nous nous proposons de 
faire. Nous voudrions, si cela vous convient, que vous 
alliez chez le général Trochu et chez Jules Favre leur 
dire de notre part que nous sommes arrivés cette nuit 
à Paris. Vous expliquerez que nous y sommes unique- 
ment comme Français, comme militaires, qui viennent 
se battre contre l'ennemi commun. Nous avons, il y a 
quatre mois, réclamé devant le Corps législatif contre 
les lois d'exil que nous regardons, d'ailleurs, aujourd'hui, 
comme virtuellement abrogées. Plus tard, quand le pays 
a été mis en péril par les premiers désastres de nos ar- 
mées, nous avons demandé à servir, en qualité de sol- 
dats, sous le gouvernement de l'empereur. Aujourd'hui 
que les destinées de la France sont bien autrement com- 
promises, nous sommes conséquents avec nous-mêmes 
en demandant à servir sous la République. Si nos ser- 
vices sont acceptés, si l'on vous demande où et comment 
nous voulons être employés, vous répondrez que les 
postes les plus périlleux sont ceux qui nous convien- 
draient le mieux. Nous souhaitons que nos services 
soient acceptés comme nous les offrons, c'est-à-dire sim- 
plement et sans arrière-pensée. » 

Cette déclaration si précise une fois faite, le duc d'Au- 
male avoua que le prince de Joinville, le duc de Chartres 
et lui ne se dissimulaient pas que leur présence en 
France, à Paris surtout, pouvait être considérée comme 
un danger. De cela, le gouvernement seul était juge. A 
lui de décider. Quant à eux, ils continueraient à observer 
la plus stricte réserve jusqu'à ce qu'ils eussent reçu sa 
réponse. Si, par des motifs tirés du salut public, il leur 



172 LE DUC D'AUMALE. 

demandait de repartir, ils repartiraient, mais a par la 
grande porte », à visage découvert, n'ayant pas à cacher 
pourquoi ils étaient venus ni pourquoi ils se retiraient. 

« Approuvez-vous? » demanda le duc d'Aumale en 
finissant. 

Le comte d'Haussonville avait dans sa poche deux 
projets de lettre préparés par lui [durant la nuit, et qu'il 
comptait soumettre aux princes. Par Tune, ils offraient 
leurs services pour la durée de la guerre, avec promesse, 
si on la leur demandait, de retourner en exil quand la 
France serait délivrée de l'étranger; par l'autre, écrite 
en prévision d'un refus, ils prenaient acte de leur offre 
et de la réponse. Mais, en écoutant le duc d'Aumale, le 
comte d'Haussonville s'était dit qu'il valait mieux parler 
qu'écrire. Il renonça donc à montrer ses lettres et se 
rallia à la marche que proposait le prince. 

Il fut alors convenu qu'il accompagnerait chez le gé- 
néral Trochu et chez Jules Favre, à titre de témoin, 
M. Edouard Bocher, lequel porterait la parole. 11 pensait 
seulement qu'il fallait voir Jules Favre avant de voir 
Trochu. Le général serait plus à son aise pour recevoir 
la communication des princes, si on pouvait lui dire 
qu'elle avait été déjà faite à son collègue. Le comte de 
Kératry, préfet de police, et le général Le Flô, ministre 
de la guerre, tous deux vieux partisans des d'Orléans, 
devaient également être avertis de leur retour. M. Edouard 
Bocher se chargea de les aller trouver pendant que le 
comte d'Haussonville s'acquitterait du même message 
auprès de M. Thiers. 

Vers onze heures, les deux envoyés des princes se pré- 
sentaient au ministère des affaires étrangères, où résidait 
Jules Favre. Ils ne le rencontrèrent pas. Il était à l'Hôtel 
de ville. Dans le tumulte qui y régnait, ils eussent vaine- 



LA PATRIE ENTREVUE. 173 

ment cherché à causer un peu librement avec lui. On les 
engagea à revenir à deux heures, ce qu'ils firent. En 
attendant d'être reçus, ils virent défiler successivement 
« une petite dame élégante et rieuse ; le frère de M. Edouard 
Bocher, ancien colonel du 2' zouaves , aujourd'hui géné- 
ral; M. Pascal Duprat, des avocats, des journalistes ». On 
les introduisit à leur tour. 

L'accueil de Jules Favre fut très cordial. Mais, dès les 
premiers mots de M. Edouard Bocher, et quoiqu'il s'ef- 
forçât de faire digne contenance, il fut visiblement troublé. 
A coup sûr, il n'était encore prévenu de rien. 

« Votre démarche me surprend, dit-il. J'étais loin de 
me douter que tel fût l'objet de votre visite. Mais elle me 
touche autant qu'elle me surprend. Je n'ai pas l'honneur 
de connaître personnellement les princes d'Orléans. Je 
connais seulement la dignité de leur caractère, l'élévation 
de leurs sentiments, et je sais qu'ils sont capables de tout 
ce que peut inspirer le dévouement le plus sincère et le 
plus désintéressé aux intérêts de leur pays. C'est à ce 
dévouement que je fais appel , car je n'entends pas invo- 
quer les lois d'exception que j'ai condamnées (1) et que 
je considère, avec les princes, comme abrogées. » 

En résumé, tout en faisant remarquer qu'il n'exprimait 
qu'une opinion personnelle et qu'il devait réserver celle 
du gouvernement qui connaîtrait le même soir la com- 
munication des princes, Jules Favre déclara nettement 
que leur demande ne lui semblait pas pouvoir être admise. 
Us ne voulaient pas , disaient-ils , embarrasser le gouver- 
ment, mais l'aider, servir leur pays. Eh bien, quelles que 
fussent leurs intentions, ils ne feraient que lui nuire en 
aggravant les difficultés au milieu desquelles il se débat- 

(1) Le 2 juillet, au Corps législatif, il avait parlé et voté en faveur 
de l'abrogation de ces lois. 



474 LE DUC D'AUMALE. 

tait. S'il autorisait leur présence , s'il acceptait leur con- 
cours, il s'exposerait à voir, dès le lendemain, une notable 
partie de la garde nationale, dont l'affection leur était 
acquise, essayer de les conduire à l'Hôtel de ville. 

« Quelle sera notre destinée? soupira Jules Favre. 
Pour combien de temps sommes-nous au pouvoir? Je 
l'ignore. Mais ce dont je vous réponds, c'est que, si je 
sors vivant d'ici, je serai le premier à faire publiquement 
connaître la démarche des princes et à rendre un juste 
hommage à leur noble patriotisme. » 

Les choses, encore qu'elles demeurassent officielle- 
ment en suspens, aboutissaient donc en réalité au dénoue- 
ment que le duc d'Aumale avait prévu. La présence des 
princes à Paris était considérée comme dangereuse. On 
leur demandait de s'éloigner, et, puisqu'ils avaient résolu 
de le faire, le cas échéant, il n'y avait plus qu'à tirer, 
dans leur intérêt, de la situation qu'ils étaient contraints 
de subir tout le parti qu'elle comportait. Cette préoccu- 
pation dicta les paroles qu'adressa le comte d'Hausson- 
ville à Jules Favre en prenant congé de lui. Après lui 
avoir nommé les trois princes qui étaient venus à Paris, 
il dit: 

« Ils n'ont pas voulu s'adresser par écrit au gouver- 
nement, pour lui épargner l'embarras de leur faire une 
réponse écrite. Ils ont préféré agir avec lui « de gentle- 
« men à gentlemen », comme on dit en Angleterre, et s'en 
rapporter uniquement aux personnes mêlées à cette affaire 
pour garder un exact souvenir do la façon dont les choses 
se sont passées. » 

Il est bien difficile, en lisant ces détails, de ne pas se 
demander s'il n'y avait pas, de la part des princes, en 
cette circonstance, excès de correction et de délicatesse. 
Une question vient tout naturellement à l'esprit. Que 



LA PATRIE ENTREVUE. 475 

serait-il arrivé si, au lieu de révéler au gouvernement 
leur présence à Paris en y débarquant , ou soupçonnant 
qu'il en avait connaissance, ils avaient vécu cachés, tout 
en le faisant sonder officieusement sur ses intentions et 
tout en préparant Topinion, par les journaux qui leur 
étaient acquis, à Téventualité de leur retour? Ils eussent 
pu attendre ainsi, en restant cachés, l'approche des Alle- 
mands et la fermeture des portes de la capitale. 

Quelles eussent été les conséquences d'une telle con- 
duite? Eût-on osé les arrêter et les garder prisonniers 
pendant la durée du siège (1)? Eût-il été possible de ne 
pas utiliser leurs services; et les Parisiens, au fur et à 
mesure qu'à la faveur des péripéties militaires qui se 
déroulaient sous leurs yeux ils se décourageaient, dénon- 
çaient la mollesse et l'incapacité du général Trochu et de 
ses collègues, auraient-ils pu ne pas se souvenir qu'ils 
avaient sous la main, dans les murs de Paris, trois princes 
patriotes et braves, dont l'un, le duc d'Aumale, en des 
circonstances mémorables, avait révélé les plus brillantes 
qualités de l'homme de guerre? N'eussent-ils pas exigé 
qu'on lui confiât un commandement? 

Mais, pour envisager froidement ces perspectives et les 
affronter, pour jouer cette partie, il eût fallu être un pré- 
tendant et un ambitieux, l'aîné et le chef de la maison de 
France ; il eût fallu le tempérament de Henri IV, sa volonté 
de conquérir son trône à tout prix, la conviction que la 

(1) Le 45 septembre, le préfet du Doubs télégraphia à Paris qu'on 
annonçait la présence du comte de Ghambord dans son département 
et demanda des ordres. Le préfet de police fut chargé de lui répondre, 
et le fit en ces termes : « Faire conduire hors frontière comte de 
Ghambord. Employez très bons procédés, si aucun mouvement légi- 
timiste. Si menées que vous me signalez, pas de faiblesse. — Kératry. 
— 15 septembre, minuit. » On ne saurait dire cependant : Ah uno 
dises omnes, puisqu'il eût été impossible de faire sortir les princes de 
Paris assiégé. 



176 LE DUC DAUMALE. 

monarchie était la condition rigoureusement nécessaire 
du bonheur des Français , cette absence de scrupules qui 
caractérisa le Béarnais et le rendit, à travers toutes les 
horreurs de la guerre civile, le vainqueur des factions qui 
se disputaient le pouvoir avec la complicité de l'étranger. 
Telle eût été peut-être la conduite du duc d'Orléans, que 
son père avait élevé pour régner. Ce ne pouvait être celle 
de ses frères, qui avaient été élevés « en cadets » et 
dressés à obéir. Ce qui les dominait quand ils offraient à 
leur pays le secours de leurs bras, c'était, encore qu'ils 
brûlassent du désir de combattre, la crainte d'y porter la 
discorde. Comme en 1848, il suffit, en 1870, d'un simple 
appel à leur patriotisme pour les décider à repartir, quoi 
qu'il leur en coûtât. 

En quittant Jules Favre, leurs deux envoyés s'étaient 
rendus chez le gouverneur de Paris. Ils se firent annoncer 
chez Mme Trochu, que le comte d'Haussonvillc connais- 
sait. C'est là que le général vint les trouver. Averti que 
ce qu'il allait apprendre était déjà connu de Jules Favre, 
il écouta la communication de M. Edouard Bocher, qui 
lui fit part, en finissant, de la réponse du ministre des 
affaires étrangères. 

« Quant à la première partie de cette réponse, répliqua 
le général, ai-je besoin de vous dire que j'apprécie, comme 
Jules Favre, la démarche des princes? Quant à la déci- 
sion à prendre, permettez que je réserve aussi l'opinion 
du gouvernement que je préside. Comme Jules Favre, je 
soupçonne ce qu'elle sera. Elle ressort nécessairement 
de la situation. Nous marchons sur le bord des abîmes 
avec grand risque d'y tomber. Ce qui pourrait arriver de 
plus fatal, ce serait de nous diviser en présence de l'en- 
nemi et de nous tirer des coups de fusil entre nous dans 
Paris, au lieu de n'en tirer que sur les Prussiens. » 



LA PATRIE ENTREVUE. 177 

II n'avait rien à ajouter relativement aux princes. 
Changeant de sujet, il mit alors l'entretien sur sa situa- 
tion personnelle, sur les raisons qui l'avaient déterminé 
à occuper le poste qu'il occupait, sur les fautes qu'il 
n'avait pu empêcher, sur celles qu'il espérait prévenir. 
A sa porte, le comte d'Hausson ville et M. Edouard 
Bocher se séparèrent. Le premier allait chez M. Thiers, 
le second chez le général Le Flô, ministre de la guerre, 
et chez le comte de Kératry, préfet de police. M. Thiers 
étant absent, le comte d'Haussonville chargea une per- 
sonne de sa famille de l'avertir de la présence des princes 
d'Orléans dans Paris. A la même heure, le général Le Flô 
recevait une communication identique de M. Edouard 
Bocher. Le préfet de police, que vit ensuite l'envoyé des 
princes, s'exprima avec effusion en ce qui concernait 
leurs personnes, mais avec la plus grande netteté quant 
à la conduite qu'ils devaient tenir. « Il fut prodigieuse- 
ment troublé en apprenant leur venue à Paris, car il n'en 
savait pas le premier mot. » C'était pour le gouverne- 
ment, dit-il, et en particulier pour lui, le plus terrible des 
embarras. 

« Vous ne vous figurez pas quelle est ma position. 
Après tout, si je suis ici, c'est pour les princes, ils doivent 
bien Tavoir deviné. Déjà je suis dénoncé comme un 
orléaniste par un tas d'écervelés. Demain, je vais passer 
pour un traître et je serai impuissant à servir les princes, 
le moment venu. Mieux que personne je sais sur quel 
terrain dangereux nous marchons. C'est pourquoi je vais 
plus loin que Jules Favre. J'ose supplier les princes, 
dans notre intérêt, dans le leur, de partir dès aujour- 
d'hui. Dites-leur de ma part qu'il faut qu'ils m'autorisent 
à affirmer, à la réunion du Comité de la Défense natio- 
nale qui aura lieu ce soir, que, sur mes instances et 

12 



178 LE DUC D'AUMALE. 

sans attendre une décision officielle qui, je vous Tassure, 
ne saurait être douteuse, ils ont déjà quitté Paris. Pour 
vous, pour moi, pour eux, c'est de la dernière irapor- 
portance. Délivré de l'effroi de leur présence et de leur 
apparition immédiate, le Comité de Défense sera peut- 
être plus porté à considérer les lois d'exil comme abro- 
gées. » 

Le comte de Kératry insista encore pour qu'au lieu de 
retourner en Belgique les princes se rendissent en Angle- 
terre (1). Ils ôteraient ainsi tout prétexte aux agitations 
qu'il redoutait. Rien, d'ailleurs, ne serait compromis par 
leur départ immédiat. Si, par impossible, leurs offres 
étaient acceptées, on le leur télégraphierait à Calais, où 
ils pourraient passer la nuit. Ils reviendraient alors à 
Paris, et publiquement, cette fois. 

« Par grâce, dit pour conclure le comte de Kératry, 
obtenez cela d'eux. Personnellement, je leur en serai 
profondément reconnaissant, et le Comité de la Défense 
nationale demeurera leur obligé. » 

Très perplexe à la suite de la communication qu'il 
venait de recevoir, le préfet de police courut chez le 
ministre de l'intérieur, Gambetta, et lui raconta la visite 
de M. Edouard Bocher. Au même instant arrivait un 
message de Jules Favre avisant officiellement son col- 



(1) Déposition du comte de Kératry devant la Commission d'en- 
quête sur les événements du 4 septembre, nommée par l'Assemblée 
nationale de Versailles. Dans cette déposition, l'ancien préfet fut 
très sobre de détails et s'attacha sartout à mettre en lumière la 
patriotique abnégation des princes ; « Je réclamai de leur patrio- 
tisme le sacrifice de repasser le détroit. A deux heures du matin, ils 
abordaient en Angleterre. Ils étaient partis le cœur déchiré, mais la 
tête haute, et ils avaient tenu à ce que je leur signasse des passe- 
ports portant leurs véritables noms. » On ne saurait trop mettre en 
lumière ce qu'eut d'honorable et de délicat, durant cette journée du 
6 septembre, la conduite du comte de Kératry. 



LA PATRIE ENTREVUE. 179 

lègue de la présence des princes d'Orléans dans Paris. 

« Qu'on les arrête et qu'on les reconduise à la fron- 
tière I » s'écria Gambetta. 

Le comte de Kératry essaya de prévenir les effets de 
cet ordre. Il rappela que, sous l'Empire, presque toute 
l'opposition avait voté contre les lois d'exil, qu'une 
mesure de violence serait maintenant comme un désaveu 
de ce vote. Après tout, les princes étaient venus unique- 
ment en soldats de la France, et l'absence du comte de 
Paris enlevait à leur démarche tout caractère politique. 
Généreux par nature et très ébranlé par ces observa- 
tions, Gambetta dit alors : 

« Allons chez Trochu. » 

Au seuil de l'ancien ministère des finances, devenu la 
résidence du gouverneur, ils rencontrèrent Ernest Pi- 
card, qui se joignit à eux. Le général Trochu, déjà mis 
au courant par la visite qu'il avait reçue dans la matinée, 
fit le plus grand éloge des princes, parla de sa « vénéra- 
tion » pour le duc d'Aumale, des campagnes d'Afrique, 
et... « conclut soudain à la nécessité de faire reprendre 
aux princes sans délai le chemin de l'exil, ne répondant 
plus de la sûreté de Paris si cette mesure était difi'érée » . 

Ernest Picard exprima alors l'idée qu'on pourrait leur 
donner un service sur la frontière (1). Gambetta insinua 

(4) Ernest Picard avait maintes fois manifesté pour les princes 
d'Orléans des sentiments sympathiques, et entrevu, vers la fin de 
l'Empire, la possibilité d'une restauration royaliste avec l'un d'eux. 
Nous tenons du comte de Kératry que, peu de jours après le débat 
du 2 juillet 1870 sur les pétitions réclamant l'abrogation des lois 
d'exil, eut lieu, chez Jules Favre, une conférence à laquelle assis- 
taient Jules Ferry et Ernest Picard, et où fut envisagée l'éventualité 
d'un retour de l'orléanisme remplaçant l'Empire. Jules Favre déclara 
que, pour sa part, il ne s'y opposerait pas, mais qu'on ne trouverait 
pas en lui un second La Fayette. Ernest Picard fut très net et 
accepta par avance cette restauration possible. M. Thiers n'avait pas 
été convoqué à la réunion, tant on le savait mal disposé pour les 



180 LE DUC D'AUMALE. 

qu'il y aurait jpeut-être moyen de confier au prince de 
Joinville un secteur avec ses marins de la Belle Poule, 

« Tous les secteurs sont pourvus, dit froidement 
Trochu. 

— Alors, reprit Gambetta, pourquoi ne les enverrait-on 
pas servir en Algérie? C'est bien leur terrain. » 

Le visage du général trahit une irritation assez vive : 

« Vous voulez donc refaire une armée de princes? 
demanda-t-il. » Il y eut un silence auquel il coupa court en 
insistant sur la nécessité du départ immédiat, et il termina 
par ces mots : « Si le gouvernement en juge autrement, 
choisissez dès ce soir un autre président (1). » 

Après cette scène d'où sortait le dénouement qu'avait 
prédit le comte de Kératry, il ne pouvait plus espérer 
que dans l'empressement des princes à suivre ses con- 
seils. En quittant volontairement Paris avant que le 
gouvernement se fût officiellement prononcé, ils lui 
épargneraient la douleur de sévir. 

Leur décision était déjà prise. A sa sortie de la préfec- 
ture de police, M. Edouard Bocher était retourné auprès 
d'eux, très impressionné par le langage qu'il venait d'en- 
tendre et plus qu'à moitié convaincu de la nécessité de 
leur départ. En même temps que lui. arrivait de son côté 
le comte d'Haussonville. Ayant délibéré tous ensemble, 
ils tombèrent d'accord qu'il fallait obtempérer à la de- 
mande du comte de Kératry. 

princes. Il résulte de ces détails que si ceux-ci étaient arrivés à 
Paris la veille du 4 septembre, et non le lendemain, les choses 
eussent pu tourner autrement. Le lendemain, c'était trop tard. La 
république était faite. Il n*en fut pas moins regrettable qu'ils mis- 
sent tant de hâte à faire connaître officiellement leur arrivée. 

(1) Récit du comte de Kératry. Il convient de rappeler ici que, 
dans ses Mémoires, le général Trochu reproche à Gambetta de 
n'avoir pas appelé le duc d'Aumale à Tours pour l'investir d'un 
commandement* 



LA PATRIE ENTREVUE. 481 

Mais les princes ne renonçaient pas à Tidée que le duc 
d'Aumale avait déjà mise en avant. Partir, oui; ils y 
étaient décidés. Mais ils entendaient que ce fût à « visage 
découvert ». Ils exigeaient des passeports authentiques 
et datés de Paris, désireux d'établir ainsi qu'ils étaient 
sous l'empire du droit commun, libres d'aller et de venir 
à travers la France, qu'ils partaient pour l'Angleterre de 
leur plein gré, par déférence pour les désirs du comte de 
Kératry et du gouvernement de la Défense nationale. 
M. Edouard Bocher retourna chez le préfet de police, afin 
de lui faire part de ces conditions. Les passeports furent 
aussitôt promis. Ils devaient être envoyés rue de la Ville- 
l'Évéque dès qu'ils seraient prêts. 

Comme M. Edouard Bocher sortait de chez le préfet, il 
aperçut, dans le salon d'attente, M. Estancelin. 

a Tiens, que faites-vous ici? lui demanda-t-il. 

— Je viens réclamer auprès de Kératry, en ma qualité 
de député de Dieppe, contre une saisie de papiers poli- 
tiques qui a eu lieu dans ma circonscription. Mais vous- 
même? » 

M. Edouard Bocher avait reçu des princes l'ordre for- 
mel de ne parler de leur arrivée à personne. Il ne se crut 
pas autorisé à enfreindre cet ordre, même en faveur d'un 
orléaniste aussi déterminé que son interlocuteur. Un peu 
embarrassé, il balbutia : 

« Ohl moi, je suis venu pour une affaire sans consé- 
quence. » 

Il est des hommes qui ne savent pas mentir, y eut-il 
nécessité, et le visage de M. Edouard Bocher démentait 
le « sans conséquence » . M. Estancelin entra chez le préfet, 
convaincu qu'on lui cachait quelque chose d'important. 

« Parbleu I vous arrivez bien, vousl lui dit familière- 
ment le comte de Kératry en le voyant. » 



182 LE DUC D'AUMALE. 

Et lui désignant une table sur laquelle des passeports 
en blanc étaient étalés, il ajouta : 

« Tenez, mettez- vous là et faites-moi le plaisir de 
remplir sous ma dictée ces passeports. 

— Au nom de qui? interrogea M. Estancelin un peu 
surpris. 

— Vous allez voir. » 

Et le préfet dictait : « François d'Orléans, prince de 
Joinville. » 

La plume tomba des mains de M. Estancelin; il bondit. 
« Ils sont ici? 

— Oui, ils sont ici... Mais comprenez-vous que, au 
lieu de me faire faire une communication officieuse et 
indirecte et de me consulter sur des projets possibles, on 
soit venu m'avertir officiellement, après avoir prévenu 
Jules Favre et TrochuI Naturellement, je n'ai pu que 
conseiller de repartir. Ces passeports sont pour les 
princes. Quand vous les aurez remplis, vous les leur 
porterez (1). » 

M. Estancelin se chargea de la commission. Quand il 
arriva chez les princes, ils préparaient leur départ. Ils 
retinrent à dîner leur ami, et il fut convenu qu'il leur 
transmettrait à Calais la réponse définitive du gouverne- 
ment, que le comte de Kératry devait lui faire tenir. Ils 
ne se faisaient aucune illusion sur cette réponse. Après 
ce qui avait été dit dans la journée par les divers person- 
nages auxquels ils s'étaient adressés, ils ne pouvaient 
attendre qu'un refus. Ils y étaient résignés. Mais ils ne 
désespéraient pas de trouver prochainement une occasion 
plus propice de se faire rouvrir les rangs de l'armée. Le 
comte d'Haussonville, M. Édouiird Bocher, M. Estancelin, 

(1) Communiqué par M. Estancelin et confirmé par le Journal du 
comte d'Haussonville. 



LA PATRIE ENTREVUE. 183 

furent les confidents de leurs patriotiques espérances (1). 

Jusqu'au dernier moment, celui-ci insista pour qu'ils 
ne repartissent pas. Il regrettait la communication faite 
par eux au gouvernement dès leur arrivée. Il répétait que, 
s'il eût été au préalable consulté, les choses auraient pris 
une autre tournure. Néanmoins, rien n'était encore perdu 
si le duc d'Aumale, au lieu de quitter Paris, consentait à 
y rester caché et à attendre les événements. M. Estan- 
celin offrait, dans son domicile, une retraite sûre, sans 
risques, très commode, deux entrées. Il était sûr de ses 
gens, à son service depuis longtemps et d'un dévouement 
éprouvé. Ces offres furent écartées par les princes. Habile 
ou non, la conduite qu'ils avaient tenue les engageait. 
Leur parole était donnée. Ils ne pouvaient revenir sur 
leur décision. 

Après le dîner, comme le train de Calais, qu'ils devaient 
prendre, ne quittait la gare du Nord qu'à dix heures, 
le comte d'Haussonville, devançant le désir du duc de 
Chartres, proposa de lui faire faire une promenade à tra- 
vers Paris, ce Paris où il était né, qu'il ne connaissait 
pas, l'ayant quitté enfant, et qu'il souhaitait passionné- 
ment connaître (2). Le prince accepta avec joie. Il aurait 



(1) Ce fut cette conversation qui décida M. Estancelin à accepter, 
quelques heures plus tard, le commandement général des gardes 
nationales de trois départements de l'Ouest avec une délégation du 
gouvernement qui lui donnait les pouvoirs les plus étendus pour 
organiser la défense et maintenir l'ordre. 11 espérait qu'à la faveur 
de ce commandement, il lui serait possible d'associer les princes d'Or- 
léans aux opérations militaires en les faisant entrer dans l'armée. 
On sait que cet espoir se réalisa en ce qui touche le duc de Chartres, 
engagé volontaire sous le nom de Robert le Fort. 

(2) Rien n'est plus émouvant que le récit de cette promenade 
nocturne dont le comte d'Haussonville n'omet, dans son JournaL 
aucun détail. Quoiqu'il ne se rattache qu'indirectement à l'histoire 
du duc d'Aumale, ce récit forme cependant comme l'épilogue de 
cette journée du 6 septembre que trois princes d'Orléans passèrent 



184 LE DUC D'AUMALE. 

aimé à aller prier sur le tombeau de son père, à la cha- 
pelle Saint-Ferdinand. Mais il dut y renoncer, vu la 
difficulté de franchir les barrières à une heure aussi 
avancée. 

De la rue de la Ville-FÉvéque, le comte d'Haussonville 
le conduisit d'abord, par l'avenue Marigny , sur celle des 
Champs-Elysées, en face du palais de l'Industrie. 

« Alors, dit le duc de Chartres, l'Arc de triomphe est 
à notre gauche, le palais des Tuileries à notre droite. 

— Pas tout à fait, et c'est même le contraire : voici 
l'Arc de triomphe et voici les Tuileries. » 

Au delà de la place de la Concorde, son guide lui montra 
le Corps législatif. Le prince reconnut le palais. 

a Je me souviens très bien d'y avoir été conduit par 
la main, le 24 février. » 

On prit ensuite la rue de Rivoli, la rue de Castiglione, 
la place Vendôme et les boulevards. Devant le Grand- 
Hôtel, le duc de Chartres voulut acheter des cigares. Le 
comte d'Haussonville ne lui permit pas de descendre de 
voiture, de peur qu'on ne le reconnût; il descendit seul 
et lui rapporta un paquet de cigares delà régie. En sui- 
vant les boulevards, la rue Royale et la rue de Rivoli, on 
arriva au premier guichet du Carrousel. 

« Qu'est-ce que cela? interrogea le prince en montrant 
le pavillon de Marsan. 

— Cela, c'est l'endroit où vous êtes né. 

— Oui, oui, je me rappelle, non pas d'y être né, mais 
d'y avoir vu , le 24 février, Chabaud La Tour se prome- 
nant dans les corridors avec des pistolets sous les revers 



à Paris dans les circonstances les plus pathétiques. A ce titre, j'ai 
cru devoir lui donner place dans ce récit. Je ne fais, d'ailleurs, que 
reproduire presque textuellement la relation du comte d'Hausson- 
ville. 



LA PATRIE ENTREVUE. 485 

de son uniforme... J'aimerais bien voir les tours de 
Notre-Dame. 

— Rien de plus facile. Mais je vais vous montrer d'abord 
le Carrousel. » 

La place était déserte. Le duc de Chartres et son com- 
pagnon mirent pied à terre et en firent le tour. 

« Voici le vieux Louvre et voici le nouveau, expli- 
quait le comte d'Haussonville. Ces fenêtres, au rez-de- 
chaussée, sous lesquelles nous passons et qui sont intérieu- 
rement éclairées, sont celles de l'appartement qu'occupait 
naguère M. Rouher. Le général Trochu y habite main- 
tenant. 

— Serait-il possible de voir le Palais-Royal? 

— Il en est à deux pas; venez avec moi. » 

Et, passant sous l'un des guichets du Louvre : 

« Voici le Palais-Royal. Il n'y a plus de drapeau tri- 
colore sur le pavillon du milieu, parce que la princesse 
Clotilde est partie ce matin. » 

La voiture conduisit les voyageurs sur le quai, à tra- 
vers le Carrousel. En débouchant de la cour du Louvre, 
ils descendirent encore. 

« Regardez au-dessus de la voûte du milieu. C'est là 
qu'était le bas-relief en bronze de Napoléon III, repré- 
senté à cheval, en costume d'empereur romain. Vous ne 
voyez rien parce qu'on a badigeonné en blanc le cheval 
et mis un drap sur la tête de l'empereur. » 

On remontait en voiture pour gagner Notre-Dame. Le 
prince admira la vieille basilique, sa façade, ses bas 
côtés, le profil de ses tours aux crêtes découpées, qu'éclai- 
rait une lune resplendissante; il poussa jusqu'au Petil- 
Pont, regardant le cours de la Seine, dont les bords s'il- 
luminaient de mille lumières. 

On gagna ensuite la place de l'Hôtel de ville. Une 



186 LE DUC D'AUMALE. 

grande foule s'y pressait. Au bras de son compagnon, 
le duc de Chartres traversa à pied des groupes d'ouvriers 
en blouse, de francs-tireurs, de mobiles. Devant la prin- 
cipale porte de l'Hôtel de ville, le comte d'Haussonville 
lui poussa le bras : 

« Regardez là-haut. Sentez-vous quelque chose? C'est 
le bas-relief de votre aïeul Henri IV* On ne l'a jamais 
voilé celui-là, ni en 1830, ni en 1848, ni aujourd'hui. 
Parmi ceux qui nous entourent, personne ne se doute 
que son petit-fils le contemple pour la première fois. » 

La promenade se continuant, on se trouva sur la place 
du Château d'Eau. Le duc de Chartres demanda alors s'il 
pouvait entrer dans quelque boutique. Il voulait rapporter 
à sa femme un souvenir acheté à Paris. Mais, à cette 
heure, les boutiques, même les plus modestes, étaient 
fermées, sauf une, un bijoutier borgne où il fît son acqui- 
sition. Quand on /ut à la gare du Nord, il y avait encore 
une demi-heure à attendre. On arpenta les rues avoisi- 
nantes. Chez un petit marchand d'objets de piété, le comte 
d'Haussonville acheta pour la duchesse de Chartres un 
carnet de cinquante centimes sur lequel il inscrivit la 
date du 6 septembre, et un paroissien pour sa petite fille. 

Maintenant l'heure était venue de se séparer. Le 
prince devait retrouver ses oncles à la gare. 

« Mon cher d'Haussonville, dit-il alors, moi je ne suis 
rien, je ne serai jamais rien qu'un soldat. Je vous en prie 
donc instamment : s'il se présente une occasion de venir 
tirer un coup de fusil contre les Prussiens, soit à Paris, 
soit ailleurs, n'importe où, faites-le-moi savoir. N'écrivez 
pas; on ne se comprend pas toujours par lettre; envoyez- 
moi quelqu'un qui me dise de votre part : « Venez », et 
j'irai là où il faudra aller. » 

Très ému par l'accent dont furent prononcées ces 



LA PATRIE ENTREVUE. 187 

paroles qu'il avait déjà entendues, le comte d'Hausson- 
ville serra la main de ce jeune prince d'une âme si fran- 
çaise, et, en se séparant de lui, à l'entrée de la salle des 
voyageurs, il le salua de ces mots : 

« Voici le guichet où l'on prend les billets; croyez- 
moi, vous pouvez prendre un billet d'aller et retour. » 

Tandis que le train emportait vers Calais les princes 
d'Orléans, le Comité de la Défense nationale écoutait le 
rapport verbal très concis qu'avait dû lui présenter le 
préfet de police touchant les événements que nous ve- 
nons de raconter. Il disait dans ce rapport que, sur ses 
instances, les trois voyageurs avaient consenti à quitter 
Paris pour aller attendre à Calais la réponse qu'ils étaient 
venus chercher, décidés d'ailleurs, si elle leur était défa- 
vorable, à s'embarquer pour l'Angleterre. La discussion 
fut très brève. Gambetta revint à son idée de confier au 
prince de Joinville un secteur, et au duc d'Aumale et au 
duc de Chartres un commandement sur la frontière ou en 
Algérie. Le général Trochu renouvela ses précédentes 
déclarations. Il fut soutenu avec une extrême vivacité 
par Garnier-Pagès et Arago. On vota la « clôture de 
l'incident », clôturé par les princes eux-mêmes avant la 
séance, puisque leur retraite volontaire était déjà opérée. 
Ce vote équivalait pour le préfet de police à l'ordre for- 
mel de veiller à ce qu'ils quittassent immédiatement le 
territoire français (1). 

(1) M. Antonin Proust, à Tissue de ce conseil, revint avec Gam- 
betta de l'Hôtel de ville au ministère de l'intérieur. En route, l'at- 
titude et le langage du ministre firent croire à son compagnon qu'il 
regrettait la décision que le conseil venait de prendre, entraîné par 
la véhémence de quelques-uns de ses membres. 

« Peut-être ont-ils raison, fit-il. Mais le grand avantage des 
princes d'Orléans, au point de vue d'un commandement, c'est qu'ils 
n'ont pas servi. » 

11 voulait dire par là qu'ils étaient plus disposés à des coups d'au- 



188 LE DUC D'AUMALE. 

Une dépêche concertée à l'avance entre eux et M. Es- 
tancelin, à qui il fit connaître cette décision, leur parvint 
comme ils arrivaient à Calais. Ils n'avaient plus qu'à 
reprendre le chemin de l'exil ainsi qu'ils s'y étaient 
engagés (1). Au matin, ils étaient de retour en Angle- 
terre, navrés de l'issue de leur voyage, mais satisfaits 
d'avoir accompli un grand devoir et peu disposés d'ail- 
leurs à subir longtemps encore la dure loi qui leur était 
faite. 

Le lendemain de leur départ, M. Edouard Bocher et 
le comte d'Haussonville revenaient chez Jules Favre 
chercher la réponse officielle qui leur avait été promise. 
Elle fut telle qu'ils l'attendaient, aggravée encore par la 
froideur avec laquelle, quoique courtoise, on laleur donna. 

« Le gouvernement manquerait à son devoir s'il 
acceptait l'offre des princes, déclara le ministre des 
affaires étrangères. Je ne suis pas autorisé à vous dire 
qu'il regarde les lois d'exil comme virtuellement abro- 
gées. Il ne sait même s'il n'en fera pas usage. » 

Ce n'était plus le langage de la veille, ni dans le fond 
ni dans la forme. 

« On voit que la nuit a passé sur l'émotion d'hier, » 
observa M. Edouard Bocher à son compagnon en sortant 
de chez Jules Favre. 

dace que les vieux généraux « qui s'étaient usés dans l'oisiveté de 
la vie de garnison > et dans la pratique de règlements qu'il jugeait 
surannés. 

(1) Avant de s'embarquer, le duc d'Aumale écrivit à son ancien 
maître, M. Cuvillier-Fleury, auquel il n'avait pas cru devoir faire 
part de sa présence à Paris, une lettre qui était, paraît-il, très belle. 
M. Cuvillier-Fleury la communiqua à diverses personnes. Le comte 
d'Haussonville dit dans son Journal : « Je m'attendais à ce qu'il me 
la donnerait à lire, il ne m'en a point parlé. » Et il ajoute, non 
sans une pointe d'ironie : « Peut-être croit-il qu'il vaut mieux 
que j'ignore absolument la venue des princes à Paris. J'ai gardé la 
même réserve à son égard. » 



LA PATRIE ENTREVUE. 189 

Pendant les deux journées qui venaient de s'écouler, 
le comte d'Haussonville, occupé des intérêts des voya- 
geurs, n'avait pu rejoindre M. Thiers. Il avait hâte de le 
mettre au courant de ce qui s'était passé et se présenta 
chez lui le 7 septembre. Il le trouva déjà instruit en gros, 
mais non dans le détail, des principales péripéties de la 
visite des princes, et assez mal disposé pour eux (1) : 

« Vous n'avez pas voulu admettre, l'autre jour, lui 
dit-il, l'hypothèse que les princes étaient en route, alors 
que vous insistiez si fort pour qu'ils ne vinssent pas à 
Paris. J'avais raison cependant. Mais je tiens à vous 
affirmer de nouveau que je ne savais rien de leurs pro- 
jets. J'aurais été un sot si, dans les rapports où nous 
sommes ensemble, je vous avais fait mystère de ce que 
je savais. Connaissant les princes comme je les connais, 
me rappelant ce qu'ils m'avaient dit tant de fois, je ne 
pouvais douter de leur prochaine arrivée. Voilà toute la 
vérité. 

Alors M. Thiers, qui mettait toujours une certaine 
vanité à paraître très informé de toutes choses, affirma 
que c'était le prince de Joinville, « un esprit très faux », 
qui avait fait le coup. 

« Le duc d'Aumale, qui a plus de bon sens, ne s'en 
souciait pas; il s'est laissé faire. » 



(1) Dans la soirée du 6 septembre, au moment où Jules Favre 
allait se rendre à la séance du conseil de la Défense nationale où 
devait être discutée la question des princes et où ceux-ci se prépa- 
raient à partir pour Calais, il se rencontra avec M. Thiers, qui lui 
parla spontanément de leur arrivée, avec le souci très évident d'éta- 
blir qu'il avait déconseillé ce voyage et ne l'avait connu que lorsqu'il 
était effectué. 

€ Ehl mon Dieul répliqua Jules Favre, tout le monde n'a-t-il 
pas ses princes plus ou moins embarrassants! La République a 
aussi les siens. N*ai-je pas été obligé de recevoir ce matin Victor 
Hugo! > 



190 LE DUC D'AUMALE. 

Ceci dit, il se répandit en récriminations contre les 
princes. A l'exception du vieux roi, « auquel il plaisait 
et qui lui plaisait », et du duc de Nemours, « qui n'avait 
jamais cessé d'être juste envers lui », il avait, à l'en 
croire, à se plaindre de tous. Il ne parlait que des fils de 
Louis-Philippe, car il ne connaissait ni le comte de Paris 
ni le duc de Chartres, et il croyait que l'aîné des deux 
frères serait un très bon roi constitutionnel (1). Ce fut 
contre le duc d'Aumale et le prince de Joinville que, in- 
spirée par de lointains souvenirs et des griefs imagi- 
naires, s'exerça sa verve. 

Vainement le comte d'Haussonville s'efi'orçait de le 
ramener à des sentiments plus équitables; il n'entendait 
rien, il était butté et en revenait toujours aux choses du 
passé. 

« Laissons cela, fit-il enfin; il faut bien prendre per- 
sonnes et choses comme elles sont. La vérité est que les 
choses tournent de plus en plus en leur faveur. La Répu- 
blique fait à tout le monde l'effet d'une incongruité. Elle 
n'a personne à mettre dans les grands postes; elle fait des 
choses ridicules ou odieuses sans trop mauvaise intention 
assurément, par étourderie plutôt, mais qui dégoûtent 
tout le monde, la province surtout. Elle n'en pas pour 
trois mois. » 

Il allait, allait. . . Il avait vu des légitimistes, ils n'étaient 
pas déraisonnables. Ils ne croyaient pas à la durée « de 
tout ceci » . Ils l'avaient tâté sur l'avenir. Il s'était borné 
à leur répondre vaguement, par des lieux communs. L'un 
d'eux lui avait dit que, si « cela » tournait au comte de 
Chambord, il faudrait qu'il abdiquât en faveur du comte 
de Paris. 

(1) On verra plus loin en quelles circonstances le comte de Paris 
cessa, peu après, de trouver grâce devant lui. 



LA PATRIE ENTREVUE. 191 

Ne serait-ce que comme contraste à l'attitude que prit 
M. Thiers envers les princes d'Orléans quand il fut en 
possession du pouvoir, ces propos sont à retenir. Ils tra- 
hissaient, tout au moins au moment où le comte d'Haus- 
sonville les recueillait, une âme de patriote profondément 
troublée, en proie aux plus cruelles angoisses, cherchant 
de bonne foi une combinaison d'où pourrait sortir le 
salut. 

Quelques jours plus tard, M. Thiers disait encore : 

« Mon cher ami, je ne sais ce que nous réserve 
l'avenir. Je suis d'une tristesse affreuse. L'âme me rentre 
parfois au fond du corps. Si notre pays perd, moi vivant, 
la position qu'il a occupée dans le monde, je ne m'en 
consolerai jamais; je me cacherai. L'heure de la retraite 
est venue pour moi. Je me plongerai dans l'étude. On 
n'entendra plus parler de moi. » 

On ne saurait mettre en doute sa sincérité. Mais il était 
d'une impressionnabilité et d'une mobilité toutes méri- 
dionales, et lorsque, bientôt après, le gouvernement de 
la Défense nationale lui demanda d'aller plaider auprès 
des cours d'Europe la cause de la France écrasée, il se 
retrouva debout, résolu, non seulement parce que sa 
patrie avait besoin de lui, mais aussi parce que, trouvant 
un rôle à sa taille, il eût été au-dessus de ses forces de le 
décliner. 

Moins heureux que M. Thiers, les princes d'Orléans, 
rejetés dans leur exil, s'y morfondaient, livrés à toutes les 
tortures qui résultaient, pour eux, de leur impuissance à 
servir leur pays. Jamais la proscription dont ils étaient 
frappés ne leur avait paru plus injuste, plus cruelle. 
L'Allemand foulait sous ses pieds victorieux cette France 
dont leurs aïeux avaient constitué l'unité et fait la gran- 
deur, et on leur refusait l'honneur de la défendre, de 



192 LE DUC D'AUMALE. 

combattre et de mourir pour elle ! Le plus jeune, le duc 
de Chartres, en était exaspéré. Un jour vint où il n'y tint 
plus. Sans savoir où il irait, ce qu'il deviendrait, ce qu'on 
ferait de lui s'il était reconnu, il débarquait secrètement 
dans l'Ouest et venait rôder autour de Rouen, où il espé- 
rait trouver la possibilité de s'engager comme volontaire. 
Son oncle, le prince de Joinville, non moins ardent que 
lui, l'accompagnait. 

C'est une véritable épopée, une épopée rayonnante, 
que leur histoire durant ces jours d'ombre et de deuil : 
le neveu entrant enfin dans l'armée sous le nom du vieux 
fondateur de sa race, grâce à la complicité du fidèle ami 
de sa famille, M. Estancelin, et faisant toute la campagne 
en vaillant soldat; l'oncle, muni par cet ami dévoué d'une 
commission officielle destinée à le protéger, et à laquelle 
il dut de n'être pas fusillé comme espion, commençant 
par faire le coup de feu en volontaire, puis se jetant à la 
suite des canonniers marins qui marchaient sur Orléans, 
se familiarisant avec eux, pointant leurs pièces, rectifiant 
leur tir, partageant leurs dangers et leurs souffrances. Il 
nous faut passer sur ces glorieux souvenirs, qui n'appar- 
tiennent que de loin à notre sujet. Ils nous permettent du 
moins de revenir au duc d'Aumale par un épisode ignoré, 
où il trouva l'occasion d'écrire une de ces paroles qui 
caractérisent un homme, et comme il en prononçait sou- 
vent sous l'inspiration d'un patriotisme toujours en éveil. 

C'était peu de jours après ce départ secret de son frère 
et de son neveu pour la France. La reine de Prusse écrivit 
à la reine d'Angleterre : « Nous apprenons, lui disait-elle 
en substance, que le duc de Chartres s'est engagé, sous 
un nom supposé, dans les francs-tireurs. Les francs- 
tireurs ne sont pas considérés comme des belligérants; 
quand on les prend, on les fusille Tâchez de nous faire 



LA PATRIE ENTREVUE. 193 

savoir de quel côté se trouve le prince afin que, s'il tombe 
dans les mains de nos soldats, il ne lui arrive pas mal- 
heur. » 

Au reçu de cette lettre, la reine Victoria l'envoya au 
duc d'Aumale, en lui demandant ce qu'il fallait répondre. 
« Répondez, écrivit-il, qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter 
de Chartres. On ne le prendra pas vivant. » Ce mot ne 
sonne-t-il pas comme une fanfare héroïque, comme sonna 
plus tard celui qui fut dit à Bazaine alléguant que plus 
rien n'existait : « La France existait toujours ! » 

Le duc d'Aumale n'eut pas, comme son neveu, le bon- 
heur de rentrer alors dans l'armée. Populaire jadis dans 
cette armée dont plusieurs chefs avaient servi sous ses 
ordres, il n'eût pu aller bien loin sans être reconnu- 
Quand l'occasion lui fut offerte par M. Estancelin de 
prendre en secret un commandement, il craignit de ne 
pouvoir dissimuler longtemps son identité et de devenir 
en ce cas, pour ses soldats, un sujet de discorde, peut- 
être même une cause de rébellion. Il sacrifia ses violents 
désirs à cette considération. A son âge, avec son nom, 
son passé, son grade, c'est ouvertement qu'il eût voulu 
aller à l'ennemi. Et cela, il savait qu'il ne l'obtiendrait 
pas. 

Il resta donc en Angleterre pendant la durée de la 
guerre, suivant anxieusement les douloureux épisodes de 
ces jours de deuil. Il s'y trouvait vers la fin de septembre, 
quand le général Bourbaki arriva à Londres, sur Tordre 
qu'il avait reçu du maréchal Bazaine de se rendre auprès 
de l'Impératrice qui désirait le voir. Rien de plus doulou- 
reux que cette émouvante aventure : Bourbaki se présen- 
tant à Chislehurst pour y être le témoin de l'indignation 
de la souveraine déchue, lorsqu'elle apprit de quel odieux 
mensonge il avait été dupe, son désespoir éclatant alors 

13 



194 LE DUC D'AUMALE. 

avec une telle violence qu'on dut le garder à vue, afin de 
Tempôcher de se donner la mort, pour échapper à ce qu'il 
appelait son déshonneur; et, pendant ce temps, la duchesse 
de Mouchy, envoyée par l'Impératrice auprès de lord 
Granville, afin d'obtenir de lui qu'il sollicitât du gouver- 
nement prussien, pour l'infortuné général, un sauf-con- 
duit lui permettant de rentrer dans Metz, et courant tout 
un après-midi, à travers Londres, à la recherche du pre- 
mier ministre (1). Un ami du duc d'Aumale,M. delà Rive, 
qui venait d'arriver en Angleterre et qui s'était aussitôt 
nmdu chez la duchesse de Mouchy, avec qui il était lié, 
apprit d'elle ces stupéfiantes nouvelles, lorsqu'à dix 
heures du soir elle rentra de sa longue course, en proie 
à la plus poignante émotion. Sa visite se prolongea très 
tard. Comme il allait se retirer, il demanda à Mme de 
Mouchy si l'arrivée du général Bourbaki devait être tenue 
secrète. 

« Pourquoi cette question? 

— Parce que je vais demain matin à Twickenham, et 
que je tiens à savoir si je puis donner cette grave nou- 
velle au duc d'Aumale. 

— Annoncez-la-lui de ma part », répondit la duchesse. 

Le lendemain, de bonne heure, M. de la Rive se pré- 
sentait à Orléans -House. Le duc d'Aumale venait d'en 
sortir pour se rendre dans la maison voisine, — York- 
House, — chez le comte de Paris. C'est là que M. de la 
Rive le rejoignit. Il trouva les deux princes assis dans 



(1) La duchesse de Mouchy, accompagnée de ses enfants, était 
venue à Londres, son mari étant resté en France. Elle habi- 
tait un modeste hôtel de famille avec la princesse de Metternicb, 
qui avait aussi amené ses enfants. Le prince de Metternich résidait 
à Tours, auprès de la délégation du gouvernement de la Défense 
nationale. M. de la Rive était chargé par lui et par le duc de Mouchy 
d'apporter des nouvelles à leur famille. 



LA PATRIE ENTREVUE. 195 

le jardin, profondément tristes, accablés par les récits 
qu'avait apportés le courrier du matin, pareils, hélas ! à 
ceux qui leur arrivaient tous les jours. Très vite, il dit 
que Bourbaki était à Londres. 

Aussitôt, et vivement, le duc d'Aumale Tinterpella : 

« Vous l'avez vu? 

— Non, monseigneur. 

— Alors, il n'est pas à Londres? 

— Pardon, il y est. J'en suis beaucoup plus certain que 
si je l'avais vu, attendu que je ne le connais pas, tandis 
que la personne qui m'a certifié sa présence l'a rencontré 
tous les jours, pendant de longues années. 

— Quelle personne? Une femme? 

— Oui, monseigneur. 

— Une femme I Est-ce que les femmes savent jamais 
ce qu'elles disent? Je connais Bourbaki. Abandonner sa 
garde, lui, déserter! allons donc! Je vous dis, moi, qu'il 
n'est pas à Londres. » 

M. de la Rive n'insista pas, et, dans la suite de l'en- 
tretien, il ne fut plus question qu'incidemment de Bour- 
baki, au sujet duquel le comte de Paris observa que les 
journaux anglais ne faisaient aucune mention de son arri- 
vée et qu'en conséquence la nouvelle devait être fausse. 
Quarante-huit heures plus tard, M. de la Rive se trouvait 
seul dans sa chambre, à l'hôtel où il était descendu, lors- 
que, à sa grande surprise, il vit entrer le duc d'Aumale. 
S'asseyant sur une malle, le prince dit : a Eh bien, c'était 
vrai. Bourbaki est à Londres. Qu'est-ce que cela peut 
bien signifier? » 

Cette question j M. de la Rive se l'était déjà posée, et 
n'y avait trouvé qu'une réponse plausible, justifiée par 
tout ce qu'il avait appris depuis sa visite à Twickenham, 
à savoir que la prétendue mission de Bourbaki avait été 



196 LE DUC D'AUMALE. 

manœuvrée par Bazaine. Peut-être un renseignement 
d'une exceptionnelle gravité, qu'il avait recueilli précé- 
demment à Genève, n'était-il pas étranger à cette con- 
viction. Quoi qu'il en soit, il répondit : 

i( Cela signifie, selon moi, que Bazaine n'est pas franc 
du collier. » 

Il ne s'attendait guère à l'explosion de courroux pro- 
voquée par ses paroles. Soulevé par un mouvement irré- 
sistible, le duc d'Aumale se dressa, en l'apostrophant 
d'une voix vibrante : 

« Comment 1 Bazaine! Mais, je le connais. Il est le pre- 
mier soldat de France, notre suprême espoir, le seul 
homme qui puisse encore nous sauver. Le soupçonner, 
lui? C'est une indignité 1 » 

Et il marchait à grands pas dans la chambre. 

« Monseigneur m'a demandé mon opinion, dit M. de 

Rive, sans quoi je ne me serais pas permis de la 
donner. Mais, la donnant, je ne peux la donner autre 
qu'elle est. » 

Il y eut un silence, puis, d'un ton radouci, le prince 
continua : 

« Voyez-vous, mon cher ami, la suspicion est un mal 
épouvantable, et trop fréquent chez nous. Elle sert à un 
tas de gens à expliquer les revers, quand c'est elle qui 
les produit. Je suis surpris que vous soyez de ces gens-là. 
Quant à Bazaine, je l'ai vu à l'œuvre, et je réponds de 
lui (1). » 

Ce fut son dernier mot, et, dès ce moment, il s'abstint de 
parler de Bazaine à son interlocuteur quand il le revit. 
Il fallut la capitulation de Metz, les graves divulgations 
qui la suivirent, et surtout une étude approfondie du 

(1) Documents inédits : Récit de M. de la Rive. 



LA PATRIE ENTREVUE. 197 

procès qu'il présida pour le convaincre de la culpabi- 
lité de ce maréchal de France dont, à trois ans de là, il 
devait être le juge, mais à qui, à cette heure, le jugeant 
d'après lui-même, il eût craint de faire injure en tolérant 
qu'en sa présence on le soupçonnât. 



CHAPITRE VI 

AU SEUIL DE l'assemblée NATIONALE 

Période critique. — Le duc d'Aumale et M. Thiers. — Le duc d'Au- 
maie et le prince de Joinville députés. — Arrivée à Saint-Malo. 
— Résistance de M. Thiers. — Les princes renoncent à aller à 
Bordeaux. — Séjour à la Grave. — Négociations de Biarritz. — 
Séjour à Dreux. — Les princes et la droite. — Engagements réci- 
proques. — La vie des princes menacée. — Marcouville et Le 
Breuil. — Singulière lettre du procureur général Leblond. — 
Départ pour le château de Sassy. — Démarches du comte d'Haus- 
sonville auprès de M. Thiers. — Curieux entretien. — Déclara- 
tion du 27 mai. — Le parti légitimiste satisfait. — M. Thiers 
cesse de s'opposer à la rentrée définitive des princes. — Valida- 
tion de leur élection. — Abrogation des lois d'exil. — Les princes 
à Versailles. 

Dans la vie du duc d'Aumale, la période à laquelle nous 
touchons maintenant est la période critique, celle qui 
pourrait y manquer sans qu'il en fût pour cela diminué. 
Jusqu'à ce jour, dans tout ce qu'il a dit, dans tout ce qu'il 
a fait, on Ta trouvé net, résolu, marchant d'un pas assuré 
sur la route qui s'ouvre devant lui. Ni les douleurs de 
l'exil, ni les deuils déchirants, n'obscurcissent pour lui la 
vision des choses. Il n'y a que du clair devant ses yeuï. 
Quand il écrit au gouvernement impérial pour demander 
à servir, quand il accourt à Paris pour réclamer à la 
République des armes contre l'étranger, il est le même 
homme qui, durant les guerres d'Afrique, allait droit au 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. IM 

pire péril et, par un coup d'incroyable audace, s'empa- 
rait de la smalah d'Abd-el-Eader. 

Cette sûreté d'attitude qui fait de lui un soldat hors de 
pair semble atteinte, lorsque, dans les circonstances dont 
le récit s'impose maintenant à son historien, croyant 
prendre le bon chemin pour aboutir à l'abrogation de la 
dure loi qu'il subit, il met le pied dans la politique et se 
mêle aux intrigues parlementaires. Il n'est pas fait pour 
ces besognes. A tout instant elles le déconcertent. Il 
cesse de paraître supérieur en traversant ce défilé qu'il 
pouvait éviter, et dans lequel il s'est imprudemment 
engagé. Néanmoins, son incertitude est plus dans les 
apparences que dans la réalité. Au fond, il s'inspire tou- 
jours des mêmes mobiles : son patriotisme, son amour 
pour la France, son désir d'y vivre désormais en citoyen 
et en soldat. 

Nous parlerons de cette période de sa vie avec la même 
sincérité que des autres. Sa noble figure n'a rien à perdre 
à être entrevue à travers des incidents auxquels il n'était 
pas préparé. Elle gagnera même à ce qu'ils soient tirés au 
clair, mis dans la lumière de la vérité, et à ce que sa 
mémoire soit lavée des insinuations dont on essaya de la 
ternir alors, en donnant à entendre que c'est au mépris 
d'un engagement d'honneur qu'avec son frère, le prince 
de Join ville, il vint siéger dans l'Assemblée nationale. On 
verra que l'engagement pris non envers M. Thiers, mais 
envers les commissaires de l'Assemblée, fut tenu, et que, 
lorsqu'il cessa de l'être, c'est que les princes en étaient 
dégagés par un vote. 

En face du duc d'Aumale, durant ces heures de crise 
oii, pour les meilleurs, la politique, trop souvent, voile le 
devoir, se dresse un autre acteur : AL Thiers. Quelque 
jugement qu'aient porté, que portent encore les partis 



200 LE DUC D'AUMALE. 

sur certains de ses actes, il en est, à la fin de sa vie, que 
la postérité devant laquelle ils pèseront plus que les autres 
tiendra pour glorieux, et qui l'honorent. M. Thiers est 
donc également de taille à supporter la vérité, même 
quand elle le montre tel qu'il fut parfois, et notamment 
dans cette question des d'Orléans, animé de préventions 
injustes, pénétré de son mérite jusqu'à se croire indispen- 
sable, oublieux d'un passé de gloire, oublieux de son 
propre passé, jouet d'une ambition dont le mobile, si 
noble qu'il fût, ne saurait faire perdre de vue les peti- 
tesses et les excès. L'historien qui s'en tiendrait à l'apo- 
logie de ses personnages accomplirait une tâche mépri- 
sable. 

Au mois de février 1871, alors que, malgré la présence 
de l'ennemi sur le territoire, les collèges électoraux 
allaient fonctionner, et où tout présageait une paix pro- 
chaine, la situation des princes d'Orléans restait telle que 
nous l'avons exposée. Revenus en Angleterre, à l'excep- 
tion du duc de Chartres, dont l'incognito n'avait pas été 
trahi et qui continuait à servir la France sous un nom 
d'emprunt, ils demeuraient victimes de ces lois d'exil 
dont le gouvernement de la Défense nationale, loin d'ad- 
mettre qu'elles fussent abrogées, s'était réservé la faculté 
d'user au besoin. 

Pendant la durée de la guerre, ils avaient évité de faire 
parler d'eux, se condamnant à l'immobilité, au silence, 
suivant d'un œil anxieux, d'un cœur contristé, la fortune 
de nos armes. Mais, maintenant qu'on pouvait croire à 
la cessation définitive des hostilités, il ne leur convenait 
plus d'observer cette patriotique réserve. L'heure était 
venue, pour eux, de revendiquer leurs droits de citoyens 
français, et comme ils pouvaient croire qu'à la première 
manifestation qu'ils se permettraient, le gouvernement 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLEE NATIONALE. 201 

répondrait en faisant revivre les lois d'exception dont ils 
étaient frappés^ ils se demandaient par quels moyens ils 
conjureraient cette éventualité. 

Entre ceux que leur suggéraient les circonstances, il 
leur apparut qu'il n'en était qu'un qui fût efficace. Il con- 
[sistait à se faire élire députés et à entrer, à ce titre, dans 
^'Assemblée nationale, munis d'un mandat supérieur à la 
)i draconienne qui les avait exilés. Leur élection désar- 
merait le gouvernement, la volonté du suffrage universel 
it plus forte que celle des pouvoirs établis, quels qu'ils 
Par ce mode de procéder, ils espéraient se faire 
rir les portes de la France sans avoir à craindre d'être 
kouveau proscrits. 

|jà, lorsqu'aux premiers jours de septembre, avant 
[lissement de la capitale, le gouvernement de la 
se avait eu la pensée de convoquer une Constituante, 
|te de Paris s'était empressé d'écrire à ses amis de 
, pour les consulter, et savoir s'il devait poser sa 
Iture. Quand ils avaient reçu sa lettre, par pigeon, 
capitale assiégée, ce projet de réunir une Assem- 
It abandonné. Il n'y avait pas eu nécessité de 
prend^Bune décision. Mais maintenant, à la veille de la 
réuni^|des électeurs, la question une fois encore se 
posaie 

DiscMée par les princes entre eux, elle était bien vite 
résol^v par l'affirmative, au moins en ce qui touchait le 
de Joinville et le duc d'Aumale. Grâce à leurs 
de France, leur nom figurait sur les listes électo- 
rales de trois départements. C'est à ce moment, le 4 février j 
que le duc d'Aumale écrivait à un ami : 

« Vous dire ce que j'éprouve me serait impossible ; les 
calamités de la France ont dépassé mes plus noires pré- 
visions, et depuis tous lés chagrins qui m'ont accablé. 



202 LE DUC D'AUMALE. 

mon cœur ne bat plus que pour la France. Je ne vois pas 
encore comment on pourra sortir de cet effroyable im- 
passe où l'Empire nous a si criminellement engagés et où 
je crains bien que nous ne soyons aujourd'hui un peu 
plus profondément enfoncés. J'ai fait tout ce qu'il était 
humainement possible de faire pour prendre part à la 
défense nationale. Si les électeurs de n'importe quel 
département me rendent le droit de servir mon pays, 
je ne bouderai pas à la besogne, quelque rude qu'elle 
soit (1). » 

Quatre jours après avoir expédié cette superbe lettre, 
le duc d'Aumale était élu député dans l'Oise, le prince de 
Joinville dans la Manche et la Haute-Marne. 

La nouvelle de leur élection leur parvint en Angleterre. 
Ils prirent aussitôt le parti de rentrer en France. Munis 
de passeports qui leur avaient été délivrés par M. Tissot, 
chargé d'affaires de France à Londres, ils allèrent s'em- 
barquer à Southampton, à destination de Saint-Malo. Le 
bateau sur lequel ils avaient pris place était vieux, usé, 
presque hors d'état de tenir la mer. Le prince de Joinville, 
qui en avait fait le tour en y montant, dit à son frère : 

« C'est le couteau de Jeannot, ce navire. » 

La mer était mauvaise et la traversée fut très dure. 
Cependant elle s'effectua sans accident. On jeta l'ancre 
le 15 février, vers huit heures du soir. C'était justement 
à Saint-Malo que, le 20 janvier précédent, le prince de 
Joinville, arrêté à l'armée de la Loire et contraint de 
quitter la France, avait été conduit par M. Ranc, direc- 
teur de la sûreté générale, et par le préfet de la Sarthe. 
Cette fois, du moins, en remettant le pied sur le terri- 
toire français, les princes avaient lieu d'espérer que le 

(1) Documents inédits : Archives du comte de Reiset. 






AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 203 

suffrage universel dont ils étaient les mandataires les 
protégerait contre de nouvelles exactions. 

Ils attendaient le moment de débarquer, lorsque se pré- 
senta à eux un personnage qui venait de monter à bord 
et leur demanda leurs papiers. C'était le commissaire 
préposé à la surveillance du port (1). Ils se nommèrent 
en déclarant qu'ils venaient d'être élus députés. Le com- 
missaire, ne pouvant prendre sur lui de les laisser aller, 
les invita à le suivre à la sous-préfecture. Le sous-préfet 
n'avait pas d'ordres. Le duc d'Aumale lui montra les 
passeports et les journaux anglais qui mentionnaient son 
élection et celle de son frère. 

« Nous allons à Bordeaux prendre part aux travaux 
de l'Assemblée nationale, ajouta-t-il. Nous comptons 
partir demain matin par le premier train. » 

Pris au dépourvu, le sous-préfet considéra qu'il ne lui 
appartenait pas de s'opposer à leur départ. Il les laissa 
libres, mais il envoya sur l'heure une dépêche au ministre 
de l'intérieur, à Bordeaux, pour l'avertir de leur arrivée. 
De leur côté, les princes télégraphièrent à deux de leurs 
amis, membres de l'Assemblée, M. Edouard Bocher et le 
duc Decazes. Nous avons dit ce qu'était pour eux 
M. Edouard Bocher. Quant au duc Decazes, éloigné 
depuis 1848 de la vie publique, où il venait de rentrer 
brillamment sous les auspices des électeurs de la Gironde, 
par son constant dévouement et sa longue fidélité à la 
cause des d'Orléans, il avait mérité leur confiance. Soldat 
actif et militant du parti libéral sous l'Empire, il était 
bien vu de M. Thiers, sous les ordres duquel il s'était fait 



(4) M. Guffroy de Rosemond, dont Tattitude, en ces circonstances, 
fut d'une extrême correction. Les princes n'eurent aussi qu'à se 
louer du sous-préfet, M. Merlin, qui fit preuve d'autant de tact que 
de courtoisie. 



204 - LE DUC D'AUMALE. 

honneur de marcher en des temps où combattre pour la 
liberté n'allait pas sans périls. 

M. Thiers n'était pas encore chef du pouvoir exécutif. 
Mais il allait l'être à vingt-quatre heures de là, et déjà 
la haute direction des affaires semblait lui appartenir. 
Averti par le ministre de l'intérieur, il s'emporta, si peu 
maître de lui qu'il laissa échapper, parlant au duc Decazes, 
de violentes menaces, se déclarant résolu à ordonner 
l'arrestation des princes s'ils osaient venir à Bordeaux, 
et, en vertu des lois d'exil, à les faire ramener à la fron- 
tière (1). 

Cependant, après cette première explosion, il changea 
de langage. Des menaces il passa aux conseils. Il faisait 
appel au patriotisme des princes, en leur représentant 
quels soupçons inévitables, quelles agitations dange- 
reuses leur seule présence risquait de déchaîner, malgré 
eux, au sein d'une Assemblée à peine constituée, et dont 
personne ne connaissait encore bien l'esprit ni les ten- 
dances. Ayant rencontré M. Edouard Bocher dans les 
couloirs de l'Assemblée nationale , il fit valoir ces con- 
sidérations. Puis il l'adjura d'aller à la rencontre des 
princes et d'empêcher qu'ils arrivassent à Bordeaux. 

« Je les supplie de ne pas venir quant à présent, dit-il. 
Je leur promets en retour, et j'en prends l'engagement, 
de faire valider leur élection et abroger les lois d'exil. » 

M. Edouard Bocher se décida à remplir cette mission. 
Mais il tint à s'adjoindre M. Charles de Rémusat, qui 
était également lié avec les princes et avec M. Thiers. 
Les deux mandataires devaient se rendre à Libourne 
après avoir chargé un de leurs collègues, M. Trubert, 
d'inviter les augustes voyageurs à s'y arrêter. 

(4) Récit d'un témoin. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 205 

M. Trubert alla jusqu'à Angoulême et y attendit le 
train qui les amenait de Saint-Malo. Comme ce train 
entrait en gareje duc d'Aumale et le prince de Joinville 
aperçurent l'envoyé debout sur le quai, fouillant du 
regard les wagons au passage. Le duc d'Aumale eut 
soudain le pressentiment que M. Trubert le cherchait, 
ainsi que son frère, et qu'il était nanti d'un message 
pour eux. Ce que pouvait être ce message, il ne le devi- 
nait que trop, et, résolu de poursuivre quand même son 
voyage, il se rejeta dans les wagons avec l'espoir de 
n'être pas vu. Mais le prince de Joinville n'observa pas 
la même prudence. La tête hors du compartiment, il fai- 
sait des signes à M. Trubert et l'appelait. M. Trubert 
s'avança. Il dit qu'il était chargé de prier les princes de 
s'arrêter à Libourne, où MM. Edouard Bocher et Charles 
de Rémusat les attendaient dans un hôtel, ayant à leur 
faire d'importantes communications de la part de 
M. Thiers. Force était donc de déférer à l'invitation, et, 
quelques instants plus tard, ils débarquaient à Libourne. 

En apprenant de leurs amis ce que M. Thiers attendait 
d'eux, le duc d'Aumale protesta avec énergie. Députés, 
Dul n'avait le droit de les empêcher de remplir leur man- 
dat, et ils entendaient le remplir (1). M. Charles de Rému- 
sat, dont ils ne pouvaient mettre en doute le dévouement, 
partageait comme M. Edouard Bocher l'opinion du duc 
d'Aumale. Mais il objectait qu'il était dangereux d'en- 
freindre la volonté de M. Thiers et de le pousser à bout. 
La résistance des princes l'irriterait, et il était homme à 
les faire ramener à la frontière. On discuta longtemps. 

Le duc d'Aumale ne voulait pas céder et ne cédait pas. 
Le prince de Joinville trahissait moins de volonté, incli- 

(i) Leur. appartement était retenu à Bordeaux chez M. Guettier, 
ancien pair de France, qui avait réclamé l'honneur de les recevoir. 



206 LE DUC D'AUMALE. 

nait à se rendre aux désirs de M. Thiers. Son opinion 
finit par l'emporter, et son frère, quoique à regret, s'y 
rallia. Le lendemain, en quittant Libourne, ils se ren- 
daient au château de Béchevet, dans le Médoc, puis à 
Lagrange, près de Bordeaux, chez le comte Duchàtel. 
C'est là que le duc Decazes alla leur oflFrir l'hospitalité. 
Ils l'acceptèrent et revinrent à Libourne, d'où, par les 
soins de la duchesse Decazes, ils furent conduits à son 
château de la Grave, à quelques lieues de là. 

Ils y demeurèrent durant quinze jours, cachés et igno 
rés. Les habitants de l'humble commune de Bonzac, de 
laquelle dépend le château, les virent, le mercredi des 
cendres, agenouillés dans la petite église où la solennité 
religieuse du jour les avait conduits. Ils ne se doutèrent 
pas que ces deux inconnus, amenés là par les châtelains 
et qui courbaient le front sous la main du prêtre, tandis 
qu'il récitait le Mémento quia pulvis es^ étaient des fils de 
roi, des proscrits, les descendants des Bourbons. 

En arrivant à la Grave, les princes étaient convaincus 
qu'ils auraient bientôt raison de la résistance de M. Thiers ; 
mais, à la faveur des soucis qui accablaient le chef du 
pouvoir exécutif, sa résistance se prolongeait. Elle était 
aussi le témoignage évident d'un mauvais vouloir qui 
datait de loin (1), qu'on a vu se trahir à plusieurs reprises 
dans les récits qui précèdent et dont il allait fournir de 
nouveau de nombreuses et éclatantes preuves. 

Le duc de Broglie^ pour sa part, en recueillit une qui 
ne pouvait, eût-il après ce qu'il avait vu et entendu 
conservé des doutes sur les dispositions de M. Thiers, 

(1) En 1869, dans un bureau du Corps législatif, il disait : 
« Je ne sais ce que durera rétablissement actuel. Mais, le seul 
gouvernement qui puisse lui succéder, c'est la République. » Et 
comme ses auditeurs paraissaient surpris, il reprit en -accentuant : 
« Je dis la République. » — Récit d'un témoin. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 207 

lui en laisser encore. Élu député dans l'Eure, il n'avait 
pu, en raison de la difficulté des communications, arriver 
à Bordeaux qu'au moment où le gouvernement et la 
Chambre allaient se transporter à Versailles. C'était 
quelques heures avant le départ. M. Thiers, qu'il vit en 
arrivant, lui dit : 

« J'ai disposé de vous. Je vous envoie à la conférence 
de Londres. Je vous emmène à Versailles ce soir. En 
route, je vous donnerai vos instructions. » 

C'est ainsi que le duc de Broglie se trouva un peu plus 
tard dans le wagon-salon où le chef du pouvoir exécutif 
avait pris place avec Jules Favre et Ernest Picard. 
M. Thiers ne tarda pas à s'endormir. Il ne se réveilla 
qu'à Poitiers. Là, une allusion ayant été faite aux princes 
d'Orléans, il s'emporta. 

« Leur conduite est indigne, s'écria-t-il. Ils viennent 
chercher une couronne dans les malheurs de la patrie. » 

Le duc de Broglie protesta avec vivacité. M. Thiers 
insista, et c'est là que commença entre eux une querelle 
qui ne devait finir qu'au vingt-quatre mai (1). 

Quant aux princes, ils durent une fois de plus se 
résigner à attendre, à ne pas siéger. Ils s'y résignèrent 
comme ils s'étaient résignés, le 6 septembre, à s'éloigner 
de Paris et, tout récemment, à s'arrêter sur la route de 
Bordeaux. Us quittèrent le château de la Grave pour se 
rendre à Biarritz, si soucieux de ne pas laisser percer 
leur incognito qu'au lieu de faire la route en chemin de 
fer, ils la firent en voiture, en évitant, bien entendu, de 
traverser le chef-lieu de la Gironde, où, pour quelques 
Jours encore, se trouvait le siège du gouvernement. 

Si l'on veut considérer de quelles préoccupations s'in- 



(1) Récit du due de Broglie. 



208 LE DUC D'AUMALE. 

spirait leur conduite, ce souci de n'être pas un embarras 
pour le gouvernement alors en butte à de terribles diffi- 
cultés, on ne peut qu'être incité à louer leur résignation. 
Mais cette résignation persévérante inspirait-elle peut- 
être quelques regrets à ceux qui se plaisaient à voir en 
eux l'espoir du parti royaliste, les défenseurs naturels 
des doctrines d'ordre qu'au même moment, mettaient en 
péril les doctrines révolutionnaires, favorisées par le 
désarroi des pouvoirs publics. Ceux-là auraient souhaité 
plus de résolution, plus d'audace. 

Ils pensaient que, comme instrument de transition 
entre la République et la monarchie, le duc d'Aumale 
avait un grand rôle à remplir. Ceux qui le connaissaient 
souhaitaient que ce rôle, il l'acceptât et qu'il fît tout 
pour s'en emparer; on verrait ensuite. Dût-on, d'ailleurs, 
être à jamais ou pour longtemps condamné à la Répu- 
blique, ce n'était pas une solution à dédaigner que celle 
qui mettrait le pouvoir dans les mains d'un prince tel 
que lui. Sa présence à la tête du gouvernement atté- 
nuerait en partie les inconvénients du régime. C'était, 
dans la pensée de ceux qui caressaient ce rêve, la Répu- 
blique sans les républicains et la porte toujours ouverte 
à la monarchie. 

Que de telles perspectives fussent ou non réalisables, 
il n'est que trop évident que les princes se montraient, à 
les juger sur leur conduite, peu disposés à en favoriser 
la réalisation. Lorsque, après le 4 septembre, ils étaient 
venus à Paris, leur soumission aux volontés du gouver- 
nement de la Défense nationale avait été un premier 
indice de l'attitude qu'ils entendaient garder. Las de leur 
injuste exil, ils voulaient rentrer dans leur patrie, la 
défendre contre l'étranger, jouir de leurs droits de Fran- 
çais. Ils acceptaient par avance, quel que fût le régime 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 209 

établi, de vivre en citoyens soumis aux lois de leur pays, 
qu'avant tout ils brûlaient de servir. Les ambitieux, les 
prétendants n'agissent point ainsi. 

En 1871, élu député, le duc d'Aumale persistait dans 
cette attitude, ce qui imprimait, dès ce moment, à sa vie 
l'unité qu'elle avait toujours eue et qu'elle a toujours 
gardée depuis, mais commençait à créer le malentendu 
dont les effets se produisirent à plusieurs reprises, 
quoique sans éclat, entre les royalistes et lui. A cette 
heure, beaucoup de gens l'eussent souhaité moins docile 
aux volontés de M. Thiers. Qu'aurait fait le chef du pou- 
^ voir exécutif si, sans tenir compte de sa manière de voir, 
les princes s'étaient présentés ouvertement à Bordeaux, 
sous la protection de leur mandat législatif, et avaient 
occupé résolument leur siège de député? Eût-il osé les 
en expulser? 

Dès leur arrivée à Biarritz, ils songeaient à se mettre 
en rapport avec les groupes légitimistes de l'Assem- 
blée nationale. Ils devaient s'assurer le concours de ces 
groupes pour le moment où les questions qui les con- 
cernaient : validation de leurs pouvoirs et abrogation 
des lois d'exil, seraient mises en délibération. Par 
malheur, parmi les légitimistes, bien des préventions 
subsistaient contre les princes de la branche cadette. La 
longue communauté du malheur n'avait pas encore opéré 
la réconciliation, et pour la droite, où l'influence des 
exaltés menaçait trop souvent de s'exercer plus efficace- 
ment que celle des modérés, les d'Orléans, en dépit des 
protestations de leurs partisans, restaient sujets à cau- 
tion. Ils avaient hâte de prouver que ces préventions 
étaient sans fondement. 

Leur opinion sur la nécessité de combler le fossé 
creusé entre eux et le comte de Chambord ne pouvait 

14 



210 LE DUC D'AUMALE. 

faire doute pour qui était accoutumé à les entendre, celle 
même à\i duc d'Aumale, bien qu'il passât pour être 
moins favorable que ses frères et ses neveux au rappro- 
chement des deux branches de la maison de Bourbon. Oui, 
certes, il était resté le plus orléaniste des fils de Louis- 
Philippe, « bleu }) jusqu'aux moelles ; il l'avait déjà prouvé, 
et, jusqu'à sa mort, il devait le prouver encore. Mais sa 
haute raison l'avait convaincu de la nécessité de la fusion. 
Il pensait déjà, ainsi qu'il le répéta fréquemment depuis, 
a qu'on ne peut deux fois dans le même siècle sauver la 
monarchie par la substitution de la branche cadette à la 
branche aînée (1) » . 

Le duc d'Aumale et le prince de Joinville étaient 
depuis quelques jours à Biarritz, lorsqu'à l'improvisle 
le général Ducrot y arriva. Ce n'était pas le hasard qui le 
rapprochait des princes, mais la volonté de conférer avec 
eux. Élu député le 8 février, sincèrement royaliste, con- 
vaincu que la royauté qu'il souhaitait ne pouvait s'établir 
que par le rapprochement des deux branches de la maison 
de Bourbon, il avait imaginé tout un programme dont 
l'exécution devait, dans sa pensée, préparer la monarchie 
et faire des deux fils de Louis-Philippe les chefs incon- 
testés et obéis de la majorité. Dans l'entraînement de sa 
conviction, il venait le leur soumettre, après en avoir 
entretenu à Bordeaux deux de ses collègues, le comte de 
Maillé et le duc Decazes, qui tous deux l'approuvaient. 

Voici ce programme tel qu'il le présenta aux princes, 
après avoir été reçu par eux avec autant de cordialité 
que de joie : i*' établir par un acte éclatant — une 
visite au comte de Chambord à Genève — l'union com- 
plète de tous les princes de la maison de France; 2* ce 

(4) Cité par le Times. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE, 211 

premier fait accompli, proposer à l'Assemblée Fabroga- 
tion des lois d'exil; 3* l'abrogation votée, prononcer la 
validation de l'élection des princes. 

Le général Ducrot défendit devant eux son projet avec 
la fougue qui lui était propre. La visite des princes à 
Genève, à l'en croire, faciliterait le dénouement des dif- 
ficultés qui pesaient alors sur leur situation et que leur 
suscitaient tour à tour M. Thiers, l'extrême droite et la 
gauche. La réconciliation des Bourbons opérée, l'im- 
mense majorité des Français accueillerait sans hésita- 
tion la royauté, et le pays échapperait ainsi aux périls 
dont le menaçaient les entreprises révolutionnaires. 

Les princes trouvèrent ce plan très sage et très logique. 
Mais leurs amis affirmaient — le duc d'Aumale le dé- 
clara — que la soumission des d'Orléans au comte de 
Chambord, préalablement à toutes autres démarches, 
compromettrait les intérêts de leur famille, sans profit 
pour la cause du roi. Le général Ducrot se récria. Il 
maintint ses dires. Il les accentuait avec tant d'ardente 
éloquence, que le duc d'Aumale dut recourir à de nou- 
veaux arguments pour avoir raison des siens. Le prince 
insista sur cette considération que tous les membres de 
sa famille et lui-même étaient tenus à beaucoup de pru- 
dence. Il fallait avant tout éviter d'éveiller les suscepti- 
biUtés de M. Thiers par trop de précipitation ou d'impa- 
tience. Et comme le général Ducrot, non convaincu, 
revenait à la charge avec plus de vivacité, déclarant 
qu'il n'hésiterait pas à voter contre l'abrogation des lois 
d'exil si les princes se présentaient à l'Assemblée natio- 
nale avant d'avoir donné « des gages de soumission au 
roi », le duc d'Aumale répliqua : 

« Vous ferez, mon cher général, ce qu'il vous plaira, 
et nous ferons de même. » 



212 LE DUC D'AUMALE. 

On se quitta sur ces mots. Navré de l'insuccès de sa 
démarche, le général Ducrot préparait son départ pour 
le même soir, lorsque le duc d'Aumale l'envoya chercher. 

« Mon cher Ducrot, lui dit-il, nous ne pouvons rester 
sur notre dernier mot. De vieux amis comme nous ne se 
séparent pas ainsi. » 

Il avait réfléchi. Avec une légère modification au pro- 
gramme, on pouvait aisément s'entendre. Il fallait avant 
tout obtenir l'abrogation des lois d'exil, puis la validation 
des élections. Alors le voyage de Genève, que dans ces 
conditions les princes s'engageraient à faire, serait sans 
danger. L'abrogation des lois d'exil, c'était la brèche 
ouverte dans la place. Agir autrement, commencer par 
la visite au comte de Chambord, ce serait fournir des 
armes à M. Thiers, passé maître dans les manœuvres 
parlementaires. Le général Ducrot n'était pas persuadé 
que la combinaison du duc d'Aumale fût supérieure à la 
sienne ; mais il s'inclina devant la conviction des princes 
et promit de consacrer tous ses efforts à faire aboutir le 
plan qui venait d'être exposé par opposition au sien (1). 

Le lendemiain dans la soirée, rentré à Bordeaux, il 
était chez M. Thiers, à V Hôtel de France , où le chef du 
pouvoir exécutif s'était installé. « Assis ensemble sur un 
canapé, ils causèrent intimement et avec beaucoup d'ani- 
mation. » Quelques instants après, au moment où le 
général se retirait, ramené par M. Thiers jusqu'au seuil 
du salon, entra un des anciens familiers de la place Saint- 
Georges, M. Estancelin. Il ignorait le voyage du général 
Ducrot à Biarritz, et, lié avec les princes, il se disposait 
à les aller voir. 

« Je vais à Biarritz, dit-il à M. Thiers quand il put 

(1) Papiers du général Ducrot, communiqués par ses enfants. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLEE NATIONALE. 213 

Taborder. Avez-vous quelque commission pour le duc 
d'Aumale et le prince de Joinville? 

— Que diable sont-ils venus faire ici?répliquaM. Thiers. 
Nous avions bien besoin d'eux I 

— C'est tout à fait mon avis. Leur place n'était pas 
dans cette Assemblée. Mais, enfin, les voilà arrivés. Que 
voulez-vous qu'ils fassent? Où voulez-vous qu'ils aillent? 

— Le plus loin possible. 

— AChantiUy? 

— Où ils voudront. Mais le plus loin possible. » 

Et, tournant les talons, M. Thiers fit quelques pas au- 
devant de M. de la Germonière, député d^ la Manche, 
qu'on annonçait. M. de la Germonière était chargé, par 
les électeurs de son département, de demander à 
M. Thiers s'il approuvait qu'on portât à l'un des sièges 
législatifs vacants par suite de son option pour Paris, 
le duc de Nemours ou le duc de Chartres. Il s'était 
acquitté déjà de cette commission quelques jours avant. 
M. Thiers ayant ajourné sa réponse, il venait la lui re- 
demander. 

Il le fit à voix basse, le salon étant plein de monde. On 
vit tout à coup M. Thiers pâlir, et on l'entendit s'écrier : 

« Je n'ai pas d'avis à donner. Je ne suis, pas le 
commis des prétendants, qu'on le sache bien (1). » 

Il devenait donc de plus en plus certain qu'il ne se 
prêterait pas à l'abrogation des lois d'exil, ni par consé- 
quent à la validation des pouvoirs électoraux des princes. 

(1) Notes communiquées par MM. Estancelin et Ed. de la Germo- 
nière, fils de l'ancien député de la Manche. Il est à remarquer que 
déjà le duc d'Aumale avait remis au duc Decazes, qui la communiqua 
aux membres de la Droite, une lettre du comte de Paris par laquelle 
celui-ci déclarait que, « sans ambition personnelle, il travaillerait 
loyalement à la solution la plus utile au pays » . Elle n'avait pas la 
portée des engagements qui furent pris ensuite. — Voir Pièces histo- 
riques, VI. 



214 LE DUC D'AUMALE. 

En les abordant à Biarritz, M. Estancelin leur fit part 
de cet incident. Puis, comme l'avait fait le général Du- 
crot, il démontra la nécessité, dans l'intérêt même des 
d'Orléans, d'un accord avec le comte de Chambord. Il 
importait de convaincre ce prince et ses partisans que, 
parmi les membres de la branche cadette, le représentant 
de la branche aînée ne recontrerait pas de compétiteurs. 

« Nous donnons notre parole , disait le duc d' Aumale, 
cela doit suffire. » Mais, comme tel n'était point l'avis de 
son interlocuteur, il écrivit, séance tenante, quelques 
lignes par lesquelles il déclarait que ni lui ni aucun 
prince d'Orléans ne feraient obstacle au rétablissement 
de la monarchie légitime. « Tenez, dit-il ensuite, vous 
remettrez cet engagement à Mgr Dupanloup. » 

L'évêque d'Orléans le reçut vingt-quatre heures plus 
tard, en présence de MM. de Larcy et de Rességuier. 

Tels furent les résultats des entretiens de Biarritz. Ce 
n'était pas encore un contrat définitif; mais les condi- 
tions d'une entente étaient déterminées et précisées de 
manière à satisfaire les légitimistes, à l'exception de 
quelques irréconciliables qu'on savait enclins à ne par- 
donner jamais aux fils de Louis-Philippe les événements 
de 1830. 

Il ne suffisait pas cependant d'avoir préparé cet accord 
avec la droite. Pour qu'il pût porter tous ses fruits, il 
fallait que M. Thiers consentît à laisser mettre en déli- 
bération dans l'Assemblée nationale la validation des 
pouvoirs électoraux du duc d' Aumale et du prince de 
Joinville, et, du même coup, la question des lois d'exil. 
Des négociations s'étaient ouvertes déjà entre le chef du 
pouvoir exécutif et les représentants des princes, afin de 
faire établir à quelles conditions il serait loisible à ces 
derniers de paraître à l'Assemblée. Un publiciste bor- 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 215 

délais qui, de tout temps, s'était fait leur défenseur, 
M. Crugy, rédigea même un projet d'arrangement sur 
lequel on délibéra, et qui fut, en fin de compte, adopté 
à titre de transaction. Il portait que l'élection serait 
validée, que le gouvernement saisirait l'Assemblée d'une 
proposition d'abroger les lois d'exil; que, en revanche, 
les princes, en attendant le vote, s'abstiendraient de 
siéger et, ce vote une fois acquis, donneraient leur dé- 
mission. On voit de quel prix M. Thiers leur faisait payer 
l'abrogation de ces lois. 

Ils souscrivirent à ces conditions léonines, tenant 
moins encore à rester députés qu'à être réintégrés dans 
tous leurs droits de citoyens français. Ils eurent soin 
toutefois de stipuler que c'est envers l'Assemblée elle- 
même et non envers M. Thiers qu'ils prenaient cet enga- 
gement (1). Du reste, même après que ces bases eurent 
été posées de part et d'autre, la question que soulevait 
la présence des princes ne fit pas un pas. M. Thiers ne 
semblait pas pressé de la voir se résoudre. 

Presque subitement, les multiples difficultés qu'il 
s'efforçait de vaincre s'aggravèrent. Le 10 mars, l'As- 
semblée nationale, décidée à se rapprocher de Paris sans 
y rentrer, votait sa translation à Versailles; le 18 du 
même mois, à la veille du jour fixé pour la reprise de 
ses travaux, se déclarait dans la capitale la plus effroyable 
insurrection qu'ait enregistrée son histoire. A cette date, 
les princes, qui voulaient rester à portée de l'Assemblée 
dont ils étaient membres, avaient déjà pris le parti d'aller 
s'établir à Dreux. 



(1) Documents inédits : Papiers d'Hausson ville . — (Test de cette 
réserve formelle que plus tard s'obstinaient à ne pas tenir compte 
ceux qui accusaient les princes de manquer, en venant siéger, à la 
parole donnée à M. Thiers. 



216 LE DUC D'AUMALE. 

Outre qu'en cette ville ils se trouvaient daas le voisi- 
nage immédiat de Versailles, elle leur offrait tout un 
trésor de souvenirs mélancoliques chers à leur cœur, et 
parmi lesquels il ne leur déplaisait pas de vivre alors que 
le deuil de la patrie ne pouvait entretenir en eux que de 
douloureuses pensées. A Dreux était la sépulture des 
d'Orléans. Le roi Louis-Philippe avait réuni là les cer- 
cueils des ancêtres. Dans cette nécropole, des places 
restées vides attendaient le sien, ceux de la reine, de la 
duchesse d'Orléans, de la duchesse d'Aumale, du prince 
de Condé. En ces jours calamiteux, c'était une douceur 
pour le duc d'Aumale de résider en ces lieux où tout lui 
parlait du passé. 

Il y arriva le 18 mars, dans l'après-midi, et s'installa 
dans le petit château appelé l'Évéché, qui se trouve à 
proximité de la chapelle. Le même jour, à une heure 
avancée de la soirée, le prince de Join ville vint le 
rejoindre. C'était au lendemain de l'occupation alle- 
mande. L'armée étrangère quittait à peine Dreux, et dans 
la ville on se hâtait d'effacer les traces de son séjour (1). 
Les princes apprirent en arrivant que, trois semaines 
avant, le prince Fritz, héritier de la couronne de Prusse, 
le grand-duc de Bade et le duc régnant de Saxe-Cobourg, 
étaient venus de Versailles visiter la sépulture des d'Or- 
léans. Devant la gare, une troupe de cavalerie les atten- 
dait, le sabre au clair. Les habitants étaient restés chez 
eux. Seul, le régisseur du domaine de Dreux avait dû, 

(1) L'Évêché ne fut pas occupé. L'état-major allemand redoutait 
de n'y pas être en sûreté. Il exigea seulement que le château restât 
inhabité. Ayant vu plusieurs soirs de suite de la lumière à une 
croisée, les Prussiens crurent que c'était un signal. Ils voulurent alors 
prendre possession de l'Évêché. Mais, lorsqu'on leur eût dit qu'on 
y soignait un mobile atteint de la petite vérole noire, ils cessèrent 
de réclamer et renoncèrent à prendre possession de Thabitation. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 217 

par ordre, se mettre à la disposition des visiteurs et les 
guider dans leur visite. Les princes furent péniblement 
impressionnés par ces douloureux souvenirs. Dès le len- 
demain, ils entendirent la messe dans la chapelle et 
allèrent s'agenouiller sur les tombeaux, les uns déjà 
occupés, les autres qui devaient bientôt recevoir les restes 
des membres de leur famille, morts dans Texil. 

C'est à Dreux que fut faite au duc d'Aumale, par 
M. Estancelin, le plus fougueux et le plus militant des 
défenseurs de la cause monarchique, une proposition qu'il 
n'accepta pas. 

« On va faire le siège de Paris, disait M. Estancelin; 
allez à l'Assemblée demain, demandez la parole pour la 
validation de votre élection, et proposez-vous pour com- 
mander l'armée qui doit marcher contre la Commune. 
Celui qui vaincra l'insurrection et prendra Paris sera chef 
du gouvernement et maître de la France. » 

Le duc d'Aumale repoussa ces ouvertures. 

« Puisque je n'ai pas eu le bonheur de commander 
une armée française contre les Prussiens, répondit-il, je 
ne veux pas recommencer ma carrière en commandant 
une armée contre les Parisiens. » Et comme M. Estan- 
celin insistait, le duc d'Aumale piqué au vif se redressa 
et, d'une voix où passait la colère : « Je ne suis pas de ces 
princes, s'écria-t-il, qui tirent l'épée sur les boulevards de 
Paris pour la tremper dans le sang français, et vont 
ensuite la jeter aux pieds du roi de Prusse. S'il vous faut 
des princes de cette espèce-là, allez les chercher ailleurs 
que chez moi (1). » 

La proposition de M. Estancelin avait trahi un bouil- 
lant courage, prêt à tout entreprendre pour la victoire de 

(1) Les dernières heures d'une monarchie. 



248 LE DUC D'AUMALE. 

la cause qu'il sert. Mais dans la réponse du duc d'Aurnale 
se révélait aussi, et à un non moindre degré, une âme 
de patriote. En acceptant le rôle que lui conseillait un 
dévouement exalté, il eût manqué aux principes qu'il 
avait appris. Comme il le disait, on n'eût pas compris 
qu'éloigné de l'armée, il y rentrât, dans un intérêt per- 
sonnel, par la porte de la guerre civile. C'était le mécon- 
naître que de le supposer capable d'adopter, même pour 
réaliser des ambitions qui, d'ailleurs, n'existaient pas 
en lui, un parti que condamneraient sa conscience et sa 
raison. 

Fixés à Dreux, les princes s'appliquèrent à y vivre 
ignorés. En dehors d'un petit nombre de personnes appar- 
tenant au gouvernement, le lieu de leur retraite ne fut 
connu que de quelques membres de l'Assemblée qu'ils y 
appelèrent dès leur arrivée pour continuer avec eux la 
négociation entamée à Biarritz avec le général Ducrot. 

Dans une de ces entrevues, ils prirent de formels enga- 
gements. Le duc d'Aumale et le prince de Join ville, par- 
lant en leur nom comme au nom du comte de Paris, 
déclarèrent de nouveau qu'il n'existait aucun prétendant 
dans la famille d'Orléans, et que si la France souhaitait 
jamais de revenir à la monarchie, aucune compétition 
royale ne s'élèverait parmi les membres de leur maison. 
Ils s'engagèrent de même à faire parvenir par le comte 
de Paris, en son nom et au nom des siens, cette assu- 
rance au comte de Chambord, se réservant le droit de 
fixer l'époque où cette démarche devrait être faite. Le duc 
d'Aumale insista sur ce point que toutes les prétentions 
personnelles étaient écartées et que lui, comme ses frères 
et neveux, s'inclinaient loyalement devant son cousin, 
chef de la maison de Bourbon. Il y eut ultérieurement 
aussi une déclaration verbale affirmant que le comte de 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 219 

Ghambord acceptait le drapeau tricolore (1) ; ceux qui la 
firent étaient de bonne foi. Ils ne soupçonnaient pas 
qu'à quelques semaines de là, un manifeste de ce prince 
leur infligerait un démenti. 

Les jours qui suivirent l'installation du duc d'Aumale 
et du prince de Joinville à Dreux furent des jours d'an- 
goisse et de tristesse. Les luttes sanglantes qui se 
livraient autour de Paris reléguaient au second plan 
toutes les autres questions. M. Thiers paraissait avoir 
oublié les arrangements concertés à Bordeaux. Son lan- 
gage, quand il parlait des princes aux personnes de son 

(1) Ce fait fut ultérieurement démenti, et il n'était pas exact en 
tant qu'on attribuait le propos aux membres de la droite, MM. de 
Maillé, de Cumont et de M eaux, qui la représentaient aux confé- 
rences de Dreux. L'un d'eux m'en a donné tout récemment l'assu- 
rance. J'ai cependant sous les yeux une note écrite de la main de 
M. de Carrayon-Latour, un des principaux chefs du parti légitimiste, 
où je lis : « A Dreux, les représentants de la droite eurent le tort 
immense d'affirmer que le comte de Ghambord acceptait le drapeau 
tricolore. » Cette déclaration figure sur un exemplaire d'un livre : 
La vérité sur l'essai de restauration monarchique, publié sans signa- 
ture, en i874, et dont je suis l'auteur, exemplaire qu'à ma demande 
M. de Carray on-Latour , qui contestait l'exactitude de certains de 
mes dires, voulut bien annoter. Mais il se trompait, ainsi que cela 
resuite de la déclaration suivante de M. le vicomte de Meaux : 
« Lorsque nous avons abordé les princes à Dreux, nous n'avons ni 
affirmé, ni laissé supposer, croyez-le bien, que M. le comte de Cham- 
bord acceptait le drapeau tricolore; non pas que, pour notre part, 
nous ne fussions convaincus qu'il fallait l'accepter. Mais nous 
n'avions pas qualité pour parler au nom de M. le comte de Cham- 
bord, et nous ne l'avons pas fait; c'est uniquement en notre nom et 
au nom de quelques-uns de nos amis de la droite que nous sommes 
entrés en pourparlers avec les princes d'Orléans. Plus tard, ceux 
qui approchaient les hommes choisis par lui pour le représenter 
ont pu prêter au prince cette intention ; ils ont pu s'y croire auto- 
risés par certaines paroles de ses instructions. » La question est 
donc tranchée en ce qui touche les membres de la droite qui allè- 
rent à Dreux. Il n'en est pas moins vrai que les princes d'Orléans 
durent croire que le comte de Chambord acceptait le drapeau trico- 
lore. L'histoire est bien difficile à écrire, même quand les acteurs 
sont vivants. 



220 LE DUC D'AUMALE. 

intimité, devenait de plus en plus malveillant, aboutissait 
toujours au conseil de s'expatrier, et ceux-ci, à qui ses 
propos étaient répétés, pouvaient craindre, les lois d'exil 
n'étant pas abrogées, que cette malveillance si clairement 
démontrée n'allât jusqu'à tenter de faire revivre ces lois. 

Le duc d'Aumale recourut alors au conseiller si sûr. à 
l'ami si fidèle qu'était pour les princes d'Orléans le comte 
d'Haussonville. Il l'appela à Dreux, un jour où il s'y trou- 
vait seul (1), et lui parla à cœur ouvert : 

« Nous avons besoin, en ce moment, des conseils et de 
l'assistance de tous nos amis, et nous savons que nous 
pouvons compter sur vous », dit-il. Et après avoir rap- 
pelé les divers pourparlers qui avaient eu lieu avec les 
représentants du comte de Chambord, d'un côté, et avec 
M. Thiers, de l'autre, il ajouta : « Vous avez été, et vous 
êtes en bonnes relations avec la plupart des hommes qui 
sont aujourd'hui en scène... Vous ne faites pas partie de 
l'Assemblée nationale. Vous êtes, par conséquent, étran- 
ger aux coteries qui s'agitent en ce moment. Voilà pour- 
quoi, si vous n'y répugnez pas, nous voudrions, mes 
frères, mes neveux et moi, vous charger à l'occasion de 
porter parole en notre nom, soit au chef du pouvoir exé- 
cutif, soit à des personnes qui ne peuvent venir nous voir 
ici, et avec qui nous ne pouvons entrer actuellement en 
correspondance. » 

Le comte d'Haussonville se déclara prêt à accomplir 

(i) Est-ce k ce moment que survint l'émouvant incident dont j'ai 
recueilli le récit? Le prince de Joinville se trouvait en wagon, allant 
je ne sais où, quand il s'aperçut que le train dans lequel il avait 
pris place par erreur se dirigeait vers Paris, et qu'en conséquence 
il allait se trouver à la merci de la Commune. 11 n'hésita pas à 
sauter du train en marche, après avoir jeté sa valise. Il roula sur 
le talus sans se faire aucun mal, et, rebroussant chemin, il gagna 
pédestrement, en longeant la voie, la station qu'il avait quittée 
quelques instants avant. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 221 

toutes les démarches dont on voudrait le charger, à la 
condition « que les instructions fussent assez précises 
pour qu'il ne fût pas exposé à faire fausse route » . 

L'intention du duc d'Aumale à ce moment, comme celle 
de son frère, était de rester à Dreux. Mais, dans la soirée 
du 25 mars M. de TÉpée, préfet de la Loire, fut assassiné 
à Saînt-Étienne. Un télégramme de Versailles l'apprit aux 
princes dans la matinée du lendemain, au moment où ils 
se rendaient à la chapelle pour y entendre la messe. Cet 
événement leur suggéra diverses réflexions touchant leur 
sûreté. 

A Dreux, dans le voisinage de Paris, où l'insurrection 
commençait et s'aggravait, ils couraient des risques. 
Bien que la population qui les voyait se promener chaque 
jour dans les jardins, ouverts alors comme aujourd'hui 
aux promeneurs, ne leur manifestât que déférence, ils 
pouvaient craindre que dos gens animés de mauvaises 
intentions ne parvinssent à se glisser au milieu d'elle 
pour arriver à eux. Ils se déterminèrent, par ces consi- 
dérations, à s'assurer des asiles où il leur fût possible de 
vivre ignorés, moins en évidence. 

Il y a, non loin de Dreux, deux châteaux où ils étaient 
certains d'être accueillis avec empressement. L'un, Mar- 
couville, appartenait à Mme Vingtain, mère de leur col- 
lègue à l'Assemblée nationale; l'autre, le Brcuil, au 
comte de Reiset, diplomate, ancien secrétaire à l'ambas- 
sade de France à Rome et ami personnel du duc d'Au- 
male, avec qui il s'était lié à la faveur des nombreux 
voyages du prince en Italie (i) . D'Arromanches où il 

(1) Leurs relations dataient de 1851. Depuis cette époque, le 
dévouement du comte de Reiset ne s'est jamais démenti. Il en a 
donné d'innombrables preuves. C'est grâce à lui que, sous l'Empire, 
le duc d'Aumale qui se trouvait en Italie, rappelé à Twickenham 
par la maladie d'un de ses enfants et pressé d'y rentrer, put rega- 



222 LE DUC D'AUMALE. 

résidait alors, le comte de Reiset, en apprenant l'arrivée 
du duc d'Aumale à Dreux, lui avait envoyé un ami com- 
mun pour mettre son château à sa disposition. D'autre 
part, M. Vingtain, auprès duquel M. Edouard Bocher 
s'était fait l'organe du désir du prince, avait donné des 
ordres à Marcouville, afin que « deux de ses amis », 
MM. de Vineuil, y furent reçus et traités en son absence 
avec des égards particuliers. 

Les princes n'avaient donc que l'embarras du choix, 
et, le 27 mars, ils allaient séparément s'installer à Mar- 
couville, d'où ils pouvaient aisément revenir chaque jour 
à Dreux (i). Durant leur séjour, ils ne firent à Dreux que 
de rares apparitions, animés tout à la fois du désir de n'y 
pas être et de la volonté de laisser ignorer qu'ils n'y 

gner l'Angleterre en traversant, quoique exilé, toute la France. 
M. de Reiset lui avait procuré un passeport qui lui permit d'aller, 
sous un faux nom et suivi de Gouvernor, son valet de chambre, 
s'embarquer à Calais. 

(1) Le même jour, le duc d'Aumale écrivait au comte de Reiset 
pour le remercier de ses offres : t II est très possible que l'un de 
nous, ou tous deux, profitent de votre gracieuse invitation, et que si 
vous venez au Breuil dans le courant de la semaine, vous y trouviez 
installé votre bien affectionné. — H. d'Orléans. » — Le 34 mars, il 
écrivait de Marcouville : « J'espère pouvoir prochainement profiter 
de l'aimable invitation que vous m'avez transmise par l'intermé- 
diaire d'un de nos amis communs et vous arriver un de ces jours, 
par exemple un dimanche ou lundi... Ayez la bonté de prévenir 
votre garde que M. de Vineuil se présentera probablement chez vous 
un de ces jours. » 

Le duc d'Aumale n'oublia jamais le dévouement du comte de 
Reiset, et, jusqu'à la fin de sa vie, il le traita en ami. En 1872, 
étant à Dreux, il arriva un matin de bonne heure au Breuil avec 
son frère. Dans la cuisine où ils entrèrent, ayant trouvé les portes 
du château encore fermées, ils surprirent une petite fille de huit ou 
neuf ans tout en larmes. C'était Mlle Walburge de Reiset, aujour- 
d'hui Mme de Beaupré, qui venait de se blesser en maniant un cou- 
teau. Elle pleurait à la pensée d'être grondée. Le duc d'Aumale la 
rassura, voulut la panser lui-même et se fit ensuite conduire par 
elle dans la chambre du comte de Reiset. On a gardé au Breuil un 
souvenir ému de ce petit incident, 






AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 223 

étaient pas. Le prince de Joinville passait son temps à 
dessiner ou à jo.uer de l'orgue. Quant au duc d'Aumale, 
il étudiait les procédés de culture, s'intéressait aux tra- 
vaux de la ferme et envoyait à M. Vingtain le résultat de 
ses observations (i). Ils demeurèrent là huit jours, et, le 
3 avril, ils allaient s'installer à Breuil. 

Ce château est construit sur l'emplacement d'une an- 
cienne abbaye de Trappistes. Des bâtiments conventuels, 
reste encore le prieuré et une église admirable que le 
propriétaire a fait restaurer avec le goût le plus rare, com- 
plété par l'érudition la plus sûre. Dans sa demeure, il a 
accumulé des merveilles d'art, des documents historiques 
d'un prix inestimable. Les princes trouvèrent donc autour 
d'eux, au château de Breuil^ d'inépuisables sources de dis- 
traction. Le ducd'Aumale couchait dans le lit de Louvois, 

(1) Témoin ce billet écrit de la main du duc d'Aumale : t Remer- 
ciements à l'hôte. Il y a trois cent soixante moutons à graisser. 
La fermière demande s*il faut les tondre ou les vendre ; il faut lun 
ou l'autre. Si on vend maintenant, il reste de quoi en nourrir 
quatre cents. Si l'on attend, on pourra en nourrir trois cents après 
ceux-ci: » 
A citer encore cette lettre de M. Vingtain à sa mère : 
€ Versailles, 2 avril 4874. — ...J'ai dû envoyer à Marcouville 
l'ordre d'y recevoir un de mes collègues, dont Caillet nous a bien 
des fois entretenu; une circonstance qui pouvait offrir quelque dan- 
ger a forcé ce collègue à me demander l'hospitalité, et je suis assuré 
que tu aurais agi comme j'ai agi moi-même. J'ai reçu une lettre de 
remerciement à ton adresse plus qu'à la mienne; du reste, cet 
état de choses va cesser d'ici à quelques jours... > 
Voici la lettre de remerciement dont il était question : 
€ 30 mars 4874. — Monsieur et cher collègue, M. de Vineuil a 
profité de vos offres si cordiales et si généreuses. 11 me charge de. 
vous remercier de l'hospitalité si large qu'il reçoit chez vous. Soyez, 
je vous prie, l'interprète de sa gratitude auprès de Mmes Ghasles et 
Vingtain. Il espère pouvoir revenir à Marcouville quand ces dames 
y seront, tenant à leur offrir lui-même ses excuses et ses remercie- 
ments. Quant à moi, je n'ai pas besoin de vous rappeler les anciens 
sentiments avec lesquels je demeure Votre bien affectionné. — 
H. d'Orléans, » 



224 • LE DUC D'AUMALE. 

premier auteur de ces fortifications de Franche-Comté 
que lui-même devait être chargé de réédifier plus tard. 

A la faveur de leur incognito, les princes faisaient chaque 
jour des promenades sur les terres du Breuil et jusque 
dans la forêt de Dreux, de l'autre côté de l'Eure, où par- 
fois ils péchaient à la ligne. C'est le prince de Joinville, en 
sa quaUté de marin, qui maniait les avirons pour la tra- 
versée de la rivière. MM. de Vineuil pouvaient voir cette 
forêt qui leur appartenait mise au pillage par des bracon- 
niers et des gens sans aveu qui profitaient du désordre de 
ces sombres jours pour abattre et s'approprier des arbres. 

Un matin, s'étant rendus à une tour commémorative 
élevée sur la lisière de la forêt par le comte de Reiset, 
ils mirent en fuite une bande de malandrins qui y avait 
passé la nuit après avoir brisé la serrure d'un coup de 
fusil et allumé du feu, au risque d'incendie. Ces malfai- 
teurs avaient pris les princes pour des gens de la police. 
Dans le pays, les paysans racontaient que MM. de Vi- 
neuil étaient des personnages de la Cour de Napoléon III, 
venus au Breuil afin de se dérober à des poursuites. 

Sur ces entrefaites, se produisit un incident assez mys- 
térieux, qui apporta aux princes la preuve que leurs 
craintes, quant aux intentions persistantes de M. Thiers, 
n'étaient pas exagérées. Le 31 mars, M. d' Autrement, 
régisseur des propriétés de Dreux et du petit château où 
le duc d'Aumale et son frère s'étaient installés, reçut de 
Londres un télégramme signé de M. Asseline, secrétaire 
du comte de Paris, et ainsi conçu : 

« Londres, 11 h. 20, 30 mars, d'Autremont-Dreux. 

i( Trois individus suspects, dont un nommé Georges, 
taille moyenne, roux, barbu, ancien maître d'école, con- 
damné à vingt-cinq ans de bagne, revenu depuis sept ans 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLEE NATIONALE. 225 

de Cayenne, vendeur journaux à Londres; autre, très 
grand, partis aujourd'hui par Dieppe pour Dreux, avec 
mauvaises intentions. Prévenez amis de se tenir sur leurs 
gardes. » 

Ce télégramme fut porté aussitôt au procureur de la 
République (1). Ce magistrat le communiqua au procu- 
reur général, en lui demandant ses instructions. Le 2 avril, 
avant qu'il eût une réponse, les princes reçurent de Lon- 
dres, et lui firent parvenir, une lettre qui n'était que le 
développement du précédent avis. Puis, le surlendemain, 
lui arriva un télégramme du ministre de la justice envoyé 
à tous les procureurs généraux, donnant le signalement 
des « trois assassins partis de Londres le 30 mars, pro- 
bablement par voie de Dieppe, dans le but d'attenter à la 
vie des membres d'une ancienne famille princière » , et 
invitant les chefs des parquets à se concerter avec les 
préfets en vue de l'arrestation de ces suspects. 

Enfin, le 7 avril, le procureur de Dreux écrivait à 
M. d'Autrement : « Une dépêche de M. le procureur 
général, datée du 5 avril et arrivée ce matin, me fait con- 
naître que ce haut magistrat m'approuve d'employer les 
moyens en mon pouvoir pour protéger les princes d'Or- 
léans contre les misérables assassins qui me sont signa- 
lés. Mais M. le procureur général commence par remar- 
quer qu'il est regrettable que ces princes, au mépris des 
lois, persistent à séjourner en France, et il ajoute : « Je 
« vous engage à faire représenter aux princes que leur 

(1) M. Paul Bonnet, devenu plus tard substitut du tribunal de la 
Seine, démissionnaire en 1880, et aujourd'hui avocat à Paris. Je lui 
dois des renseignements qui m'ont permis d'éclairer le récit que fait 
le comte d'Hausson ville, dans son Journal, du même incident. Le 
procureur général dont il est ici question était M. Leblond, député 
& l'Assemblée nationale. 

15 



226 LE DUC D'AUMALE. 

« présence à Dreux est extrêmement fâcheuse, et à tâcher 
« d'obtenir qu'en attendant la décision de l'Assemblée qui 
« leur permettra de revenir en France, ils retournent à 
« l'étranger. » Je vous prie de vouloir bien mettre ces 
paroles sous les yeux de ceux qu'elles concernent, et 
m'en accuser réception. » 

Quand cette lettre lui fut remise, le duc d'Aumale devina 
d'où venait le coup. La singulière exhortation du procu- 
reur général avait été dictée, pensait-il, par le chef du 
pouvoir exécutif. Un fonctionnaire, quel qu'il fût, n'eût 
osé prendre sur lui de trancher « à huis clos » une ques- 
tion qui ne pouvait l'être que par l'Assemblée nationale. 
Le prince fut indigné de ce « rapprochement monstrueux » 
entre les menaces d'assassinat, à l'aide desquelles on 
essayait de l'effrayer, et cette invitation à quitter la 
France qui déjà, à plusieurs reprises, lui était parvenue. 
Son frère s'en offensa comme lui. Ils ne pouvaient se dis- 
simuler qu'entre M. Thiers et eux la situation se tendait, 
et ce qui ne leur causait pas une moindre inquiétude, c'est 
que de certaines paroles, de certains faits qui leur étaient 
rapportés, résultait la preuve que, par des voies souter- 
raines, le chef du pouvoir exécutif travaillait à exciter 
contre eux les défiances et les soupçons de la droite. 

Les circonstances dans lesquelles leur avait été com- 
muniquée la mise en demeure du procureur général ne 
leur permettait pas de mettre en doute la volonté de 
M. Thiers de leur faire quitter la France. Ils se décidè- 
rent à ne pas attendre les mesures coercitives dont ils 
étaient menacés et à aller s'embarquer à Cherbourg pour 
regagner l'Angleterre (i). M. Edouard Bocher fit part de 

(1) En quittant le Breuil, le duc d'Aumale adressa au comte de 
Reiset la lettre suivante : 

f Mon cher Comte, je ne veux pas quitter le Breuil sans vous 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLEE NATIONALE. 227 

leur résolution à l'un de ses amis, député à l'Assemblée 
nationale, dont le vieux dévouement à leur cause était 
à la hauteur de tous les périls, le duc d'Audiffret-Pas- 
quier. Son château de Sassy étant sur la route de Cher- 
bourg, les princes demandaient à s'y arrêter une nuit. 
Le duc d'Audîffret-Pasquier les y rejoignit. Il les adjura 
de ne pas aller plus loin et les convainquit de la nécessité 
de rester en France (1). Puis il revint à Versailles, et, 
se présentant chez M. Thiers, il lui déclara qu'il n'avait 
pas à les rechercher, qu'ils étaient à Sassy et qu'ils y 
resteraient. Pour les faire partir, il eût fallu employer la 
violence. M. Thiers n'osa aller jusque-là. 

Le séjour des princes à Sassy se prolongea durant 
plusieurs semaines (2). C'est de là que, le 30 avril, le duc 
d'Aumale écrivait au comte d'Hausson ville : 

a Nous en sommes à peu près au même point que lors 

remercier au nom de mon frère et au mien de l'hospitalité que 
nous y avons reçue. Rien ne nous y a manqué que le plaisir de 
vous y voir; mais j'espère que c'est seulement partie remise et que 
bientôt il me sera donné de vous témoigner de vive voix notre gra- 
titude ; en attendant, soyez notre interprète auprès de Mme la com- 
tesse. Malgré un incognito qui heureusement, je crois, n'a pas 
été pénétré, tous vos gens ont été remplis d'attention pour nous. 
J'ai demandé à l'excellent Ternaux s'il avait à me charger de 
quelque message pour mon ancien camarade d'enfance, mais il m'a 
seulement assuré que tout était en ordre. Je vous félicite de votre 
belle église et je vous prie de compter toujours et plus que jamais 
sur les vieux sentiments de votre bien affectionné. Hélas que de 
calamités! > 

(i) Documents inédits : Récit du duc d'Àudiffret-Pasquier. 

(2) Peu après leur départ de Sassy ils allèrent à Randan, chez le 
duc de Montpensier, où toute la famille d'Orléans, durant plusieurs 
jours, se trouva réunie. C'est là que le comte de Paris reçut la visite 
du duc de Doudeauville, qui vint lui démontrer la nécessité de se 
rapprocher du comte Ghambord. Cette visite donna lieu à un inci- 
dent assez piquant que le duc d'Aumale, plus tard, quand il reve- 
nait sur cette année 4871, se plaisait à rappeler. 

Le duc de Doudeauville, tandis qu'on allait avertir le comte de 
Paris, avait été introduit dans un salon du rez-de-chaussée. Pendant 



228 LE DUC D'AUMALE. 

de votre visite à Dreux, nous et le pays, hélas! Peut-être 
même sommes-nous moins avancés, car on reparle des 
Bonaparte. Je ne puis pourtant croire à la résurrection 
spontanée de cet odieux régime. Mais quel rôle peuvent 
jouer la Prusse, l'Europe même? Soyez sûr que là est le 
danger. Je voudrais que tout le monde le crût comme 
je le crois et que Ton ne cherchât pas Tennemi là où il 
n'est pas. Je voudrais que nos intentions ne fussent pas 
dénaturées. Vous les connaissez, nos intentions. Recti- 
fiez, quand l'occasion s'en présentera, les jugements 
incorrects et mal fondés. Vous savez ce qui avait été 
convenu à Bordeaux en ce qui nous concerne. Pourquoi 
ne pas en revenir là? Pour nous, nous sommes toujours 

qu'il attendait, entre la comtesse de Paris qui, sans l'avoir distingué, 
s'écrie ; 

« Tiens, voilà Mussy ! Bonjour, docteur. » 

Le duc de Doudeauville se retourne et répond : 

« Madame, je ne suis pas le docteur Guéneau de Mussy; je suis 
le duc de Doudeauville. J'attends Mgr le comte de Paris. 

— Je vais le prévenir », dit la princesse. 

Comme elle venait de s'éloigner, arrive le prince de Joinville. Il 
avait donné rendez-vous à un de ses anciens camarades de la marine. 
Lui aussi se trompe et salue : 

c Bonjour, amiral. » 

Nouvelle déclaration du duc, sur laquelle le prince de Joinville 
s'excuse et se retire. Apparaît alors le duc d'Aumale. Le visiteur le 
reconnaît, va vers lui, se nomme et lui dit : 

« Monseigneur, je ne vous aime pas. Vous êtes aux d'Orléans ce 
que le prince Napoléon est aux Bonaparte. » 

Le duc d'Aumale ne juge pas qu'il y ait rien à répondre, et s'en 
va en saluant. 

Quelques minutes après, on venait chercher le duc de Doudeau- 
ville. Pour arriver au cabinet du comte de Paris, il fallait passer 
par un escalier très étroit. Obèse et lourd, le duc en gravissait péni- 
blement les degrés, touchant les murs des deux côtés. Soudain, il 
se rencontra avec quelqu'un qui descendait. C'était le duc de Mont- 
pensier, très gros aussi. Impossible de passer deux de front; il fallait 
nécessairement que l'un ou l'autre cédât le pas, et le duc de Dou- 
deauville se vit contraint de redescendre. Mais il crut toujours que 
c'était le duc d'Aumale qui « lui avait joué ce tour », ce en quoi, 
d'ailleurs, il se trompait, l'incident n'ayant été que le fait du hasard. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 229 

prêts à accepter ce terrain. Rappelez-le si Toccasion s'en 
présente. Dites-nous ce que vous savez, ce que vous 
conseillez. Que ne pouvons-nous causer un peu (1)? » 
Le 15 mai, le duc d'Aumale devenait plus pressant : 
« Il est aujourd'hui plus que surabondamment prouvé : 
!• qu'au risque d'être mal jugés par quelques-uns et de 
causer certaines déceptions, nous avons évité de causer 
aucun embarras au pouvoir exécutif; 2" que nos noms, 
notre présence n'ont été pour rien dans les insurrec- 
tions, agitations, difficultés qui ont pu se présenter. Les 
raisons, les prétextes qui avaient pu être mis en avant 
pour différer la vérification de nos élections n'existent 
plus. Cependant le temps s'écoule. D'un moment à l'autre 
notre situation peut devenir insupportable et inexplicable. 
Chaque incident nouveau la complique malgré nous. Il 
échappe des allusions que nous ne prenons pas pour 
nous, mais qui, répétées, pourraient nous atteindre et 
que nous ne saurions accepter en silence. Avant de 
prendre aucun parti, nous tenons à être en règle vis-à-vis 
de M. Thiers. Nous avons besoin d'être fixés sur ses 
intentions, et nous attendons de votre amitié de nous 
rendre ce service essentiel. Voici quels étaient les termes 
de l'arrangement que Crugy avait rédigé et qui semblait 
accepté : 1" validation des élections; 2* proposition 
d'abroger des lois de bannissement; 3' demande de 
congé s'il y a lieu; 4' démission, après le vote de l'abro- 
gation. Cet arrangement est-il toujours accepté par 
M. Thiers? De quelle façon pratique, dans quel délai 
peut-il être exécuté? Voilà ce que nous vous avons prié, 
ce que nous vous prions encore d'éclaircir (2). Déjà 

(1) Documents inédits : Papiers d'Haussonville. 

(2) Ils s'étaient revus dans les premiers jours de mai, le comte 
d'HaussonyiUe étant venu à Sassy. 



230 LE DUC D'AUMALE. 

nous avions espéré que le résultat de vos démarches 
pourrait nous être connu la semaine dernière. Nous 
sommes prêts à nous rendre où vous voudrez, n'importe 
quel jour de la semaine qui commence, pour recevoir de 
votre bouche une réponse qui ne peut avoir de valeur 
qu'autant qu'elle sera précise. Si nous ne recevons pas 
cette réponse dans le courant de la semaine, nous com- 
prendrons que nous ne devons plus l'espérer (1). » 

Depuis l'installation du gouvernement à Versailles, 
le comte d'Haussonville avait intentionnellement évite 
l'occasion de voir M. Thiers. Mais, devant une requête 
si formelle, il se décida à aller le trouver. Le moment 
était plus propice pour un entretien sur les princes d'Or- 
léans qu'il ne l'eût été quelques jours plus tôt. L'insur- 
rection de la Commune de Paris touchait à sa fin. Sa 
défaite, à très bref délai, était certaine. M. Thiers devait, 
semblait-il, être mieux disposé à entendre des paroles 
de conciliation touchant les deux députés qui réclamaient 
leur siège. Mais leur envoyé jugea prudent d'avertir au 
préalable, de ses intentions, ceux des membres de la 
droite qui avaient été mêlés à la négociation de Dreux. 
11 fallait éviter qu'ils prissent ombrage de la démarche 
qu'il allait faire, au nom des princes, auprès de M. Thiers. 
11 en prévint MM. de Maillé, de Meaux et de Cumont, et 
leur communiqua la lettre du duc d'Aumale. 

Le lendemain 17 mai, à huit heures du matin, il était 
dans le cabinet de M. Thiers. Abordant résolument l'objet 
de sa mission, il lui dit (2) : 

« 11 est inutile que je vous parle si vous ne m'accordez 
pas deux choses, c'est que j'ai beaucoup d'aflfection pour 

(1) Documents inédits : Papiers d'Haussonville. 

(2) Le comte d'Haussonville écrivit le même soir le récit de cette 
conversation. J'en détache les parties essentielles. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 231 

VOUS et que je ne suis point tout à fait un sot; sourd, 
oui; aveugle, point. Môme avec mon oreille dure, je 
distingue, accordez-le-moi, ce qui sonne faux dans les 
paroles, et j'ai des yeux pour démêler ce qui serait louche 
dans les conduites... U ne m'en coûte pas d'avoir l'air de 
ne nae douter de rien; c'est plus commode. Quoique bon 
enfant, je tiens à me préserver d'être dupe, et l'intérêt 
d'accorder entre elles des personnes qui ont, selon moi, 
intérêt à être bien ensemble ne me portera jamais à dire 
un seul mot au delà de l'exacte vérité. Si vous êtes per- 
suadé de cela, causons à cœur ouvert. 

— Je vous tiens pour un sûr et excellent ami, répondit 
M. Thiers. Je vous regarde comme un des hommes les 
plus intelligents et les mieux informés de notre temps... 
Causons. 

— Du passé, rien à nous dire, reprit le comte d'Haus- 
sonville. En gros, j'ai presque toujours été de votre avis. 
Dites-moi ce que vous pensez de l'état présent des choses 
et comment vous comprenez l'avenir, tant pour le pays 
lui-même que pour ce qui vous concerne personnelle- 
ment. » 

M. Thiers aimait à donner de longs développements 
à sa pensée. Sa réponse se ressentit de ce goût pour 
l'abondance des paroles. Militairement, il était satisfait. 
Encore quelques jours, et l'armée de l'ordre serait dans 
Paris. Politiquement, tout était bien compliqué. 

« Nos bonnes chances, c'est la république modérée ou 
la monarchie constitutionnelle. Entre ces deux formes 
de la liberté, vous savez de quel côté ont toujours été 
mes préférences personnelles. Ce que j'ai été, je le suis 
encore. Mais l'état de l'opinion dans le pays, voilà ce 
qui doit influer sur les résolutions d'un homme de bon 
sens. A l'heure qu'il est, les républicains ne sont pas les 



232 LE DUC D'AUMALE. 

plus nombreux, non; ils sont les plus décidés et les plus 
énergiques. Ils dominent de plus en plus dans les villes. 
Il faut donc aller avec la république, au moins passagè- 
rement. Durera-t-elle? Je ne sais, j'en doute même. Ce 
n'est pas une raison pour n'en pas essayer avec loyauté. » 

Il fallait d'autant mieux en essayer, pensail^il, que la 
royauté n'était réalisable que par la fusion sincère des 
deux branches, et qu'avec une droite hautaine, ombra- 
geuse, revêche, qui se rendrait bientôt antipathique au 
pays, et le comte de Chambord, « qui semblait n'être 
qu'un enfant et un sot doucement mais intrépidement 
obstiné », cette fusion serait bien difûcile. Quelle situa- 
tion serait celle des d'Orléans, toujours soupçonnés, tou- 
jours accusés, et d'autant plus mal vus qu'ils étaient plus 
raisonnables, plus sensés, plus estimés du public? 

Pour répondre à cette question, M. Thiers se lança 
soudain dans une appréciation détaillée de leur carac- 
tère. Pour ce qui touchait le duc d'Aumale, il le jugeait 
plus politique que les autres, mais..., mais..., mais... 
« Le chapitre des mais était fort étendu; il s'allongeait 
indéfiniment par la comparaison évidente, quoique invo- 
lontaire, que M. Thiers faisait inconsciemment de sa per- 
sonne et de sa situation avec la personne et la situation 
du duc d'Aumale. Tous les défauts, tous les inconvénients 
d'un côté; de l'autre, c'est-à-dire du sien, toutes les qua- 
lités et tous les avantages. » Puis des mots comme 
ceux-ci : « Et à ma place, que ferait-il de plus ou de 
mieux, ou seulement d'une autre façon que moi?... Ahl 
l'expérience militaire, la connaissance des détails tech- 
niques, peut-être... Et encore! » Vinrent ensuite des 
tirades sur l'ambition du prince, se résumant en quatre 
mots : « Il veut ma place. » 

Après cet intermède, M. Thiers en revint à la situation 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 233 

générale. Il insista sur les difiicultes qui s'opposaient à la 
fusion, et par conséquent à la monarchie. Elles, ne lais- 
saient d'autre issue que l'essai loyal de la république. 
Restait, il est vrai, la solution bonapartiste; mais elle 
n'avait pas de chances. Ce qui pourrait la rendre redou- 
table, ce seraient <c les folies de la droite et les préten- 
tions gothiques qu'elle laissait apercevoir » . 

« Mon cher ami, ajouta M. Thiers, le gros des Fran- 
çais est honnête, conservateur, mais profondément lâche; 
ils se laissent toujours faire la loi par les aventuriers et 
les braillards. Exemple, la Commune... Ce que j'ai pu 
faire pour devenir un peu maître delà situation, je ne l'ai 
fait que grâce à l'organisation préexistante de l'armée, à 
son restant de traditions militaires. Voilà pourquoi, afin 
de mettre un peu de cohésion partout , la forme républi- 
caine me semble la meilleure, quant à présent. Pour 
moi, je ne veux prendre la place de personne ni priver 
les d'Orléans de leur naturel héritage... D'ailleurs, je 
suis exténué, et souvent horriblement découragé. Je ne 
demande qu'à sortir par une porte honorable. Paris pris 
et l'indispensable réorganisé, la porte est toute trouvée. » 

Ses appréciations sur les princes d'Orléans facilitaient 
la tâche du comte d'Haussonville, qui, aussitôt, en pro- 
fita, tout en négligeant de relever ce qui s'adressait à leurs 
personnes. Comme M. Thiers, il croyait à la nécessité de 
maintenir le provisoire; mais il lui paraissait que ce pro- 
visoire touchait à une crise résultant du malentendu qui 
s'était produit là « où, par suite de la conformité des opi- 
nions et d'un passé commun », l'entente semblait plus 
facile à établir. Dans ce malentendu, la situation faite aux 
princes avait une grande part. Était-il juste de la pro- 
longer, « de faire durer le supplice de l'exil »? Peut-être 
avaienl^ils eu tort de se présenter au suffrage des élec- 



234 LE DUC D'AUMALE. 

teurs. Mais M. Thiers devait, du moins, leur savoir gré 
d'accepter le rôle qu'il leur avait imposé au lendemain de 
leur élection. 

« Pour moi, à leur place, je ne me serais pas présenté, 
dit le comte d'Haussonville. Mais, du diable si, une fois 
élu, j'aurais consenti à ne pas siéger à Bordeaux, malgré 
les conseils, les objurgations, les menaces même. U 
y avait, pour le duc d'Aumale, un rôle à prendre à côté 
de vous, dans l'Assemblée nationale, rôle dont je le crois 
très capable. En a-t-il été tenté un instant? Je ne sais; 
c'était son droit. En tout cas, il y a renoncé; il ne se 
soucie plus de le reprendre. Je le répète donc, mon cher 
ami, depuis qu'ils ont remis les pieds en France, les 
princes ont tenu la conduite la plus droite, la plus correcte 
envers tout le monde , et ils ont eu envers vous les pro- 
cédés les plus généreux. En revanche, qu'ont-ils ren- 
contré? » 

Et, tout en protestant de son désir de ne pas élever de 
récriminations, alors qu'il cherchait l'accord, le comte 
d*Haussonville rappela les propos tenus par M. Thiers 
sur les princes, ses impatiences de langage dans son inti- 
mité et à la tribune, la lettre du procureur de la Répu- 
blique de Dreux , tous ces incidents si pénibles pour eux 
et qui aggravaient Tinconcovable retard apporté à la véri- 
fication de leurs pouvoirs. Il fit en même temps remar- 
quer que, malgré tout, ils s'étaient abstenus d'en appeler 
à l'opinion et que, ni dans leur langage, ni dans leur cor- 
respondance, on ne trouverait, pas plus dans les lignes 
qu'entre les lignes, rien qui pût offenser M. Thiers. Main- 
tenant, leur patience était à bout. Ils réclamaient une 
décision. On le savait dans le public, et bien des gens 
étaient prêts à en tirer une rupture, tandis que les princes 
souhaitaient d'en tirer l'accord. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLEE NATIONALE. 233 

« Faisons vite et faisons bien, conclut le comte d'Haus^ 
son ville. » 

M. Thiers l'avait écouté sans signe de dénégation ni de 
mauvaise humeur. 

« La politique a été fort brouillonne en ces derniers 
temps, fît-il. Peut-être ne m'en suis-je pas assez occupé. 
Laissons cela et tout le passé. Que veulent actuellement 
les princes? 

— Ils veulent rentrer dans l'intégrité de leurs droits de 
Français. Ils ne veulent que cela. Mais ils le veulent en 
souhaitant que cela se fasse de préférence à l'amiable et 
d'accord avec vous. 

— De quelle façon? 

— Selon que cela avait été convenu à Bordeaux par 
l'intermédiaire de M. Crugy, dans un arrangement que 
vous approuviez à cette époque. 

— Rappelez-m'en les termes. » 

Le comte d'Haussonville tirait de sa poche la lettre du 
duc d'Aumale lorsqu'on annonça le maréchal de Mac 
Mahon. M. Thiers pria son interlocuteur d'aller l'attendre 
chez Mme Thiers, où il le ferait appeler quand le maré- 
chal serait parti. Chez Mme Thiers se trouvaient, avec 
elle, sa sœur Mlle Dosne, MM. Roger du Nord et Mignet. 
Au cours de la conversation , le mandataire des princes 
communiqua non seulement la lettre du duc d'Aumale, 
mais encore d'autres lettres du comte de Paris qu'à tout 
hasard il avait apportées, voulant montrer à M. Thiers 
en quels termes le prince parlait de lui. Lorsqu'au bout 
de quelques instants le chef du pouvoir exécutif vint le 
rejoindre, il était attendu au conseil des ministres. En 
donnant rendez-vous au comte d'Haussonville pour le 
lendemain, il lui dit : 

« Laissez-moi la lettre du duc d'Aumale. 



236 LE DUC D'AUMALE. 

. — Laissez aussi à mon mari celles du comte de Paris, 
reprit Mme Thiers; il est bon qu'il les connaisse. » 

Dans la conversation du lendemain, M. Thiers émit 
encore des appréciations très amères sur les princes. 
Même le comte de Paris, qu'il avait épargné la veille, ne 
trouva pas grâce devant lui. Après avoir lu ses lettres, il 
le tenait « pour un rusé, un ambitieux, un double visage », 
qui voulait jouer les légitimistes et les républicains. 

« Je . plains mon pays si les . circonstances le font un 
jour monter sur le trône. » 

Le comte d'Haussonville ne s'attarda pas à rectifier des 
jugements si dépourvus de justice. 

(( Laissons les personnes, sur lesquelles nous ne serions 
pas d'accord, dit-il, et passons aux choses. » 

Alors M. Thiers rappela son discours de Bordeaux. Il 
avait promis à l'Assemblée nationale de lui rendre intact 
le dépôt qu'il avait reçu d'elle. Il ne pouvait donc entrer 
dans aucun arrangement au profit de qui que ce fût, et 
c'était mettre en doute sa loyauté que de le solliciter de 
favoriser l'une des solutions vers lesquelles on supposait, 
suivant sa fantaisie, que le pays pourrait un jour incliner. 

« Je n'engagerai pas la question des princes , déclara- 
t-il. Veut-on la soulever au sein de la Chambre? La res- 
ponsabilité en reviendra à ceux qui auront pris cette ini- 
tiative. Je dirai à la Chambre que c'est elle et elle seule 
que cela regarde. Mais je lui ferai remarquer qu'il y a 
trois dynasties à l'état de compétition : la branche aînée 
des Bourbons, qui ne demande pas à rentrer; la dynastie 
impériale, qui n'ose se produire, et la branche cadette, qui 
ose et se produit afin de jouir du bénéfice de la présence 
sur le sol. Accorder à celle-ci un si grand bénéfice , c'est 
rompre à son profit exclusif l'équilibre et manquer aux 
principes qui faisaient la sécurité du régime provisoire. » 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE. 237 

Ce langage, outre qu'il prêtait aux princes des projets 
que désavouait toute leur conduite , ne laissait pas d'être 
étrange dans la bouche de Tancien ministre de leur père. 
Le comte d'Haussonville le dit tout net à M. Thiers. 

« Mais, si mon plan est si mauvais, répliqua celui-ci, 
quel autre avez-vous? 

— Le maintien pur et simple de l'arrangement Crugy. 

— Il n'y a eu aucun engagement de ma part. Je me 
suis borné à dire que, si l'on vivait tranquille dans un lieu 
obscur, je pourrais ignorer que l'on était en France et ne 
pas mettre à exécution les lois existantes. Ce que j'ai dit, 
je le répète encore. Au delà, je ne puis rien (1). » 

Le duc d'Aumale, quand il apprit le résultat des démar- 
ches faites en son nom, fut plus affligé que surpris. Ce 
résultat eut sans doute pour effet d'activer les négocia- 
tions qui se poursuivaient avec la droite. Quoique le 
manifeste du comte Chambord, en date du 5 juillet, les 
eût un moment compromises par la volonté qu'il procla- 
mait de relever le drapeau blanc, elles étaient alors fort 
avancées; on avait écarté la question du drapeau; quant 
au reste, on ne différait plus que sur un point. Le duc 
d'Aumale avait stipulé que la visite du comte de Cham- 
bord aurait lieu « en France », et cette condition lui tenait 
au cœur. Mais la droite faisait remarquer qu'elle oblige- 
rait le chef de la maison de France à venir au-devant de 



(1) Le comte d'Haussonville raconte que, lorsqu'il quitta M. Thiers, 
celui-ci lui rendit les lettres des princes. Il s'aperçut alors que cer- 
tains passages de celles du comte de Paris étaient marqués d'une 
croix au crayon, ce qui lui fit supposer qu'elles avaient été copiées. 
Il sut, quelques jours plus tard, qu'elles avaient été communiquées 
par un agent de M. Thiers à divers députés de la droite, afin de leur 
prouver que les princes étaient entrés en négociation avec lui. Mais la 
droite était prévenue, et ses délégués firent déclarer au duc d'Au- 
male que cet incident n'empêcherait pas l'accord entre eux et les 
princes, qui semblait dès ce moment assuré. 



288 LE DUC D'AUMALE. 

ses cousins et à faire en quelque sorte le premier pas. En 
apprenant lés dispositions peu bienveillantes de M. Thiers, 
le duc d'Aumale, résolu à céder sur ce point, écrivit : 

« Dans rintérét de la cause commune, il nous semble- 
rait toujours préférable que la visite eût lieu en France. 
Mais, si cela ne se peut, nous n'avons pas d'objection à 
supprimer cette réserve. Donc, avec la suppression de 
ces deux mots « en France », nous restons sur le terrain 
où nous nous sommes placés à Dreux et nous persistons 
dans les sentiments que nous avons exprimés plusieurs 
fois (1). » 

Enfin, le 27 mai, il adressait au comte d'Haussonville 
cette déclaration qui devait couper court à toutes les hé- 
sitations des légitimistes et lever leurs derniers scrupules. 

« Toute notre vie témoigne pour nous : notre départ 
d'Alger en 1848, notre conduite en exil attestée par le 
témoignage d'Ollivier, notre pétition même de l'an passé, 
notre conduite depuis lors, nos professions de foi et notre 
réserve depuis trois mois. Si l'on soulève la question de 
la compétence des anciennes dynasties, nous refusons 
de nous engager sur ce terrain qui est le terrain réservé, 
le terrain constitutionnel. Mais, à la droite comme à la 
gauche, nous pouvons affirmer que nous ne sommes ni 
des prétendants ni des compétiteurs, qu'il n'y a dans la 
branche d'Orléans ni prétendants ni compétiteurs (2). » 

A partir du jour où il reçut communication de cette 
lettre, lé parti légitimiste tout entier se montra disposé à 
valider les élections du duc d'Aumale et du prince de 
Joinville, comme aussi à abroger les lois de bannisse- 
ment. Quant aux républicains modérés, ils attendaient, 
sans trop de parti pris, le mot d'ordre de M. Thiers, et 

(1) Documents inédits : Papiers d'Haussonville. 

(2) Ihid. 



AU SEUIL DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE^ 239 

M. Thiers, comprenant que, quoi qu'il en eût dit, il eût 
infligé un démenti à son passé de libéral en maintenant 
des lois d'exception, s'était enfin décidé à en proposer 
l'abrogation. Il en prit l'engagement envers le duc de 
Broglie qui s'était rendu chez lui accompagné de M. Ca- 
simir-Périer, au moment où le rapport sur cette proposi- 
tion allait être déposé. Il tenta encore de stipuler que les 
princes s'abstiendraient temporairement de venir siéger. 
Mais la droite s'étant engagée à voter pour trois ans la 
prorogation de ses pouvoirs en lui conférant le titre de 
président de la République, il renonça à se prévaloir des 
promesses antérieures faites, d'ailleurs, à l'Assemblée 
plus encore qu'à lui et dont elle-même aussi bien que lui 
déliaient les princes (1). 

Toutes ces questions se tenaient. Dès le mois de juin, 
l'Assemblée nationale commençait à en être saisie sous 
diverses formes. Elles ne furent toutefois résolues qu'en 
décembre, après de multiples incidents qui appartiennent 
plus à l'histoire parlementaire qu'à celle du duc d'Au- 

(1) Au cours de ces négociations assez confuses, le duc d'Aumale 
ne cessa de répéter avec raison qu'il n'avait pas proposé un marché 
à M. Thiers ni conclu un contrat avec lui. « Nous avons seulement 
voulu nous mettre en règle avec lui et savoir si nous pourrions exé- 
cuter, avec son concours et sans son opposition, ce dont nous étions 
convenus avec la droite. » Papiers d'Haussonville. — « C'est pour 
répondre au vœu exprimé par un commissaire de l'Assemblée, au 
nom de l'Assemblée, que nous nous abstenons de siéger. Il n'y a pas 
eu entre nous et le chef du pouvoir exécutif de contrat personnel. 
Ce sont des commissaires de l'Assemblée qui ont reçu notre décla- 
ration, c'est vis-à-vis de l'Assemblée que nous sommes liés. » — 
Archives de Broglie. 

Je n'ad pu découvrir à quelle date se place une entrevue que le 
duc d'Aumale eut avec M. Thiers, et que ses amis lui ont entendu 
souvent raconter. Il répétait ces paroles que lui avaient dites le chef 
du pouvoir exécutif « en le regardant par-dessus ses lunettes » pour 
le pressentir ou le tenter, et après avoir exposé les difficultés d'une 
restauration en présence de la division des partis : 

« Il nous faudrait une république... une république... princière. » 



240 LE DUC D'AUMALE. 

maie. Grâce à des voles réparateurs, les princes d'Or- 
léans voyaient se rouvrir légalement pour eux les portes 
de la patrie, tandis que leur était restituée la part de 
leurs biens confisqués en 1852, qui appartenait encore à 
l'État. 

Le duc d'Aumale et le prince de Joinville vinrent 
occuper leur place dans l'Assemblée le 19 décembre. 
Entourés d'un petit groupe de collègues , ils firent leur 
entrée modestement, non sans quelque embarras partagé 
par ceux mêmes qui avaient négocié pour eux et avec 
eux. Peut-être regrettait-on un peu leur présence, comme 
si l'on eût vaguement senti que leur place n'était pas là 
et qu'en tout cas, puisqu'ils devaient finir par siéger, 
c'est au lendemain de leur élection, à Bordeaux, qu'ils 
eussent dû le faire, coûte que coûte, à tout prix, ce qui 
leur eût évité tant de négociations pénibles dont le récent 
souvenir les exposait à voir les partis dénaturer leurs 
loyales intentions. 



CHAPITRE VII 

l'installation en FRANCE 

Joie du duc d*Aumale. — Le duc de Guise. — Chantilly restauré. — 
Les réceptions. — L'hôtel du faubourg Saint-Honoré. — Rentrée 
dans l'armée. — Le duc d'Aumale et les partis. — Injustes accu- 
sations. — Le drapeau. — L'Académie française. — Mort du duc 
de Guise. — Le pèlerinage de Dreux. — La chapelle ardente. — 
A la veille du 24 mai. — Le général Ducrot à Anvers. — La pré- 
sidence de la République. — La visite du comte de Paris à Frohs- 
dorff. — Échec des tentatives royalistes. — Le duc d'Aumale pré- 
vient par un refus l'offre de la lieutenance générale du royaume. 

Lorsque va finir Tannée 1871, commence pour le duc 
d'Aumale une existence nouvelle, — celle qu'il a si pas- 
sionnément souhaitée et si longtemps attendue. Le voilà 
dans sa patrie. Ses frères, ses neveux y sont avec lui. 
Comme lui, ils y plantent leur tente avec l'espoir d'y 
vivre désormais aussi tranquilles, aussi heureux que 
peuvent Tôtre des Français, alors que l'incertitude du 
lendemain emplit d'anxiété les âmes, et que, de toutes 
parts, tout est à refaire, à reconstruire, à réorganiser, 
pour réparer les maux de la guerre, finie d'hier, qui 
laisse aux flancs de la France, diminuée de deux pro- 
vinces, une plaie béante. 

Cette France, frappée, écrasée, toute meurtrie, le duc 
d'Aumale, qui l'a toujours adorée et vénérée, la vénère 
et l'adore plus encore que lorsqu'elle était puissante et 
défiait les destins. Il ne croit pas à la durée des malheurs 

16 



242 LE DUC D'AUMALE. 

qui l'ont accablée. Sans faire étalage de ses espérances, 
il la voit vengée dans un avenir prochain. Il tressaille à 
la pensée que, cette fois, il pourra tirer l'épée et que rien 
ne l'empêchera d'avoir sa part dans l'œuvre de la revan- 
che. Telle qu'est sa patrie, il est follement heureux de 
s'y retrouver. Il rêve de s'y faire le guide de son fils qui 
n'en connaît que l'histoire. 

Le duc de Guise va sur ses vingt ans. Dernière épave 
du foyer qu'a dévasté la mort, il est l'espoir et l'orgueil 
de son père, son tourment aussi, car sa santé reste un 
constant sujet d'inquiétudes et d'alarmes, non qu'elle 
semble atteinte ou menacée, mais parce qu'il demeure 
seul, après tant de deuils. Cependant, à la faveur du 
bonheur que ressent, au terme de sa longue proscription, 
le duc d'Aumale, il commence à se rassurer pour les 
jours de ce fils dont il ambitionne de faire un autre lui- 
môme. Les illusions qui réconfortent parfois si vite les 
cœurs accablés ont pris possession du sien. Le soleil du 
sol natal est un magicien puissant. Le père se figure 
qu'il conservera ce charmant enfant. L'apaisement se 
fait en lui; les noires tristesses auxquelles ne le dispo- 
saient que trop d'incessantes craintes et d'innombrables 
épreuves se dissipent. Chaque jour lui apporte un nou- 
veau sujet de réconfort. 

Dans les biens qu'il a recouvrés ou dont il peut avouer 
la possession dissimulée pendant l'exil, se trouve son 
domaine de Chantilly. Il y rentre en maître, dans ce 
domaine où, depuis vingt-trois ans, il n'est pas revenu. 
En y rentrant, il songe déjà à y ressusciter les splendeurs 
du passé, à l'embellir, à en faire le cadre des merveil- 
leuses collections d'art qu'il a formées en Angleterre 
avec la plus rare sûreté de goût, et qu'il se promet de 
compléter au fur et à mesure qu'il en saisira roccasion, 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 243 

Par la pensée, il rétablit Taiicien tracé du parc; il res- 
taure les vastes salles et les monumentales galeries. Il 
les couvre de tapisseries; il y suspend des trophées de 
drapeaux; il y répand ses tableaux, ses dessins, ses 
marbres, ses livres, ses richesses artistiques, en un mot, 
presque toutes d'un inestimable prix. 

Au seuil de cette demeure seigneuriale, il dressera un 
peu plus tard la statue du connétable de Montmorency, 
Quant aux voûtes du grand escalier, il les laissera en 
blanc ou ne les parera que d'une ornementation provi- 
soire. Il les réserve pour le jour glorieux qu'il ne déses- 
père pas de voir se lever, où la victoire de nos armes 
aura rendu à la France ses provinces perdues. C'est 
son rêve, et longtemps il le caressera, de faire peindre 
là, dans cet espace réservé, des fresques qui consa- 
creront le souvenir « des frontières recouvrées » et de 
mettre au-dessous [cette inscription : Finibus patriœ res- 
titutis (1). 

Plein de ces projets, il en entreprend, sans tarder, 
l'exécution. Il convoque les architectes, les artistes. Il 
leur expose ses plans; avec eux, il les discute. Bientôt 
chacun est à l'œuvre, et dès que Chantilly a pris tour- 
nure, il y reçoit. Toutes les semaines, il y appelle ses 
parents, ses amis, ses anciens camarades de l'armée, 
des écrivains, des peintres, des sculpteurs, des musi- 
ciens, l'élite sociale de la France. A ces réceptions, qu'il 
continuera jusqu'à la fin de sa vie et qu'il n'interrompra 
que durant les trois années de son second exil, — il ne 
peut le prévoir à cette heure, — il imprime, dès ce 

(1) C'était alors sa conviction que la guerre avec l'Allemagne écla- 
terait vers 1877 ou 1878, et il croyait à la victoire. L'événement ne 
s' étant pas réalisé, il se borna à faire peindre dans le grand escalier 
de Chantilly une allégorie avec ïe vieux cri de la maison de France : 
Espérance. 



244 LE DUC D'AUMALE. 

moment, la physionomie et le caractère qu'elles conser- 
veront toujours. 

A la gare de Chantilly, un grand break qu'il lui arrive 
de conduire lui-même attend ses invités et les amène au 
château. S'il est venu à leur rencontre, il leur fait tra- 
verser au trot les écuries de Condé, hautes et vastes 
comme un temple, et, grâce aux indications agrémentées 
d'anecdotes qu'il jette du haut du siège en se tournant 
vers eux, ils pourraient, au bout de quelques instants, 
s'orienter à travers l'immense domaine, tant il leur en 
explique clairement la configuration. Ce qui, dans les 
premiers temps qui suivent son retour, les frappe sur- 
tout, tant au moment de l'arrivée que pendant le déjeu- 
ner, et lorsqu'au sortir de table, le prince leur fait lui- 
même les honneurs des chefs-d'œuvre d'art rangés à 
l'abri de ces antiques murailles, leur raconte l'histoire 
de ses acquisitions, ou les mène admirer la chapelle, 
c'est l'indicible bonheur qu'il éprouve à se trouver en 
France et parmi des Français. Il parle sans amertume de 
son séjour à l'étranger; il a pardonné. Il trahit unique- 
ment la joie de vivre. 

Et je marche vivant dans mon rêve étoile. 

Dans ce qui l'entoure, tout est prétexte à l'évocation 
d'attachants souvenirs sur le collège, le Palais-Royal, la 
cour de son père, les campagnes de Condé, dont il con- 
tinue l'histoire. Combien d'émotions communicatives 
tandis qu'il a cause » ce passé ! Comme il est habile à en 
rattacher les récits à l'actualité ! Raconte-t-il les guerres 
d'Afrique, ses débuts à l'armée, alors il s'échauflfe. Si 
quelqu'un de ses camarades de ce temps se trouve parmi 
ses invités, il rappelle, par une délicate allusion, les faits 
d'armes où celui-là s'est distingué, de même qu'il s'in- 



1 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 245 

génie à prouver aux écrivains et aux artistes qui se sont 
rendus à son invitation qu'il connaît leurs œuvres et les 
a admirées. 

Mais là où il émeut plus encore, c'est lorsque, s' ar- 
rêtant aux années d'exil, il dit de quelle douceur étaient 
alors pour lui les visites des Français qui allaient le voir 
et déposer sur ses tapis un peu de la poussière de France. 
Quel souvenir reconnaissant il garde de leur fidélité ! Qui- 
conque l'a entendu conserve de lui, de sa parole une inou- 
bliable impression, tant il est exquis à force de courtoise 
simplicité, n'oubliant jamais à quelle hauteur sa nais- 
sance l'a mis, la voix captivante, avec des jaillissements 
de source vive, la mémoire si pleine, l'esprit si cultivé, 
assez au courant de tout pour que rien ne semble lui être 
étranger. Son Chantilly, que de félicités il y a goûtées I 

« Chantilly me plaît surtout, dira-t-il plus tard, parce 
que j'en peux faire les honneurs, et parce qu'on n'y parle 
que de l'art, de la littérature, de l'armée. » 

Quand il n'est pas à Chantilly, il est à Paris. Dans le 
faubourg Saint-Honoré, parmi les somptueux hôtels dont 
les jardins s'étendent jusqu'aux Champs-Elysées, il s'est 
choisi une demeure digne de lui. Elle s'ouvre, discrète- 
ment, pour une intimité choisie. Là, comme à Chantilly, 
le duc de Guise est à ses côtés. Rien de plus touchant 
que les attentions, les témoignages de sollicitude qui 
s'échangent entre le père et le fils. 

Du reste, en quelque endroit qu'on rencontre le duc 
d'Aumale, soit chez lui, soit dans les salons qu'il fréquente 
par plaisir ou par devoir de reconnaissance, soit sur la 
route de Versailles, quand il se rend aux séances de 
l'Assemblée nationale, soit enfin dans les couloirs de la 
Chambre, ce qui caractérise son langage, c'est, par-dessus 
tout, la volonté de ne pas se mêler aux luttes des partis. 



246 LE DUC D'ÂUMALE. 

de se tenir hors des agitations parlementaires, et de 
prouver qu'il se considère, non comme un prétendant, 
mais comme un soldat, comme un Français. 

Cette préoccupation devient plus visible, lorsqu'au 
mois de mars 1872, il est remis en possession de son 
grade de général de division. En rentrant dans l'armée, 
il s'y trouve sinon par l'âge, du moins par l'ancienneté de 
grade, le quasi-doyen de l'état-major général. A cette 
place, plus que personne, il doit l'exemple, l'exemple de 
la discipline, l'exemple de la soumission aux lois, alors 
même que le gouvernement qui les dicte n'est pas celui 
qu'il eût choisi. Cet exemple, il le donne, en ne prenant 
dans l'exercice de son mandat de député que ce qu'il ne 
saurait n'en pas prendre, sous peine de manquer à ses 
devoirs envers ses collègues ou envers ses électeurs. 

Il a surtout à cœur de convaincre ceux qui le soup- 
çonnent, qu'il est dans sa volonté de n'être un rival poli- 
tique pour qui se soit. En fait de rivalités, il ne comprend 
que celles qui s'exercent au profit du pays. Cette préoc- 
cupation le poursuit partout. Un jour, à Versailles, à la 
prière de ses amis les plus chers, il consent à recevoir 
dans le salon de l'un d'eux ceux de ses collègues qui ont 
manifesté le désir de lui être présentés. Son frère Join- 
ville à côté de lui, il les accueille avec une rare bonne 
grâce, séduisant et charmant, sa taille, fine encore, serrée 
dans une redingote bleue. Il captive tous ceux qui sont 
venus , même le plus intransigeant des royalistes, 
M. Dahirel, que le duc Decazes s'est fait un malin plaisir 
de décider à venir saluer des princes d'Orléans. Dans 
cette réunion, c'est surtout son désintéressement poli- 
tique qu'il s'applique à manifester (1). 

(1) Récit d'un témoin. 



1 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 247 

En dépit de son attitude rigoureusement correcte, 
malgré ses formelles déclarations, ses adversaires ne 
désarment pas. Ils suspectent ses intentions ou feignent 
de les suspecter; ils mettent en doute ses paroles. 
A Textréme droite comme à gauche, on affecte de le 
traiter en ambitieux, avide de monter au pouvoir. 

A gauche, c'est M. Thiers lui-même qui s'évertue à le 
représenter ainsi. Il le dit et le répète, de bonne foi, peut- 
être, mais avec injustice et contre toute évidence. Il ne 
lui suffit pas d'avoir fait proroger ses pouvoirs pour une 
durée de trois ans, il veut la présidence à vie. A qui lui 
parle du duc d'Aumale, il répond comme si celui-ci était 
son rival. Il lui fait transmettre un jour ces mots : 

« Que le duc d'Aumale en fasse son profit. Quand on 
est au pouvoir, il faut savoir y rester (1). » 

Parmi les hommes qui ont lié leur fortune à celle de 
M. Thiers et soutiennent avec lui la République, il en 
est à qui ne déplairait pas une monarchie, comme en 
1830, ou une république princière ayant à sa tête le duc 
d'Aumale. A ceux-là, dont il devine les dispositions, 
M. Thiers ne manque pas de faire remarquer qu'un tel 
rêve est irréalisable, puisque les princes d'Orléans ont 
souscrit spontanément au projet de fusion, et se sont 
engagés à reconnaître, par une démarche personnelle, 
les droits héréditaires du comte de Cha^mbord. Il leur 
dépeint le troisième fils de Louis-Philippe comme tout 
prêt à devenir le lieutenant général d'un roi de droit 
divin. 

Contre le duc d'Aumale, contre ses frères et ses neveux, 
on exploite encore la restitution de leurs biens confisqués 
en 1852, prononcée par un vote solennel de l'Assemblée 

(4) Récit du comte de Kératry. 



248 LE DUC D'AUMALE. 

nationale. On trompe le pays sur leur compte en propa- 
geant qu'ils se sont fait restituer tout ce qui leur avait 
été pris, tandis que la restitution a été limitée aux pro- 
priétés qui n'avaient pas été aliénées, et qui se trouvaient 
encore dans le domaine de l'État. Dans les journaux à la 
dévotion de M. Thiers, on les représente comme ayant 
exigé du Trésor le plus onéreux des sacrifices, ne lui fai- 
sant grâce ni d'un sou, ni d'une parcelle de terrain. Entre 
ceux qui mettent en circulation ces calomnies, on est 
tout surpris de rencontrer des hommes qui, sous le gou- 
vernement impérial, se faisaient une arme d'opposition 
de cette saisie de 1852, et réclamaient alors la restitution 
des biens ainsi volés. On espère perdre les princes dans 
l'esprit public en les montrant puisant à pleines mains 
dans le Trésor, à l'heure où il est grevé de lourdes 
charges. C'est à croire que la spoliation opérée par le 
gouvernement impérial fut légitime, et qu'il n'était pas 
équitable que ce qui avait été pris jadis fût restitué à ses 
légitimes propriétaires. 

A droite, l'extrême droite s'entend, les griefs, pour être 
d'une autre nature, n'en sont pas moins violents et mul- 
tipliés à plaisir. On accuse le duc d'Aumale d'être hostile 
à la réconciliation des deux branches de la maison de 
Bourbon. C'est lui qui s'oppose, affirme-t-on, à ce que le 
comte de Paris dégage, en se rendant auprès du comte 
de Chambord, la parole donnée à Dreux, en son nom. 
Cette calomnie trouve dans des coteries intransigeantes 
des encouragements et des échos. 

Tout autre est la vérité. 

On ne saurait contester que le duc d'Aumale doute de 
l'efficacité de la fusion, de sa possibilité même. Si 
d'abord il y a eu foi, il est bientôt devenu, cela est cer- 
tain, très incrédule, et il le deviendra de plus en plus. 



1 



L'INSTALLATION EN FRANGE. 249 

jusqu'au jour où ses prévisions se seront vérifiées. Tel 
que nous le connaissons, pourrait-il être disposé à y 
croire, alors que le comte de Chambord a solennelle- 
ment déclaré, au mois de juillet 1871, « qu'il ne laisserait 
pas arracher de ses mains le drapeau blanc, et que Henri V 
ne peut abandonner le drapeau blanc de Henri IV » , répété, 
au mois de janvier 1872, « qu'il n'arbore pas un nouveau 
drapeau, qu'il maintient celui de la France » , et confirmé 
quelques jours plus tard ces retentissantes paroles dans 
une lettre à l'évêque d'Orléans, où il appelle le drapeau 
tricolore « le symbole de la Révolution »? 

Oui, ce langage émeut le duc d'Aumale, l'attriste et le 
déconcerte. Le second de ces manifestes a été lancé au 
lendemain du 21 janvier qui a vu tous les membres de la 
famille d'Orléans, réunis à la chapelle expiatoire, assister 
à la cérémonie commémorative de la mort de Louis XVI. 
Le prince est blessé du procédé. En outre, il se révolte 
« à l'idée d'abandonner le drapeau tricolore, ce symbole 
de la nation, au lendemain d'une défaite (1) ». Il laisse 
ses sentiments se trahir dans des entretiens privés qui 
se colportent de tous côtés. 

« Ce serait très grand, dit-il entre autres choses, ce 
vieux roi mûri dans l'exil, revenant entouré des princes 
de sa maison, très grand vis-à-vis de l'Europe. Mais avec 
les idées qu'il a quant au drapeau, sera-ce réalisable? » 

Une autre fois il s'écrie : 

a II peut bien mettre le drapeau blanc dans toutes les 
chambres de sa demeure, mais dans les rues d'une cité 
française, je l'en défie. » 

Il prétend, d'ailleurs, preuves en main, que le drapeau 
blanc n'a pas été exclusivement le drapeau de la monar- 

(1) Buisson (de l'Aude). 



1 



250 LE DUC D'AUMALE. 

chie. Ne suffi Wl pas d'aller à radministration du Mobi- 
lier national pour s'en convaincre? La monarchie n'a4- 
elle pas arboré tour à tour le bleu, le rouge et le blanc? 
Un jour qu'à Chantilly il fait au duc de Bisaccîa les 
honneurs de la galerie des batailles de Gondé, il lui 
montre un drapeau blanc et bleu peint sur la porte du 
fond et lui dit : 

« Voilà l'aîné du drapeau blanc (1). » 

Ces choses racontées, d'autres bientôt connues, attisent 
contre lui les ressentiments de ceux de ses collègues qui, 
tout en déplorant l'erreur en laquelle persiste le comte 
de Chambord sur cette question du drapeau, sont d'avis 
qu'il a le droit d'en décider ainsi. Ceux-là reprochent au 
duc d'Aumale de caresser la Révolution, avec l'espoir de 
s'en servir dans l'intérêt de la branche cadette, ce qui 
n'est pas plus fondé que cette autre accusation d'être un 
obstacle à la visite promise au nom du comte de Paris. 

Si cette visite n'a pas encore été faite, la faute n'en est 
ni à son neveu ni à lui-même. C'est par la volonté du 
comte de Chambord qu'elle a été, à plusieurs reprises, 
reculée, notamment lorsque le chef de la maison de 
France étant venu à Chambord, le comte de Paris a 
demandé à aller lui présenter ses hommages. On lui a 
alors répondu : « Monseigneur verra avec une joie sin- 
cère l'accomplissement de l'union de famille. Dans peu 
de jours, il aura fait connaître à la France sa pensée 
tout entière. Mais il ne croit pas devoir prolonger son 
séjour à Chambord, et ce n'est pas là qu'il pourra rece- 
voir M. le comte de Paris (2). » Il n'est donc pas juste 
d'accuser le duc d'Aumale d'être l'obstacle à « l'accom- 
plissement de l'union de famille ». 

(1) Récit du comte de Kératry. 
(â) Documents inédits. 



L'INaTALLATION EN FRANCE. 251 

Est-il plus juste de le présenter comme un ambitieux 
qui convoite le pouvoir? Le 20 janvier 1872, il est averti 
qu'on a l'intention de le lui offrir, lorsque, à propos de 
Timpôt sur les matières premières, M. Thiers donne 
cette démission qui, finalement, est refusée par TAssem- 
blée nationale. Il écarte la proposition. Il ne veut pas 
diviser les conservateurs. Quoi qu'il pense de la fusion, 
il se considère comme engagé à ne rien faire qui puisse 
y mettre empêchement. Il a donné sa parole à Dreux 
pour le comte de Paris, pour tous les princes d'Orléans, 
pour lui-même. Il entend la tenir. Plus on examine sa 
conduite, plus on y regarde, plus on acquiert la preuve 
qu'il ne mérite pas les reproches qui lui sont adressés. 

Il est vrai que sur la question du drapeau il ne transige 
pas. Il ne lui suffit pas d'avoir, dans des conversations 
particulières, fait connaître toute sa pensée. Il saisit 
l'occasion de la rendre publique et de lui donner un plus 
grand éclat. Le 28 mai, l'Assemblée nationale discute la 
loi sur le recrutement. Voilà l'occasion favorable. Le duc 
d'Aumale monte à la tribune et prononce un discours, 
son début d'orateur politique, où se manifestent son 
expérience des questions militaires, sa compétence, son 
art de dire et de communiquer à ses auditeurs les convic- 
tions qui l'animent. 

Mais le principal intérêt de sa harangue ne résulte ni 
des éloges qu'il fait du projet soumis aux délibérations 
de l'Assemblée, ni des critiques qu'il adresse à certaines 
des dispositions de ce projet. Ce qu'il faut surtout y lire, 
c'est le passage où, avec une rare habileté, il fait venir 
logiquement ce qu'il entend proclamer quant au drapeau. 
Il aborde l'examen des mesures proposées à l'égard des 
conscrits qui ne savent ni lire ni écrire. Le projet refuse 
à ces illettrés le bénéfice de l'engagement conditionnel 



1 



252 LE DUC D*AUMALE. 

à dix-huit ans. Ils seront soldats à vingt ans, pour trois 
ans, et si, durant la première année de leur service, ils 
n'ont pu apprendre à lire et à écrire, on les retiendra un 
an de plus sous les drapeaux, en quelque sorte à titre de 
pénalité. 

a Je vois là, déclare-t-il , un principe funeste. Il y 
avait dans nos codes, jadis, une vieille peine qui en a, je 
crois, disparu, dont on n'usait pas souvent, mais dont la 
rédaction me touchait. J'y lisais : « Privé de l'honneur 
« de servir dans l'armée française. » Je ne peux admettre 
qu'on renverse la proposition et qu'on inflige comme une 
peine l'honneur de rester sous le drapeau de la France. » 

A ce moment, il est interrompu : 

(c Lequel? » demande-t-on. 

Et lui de répondre : 

« Sous ce drapeau chéri auquel les Français de toute 
opinion et de toute origine se sont ralliés, que tous les 
bons citoyens ont entouré lorsqu'on en avait arraché un 
lambeau pour en faire le sinistre emblème de la guerre 
civile.:, ce drapeau qui a été si longtemps le symbole 
de la victoire et qui est resté, dans notre malheur, l'em- 
blème de la concorde et de l'union. » 

Maintenant il est satisfait, sa conscience est tran- 
quille, il a dit ce qu'il croyait bon, honorable et utile de 
dire. Mais ce qu'il a dit ne dissipera pas les injustes 
soupçons dont il est l'objet. Il les sent se multiplier et 
grandir. Que se passe-t-il alors dans son àme? Tout y 
est doutes et irrésolutions quant à la conduite à tenir. 
Où est le devoir? Peut-être regrette-t-il de n'avoir pas 
été plus net, plus résolu quand il fut nommé député; de 
n'avoir pas siégé à Bordeaux, où l'envoyait le suffrage 
universel, et proclamé qu'il se ralliait formellement au 
régime républicain. Peut-être est-il maintenant tenté de 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 253 

le faire. Le comte de Chambord, par sa persistance à 
vouloir relever le drapeau blanc, n'a-t-il pas dégagé les 
princes d'Orléans de leurs engagements? 

Ses incertitudes se révèlent en certaines de ses paroles. 
Il reçoit, un jour, à Chantilly, un de ses partisans, le 
comte de Kératry. Après le déjeuner, il Femmène dans 
son cabinet, et là, seuls, ils causent de l'état politique 
du moment. Le comte de Kératry expose que, quoique 
la conduite des princes d'Orléans ait été mal comprise 
et mal jugée par le pays, égaré à dessein, ils peuvent 
encore beaucoup pour la France. Que le duc d'Âumale, 
le prince de Join ville, le comte de Paris, lancent sur 
l'heure un manifeste ; — plus tard, ce serait trop tard. 
Qu'ils y fassent connaître leur dessein de rentrer dans 
la vie privée, de n'être plus que les serviteurs de la 
France sous le régime qu'elle s'est donné, et du coup 
la République conservatrice sera fondée et l'avenir leur 
donnera un rôle utile. 

« Toute fusion ou essai de fusion , affirme ce con- 
seiller téméraire autant que dévoué, toute conspiration 
calculée ou inconsciente, ce serait, vu le désarroi de 
l'opinion et en face d'un ennemi qui n'a pas désarmé, la 
perte de la France. » 

Le duc d'Aumale ne proteste pas. Il avoue que ce 
manifeste, il a déjà voulu l'écrire, qu'il n'y renonce pas 
encore. Il a tout fait pour la fusion. Mais il y ajoute peu 
de foi. Les d'Orléans ne sont plus liés au comte de Cham- 
bord par aucun engagement; ils sont absolument libres. 
De même, ils sont libres envers M. Thiers, sur les senti- 
ments duquel ils ne peuvent plus se faire illusion. Le 
duc d'Aumale n'aurait donc aucune répugnance à tenir 
le langage qu'on lui conseille. 

« Le résultat de mon observation, dit-il pour conclure, 



254 LE DUC DAUMALE. 

c'est que le pays veut la République. On ne remontera 
pas le courant; il faut l'endiguer. Nous n'avons jamais 
été des conspirateurs. J'eusse pu arriver au pouvoir 
quand M. Thiers a donné sa démission (1). Ce n'est pas 
à nous à porter la main sur le pouvoir. Si le ciel appelle 
encore les d'Orléans au service de leur pays, il nous 
trouvera prêts, aussi bien sous la république que sous 
la monarchie (2). » 

Après de telles déclarations, on peut s'attendre à quelque 
manifestation retentissante. On l'attend en vain. Les 
irrésolutions du prince laissent la porte ouverte aux 
malentendus, aux calomnies. Evidemment il ne voit pas 
sa route. Il voudrait donner satisfaction à gauche comme 
à droite. Mais, à gauche, il ne le peut sans s'exposer à 
être accusé par la droite d'oublier qu'il est Bourbon, sans 
affliger les amis qu'il compte parmi les conservateurs. 
A droite, il n'est pas moins empêché. Pourrait-il aller 
de ce côté, accepter les doctrines qu'on y défend, alors 
qu'il est « bleu, juste milieu », ainsi qu'il se plaît à le 
dire, et que, comme son frère d'Orléans, il tient pour la 
Révolution? Il ne veut pas donner de gages aux partis 
qui s'agitent; il n'est d'aucun parti, et, quoi qu'il fasse 
pour prouver qu'il ne sera pas un prétendant, il ne satis- 
fait personne. Il est suspect aux républicains comme aux 
légitimistes. Les orléanistes eux-mêmes sont parfois 
déconcertés. L'un d'eux, au commencement de 1873, se 
décide à aller lui dire combien son attitude surprend et 
attriste. Le prince écoute, remercie et ne change rien à 
cette attitude (3). Durant cette période de sa vie où la 
politique le tient prisonnier, il est comme dans un défilé 

(1) La première, qui ne fut pas acceptée, 20 janvier 1872. 

(2) Récit du comte de Kératry. 

(3) Récit de M. Anisson-Duperron. 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 255 

tortueux, ténébreux, difficile à franchir. Il n'en apergoit 
pas rissue. 

Au moment où il entrait dans ces orages de la politique 
qu'il n'a pas appris à braver, sous lesquels il a toujours 
courbé la tète et dont il cherche à se distraire par l'acti- 
vité de sa vie intellectuelle et mondaine, l'Académie 
française le nomma au fauteuil qu'avait laissé vacant la 
mort de Montalembert (1). Cela, ce fut une joie, une des 
plus douces qu'il eût goûtées depuis son retour. Mais il 
s'y livre depuis six mois à peine, lorsque, brusquement, 
elle est détruite par la plus grande infortune qui puisse lui 
arriver. Le 25 juillet 1872, tandis qu'il est à Aix, il perd 
son fils, le dernier. Le duc de Guise meurt à Paris d'un 
mal rapide, foudroyant, qui rappelle celui auquel suc^ 
cpmba son frère (2). 

Après ce malheur, le duc d'Aumale semble se détacher 
de tout. Il pourrait dire, lui aussi : 
« Plus ne m'est rien; rien ne m'est plus. » 
C'est à travers cette catastrophe qu'il faudra désormais 
regarder aux actes de sa vie. S'il a eu des ambitions, la 
mort de son fils les a étouffées. Elle n'a laissé debout 
dans cette âme de Français et de soldat que deux senti- 
ments qui se tiennent : l'amour de l'armée et l'amour de 
la France. 

Le 3 avril 1873, il vient à l'Académie pour y prononcer 
le panégyrique de son prédécesseur et pour y entendre 
les éloges dont son vieux maître, Cuvillier-Fleury, 
chargé de lui répondre, doit entremêler le récit qu'il 
présentera de sa carrière et de ses travaux. Ce qui se 

(1) 26 décembre 4871. Il fut élu par 28 voix. Il y eut un bulletin 
blanc. 

(2) 11 se préoccupait, au moment de mourir, et sans connaître la 
gravité de son état, des inquiétudes que sa maladie allait causer à 
son père et àsagrand'mère, la princesse de Saleme, qui vivait encore. 



1 



256 LE DUC D'AUMALE. 

trahit surtout dans le discours du nouvel élu, ce discours 
où Montalembert est raconté, commenté, pénétré par un 
historien dont l'inspiration égale la sienne, c'est l'inten- 
sité de la douleur qui, durant cette séance, où tout est 
fait pour le réjouir et l'emplir d'orgueil, poursuit le duc 
d'Aumale. 

Lorsqu'il cite, comme nous l'avons déjà dit, une page 
de Montalembert sur les joies paternelles, l'émotion, une 
émotion poignante fait trembler sa voix assombrie. C'est, 
comme s'il cédait à la poussée de cette douleur plus forte 
que sa volonté de la dissimuler, qu'après avoir remercié 
l'Académie « de s'être associée à la généreuse résolution 
qui lui a ouvert les portes de sa patrie et d'avoir admis 
le proscrit dans cette compagnie qui porte le nom de la 
France », il s'arrête accablé pour reprendre ensuite d'up 
accent brisé : « A la douleur inexprimable de retrouver 
la patrie vaincue, mutilée, sanglante, se mêlait la joie de 
la revoir, d'en respirer l'air, de pouvoir la servir, de lui 
dévouer mon fils. Messieurs, depuis le jour où vous 
m'avez fait cet honneur, il a plu à Dieu d'éteindre la 
dernière flamme de mon foyer domestique. » 

Pendant plusieurs semaines, sa douleur, quoi qu'il fasse 
pour la dissimuler, apparaît en toutes ses paroles, dans 
ses confidences à ses amis. Elle est visible à attendrir les 
cœurs les plus insensibles, lorsqu'il conduit à Dreux le 
cercueil où sont enfermés les restes de son fils et lorsque, 
peu après, il y revient avec les membres de la famille 
d'Orléans pour déposer dans les tombes si longtemps 
vides les êtres chers morts sur la terre étrangère, durant 
l'exil. Maintenant il retournera souvent à Dreux pour y 
penser à ceux qui ne sont plus, à la femme, aux enfants 
ravis à son amour. Si, durant cette excursion doulou- 
reuse, quelque ami l'a accompagné, il lui dira en lui mon- 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 257 

trant son propre tombeau, et comme s'il exprimait un 
espoir : 

« Voici la place de votre serviteur (1). » 

Bientôt, du reste, il se fera violence pour dissimuler la 
plaie de son âme, pour ne pas importuner de ses plaintes 
ceux qui l'approchent ou vivent autour de lui. Dans la 
suite de sa vie, à considérer de quelles occupations inces- 
santes, écrivain, général, grand seigneur, il la remplit, et 
quelle passion il apporte dans l'accomplissement des 
labeurs divers qu'il s'est donnés, on pourra croire que 
cette douleur apaisée s'est dissipée. Ne vous y trompez 
pas; elle existe toujours; il vit avec elle, il l'a voilée ; mais 
il faut bien peu pour qu'elle se révèle. Le seul soulage- 
ment qu'il puisse éprouver, il ne le trouve que durant les 
heures qu'il se plaît à passer en tête à tête avec ses sou- 
venirs. 

Un jour, à Chantilly, peu de temps auprès la mort du 
duc de Guise, un visiteur le trouve seul dans une chambre 
du pavillon de Jean Bullant, parmi les reliques qu'il a 
conservées : la chevelure blonde de la duchesse d'Aumale, 
les derniers gants qu'elle porta, des vêtements et des 
souliers d'enfant, des portraits de ses fils, de son père, 
de la reine Marie- Amélie quand elle était jeune, et un 
registre où sont inscrites les dates de toutes ces morts. 

(f Mais, monseigneur, ce n'est pas une chambre, 
objecte le visiteur; c'est une chapelle ardente; on ne peut 
pas vivre ici. 

— J'y vis pourtant plus qu'ailleurs, répond le duc 
d'Aumale. Avant moi, d'autres ont souffert comme moi, 
plus que moi, sans faiblir. Dieu aidant, j'irai jusqu'au 
bout (2). » 

(1) Papiers d'Haussonville. 

(2) Raconté par M. Buisson (de l'Aude), auquel il montra le même 

17 



258 LE DUC D'AUMALE. 

Ainsi, moins de dix-huit mois après sa rentrée en 
France, les joies qu'il doit au soleil natal retrouvé sont 
détruites par une catastrophe qui ravive toutes ses plaies 
et dont le souvenir, malgré tout, pèsera toujours sur lui, 
même quand feront irruption dans sa vie de douleurs et 
de deuils les incidents si divers qui, maintenant, vont la 
remplir. 

Lesévénements, pendant ce temps, avaient marché. On 
touchait à cette date du 24 mai qui consacra le triomphe 
des conservateurs sur M. Thiers. Entre eux et lui, les 
dissentiments de plus en plus se multipUaient. Déçus et 
irrités par son attitude envers les princes d'Orléans, par 
son visible désir de gouverner exclusivement dans l'in- 
térêt des républicains et de leur donner des gages, les con- 
servateurs en arrivaient de plus en plus à reconnaître la 
nécessité de lui enlever le pouvoir et de l'exercer eux- 
mêmes par l'intermédiaire d'un président à leur image. 

Pour les uns, la chute de M. Thiers devait être le pro- 
logue d'une restauration monarchique. Tant qu'il restait 
le maître, cette restauration était impossible. Elle ne 
serait réalisable qu'à la condition d'être préparée, et ne 
pouvait l'être que par eux. Pour les autres, que les formes 
de gouvernement laissaient indifférents et qui n'atta- 
chaient de prix qu'aux principes tutélaires dont aucun 
régime ne saurait se passer, mais dont tous peuvent éga- 
lement tirer force et profit, M. Thiers était impuissant à 
fonder cette République conservatrice qui, dans l'état de 
la France et des partis, leur apparaissait comme le seul 
idéal qu'on pût se flatter d'atteindre. Opposés entre eux 
quant au but final, mais d'accord sur les moyens de modi- 

jour rinscription latine qu'il venait de trouver dans le Nouveau 
Testament pour la tombe du duc de Guise : Jésus intuitus juvenm» 
adduxit eîim. 



L'INSTALLATION EN FRANGE. 250 

fier rorientation du pays, ces adversaires de la politique 
adoptée par M. Thiers se coalisaient en vue de pourvoir à 
son remplacement. 

La démisson qu'il donna le 20 janvier 1872 les avait 
surpris avant qu'ils fussent prêts à lui choisir un suc- 
cesseur. Contraints d'aller le solliciter de la retirer, ils 
s'étaient promis, la crise passée, de tout combiner pour 
n'être pas pris au dépourvu si se rouvrait une crise nou- 
velle. Pour la plupart, ils ne désespéraient pas de la voir se 
reproduire, dussent-ils la provoquer. Elle s'annonça dans 
les premiers mois de 1873. Les divers groupes du parti 
conservateur dans l'Assemblée nationale étaient à bout de 
patience. Dans ce parti, la politique de M. Thiers avait 
lassé tout le monde. Quant au successeur à lui donner, 
Taccord semblait déjà devoir se faire sur le nom du maré- 
chal de Mac Mahon, dont le passé rassurait tous les inté- 
rêts et dont de récents malheurs militaires n'avaient ni 
terni la gloire ni compromis la popularité. 

Il était cependant impossible qu'à l'approche si visible 

d un événement qui paraissait devoir enrayer les progrès 

de l'idée républicaine et raviver dans l'opinion l'idée 

monarchique, les amis du duc d'Aumale ne songeassent 

1 pas à lui. Ils y songeaient depuis Bordeaux. S'ils avaient 

I tant regretté qu'à cette époque le prince n'eût pas compris 

j la force que lui donnait le suffrage universel dont il était 

j le mandataire, c'est qu'ils avaient considéré que, par ses 

I hésitations, son défaut d'audace, sa promptitude à se sou- 

I mettre aux exigences de M. Thiers, il affaiblissait les 

chaaces qu'il pouvait avoir d'être élu à sa place. L'espoir 

avorté alors, ils le caressaient maintenant de nouveau^ 

En janvier 1872, ils s'en étaient ouverts au duc d'AumalCé 

Tout en écartant ces ouvertures encore vagues et sans 

consistance, il n'avait rien dit qui pût le faire soupçonner 



260 LE DUC D'AUMALE. 

de vouloir les écarter de môme si, quelque jour, elles se 
reproduisaient. On le savait fâcheusement impressionné 
par les manifestes du comte de Chambord, de plus en 
plus convaincu de l'impossibilité d'une restauration 
monarchique. Il était logique de croire que, en ces condi- 
tions, il regarderait comme un devoir d'accepter la prési- 
dence de la République, si elle lui était offerte. 

Mais, avant tout, il importait de s'assurer le concours 
des légitimistes. Ceux qu'on désignait sous le nom de 
chevau-légers étaient hostiles à toute combinaison ayant 
pour objet de remettre le pouvoir aux mains d'un prince 
d'Orléans. En revanche, parmi les modérés, on en 
comptait un certain nombre disposés à se rallier à cette 
combinaison, pour peu qu'il leur fût démontré qu'elle 
contribuerait à hâter une restauration royaliste qu'ils 
considéraient comme assurée si le comte de Chambord 
renonçait au drapeau blanc et s'engageait à maintenir le 
drapeau tricolore. 

Entre ceux-là se trouvait le général Ducrot. On con- 
naissait ses idées, — les seules que pût professer un 
patriote et un soldat. Non seulement il entendait qu'il ne 
fût rien changé aux couleurs nationales, mais il restait 
convaincu que son opinion sur ce point était celle de la 
presque unanimité des Français. Il répétait sans cesse que 
le succès de l'entreprise royaliste dépendait, d'une part, 
de la réconciliation des deux branches de la maison de 
Bourbon et, d'autre part, de l'attitude du comte du Cham- 
bord sur cette question du drapeau. Le maintien du dra- 
peau tricolore assuré, les princes d'Orléans réconciliés 
avec le chef de leur maison, la monarchie était faite, et 
l'élection du duc d'Aumale à la présidence ne pouvait 
qu'en rendre plus certain et plus rapide l'avènement. 

Plein de ces pensées, le général Ducrot voulait se 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 261 

ireodre compte de celles du comte de Chambord. Il voulait 
savoir si elles étaient conformes aux siennes, ce qu'il 
n'avait encore pu discerner à travers le langage des 
membres du parti royaliste (1). Au moment où la pre- 
mière démission de M. Thiers donnait à ces questions 
une impérieuse et pressante actualité, le général se déci- 
dait tout à coup à se rendre auprès du comte de Cham- 
bord, dont l'arrivée à Anvers était annoncée. Sa décision 
prise, il crut devoir la tenir secrète. Il n'en fit part qu'à 
quelques-uns de ses collègues, qu'il savait animés des 
mêmes sentiments que lui, et au duc d'Aumale, envers 
lequel il témoignait en toute occasion d'autant de con- 
fiance que de déférence (2). 



(4) Il règne une certaine confusion dans les souvenirs des person- 
nages encore vivants qui furent mêlés à ces événements. L'un des 
plus considérables, qui siégeait à l'extrême droite, m'écrivait na- 
guère : « Je suis moralement sûr que le général Ducrot n'a pas fait 
auprès du comte de Chambord la démarche dont vous me parlez. » 
Cependant il est aujourd'hui démontré que cette démarche eut 
lieu. Il ne pourrait y avoir un doute que sur la question de savoir 
où elle eut lieu. Mais le général ne vit le prince que deux fois : la 
première, à Anvers, au commencement de 4872; la seconde, à Ver- 
sailles, après l'échec des tentatives de restauration ; il faut néces- 
sairement en conclure que c'est à Anvers qu'il lui parla de la candi- 
dature du duc d'Aumale. 

Il ne semble pas moins certain que les membres de l'extrême 
droite, qui, en mai 4873, se montrèrent, comme on va le voir, si 
résolument hostiles à cette candidature, ne se montraient pas, au 
commencement de 4872, aussi décidés à la repousser. Dans un pas- 
sage du journal qu'un député, M. de Cumont, tenait au jour le jour 
des événements dont il était témoin, nous lisons : « 20 janvier 4872. 
— J'ai demandé à Lucien Brun, en présence du général Ducrot, s'il 
est vrai que ses amis de l'extrême droite consentiraient à voter 
pour le duc d'Aumale si le comte de Paris faisait la visite au comte 
de Chambord. Il m'a répondu : « C'est mon sentiment personnel, 
« et je ne doute pas que ce soit celui de nos amis. > 

(2) Il partit accompagné d'un de ses jeunes collègues de la droite, 
le marquis Costa de Beauregard, que M. Lucien Brun avait prié de 
lui faire escorte durant ce voyage, afin de l'aider à protéger son 
incognito et de qui je tiens ce détail. Le marquis Costa de Beauregard 



262 LE DUC D'AUMALE* 

Le duc d'Aumale était alors sous Tinfluence des ouver- 
tures éventuelles qui lui avaient été faites. Il n'ignorait 
pas combien lui étaient défavorables les dispositions de 
l'extrême droite. Il devait naturellement supposer que 
ces dispositions le comte de Chambord les inspirait. 
Désireux de s'éclairer sur ce point, il chargea le général 
Ducrot de demander à ce prince de quel œil il verrait 
l'arrivée de son cousin à la présidemce de la République. 

Quelques jours après, le général, rentré de son voyage, 
venait au débotté trouver le duc d'Aumale et lui en 
racontait les détails. Quelles qu'eussent été l'éloquence 
et l'ardeur de ses prières, et bien qu'il fût tombé aux 
genoux du comte de Chambord en le suppliant de 
renoncer au drapeau blanc, il n'avait pu obtenir une 
réponse satisfaisante. Le comte de Chambord, le relevant, 
l'avait embrassé, mais sans prononcer une parole (1). 

Quant à la question relative au duc d'Aumale, il avait 
répliqué froidement : 

« Je n'admets pas qu'un prince du sang soit en dehors 
de l'entourage de son roi. » 

En entendant ce récit, le duc d'Aumale ne put se 
retenir. Le vieux levain de 1830 qui fermentait toujours 
en lui l'excitait, et il s'écria : 

« Son roil son roil C'est là qu'est la question! » 



le conduisit jusqu'à Une station belge où attendait M. de Blacas, 
envoyé par le comte de Chambord à la rencontre du général. 

(4) D'après une autre version, cette scène entre le comte de 
Chambord et le général Ducrot aurait eu lieu non pas à Anvers, 
mais l'année suivante à Versailles, quand le prince y vint après la 
prorogation des pouvoirs du maréchal de Mac Mahon. Il semble 
cependant bien difficile d'admettre que le général Ducrot s'étant 
rendu à Anvers au moment où la question du drapeau était discu- 
tée de toutes parts, il n'en ait pas entretenu le comte de Chambord. 
Lorsque plus tard ils se revirent, elle avait singulièrement perdu 
de son intérêt. 



1 



J 



L'INSTALLATION EN FRANGE. 263 

L'entretien en resta là. Mais la conviction du duc 
d'Aumale était faite. Il savait maintenant que, s'il se lais- 
sait jamais tenter par les instances de ceux de ses amis 
qui songeaient à le porter à la présidence de la Répu- 
blique, sa candidature serait combattue par l'extrême 
droite, aveuglément docile à la volonté du comte de 
Chambord. Pour ébranler cette volonté, pour s'assurer 
les suffrages des partisans de ce prince, il eût fallu que le 
duc d'Aumale se résignât à n'être au pouvoir qu'à l'état 
transitoire, en attendant une restauration qu'il eût dû 
s'engager à préparer. 

Ce n'est pas ainsi qu'il comprenait son rôle. Il ne dési-i 
rait pas la présidence; il ne l'eût acceptée que par néces- 
sité, « sentant bien que son honneur l'entendait autrement 
que les partis, lesquels ne se préoccupent nullement de 
l'honneur des hommes, pourvu qu'ils servent leurs inté- 
rêts, leur ambition ou leurs illusions (1) ». Placé à la tête 
du gouvernement, il eût exercé le pouvoir en toute 
loyauté. Ayant la garde de la république, il ne l'eût pas 
trahie. C'était se faire illusion que de le croire capable 
de se servir de la force remise en ses mains pour préparer 
le retour de la monarchie, fût-ce au profit du comte de 
Paris. 

Bien des années après, dans une circonstance où le 
désir de lui conférer la première magistrature de l'État 
hantera de nouveau l'esprit de quelques royalistes et que, 
le comte de Chambord étant mort, ils suggéreront au duc 
d'Aumale de se laisser porter au pouvoir, afin de favoriser 
l'avènement du petit-fils de Louis-Philippe, devenu l'héri- 
tier légitime de la couronne, il détruira d'un mot leurs 
espérances et leurs projets. 

(1) Buisson (de l'Aude). 



264 LE DUC D'AUMALE. 

« Je veux bien être une transaction, mais non une 
transition », s'écriera-t-il (1). 

Voilà le mot qui le peint au vrai et résume le mieux sa 
manière de voir, de comprendre et de sentir. Il est l'homme 
de la légalité et ne saurait être autre chose. Coups d'État, 
coups de main, coups de force lui font horreur, et plus 
encore les menées sourdes, les ruses, les violations dégui- 
sées des engagements pris, auxquelles il faudrait recourir 
pour conduire la France de la République à la monarchie, 
après avoir promis d'être le serviteur de la République. 

Au lendemain de son retour en France, en ces années 
1872 et 1873 où le pouvoir fut, en quelque sorte, à 
portée de sa main et où, s'il eût été un ambitieux, il 
aurait pu le conquérir au prix de quelques concessions et 
de quelques promesses, il ne pensait pas autrement. Le 
constater, c'est justifier les défiances de l'extrême droite. 
Elle avait raison de douter de lui. Il ne se fût associé ni 
à ses passions ni à ses espérances. Il ne pouvait être 
l'instrument qu'elle cherchait. C'est un Monk qui eût été 
nécessaire au parti royaliste. Le rôle de Monk répugnait 
au duc d'Aumale. On s'obstinait à ne pas s'en convaincre. 
Il voyait se créer le malentendu. Il redoutait de Taggraver 
encore. Pour ce motif, il ne souhaitait pas d'arriver à la 
présidence, quelque tentant que lui apparût le rôle à 
jouer, moins au point de vue de la politique intérieure 
qu'au point de vue extérieur. S'il a jamais regretté de 
n'être pas à la tête de la France, c'est parce qu'il se 
croyait apte plus que d'autres à lui rendre en Europe sa 
grandeur et son influence passées. 

Malgré tout, cependant, à l'approche de la chute de 
M. Thiers, considérée comme certaine, plusieurs des 

(4) Propos tenus à Chantilly au marquis du Lau, en 1885, en pré- 
sence du comte de Paris. 



1 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 265 

amis du duc d'Aumale croyaient à la possibilité de triom- 
pher de ses répugnances et de recruter dans la droite 
assez de voix pour assurer son élection. Ils n'étaient pas 
nombreux, mais convaincus et entreprenants, deux 
d'entre eux surtout, le duc d'Audiffret-Pasquier et le duc 
Decazes. Après s'être concertés avec ceux de leurs col- 
lègues qui croyaient à l'efficacité d'une dernière tentative, 
ils allèrent, au commencement de la seconde quinzaine 
de mai, interroger le duc d'Aumale, afin de savoir s'il 
accepterait la présidence de la République au cas où il 
serait élu. Une fois assurés de son consentement, ils 
s'occuperaient de rallier des suffrages à sa candidature. 
La réponse du prince fut négative. 11 n'avait rien à 
taire à ces fidèles partisans de sa famille, depuis si long- 
temps ses confidents et ses conseils. Il leur exposa les 
raisons dont s'inspirait son refus. Mais ils l'avaient prévu 
et leurs réponses étaient prêtes. Les arguments ne leur 
manquaient pas. Ils mirent tant d'insistance à les faire 
valoir, tant de chaleur à démontrer au prince que l'in- 
térêt de la France exigeait qu'il cessât de se dérober; ils 
furent, en un mot, si pressants et si persuasifs, que, 
sacrifiant sa conviction personnelle, il finit par céder. 

a Vous le voulez, dit-il ; vous faites appel à mon pa- 
triotisme ; vous m'affirmez que je peux, dans ce poste, 
être utile à mon pays; soit, j'accepte. » 

Le combat durait depuis plusieurs jours quand le duc 
d'Aumale s'engagea ainsi. « Engagement redoutable », 
écrivait-il le même soir dans son journal (1). 

(1) Récit d'un témoin. 11 écrivait tous les jours ce qui lui était 
arrivé dans la journée. Les plus petits détails figurent dans ces récits 
quotidiens de sa vie, écrits sous une forme brève, concise, souvent 
compréhensible pour lui seul. Les exécuteurs testamentaires n'ont 
pas encore décidé si ces précieux documents seront un jour rendus 
publics. 



266 LE DUC D'AUMALE. 

Le dimanche suivant, 18 mai, les délégués de tous les 
groupes de la majorité se réunirent chez le duc de Bro- 
glie pour fixer le rôle de chacun dans la journée qui se 
préparait et arrêter définitivement le nom du candidat à 
la succession de M. Thiers. La candidature du duc d'Au- 
male fut posée, et tout aussitôt M. Lucien Brun, du 
groupe des chevau-légers, se leva pour la combattre. 
La droite légitimiste pensait unanimement et savait que 
le comte de Chambord ne voudrait pas autoriser un 
prince de la maison de France à accepter, du vivant du 
roi, la présidence de la République. On ne pouvait passer 
outre à la volonté royale. Elle n'était pas douteuse. 
M. Lucien Brun s'inspira de ces considérations pour 
faire un très sombre tableau des inconvénients et des 
dangers de la candidature du duc d'Aumale. 

Le duc d'Audiffret-Pasquier lui répondit. Il mit dans sa 
réponse cette animation de pensée, cette vivacité de 
parole qui caractérisent son éloquence. Il déclara, au 
nom de la droite modérée et du centre droit, que les pré- 
tentions de l'extrême droite devenaient intolérables, et 
qu'ils ne les subiraient pas plus longtemps. 

a Vous vous défiez du duc d'Aumale, s'écria-t-il. Vous 
le tenez pour un ambitieux. Que vous le connaissez peu ! » 

Le débat, en se prolongeant, trahissait des divisions 
profondes et redoutables. Elles s'accentuaient à l'heure 
où l'union ^devenait plus nécessaire. 

Le duc de Broglie intervint alors. Désigné déjà pour 
porter la parole contre M. Thiers, la plus lourde respon- 
sabilité pesait sur lui. Il avait le droit de demander qu'on 
n'ajoutât rien à ce fardeau. Il fit justement remarquer 
que, avant de renverser M. Thiers, il était nécessaire 
qu'on se fût mis d'accord sur le nom de son successeur. 
On ne pouvait aller au combat sans être armé. Quant à 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 267 

lui, il ne consentirait à monter à la tribune qu'autant que 
cet accord indispensable se serait établi. Puisqu'on ne 
parvenait pas à s'entendre sur le duc d'Aumale, il fallait 
choisir un autre candidat susceptible de rallier toutes les 
opinions. Il parla du maréchal de Mac Mahon, dont le 
nom était dans tous les esprits. Le duc de Broglie le con- 
naissait peu; il ne le comparait pas au duc d'Aumale. 
Mais, à défaut de celui-ci, on ne pouvait trouver mieux. 
Un de ses collègues, M. Lambert Sainte-Croix, pro- 
posa de voter au premier tour pour l'un et l'autre des 
candidats, sauf à grouper tous les suffrages au second 
tour sur celui des deux qui aurait obtenu le plus de voix. 
L' extrême-droite protesta contre ce mode de procéder. On 
allait à une rupture. Le duc de Broglie renouvela alors, 
avec plus de force, sa déclaration précédente. Il renon- 
cerait à prononcer son discours, si la moindre incertitude 
subsistait sur l'union complète du parti conservateur, du 
premier au dernier moment de la discussion. Ces paroles 
coupèrent court aux querelles, et le maréchal de Mac 
Mahon fut unanimement désigné (1). 

Les ducs Decazes et d'Audiffret-Pasquier rendirent 
compte au duc d'Aumale du résultat de la réunion. Il 
n'en fut pas plus surpris qu'attristé. Peut-être même la 
décision prise le délivrait-elle d'un grave souci. Il n'en 
était pas moins blessé par l'attitude des chevau-légers. 
Derrière eux, il voyait le comte de Chambord leur dic- 
tant ses ordres et le traitant en ennemi. Cette vision 
n'était pas faite pour le rendre favorable à une restaura- 
tion royaliste; et comme, d'autre part, il ne lui convenait 
pas de s'y montrer hostile, il prenait, dès ce moment, le 
parti de laisser s'accomplir les événements, sans essayer 

(1) Archives de Broglie. 



268 LE DUC D'AUMALE. 

d'en arrêter la marche ou d'en modifier le caractère. Cette 
résolution arrêtée, il s'y tint et demeura étranger, sinon 
indifférent, à ce qui suivit. 

Le surlendemain de la réunion dont les péripéties 
viennent d'être révélées, la majorité de l'Assemblée natio- 
nale, à la suite d'un débat mémorable, acceptait la démis- 
sion de M. Thiers et nommait à sa place le maréchal de 
Mac Mahon (1). Au fond du cœur, sans l'avouer encore, 
les royalistes saluaient en lui cet instrument de la res- 
tauration monarchique indispensable à la réalisation de 
leurs désirs, et tout aussitôt commençaient à frayer au 
roi le chemin du trône. Cette route si difficile à franchir 
fut élargie, le 5 août, par la visite du comte de Paris au 
comte de Chambord, à la préparation de laquelle le duc 
d'Aumale n'avait pas participé. Il n'eut pas plus à l'ap- 
prouver qu'à la déconseiller. Mais il n'en aima pas la 
forme. Il y voyait une sorte de désaveu des événements 
de 1830. Il l'eût comprise plus hautaine, plus fière, moins 
condescendante, moins susceptible d'être interprétée 
comme un acte de repentir, et de détacher par consé- 
quent de la royauté l'élément libéral. 

En outre, il la jugeait inutile. Il ne croyait pas à la res- 
tauration, convaincu que le comte de Chambord ne tran- 
sigerait pas sur la question du drapeau. Sa conviction ne 
varia pas, même au cours des événements de septembre 
et d'octobre, quand tant de royalistes poussaient l'illusion 
jusqu'à annoncer l'entrée du roi de France. Par son frère, 

(1) Le même soir, dans un compartiment du train qui ramenait 
les députés à Paris, un des plus fidèles amis du duc d'Aumale, 
M. Lambert Sainte-Croix, disait en présence de l'auteur de ce liyre : 
« Ne regrettons pas trop de n'avoir pu faire élire notre prince 
Président; peut-être nous eût-il ménagé de pénibles surprises. Il 
n'eût pas fait la monarchie, il eût consolidé la République, et dés 
demain il eût appelé Jules Simon pour le charger de former un 
ministère. » 



L'INSTALLATION EN FRANCE. 269 

le duc de Nemours, qui se trouvait à Vienne, il était 
averti que le comte de Chambord se refusait aux conces- 
sions qui, seules, pouvaient rendre possible son retour. 

Après la lettre du 31 octobre et l'échec des tentatives 
royalistes, les princes d'Orléans furent prévenus que les 
droites songeaient à offrir à l'un d'eux la « lieutenance 
générale du royaume » . Ils décidèrent de ne se prêter à 
aucune des combinaisons qu'on étayait sur leur consen- 
tement non encore donné. L'influence exercée par le duc 
d'Aumale dans sa famille ne fut pas étrangère à cette 
décision. Quand le pouvoir fut successivement offert à 
son neveu, le comte de Paris, à ses frères, le prince de 
Joinville et le duc de Nemours, et même à lui, ils furent 
unanimes à le refuser. Vainement on tenta de vaincre 
leur résistance ; vainement on vint dire au duc d'Aumale 
qu'il se devait au parti royaliste ; ils se récusèrent. Le duc 
d'Aumale le fit avec une énergie qu'il faut mettre en 
lumière dans un livre qui lui est consacré. Fidèle au lan- 
gage qu'il avait vingt fois tenu, il était résolu à servir la 
France sous la République aussi bien que sous la monar- 
chie. 

A cette heure même, il recommençait à la servir active- 
ment. Invité à remplir un grand et rigoureux devoir, il 
le remplissait en présidant les débats du procès intenté 
au maréchal Bazaine, avant d'aller prendre le commande- 
ment du 7* corps, auquel il avait été nommé le 28 sep- 
tembre. 






CHAPITRE VIII 

LE GÉNÉRAL 

Un souvenir du passé. — Éducation militaire du duc d'Aumale. — 
L'opinion publique et Bazaine. — Renvoi devant un conseil de 
guerre. — Le duc d'Aumale désigné pour présider ce conseil. — 
Ses premières résistances et ses perplexités. — Démarches du 
maréchal Baraguay d'Hilliers. — Une séance de l'Assemblée natio- 
nale. — Le duc d'Aumale accepte la présidence. — Il veut aller 
en Alsace. — Refus de Bismarck. — Le procès. — Un mot histo- 
rique. — La sentence. — Recours en grâce. — Départ pour Besan- 
çon. — Le commandement du 7* corps. — Comment il Texerce. 
— Son activité. — Les « randonnées ». — Sa sollicitude pour le 
troupier. — En manœuvres. — Ses ordres du jour. — La crise de 
1875. — Physionomie de son quartier général. — Anecdotes du 
dix-huitième siècle. — De plus en plus loin de la politique. — Il 
refuse de se laisser élire au Sénat. — Le duc d'Aumale et le car- 
dinal Mathieu. — Il est relevé de son commandement. 



Lorsque, au mois de mars 1872, le duc d'Aumale avait 
été réintégré dans son grade, vingt-quatre ans s'étaient 
écoulés depuis qu'il ne portait plus l'uniforme et ne figu- 
rait plus dans l'armée. On pouvait craindre que, durant 
l'exil, il fût devenu inférieur à lui-même et eût perdu non 
le goût, mais l'habitude du métier. N'est-ce pas l'histoire 
de tant d'officiers des armées royales émigrés pendant 
la Révolution, arrachés à leur carrière, en pleine jeu- 
nesse, alors qu'ils étaient animés d'une indomptable 
ardeur et qu'on avait vus revenir, un quart de siècle plus 
tard^ en 1814, vieillis, désabusés, déplorablement aigris, 



LE GENERAL. 271 

à force d'avoir souffert; plus ignorants encore qu'aigris, 
tant ils avaient fermé les yeux aux progrès de Fart mili- 
taire aussi bien qu'aux transformations sociales de leur 
pays; incapables, en un mot, d'exercer les commande- 
ments que, malgré leur incapacité, le roi consentait à 
leur confier, par égard pour leurs anciens services et 
comme récompense de leur longue fidélité? Remis en 
possession de leur grade et de leurs armes, plusieurs 
d'entre eux s'étaient montrés au-dessous de leur tâche. 
Par leur inexpérience, leur ignorance, leurs bévues, ils 
avaient excité les railleries de leurs soldats dressés à la 
dure école de l'empereur, longtemps associés à sa gloire, 
dont ils gardaient un reflet et dont les souvenirs les ren- 
daient impitoyables pour ces revenants d'un autre âge, si 
différents des généraux qui jadis les menaient au combat. 
Rappeler ces souvenirs, c'est signaler l'écueil contre 
lequel le duc d'Aumale était exposé à se briser en repre- 
nant le cours d'une carrière exceptionnellement brillante, 
mais durant un si long temps interrompue. On l'attendait 
à cette épreuve. Peut-être quelques-uns de ses adver- 
saires espéraient-ils qu'elle lui serait fatale. Mais il était 
de taille à la subir, grâce à la forte éducation militaire 
qu'il avait reçue, grâce surtout à des dons exceptionnels 
développés par un travail incessant. 

Son enfance avait été bercée par les récits des derniers 
et illustres survivants des guerres de l'empire : Soult, 
Gouvion Saint-Cyr, Mortier, Gérard. Son heureuse mé- 
moire avait retenu leurs leçons et leurs préceptes. Plus 
tard, en Afrique, à l'âge où les exemples non moins que 
les paroles laissent dans l'âme et dans l'intelligence des 
empreintes profondes, il avait trouvé d'autres maîtres, 
les plus habiles tacticiens du temps : Clauzel et Bugeaud. 
Sous leurs ordres, il avait exercé des commandements 



272 LE DUC D'AUMALE. 

importants, rempli des missions périlleuses, assumé des 
responsabilités redoutables et inscrit, par de retentis- 
santes actions de guerre, son nom à côté des noms de 
Changarnier, de Lamoricière et de Cavaignac. 

Élevé à une telle école, doué ainsi qu'il l'était, il ne 
pouvait oublier les enseignements sous Finfluence des- 
quels, encore adolescent, il avait acquis Texpérience et la 
compétence. Pour que la proscription, en l'arrachant à 
un tel milieu, pût effacer le souvenir des leçons qu'il y 
avait reçues, il eût fallu qu'il se désintéressât des événe- 
ments qui, à tout instant, les lui rappelaient. Mais, loin 
de s'en désintéresser, il était resté, pendant la durée de 
son exil, l'admirateur passionné de l'armée française, 
la suivant dans toutes les contrées où elle promenait ses 
drapeaux : en Crimée, en Italie, en Chine, au Mexique, 
dans cette Algérie où lui-même avait commandé et qui 
lui était toujours chère. L'armée I l'armée française, sa 
pensée l'accompagnait partout. 

Ému au spectacle de ses dangers, exalté au récit de 
ses victoires, il étudiait sans cesse, avec autant d'appli- 
cation que s'il en eût fait toujours partie, les multiples 
rouages de son organisation, soucieux de n'en ignorer 
aucun, ni les anciens qu'il n'avait pas oubliés, ni les nou- 
veaux avec lesquels il se familiarisait bien vite au fur et 
à mesure qu'on les mettait en mouvement. Il appliquait 
le même procédé d'étude aux armées étrangères, à leurs 
effectifs, à leurs armements, à leurs méthodes de combat. 
Enfin, pour se rendre compte des progrès effectués ici 
ou là, il comparait les armées modernes aux armées 
anciennes. Après avoir commencé ces comparaisons dans 
des livres techniques, il les poursuivait sur les champs 
de bataille de l'Europe, théâtre des ^andes guerres 
d'autrefois ou d'aujourd'hui. 



LE GÉNÉRAL. 273 

Loin donc que l'exil eût amoindri ses connaissances 
militaires, il en avait profité pour les accroître. Au mo- 
ment où se rouvraient pour lui les rangs de l'armée, il 
se trouvait, grâce à sa science militaire et à son incom- 
parable activité, en état d'y tenir une grande place. Cette 
place, M. Thiers s'obstinait à ne pas la lui offrir. C'était 
à croire que, n'ayant pu s'opposer à ce qu'on lui rendît 
son grade, il ne voulait pas lui fournir l'occasion de 
l'utiliser, de peur, sans doute, de le trop mettre en évi- 
dence. 

Les choses traînèrent ainsi durant quelques mois. 
Absorbé par d'autres préoccupations, par ces joies du 
retour que nous avons décrites et qu'allait éteindre la 
mort de son fils, le duc d'Aumale attendait sans impa- 
tience qu'on recourût à ses services, lorsque, durant 
l'automne de 1872, au moment où l'opinion publique 
commençait à réclamer la mise en jugement du maréchal 
Bazaine, il apprit que M. Thiers songeait à lui confier la 
présidence du conseil de guerre devant lequel, le cas 
échéant, le maréchal devrait comparaître. 

L'idée de mettre en cause le commandant en chef de 
l'armée de Metz et de lui demander compte de ses actes 
remontait à l'heure fatale où la nouvelle de la capitula- 
tion de la cité lorraine avait éclaté en France et détruit 
l'espoir de vaincre, qui survivait aux premières défaites. 
D'un bout à l'autre du pays, avait retenti un cri de répro- 
bation et de révolte. Avant même de savoir comment les 
choses s'étaient passées, on accusait Bazaine d'avoir 
sacrifié son armée à ses ambitions personnelles et livré 
la place dont la défense lui était confiée, sans avoir fait 
tout ce que commandaient le devoir et l'honneur, — 
accusation d'autant plus terrible que, si l'enquête en 
démontrait la vérité, il en résulterait que le maréchal 

48 



274 LE DUC D'AUMALE. 

était responsable des échecs qu'avaient subis nos armes 
depuis que les Allemands, délivrés de l'obligation de 
contenir l'armée de Metz, s'étaient vus libres de faire 
avancer toutes leurs forces dans l'intérieur et d'aller 
mettre le siège devant Paris. 

Quand l'Assemblée nationale se réunit à Bordeaux, 
ces griefs se reproduisirent avec une vivacité nouvelle. 
Il fut évident que l'opinion ne serait satisfaite que lorsque 
Bazaine aurait été traduit devant la justice militaire. 
L'insurrection de la capitale relégua pour quelques 
semaines la question au second plan. Elle reparut au 
premier, dès le lendemain de la prise de Paris. Le 29 mai, 
l'Assemblée nationale eut à discuter une pétition deman- 
dant qu'il fût procédé à une enquête sur la capitulation 
de Metz. La commission avait conclu au renvoi au mi- 
nistre. Après un bruyant débat où Bazaine fut tour à 
tour attaqué et défendu, le renvoi ne fut pas prononcé. 
L'ordre du jour pur et simple écarta la pétition. 

Ce n'est pas que l'Assemblée n'eût son opinion faite. 
Elle avait seulement cédé aux adjurations du ministre de 
la guerre. Devant l'irrégularité et les dangers d'une 
enquête parlementaire, que divers députés semblaient 
disposés à exiger, le général Le Flô, en agitant le spectre 
de la confusion des pouvoirs, avait obtenu l'ajournement 
d'une solution définitive. Mais cet ajournement ne pou- 
vait être indéfini. Devant la formelle volonté de l'Assem- 
blée, le gouvernement se voyait obligé de prendre une 
autre attitude et de décider que toutes les capitulations 
survenues pendant la guerre seraient soumises à une 
enquête. Un conseil, que présidait le maréchal Baraguay 
d'Hilliers, était chargé d'y procéder. Après avoir exa- 
miné les événements de Metz, il avait conclu au renvoi 
de Bazaine devant les juges. 



LE GÉNÉRAL. 275 

On racontait alors que M. Thiers espérait encore éviter 
ce dénouement, soit qu'il ne crût pas à la culpabilité du 
commandant de l'armée du Rhin, soit qu'il redoutât que 
la constatation du crime, s'il était prouvé, ne portât 
atteinte à l'honneur des armes françaises. Toutefois, il 
devait prévoir le cas où il y aurait obligation pour lui de 
céder au sentiment public, si manifestement contraire au 
sien. C'est en dressant la liste des généraux qui seraient 
appelés à juger Bazaine qu'il y avait fait figurer le duc 
d'Aumale, désigné, par son ancienneté de grade, pour 
faire partie du conseil de guerre et le présider. 

Le prince en eut la nouvelle par le maréchal Baraguay 
d'Hilliers, qui vint le trouver après que le conseil d'en- 
quête de capitulation eut conclu au renvoi de l'auteur 
responsable de la capitulation de Metz devant la justice 
militaire. 

« C'est à vous qu'il appartient de présider ce tribunal, 
dit le maréchal au duc d'Aumale. Aucun des maréchaux 
de France ne peut exercer cette présidence. Lebœuf a eu 
trop de part dans nos désastres. Canrobert a servi sous 
les ordres de Bazaine. Mac Mahon commandait l'armée 
de Sedan. Moi, j'ai présidé le conseil d'enquête. Nous 
sommes tous disqualifiés. C'est donc à vous qu'incombe 
cette tâche. Vous êtes le doyen des généraux français. 

— Il y a le général Schramm, objecta le duc d'Aumale. 

— Il est octogénaire, infirme. 

— A défaut de lui, j'ai des amis dans la marine ; 
Tréhouart, Rigault de Genouilly. Et puis, ce n'est pas en 
remplissant les fonctions de juge que je voudrais rentrer 
dans l'armée. » 

Instinctivement il redoutait, on le voit, cette lourde 
tâche. Baraguay d'Hilliers , à cette première tentative, 
insista en vain; le prince ne se décidait pas. Peut-être 



276 LE DUC D'AUMALE. 

redoutait-il que M. Thiers ne Feût choisi pour remplir ses 
difficiles fonctions que parce qu'il y avait là un écueil et 
un péril. D'autre part, il pensait que ce procès Bazaine 
serait, à vrai dire, le procès de l'Empire. N'essayerait-on 
pas de mettre en doute l'impartialité du président, si ce 
président était un prince d'Orléans, et, ce prince n'ayant 
pas pris part à la guerre, son autorité n'en serait-elle pas 
amoindrie? Il restait donc très perplexe, encore qu'il 
comprît que reculer devant l'accomplissement de ce 
pénible devoir équivaudrait à une mise à la retraite défi- 
nitive prononcée par lui-même. Il disait alors : 

« Si j'y suis forcé, je saurai le remplir. » 

Néanmoins, quand il alla rendre au maréchal Baraguay 
d'IIilliers sa visite, il était résolu à résister encore, à 
moins qu'on ne le pourvût d'un commandement. Il par- 
lait de poser des conditions. Dès qu'on le considérait 
comme étant en activité de service, il ne lui convenait 
pas de n'être bon qu'à présider un conseil de guerre; une 
triste tache, à son avis. S'il était désigné par son grade 
pour la remplir, il avait le droit d'exiger que ce ne fût pas 
la seule à laquelle son grade le désignât. 

Nous n'avons pu découvrir s'il tint ce langage au 
maréchal. De leur second entretien, nous n'avons recueilli 
que les sollicitations pressantes du vieux soldat pour con- 
vaincre le duc d'Aumale qu'il pouvait seul prendre la 
direction de ce dangereux et formidable procès, et qu'il 
était seul en état de le conduire. Puis, quand il crut l'avoir 
ébranlé, il ajouta comme un homme convaincu de la cul- 
pabilité de Bazaine : 

« Moi, je l'ai condamné ; j'ai fait mon devoir. A vous 
de faire le vôtre. Pas de faiblesse (1) ! » 

(1) Récit d'un témoin, complété par des notes de M. de la Rm. 






LE GENERAL. 277 

A dater de ce jour, le duc d'Aumale entreprit une sorte 
d'enquête sur la carrière de Bazaine, la prenant à ses 
débuts, la suivant en toutes ses phases, interrogeant les 
officiers qui avaient suivi le maréchal au Mexique, tâchant 
de pénétrer, à la lumière des actions passées, dans cette 
âme de soldat et d'y chercher si elle avait pu concevoir 
la trahison. Il étudiait de même les dramatiques péripéties 
du siège de Metz, préoccupé d'être prêt s'il avait à porter 
sur tant de faits ténébreux un jugement public. 

Cependant il espérait encore échapper à ce qu'il appe- 
lait une corvée. Il s'efforçait de l'écarter de lui. Au mois 
de mai 1872, il crut pouvoir y réussir. L'Assemblée natio- 
nale discutait un projet de loi relatif à la juridiction mili- 
taire et à la composition des conseils de guerre. Bien 
que cette loi, remaniant et refondant les lois antérieures, 
eût un caractère général, elle était faite en vue de Bazaine. 
Le nom du maréchal ne fut prononcé par aucun des ora- 
teurs, mais tout le monde pensait à lui. C'est lui qu'on 
voyait inaugurant la juridiction qu'on était en train de 
réformer. On la préparait pour lui. 

Ce débat parut au duc d'Aumale le terrain le plus pro- 
pice pour se dérober aux fonctions de juge, et s'y dérober 
légalement. Il suffisait que l'Assemblée décidât que ses 
membres ne pourraient faire partie des conseils de guerre. 
Elle comptait dans ses rangs plusieurs généraux. Ils 
étaient tous intéressés à soutenir une proposition dans ce 
sens, un entre autres, et non le moins éminent, le général 
de Chabaud La Tour, que son ancienneté de grade con- 
damnait aussi à figurer parmi les juges de Bazaine. 

Au cours de la discussion à laquelle se livrait l'Assem- 
blée, le duc d'Aumale, le 25 mai, écrivait : « Mon cher 
général, le ministre est d'avis que les membres de l'As- 
semblée ne doivent pas siéger dans le conseil de guerre. 



278 LE DUC D'AUMALE. 

Mais, en présence des dispositions manifestées, il ne se 
sent pas autorisé à résoudre la question, et si l'Assemblée 
n'a pas pris une disposition spéciale, il n'admettra pas 
cette excusç. C'est du moins ce qu'il m'a dit. Il faut se 
concerter pour faire présenter un amendement par des 
personnes non intéressées. L'affaire viendra probable- 
ment demain à l'ouverture de la séance. Il me paraît 
impossible que nous nous bombardions nous-mêmes 
juges dans ce procès. Je vous dis cela pour le cas où vous 
rencontreriez quelque député ce soir (1). » 

L'amendement que souhaitait le prince fut présenté le 
lendemain (2). Il était ainsi conçu : « Les membres de 
l'Assemblée nationale ne peuvent faire partie des conseils 
de guerre. » Personne ne se méprit sur le caractère de 
cette proposition. On savait qu'elle était présentée dans 
l'intérêt du duc d'Aumale, à l'effet de lui épargner la diffi- 
cile tâche de présider le conseil. Le député qui la présen- 
tait l'appuya en ces termes : « Nous sommes en train de 
faire une loi pour un cas spécial. Des circonstances 
exceptionnelles nous imposent l'obligation de composer 
un tribunal, en connaissant déjà celui qui en sera justi- 
ciable. Puisque c'est nous qui sommes appelés à décider 
de sa composition, je trouve qu'il est d'une haute conve- 
nance que les membres de cette assemblée s'interdisent à 
eux-mêmes d'en faire partie. » 

Beaucoup de députés parurent approuver ce langage, 
et disposés à voter l'amendement. Mais la commission y 
était contraire. Un de ses membres fit remarquer qu'en 
cas « d'empêchements légitimes » , le ministre de la guerre 
pourrait toujours dispenser de siéger les généraux qui 
auraient à en invoquer. Le rapporteur, M. Keller, pré- 

(1) Documents inédits : Papiers de Chabaud La Tour. 

(2) Par M. Anisson du Perron, Officiel du 27 mai 4872. 



LE GÉNÉRAL. 279 

cisa les causes qui dictaient le refus de la commission. 
« Nous étions chargés, dit-il, de réclamer la publicité 
des faits relatifs à la dernière guerre. Cette publicité pou- 
vait se faire de deux manières : elle pouvait se faire par 
l'insertion au Journal officiel, comme elle a été faite déjà 
pour un certain nombre de capitulations. Elle pouvait se 
faire, au contraire, par l'action de la justice, et par un 
déhat contradictoire devant les conseils de guerre. Dès le 
début, nous avons déclaré au gouvernement que notre 
intention n'était nullement de demander une publicité 
prématurée, et que nous ne prendrions aucune décision 
avant que lui, gouvernement, ait choisi entre la publicité 
des documents et la publicité devant la justice. C'est donc 
le gouvernement qui a pris cette décision; c'est lui, et 
non TAssemblée, qui en a la responsabilité. Aujourd'hui 
que le procès est entamé, le gouvernement vient nous 
demander, non pas un ordre de poursuivre, non pas une 
loi qui ait aucun rapport avec le fait spécial qui va être 
jugé, mais une loi qui a pour but de pourvoir à l'absence 
des maréchaux dans les conseils de guerre, aujourd'hui 
aussi bien que dans dix ou dans vingt ans. Pour y pour- 
voir, nous n'avons fait aucune innovation. Nous avons 
ouvert le Code de justice militaire d'accord avec le gou- 
vernement, et nous avons cherché, suivant l'esprit de ce 
Code qui veut qu'un officier soit jugé par ses pairs, quels 
étaient ces officiers généraux qui, naturellement, devaient 
remplacer les maréchaux. Par conséquent, il s'agit ici, 
non pas d'une loi spéciale et personnelle, mais unique- 
ment d'une loi destinée à combler, d'une manière géné- 
rale, une lacune du Code de justice militaire. Et ce qu'on 
jaous propose dans ce moment est, je le crains, une excep- 
tion spéciale désirée peut-être pour certains de nos col- 
lègues. Vous renonceriez certainement aux juges qui 



280 LE DUC D'AUMALE. 

présenteraient les plus grandes conditions d'autorité et 
d'expérience. » 

Le duc d'Aumale se crut alors autorisé à intervenir 
dans le débat. Il ne pouvait laisser croire qu'il reculait 
devant le devoir, si rigoureux qu'il fût. Il s'expliqua briè- 
vement, avec son habituelle netteté : 

« Je n'ai qu'un mot à répondre à ce que vient de dire 
l'honorable M. Keller. Il a paru penser que des motifs 
personnels pouvaient inspirer à quelques-uns des membres 
de cette Assemblée qui ont l'honneur d'appartenir à 
l'armée le désir de ne pas remplir une portion quelconque 
des devoirs qui peuvent leur incomber. Je demande à 
rectifier cette opinion. Lorsque, il y a un an, l'Assemblée 
a rapporté la loi qui m'exilait du territoire français, et 
m'a rendu le droit de résider dans mon pays, elle m'a, en 
même temps, rendu aux devoirs de ma profession, à mes 
devoirs de soldat, devoirs que j'ai eu la douleur, malgré 
tous mes efforts, de ne pouvoir remplir durant la der- 
nière guerre, et que je suis prêt à exercer dans toute 
leur étendue, quelque pénibles, quelque cruels qu'ils 
puissent être, avec intégrité, fermeté et dévouement. Ce 
n'est donc pas d'une question personnelle qu'il s'agit 
ici, mais d'une question de droit en quelque sorte, ques- 
tion dont je laisse l'appréciation à l'Assemblée, et sur 
laquelle ma situation personnelle ne me permet pas de 
m'expliquer davantage. » 

Ces paroles équivalaient à une acceptation pure et simple 
de présider au procès Bazaine. Néanmoins, le débat se 
poursuivit. Le général Ducrot y prit part. Il était partisan 
de l'amendement. Le mandat de représentant dominant 
tout, il n'appartenait à personne d'en entraver l'exercice. 
Un général, membre de l'Assemblée, appelé à siéger dans 
un conseil de guerre, serait empêché d'exercer ce mandat. 



LE GÉNÉRAL. 281 

L'Assemblée semblait très exactement divisée en deux 
camps. Quand on alla aux voix, on pouvait croire que, si 
Textréme droite se ralliait à l'amendement, il serait voté. 
Au moment où s'ouvrait le scrutin, on vit la plupart des 
membres de ce groupe, un bulletin blanc à la main, tout 
prêts, par conséquent, à seconder en cette circonstance 
le désir du duc d'Aumale. Mais, brusquement, l'un d'eux 
se leva et, s' adressant aux députés royalistes qu'on savait 
les féaux du comte de Chambord, et qui allaient voter 
pour l'amendement : 

« Que faites-vous donc? leur dit-il. Votez contre. Nous 
sommes intéressés à ce que le duc d'Aumale préside cie 
conseil de guerre; il s'y coulera (1). » 

L'amendement fut repoussé à une majorité de trente- 
deux voix. Le prince n'avait plus qu'à se résigner. Cepen- 
dant, plus d'une année encore devait s'écouler avant que 
le maréchal Bazaine fût mis en accusation. M. Thiers, 
nous l'avons dit, répugnait à ouvrir ce grand procès. On 
sait que ce fut seulement après l'élection du maréchal de 
Mac Mahon, sous le ministère de Broglie, en octobre 
1873, au milieu du trouble et de la confusion que créait, 
de toutes parts, l'éventualité d'une restauration royaliste 
considérée comme imminente, que Bazaine comparut 
devant le tribunal. 

Peut-être, à la chute de M. Thiers, le duc d'Aumale 
avait-il de nouveau conçu l'espérance de ne pas présider. 
Mais qui, mieux que lui, pouvait diriger ces débats solen- 
nels et redoutables? Qui pouvait interroger Bazaine avec 
plus d'autorité que ce prince, placé si haut dans l'estime 
publique par son nom, sa naissance, ses services? S'il 
essaya encore de se faire dispenser de ce pénible devoir, 

(1) Récit d'un témoin. 



282 LE DUC D'AUMALE. 

il fut bientôt contraint de l'accepter. Le sentiment géné- 
ral le désignait et l'appelait. Le nouveau président de la 
République ne pensait pas autrement que la majorité des 
Français. Le duc d'Aumale en prit son parti. 

A dater de ce jour, la correspondance du prince nous 
le montre exclusivement préoccupé de la mission qui lui 
était échue. Le 24 juillet, il avait obtenu de l'Assemblée 
nationale un congé, afin d'être plus libre de s'y consacrer. 
Le 29 août, de Chantilly, il écrivait au général de Cha- 
baud La Tour, qui devait siéger à ses côtés : « Mon cher 
ami, je vous ai dit que je vous mettrais au courant des 
incidents qui pourraient vous intéresser sur ce qui regarde 
le procès auquel nous sommes tous les deux condamnés. 
Voici le plus important : le procès n'aura pas lieu à Com- 
piègne,mais au grand Trianon. Les juges ne seront point 
logés. C'est le désir d'arriver à ce dernier résultat qui a, 
je crois, décidé le ministre à choisir Trianon, décision à 
laquelle je n'ai pas eu à m'opposer, mais que je crois 
regrettable (1). » Il trouvait Trianon trop près de Ver- 
sailles, trop exposé aux assauts de la curiosité publique. 

Le 6 septembre, il s'adressait au duc de Broglie, 
ministre des affaires étrangères : « Mon cher duc, il y 
aura inévitablement, dans le procès Bazaine, des discus- 
sions topographiques très délicates. J'apprends la carte 
par cœur. Mais rien ne remplace la connaissance des 
lieux. Je voudrais pouvoir partir de Paris un soir, arriver 
à Metz le matin, visiter les positions de la rive droite dans 
le jour, coucher à Metz, visiter les positions de la rive 
gauche le lendemain matin, coucher à Verdun, et revenir 
à Paris le troisième jour. Il va sans dire que je garderais 
le plus strict incognito, que j'éviterais de m'approcher des 

(1) Documents inédits : Papiers de Ghabaud La Tour; 






LE GÉNÉRAL. 283 

fortifications, et ne ferais rien qui, en temps ordinaire, 
pût m'exposer à être arrêté ou même questionné. Mais, 
si je suis signalé, reconnu sans que les autorités alle- 
mandes aient été confidentiellement prévenues, peut-il 
en résulter quelque inconvénient? Et si elles sont préve- 
nues, pourrai-je échapper à des politesses qui me seraient 
essentiellement pénibles? Avant de demander l'autorisa- 
tion du ministre de la guerre, je voudrais connaître votre 
sentiment (1). » 

Cette lettre témoignait de nobles scrupules et d'une 
rare conscience. En la recevant, le duc de Broglie manda 
l'ambassadeur d'Allemagne, le comte d'Arnim. Sous le 
sceau du secret, il lui fit part du désir exprimé par le duc 
d'Aumale, et le chargea de le transmettre à Bismarck, 
qui seul pouvait décider. Le chancelier impérial fit, à la 
requête qui lui était soumise, un accueil discourtois qui 
trahissait son irritation. Il la trouvait d'autant plus bles- 
sante qu'il interprétait le procès Bazaine comme une 
preuve de l'effort, tenté par le gouvernement français, 
pour prouver que si nous avions été vaincus, c'était 
grâce à la trahison du généralissime de l'armée du Rhin, 
et non par la valeur allemande. Non seulement il refusa 
d'accéder à la demande du duc d'Aumale, mais, quoique 
son ambassadeur à Paris eût promis de la tenir secrète, 
il la livra en pâture à la malveillance des journaux de 
Berlin, qui étaient à ses gages. 

Le président du conseil de guerre appelé à juger 
Bazaine dut donc renoncer à aller parcourir les champs 
de bataille de Metz et se contenter, pour les détails topo- 
graphiques, de l'étude des cartes. Quand s'ouvrit le pro- 
cès, il n'en était pas moins documenté. Dans ses études 

(1) Documents inédits : Archives de Broglie. 






284 LE DUC D'AUMALE. 

préparatoires, il avait apporté les mêmes procédés d'in- 
vestigation que dans ses travaux historiques, et le théâtre 
de la guerre de 1870 lui était devenu rapidement aussi 
familier que celui des campagnes de Condé. 

Plus tard, il racontera souvent quelles émotions l'agi- 
taient durant cette journée du 6 octobre 1873, — date de 
l'ouverture du procès, — lorsqu'à midi, revêtu de son 
uniforme qu'il avait remis, après vingt-quatre ans, pour 
la première fois , portant le grand cordon de la Légion 
d'honneur, il arrivait à Trianon, et marchant en avant des 
neuf généraux qui composaient avec lui le tribunal, fai- 
sait son entrée dans la salle d'audience. Son cœur battait 
dans sa poitrine, à la briser. Mais les spectateurs n'en 
pouvaient rien surprendre, tant son calme visage demeu- 
rait impénétrable. S'il était troublé par la nouveauté de 
sa fonction, par sa responsabilité, par le rang de l'accusé 
dont il tenait le sort dans ses mains, par le regret de ne 
pas débuter, à sa rentrée dans l'armée, en un rôle plus 
conforme à ses goûts, par les mille regards qui l'enve- 
loppaient, essayant de le pénétrer, il possédait assez 
d'empire sur soi pour dominer ses émotions. Et puis, bien 
vite elles se dissipèrent. Aux prises avec le péril, il recou- 
vrait son sang-froid; il redevenait lui-même. Ce fut d'une 
voix ferme qu'il donna l'ordre d'introduire Bazaine, et 
lui dit : 

« Maréchal, asseyez-vous. Il va être donné lecture de 
vos états de service. » 

C'est par cette lecture qu'il avait voulu commencer, 
comme s'il considérait qu'il était nécessaire, et de toute 
justice, de placer à l'avance, en regard de l'accusation 
redoutable qui pesait sur l'ancien commandant de l'armée 
du Rhin, l'énumération des faits glorieux dont le sou- 
venir pouvait contribuer à le défendre. 



LE GÉNÉRAL. 285 

« Il faut qu'il préside au procès, avait dit un député; 
il s'y coulera. » 

Le duc d'Aumale infligea à cette prophétie malveillante 
un démenti victorieux. Du commencement à la fin de ces 
mémorables débats, il les dirigea avec un tact, une 
mesure, une fermeté, une hauteur de vues, une chaleur 
de parole, une générosité de pensées, dont le souvenir 
en est inséparable, et qui ne furent égalés que par l'am- 
plitude et la solidité de sa connaissance du sujet, par 
rintelligcnce avec laquelle il le traita. Nous avons cité, 
on citera encore la réponse à Bazaine : 

« Il n'y avait plus de gouvernement légal, avait dit 
l'accusé pour justifier sa conduite. 

— La France existait toujours », répondit le duc d'Au- 
male. 

Mot éclatant qui dans toute autre bouche eût paru 
quelque peu théâtral, mais qui, dans la sienne, était le 
cri du cœur. Et c'est peut-être la seule fois où le duc 
d'Aumale a révélé son secret, le secret de sa force et 
peut-être aussi, aux yeux des hommes de parti, dont il 
trompa les espérances, le secret de sa faiblesse I .. . 

Le procès ne prit fin que dans l'audience du 10 dé- 
cembre. Il était quatre heures trente-cinq, quand le pré- 
sident déclara que les débats étaient clos, et que le con- 
seil se retirait pour délibérer. A huit heures et demie, 
l'audience fut reprise. Il faisait nuit. Les lampes, disper- 
sées de tous côtés dans la salle de Trianon, ne l'éclai- 
raient que faiblement. Mais celles qu'on avait placées sur 
le bureau arrachaient des scintillements à la haie de 
baïonnettes qui se dressait entre le conseil et le public, 
mettaient en pleine lumière les faces vieillies et sombres 
des généraux qui entouraient le duc d'Aumale, comme lui 
debout et couverts. Il donna lecture, l'accusé non pré- 



286 LE DUC D'AUMALE. 

sent, de la sentence qui condamnait « François-Achille 
Bazaine, maréchal de France, à la peine de mort, avec 
dégradation militaire ». 

Tandis que la foule s'écoulait, vivement impressionnée, 
les juges revenaient dans la salle de leurs délibérations. 
Là, sur un coin de table, le duc d'Aumale rédigea d'une 
haleine la lettre suivante au ministre de la guerre, qu'il 
signa « H. d'Orléans )),etque tous les membres du conseil 
signèrent après lui» Elle était son œuvre, de la première 
à la dernière ligne. Elle porte son empreinte dans l'inspi- 
ration comme dans le tour des phrases. A ce titre, elle a 
sa place dans ce récit : 

« Monsieur le ministre, le conseil de guerre vient de 
rendre son jugement contre M. le maréchal Bazaine. 

« Jurés, nous avons résolu les questions qui nous 
étaient posées, en n'écoutant que la voix de notre con- 
science. Nous n'avons pas à revenir sur le long débat qui 
nous a éclairés. A Dieu seul nous devons compte des 
motifs de notre décision. 

« Juges, nous avons dû appliquer une loi inflexible et 
qui n'admet pas qu'aucune circonstance peut atténuer un 
crime contre le devoir militaire. 

« Mais ces circonstances que la loi nous défendait d'in- 
voquer, en rendant notre verdict, nous avons le droit de 
vous les indiquer. 

« Nous vous rappellerons que le maréchal Bazaine a 
pris et exercé le commandement de l'armée du Rhin au 
milieu de difficultés inouïes, qu'il n'est responsable ni du 
désastreux début de la campagne, ni du choix des lignes 
d'opération. 

« Nous vous rappellerons qu'au feu il s'est toujours 
retrouvé lui-même; qu'à Borny, à Gravelotte, à Noisse- 
ville, nul ne l'a surpassé en vaillance, et que, le 16 août. 



LE GÉNÉRAL. 287 

il a, par la fermeté de son attitude, maintenu le centre de 
la ligne de bataille. 

« Considérez l'état des services de l'engagé volontaire 
de 1831, comptez les campagnes, les blessures, les 
actions d'éclat qui lui ont mérité le bâton de maréchal de 
France. 

« Songez à la longue détention qu'il vient de subir, 
songez à ce supplice de deux mois pendant lesquels il a 
entendu chaque jour discuter son honneur devant hii, et 
vous vous réunirez à nous pour prier le président de la 
République de ne pas laisser exécuter la sentence que 
nous venons de prononcer. » 

Lachaud, l'avocat du condamné, reçut communication 
de cette requête sous la garantie du secret professionnel. 
Puis, le duc d'Aumale, après en avoir envoyé une copie 
au président du conseil des ministres, alla lui-même la 
remettre au maréchal de Mac Mahon. 

Le lendemain, dès le matin, il écrivait au duc de 
Broglie : 

« J'ai remis hier soir au président de la République la 
lettre dont le commandant Guioth vous avait porté la 
copie. J'ai été très touché de l'accueil que le maréchal a 
fait à cette démarche et de celui qu'il m'a fait personnel- 
lement. Ma tâche est terminée et je n'ai plus d'avis à 
émettre. Mais à vous, comme ami et confrère, je puis 
faire connaître le sentiment des juges sur la commuta- 
tion : destitution et bannissement. J'attendrai un avis 
pour la publication du recours en grâce. J'espère que 
M. Lachaud observera la discrétion dont il a pris l'enga- 
gement envers les juges (1). » 
Puis, comme il portait le plus tendre attachement au 

(1) Documents inédits : Archives de Broglie. 



288 LE DUC D'AUMALE. 

général de Chabaud La Tour qui, malgré son âge et une 
santé à ce moment très atteinte, l'avait assisté avec cou- 
rage et dévouement, il lui adressait d'un élan de cœur ces 
lignes affectueuses : 

« Mon cher ami, je veux encore vous remercier de votre 
dévouement et vous féliciter de votre courage. Je le fais 
de tout mon cœur. Le maréchal de Mac Mahon m'a très 
bien reçu hier. Il m'a parlé de déportation. J'ai indiqué la 
destitution et le bannissement. Ceci absolument entre 
nous. Faites-moi dire comment vous allez. Mille 
amitiés (1). » 

Il ajoutait en post-scriptum : « Je pars demain soir 
pour Besancon. » Il avait hâte de secouer les impressions 
douloureuses que lui avait laissées ce long procès, et il 
savait qu'elles se dissiperaient à l'heure même où il pren- 
drait possession du commandement militaire du 7* corps, 
auquel il avait été appelé trois mois avant. C'est sur ce 
nouveau théâtre que nous allons maintenant le suivre. 
Nous y retrouverons le soldat, le général que nous avons 
abandonné au moment où il quittait l'Algérie, au lende- 
main de la révolution de Février. 

Alors comme aujourd'hui, le siège de ce commande- 
ment frontière, le plus important après celui du 6* corps, 
était à Besançon (2). Nommé à ce poste le 28 septembre 
1873, mais empêché par les débats du procès Bazaine, 
c'est-à-dire pendant près de trois mois, d'en prendre pos- 
session, le duc d'Aumale s'était fait précéder à sou poste, 

(1) Documents inédits : Papiers de Chabaud La Tour. 

(2) J'ai mis à me documenter pour cette partie de mon récit, le 
même soin que pour les autres et apporté dans mes recherches le 
même souci d'exactitude et de mérité. Mais des motifs sur lesquels 
il n'y a pas lieu d'insister ne me laissent pas au même degré la 
liberté d'indiquer mes sources. Je dois me borner à affirmer que je 
n'avance rien que sur des témoignages dignes de foi. 



LE GÉNÉRAL. 289 

le 22 octobre, dé Tordre du jour suivant daté de Versailles : 

a Le maréchal président de la République m'a confié 
le commandement du 7* corps d'armée et de la 7* division 
militaire. 

« Je tiens à grand honneur d'avoir reçu d'un tel chef 
une telle mission. 

a Un grand devoir qui, aux termes de la loi, prime 
tous les autres me retient loin de mon quartier général. 
Dès que le conseil de guerre que je préside aura pu 
accomplir sa mission, je serai à mon poste, au milieu de 
vous. 

a En vertu d'une décision ministérielle en date du 

' 18 octobre courant, M. le général de division de Maus- 

sion, commandant la 14* division d'infanterie, exercera 

provisoirement le commandement du 7* corps d'armée et 

de la 7* division militaire. » 

Depuis la publication de cet ordre du jour, il était 
impatiemment attendu. 

Besançon possède une élite sociale à qui devait plaire un 
prince de sang royal et que rehausse un centre intellec- 
tuel qu'allait flatter la présence de l'historien des Condé, 
l'écrivain de grande envergure à qui l'Académie française 
venait d'ouvrir ses portes. Le reste de la population, à 
tous ses degrés, est ardemment patriote. Elle ne pouvait 
qu'accueillir avec faveur le général dont le nom, au len- 
demain des défaites, lui rappelait des jours plus heureux. 
Dans les états-majors de l'armée, il ne comptait que des 
admirateurs. Parmi les soldats, le vainqueur d'Abd-el- 
Kader avait sa légende. Elle le désignait plus que d'autres 
pour les revanches futures dont on rêvait déjà, surtout 
dans les contrées qui avaient subi le premier choc de l'en- 
nemi et parmi les troupes à qui était confiée la garde de 
la nouvelle frontière. 

19 



290 LE DUC D'AUMÀLE. 

Pour ces diverses causes, dans toute l'étendue du com- 
mandement auquel le duc d'Aumale avait été appelé, sa 
nomination excitait des sentiments voisins de l'enthou- 
siasme. Ils se manifestèrent le 12 décembre, à son arrivée 
à Besançon. Il fit son entrée dans la ville, « monté sur un 
superbe cheval alezan doré », devant toute la garnison 
sous les armes, entre une double rangée de foule dont 
l'attitude témoignait de la syrhpathie qu'il inspirait. Il 
reçut ensuite les visites officielles. 

Répondant au maire, qui lui avait souhaité la bienvenue, 
il dit fièrement : 

« J'espère que les clefs de la France seront bien placées, 
entre mes mains. » 

Quand on annonça le bibliothécaire de la ville, M. Cas- 
tan, membre correspondant de l'Institut, il le salua de 
ces mots : 

(( Voilà mon ennemi. Vous avez mis Alésia en Franche- 
Comté, tandis que je l'ai placée près de Montbard. Je 
n'ai pas été du même avis que vous, monsieur. Mais 
j'espère que nous n'en serons pas moins bons amis. » 

C'était une allusion aux controverses suscitées par l'in- 
terprétation des Commentaires de César^ relativement à 
Alésia. La Société d'émulation du Doubs, et M. Castan 
prenant parti pour elle, plaçaient cette ville à Alaise, can- 
ton d'Amancey, dans ce département. Le duc d'Aumale 
s'était, au contraire, prononcé pour Alise-Sainte-Reine, 
en Bourgogne, et sa démonstration avait été publiée par 
la Revue des Deux Mondes. Cette circonstance n'empêcha 
pas la Société d'émulation de l'inviter à sa séance an- 
nuelle, qui avait lieu six jours après son arrivée en 
Franche-Comté, et au banquet qui suivit. 

« Vous ne m'avez pas gardé rancune, messieurs, dit-il 
en répondant aux toasts qu'on lui avait portés, et vous 



LE GENERAL. 291 

avez bien fait, car je n'ai jamais songé à détacher un 
fleuron de la. couronne guerrière de cette vaillante pro- 
vince dont plus que jamais aujourd'hui je dois savoir 
apprécier le mâle et patriotique courage. La rivalité des 
Éduens et des Séquanes n'a plus de raison d'être. Elle 
est oubliée comme cette sanglante guerre des deux Bour- 
gognes dont nous reparlerons quelque jour, si vous le 
trouvez bon, et qui a été terminée, il y a deux cents ans, 
pour ne plus recommencer. Rien, s'il plaît à Dieu, rien 
ne pourra rompre le lien indissoluble qui unit ces con- 
trées à la France, à cette France dont nous sommes 
tous les enfants et les serviteurs (1). 

Dès ce premier contact avec la population et avec 
l'armée, il conquit tout les cœurs. « On admirait son 
grand air, son aisance, son allure martiale, sa tournure 
jeune à laquelle n'enlevait rien une jambe un peu traî- 
nante par suite de la goutte qui déjà le tourmentait, son 
œil bleu, si clair, tout vibrant d'intelligence, sa chevelure 
blonde, la moustache qui balafrait sa figure, tout ce qui, 
dans sa physionomie, rappelait ce type gaulois sous lequel 
nous aimons à nous figurer les hommes de guerre. » Il 
eut pour tout le monde des mots heureux et charma par 
son esprit d'à-propos comme par la netteté de ses dis- 
cours. 

« Il avait amené de Chantilly huit chevaux de selle et 
deux paires de postières qu'on attelait à tour de rôle à un 
break simple, mais d'une grande correction, conduit par 
un maître cocher. » C'est dans cette voiture qu'il rendit 
ses visites. Celle qu'il fit au cardinal Mathieu, archevêque 
de Besançon, mérite d'être mentionnée. Séduisant par 

(4) Cette allocution provoqua plusieurs réponses. On trouvera à la 
fin du volume celle qui fut faite par M. Gh. Baille au nom de la 
Société d'agriculture de Poligny. — Voir aux Pièces historiques^ VIII. 



202 LE DUC D'AUMALE. 

son esprit, imposant par ses manières, autoritaire à 
Texcès, mais assez perspicace pour discerner le mérite 
partout où il le rencontrait, le cardinal avait appartenu 
jadis à Taumônerie des Tuileries. Ce souvenir, heureuse- 
ment évoqué par le prince dans cette première entrevue, 
rétablit entre eux sur-le-champ l'intimité d'autrefois. Elle 
caractérisa leurs relations jusqu'au jour où la mort du 
cardinal les brisa. « Les clefs de la France, disait celui-ci, 
sont bien placées entre les mains de ce fils de France. » 

Le lendemain de son arrivée, le duc d'Aumale demanda 
un officier de son état-major (1) pour l'accompagner dans 
une promenade à cheval. 

« Vous allez me faire faire, lui dit-il, la tournée des forts 
de Besançon et m'en expliquer le système défensif . » 

C'était une distance de quarante kilomètres à parcourir. 
Elle fut parcourue. Le prince s'intéressa à tout ce qu'il 
voyait, à tout ce qu'il entendait. Le même soir, en cau- 
sant avec ses officiers, il prouvait qu'il en savait déjà 
autant, après cette première inspection, que celui qui lui 
avait servi de guide. Il marqua qu'il était l'ennemi de 



(1) En arrivant à Besançon, il était accompagné d'un état-major 
particulier : un premier aide de camp, le commandant Guioth. et un 
officier d'ordonnance, le capitaine Perrot de Ghazelles. Un peu plus 
tard, il y fit entrer le capitaine Georges Berthaut, fils de l'ancien 
ministre de la guerre. Le commandant Gilioth est aujourd'hui géné- 
ral et commandant du 12® corps. Il était devenu l'ami du duc d'Au- 
male et figure parmi ses exécuteurs testamentaires. Les capitaines 
Perrot de Ghazelles et Georges Berthaut donnèrent ensuite leur 
démission. Le capitaine Berthaut donna la sienne quand le prince 
fut exilé. 11 voulut le suivre dans l'exil et ne l'a plus quitté jusqu'à 
sa mort. L'état-major du 7» corps, en 1873, avait pour chef le géné- 
ral Greslej, que remplaça bientôt le général Forgemol; pour sous- 
chef le colonel Baugeois. En faisaient également partie les com- 
mandants de l'Église, Versigny et de Maindreville, les capitaines 
AUaire, de Piépape, Besson, Valluy et Marchai. Quant il devint 
inspecteur d'armée, il eut encore auprès de lui le commandant Meu- 
nier. Ces officiers appartenaient à diverses armes. 



LE GÉNÉRAL. 293 

Tabus des fortifications. Il rappela le rôle de Bazaine à 
Metz. 

« 11 ne faut plus de camps retranchés, déclara-t-il. 
C'est ce qui nous a perdus. C'est une attraction fatale 
pour les armées. » 

Plus tard, sans renoncer à cette opinion, il devait la 
professer sous des formes moins absolues. On le verra se 
préoccuper passionnément de la défense de Belfort, 
animé du souci de rendre cette place imprenable et d'en 
faire le pivot de la défense des frontières. Mais il n'ab- 
diqua jamais entièrement sa répugnance pour tout ce 
qui, dans les systèmes défensifs, substitue la fortification 
à l'initiative du soldat, à la spontanéité, à la poussée en 
avant. Il raillait volontiers en d'inofFensives épigrammes 
le corps du génie, auquel il reprochait d'avoir « la maladie 
de la pierre ». 

Sans s'arrêter à ces détails, il convient de mentionner, 
avant d'aller plus loin, quelle tâche s'imposait au duc 
d'Aumale quand il arriva au 7" corps et de préciser com- 
ment il s'en acquitta. C'est en quelque sorte le résumé 
de son œuvre de six années que nous présentons ici. 
Tout était à faire sur la frontière confiée à sa garde. Trois 
mois s'étaient à peine écoulés depuis que les Prussiens 
avaient à regret évacué Belfort, après avoir cru long- 
temps qu'ils garderaient cette place. Ils étaient partis, 
laissant partout des passages ouverts et désarmés. Leur 
attitude était si menaçante encore, notre crainte de les 
braver si grande, que le ministre de la guerre étant venu 
en 1874 conférer sur les lieux avec le duc d'Aumale des 
moyens d'organiser la défense, c'est en vêtements civils 
qu'eux et leurs officiers parcoururent la frontière, n'osant 
se montrer en uniforme à nos vainqueurs. Il y avait des 
forts à relever, d'autres à construire, des chemins de fer 



294 LE DUC D'AUMALE. 

stratégiques à créer, des casernements à installer. Il fallait 
mettre en état les grandes places frontières, Belfort, 
Besançon, Langres, qui devaient, au besoin, protéger 
notre concentration. Il importait enfin de donner à l'in- 
struction des régiments une impulsion décisive. 

Pour accomplir cette œuvre multiple, l'activité et l'au- 
torité étaient également nécessaires. L'activité, le duc 
d'Aumale l'avait toujours possédée ; il la conservait sur- 
prenante. L'autorité, il la prit en se saisissant de son 
commandement, et si bien qu'en peu de jours tout le 
monde dut s'incliner. Le prince alors révéla d'autant 
plus de mérite qu'il était tenu d'exercer ses pouvoirs dans 
des conditions plus difficiles, durant cette période de 
notre réorganisation que les menaces de notre puissant 
voisin de l'Est venaient troubler à tout instant. Son esprit 
de prévoyance, heureusement servi par cette activité 
incomparable, sut, pendant six ans, pourvoir à tout. 

Debout à la pointe du jour, hiver comme été, travail- 
lant sans cesse, entrant dans les détails les plus précis, 
on le voit apparaître sur tous les points de la frontière, 
que des relais de poste et des chevaux de selle lui per- 
mettent d'atteindre facilement^ Toujours gai et de belle 
humeur, sa présence est partout un encouragement à 
faire vite et bien. Les ressources de son esprit parent à 
toutes les difficultés. A Belfort, les ouvrages des Perches 
qui ont reçu l'assaut des Allemands ne sont plus défen- 
dables; on les protégera par l'organisation des bois de 
Bosmont. A Besançon, les ouvrages tracés par le génie 
sont trop étroits pour être suffisamment armés; on pla- 
cera les pièces dans des batteries extérieures. A Langres, 
les forts détachés seront reportés plus en avant et donne- 
ront à cette grande place le caractère offensif qui lui 
manquait. Une batterie sera construite au ballon de Ser- 






LE GÉNÉRAL. 295 

vance pour relier les défenses des Vosges à celles du Jura 
et empêcher Fennemi de tourner par le nord Besançon 
et Belfort (1). 

C'est, du reste, à cette dernière place que le prince 
revient sans cesse. C'est d'elle qu'il s'occupe de préfé- 
rence, encore que sa sollicitude s'étende à tout. Les Alle- 
mands l'avaient attaquée par l'intérieur. La ville et l'en- 
ceinte ont beaucoup souffert, mais pas le château (2). Le 
château sera la base de tout le système de défense. Il y 
fait rentrer les canons à longue portée, au nombre de 
vingt-cinq, qu'on avait placés au dehors et de tous 
côtés (.3). Il y accumule des provisions de conserves, des 
munitions, des armes, de quoi suffire à douze cents 
hommes la durée d'un siège de plusieurs mois. Tous ces 
travaux s'exécutent sous sa direction immédiate, à la 
grande satisfaction des habitants de Belfort, qui, délivrés 
à peine des Allemands, sont tout heureux en voyant 
s'ouvrir la période du retour à la vie nationale. 

Il arrive aux soldats employés à cette tâche de tra- 
vailler à moins d'une portée de canon des ouvrages 
allemands. Ce voisinage non moins que la présence du 
chef en qui ils ont confiance les électrise. De ces braves 

(4) Il alla lui-même déterminer l'emplacement de ce fortin du 
ballon de Servance, destiné à compléter l'action du fort Lambert. 
C'était le 48 juin 4876. Il avait donné rendez-vous pour midi aux 
officiers de Belfort. Il arriva au rendez-vous, accompagné d'une 
quinzaine des siens, à l'heure dite, après avoir, depuis la station du 
chemin de fer, suivi à cheval des sentiers inexplorés et réputés jus- 
qu'alors inaccessibles. On y a construit ensuite une route carrossable. 

(2) On pouvait croire le contraire en voyant les murailles dégra- 
dées de ce vieux château bâti sur le roc. Il semblait dévasté. Mais, 
les revêtements en ciment avaient été seuls atteints. 

(3) Le général Munier, qui périt dans l'incendie du Bazar de Cha- 
rité, était alors gouverneur de Belfort. Les travaux de défense étaient 
confiés, au point de vue de l'artillerie, au chef d'escadron Logerot, 
devenu ensuite général; au point de vue du génie, au commandant 
Lanty, également général depuis. 



296 LE DUC D'AUMALE. 

gens, il n'est rien que le prince n'obtienne. Il parvient 
même à rétablir l'accord entre des corps rivaux. On voit 
un jour — et le fait est considéré comme extraordinaire 
— les sapeurs du génie et les artilleurs attelés aux mêmes 
besognes. Un tel accord ne s'était jamais vu. La rumeur 
publique le signale à Paris. A l'École de guerre, on en 
fait l'objet d'une leçon, en en attribuant le mérite au 
savoir-faire du commandant du 7* corps, admirablement 
secondé en cette circonstance par le général Munier, 
gouverneur de Belfort. 

L'attention du duc d'Aumale se porte aussi sur les 
environs de cette ville. Il y attache une grande impor- 
tance stratégique. Il les parcourt souvent. Il a d'ailleurs 
le goût de ces excursions : il en fait de tous côtés. On 
part en chemin de fer. Au point terminus, un break 
attend; plus loin sont les chevaux de selle. Grâce à ces 
mesures ordonnées par le prince bii-même, on fait des 
« randonnées » rapides et longues. On examine les posi- 
tions, on tire de cet examen des conclusions stratégiques 
pour la défense du pays. On s'arrête sur tous les som- 
mets d'où l'on peut embrasser l'ensemble du terrain. Et 
comme le prince est, de sa nature, « très instruisant », 
lorsque, après ces belles et utiles courses, on rentre le soir 
à Besançon, les officiers qui l'ont accompagné en savent 
plus qu'ils n'en savaient au moment du départ. Ces 
fructueux entretiens se continuent le soir, à la table 
autour de laquelle le prince se plaît à réunir ses compa- 
gnons de la journée. 

Les « randonnées », à travers le pays de Belfort sur- 
tout, sont demeurées vivantes dans la mémoire des 
officiers qui y prenaient part. 

« Je reverrai toujours le prince allant en avant avec 
son ami le général Munier, nous contait l'un d'eux. 



LE GÉNÉRAU 297 

tantôt fumant sa pipe, tantôt fredonnant. A un endroit 
déterminé à l'avance, on trouvait le déjeuner servi. Et 
que de choses, durant ces instants de repos, nous ap- 
prenait notre général en greflfant ses renseignements sur 
les faits que nous avions observés dans la matinée 1 

C'est durant une de ces excursions qu'il fit un jour 
une chute de cheval, d'ailleurs sans gravité. II fallut 
néanmoins le ramener dans le break. Le duc de Chartres 
se trouvait là. Il commandait alors un régiment de chas- 
seurs. Il était venu voir son oncle et l'avait accompagné; 
il était monté dans le break avec lui. Comme il le regar- 
dait un peu inquiet, le duc d'Aumalc, cherchant à le ras- 
surer, lui dit soudain : 

« Es- tu bien, toi? 

— Moi, oui; mais c'est à vous qu'il faut le demander. 

— Je suis très bien, moi. Ce n'est rien ces chutes-là, 
ça me connaît. Le tout est de savoir rouler, et je roule 
très bien. » 

Mais, s'il apportait tant de soins à munir et à pourvoir 
les places de son commandement, c'était pour ainsi dire 
à son corps défendant. Bien qu'estimant à sa juste valeur 
l'immense eflfort fait par le général de Rivière et nos 
ingénieurs militaires, il regrettait de voir la France se 
couvrir de fortifications. Il pensait, avec le grand Condé, 
que notre argent serait plus utilement employé à ren- 
forcer les troupes de campagne. L'infanterie, surtout, 
l'attirait. 

« Mon infanterie, répétait-il souvent avec intention. 

— Eh 1 monseigneur, lui dit un jour un colonel d'ar- 
tillerie, mon artillerie aussi vous appartient. 

— Sans doute, répliqua le prince, mais moi, voyez- 
vous, je suis surtout un fantassin. » 

Fantassin, oui, Cuvillier-Fleury le lui avait dit en le 



298 LE DUC D'AUMALE. 

recevant à rAcadémie française. « Vous étiez fantassin 
dans l'âme. In pedite robur. » Mais cela ne Tempêchait 
pas d'être à cheval d'une rare élégance, de galoper plein 
de feu devant une troupe de cavalerie quand l'occasion 
s'en présentait. Un jour, en manœuvres aux environs 
de Poligny, il était allé avec son état-major sur la ligne 
des avant-postes. Tout à coup, il prend son escorte de 
dragons, et, tandis que ses officiers le regardent faire, 
il la dispose en pointe d'avant-garde, place des vedettes 
derrière les buissons, court lui-même à droite et à gauche 
comme un jeune lieutenant, prenant, avec autant de 
connaissance du métier que de promptitude, toutes les 
dispositions prescrites dans les traités sur les petites 
opérations de guerre. Puis, quand c'est fini, il se dresse 
soudain sur ses étriers, et tournant vers son état-major, 
toujours immobile, un regard joyeux : 

«Mon Dieu! s'écrie-t-il, que c'est donc intéressant! » 

Une autre fois, pendant des grandes manœuvres, il 

arrive à cheval à l'orée d'un chemin entre des haies. U 

y trouve un factionnaire qui croise la baïonnette en 

disant : 

« On ne passe pas. 

— Où est le chef du poste ? » demande le général en 
chef. 

S'avance un caporal imberbe, un tout jeune soldat et 
qui tremblait un peu. 

« Quelle est votre consigne? 

— On m'a dit, monseigneur, de ne laisser passer per- 
sonne par cette route, fût-ce le président de la République. 

— Bon pour la route, fait gaiement le prince; mais à 
côté? j) 

Il s'éloigne au galop pour prendre du champ, fait 
volte-face et franchit la haie devant le caporal ébahi. 






LE GÉNÉRAL. 299 

Il voulait une infanterie vigoureuse, entraînée à la 
marche, capable de porter facilement le chargement de 
guerre qu'il s'occupait d'ailleurs d'alléger; une artillerie 
très mobile, une cavalerie bien dressée au service de 
campagne. Pour développer le coup d'œil des officiers 
généraux et d'état-major sous ses ordres, il fit exécuter, 
le premier en France, ces voyages avec cadres, si utiles 
surtout dans les régions frontières, que le général Ber- 
thaut, durant son passage au ministère de la guerre, 
devait étendre et vulgariser. 

Ce n'était pas une sinécure que de servir sous les or- 
dres du duc d'Aumale. Sa pensée bouillonnait sans cesse. 
En un moment où, dans la nouvelle armée, rien n'était 
encore assis, où tout était tâtonnements et essais, il avait 
sur toutes choses des idées personnelles que lui suggé- 
rait son expérience et qu'activait incessamment sa pro- 
digieuse faculté d'assimilation, comme aussi sa constante 
habitude du travail. Il fut donc très vite au courant du 
service très complexe qui lui incombait; mais il enten- 
dait que tout le monde autour de lui y fût comme lui. 

Quoiqu'il travaillât chaque matin avec le chef d'état- 
major, il aimait à convoquer dans son cabinet ceux 
de ses officiers qui étaient chargés d'un service spé- 
cial. Il se faisait expliquer par eux la question du 
jour. Il la commentait ensuite en y introduisant ses 
propres idées, lui donnait une solution et traçait à chacun 
sa besogne avec une lucidité et une précision dont des 
feuillets de block-notes sur lesquels il écrivait ses ordres 
au crayon en les résumant, portent encore aujourd'hui la 
trace. 

Il se trouvait parfois en face de questions dont il 
n'était encore qu'imparfaitement instruit, celle, par 
exemple, de l'emploi des chemins de fer au point de vue 



300 LE DUC D'AUMALE. 

militaire. Elle lui était totalement étrangère, comme 
d'ailleurs à la plupart des généraux. Au ministère de la 
guerre, elle donnait lieu à des études qui n'étaient pas 
encore achevées. Il manda celui de ses officiers qui 
passait pour le mieux la connaître et se la fit exposer. 
Tout en écoutant, il prenait des notes où le spécialiste 
dont les explications les avaient inspirées trouva bientôt 
après, tant elles étaient intelligemment résumées et 
complétées, la preuve qu'il n'avait plus rien à apprendre 
à son élève. 

Cette preuve, celui-ci la donna plus éclatante encore 
(quelques jours plus tard par une expérience pratique. Il 
fit concentrer son corps d'armée, d'une part, sur Vesoul, 
de l'autre, sur Belfort, après avoir expédié ses ordres 
aux agents locaux des compagnies de chemins de fer. 
Cette première expérience ayant réussi, elle fut plusieurs 
fois renouvelée jusqu'au jour où le prince eut acquis la 
certitude que ses subordonnés à tous les degrés étaient 
au courant de ce qu'ils auraient à faire en cas de mobi- 
lisation. Cette question de la mobilisation le préoccupait 
à toute heure. Longtemps il consacra ses nuits et ses 
jours à se pénétrer des diverses améliorations qu'il con- 
venait d'apporter à la mise en mouvement de nos armées. 

L'étude du personnel était aussi au premier rang parmi 
les sujets qu'il étudiait avec le plus de suite. Il possédait 
cette faculté de garder la mémoire des visages et des 
noms. Quand un officier lui avait été présenté, il ne le 
confondait jamais avec un autre. Il savait toujours, en le 
revoyant, lui prouver qu'il se souvenait de lui, de ses 
mérites, de ses services. Rien ne pouvait plus contribuer 
à lui attacher les cœurs. Sous cette forme, la séduction 
qui lui était naturelle s'exerçait sur tous. Il avait en 
outre au plus haut degré l'art de faire parler les gens sur 



LE GENERAL. 301 

les sujets qui leur étaient familiers et, tout en s'instrui- 
sant lui-même, de leur fournir l'occasion de briller à ses 
yeux. Il prit ainsi, dès le début, un ascendant singulier 
sur les chefs, du plus haut placé au plus humble, et de 
même sur les soldats, qu'il fascinait par ses allures 
militaires, tout en se faisant aimer d'eux par sa solli- 
citude. 

Dans ses inspections, il se plaisait à causer avec le 
troupier. Il examinait l'habillement, l'équipement, la 
chaussure, et mettait, à entrer dans ces menus détails, 
une bonne grâce dont les inférieurs restaient charmés, 
en même temps qu'elle était pour les supérieurs un 
exemple. 

« Tout est important pour le troupier, avait-il coutume 
de dire. Que fait-il lorsque vous lui donnez une chaus- 
sure neuve? Il commence, après l'avoir mise, par y 
remuer les cinq doigts de son pied, et si tous les cinq ne 
s'y trouvent pas à l'aise, vous aurez beau faire, vous ne 
le convaincrez pas que sa chaussure est bonne. » 

Quand il allait voir des troupes en opérations, c'était 
une bonne fortune pour son état-major. Outre que tous 
les moyens étaient mis en œuvre pour faciliter ces dépla- 
cements, les mesures bien prises, les itinéraires tracés 
d'avance, il apportait dans ses excursions la plus grande 
simplicité de tenue et de langage. Son endurance à 
cheval était indéfinie. Pourvu qu'il pût fumer sa pipe, il 
allait par tous les temps, couvert en dessous pour se 
garder du froid et protégé contre la pluie par un simple 
collet en caoutchouc qu'il relevait sur sa nuque, ne mé- 
ménageant ni son temps ni sa peine. Donnant ainsi 
l'exemple, il exigeait beaucoup de ceux qui étaient placés 
sous ses ordres. 

S'il était bienveillant pour les soldats, il avait en re- 



302 LE DUC D'AUMALE. 

vanche une constante tendance à la sévérité pour les 
chefs. Il malmena un jour très durement un général qui. 
dans de grandes manœuvres, « commandait l'ennemi » 
et les fit manquer pour avoir attaqué trop tôt, sans tenir 
compte des conventions du thème. Une autre fois, un 
jeune officier excursionnant aux environs de Belfort 
avec une douzaine de sous-officiers se trompa de route 
et se trouva, presque à son insu, sur le territoire alle- 
mand. Un passant obligeant le remit dans son chemin. 
Mais la chose s'ébruita. Il y eut des plaintes du gouver- 
nement germanique, et le duc d'Aumale mit aux arrêts 
l'officier supérieur à qui il attribuait la responsabilité de 
l'événement. Du reste, s'il n'hésitait jamais à punir, il 
redoublait ensuite d'amabilité envers ceux contre les- 
quels, à son grand regret, s'était exercée sa sévérité. Au 
termes de leurs arrêts, ils recevaient ordinairement une 
invitation à dîner. 

Il élaborait ses projets de grandes manœuvres avec un 
soin jaloux, réglant lui-même les marches, les cantonne- 
ments, les ravitaillements, ne livrant rien au hasard, fai- 
sant tout étudier à l'avance sous ses yeux. Il partait, 
entouré d'un nombreux cortège, car l'état-major se gros- 
sisait souvent d'officiers étrangers au corps d'armée, 
détachés du ministère pour suivre les opérations, voire de 
membres de la famille royale. C'est ainsi que, tour à tour, 
le comte de Paris, alors lieutenant-colonel de l'armée ter- 
ritoriale, le duc de Nemours, en sa qualité de général de 
division (i), le duc de Chartres, colonel de cavalerie, 
vinrent assister aux manœuvres. 

Le matin, à cinq heures, il y avait soupe à l'oignon 
pour l'état-major, accompagnée de viandes froides, et, 

(1) Pendant ces manœuvres, le duc de Nemours était un jour à 
Ghaussin, dans le Jura, avec son officier d'ordonnance. Il aperçoit 



LE GÉNÉRAL. 303 

à la même heure, soupe aussi pour les hommes , le tout 
assez copieux pour que les manœuvres ne fussent pas 
interrompues avant d'avoir passé par leurs phases succes- 
sives. Le prince ne voulait pas de ces interruptions. Il 
aimait à rappeler que Saint-Simon, qui les qualifie de 
« haltes chaudes », les a condamnées. Le commandant 
du corps d'armée parcourait les lignes au galop de son 
cheval. Son coup d'œil était remarquable. A voir de quel 
regard il embrassait l'ensemble et le détail, on devinait le 
généralissime. « Quand on avait lu dans ses récits l'énu- 
mération des qualités qu'il prête au grand Condé, et qu'on 
le suivait ensuite sur le terrain, on était tenté de les rap- 
procher des siennes, et de les comparer. » Il ne pouvait 
supporter le moindre désordre dans les marches. Il faisait 
surtout la guerre aux bagages. Les convois n'avaient pas 
encore la régularité qu'ils ont aujourd'hui. Il donnait 
l'exemple pour ce qui le concernait, se réduisant, afin 
d'éviter l'encombrement, au strict nécessaire. Sur le ter- 
rain, il voulait des comptes rendus sobres, clairs, comme 
Tétait son propre esprit. 

Quel que fût son goût pour l'infanterie, il s'occupait 
également des trois armes. En une circonstance où il 

un officier de cavalerie qui entrait dans une maison. Il s'approche 
et demande : 

€ Pourrais-je avoir un morceau de fromage? 

-- Monseigneur, nous allons déjeuner, répond le cavalier, qui 
l'a reconnu, et si vous voulez nous faire Thonneur. . . » 

Le duc de Nemours entre et voit une table copieusement servie, 
volailles, conserves de homards, vins fins, et tout autour, les offi- 
ciers du régiment, la fourchette en l'air. Tous se lèvent ; on lui fait 
place ; il s'assied, on veut le servir. Mais il refuse tout ce qu'on lui 
offre, en répétant : 

€ Je voudrais bien un morceau de fromage. » 

Il fut impossible de lui faire accepter autre chose. Il mangea 
lestement et remonta à cheval, laissant à jeun les officiers, qui 
n'osèrent commencer à déjeuner que lorsqu'il fut parti. — Récit d'un 
témoin. 



304 LE DUC D'AUMALE. 

était aux allures vives d'un bout à Tautre d'une ligne de 
combat, il s'arrête brusquement derrière une batterie 
d'artillerie. 

« Capitaine, demande-t-il , avez-vous bien repéré le 
clocher du village? Je ne crois pas que vous puissiez le 
battre avec vos pièces ainsi braquées. 

- — C'est vrai », réplique l'officier, reconnaissant son 
erreur. 

Et il rectifie son tir. 

En une autre circonstance, le prince entrant dans la 
caserne de Besançon y voit rangés dans la cour trois 
cents canonniers ouvriers, dont un colonel d'artillerie 
passait l'inspection. Il s'avance : 

« Dites-moi, colonel, ces hommes sont-ils prévenus que, 
quoique ouvriers, en cas de surprise de l'ennemi, ils 
doivent combattre. 

— Oui, ils le savent, monseigneur. 

— Ne vous lassez pas de le leur répéter. En présence 
de l'ennemi, il n'y a plus de différence entre les canon- 
niers ouvriers, les canonniers artificiers, les canonniers 
pontonniers. A la première alerte, tous au canon, les 
ouvriers comme les autres. Quand leurs camarades seront 
arrivés, c'est alors, mais alors seulement, qu'ils pourront 
descendre à l'atelier. » 

Pendant les manœuvres, le duc d'Aumale dormait peu. 
Le souci des opérations du lendemain le tenait éveillé. 
Une nuit, à trois heures, il conçoit des inquiétudes sur la 
solidité d'un pont suspendu qu'une colonne d'artillerie 
doit traverser. Il se lève, va réveiller un de ses aides de 
camp, l'envoie à franc é trier reconnaître le passage qu'il 
juge dangereux, et ne consent qu'à son retour à prendre 
quelque repos. Ainsi sa sollicitude était sans cesse aux 
aguets. 



LE GENERAL. 305 

Il apportait à ses commandements de tactique la 
méthode la plus scrupuleuse. Il appréciait surtout les 
généraux qui s'en inspiraient, comme lui, dans la direc- 
tion de leurs troupes. Il aimait à justifier ses ordres par 
les souvenirs des anciennes guerres, dont il connaissait à 
fond les péripéties. Il tirait volontiers ses exemples de la 
tactique de Napoléon, mais plus volontiers encore de la 
stratégie de Turenne et de Condé. 

« La tactique a changé plus que la stratégie », disait-il 
souvent, faisant allusion aux transformations opérées en 
matière de concentration de troupes par l'usage des che- 
mins de fer. 

Du reste, il cherchait ses enseignements aussi bien 
dans les campagnes de la République et de l'Empire que 
dans celles de l'ancienne monarchie. Il parlait des unes 
et des autres avec le même enthousiasme. Pour lui, 
c'était toujours la France. Lors des premières grandes 
manœuvres du T corps, il fut très frappé par l'esprit de 
discipline des soldats, par leur tenue. C'était plus qu'il 
n'avait espéré au lendemain d'une guerre désastreuse. 

« Allons 1 s'écria-t-il gaiement, nous allons retrouver 
les soldats de 1796. » 

Ce à quoi il s'appliquait aussi avec persévérance, 
c'était à combattre la routine, l'observation par trop méti- 
culeuse des vieux règlements dont la guerre avait révélé 
les inconvénients, l'inutilité ou l'insuffisance. Les allures 
des services de l'intendance l'exaspéraient souvent. 

« Avant tout, faites vivre vos troupes, répétait-il ; on 
réglera ensuite les dépenses. » 

Pénétré de la sagesse de ce principe, sa bile s'échauf- 
fait quand il constatait que l'intendance ne l'avait pas mis 
en pratique. Puis, sa colère tournait à la plaisanterie, à 
l'épigramme; il citait alors ce célèbre arrêté de compte, 

20 



306 LE DUC D'AUMALE. 

dont le souvenir est resté dans la vieille armée lié à celui 
d'un honorable intendant général : « De la revue de liqui- 
dation, en date du..., il appert qu'une erreur d'un cen- 
time a été constatée. Ces sommes seront versées dans une 
caisse publique. » 

Il voyait de très près tous les services , aimant à sur- 
prendre les chefs, allant à l'improviste de Besançon à 
Belfort, de Langres à Lons-le-Saulnier, passant l'après- 
midi une revue à Belley, donnant dans la nuit une alerte 
à la garnison de Vesoul, ce qui ne l'empêchait pas d'être 
encore assez souvent à Paris ou à Chantilly. Usant large- 
ment du wagon spécial que la Compagnie de l'Est tenait 
sans cesse à sa disposition, il avait en quelque sorte le 
don d'ubiquité. On disait de lui : 

« Le prince n'est jamais à Besançon, et on l'y voit 
toujours. » 

Rien de plus vrai. Dans les dernières années de son 
commandement, certains journaux de Paris se faisaient 
un malin plaisir de dénoncer ses absences. On pouvait 
souvent y lire : « Le duc d'Aumale est à Chantilly. » 
Mais quand ils arrivaient en Franche-Comté, ce n'était 
plus vrai. Ils recevaient un démenti de ceux de Besançon, 
de Langres ou de Belfort, qui pouvaient annoncer avec 
vérité qu'à l'heure où on le disait à Chantilly, le prince 
passait une revue dans une des places de son commande- 
ment. Ces petites représailles exercées contre les feuilles 
qui lui étaient hostiles le réjouissaient toujours. 

Pendant les manœuvres, il évitait autant qu'il le pou- 
vait les honneurs exceptionnels qu'on voulait lui rendre. 
Mais ce n'était pas toujours facile. Il y avait concurrence 
entre les châteaux pour le recevoir. Quand ces récep- 
tions, déjeuners ou dîners, entravaient ou retardaient les 
manœuvres, il se faisait violence pour ne pas trahir son 



LE GÉNÉRAL. 307 

mécontentement devant ses amphitryons. Une fois seul 
avec ses officiers, il y donnait librement carrière. Il mani- 
festait le même sentiment pour les hospitalités luxueuses 
qui, parfois, lui étaient oflFertes. Il disait volontiers qu'il 
préférait une botte de paille au lit de plume d'un château, 
et rien ne lui plaisait tant que de coucher dans le lit de 
camp qui le suivait eu tous ses déplacements militaires. 
En une seule circonstance^ il accepta d'installer son quar- 
tier général dans un château, mais après s'être assuré 
« qu'il y serait chez lui ». Il en profita pour y donner 
deux ou trois dîners aux généraux et à divers officiers. Il 
avait fait venir de Besançon, à cette occasion, son maître 
d'hôtel et ses cuisiniers, car il tenait à ce que ces repas 
fussent dignes du haut rang de celui qui les offrait. 

D'une manière générale, partout où il allait, il réunis- 
sait à sa table, dans un hôtel du cru, les autorités, dépen- 
sant en quelque sorte sans compter. En 1875, les officiers 
étrangers furent admis pour la première fois à suivre les 
grandes manœuvres. Le ministre de la guerre, n'ayant 
pas alors de crédit spécial, alloua cinq cents francs au 
commandant du T corps en lui recommandant « de bien 
traiter ses hôtes ». Au reçu de la dépêche ministérielle, le 
prince ne put se- défendre de sourire. Il adressa ensuite 
au ministre le reçu des cinq cents francs en écrivant que 
« les choses seraient faites convenablement ». Puis, il fit 
venir de Chantilly des breaks attelés en poste, loua le 
meilleur hôtel de Vesoul, y logea les officiers étrangers 
au nombre de quinze ou vingt, et les traita, à ses frais, 
pendant toute la durée de leur séjour. Chaque matin, ses 
voitures venaient les prendre pour les conduire sur le 
champ de manœuvre, les ramenaient ensuite, et il veilla 
lui-même à ce qu'ils fussent entourés, non avec apparat, 
car, à l'apparat, il préférait la simplicité de l'appareil 






308 LE DUC D'AUMALE. 

militaire, mais avec largesse, de tout le confort qu'ils 
pouvaient souhaiter. Il lui en coûta cette fois vinjft-cinq 
mille francs, et depuis, dans toutes les grandes manœuvres, 
il agit de même. 

A celles de 1876, qui eurent lieu dans les environs de 
Poligny, il reçut le maréchal de Mac Mahon, président de 
la République, gui suivit pendant deux jours les opéra- 
tions. (( Le grand air du prince, la timidité et la modestie 
du maréchal faisaient un piquant contraste. Des deux, ce 
n'est pas le maréchal qui eût paru être le chef de l'État, 
tant il se montrait déférent, et toujours prêt à céder le 
pas, si le prince n'avait apporté la plus constante atten- 
tion à lui témoigner les égards dus à son rang, et à se 
mettre au second. » Durant les repas , les souvenirs 
d'Afrique défrayèrent les entretiens. Le prince avait à 
dessein choisi ce sujet, parce qu'il savait que là le maré- 
chal pouvait aisément lui donner la réplique. Mais bien- 
tôt sa verve l'emporta, et le maréchal se plut à écouter. 
Le duc d'Aumale parla beaucoup de Bugeaud, racontant 
qu'il avait reçu de lui des leçons de tactique « et quelque- 
fois aussi des réprimandes » , ajouta-t-il. Il en vint ensuite 
aux Mémoires de Marbot. Ils étaient encore inédits. Mais 
il les avait lus en manuscrit et en avait retenu les princi- 
paux traits. Il en savait même qui n'y figurent pas, celui-ci 
entre autres. 

Marbot, à la fin de sa carrière, reçut, en Afrique, une 
nouvelle blessure; on l'entendit alors s'écrier : « Moi, 
baron de Marbot, général de division, grand officier de 
la Légion d'honneur, aide de camp du roi, mentionné 
dans le testament de l'empereur, ayant cent mille livres 
de rente, j'ai été blessé par un pouilleux de Kabyle qui 
n'a pas quatre sous dans sa poche. » 

Le maréchal de Mac Mahon partit enchanté de l'accueil 



1 



LE GÉNÉRAL. 309 

qu'il avait reçu, rendant hautement hommage aux talents 
militaires du duc d'Aumale. II est vrai que peu de géné- 
raux, parmi les contemporains du prince, ont possédé au 
même degré que lui — c'est une vérité que se plaisent 
à, proclamer tous ceux qui lui ont survécu — les qualités 
maîtresses du commandement : Tautorité et l'activité, la 
f ernieté de caractère, une notion très 'précise de ce qui 
est dû, pour les encourager, aux efforts des subalternes, 
un esprit chevaleresque, un patriotisme ardent, la sûreté 
de coup d'œil, une extraordinaire présence d'esprit, la 
lucidité de la pensée, la netteté de l'expression, une 
rédaction chaude et vibrante, une mémoire impertur- 
bable (1). 

Ses ordres du jour sont des modèles. On se répète 
encore au 7* corps le petit discours qu'il prononça en don- 
nant au général Jeanningros la plaque de grand officier. 
« Soldats, il y a quarante-deux ans, le caporal Jeannin- 
gros, portant comme vous le sac et le fusil, reçut sa pre- 
mière blessure. Il y a trente-quatre ans, je remettais au 
lieutenant Jeanningros, qu'on appelait « le Bayard des 
zouaves », la croix de chevalier de la Légion d'honneur. 
Aujourd'hui, je remets au général Jeanningros, six fois 
blessé sur les champs de bataille, la plaque de grand offi- 
cier de la Légion d'honneur; jamais ces insignes n'auront 
brillé sur un cœur plus vaillant. » 

On pourrait citer, dans sa carrière, vingt exemples 
d'allocutions aussi éloquentes, aussi propres à émouvoir 
ses soldats. C'est par de telles paroles qu'il les électrisait 
et se les attachait, comme c'est par ses actes militaires 

(1) Je résume ici plus de vingt jugements qui m'ont été adressés 
par des officiers témoins de la vie militaire du duc d' Aumale et qu'il 
m'est interdit de nommer. Je ne crains pas d'ajouter que le senti- 
ment qu'ils expriment est à peu près unanime dans l'armée. 



340 LE DUC D'AUMALE» 

qu'il leur inspirait confiance et les disposait à le suivre 
au feu, sans hésiter, convaincus qu'il les eût menés à la 
victoire. 

Nous avons dit plus haut quelle tâche s'imposait à lui, 
lorsqu'à la fin de 1873 il avait pris possession de son 
commandement, et nous avons montré avec quel entrain, 
avec quelle prévoyance, il s'était mis à la besogne pour 
couvrir la frontière. Mais ce ne pouvait être là l'œuvre 
d'un jour. Pour reconstruire tout ce que les Allemands 
avaient détruit et rendre fortes nos défenses, il fallait du 
temps, des études, des votes de crédit. Quelle que fût 
l'activité du duc d'Aumale, elle ne pouvait opérer ce 
miracle d'accomplir en une année ce qui exigeait dix 
années. Aussi la tâche qu'il avait entreprise ne faisait-elle 
que commencer lorsque, en 1875, éclata à l'improviste 
cette redoutable crise du mois d'avril dont celui qui écrit 
ces Hgnes fut le premier historien (1), grâce aux commu- 
nications du duc Decazes, qui était alors ministre des 
affaires étrangères. 

On se souvient de cette alerte. Avec cette perfidie qui 
lui était familière, Bismarck s'efforçait d'ameuter l'Alle- 
magne contre la France. Alléguant d'indignes prétextes, 
allant jusqu'à tromper son souverain, le vieil empereur 
Guillaume, pour le rendre favorable à ses vues, il nous 
cherchait d'incessantes querelles avec l'espoir de nous 
infliger une de ces humiliations qu'un peuple ne saurait 
tolérer sans paraître abdiquer, et de nous obliger à 
déclarer la guerre.' 

Pendant un temps, Decazes, avec un rare bonheur, 
était parvenu à déjouer ces menées criminelles. C'est 
alors que Bismarck disait : 

(1) Voir mes Souvenirs de la présidence du maréchal de Mac Mahon. 






LE GÉNÉRAL. 311 

« Ce diable d'homme m'échappe toujours. Toutes les 
fois que je vais le piquer, il fait la boule, roule et se 
dérobe. Mais je finirai bien par l'atteindre. » 

En 1875, au mois d'avril, ne pouvant l'atteindre, vou- 
lant de plus en plus la guerre parce qu'il était convaincu 
que nous étions hors d'état d'opposer une longue résis- 
tance, il rêvait d'une attaque soudaine, suivie d'une nou- 
velle invasion. Mais Decazes avait lu dans son jeu. Par 
un coup d'audace et de désespoir, il portait à l'improviste 
la question devant l'empereur de Russie et la reine d'An- 
gleterre, les faisait juges de la conduite de la France et 
de celle du chancelier germanique, en même temps que 
par son ordre notre ambassadeur à Berlin, M. de Gon- 
taut-Biron allait dénoncer à l'empereur d'Allemagne le 
complot bismarcki en. Cette triple démarche, inspirée par 
une habileté patriotique, eut des effets immédiats, et la 
guerre fut évitée. 

Voilà ce qu'on sait de l'événement, qui n'a été révélé 
que quatre ans plus tard, lorsque le duc Decazes eut 
quitté le pouvoir. Mais ce qu'on ne sait pas, c'est qu'au 
cours de cette crise il eut un confident de tous les instants, 
j'allais dire un complice : le duc d'Aumale. 

Ce sera leur éternel honneur à tous deux de n'avoir 
pas alors désespéré et d'avoir pris pour devise ce cri 
poussé par un Bourbon, au lendemain d'Azincourt : 
« Espérance. » Et cette devise devint le mot d'ordre de 
tous ceux qu'ils chargeaient de l'exécution de leurs 
ordres. 

Averti par Decazes de ce qui se passait, le duc d'Au- 
male écrit à la reine d'Angleterre, son amie, pour l'inté- 
resser à la cause de la France et appuyer les démarches 
de notre ministre des affaires étrangères. Puis, sans se 
laisser impressionner par les défectuosités de ses moyens 



342 LE DUC D'AUMALE. 

de défense et sans se dissimuler qu'il est, comme il le 
(lisait, « à la gueule du loup » , au poste le plus périlleux, 
il prend ses mesures. 

Il se rappelle que, pendant la guerre, le régiment des 
mobiles du Doubs, sous les ordres de son colonel, le 
comte de Vézet, ancien officier de la garde impériale, a 
été héroïque et plusieurs fois victorieux (1). Il mande ce 
colonel, maintenant rendu à la vie civile et devenu son 
ami. Il l'invite à reconstituer d'urgence les cadres de son 
régiment. Il avait déjà mis Belfort, on l'a vu, en état de 
résister et de barrer la route à l'armée allemande. Par- 
tout il a fait de même, autant qu'il l'a pu, car il a tou- 
jours vécu dans l'attente d'une attaque soudaine. Il s'est 
sans cesse attendu à ce que les premiers coups de canon 
fussent tirés vingt-quatre heures avant la déclaration de 
guerre. Il est donc aussi prêt qu'il peut l'être. Le [péril 
ayant éclaté, il envoie ses ordres de toutes parts. A tout 
ce qui l'entoure, il a communiqué une ardeur égale à 
celle dont il est animé. Les chefs de corps qui reçoivent 
ses instructions ignorent de quelles circonstances elles 
s'inspirent, et ce n'est que lorsque tout est fini qu'ils com- 
mencent à se douter qu'ils ont été au moment d'entrer 
en ligne pour combattre un ennemi qui projetait de les 
surprendre. Quant au duc d'Aumale, il peut se rendre 
cette justice qu'il avait fait tout ce qui pouvait être hu- 
mainement fait dans des conjonctures si graves. 

Qu'est devenue la correspondance qui s'échangeait 
alors entre Decazes et lui? Nous l'ignorons. Mais si elle 
était retrouvée et publiée, que d'honneur pour leur 



(1) La trop brève campagne des mobiles du Doubs, sous les ordres 
de leur vaillant colonel, mériterait d'avoir son historien. C'est une 
éclaircie consolante et réconfortante dans les sombres péripéties 
d une guerre malheureuse. 



LE GÉNÉRAL. 313 

mémoire à tous deux! Quelle admirable école de patrio- 
tisme que cet exposé de pensées communes qu'ils se 
communiquaient en toute confiance, une confiance jus- 
tifiée par une amitié de trente ans! Et comme ces lettres, 
qui verront peut-être un jour la lumière, nous repose- 
raient des agitations présentes I 

Cependant, la guerre conjurée, tout n'était pas dit 
pour ces grands patriotes. Les projets de Bismarck étaient 
déjoués. Mais il convenait de le mettre dans l'impossi- 
bilité de les reprendre, et pour cela il fallait donner à la 
France des amis, des alliés. En vue de ce but, ils unis- 
saient leurs efforts. Le duc d'Aumale par ses relations 
parmi les familles régnantes, le duc Decazes par l'auto- 
rité qu'il venait d'acquérir, pouvaient exercer en Europe 
une influence puissante. 

Ils conçurent alors le dessein de créer une triple 
alliance dont la France aurait fait partie et qui, en nous 
rendant nos frontières, eût rétabli sur ses anciennes 
bases l'équilibre européen. Quels eussent été nos alliés? 
Diverses combinaisons furent étudiées. Le temps et les 
circonstances pouvaient seuls permettre d'en faire réussir 
une. Est-ce la Russie qui en eût été le pivot? Est-ce l'Au- 
triche? Nous ne savons, et nous ne savons pas davantage 
si les archives diplomatiques détiennent les preuves de 
ce patriotique dessein. C'est peu probable. Une action 
personnelle incessante, des démarches verbales pou- 
vaient plus pour la réaliser que des échanges de notes 
entre diplomates. Ce qui n'est pas douteux, c'est que 
cette action commencée ne se ralentit pas jusqu'au jour 
où, Decazes renversé, puis le maréchal de Mac Mahon et 
le duc d'Aumale tombés en disgrâce, ces nobles projets 
s'évanouirent. Ils n'en restent pas moins comme un titre 
de gloire à l'actif de ceux qui les avaient conçus. Ils 



314 LE DUC D'AUMALE. 

permettent de dire que nul ne fit autant que le ministre 
des affaires étrangères de 1875 et que le commandant du 
7* corps pour le relèvement de la patrie. 

Un officier général qui servait alors sous les ordres 
du duc d'Aumale, et qui devint plus tard ministre de la 
guerre, résume comme suit, dans une lettre privée, les 
souvenirs qu'il a gardés de ce temps et du séjour qu'il fit 
à Belfort comme colonel d'un régiment de cavalerie : 
« Chacun alors, dans le 7* corps et, j'aime à le croire, un 
peu partout, sentdt combien il importait de faire des 
troupes sous ses ordres le meilleur instrument de guerre 
possible et ne cessait d'y consacrer ardemment tous ses 
soins... Nous étions sans cesse sur le qui-vive, et les 
prises d'armes pour un motif, pour un autre, étaient fré- 
quentes. Belfort et son système de défense alors en pleine 
organisation recevaient souvent la visite du duc d'Au- 
male. 11 ne venait presque jamais sans réunir à sa table, 
à l'hôtel de l'Ancienne Poste, tous les chefs de corps et 
de service et quelques autres officiers. Chacun de ces 
repas, pris au milieu d'hommes du métier, qu'il sentait 
bien siens et vis-à-vis desquels il semblait tenir son titre 
de général pour plus précieux que celui de prince, cepen- 
dant si dignement porté, était pour lui l'occasion d'en- 
seignements élevés et d'aperçus saisissants. » 

Il n'était pas dans sa destinée de donner à ses cam- 
pagnes d'Afrique de glorieux lendemains et de rentrer, 
de 1873 à 1879, dans la période des combats heureux 
qui, de 1840 à 1848, illustrèrent sa carrière. Du moins, 
s'il n'est pas permis à son historien de le dépeindre à 
cette époque, faisant la guerre, c'était un devoir de mon- 
trer comment il s'y préparait quand il croyait qu3 
aurait le bonheur de combattre pour rendre à sa patrie 
les frontières perdues. Telle est la raison qui nous fait 



1 



LE GÉNÉRAL. 315 

mentionner tant de détails recueillis en marge de sa 
vie militaire. Importants ou non, on nous saura gré de 
n'avoir pas voulu qu'ils fussent perdus pour l'histoire, 
alors qu'ils contribuent à mieux faire connaître la phy- 
sionomie attirante et sympathique de ce prince français 
en qui se résumèrent à un si haut degré les qualités et 
les vertus du soldat. 

Dans son corps d'armée, sans qu'il l'eût exigé, le titre 
de « Monseigneur » lui était naturellement donné par 
tout le monde. L'habitude en avait été bientôt prise, sans 
que personne en fût choqué. Un seul officier, parmi ceux 
del'état-major, s'obstina toujours à l'appeler « mon géné- 
ral ». Il y mettait même de l'affectation, ce qui n'empêcha 
pas le duc d'Aumale de rendre justice à ses mérites, qui 
étaient réels, et de le proposer premier pour l'avancement. 

En revanche, nul ne lui prodigua l'appellation de Mon- 
seigneur avec plus de constance et de soin que le colonel 
Boulanger. Il commandait le 133* de ligne, en garnison à 
Belley. Ses services, ses blessures, des qualités militaires 
incontestables lui donnaient un certain prestige. Le duc 
d'Aumale prit assez vite du goût pour lui, ce à quoi Bou- 
langer se montrait alors fort sensible. Il lui fit même 
l'honneur de s'asseoir à sa table, lui témoignant déjà, en 
toutes circonstances, de l'intérêt qu'il prenait à sa car- 
rière, ce qui n'empêcha pas plus tard le colonel, devenu 
général et ministre de la guerre, d'envoyer en exil le 
chef qu'il avait si longtemps adulé quand il était sous 
ses ordres. 

Au 7* corps, au temps du duc d'Aumale, les repas de 
son quartier général étaient fort recherchés. Il y vivait 
ordinairement avec les officiers de sa maison militaire, 
sur le pied d'une grande cordialité. Mais, très souvent, il 
avait des invités, des généraux qui passaient par Besan- 



316 LE DUC D'AUMALE. 

çon, d'autres nouvellement promus, voire des officiers 
subalternes, car il se plaisait à en réunir autour de lui, 
et enfin des fonctionnaires ou des amis de Paris. Tous 
les lundis soir, il y avait réception ouverte pour les 
hommes. On y venait en grande tenue et on y fumait. 
L'archevêque de Besançon s'y croisait, dans un nuage de 
fumée, avec le grand rabbin. Le prince était l'àme et le 
boute-en-train de ces soirées, qui avaient lieu dans les 
salons de son hôtel, salons un peu exigus, très simple- 
ment meublés, et pour l'ornement desquels il avait fait 
venir de Chantilly le tableau qui représente le roi Louis- 
Philippe, à cheval, entouré de ses fils (1). 

Quand il n'y avait ni réception, ni dîner au quartier 
général, ni invitation au dehors, la soirée était consacrée 
tantôt au travail, tantôt au théâtre, où le prince aimait à 
faire les honneurs de la loge du commandant du corps 
d'armée. Nombreuse y était alors la réunion. Quelle que 
fût la médiocrité du spectacle, il s'en accommodait tout 
aussi bien que s'il n'eût pas été accoutumé aux brillantes 
représentations des théâtres de Paris. Durant les entr'ac- 
tes, il en revenait aux épisodes du passé qu'il aimait tant 
à raconter, soit qu'il y eût joué un rôle, soit qu'il les tînt 
des personnages qu'il avait connus ou qu'il les eût appris 
dans les archives de Chantilly. 

Il en est qui sont restés célèbres parmi ses officiers et 
que plus d'un raconte encore, ceux, par exemple, où 
Turenne est en scène. En voici un : c'était peu de temps 



(d) Partout, même chez lui, il passait le premier, en sa qualité de 
prince. S'il donnait un diner, il entrait dans la salle à manger pré- 
cédant ses convives. En sortant de table, les hommes se tenaient 
debout autour de lui, bien qu'il répétât : 

ft Asseyez vous, messieurs. » A la fin, il s'asseyait et reprenait : 
« Asseyez-vous, messieurs; je vous y invite; je vous y convie: mais 
je ne peux vous y contraindre. > 



• LE GÉNÉRAL. 317 

après la défaite de l'illustre guerrier àMarienthal ; un jeune 
étourdi s'approche de lui et lui dit avec impertinence : 

« Monsieur le maréchal, comment donc avez-vous 
fait pour vous laisser battre? » 

Le maréchal salue et répond modestement : 
« Monsieur, j'ai commis une faute; j'avais rassemblé 
mes quartiers trop près de l'ennemi. » 
Et le duc d'Aumale ajoutait : 

« Les plus grands capitaines ont leur jour de revers, 
et ils doivent savoir le reconnaître. » 

Une autre histoire sur Turenne, qu'il se plaisait à 
redire, était celle-ci. Turenne s'exprimait difficilement. 
Il suivait son idée en dedans et l'exprimait souvent sous 
des formes aussi brèves que dépourvues de clarté. Un 
jour, dans le cabinet de Louvois, Condé présent, il 
exposait, penché sur une carte, un plan de bataille, et, 
malhabile à s'expliquer, il ne savait que répéter : 
« Il faut y aller... tout uniment. » 
En vain Louvois pousse Condé du coude, d'un air 
railleur; en vain Condé s'efforce d'obtenir une explica- 
tion plus claire, Turenne ne voit pas, ne comprend pas, 
et s'en tient à sa phrase : 

« Il faut y aller... tout uniment. » 
Il fut impossible d'en rien obtenir de plus. 
Il y avait aussi 1' « Écran du roi » , véritable petit 
chapitre de la chronique de l'OEil-de-bœuf. Un provin- 
cial assiégeait l'entourage de Louis XV de demandes 
d'audience. Il voulait voir le roi, de qui il avait une 
faveur à solliciter. Après vingt tentatives inutiles, il est 
reçu un matin par un jeune seigneur, qui lui annonce 
le plus sérieusement du monde que non seulement il 
va être admis en présence du roi, mais qu'encore une 
charge lui est accordée. 



318 LE DUC D'AUMALE* 

« Une charge ! Laquelle? 

— Vous êtes nommé écran du roi. 

— Qu'est-ce que cela? 

— C'est bien simple. Quand Sa Majesté sort de la salle 
à manger pour passer dans le grand salon, vous devez 
constamment vous interposer entre Elle et la cheminée 
pour la protéger contre la réverbération des flammes. » 

Louis XV entre bientôt après, va et vient, et son 
attention est bientôt attirée par cet inconnu qui le suit 
pas à pas et se place sans cesse entre lui et la che- 
minée. 

« Monsieur! que faites-vous? 

— Sire, je remplis ma charge. C'est moi que Votre 
Majesté a daigné nommer écran du roi. » 

Les courtisans pouffent de rire, et le provincial est 
expulsé. 

Les anecdotes du duc d'Aumale rempliraient un gros 
volume. Sa mémoire en était pleine. Mais c'est surtout 
sur les sujets militaires qu'il se montrait intarissable. Il 
les préférait aux autres, parce que, de ces retours sur les 
anciennes armées, il pouvait tirer des conclusions appli- 
cables aux armées modernes. 

Après qu'il eut passé trois années à Besançon, son 
commandement fut renouvelé. Il connaissait alors toute 
la société de la ville. Il avait été reçu partout; d'innom- 
brables fêtes avaient été données en son honneur. II était 
universellement aimé, ayant peu à peu captivé les élé- 
ments les plus divers de la société par son esprit, sa 
bonne grâce, son souci de plaire (i). Lui-même les avait 

(1) C'est vers cette époque qu'arriva à Besançon un nouveau pro- 
cureur général entré dans la magistrature au 4 septembre. A l'ap- 
proche de l'audience solennelle d'installation , on se demandait 
quelle attitude il aurait vis-à-vis du duc d'Aumale, qui devait se 
trouver là. Dans sa harangue et dans les compliments aux auto- 



LE GÉNÉRAL. 319 

rendues. Sa sœur, la princesse Clémentine, était venue 
à Besançon l'aider à faire les honneurs d'un bal, puis la 
comtesse de Clinchamp, restée auprès du prince après 
la mort de la duchesse d'Aumale et qui dirigeait sa mai- 
son. Il y eut d'autres bals, des réceptions de jour dans le 
jardin du quartier général. 

Dans cette cité de Besançon, où la vie intellectuelle est 
très active, il existe de nombreuses sociétés littéraires et 
savantes. Toutes auraient voulu que le prince, membre 
de l'Académie française, les présidât. Mais il ne consentit 
qu'à en être membre honoraire. En revanche il assistait 
fréquemment aux séances de l'Académie franc-comtoise, 
dont^ en sa qualité de commandant du corps d'armée, il 
était directeur honoraire. Il évitait soigneusement tout ce 
qui l'aurait par trop fait sortir de son rôle militaire, le 
seul qu'il entendît jouer. Il y eut diverses tentatives pour 
l'attirer sur le terrain politique; elles échouèrent toutes, 
car il était résolu à ne pas s'aventurer sur ce terrain dan- 
gereux. Ce n'est pas qu'il se fût désintéressé des luttes 
des partis. Mais, s'il les suivait de haut et de loin, il ne 
voulait pas s'y mêler. Ce qu'il en pensait ne se trahissait 
jamais publiquement. C'est dans sa correspondance privée 
qu'il faut le rechercher. Au mois de septembre 1874, il 
écrivait au général de Chabaud La Tour, ministre de 
l'intérieur : 

a Depuis un mois, j'ai circulé dans toute cette région. 
Ce n'est pas un pays bonapartiste ; la plaie y est encore 

rites de la ville, il n'y eut rien pour le prince. Mais, au moment de 
finir, il s'adressa à lui et dit : 

c Monseigneur, il vous est arrivé, en un jour d'abaissement pa- 
iiiotique, de remplir les plus hautes fonctions du magistrat, et 
comme tel vous avez trouvé des paroles qui ont relevé Tàme de la 
France. » 

11 y eut un frémissement dans l'auditoire. 



320 LE DUC D'AUMALE. 

saignante; mais, prenons garde, la contagion gagne. Je 
ne confonds pas les anciens et honnêtes serviteurs de 
l'Empire avec les bonapartises quand même. Seulement 
il faut empêcher ceux-ci de reconquérir ceux-là et ne pas 
leur laisser prendre pied dans l'administration. Vous y 
veillez, j'en suis sûr (1). » D'ailleurs, dans cette même 
lettre, le conseil politique donné, le militaire bien vite 
reparaît : « J'ai accompagné hier le ministre de la guerre 
à Belfort; nous ne lui avons fait aucune fantasia; je 
tenais à ce qu'il vît les choses au naturel; je pense qu'il 
en aura rapporté l'impression qu'il reste beaucoup à 
faire. » 

Oui, il restait beaucoup à faire, le duc d'Aumale en 
était convaincu, et c'est afin de se consacrer à cette tâche 
qu'il s'éloignait de plus en plus de la politique. Depuis 
qu'il commandait le 7* corps, il ne paraissait plus à 
l'Assemblée nationale. Lorsque, après le vote de la Cons- 
titution, une candidature sénatoriale lui fut offerte dans 
le département de l'Oise, il la déclina. 

« Je serais heureux de continuer à représenter le 
département de l'Oise dans nos assemblées politiques, 
écrivait-il (2). L'expérience m'a démontré qu'il n'était 
pas possible de prendre une part utile aux délibérations 
d'une Assemblée, tout en continuant d'exercer un com- 
mandement tel que celui qui m'a été confié par le maré- 
chal président de la République. 

« En 1871, en me présentant aux électeurs de l'Oise, 
j'exprimais le désir de pouvoir contribuer au rétablisse- 
ment de la monarchie constitutionnelle; mais je disais 



(1) Documents inédits : Papiers Chabaud La Tour. 

(2) Lettre à un électeur de TOise, décembre 1875. 11 pensait à faire 
nommer à sa place le duc Decazes. Voir les lettres reproduites dans 
les Pièces historiques, IV: 



LE GÉNÉRAL. 321 

aussi que, si mon vœu ne pouvait s'accomplir, je conti- 
nuerais de servir loyalement mon pays. 
« Et je le sers. » 

Cependant, quelque résolu qu'il fût à vivre en dehors 
des querelles de partis, il n'oubliait pas qu'il était Bour- 
bon. Sans craindre d'offenser la mémoire de son grand- 
père, qui, lui, l'avait oublié, — son grand-père Égalité, 
comme il disait, — il assista le 21 janvier 1874, quelques 
jours après son arrivée, à la messe commémorative du 
21 janvier. Elle se célébrait alors à Besançon dans l'église 
Saint-Maurice, avec une certaine solennité. 

Le cardinal Mathieu avait exigé qu'il y occupât une 
place « princière » . Le duc d'Aumale y trouva un fauteuil 
réservé pour lui dans le chœur. Il en était d'ailleurs de 
même à la cathédrale, où un trône était placé en face de 
celui du cardinal. On lui rendait les honneurs comme 
au temps de la monarchie. Ses relations avec le vénérable 
archevêque étaient devenues bien vite très étroites. 
Lorsque, au 1" janvier, le commandant du 7* corps 
allait présenter ses officiers au cardinal, il lui laissait le 
soin de les placer à son gré dans son salon. 

« Vous êtes chez vous, monseigneur, lui disait il; 
rangez vos troupes. 

— C'est vous qui m'apprendriez à le faire, monsei- 
gneur », répondait le cardinal. 

On se souvient encore, à Besançon, d'un piquant inci- 
dent qui marqua l'une de ces réceptions. Le vieil arche- 
vêque avait l'habitude de faire distribuer aux officiers, le 
premier de l'an, des bonbons en papillotes. Le 1"' janvier 
1874, le duc d'Aumale ouvrant la sienne y trouva une 
image représentant un cœur enflammé avec au-dessous 
I une devise plus que légère. Il la montra en riant au car- 
dinal. 

ai 



322 LE DUC D'AUMALE. 

« Vous voyez, monseigneur, que le mal peut se glisser 
partout, même dans une sainte maison. » 

L'archevêque fut très mortifié. L'année suivante, au 
moment où on allait commencer la distribution des papil- 
lotes, il dit au prince avec un soupir de soulagement : 

« Vous pouvez les ouvrir sans crainte. J'ai fait faire 
les devises dans un couvent (1). » 

Chaque dimanche, on voyait le prince assister avec ses 
officiers, dans la chapelle Saint-Louis, à la messe mili- 
taire. Cette messe était dite par un aumônier qui avait 
été soldat. Quand on le plaisantait sur ses allures peu 
sacerdotales, il répliquait gaiement : 

« Que voulez-vous? mes confrères confessent la mous- 
seline, et moi la toile d'emballage. » 

La toile d'emballage, c'était le troupier. 

« Il a pour le troupier la même affection et la même 
sollicitude que moi, disait le commandant du T corps. 
C'est par là qu'il me plaît. » 

La charité du duc d'Aumale, durant le séjour de six 
années qu'il fît à Besançon, fut vraiment inépuisable. 
Assailli de demandes de secours, qui arrivaient par cen- 
taines, chaque jour, au quartier général, et dont le 
dépouillement exigeait plus de travail et de temps que 
celui de la correspondance militaire, il venait en aide à la 
plupart des œuvres d'une utilité réelle et des infortunes 
que l'enquête très minutieuse dont ces demandes étaient 
l'objet lui montrait comme vraies et imméritées. Cepen- 

(1) Le cardinal Mathieu mourut le 8 juillet de cette année 4875. Le 
duc d'Aumale, qui était allé lui dire adieu à son lit de mort, suivit 
ses obsèques accompagné de tout son état-major. L'évêque de 
Nîmes, Mgr Besson, prononça l'oraison funèbre. Le duc d*Aumale 
affectionnait ce prélat, qui, en 4867, avait retrouvé et lui avait 
envoyé dans Texil le Virgile du duc d'Enghien. « Le chrétien, l'exilé, 
le prince et le bibliophile , lui écrivait-il alors, se confondent en 
une seule et même personne pour vous remercier. » 



LE GÉNÉRAL. 323 

dant, c'était surtout aux anciens militaires comme à leurs 
familles, quand elles étaient nécessiteuses, qu'allaient ses 
largesses. Il faisait aussi une part aux officiers à qui de 
trop lourdes charges créaient une gène susceptible d'en- 
traver leur carrière. Plus d'un dut peut-être son salut à 
quelqu'une de ces libéralités cachées qu'il oubliait après 
les avoir prodiguées. 

Dans ses hautes fonctions, et c'est ce qu'on ne saurait 
trop mettre en lumière, il ne voyait pas seulement l'hon- 
neur de les remplir. Il en envisageait les devoirs, comme 
aussi les obligations particulières qu'y ajoutaient par la 
force des choses sa qualité de prince et sa grande opu- 
lence. Il est également vrai de dire qu'il n'apportait dans 
son commandement aucune préoccupation personnelle, 
animé de l'ardent désir de laisser à son successeur des 
troupes bien dressées, prêtes à marcher à l'ennemi. 
Guidé sans cesse par l'amour de la patrie mutilée, souhai- 
tant de mourir d'un coup de canon sur le champ de bataille, 
au soir d'une victoire, il ne pensait qu'à la France. Toute 
son âme passait dans sa voix quand il disait : 

« Il faut que ce nom sacré devienne, au moment de 
l'assaut, le cri de guerre de notre infanterie. » 

Aussi le souvenir de son commandement est-il toujours 
vivant au T corps, non moins ineffaçable parmi les 
troupes et dans les places confiées à son autorité qu'il le 
fut dans sa mémoire jusqu'au moment de sa mort. Vingt 
années n'ont pu en faire disparaître la trace. Dans les 
contrées de l'Est, son nom reste honoré et respecté* 

Ce fut pour lui une épreuve cruelle lorsque, au com- 
mencement de 1879^ on le releva de son commande- 
ment (1). Le maréchal de MacJVÏahon ne résidait plus à 

(1) 41 février. Furent mis en disponibilité : les généraux Clinchant^ 
de Montaudon, Deligny, Bataille, Douai, duc d'Aumale, du BaraiL 



324 LE DUC D'AUMALE. 

l'Elysée. Grévy avait été élu président de la République. 
Un régime de politique intolérante, soupçonneuse et 
sectaire tendait de plus en plus à s'établir. Dans les voies 
qu'il ouvrait, il n'y avait guère place pour un prince de 
sang royal dont on pouvait craindre la popularité. Le duc 
d'Aumale accepta avec une apparente sérénité la déci- 
sion qui le frappait, et dont les Allemands seuls avaient 
lieu de se réjouir. Peut-être aussi n'en saisissait-il pas 
encore le véritable caractère sous les formes dont on 
l'avait enveloppée, afin de lui enlever la physionomie 
d'une disgrâce. Et puis, tout autour de lui, parmi les 
troupes comme dans la population de Besançon, elle 
excitait d'unanimes regrets dont il recueillit en quelques 
heures les témoignages lorsque la nouvelle de son dépla- 
cement fut devenue officielle. 

Entre ces témoignages, il en est un que l'histoire est 
tenue d'enregistrer. La lettre qui le lui apportait, datée 
du 13 février, était ainsi conçue : 

« Monseigneur, vous quittez le commandement du 
7* corps. Permettez-moi de vous dire au nom des officiers 
de mon régiment et au mien combien nous sommes peines 
de perdre un chef que nous aimions, dans lequel nous 
avions une si grande confiance. Soyez persuadé. Mon- 
seigneur, que jamais nous n'oublierons les hautes leçons, 
les exemples si élevés que vous nous avez donnés, et dai- 
gnez agréer la nouvelle assurance du respectueux dé- 
vouement et de l'inaltérable attachement de votre obéis- 
sant subordonné. — Colonel Boulanger. » 

Le prince reçut beaucoup d'autres lettres semblables 



Cambriels, Bourbaki. Pour quelques-uns d'entre eux, la disgrâce 
était complète. C'est pour n'avoir pas voulu la consacrer de l'auto- 
rité de son nom que, quelques mois avant, le maréchal de Mac 
Mahon avait abandonné la présidence de la République. . 



LE GÉNÉRAL. 325 

dont les auteurs n'oublièrent pas, comme l'oublia le 
colonel du 133% qu'ils les avaient écrites. Un tel langage 
adoucit l'amertume du départ. Encore plein de confiance 
dans la justice des hommes chargés d'apprécier ses ser- 
vices, le duc d'Aumale prit congé de ses officiers, en 
disant : 

« Je ne sais ce qu'on va faire de moi. Mais je suis 
soldat; j'obéirai. » 

Depuis 1873, il siégeait au conseil supérieur de la 
guerre, où sa compétence, son expérience, la clarté de ses 
vues exerçaient l'influence la plus heureuse. De plus, il 
avait été désigné pour un commandement en cas de con- 
fla^ation. En le rappelant du 7* corps, on lui maintenait 
ces fonctions, les plus hautes qui pussent lui être con- 
fiées. On le nommait, en outre, inspecteur d'armée. Il 
n'était donc que trop encouragé à se faire illusion quant 
aux véritables causes de son rappel, et il quitta Besançon 
sans avoir deviné la conjuration qui déjà s'ourdissait 
contre lui. 



CHAPITRE IX 

AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL 

Illusions du duc d'Aumale. — Il est inspecteur d'armée. — Sa dis- 
grâce. — Mise en non-activité par retrait d'emploi. — Mort du 
comte de Chambord. — Un dissentiment. — La donation de 
Chantilly. — La soirée de l'hôtel Galliera. — Résurrection des lois 
d'exil. — Les princes hors de l'armée. — Protestation du duc 
d'Aumale. — Séjour au Nouvion. — Départ pour l'exil. — Lettres 
du général Boulanger. — VHistoire des Condé reprise. — Re- 
mords du gouvernement républicain. — Projets de grâce. — 
Ajournements successifs. — Le rappel. — Retour à Chantilly. — 
Visite au président Carnot. — L'Académie française. — La vie du 
prince. — Vaines démarches pour lui faire rendre son grade. — 
Un mot de Renan. 

L'illusion qu'il conserva jusqu'au moment où éclatè- 
rent les préventions dont il fut la victime lui était d'autant 
plus permise qu'il ne parut pas d'abord que son influence 
dans le monde militaire eût diminué. Le général Gresley, 
qui avait créé un conseil supérieur de la guerre pour 
replacer quelques-uns des commandants de corps d'armée 
qu'il avait dû sacrifier, s'était hâté de l'appeler dans ce 
conseil (1). A Paris comme à Chantilly, quand il s'y fut 

(1) Dès ce moment, le général Gresley ne croyait pas à la durée 
des pouvoirs de Grévy. Parlant du duc d'Aumale, il répétait sans 
cesse à ses amis : 

« Il faut qu'il soit président de la République. » 
. A rappeler encore le fait suivant, dont je n'ai pu vérifier l'authen- 
ticité et qui figure dans un éloge du duc d'Aumale lu à l'Académie 
de Besançon par M. Jules Gauthier. 

« Un jour, durant le ministère Wadington, Gambetta, dont l'auto- 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 327 

réinstallé, sa maison devint le rendez-vous de généraux 
et d'officiers de tous grades. Il aimait à s'entretenir avec 
eux des troupes dont il venait de se séparer et des inté- 
rêts de l'armée. Ils le considéraient toujours comme leur 
chef. Son œil s'allumait quand il leur rappelait avec sa 
verve séduisante les souvenirs qui leur étaient communs 
Ceux de ces officiers qui avaient besoin d'un appui au 
ministère continuaient à recourir à sa protection, à son 
crédit, et il lui était encore donné de leur venir en aide. 
Il le fit notamment pour Boulanger, qui, le 3 janvier 1880, 
le sollicitait en ces termes : 

« Monseigneur, je n'ai d'autre appui que celui des 
généraux sous les ordres desquels j'ai servi. Je viens 
donc vous demander de vouloir bien m'appuyer auprès 
de la commission de classement, dans laquelle, à beau- 
coup de titres, vous aurez certainement une situation 
prépondérante. Je ne vous parlerai pas de mes services; 
vous savez qui je suis. Je me permets seulement de vous 

rite dominait tout, fit appeler le général Gresley, ministre de la 
guerre : 

« Général, les nouvelles diplomatiques sont mauvaises ; si certains 
événements surviennent, c'est la guerre à bref délai ; vous allez me 
répondre sans ambages; quel est le général capable de conduire 
trois cent mille hommes à l'ennemi? » 

Le général réfléchit un instant : 

« Le duc d'Aumale, reprit-il. 

— C'est bien ; à dater de demain, vous allez vous mettre en rela- 
tions quotidiennes avec lui, le tenir au courant de tout, soit par un 
de vos officiers d'ordonnance, soit par des rapports de toutes les 
semaines et, s'il le faut, de tous les jours, et le prévenir que si la 
guerre éclate il sera général en chef. » 

Et ce fut fait. A ce récit plus ou moins vrai, il faut ajouter qu'il y 
eut des relations, assez espacées d'ailleurs, entre le duc d'Âumale et 
Gambetta. Elles dataient du premier exil, Gambetta étant alors allé 
à. Twickenham. Elles furent reprises à l'époque où le chef du parti 
républicain cherchait à entrer en relation avec les sommités sociales 
françaises et où, sur sa demande, le marquis du Lau donna un dîner 
pour le faire se rencontrer avec le baron Alphonse de Rothschild. 



328 LE DUC D'AUMALE. 

dire que je me trouve le treizième des colonels d'infan- 
terie proposés à la suite de l'inspection générale de 1878 
pour le grade de général de brigade et que, si les vacances 
existant aujourd'hui étaient remplies, je serais à peu 
près le huitième. Dans ces conditions, j'espère beaucoup, 
et comptant sur votre bienveillant intérêt, qui m'est si 
connu, je vous prie^ Monseigneur, d'agréer, avec la nou- 
velle expression de ma gratitude, l'assurance de mes 
sentiments les plus respectueux et les plus dévoués. » 

Grâce à l'intervention du prince, le signataire de cette 
lettre fut nommé général au mois de mai. Dans l'élan de 
sa reconnaissance, il écrivait : 

« Monseigneur, c'est vous qui m'avez proposé pour 
général; c'est à vous que je dois ma nomination. Aussi, 
en attendant que je puisse le faire de vive voix à mon 
premier passage à Paris, je vous prie d'agréer l'expres- 
sion de ma vive reconnaissance. Je serai toujours fier 
d'avoir servi sous un chef tel que vous, et béni serait le 
jour qui me ramènerait sous vos ordres. » 

A la faveur des demandes qui lui arrivaient ainsi, à 
toute heure et de toutes parts, et dont son intervention 
souvent assurait le succès, il pouvait croire que sa situa- 
tion restait entière dans l'armée et que le gouvernement 
ne songeait pas à y rien changer. Grévy, auquel il était 
allé rendre ses devoirs aussitôt après l'élection présiden- 
tielle, paraissait prendre plaisir à causer avec lui, l'en- 
tourait d'égards. Un peu plus tard, quand le président 
reçut du roi d'Espagne la Toison d'or, ce fut le duc 
d'Aumale qui lui servit de parrain. En janvier 1882, à la 
veille du couronnement d'Alexandre III, c'est encore le 
duc d'Aumale que Gambetta songeait à envoyer en Russie 
comme ambassadeur extraordinaire de la République 
française, résolu, s'il eût refusé, à lui faire donner parle 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 329 

ministre de la guerre Tordre d'obéir. La chute du grand 
ministère empêcha la réalisation de ce projet. C'était du 
reste méconnaître le duc d'Aumale que de supposer qu'il 
se fût dérobé à cette mission si on la lui eût offerte. Il 
l'eût acceptée avec joie, et on peut bien croire qu'il l'eût 
accomplie avec la grandeur et la dignité qu'il mettait 
dans tous ses actes, heureux de servir la France sous 
cette forme comme sous toute autre qui lui eût été pro- 
posée en des conditions dignes de lui. 

En sa nouvelle qualité d'inspecteur d'armée, il avait 
été chargé de visiter toutes les places entre la Belgique et 
la Suisse, ainsi que celles de la frontière d'Espagne. Ce 
voyage, qui lui prit six mois, le conduisit de Givet à Mont- 
louis. A son retour, il présenta au ministre de la guerre 
un rapport complet et très solidement documenté sur la 
situation des places fortes qu'il venait de visiter , sur la 
mobilisation des troupes de différentes armes qu'il avait 
inspectées et sur leur degré de préparation à la guerre. 
Ce rapport contenait de nombreuses propositions dont 
plusieurs furent adoptées. Il y signalait les officiers qu'il 
jugeait aptes à arriver aux grades les plus élevés (1). 

(1) Notamment les généraux Février et du Bessol, les colonels 
Coiffé et de Cointet. C'est au cours de ce voyage qu'en arrivant à 
Albi, après avoir visité ce qu'on appelait les pays rouges, l'Hérault 
et la basse Aude, il disait à M. Buisson, son ancien collègue à 
l'Assemblée nationale : 

« Des pays rouges! Mais, non, cher ami, ce sont des pays bleus. 
Les républicains comme les autres m'ont sauté au cou. Ça sentait 
le bleu à plein nez. s 

Ce fut l'unique mission qu'eut à remplir le duc d'Aumale comme 
inspecteur général d'armée. On se plut à lui laisser ensuite des loi- 
sirs, tout en lui maintenant ses fonctions. Il en profita en 1881 
pour faire en Alsace cette excursion qu'il avait été empêché de 
faire en 1873. Il la recommença en 1882 et la poussa jusque dans 
l'Allemagne du Sud pour visiter le théâtre de la guerre de Trente 
ans. Pendant ses deux séjours en Alsace, il n'entra pas dans Metz. 

Il allait aussi fréquemment en Angleterre. C'est à l'un de ses 



330 LE DUC D'AUMALE. 

Malheureusement, les menées des personnages qui 
trouvaient mauvais qu'un prince de sang royal comptât 
parmi les chefs des armées de la République avaient porté 
leurs fruits. La disgrâce du duc d'Aumale était décidée 
dans le clan des sectaires qui dominaient le gouvernemcDt 
et les Chambres. L'inspection à laquelle il venait de con- 
sacrer six mois devait être le dernier acte de sa vie mili- 
taire. On allait cesser de l'appeler aux séances du conseil 
supérieur de la guerre. Encore dans la force de l'âge, en 
pleine activité, on le condamnait à une oisiveté aussi 
douloureuse pour lui que dommageable pour la patrie. La 
passion politique obscurcissait l'entendement des maîtres 
de la France. Elle leur faisait perdre de vue l'intérêt 
national. Ils allaient volontairement priver l'armée, se 
priver eux-mêmes des lumières et des services de ce vail- 
lant et prévoyant serviteur dont ses camarades pensaient 
déjà unanimement ce que, plus tard, disait l'un d'eux : 

« Il est des nôtres; il est même le premier d'entre 
nous (1). » 

séjours à Londres que se rapporte un trait de sa bonne grâce, de 
sa délicatesse et de la sûreté de sa mémoire que je choisis entre 
cent. 11 avait été invité à une soirée chez le baron Alfred de Roth- 
schild, où devait se faire entendre la célèbre cantatrice Nilsonn. Elle 
amena avec elle un musicien alors à ses débuts et encore obscur, 
le violoncelliste Jules Delsart, et le présenta au duc d'Aumale. Le 
prince, s'apercevant de la timidité de ce jeune homme qui ne parlait 
pas l'anglais, de son embarras dans ce salon où il ne connaissait 
personne, l'obligea à s'asseoir à. côté de lui, l'y retint durant toute 
la soirée, ne parlant que français aux personnes qui venaient le 
saluer, et se plut à l'entourer de soins. Après cette soirée, il resta 
cinq ans sans le revoir. Un soir, dans un salon de Paris, ils se 
retrouvèrent, et comme la maîtresse de maison allait présenter 
l'artiste, le prince la prévint, disant : 

< Je connais bien M. Delsart. Nous avons passé une soirée ensemble 
à Londres, il y a des années. » 

(1) Propos tenu par le général Saussier lors des tentatives faites 
en 4896 pour faire réintégrer le duc d'Aumale dans son grade et 
dont je parlerai plus loin. 11 ne semble pas que le général de Gai- 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 331 

Ce fut au mois de janvier 1883 qu'éclata le complot 
qui visait les princes. Il se préparait depuis longtemps. 
Mais les conjurés n'avaient pas trouvé d'occasion propice 
pour agir. Elle leur fut spontanément ofiferte par un mani- 
feste révolutionnaire que lança le prince Napoléon. Us 
s'empressèrent de la saisir, trouvant naturellement des 
complices parmi les députés qui cherchaient à renverser 
le cabinet que présidait M. Duclerc et dans lequel le 
général Billot détenait le portefeuille de la guerre. 

Chs^rles Floquet fut le plus entreprenant de ces com- 
plices. Il ne souhaitait pas que les princes fussent expulsés 
de l'armée. Il ne tenait pas davantage à ce qu'on les 
exilât. Maiç il poursuivait avec passion le renversement 
des ministres. Pour les attaquer, il se fit une arme de ce 
qui tombait sous sa main. Le lendemain du jour où avait 
paru le manifeste du prince Napoléon, il déposa sur le 
bureau de la Chambre une proposition dont il demandait 
l'urgence. Elle avait pour objet d'interdire le territoire 
français aux membres des familles ayant régné sur la 
France et de les priver de tous leurs droits politiques. On 
croit rêver en .constatant avec quelle fureur la majorité 
se rua sur les princes d'Orléans, qui servaient loyalement 
leur pays, et réclama contre eux des mesures vexatoires 
sous prétexte de venger la majesté des lois républicaines, 
outragées par un membre de la famille Bonaparte. 

Cette majorité accepta comme excellents et décisifs les 
arguments qu'on lui présentait. Le prince Napoléon avait 

liffet pensât autrement. Après que le prince eût été mis en non- 
activité, voulant le rendre heureux, il l'invita, avec l'autorisation 
du ministre de la guerre, à assister aux grandes manœuvres du 
camp de Châlons, que lui-même, cette année-là, devait diriger. Très 
reconnaissant de l'invitation, le duc d'Aumale s'y rendit. Je crois bien 
que ce fut la dernière fois qu'il eut l'occasion de monter à cheval en 
uniforme. A ces manœuvres, il rencontra le général Chanzy qu'il con- 
naissait peu. Cette rencontre ne rapprocha pas ces deux grands soldats. 



332 LE DUC D'AUMALE. 

attaqué la République; donc les princes d'Orléans conspi- 
raient. Ils conspiraient : le duc d'Aumale, en invitant à 
Chantilly les officiers des garnisons voisines; le duc de 
Chartres en abandonnant sa solde à l'ordinaire du régi- 
ment qu'il commandait. Le comte de Paris avait con- 
spiré, lui aussi, lorsqu'il était aller visiter à Frohsdorf son 
cousin le comte de Chambord. Ces faits, relevés et com- 
mentés par la presse radicale, parurent suffisants pour 
justifier un retour aux mesures d'exception. Le cabinet 
Duclerc était résolu à ne pas ressusciter les lois d'exil. Il 
en considérait l'application comme un déshonneur pour la 
République. Le général Billot, qui, mieux que personne, 
appréciait la valeur militaire du duc d'Aumale, s'indignait 
à la pensée de lui retirer son emploi. Dans ce péril, les 
ministres crurent qu'ils le conjureraient en présentant une 
loi qui les autorisait à expulser du territoire français tout 
membre d'une famille princière dont la présence serait de 
nature à compromettre la sûreté de l'État. Ils voulaient 
bien avoir la faculté de prononcer l'expulsion, mais non 
y être obligés. 

On discuta huit jours sur ces formules. Puis, le prési- 
dent du conseil, M. Duclerc, et le général Billot, devinant 
qu'ils allaient être battus, donnèrent leur démission. Ils 
furent remplacés , le premier par Jules Ferry, le second 
par le général Thibaudin, et le président Grévy s'étant 
déclaré prêt à couvrir de l'autorité de son nom l'iniquité 
qu'on allait commettre, on soumit à sa signature, le 
23 janvier, un décret qui mettait en non-activité, par 
retrait d'emploi, le duc d'Aumale, général de division en 
disponibilité, le duc de Chartres, colonel de cavalerie, et 
le duc d'Alençon, capitaine d'artillerie. 

Le duc d'Aumale fut profondément affecté de ce déni 
de justice qu'il avait le droit de considérer comme un 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 333 

acte d'ingratitude. Cependant il ne protesta pas. On le 
maintenait sur les contrôles; il conservait le droit de 
porter l'uniforme. Si cruel que fût le coup qui Tavait 
frappé, c'était encore une consolation pour lui de faire 
toujours partie de l'armée. La crainte d'en être définiti- 
vement expulsé lui commandait de se résigner au silence. 
II s'y résigna. Il reprit sa vie, ses travaux historiques, de 
plus en plus décidé à demeurer en dehors des luttes de 
parti, que chaque jour rendait plus âpres et plus violentes. 

C'est en vain que, dans les années qui vont suivre, les 
conservateurs chercheront à exploiter son légitime mécon- 
tentement, à constituer sur son nom une opposition mili- 
tante et puissante; toujours il se dérobera. Il est sans 
ambition. Il ne veut être à la solde d'aucun parti. Quoique 
éloigné de la direction des affaires militaires, c'est d'elles 
seulement qu'il se préoccupe avec passion, comme s'il 
voulait se tenir toujours prêt à y reprendre un rôle. Cette 
attitude affecte ceux de ses amis qui se sont obstinés à 
voir en lui un ambitieux , un prétendant ou le lieutenant 
d'un prétendant. Il ne demande rien pour lui-même. Mais 
il ne sera le marchepied de personne, pas même de son 
neveu le comte de Paris, qui devient, au mois d'août 1884, 
par suite de la mort du comte de Chambord, le chef de la 
maison de France. 

Le comte de Paris ne conçoit, du moins à en juger par 
les apparences, aucune rancune de la résolution si nette 
dont il est le confident (1). Mais peut-être autour de lui 
est-on moins indulgent pour son oncle. Il y a, parmi les 
conservateurs, des hommes éminents qui, sans préciser 
ce que pourrait faire le duc d'Aumale pour seconder leurs 

(1) Le duc d'Aumale lui avait souvent exposé ses idées, conformes 
d'ailleurs à celles (jue le comte de Paris exprimait lui-même 
en i871. . 



334 LE DUC D*AUMALE. 

vues, ne lui pardonnent pas de ne pas prendre en main 
le drapeau de Topposition et de ne pas tenter de con- 
quérir le pouvoir afin de le transmettre ensuite au roi. 

La mort du comte de Chambord, qui vient de mettre à 
rimproviste au premier rang le comte de Paris, fait 
éclater du même coup le dissentiment latent qui existe 
entre lui et le duc d'Aumale, quant aux bases qu'il con- 
viendrait de donner à la monarchie s'il devenait possible 
de la restaurer. Ce dissentiment se trahit à Vienne, à 
rheure où les princes d'Orléans s'y trouvent réunis pour 
assister aux obsèques de leur cousin. 

En sa qualité de chef de la maison de France^ le comte 
de Paris est tenu de faire part, à toutes les cours et à 
toutes les familles souveraines, du décès de l'aîné des 
Bourbons. Par ses soins, tandis qu'il se rend à Frohsdorf 
avec son frère et ses oncles, afin de présenter ses condo- 
léances à la comtesse de Chambord et de s'entendre avec 
elle au sujet des funérailles fixées au lendemain, à Vienne, 
sont préparés, au nombre de soixante-deux, les télé- 
grammes de notification, qui doivent être expédiés le 
même jour, lorsqu'il les aura signés. Mais alors se pose 
une grave question. Les signera-t-il du nom de Louis- 
Philippe, dont il s'est toujours servi, qui est celui sous 
lequel a régné son grand-père et qui rappelle, par consé- 
quent, la monarchie de Juillet? En adoptera-t-il, au con- 
traire, un nouveau^ et en signant « Philippe, comte de 
Paris », marquera-t-il dès ce moment sa volonté, s'il 
doit monter sur le trône, de régner sous le nom de Phi- 
lippe VII, et non sous celui de Louis-Philippe II? Il y a 
souvent pensé, et pour lui la question est résolue. 

« Je deviens, par la mort du comte de Chambord, 
s'est-il dit, le représentant du principe monarchique et de 
la légitimité. J'en dois donc remplir tous les devoirs. Le 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 335 

plus impérieux de tous, c'est de prendre rang dans la 
longue lignée des rois de France et de proclamer, par 
l'appellation sous laquelle je serai désigné, que je suis 
leur successeur légitime. Mon grand-père n'a pu en user 
ainsi, parce qu'il tenait ses pouvoirs d'une élection, et 
non de droits héréditaires. Mais le comte de Chambord 
étant mort, c'est être logique que de ne s'inspirer que de 
ces droits. » 

Il signera donc : « Philippe, comte de Paris. » 

En revenant de Frohsdorf, et au moment de signer, il 
dit ce qu'il a résolu. Le duc d'Aumale proteste. Sa thèse 
est contraire à ceUe de son neveu. 

« Quand on a le bonheur, s'écrie-t-il, d'être le petit-fils 
du roi Louis-Philippe, on ne saurait renier son grand-père 1 
Ce serait chose regrettable d'avoir l'air d'en rougir. » 

Quoique mesurée et courtoise, la discussion s'anime. 
Les arguments se croisent, pressés et nombreux, entre 
l'oncle et le neveu, chacun entêté dans son opinion. Le 
duc d'Alençon intervient. Il voudrait que le comte de 
Paris signât Philippe tout court. 

« Pourquoi pas roi de France et de Navarre? » réplique 
le duc d'Aumale. 

Finalement, le comte de Paris clôt le débat en disant : 

« Ne prenez pas en mauvaise part, mon oncle, qu'ayant 
écouté vos conseils, je ne les suive pas. » 

L'oncle s'incline et se tait (l),non qu'il soit convaincu, 
mais parce qu'il n'est pas le maître, et que c'est au chef 
de famille seul qu'il appartient de prendre des responsa- 
bilités. Pour lui, ayant déjà désapprouvé la trop grande 

(1) Récit du marquis de Beauvoir. Le marquis de Beauvoir a 
vécu, depuis l'enfance, dans la société des princes d'Orléans. Il 
assistait à la mort du comte de Paris et à celle du duc d'Aumale. 
Je lui dois de très précieux renseignements pour lesquels je ne sau- 
rais lui trop exprimer ma gratitude. 



336 LE DUC D'AUMALE. 

soumission du comte de Paris au comte de Chambord, il 
ne saurait approuver la manière dont le premier semble 
comprendre ses nouveaux devoirs. Il croit qu'il n'y a de 
réconciliation sincère et durable entre les partis que celle 
d'où personne ne sort humilié. Il eût voulu qu'en deve- 
nant le représentant de la légitimité, son neveu restât le 
représentant du régime de Juillet. C'eût été là la vraie 
fusion, et il semble, à lire le manifeste qu'en 1886, en 
s'embarquant au Tréport, lança le comte de Paris, il l'ait 
alors mieux compris. 

Au surplus, nulle brouille de famille ne vient aggraver 
ce dissentiment sur les principes. Ni à ce moment ni plus 
tard, lorsque l'attitude du comte de Paris, au cours de la 
crise boulangiste, contristera le duc d'Aumale, il ne se 
permettra ni blâme direct, ni désaveu public, ni remon- 
trances. Il s'abstiendra de donner son avis, que, du reste, 
on ne lui demande pas. Rien de ce qui se passe n'altérera 
les sentiments d'estime, de déférence et d'affection qu'il 
a conçus pour son neveu et qu'il lui gardera toujours. 

A partir de la mort du comte de Chambord jusqu'à 
l'heure où devait se rouvrir, pour le duc d'Aumale, la 
route de l'exil, il n'y aurait rien à signaler, dans sa vie, 
qui mérite d'être retenu par son historien, n'était l'acte 
testamentaire par lequel, le 3 juin 1884, il légua à l'Insti- 
tut de France le domaine de Chantilly. Son existence 
durant ces années qui s'écoulèrent pour lui sans incidents 
était alors aussi paisible, aussi uniforme qu'elle était 
mélancolique. On le rencontrait plus fréquemment dans 
le monde, au théâtre, aux académies dont il était 
membre (1). Mais c'est surtout au travail littéraire qu'il 

(1) 11 était entré à l'Académie française le 30 décembre 1871 et à 
celle des beaux-arts le 14 février 1880. Il fut élu le 30 mars 1889 à 
celle des sciences morales et politiques, au retour du second exil< 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 337 

demandait la consolation et Toubli. Il se consacrait davan^ 
tage à son Histoire des Condé^ interrompue par les obliga- 
tions de sa carrière de soldat. Il s'y était remis avec acti- 
vité. C'est en y travaillant qu'il conçut l'idée de disposer 
de Chantilly en faveur de la France. 

S'il avait eu d'abord l'intention de léguer ce domaine 
au comte de Paris, il n'y persévéra pas longtemps, con- 
vaincu que c'était une trop lourde charge pour un héri- 
tier, à moins de lui laisser en même temps la totalité de 
sa fortune, ce qu'il avait résolu de ne pas faire, ne vou- 
lant ni consacrer un prétendant, ni frustrer d'une part 
d'héritage d'autres de ses parents qu'il aimait aussi. Sa 
décision prise en ce qui touchait Chantilly, il ne songea 
plus qu'à l'exécuter. Durant assez longtemps, il chercha 
sous quelle forme devait être faite la donation, et de 
quelles garanties il y avait lieu de l'entourer pour que les 
eflfets n'en fussent pas entravés. Puis, quand ces garan- 
ties eurent été trouvées et nettement définies, \\ écrivit 
de sa main son testament, et le déposa chez son notaire. 

Ce testament allait demeurer là, ignoré, tenu secret, 
car le testateur n'en avait parlé à personne, sauf à ceux 
dont le concours lui était nécessaire pour donner à ses 
dispositions les sanctions légales. On ne connut que deux 
ans plus tard, au lendemain du jour où il avait été pro- 
scrit, cet acte de libéralité qui résultait tout à la fois de 
la plus noble, de la plus généreuse inspiration et d'un 
souci d'artiste. Il entendait, comme il l'a dit souvent 
depuis, conserver à la France le spécimen d'une grande 
maison du dix-neuvième siècle. Que de fois il l'a répété : 

« Ne considérerions-nous pas comme une bonne for- 
tune de posséder aujourd'hui la maison du connétable de 
Montmorency telle qu'elle existait en son temps? Ce qu'il 
n'a pas fait, j'ai voulu le faire. C'est à la fois un docu- 

22 



338 LE DUC D'AUMALE. 

ment historique et un musée que je lègue à mon pays. » 
Peut-être aussi le désir de perpétuer son nom se 
mélait-il à la préoccupation qu'il manifestait, quoique ce 
soit là ce qui apparaît le moins dans les recommandations 
qu'il ne cessa de prodiguer jusqu'à la fin de sa vie, afin 
qu'il n'y eût aucun doute sur ce qu'il avait voulu et 
qu'aucun changement n'y fût apporté. Tel fut l'événe- 
ment capital des années qui précédèrent son second exil. 
Il nous conduit, par une route douloureuse, à ceux de 
1886, qui devaient assombrir la dernière partie de sa vie et 
dont les suites, même quand l'exil cessa, ne purent être 
entièrement réparées. Il en souffrait encore quand il 
descendit au tombeau. 

A peine, lorsque ces événements sont encore si près de 
nous, est-il besoin de les rappeler. Ils se déroulèrent avec 
une rapidité vertigineuse. En quelques jours, la question 
des princes, qui semblait dormir, devint une sorte de 
champ clos sur lequel les partis se trouvèrent aux prises. 
Au mois de mars, il y avait eu une première alerte. 
Un député de la droite, le comte deLanjuinais, ayant jeté 
dans un débat relatif aux diamants de la couronne une 
interruption hostile à la République, il s'ensuivit une 
proposition d'expulsion des princes, présentée par quel- 
ques membres du parti républicain. « La modération de 
la République, disaient-ils, envers les princes des dynas- 
ties déchues, provoquant sans cesse de la part de leurs 
amis des espérances et des manifestations factieuses, le 
moment est venu de remettre en vigueur les lois d'exil 
antérieurement abrogées. » Vainement le président du 
conseil, M. de Freycinet, sollicita des auteurs de cette 
motion, dont il démontrait l'inopportunité, qu'ils la reti- 
rassent. Us restèrent sourds à ses prières, et le débat 
s'engagea dans la séance du 4 mars. 



AVANT ET PENDANT LK SECOND EXIL, 839 

La Chambre avait à se prononcer sur deux proposi- 
tions. Tune, celle dont nous venons de parler, l'autre qui 
en était en quelque sorte le correctif et qui, sans prononcer 
l'expulsion, donnait au gouvernement le droit de la pro- 
noncer. M. de Freycinet ne voulait d'aucune des deux. 
Mais il ne s'attacha qu'à combattre la première, con- 
vaincu que la seconde, repoussée à la fois par la droite 
et par les radicaux, qui la trouvaient trop modérée, ne 
réunirait pas une majorité. Cette tactique lui réussit à 
merveille. Après que MM. Antonin Lefebvre-Pontalis 
et Keller eurent avec une grande force combattu l'inique 
projet de loi soumis aux délibérations de la Chambre, il 
parvint, grâce à un discours très habile, à le faire écarter. 
Un ordre du jour de confiance dénoua ce débat (1). 

Cette affaire semblait oubliée, lorsque, le 15 mai 1886, 
les portes de l'hôtel Galliera, résidence du comte de Paris, 
s'ouvrirent dans la soirée à une foule d'élite, en vue de 
la célébration des fiançailles de la princesse Amélie d'Or- 
léans au duc de Bragance, héritier de la couronne de 
Portugal. La fête fut splendide. Elle excita les espérances 
royalistes, ou, tout au moins, elle donna à la manifesta- 
tion de ces espérances, sous des plumes royalistes, un 
caractère agressif. Mais ce n'étaient là que des paroles, et, 
dans un pays où règne la liberté de la presse, il ne semble 
pas que les paroles puissent constituer pour l'État un 
danger propre à justifier des mesures de répression. 
Vingt fois on avait dirigé contre le régime républicain 
des attaques bien autrement ardentes sans que le gou- 
vernement s'en fût ému. Il n'en prit pas moins ombrage, 



(i) Je crois savoir qu'à l'issue de ce débat, un homme important 
du parti royaliste profita de l'occasion qui lui fut offerte de remer- 
cier, au nom des princes, M. de Freycinet, dont l'attitude avait été 
aussi correcte que politique. 



340 LE DUC D'AUMALE. 

cette fois. Sous la pression d'une majorité parlementaire 
passionnée et intolérante, il décida de sévir. 

« Évidemment M. le comte de Paris a voulu se faire 
expulser, disait M. de Freycinet. Sinon, il m'eût invité, 
en ma qualité de ministre des affaires étrangères, à une 
soirée à laquelle il avait convié le corps diplomatique. Je 
m'y fusse rendu pour rendre hommage au souverain 
d'une nation amie de la France, et ma présence eût enlevé 
à cette fête tout caractère agressif contre la République. » 

C'était à la veille de la réunion des Chambres. Le 
27 mai, comme elles venaient de reprendre leurs travaux, 
le ministère que présidait M. de Freycinet présentait un 
projet de loi analogue à celui qui avait été proposé en 
1883, auquel on avait ensuite substitué la mise en dispo- 
nibilité, par retrait d'emploi, des princes officiers. Ce 
projet autorisait le gouvernement à interdire le territoire 
de la République aux membres des familles ayant régné 
en France. En fait, et quelle que fût la latitude laissée 
aux ministres dans l'application de cette loi, ils ne comp- 
taient en faire usage que contre les prétendants. Mais, 
quand on allume un incendie, peut-on se flatter d'en 
limiter les ravages? Prendre l'initiative de mesures coer- 
citives et arbitraires, méconnaître les doctrines libérales, 
c'est préparer un terrain pour toutes les violences, pour 
toutes les persécutions. 

La majorité fit écho aux propositions ministérielles en 
les aggravant. Allant bien au delà de ce qu'elles visaient, 
cette majorité votait, le 11 juin, une loi qui obligeait le 
gouvernement à expulser les chefs des anciennes familles 
régnantes, lui laissait la faculté d'expulser les autres 
membres de ces familles par un simple décret et, après 
avoir stipulé une sanction pénale, décidait, dans son 
article 4, qu'ils ne pourraient entrer dans les armées de 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 34i 

terre et de mer, ni exercer aucune fonction publique, ni 
aucun mandat électif. 

En résumé, si le premier article ne rendait obligatoire 
Texpulsion qu'en ce qui touchait le comte de Paris et son 
fils aîné, le quatrième atteignait directement le duc d'Au- 
male, son frère le duc de Nemours, comme lui général 
de division, ses neveux les ducs de Chartres et d'Alen— 
çon. Puisque sous l'empire de ces dispositions, votées au 
mépris de toute équité, il leur eût été interdit d'entrer 
dans l'armée, on en tirait cette conclusion, d'ailleurs 
contraire au principe de la non-rétroactivité des lois, 
qu'ils ne pouvaient y rester, et l'on sait que c'est de cette 
conclusion fondée sur l'arbitraire que s'inspira le général 
Boulanger, ministre de la guerre, lorsque, par applica- 
tion de la nouvelle loi, sans avoir consulté ses collègues, 
il n'hésita pas à frapper le chef illustre sous les ordres 
duquel il avait servi et à qui il devait son avancement. 

La Chambre des députés ayant prononcé, les victimes 
de son vote ne pouvaient plus avoir d'espérance que dans 
le Sénat, et le Sénat parut d'abord répugner aux lois 
d'exception. La commission qu'il nomma était en ma- 
jorité hostile au projet, et le rapporteur proposait de le 
repousser. Mais le débat public révéla des dispositions 
moins clémentes, et M. de Freycinet demanda aux séna- 
teurs de ne pas se mettre en contradiction avec les députés. 
Il eut gain de cause le 22 juin, et l'iniquité fut con- 
sommée (1). 

Durant cette journée, le duc d'Aumale attendait chez 
lui le résultat de la délibération. Un ami qu'il avait prié 
de se rendre au palais du Luxembourg revint en toute 

(i) C'est à dessein que je passe ici sous silence les délibérations 
tumultueuses et confuses qui, dans les deux Chambres, précédèrent 
le vote. 



342 LE DUC D'AUMALE. 

hâte dès qu'il connut le vote pour le lui communiquer. 
A la nouvelle de son malheur, le prince se redressa : 

« Les fonctions, que m'importe 1 s'écria-t-il. Mais, 
mon épée, je la garde; c'est l'histoire qui me l'a donnée 
et qui la laissera intacte, car elle n'a jamais été tirée 
qu'au grand jour, face à l'ennemi. Nous ne sommes pas 
des oiseaux de nuit, nous I » 

Et après un silence, il demanda : 

« Et les généraux d'Afrique, ont-ils parlé, ont-ils voté, 
du moins? » 

En réponse à sa question, le comte de Kératry lui pré- 
senta les résultats du scrutin avec les noms. Mais il ne 
voulut pas y regarder. 

« Je le saurai toujours assez tôt », dit-il. 

Accablé par le coup, il tomba assis devant son bureau, 
et des larmes silencieuses sillonnèrent ses joues. 

Le lendemain, il faisait trêve à sa propre douleur. 
Avant de songer à lui-même, il se devait à son neveu. Le 
comte de Paris étant expulsé, il voulait être à ses côtés 
à rheure de son départ. Il arriva à Eu la veille du jour 
où le proscrit allait s'embarquer. Quoi qu'il eût pensé de 
cette trop retentissante fête du 15 mai, source et cause 
de cette nouvelle tourmente, le duc d'Aumale ne songeait 
ni à se plaindre, ni à récriminer. Il se rappelait unique- 



(i) Récit du comte de Kératry. Au Sénat, votèrent pour la loi : 
les généraux Campenon, Farre, Faidherbe, Frébault, Grévj, Guille- 
maut et le colonel Meinadier. Votèrent contre : le maréchal Can- 
robert, les généraux d'Andigné, Brémond d'Ars, de Chabron, Espi- 
vent de la Villeboisnet, Dubois-Fresnay, Gresley, de Ladmirault, 
Pélissier, Robert, le colonel de Chadoy ; les amiraux Halta du Fré- 
nay, Jauréguiberry, de Montaignac, Véron. S'abstinrent de voter : 
les généraux Billot, Deffîs et Lecointe, ainsi que l'amiral Jaurès. Ne 
relevons à la Chambre des députés que les votes des deux futurs 
présidents de la République. M. Casimir-Périer s'abstint; M. Félix 
Faure vota contre la loi. 



AVANT ET- PENDANT LE SECOND EXIL. 34^ 

ment que son rang de prince le solidarisait avec ceux de 
son nom. Jusqu'au bout de cette si cruelle épreuve, il 
prouva qu'il comprenait son devoir et le remplit avec 
vaillance, faisant escorte au comte de Paris. Il revint à 
Chantilly, la mort dans le cœur, s'attendant à recevoir 
d'une minute à l'autre la notification du décret qui le 
rayait des cadres de l'armée, et, s'exaltant à l'avance, il 
se demandait sur quel ton, sous quelle forme il pourrait 
repondre à la décision dont il était menacé. 

Il en eut officiellement connaissance le 11 juillet seu- 
lement, après avoir peut-être conçu l'espoir que le mi- 
nistre de la guerre hésiterait à lui appliquer la loi du 
22 juin, aux conséquences de laquelle il n'eût pas été 
impossible de le soustraire (1). Alors son indignation 
éclata, et sans s'attarder à prévoir les suites de l'éclat 
auquel il s'abandonnait, il écrivit au président Grévy 
la célèbre lettre du 11 juillet, qui eut, à l'heure où 
elle fut publiée, un si grand et si bruyant retentisse- 
ment. 

« Monsieur le Président. Il y a trois ans, sans prétexte, 
sans précédent, vous m'avez infligé la plus sévère des 
peines disciplinaires. 

« J'ai gardé le silence. 

« 11 ne me convenait pas de rompre un lien qui, s'il 
me retenait dans votre dépendance, me rattachait à 
l'armée française. 

« Aujourd'hui, en me faisant rayer des contrôles, vous 

(1) Il avait été défendu par d'éminentes personnalités du parti 
républicain, notamment par Mme Adam, qu'il connaissait depuis 
longtemps. Elle alla spontanément plaider sa cause auprès de 
Grévy. Mais, tel était le prestige de Boulanger, que dans le conseil, 
où il s'en fallait que tout le monde fût de son avis, personne n'osa 
protester contre l'application de la loi du 22 juin au duc d'Aumale. 



341 LE DUC D'AUMALE. 

me dégagez de cette contrainte ; mais vous touchez à la 
charte de l'armée. 

« Sans tenir compte des titres conquis à la guerre ou 
garantis par la loi, vos ministres vont frapper, jusque 
dans le cadre de réserve des armées de terre et de mer, 
des hommes sans reproche, honorés par leurs services 
et par un dévouement légendaire à la patrie. 

« Je laisse à mes conseils le soin de défendre par des 
arguments de droit une cause qui est celle de tous les 
officiers. 

« Quant à moi, doyen de Tétat-major général, ayant 
rempli, en paix comme en guerre, les plus hautes fonc- 
tions qu'un soldat puisse exercer, il m'appartient de vous 
rappeler que les grades militaires sont au-dessus de votre 
atteinte, et je reste Le général Henri d'Orléans, duc 
d'Aumale. » 

Cette lettre écrite, il l'envoya à l'Elysée dans la soirée, 
après en avoir fait préparer des copies pour les journaux. 
Puis, sans attendre une réponse que, sans doute, il 
pressentait déjà, il partit pour sa terre du Nouvion en 
Thiérache, dans le département de l'Aisne. Ce déplace- 
ment était périodique et décidé depuis plusieurs jours. 
C'est par hasard qu'il coïncidait avec la radiation. Il pré- 
sentait du moins cet avantage, assez précieux dans la cir- 
constance, de rapprocher le prince de la frontière belge, 
par laquelle il pourrait sortir de France, s'il était exilé. 

Dans les régions gouvernementales, comme dans Paris 
et par toute la France, lorsque la protestation du prince 
s'y répandit, l'effet en fut considérable. Les députés qui 
avaient voté la loi du 22 juin étaient exaspérés par la 
parole si fière et si hautaine du duc d'Aumale. Dans les 
couloirs de la Chambre, on n'entendait que récrimina- 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 345 

lions et menaces. On y attendait avec une impatience 
fiévreuse les résolutions du gouvernement. 

a II est armé, disait-on. Il doit prononcer sur-le-champ 
l'expulsion. » 

C'était un ordre, et il fut entendu. Les ministres, réunis 
à l'Elysée dans la matinée du 13 juillet, y décidèrent à 
l'unanimité que le prince serait invité à passer lafrontière. 
Le directeur de la sûreté, M. Isaïe Levaillant, fut chargé 
d'aller au Nouvion lui notifier ce nouveau décret (1). 

Au moment où il partait pour accomplir sa mission, 
le gouvernement était interpellé au Sénat par M. Chesne- 
long, à la Chambre des députés par M. Keller. Aux 
applaudissements de la majorité, il répondit qu'en appli- 
quant la loi, il avait usé du droit le plus incontestable. Au 
Palais-Bourbon, c'est le général Boulanger qui porta la 
parole. Le duc de Bisaccia l'interrompit pour lui rappeler 
qu'il devait son grade à la protection du duc d'Aumale. 
Avec l'aplomb d'un homme que rien ne déconcerte et qui 
ne recule pas devant le mensonge, Boulanger protesta. 

« J'ai été nommé général, dit-il, lorsque le général 
Wolff commandait le 7* corps et que le général Farre 
était ministre de la guerre. Je ne vois donc pas en quoi 
le duc d'Aumale a été pour quelque chose dans ma no- 
mination. » 

C'est à la séance du 13 juillet que ces paroles furent 
prononcées. Parmi ceux qui les entendirent, quelques- 
uns savaient qu'elles étaient mensongères. Mais ils ne 

(1) Ce décret ne figure pas à l'Officiel. En revanche, on peut y lire 
qu'à la date du 46 juillet, le conseil des ministres a décidé à l'una- 
nimité de demander au président de la République la plaque de 
grand officier de la Légion d'honneur pour le général Boulanger. 
La décision qui frappait le duc d'Aumale fut déférée au Conseil 
d'État. Ce fut profondément regrettable, car c'est cet arrêt du Con- 
seil d'État qui empêcha plus tard la réintégration du nom du duc 
d*Aumale sur les contrôles. 



846 LE DUC D'AUMALE. 

pouvaient encore en faire la preuve. Ils durent ce jour-là 
laisser passer ce démenti sans le relever. 

Pendant ce temps, le duc d'Aumale, arrivé au Nouvion, 
attendait les suites de sa lettre. Par ses ordres, les grilles 
avaient été fermées, et la porte devait être refusée à tout 
visiteur inconnu (1). Dans la matinée du 14, de très bonne 
heure, arriva le duc de Chartres accompagné du marquis 
de Beauvoir, de MM. Limbourg et Joubert et du colonel 
Mottet. Il se jeta dans les bras du duc d'Aumale : 

« Vous êtes expulsé, mon oncle. 

— J'ai fait mon devoir », répondit ce dernier. 

M. Isaïe Levaillant avait passé la nuit à Saint-Quentin. 
Il en partit par le chemin de fer de grand matin, accom- 
pagné du sous-préfet, d'un commissaire général et d'un 
brigadier de gendarmerie. A la gare qui dessert le Nou- 
vion, une voiture les attendait. A huit heures, sous une 
pluie torrentielle, ils arrivèrent au château. Le cocher 
demanda la porte aux gardes. 

a Nous n'attendons personne et nous n'ouvrirons pas», 
répliquèrent ceux-ci. 

M. Levaillant et son acolyte mirent pied à terre et vin- 
rent à la grille. 

« Vous avez des papiers? » lui demanda-t-on. 

Il donna sa carte, et tandis qu'il attendait sous la pluie, 
on alla prévenir le duc d'Aumale. Par ses ordres, M. Lim- 
bourg vint recevoir M. Levaillant, qui put alors signifier 
le décret d'expulsion dont il était porteur. Le duc d'Au- 
male fit répondre qu'il partirait le lendemain, dès le 
matin, en voiture, pour gagner, au delà de la fron- 



(i) J'emprunte ces détails, après en avoir vérifié Fexactitude, au 
très attachant récit que publia dans le Soleil mon confrère M. J. Car- 
dane, attaché aujourd'hui à la rédaction du Figaro. Il s'était rendu 
au Nouvion et fut témoin de ces événements. 






AVANT ET. PENDANT LE SECOND EXIL. 347 

tière, la station de Momignier, sur la ligne de Bruxelles. 

a Si le prince a besoin de quelque délai, dit le direc- 
teur de la sûreté, il peut le prendre. » 

Mais cette bonne grâce hypocrite ne pouvait rien 
changer aux dispositions que le proscrit avait arrêtées. 
Tout fut aussitôt disposé en vue de son départ. Au cours 
de cette triste journée, fête nationale et veille de la fête 
de saint Henri, son patron, il eut la visite de deux de ses 
voisins, le comte Caffarelli, qui fut depuis député de 
l'Aisne, propriétaire du château deLeschelle, situé proche 
le Nouvion, et le comte Hermann de Mérode, fils du 
comte Werner de Mérode, ancien membre à l'Assemblée 
nationale, qui habitait le château de Trélon, non loin de 
la frontière. A la nouvelle du décret d'expulsion, ils 
étaient accourus pour se mettre à la disposition du 
prince. Le comte Hermann de Mérode, dont le père était 
alors en Franche-Comté, fit remarquer au duc d'Aumale 
que la commune de Momignier, où il devait prendre le 
train de Belgique, n'offrait aucune ressource comme 
auberge, et lui demanda la permission de lui faire pré- 
parer à déjeuner chez un médecin du pays, le docteur 
Baivier. De son côté, le comte Caffarelli offrait une voi- 
ture et des chevaux. Touché de ces témoignages d'atten- 
tion, le prince les accepta. 

Il fit le même jour une promenade dans la superbe 
forêt de Nouvion, qui s'étend sur sept mille hectares. 
Arrivé devant deux chênes antiques baptisés du nom de 
François et Henri de Guise, il s'arrêta, et leur parlant 
comme à des amis, il leur dit : 

« Nous nous reverrons. » 

Le lendemain, 15 juillet, il partit le matin. Il avait 
expressément interdit toute manifestation et défendu à 
ses gardes de le suivre. Mais, tant qu'il fut dans la forêt, 



348 LE DUC D'AUMALE. 

il put les apercevoir courant d'arbre en arbre et se 
cachant derrière les vieux troncs pour le voir passer et 
le regarder une dernière fois. A dix heures il descendait 
de voiture, avec le duc de Chartres, sur le territoire belge. 
Au seuil de la demeure du docteur Baivier, il trouva le 
comte et la comtesse Hermann de Mérode, celle-ci née 
de La Rochefoucauld, petite-fille du duc d'Estissac, an- 
cien aide de camp du roi Louis-Philippe, et du comte 
Paul de Ségur, un fidèle ami de la maison d'Orléans. 
Ainsi, en mettant le pied dans l'exil, il trouvait des Fran- 
çais. Ce lui fut, en ces heures si cruelles, une grande 
douceur. Pendant le repas, il se montra profondément 
ému de quitter la France. Mais c'est surtout son expul- 
sion de l'armée qui rendait plus vive sa douleur (1). II 
quitta Momignier quelques heures plus tard, se rendant 
à Bruxelles par Chimay. Dans la soirée, il touchait au 
terme de sa route. 

« Il me semble que je rentre dans ma cage », dit-il, 
tristement. 

Cependant, à Paris, l'émotion causée par son départ ne 
s'apaisait pas. Dès le 15, la discussion s'engageait au 
Sénat sur les mesures dont il avait été l'objet. Là encore, 
on vit Boulanger prendre position dans le débat. Comme 
il arguait que le gouvernement n'avait pu tolérer « une 
lettre aussi insolente », un membre de la droite sénato- 
riale, M. de Lareinty, lui cria : 

(1) Récit du comte Hermann de Mérode. Les membres de cette 
illustre maison ont toujours témoigné la plus ardente gratitude 
pour la famille d'Orléans, en souvenir de ce que fit le roi Louis- 
Philippe pour assurer l'indépendance de la Belgique. Quant au duc 
d'Aumale, il n'oublia pas ce que les Mérode avaient été pour lui en 
juillet 1886. En 1893, au retour d'un séjour à Spa auprès de la 
reine des Belges et d'une visite au champ de bataille de Seneffe, il 
voulut leur porter ses remerciements et passa deux jours au château 
de Trélon. 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 349 

« Vous insultez un absent; c'est une lâcheté I » 
Un duel s'ensuivit, qui, naturellement, ne contribua 
pas à apaiser les esprits. L'Académie française, de son 
côté, n'oublia pas que le duc d'Aumale lui appartenait. 
A sa réunion du 15 juillet, le directeur en exercice, Victor 
Duruy, se fit l'interprète des sentiments de la compagnie 
en exprimant ses regrets « pour l'absence forcée d'un de 
ses membres les plus éminents » ; et, par un vote una- 
nime, l'Académie chargea son directeur « de transmettre 
ces regrets ». 

L'événement, cependant, allait avoir d'autres suites. 
En lisant, dès son arrivée à Bruxelles, le compte rendu 
de cette séance du 13 juillet où Boulanger avait effronté- 
ment nié lui devoir sa nomination, le duc d'Aumale s'était 
rappelé les lettres qu'il avait reçues, en d'autres temps, 
de son subordonné. Dans l'indignation qu'excitaient en 
lui tant d'ingratitude et l'outrage fait à la vérité , il donna 
l'ordre de les rechercher, — ordre tardif, car si le prince 
eût été plus tôt en possession de ces précieux documents, 
il eût suffi de les présenter au ministre de la guerre pour 
le rendre moins arrogant, plus souple , et pour l'obliger à 
obtenir de ses collègues, ce qui n'eût pas été difficile, 
alors que le duc d'Aumale ne figurait plus qu'au cadre de 
réserve, que la loi du 22 juin ne lui fût pas appliquée. 
Durant trois jours , on les chercha sans les retrouver. 
Enfin, le capitaine Georges Berthaut les découvrit à Chan- 
tilly, parmi les volumineux papiers que le prince avait 
rapportés de Besançon en 1879. On ne songeait pas alors 
à les publier. C'est uniquement pour sa satisfaction per- 
sonnelle qu'il avait voulu s'assurer qu'elles existaient. 
Défense fut même faite par lui d'en délivrer des copies à 
qui que ce fût. Mais il ne songea pas à défendre d'en 
donner lecture aux habitués de sa maison. L'un d'eux en 



350 LE DUC D'AUMALE. 

eut ainsi connaissance. Il était lié avec un ministre hostile 
au général Boulanger et qui, considérant sa présence 
dans le cabinet comme un péril, cherchait à l'en faire 
sortir. Averti par le familier du duc d'Aumale de l'exis- 
tence des lettres, il le chargea de lui en procurer la copie. 
Cette copie ayant été refusée, celui-ci reconstitua le texte 
de mémoire ou, du moins, crut l'avoir reconstitué. Il le 
remit au ministre, qui le fit publier à Bruxelles, certain 
de porter au général Boulanger un coup dont il ne se 
relèverait pas. 

Le général Boulanger n'eut aucune peine à discer- 
ner les inexactitudes dont étaient pleines ses prétendues 
lettres (1). Convaincu que les originaux avaient été 
détruits, il ne mit que plus d'audace et d'entrain à pro- 
clamer qu'il n'avait jamais écrit au duc d'Aumale que des 
lettres de service ni sollicité sa protection. C'était pousser 
trop loin le défaut de mémoire. Irrités par cette persistance 
dans le mensonge, les représentants du prince à Paris 
relevèrent le défi. Une des lettres fut communiquée au 
Figaro^ et, comme le général Boulanger osait en nier encore 
l'authenticité, on lui en servit le lendemain le fac-similé 
photographique, ainsi que les autres pièces de cette édi- 
fiante correspondance (2). 

En des temps normaux , un homme capable de renier 

(i) Il m'a été impossible de découvrir quel était le ministre par 
les soins duquel elles avaient été communiquées au journal belge. 
Le général Boulanger l'ignora toujours. Un peu plus tard, ayant 
rencontré au Cercle militaire le capitaine Berthaut, il l'interrogea 
en lui avouant son ignorance. Quant au familier du duc d'Aumale 
dont il est ici question, c'était M. Joubert, le banquier, mort depuis, 
et qui, présenté récemment au prince, se prodiguait beaucoup pour 
lui. 

(2) Ces photographies avaient été faites par le duc de Chartres. 
Nous devons ajouter que le duc d'Aumale n'approuva pas la publi- 
cité donnée aux lettres de Boulanger, et regretta qu'on ne l'eût pas 
d'abord consulté. 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 351 

ainsi sa signature eût été pour toujours disqualifié et 
perdu. Mais, tel était alors le prestige du personnage, que 
sa renommée ne souffrit pas de sa conduite en ces cir- 
constances. Il allait continuer à parcourir jusqu'au bout 
la route si brillante qui s'ouvrait devant lui. C'est l'avenir 
qui devait venger le duc d'Aumale. Des deux principaux 
auteurs de son infortune, l'un, le président Grévy, sortit 
de l'Elysée, accablé sous la réprobation publique; l'autre, 
le général Boulanger, périt en des conditions lamentables. 
Tandis que se déroulaient les incidents soulevés par 
son expulsion, le duc d'Aumale prenait tristement ses 
dispositions en vue de la vie nouvelle à laquelle on le 
condamnait en récompense de ses services. Ce second 
exil lui apparaissait plus cruel encore que le premier. Il 
ne possédait plus la jeunesse ni les illusions qui aident à 
supporter l'infortune. Vieilli, désabusé, demeuré seul sur 
les décombres de son foyer, il ne conservait plus qu'un 
faible espoir d'être un jour rappelé dans sa patrie. 
D'ingénieux dévouements se prodiguaient encore autour 
de lui. Il en avait accepté un petit nombre qui lui étaient 
chers. Il en avait refusé d'autres qui n'eussent pu s'exer- 
rcer qu'au prix de sacrifices qu'il ne voulait imposer à 
personne. Il n'avait en perspective que cette solitude si 
douloureuse aux cœurs meurtris. 

Il faut constater à son honneur qu'en cette détresse de 
son âme, il ne conçut aucune pensée de colère ou de 
vengeance. Après avoir légué Chantilly à la France, il 
eût été bien excusable de révoquer sa donation. Il n'y 
songea même pas. Loin d'y songer, il choisit pour la 
rendre publique l'heure où il était si cruellement frappé. 
Déjà, au Nouvion, dans la journée du 14 juillet, il avait 
ajouté à son testament un codicille confirmatif de ses pré- 
cédentes dispositions. Puis, après avoir touché barre à 



352 LE DUC D'AUMALE. 

Bruxelles et procédé à l'installation de ses collections 
dans une maison louée à cet effet, il partit pour l'Angle- 
terre. C'est de Woodnorton (1) que, le 29 août, il char- 
geait MM. Edouard et Charles Bocher et Denormandîe 
de communiquer au président de l'Institut la lettre sui- 
vante, qu'il leur avait écrite à l'effet de faire connaître sa 
volonté : 

« Messieurs et chers amis, Désirant assurer la destina- 
tion que, d'accord avec mes héritiers, je réserve au châ- 
teau et domaine de Chantilly, je veux accomplir dès 
aujourd'hui une résolution qui pourrait être, après ma 
mort, entravée par des difficultés de détail, faciles à 
aplanir de mon vivant. 

« En conséquence, j'ai invité M. Fontana, notaire à 
Paris, à ouvrir le pli qui renferme mon testament olo- 
graphe en date du 3 juin 1884, et je l'ai chargé de vous 
remettre une copie authentique des paragraphes de ce 
testament qui concernent le domaine de Chantilly, ainsi 
que la copie des codicilles ajoutés depuis et qui se rat- 
tachent au même objet. 

« Je fais appel à votre amitié, à vos lumières, et je 
demande votre concours pour que les dispositions conte- 
nues dans ces actes puissent recevoir actuellement leur 
exécution, sous réserve de l'usufruit que j'entends con- 
server, non pas seulement pour jouir, le cas échéant, de 
l'usage de l'habitation, mais pour terminer certaines 
parties encore inachevées de l'œuvre que j'ai entreprise, 
réduire les frais d'administration, enfin dans l'intérêt des 
communes et des indigents du voisinage. 

« Je vous donne, à cet effet, les pouvoirs les plus 

(i) Près d'Oxford; simple rendez-vous de chasse qu'il possédait 
déjà lors du premier exil et où il se plaisait. 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 353 

étendus, même celui de modifier les dispositions accès- 
soires qui ne vous paraîtraient pas conciliables avec 
l'objet principal que j'ai en vue. 

« Je vous prie de vous faire assister par M. Limbour«-, 
avocat, qui a ma confiance et qui est au courant de mes 
intentions. » 

A cette lettre était joint le paragraphe du testament 
de 1884 qui concernait Chantilly. Telle fut la réponse du 
duc d'Aumale à ses proscripteurs'. 

A peu de temps de là, il est définitivement établi en 
Angleterre, comme autrefois. N'étant plus possesseur de 
la maison de Twickenham, où il vécut si longtemps, il 
s'est créé une demeure au cœur de Londres : Moncorvo- 
House, près d'Hyde-Park. Il en fait sa résidence accou- 
tumée. C'est là qu'il reçoit, avec l'élite du monde britan- 
nique, les Français qui viennent le voir, lui parler de la 
patrie, de l'armée. Quand il s'éloigne de Londres, c'est 
afin d'aller à Bruxelles, où il se sent plus près de la France, 
ou pour s'ensevelir à Woodnorton. A Woodnorton, dans 
la paix des champs, il trouve plus qu'ailleurs l'apaise- 
ment salutaire et puise la sérénité, la résignation, le 
courage, au contact des lointains souvenirs qu'il y peut 
évoquer. 

C'est là qu un soir il rouvre le manuscrit du cinquième 
volume de l'Histoire des Co7idé, que la tourmente qu'il vient 
de subir avait interrompu au moment où il allait aborder 
le récit des fautes de son héros et qu'il veut maintenant 
achever. Pour les juger, ces fautes si grandes, il n'a qu'à 
consulter sa propre vie, qu'à écouter sa conscience et sa 
raison. Elles lui dictent la plus éloquente page sur le 
devoir dans les temps troublés, page qui nous révèle 
l'état de son âme en ces heures douloureuses et qu'à ce 
titre il faut citer tout entière. 



23 



354 LE DUC D'AUMALE. 

« Je continue ce livre comme je Tai commencé, aux 
mêmes lieux, dans la disgrâce et sous le poids d'un exil 
que je crois immérité. Et me voici arrivé au moment 
critique : il me faut montrer le coupable dans le héros. 
Avant de poursuivre ce récit, je m'expliquerai sur cette 
faute que rien ne peut effacer. Les coups qui me frappent 
ne troublent pas la sérénité de mon jugement, et je tiens 
à conserver, vis-à-vis de ceux qui prendront la peine de 
me lire, la liberté d'appréciation que je retrouve au fond 
de mon cœur. Ce point acquis, je pourrai traverser cette 
époque douloureuse, louer le capitaine, admirer l'énergie 
déployée dans une mauvaise cause, sans craindre que les 
éloges adressés à l'homme de guerre incomparable ne 
ressemblent à une défense du prince coupable, à une 
apologie que ma conscience repousse. 

« Toute tyrannie est haïssable. L'homme de bien aie 
devoir de protester à tout risque contre l'acte tyrannique 
qui, dans sa personne, atteint le public; de résister, de 
lutter même, si, au péril de sa vie, il peut mettre un 
terme à l'oppression de tous. Il n'a pas le droit de trou- 
bler sa patrie, de la déchirer, d'y porter la guerre pour 
venger une offense personnelle. 

« La limite est facile à tracer, mais souvent les nuages 
la voilent; au milieu des tempêtes, Tœil cherche vaine- 
ment à se retrouver. Jusqu'où va le devoir? S'arrêter, 
est-ce faiblesse ou vertu? Passer outre, est-ce crime ou 
courage? Nous verrons l'âme de Condé agitée de ce 
doute poignant; puis, le héros succombe, séduit parles 
sophismes des ambitieux subalternes, dominé par la 
grandeur de ses passions. Il n'a pas attendu l'heure du 
repentir; il s'est condamné lui-même avant le jour du 
suprême entraînement. Pour atténuer cette faute, haute- 
ment et fièrement confessée, dira-t-on, avec certaine 



1 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 3b5 

école, que l'idée de la patrie, si vivante dans l'antiquité, 
s'est tout récemment révélée aux sociétés modernes? Les 
grands coupables que l'histoire a jugés n'accepteraient 
pas l'absolution dédaigneuse que leur offrent les auteurs 
d'une théorie sans fondement : le prévôt Marcel avait 
conscience de son crime, lorsqu'il ouvrait aux Anglais les 
portes de Paris, et le connétable de Bourbon, conduisant 
les lansquenets de Charles-Quint, avait été averti par la 
voix intérieure avant d'être appelé au tribunal de Dieu 
par Bayard mourant. Non, quoi qu'on dise, la France 
n'est pas née d'hier et ce n'est pas d'hier que nos pères 
ont commencé à l'aimer et à la servir; lisez la harangue 
ded'Aubray dansla Satire Ménippée, ou V Histoire universelle 
de d'Aubigné. Etlorsque, auxheures obscures, les regards 
inquiets cherchent un phare dans l'ombre, que les cou- 
rages s'égarent et que les caractères s'effacent, écoutons 
les voix désolées qui, après cent ans de guerre, oubliaient 
Bourgogne et Armagnac pour se rallier au cri de : Vive la 
France I » 

Pour écrire ces lignes toutes vibrantes de patriotisme 
et de loyauté, une plume, quelque habile qu'elle fût, 
n'aurait pas suffi. Il y fallait aussi une âme, une âme 
ardente, généreuse et fière. Pour trouver de tels accents, 
il a suffi au duc d'Aumale de s'inspirer de la sienne. 

A peine quelques semaines s'étaient-elles écoulées 
depuis le départ du duc d'Aumale, que déjà son exil pesait 
comme un remords sur la conscience du gouvernement 
républicain. Les ministres qui l'avaient décrété étaient 
unamines à proclamer qu'en écrivant au président Grévy 
une lettre hautaine, inspirée par la colère, le prince s'était 
fait lui-même l'artisan de son malheur. Mais plusieurs 
d'entre eux ne pouvaient se défendre de penser que le 
général Boulanger, en le rayant sans nécessité des cadres 



1 



3oG LE DUC D'AUMALE, 



de l'armée, avait en quelque sorte légitimé cette protes- 
tation. Après l'avoir châtiée avec une implacable rigueur, 
ils regrettaient de s'être vus contraints de jeter hors de 
France ce vaillant soldat toujours esclave de la disci- 
pline, ce grand patriote toujours aveuglément soumis 
aux volontés de la patrie, qui ne s'était révolté que lors- 
qu'on lui avait appliqué une loi contre laquelle aurait dû 
le protéger son glorieux passé, et que la patrie, en ses 
instincts de générosité et de justice, n'eût pas ratifiée. 

M. de Freycinet, en particulier, éprouvait avec une 
certaine vivacité cet honorable regret. Président du con- 
seil durant les débats à la suite desquels l'expulsion des 
prétendants avait été prononcée, sa conduite et ses paro- 
les s'étaient alors inspirées du désir de tirer le duc d'Au- 
maie de ce péril. Au début de la crise, quand la Chambre 
exigeait l'expulsion de tous les princes, non seulement 
les chefs des familles ayant régné sur la France, mais les 
autres membres de ces familles, y compris les vieillards, 
les femmes, les enfants, c'est M. de Freycinet qui l'avait 
conduite à limiter ses violences, à ne les exercer que sur 
les prétendants et leurs fils aînés, les princes Jérôme et 
Victor-Napoléon, le comte de Paris et le duc d'Orléans. 
Il croyait y avoir réussi lorsque, par un acte inique et 
provocateur, le général Boulanger avait arraché au duc 
d'Aumale le cri d'indignation dont le gouvernement 
s'était offensé. 

Mais, l'offense vengée, la compassion que devait natu- 
rellement exciter une telle infortune reprenait son empire. 
Quelques-uns des ministres commençaient à se demander 
si le châtiment devrait se continuer au delà de quelques 
mois. Ils entrevoyaient, dans un avenir prochain, la pos- 
sibilité de faire grâce. Le dessein de M. de Freycinet était 
de soumettre à ses collègues une proposition dans ce 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 357 

sens, aux approches de l'année suivante. Or, c'est juste- 
ment à cette époque, dans les premiers jours de décembre, 
que le cabinet qu'il présidait était renversé. 

Il n'existe aucun motif de croire que les intentions du 
cabinet Goblet, qui lui succéda, fussent sensiblement dif- 
férentes des siennes. Mais, outre que ce cabinet n'avait 
peut-être pas, au même degré, le souci de réparer l'injus- 
tice, les difficultés qu'à son avènement il rencontra sur 
son chemin l'eurent vite absorbé. La question du duc 
d'Aumale fut reléguée au second plan. Elle y resta sous 
le ministère Rouvier, qui reçut le pouvoir à la fin de mai 
1887, et sous le premier ministère Tirard, formé au mois 
de décembre, après la chute de Grévy et à l'avènement 
de Carnot. Ce ne fut qu'en avril 1888, avec le cabinet 
Floquet, que la situation parut susceptible de se modifier. 

C'est à l'instigation de M. Floquet que, en 1883, le duc 
d'Aumale avait été mis en non-activité par retrait d'em- 
ploi. Peut-être, de ce chef, le président du conseil consi- 
dérait-il qu'il devait au prince une réparation. D'autre 
part, M. de Freycinet était entré dans le cabinet comme 
ministre de la guerre. On pouvait espérer qu'il tiendrait 
à honneur de reprendre un projet auquel il songeait déjà 
deux ans avant, et d'user de son influence pour le faire 
aboutir. Il est en tout cas certain, la justice commande 
de le reconnaître, que, dès ce moment, les intentions des 
gouvernants étaient bienveillantes. Néanmoins , une 
démarche officielle faite dans la seconde quinzaine de 
juin 1888 auprès du président du conseil des ministres 
par la commission administrative centrale de l'Institut de 
France resta sans effet. Il y fut répondu que « les circon- 
stances actuelles » ne permettaient pas d'y répondre ainsi 
que le gouvernement l'eût voulu. 

Cependant, les représentants du prince ne se découra- 



358 LE DUC D'AUMALE. 

geaient pas. Ils multipliaient leurs démarches, jaloux 
d'obtenir et de hâter son retour, allant plaider sa cause 
tantôt auprès de M. de F reycinet, tantôt auprès de M. Flo- 
quet. « La campagne boulangiste battait son plein, a écrit 
l'un d'eux. Floquet, mon ancien camarade de Saint-Louis, 
était alors ministre de Tintérieur. Je lui savais l'âme 
haute, une fois livré à lui-même. Mon cahier de souvenirs 
sous le bras, je frappai à la porte de son cabinet... Quand 
je le quittai, j'emportai la promesse formelle qu'il allait 
préparer le décret d'abrogation de la mesure d'exil. A ma 
sortie de la place Beauveau, je rencontrai précisément 
M. Auguste Laugel, à qui je fis part de la promesse 
reçue (1). » 

Malgré tout, cependant, l'heure n'était pas venue où 
elle devait se réaliser. M. Floquet, ayant engagé sa 
parole, voulait la tenir. Le décret qui la ratifiait devait 
paraître le 26 janvier. Il fut ajourné au 28. Or, le 27, le 
général Boulanger était élu député à Paris. On sait quelle 
crise grave s'ouvrit à la suite de cet événement, et dès le 
même soir. Jusqu'au mois de mars, il ne fut plus ques- 
tion de la rentrée du duc d'Aumale. Mais l'Institut ne 
cessait pas de le réclamer sous toutes les formes. Un de 
ses membres, M. Bardoux, consacrant au duc d'Aumale 
un article où il vantait le grand seigneur, l'écrivain, le 
soldat, demandait « s'il ne se trouverait pas sous la Répu- 
blique, qu'il voulait grande et forte, un ministre patriote 
pour ouvrir la porte à ce Français sans tache, sans peur 
et sans reproche ». A la fin de janvier, l'Académie des 
sciences morales et politiques s'inspirait des mêmes senti- 
ments en décidant d'offrir au duc d'Aumale le fauteuil que 
venait de rendre vacant la mort de M. Rosseuw Saint- 

(i) Récit du comte de Kératry. 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL* 359 

Hilaire et chargeait l'un de ses membres, M. Lefebvre- 
Pontalis, d'aller lui soumettre ce projet à Bruxelles. « Le 
gouvernement, raconte M. Georges Picot, fut informé qu'il 
aurait à approuver avant peu l'élection d'un proscrit. » 

Presque au même moment, M. Jules Claretie, élu à 
l'Académie française en remplacement de M. Cuvillier- 
Fleury, commentait dans son discours de réception qu'il 
préparait alors ces paroles de son prédécesseur : « Mon 
cher élève ne me conduira pas au tombeau. » Après 
les avoir rappelées, il écrivait ce qui suit : « L'élève n'est 
pas là non plus pour entendre parler une dernière fois de 
l'académicien qui, directeur de l'Académie, eut la joie et 
l'honneur de le recevoir parmi vous, et après avoir remer- 
cié ceux qui sont ici, je veux et je dois envoyer aa nom 
du mort un respectueux souvenir de regret à l'absent. » 
Cette phrase écrite, M. Jules Claretie la faisait parvenir 
à M. Carnot en lui disant qu'il serait heureux d'y substi- 
tuer une phrase nouvelle où il constaterait le retour de 
l'exilé, voulu et décrété par le petit-fils de l'exilé de Mag- 
debourg. Cette satisfaction ne lui fut pas donnée. Il n'eut 
à exprimer que des regrets (1). 

Mais les manifestations de l'Institut allaient porter 
leurs fruits. Le ministère Floquet renversé, M. de Frey- 
cinet demeuré détenteur du portefeuille delà guerre dans 

(1) A quelque temps de là, lorsque, suivant lusage, M. Jules 
Claretie, reçu à l'Académie, alla présenter son discours à Carnet, 
accompagné de MM. Camille Doucet, Ch. de Mazade et Renan, le 
duc d'Aumale était de retour. Renan remercia le président d'avoir 
rendu à l'Institut un illustre confrère. 

« L'Institut n'y voit que le confrère lettré, dit-il, et la mesure a 
été bien prise par l'opinion publique. 

— J'ai été très heureux de faire ce que j'avais voulu faire, répon- 
dit Camot. Il fallait n'avoir l'air de subir d'autre pression que celle 
de l'affection. > Et frappant sur l'exemplaire du discours de M. Jules 
Claretie qui venait de lui être remis, il ajouta : « Et ceci n'y a pas 
été étranger, t 



S6d . tE t)ÛC D'ÀUlSfÀ'L'É. 

le cabinet Tirard, entretenait ses collègues delà rësolution 
prise par le cabinet précédent, en suggérant que les cir- 
constances qui avaient empêché d'y donner suite n'exis- 
taient peut-être plus. M. Tirard, dont l'esprit était cheva- 
leresque, s'y montra favorable en principe. Quelques jours 
plus tard, s'étant mis d'accord avec M. Carnot et M. Con- 
stans, il introduisit officiellement au conseil des ministres 
une proposition tendant à rappeler le prince proscrit. Elle 
fut discutée et adoptée à l'unanimité le jeudi 7 mars. Le 
surlendemain, le ministre de l'intérieur, M. Constans, 
présentait le décret à la signature de M. Carnot. Déjà 
depuis quarante-huit heures, grâce à une amicale sollici- 
tude (1), le duc d'Aumale était averti, de telle sorte qu'il 
pût procéder aussitôt aux préparatifs de sa rentrée. 

Il n'y a pas lieu de s'attarder à décrire les émotions 
soulevées alors en son cœur. De même qu'il avait été 
plus cruellement atteint par son second exil que parle 
premier, de même il éprouvait encore plus de joie en 
revenant dans sa patrie en 1889 que lorsque, dix-huit ans 
plus tôt, il en avait franchi les portes, après une absence 
de près d'un quart de siècle. Cette fois, nulle pensée 
d'ambition, nulle crainte des difficultés qui, en d'autres 
temps, étaient nées pour lui de la rivalité des partis, ne 
se mêlaient à son bonheur et n'en voilaient l'éclat. Désin- 
téressé de ces luttes, ne songeant plus à jouer un rôle, 
n'aspirant qu'au repos, il bornait ses désirs à une exis- 
tence paisible, au milieu de ses amis, partagée entre 
Paris, Chantilly et le Zucco, à la reprise d'habitudes dont 

(1) A l'issue du conseil du jeudi, la duchesse Decazes douairière, 
mise au courant de la décision prise, écrivit au prince, à Bruxelles, 
et lui fit porter sa lettre par un homme de confiance. Il reçut ensuite 
un avis de M. Georges Picot, à qui M. Spuller, alors ministre des 
affaires étrangères, avait appris la nouvelle à l'issue d'une réunion 
de la commission des archives diplomatiques. 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 36i 

la privation lui était devenue intolérable. Ces biens si 
précieux, la fin de son exil allait les lui rendre, alors 
qu'avec le pessimisme auquel, quand les épreuves se suc- 
cèdent, nous dispose la vieillesse, il n'espérait plus les 
recouvrer. 

Dans la matinée du 11 mars, il quittait allègrement 
Bruxelles. A six heures, il débarquait à Creil, d'où une 
voiture venue à sa rencontre le transportait à Chantilly. 
Descendu chez son frère, le prince de Joinville, il y dîna. 
A l'issue du repas, et comme il sortait pour se rendre au 
château, il trouva la population de Chantilly accourue à 
la nouvelle de son arrivée. Elle le salua de ses acclama- 
tions, et lui fit escorte jusqu'à la porte de sa demeure, où 
il rentra « exultant d'une joie débordante (1) ». 

Le lendemain, un peu avant midi, il se présentait au 
palais de l'Elysée, demandant à être reçu par M. Carnot. 
Introduit d'abord dans le cabinet du général Brugère, il 
était en proie à un si grand trouble qu'il prit le chef de la 
maison militaire du président pour celui-ci. S'apercevant 
bien vite de son erreur : 

« Ah! mon cher général, s'écria-t-il, je ne vous recon- 
naissais pas. » 

Puis, entrant chez M. Carnot, il lui dit : 

« Monsieur le président, en touchant le sol de la 
patrie, mon premier soin est de vous exprimer les senti- 
ments que m'inspire l'acte que votre gouvernement vient 
d'accomplir, dans des conditions également honorables 
pour celui qui en est Fauteur et celui qui en est l'objet, 
honorable surtout pour la France. C'est votre premier 
souci, je le sais; c'est aussi le mien; c'est là ce qui touche 
mon cœur; c'est ce dont je tenais à vous remercier. 

(1) Récit d'un témoin. 



362 LE DUC D'AUMALE. 

Très ému aussi, M. Carnot lui prit les mains, et les 
étreignant affectueusement : 

« Je me félicite de votre retour, répondit-il. J'aurais 
pu vous rappeler un peu plus tôt. Mais je tenais à ce que 
vous revinssiez sans conditions. Nous ne pouvions agir 
autrement envers un homme tel que vous (1). » 

Après cette courtoise et familière entrevue, le prési- 
dent, en se séparant du prince, au seuil de son cabinet, le 
salua d'un joyeux : « Au revoir, Monseigneur. » Dans le 
salon des ofjBciers de service, le général Brugère, à qui 
le prince exprimait son contentement, lui présenta ceux 
qui s'y trouvaient réunis, et en particulier le colonel 
Lichtenstein, une vieille connaissance qui, cédant à un 
mouvement de cœur, l'embrassa. Il fut ramené jusqu'au 
perron par le général Brugère, et comme celui-ci l'appe- 
lait « mon général », et non « monseigneur », le prince 
reprit : 

« Que vous me faites plaisir ! C'est le titre que j'aime 
le mieux, et voilà si longtemps qu'on ne me l'avait 
donné I » 

Et une fois encore, il répéta que l'acte qui le faisait 
rentrer dans sa patrie était honorable pour la France, 
pour le président, pour lui-même. Il exprimait ainsi le 
sentiment public, qui, dès que la nouvelle du rappel 
s'était répandue, avait unanimement approuvé la décision 
gouvernementale, — sentiment dont M. Carnot se faisait 
l'écho en se félicitant d'avoir pu signer ce qu'il regardait 
a comme un acte de justice envers le patriote qu'était le 
duc d'Aumale » . 

Le même jour, l'Académie française tenant exception- 
nellement séance, le prince se rendit à trois heures au 

(1) Notes communiquées à Tauteup. 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 363 

palais Mazarin. Dans la cour, au bas de Tescalier, 
M. Mézières l'attendait, se jeta dans ses bras et, après 
cette étreinte, le conduisit à la salle des séances. Tous les 
académiciens se levèrent. Quand les applaudissements 
qui avaient salué l'entrée du duc d'Aumale eurent cessé, 
Jules Simon, qui présidait, lui tint ce discours : 

« Vous avez demandé, Monseigneur, qu'il n'y eût rien 
de changé à l'ordre du jour. Mais songez que c'est la pre- 
mière fois que vous venez parmi nous depuis le magni- 
fique don que vous nous avez fait. Nous ne pouvons, en 
vérité, nous dispenser de vous exprimer notre gratitude 
et la joie que nous fait éprouver votre retour. Quoique 
nous n'ayons jamais cessé de le désirer et de montrer par 
tous les moyens en notre pouvoir à quel point nous le 
désirions, il nous semblait à nous-mêmes que cette place 
vide au milieu de nous nous accusait d'ingratitude. Vous 
étiez. Monseigneur, le dernier Français que dussent 
. atteindre les lois d'exil, vous qui avez si noblement et si 
correctement obéi aux lois du pays dans les circonstances 
les plus difficiles. Voilà, grâce à une décision qui honore 
le gouvernement, la famille littéraire au complet. En 
regardant autour de vous. Monseigneur, vous ne trou- 
verez rien de changé, malgré quelques figures nouvelles. 
C'est toujours le même respect pour votre personne et, s'il 
est permis de le dire au plus humble de vos confrères, la 
même chaleureuse amitié, accrue encore par les trois ans 
d'exil que nous venons de souffrir. » 

Devant ce témoignage éloquent de la sympathie de ses 
collègues de l'Académie, le duc d'Aumale avait senti les 
larmes venir à ses yeux. Il dut en quelque sorte se faire 
violence pour trouver en soi la force de répondre : 

« C'est avec une émotion bien grande que je reprends 
mon ancienne place. Mais je constate avec une réelle 



364 LE DUC D'AUMALE. 

peine que je ne retrouve plus^ assis à côté de moi, mon 
vieux maître Cuvillier-Fleury. » 

C'est tout ce qu'il put dire. L'émoi paralysait sa parole. 
Dans la soirée, la Société des Amis des livres, dont il 
était président, se réunissait dans un banquet pour lui 
souhaiter la bienvenue. Il y alla, achevant de reprendre 
ainsi possession de son Paris. Lorsque, vers onze heures, 
il rentrait à Chantilly après cette émouvante journée, une 
autre suprise l'attendait. Les habitants de cette petite 
ville, désireux, eux aussi, de lui faire fête et de célébrer 
son retour, avaient spontanément pavoisé et illuminé 
leurs maisons (1). 

Pauvre cher prince, si digne d'une heureuse destinée, 
la vie maintenant allait recommencer pour lui telle qu'il 
l'avait rêvée durant les heures douloureuses de l'exil, 
toujours assombrie cependant par les catastrophes et les 
deuils qui en avaient marqué les étapes, et surtout par 
son impuissance à se consoler de n'avoir plus le droit de 
revêtir son uniforme. La peine que de ce chef il ressentait 
toujours se trahissait si souvent, lui pesait d'un poids si 
lourd, qu'à l'heure même où son rappel était décidé, ses 
amis avaient sollicité du gouvernement sa réintégration 
dans les cadres de l'armée. 

Sur ce point encore^ le gouvernement n'eût demandé 
qu'à lui donner satisfaction. Quand une fois a sonné, 

(i) Pour compléter ce récit, il convient d'ajouter qu'à peine rentré 
en France, le duc d'Aumale voulut faire don au comte de Paris de 
cette demeure de Moncorvo-House, où il avait vécu durant l'exil. Le 
comte de Paris refusa, et c'est sur son refus que la maison fut ven- 
due. Elle venait de l'être quand le duc d'Orléans, alors détenu à 
Clairvaux, écrivit à son grand-oncle pour lui demander de permettre 
qu'à la fin de sa détention il s'installât, pour quelque temps, à Mon- 
corvo-House. Le duc d'Aumale se rendit à Clairvaux afin d'exprimer 
à son petit-neveu le regret qu'il éprouvait de ne pouvoir plus déférer 
à son désir. 



AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 365 

pour les innocents victimes de l'iniquité des hommes, 
rheure de la justice réparatrice, cette justice ne se mar- 
chande pas. Elle se plaît à aller jusqu'au bout dans la 
voie qu'elle suit. Par malheur, elle rencontrait ici un 
obstacle, et Ton put voir alors quelle faute avaient com- 
mise, en 1886, les conseillers du prince, en l'engageant à 
recourir au Conseil d'Etat pour faire annuler la décision 
qui le rayait des contrôles. Ce tribunal s'étant prononcé 
contre sa prétention, il y avait chose jugée. C'est cet arrêt 
qui liait, dès ce moment, les mains au gouvernement, 
comme il devait les lui lier encore lorsque, en 1895, fut 
faite auprès de lui une nouvelle tentative dans le même 
but (1). 

Maintenu hors de l'armée, le prince ne s'en considérera 
pas moins toujours comme attaché à elle par un lien 
indissoluble. A quiconque voudra le suivre en cette der- 

(1) Disons maintenant, pour n y plus revenir, que ces démarches 
n'eurent pas plus de succès en 1895 qu'en 1889. C'est contre ce 
funeste arrêt du Conseil d'État, qu'il eût été d'autant plus facile de 
ne pais provoquer qu'il était en quelque sorte prévu d'avance, que 
vinrent se briser toutes les bonnes volontés. 

Tout le monde, dans le cabinet Méline, aurait voulu que le prince 
fût réinscrit à son rang sur V Annuaire militaire. Le général Billot, 
ministre de la guerre, eût volontiers défendu la mesure devant la 
Chambre. On lui attribuait ce propos : 

€ J'ai déjà donné ma démission pour les princes; je la donnerais 
au besoin une seconde fois. » 

M. Mézières, principal auteur des démarches, pensait que ce péril 
n'était pas à redouter. Les plus illustres généraux de l'armée accueil- 
laient avec faveur l'idée de la réinscription du prince sur V Annuaire, 
C'est alors que le général Saussier disait : 

(L Le duc d'Aumale est des nôtres; il est même le premier de nous. » 
11 ajoutait : « J'ai toujours considéré que le vainqueur d'Abd-el-Kader 
mérite bien qu'on lui rende le grade qu'il a illustré et qu'un malen- 
tendu seul a pu lui enlever. » 

Le président de la République, M. Félix Faure, qui avait voté 
en 1886 contre les lois d'exil, et qui entretenait avec le duc d'Au- 
male les relations les plus cordiales, n'était pas moins bien disposé; 
Mais, devant un arrêt du Çousçil d'État, ou ne pouvait rien. 



366 LE DUC D'AUMALE, 

HÎère période de sa vie, qui commence à sa rentrée en 
France, il sera aisé de comprendre qu'il ne s'est pas 
résigné à ne plus être soldat. Parle-t-il du drapeau, c'est 
d'un accent vibrant, respectueux, qui ranime dans les 
cœurs l'amour de la patrie. Parle-t-il aux généraux qui 
ont servi sous ses ordres, à ses compagnons d'armes, « à 
ses chers camarades » des troupes qu'il a commandées, 
on croirait, à l'entendre, qu'il les commande encore, et 
peut-être, en ces instants, lui-même le croit-il. Son œil 
s'est allumé, sa voix a pris un ton plus ferme, sa phrase 
a revêtu une forme plus énergique, et même dans ses 
allures, dans son geste, dans la manière dont le soir, 
après dîner, entre intimes, il allume sa pipe, il y a une 
imitation involontaire et naturelle du « troupier ». La vie 
des camps a mis sur lui une empreinte qui ne s'effacera 
jamais. Écoutez-le, en ces heures où il offre, à son insu, 
cet émouvant spectacle. Quelle éloquence quand il met 
l'entretien sur l'armée I Que d'avis précieux, de bons 
conseils ! Combien fructueuses les leçons que son expé- 
rience lui permet de donner à ceux qui fréquentent son 
admirable école I On l'a dépouillé de son grade ; mais il a 
gardé son épée; avec son épée, la mémoire, et il y puise 
ses enseignements. 

Ce que de tout temps il y avait eu de remarquable en 
lui, c'est que, bien que mettant au-dessus de tout les 
choses militaires, il n'était indifférent à aucune des mani- 
festations de la vie intellectuelle de la France : histo- 
rien, en écrivant l'épopée des Condé ; homme de lettres, 
en prenant part aux travaux de l'Académie; archéo- 
logue, en se mêlant avec activité aux recherches qui 
avaient pour but de déterminer l'emplacement d'Alésia; 
altiste, en restaurant Chantilly, en enrichissant inces-» 
samment ses collections d'art. Ce fut encore à des occu- 






AVANT ET PENDANT LE SECOND EXIL. 367 

pations analogues qu'il s'adonna aussitôt après son 
retour. 

Ses distractions mêmes s'inspiraient des impérieux 
besoins de son esprit, non moins actif que son corps. 
Possédé de l'amour des lettres, — les lettres sous toutes 
leurs formes, — il lisait avec soin les œuvres nouvelles, 
assistait aux premières représentations, où il était sûr de 
rencontrer ces personnalités qui sont comme l'expres- 
sions de l'intelligence et du cerveau de la France. Non 
content de se trouver partout où elles se réunissent, il se 
plaisait à les recevoir à Chantilly. Tout ce qui compte 
dans la société artiste et littéraire de ce temps a connu, à 
de rares exceptions près, son hospitalité si libérale et si 
pleine de charme. La verve et la bonne grâce qu'il 
déployait là et qu'il prodiguait naturellement, sans effort, 
il les portait avec lui, partout où il allait, à l'Institut, à la 
Société des Amis des livres, au dîner Bixio (1), chez les 
amis qu'il lui était doux de fréquenter, qu'il venait voir 
ou dont il acceptait les invitations. A tous il laissait cette 
impression que Renan résumait ainsi : 

« Nous autres, nous parlons; mais lui, il cause. » Et il 
ajoutait, rendant hommage à l'érudition dont le prince 
faisait preuve dans les débats académiques : « C'est 
presque le seul membre de l'Académie qui ait l'intelli- 
gence de ce qui est la vie d'une langue et d'un peuple. 
En l'absence de Gaston Paris, c'est le seul qui ait une 
discipline scientifique applicable à des travaux comme 
le Dictionnaire. » 

(1) Dîner mensuel fondé par Bixio, voici longtemps, et qui réunit 
au moment de sa fondation des hommes tels que Mérimée, Alexandre 
Dumas fils, Delacroix, Trousseau et tant d'autres. Admis plus tard 
à en faire partie, le duc d'Aumale y rencontrait Victorien Sardou, 
Ludovic Halévy, Albert Sorel, Bardoux, le général de Galliffet, 
Détaille, Massenet, Glaretie, de Vogué, etc. 



368 LE DUC D'AUMALE. 

Il faut encore mentionner la tolérance que de plus en 
plus révélaient ses actes et son langage. Il n'avait plus de 
ressentiment contre ceux par qui il avait soufifert. Toutes 
ses paroles respiraient le pardon, l'oubli, la clémence. Le 
bonheur d'avoir revu sa patrie, l'espoir d'y mourir lui 
eussent paru suffisants pour le dédommager de tous ses 
maux si le droit de revêtir son uniforme lui eût été rendu. 
. Nous en avons assez dit pour marquer la physionomie 
générale de son existence durant ses dernières années. 
Pour en compléter le tableau, il ne nous reste plus qu'à 
y ajouter le récit des divers incidents qui vinrent en atté- 
nuer la monotonie et l'uniformité, au fur et à mesure que 
s'écoula le temps qui le séparait de sa fin. 






CHAPITRE X 

LES DERNIÈRES ANNÉES 



La Société française de secours aux blessés. — Présidence du duc 
d'Aumaie. — Les papiers de Louis-Philippe. — Épisodes du passé. 

— Le mariage de la princesse Hélène. — Les Mokrani. — Dispo- 
sitions pour Chantilly. — Dernières volontés. — Séjours au Zucco. 

— Voyage de 1896. — Le duc d'Aumale et l'impératrice Eugénie. 

— Le duc d'Orléans à bord du Thistle. — L'impératrice au Zucco. 

— Le duc d'Aumale et le président de la République. — Invita- 
tion refusée. — Explications émouvantes. — Péril de mort, 12 dé- 
cembre 1896. — Rétablissement. — Le droit de grâce. — Opinion 
de M. Félix Faure. — Départ pour la Sicile, avril 1897. — Séjour 
à Palerme. — Arrivée au Zucco. — L'incendie du Bazar de la Cha- 
rité. — Les dernières heures. — La mort. — Manifestations. — 
Les dépèches. — Les obsèques. — Les honneurs militaires. — Un 
émouvant voyage. — La Madeleine. — Conclusion. 



Vers la fin de 1893, on vint offrir au duc d'Aumale la 
présidence de la Société française de secours aux blessés 
militaires des armées de terre et de mer, la Croix rouge 
française, ainsi qu'on la nomme. On connaît le but de 
cette œuvre admirable. Son titre le résume. Fondée voici 
plus de trente ans, elle eut d'illustres présidents et parmi 
les derniers, le duc de Nemours et le maréchal de Mac 
Mahon. Celui-ci venait de mourir. Il fallait le remplacer 
Tout naturellement, le conseil général de la Société 
songea au duc d'Aumale. Quoique hors de l'armée , il en 
demeurait la plus haute personnification, et, de même, il 
était à la tète de l'élite sociale de la France. 

24 



370 LE DUC D'AUMALE. 

Il accepta avec une satisfaction non dissimulée l'offre 
qui lui était faite. Outre qu'elle apportait une utile diver- 
sion et une occupation dans son existence trop vide à son 
gré, elle créait entre lui et l'armée un lien nouveau et 
étroit. Il prit donc la présidence de la Croix rouge fran- 
çaise. Sur-le-champ, avec l'entrain qui lui était propre, il 
imprima à sa fonction le caractère d'activité et de supé- 
riorité que revêtaient sous sa main toutes les choses dont 
il s'occupait. Les fonctions, quelle qu'en soit la nature, 
sont surtout ce que les font ceux qui les détiennent. 
Celle-ci est en soi considérable. Tenue par le duc d'Au- 
male, elle le devint plus encore. 

Le 16 mai 1804, il présida pour la première fois l'as- 
semblée générale des membres fondateurs et y rendit 
compte des opérations de la Société durant l'année pré- 
cédente. Le rapport dont il donna lecture fut un rare régal 
pour ses auditeurs. Le prince possédait au plus haut 
degré l'art de donner à sa pensée des formes éloquentes, 
mais d'une éloquence bien personnelle. L'éloge de son 
prédécesseur le maréchal de Mac Mahon, qui ouvre ce 
discours, est une page exquise où apparaît, en quelques 
traits, dans la pleine lumière d'une, ressemblance saisis- 
sante, la physionomie du regretté soldat dont nul plus 
que lui n'admirait les vertus. 

« Son admirable bonté, sa simplicité charmante, sa 
modestie qui dominait encore son mérite, sa préoccupa- 
tion du devoir accompli dans les moindres choses », tout 
cela est présenté sous ces formes heureuses dont le duc 
d'Aumale avait l'habitude. « Chacun de nous aimera à 
se rappeler ce visage digne et souriant où se reflétait 
son âme magnanime et chevaleresque, cette fière sta- 
ture et tous ces dehors d'une vieillesse privilégiée entre 
toutes, que saluaient, à la sortie de vos cérémonies 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 371 

annuelles, les respectueuses acclamations de la foule. » 
Il faisait encore une allusion discrète à un autre des 
présidents de TCEuvre dont il aurait eu beaucoup à dire, 
s'il n'avait reçu de lui la consigne formelle de garder à 
son égard un silence absolu (1). Il fut moins réservé en 
rendant hommage à la mémoire de sa nièce , la princesse 
Gzartoryska, qui, elle aussi, s'était prodiguée en bienfaits 
envers la Croix rouge. « Serait-il possible d'évoquer ici 
cette image sans rappeler l'exquise distinction et l'angé- 
lique bonté dont elle était empreinte? Telle fut aussi la 
double marque des actes de sa vie tout entière. Bien des 
déshérités l'ont suivie de leurs larmes, et c'est de tous 
côtés que se sont élevées les prières et les bénédictions, 
quand eUe est remontée vers le Dieu qu'elle ne cessa de 
prendre pour son inspirateur et son guide. » 

Ce tribut de regrets payé aux morts , le duc d'Aumale 
rendait compte, avec la précision d'un esprit merveilleu- 
sement lucide, des opérations de l'année. Puis, résumant 
les devoirs de la Croix rouge, il couronnait de ces mots 
sa belle harangue : « Sous le régime de la nation armée, 
c'est la patrie, dont tous les enfants se battent pour elle, 
c'est la patrie elle-même qui doit venir au-devant d'eux, 
recevoir dans ses bras leurs corps mutilés, s'asseoir à 
leur chevet de douleur et les disputer à la mort. Drapeaux 
aux trois couleurs et drapeaux à croix rouge confondent 
leurs plis au faîte des ambulances : ainsi doivent s'unir 
dans toute âme française le double culte qu'ils symbo- 
lisent, celui du pays, celui de la charité. » 

Ce double culte, ce fut le sien. Qui aurait pu mieux en 
parler que lui? Et de même qu'il excellait à le célébrer, 
de même il excella , en ce nouveau poste , à le pratiquer, 

(1) Le duc de Nemours, qui, pour des motifs d'ordre privé, aveit 
donné sa démission. 



372 LE DUC D'AUMALE. 

envisageant les questions avec cette sûretc^ de jugement 
qui a caractérisé ses actes militaires. Il voulait que la 
Société fût à la hauteur de toutes les responsabilités , de 
tous les besoins. Les infirmeries de gare et les hôpitaux 
auxiliaires de campagne, création récente destinée à 
rendre d'importants services, sont, à proprement parler, 
son œuvre. Elles sont sorties, en leur perfectionnement 
actuel, de son cerveau d'organisateur sans pareil. Pour 
les infirmeries de gare , il obtint du ministre de la guerre 
le nouveau code qui en assure le fonctionnement. Pour 
les hôpitaux auxiliaires, c'est à ses soins qu'est dû le con- 
cours des meilleurs infirmiers, les Frères de la Doctrine 
chrétienne, et des plus éminents chirurgiens. Rien à cette 
heure, dans la Société qu'il a présidée, qui ne porte la 
marque de sa prévoyance, de sa grande expérience des 
choses de la guerre, de sa sympathie de chef de corps 
pour le soldat blessé ou malade (1). 

« Je veux, écrivait-il, que la Société de secours aux 
blessés militaires soit grande, prospère, puissante, prête 
à rendre au pays les services qu'il a le droit d'attendre 
d'elle. » Dans l'entraînement de ce désir, il demandait au 
président de la République, qui l'accorda tout aussitôt, 
son patronage. Il voulait aussi donner plus de cordialité 
aux rapports existant entre la Croix rouge française et 
les Sociétés similaires qui existent à l'étranger. Toute 
l'autorité qu'il devait, en Europe, à son nom, à son passé, 
à ses relations avec les familles souveraines et les hommes 
d'État, il l'exerça dans ce but. Quand l'impératrice de 
Russie vint à Paris , il alla lui offrir, au nom du conseil, 
les insignes en or de la Société (2). C'est ainsi que la 

(1) Ce fut aussi sous son inspiration que le conseil décida de conver- 
tir en argent disponible pour prés de 4 millions d^ rentes nominatives. 

(2) Trois jours avant sa mort, il télégraphiait du Zucco à la So- 






LES DERNIÈRES ANNÉES. 373 

Croix rouge française prit, durant sa présidence, un 
nouvel essor et recruta, grâce à lui, quinze cents nou- 
veaux membres. 

Au moment où il commençait à s'en occuper avec ce 
zèle, cette activité qui décelaient sa vigueur intellectuelle 
et semblaient résulter d'une éternelle jeunesse , la santé 
de son neveu, le comte de Paris, donnait les plus vives 
inquiétudes. Le duc d'Aumale s'y associa avec l'ardente 
sollicitude d'un père et d'un ami. Il professait pour le 
chef de sa famille, nous l'avons dit, autant d'affection 
que de respect, et ces sentiments, un moment altérés par 
les incidents de la crise boulangiste, avaient bientôt 
recouvré toute leur chaleur. Quand les nouvelles devin- 
rent plus alarmantes, — c'était à la fin de septembre 1894, 
— il partit de Bruxelles, où il se trouvait alors, pour 
l'Angleterre. Installé à Stov^e-House, il y passa douze jours 
auprès du moribond. Que de deuils anciens lui rappelait 
ce deuil nouveau! Que de fois, presque aux mêmes heux, 
il avait connu les déchirements de la mort! 

Peu après cet événement qui l'avait profondément 
attristé, il eut une joie, peut-être inattendue , d'un carac- 
tère singulièrement mélancolique, mais qu'il allait res- 
sentir avec une vivacité que comprendront tous ceux à 
qui nos récits ont appris à connaître son âme impression- 
nable et sensible. Il fut mis en possession des papiers de 
son père. 

Le roi Louis-Phitippe avait, dès sa jeunesse, contracté 
l'habitude d'écrire chaque soir ce qui lui était arrivé dans 
la journée (i). Ces notes autobiographiques forment de 

ciété, afin qu'on fit parvenir des secours aux ambulances de Grèce 
et de Turquie. Lui-même envoya, en son nom personnel, dix mille 
francs pour les blessés hellènes. 

(1) Je rappelle que le duc d'Aumale a imité cet exemple. On peut 
dire qu'il a écrit lui-même l'histoire de sa vie en des notes quoti- 



874 LE DUC D'AUMALE. 

volumineux dossiers. En mourant, il stipula qu'elles res- 
teraient toujours aux mains du chef de la famille, avec la 
faculté pour les autres membres d'en prendre connais- 
sance à leur gré. Il ne se peut rien de plus intéressant 
que ces récits où la longue existence de celui qui fut tour 
à tour duc de Chartres, duc d'Orléans, Louis-Philippe I", 
peut être suivie jour par jour, et qui embrassent par con- 
séquent les épisodes de la cour de Louis XVI, de la Révo- 
lution, de l'émigration et des trois règnes qui remplirent 
le temps compris entre la chute de l'empire et la fin du 
régime de Juillet. Il y a là de précieux détails pour l'his- 
toire de deux siècles. L'enfance et la jeunesse du fils de 
Philippe-Égalité y sont racontées dans leur cadre si mou- 
vementé, avec d'innombrables traits qui relèvent l'agré- 
ment du récit. 

Louis-Philippe avait gardé le plus pénible souvenir de 
Mme de Genlis, chargée de son éducation et de celle de sa 
sœur. Madame Adélaïde. Dans ses notes, il justifie, par tout 
ce qu'il dit de son institutrice , la rancune qu'il avait con- 
çue contre elle et qui survivait au passé. Il nous la montre 
l'élevant à la dure, sans bonté, sans tendresse, lui faisant 
monter l'eau et le bois, le traitant en esclave et non en 
prince, cherchant sans cesse à l'humilier, à lui donner de 
lui-même la plus pauvre idée, sans que les parents inter- 
vinssent jamais pour rectifier ce mode d'éducation. 

Un jour, accompagné de cette femme terrible, il allait 
avec sa sœur rejoindre leur mère à Spa. Il avait alors 
quatorze ans. A Lille, où il devait passer la nuit, les auto- 
rités, prévenues de l'arrivée des enfants du duc d'Orléans, 



diennes, brèves, concises, souvent compréhensibles pour lui seuL 
Ses exécuteurs testamentaires n'ont pas encore décidé quel usage il 
sera fait de ces notes, ni si elles pourront être ultérieurement pu- 
bliées ou communiquées. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 375 

se préparaient à les recevoir devant la garnison sous les 
armes. Le jeune duc de Chartres, averti de ces prépara- 
tifs, aurait voulu entrer dans la ville, non en voiture, 
mais à cheval. Mme de Genlis avait décidé le contraire, et 
le petit prince gémissait d'être obligé de se présenter aux 
troupes dans un carrosse, entre deux femmes, comme un 
enfant. 

Soudain, aux approches de la ville, il voit venir vers 
lui plusieurs personnes et, parmi elles, un vieux gen- 
tilhomme, chevalier de Saint-Louis, qui lui amenait un 
cheval. Sur le refus de Mme de Genlis de laisser le duc 
de Chartres y monter, cet inconnu déclare que c'est à 
cheval qu'un prince de sang est tenu de se présenter aux 
sujets du roi. Mme de Genlis dut céder, et les choses se 
passèrent comme le duc de Chartres l'avait souhaité. En 
rappelant ce souvenir, il ajoute qu'il tremble encore à la 
pensée de l'humiliation, de la honte auxquelles il eût 
été exposé sans l'intervention du gentilhomme qu'il ne 
nomme pas. 

Il raconte encore qu'en 1789, lors de la réunion des 
états généraux, alors que M. de Dreux-Brézé se rendait 
auprès du tiers pour faire la démarche qui lui attira la 
foudroyante réponse de Mirabeau, le roi attendait dans 
un salon voisin, en compagnie des princes de sa famille. 
Le jeune duc de Chartres se trouvait là. Dans ce salon, il 
n'y avait qu'un siège, dont naturellement le roi s'était 
emparé, contraignant tout le monde à rester debout. 
L'attente dura cinq heures. M. de Dreux-Brézé revint 
enfin, déclarant que ces messieurs du tiers refusaient 
d'évacuer la salle. 

a Qu'on les chasse! » ordonna le roi. 
Dans cette relation, le duc de Chartres semble avoir 
été moins ému par ces dramatiques incidents qu'énervé 



376 LE DUC D'AUMALE. 

par la longue attente qu'il avait dû subir sans pouvoir 
s'asseoir un moment. 

Un épisode non moins attachant est celui de son entrée 
dans l'armée. C'était en 1791 ; il avait dix-huit ans. Colonel 
de dragons, il quitta Paris pour aller à Vendôme prendre 
le commandement de ses troupes et recevoir le serment 
que les officiers devaient prêter à la nation. Mais, dans la 
semaine, vingt et un d'entre eux vinrent successivement 
lui déclarer que ce serment, ils ne le prêteraient pas, et, 
conformant leur conduite à leur parole, ils émigrèrent, à 
la vive indignation de leur colonel, qui dans son récit les 
blâme sévèrement. Après cette désertion en masse , il ne 
lui resta que huit officiers. 

Un peu plus tard, désireux d'aller au feu, il s'efforça 
de faire envoyer son régiment à l'armée du Nord. Il solli- 
cita à cet effet l'appui du maréchal de Rochambeau, qui 
venait d'être mis à la tète de cette armée où, d'ailleurs, 
il ne fit que passer et où il eut Dumouriez pour succes- 
seur. Rochambeau parut surpris qu'un prince royal son- 
geât à verser son sang pour la Révolution. Il lui adressa 
les plus vifs reproches. Le duc de Chartres, sans se 
laisser ébranler, alla trouver Danton, et c'est par l'in- 
fluence du redoutable tribun que son régiment fut envoyé 
à l'armée du Nord. 

Ses récits sont pleins de souvenirs de la campagne de 
Dumouriez. Entre tant d'autres qui méritent d'être rete- 
nus, voici l'un des plus curieux. Un nuit, le jeune colonel 
étant au bivouac avec son régiment, des coups de pistolet 
à l'improviste retentissent. Une panique s'ensuit. Aux cris 
de : « Nous. sommes trahis I Sauve qui peutl «les dragons 
s'élancent à cheval et prennent la fuite, malgré les efforts 
du colonel et des officiers, qui se décident à les suivre 
avec l'espoir de les empêcher de se disperser. 






LES DERNIÈRES ANNÉES. 377 

Cette fuite a d'abord toutes les allures d'une déroute. 
Puis, l'effroi des fugitifs se calmant, elle devient en 
quelque sorte régulière. Les chevaux vont au pas; les 
cavaliers se sont assoupis sur leur selle; on est à l'entrée 
d'un village plongé dans le silence et dans la nuit. C'est 
le moment que choisit un officier pour crier soudain : 

« Par file à droite, marche! » 

A peine les hommes entendent-ils, les uns réveillés en 
sursaut, les autres non tirés de leur assoupissement. Mais 
les chevaux ont entendu. Dociles à Tordre qui leur est 
familier, ils tournent à droite, reviennent sur leurs pas, 
et, au petit jour, les fugitifs se retrouvent à leur insu au 
bivouac d'où ils s'étaient enfuis. 

Ces divers traits, reconstitués de mémoire par les 
privilégiés qui ont eu la bonne fortune d'entendre le duc 
d'Aumale en donner lecture, permettent, même som- 
mairement racontés, de constater quel intérêt pouvaient 
présenter à l'érudit qu'il était les papiers de Louis-Phi- 
lippe. Ils avaient encore à ses yeux un autre prix, puis- 
qu'ils venaient de son père. Mais il ne les connaissait que 
partiellement. Il demanda au duc d'Orléans, au lende- 
main de la mort du comte de Paris, de les lui confier. 
Il consacra de longs mois à les parcourir. Comme il 
rêvait déjà de publier, en de courts opuscules, divers 
épisodes de la vie du roi, il choisit parmi ces papiers 
ceux qu'il pourrait utiliser pour ce travail. Il en garda 
copie et renvoya le dépôt remis en ses mains (1). On 
peut dire que l'étude qu'il en faisait a été l'une des plus 
complètes joies de ses dernières années. 

Il en eut une autre, et celle-là lui vint de la princesse 
Hélène, seconde fille du comte de Paris. En 1893, un 

(i) Il fut réexpédié à Londres en novembre 1896. 



378 LE DUC D'AUMALE. 

projet de mariage avait été ébauché entre elle et le 
duc d'Aoste. Les négociations, interrompues par la mort 
du comte de Paris, furent reprises en 1895 par M. Ress- 
mann, ambassadeur dltalie à Paris. Le 16 mars de cette 
année, eut lieu à Chantilly la première entrevue entre le 
duc d'Aoste et la princesse Hélène. A cette occasion, la 
famille royale se trouva réunie chez le duc d'Aumale. 
Heureux de cette réunion, il se prodigua durant ces 
quelques jours pour distraire ses invités, témoignant par- 
fois d'une gaieté d'enfant (1) et toujours d'une indicible 
bonne grâce. Ils eurent un soir la bonne fortune de l'en- 
tendre leur lire les dernières pages de l'Histoire de Condé 
qu'il venait de finir. Aucun d'eux n'a oublié de quel 
accent il lut le récit de la mort du grand Condé, et tous 
furent frappés par la touche du portrait de son héros, 
que lui-même rappelait par tant de traits. 

En même temps que l'étude des papiers de son père 
et le mariage de la princesse Hélène, ce qui le préoccupa 
vivement, ce fut l'affaire des Mokrani et des chefs arabes, 
auteurs de l'insurrection algérienne de 1871 (2). En 1844, 



(1) Un soir, comme on venait d'annoncer le dîner et au moment 
de passer dans la salle à manger, il se mit à marcher devant ses 
invités en marquant le pas et en agitant sa canne comme un tam- 
bour-major. Puis, se tournant brusquement vers le duc d'Aoste qui 
venait derrière lui, sa fiancée à son bras, il lui dit : 

« Peut-être préférez-vous que je fasse le bedeau qui vous conduira 
à l'autel. > 

Et frappant le parquet de sa canne, il marcha processionnel- 
lement. 

(2) Pour reconstituer les détails de cette affaire, j'ai interrogé les 
personnes qui y ont été le plus directement mêlées : M. Léon Roches, 
qui fut interprète en chef de l'armée d'Afrique sous le maréchal 
Bugeaud et plus tard consul général et chargé d'affaires à Tunis; 
M. Isaac, sénateur de la Guadeloupe ; mon éminent confrère Pierre 
Loti et M. Le Hénaflf, avocat à la Cour d'appel de Paris, qui rédigea, 
en faveur des Arabes condamnés en 1873, deux consultations remar- 
quables. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 379 

rînterprète en chef de Tarmée d'Afrique, M. Léon Ro- 
ches, avait été chargé de conduire à Paris plusieurs 
grands personnages arabes, parmi lesquels se trouvait 
l'un des membres de la noble famille des Mokrani, un 
jeune homme à peine âgé de dix-sept ans, dont le père, 
aux débuts de la conquête, s'était dévoué pour nous et 
avait été, en récompense, créé kalifa de la Medjana. 
« C'était un prince dans le sens féodal de ce mot, et sa 
principauté était sérieuse, car elle était héréditaire et 
basée sur un droit de fait antérieur à la domination des 
Turcs en Algérie. Ce droit, les Turcs l'avaient res- 
pecté (1). » 

Présenté au duc d'Aumale, Sid Ahmed-el-Mokrani, fils 
de El-Hadj-Mohammed, le séduisit par son intelligence 
et son désir de servir la France. Un peu plus tard, les 
fonctions de son père lui furent dévolues avec le titre à 
peu près équivalent de bach-aga. Lié avec les gouver- 
neurs placés à la tête de la colonie, avec les généraux, 
invité à Compiègne sous le règne de Napoléon III, Mo- 
krani ne cessa de se montrer le fidèle serviteur du pays 
auquel il s'était donné. On l'avait comblé de bienfaits; il 
y répondit en rendant d'immenses services. Enfin, lorsque 
éclata la guerre entre la France et l'Allemagne, il contri- 
bua à la levée des gros contingents que notre colonie 
algérienne fournit à la métropole. 

Brusquement, comme la guerre venait de finir, ces 
dispositions changèrent. Le décret du 24 octobre 1870, 
qui accordait de plein droit la naturalisation aux israé- 
lites indigènes, à l'exclusion des Arabes, avait profondé- 
ment blessé ceux-ci. Lorsque la France était aux prises 

(1) Déposition de M. Warnier, ancien préfet d'Alger, devant la 
Commission d'enquête sur les actes du gouvernement de la Défense 
nationale. 



380 LE DUC D'AUMALE. 

avec Tennemi, ils s'étaient résignés, avec une rare no- 
blesse d'âme, à taire leur ressentiment. Une fois la paix 
faite, ils y donnèrent cours. Sid Ahmed-el-Mokrani envoya 
sa démission. 

« Si j'ai continué à servir la France, écrivait-il, c'est 
parce qu'elle était en guerre avec la Prusse, et que je 
n'ai pas voulu augmenter les difficultés de la situation. 
Aujourd'hui, la paix est faite, et j'entends jouir de ma 
liberté... J'écris à M. le commandant de Bordj que je 
refuse mon mandat de février et qu'il ait à se tenir sur la 
défensive, parce que je m'apprête à combattre. » 

Dans un autre message qu'il adressa vers la même 
époque à M. Léon Roches, il précisait ses griefs, cause 
de sa démission : 

a Depuis la visite que tu m'as faite, en 1862, j'ai fermé 
les yeux sur plusieurs injustices dont j'ai été victime, et 
j'ai servi fidèlement la France, parce que je devais foi et 
obéissance à ceux qui m'avaient vaincu par la force des 
armes, d'abord, et puis par leur magnanime générosité. 
Mais, aujourd'hui que le gouvernement que je servais a 
été renversé et remplacé par un juif, objet de notre 
mépris, j'aurais horreur de le servir. Je lui renvoie le 
titre de ma nomination de khalifa, ainsi que le traitement 
qui m'était alloué (le dernier trimestre). Et lorsque mon 
serviteur t'apprendra mon irrévocable détermination, je 
serai mort en combattant la noble armée qui doit rougir 
d'obéir à un juif. Tu me comprendras, toi, confident de 
ma pensée, et tu pardonneras mon dernier acte (1). » 

Quelques jours plus tard, le signataire de cette lettre 
était tué, d'une balle au front, dans la vallée du Sahel. 
« Sa mort a été belle », disait l'amiral de Gueydon dans 

(1) Documents inédits. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 381 

sa déposition devant la commission d'enquête. Son frère 
Ahmed-bou-Mezrag-el-Mokrani prit sa place à la tête de 
l'insurrection. « Pendant près de dix mois, Ahmed tint 
seul la campagne contre six colonnes lancées à sa pour- 
suite. Mais, après maints combats, séparé des siens, 
seul et mourant de soif, il vint enfin faire sa soumission 
au général Delacroix, à Ouargla, dans les premiers 
jours de décembre 1872 (1). » Ce fut la fin de Tinsur- 
rection. 

En se soumettant, les tribus révoltées et leurs chefs, 
« moyennant une contribution de guerre qui ne s'était 
pas élevée à moins de trente millions et l'abandon de cinq 
cent mille hectares de terres séquestrées », avaient reçu 
Vaman des généraux qui les avaient vaincus (2) l'aman, 
c'est-à-dire la promesse du pardon. Mais, cette fois, cette 
promesse en tous temps considérée comme sacrée et qui 
antérieurement, en aucune circonstance, n'avaitété violée, 
ne fut pas tenue. Après une suite de décisions judiciaires 
qu'il n'y a pas lieu d'énumérer ici, Ahmed-bou-Mezrag-el- 
Mokrani et ses parents, Aziz-ben-Cheikh-el-Haddad et le 
fils de celui-ci, Salah-ben-Cheikh-Aziz, étaient condamnés 
à mort par la Cour d'assises de Constantine le 27 mars 
1873. Il est vrai que, le 19 août suivant, la peine capitale 
était commuée en celle de la déportation simple, appli- 
cable uniquement aux crimes politiques. 

En exécution de cet arrêt, Mokrani et ses compagnons 
furent transportés à la Nouvelle-Calédonie et soumis au 
régime des autres déportés. Bientôt l'un d'eux, Aziz-ben- 
Cheikh-el-Haddad parvint à s'évader. Il se réfugia à la 
Mecque et s'y fixa. Quant à son fils Salah, il ne voulut 

(1) Gonsultatûm pour les Arabes déportés, par M. Le Hénaff, avocat 
à la Cour d'appel, 10 juin 1892. 

(2) Consultation Le Hénaff* 



882 LE DUC D'AUMALE. 

pas tenter de fuir. A l'exemple d'Ahmed-bou-Mezrag-el- 
Mokrani, il parut se résigner à son sort. 

En dépit de leur malheur, ces hommes étaient restés 
attachés à la France. Ils en donnèrent une preuve écla- 
tante qui aurait dû leur valoir la grâce qu'ils ne déses- 
péraient pas d'obtenir. En 1878, lors de l'insurrection 
canaque, le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, le com- 
mandant Olry, depuis amiral, conçut les plus vives 
craintes. Il n'avait à opposer aux révoltés que des forces 
insuffisantes. Il recourut aux chefs arabes, fit appel à leur 
dévouement et leur demanda de concourir à la défense 
qu'il organisait. Pour prix de leur concours, il s'engageait 
à obtenir leur grâce (1). Ils se dévouèrent et accomplirent 
des prodiges de valeur. 

L'ordre étant rétabli dans la colonie, le commandant 
Olry sollicita du gouvernement l'exécution de sa pro- 
messe. On lui répondit par un refus. Deux ans plus tard, 
en 1880, une amnistie en faveur des événements insur- 
rectionnels de 1870 et de 1871 ayant été proclamée, le 
ministre de la marine fut d'avis que les Arabes devaient 
y être compris. Différente fut l'opinion du ministre de la 
justice. Le doute ne bénéficia pas aux condamnés. La 
liberté ne leur fut pas rendue. En 1889, la République 
voulait célébrer par un grand acte de clémence l'anniver- 
saire de la prise de la Bastille. A cette occasion, une 
motion de M. Camille Pelletan à la Chambre des députés, 
un vote de celle-ci, un discours prononcé au Sénat par 
M. Isaac, sénateur de la Guadeloupe, arrachèrent au 
garde des sceaux l'engagement formel de soumettre sur- 
le-champ à la signature du président de la République un 
décret accordant à tous les condamnés de l'insurrection 

(1) Consultation Le Hénaff. 



LES DERNIÈRES ANNÉES* 383 

de 1871 grâce pleine et entière. Cet engagement ne fut 
pas tenu en ce qui concernait les Arabes. Enfin, lorsque, 
en février 1895, fut prononcée une nouvelle amnistie, les 
efforts de ceux qui se dévouaient pour les Mokrani n'eu- 
rent pas un meilleur résultat (1). 

C'est alors que Tavocat d'Ahmed-bou-Mezrag-el-Mo- 
krani eut l'idée de recourir au duc d'Aumale et de solliciter 
son intervention. Le prince, qui se souvenait des services 
rendus à la France par les Mokrani, prit leur cause en 
main avec une vivacité singulière. Il multiplia les démar- 
ches en leur faveur, alla trouver le président de la Répu- 
blique, les ministres. Mais ce fut en vain. Ahmed-bou- 
Mezrag-el-Mokrani resta détenu à Nouméa. 

Entre temps, son compagnon, Salah-ben-Cheikh-Aziz, 
avait recouvré la liberté en des conditions qu'il convient 
de mentionner. Son. père , Cheikh-el-Haddah, profitant 
de l'amnistie de 1895, s'était décidé à quitter la Mecque, 
oïl il vivait depuis vingt ans. En se rendant en Algérie, 
il passa par Paris. Là, l'intervention de M. Isaac lui fit 
obtenir sa grâce. Mais, aussitôt après, il tomba grave- 
meut malade dans un bouge du quartier latin où il s'était 
échoué. Son fils, relégué en Nouvelle-Calédonie, put être 
averti. Il s'adressa au célèbre écrivain Pierre Loti, avec 
qui il était lié et dont il avait éprouvé le cœur, afin d'ob- 
tenir l'autorisation de venir donner des soins à son père. 
Cette autorisation fut d'abord refusée. Lorsqu'enfin on 
consentit à l'accorder à des prières plus pressantes, aux- 
quelles, sur les démarches de Pierre Loti, s'associa le duc 
d'Aumale, c'était trop tard. Salah-ben-Cheikh-Aziz, en 



(1) Quand on cherche à tirer au clair les raisons de cette incroyable 
rigueur, on n'en peut découvrir qu'une seule : la difficulté de faire 
rendre aux membres de la famille Mokrani leurs biens séquestrés 
en 1873 et, nous affîrme-t-on, aliénés depuis. ) 



384 LE DUC D*AUMALE. 

arrivant à Paris, eut la douleur d'apprendre que, depuis 
trois jours, le corps de son père reposait dans un caveau 
provisoire au Père-Lachaise. Le vieux chef était mort 
entre les bras d'un déporté politique amnistié, qui l'avait 
généreusement recueilli (1). A cette occasion s'était 
même opéré un curieux rapprochement entre le duc 
d'Aumale et l'ancien combattant de la Commune, réunis 
dans un même but de charité. Le prince fut profondé- 
ment touché lorsqu'il apprit que l'insurgé de 1871 avait 
eu la délicate pensée d'appeler au lit du mourant l'iman 
de l'ambassade ottomane pour dire les dernières prières. 

Cette affaire des Mokrani lui causa beaucoup de tracas 
et d'émotions. Dans les derniers temps de sa vie, il dé- 
plorait souvent de n'avoir pu servir plus efficacement les 
Arabes. Rien de ce qui avait trait à l'Afrique qui ne lui 
tînt au cœur et le laissât indifférent. 

Au cours des incidents à l'aide desquels il remplissait 
le vide de sa vie, le legs qu'il avait fait à l'Institut de 
France continuait à occuper le premier rang dans ses 

. (l)£ugène Mourot, dont la conduite en ces circonstances fut admi- 
rable. A Nouméa,' il s'était pris d'amitié pour Ahmed-ben-Mezrag-el- 
Mokrani et pour Salah-ben-Gheikh-Azis. Dès son retour en France, 
après l'amnistie dont il avait profité, il s'efforça d'obtenir leur mise 
en liberté. En 1889, il alla conter leur histoire à M* Le Hénaff, qui 
prit alors leur cause en main. Lorsque Gheikh-el-Haddad tomba ma- 
lade, Eugène Mourot le fit transporter chez lui, où, secondé par sa 
femme et sa fille, il l'entoura de soins. Gheikh-el-Haddad mourut 
sous leur toit, en parlant avec attendrissement de la sollicitude 
dont il avait été l'objet. Son fils, étant arrivé à Paris, voulait faire 
conduire son corps en Algérie. Mais l'argent manquait. Eugène 
Mourot, qui par les récits des Arabes connaissait leurs relations 
d'autrefois avec le duc d'Aumale, n'hésita pas à frapper à la porte 
de l'ancien gouverneur général d'Algérie. Elle lui fut ouverte. G'est 
grâce au prince et à Henri Rochefort que Gheikh-el-Haddad put être 
ramené dans son pays. Il faut ajouter qu'on ne permit pas qu'il fût 
enseveli près de ses aïeux à Batna. On l'enterra à Gonstantine, sans 
que ses amis fussent autorisés à suivre son cercueil. Ahmed-bou- 
Mezrag-el-Mokrani est toujours à Nouméa. 



LES DERNIERES ANNÉES. 385 

préoccupations. A toute heure il y songeait, s'eflForçant 
incessamment d'améliorer sa donation, de la rendre en 
quelque sorte plus digne de la France, à laquelle, en 
retirant à l'Institut, il avait entendu l'offrir, et s'attachant 
à marquer par des recommandations multipliées , répé- 
tées à satiété, presque toujours dans les mêmes termes, 
comment il entendait que les choses fussent réglées après 
lui. 

« Aussitôt que j'aurai fermé les yeux, disait-il, on 
détruira dans le château tout ce qui rend les maisons 
habitables, les cuisines, les cabinets de toilette... On cou- 
pera les conduites d'eau qui ne peuvent être utilisées en 
cas d'incendie... Les chambres seront démeublées, sauf 
la mienne et celle de ma femme. Dans ces deux-là seule- 
ment, on laissera les lits, comme souvenir; mais j'espère 
bien que personne n'aura l'audace d'y coucher. J'entends 
que le château demeure inhabité, ainsi qu'il convient à un 
musée, et qu'il n'y soit réservé de logements que pour les 
gardiens aux endroits que j'ai désignés. » 

Ces propos venaient souvent sur ses lèvres. Quiconque 
vivait autour de lui les a entendus. La population de 
Chantilly en recueillait les échos. Tout le monde savait 
de même qu'il entendait que les employés de ses domaines, 
en place au moment de sa mort, fussent, sans exception, 
maintenus dans leur emploi. Rappeler ces preuves de sa 
sollicitude envers l'œuvre qu'il laissait après soi, c'est 
encore lui rendre hommage. Comme cette sollicitude 
vigilante embrassait tout, et comme, peut-être, il envisa- 
geait déjà la mort, il pensait aussi aux innombrables 
lettres qui lui avaient été adressées durant les deux exils 
et depuis sa rentrée; il les avait conservées avec la cor- 
respondance de la duchesse d'Aumale et celle de ses fils* 
Ces papiers étaient dispersés à Chantilly et en Angle- 



386 LE DUC D'AUMALE. 

terre. Il se proposait de procéder à un triage et de 
détruire tous ceux qui avaient un caractère intime et per- 
sonnel (1). 

Malgré tant d'innombrables occupations dont il sem- 
blait prendre plaisir à se surcharger, malgré les soins 
qu'exigeait l'administration de ses biens, l'existence, en 
approchant de sa fin, soit qu'il vécût à Chantilly, soit 
qu'il résidât dans le pied-à-terre qu'il s'était organisé rue 
de Montalivet, lui laissait d'assez longs loisirs pour lui 
permettre d'aller tous les ans résider en Sicile durant 
quelques semaines. Dans le gracieux palais de Palerme, 
dans son jardin, une oasis embaumée du parfum des 
fleurs et trempée de soleil, il retrouvait de toutes parts le 
souvenir de ses parents. Il vivait là, sous les orangers, 
en vareuse, coiffé d'un feutre mou ou d'un chapeau de 
paille, buvant la chaleur odorante. Il s'y plaisait à cause 
du grand calme dont il y jouissait; il s'y laissait vivre. 

Le domaine du Zucco lui agréait plus encore. Ce 
domaine était son œuvre, sa création, et il y veillait 
amoureusement, tout fier de l'avoir si complètement 
transformé depuis qu'il en était devenu possesseur, d'en 
avoir porté l'étendue à six mille hectares et d'en tirer en 
vins, en blé, en olives, en huile, en citrons, en manne, en 
pistaches, d'immenses récoltes. Lorsqu'en 1853 il l'avait 
acheté au prince de Partana, l'eau manquait. Les habi- 
tants du village étaient obligés d'aller la chercher à quatre 
kilomètres de là. Le nouveau propriétaire, en creusant 
plus tard des canaux d'irrigation, a métamorphosé le 
pays. Grâce à lui,reau maintenant arrive en assez grande 
quantité pour avoir rendu possible la création de prairies 
artificielles. Ce fut là son plus grand bienfait. 

(1) Il n*eut pas le tempo de réaliser ce dessein. 



LES DERNIERES ANNEES. 387 

Et combien d'autres répandus parmi ces populations 
qui lui doivent un sort nouveau 1 Des terrains de pâture 
malsains et fiévreux, il avait fait par des plantations suc- 
cessives de sumacs, de caroubiers, d'eucalyptus, un sol 
propice à la vigne (1). De toutes parts, dans la plaine dont 
la mer bleue baigne les rives, entre les murs de pierre 
sèche et les haies de cactus, et jusque sur les pentes des 
collines, s'étendaient à perte de vue les vignobles plantés 
par lui. De tous côtés, leur verdure sombre s'égayait des 
bordures de géraniums et des buissons de roses. 

Sur ce domaine ainsi transformé, vivait du duc d'Au- 
male tout un monde, ses gardes, ses ouvriers, ses ven- 
dangeurs, et jusqu'à des orphelines qu'il avait recueillies 
après que leurs parents eurent trouvé la mort dans une 
révolte contre les agents du fisc; il les faisait élever à ses 
frais. Aussi quels témoignages de reconnaissance le 
saluaient quand il arrivait au Zucco ! de quel affectueux 
respect il y était entouré 1 Dans cette île infestée de bri- 
gands, l'amour du peuple lui eût au besoin servi de pro- 
tection. Il eût pu faire le tour du pays, un bâton à la 
main, sans péril. Sa popularité et le souvenir de ses bien- 
faits suffisaient à le rendre sacré aux bandits. 

Un questeur nouvellement nommé, ignorant cette 
situation privilégiée, crut devoir, à son arrivée en Sicile 
et à l'insu du prince, organiser autour de lui, pendant un 
de ses séjours au Zucco^ une garde protectrice. Par ses 
ordres, des carabiniers royaux vinrent slnstaller à la sta- 
tion du chemin de fer et sur divers points du domaine. 
Cet excès de zèle faillit provoquer une émeute. La popu- 
lation s'indigna, en constatant qu'on se défiait de ses sen- 

(1) On trouve d*intéressants détails sur le Zucco dans le volume 
de René Bazin, Sicile, et dans Touvrage illustré de Gaston Vuil- 
LiER, la Sicile. J*ai consulté ces livres avec profit. 



388 LE DUC D'AUMALE. 

timeats et qu'on supposait qu'au milieu d'elle, le prince 
n'était pas en sûreté. A la demande du duc d'Aumale, les 
carabiniers furent rappelés à Palerme. 

Du Zucco, il aimait tout, les hommes et les choses, les 
gardes, au nombre de douze, vêtus d'une vareuse bleue, 
— le bleu d'Orléans, — à passepoil rouge, coiffés d'une 
casquette galonnée, armés de carabines, et qui venaient 
le recevoir à la gare lorsqu'il arrivait; la route à pente 
douce, bordée de cactus, qui conduit de l'habitation à la 
factorerie; les charrettes peintes qu'on rencontre sur les 
chemins; le pavillon de la Florette, le légendaire olivier 
de la princesse de Partana, les bois de citronniers, les 
alentours, enfln, si pittoresques, monts et plaine, cadre 
saisissant à travers lequel, au cours de ses promenades, 
il rencontrait tour à tour la mer, Terracine avec ses mai- 
sons blanches, ses barques de pêche, le couvent de Mon- 
telèpre, les ruines de Ségeste; il en aimait surtout le 
soleil, le raisin qu'il mûrit et le vin qui sort des grappes 
vermeilles, ce vin dont, à Chantilly, peu de jours avant 
son dernier voyage, il vidait un verre en disant : 

« J'irai bientôt me réconforter et me rajeunir à la 
source de ce vin réparateur. » 

En mai 1896, il fit au Zucco son avant-dernier séjour. 
Il y avait invité son petit-neveu, le duc d'Orléans. Ayant 
résolu de lui léguer ses biens de Sicile, il voulait l'y pro- 
mener, lui montrer les plantations, lui présenter les ser- 
viteurs. On pouvait croire qu'à l'occasion de cette ren- 
contre il y aurait, entre l'oncle et le neveu, des entretiens 
politiques. Il n'en fut rien. Le duc d'Orléans ne demanda 
pas de conseils; le duc d'Aumale n'en eût pas donné. En 
une seule circonstance, il toucha à ce sujet, et ce fut pour 
faire comprendre qu'il entendait ne s'associer en rien aux 
manifestations du jeune prétendant. Étonné parle nombre 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 389 

de dépêches que recevait celui-ci, il exprima le désir que 
des notes politiques ne partissent pas du Zucco. Le duc 
d'Oriéans témoigna d'autant de déférence que de docilité. 
Nul pénible incident ne troubla son séjour. Un seul, au 
reste, mérite d'être signalé, et celui-là non moins inat- 
tendu que piquant. 

Durant ce mois de mai 1896, le hasard, qui combine les 
événements mieux que ne le peuvent faire les plus savants 
calculs, amena en Sicile, en même temps que les princes 
d'Oriéans, l'impératrice Eugénie. Ce n'était pas la pre- 
mière fois qu'elle se rencontrait avec le duc d'Aumale (1). 
Ils s'étaient vus jadis à la cour de Madrid, au moment du 
mariage du duc de Montpensier, elle toute radieuse de sa 
jeune beauté, lui charmant et séduisant dans son uni- 
forme d'officier français, paré de son prestige de fils de 
roi. Durant ces jours de fête, ils avaient fréquemment 
causé et dansé ensemble. Puis les années s'étaient écou- 
lées, remplies par les événements qui mirent Mlle de 
Montijo sur le trône, et l'en précipitèrent. 

Un jour, peu de temps après la mort du prince impé- 
rial, l'impératrice, se trouvant en France, revenait de 
Mouchy, lorsqu'à l'arrêt de Chantilly, la portière du com- 
partiment dans lequel elle avait pris place avec une dame 
d'honneur fut ouverte par un voyageur qui fit mine de 
monter. Mais à la vue de cette femme en deuil dont l'atti- 
tude et le geste révélaient qu'elle désirait rester seule, le 
voyageur salua respectueusement, ferma la portière et 
monta dans un autre wagon. C'était le duc d'Aumale. Il 
avait reconnu l'impératrice. Le lendemain, elle lui envoya 



(4) Les détails qui suivent sont extraits de notes qui m'ont été 
communiquées par M. Gordon Bennett, par diverses personnes de 
la maison du duc d'Aumale et par M. Franceschini Pietri, secrétaire 
de l'impératrice, et en son nom. 



390 LE DUC D'AUMALE. 

ses remerciements, toute surprise, lui fit-elle dire, qu'il 
Teût reconnue, quoiqu'elle fût si changée (1). 

Cette rencontre fortuite n'eut un lendemain que pen- 
dant l'hiver de 1887. A cette époque, le duc d'Aumale, 
exilé de France, traversait Naples, se rendant à Palerme, 
lorsqu'il apprit par la duchesse de Bivona, cousine de 
l'impératrice, que celle-ci y résidait, installée à la villa 
Delahante. Il parla d'elle à la duchesse avec une sympa- 
thie émue et respectueuse, en exprimant le plaisir qu'il 
aurait à la revoir. La réponse fut telle qu'il pouvait 
l'espérer. L'impératrice lui fit savoir qu'elle le recevrait 
dès qu'il se présenterait. Le même jour, à trois heures, 
il arrivait à la villa Delahante. Longue fut l'entrevue; on 
échangea de cordiales paroles. Le prince sut parler à une 
mère, non encore consolée de la mort de son fils, avec la 
délicatesse et le tact d'un cœur qui avait passé par la 
même souffrance et le même deuil. En quittant l'impéra- 
trice, il s'embarqua pour Palerme; ils ne devaient plus 
se retrouver que neuf ans après. 

Le il mai 1896, le yacht de l'impératrice, le Thistle, 
arrivait dans les eaux de Palerme et allait jeter l'ancre 
non loin du yacht Namouna, appartenant à M. Gordon 
Bennett, cet Américain si connu des Parisiens et si Pari- 
sien lui-même, propriétaire du New-York Herald. Un peu 
après midi, M. Gordon Bennett vint porter ses hommages 
à bord du Thistle. 

« Mgr le duc d'Aumale a déjeuné sur mon yacht, 

(1) Il y a désaccord sur ce menu fait entre les souvenirs de l'im- 
pératrice et la version du duc d'Aumale. J'ai adopté cette version 
parce que, le même soir, il en fit part à plusieurs personnes de qui 
je la tiens. Mais, dans une note communiquée au nom de l'impéra- 
trice, il est dit : « Le prince ne vint pas jusqu'au wagon de Sa 
Majesté; elle n'eut pas à lui exprimer le désir de rester seule, ce 
qu'elle n'eût pas fait, s'il s'y fût présenté. • 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 391 

dit-il à l'impératrice. Il m'a chargé de demander à Votre 
Majesté si elle voulait lui permettre de venir lui baiser la 
main. 

— Mais je serai heureuse de le revoir », répondit 
l'impératrice. 

M. Gordon Bennett alla avertir le prince; il arriva peu 
d'instants après. Au cours de cette visite, il fit savoir à 
l'impératrice que son neveu, le duc d'Orléans, était à 
bord du Namouna^ et que lui aussi serait heureux de lui 
offrir ses hommages. M. Gordon Bennett s'éloigna de 
nouveau pour aller chercher le duc d'Orléans, que son 
oncle présenta à l'impératrice. Les deux princes s'assirent 
près d'elle sur le pont; l'entretien se prolongea assez 
longtemps. 

Avant de quitter le Thistle^ le duc d'Aumale invita l'im- 
pératrice à venir au Zucco. Elle accepta, et l'excursion 
eut lieu le lendemain. Secondé par son neveu, le duc 
d'Aumale, durant cette journée, entoura Timpératrice de 
prévenances et de soins. Il se montra le maître de maison 
incomparable et le causeur attachant qu'il savait être. 
A Terracine, où il ramena l'impératrice, le chef de gare 
avait, dans la salle d'attente, accroché une gravure repré- 
sentant la prise de la smalah. L'impératrice parla de ce 
glorieux fait d'armes; la conversation tomba sur le maré- 
chal Pélissier, et le prince de raconter plusieurs épisodes 
de la vie de l'illustre soldat^ au cours desquels, avec 
beaucoup de courtoisie, il prononça le nom de l'empe- 
reur. La veuve de Napoléon III, en se séparant de son 
amphitryon, emporta de lui l'impression de séduction et 
de charme qu'elle en avait eue jadis à Madrid (i). 

(1) Le duc d'Aumale n*eut pas Toccasion de la revoir. Mais il sai- 
sit une occasion de lui manifester ses sentiments en invitant à 
Chantilly, peu de temps avant sa mort, le prince et la princesse 



392 LE DUC D'AUMALE. 

Quelques semaines plus tard, il rentrait à Paris, et 
reprenait avec une ardeur nouvelle son existence active 
et toujours si pleine, se consacrant de plus en plus aux 
embellissements et aux améliorations qu'il avait entre- 
pris à Chantilly. En cette dernière année de sa vie, il 
était devenu plus que jamais Fobjet du respect universel. 
On le sentait si supérieur à la moyenne des hommes de 
son temps! Il semblait dominer de si haut les luttes et 
les rivalités des partis! Peut-être aussi dans ce respect 
qui l'entourait se manifestait déjà le regret qui éclata si 
vivement après sa mort, le regret que sa noble et fière 
intelligence eût été si longtemps inutilisée, et que la 
patrie eût été par deux fois privée de ses services. 

Au commencement du mois d'octobre, alors qu'arri- 
vaient à Paris les souverains de Russie, il fut invité à 
dîner avec eux à l'Elysée. C'était de la part du président 
de la République un témoignage de délicate attention. Il 
avait profité de ce que le prince était grand-croix de la 
Légion d'honneur pour le comprendre parmi les convives 
qui devaient s'asseoir à la même table que le tsar et la 
tsarine. Mais, au reçu de l'invitation et bien qu'il en fût 
reconnaissant, le duc d'Aumale se souvint qu'il n'avait 
plus le droit de porter son uniforme. Il lui répugnait de 
figurer à ce dîner en habit noir. Il ne savait comment il y 
serait placé. Il craignait d'être là « comme un professeur 
distingué », et il résolut de refuser. 

Toutefois, il tenait à ce que le président de la Répu- 

Murat et M. Franceschini Pietri, à qui il voulut montrer lui-même 
sa belle miniature du roi de Rome et le portrait de Napoléon I". 
Quant au duc d'Orléans, on pourra juger de l'impression qu'il avait 
gardée de son entrevue avec l'impératrice par ce télégramme qu'il 
lui expédia à Farnborough, de Palerme, le 10 mai 4897, en réponse 
aux condoléances qu'elle lui avait envoyées après la mort du duc 
d'Aumale : « Sa Majesté, l'impératrice Eugénie : — Ma pensée se 
reporte avec émotion au souvenir de mai 96. — Philippe. • 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 393 

blique ne s'offensât pas de son refus. Il professait pour 
lui estime et sympathie. Il lui avait fait une première 
visite au mois de juin 1895. C'est alors qu'il lui avait dit 
qu'il n'oublierait jamais le vote émis par le député Félix 
Faure en 1886 contre les lois d'exil, et, le même soir, 
racontant à quelques intimes les détails de cette visite, il 
les complétait par ce jugement : 

« Son vote contre les lois d'exil lui assure à jamais 
ma reconnaissance. Ce fut un acte de courage. Il était 
alors au début de sa carrière politique. Il avait tout inté- 
rêt à flatter les basses passions, à plaire aux radicaux. Il 
n'a pas voulu le faire. C'est bien. » Et il ajoutait : « Bon 
patriote, du reste, et cocardier lui aussi. » 

Après cette première entrevue, il était, à diverses 
reprises, retourné à l'Elysée, tantôt comme président de 
la Croix- rouge, tantôt pour solliciter la grâce des 
Mokrani, tantôt, enfin, pour causer des questions mili- 
taires. Les relations entre le président et lui avaient pris 
ainsi peu à peu un ton de confiance et de cordialité. Il 
considéra qu'elles lui imposaient le devoir d'aller expli- 
quer verbalement à M. Félix Faure pourquoi il n'accep- 
tait pas d'assister au dîner officiel donné à l'Elysée en 
l'honneur des souverains de Russie. 

Le 6 octobre, il lui fit demander un rendez-vous qui fut 
fixé au lendemain matin, avant sept heures. Au petit jour, 
il se présentait à l'Elysée. Dans le cabinet où le président 
le reçut, les becs électriques étaient encore allumés. 

« Je n'ai pas voulu, monsieur le président, dit-il, 
attendre le moment où je vous rencontrerai peut-être à la 
séance de l'Académie pour vous remercier des gracieuses 
invitations auxquelles j'aurais été heureux de me rendre. 
Je tiens à vous dire loyalement, à vous chef de l'État et 
chef de l'armée, pourquoi je n'ai pas cru pouvoir les 



394 LE DUC D'AUMALE. 

accepter. Il n'y a là rien de personnel, ai-je besoin de 
vous raffirmer? Vous connaissez mes sentiments pour 
vous; rien qui, de près ou de loin, tienne à la politique; 
mais voici : je suis le doyen des officiers généraux fran- 
çais; j'ai commandé en chef devant l'ennemi; tous mes 
camarades, qui vous entourent et qui approchent l'empe- 
reur, ont revêtu leur uniforme. Cet uniforme, je l'ai 
porté sous le gouvernement républicain, quand, dans une 
circonstance mémorable, j'ai rendu la justice au nom du 
peuple français ; je l'ai porté quand, au lendemain de la 
guerre, j'ai commandé, pendant six ans, un corps d'armée 
sur la frontière, veillé sur ce coin de l'Alsace qui nous 
reste et relevé les remparts de Belfort à portée de canon 
des Allemands. Je ne parle pas des souvenirs du passé : 
le prise de la smalah, la soumission d'Abd-el-Kader, et 
autres faits de guerre. Eh bien, paraître avec un autre 
costume devant un souverain étranger auprès de vous, 
monsieur le président, il me semble que ce serait man- 
quer de respect à ce glorieux habit, rompre avec toutes 
les traditions que nos anciens nous ont laissées. Dans ce 
que je vous dis, ne voyez aucune apparence de protesta- 
tion; c'est le sentiment d'un Français, d'un soldat. Quand 
je verrais mes camarades, Billot, Saussier, Galliffet, 
Davout, vêtus de leur uniforme, et moi seul dépouillé du 
mien, je pleurerais (1)!... » 

Il s'était exalté en prononçant ces paroles, et l'émotion 
que trahissait son accent, le président la partagea. 

« Je regrette votre décision, monseigneur, répondit-il. 
Mais je ne saurais la désapprouver, car je la comprends, 
et ce que vous faites, à votre place, je le ferais! » 

C'est ainsi que le duc d'Aumale n'assista ni au diner 

(1) Notes communiquées à l'auteur. Quelques instants après, ren- 
tré chez lui, il dictait ce petit discours. Sa voix était vibrante. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 395 

deFÊlysée, nia la revue de Châlans. Cette double circon- 
stance, où de nouveau il avait cruellement souffert de 
Tinjustice dont il restait frappé, accrut ses regrets et sa 
douleur, d'autant plus que tout espoir d'être réinscrit sur 
les contrôles était maintenant perdu pour lui. Aux 
demandes de ses amis, on avait répondu que l'arrêt du 
Conseil d'État opposait à la réalisation de cet espoir un 
obstacle insurmontable. Son sacrifice était fait. Mais, bien 
qu'il s'y fût résigné, il ne s'en consolait pas. On remarqua 
que, dès ce moment, il devenait plus silencieux, plus 
triste, plus taciturne, comme si son cœur ulcéré eût été 
déjà saisi du pressentiment d'une fin prochaine. 

Dans la soirée du 12 décembre, étant à Paris, il venait 
de rentrer à son hôtel, rue Montalivet, lorsqu'il fut pris à 
l'improviste d'une défaillance dont furent émus et s'alar- 
mèrent ceux qui se trouvaient en ce moment autour de 
lui. On dut le coucher, et sans doute il crut son heure 
arrivée, car, ayant entendu une voix qui ordonnait d'aller 
chercher en hâte un médecin, il dit avec vivacité : 

« Ce n'est pas d'un médecin que j'ai besoin, c'est d'un 
prêtre. Qu'on prévienne le curé de la Madeleine, ou tout 
autre à défaut de lui. » 

En désignant ainsi l'ecclésiastique qu'il désirait voir 
en ce moment, le prince trahissait une préoccupation 
qu'à une date antérieure il avait déjà exprimée. C'était 
après la mort de Mgr d'Hulst, dont il aimait la parole et 
le caractère. On l'avait alors entendu dire : 

« Je ne connais plus de prêtre, maintenant que celui-là 
a cessé de vivre. Je ne sais trop qui m'assisterait si j'étais 
en danger. Il y a bien l'abbé Vincent, qui a fermé les 
yeux à ce pauvre Nemours. Mais il est aussi vieux que 
moi, et il peut mourir avant moi. Il importe donc que 
je trouve quelqu'un. » Et, après quelques instants de 



396 LE DUC D*AUMALE. 

réflexion, il avait ajouté : « Il faudra que je me mette en 
relation avec le curé de la Madeleine. » 

Ce projet ne s'était pas réalisé, faute d'une occasion 
propice. Mais, se croyant au moment de mourir, le prince 
y songeait de nouveau. 

A peine averti, Tabbé Hertzog accourut (1). Durant les 
courts instants employés à l'aller quérir, l'état du malade 
s'était assez sensiblement aggravé. Il y avait un trouble 
dans son regard, une altération dans sa voix. En voyant 
surgir ce prêtre à son chevet, il ne se souvint plus qu'il 
l'avait lui-même appelé : 

« Qui êtes-vous? Que voulez-vous? » demanda-t-il d'un 
ton dur. Le curé de la Madeleine se fit reconnaître. Le 
prince changea de visage, et, déjà radouci, il fit signe à son 
visiteur de passer de l'autre côté du lit. Puis, s'adressant 
aux personnes présentes, il ajouta: « Sortez, sortez tous. » 

Alors, resté seul avec l'abbé Hertzog, il exprima le 
désir d'être administré. Il fut déféré à ce vœu. Il reçut 
l'extrême-onction avec une ferveur touchante, qui revêtit 
le caractère le plus saisissant, lorsqu'au cours de la céré- 
monie il se mit soudain à réciter l'Ave Maria à haute et 
intelligible voix, avec une exactitude révélatrice d'une 
rare sûreté de mémoire ou d'une ancienne habitude de 
cette prière (2). 



(1) Notes communiquées à Fauteur. 

(2) A rapprocher du passage suivant détaché du récit de la mort 
du grand Condé : 

« Parfois le mourant, craignant de s'attendrir, priait ses enfants 
de se retirer, demandant qu'on le laissât avec les prêtres. 

« — Ce sont mes seuls médecins, maintenant. 

« Et la prodigieuse mémoire qui, au jour du baptême, avait per- 
mis à un enfant de cinq ans de réciter tout le Credo en latin ne 
l'avait pas abandonné, lui fournissait les réponses aux oraisons et 
les versets des psaumes. Vers sept heures du soir, comme le prêtre 
disait : In te. Domine, speravi, Condé reprit, d'une voix que tout le 



LES DERNIÈRES ANNEES. 397 

Les médecins à leur tour se présentèrent (1) et se 
hâtèrent de prodiguer leurs soins. Mais c'est avec le curé 
de la Madeleine que, jusqu'au moment où celui-ci se 
retira, le prince affecta de s'entretenir. Quand il le revit 
le lendemain, les craintes qu'on avait eues pour sa vie 
étaient dissipées. Mais il n'avait gardé aucun souvenir 
de ce qui s'était passé la veille. Ayant appris de la bouche 
de l'abbé Hertzog qu'il avait récité de mémoire VAve 
Maria, il en fut aussi surpris qu'heureux. 

« Comment, disait-il, je m'en suis souvenu! C'est 
bien à ma mère que je le dois. C'est elle qui m'avait 
appris cette prière. Elle me la faisait réciter souvent en 
me recommandant de ne jamais l'oublier (2). » 

Malgré les apparences redoutables sous lesquelles 
s'était présentée cette crise, elle fut conjurée, et si vite 
que la nouvelle ne s'ébruita pas au delà de l'intimité du 

monde put entendre : Et in tua justitia, libéra me; et le prêtre con- 
tinuant : In manm tuas, Domine, commendo spiritum meum. > 

Le roi Louis-Philippe avait aussi gardé le souvenir des prières de 
son enfance. Dans la vie de Mgr Jacquemet, évêque de Nantes, 
l'abbé Martin raconte qu'au moment de l'inauguration de la cha- 
pelle commémorative de la mort du duc d'Orléans, le roi demanda 
à Mgr Afifre, archevêque de Paris, quelle messe serait dite à cette 
occasion. 

« Nous dirons la messe de la Dédicace des églises, répondit l'ar- 
chevêque. 

— Ah! oui, reprit Louis-Philippe : Terrihilis est locus iste; hic 
domus Dei est et porta cœli. » Remarquant un certain étonnement 
sur le visage de Mgr Afifre, le roi ajouta : « Je m'en souviens bien ; 
c'est le jour de cette fête que j'ai fait ma première communion. » 

(1) Les docteurs Worms et Toupet. Le premier était le médecin 
ordinaire du prince. C'est lui qui lui avait présenté le second. Le 
docteur Toupet avait accompagné le duc d'Aumale en Sicile en 1896. 
11 y retourna avec lui l'année suivante. Le prince mourut entre ses 
bras. 

(2) Une fois rétabli, le prince invita le curé de la Madeleine à 
Chantilly et se plut à lui en faire les honneurs. Je raconte un peu 
plus loin en quelles circonstances il le revit, à la veille de son 
départ pour la Sicile. 



X 



398 LE DUC D'AUMALE. 



duc d'Aumale, et que, en le revoyant, à quelques jours 
de là, debout, sans que son visage fût altéré, les gens 
qui n'étaient pas avertis ne purent se douter qu'il avait 
été si près de la mort. Menaçant et grave, cependant, 
Tavertissement qu'elle venait de donner. Il ne permettait 
plus guère les illusions. Malgré les apparences rassurantes 
que présentait la vie habituelle du prince, les médecins 
ne doutaient plus de la gravité de son état. Bientôt leur 
impression se communiqua à ses amis. Un soir, au dîner 
Bixio, il parlait de la France, « de la France d'autrefois, 
du souverain qui avait donné à Paris ses fortifications, 
à la frontière du Nord la Belgique, et avait ainsi permis 
de sauver l'honneur après les désastres », et il en parlait 
d'un tel accent qu'un de ses auditeurs, se penchant vers 
son voisin, lui dit : 

a II y a là la fièvre et l'au-delà de la mort (1). » 
Néanmoins l'activité de sa vie ne se ralentissait pas. 
Les réceptions de Chantilly avaient été reprises. Il accor- 
dait de longues séances au peintre Benjamin-Constant, 
qui travaillait à son portrait, prodiguant durant les 
séances de pose tant de verve intarissable, que parfois 
l'artiste était contraint de prier son modèle « de se tenir 
tranquille (2) ». Au printemps 1897, il donna plusieurs 
dîners diplomatiques, recevant tour à tour les ambassa^ 
deurs accrédités à Paris. Il participait avec suite aux 
travaux de l'Institut et rédigeait un rapport sur les œu- 
vres présentées pour le prix Thérouanne. Enfin, des 
papiers de son père (3), il tirait cet opuscule sur le Droit 

(1) Récit de M. Jules Claretie, qui attribue ce propos au vicomte 
Melchior de Vogué. 

(2) Le prince s'était attaché à son peintre. Il lui envoyait au bas 
d'une lettre l'assurance de « sa fraternelle amitié •. Le portrait est 
aujourd'hui chez le duc de Chartres. 

(3) Ils étaient enfermés dans une boîte dont il avait toujours la 



LES DERNIERES ANNEES. 399 

de grâce qu'il lut à F Académie le 18 mars, touchant témoi- 
gnage de piété filiale qui révéla comment Louis-Philippe, 
durant son règne, avait usé de ce droit, l'un des plus 
précieux parmi ceux qui constituaient Fapanage moral 
des chefs d'État. Appelé à prononcer sur 2,277 sentences 
de mort, il avait préféré pour 1,609 « miséricorde à jus- 
tice » ; pour 668 seulement, il avait laissé a libre cours 
à justice ». Le fils, en racontant quelques-unes des cir- 
constances en lesquelles la clémence royale était inter- 
venue, en faisait un titre d'honneur pour le père. A la 
suite de ce travail, il reçut plusieurs lettres, les unes 
louant sans réserve la tendance du roi à commuer la 
peine de mort, les autres blâmant au contraire l'excès 
de sa clémence. C'est ainsi qu'à propos de la grâce 
accordée à Barbes, condamné par la Cour des pairs à la 
peine capitale, un ami du duc d'Aumale lui écrivit : 
« Le lieutenant Drouineau, que Barbes assassina, n'avait- 
il pas une sœur? » 

En revanche, un autre lui disait : 

« Je suis extrêmement frappé de cette haute, simple 
et royale attention apportée, tout un règne durant, à 
l'exercice du plus royal des droits : le droit de grâce. Je 
cherche dans la série de nos rois sur quel autre nous 
pourrions reporter pareil honneur, et je vous avoue naï- 
vement que je remonte jusqu'à saint Louis, sans compter 
que Louis-Philippe n'avait certes pas le secours de la 
dévotion comme son prédécesseur canonisé. Il était na- 
turellement sensible, bon, bienfaisant. C'était l'honnête 
homme du dix-huitième siècle qui croyait s'être démontré 
à lui-même que la bonté rend la charité inutile. On ne 

clef sur lui, et il les emportait dans tous ses déplacements. Ils le 
suivirent en Sicile, au mois d*avril, lors de ce voyage d'où il ne 
devait pas revenir vivant. 



400 LE DUC D*AUMALE. 

s'imagine pas ce que de telles âmes, nées naturellement 
chrétiennes par la bonté, ont de peine à le devenir sm*- 
naturellement par la foi dans Fàge mûr. Mais la sainteté 
de la reine Amélie et sans doute l'exercice du droit de 
grâce ont valu à votre père la belle mort dont vous m'avez 
conté les détails (1). » 

Parmi les personnages auxquels le prince envoya sa 
brochure, se trouvait le président de la République. Peu 
après, il eut l'occasion de le voir. Le droit de grâce, 
l'usage qu'en avait fait Louis-Philippe, les éloges pro- 
digués à son père, de ce chef, par le duc d'Aumale, 
fournirent tout naturellement un terrain à la conversa- 
tion. Tout en louant la bonté du roi, son désir de rendre 
aussi rares que possible les exécutions capitales, M. Félix 
Faure émit l'avis que l'exercice de ce droit n'allait pas 
sans périls. En user trop souvent, il en parlait par expé- 
rience, pouvait avoir pour résultat d'encourager les cri- 
minels. 

La société, quand elle frappe de grands coupables, 
ne se venge pas, disait-il, elle se défend, et il importe de 
ne pas affaiblir cette défense. » 

Il cita même un exemple récent duquel résultait pour 
lui la quasi-certitude qu'un crime abominable qui venait 
d'être commis ne l'eût pas été si, précédemment, grâce 
n'avait été faite à l'auteur d'un crime tout pareil. 

« C'est un point de vue qui m'avait échappé », avoua 
le duc d'Aumale (2). 

Il suivait aussi avec une attention passionnée les 

(1) Documents inédits : M. Buisson (de l'Aude) au duc d'Aumale, 
29 mars 1897. Le prince répondit : « Merci de votre belle lettre, 
mon cher ami. Je pars lundi pour Palerme, d'où je reviendrai le 
âO mai. > Le 20 mai, il reposait depuis la veille dans les caveaux 
de Dreux. 

(2) Notes communiquées à l'auteur. 



] 



LKS DERNIÈRES ANNÉES. 401 

affaires de Grèce, à propos desquelles, peu après, il écri- 
vait de Palerme : « Les temps présents me sont durs h 
supporter. J'ai vu, en 1870, défaire cette belle France 
que nos aïeux ont faite, et l'Europe a laissé faire. Au- 
jourd'hui, je vois qu'une œuvre commune de l'Europe, 
la Grèce, se défait aussi, et l'Europe assistera à ce spec- 
tacle sans s'opposer à la défaite de sa propre création. 
Je n'aime pas la politique d'aujourd'hui. Elle m'attriste 
et elle me pèse (1). » Enfin il se préoccupait de son pro- 
chain voyage à Palerme, qu'il comptait faire en avril, si 
ses médecins continuaient à ne pas s'y opposer. L'idée 
de ce voyage le réconfortait. « Il y a des siècles que je ne 
vous ai vu, écrivait-il le 22 février^ et pour que vous 
sachiez quand vous pourrez me rencontrer à Chantilly 
où vous êtes toujours attendu, je vais vous mettre 
au courant de mes mouvements. D'ici au 4 avril, je 
ne bouge de céans que pour aller assez souvent à Paris. 
Je mettrai ensuite une dizaine de jours à aller, ma 
Naples, à Palerme, où je resterai cinq à six semaines. 
The month of june^ I well open at Chantilly (j'ouvrirai le 
mois de juin à Chantilly) , comme disent les Anglais. 
Voilà le gros. Maintenant, à vous la parole. La 
goutte me laisse tranquille. Mais je tousse quelquefois 
et je m'essouffle facilement. Sur ce, je vous serre la 
main (2). » 

Il se préparait donc à partir, et lui-même annonçait son 
départ à ses amis quand, un matin, se trouvant à Paris, 
on lui annonça le curé de la Madeleine. 

a Vous savez que je pars, lui dit-il, et vous venez 
prendre congé de moi? 

— Oui, monseigneur, répondit l'abbé Hertzog. Mais 

(4) Citée par le Times. 

(2) Communiquée par M. W. de la Rive. 

26 



402 LE DUC D'AUMALE. 

j'avais aussi le devoir de vous rappeler que nous n'en 
avons pas fini ensemble . 

— Je vous comprends. Je me suis confessé; mais je 
n'ai pas communié. Ce n'est pas par irréligion que je n'ai 
pas accompli cet acte final et nécessaire, croyez-le bien; 
c'est par respect. Je ne m'y sentais pas suffisamment 

.préparé et j'ai retardé de jour en jour. Mais je n'ai pas 
renoncé à l'accomplir. 

— Alors, quand, monseigneur? 

— Je n'en ai plus guère le temps, maintenant. Je pars 
demain. Mais, à mon retour, je vous appartiendrai. Je 
rentrerai à Paris le mercredi veille de l'Ascension, et le 
lendemain, dès le matin, j'irai vous trouver. Ne pouvez- 
vous prolonger pour moi jusque-là le temps pascal? 

— Je le peux, monseigneur, et je vous attendrai au 
rendez-vous que vous me donnez. » Comme le prince le 
ramenait en lui serrant les mains avec effusion, l'abbé 
Hertzog demanda : « Comptez-vous vous arrêter à Rome, 
monseigneur? 

— Non, non, répondit avec vivacité le duc d'Aumale. 
Je ne saurais m'y arrêter sans aller embrasser Humbert, 
et vous comprenez que je ne peux le voir. Depuis long- 
temps je ne passe plus par Rome pour aller en Sicile. » 

Ils se séparèrent sur ces mots. Le même soir, le prince, 
qui de tout temps avait contracté l'habitude de faire des 
projets à distance et qui, au moment de partir, réglait 
tout en vue du retour, disait aux personnes de sa maison : 

« Nous reviendrons de Sicile le mercredi 26 mai, 
veille de l'Ascension. Vous rentrerez tous à Chantilly. 
Quant à moi, je coucherai à Paris, et, le lendemain, j'irai 
entendre la messe à la Madeleine. » 

On fut un peu surpris par ces dispositions. Mais, comme 
en les faisant connaître il n'en indiquait pas les raisons. 






LES DERNIÈRES ANNÉES. 403 

on ne l'interrogea pas, et personne ne sut pourquoi il avait 
résolu d'assister à la messe du curé de la Madeleine. 

Consultés sur la question de savoir si le duc d'Aumale 
pouvait, sans péril pour sa vie, entreprendre ce voyage 
de Sicile auquel il songeait depuis Tannée précédente, 
ses médecins avaient été d'avis que son état ne serait pas 
aggravé par un déplacement. Aux personnes de sa maison 
qui devaient l'accompagner, ils recommandaient seule- 
ment d'éviter qu'il se livrât à des fatigues excessives et 
de le garder contre de trop vives émotions. L'excès des 
fatigues ne semblait pas à craindre. Le prince devait faire 
halte en route et se reposer aussi longtemps que ce serait 
nécessaire. Quant aux émotions, on n'en prévoyait pas. 

Joyeux comme l'oiseau qui prend son vol, il quitta 
donc Paris, le 5 avril, avec les compagnons de voyage 
qu'il s'était choisis : la comtesse de Clinchamps, le mar- 
quis et la marquise de Beauvoir, M. Bucan, administra- 
teur général du Zucco, et le docteur Henri Toupet. Ce 
jeune et savant médecin, ayant déjà suivi le prince en 
Sicile l'année précédente, avait consenti à l'y suivre de 
nouveau, après s'être entendu avec le docteur Worms 
quant aux soins à donner au cours du voyage. Le vieux 
Cyrille, valet de chambre du duc d'Aumale, était à la 
tête d'un personnel domestique assez nombreux. On prit 
à Gênes, en passant, la princesse Clémentine, dont son 
frère espérait fêter les quatre-vingts ans à son retour à 
Chantilly; le petit-fils de celle-ci, prince Siegfried, duc en 
Bavière; la baronne Patch, sa dame d'honneur (1). 

Le surlendemain mercredi, on arrivait à Naples. On y 
séjourna durant trois jours. Dans la matinée du samedi, 

(1) Je me suis efforcé, dans cette relation de la mort du duc 
d'Aumale, de suivre pas à pas les notes qui m'ont été remises, et 
de donner à mon récit la précision d'un procès-verbal. 



404 LE DUC D'AUMALE. 

on débarquait à Palerme, où le prince et les siens étaient 
attendus. C'était à la veille de la semaine sainte. Il y eut 
repos complet au palais d'Orléans jusqu'au jeudi saint. 
Ce jour-là y arrivèrent le duc et la duchesse d'Aoste, 
venus pour embrasser leur oncle. On resta en famille, 
sans sortir, et de même la journée suivante, les voitures 
ne circulant pas dans Palerme le vendredi saint. 

Un navire de guerre anglais était mouillé dans le port, 
prêt à repartir. Le commandant, capitaine Hamilton, vint 
s'inscrire au palais. Le duc d'Aumale l'invita à déjeuner 
et l'accueillit avec une courtoisie particulière. Il profes- 
sait des sentiments de reconnaissance pour l'Angleterre, 
où, par deux fois, il avait reçu l'hospitalité. Il saisissait 
toutes les occasions de les manifester. 

« L'uniforme anglais à ma table me fait toujours 
plaisir », dit-il au commandant Hamilton. 

Très touché de cet accueil, le commandant cherchait à 
témoigner sa gratitude. Ayant appris qu'un bal de bien- 
faisance s'organisait à Palerme, sous la présidence de la 
duchesse d'Aoste, il annonça qu'il retardait son départ 
afin de contribuer à relever l'éclat de cette fête en per- 
mettant à ses officiers d'y assister. 

Le lundi, le prince voulut faire à sa nièce et à son neveu 
les honneurs du Zucco. Il partit en avant afin de veiller lui- 
même aux préparatifs de leur réception. Le duc et la du- 
chesse d'Aoste arrivèrent quelques heures après lui; mais 
ils ne le trouvèrent pas à la petite gare qui dessert le do- 
maine. Toute la population s'étant portée à leur rencontre, 
il n'avait pas voulu, par sa présence, détourner d'eux des 
acclamations et des hommages qu'il jugeait ne devoir aller 
qu'à eux, en qualité de membres delà famille royale d'Italie 
voyageant en terre italienne, attention délicate inspirée par 
le désir de leur être agréable, comme aussi par ce qu'il 



LES, DERNIÈRES ANNÉES. 405 

savait de sa popularité dans le pays. Elle eût tout absorbé. 

De cette popularité, les princes italiens eurent une 
preuve éclatante durant une promenade qu'ils firent avec 
leur oncle. Quoiqu'on le connût bien pour l'avoir vu sou- 
vent, c'est lui qu'on regardait, lui qu'on saluait plus 
encore qu'on ne les saluait et qu'on ne les regardait eux- 
mêmes. Ils quittèrent la Sicile dans la soirée du mardi, 
laissant le duc d'Aumale content et valide, bien loin de 
se douter qu'ils le voyaient pour la dernière fois. Il les 
accompagna jusqu'à l'embarcadère. 

Après leur départ, il resta à Palerme; ce furent des 
jours d'entière et saine quiétude, agrémentés par des 
promenades ou par de longues stations dans le jardin, 
sous l'ombre des arbres. A la veillée, le duc d'Aumale, 
tandis que sa sœur se récréait à une partie de whist, lui 
qui ne jouait pas, lisait les papiers de son père; il en avait 
apporté une partie avec lui. Il consacrait à cette lecture 
plusieurs heures de la journée. Il y procédait un crayon 
à la main, accoladant les passages les plus intéressants, 
ceux qu'il se proposait d'utiliser dans le travail qu'il pro- 
jetait. Il passait ensuite un à un, à la princesse Clémen- 
tine, les feuillets qu'il avait annotés, l'associant ainsi à la 
joie qu'il éprouvait à remonter vers le passé de leur père. 

Parfois aussi, il en lisait des fragments aux personnes 
de son entourage, entremêlant sa lecture de réflexions 
et de commentaires qui en relevaient l'intérêt, ou par 
lesquels il révélait ses opinions sur les événements que 
racontait l'auteur de ces manuscrits. S'il s'agissait de 
quelque épisode militaire, il s'arrêtait tout à coup pour 
décrire l'uniforme des soldats dont le narrateur évoquait 
les actes. S'il rencontrait sur son chemin le mot Nation^ 
il s'interrompait pour dire avec gravité : 

« Nation, par un grand N, mesdames. » 



406 LE DUC D'AUMALE. 

Il n'y mettait ni raillerie, ni malice. La Nation, c'était 
la France, l'idole sacrée qu'on doit placer haut sur l'autel 
et parer de fleiu*s. Et puis, il était trop l'homme de 1789 
et de 1830, trop constamment et trop sincèrement « bleu » 
pour pouvoir prononcer certains mots, rappeler certains 
faits, sans y mettre je ne sais quel accent de solennité. 

Un soir, au cours de ces lectures, se produisit un inci- 
dent qui vint marquer plus vivement encore jusqu'à quel 
point fermentait toujours en lui le levain de la Révolu- 
tion. Si proche de sa mort, cet incident présente un 
intérêt spécial en démontrant que, jusque dans sa vieil- 
lesse, le duc d'Aumale avait conservé, ardentes etintactes, 
les idées dont l'empreinte sur son esprit datait de son 
berceau. Il lisait à haute voix, ce soir-là, un passage des 
souvenirs de son père, un des plus émouvants, celui où 
se trouve racontée la tragique séance du 10 août 1792 
dans laquelle, en présence de Louis XVI enfermé dans 
la tribune du logographe, furent prononcées l'abolition 
de la royauté et la déchéance du roi. Arrivé à ce point 
du récit, le lecteur, brusquement, cessa de lire, parut 
méditer et reprit, comme se parlant à lui-même : 

« C'était juste... Il avait oublié le serment du sacre... 
Il avait appelé l'étranger... C'était juste... » 

Il s'en tint à ses mots. Dans sa bouche, ils ne pouvaient 
surprendre ceux qui connaissaient ses opinions. Mais 
nul d'entre eux ne se souvenait de l'avoir entendu les 
exprimer avec tant de netteté ni d'un ton si précis. Sa 
parole resta sans écho, personne ne lui répondit; la lecture 
ne fut pas reprise, et jusqu'au moment où, en se levant, 
il donna le signal du coucher, on ne parla plus (1). 

Ce séjour à Palerme prit bientôt fin. Le duc d'Aumale 

(1) Récit d'un témoin. 



LES. DERNIERES ANNEES. 407 

avait hâte de s'installer au Zucco. Il devait y recevoir le 
duc et la duchesse de Chartres. Ils avaient annoncé leur 
venue pour le 29 avril. Il quitta trois jours avant cette 
date le palais d'Orléans (1). Au Zucco, son neveu et sa 
nièce arrivés, et deux jours plus tard le comte d'Eu, on 
vécut d'une vie intime et familiale. 

J'ai sous les yeux, en racontant les dernières heures 
du duc d'Aumale, un document rare, précieux et sûr, 
toute une suite d'instantanés qui nous le montrent dans 
le cadre où elles s'écoulèrent. Le voici montant à cheval 
devant la porte du Zucco, tandis que, déjà en voiture, la 
duchesse de Chartres, qu'il a voulu accompagner, lui 
sourit. Le jardin est inondé de soleil, et sur la blancheur 
des murailles violemment éclairées se découpent les feuil- 
lages. Voici encore le prince, monté sur un âne, suivant 
un sentier entre des vignes à l'extrémité desquelles se 
dressent des masses rocheuses dont les oliviers couvrent 
la base. En une autre de ces photographies, c'est une 
voiture légère qui le conduit avec sa sœur, à travers la 
plaine, au pas tranquille d'un cheval tenu en main. Der- 
rière la voiture marchent ses compagnons. 

Le photographe Fa saisi encore traversant à pied la 
cour du palais d'Orléans, appuyé sur sa canne, son valet 
de chambre à côté de lui. Puis c'est la princesse Clémen- 

(4) C*est à la veille du départ qu'il apprit la nouvelle de l'atten- 
tat commis le 23 avril contre le roi Humbert. Il lui télégraphia 
aussitôt : « Je prie Votre Majesté de croire à la sympathie pro- 
fonde et indignée de son dévoué oncle. — Aumale. » Des télé- 
grammes analogues furent expédiés à la reine, au prince de Naples, 
au duc d'Aoste et à M. di Rudini, président du conseil des ministres. 
A ce dernier, il disait : « Je tiens à exprimer à Votre Excellence 
mon indignation ainsi que mes sentiments pour le roi et pour l'Ita- 
lie, » Je trouve dans mes notes la réponse du roi : « Je remercie de 
grand cœur Votre Altesse Royale en vous assurant que je partage 
bien sincèrement l'affection que vous me témoignez. — Votre 
dévoué neveu Umberto. » — Documents inédits. 



408 LE DUC D'AUMALE. 

line recevant au Zucco les orphelines que son frère fait 
élever, sous la conduite de deux religieuses; elles sont 
venues remercier le prince qui leur sert de père. C'est 
à peine si on l'aperçoit, il est à Tarrière-plan. On dirait 
qu'il se cache. Il se cachait toujours quand son inépui- 
sable charité s'exerçait (1). 

Sur toutes ces images, la physionomie du prince est 
avenante^ ne témoigne d'aucune souffrance. Cependant, 
à son arrivée au Zucco, son état de santé semblait moins 
rassurant qu'à son départ de Paris. Plus que jamais, 
comme il l'avait écrit à M. de la Rive, il s'essoufflait 
facilement (2). Quoique pour gagner sa chambre il n'eût 
à monter qu'un étage, on dut, plusieurs soirs de suite, 
pour lui en faciliter l'accès, l'escalier étant un peu dur, 
faire usage d'une chaise à porteurs trouvée dans le garde- 
meuble du palais de Palerme. De même, chaque soir, on 
installait à côté de son lit tout un appareil de remèdes 
destinés à le secourir à la première alerte. 

Ce malaise ne dura pas. Les précautions prises furent 
continuées ; mais elles parurent devenir inutiles. Le prince 
renonça volontairement à sa chaise à porteurs, préférant 
gravir l'escalier, ce qu'il faisait maintenant sans peine. 
Il n'avait pas d'ailleurs interrompu ses promenades à 
cheval, à âne, en voiture. Il y apportait toujours la 
même vivacité d'allures. Celle de son esprit s'exprimait 
sous les formes les plus rassurantes. Il continuait à s'oc- 
cuper des menus détails de sa maison, et commençait à 
étudier les itinéraires du retour en France. 

(4) Ces photographies m*ont été communiquées par le docteur 
Toupet. Il en existe d'autres faites par M. Gordon Bennett repro- 
duisant diverses scènes de la rencontre du duc d'Aumale et du duc 
d'Orléans avec l'impératrice Eugénie en 4896. 

(2) Une lettre écrite à cette date par le docteur Toupet au docteur 
Worms témoignait de ses inquiétudes. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 409 

C'est en ces circonstances que, le mercredi 5 mai, la 
marquise de Beauvoir reçut une dépêche de son fils lui 
annonçant l'incendie du bazar de la Charité et la dispari- 
tion de la duchesse d'Alençon. Il parut impossible de 
cacher au prince l'affreuse nouvelle que d'autres télé- 
grammes succédant au premier ne tardèrent pas à con- 
firmer. On la lui communiqua en usant de ménagements. 

Sa douleur fut extrême et son angoisse d'autant plus 
cruelle qu'un de ces télégrammes, presque aussitôt dé- 
menti, laissait quelque espoir en ce qui touchait la 
duchesse d'Alençon et faisait craindre que la duchesse 
de Vendôme n'eût péri. On sut bientôt que la jeune prin- 
cesse était à Bruxelles. En revanche, le duc d'Alençon 
fit part lui-même à son oncle de son malheur. « J'ai le 
cœur déchiré, télégraphiait-il, en vous annonçant que 
ma bien-aimée Sophie a trouvé la mort dans l'horrible 
catastrophe (1). » 

De son côté, M. Auguste Laugel envoyait la liste des 
victimes. Le prince fut bouleversé en trouvant parmi 
tant de noms de martyrs ceux de personnes qui lui 
étaient chères, son vieil ami le général Munier, l'ancien 
gouverneur de Belfort, la baronne de Saint-Didier, d'au- 
tres encore. Il écrivit au duc d'Alençon : « Accablé par 
affreuse douleur. Suis de cœur avec toi. » Une dépêche 
fut adressée par ses soins à l'empereur d'Autriche, beau- 
frère de la duchesse d'Alençon. Il en reçut une du roi 
d'Italie et y répondit. Malgré les émotions et les secousses 
de cette douloureuse journée, il ne semblait abattu ni de 
corps ni d'intelligence. Il gardait assez de lucidité pour 
ne rien oublier, pas même de faire dire au chapelain du 
Zucco qu'il désirait que le lendemain un service funèbre 

(4) Ce télégramme et les suivants sont publiés pour la première 
fois. 



410 . LE DUC D'AUMALE. 

fût célébré dans sa chapelle et de lui demander qu'au 
nom de la duchesse d'Alençon fût associé dans ses prières 
celui de la princesse Amélie, fille de la princesse Clémen- 
tine, morte presque à pareil jour, plusieurs années avant. 

Cette cérémonie eut lieu le jeudi 6 mai. Il y assista, et 
comme à la fin de l'office le prêtre récitait le De profunr- 
dis^ on entendit soudain la voix du duc d'Aumale répon- 
dre à la sienne et dire les répons du psaume avec un 
accent de contrition et de ferveur qui frappa toutes les 
personnes présentes. 

Le duc de Chartres et le comte d'Eu partirent dans 
Taprès-midi du même jour. Ils avaient décidé de rentrer à 
Paris, afin d'assister aux obsèques delà duchesse d'Alen- 
çon. La duchesse de Chartres voulut accompagner son 
mari jusqu'à Palerme, où il allait s'embarquer pour Naples. 
Elle devait rentrer le même soir. En attendant son retour, 
le duc d'Aumale, faisant trêve à sa propre peine pour ne 
songer qu'à celle d' autrui, dit à sa sœur et aux personnes 
qui se trouvaient autour de lui : 

« Allons! si cruels que soient ces événements, il ne faut 
pas se laisser abattre. » 

Puis, lorsqu'il eut avec M. Bucan réglé les détails 
d'une excursion qu'il voulait faire le lendemain au bord 
de la mer, à San Cataldo, et quand chacun se fut éloigné, 
— c'était l'heure consacrée à la correspondance, — il 
prit le bras du docteur Toupet et l'entraîna dans une 
longue promenade à pied, la plus longue qu'il eût faite 
depuis son arrivée en Sicile. Après cette course, il s'assit 
avec son compagnon sur la terrasse, continuant la con- 
versation commencée en marchant Elle roula presque 
uniquement sur des choses de littérature. Il parla avec 
éloges d'un livre sur Beaumarchais qu'il avait lu les jours 
précédents, dont l'auteur lui était inconnu : 



j 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 411 

« Ce doit être un normalien, dit-il. J'ai retrouvé dans 
ses appréciations les traditions et les enseignements de 
l'École normale. » 

Il passa ensuite à M. Emile Zola, raisonnant sur ses 
qualités et ses défauts d'écrivain, sur le caractère de 
quelques-uns de ses livres, sur ses chances académiques. 

Déjà surpris par l'énergie physique que le prince dé- 
ployait depuis le matin, le docteur Toupet ne le fut pas 
moins par la liberté d'esprit que trahissait sa parole. Qu'il en 
fût ainsi malgré tant d'émotions, le docteur n'en revenait 
pas. Il n'avait jamais vu le prince si dispos ni si vaillant. 

Leur entretien fut interrompu par l'arrivée du courrier. 
Le duc d'Aumale se leva, allant à la rencontre du domes- 
tique qui venait vers lui. Il lui prit des mains les journaux 
et les lettres, et rapidement parcourut les adresses. Sur 
l'une de ces enveloppes, qui portait, avec le timbre de 
Paris, le nom d'une personne de sa maison, qu'au même 
moment il apercevait assise sur la terrasse à quelques pas 
de lui, il reconnut l'écriture de la duchesse d'Alençon. Il 
remit lui-même la lettre à la destinataire en disant avec 
compassion : 

« Tenez, c'est de cette pauvre Sophie! N'est-ce pas 
affreux de penser que vingt-quatre heures après vous 
avoir écrit, elle a péri si malheureusement? » 

Puis, comme les yeux de l'amie à qui il s'adressait 
interrogaient les siens, à travers des larmes et non sans 
inquiétude, il reprit, affectueux : 

« Rassurez-vous, soyez contente et dormez tranquille 
cette nuit. Je ne me suis jamais mieux porté. » 

La duchesse de Chartres rentra un peu avant l'heure 
du dîner. La soirée s'écoula tristement. Puis le prince 
s'étant encore efforcé de rassurer sa famille et ses amis, 
on se sépara jusqu'au lendemain. Il monta dans la petite 



412 . LE DUC D'AUMALE. 

chambre qu'il occupait, chambre très simple, sommai- 
rement meublée, avec un lit étroit, un vrai lit de camp, 
et des tables où Ton déposait, sur l'une, la boîte con- 
tenant les papiers du roi, sur l'autre les remèdes que 
le docteur Toupet voulait avoir toujours sous la main. 
Cyrille avait rejoint son maître, près duquel il couchait. 
Celui-ci l'ayant longtemps retenu, il était très tard quand 
ce serviteur dévoué put prendre quelque repos. 

Vers deux heures, s'étant levé pour s'assurer, ainsi 
qu'il le faisait une ou deux fois la nuit, que le prince 
n'avait pas besoin de ses soins, son immobilité l'effraya. 
Le docteur Toupet subitement réveillé accourut. Il trouva 
son malade au plus bas et jugea le cas désespéré. La 
rupture d'anévrisme qu'il redoutait s'était produite. Il 
n'en recourut pas moins à tous les moyens que purent lui 
suggérer sa science et son expérience. Mais ils furent 
employés en vain. Le prince était resté sans mouvement; 
il ouvrit les yeux, les ferma et mourut. 

Entre le moment où le docteur Toupet avait été averti 
et celui du décès, il n'y eut guère plus de dix minutes. 
C'est à peine si les habitants du Zucco prévenus en toute 
hâte arrivèrent assez tôt au chevet du duc d'Aumale pour 
le voir expirer. Usant de clémence envers lui, la mort 
avait été quasi foudroyante, comme si elle eût voulu lui 
épargner une dernière douleur, la plus cruelle de toutes 
celles qui pouvaient l'atteindre encore, la douleur de 
mourir hors de France, lui qui n'avait tant souffert de 
l'exil que parce qu'il redoutait de ne pas expirer dans son 
pays. Les assistants tombèrent à genoux et prièrent. Puis 
la princesse Clémentine, à qui son âge et la tendresse 
qu'elle avait toujours eue pour son frère rendaient cette 
épreuve si cruelle, rentra dans sa chambre, ne voulant voir 
personne, si ce n'est la duchesse de Chartres qui la suivit. 



LE3 DERNIÈRES ANNÉES. 413 

En l'absence des princes de la famille royale, c'est au 
marquis de Beauvoir qu'incombait la responsabilité des 
devoirs et des formalités à remplir. Il fallait s'en occuper 
sans tarder. Il se mit à l'œuvre, secondé dans cette tâche 
par le docteur Toupet et par M. Bucan. Dès le matin, des 
télégrammes partaient dans toutes les directions, à 
l'adresse du duc d'Orléans, du duc de Chartres, de 
M. Edouard Bocher, de M. di Rudini,du docteur Worms, 
de M. Benjamin Constant et des représentants du duc 
d'Aumale à Paris. 

Ces dépêches expédiées, une question délicate se posa. 
Il ne semblait pas douteux qu'on dût faire part du décès 
au gouvernement de la République, alors surtout qu'on 
pouvait être amené à solliciter de lui les honneurs mili- 
taires pour la dépouille du duc d'Aumale à son arrivée en 
France. Les princesses consultées furent d'avis qu'on 
devait l'avertir. Restait toutefois à déterminer sous quelle 
forme il convenait de le faire. La duchesse de Chartres 
suggéra l'idée de recourir à l'intermédiaire des représen- 
tants de son oncle. On leur envoya à cet effet une seconde 
dépêche. Mais, au reçu de la première, ils s'étaient rendus 
chez M. Edouard Bocher et, de là, au palais de l'Elysée, 
où ils se présentèrent à sept heures du matin. Le Prési- 
dent de la République les reçut aussitôt. Il apprit avec 
émotion la douloureuse nouvelle qu'on lui apportait. En 
un langage élevé, il rendit hommage aux vertus du prince, 
résumant son opinion en ces mots : 

« C'était un grand citoyen, un patriote. » 

En quittant l'Elysée, l'un des mandataires de la famille 
d'Orléans alla chez le ministre de la guerre. Quoique souf- 
frant, le général Billot vint le rejoindre dans son cabinet. 

« Ahl mon Dieu, s'écria-t-il en le voyant, je devine ce 
que vous venez m'annoncer. Il est mort? » 



414 LE DUC D'AUMALE. 

Sur la réponse affirmative, il reprit : 

« C'était le premier soldat de France. » 

En quelques mots, il justifia cette appréciation. 

Alors fut abordée la question des honneurs militaires. 

«Si j'étais seul maître, je les accorderais sur-le-champ, 
dit le ministre. Nul n'y eut plus de droits que le duc 
d'Aumale. Mais il y a le gouvernement. Seul, il peut 
décider. » 

La question était donc réservée jusqu'au moment où, le 
général Billot l'ayant soumise à ses collègues, une déci- 
sion serait prise. Son interlocuteur devait revenir le len- 
demain pour connaître cette décision. Il était d'ailleurs 
convaincu qu'elle serait conforme aux désirs des amis du 
prince. Pouvait-on refuser les honneurs militaires au 
vainqueur d'Abd-el-Kader, au président du conseil de 
guerre qui avait jugé Bazaine, à l'ancien commandant du 
7* corps, au doyen des généraux français? Un arrêté mi- 
nistériel, contraire à toute justice, pouvait-il effacer tant 
de nobles souvenirs, tout un passé d'honneur et de gloire? 
Sous l'empire de cette conviction, les mandataires de la 
famille, ayant reçu du Zucco une dépêche en laquelle il 
était dit que les obsèques auraient lieu à Dreux et non à 
Paris, insistèrent pour que le corps passât par Paris, ce 
qui fut enfin décidé. Le service religieux serait célébré à 
la Madeleine. 

Tandis que la nouvelle du décès du duc d'Aumale, 
communiquée au gouvernement, à l'Institut, aux jour- 
naux, se répandait de toutes parts, éveillant partout des 
sympathies et des regrets, au Zucco, les dépêches 
affluaient à l'adresse du marquis dé Beauvoir, apportant 
des condoléances. Trois d'entre elles émurent profondé- 
ment les princesses de la famille royale et les amis du 
prince réunis sous son toit, La première était signée du 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 415 

général Billot et conçue en ces termes : « Le colonel Ber- 
thaut (1) vient de me faire part du nouveau malheur qui 
s'ajoute à tant de malheurs. La mort du duc d'Aumale est 
un deuil pour la France entière, qui perd en lui un grand 
prince, un grand citoyen et un grand soldat. Je viens, 
avec vous et ceux qui ont recueilli son dernier soupir, 
pleurer Tami délicat et fidèle (2). » 

De son côté, le général Saussier télégraphia : « Avec 
tous mes camarades, je regrette vivement la perte de 
Fhomme éminent qui a si grandement honoré son pays 
dans les lettres comme dans l'armée et qui fut par-dessus 
tout un bon Français (3). » 

Enfin, une troisième dépêche vint accroître l'émotion 
provoquée, parmi ceux qui les recevaient, par ces élo- 
quents témoignages de l'admiration qu'inspirait le duc 
d'Aumale. Celle-là émanait du président du conseil des 
ministres d'Italie : « Au nom du gouvernement italien, je 
vous prie de vouloir demander à la famille royale si elle 

(1) Quelques années après avoir quitté l'armée active pour suivre 
en exil le duc d*Aumale, M. Berthaut, quand cessa l'exil, avait été 
nommé colonel de l'armée territoriale. 

(2) Malgré le caractère confidentiel de cette dépêche, je ne crois 
pas devoir la passer sous silence, non seulement parce qu'elle [con- 
stitue un document historique qui manquerait à ce récit, mais parce 
qu'elle honore à la fois celui qui l'écrivit et celui dont la mémoire 
l'inspira. 

(3) Tenu de répondre à ces télégrammes, le marquis de Beauvoir 
le fit comme suit : 

« Au général Billot : — De toutes les dépêches si nombreuses 
reçues ici, celle que vous m'avez fait, mon général, l'honneur de 
m'adresser, est celle qui a produit chez tous la plus patriotique émo- 
tion. Les amis respectueux qui vivaient avec le prince l'ont entendu 
maintes fois, notamment en ces derniers jours, parler de vous avec 
un attachement reconnaissant. Vous saviez, vous, mieux que tout 
autre, combien il aimait passionnément l'armée et la France. » 

c Au général Saussier : — Nous venons d'ensevelir dans un dra- 
peau tricolore votre ancien compagnon d'armes qui avait si haut 
pour vous, mon général, estime et affection. » 



416 LE DUC D'AUMALE. 

accepte que les dépouilles de Son Altesse Royale soient 
transportées en France par un de nos navires de guerre. 

— RUDINI. » 

Personne, au Zucco, ne se reconnut l'autorité néces- 
saire pour accepter ou refuser cette offre d'un caractère 
si touchant et si cordial, hommage éclatant rendu par 
ritalie à la mémoire du duc d'Aumale. Au chef de la mai- 
son de France seul il appartenait de prononcer. Il avait 
annoncé son arrivée. On résolut de l'attendre. Mais, en 
faisant part de cette décision à M. di Rudini, le marquis 
de Beauvoir lui demanda les honneurs militaires pour le 
cercueil du prince, à son passage à Palerme. 

Durant toute la journée du 7 et durant une partie de 
celle du 8, le corps du duc d'Aumale resta exposé sur son 
lit. Maintes fois il avait dit qu'il voulait être enseveli vêtu 
de son uniforme, paré du grand cordon de la Légion 
d'honneur et de sa croix de chevalier, celle qu'il avait 
gagnée en Algérie. Mais ces glorieux insignes étant de- 
meurés à Chantilly, il n'eut pas la toilette mortuaire qu'il 
avait souhaitée. Un drapeau tricolore la remplaça. 

La mise en bière eut lieu dans l'après-midi. Avant d'y 
procéder, les serviteurs et les gardes du domaine, au 
nombre de douze, défilèrent devant le corps. Ce fut un 
émouvant spectacle que celui de ces hommes, aux traits 
rudes, au teint basané, qui, tout en larmes, s'arrêtaient 
en saluant leur maître mort, et baisaient pieusement, sui- 
vant les coutumes de leur pays, son front, ses mains et 
ses pieds. 

Tandis qu'un service religieux était célébré dans la 
chapelle, le corps non présent, on le déposa dans son cer- 
cueil avec le drapeau pour suaire. On mit à ses côtés les 
portraits de la duchesse d'Aumale, du prince de Condé et 
du duc de Guise. Puis, le cercueil fut scellé. Arrivé de 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 417 

Naples avec le jeune fils du comte d'Eu, le duc de Char- 
tres était présent. Le marquis de Beauvoir, M. Bucan, le 
docteur Toupet, M. Rondeau, directeur de vignoble, et 
Cyrille, signèrent le procès-verbal de mise en bière. 

A cinq heures, on partit du Zucco pour la gare. Recou- 
vert du drapeau et disparaissant sous des palmes vertes, 
le cercueil était porté à bras par des gardes et des vigne- 
rons. Le clergé précédait, les princes marchaient der- 
rière, puis les consuls de France et de Belgique, les amis 
du duc d'Aumale, ses serviteurs, et pêle-mêle, un flot de 
peuple, gens du pays qui pleuraient leur bienfaiteur. Les 
carabiniers royaux escortaient le convoi. Il passa sous 
les platanes et les lauriers-roses qui entourent l'habita- 
tion. Il suivit ensuite une allée de vieux oliviers que 
semble écraser le poids des siècles, tant leurs troncs sont 
déchirés et convulsés. Pendant tout le jour, des nuées 
d'orage s'étaient promenées dans le ciel. Au déclin du 
soleil, elles se coloraient de teintes rougeâtres ; sur leurs 
bords déchiquetés s'allumaient des reflets d'incendie. Ils 
embrasaient d'un éclat sinistre la route, les haies de géra- 
niums et de cactus, l'étendue monotone des vignes, les 
collines rocheuses et les lointains horizons, tout ce pay- 
sage que le duc d'Aumale avait tant aimé et qui semblait 
porter son deuil. Dans le silence montaient, mêlées aux 
psalmodies des prêtres, les voix des femmes qui se lamen- 
taient, et l'air s'emplissait de leurs plaintes. A Palerme, 
dans la chapelle du palais d'Orléans, tout était prêt pour 
recevoir le cercueil. Il allait y rester jusqu'au jour des 
obsèques. Leur célébration avait été fixée au 11 mai. Le 
cardinal-archevêque, ancien abbé duMont-Cassin, ami du 
prince, avait offert sa cathédrale et promis sa présence (1). 

(1) Au dernier moment, ayant appris que des officiers de la mai- 
son du roi devaient assister à la cérémonie, ses dispositions chan- 

27 



1 



418 LE DUC D'AUMÀLE. 

Le duc d'Orléans arriva le lendemain. On sut, dès son 
arrivée, qu'il n'acceptait pas l'offre d'un navire de guerre, 
faite par le gouvernement italien et pour laquelle il en- 
voya ses remerciements. Ce mode de transport l'eût 
obligé à se séparer du convoi au port d'embarquement, 
car il ne pouvait y avoir place pour lui sur un vaisseau à 
destination de France. Il préférait la voie ordinaire : de 
Palerme à Messine, le chemin de fer; de Messine à Reggio, 
le bateau postal, et encore le chemin de fer, à travers 
l'Italie, de Reggio à Bardonèche. Cet itinéraire, qui lui 
permettait d'accompagner les restes de son oncle jusqu'à 
la frontière française, fut donc adopté. 

On apprenait en même temps que le gouvernement 
français accordait les honneurs militaires. La décision 
avait été prise en conseil. M. Méline avait exigé une 
demande formelle au nom de la famille. Cette demande 
faite, et le duc d'Aumale étant grand-croix de la Légion 
d'honneur, le gouvernement avait résolu d'en agir avec 
lui d'après le cérémonial en usage pour les légionnaires 
de ce grade. Ce cérémonial est presque le même que 
pour les généraux commandants de corps d'armée : môme 
déploiement de troupes, tout pareil, sauf le défilé. Le 
conseil des ministres n'était pas tenu de faire davantage. 
Mais, aux yeux du gouverneur de Paris, ce n'était pas 
assez; il jugeait que le glorieux héros de la prise delà 
smalah, — « cet acte à la Condé », — n'avait pas cessé 
d'être général. Le gouverneur était de ceux qui, vivant, 
ne lui donnaient jamais d'autre titre, ce dont le prince se 
montrait toujours flatté, très fier et très heureux. Chargé 
de régler les détails de la cérémonie au point de vue 
militaire, le général Saussier, obéissant à la plus délicate 

gèrent. H partit pour la campagne, et le service religieux fut célébré 
dans une église secondaire. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 419 

inspiration, proposa au ministre de traiter le duc d'Au- 
male comme s'il fût mort en possession de son grade, 
c'est-à-dire, la cérémonie religieuse terminée, de déposer 
le cercueil sous le péristyle de la Madeleine et de faire 
défiler devant lui les troupes de la garnison. C'était en- 
freindre les règlements. Mais le général Saussier pensait 
que le « cœur de la France » ne désapprouverait pas les 
honneurs exceptionnels qu'il proposait de rendre au 
prince. 

Lé ministre acquiesça à cette proposition si noble, si 
touchante, destinée à réparer envers le duc d'Aumale 
l'iniquité dont il avait été la victime. La décision prise ne 
fut pas annoncée. On la tint secrète. Les Parisiens ne la 
connurent qu'à l'heure des obsèques, quand elle produisit 
ses effets et qu'on vit, à l'improviste, lorsqu'on croyait la 
cérémonie terminée, commencer devant le corps cet impo- 
sant défilé de fantassins, de cavaliers, de canons, auquel 
personne ne s'attendait, qui causa aux amis du prince, à 
ses anciens officiers surtout, tant de surprise, j'allais dire 
tant de joie, si un pareil mot pouvait être de mise en un 
jour de larmes et de deuil. 

A quoi bon maintenant s'arrêter aux diverses étapes 
du long chemin que suivit le cercueil pour aller du Zucco 
à la Madeleine et de là dans le tombeau de Dreux : les 
obsèques solennelles de Palerme; la marche en chemin 
de fer, de Palerme à Messine, avec, le long de la voie, 
les populations accourues; la traversée de Messine à 
Reggio, le cercueil sur le pont du navire; l'arrêt à Bar- 
donèche, où devant le wagon clos et scellé, le duc d'Or- 
léans, navré de ne pouvoir le suivre en France, s'age- 
nouilla et dit à son oncle un dernier adieu; l'arrivée à 
Modane, où l'attendait M. Georges Berthaut, apportant 
l'épée, l'uniforme, la croix d'honneur, qu'il eut la douleur 



420 LE DUC D'AUMALE. 

de ne pouvoir mettre alors sur le cercueil de son général, 
mais qu'il y mit à Paris, avec la médaille coloniale; l'en- 
trée dans les caveaux de la Madeleine, où la bière fut 
déposée en attendant les funérailles; ces funérailles 
enfin, qui eurent lieu le 17 mai, en présence de l'aristo- 
cratie intellectuelle et sociale de la France, tandis qu'au 
dehors une foule immense glorifiait par sa seule pré- 
sence la mémoire de ce grand mort? La presse du monde 
entier a enregistré ces épisodes d'un émouvant voyage 
et d'une manifestation non moins émouvante. Il suffit à 
l'historien de les rappeler, en même temps que la céré- 
monie de Dreux et l'éloquente oraison funèbre prononcée 
par le cardinal Perraud à Saint-Germain des Prés, au ser- 
vice que fit célébrer l'Institut. 

Mort, le duc d'Aumale recueillait plus d'hommages 
d'admiration et de respect, de plus éloquents et de plus 
unanimes encore, qu'il n'en avait recueilli vivant. Devant 
son cercueil, chacun eut le sentiment que quelque chose 
de très grand venait de disparaître, et, dans la sincérité 
des regrets, les vieilles passions semblèrent s'apaiser, 
les anciens ressentiments s'éteindre. Au fond des cœurs 
s'allumaient d'ardentes et patriotiques émotions; d'émou- 
vants souvenirs hantaient les mémoires : les légendes 
d'Afrique, la bonté de Louis-Philippe, les vertus de 
Marie-Amélie, la vaillance de leurs fils, la fin tragique du 
duc d'Orléans et les brillantes chevauchées du jeune 
vainqueur de la smalah. Tout ce passé, durant quelques 
heures, ressuscita, symbolisé par un cercueil que couvrait 
un drapeau. La marche funèbre devint une marche 
triomphale, et les obsèques furent une apothéose. 

Et c'était le légitime couronnement d'une vie glorieuse 
dominée, de son aube à sa fin, par ce vibrant amour de 
la patrie qui toujoui's en avait inspiré les actes; c'était 






LES DERNIÈRES ANNÉES. 421 

surtout rentrée dans l'Histoire de ce prince qui fut parmi 
nous la dernière personnification d'un prince, de ce soldat 
de race royale, intrépide, obstiné, qui porta sans faiblir 
rhéritage de l'illustre race dont il était issu, et dont le 
bras avait manqué au pays au jour des suprêmes périls. 
Oui, son entrée dans l'Histoire, car c'est à elle qu'il ap- 
partenait désormais. 

Le jugement qu'elle portera sur lui, il est aisé de le 
pressentir par celui qu'ont déjà porté les contemporains 
et dont ce livre, qui s'achève, n'est qu'un écho. Elle 
célébrera ce noble fils de France, son chevaleresque cou- 
rage, sa magnanimité, son intelligence claire et haute, 
tant de multiples dons inutilisés, hélas I trop vite et trop 
tôt. Elle dira que, s'il fut empêché de conquérir tous les 
lauriers qu'il avait entrevus dans ses rêves d'adolescent, 
quand il souhaitait d'égaler le grand Condé, il n'en honora 
pas moins par sa plume, par son épée, par ses exemples, 
le temps où il vécut. A côté de son nom elle mettra cette 
inscription héroïque, celle qu'il eût préférée : « Henri 
d'Orléans, duc d'Aumale, a bien mérité de la patrie. » 



PIÈCES HISTORIQUES 



Le roi Louis XVIII n'approuvait pas le système d'éducation 
auquel avait recouru pour ses fils le duc d'Orléans. Nous don- 
nons ici, à l'appui de ce qui est dit plus haut, page 12, deux 
billets du roi à son ministre Decazes, et une lettre du duc 
d'Orléans au roi. Ces documents, entièrement inédits, sont 
tirés des archives Decazes. 

Le roi Louis XVIII au comte Decazes (4). 

24 octobre 1819. 

M. le duc d'Orléans, mon cher fils, a raison, je te l'ai déjà 
dit, quant à M. le prince de Gonti, tort quant à M. le duc de 
Bourbon, mais l'exemple même de M. le prince de Conti suf- 
firait pour prouver qu'un prince ne doit pas recevoir une édu- 
cation publique. 

31 octobre 1819, 2 heures. 

J'ai vu M. le duc d'Orléans, mon cher fils, pendant plus de 
trois quarts d'heure. Nous sommes, comme on pouvait bien 
s'y attendre, restés chacun dans notre opinion; il m'a dit qu'on 

(1) La correspondance du roi avec son ministre affecte presque 
toujours le ton paternel employé dans les deux billets ci-dessous. 



124 LE DUC D'AUMALE. 

lui avait fait espérer que je n'insisterais que sur le réfectoire 
et non sur la récréation. Nous n'avons, toi et moi, jamais 
traité ce chapitre, je ne sais pas ce que Lally peut lui avoir 
dit; j'ai donc profité de l'offre qu'il me faisait de réfléchir à 
mon dire, et j'ai terminé l'entretien. 

SniE, 

J'ai l'honneur de rendre compte au roi du résultat de la 
communication dont Votre Majesté m'a chargé pour Mme la 
duchesse d'Orléans. Je n'ai pas manqué, Sire, de lui faire un 
récit exact de tout ce que vous avez daigné me dire. Depuis 
ce moment, et pour obéir à Votre Majesté, ma femme a bien 
réfléchi de nouveau sur la résolution que nous avons prise, 
elle et moi. Je n'ai presque pas cessé d'y penser moi-môme. 
Nous continuons à croire que notre devoir de père et de 
mère, autant que celui de princes de notre sang, est d'y 
persister. Nos motifs que j'ai déjà eu l'honneur d'exposer 
au roi, ne sont combattus que par notre sincère désir de lui 
complaire, en toutes choses; mais Votre Majesté n'a pu vou- 
loir les faire céder qu'à une conviction de dangers que nous 
sommes loin de regarder comme inévitables, et que nous 
nous croyons au contraire certains d'éviter. Si, cependant, 
contre notre attente, quelque inconvénient résultait de l'essai 
que nous allons faire, que Votre Majesté daigne s'en reposer 
sur notre vigilance à les découvrir, et croire à l'empresse- 
ment que nous mettrons à remédier, avant qu'il fût trop 
tard, au mal que nous n'aurions pas prévu. Profondément 
touché des témoignages de bonté dont Votre Majesté m'a 
comblé, je m'efforcerai toujours de m'en montrer digne, mais 
lorsqu'EUe m'a dit qu'Elle m'en estimait davantage pour avoir 
persisté dans ce que ma conviction intime me présentait 
comme un devoir. Elle a déjà approuvé notre respectueuse 
persévérance. 

Sire, de Votre Majesté, très humble, très obéissant, et très 
fidèle sujet, serviteur et neveu, 

Louis-Philippe d'Orléans. 
Paris, ce 4 novembre 1819. 



PIÈCES HISTORIQUES. 425 

P. S. — Madame la duchesse d'Orléans ayant voulu expri- 
mer elle-même ses sentimens au roi , en réponse à la commu- 
nication que Votre Majesté m'avait chargé de lui faire, j'ai 
l'honneur d'adresser au roi la lettre qu'Elle me demande de 
lui faire parvenir. 



Il 



Extrait des états de service du duc d'Aumale. 

4840. — Cité à l'ordre de l'armée d'Afrique, comme chef de 
bataillon au 4* léger, pour avoir, à l'expédition de Médéah : 

déchargé volontairement le 27 avril (combat de FAffroun)à 
la tête du !•' régiment de chasseurs d'Afrique; 

2" Le 12 mai, donné son cheval au colonel Gueswiller, 
démonté, et marché avec les grenadiers du 23* à l'assaut du 
col de Mouzaïa (le prince a été fait chevalier de la Légion 
d'honneur à la suite de cette expédition). 

1841. — Cité comme lieutenant-colonel au 24* de ligne, 
pour la manière dont il a conduit son régiment aux combats 
des 3 et 4 avril (bois des Oliviers); 3 et 5 mai (plaine duChéliff); 
il prend part ensuite à l'expédition de la division Baraguay 
d'Hilliers sur Thaza, à la suite de laquelle il est nommé colo- 
nel du 17* léger, à la tête duquel il rentre en France. 

En novembre 1842, le duc d'Aumale est nommé maréchal de 
camp et commandant supérieur de la province de Tittery, et 
prend le commandement d'une colonne chargée d'opérer dans 
rOuarensenis sous le maréchal Bugeaud; il est cité à la suite 
de cette expédition. . 

En janvier 1843, il soumet les Ouled-Auteur, et poursuit 
jusqu'au delà de Boghar le kalifa de l'émir. Si Embarek. 

En mars 1843, il châtie les Beni-Djaad et les Négliona, sur 
les confins de la Kabylie du Djurdjura. 

Le 16 mai, il enlève avec cinq cents chevaux la smalah 
d'Abd-el-Kader. Nommé lieutenant général, il prend, en no- 
vembre 1843, le commandement de la province de Constantine. 

En février 1844, accompagné du duc de Montpensier; il pour- 
suit Amed-bey dans les Zibans et entre (le premier) à Biskra; 
enlève Méchounèche dans l'Aurès (le duc de Montpensier et le 
colonel Jamin sont blessés à ses côtés). 



PIÈCES HISTORIQUES. 427 

En avril 4844, il pénètre dans les montagnes des Ouled- 
Sultan et livre un rude combat dans lequel son cheval reçoit 
deux blessures, revient rapidement sur Batna qu'il dégage, 
puis sur Biskra menacé; achève la soumission de la province. 

Fin de 1844, rentre en France pour se marier, revient en 
Afrique, en 1846, comme commandant des subdivisions de 
Médéah et de Miliana, pacifie TOuarensenis, reçoit la soumis- 
sion des Ouled-Nail. 

En 1847, comme gouverneur général, il reçoit la soumission 
d'Abd-el-Kader. 



III 



Prise de la zemalah d* AM-el-Kader par S. AJR, le duc d'Aumak. 
— Rapport adressé par le prince à M. le général de Bar y com- 
mandant supérieur à Alger, par intérim. 

Au bivouac de Ghabonnias, sur TOued-Ouerk, 
le 20 mai 1843. 

Mon général, 

La zemalah d'Abd-el-Kader est prise, son trésor pillé, les 
fantassins réguliers tués ou dispersés. Quatre drapeaux, un 
canon, deux affûts, un butin immense, des populations et des 
troupeaux considérables sont tombés en notre pouvoir. 

Voici le résumé de nos opérations : 

J'avais, d'après vos ordres, rassemblé à Boghar, dans les 
premiers jours du mois, des grains, des vivres et des moyens 
de transport. Le 10 mai, je quittai ce poste avec treize cents 
baïonnettes des 33» et 6Â* de ligne et des zouaves, six cents 
chevaux, tant spahis que chasseurs et gendarmes, une section 
de montagne et un approvisionnement de vingt jours en vivres 
et en orge, porté par un convoi de huit cents chamauxet 
mulets. Je laissais à Boghar assez de vivres pour ravitailler 
au besoin la colonne, et une petite garnison de douze cent 
cinquante hommes, commandée par le capitaine du génie 
Mottet, officier plein de ressources et d'intelligence, qui devait 
y terminer quelques travaux indispensables. Le but que vous 
m'aviez indiqué était d'atteindre la zemalah d'Abd-el-Kader, 
soit en agissant de concert avec M. de Lamoricière, soit en 
opérant seul, si des circonstances politiques retenaient cet 
officier général dans la province de Mascara. 

Des renseignements dignes de foi, fournis par l'aga des 
Ouled-Aïad, plaçaient la zemalah, dans les environs de Goud- 
jilah, sans déterminer sa position d'une façon exacte. Il 



PIEGES HISTORIQUES. 429 

importait donc, avant tout, d'atteindre ce point le plus promp- 
tement possible, en tâchant de dissimuler à l'ennemi la direc- 
tion que nous suivions; nous ne pouvions pas espérer qu'il 
ignorerait notre sortie. Grâce à d'excellents guides, nous 
pûmes, en suivant une vallée étroite et parallèle à celle de 
Nar-Ouassel, arriver à Goudjilah sans qu'on y fût prévenu 
de notre approche; et le 14 mai, à la suite d'une marche de 
nuit, ce petit village fut cerné, 

Gondjilah est peuplé de gens de métiers que leur profes- 
sion mettait en rapports continuels avec la zemalah; on en 
arrêta quelques-uns. Nous sûmes par eux que la zemalah 
était à Ouessek-on-Rekai', à environ quatorze lieues au sud- 
ouest. 

Dans la nuit du 44 au 45, la colonne se remit en route vers 
ce point. Quelques individus surpris dans les bois nous 
apprirent que l'ennemi avait levé son camp la veille au soir, 
et s'était dirigé vers Taguin, pour de là gagner le Djebel - 
Amour. Cette montagne renferme des grains déjà mûrs dans 
cette saison, et qui devaient nourrir pendant quelque temps 
les nombreuses populations qu'Abd-el-Kader traînait à la 
suite de son douar. 

Je fus informé, en même temps, que le général de Lamo* 
ricière était à quelques lieues dans le sud-ouest, et que sa 
présence avait décidé ce brusque mouvement. L'émir l'obser- 
vait avec vingt-cinq chevaux, afin de pouvoir mettre sa zema- 
lah à couvert, mais ne craignait rien de la colonne de l'est, 
qu'il croyait rentrée à Boghar. 

Cette nouvelle ne me laissait qu'un parti à prendre : c'était 
de gagner aussitôt Taguin, soit pour y atteindre la zemalah, 
si elle y était encore, soit pour lui fermer la route de l'est, et 
la rejeter forcément sur le Djebel-Amour, où, prise entre les 
deux colonnes de Mascara et Médéah, il lui était difficile 
d'échapper, car, dans ces vastes plaines où l'eau est rare, les 
routes sont toutes tracées par les sources précieuses qu'on y 
rencontre. 

Ce plan était simple, mais il fallait pour l'exécuter une 
grande confiance dans le dévouement des soldats et des offi- 
ciers. 11 fallait franchir d'une seule traite un espace de plus 
de vingt lieues, où l'on ne devait pas rencontrer une goutte 



430 LE DUC D'AUMALE. 

d'eau. Mais je comptais sur l'énergie des troupes; l'expérience 
a montré que je ne m'étais pas trompé. 

Je subdivisai la colonne en deux r l'une essentiellement 
mobile, composée de la cavalerie, de rartillerie et des zouaves, 
auxquels j'avais attaché cent cinquante mulets pour porter 
les sacs et les hommes fatigués; l'autre formée de deux batail- 
lons d'infanterie et de cinquante chevaux, devait escorter le 
convoi sous les ordres du lieutenant Chadeysson. 

Après une halte de trois heures, les deux colonnes partirent 
ensemble, conduites par des guides sûrs. Le rendez-vous était 
à Ras-li-aïn-emta-Taguin. 

Le 46, à la pointe du jour, nous avions déjà rencontré 
quelques traînards de la zemalah. Sur des renseignements 
inexacts qu'ils donnèrent, je us, avec la cavalerie, une recon- 
naissance de quatre lieues, droit au sud, qui n'aboutit à rien. 
Craignant de fatiguer inutilement les chevaux, je persistai 
dans mon premier projet, et je repris la direction de Taguin, 
où tout la colonne devait se réunir. 

Nous n'espérions plus rencontrer l'ennemi de cette journée, 
lorsque vers onze heures, l'aga des Ouled-Aïda, envoyé en 
avant pour reconnaître l'emplacement de l'eau, revint au 
galop me prévenir que la zemalah toute entière (environ trois 
cents douars) était établie sur la source même de Taguin. 

Nous en étions tout au plus à mille mètres; c'est à peine si 
elle s'était déjà aperçue de notre approche. Il n'y avait pas à 
hésiter : les zouaves, que le lieutenant-colonel Ghasseloup 
amenait rapidement, avec l'ambulance du docteur Beuret et 
l'artillerie du capitaine Aubac, ne pouvaient pas, malgré toute 
leur énergie, arriver avant deux heures; et une demi-heure 
de plus, les femmes et les troupeaux étaient hors de notre 
portée; les nombreux combattants de cette ville de tentes 
auraient eu le temps de se rallier et de s'entendre; le succès 
devenait improbable, et notre situation très critique. Aussi, 
malgré les prières des Arabes, qui, frappés de notre petit 
nombre et de la grande quantité de nos ennemis, me sup- 
pliaient d'attendre l'infanterie, je me décidai à attaquer immé- 
diatement. 

La cavalerie se déploie et se lance à la charge avec cette 
impétuosité qui est le trait distinctif de notre caractère natio- 



^ 



PIÈCES HISTORIQUES. 431 

nal, et qui ne permit pas un instant de douter du succès. 

A gauche, les spahis, entraînés par leurs braves officiers, 
attaquent le douar d'Abd-el-Kader , et culbutent l'infanterie 
régulière, qui se défend avec le courage du désespoir. 

Sur la droite, les chasseurs traversent toutes les tentes sous 
une vive fusillade, renversent tout ce qu'ils rencontrent, et 
vont arrêter la tête des fuyards que de braves et nombreux 
cavaliers cherchent vainement à dégager. Ici, mon général, 
ma tâche devient plus difficile. Il faudrait vous raconter mille 
traits de courage, mille épisodes brillants de ce combat indi- 
viduel qui dura plus d'une heure. Officiers et soldats rivali- 
sèrent et se multiplièrent pour dissiper un ennemi si supérieur 
en nombre. 

Nous n'étions que cinq cents hommes, et il y avait cinq 
mille fusils dans la zemalah. On ne tua que des combattants, 
et il resta trois cents cadavres sur le terrain. 

Quand les populations prisonnières virent nos escadrons 
qui avaient poursuivi au loin les cavaliers ennemis, elles 
demandaient à voir leurs vainqueurs, et ne pouvaient croire 
que cette poignée d'hommes eût dissipé cette force immense 
dont le prestige moral et réel était si grand parmi les tribus. 

Nous avons eu neuf hommes tués et douze blessés, seize 
chevaux tués et douze blessés. 

Vous connaissez, mon général, le colonel lusuf et le lieu- 
tenant-colonel Morris, vous connaissez leur brillant courage 
et leur intelligence militaire; mais je n'hésiterai pas à vous 
dire qu'ils se sont montrés en ce jour au-dessus de leur répu- 
tation. Après eux, je vous citerai, dans l'état-major, le com- 
mandant Jamin, mon aide de camp, les capitaines de Beaufort, 
Durrieux et de Marguenat; l'interprète de première classe 
Urbain. Dans le 33% le capitaine Dupin, de l'état-major; dans 
la gendarmerie, MM. Gros-Jean, lieutenant, le maréchal des 
logis Ghambert, le brigadier Murel; le gendarme Formeau, 
blessé; dans le l«'de chasseurs, le lieutenant Lichtelin, blessé, 
les maréchaux de logis d'Orvinsy et Pobéguin; dans le 4* de 
chasseurs, les capitaines d'Espinay, Grandvallet et Gadic, le 
lieutenant Paulze d'Ivoy, les sous-lieutenants Marchant, Drain, 
Canclaux et de Lage; les maréchaux des logis Dreux, Garrel, 
Laroche, Gambriel, Monphoux; les brigadiers Masson, Ber- 



432 LE DUC D'AUMALE. 

trand, Boissenay, Brioul, les chasseurs Magnin, Morel, Delà- 
cour, Perray, Lemoine et Despros, le trompette Ardouin. 

Dans les spahis, le chef d'escadron d'Allonville; les capi- 
taines Offroy et Piat; les lieutenants Fleury, Jacquet, Front- 
ville et Legrand; les sous-lieutenants Du Barail, Gautrot, 
Bréauté, de Breteuil, Piat et Saïd, blessé grièvement; l'adju- 
dant Olivier, les maréchaux des logis Mesmer, de Chamilz, 
lussuf-ben-Mouelli, Abderrahmann-ben-Sidi-Ali , Kadda-el- 
Aboudi; les brigadiers Garnier, Ben-Kasnadji, Hussein-ben- 
Beckir, Elmedani; les cavaliers Bouricho, Ouali-Hassan, Ben, 
Aïssa, Ben-Cassens, Oulid-el-Bey , Abderrahmann-ben-Noua- 
Mourad-bel-Nabji, Moustapha et Ben-Gassem-ben-Omar. 

Vers quatre heures, après une marche admirable, trente 
lieues en trente-six heures, l'infanterie arriva, fatiguée, mais 
en bon ordre, sans avoir laissé en arrière ni un homme ni un 
mulet. Grâce à quelques outres que j'avais fait remplir d'eau, 
on avait pu en faire une distribution le matin, afin d'étancher 
un peu la soif des soldats. Le lieutenant-colonel Chadeysson 
a conduit sa colonne avec une énergie qu'il sut communiquer 
à tout le monde, et qui mérite de grands éloges. 

Le 17, je fis séjour; on rassembla les troupeaux; on mit le 
feu aux tentes et à tout le butin qu'on n'avait pu emporter. 

Le lendemain, je me remis en route. Notre marche est lente 
et difficile; nos étapes, marquées par l'eau, sont longues; 
nous ne sommes que dix-huit cents combattants, et il nous 
faut ramener nos troupeaux et garder une force disponible 
pour repousser une attaque que l'on doit prévoir, et qui 
devient chaque jour moins probable, car, depuis le combat 
du 16, nous n'avons pas brûlé une amorce. 

Enfin, il faut escorter une population considérable qui est 
tombée en notre pouvoir, et que je conduis dans la Mitidja, 
où vous pourrez en disposer; elle se compose en grande partie 
de la tribu des Hachems, où Abd-el-Kader a reçu le jour, et 
qu'il avait récemment enlevée de la plaine d'Egaris; elle vint 
me demander l'aman deux heures après le combat; mais on 
découvre chaque jour des personnages plus ou moins impor- 
tants, étrangers à cette tribu. 

Je vous envoie la liste de ceux que nous avons déjà recon- 
nus; vous y remarquerez entre autres la famille tout entière, 



PIÈCES HISTORIQUES. 433 

hommes et femmes, du kalifa Sidi-Embarek; celle de Laroubi, 
premier ministre d'Abd-el-Kader, de Bel-Ari, son conseiller 
intime, etc.; un neveu de Témir; la fille de Ben-Aratch; plu- 
sieurs membres de l'administration; des officiers et des sol- 
dats des troupes régulières. La mère et la femme d'Abd-el- 
Kader se sont sauvées sur un mulet, avec une escorte de 
cavaliers que nos chevaux épuisés n'ont pu joindre. 

L'heureuse issue de cette opération, dont les Arabes croyaient 
le succès impossible, a déjà fait une grande sensation; déjà 
Djedid des Ouled-Ghaïd, Djeboul-den-Ferath et Ben-Aouda-el- 
Moktari, qui tous trois étaient dans le camp de l'émir, et qui 
sont, comme vous le savez, les chefs des plus grandes familles 
du pays, au sud de Thaza et Boghar, m'ont envoyé leurs 
parents et fait demander l'aman , en protestant de leur sou- 
mission. 

Je vous envoie la lettre de Djedid, dont la forme est inté- 
ressante. 

Après-demain nous serons à Boghar, et si je ne reçois pas 
de nouveaux ordres, notre petite colonne mènera sa prise 
dans le Mitidja, où j'aurai l'honneur de vous remettre les dra- 
peaux et les trophées enlevés par nos braves soldats. 

Veuillez agréer, etc. 

Le maréchal de camp commandant la province de ïitteryj 

Henry d'Orléans. 



^8 



IV 



Indépendamment des lettres publiées dans le cours de ce 
livre, nous en insérons ici un certain nombre qui n'y ont pas 
trouvé place. 



Le dm d'Aumale au comte d'HaussonvUle. 



1852. 



Ce qu'on raconte de l'opinion de ce pays, à l'égard des 
affaires de France, n'est pas exagéré. Cependant, on commence 
à s'y lasser de s'indigner en notre nom et à notre place; et 
l'état de prostration de la France étonne et refroidit. Les der- 
nières élections, en particulier, ont produit un grand effet en 
ce sens, et on me dit qu'en France même l'effet a été ana- 
logue. 

Vous convenez que j'ai vu beaucoup, dans ces premiers 
Jours, les personnes à qui nous nous intéressons. Elles sont 
occupées bien réellement des habitans de Bruxelles, et cela 
sans nulle affectation. Les sentimens sont parfaits, et en ce 
qui touche les biens d'une noblesse vraie et simple, prenant 
toujours dans cette question les partis les plus dignes, au lieu 
des plus utiles, malgré les conseils de leurs représentants à 
Paris. Quant aux affaires publiques on est disposé à tout. Je 
crois même que le sacrifice se ferait sur-le-champ, si l'on était 
sûr qu'il fût utile en ce moment, qu'il fût compris par l'opi- 
nion, qu'il produisît un grand effet. Mais là-dessus les incer- 
titudes sont grandes. On n'a pas une correspondance sérieuse, 
pas une information vraiment politique. On ne peut s'imaginer 
jusqu'à quel point les hommes de Paris qui pensent comme 
nous sont réservés, silencieux, indifférens. Il ne vient de là ni 
conseils, ni indications; seulement les derniers avis, venus de 
sources diverses mais médiocres, s'accordent à présenter les 



PIÈCES HISTORIQUES. 435 

esprits comme tombés dans un état de résignation assez pro- 
fond, assez général, pour qu'ils apprécient fort peu ce qu'on 
ferait pour eux, et pour que le malade repoussât le remède 
qu'il n'aurait pas demandé. 

C'est sur ce point, mon cher ami, que je vous prie de porter 
surtout votre attention et vos recherches. Quel est au vrai 
l'état de l'opinion? La choquera-t-on si l'on se presse, la 
découragera-t-on si l'on attend? La démarche dont il s'agit ne 
pouvant avoir qu'un effet moral et ne pouvant rester secrète, 
il ne faut pas en mal choisir le moment. Il serait d'ailleurs 
bien important de savoir l'opinion de nos amis Barrot, Toc- 
queville, Dufaure, etc., etc.. et qu'ils voulussent bien l'expri- 
mer de manière à s'engager. On ne peut se décider sur aucune 
question, lorsque l'opinion du dedans ne donne aucun signe 
d'existence. La complète inaction de ces messieurs est injus- 
tifiable. 

Je vous prie de traiter et d'approfondir tous ces points avec 
Lamoricière, M. Thiers, et surtout avec M. de Broglie que 
vous avez à Bruxelles. Voyez-le, je vous supplie, et priez-le 
de ma part, comme de la vôtre, de vouloir bien s'expliquer 
sur tout cela. Vous me ferez ensuite un grand plaisir de me 
transmettre avec développement par son gendre, quand il 
reviendra, le résultat de votre enquête. Je voudrais bien 
aussi que vous pussiez provoquer à Paris quelques manifesta- 
tions de ceux qui se taisent, et qui veulent qu'on pense et 
qu'on parle pour eux. 

Est-il vrai aussi que, depuis les dernières élections, on est 
en France très mécontent des légitimistes? 



29 novembre 1859. 

J'ai reçu exactement votre note datée du 14 et du 15, mort 
cher comte; elle a été vue de tous ceux qu'elle pouvait inté- 
resser, et tous sont restés convaincus comme moi que nous 
étions parfaitement compris; il n'y a donc rien à répondre et 
à ajouter, si ce n'est un nouveau témoignage de confiance et 
de gratitude. 

Votre lettre aux bâtonniers est admirable; il est impossible 
d'aller mieux au but, d'être plus vrai, plus courageux au 



436 LE DUC D'AUMALE. 

fonds, plus légal dans la forme, sans parler du mérite litté- 
raire qui est très réel, ce qui ne gâte jamais rien. Bien que 
tous les traits portassent coup, il m'a paru en vous lisant 
avec soin que vous étiez inattaquable, et la faiblesse (plus 
qu'ordinaire) des considérants de l'avertissement le prouve 
bien. J'espère que cela n'en restera pas là, et que vous aurez 
la réponse des bâtonniers. Voilà la vraie guerre, la guerre 
que les honnêtes gens peuvent faire au gouvernement, au lieu 
de spéculer sur les embarras qui peuvent lui venir de l'exté- 
rieur, et dans lesquels la France se trouve toujours enveloppée 
et comme confondue avec ses indignes chefs. Je crois, d'ail- 
leurs, que les embarras extérieurs vont momentanément, 
sinon disparaître, au moins s'atténuer beaucoup. L'empereur 
a trop dit qu'il voulait le rétablissement des petits souverains 
italiens, pour ne pas être décidé à les sacrifier; il va les offrir 
en holocauste sur l'autel de l'entente cordiale. A ce prix l'An- 
gleterre le tirera d'embarras, et deviendra vis-à-vis des con- 
servateurs européens le bouc émissaire, et l'agent responsable 
de la révolution italienne. Tel était l'objet de la mission 
récente de M. L. Gowley envoyé à Londres par Louis-Napo- 
léon, et non mandé par son gouvernement. On assure que ce 
docile et complaisant commissionnaire a complètement réussi. 
Mais je le répète, je me préoccupe peu de ces succès momen- 
tanés de la perfidie; c'est sur la France, plutôt que sur l'étran- 
ger qu'il faut avoir les yeux; c'est de la France que doit venir 
un jour le vrai péril pour le Bonaparte, et c'est ce jour qu'il 
faut préparer. Sans vous compter, voilà déjà trois ou quatre 
procès de presse en train; cela ne commence pas mal. 

J'ai fait lire votre article à M. L. Clarendon, qui l'a fort 
admiré. Il est fort dégrisé de l'empire, mais fort inquiet, moins 
pour la sécurité matérielle de son pays que pour sa situation 
et sa considération dans le monde. 

Vous ai-je dit, quand je vous ai vu, que j'avais suivi votre 
recommandation et lu la Liberté de J. Simon. J'ai lu les deux 
volumes d'un bout à l'autre, sans passer un mot, avec un 
intérêt soutenu que ne m'inspirent pas toujours ces sortes 
d'ouvrages, et que j'attribue d'abord au talent si élevé, et je 
dirai si probe, de l'auteur, ensuite à la communanté de nos 
idées sur bien des points. Je ne suis cependant pas toujours 



PIÈCES HISTORIQUES. 437 

d'accord avec lui, et je me sentirais notamment disposé à 
défendre contre lui le passé de notre vieille France. 
' Mais dans tout ce qui est essentiel, il donne aux idées libé- 
rales leur bonne formule, leur vraie théorie; il les oppose 
avec autant de force que de logique aux sophismes des des- 
potes révolutionnaires, ou monarchistes. Il affirme ce qu'il 
croit vrai, sans crainte de déplaire à ses amis; j'ai fort admiré 
entre autres passages le courage et la chaleur avec lesquels il 
combat le divorce. C'est un beau et honnête livre que tous les 
Français feraient bien de lire et de méditer. 

Adieu, mon cher comte; quand j'en trouverai l'occasion, je 
vous donnerai de nos nouvelles. Je suis toujours à vos ordres 
quand vous aurez un éclaircissement à me demander. Vous 
pouvez, au besoin, m'écrire sous l'adresse de : T. R. Pearson, 
esquire, 

22, Essex Street Shond. London W. C. 

en mettant bien exactement l'adresse. Mais il ne faudrait pas 
en abuser, et d'ailleurs je ne garantis que l'adresse, et non la 
poste. Adieu encore. 

H. D. 

Gardez, je vous prie, l'adresse pour vous seul. 

Twickenliam, 25 avril 1860. 
Mon cher ami. 

J'ai été voir lord Aberdeen hier; je l'ai trouvé perclus, très 
fatigué et, jele crains, bien malade, mais fort en état de causer. 
Cependant, contre son habitude, il a tenu à me parler français, 
ce qui n'apas rendula conversation plus rapide, ni plus facile. 
Nous avons parlé du présent, sur lequel il est plutôt noir, 
parce que, sans l'avouer, il voudrait voir l'Angleterre refor- 
mer le vieux faisceau européen de 1813 et qu'il lui paraît dif- 
ficile, sinon impossible, de le reformer. Il est plus sévère pour 
la politique du gouvernement anglais que pour celle de Louis- 
Napoléon. Le présent nous a naturellement amenés au passé. 
Il a lu le livre de Thiers; il le trouve généralement very fair^ 
admirable dans certaines parties, bien qu'un peu enclin à 
pallier les fautes de l'empereur. Les propositions de Franc- 



438 LE DUC D'AUMALE. 

fort ne liaient que TAngleterre et l'Autriche. Mais si l'accepta- 
tion de la France était arrivée à temps, il croit qu'on aurait 
fait agréer les bases proposées à l'Angleterre et à la Russie. 
A Ghâtillon, Anvers était le seul point sur lequel l'Angleterre 
était décidée à n'admettre aucune transaction; elle tenait aussi 
à la Hollande, mais pas plus que les autres puissances. Sauf 
les bouches de l'Escaut et la Hollande, il croit que l'empereur 
aurait pu avoir à Ghâtillon la frontière du Rhin et des Alpes. 
Beaucoup d'éloges de Caulaincourt qui se plaignait souvent 
de son maître. 

Soleure, 24 juillet 1863. 
Mon cher ami, 

Je crains bien que la grosse partie ne s'engage avant l'ou- 
verture du Corps législatif. Voici ce que m'écrivait Joinville 
avant hier : « On prétend que nous allons décidément casser 
les vitres. La flotte des cuirassés de Cherbourg se rendrait 
devant Cronstadt avec ou sans les Anglais. Elle aurait mission 
de remettre un ultimatum inacceptable et de détruire les forts 
et la flotte de Cronstadt. Ce serait un ^rand coup qui ne 
déplairait pas aux Anglais, qui n'engagerait pas une guerre 
générale, qui ouvrirait la Pologne par mer aux volontaires de 
tous les pays. Ce serait enQn une magnifique expérience d'ar- 
tillerie navale. On dit que les expériences de l'île d'Aix con- 
statent que les forts de Cronstadt pourront être détruits à huit 
cents mètres, distance à laquelle les cuirassés n'ont rien à 
craindre. Il s'agit seulement de savoir si leur tirant d'eau leur 
permettra d'approcher à cette distance. Le Times de ce matin 
s'écrie d'une voix lamentable : « Où allons-nous? » Ce cri est- 
il bien sincère. » 

Voilà mes nouvelles, qui ne sont encore que des conjectures, 
mais qui me font bien battre le cœur. 

Quand les souverains de l'Europe ne grandissent plus 
l'empereur par leurs flatteries, ils le servent par leurs inso- 
lences. Mais ne désespérons pas de la liberté. 

Adieu en hâte et mille amitiés. 

H. d'Orléans. 



PIÈCES HISTORIQUES. 439 

Twick, 14 février 1866. 

Il y a un peu plus de trois cents ans, un pieux évêque, Bar- 
thélémy de Las Casas, affligé de la destruction (c'était son mot) 
des Indiens du nouveau monde, eut l'idée d'importer en Amé- 
rique une race plus forte et plus apte à supporter le travail sous 
ces climats brûlants. La philanthropie de Las Casas engendra 
la traite, l'esclavage et toutes les belles choses que vous savez. 

Il y a un peu plus de trois ans, un pieux empereur affligé, 
— non, on ne s'afflige pas pour si peu, — mais frappé de la 
rapidité avec laquelle le climat des terres chaudes dévorait 
les soldats européens, eut à son tour l'idée d'importer au 
Mexique des soldats nègres. On dit un mot au pacha d'Egypte. 
En une nuit un bataillon noir fut embarqué, expédié 
d'Alexandrie; jamais les nègres du Gabon n'avaient plus 
lestement enlevé un gros chargement de bois d'ébène. Ce pre- 
mier succès parut encourageant. Le pacha toujours complai- 
sant organisa sur une vaste échelle le recrutement en Ethiopie 
(on connaît le sens du mot recrutement en semblable pays), 
4,000 nègres furent rassemblés, armés, organisés; mais cette 
fois le secret fut moins bien gardé ; ces malheureux apprirent 
ou devinèrent qu'ils allaient, à leur tour, suivre ou remplacer 
leurs frères du Mexique; ils s'insurgèrent. Le pacha envoya 
l'ordre de les décimer ; il fut mal compris, un dixième seule- 
ment des troupes nègres a été épargné, neuf dixièmes ont été 
massacrés ou vendus aux trafiquants ordinaires I Vous voyez 
que la régénération des races latines fait ressentir au loin ses 
effets bienfaisants. 

Hélas t nous aussi nous avons eu notre insurrection mili- 
taire, fait inouï dans l'histoire de notre armée, depuis qu'elle 
est purement nationale. Et il a fallu cette tragédie de la Marti- 
nique pour que nous apprenions cet autre coup de filet, l'envoi 
de 6,000 hommes embarqués à la sourdine dans nos ports. 

Mais, qui parle de races latines à régénérer? qui parle 
d'impérialisme, de cette formule magique de gouvernement, 
la seule qui convienne à ces races? Chimères! calomnies! ce 
sont des intrigants qui ont dit cela, les mêmes qui voulaient 
faire croire que l'empereur Napoléon avait proposé à l'Angle- 
terre 'de reconnaître les confédérés. L'empereur n'a jamais 



440 LE DUC D'AUMALE. 

fait de vœux que pour le maintien des États-Unis; personne 
ne s'est réjoui plus que lui du triomphe de la cause libérale 
en Amérique. Les troupes ne se sont alliées au Mexique que 
pour redresser quelques torts faits à des négociants français ; 
arrivés là, elles ont rencontré une manifestation impérialiste 
tellement vive qu'il a bien fallu céder au mouvement national. 
Depuis longtemps, les Mexicains avaient les yeux fixés sur 
Miramar, et Maximilien régnait sur leurs cœurs. Ils l'ont 
appelé; nous l'avons laissé venir, et nous nous sommes bornés 
à l'aider à réprimer quelques dissidents. Mais patience, mes- 
sieurs les Yankees! laissez-nous le temps de replier nos 
colones, de ramener notre argent et nous quittons la place. 

Peut-on être plus sage et se faire plus petit! et que nos 
grands chevaux ont vite disparu ! 

Et cependant tous les généraux qui ont commandé ou qui 
commandent au Mexique, tous ceux qui ont eu ou qui ont la 
main à la pâte, ne cessent de dire : « Partir! mais vous n'y 
songez pas; ce n'est pas un ordre de départ; c'est du monde, 
c'est de l'argent qu'il faut nous envoyer. » 

Et cependant nos soldats continuent d'être le bras séculier 
du catholique empereur. Et le moindre incident peut amener 
une collision dont les suites sont incalculables. 

Et cependant nous recrutons partout, en Belgique, en 
Autriche, en Nubie, en France même; car cette légion qu'on 
donne à Maximilien n'aura d'étranger que le nom et de mexi- 
cain que la cocarde; elle sera en très grande partie composée 
de Français, commandée par des officiers appartenant à Varmée 
française. Si nos troupes se retirent et que cette légion se trouve 
aux prises avec les Yankees, assisterons-nous sans émotion à 
cette lutte? 

Quoi! après tant de sang prodigué en pure perte, tant de 
fautes accumulées, tant de réticences et de duplicité, devant 
ce mélange de témérité et de faiblesse, d'hésitation et d'impré- 
voyance, l'opposition se taira; voilà ce que je lis tous les jours 
et je n'en puis croire mes yeux. 

« Tout le monde sait que les affaires du Mexique vont mal, 
dit-on, et nous n'avons là-dessus rien à apprendre à personne. » 
Erreur! Pendant les sessions précédentes, le Mexique a été un 
des grands chevaux de bataille de l'opposition. Si nos plus 



PIÈGES HISTORIQUES. 441 

illustres orateurs se taisent cette année, le gros public, qui 
n'est pas initié aux secrets de la coulisse, pensera (et pn ne 
manquera pas de lui répéter) que c'est de la tactique parle- 
mentaire, que l'opposition ne parle pas parce qu'elle n'a rien 
de bon à dire pour elle, que par son silence elle reconnaît 
qu'elle s'était trompée. 

« Nous ne faisons pas d'opposition systématique, dit-on 
encore, nous n'attaquons pas sur toutes les questions. » 

D'accord; mais quel est votre but principal? De démontrer 
à la nation que la liberté est nécessaire à ses intérêls matériels 
comme à ses intérêts moraux, que le gouvernement du bon 
plaisir et de la fantaisie est aussi fatal aux uns qu'aux autres. 
Où cette vérité éclate-t-elle avec plus d'évidence que dans les 
affaires du Mexique? Mais il faut que vous preniez soin de la 
démontrer, de la faire ressortir; si vous n'allez pas vous- 
même diriger et naettre au point la lunette du public, le public 
n'y verra que du feu. 

« La situation est très grave; notre patriotisme ne nous 
permet pas d'augmenter les embarras du gouvernement. » 
Ah! j'admettais ce raisonnement, j'admirais cette réserve, au 
moment de la guerre d'Italie, de la guerre de Crimée, quand 
l'attitude de la Chambre intéressait l'honneur des armes, la 
dignité, la sécurité de la France. Rien de pareil aujourd'hui. 
Rien de ce que l'opposition peut dire ne peut modifier la 
situation. Humiliation ou folie, il n'y a que deux manières d'en 
sortir. On ne trouvera pas de compromis; iont mezzo termine 
provisoire conduira fatalement à l'une ou à l'autre des deux 
solutions en aggravant leurs inconvénients. Au gouvernement 
de choisir; à l'opposition de dire la vérité, d'exposer l'état des 
choses, d'en tirer un enseignement utile, de se dégager de 
toute responsabilité dans les événements qui vont suivre. 

Se taire, c'est jouer le jeu du gouvernement, du gouver- 
nement seul, sans aucune utilité pour la France. 

A M. W. de la Rive, 

Berne, 22 septembre 1862. 

Laissez moi, avant tout, mon cher Monsieur, vous remercier 
de votre extrême obligeance et vous offrir mes excuses pour 



442 LE DUC D'ÀUMALE. 

tout le tracas que je vous ai causé. Sans autre préambule 
j'entre en matière. 

La personne de M. Aubert, sa conversation, sa situation, 
un coup d'œil donné à son intérieur, m'ont fort satisfait, et 
sur ce point essentiel, il me semble difficile de trouver mieux. 
La surveillance générale et l'instruction militaire seraient, je 
crois, suffisamment assurées. 

Les cours de l'Académie, assistés de quelques leçons parti- 
culières, pourraient aussi suffire à l'instruction mathématique 
et scientifique. La lacune serait évidemment le complément de 
l'instruction littéraire ou l'achèvement des humanités qui 
manquerait presque entièrement, du moins selon mes idées. 
Si vous pouvez obtenir sur ce point quelque autre rensei- 
gnement, ou si vous aviez quelque avis ou éclaircissement 
à me donner, je vous serais reconnaissant de me les trans- 
mettre. Sans m'y arrêter pour le moment, je passe à quelques 
autres questions que je n'ai pu traiter directement avec 
M. Aubert et qu'il m'est plus facile de lui poser par votre 
intermédiaire. 

Si je lui confiais mon fils, et qu'il voulût bien le recevoir 
chez lui, quelles seraient les conditions financières de l'arran- 
gement, soit que mon fils fût seul, soit qu'il fût accompagné 
d'un précepteur? 

Mon fils aurait un domestique avec lui. Je désirerais aussi 
qu'il pût avoir une écurie pour deux chevaux, avec le loge- 
ment d'un palefrenier. Je pense qu'il lui faudrait encore une 
chambre en ville pour pouvoir se changer, ou attendre entre 
deux cours, ou prendre des leçons particulières; mais cela 
serait, bien entendu, des plus modestes, comme je désirerais 
que fussent toutes ses habitudes, si je me décidais à l'installer 
chez M. Aubert. 

S'il se liait avec quelques jeunes gens de l'Académie, et si 
cette liaison était satisfaisante à tous égards, pourrait-il quel- 
quefois, avec le consentement de M. Aubert, inviter un ou 
deux de ces jeunes gens à venir dîner avec lui chez M. Aubert? 

Comment se compose le personnel des jeunes gens qui fré- 
quentent l'Académie? Les familles distinguées des environs 
ou des autres cantons y envoyent-elles leurs enfants? Ne voyez 
dans cette question aucune arrière-pensée aristocratique. Mon 



PIÈCES HISTORIQUES. 443 

fils est appelé à vivre au milieu d'une société démocratique, et 
il est bon qu'il s'y forme de bonne heure; mais je ne voudrais 
pas cependant qu'il se trouvât uniquement en rapport avec des 
jeunes gens appartenant aux classes inférieures de la société. 
J'espère m'être bien fait comprendre. 

Pourriez-vous m'écrire sur tout cela un mot que vous adres- 
seriez à M. de Vineuil, Schwerzer Hof , Lucerne, et qui devrait 
y parvenir le 27? Je vous préviendrai certainement si je reviens 
sur votre beau lac. 

Encore une fois pardon et merci; je suis bien touché de 
l'accueil qui m'a été fait par vous et par tous les vôtres, et je 
vous prie bien de me croire toujours 

Votre bien affectionné, 

H. d'Orléans. 

Au prince de Broglie. 

Twickenham, 17 mai 4860. 

J'attendais depuis longtemps, mon cher prince, la publica- 
tion de votre dernier article sur l'Algérie, pour vous féliciter 
sur cette belle étude; j'éprouve presque quelque embarras à 
le faire aujourd'hui que j'y ai vu mon nom prononcé avec 
tant d'éloges, mon portrait tracé avec des couleurs sous les- 
quelles j'ose à peine me reconnaître. Je comptais bien sur un 
souvenir affectueux de votre part ; mais vous avez parlé de 
moi avec une chaleur et un bon goût qui ont surpassé mon 
attente. Je commencerai donc par vous offrir mes remercie- 
ments personnels; recevez-les en croyant que je ne peux 
exprimer suffisamment à quel point je suis touché et recon- 
naissant. Laissez-moi aussi vous remercier, si j'ose parler 
ainsi, au nom de cette Algérie où j'ai passé les meilleures 
années de ma vie, au nom de cette armée d'Afrique à laquelle 
je suis fier d'avoir appartenu. Vous aimez l'Algérie, on le 
voit; on peut l'aimer comme vous; mais il faut en savoir 
parler comme vous le faites; il faut votre rare talent pour 
faire passer ce que vous éprouvez dans l'âme de vos lecteurs. 
Vous rendez justice à cette armée qui a conquis l'Afrique, qui 
domine, gouverne et jusqu'à un certain point rassure le peuple 



444 LE DUC D'AUMALE. 

arabe; qui seule peut donner à la colonisation ces trois élé- 
ments essentiels, la terre, la sécurité, les voies de communi- 
cation. Il fallait l'indépendance de votre situation pour que 
les éloges donnés par vous à l'armée eussent toute leur valeur. 
Si j'avais à traiter ce qu'on appelle la question algérienne, 
je ne pourrais mieux faire que de vous copier. Je ne vois 
guère de point où je me trouve en désaccord avec vous, et 
j'adhère pleinement à vos conclusions. Le tout serait de les 
mettre en pratique. Lorsque j'ai pris le gouvernement de 
l'Algérie en 4847, j'étais un peu effrayé de la bienveillance 
qu'on m'accordait et des espérances qu'on voulait bien faire 
reposer sur moi. J'étais bien certain de ne pouvoir obtenir des 
résultats aussi complets ni surtout aussi prompts que ceux 
que l'on voulait bien entendre alors ; le temps est un élément 
dont on tenait trop peu de compte. Je me serais certainement 
retiré, plutôt que de me prêter à l'essai de révolution si 
brusque, si radicale, j'ajouterai si impossible, tentée plutôt 
qu'exécutée par le premier ministre de l'Algérie. Mais nous 
aurions cherché à mettre le temps mieux à profit qu'on ne l'a 
fait de 1848 à 1858. A parties opérations militaires et malgré 
le mérite incontestable, l'aptitude de la plupart des gouver- 
neurs généraux, du maréchal Randon en particulier, il est 
incontestable que les secousses révolutionnaires d'abord, et 
ensuite l'apathie administrative, grande de tout temps, mais 
singulièrement augmentée par l'absence de dicussion publique, 
ont maintenu l'Algérie pendant ces dix années dans un état 
de stagnation à peu près complet. Les allures de l'autorité 
militaire ont eu certainement, comme vous le dites, une cer- 
taine influence sur cette absence de progrès; mais le système 
des concessions, les mille restrictions, le manque de toutes 
libertés, la nuée de fonctionnaires qu'il fallait occuper, etc., 
n'étaient pas le fait de l'autorité militaire. Mon but était de 
soustraire entièrement les Européens à l'autorité militaire, 
mais de les affranchir en même temps, autant que possible, du 
joug des fonctionnaires civils, joug moins brutal, mais plus 
constant, plus minutieux et au fond presque aussi lourd que 
celui des traîneurs de sabre. La difficulté, je le reconnais, 
était de marcher dans cette voie tout en s'efforçant d'assi- 
miler l'Algérie à un pays aussi minutieusement gouverné que 



PIÈCES HISTORIQUES. 445 

la France. J'aurais voulu encore aliéner successivement les 
terres que l'État possédait, celles dont il aurait pu se mettre 
en possession par des arrangements avec les tribus, constituer 
en même temps sur certains points la propriété industrielle 
chez les Arabes, et là, mais là seulement^ et après avoir donné 
à la propriété un premier et solide établissement, rendu les 
transactions libres. Je dis là seulement, car je tenais surtout 
à protéger les indigènes contre la rapacité, les spéculations 
déshonnètes, la brutalité maladroite des Européens et même 
des Juifs. C'était là, selon moi, une des conditions essentielles 
du succès de l'entreprise. C'était aussi le seul moyen de lui 
conserver le caractère élevé, moral, vraiment chrétien que 
j'aurais voulu lui donner de plus en plus. 

J'ai eu quelque part à l'organisation des bureaux arabes. 
Lorsque je pris le commandement de la province de Constan- 
tine en 1843, elle était gouvernée à la turque, c'est-à-dire 
qu'elle ne l'était pas. Nous n'avions pas là l'organisation 
d'Abd-el-Kader, peut-être trop servilement copiée ailleurs, 
mais qui enfin donnait les premiers jalons; l'anarchie et 
l'oppression étaient extrêmes. J'employai plusieurs officiers à 
l'établissement de l'assiette de l'impôt et au redressement des 
torts, comme disait Don Quichotte. Il faut avoir vu ce que 
devinrent en quelques mois la sécurité et la prospérité pour 
croire à la réalité d'un pareil progrès. Je plaçai ces officiers 
auprès des commandants de subdivision et de cercle de la 
province, et je fixai par des instructions précises les attribu- 
tions des uns et des autres, en un mot la direction des affaires 
arabes jusqu'alors, au moins dans cette province, livrées à 
l'aventure. Le maréchal Bugeaud s'occupant alors presque 
uniquement de la guerre et m'ayant donné carte blanche, je 
me bornai à lui rendre compte et à lui envoyer copie de ces 
instructions. Je ne reçus pas de réponse; mais ce ne fut pas 
sans une extrême surprise, mêlée, je l'avoue, tout à la fois 
d'un peu de dépit et d'orgueil, que je vis peu après dans le 
Bulletin officiel et sans aucune mention d'origine mes instruc- 
tions transformées en circulaires et arrêtés du gouverneur 
général et adressées à toute l'Algérie. Elles étaient cependant 
modifiées sur certains points essentiels, et tout d'abord se pro- 
duisit une tendance à laquelle j'ai, pour ma part, énergique- 



446 LE DUC D'AUMALË. 

ment résisté. Elle consistait à faire des officiers des bureaux 
arabes comme un corps séparé, hiérarchiquement organisé, 
administrant, correspondant directement et ayant une certaine 
indépendance. Le véritable but de l'instruction était, au con- 
traire, de faire de ces officiers de simples chefs d'état-major 
pour les affaires arabes, placés auprès des commandants de 
circonscription territoriale, conservant les traditions, éclai- 
rant leurs chefs, leur proposant des décisions, préparant leur 
correspondance, mais ne décidant, ne signant rien eux-mêmes, 
si ce n'est par délégation, ne percevant jamais un soi, ni des 
amendes, ni des impôts; la responsabilité du gouvernement 
des tribus restait entière aux commandants de cercle, de sub- 
division, de division; les encaissements devaient être tou- 
jours faits par les agents du Trésor. Diverses instructions 
parties d'Alger et de Paris, les nécessités de la guerre, la 
négligence des officiers généraux, le désir bien naturel chez 
de jeunes officiers d'augmenter leur importance (dispositions 
caractérisées par le sobriquet de Metternich que leur donnaient 
leurs camarades de régiment), ont souvent dénaturé l'insti- 
tution. Nous le savions tous, et lorsqu'en septembre 1847 je 
réunis à Alger mes trois admirables lieutenants, qui étaient 
bien plus compétents que moi, nous arrêtâmes de vive voix 
quelques mesures qui auraient rendu les abus sinon impos- 
sibles, au moins très difficiles. Le procès Doineau a prouvé que 
ces mesures ne furent qu'incomplètement exécutées. Mais les 
abus d'une administration ne prouvent pas qu'elle soit mau- 
vaise; je reste convaincu que les bureaux arabes soigneuse- 
ment surveillés et contenus dans leur véritable sphère nous 
donnent le meilleur, je dirai presque le seul moyen de dominer 
les indigènes et, comme je le disais tout à l'heure, de les ras- 
surer en les transformant progressivement, de donner à la 
colonisation la terre et la sécurité. Je n'ai aucune confiance 
aux bureaux arabes civils ; ils auraient tous les inconvénients 
mêmes aggravés et presque aucun des avantages des bureaux 
arabes militaires. 

Même lettre. 

Quelle confusion d'idées et de faits f Que de surprises f Que 
d'événements accomplis ou qui se préparent! 



PIÈCES HISTORIQUES. 447 

Lorrez-Ie-Boccage, 17 août 1871. 

II s'agit de la proposition Brunet ou de toute autre propo- 
sition analogue, et voici ce que je veux vous rappeler. C'est 
pour répondre aux vœux exprimés par une commission de 
l'Assemblée, au nom de l'Assemblée elle-même, que nous nous 
abstenons de siéger. Il n'y a pas eu entre nous et le chef du 
pouvoir exécutif de contrat personnel. Ce sont des commis- 
saires de l'Assemblée qui ont reçu notre déclaration; c'est vis- 
à-vis de l'Assemblée que nous sommes liés par cette déclara- 
tion. S'il s'élevait une discussion que je ne désire en rien pro- 
voquer, nous demanderions que ce point fût nettement établi. 
La distinction a son importance, et nous espérons que ceux de 
nos collègues qui sont bien venus nous trouver à Saint-Ger- 
main ne laisseront pas dénaturer cette situation vis-à-vis de 
l'Assemblée. Quant à cette situation en elle-même, nous sommes 
très loin de désirer qu'elle soit changée. Il restera à examiner 
si elle ne serait pas changée en fait, au cas ou l'Assemblée 
modifieraitprofondémentles conditions dans lesquelles s'exerce 
aujourd'hui le pouvoir exécutif. 

Au duc Decazes, ministre des affaires étrangères, 

Besançon, 1" janvier 1876. 

D*abord bonne année, mon cher ami; tous mes souhaits 
pour vous et les vôtres. Je suis charmé de l'accueil que vous 
avez fait à mon ouverture (1). Si je ne me suis pas adressé 
à vous directement, c'est que je voulais vous laisser toute 
liberté pour répondre. Je vous engage à voir immédiatement 
Buffet et Desjardins, afin de connaître leurs sentiments et à 
consulter Tripier aussitôt après, car lui seul pourra vous ren- 
seigner exactement sur la situation, et il n'y a pas de temps à 
perdre. J'étais, je crois, assuré d'une grande majorité. Mais, 
d'une part, je dois reconnaître qu'un assez grand nombre 
d'électeurs auraient voté pour moi personnellement plutôt 



(1) Il s'agissait de la candidature sénatoriale dans TOise qu'il 
venait de refuser pour lui-même. On sait que le duc Decazes fut élu 
député à Paris. 



448 LE DUC D'AUMALE. 

que politiquement, et, de l'autre, j'ignore quelle impulsion mon 
désistement a pu donner à certaine tendance impérialiste. 
Cependant les conservateurs purs sont nombreux; il y a 
encore quelques libéraux raisonnables, et je crois que vous 
pouvez avoir de bonnes chances. Mon concours vous est 
acquis dans la mesure où je puis l'exercer, je n'ai pas besoin 
de vous le dire. Si je pouvais vous voir, vous et Malherbe, 
sénateurs de l'Oise, j'en serais ravi. Je tâcherai de voir le 5 ou 
le 6 et vous serre la main de tout mon cœur. 

Notes de la main du duc d'Aumale relatives à l'abrogation des lois 
d'exil et à la validation de ses pouvoirs électoraux et de ceux de 
son frère, 

(Sans date.) 

Il importe que la droite sache que nous n'avons pas proposé 
de marché à M. Thiers; 

Que nous avons seulement voulu nous mettre en règle avec 
lui et savoir si nous pouvions exécuter, avec son concours ou 
sans son opposition, ce dont nous étions convenus avec la 
droite. 

Que faire ? 

1* Se présenter à l'Assemblée, s'y asseoir et attendre l'inter- 
pellation ? 

1 his. Se présenter à l'Assemblée, demander la parole sur 
le procès-verbal, expliquer l'absence prolongée de deux 
députés, prier la Chambre de mettre fin à cette situation 
anormale? 

liaisons pour : Surprendre, faire son terrain soi-même. 

Raisons contre : Provocation à l'exécutif mal jugée, expli- 
cation demandée sur la lettre du comte de Gh..., difficile ou 
impossible à donner. 

Parti à prendre dans une circonstance extraordinaire, sur 
avis préalable; 

2» Considérer la question de la vérification comme connexe 
à la question des élections partielles? 

Quand soulever la double question ? 

Après la prise de Paris au plus tard. 

Plus tôt si les circonstances l'indiquent. 



L 



PIÈCES HISTORIQUES. 449 

Deux marches à suivre en ce qui nous concerne : 

1" Suivre l'ordre adopté précédemment, ne proposer d'abord 
que la validation, assister à la discussion et y prendre part s'il 
y a lieu; 

â*» Ne pas assister, faire proposer l'abrogation avec urgence 
aussitôt qu'il sera question de la vérification. Faire voter 
l'abrogation d'abord, attendre qu'elle entraîne la validation. 

Ce second procédé déjà proposé avait été abandonné pour 
les raisons suivantes : 

Si on n'enlève pas l'urgence, on peut amener l'ajournement 
de la vérification et rester dans la situation équivoque pour le 
moment des réélections. 

Terrain meilleur pour la théorie de M. Thiers. 

Pour adopter ce procédé, il faudrait être bien sûrs de la 
façon dont MM. Dufaure et autres d'une part, les légitimistes 
de l'autre, voteraient sur l'urgence. 

Il aurait l'avantage de rallier les puristes, d'épargner la lutte 
personnelle. 

Au comte d'Haussonville. 

27 mai <87i. 

Ce qui suit, écrit très à la hâte, n'est que pour vous et votre 
beau-frère. 

Nous sommes très touchés et très frappés des deux notes 
qui nous ont été remises. Nous cherchons le moyen de répondre 
aux sentiments qu'elles expriment. Nous y reviendrons. 

A première vue il nous semble difficile de renouveler, même 
avec des développements, la lettre que nous avons adressée 
de Libourne au président de l'Assemblée, à moins d'avoir un 
motif grave, comme serait par exemple une arrestation. 

Nous ne sommes en France que comme députés. Dès lors, 
si nous voulons nous adresser à l'Assemblée, nous devons 
essayer de le faire à la tribune, non par lettre. 

Devons-nous tâcher d'être là, le jour où la question de la 
validation sera soulevée? 

Devons-nous la soulever nous-mêmes ? 

Si nous devons être défendus, expUqués pour ainsi dire par 



450 LE DUC D'AUMALE. 

celui dont la note accompagnait la vôtre, nous avons grande 
confiance. 

11 connaît la nature de nos concessions. 11 en a très bien 
fixé le caractère. 

Les indiscrétions, toujours aussi fâcheuses qu'inévitables, les 
commentaires qui varient dejourenjour,on peut dire d'heure 
en heure, et qui s'opposent les uns aux autres, ne doivent pas 
nous préoccuper outre mesure. 

Je crois réellement que notre dévouement au principe de 
la souveraineté nationale ne fait de doute pour personne. 

D'ailleurs nous voulons éviter de donner raison au proverbe : 
« Qui s'excuse s'accuse. » 

Or nous n'avons rien à excuser, je dirais rien à expliquer. 

Membres de l'Assemblée, nous ne pouvons nous-mêmes nous 
mettre sur la sellette, et nous ne sommes pas tenus de faire 
une profession de foi. 

Si l'on essaye d'incriminer nos intentions, notre réponse est 
dans notre vie entière. 

Toute notre vie témoigne pour nous, notre départ d'Alger 
en 1848, notre conduite en exil attestée par le témoignage 
d'Ollivier, notre pétition même de l'an passé, notre conduite 
depuis lors, notre profession de foi et notre réserve depuis 
trois mois. 

Si l'on soulève la question de la compétence des anciennes 
dynasties, nous refusons de nous engager sur ce terrain, qui 
est le terrain réservé, le terrain constitutionnel. 

Mais à la droite comme à la gauche, nous pouvons affirmer 
que nous ne sommes ni des prétendants, ni des compétiteurs, 
qu'il n'y a dans la branche d'Orléans ni prétendants, ni com- 
pétiteurs. 



L 



A MM, les électeurs de l'Oise. 

Messieurs, 

Au mois de février dernier, vous m'avez fait l'honneur de 
me choisir pour l'un de vos députés. J'avais en vain reven- 
diqué une place dans les armées françaises au moment de l'in- 
vasion; vous m'avez du moins permis d'en prendre une dans 
les conseils de mon pays. 

Le 8 juin, l'Assemblée nationale a validé mon élection et 
abrogé la loi d'exil qui frappait ma famille. Ainsi disparut 
l'obstacle légal qui m'avait arrêté dans l'accomplissement de 
mon mandat. 

Et pourtant je n'ai pas encore pu m' acquitter d'un devoir 
que je place au-dessus de tous les autres. Je dois vous dire 
pourquoijje dois vous le dire surtout au moment où je cherche 
à sortir d'une abstention qui n'a jamais été volontaire, et qui, 
selon moi, doit prendre fin. 

La veille du jour où l'Assemblée nationale allait, par un 
acte solennel, me rendre tous mes droits de Français et me 
reconnaître en particulier le droit de vous représenter, plu- 
sieurs députés, membres d'une commission spéciale, vinrent 
me demander l'engagement de ne pas siéger dans l'Assemblée. 
A ce prix, M. le président du conseil, chef du pouvoir exé- 
cutif, retirerait l'opposition qu'il avait faite jusqu'alors à 
l'abrogation des lois d'exil et à la validation des trois élec- 
tions réservées de la Manche, de la Haute-Marne et de l'Oise» 

Cet engagement verbal n'a été l'objet d'aucune rédaction; 
je l'accepte dans le sens le plus strict* J'ai consenti à ne pas 
occuper mon siège, et l'Assemblée nationale en a été informée 
par M. le chef du pouvoir exécutif* 

Mais, si j'ai accepté cet engagement qui m'était demandé 



452 LE DUC D'AUMALE. 

au nom de la paix publique et dans des circonstances excep- 
tionnelles, c'est qu'il était de sa nature essentiellement révo- 
cable. Il y avait suspension et non suppression de mandat. Il 
était impossible d'admettre non seulement que vous fussiez 
privés d'être représentés par un des élus de votre choix, mais 
encore que vous fussiez condamnés sans recours à n'avoir 
qu'une représentation incomplète. Si insolite que fût ma situa- 
tion, elle devait, dans ma pensée, cesser avec l'état politique 
qui en était la cause. 

Or, ce changement s'est produit. 

Affirmant son pouvoir constituant, l'Assemblée nationale a 
substitué au chef du pouvoir exécutif un président de la Répu- 
blique; elle a défini ses pouvoirs, elle en a fixé la durée. 

Du jour où cette transformation constitutionnelle s'est 
opérée, j'ai pensé que l'engagement devait prendre fin, qu'il 
me restait non pas un droit à revendiquer, mais un devoir à 
remplir. 

J'ai attendu pourtant, ne voulant pas qu'une démarche pré- 
cipitée pût recevoir une fausse interprétation. Je tenais d'ail- 
leurs à laisser écouler assez de temps après le rappel des lois 
d'exil pour désarmer les plus injustes défiances, et dissiper 
les inquiétudes que certains esprits prévenus pouvaient avoir 
sur les conséquences de ce grand acte. 

Aujourd'hui que l'Assemblée nationale a repris le cours de 
ses travaux, je croyais pouvoir donner une réparation aux 
intérêts lésés de mes électeurs, défendre votre droit, messieurs, 
et occuper le siège auquel vous m'avez appelé. 

Mais l'honorable M. Thiers, qui, comme chef du pouvoir 
exécutif, s'était trouvé partie à l'engagement que j'avais con- 
tracté, l'interprète autrement que moi. Or, les questions de 
parole et d'honneur doivent être traitées et résolues en plein 
jour, de façon à ne laisser de doute dans aucun esprit. J'at- 
tends donc qu'un tribunal supérieur reconnaisse que l'obstacle 
qui m'a jusqu'ici arrêté dans l'exercice de mon mandat n'existe 
plus, et j'ai tenu à vous faire cet exposé public de la conduite 
de celui qui a l'honneur d'être 

Votre député. 

H. d'Orléans. 



VI 



Déclaration du comte de Paris, 

Février 1871 (1). 

Ce qui se fera en France et par les représentants -de la 
France sera bien fait. Ce qui serait tenté en dehors d'eux 
serait prématuré et stérile. 

Je n'ai aucune pensée d'ambition personnelle. Je travaillera 
loyalement à la solution qui paraîtra devoir assurer le plus 
sûrement à la France le gouvernement libre, stable et hon- 
nête dont elle a besoin. 

Si un accord politique se fait, c'est sur la constitution que 
doivent porter toutes les stipulations. L'important est d'obte- 
nir un appoint pour faire triompher les clauses qui nous 
garantissent une constitution libérale. 

Les questions de personnes ne peuvent être l'objet d'au- 
cunes conditions. L'idée de stipuler une abdication est inad- 
missible. Nous devons la repousser absolument. 

Il ne faut être ferme que sur les questions de principe, et 
non sur les questions de personnes. 



(1) Apportée en France par le duc d'Aumale en février 1871, elle 
fut remise au duc Decazes, avec mission de la communiquer aux 
députés de la droite. 



1 



VII 

DON DE CHANTILLY 

Extrait du testament du duc d*Aumale. 

(3 juin 1884.) 

Paragraphe 6. — Voulant conserver à la France le domaine 
de Chantilly dans son intégrité, avec ses bois, ses pelouses, 
ses eaux, ses édifices et tout ce qu'ils contiennent, trophées, 
tableaux, livres, objets d'art, tout cet ensemble qui forme 
comme un monument complet et varié de l'art français dans 
toutes ses branches, et de l'histoire de ma patrie à des époques 
de gloire, j'ai résolu d'en confier le dépôt à un corps illustre 
qui m'a fait l'honneur de m'appeler dans ses rangs à un 
double titre, et qui, sans se soustraire aux transformations 
inévitables des sociétés, échappe à l'esprit de faction comme 
aux secousses trop brusques, conservant son indépendance 
É^u milieu des fluctuations politiques. 

En conséquence, je donne et lègue à l'Institut de France, 
qui en disposera dans les conditions ci-après déterminées, le 
domaine de Chantilly tel qu'il existera au jour de mon décès, 
avec la bibliothèque et les autres collections artistiques ou 
historiques que j'y ai formées, les meubles meublants, sta- 
tues, trophées d'armes, etc. 

Le présent legs est fait à la charge, par le légataire, de con- 
server au domaine entier son caractère, et spécialement de 
n'apporter aucun changement dans l'architecture extérieure 
ou intérieure du château, des pavillons d'Enghien et de Syl- 
vie, du jeu de paume et des trois petites chapelles; de conser- 
ver à la chapelle du château sa destination, avec le matériel 
qui lui est affecté, et les objets d'art ou autres qu'elle ren- 
ferme; de veiller sur le dépôt des cœurs des Condé qui y sont 
recueillis, et d'y faire célébrer la messe les dimanches et jours 



PIÈCES HISTORIQUEwS. 455 

de fête, ainsi que les jours anniversaires dont la liste sera 
donnée à mes exécuteurs testamentaires; de conserver égale- 
ment le caractère et la destination des parcs, jardins, canaux 
et rivières, ainsi que la distribution générale des forêts, étangs 
et fontaines, et d'entretenir le tout en se conformant aux 
règles générales ci-dessus tracées, et en y donnant tous les 
soins d'un bon père de famille. 

Pour faciliter à llnstitut l'administration du présent legs, 
je l'autorise à aliéner, s'il le juge convenable, toutes les par- 
ties qui sont situées à... En dehors de ces exceptions, le reste 
du domaine ne pourra, en aucun cas, être aliéné ou hypo- 
théqué par le légataire, qui devra, au contraire, le conserver 
libre et franc de toutes charges de son chef, afin d'employer 
les revenus comme je l'indiquerai ci-après. Les produits des 
aliénations ainsi autorisées ne pourront être affectés qu'à 
l'acquit des charges du présent legs ou de celles grevant la 
propriété elle-même, ou à des placements en rentes sur l'État 
ou en obligations de chemins de fer ayant un intérêt garanti 
par lui. 

Indépendamment des conditions générales que je viens de 
déterminer, le présent legs est fait aux charges suivantes... 

Ces diverses charges acquittées, l'Institut emploiera l'excé- 
dent des revenus et l'intérêt des capitaux produits par les 
aliénations qu'il aura faites dans les limites ci-dessus déter- 
minées : 

i^A entretenir en parfait état les bâtiments, parcs, jardins 
et collections; 

2* Dans la proportion qu'il déterminera, à l'acquisition 
d'objets d'art de tous genres, livres anciens ou modernes, 
destinés à enrichir ou compléter les collections (sans qu'il 
puisse faire à cet égard aucune aliénation, soit par échange 
ou autrement); 

3° A la création de pensions et d'allocations viagères en 
faveur des hommes de lettres ou des artistes indigents ; à la 
fondation de prix destinés à encourager ceux qui se vouent à 
la carrière des lettres, des sciences ou des arts. 

Il prendra, d'ailleurs, les dispositions nécessaires pour que 
les galeries et collections de Chantilly soient, sous le nom de 
c Musée Condé » , ouvertes au public au moins deux fois par 



456 . LE DUC D'AUMALE. 

eemaine pendant six mois de l'année, et pour qu'en tout 
temps les étudiants, les hommes de lettres et les artistes 
puissent y trouver les facilités de travail et de recherches dont 
ils auraient besoin. 

Pour extrait conforme, 

Paris, ce 28 septembre 4886. . 

FONTANA. 

D'un codicille fait en la forme olographe au Nouvion en 
Thiérache, le 14 juillet 1886, et déposé chez M« Fontana, le 
20 juillet du même mois, 

Il a été extrait littéralement ce qui suit par le notaire sous- 
signé : 

c Dans le cas où tout ou partie des objets mobiliers com- 
pris dans le legs que, sous le paragraphe 6 de mon testa- 
ment, j'ai fait à l'Institut de France, auraient été déplacés, 
mes exécuteurs testamentaires devront veiller à ce que ces 
objets soient réintégrés à Chantilly, pour que la disposition 
qui les concerne reçoive son entière exécution. 

« Fait et écrit en entier de ma main au Nouvion en Thié- 
rache (Aisne), ce quatorze juillet mil huit cent quatre- 
vingt-six. 

c Henri d'Orléans. » 

Pour extrait conforme, 

Paris, ce 28 septembre 1886. 

FONTANA. 



VIII 

Toast de M. Baille, président de la Société d'Agriculture, 
Sciences et Arts de Poligny. 

t Messieurs, 

« Notre Société me charge de vous remercier des témoi- 
gnages de bienveillante confraternité qu'elle ne cesse de rece- 
voir de vous. 

« Les vignerons nos collègues (et à Poligny nous sommes 
tous vignerons) ont eu la pensée de vous offrir, à titre d'hom- 
mage reconnaissant, quelques bouteilles de leur vin, ce qu'ils 
ont de meilleur et de plus vieux. Ce vin-là. Messieurs, il a son 
histoire : Henri IV lui a fait une réputation. Lors de son entrée 
dans notre ville, en 1595, il demanda un verre de vin du cru, 
le vida d'un trait et le déclara excellent. « Nous en avons encore 
« du meilleur », çepartit avec sa rudesse comtoise celui de nos 
compatriotes qui lui servait d'échanson, mais qui n'oubliait 
pas qu'il parlait à un ennemi. Le Béarnais se contenta de 
répondre avec son fin sourire gascon : « Vous le gardez sans 
ce doute pour une meilleure occasion î » 

« Cette occasion d'offrir notre meilleur vin. Messieurs, jamais, 
depuis 1595, nous ne l'avons trouvée plus belle qu'aujourd'hui, 
puisqu'il nous est donné de le boire au sein de cette Société 
qui est l'honneur de la province et qui compte parmi ses 
convives un descendant du Béarnais, non plus notre ennemi 
cette fois, mais le défenseur de nos frontières! » 

Réponse du duc d'AumaJe, 

< Messieurs, 

« Je remercie votre président, je vous remercie tous de 
votre bon accueil ; je vous remercie de m'avoir convié à cette 



458 LE DUC D'AUMALE. 

réunion avec un si cordial empressement. Je vous en sais 
d'autant plus de gré que j'ai le regret de m'être trouvé en 
désaccord avec vous, — désaccord amical heureusement et 
toujours courtois, — sorti d'une discussion historique qui, 
malgré votre unanimité à reconnaître dans le massif d'Alaise 
l'emplacement d'Alésia, ne vous a peut-être pas trouvés en 
parfaite concordance sur les détails, et qui d'ailleurs a pro- 
voqué des jugements si divers que l'on peut à ce propos 
répéter le dicton (c'est du latin, mais il n'y a pas de dames 
ici) : Quoi capita, tôt sensus, 

« Quoi qu'il en soit, vous ne m'avez pas gardé rancune, et 
vous avez bien fait; car je n'ai jamais songé à détacher un 
fleuron de la couronne guerrière de cette vaillante province, 
dont plus que jamais aujourd'hui je dois savoir apprécier le 
mâle et patriotique courage. 

« La rivalité des Éduens et des Séquanes n'a plus de raison 
d'être; elle est oubliée comme cette sanglante guerre des 
deux Bourgognes, dont nous reparlerons quelque jour si vous 
le trouvez bon, et qui a été terminée il y a deux cents ans 
pour ne plus recommencer. Rien, s'il plaît à Dieu, rien ne 
pourra rompre le lien indissoluble qui unit les Comtois à la 
France, à cette France dont nous sommes tous également les 
enfants et les serviteurs. > 



IX 



EXTRAIT DU REGISTRE DES ACTES DE L ETAT CIVIL DU CONSULAT 
DE FRANCE A PALERME POUR L*ANNÉE 1897. 

Acte de décès de S. A. R, le duc dAumale, 

Du septième jour du mois de mai, mil huit cent quatre- 
vingt-dix-sept, à onze heures du matin : — Acte de décès de 
Son Altesse Royale Monseigneur Henri-Eugène-Philippe-Louis 
d'Orléans, duc d'Aumale, général de division, grand-croix de 
la Légion d'honneur, membre de l'Académie française, etc.. 
fils de Louis-Philippe I", roi des Français, et de Marie-Amélie 
de Bourbon, princesse des Deux-Siciles, reine des Français, 
né le seize janvier mil huit cent vingt-deux, au Palais-Royal 
à Paris, demeurant à Chantilly, décédé à Lo Zucco (province 
de Palerme, Sicile) le sept mai mil huit cent quatre-vingt- 
dix-sept, à deux heures du matin, veuf de Marie-Garoline- 
Auguste de Bourbon, princesse des Deux-Siciles, décédée le 
six décembre mil huit cent soixante-neuf à Twickenham 
(Angleterre). 

Sur la déclaration à nous faite par M. Bucan (Charles-Henri), 
demeurant à Argenteuil, officier en retraite, chevalier de la 
Légion d'honneur, administrateur des domaines du duc d'Au- 
male, premier témoin; et par M. Ludovic Hébert, marquis de 
Beauvoir, officier de la Légion d'honneur, ancien secrétaire 
d'ambassade, demeurant à Paris, second témoin. 

Et ont 'signé après lecture faite : 

Signé : Bucan. 

Marquis de Beauvoir. 



460 LE DUC D'AUMALE. 

Constaté par nous, consul de France, chevalier de la Légion 
d'honneur, faisant fonction d'officier de l'état civil. 

Signé : Baron Rousseau. 

A Palerme, le dix-sept novembre mil huit cent quatre-vingt- 
dix-sept. 



r 



TABLE t)ES MATIÈRES 



Introduction. 



CHAPITRE PREMIER 

ANNÉES d'enfance ET DE JEUNESSE 



La naissance. — Milieu familial. — Louis XVIII et le duc d'Orléans. 

— Mme de Genlis. — Le premier spectacle. — Éducation. — Les 
fils du roi fonctionnaires. — Cuvillier-Fleury, précepteur du duc 
d'Aumale. — Le duc d'Aumale au collège. — Épisodes de ce temps. 

— Le goût pour l'histoire. — La famille d'Orléans aux Tuileries. 

— Un prince patriote. — Extraits de correspondances. — La folie 
de l'épée. — Ambition d'un sous-lieutenant. — Soldat et cocar- 
dier. — Fin des études. — La grâce de Barbés. — Le duc d'Or- 
léans et le duc d'Aumale. — En vue de la Terre promise. — Départ 
pour l'Algérie 1 

CHAPITRE II 

l'africain 

Arrivée du duc d'Aumale en Algérie. — Signes caractéristiques de 
sa personnalité militaire. — Ses premières armes. — Le col de 
Mouzaïa. — Chevalier de la Légion d'honneur. — Une lettre du 
lieutenant Ducrot. — Bugeaud gouverneur général. — Colonel du 
47" léger. — L'attentat Quénisset. — Retour en Algérie comme 
maréchal de camp. — Une lettre du roi. — Ascendant du prince 
sur les troupes. — La prise de la smalah, — Lieutenant général 
et commandant de la province de Constantine. — Un voyage en 
Italie. — Séjour à Turin et à Naples. — Le duc d'Aumale fiancé 
à la fille du prince de Salerne. — Nouveaux combats. — Son 



462 TABLE DES MATIÈRES/ 

mariage. — 11 est nommé gouverneur général de l'Algérie. — Son 
portrait à cette époque. — La reddition d'Abd-el-Kader. — Les 
dernières semaines du gouvernement du duc d'Aumale. — Résumé 
de sa carrière en Algérie 31 



CHAPITRE m 

f ' E X I L 

Injustice de la révolution de 1848. — Le roi refuse de résister. — 
Ce que pouvaient faire ses fils. — Leur soumission. — Proposition 
du maréchal Bugeaud. — Le duc d'Aumale à Twickenham, — 
Extraits de sa correspondance. — Jugements sur les affaires d'Al- 
gérie et la politique intérieure. — Etat d'àme du prince en 1861. 

— Sa Lettre sur V histoire de France. — Sa vie en Angleterre. — 
Le Zucco. — Activité du duc d'Aumale. — Rencontre avec le ma- 
réchal Pélissier. — Le duc de Chartres dans l'armée italienne. — 
Le prince de Condé, son voyage autour du monde, sa mort. — 
Comment ses parents l'apprirent. — Une lettre sur les protestants. 

— Le poids de l'exil 87 

CHAPITRE IV 

LE PROLOGUE DU RETOUR 

La politique impériale en 1870. — Pétition des princes d'Orléans. — 
Discours de M. Estancelin. — Emile Ollivier, Jules Favre, Grévy. 

— Les dernières lettres de l'exil. — La déclaration de guerre. — 
Les princes en Belgique. — Ils demandent à servir. — Démarches 
de M. Edouard Bocher et du comte d'Haussonville. — Chez 
M. Thiers. — Une lettre du prince de Joinville. — La séance du 
12 ax)ût. — Ouvertures inattendues de M. Thiers. — La journée 
du 3 septembre à Bruxelles. — Ce qui se passe chez M. Thiers le 
surlendemain. — Ils sont ici! 136 

CHAPITRE V 

LA PATRIE ENTREVUE 

De Bruxelles à Paris. — Arrivée des princes d'Orléans. — Le duc 
d'Aumale et le comte d'Haussonville. — Visite à Jules Favre et à 
Trochu. — Le préfet de police. — Patriotique résolution des 
princes. — Ils exigent des passeports. — Promenade nocturne du 
duc de Chartres. — Mauvaise humeur de M. Thiers. — Le prince 
de Joinville à l'armée. — L'épopée de Robert le Fort. — Un mot 
du duc d'Aumale. — Le général Bourbaki à Londres. — Opinion 
du duc d'Aumale sur Bêizaine 168 



TABLE DES MATIÈRES. 463 

CHAPITRE VI 

AU SEUIL DE l'assemblée NATIONALE 

Périocle critique. — Le duc d'Aumale et M. Thiers. — Le duc d'Au- 
male et le prince de Join ville députés. — Arrivée à Saint-Malo. 
— Résistance de M. Thiers. — Les princes renoncent à aller à 
Bordeaux. — Séjour à la Grave. — Négociations de Biarritz. — 
Séjour à Dreux. — Les princes et la droite. — Engagements réci- 
proques. — La vie des princes menacée. — Marcouville et Le 
Breuil. — Singulière lettre du procureur général Leblond. — 
Départ pour le château de Sassy. — Démarches du comte d'Haus- 
son ville auprès de M. Thiers. — Curieux entretien. — Déclaration 
du 27 mai. — Le parti légitimiste satisfait. — M. Thiers cesse de 
s'opposer à la rentrée définitive des princes. — Validation de 
leuir élection. — Abrogation des lois d'exil. — Les princes à Ver- 
sailles 498 

CHAPITRE VU 

l'installation en frange 

Joie du duc d'Aumale. — Le duc de Guise. — Chantilly restauré. — 
Les réceptions. — L'hôtel du faubourg Saint-Honoré. — Rentrée 
dans l'armée. — Le duc d'Aumale et les partis. — Injustes accu- 
sations. — Le drapeau. — L'Académie française. — Mort du duc 
de Guise. — Le pèlerinage de Dreux. — La chapelle ardente. — 
A la veille du 24 mai. — Le général Ducrot à Anvers. — La prési- 
dence de la République. — La visite du comte de Paris à Frohs- 
dorflf. — Echec des tentatives royalistes. — Le duc d'Aumale 
prévient par un refus l'offre de la lieutenance générale du 
royaume 241 

CHAPITRE VIII 

LE GÉNÉRAL 

Un souvenir du passé. — Éducation militaire du duc d'Aumale. — 
L'opinion publique et Bazaine. — Renvoi devant un conseil de 
guerre. — Le duc d'Aumale désigné pour présider ce conseil. — 
Ses premières résistances et ses perplexités. — Démarches du 
maréchal Baraguay d'Hilliers. — Une séance de l'Assemblée natio- 
nale. — Leduc d'Aumale accepte la présidence. — Il veut aller 
en Alsace. — Refus de Bismarck. — Le procès. — Un mot histo- 
rique. — La sentence. — Recours en grâce. — Départ pour Besan- 
çon. — Le commandement du 7' corps. — Comment il l'exerce. 



464 TABLE DES MATIERES 

— Son activité. — Les « randonnées ». — Sa sollicitude pour le 
troupier. — En manœuvres. — Ses ordres du jour.. — La crise de 
1875. — Physionomie de son quartier général. — Anecdotes du 
dix-huitième siècle. — De plus en plus loin de la politique. — Il 
refuse de se laisser élire au Sénat. — Le duc d'Aumale et le cardi- 
nal Mathieu. — Il est relevé de son commandement 270 



CHAPITRE IX 

AVANT ET PENDANT LE SJICOND EXIL 

Illusions du duc d'Aumale. — Il est inspecteur d'armée. — Sa dis- 
grâce. — Mise en non-activité par retrait d'emploi. — Mort du 
comte de Chambord. — Un dissentiment. — La donation de Chan- 
tilly. — La soirée de l'hôtel Galliera. — Résurrection des lois 
d'exil. — Les princes hors de l'armée. — Protestation du duc 
d'Aumale. — Séjour au Nouvion. — Départ pour l'exil. — Lettres 
du général Boulanger. — r U Histoire des Condé reprise. — Remords 
du gouvernement républicain. — Projets de grâce. — Ajourne- 
ments successifs. — Le rappel. — Retour à Chantilly. — Visite 
au président Garnot. — L'Académie française. — La vie du prince. 

— Vaines démarches pour lui faire rendre son grade. — Un mot 
de Renan 326 

CHAPITRE X 

LES DERNIÈRES ANNÉES 

La Société française de secours aux blessés. — Présidence du duc 
d'Aumale. — Les papiers de Louis-Philippe. — Épisodes du passé. 

— Le mariage de la princesse Hélène. — Les Mokrani. — Dispo- 
sitions pour Chantilly. — Dernières volontés. — Séjours au Zucco. 

— Voyage de 1896. — Le duc d'Aumale et l'impératrice Eugénie. 

— Le duc d'Orléans abord du Thistle. — L'impératrice au Zucco. 

— Le duc d'Aumale et le président de la République. — Invita- 
tion refusée. — Explications émouvantes. — Péril de mort, 42 dé- 
cembre 1876. — Rétablissement. — Le droit de grâce. — Opinion 
de M. Félix Faure. — Départ pour la Sicile, avril 1897. — Séjour 
à Palerme. — Arrivée au Zucco. — L'incendie du Bazar de la Cha- 
rité. — Les dernières heures. — La mort. — Manifestations. — 
Les dépêches. — Les obsèques. — Les honneurs militaires. — Un 
émouvant voyage. — La Madeleine. — Conclusion 369 



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